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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 690 : KR'TNT ! 690 : BIG SEARCH / VIAGRA BOYS / DEAN WAREHAM / ELVIS PRESLEY / WILBERT HARRISON / MATRAQUE / PSYCHIC WARS / JUDAS CONSPIRACY THEORY / BANK MYNA

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 690

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 05 / 2025

     

    BIG SEARCH / VIAGRA BOYS

    DEAN WAREHAM / ELVIS PRESLEY

    WILBERT HARRISON

    MATRAQUE / PSYCHIC WARS  

    JUDAS CONSPIRACY THEORY

    BANK MYNA

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 690

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - In Big Search of space

             Que se passe-t-il quand un épouvantail rencontre un autre épouvantail ? Rien, bien sûr. Que pourrait-il se passer ? C’est presque un sujet pour le bac philo. C’est pourtant ce qui vient d’arriver à l’avenir du rock qui erre dans le désert depuis tellement longtemps qu’il ne compte plus les jours, ni les années d’ailleurs. Au point où il en est, ça ne sert plus à grand-chose. Il arrive au sommet d’une dune, et il aperçoit en bas un épouvantail à peu près dans le même état que lui. Desséché par le soleil, les vents de sable et la sous-alimentation. L’avenir du rock en est réduit à sucer ses dents qui tombent, mais il n’en reste plus beaucoup. Il les suce comme des bonbons, ça fait illusion. Comme il approche de l’autre épouvantail, il lui vient l’idée saugrenue d’aller lui mettre son poing dans la gueule et de récupérer ses dents pour se faire une petite réserve de bonbons. L’idée le galvanise. Un bon coup de poing dans la gueule et 32 bonbons d’un coup, de quoi tenir un sacré bout de temps. Alors il accélère le pas. Il se met à fantasmer sur les bonbons de la même façon qu’Henry Miller fantasmait sur les poulets rôtis au temps de Jours Tranquilles À Clichy. Alors que l’avenir du rock prend son élan, l’épouvantail ne bronche pas. Il reste complètement immobile. Il porte des lunettes noires. Un vent léger fouille ses mèches filasses de cheveux blonds. L’avenir du rock arrive droit sur lui et tente de lui coller son poing dans la gueule, mais l’épouvantail l’esquive adroitement et s’écrie :

             — What the fuck ?

             En représailles, l’épouvantail lui colle son poing en pleine gueule. Bing !

             L’avenir du rock perd ses dernières dents. Il s’agenouille péniblement pour les ramasser et les mettre dans sa poche.

             Embarrassé d’avoir été aussi con, il dit à l’épouvantail :

             — Bonbons à bibi !

             L’autre ne pige rien. Alors l’avenir du rock lui demande ce qu’il fout là, planté au milieu du désert.

             — Big Search.

             — Mitou, répond l’avenir du rock qui reprend sa marche, hébété.

     

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             L’épouvantail a un groupe qui s’appelle Big Search, et lui il s’appelle Matt Popieluch. Il ouvre en solo pour  Dean Wareham. Quand tu le vois arriver sur scène et hésiter, tu te dis que ça va être long. Il se plante en peu dans l’attaque de ses premiers cuts. Il s’excuse. Il faut peut-être mettre ça sur le compte du trac. Il est assez haut, plutôt maigre, pas coiffé, pas looké. L’anti-frime par excellence. Il gratte

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    une Strato et swingue d’un pied. Et puis il va tout doucement prendre le contrôle de ta cervelle, car ce Matt-là a tout simplement du génie. Il gratte de la pointe des doigts et sort un son de soft rock psychédélique absolument fabuleux, il tiguilite un space-out so far out qui te monte droit au cerveau, il fait tout simplement du Gene Clark avec un sens aigu du groove à la Croz. Te voilà complètement bluffé. Il joue les yeux fermés, avec le nez en l’air. Il s’absente totalement de la scène et voyage dans son monde. Tu vois les accords, tu les connais, et pourtant son jeu reste un mystère. Il sort un son de picking mais sans les onglets. Il propose de l’acid folk californien de très haut niveau qui n’est pas sans rappeler celui de F.J. McMahon. L’acid folk californien est le plus pur de tous, et ce mec Matt en propose la crème de la crème.

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             Le jeu va consister à retrouver cette magie sur ses albums. T’y vas sans grand espoir, car ce genre de performance n’a de sens et d’impact que sur scène. T’en ramasses deux au pif au merch, Role Reversal et Life Dollars. Tu compléteras un peu plus tard avec Slow Fascination.

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             Curieusement, Role Reversal a disparu de Discogs. Alors t’es bien content de l’avoir ramassé. Car tu y croises de sacrés cuts. Ce mec Matt propose une pop tendue à se rompre, tu n’y peux rien. Il vise la Cosmic Americana, avec des beaux arpèges et un sens aigu de la perdition. Et soudain, ça décolle avec «Distant Shore». Il fait du Midlake. Puissance atmosphérique extrême. Tu entres bien dans son jeu. Il devient étourdissant avec «Where Do You Room», il semble ivre de liberté et de vin mauvais, il fait de la pure Beatlemania, il joue avec le feu et sort un son d’une qualité étourdissante. Tu le prends au sérieux, t’es obligé. Il chante «Runaway» au doux du doux, sur des arpèges noyés d’écho, il se noie dans la beauté de sa pop. Ce mec Matt est très avancé dans l’extension du domaine de la lutte. Il termine cet album attachant avec «I’m Gonna Leave You», une grosse pop traînarde éclaboussée de lumière crépusculaire, une vraie bénédiction. Il cultive l’écrasée congénitale.

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             T’as au moins deux cuts qui renvoient sur Brian Wilson dans Life Dollars : «Distant Shore» de l’album précédent, et «I Feel Good». Là, oui, tu dis oui. La pop de Distant Shore fond comme beurre au soleil, avec des harmonies vocales démentes. Ce mec Matt a le sens des pointes extravagantes, t’en reviens pas de tomber sur un tel cut. Son Feel Good relève aussi de la pure beauté wilsonienne, il gratte ses arpèges dans l’embrasement d’un crépuscule californien. Il va aussi dans Croz. Il tire encore sa pop dans la lumière avec «Can’t Understand The News». Il propose de l’océanique californien. Tout est travaillé au big sound sur cet album révélatoire. Il revient à la pop de base avec «Don’t Change My Eyes». Il sait créer l’événement. Tu ne t’ennuies pas, même si tu ne cries pas au loup. Il y a du souffle dans cette pop de bon aloi. «Anna Don’t Go» est encore digne des Beatles et de Brian Wilson. Il bosse bien ses couches de son.

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             C’est sur Slow Fascination que tu vas retrouver le fabuleux slow groove psychédélique que gratouillait du bout des doigts le mec Matt l’autre soir au Petit Bain : fantastique pureté d’here we are never free at last. Il cultive la pureté extra-sensorielle avec une indicible grâce tactile. Il sort un son rare d’arpèges effleurés du bout des doigts. L’autre hit faramineux se planque en B et s’appelle «What To Say». C’est encore un balladif doucement désenchanté qu’il coule dans un mood de strange to meet someone I never knew. L’océanique est son truc. Avec «Till The Day Is Done», il se fond dans l’ouate de Smile. Il recrée à sa façon le smooth de Brian Wilson. Il va chercher du son sur tous ses cuts. Encore une belle dérive californienne en B avec «Windowpane» et il atteint encore le sommet du genre avec «Busy Getting Lost» - Time will come again when we meet as friends/ If I’m not scattered in the wind - Comme il l’a fait sur «What To Say», il chante encore «Good People Round» en lévitation. Le mec Matt adore chanter suspendu dans l’air. C’est un magicien.  

    Signé : Cazengler, Bonne Sœurch

    Matt Popieluch. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Big Search. Role Reversal. 2014

    Big Search. Life Dollars. 30th Century Records 2016

    Big Search. Slow Fascination 30th Century Records 2019

     

     

    Le beat dressé des Viagra Boys

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             C’est pas plein quand t’arrives mais c’est plein quand ils arrivent sur scène. En peu de temps, les Viagra Boys ont su créer un buzz turgescent. Il faut bien dire qu’aujourd’hui, la valeur artistique d’un groupe n’est plus le critère de remplissage d’un Zénith. Les réputations se font autrement. Si tu campes sur tes vieilles positions, tu n’iras plus voir beaucoup de concerts. Même tes exigences de qualité sont complètement périmées, à l’image de ta bobine de vieux schnoque.  Par contre, si t’es curieux de savoir ce que certains nouveaux groupes ont dans la culotte, tu peux tenter le coup ici et là. C’est toujours moins pire que de regarder des conneries à la télé. Enfin, pour les ceusses qui regardent encore la fucking télé.  

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             C’est forcément un grand moment que de voir les Viagra Boys arriver sur scène. T’en as deux qui déboulent torse nu et couverts de tatouages : le chanteur Sebastian Murphy et le bassman Henrik Höckert. Murphy ventripote un peu. On ne regarde même pas les trois ou quatre autres. Les deux tattoo boys vont focaliser l’attention. Alors attention, ces Suédois jouent un rock de destruction massive, bien

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    lourdingue, bien défenestrateur. Tout est monté sur d’implacables drives de basse. C’est leur fonds de commerce. Sur scène, ils sonnent comme sur les albums, mais en mille fois pire, en mille fois plus atomique. Ils saturent l’espace de son, et pourtant t’as pas mal aux oreilles. Te voilà plongé dans une sorte d’heavy messe païenne, et dès le troisième cut, les remous de la foule t’écrasent sur la barrière. T’as intérêt à avoir des bras d’acier pour te dégager et retrouver ta respiration. Tu ne t’attendais pas à ça : les Viagra Boys plongent le Zénith dans le chaos, certainement le pire qui soit, le chaos des compressions, orchestré par un beat sourd comme un pot. Tu entres dans la dimension du pire. Tous les crowd-surfers de Paris sont là. Les gros balèzes de la sécu sont vite débordés. La pression de la foule est telle que la barrière menace de céder. Ça frise l’hors-de-contrôle. Les gros durs de la sécu qui ont tous des bras énormes s’arc-boutent sur la barrière qui penche de leur côté. Te voilà pris en sandwich. Tu essayes de résister à la pression. Elle s’accentue de plus en plus. T’as des tonnes dans le dos. Tu ne cherches même plus à identifier les Viagra cuts. De

     

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     toute façon, ils tapent des cuts que tu ne connais pas, car leur nouvel album - ompf, un coup dans le dos - vient de sortir, alors - ampf, les pieds d’un crowd-surfer dans la nuque, fuck, ça fait mal - T’as vraiment envie de te barrer. Impossible. T’es baisé. Fait comme un rat. Encore pire qu’au concert des Mary Chain quand t’avais ces amputés du cerceau qui sautaient sur place juste à côté. T’as toujours des mecs qui ne sont pas là pour écouter, mais pour sauter sur place. Tu reconnais au passage - oumpffff ! - cette merveille de power beat qu’est «Ain’t Nice». La tempête de coups s’aggrave. Des gobelets volent. Tu vois des gonzesses tatouées qui adorent ce chaos. Toi t’adores pas trop. Pour sûr, la fête est réussie, mais pour clichetonner, tintin. Impossible. La foule pousse et t’écrase la gueule dans la barrière, ouuuummpf ! Les coups, ça fait mal, comme dirait Johnny. T’essayes encore de suivre le show. Fuck ! Faut abandonner l’idée. T’as des milliers de personnes qui dansent et qui pogotent au Cap Horn. Hâte-toi de confier ta cage thoracique et tes vertèbres aux bons soins du destin.

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             Tu profites du passage à vide d’avant rappel pour tenter la sortie. Tu te frayes péniblement un chemin pour regagner le pied des gradins. Ouf ! Tu vas pouvoir observer le chaos de dos. Il n’est pas jojo, le chaos de dos. Quand les Viagra Boys reviennent sur scène, tu vois des milliers d’écrans au-dessus des milliers de têtes. Tout le monde filme la scène. C’est irréel de non-sens. Les gens filment n’importe quoi, car à cette distance, t’as rien, à part des silhouettes et de la fumée. Mais bon, ça filme. Ça alimente le grand fleuve numérique planétaire. Le chaos de l’inutilité définitive. Une sorte de fin de tout. Ces milliards d’informations s’engouffrent dans un Vortex dont personne ne connaît ni la taille ni le sens. Observer le spectacle du spectacle, c’est fascinant. Le chaos de l’inutilité définitive engloutit celui des Viagra Boys. Pire encore : le Vortex et ses milliers de petites bouches voraces en forme de smartphones engloutit le sens des choses. Les cervelles sont déjà au service des petites bouches voraces du Vortex, il n’y a donc plus rien à faire. Plus rien à dire. Il est déjà trop tard. Tu ne vas plus au concert de rock. Tu vas au concert du numérique.

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             Tu te retrouves un peu plus tard sur l’Avenue Jean Jaurès et pour retrouver tes marques, tu te poses la question : faut-il écouter le nouvel album des Viagra Boys ? T’es pas très chaud. Entre bif, baf et bof, tu choisis le bif.

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             Grand bien te prend de l’écouter car c’est un bon album. Tu sauves cinq cuts alors t’es bien content de pas t’être fait emmancher une fois de plus. Deux énormités, pour commencer, «The Bog Body» et «Pyramid Of Health», deux cuts bien décidés à en découdre, deux cuts bien rockés du fa fa fa. Deux cuts puissants mais sans surprise. Disons que ça reste dans la typologie du groupe. Sur «Waterboy», on sent bien l’Américain, okay !, Sebastien machin lance bien le truc, son Waterboys ne sera jamais un hit, mais ils tapent bien dans l’œil du cyclope. Okay ! Awite ! Et tu vois le bassman remonter à la surface avec «You n33 Me». Big bass attack. Fabuleux ramshackle. «Dirty Boyz» est un brin hypno, c’est même puissant, tu ne peux pas dire le contraire. Et tu leur donnes l’absolution pour «Best In Show Pt IV», car ils te tapent ça aux clap-hands, t’as là un fabuleux story-telling dévalé à fond de train, il raconte sa vie extrême avec le final sax, c’est digne d’Iggy dans throw them to the lions !, ça bascule dans la stoogerie à coups d’I need all the help I can get man et ils renchérissent à coups d’I need access to heaven. L’album emporte la partie avec le bassmatic du diable et ce beat de tatoués. On a déjà entendu ça ailleurs, mais t’y retrouves ton compte.

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             Dans Mojo, Andrew Perry leur consacre une page, histoire de les qualifier de «scurrilous, disruptive and frequently misunderstood band on the rise», c’est-à-dire un groupe grossier, perturbateur et incompris dont la cote monte. Perry ajoute que le groupe a des racines dans la scène hardcore suédoise, ce qui nous fait une belle jambe. C’est donc le bassman Henrik Höckert qui a «forcé» le speed-freak Sebastien Murphy, fraîchement arrivé de Californie en Suède, à chanter dans les Viagra Boys. La commère du village ajoute que Murphy bosse dans le salon de tatouage où bosse la poule d’Höckert, d’où le contact. Et Murphy qui n’est pas avare de conneries, indique que pour écrire ses textes, il se goinfre du caca d’Internet. On vit dans cette époque. Le plus difficile est de s’habituer à l’idée qu’on doit vivre dans cette époque. Parfois on croit qu’on va y parvenir, et d’autres fois on comprend que ce n’est pas possible. Cette époque n’a décidément rien de sexy.    

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             Tu veux en avoir le cœur net, alors t’écoutes d’autres albums. Quand t’écoutes Cave World, t’es pas très content. C’est plein de machines. «Baby Criminal» sonne comme une dégelée, mais une dégelée de machines. Ces mecs ratissent tout. Purée de machines. T’as tout de même un bassmatic. T’as pas le temps de souffler et tu te fais choper par l’hard drive de «Troglodyte». C’est du relentless d’hard drive. Ils foncent dans leur tas qui n’est pas le tien. Mais alors pas du tout. Tu fais des efforts pour rester sous le casque et c’est pas bon signe. Tu ne vois pas bien l’intérêt de leur tas. Ils repartent à ta conquête avec «Punk Rock Loser» et tu baves car t’entends un killer solo trash, pas flash. Ils tentent le coup de l’apocalypse avec «Creedy Crawlers», mais ils ne sont pas les Killing Joke. Ils n’ont pas les moyens de ça. T’arrives au 6 et t’es loin d’être convaincu. Tes informateurs t’ont prévenu : «C’est un groupe de scène, pas un groupe de disk.» Trop de machines sur cet album. Retour à la tentative d’apocalypse avec «Ain’t No Thief». Stomp de machines. C’est de la techno. Avec du power, mais techno quand même. Bif baf bof. «Big Boy» est sans doute leur meilleur cut - I need a big/ Big girl/ To keep me real - Bien heavy. Ils cherchent encore des noises à la noise avec «Return To Monks». Là ça devient anthemic. Ils cherchent la confrontation. Ils flirtent avec le grand art de destruction massive des Bury. Ils lâchent les chiens. Là, t’as du paganisme technocratique, une vraie chienlit de techno power en caisse de résonance. 

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             Il vaut mieux écouter Welfare Jazz. T’es tout de suite cueilli au menton par «Ain’t Nice». Ils te percutent de plein fouet, c’est un cut de destruction massive, ils misent tout sur le stomp et font le banco. La basse vole le show sur «Toad» et ça devient vite demented. Le bassman Henrik Höckert lance encore le train fou d’«Into The Sun», un nouveau stomp humanoïde. Les Boys sont des bons. Tout est monté sur un heavy drive de basse. Les canards boiteux n’ont qu’à bien se tenir. Encore un drive de basse sur «Creatures». Et puis t’as ce «6 Shooter» gratté à la gratte d’intro et rattrapé par le bassman fou, et ça sonne comme un instro urbain du plus bel effet. Ils tapent tout en heavy stuff mais ils éprouvent parfois des difficultés à convaincre («I Feel Alive»). Ça repart en mode trash punk avec «Girls & Boys» et ça percute les cacatois avec un sax in tow. La gonzesse qui vient duetter sur «In Spite Of Ourselves» s’appelle Amy Taylor. Elle est bien trash, la bourrique.

    Signé : Cazengler, viagras du bide

    Viagra Boys. Le Zénith. Paris XIXe. 25 avril 2025

    Viagra Boys. Welfare Jazz. Year001 2021

    Viagra Boys. Cave World. Year001 2022

    Viagra Boys. Viagr Aboys. Shrimptech Enterprises 2025

    Andrew Perry : Mojo Rising. Mojo #379 - June 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Wareham câline

     (Part Four)

             — Alors, avenir du toc, on se pique toujours de dadaïsme ?

    Dûment interloqué, l’avenir du rock se retourna :

             — Ah quelle surprise ! Tristan Tzaralebol ! Toujours aussi guilleret ?

             — Guilleret du cul, cher ami ! Du cul, du cul, ha ha ha ha !

             Les trilles du rire cristallin de Tristan Tzaralebol ricochèrent jusqu’au ciel d’un bleu parfaitement Klein. Il ré-ajusta son monocle et reprit : 

             — Dites-voir, avenir du rocambole, je fermente un poutche, oui, ne me regardez pas ainsi, un poutche, vous dis-je !, contre qui ?, mais contre le tyran André Béton-Armé. Nous envisageons fermement de couler l’André Béton-Armé dans un bloc de béton armé et d’aller l’immerger au fond du Détroit des Dardanelles, de sorte qu’aucun steamer, à voile ou à vapeur, aussi puissant fût-il, ne puisse l’hisser à la surface. Vous n’applaudissez donc pas ? ,avenir du ric et du rac ?, seriez-vous devenu complètement impavide ?

             Baisé comme un bleu, l’avenir du rock se mit à applaudir flasquement.

             — Rejoindrez-vous les rangs des conjurés, avenir du rocamadour ? 

             L’avenir du rock poussa un soupir long comme un jour sans rhum.

             — Pfffffffffff. Si vous insistez lourdement...

             Tzaralebol exhuma alors un carnet Moleskine des profondeurs de son manteau en vison ainsi qu’un crayon dont il humecta la mine de la pointe d’une langue frétillante :

             — Ainsi donc, avenir du roquefort, le sort en est jeté ! J’inscris de ce pas votre blaze à la suite d’une longue liste de conjurés... Oh oh oh, je vois à l’étincelle de votre regard que vous brûlez de connaître leurs noms... J’en mettrais ma saucisse à frire !

             — Oh j’en connais les noms, figurez-vous ! Mais je ne savais pas les exclus revanchards ! Et je ne vois pas Desnos ni Artaud le Momo manier la truelle ! Votre blague n’est pas drôle, Tzaralebol. Vous déclinez !

             — Cher avenir du rococo, vous m’avez percé à jour et vous m’en voyez réjoui, oui oui. Dînons pour fêter ce grand jour ! Car qui dort Dean Wareham, n’est-il pas vrai ?

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             Il devrait être très fier, Dean Wareham, de se retrouver coincé dans ce genre d’épisode dadaïste. Tout le monde ne bénéficie pas des faveurs de Dada, croyez-le bien !

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             Le real Dean refait surface car il vient de faire paraître un nouvel album solo : That’s The Price Of Loving Me. Qualifions cet album de très magnifique, si vous le voulez bien. C’est vraiment le moins qu’on puisse faire. Le real Dean nous accueille dans son giron avec deux Beautiful Songs de rang princier, «You Were The Ones I Had To Betray» et «Dear Pretty Baby» qui est en fait une cover de Mayo Thompson, qui, t’en souvient-il, fut l’âme câline de Red Crayola. Tu retrouves dans ces deux merveilles la classe inhérente du real Dean. Il cultive l’héritage du Lou. Le cut Mayo sonne un peu comme l’«It’s All Over Now Baby Blue» de Dylan, tu savoures cette fabuleuse musicalité et bien sûr, tu nages en plein rêve. Le real Dean installe bien l’ambiance de «We’re Not Finshed Yet», comme il l’a fait toute sa vie. Il est encore très Lou sur ce coup-là. On sent la fascination dans le timbre de sa voix. «Bourgeois Manqué» sonne comme un heavy groove de petite vertu, il te gratte ça à la clairette et tu te régales du bassmatic aérien de Britta. Puis une sorte de miracle se produit : le real Dean met les mains sur les hanches de «Yesterday’s Hero» et fait danser cette belle pop gondolée. Il monte sa pop très haut dans l’expectative, avec une économie de moyens complètement invraisemblable. C’est une autre façon de résumer son art. Puis il dépasse encore les bornes avec le morceau titre. Le real Dean est beaucoup trop balèze : il groove le smooth. Eh oui, t’as pas beaucoup de gens capables de groover le smooth. Puis il retourne bien en dessous du boisseau pour chantouiller «The Cloud Is Coming». T’as là une pop bien underground, bien confidentielle et bien inspirée par le génie de Lou Reed.  

    Signé : Cazengler, Whare-âne

    Dean Wareham. That’s The Price Of Loving Me. Carpark Records 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Elvis & la vertu

    (Part Seven)

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             Comme Peter Guralnick, Robert Gordon s’est longuement penché sur Elvis. Avec Elvis : The King On The Road, il relate les débuts d’Elvis à sa manière, c’est-à-dire engageante.

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             Accompagné par les Starlite Wranglers (Scotty Moore et Bill Black), Elvis joue au Bon Air Club, on highway 70, à la sortie de la ville - Its clientele was tough, and on saturday night they were as friendly with Jack Daniels and Jim Beam as they were with Jesus on Sunday. Step outside and say that, mah frien’ - On les voit tous les trois en western shirts et grinning big et soudain, fini le look cowpokes. Le génie d’Elvis consiste à redevenir lui-même - And Elvis came out in the cool clothes that he had seen on the avenue of black Memphis culture, Beale Street - Arthur Crudup and Beale Street, voilà les racines du cool cat Elvis - Greasy hair and funny-fitting clothes - Sam Phillips contacte très vite The Grand Ole Opry, le show le plus populaire de tout le Deep South. En bon visionnaire, Uncle Sam y voyait le ‘national debut’ de son poulain. Ils prennent donc la bagnole d’Uncle Sam pour filer à Nashville et Bill attache sa stand-up sur le toit. Ils n’eurent le droit de jouer qu’une seule chanson dans l’‘Hank Snow segment’. Puis c’est le Louisiana Hayride, qui touche 28 états. Bob Luman voit Elvis débarquer sur scène en veston vert, pantalon rouge, chemise rose, and this sneer on his face. Le King claque un accord et casse deux cordes. Il n’a encore rien fait et les filles se mettent à hurler - And he started to move his hips real slow - C’est la naissance du rock’n’roll animal. Ce livre grand format est bardé d’images d’Elvis en double page, du noir et blanc trop beau pour être vrai, une sorte de double concentré de tomate du rock’n’roll, on entend la musique rien qu’en examinant méticuleusement les images, ce visage tellement parfait, ces cheveux grassement peignés, ces pompes et ces cravates blanches, tout ce rock’n’roll originel. L’une des images le montre en chemise et cravate blanches, les bras en croix, une petite ceinture dans des passants larges avec la boucle sur la droite, un détail qui n’a sans doute pas échappé à Mick Farren qui portait lui aussi sa boucle de ceinturon sur le côté. Les filles se jettent sur Elvis et lui arrachent les boutons de ses chemises comme s’il s’agissait de diamants. L’une d’elles passe même une annonce pour mettre un bouton de chemise en vente. Elle reçoit cent coups de fil et demande 600 dollars pour ce bouton qu’elle finit par conserver. Et quand il boucle son set avec «Hound Dog», Elvis déclenche systématiquement une émeute, au péril de sa vie. C’est fait pour.  Une fille raconte : «J’ai saisi sa main, il a souri et il m’a dit ‘Cut me loose’, alors je l’ai fait.» Elvis fait basculer des foules de 15 000 personnes dans l’hystérie. Une gamine de 16 ans parvient à grimper sur scène et se jette sur Elvis pendant qu’il chante «I Got A Woman». Elvis tombe en rigolant. Quand après on demande à la gamine pourquoi elle a fait ça , elle répond : «Je le veux, j’ai besoin de lui et je l’aime !». En 1956, Elvis fait rentrer vingt millions de dollars dans les caisses du Colonel. Sur les vingt, il en récupère trois. En 1957, il commence à porter son gold lame outfit, taillé par Nudie in Hollywood - Elvis was the proof of youth power - Grâce à lui, les jeunes devenaient les rois du monde, tout au moins d’un nouveau monde. En tournée, Scotty Moore et Bill Black touchent 200 dollars par semaine et ils reçoivent un bonus de 1 000 dollars à Noël. Ils trouvent que ça pue un peu l’arnaque, aussi envoient-ils tous les deux une lettre de démission. Elvis appelle Scotty pour lui demander de rester. Scotty demande alors une augmentation de 50 dollars plus 10 000 dollars cash pour payer ses dettes.

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             Et quand il revient de l’armée, Elvis est encore plus beau. Le bouquet bien sûr est le ‘68 Comeback. On comprend en voyant les images d’Elvis en 68 que Monsieur Jeffrey Evans ait choisi d’appeler son groupe ‘68 Comeback - Presley is one in a lifetime - Il redevient immédiatement le King - In rebellious black, a blood-red scarf and a guitar hanging around his neck - Les Anglais le veulent pour un show à Londres. Ils téléphonent au Colonel et lui proposent 28 000 dollars pour la semaine. Et que répond cette crapule ? «That’s fine for me. And now how much can you get for Elvis ?» C’est un fait : Elvis, c’est d’abord du business. Quand il accepte de jouer quatre semaines à Las Vegas, on prépare le merchandising : 150 000 photos couleur grand format dédicacées, 500 000 calendriers et 200 000 catalogues qui recensent les disques et les films d’Elvis. Les Sweet Inspirations l’accompagnent sur scène. Dans le public se trouvent Burt Bacharach et sa femme Angie Dickinson, Uncle Sam et ses fils Knox et Jerry qu’Elvis considère un peu comme des neveux. Vers la fin, Elvis déconnait bien sur scène : il s’en prenait à Glen Campbell, Tom Jones et à Engelbert Humperdinck. Il disait au public : «J’ai vendu plus de 200 millions de disques, j’ai 56 disques d’or. Je suis vraiment fier de tout ça. C’est plus que ce qu’ont fait les Beatles, les Stones et Tom Jones réunis, so pffft !» Belle façon de remettre les pendules à l’heure. Au-dessus d’Elvis, il n’y a plus rien.

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             The Presley Estate passe une deuxième commande à Robert Gordon : The Elvis Treasures, un grand format à l’italienne bourré de petits inserts et de répliques de reliques. Ce serait un gros gadget s’ils ne s’agissait pas d’Elvis. C’est quasiment du Graceland at home. Robert Gordon re-raconte certains épisodes qu’il raconte dans Elvis : The King On The Road, mais au lieu de soutenir son récit avec uniquement des photos en noir et blanc, il le fait cette fois avec des artefacts. On ouvre une petite enveloppe et on trouve un ticket pour le Slim Whitman Show en 1955, on ouvre une autre enveloppe et on trouve le fac-similé du contrat RCA adressé à Elvis et au Colonel, plus un reçu signé Elvis Presley pour la somme de 45 000 dollars, sur en-tête d’Hotel Peabody, à l’attention bien sûr du Colonel. Page après page, on voit se construire cette fascinante histoire qu’on connaît pourtant par cœur, mais qui ici prend un relief particulier. D’autres courriers RCA adressés à Elvis en 1956 suivent : signés Stephen H Sholes, ils recommandent des chansons à Elvis. On trouve plus loin une petite repro de l’affiche du film Jailhouse Rock et dans une enveloppe rouge se niche une belle carte postale : Elvis en uniforme souhaite des Holidays greetings to you all. Plus loin, c’est le fac-similé d’une longue lettre du Colonel adressée à Elvis, alors stationné à Badnauheim, Germany. Il ne l’appelle pas Elvis, mais Vernon. Plus loin, une très belle lettre d’Elvis à Anita Wood, à Memphis - My dearest darling little.

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             C’est en lisant sa prose qu’on réalise à quel point Robert Gordon adore Elvis. Il raconte par exemple qu’Elvis fit 31 prises d’«Hound Dog» au studio RCA de New York et qu’il sélectionna le dernière, the ferocious last one. Puis il revint à Memphis jouer au Baseball Park, performing as wildly as he liked et tenant à rappeler que s’il était devenu une star, c’était grâce aux gens de Memphis. En 1956, Elvis a déjà sept disques d’or et il débarque à Hollywood pour tourner son premier film. Et quand il part à l’armée, il voit ça comme un répit, confiant à un journaliste que l’armée ne peut pas être pire que le cirque qu’il vient de vivre pendant les deux dernières années.

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             En 1967, il enregistre How Great Thou Art, l’album de gospel swing dont il est le plus fier. Nouvel hommage à l’homme avec le ‘68 comeback : Robert Gordon indique qu’Elvis avait le trac, car il n’avait plus joué en public depuis des années, mais le show comme on le sait se déroula bien, et reste, nous dit Gordon, a high mark of Elvis’ warmth, humility and guenine talent as an entertainer. Oui, au fil des pages, Robert Gordon n’en finit plus de rappeler qu’Elvis est resté tout au long de sa vie un mec bien.

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             Redémarrage de carrière avec From Elvis In Memphis et «Suspiciuos Mind» enregistré à l’American Recordings de Memphis, chez Chips Moman, et retour sur scène à Vegas avec James Burton et les Sweet Inspirations. Back to the roots - In Vegas, he was a smash - C’est assez spectaculaire, nous dit Robert Gordon. Elvis savait que le public de Vegas pouvait être dur, mais il le mit sur le cul - He utterly wiped them out, the memories, the audience, everybody and everything - Elvis avait tout inventé et ça restait intact. Les boss de l’International Hotel devenaient dingues, tout ce succès, ils voulaient Elvis encore et encore - A million bucks a year !

    Signé : Cazengler, El tournevis

    Robert Gordon. The Elvis Treasures. Villard Books 2002

    Robert Gordon. Elvis : The King On The Road. Bounty Books 2005

     

     

    Inside the goldmine

    - Wilbert au grand pied

             Certains l’appelaient Bébert. Mais il préférait Robert. Il vendait des livres d’occasion à Bastille, du temps où il y avait encore un marché en fin de semaine et des concentrations de motos. Puis il alla faire les petits marchés de banlieue, vers le Kremlin-Bicêtre et Châtillon. Il réussit à maintenir sa camionnette en état de rouler assez longtemps. Il ouvrait une large fenêtre sur le côté et le rabat faisait office de comptoir. Il avait plus de gens venant le voir pour vendre que pour acheter. Et quelques habitués, qui parvenaient à se serrer la ceinture pour s’acheter le livre de poche d’occasion que leur conseillait Bébert. Il vendait ça une misère. Il parvenait néanmoins à vendre assez de bouquins pour payer l’essence et le loyer de son misérable cagibi, rue de Charenton. Comme il sautait souvent des repas, il maigrissait à vue d’œil, et à cet âge-là, la sous-alimentation ne pardonne pas. Il portait une casquette à carreaux très fatiguée et des lunettes de vue dont un verre était fêlé. Il avait bien sûr perdu toutes ses dents. Mais il continuait de lire, car il vivait dans la hantise de n’avoir rien à conseiller à ses habitués. C’est la seule chose qui le maintenait en vie. C’est pour eux qu’il descendait chaque week-end ses cartons, c’est pour eux qu’il chargeait sa camionnette. Il en bavait, car il n’était plus en état de porter des cartons de livres, même des petits cartons. Bébert était un sac d’os. Puis il lui fallait lancer le moteur et c’était un miracle quand il y parvenait, surtout en hiver. Il passait parfois une heure au volant, à essayer encore et encore. Il attendait entre chaque tentative, car il craignait de noyer le moteur. Mais lorsqu’il arrivait à son emplacement et qu’il payait le placier, il reprenait vie. Et puis un jour, l’emplacement resta vide. La semaine suivante aussi. Au bout de quelques semaines, on commença à s’inquiéter de ne plus voir Bébert et sa camionnette. L’un de ses habitués connaissait son adresse. Il s’y rendit. Il vit la camionnette garée devant le taudis. Personne au volant. La porte arrière n’était pas fermée à clé. L’habitué l’ouvrit et découvrit la momie de Bébert assise sur ses cartons, dans la posture d’un pharaon sur son trône, serrant contre sa poitrine un tue-mouche en guise de sceptre.  

     

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             Pendant que Bébert créait sa légende en se tuant à la tâche, Wilbert créait la sienne à la force du poignet. Dans un cas comme dans l’autre, les parcours furent assez rudes.

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             Kansas City, le premier album de Wilbert Harrison, date de 1965. Pas l’album du siècle, mais sa version de «Kansas City» rafle la mise, d’autant que Wild Jimmy Spruill rôde dans le lagon. L’autre coup de Jarnac est en B, c’est une cover de «CC Rider» grattée à la mandoline et jetée par-dessus la jambe. Normalement, si tu associes un féroce boogie man comme Wilbert avec Wild Jimmy Spruill, tu dois obtenir un bel album, ce qui est quasiment le cas. Wilbert au grand pied fait un bon choix de covers, comme le montre encore «Since I Fell For You», un classique de Buddy Johnson aussi repris par Laura Lee, Charlie Rich et Lenny Welsh. Wilbert tape un dance craze avec «The Horse» et y va au hey babe let’s do the horse right now.     

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             Sur Let’s Work Together, un Sue de 1969, Wilbert au grand pied tape l’heavy grrove du one-man band classique. Il a un son parfait sur le morceau titre. Ce sera sa marque de fabrique. Il passe à l’exotica avec «Tropical Shakedown», mais il est quasi-Velvet sur ce coup-là, on croit entendre les accords de «Sweet Jane». Il tape ensuite dans le «Blue Monday» de Fatsy. Wilbert a un style très pur, une bonne clarté dans sa démarche. Tout est solide sur cet album, et en même temps, il n’y a pas de quoi en faire un plat. Il tape plus loin dans le «What Am I Living For» de Chuck Willis. Bon, ça va bien cinq minutes. Il se frotte plus loin à «Stand By Me», et le conseil qu’on pourrait lui donner serait de laisser le Stand à Ben.

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             En 1971 paraît un album sans titre de Wilbert au grand pied. Ce Buddah sent bon la Nouvelle Orleans et grouille de bonnes puces, notamment deux covers de Fatsy, «Ain’t That A Shame» et «Blueberry Hill». Wilbert y met tout son cœur, mais il ne parvient pas à égaler Fatsy. En B, on se régale encore de «My Dream», un boogie blues classique. Allen Toussaint arrange les horns et Sehorn produit. On a donc un son très brut à la Sehorn. «Girls On Parade» est monté sur un Diddely beat et auréolé de voodoo, «Going To The River» plonge dans l’heavyness et la cover de «My Babe» est bien rockée au bassmatic.  

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             Sur Shoot You Full Of Love, Wilbert est tout seul. Il fait le one-man band. Il passe un fantastique solo déluré dans le morceau titre d’ouverture de balda. Encore une belle mouture délurée de «CC Rider», il la passe à la petite reverb d’alrite. Il passe des coups d’harp comme Dylan dans «Little Liza Jane» et ramène tout son rezonar dans «That’s All Right Baby», il dispose d’une reverb magnifique, il est en pleine modernité, en plein technicolor. En B, il gratte un peu de calypso («Down On The Corner») et tape une belle exotica des îles avec «Near To You». Il fouille dans les racines de sa psyché. Il termine avec un vieux clin d’œil à Guitar Slim («Things I Used To Do»), c’est bien appuyé, bien positionné dans l’écho du temps, il a même un orgue en contrepoint.

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             On retrouve Allen Toussaint sur l’excellent Soul Food Man. L’esprit règne sur l’heavy beat scintillant d’«I Really Love You». Le son n’est pas chargé, c’est même un peu spécial, comme désossé et enrichi avec tact. Pur jus d’Allen Toussaint. Avec «Mary Ann», Wilbert tape une belle calypso des îles, un mambo de hanches douces et parfumées. Il tape plus loin une belle cover du «Just Because» de Lloyd Price, puis il fait son affaire d’une compo à lui, «On Top Of Old Smokey». Quasi cajun ! En B, il passe au stomp de la Nouvelle Orleans avec «Coming Down With Love» et le titille au chat perché. C’est stupéfiant de qualité. Il fait encore un mélange heureux d’exotica, d’Africana et de Jimbalaya avec «Get It While You Can (Soul Food Man)», c’est magnifique de down on the bayou, tu as même un accordéon et des guitares Soukous. Il finit cet album de tous les saints avec «I’ll Never Trust Another Woman», un heavy blues bien soutenu au shuffle d’orgue. Allen Toussaint des saints ? Sans doute.

    Signé : Cazengler, Wilbert en berne

    Wilbert Harrison. Kansas City. Sphere Sound Records 1965   

    Wilbert Harrison. Let’s Work Together. Sue Records Inc. 1969  

    Wilbert Harrison. Wilbert Harrison. Buddah Records 1971  

    Wilbert Harrison. Shoot You Full Of Love. Juggernaut Records 1971

    Wilbert Harrison. Soul Food Man. Chelsea Records 1976

    *

             Se tromper n’est pas étonnant pour un éléphant Or je ne suis pas un éléphant. Pourtant je me suis trompé deux fois. Mais plus grave : j’ai commis, bis repetita non placent, exactement la même erreur que la semaine dernière. Tiens un groupe français, patriotique sursaut je chronique, ben non, y sont pas français. Un bon point : leur maison de disque est basée à  Vilnius en Lithuanie pays d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz si vous n’avez pas la chance de connaître ce zèbre de très haute lignée reportez-vous à notre livraison 689 de la semaine dernière, eux ils ne sont pas lithuaniens mais de Biélorussie. Historiquement les frontières de ces pays de l’Est de Europe ont subi de nombreuses variations. Quoi qu’il en soit, tout comme pour Aortes j’ai été victime d’un semblable coup de sang en entendant leur premier album :

    NATURE MORTE

    NATURE MORTE

    MATRAQUE

    ( K7, CD / Ashen Tree Records)

             L’artwork est de Marta Shcherbich. Elle réalise de très beaux portraits de jeunes gens, des vues que je dirais folkloriques de son pays, un pinceau tendre qui sait transcrire la beauté des choses et des êtres. Elle possède une veine plus sombre, certains visages sans corps sont porteurs d’étrangeté inquiétante et révélateurs de lourds mystères. Pour la couve elle a choisi une vanité, un crâne déposé sur le savoir poussiéreux de vieux libres, une guirlande de liserons, un papillon une timbale renversée d’où s’échappent des bracelets de corail rouge, sont-ce des gouttes de sang séché ou des perles de pierre philosophale s’effritant sous l’action des siècles.  Derrière, la roue éternelle du charriot temps immobile qui n’en finit pas de rouler sur elle-même.

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    Peu de renseignements sur ce groupe, essayez de deviner qui fait quoi : Vlad B. / Anton M / Evgeniy S. / Alexander G.

    Kola : (= roue) : une machine lourde et lente, impassible, vous ne pourrez pas l’arrêter, imaginez une locomotive traînant cent wagons derrière elle, parfois il vous semble qu’elle s’éloigne, c’est alors que vous réalisez que vous êtres dans un disque de noise-rock et vous entendez la bête immonde qui grogne, un ours géant et bientôt une voix communique avec vous, elle vous rappelle ces temps heureux où vous n’existiez pas où vous étiez bien au chaud comme dans un nid douillet, mais l’on vous a sorti de là pour vous jeter dans la vie, un lourd fardeau sur vos épaule, l’ours polaire gronde sur vos épaules, son haleine glacée vous souffle que ce n’est pas terminé que le poison de la vie vous sera à plusieurs reprises insufflé, et que ce venin finira par vous tuer, car la vie apporte la mort, tout compte fait cette angoisse vous permet d’atteindre lentement ( mais sûrement) le néant. Le rythme s’alentit car plus c’est long plus c’est insupportable. C’est presque le bonheur, des bribes de musique douce, des voix qui vous accuuillent, le bonheur du néant, vous avez rejoint l’œuf originel. Pustazelle : (= herbe) : vous êtes comme de l’herbe qui pousse dans les marais, qui naît, qui grandit, qui crève, qui pourrit, le processus prend son temps, le rythme ne s’accélère guère mais il devient davantage oppressant, les grognements sur vos talons, vous êtes dans un cycle vous n’y échapperez pas, bientôt tu renaîtras mais tu te désintègreras après cette efflorescence, la batterie te tape dessus à coups de cuillère à pot sur ta tête, sans doute existe-t-il une raison à ce processus continu, mais tu ne sauras jamais lequel au juste, tu n’as qu’attendre, attendre pour mourir, attendre pour naître, attendre pour attendre, vocal de folie ordinaire du lot de tout ce qui vit et retourne au néant. Une certaine amplitude sonore nous aide à comprendre que nous sommes les jouets d’un phénomène que nous ne pouvons intellectuellement cerner. Le train prend de la vitesse. Est-ce l’image du destin de l’humanité qui passe à la moulinette. Malimon : ( le mot existe en langues russe et biélorusse, mais aucun traducteur n’a voulu le traduire, un seul indice, peut-être faux, mali signifie petit.). Comme par hasard le morceau est très court, bruits divers, train, turbine, scie, avion qui vole, intermède noise, une espèce de rêve sonore est-ce la musique qui se prend pour du noise, ou le noise qui s’imagine être de la musique, sur la fin des grésillements électriques ou peut-être du papier déchiré. Perhaps, j’aime ce mot dont la terminaison vous happe, le bruit qu’entend un papillon lorsque ses ailes se brisent. Volya : (= volonté) : vous n’avez pas compris grand-chose alors on vous donne les explications, vocal hurlé et vomi, une véritable révélation, vous êtes comme une bille, une petite perle, arrêt brutal, l’on déverse un tiroir de millions de perles, l’une d’entre elles, souvenez-vous en, c’est vous, à vous de rouler dans le sens que vous voulez, prenez vos responsabilités, vous ne serez que ce que vous voulez être, il y a peut-être quelque chose qui vous enfile, pensez à l’image de la première Parque Atropos, ensuite c’est à vous à désobéir, à vous de rompre le fil et de vivre votre vie de perle libre, chacun se forge un chemin, un destin différent de tous les autres, la batterie cavale, barrez-vous, courez, personne ne vous rattrapera c’est vous qui inscrirez votre destin, qui lui ferez écrire ce que vous voulez, je ne dirais pas que la musique devient joyeuse mais qu’elle décrit votre propre inexorabilité, attention le rythme s’alentit, l’ours polaire de la mort vous rattrape-t-il ou alors peut-être que vous n’avez plus peur, que votre volition l’a transformé en chien fidèle qui galope à vos côtés, oui vous avez repris vos jambes à votre cou et vous courez vers vous-même… Crissements de freins Pry`py`nak : (= arrêt) : qui se poursuivent sur ce morceau. Comme ces trains qui marchent à deux kilomètres à l’heure et qui s’en vont – le temps vous paraît interminable, vous êtes pressé de descendre – s’arrêter tout doucement le long du quai. Encore un instant, le temps que les moteurs décroissent et stoppent enfin. Attention les portes sont ouvertes, mais tout redémarre à la vitesse d’une fusée, est-ce votre imagination qui cavale ou est-ce que c’est reparti pour un tour. Le saurez-vous seulement un jour. Et si le moment du départ et celui de l’arrivée n’en  formaient qu’un ?

             Certains vous diront que c’est beaucoup de bruit pour rien. C’est vrai que c’est noisy et que la vie ce n’est pas grand-chose, mais enfin en moins de trente-neuf minutes, Matraque et sa Nature Morte vous file un tour  gratuit sur l’interminable  grand-huit du  cycle de l’Eternel Retour. Vous ne trouverez pas mieux en moins de temps.

             Superbe.

    Damie Chad.

     

    *

            Certaines choses sont plus difficiles à comprendre que d’autres. Surtout que là il s’agit d’une conspiration. Vous imaginez le labyrinthe obscur qui se profile. Les comparses, le motif, le pourquoi et le comment. Mais-là c’est encore plus difficile, ce n’est pas à proprement parler une conspiration mais une théorie sur ladite conspiration. Preuve que jamais personne n’en a percé encore le sens puisque l’on propose une théorie. Pas de problème, quand l’on est  un fan de Dupin le détective en chambre d’Edgar  Allan Poe qui vous résout une énigme sans quitter son fauteuil, l’envie vous titille de vous pencher sur cette mystérieuse théorie au sujet d’une conspiration. Hélas, au troisième terme de ce mystère que vous supputiez insoluble vous haussez les épaules. Bullshit ! quoi la théorie de la conspiration de… Judas !

    Qu’en ai-je à faire, moi Damie le païen, que les chrétiens aillent se faire pendre où ils veulent, je vais illico sortir mes chiens, au moins j’aurais l’impression d’avoir agi pour le progrès de l’Humanité. J’allais envoyer   bouler lorsqu’un détail a retenu mon attention. Quoi, ce sont des Grecs, avec tous les Dieux qu’ils ont sur l’Olympe, faut qu’ils s’intéressent au dénommé Jean-Claude, cela demande réflexion. Qu’est-ce qu’ils nous disent au juste, ces bénis oui-oui, ces traîtres en puissance, ces renégats. Vous n’allez pas me croire : ils ne pipent pas un seul mot : vous servent un album instrumental. A vous de vous dépatouiller, en plus le titre de l’album n’est pas en grec mais en latin ! Font tout pour me décourager, ils vont voir de quel bois je me chauffe : du pin !

    AD SOLEM

    JUDAS CONSPIRACY THEORY

    (Bandcamp / Avril 2025)

    George Rouvalis & Thodoris Stefou : guitars / Thomas Kinopoulos-Wood : bass /  Andreas Karantoumanis : drums / George Rouvalis & Thodoris Stefou : Synths / George Rouvalis : Background Vocals on « Selenocentric ».

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    Premier indice : la couve, une véritable boule de cristal. Elle est d’Andreas Karatoumanis : je ne sais si toute sa manie est de se carapater, mais je n’ai trouvé aucun lien qui me conduisit  à Andreas. L’image peut paraître mystérieuse mais le titre Selenocentric nous aide à comprendre le blanc symbolique dans laquelle est présentée le phénomène astral de syzygie. Ici lunaire. Le cercle jaune représente le soleil, la masse ombreuse représente la terre.  La lune et la terre non parfaitement alignées avec la terre  sont selon leurs positions respectives en conjonction ou en opposition, déterminant ainsi les phases de pleine lune et de croissant de lune.

    Ritus Jani : Janus n’est pas le dieu romain le plus célèbre, il est pourtant l’un des plus importants. Les portes de son temple restaient ouvertes en temps de guerre. On ne les fermait que lorsque la paix survenait. Souvenez-vous de la Pax Romana, période de prospérité. Janus possède deux visages, l’un tourné vers l’avenir et l’autre vers le passé. Il est le dieu du temps conçu comme passage. Son culte est celui du commencement, il est célébré entre autres le premier jour des calendes qui est celui de la pleine lune. En effet la musique s’écoule paisiblement, telle l’eau clapotante du Tibre qui coulait pas loin du temple de Janus, parfois il semble que le nuage des guitares s’assombrit et que la ponctuation de la batterie se précipite, mais peu à peu les choses reprennent leur place et la sérénité revient, qu’est-ce que l’agitation humaine pour ce Dieu qui connaît toute l’histoire toute la provenance et tout le destin de l’humanité, ce ne sont pas quelques peccadilles politiques ou anicroches guerrières – les hommes appellent cela des bouleversements ou des calamités – qui seraient capables d’altérer la souveraineté de celui dont la grandeur égalait celle de Jupiter. Selenocentric : Notes grêles de synthé sympa, oui c’est Séléné la vestale, celle qui est amoureuse d’Endymion à qui Zeus a octroyé l’éternelle jeunesse et l’éternel sommeil, le rythme se précipite, la lune change de quartier voici Artémis à l’œil aussi aigu que ses flèches, impassible inatteignable, attention voici la dernière métamorphose, Hécate grinçante, la préférée des rockers, celle qui apporte le malheur, le danger et la mort, lune changeante, peu fiable au mystérieux sonore ironique, elle cligne de l’œil comme le dernier des hommes de Nietzsche, le morceau se finit en final éblouissant, aveuglant. Akatos : nous avons vu la lune sautillant, jouant à volte-faces, revoici exactement la même chose, la même rotation, mais pourquoi le son s’échoïfie-t-il et pourquoi cette sonorité mystérieuse, et pourquoi le morceau est-il si bref ? Quelle image davantage contrastée de l’éternité de son cycle immuable, inébranlable, akatoïque, qu’un court instant, qu’un fragment arraché à la totalité de la ronde des astres aurait-il été possible de donner pour figurer l’incommensurabilité infinie de la course des Dieux dont la régularité maintient l’ordre du cosmos hors de la béance du kaos… Syzygia : nous avons eu une courte vision de la divinité fondationnelle de l’ordre du monde, voici la même chose, entrevue non plus selon les Dieux, mais selon les faibles et friables créatures humaines, les astres influent sur les hommes, ils ne dirigent pas, ils inclinent, goûtez la lourdeur de ce mot sur votre nuque, leurs positions exceptionnelles sont les marques du destin, logiquement le morceau est assailli de sonorités menaçantes, bientôt davantage annonciatrices de sombres évènements, lorsque le son s’amplifie, qu’il tombe sur vous comme se lèvent les rideaux du théâtre du monde dont vous êtes parfois le héros heureux, souvent la victime. In transitu :encore un morceau très bref, comme des notes de piano qui résonnent dans l’immensité, le transit c’est le départ, l’arrachage, l’éloignement, la sublimation, l’on quitte la terre, l’on quitte la lune, ces déités inférieures ne nous retiennent plus, Platon vous expliquerait que votre âme part en voyage vers le royaume des Idées, Pleiades : sonorités cristallines, c’est le morceau le plus long, vous visitez la voûte céleste, tous les héros de la mythologie sont là, les Pléiades ne sont qu’une étape, une adieu symbolique, elles viennent à la fin des moissons, s’en vont et puis disparaissent, elles ne reviennent que lorsque vous devez labourez vos champs, vous abandonnez ce cycle sans cesse recommencé,  c’est alors que la musique se lève, une voile que le vent gonfle, un bref silence, puis pour signifier l’immensité du vide silencieux, les notes s’étirent preuve qu’elles ne peuvent occuper l’immensité de cette viduité et la remplir, vous êtes un point dans une vastitude que votre esprit ne saurait conceptualiser, la raison vous échappe, vous êtes dans un autre pays sans nom, sans frontière, sans fin, les guitares ahanent, seule la batterie s’entête pour raviver les énergies défaillantes et vous voici dans l’Aether : comme par hasard c’est le moment le plus rock’n’roll du disque, l’Ether est cet air plus pur, plus fin, un feu subtil qui embrase vos poumons, vous êtes dans la sphère des Dieux, la guitare klaxonne un peu comme les voitures dans les rues alors que votre pays vient de remporter la coupe du monde, évidemment c’est un état très supérieur, la lumière s’effrite autour de vous, vous êtes parvenu au plus près de l’orbe du soleil, beaucoup de bruit, presque cacophonique, vous n’êtes pas dans une contemplation mais dans une exultation sans chaîne. L’arrêt est brutal. Vous en avez déjà trop vu.

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             Voici la liste des mots que George Rouvalis est censé vous délivrer dans dès le deuxième morceau : Lumière, Etoile, Monde, Vie, Ether, Foi, Ciel, Arcane, apprenez-les comme un mantra, ou essayez de les transformer en casse-tête chinois en les emboîtant les uns dans les autres, ou alors relisez Le Jeu des Perles de Verre d’Hermann Hesse, faîtes-en tout ce que vous voulez, prenez des initiatives non de Zeus ! moi je m’en fous j’ai résolu le mystère de cette théorie de la conspiration de Judas. Nos grecs ont choisi leur nom par esprit de dérision. Qu’est-ce que cette théorie obligatoirement boiteuse de la conjuration de Judas comparée à l’instrument du dire mythologique de la Grèce Antique. Rien, un truc qui ne vaut même pas un pet de lapin.

             Un clin d’œil à Aristophane.

    Damie Chad.

     

    *

             Tout se passe se passe dans la tête ai-je l’habitude d’assurer. Dès que j’ai vu le nom du groupe, m’y suis jeté dessus tels ces pythons facétieux qui se laissent choir de la  plus haute des frondaisons sur l’innocent touriste qui hasarde un premier pas dans la forêt équatoriale. Cette technique à l’aveugle est dangereuse. Peut-être abusé par mes prédilections vais-je jouer le rôle de l’abruti de service qui va finir réduit en marmelade sanglante dans les anneaux du reptile. Tel est pris qui se croyait prédateur. Tant pis, fions-nous à l’instinct du rocker. Reconnaissons que le titre de l’album n’incite pas à l’optimisme.

    TAKERS

    PSYCHIC WARS

    (Bandcamp / Janvier 2025)

             Le groupe formé en 2021  a enregistré une dizaine de singles est basé à Collingswood. Modeste bourgade du New Jersey, état qui abrite toute une partie de la population de New York

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    La couve est de Jonathan Hodges. Je n’ai rien trouvé sur lui, par contre je peux vous certifier qu’il existe de par ce monde une pléthore de Jonathan Hodges. Parmi eux une inquiétante proportion, bien au-dessus de la moyenne, de frappés de la cafetière. Indices troublants qui ne préfigurent en rien de l’auteur de l’illustration. Cette main crispée sur une paroi infranchissable n’est pas sans rappeler la main qui a illustré la couverture de l’édition en Livre de Poche du roman Le Mur de Jean-Paul Sartre. Si vous êtes moi, si Sartre vous déplaît, je vous propose Le Mystère des Gants Verts d’Enid Blyton dans lequel la bande des mains vertes sortie tout droit de l’imagination d’un gamin loufoque ne tarde pas à se matérialiser…

    Une notule nous indique que les titres de cet EP sont inspirés du roman : Black Tongue Thief (Le voleur à la langue noire) de Christopher Buehlnam. Ce dernier, né en 1969, enfant adopté et surdoué s’est très vite passionné pour le Moyen-Âge. Il a créé une espèce de numéro de foire qu’il présente dans les festivals médiévistes. Il propose à un groupe de spectateurs de faire rôtir vivant un de leurs ennemis… Il a aussi écrit plusieurs romans dont l’un consacré au tragédien Christopher Marlowe. Sa pièce de théâtre Faust a marqué les esprits. S’il n’avait pas été tué lors d’une rixe quels autres chef-d’œuvre nous auraient-ils légués… son drame est digne de Shakespeare à tel point que certains ont imaginé que ces deux auteurs ne formaient qu’une seule et même personne.

    Ellei Johndro : vocals / Jon Hodges : guitar, vocals / Matt Hanemann : guitars / Derek Zglenski : bass / Travis Dewitt : drums, percussion

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    Takers : si vous n’avez pas lu le roman pas d’inquiétude, Psychic Wars vous propose une vidéo. Si elle est censée faire peur, c’est raté. Une ambiance carvanalesque qui vous donne envie de rire, tous les poncifs de l’horreur en carton-pâte accumulés en cascades. Un conseil, écoutez la version sans image, vous éviterez le lourd fabliau médiéval farcesque. D’ailleurs la musique n’est pas vraiment noire, la batterie joue un peu à la grosse caisse des fêtes foraines ce qui ne l’empêche d’abattre sa ration de besogne, les voix dédoublées ne sont pas tristes, seules les guitares se comportent comme un train fantôme qui fonce dans l’inconnu d’une nuit noire. Au beau final un beau remue-ménage entraînant. Disons que ça ressemble aux squelettes en sucre du jour des morts mexicains. Wandering thief : vaut mieux écouter en admirant la main essayant de griffer le béton du piège dans lequel vous êtes tombé, orchestralement c’est bien foutu avec ces cors que vous aimez entendre sonner le soir au fond des bois, les guitares crissent un peu, mais comme l’on vous raconte l’histoire du petit agneau innocent qui finit par se faire dévorer par le méchant loup, et que vous connaissez la récitation du Loup et de l’agneau de Jean de La Fontaine, vous entrevoyez très bien le massacre final, mais le drame ne vous fait plus peur, vous l’appréciez en esthète. Deadlegs : là c’est nettement plus sombre, les vocaux sonnent un peu Beatles mais comme les guitares hérissent leurs poils du dos à la manière cruelle d’un chat noir qui va croquer une souris blanche, la batterie  s’abat avec la lourdeur d’un couperet de guillotine,  vous comprenez que le chaudron de sorcière ne va pas tarder à bouillir et à déborder dévoilant d’infâmes condiments dignes des tribus cannibales, les paroles tournent au délire macabre, la veuve noire au haut de sa tour blanche, dévoile la tapisserie de la dame à la licorne égorgée et pour terminer le serpent au fond de la soupière suivant sa mauvaise habitude onaniste se mord la queue.  

             Très agréable à écouter un peu guignolesque, un peu guignolet sucré à la gaine acidulée, héroïc fantasy de bon aloi. Ces américains ont l’esprit anglais. Par contre les guerres psychiques ne sont plus ce qu’elles étaient. Je croyais découvrir les noirceurs de l’âme humaine et je me suis retrouvé en pleine fête foraine ! Pour ne pas dire en pleine joie de vivre.

    Damie Chad.

     

     

    *

             L’on n’est jamais trahi que par soi-même. J’en suis une preuve accablante. Suis en train de morigéner, suis en train de faire le tour des nouveautés, cherchant quelques tubulures qui sortent de l’ordinaire. Je ne trouve que du grandiose, le genre de carbure que dans ma tête dure de rocker je classe parmi les MCA. Rien à voir avec MCA (records) qui racheta Decca et plus tard Chess, laissons-cela, dans mes MCA  à moi, comprenez mon acronyme : Musique Classique Avortée, je range toutes ces formations issues du rock qui comme la grenouille de La Fontaine essaient de se faire plus grosses que la vache philharmonique. Bref ce soir, pas moyen de mettre la main sur le riff transcendantal  qui tue. Que des trucs emphatiques qui pètent plus haut que leur cul. Le mieux serait d’aller au dodo, je m’apprête à regagner ma couche royale quand  mon œil accroche un titre, tiens un ‘’océan de pensées’’, pas mal, ben non j’ai mal lu : ‘’pas’’ un océan de pensées, tiens ils n’ont pas tort, puisque d’après moi depuis Aristote notre triste Humanité a arrêté de penser. C’est qui ces zigotos ? avec un nom pareil, sûrement des anglais. Vérifions, zut des français. Jetons un coup d’œil, l’on ne peut laisser des compatriotes en rade toute la nuit. Bref c’est moi qui ai passé une nuit blanche. Et tout ça pour un trabuc que je classe parmi les MCA !

    EIMURIA

    BANK MYNA

    (Araki Records/ Avril 2025)

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    Un regard sur la couve : pas mal du tout. Ces visages à l’aspect de masques mortuaires, ces deux mains qui se saisissent de l’un d’entre eux comme pour l’extraire de sa couche de toiles goudronnées superposées et déchirées, à moins que le corps qui n’apparaît pas ait été enfermé dans le tronc cercueil d’un arbre évidé dont on viendrait de percer la couche des écorces protectrices… Quel étrange rituel ! Quel mystère profanateur dans ces manipulations modernistes d’exhumations de cadavres antiques retirés de la gangue des temps anciens qui avaient veillé à leur préservation. Quant aux trois autres masques sur le côté, seraient les chefs subalternes de domestiques sacrifiés pour accompagner leur maître au pays des lémures. Sont-ce des spectres que l’on serait en train d’éveiller dans le but qu’ils viennent hanter le monde des vivants, dans l’espoir de semer le trouble dans l’esprit des vivants dans le seul but de nous rappeler que les portes de corne et d’ivoire, chères à Gérard de Nerval, se peuvent emprunter dans les deux sens.

    L’étrangeté de cette couve nous pousse à visiter l’Instagram de sa créatrice. Ramona Zordini. D’Italie, autrement dit la coque politiquement organisationnelle  qui recouvre l’espace géographique originelle de l’antique romanité lémurienne. Ramona Zordini révolutionne la technique du cyanotype. Procédé inventé par John Frederick William Herschel (1792 – 1871). Un astronome qui braqua son intelligence sur les étoiles et n’oublia pas de regarder en arrière en offrant une traduction de l’Illiade d’Homère. Le cyanotype est un procédé photographique monochromique. Une espèce de cannibalisme. Posez sur une feuille de papier enduite de potassium une feuille d’arbre, après avoir soumis l’ensemble à un rayonnage ultraviolet, vous obtenez en blanc la forme de la feuille d’arbre reproduite sur  le fond désormais bleu ombreux de votre feuille de papier. Ramona Zordini joue sur les couleurs en adaptant à sa guise les temps d’exposition et différents produits chimiques. Nous invitons le lecteur à établir quelques analogies opératoires avec les procédés alchimiques. Une méditation adjacente sur le Traité des Couleurs de Goethe n’est pas interdite.

     ‘’Colorier’’ une feuille de papier ne suffit pas à Ramona Zordini. Elle cherche à atteindre la bi- et la tridimensionnalité cyanotypique. Par un jeu de superpositions de feuilles pré- ou post-découpées  elle recouvre la platitude initiale du cyanotype de diverses épaisseurs, à leur tour travaillées, dont les échancrures centrales donnent cette impression sarcophagique de relief protecteur et de de profondeur  béante si caractéristique de ses créations. Une œuvre artefactique qui contribue autant au voilement qu’au dévoilement. Merci Heidegger.

    Une heureuse surprise que cette découverte de Ramona Zorbini. Mais une forêt ne possède pas qu’un seul arbre. Deux lignes du court texte par lequel Bank Myna présente son album ‘’ spécialement inspiré par les vies et les productions artistiques de la poétesse Alejandra Pizarnik et de la sculptrice Camille Claudel’’  m’ont fait sursauter.

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    Résident à quinze kilomètres de Nogent-sur-Seine, charmante bourgade dans laquelle se déroule la première scène de L’éducation Sentimentale de Flaubert, de surcroît elle abrita la jeunesse de Paul Claudel et de sa sœur qu’il fit interner durant quarante ans avec interdiction de sculpter…, et aujourd’hui s’enorgueillit du Musée Camille Claudel, je ne peux ignorer ni la vie ni l’œuvre de  la sculptrice. Je me souviens notamment d’une manifestation nocturne pour imposer aux pouvoirs publics réticents en compagnie de plusieurs centaines d’habitants à l’édification de ce conservatoire…

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    Alejandra Pizarnik, le nom ne me disait rien de rien. Wikipedia me renseigne, poétesse argentine (1936-1972) trop jeune – ou pas assez - choisissez l’option qui vous convient, ne jouent que ceux qui ont dépassé trente-six ans et qui donc n’ont pas suivi son exemple en se suicidant. Tiens, elle a vécu à Paris entre 1960 et 1964 – ça sent le surréalisme – doit bien rester quelques traces. Elle y a rencontré André Pieyre de Mandiargues – voici des années que je me promets de chroniquer son roman La Motocyclette – il est vrai que ce poëte reste occulté par la noirceur de son propre soleil, Yves Bonnefoy, Antonin Artaud, Alejandra avait bon goût. Une vie écartelée entre mal-être, désirs d’une vie de décadence et exigence de solitude. Pratiquement toute son œuvre a été traduite en France. Notamment par Claude Esteban directeur de la revue Argile. C’est ainsi que je m’aperçois que je l’ai  obligatoirement lue puisque dans les seventies je me procurais cette belle revue de poésie, qui malheureusement ne prenait pas de risques, or la poésie sans risque… Je n’en ai aucun souvenir, pourtant les nombreux textes disponibles sur le net sont engageants.

    Constantin du Closel / Fabien Delmas / Maud Harribey / Daniel Machо́n.

             Phonétiquement le titre de l’album nous évoque les lémures, ne pas les voir en tant qu’apparitions, en tant que revenants, une espèce de reviviscence égrégorique de quelque ancienne présence, mais en tant que phénomène de désintégration de quelque chose qui palpite encore mais qui est en voie de désintégration. Selon le dictionnaire Eimuria désignerait un tison qui s’éteint doucement, une mort en quelque sorte illuminescente. 

    No ocean thougths : une porte que l’on referme dont les échos se répercutent sous une voûte d’ombre et s’évanouissent pour laisser place à la récitante, à la prêtresse qui chantonne en étirant les prophéties accomplies, car depuis le début des temps tout est déjà accompli depuis longtemps et les actes se répètent à l’infini puisqu’ils ont déjà été commis une fois, il n’est nul besoin d’y penser et d’y repenser mille fois, les pensées sont faites de mots et les mots ne sont que l’oubli des choses qui ont eu lieu, la musique se traîne en une majestueuse robe noire de mariée qui arrive en retard pour les noces déjà passées dont elle n’est plus que l’absence dépassée. Imaginez des fracas de violoncelles et des choses percussives qui tombent dans leur immobilité. Un majestueux prélude qui sonne tel un crépuscule. The shadowed body : quand il n’y a plus de pensée ou bien si peu qu’elle ne porte plus de signification, il reste encore à se livrer à l’occultation de son propre corps,  l’on pense à la manière radicale de cet enfant spartiate qui refusant son statut de prisonnier s’est fracassé la tête contre un mur pour périr en homme libre, mais ce n’est pas ici la solution envisagées, à la voie sèche de passation de pouvoir l’on a préféré la voie humide, plus longue et de grande patience, peut-être est-ce pour cela que malgré l’ambiance funèbre de base et les onze minutes du morceau, l’on ne s’ennuie pas, le trauma musical est empli de rebondissements, l’on négocie des courbes en progression constante, surtout pensons que la mort du corps est encore une geste érotique qui tourne à l’exaltation, à l’imprécation, à l’éjaculation orale dans le vide du non-être. Mortelle catharsis. The other faceless me : je serais tenté de proclamer que ce morceau serait intrinsèquement dédié à l’art cyanotypique de Ramona Sordini, ne serait-ce que par ce pinceau de lumière bleue sur l’écran noir de la vidéo qui bientôt irradie de sa pâleur bleuâtre le visage et le corps de la prêtresse qui danse. La caméra à bout pourtant sur des mains qui se croisent, combien sont-elles, une de deux, trois jusqu’à ce que le voile sombre s’entrouvre sur le corps de ballet, des sacrificatrices qui dansent et s’entrecroisent dans leur solitude, au loin une porte étroite permet de voir qu’au dehors que le monde est bleu mais pas du tout comme une orange, maintenant tout un peuple de présence danse, mais que cela signifie-t-il, une danse mortelle, certes mais surtout cette autre face de moi-même sans visage, ma sœur d’ombre que je porte en moi beaucoup plus qu’elle ne me soutient, et portant si séparée de tous les autres, de toutes les autres, une façon de nuptialité égotique de soi-même avec l’une des moitiés – oui mais laquelle – de soi-même, est-ce pour cela que maintenant elle est seule dans sa propre centralité, indifférente à cette surface adjacente du monde dans lequel elle se ait incapable d’évoluer, malgré ces gestes d’amour, ces étreintes, go indigo go !, l’absence de moi ne serait-il qu’une rupture de moi selon la moitié de moi manquante, un tournoiement spectral d’une pensée sans corps à moins que ce ne soit un  corps sans pensée… le lecteur qui aura eu la curiosité de lire quelques poèmes d’ Alejandra Pizarnik ne sera pas perdu dans cette évocation de ses thèmes poétiques prédilectifs. L’ensemble dure près de neuf minutes. Bank Myna se livre à une espèce d’art total qui allie : chant-musique, image-danse, et profération-poésie. Une espèce de mise en œuvre tridimensionnelle pour reprendre les volitions tridimensionnelles de Ramona Sordini. La mise en voix de Maud Harribi est exceptionnelle. La musique colle à elle comme la peau du serpent s’entrelace autour de votre chair. Burn at the edges :  nous parlons de la

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    peau du serpent, la voici dès la première seconde  de la vidéo. Orange aveuglant. Les peintres vous diront qu’il est la complémentaire du bleu. Tout comme l’éros et l’attrait de l’autre sont le complémentaire de la solitude de soi-même. L’on ira même jusqu’à employer le mot supplémentaire car si le supplément est souvent considéré comme un bon ajout, il peut être aussi dénigré comme un trop, qui peut altérer la plénitude du juste milieu, même si celui-ci est aussi l’autre côté de l’injuste moitié. N’importe, pour le moment le morceau est si jouissif, si joyeux, si éclatant, que l’on s’en réjouit, même si l’on n’ignore point  qu’en son centre se niche un abysse irréductible, une pointe de noir, une blessure aussi écarlate que le sang menstruel, ce soleil rougeoyant de la vie qui s’écoule dans la fosse noire creusée par Ulysse pour susciter la part morte des siens qui remontent des Enfers pour le mettre en garde de l’inéluctable qui l’attend. L’implorante : les cris intérieurs que Camille Claudel n’a peut-être pas poussés, peut-être parce qu’ils étaient la seule matière noire à sa secrète disposition qu’elle était capable de sculpter, cette plainte pathétique Bank Myna essaie de nous en offrir une équivalence musicale, d’ailleurs la musique, une variation du prélude, se taille un peu la part du lion, car ce qui ne peut se dire doit être tu, alors Maud reprend sa langue à deux mains et tire la lente et cruelle psalmodie que l’on imagine incessante et éternelle, mais que l’artiste attachée à sa survie, liée à son rouet muet file la parole infinie de sa plainte qu’elle garde au-dedans d’elle, comme son ultime richesse que personne ne pourra lui subtiliser.  Maud reprend l’antienne souterraine pour nous faire miroiter les souveraines sculptures qui n’ont pas fui de ses mains. Chuchotement invisible qu’elle reprend comme l’hymne à voix basse du désespoir de vivre privé de la moitié la plus importante de soi-même.

             Non, Bank Myna n’a pas trouvé le riff qui tue, mais leur Eimuria est tout aussi meurtrier.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 689 : KR'TNT ! 689 : ELVIS PRESLEY / DICTATORS / OVATIONS / DATSUNS / DEAN WAREHAM / JADE BRODIE / AORTES / REPTILIAN ARMS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 689

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 05 / 2025

     

     

    EIVIS PRESLEY / DICTATORS

    OVATIONS / DATSUNS / DEAN WAREHAM

    JADE BRODIE / AORTES /  REPTILIAN ARMS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 689

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu

     (Part Six)

     

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             Guralnick profite du départ d’Elvis à l’armée pour clore Last Train To Memphis -The Rise Of Elvis Presley et démarre Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley avec le retour triomphal du King démobilisé à Memphis. Et c’est là que le Colonel embraye sur le very very big business. Guralnick réussit l’exploit de montrer comment deux personnalités aussi opposées ont pu fonctionner ensemble : il confronte en permanence l’obsession du profit que cultive le Colonel, et l’extrême pureté comportementale d’Elvis. L’ombre et la lumière. Balzac n’aurait pas mieux fait. Guralnick nous propose ni plus ni moins qu’une Comédie Humaine des temps modernes. Dans la culture rock, peu d’écrivains sont capables d’un tel prodige. On peut citer les noms de Robert Gordon, Nick Kent, Nick Cohn, David Ritz et Richie Unterberger. Mais Guralnick travaille la psychologie de ses personnages plus en profondeur. Il cite d’ailleurs Kundera dans son beau texte d’introduction à Careless Love : «Suspendre le jugement moral, ce n’est pas l’immoralité du roman, c’est sa morale.» Oui, Guralnick pense que l’histoire d’Elvis est celle de la célébrité, et qu’elle est aussi une tragédie. Elle induit par conséquent une dimension morale qui ne peut être que celle de l’auteur. Pour Guralnick, le jugement moral est incompatible avec la démarche biographique. Il n’est pas là pour juger le Colonel que tout le monde voit comme une ordure, mais pour observer son rôle auprès d’Elvis. Il dit aussi qu’on connaît mal Elvis, pour les mêmes raisons : cette hâte qu’on met tous à porter un jugement. Elvis avouait lui-même qu’il éprouvait de grandes difficultés à rester à la hauteur d’Elvis. C’est la relation entre le Colonel et Elvis qui fascine tant Guralnick. Il dit ne pas connaître d’histoire plus triste que celle-ci.

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    ( Peter Guralnik)

             Les 700 pages de Careless Love sont un monument élevé à la pureté d’Elvis. Un Elvis qui pendant son séjour en Allemagne se goinfre d’amphétamines. Il adore ça car il se sent bien en permanence. Rien à voir avec les drogues. Elvis va se shooter aux amphètes toutes sa vie, mais il n’est pas un drogué, vous saisissez la nuance ? À Graceland il est fier de montrer sa chambre aux visiteurs. Sur sa table de chevet trônent deux livres, La Puissance De La Pensée Positive du bon Dr Peale et Comment Vivre 365 Jours Par An de John Schindler. Elvis est un être naturellement positif. Vernon et Gladys Presley l’ont élevé ainsi.

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             Elvis poursuit sa carrière à Hollywood. On lui fait jouer n’importe quoi. Millie Perkins qui le rencontre sur le tournage de Wild In The Country n’en revient pas : «The essence of Elvis was as fine a person as I’ve ever met. He treated me as well as anyone has ever treated me in this business.» Personne dans le monde du cinéma ne s’était aussi bien comporté avec elle. Elvis s’efforce pourtant de bien faire son job d’acteur, mais on lui confie des rôles ineptes - Silly posturings of trembling sensitivity - Ce sont les regards féminins qui percent le mieux le mystère d’Elvis. Ainsi, Annie Helm explique qu’Elvis a une patience infinie, qu’il reste toujours très poli, mais il veut que les choses se fassent d’une certaine manière. Annie Helm dit aussi qu’elle se goinfre de Dexedrine avec les boys. Party every night ! Il faut savoir aussi qu’Elvis ne porte pas de sous-vêtements. Une coquetterie qu’on retrouve chez les gens du MC5 et des Stooges. Chez les femmes, Elvis préfère les sous-vêtement blancs. All-white.

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    ( Elvis + Larry Geller)

             Voilà qu’Elvis rencontre Larry Geller, un homme féru de littérature ésotérique. C’est le commencement d’une relation intense. Elvis s’y abreuve. Larry réussit à assouvir cette soif incroyable de spiritualité. Elvis lui avoue à quel point il se sent vide. Il a besoin de donner un sens à sa vie. Il sent qu’une main le guide, il se dit qu’il doit y avoir une raison à tout cet incroyable succès. Pourquoi toute cette adulation ? Il veut savoir pourquoi il a été choisi pour être Elvis Presley. Touché par la candeur et l’honnêteté d’Elvis, Larry prend ces interrogations très au sérieux. Il alimente Elvis en lectures et malheureusement, ça crée des jalousies dans l’entourage. On ne peut pas vraiment parler d’un entourage intellectuel, if you see what I mean. Priscilla et les Memphis Boys détestent Larry Geller, et le Colonel encore plus. Il craint une dérive. C’est effectivement ce qui arrive. Elvis n’a pas dormi depuis deux jours et soudain, il a une hallucination. Il dit à Larry qu’il veut devenir moine ! Mais après une bonne nuit de sommeil, il revient à la réalité, d’autant que Larry lui rappelle qu’il doit faire face à ses responsabilités : il a reçu un don qu’il doit partager avec le monde entier. Donc pas question de disparaître. L’argument tape en plein dans le mille. Elvis est un mystique. Il ne considère pas le Colonel comme son mentor, mais comme un talisman. Il lui doit ce qu’il appelle sa good luck. Il en est profondément convaincu. Sur la recommandation de Larry, Elvis se rend en Californie auprès de Sri Daya Mata, l’héritière spirituelle d’un Yogi venu des Indes, Paramahansa Yogananda. Daya Mata qu’on appelle Ma a rencontré les hommes célèbres de son temps, Tagore et Gandhi, entre autres. Elle est aussitôt frappée par l’innocence d’Elvis. Elle voit en lui un esprit infantile en proie à l’adulation du monde entier. Non seulement il aime cette adulation, mais il parle d’un lien profond avec son public. Pas question pour lui de le décevoir. Elvis dit aussi devoir énormément au Colonel, mais se dit déçu de voir que le Colonel ignore sa soif de spiritualité. Allons allons, Elvis, ouvre un peu les yeux ! Business et spiritualité ne font pas bon ménage, c’est pourtant bien connu !

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    ( Sri Daya Mata)

             Un jour, Elvis vient voir Daya Mata pour lui dire : «Oh Daya Mata, I want you to know I love you !» C’est comme s’il parlait à sa mère qu’il adorait plus que tout. D’ailleurs, il y vient : «Ah si seulement vous aviez pu rencontrer ma mère !» et Daya Mata lui répond : «Oh Elvis, j’aurais beaucoup aimé la rencontrer...» Et là, on est tous foutus, car on touche au vrai Elvis, l’être le plus pur du monde. Mais le Colonel veille au grain et ne veut pas entendre parler de tout ce bazar. Il s’arrange pour couper les ponts. Elvis n’a plus personne à qui parler et le Colonel lui demande d’aller faire le pitre à la télé. Elvis enrage. Mais pas question de parler de ses sentiments, ni avec le Colonel et encore moins avec Vernon, son père. Elvis se retrouve incroyablement seul.

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             Quand au moment de préparer le ‘68 Comeback, le costumier Bill Belew fait des suggestions à Elvis, il est frappé par la gentillesse d’Elvis. Il note une absence totale d’ego, ce qui est rare chez une big star, dit-il. Steve Binder qui organise le ‘68 Comeback dit aussi la même chose. Quand il demande à Elvis s’il accepterait de chanter le «MacAthur Park» de Jimmy Webb rendu célèbre par Richard Harris, Elvis dit of couse - He liked MacArthur Park - Mais ça ne se fait pas pour une question de droits, hélas. Le choix des chansons reste la chasse gardée du Colonel, business oblige. D’ailleurs le Colonel réussit à virer Bones Howe du projet, le trouvant trop influent. Si Elvis écoute Bones, c’est mauvais pour les affaires du Colonel. Billy Strange qui travaille aussi avec Elvis n’en revient pas de le voir toujours poli, toujours respectueux des autres et tellement différents des gens du showbiz - Il avait la classe, je veux dire qu’à côté de tout le bazar du studio, je sentais que j’avais affaire à une vraie personne. C’était amusant de travailler avec lui, car il était tout le temps excité, il savait rester créatif - Elvis prenait aussi soin de rendre hommage aux géants qu’il vénérait, Jackie Wilson et Clyde McPhatter, entre autres. Et lorsqu’il décide de revenir à la scène, c’est bien sûr parce qu’il sent que c’est sa raison d’être sur terre. S’il est Elvis Presley, c’est parce qu’il a un public. C’est aussi la raison pour laquelle le mariage avec Priscilla ne tient pas : face à l’adoration des foules, la vie normale à laquelle aspire Priscilla ne peut pas rivaliser. Elvis n’est pas fait pour ça. Il a de son destin une idée très précise. Le chef d’orchestre Joe Guercio qui travaille pour Elvis à Vegas n’en revient pas de le voir sur scène - It was unreal ! - Il parle de charisme, d’un charisme qu’il n’a jamais vu chez aucune des autres grandes stars pour lesquelles il a dirigé - He was like a free spirit in the audience - Guercio va loin : «Vous croyez que c’est la discipline qui fait les stars sur scène ? Horseshit ! C’est le charisme qui fait la star !» et il ajoute qu’Elvis pouvait traverser la scène sans dire un mot et obtenir une ovation.

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             L’un des passages les plus stupéfiants de ce deuxième tome est celui de l’apparition. Ils sont sur la route, dans le désert du Nouveau Mexique et à la sortie de Flagstaff, Elvis fait : «Whoa !» Il voit un nuage à l’horizon et ce nuage prend l’apparence de Staline. Elvis demande à Larry s’il l’a vu. Oui. Indéniable. Pourquoi Staline ? Le visage d’Elvis est comme illuminé. Il semble si ouvert, si heureux, nous dit Larry. Pour Elvis, c’est Dieu. Il fait arrêter la bagnole et court dans le sable du désert avec les larmes aux yeux. Pour Elvis, c’était le visage de Dieu qui lui souriait.

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             Ce qu’Elvis craint plus que tout, c’est de perdre l’adoration de ses fans. Quand on évoque la possibilité devant lui, Elvis est choqué : «Mais comment pourrait-on me faire ça ?» Et il ajoute : «Je suis totalement innocent !» Il veut dire qu’il n’a jamais fait de mal à personne, alors pourquoi lui en ferait-on ? Oh et puis il y a le fabuleux épisode du ranch qu’Elvis finance à fonds perdus, ce qui inquiète Vernon et Priscilla, qui craignent la faillite et qui en parlent au Colonel. Ils convoquent Elvis. Les yeux ronds de stupeur, Elvis leur répond que c’est son blé, qu’il l’a gagné et qu’il peut le dépenser comme il veut. Même en offrant des Mercedes aux médecins compatissants. Lorsqu’il est reçu à la Maison Blanche par Richard Nixon, Elvis est fier, mais il insiste pour présenter à Nixon ses deux potes restés dans le couloir : «Mr. President, would you have a little time just to say hello to my two friends, Sonny West and Jerry Schilling ? It would mean a lot to them and to me.» Nixon sort dans le couloir serrer la pogne des deux Memphis boys. Eh oui, Elvis partage tout, même ses petits moments d’histoire.

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             Guralnick se concentre tellement sur les acteurs principaux de la saga qu’il néglige les personnages secondaires. Il bâcle la rencontre d’Elvis avec les Beatles. John et Paul se disent déçus et un attaché de presse laisse entendre qu’on traitait Elvis de boring old fart. En fait, ils n’ont rien à se dire. Elvis va plus vers des gens comme Jackie Wilson. Elvis le voit transpirer des litres d’eau sur scène et lui demande comment il fait. Jackie lui révèle son secret et lui montre des tablettes de sel qu’il avale avant de monter sur scène. Résultat garanti. Elvis s’entend bien aussi avec Billy Strange, un session man amateur comme lui de grosses motos. Autre personnage haut en couleurs : Jerry Reed, the Alabama wild man. Quand Elvis le voit arriver pour la première fois en studio, il s’exclame : «Lord have mercy !,What is that ?» C’est Jerry Reed qui amène «Guitar Man», et il est le seul à pouvoir le faire sonner, aussi Elvis le veut-il en studio avec lui. Mais ce que Jerry Reed ramène, c’est surtout le drive qu’aimait tant Elvis à ses débuts. Et quand les sbires du Colonel  coincent Jerry Reed dans un coin du studio pour lui faire signer une cession de droits sur «Guitar Man», Jerry Reed refuse, ce qui amuse énormément Scotty Moore qui assiste à la scène. Voilà enfin un mec qui résiste aux lois iniques du Colonel. En fait, personne n’avait encore osé tenir tête aux sbires du Colonel. Jerry Reed est l’un des héros de second plan de cette saga. L’autre héros de second plan est Jarvis Felton, qui se dit le plus gros fan d’Elvis. Felton est un producteur de Nashville très original. Il a pour animaux domestiques un tigre, puis un anaconda qu’il emmène nager dans sa piscine. Avant Elvis, il a fréquenté Lloyd Price et Fats Domino qui dans sa période nashvillaise l’appelait ‘Fel-tone, my man’. Dans le milieu musical, Felton se taille très vite la réputation d’un producteur excentrique, affable et imaginatif. Pour le compte de Chet Atkins, Felton travaille aussi avec Mickey Newbury, Willie Nelson et Cortelia Clark, un bluesman noir aveugle. Elvis adore Jarvis et parage son enthousiasme. Ils ont une relation basée sur le respect mutuel et Elvis le considère comme son producteur. Jarvis Felton est un rayon de soleil dans cette saga si sombre.

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             Côté cinéma, Elvis n’a pas de chance. À Hollywood, on lui fait tourner des ‘quick movies’. Kissin’ Cousins est tourné en 17 jours : profit maximum. Le Colonel veille au grain. Pas la peine de passer des mois sur un tournage, ça coûte cher. Heureusement qu’il a les films, car les ventes de disques commencent à chuter. Paru en 1962, «Return To Sender» est le dernier single qui atteint le million d’exemplaires vendus. Mais malgré tous ses films et tous les cachets mirobolants, Elvis ne sera jamais pris au sérieux en tant qu’acteur. Pire encore : Elvis finit par avoir honte de ses films et de ses disques. Même si l’argent coule à flots. Quand il revient sur le désastre de sa carrière hollywoodienne, il est extrêmement clair : «On ne me demandait pas mon avis sur les scripts. Je ne pouvais même pas dire que c’était mauvais. Mais je ne crois pas qu’on ait alors essayé de me faire du mal. C’est juste que l’image qu’avait de moi Hollywood était erronée, je le savais et je ne pouvais pas en parler, je ne pouvais strictement rien faire. Ça m’a rendu malade. Je devais arrêter ça. Ce que j’ai fait.» Elvis n’accuse personne, il ne cite pas de noms. C’est extraordinaire. C’est peut-être Marion Keisker qui le résume le mieux : «On trouvait en lui tout ce qu’on pouvait chercher. Il était incapable du moindre mensonge ou de la moindre malice. Il avait toute la complexité des gens très simples.» 

    elvis presley,dictators,ovations,datsuns,dean wareham,jade brodie,aortes,reptilian arms(Elvis and Barbara)

             Au lit, Elvis finit par éprouver certaines difficultés, nous dit Barbara Leigh. Il prend trop d’amphètes et ça finit par agir sur son système, dit-elle pudiquement - It was very hard for him to be a natural man - Mais bon, elle s’en accommode. Au lit avec Elvis, c’est tout de même un sacré privilège.

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    ( Lhomme qui résista au Colonel )

             Côté big money, les choses vont bien. Très vite le Colonel négocie des contrats de 200 000 $ par film avec Paramount puis un contrat de 500 000 $ par film avec la MGM, plus 50 % des recettes. Le Colonel prend 25 %, Elvis garde le reste. Chez RCA, ils récupèrent 320 000 $ d’avances sur royalties (240 000 pour Elvis et 80 000 pour le Colonel, plus une somme de 600 000 $ sur quatre ans à 50/50 entre Elvis et le Colonel). Puis le Colonel atteint le million de dollars par film à la MGM. En 1964, Elvis est l’acteur le mieux payé d’Hollywood. En 1968, Elvis s’assure sur trois ans un revenu de sept millions de dollars, rien qu’avec les films. Puis le Colonel négocie avec RCA le versement de 300 000 $ par an à Elvis, ce qui se traduit par une somme garantie de 2,1 millions de dollars sur sept ans, toujours à 75/25 avec le Colonel. C’est d’autant plus spectaculaire qu’Elvis vend de moins de moins de disques. RCA s’interroge même sur la nécessité de prolonger le contrat d’Elvis. Quand Elvis reprend les tournées à travers le pays, les profits s’élèvent à 800 000 $ répartis au nouveau taux d’un tiers deux tiers entre le Colonel et son client. Un taux qu’il va amener très vite à 50/50, se considérant comme un partenaire et non plus comme le prestataire d’Elvis. Quand le Colonel négocie avec l’Hilton de Las Vegas, il demande 175 000 $ de cachet par semaine, plus 50 000 $ de salaire pour ses efforts de promotion. Pour passer à la télé sur NBC, le Colonel demande un million de dollars, et pour les tournées prévues sur les quinze mois suivants, le Colonel envisage 4 millions de recettes. Tous ces chiffres donnent le vertige, mais il faut bien admettre qu’en matière de négociation, le Colonel est un expert.

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             Mine de rien, Guralnick en fait le personnage clé de cette saga. À saga hors normes, personnages hors normes. Très vite les règles sont claires : 25 % de tout ce que gagne Elvis disparaît dans les poches de ce vieux crabe, et Elvis ne discute pas. Si l’old man est content, alors tant mieux. Pour veiller sur celui qu’il appelle my boy, le Colonel pousse parfois le paternalisme un peu loin. Lorsqu’il décide d’écarter Larry Geller dont il juge l’influence néfaste pour le business, il invite Larry à déjeuner chez lui. Pendant ce temps, de mystérieux visiteurs pillent et vandalisent sa maison. Bien sûr, Larry n’a aucune preuve, mais il préfère prendre le large. Il en parle toutefois à Elvis qui s’exclame «Damn ! Damn !» et qui ajoute : «Lawrence, it’s a dangerous fuckin’ world !» En fait, le Colonel travaille surtout sur le côté de plus en plus imprévisible de son seul client. Il mise tout sur Elvis et il n’est pas question que ça vire en eau de boudin à cause des mauvaises influences ou des drogues. Et c’est parce que ce business devient très risqué qu’il réfléchit à une répartition plus égalitaire des profits, ce qu’il va appeler the partnership agreement et qu’Elvis va signer sans ciller. Dans son approche psychologique, Guralnick va loin, car il fait du Colonel une sorte de philosophe dont le thème de prédilection serait la raison du profit. Le Colonel menace en permanence d’écrire un livre dont le titre serait Combien Ça Coûte Si C’est Gratuit ?, ce qui veut dire que les choses n’ont de valeur jusqu’à partir du moment où on leur en attribue. Par conséquent, il estime que ses services valent bien 50 % de ce que gagne Elvis. C’est un raisonnement qui se tient. Professionnellement, le Colonel s’efforce de rester carré. Tout ce qu’il demande à son client, c’est show up and do the job. Une obligation sur laquelle il n’est pas en reste. Quand le Colonel vire des gens de l’entourage d’Elvis, il explique qu’il n’a rien de personnel contre eux. C’est juste du business. Elvis paye tous les gens qui l’entourent et le Colonel veille au grain. Quand il vire Larry Geller, il vire aussi les bouquins et la spiritualité. Et personne ne discute ses ordres. Le Colonel joue aussi un rôle de directeur artistique auprès de RCA. Il s’arrange pour que le son d’Elvis reste bien commercial. Quand le single «Big Boss Man» paraît, Elvis s’étonne : le son n’est pas celui qu’il a sur l’acétate RCA. Il dit à qui veut bien l’entendre que le Colonel s’en prend à sa musique, et là, ça ne va pas. Quand Elvis veut aller se produire en Europe, le Colonel s’y oppose. Il lui propose en échange des vacances aux Bahamas. Elvis accepte. En affaires, le Colonel est intraitable. Take it or leave it. Il n’y a pas de demi-mesure. Ça passe ou ça casse. Le responsable financier de RCA, Mel Ilberman, en bave tellement avec le Colonel qu’il envisage à un moment de rompre le contrat, rien que pour arracher ce vieux crabe qui s’accroche dans ses cheveux. Et puis vers la fin, le Colonel finit par envisager de vendre son contrat avec Elvis. Ça devient trop risqué à cause des drogues. Elvie grossit, il est en perte de vitesse. Sa santé bat de l’aile. Mais la vraie raison est plus prosaïque. On dit qu’il avait perdu des sommes colossales à la roulette du Hilton de Vegas : un million de dollars en un mois. À chacun son enfer. 

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    ( Elvis, Nixon, Red & Sonny West )

             Oh, n’oublions pas la Memphis Mafia, c’est-à-dire les amis d’Elvis, ceux qui l’accompagnent en permanence et qui vivent et travaillent pour lui à Graceland et à Vegas. Il préfère les down-home southern boys, Red West, Sonny West, Lamar Fike, Marty Lacker, Alan Fortas, Jerry Schilling, Charlie Hodge, George Klein. C’est parce qu’ils portent des lunettes noires et des costumes en mohair qu’on les appelle la Memphis Mafia. À Las Vegas, ils jouent à la roulette et vont voir Della Reese, Jackie Wilson ou Fats Domino se produire sur scène. Ils vivent tous sous amphètes. Joe dit qu’on ne dort que deux heures par nuit, dans l’entourage d’Elvis. Dans les hôtels où séjourne la bande, c’est l’endless party. Elvis casse des planches pour ses exercices de karaté et dans les couloirs, les Memphis boys se battent à coups de pistolets à eau. Ils s’amusent comme des gosses. Maintenant qu’Elvis est riche, tout devient accessible : les poules, les jeux, les bijoux et les amphètes. Ils s’amusent tellement à Vegas que Memphis leur paraît triste en comparaison. Ils louent des salles de cinéma et des manèges pour se distraire. Lots of pills and lots of parties. Darvon, Tuinal, Dexamyl, Placidyl, tout y passe. On s’amuse bien à la cour du roi. C’est exactement la vie d’une cour que nous raconte Guralnick, quasiment jour après jour. 

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    ( Elvis & Chips )

             La rencontre qui aurait pu être déterminante dans la carrière d’Elvis est celle de Chips Moman au studio American de Memphis. C’est Marty Lacker qui organise le coup, dans l’intérêt d’Elvis, bien sûr. Elvis a sacrément besoin de redémarrer sa carrière. Pour Chips, tout ce qui compte c’est l’enregistrement - making the record itself - Enregistrer chez lui à Memphis a porté chance à des gens comme Dionne Warwick, Dusty Springfield, Wilson Pickett et les Box Tops. Excusez du peu. Les proches d’Elvis espèrent que ça lui portera chance à lui aussi. Et Elvis se sent bien avec les Memphis Boys de Chips. Ils enregistrent la nuit, pendant deux semaines. C’est là qu’Elvis enregistre le «Suspicious Mind» de Mark James, l’un des songwriters appointés par Chips. Et quand les mecs du business coincent Chips dans un coin pour l’inciter à vendre ses droits de publication, ils tombent sur un os : Freddy Bienstock propose 25 000 $ à Chips qui lui dit : «Tiens tu vois, tu les prends et tu vas te les carrer dans le cul, t’as compris ?» C’est la fin de la relation avec l’équipe du Colonel et tous les gens de RCA qui grouillent dans le studio. Elvis ne reviendra hélas jamais enregistrer avec Chips qui avait pourtant réussi à le remettre en selle. Un autre producteur va aussi aider Elvis à se réhabiliter artistiquement : il s’agit bien sûr de Bob Finkel, le producteur de télévision qui réussit à monter le coup fumant du ‘68 Comeback, au nez et à la barbe du Colonel qui voulait des chansons de Noël. Finkel met Steve Binder sur le coup. Binder veut le King et il va l’avoir. Il demande à Elvis de changer. Pas question de voir l’Elvis d’Hollywood. Il veut du rock’n’roll. Pour Elvis, c’est une chance unique de revenir aux sources, de montrer qui il est en réalité. Il pige tout de suite. Et le miracle s’accomplit. Dans le film, on voit des choristes black à un moment : ce sont les Blossoms de Darlene Love, imposées par Elvis. Fantastique réussite, comme chacun sait - It’s 1955 and 1956 all over again ! - Elvis réinvente Elvis, et c’est exactement ce que le monde attendait.

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             Il faut aussi savoir qu’Elvis voulut enregistrer chez Stax, mais ce fut un désastre. Le matériel était dépassé et le choix de chansons mauvais. Elvis se pointe au studio avec cinq heures de retard et ça tourne en eau de boudin. Et quand on lui dit qu’on lui a piqué ses micros, Elvis sort du studio et ne revient pas.  Par contre, quand il met en place ses shows à Las Vegas, il impose les Sweet Inspirations dont il admire le travail qu’elles font derrière Aretha. Il veut aussi James Burton. Il veut que son orchestre rocke le boat et c’est ce qui se produit. 

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             Et puis avec l’arrivée des années soixante-dix, Elvis prend du poids. Il boit le Demerol au goulot. Quand le Dr. Sidney Boyer lui vient en aide, Elvis le remercie en lui offrant une Lincoln Continental blanche. Ah les cadeaux ! Guralnick nous en fait des pages entières ! Quand il offre des bijoux à ses musiciens, Elvis achète carrément la bijouterie. Il donne à chacune des Sweet Inspirations une bague de 5 000 $ pour les remercier. Il offre un avion au Colonel qui n’en veut pas : «Je n’ai pas besoin d’un avion et je peux m’en payer un !» Les gens finissent par suspecter la générosité d’Elvis. On est à deux doigts de l’accuser de vouloir acheter des sympathies. Mais Elvis est comme ça. Il a besoin de donner. Un autre jour, il dépense 70 000 $ de bagnoles-cadeaux dans la soirée : deux Mark IV, une Cadillac Seville pour un certain Ron Pietrefaso, et une Eldorado pour Linda. Il finit par dépenser tout ce qu’il gagne en bagnoles, en avions, en cadeaux, en armes, en bijoux, en fringues, des centaines de milliers de dollars. Vernon qui gère les comptes s’en rend malade. 

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             Linda qui devient sa compagne après le départ de Priscilla constate qu’il est drug-impaired, mais il réussit à transcender l’amour physique pour aller au cœur du sentiment. Et Linda avoue qu’elle l’aime comme une mère. C’est exactement ce qu’Elvis attend des femmes. Avec Sheila, c’est la même histoire : Elvis préfère les bisous et les papouilles à la baise. La nuit, il a besoin d’eau, de pills, de Jell-O, de lecture. Pour elle, Elvis est l’innocence même. Sheila va loin dans la confidence avouant qu’il préfère le pumping (la pipe) à la baise classique. Aucune perversité là-dedans - Adolescent innocence was what it was all about.

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    ( Dr Nichopoulos & Elvis )

             Et puis on arrive dans la période Fat Elvis. Il enfle, perd sa voix. Sur scène, ça tourne à la tragédie. Il déconne complètement : «Adios you motherfuckers, bye bye. papa too/ To hell with the whole Hilton Hotel, and screw the showroom too !» Quand Priscilla qui ne l’avait pas vu depuis longtemps le revoit enflé, elle est choquée. Le corps d’Elvis finit par mal réagir à l’absorption massive d’uppers et de downers. Un jour, le bon Dr Nichopoulos demande à Elvis ce qu’il a mis dans sa seringue, Elvis lui répond qu’il ne sait pas. En fait, il se shoote du Demerol tous les jours.

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    ( Jerry Schilling & Elvis )

             Quand Elvis fait du karaté avec Ed Parker, c’est compliqué, car le pauvre Elvis est stoned, ce qui rend la situation cocasse. En fait, il aura passé toute sa vie allumé aux amphètes. Les choses vont commencer à mal tourner. Un jour, dans une chambre d’hôtel à Vegas, Elvis mange une soupe au poulet. Linda va dans la salle de bain et quand elle revient dans la chambre, elle le trouve évanoui, la gueule dans la soupe, en train de suffoquer. Elle appelle le médecin qui le réanime avec un shoot de Ritalin. Elvis revient à lui et dit tout simplement : «J’ai fait un rêve.» Sur scène, il a des problèmes de locomotion et de mémoire. Il oublie les paroles. En le voyant dans cet état, John O’Grady s’inquiète, il pense qu’Elvis va mourir. Même Jerry Schilling, vieux compagnon de route, cède au désespoir : «Tout ce qu’il peut faire maintenant, c’est mourir.» Sa fin de carrière prend l’apparence d’une suite de concerts uniques, un cirque qui n’en finit plus. Elvis souffre de troubles respiratoires et de pertes d’orientation. Mais un bon docteur surgit toujours à point nommé pour lui administrer la piqûre miraculeuse.   

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             C’est la nouvelle fiancée Ginger qui découvre Elvis dans les gogues, écroulé par terre, la gueule dans le vomi et son pantalon de pyjama sur les chevilles. Pas très glorieux. Guralnick aurait pu nous épargne les détails. Ginger sent que c’est louche et elle alerte aussitôt la maisonnée. Joe essaye de le ranimer. Le visage d’Elvis est rouge, avec la langue pendante et les yeux injectés de sang, comme dans une mauvaise bande dessinée.

    Signé : Cazengler, El tournevis

    Peter Guralnick. Careless Love. The Unmaking Of Elvis Presley. Little, Brown 1999

     

     

    L’avenir du rock

     - Sous le joug des Dictators

     (Part Two)

             Chaque année, l’avenir du rock réunit ses vieux amis gauchistes pour une célébration de ce qu’ils appellent tous l’âge d’or de la lutte. Lionel, Arlette et Cécile ont tous pris un sacré coup de vieux, mais sous les touffes de cheveux blancs crépite encore un vieux reste d’enthousiasme révolutionnaire. Comme tout le monde a trop bu, la conversation déraille. Lionel lève son verre à l’avenir du passé :

             — Vive l’auto-émancipation de la clause vivrière et vive la démocratie directive !

             — Ouaiiiiis !

             Clameur générale, ovation. Ils rigolent tous comme des bossus. Arlette se lève d’un bond et déclare :

             — Cravailleuses, Cravailleurs !

             Tout le monde applaudit.

             — Ouaiiiiis !

             — Mais j’ai pas fini !

             — Ouaiiiiis !

             Cécile se lève, elle tangue, elle réussit miraculeusement à se stabiliser et lance d’une voix de vieille fouine pervertie :

             — L’État c’est pas la partie ! C’est la traction, la fonction mathématique, mirifique, politique, fatidique de la friterie !

             — Ouaiiiiis !

             Elle reprend, en tapant du poing sur la table :

             — Alors ouiiiiiii, je serai toujours et à jamais la patriote de toutes les pâtes à la sauce tomate !

             — Ouaiiiiis !

             L’avenir du rock se lève et la main sur le cœur déclare :

             — Je n’ai jamais osé vous l’avouer mes amis, mais aujourd’hui je peux enfin me libérer de ce poids : j’ai toujours eu un faible pour les Dictators...

             — Ouaiiiiis !

     

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             En 2024, ça ne viendrait à l’idée de personne d’écouter le nouvel album des Dictators. Sauf si tu écoutais «The Next Big Thing» en 1975. C’est le genre de cut qui te marquait à vie. Alors c’est bien naturel que tu te poses la question : quel sens ça a d’écouter tous ces vieux groupes aujourd’hui ? Par exemple les Damned, ou encore les Hollywood Stars ? Une partie de la réponse tient dans le fait que ces vieux groupes font encore de bons albums, souvent plus intéressants que ceux des contemporains qui font l’actu. D’autant que les kros des nouveautés sont souvent biaisées parce que trop favorables. Si tu te fies à ce que racontent les kronikeurs dans la presse anglaise, tu te fais souvent avoir comme un bleu. Tout est une question de racines, et celles des Dictators sont de bonnes racines. Alors tu tentes le coup.

             Il n’en reste plus que deux : Ross The Boss et Andy Shernoff. Scott Kempner a cassé sa pipe en bois l’an passé et nous lui avons rendu un petit hommage vite fait en passant. Au beurre, les Dictators ont récupéré l’Albert Bouchard de Blue Öyster Cult, et un certain Keith Roth fait office de nouveau chanteur. 

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             Dans Vive Le Rock, une petite interview permet de faire le point sur la Dictature. Une belle photo orne la double : Keith Roth a fière allure, massif, déterminé, regard bleu sous une casquette sixties, et grosse boucle de ceinturon. Les Dictators se sont reformés en 2019, mais lorsque Scott Top Ten Kempner a cassé sa pipe en bois, il a fallu le remplacer : l’heureux élu est donc Keith Roth, le chanteur de Frankenstein 3000, un mec du Bronx, dont le grand frère était un pote de Scott Kempner. C’est Andy Shernoff qui répond aux questions du canardeur. Ça commence mal car Vive Le Rock lui demande si c’est bien sérieux de redémarrer un groupe avec seulement deux survivants, Ross The Boss et lui. L’Andy rétorque qu’à part U2, il ne reste pas beaucoup de groupes d’origine complets. Et puis l’Andy rappelle que faire le Dictator, c’est son métier, il a commencé très jeune et il adore ça - Each day you make music is a good day - La question qu’il ne fallait pas poser arrive : Et Manitoba ? L’Andy répond sèchement que pas de nouvelles depuis 2009, «so bringing him back never crossed our minds.» L’Albert Bouchard, c’est pas pareil. Il s’agit d’un vieux poto. L’Andy rappelle aussi que les Blue Öyster Cult sont des kindred spirits. Les Dictators font d’ailleurs une cover  de «Transamaniacon MC» sur le nouvel album. Il y a aussi un hommage à Joey Ramone qui a toujours été un good buddy. L’Andy rappelle qu’il fréquentait Joey avant qu’il ne soit dans les Ramones et qu’il était assis près de lui quand il a rendu son dernier soupir à l’hosto. Ça se passe entre New-yorkais. Il rappelle aussi que les Beatles, les Stones, les Kinks et les Beach Boys sont ses influences et que leur album Go Girl Crazy est sorti un an avant celui des Ramones. Donc, oui, proto, poto !

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             Bon, c’est vrai, le nouvel album sans titre des Dictators n’est pas l’album du siècle. Mais on retrouve néanmoins le New York City Sound de base, et ce dès «Let’s Get Back Together» que chante Andy Shernoff. C’est du Dictators pur et dur, il y va au c’mon c’mon. Keith Roth prend le chant sur «My Imaginary Friend» et ce n’est pas la même voix. Il passe en force. On voit aussi que les Dictators n’ont jamais lâché la rampe. Ils opèrent un grand retour aux mamelles du destin avec «All About You». Ross the Boss is on fire ! C’est hot as hell, l’empire des heavy chords s’étend de nouveau à l’infini. On retrouve des gros paquets de riffs congestionnés dans «Wicked Cool Disguise». Avec Ross The Boss, ça devient lumineux. C’est un virtuose des bas-fonds. L’intro de «God Damn New York» annonce bien la couleur. Ce démon de Ross gratte sa cocote new-yorkaise. Une vraie brute ! Mais pour le reste, on est loin du Next Big Thing. Tout est bardé d’un max de barda, les cuts sont faibles et pourtant le son reste dense, comme s’il cachait la misère. Ils font du pur blast à l’ancienne avec «Thank You & Have A Nice Day» et voilà qu’ils rendent hommage à Joey Ramone avec «Sweet Joey». Ross gratte une cocote incroyablement sèche. Il ne mégote pas sur la marchandise. Que peux-tu dire de plus ?

    Signé : Cazengler, Dictatorve

    Dictators. The Dictators. DEKO 2024

    Profiled :  The Dictators. Vive Le Rock # 117 - 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Ovation pour les Ovations

             Jo-l’occasion aurait pu traîner avec des mecs bien, un groupe de projet pédagogique ou un club de badminton, par exemple, mais il préférait fréquenter notre gang de Pieds Nickelés.  On l’avait surnommé Jo-l’occasion parce qu’il était toujours partant. On pouvait lui proposer n’importe quoi, il ne discutait pas. Il ne cherchait pas à savoir le pourquoi du comment. C’est assez rare de voir des mecs aussi bien disposés, des mecs d’une si bonne nature. Par la force des choses, il illustrait à merveille ce vieil adage disant que l’occasion fait le larron. Alors on a fini par en faire un jeu. À l’apéro, on lui proposait un plan pour la soirée, comme le faisait Alex avec ses Droogs :

             — On va baiser la femme de Desbordes, pendant qu’il est au boulot, elle est super-chaude et elle est d’accord. Ça te branche ?

             — Pas de problème.

             Le lendemain soir, on lui proposait un plan un peu plus aventureux :

             — On va vider le semi-remorque d’un transporteur de champ’ sur l’aire de Plessis, pendant que le chauffeur bouffe au restoroute. Ça te branche ?

             — Pas de problème.

             Le jeu consistait de faire monter le niveau de craignosité, pour tester son élasticité. 

             Le soir suivant, on lui proposa d’aller tous les six au resto du Grec, de choisir les meilleurs plats et les meilleurs vins, puis, à la fin du repas, d’aller le trouver au comptoir pour lui annoncer qu’il allait s’asseoir sur l’addition. Pas de problème.

             Pour monter encore d’un cran, on lui présenta le coup de siècle.

             — Tiens, voilà un calibre. Demain matin, on va aller se garer devant la banque qui se trouve face à la sortie du métro, tu vois où c’est ? Toi tu entres, tu braques et nous on t’attend dans la bagnole. Dac ?

             On a entendu des coups de feu. Alors on a mis les bouts. Jo l’occasion s’est sûrement fait dessouder. Pousser le bouchon, c’est un métier, et il n’était pas fait pour ça. Quelle déception !

     

             Les Ovations sont aussi un gang, mais un gang plus paisible que celui qui tenta d’incorporer Jo-l’occasion.

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             Pour les ceusses qui ne les connaîtraient pas, les Ovations de Louis Williams sont une grosse équipe de Memphis. On devrait dire une très grosse équipe. Les Ovations méritent une ovation car ils sont les rois du groove sentimental. Ils ont démarré leur carrière sur le fameux label Goldwax de Quinton Claunch et sont passés ensuite sur Sounds Of Memphis, un studio/label distribué par MGM. Le trio se compose de Louis Williams et de deux ténors, Nathan Lewis (first tenor) et Billy Boy Young (second tenor). Martin Goggin qui signe les liners de Kent Soul tient beaucoup à ce détail. Les autres grands acteurs de la légende des Ovations sont Dan Greer, et Gene Lucchesi. Boss de Sounds Of Memphis, Lucchesi est devenu riche en 1965 avec «Wolly Bully». N’oublions jamais que Sam The Sham & The Pharaohs sont au cœur de la légende du Memphis Beat. C’est avec le blé de «Wolly Bully» que Lucchesi monte son studio en 1968. Lucchesi embauche Dan Greer pour remplacer Stan Kessler parti courir l’aventure ailleurs. Dan Greer est à la fois singer, songwriter et producer. Il commence par produire Lou Roberts, puis les Minits et Spencer Wiggins. Dans les parages de Lucchesi et de Stan Kessler, on retrouve aussi Willie Cobbs et son fameux «You Don’t Love Me». C’est Kessler qui monte les Memphis Boys de Chips Moman, puis les Dixie Flyers de Jim Dickinson. Dan Greer est à la recherche d’un gros nom, il vaut percer, alors il flashe sur les Ovations, a major vocal group in Memphis, un trio qui a tourné avec Otis et James Brown et qui s’est produit à l’Apollo de Harlem. Les Ovations ne sont pas des oies blanches. Et comme petite cerise sur le gâtö, Dan Greer va leur composer des hits sur-mesure. Il va aussi faire appel à son vieux partner George Jackson, avec lequel il duettait au temps de George & Greer, qu’on retrouve bien sûr une autre compile Ace. Comme backing band, Dan Greer louche sur The Hi Rhythm, mais ils sont trop occupés avec Willie Mitchell, alors Dan embauche un groupe de club local, The Trademarks. Et roule ma poule. Il faut considérer les albums des Ovations comme d’immenses classiques du Soul System.   

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             Hooked On A Feeling est un Sounds Of Memphis de 1972. T’en reviens pas ! Classic Soul, mais chantée à outrance. Louis Williams va chercher la dragée haute en permanence, avec de gros accents de Sam Cooke, il bourre le mou de son «Can’t Be Satisfied» à coups de when you touch me ! On imagine le travail. Tous les cuts montent bien, mais sans exploser. Pas de coït. Ces trois mecs sont brillants. Ils parfument «Were You There/Touch The Hem Of His Garment» au gospel pur. Louis Williams s’adresse à Gawd. Ils tapent dans des styles très différents, et derrière ça gratte des poux en creux. Memphis style !

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             Having A Party sort l’année suivante. Album nettement plus groovy, plus cooky, d’ailleurs ils commencent par saluer Sam Cooke avec «Having A Party» - Dedicatd to the grrrreat Sam Cooke - Les gens applaudissent. Dan Greer signe «Born On A Back Street», une belle pop de Soul, cool & collected, bien touffue. «My Nest Is Still Warm (My Bird Is Gone)» va plus sur le downhome de Beale Street, ils tapent là un authentique heavy boogie blues. Encore du Sam Cooke avec «You Send Me», le groove des jours heureux. Et même fantastiquement heureux ! La big Soul de Dan Greer reprend la main avec «I Can’t Believe It’s Over». En plein dans le Memphis Beat ! Et bien sûr, ils bouclent avec «A Change Is Gonna Come», la cover de rêve - I was born by the river - Tu l’as. C’est du pur Sam Cooke.         

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               Sur le Sweet Thing de 1981 se niche une belle perle noire : «You Gave Me The Best Performance». Cette Soul te flatte bien l’intellect. Louis Williams sort le grand jeu, il a tout le soft de la Soul. Louis II de Memphis porte bien son nom, un vrai Bavarois en black. L’autre coup de Jarnac de Sweet Thing est le «Till I Find Some Way» d’ouverture de bal. C’est en quelque sorte le groove de génie définitif. Ces mecs dansent dans l’air du temps, produits par Dan Greer, tu n’y peux rien, ils sont plus forts que toi, ils te rendent même heureux, sugar baby/ Ya drive me crazy. Leur Soul est même littéralement seigneuriale. Louis Williams amène son «Plumber» comme De Niro dans Brazil : «I’m/ I’m the plumber !». Nouveau shoot de fast heavy groove directif. Ils t’en mettent plein la vue. Ils tapent l’«I Can’t Believe It’s Over» à l’orgue d’église. Grosso modo, c’est une resucée de «When A Man Loves A Woman», mais heavy as hell. Et leur morceau titre dégouline tout simplement de bonheur : c’est la Soul des jours trop heureux. Ils terminent avec un shoot de Soul parfaite, «Pa Pa». Si tu cherches du real deal, alors écoute les Ovations.

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             Ces démons de Kent ont même réussi à rassembler les Goldwax Recordings. Alors attention, on attend des miracles de Goldwax, et parfois on attend longtemps. C’est une Soul gluante, un peu théâtrale. Les Blackos y versent des larmes de sang. Il faut attendre «Qualifications» pour les voir tous les trois faire du gros popotin de fast r’n’b d’all she had to do is give a little call. D’une certaine façon, les Ovations sont les rois inconnus du groove. Louis Williams te colle «Ride My Trouble And Blues Away» au plafond, et fait son Sam Cooke sur «Happiness». En règle générale, ils se la coulent douce. Tout est très black chez Goldwax. Ils tapent l’excellent «What Did I Do Wrong» à coups d’harp, choix étrange et bienvenu. Toujours ultra chargé, voici «I Need A Lot Of Loving». Louis Williams chauffe son «Peace Of Mind» à coups d’everything - I got something you ain’t got/ Peace of mind - On ovationne les Ovations. 

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             Merci Kent Soul pour ce One In A Million - The XL & Sounds Of Memphis plein comme un œuf. Louis Williams et ses deux amis sont le son et le power. La seule chose qui les intéresse dans la vie, c’est le groove de rêve («Touching Me»). Ils savent aussi tortiller du cul comme le montre «Don’t Break Your Promise», c’est plein de son et de listen to me. Ils tapent «You’ll Never Know» à l’extrême onction du doo-wop, pur jus de black genius. C’est d’un niveau hallucinant de véracité, Louis Williams te chante ça à la titube incoercible. Si tu veux du mythique, en voilà avec «Soul Train», l’hymne black par excellence. On reste dans la Memphis Soul avec «Having A Party», sacré clin d’œil à Sam Cooke. En fait, ces mecs n’arrêtent pas un seul instant, ils enfilent les hits comme des perles, ils tapent «I Can’t Believe It’s Over» au heavy groove de bassmatic et «Don’t Say You Love Me (If You Don’t Mean It)» au swing de jive. Ils sont à l’aise partout, ils éclatent les cuts les uns après les autres. Encore un cut énorme avec «I’m In Love», c’est de la Soul géniale, même chose avec «Pure Natural Love», signé Jackie De Shannon, tendu à se rompre, ils te réinventent la Soul, comme s’ils élevaient un nouveau sommet du lard. Ils sont même au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Ils disposent de qualités harmoniques inégalées. Encore une Sainte-Barbe qui saute avec «Sweet Thing», véritable slab de wild Soul funk, signé George Jackson, et complètement allumé. Ils tapent plus loin leur «Hangin’ On» au beat de hangin’ on et ils terminent cette partie de rodéo avec «You’re My Little Girl», un heavy groove de Soul demented parfumée de calypso.

    Signé : Cazengler, Ovascié

    Ovations. Hooked On A Feeling. Sounds Of Memphis 1972

    Ovations. Having A Party. Sounds Of Memphis 1973     

    Ovations. Sweet Thing. Sounds Of Memphis 1981

    Ovations. Goldwax Recordings. Kent Soul 2005

    Ovations. One In A Million. The XL & Sounds Of Memphis. Kent Soul 2008

     

     

    Les Datsuns ne sont pas des voitures

    - Part Two

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             Les Datsuns ? Pas de problème. Pas de surprise. Pas d’entourloupe. Pas d’avenir. Pas de papa. Pas de maman. Juste un peu de passé (ils tournent et enregistrent depuis vingt ans), juste un peu de garage néo-zélandais, juste un joli brin de showmanship comme on dit dans la perfide Albion, mais rien de transcendant ni de tentaculaire. Tu prends ton billet et surtout, tu fermes ta gueule. Tu te mets là, tu regardes, t’écoutes un peu les paroles, mais pas trop, t’applaudis mollement, et tu conclus bêtement que l’un dans l’autre, t’as passé une bonne soirée. T’essaies de ne pas trop te souvenir de leur dernier show normand en 2014, car t’en gardes le souvenir d’un concert problématique, t’avais tout simplement assisté aux affres d’un groupe en panne d’inspiration, le genre de tuile qui ne pardonne pas et qui ruine une réputation. Ce sont des choses qui arrivent à beaucoup de groupes, au bout de 15 ou 20 ans.

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             Comme beaucoup de groupes, les Datsuns sont devenus une marque, et donc un fonds de commerce, alors ils continuent. Ils exploitent leur petite veine. Peut-être en vivent-ils. On ne sait pas. Mais la faune garage européenne les connaît. Toux ceux que tu croises ont un petit truc à raconter sur les Datsuns. Sept albums en 25 ans, c’est assez respectable, surtout que les deux premiers ont bien tapé dans le mille, à l’époque. Il fut un temps où Rudolf De Borst était à la une du NME, ce qui était une sorte de belle consécration.

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             Il est toujours là, le Borst, frétillant comme un gardon zélandais, sautillant comme un zébu sous speed, il cumule admirablement bien les fonctions, il chante et mouline un bassmatic polyvalent, il danse et il voyage, il fait voler ses cheveux et s’égosille comme un oisillon affamé, il revient et il repart, il n’a pas de voix, mais il compense par une extraordinaire débauche d’énergie et fatalement, il finit par s’imposer. Il joue bien le jeu de la rockstar. Il semble qu’il soit né pour ça. Il semble même que ce soit son destin, yo ! Il rafle fantastiquement la mise avec son excès de zèle zélandais. Il remporte ce qu’on appelle une victoire de haute lutte. Il jette chaque seconde de présence scénique dans la bataille et parvient à cacher la misère. De ce point de vue, il est admirable.

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             En plus, il est bien entouré. Ça gratte les poux qu’il faut et ça bat le beurre qu’il faut. Ces mecs connaissent toutes les ficelles, surtout celui de gauche qui s’appelle Christian Livingstone : c’est un clone de Jimmy Page. Ne manque que l’archet. Il gratte ses poux sur une Les Paul et n’est pas avare de poses héroïques. Il sait se pencher en arrière et faire de belles grimaces bien ridicules. Ça fait partie du jeu. Les gens adorent photographier ce genre de plan pourri pour aller poster l’image sur leur page machin. Les salles de concerts sont devenues de véritables centres de production numérique, t’en as même qui échangent des messages en direct. Ça devient un cirque, mais c’est pas grave, il ne faut pas s’en formaliser. Vazy Jimmy Page, fais ton cirque. On te paye pour ça. Avant on allait voir les singes savants et les éléphants au cirque. Maintenant on va voir les Datsuns au club. Si le cirque fait partie du jeu ? On ne se pose même plus la question. 

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             Pour muscler leur show, ils tapent dans leur premier album («Sittin’ Pretty», «Lady» et «Harmonic Generator»), et dans le deuxième avec «Girls Best Friend». Ils ouvrent et referment avec deux cuts tirés de Death Rattle Boogie, «Gods Are Bored» et «Gold Halo». Ils proposent une sorte de Best Of. C’est de bonne guerre.

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             Leur dernier album Eye To Eye est donc faiblement représenté. Tout au plus trois cuts dont l’excellentissime «Bite My Tongue», attaqué à la pure violence riffique, c’est même du big time qui ne veut pas lâcher la rampe et Jimmy Page passe bien sûr un killer solo flash d’antho à Toto. Et il récidive en fin de cut. Ils tapent aussi «Other People’s Eyes» sur scène, mais ils se perdent dans leur enfer, comme le font souvent les vieux pros. On entend aussi Jimmy Page partir en quenouille de vrille sur «Brain To Brain». C’est un vrai perceur de blindages. Dommage qu’ils n’aient pas joué «Dehumanise», car c’est noyé de disto zinzin zélandaise. Jimmy Page descend au barbu de la wah. «Dehumanise» est le cut idéal : vite en place et ça tourne au blast. Quand t’écoutes ça, tu te dis que t’as un big album dans les pattes. Ce que vient confirmer ce «Warped Signals» gorgé de power. Avec «Sweet Talk», ils passent au stomp des zazous zélandais. Ils sont à l’aise dans tous leurs domaines. Ils virent poppy popette avec «Moongazer», mais avec une belle voracité. Ils tiennent bien leurs promesses et flirtent même avec les Beatles, alors t’en reviens pas.

    Signé : Cazengler, daté

    Datsuns. Le 106. Rouen (76). 28 mars 2025

    Datsuns. Eye To Eye. Hellsquad Records 2021

     

     

    Wareham câline

     - Part Three

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             Le real Dean repart de plus belle avec sa copine Britta. Ils montent le duo Dean & Britta et se jettent dans l’aventure avec L’Avventura. C’est l’album des grands

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    mimétismes, à commencer par «I Deserve It» qui sonne comme du Gainsbarre. C’est pompé sur «Melody Nelson». Puis t’as «Moonshot» qui est du pur Lou Reed, même si c’est un cut de Buffy Sainte-Marie, le real Dean te le prend en mode intrinsèque, sa voix craque d’éclats intenses, c’est d’une ampleur considérable. Avec «Hear The Wind Blow», il refait «Pale Blue Eyes, et pourtant, c’est un cut d’Opal, c’est-à-dire Kendra Smith et David Roback. Son sometimes it seems n’est pas loin de linger on your pale blue eyes. Le real Dean jette tout son génie vocal dans la balance et croasse deux ou trois syllabes au passage, histoire de faire son Lou. Encore une cover, celle du «Random Rules» des Silver Jews. La classe mélancolique de David Berman lui va comme un gant. Il enchaîne avec une autre cover, l’«Indian Summer» des Doors, qu’il prend à la douce gentillette. Bel hommage à Jimbo. Le real Dean et Britta duettent comme des dieux sur «Ginger Snaps». Ils tapent dans leur meilleure veine. Le real Dean est le premier à le dire : «One of the best things I have ever done. Certains albums sont meilleurs que d’autres, et je voyais celui-là comme l’album que j’avais voulu faire toute ma vie, influencé par Glen Campbell et Bobbie Gentry, Lee Hazlewood et Nancy Sinatra, Madonna, Nina Simone et Mary Tyler Moore.»

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             Tu vas trouver trois très belles choses sur Black Numbers, à commencer par «Words You Used To Say», un gros clin d’œil à Lou Reed. Le real Dean chante au deepy deep. C’est un fieffé follower. Britta le rejoint un peu plus loin et elle sort sa meilleure voix éthérée. Tu tombes ensuite sur «Wait For Me», en plein dans la lignée de la pureté. Britta attaque ça au sucre candy. T’en reviens pas de tant de beauté. Le real Dean est avec Doug Mercer des Feelies l’un des derniers héritiers du Velvet. Mais il faut bien dire que Britta sait bien prendre les choses en mains («You Turned My Head Around»). Elle attaque encore «White Horses» au doux du candy. Elle a un candy très particulier, elle sonne comme une ingénue libertine. Quant au real Dean, il montre encore avec «Me & My Babies» qu’il est d’une insondable profondeur artistique. Il adore le sucre candy de «Say Goodnight», pas de doute. Il recrée encore une fois le son de Pale Blues Eyes dans «Crystal Blue RIP». Il n’a rien perdu de ses pouvoirs de mage.             

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             C’est l’Andy Warhol Museum et le Pittsburg Cultural Trust qui ont demandé au real Dean et à Britta d’enregistrer 13 Most Beautiful: Songs For Andy Warhol’s Screen Tests, pour accompagner 13 Screen Tests d’Andy Warhol. Le real Dean dit aussi que Warhol a tourné 470 screen tests. Dans les liners, il rentre bien dans le détail des personnages qu’il a choisis. Les liners sont beaucoup plus intéressants que les enregistrements. Le real Dean a lu énormément de books sur la Factory. On ne craque véritablement que sur trois des Songs For Andy Warhol’s Screen Tests : «I’ll Keep It With Mine» dédié à Nico, Britta s’y colle, elle s’y colle merveilleusement bien, elle dégage la puissante mélancolie urbaine de Nico. Sur «Not A Young Man Anymore» dédié à Lou Reed, le real Dean fait son Lou. L’illusion est parfaite. Et puis «Eyes In My Smoke», dédié à Ingrid Superstar, et qui tape en plein dans le smoke du Lou, la qualité du smooth est inégalable et t’as le solo liquide en prime. D’autre cuts accrochent un peu, comme par exemple «International Velvet Redux» dédié à Susan Bottomly, car le real Dean part en épais solo de désaille vinaigrée. Avec «Herringbone Tweed» dédié à Dennis Hopper, il part en mode heavy groove à la «Sister Ray», mais sans la folie sonique. «Knives From Bavaria» dédié à Jane Holzer sonne comme le «Bonnie & Clyde» de Gainsbarre.

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             Quarantine Tapes est un album de covers. On en retiendra trois : «Massasuchetts» des Bee Gees (le real Dean tape dans le sacré, il a le sucré de Robin, alors ça fonctionne et ça grimpe dans les harmonies vocales), «Most Of The Time» (Dylan, le real Dean réussit l’exploit de sonner comme le vieux Bob) et «Ride Into The Sun» (Velvet dans l’âme, gratté aux gros accords las). Le reste n’accroche pas. Ils démarrent l’album avec le «Neon Lights» de Kraftwerk qui rime si richement avec berk. Ils se vautrent sur une cover pourrie du «So Bored With The USA» des Clash. Avec le «Carnival Slow» des Seekers, on se croirait à l’Eurovision. Ils font du mou du genou sur le «23 Minutes In Brussels» qui date du temps de Luna, et on perd patience. Par contre, le real Dean donne de l’air à l’«Air» de Mike Heron et il y va à grands coups d’acou. 

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             La cerise sur le gâtö du duo, c’est leur collaboration avec Sonic Boom. D’abord un EP, Sonic Souvenirs, en 2003. Sonic te nappe ça bien. Il arrose tout de crème anglaise. Le real Dean refait son Lou sur «Hear The Wind Blow (Down Moonlight Mile)». Un vrai bijou de Velvet latent, gorgé d’écho. Plein son. On retrouve sa belle profondeur de timbre dans «Moonshot (Myths Of Heaven)». Ça craque sous la dent, ça cloque de densité. Dean & Britta duettent comme des cakes sur «Ginger Snaps (And Sugar Winks)», et font siffler les S de when the kitchen sinkS/ When the sugar winkS. Très pur. Merveilleuse association.

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             Puis l’an passé, Dean & Britta & Sonic Boom ont enregistré leur Christmas Album, A Peace Of Us. Franchement, ce serait une grosse connerie que de faire l’impasse sur cet album, car Sonic Boom y fait des merveilles. Le «Snow Is Falling In Manhattan» est très «Pale Blue Eyes». Nos trois amis restent dans la ligne du parti. Le real Dean adore sa vieille traînasse. Tout est très éthéré, très intéressant, très haut de gamme sur cet album. Britta chante «Do You Know How Christmas Trees Are Grown» d’une voix pure de crystal clear. Le real Dean prend ensuite son «Old Toy Trains» au doux du doux. Le «Silver Snowflakes» qu’on croise plus loin n’est autre que le «Greensleeves» de Jeff Beck, et le «Still Natch» est bien sûr le «Silent Night» bien connu des amateurs de réveillons. A Peace Of Us est en fait un Christmas album. Coup de tonnerre en B avec un hommage à Totor : «You’re All I Want For Christmas». T’as même les castagnettes et ça sonne comme un hit des Ronettes. Britta fait encore un carton avec «If We Make It Through December», elle est à l’aise avec la country de saloon, elle est même assez paradisiaque, très Nancy Sinatra, et t’as la prod de Sonic Boom. L’album se termine par un hommage à John Lennon, «Happy Xmas (War Is Over)». T’es tout de suite dans le cercle magique. Pas de meilleure aubaine. 

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             Oh mais c’est pas fini ! Le real Dean enregistre aussi des albums solo. Le dernier en date s’appelle I Have Nothing To Say To The Mayor Of LA. Tu vas te régaler de la belle pop enchanteresse de «Cashing In». Le real Dean sait emballer son fan. Il a vraiment un charme fou. Avec «Robin & Richard», il sonne comme le Lou, une fois de plus - My pleasures are plenty - C’est du pur Lou. Il termine en mode clairette phosphorescente, c’est un éclair de génie. Génie encore avec «Under Skys», tu le vois littéralement partir en solo sous les skys. Le real Dean est un fabuleux guitariste, il te fait tourner la tête, tu pourrais lui dire, sur un air de Piaf, «mon manège à moi c’est toi.» Nouveau coup de génie avec «Why Are We In Vietnam». Il se pose des questions existentielles. Il reste très new-yorkais dans son approche philologique et bien sûr, tu le vois se lancer dans l’un de ces finals élégiaques dont il a le secret. Il rivalise d’intelligence guitaristique avec Tom Verlaine, c’est une évidence.

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             Emanciped Hearts sonne comme une sorte de point bas dans l’œuvre qu’il faut bien qualifier de tentaculaire du real Dean. Il attaque avec «Love Is Colder Than Death», un big balladif entreprenant. Il a raison, le real Dean, l’amour est plus froid que la mort. Il prend son plus beau timbre de Lou pour attaquer son morceau titre. Il chante vraiment comme son idole. On assiste ici à une belle évolution du domaine de la lutte. Et puis après, ça se gâte. Il monte un coup très weirdy avec «The Longest Bridges In The World» et se plaint bien dans le demi-jour avec «The Ticking Is The Bomb».

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             Paru en 2014, Dean Wareham vaut le détour pour trois raisons majeures : «Beat The Devil» et «Happy & Free» (deux Beautiful Songs), et un authentique coup de génie nommé «Babes In The Wood» où il sonne comme le grand continuateur du Velvet. Ils travaille sa magie sibylline à coups de take care, il t’emporte comme le ferait un vent très voilent. Avec «Beat The Devil», il va droit sur l’excellence carabinée, il met en avant une façon de chanter très intrinsèque et tu tombes invariablement sous le charme. Il tape l’«Happy & Free» à l’aune de la Beautiful Song, avec des éclats pop en forme de réminiscence d’effervescence, il te soigne bien la cervelle, tu peux y aller les yeux fermés, le real Dean est un crack du doux, le plus bel héritier du Lou, il prolonge cet art unique au monde, cette vision de la pop nourrie à la fois de grandeur mélodique et de décadence.  Le real Dean est un fabuleux distillateur de jus pop, il chante avec cet accent d’entre-deux qui ne trompe guère. C’est un fin renard du désert, un admirable stratège velvétien.

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             Le real Dean monte encore un side project en 1997 : avec Cagney And Lacee et un seul album, Six Feet Of Chain. Lacee s’appelle en fait Claudia Silver. Avec «Lovin’ You», t’as l’impression de planer dans un rêve. Elle crée de la magie sur des nappes de violons étales. C’est très easy listening. Elle peut aussi chanter à la belle aventure de country girl («The Last Goodbye» et «By The Way»). Country, mais beau. Et puis tu t’extasies sur «Greyhound Going Somewhere», pur jus de Cosmic Americana, eh oui, le real Deal est capable de ça. Elle veut partir en Greyhound, n’importe où - I’m leavin’ ! - Elle finit ce bel album en mode pop chaude avec «I’m Not Sayin». Elle réchauffe la pop dans son giron. Le real Dean permet ce genre de petit miracle d’intimité tiède et réconfortante. 

             Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean & Britta. L’Avventura. Jetset Records 2003      

    Dean & Britta. Black Numbers. Zoé Records 2007    

    Dean & Britta. 13 Most Beautiful: Songs For Andy Warhol’s Screen Tests. Double Feature Records 2010     

    Dean & Britta. Quarantine Tapes. Double Feature Records 2020

    Dean Wareham. Emanciped Hearts. Double Feature Records 2013 

    Dean Wareham. Dean Wareham. Double Feature Records 2014  

    Dean Wareham. I Have Nothing To Say To The Mayor Of LA. Double Feature Records 2021

    Dean & Britta. Sonic Souvenirs. Jetset Reords 2003

    Dean & Britta & Sonic Boom. A Peace Of Us. Carpark Records 2024

    Cagney And Lacee. Six Feet Of Chain. No. 6 Records 1997

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    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

    *

             C’est une parution sur Western AF qui date un peu. Quatre ans déjà. Elle se démarque de toutes les autres. Soyons franc, difficile de faire mieux question western. Paysage désertique magnifique, une fille qui cause, lorsqu’elle apparaît sur l’écran vous comprenez que vous êtes dans un ranch, pour les prairie d’herbe bleue vous êtes gros jean comme devant, au fond des montagnes pelées jusqu’à l’os, le sol est fait de poussière, OK, nous ne sommes pas dans le Kentucky mais dans le Nevada, une question vous turlupine mais où donc font-ils paître leurs chevaux, j’ai oublié de préciser, elle a un cheval, isabelle comme celui de ma fille, et un chien sans canapé alors que les miens… l’on aperçoit quelques poules, j’ai envie d’être un renard, elle s’est assise devant l’entrée d’un bâtiment fait de bois et de tôle, vous réalisez que ses avant-bras sont posés sur une guitare tenue à plat sur son giron. Au plan suivant elle s’en est saisie, deux coups de gratouillis et elle commence à chanter.

    RAMBLIN’ MAN

    JADE BRODIE

    (Western AF / 2022)

                    La version la plus dépouillée de Ramblin Man que je n’ai jamais entendue, je la qualifierais de rudimentaire si je n’avais peur que vous compreniez mal ce mot, guitare minimale, vocal sans emphase, les couplets répétés, les yeux fermés, le visage plissé, toute la tristesse du monde vous tombe dessus, c’est quoi ce truc, même pas du country, même pas du folk, même pas du blues, l’on est aux racines, c’est ainsi que devaient chanter les songsters vers 1840 que l’on n’a jamais entendus.

             J’ai voulu en savoir plus. Première chose sur laquelle je tombe en ouvrant le site Western AF, un article Meredith Lawrence Premier détail pioché, née en Californie, elle a vécu à Santa Rosa, ville située au nord de San Francisco, ses parents s’intéressent à la musique, elle a dix-huit ans lorsque son ami et son disquaire lui offrent une guitare et un coffret de blues et de country féminins… Presque un conte de fées qui emprunte une voie typiquement américaine : le train. Elle sera réparatrice de locomotives. Existerait-il un moyen amerloque de se déplacer encore davantage mythique ? Oui, le cheval. Période de chômage, elle en profite pour dégoter un job dans un ranch. Certainement vous avez aussi les highways, n’ayez crainte elle coche toutes les cases : l’est en train de conduire lorsqu’elle refuse de bifurquer vers un nouveau stage de conductrice de locomotive, elle préfère les chevaux et passer sa vie à chanter et à composer…

    GETTING OUT OF HERE

    JADE BRODIE

    (Dusty Vaquero / 2024)

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             Dusty Vaquero est un site qui fonctionne  à la manière de Western AF, enregistrant live des artistes qui n’ont pas atteint une renommée internationale. Nous retrouvons Jade Brodie en direct. On ne la reconnaît plus. Elle porte un joli chemisier blanc à fleurs, un chapeau de cowboy, mais un jean, des guêtres et des boots plantées dans la terre, elle est assise sur un billot devant un bâtiment de bois, supposons une écurie… Des cheveux blonds mi-longs encadrent son visage. Elle  résume en quelques mots sa vie à travailler, son désir de trouver mieux. 

    Goodbye the ramblin’ songster man, this  is Brodie country, cowboy par excellence, yodle à la perfection et vous conte l’histoire de ces  hommes qui sont partout ailleurs mieux que chez eux. Plus un dernier couplet pour vous avertir qu’ils ont trouvé l’endroit qui les retient. Très différent au niveau du style de chant du précédent mais tout aussi charmeur.

    Sur bancamp seulement trois morceaux :

    SPLIT MY TOOTH

    (Mars 2020)

    Jade Brodie : chant, guitare acoustique, et paroles / John Courage : guitare solo / Kirk Fortin : violon / Francesco Echo : basse / Dan Ford : batterie.

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             Belle photo. On la croirait chez elle. Mais non dans le compartiment d’un train. Toute belle, le soleil la dore d’un de ses rayons. Ses cheveux de miel et l’angoisse sur son visage. Elle tend la main vers sa guitare comme si elle n’osait pas la saisir.

             Elle peut remercier ses musicos, lui font un accompagnement de rêve, mais son vocal magnifie cette balade d’une tristesse absolue. Une voix qui ne flanche pas, elle se pose sur la musique comme un poison qui coule dans vos veines et qui remonte dans votre cœur pour l’empêcher de battre. Trop de distance entre deux êtres. Dans une note de présentation elle avoue qu’elle a  bâti   cette chanson sur un vers d’un morceau Townes Van Zandt qu’elle avait chanté à son mari, le jour de leur mariage. Ne vous étonnez pas qu’ils aient divorcé quelques mois plus tard. Comment croire que l’être aimé restera si vous lui accordez la liberté de partir… L’existe une Official Vidéo. Quelques scènes nauséeuses de solitude et d’impuissance dans un bar, dans sa robe rouge, princesse déchue de son propre rêve elle caresse un alezan, ce n’est pas un film, juste des éclats d’âme brisée  comme un miroir intérieur qui n’a pas supporté d’avoir tant été regardé.

    MAKING HISTORY

    (Février 2021)

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    Photo de la même série que la précédente. Elle est encore plus belle gainée dans sa robe rouge. Princesse alanguie, le soleil amoureux caresse son visage. Encore inquiet, mais sa guitare est à ses côtés.

    Vous avez une Official Video. Rien d’exceptionnel. Un mélange de vie vécue et de vie rêvée. Pas tellement différentes. Même si l’une va d’avant et si l’autre n’a pas la force de retourner en arrière. Certes les musicos vous imposent le roulis monotone du train qui roule vers l’absurde shuffle d’une existence partagée en deux. Bosser au loin pour gagner sa vie équivaut à la perdre. Les paroles ressemblent à une de nos comptines enfantines, sans joie, sans exaltation, sans chocolat en récompense finale. Une voix aussi froide qu’une langue de serpent. Qui n’en finit pas de vous mordre. Quand l’un est là, l’autre est ailleurs. Existences effilochées. La grande Amérique broie l’existence de beaucoup.

    (Jae Nobody est au violon).

    OPEN ROAD

    (Février 2022)

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    Plus de soleil. Photo en blanc et noir. Ils n’ont pas dû le faire exprès mais son visage marqué d’ombre et d’angoisse évoque pour un français certains clichés expressionnistes d’Edith Piaf.

    Encore une vidéo. Crépusculaire. Le soleil se couche sur les paysages américains. Vous ressentez une inextinguible tristesse, celle de l’incomplétude de l’âme humaine qui peut contenir en elle toute la vastitude de la beauté du monde mais qui n’arrive point à intégrer le minuscule point de départ, la maison qui vous attend et dont vous vous rapprochez au fur et à mesure dont vous éloignez d’elle. Insatisfaction de vouloir être ce que l’on n’est pas et de ne pas vraiment être ce que l’on est. L’origine n’a pas de fin. Elle est une plaie qui suppure, un fruit partagé en deux dont il manquera toujours la moitié.

    Une voix qui touche à l’essence de la country. 

    Qui touche à la poésie.

    Merveilleuse Jade Brodie.

    Damie Chad.

     

    *

                Un groupe français. Pas mal le nom. Un truc gorgé de sang qui ne demande qu’à être versé. En supplément phonétique le mot vous emplit la bouche, avant même d’écouter mes oreilles saignent. J’avais raison comme toujours, l’écoute s’avère pénible. Pour une des rares fois de ma longue existence mon humilité me force à reconnaître que j’avais tort. Je vous rassure, je ne révise pas mon jugement auditif, mais non ils ne sont pas français. Viennent de Lithuanie. En plus ils l’écrivent avec un h, alors que depuis quelques années la France l’a supprimé lors d’une nouvelle transcription phonétique.

             J’adore ce pays. Coincé entre la Pologne, la Lettonie, et la Biélorussie. Je n’y suis jamais allé. Mais cette lointaine contrée nous a donné un de nos plus grands poëtes, lui qui savait le russe, l’anglais, le lithuanien, le yiddish, l’hébreu, l’allemand, a écrit toute son œuvre, vous la situerez entre Nerval et Rilke, en français, vous avez de la chance, pour d’obscures motivations politiques (guerre en Ukraine), comprenez urgences non poétiques, a paru dernièrement chez Gallimard, un Quarto qui regroupe en 1300 pages une bonne partie de ses œuvres. Normalement vous devriez cesser de lire cette kronic, et ne la reprendre une fois que vous auriez passé la moitié de votre vie à lire Oscar Vladislas de Lubicz Milosz ( 1877 – 1939), ce qui me laisse le temps  de la terminer en toute tranquillité.

    CARRION

    AORTES

    (CD / Banndcamp / Avril 2025)

             L e premier Ep d’Aortes est sorti en août 2012. Sous le nom d’Autism.

    L’on sent qu’ils aiment les mots qui battent comme un cerveau qui n’est plus irrigué… Chacun de leur titre possède ce privilège de vous faire flipper avant que vous ne les ayez écoutés. Au moins vous ne pouvez pas vous plaindre de ne pas avoir été prévenus. Ainsi leur dernier album dès son titre vous annonce que ça sent la charogne. Ont-ils une prédilection pour Baudelaire, je ne sais pas. Vous jugerez sur place de cette composition, pardon de leur décomposition musicale.

             Le groupe a renouvelé ses membres. La dernière formation que j’ai pu trouver est la suivante : Andrius Sinkunas : chant, clavier, synthétiseur / Tomas Danisevskis : guitare / Linas : basse / Dormantas Lekavicius : batterie.

             Si vous vous attendez à une histoire bizarre, détrompez-vous, en règle générale les morts ne bougent pas trop, ils ne se lèvent pas toutes les cinq minutes pour faire un petit tour sur la terre.

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             La couverture n’est guère accueillante. Elle n’est pas créditée, comme ils sont des adeptes du Dot It Yourself, elle doit être d’eux. Entre parenthèses, chaque fois que je lis Diy je pense à (to) Die. Noire et jaune, me revient en mémoire le titre du roman Le Soleil des Morts de Camille Mauclair, il met en scène Stéphane Mallarmé, c’est aussi celui du livre d’Ivan Chmeliov, voire au poème (issu du recueil Banquets et Prières) de Marceline Desbordes-Valmore dont Rimbaud appréciait fort la poésie, tout cela pour vous rappeler que la mort ne fascine pas que les amateurs de dark metal. En tout cas ce jaune n’est point illuminatif, tout au plus une lumière froide. Pour le noir passe encore le portrait je subodore de Tolstoï ou de Dostoïevsky, avec ses yeux fous de voyant fixés sur la bouche d’ombre, l’on retrouve au bas de la couve le regard de celui qui a vu ce que l’on ne doit pas voir, les trois mains centrales, une de plus, une de moins, qui se tendent et se cherchent sans se trouver, et tout en haut la grille des côtes déjà dépourvues de chair…

    Dying world : une espèce de tsunami implacable de guitare fonce sur nous, sans se hâter, vitesse lente, le monde s’effondre, c’est nous qui mourrons, tout notre décor existentiel dans lequel nous avons joué la comédie de la vie se démantibule dans notre regard intérieur, la batterie écrase tout ce qui voudrait résister, mais rien ne manifeste cette envie, comprenez ces cris d’horreur, ces appels au secours à soi-même, l’unique personne à qui nous pouvons les adresser, mais nous savons bien que nous n’avons aucun moyen, aucune chance d’arrêter ce raz-de-marée qui s’abat par pans entiers, une ambiance de film-catastrophe pas du tout cathartique, nous courrons de tous les côtés pour nous arracher à ce mal inexpugnable qui est en nous, en notre conscience, nous sommes allongé sur notre couche, au fond de notre cercueil, notre vie est en train de s’écrouler, de s’ébouler sur nous, tout ce que nous avons aimé nous tombe dessus, et nous ensevelit en nous-même. Carrion : feat Plié : ça y est nous sommes mort. Notre corps vit encore. A sa manière. Il entre en putréfaction. Tout bouge et reste sur place. On a l’impression qu’ils ont additionné pistes sur pistes, pour donner une impression de gluance sonore, le vocal en arrière-plan, la charognisation n’est pas un écoulement mais une brûlure, une carbonisation, une espèce d’auto-combustion qui brûle et s’auto-crame, notes lourdes de synthé pour marquer la désynthétisation des tissus, la voix parle, est-ce celle du mort, ou celle d’un spectateur qui médite, il semble que des mouches bourdonnent, vocal non pas des derniers secrets mais des ultimes révélations d’auto-consumation, est évoqué le fantôme d’Hérodote, le voyageur qui s’en est allé explorer toutes les routes et tous les pays qui entouraient la Grèce antique, notre corps brûlé n’est-il pas un ailleurs étranger par excellence, un autre état de notre matière, à moins que ce soit une sorte de folie charnelle, un dépassement de soi. To the worms: intensification musicale, qui pleure -là parmi les diamants extrêmes, est-ce la jeune Parque ou le poëte, l’amant ou l’amante séparée par un miroir à deux faces, ce qui est sûr c’est que celui des deux qui est  dehors est comme celui qui est dedans, une corde de basse rebondit comme une balle de pingpong comme le pendule endiamanté qui descend pour tailler le verre séparatif, l’un appelle, l’autre lui demande de traverser la paroi terreuse de sable vitrifiée, elle appelle, et lui se jette à terre, il essaie de pénétrer dans la terre, de devenir ver de terre pour se mêler aux vers en train de bouffer cette chair en putréfaction active. Black mold : instrumental, crépuscule des dieux, Siegfried ne passera pas la croûte de terre pour se coucher dans le cercle de feu de la Walkyrie, pas du tout une chevauchée, une marche funèbre, Roméo ne rejoindra pas Juliette, la mort comme la vie, la vie comme la mort, l’une sans l’autre, l’autre sans l’une, ne sont qu’une sale moisissure qui corrompt toute existence, qui annihile toute impossibilité de retrouvailles. Nous avons essayé. Nous avons échoué. Peut-être parce que la mort de l’un n’est que la mort de l’autre. Mais ceci est une autre histoire.

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      When we cease : changement de paradigme, un seul être vous manque et tout est dépeuplé disait Lamartine, Aortes ne l’entend pas ainsi, c’est le monde qui s’écroule, la catastrophe écologique,  tout ce que vous voulez, mais le survivant devient le reflet de celui qui a choisi la partenza, un éclair comme une bombe atomique qui viendrait vitrifier la terre, encore le miroir à deux faces, le monde qui s’éboule dans la tête de celui qui est sous terre et le monde qui est détruit autour de celui qui est resté à la surface du globe, le morceau est une terrible incandescence, une montée lente et incoercible, un vocal hurlé à la manière d’un appel au secours inutile, de toutes les façons quand tout sera terminé, rien ne se passera, nous ne serons plus rien, encore moins que maintenant où l’un survit encore dans la tête de l’autre. (Il existe une vidéo, mortifère, de vieilles croix de bois dans un cimetière, si nombreuses si serrées qu’elles paraissent avoir été mises au rebut, ornées de colliers, de rosaires, de scapulaires, de dessins, de crucifix… un terrible sentiment d’abandon et d’impuissance).  Lifeless :

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    plus personne, une cloche résonne, une seule solution, puisqu’il est évident autant conjurer un esprit, celui de celui ou de celle dont le cercueil va basculer dans la tombe, existe-t-il de l’autre côté une lumière, ressens-tu le soleil des morts, une espèce d’existence, différente, mais la mort ne serait-elle pas la continuation de la vie sous une autre forme, il empoigne le cadavre à pleine mains, il le secoue, il l’interroge, il crie, il frappe il supplie, musique écrasante totalement folle, sans vie, sans mort, rien, néant, les circuits de son cerveau se transforment en catacombes qui regorgent de squelettes sans âme, un seul être vous manque et le monde entier des hommes n’est plus, disparu, néantisé. (Il existe une vidéo, une maison de bois abandonnée, délabrée, désertée, la caméra s’attarde sur une espèce de totem informe qui cependant mérite l’adjectif christique, puis un paysage enneigé, un pont, une route, un fleuve, pas une âme vivante, retour au totem, des squelettes d’arbre, un nouveau totem carrément christique, des amas de planches, une maison écroulée, au loin une maison, une lumière le soleil qui se lève, tombes caressées par le soleil, une statue du Sauveur, l’impression que le monde se réchauffe.)   I’ve loved you all : this is the end, beautiful

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    friend, mais il n’y a pas de car bleu, il n’est même pas noir, il est transparent, un miroir à deux faces, il t’emmène, penché sur ton cercueil je me laisse aller, penché dans mon cercueil je te laisse partir, je ne peux pas te retenir, qui parle encore une dernière fois, celui qui reste ou celui qui descend, qui oubliera l’autre, ne reste plus que le désespoir, un dernier adieu, car l’on ne se reverra jamais. (Il existe une vidéo, paysages noyés de brumes, sentiment de solitude et de désolation, l’on parcourt les champs, la terre, les bois pour se retrouver devant de très vieilles tombes déformées, crevées, des images de mers déchaînées, de fleurs, d’insectes, la nature elle continue de vivre, elle n’a pas l’air de se soucier de l’humaine créature couchée en ses cimetières… un moment un œil vous scrute, serait-ce la mort qui vous attend… ou quelqu’un d’autre.).

             Si j’ai mis les trois vidéos en fin de recension des trois titres, c’est parce que je les ai visionnées avant d’avoir fini la totalité de mon écoute. Elles sont simples et belles. Une atmosphère toutefois déprimante. Peut-être incitent-elles à une autre compréhension, à qui s’adresse la personne sous la tombe, à un être humain ou la divinité… Serions-nous face à un groupe chrétien. Quel qu’il soit, cet album est magnifique, le texte est d’une grande subtilité et la musique d’une force irréfragable.

             L’ensemble est d’une force étonnante et vise à l’essentiel.

    Damie Chad.

     

    *

             Bien sûr avec vos bras reptiliens vous pouvez tenir, prenons un exemple au hasard, une jeune fille, l’enserrer dans vos muscles visqueux, avec la force d’un python réticulé, moi ce qui m’a plu c’est le titre de l’EP en latin, un groupe qui utilise la langue de Virgile et d’Ovide ne peut pas être entièrement mauvais, ensuite je me suis demandé, question oiseuse s’il existait des reptiles avec des bras, j’ai vérifié dans L’Histoire Naturelle de Buffon, apparemment il n’en a jamais entendu parler. D’où l’intérêt à regarder ce nid de serpents de près.

    EXTENSA FABULA

    REPTILIAN ARMS

    ( Bandcamp / Avril 2025)

    Chris Cassisi : basse / Josh Joesten : drums / Marcus Rzyborowski : guitares /Alex Santana : vocal.

    Sont de San José, ville d’un million d’habitants située à moins de soixante-dix kilomètres de San Francisco, considérée comme les centre de la Silicon Valley. N’ont pas l’air d’être des hippies attardés ni des chantres de la technologie moderne. Paraissent plutôt intéressés par les sciences maudites. La couve de l’EP vous convaincra.

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    Une toute jeune fille, sage et innocente, debout devant des buildings de cinquante étages. Essayez de ne pas regarder les têtes de morts qui remplacent le gazon. Ne quittez pas des yeux la lueur assassine des prunelles du lézard géant et cornu aplati sur les gratte-ciels, avant de vous porter au secours de l’enfant vérifiez les griffes démesurées de cet être sorti des entrailles de la terre. Cette image sombrement hémoglobinesque n’illustre pas une fable de notre bon vieux Jean de La Fontaine, permettons-nous une traduction peu correcte et un tantinet éloignée du titre de l’album. : extension du domaine de la lutte reptilienne.

    Zenosyne : comment interpréter ce titre, signifie-t-il que la mémoire des choses s’accélère induisant ainsi une accélération du temps, ne faites pas la fine bouche, il est inutile de déclarer que le concept zénosynien est légèrement flou, alors qu’il est évident qu’il n’a pas besoin d’aile pour progresser rapidement car il est intrinsèquement fou, non je suis pas atteint de folie car si l’aile de la folie s’envole, les haruspices se pencheront sur mon foie pour en tirer d’hâtives conclusions sur l’avenir. Si vous n’avez rien compris à ce qui précède, peut-être conviendrait-il de ne pas écouter cet EP, mais puisque vous vous obstinez dans votre curiosité malsaine, tant pis pour vous. Je vous vois venir avec votre gueule enfarinée, oui c’est rapide, ultra-speed, un trio infernal qui fonce, à San José la nuit tous les feux rouges sont verts, quant au vocal de Santana c’est vrai que ce n’est pas la guitare à notes rallongées de Carlos, l’a une voix bulldozer, quant au Josh il filoche sur sa drummerie pour prouver aux deux autres qu’il roule plus vite, alors Marcus et Chris accélèrent et le dépassent, bientôt sont tous les trois sur la même ligne, et Santana, déguisé en Ben Hur  les cingle, de ses hurlements il les propulsent au travers du mur du son. Vous avez adoré ce doom de cinglé, vos oreilles ont couru derrière comme des dératés mais vous avez raté l’embrouille du film en rembobinage, vous ressentez l’urgente nécessité que je vous refile quelques bribes de scénar. Voyez-vous certains aiment que la vengeance se dévore chaude-bouillante. L’un l’a laissé pour mort et l’autre pas mort s’empare de l’un et vous le dissèque en petits morceaux pour qu’il souffre un max. Une boucherie expiatoire. Maintenant vous comprenez pourquoi Carlos se dépêche  pour qu’il souffre au plus vite, prend même un malin plaisir à imiter les hurlements de sa victime. Shroom doom : ouf le rythme s’alentit, le Carlos en profite pour nous prouver qu’il peut à lui tout seul  chanter aussi fort qu’un chœur de quatre-vingt moines qui n’ont pas violé une bonne sœur depuis trois jours, il gueule, et puis il dégueule, la guitare de Marcus en profite pour dégringoler les cent quarante-quatre marches du clocher de l’église en feu, l’est sûr que quand le delirium tremens s’arrête vous êtes incapable de retrouver votre esprit qui vous a quitté et qui bat de l’aile sous la voûte de la sacristie, je vous en ai donné une version chrétienne parce que vous aurez davantage de mal avec la mythologie mexicaine, tout se passe aux derniers moments, lorsque vous êtes en train de succomber, que le méchant enserre votre cou de ses dix doigts et vous prive d’oxygène, vous comprenez que la partie d’échec de votre vie est définitivement perdue, que la Reine ne vous sauvera pas, que vous vous essoufflez sur la diagonale du fou, que l’œil cruel de Caïn est dans votre tombe et vous fixe, que le Serpent à Plumes, est-ce lui le Reptile, est-ce vous, est-ce l’autre, en tout cas, qui qu’il soit, il agonise sur le damier.  Non, ce n’est pas clair, mais nos champions ont pris des champignons. Prayed upon : le dégueulis sonore redémarre, avec en plus la batterie qui se permet d’imiter le vacarme des tortillards à crémaillères sur les sommets andins, aux décibels il y a du monde : toute l’Humanité. Les deux premiers morceaux ne seraient-ils qu’une métaphore. L’on vous aurait présenté quelqu’un en train de se faire assassiner pour que vous compreniez que l’assassin de soi-même n’est que soi-même. Que le monstre reptilien qui se jette sur vous ce n’est que vous, juste au moment où vous en prenez conscience le morceau s’écroule sur lui-même. Grand charivari, immense capharnaüm phonique et mental, la mort ce n’est pas le Monstre, c’est le désir qui vous pousse, vous et tous les autres, qui ne sont ni pires ni meilleurs que vous, vous êtes un monstre d’égoïsme, après vous le déluge, pourvu que vous puissiez bâffrer et jouir à volonté, vous mourez parce que vous mentez, vous volez, vous tuez. Les autres, cela n’a que peu d’importance- c’est vous que vous tuez parce que vous refusez de vivre. Après tout c’est votre choix. Vous ne voudriez quand même pas que l’on vous plaigne. En plus vous êtes déjà mort depuis longtemps en vous-même avant d’être mort. London dungeon : c’est la fête, entendons-nous bien, c’est difficile avec tout le bruit qu’ils font, sans compter les flonflons de cette voix qui joue à Monsieur Loyal. Quel grabuge, à quel jeu jouent-ils tous ensemble. C’est un peu comme à Donjon et Dragon, ils ont choisi London, pourquoi les américains opteraient-ils pour l’enfer anglais, je n’en sais fichtrement rien, peut-être parce que là-bas ou ailleurs c’est sans doute la même chose. Vous avez toute vie tout fait pour vous retrouver sur le quai du grand départ et  monter dans le train de l’enfer, alors une fois que vous y êtes, ce n’est pas la peine de réclamer sous prétexte que vous n’êtes pas dans le bon compartiment. Amusez-vous bien !

             Erreur d’interprétation de la couve : la petite fille n’est ni sage ni innocente. La bête immonde qui la guette n’est pas tapie sur les gratte-ciels de San José (ou d’ailleurs), elle n’est qu’une projection de son âme déjà sale, envieuse et vicieuse. Le monstre n’aura pas besoin de bondir dans sa caboche, elle y est déjà, c’est elle qui projette son insatisfaction congénitale, sa désastreuse avidité, sur le monde entier pour qu’il lui ramène tout ce qu’elle veut.

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             La musique de Reptilians Arms est sacrément venimeuse. Ses écailles sont fascinantes. A elle seule, elle  devrait être stigmatisée par un Parental Advisory. Elle est si chaotique qu’elle est capable, une unique écoute suffira, de pervertir nos têtes blondes, de fragiliser leur équilibre mental. C’est pour cette raison que les kr’tntreaders l’adoreront... Oui mais eux, il y a tellement longtemps qu’ils sont perdus, qu’un peu plus ou un peu moins n’influera en rien  leur triste destinée… Pourtant l’apposition de ce logo infâmant serait une erreur, tout compte-fait les paroles sont morales, les méchants vont en enfer, n’est-ce pas ce qu’ils méritent !

             Comme ce deuxième EP de nos reptiles nous a paru aussi délicieux qu’un gâteau aux trois chocolats empoisonnés, nu tour sur leur premier artefact s’impose.

    THE SET DEMO

    REPTILIAN ARMS

    (Bandcamp / Novembre 2023)

    La pochette n’est pas un must. Elle est réduite au plus simple. Juste le nom du groupe calligraphié dans ce type d’écriture illisible qu’affectionnent le groupes doomesques et métallifères. Vraisemblablement à l’époque des commencements de l’ère du Metal c’était une manière de se distinguer de l’esthétique punk, toutefois méfions-nous de la monotonie.

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    Slow kill : un truc tranquillou si l’on en croit le titre, je remarque que mon chien quitte la pièce, reconnaissons que c’est flippant cette voix de croque-mort sans appétit, et ce catafalque de guitares qui vous enveloppe sans vous avertir, lorsque le drummer commence à vous enfoncer les clous à travers les planches du cercueil pour que vous ne caltiez pas en douce, c’est moins rigolo, la petite fille va mourir, qu’elle ne panique pas, qu’elle prenne le temps de respirer, pourquoi se plaindrait-elle de quitter ce monde cruel. This is the end beautiful little girl. L’on se demande pourquoi à la fin, elle ne dit pas merci. Un morceau un peu funèbre qui pose une question essentielle : mais que voient les morts ? Proclamation of fire : le premier titre tentait de vous prendre par les sentiments, sur celui-ci on essaie de vous séduire intellectuellement. Une véritable discussion philosophique, ponctuée par la batterie, les guitares imitent le bruit d’un moteur de hors-bord lancé à toute vitesse sur le lac de la pensée. Le prof au vocal commence par vous asséner quelques reproches, vous avez essayé d’échapper à votre vie minable en éliminant toux ceux qui se trouvaient sur votre chemin. Vous joignez vos mains ensanglantées pour demander pardon à Dieu. De temps en temps d’un gosier inexorable il lâche quelques préceptes nietzschéens définitif  sur la nature profonde de l’animalus humanus : Dieu n’a aucune pitié, nous non plus ! Invaders advancement : quittons l’individu, intéressons-nous au collectif. La société réalise en grand ce que vous commettez à l’échelle minuscule tout seul dans votre coin, les cymbales tirent des coups de fusil, la batterie est un char d’assaut qui écrase tout ce qui se dresse devant elle, le combat, le vocal lance des ordres et des invectives, vous encourage, à la fin il doit être à la tête d’un commando-suicide. Un carnage. Un vrai gloubi-boulga. Vive la mort. Lie awoke : pour ceux qui n’ont pas compris. Vous avez une session de rattrapage : le vocal vous offre de sa voix le plus lugubre une histoire de l’humanité. Vous énonce toutes les catastrophes qui nous sont tombés sur le museau depuis l’aube des temps. Enfin dernière invitée : la peste. C’est pour ne pas nommer le Covid. Pas de panique, un médicament se profile à l’horizon. Ne dites pas que le vocal ressemble à un égout qui dégorge, peut-être ne l’avez-vous pas reconnue, mais c’est la voix de Dieu, qui se délecte de la mort de l’Homme, les guitares ne la ramènent pas, elles se la jouent profil bas et pissent du plomb fondu comme les gargouilles de Notre-Dame pendant l’incendie. J’ai comme l’impression que Dieu veut notre mort. Il grogne à la manière d’un verrat colérique dans sa soue. Lapidatus : on l’avait compris l’on se dirige à grande vitesse vers l’Apocalypse. D’ailleurs les guitares imitent le bruit d’un avion qui va s’écraser dans les minutes qui suivent. Il prend son temps, il tourne en rond pour que vous ayez le temps de comprendre ce qui va se passer. C’est la fin des temps. Oui il y aura quelque chose d’autre après, l’on a l’impression que la guitare imite Hendrix jouant l’hymne Américain à Woodstock, mais là ce ne sont pas de misérables bombinettes sur le confetti vietnamien, c’est une nouvelle ère qui commence, ne soyons pas déçu elle aussi a droit à sa propre fin des temps. Humains rayés de la planète, Dieu est un menteur.

             The Set Demo est peut-être musicalement moins fulgurant que l’Extensa Fabula mais la fable qu’elle raconte est beaucoup plus radicale. Un point bonus aux deux artefacts. Balle au centre, on attend l’EP numéro trois. Avec impatience.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 688 : KR'TNT ! 688 : ALICIA F / ELVIS PRESLEY / A PLACE TO BURY STRANGERS / DEAN WAREHAM / TYRONE DAVIS / BLAINE BALEY / CONTINUUM

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 688

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 05 / 2025

     

    ALICIA F / ELVIS PRESLEY

    A PLACE TO BURY STRANGERS

    DEAN WAREHAM / TYRONE DAVIS

    BLAINE BAILEY / CONTINUUM

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 688

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Alicia au pays des merveilles

    (Part Two)

             C’est par pure anglophilie que l’avenir du rock lia voici vingt ans son destin à celui d’une Anglaise. Comme elle avait grandi en France, elle parlait très bien le français et ne conservait de ses racines qu’un léger accent, à l’opposé de Jane Birkin. Elle était en plus physiquement parfaite, auréolée d’une crinière châtain clair, et le délicieux ovale de son visage était comme serti d’yeux d’un bleu tellement clair qu’il semblait transparent. L’avenir du rock adorait se noyer dans son regard. Comme en plus elle vivait de son intelligence littéraire, elle ne fit aucune opposition à ce qu’on la surnommât Baby Brain. Elle avait encore de la famille à Cannes et dans le Kent. Les voyages étaient donc fréquents. Étant tous deux stériles, Baby Brain et l’avenir du rock se virent contraints d’adopter des animaux. Elle ramena un jour un beau lapin blanc aux yeux roses, vêtu d’une redingote et d’un chapeau claque. L’animal sortait continuellement sa montre à gousset et s’écriait : «I’m late! I’m late!», ce qui amusait beaucoup l’avenir du rock. Celui-ci finit par baptiser l’étrange animal White Rabbit en hommage à l’Airplane. Un autre jour, Baby Brain ramena un chat grimaçant qu’elle appelait the Cheshire Cat. L’avenir du rock ne l’aimait pas trop, mais Baby Brain eut raison de ses réticences en lui expliquant que le Cheshire Cat avait appartenu à la Duchesse...

             — Norma-Jean Wofford ?

             — Yeah ! Diddy Wah Diddy !

             Et ils se mirent à jerker sur le Diddley Beat avec le lapin blanc et le Cheshire Cat dans leur grande et belle maison située sur le bord du fleuve. Baby Brain ramena ensuite d’autres animaux, toujours plus fantastiques, Bill the Lizard, que l’avenir du rock baptisa Lizard King en hommage à Jimbo, puis elle lui présenta un curieux animal en forme de canard, aussi haut qu’elle, brandissant une canne à pommeau et doté d’un bec singulièrement tarabiscoté. L’avenir du rock s’interloqua :

             — Bon, là Baby Brain, tu dérailles... C’est quoi ce machin-là ?

             — Un dodo !

             — Bon d’accord, mais il sort d’où ton dodo ?

             — D’Alice au Pays des Merveilles !

             — Désolé Baby Brain, je préfère Alicia au Pays des Merveilles.

     

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             C’était pas gagné : jouer dans un pub irlando-caennais un soir de match de foot, voilà qui ressemblait à un pari perdu d’avance. L’endroit est une sorte de long couloir large d’environ dix mètres, avec au fond, le bar et la fucking télé murale, et au milieu, t’as une petite scène qui avec sa rambarde, prend des allures de pont de bateau. Tu y accèdes par quelques marches. C’est là sur cette petite scène qu’Alicia, Tony Marlow, Amine et Gérald vont pendant trois fois une heure batailler avec la pire des indifférences. Deux univers qui se côtoient mais ne se croisent pas. Et pourtant, sur scène, ça joue !

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             Bien sûr, les gens ne savent pas qui est Tony Marlow. Une poignée d’amis de Tony sont venus assister au show et c’est cette poignée de gens qui va constituer le public du groupe. Dommage, car le groupe dégage une énergie considérable et taille bien sa route, les cuts sont fantastiquement en place, ça démarre en trombe avec les Ramones, puis ça passera par les Runaways, Alice Cooper, Black Sabbath, le Fought The Law des Clash, et même le «Wanna Be Your Dog» des Stooges dans le troisième set, mais attention, leur version tape en plein dans l’œil du cyclope, car Tony y prend un solo incroyablement original, complètement stoogé dans l’essence, et Gérald claque lui aussi un break-beat de powerhouse à faire baver d’envie Scott ‘Rock Action’ Asheton. Ce «Wanna Be Your Dog» spectaculaire couronne un set riche en grosses surprises.

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             Alicia mène bien la meute. Elle sort tout le chien de sa chienne pour driver ce groupe qui tourne comme une Rolls. Eh oui, Gérald battait le beurre dans les Jones et tous ceux qui ont vu Tony Marlow sur scène connaissent Amine, le slappeur fou. Et tous les ceusses qui connaissent ses albums savent que Tony Marlow compte parmi les meilleurs guitaristes de rock/rockab contemporains.

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             Alicia ramène un sucre de Soul dans sa voix qui renvoie à celui de Ronnie Spector ou de Diana Ross au temps des Supremes, autant dire que ça swingue merveilleusement. Mais elle opte plus pour les classiques glam et punk. C’est elle nous dit Tony qui choisit les cuts. Elle va injecter son énergie punk aux trois sets sans jamais baisser de régime. Quand arrive le troisième set, le match de foot est fini et le groupe récupère quelques spectateurs supplémentaires. Alors, le groupe tire l’overdrive, avec notamment cet hommage à Marc Z, «Skydog Forever», monté sur un riff de Tony qu’il faut bien qualifier de diabolique. Cet hommage se trouve d’ailleurs sur le premier album d’Alicia, Welcome To My F... World. Ça sonne comme un classique. Alicia pousse le bouchon Skydog assez loin, puisqu’elle s’est fait tatouer le logo Skydog à l’arrière de la cuisse.

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             Elle est en tournée pour la parution de son deuxième album, Sans Détour. Elle boucle le set avec la cover punk d’Edith Piaf qui se trouve sur l’album, «Non Je Ne Regrette Rien». C’est extrêmement bien foutu, très bon esprit, tapé en mode up-tempo, riffé à la Steve Jones, ça file sous le vent, pure magie, t’as Piaf et les Pistols. Tony fond sur Piaf comme l’aigle sur la belette et Alicia se fout du passé ! Cette merveille que tu retrouves sur l’album te renvoie aussi à ce que fit Joey Ramone avec «What A Wonderful World». Et là tu dis bravo, car ça tape encore une fois en plein dans l’œil du cyclope. Toutes les covers du set sont bonnes, tout sonne incroyablement juste, et les cuts du nouvel album passent tous comme des lettres à la poste. Alicia reste ultra-concentrée dans ses parties chant, mais elle se laisse aller lors des solos, car s’il est un mec qui sait électriser un cut avec un killer solo flash, c’est bien Tony Marlow. Là t’as tout : le cut et l’argent du cut.

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             Avec la grosse attaque d’«Abortion», Alicia tape en plein punk 77. Ça ne tient que par l’énergie punk. Puis elle passe en mode trash avec «La Vie Est Une Pute» - la vie est une pute qui t’uppercute - et Tony passe un solo de no way out. Avec ses attaques en heavy drum-beat, Gérald vole le show sur «Cielo Drive Love Song» et «Baltringue». Voilà ce qu’on appelle des attaques en règle, et c’est vite repris en main par Tony et Alicia. Un Tony qui passe encore un solo écœurant de classe sur «Teenager In Grief», et ça rebascule dans l’Hey Ho des Ramones avec «Love Is Like A Switchblade». Les cuts sont enrichis à outrance, ça ruisselle de gimmicking, de back-beat et de basslines. Il faut aussi saluer ce «Joe Merrick» monté sur un beat revanchard, vraiment battu à la diable, gorgé de démesure, il faut voir comme c’est troussé ! Alicia n’a plus qu’à se laisser porter. L’album se termine sur la cover de Piaf, Alicia repart à zéro, on assiste à un incroyable hold-up, Gérald te bat ça comme le ferait Paul Cook, ça joue à l’extrême power. 

    Signé : Cazengler, Aliscié

    Alicia F. Pub O’Donnell. Caen (14). 11 avril 2025

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    Alicia F. Sans Détour. La Face Cachée 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu

    (Part Five)

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             S’il est un auteur qu’il faut saluer jusqu’à terre, c’est bien Peter Guralnick. S’installer dans le confort des 1 200 pages qu’il consacre à Elvis, c’est s’installer dans le fin du fin, pour des heures et des jours. Guralnick dispose d’un pouvoir d’évocation tellement puissant que Sam et Elvis, les héros de cette somme, deviennent aussi tangibles que Robert De Niro et Harvey Keitel dans Mean Streets, aussi palpables que Kris Kristofferson et Christopher Walken dans Gates Of Heaven, que Patrick Deweare et Gérard Depardieu dans Les Valseuses. Oui, Guralnick réussit ce prodige évocatif, mot à mot, page à page. On assiste à la résurrection d’Elvis comme d’autres assistèrent à celle du Christ. Guralnick s’obnubile tellement sur Elvis qu’il en oublie d’évoquer les collègues du calibre de Johnny Cash, Jerry Lee ou Carl Perkins. Guralnick mène là un authentique travail de bénédictin de la samaritaine, il reconstitue un à un de grands pans de vie, nous installe dans Graceland pour participer aux fêtes d’anniversaires, à Las Vegas pour la piste aux étoiles, et souvent dans la chambre d’Elvis pour le voir butiner la gueuse en toute innocence. Si on aime assez le rock pour lire certains livres, alors Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley sont deux passages obligés. Deux immenses classiques. De l’ordre de Gone With The Wind, avec tout le souffle, tout le pathos et tout le génie panoramique qu’on puisse imaginer. Comptez environ deux mois de lecture, au rythme de deux ou trois heures par jour. Il est des passages si beaux qu’ils coupent non pas le souffle, mais le rythme de lecture. Il faut y revenir pour soupeser l’impact émotionnel. Guralnick ne nous parle que de ça, d’émotion.

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             Il existe en fait quatre figures de proue dans cette saga mythologique : Elvis, Sam, et puis bien sûr le Colonel et l’argent. Dans un premier temps, Sam et Elvis sont indissociables, puis très vite le trio Elvis/Colonel/Dollar prend le pouvoir et ce, jusqu’à la fin tragique de l’histoire. Guralnick ne s’y trompe pas. Sam Phillips apparaît dès les premières pages comme un personnage révolutionnaire : comme Uncle Sam voit que personne n’a la moindre considération pour les artistes nègres, il décide de prendre le taureau par les cornes : «I set up a studio just to make records with some of those GREAT Negro artists !» C’est pour pouvoir les enregistrer qu’il monte son studio. Sam s’intéresse surtout à la musique que diffuse son ami Dewey Phillips à la radio. Il est essentiel de savoir qu’on apprécie Sam pour sa grande indépendance d’esprit - I was shooting for that damn row that hadn’t been plowed - Oui, il voulait labourer ces terres que personne n’avait encore labourées. Il travaillait dix-huit heures par jour, pourtant il ne roulait pas sur l’or. Il devait en outre encaisser les sarcasmes des blancs croisés dans la rue et qui insinuaient qu’à force de fréquenter des nègres, il n’allait pas sentir très bon. Mais Sam avançait, avec sa foi de charbonnier et son regard clair.

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    (Peter Guralnick & Sam Phillps)

             Guralnick fait très vite d’Elvis une sorte de saint homme, incapable du moindre mal. Ses parents sont très pauvres. Vernon Presley : «Poor we were. But trash we weren’t.» Et Vernon ajoute que les Presley n’ont jamais médit de personne - We never put anybody down. Neither did Elvis.

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             Voilà la clé d’Elvis. Sa bonté d’âme intrinsèque. Dans les premiers temps, Sam voit très bien qu’Elvis a du potentiel. Son coup de génie est de comprendre qu’il doit l’aider à le matérialiser. Sam va loin dans l’approche qu’il fait du caractère d’Elvis : «Elvis Presley may not have been able to verbalize it, and he damn sure had an appreciation for the total spirituality of the human existence. That was what he cared about.» Le constat que fait Sam va loin : il voit en Elvis un être extrêmement pur et c’est ce qui va le rendre tellement unique. Sa beauté et sa voix viennent en plus comme la cerise sur le gâtö. Sam voit d’abord l’extraordinaire qualité spirituelle de cet homme. Mais c’est une spiritualité qu’Elvis ne sait pas exprimer. Les premiers journalistes qui approchent ce jeune débutant ne comprennent pas bien sa courtoisie à toute épreuve. Le mec du Billboard pense qu’Elvis doit être soit incroyablement smart, soit con comme une bite (dumb as hell), et il ajoute qu’en fait, il est très loin d’être con (and you know he wasn’t dumb), alors c’est dans la poche. Elvis va bâtir tout son environnement relationnel sur la base d’un respect mutuel. Et très vite, Elvis croit qu’il doit tout à God, principalement son talent et sa réussite. Il déclarait volontiers qu’il devait être bon avec les gens, sinon God lui aurait tout repris. Logique infaillible. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne se fâchera jamais avec le Colonel - We’re the perfect combination - Et la raison pour laquelle il va rester loyal et disponible avec ses fans. Elvis répétait à tout bout de champ qu’il était devenu Elvis grâce à ses fans, alors il sortait tous les jours à six heures de Graceland pour signer des autographes. Même chose avec sa famille : Elvis couvrait de cadeaux ses oncles, ses tantes, ses cousins et ses potes. Des maisons, des voitures, des bijoux. Il n’a jamais cessé de prodiguer ses largesses, tel un roi de conte de fées, généreux et bienveillant.

             Avec les femmes, il recherche plus la compagnie que le sexe. Pour une poule, passer la nuit avec Elvis revenait à regarder la télé, manger et discuter, et à l’aube, on pouvait éventuellement baiser un coup.

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             L’épisode sexuel le plus stupéfiant se déroule dans la chambre d’Elvis. Priscilla et lui ne sont encore que fiancés. Elle a l’autorisation de passer la nuit avec lui, mais en toute régularité. Ils papotent toute la nuit et aux premières lueurs de l’aube, ils se roulent des pelles à gogo. Mais Priscilla crève d’envie de baiser. Elvis doit la recadrer : «Wait a minute baby. This can get out of hand.» Oui, Elvis ne veut rien précipiter. Il veut l’épouser et la baiser quand il estimera le moment venu. Ça ne l’empêche pas de passer ses nuits avec d’autres femmes, comme il le fera toute sa vie. 

     

     

     

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    ( Sam Phillips, Elvis, Marion Keisker)

             Les débuts d’Elvis chez Sam constituent le moment magique de cette saga. En fait, Sam ne connaît pas le nom de ce jeune débutant qu’il voit traîner dans les parages et qui l’intrigue. Il doit le demander à Marion Keisker. Elvis Presley ? Le nom étonne. Pour Scotty Moore, ça sonne comme un nom de science-fiction ! Sam demande à Scotty de contacter Elvis pour lui proposer une répète avant une première audition. Elle a lieu le 4 juillet 1954 chez Scotty, sur Belz. Bill Black qui habite à deux pas ramène sa stand-up. Elvis arrive au volant de sa vieille Lincoln. Il porte une chemise noire, un pantalon rose avec une bande noire sur le côté, des chaussures blanches et ses cheveux sont gominés. Bobbie Moore, la femme de Scotty, ouvre la porte et Elvis lui demande : «Is this the right place ?» La répète se passe bien et quand c’est fini, Elvis s’en va. Alors, Scotty demande à Bill ce qu’il pense du gamin. Bill n’est pas très impressionné : «Ce morveux qui débarque ici avec ses drôles de fringues et tout le bataclan ! - Snotty-nosed kid coming in here with those wild clothes and eveything.» Mais Scotty a une impression nettement plus positive. Il veut savoir ce que Bill pense vraiment de la voix du gamin. Oh, Bill ne crie pas au loup, mais bon, il y a quelque chose, I mean, but the cat can sing - Et tout part de là, the cat can sing. Eh oui, mine de rien, Elvis va devenir le plus grand chanteur de rock de tous les temps.

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             Sam va retrouver chez Elvis les traits de caractère des grands nègres du blues qui sont à la fois fiers et demandeurs. Arrive le jour de l’audition chez Sam. Entre deux essais infructueux, Bill, Scotty et Elvis s’amusent avec l’All Right Mama de Big Boy Crudup. Soudain, Elvis se met à sauter partout, alors Bill se met lui aussi à faire le con sur sa stand-up. Surpris par ce ramdam, Sam leur demande :

             — Qu’est-ce que vous fabriquez ?

             — On ne sait pas !

             — Reprenez-moi ce truc au départ, il faut que je l’enregistre !

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             Et TOUT part de là. Sam pige le truc dans l’instant. Il est même étonné de voir qu’Elvis connaît Big Boy Crudup. C’est la musique que Sam apprécie le plus et comme il le dit si bien, this is where the soul of a man nerver dies. Sam est enchanté par le son qu’amène Bill, le slap beat et le tonal beat en même temps. Sam : «Bill est l’un des plus mauvais bassistes du monde, techniquement parlant, but man, could he slap that thing !» On a là une conjonction extraordinaire : quatre hommes qui inventent rien de moins que le rock’n’roll : Elvis, Sam, Bill et Scotty. It was the chemistry. Le Grand Œuvre du rock’n’roll. Bill et Scotty sortent le son dont Sam rêvait mais qu’il ne parvenait pas à imaginer. Quand Sam leur fait ensuite écouter ce qu’ils viennent d’enregistrer, Scotty, Bill et Elvis n’en reviennent pas, it just sounded sort of raw and ragged, c’est-à-dire brut et déglingué. Mais c’est tellement nouveau qu’ils ne savent pas ce qu’ils ont mis en boîte. Something, mais quoi ? Personne n’a encore jamais entendu un son pareil. Le rockab sauvage ! Sam flippe. Il se demande s’il pourra réussir à vendre un truc aussi excitant, aussi vivant. Quand le soir-même il amène l’acetate à Dewey Phillips pour qu’il le diffuse dans son émission de radio, Dewey craque sur le champ. C’est le coup de foudre ! Dewey n’en revient pas ! Il ouvre son micro et annonce qu’il a un nouveau disque, and it’s gonna be a hit, dee-gaw, ain’t that right Myrtle - Moo font les vaches ! Et pouf ! The King is born. La conjonction magique Elvis/Sam/Scotty/Bill comprend désormais Dewey. C’est sur scène que tout va exploser, Elvis shakes his leg et c’est l’enfer sur la terre, et plus Elvis secoue les jambes et plus le public devient fou - The more I did, the wildest they went - Sam qui le voit jouer depuis le côté de la scène n’en revient pas. Quand il amène Elvis au Grand Ole Opry, Mr Denny dit à Sam qu’Elvis ne correspond pas à l’esprit plus country de l’Opry, mais il ajoute : «This boy is not bad !», ce qui vaut pour le plus austère des compliments. Bob Luman n’a encore que dix-sept ans quand il voit Elvis sur scène pour la première fois à Kilgore, au Texas : «This cat came out in red pants and a green coat and a pink shirt and socks and he had a sneer on his face and he stood behind the mike for five minutes, I’ll bet, before he made a move - Bob raconte le cat comme s’il chantait, son texte swingue - Le cat débarque sur scène en pantalon rouge, veste verte, chemise et chaussettes roses, avec un rictus au coin des lèvres et il reste là cinq minutes sans bouger - Il claque un accord sur sa guitare et pète deux cordes. Il est là, avec les cordes qui pendouillent, et il n’a encore rien fait et toutes les filles hurlent et viennent s’agglutiner au bord de la scène, alors Elvis commence à remuer les hanches doucement, comme s’il copulait avec sa guitare. Pendant que Scotty se concentre sur son jeu de guitare, Bill mâche du chewing gum et gueule go go go !

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             Elvis attaque sa série de singles Sun, sans doute les singles les plus mythiques de l’histoire du rock. Voilà «Mystery Train» dont Sam est très fier : «It was the greatest thing I ever did on Elvis.» - Train I ride/ Sixteeen coaches long - It was pure rhythm and at the end Elvis was laughing cause he didn’t think it was a take, but I’m sorry, it was a fucking masterpiece !»

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             Elvis se fait vite des ennemis chez les beaufs d’Amérique. On l’accuse d’obscénité - And who do they say is obscene ? Me ! - Elvis est profondément choqué. Car il est persuadé du contraire. Il remet les pendules à l’heure : il fait cette musique pour gagner de l’argent. Et il rappelle aussi que cette musique était là bien avant lui : «Les gens de couleur chantent et jouent cette musique depuis beaucoup plus longtemps que moi, man. Ils la jouaient bien avant que je sois né, dans leurs juke-joints et leurs cabanes et personne n’y faisait attention. Cette musique que je fais vient d’eux. Down in Tupelo, Mississippi, j’entendais le vieux Arthur Crudup bang his box comme je le fais aujourd’hui, et je me suis toujours dit que si un jour j’arrivais à sonner comme le vieil Arthur, alors je serais un music man comme on n’en a encore jamais vu !» Voilà toute la grandeur d’Elvis, cette fabuleuse simplicité et cette façon extraordinaire de rendre hommage à ses pairs, the coloured people des cabanes et des juke-joints. Et Elvis ajoute : «When I sing this rock’n’roll, my eyes won’t stay open and my legs won’t stand still. I don’t care what they say, it ain’t nasty - Aussi longtemps que je chanterai ce rock’n’roll, j’aurai les yeux fermés et je secouerai mes jambes. Je me fous de ce qu’ils disent, ça n’a rien d’obscène.»

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             Partout des foules en délire. Nous autres Européens ne pouvons imaginer ce que furent les tournées d’Elvis, une vraie traînée de poudre à travers les USA, tsssssss... Boum ! - I saw him bring the crowds to hysterics - Partout c’est le pandemonium - He ended up with ‘Hound Dog’ naturally at which point pandemonium broke loose - Guralnick n’en finit plus d’amonceler les échos des journalistes, il en fait cent pages, c’est du double concentré d’out of control, de crazy crowds, avec un Elvis en veste vert émeraude, pantalon bleu marine qui n’en finit plus de tomber sur ses genoux et de casser baraque après baraque, scary night after scary night et la foule qui n’en finit plus de grimper sur scène pour tout piller. Madness !

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             Alors le Colonel entre très vite dans la danse. Il flaire le jackpot. Il commence par se débarrasser du premier manager d’Elvis et d’un Sam Phillips qui ne l’aime pas. C’est viscéral et immédiat, dès le premier rendez-vous dans un restaurant sur Poplar. L’aversion est réciproque. Fin renard, Guralnick explique que le Colonel est un peu sentimental, mais pas du tout philosophe. Alors que Sam est un humaniste. Ils ne s’aiment pas, mais ils ont besoin l’un de l’autre. Menacé par la faillite, Sam a besoin de blé et le Colonel a ses entrées dans le business. Très vite, le Colonel cherche à se débarrasser aussi de Scotty et de Bill. Il propose qu’Elvis soit accompagné par le backing band d’Hank Snow. Catastrophe ! Il réussira aussi à se débarrasser de Leiber & Stoller qui avaient les faveurs d’Elvis. Comment ? En essayant de leur faire signer un document en blanc. On ne fait pas ce genre de coup à Leiber & Stoller. Côté Colonel, Guralnick s’en sort merveilleusement bien. On veut continuer de croire que le Colonel est une ordure, mais Guralnick parvient à lui tailler un costard sur mesure, celui d’un businessman singulièrement visionnaire. Il devient sous la plume de Guralnick le personnage clé de toute cette histoire, le mauvais génie d’Elvis Presley. Le tome deux de la saga qui raconte the unmaking d’Elvis (le déclin) lui est quasiment consacré. Tout au moins prend-il le pas sur un Elvis qui n’est plus que l’ombre de lui-même.

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             Le Colonel commence par reprendre en main la carrière de celui qu’il appelle my boy. Pour les premières tournées qu’il organise, il octroie un cachet de 200 $, ‘including the musicians’. Le Colonel pousse RCA à investir 35 000 $ dans le rachat du contrat d’Elvis à Sam. À l’époque, ça représente une somme énorme, mais tellement dérisoire en comparaison de ce qu’Elvis va rapporter au label ET au Colonel. Et c’est là que le Colonel va déployer ses ailes de vampire pour se consacrer à 100% à son poulain - The Colonel slept, ate and breathed Elvis - comme il l’avait fait auparavant pour Eddy Arnold, son précédent poulain. Pour sécuriser son investissement, le Colonel comprend très vite qu’il faut écarter tout ce qui peut présenter des risques : le sexe, le scandale, la familiarité et la perte de confiance en soi. Ça s’appelle une stratégie commerciale. Quand Bill Black fait un peu trop le con sur scène et qu’il capte l’attention du public, le Colonel le prend à part pour lui expliquer que c’est désormais interdit. Bill ne refera jamais plus le con sur scène avec Elvis. Quand le Colonel amène son poulain pour la première fois au New Frontier Hotel de Las Vegas, il demande les 8 000 $ de cachet en cash, car dit-il, les chèques ne valent rien dans cette région où l’on pratique des essais de bombes atomiques.

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             Très vite commence le travail de purification d’Elvis. Lorsqu’il passe à la télé, il porte une queue de pie et une cravate blanche. On lui interdit toute extravagance. Elvis tente de résister - You know those people in New York are not gonna change me none - Mais il finira par se faire baiser en beauté, jusqu’au 68 Comeback. Il se voit très vite contraint d’entrer dans le moule que lui bricole le Colonel. 

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             Guralnick consacre pas mal de place au business, l’apanage du Colonel. On voit comment ce stratège atrocement doué fait monter les prix et décide des priorités. Quand les disques et les tournées ne rapportent plus assez, il se tourne vers Hollywood qui devient pour Elvis ET pour lui une véritable vache à lait. Et quand le filon des films s’épuisera, le Colonel en inventera un tout neuf : Las Vegas. En parallèle, le Colonel négocie ferme avec RCA qui est propriétaire du contrat d’Elvis. Il obtient du label un revenu de 1 000 $ par semaine pendant vingt ans. RCA gagne beaucoup de blé avec Elvis : dix millions de singles sont vendus en un rien de temps. Et le cachet du premier film se monte à 250 000 $, cachet que le Colonel va s’empresser de faire grimper et qui finira par atteindre le million de dollars, du jamais vu à Hollywood. Le plus drôle de toute cette histoire, c’est que Scotty et Bill sont toujours payés 200 $ par semaine, quand ils tournent. Entre deux tournées, pas un rond et interdiction absolue d’aller jouer ailleurs. Le piège ! En plus, les frais d’hôtel et de restaurant restent à leur charge quand ils sont en tournée avec Elvis. Ils sont les deux gros baisés de l’histoire. Alors que de son côté Elvis ramasse des millions. Scotty et Bill ont des dettes, ils ont besoin d’aide et réclament surtout ce qu’ils appellent the fucking respect. Ils mettent ça dans une lettre qu’ils envoient à Elvis. Il la reçoit, la lit et s’exclame : «Aw shit !» Il voit cette lettre comme une humiliation. Il ne comprend pas qu’on puisse lui adresser des reproches. En fait, RCA voulait qu’Elvis soit accompagné par de meilleurs musiciens. Mais quand des mecs de Nashville accompagnent Elvis sur scène, ce n’est plus du tout la même chose. La magie est perdue. Elvis le sent nettement.

    Signé Cazengler, El tournevis

    Peter Guralnick. Last Train To Memphis. The Rise Of Elvis Presley. Little, Brown 1994

     

     

    L’avenir du rock

     - Bury me dead

    (Part Two)

             L’avenir du rock est ravi : il est allé Quai de la Mégisserie se payer un singe savant. L’animal s’appelle Jocko et ne mange que des bananes.

             — Alors Jocko, dis-moi, aimes-tu le rock ?

             — Buri ! Buri ! Buri !

             — Ah bah dis donc !

             — Oliver ! Oliver ! Oliver !

             L’avenir du rock n’a pas le temps d’en placer une... Jocko jacte :

             — Ackerman ! Ackerman ! Ackerman !

             — Mais tu sais tout, petit coquin !

             — Guitare !

             — Quoi guitare ?

             — Jeté guitare deuxième morceau !

             L’avenir du rock se frotte les mains. Il a vraiment fait une bonne affaire. Jocko repart de plus belle :

             — Nouille York !

             — C’est vague...

             — Brouklinne !

             — Tu connais le numéro de la rue ?

             — Def by audio !

             — Quoi def by audio ?

             — Pédale !

             — Pédale toi même !

             Croyant s’être fait insulter, l’avenir du rock jette Jocko dans sa cage de transport et le ramène chez le marchand d’animaux. Le rock et les singes savants ne font décidément pas bon ménage.

     

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             On vit A Place To Bury Strangers - c’est-à-dire Oliver Ackerman - tuer le rock l’an passé à Binic. Ce concert avait des allures de cérémonie sacrificielle. Impossible d’imaginer qu’il eût pu rééditer cet exploit ailleurs, notamment sur la petite scène du club. Eh bien si. Il peut recréer les conditions du chaos et de la fin du rock n’importe où, même dans une petite salle. 

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             Il s’y éver-tue plus qu’il ne s’y emploie. Il tue le rock à hue et à dia, dès le deuxième cut, il fait tournoyer sa silhouette dans les white lights du chaos, et sa gratte vole autour de lui, en bout de bandoulière, comme une fronde devenue folle. Il s’inscrit dans l’indescriptibilité des choses, alors tu ravales ta salive. Tuer le rock, ça veut dire tournoyer dans le chaos sonique, ça veut dire échapper aux couplets, aux refrains et aux charts, ça veut dire aller là où personne ne va, il orchestre sa vision du chaos et l’incarne, il te fait oublier jusqu’au souvenir des références, te voilà devant l’œuvre d’un visionnaire/destructeur livré à lui-même, il largue les amarres et réinvente ce qu’on appelait autrefois la colère des dieux, parce qu’on ne savait pas ce que c’était. Il se fait l’instigateur des mystères qui nous dépassent, il transforme la violence en spectacle, t’en perds ton latin et t’es bien content, ça fait du bien de perdre son latin de temps en temps, en attendant le jour où on le perdra pour de bon. Oliver Twist te donne un avant-goût de la mort qui est blanche, qui est exactement à l’image de cette lumière violentée par des coups de boutoir. Une petite gonzesse bat là-bas au fond du néant, et la vague silhouette d’un bassman hante un coin de la scène. La scène ? Non, plutôt un no man’s land perdu dans la civilisation, perdu dans la Normandie repue et cossue, un no man’s land en forme d’incongruité qu’on aurait enfoncée comme un coin dans la bien-pensance catégorielle, un no man’s land sous le feu des smartphones dernier cri qui tentent d’en sucer la substantifique moelle, un no man’s land qui se déverse aussitôt dans le torrent numérique qui court à travers le monde et dont personne ou à peu près ne se pose la question de savoir s’il a du sens. Les questions de sens font peur. Car bien sûr, le torrent numérique n’a absolument aucun sens. Ça filme pour des prunes, comme dirait Gide lorsqu’il évoque la poésie.    

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            En cet instant précis, la seule chose qui ait du sens, c’est le chaos sonique du no man’s land qui te donne une idée précise de la mort. Ou si tu préfères, la vie de la mort.

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             Et pendant que ça filme pour des prunes, Oliver Twist tue le rock. Le sacrifice dure on va dire une bonne heure. Comme l’an passé à Binic, les Bury quittent la scène pour aller œuvrer au cœur du peuple. Ça fait partie du rituel : la mort au cœur du peuple. T’entends soudain la bassline du «Death Party» du Gun Club. Vue de l’esprit ? Va-t-en savoir. Puis les Bury regagnent le no man’s land pour achever ce rituel qui finit par prendre des allures d’agonie, tellement ça n’en finit plus. Oliver

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    Twist malmène le matériel, mais ne le détruit pas, car il est en début de tournée.  Il n’a même pas cassé de guitare. Dommage. Il s’en prend aux petits stroboscopes et les fait voltiger autour de lui. Il soulève son ampli mais ne nous le jette pas sur la gueule. Dommage. Il est précautionneux dans son extrémisme. Pete Townshend, Keith Moon et Kurt Cobain allaient un peu plus loin dans l’exercice de la fonction destructrice, c’est vrai. On peut en témoigner. Oliver Twist donne sa version du chaos qui est intéressante. Il n’est encore qu’en début de carrière. Logiquement il devrait faire évoluer son rituel, aller vers plus de violence, l’extrémisme ne se nourrit que de surenchère. Il faut aller toujours plus loin dans le so far out. Oliver Twist ne peut décemment pas continuer de faire semblant. Un jour, ou peut-être une nuit, devra-t-il aller jusqu’au bout de la mort du rock. You know what I mean.

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             Bon le dernier Bury s’appelle Synthesizer, et en sous titre on pourrait imaginer lire : «Pas l’album du siècle.» Pour l’anecdote : le digi qui est ici est complètement explosé, comme si un éléphant avait marché dessus. Miraculeusement, le CD fonctionne dans le lecteur. On s’est demandé si le plastique explosé faisait partie du concept.

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             T’as trois blasters sur Synthesizer, le bien nommé «Disgust», «Bad Idea» et «It’s Too Much». «Disgust» te saute dessus et te broie la gorge. Littéralement. Oliver Bury est toujours aussi défenestrateur. Il bat la campagne comme plâtre, ça bombarde et ça taille à la serpe. T’as pas trop de mots pour décrire ce qui se passe sous le casque. Encore un blast épouvantable avec «Bad Idea». Oliver Bury travaille sa matière sonique à la forge dans les flammes de l’enfer, avec des vents terribles. «It’s Too Much» te tombe bien sur le râble. Comme t’es là pour ça, tu ne vas pas te plaindre. Et puis comme son nom l’indique, c’est saturé de trash. Mais en dehors de ces trois blasters, Oliver flirte avec la new wave. Il lui arrive de se prendre pour les Cure et tous ces bons à nib. Il recharge la barcasse d’«Have You Ever Been In Love», ça ressemble à un blast, mais tu restes prudent, vu ses accointances avec la new wave. Comme il charge trop sa barcasse, elle finit par couler. Glou glou.

             Le fin mot de l’histoire : le Bury Akerman fabrique et vend des pédales d’effets au merch. Joko ne s’était pas trompé. Sacré Jocko !

    Signé : Cazengler, complètement Bury

    A Place To Bury Strangers. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2025

    A Place To Bury Strangers. Synthesizer. Dedstrange 2024

     

     

    Wareham câline

     - Part Two

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             Après les fastes de Galaxie 500, Dean Wareham s’embarque dans l’aventure Luna et une série d’albums qu’on peut bien qualifier d’exceptionnels. Il nous donne tous les détails dans sa superbe autobio, Black Postcards: A Memoir. Il commence par contacter Justin Harwood qui se trouve en Nouvelle Zélande et qui vient de quitter les Chills. Il était nous dit le real Dean fatigué des Chills. Il était une sorte de mec idéal : excellent bassiste, il ne fume pas, il ne boit pas. 

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             Les quatre premiers albums sortent sur Elektra, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Lunapark dégage encore de forts relents velvétiens. Ils sont en plein dans le Velvet dès «Anesthesia». C’est fabuleusement intrinsèque, bien dans la veine de Pale Blue Eyes. Le cut brille d’un éclat mystérieux. L’autre Velvet tune est «I Can’t Wait», pure Velvet craze en up-tempo, chanté d’une voix grave. «Slash Your Tires» se montre encore plus déterminé à vaincre. Le real Dean sait exciter les zones érogènes de la pop. D’ailleurs que fait la pop ? Elle se livre à ses doigts experts, et du coup, elle dégage des parfums toxiques. Le real Dean reste très présent, même sous le boisseau de «Crazy People», et il nous aménage l’une de ces envolées demented dont il a le secret. Sur «Smile», il suit son chant au gras double, suivi par le bassmatic dévorant de Justin Harwood. Le real Dean est un artiste passionnant, car il diversifie énormément, et chaque fois, il gratte des poux bien gras. Avec «I Want Everything», il revient à son modèle : le Lou sweet melody. Il chante dans la couenne de l’intimisme. Il fait encore bien le tour du propriétaire avec la fast pop lunaire de «Time To Quit» et refait du pur jus de Lou Reed à la perfe avec «Goodbye». Tout est assez héroïque sur cet album, tout est fantastiquement élancé et bardé de son, d’élans vitaux et de gras double.

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             Comme par hasard, Sterling Morrison vient jouer sur deux cuts de Bewitched : «Friendly Advice» et «Great Jones Street». C’est surtout sur l’Advice qu’on entend Sterling le héros - the stellar guitar playing of Sterling Morrison - Là oui, ça devient sérieux. Le cut pue la légendarité à des kilomètres à la ronde. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «This Time Around», un cut très pur, au plan mélodique. Le real Dean chante âprement et joue comme un dieu. «Going Home» est aussi assez pur, une fois de plus dans la veine de Pale Blue Eyes. Solide et bien troussé. Cet album sera le best seller de Luna, nous dit le real Dean.

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             Encore un album très Velvet : Penthouse, un Elektra de 1995. Il sonne comme le Lou sur ce «Freakin’ & Peakin’» merveilleusement amené aux deux grattes velvétiennes, c’est en plein dans le mille du Lou, il cisèle en plus un solo serpentin qui remonte dans le cerveau, et t’as comme d’usage la fin apocalyptique, il part en vrille d’excelsior catégoriel, ça te court délicieusement sur l’haricot. Le real Dean est vraiment l’héritier de Sister Ray et de tous les grands écarts du Velvet. Et t’en as encore au moins quatre qui sonnent comme une suite au Velvet, à commencer par «Chinatown», bien lunaire, bien dans le moule Velvet. Itou avec «Sideshow By The Seashore», le real Dean chante du coin du menton, bien à la Lou, en grattant des poux somptueux. Chez lui tout n’est que Lux, calme et volupté. T’as des bouquets de notes ralenties, des flammèches velvétiennes dans la normalité, avec un vent terrible qui se lève sur le tard du cut. Il essaye de devenir aussi mythique que Pere Ubu avec un «23 Minutes In Brussels» qui renvoie au «30 Seconds Over Tokyo». Même démarche unilatérale, il attaque au left my hotel in the city, et t’as le vrai poids des accords de «Sweet Jane». Il te sert encore le Lou sur un plateau d’argent avec «Lost In Space». Quelle merveille de délectation morose, et t’entends encore les accords de «Sweet Jane». Tu te régales encore de «Double Feature», battu sec avec énormément de son et une belle insistance. Et t’as le fast Luna d’«Hedgehog» - Do you care anymore - Le real Dean n’a pas froid aux yeux, il sait filer dans la nuit.  

             Le real Dean rappelle que Luna était «a much better live band than Galaxie 500.» Il dit aussi qu’ils n’emmenaient jamais de drogues en tournée - The drugs showed up when someone from the record company showed up - they were the ones who could afford to party every night - Il précise que quand on prend du LSD, on peut avaler des tas d’autres drogues sans les sentir - The acid trumps them all. It makes you superhuman - Quand on propose à Luna de faire la première partie de Lou Reed sur sa tournée Hooky Wooky, Stanley Demeski refuse d’y participer - Stanley had already opened for Lou Reed, when he was in the Feelies. He didn’t want to do it again - Lors d’un concert à Malmö, en Suède, un fan entre dans la loge et lance à Dean : «Dean! You are my heroes. I want to kiss you, while Sean fucks me in the ass... ha ! ha ! Just kidding!». Le real Dean adore ces épisodes incongrus.

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             Pup Tent s’ouvre sur un authentique coup de génie warehamien : «Ihop», fast & wild, avec des poux malingres et vinaigrés, le real Dean rentre bien dans le chou du lard, et Justin Harwood gratte une basse fuzz ! C’est absolument bardé de barda, les retours de manivelle sont d’une rare violence et au bout t’as un sax de combat. Le real Dean calme aussitôt le jeu avec «Beautiful View», il bronze sous les alizés, au bord de son lagon d’argent. Plus loin, tu vas croiser une autre merveille : «Beggar’s Bliss» et son joli refrain mélancolique de strange fascination/ It’s a bliss/ it’s a beggar’s bliss - Tu l’as dans la peau. Il trafique encore des relents du Velvet dans «Tracy I Love You», avec une slide et de la reverb sur le beat pressé. Il ramène de la fuzz dans «Whispers» et combine une belle explosion à la Sterling Morrison, c’est littéralement saturé de Méricourt, le son est crade à gogo, can you hear the whisper, il faut écouter le real Dean si on s’intéresse à la Méricourt car il en est l’un des experts. Ses fins de cuts comptent parmi les plus belles apocalypses de l’histoire du rock. «The Creep» démarre l’air de rien, mais le real Dean te gratte les raisins de la colère, et ça donne un festival d’accords en folie, le temps d’une pointe to the very last time. Et voici le coup du lapin : «Fuzzy Wuzzy» et l’incroyable santé des guitares, ça frôle le glam et le real Dean y va au I could see you Fuzzy Wuzzy/ Say goodbye to the frogs, c’est fascinant car ça se barre en plein délire Velvétien.

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             Sur The Days Of Our Nights, on retrouve le fameux «Superfreaky Memories» qui fit les choux gras de la pop indépendante au temps jadis. C’est tellement profondément mélodique que ça glisse dans l’intemporalité. Le real Dean décroche enfin son hit marmoréen. L’autre coup de génie de l’album est le «Dear Diary» d’ouverture de bal qu’il chante à la Lou, au timbre distinctif. Pas de danger qu’on le confonde avec un autre. Et t’as toujours le bassmatic voyageur de Justin Harwood dans le lard fumant. Cette grande pop voyage véritablement par dessus les toits. Il est aussi très Lou sur «Hello Little One». Oh l’incroyable qualité du mimétisme ! Tout ce qu’il entreprend est de qualité supérieure, chant, solos. Il fait sonner son solo de carillon dans l’écho du temps et il imagine en plus des développements de dernière minute ! Sur «Seven Steps To Satan», il part en solo mirobolant, et ça devient extrêmement diabolique. Sa pop racée est constamment visitée par des vents d’Ouest, «Math Wiz» reste vivant, alerte, aéré, il joue même les arpèges du diable. D’une certaine façon, le real Dean prolonge le génie mélodique du Lou. Il orne encore «The Rustler» d’un final en forme de Gorgone sonique, avec des serpents mirifiques qui fuient en tous sens. Et son «US Out Of My Pants» bascule dans la Mad Psychedelia ! Par contre, il commet la grave erreur de finir avec une cover de Guns N’ Roses, «Sweet Child O’ Mine». N’importe quoi.

             Il évoque d’ailleurs cette cover pourrie dans son book : «Justin ne voulait pas qu’on l’enregistre. He hated Guns N’ Roses. I didn’t like them, either, but it’s a great song. I am of the opinion that a bunch of pigs can occasionally write a beautiful song together. Oasis dit it, too with ‘Wonderwall’.»

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             Alors forcément, un Live de Luna ne peut que te sonner les cloches. D’autant que c’est globalement un hommage au Velvet : «Friendly Advice» est en plein dedans, embarqué au bassmatic Velvetic, le pah pah pah est du pur Velvet sixties. Le real Dean chante encore comme le Lou dans «4000 Days». Quel mimétisme ! Et t’as en prime la tempête de wah et le bassmatic en folie de Justin Harwood. Le real Dean reste dans le Lou avec «Hello Little One». Il crée sa magie dans le prolongement exact du Lou, avec cette fois la trompette du diable et une explosion de poux sulfureux. Pur Velvet encore avec «Lost In Space», il se barre en vrille d’extrême clarté disto, c’est incroyable de violence sonique ! On reste dans l’ombre du Velvet avec «23 Minutes In Brussels», le real Dean est en plein délire de résurrection du Velvet, avec toute la violence intrinsèque de revienzy dont il est capable. Et tu crois entendre Lou Reed sur «4th of July». Le real Dean est en plein dedans ! Il faut aussi saluer «Sideshow By The Seashore», cette pure folie de fondu sublime et sa belle attaque de riffs psyché. C’est rien de dire que le real Dean dispose de ressources naturelles inépuisables. Tout est plein comme un œuf sur ce Live, avec le plus souvent un final en forme de maelström. Et voilà la cerise sur le gâtö : «Bonnie & Clyde». D’où l’intérêt de tout écouter. Cet hommage à Gainsbarre relève du mythe, d’autant plus que le real Dean le chante en français, «écoutééz l’histoière de Bonnie & Clyde» et bien sûr Britta vient faire sa Bonnie, «il faut croière que cé la sociétéé», avec l’accent US. Tu nages en plein bonheur et ça se barre en solace d’excelsior, puisque le real Dean te gratte des poux exacerbés. Wow ! Il te rocke le boat du mythe !

             Justin Harwood finit par quitter Luna. Ils songent à cette petite gonzesse qui jouait de la basse avec Ben Lee, Britta Phillips. Elle vient passer l’audition et ça marche. Le real Dean prévient les deux autres, Lee et Sean : «Listen, no hanky-panky. If anyone gets involved with her, they’re out of the band.» Évidemment c’est lui, le real Dean qui va craquer pour Britta et garder le secret aussi longtemps qu’il le pourra. 

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               Encore un très bel album avec une pochette ratée : Romantica. Bel album parce que «Black Champagne» et «Renee Is Crying», deux Beautiful Songs émérites, avec deux mélodies chant parfaites. Le real Dean soigne les cervelles de ses fans, il vise en permanence la perfection mélodique issue de Lou Reed et il gratte des poux qui se distordent dans le crépuscule, alors tu sors ton plus bel accent anglais pour dire : «Awsome !». Il les amène toutes les deux au ton de proximité et ça devient extrêmement tentaculaire. Dès que le real Dean ramène sa fraise avec «Lovedust», ça prend du sens, car il sonne comme Lou Reed. La pop de «Weird & Weezy» prend vite le dessus, magnifiée par les deux guitares. Quel power Lunatic ! Tout est embarqué dans l’une de ces cavalcades dont le real Dean a le secret. Encore un coup de génie avec «Black Postcards» (qui est aussi le titre de son autobio). C’est le genre de cut qui vient se bercer dans ton giron. Good old real Dean ! C’est bardé de Velvet, avec un balancement extraordinaire, et une mélodie intégrée dans la couenne du lard. Tu ne battras jamais le real Dean à la course. Il mène encore une belle opération de charme avec «Mermaid Eyes», toujours dans l’esprit de Lou Reed. Quelle ampleur ! Il est le roi de la permanence. Il retente le coup de la pop magique avec «Rememories», il y est presque, et il replonge dans le Lou Reed spirit avec «Orange Peel». Il termine avec son morceau titre et va puiser pour ce faire dans ses profondeurs. Encore un Luna final, une apothéose absolue. C’est son truc.      

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                Belle pochette sexy pour ce Rendezvous de 2004. Elle se tient dans l’ombre, la coquine. Le real Dean sonne vraiment comme Lou Reed sur «Malibu Love Nest». Il reste bien sous le boisseau du Lou, avec ce balladif en fast tempo. Il gratte des gros poux bien gras et c’est d’une élégance suprême. Il reste dans la même veine avec «Cindy Tastes Of Barbecue». Il se rapproche même de plus en plus de Lou Reed, dans l’intimisme et la clarté de clairette. Le real Dean est un artiste fascinant, et il finit comme toujours en beauté. Il reste dans l’esprit pur et dur avec «Speedbumps», il travaille ça à la folie, il est décidément increvable. Pure merveille encore que ce «The Out & The Pussycat». Il ramène un beau climax et groove dans le doux du doom. Quelle délectation ! Il chante toujours avec un petit côté rassurant. Après tant d’années, il s’amuse encore à fabriquer des chansons avec la même matière. La petite pop-rock de «Buffalo Boots» n’est pas sans charme. Il déploie tous ses fastes de clairette pénultième, ça joue au défonce-moi baby, ça devient même assez wild. Puis il retourne au mystère avec «Rainbow Babe» et te balance ça : «Two and two makes twenty two, Rainbow Babe.» T’es pas forcé d’être d’accord.         

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             A Sentimental Education est un album de covers, doublé d’un mini-album d’instros. Dans les covers, tu retrouves l’excellente cover du «Most Of The Time» de Bob Dylan et là tu dis oui. Le real Dean te chante ça au deepy deep et c’est puissant. L’autre grosse poissecaille de l’Éducation Sentimentale est la cover du «Car Wash Hair» de Mercury Rev. Il y a même Jonathan Donahue et Grasshopper sur le coup. C’est un hit underground d’obédience faramineuse, ça joue dans l’exemplarité d’un monde sublime et les grattes partent bien en vrille. Le choix des autres covers n’est pas jojo : le «Fire In Cairo» de Cure, le «Gin» Willie Loco Alexander, il tape même dans le «Friends» de Doug Yule qui n’est pas très Velvet, un Fleetwood Mac («One Together»), un Yes (mais si !) («Sweetness»), un Jagger/Richards tout pourri («Walking Thru’ The Sleepy City»), et un Willy DeVille. Enfin bref, tu sors de là très déçu.

             Puis d’un commun accord, Luna décide d’arrêter les frais - It was time. We would disband - Ils n’annonceront la nouvelle qu’après la sortie de Rendezvous. Ignacio, un ami espagnol, dit au real Dean au cours d’une interview : «I am glad that Luna is breaking up. You don’t want to turn into the Flamin’ Groovies. It’s time for a new beginning.»

    Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Luna. Lunapark. Elektra 1992

    Luna. Bewitched. Elektra 1993

    Luna. Penthouse. Elektra 1995       

    Luna. Pup Tent. Elektra 1997        

    Luna. The Days Of Our Nights. Jericho 1999   

    Luna. Live. Arena Rock 2001         

    Luna. Romantica. Jetset Records 2002    

    Luna. Rendezvous. Jetset Records 2004            

    Luna. A Sentimental Education. Double Feature Records 2017

     

    Inside the goldmine

    - Tyrone n’est pas un tyran

             Si Tyrone n’était pas un tyran, Tyzoar l’était. La maisonnée subissait le joug de ce gros géniteur affublé d’un triple menton. Comme tous les autocrates et tous les despotes à la petite semaine, il n’était préoccupé que d’une seule chose : son nombril, et accessoirement, le vermicelle qui chez lui faisait office de bite. Il dictait ses ordres. Passe-moi le sel. Ferme ta gueule. Il siégeait chaque soir au bout de la grande table de la salle à manger et imposait le silence, pour pouvoir suivre le journal télévisé. Cette putain de téloche trônait dans l’axe de la grande table et déversait son torrent de poison médiatique. On était en pleine guerre du Vietnam. Les «repas de famille» tournaient au cauchemar. Interdiction bien sûr de quitter la table avant la fin du repas et la fin du journal télévisé. Fermez vos gueules. Après, il fallait aller se coucher et extinction des feux à 21 h, pour ne pas «dépenser d’électricité». Tyzoar restait au salon et se faisait tripoter le vermicelle par cette pute qu’il avait ramassée dans un bar de la côte et qu’il avait ramenée avec sa marmaille pour remplacer l’épouse qu’il avait répudiée pour cause disait-il «de frigidité». Ce mélange de lubricité et d’obscurantisme attaquait nos adolescences comme l’acide attaque le métal. On subissait ça au quotidien. Chaque jour on rentrait du lycée en se demandant ce qui allait nous tomber sur la gueule. Car bien sûr, la pute qu’il avait ramassée nous haïssait, et elle allait se plaindre en permanence auprès de Tyzoar : «Il n’a pas fait son lit !», «Il cache des revues sous son matelas !», «Il m’a mal répondu», alors Tyzoar nous convoquait dans son bureau, il demandait des comptes et comme on n’avait pas le droit de parler, on gardait le regard fixé au sol en attendant le premier coup qui ne tardait jamais. Bing ! «Alors tu caches des revues sous ton matelas ?» Bong ! «Alors tu parles mal à Jacquotte ?» Bang ! Pour quitter cet enfer, nous envisageâmes sérieusement de nous suicider.

     

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             Tyrone arrive dans cette chronique comme une bouffée d’air frais. Il chasse le souvenir de l’abominable Tyzoar.

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             En 1967, Carl Davis monte Dakar Records - ‘Da’ from Davis and ‘Car’ from Carl - Pour éviter la confusion avec Decca, il remplace le ‘c’ par un ‘k’. C’est là qu’il s’installe dans les anciens locaux de Vee-Jay. Il démarre avec Shirley Karol et Major Lance, puis il lance l’ancien chauffeur de B.B. King et ancien road manager d’Harold Burrage, Tyrone Fettson. Carl n’aime pas le nom de Fettson. Alors Tyrone demande s’il peut utiliser le nom de Carl et devient Tyrone Davis. En 1968, Tyrone Davis décroche un hit avec «Can I Change My Mind». Et comme Carl n’a pas les reins assez solides pour lancer Tyrone Davis, il passe un deal avec Jerry Wexler chez Atlantic - Tyrone was Dakar’s flagship as long as we ran the label.

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             «Can I Change My Mind» donne son titre au premier album de Tyrone. Il a du mal à percer les blindages, c’est pourquoi il opte pour le soft groove du Chi Sound. Il le brosse dans le sens du poil. L’autre grosse poissecaille de ce premier album est la cover du «She’s Looking Good» de Wilson Pickett - Lookin’ so good mama - Il y flirte avec le power de Clarence Carter. Il fait une autre cover, cette fois complètement ralentie de «Kock On Wood». En B, «Open The Door To Your Heart» confirme la tendance : c’est dans le soft groove qu’il est bon, sacrément bon. Son «Call On Me» s’axe sur un tiguili funky suavement trompetté à Jericho. Il tape encore dans le Staxy Staxa d’Eddie Floyd et Steve Cropper avec «Just The One I’ve Been Looking For». Il s’y adonne avec une ferveur de satin.

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             T’as trois authentiques coups de génie sur Turn Back The Hands Of Time, un Dakar de 1970 : le morceau titre (que reprendra Pat Todd avec ses mighty Rankoutsiders - ce Hand of time est une véritable Motownisation des choses de Chi, Tyrone jette toutes ses forces dans la bataille du Black Power, oh darling et tu assistes à l’envol considérable de l’ooooh baby), «Let Me Back In» (il est incroyablement détendu du gland, à la fraîche de Bertrand Blier, ah quelle classe et quelle liberté de ton, c’est invraisemblable de groovytude), et «Love Bones», un wild r’n’b de popotin, Tyrone est un véritable seigneur des annales, et c’est achevé à coups de baryton de lôv bôn ! Il faut aussi saluer «The Waiting Was Not In Vain», un groove de big time co-signé Carl Davis et Eugene Record. Il finit sa B des anges avec un «I’ll Keep Going Back» à la Sam Cooke, il fait sonner son I wanna leave you comme l’I was born by the river

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             Encore un Dakar d’enfer avec Without You In My Life. T’es hooké dès la pochette, et le costard rouge que porte Tyrone. Il fait du slow rumble d’heavy popotin et mélange le Stax et le Chi («There It Is»), tape bien l’incruste dans le gros popotin (morceau titre), il se rapproche encore de Sam Cooke avec «You Wouldn’t Believe», puis fait un festival de Soul des jours heureux avec «I Had It All The Time». En B, il tape une cover de l’«I Got A Sure Thing» de Booker T, encore du haut vol de haut rang, heavy Chi Sound rampant. Il reste dans son péché mignon (le gros popotin) avec «If You Had A Change In Mind», il enchaîne avec une évidence, «True Love Is Hard To Find», eh oui, tu ne trouves pas le True love comme ça, sous le sabot d’un cheval, et il finit avec une belle énormité, «Honey You Are My Sunshine», montée sur un bassmatic bien rond. 

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             I Had It All The Time pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. Tu retrouves le morceau titre au bout de la B, ce big drive de Chi Sound cuivré de frais et tu le vois se développer en heavy rumble de basse. Et là tu te dis que t’as pas fini de flasher sur Tyrone ! Trois autres coups de génie : «Your Love Keeps Haunting Me» (tu sens bien la pulpe du Chi Sound, en motion at the junction, et puis t’as cette ouverture considérable), «How Could I Forget You» (fantastique shoot de Soul des jours heureux, il peut t’enchanter vite fait, le Tyrone) et «After All This Time». Il campe sur ses positions, il creuse son lit, il ramone le Chi Sound. Il a exactement la même classe qu’Eugene Record, comme le montre «Was I Just A Fool». Le producteur Willie Henderson tortille des nappes de violons et crée de l’atonalité. Avec le Chi Sound, ça repart toujours du bon pied. Incroyable vélocité de la véracité («Come & Get This Ring») !  

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             Pochette plus romantique pour It’s All In The Game. Ce Dakar de 1973 est encore un very big album, avec notamment cette cover océanique de Burt, «I Wake Up Crying», Tyrone œuvre ici un peu à la manière d’Isaac le Prophète, bien étendu dans la durée, avec une gratte-fouine qui rôde partout et quelques trompettes de Jéricho, coco. Retour au solide popotin avec «I Can’t Make It Without You», prod de Willie Hendereon, belle tranche de Chi Sound bien claquée du beignet, ce joli shoot de mid-tempo flirte avec l’up-tempo. Encore de la viande en B avec «You Don’t Have To Beg Me To Stay», Tyrone creuse son Chi avec force et talent, oooh baby. Back to the popotin avec «What Goes Up (Must Come Down)» de fantastique allure, et vient à la suite la grosse machine de «There’s Got To Be An Answer», Tyrone fais la loco, il a le beat à sa pogne, fucking great artist ! Il est vraiment le roi de la Soul des jours heureux.   

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             Home Wrecker est une sorte de Best Of. On y retrouve tous les gros hits d’antan, à commencer par «After All This Time», «How Could I Forget You» et «Was I Just A Fool» tirés d’I Had It All The Time. Tyrone semble régner sur la ville - Look at the teardrops in my eyes - C’est un artiste passionnant, pressant et capable de suavité à la fois, et puis il tortille son Just a Fool dans les vagues de chaleur, il vibre le son dans l’effet, comme le fait parfois Eugene Records avec les Chi-Lites. Son morceau titre est flagrant de popotinage, et «This Time» bat bien des records de Soul sophistiquée. On retrouve aussi sur cet album sa cover de l’«I Got A Sure Thing»» de Booker T, et on le voit plus loin passer en force, comme le fait Edwin Starr, sur «A Woman Needs To Be Loved». Mais c’est avec «How Could I Forget You» qu’il rafle vraiment la mise, cette belle Soul des jours heureux, t’en peux plus de bonheur, Tyrone s’ouvre à l’univers tout entier, il donne du volume, il gonfle les voiles du Dakar.

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             Son dernier Dakar s’appelle Turning Point. Belle pochette. Le popotin du morceau titre tourne au coup de génie - It’s the turning point/ In my life/ Lawd Lawd - Voilà du vrai popotin de boisseau, un chef-d’œuvre de finesse et de groove. Le reste de l’album est un peu faiblard, mais Tyrone a du tirant.

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             C’est encore à Kent que revient le privilège de pondre une compile de Tyrone Davis, The Tyrone Davis Story. «One Way Ticket To Nowhere» sonne un peu comme l’«I Was Made To Love Her» de Little Stevie Wonder. Même éclat et même énergie. Encore une belle énormité avec «I Wish It Was Me» et son «Afeter All This Time» vaut tout le Stax et tout le Motown du monde. Tyrone sonne comme un inexorable. Et voilà qu’il sonne encore comme les Supremes dans «I Had It All The Time», c’est étonnant de qualité, avec des chœurs de rêve. On retrouve en B l’imparable «Turn Back The Hands Of Time». Il fait les Miracles à lui tout seul avec une grâce infinie. Il reste dans l’esprit de Motown avec «Have You Ever Wondered Why» et il montre encore qu’il a de la suite dans les idées avec «There’s Got To Be An Answer», et son «Keep Me Hangin’ On» est franchement glorieux.

    Signé : Cazengler, Tyran d’eau

    Tyrone Davis. I Can Change My Mind. Dakar 1969 

    Tyrone Davis. Turn Back The Hands Of Time. Dakar 1970  

    Tyrone Davis.  Without You In My Life. Dakar 1972  

    Tyrone Davis. I Had It All The Time. Dakar 1972 

    Tyrone Davis. It’s All In The Game. Dakar 1973  

    Tyrone Davis. Home Wrecker. Dakar 1974 

    Tyrone Davis. Turning Point. Dakar 1975  

    Tyrone Davis. The Tyrone Davis Story. Kent/Ace Records 1985

     

    *

             Toujours des surprises sur Western AF.  Aucune idée préconçue, avec ses cheveux longs, je ne sais si l’individu au centre de la scène, son chapeau  lui cache une partie du visage, est une fille ou un garçon, oui mais il y a ce flux de guitare qui me vrille le cerveau, un son tellement accompli que l’étonnement me saisit, mais ce n’est pas du country, Western AF briserait-il ses propres codes, et puis ce mec sur ma droite ressemble à un indien, pas d’affolement Damie, tu remets au début et tu écoutes, zieute bien, pour les oreilles pas de problème, c’est un nectar suprême qui les visite.

    WESTERN AF  / FULL PERFORMANCE

    BLAINE BALEY

    (YT / Avril 2025)

             La session est enregistrée au Cain’s Ballroom de Tulsa. Ancien garage construit en 1924, transformé en 1930 par Daddy Cain en Cain Dance Academy.  Tulsa est une cité de 700 000 et plus habitants, située au nord-est de l’Oklahoma dont le nom est tiré de deux mots indiens : okla et homa qui signifient ! Homme Rouge.

    Sont quatre sur la scène qui ne mérite en rien le qualificatif d’exigüe, tout au fond un visage pâle à la batterie, blond comme un beau gosse il arbore même une croix chrétienne, à droite un peau rouge, n’est plus tout jeune, sur son visage l’on peut trouver tous les tomahawks qu’il a déterrés sur les sentiers de son existence, à gauche assis derrière sa pedal steel, un beau meuble, me rappelle la pose pleine de patience et de sagesse de ma grand-mère à sa machine à coudre, encore un beau mec, je dirais un white man, brun, mais cela n’a guère d’importance, ce qu’il faut regarder chez les individus c’est la couleur intérieure, je ne donne pas leur nom car je ne les ai trouvés nulle part, enfin au centre, à la guitare électrique, Blaine Baley 

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    Cigarettes and roses : : il chante un truc inintéressant, mais primordial, la ballade de la dernière chance, celle du gars qui a fait la connerie de sa vie, non il n’a tué personne, s’est simplement disputé avec sa copine, l’a claqué la porte, l’est parti sans oublier sa guitare, elle, elle ne fait jamais la tronche, mais il regrette, il revient sa dernière clope au bec et un bouquet de roses, l’avait pas un dollar de plus pour ramener davantage… les gars ne faites pas semblant de vous essuyer les yeux dans les rideaux, retenez aussi vos hurlements de rite, faut écouter, l’histoire n’est pas terminée, il ne rajoute pas un mot, c’est le son terne, dépassé, de sa voix, et la musique, cette guitare et les trois autres qui amplifient au carré, au cube, à la puissance quatre percutante, le poids de la misère humaine qui vous tombe dessus, nous voici prisonniers de notre propre incapacité humainoïdes predatorii à surmonter nos propres insuffisances. Toute une critique sociale métaphysique aussi, l’esclave qui tourne sa meule tout en sachant très bien que rien ne s’améliorera jamais. T-Shirt : quoi de plus inoffensif qu’un T-shirt, celui de Blaine porte uns inscription : Merchess Indian Sauvage, en tout cas la rythmique trotte comme un appaloosa, tiens aujourd’hui,  Blaine sort de la réserve dans laquelle les offensés et les humiliés se tiennent habituellement cois, lance des mots aigus comme des flèches, la bonne conscience blanche qui s’en vient porter consolation aux malheureux indiens il y crache dessus, les indiens n’étaient pas une civilisation de sauvages, incapables de s’adapter à la modernité blanche, qui auraient encore besoin d’aide et de compréhension,  imprime ma gueule sur un T-shirt pour gagner du fric, ne serait-ce que pour récolter des subsides pour les aides sociales, toi qu’on a exilé d’Europe et qui as pris nos terres, n’oublie que le combat n’est pas terminé. Tu as promis et tu n’as rien tenu. L’esprit indien persiste. Loblolly Pines : (les pins loblolly exhalent une

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    saveur de romarin) : est-ce parce que Blaine a déclaré dans le morceau précédent qu’il n’y a pas de violon cherokee que la pedal Steel est abandonnée au profit du violon, le rythme est échevelé, cette fois-ci Blaine chevauche au grand galop, en vérité il fonce en voiture en pleine nature, et surtout contre lui-même, se reproche tous ses errements passés, il comprend que sa famille est sa vraie richesse et qu’il doit devenir un exemple pour son fils, les indiens (ils ne sont pas les seuls) sont dans l’ensemble assez traditionalistes, moraline rouge certes, l’on pense aussi au mouvement des white re-borns dans les années quatre-vingt-dix aux USA, l’orchestration effrénée est certes séduisante, mais ce repli vers les valeurs religieuses conservatrices ne me convainc guère. Likes of me : quelle intro mélodramatique, le tambour tape fort et les guitares étincellent, deux histoires qui se contredisent, l’est poursuivi par une fille – dans ces cas-là je me laisse facilement rattraper surtout si elle belle, intelligente, gentille et très riche, j’arrête de plaisanter, c’est lui qu’elle veut et pas moi, l’a son aura d’artiste et lui ses scrupules religieux, les Evangrilles en Enfer le taraudent, vous avez les paroles et vous continuez à écouter because la guitare est de toute beauté, pauvres de nous, c’est un indien, l’est rempli de ruses, les épines de ses ruses ce sont ses mots, tireur d’élite, pour vous endormir la pedal steal vous envoie sa marmelade, mais la voix lente et fatiguée vous promène en longe, il ne le dit pas, mais il nous en persuade, l’est aussi fautif que l’apprenti pêcheresse, mais ce n’est ni de sa responsabilité à lui ou à elle, c’est le destin. Personne n’y peut rien, ni lui, ni elle. Une force plus puissante que les Le Christ peut agoniser sur sa croix tant qu’il veut, les êtres humains se débattent et se chauffent avec un bois bien plus odorant et plus brûlant.

             J’ai voulu en savoir plus. Alors j’ai su davantage. Blaine BaiIley n’est pas l’étoile montante du country. La chance l’a favorisé, sa chanson Cigarettes and Roses a été remarquée par les producteurs de la série Reservation Dog, n’ayant pas de télé j’ignorais jusqu’à son existence. J’avais bien entendu Reservation Dog par ci par là, j’en avais hâtivement (et bêtement) conclu que c’était une série policière particulièrement violente. Dans ma tête je confondais avec Reservoir Dog de Tarentino. Ce n’est même pas un western. Mais c’est rempli d’indiens. Donc une série américaine confiée à un autochtone et à un native, un Séminole, et un Maori. La série raconte les rêves et les aventures de quatre adolescents d’une quinzaine d’années qui rêvent de se rendre en Californie du Nord pour échapper à une vie sans envergure dans la réserve Creek de la nation Muscogee in Oklahoma. Il y eut trois saisons 2021, 2022, 2023. Je ne critiquerai pas parce que je n’ai pas vu, Wikipedia affirme que c’est drôle et subtil et que cela a contribué à  faire tomber les clichés sur les Natives Américain… Je me méfie…

    Bill Blaine a sorti son premier album en 2021.

    LOST CITY

    (Mai 2021)

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    Belle pochette typiquement indienne. Un titre d’album qui pue le cowboy à plein tube. La pluie tombe. Métaphore pluvieuse. L’indien a mis sa tenue de cérémonie. Ou son masque de carnaval. Choisissez, la plupart du temps l’on est ce que l’on est dans sa tête. Dans Sa tombe aussi. Parfois l’on est forcé d’enfiler ses habits du dimanche. Ou de revêtir ses effets  de guerre. C’est un beau costume pour mourir. Parfois aussi l’on est déjà mort, mais l’on ne s’en aperçoit pas. Comme ça il nous reste à continuer à vivre.

    Rain : tiens il pleut comme sur la pochette, mais ce n’est pas la véritable surprise, malédiction Blaine s’est contenté d’une guitare acoustique, ne dites pas c’est une erreur, c’est lorsqu’ils ont eu des Winchesters que les Indiens ont pu se défendre, oui mais la guitare sèche ça pétille aussi sec qu’un feu de bois, il joue bien, le bougre rouge. Remonte jusqu’au blues, sur lequel il rajoute les traits de feu de ses flèches, l’a la voix qui gémit un peu, un glapissement de coyote qui dans la nuit paraît plus tendre, l’est aux racines de la grande musique américaine, raconte ses difficultés à joindre mots et rythmiques, il ne suffit pas de savoir jouer il faut aussi dire, trouver les mots, avec sa voix qui rebondit il trouve le chemin, les cordes grésillent et lorsque sa voix se tait tout nous manque, mais il reste encore la magie de sa présence. Et le sel de son absence. Il ose encore parler d’échec, de solitude, de désespoir, d’agonie et de mort. Cigarettes and roses : diable sans l’électricité les roses qu’il va offrir à sa copine, elles vont scintiller comme la guirlande de Noël rangée au fond de son carton pour l’année prochaine, elle va les lui rejeter en pleine gueule, ben non elle va y enfouir son visage dedans, le bouquet a perdu ses étincelles mais quelle saveur, quel parfum, celui d’un authentique désespoir porté par cette voix, il s’arrache les mots de la bouche comme des joyaux resplendissants de poëte. Quant à la guitare elle suit, elle balaie le plancher pour que la belle ne se salisse point ses pieds dans la poussière du quotidien. Elle nous joue la parade nuptiale du désir qui marche vers sa propre rencontre. Merveilleux. Poker : changement d’ambiance, la poésie et le désir cèdent le pas à l’argent, à la violence, à la peur, un véritable western – moderne parce qu’ils sont en voiture – l’histoire mille fois racontée des apprentis demi-sel engagés dans une partie dont ils ne maîtrisent pas les règles, n’y a plus qu’à se renverser dans son fauteuil et choisir sa chaîne, ce qui est bien c’est qu’elles racontent la même séquence, vous pouvez suivre la voix superbe mais je crois que la guitare est encore plus violente, plus enlevée, plus brutale, davantage dans l’action et en couleur, le vocal porteur d’angoisse , en noir et blanc. Expressionniste en quelque sorte. Church bells : une musique enjouée et en même temps très blues, par contre rien à voir avec du gospel, malgré le titre, la voix traine, elle raconte une tranche de l’histoire de l’Amérique, partagée entre le vice et la vertu, cette dernière étant entendue comme un démenti de la réalité, le mauvais garçon revient chez lui, en retard pour pouvoir se rendre à la messe avec sa maman et sa  famille, pour le vin de messe pas de problème l’est déjà bituré à mort, l’a aussi engrossé la fille du pasteur, faut qu’il lui parle pour qu’elle lui pardonne… promesse d’ivrogne, un exemple parfait de l’âme indienne contemporaine écartelée entre le dieu des blancs, entre le bien et le mal et le déroulement d’une survie de débrouille et de renoncement obligée de constater que le paradis est pavé de mauvaises intentions. Partage d’une âme blessée par la vie et lui-même. Les deux moitiés de l’orange pourries. Hitman : un shoot de guitare sèche en intro et la voix fatiguée qui reprend le flambeau. Une espèce d’auto-confession, un autoportrait de l’artiste en vieux chien sans concession. Le mauvais côté, le tueur, l’homme qui n’hésite pas, qui ne se fait aucune illusion sur lui-même et qui s’en vante, une voix d’assassin presque plaintive mais aussi tranchante que le couteau de cette guitare qu’il vous enfonce entre les côtes. Je ne crois pas qu’il existe un morceau de blues porteur d’une telle froideur, d’un tel détachement, d’une telle violence dirigée autant vers le monde qu’envers soi-même. Country blues au sens étymologique des deux termes de l’expression. Un chef d’œuvre.  Overlooking eye : retour au country, ce sourire désabusé que l’on offre aux autres et à soi-même, l’on n’est pas spécialement fier de soi-même mais l’on tient à ses rêves, la guitare pétille, un véritable feu de joie, la voix conte une autre histoire celle de l’échec, l’on est entre les deux postulations, on cherche de l’or, on trouve de l’os, leur valeur ne vaut que celle qu’on leur accorde. Une subtile philosophie de la vie, l’important est de continuer, l’on ne vit que le rêve de son existence. Pimpin’ ain’t easy : une fable, nous restons dans veine sympathique du country qui vous présente comme du pur sucre candy le dur sel de l’amertume de la vie, pour une fois Blaine  fait preuve d’une voix joyeuse, il raconte l’histoire d’un chanteur parti de rien qui étape après étape construit une carrière ascensionnelle. Côté pile. Quand on regarde en face le côté face, c’est beaucoup moins reluisant. L’on ne fait pas exactement ce que l’on veut. L’entourage vous encourage. Un peu moins de rage et davantage d’argent. Tout nage pour le mieux ! Prostitution mentale et sociale. Sans concession. Likes of me : toujours cette magie de la guitare sèche, bien sûr toujours cette stéréo, cette voix sans effet qui vous fait briller les mots d’une façon incroyable, inimitable, mais cette guitare, normalement elle devrait commencer par se répéter, par devenir monotone, pourquoi pas ennuyeuse, ben non, tour à tour elle creuse des abysses et vous édifie des montagnes,  elle ne vous surprend pas, elle se contente de prouver à chaque note que c’est ainsi qu’elle doit être jouée et non autrement, et vous ne pouvez qu’acquiescer. Wheathering : la brillance du succès et le regard de votre âme qui se prend pour Dieu même si c’est peut-être le contraire, quoi qu’il en soit une terrible partition entre le soi que l’on voudrait être et celui que l’on n’est pas. Profitons-en pour jeter quelques méchancetés sur ceux qui vous critiquent, qu’ils s’occupent d’eux-mêmes, Blaine semble se réconcilier avec lui-même, une guitare éclatée et un vocal plus affirmé, la pluie tombe toujours, que chacun s’arrange comme il veut, comme il peut avec elle, comme il pleut, la vie vous sculpte et vous polit, vous n’y pouvez rien, vous pouvez tout. Blaine n’est ni meilleur ni pire que les autres. A prendre ou à laisser.

             Neuf titres, et pas un seul à rejeter. Cet album est une parfaite réussite.

    Blaine Baley vous estabousie. Aucun effet. Aucun truc. Aucune facilité. Une guitare, une voix. Deux mondes. Le sien. Et le vôtre. Qui du coup vous semble plus terne. Blaine a retrouvé la confluence perdue entre le blues et le country, il a remonté jusqu’au  point de divergence des eaux, et se tient en ce point d’équilibre parfait où tous les contraires affluent et s’annihilent. Un chef-d’œuvre.

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    (Not on Label / Mars 2024)

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             De loin la couve ne paye pas de mine, simpliste et rudimentaire, de près l’on s’aperçoit qu’elle n’est pas si simple qu’elle en a l’air, d’abord le fond rouge éclatant, pas de plus évidente manière d’annoncer sa couleur, un chapeau plat de cowboy mais surmonté d’une plume, et sur le rebord ces quatre petits signes mystérieux  qui vous incitent à penser au Led Zeppe, fausse piste, il s’agit de lettres issues de l’alphabet syllabique Cherokee qui reprennent le titre de l’album. Home le paysage qui apparaît dans les verres des lunettes nous aide à comprendre que si être chez soi est le but, c’est la longue route qui mène à lui qui lui donne son prix.

    Band : Blaine Bailey / Richard Wood / Jace Walker /Additional Musicians : Johnny Mullennax /Tony Spatz, / Kendal Osbourne / Andrew Bair /  Hank Early ; Aucune précision quant aux instruments.

    Don’t waste time : ne perdons pas de temps, cet album n’est pas le double du précédent, ce n’est pas encore le tout électrique de Western AF mais l’on s’en rapproche, l’électricité rallonge le fil, le tempo est lent , il est nécessaire de donner à chaque instrument le temps de s’exprimer, normalement vu la scène de rupture, règlement de compte à OK Darling, les mots et les injures devraient fuser de partout, non toujours le même ton, mise au point sans se presser,  la voix est fluide, time is on my side, méfions-nous, l’on est loin de deux épidermes qui se sont croisés, trois petits tours et puis s’en vont, une différence quasi-ontologique entre deux êtres, ce qui affleure, c’est une grande violence contenue. Il vaut mieux s’arrêter ainsi. Cette discussion pourrait mal tourner. The deep end : la même chose côté soleil. Le rythme balance, le grand fossé est comblé, le pauvre semi-cherokee a su saisir sa chance, la guitare s’enflamme, c’est le moment de dire merci, d’avouer sa réconciliation avec la joie de vivre. Amour et gratitude. Colorado soil : le bonheur de l’un n’efface pas le malheur des autres, plongée dans le blues, l’histoire de Roby qui a su s’en sortir, s’enfuir de da réserve, qui a atteint le pays où l’herbe est plus verte, et qui retourne chez les Cherockees, all the good is gone quand il ne reste plus que la méthadone. Une tranche de vie. Une tronche de vide. Pas d’enjoliveurs sur la carcasse humaine. La musique coule comme de l’eau tiède, celle que dans la Bible le Seigneur recrache. D’ailleurs il n’est pas là dans la chanson. Finally gone : oui il est bien parti, ne vous raconte pas son histoire, vous chante un poème surréaliste, avec les intrus qui klaxonnent dans tous les coins, l’a traversé tous les délires, l’est revenu chez sa mère, mais il s’en fout, l’a tout connu, tout vu, tout pris en plein dans la troche, un feu d’artifice musical, et une explosion poétique, l’est comme Rimbaud-Cherokee, toutes les expériences, tous les débordements, toutes les galères, désormais il est dans le pays d’où l’on revient jamais, tant il éclipse tous les autres. Tant pis pour sa pauvre mère. Lucky AS a 7 : n’est pas tout à fait revenu notre Lucky le chanceux, oui il a été sauvé par une fille peut-être seulement parce qu’il était Lucky le Chanceux et malgré tout ce qu’il lui en a fait voir, ils sont toujours ensemble, preuve qu’il s’est Lucky le Chanceux, le gars s’en tire  bien, mais pourquoi la musique s’incline-t-elle vers le blues, sous le kaléidoscope des paroles y aurait-il quelque chose de plus noir, de plus implacable que le destin, de quelle couleur est-il cet ange que le Seigneur lui a envoyé. T-shirt : avoir parcouru le monde et se souvenir de qui l’on est, cette version est plus triomphale que celle de Western AF, un peu comme tout ce qu’il côtoyé entre temps avait un peu relativisé la partition de l’homme rouge, un peu comme s’il comprenait que tous les hommes portent en eux le même sang rouge. City blues : blues urbain, davantage d’électricité, moins de misère, davantage de désespoir, l’est parti à la poursuite de ses rêves, ne les a pas rattrapés, il voulait changer le monde, le résultat est pitoyable tout ce qu’il a réussi à faire bouger, c’est lui, mais en pire. C’est un peu Rimbaud qui revient à Marseille avec une jambe en moins. Lui ce n’est guère mieux l’a perdu ses illusions en lui et aussi envers les autres. Loblolly pines : après le blues du désespoir voici le boogie de l’espoir, sur la route du retour, tout vous semble beau, c’est au-dessus de l’abîme que l’on se raccroche à ce que vous pouvez, par exemple à la branche pourrie (cet adjectif est de moi) de la religion, en tout cas le morceau regorge d’optimisme. Attention c’est en bois de pin que l’on construit le cercueil de ses illusions. Home again : enfin le voici chez lui. Chez lui, sa mère et ses sœurs l’accueillent, l’est content. Revient aussi sur ses illusions. La terre natale et la famille. Valeurs traditionnelles. Le territoire de la tribu originelle réduit à sa portion congrue.

             L’on a hâte d’écouter son prochain album. Blaine Baley est un superbe compositeur, un super guitariste et un fabuleux lyricist. Son évolution future nous interroge. Nous sommes certains qu’il nous surprendra.

    Damie Chad.

     

    *

            Me suis levé la tête pleine d’idées étranges. Je ne savais pas ce que je voulais. Pour être franc, je ne l’ignorais pas. Un truc tordu qui me traversait la tête. N’exagérons point, pas un rêve irréalisable, restons dans le concret, par exemple trouver une chose impossible pour la simple et bonne raison que ça n’a jamais existé. Je ne vous fais pas languir davantage, tiens par exemple écrire une kronic sur un groupe de rock français métaphysique. J’ai tapé les cinq derniers mots de la phrase précédente sur Bandcamp, en moins de cinq secondes, j’avais trouvé. Ne me restait plus qu’à me mettre au travail. Quelle lourde tâche !

    REVOLUTION METAPHYSIQUE

    CONTINUUM

    ( Bandcamp / Album Numérique / Mai 2019)

             Groupe de Nice. Je cherche quelques photos, tombe pile sur la bibliothèque de la ville qui d’entrée sur son entrée affiche quatre groupes locaux, Carpe Diem en premier. C’est bien, mais ils ont dû se rappeler qu’ils devaient présenter avant tout des livres. Donc à part ces quatre heureux élus qui se battent en duel, plus rien. Pas de panique ils ont un FB, onglet photos, pas grand- chose. La principale étant déjà sur le bandcamp. Attention, une de rabe : le logo d’une émission de Metal local, nommée 1000 Décibels sur Agora Côte d’Azur. Je cours, je vole, et je ne triomphe pas, un dernier post daté de mars 2021 m’indique qu’ils viennent de se faire jeter sans préavis… Agora, ag’aura pas !

             Bon l’on se contentera de la seule photo sur Bandcamp. Chance : on les voit tous : Cony Derenty : vocal / Aieevok  : basse ( shs’s the girl) / Tony : guitares  / Xavier Bosher : guitar solo / Guillauùe Morero : drums (il porte une queue de cheval).

    alicia f,elvis presley,a place to bury strangers,dean wareham,tyrone davis,blaine bailey,continuum

             Z’ont sorti cinq albums et un EP, dont deux artefacts, leurs premiers enregistrements ont été couverts dans les revues et les blogues metal d’éloges.

             Révolution Métaphysique qui est leur dernier album bénéficie d’une belle couve. Sombre et mystérieuse à souhait. Une procession, pas tout à fait un défilé protestataire même si flotte un drapeau, bicolore, au hasard le noir et le rouge, sont-ils si nombreux que cela, une quarantaine au grand maximum, en fin de manif l’on reconnaît la chevelure blonde d’Aieevok, l’ensemble semble prêt à s’engouffrer dans une ouverture, une espèce de grotte en haut de laquelle se dessinent deux voûtes de pierre sanglantes, ça ressemble un peu à un palais buccal, cela nous autorise-t-il à nommer cette béance bouche d’ombre… Des anneaux de fer encadrent le dessin. Seraient-ils les symboles d’une chaîne à briser.

             Prenons le temps de nous interroger sur le nom du groupe. Incidemment, ils ne sont pas les seuls à avoir choisi ce nom. Notamment en France, un groupe de jeunes gens actifs entre 1980 et 1981, dont l’un d’entre eux semble-t-il a passé l’arme à gauche…

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    Ouverture : intro totalement déroutante, comme tout prélude qui se respecte on attend un instrumental, un ambianceur qui vous donne le la, le ton de ce qui va suivre. Donc une intro chantée, pas tout à fait, la première scène d’une pièce de théâtre, si vocalement surjouée que l’on se demande si nous sommes dans une comédie ou une tragédie.  Question musique nous sommes dans un drame, mais lorsque l’on a écouté à plusieurs reprises pour être certain de ce que l’on a entendu… certes cette récitation à la Cyrano de Bergerac interprété par un mauvais acteur casse tous les codes du metal fût-il qualifié de prog… ces paroles nous poussent à entrevoir le sens d’une toute autre manière que celle dans laquelle nous poussait l’interprétation de la pochette. C’est que le mot révolution a deux sens, celui d’un soulèvement populaire et celui de rotation, par exemple celle de la Terre autour du Soleil. Sans être allé plus loin l’on pourrait en déduire que l’âme humaine est soumise après notre mort à un retour dans la réalité sans cesse réitérée. Quête du vrai : mettons les choses en ordre. Le chant n’a aucun rapport avec un phrasé rock, quel que soit le sens ou la modulation que l’on puisse accorder à cette expression. Rien à voir non plus avec la chanson française, ni avec la variété. Ce n’est pas non plus du lyrique, nous sommes à des kilomètres de l’opéra. Essayons de tenter une description positive, un ton déclamatoire – rien à voir avec Racine et Corneille tels qu’on les récite à la Comédie française, à la limite du Molière, imaginez les médicastres de son époque avec leur chapeau noir pointu se rengorgeant en donnant un cours de médicamentation à un bourgeois ébahi, le ton haut et roucoulant. Mais c’est à un cours de métaphysique que nous assistons. Une vision très grecque en somme, le mouvement éternel des planètes, ce n’est pas pour rien qu’on leur a attribué des noms de Dieux, tournoiement incorruptible parfait qu’il faut comparer aux errances des âmes humaines perdues en leur propre vacuité, une vision toute platonicienne, notre esprit en un cycle antérieur a déjà eu accès à cette beauté, à cette sagesse, nous en éprouvons la nostalgie c’est pour cela que nous y retournerons… Hyperactive espèce : ce qui est étrange c’est que le texte n’est pas déclamé sur la musique, il semble au contraire que par ses brisures rythmiques et ses séquences instrumentales c’est la musique qui essaie d’imiter le vocal de devenir langage qui fait tout son possible pour ressembler à une émission élocutoire, retournons dans l’amphithéâtre écouter le professeur : première surprise il parle bien des hommes de maintenant esclavagés dans nos usines, abêtis dans nos écoles, unidimensionnalisés, esclaves consentant, autocastrés, dépourvus de toute volition individuelle, robotisés, connectés… un miroir des plus fidèles, en plus ça bouge, la batterie trinque avec nous, on se croirait au carnaval de Rio dans lequel les gens font semblant d’être libres. Credo : un ton moins déclamatoire, marmonne un peu, il en profite pour profiler une critique impitoyable de nos contemporains névrosés, aucun cadeau, aucune excuse, aucune pitié, des bêtes prêtes pour l’abattoir, grand cri de culminance énervée, et la musique pimpante et grandiloquente  pompiérise à mort, c’est le moment où notre hérault exulte son crédo, il n’a de regard que pour le monde supérieur son merveilleux équilibre, sa sérénité souveraine. L’on a envie de lui crier qu’il prend les lampadaires du ciel pour des objets platoniciens, mais on le laisse à ses croyances. Interlude I : pour le coup nous avons droit à notre instrumental, tout beau, tout plein, tout brillant, tout brûlant de joie. On ouvre les bouteilles de champagnes, ne vient-on pas d’énoncer la vérité vraie. Royaume des vanités : viennent-ils de se souvenir qu’ils sont un groupe de rock, en tout cas l’intro bulldozer nous réconcilie avec l’humanité, notre cantaor s’en trouve comme dopé, comme s’il avait reniflé un rail de cinq cents mètres de long de cocaïne, ne se retient plus, joue au prêtre qui du haut de sa chaire vilipende ses fidèles, c’est son moment, son heure de gloire, dresse leur portrait sans complaisance leur reproche tous leurs actes, toutes leurs pensées, leur envie d’éclipser leurs semblables, ils ne rêvent que de pouvoir, d’argent et de sexe, leur faut un maximum de maîtresses, c’est ainsi qu’ils répliquent et reproduisent leur propre espèce, le gonze se prend pour Bossuet, s’identifie à Bourdaloue. Les musiciens derrière s’enflent comme s’ils voulaient imiter la fanfare municipale, ils n’en crèvent pas mais quel charivari. On a l’impression qu’ils ont décidé de s’autoparodier. Ils y réussissent tous avec brio. Une véritable scène d’opérette. On se croirait chez Offenbach ! Désordre existentiel : changement de ton, la musique vole haut, la vile humanité se prend pour Icare, les guitares fusent et imitent à la perfection le bruit d’un avion dont le moteur emballé s’enraye et le voici qui pique du nez, tourne en cercle pour retarder l’instant fatal, peine perdue, le pilote ouvre le cockpit et crie ses ultimes admonestations au peuple égaré des ilotes volontaires sur lesquels il va s’écraser, vanité des vanités, l’on se croirait dans l’Ecclésiaste, les musicos imitent l’avion aux ailes cassées qui perd de l’altitude, et dans un dernier cri de toréador qui s’apprête à occire le taureau imprudent notre Robur maître du bas-monde prédit leur mort imminente… Ce qu’Er a vu : soyons clair, on a bien rigolé, ls deux précédents morceaux ressemblent un peu à la quatrième pièce, une comédie que les auteurs grecs ajoutaient aux trois drames de leur trilogie par lesquels ils avaient exposé un mythe, centré par exemple sur  le personnage d’Œdipe, cela permettait quelque de détendre l’atmosphère et de d’exprimer d’une façon moins ennuyeuse et plus accessible à la large fraction populaire du public de mieux entrevoir la portée des thèmes abordés par leurs trois premières pièces. Le Mythe d’Er n’est pas de la petite gnognote. Vous le trouverez à la fin de la République de Platon. Plus question de plaisanter, la musique devient sérieuse, finie l’opérette, voici du rock, Er raconte ce qu’il a vu, les morts oublient tout ce qu’ils ont vécu et tout ce qu’ils ont vu dans le domaine supérieur, en s’abreuvant au fleuve Amélès, les âmes vides se dirigent vers Lachésis la Parque qui file le fil de la vie, et chacune prend celui qui lui correspond, leur âme reviendra sur leur terre, ils se réincarneront plusieurs fois durant mille ans, au bout de ce temps, soit ils repartiront pour un cycle de mille ans, soit ils auront accès à la contemplation des Idées éternelles… nous échappons à la déclamation, seul le chant rock a le droit d’énoncer de tels enseignements…  Interlude II : ce n’est pas le générique de fin, mais un intermède musical, quelle parole oserait parler apès de tels enseignements, pour les Grecs la musique était l’art suprême, le seul capable de recevoir la poésie, autrement dit l’inspiration soufflée par les Dieux, ce morceau ne saurait pas ne pas pouvoir être grandiloquent. Vérité mensongère : partie 1 : si lourd à entendre une seule fois que l’interlude 2 se prolonge dans ce morceau-ci, lui aussi dépourvu de parole. La vérité de la parole des Dieux est qualifiée de mensongèr , non pas par ce qu’elle provient des Dieux mais parce que si éblouissante, si limpide soit-elle, elle n’est saisie et comprise que par des hommes qui ne sauraient l’entendre et la comprendre qu’imparfaitement. Vérité mensongère : partie 2 : puisque vous ne comprenez pas grand-chose, cette deuxième partie vous explique que la parole des Dieux transmise à l’avidité infinie de l’intelligence humaine est très vite transformée en religion, en croyances, qui permet de manipuler la grande part des hommes dont l’esprit est empli d’ombre et de bêtise. Vous offrez le feu à l’homme pour qu’il se réchauffe et s’éclaire, et certains vous apprendront à mettre le feu à l’abri de votre voisin...Vérité mensongère : partie 3 : un dernier commentaire, une ultime explication, l’a repris son ton déclamatoire, la batterie trépigne pour que vous enfonciez cela dans la tête, dans les synapses, dans le ciboulot, inutile d’essayer la subtilité, vous avez toutefois des chœurs féminins pour rendre votre comprenette un tantinet plus émolliente, l’on sait bien que c’est une cause perdue, que l’échec est inévitable, la guitare vous offre un solo à vous faire verser des larmes, à inonder le plancher à transformer l’escalier en torrent, rien n’y fera, les athées et les agnostiques resteront sourds aux rares sages  qui auront compris et intégré ce message, qu’ils soient placés tout en haut de la hiérarchie humaine ou au plus bas de l’échelle… personne ne les comprendra, personne ne les suivra. La voix se tait, la musique s’éteint doucement. La lumière se retire du monde. Définitivement serait-on tenté d’ajouter.

             Ce n’est pas le chef d’œuvre metallifère du siècle. Mais c’est follement original. Ils osent tout. Ils empruntent à la culture la plus savante comme aux formes les plus populaires. Une espèce de comédie humaine balzacienne en taille réduite. Mais impressionnante.

    Damie Chad.