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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 670 : KR'TNT ! 670 : THE DAMNED / LAWRENCE / JAKE CALYPSO / SHEL TALMY / RONNIE WALTER/ ROCKABILLY GENERATION NEWS/ TWO RUNNER / CLAUSTRA / POGO CAR CRASH CONTROL / CHARLES EAST / EDDY MITCHELL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 670

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 12 / 2024

      

     THE DAMNED / LAWRENCE

    JAKE CALYPSO / SHEL TALMY / RONNIE WALTER

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TWO RUNNER / CLAUSTRA  

    POGO CAR CRASH CONTROL / CHARLES EAST

     EDDY MITCHELL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 670

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Au bonheur des Damned

    (Part One)

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             Alors les Damned, c’était comment ? Power ! Élysée ! Captain ! Second Time Around ! Tempête ! Cap Horn ! Démâtage ! Wild as phoque ! Punk-rock ! Ni-Ni-Ni Neat ! Rat ! Bim ! Bam ! Boom ! New Rose ! I don’t know why/ I don’t know why ! Tonnerre de Brest ! It’s a Love Song ! Moule à gaufres ! In my face ! Flash-back ! 1977 ! I break my heart to please/ Eloise ! Te voilà fétu pour deux heures, les Damned te charrient et t’emportent. Depuis 1977, les Damned t’ont toujours charrié. Ils n’ont fait que ça. T’adores te faire charrier. T’es fait pour ça. La vie et puis la mort, le temps t’emporte, et les Damned sont un groupe purement métaphorique, ils ont le même pouvoir que ce temps qui t’emporte. Alors tu t’en délectes. Pire, tu te livres. Tu assumes parfaitement ton destin de fétu. C’est même une occasion en or de l’assumer. C’est très physique et en même temps très abstrait. En plus, t’as le spectacle. L’un des meilleurs spectacles de rock qui se puisse imaginer ici-bas. Tu le sais depuis Mont-de-Marsan, en 1977 : t’avais jamais rien vu d’aussi wild sur scène que les Damned à Mont-de-Marsan, Dave Vanian torse nu dans le cagnard, un vrai snake, et puis Captain et Rat et Brian James comme autant de rock stars sorties de nulle part, surtout Brian James. Et quasiment cinquante ans plus tard, ça recommence, avec exactement le même genre d’intensité sauvage. Le même genre de wild-as-fuckiness. C’est plus joli en anglais.

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             L’Élysée est rempli à ras-bord de vieux punks. Tu les entends raconter leurs souvenirs du temps jadis. Tu vois tous ces T-shirts des Damned. T’attends des heures et les voilà. Ovation. Double ovation. Triple ovation. Bordel, voilà les Damned ! T’écarquilles bien les yeux. Radadadadadam ! Ouverture des hostilités avec «Love Song». Oui, parfaitement, radadadadadam, Paul Gray gratte l’intro historique que grattait jadis Algy Ward with a coin, et l’énorme machine de guerre des Damned se met en route. L’Élysée tangue comme un trois-mâts pris dans la tempête du Cap Horn, ça ondule merveilleusement, tu commences à prendre des coups dans le dos. Ils enchaînent avec «Machine Gun Etiquette» et la foule en délire reprend le second time around avec Dave Vanian. Second time around ! Clameur monumentale ! Second time around ! On se croirait dans un film révolutionnaire d’Abel Gance, avec ces milliers de figurants alignés sur la falaise. T’as clairement l’impression de vivre un moment historique. Les Damned fédèrent le monde entier ! Alors tu brailles avec les autres ! Second time around ! Tu vis l’un des sommets de la clameur du rock anglais. T’en peux plus ! Tu te gaves du bonheur de la clameur. Tu bloques l’instant pour l’éternité en gueulant comme un veau ! Second time around ! Tous les fétus gueulent. Ça n’en finit plus de gueuler. Ça n’en finit plus de finit plus ! Encore ! Encore ! Second time around ! Mais les hits des Damned ne durent que trois minutes et tu vas bloquer que dalle. La tempête se calme soudainement et les Damned entrent dans le ventre mou du set. C’est une chance. Sans ce retour au calme, l’Élysée se serait écroulé.

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             Sur scène, t’as quasiment la mouture originale, ne manque que Brian James. Rat vient faire des ronds de jambe devant la foule avant d’aller s’installer derrière son kit. Il est assez haut et semble solide, même avec sa tête de pivert déplumé. Au fond t’as Monty Oxymoron, et dans un coin Paul Gray sur sa basse Rickenbacker. Devant, t’as Dave Vanian, tout en noir, gants noirs, lunettes noires, et comme tu le vois d’assez près, tu constates qu’il n’a pas pris une seule ride, rien, pas la moindre trace de vieillissement. Un vampire ? Va-t-en savoir ! Voix intacte. Dave Vanian reste l’un des meilleurs.

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    Et pour compléter ce fastueux panorama, t’as Captain. C’est lui le héros, un vrai clown et l’un des rois du killer solo flash, il tape tous ses plans sur une SG, comme le faisait jadis Brian James. Sous son béret rouge, il multiplie les grimaces, il lève la patte en l’air, il fait le clown, mais joue comme un dieu. Captain, c’est l’Haddock du rock, le clown suprême, ton meilleur ami, le punk-rock à deux pattes, le dernier des Mohicans, le claqueur de claquemures, l’extrême onction, le polichinelle de la Comedia des temps modernes, le Don Quichotte de la punka, l’impératif de l’imparfait, l’en-veux-tu-voilà plein les mains, le zébulon en large et en travers, l’espace intermédiaire, le réfectoire des références, l’apologie du rigorisme, le médiateur des médiators, le beret rouge sur Kolwezi, le Victor des Gogos, l’essuyeur d’emplâtres, l’allons voir si la New Rose est éclose, oui, amigo, Captain c’est tout ça et beaucoup plus encore, l’Achab des accablés, le blé des pauvres, le pote aux roses, le Rose-Croix du Golgotha, le quota des cote-parts, le partisan du parmesan, le zan du zazou, le zou-prolétariat du rock, l’eurock des 27, le set d’étable, ça n’en finirait plus, avec ce mec-là, et pendant ce temps, les Damned déroulent leur répertoire, ils réveillent un peu le Cap Horn avec «I Just Can’t Be Happy Today» qui n’est malheureusement pas au niveau des cuts du premier album tarte-à-la-crème, par contre, ils explosent «Eloise», ce magnifique hit de Paul & Barry Ryan que bizarrement les gens n’aiment pas trop, mais pour Dave Vanian, c’est l’occasion de réaliser un véritable exploit, car il faut aller la chercher, l’Eloise ! Et il la trouve, à la pointe de sa glotte de vampire. Ils vont boucler le set avec «Neat Neat Neat» et nous jeter à nouveau dans les remous du Cap Horn. Ils vont faire deux rappels. Le premier avec «Curtain Call» et bien sûr «New Rose», et là, c’est l’apocalypse selon Saint-Qui-tu-veux. Puis Captain va revenir et se demander, à voix haute, au micro, quel est le meilleur moyen de finir. «Smash It Up» ? Eh oui, Captain ! Smash it Up ! Ah il aime bien smasher son vieux Smash It Up. Ça lui rappelle sa jeunesse et nous la nôtre. Fin de la rigolade : les Damned se barrent. Fallait bien t’y attendre.

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             Captain revient au micro une première fois pour balancer ça : «Marci (sic) Marc Zermati, Little Bob, Stiff Records.» T’en a des frissons dans le dos. Puis il revient une deuxième fois pour rebalancer ça : «Hope we’ll live long enough to be back.» Old punk Captain prend soin de ses fans. Nous aussi on espère être encore en vie la prochaine fois.

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             Personnage tout aussi fascinant que Captain, Dave Vanian entre dans la cour des grands avec le Mojo Interview, rubrique habituellement réservée aux têtes de gondole. Il s’agit pour Dave Vanian, et donc les Damned, d’une sorte de consécration. Il précise très vite qu’il ne donne jamais d’interviews car il considère que la musique parle d’elle-même, et il ajoute que dans ce monde obsédé par la transparence, il préfère préserver sa privacy. Il rappelle ensuite l’épisode de la formation des Damned, après l’échec des Masters Of The Backside, projet qu’avait monté McLaren avec Chrissie Hynde. Rat lui présente Brian et c’est parti. Dave Vanian voit tout de suite que ce mec a quelque chose d’autre - I knew he had something different - Ce qui pour Vanian fait la force des Damned, c’est qu’ils étaient quatre fortes personnalités - As individuals they would have been stars in their own right - et il ajoute : «It reminded me of a wild jazz band.» Quatre fortes personnalités, ça ne vous rappelle rien ? John, Paul, George & Ringo. Ou encore Johnny, Jerry, Walter & Billy. Ou encore Alex, Chris, Andy & Jody. Vous voyez le genre ? Oui, les Damned c’est exactement le même concentré de génie que les Beatles, les Heartbreakers ou Big Star. Et quand Pat Gilbert lui demande pourquoi il a choisi de devenir un vampire, Vanian prend une pause avant de répondre - I’ve always preferred my own company - Et quand bien sûr Gilbert aborde l’aspect drunken hellraisers du duo Captain/Rat, Vanian répond sèchement que ça a bousillé pas mal d’opportunités - It was a bit stupid, basically overgrown schoolboys stuff - Alors que les autres sifflaient des pintes, Vanian préférait un verre de brandy. Et quand ils roulaient leurs clopes, Vanian fumait des cigarettes russes - I just preferred the taste - Mais en matière de chaos, Dave Vanian préférait laisser faire. Ou plutôt feignait de ne rien voir. Il rappelle que Captain et lui n’ont jamais socialised together, and still don’t, mais ils s’entendaient bien pour composer, comme le montre Machine Gun Etiquette. Au plan business, Dave Vanian rappelle qu’il n’a jamais gagné un rond avec Stiff. Il a seulement commencé à se faire du blé avec MCA, mais pas tant que ça - Je ne me plains pas, mais les gens croient qu’on est millionnaires, comme Billy Idol, mais ça n’a jamais été le cas, loin de là - Et pour lui, deux choses n’ont jamais changé avec les Damned : «It never gets any easier and it’s never as glamourous as it should be.» Il finit par faire cette confidence extraordinaire : «Ce qui m’a toujours motivé, c’est que savoir que les Damned avaient toujours a new good album à venir. I’m amazed we’d lasted that long. But I’m very proud of what we’ve done.»

    Signé : Cazengler, damé du pion

    The Damned. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 1er décembre 2024

    Pat Gilbert : The Mojo Interview. Mojo #293 - April 2018

     

     

    Wizards & True Stars

    - Lawrence d’Arabie

    (Part Four)

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             Tiens ! Un book sur Lawrence d’Arabie ! Comment cela se fait-ce ? Qui peut avoir eu cette idée saugrenue ? L’idée vient du cerveau d’un certain Will Hodgkinson qui, pour parvenir à ses fins, a passé un an à sillonner les rues de Londres et de ses interminables banlieues avec Lawrence d’Arabie, qu’il qualifie, pour les besoins de la postérité, de Street-level Superstar. D’où le titre de ce book événementiel : Street-level Superstar - A Year With Lawrence.

             Force est d’entrer dans la danse des superlatifs car Hodgkinson a raison. On tient là l’une des dernières superstars d’Angleterre. Street-level, pour ne pas dire underground. On a déjà épluché tout Felt, tout Denim, tout Go-Kart Mozart, tout Mozart Estate dans les Parts One, Two Three, on ne va donc pas y revenir, même si l’envie brûle les lèvres de rappeler que certains de ces albums atteignent des sommets.

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             Lawrence d’Arabie s’est taillé un petit look sur mesure, à base de casquette à visière bleue, de grosses lunettes noires, et de mèches de cheveux filasses, ce qui d’une certaine façon le plastifie. Il est sans âge. Il fait ce que Ziggy fit avant lui : il s’auto-invente, il s’auto-fige, il devient iconique. Il est entré dans la peau de son personnage et il s’y tient. Il le maîtrise. Il l’incarne à la perfection. Il a les albums qui lui permettent de jouer ce jeu qui pour lui n’est pas un jeu. C’est toute sa vie. Il mérite pour ça un immense respect. Le plus immense. Il ne demande rien d’autre que d’être Lawrence d’Arabie et de briller au firmament de la grande pop anglaise. C’est donc avec un terrible bonheur qu’on entre dans ce book, car Lawrence d’Arabie s’y exprime au long de 300 pages agréables au toucher, admirablement composées dans un corps 12 bien aéré, la vie circule bien dans l’interlignage, et l’esprit règne en permanence, car rien de ce que dit Lawrence d’Arabie ne va te laisser indifférent. Quelques images rassemblées à la fin et imprimées sur le bouffant semblent vouloir résumer la trajectoire terrestre de l’icône. Les gris sont lavés à cause du bouffant, mais les images parlent. On va donc pouvoir se livrer une fois encore à cette petite manie des fièvres citatoires, mais n’est-ce pas là le plus sûr moyen de donner envie de lire ?

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             Au dos, t’as six hommages de personnalités (dont Jarvis Cocker, Bobby Gillespie, Miki Berenyi), et les deux plus intéressantes sont peut-être celle de Brett Anderson qui explique en trois lignes que Lawrence d’Arabie s’est toujours situé entre le succès et l’échec - Lawrence’s destiny was to be something uniquely in-between - et puis celle de Lawrence d’Arabie himself qui est un chef-d’œuvre d’auto-distanciation : «Will has finally written his masterpiece. Glad I could be of service.» Il sublime ainsi l’aspect plastique de son personnage. Il se prête à l’auteur pour que celui-ci fasse un bon book. Tiens, Will, voilà Lawrence d’Arabie, cadeau ! C’est pour toi, prends ! Will prend.

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             Il n’empêche que Will et son icône ont parfois des échanges comiques. Un jour Lawrence dit à Will que «d’écrire mon book me fera le plus grand bien», et Will est obligé de le recadrer en lui disant que ce n’est pas lui, Lawrence qui écrit : «I am.» Et il enfonce son clou dans la paume de l’icône : «You are the subject, I’m the writer.» Lawrence revient à la charge en posant toutefois ses conditions. Pas question de citer certaines anecdotes, par exemple celle de l’omelette au fromage. Il argumente : «Ce n’est pas ce que les fans veulent lire.» Quels fans ?, lui rétorque Will. Alors Lawrence répond «The fans around the world», et Will lui dit que l’omelette au fromage sera dans le book. Et là, t’a Lawrence qui lâche : «No omelette is going in my book.» Du Dada pur.

             Alors Will plonge dans l’icône et s’en donne à cœur-joie. Il commence par la situer dans notre pauvre époque : l’icône méprise Internet et les smartphones, l’icône ne se nourrit que de crackers, de tasses de thé et de liquorice (réglisse), l’icône ne peut pas vivre sans projet - To be without purpose is the worst thing I can think of - L’icône s’avoue dégoûtée par la vulgarité de la vie moderne. Parce qu’elle n’a jamais eu de hit, l’icône est encore obligée à 61 ans de faire gaffe à tout, c’est-à-dire de compter ses sous, comme le font beaucoup d’entre-nous.

             Encore plus épineux : l’aspect relationnel, il y a des femmes, bien sûr, mais l’idéal est de rencontrer someone with the same record collection, ce qui dans la vraie vie n’arrive jamais. L’icône dit aussi avoir été morbidly obssessed with The Exoercist à l’âge de 11 ans (le book, pas le film), d’autant qu’on racontait à l’époque que ce n’était pas une fiction.

             L’icône mène une vie monastique, à base de livres, de disques et de fringues - Books are the house bricks of my world. Records are the slate roof. Clothes are the soft furnishing - Il évoque sa dernière copine, the French girl. Il se dit presque soulagé de l’avoir vue partir - I said, «I’ll never be in a relationship ever again.» I never have. I like my own company. The sex part, you forget about it after a while. And I wasn’t, what do you call it, testosterone-heavy. I was a two-minute wonder. They’re not missing much - L’icône s’est asexuée - I’ve been asuxual ever since - Terminé, la gaudriole.

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             L’icône parle très bien de sa condition. Ses amis Peter Astor et Douglas Hart trouvent des jobs. Pas Lawrence d’Arabie. Il prend l’exemple de Knut Hamsun qui préférait mourir de faim et manger du papier plutôt que de décrocher un job - Si quelqu’un le voyait par exemple faire la plonge, ça aurait détruit sa crédibilité, et c’est comme ça que je fonctionne. Quoi qu’il arrive, je suis un compositeur et un musicien, et je ne peux pas faire autre chose - Et il conclut ainsi : «I cannot admit I’m not an artist.» C’est ça ou rien. Crever la dalle, pas de blé : aucun problème. L’icône s’assume.

             Autre chose. Le genre de petit détail qui en dit long : l’icône ne supporte pas les lézards. Quand il est invité à jouer à Glastonbury, on lui dit qu’il va devoir dormir sous une tente. Une tente ? Pas question ! Il s’insurge : «Where are the cottages for the stars?». On lui redit la tente. Alors Lawrence balance : «What if a lizard runs over my face?».

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             Côté influences, il n’est pas avare de merveilles - Il avait 12 ans quand il a vu en 1972 T. Rex jouer «Metal Guru» à Top Of The Pops et ça a changé quelque chose en lui. ‘From then on, I was T.Rex mad. Je crois que j’étais amoureux de Marc Bolan. C’est le moment où j’ai su ce que je voulais faire de ma vie.’ - L’icône trouve sa vocation. Il avoue aussi un petit faible pour «unsung geniuses like Chicory Tip and Lieutenant Pigeon.» Il salue aussi les Vibrators - They had the sound I liked: fast and angry - et bien sûr David Bowie. Puis il traverse cette époque où tous les groupes anglais (Weather Prophets, Primal Scream et les Mary Chain) voulaient être le Velvet Underground, «mais il n’y a qu’un seul Velvet Underground». Puis il flashe sur Nick Drake et notamment «River Man». Puis sur l’«I Threw It All Away» de Dylan qui se trouve sur Nashville Skyline, un cut qui lui montre qu’il est possible de composer une «love song with subtlety and originality.» Taxi Driver reste son film préféré - Harvey Keitel est le mac, et sa scène avec De Niro m’a fait pleurer parce que je n’avais jamais vu d’acting aussi intense avant. It is uncompromising.

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             Retour sur Felt, dont le premier album, Crumbling The Antiseptic Beauty date de 1982. L’icône en devenir avait mis trois ans à mûrir ce projet «in his teenage bedroom in the Birmingham village of Water Orton: Felt allait enregistrer 10 albums en 10 ans, en suivant un tight musical and visual aesthetic. This was to be an art band, avec des photos en noir et blanc de Lawrence et de ses co-conspirators affichant des moues profondes, un look qui s’accordait parfaitement avec cette musique hazy and dream-like dominée par le jeu fluide du guitariste Maurice Deebank, un virtuose discret que Lawrence avait découvert dans le village et qu’il voyait comme son passeport pour la gloire.» C’est admirablement bien résumé. L’icône en devenir se dit fière d’avoir découvert un génie dans son village - In a small village of a couple of thousand people, right on my doorstep was a genius. I was very lucky - Le problème, c’est qu’à l’époque, l’icône en devenir flashe sur Television. Pas Maurice - Maurice didn’t know Television, didn’t hear Television, didn’t like Television, wasn’t bothered about Television. He thought punk was ridiculous and he didn’t care about the subtleties of the fashions I was interested in - Et donc, dès le départ, il y des tensions dans Felt.  

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             Et puis Lawrence impose sa loi : par de grattes sunburst et uniquement des médiators blancs. Comme Maurice a une gratte sunburst, il doit la faire repeindre en noir. Puis l’icône en devenir va se transformer en tyran, s’inspirant, nous dit Will, de Kevin Rowland qui réveillait ses Dexys Midnight Runners à 6 h du mat pour aller faire du jogging. Pour recruter, l’icône en devenir hésite : prendre un bassman parce qu’il sait jouer ou parce qu’il est bien habillé ? En tournée, il interdit aux autres Felt de picoler, il leur impose de porter un uniforme et d’avoir des étuis de guitares rectangulaires. Il veut aussi fouiller les sacs de voyage, pour voir si les fringues sont conformes. Il veut surtout voyager à bord de «cool vintage cars.» - Being tyrannical on tour was the dream and God knows I tried, but they didn’t like it. Didn’t like it at all. And unfortunately, I didn’t have the money to buy their loyalty - Il avait aussi demandé à Tom Verlaine de produire Felt et Verlaine avait répondu non, car les chansons de Felt n’avaient à ses yeux ni début, ni middle, ni fin, «no light or shade, no arrangements.» Et bien sûr pas question de reformer Felt - Lou Reed a reformé le Velvet Underground, but I’m stronger than him - Et il a joute ceci qui est terrible : «Je pense que Lou Reed voulait reformer le Velvet Underground pour avoir son heure de gloire - his day in the sun - et en faisant ça, il a détruit la magie du groupe. I would never dismantle the magic of Felt.» Et Will surenchérit : «And he never has.» Fin de Felt. Tout ce qu’on peut faire à ce stade des opérations, c’est réécouter les albums. On ne perdra pas son temps.

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             L’icône va ensuite se jeter dans l’aventure Denim. L’icône dit qu’au temps de Denim elle était à la recherche d’un Londres qui n’existait plus, «Terence Stamp’s London in particular, avec des groupes comme Middle Of The Road, the Glitter Band - but not Gary Glitter - et Opportunity Knocks.» Elle ajoute plus loin : «On top of this, j’aimais les chansons courtes, quinze minutes sur chaque face de l’album. Put it all together and you are up with Denim.» Will corrobore tout ça en rappelant que Back In Denim, paru en 1992, était en avance de trois ans sur la Britpop. L’icône se dit aussi fière d’avoir fait cracker John Leckie, un producteur qui avait bossé avec tous les cracks, «John Lennon, Phil Spector, Mark E. Smith, and I was the one who drove him over the edge.» L’épisode Denim le plus hilarant est celui de Denim On Ice, inspiré d’un concert du «progressive keyboard wizard» Rick Wakeman en 1975 au Wembley Empire Pool, et intitulé ‘The Myths & Legends Of The Knights Of The Round Table On Ice’. Will nous donne quelques détails : «Un horn player rond comme une queue de pelle tenta de poursuivre Guinevere alors qu’elle glissait sur la piste, un combat entre deux chevaliers ne put avoir lieu parce qu’il en manquait un, des patineurs lancés dans des figures mythiques se cassaient la gueule sur la glace, et Wakeman fut tellement affecté par ce désastre qu’il en fit une crise cardiaque à l’âge de 25 ans.» 

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             Après Denim, voilà venu le temps de Go-Kart Mozart et de Mozart Estate qu’il qualifie de «world’s first B-sides band.» Comme pour Felt, il veut que ça reste «a band that doesn’t drink.» Le rider du groupe spécifie : «Only chocolate, Cadburys Daily Milk ideally, alongside raw cashew nuts, pistachios and confectionnery. No tea because nobody can make it to my specifications, and the band want 0 per cent beer. A can of Coke for me, pas la grande bouteille qu’on ne peut pas emmener partout. C’est très simple - le rider le plus simple in the UK, I reckon.»

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             On croise aussi un fantastique hommage à Peter Astor. L’icône le découvre au temps de the Loft - The Jasmine Minks jouaient : great name, awful band. The Loft jouaient en première partie : awful name, great band - Et il ajoute plus loin : «Peter Astor allait devenir une big star et il avait tout : the looks, the songs, the image. Mais il a commis une fatale erreur : il a splitté son groupe au mauvais moment. He wanted complete control, and when he got complete control, it wasn’t as good.» Il rend aussi hommage au book de Jim Carroll - Jim Carroll’s teenage New York teenage drug memoir The Basketball Diairies - «I’ve still got it. Very good book.»

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             Le cœur battant du book, c’est l’hommage à Vic Godard. Il s’agit d’une admiration qui remonte au «September 1976 punk special» du 100 Club quand les Subway Sect «rejetaient la mode punk en faveur du gris, et composaient des sharp songs inspirées du cinéma et de la littérature française.» - Vic Godard fournit alors à Lawrence le modèle de ce que pouvait être une vision pop - Et l’icône en devenir d’ajouter ceci qui est assez royal : «Number One Subway Sect Fan in Birmingham was my official title.» Vic va devenir the guiding light de Lawrence d’Arabie. Au point d’affirmer : «He’s the best songwriter who ever lived.» Au moins, comme ça, les choses sont claires. Et boom, l’icône emmène son portraitiste Will à Kew, où vit Vic. Vic n’a jamais quitté Kew. En 2006, il s’est installé dans le «bungalow» avec son père Harry qui a aujourd’hui 102 ans. On le voit en photo dans les gris lavés des pages de fin. Vic, Will et Lawrence entrent tous les trois dans la chambre du vieux qui croasse : «I remember you.» Puis il ajoute en pointant le doigt vers Lawrence : «You’re in that terrible band.» Attention, on est chez les cracks en Angleterre, et les échanges nous dépassent. Et Vic avoue à l’icône transie d’admiration qu’il ne peut plus donner de concerts, car il s’occupe d’Harry à plein temps - I’m here the whole time looking after him - Vic va dans la kitchen et met l’eau à bouillir pour faire un thé. Will se marre : «C’est bien la première fois que je vois Lawrence accepter une tasse de thé chez quelqu’un.» Et puis t’as ça qui va t’envoyer au tapis : Lawrence d’Arabie compare le jeune Vic à Antoine, «the naughty but philosophical boy hero of Truffaut’s The 400 Blows.» Pas mal. Bien vu ! Personne n’est plus punk qu’Antoine Doinel. Tu vois le punk courir à la fin des 400 Coups. Punk car innocent. Quelle connexion ! Lawrence/Truffaut/Godard ! Lawrence et Will ont tout compris. Et c’est pas fini : Vic dit à Lawrence éberlué que son inspiration lui est venue à l’époque d’une photo de Richard Hell et Tom Verlaine dans Interview magazine - Tom Verlaine is wearing a budgie jacket and Richard Hell has a ripped jumper. I hadn’t heard a note of their music - Quand Lawrence voit Subway Sect pour la première fois en décembre 1977 au Top Rank, «it was the greatest concert he had ever seen.» L’échange se poursuit et Will nous dit que Lawrence est tellement excité en présence de son héros qu’il passe son temps à l’interrompre - Tu portais des pantalons gris et un flash jumper. I still do that combination to this day - Et Vic commence à balancer des infos de choc. Il explique par exemple que son amitié avec le guitariste Rob Symmons s’est cimentée quand il a découvert que le gardien de l’immeuble où Symmons vivait à Putney n’était autre que le père de Marc Bolan. Puis il y a l’histoire du bras de fer avec la manager Bernie Rhodes qui leur dit de trouver un batteur avec les cheveux courts - Alors on a cherché le batteur qui avait les cheveux les plus longs - Will assiste à cet échange de rêve et nous propose de méditer sur ça : «Alors que Vic Gogard expliquait d’une voix claire et lente sa façon de voir les choses, il apparaissait clairement qu’il disposait d’une nature aussi contradictoire que celle de Lawrence. Le punk-rock l’avait défini, mais ses héros étaient Hoagy Carmichael, Johnny Mercer, Irving Berlin, Cole Porter... All the old names, as he called them.» Vic ajoute qu’il est allé voir chanter Frank Sinatra en 1977, «right in the middle of punk». Mais il dit aussi avoir flashé sur «Something In The Air» de Thunderclap Newman, et «Somethin’ Stupid» de Frank & Nancy Sinatra - Rod Stewart’s Every Picture Tells A Story was the first album I bought. I loved Rod Stewart... until he went really shit - Puis il avoue sa passion pour Guy de Maupassant - Notre bibliothèque municipale avait tous les scripts des films de Jean-Luc Godard et je les recopiais pour mes chansons - Après le split de Subway Sect, Vic dit que Bernie Rhodes le payait «£50 pour écrire dix chansons par semaine.» Mais il n’en est rien sorti - Meanwhile, I wanted to get as far away from punk as possible, so I went towards jazz and swing on Songs For Sale. My upbringing allowed me to do that - Évidemment, cet album est l’un des favoris de Lawrence d’Arabie - To me, Songs For Sale is unquestionably the best album of the 1980s. It has the best songs; the best music, the best ideas, the tightest band. It was on London records, which is great, because that’s the label Denim signed on - Puis il demande à Vic ce que signifie cette phrase dans «Moving Bed» : «I may fall asleep while composing a verse, I may set myself alight again.» Et Vic lui explique : «It’s about gear» - Will développe : «Vic spent much of the 1990s on heroin, cleaning up in 1989 after becoming a postman, although he had a relapse in the late ‘90 after his mother died.»

             C’est l’occasion ou jamais de sortir les Vic de l’étagère.

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             Vic porte un beau smoking sur la pochette de Songs For Sale. Ce crack du croon est parfaitement à l’aise dès «Hey Now (I’m In Love)», il fait du Sinatra à l’anglaise. Notez bien les noms des cracks qui swinguent derrière Vic Sinatra : Chris Brostock on bass et Sean McLusky au jazz drum. Vic appelle sa fine équipe The Subway Sect. Ils swinguent encore comme des démons sur «Crazy Crazy». Tu peux y aller les yeux fermés. Hommage à Tony Bennett avec «Mr Bennett». En B, t’as encore deux merveilles de swing : «Dilletante», bien swingué sous le boisseau, et «No Style», au bout de la B, plus bossa. Vic Sinatra roule bien sa bossa. T’as là un cut puissant et léger, avec le piano en roue libre.  

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             Paru en 1993, The End Of The Surray People est un fabuleux album. Vic Godard y rend un hommage qu’il faut bien qualifier de mythique à Johnny Thunders dans «Johnny Thunders», c’mon boys ! Il siffle ! On suppose que c’est Edwyn Collins qui gratte les poux de Johnny T. C’est du pur mythe d’I’m gonna quit this town forever/ Quit this town for good/ Just like Johnny Thunders, avec les chœurs des Dolls et le bassmatic mirobolant et ultra malveillant de Paul Baker, ou de Clare Kenny, le saura-t-on jamais ? L’autre grosse pointure de l’album, c’est Paul Cook qu’on entend mener l’instro «Inbalance» tambour battant et qu’on retrouve plus loin dans «The Pain Barrier». Ah le Cookie sait battre le beurre ! Avec «Some Mistake», Vic Godard tape une pop godardienne d’excellence suprême. Présence miraculeuse ! Encore deux coups de génie sur cet album : «Talent To Follow» et le morceau titre à la fin. Pur génie que ce Talent, avec son bassmatic élévateur et les gimmicks flamboyants, Godard allume comme un punk de la première heure et ça donne la meilleure pop d’Angleterre. Et puis ce morceau titre que tu va réécouter en boucle, car c’est l’Americana de London town, admirable de singalong, Vic Vodard chante ça d’un ton prodigieusement inspiré, c’est gratté à coups de slide mirifiques. Les épithètes font la fête car c’est un cut magique ! Pas étonnant que Lawrence ait flashé sur Godard.

    , the damned, lawrence, jake calypso, shel talmy, ronnie walter, two runner, claustra, pogo car crash control, charles east, eddy mitchell,

             Et puis t’as la poisse. Une street-level superstar sans la poisse, ça ne serait pas crédible. Il est sûr de son coup avec «Summer Smash». Mais au moment du lancement officiel du single, la Princesse Diana se tape un summer smash en vrai sous un tunnel parisien. Le lancement officiel du «Summer Smash» de Lawrence est annulé. «It was over», said Lawrence. What happened next? «I Had a mental collapse.»

             Un designer de mode nommé Rick Owens voulait monter le «Mount Rushmore of ageing rock» avec des «craggy-faced rock characters». Alors il en choisit quatre : «the communist fashion victim Ian Svenonious, Saul Adamczewski from the South London grots the Fat White Family, and Peter Perrett of the punk-era band the Only Ones, a man to match Lawrence with his apparent indestructability in the face of a less-than-healthy lifestyle.» Si Rick Owens avait monté ce plan dans les sixties, il aurait sûrement choisi Ace Kefford, Syd Barrett, Brian Jones et Vince Taylor.

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             Un autre projet qui fait la fierté de l’icône : elle participe à la compile Light In The Attic And Friends, avec une cover du «Low Life» de Public Image Limited, «turning John Lydon’s caustic eulogy to Sid Vicious into a punk singalong with added easy-listening pizzazz.» Alors on l’écoute. Comme c’est du Light In The Attic, c’est un bel objet, un double album richement illustré mais mal documenté (le texte sur Barbara Lynn ne mentionne même pas le nom d’Huey P. Meaux). Ce ne sont que des covers. Lawrence est en B avec Mozart Estate et une version glammy du «Low Life». Il se répand bien sur la terre d’Angleterre. L’autre grand bénéficiaire de cette opération n’est autre qu’Iggy Pop avec une cover de l’«I’m In Luck I Might Get Picked Up» de Betty Davis. L’Ig se jette corps et âme dans la purée. Il n’a jamais été aussi Stoogien. Deux autres champions hors catégorie sauvent le projet : Barbara Lynn et Acetone. Barbara tape une cover de «We’ll Understand» à la vieille voix, c’est une vraie merveille de délicatesse black. Il faut attendre l’excellent «Plain As Your Eyes Can See» par Acetone, en D, pour flasher abondamment : vraie atmosphère, c’est même carrément envoûtant, deep & groovy, lourd de conséquences, avec un solo liquide. Les covers de Rodriguez («Slip Away» par Charles Bradley), de Wendy Rene («After Laughter») et du «Sad Old Man» de Karen Dalton par Mark Lanegan ne marchent pas.

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             Will cerne admirablement bien la personnalité de ce personnage complexe qu’est Lawrence d’Arabie. Vers la fin du book, il tente ce très beau résumé : «C’était un homme qui gueulait après ses musiciens s’ils jouaient une fausse note (ou une note juste), et qui leur tapait gentiment sur l’épaule lorsqu’ils sortaient de scène. Il avait de la sympathie pour les fous, les pauvres et les addicts, mais il avait aussi une forme d’admiration pour les gens riches et célèbres. C’était un célibataire qui allait au lit en rêvant de Kate Moss, un ascète que les privations avaient presque tué, un homme obsédé par le contrôle qui ne voulait pas que j’utilise le mot ‘just’, mais qui contribuait tellement à son book. Le monde allait dans un sens et Lawrence dans un autre, et je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il en serait toujours ainsi.» Will fait le portait un excentrique britannique. Et il résume encore mieux, à la dernière page : «Quel est le prix du rêve ? Pour le payer, Lawrence a sacrifié sa santé, sa famille, ses relations et sans doute sa santé mentale pour l’art, la gloire, la pop et une vision singulière. Maybe sacrifice is the wrong word, though.» Il se pourrait que ce soit la définition d’un artiste. «Lawrence était destiné à parcourir sa route tout seul. Cette route pouvait être à Beckenham, Welling, Waltham Cross, ou n’importe à quel endroit où nous sommes allés pendant l’année que nous avons passé ensemble, mais cette route n’a ni point de départ et point d’arrivée et il se pourrait bien que Lawrence continue de parcourir cette route jusqu’à la fin de sa vie.» C’est beaucoup mieux écrit en anglais, bien sûr. Ce book est tellement bien écrit, et le personnage de Lawrence tellement bien cerné, qu’on se promet de le relire.

    Signé : Cazengler, le rance

    Will Hodgkinson. Street-level Superstar - A Year With Lawrence. Nine Eight Books 2024

    Light In The Attic & Friends. Light In The Attic 2023

    Vic Godard & The Subway Sect. Songs For Sale. London Records 1981

    Vic Godard. The End Of The Surray People. Postcard Records 1993

     

     

    L’avenir du rock

     - Hit the road Jake

    (Part Three)

             En bon descendant du singe, l’avenir du Rock aura passé toute se vie de concept à singer. Il singeait différemment selon les années. À l’aube des années 70, il adorait porter un masque de truite puant et un chapeau de quaker en l’honneur de son chouchou préféré, Don Van Vliet. Il lui arrivait aussi de porter un costard blanc auréolé de transpiration coloniale en hommage à Luke la main froide et à Calimero, ses deux littérateurs préférés, aussitôt après Houellebecq dont il a cherché à imiter la coiffure sans jamais y parvenir. Il adorait aussi se mettre en trave pour aller faire la New York Doll au bois de Boulogne et se faire casser la gueule dans les fourrés par des loubards de la Porte de Vanves. Dans la vie, il faut toujours savoir pousser le bouchon, et l’avenir du rock n’a jamais été pingre en la matière. Au contraire. Il s’est mis à bouffer comme un porc et à porter des lunettes d’aviateur pour défendre la mémoire d’Elvis que tous les cons du monde s’ingéniaient à calomnier. Et comme ça ne servait à rien, il s’est acheté une paire de lunettes à monture écaille et un veston d’un beau bleu électrique pour singer le Buddy de «Reminiscing». Bon, c’est vrai, il ne serait jamais allé jusqu’au look Brian Setzer car il faut en avoir les moyens capillaires, alors il a préféré opter à cette époque pour la boîte de cirage, les lunettes noires et le petit chapeau pour faire l’Hooky, se balader avec un flingot et chanter «Boom Boom Boom Boom». Il a aussi fait l’Indien avec une plume dans le cul pour honorer la mémoire de Linky Link, mais aussi celle de Marvin Rainwater, et s’il porte une salopette bien crade, avec de la vraie bouse, c’est bien sûr en l’honneur de Carl Perkins. Ah les culs terreux de Tiptonville, dans le Tennessee ! Il a bien sûr appris à cracher sa chique comme Charlie Feathers, à se curer les dents avec un cran d’arrêt comme Sonny Boy Williamson et à se faire sucer la queue pendant qu’il chante comme Jimbo. S’il t’accepte dans son intimité, l’avenir du rock te confiera qu’il n’a d’yeux que pour le punk-rock, d’oreille que pour le wild gaga des Gories, de goût que pour le rockab 56, de passion que pour la Soul d’Hi, d’envie que pour l’Hill Country blues de Como, avec en prime un faible pour le Calypso.   

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             Ça pourrait être la danse, mais l’avenir du rock parle bien sûr de Jake Calypso. En plus c’est pratique, car c’est un Français. Une sorte de superstar pas très connue, qui à l’inverse des superstars trop connues, ne fait que des bons disks. Jake Calypso multiplie les projets. En voici une nouvelle rafale.

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             Le nouvel album des Nut Jumpers vient de sortir : Generation Rock N’ Roll. Dans un monde idéal, chacun devrait le rapatrier. Un monde idéal, ça voudrait dire des millions de fans de Jake à travers le monde et donc de millions de rapatriements. Alors Jake pourrait se payer un Graceland du côté de Béthune et faire ce qu’Elvis n’a pas réussi à faire : continuer d’enregistrer des albums de rockab sauvage. Du rockab sauvage, t’en as plein dans Generation Rock N’ Roll : «Back In Black», t’as le slap qui fouette couenne du lard, t’en as aussi dans le morceau titre et dans «Stop Drinkin’ Still Play Rock’n’Roll». Jake reste fidèle au pulsatif des origines, celui de Bill Black. Alors attention, t’as Helen Shadow qui prend le chant sur «Chickies». Wow, comme elle est bonne, comme est fabuleuse d’à-propos, elle sait couiner ses fins de phrases. Et t’as trois cuts qui sonnent comme du Buddy Holly : «I Ain’t Messing Around», «So Good So Good» et «Pearly Doll Got Married», tous les trois embarqués au paradis, avec belle tension rockab et le chant Buddy. Comme sur son Tribute à Buddy, Fool’s Paradise, Jake refait de l’heavy Buddy sur fond de deep slap, c’est une merveille ! Avec «Don’t Know Where I’m Going», il va plus sur l’Elvis de «My Baby Left Me». Il est dessus. Et puis t’as cette autre merveille de French rock, «A Plein Cœur». Il enfonce les cracks du genre. C’est vaillant, beau et demented. 

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             Le Music For Females du Wild Boogie Combo est dédié à Hasil Adkins. Alors attention, fini la rigolade. Démarrage en trombe avec «She’s Mine», wild-catism de base et de rigueur ! Jake pousse des cris de souris. Il s’y jette à corps perdu. Avec Lux Interior, Jake est le seul à avoir pigé le principe d’Hasil. «Tornado», c’est tout bêtement la tornade du bulldozer, l’heavy weirdy weird, avec tout l’éclat de Buddy Holly. Heavy on the beat ! C’est même quasi-primitf, claqué à l’écho des cavernes. Jake explore et explose toutes les possibilités du rockab. Il retombe en plein Hasil avec «Bip Bop Boom». Il prend aussi «Bertha Lou» en mode heavy, il lui écrase le beat, il bat largement Tav Falco à la course, sur ce coup-là. Puis il fait son Jerry Lee avec «High School Confidential», il t’explose ça à coups de bop-a-school-high - Honey get your boppin’ shoes - Il y met toute son énergie et ça devient spectaculaire. Et puis, t’as ce «Roll Roll Train» écœurant de classe, gratté à la sourde, classique mais tellement gorgé de spirit. Il passe au trash-punk avec «Bonie Moronie». Il se couronne Empereur du blasting blast. Retour au pulsatif rockab avec «Baby Won’t Come Out Tonight», le beat est tellement détaché que ça frise le purisme extrême, Jake te gratte l’oss du beat à la sourde et chante exactement comme Hasil Adkins. Il pousse ensuite Buddy dans la friteuse trash-punk pour une version endiablée de «Rave On». Il reprend tout à zéro. C’est effarant d’explosivité. Il a encore la main lourde sur «Susie Q» et revient à Hasil avec «Woodpecker Rock», il en halète de sauvagerie, ah-ah-ah-ah ! Et ça continue dans l’Hasil avec le mighty «Chicken Walk», wild blast de Virgine, c’mon baby ! T’as peu d’albums d’un tel niveau de sauvagerie dans l’histoire du rock. Jake nous fait ses adieux avec le blast de la lutte finale, «Tore Up». Wild as fucked-up fuck !

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             Un nouvel album du Wild Boogie Combo paraît en 2020 : Black Hills Country Blues, avec un terril sur la pochette, comme on en voit dans les environs de Béthune. Lumière crépusculaire. Image en noir et blanc. Ça ne peut être que du noir et blanc. Influences : Junior Kimbrough, Fred McDowell, Dr Ross et Tony Joe White. L’heavy rumble de «Magic Pill» tombe en plein dans ce spot d’influences. Jake tape toujours en plein dans le mille. Plus loin, il secoue bien le cocotier d’«Eggs & Bacon», avec un admirable drive de c’mon baby. Il tape encore son «Baby Hold Me» au Mississippi beat, celui de Fred McDowell, tempo élastique noyé d’harp, sauvage et domestiqué à la fois. Incomparable. Puis il trempe son «Black Days» dans la mouise des dirt roads, mmmmm I don’t know. De la fantastique allure encore avec «Saturday Night Boogie». Jake est le cake du wild boogie, ça ne s’appelle pas le Wild Boogie Combo pour rien. Et il tape bien sûr un coup de Gospel batch avec «I Pray For Him». Tout sonne juste sur cet album. Pur jus d’Americana.

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             C’est Jake le gardien du temple, comme le montre Rockabilly Star. Cette fois le combo s’appelle Jake Calypso & His Red Hot et tu te prends «Rockabilly By Plane» de plein fouet. Tu l’as tout de suite dans le baba, c’est du big fat bop de don’t wait at the station. L’autre power-coup de génie de l’album est le morceau titre. Jake a tout le swagger des géants du rockab US, encore une merveille d’authenticité boppy, avec un killer solo flash de Christophe Gillet, l’un des cracks du real deal. La troisième perle noire de cet album est l’extraordinaire «She Bops Around The Clock», c’est même l’un des hits les plus faramineux du rockab moderne, il a tout : le yah!, le killer solo flash et le drive de bop. Ses yah! sont tellement purs ! Il fait encore de l’Americana avec «Blue Moon Bill», il te groove le rootsy rootsah avec un tact infernal, il fait aussi du Buddy avec «21st Century Boy» et du wild-catism avec «Alone With My Cabs & Dogs», bbbbbbopp it to the core ! Les Red Hot perdent un peu le rockab avec «My Baby Is Gone», mais en attendant, ils restent de sérieux clients.

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             Nouveau projet avec The Memphis Blues Cream et un fabuleux album, 706 Union Avenue. Ça commence avec «Bear Cat», un hommage délirant à Rufus Thomas - Jump & meow with the band - Jake y atteint l’un de ses sommets de tongue in cheek. Il tape ensuite le «Tiger Man» de Joe Hill Louis, heavy boogie down de Sun magic. Il tape à la suite le «Red Hot» de Billy The Kid Emerson, que va populariser Billy Lee Riley. Jake lui redonne sa fonction boogie originelle. Hommage à Pat Hare avec «I’m Gonna Murder My Baby», cover déchirante avec Earl The Pearl Banks on guitar ! Ça grouille de viande en B, à commencer par «Last Time» de Woodrow Adams, un heavy boogie tapé au Memphis Beat avec les coups d’harp de Vince Johnson. On reste dans la légende avec le «Barber Shop Boogie» de Willie Nix : hommage suprême au Sun Sound, c’est plein comme un œuf, et Jake chante à l’édentée, comme un Blackos. Jake dit aussi que Junior Parker «opened the way for the rockabilly guitar style», c’est vrai qu’avec «Love My Baby», on est aux sources de «Mystery Train». Et boom, tu prends la cover du «Come Back Baby» de Dr Ross en pleine poire, car Jake te gratte ça en mode proto-punk. Quel mélange ! C’est unique au monde : le proto et le Memphis Beat. Jake y injecte toute sa niaque rockab. S’il avait pu rencontrer Uncle Sam, il lui aurait redonné le goût d’enregistrer, aucun doute là-dessus. Nouvel hommage de poids à Joe Hill Louis, «the first overdriven & distorded guitar sound». Boom ! «Boogie In The Park» ! Jake et ses potes le tapent au train, au beat fouetté, avec un incroyable pouvoir d’évocation. C’est exactement ce pouvoir qu’avait en tête Uncle Sam. Chaque cut est ici taillé dans un son différent. Jake leur redonne à tous une forte personnalité. Exactement ce que fit Sam Phillips en son temps.

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             Tu vas faire une bonne opération en te tapant One Take Jake 2009/2019 et son petit frère, Second Take Jake 2010/2019. Ces deux compiles te permettent de revisiter toute l’œuvre de Jake Calypso. Il attaque l’One Take Jake avec un «My Baby Rocks» chanté de l’intérieur du menton. Il fait aussi le chicken de Rosco Gordon dans «Call Me Baby», tiré de Father & Sons. Retour à cet extraordinaire album que fut Vance Mississippi, avec le morceau titre, monté sur un beat primitif de caisse en bois, chanté au redneck growl pur, et quand Archie Lee Hooker, le neveu d’Hooky, entre dans la danse, alors ça explose en mode Boogie Chillun. Tiré aussi de Father & Sons, voilà l’indéfectible «Indian Boppin’». Jake y va au fast heavy bop de Charlie, au wild-catism délibéré. Il croone à la lune avec «I Was A Fool About You» et repart en mode hard bop avec «I’m Fed Up» encore tiré de cet album d’une incroyable qualité que fut Father & Sons. «Plans Of Love» sonne tout simplement comme un hit inter-galactique. C’est l’apothéose du cool. Il égrène les villes du Sud dans «Rock’n’Roll Train» tiré de Grandaddy’s Grease et te claque «Cause You’re My Baby» en mode Jerry Lee. Il a ce genre de niaque. Il sait aussi taper le Cajun comme le montre «C’est Ça Qu’est Bon». Dans «Born & Die», il salue tous ses héros, George Jones, Charlie Feathers, et Carl Perkins. Voilà un inédit : «Save Your Soul», pur jus d’Amaricana, avec un yodell du Kentucky. Le bop est au rendez-vous de «Baby That You Fall», et en fin de parcours, on tombe sur cette merveille qu’est «Cotton Field Day» et qu’on retrouvera sur le Blues Never Lies de Lonely Jake. Pur shake de champ. Il connaît ça par cœur.

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             La suite de ta bonne opération s’appelle Second Take Jake 2010/2019. Tu peux y aller les yeux fermés, alors yallah ! Ça pleut des cats & dogs, «You Killing Me» (tiré de Downtown Memphis, Jake y rivalise de grandeur tutélaire avec les rois du croon), «Ciderella» (gratté à la sourde, encore tiré de l’extraordinaire Grandaddy’s Grease), «Gonna Bring You Back» (bien claqué du beignet, tiré aussi de Grandaddy’s), «I’m A Real Cool Cat» (un smash de hard bop tiré des Lockdown Sessions, c’est hallucinant de verdeur bop !), «Babe Babe Baby» (pur jus de Sun rockab), et avec «Tell Me Lou», tu te croirais sur un single Meteor ou Starday, tellement c’est criant de véracité rockab. Coup de génie bop encore avec «Hey Barber Barber», avec tout le deepy deep de Vance, Mississippi, et qui dira la fantastique allure de «Torrid Love» ? Et t’as encore un mirifique hommage à Elvis avec «That’s All Right». T’es en plein cœur de Downtown Memphis. Et à la fin, t’as cette perle noire d’«If I Had Me A Woman», pur rootsy rockab. On se régale aussi de «Passion & Fashion», tiré de Father & Sons, pur jus d’Americana dans l’esprit d’O Brother. Jake montre une singulière aptitude à sonner vrai.

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             Grand retour des Hot Chickens en 2022 avec le joliment titré It’s Time To Rock Again. Alors oui, ça rocke le boat chez les Chickens avec, tiens, pour commencer, une cover ventre à terre de «Surfin’ Bird». Pur destroy oh boy ! Encore pire que celle des Cramps, ils y vont au ba-ba ooouh mama ! Autre stab de trash : «Unchained Melody». Vraiment ultimate, ils tapent ça au garage-trash fondamental. Jake joue avec le chant comme le chat avec la souris. Et tout l’album est un peu comme ça, débridé. Tiens, ‘coute cet «It Surely Ain’t The Rolling Stones» d’ouverture de bal. C’est bien sonné des cloches. Jake et ses deux potes te tapent ça au wild gaga sauvage. Wild as f-f-f-f-f-f-f-f-fuck. Impossible de qualifier ça autrement. Wild as fucking fuck ! Puisqu’on parle du loup, le voilà : «F***k You», gratté à la Gloria-mania. Suivi d’un gros clin d’œil endiablé à Chucky Chuckah : «Repose Beethoven» - Repose Beethoven/ Dans ta dernière demeure ! - Schmoll n’aurait pas fait mieux. À quand un tribute à Chucky Chuckah, Jake ? L’autre cover de choc, c’est bien sûr «L’Hymne À l’Amour», Jake y va au Piaf de si tu m’aimes et au Piaf de je me fou-ouuuhhh du monde entier ! Et ils repiquent une crise de wild-catism avec «We Are A Rock’n’Roll Trio». C’est leur fonds de commerce. Pur rockab de just set up and go ! Et avec «Take On Me», t’as tout le power du surnuméraire, mais au débotté.

    Signé : Cazengler, Calypso dans le vide

    Nut Jumpers. Generation Rock N’ Roll. Rhythm Bomb Records 2024

    Wild Boogie Combo. Music For Females. Chickens Records 2010

    Wild Boogie Combo. Black Hills Country Blues. Around The Shack Records 2020

    Jake Calypso & His Red Hot. Rockabilly Star. Around The Shack Records 2021

    The Memphis Blues Cream. 706 Union Avenue. Around The Shack Records 2022

    Jake Calypso. One Take Jake 2009/2019. Rock Paradise 2018

    Jake Calypso. Second Take Jake 2010/2019. Rock Paradise 2021

    Hot Chickens. It’s Time To Rock Again. Rock Paradise 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Talmy ça où ?

    (Part Three)

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             Bon d’accord, il n’était plus très jeune, mais ça cause tout de même un choc d’apprendre que Shel Talmy vient de casser sa pipe en bois. Plus très jeune, ça veut dire qu’il datait d’une autre époque, un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui des débuts des Kinks, des Who et des Easybeats, pour n’en citer que trois. Eh oui, amigo, ces groupes doivent tout à cet expat américain transplanté à Londres, et qui avait le génie du son. Ils ne sont pas des masses à pouvoir se prévaloir de ce genre de génie. Avec Shel Talmy, t’as Totor, Uncle Sam, Joe Meek, Kim Fowley, Jim Dickinson, Brian Wilson, Jack Nitzsche, Chips Moman, Gary S. Paxton, Norman Petty, Todd Rundgren, Gus Dudgeon, Huey P. Meaux, Shadow Morton, Norman Whitfield, Gary Usher, Charles Stepney, Liam Watson, Allen Toussaint, Cosimo Matassa, Carl Davis, et puis Andy Paley qui comme par hasard vient lui aussi de casser sa pipe en bois. On a déjà longuement célébré ici même les génies soniques respectifs d’Andy Paley (Inside the goldmine, en 2022) et de Shel Talmy (en 2017), aussi n’allons-nous pas remettre le couvert, car ce serait abuser, même si ces deux-là méritent qu’on radote à tire-larigot. Car tout ce qu’ils ont approché et produit relève du passage obligé.

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             Ce sont les gens d’Ace qui se sont principalement chargés d’œuvrer pour la postérité de Shel Talmy, avec une série de compiles majeures (Making Time - A Shel Talmy Production (2017), Planet Beat - From The Shel Talmy Vaults (2018) et Planet Mod - From The Shel Talmy Vaults (2018)

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             Les gens d’Ace en firent paraître une quatrième : Shel’s Girls - From The Planet Records Vaults. Que de son, my son et ça prend des allures mirobolantes avec Perpetual Langley et cette vieille pop sucrée de Belfast teenage très spectorienne. C’est elle la star des Shel’s Girls, on la retrouve avec «We Wanna Stay Home» - My name is Perpetual - elle chante son jerk de juke pour Shel, elle est épouvantable de sixties fever. Elle réapparaît avec «Two By Two», feverish as hell, elle chauffe sa pop avec un style qui vaut tout l’or du monde, c’est salué aux trompettes mariachi yeah yeah. Ça vaut bien les Detroit Cobras ! Elle boucle la compile avec «So Sad». Shel fait du big ambiant autour de cette star invraisemblable. The Orchids ? Tu crois entendre les Beach Boys. «OO-Chang-A-Lang» dispose de la même énergie balnéaire, et Shel fait une fois encore son Totor. On trouve plus loin deux autres cuts des Orchids, «Gonna Make Him Mine», un jerk de petite vertu, et «Stay At Home», chef-d’œuvre de pop craze qu’elles chantent ensemble. Jamais entendu parler de Van Lenton, et pourtant son «You Don’t Care» vaut le déplacement. Elle chante ça au petit chien de sa chienne. Margo & The Marvettes vont plus sur le garage avec «Say You Will». C’est atrocement électrique, avec des shoots hirsutes de freakbeat. Le guitariste s’appelle Trevor Burns. L’«A Ladies Man» de Colette & The Bandits est assez définitif d’un point de vue jukeboxique, et Liz Shelley chante «Make Me Your Baby» au sommet de son art avec un certain côté magique. On est encore en plein Spector sound, et avec son grain de voix, elle rajoute de la poudre de Perlimpinpin dans le son. Pure magie que ce «Songs Of Love» de Dani Sheridan. La prod de Shel y poursuit son petit bonhomme de chemin pendant le solo de trompette. Dani est une bonne. On va de merveille en merveille sur cette compile, il n’y aucun mauvais cut là-dedans, le «Surrender» de The Plain & Fancy sonne comme le jerk du diable et Sherri Weine chante son «Don’t Forget» à la folie.

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             L’idéal serait de se jeter ensuite sur The Best Of Planet Records - A Shel Talmy Production, une belle petite compile RPM parue en l’an 2000. Ne serait-ce que pour y retrouver les fabuleux Untamed avec le très Whoish «It’s Not True», un hit signé Pete Townshend. Seulement 5 singles, mais quel carnage ! Ils tapent en plein dans la cocarde, au big bash out, ça joue à la revoyure. Plus loin tu retrouves la même équipe sous le nom de Lindsay Muir’s Untamed, avec un «Daddy Long Legs» savamment enlevé. Passionnant et toujours cette prod impeccable de l’ami Talmy. Les autres grosses poissecailles de l’ami Talmy sont bien sûr les Creation qu’on retrouve ici avec l’heavy blast de «Biff Bang Pow», encore en plein dans la cocarde, complètement Whoish, fruit  du génie combiné d’Eddie Phillips et de l’ami Talmy qui a su capter tout le jus de ces démons. Le «Too Much Of A Woman» des Curduroys sonne comme un hymne Mod, et côté bonnes surprises, t’as le John Lee’s Groundhogs de Tony McPhee avec «I’ll Never Fall In Love Again», c’est tendu, bien cuivré, bien sec. Prod maximale ! Côté Shel’s Girls, tu retombes sur Dani Sheridan et «Guess I’m Dumb». Elle est tellement impubère qu’elle fout le souk dans la médina du Swinging London. On retrouve aussi bien sûr Perpetual Langley avec «We Wanna Stay Home», c’est elle la star du sucre candy, la reine de la pop du diable, car elle t’emmène en enfer. Plus loin, elle sonne comme les Supremes avec «Surrender», c’est dire si l’ami Talmy a le bras long. Les Orlons se croient aussi chez Motown avec «Spinning Top».

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             Dans les liners RPM (que signe Jon Mojo Mills), l’ami Talmy chante les louanges des Untamed : «I thought the Untamed were too far ahead of the market.» «It’s Not True» sera le troisième single Planet. À une époque, Detour vantait bien les mérites des Untamed. C’est vrai qu’It’s All True paru en 1999 est un album compilatoire attachant. On y retrouve l’«It’s Not True» signé Pete Townshend et paru sur Planet. S’ensuit «Fever», une pure giclée de Mod craze, enregistrée au De Lane Lea Studio de Dean Street, à Soho, en 1967, au cœur du Swinging London. Lindsay Muir y passe un killer solo flash pas piqué des hannetons. Muir est un mec qui a beaucoup d’allure et qui aime bien les cuts atmosphériques comme «Little Brown Baby». Il s’y investit à fond. En B, on croise une honnête mouture de «Land Of 1000 Dances» et un «Hush Your Mouth» un peu hush poppy nappé d’orgue sucré. Il faut attendre «Where She Gone» pour frémir un coup. Albert Lee y gratte ses poux. C’est du British Beat de Muir à cuire, il chante à la bonne arrache paradoxale, et Albert fout le feu, il claque du killer flash pur. On regagne la sortie avec «Cry On My Own» et le fantastique bassmatic de Ronnie Thomas. Les Untamed sortent en beauté. Ils groovent le British Beat et Muir chante comme un white nigger famélique. 

    Signé : Cazengler, Talmygondis

    Shel Talmy. Disparu le 13 novembre 2024

    Shel’s Girls. From The Planet Records Vaults. Ace Records 2019

    The Best Of Planet Records - A Shel Talmy Production. RPM Records 2000

    The Untamed. It’s All True. Circle Records 1999

     

     

    Inside the goldmine

     - Walker brother

             Son étoile n’a pas brillé longtemps, à peine quelques années, mais elle brilla si bien qu’elle brille encore dans le souvenir des habitants de cette petite ville. Grâce à Walbyt, ils connurent une période de grâce divine. Oui, la ville entière se découvrit une passion nouvelle pour les disques rares et la musique populaire. On faisait la queue le long du trottoir pour entrer dans la modeste échoppe de Walbyt. Derrière son comptoir, il jonglait avec les pochettes, vantait les mérites d’artistes inconnus et multipliait les remises, alors les gens achetaient, puis ils revenaient le lendemain pour dire qu’ils étaient contents de leur achat - Qu’avez-vous d’autre à nous proposer dans les 9 euros, monsieur Walbyt ? - Alors Walbyt filait dans sa réserve et réapparaissait avec une belle pochette dans chaque main. Un vrai gamin ! Il gesticulait sur ses petites jambes. Les gens adoraient le voir à l’œuvre. Walbyt était en plus d’un abord agréable, son embonpoint faisait plaisir à voir, il avait une bonne bouille, le cheveu rare et les yeux très clairs. Comme il voyait la file d’attente s’allonger à l’extérieur, il s’efforçait d’écourter les apologies : «Excusez-moi d’être aussi expéditif, mais les gens attendent pour entrer...», alors les clients le rassuraient - Non non, Monsieur Walbyt, c’est nous qui nous excusons de prendre sur votre temps - Ils payaient et partaient après avoir chaudement serré la main de Walbyt. Pauvre Walbyt, il n’avait même plus le temps d’aller faire son petit pipi, car déjà d’autres clients s’arrimaient au comptoir et l’interpellaient - Monsieur Walbyt, faites-vous des remises sur les soldes ? - Ah comme Walbyt adorait conseiller ses clients ! C’était presque une vocation religieuse. On le voyait avec des ailes dans le dos, comme Damiel dans Les Ailes Du Désir, des grandes ailes blanches, bien duveteuses. Ses mains blanches distribuaient les cartes de fidélité. Il semblait descendre mollement parmi les vivants pour se porter garant de leur bonheur, pour les conforter dans leur intelligence, pour les entraîner dans les voies impénétrables de la félicité, pour assurer leur salut culturel. Walbyt veillait à tout cela en même temps. Sa rigueur et sa conscience professionnelle faisaient de lui un Saint. Jamais aucun disquaire en France n’avait prodigué autant de bienfaits à des prix défiant toute concurrence.

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             Walbyt n’est pas le seul bienfaiteur de l’humanité. L’autre s’appelle Walker. Ronnie Walker. Espérons qu’un jour le Vatican les canonisera tous les deux. Walbyt et Walker font bien la paire. Ils sont hélas aussi peu connus l’un que l’autre. Walbyt a disparu corps et âme, quant à Walker, personne ne sait qu’il existe, excepté ceux qui écoutent les Masterpieces Of Modern Soul compilées par les cakes de Kent. Une fois que t’as déniché ce fabuleux Philadelphia Soul Brother qu’est Ronnie Walker, t’en dors plus la nuit.

             Il est bon de rappeler que Philadelphie fut dans les années 70 le paradis de la sweet Soul music. Parmi les gens qui accompagnent Ronnie Walker en 1968, on retrouve bien sûr Thom Bell et Leon Huff. 

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             Côté discographique, c’est la croix et la bannière. Il existe un album qui a pour étrange particularité d’être introuvable, et une poignée de singles réservés aux collectionneurs. Miraculeusement, il existe sur le marché une petite compile Philly intitulée Someday. Alors on la chope et on la dévore toute crue. Ronnie Walker sonne un peu comme Lee Fields, mais avec du sucre en plus. Il monte très haut quand il veut («Ain’t It Funny») et fait montre d’une extraordinaire présence, même avec un son pourri («I’m Singing Goodbye»). Il est comme noyé dans un son provincial, mais il épouse le serpent de la caducée. Il fait dirons-nous de l’excellent menu fretin. On sent le manque de moyens, il faut juste lui laisser un peu de temps. Ça commence à chauffer avec «You’re The One» et «Thanks To You». Il tape pas mal de cuts au chat perché bien gras et bien gorgeous. Ronnie Walker s’affirme très vite comme un immense Soul Brother. Son falsetto est comparable à celui de Smokey Robinson. Et voilà le coup de génie tant attendu : «Precious». Il se montre fantastiquement intrusif. Voilà ce qu’on appelle un absolute beginner. Il attaque «Everything Is Everything» en mode angélique, juste en dessous du boisseau de la Soul. C’est un malin, le Ronnie, il va sous les jupes de la Soul pour faire son sucre. Si ce n’est pas du génie, alors qu’est-ce que c’est ? Il se montre fabuleux d’ingénuité. Il te chante encore «It’s A Good Feeling» au chat perché sucré de rêve, sa petite glotte rose en palpite frénétiquement. Il tape dans le sucre supérieur, c’est ce qu’il faut retenir de lui. Il crée encore de l’enchantement avec «Now That You’re Gone», et porté par un bassmatic dévorant, il te drive tout ça out of this world. Cette bassline descendante est un chef-d’œuvre d’art contemporain. Il te ravit encore l’assemblée avec «Guess I’ll Never Understand». Ronnie Walker est un artiste brillant, il défonce bien la rondelle des annales. S’il ne s’appelait Ronnie Walker, il faudrait l’appeler Jo-l’insistant. Son chat perché est d’une puissance terrible. Pourquoi n’est-il pas devenu une superstar ? Bonne question. Il pose toujours sa voix avec du power, il réalise chaque fois une performance qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. Avec «In Search Of Love», il monte au chat suprême. Encore un coup de génie avec «Now There Is You». Quand on voit Ronnie Walker au dos de la boîboîte, on est frappé par sa ressemblance avec Lee Fields. «Can You Love A Poor Boy» est plus diskoïde, mais ça reste chanté à la voix d’ange de miséricorde. C’est même de la magie pure. Il crée sa magie rien qu’avec un chat, comme le font d’ailleurs Aaron Neville et Eddie Kendricks.     

    Signé : Cazengler, Ronnie Water (closet)

    Ronnie Walker. Someday. Philly Archives 2000

     

    *

             Insensé, tout ce bruit, comment peaufiner une kronic avec ce grabuge de cris discordants. Malgré les fenêtres à triple vitrage, je suis incapable de me concentrer. Je sais c’est la rançon de la gloire, toutes ces groupies, au minimum une vingtaine, assommant ! Les clameurs redoublent, des cris d’effroi, elles s’y mettent toutes à l’unisson ‘’ Damiiiiie ! Damiiiiiiie vite ! Damiiiiiiiiiiiiiie ! Viens vite ! Au secours !’’ Je suis un rocker, je ne saurais laisser des demoiselles en danger de mort. J’entrouvre la fenêtre :

    • Que se passe-t-il mes douces colombes !
    • Enfin Damie viens vite, on l’a repéré, il en veut à ton domicile !
    • Viens nous aider à le retenir, il se débat, il va s’enfuir !
    • Il est armé ! Il prépare un attentat contre toi !
    • On l’a reconnu, il porte une barbe, ses habits sont tachés de sang, c’est un Islamiste !
    • Pas de panique ! j’arrive !

    Je saute dans mes santiags, en peau de cobra prélevée sur la bête encore vivante, toute neuves, n’ai même pas eu le temps d’enlever le certificat d’authenticité international BPP  (Britifh Plastic Petroleum). Je rafle la batte de baseball toujours prête à l’emploi à côté de la porte d’entrée et me précipite vers mon fan club qui caquette à qui mieux mieux comme une volée de pintades en furie. Elles sont quinze entassées par terre en couches superposées mouvantes, je comprends elles se sont ruées sur le terroriste, du poids de leurs corps elles tentent de le retenir.

    • Charmantes oiselles, relevez-vous, je suis là, je me charge tout seul de cet olibrius, laissez-moi faire, c’est une affaire d’homme, vous ne craignez plus rien puisque je suis là !

    Elles s’écartent, dans la cohue qui se retire j’entrevois des taches sanglantes sur ses vêtements, diable l’affaire est sérieuse. Le gars parvient à se relever, ses yeux accrochent mon visage, c’est vrai qu’il a une barbe ! Mais elle est blanche !

             - Allons Damie c’est moi, ton facteur. Tu vois bien que je suis déguisé en Père Noël, une opération promotionnelle de la Poste !

             - Il ment, il porte une fausse barbe !

             - Il porte deux boîtes explosives dans sa main gauche !

             - Enfin ! ce sont les deux derniers numéros de la revue rock préférée de Damie !

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 32

    JANVIER – FEVRIER - MARS (2025)

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            C’est Noël ! Sergio nous gâte ! Quelles sont les revues qui de nos jours proposent encore un papier glacé aussi épais à ses lecteurs, idéal pour les photos !  Pour mieux comprendre mon enthousiasme aux quatorze pages   consacrées par Jean-Louis Rancurel au grand Schmall j’invite le lecteur à lire ma déception, voir la dernière chronique de cette livraison, dans laquelle je fais part de ma déconvenue quant à la biographie d’Eddy Mitchell qui vient de paraître. Peu de textes mais agrémentés de clichés rares ou inédits, cela suffit pour que l’on ressente la ferveur que dégageait le personnage d’Eddy à cette époque (1964 – 1980), que l’on prenne conscience de cet émoi que suscita parmi une frange assez large de la jeunesse de notre pays sa présence. Ce n'est pas l’Eddy qui nous déroule son plan de carrière dans son dernier bouquin, mais le fan de rock qui cherche à apprendre, à connaître, à savoir, ce n’est pas la fièvre de l’or mais la fièvre du rock… Merci à Jean-Louis Rancurel de nous faire partager ses moments de combat pour le rock’n’roll. Un témoin capital.

             L’on change d’idole mais pas d’histoire. Bye-bye Eddy, respect à Crazy Cavan. Julien Bollinger nous raconte une renaissance, celle du rock ‘n’roll en Angleterre, on le croyait mort et enterré, au mieux en train de croupir dans les oubliettes de l’immémoire, son souvenir oblitéré par le tsunami de la pop-music et le raz-de-marée de la disco… Cavan ralliera à lui les derniers fans retranchés dans le souvenir des années cinquante et soixante, il suscitera la déferlante rockabilly qui s’étendra sur une bonne partie de l’Europe… son exemple exhumera des cendres froides de l’oubli jusqu’à la première génération des pionniers américains.  Lorsque l’effet de mode cessera, l’on retrouvera Cavan, imperturbable, fidèle à lui-même, qui regroupera autour de lui un public de fidèles et d’inconditionnels, une mouvance dont l’aventure dure encore de nos jours. Rockabilly Generation est un parfait exemple de cette continuité.

             Autres exemples, le Kustom Festival & Tattoo de Parmains et le Rock’n’roll in Pleugeneuc, entre tradition et renouvellement, les générations se suivent et ne se ressemblent pas tout à fait, les photos de Sergio mais aussi ses  perspicaces chroniques. La scène est le lieu incandescent de l’incessante survie du rock’n’roll.

             Un autre pionnier, Jean-Claude Coulonge, un rescapé de l’époque du premier rock français, qui n’a jamais abdiqué qui a continué le combat, soixante-cinq années au service du rock’n’roll, à lui seul autant que trois légionnaires romains ! Pour fêter ses quatre-vingt ans il prépare un petit quelque chose, une grosse fête…

             Si vous êtes aussi maladroit de vos mains que moi, abstenez-vous des quatre pages consacrées à Laurent Manet. Vous serez jaloux. Vous explique comment il confectionne ses figurines rock, des objets d’art, mais que de travail, de patience et d’habileté… Un artiste. Un créateur.

             Du nouveau dans les dernières pages, je vous laisse découvrir. Elles m’ont permis de me rendre compte que j’avais fait l’impasse sur le book Histoire du Rock, (années cinquante) j’ai dû filer passer la commande chez mon libraire.

             Encore merci pour ce nouveau numéro à Sergio et à toute l’équipe, un travail de fond et d’avant-poste…

    Damie Chad

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

    ROCKABILLY GENERATION

    CRAZY CAVAN’N’THE RYTHM ROCKERS

    HORS-SERIE # 6 / JANVIER 2025

     

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             Une courte intro de Julien Bollinger. Le rock c’est le son, la scène et les disques. C’est aussi l’image. L’image rock donne sens au son. Tout fait sens dans une image rock. Elles se regardent, elles s’imposent, elles se décryptent.

             Rockabilly a su créer un lien de confiance avec Crazy Cavan. Les premières pages dévoilent les photos de la famille Grogan, L’album de famille. Cavan gamin. Ses frères. Ses sœurs. Sa mère, son père. Ses enfants. Toute une vie. L’on regarde, l’on s’interroge. L’on essaie d’être davantage voyant que voyeur. Pénétrer dans le mystère des êtres. De ce qui adviendra. De ce qui est advenu. Pourquoi devient-on ce que l’on est. La part de la volonté, le jeu des hasards, le destin… La photo la plus émouvante, celle où Cavan n’est pas, il y en a plusieurs, mais là il ne pouvait vraiment pas, c’est sa stèle funéraire réceptionnée par les amis et les proches.

             L’on respire. L’on entre dans la grande Histoire, le groupe, la scène, les concerts en France sont privilégiés. Beaucoup de noir et blanc pleines-pages. Le look, la dégaine, la pose, le charisme. La magie rock’n’roll, l’individu s’identifie à son propre signe, à ce qu’il est en lui-même à ce qu’il représente pour les autres. Une histoire collective détenue par un seul, éparpillée en beaucoup d’autres.

             Les Rhythm Rockers mais aussi Breathless le groupe de Colin and Pat deux frères de Cavan… Chacun vole de ses propres ailes, mais toujours la famille. Dans la famille Grogan, voici le fils, Joe. Lui aussi sera musicien. Il répond à une longue interview. Parle de son père. Un homme simple. La semaine au travail, le weekend sur la route. Ce n’est que plus tard que Joe comprendra l’importance et l’aura de son père, dans les milieux du rockabilly européen. Une envergure qu’il n’avait pas devinée auprès de cet homme attaché à sa mère, à ses enfants, à son pub, à la famille. Rocker sur scène, père de famille à la maison…

             Indispensable. La vie d’un homme. D’un être humain qui ranima la flamme du rock’n’roll. Peut-être pas grand-chose. Beaucoup pour beaucoup. L’on mesure la vie d’un homme à ses actes, à ses réalisations.

             Un bel hommage. Emouvant.

    Damie Chad.

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    *

             Même pas besoin d’attendre le sapin, le Père Noël m’a envoyé un cadeau, en avance. Le malheureux n’a pas pu passer  par la cheminée, je n’en ai pas. L’a déposé sur YT, comme je ne suis pas un égoïste, je partage avec vous.

    LIVE ON GERM

    TWO RUNNER

    (Western AF / 03 / 12 / 2024)

             Western AF est basé à Laramie, modeste cité située au sud-est de la ville de Cheyenne, dans l’Etat du Wyoming qui signifie lieu de grande prairie, pas étonnant que le symbole de cet état  situé juste sous le Montana soit un bison.

    Profitons de cette modeste leçon de géographie pour adresser un hommage fraternel aux glorieuses tribus des Natives.   

             Western AF, lire Western As Fuck, engrange des armes pour le futur, leur but est simple : ils accumulent des vidéos d’enregistrements live de chanteurs actuels (country) pour les archives de l’Histoire.  C’est ainsi que l’on construit des bibliothèques d’Alexandrie sonores.  

    Paige Anderson : vocals, guitar / Paige McGinnis : fiddle, vocals / Sean Newman : bass.

    Enregistré au Gryphon Thater qui appartient au Laramie Plains Civic Center.

    Le théâtre du Griffon ne doit pas accueillir plus de trois cents personnes, il est vide, nos trois artistes sont sur scène face à nous, tournent le dos à l’absence du public. Le mieux est de les laisser jouer. Derrière la caméra et au mixage : Will Ross.

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    Helmet : morceau magique, ce pourrait être une ballade enlevée, mais sous les coups d’archets et la cabrioles vocales de Paige se glisse une sourde mélancolie, une indécision teintée de joie de vivre modulée par la fragmentation du monde, pour décor vous avez le soleil resplendissant, pour action une course échevelée de moto, rappelons-nous le goût prononcé de Paige pour la motocyclette, mais le désir amoureux est niché dans la tête, sous le heaume, c’est lui qui poursuit l’objet de Délie, qui le retient prisonnier et l’instant est beaucoup plus métaphysique que physique. Comment avec cette tresse de mots simples Paige peut-elle donner accès à la l’aperture du sentiment en même temps le moins indocile et le plus rétif, qui allie la fougue du pur-sang à la foudre consumante. Le trio guitare-violon-contrebasse possède l’amplitude sonore des quatuors de Bartok. Fortune : deuxième inédit : magnifique, un titre pour le fiddle-king, il ne se prive pas d’étendre le royaume de sa tristesse, basse et guitare scandent le rythme, la voix de Paige survole, tout ce qu’elle a tu dans le premier morceau elle le suggère dans celui-ci, presque rien, cet instant suprême que l’on ne vit qu’une fois, les flammes vous brûlent et vous annihilent, il ne vous reste plus qu’à vivre après cette bribe d’absolu… Wild dream : une reprise de leur album Modern Cowboy : Paige arrache les mots comme sa moto arrache la route, elle crie et l’orchestre s’envole, une demande en mariage, Paige possède cette faculté de transcender le bonheur en quelque chose d’impossible alors qu’il s’offre à vous, à croire que les rêves que l’on pourchasse sans fin sont plus beaux que ceux que l’on réalise, même Dylan n’est jamais parvenu à mettre tant d’immensité dans ses paroles.

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    Where did you go : plus de couleur, rien que du gris, du noir et du blanc, violoniste et bassiste ont posé leurs instruments, se tiennent derrière, fredonneront du bout des lèvres en toute humilité, seule Paige et sa guitare, et sa voix, un morceau glaçant, presque rien, il semble que Paige ne retienne pas plus la mort que l’amour. Une émotion d’une intensité redoutable. Certains écrivent que cette chanson leur fait peur. Paige est toujours tout contre nous, jamais avec nous. Enfermée dans une solitude de haute poésie.

             Quatre morceaux irradiants.

    Damie Chad.

     

    *

    Il est des prisons sans barreau, Claustra doit en être une puisque j’y reviens ! Voici donc Victor plus victorieux que jamais.

    LA PRISON DE CHAIR

    CLAUSTRA

    (Bandcamp / Décembre 2017)

    Depressive death metal. Si vous voulez. Regardez la couve. Moi je dirais plutôt animal death metal. Un carré noir traversé de rayons d’un vert glauque, au centre ce torse, une force qui va, trainées de sang, christique ou auto-flagellé, l’on ne peut dire, une tête de goret avec ce groin sans bouche qui  dépasse de la muselière, une force animale en action que nul obstacle ne saurait arrêter.

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    Forever gone : vous pouvez trouver le morceau accompagné d’une image, un homme solitaire sous son parapluie qui s’éloigne, il marche seul, entre deux rangées de maisons basses, le paysage pluvieux n’est que la transposition de son âme. L’on comprend que la rue qui s’étend devant lui ne mène nulle part, qu’elle se poursuit toute droite sans but vers un infini inachevé. Une intro de douceur et de mélancolie, une mélodie close sur elle-même, telle une bulle de rêve, que l’on désirerait éternelle mais dont on pressent qu’elle a éclaté depuis longtemps. Elle réapparaîtra au milieu du morceau ourlée d’un murmure quasi inaudible, mais ces deux fragmences d’éternité sont à chaque fois chassées par l’inéluctabilité du chagrin et de la rage. Une tourmente de batterie, une guitare tempétueuse et non pas une voix, une morsure sanguinolente qui emporte avec elle la chair et la souffrance. Les jours de bonheur sont partis, auraient-ils duré, les amants ne s’en seraient-ils pas éjectés d’eux-mêmes, car tout fini par s’effilocher, même le monde, d’ailleurs tu l’as emporté avec toi  qui t’en es retranchée. La prison de chair : si vous désirez savoir à quoi ressemble ce morceau c’est simple demandez à votre toubib une injection lente de cyanure, choisissez bien votre praticien , lui faut du doigté car votre agonie ne doit pas durer plus de six minutes, si vous croyez qu’au bout du tunnel vous aurez l’illuminescence terminale, non ce serait trop beau, l’on ne s’évade pas de soi-même, toute chair est une prison, la vôtre de laquelle vous êtes incapable de sortir, celle des autres qui vous empêchent de rentrer dans leur tour charnelle. Une horreur glacée que vous écoutez sans fin comme un candidat au suicide qui tresse minutieusement tous les jours la corde pour se pendre, et quand tout est au point, le cordon peu ombilical casse misérablement sous son poids. Vous êtes comme lui, obligé de recommencer encore une fois. Seul : n’oubliez pas les boules Quies, la guitare grince comme une corde de pendu dans un poème d’Emile Verhaeren, et la voix une charge monstrueuse de cavalerie  sabre au clair, la batterie tire à coups redoublés, tout compte fait c’est lorsque l’on est seul que ça fait le plus de bruit à l’intérieur de soi-même, appréciez tout de même au deuxième tiers de la catastrophe ce Tupolev qui s’écrase sur la piste d’atterrissage de votre jardin, âmes sensibles détournez les oreilles, l’eau du chagrin accumulé trouve toujours une pente pour s’écouler, ici vous avez deux déversoirs, la consolation du pauvre, tu ne souffriras plus cette terre, la consolation du riche, maintenant que tu n’es plus là tu es toute à moi. Relisez les poèmes d’Edgar Poe. Bleack fantazy : la fantaisie fut une des mamelles du Romantisme, la fascination de la mort s’avère le seul absolu à notre portée, ce n’est pas Clara Schumann qui joue du piano mais ça y ressemble, une voix creuse comme la tombe, avant que ne tombent les grandes décisions, pas besoin de lui tirer les vers du nez, la rage enroue sa voix, grande envolée vocale et instrumentale, l’on se rue comme un cheval dans la mort, les orages désirés ruissellent de tonnerre, Clara revient pour la coda. Ou le coma. Coup de feu, ou coup de théâtre. Hôpital : pas de bruit, instrumental, c’est à l’intérieur que ça se passe. Quand on rate son coup, rate-t-on sa vie. Bouffer des arpèges par les racines améliore-t-il vos chances de survie. Selfhatred : avez-vous déjà entendu un morceau qui se fracasse, la batterie y est pour beaucoup, la tête contre les parois translucide d’une tour d’ivoire. Vous n’êtes pas près de sortir vivant d’un tel opus. Pas mort pour autant non plus. L’est comme le serpent qui se mord la queue pour se donner l’illusion d’avoir la langue plus longue. C’est un peu fou, d’ailleurs le vocal chargé de hargne et de rage, est insensé. Rappelle un peu le symbole de Victor Segalen dans Equipée, cette pièce de monnaie que se disputent entre leurs dents le Dragon de l’Imaginaire et le tigre du Réel. Le problème ce ne sont pas les deux animaux, l’est sûr qu’ils symbolisent vous et vous-même, mais la nature de cette sapèque, de cet enjeu essentiel, ne serait-ce pas mort ? 

             Quand je vois le nombre ridicule de personnes qui en cinq ans ont écouté ce pur chef d’œuvre, je préfère me taire…

    Damie Chad.

     

    *

    Je m’excuse de vous annoncer une mauvaise nouvelle, comme s’il n’y avait pas assez de malheur en notre monde, il est urgent que notre pays  déclare la guerre à l’Angleterre et qu’au plus vite vous envahissions la perfide Albion !

    DON’T GET SORE

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( YT / Décembre 2024)

    Z’avaient pris des vacances. Méritées. Après cinq ans de folie. Le temps de reprendre pied en soi-même et de s’interroger sur le futur du groupe. Sur son évolution, l’on ne peut pas refaire ad vitam aeternam la même chose. La vie vous pousse dans le dos, elle a toujours un poignard de prêt à vous planter entre les omoplates. Souvenez-vous du logo du groupe. Bref, revenir c’est mourir un peu. C’est aussi renaître beaucoup. Sans illusion non plus. Il faut payer l’addition. Physiquement ça se voit, ils ont changé. Z’étaient des adolescents attardés poussés en graines quand ils ont dit stop. Z’ont maintenant le faciès de jeunes adultes. Sont moins beaux. Sont plus affirmés. On n’y peut rien, ils se doivent d’y pourvoir un max.

    Après le clap de fin, le clip de la faim. Celle des fans, les lions de l’arène dépités de ne pas avoir eu leur ration de chrétiens depuis des mois. L’est réalisé Antonin N’kruma (son nom serait-il un hommage au leader panafricain), photographe. Produit par Jon Markon qui si j’ai bien compris serait aussi le producteur de l’album à venir.

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    Avis aux amateurs le clip déchire. Très original. Pas les images. Tout ce que l’on attend d’un groupe de rock. Je vous laisse découvrir. Amusez-vous à reconnaître des réminiscences d’anciens clips. Non, tout réside dans la structuration du morceau, plutôt sa fracturation, le mot facturation conviendrait mieux car il colle beaucoup plus aux lyrics, l’est dommage qu’il soit un peu trop connoté au monde des échanges commerciaux qui n’est pas du tout évoqué in the opus.  Ce clip qui ne dure que trois minutes est un véritable triptyque, images, sons et sens. Ne sont pas présentés sur trois panneaux différents, sont tous réunis en un seul, une espèce de puzzle mélangé dans un sac plastique transparent, il ne sera pas ouvert, on ne vous laisse pas aligner sagement  les pièces sur une surface plane et intangible, on l’agite devant vos yeux et à vous de deviner ce qu’il représente. Les idiots, ils sont toujours utiles, affirmeront, c’est une simple histoire d’amour. Turlututut chapeau pointu, les poncifs sont nocifs. Non, c’est une mise en scène. De quoi, d’un renouvellement. Tout d’abord sonique. Finies les grandes charges et décharges électriques. Bien sûr vous avez votre ration d’avoine, mais le picotin ne se bâfre pas en trois coups de langue, vous êtes prié de le savourer, de le mâcher doucement pour en ressentir toute la volupté, sachez faire la différence entre la jouissance des brutes et l’extase des esthètes, idem pour les voix, ce n’est plus le cri rageur du révolté nihiliste prêt à tuer son père et sa mère, vecteurs indubitables de l’ordre sociétal, les voix sont traitées, l’on a envie de dire instrumentalisées, oui mais c’est vous qui êtes manipulé. Pogo Car Crash Control a changé. Pardon, Pogo Car Crash Control chante qu’il change. Tout continue, rien n’est plus pareil. Il vous Crash son passé – qui est aussi le vôtre – à la gueule, vous envoie  la limousine pour les Car-embolages, ne vous bilez pas pour les Pogo frénétiques tout est sur Control. Ne vous inquiétez pas ! Pour une fois dans le rock français les paroles – un mix d’anglais et de langue autochtone - taisent plus qu’elles ne disent tout en énonçant clairement leur propos. Le groupe a atteint une maturité d’écriture tridimensionnelle sans égale.

             OK, Damie, les Pogo ont encore marqué le calendrier du rock hexagonal  d’une pierre rouge, mais est-il vraiment nécessaire d’envahir l’Angleterre pour cela, franchement on ne voit pas trop le rapport. C’est fou, il y a des gens à qui il faut tout leur expliquer : à première écoute ça m’a sauté aux oreilles. J’ai immédiatement pensé au dernier album des Howlin’ Jaws, peut-être parce que j’avais relu l’après-midi dans le Hors-Série de R&F la chro de Jean-William Thoury, si pertinente, induisant l’idée qu’ils avaient acquis et décroché la timbale dorée du son anglais, inaccessible aux mangeurs de grenouilles que nous sommes. Pogo et Howlin sont deux groupes radicalement différents, mais les Pogo viennent eux aussi de franchir le Rubicon, le rubis sur cube, d’un rêve inaccessible. Ces maudits rosbifs sont en train de voler nos groupes…

    Damie Chad.

     

    *

    Il vient du sud de l’Afrique, pourtant il s’appelle East, est-il un peu givré parce qu’il a perdu le nord, en tout cas il est à l’Ouest, encore un de ces artistes inclassables à qui le rock’ n’roll ouvre grand ses portes et dont ils font un lieu d’exhibition. Un peu d’étymologie toutefois : l’occident est le côté de la mort.

    GHOULS

    CHARLES EAST

    (2018)

    Il vient d’Oudtshoorn, ville de 30 000 habitants d’Afrique du Sud, sans doute n’aurais-je pas noté ce détail insolite, elle est la capitale mondiale de l’autruche d’élevage, du coup la photo de la couve m’a immédiatement emmené à penser que la longue silhouette longiligne qui s’affiche s’apparentait quelque peu et symboliquement à ce volatile qui ne parvient à voler, tout comme notre chanteur accaparé par le malaise existentiel de vivre.

    Charles East : piano, vocals, synthé / Jo Ellis : drums, synthés.

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    Germane : le piano et la voix, la voix et le piano. Auxquels très vite viennent se sous-perposer  puis se superposer des bruits synthétiques de mauvais alois. Une voix un peu à la manière de Bowie dans la façon de la poser mais pas du tout postée sur le même timbre. Voix claire et perforante. Une longue introspection. Le gars traîne une tristesse à faire pleurer les pierres. Est-ce un hasard s’il parle d’ibis, titre d’un poème d’Ovide exilé qui vilipende Auguste responsable de sa relégation hellespontique, l’a l’art de tourner le couteau du chant sept fois dans sa plaie alors qu’il n’arrête pas une seconde  de se dénigrer. It’s hold my viscera : guitars Anthony Mikael Gunther : pas pumpin’ piano mais presque, Charles étire sa voix vers l’aigu, les percus tamponnent et notre héros, c’est le cas de le dire, mythifie sa malédictive attrition vitale, se décrit comme un Dieu pourchassé par la méchanceté des hommes, Saturne est à ses trousses, peut-être ses viscères finiront-elles dans un vase canope au creux obscur d’une pyramide. Délire de persécution ou de grandeur. L’autoportrait frise la folie. Heka : dans la série je m’éclate à l’hécatombe d’Hécate vous trouverez difficilement mieux, une galopade pianistique, magnificat introït, une percussion pressurisée, un vocal qui s’étire les cordes vocales, dites-vous que le killer s’est éveillé bien longtemps après l’aube, qu’il porte un couteau et qu’il ressemble fortement à notre héros ou à un dieu, lequel des deux portera le premier coup ?

    VENOM

    (Avril 2020)

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    Single. Le seul qui bénéficie d’une couve couleur créditée à Eva Bachman. Toutefois une mise en abime, photos de famille en noir et blanc, le père, la mère, ce sale gosse de Charlie, un bouquet de fleurs séchées de mariée ou déposé sur une tombe ? L’est agrémenté d’un beau crâne rigoleur de toutes ses dents.

    Charles East : piano, vocal, lyrics, musics / Jo Ellis : guitars.

    Venom : le venin, commence mal, le bruit d’un mort qui repousse le couvercle de son cercueil, attention on n’est pas là pour jouer au zombi macabre, soyez subtil, le cercueil c’est vous, celui qui en sort on ne sait pas, est-ce l’Homme ou le Dieu, totalement parano, il craint ses semblables, il préfèrerait être un dieu cruel, sûr que les deux postulations s’équivalent, vous avouerez que le choix est difficile, en tout cas ce qui est sûr c’est qu’il chante comme un Dieu l’a de ces envolées lyriques, vous parieriez qu’il lui pousse des ailes dans le dos, l’a des retombées, des dégringolades dans les escaliers des catacombes, il souffre, il crie, il se tait, le silence sépulcral l’appelle, reprise il sort de son tombeau, le soleil de la cruauté.

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    L’existe une vidéo, devrait retirer les bébêtes folkloriques : les vers, le hibou ; le scorpion, l’araignée, le  serpent et ne garder que son corps nu et ses longs cheveux noirs au bas du mur blanc et ses reptations comme un désir de retour dans la matrice originelle…

    DEAD BEAT DANCE

    (Août 2023)

     Je ne veux pas dire que la couve d’Emma Freysen n’est pas ressemblante, le problème c’est que les photos de Charles East dégagent un aspect beaucoup plus inquiétant, oui mais elle illustre une reprise de la bande-son du film The Return of the Living Dead. Comme quoi Charlie East a de la suite dans les idées noires.

    Charles East : piano, vocal, lyrics / Marisca Rain : guitars, bass.

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    Parfait pour la musique de votre enterrement, seuls resteront jusqu’au bout ceux qui vous aiment vraiment ou ceux qui sont sourds. Rien à voir avec l’original punkitoïde des Damned. Avec Charlie, la plaisanterie est finie. Z’avez l’impression de valser dans les bras de la Camarde. Un filet de voix hagard, z’aurez du mal à discerner s’il sort de sa tombe ou s’il s’y rend, parfait contraste avec le tamponnage de fête foraine. A la moitié du morceau il glapit comme si on l’enterrait vivant. Que voulez-vous l’erreur est humaine. L’horreur aussi.

    I’M YOUR CONSEQUENCE

    (Brucia Records / EP / Mars 2024)

    Pour la couve je supposons une photo issue de l’enregistrement de l’auto-réalisée vidéo Venom. Nu lové  contre le mur, pour le crâne du bouc, ne pensez pas à Belzebuth mais plutôt au mouton noir qu’Ulysse égorge pour que les morts viennent à lui.

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    I’m your consequence : une chanson d’amour, l’on sent qu’il a été pris en main par un label, l’orchestration a été étoffée, elle étouffe un peu la voix, pour l’amour fou vous repasserez, c’est l’amour à mort, à la mort de soi dans l’offrande de l’autre, le morceau se développe comme une flamme qui prend de l’ampleur, dévoration ambigüe, qui culmine sur le souffle rauque, rock and goth, de la bête du désir. Une espèce de psaume offert à l’impuissance humaine d’une communion non sacrificielle. Drain : la suite de l’aventure. La fuite. Nous n’avons que des lambeaux. Rythme processionnaire. Qui chasse ? Qui est le gibier. Une litanie de la mort. Intérieure. Qui vous ronge du dedans. Des voix, est-ce la mienne, est-ce celle de l’autre qui est moi, ou celle des autres qui ne sont pas moi. Une longue mélopée. Sacrificielle. Être l’officiant. Être la victime. En même temps. Dans chaque cas, une terrible solitude. Dans les deux cas en même temps, une absolution égoïste.

             Charles East vient de sortir sur Brucia son premier album Dislocated.

    Ecoutez-le, vous entendrez le ricanement chevalin de la Mort résonner à vos oreilles. Le piano, la voix, la Mort, c’est tout.

             Cela vous suffira amplement. Pour vivre.

    Damie Chad.

     

    *

             A treize ans je me suis fait traiter d’assassin par ma mère parce que j’écoutais Si tu n’étais pas mon frère, un des meilleurs morceaux de rock français, j’avoue que le son était à fond, que mon Mélovox crachait fort, que c’était (au moins) la vingtième fois que le repassais le morceau. J’admets que les paroles n’étaient pas des plus doucereuses, mais enfin ce n’était pas un appel au meurtre, de surcroit ce n’était pas moi le responsable, je n’avais rien fait, puisque je n’ai jamais eu de frère, ma mère aurait dû le savoir, comme de toute manière depuis soixante ans les délais de prescription sont caducs et que le coupable ne risque plus rien, je vous refile son nom :

    EDDY MITCHELL

    AUTOBIOGRAPHIE

    (Le Cherche Midi / Octobre 2004)

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              Bref une ambiance rock’n’roll ! Le hic haec hoc c’est que cette autobiographie n’est guère rock‘n’roll. Schmall nous fait le coup du vieux sage. Le problème ce n’est pas qu’il soit vieux c’est qu’il soit sage. Lui qui a déjà réservé sa place au cimetière de Saint-Tropez nous fait le coup de Valéry dans son Cimetière Marin, Ô récompense…qu’un long regard sur le calme des Dieux. Il précise même son épitaphe au cas vous auriez envie d’aller verser quelques larmes sur le marbre funèbre  ‘’ Ne pas déranger’’. Un véritable message ‘’fun-éraire’’.

             Mais reprenons au tout début. L’est né à Paris dans le neuvième, il nous épargne ses années vagissantes, les remplace par les meilleures pages de son bouquin. L’évoque le Paris disparu, celui qui nichait ses terrains vagues au bas des Fortifs aujourd’hui remplacées par le périph bitumeux et ses immeubles bétonnés. Architecturalement ce n’était pas Versailles, par contre c’est-là qu’il a reçu sa première leçon de vie, la plus importante, qui fonde votre personnalité. Administrée par personne en particulier mais par l’ensemble de la population bigarrée, toutes origines et nationalités confondues. Misère et entraide, maigres salaires et grosse joie de vivre. Eddy le raconte davantage en détail dans P’tit Claude un autre de ses livres paru en 1994. C’est dans ce terreau multinationaliste, rien à voir avec nos Multinationales, que naissent ses choix politiques, il le proclame haut et fort, il n’est pas un partisan du Front National. Pas un révolutionnaire non plus, il paye ses impôts, il vote et pour Sarko et pour Macron

             L’est comme Rimbaud, c’est la vie qu’il faut changer. L’a d’abord changé sa vie à lui, c’est déjà beaucoup, ne finira pas comme son frère directeur d’une agence au Crédit Lyonnais, ses déplorables aptitudes naturelles l’on empêché de devenir voyou, les intellectuels de gauche de nos jours le qualifieront de transfuge de classe, lui il n’éprouve aucune honte, aucun regret de sa réussite. N’est pas le genre de gars à se prendre la tête. Il n’a pas oublié d’où il vient, il rend  hommage à l’amour et à la sécurité affective que lui ont donné ses parents.

             Ses goûts s’affirment peu à peu, le cinéma, virus inoculé par son père et son grand-frère, la lecture grâce à son oncle qui ramène des livres de toutes sortes, jusqu’au choc fatal : Bill Haley. C’est le seul pionnier à qui il rend un véritable hommage. Ce qui aide à comprendre son évolution vers une musique plus cuivrée, big band et crooner. N’est pas un grand fan d’Elvis. Un beau portrait de Gene Vincent en personnage borderline. Une demi page et c’est tout. Je n’insiste pas car lui-même ne s’attarde pas.

             Idem pour Les Chaussettes noires, l’en parle certes, mais pas du tout de ce qui passe autour. L’émulsion pétillante des sixties vous ne la verrez pas. L’on ne peut même pas l’accuser de name dropping. Mitchell n’apporte aucune révélation fracassante, ceux qui le suivent depuis longtemps, connaissent le topo habituel déjà raconté - avec détails supplémentaires -au fil des années en de nombreuses interviewes… Il braque la caméra sur lui, et elle ne le quitte pas, ce n’est pas qu’il désire monopoliser l’attention, à tout bout de paragraphe il donne l’impression de vouloir terminer au plus vite. Aurait-il l’intention de nous découvrir des choses inédites ? Pas du tout.

             Quelques pages sur son voyage à Memphis et la venue des musiciens américains à Paris. Profitez-en bien car lorsque quelques années plus tard il retournera rocker à Nashville, il ne s’attardera point… La route de Memphis il la parcourt à trois cents milles à l’heure et pas une voiture de flics pour l’obliger à ralentir. S’étend davantage sur sa période creuse du début des années soixante-dix. Mea culpa, c’est ma faute, trop sûr de moi, j’avais tort… Nous ressort le même baratin depuis un demi-siècle.

             Z’ensuite, Mitchell devient ennuyant. Nous parle de sa carrière cinématographique. Deux ou trois anecdotes, même pas croustillantes, une longue liste de films, ceux qu’il a fait, ceux qu’il n’a pas faits, le tournage ici ou là avec celui-ci ou celle-là… Pour la musique, énorme disette. Nous glisse un paragraphe de temps en temps pour notifier l’enregistrement d’un album – la lecture de la pochette s’avèrera plus instructive – notifie quelques tournées, et puis c’est tout. Circulez, il n’y a rien à voir, rien à entendre.

             Se fait vieux le grand Schmall, n’a plus envie qu’on l’emmerde, devient cossard, remet au lendemain ce qu’il peut faire le jour même, il fume moins, y va mollo-mollo sur la bouteille, se cantonne aux bons crus, l’a rayé le bourbon et le crotale qui frétille dedans pour vous sauter à la gueule dès que vous sabrez la bouteille…

             Les plus belles pages sont consacrées à Johnny, notamment à la tournée des Vieilles Canailles, l’on sent l’amitié qui unissait les deux hommes… Johnny apparaît beaucoup plus rock’n’roll qu’Eddy, qui le reconnaît sans peine.

             Si vous voulez retrouver l’Eddy qu’on aime, vous avez une vidéo sur le net, très courte, prise pendant le Covid, il est chez lui et tente de répondre à quelques questions-bateau posées par téléphone, Eddy essaie de jouer le jeu, mais il reste un rocker dans sa maison, un cat, un vrai gros matou, qui s’en vient se faire caresser par son maître et s’interposer entre lui et la caméra, une dernière séance très rock’n’roll !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE 669 : KR'TNT 669 : LARRY JON WILSON / DANIEL ROMANO / SWERVEDRIVER / LAURENCE MYERS / CRACK SOUL /JUNIORE / THE SUPER SOUL REVUE / ONCE UPON THE END / FREDERIC GOURNAY / WILLIAM BLAKE

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 669

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 12 / 2024 

     

    LARRY JON WILSON / DANIEL ROMANO

    SWERVEDRIVER / LAURENCE MYERS

    CRACK CLOUD / JUNIORE /  THE SUPER SOUL REVUE

    ONCE UPON THE END / FREDERIC GOURNAY

    WILLIAM BLAKE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 670

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Larry Jonagold

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             Dans un texte imprimé sur la pochette intérieure de Let Me Sing My Song For You, Jeb Loy Nichols raconte qui est Larry Jon Wilson. Larry Jon était un corporate qui bossait depuis dix ans dans la pétrochimie, jusqu’au jour où il est arrivé à Coconut Grove, en Floride. Et là il a flashé sur les drop outs débarqués de Greenwich Village - Singers that had left Greenwich Village in search of somewhere to be poor. A Kind of run down neo Nashville by the sea - C’est là qu’il rencontre Fred Neil ! Et qu’il devient un homme libre. Ça lui prend 5 ans. Il se laisse pousser les cheveux et se paye une grosse moto. Puis il va aller s’installer à Nashville en 1975. Tony Joe White avait déjà fait 6 albums, Townes Van Zandt 7, Mickey Newbury 8 et Kris Kristofferson 5.

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             Donnie Fritts refile le numéro de Larry Jon à Jeb Loy Nichols. Jeb l’appelle et Larry Jon lui déballe ses conceptions sur le music biz : pas question d’enregistrer pour un label qui a plus d’avocats que d’artistes. Et chaque fois qu’un label l’appelle, il voit les vautours tourner au-dessus de sa maison. Puis il indique que sa porte est ouverte - there’s always whiskey waiting, scotch too and a place to crash - Larry Jon est pote avec tout le monde - serveuses, mécaniciens, former lovers, musiciens, drifters, drinking buddies, bank tellers, trapeze artists, poltergeists. All who crossed his path - Fantastique personnage. Et il ajoute qu’il n’y a rien de tel qu’une bonne chanson pour apprendre ce qui vaut la peine d’être appris. Il dit aussi qu’il est du côté de celui qui vient APRÈS - the guy who comes in second place. That’s the guy I wanna have a drink with. Le mec qui a bossé dur, qui est resté correct, honnête et qui n’a jamais rien gagné. That’s the guy with the best stories - Et emporté par son élan, Larry Jon clame que «Mickey Newbury oughta be president. Oughta be in charge of the whole damn show.» Puis il se reprend et dit qu’il ne souhaiterait pas ça, même à son pire ennemi. Larry Jon parle comme un prophète. Jeb recueille ses paroles - Grace and mercy, he once said. Ce sont les deux qualités les plus nécessaires aux gens et celles qui manquent chez la plupart des gens - Il parle bien sûr de la charité chrétienne. Puis il ajoute à propos d’une femme trop riche qu’«une culture basée sur le cash, le profit et l’intérêt personnel n’est pas une culture, but a state of madness.» Il dit que ça lui a pris des années pour apprendre à ne pas merder - to learn how not to bullshit.

             Bruce Dees et Rob Galbraith, qui ont produit les trois premiers albums de Larry Jon disent que ses chansons sont some of the best stuff we ever cut. On les croit sur parole. 

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             Larry Jon Wilson enregistre New Beginnings en 1975. Ça sort sur Monument, le label de Roy Orbison. «Ohoopee River Bottomland» et «Canoochie Revisited (Jesus Man)» renvoient directement à Tony Joe White. On a des chœurs de rêve. C’est du pur jus de Muscle Shoals avec Reggie Young et Tommy Cogbill. Dans Canoochie, il développe son story-telling - I hope I see Kay Simmons here/ I sit next to her every chance I can - Fantastique groove, fantastique qualité du texte, fantastique présence. «Throught The Eyes Of Little Children» est la Beautiful Song par excellence. Il refait encore son Tony Joe avec «The Truth Ain’t In You» et aménage un petit rebondissement avec You don’t love Jesus. La B bascule dans la pure magie balladive avec «Lay Me Down Again». Cet homme est un magicien. Reggie Young fait des étincelles sur «Melt Not My Igloo».

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             Il faut voir la dégaine de Larry Jon au dos de la pochette de Let Me Sing My Song For You. Il a une bonne bouille, il pourrait être charcutier ou prof de latin. Il est bien coiffé, barbichu et porte une chemise brodée. Il sonne vraiment comme Tony Joe White, «Drowning In The Mainstream» ne laisse aucun doute. C’est exactement la même ambiance, le même ton. Derrière, tu entends Reggie Young gratter ses poux. Tout est intense et beau sur ce balda, «Sheldom Churchyard» est gratté à sec. Cut profond et brûlant de ferveur. «I Remember It Well» est extravagant de qualité. Tu sens le gros calibre, tout ici est de qualité, les choix compositaux et l’interprétation. Il attaque sa B avec «Think I Feel A Hitchhike Coming On». On sent poindre le Fred Neil en lui. Ampleur considérable, timbre chaud d’immersion universelle. Il revient à Tony Joe avec «Life Of A Good Man». Même power de cool dude.

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    Larry Jon est un artiste complet et même fondamental.

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             Il enregistre Loose Change à Muscle Shoals en 1977 et ça s’entend ! Il gratte aussitôt les poux du paradis sur «In My Song» et il t’installe au paradis avec ce big groove de Muscle Shoals qu’est «I Betcha Heaven’s On A Dirt Road». Comme t’es au paradis, t’en profites encore avec ce coup de génie qu’est «Shake it Up (One More Time)» et Reggie Young on fire. La classe de la compo te laisse coi. Larry Jon tape en plein dans l’œil du cyclope, et en plus, t’as le solo du paradis et les chœurs du paradis. Franchement, t’en demandais pas tant. Mais Larry Jon te donne tout ça. Il tape ensuite un heavy boogie de Mose Allison, «Your Mind Is On Vacation» et Larry Byron te gratte des poux de gras double. En B, t’entends encore Reggie Young faire les étincelles sur «July The 12th 1934» (que Larry Jon transforme en 1939 dans le chant). C’est gorgé de vie intrinsèque et chanté à l’oss de l’ass. Encore une merveille de délicatesse avec «Song For Jonah». Reggie Young y étincelle. Tu sors de cet album transi de bonheur.   

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             Sur Sojourner, notre héros Larry Jon tape une petite cover de Dylan, «I’ll Be Your Baby Tonight», à coup de bring the bottle over here/ I’ll be your baby tonight. Pure merveille. Il tape une autre cover en B, le fameux «Stagger Lee». Derrière, t’as Reggie Young et Tommy Cogbill, alors ça s’entend. Fantastique allure ! T’as tout : la voix, le swing et Reggie Young. En A, il tape aussi une cover du «You Mean The World To Me» de Mickey Newbury, avec une fantastique chaleur humaine. Deep inside Larry Jon ! Le coup de génie de l’album s’appelle «It’s Just A Matter of Time», un heavy groove signé Brook Benton. Larry Jon y met tout son art vocal, bien épaulé par Reggie et Tommy, les démons de Muscle Shoals, ex-American boys de Chips Moman.    

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             Paru en 2008, Larry Jon Wilson n’est pas son meilleur album, même si «Shoulders» te prend à la gorge. On l’entend inspirer avant d’attaquer le chant. Il tape une cover du «Heartland» de Dylan - My American Dream/ Fell apart as it seems/ Tell me what it means - Classic balladif country dylanesque, tell me what it means. Il renoue avec l’admirabilité des choses de Tony Joe dans «Feel Alright Again» et passe au confessionnal avec «I Am No Dancer» - I’m no dancer/ Girl/ But watch me more -  et il y va à l’I can move with you et à l’I am what I am. Puis on se régale encore  d’un «Rock With You» très dense, très profond, très intime, il y déroule son as long as I’m rocking with you. Dans ses fantastiques liners, Jerry DeCiecca raconte comment cet album fut enregistré à Perdido Key, une île qui se trouve à la frontière de la Floride et de l’Alabama. En 7 jours, ils ont enregistré 20 cuts - Cet homme hors du temps racontait des histoires d’auto-stop, de billard, de paternité, de gambling, drinking, women, et les amitiés qu’il a partagées avec Townes Van Zandt et Mickey Newbury - DeCiecca ajoute qu’à part «Shoulders» joué deux fois, tout l’album is all first and only takes.

    Signé : Cazengler, fort marri Jon

    Larry Jon Wilson. New Beginnings. Monument 1975

    Larry Jon Wilson. Let Me Sing My Song For You. Monument 1976

    Larry Jon Wilson. Loose Change. Monument 1977  

    Larry Jon Wilson. Sojourner. Monument 1979  

    Larry Jon Wilson. Larry Jon Wilson. Drag City 2008

     

     

    L’avenir du rock

    - Romano n’est pas un romanichel

    (Part Two)

             De loin en loin, l’avenir du rock invite ses amis à dîner. Il n’en reste plus des tas. Les gens ont fini par se lasser de ses facéties. Un dîner chez l’avenir du rock n’est jamais un dîner conventionnel, au sens où l’entendent la plupart des cons. Si l’un des invités se pointe avec des fleurs ou une bouteille de champagne, la première chose que fait l’avenir du rock c’est de balancer tout ça par la fenêtre, puis d’ajouter, avec une pointe de mélancolie dans la voix :

             — M’enfin, amigo, nous n’en sommes plus là.

             L’invité interloqué croit que le plus dur est passé, mais il se trompe.

             Il est bon de préciser à ce stade des opérations que chaque dîner chez l’avenir du rock est un dîner à thème. Ce soir-là, l’avenir du rock porte un petit chapeau manouche et une fine moustache dessinée au feutre. Au milieu du salon brûle un feu de camp !

             — Dis donc, avenir du rock, ne crains-tu pas de foutre le feu à tout l’immeuble ?

             — Pour cuisiner cette ragougnasse, il me fallait un feu michto, gadjo.

             Il règne une ambiance extraordinaire dans le salon. Le plafond est déjà noir de suie. Les flammes crépitent et une petite marmite danse mollement au-dessus du brasier. L’avenir du rock y trempe une cuillère en bois, la porte à ses lèvres et hoche la tête en manière d’assentiment, avant de s’essuyer la bouche avec la manche de sa veste rapiécée. Les enceintes de la stéréo bombardent une belle pompe manouche. On se croirait dans la roulotte de Tchavolo Schmitt.

             — Prenez place les amis. Asseyez-vous autour du feu.

             — Par terre ?

             — Ben oui, gadjo. Les chaises sont dans le feu.

             L’avenir du rock sert le ragoût dans des timbales en fer pas très propres et bien cabossées.

             — Mais où est le chat Pompon, avenir du rock ? Il n’est pas venu nous saluer ?

             — Il est dans ta gamelle, gadjo.

             Un silence de mort s’abat sur la petite assemblée. L’un des convives trouve le courage de briser le silence :

             — T’es un vrai manouche ou tu fais semblant ?

             — Pas manouche, gadjo. Juste Romano.

     

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             L’avenir du rock ne fait jamais rien au hasard. Même ceux qui prétendent le connaître tombent encore des nues. Pour honorer Daniel Romano, il lui fallait sortir le Grand Jeu.

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             Romano ? Crack ! C’est Andy Morten qui s’y colle dans Shindig!. En bon samaritain, Morten y va comme il faut y aller, album par album. Et t’en as un paquet. Un cas comme celui du Romano, ça se travaille album par album. Il tire son génie de sa prolixité - Across 15 years, 25 albums - Morten parle d’un chameleon-like Romano qui a émergé «as an unstoppable creative force, dont la musique enjambe les genres, défie les attentes et suscite l’adulation.» Eh oui, on y est. Adulation. One more time. Ian et Daniel Romano, nous dit Morten, ont construit un studio à Toronto et l’ont baptisé Camera Varda en hommage à Agnès Varda. Pas de meilleure entrée en matière pour un chapô Shindigois.

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              Morten est à Totonto pour causer du nouvel album de l’Outfit qui s’appelle Too Hot To Sleep. On y trouve un savant mix de Stonesy et de glam. «You Can Steal My Kiss» est de la pure Stonesy chantée du nez, avec les riffs de Keef en clairette d’alerte rouge. Quelle bonne aubaine ! En B, ils passent au glam-punk avec «Chatter». C’est insolent de bonne santé et battu à la diable. Puis ils tapent «Field Of Ruins» à la décadence suprême. Daniel Romano est la nouvelle superstar, qu’on se le dise ! L’écho ne trompe pas. Il est pire que Peter Perrett. Encore un fantastique délibéré d’Outfit avec «Generation End». C’est à la fois excellent, flamboyant, irrépressible, c’est le glam infectueux de Toronto. Bon alors après t’as Juliana Riolino qui chante «Where’s Paradise». Elle semble un peu énervée. On entend encore de vieux relents de Stonesy canadienne dans «State Of Nature», un fantastique brouet de brouette. Entrain considérable encore avec «All Of Thee Above». Il est évident qu’avec un son de cette envergure, ils vont tout fracasser. C’est même trop fantastique. «That’s Too Rich» flirte avec le Punk’s Not Dead. Il chante aussi le morceau titre à l’excédée congénitale. C’est plus fort que lui. Quel Romano ! Depuis la sortie de l’album, Juliana Riolino et le bassman Roddy Rosetti ont quitté l’Outfit.

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             Le Romano concède que Too Hot To Sleep est radicalement différent du précédent, La Luna, qu’il qualifie d’«eloquent, grandiose and carefully constructed.» Il ose même dire : «Too Hot To Sleep is the Live At Leeds to La Luna’s Tommy.» La Luna est effectivement une sorte d’opéra, avec une ouverture et un final. Mais d’une certaine façon, il prend les gens pour des cons. C’est très proggy. Tu croyais avoir échappé à ça et le Romano t’y ramène. Il flirte avec ce qu’il y a de pire : Queen.

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             Puis Morten entre dans le tourbillon des albums avec la première époque du Romano en tant que «guitar-picking troubadour», qui baptise son son «mosey» et qui enregistre Workin’ For The Music Man, Sleep Beneath The Willow et Come Cry With Me, le tout avec de l’«eclectic instrumentation, pedal steel and the full nudie suit and Stetson imagery of country music.» À ce petit jeu, le Romano est plutôt bon. Bizarrement, Come Cry With Me fait un carton en Hollande. S’ensuivent deux albums sur New West, 11 Great Mosey Originals et If I’ve Only One Time Askin’, puis c’est l’excellent Mosey, toujours sur New West, dont on a dit dans le Part One tout le plus grand bien qu’il fallait en penser, avec un son, nous dit Morten, qui rappelle «Dylan’s mid-60s mutant R&B and Lee Hazlewood desert noir.» Et ça continue avec Modern Pressure - Blonde On Blonde-era electric Dylan remains a touchstone, but there are bright indie pop moves and diversions into sitar-flecked psychedelia - Et Morten de s’extasier : «He plays and sings every note.» Quand un mec comme Morten écrit every note, ça veut bien dire ce que ça veut dire. Dans le Part One, on n’en finissait plus de crier au loup avec Mosey et Modern Pressure - Ce petit veinard  a tout : la voix, la liberté, l’horizon, l’underground - Ces deux albums qu’il faut bien qualifier de mirobolants illustrent la facette dylanesque de son œuvre. Morten ajoute que «Mosey and Modern Pressure had been recommanded by music friends of redoutable taste.» Et dans sa lancée, il te claque ça : «It wasn’t until 2020 that I fell for Romano’s music. And boy, did I fall hard.» Il en rajoute une dernière caisse : «Le fait qu’il ait mis son nom sur 9 albums cette année-là didn’t hurt.» Ça ne l’a pas choqué. Ça n’a choqué personne, seulement ton porte-monnaie. 

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             Morten cite à la suite deux albums Bandcamp, Nerveless et Human Touch. Le Romano est tellement obsédé par l’indépendance qu’il vend lui-même ses disks sur son Bandcamp. Et une fois la tournée terminée, les disks disparaissent du Bandcamp. Ils vont paraît-il sortir en tant que Volumes 1 et 2 dans la fameuse collection Archive Series. Puis c’est Finally Free que Morten compare à de l’Incredible String Band et à Leonard Cohen.

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             C’est en 2019 que le Romano monte l’Outift avec Juliana Riolini, David Nardi et Roddy Rosetti. C’est aussi une avalanche d’albums non officiels, Okay Wow, Super Pollen, et le digital-only Content To Point The Way. Et une semaine plus tard, Forever’s Love Fool. Deux semaines plus tard sort Spider Bite - Come on, keep up, fait Morten, hilare - un album «more hardcore punk thrills.» Et puis voilà Dandelion - for this writer the most consumate solo Daniel outing so far - possibly ever - Il cite les Beatles, les Zombies et les Kinks - It’s the perfect entry point for anyone who’s still reading this without knowing what’s going on - Et le Romano d’exulter : «1968 was the greatest year for music.» Et il cite «those two perfect Incredible Band records, oh man.»

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             Dandelion forme avec Mosey et Modern Pressure la triplette de Belleville Romanienne. Dandelion sonne comme un album de John  Lennon. Eh oui, Romano peut sonner comme John Lennon et rester original, comme le montre «If You Don’t Or If You Do». On sent chez lui une terrifiante facilité. Il sait tout et il peut tout. Lennon encore avec «Novus». Il sait rester délicieusement suave, avec derrière lui des délicatesses de poux divins. Ça gratouille dans la lumière du paradis. Avec «Plum Forever», il bascule en pleine psychedelia de la Beatlemania, cette psychedelia de questions/ Don’t ask me any questions, il s’y fond merveilleusement, everything’s turning over my love, c’est miraculeux de beauté purpurine, Plum, the new grass is grown. En B, il illumine à nouveau la terre avec «She’s In A Folded Wing (But Flying)», avec un son psyché softy de Beatlemania d’aile pliée. Il n’en finit plus de fourbir une pop admirablement fagotée. Suite de ce fantastique élan pop avec «Ain’t That Enough For You». C’est du forever, à chaque tentative.

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             Content To Point The Way est un album plus country. Cette fois, il se rapproche des Sadies. «Bits & Pieces» est une belle country raffinée qui colle bien au papier. Si t’aimes bien la country, t’es gâté. Mais pas de surprise. Tu ne rentres pas dedans, même si «I’m So Lost Without You» est une pure merveille de délicatesse.

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             Back to the Beatlemania avec Visions Of The Higher Dream. Trois cuts font vraiment illusion : «Lilac About Thy Crown», «Boy In A Crow-Skin Cape» et «At Times The Fools Sing Freely». Tu crois entendre chanter John Lennon. Même timbre, même imaginaire, même sens mélodique, même classe. C’est l’album lennonien par excellence. Fabuleux hommage. Le Romano recrée l’enchantement vocal d’«Across The Universe». «Girl In A Bath Full Of Tears» pourrait aussi se trouver sur le White Album, c’est dire le niveau de raffinement. Même chose pour «Nobody Sees A Lowered Face», t’es en plein White, avec les accords de «Pinball Wizard» en fin de cut. Tiens puisqu’on parle des Who, voilà «Where May I Take My Rest», en plein claqué de Ricken, en plein dans le delicatessen Whoish. Il chante encore son morceau titre à la glotte vainqueuse. Quel merveilleux caméléon ! Il ramène de la country dans la Beatlemania. Le Romano est surprenant d’exemplarité, c’est le roi de la surenchère du surnuméraire.

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             Sur How Ill Thy World Is Ordered, «all five membres are on blistering form.» L’Outfit explose. Morten parle d’un «set of songs that remains one of the most cohesive in the Romano catalogue.» Morten ajoute encore que Romano y sonne comme «Dark Horse-era George Harrison.» Il détecte aussi des échos de Bowie et des Who. Alors tu l’écoutes. T’es aussitôt bluffé par «A Rat Without A Tale». Le Romano est un enchanteur, il touille une heavy pop de rêve et t’as du killer solo à gogo. David Nardi te sonne les cloches alors que résonne une clameur fondamentale. T’es vraiment obligé de choisir tes mots. Et ça continue avec «How Ill Thy World Is Ordered». Le Romano te chante ça au petit sucre de dents de lapin. Ça reste puissant et saturé d’un son qui te laisse coi. Voilà l’heavy pop de «First Yoke» saluée aux trompettes de Jericho. C’est encore une fois plein comme un œuf. T’a ce mélange étourdissant de petit sucre pincé et de rafales de cuivres. Avec ceux des Lemon Twigs, les albums du Romano sont des preuves que tout va pour le mieux dans le monde du rock. C’est un véritable camouflet adressé aux rabat-joie. Le rock ne s’est jamais aussi bien porté. Le Romano fait de la psychedelia anglaise avec «Drugged Vinegar». Te voilà au cœur d’une magie chaude de chemises à fleurs, et toujours puissamment orchestrée. Et t’as ce «No More Disheartened By The Dawn» qui explose de grandeur de no more. Il a cette puissance de feu pop qui fait la différence avec les mange-ta-yande à la mode. Pourquoi ? Parce qu’il écoute les bons disks, comme les Lemon Twigs : Beatles, Byrds, Brian Wilson. T’as aucun équivalent du Romano, aujourd’hui. Il remplit ses albums de pop et navigue systématiquement au niveau de ses modèles : Dylan, les Beatles, les Who. C’est un puriste.

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             Lorsque Morten dit attendre son bundle How Ill Thy World Is Ordered/T-shirt qui arrive par la poste, voilà que sort sur Bandcamp White Flag, suivi d’un book of love poems. Morten est stupéfait par cette productivité et la qualité de cette productivité. Il compare le Romano à Guided By Voices et aux Oh Sees qui ont eux aussi leurs propres labels.

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             Forever Love S Fool est l’Archives Volume 5. Bon, alors, c’est un album très spécial qui se joue en 45 tours. Deux cuts de 10 minutes, un par face. Du prog, avec des accents lennoniens dans le chant. T’es pas très content de ton achat.

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             Puis le Romano s’acoquine avec la photographe Carson McHone, une petite gonzesse d’Austin. Sort le Live Fully Plugged In. C’est l’album Whoish. Le prodigieux caméléon a encore frappé. T’as les harmonies vocales des Who sur «God’s Children», c’est sidérant ! T’as même le gratté de Ricken ! Grosse attaque Whoish encore sur «Anyone’s Arms». Il ramène tout le swagger anglais dans son son. Il a percé le secret des Who : fondu d’harmonies vocales et power chords. Il ramène encore de la clairette exacerbée dans «First Yoke». Ça sent bon les Who ! Même chose avec «All The Reaching Trims», véritable festival d’accords Whoish. C’est Juliana Riolono qui ouvre le balda avec «Rhythmic Blood». Elle attaque de front, bientôt rejointe par ce glamster patenté qu’est le Romano. On sent bien les surdoués. La B est encore assez explosive. «She Was The World To Me» est extrêmement statique, et pourtant tonitruant. Ils laissent tomber les Who pour aller sur un son plus country et puis voilà l’infernal «A Rat Without A Tale», transpercé en plein cœur par un killer solo flash de David Nardi, véritable giclée d’inespérette d’espolette. Ils terminent avec «The Pride Of Queens», un puissant balladif de rêve. Te voilà encore une fois avec un big album dans les pattes.

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             Puis c’est Cobra Poems, ovationné dans le Part One, très branché sur les Stones et les Faces. On n’en finirait pas et c’est tant mieux.

    Signé : Cazengler, romanichel

    Daniel Romano. Dandelion. Archives Volume 6. You’ve Changed Records 2020

    Daniel Romano’s Outfit. Content To Point The Way. Archives Volume 4. You’ve Changed Records 2020

    Daniel Romano. Visions Of The Higher Dream. Archives Volume 3. Not On Label 2020

    Daniel Romano’s Outfit. How Ill Thy World Is Ordered. You’ve Changed Records 2020

    Daniel Romano’s Outfit. Fully Plugged In. You’ve Changed Records 2021

    Daniel Romano’s Outfit. La Luna. You’ve Changed Records 2022

    Daniel Romano. Forever Love S Fool. Archives Volume 5. You’ve Changed Records 2023

    Daniel Romano’s Outfit . Too Hot To Sleep. You’ve Changed Records 2024

    Andy Morten : The boy who could. Shindig! # 149 - March 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Baby you can Swervedrive my car

             Dans le civil, Serge Driver était (ou avait été) chauffeur. Mais pas chauffeur de bus. Chauffeur de gang. C’est lui qui garait la bagnole devant l’entrée de la banque et qui attendait les autres en laissant tourner le moteur. Il était encore miraculeusement en vie. Plutôt sec, assez grand, aux alentours de la cinquantaine, le cheveu encore noir et lustré, Serge Driver était toujours sur son trente-et-un, en costard noir, avec une chemise blanche, col ouvert. Il n’avait rien perdu de son élégance de voyou. Il traînait au bar jusqu’à la fermeture, buvait des cognacs mais ne montrait jamais aucun signe d’ébriété. Comme le patron tolérait la clope, il fumait. Dire qu’il était criblé de balles serait un euphémisme. Ses mains et son visage portaient pas mal de cicatrices. Elles lui servaient de fil conducteur lorsqu’il racontait sa vie au bar.

             — Tu vois ce trou dans la joue ? Et là sous le menton ? La balle est ressortie par là. C’était à Montpellier en 1971. Crédit machin, me souviens plus trop du nom de cette putain d’agence. Les condés nous ont arrosés comme des malades, on est tous repartis avec du plomb dans l’aile.

             Il avala une gorgée de cognac et posa le doigt sur un autre trou, cette fois dans la tempe.

             — Dans les films, tu vois les mecs se tirer une balle dans la tempe pour se fumer. C’est un truc de baltringue ! Le pruneau est entré par là et on sait pas où il est passé !

             — T’as pas mal au crâne ? 

             — Jamais. Gégé le glaçon s’est bien foutu de ma gueule : il a dit que ça m’avait foutu du plomb dans la cervelle.

             Puis il déboutonna sa chemise. On aurait dit qu’il avait été fusillé par un peloton d’exécution. Il commenta les trous un par un, telle date, tel endroit, untel sur le carreau, tant de condés fumés, le montant du butin. Puis il défit sa ceinture et baissa son pantalon. Pareil, il avait les cuisses couvertes de trous de balles. Il les commenta un par un. Serge Driver était une vraie encyclopédie du grand banditisme. Puis il finit par baisser son calbut, se retourna et se baissa :

             — Vous voyez ce trou de balle ? C’est le seul que les condés m’ont pas fait.

             Il lâcha un pet énorme et éclata d’un rire hystérique. Cette vulgarité jeta un froid. Nous quittâmes le bar profondément déçus. 

     

             Pendant que Serge Driver défraye la chronique dans un bar, Swervedriver la défraye dans l’histoire du rock anglais. Chacun son truc.

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             Dans l’histoire du rock anglais, les Swervedriver ont toujours occupé une place à part. Ils sont assez incatalogables, ce qui les rend éminemment sympathiques. Des tas de gens ont essayé de les faire entrer dans un bocal, rien à faire : trop gros, trop indomptables. Qualifions-les de fonceurs dans le tas, d’archanges du sonic trash, d’amateurs de tempêtes éclairées, d’exploitants de tourmentes. Ils font partie comme les Boo Radleys, Primal Scream et Oasis des groupes chouchoutés par Creation, à l’époque de son âge d’or.

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             Le premier album de Swervedriver, c’est Raise. Il n’est pas arrivé dans les bacs, non, pas du tout, il nous est tombé dessus. Ces quatre petits mecs sont les héritiers directs de Totor. Leur religion : the Wall of Sound. Raise est bourré à craquer de Wall, dès «Sci-fi Flyer», c’est même du Wall in the face, du napalm de sonic trash, et Adam Franklin pose son chant malovélant sur un son en mouvement, une espèce de floraison délirante. Leur groove a pour particularité d’aller très mal, de ne pas marcher droit, comme s’il était torché. On reprochait à l’époque aux Swerve  d’être trop shoegaze, de s’ennuyer en jouant. Mais quand t’écoutes «Son Of A Mustang Ford», tu comprends tout, car voilà un hit frit dans l’énergie, jeté dans le mur, c’est une fabuleuse dégelée d’échevelée, grattée à outrance, c’est aussi une vraie machine à remonter le temps, te voilà bombardé en 1990, soit trente ans en arrière, la Ford Mustang a marqué son époque, ils ont hissé leur paradigme avec la Ford Mustang, ils te jettent ça dans le sonic fog, les grattes s’entremêlent, et ça se vautre dans la bouillasse avec un killer solo trash à l’agonie. Retour au Wall avec «Rave Down», un Rave éclairé par le haut, presque mélodique, les grattes bâtissent, les dynamiques purulentes pullulent dans le beurre du diable, c’est un mic-mac épouvantable. Du Wall encore avec «Soundblasted» le bien nommé. Après une intro trompeuse, un déluge de Swerve arrive par la bande, mais il s’agit d’ailleurs d’un déluge embourbé. S’il fallait qualifier les Swerve d’un seul mot, ce serait ‘embourbé’. Les embardées embourbées, c’est ça, exactement. Pour finir, ils s’en vont mourir en mer étale.

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             Mezcal Head paraît trois ans plus tard. Pas de littérature ni de photos, juste un visuel et de la musique. Retour direct au Wall avec «Duel», épicé d’un soupçon de mélodie et lesté d’une grosse descente au barbu, le ciel s’affaisse sur la terre, you can’t ask why, on assiste à des chassés-croisés obliques entre les deux grattes émérites, ça grouille d’idées soniques et de grandeur, et c’est merveilleusement relancé. Tout est bien étalé sur la tartine, t’as là son très anglais, très dynamique, un son à part, très Swerve. On croise plus loin l’excellent «Last Train To Satansville». Attention, ce n’est pas Clarksville. Les Swerve font des embardées sous un certain boisseau et ça vire hypno avec un fat bass sound. Chaque cut a sa propre identité. Avec «Harris & Maggie», ils reviennent à la formule magique d’air hagard et de bouche béante, ils courtisent la clameur du néant. L’«A Change Is Gonna Come» n’est pas celui de Sam Cooke, ils optent pour une purée de wah furibarde et la calment aussi sec à la sortie du solo. Nouveau coup de Jarnac avec «Duress» : une wah en disto lui bouffe le foie. Spectacle atroce, languide, glauquissime, avec des remous dans les eaux troubles. Et puis Adam Franklin arrive avec sa voix tortueuse, il traîne pas mal dans la longueur. Duress est un beau cut dévoré vivant par des cannibales. En fait, les cuts sont longs. Les Swerve sont chronophages. Ils ne te bouffent pas le foie mais le temps dont tu disposes, ce qui est pire.

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             Ejector Seat Reservation est leur dernier album sur Creation. Sans doute le meilleur des trois. Ejector grouille littéralement de coups de génie, à commencer par «Bring Me The Head Of The Fortune Teller». Ah comme ils sont bons ! Ils tartinent leur big heavy psychedelia à la barbe de Dieu. Ils se montrent stupéfiants de verdeur, ils maîtrisent l’art des gros développements organiques, ça joue énormément. Le bassmatic avale très vite «The Other Jesus». Les Swerve ont un son unique, un sens du groove underground qui fait d’eux des géants. Les solos roulent comme des ouragans. Après le «Son Of A Mustang Ford», ils ramènent un «Son Of Jaguar E» plus poppy et bien arrosé. Le killer flasher est un fou, il traverse sans regarder. Et boom ! Voilà «I Am Superman», les Swerve y vont la plume au vent, rien ne peut les arrêter, Adam Franklin chante «Bubbling Up» au crevé de bouche ouverte, dans un oasis à sec, au fond d’un underground oublié de tous, et soudain, tout explose avec le morceau titre, le pur heavy rock des Swerve, just perfect, le bon poids, le bon aloi, l’excellence des British rockers avec des syllabes jetées et des accords de cuir noir, ça joue dans la mine d’or, ils tapent dans le même son que Grand Mal, même sens aigu du boogie pourri, des relances avariées, et de la nonchalance d’overdose. Dans ces années -là, les deux groupes qui cultivaient les Fleurs du Mal étaient Grand Mal et les Swerve, ils savaient s’allonger dans une fosse commune et continuer de faire de l’art, ils savaient ramper dans les ossements et se comporter comme des rock stars. La clameur qu’on entend ici est supra-sensorielle. Et ça continue avec «How Does It Feel To Look Like Candy». Somptueux ! Les Swerve arrosent le Candy de dégelées. Par l’éclat de leurs idées, ils se rapprochent des Mary Chain. Puis ils terminent avec «The Bird», une mad psyché de power pur, explosive, très Bandwagonesque.  

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             Puis les Swerve vont plonger dans le limbo des labels incertains. En 1997 paraît 99th Dream sur Zero Hour, un label qui porte bien son nom. Les Swerve relèvent bien le défi avec le morceau titre d’ouverture de bal, une symphonie de disto, une envergure sonique digne de Gustav Malher, ils proposent tout simplement une fantastique élévation du domaine de la psychedelia. Ils s’y prennent toujours de la même façon, avec un sens aigu de l’empathie transversale, ça bouillonne, c’est chaud et c’est doux, ça culmine dans les clameurs. Plus loin, tu vas tomber sur «These Times». Adam Franklin se prend pour Liam Gallagher, sauf que les grattes sont du Swerve pur. Superbe Beautiful Song coulée dans un Wall of Sound, une merveille de contre-collage de son et de poux. On reste dans l’extrêmement Beautiful avec «Electric 77». Même dans leur delta du Mekong, il se produit des événements extraordinaires. Ces mecs te drivent le Swerve avec une autorité qui tranche - Show me the way away - Les accents penchent et fascinent. Les montées en température sont leur fonds de commerce. S’ensuit un brillantissime «Stellar Caprice», puis ils te déversent sur le crâne un seau plein d’heavy pop-rock, «Wrong Treats», une heavy pop-rock bardée de poux, ça gratte dans tous les coins, ça explose en bouquets faramineux, tu as là tout le son du monde. Avec les Swerve, tu passes des soirées extraordinaires. Et la fête continue avec «You’ve Sealed My Fate», bien dense, avec des loops. Cet album est une merveille de port altier. Ils ramènent un brin de weird dans «In My Time» et flirtent avec «Season Of The Witch» sur «Expressway». On ne se lasse pas de cette omelette sonique qui se casse la gueule en permanence. Les Swerve sont les rois de la dégoulinade.   

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             Retour inopiné en 2015 avec cet I Wasn’t Born To Lose You qui pourrait bien être leur meilleur album. Tu aimes le Wall ? Alors écoute «Autodicact», mais au casque, de préférence, pour bien en profiter. Cette pop est tellement gorgée de son ! Les Swerve te gavent de l’un des meilleurs sons d’Angleterre. Adam Franklin et Jimmy Hartridge se répartissent les channels, ça joue à la démesure, ils te saturent tout d’excellence. S’ensuit un «Last Rites» plus dans l’esprit du wild Mezcal. Ils n’ont rien perdu de leur primal power, ça balance toujours dans des horizons embrasés, avec une stupéfiante vitesse de la prestance accorte. Encore plus infectueux et gratté aux deux grattes, voici «For A Day Like Tomorrow». Infernal ! Ils bourrent leur box de son et le chant s’y pose comme un papillon exotique d’une grande rareté. Sur cet album tombé encore une fois du ciel, tout est énorme, ils créent leur bulle de sonic trash et restent inexorablement inventifs. «For A Day Like Tomorrow» grelotte de son. Les Swerve savent monter une température en neige, comme le montre «Everso». Quelle belle tension harmonique ! C’est dingue ce qu’on peut raffoler de ce son. Les Swerve aiment à exploser en plein ciel, c’est leur péché mignon. On y entend de jolis éclats de Teenage Fanclub, de jolis éclairs de Tanahauser à l’épaule d’Orion, avec des accords en suspension. On croit qu’ils vont se calmer. Fatale erreur. «English Subtitles» explose sous ton nez. So very British, carillonné aux harmonies vocales, ils font les Byrds à l’Anglaise, ils montent encore plus haut que les Fannies. Puis ils tapent «Red Queen Arms Race» à la vilaine sature de Saturne. Ils passent en mode ‘mouvements limités’, la disto craque, c’est bon signe, la bête vit encore, les grattes des Swerve dévorent tout. Ils ne vivent que pour la saturation. Chez les Swerve, tout valdingue dans la carlingue. Ils ne sortiront jamais de leur tempête de sable. Dans «Lone Star», le chant d’Adam Franklin est comme assailli par des vagues de notes acides. Tu as toujours une gratte qui brame comme un éléphant de combat, ça balance en permanence entre la pop et Salammbô. Pour finir cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux, voilà «I Wonder» qui bascule dans l’ignominie Swervy, une merveilleuse ignominie, une destruction de ta cervelle, neurone après neurone, ces mecs vont te grignoter et se régaler de ta chair frelatée, tu en suffoques d’extase, tout éclate en rosaces de la solace, c’est un incroyable power rosicrucien, ça se dissémine en rayons luminescents, les harmonies vocales se fondent dans l’effroyable poussière rougeâtre d’un crépuscule des dieux. En Angleterre, les Swerve sont certainement les seuls à cultiver cet art de la démesure viscontienne. Tu ne sors pas indemne de cette écoute. Si tu ne craignais pas d’abuser, tu dirais que tu vibres pour l’éternité.

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             Et voilà le petit dernier : Future Ruins. On y trouve un clin d’œil au Velvet : «Spilked Flower». Ça traînasse dans l’ancien beat purulent, you hit me with a spilked flower. L’énergie du beat est bien celle du Velvet, aucun doute là-dessus. Sur les autres cuts, ils reviennent à leur formule : la nappe de son qui se répand sur la surface de la terre. Rien de nouveau sous le soleil des Swerve. Toujours un peu le même déroulé, mais c’est un bon déroulé. Ils passent en mode tortue avec «Theeascending» et l’achèvent en apothéose. On retrouve l’heavy Swerve dans «Drone Lover», avec tout le poids des accords et le chant invertébré. Ils percutent leurs électrons dans la machine à vapeur. Et puis à un moment, on se pose des questions. «Everybody’s Going Somewhere & No One’s Going Anywhere : panne d’inspi ? Pause pipi ? Pause du peuple ? Plan pipo ? Heureusement, «Golden Remedy» vole à leur secours, miel épais, bien heavy, tentaculaire. Leurs connexions larvaires sont des merveilles. Si tu cherches l’exotisme sonique, c’est là. Encore un bel étendard avec «Good Times Are So Hard To Follow», ils te claquent ça bien au vent, ils ressortent leur vieux mic mac d’accords flottants, des grattes entrecroisées et ce chant qui se prélasse dans la mélasse comme un roi fainéant. Perdition assurée et magnifiée. Le «Radio Silent» de fin coule dans les abysses avec ses palmes, comme Enzo dans Le Grand Bleu

    Signé : Cazengler, Suaire d’hiver

    Swervedriver. Raise. Creation Records 1986

    Swervedriver. Mezcal Head. Creation Records 1993

    Swervedriver. Ejector Seat Reservation. Creation Records 1995  

    Swervedriver. 99th Dream. Zero Hour 1997

    Swervedriver. I Wasn’t Born To Lose You. Cobraside Distribution Inc. 2015

    Swervedriver. Future Ruins. Rock Action Records 2018

     

     

    L’eau rance de Laurence

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             Pour dire les choses franchement, le rapatriement du book dont on va parler ici est dû à une petite confusion : on feuilletait l’autre jour l’un de ces beaux mensuels rock publiés en Angleterre et, dans les pages «books», on est tombé sur la kro d’Hunky Dory (Who Knew?). Laurence Myers ? Ahhhh oui ! Alors on a fait, comme le font tous les gros cons qui se prennent pour des connaisseurs : «Tiens donc ! Le voilà enfin ! Le sbire du Loog ! L’homme de l’ombre ! Le second couteau d’Immediate !». Évidemment, on confondait avec Tony Calder. C’est en feuilletant le cahier central de photos qu’on a subitement réalisé que Laurence Myers n’était pas Tony Calder. Ce sont des choses qui arrivent, surtout aux gros cons.

     

             L’idée première était bien sûr d’en apprendre davantage sur l’un des grands chouchous d’ici, Andrew Loog Oldham. Raté. À ce stade des opérations, il ne restait plus qu’une seule chose à faire : lire l’usurpateur.

             Gros problème : les a-prioris négatifs s’accumulaient au portillon : couve putassière avec Ziggy et Iggy (qui sont pas Jerry Lee), titre emprunté à un album sacré, Laurence Myers n’est pas joli sur les photos, enfin bref, il y en avait à la pelle. Pour entrer dans ce book, il fallut donc discipliner les troupes et ramener le calme dans les rangs.

             Finalement, la lecture s’est révélée relativement agréable. Dire qu’Hunky Dory (Who Knew?) se lit d’un trait est à peine exagéré. Dans certaines circonstances, il faut savoir se montrer conciliant. Alors on concilie. Car c’est en concilisant qu’on devient conciliseron. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, une solution s’est imposée au sortir de cette lecture en forme de conciliabule : on a tracé un trait vertical, pour mettre d’un côté les avantages et de l’autre les inconvénients, comme on le fait dans la vie courante, lorsqu’il faut prendre une décision importante.

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             Avant d’attaquer le gros tas des avantages, il est utile de rappeler que Laurence Myers est un comptable. Il tient les livres de comptes du rock. On le paye pour ça. Recettes/Dépenses/Taxes/Rétributions. Donc l’argent est au cœur de sa vie. Et comme il grenouille en plein Swinging London, il rencontre tous les grands tireurs de ficelles : Mickie Most, Don Arden, Peter Grant, Allen Klein, Andrew Loog Oldham et Tony Defries. Avec lui, on entre dans l’antichambre des magouilles du rock. Et dans certaines pages, il va même se montrer très technique, plus encore que Klein dans le book que lui consacre Fred Goodman (Allen Klein. The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll).

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             C’est avec Mickie Most que Myers démarre sa carrière. Most vient tout juste de lancer les Animals avec «House Of The Rising Sun». Most et Myers vont devenir amis et même passer des vacances ensemble. Myers ne rentre pas trop dans les détails. Il indique simplement que Most ouvrit à une époque son propre studio à St John’s Wood et que sa veuve Chris le tient encore aujourd’hui. Par contre, c’est avec le chapitre Don Arden que Myers rafle la mise. Il relate un épisode qui s’est déroulé en 1964 dans le bureau d’Arden. Big Man Arden venait d’organiser une tournée américaine des Animals et devait 6 000 £ au groupe et à leur manager, Mike Jeffery. Comme Jeffery était aux États-Unis à l’époque, il demanda à Mickie Most de voir Arden pour le persuader de payer ce qu’il devait. Myers assiste au meeting en tant que comptable de Most. Un Most qui explique à Myers qu’Arden ne comprend qu’un seul langage : la violence. Aussi, demande-t-il à l’armoire à glace Peter Grant d’assister au meeting pour intervenir en cas de grabuge. Ils se rendent donc tous les trois à Mayfair où se trouve le burlingue de Don Arden. C’est une scène qu’aurait pu filmer Scorsese. Myers nous restitue les dialogues dans leur intégralité. On se croirait dans le bureau de Don Corleone, lors de la première scène du Godfather. Ils sont tous les trois assis face à l’Arden. Quand Myers prend la parole, Arden lui demande qui il est. Alors Myers dit qu’il représente les Animals. Arden fait : «Oh, yeah?». Puis il demande à Most : «Who is this schmuck?». Et Most répond qu’il est le comptable. Alors Arden revient à Myers et lui balance : «Alors, comptable, qu’est-ce que tu veux ?». Sous-entendu ‘comptable de mes deux’. Myers répond comme un comptable : il veut juste le blé qu’Arden doit aux Animals. Arden hausse les sourcils. «Quel blé ?» Alors Myers sort sa petite note de comptable : «6 370 £.» Arden fait : «So?», c’est-à-dire «et alors ?». Myers ne se dégonfle pas, et lui dit qu’il doit payer. Pffff... Arden chiffonne la facture, la jette à la poubelle et tranche : «Fuck off.» Myers insiste. Alors Arden lui dit que s’il ne sort pas immédiatement de son bureau, il va passer par la fenêtre, comme Robert Stigwood. Myers raconte qu’il fut le premier à sortir, que Mickie Most le suivait, explosé de rire, et que Peter Grant est resté dans le bureau pour tout casser, comme c’était prévu. Bien sûr, Don Arden n’a jamais payé ce qu’il devait aux Animals, nous dit le comptable.

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             L’autre grosse poissecaille du book, c’est Allen Klein. Un Klein qui comme Myers démarre comme comptable pour le compte de Don Kirshner, au Brill Building, on the corner of Broadway and 49th Street in Manhattan. Comme le fait Myers en Angleterre, Klein est mandaté par ses clients pour auditer les comptes des record companies. Ils découvrent tous les deux que les record companies ont pour fâcheuse habitude de truquer les comptes, pour ne pas verser toutes les royalties sur les ventes dues aux artistes. Tous les moyens sont bons pour baiser les artistes. C’est Mike Jeffery qui introduit le loup dans la bergerie : il met Klein en contact avec Mickie Most, qui est alors le producteur des Animals, et sans doute le producteur le plus hot d’Angleterre, à cette époque. Klein débarque à Londres, au Grosvenor Hotel et propose un meeting à Most. Bien sûr, Myers l’accompagne au rendez-vous. Il nous fait donc entrer dans la suite qu’occupe Klein, un Klein qui les reçoit en robe de chambre avec une pipe au bec. Il fait venir du thé par le room service et donne un pourboire généreux ce qui, selon Myers, est censé impressionner ses visiteurs, but we were not. Et soudain, Klein balance son hameçon : «Mickie, I can get you a million dollars.» En sortant du rendez-vous, Mickie est écroulé de rire. Il prend même Klein pour un charlot - a bit of a joke - Mais Klein n’est pas un charlot. Pouf, il emmène Most chez EMI pour un rendez-vous. Clive Kelly, le managing director, leur demande s’ils veulent du thé et Klein répond sèchement : «No. We don’t want tea.» Puis il balance ça dans la barbe de Kelly : «Mickie’s not going to make any more records for you.» L’autre en face ne comprend pas : «I beg your pardon?». Alors, Klein répète lentement, et ajoute : «No more records from The Animals or Heman’s Hermits.» Klein audite les comptes et obtient toujours ce qu’il demande. Un million de dollars ? Pas de problème.

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             Klein va ensuite rencontrer Andrew Loog Oldham et gagner la confiance du Jag, puis des Stones, lors d’un rendez-vous à l’Hilton Hotel, on Park Lane. Puis il refait son cirque avec Decca pour re-négocier le contrat des Stones. Il rencontre Sir Edward qui s’inquiète de l’absence d’Eric Easton, le co-manager des Stones, et Klein lui met ça dans la barbe : «Eric ne joue pas dans le groupe. You can speak to me.» Comme chacun sait, Klein va devenir propriétaire des droits américains des Stones : masters & music copyrights. Une fortune. Après les Stones, Klein va avaler les Beatles. Même stratégie d’approche, un rendez-vous dans une suite au Grosvenor, l’hameçon du million de dollars, suivi de la technique de l’anaconda. Le comptable Myers se régale et nous en fait profiter.

             Myers rappelle aussi qu’Andrew Loog Oldham n’avait que 20 ans lorsqu’il approcha Brian Jones pour signer les Stones. En tant que managers, Eric Easton et le Loog prenaient 25 % des revenus du groupe. Le book grouille d’informations de ce genre, toutes d’une précision... comptable.

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             Et puis voilà l’autre grosse poissecaille du book : Tony Defries, et donc Bowie. Myers remonte au fameux séjour new-yorkais du team Bowie/Defries : rencontres avec Lou Reed puis Iggy. Quand Defries rentre à Londres, il dit à Myers qu’il peut manager Warhol, Lou Reed et Iggy. Myers qui est alors associé avec lui le met en garde : attention à ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre (we were taking on more than we could chew). 1972, c’est aussi l’année où Alice Cooper débarque au Rainbow et Bowie affirme qu’il peut faire mieux. Il est alors en train d’enregistrer Hunky Dory. Sur l’album, on peut voir le logo de Gem Productions, qui appartient à Myers. Defries est son associé dans Gem. Et quand Myers voit Defries dépenser le blé de Gem, ça le rend malade - Les dépenses de Defries devenaient incontrôlables. Il insistait pour avoir toujours sur lui beaucoup de cash, afin de pouvoir se montrer généreux envers David et d’autres artistes (c’est-à-dire avec mon argent). Les gens traversaient l’Atlantique en avion aux frais de Gem. On louait des studios et des musiciens aux frais de Gem - La gueule du comptable ! Pire encore : il possède une petite maison à St John’s Wood et la prête à Iggy et à Williamson, pour la durée de leur séjour à Londres. Myers trouve Iggy poli et courtois jusqu’à ce qu’il découvre des traces de brûlure sur la moquette, «where he had made little fires, no doubt to warm spoons for eating soup.» Dans son délire de pingre, il se permet de faire de l’humour. Ah le saligot d’Iggy !

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             Heureusement, Defries se sépare de Myers et monte sa boîte, MainMan. Ouf ! Le comptable Myers s’éponge le front avec son grand mouchoir à carreaux. Defries qui a la folie des grandeurs monte même deux MainMan, MainMan London et MainMan New York. Comme il n’a pas un rond, Myers lui alloue un prêt de 40 000 $. Puis la machine new-yorkaise se met en route et s’emballe, avec Tony Zanetta, Dana Gillespie, la coke, le sexe. En plus du délire dépensier, il y a le sexual merry-go-round. Angie dit que David baisait tout ce qui traînait dans les parages, aussi bien les gonzesses que les mecs. Defries baise Dana puis il épouse Melanie, que lui a présentée Rodney Bigenheimer. Avec le recul, il apparaît finalement que tout ce cirque n’a aucun intérêt. Bowie finira par se débarrasser de Defries. Myers rappelle que Mick Ronson était payé 50 £ par semaine, les Spiders Trevor et Woody n’en touchaient que 30. Par contre, Mick Garson recevait 800 $ par semaine. Mick Ronson ne commencera à gagner du blé que lorsqu’il produira Your Arsenal pour Morrisey. Le portrait que Myers fait de l’aventure MainMan est extrêmement glauque.

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             Voyons maintenant les inconvénients. Ce book est un book de comptable. Un vrai livre de comptes. Et là, franchement, on ne se sent pas très bien en lisant certaines pages. Car elles révèlent une drôle de mentalité. Myers commence par raconter une soirée dans un restau chicos de Londres : ils sont quatre, lui et son épouse, Klein et la sienne. Et le jeu consiste à faire payer l’autre couple. Ce que Myers ne sait pas à l’époque, c’est que Klein n’a pas de blé, pas encore. Alors il déploie des trésors d’ingéniosité pour éviter le moment où le garçon présente la note, par exemple en allant danser avec son épouse à la fin du repas. L’épouse de Myers insiste pour que ce soit Klein qui paye, mais Myers va se faire baiser. On assiste à cette scène qui est un peu le concours des rats. Myers ne se rend même pas compte qu’il salit sa réputation en racontant ce concours de pingrerie. Il en raconte un autre encore pire. Cette fois il est à Cannes pour signer un deal avec un Japonais. Afin de bien ferrer sa prise, il l’invite à prendre le petit déjeuner au Carlton. Le Jap se pointe, et Myers lui énonce les points du contrat. Le Jap dit oui à tout. Mais au moment où Myers demande si le deal est fait, le Jap lui dit qu’il doit d’abord en parler à ses supérieurs - Je me suis rassis et il est parti, me laissant payer the outrageous price of breakfast for two at one of the most expansive hotels in Cannes - Plus loin, il raconte comment il s’est occupé à une époque de Glenn Wheatley, un ex-Masters Apprentice. Dans les années 2000, le pauvre Glenn s’est retrouvé au ballon suite à des démêlés financiers, puis il est venu à Londres et Myers lui a alloué un prêt de 10 000 £ - no paperwork, no payback date, no interest, which he said ‘saved his life - Apparemment, Glenn serait tiré d’affaire, mais, ajoute le comptable, «en dépit de plusieurs relances, il n’a jamais jugé utile de rembourser ce prêt. Disappointing.» Il y a des gens pour lesquels un sou est un sou.

    Signé : Cazengler, le rance

    Laurence Myers. Hunky Dory (Who Knew?). B&B Books 2019

     

     

    Automnales 2024

    (Crack, Juniore, Sin et les autres)

     - Part Two

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             Tu sors du concert d’un groupe qui sort de nulle part : Crack Cloud. Qu’est-ce que tu peux en dire ? Crack Cloud ? Taty cracké ? Taty cloudé ? Taty sorti des clouds ? Tu pourrais broder sur le thème-tarte à la crème du collectif canadien, mais tapatenvie. Non tapatenvie de rabâcher la vieille bouillasse de wiki-monkiki et de véhiculer ce gros tas de clichés qu’on véhicule au babar après le gros con-cert. Tapatenvie de rester au garde-à-vous devant l’idée fixe, tapatenvie d’ânonner l’«ah cétébien» du bon chrétien (tien, pas tin, mais au fond ça revient au même). Tapatenvie de rien du tout, en fait. T’es là avec tes mots à la main, face à l’immensité du champ des possibilités du quendiraton. La grande désolation des discours possibles. À perte de vue. Même ça, tapatenvie.

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             Pour situer les choses, avant que l’oubli ne les avale : sont six sur scène (pas loin du saucisson sec), sont jeunes, sont drivés par un batteur chanteur sculptural (qui s’alimente à la bombonne d’eau), t’en as deux qui grattent des poux et t’en as un qui sort son sax pour frire du free, plus une petite gonzesse là-bas par derrière et un Indien des Indes sur une basse à cornes. Sickh sans turban. Paria. Leur truc, c’est le trip. Ils tripent. Alors tu tripes. Comme t’as grandi à Caen, tu connais bien le trip. C’est bon le trip, avec les petites rondelles de carottes. Et la patate occasionnelle. Miam miam. Tu tripes tellement que tu les perds de vue. Ils vont par là, et toi tu vas par là. C’est un peu le but du trip. Le trip date du temps d’avant le GPS, c’est même fait pour se perdre. C’est en te perdant que tu deviens perdant. Loser. Et que tu fais des découvertes. La perdition est l’un des accès à la révélation. Mais pour le savoir, il faut s’être perdu pour de bon. Donc tu tripes, et tu te paumes. Vague conscience de silhouettes animées devant toi sur la scène, mais tu n’es pas là. Tu penses à tout à rien, tu écris des vers de la prose an attendant le jour qui vient. C’est toujours à cet endroit pas précis qu’Aragon te rejoint. Tu pars. Tu viens. Les applaudissements te ramènent dans la dimension des autres. Mais dès le cut suivant, tu repars en vadrouille. Les petits Crack Cloud n’inventent rien. Peter Hammill et David Jackson sont déjà passés par là, en 1970, avec Van Der Graaf, ils visitaient exactement les mêmes labyrinthes, et tu t’y perdais exactement de la même façon, tu ne les retrouvais qu’en bout de face lorsque le saphir ticitiquait. Outété ? Tétéou ? Là-bas.

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             Zont un album, comme dirait mon ami Damie. Un album planant, Red Mile. Planant par la pochette, pas par la pop impliquée. «Crack Of Life» veut plaire. Vilain défaut. Tu ne sais pas quoi faire de «Crack Of Life». Ça plaît et puis après ? Après t’as «The Medium». Le petit batteur sculptural chante à la dure. Il se croit sur scène. Oh ce n’est pas un défaut. C’est juste qu’il s’y croit. Mais globalement, on ne voit pas bien l’intérêt de tout ça. Pour parler franchement, ça n’en en aucun. T’as même pas le trip sur Red Mile. Ni les carottes. Ni la patate occasionnelle. Leur narratif est un peu déconvenu. «Lack Of Lack» renoue avec le set, car très alambiqué, avec un beau biseau saxé à l’unisson pas du saucisson, cette fois, mais du thème. Ça devient vite volumineux, on sent pointer le Van Der Graaf. Et ça devient un fier album avec «I Am (I Was)». Ils couvrent tous les territoires et développent un sens extraordinaire de la clameur, surtout sur le final. Ils cultivent très bien la porcelaine de sax («Ballad Of Billy») et puis voilà qu’ils referment la marche avec un «Lost On The Red Mile» assez puissant, mélancolique comme une colique, c’est-à-dire que ça coule tout seul, mais avec un petit air de revienzy. Et tu retrouves le solo du Sikh qui t’impressionnait tant sur scène.

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             Ce sont les Anglais qui ont commencé à s’emballer pour the French trio Juniore. Piers Martin les qualifie même de chic Parisian retro-rockers. Dans l’interview, Anna Jean dit qu’au départ le trio était mauvais - we were bad. We sounded like the Shaggs - Et Martin qui n’est pas un âne sort sa belle formule pour situer les parisiennes : «Juniore’s smouldering blend of surf rock, blues, ‘60s chanson and nouvelle vague ennui.» Puis il poivre sa soupe de subtiles références : Françoise Hardy, Nico, Mazzy Star, sauf que le son de Juniore n’a RIEN à voir ni avec Nico ni avec Mazzy Star. Anna Jean préfère employer la formule «yéyé noir», ce qui sonne plus juste. Elle dit s’intéresser à la mélancolie des sixties, c’est pourquoi on entend des échos de Gainsbourg dans leur son. Et paf, Martin qui n’est pas un âne indique qu’Anna est la fille du prix Nobel JMG Le Clezio. Et quand on évoque avec elle la chose après le concert, Anna dit que «c’est pas un secret de polichinelle», ce qui est une vraie réplique de fille d’écrivain. Et elle redit son admiration pour Françoise Hardy et la façon dont elle exprime sa tristesse dans ses chansons. Martin qui n’est pas un âne insiste sur le côté bittersweet du son d’Anna, mais elle préfère parler de «joyful apocalypse» et de «dark lyrics that you can dance to.»  

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             C’est exactement ce qui se passe sur scène. Après une demi-heure d’ennui profond, de total bore de bourre de mou, Anna Jean et ses trois complices déclenchent cette parfaite «joyful apocalypse». Et ça marche ! Au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. T’en reviens pas du tout, surtout de la batteuse ! Elle bat son beurre là-bas au fond, avec une persistance et un power qui te laissent bien baba, elle bat avec un sens aigu du bahboum bahboum, c’est une vraie loco de powerhouse et elle n’en finit plus de s’abandonner, ses cheveux volent tellement qu’elle vole le show. Elle bat un beurre à la fois heavy et délié, elle te surprend à la sortie du virage et puis ces cheveux qui volent en permanence disent bien ce que ça veut dire. Elle amène de la Méricourt dans le yéyé noir, elle fabule les falbalas, elle démonte les réticules et elle dilate les renoncules, elle débraye le beat pour mieux féconder l’up-tempo, elle décaisse sa casse et roule sa poule avec des ramages raffinés qu’elle translate en rase-motte, elle bim-bam-boume ses deux toms bass et fait l’hurricane de blonde bomb shell, et puis, entre les deux eaux, Anna nous dit qu’elle s’appelle Swanny. Sois nique ta lope, soit bonne et bat, sois ni figue ni raisin, sois Swanny, eh oui, t’en as pas deux comme elle, et franchement, t’es bien content de voir jouer une batteuse de cet acabit, my dear Achab. Elle arrache Juniore à l’ennui qui commençait à engloutir le set, elle tire le groupe vers la surface, alors qu’il s’enfonçait dans les sables mouvants d’une pop mormoilleuse à la mode. Ah les trois autres lui doivent une fière chandelle. Les dynamiques explosives de «Panique», de «Magnifique», et d’«Ah Bah d’Accord», c’est Swanny, le big bah-boom de «Monumental» et du «Sauvage» final, c’est elle. Swanny ny-ny-neat !, comme diraient le Damned.

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             On retrouve «Monumental» et «Sauvage» sur leur dernier album, Trois Deux Un. C’est vrai que ce «Monumental» bien speedé du popotin sonne comme un hit de set. Elles n’inventent rien, juste du beat à l’air. Elles ne s’en sortent qu’avec les cuts musclés, comme «Sauvage». Dès que ça bombarde au beat à l’air, ça tient debout. Sinon, aucun espoir. Tu sauves encore «Déjà Vu», monté sur le bassmatic boing boing de Melody Nelson. Mais partout ailleurs, le chant est plombé. Paroles incompréhensibles. Volonté artistique ? T’as toute une série de cuts qui plantent les uns après les autres : «Amour Fou», «Grand Voyageur», «Méditerranée» et «En Fumée». C’est une hécatombe.

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             Deux ou trois bricoles intéressantes sur Un Deux Trois. À commencer par le petit stomp de «Grave». On les voit chercher les voies impénétrables de la pop, mais on ne comprend pas bien les paroles, car la prod est plombée. «Drôle d’Histoire» est encore plombé par la basse : elle dévore le son et couvre le chant. Le mix a la main lourde sur les fréquences basses. Le mixeur voulait une basse à la Melody Nelson, mais c’est pas bien maîtrisé. Du coup les cuts ne sont pas si bons. Encore du buzz pour des prunes. La voix ne sort pas non plus sur «La Vérité Nue». Mix pourri. Puis ça devient énorme avec «Bizarre» - J’me sens bizarre/ Bizarre bizarre - bien psyché dans l’intention. Dans «Tu Mens», elle lui dit : «Tu mens comme tu respires.» Et puis on tombe inopinément sur un sacré coup de génie pop : «Ah Bah d’Accord», un vieux stomp d’electro, ah bah oui ça fait danser le popotin et ça sonne comme un hit de juke, avec un solo d’orgue en intraveineuse. Ah bah d’accord ! Le bassmatic harassant joue bien le jeu.

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             Dans Shindig!, Anna cite les dix chansons qui ont influencé Trois Deux Un. À commencer par quatre Françaises, Françoise Hardy, of course, avec «Comme Tant d’Autres» («She’s the queen of yé-yé chanteuses» et elle prétend qu’elle n’est qu’une fille ordinaire alors qu’elle est une icône), puis Marie Laforêt avec «Mon Amour Mon Ami» («A Californian vibe with its 12-strings guitar, loud organ and cool tempo» et ce qui intéresse Anna, c’est cette «fashion of being light and dark at the same time.») T’as aussi Stone avec «Buffalo Bill» (compo de Gainsbarre) et Stella avec «Si Vous Connaissiez etc., etc., etc.» Encore une compo de Gainsbarre pour Marianne Faithfull («Hier Ou Demain»). Elle cite aussi les B-52’s comme «our favourite band of all times» et Planet Claire comme l’une de leurs «biggest inspirations». Elle parle encore de riffs «immensely catchy and impossible not to dance to.» Elle traite aussi Los Saicos de «best garage band». Elle passe aux choses sérieuses avec les Coasters et «Three Cool Cats», «one of our absolute favourites». Elle dit tenter de retrouver ce «smooth rock vibe» et de le dépasser. T’as encore du boulot. Et puis la cerise sur le gâtö, c’est Al Green avec «For The Good Times» - An endless source of inspiration, for the crisp drums and the smooth chords and luscious atmosphere - Eh oui, merci à Willie Mitchell, merci à Howard Grimes et aux frères Hodges - Nothing is as cool as an Al Green song, and nothing ever sounds quite like one - On est bien d’accord.

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             On se méfiait de tous ces groupes que Gabe Roth avait rassemblés sur Penrose Showcase Vol. 1. Il lançait alors son nouveau label de Soul, Penrose et, à l’écoute de cette belle galette chicos,  nous constatâmes avec effroi que dans son élan, le Gabe avait perdu les deux mamelles qui avaient fait la grandeur de Daptone, le funk et le raw r’n’b. Il optait désormais pour la Soul de charme. On a donc vu défiler les nouveaux poulains du Gabe, Thee Sacred Souls (Soul de charme qui colle bien au papier), Los Yesterdays (idéal pour le bar de la plage, à l’heure de l’apéro, avec les grosses coquines de service), le plus intéressant était sans doute Jason Joshua avec son parfum reggae très toxique. The Altons semblaient honteusement irréprochables, le mec poussait des petites pointes comme Aaron Neville, pas de problème, tu ne te faisais pas de souci pour son avenir. En B, Thee Sinseers tapaient l’heavy Soul de nuits chaudes de Spanish Harlem. En fait tous ces groupes avaient le même son et allaient exactement dans le même sens. Ce qui au sortir de l’écoute, nous laissa quelque peu circonspect. Beau, certes, mais affreusement mou du genou. On venait de se faire niquer en beauté avec les Black Pumas, on était donc devenu extrêmement méfiant.

             Et voilà que deux des groupes Penrosés, Thee Sinseers et The Altons, déboulent en Normandie dans le cadre d’une belle affiche : The Super Soul Revue. Thee Sinseers sont passés entre temps sur Colemine, car il semble que Penrose ait planté, ce qui n’a rien de surprenant. En première partie de la Super Soul Revue, tu retrouves Sugarmen 3, les rois de l’instro Soul jazz new-yorkais. T’as testé jadis un album et c’est bon, pas la peine d’insister. Patacam/patacam. T’as failli overdoser avec les albums du James Taylor Quartet, alors pas la peine d’insister.

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             T’espères sans trop y croire que les Altons vont chauffer la salle. Ils sont deux au chant : une blackette nommée Adriana Flores, et un chicano nommé Bryan Ponce qui gratte une Tele rouge. C’est lui l’Aaron Neville de la compile Penrose. Le mec est assez brillant, comme l’indique son prénom, il va chercher la finesse extrême du mou du genou et il fait sombrer la salle dans la torpeur. À côté de lui, Adriana Flores cherche à danser un peu, mais c’est impossible. Car ils tapent la pire Soul de charme qui ait jamais existé depuis l’âge d’or de la Philly Soul. Sur scène, c’est l’enfer. Rien ne groove. Ton corps se bloque et ta cervelle baigne dans un jus d’ennui carabiné. Flic floc. Tu passes ton temps à te demander ce que tu fous là. Et pourtant, tu te dis que ces mecs-là ont traversé l’Atlantique pour conquérir ta pauvre petite Asie Minable, alors on espère encore un miracle. Derrière, ils ont une batteuse blonde et à droite, t’as un gros chicano qui gratte des poux d’une délicatesse extrême, voire extrémiste.

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             Le gros chicano s’appelle Joey Quiñones. Il est en fait le chanteur des Sinseers qui déboulent sur scène en troisième partie, avec une section de cuivres complète, un batteur moustachu et un petit guitariste sec et dévoué. Et pour compléter cette fière équipe, on retrouve bien sûr Adriana Flores et le brillant Bryan Ponce aux chœurs sur la droite. Pendant une heure, tu vas te demander si le gros Joey Quiñones sera un jour une superstar. En a-t-il les épaules ? Et puis t’es bien désorienté, car la Soul n’est pas forcement l’apanage des chicanos. C’est très bizarre, tout cela t’intrigue, mais tu t’ennuies tellement que tu dis non à l’idée de rapatrier leur album sorti sur Colemine. Ça ne sera jamais mieux que ce que tu vois sur scène, et sur scène, ça ne marche pas, même si ces gens sont artistiquement très évolués, on pourrait même dire infiniment au-dessus de la moyenne. Encore faut-il savoir ce qu’on appelle la moyenne. Bon sujet de dissertation.

    Signé : Cazengler, Auto-naze 2024

    Crack Cloud. Le 106. Rouen (76). 19 septembre 2024

    Crack Cloud. Red Mile. Jagjaguwar 2024

    Juniore. Le 106. Rouen (76). 4 octobre 2024

    Juniore. Un Deux Trois. Outré Disque 2020

    Juniore. Trois Deux Un. Le Phonographe 2024

    Countdown to Ecstasy. Shindig! # 155 - September 2024

    Piers Martin. Juniore. Uncut # 275 - April 2020

    The Super Soul Revue. Le 106. Rouen (76). 16 novembre 2024

     

    *

    Quel intérêt aurait le conte de Perrault si le loup ne mangeait pas le petit chaperon rouge. Aucun. Je vais donc vous raconter une histoire qui se termine mal. Le problème c’est que c’est la vôtre. Tant pis pour vous. Commençons par le commencement :

    PRELUDE

    ONCE UPON THE END

    (CD / Bandcamp / 2019)

    Des français from Paris, le groupe s’est formé autour de Paul et Damien, très vite rejoints par Ludovic et Victor, ces deux-là nous les connaissons, voir dans notre livraison 668 la chronic consacrée  à Claustra, ils partiront en 2017 vers de nouvelles aventures.

             Sur leur premier opus l’équipe remaniée  aborde des  noms de guerre :

    Seditius : vocal / Koal : guitare rythmique / Loerk : lead guitar / Groly : basse / Chimey : drums

             Seditius s’est chargé de l’artwork de la couve. N’a pas cherché à vous tromper sur la marchandise. Ce n’est pas sur la plage sous les cocotiers à Bahamas comme durant vos dernières vacances, ou alors c’est après, je vous rassure :  c’est après maintenant, quoique si l’on regarde un peu les infos à la TV certains endroits du monde ressemblent étrangement à notre futur, restons optimiste : c’est pour après et pas dans très longtemps. Je vous révèle la vérité vraie, c’est après l’apocalypse, n’injuriez pas Dieu, pour une fois il n’y est pour rien, vue plongeante sur l’effondrement de la civilisation humaine. Ces gars-là quand ils racontent le petit chaperon rouge, ils commencent par la fin. Comme disait, voici deux mille ans, le poëte latin Horace, l’homme est un loup pour  l’homme. Un requin prêt à se dévorer la nageoire dorsale pour assouvir sa haine.

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    Killer sisters : on s’attend au moins à l’explosion d’une bombe atomique, non une guitare pointue presque guillerette, trop occupée pour faire du bruit, se contente du bruissement discret d’une scie égoïne remarquez la batterie vous file sans exagération des coups de hachoirs, mais sommes à l’époque post-atomique, la seule arme qui reste c’est celle du bon vieux couteau de cuisine, Seditius vous fait la grosse voix comme quand le loup se jette sur la grand-mère, ici les petits chaperons sont rouges de sang, scène de survivance cannibalistique, Orphée déchiré par les Ménades, nécessité fait loi, c’est atroce mais les spectateurs autour savent que bientôt ce sera un bon miam-miam, sont entre répulsion et admiration, les tueuses osent ce qu’ils ne font pas, ils seront les premiers à s’asseoir à la table du festin. Oui pas très ragoûtant mais mettez-vous à leur place, une scène de la vie quotidienne du monde qui vient, un vocal aussi prenant qu’un roman de Balzac. Moon Scavengers : prenons de la hauteur, Chimey tape comme un fou comme s’il voulait être un lanceur d’alertes, la guitare toujours un peu lointaine comme si elle ouvrait le bal de la folie sans vouloir se salir les mains, Seditius éructe, il commente le bilan de ces scènes d’inhumanité, nous prévient que les survivants sont en train de couper la branche de leur survie, la basse de Groly de joue à saute-mouton sur des ruisseaux de sang, la rythmique court comme si elle était poursuivie par les ombres de ses propres remords, les bandes de pillards qui tuent et se bâfrent n’iront pas très loin, ils finiront par se bouffer entre eux, ils n’hésiteraient pas à croquer la lune, l’Homme est aussi un prédateur pour l’univers. Fresque épique. The old ones : grave basse, le temps n’est plus à l’action mais à la réflexion, le vocal bulldozer remet les choses en place, l’Homme est un mythomane qui s’ignore, il cherche la vérité mais il ne trouve rien, réquisitoire d’une extrême violence, Dieu n’existe pas, l’Homme non plus, guitares en paquets et piquets de déclivités ardentes, l’instrumentation prend le relais des discours illusoires, elle écrit la partition des illusions perdues, même le néant n’existe plus, nous ne sommes rien, nous ne savons rien. Les Anciens l’ont su. Peut-être. Mais pas nous. Vaine exacerbation nihiliste. Requiem ante mortem. Froid dans le dos. Mort de toutes les légendes avant-coureuses de nos croyances. Dying concrete : retour à la réalité hurlante et perçante, la batterie tape sur les tours de béton comme la balle sur le jeu de quilles, ivresse de la destruction, le monde meurt et s’effondre, le vocal vaticine, en vain, colère et désespoir, les villes sont comme ces châteaux de sable abandonnés sur les plages que l’on n’essaie même de raffermir à coups de pelles car la marée montante du pur néant a déjà programmé leur fin, tant pis pour elles, je ne me battrai pas pour elles, de toutes les manières ne suis-je pas moi aussi programmé pour disparaître. Les guitares flambent avant de se consumer.

             Pour un premier EP, c’est EPouvantant, un son original, des lyrics parfaitement construits. L’on a tout de suite envie de connaître la suite.

    THE ALTAR

    (Bandcamp / Septembre 2019)

             Tentrom a pris la place de Chimey à la batterie. Ils annoncent que cet Autel solitaire est un hommage aux dieux puissants et intemporels du metal. Devraient ajouter aussi à Lovecraft. Seditius s’est chargé de la couve.

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             Très réussie. Séparés par une lagune  d’eau noire d’une ville titanesque quasi abandonnée, parmi laquelle errent de rares silhouettes humaines, les restes d’un temple, quelques pierres, une colonne, une ogive, témoignent de la présence enfouie des Dieux anciens.

             Festival de guitares, dès les premières notes l’on comprend que l’on est dans un morceau type de metal, un parangon monstrueux, une épure platonicienne même si la lourdeur du son fuyant et graisseux et les clameurs vocales pèsent de tous leurs poids pour contredire cette idée d’épure, du forgé d’orichalque extrait d’une météorite échappée des confins stellaires, question paroles, du cousu d’or mythologique, un chant adressé au Dieu tapi au creux de la terre qui dort. Qui attend.

             Un morceau un peu à part dans leur discographie. Cela aussi nous pouvons le faire affirment-ils. Sous-entendu mais nous vaquons à nos propres affaires plus urgentes. Si une personne ignorante vous demande : c’est quoi au juste le metal. Ne vous lancez pas de longues explications oiseuses. Faites-leur écouter ce morceau. Cela suffira. Dites-leur aussi que c’est très Cthulhurel !

     

    THE NEXT CHAPTER

    (CD / Bandcamp / Décembre 2021)

    Seditius : vocal / Koal : guitare rythmique, choeurs / Loerk : lead guitar, claviers, chœurs / Groly : basse /Tentrom : drums

             Un petit tour sur le FB et l’Instagram d’Egregore Design s’impose, c’est lui qui s’est chargé de la pochette. Dès les premières images vous entrez dans un univers, très metal, mais surtout dans le monde mental d’un artiste maître de sa démarche.

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             Une vision d’horreur. Ils posent devant les ruines d’une mégalopole. Qui sont-ils, les derniers moines soldats qui tentent de reconquérir un univers post-apocalyptique définitivement perdu, ou du moins d’en garder le précieux souvenir, quels dieux honoreraient-ils, l’un d’entre eux tient fermement la hampe du logo du groupe, dessiné par Daphné Vichot, comme un légionnaire de l’antique Rome brandissait l’enseigne des lettres fatidiques de la puissance romaine.

    Memories in the rust : juste une intro, au tout début comme le glissement d’une main sur une rambarde de fer rouillée, et puis le plein-chant d’une guitare adoubée du contre-chant d’un clavier, l’histoire a commencé il y a longtemps, robinet de la nostalgie de ce qui n’a pas été, que vous ne voudriez pas refermer, alors ils s’en chargent, il est temps de passer au chapitre suivant. Overseers : avant l’histoire, l’histoire a déjà commencé, le morceau avance lentement, ce qui n’exclut pas des séquences rapides, toute situation exige éclaircissements, renseignements, dénonciations, comme l’on déplie une carte pli par pli pour que chacun ait la possibilité de se faire une idée exacte de la situation, étape par étape, la batterie joue un peu à enfoncez- vous ça dans la tête, parfois le chant éructe, parfois il explicite, il existe deux niveaux d’êtralité, ceux qui pataugent dans le monde d’en haut en déshérence ou ceux qui cachés dans les vastes palais souterrains vous manipulent. Ce sont les mêmes qui par un goût insatiable du lucre ont mené le monde à sa perte. Ce sont eux qui depuis leurs bunkers vous surveillent et vous épient. Méfiez-vous. La structure du morceau n’est pas simple, elle ressemble à un fouillis indescriptible mais son ossature est d’une grande subtilité, ils commandent votre monde avec une telle dextérité que vous pouvez jouer leur jeu en croyant décider du votre.  Children of the dust : la hargne et la survie, un morceau coups de poings, se battre, sans pitié, les enfants d’un monde tombé en poussière  n’ont rien à perdre ni à gagner, simplement réussir à se tenir debout, sont des petits groupes soudés comme les doigts des mains qui ne se séparent pas de leurs squelettes, ils se débrouillent, ils oppriment les autres, manger ou être mangé, il n’y a pas d’alternative. Aucune sentimentalité. Juste la nécessité. N’en sont pas particulièrement fiers, mais pas du tout honteux non plus. Ils crient, ils bousculent, pour ne pas tomber, pour ne pas être piétinés. Ils sont les descendants des premiers survivants, ils ont leur loi, celle du plus fort, et leur code de fer, leur seule armure. Hollow : dans ce monde de brutes méfiez-vous des instants de douceurs, l’ennemi est parmi vous, en apparence des espèces de zombies solitaires, de terribles pièges, des hommes vides, qui ont abdiqué, des décervelés, des espèces de drones humains qui se livrent aux crimes et aux sabotages les plus inattendus, la tension croît, le vocal vous avertit, la musique accélère, ce sont les cadeaux empoisonnés des gardiens, ils sonnent creux, ils sont bourrés de dynamite, vous comprenez maintenant tout cet affolement qui règne dans ce titre. Demons in the sky : ne croyez pas que Satan et ses armées vont s’en mêler, non les démons qui tombent du ciel sont bien plus dangereux que ces pauvres diables de pacotille,  c’est sans doute pour cette raison que la ballade des peurs enfantines se mue en torrent de haine, ce qui tombe du ciel c’est l’horreur, les radiations atomiques et les pluies astringentes, l’orchestration se resserre comme si elle voulait créer un plafond protecteur, un parapluie qui ne protège pas, cris d’angoisses, cauchemars d’enfance, rien n’arrêtera ce déluge de feu invisible, ni imprécations, ni vaines protections, notre inhumanité de survivant n’est-elle pas le reflet de cette menace impitoyable.

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    Cries of the voiceless : encore une douce introduction, nous redoutons le pire, nous avons raison, un déferlement metallique ne viendra pas à notre secours, quelques notes de piano, un solo bémolisé de guitare, ce sera tout, il n’y a rien à recouvrir d’une cotte de maille. Il n’y a plus rien, ni oiseaux, ni poissons, ni bêtes, le monde est mort. The flesh harvest : âme sensible, le premier EP nous a offert une scène de cannibalisme tel qu’il devait être pratiqué au néolithique, si ce morceau est ultra-violent traversé de moments de tendresse insensée c’est parce que dans l’après-modernité rien se perd, on récupère sur les cadavres ou sur les mourants tout ce qui peut servir, comme les indiens qui utilisaient toutes les parties du corps des bisons, mais n’est-ce pas une espèce de satisfaction quand on y pense de voir nos lambeaux de chair revivre sur /et dans le corps des autres. C’est cela l’immortalité, l’évasion des damnés hors d’un monde pourri, plus de souffrance et cette survivance dans / et par le corps des autres. La seule salvation. L’unique échappatoire. Ride with the wind : fini de ramper, partons, fuyons les villes, soyons romantiques, transformons notre misère en une chevauchée fantastique, le morceau galope, un intermède pour souffler, mais la course repart, infatigable, la terre vide nous appartient, sensation de la plus grande liberté, nous ne nous arrêterons que lorsque nous serons parvenus au bord du monde, nous sommes des conquérants, nous avons retrouvé notre fierté, le monde nous appartient, on a voulu nous tuer mais nous sommes devenus tempête incoercible… Crimson dusk : nous avons conquis la terre, peut-être uniquement dans notre tête, mais ils ont tué le soleil. L’astre de vie ne rayonne plus. Il s’éteint , le brouillard s’empare de la terre, triste chanson, le background se traîne, il essaie de se relever de s’enfuir dans un dernier galop pour échapper à la sinistre réalité, le chant du cygne. Extinction : no happy end, pour que l’on comprenne mieux ils chantent en français, ils ne nous laissent aucun espoir, this is the end beautiful ( façon de parler) friends, il ne reste plus rien, si ce n’est la mémoire des spectres, tristesse certes, mais il subsiste encore la rage, celle de n’avoir pas gagné celle d’avoir perdu.

             Un superbe oratorio sur la fin du monde que l’Homme a détruit, mais élevé à la gloire de l’être humain, qui n’abdique jamais, même dans la plus grande déréliction, même dans la mort.

             Un chef d’œuvre.

     

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    ARCHIVES 200

    ( CD / Bandcamp / Avril 2024)

             Je n’avais pas écouté les opus précédents. J’avais trouvé étonnante ces archives 200, une faute de frappe, z’ont oublié le zéro pour 2000, mais non un peu partout c’est 200 et pas 2000. Proposent une explication : si votre cœur bat à 200 BMP, vous frôlez l’accident cardiaque. Deuxième étonnement pour ce nouvel EP, trois titres sont des reprises de leurs premiers opus. Un peu étrange tout de même. C’est vrai qu’il y a un changement dans le personnel.

    Ezalyr : chant /Koal : guitare rythmique / Loerk : guitare solo / Groly : basse /Tentrom : batterie.

             Physiquement Elazyr et Claustra se ressemblent étrangement, une unité androgynique étonnante, doublée ou dédoublé en quelque sorte. Dans notre prochaine livraison nous nous pencherons sur un album de Claustra  paru voici deux mois intitulé : La Prison de Chair.

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             La couve du CD, elle est de Dorian Becker, joue le jeu, elle représente une vieille K7 que l’on vient de déterrer peut-être deux cents ans après son inhumation, un témoignage laissé par une humanité mourante, une espèce de bouteille à la terre, un legs adressé à de nouveaux venus ou à quelques groupes épars qui auraient survécu… Il faut qu’il y ait une manifestation de certaines ‘’présences’’ si le groupe veut continuer à produire de nouveaux chapitres. En une courte phrase Once Upon The End évoque des’’ survivants lovecraftiens’’… Veulent-ils sous-entendre que tout se passe dans nos têtes…

    Dying concrete : le son est peut-être davantage ramassé, et les vocaux davantage découpés, comme mis en évidence, ces différences mettent en valeur la teneur magique et structurelle de la musique de Once Upon The End nous avons affaire à de sacrés musiciens, ce n’est pas qu’ils surpassent tous les autres, ils sont inventifs, ils travaillent et peaufinent tous les instants, ne s’endorment jamais sur le rosbeef, ni sous leurs lauriers, ont toujours une petite gâterie, une curiosité inédite  à vous proposer,  il est impossible de s’ennuyer en les écoutant. We are the dead : (featuring Claustra) : le seul inédit de l’Ep, à écouter et à réécouter, l’on dit que l’esprit arrive sur des pattes de colombe, oui mais ici c’est la mort qui déboule, alors ne vous étonnez pas de ces crises de démences terrifiantes, pourtant ce n’est pas le squelette légendaire qui joue au loup-garou, non la mort est en nous, nous sommes vivants et nous devons nous battre, l’expulser hors de notre âme, redevenir des guerriers, ce ne sont pas nos ennemis, le monde et la société, qui sont plus forts que nous, c’est nous qui ne sommes que faiblesse, nous détenons les clefs de notre paralysie mentale. Scavengers : une interprétation cosmique et prophétique à la mesure de notre monde qui lance des fusées pour coloniser Mars, les charognards que nous sommes se servent directement sur la bête, les guitares fusent tout droit comme les géants antiques qui voulaient escalader les Cieux, la foudre nous tombera dessus. Nous brisera dans notre élan. Le vocal brûle, la batterie boute le feu, et les guitares flambent. Le morceau explose comme un engin interplanétaire en plein ciel. The old ones : une intro lourde comme une pluie de plomb, l’on entend mugir les Anciens Dieux qui s’éveillent dans les sombres cavernes de la terre, ils sont déjà en marche, ils accourent, ils foncent sur nous, l’Humanité retient son souffle, elle attend entre espoir et désespoir, le calme avant la tempête, ce qui survient hors de toute nature, une force incoercible, la touche féminine de la voix d’Elazir ne nous sauvera pas. Peut-être passeront-ils à côté de nous sans nous prêter la moindre attention. Serait-il trop tard…

              S’il est un EP qui mérite la qualification d’opus post-apocalyptique, c’est bien celui-ci. Je sais l’Apocalypse on en parle souvent, mais vous avez fini par penser qu’elle était inscrite sur la liste aux abonnés absents. Ecoutez cet opus, vous vous apercevrez qu’elle est déjà passée. Accaparés par vos occupations subalternes vous n’avez rien vu, rien entendu. Heureusement que Once Upon The End veillait. Ils en apportent la preuve : ils ont pris la peine d’enregistrer une photographie sonique.

             Rien que pour vous ! Le méritez-vous ?

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    Damie Chad.

     

              

    *

              Nietzsche, le philosophe, disait que pour bien connaître un phénomène il fallait remonter à son origine, méthode généalogique dont il a démontré avec brio l’efficacité par exemple dans son ouvrage : Généalogie de la morale. Or voici que l’écrivain Frédéric Gournay s’est attelé à une tâche généalogique qui intéresse notre blogue rock, il nous présente donc sa propre induction généalogique du rock.  

    FREDERIC GOURNAY

             Vous ne connaissez pas Philippe Gournay, je vous rassure moi non plus, pour un premier aperçu je me contente de recopier sans vergogne sur son blogue personnel  quelques lignes d’auto présentation : Frédéric Gournay est né en 1969 et habite Paris. Il est auteur de romans (La course aux étoiles, Le mal-aimant, Contradictions, Faux-Frère), de divers essais [ …]. Il a   également publié dans la presse et sur internet des articles et des critiques, rassemblés dans des recueils intitulés Chroniques des années zéro, Textes en liberté et Futurs Contingents.                                        

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    Je me permets de rajouter le titre d’un autre de ses ouvrages : Métaphysique du Rock, dont je ne vous parlerai pas pour la bonne raison que je ne l’ai pas (encore) lu.

             Par contre sur son blogue il donne quelques extraits d’un autre de ses ouvrages Portraits de Social-Traîtres, du beau monde, à savoir Rimbaud, Nietzsche, Céline, Gauguin, Flaubert, Guy Debord ou encore Pierre Guyotat, notamment quelques pages de : Nietzsche et les 120 ans du rock.

             A l’option ‘’ l’on peut tout dire et n’importe quoi ‘’ il en est une autre : ‘’l’on peut tout dire mais pas n’importe quoi’’. Cela signifie que l’on ne s’embarque pas sans biscuit sur la mer des sargasses de la doxa.  Heidegger nous l’a appris : l’origine d’une chose ne réside pas obligatoirement en son commencement, elle peut se situer  avant et même après.  Tout est question du moment de son dévoilement. Pour Frédéric Gournay l’origine du rock’n’roll réside en la poésie. Nous pensons de même, selon notre modeste personne le rock’n’roll n’est que la dernière, ce qui ne signifie pas nécessairement l’ultime, manifestation du romantisme européen dont les prémices sont à rechercher au dix-huitième siècle  en Angleterre et en Allemagne, avant de se répandre comme une traînée de poudre… nous renvoyons à titre d’exemple  à notre kronic l’interprétation de La Fin de Satan de Victor Hugo par le groupe L’Oeuvre au Noir dans notre livraison (668) précédente.

             La thèse développée par Frédéric Gournay est loin d’être fantaisiste, ce qui ne vous interdit pas de ne point y souscrire, toutefois n’oubliez pas que les vues de l’esprit, à partir du moment où vous vous y intéressez un tant soit peu, se métamorphosent pour reprendre un titre de Victor Hugo en Choses Vues.   

             Que nous affirme Frédéric Gournay : que Nietzsche a en quelque sorte prophétisé et décrit l’advenue au siècle suivant du rock’n’roll par sa description de la post-musique wagnérienne dont il souhaitait l’avènement. Citations à l’appui, tirées d’Ecce Homo et de La Naissance de la Tragédie, Nietzsche définit la musique future puisant ses sources dans les chansons populaires. De même il affirme que les générations futures qui se reconnaîtront en ce nouveau courant seront plus agressives que les précédentes… Notre philosophe n’emploie pas les mots de rebelles et de blousons noirs… Frédéric Gournay évoque aussi la dichotomie Apollon / Dionysos, il ne profite pas de l’occasion pour citer Jim Morrison mais on lui pardonne d’autant plus que nous n’avons que les trois premières pages du texte.

             Nietzsche aurait-il préféré les Beatles au Rolling Stones, je n’en suis pas convaincu. La radicalité nietzschéenne se serait d’après moi davantage reconnue dans  les albums des Stooges… Reste selon moi toutefois un problème de taille que dans ce début d’article Frédéric Gournay n’aborde point, j’ignore si plus loin il y fait allusion.

    Le rock est traversé de multiples courants. Comme bien d’autres musiques. Notamment celle des compositeurs qui s’inscrivent dans la ‘’grande’’ musique classique. Que l’on ne se méprenne pas, que l’on n’en déduise pas que toute création musicale qui ne se revendique pas de la musique que parfois certains idéologues qualifient de ‘’bourgeoise’’ mériterait d’être qualifiée de ‘’petite’’… Or justement lorsque l’on considère le rock et la musique classique l’on s’aperçoit que ces deux formes s’éparpillent en multiples styles mais qu’il existe une courbe générale qui conduit chacune d’elles, au travers de mille pérégrinations parfois en totale opposition entre elles, à se jeter dans le delta du noise. Ce phénomène est peut-être beaucoup plus visible (surtout audible) si l’on considère le jazz qui culmine, certains diront qu’il s’avachit, dans la New Thing ou le Free. Les goûts et les jugements individuels peuvent diverger mais ne sont que les conséquences annexes, pour ne pas dire des dommages collatéraux, d’une forme qui naît, se développe, s’accomplit, et se termine en laissant libre cours à une nouvelle forme. Qui la subsume, la répète ou se perd en elle-même… Nous empruntons ici le mot ‘’forme’’ au vocabulaire platonicien, mais puisque nous parlons de Nietzsche nous n’oublions pas de casser l’idée éternelle à coups de marteaux aristotéliciens, pour lui apprendre que tout ce qui évolue finit par mourir un jour ou l’autre.

    Nietzsche s’est séparé de Wagner pour diverses raisons, il est hors de question de les analyser dans cette chronique, elles n’étaient pas toutes pas obligatoirement musicales, mais à l’écoute de la partition de  Tristan und Isold il en a jugé la musique trop dissolutoire, magnifiant l’instinct de mort au détriment de l’élan vital impératif. Trop de dissonances nihilistes pour l’auteur de Zarathoustra

             Nous y reviendrons après notre prochaine lecture de Métaphysique du rock.

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 664 du 07 / 11 / 2024 nous rendions compte du Troisième tome des Œuvres d’Austin Osman Spare des éditions Anima. Un superbe volume, de toute beauté, grand format idéal pour l’approche des textes, des dessins et des peintures du magicien. Voici qu’au courrier nous recevons de la part d’Anima une élégante plaquette que l’on se plaît à garder dans sa main, dans sa poche afin d’y revenir sans cesse, il y a près de soixante ans nous ne pouvions nous empêcher de tourner en nos menottes et sur notre tourne-disques Are you experienced ? de Jimi Hendrix.  Lisez le nom de l’auteur disparu depuis presque trois siècles et vous comprendrez le rapport du guitariste américain avec cet auteur et :

    LES PORTES DU PARADIS

    WILLIAM BLAKE

    Traduit par : VINCENT CAPES

    (Editions Anima / 2024)

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             L’innocence est-elle dans la poésie et l’expérience dans la peinture, peut-être est-ce le contraire, sûrement cette ambivalence est-elle  beaucoup plus subtile. William Blake, peintre et poëte, l’immortel scripteur des Chants d’Innocence et d’Expérience fascine. Poëtes, cinéastes, musiciens ne cessent de s’inspirer de William Blake. Question rock nous ne citerons que les Doors et Rotting Christ, nous leur avons consacré moultes chroniques. Ce n’est pas un hasard si nous nous attardons souvent sur les pochettes des disques. Elles sont pour les groupes non pas une manière de se distinguer mais de distinguer le miroitement de l’éclat de leur propre univers mental.

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             Il est des constellations qui s’attirent, dans notre chronique sur La Fin de Satan de Victor Hugo par L’Oeuvre au Noir nous évoquions John Milton qui écrivit Le Paradis Perdu, jugez de la concomitance William Blake illustra  Lost Paradise de Milton… Une excellente manière de passer ces fameuses portes du Paradis… Pour ceux voudraient s’y essayer nous recommandons la lecture d’Un Rameau dans la Nuit d’Henri Bosco.

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             Dans une courte préface Vincent Capes resitue cette œuvre de William Blake dans son implantation historiale. Le fonctionnement de l’opus est d’une simplicité extrême, sur chaque page une gravure, au-dessous de celle-ci, quelques mots, une phrase lapidaire, une sorte de formule proverbiale, de très courtes épigrammes non dénuées de mystère… Blake n’invente rien, il emprunte la structure des Livres d’Emblèmes qui connurent un énorme succès aux seizième et dix-septième siècles dans toute l’Europe. Ils étaient faciles à lire, le texte était bref et l’image retenait l’attention, il fallait la décrypter… Point de révélations fracassantes, illustration et lettrage dispensaient des préceptes moralisateurs ou de profondes vérités évidentes…

             Oui mais l’on ne peut s’empêcher de faire le lien avec les figures d’ordre symbolique et ésotérique du Tarot, d’autant plus que Le Songe de Poliphile (1467) de Francesco Colonna est réputé en tant que roman illustré pour  avoir inspiré les livres d’emblèmes. Rappelons que Le songe de Poliphile est un des livres fondateurs de l’ésotérisme occidental. A l’autre bout de cette étrange chaîne le lecteur se penchera sur les ‘’Painted plates’’ d’Arthur Rimbaud et s’efforcera de prêter à ses Illuminations ses vertus illuminatives… Un tel titre : Les Portes du Paradis n’incite pas à une lecture moutonnière et moralisante. Si de telles portes existent, la tentation de les passer et de revenir dans le paradis perdu  ne saurait que déplaire à toute obédience christique. Dans cet opuscule Blake emprunte le chemin du Retour, vers l’arbre de vie. De vie éternelle. Devenir soi-même un Dieu est le plus grand des péchés. Les contemporains de Blake le traitaient de fou. Quelques siècles auparavant il aurait été supplicié.

             En 1793, la page de titre est surmontée d’une espèce de dédicace : Pour les enfants, êtres d’innocence par excellence. Quelques mois plus tard elle sera remplacée par Pour les sexes, êtres d’expériences, ne sentez-vous pas comme une odeur de soufre… Première image, le frontispice, un enfant dans ses langes, sur sa botte de paille il ressemble à un papillon. Derrière lui, une larve attend son heure. Elle surmonte, elle festonne  une espèce d’entrée de grotte obscure, Victor Hugo emploierait l’expression Bouche d’Ombre. Une question qui s’interroge non pas sur l’existence de Dieu mais sur celle de l’Homme. La réponse est simple, elle dépend de celui qui répond.

             Suivent deux poèmes. Le premier sous la dédicace Pour les sexes. Seulement dix vers, une démolition en règle des premiers chapitres de la Genèse. Dix vers, mais si condensés qu’ils en deviennent hermétiques, le péché originel point pêchu, la punition par la Mort, est-il bon de figurer l’arche d’Alliance sur les autels ?  Si Dieu condamne l’Homme pourquoi l’Homme ne condamne-t-il pas Dieu. Œil pour œil ! Expéditif.

             Le second poème Les Clefs Des Portes, cinquante vers, plus complexe que le précédent en le sens où il explicite les parties ombreuses du premier en rajoutant davantage d’opacité. Des détails supplémentaires : le rôle de la femme, pas de quoi mécontenter les ligues féministes d’aujourd’hui, celui du Serpent à la langue fourchue, et celui de Dieu, qui s’est emmêlé les pinceaux qui a fait des portes du paradis celles de la Mort. Une seule consolation : si Dieu est néfaste séparation : l’Homme est immortel.

             Soyons jésuite, posons une hypothèse d’école : Blake ne serait-il pas un précurseur d’un certain mouvement contemporain du christianisme moderne effectuant une translation théologico-affective de l’amour du petit Jésus à la figure de Marie Madeleine, en tant que restauration érotique de la femme. Blake avancerait-il à mots cachés et à dessins décryptibles, instituant ainsi la poésie en tant que parole obscure et la peinture en tant que vision théophanique de la réalité des choses.

    Suivent ensuite seize images illustrées simplement de quelques mots. Le blanc et noir de la gravure interdit de les confondre avec des icônes russes. Elles en ont pourtant la force. Est-ce pour cela que la couverture de cette plaquette n’offre pas le spectacle sépulcral de l’encre noire de la mort mais se pare de l’éblouissance éclaircissante de l’or…  Il  existe une correspondance chiffrée dans le poème Les clefs Des Portes  qui permet de mieux comprendre ce que représente chacun de ces seize arcanes majeurs. Pour le titre de ce poème, pensez que Julien Green a mis en exergue d’un de ses plus mystérieux récits Les clefs de la mort une citation du premier chapitre  premierde l’Apocalypse : Je détiens les clefs de la mort.

    Enfin  la dernière image surmontée d’un poème de huit vers. A décrypter selon votre convenance. D’après moi explosif. Au pire un dynamitage en règle du christianisme depuis l’intérieur. Au mieux, une vision gnostique. Pour le mieux et le pire, songez que tout regard dépend de celui qui regarde. Comme ne le disait pas Johnny Hallyday : Blake is Blake.

    Quelle expérience peut-on tirer de sa propre innocence…

    Merci à Philippe Capes pour la traduction et l’édition de ce texte de William Blake.

    Ramifications germinatives.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 668 : KR'TNT ! 668 : REDD KROSS / ROYAL TRUX / LAST GREAT DREAMERS / ISOLATION / UNDERGROUND YOUTH / TYVEK / BLUES MAGOO / CLAUSTRA / ONCE UPON THE END / GRISI SIKNIS / L'OEUVRE AU NOIR

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 668

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 12 / 2024 

     

    REDD KROSS / ROYAL TRUX

    LAST GREAT DREAMERS

    ISOLATION / UNDERGROUND YOUTH

    TYVEK / BLUES MAGOO

    CLAUSTRA / ONCE UPON THE END

    GRISI SIKNIS / L’ŒUVRE AU NOIR

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 668

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    A Kross the universe

     - Part Two

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             Une autobio de Redd Kross ? Exactement la même chose qu’avec un set parisien : c’est tout simplement inespéré. Il y en avait quelques exemplaires dédicacés au merch, l’autre soir, au Petit Bain, mais ils se sont envolés aussi sec. On l’a donc rapatrié par les voies habituelles, les fameuses voies impénétrables. Ce brave book s’appelle Now You’re One Of Us - The Incredible Story of Redd Kross. Il se présente sous la forme d’un dialogue croisé entre les deux frères McDonald, dialogue placé sous l’égide d’un certain Dan Epstein. Le book est donc très vivant. Epstein se contente de resituer le contexte au fil de la chronologie et d’apporter des compléments d’information. C’est donc un book extrêmement fluide, très agréable à lire, un peu dans l’esprit Oral History cher à Gildas (hello Gildas) et à Legs McNeil (hello Kill Me). Formule que reprennent d’ailleurs les frères Reid dans Never Understood, une autre fringante autobio qui vient de paraître et dont on va parler d’ici peu. Et même très peu.

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             Rien de tel que l’Oral History pour raconter une vie de rock. Sans doute s’agit-il de la formule la mieux adaptée à ce type de parcours qui n’est jamais de tout repos, et que toutes sortes d’incidents émaillent. Et ce n’est jamais mieux que raconté par les principaux intéressés. L’exemple le plus magistral reste bel et bien celui du Total Chaos d’Iggy Pop.

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             En racontant leur enfance en grande banlieue de Los Angeles, les frères McDo apportent un éclairage considérable sur la spécificité de la scène californienne, une scène qui va jouer un rôle aussi essentiel que celles de Londres, de Memphis, de Detroit, de New York et de la Nouvelle Orleans. Les frères McDo tirent tout leur power de leurs racines, d’autant plus qu’ils grandissent à Hawthorne, où est installée la famille Wilson. Les Beach Boys ? Oui mais il y a aussi les Beatles à la radio. Steven se souvient que leur maison était imprégnée de pop culture - a constant bath of music and pop culture - et le premier disk dont il se souvient est le Sgt Pepper’s qu’Uncle Kevin avait ramené du Japon en 1969. Il n’avait que deux ans, mais il s’en souvient très bien ! Il ajoute que «there was never a time that that record didn’t exist in my life.» Sgt Pepper’s est donc une constante, comme Tintin, chez les gens de 7 à 77 ans. Puis à 3 ans, en 1970, flash sur le White Album. Là, on se dit qu’il exagère un peu, mais bon, les Californiens sont comme ça, ils sont les plus forts du monde. Il a 3 ans et pour lui, le White Album est déjà mythologique. On a un peu du mal à le prendre au sérieux, aussi décide-t-on en comité restreint de faire un effort pour le prendre au sérieux. Mais le pire est à venir, par exemple avec la première guitare.

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             Comme son frère Jeff a quatre ans de plus, on le prend un tout petit peu plus au sérieux. Jeff a 7 ans quand il fait un échange avec sa babysitter : il lui donne deux singles de Creedence contre l’A Go-Go album des Supremes. Steven est encore plus balèze : il descend de sa poussette pour aller chez le disquaire local acheter le Killer d’Alice Cooper et le Get Yer Ya-Ya’s Out des Stones. Dire que les frères McDo sont précoces serait un grave euphémisme. Et dire qu’ils nous prennent un peu pour des billes, ce serait manquer de respect à la psychologie profonde des Californiens. Alors on décide de gober, c’est plus simple. Puis Jeff qui n’a pas encore atteint les 10 ans avoue une obsession pour Elton John, Cat Stevens et David Bowie. En général, à cet âge-là, on nourrit des obsessions pour les Carambars et les Malabars. Les deux frères ne perdent pas de temps et plongent tous les deux dans Lou Reed, Mott et tous ces machins-là. Jeff se souvient d’avoir acheté Hunky Dory à une vendeuse qui ne cachait pas son dégoût pour la pochette. À cet âge-là, nous autres franchouillards jouions encore au train électrique.

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             Si les frères McDo avaient situé tout ça à l’adolescence, on les aurait pris au sérieux. C’est à l’adolescence que se forment les goûts musicaux. Mais on est en Californie, et ces gars-là sont nettement plus intelligents que tous les autres kids du monde. Jeff a dix ans quand les deux frères flashent sur les New York Dolls et Suzi Quatro. Puis ils arrachent à leurs parents l’autorisation d’aller voir des groupes sur scène : allez hop !, Rod Stewart & The Faces, Aerosmith en première partie de ZiZi Top, et flash définitif sur KISS, avec Cheap trick en première partie. Ils se jettent à corps perdu dans KISS, ils font ce que font tous les kids d’alors, ils se maquillent. Puis ils tirent à boulets rouges sur Frampton Comes Alive que tout le monde devait avoir à l’époque - Oh man - fuck this record - Ils retrouvent leurs esprits avec Patti Smith et boom, les Runaways, des locales ! Et des locales qui s’adressent aux kids de 12 ans, et c’est là que Jeff décide de monter un groupe. Ça devient même une urgence.

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             Steven a 10 ans quand ses parents lui payent une Fender Musicmaster et un «little Peavey 115 combo», and that was it.» Jeff récupère une Les Paul copy and a Peavey Backstage 30 amplifier. Et ils se mettent tous les deux à jouer sur les albums des Ramones et des Runaways. Car oui, ils viennent de flasher en plus du reste sur les Ramones - it was just like hearing the Beatles again - Fin 1977, ils sont fiers de posséder les trois albums des Ramones.

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             Ils peaufinent leur éducation en écoutant le radio show de Rodney Bigenheimer - Rodney is one of the most important figures in LA music - Jeff dit que son radio show, c’est l’université du rock - Il m’a appris l’importance de Brian Wilson et la connection entre Phil Spector et le punk rock - Steven ajoute que Rodney a établi la connexion entre les Ronettes, Blondie et Anette Funicello. Il indique d’ailleurs que «The Monkey’s Uncle» d’Anette Funicello (qu’elle chante accompagnée par les Beach Boys qui ont grandi just a mile down the street from us) les reliait plus que tout le reste au son qui les intéressait. Et Jeff ajoute qu’il allait chez Rhino acheter les punk singles que Rodney passait dans son show. D’où l’immense qualité des roots. Rhino, Rodney ! N’oublions pas que Kim Fowley surnommait son ami Rodney Bigenheimer The Mayor of Sunset Strip.

             Et pouf, c’est parti les kikis ! Les frères McDo commencent par enregistrer une cover de l’«Out Of Focus» de Blue Cheer. Rick Rubin l’entend, flashe dessus et pense que c’est un cut à eux. Ils sont tellement saturés de culture rock qu’ils décideront de donner une leçon d’histoire du rock - Yeah, let’s do a Pin Ups! - Ce sera leur Teen Babes In Mosanto, ils ramèneront Bowie et les Stooges que tout le monde a oublié en pleine ère punk à Los Angeles.

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             Ils commencent par s’appeler The Tourists, une référence to the Beach culture. Si t’es pas un surfer, alors t’es un touriste. Steven a 11 ans. Jeff vend ça comme un argument pour recruter. Il fait son Kim Fowley. Ils trouvent un batteur qui a 13 ans. On commence de bonne heure en Californie. Ils apprennent à jouer quelques cuts des Beatles («I Wanna Hold Your Hand» en mode fast punk) et des New York Dolls («Who Are The Mystery Girls?»). Maintenant, faut décrocher des shows. Ils répètent chez les early Black Flag. En 1979, ils se baptisent Red Cross et ça devient vite symbolique en concert, Red Cross and Black Flag ! Ils s’émancipent de Black Flag et se situent plus dans ce que Steven appelle le «Paisley Underground Adjacent». Puis la Croix Rouge va leur demander de changer de nom, alors ce sera Redd Kross.

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             Ils enregistrent au studio Shelter qu’avait construit Leon Russell dans un entrepôt sur Sunset Boulevard. Steven rappelle que Dwight Twilley y avait enregistré quelques années auparavant. À l’époque, ils veulent taper des covers de Mountain et Grand Funk. Ils répètent mais ça ne marche pas. Ils tentent aussi des covers de Todd Rundgren et de Traffic, mais pareil, chou blanc. Alors ils reviennent à leurs première amours, Bowie, Stooges, Stones, Shangri-Las et KISS. On retrouve tout ça sur Teen Babes From Mosanto, paru en 1984. Ils vont continuer d’évoluer au fil des recrutements. Quand Roy McDonald se joint aux frères McDo, il a un pied dans le Magic Bus des Who, alors que les deux frères sont encore un plein dans les Runaways, et Robert Hecker était alors fasciné par George Harrison. Ça reste un beau mélange. Mais ils ont tous un sacré point commun : ils sont tous fans des Beatles - Big Beatles fanatics - Ils trouvent un studio de répète à Berverly Hills, chez Dave Naz, un endroit où répètent aussi les Pandoras et L7. Bienvenue dans la cour des grandes !

             Puis Roy McDonald va quitter le groupe et partir s’installer au Texas. Il réapparaîtra dans les années 90 en battant le beurre pour les Muffs. Quand les frères McDo cherchent un producteur, le nom de Rick Rubin est évoqué, mais apparemment, «Rick Rubin doesn’t dig you guys», alors Steven lâche : «Well, you know, fuck that dude.» Puis le groupe va débarquer pour la première fois en Europe, et jouer en première partie du Teenage Fanclub qui vient de sortir l’explosif Bandwagonesque. Jeff a raison de dire «we were vey like-minded bands». Eh oui, c’est à la fois la même énergie et la même qualité.

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             Les frères McDo tentent désespérément de percer, mais ils ne perceront jamais. Les Fannies sont sur DGC, pas Redd Kross. Les Fannies jouent en première partie de Nirvana. Pas Redd Kross. Urge Overkill atterrit sur la BO de Pulp Fiction. Pas Redd Kross. Ils vont louper toutes les occasions d’échapper aux ténèbres de l’underground. La poisse toujours : Phaseshifter sort deux semaines après In Utero, et donc l’excellent Phaseshifter passe à la trappe, même si Steven pense que son album «was better than theirs». And still do, il le pense encore aujourd’hui. Mais le problème est qu’à cette époque ils ne sont plus considérés comme des «cool kids». Eh oui, ils ont grandi. Steven ajoute que Kurt et lui avaient  le même âge en 1994, simplement Kurt n’avait que 6 ans de métier alors que lui, Steven, en avait 15. Il adore rappeler qu’il a démarré à 11 ans. Et puis Kurt ne veut pas de Redd Kross en tournée parce qu’il pense que Third Eye est un album raté, mais surtout parce que Courtney Love est fâchée après les frères McDo qui, dit-elle, se sont moqués d’elle parce qu’elle était grosse. On sent de l’amertume dans les propos de Steven.

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             En Angleterre, Andrew Lauder s’intéresse à Redd Kross et les signe sur son label This Way Up. C’est d’ailleurs sur This Way Up qu’est sorti le premier album des Tindersticks. Bien sûr, le groupe va rester en berne pendant de longues périodes. Jeff élève sa fille et Steven auditionne pour des groupes comme Weezer et Zwan, le groupe de Billy Corgan. Mais ça ne marche pas. Puis ils apparaissent dans le très beau film consacré à Carole King, Grace Of My Heart. Ils sont les Riptides dans le film. Matt Dillon y joue une sorte de Brian Wilson. Puis ils recrutent Jason Shapiro, le guitariste des LA glam weirdos Celebrity Skin. C’est lui qu’on a vu sur scène au petit Bain - He’s kind of like our Ariel Bender - Toujours l’art des références.

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             Celebrity Skin ? Oui Good Clean Fun traîne quelque part dans l’étagère, un vieux Triple X du siècle dernier. Album très power pop. Mais aussi décadent, grâce à Gary Jacoby, un  batteur devenu chanteur. Allez on va dire trois bons cuts, à commencer par «Helio», riffé avec une belle férocité. C’est du glam de Los Angeles. Glam toujours avec «Poisona» et Jacoby entre dans le clan des grands chanteurs décadents. Big sound encore avec le petit glam punk perverti de «Rat Fink». Mais le reste de l’album n’est pas très bon. Les compos ne sont pas venues au rendez-vous. T’as même des cuts qui flirtent avec MTV. Leur glam californien est trop californien. Pas crédible. Ils se prennent pour les early Sparks des frères Mankey avec «Dog Race», mais ce n’est pas au niveau de «Fletcher Honorama». Ils n’ont pas le compos, ce qui justifie leur présence aux oubliettes.

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             Et puis les frères McDo évoquent bien sûr l’épisode Ze Malibu Kids en 2001, avec Charlotte Caffey, Anna Waronker and young Astrid McDonald. L’album s’appelle Sound It Out. Pour tout fan de Redd Kross, c’est un passage obligé, ne serait-ce que pour ce «Your Bed» claqué au heavy beat rédhibitoire et d’une grande violence poppy. Un peu plus loin éclate «Outer Circle» qu’on peut qualifier de belle dégelée concomitante. Ces deux frangins disposent des meilleures capacités d’envol. Un solo d’une rare profondeur traverse «I Won’t Forget You» et ils font une magistrale reprise du «You’re So Vain» de Carly Simon. Nouveau coup de tonnerre avec «Fiona Apple». Ils ramènent un swagger inespéré et déboulent à perdre haleine. Ils terminent avec un big bit of McDo Sound, «Vacsination» - I’d like to make myself presentable to you - atrocement génial, check it out ! C’est balayé par tous les vents mauvais.

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             Autre projet parallèle : The Steven McDonald Group avec un EP quatre titres intitulé This Is Not A Rebellion This Is A Mass Awakening et paru en 2002. Dès l’«Awake» d’ouverture de bal, on est propulsé pour le pire du meilleur dans une power pop saturée de reverb et explosée aux harmonies vocales de kids surexcités. Franchement digne des Nerves. «Strange Arrangement» vaut tous les hits de power pop. On se croirait chez Mott avec une voix plus seyante. McDo does it right. Ces mecs ont tout ce qu’un groupe peut désirer. Ils font de l’Oasis avant la lettre avec «Something To Love», heavy et noyé de son. Ils font de l’Oasis sans même s’en rendre compte. C’est là sur ce mini-album que se trouve l’une des reprises les plus mythiques qui soit : celle du «Motorboat» de Kim Fowley. McDo Sound ! Ça joue jusqu’à l’oss de l’ass, avec du let’s go à la clé, des filles frelatées derrière et un drive de basse qui ferait bander Kim Fowley.

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             Fantastique album que ce Jeff McDonald solo sorti par Bang au pays basque. On entre dans la gueule de Moloch dès «To You», ce slow burning joué à l’ultra-reverb de non-retour. Puis ça rue dans les brancards avec «Follow The Leader». Jeff joue ça au petit coulé de «So You Wanna Be A Rock’n’Roll Star», dans la veine du groove psyché bien intentionné avec une fantastique ré-interprétation de ce son qui fit jadis la grandeur des Byrds. On voit la ligne de basse courir comme le furet à la fin du cut. Beau spectacle ! Encore du slow burning bardé de son avec «Streets Of Shame», un cut dévoré de l’intérieur par un bassmatic lobotomisé. Avec «Sandstone Engine,» Jeff va plus sur le dylanesque, avec un petit harmo in tow. Il serait bien du genre à bouffer à tous les râteliers. En B, «Getting Back To You» pourrait très bien se trouver sur Revolver. Il boucle sa petite affaire avec «Third World Hustler», un glam de belle allure, en hommage à Marc Bolan.

             Comme chacun sait, Steven va rejoindre les Melvins. Dale Crover et lui jouent dans les deux groupes, Steven joue de la basse pour Buzz et Dale bat le beurre pour Redd Kross.

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             Les frères McDo évoquent d’autres légendes locales, comme les Bags d’Alice Bag et Patricia Morrison, qui ne s’entendent plus très bien. Il faut aussi noter que Rob Ritter et Terry Graham en étaient la section rythmique, avant de devenir celle du Gun Club. Steven dit aussi que The Germs étaient alors son groupe préféré - The most dangerous, the most extreme band on the scene - Ils sont à peine plus vieux qu’eux - To 12-years-old me, Darby Crash was like Keith Richards meets Sid Vicious - Steven se souvient d’avoir joué en première partie des Germs au Hong-Kong Café, bel objet de fierté. Les deux frères sont aussi des gros fans du Beyond The Valley Of The Dolls de Russ Meyer. Such a great rock film. Et puis bien sûr John Waters.

             Jacques Chancel : «Et Kim Fowley dans tout ça ?». Comme Redd Kross joue le «Neon Angels On The Road To Ruin» des Runaways sur scène, Kim passe un coup de fil chez leurs parents. Pour leur dire qu’il a trois autre cuts pour eux, but better - he was so funny, but so crazy - Ils se marrent bien tous les trois. Kim leur propose aussi un rock opéra. Il leur envoie le manuscrit.  Ça s’appelle Roommates. Mais les frères McDo trouvent ça mauvais. Alors ils laissent tomber, et Kim rappelle pour réclamer son manuscrit, mais il est perdu. Jeff a retrouvé l’enveloppe, mais pas le texte. L’épisode est d’une insondable tristesse. Quelle occasion manquée !

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    ( Greg Shaw )

             Petite évocation aussi du fameux garage revival des années 80, avec tous ces groupes californiens, The Unclaimed, Thee Fourgiven, The Pandoras et bien sûr les fameux Tale-Tell Hearts de Mike Stax. L’épicentre de cette scène est le Cavern Club de Greg Shaw. Les Rolling Stones sont les dieux locaux, surtout Brian Jones - But nothing after 1966 - C’est au Cavern Club que s’établit la connexion avec Sky Saxon, l’une de leurs idoles, et qui va déboucher sur l’enregistrement de Sky Saxon Blues Band, «the worst record ever made», dit Dan Epstein. Sky avait vécu des années à Hawaï avec une secte spirituelle, the Source Family, et il avait une centaine de chiens. C’est là qu’il est devenu Sky Sunlight Saxon. Puis il est rentré à Los Angeles - He was just this bizarre, eccentric hippie dude - Les frères McDo se retrouvent sur scène avec lui, en tant que backing-band for the Sky Saxon Purple Electricity live album, que Jeff qualifie de worst album ever made. Les frères McDo commencent par jammer sur le «Dazed And Confused» de Led Zep, puis ils enchaînent avec des vieux hits des Seeds. Sky chante en tournant le dos au public et n’entre pas au bon moment dans les cuts. Après ça, ils n’ont plus de cuts, alors ils attaquent le «Cherry Bomb» des Runaways, et Sky improvise des paroles. Plus tard, Greg Shaw va les remettre ensemble en studio avec Sky, mais les bandes ont disparu. Steven se souvient de Sky qui demande à Jeff de jouer plus comme Robbie Krieger, but that’s not what we were doing.  

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             On retrouve les frères McDo dans Tater Totz, et notamment sur l’album Alien Sleestacks From Brazil (Unfinished Music Vol 3) paru en 1988, un album de «gleefully warped covers». Dan Epstein profite de l’occasion pour annoncer que la collaboration de Redd Kross avec Tater Totz a renforcé leur réputation de «weirdo visionaries.» C’est bien pour ça qu’on l’écoute.

             Alien Sleestacks From Brazil (Unfinished Music Vol 3) est en effet un album de covers complètement azimutées, à commencer par «Give Peace A Chance» et «Tomorrow Never Knows» qui hantent le balda comme deux créatures psychédéliques du meilleur effet. Avec Tomorrow, le clin d’œil aux early Beatles est bien senti et bienvenu. Ils terminent leur balda dans un gros délire bruitiste qui n’est pas sans rappeler le fameux «Revolution # 9», celui qui fit tant jaser jadis, à Clochemerle. Mais attention, le pot aux roses se planque en B : «Don’t Worry Koyko», un seul cut supposément saucissonné en 5 parties, mais tout est enchaîné pour donner seul cut de folie pure à la McDo, avec de violents riffs de slide, et Jeff McDo fait sa Yoko en la singeant, c’est extrêmement wild, complètement underground, strident et moderne à la fois, du pur McDo ! Toute la face est drivée dans la Méricourt d’une simili-Yoko Ono, Steven bat le beurre. Ils ramènent sur le tard les screams de «Cold Turkey» alors ça prend tout son sens. On recommande chaudement l’expérience.

    Signé : Cazengler, Red Krasse

    Jeff & Steven McDonald. Now You’re One Of Us. The Incredible Story of Redd Kross. Omnibus Press 2024

    Tater Totz. Alien Sleestacks From Brazil (Unfinished Music Vol 3). Giant Records 1988 

    Celebrity Skin. Good Clean Fun. Triple X Records 1991

    Ze Malibu Kids. Sound It Out. Houston Party Records 2001

    The Steven McDonald Group. This Is Not A Rebellion. This Is A Mass Awakening. Five Foot Two Records 2002

    Jeff McDonald. Jeff McDonald. Bang Records 2016

     

     

    Wizards & True Stars

     - Mon Trux en plume

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             Avec Blaine Cartwright et Ruyter Suys, Neil Hagerty et Jennifer Herrema font partie des couples les plus trash de la planète rock. Leur trux, assurent-ils, est ce qu’ils appellent le psycho complicated, l’une des séquelles d’un sex drugs and rock’n’roll way of life parfaitement assumé. Andrew Perry leur accorde six pages dans Mojo et c’est bien le moins qu’il puisse faire. Ils viennent de se rabibocher après 18 ans de séparation pour enregistrer un nouvel album. Rabibocher est un bien grand mot. En fait, ils ne peuvent plus se supporter. Le chaos reste leur fonds de commerce. Depuis le début de leur histoire, ils mettent un point d’honneur à s’auto-saboter, c’est-à-dire enregistrer des disques savamment anti-commerciaux - out-there albums in unmarketable sleeves.

             Ils se sont rencontrés ados. Comme ils sortaient tous les deux de milieux alcoolo, ils buvaient comme des trous. À 12 ans, Neil Hagerty teste l’héro. Son père est un militaire basé en Europe et il raconte qu’à Bruxelles, dans un concert, il fumait du hash mélangé à de l’opium, like Black Sabbath used to smoke. Installé ensuite à New York, Neil Hagerty rejoint Pussy Galore. Jon Spencer ne tarit pas d’éloges sur lui : «Neil was very creative, as a guitarist. Wild. Fearless. A real force.» Et puis un jour de 1987, pendant l’enregistrement de Right Now, Neil annonce qu’il ne s’appelle plus Hagerty mais Royal Trux. Il commençait à enregistrer des home recordings avec Jennifer Herrema et petit à petit, Royal Trux morphed into the band.

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             Malgré sa belle pochette art déco hollywoodien, le premier album Royal Trux paru en 1988 laisse quelque peu indifférent. Dès «Bad Blood», ça vire expérimental, dans l’esprit d’une dérive des incontinents. Neil tape dans sa drug-culture et derrière, l’autre folle fait des siennes. Ils se fendent d’un «Hashish» insupportable. L’underground a bon dos. Ça relèverait presque du déconstructivisme de Lodz, ou si vous préférez, d’un Kurt Weil de bas étage. Ils attaquent une B sursitaire avec «Esso Dame», un heavy gloom de mélasse acariâtre, atroce et possédé, une sorte de rock urticant, une saloperie qui démange, c’est tellement trashy que ça frise le Magic Banditisme. Regain d’intérêt avec «Sice I Bones», bien gratté aux accords sales et tambouriné de frais. Quelle soupe ! On peut la qualifier d’étrange. Elle révèle un certain état d’esprit. On pourrait qualifier ça de cacadou de Cabaret Voltaire. S’ensuivent des cuts aux fonctions motrices très altérées et dans «The Set Up», Neil tape l’expé. Alors d’accord. On ressort de ce disque à quatre pattes, mais pour de mauvaises raisons. Neil adore berner Bernard. Et prendre les cats de Caen pour des cons. Il part en expé jusqu’au bout de la nuit avec «Hawk’n Aroud». Personne ne peut aller au bout d’un disk aussi mal embouché. Mais parfois, il faut aussi savoir faire l’effort, pour savoir jusqu’où vont les gens. Plus d’un pauvre kid a acheté ce disk sur la foi de la légende, et pour l’écouter, il n’existe que deux solutions : soit la dope, soit l’alcool. Nombreux sont ceux qui se firent rouler la gueule avec les Mothers, les Godz ou encore les Holy Modal Rounders et qui eurent recours aux expédients. Tous ces groupes «arty» cultivent un mépris définitif du kid de base. Dommage.

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             Twin Infinitives paraît quatre ans plus tard. Neil s’installe dans le trash, et c’est là qu’il nous intéresse. Il joue en effet «Lick My Boots» au clair de caca blues. Il se pourrait fort bien que Neil ait décidé de se foutre de notre gueule, et cette conne de Jennifer chante atrocement faux. S’ensuit un «Glitterbest» explosé de son et chanté à deux voix de gens qui vont mal. C’est chargé de tout le désespoir du monde et franchement digne du Velvet. La fin de cet album mal fagoté continue d’effarer avec «Funky Son» qu’on pourrait qualifier de délire de fracasse, de dérive foncière, d’indescriptible chaos sonique de connaissance par les gouffres, c’est admirable, oui, car ça pianote dans le void, on a là une vision druggy du monde mauve, c’est orchestré à l’excès et fabuleusement démantelé, vraiment digne de Michaux, oh Henri, retiens-moi, je tombe ! On reste dans l’expé avec «Rat Creeps», amené au son d’un monde inversé, Neil l’explore, c’est magnifique, étoilé, spécifique, et il termine cet album mi-figue mi-raisin avec «New York Avenue Bridge», un malheureux cut de boogie joué au piano bastringue de Brooklyn. Neil et l’autre folle s’en prennent directement au monde bien-pensant. Par contre, tout le début de l’album relève du caca sonique. Ils jouent la bande son d’un docu : un white trash rentre chez lui bourré et va chier. On a tout, le bruit et l’odeur. Neil riffe ses limbes dans l’ombilic. Bob Hughes dit que «Twin Infinitives appeared to be a slewed attempt to reconcile VU with Grateful Dead.» Tu parles Charles !  

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             Paru la même année, Untitled s’appelle aussi l’album aux squelettes. Alors là, attention, Neil passe aux choses sérieuses : c’est un album qu’il faut bien qualifier de classique. On savait l’ami Neil féru de trash. On le découvre féru de Stonesy avec «Move». Il sort là un coup de Stonesy new-yorkaise raw to the bone, junkée jusqu’à l’os. Sa Stonesy maladive et tuberculeuse emporte tous les suffrages, ça coule comme du sang neuf dans l’histoire du rock, c’est claqué aux ongles noirs, ça sent la bite pas lavée, les oreilles sales et tout ce qui fait le charme du trash. Et ça continue avec «Hallucination», vraie dégelée de trash-punk new-yorkais atrocement mal chantée par cette casserole de Jennifer, ah c’est un festin de roi, ils craquent des passes infernales, elle chante si faux qu’on en claquerait bien des dents, c’est un spectacle unique au monde, d’une rare insanité. Et ce n’est pas fini, car voilà «Junkie Nurse», balladif gratté à l’acou, mais Neil est un virtuose épouvantable, il faut l’entendre virevolter dans ses trapèzes de notes de tiguili-tiguili, il rivalise avec Davey Graham, il va chercher des foisons surnaturelles. Il fait encore des ravages dans «Sometimes» avec un riffing de belle eau. Il se dégage vraiment du lot des guitaristes de rock. Neil Hagerty est un riff-master. Il revient au balladif entreprenant avec «Lightning Boxer», et envoie des petites giclées de spermatic spatial. Neil est un guitariste libre, la défonce permet ça, demandez à Henri Michaux ce qu’il en pense. Neil se chante dessus, il reprend sa voix, your beautiful skin/ your beautiful spine et en jouant dans le studio, il crée un monde qui lui ressemble. Quel personnage fascinant ! Son art sent bon la défonce. Avec «Blood Flowers», il envoie sa sauce coller au plafond, mais de toute façon, c’est toujours au plafond, avec lui. Il termine cet album somptueux avec «Sun On The Run» - One two, three ! - Ce sacré Neil ne débande pas. Il défonce même la rondelle des annales, il pique une fabuleuse crise de colère psyché, il barde son son et joue jusqu’à l’os à moelle, I’m sun on, il part en mode power et même double power - On top ! On sun ! - Il joue à la décarcasserie explosive et définitive. 

             Les Trux ont un principe : chaque album est basé sur un concept. Par exemple, ils décident d’enregistrer Cats And Dogs «as a band for the first time.»   

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             On voit des missiles sur la pochette de Cats And Dogs. On est ravi de retrouver la casserole dans «The Flag». Elle chante si mal qu’elle parvient à ses fins. Ça marche, alors on se dit qu’il y a un trux. Kurt Cobain a cité «The Flag» as this track of the year in NME. Neil navigue à vue dans «Skywood Greenback Mantra». Il joue ça au bottleneck flageolant, évidemment. Sa came fleure bon la Stonesy, il sait jiver en eaux troubles. Il attaque sa B avec «Up The Sleeve», un heavy mood de murge, l’une de ses spécialités. On pourrait aussi appeler ça la petite purée fumante du diable. Il reste dans le heavy move de mad mud avec «Hot And Cold Skulls». Il va chercher son son dans le mou de veau et achève ça au coup du lapin. Belle leçon de dégelée sonique. «Tight Pants» sent le labo de fortune, mal éclairé et sale. Ces deux-là s’emploient à se perdre et ils y parviennent avec une étonnante facilité. Ils produisent de la drug-music à l’état le plus pur, ce qui finit par impressionner. 

             En tournée, Hagerty écoute Steely Dan et Skip Spence. Les Trux jouent avec Mudhoney et Sonic Youth. C’est la scène indie de l’époque. Quand Virgin leur propose de jouer en showcase à Los Angeles, Hargerty dit okay et arrive avec des gens qui n’ont encore jamais joué ensemble- It was super surreal, just ridiculous - Virgin les voit comme the next Guns N’ Roses. Ça  fait bien marrer les Trux. Peut-être qu’on peut transformer Herrema en Axl Rose ? Ils posent leurs conditions et s’installent à Memphis pour enregistrer Thank You.

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             On considère Thank You comme l’album du break-out. Et pourtant ça commence mal, car la casserole chante si mal dans «A Night To Remember» qu’ils doivent s’y mettre à deux. Ils font ce qu’on pourrait appeler du rentre-dedans de trash system. Neil produit un fabuleux drive de vieille pulsion, puis il passe un solo dément et croise le fer avec l’infernal bassman Dan Brown. Précision capitale : Dan Brown vient du ‘68 Comeback de Monsieur Jeffrey Evans. Le trash alcoolo-druggy refait surface dans «The Sewers Of Mars», mené au drive incertain. Derrière, le beat pulse comme pas deux. Dan Brown chique du shake de choc. Neil adore de format heavy rock pas bien sûr de sa trajectoire. Ça vire heavyness de gras double, dans l’absolue altérité d’un trash liquide de gélatine rampante, chanté bien sûr à la traînarderie comateuse - The Trux dirty DNA and trademark eccentricity - Avec «Map Of The City», ils passent au groove déviant, comme s’ils rajoutaient une corde à leur arc. En fait, Neil est un homme qui pose ses conditions. Il faut dire que la présence d’un monster comme Dan Brown lui facilite les choses. C’est joué au vacillant maximaliste. C’est Dan Brown qui ultra-joue le groove underground de «Granny Grunt». Et en B, la Stonesy revient au grand galop dans «Fear Strikes Out». Voilà le son dont ont rêvé les Stones toute leur vie. Neil et ses amis jouent comme des dignitaires, Dan Brown roule sa basse, c’est plein de vie. S’ensuit un «(Have You Met) Horror James» riffé de frais. Neil double sur la voix de la casserole, c’est à la fois magnifique et inspiré, mélodique en diable. Il faut bien se faire à l’idée que Neil Hagerty figure parmi les surdoués su rock. Avant de tirer sa révérence, il lâche encore un petit coup de groove délinquant avec «You’re Gonna Lose». Et si vous retournez la pochette, vous verrez Neil et la casserole traverser le hall d’un aéroport. Quelle image !

             On demande aux Trux de jouer en première partie des Stones à Paris. Hagerty dit non. Dan Brown : «He gave us this kind of occult supernatural reason.» Un truc du genre : «Any band that opens for the Stones gets annihilated.» Il cite des exemples, Guns N’ Roses, Living Colour. Virgin n’en revenait pas.

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             La pochette de Sweet Sixteen bat absolument tous les records de dégueulasserie. On y voit un chiotte bouché, mais on ne dira pas avec quoi. Allez voir. L’album vaut le détour, ne serait-ce que pour «Roswell Seeds & Stems» : Neil s’y prend pour Mungo Jerry, il sabre ses chorus comme un dieu. Les merveilles pullulent sur cet album, à commencer par «I’m Looking Through You», joué à la mélasse impérieuse. Ça vire heavyness stratosphérique, une embolie digne de Démosthène, tas de purée sans queue ni tête, comme dans La Grande Bouffe, il fait son Céline de petite vertu, il dégobille son fleuve de trash - Groove, brass, proggish detours, Ornette Coleman-inspired harmolodics ans heaps of guitar solos - On retrouve bien sûr l’excellent Dan Brown à la basse et par chance, il est mixé devant. «Don’t Try Too Hard» sonne donc aventureux. Neil wahte son «Morphic President» dans l’écho du temps et passe en mode heavy alors que Dan laboure le chant de Millet. Ils bricolent un lointain technique assez éblouissant. On commence alors à réaliser que Dan Brown prend une importance considérable dans le phénomène Royal Trux. Il mène carrément la bal dans «Cold Joint». Il joue la carte kill kill kill, et comme c’est mixé devant, c’est Browny jusqu’à l’oss. Neil maintient son cap heavy avec «Golden Rules». Il produit une fabuleuse mélasse enjouée dans laquelle vient patauger Dan et les deux dingues croisent le fer, c’est encore pire que les collisions de McCarty et Tim Bogert dans l’early Cactus. Quel numéro de cirque ! Ils tombent dans le De Profundis avec «You’ll Be Staying Room 323», mais un De Profundis travaillé dans l’oignon. Dan ramone la jachère, il file en roue libre, voilà un son capable de timbrer un passeport, enfin, le son fait comme il veut, c’est un grand garçon. Neil amène «Can’t Have It Both Ways» au vieux riff de guitare claire et une fois de plus, ça vire purée indicible. On a là une course poursuite entre un virtuose de la trash-guitar et un bassman dédouané. Cette cavalcade se poursuit dans «10 Days 12 Nights» et «Microwave Mode». Quelle densité dans l’expressivité ! Avec le morceau titre, ils tapent le gros rock de Trux. Neil ne lâche rien, surtout pas la rampe. On a là une nouvelle giclée de purée suprême. Neil sonne comme Gou, le dieu de la guerre et du trash travaillé. Dan Brown : «It’s an almost abusively psychedelic album.»   

             Mais les gens de Virgin sont tellement écœurés par l’album qu’ils filent 300 000 $ aux deux Trux pour qu’ils dégagent - To just go away. Ils rentrent chez eux en Virginie et filent Accelerator à Drag City. 

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             Encore une belle pochette pour Accelerator paru en 1998 : le diable pilote un bolide. Le cut qui croche sur cet album plus mainstream s’appelle «Stevie». Neil clôt l’album avec ce balladif de rêve trashy, bien délayé aux nappes sales. Ce mec est un spécialiste du walk on the wild side, ne l’oublions pas. C’est un parfait gentleman de la désaille, et même un pur génie. Il accompagne son cut vers la sortie avec un jeu de gammes divinatoires. Il utilise une fois encore cette prodigieuse facilité à créer l’événement. Les autres cuts de l’album restent dans le Trux Sound System classique : épais, confus, voix de la casserole dans «Yellow Kid», gratin brûlé de guitares dauphinoises, en un mot comme en cent, un joyeux bordel. «The Banana Question» tarabuste. Ça se finit en noyade d’orgue de jazz dingo, et bien sûr, la casserole vient foutre le souk dans la médina. Ils font une tentative d’OPA sur la rap avec «Juicy Juicy Juce» mais ça vire quincaille noisy à deux balles. Ils réinstallent la B sur orbite avec «Liar» et renouent avec le rampant dans «New Bones», encore un cut heavy et malsain, gorgé de son, tellement pertinent qu’il perce les murailles, comme dirait notre cher Marcel Aymé. La casserole chante si mal qu’elle évoque une sorte de Tom Waits avec de la morve au nez. Retournez la pochette, et vous verrez Neil et la casserole au pieu. Magnifique image !

             Sur scène, ils se comportent comme s’ils étaient en répète. Herrema dit qu’elle ne veut pas chanter ça, alors Hagerty dit OK. Puis il démarre quand même le cut pour l’emmerder - Just crazy bullshit - Alors elle commence à se dire que si elle ne quitte pas le groupe vite fait, elle va finir par lui casser les dents.

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             Pochette en peau de serpent pour Veterans Of Disorder, et au dos, gros plan sur le couple, avec un Neil qui louche et qui porte un pansement sur le pif. Dommage que l’album ne soit pas au niveau de la pochette. «Second Skin» sonne comme l’un de ces rocks racés et nerveux dont ils sont parfois capables. Cette fois, ils jouent à trois avec un batteur. Ce qui explique peut-être la faiblesse du son. On retrouve un vieux relent de Stonesy dans «The Exception» et un grand vent de liberté souffle sur «Lunch Money». Neil fait comme bon lui plait. «I Yo Se» sonne très exotique, c’est même presque joyeux. Ils font n’importe quoi, et pas n’importe quoi en même temps, alors ça devient confusément intéressant. En B, ils nous transportent à Marrakech avec «Coming Out Party», une sorte de vieux groove de Père Fouettard. Ah comme elle chante mal ! Le pire, c’est que ça passe comme une lettre à la poste. Et puis on tombe sur le cut de rêve : «Blue Is The Frequency» : du big Hagerty. Il sort le grand jeu, il ne se gêne pas, la voilà inventif, dévorant, très mur, jazzeux et passionnel. Le cut vire jazz-fusion, mais avec énormément d’allure.

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             Pochette brodée pour Pound For Pound paru en l’an 2000. On y trouve un énorme coup de bassmatic intitulé «Small Thief». Ce dingue de Dan Brown joue derrière Neil et ça tourne au duo de virtuoses sur fond de funk de good time music. On entend rarement quelqu’un bassliner aussi bien dans un lagon. Autre énormité : «Platinum Tips», une fois encore ultra-ramoné par ce démon de Dan Brown, ça bouine dans le ring, quelle maturité de punch ! C’est complètement échappé du bois, Bob ! Dan Brown fait son relentless. «Call Out The Lions» renoue avec l’heavy rock cher à Neil. C’est du cannonball rock très mal intentionné. Fait pas bon traîner dans les parages. Dan Brown fait des ravages. Si on cherche du solide, c’est là et nulle part ailleurs. Dan Brown fait encore plus de ravages dans «Accelerator». Il est l’un des bassliners les plus évangéliques de la chrétienté, il pourrait jouer les yeux crevés, à l’image des moines d’Andrei Roublev, et continuer d’avancer dans la toundra pour porter la bonne parole du Trux. On a aussi un heavy groove malade de sept minutes qui s’appelle «Deep Country Sorcerer». La casserole chante avec Neil. On a là le Surabaya Johnny des temps modernes, mais démoli au subitox. Ces gens-là cultivent l’anti-conformisme comme d’autres les betteraves. Neil Hagerty est un guitariste capable de décrocher la lune. Encore une belle drug-song en B avec «Blind Navigator». Ce pauvre Neil cherche à inventer un genre nouveau : l’heavy blues trash et ça plaît énormément à la casserole. Celui qui trouvera de l’intérêt à ce genre d’expé aura gagné la médaille du mérite. Neil crée des mondes, c’est une évidence.

             En 2000, Royal Trux s’installe dans les bois de Virginie, au pied des Blue Ridge Mountains, loin de tout. Ils travaillent en permanence - like Can, in a state of constant creation - et envoient un album tous les six mois à leur nouveau label. Ils peaufinent leur image d’alt rock wacko recluses par excellence. Mais Jennifer Herrema finit par craquer, elle veut quitter la cabane et elle replonge dans la dope. Comme ils sont mariés, et qu’aux États-Unis un mari a tous les droits, Neil Hagerty la fait interner. Elle lui fout sa main dans la gueule. De toute façon elle savait que ça allait se terminer : «Neil always wanted kids an I always didn’t want kids.»

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             On ne trouvera rien de très copieux sur Hand Of Glory paru deux ans plus tard. Le Trux s’essouffle. Ils démarrent avec une jam informelle de 19 minutes réservée aux aficionados qui ont bon dos. Ils cherchent encore des noises à la noise et Neil nous embarque avec «Electric Boxing Show» dans une sorte de dérive débilitante sans consistance. On trouve plus loin un «Golden Heart» peu déterminé à vaincre. On crève d’ennui. Par dieu, pilgrim, fuis ce disque comme la peste ! Neil se prend pour Ornette Coleman, mais le Coleman de la super-glu, il va chercher de l’osmose dans sa boîte à camembert, et à ce stade, c’est un délit. 

             Ils sont maintenant divorcés. Jennifer Herrema vit en Californie et Neil Hagerty à Denver, Colorado, remarié et père d’une fillette de dix ans. Ils ne se parlent plus ou presque : «He wrote me three e-mail in 12 years to tell me when each of cats had died.» Puis un quatrième mail pour annoncer la reformation du Trux, car on leur fait des propositions.       

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             Nos deux héros avaient donc disparu de la circulation. Neil enregistrait des albums dans son coin et la casserole itou. Puis le Trux s’est reformé en 2017. Un album live témoigne de cet événement. Il s’appelle Platinum Tips + Ice Cream. On y retrouve les vieux coucous du style «Junkie Nurse», gutter-boogie joué à la cloche d’ébène pas par Ben mais par Baines. Neil gronde sur son manche et on note l’infernale profondeur de ton. «Sewers Of Mars» sonne littéralement comme un classique. C’est tout de même assez dingue : tous ces vieux groupes qui ont une histoire reviennent et ça impressionne au plus haut point. On retrouve leur joyeux bordel, ce bourbier ludique, ce trash sucré et goûteux qui fit leur réputation. Ce live dégage une grande impression de solidité. L’heavy blues urbain de «Mercury» semble perdu et pour lui et pour les autres. Et Neil ramène des bouts de thème dans la soupe au chou d’«Esso Dame». Ils attaquent la B avec «Waterpark», pur jus de trash Trux, mal chanté, coulé par Neil, joué dans le contexte inversé de l’anti-commercialité des choses. Quelle admirable perspective ! Ils tapent «Platinum Tips» aux power-chords new-yorkais d’ambition dominicale. On note encore une fois leur admirable sens du rentre-dedans. «The Banana Question» sonne comme de la purée longiligne et on note l’énorme présence de Neil dans le son. 

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             Puis Jennifer Herrema parvient à décrocher un contrat chez Fat Possum. Voilà que paraît White Stuff. Comme le disait le Sergent Hawkins de l’arrivée des renforts du Septième de Cavalerie : «C’est inespéré !» Oui car White Stuff grouille littéralement d’énormités, et pas des petites énormités. Neil Hagerty préfère des grosses énormités bien fat. Tiens ça commence avec un modèle de modernité, le morceau titre bien remonté sur le gutter, ce démon d’Hagerty sait encore activer le turmoil et plonger son monde au cœur du trash - This is the way it’s supposed to be  - Ça s’étrangle de son, ça vire même Stonesy trash, cette Stonesy intoxiquée et cacochyme dont a rêvé Keef toute sa vie. S’ensuit une triplette de Belleville, «Year Of The Dog»/«Purple Audacity #2»/«Suburban Junky Lady». Oh la violence du beat ! Oh les vieilles dynamiques ! Neil Hagerty fait son Trux dans l’année du chien et elle vient rajouter son grain de sel. Ils sont terribles et pleins de cette morgue typique des trashers d’Amérique. Ils sont avec Bob Mould les buried treasures du rock US, ils savent si bien faire dégueuler un son. La cuvette de Sweet Sixteen peut en témoigner. Avec «Purple Audacity #2», ils reviennent à leurs premières amours, avec une Jennifer fatiguée. Quel shoot de trash ! - We are the number ones/ We are the champions - Ils sont écœurants de trash class, du coup elle se met à chanter vraiment bien. Ah tu croyais qu’ils allaient se calmer ? No way ! Ils sonnent comme une révélation. Et ça continue avec ce «Suburban Junky Lady» qu’elle chante dans l’écho du no coming back, c’est du swing de trash-woman, gluant de son, pour ne pas dire un son de rêve. Ils se vautrent dans l’extrême enchantement de la saturation avec des notes proliférantes, tout est là, le son et l’esprit du son. Ils n’ont jamais été aussi bons. Il écrase son champignon et elle reprend bien les mots par la queue. Il gratte des accords de congestion ultraïque. Neil Hagerty cultive un certain génie du son, il fond la mélodie dans la sursaturation, il coule un bronze thématique qui charrie tout ce qu’on adore, et tout particulièrement la démesure du big sound. L’air de rien il frise en permanence le génie rampant des reptiles sacrés du temple de Quetzalcoatl. Encore un slab d’en veux-tu-en-voilà avec «Every Day Swan», un vieux coup de Trux joué à l’abattage avec des cuivres jetés dans la fournaise et du pounding de tous les diables en supplément ! Le son colle au papier. On voit même ce démon d’Hagerty revenir sans prévenir pour bouffer son cut tout cru. Jennifer revient plus loin chanter l’extrêmement heavy «Purple Audacity #1». Hagerty vitriole la matière du son, il élève la dégueulade au rang d’art majeur, you know you feel alright/ You feel good ! Il fait aussi un festival de râpé de parmesan dans «Whopper Dave» et débouche à la violence du riffing un «Shoes And Tags» bouché à l’émeri. Demented ! - Take your shoes ans your tags and leave this town - Hagerty te sature ça de congestion, il semble avancer par convulsions, par paquets de pâté de foi, il injecte tout ce qu’il peut dans sa purée. Il joue à la vie à la mort dans l’éclair d’un traffic jam. Cet album génial se termine avec «Under Ice», du pur jus de Stonesy arrosé de dirty DNA. 

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             Bob Hughes en remet une couche avec six pages dans Uncut. On ne s’en lasse pas. D’autant qu’il titre ‘Veterans of disorder’, comme par hasard. Hagerty et Herrema commencent à désosser le rock en 1987 pour le rebâtir à leur idée - Royal Trux weren’t pretty, but they were invariably brillant - C’est ce que les historiens du rock retiendront du couple. Alexis Taylor parle d’eux comme de «something about to collapse, but also something on the verge of absolute greatness.» On dirait exactement la même chose des Pistols sur scène. Cette mauvaise langue de Bob Hughes insinue que leur heroin addiction captait autant l’attention que leurs albums. Julie Cafritz dit d’Hargerty qu’il était un weird cat «qui s’est pris pendant 6 mois pour Sterling Morrison.» Elle dit aussi qu’il avait «a very fluid access to different parts of his brain.» Herrema ajoute qu’Hagerty était un big fan de William Carlos Williams. La fin de leur histoire n’est pas jojo. Ils ont tous les deux des gros problèmes de santé mentale. Ils sont obligés de suivre des traitements. Hagerty s’est paraît-il battu avec trois flicards de Denver. C’est bien que l’histoire des Trux finisse dans le chaos.

    Signé : Cazengler, Royal Trou (du cul)

    Royal Trux. Royal Trux. Royal Records 1988

    Royal Trux. Twin Infinitives. Drag City 1992  

    Royal Trux. Untitled. Drag City 1992     

    Royal Trux. Cats And Dogs. Drag City 1993

    Royal Trux. Thank You. Virgin 1995

    Royal Trux. Sweet Sixteen. Virgin 1997    

    Royal Trux. Accelerator. Drag City 1998

    Royal Trux. Veterans Of Disorder. Drag City 1999

    Royal Trux. Pound For Pound. Drag City 2000

    Royal Trux. Hand Of Glory. Drag City 2002          

    Royal Trux. Platinum Tips + Ice Cream. Drag City 2017

    Royal Trux. White Stuff. Fat Possum Records 2019

    Andrew Perry : Battle royal. Mojo # 304 - March 2019  

    Bob Hughes : Veterans of disorder. Uncut # 326 - June 2024

     

    L’avenir du rock

     - Saint Valentine

             Tomber amoureux, ça peut arriver à tout le monde, même à l’avenir du rock. Le cœur en fête, voilà qu’il déambule en chantant :

             — Un jour qu’il avait plu/ Tous deux on s’était plu...

             Il marche comme Fred Astaire dans Singing In The Rain.

             — J’lui d’mandais son nom/ Il me dit Valentine...

             Arrivé rue Custine, il croise Boule et Bill. Il lève son chapeau pour les saluer.

             — Te voilà bien gai, avenir du rock. Quelle mouche te pique ?

             Alors, la main sur le cœur, l’avenir du rock lance d’une voix flûtée :

             — Il avait des tout petits petons/ Valentine/ Valentine !

             — Serait-ce te demander un grand service que d’éclairer nos lanternes ?

             L’œil pétillant de luxure, l’avenir du rock reprend, le doigt levé :

             — Il avait des toutes petites chansons/ Que je tâtais à tâtons/ Ton ton tontaine !

             Interdits, Boule et Bill attendent la suite.

             — Outre ses petits petons/ Ses petites chansons/ Son petit menton/ Il était frisé comme un mouton...

             — C’est un trave ?

             L’avenir du rock rigole de bon cœur. Il est des jours où la profonde bêtise des gens peut émerveiller.

             — Mes pauvres amis, qu’attendez-vous pour aller tâter les petits tétons de Marc Valentine ? Comme vous n’êtes pas souvent visités par la grâce, un petit shoot de félicité vous fera le plus grand bien.

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             C’est encore Vive Le Rock qui s’y colle. Marc Valentine ? Si Vive le Rock ne lui consacre pas une page, personne ne le fera. C’est tout de même dingue, cette histoire ! Et encore, une page c’est vite dit : une colonne de texte et une photo recouvre les deux autres colonnes. Ça fait un peu court, surtout quand on connaît la qualité des albums du groupe de Marc Valentine, The Last Great Dreamers.  Il attaque en rappelant qu’il est là depuis 1993. Le groupe s’est arrêté une première fois après le deuxième album, alors il est parti vivre aux États-Unis et en revenant à Londres, il a redémarré les Dreamers. Il a profité du lockdown pour enregistrer un album solo, aidé par Matt Dangerfield, oui, le Matt des Boys. Mais il n’a pas l’air trop confiant en l’avenir.

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             Marc Valentine et ses Last Great Dreamers ne sont pas les derniers rois de Thulé, mais certainement les derniers rois de la power pop anglaise. C’est en tous les cas ce que démontre brillamment ce 13th Floor Renegades paru en 2018.

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    Dès «New Situation», tu adhères au parti. Ils jouent au rentre-dedans, un big power-pop power de London dandies, au fast in the flesh, avec un incroyable swagger de no way out définitif, ils te prennent là où il faut : à la gorge. Immédiat et stunning ! Ils font clairement de la power-pop de power-poppers. Ils jouent encore cartes sur table avec le morceau titre et passent au stomp des Batignolles avec «Speed Of Light». Ils ont récupéré des éléments du stomp de Slade, avec un chant décadent à la Saint Valentine. Ils savent aussi faire le fast Search & Destroy comme le montre habilement «No Sunshine». Ils avalent tout ça vite fait, ils savent très bien battre la campagne, there’s no sunshine in my brain, tous les tricks sont de sortie, y compris le chorus solaire et le bassmatic inverti. Back to the cœur de métier avec «I Think I Like It», heavy power pop de sale cocote teigneuse et dégénérée, ces last dandies on earth illuminent leur monde au here it comes. Ils adorent l’here it comes, comme jadis les Stones au temps de «19th Nervous Breakdown» - Here comes my 19th nervous breakdown - Les Dreamers continuent de creuser leur mine d’or et nous sortent «Primitive Man», wild & fast, infiniment réjouissant, encore une belle démonstration de force, ils y vont au you know who I am/ Just a primitive man ! Ils te demandent de quel bord tu es avec «Whose Side Are You On», bien travaillé dans l’explosif, ce qui est le principe même de la power pop. Il faut que ça blossomme. Si ce n’est pas puissant, emporté et blossommic, ce n’est pas de la power pop. Les Dreamers sont un groupe très abouti, mais à l’abouti de Djibouti. Tu te régales avec cette bande de Princes aux crabes d’or. Un petit shoot de violence pour finir avec «Broken Things». La violence artistique, c’est leur truc. 

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             En 1994, Marc Valentine et ses Last Great Dreamers étaient déjà les derniers rois de la power-pop, c’est en tous les cas ce que révélait Retrosexual. C’est sur cet album que figure leur profession de foi, «Last Great Dreamer» - I’m just the last great dreamer - Pas de meilleure power-pop sous le ciel d’Angleterre. Mais comme chacun sait, la power-pop finit toujours par se mordre la queue. Les Last Great Dreamers n’ont pas froid aux yeux, ils enquillent leurs cuts avec une franche allégresse. Marc Valentine chante «Paper Crown» avec des faux accents d’early Bowie. Quasi glam ! «Far From Home» est bien solide sur ses pattes, Marc Valentine flirte en permanence avec le glam. Le groupe est assez complet, car ils savent sortir les loud guitars, ils savent négocier les virages de don’t need ya, comme le montre «Lady (Don’t Need You)». Ils savent même tartiner un balladif («Kings & Keepsake»). Valentine ne fait pas n’importe quoi, c’est excellent, si présent, si pressurisé, si bon enfant. Ils attaquent «Only Crime» de front, ils ont ce type de brawl dans leur arsenal, ils se montrent de plus en plus crédibles et si fabuleusement inconnus, malgré leur cocky swagger et leur solo en remontrance. Retour au glam et à la cloche de bois avec «Streets Of Gold». Cet artiste complet qu’est Valentine boucle avec un «Lovely» complètement décadent.

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             Crash Landing In Teenage Heaven est encore un album qui oscille entre le glam et la power pop. Glam pur avec le morceau titre qu’on trouve à la fin, Marc Valentine chante comme Peter Perrett, à la Only Ones, mais avec le power de Slade. Autant dire le power maximalis. Les Dreamers dégagent plus de chaleur qu’une centrale nucléaire qui vient d’exploser. Pus jus de glam extrême, krakaoté au ricochet de cute cocote. Marc Valentine sonne même comme l’early Bowie. Stupéfiant ! On trouve aussi sur cet excellent album une Beautiful Song, «Gold Painted Butterfly», pop classique et têtue comme une bourrique - I want you to know/ That I know - C’est assez merveilleux. Pour le reste, retour à la foire à la saucisse de la power-pop. Buffet à volonté. On retrouve d’ailleurs le «Last Great Dreamer» de l’album précédent, tapé à l’heavy cotoclap, avec un chant qui ne mégote pas. Fantastique énergie, élégance à tous les étages en montant chez Marc ! Ce mec te repeint le portrait de la power-pop. On dira en gros la même chose d’«Ashtray Eyes», l’excellence le protège des bactéries. Les solos sont magnifiques d’insolence. Les Dreamers sonnent comme des superstars. Tout est noyé de son, sur cet album, et du meilleur son. On peut s’y référer. Crash Landing In Teenage Heaven est un album dense et haut en couleurs, très sophistiqué. C’est un album de dandies. Avec «Supernature», nos dear dandies renouent avec l’antique power des Nerves et des autres géants de la power pop américaine, comme les Gigolo Aunts. Pas étonnant que ça n’intéresse plus personne. La classe est passée de mode. On se gargarise aujourd’hui de médiocrité. La power-pop est une vieille forme de génie pop. Encore un beau bonbon sucré et un chant de rêve avec «Lunacy Lady», mais bon, l’album va s’enfoncer dans l’oubli, malgré ses qualités.

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             Pas faciles à choper, les Dreamers records, mais avec un peu d’obstination, on finit par y parvenir. Et on est bien récompensé car Transmissions From Oblivion est un big album, un de plus ! Marc Valentine et ses Dreamers naviguent aux confins du glam et de la power pop, comme le montre ce «Dope School» monté sur un beat souverain comme pas deux et très glammy dans l’esprit, car chanté à la Bolan, c’est excellent, gorgé de sentiments. Pur jus de power pop avec «The Way We Collide», sucré de frais et incroyablement loyal à l’esprit pop. C’est quasiment un hit. «You Don’t Work» est un cut de Zeus, dieu de la power pop. Terrific ! Marc Valentine plonge dans une décadence à la Peter Perrett avec «Love To Hate Me». Il trouve un superbe équilibre entre le souffle des power chords et les accents décadents. C’est incendié à gogo et relancé à l’encan. On s’effare aussi de la grosse intro de «White Light (Black Heart)», bien monté en neige sur deux accords. Globalement, l’album reste terriblement power-poppy. Pas d’échappatoire possible. Le son est plein comme un œuf, bourré à craquer d’espoir dans l’avenir. C’est ce qui fait leur force. Ils ne sont pas avares non plus de coups de génie, en voilà au moins un : «Werewolves», tapé au ventre à terre, Marc Valentine y va au running away from my mind, c’est tellement puissant, les Dreamers redonnent des lettres à la noblesse, c’est explosif et beau, relancé à tire-larigot, dans le grondement jovial de la belle power pop britannique.

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             Vient tout juste de paraître le nouvel album solo de Marc Valentine, Basement Sparks. Une vraie consécration ! C’est même l’un des meilleurs albums de power-pop jamais enregistrés. Ça éclate au Sénégal dès «Complicated Sometimes», ça pulse et ça pète en montant chez Kate, ça te transporte de plein fouet, puis avec «Skeleton Key», il bascule dans une frénésie surnaturelle, ses power chords tressautent de joie. Marc Valentine est sans le moindre doute le plus grand power-popper d’Angleterre. Son «Eve Of Distraction» est bourré d’énergie. Basement Sparks est un authentique smash, chaque attaque flirte avec le génie, il négocie chaque cut à la corde. Effarant ! Nouvelle attaque magistrale avec «I Wanna Be Alone». Marc Valentine règne sans partage sur la pop anglaise. Suite du déluge avec «Strange Weather» et «You Are One Of Us Now», il reste au sommet du genre, c’est un Annapurna de big ever. Une véritable marée absolutiste. Raw power de lumière. Valentine a tout bon. Il déclenche ensuite l’enfer du glam sur la terre avec «Opening Chase There». Tu ne verras pas beaucoup d’albums de ce niveau-là cette année. 

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             Un bel article salue d’ailleurs la parution de Basement Sparks. Où ça ? Devine. Oui, Vive Le Rock. Marc Valentine répond aux question de VLR. Il annonce que les Last Great Dreamers sont à l’arrêt - extended hiatus - mais pas de split en vue, ouf. Il évoque aussi son amitié avec Wreckless Eric. Ils sont voisins, on the UK east coast. Ils ont même fait deux cuts ensemble, qu’on trouve sur l’album introuvable, Future Obscure - He’s one of the best British songwriters of his generation - Puis VLR lui demande pourquoi il se retrouve sur le label de Little Steven. Oh, c’est simple : Little Steven passait Future Obscure dans son radio show. Marc Valentine rappelle au passage que Ginger Wildheart est aussi sur Wicked Cool. 

    Signé : Cazengler, last great frimeur

    Last Great Dreamers. Retrosexual. Bleeding Heart Records 1994   

    Last Great Dreamers. Crash Landing In Teenage Heaven. Ray Records 2014

    Last Great Dreamers. Transmissions From Oblivion. Ray Records 2016

    Last Great Dreamers. 13th Floor Renegades. Ray Records 2018      

    Marc Valentine. Basement Sparks. Wicked Cool Records 2024

    Introducing Marc Valentine. Vive Le Rock # 93 - 2022

    Sparks will fly. Vive Le Rock # 111 - 2024

     

     

    Automnales 2024

    (Tyvek, Youth, Isola et les autres)

    - Part One 

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             Il s’appelle Raphaël Balzany. Il a été balzané de son groupe, We Hate You Please Die. Depuis, il navigue en solitaire et monte d’autres projets. Le dernier en date s’appelle Isolation et dès la première seconde sur scène, tu sais que ce petit mec est une superstar. Isolation joue en première partie des Limiñanas, c’est pas rien. Ils doivent chauffer la salle. Pas de problème, ils vont te chauffer ça vite fait, on te l’a dit, en quelques secondes !

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    À lui tout seul. Il a des copains autour, mais c’est lui le focus, c’est lui l’œil du cyplope, c’est lui la bombe atomique. Il a toutes les mamelles du destin : la voix, la transe, le pull jaune et même ce qui ressemble à des compos de shaking-punk, de shaking-ce-que-tu-veux, car c’est inclassable, mais criant de véracité artistique, et il a tellement de niaque qu’il intensifie cette modernité d’être qui bien sûr s’ancre dans un punk-rock ravageur. C’est du pur wild as fuck. Désolé, il n’existe pas de mots français pour qualifier cette rage de vivre. Alors va pour le wild as fuck. Avec le wild t’as tout dit, et avec le fuck, t’as enfoncé ton clou dans la paume de la stance. Il va même jouer le fameux «We Hate You Please Die» qu’il avait composé quand ça n’allait pas bien, et il a tellement mal à chanter ça qu’il sort de scène vite fait, alors son pote guitariste se roule par terre pour donner corps à l’apothéose.

             On brûle d’impatience de revoir Raphaël Balzany et son scorpion. T’as un chanteur en France : c’est lui.

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             Alors tiens, puisqu’on parle de premières parties, en voici une autre : Underground Youth, un groupe de Manchester parti s’installer à Berlin. Craig Dyer est un mec coiffé d’un béret et vêtu de noir qui gratte une authentique Vox Teardrop, alors tu dresses l’oreille dès qu’il attaque son set. Et puis t’as une très belle femme debout au beurre, Olya Dyer : elle se contente d’une caisse claire et d’un tom bass, et elle fait le show. C’est elle qu’on regarde, vu qu’ailleurs il ne se passe pas grand-chose. Elle officie différemment sur chaque cut, elle tire admirablement son épingle du jeu.

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    Underground Youth tape dans une sorte de dark wave un peu mélancolique, qui frise souvent le mou du genou, et par moments, on s’ennuie comme un rat mort. Comme ce sont malgré tout des Anglais, ils savent mettre le turbo pour récupérer la salle au moment opportun et ça peut devenir apocalyptique. Dommage que tout le set ne soit pas apocalyptique. On se serait bien régalé. Mais bizarrement, après l’explosif «Last Exit For Nowhere», ils ont opté pour ce qu’on appelle un set à ventre mou, c’est-à-dire une série de cuts sans le moindre intérêt, tous très lents et qui n’intéressent personne à part eux. Ils terminent avec un «Hope & Pray» tiré de Mademoiselle et chargé d’échos du Velvet. Encore une fois, t’auras fait beaucoup d’efforts pour essayer de trouver ça bien.

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             Comme tu te crois malin, t’en déduis que ce n’est pas sur scène que ça se passe. Et tu décides de vérifier ton hypothèse en écoutant quelques albums, tiens par exemple The Perfect Enemy For God, un Fuzz Club de 2013. Ils y sont très New Order (berk). Pas de personnalité. Dès le premier cut, «Tokyo Blue», tu te demandes ce que tu fous là. Avec «Rodion», le Dyer sonne comme les Cure. Oh so Cure ! C’est assez subtil mais patacam/patacam. Certainement patacam. Jamais de la vie !  Le Dyer tente de s’en sortir avec une pop qui ne sait pas dire son nom. T’as zéro info sur le digi, juste la photo d’un mec qui s’emmerde dans son canapé. Tu vas de cut en cut et franchement, tu ne sais pas ce qu’il faut penser de tout ce bordel. Le Dyer manque de drive. Il se perd dans son Mekong. Zéro dynamique. Juste son nombril. C’est aussi mort que le concert. Avec «In The Dark I See», il se met en rogne, il en a les épaules. Mais il ramène son timbre de Nosferatu, alors c’est mal barré. Trop dark wave, trop zéro inspiration, ce son n’a jamais conduit nulle part. Avec «Itoal», il se prend pour Dylan. Encore un album qui ne vaut pas un clou et qui te laisse amer. Celui-ci est sans doute l’un des pires. Les Anglais ont un joli mot pour ça : boring.

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             Avec Montage Images For Lust And Fear, le Dyer bouffe à tous les râteliers, mais ce sont des bons râteliers. Par exemple le Velvet, avec «Last Exit To Nowhere». Il gratte à l’encan et ça part en trombinette d’hypno du meilleur acabit. C’est quasi-Sister Ray, avec une volonté bien affichée de beurrer la raie de Sister Ray. Très offensif. Le Dyer déclenche une grosse tempête de sable et ça devient très sérieux. Il fait tourner son «Death Of The Author» en bourrique et se montre top complaisant avec «Blind I». Il n’en sort rien de très définitif. Il s’énerve un peu plus avec «Blind II», mais il manque du charisme nécessaire pour passer à l’échelon supérieur. Il bascule dans le gothique avec «I Can’t Resist» et son «Anaesthetised World» se montre digne des jardins suspendus de Babylone. Ça ne bouge pas. Suspendu et inutile.

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             Tu tentes encore le coup avec The Falling. Il fait son Dylanex avec «Vergiss Mich Nitcht» et des coups d’harp. Mais son vieux coup de protest n’a aucun sens, dans ce contexte darko-intello. Ses cuts ne fonctionnent pas. «Egyptian Queen» est trop formel, trop collet monté. Ça pue l’amidon. Puis il se prend pour Leonard Cohen avec «And I». Il en joue, mais Leonard Cohen n’est pas un gadget. Tu décroches aussi sec. Merci Dyer pour tout cet ennui. Il cherche tellement sa voie qu’il finit par se perdre et pourtant, son «For You Are The One» est à peu près le seul cut qui tienne la route, en dépit de cette voix si ingrate, de cet accent si tranchant. Avec The Falling, tu dérives dans un petit océan de cuts inutiles, ça pue le déjà vu à tous les coins de rue. T’en finis plus de maugréer.

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             Leur dernier rejeton s’appelle Nostalgia’S Glass. Tu retrouves le couple Dyer sur la pochette. Et tu découvres à la lumière des notes de pochette que le Dyer fait tout, avec un certain Leonard Kaage qui fait aussi de tout. Dès «Emilie», le Dyer chante au dark cold qui va pas bien. Avec «I Thought I Understood», on se croirait chez les Cure, ce qui n’est pas un compliment. Le Dyer plonge encore dans les ténèbres avec «Finite As It Is». Il a la voix qu’il faut pour ça. T’as l’impression de retourner 40 ans en arrière, dans cette scène des Inrocks ennuyeuse et prétentieuse. l’anti Royal Trux. Et puis voilà qu’avec «Another Country», il part en mode garage surf. Il bouffe à tous les râteliers et cette fois, il chante comme Peter Perrett, ce qui vaut pour un compliment. Mais le reste de l’album (sauf peut-être «Omsk Lullaby», très Bunnymen) c’est patacam/patacam. Très dark et inutile. Sœur Anne, vois-tu venir l’intérêt du haut de ta fenêtre ?

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             Alors Tyvek, c’est une autre histoire. Pur stripped-down post-punk du Michigan. Tu ne peux pas espérer plus stripped-down que Tyvek. Rien à foutre de jouer au fond d’une cave devant dix personnes. Ils jouent. Ils ruent bien dans leurs brancards. Sont quatre, le lead sous une casquette, un grand bassman, un mec superbe au beurre et une petite gonzesse à la rythmique, Les quatre Tyvek n’en ont rien à foutre. Ils te dépotent leur set vite fait. Durée moyenne des cuts : 2 mn. Comme dirait Wayne Kramer : raw and honest. C’est de l’honest stripped-down. Tu retrouves l’esprit des trois albums parus sur In The Red : c’est du brut de décoffrage. Le mec n’a pas de voix, mais il s’y connaît plus que toi en rock’n’roll, il s’appelle Kevin Boyer, il gratte ses poux sur une gratte usée jusqu’à la corde et chante tout ce qu’il a dans le ventre. C’est le lead historique de Tyvek, depuis 20 ans. Ces mecs ne traînent pas en chemin. Ils te polissent un chinois vit fait. Merveilleuse équipe avec ses cuts de bric et de broc, c’est le rock qui te parle, sans chichis, un rock ric et rac criant de vérité, un rock-in-the-face sans peur et sans reproche.

             Il faut aussi savoir que Greg Ahee de Protomartyr a fait des backing vocals pour Tyvek, et Joe Foster (chanteur de Protomartyr) les cite parmi les dix groupes qui ont le plus compté pour lui. Tyvek pas vu Mirza ?

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             Jolie pochette pour le premier album sans titre de Tyvek. Coup de pot, il est au merch, alors tu sautes dessus, rien que pour la pochette et ses petits personnages en pâte en modeler. Tu sauves trois cuts âpres sur Tyvek : «Summer Things» (gros foutoir, oui, mais gros foutoir de Detroit. Pas de voix, mais Detroit), «Stand And Fight» (pas de problème, même si pas de voix), et en B, «Building Burning (Re-ed)» (big fast Detroit punk avec un Kevin qui se jette bien dans la mêlée). Bon tu peux en rajouter un quatrième : «Hey Una», car c’est du fast punk bien franc du collier. Pas d’arnaque. What you see is what you get. Remember le vieux Wysiwyg d’Apple ? 

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             L’album suivant sort sur In The Red. C’est donc une consécration. Larry Hardy ne s’était pas trompé. Nothing Fits vaut en effet le déplacement. Ça blaste aussitôt «4321», c’est même un extra-blast de Punk’s Not Dead, sans doute le pire blast de l’univers connu des hommes, chanté à la belle éplorée, avec des chœurs de lads atroces all over the place. Ils réinventent le punk-rock. Et ça continue avec «Animal». Ce sont des fous. Rien à en tirer à part du blast. Ils mènent tous leurs cuts à l’abattoir. C’est du Detroit punk. Leur état s’aggrave encore avec «Future Junk». Aucun espoir de rédemption. Leur blast finit par confiner au génie avec le morceau titre. Une horreur de no way out, un vrai blast chanté à la vapeur de vape. Detroit is alive & well. «Outer Limits» est d’une rare violence. Bravo les gars ! C’est vraiment très puissant. Ils passent au stomp de pilon des forges avec «Underwater» et là tu y vas. Les Tyvek ont ça dans la peau. Il faut que ça gratte au sang.  

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             Ils sont toujours sur In The Red pour On Triple Beams, un album épouvantable, taillé à la cisaille de hard power du Michigan. C’est même tapé dans le crâne. On retrouve l’excellent Greg Ahee dans les backings. Son noisy et vainqueur. On entendrait presque le Capitaine Fracasse. Ils sont très posty-Post. Ça sent la régurgitation de va-pas-bien. Le gratté de poux est comme coincé dans son coin. Ces mecs ne jouent que des idées. Ils aiment bien le ventre à terre. Ils adorent se jeter dans les murs, ou dans les platanes, ce qui revient au même. Les gros coups de Jarnac se planquent en B, à commencer par «City Of A Dream», le cut ronfle comme un gros motor de Motor City. Et puis attention à «Midwest Basements», c’est bien explosé du coconut de noix de cageot, bien tapé à l’occiput de bar à putes, solo à la Damned, bien cavalé sur l’haricot. Avec «Efficiency», ils passent à l’hypno. Ils arrivent dans les parages de «Sister Ray». Le screamer fou jongle avec les thinking et les drinking, alors qu’une ahurissante bassline traverse le son. Et là tu cries au loup ! Ils terminent cet album partiellement faramineux avec «Returns», une sorte de blast final pour tous les Damned de la terre. 

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             On reste à Detroit et sur In The Red avec Origin Of What. Toujours ce son âpre, sec. Pas d’info. Seulement du son. Débrouille-toi. «Minor Image Of» est gratté aux poux secs. Le morceau titre est assez élégant, contrebalancé au je-m’en-foutisme, chanté par devant et par derrière. Assez moderne, Assez dedicated to you. «Choose Once» sonne comme du punk-rock de Manchester. «Can’t Exist» est une espèce de Detroit punk saturé d’adrénaline. Sinon, le reste de l’album souffre d’un léger manque d’inspiration. Ils trempent un peu trop dans la Post. Rien n’accroche en particulier, tout est compliqué, un peu âpre. L’«Underwater 3» de fin sonne comme du New Order (berk). Ça veut bien dire ce que ça veut dire.

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             Leur dernier album s’appelle Overground. «M-39» te rappelle que t’es à Detroit. Belle rage punk noyée de cymbales, vite fait, bien fait. En B, tu craques aussi pour «Trash & Junk», très X Ray Spec, avec un sax in tow. Excellent. Pour le reste disons qu’il s’agit de Detroit punk harsh sautillant, if you see what I mean. Very raw & very honest, comme dirait encore une fois Wayne Kramer. Ils jouent un punk-rock sans détour, sans peur et sans reproche. Kevin Boyer introduit tous ses cuts au riffing punk. Toujours pas de voix, mais c’est pas grave. On a encore un joli foutoir avec «U-Hauls» et un bassmatic en harmoniques. Ils sont infatigables et même indémodables. Terriblement échevelés. On note la belle dignité du morceau titre, qui referme la marche et t’accompagne vers la sortie.

    Signé : Cazengler, auto-naze 2024

    Isolation. Le 106. Rouen (76). 20 septembre 2024

    Underground Youth. Le 106. Rouen (76). 31 octobre 2024

    Underground Youth. The Perfect Enemy For God. Fuzz Club Records 2013  

    Underground Youth. Montage Images For Lust And Fear. Fuzz Club Records 2019

    Underground Youth. The Falling. Fuzz Club Records 2021

    Underground Youth. Nostalgia’S Glass. Fuzz Club Records 2023 

    Tyvek. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 novembre 2024

    Tyvek. Tyvek. Siltbreeze 2009

    Tyvek. Nothing Fits. In The Red Recordings 2010 

    Tyvek. On Triple Beams. In The Red Recordings 2012 

    Tyvek. Origin Of What. In The Red Recordings 2016

    Tyvek. Overground. Ginkgo Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Polis Magoos

             Grâce à Magou, tu te retrouvais dans les pires situations. Ce virtuose de l’embrouille tirait sûrement ses facilités de ses origines kabyles. Si tu montais un coup avec lui, tu pouvais être sûr que ça allait dégénérer. Et ça dégénérait. En arrivant dans un bidonville de Nanterre, ses parents qui sortaient tout juste du bled avaient sans doute flashé sur le mot ‘magouille’ pour choisir de l’appeler Magou. Il était en quelque sorte prédestiné. Magou était bel homme, sans doute la quarantaine, des yeux clairs comme en ont parfois les Kabyles, et un collier de barbe bien dru lui donnaient une allure hédoniste, ce qu’il n’était pas du tout dans la réalité. Comme nous autres, Magou était confronté à une réalité brutale qu’on appelle la pauvreté. Il avait vite compris qu’il ne la vaincrait pas, même en travaillant. Il tenta de jouer le jeu pendant un temps, avec une succession de petits jobs humiliants, puis il décida de prendre ‘le bouc par les cornes’, comme il le disait si bien. Il proposait d’aller l’argent là où il se trouvait.

             — T’es sûr que c’est une bonne idée, Magou ?

             — Ti vas voil. Plou besoin di faile les jobs de melde !

             Il entrait dans la banque et tirait dans le tas. Il sortait avec le sac de sport rempli à ras bord et on filait tous les deux sur la mobylette. Il acheta aussi sec un appart pourri rue Ordener à ses parents pour les sortir du bidonville. Puis il décida de rééditer l’exploit. Même scénario, mais cette fois, la roue arrière de la mobylette creva. Normal, avec le poids de deux bonhommes et le gros sac.

             — Mits-toi là sul le tlottoil, j’y vais lépaler la loue avé la sicotine.

             C’était incroyablement risqué. Il se mit néanmoins à démonter le pneu, il cracha sur la chambre pour bien situer la fuite et colla sa rustine. Au loin on entendait les sirènes. Il souffla sur la rustine pour faire sécher la colle, attendit un moment, et soudain, il vit quelqu’un à la fenêtre su rez-de-chaussée en face. Il sortit sa pétoire.

             — Attends-moi, j’y leviens...

             — Qu’est-ce que tu fous Magou ? T’es malade ou quoi ?

             — Faut pas laisser li témoins. Faut nittoyer li qualtier.

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             Alors on va se demander quel rapport existe entre Magou et les Magoos. Il est pourtant évident. Au même titre que les Blues Magoos, Magou n’avait aucune chance de s’en sortir. T’en as qui s’en sortent bien comme U2 ou les Pink Floyd post-Barrett, et d’autres qui sont condamnés à la poisse, en dépit de brillants efforts. On est là pour saluer les brillants efforts, car c’est tout ce qui compte.

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             Dans Shindig!, Peppy Castro et Ralph Scala se souviennent du bon vieux temps des Blues Magoos. Ah comme on était jeunes en ce temps là ! - People think too much. We were having a ball and living it 24/7 - Peppy Castro va vite devenir le leader des Magoos. Ralph Scala joue de l’orgue et chante sur les gros hits. Mike Esposito est lead guitar, et Geoff Daking bat le beurre. Le bassiste s’appelle Ronnie Gilbert. Ça se passe à Greenwich Village. Ils auditionnent pour Bob Johnston, qui allait produire Highway 61. Puis ils sont pris en main par Longhair Productions et se retrouvent sur Mercury.

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             Le premier album des Blues Magoos est donc un fier Mercury de 1966, Psychedelic Lollipop. On l’a rapatrié aussitôt après avoir découvert leur cover de «Tobacco Road» sur Nuggets, en 1972. Music Action vendait les deux premiers albums des Blues Magoos à des prix qui n’étaient pas raisonnables, mais bon, comme on les voulait, on cassait la tirelire. Psychedelic Lollipop est ce qu’on appelle communément un big album. On y retrouve bien sûr le «Tobacco Road» épinglé plus haut, ils le tapent au beat fast & furious, c’est excellent et en plein dans le mille. Les relances sont des modèles du genre. «(We Aint Got) Nothing Yet» ouvre vaillamment le balda. Scala fait des étincelles au chant. Quand on les voit sur la pochette, on comprend immédiatement que ces 5 New-Yorkais sont fascinés par Brian Jones. Fin de balda avec une autre belle cover, l’«I’ll Go Crazy» de James Brown, attaqué au shuffle d’orgue - Ooooh I love you too much - Cover énorme, profondément véracitaire. En B, ça chauffe de plus belle avec «One By One», belle pop d’allure martiale, on se croirait sur un album de Geno. Pas loin des Byrds, en tous les cas. Ils passent au heavy blues de someday baby avec «Worried Life Blues». Classique mais tapé à l’incestueuse. Et ils bouclent ce brillant bouclard avec «She’s Coming Home», une pépite de wild gaga new-yorkais, un gaga d’orgue bien tempéré, très soupesé, très entier, très enclin à l’enclume, assez précipité dans le mur, mais par petites vagues.

             Psychedelic Lollipop est l’un des albums les plus consistants du genre, nous dit Brian Greene, un Greene ironique qui affirme que les Magoos étaient plus du genre à vous envoyer leur poing dans le nez que de vous tendre un bouquet de fleurs, comme c’était la mode à San Francisco. New York punks.

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             Malgré sa belle pochette, Electric Comic Book est un album complètement raté. Ils proposent une pop psyché très passe-partout. Ils tentent le coup du ventre à terre avec «Life Is Just A Cher O’Bowlies», on sent une grosse ability, une aptitude maximale, puis ils tentent un coup de Jarnac avec une version étendue de «Gloria». La tension est palpable, c’est vrai, c’est joué à l’orgue, mais ce n’est pas assez ramassé et ça se délite au fil de temps. La B est encore plus catastrophique et il faut attendre la belle dégelée de «Rush Hour» pour reprendre espoir. C’est le hit du Comic Book.

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             Mine de rien, Basic Blues Magoos est un très bel album. Ils tapent dans les Move avec une cover d’«I Can Hear The Grass Grow», pas aussi belle que celle de The Fall, mais ils font comme ils peuvent avec leurs petits bras et leurs petites jambes. Le «Wanna Be There» qu’on trouve plus loin et très poppy poppah, ils sonnent vraiment comme des Anglais et dégagent une belle clameur mélodique. En France, on appelle ça un coup de génie. En B, ils retrouvent leur entrain poppy avec «There She Goes», un cut qui sort lui aussi de l’ordinaire. Nous voilà conquis comme la ville de Troie. S’ensuit «You’re Getting Old», un très beau balladif monté sur un beat d’heavy blues, avec un beau son de basse et de belles clameurs de chœurs de lads. C’est excellent, incroyablement tentateur, digne de Brian Wilson. Là, tu t’inclines respectueusement devant les petits Magoos. Ils reviennent au heartbeat anglais avec «Chicken Wire Lady». C’est bien vu, bien balancé des hanches.

             Basic est enregistré dans la baraque du Bronx qu’ils occupent, et qu’occupait avant eux Gram Parsons au temps  de The International Submarine Band. Quand Gram décida de partir à la conquête de l’Ouest, les Magoos se sont installés dans la baraque. Peppy se souvient que Gram lui a fait fumer du pot.

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             C’est uniquement la curiosité et le hasard des bacs qui nous conduisit à l’époque à écouter leur quatrième album, Never Goin’ Back To Georgia. Plus rien à voir avec les albums précédents. Ils attaquent avec une version d’«Heartbreak Hotel», aussi aventureuse que celle de John Cale, jouée au xylo. Leur «Heart Attack» est tellement groovy qu’il pourrait être enregistré à Muscle Shoals. Par contre, leur cover de «The Hunter» ne vaut ni Albert King, ni Free. Ils tentent le coup, mais c’est pas beau. Peppy s’égosille encore en vain avec «I Can Feel It (Feelin’ Time)». C’est du Southern rock de petite vertu. Nouvelle surprise en B avec un morceau titre digne de Santana. Peppy essaye encore de faire son white nigger sur «Brokendown Piece Of Man», mais il n’a pas les épaules pour ça. Il a plus de chance avec ce vieux classique de Soul qu’est «Nobody Knows You We You’re Down & Out». 

    Signé : Cazengler, Magooyeur

    Blues Magoos. Psychedelic Lollipop. Mercury 1966

    Blues Magoos. Electric Comic Book. Mercury 1967

    Blues Magoos. Basic Blues Magoos. Mercury 1968

    Blues Magoos. Never Goin’ Back To Georgia. ABC Records 1969

    Brian Greene : The president’s council on psychedelic fitness. Shindig! # 145 - November 2023

     

    *

             Parfois les choses simples s’avèrent complexes, normalement c’était juste une vidéo à chroniquer, z’oui mais quand c’est noir, c’est noir.

    IDENTITE PERDUE

    CLAUSTRA

    (Les Productions Ecorchées - 23 / 11 / 2024)

             Mon cœur de rocker s’est ému lorsque j’ai entraperçu cette jeune Andromède sans visage dans sa robe de vestale, seule debout sur un rocher émergeant d’une mer écumeuse sous un ciel noir. De ses veines tailladée son sang s’écoule, victime lamentable à son sort offerte. Fallait que je la sauve, toutefois me fallait en savoir davantage sur ce Claustra band sans pitié prêt à immoler une jeune fille innocente à la fureur d’un océan meurtrier.

             Après quelques recherches j’en suis arrivé à la conclusion que ce band apparemment claustrophile n’était pas un groupe mais une personne seule. J’ai eu du mal à poser un nom sur ce prédateur sans pitié, ce loup solitaire, ce sacrificateur commis de lui-même aux basses œuvres de la cruauté humaine. J’ai réussi à l’identifier : Victor Leveneur.

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             Sur les photos l’a l’air tout jeune, toutefois j’ai pu dater son premier forfait en 2016. L’a tout d’un ado adorateur métalophilesque  sur sa chaîne You Tube MeltingGuitar, vous le voyez guitare en main et grognements microphoniques en bouche, reprendre des morceaux de Gorgoroth, de Dissection, de Fraugth… Sur sa page FB l’on comprend qu’il revivifie un vieux projet et que l’année dernière…n’anticipons pas sur le passé, il est temps de se jeter dans l’eau pour sauver cette jeune innocente subissant les insatiables assauts de Poseidon l’ébranleur de la terre et des âmes qui vivent à sa surface…   

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      Doomed : avec un tel titre vous savez au moins où vous mettez les pieds, après les premières giclées de guitares vous êtes cueillis par des ébrouements phoniques de sanglier surpris dans sa bauge, de quoi assurer une retraite stratégique, toutefois si vous restez stoïquement debout vous commencez par saisir comme en sourdine une certaine dimension mélodique en l’avalanche sonique qui fond sur vous, bonne intuition, vous voici en une ballade mélancolique empreinte d’une certaine langueur, évidemment vous vous en doutiez, le monstre se réveille et vous emporte dans une cavalcade infinie, le cercle de fer du destin vous emprisonne, vous vous consolez tout de même car parmi cette fureur vous percevez la beauté d’une soloïté infinie. Identité perdue : triste boucle guitarique, rien de plus tragique que de se perdre soi-même, c’est la folie qui surgit sur vous et vous étreint de son cercle serpentique, vous êtes dans la fosse aux lions et les morsures qui vous atteignent sont d’autant plus cruelles que c’est vous qui vous les infligez, un tourment sans fin et cyclique, dépressif et vous vous rapprochez de la solution finale, oppressif et vous vous débattez contre vous-même, une belle mise en scène orchestrale, une guitare qui se débat toute seule comme un scorpion qui cherche à planter le poignard de son dard dans son dos, sans y parvenir. Abandonnement : pas dépressifs, tâtonnements à l’intérieur de soi-même, comme si l’on allait le cœur brisé porter un bouquet de fleurs fanées sur sa propre tombe, ce qui n’empêche pas le vent de la colère contre soi-même de vous assaillir, car votre instinct de survie se joint à celui de votre mort, vous êtes au bord de l’abîme et vous vous battez contre vous-même pour vous jeter dans le vide, une glissade sans fin que votre esprit se plaît à imaginer, il est vrai que tout se passe dans votre tête, que votre psyché est devenu le théâtre cosmique de la chute du soleil de vivre dans les torpeurs tourbillonnantes de l’océan des turpitudes mortelles, Victor hurle avec la voix de l’ogre qui va dévorer le petit enfant perdu que vous avez toujours été, il tente de vous finir à coups de pelles riffiques, mais sans doute est-ce vous qui vous distillez ce supplice mental, êtes-vous mort, êtes-vous vivant, quelle différence ? Through the woods : rien n’est plus triste que d’errer sans fin dans les bois spectraux d’arbres squelettiques dont les branches acérées vous griffent le visage, criez, hurlez, tant que vous le voulez, n’oubliez pas que vous tournez en rond en vous-même, que rien ne vous sauvera puisque vous êtes perdu dans vos propres et sales pensées, elles forment une barrière poreuse mais infranchissable, vos blessures, intérieures et charnelles purulent, vous vous n’êtes jamais égaré si loin au fond de vous-même. Descente aux enfers : à force de chercher l’on trouve, vous êtes sur le bon chemin, le noir, celui qui descend, celui de la pente infernale, déjà vous entendez le hurlement du chien féroce, et vous descendez les marches en courant, pour un peu vous glisseriez et vous vous fendriez le crâne sur une marche, reprenez-vous, vous n’allez tout de même pas perdre votre vie avant d’avoir atteint le fond du fond, ne serait-ce pas cruel si près de Styx, soufflez, courage et détermination, il est interdit d’abandonner si près du but, le vocal vous raille et vous admoneste, il vous pousse dans le dos vers la destination finale. Sorrow I : vous avez réussi, vous avez franchi la porte fatidique, le problème c’est que de ce côté-ci ce n’est pas très différent de celui que vous venez de quitter. Une douce guitare vient à votre secours, elle vous console, elle vous caresse, tout compte fait vous n’êtes pas si mal que cela dans la prison dans laquelle vous vous êtes enfermé. Bear the pain : tant pis pour toi, le monde n’est pas un lit de roses, supporte les épines que tu sèmes et plantes en toi-même, que peut-on faire pour toi sinon te regarder avec un sourire sardonique et réaffirmer ces quatre vérités que quelque part tu chéris, il faut appuyer là où ça fait mal, soit pour que le chagrin s’immisce jusque dans le calcaire de tes os, ou pour que le mal ressorte comme les bubons suintants d’un lépreux consentant. Une certaine jouissance à te faire du mal, par toi-même et par les autres à se moquer de toi à t’obliger à te mirer dans le miroir de leurs paroles désobligeantes. Le monde est un énorme comprimé de souffrances dans lequel tu mords à pleines dents. Sorrow II : et te voici replongé en toi-même, entre les hauts-murs de ta souffrance, tu erres et tu te frappes la tête contre les briques de ton enceinte fortifiée. Faible espoir : il n’est point de prison dont on ne s’évade pas, tout labyrinthe possède une entrée qui est aussi une sortie, guitare et vocal crient leurs encouragements, à toi de jouer, à toi de remonter la pente, laisse-toi guider par tes pieds si ta tête est encore incapable d’échafauder une quelconque idée d’évasion, l’instinct est plus fort que la pensée, laisse-le faire, suis-le, dernière chance, elle ne reviendra pas, tire-toi de ton bourbier, sors-toi de ton marécage, extirpe-toi de la lagune aride de la mort, bande toute ta volonté pour te désenliser de ton cloaque, l’espoir est faible mais ne pense pas que ta faiblesse soit ton espoir. Dull : tu en es là, un couteau émoussé qui ne peut trancher le cuir épais et coriace de la vie qui te résiste, de laquelle quel tu t’es retranché, à toi de fournir l’effort désiré, à moins que tu ne le désires pas, si tout est en toi, le rien fait aussi partie de toi, sois ou ne sois pas, tu as posé ce revolver sans balle sur ta table de nuit, regarde dans le tiroir il contient un chargeur, à toi de l’armer si tu veux, ou de t’armer contre toi-même, toi seul tu sortiras du piège dans lequel tu t’es laissé tomber et que tu t’étais tendu.

             Nous laissons donc notre égérie symbolique, sur son rocher nous y reviendrons bientôt. Plongeons-nos dans le trouble passé de ce trublion troublant. L’est certain que sa guitare nous a remué, mais continuons notre enquête.

     

             En décembre 2023 le groupe Once Upon the  End dans lequel officiait Victor Claustra a sorti un EP quatre titres, Archives 200, dont un enregistré avec leur ancien membre adepte de la claustrophobie.

             Je ne voudrais pas être méchant mais sur la couve z’ont l’air de pirates particulièrement dangereux. J’adore les pirates, rien qu’à leur look je les ai retenus d’office pour la livraison 669. En attendant penchons-nous sur :

    WE ARE THE DEAD

    ONCE UPON THE END

     (Featuring Claustra)

    Excusez le jeu de mots :  des deadfaitistes, ce n’est pas de leur faute, la situation est grave, je ne vous fais pas un dessin, vous la connaissez autant que moi, que nous soyons en situation pré-ou-post-apocalyptique ça ne change pas grand-chose. Ce petit topo pour vous mettre dans l’ambiance, elle n’est pas morose, elle est mort au rose des jours heureux.

     Ezalyr & B0rn : vocal / Koal : guitare rythmique / Loerk & B0rn : guitare solo / Groly : basse  / Tentrom : batterie.

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             Une guitare aussi morne que la plaine de Waterloo, tout de suite après une explosion brutale mais pas féérique, plutôt feu horrifique et des growlements, des grognements de bête humaine acculée dans le cul de basse-fosse du monde, une rythmique bulldozer qui concasse en graviers sanglants les espoirs que vous n’avez plus, des explosions horrifiques et une guitare nostalgique sur un chant aussi fragile qu’un souvenir estompé  qui revient fou de rage et d’impuissance, l’impression que tout s’écroule, que tout est définitivement achevé, une voix se fraie un chemin parmi les décombres de la moulinette, presse-purée, les consciences sont passées à la moulinette de l’impuissance rien ne sert de crier, il est trop tard, non seulement nos enfants ne nous sauveront pas mais ils nous précipiteront dans la gueule ouverte du Moloch, tous engloutis dans le feu de la destruction pure. Mieux vaut être mort.

     

             Victor Leveneur alias Claustra ne s’arrête pas en si bon chemin, il fait aussi partie d’un autre groupe qu’il qualifie de toujours actif, qui n’a à ce jour sorti qu’un seul EP :

    FIEVRES SEPULCRALES

    GRISI SIKNIS

    (Black Metal Production / Mai 2019)

    Victor Leveneur : guitares, basse, programmation / Ludovic Lafferayrie : vocal.

             Grisi Siknis ou fièvre de la jungle est le nom que le peuple Miskito d’Amérique centrale donne à ces espèces de crises de folie communicatives dont sont victimes les jeunes filles qui pensent être agressées et violées par des esprits diaboliques… Il existe toute une littérature médicale et psychologiques sur ces phénomènes que l’on retrouve sous des formes plus ou moins voisines chez de nombreux peuples. En France au dix-neuvième siècle l’on a souvent parlé de crises d’hystérie, ce terme est aujourd’hui amplement remis en question…

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             Une pochette éloquente. Un oiseau de mort point perché sous un arbre tenait en son bec les germes invisibles de la mort. L’existe une autre image, est-elle censée évoquée les deux membres du duo ou est-elle pour rappeler que deux augures qui prophétisaient la mort ne pouvait se regarder sans rire.  Plus doctement nous  rappellerons  que les masques d’oiseau que portaient les médecins qui tentaient de soigner les malades de la grande peste médiévale étaient emplis d’un mélange thériaquite peu ragoûtant d’herbes médicinales et d’autres substances inquiétantes afin de protéger leurs voies respiratoires des miasmes délétères qui empoisonnaient l’air.  Imaginativement ces becs pointus évoquaient les oiseaux voletant autour des gibets dans l’espoir de gober les yeux des pendus.

    Grisi Siknis : l’on reconnaît la guitare noire de Victor secondée par une boîte à rythme méchamment efficace, bref Victor fournit la toile de fond mais c’est la voix de Lucdovic qui distille le poison à foison, elle vous prend, s’infiltre à vous et ne vous lâche plus, une marque infamante dont vous ne pouvez vous débarrasser, d’ailleurs vous n’en n’avez aucune envie tellement vous êtes plongé dans ce point central non pas celui dans lequel les contraires s’annulent, mais celui où la folie et la mort se rejoignent et s’emboîtent si parfaitement que vous ne savez plus laquelle des deux est le corridor qui donne accès à l’autre. Goûtez le rire des possédés, c’est une denrée ouïstique assez rare qui conjugue orgasme et over game. Necromorphose : l’entrée en matière évoque le clopinement amblique d’un alezan maladif, mais l’orange vire vite au noir, est-ce le destrier noir de la mort qui se dirige vers vous, à moins que ce ne soit la pouliche safranée qui vous atteindra en premier, le terme de nécromorphose porte les germes d’une double avanie, signifie-t-il que vous êtes la proie d’un bacille meurtrier ou victime d’une rupture psychologique. Est-ce la mort qui s’avance sur vous ou votre volonté secrète qui vous pousse vers propre folie. Entre deux maux, choisissez les deux. Ce qui est sûr, c’est que le rythme vous entraîne et vous pousse en avant.  Stigma : horreur absolue, votre âme pleure car sur votre chair fleurit le stigmate infâme qui vous sépare des vivants et vous isole des morts, vous êtes dans l’entre-deux, goûtez la guitare qui met un mollo sur sa hargne et la voix implacable qui tranche net vos illusions, vous êtes au point de séparation, sur le sentier de crête, le moment où l’esprit vacille telle la quille d’un navire qui ne sait de quel côté il va sombrer, l’instant où le corps se tord en un rapport onaniste, en un suprême désir de survivance… Vous êtes marqué au fer rouge de vos incapacités à ne pas savoir ce que vous voulez être. Ou ne pas être. Abysses : averse tsunamique de guitares et hurlements de terreur, tu erres dans les abîmes de la déréliction, au plus profond des gouffres océaniques de la perdition, adoucissement une voix résonne, l’eau de la folie submerge ton cerveau qui flotte tel un iceberg à moitié fondu, pas de pitié, les moines prient pour ta surmort, ici c’est la société qui te condamne, tu te méfies d’elle et tu te fies encore à toi, mais pour combien de temps hallucinatoires, n’est-ce pas le degré absolu de la démence de se prendre pour toi et pour tous ceux que tu n'es pas. Fièvre noire : vous allez haïr Ludovic et son vocal comminatoire, le grand inquisiteur de ta conscience sur le point de se perdre en elle-même, par contre Victor vous séduira, il tisse des festons et tricote des dentelles, c’est beau, c’est doux, c’est lyrique, c’est ensorcelant, Ludovic t’interdit le chemin du retour vers la folie, Victor te pave le chemin de l’enfer de tes meilleures intentions. La fièvre noire terminus.  Black fever for ever.

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             Si vous aimez le black and death metal, vous aimerez Grisi Siknis à mort.

     

             Nous n’en avons pas fini avec la couve d’ Identité perdue de Claustra. Elle est créditée : L’œuvre au noir. La curiosité est un vilain défaut. Je prends mes claques et je clique. Je tombe sur L’œuvre au noir, full lenght album sorti en juin 2024 du groupe français Brüle, je ne suis pas satisfait, clic-clic-clac-clac-cloc-cloc-cluc-cluc- cthulhu… et là je tombe sur le graal.

    LA FIN DE SATAN

    L’ŒUVRE AU NOIR

    ( Bandcamp / Mai 2024)

             Le titre me foudroie. La Fin de Satan, peut-être le recueil de poésie le plus puissant de la grande lyrique française, œuvre inachevée mais totalement accomplie de Victor Hugo. Un de mes textes essentiels, j’y ai déjà fait allusion à maintes reprises dans diverses chroniques sur le black metal ou de noires K7 underground qui ne se revendiquent pas du courant métallique.

             Reste à connaître ce groupe qui ose s’attaquer à cet Himalaya noir. Je pousse un deuxième rugissement de joie. Je connais.

             L’œuvre au noir est un duo composé d’ :  Erszebeth : chant + all Instruments et de G.H.O.S.T : all instrument.

             Nous les connaissons déjà sous l’appellation : Stupor Mentis. Nous avons consacré trois chroniques à leur adaptation du Prometheus Unbound de Percy Bysshe Shelley : voir 478 du 01/ 10 / 2020  -  495 du 28 / 01 / 2021 – 506  du 12 / 10  / 2021. La livraison 480 du 12 / 10 / 2020 est dévolue aux peintures d’Erszebeth, et dernièrement la 645 du 16 / 05 / 2024 a rendu compte de leur version du poème Darkness de Lord Byron.

             Le Diable a horrifié le Moyen-Âge, en 1667 John Milton publie en Angleterre, pays romantique par excellence, Lost Paradise. Etait-ce la volonté de Milton mais sa présentation de Lucifer dresse le portrait d’un personnage fascinant. Pour s’opposer à Dieu un grand courage est nécessaire, le Révolté qui se lance dans une entreprise condamnée d’avance n’est-il pas un héros malheureux envers lequel, malgré sa défaite, ou à cause de celle-ci, lecteur ne peut s’empêcher d’éprouver admiration et sympathie. Le livre sera traduit en 1831 par Chateaubriand. Ce n’était pas la première traduction parue en France, mais jusqu’à la fin du dix-neuvième  siècle ce fut celle qui prévalut. Qui marqua les esprits et induisit les intelligences curieuses à se tourner vers la figure controversée du Diable

             Le romantisme français n’a pas échappé à l’attrait exercé par Lucifer.  L’esprit français est tant soit peu philosophique ou du moins épris d’un certain besoin de clarté et de rationalisation. Pays de Descartes et de Voltaire. Le premier estime que Christianisme et Raison ne se contredisent pas. Entendez les ricanements du second.

             En 1824 Alfred de Vigny met le feu aux poudres en publiant un poème en trois chants, aujourd’hui hélas bien oublié, Eloa, ou La Sœur des Anges. Mystère. C’est en ce dernier mot que réside le poison. Car l’Histoire racontée est des plus compréhensibles : Eloa, toute belle, toute pure, toute innocente tombe amoureuse d’un beau ténébreux qui se révèlera être Lucifer qui l’emportera avec lui en Enfer… Histoire morale, pas de quoi fouetter un chat s’exclameront les esprits contemporains. Oui, mais le problème est ailleurs : pourquoi Dieu permet-il qu’un être innocent soit séduit sans que Lui qui est Amour y mette son véto ? Si Dieu est le bien, pourquoi laisse-t-il  le mal agir en toute liberté ? Pour Vigny Dieu ne propose aucune explication, l’athéisme sera la réponse de Vigny au silence de Dieu… Or si l’on refuse Dieu, c’est enlever au Trône sa légitimité qui repose sur la volonté de Dieu… Tremblement de terre politique…

             Alphonse de Lamartine fut le principal rival de Victor Hugo. Leurs destins offrent quelques similitudes, tous deux sont poëtes, tous deux exercèrent des fonctions politiques historiales qui ne furent pas sans effet sur la France. Lamartine publie en 1838 une vaste épopée La Chute d’un Ange (quel hasard !) qui devait être incluse et suivie d’un immense poème : Les Visions dont il ne reste que quelques fragments. Du christianisme Lamartine ne garde que la figure d’un Dieu bon par nature, mais il refuse le dogme clérical, notamment l’idée de l’Enfer et du Diable…

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             En 1854, Victor Hugo s’attelle à deux vastes poèmes qui doivent couronner La Légende des Siècles, histoire de l’Humanité, La fin de Satan et Dieu (aussi nommé : Solitudines Coeli), le premier est le poème de la chute autrement celui de l’explication de l’existence du Mal, le deuxième celui de la remontée de l’Homme en l’Idée de Dieu. En 1859 et 1860, il reprendra les deux manuscrits, mais il les laissera inachevés… Ils ne seront publiés qu’après sa mort.

             Le lecteur qui veut comprendre le système philosophico-religieux hugolien sans perdre trop de temps se contentera de lire le sonnet Vers Dorés de Gérard de Nerval qui synthétise les milliers de vers d’Hugo en deux quatrains et deux tercets. Nerval, le plus secret de nos romantiques, a aussi exprimé à sa manière le sentiment de la béance d’incomplétude générée par les religions antiques et monothéistes. Que croyez-vous que sont Les Chimères… Mais ceci est déjà une autre histoire.

             Vu de nos jours ces écrits peuvent paraître surannés ou anecdotiques, ils furent en leur époque d’immenses coups de boutoirs, souterrains certes, aux conséquences d’ordre avant tout politique. Il est bon de les relire aujourd’hui, trouble période où le retour du religieux s’insinue d’une manière de moins en moins discrète dans le domaine du politique. Comme, accroché à des serres prédatrices, le serpent venimeux se débat et tente d’étouffer l’aigle qui l’emporte pour l’offrir en pitance à ses oisillons.

             Lucifer, le porteur de lumière, qui s’oppose à la puissance de la totalité totalitaire du Seul Dieu est devenu dans l’imagination populaire le Rebelle par excellence, celui dont on aime à se rallier d’une manière ultra-symbolique dès que l’on entre en conflit avec l’ordre du monde qualifié d’injuste. L’appel à Lucifer reste souvent sans effet, certains esprits afin de lui donner davantage de force, puisque la lumière luciférienne s’avère non opérative, se rabattent alors sur sa puissance satanique et ombreuse… Beaucoup de groupes de metal usent de cette ambivalence luciféro-satanique… A la connaissance lumineuse et exotérique l’on préfère  les couloirs obscurs des savoirs et rituels ésotériques. En exil d’abord à Jersey où il prépare la publication des Contemplations puis réfugié à Guernesey dans sa demeure de Hauteville house battue par les vents et les tempêtes, en même temps qu’il remet en chantier La Chute de Satan, Hugo fait tourner les tables, c’est sa manière à lui de se pencher sur le gouffre insondable et de faire parler ce qu’il appelait la Bouche d’Ombre…

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    Hors de la terre : une chute sans fin, l’on se prend à rêver que cette ouverture qui ne dure guère  plus de quatre-vingts secondes ne s’arrêtât jamais, il nous aurait fallu au moins deux ou trois éternités pour  prendre conscience de la malhonnêteté de la Chose ontologique qui tombe, il est vrai que nous sommes quelque part en l’espace éthérique sur lequel le temps n’a aucune prise, c’est l’Adversaire qui choit au fond du gouffre, pensons que cet abysse sans fin communique avec le puits infini de notre âme… Nous sommes au plus noir de ce que les alchimistes nommaient l’œuvre au noir, avec cette différence essentielle que Satan ne peut pas mourir.   Comment traduire en musique ce qui normalement devrait s’apparenter au silence le plus absolu. Nulle tonitruance ne saurait rendre compte de cette annihilation métaphysique. Ce sera donc un bruit, un sifflement, des échos de présence, des grondements, du vent, des voix et puis plus rien. Une césure. Et nox facta est : le terme précédent pour rappeler que nous entrons dans le royaume de l’alexandrin, dans le texte sacré, enfin plutôt maudit, d’Hugo, mais nous voici en un autre pays, celui du Black Metal qui n’entend faire aucune concession aux pompeuses modulations des récitations ampoulées, déferlance éructative, une rythmique sans pitié, n’empêche que si vous êtes attentif vous entrez dans le texte, certes il n’y a plus la rime mais il y a le crime, et cette voix douce d’Erszebeth tendue comme branche secourable pour arrêter la chute du Titan qui en profite pour ricaner à la face lointaine de Dieu,  la chute recommence, le rythme s’alentit, car lorsque l’on chute dans l’infini que votre chute approfondit, la vitesse n’a plus de sens, vous êtes en même temps en mouvement et comme en suspension… Si vous ne comprenez pas, ce n’est pas de votre faute, c’est que le monde s’est obscurci, par votre propre faute. Le grand banni : turpitude phonique, rien ne sert de crier, Erszebeth chuchote, les vers sortent de sa bouche comme si elle était morte sous une énorme motte de terre dans la tombe, nous sommes au cœur du drame, Satan prend son parti, il a peur mais déjà il délimite son royaume, les sonorités funèbres de violoncelle computérisé entrecroisées dépeignent le noir qui envahit son royaume, vocal âpre comme éjaculé par une gueule de vipère satisfaite de sa cruauté, Erszebeth raconte une terrible histoire, elle insiste, elle parle à Satan comme s’il était un enfant privé de dessert, elle a pris une exécrable voix de sorcière, mais la punition est terrible, lui le porteur de lumière vivra dans un immense cachot aux murs teintés de la plus profonde obscurité. Il ne frappe pas à la porte, n’est-il pas lui-même la porte qu’il a refermée sur lui-même, il court vers l’infime étincelle de lumière, elle est là-haut, à des hauteurs inimaginables, alors lui qui a chuté prend son vol vers cette dernière lueur. L’archange, qui n’est pas un ange, ne chute plus, il monte. La ruée vers la nuit : Erszebeth a gardé son timbre d’ogre qui raconte l’histoire du Petit Poucet a des enfants perdus dans la nuit qu’il a recueillis, accompagnement mélodramatique, un océan de turpitude dont les vagues infinies et perpétuelles se suivent dans une immense horreur, Satan est au plus profond de son trou, il remonte, va-t-il implorer la pitié, non c’est au creux extrême de sa déréliction qu’il monte vers le dernier luminaire de son univers qu’il  accepte son sort, cette lumière espérée il lui souffle dessus comme Cioran essayant dans ses livres d’éteindre l’impitoyable bougie de l’être,  étrangement cette scène fébrile débitée implacablement semble être transcrite en tant qu’une  statufiante photographie vocale afin d’en traduire la perpétuité, pour enfermer Satan dans sa déchéance et le retenir prisonnier dans son infatigable combat contre la lumière de Dieu.  L’âpre abîme : hachis accéléré, c’est le jeu du chat et de la souris, Satan tente de rattraper le soleil qui s’éloigne dès qu’il s’approche de lui, nous sommes au cœur de l’action, des voix psalmodiantes s’élèvent comme le son de l’harmonica dans Il était une fois dans l’Ouest, point de vocal, rien que la noirceur des fleurs d’abîmes que sont le son des violoncelles, gargarismes de gorges en feu, Satan va-t-il arriver à ses fins, il atteint l’astre évanescent, il est au sommet d’une haute montagne, il lui a fallu plus de dix mille ans pour y parvenir et être ainsi à la portée de sa proie… La mort du soleil : la fin de l’histoire sordide, la mort du soleil, presque le Crépuscule des Dieux, pas de chant, des contre-chœurs oui, sépulcraux, procession funeste, le chat n’attrapera pas la souris, le soleil ne veut pas mourir, il se débat, Satan impuissant ne peut qu’assister à sa longue agonie, l’astre se se tord, il n’entend point laisser la place à la nuit, lui aussi n’est-il pas un porteur de lumière, mais lorsqu’il s’éteint ce n’est pas l’obscurité qui l’emporte, mais quelque chose de plus hideux, informe et infini : le néant. Au bord du gouffre où rien ne change : rien ne sert  d’avoir tout perdu, encore faut-il savoir et regretter ce que l’on a perdu. Un trait de lumière tel le testament de l’astre mort, la lumière éblouissante, serait-ce le retour espérée, tout y concourt et le rythme effréné et cette voix accélérée, long passage comme si l’astre en son zénith allait s’arrêter, cri de désespoir la lumière retombe, le royaume de Satan sera celui de l’obscurité, la lumière est l’apanage du ciel de Dieu, le partage est établi, nous sommes au plus profond du noir, au plus profond du désespoir, seule palpite une dernière plume brillante échappée d’une des ailes de l’ange déchu. Promise à l’abîme. Le sage : tempête de violoncelles, nous sommes au cœur du désespoir, le sage ne désigne pas Satan, mais l’Homme, du moins les meilleurs d’entre eux, les sages, qui eux aussi  sont victimes du même désespoir qui étreint l’âme perdue de l’archange déchu. Murmures imprécatifs, accompagnés des trompettes du jugement premier, celui que le Sage porte sur le mystère insondable de l’univers, toutefois il suppute l’existence de quelque chose de terrible, d’un secret, d’une explication qui serait à l’origine de cette nihilisation de tout effort de penser, se pencher sur l’abîme d’inconnaissance absolue n’apporte aucune connaissance. Comme si elle était interdite. Le lépreux : la parole est au lépreux. Il décrit son cas. Lui aussi a une voix de serpent, celui qui  rampe dans sa laideur, qui se trémousse dans la fange, le rythme le hache menu, est-ce de sa faute, mérite-t-il son sort, les hommes le haïssent, Dieu l’a oublié, la beauté de la terre n’est pas pour lui, le morceau se termine sur un grondement sans fin, l’écho d’un train qui s’enfuit dans la nuit… Mais où est Satan. Celui qui s’est opposé  à Dieu et dont le lépreux ne parle point, sait-il seulement qu’il existe, peut-être pense-t-il que son sort à lui de banni sur la terre est plus difficile que celui de l’Adversaire qui est tout de même le maître de l’Enfer. Il est tombé bien bas, mais il a côtoyé Dieu. Il est une légende vivante. Le lépreux enfermé dans sa chair pourrissante a d’autres chats à fouetter. Il rejette la responsabilité de sa déchéance sur Dieu, il n’a pas fait la relation entre la chute de Satan et le Mal qui s’est répandu sur terre. La plume de Satan : ce texte n’est pas le dernier de La Fin de Satan. Il se situe encore dans Hors de la terre. Dans la partie mythologique, si l’on ose employer ce vocable, du recueil. Nous sommes pourtant sur l’arête de sa déclivité. Dans les autres parties nous descendrons du côté des Hommes, Dieu ne sera plus le Dieu mais le Verbe évangélique. Pour le moment l’heure est grave, la plume tombée de l’aile de Satan, palpite et les anges du Paradis descendent la voir et admirer à travers elle la lumière du Porteur de lumière qui était l’égal de Dieu puisqu’il s’était attaqué à Dieu, même si Lucifer s’est transformé en Satan, ce deuxième avatar fascine autant que le premier, peut-être davantage, de la plume naît un ange que la voix de Dieu baptise Liberté. N’est-ce point-là pour Dieu la reconnaissance de tout être à choisir librement ses actes, fût-il de s’opposer à lui. Une espèce d’abdication morale de renoncement à sa toute-puissance. Ce finale est prodigieux. Il allie force tempétueuse et éplorations implorantes. Même vaincu, du fond de son royaume infernal, l’esprit de Rébellion de Satan fait des émules. Dieu a du souci à se faire.

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             La suite au prochain numéro, constituera-t-elle un deuxième album de L’œuvre au Noir. La principale difficulté d’une adaptation d’un tel texte était de s’aventurer dans une émulsion néo-classique, même en restant dans le domaine du rock il était facile de tomber dans le grand style pompier des reconstitutions épiques maladroites. Ils ont préféré, proféré, s’approcher d’une œuvre aussi démesurée, en restant eux-mêmes tout en se mettant à son service. Sans rien renier de leur démarche qui consiste de se mesurer aux falaises rayonnantes de la poésie, entre autres romantique, afin de réaliser l’œuvre au rouge de l’alliance granitique de la culture populaire avec celle dite classique, savante, voire stupidement dénigrée sous la stupide accusation d’élitisme.    

             Même si c’est un premier album, l’on peut décréter qu’Erszebeth et G.H.O.S.T. ont su rester fidèles à l’esprit de Stupor Mentis, créé en 2015, arrêté en 2021. Nous apparaissent comme une figure de proue intensément originale du renouveau du black metal.

    Damie Chad.