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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 708 : KR'TNT ! 708 : GYASI / SHANGRY-LAS / BRITTANY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION NEW / BOB MOSLEY / ALEISTER CROWLEY / OIL BARONS / SPACE CADET

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 708

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 10 / 2025

     

     

    GYASI / SHANGRI-LAS / BRITTANY DAVIS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BOB MOSLEY / ALEISTER CROWLEY

        OIL BARONS / SPACE CADET

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 708

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Easy Gyasi

     (Part Three)

             Malgré son air con et sa vue basse, l’avenir du rock adore briller dans les conversations mondaines. Un soir, alors qu’il dîne avec ses amis chez Bofinger, la sorcière Crapulax lui fait cette remarque délicieusement acerbe.

             — Avenir du rock chéri, d’où te vient cette manière ascétique de découper ta dorade avec le petit doigt levé ?

             — Oh, sans doute est-ce dû à l’influx superfétatoire du paradigme de l’esthète, dont l’incarnation reste, à mon sens, Michel Gyasi, l’efflanqué coruscant des Jeux de Tokyo.

             Caressant son bouc, Bill Abitbol reprend la balle au bond :

             — On ne t’imaginait pas installé devant un récepteur de télévision, cher avenir du rock...

             — Je vendrais mon âme au diable pour voir un homme courir dans tous les Gyasimuts !

             — Et toi, cours-tu ?, ricocha l’Abitbol...

             — Non, mon bon Bill, mais Gyasi toujours selon ma conscience...

             Fascinée par l’éclat de ses réparties, Marie-Paule Lépaulette interpelle l’avenir du rock :

             — Imagine qu’un matin, tu te réveilles et tu décides de bâtir un empire, avenir du rock chéri... Quel continent choisis-tu d’envahir ?

             — Gyasi mineure, sans la moindre hésitation ! Et comme Alexandre, je repousserai les frontières jusqu’au Gyasimbabwe et bien sûr je réduirai en esclavage tous les Gyasigotos et tous les Gyasigomars et tous les Gyasigouigouis !

             — Et s’ils fomentent des révoltes, très cher avenir du rock ?

             — Je les Gyasigouillerai ! C’est pas des Gyasigounettes qui me feront Gyasigzaguer !

     

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             Maintenant, Gyasi n’a plus qu’à se montrer digne des réparties cinglantes de l’avenir du rock. Il arrive sur scène moulé dans un juste-au-corps bleu clair assorti au fard bleu de ses paupières. Il est magnifique de glitter. Il y a du Ronno et du Ziggy

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     en lui. Il s’empare de sa Les Paul orange pour rocker le boat, et dame, le boat n’en demandait pas tant. Gyasi te le rocke au-delà de toutes tes expectitudes. Il est devenu en peu de temps le maître des Orlok, l’Ansphératu des Amphitryons, l’Abyssal des Abyssino no no, le glimmer twin du Twist & Shout, la réinvention des conventions, le redémarrage en côte du Ziggysme, le Spider from Marche ou crève, le Stardust du lust, il est frais comme un gardon, sexué comme l’enfer de ta bibliothèque, glam dans l’âme, mais on voit bien qu’il pourrait faire du Led Zep ou de l’Humble Pie aussi

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    bien que le Ziggy Bolan-malan dans lequel il s’est jeté tout entier. Gyasi est l’artiste clé de son temps, le hero for one day, il est là pour un soir et dépêche-toi d’en profiter, car comme tout, cette classe est éphémère, il passe d’un genre à l’autre sans crier gare, il stompe son «Cheap High» et plonge son public dans la dramaturgie d’«American Dream», il te bluffe complètement car il réincarne le temps d’un cut ce qui fut en son temps un sommet, le «Rock’n’Roll Suicide» de Ziggy Stardust. Tu

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     frémis autant qu’à l’époque du Suicide, car Gyasi est d’une véracité à toute épreuve. Mélodiquement, le cut se tient et flashe bien dans la nuit. Gyasi a maintenant une belle collection d’hits under the belt, il peut aller conquérir les scènes du monde entier et engranger des dizaines de millions de nouveaux fans, son glam-rock colle bien au papier, ça jerke dans les tibias et derrière il a le guitar slinger idoine, rien ne peut donc plus l’arrêter, oh no no no baby ! Encore du joli stomp de glam avec «Tongue Tied», on a déjà entendu ça à l’époque, mais ça passe comme une lettre à la

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    poste, car cette superstar campe merveilleusement bien son camp. Tu lui fais aveuglément confiance. Ces quelques gouttes de glam dans un monde de brutes sont une bénédiction. T’as les accords du «Jean Genie» sur «Sweet Thing» et ceux de Marc Bolan sur ce «Baby Blue» qui te replonge en plein dans Electric Warrior. Quel magnifique hommage ! Tu ne peux pas réinventer le glam, tu ne peux que le célébrer, comme on célébrait autrefois les dieux de l’Antiquité. Gyasi est le fils de Dionysos.  Et puis, en fin de set, il rend hommage à l’Ozz avec les premières mesures de «War Pigs».

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             On peut se replonger dans ce bel album live, Rock N Roll Sword Fight, paru l’an passé, mais on ne retrouvera pas la ferveur du concert. Gyasi y fait son Ziggy

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    («Godhead»), puis son T. Rex («Baby Blue»). Dans les deux cas, il est confondant de mimétisme. Il sait aller chercher la dramaturgie de Ziggy, et il sait aussi flatter le glam turgescent de Bolan. Il profite même de l’occasion pour transpercer son power glam d’un killer solo flash. Il n’est pas non plus avare de power pur, comme le montre le «Cheap High» d’ouverture de bal. Il te charcute ça à la cocote sévère. Ricky Dover Jr gratte de sacrés poux derrière. S’ensuit un «Tongue Tied» qui bascule bien dans le stomp de glam, ça s’emboîte parfaitement dans la vulve du mythe, et ça joue au gras double d’excelsior. Mais après, on perd un peu le glam. «Fast Love» est monté sur le drive de basse de «Lust For Life». Gyasi a toujours un peu le cul entre deux chaises, celle du glam et celle du rock seventies, dont «Sugar Mama» est l’archétype. 

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             Sorti la même année que le Sword Fight, voici Here Comes The Good Part, un album qui démarre du bon pied avec «Sweet Thing», un fantastique jive de stomp. Gyasi réinvente le stomp des seventies. Il a ça dans la peau. Tout l’album va se révéler bardé de barda. On le voit aussi taper dans ses deux mamelles, Ziggy et T. Rex. Ziggy avec «Snake City» (même esprit que «Rebel Rebel»), puis «American Dream» (il renoue là avec l’extrême dramaturgie du Ziggy au bord de la crise de nerfs, il atteint le stade du power absolu), et plus loin «Star», où il réincarne Ziggy le temps d’un cut, il tape en plein cœur du mythe véracitaire, ça fait plaisir à voir, et en prime, ça Ronnotte dans les brancards. Il va droit sur T. Rex avec «Baby Blue». Encore deux belles énormités avec «Bang Bang (Runaway)» (wild raunch qu’il attaque au Arrrrhhhh et qu’il module en heavy stomp de rêve) et «Cheap High», amené au tape dur, Gyasi adore le killer flash, il raffole de cette belle violence riffique.

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Le 106. Rouen (76). 18 octobre 2025

    Gyasi. Rock N Roll Sword Fight. Alive Naturalsound Records 2024

    Gyasi. Here Comes The Good Part. Alive Naturalsound Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le chant gris des Shangri-Las

     

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             Curieuse histoire que celle des Shangri-Las, quatre petites gonzesses du Queens réunies dans un studio par un producteur fantôme. On surnommait George Morton « Shadow » parce qu’il lui arrivait de disparaître comme un fantôme. Il est là, et soudain, il n’est plus là. George ? Good Lord, George ! Arrête ton cirque ! Ça ne nous fait pas rire. Mais où est-il passé ? C’est incroyable ! Ho George ! Tu pourrais nous répondre, espèce de malpoli ! 

             Les Shangri-Las étaient ce qu’on appelait à l’époque un quatuor vocal, comme il en existait des milliers à New York. Mais celui-ci était particulier, car constitué de deux paires de sœurs, Betty et Mary Weiss d’un côté, Mary Ann et Marge Ganser de l’autre, deux jumelles. L’autre élément qui les distinguait des autres girl-groups, c’était leur réputation de bad girls. Mary Weiss trimballait un calibre avec elle. Quand les flics du FBI lui demandaient pourquoi elle était armée, elle répondait que c’était réservé au premier bâtard qui allait essayer d’entrer dans sa chambre d’hôtel. Tu veux un dessin, flicard ?

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             La légende des Shangri-Las repose sur deux atouts déterminants : la production géniale de Shadow Morton, et la voix de Mary Weiss. Mais elle doit aussi énormément aux clins d’yeux de fans célèbres comme les Dolls qui reprenaient « Give Him A Great Big Kiss », ou encore les Damned qui démarraient « New Rose » - leur single historique - avec la première phrase de « Leader Of The Pack » : « Is she really goin’ out with him ? ». Beaucoup de gens en 1977 ne savaient pas trop qui étaient les Shangri-Las et puisque Dave Vanian les citait, alors les disques de Shangri-Las sont apparus dans les bacs des disquaires qui n’avaient qu’un seul mot à la bouche : mythique !

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             La discographie des Shangri-Las n’est pas bien épaisse : seulement deux albums et une poignée de singles. Leader Of The Pack est sorti en 1964, et encore, ce n’est qu’une moitié d’album, car les deux paires de sœurs n’avaient alors enregistré qu’une poignée de singles. La B est remplie de morceaux live de mauvaise qualité, ce qui fait que cet album a souffert d’une réputation pour le moins surfaite. De là à dire que c’est une fabuleuse arnaque, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Jackie DeShannon ne nous aurait jamais fait un coup pareil.

             Mais c’est vrai, rappelons-nous, les Shangri-Las sont des bad girls. Bien pire, elles sont tombées dans les pattes de gens peu scrupuleux qui ont fait du blé sur leur dos. La pratique était courante à l’époque. Évidemment, les filles, ça les foutait en rogne de voir que leurs disques se vendaient à des millions d’exemplaires et qu’elles ne ramassaient pas un rond.

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             Tous les hits des Shangri-Las se trouvent sur l’A de ce premier album. « Give Him A Great Big Kiss » est de la grande pop shakée aux clap-hands, admirable à tous les égards et on comprend que le jeune Johnny Thunders soit tombé en pâmoison quand il entendait ça à la radio en 1965. Pour composer « Leader Of The Pack », Shadow Morton s’était acoquiné avec Ellie Greenwich, alors évidemment ça ne pouvait que faire des étincelles. Et pour corser l’affaire, Shadow a fait entrer des gros bikers tatoués - avec leurs motos - dans le studio. Il voulait le vrai son. Alors OK. Tu veux le vrai son, amigo ? ‘Coute ça ! Les mecs ont débrayé et mis les gaz, vroaaaaar,  et les filles ont chanté sans tousser, malgré toute la fumée. Mary Weiss miaulait ça très haut perché. La rythmique groovait comme celle de Sonny & Cher. Le génie d’Ellie Greenwich avait encore frappé. Vroarrrrr ! On comprend que Dave Vanian soit tombé dingue de ce morceau qui sortait de son petit transistor alors qu’il creusait une tombe sous la pluie. « Leader Of The Pack » est à la fois un cut d’une profondeur fabuleuse et une chanson affreusement triste. C’est avec ça que Shadow Morton s’est taillé une réputation de producteur légendaire. Plus tard, les Dolls le solliciteront pour produire leur second album, Too Much Too Soon.

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             Son autre coup de maître fut de faire entrer des mouettes dans le studio pour « Remember (Waiting In The Sand) » une mélopée bien sirupeuse, comme les aimaient les gens à l’époque. Vous avez déjà essayé de faire rentrer des mouettes quelque part ? Pas facile. Ces bestioles sont particulièrement bêtes, au moins autant que les poules.

             Malgré le son pourri, on trouve des reprises prometteuses sur la B de Leader Of The Pack, et notamment une version live de « Twist & Shout » chantée très haut perché. Mary et les jumelles arrivaient à sortir des trucs incroyablement sexy et sucrés.

             Quand elles ont démarré, elles étaient encore adolescentes. Mary n’avait que 15 ans et les jumelles 16. Pour partir en tournée avec les Beatles, elles durent quitter l’école et renoncer à l’éducation, ce qui les arrangeait bien, car en bonnes bad girls qui se respectent, elles ne pouvaient pas schmoquer leurs profs. Elles ont donc passé les plus belles années de leur vie à sillonner les États-Unis avec des blanc-becs comme les Rolling Stones, les Animals, Vanilla Fudge et les Sonics, puis elles ont débarqué en Angleterre pour tourner avec des branleurs encore plus boutonneux, du style Herman’s Hermits.

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             Leur deuxième album, Shangri-Las 65, est sorti dans la foulée. Il est beaucoup plus solide que le premier. Avec « Right Now And Not Later », on a ce qu’il faut bien appeler un son de rêve. On se retrouve au cœur d’un shuffle exceptionnel, soutenu aux tambourins, chanté à fond de train. Elles effarent et révèlent une puissance infernale. On trouve sur cet album pas mal de compos d’Ellie Greenwich et notamment « Give Us Your Blessings », une belle pièce de pop élancée qui plonge ses racines dans le gospel et que Mary Weiss chante à la mode californienne. Stupéfiant ! Shadow Morton signe « Sophisticated Boom Boom » que reprend aujourd’hui Kid Congo sur scène. « I’m Blue » est carrément une reprise des fabuleuses Ikettes. C’est groovy en diable et monté sur une belle bassline. L’un de leurs plus gros hits restera sans doute « The Train From Kansas City », une grosse compo signée Ellie Greenwich, une vraie merveille taillée dans l’harmonique. On sent le drive d’Ellie, the beast of the Brill. On comprend que Phil Spector ait voulu travailler avec elle pour River Deep. Ellie avait du génie. Il faut voir comme elle tortille son couplet pour le faire sonner comme un hit planétaire, en plein cœur des sixties qui sont déjà congestionnées par des milliers d’hits planétaires. On reste dans la magie sixties avec « What’s A Girl Supposed To Do », chanté aux voix perchées. Mary Weiss y va de bon cœur - woo oh woo oh yeah - c’est l’époque qui veut ça. Pur jus sixties de chœurs juvéniles. 

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             Puis leur étoile s’éteint et elles replongent dans l’anonymat. Les deux jumelles vont casser leur pipe en bois. Mary et Betty essaieront de revenir en 1977, aidées par Andy Paley, mais le projet d’album restera à l’état de projet. Il faudra attendre 2007 et l’aide de Billy Miller (Norton) pour qu’un album de Mary Weiss apparaisse chez les disquaires. Ce sera le fameux Dangerous Games. Fameux car salué par Shadow Morton qui était alors encore vivant, mastérisé chez Sundazed et doté d’une pochette signée Roberta Bayley - la photographe qui a fait la pochette du premier album des Ramones, et les portraits officiels de Richard Hell, des Dolls (devant Gem Spa) et des Heartbreakers, entre autres. Ce sont les Reigning Sound qui accompagnent Mary Weiss sur cet album. On voit que ce gros coquin de Greg Cartwright est remonté au Nord pour se rapprocher des femmes fatales. On l’a vu sur scène avec Rachel Nagy et ce qui reste des Detroit Cobras. Voilà maintenant qu’il fricote avec Mary Weiss et qu’il lui compose des chansons, souvent très bien foutues. Et dans les chœurs on retrouve Miriam Linna, elle aussi bien pourvue, côté légende. Très vite, on tombe sous le charme de « Nobody Knows (But I Do) » une belle power-pop signée Greg Cartwright. Voilà une grosse pop à la mode new-yorkaise superbement travaillée et lumineuse, dynamique et entêtante. Mary Weiss chante désormais d’une voix de tête très mûre, presqu’ingrate. On tombe ensuite sur une énormité qui s’appelle « Stop And Think It Over », une power-pop d’allure royale signée Greg Cartwright, embarquée à la bassline aérodynamique et dotée d’une grâce presque typique des Oblivians. La chose se veut incroyablement élégante et digne d’une légende comme celle des Shangri-Las. Mary Weiss montre qu’elle peut encore monter très haut, over the rainbow, si elle veut. Les compos des autres copains sont un peu plus faibles. Les seules qui tiennent la route sont celles de Greg Cartwright. On sent que l’animal veut s’inscrire dans la légende. Il récidive en B avec un « Stitch In Time » mélodiquement pur et infernalement bon. Elle fait aussi une reprise des Real Kids, « Tell Me What You Want Me To Do », traitée en tressauté avec des nappes d’orgue à la Blondie. Pur jus de wild pop d’attaque frontale. C’est un audacieux mélange de pop new-yorkaise montée sur le riff de « Venus » des Shocking Blue. D’autant plus surprenant que le solo est quasiment le même, note pour note. Sans doute un clin d’œil. Retour en force d’Ellie Greenwich avec « Heaven Only Knows », la vraie pop du Brill avec des chœurs agonisants. Lorsque Ellie traîne dans les parages, on ne craint pas l’ennui. S’ensuit un « I Don’t Care » qui reste dans la haute volée. Compo soignée de Greg Cartwright, agitée aux tambourins, inspirée et dotée d’une jolie mélodie, comme dirait Charlebois.

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             Et Shadow ? Mais où est-il passé ? Chez Ace on s’est occupé de lui en publiant en 2013 une rétrospective : Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. On y entend les artistes que découvrit ou produisit Shadow Morton : les Shangri-Las, Janis Ian, Blues Project, Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Mott The Hoople et les Dolls. Si on ne connaît pas Janis Ian, c’est l’occasion de la découvrir avec « Too Old To Go ‘Way Little Girl », grosse pièce de folk-rock psyché chantée à fond de train, complètement extravagante.

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             La vraie merveille qui se niche sur cette antho à Toto, ce sont les deux titres enregistrés par Ellie Greenwich. Et là, on entre dans la légende, comme si deux esprits supérieurs, Ellie et Shadow, nous conviaient à partager un moment de leur intimité artistique. « Baby » est un hit planétaire. Ellie, c’est la reine de New York, elle embarque son baby-baby et rentre dans le lard du retour de manivelle. Elle a le sens parfait du jerk - So close to my heart ! - C’est une merveille. Elle fait un autre titre moins spectaculaire, « You Don’t Know » qu’elle taille dans la mélodie.

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             Une fois qu’on a bien épluché l’antho, on peut se plonger dans le booklet de 40 pages qui l’accompagne et là, on trouve tout ce qu’on a besoin d’apprendre sur Shadow Morton. Mick Patrick avait entrepris une correspondance par mail avec Shadow et là attention, attachez vos ceintures, car on fonce droit dans la mythologie, la vraie. Shadow raconte ses souvenirs de gamin dans le gang des Red Devils, au sud de Flatbush Avenue, puis il raconte comment il a voulu entrer dans le show-biz en montant au neuvième étage du Brill Building pour proposer une chanson qu’il n’avait pas encore à Ellie Greenwich qui le reçoit bien, mais il y a ce con de Jeff Barry qui le snobbe. Ça ne plaît pas du tout à Morton qui vient de Brooklyn, qui est irlandais et alcoolique. Il ne faut pas trop lui courir sur l’haricot - « You don’t take that attitude with me very long ! » - Et Barry lui demande de quoi il vit, alors Shadow prend ça comme une insulte et lui répond avec morgue - « La même chose que vous, j’écris des chansons » - « Quel genre de chansons ? » - « Des hits ! » - « Alors ramenez-en un ! » - Shadow sort du bureau aussi sec, il attend quelques secondes et il revient dans le bureau avec un grand sourire - « On a oublié de préciser une chose. Un hit rapide ou un hit lent ? » - Barry se marre et lui dit - « Kid, bring me a slow hit ! » - Fantastique démarrage en trombe, complètement à l’esbrouffe. Il a rendez-vous le mardi suivant. Il connaît un nommé George Sterner qui connaît des musiciens. Il connaît aussi quatre filles du Queens, qui accepteraient d’enregistrer une démo dans un studio de bricolo. Il lui manque encore le plus important : la chanson. Il compose « Remember (Walkin In The Sand) » dans sa tête et pouf, c’est parti ! Ce qu’il fait plaît beaucoup à Jerry Leiber qui l’engage comme compositeur et producteur. Quand il touche son premier chèque de royalties, Shadow s’achète une Harley. Et il replonge dans la mythologie de son adolescence, il se souvient de l’énorme gang de bikers au soda shop, et il compose « Leader Of The Pack » ! Petite cerise sur le gâteau, il fait mourir son héros biker. On lui dit que ça ne passera jamais à la radio. Les histoires de voyous en motocyclettes n’intéressent pas les gens. Shadow croit que sa dernière heure est arrivée et qu’il va se faire virer du Brill. Mais « Leader Of The Pack » devient un hit interplanétaire qui dégomme « Baby Love » des Supremes de la tête des charts. Et pour les Shangri-Las, c’est la consécration.

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             C’est l’une des grandes histoires de rêve du rock américain. Ce petit mec de Brooklyn et ces trois filles du Queens ont réussi à monter une belle cabale à partir de rien. Jeff Barry admet que les Shangri-Las étaient avant tout la vision de Shadow Morton - « He was such a dramatic guy » - Et comme « Leader Of The Pack » devient un hit énorme, Shadow offre une Harley à Jeff Barry. C’est certainement cette machine que Barry va piloter pour accompagner son pote Bert Berns en virée dans les Catskills Mountains, au Nord de New York. En fait, Shadow fabrique des petits opéras de quat’ sous avec des effets sonores, et ça plaira beaucoup au public, car les effets favorisent le travail de l’imagination. Fermez les yeux et vous verrez le biker foncer dans un mur.

             C’est George Goldner, patron de Leiber & Stoller, qui surnomme George Morton Shadow, à cause de sa manie de la disparition - « I did the bars on Long Island, shot some pool, made some bets, played some liar’s poker » - Shadow disparaît dans les bars de Long Island, il joue au billard, fait des paris et joue au poker.

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             Ellie Greenwich trouvait les Shangri-Las à la fois dures et vulnérables. Pour elle, Mary Weiss n’était pas une grande chanteuse, mais elle avait exactement ce qu’il fallait pour faire des disques intéressants - « Her whole thing was her look and her sound » - Et elle avait cette voix de nez et cette attitude de fille de la rue - « The best of both worlds » - Puis Shadow découvre Janis Ian, un petit prodige de 15 ans originaire de Manhattan. C’est un nommé Vigola qui ramène Janis un matin dans le bureau de Shadow. Vas-y chante un coup. Elle gratte sa guitare Ovation et chante son truc. Shadow lit un journal, le pieds croisés sur son bureau et marmonne des injures destinées à Vigola, du genre je vais te balancer par la fenêtre. Janis remet sa guitare dans l’étui, sort un briquet de sa poche, met le feu à un papier qui dépasse du bureau et s’en va en claquant la porte. Jeff Barry la rattrape dans l’ascenseur et la ramène chez Shadow qui lui demande de rejouer sa chanson. Puis il appelle Ahmet Ertegun pour lui dire qu’il a une nouvelle artiste et qu’il veut l’enregistrer. Ahmet demande s’il peut l’entendre. Shadow lui dit non. Mais aucun label ne veut d’elle, pas même Atlantic qui fait la fine bouche. C’est MGM qui sort le premier disque de Janis Ian, en même temps qu’une autre énormité de l’époque, Wedding Bell Blues de Laura Nyro. Puis un jour, Shadow reçoit un coup de fil de Leonard Bernstein. Sa secrétaire croit que c’est un gag. Mais non, c’est bien le grand Leonard. Il veut rencontrer Janis. Et pouf, un nouveau mythe prend forme.

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             Atlantic se plaint à un moment de n’avoir que des noirs dans son cheptel. Ahmet demande à Shadow de lui trouver un white soul group. Atlantic perd de l’argent chez les blancs et veut donc un groupe blanc pour reconquérir le marché. Pas de problème, Shadow a repéré les Young Rascals. Puis on lui présente les Pigeons. Shadow n’aime pas le nom du groupe. Mais quand il les voit jouer sur scène, il est complètement fasciné par les quatre compères, Tim Bogert, Vinnie Martell, Mark Stein et Carmine Appice. Il fait une démo avec eux et la balance à Atlantic qui demande à les voir. Shadow dit non. Les Vanilla Fudge sont dans les pattes du producteur idéal. C’est lui qui lance ce groupe monstrueusement doué. Shadow balaie aussi les réticences d’Atlantic qui ne voyait pas de hit single dans le premier album.

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             En 1968, Shadow participe aux sessions d’enregistrement d’Eli And The Testament Confession de Laura Nyro et d’Electric Ladyland de Jimi Hendrix - « I happened to be one of the two who ended up three days in the studio recording with him. We cut about seven or eight sides. » - Puis c’est Ahmet Ertegun qui insiste pour que Shadow produise In-A-Gadda-Da-Vida d’Iron Butterfly. Ils voulaient le Long Island sound.

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             On en arrive au dernier grand épisode de la saga Shadow Morton : les New York Dolls voulaient Jerry Leiber et Mike Stoller comme producteurs, mais Leiber & Stoller se désistèrent. Alors ce fut Shadow. À l’époque, Shadow est fatigué du business et la musique l’ennuie. Il accepte cependant de relever le défi des Dolls - « The Dolls can certainly snap you out of boredom » - Ils travaillent 24 heures sur 24 - « They had an incredible amount of energy. God, I remember the scenes in the studio. The word intense is not intense enough » - Il les laisse faire ce qu’ils font habituellement et se contente de les enregistrer - « I try to capture what they, the artists, do. » 

             Le booklet est en plus bardé d’images fantastiques de Shadow. Sans Ace, que deviendrions-nous ? 

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              On garde le meilleur pour la fin : un book consacré aux Shangri-Las. On se frotte les mains ! Wouahhh, la bête ! 400 pages mythiques ! Le book vert de tes rêves ! L’autrice s’appelle Lisa MacKinney et son book mythique affiche le doux titre de Dressed In Black: The Shangri-Las And Their Recorded Legacy. Wouahhh, la legacy ! Le book sort tout juste des rotatives. Il fume encore. Wouahhh, la classe ! Tu cales ton cul dans ton fauteuil et tu essayes de prendre ton air le moins con pour lire cette somme tombée du ciel. Wouahhh, la chance ! Tu vas lui faire honneur !

             C’est toi qui vas tomber des nues. Car quelle arnaque ! La mère machin est une spécialiste du Moyen-Age. T’as 100 pages de notes à la fin du book ! Ça te met la puce à l’oreille. 100 pages en corps 5 ou 6 ! Illisible ! En général, c’est pas bon signe. Avec ce délire de documentariste, t’as dans les pattes l’anti-rock book par excellence. La mère machin n’en finit plus de noyer le poisson et de taper à côté. Dans son chapitre bidon sur le romantisme, elle arrive même à délirer sur Beethoven ! Tu lis ça et tu fumes de colère noire ! Fuck it ! Elle te fait perdre ton temps. T’entends tes dents grincer. Les seules infos intéressantes sont bien sûr celles qu’on connaît déjà, notamment le lien avec les Dolls via «Looking For A Kiss» et la prod de Shadow Morton sur Too Much Too Soon. On savait aussi qu’Andy Paley accompagnait les Shangri-Las reformées au CBGB en 1977.

             T’arrives tout de même à te mettre sous la dent des bouts d’interview de Mary Weiss. Elle raconte qu’au début, le groupe n’avait pas de nom, et en roulant dans Long Island, elles ont vu un restau qui s’appelait the Shangri-La - That’s where we got the name.

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             Tu chopes aussi un bel hommage de Lenny Kaye : «If the Ronettes were the royalty of sixties girl groups, the Crystals their unwilling ladies-in-waiting, the Shangri-Las were the hand-maidens that made good, rising from virtual kitchen scullions to the rank of pop cincerellas.» Comme Johansen et Thunders, Kaye en croquait. Tiens voilà une anecdote pour te remonter la moral. C’est Mary Weiss qui la raconte : James Brown a entendu les Shangri-Las à la radio et il les voulait en première partie d’un show au Texas. Okay. Il arrive au sound-check et n’en revient pas de voir des blanches sur scène ! Il croyait qu’elles étaient black.      

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    (George Goldner)

             La mère machin pioche pas mal dans le booklet de Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story pour évoquer le souvenir de Shadow. Richie Unterberger rappelle lui aussi que le succès de Shadow en tant que producteur était d’autant plus spectaculaire qu’il n’avait quasiment pas d’expérience, et qu’il ne savait jouer d’aucun instrument. C’est lui Shadow qui avait repéré les Shangri-Las, dans le Queens et qui les avait embauchées pour enregistrer une démo. Jeff Barry l’avait mis au défi d’écrire un hit - Kid, bring me a slow hit - Alors Shadow est allé dans un studio du Queens avec les filles pour enregistrer sa démo. Billy Joel est le pianiste de session et il voit Shadow comme une sorte de Totor du Queens, avec des lunettes noires et une cape. C’est la démo de «Remember (Walking In The Sand)». Shadow la ramène au Brill dans le bureau de Jeff Barry et Ellie Greenwich. Ellie raconte qu’elle a écouté  ce «weird little record», elle trouvait la voix de Mary très strange et la chanson intéressante - So we played it for Leiber & Stoller and they said, ‘Go cut it’ - Et voilà, c’est parti. Ça se passe au 1619 Broadway, dans les locaux de Red Bird Records, à l’âge d’or de George Goldner, «the best salesman ever». Leiber & Stoller vont prendre Shadow en charge, comme ils ont pris Totor en charge un peu plus tôt. «Remember (Walking In The Sand)» sera le premier single des Shangri-Las sur Red Bird. Tu ne peux pas faire plus mythique. C’est bien sûr Shadow qui signe ce hit. Il dit l’avoir composé en dix minutes, pour relever le défi de Jeff Barry. Le slow hit.

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             Le problème, c’est que les Shangri-Las avaient déjà fricoté avec Artie Ripp, le boss de Kama Sutra, qui, comme Morris Levy, a des liens avec la mafia new-yorkaise. Donc Ripp veut sa part du gâtö. La mère machin profite de l’occasion pour rappeler que le slang «ripp off» vient d’Artie Ripp. Si tu veux te faire plumer, vas voir Artie Ripp. Évidemment, Morris Levy voulait aussi sa part du gâtö. Il serait un jour entré chez Kama Sutra pour déclarer : «The Shangri-Las, nice kids! Great group! Great songs! They’re mine and I want my cut.»

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    Shadow Morton

             Shadow, Leiber & Stoller, Ellie Greenwich : les Shangri-Las sont tout de même bien entourées. Ellie voit les Shangri-Las comme des «very nice street urchins, street classy... and... tough yet very vulnerable.» Au début, explique-t-elle, elle ne s’entendait pas très bien avec elles, «they were kind of crude», par leur attitude, leur langage, «and chewing the gum, and the stockings ripped up their legs». Ellie leur dit qu’elles ne peuvent pas se balader avec des bas filés et en mâchant du chewing-gum, qu’elles doivent être des ladies, et les Shangri-Las l’envoient promener, «we don’t want to be ladies», alors une grosse engueulade éclate dans le ladies room du Brill, Ellie en pleure de colère, et après, dit-elle, elles sont devenues wonderful. Elles mâchaient moins leur chewing-gum et contrôlaient leur langage. Mary ajoute qu’elle s’achetait ses fringues chez un Men’s Store - I like low rise pants

             Quand elles tournent en Angleterre, les Shangri-Las se retrouvent mêlées à une bataille de bouffe chez Dusty chérie. Quand après la bataille Mary Ann Ganser remet ses boots, elle y trouve du poisson. Alors pour se venger, elle va profiter d’une tournée de Dusty chérie à New York pour aller mettre du poisson dans ses boots. 

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             Et puis t’as les affiches de rêve. Elles montent sur scène au Brooklyn Fox avec les Temptations, les Supremes, puis Jay & The Americans, puis les Contours, puis les Ronettes, puis les Searchers - direct from England - puis Martha & The Vandellas, puis Little Anthony & The Imperials, puis Dusty chérie, puis The Miracles et comme tête d’affiche, Marvin Gaye, «the epitome of cool Soul». Ce sont, nous dit Ronnie Spector, les fameuses Murray the K’s rock and roll revues at the Brooklyn Fox, qui étaient «the highlight of any New York kid’s week in the sixties. Pour deux dollars cinquante, tu pouvais voir at least a dozen acts and these were the top names in rock and roll - from Little Stevie Wonder to Bobby Vee to The Temptations, everybody played these shows.» Mary Weiss qualifiait ces shows de «brutaux». Il fallait descendre plusieurs étages pour aller chanter deux cuts et remonter ensuite dans les loges. Sept fois par jour. Elles font aussi une première partie pour les Beatles en 1964, avec les Tokens, Bobby Goldsboro, The Brothers Four, Jackie DeShannon et Nancy Ames. Le journaliste du New York Times évoque les «3,600 hysterical teenagers» du Paramount Theater. Autre affiche de rêve : en mai 1965, les Shangri-las prennent part à la Dick Clark Caravan of Stars pour un concert à Anaheim, en Californie, avec Del Shannon, les Zombies, Jewel Aken, Tommy Roe, Dee Dee Sharp, Mel Carter, The Ad Libs, The Velvelettes (et pas les Velvettes, comme elle l’écrit), Jimmy Sole, Mike Clifford, The Ikettes, The Executives et Don Wayne. T’en avais pour ton billet. 

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             Ce sont les embrouilles contractuelles qui vont dégommer les Shangri-Las : elles sont sous contrat avec Kama-Sutra, Red Bird puis Mercury. Ça déclenche une guerre juridique. Ils se traînent tous en justice. Mary dit que c’est dur d’entrer dans la record industry et encore plus dur d’en sortir. L’aventure des Shangri-Las n’aura duré que deux ans, de l’été 1964 à l’été 1966. Après la fin des Shangri-Las, on leur interdit d’enregistrer pendant dix ans. Elles se reforment pour un show à Manhattan dans les early seventies, puis en 1977. Elles jouent au CBGB et enregistrent quatre cuts pour Sire avec Andy Paley. Pour une raison qu’Andy ne connaît pas, les quatre cuts ne sortent pas. Apparemment, Mary Weiss trouve qu’ils n’étaient pas assez bons - It just wasn’t right - I welcomed the opportunity from Seymour Stein, but it just didn’t work out.

    Signé : Cazengler, Shangri Laid

    Shangri-Las. Leader Of The Pack. Red Bird Records 1964

    Shangri-Las. Shangri-Las 65. Red Bird Records 1965

    Mary Weiss. Dangerous Game. Norton Records 2007

    Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. Ace Records 2013

    Lisa MacKinney. Dressed In Black: The Shangri-Las And Their Recorded Legacy. Verse Chorus Press 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Grande Brittany

             Tiens voilà encore Stanley ! L’avenir du rock n’en revient pas.

             — Ça fait au moins trois fois qu’on se croise en dix-huit ans ! Je parie cent balles que vous cherchez toujours Livingstone...

             — Ah c’est trop facile de parier comme ça ! Que voulez-vous que je fasse d’autre, à part chercher Livingstone ?

             — Vous pourriez faire un effort et chercher quelque chose de plus original...

             — Vous êtes marrant, vous ! Vous croyez qu’on peut trouver quelque chose à chercher comme ça, en plein désert ?

             — Vous me décevez Stanley. Je vous prenais un homme plein d’esprit, à l’imagination fertile...

             — Vous foutez pas d’ma gueule !

             — Vous devenez irritable... Vous devriez enlever votre casque colonial, il emmagasine la chaleur.

             — Gardez vos conseils et fourrez-vous les dans l’cul !

             — Quel sale caractère !

             — Ah mais j’en ai marre de vos rodomontades ! Oh et puis j’en ai marre de chercher Livingstone ! Vous êtes tous complètement cinglés dans ce désert ! Je veux rentrer chez moi !

             — Ah vous craquez ?

             — Oui, Livingstone peut aller s’faire enculer et vous avec !

             — Vous habitez où, grossier personnage ?

             — Îles Britanniques ! Vous savez par où c’est ?

             — Non, par contre, je connais très bien Brittany Davis.

             — Mon pauvre avenir du rock, la facilité ne vous fait pas peur !

     

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             Formule gagnante et choix gonflé : c’est une façon comme une autre de qualifier la presta de Brittany Davis, une black aveugle assise derrière son piano électrique et accompagnée par un gang de gays particulièrement brillants. Association heureuse et foire au brio. Magnifique mélange de groove et de glitter.

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     C’est l’héritière de Ray Charles accompagnée par Funkadelic. Bon, Brittany a choisi de monter sur scène sans lunettes noires, et lorsqu’elle te «regarde» ça te fout très mal à l’aise car tu vois ce que tu ne dois jamais voir, un regard mort. Mais autour d’elle, ça grouille de vie et quelle vie ! Te voilà aux pieds du plus ambigu des guitar

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    slingers d’Amérique, il s’appelle Vivienne DeMarco, il porte un porte un joli nom, Saturne, mais c’est un dieu fort inquiétant, dirait George Brassens. En plus de son nom, Vivienne porte aussi de fort jolis tatouages, un petit haut noir à l’effigie d’Ace Frehley qui vient tout juste de casser sa pipe en bois, un short en cuir noir qu’on appelle chez les initiés un «moule-burnes», des bas-résille sans jarretelles et des platform boots en vinyle noir qui montent jusqu’aux genoux. Quand il sourit, on voit briller ses deux dents d’acier, il porte ses cheveux blonds assez longs et gratte sa Les Paul comme un dieu, chantant parfois ses longs solos. Il fait du pur Funkadelic !

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    C’est Eddie Hazel en blanc. Car sur scène, Bitanny Davis et son gang de Funka-boys mixent le funk avec le rock pour le meilleur et pour le meilleur, le pire n’ayant pas droit de cité ici, c’est un mariage heureux, comme déjà dit. La formule t’interloque copieusement, même si parfois ça traîne en longueur. Et puis de l’autre côté, t’as un deuxième surdoué sorti lui aussi d’un bar gay de Seattle, il s’appelle Jesse Stern, il porte un beau galure de Rudolph Valentino, un juste-au-corps panthère et joue comme un dieu Booty sur une basse six cordes, alors Brittany peut groover peinarde sur la grand-mare des canards. Le spectacle qu’offre ce groupe de freakout te fascine, et la cerise sur cet immense gâtö-kâdö, c’est Superman derrière sa batterie,

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    un black au crâne rasé qui s’appelle Conrad Real et qui n’en finit plus de battre tous les records du monde de présence scénique, de shuffle de jazz, de booty funky, de comedy act, de jongleries, de grimaces comiques, il multiplie les facéties, never missing a beat dirait un Anglais, il est à la fois Elvin Jones et Tiki Fulwood, il est à la fois Tony Williams et Benny Benjamin, et son solo de batterie est le seul qu’on ait réussi à admirer jusqu’au bout, car c’est un mirobolant chef-d’œuvre d’inventivité. Retiens bien ce nom : Conrad Real. Prions Dieu que tous nous veuille absoudre, et surtout qu’on puisse revoir Conrad Real un jour sur scène. Car là t’as tout : le beurre et l’argent du beurre. Le plus grand batteur du monde ? Sans le moindre doute. T’es content, car tu rentres au bercail avec ta petite révélation. Tu vas même passer des jours et des jours à te demander comment un batteur aussi doué peut rester aussi inconnu. Du même coup, ça te conforte dans l’idée qu’il faut continuer à fureter dans les concerts, car contrairement aux apparences et au sentiment d’un écroulement généralisé des valeurs, l’idée de l’art a la peau dure. Conrad Real en est la preuve. Pur Black Power.

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             Par contre, ce sont d’autres musiciens qui accompagnent Brittany Davis sur Black Thunder, un très beau double album de groove jazzy. On voit de très belles photos du studio où elle enregistre avec deux blacks, Evan Flory-Barnes à la stand-up et D’Vonne Lewis au beurre. Avec «Amid The Blackout Of The Night», elle s’enfonce dans l’intégrité du groove de jazz, c’est une ambiance à la Miles Davis, mais sans trompette. Son magnifique, rien à voir avec le concert. En B, elle profite du morceau titre pour invoquer la deep forest et le black thunder. Elle crée son monde loin des feux de la rampe, elle va deep in the groove avec «Change Me» - Change me quick/ C’mon ! - Encore un groove de jazz bien senti en C avec «Girl Now We Are The Same» - You’re white/ And I’m black/ Is it black?/ No it is brown - Elle roule sur un son de stand-up bien rond. Puis elle s’en va groover son «Mirrors» au chant magnifique. Elle devient assez magique. Elle semble encore monter en puissance avec «Sarah’s Song» en D et vire quasi hypno. Elle regagne ensuite la sortie avec «Sun & Moon» - Dance in the moonlight - Elle jive dans le lard, c’est un groove très tonique, bien soutenu au chant, battu fouillé et rondement slappé dans l’âme. T’as des fabuleuses dynamiques internes et tu sors ravi de l’heure que tu viens de passer à écouter cet album.

    Signé : Cazengler, Abrutinny Avide

    Brittany Davis. Le 106. Rouen (76). 17 octobre 2025

    Brittany Davis. Black Thunder. Loosegroove 2025

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

     - Part Thirteen

     

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             On jette un coup d’œil à la couve du numéro de Rockabilly Generation qui vient d’arriver et le premier nom qui te saute au paf - pardon, au pif - est celui de Vigon. L’interview de Rancurel est intéressante. Ce gros veinard a fréquenté et photographié Vigon a la grande époque. C’est un peu comme s’il avait fréquenté et photographié Elvis à ses débuts. Vigon est du même acabit que l’early Elvis : beau et légendaire. 

             À une époque, on pouvait encore voir Vigon sur scène au Méridien de la Porte Maillot. Au rez-de-chaussée de l’hôtel se trouve le club Lionel Hampton, un endroit chicos dans lequel se produisaient alors pas mal de grosses pointures, du genre Screamin’ Jay Hawkins ou Ike Turner.       

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             Vigon est depuis 1965 l’un des deux géants du rock français (l’autre étant bien sûr Ronnie Bird). Quand on voit Vigon chanter sur scène, on comprend tout. C’est un pur, un type hanté par ses héros. Quand on le voit remuer la tête indépendamment des épaules, on sent la présence de Ray Charles en lui. Il porte les mêmes lunettes noires. La façon dont il bouge le buste et dont il ramène le micro à portée de voix nous renvoie directement à Jaaaaaames Brown. Il fait une version démente d’«I Feel Good». C’est Mister Dynamite. Oui, Vigon est un bon. Oui Vigon sort de ses gonds. Il y a aussi de l’Otis en lui, de l’Ike Turner - il fait le baryton ikien sur une fiévreuse reprise de «Proud Mary» - Il fait aussi du Little Richard, quand il screame Bamalama Bamaloo baby !, l’un de ses vieux chevaux de bataille. Ils sont douze sur scène : section de cuivres complète, deux claviers, un fabuleux batteur, un guitariste qui joue le funk de Stax, et en prime, un soubassophone, qui est une basse à vent. Pouet pouet ! Vigon pilote cette énorme machine, comme s’il pilotait une formule 1, et il donne de violentes impulsions en dansant entre les couplets. Il a complètement intériorisé la magie du r’n’b. Son corps la contient toute entière. Il libère les vieilles énergies qui ont révolutionné les sixties. Il fait ça pour de vrai. Il n’est pas dans la représentation. Il puise dans la perception qu’il a de Mister Dynamite depuis cinquante ans pour trouver le ton exact - ‘nd I feel nice/ lik’ sugar ‘d spice - Il invoque les esprits. Tout le reste n’est qu’intendance. Avec «Knock On Wood» et «Hold On I’m Coming», il rivalise d’authenticité avec les originaux. Sa cover de «My Girl» donne le vertige - I’ve got sunshine/ On a cloudy day - Celle d’«I’ll Go Crazy» tient du miracle, pulsée par un shuffle de soubassophone. C’est gorgé de pulsions primitives. Vigon rappelle qu’«Harlem Shuffle» fut le morceau fétiche qui lui permit de remporter le tremplin du Golf Drouot. Et hop, il nous balance une version de rêve, montée sur le groove du diable. Par contre, aucune trace de Wilson Pickett dans son set. Plus de Mustang ni de Sally, comme au bon vieux temps.

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             En juillet 2004, Vigon participait à une sorte de festival historique. L’Olympia présentait le retour des pionniers du rock français avec une affiche des plus alléchantes : les Pirates, Billy Bridge et les Mustangs, Joey et les Showmen, Vigon et des tas d’autres qui, quarante ans après leur petite heure de gloire, paraissaient toujours prêts à en découdre. Nous n’étions là que pour Vigon, dont on avait un peu perdu la trace. Son impresario croisé dans la file d’attente éclaira nos lanternes en nous expliquant que Vigon s’était replié pendant vingt ans chez lui, à Casablanca, qu’il avait chanté tous les soirs dans un cabaret et mené la grande vie. Mais il était de retour à Paris et on pouvait le voir jouer tous les soirs dans un club situé à deux pas de l’endroit où nous faisions la queue : l’American Dream. Et pouf, il nous refila un flyer.

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             Ce soir-là, l’Olympia était plein comme un œuf. Moyenne d’âge : soixante-dix ans. Il nous fallut du temps pour nous acclimater à ce bal des vampires. On se retrouvait mêlé à une stupéfiante concentration de ventripoteurs à cheveux blancs et de vieillardes agrippées au souvenir de leur jeunesse enfuie. Après une série interminable de sets pathétiques, Vigon arriva sur scène tout de cuir noir vêtu. Il était plus que jamais ce diable marocain qui nous avait embrasé l’imagination au temps jadis. Il balança trois énormes classiques du rhythm’n’ blues coup sur coup : «Midnight Hour», «Hold On I’m Coming» et «Knock On Wood». Vigon était trop bon, presque miraculeux. Le jour et la nuit avec le reste du spectacle. Il incarna ce soir-là Wilson Pickett, Sam & Dave et Eddie Floyd, puis James Brown avec une version complètement allumée d’«I Feel Good». Vigon vitupérait. Vigon virait au vert. Vigon voyait rouge. Avec seulement quatre morceaux, il défonça la rondelle des annales et sauva la soirée du désastre.

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             Sortait en 2008 une curieuse compile intitulée «The End Of Vigon», avec une face lente et une face rapide, selon le modèle des Formidable Rhythm’n’Blues d’Atlantic. La pochette était celle d’un EP de Vigon : on le voit de profil, assis au sol, au sommet d’un escalier public, sur fond de ciel bleu. Il porte un pull orange et un pantalon noir. Dans son interview, Rancurel nous révèle que c’est l’une de ses images, faite au Canal de L’Ourcq. God, comme Vigon est jeune ! Même si on n’aime pas les morceaux lents, il faut faire l’effort d’écouter la face lente. Vigon y est vertigineux de Soul genius. Son animalité ressort mieux dans les slows super-frotteurs que dans les jerks torrides, comme chez Otis, d’ailleurs. Son timbre est d’une justesse remarquable et il prend toute son ampleur dans les morceaux lents comme «It’s All Over» et «Dreams». Les montées en puissance sont absolument fabuleuses, des coulures de kitsch scintillent comme des diamants. Tous les amateurs de Soul devraient écouter ce disque extraordinaire. Il faut entendre Vigon hurler les dernières phrases de «Dreams» dans la plus pure tradition des grands Soul Brothers de Detroit ou de Memphis. Il pousse des petits cris suspects et finit en hurlant comme un singe de Bali. Il est l’égal absolu de Wilson Pickett, de Percy Sledge, de James Brown et d’Eddie Flyod. Il dispose exactement du même registre, de la même classe, de la même énergie et du même génie interprétatif. Sur la B, il entre en éruption. Il déboule dans la cour des grands avec «Pollution», un funk infectieux monté sur un beat toxico. Avec ce funk tendu, Vigon se montre l’égal de George Clinton. Il y a quelque chose de terriblement organique là-dedans. A-t-on déjà entendu funk plus jouissif ? Non. Il embraye sur «Harlem Shuffle». Il est dessus. Aucun doute. Il fait grimper la température, puis il calme le jeu - yeah yeah. Pure magie noire. Vigon crie dans la nuit d’Harlem - Aaaah Aaaah - Prodigieuse fournaise de juke-box ! Franchement, on ne comprend pas que ce demi-dieu marocain soit resté dans l’ombre. Il est beaucoup trop bon. C’est Bou Jeloud ! Il dépasse les normes. Vigon paye le prix fort, enfermé dans sa légende. Il tape ensuite dans Sam & Dave avec «You Don’t Know Like I Know» qu’il mène au pas, sans forcer le destin, et qu’il chauffe à blanc, juste pour rigoler. My Gawd, comme ce mec est doué. Vigon ne craint pas la mort, car il tape dans des cuts déjà parfaits, et il réussit à leur redonner vie. C’est un miracle ! «Baby Your Time Is My Time» sonne comme un hit de Soul urbaine. «Ma chère Épiphanie, ce morceau te percera le cœur», disait le Comte de Lautréamont à sa carafe en cristal. Vigon fait partie de ceux qui ne prennent pas les gens pour des cons en leur faisant croire qu’ils ont du talent. Lui en a pour dix. Il reprend ensuite «The Spoiler» l’unique morceau d’Eddie Purrell enregistré chez Stax et composé par Duck Dunn (après la parution du single, Eddie disparut. Personne n’entendit plus jamais parler de lui). Sur Stax, c’était déjà une vraie bombe. Vigon prend cette monstruosité noyée d’orgue à bras le corps, et la balance dans la stratosphère. C’est un jerk mortel. Comme Eddie Purrell, Vigon y va - I’m a spoiler, ouuh - Monstrueux ! Do the spoil ! Vigon joue son va-tout. C’mon C’mon !

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             On est allé revoir Vigon en 2015 au Méridien. Trois fois une heure de set. Conditions idéales. Il chante à quelques mètres de ta table. Quand on le voit taper «Papa’s Got A Brand New Bag», on comprend qu’il ne fait pas semblant. Il incarne la Soul. Chanter Papa à la perfe, ce doit être à peu près tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il n’existe qu’un seul chanteur de Soul en France et c’est lui. Shout, mon vieux Bamalama ! Il connaît tous les hits, de Stax à Atlantic, en passant par Motown, Vee-Jay, Specialty, Imperial, Chess, Duke ou King. Il les chante depuis cinquante ans. Il

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    reste exceptionnel sur scène. Chacun de ses gestes est inspiré. Il swingue la Soul, il sait chauffer un couplet au bon endroit et faire dérailler sa voix le temps d’une syllabe. Et puis il a ce franc sourire de crooner de choc. Lors des ponts musicaux, il danse les poings fermés. Il est, avec Vince Taylor et Ronnie Bird, celui qu’on a le plus admiré à l’aube des temps parisiens. Il fait le «Soul Man» de Sam & Dave à lui tout seul. Il le bouffe tout cru. Cette fois, il tape «Mustang Sally» et le «Twist & Shout» des Isley Brothers. On le voit aussi duetter sur «My Girl» avec Muriel, l’épouse du maître de cérémonie.   

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             On se souvient de vieilles photos de Vigon qui chantait torse nu sur la scène du Golf, dans les pages jaunes des premiers numéros de Rock&Folk. Encore mieux : pour son audition devant Henri Leproux, Ronnie Bird lui avait prêté son backing-band.

             Bon, tu continues de feuilleter ce nouveau numéro de Rockabilly Generation et soudain, tu tombes sur une double en forme de carnet mondain des cracks du boom-hue : Tony Marlow, Didier et son T-Becker Trio, Barny & The Rhythm All Stars, Hot Slap avec un Dédé on fire. Mais il manque le plus important ! Tu tournes la pages et, ouf, il est là : Jake Calypso avec ses Hot Chickens ! Ça remonte bien le moral de voir qu’ils sont tous là.

    Signé : Cazengler, Vicon

    Vigon & the Dominoes. Le Méridien. Paris XVIIe. 19 octobre 2013

    Vigon. Le Méridien. Paris XVIIe. 30 octobre 2015

    Vigon. The End Of Vigon. Barclay 2008

    Rockabilly Generation # 35 - Octobre Novembre Décembre 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Pierre qui roule n’amasse pas Mosley

             Bernard Masley ne payait pas de mine. Franchement, on se demandait comment une femme aussi belle et aussi sensuelle qu’Irène Masley avait pu tomber amoureuse d’un tel épouvantail et lui faire trois enfants. Il est des mystères qui nous dépassent, et plus on s’y penche pour tenter d’y voir clair, plus ils s’épaississent. En plus d’être moche, Bernard Masley était pauvre. Il bossait pourtant dans une grosse boîte, le sous-traitant d’un constructeur automobile, mais il plafonnait dans son parcours professionnel et gagnait à peine de quoi subvenir aux besoins de sa famille. Comment cette reine qu’était Irène Masley pouvait-elle supporter ça ? On la soupçonnait de se fringuer aux Emmaüs. Quand une amie voulait lui offrir des fringues, elle les refusait. Le samedi, Bernard Masley emmenait toute la famille faire les courses au centre commercial. Ils se limitaient au supermarché. Ils entassaient dans le caddy l’alimentaire de la semaine, les fournitures scolaires, les produits d’entretien et deux ou trois bricoles indispensables. Bernard Masley avait une liste et il comptabilisait les achats de tête au fur et à mesure. Lorsqu’il atteignait le montant du budget fixé, il indiquait la direction de la caisse. Irène Masley rêvait de lingerie et d’outils de jardin, mais elle se taisait. On ne pouvait pas dépasser le budget fixé. Ce niveau d’acceptation finissait par inspirer une sorte de respect. Les amis du couple ne leur demandaient jamais s’ils avaient besoin d’aide, c’eût été leur faire injure. Par contre, Bernard Masley pouvait rendre des services considérables. En tant que Référent Qualité, il était en contact avec des décisionnaires de l’industrie automobile, et ces contacts valaient de l’or. Il en fit don à des amis-aventuriers de la com interne qui vendirent au constructeur un plan Zéro Défaut. Autrement dit un budget mirobolant. Bernard Masley ne demanda jamais rien en retour. Moche, pauvre et généreux. 

     

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             Pendant que Masley ramait dans sa banlieue, Mosley ramait dans l’underground. Ils furent tous les deux de fiers rameurs qu’on était content de fréquenter. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Bob Mosley fut bassiste/chanteur/compositeur dans Moby Grape. Moby Grape fait l’objet d’un chapitre à part. Penchons-nous sur la carrière solo que Bob Mosley entame après avoir quitté Moby Grape en 1969 (et qu’il ré-intégrera en 1971, puis par intermittences, comme le feront Jerry Miller et Peter Lewis).

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             L’album sans titre de Bob Mosley paru en 1972 est un immense classique. Pour au moins sept raisons, la première étant le fulgurant «Squaw Valley Nils (Hocked Soul)», un solide mid-tempo de fière allure. Bob est un bon, il y va au stranger at my table et ça se barre en vrille avec un solo de coyote. Te voilà une fois de plus avec un album culte dans les pattes. Culte encore pour le killer solo qui fusille «Hand In Hand», une sorte de rock Soul à la pointe du progrès, drivé à l’énergie de l’Airplane, et derrière t’as ce mec qui gratte comme un dingue. Frank Smith ou Woodie Berry ? Va-t-en savoir. Le killer solo est d’une rare virulence. Culte encore pour ce «Jocker» d’ouverture de balda, qui tape en plein dans le vif argent de Moby Grape. Bob a les Memphis Horns derrière, c’est ultra-joué, avec une gratte qui envoie d’incroyables giclées de jus. Sur «Gyspsy Wedding», Bob fait son white nigger. Il est infiniment crédible. Il récidive en B avec l’hot «Nothing To Do». Encore une belle énormité avec «Let The Music Play», Bob et son Mill Valley Rhythm Section & Choir te groovent le Moby rock de main de maître, et t’as encore un killer solo de coyote in the flesh. Power pur encore avec «Where Do The Birds Go». Bob mixe le rock avec la Soul. Tu te régales encore de «Gone Fishin’» qu’il chante d’une voix ferme, et de «So Many Troubles» qui se répand dans une brume de chœurs. 

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             Si Never Dreamed est un bon album, c’est sans doute dû à la présence de James Burton. Il faut le voir amener «Dead or Alive» ! Ça sonne comme un hit, et Bob charge bien sa barcasse. Voilà une pop visitée par la grâce et par James Burton. Puis avec le morceau titre, Bob s’impose durablement en chantant à l’accent perçant. Il passe à l’heavy country blues avec «Put It Off Until Tomorrow». Magnifico ! Illuminé par James Burton. Encore de l’heavy country power avec «Louisiana Mama». Bob est un mec très convainquant. Il se montre décidé à se barrer dans «Leavin’ Through The Back Door» - Don’t try to stop me babe !

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             C’est Freddie Steady qui réédite cette petite merveille qu’est le True Blue de Bob Mosley. Petite merveille car «Lazy Me», balladif à la Gene Clark de qualité supérieure. Suprême dérive abdominale. Et puis t’as ce coup de génie, «Rainbows End (Used To Be My Fiend)», un autre balladif de rang princier. T’es frappé par la stupéfiante qualité du cut. Bob adore le boogie, comme le montrent «Come Back Woman» et «Sad & Blue». C’est le boogie de San Pedro, celui qu’on appelle l’heavy boogie down bien sanglé. Tout aussi impressionnant, voici «Never» un heavy balladif circonstanciel. Bob tape ça au pur power vocal. Bob est un bon. L’intensité n’a décidément aucun secret pour lui.

    Signé : Cazengler, bien Amosley

    Bob Mosley. Bob Mosley. Reprise Records 1972

    Bob Mosley. Never Dreamed. Taxim Records 1999

    Bob Mosley. True Blue. SteadyBoy Records 2024

     

    *

    Existe-t-il une harmonie universelle. Au lieu de définir ce que j’entends par ces deux mots je me contenterai de rapporter deux faits. Chacun peut vérifier l’existence du premier. Dans notre dernière livraison 707 de la semaine dernière, celle du 30 / 10 / 2025, dans son article  hommagial à Nico, notre Cat Zengler citait les noms de deux des musiciens, Brian Jones et Jimmy Page qui ont accompagné Nico durant l’enregistrement de I’m not saving. Puis pratiquement incidemment, si l’on en juge par le contenu du paragraphe qui suit son cours, il ajoutait : ‘’ Brian et Jimmy ont un autre point commun : une passion pour Aleister Crowley’’. Nous avons déjà à plusieurs reprises consacré plusieurs chroniques à Aleister Crowley, personnage scandaleusement énigmatique que les Beatles n’ont pas oublié sur la pochette de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, l’est même en position numéro deux. Perso je le trouve méconnaissable sur la photo.

    Existe-t-il des clins d’œil du hasard. Au lieu de me lancer dans un interminable commentaire sur cette question je me contenterai de rapporter le deuxième fait. A peine en avais-je fini de choisir les illustrations pour illustrer l’article en question, m’octroyant quelques instants de repos, je décide de m’enquérir de ma boîte à lettres. Qu’y avait-il dedans : je vous le donne en mille :

    ALEISTER CROWLEY

    HUIT CONFERENCES SUR LE YOGA

    ET AUTRES TEXTES

    UNE ANTHOLOGIE INTRODUCTIVE

    A L’ŒUVRE

    D’ALEISTER CROWLEY

    VOLUME III

    Traductions de

    PHILIPPE PISSIER & AUDREY MULLER

    (Editions Anima / Octobre 2025)

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    Nous allons suivre la même méthode employée pour les deux volumes précédents, commentant avec plus ou moins de pertinence les différentes parie de l’ouvrage.

    HUIT CONFERENCES SUR LE YOGA

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    Le Yoga pour les yahous : ces quatre premières conférences s’adressent à ceux qui n’y croient pas, à ceux qui restent sceptiques quant à l’utilité de l’idée de se lancer dans le yoga. Crowley y va très cool, un véritable camelot. Le yoga n’est pas difficile. Il signifie, en langue sanscrit, lien, se lier à, (quoi ?). Ce qui est étrange c’est qu’il enchaîne en affirmant qu’il faut d’abord se dé-lier de tout ce  qui n’est pas nous, de toutes ces assertions, ces croyances, ces diktats de la société qui nous intiment de ne pas faire ceci ou cela. La leçon est claire : faites à votre guise. Les philosophes diront : évacuez la Doxa. Premier tour de vis : il faut aussi se délier de soi. Ce qui ne signifie pas qu’il faille tomber sous la coupe des Maîtres. Des charlatans qui restent trois ans sans bouger ni boire ni manger. N’imitez pas, ne vous obstinez pas à tenir la posture du chien, du chat, de l’aigle, de la souris, de l’éléphant, de l’arche de Noé. Trouvez celle qui vous convient le mieux. Inventez-la sans honte ni regret. Attention ça se corse. Un truc qui personnellement me file l’urticaire. Le coup de l’arbre des Séphiroths un emprunt à la qabal. Crowley a dû savoir que j’allais lire ce texte car il se sert de symboles grecs pour expliciter. Tel Dieu grec symbolise telle chose par rapport à lui-même et aux autres Dieux. Cette façon de faire ne me paraît pas du tout grecque mais passons. En fait je suis sur la bonne voie puisque je commence à m’ennuyer. Crowley est d’accord avec moi, on a beau s’être coupé de tout, ce n’est pas le nirvana pour autant, oui vous vous ennuyez, des pensées viennent vous turlupiner et même si vous parvenez à tordre le cou à ces visiteuses impromptues, c’est votre corps qui se réveille, une crampe à la jambe, des picotements sur le coude… continuez sans défaillir, concentrez-vous sur votre respiration, un tiers j’inspire, deux-tiers j’expire, quatrième tiers, ni expiration, ni inspiration, attention c’est une concentration qui doit après des séries et des séries de séances systématiques se métamorphoser, bref un jour vous parvenez à suivre le rythme sans être obligé d’y penser. C’est alors que votre corps auquel vous ne pensez plus, se met à bouger indépendamment de votre volonté. Il s’agite même beaucoup. Vous ressemblez à une grenouille dans une mare qui s’amuse à sauter de feuille de nénuphar en feuille de nénuphar. Continuer sans faillir, bientôt votre corps va se soulever et vous entrez en lévitation. Très honnêtement Crowley avoue qu’il n’est jamais parvenu à ce stade. N’empêche qu’il reste encore quatre conférences.

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    (Tirage de tête)

    Le yoga pour les froussards : le titre de ce cycle de conférences n’est guère engageant, c’est que la donne devient sérieuse, dehors les dilettantes, le yoga exige beaucoup de vous, arrêter de vaquer à vos affaires, il vaudrait mieux que votre vie ne soit pas accaparée par le travail… C’est que nous attaquons au gros morceau, la forteresse qui n’entend pas se rendre : le mental. Nous revenons à la Bible, les mystères du Tétragrammaton, chaque lettre à sa signification : le père, la mère, le fils, et la fille. D’où sort-elle celle-ci, on attendait l’Esprit, cela serait trop chrétien, la  fille représente l’extase, celle qu’ont connu le père et la mère en engendrant le fils, silence dans les rangs, ne pas confondre le yoga avec le kama sutra, tout engendrement se doit d’être conçu comme une séparation, pas un ensemencement, plutôt une éjection. Un peu comme les poubelles que vous sortez le soir. C’est en se défaisant de ce qui nous est inutile que l’on se concentre sur soi-même. Il convient de vider son mental en lui confiant ces tâches précises de désintéressement déjectifs de ces mêmes taches. C’est ainsi que se purifie l’eau de votre mental. Ceci n’est qu’une image. Le mental ne contient pas d’eau, le mental  est un espace vide. Mais cette notion de vide nous emmène à la notion de volume. Volume d’autant plus abstrait qu’il n’occupe pas plus d’espace qu’une idée qui vous traverse la tête. La pratique du yoga vous conduirait-elle à devenir un songe-creux. Attention prenez conscience du plaisir à acquérir cette connaissance qui permet d’être sicut deis. De fait ce n’est pas que vous n’ayez rien trouvé, c’est que vous avez trouvé le rien, or si le rien est tout, le tout existe et si le rien n’est rien, il n’est que le vide dans lequel sont dispersés les points structurant du tout. Nous sommes ici face aux atomes batifolant dans le vide, à part que ce vide plein est en quelque sorte un cinquième élément, un éther qui n’est autre  chose que la pensée du mental en son point d’activité zénithal qui n’est que le repos de votre mental. Tout serait-il du charabia. Crowley s’en réfère à Kant, l’on aurait préféré Nietzsche, Einstein, Riemann, Berkeley, évidemment depuis la science a continuité, n’y a que notre évêque du dix-huitième siècle qui reste stable, nous remarquons que dans les dernières pages de la sixième conférence Crowley revient à partir de la théorie de la relativité, l’idée d’une connaissance circulaire. Qui ressemble à s’y méprendre à un serpent qui se mord la queue. D’où cette question : comment se doit-on d’envisager la matière. Comme une chose, comme un néant, comme une hypothèse, comme un mythe…

             La septième conférence  s’avère déceptive, retour au christianisme, pas tout à fait la version pour les faibles, mais celui des exercices spirituels qui correspondent assez bien au travail intellectuel du yogiman. Nous remarquons que la pensée régresse, nous parlions du mental, nous voici dans notre intellect. Il est évident que l’on ne peut désigner une chose (même conceptuelle) que par des mots qui ne sont pas le vocable qui désigne très précisément la chose, qu’elle soit conceptuelle ou pas. Le mental serait-il un acte de foi ? Il est vrai que son exercice qui permet d’obtenir une vision de l’univers, provoque en l’individu qui parvient à ce stade connaît ce que Crowley exprime par le mot transe, Nietzsche par le mot danse, et plus trivialement Paul Valéry une fête de l’esprit.

             Dans la huitième conférence Crowley passe à la concrétude non pas des choses mais de l’action que l’on peut exercer sur elles. Nous avons évoqué l’Ether, cette totalité élémentale Crowley la fragmente en trente. Le Yoga vous apporte la connaissance mais le système Magick de Crowley vous permet d’entrer en relation avec ces trente éthers. Il donne un exemple qui n’est rien d’autre que l’exercice rituellique que l’on pourrait comparer à la messe catholique. L’enchaîne sur la poésie conçue en tant que chant orphique influant sur les éléments terrestres et intersidéraux.

             Ces huit conférences sont agréables à lire, mais à les regarder objectivement l’exercice du Yoga ne nous semble pas très différent d’un habituel chemin de pensée voluptueusement escarpé, que je vous conseille de mener depuis votre canapé, devant votre cheminée, un cigare à la bouche et un verre empli d’un bourbon mordoré à portée de votre main. Crowley n’est pas très loin de Descartes. Ou d’Husserl.

    UN ARTICLE SUR LA QABALE (Liber 58)

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    Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! La réponse est facile : parce que parfois les textes sacrés se contredisent. L’a donc fallu trouver un processus qui explicitât ces contradictions. Sans quoi il serait raisonnable de rejeter tous ces incohérences verbiagiques. Ce serait du même coup l’arrêt de mort du Dieu. Autant ôter le plancher imaginaire ou mental (adoptez le mot que vous préférez) sur lequel la race humaine repose ses pieds.

    Le principe est simple : il s’agit de prouver que tel mot connote avec un autre (voire plusieurs). Ne pas se fier au sens ce serait trop facile. Il faut une règle qui soit en même temps arbitraire et mathématique. Il suffit de doter chaque mot d’un chiffre obtenu en faisant le total de la valeur de ses lettres ( A=1, B=2, C=3 et ainsi de suite…) Nous avons pris l’alphabet français, évidemment Crowley use de l’alphabet hébreux… La qabale est à l’origine une science d’origine biblique.  Les mots présentant le même total numérique ne sont point bêtement interchangeables disons que comme dans le poème de Baudelaire ces correspondances numérologiques entretiennent des rapports symboliques significatifs.

    Le système  peut être complexifié, l’on peut numéroter des phrases entières, donner une certaine importance aux lettres initiales ou/et finales, voire centrales… Si en notre langue ronsardienne le nom propre Mars avait la même valeur numérique que le mot guerre vous pouvez ainsi sous-entendre que ce n’est pas un hasard si Mars est le Dieu de la guerre. Si vous pensez que cette manière numérologique tient un peu trop de la loterie, mettez-la en relation avec le squash métaphysicio-linguistique par lequel le lecteur français d'Heidegger se doit d'établir des équivalences interprétatives entre les termes grecs-allemand-français afin de parvenir à une compréhension aigüe de la subtilité transmissive de l'herméneutique de vocables héraclitéennement obscurs de par leur nature fondatrice.

    Ainsi en s’attardant longuement sur les premiers mots de la Bible, Crowley démontre à l’excès qu’il n’y a pas de hasard entre ces premiers vocables qui se répondent entre eux comme dans le jeu de cartes des sept familles, sous-entendu une certaine intelligence supérieure préside à ce texte… Soit, nous voulons bien, mais nous aurions aimé de plus amples explications de l’emploi du féminin-pluriel d’Elohim, qui d’après nous correspond davantage à l’historiale fabrication de Yavhé qui à l’origine était une déesse femelle représentée sous forme de colombe…

    En s’attardant sur certains passages de la Bible ou d’autres textes l’on peut leur faire dire ce que l’on veut, ou du moins ce que l’on pense : la qabale ne nous semble qu’un cas particulier du commentaire doxographique et de l’herméneutique littéraire…

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    Le dogme qabalistique : qu’importe la médecine pourvu qu’elle guérisse, encore faut-il savoir l’utiliser. La qabale est complexe mais Crowley tient à nous faire remarquer qu’elle permet à résoudre des problèmes ultra-complexes, en quelque sorte c’est une méthode simplificatrice. N’oublions que les symboles sont réversibles, que ce qui apparaît comme l’expression de la difficulté peut se résorber en celle de la facilité. Il suffit de savoir jongler avec la grille de déchiffrement conçu pour déchiffrer des textes (ou des situations) qui ont été conçus, ou du moins interprétés pour être déchiffrés par une telle grille. Voici un rituel, qu’en pensez-vous ? Rien !  Ce n’est pas qu’il vous échappe, c’est que votre esprit est ainsi constitué de telle manière que vous ne pourrez l’appréhender. Et plouf nous retombons sur les deux jambes de la philosophie classique idéaliste (aucun mépris envers ce dernier mot). Saint Berkeley serait-il le sauveur des athées. En tout cas, en fin de compte, au bout de ces longues et savantes interprétations Crowley met un bouchon d’étoupe  sur le puits sans fond de son érudition en le bouchant avec des mots que tout le monde comprend comme : nature.

    Un essai sur le nombre : Crowley reprend tout depuis le début. Depuis Pythagore, passons sur la deuxième stase, la troisième stase est consacrée au catalogue basique du néoplatonisme. N’oublions pas que celui-ci fut historialement concomitant avec la montée du christianisme. C’est donc le moment de retourner à la deuxième stase, commence par l’œuf cosmique d’Hésiode qui engendre l’éros. Les grecs furent de grands désirants. Mais très vite, la grécité inaugurale de cette deuxième stase se trouva mâtinée par l’influence biblique, l’éros se métamorphose en amour et celui-ci est exprimée selon l’idée freudienne du désir conçu en tant que chose douteuse puisque résultat d’une séparation.  Freud, Crowley, Einstein voici le tiercé gagnant de la modernité. Crowley est au milieu, il est le représentant d’une culture judéo-chrétienne qui ne veut pas mourir dont il est la suprême quintessence de son ultime efflorescence. Crowley est situé entre deux serpents, celui qu’avec raison il ne veut pas voir car Freud est un mécaniste qui rabougrit le monde et celui qui le fascine car Einstein l’illimite en  désemcombrant l’univers de sa partition macro et microscopique.

             Suivent quelques pages durant lesquelles Crowley, s’amuse, un galop littéraire du meilleur effet, la Grande Bête sort le grand jeu, vous en met plein la vue, étale son érudition à pleines couches de confitures rituelliques, toutes les deux lignes une révélation, vous avez droit au moindre détail, évidemment tout cela sort non pas de son imagination mais de son imaginalisation, sans avoir besoin de relire Corbin disons qu’il parle de lui-même pour lui-même. Evidemment il se connaît mieux que personne. Le titre de la Partie II de cet essai sur le nombre est des plus révélateur : L’univers tel que nous cherchons à le faire.  

             Sans doute faut-il méditer sur le titre de cette dernière partie du texte. Un essai sur le nombre est-il une étude sur l’essence du Nombre quel qu’il soit, ou est-il un questionnement sur le nombre qui contiendrait tous les autres nombres, qui vaudrait à lui tout seul tous les autres, qui serait l’essence du nombre en lui-même, qui serait de fait le nombre unique. Pas la peine de se mentir : l’éventail énumératif des nombres n’est-il pas procédé à partir du nombre Un, d’ailleurs n’est-ce pas le monde qui est nommé univers, ou autrement (refermons l’éventail dans son unicité :  retour vers le Un. C’est à cet instant que les ennuis commencent, car le Un ne saurait être le Tout, car le Tout n’est que l’addition de tous les nombres que contient le Un. Les grecs énoncent cela très doctement avec leur formule : l’Un et le Multiple. Platon ajoute que dans ce cas le Multiple est l’Autre ce qui équivaut à la négation du Un. Dès que vous avez Un vous avez sa propre négativité : le moins Un. Hegel dira que moins Un est égal au zéro.

             Déduction de tout cela / comment surmonter, non pas le nihilisme, mais l’athéisme. Crowley définit exotériquement l’athéisme non comme la négation de Dieu mais comme un passage. Vers quoi ? Il ne le dit pas expressément, revient en arrière, tous les calculs qui vous mènent à l’athéisme il est nécessaire de les refaire pour tomber juste, il passe en revue un maximum de numérations qui permettraient d’assumer l’athéisme, car l’assumer c’est ajouter une présence au zéro absolu de l’athéisme, peut-être pas une présence supérieure mais au moins la présence de l’impétrant qui assume cette tâche. Qu’on le veuille ou non : il reste de l’être.

             Petite remarque adjacente : après le mot être, passez aux deux prochains mots écrits en rouge. Dans le long développement que nous venons de commenter Crowley fait référence à la Rose-Croix, c’est un peu le lapin rose sorti du chapeau de magicien car Crowley oublie de noter la dimension littéraire de la vision rosicrucienne que nous considérons comme un surgeon de la grande lyrique française dont le poème Le roman de la Rose serait à considérer comme le point de bouture essentiel.

    L’ontologie : Un essai d’ontologie avec quelques remarques au sujet de magie cérémonielle : cette anthologie est diaboliquement construite, sur la cohérence de la pensée de Crowley, dont le plan de cette troisième anthologie aide à prendre conscience de l’implacable logique d’Aleister. Lorsqu’il reste ne serait qu’un minimum d’être, une réflexion ontologique s’impose. Les grecs considéraient la finitude d’une chose comme parfaite et son infinitude comme imparfaite. Or  les religions définissent le Dieu comme infini. Heidegger a tracé une ligne rouge entre philosophie et religion, notre modernité lui a beaucoup reproché ce crime impardonnable mais ceci est une autre histoire. Arracher la mauvaise herbe de la croyance religieuse du travail de pensée ne saurait être avalisé par Crowley qui frise l’athéisme tout en affirmant en dernier ressort l’apport originel d’une puissance émanatrice. Après examen de trois grandes religions : boudhisme, hindouisme, christianisme, il en arrive à une étrange conclusion : il existe bien une puissance émananatrice originelle mais à plus moins longue échéance celle-ci cessera de vivre.  C’est-là accorder un sursis à Dieu.

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    La louange mariale : le dernier texte de cette anthologie ravira certainement les zélateurs de Péguy et de Claudel. Certes avec Crowley il faut se méfier. Il sait faire l’âne, animal christique par excellence. Il a le sens de l’humour et emploie volontiers le double langage. Si l’on vous donnait à lire ce texte signé par la main d’un Franciscain  vous le recevriez sans hésiter comme une espèce de Rosaire de Marie des plus fidèles, même pas une goutte d’hérésie dogmatique. Tout au plus pourrait-on l’appréhender comme l’annonciation de ces mouvements catholiques qui donne autant d’importance au personnage de Marie-Madeleine qu’au Christ… Ce texte est un recueil de poèmes, de psaumes ou de prières si vous préférez, disons d’invocations pour notifier que Crowley est aussi à sa manière un païen. Notons qu’une lecture toute parvulesquienne de ce texte, particulièrement le livre IV, risque de vous entraîner sur les ombreuses sentes d’un christianisme alchimiquement et politiquement activiste. Mais là n’est pas le problème. Restons dans la problématique heideggerienne selon laquelle, la pensée philosophique ayant été menée à son terme doit céder sa place à une nouvelle pensée qui s’apparenterait à la poésie…

    La joute chymique de FRERE PERARDUA et les sept lances qu’il brisa : texte résolument alchimique, sans doute faut-il le lire ou plutôt l’interpréter, en tant que ligne de fuite heideggerienne. Par-delà la poésie, la mise en œuvre d’un activisme que faute de mieux nous qualifierons de parvulesquien ou mallarméen. Grand écart.

    L’approche graphique : ne pas y voir un carnet d’illustrations diverses. Le lire dans la lignée du texte précédent. Alchimique certes. Liber Mutus, restons bouche cousue.

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    (Editions Anima / La visite du site s'impose)

    Appendice IDeux textes d’Allan Bennett qui fut membre de L’Aube Dorée, peut-être dans le seul but de s’en éloigner. Ces textes Un commentaire sur la Genèse et Le dressage du Mental  sont à lire ne serait-ce que pour comprendre que la pensée de Crowley n’est pas sortie du cerveau d’un illuminé. Crowley est un travailleur et aussi un héritier. Crowley et Bennett se sont croisés, le terme de percutés ne serait-il pas davantage évocateur... Rien qu’aux titres des deux écrits de Bennett les lecteurs de cette trop longue chronique  auront remarqué bien des similarités entre  nos deux démarcheurs, non pas de l’invisible mais du non-visible.

    Appendice II : un court poème de Crowley : Le chant d’amour du Chimiste : qu’intuitivement je mets en relation avec les deux derniers textes de cette Anthologie mais surtout avec Le chant de l’amour et de la mort du cornette Christophe Rilke, de Rilke évidemment, dans les deux cas pour employer une terminologie empruntée à Poe, grotesque Crowleyen et arabesque rilkéenne, deux modalités non sans rapport avec le romantisme et la métaphysique, élémental mon cher Watson !

    Appendice III : un texte exhumé du mensuel Alexandre consacré à une recension de Bereshiht d’Aleister Crowley, note secrète d’un des agents les plus brillants du SSR (Service Secret du Rock’n’roll).

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    ( Sgnature : Audrey Muller et Philippe Pissier )

    Appendice IV : Quatre illustration d’Audrey Muller pour sa traduction de Hail Mary : quatre collages, le liber motus des stances à Marie. La troisième est éloquente pour une image  qui est censée se taire. Je lui donnerais pour titre La Rose sans la Croix.

    Appendice V : Diana Orlow : cinq des derniers poèmes : lire et se taire.

    Avant les parties bibliographiques : une image pieuse d’Anja Bajuk. Cherchez l’Ange. Surtout ne le trouvez pas.

             Si vous n’avez jamais compris la pensée polymorphe d’Alesteir Crowley ce troisième volume de l’Anthologie Introductive à l’Oeuvre d’Aleister Crowley vous mènera tout droit à la base de la Montagne Magicke. Vous avez même le plan des premiers lacets qui ouvrent l’escalade. Vous n’êtes pas obligé de les suivre.

    Merci à Philippe Pissier pour son inépuisable effort à faire connaître Aleisteir Crowley au lectorat français.

    Damie Chad.

            

     

    *

             La semaine dernière nous étions en Chine, encore plus loin que n’est jamais allé Ulysse, puisque vous avez été sages, pas besoin de quitter votre fauteuil, je vous offre une séquence de cinéma, gratuite, et pas n’importe quoi un western, un vrai, grands espaces à vous rendre gaga et cadavres à gogo, en cinémascope, en dolby-stéréo et quadrephonia, tourné aux USA ! Sponsorisé par une grande multinationale pétrolifère californienne. Silence, la séance commence !

    GRANDIOSE

    OIL BARONS

    (Bandcamp / Sept 2025)

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    La couve est de Filippo Masi, doit y avoir une dizaine de Filippo Masi dans chaque ville d’Italie, mais j’ai eu de la chance, à la première image que j’ai aperçue sur un site j’ai reconnu, sa palette, son dessin, son style très psychedelic, il ne se cache pas dans sa très courte biographie de ses  expériences lysergiques. En tout cas c’est bien sa peinture qui m’a donné envie de m’attarder sur le groupe.  Ne la regardez pas longtemps. Juste un coup d’œil. Pas davantage. Surtout ne la fixez pas, elle bouge.  Non je n’ai pas bu. Un exemple comptez le chevaux ou les cheval comme vous voulez. Et puis ce brouillard rose, qui englobe ce tableau, êtes-vous sûr qu’il soit naturel, si vous n’avez pas encore aperçu le caïman et ce sentier qui se transforme en serpent, il est encore temps pour vous de téléphoner à votre percepteur pour vous raccrocher aux réalités sensibles et ennuyantes de la vie réelle. Il revendique un frère jumeau, un double cosmique.

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    Andrew Huber : bass, lead vocals, acoustic, guitar (8) / Lou Aquiler : electric guitar, acoustic guitar (1, 2, 3, 6, 9, 11), flute (1,11), spoken word (2, 9), lead vocals( 4) / Jake Hart : drums, lead vocals (10), backing vocals / Matt Harting : ogan, acoustic guitar (3, 5, 10), lead vocals (5).

    The surrenders : (le western est américain certes, mais comment commencer un western sans un générique d’Ennio Morricone, nos barons sans foi ni loi se sont emparés de d’un titre de la bande sonore du film de Sergio Solima : La Resa Di Conti, mot à mot en notre langue L’épreuve de force, mais un distributeur peu inspiré lui a préféré l’insipide Colorado !  Les américains ont opté pour The Big Gundown. Simple mais au moins l’on sait où l’on met les pieds.  Avis aux amateurs : Lee Van Cliff est au générique). Malgré toute l’admiration que j’éprouve pour la musique composée par Ennio Morricone pour ses westerns je n’hésite pas à la traiter de pompière, selon moi ce terme n’est guère péjoratif, j’apprécie autant les peintres dits pompiers que les impressionnistes, tout dépend de l’angle d’attaque et du but recherché. On peut aimer ou ne pas aimer mais ce genre de point de vue est totalement doxique et même toxique. L’est certain que comparé à un grand orchestre, ses chœurs tapageurs et ses éclats de trompettes aussi grandiloquentes que celles de l’Apocalypse, la flûte et le maigre appareillage  de nos quatre hors-la-loi ne combattent pas armes égales, mais là n’est pas le but, dans cette ouverture, au sens propre du mot, puisque nous sommes tout de suite plongés dans un magnifique paysage plus western que cela tu mérites une balle dans la peau, ce qu’ils nous préparent ce n’est pas l’attente d’une scène choc, ou l’apparition du héros solitaire  campé sur son cheval dans le lointain, non c’est simplement l’introduction de l’instrumentation rock-doom, elle arrive à pas feutrés, façon crotale qui s’approche de vous sans s’annoncer en agitant sa sonnette tel un lépreux figure déliquescente de la Mort qui vous attend en ricanant, et quand elle éclate vous êtes déjà dans le morceau suivant… Wizard : le morceau est

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    accompagnée d’une Official Lyric Vidéo. Un truc à l’économie, pas du tout inoubliable. L’on ne peut même pas parler d’un plan fixe, doit y avoir un ventilo à fond les pales qui  boursouffle la chemise de l’acteur, un sorcier, disons que ce sont les quatre vents de l’esprit qui l’agitent, ne rigolez pas, quelque part l’on n’est pas loin de la scène finale de La Montagne Sacrée d’Alejandro Jodorowsky, en plus elle correspond parfaitement aux quatre mots par lequel le groupe se définit sur son bandcamp : psychedelic western doom rock – tiens-tiens me disais-je si je devais résumer cette formule en deux mots je dirais ; hippie-doom, et dans mon cerveau s’inscrit en lettres d’or (attention ces trois derniers mots ont leur importance) le titre d’un vieux film El Topo. Par acquis de conscience j’opère une rapide vérif et me tombe sous les yeux le nom du réalisateur que j’avais totalement oublié : Alejandro Jodorowsky qui en a aussi écrit la musique – bref sur la vidéo si vous êtes attentif devant le sorcier qui vaticine en agitant les mains vous avez un livre dont dans les lyrics il est dit qu’il est écrit en lettres d’or. Autre détail, le rebord de plateau composés de dalles de roches superposées auquel notre wizard fait face renvoie à la couve de Filippo Masi, il existe donc une espèce d’interdépendances sysnesthésiques entre les différents éléments de cet opus. L’aspect doomique de la musique n’apparaît fortement que dans la dernière partie du morceau, tout le début sonnant indiscutablement westcoast comme l’on disait dans les années 70 pour qualifier la musique californienne. Les paroles ne sont pas sans résonner avec le scénario d’El topo. Gloria : dans tous les crimes il faut chercher la femme. Pas n’importe laquelle.

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    L’égérie du rock’n’roll. La Gloria des Them. Apparemment rien à voir, n’y a pas qu’une ânesse qui s’appelle Martine, il y a une lyric vidéo, encore moins stylisée que la précédente, un gars de dos qui fait la vaisselle. Encore un plan fixe mouvementé car il n’arrête de remuer les mains dans l’évier et son popotin devant votre nez. L’est content parce que Gloria est le soleil de sa vie… ce n’est ni doom ni hippie, encore moins western, vous avez déjà vu un cowboy faire la vaisselle, l’on est plutôt dans une comédie musicale, une parodie puisque le gars s’amuse à épeler les lettres G.L.O.R.I.A, évidemment ce n’est ni l’urgence de Van Morrison, ni l’air, ni la musique. Disons que c’est le repos d’un guerrier de notre modernité. John Brown’s body : passons aux choses sérieuses, y’a un cadavre dans sa tombe. Pas celui de n’importe qui, celui de John Brown, reprennent un traditionnel, profitez-en pour écouter l’interprétation de Pete Seeger, il s’agit d’un hymne anti-esclavagiste en l’honneur de John Brown ( un blanc) qui décida de se battre armes à la main contre la ségrégation aux USA, il fut pendu haut et court, vite fait mal fait… début morbidoom mais très vite le morceau se transforme en une espèce de gospel un peu tragico-foutraque, on a l’impression d’assister au deuxième tableau de la comédie musicale précédente, Shinola : retour au western pur et dur, la ballade du gars qui va se faire buter, la basse à tire-larigot, un vocal tragique à vous infliger des frissons dans la moelle épinière, une belle scène à la Sergio Leone, guitares ferrugineuses, ce coup-ci ce n’est plus de la comédie, du véritable western-doom, vous voyez déjà les ailes noires des vautours tournoyer sur votre cadavre, un plan séquence parfaitement réussi, tout se passe dans la tête du gars, c’est ce qu’on appelle filmer

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    en intérieur. Goddam Horror Show : doom à mort, ça se passe à cheval, mais les guitares pétaradent comme des motos qui se mangent la main dans une course de côte, une sombre histoire d’amour et de fric, avec un tueur impitoyable qui fait crisser les pneus de sa voiture, le son gargouille un maximum et cacophonise au maximum, le mec est un tueur aussi impitoyable que Lee Van Cliff dans Pour Quelques dollars de plus, sur la fin n’y a plus que le vent qui siffle sur un cadavre abandonné dans les sables du désert. . Vivienne : country-slow, encore un drame, vu par le petit côté de la lorgnette du perdant magnifique qui sait que le bonheur n’est pas pour lui, qui ne fait que passer, que la vie est mortelle et ne peut être vécue que de l’autre côté, voix éteinte et musique clapotante. Death hangs : de pire en pire, après le regret, voici l’agonie, juste aux portes de la mort, grandes ouvertes, le vocal se traîne, s’y mettent à deux pour se donner du courage, le constat amer de l’échec, la drumerie bouscule un peu les adieux, plus de temps à perdre, faut assumer, quand on a perdu, on a perdu. Rien à dire. Rien à vivre.  Quetzalacatenango : quezaco, une véritable symphonie rock, un peu comme au temps du mort reconnaissant, les guitares qui farandolent et se tirent la bourre des cartouches soloïques, la galerie galope, attention, nous entrons dans une autre dimension, c’est un peu comme dans Blue Berry, non pas celui de la bande dessinée de Giraud, l’autre celui de Jan Couen, le film psychedelic qui ne montre rien que l’on puisse raccorder à l’aspect rockambolesque des westerns, tout se passe dans la tête du héros à tel point que vous ne voyez plus que les circuits de parallèles entremêlées d’un cerveau sous acide, z’ont pas l’image pour dessiner les circonvolutions géométriques des réseaux inorganisationnels des circuits neuronaux, ce sont les guitares qui se chargent de les figurer, lorsqu’elles éclatent ça dégouline pas mal de tintouin dans cos tympans, nous voici au cœur de la tourmente schizophrénique, zut les temps de repos sont un peu longs, vous savez ces marécages westcoast, vous sortiez sur le pas de la porte pour discuter avec le facteur, venait-il vous livrer un cercueil ou un aspirateur à rêves, normal vous aviez l’impression que les groupes posaient des rallonges à la table du temps, mais l’on préférait John Wayne dans Le dernier des géants lorsqu’il renversait la table pour que ça canarde un max, bien sûr en bout de compte l’on sait très bien que l’on ne fera pas de vieux os, ou du moins qu’ils seront vite éparpillés et disjoints, balayés par les vents du désert. Morning doom : c’est le titre, mais de fait les paroles sont celles de Morning Dew écrites par Bonnie Dobson, après l’explosion nucléaire le dernier homme essaie de convaincre la dernière femme que tout est fini, comme par hasard le morceau a été repris par Grateful Dead, ce n’est pas joyeux, Jake Hart chante tout doux, c’est l’orchestration qui se charge de l’amplification mélodramatique, d’ailleurs elle entraîne la voix à monter haut pour mieux retomber, l’on a un peu peur que l’ensemble ne devienne Waterloo morne plaine, mais non ils y mettent du cœur, ne vont pas laisser passer le dernier coup de bluff artistique, puisque tout est fini autant négliger de pleurer et finir en beauté, hélas ils n’ont plus la force de faire semblant, l’on n’entend presque plus rien, un tambour  tapoté, une voix un tantinet inaudible, une guitare qui fait du goutte à goutte, pourvu qu’elle ouvre le robinet à fond qu’elle se transforme en cataracte crépitante, qu’elle se métamorphose en déluge électrique, elle nous fait attendre mais enfin c’est parti, ça gronde, ça mord, ça morfle, ça griffe, ça se contorsionne un max, si elle continue elle va enfler comme la grenouille qui veut se faire plus grosse qu’un éléphant… et finir en explosion nucléaire, non ils n’osent pas, ils terminent en infâme gargouillement post-nucléaire.  Grandiose : ils enchaînent sur le final, la guitare sonne un peu comme Ajanjuez mon amour, auquel se mêlent des accoups très acouphèniques du   très Ennio Morricone – peut-être parce que la mort y corne, nous refont au milieu du morceau le coup du silence presque imperceptible, heureusement ils se reprennent, ce coup-ci c’est à la violence tapageuse embrumée de ces rafales de sprays ravageurs de  mélancolie dont le  maître de la musique western vous asperge l’âme qu’ils rendent un ultime hommage. Une dernière image spaghetti.

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             Un disque composite, entre reconstitution historique et parodie, entre doom-doux et influences californiennes évidentes, un difficile équilibre à maintenir, toutefois nos Barons de l’Ouest ne nous servent pas de l’huile de foie de morue indigeste, se tirent plutôt bien de leur mikado stylistique. Si parfois  nous sommes entraînés du côté des théâtres de Broadway, l’ensemble résonne comme un le kaléidoscope soundtrackique d’un film jamais tourné ou dont   il ne resterait hélas que la bande-son, un cliché, deux rushes, peut-être retrouvés par des extraterrestres venus visiter notre planète ravagée par un cataclysme irréversible. Sans doute seront-ils surpris et décideront-ils, après une profonde étude des rares vestiges collectés, qu’il y avait dû autrefois exister et se développer sur ces rochers arides une civilisation incompréhensible mais fort tapageuse. Peu recommandable car trop rock’n’roll, ajouteront-ils.

    Damie Chad.

     

    *

    Franchement je n’ai pas aimé, ni la pochette, ni le nom du groupe, mais comme disait Claude l’habit ne fait pas le Mitchell, par acquis de conscience, peut-être sont-ils grecs ou polonais, mais non même pas, bref ils avaient tout pour que je m’en aille, la vie est trop courte pour s’intéresser à n’importe quoi, un scrupule m’a saisi, j’ai ne sais pourquoi, j’ai daigné, un reste de philanthropie peu habituelle chez moi, écouter trente secondes pour me conforter dans mon peu d’appétence pour cette chose musicale. J’ai coupé le son à la trente et unième seconde, indubitablement ce gente de mixture ne réveillait aucune curiosité  en moi. C’était vrai, la vérité pure. M’en suis allé vaquer à d’autres affaires. A tout hasard je suivais une jolie fille dans la rue lorsque mon cerveau reptilien s’en est venu cogner sa tête contre mon cortex : - Damie tu es sur une mauvaise piste, rebrousse chemin ! J’ai essayé de parlementer, l’infâme reptile  n’en a pas démordu : - Damie, un conseil d’ami, laisse cette fille c’est une déconstruite, écoute-moi je te connais tu tireras une plus grande jouissance de cette viande froide sonore dont tu t’es stupidement détourné, fie-toi à mon jugement, ne suis-je pas un sage conseiller ! J’ai hésité, ce n’est pas que je lui fasse énormément confiance, mais cette satanée bestiole habite depuis si longtemps dans ma boîte crânienne que je suis revenu sur mes pas. Le pire c’est qu’elle avait raison !

    QUITE FRANKLY

    SPACE CADET

    (Bandcamp / Sept. 2025 )

             Si je commençais ma chronique par : très franchement je vais vous causer d’un super-groupe me croiriez-vous ? Ne répondez par : ni oui, ni non. Ne jamais croire, toujours penser ! Surtout qu’entre nous je ne connais même pas un minimum vital de survie sur ce groupe. Mes informations sont maigres : sont des Hongrois de Budapest. Z’ont sorti une démo trois titres en 2018. Ensuite un grand trou, et cet album sept titres. Les indices sont maigres, l’enquête sera longue. La couve de cette démo est assez simple : un cosmonaute. Enfin presque : juste le casque, l’on ne voit pas son visage mais sa pensée, ce qui n’est déjà pas mal. Un petit dessin de cosmonaute debout, sans doute à l’intérieur de lui-même perdu sous la voûte étoilée du cosmos. L’on comprend mieux le titre du premier des trois morceaux ‘’ Mother’’ et l’on pige d’autant mieux qu’ils nous refilent l’intégralité des paroles : Oh Mother Take me home to the black City’’, le deuxième n’est guère significatif : Deux Jeudis. Le troisième est beaucoup plus explicatif  332 années dans l’espace.

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             Je n’étais pas plus avancé, alors j’ai cherché, pas eu besoin d’un tiers de millénaire, en 2024 un film Space Cadet, j’ai regardé le synopsis. Inutile de perdre votre temps un film pour pré-ados pré-idiots. Une jeune fille pas très douée qui passe un concours à la Nasa pour une sortie dans l’espace. Un concours d’heureuses circonstances l’aident à être choisie… je vous rassure malgré un quotient intellectuel pas très élevé elle sera l’héroïne de la mission… Entre parenthèse le début de cette comédie-romance me semble sortir tout droit d’une aventure particulièrement désopilante d’un épisode des aventures de Fantômette de George Chaulet.

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             Une piste plus sérieuse, un roman de Robert A Heinlein sorti en 1948, avec en couverture une superbe fusée interplanétaire Hergé a dû s’en inspirer pour On a marché sur la lune, paru en 1953… Je dis ça, mais ne dites pas que c’est moi qui l’ai dit. Bref une histoire de gamin qui rêve depuis tout petit de faire partie de la patrouille de l’espace. Les enfants ont adoré, l’auteur a composé de nombreuses suites…

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             Certes tout cela est bien beau et se perd un peu partout, au moins savons-nous d’où vient l’expression Space Planet. Me reste plus qu’à entrer dans mon scaphandre céleste et à satisfaire ma curiosité en explorant cet espace planétique inconnu. Je vous préviens on n’est pas là pour rigoler.

             La couve. Nos astronautes sont très fiers de leur couve puisque dans leur court paragraphe d’auto-définition ils déclarent fièrement que tous leurs artworks sont signés par Peter Simor. Me suis rendu sur son site. Premier regard : il se moque du monde. Deuxième coup d’œil : un minimaliste. Troisième vision : pas tout à fait un charlatan ce gazier, en fait chacune de ses illustrations – elles sont comme la matière ponctuée de quelques atomes séparés par de mirobolantes immensités vides – lui c’est le fond de la feuille qu’il laisse vide et parsème de quelques traits, voire de quelques taches, le plus surprenant c’est qu’entre sa réalisation et le thème traité la congruence est parfaite. Nous le définirons comme un minimaliste maximaliste.

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             Revenons à la couve : l’exemple parfait de ce que Peter Simor ne réalise pas d’habitude. Pas un millimètre carré de libre. L’a poussé le vice jusqu’à peindre la pochette du disque d’un marron uniforme de papier d’emballage. La rondelle centrale est pleine comme un œuf. Il n’a même pas pensé à laisser un trou  pour que vous puissiez placer la galette sur votre tourne-disque. Nous retrouvons notre spationaute en train d’explorer une nouvelle planète, ce n’est ni la planète bleue, ni la planète rouge, c’est l’orangée, quelques cactus sur le devant et à l’arrière des ruines que nous qualifierons de médiévales. A moins que ce ne soit notre terre bienaimée après la vitrification nucléaire.

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    Silenus : titre piégeux. Apparemment nous sommes dans l’Antiquité Romaine auprès de Silène, ce Dieu à l’estomac aussi rond qu’un tonneau de vin, joyeux drille ivre du matin au soir, entouré d’un cortège bacchique des plus alcoolisés… oui mais la musique ne correspond en rien à ce tableau de pochards pétris d’ébriété. D’abord est-ce de la musique. Batterie, basse guitare, tout ce qu’il faut pour faire  du rock’n’roll, d’ailleurs c’est bien du rock, même si ça n’y ressemble pas. Tassé et compressé, élagué au maximum, un arbre dont il ne reste que le tronc, une poutre massive sur laquelle rien n’accroche, un pilier qui se suffit à lui-même. Le genre d’objet auquel vous ne pouvez rien retrancher ni ajouter. Etrange ça sonne rock mais ça ressemble à de la musique concrète ou alors à la structure de certains morceaux de Miles Davis, oui mais il aurait laissé sa trompette au vestiaire. L’un d’entre eux chante, il vaudrait mieux qu’il se taise, ce n’est pas que c’est mal chanté, ce sont les paroles, pas de n’importe qui : de Heine, Gérard de Nerval l’a traduit, Heine avait la sagesse caustique : ‘’ Il est préférable pour toi de ne pas naître, de ne pas être, de ne rien être, ou de mourir, le plus tôt possible.’’ Mais ça suffit, encore un adage auquel on ne peut rien enlever ou ôter. A l’image de cette musique. Table : ce deuxième morceau paraît plus lyrique, plus emphatique, le chant sans discontinuer, l’ensemble plus violent. Tout compte fait Heine n’est-il pas un révolté, un romantique, le titre ne reste mystérieux que si vous ne la renversez pas, c’est le démon du nihilisme qui s’exprime ici, un kick out the jam définitif, sans passion, sans  haine ni amour. Un truc qui vous remet au niveau de votre caca, n’est-ce pas Artaud qui disait là où il y a de l’être, il y a de la merde, oui mais là où il y a de la musique qu’y a-t-il ? Altalàban : ce mot signifie ‘’en général’’ en langue hongroise. Se moquent un peu de nous car après les deux premiers morceaux qui sont comme des tables de la loi programmatrice d’une destruction nietzschéenne, des partitions théoriques en quelque sorte, l’on aborde les cas particuliers. Dans celui-ci on aborde les méandres du Moi. Que certains haïssent, mais que Space Cadet ne tient pas en grande estime. Résonnances, étrange un petit côté rock sixties, l’on a l’air de s’amuser, non l’on se moque de soi. Ne pas croire en soi. Ne pas penser en soi non plus, ni à soi encore moins. Morceau méchamment endiablé, que voulez-vous là où il y a du moi c’est comme là où il n’y en pas, il y a de l’émoi. C’est pour cela qu’à la fin du morceau ils cassent à coups de batterie et à grands cris le cœur de ce moi insupportable You say : deuxième cas particulier : après le moi : le moi et le toi. Z’y

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    vont tout  doux, c’est ça l’amour, l’aspect sentimental, en la ferblanterie des réciprocités, tu dis quoi, la même chose que moi parce que je ne vaux pas plus que toi, la mort est au bout du chemin, le chant essaie d’être convaincant et le background s’affole, la mort n’est-elle pas le grand soleil des pleurs, les instruments deviennent ingérables, ils se montent dessus, ils s’engueulent, ils creusent leurs trous, l’on ne devrait jamais se rapprocher, deux trains qui se télescopent, danger de mort souhaité et repoussé car une fois qu’on est mort on ne peut plus désirer mourir. La musique s’emmêle les pieds. Sa manière à elle de ne pas danser. Le train s’enfuit à l’horizon. Banquette vides. Néma Gyakorlat : (Exercices périlleux) : pour brider l’exaltation des moines Ignace De Loyola a composé Les Exercices Spirituels. Hélas notre époque se refuse à ses contritions chrétiennes donc Space Cadet se transforme en coach sportif. Attention inutile de lever dix fois la jambe droite, s’agit avant tout d’une gymnastique mentale. Le Yoga du mécréant si vous préférez. Rythme lent, assouplissements bassiques, S’agit de pénétrer au plus profond de soi pour retrouver la sensation de l’extérieur, communiquer avec le monde avec l’œil du dedans, cela est-il en relation avec nos capacités mémorielles, laissez le vocal méandreux s’insinuer en vous comme le serpent dans la genèse de votre personnalité, la guitare vous partage toute son âme, mais avez-vous encore la vôtre pour lui en offrir la moitié. Interrogation insoutenable. Qui mourra à sa propre solitude verra. Suzie : ce n’est pas tout à fait un slow sixties car la  petite Suzie palpite dans votre cœur, la fois précédente ça n’avait pas marché, mais ce coup-ci le garçon sort les grands mots il y met du cœur, la batterie lui file des coups de pied au cul pour qu’il avance plus vite, la musique se fait caressante, plus besoin de parler, laisse-toi porter par la vague.

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    Ocean : la morale de l’histoire, disons le fin mot de l’histoire, ce coup-ci c’est la musique qui réfléchit, elle dresse le bilan, ne pas se faire d’illusion non plus, le nihilisme même vaincu renaît toujours de ses cendres, les mots sont des puits sans fond, les pensées se défont aussi vite qu’elles se forment, la musique joue au tortillard, elle se moque de toi, elle emprunte son train de sénateur, elle s’attarde, elle se désagrège, elle repart à cloche-pied, style rien ne m’arrêtera jamais, car subsiste au fond de toi ton égo, il est plus fort que ton désespoir, méfie-toi les wagons s’emboutissent l’un dans l’autre, crois-tu que cela suffira pour que je m’arrête, non, eh bien regarde je m’arrête et je repars, encore plus vite et je ralentis, n’aie pas peur je te soufflerai dans l’oreille ce que j’ai à te dire, le grand secret, la guitare serpentine se lance dans des arabesques orientalisantes, faut bien s’amuser si l’on ne veut pas mourir, écoute-moi bien : l’égo n’est que l’autre nom du nihilisme. Multitude de points finaux, puisque le mouvement ne s’arrêtera jamais. Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum ! Ouf, soufflez, respirez !

    De sacrés musicos ! Savent jouer et penser !

    Ça ressemble à un concerto rock’n’roll. Le premier de son espèce.

    Des novateurs !

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 707 : KR'TNT ! 707 : mclusky / TRUE LOVE / NICO / HOLLAND-DOZIER-HOLLAND / F. J. McMAHON / WICKED TRIP / ATOMIC SAMAN / BEACH CRUISER / GENE VINCENT + KANSAS HOOK

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 707

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 10 / 2025

     

     

     mclusky / TRUE LOVE / NICO 

    HOLLAND – DOZIER – HOLLAND

      F. J. McMAHON / WICKED TRIP  

     ATOMIC SAMAN / BEACH CRUISER

        GENE VINCENT +  KANSAS HOOK

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 707

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

     - Unlucky mclusky

     (Part Two)

             Chaque année, l’avenir du rock réunit ses vieux amis autour d’une bonne gamelle. C’est le repas de la confraternité, qu’il prononce en deux mots, con et fraternité, histoire de ne pas prendre ces choses-là trop au sérieux. Et pour donner du caractère à ce rituel, l’avenir du rock choisit chaque année un thème. Cette fois, il s’agit du dada chouchou. Ils sont tous là : Petrus Boring, Walter Polo, Pat Bolognais et Edmond Pelé.

             — Alors, Petrus, quel est ton dada chouchou ?

             — Le skor !

             Une rumeur d’incertitude s’élève de la petite assemblée. Walter demande des précisions à Petrus qui s’écrie joyeusement :

             — Le skor du foot !

             Une rumeur de dégoût s’élève de la petite assemblée. L’avenir du rock tapote son verre avec le plat du couteau pour réclamer un peu de calme et pose la même question à Edmond qui répond :

             — Le skul !

             Il se lève, ouvre sa braguette, sort sa bite, et lance en rigolant :

             — Elle n’en fait qu’à sa tête ! Elle ne vit que pour les plans skul !

             Une rumeur d’approbation s’élève de la petite assemblée. L’avenir du rock se tourne vers  Walter. Même question.

             — Le ska !

             Silence de plomb. Le ska ? Tout le monde s’en fout...

             — Et toi, Pat ?

             Le Bolognais fait son intelligent et lance d’une voix d’harpie mal embouchée :

             — Le ski !

             Tout le monde éclate de rire.

             — T’as encore perdu une occasion de fermer ta grande gueule, mon pauvre Pat !

             Vexé, le Pat rétorque d’une voix sifflante :

             — Alors et toi, avenir du rock, c’est quoi ton dada de merde ?

             — Lusky !

             — Le qui ?

             — mclusky, pour être plus précis. Mais tu ne connais pas...

     

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             Eh oui, amigo, il ne fallait pas rater le train de mclusky Do Dallas en 2002. Mclusky a splitté en 2004 et les voilà de retour avec un petit article dans Vive Le Rock et un nouvel album, The World Is Still Here And No One Is. Vingt ans de blanc ? Andy Falco Falkous explique brièvement qu’à la fin, les trois mclusky ne se parlaient plus. L’ancien bassman John Chapple est parti en Australie, et pas de nouvelles du drummer Matt Harding. En remplacement, t’as deux nouveaux mclusky, dont le

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     bassman fou Damien Sayell. Tu le vois monter sur scène avec sa coupe Robert Plant et ses Doc Martens. Tu sens qu’il n’est pas là pour rigoler. Et pouf ils attaquent avec leur vieille bombe atomique de mclusky Do Dallas, «Lightsabre Cocksucker Blues», véritable modèle d’insanité, ils jouent au no way out et le Petit Bain se met aussitôt à tanguer. Ça hurle dans le chaos de la fin du monde, ces mecs ont le talent de leur

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    folie. Quelle violence ! T’as le bassman fou qui entre en transe. Le numéro de wild-as-fuck est parfaitement au point. Falco Falkous n’a rien perdu de sa hargne. Pourtant il n’est pas épais. Il tape encore dans une sorte d’hardcore britannique qui doit beaucoup à Kurt Cobain et à Frank Black. Ils n’ont aucun des défauts de l’hardcore américain, mais ils ont toute l’énergie d’un rock anglais jusqu’au-boutiste

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    et c’est ce qui fait leur grandeur. Ils se situent exactement dans l’éclat du «Territorial Pissing» de Nirvana. Ils poussent même le bouchon encore plus loin. C’est extravagant de power destructeur, peu de groupes sont allés aussi loin dans le process de la défenestration. On a rarement un Petit Bain aussi explosé de l’intérieur. Chaque cut fout le feu à la Saint-Barbe. Ils tirent aussi «Collagen Rock» de mclusky Do Dallas. Tu les reconnais ces cuts, car tu les portes dans ton cœur. Ils tapent aussi «Alan is A Cowboy Killer» et «Day Of The Deadringers» et chaque fois tu vois le bassman fou friser l’overdose d’adrénaline. Peu de gens sont aussi edgy sur scène. Il

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     va même descendre dans la fosse et faire monter sur ses épaules une petite gonzesse pendant qu’il gratte sa basse et qu’il chante son bout de gras. Comme mclusky Do Dallas était un album exceptionnellement dense, il paraît logique qu’ils tapent dedans à tire-larigot. T’as aussi «Chases» et vers la fin du set, «Whoyouknow». Flabbergasting ! Overwhelming ! Dans les cas extrêmes, les mots anglais fonctionnent mieux. Tim Warren qualifierait ça de smoking beast. Le bassman fou saute tellement dans les tous les coins qu’il finit par éclater son jean au cul. Les McLusky ne font pas semblant. T’as ton shoot d’adrénaline pour l’hiver. Quelle fête ! Tu te retrouves sur les quais de Seine complètement sonné des cloches. Vibré du béton. Classé sans suite. Avalé de travers. Pas de problème, tu vis pour ça.

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             Quand le nouveau mclusky est sorti au printemps, t’as sauté dessus. The World Is Still Here And No One Is était tellement bien foutu que t’as pris la décision d’aller les voir sur scène à la rentrée. Big album, comme tout ce que fait Andy Falco

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    Falkous. La police, les Pistols, le blast, tout y passe, Falco Falkous ne fait pas de détails. Il redit sa haine de la police dans «Hate The Polis», il claque les heavy chords de «Louie Louie», il jette toute sa heavyness dans la balance qui se casse la gueule. The lusky game est intact : ils ont le même power qu’à leurs débuts. Dès «Unpopular Parts Of A Pig», t’as l’infâme tatapoum. Falco affecte sa voix, comme il l’affecte encore dans «People Person», où il sonne comme Johnny Rotten. Belle extension du domaine de la luskylutte. Il tape son «Battle Of Los Angeles» en mode heavy stomp et le plonge vivant dans sa friteuse. Là tu peux dire que ça fait des bulles. Il danse encore avec les loops dans «The Competent House Thief». Il ondule dangereusement des hanches et on entend les dissonances de Killing Joke. Tout est cavalé cul par dessus tête. Tiens voilà l’heavy blues de Falco : «The Digger You Deep». Ah quel pain in the ass ! Ça vrille bien. Falco campe dans sa démesure. Les baraques s’écroulent. Tu t’émerveilles encore de «Not All Steeplejacks», un cut prodigieusement insidieux - It’s never complicated - Ça rampe entre tes jambes. Il t’enfonce «Chekhov’s Guns» dans la gorge et t’as du mal à respirer. Comme t’es bien maso, tu vas aller voir ce tortionnaire sur scène. Pas question de rater ça !

    Signé : Cazengler, mclèchecul

    mclusky. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 6 octobre 2025

    mclusky. The World Is Still Here And No One Is. Ipecac Recordings 2025

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    Where Are They Now? mclusky. Vive Le Rock # 121 - 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - La vérité des True Loves

             Depuis qu’il a croisé des lascars comme Lawrence d’Arabie et Sylvain Tintin, rien ni personne ne peut plus surprendre l’avenir du rock, surtout pas ce hippie qui apparaît au sommet de la dune et qui approche lentement. Il traîne une énorme croix qu’il a calée sur son épaule. Arrivé à quelques mètres, l’hippie fait un signe de la main : le V du peace and love.  Par politesse, l’avenir du rock l’imite. L’hippie est assez beau. On lui donnerait une petite trentaine. Ses cheveux blonds cendrés tombent sur ses épaules, une belle barbe encadre un visage hâlé et son regard clair exprime une sorte de paix céleste. Il porte une couronne d’épines, une confortable robe en coton écru, et juste au-dessus de son crâne, brille une petite auréole. Intrigué, l’avenir du rock lui demande :

             — Vous allez où avec cette croix ?

             — En vérité, je vous le dis, je vais par là...

             — Voulez-vous un p’tit coup de main pour la porter ?

             — En vérité, je vous le dis, vous êtes bien gentil, mais je dois la porter tout seul.

             — Mais ça n’a pas de sens, vous allez attraper un lumbago !

             — En vérité, je vous le dis, lumbago cat go !

             — Ah vous êtes un p’tit malin, vous avez réponse à tout !

             — En vérité, je vous le dis, je suis la réponse que vous attendiez depuis tout ce temps...

             L’avenir du rock sent qu’il perd patience. Il décide d’abréger la conversation :

             — Vous qui savez tout, est-ce que par hasard vous connaîtriez le chemin pour rentrer au bercail ?

             — En vérité, je vous le dis, je suis le chemin, la vérité de la vie...

             — Vous commencez à me courir sur l’haricot avec vos quat’ vérités. Il n’y a qu’une seule vérité qui compte, la vérité des True Loves ! Sur ce, bon vent et bonjour chez vous !

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             La première chose que tu remarques quand les True Loves arrivent sur scène, c’est la veste à franges de Jimmy James. Tu sais ce que ça signifie. Jimmy James est le seul black du groupe. T’as une belle section de cuivres (trombone, sax baryton et

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     sax ténor, trois cracks du boom-hue), un mec au beurre qui ne prend pas les gens pour des cons, un autre mec qui bassmatique en lunettes noires sur une six cordes, et un Latino nommé Ivan aux percus. Au milieu de tout ça, t’as l’intrépide Jimmy James sur sa vieille demi-caisse. Il n’a qu’une petite pédale au pied, zéro frime, ça fait du bien de voir ça. Ça te repose les yeux. Et quand il se ré-accorde, c’est vite fait à l’oreille. Jimmy James est un fabuleux guitar slinger, il peut jouer sec, claquer le funky booty des ghettos, comme il peut jouer gras, l’overwhelming de Jimi Hendrix, le vrai ! Il y a aussi du Buddy Miles dans sa stature de géant, Jimmy James est un

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    musicien hors du temps et hors compétition, il dégouline littéralement de feeling et chaque note qu’il gratte est une offrande aux dieux du rock. Aw my Gawd, si tu veux voir jouer un guitar slinger black, c’est lui. Quand il joue sec, il groove. Quand il joue gras, il fout le feu, tu le vois s’abandonner et faire les grimaces de Jimi. Il déclenche d’ailleurs un déluge hendrixien sur une Strato blanche et sort un son plus vrai que nature sur le thème de «Sunshine Of Your Love». Il est hallucinant de

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    power véracitaire, t’en savoures chaque seconde, chaque demi-seconde, t’ouvres toutes tes écoutilles pour faire entrer cette magie sonique en toi, il vient en droite ligne de Jimi Hendrix et tu lui accordes tout le crédit dont t’es capable, car sa justesse et sa présence sont absolues. T’es tellement à cran que tu crois par instants assister à un miracle. Jimmy James ne frime pas. Il joue. Il rend hommage. Il est béni des dieux. Jimmy James superstar ! Tous ceux qui l’ont vu jouer sur scène le savent.

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             Tu retrouves de beaux instros du diable sur Sunday Afternoon, un Colour Red de 2021 : «Objects In Mirror» qui tape en plein dans les JB’s, avec le power monstrueux de la rythmique funk, et «Robin’s Revenge», un big ramalama avec un Jimmy James qui gratte les accords de funk dans la fournaise. Il gratte encore du big flash de funk dans la purée fumante de «First Impression». Quelle fabuleuse énergie ! Il faut l’entendre gratter son funk dans l’entre-deux. «Yard Birds» se présente comme la porte ouverte à toutes les dérives de bassmatic. Bryant Moore est un bon, on l’a vu gratter sa six cordes sur scène.

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    Signé : Cazengler, True du cul

    True Loves. Le 106. Rouen (76). 3 octobre 2025

    True Loves. Sunday Afternoon. Colour Red Records 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Nico teen

     

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             Nico est la déesse la plus complète de l’Olympe du rock. Complète, car elle fédère tous les autres grands mythes de cet Olympe : Dylan, Lou Reed, Calimero, Andy Warhol, Jimbo, Brian Jones, Iggy Pop, et ça s’étend jusqu’à Fellini, Philippe Garrel, Delon et John Cooper Clarke.

             Il existe plusieurs moyens d’entrer dans l’extraordinaire histoire de Nico : le premier album du Velvet, l’excellent book de Richard Witts (Nico - Life And Lies Of An Icon) et deux films, un docu de Susanne Ofteringer (Nico Icon), et un film de Susanna Nicchiarelli (Nico 1988). Chacun choisira sa porte d’entrée.

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             Les gens d’un certain âge ont commencé par écouter The Velvet Underground & Nico dans les early seventies, quand l’album fut disponible en France. Puis au fil de temps, on est entré dans l’histoire du Velvet via des books de base comme le What’s Welsh For Zen de Calimero, mais si on veut revenir à l’essentiel, c’est-à-dire Nico, il vaut mieux lire le Witts book ou voir les deux films pré-cités.

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             Coup de cœur indéniable pour Nico 1988. L’italienne Susanna Nicchiarelli a réussi un coup de maître, en recentrant l’histoire de Nico sur sa dernière tournée européenne, en 1987, juste avant qu’elle ne décide d’arrêter les frais et d’aller s’installer à Ibiza avec Ari, le fils que lui a fait Delon et qu’il n’a jamais voulu reconnaître. L’intérêt de ce film est que la petite actrice Tryne Dyrholm campe une Nico plus vraie que nature, et du coup, elle crée une proximité à laquelle le docu ne donne pas accès. La Nico qu’elle incarne est d’une justesse stupéfiante. Un mec la protège, Alan Wise, qu’incarne John Gordon Sinclair, et c’est lui le véritable génie à la fois du film et de l’époque. Susanna Nicchiarelli réussit là l’exploit surnaturel de recréer dans le personnage d’Alan Wise l’aura du premier ange protecteur de Nico, Andy Warhol. C’est un exploit cinématographique extraordinaire, car c’est à la grandeur de ses protecteurs que tu mesures la force d’un mythe comme celui de Nico. Susanna Nicchiarelli fait d’Alan Wise un héros, à part égale avec Nico, et c’est l’exact reflet d’une réalité qui jusque-là nous échappait. Ces deux personnages qui luttent pour survivre artistiquement sont glorifiés par ce film sans prétention. Nico méritait bien ce genre d’hommage. Alan Wise aussi.

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    (Alan Wise)

             Susanna Nicchiarelli utilise des bouts d’interviews que donnait Nico pour la situer intellectuellement. Elle commence par évoquer Jimbo : «Jim Morrison asked me to write down my dreams.» Elle n’a pas fréquenté n’importe qui. On la voit se faire un shoot d’hero dans la cheville et dire à Alan Wise : «Don’t call me Nico. Call me by my real name, Christa.» Okay, Alan va l’appeler Christa, et en retour, Nico va l’appeler Ricky. Bien sûr, à la fin du film, Alan avouera à Nico qu’il est amoureux d’elle, mais elle botte en touche.

     

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    Susanna Nicchiarelli

             Sur scène, on la voit répéter «All Tomorrow’s Parties» et on sent bien qu’elle est à l’origine de tout, comme l’ont été John Lennon et Elvis. Susanna Nicchiarelli a reconstitué le groupe de Manchester qui l’accompagnait pour cette dernière tournée européenne. Elle les traite d’«energy junkies» - All bad, except the violonist - Et puis les extraits d’interviews sont l’occasion pour elle de résumer sa philosophie de la vie  : «I’ve been on the top. I’ve been in the bottom. Both places are empty.» Plus loin elle dira : «I wasn’t happy when I was beautiful». Elle cultive un fatalisme qu’on appelle aussi le dandysme intellectuel. D’ailleurs, elle choisit son camp : «I Can’t stand that word ‘commercial’». Pas question pour elle d’aller vendre son cul. Susanna Nicchiarelli fait aussi pas mal de plans avec Ari. Il est en convalescence à l’hosto suite à une tentative de suicide, et un peu plus tard, alors qu’il accompagne sa mère en tournée, il se tranche les veines. D’où la décision que prend Nico de l’emmener à Ibiza et de décrocher. En montant dans le taxi et en faisant ses adieux à Alan, elle lui demande de veiller sur Ari si elle venait à casser sa pipe en bois. La tournée européenne passe par la Tchécoslovaquie qui est encore sous contrôle russe et on assiste à un  fabuleux plan scénique. Nico savait rocker un boat.

             Elle explique son projet au mec qui partage sa chambre d’hôtel : «My plan is to be a very elegant old woman. Not an old fat junkie.» Même usée par la vie, Nico reste d’une élégance stupéfiante. On lui fait remarquer qu’elle n’a pas beaucoup de succès, alors elle hausse les épaules : «I don’t need to have anybody to like me. I don’t care.» Tu sors de ce film transi d’admiration.

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             Alan Wise était devenu son manager en 1981. Voilà comment démarre le docu Nico Icon. Durant les sixties, Nico est so beautiful qu’elle en devient un freak act. James Young qui jouait de la basse pour elle et qui a écrit ses souvenirs de tournée avec elle dit qu’elle avait des needles tracks all over et qu’elle paniquait à l’approche des frontières. Puis on revient à Fellini et à La Doce Vita. Alors oui, tu peux revoir le film, c’est l’occasion ou jamais. Nico a deux dialogues avec Marcello. On la voit aussi porter un heaume dans une scène ultérieure. Dommage que le film soit si long et que la fin soit ratée. Fellini aurait dû s’arrêter avec le gros poisson pris dans le filet.

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    Carlos De Maldonado-Bostock

             Carlos De Maldonado-Bostock qui a bien connu Nico et qui la vénère dit que Delon était trop vulgaire pour elle, a butcher - She had a detached relevance - Il la voyait déracinée à New York, alone. Elle ne supportait pas qu’on la touche. Puis on entend Ari chanter : «Je suis le petit chevalier/ Avec la terre dessous mes pieds.» Et pouf, voilà Edit Boulogne, la mère de Delon qui a élevé Ari. Dans une scène bouleversante, elle confesse ses moments de désespoir, lorsque son fils Delon lui dit : «C’est lui (Ari) ou moi.» Elle choisit Ari. Elle ne verra plus Delon. Le docu est tellement bien foutu qu’on voit aussi le clip tourné pour le single de Nico sur Immediate : «I’m Not Saying» - Everyone was fascinated.

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             À l’époque de la Factory, Nico est toujours habillée en blanc ou en noir. Danny Fields rappelle que les mecs avaient la trouille de Nico - Boys were scared of her - Ben Voyons. Et puis voilà les images de Jonas Mekas, l’Exploding Plastic Inevitable, le summum de la modernité. Le docu bascule ensuite dans l’univers hermétique de Philippe Garrel, avec l’Ig qui court dans les champs. Puis c’est au tour de Calimero de crever l’écran, il parle du Marble Index comme d’une «contribution to classical music». D’autres personnages clés témoignent : Tina Aumont, Lutz Ulbrich qui évoque les candles de la Rue de Richelieu et finalement Ari, un copy cat de Delon : «My mother is an artist. Do or die. That’s the way she was thinking.»

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             Le plat de résistance est le Witts book. Witts y enfile les noms comme des perles : Delon, Paris, Rome, Dylan, le Loog, Brian Jones, Andy Warhol, Lou Reed, Calimero, Tom Wilson, Jimbo, Hendrix, Philippe Garrel, l’Ig, Baader et même le punk. C’est une chose. Mais le plus important serait de dire que Witts est un auteur remarquable. On est fixé dès la phrase de Cocteau qu’il met en exergue de son introduction : «J’ai toujours préféré la mythologie à l’Histoire parce que l’Histoire est faite de vérités qui deviennent des mensonges et que la mythologie est faite de mensonges qui deviennent des vérités.» Witts résume le mythe Nico. Elle aura passé sa vie à mentir, ou plutôt à s’arranger avec la réalité. C’est un peu comme si Cocteau avait écrit cet aphorisme pour elle. Nico, «the Chelsea Girl, the High Priestess Of Weird, the Sixties Warhol Superstar who ‘turned fat and became a junkie’, as Warhol noted in his diary.» Plus loin, Witts cite encore : «Nico’s voice had been described in Andy Warhol’s Popism as ‘an IMB computer with a Garbo accent’ and more romantically as ‘a fragile lifeline through an inexpressible plague ridden past’.» Warhol la qualifiait aussi de «new kind of superstar - weird and untalkative.» Dans son intro, Witts indique que Delon, Garrel, Lou Reed et les Päffgen de Cologne ont refusé de participer au book. Et Witts d’ajouter : «I have attempted to chronicle a life that linked Fellini with Warhol, Edie with Jean Seberg, Jackson Browne with Sid Vicious, Ernest Hemingway with Allen Ginsberg, Coco Chanel with Betsey Johnson - without falling into the trap of identifying Nico solely through her name-dropping. As my terribly, terribly close, personal friend Iggy Pop said to me only the other day, ‘Nico would go crazy, man’.»

             Te voilà en appétit. Avec un auteur de la trempe de Witts, tu te sens en sécurité. Tu sais qu’il va respecter son sujet, et donc te respecter. C’est la règle d’or des biographies dignes de ce nom. L’auteur met son intelligence au service de son sujet. Witts n’est pas un pauvre con de moi-je. Witts redonne vie à Nico, voilà le prodige.

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             Il attaque par l’enfance et cite Coleridge en exergue. Ce n’est pas hasard, car Nico citait Coleridge à Alan Wise. Après Coleridge, le mensonge. Witts attaque ainsi : «Nico was born a liar». Et pour l’en excuser, il ajoute un peu plus loin : «She never dared reveal to anyone how completely she needed to deceive the world», c’est-à-dire qu’elle n’a jamais osé avouer à quiconque à quel point elle avait besoin de tromper le monde, ou si tu préfères, de déformer une réalité qui ne lui convenait pas. La réalité de son enfance, c’est l’anéantissement de Berlin. En 1945, elle a 7 ans. Elle est déjà dans le punk berlinois des ruines et des cadavres. Viva, une autre superstar, perce le secret de Nico : «Nico was a spicy combination of insecurity and arrogance. The truth was she was an emotional cripple.» Infirme émotionnelle. À l’écoute des petites histoires berlinoises que lui raconte Nico, Viva comprend qu’elle est salement amochée - I realised how badly it had screwed her up - Elle racontait des tas d’histoires terribles, les juifs dans les wagons, le savon fabriqué à partir d’os humains, l’abat-jour fait d’une peau tatouée, le soldat russe qui est apparu à la fenêtre de sa chambre, le couple de Mongoliens qui aimait la voir pisser, les corps décomposés trouvés dans les ruines de Berlin, la pluie à travers le plafond, les pièces frigorifiées en hiver. Qui ne serait pas traumatisé par tout ça ? Et Christa va essayer toute sa vie de transformer son insécurité en indépendance. C’est ce qu’a perçu Viva. Nico va encore plus loin : elle raconte qu’un sergent noir-américain l’a violée quand elle avait 13 ans et que le sergent fut ensuite pendu. Elle racontait cette histoire quand elle était accusée de racisme et elle ajoutait : «Negroes are not like us.» Mais personne ne sait si l’histoire est vraie. Même pas Witts qui se régale à laisser planer le doute.

             Elle va quand même réussir à vivre des jours heureux - From the New Year of 1966 until Warhol’s near death in the summer of 1968, Nico would live ‘the happiest days of my life - ho, ho, ho... -

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    Nico

             Comment Nico est-elle passée des ruines de Berlin à la Factory d’Andy Warhol ? C’est ce que nous explique Witts dans le détail. Ho ho ho ho. Elle a 16 ans, elle pose pour un photographe de mode nommé Tobias à Berlin. Il l’envoie à Paris poser pour Elle. Nico qui s’appelle encore Christa débarque à Paris et s’installe dans un petit hôtel de la place de la Contrescarpe. «The Bad Samaritan» Tobias la confie aux bons soins du «Good Samaritan» Wilhelm Maywald, un photographe de mode qui bosse pour Christian Dior. C’est aussi Tobias qui baptise Christa Päffgen ‘Nico’, car un modèle doit porter un seul nom, lui explique-t-il, et Christa ne convient pas. Ce sera donc Nico. Nico ? Oui, c’est un nom d’homme, celui qu’aime Tobias, un Grec qui vit à Paris : Nico Papatakis. Witts révèle un élément capital : le mythe se construit dans le mythe, à partir de rien.

             C’est à Paris que Carlos de Maldonado-Bostok la rencontre. Il la trouve singulière - Nobody could touch her. She was unfuckable - Quand Nico ne veut pas répondre à une question, elle s’en sort avec un ho ho ho ho. Il affirme qu’il n’y avait rien  de sexuel en elle - She was asexual - Elle ne supportait pas les gens qui disaient : «Écarte les cuisses.» - She didn’t want anyone to touch her cunt - Mais au bras de Maywald, elle semblait fascinante, elle ne disait rien et si on la branchait, elle faisait ho ho ho ho, et on lui foutait la paix.

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             Elle débarque à Rome pour des photos de mode. Le producteur Dino De Laurentiis donne un gros tas de blé à Fellini pour son prochain film et impose un acteur américain, mais Fellini veut Marcello. Nico se retrouve dans La Dolce Vita. Elle a un merveilleux petit échange avec Marcello qui lui demande :

             —What language are you speaking now?

             — Eskimo. Ho ho ho ho ho ho ho...  

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             C’est sur le tournage du Plein Soleil de René Clément qu’elle rencontre Delon. Coup de foudre ? Pour elle c’est sûr, pour Delon, ça l’est moins. Puis ils retournent à leurs affaires, nous dit Witts, Delon à Rome chez Visconti, et Nico à Paris chez Maywald. Nico ‘tombe’ enceinte, et quand elle dit à ses amis qu’elle va aller présenter le bébé à Delon, on lui recommande de faire gaffe, car il est dangereux. Il ne faut surtout pas le faire chanter. Elle baptise le bébé Christian Aaron, c’est-à-dire Ari. Mais Delon n’en veut pas - Nico was devastated - Elle dira de lui qu’il était «a devil with the face of an angel.» Un fantôme de plus de sa vie. Elle est déjà entourée de fantômes : «Maywald, her phantom father, Papatakis, her phantom husband, Maldonado-Bostok, her phantom lover, Tobias, her phantom brother.» Witts la situe admirablement bien. On peut donc la suivre pas à pas.

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             Elle entre dans le cercle magique du rock avec Dylan. Il est à Paris pour rencontrer Hugues Aufray et un ami lui présente Nico. Ils passent du temps ensemble, Witts reste très pudique, puis ils vont passer quelques jours en Grèce. Dylan lui file une chanson, «I’ll Keep It With Mine». Elle le reverra plus tard dans une party à Londres, c’est le Dylan de Don’t Look Back, la tournée anglaise filmée par D.A. Pennebaker. Elle trouve Bob très changé - Bob was completely drugged-up, and moody and arrogant as ever - Dylan porte sa veste en cuir - He looked like a handyman and he wanted to be a Rolling Stone - Nico entre en studio pour enregistrer «I’ll Keep It With Mine», avec Dylan au piano - One rehearsal, one take - Vite fait bien fait. Witts raconte ensuite que Dylan lui joue sa nouvelle chanson au piano - Whaddaya think? He launched into a song at the piano. Nico replied tartly that it was not as good as her song. He had played her «Like A Rolling Stone».

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             Si Nico fricote avec les Stones, c’est parce qu’elle veut rencontrer Andrew Loog Oldham. Elle a entendu dire qu’il cherchait des «girls to turn into stars», alors ça l’intéresse. Elle le rencontre et lui déballe tout, sa relation avec Dylan, La Dolce Vita. Le Loog est intrigué. Il cherche «the supreme female singer», dans le style de Dionne Warwick, de Dusty chérie ou encore de Cilla Black. Il a déjà essayé de lancer une petite black de 18 ans, Cleo Sylvester. C’est à Los Angeles, où les Stones enregistrent «Satisfaction», que le Loog donne sa chance à Nico. Il trouve la compo de Dylan sympa - It’s a great song, but it’s too downbeat for a debut. It’ll make a good follow-up - Il préfère lancer Nico avec un cut de Gordon Lightfoot, «I’m Not Saying». Il va donc lancer Immediate avec «I’m Not Saying», et le fameux single des McCoys, «Hang On Sloopy». 

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             C’est en traînant dans une party à Londres que Nico fait la connaissance de Brian Jones. Il lui dit : «Let’s meet up again and talk careers.» Nico lui répond du tac au tac : «How about tomorrow?». Et voilà, c’est parti. Il lui dit de venir voir les Stones en concert, ce qu’elle fait à Paris, en avril 1965. Elle va vivre trois mois avec Brian Jones. Elle n’y va pas de main morte : «Jim [Morrison] had the best sex I ever had inside me. But Brian gave the best sex, when he could. He took too many drugs. He was like my little brother, and I had to stop him sometimes from destroying everything, including hismelf. At least that was one thing I could do that Anita Pallenberg couldn’t.» Witts ajoute que Brian avait du métier : à la fin de son adolescence, il avait déjà engendré quatre fils avec quatre différentes gonzesses, et deux d’entre eux s’appelaient Julian en l’honneur de son idole Julian Cannonball Adderley. Comme le rappelle Al Aronowitz, le photographe des Stones, Brian tenait une comptabilité de ses conquêtes et ça pouvait aller jusqu’à 64 en un mois. Nico : «He was sexy. He seduced girls. He was charming, until he locked the door.» Nico avoue au passage une préférence pour l’«anal sex» - She said she liked the Turkish way - Et puis voilà l’histoire de la broche que Brian essaye, while tripping, de piquer sur les lèvres vaginales de Nico. Brian aimait aussi couler la cire des bougies sur les seins de Nico et sur son pubic hair. Selon Brion Gysin, Brian prenait toutes les drogues qu’on lui proposait, «whatever, and he’d just swallow them all.» Et bien sûr, Brian Jones initie Nico aux drogues psychédéliques, LSD et magic mushrooms.

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             «I’m Not Saying» est devenu un single culte parce que Brian Jones et Jimmy Page accompagnent Nico en studio. Brian et Jimmy ont un autre point commun : une passion pour Aleister Crowley. On reste dans le tourbillon mythique avec un nouvel épisode : Brian amène Nico à la Factory, sur East 47th Street. Nico file son single Immediate à Andy Warhol. Ce fut nous dit Witts son ticket d’entrée «to fame as Andy Warhol’ new Superstar and the tag Miss Pop 1966.» Brian et Nico iront aussi ensemble à Monterey, et séjourneront avec le couple Oldham. Nico dit qu’au moment de Monterey, Brian n’allait pas bien et qu’il avait des boutons sur la figure. C’est à Monterey qu’elle flashe sur Jimi Hendrix : «He was the most sexual man I ever saw on stage.» Et quand on a retrouvé Brian au fond de sa piscine, Nico a composé une chanson pour lui, «Janitor Of Lunacy». Elle a même demandé aux Stones si elle pouvait chanter au concert d’adieu d’Hyde Park, okay deux chansons, «but I arrived too late anyway.»  

             Witts nous rappelle que Nico avait déjà rencontré Andy Warhol à Paris, en 1965, chez Castel. Et peu de temps après, Nico va le retrouver à New York à la Factory. Nico se présente à lui, et il ne se souvient pas d’elle. Witts ajoute qu’Andy avait alors 36 ans - Warhol was ageless, just as Nico was ageless - Witts nous fait entrer dans un nouveau cercle magique, le Velvet.

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             C’est Paul Morrissey qui amène Andy au Café Bizarre, dans le West Village. Andy trouve le groupe génial, comme tout ce qu’on lui propose - He always said yes. He just wanted something to happen - Morrissey voit en Nico la solution à son problème : il veut manager le Velvet mais il trouve que le chanteur du groupe n’a pas de personnalité. Lou Reed n’est pas encore très à l’aise sur scène. C’est là que germe dans son esprit l’idée de faire chanter Nico dans le Velvet - The singer with ‘no personality’ was Lou Reed, and the solution was ‘the most beautiful girl in the world’, standing right there in the Factory - Andy et Morrissey l’emmènent voir jouer le groupe et «right away, that sour little Lou Reed bristled. He was hostile to Nico from the start.» Le Lou accepte qu’elle chante à condition qu’elle reste séparée : The Velvet Underground - and Nico. Nico grince des dents : «That’s because I was the girl.» Et très vite s’installe une rivalité entre le Lou et Nico. Le Lou fanfaronne à la Factory, il glousse avec les folles de service, il se montre outrageous - Lou tried to compete. Unfortunately for him, Nico could do it better - Et puis un matin, lors d’une répète du Velvet, Nico arrive en retard. Le Lou lui dit «Hello» et Nico ne dit rien. Un peu plus tard, alors que personne ne s’y attendait, elle balance : «I cannot make love to jews anymore.» Le Lou aura du mal à s’en remettre. Il n’empêche que Nico vit avec le Velvet les jours les plus heureux de sa vie. Le Lou l’accepte sur scène à condition qu’elle ne chante que trois chansons. Et que fait-elle quand elle ne chante pas, demande-t-elle au Lou qui répond : «Nico you can always knit.» I said he could go to hell. He looked around and said, «Well where do you think we are now?» - Sur scène avec le Velvet, Nico reste de marbre. Elle ne bouge pas et ne sourit pas. Elle est la Femme Fatale.

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             Personne ne veut de la démo du premier Velvet. Ni Elektra, ni Atlantic. Andy est choqué : «Other people succeed who have no talent. Here we are with you gorgeous people and we can’t make it.» Jusqu’au moment où un certain Tom Wilson, A&R chez Verve/MGM, flashe sur Nico - I think Nico’s great. I’ll buy the tape off you - C’est Nico qui l’intéresse. Entre le moment où il achète la démo du premier album et sa parution en mars 1967, un an va passer. Tom Wilson veut un single avec Nico. «Sunday Morning» ? Okay. Mais le Lou chante à la place de Nico - He sang it! The little creep - Tom Wilson couldn’t deal with Lou, he just took what came. Mais il va faire revenir Nico en studio pour qu’elle y chante un couplet. Nico ne dira jamais trop de mal du Lou car il lui a écrit trois de ses plus belles chansons, «All Tomorrow’s Parties», «I’ll Be Your Mirror» et «Femme Fatale». Mais elle capte trop l’attention, et le Lou la vire du Velvet - The newspapers came to me all the time. That’s how I got fired - He couldn’t take that anymore. He fired me and then he fired John Cale - Elle aura aussi une aventure avec Calimero.

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             C’est Jac Holzman qui propose à John Cale de produire Nico - The first golden opportunity - Calimero dit qu’il a produit, composé et joué sur quatre de ses albums, dont le premier, Chelsea Girl, produit par Tom Wilson. Fantastique personnage que ce Tom Wilson, qui a déjà produit «Like A Rolling Stone» et qui a rendu célèbres Simon & Garfunkel. Jackson Browne : «He was a very charming man who didn’t seem to take anything seriously.» C’est sur Chelsea Girl qu’on trouve l’«I’ll Keep It Mine» qu’offrit Dylan à Nico. Calimero ajoute que Chelsea Girl est l’album le plus accessible de Nico, et celui sur lequel il n’est pas le plus présent. Calimero n’a composé que «Winter Song» et «Wrap Your Troubles In Dreams», et co-écrit deux cuts avec le Lou et Sterling, «Little Sister» et «It Was A Pleasure Then». Lou et Sterling ont écrit le morceau titre.

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             «Chelsea Girls» (avec un s, contrairement au titre de l’album) est un ensorcellement, un cut très Velvet dans l’esprit, c’est-à-dire anti-conventionnel, beau mais insolent, et c’est surtout une fabuleuse drug song - Dropout, she’s in a fix/ Amphetamine has made her sick/ White powder in the air/ She’s got no bones and can’t be scared - On sent la patte du Lou et du Walk On The Wild Side. Et puis voilà l’excellent «I’ll Keep It With Mine» gratté à coups d’acou, soutenu par des violons, pur jus Dylanex. Qu’existe-t-il de plus mythique qu’un cadeau de Dylan chanté par Nico ? T’es vraiment content d’avoir cet album dans les pattes. Par contre, elle chante certains cuts à l’accent malade de Berlin («These Days»), mais c’est presque beau, on sent une volonté de beauté virginale. Elle finit par te hanter la calebasse avec le «Little Sister» signé Lou & Cale, même si elle flirte avec l’esprit harmonium qui finira par la rendre insupportable. Elle adore grincer dans les ténèbres. Elle refait du Velvet avec «It Was A Pleasure Then», elle plane comme un vampire sur l’esprit du Velvet, c’est très avant-gardiste, co-écrit par Lou & Cale, très anti-commercial, gorgé de bruits incertains et de feedback. Elle exagère ses graves germaniques. Il est évident que son grain de voix a fasciné Andy, elle est baroque dans l’âme, elle ramène toute la profondeur séculaire des Chevaliers Teutoniques dans sa verve glacée, d’où cette résonance si particulière dans l’univers frivole de la Factory. C’est dingue comme elle est glacée. Diva teutonique  ! Ses accents te glacent les sangs. Dans «Wrap Your Troubles In Dreams», elle est suivie par la flûte de Fellini, pour lequel elle a tourné. C’est un monde étrange d’art total. Elle pose son chant sur l’autel pour le sacrifier. Elle fait bien le lien entre le Velvet et le cinéma. Elle ne te laissera jamais indifférent. Jamais. Par contre, Nico ne supporte pas la flûte qu’a ajouté Tom Wilson sans la prévenir - I cried when I heard the album. I cried because of the flute. I hate it so much.

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              Côté cinéma, Nico tourne The Chelsea Girls avec Andy - The most famous underground movie ever made - un film qui va provoquer autant de réactions que La Dolce Vita. Dans La Dolce Vita, elle rit tout le temps, et dans The Chesea Girls, elle pleure tout le temps - I think that is the only difference.

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    Valérie Solanas

             Witts évoque bien sûr le shooting de Valerie Solanas qui se pointe chez Andy «with two serious guns in her paper bag». Andy est ramené à la vie par un chirurgien et va vivre 19 ans de plus, «but he was never Andy again, he was like a silkscreen of himself.» Witts rappelle aussi qu’Andy et Robert Kennedy ont été dégommés le même jour. Comme elle l’a fait pour Brian Jones, Nico décide d’écrire une chanson pour Andy, «The Falconer», sur laquelle Calimero joue du piano.

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             Quand elle est virée du Velvet, Nico attaque sa «carrière solo», comme on dit. Witts a l’esprit pratique : «If the group could do without her, she could do without the group.» Elle a déjà quelques chansons : une de Dylan, une de Gordon Lightfoot, une de Jimmy Page et quatre de Lou Reed. Pas mal pour un point de départ. Elle chante au Dom, accompagné soit par Sterling Morrison, soit par Calimero. Tim Buckley l’accompagne aussi. Puis Ramblin’ Jack Elliott, Jackson Browne, et Tim Hardin - Poor old Tim, we called him Tim Heroin.

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             En 1967, nous dit Witts, Nico a passé le summer of love «with Jim Morrison, and when she wasn’t with him, with Brian Jones, and when she wasn’t with them, with Andy Warhol making films or with Tom Wilson making records.» Nico déclare qu’elle était comme Jimbo et Brian Jones, une bohémienne - We were Bohemians, not hippies. Do you understand the difference? Bohemians know they are not hippies, but hippies don’t know they are not bohemians - Elle explique ensuite que les hippies cherchent toujours à vendre quelque chose, de la dope, du patchouli ou eux-mêmes. De toute façon, les New-yorkais ne supportaient pas les hippies.

             Nico oublie souvent de se laver. Viva : «She’d smell like a pig farmer sometimes, she washed so little.» Elle porte aussi des grosses bottes espagnoles, des pantalons de cosaque et une cape.

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    Percy Bysshe Shilley

             Elle passe donc le summer of love de 1967 avec Jimbo. C’est Danny Fields qui manigance la rencontre : «Morrison and Nico would be Adam and Eve in the Summer of Love.» Mais ils passent leur temps à se battre. Ils font un sacré ramdam dans leur chambre d’hôtel. Nico appelle Jimbo son Soul brother - I think he was the first man I met who was not afraid of me in some way. We were very similar, like brother and sister. Our spirits are similar - Jimbo initie Nico à William Blake et à Shelley - I preferred Coleridge. In fact, he is my favoured poet of all time. Did you know they were all drug addicts? Coleridge was addicted to opium - Danny Fields est fasciné par ce couple : «They were both icy and mysterious, and charismatic and poetic and deep and sensitive and wonderful.» Nico dit aussi que Jimbo prenait des drogues «because he wanted visions for his poetry.» Ce même été 1967, Nico va de Jimbo à Brian Jones. En fait, cet été-là, elle a fait la tournée des grands ducs : chez Paul McCartney à Londres pour plusieurs semaines, puis à Boston avec Andy et le Velvet Undergound, puis elle est allée rejoindre Brian Jones à San Francisco avant de redescendre retrouver Jimbo à Los Angeles. Conte de fée ! Nico se souvient qu’elle se battait avec Jimbo «because we were drunk and we enjoyed the sensation. We made love in a gentle way, do you know? It was the opposite to Brian Jones.» Elle dit aussi que Jimbo et elle ont échangé du sang - I carry his blood inside me. When he died, I told people that he wasn’t dead, this was my meaning - Elle avoue surtout qu’elle en était amoureuse - But we took too much drink and too many drugs to make it, that was our difficulty. Everything was open to us, there were no rules. We had a too big appetite - C’est aussi l’année où les Doors décollent avec «Light My Fire». Nico passe ses nuits dans le désert «with the nation’s number one pop star», son Soul brother qui l’a initiée à Coleridge, Shelley et Blake et qui a autant de respect pour sa beauté que pour son esprit. Selon Witts, la relation ne dure qu’un mois. Trop intense. Trop de trop. Elle ne reverra Jimbo qu’une seule fois, à Paris, alors qu’elle marche avenue de l’Opéra. Elle voit passer une black car, avec Jimbo assis à l’arrière, mais il ne l’a pas vue. Il va casser sa pipe en bois le soir-même - And then you can say that heroin became my lover.

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    Nico, Philippe Garrel

             L’hero est omniprésente dans ce book. Elle voit les drogues comme «the finest alternative to society.» Elle commence à tester l’hero en 1968 ou 1969 - Heroin is a seduction. It is like loving someone you hate - Elle va commencer à s’enlaidir - I don’t want to be beautiful any more - C’est l’époque Philippe Garrel. Garrel et elle fréquentent des «artistic couples», «from John & Yoko to Pallenberg & Richards» qui les initient au fix. Dans Gentons Plus La Guitarre, Garrel accuse Nico de l’avoir entraîné dans l’enfer de l’addiction. Il s’en est sorti, pas elle. C’est sa version, nous dit Witts. Pour Nico, c’est le début de la fin : «She was dependant on drink, drugs, deceit, and - worst of all - money.»

             En solo, Nico montre un faible pour les bougies et le Moyen-Age. Witts appelle ça the Chapel of St Nico. Elle devient une artiste, elle chante les chansons qu’elle compose - I could be a poet or a songwriter, and I continue as this, in a seditious way. But what other way to do these things? - Leonard Cohen fait partie de ses premiers admirateurs. Witts : «Leonard Cohen the singer owed as much to Nico, as Bob Dylan the singer owed to Woody Guthrie.»

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             Nico enregistre un deuxième album, The Marble Index. Pour être sûre qu’on ne mettra pas de flûte dans ses chansons, elle demande à Calimero de produire l’album. Mais ce n’est pas de tout repos. Calimero dit qu’il passe son temps à se battre avec Nico en studio - We always had fights, physical at times - Et puis à la fin, Nico pleure devant tant de beauté, car certains cuts sont éblouissants - The crying-fighting business happened on every project we did together - C’est grâce à aux arrangements qu’il écrit pour The Marble Index que John Cale va devenir producteur pour le compte d’Elektra et produire l’album des Stooges. Frazier Mohawk supervise l’enregistrement de The Marble Index, Cale signe les arrangements. Bon, l’album reste du Nico, avec un son bien germanique et bien glacial. Un album de Nico, ça s’explore. Quand tu explores, tu trouves parfois des mines d’or («Evening Of Light») et d’autres fois des peaux de banane. Calimero ramène toute son énergie avant-gardiste dans ce prodigieux tas de mormoille. Avec «No One Is There», elle ne fait pas du Velvet, mais de l’anthropologie vénale. C’est violonné à l’aube des temps, elle pousse sa supplique dans un désert glacé. Elle est très teutonique. Ça ne pouvait que plaire à un Gallois. «Ari’s Song» est flûté dans l’esprit de Fellini, noyé dans un brouillage de piste intense, elle y va au sail away my little boy, elle s’égare dans un entre-deux d’infra-sons, c’est trop avant-gardiste. T’as du mal à entrer dans son weirdy weird, Calimero en rajoute une caisse et Frazier Mohawk valide tout. C’est vrai que Jac Holzman s’est lancé dans de drôles d’aventures : Nico, et puis Jobriath qu’il a regretté. Si un violon grince dans «Julius Caesar», il ne peut s’agir que de Calimero. Nico finit par établir une sorte de statu quo entre la beauté et l’étrangeté, et le violon n’en finit plus de tournicoter autour du chant. Nico s’établit quelque part entre le rêve et la réalité. Elle semble planer comme une brume matinale en Sibérie. Tout est figé dans un air glacial. Calimero : «Nico was like a European gargoyle. She really was unique. There was nobody doing that sort of gothic folk stuff. It was like something of another age, or another planet.» Le problème avec Nico, c’est la ponctualité. Calimero lui demande de se pointer au studio à 14 h, elle arrive à 17 h. Ou si elle arrive à 15, h, elle passe deux heures dans la bathroom à se remaquiller. Quand Calimero lui demande si elle a un problème avec le temps, Nico lui répond : «No, when I was in the Actors Studio, Elia Kazan told me to do things in my own time. I took it at his word.» Calimero finit par piger le truc : «On pouvait finir par croire qu’elle n’était pas très professionnelle ou qu’elle se conduisait de manière égocentrique. Not so. The timing of everything was immaculate. It was elegant, and everything that was done was done very beautifully - and very late.» Calimero dit aussi qu’elle avait une horloge interne. Pour les textes, elle suivait le conseil de Jimbo, elle écrivait ses rêves, «often opium-fed like those of Coleridge.» Mais à la fin, Nico est ravie. Elle en pleure de joie. Elle a le sentiment d’avoir fait «something extraordinary». Ils ont cette relation magnifique. Calimero dit que ce sera leur mode de fonctionnement jusqu’au bout : «OK, let’s have a fight  now, then the tears, get it over with while we’re sober... and then get down to the music.»

             Mais les albums solo ne marchent pas très bien. Nico n’a pas de manager. Elle en parle à Calimero qui lui répond : «Nico, how could you sell suicide?»

             Et pourtant, elle garde une vision claire de ce qu’elle veut faire : «My songs are visionary. They are ceremonial. Everything is a ceremony of death, in the end.» Écrit-elle ses textes en lettres gothiques, à la lueur d’une chandelle ? Witts s’amuse bien, tout en la respectant.

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             Pour enregistrer The End à Londres et accompagner Nico, Calimero fait appel à Eno et Phil Manzanera. Quand l’album sort en 1974, the reviews reached rock bottom - Nico, as miserable as ever, titre le Melody Maker.   

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             S’ensuit Desertshore. Tu grelottes encore, malgré le réchauffement climatique. «Janitor Of Lunacy» est bien chargé de glaçons. Calimero se régale. Le joli son de «My Only Child» résonne dans l’écho du temps. Et c’est Ari qui chante «Le Petit Chevalier». On entend bien sûr le violon de Calimero dans «Abschied», et il joue du piano magique dans cette merveille qu’est «Afraid». C’est aussi sur cet album que se trouve «The Falconer», la chanson qu’a écrite Nico en hommage à Andy. Avec «All That Is My Own», Nico plonge dans des temps très reculés. 

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             On retrouve Nico sur l’album live enregistré au Rainbow le 1er juin 1974, avec John Cale, Eno et Kevin Ayers. Sur la pochette, on les voit tous les quatre, dûment agglutinés. Bon, le balda n’est pas terrible, Eno fait son cirque avec «Driving Me Backwards» et «Baby’s On Fire». Il s’en donne à cœur joie et il connaît toutes les ficelles de caleçon. Mais on n’est pas là pour entendre ses conneries, et encore moins celles de John Cale qui vient nous pomper l’air avec son maudit «Heartbreak Hotel». Ça empire encore avec Nico et son harmonium : elle massacre le beau classique des Doors, «The End», accompagnée par Kevin Ayers, Calimero, Eno et Robert Wyatt. Kevin Ayers se tape la B à lui tout seul.

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             Nouvel épisode des aventures de Nico : Philippe Garrel. Sa vieille copine Tina Aumont tourne à Paris dans Le Lit De La Vierge, un film de Philippe Garrel (fils de Maurice Garrel), avec Zouzou et Pierre Clémenti. Garrel a besoin d’une bande son pour son film et comme il a flashé sur The Marble Index, il propose le deal à Nico qui lui refile «The Falconer». C’est là que démarre une relation qui va durer neuf ans, «for good or ill, and mostly ill», ajoute Witts qui ne rate pas une occasion de sonner les cloches du destin. C’est sa force. Il ajoute : «Garrel was three years younger than Nico, but no less weird.»  À 25 ans, Garrel a déjà tourné six films. Un critique dit que «Garrel was more avant-garde than Godard. By that I mean he could be even more boring.» Quand elle amène Garrel à New York, Morrissey est horrifié pat son apparence, elle qui fut si beautiful. À Paris, ils vivent rue de Richelieu, sans meubles, sans électricité, sans gaz, volets fermés, et une montagne de mégots et de paquets de cigarettes vides. Sont-ils un couple ? - It was more an affair of lovers of heroin - Quand Lutz Ulbrich découvre ce désastre, il décide de rentrer à Berlin. Puis les chemins de Nico et de Garrel vont se séparer. Mais quand Nico casse sa pipe en bois, Garrel se rend aux funérailles - One of the few to bother.

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             L’autre True Star qu’elle fréquente c’est bien sûr Iggy Pop. Lorsque Calimero enregistre les Stooges à New York, elle se pointe au studio et s’assoit à côté de lui pour tricoter. Elle ne savait pas trop quoi tricoter, mais elle avait décidé de tricoter un truc en noir. À travers la vitre de la cabine, Iggy voyait Calimero vêtu d’une cape noire et Nico tricoter. Iggy se demande ce qu’il fout là. Mais il flashe sur Nico - She was simply incredible - Ils démarrent une relation de quelques semaines. Nico l’initie à trois choses : L’Enfer de Dante, le Beaujolais et l’oral sex. L’Ig : «One day we were in bed together and she said; ‘Jimmy you can do something for me...’» Puis l’Ig l’emmène dans la baraque qu’occupent les Stooges dans un champ de maïs du Michigan. Elle va y rester trois semaines. Les autres Stooges se mettent à parler avec des accents allemands, histoire de la chambrer. Nico leur fait la cuisine : «You boys need feeding. I will make you a nice rice ratatouille.» Quand ils vont faire des courses dans le patelin voisin, elle demande à l’épicier : «Dooo you haffft Beaujolais?». L’ig avoue aussi que «We Will Fall» est une chanson à propos de Nico. Elle lui joue aussi la chanson qu’elle a composé pour Brian Jones, «Janitor Of Lunacy».    

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    ( Eddie Sedgwick and Andy Warhol)

             En 1970, elle perd quatre membres de sa famille : sa mère, Jimi Hendrix, Edie Sedgwick et Jim Morrison. Puis elle se met à voler de l’argent chez les gens qui l’invitent. Si elle est prise en flag, elle dit que c’est pour rire. A joke. Elle n’a plus un rond. Elle admire aussi Baader. Elle lui consacre une chanson sur The End. Tout cela est extrêmement bien documenté. Witts abat un travail de titan.

             En 1977, elle reprend espoir grâce au Punk - It was like a change of atmosphere. The music was heavy metal - it was the same thing we had heard for nearly ten years, but it was like heavy metal played by the Velvet Underground, kind of amateur - Mais elle ne plaît pas aux punks. Quand Nico joue en première partie de Siouxie à Cardiff, la foule lui gueule «piss off!». Soudain, une canette de bière la percute en pleine gueule. Couverte de crachats, elle se lève et gueule : «If I had a machine gun, I would shoot you all.» Terminé avec le punk.

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             De fil en aiguille, Nico se retrouve à sec : sans manager, sans comptable, sans compte en banque, sans économies, sans bien immobilier, juste un peu de cash pour acheter de la dope. Et pour corser l’affaire, elle vient de se faire virer par Island pour racisme. Elle avait en effet raconté qu’elle n’aimait pas les nègres. L’explication arrive : «Never buy (dope) from black men.» Elle raconte en effet qu’elle s’est souvent fait rouler la gueule en achetant de l’hero qui n’était pas de l’hero à des blackos. Elle va rester sans contrat pendant dix ans. Puis elle entame une relation avec Lutz Ulbrich, qui devient son homme à tout faire - She needed to work in order to buy heroin, she needed heroin in order to work.

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             Elle parvient à décrocher un deal avec CBS pour enregistrer Drama Of Exile avec un groupe. CBS lui demande de se désintoxiquer et d’aller mieux. Elle va mieux puisqu’elle tape deux covers de choc, à commencer par l’«Heroes» de Bowie - Aïe Aïe/ Woud be kaïng/ And you/ You woud be queen - Elle le fait à sa façon. C’est comme si Bowie rejoignait enfin le Velvet. Elle établit la jonction, for ever and ever. Dommage que l’orgue sonne un brin new-wave, mais t’as des belles remontées de basse. Elle donne du poids à l’aspect mythologique des choses. L’autre cover du diable est celle de «Waiting For The Man». Elle le prend à la gorge - Hey white boy/ What you do in our town - New York City sound, énergie fondamentale, comme si tu comprenais tout, le Lou dans son quartier. Elle lui rend un bel hommage. Comme elle est accompagnée par un groupe, elle est moins paumée qu’avant. T’as un guitariste bavard derrière Nico, ça meuble. Elle chante son rock d’une voix de Belphégor. Elle fait du Nico pur avec «Henry Hudson» et ça vire hypno sur une belle boucle d’orgue. Elle brille d’un éclat encore plus sombre dans «Sixty Forty». Franchement, t’es ravi d’écouter cet album.

             Alan Wise est choqué de la trouver dans l’état d’une «40-old year junkie» sans un rond qui dort sur le plancher des gens qui l’hébergent. Elle parle très bien de tout ce bordel : «My mind and my life are two different things. My mind is called Christa. My life is Nico. Christa had made Nico, and now she is bored with Nico because Nico is bored with herself. Nico has been to the top of life and to the bottom. Both places are empty.»

             Alan Wise essaye de l’aider, il la sort de la misère noire, il la fait respirer, marcher, boire, jouer et voyager. Elle donne pas mal de concerts. Mais tout le blé que ramasse Nico repart en hero.

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    ( John Cooper Clarke )

             Elle finira donc par en avoir marre, par oublier les textes de ses chansons. Elle va monter sur scène défoncée à la methadone et à la bière. Quand elle s’installe pour chanter avec son harmonium, on lui tire dessus avec un pistolet à eau. Elle boit comme un trou et se met à enfler - For five years, Nico was a junkie. She lost her son, her money, her record contract, her audiences, her dignity and any sense of direction - Elle partage même ses seringues avec Ari. Le seul qui sera capable de l’aider sera bien sûr Alan Wise qui l’invite au réveillon de Noël 1983 chez ses parents. Elle arrive en retard, et la dinde a brûlé. Elle s’excuse : «I’m sorry I’m late, but I couldn’t find a vein.» Elle vit alors à Brixton, elle roule en vélo et partage un appart avec un autre client d’Alan Wise, John Cooper Clarke. Clarke venait de désintoxiquer, mais ça n’a duré que quelques jours. Avec Nico dans les parages, ça ne pouvait pas durer.

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             Elle enregistre un dernier album, Camera Obscura, produit par John Cale. Tu l’écoutes attentivement, car après, c’est fini. Le balda sonne un peu expérimental, mais c’est logique, vu le profil des deux ex-Velvets. T’as aussi Graham Didds aux percus et James Young aux keys. Nico chante à la surface du néant. Elle travaille toujours la même matière vocale. Avec «Win A Few», elle vise une certaine hypno paumée dans la banquise. Puis elle tape une version complètement décadente de «My Funny Valentine». C’est l’American Songbook revu et corrigé par Belphégor. Ian Carr joue un peu de trompette. Inutile de dire que le cut fascine. La viande se planque en B. Nico arrive sur le tard de «Fearfully In Danger» et ça vire belle hypno, dans l’esprit de Calimero. Graham Didds amène «My Heart Is Empty» au big pounding et ça décolle, Nico est comme transportée. Didds est un bon, il bat dans le dur. Nouvelle surprise avec «Into The Arena», traversé par de violents coups d’indus et là t’as tout ce que tu peux attendre d’un grand cut mythique : les percus, la perdition calimérique et la trompette de Ian Carr. 

             Alan Wise et Lutz Ulbritch se sont occupés des funérailles.

    Signé : Cazengler, (gros) Nicon

    The Velvet Underground - The Velvet Underground & Nico - Verve 1967

    Kevin Ayers, John Cale, Eno, Nico. June 1, 1974. Island Records 1974

    Nico. Chelsea Girl. Verve Records 1967

    Nico. The Marble Index. Elektra 1968

    Nico. Desertshore. Reprise Records 1970

    Nico. Drama of Exile. Aura 1981

    Nico. Camera Obscura. Beggars banquet 1985

    Richard Witts. Nico - Life And Lies Of An Icon. Virgin Books 1993

    Susanna Nicchiarelli. Nico 1988. DVD 2020

    Susanne Ofteringer. Nico Icon. DVD 2001

     

     

    Wizards & True Stars

     - Holland/Dozier  / Holland of 1000 dances

     

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             Les gens d’Ace nous refont le coup de la compile qui tue les mouches avec A Different World: The Holland/Dozier/Holland Songbook. Même si tu voulais l’ignorer, tu ne pourrais pas.

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             Comme d’usage, les gens d’Ace s’adressent aux becs fins, c’est-à-dire aux amateurs de bonnes chansons. On ne demande généralement pas grand-chose, juste de bonnes chansons. C’est à peu près la seule chose qui puisse nous rendre heureux. Ceux qui ont vécu l’âge d’or des radios dans les sixties le savent. Ce sont les bonnes chansons qui te formatent la cervelle. Des gens comme John Lennon, Brian Wilson, Bob Dylan ou encore Syd Barrett furent pour nous autres les ados d’antan ce que les dieux de l’Olympe furent aux Grecs anciens : des obsessions religieuses.

             Les bonnes chansons ne tombent pas du ciel. Il te faut des poules aux œufs d’or. Cot cot ! T’as les cakes de choc, comme ceux déjà cités, et t’as ceux qu’on appelle les dream teams de rêve, comme par exemple Lennon/McCartney, Jagger/Richards, Burt/Hal David, Isaac le Prophète/David Porter, les couples du Brill (Mann & Weil, Goffin & King, Ellie Greenwich & Jeff Barry), Leiber & Stoller et puis le trio le plus puissant de son époque, Holland/Dozier/Holland.

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    Tony Rounce

             C’est exactement la même chose qu’avec la série Black America Sings Lennon/McCartney : t’es au maximum de ce que tu peux attendre d’une compile : qualité des compos et qualité des interprètes. T’as 24 bombes/24, 7 jours sur 7. T’es gavé comme une oie. En plus Tony Rounce signe les liners. Tu t’installes sous ton casque et tu pars en voyage au pays le plus parfait de la terre, celui de la magie pop.

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             Rounce : «For UK devotees, Motown  dictated the soundtrack of our lives.» Jean-Yves l’a toujours dit : les Anglais étaient en avance sur tous les autres, parce qu’ils étaient des spécialistes de la Soul. À l’époque où les kids anglais écoutaient les Miracles et les Who, les Français écoutaient Johnny Hallyday et Sheila. Rounce ajoute qu’Holland/Dozier/Holland étaient très jeunes à l’époque et donc parfaitement habilités à créer «The Sound Of Young America», qui fut le slogan de Motown. Rounce rappelle qu’en outre, la concurrence en matière de songwriting était féroce chez Motown : t’avais Smokey Robinson, Mickey Stevenson & Ivory Jo Hunter, Norman Whitfield et Barrett Srong, et d’autres encore, mais moins connus, comme Harvey Fuqua. Rounce renvoie bien sûr aux deux autobios de base, celle de Lamon Dozier, How Sweet It Is: A Songwriter’s Reflections On Music, Motown And The Mystery Of The Muse, et celle des frères Holland, Come On And Get Those Memories, sur lesquelles on s’est longuement penché, ici même, sur ce bloggy-bloggah. Le dream team de rêve a quitté Motown en 1968 pour lancer Hot Wax et Invictus, deux catalogues de choc sur lesquels on s’est encore plus longuement penché. On finit par passer sa vie à se pencher. Pendant ce temps-là, on ne fait pas de conneries.

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             Rounce attaque avec le maverick Donnie Elbert et sa version spectaculairement spongieuse du «Where Did Our Love Go» des Supremes. Le Donnie vivait alors en Angleterre. Il enregistrait pour All Platinum Records, le label de Joe et Sylvia Robinson. Comme ça a bien marché, l’Elbert a continué de taper dans les hits d’Holland/Dozier/Holland, avec «I Can’t Help Myself». Il faut écouter Donnie Elbert ! Il groove le sucre des syllabes. On croise ensuite Chris Clark avec «Love’s Gone Bad». Pour une blanche, elle s’en tire bien. Elle a tout le Motown power derrière elle. Rounce dit que les Funk Brothers «played out of their skins» sur cette bombe atomique. On a déjà croisé Chris Clark inside the goldmine, bien sûr. Et puis voilà le «Jimmy Mack» de Martha & The Vandellas. Selon l’anecdote bien connue de tout un chacun, Billie Jean Brown, the Motown head of quality control, détestait ce «Jimmy Mack» et avait voté contre. Quand Berry Gordy a demandé à écouter tout le rebut des Vandellas en 1966, il est devenu fou de rage (ballistic) quand il a découvert qu’on avait mis «Jimmy Mack» au placard. Rounce a opté pour la version stéréo qui est nettement moins punchy que la mono, et on perd l’effet sonique qui en fait la grandeur - Can you hear me Jimmy - On attaque à la suite l’âge d’or des duos de Marvin. Il devait duetter avec Mary Wells qui venait de quitter Motown en claquant la porte, alors c’est Kim Weston qui l’a remplacée. Kim était alors la femme de Mickey Stevenson, le producteur de «Baby I Need Your Loving». Marvin & Kim sont des diables de pureté black. Stevenson va lui aussi se fâcher avec Berry Gordy et claquer la porte en embarquant Kim avec lui. Marvin se retrouva seul pour duetter, mais pas longtemps, nous dit Rounce : Tammi Terrell rôdait dans les parages. Et puis voilà Brenda Lee qui, en 1985, chante «How Sweet It Is (To Be Loved By You)» d’une main de fer. Rounce se fourvoie ensuite avec Gloria Gaynor et une cover foireuse de «Reach Out I’ll Be There» - one of Motown’s biggest hits of all time - Et pourtant, ce hit faramineux a failli ne pas survivre au quality control : «Smokey Robinson didn’t like it. Full stop.» Mais Berry Grody trouvait le Reach Out différent et tenta le coup. Ouf !  Et puis on finit par tomber fatalement sur les Supremes, ou plutôt Diana Ross & The Supremes, avec «Heaven Must Have Sent You». C’est le sommet de l’esthétique Motown. Rounce indique que ce fut enregistré en 1967, mais seulement édité 19 ans plus tard, «for reasons only known to Motown.» On tombe ensuite sur une perle rare : Big Al Downing et son «Medley Of Soul (It’s The Same Old Song/Something About you/I Can’t Help Myslef)». Perle rare, car enregistrée à Memphis en 1968 avec les Dixie Flyers ! C’est avec ce genre de coup de Jarnac qu’Ace se rend indispensable. Rounce parle d’un «rough and tasty accompaniment». Pour la petite histoire, Big Al est un black rockab célèbre pour son «Down On The Farm».

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             On passe sur Hot Wax avec Honey Cone et «While You’re Out Looking For Sugar». Pareil, on a croisé les Honey Come inside the goldmine. Elles réinventent tout simplement Motown, avec les mêmes dynamiques. Edna Wright est la sœur de Darlene Love. Rounce parle d’un «no-nosense, up-tempo number». Motown nous dit Rounce va tout faire pour bloquer l’envol de ce hit. On croise aussi les Isley Brothers avec «Take Me In Your Arms», pur Black Power. Les Isleys ne sont pas restés longtemps chez Motown. Et puis voila le fameux «You Keep Me Hanging On» des Vanilla Fudge - Set me free ! - Fabuleuse heavyness !

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             Rounce affirme que Dusty Chérie fut «Motown’s biggest champion in the UK». Elle tape une cover du vieux hit des Vandellas, «A Love Like Yours (Don’t Come Knocking Everyday», qui avait tapé dans l’œil de Totor, puisqu’il en avait enregistré une version avec Tina Turner, puis avec Nilsson et Cher. S’ensuit Bettye Swann avec «This Old Heart Of Mine (Is Weak For You)», un cut nous dit Rounce enregistré par 50 artistes, dont un duo Rod The Mod/Ronald Isley. Enregistré au Criteria de Miami dans les early seventies, ce cut nous dit Rounce devra attendre 30 ans pour voir le jour. Bettye Sawnn aurait dû s’appeler Betty Glotte d’Or, même si parfois, elle en fait un peu trop. Puis Lamont et Brian Holland enregistrent «New Breed Kinda Woman» et ça donne une Soul de génie pur. Rounce qualifie ça de «splendid dancer».

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             En 1969, les frères Holland réussissent à persuader Freda Payne de signer sur Invictus, en lui promettant des hits. Et boom ! Voilà «Band Of Gold». Fabuleuse Freda, elle tape dans le dur du groove black. C’est spectaculaire de gros popotin, effarant de genius ! Et puis voilà le vieux «Leaving Here» d’Eddie Holland, qui date de 1963 et qu’ont repris tous les proto-punks d’Angleterre, des Birds à Lemmy. En ce qui concerne les Four Tops, Rounce par d’un «musical mariage made in heaven», puisque le trio HDH leur pond 12 hits coup sur coup. «In A Different World» est non seulement le Four Tops hit préféré de Rounce mais il est aussi le préféré de Lamont Dozier - I thought it was the greatest song ever written - Eh oui, quand t’entends ça, tu parles en termes de grandeur immémoriale, ou de firmament absolu.

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             En 1973, nous dit Rounce, Warners engage HDH pour pondre et produire des hits destinés à Dionne la lionne. Alors ils pondent «I Think You Need Love». Ça dégage tout de suite, dès qu’elle ouvre le bec. Ce sera donc la dernière fois qu’HDH bosse en trio. Les Miracles ont aussi enregistré de l’HDH : «(Come Round Here) I’m The One You Need». Comme le dit si bien Rounce, ils n’avaient pas besoin d’aller chercher ailleurs, puisqu’ils avaient tout ce qu’il fallait à la maison avec Smokey, mais bon, HDH leur propose un hit, alors zyva. L’éclat du power ! Motown à son max ! «It was a no-brainer» s’exclame Rounce. Il parle même d’un «quantum leap forward». On tombe ensuit sur Barbara Mason et «Come See About Me». La classe de Barbara ! Elle traîne bien la savate ! 

    Signé : Cazengler, fromage de Holland et Dozier complet

    A Different World: The Holland/Dozier/Holland Songbook. Ace Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Mahon fait rien d’mal !

             Mahé parlait d’une voix forte. Il s’imposait rien qu’en ouvrant le bec. Il semblait à la fois fier de sa crinière qu’il massait en permanence, et de ses mauvais tatouages qu’il mettait bien évidence : un calvaire avec «à ma mère», un poignard avec un serpent enroulé sur la lame, plusieurs cœurs avec des prénoms féminins, et bien sûr des têtes de mort. C’est la raison pour laquelle il portait un marcel, de mars à septembre. Pour donner un peu de volume à ses tatouages, il faisait un peu de muscu. On voyait dépasser du marcel le mât du navire qu’il s’était fait tatouer sur la poitrine, comme la plupart des voyous malouins qui, à l’époque, se réclamaient de Surcouf. Il ne montrait ce tatouage, nous disait-il, qu’aux «frères de la côte». Sacré Mahé ! Sorti de ses apologies de la Rue de la Soif et des souvenirs de ses 400 coups, il n’avait absolument rien d’intéressant à raconter. Il ne s’intéressait à rien. Absolument rien. Même pas à l’actu. Impossible de converser avec lui. Son regard exprimait le vide total. Il nous faisait de la peine. Il ne s’en rendait même pas compte. Il n’avait pourtant pas l’air idiot. Il vivait comme un petit animal, sifflait sa pinte de Guinness au bar et avalait goulûment son jambon-beurre. Pour rester dans le domaine des besoins organiques, Mahé allait aux putes. Il était le client parfait pour ça. Il tirait son coup vite fait, payait et rentrait chez lui pour s’écrouler sur sa paillasse. On observait Mahé du coin de l’œil. Comment faisait-il pour vivre ainsi ? À quoi servait-il ? Dissimulait-il un secret ? Pourquoi se posait-on toutes ces questions ? Pourquoi Mahé nous intriguait-il ? Et puis, beaucoup plus tard, on a fini par comprendre que Mahé se trouvait très bien comme ça, et qu’il devait s’amuser secrètement de nos tendances inquisitionnelles. Alors qu’on s’interrogeait sur sa vacuité, il s’interrogeait sur la nôtre. 

     

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             Mahé et Mahon ont connu le même destin : chacun d’eux fut victime de l’incompréhension. C’est la raison pour laquelle ils sont restés tous les deux dans l’underground.

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             C’est la compile Wayfaring Strangers qui nous avait alerté sur F.J. McMahon, un Californien parti faire la guerre au Vietnam et rentré au pays avec l’intention de devenir célèbre, mais il n’est pas devenu célèbre. Par chance, son seul album, le cultissime Spirit Of The Golden Juice est réédité. Et par chance, t’as un petit booklet de 8 pages signé Keegan Mills Cooke, un homme bien renseigné. Il sait par exemple que le seul album d’F.J. fut enregistré à Santa-Barbara en 1969 sur un petit label local, Accent, et qu’il était accompagné par le bassman Jon Uzonyl et le batteur Junior Nichols. F.J. grattait ses poux sur une «tiny Guild M20», en attendant de recevoir la Martin D-series qu’il avait commandée à l’usine et qu’il reçut juste à temps pour overdubber les parties de lead guitar pyschédéliques qui hantent le Spirit Of The Golden Juice.

             Côté son, l’F.J. travaille sous le boisseau, un peu à la croisée du chemin de Tony Joe White. F.J. McMahon est surtout un fabuleux guitariste, comme le montre «The Road Back Home», un psychout so far out difficile à situer, mais diablement beau. C’est en B que ça se passe. Il s’accompagne à l’acou psyché fabuleusement inspiré. «Five Year Kansas Blues» sonne comme une aubaine de folk-rock. On sent chez lui une immense musicologie. Il joue encore «Enough It Is Done» sous le boisseau. On pense bien sûr à Croz. S’il gratte «The Learned Man», c’est à la sourde mais il l’éclaire avec du gimmicking de pur Californian Hell - There’s a man on the hill side - Il coule de source à coups d’acou, il remonte des courants mélodiques et te surprend par ses indicibles figures de style. Alors tu fais aw aw aw...  

    Signé : Cazengler, McMahonte

    F.J. McMahon. Spirit Of The Golden Juice. Kamado Records 2017

       

    *

    Quand on y réfléchit bien il n’existe, à part le rock’n’roll et la pensée grecque, que peu de choses intéressantes en ce bas monde si ce n’est l’éros, la mort et la poésie. Remarquez que c’est déjà beaucoup. L’on peut toutefois mêler le rock’n’roll à la pensée grecque, ou à la poésie, mais cette fois-ci nous allons encore nous pencher sur la face ricanante et explosive du jeu morbide du rock’n’roll avec la camarde. Cerise sur la couronne mortuaire vous verrez de par le titre de l’EP que nous ne serons pas loin de la sombre poésie d’Edgar Poe…

    TALES BEYOND THE GRAVE

    WICKED TRIP

    (Bandcamp / Octobre 2025)

    Viennent du Tennessee, terre rock et blues par excellence. Je ne sais rien d’eux si ce n’est d’après leur discographie qui débute en 2021, qu’ils possèdent quelques morceaux fétiches et qu’ils aiment jouer en public.

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             La couverture n’est pas s’en rappeler Carrie (au bal du diable) de Brian de Palma, adaptation du premier roman de Stephen King. Question cinéma eux-mêmes se réfèrent explicitement, c’est le titre d’un de leurs album, de Cabin Fever d’Eli Roth réalisé en 2002. Cinq étudiants qui fêtent leur fin d’étude dans une cabane isolée en pleine forêt, je vous laisse imaginer la suite…

    Pour cet EP, ils semblent filer en deux lignes un semblant de scénario :  Déterrés, réimaginés, resuscités. Ils furent enterrés… pas oubliés. De quoi passer une longue nuit chez vous bien au chaud dans votre lit avec les marches de l’escalier qui craquent…

    Sam Daniels : vocals+ lyrics, guitar / Joseph metier : bass / Andrew Crawford : drums

    Hierophant : une guitare qui grince telle une porte noire devant laquelle il ne faudrait jamais se trouver car la tentation de l’ouvrir est trop grande. Ensuite basse et batterie entrent en procession, lente démarche, parfois l’on s’arrête, l’on repart à pas toujours aussi lents, le vocal lointain, des chœurs qui psalmodient, mais qui ouvre cette porte, et dans quel sens pour entrer ou  pour sortir, de quoi vers quoi au juste, en tout cas la guitare semble libérée elle se lance dans un beau solo, ce qui s’appelle terminer en beauté. De toute manière tu n’en sais pas plus maintenant qu’avant, laisse-toi conduire. Coven : basse en avant toute, accélération battériale, la guitare t’emporte, mais n’est-ce pas ta psychose qui s’empare de toi, le chant est aussi lointain, mais c’est une véritable crise de démence, la guitare revient, elle gigotte comme une danseuse espagnole, rock libérateur, le monde est voué à la mort, mais la mort mourra à son tour, jeu de va-et-vient, ping-pong tragique dont tu es la pauvre petite balle blanche, une chose aussi fragile que l’éternité.  Final tomb : grincements, musique émotionnelle, la procession repart, lentement, lourdement, vocal cuit à l’étouffé, qu’est-ce qu’un tombeau final, celui dans lequel on finit par finir ou celui qui comme toute chose a sa propre fin, est-ce le mien ou celui des autres qui me contemplent que suis-je sur cette table de sacrifice, grincements, silence absolu, guitares et batterie prennent feu, de quel côté du couteau suis-je, va-t-il me ramener à la vie ou à la mort, ne suis-je pas dans l’incertitude de ce que je suis et que bientôt je ne suis plus. The black mass : un dialogue, l’on se croirait dans un film, et ces bruits d’outils scieurs, cette perceuse ou cette visseuse, que d’émotions, et ces coups de marteau mélodramatiques, est-ce moi, ou n’est-ce pas moi, que l’on enfermé dans cette tombe, mon cœur résonne, il bat la chamade, un vocal exsude mon angoisse, est-ce moi qui crie, qui suis en proie à une crise de démence, paroxysme, danse-t-on autour de mon tombeau, le bruit s’estompe, il reprend, encore plus violent, provient-il de moi, me suis-je moi-même condamné, ou alors peut-être que maintenant je suis vivant et que c’est dans cet instant précis que l’on m’égorge. Basse narquoise.

             Vous pouvez ne pas aimer. We don’t care !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Le hasard existe-t-il, vaste question, essayons de ne pas devenir parano. Je petit déjeune un œil sur mes biscotes au cas où elles auraient la velléité de s’échapper et une oreille sur la radio. On blablate sur la Chine. Le gouvernement du pays des nuits câlines inquiet des évènements violents se déroulant dans quelques pays de notre magnifique planète bleue n’a pas envie que sa jeunesse s’inspire de ces mauvais exemples venus de l’étranger. Très logiquement la décision est prise de veiller – comprendre museler – les réseaux sociaux. Désormais l’on supprimera et bannira toute vision pessimiste   qui aurait la malfaisante incongruité d’apparaître sur ces objets rhizomiques de communication citoyenne dite libre… Trois minutes plus tard mon esprit souverain a opéré son tri sélectif, je n’y pense plus… Au boulot Damie, tu n’as pas encore écrit une seule ligne de la livraison 707. Comme souvent mon regard est attiré par une couve. What is it ?  Incroyable mais vrai, un  groupe chinois ! J’écoute, je ne suis pas emballé, je remarque toutefois que nos musiciens sont prudents, l’album est instrumental, ce courant dépourvu de lyrics existe dans les groupes doom en Europe, aux States et de nombreux autres pays. Je me pose quelques questions, d’où est-ce que ça sort, est-ce vraiment un groupe chinois, je cherche et je vous copie-colle via un traducteur maladroit ce que je trouve sur le site bandcamp de de SloomWeep Productions (Chine) :

    ‘’ En octobre 2011, au   13Club de Pékin, Never Before, a donné son tout premier concert de Stoner Doom en Chine continentale. Au cours de la décennie suivante, des groupes se sont succédé, tels qu'Alpaca, King of Lazy, S.H.A.S., Electric Lady, Ramblin’ Roze, Basement Queen, Banyan River, Rude Gove, DemonEleven Children, HallucinGod, Desert Boogie Dorama et Crater, pour n'en citer que quelques-uns. Tous ont donné des concerts réguliers, certains ayant même sorti de nombreux albums de grande qualité. Parallèlement, de nouveaux groupes émergents étaient en cours de répétition et de production. Le Stoner Rock/Sludge Metal/Doom Metal/Heavy Psych est devenu une scène musicale à la fois distincte et de niche, qui rayonne et rayonne en Chine. Les morceaux de cette compilation sont, au sens large, du Stoner Rock, du Sludge Metal, du Doom Metal et du Heavy Psych, interprétés par des groupes composés de Chinois ou d'expatriés vivant en Chine, ou par des groupes dont les membres sont majoritairement chinois et écrivent en chinois. Certaines œuvres manquent peut-être de maîtrise, mais leur sincérité compense leurs défauts. Ce recueil a pour but de promouvoir et de commémorer. Si quelqu'un trouve la mélodie qui lui parle et le guide vers le groupe, alors notre objectif est atteint.’’

    Laissez-moi exprimer une légitime fierté : votre blogrock préféré n’a-t-il pas chroniqué dans sa livraison 655 su 05 / 09 / 2024 un disque d’un des groupes proposés par cette liste : Demon & Eleven Children, groupe dont la filiation peut être remontée jusqu’au Mountain de Leslie West !

    Le texte recopié se trouve sur une compilation SloomWeep  intitulée : Stonedchine:Chinese Stoner/Sludge/Doom/HeavyPsych Musick Collection Vol.1). Mais commençons par le commencement ;

    SAMAN THE DOOM

    ATOMIC SAMAN

    (CD Sloomweep  / Bandcamp / Septembre 2025)

    Sont de Shanghai. J’ignore le sens du mot Saman, par analogie le pense à Samain et à Shaman, mais avec ces deux mots nous sommes loin de la culture chinoise…

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    La couve montagneuse aux teintes violettes percées d’orange illuminescent, mais cette lumière ne sert-elle pas à assombrir l’atmosphère générale de ce qui doit être  un personnage féminin, une sorcière en train d’exécuter un rituel, les mains au ciel en tant que signe invocatoire à la puissance d’une déité représentée par un effarant totem mordoré … Le troisième morceau du disque paru un peu avant l’album complet bénéficie lui aussi une couve similaire à l’opus final, mêmes coloris, montagnes davantage écrasantes, le feu rougeoie à peine, la sorcière a disparu, de même que le totem, l’emplacement vide est jonché d’ossements éparpillés, une tête de mort gît auprès du foyer éteint, est-elle le témoin, le martyre ou la gardienne des actes sacrificatoires. N’oublions pas que le jour des morts est le point culminant de la saison du Samain. De grands oiseaux noirs déploient leurs ailes, symboliseraient-ils le passage des âmes vers l’autre rive du vivant…  

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    抓女巫大将 : Attrapez Le Général-Sorcier : lecteurs n’ayez crainte ceci  n’est pas un ordre qui vous serait adressé, mais la traduction du nom   du guitariste / gxb : cela voudrait-il dire : girls contre boys, en tout cas cette graphie occidentale désigne le bassiste qui se charge aussi du vocal / 苦瓜 : le traducteur me donne: Momordica Charantia qui pourrait, rien n’est moins sûr signifier: Belle-mère Acide… Faut-il faire un lien avec le personnage russe de la Babayaga…

    Fuzzonaut :pour fuzzer ça fuzze lourd, lent et grave, nos fuzzonautes ne se déplacent pas en fusée, la machine se met en route lentement, un train de sénateurs ventripotents, les pieds dévorés par la goutte, faut l’écouter à plusieurs reprises pour se griser des cinquantes nuances de doom, pas une ne manque, bizarrement c’est la basse la moins funèbre des trois instruments, la Belle-mère vous a  une démarche de marche funèbre, elle tapote joliment avec sa   canne cassée d handicapé moteur, la guitare joue le rôle des roues du fauteuil roulant, sans cesse en mouvement. F. L. Y : mystère résolu pourquoi annonce-t-on un guitariste chanteur sur un opus représenté comme un disque instrumental, il ne chante pas, il cause, en anglais, nous ne retiendrons que sa dernière phrase, le dream is over, pas la peine de le préciser l’est sûr que dans un groupe de domm l’espoir et le dream sont terminés avant la première note, la basse aplanit le terrain, c’est si lourd que gxb se sent l’obligation de chanter cette fois, traîne démesurément sur les mots et la basse tisse des toiles d’araignées, moires lourdes comme des paquebots et noires comme les fumées générées par une explosion atomique, une dernière remarque, le rythme est beaucoup plus bas et la basse toute seule chantonne comme si elle voulait couvrir

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    tous les bruits qui viennent de l’abattoir. Torture Machine : c’est plus une basse c’est une plainte monocorde, du coup le guitariste nous fait part de ses angoisses, il ne peut voir son propre futur, on l’avait compris, entretemps la belle-mère a dû devenir aveugle car elle tâtonne méchant avec sa canne blanche – elle est vraisemblablement repeinte en noir, la guitare broie du brou de noix, en tout cas la machine à torture avance comme une tortue, el cantaor c’est lui qui doit être soumis à une délicate opération, il ne chante plus, il vagit, imaginez un 45 tours de  chant grégorien passé en 33 ! Font semblant d’arrêter, basse et guitare se lancent à tour de rôle, pas du tout dans un solo, se contentent d’accélérer un tantinet, du 33 l’on passe aux 16 tours par minutes, le comble c’est que l’on commence à trouver ça relativement agréable, tout compte fait de toutes les espèces, la nôtre, l’humaine est celle qui possède la prodigieuse capacité de s’adapter à n’importe quelle situation, à n’importe quel marasme. Brain COP : n’exagérons pas non plus, pourrait-on admettre dans notre boite crânienne une cervelle de flic, qu’ouïs-je, quelle est cette ligne mélodique, cette douceur de corde qui subsiste lorsque la guitare vous lâche embardées de fuzz sur enbardée de fuzz, un fuzzible du cerveau ne va pas tarder à péter si ça continue. D’ailleurs ils s’arrêtent. Un quart de seconde, juste pour laisser échaper quelques bouffées d’angoisse, maintenant ils se mettent à imiter une locomotive qui fonce tout droit devant elle sur ses rails, fini la marche funèbre, l’on transbahute la cahute à grande vitesse, victoire ? On a dû dérailler sans s’en apercevoir, vous avez la basse qui compte les cadavres et gxb qui tape sur une cymbale obstinée pour les réveiller, maintenant ce n’est pas le grand orchestre de Pékin, mais ils y mettent toutes leurs forces et toutes leur hargne, un cerveau de flic peut-il partir en cavale, nous nous arrêterons sur cette interrogation métaphysique insoluble, pour le finale ils inventent, ils créent, ils trouvent ce que Baudelaire a recherché toute sa vie : du nouveau, le glas retentit, attention pas le glas glaçant, il est doux comme le drap de soie du suaire que l’on referme sur vous. C’est peut-être ce que l’on appelle un supplice chinois. Octave Mirbeau aurait dû l’inclure comme extase suprême dans Le Jardin des Supplices. Weedsky : (Live in cave) : de quelle herbe s’agit-il, celle des pissenlits que l’on bouffe par la racine, ou ces nuages de fumée qui vous envoient aux septième ciel, attention c’est sombre comme le parfum de Lna Dame en noir, en plus vous avez le corbillard qui fait la course dans l’allée, z’avez peur d’arriver en retard pour la cérémonie, car maintenant ils roulent lentement avec componction, dépêchez-vous tout de même, l’on entend le macchabée dans le cercueil qui s’impatiente, vous pousse des clameurs à fendre l’âme, l’est sûr que la vie ne l’a pas épargnée, jusqu’au bout, même dans les cinq dernières minutes, la batterie vous cloue la boite à grands coups de marteaux moelleux, ne manquerait plus que de le réveiller maintenant qu’il s’est tu, qu’il s’est endormi de son dernier sommeil, deux ou trois coups de maillets, le boulot est terminé, sûr que la musique ne rigole pas, mais l’on sent un certain contentement parmi l’assistance.

             Ne vous contentez pas d’une seule écoute. Elle vous semblera un peu monotone. Faut se laisser envahir par la moire noire, c’est alors que vous réalisez que la pénombre s’éclaire, ils n’y vont pas à tout berzingue à la Black Sabbath, vous confrontent au mystère de l’impassibilité asiate, au premier regard ça n’a l’air de rien, ça ne casse pas trois pattes à un canard laqué, laissez-vous emporter, découvrez les méandres du doom subtil.

    Damie Chad.

     

    *

    Lorsque la photo est apparu je n’y ai jeté qu’un vague coup d’œil, un groupe de rock vautré sur un canapé pas de quoi avoir la révélation du siècle, ce sont mes chiens paisiblement endormis à mes pieds qui, ceci est juste image car ils n’en ont pas une seule, m’ont mis la puce à l’oreille, se sont réveillés et ont posé leurs pattes sur mon pantalon en remuant la queue, semblaient si intensément intéressés qu’alerté par une soudaine intuition j’ai fixé mes yeux sur l’image, bingo Molossa et Molossito ont du flair, sûr les quatre feignasses n’avaient pas soulevé d’un millimètre leur postérieur du sofa, mais comment n’avais-je pas relevé ce détail, ne sont pas quatre, mais cinq, et encore un, bref quatre gus et deux chiens. Deux labradors.

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    Les chiens (les miens) ont commencé à aboyer, j’ai cédé à leur impatience, et j’ai filé sur leur bandcamp, dingo ! pas plus tard que juillet dernier ils ont sorti un single, avec le dessin d’un chien sur la couverture. Les gens qui aiment les bêtes sont réputés être gentils. J’étais à moitié conquis mais que vis-je, un groupe polonais ! J’ai un faible pour les groupes natifs de Pologne, en général z’ont un petit truc en plus, sont inventifs. Ce qui est rare, surtout en ce siècle, comme dans les autres, mais ceci est une autre histoire.

    Devant l’insistance canine, je me suis exécuté.

    PLACE HOLDER

    BEACH CRUISER

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    Je ne commente pas la pochette trop près de Disney à mon goût. Un seul détail intéressant, la moitié de roue de vélo qui surmonte la tête du toutou, je pensais que Beach Cruiser signifiait dragueur de plage, une revisitation de nos Beach Boys qui sévissaient sur les grèves du Pacifique, sans avoir besoin de draguer les filles, heureuses sixties où les filles s’offraient sans effort. C’est ce que l’on racontait. Bref Beach Cruiser se traduit bêtement par vélo de plage. Un vélocipède qui permet de pédaler sans effort. Bref ce n’est pas l’Equipée Sauvage !

             Je m’attendais à an american joke, ou si vous préférez une polski zart, nos quatre gaillards en train d’aboyer tout le long du titre. La longueur du morceau une minute vingt-cinq secondes laissait présager ce genre d’introduction. Point du tout, un avant-goût de ce qu’ils savent faire, peut-être une métaphore sur le changement climatique, car les séquences sonores s’enchaînent à la queue-leu-leu comme des chiens qui se courent après pour se renifler le derrière.  Un échantillon un peu passe-partout, pardon, pisse partout. L’est temps de passer à leur premier opus.

    Łukasz Przybyłowicz : vocals / Łukasz Romanowski : drums / Jacek Węgrzyn : guitar,vocals / Wojciech Węgrzyn : bass

    THUNDERBIRD

    ( Album Numérique / Bandcamp / Octobre 2025)

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    Praise the sky : un chant s’élève, nous sommes loin d’une insouciante randonnée en bicyclette au bord de la plage, nous sommes ailleurs dans le chant des guerriers de Sitting Bull qui chantaient chaque matin car c’est toujours un beau jour pour mourir, ne demandez pas pourquoi toutes ces brisures rythmiques ces guitares enrayées et ce solo pointu comme une flèche qui se plante dans le cœur de l’ennemi. Surprise on croyait se trouver entre de joyeux drilles et  nous sommes dans une autre dimension , mythique, assez proche des Doors, mais ils ne possèdent pas d’orgue pour arrondir les angles, nous sommes aussi sur un autre plan, celui de la vie vécue, un quotidien qui n’a rien à voir avec la fureur apache, mais le film se déroule dans notre tête, nous sommes ici au volant de notre voiture et ailleurs en communication avec  l’immensité du ciel et la grandeur de ces hommes qui n’ont fait que passer, que le temps à dévorés et anéantis mais qui nous ont enseigné à être libres. Ce morceau comme une invocation à la terre nourricière et qui ne nous nourrit plus. Parce que nous ne savons pas manger. Further I fall : guitares froissées, batterie en charge, encore les chants indiens dans la tête, ce morceau est l’apprentissage de la vie sauvage, un vocal martial et désespéré, apprendre à être seul, à ne faire ni cadeau, ni promesse, l’homme libre se doit d’être seul, solitaire en lui-même, les chants indiens encore plus forts, le vocal maîtrise la vitesse, il stoppe et il accélère, il suspend et il écrase, un galop éperdu au bout de soi-même dans le sable des déserts intérieurs, il est nécessaire d’être cruel envers les autres, et encore plus envers soi-même, les portes de la folie ne s’ouvrent pas devant nous, c’est nous qui la portons comme ces avions qui lâchent des bombes. Eagle : musique à ras-de-terre, une bouillie sonore qui ne saurait s’élever, qui donne l’impression de courir après elle-même comme un chien après sa queue, qu’importe d’être courbé somme un chien enfermé dans une cage, l’esprit vole haut, il est un aigle qui plane dans les hauteurs inatteignables, un fil à la patte qui nous relie à la terrer, le son s’effondre la basse compresse, qu’importe n’ayez aucune pitié, je ne boirai jamais de votre eau, je vole, je suis un eagle, un ronronnement de moteur comme si ma métamorphose était un simple avion de tourisme qui rôde dans le ciel au-dessus de la materia primaque nigra de nos préoccupations alchimiques d’homme rouge. Flame is what I am : pilonnage, remuement, ressassement, tout voyage est solitaire, personne d’autre que soi-même, savoir ce que l’on veut équivaut-il à ce que l’on fait, une seule manière : s’élever toujours plus haut, jusqu’à ce que l’on se rende compte que le haut n’est que le bas, zones de gratitudes planantes, l’aigle ne vole plus c’est le vent qui le porte, rendre les choses plus puissantes pour devenir encore soi-même plus puissant, mais que sont ces distorsions ce solo qui s’envole est-ce le moteur de la voiture du quotidien qui crachote et se disloque, ou un élancement d’une fusée interplanétaire aquiline qui s’en va se fondre dans les flammes rougeoyantes du soleil. Autruche et / ou oiseau de feu. Runaway : dichotomie totale, certain évoqueront la folie, la batterie concasse, les guitares grognent, être ici et être ailleurs de l’autre côté de la vitre, de l’autre côté de soi-même, être un, être deux, être deux fois un, où est l’erreur, un n’égale-t-il pas deux si nous ne sommes qu’une des deux parties de nous-mêmes, un tambour écrase l’oeuf dur de la pensée, nous sommes si loin l’un de l’autre, basse venteuse, je suis au loin et je suis aussi tout près, mais quel est celui qui regarde l’autre. Le sable du désert a envahi ma tête, je sais lire les traces mais je ne sais duquel de moi elles sont. Birds of thunder : ressassement battérial, l’aigle dans sa cage s’ennuie, il connaît la légende de l’oiseau de feu, celui qui porte le tonnerre qui vous détruira, qui vous éclatera, le chant devient plus ample, impression qu’en sourdine la rythmique recycle en douce le motif de  Break on Through, la voiture roule dans le désert, mais esprit plane tout en haut, vous êtes le shaman exilé sur cette terre qui enseigne la possibilité de s’envoler, de sortir de soi, de s’évader de ses propres limites, apprenez la folie de ne plus être soi et la sagesse aussi d’être l’autre de soi, comme une halte dans l’élan vertical qui vous emporte. S’insinuer dans la fissure schizophrénique non pas celle dans notre tête, mais celle qui nous unit et nous sépare du monde. Toutes deux n’étant que le reflet de l’autre. The play : once I had a little game, c’est toujours le même jeu, ça plaît ou ça ne plaît pas, alors l’on y va en douceur, une mélodie calmante qui bientôt devient presque patibulaire car le jeu est dangereux, la règle est simple il suffit d’entrer dans l’acceptance de soi-même, le vocal mordille, il tente d’être persuasif, il vous caresse, juste l’épiderme, c’est à vous d’entrer dans votre jeu pas à un autre, les deux versants de la montagne en un même, écrasement de cymbale, la tâche la plus agréable est aussi la plus cruelle, il suffit de se regarder dans le miroir de soi-même et de ne plus se voir puisque l’on est devenu le néant de ce que l’on a été, un solo aigu pour manifester la gravité de l’opération, le son perd de son intensité et s’évanouit, c’est à vous de jouer. Beach Cruise a déjà gagné. A votre tour.

             Je pensais avoir affaire à des bons vivants qui allaient vous enfiler des perles de riff, just for fun. Quelle surprise. Je vous avais prévenu, les groupes polonais ont souvent un petit truc en plus, mais Beach Cruise a tout compris. Cet album est une merveille.

    Damie Chad.

     

     

    *

     Attention : Kansas Hook est le nom d’un groupe anglais qui n’a produit que deux singles en 1970 et 1971. Sont ici interviewés deux de ses membres Bob Moore et Charlie Harrison. Nous ne retrouvons trace de Bob Moore que dans de rares compilations consacrées aux années 1964-1968 de la production de groupes anglais restés dans l’ombre. Par contre l’on retrouve des traces de Charlie Harrison dans de nombreux groupes américains notamment dans Poco. Tous deux ont accompagné Gene Vincent en Angleterre en 1971, deux semaines avant sa mort.

    La vidéo est un montage croisé des deux interviews, celle de Bob Moore  vêtu de noir réalisé à Birminghan, celle de Charlie Harrison, chemise à parements blancs à Memphis Tennessee

    The Gene Vincent Files #12: Kansas Hook was the last band to have toured and recorded with Gene.

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    Bob Moore : en fait on était juste des musiciens de Birminghan, dans le groupe que nous formions nous possédions deux bons auteurs- compositeurs, nous avons enregistré deux simples, l’album n’est jamais sorti pour une raison ou une autre. Nous étions très populaires à Liverpool, on y a joué plus que partout ailleurs, l’on a été élus plusieurs fois  ‘’ groupe de l’année’’, localement parlant. C’était disons un groupe underground de style collège dans une université. Nous avons reçu un appel téléphonique d’un agent nommé George Cooper qui en fait manageait Jo Brand ( ?)  et qui travaillait aussi pour Gene Vincent quand il venait en Angleterre, il lui obtenait des concerts et s’occupait du reste. Comme nous travaillions pour cette agence ils nous ont demandé si nous voulions l’accompagner sur une tournée britannique. Comme nous étions très rock’n’roll, nous nous sommes décidés.

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    Charlie Harrison : en 1971, je crois, j’ai déménagé de Tamworth ma ville natale pour me retrouver dans la région des Midlands où se trouve Birminghan, une fois j’ai joué avec Kansas Hook à Birminghan et je suis devenu ami avec le claviériste David Bailey et aussi de Bob Moore le batteur. Et puis Gene a amené un guitariste américain (Richard Cole) qui était avec lui et m’a demandé si je voulais faire une petite tourné en Angleterre.  Avec Gene Vincent ! bien sûr que j’ai sauté sur l’occasion, absolument, Gene l’original garçon agressif, sûr de sûr que j’allais le faire !

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    Bob Moore : je tiens à préciser que nous avions l’habitude de faire quelques morceaux de Gene Vincent dans notre set avant même de travailler avec lui. De toutes façons nous étions un groupe fondamentalement ancré dans le rock’n’roll du Kansas ( ??), c’était donc génial que l’on nous demande de le faire, nous avions déjà tourné avec quelques autres gars qui n’étaient pas aussi importante que Gene Vincent, c’était génial. La première fois que nous l’avons rencontré, il a été emmené directement de l’aéroport à la salle de répétition par un gars nommé Richard Cole, de fait le manager de Gene à cette époque, il était aussi le guitariste du groupe, oui il le manageait et tenait la guitare. Quand j’ai rencontré Gene cette première fois à la répète, ça m’a paru un peu étrange puisqu’il nous a salués puis il a disparu dans le pub ce qui était déjà assez étrange, puis un gars nommé Lee Tracy qui était un ami de Gene s’est pointé et en fait il s’est chargé de conduire la répétition à la place de Gene, donc au lieu que ce soit Gene qui se charge des lyrics, ce gars connaissait toutes les paroles, Gene était au pub en train de boire, et ce gars-là se chargeait de toutes les paroles… nous avons pensé, bon je n’en dirai rien, de toutes les façons Gene est revenu après avoir passé toute la journée au pub… Il ne s’est vraiment pas bésef impliqué dans cette répétition, Lee Tracy a assuré tous les lyrics. Quand enfin nous avons pu parler à Gene, il nous a paru très distant, mais il avait aussi des moments où il était vraiment drôle et d’autres où il devenait comme inaccessible, c’était très étrange, un moment il était affûté et c’était génial de discuter, d’échanger des blagues et puis en quelques minutes il changeait et était presque de mauvaise humeur, mais j’affirme que la répétition était une imposture puisqu’il n’était pas là.

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    Charlie Harrison ; il n’était pas particulièrement calme mais que vous auriez, que je pourrais éventuellement dire oh ! oui, c’était un gars génial, on parlait de voitures ou d’avions ou de femmes, on s’est mis au travail et on a répété et mon Dieu je jouais avec Gene Vincent, c’était cool, vous savez, il n’y avait pas beaucoup de monde en fin de compte, ce que je ne savais pas c’est que j’allais être le dernier bassiste de la planète à avoir joué avec lui, je ne le savais pas à l’époque mais le seul fait de pouvoir jouer avec Gene, de mettre ça sur mon CV, dans mon book, ça ne pouvait pas être mal ! D’après ce que je me souviens  ce devait être une tournée d’environ trois semaines ce qui impliquait à peu près  seize, dix-sept, dix-huit concerts en Angleterre.

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    Bob Moore : En fait le contrat impliquait de faire une session radio pour la BBC Radio 1 à laquelle nous nous sommes rendus une semaine trop tôt, encore un truc bizarre, ils nous avaient donné une mauvaise date et eux aussi sont venus au rendez-vous une semaine plus tôt. Le gars transportait un gros chargement de fleurs, je ne sais pas d’où il les sortait, il entré dans le studio et l’a placé directement sur le piano ce que j’ai trouvé plutôt bizarre, sur ce le gars s’est retourné et nous a demandé ce que l’on faisait là. Il nous a répondu : ‘’ Vous allez faire une session, mais de fait vous arrivez  en avance d’une une semaine, c’est vraiment une grosse erreur de gestion’’. Nous avons effectué une session pour Granada TV, ce devait être un concert en deux temps, mais les vrais concerts en club, nous les avons faits au Garrik Club à Leeds près de Manchester et l’autre au  Wockie Hollow à Liverpool. Il y avait  d’autres clubs où nous devions jouer mais comme l’état de santé de Gene empirait et qu’il y avait d’autres problèmes avec le procès à Londres avec son ex-femme cela a entraîné que certains concerts ont été annulés, ce qui était un coup dur car l’un d’eux était tout à côté de chez moi, au Belfrey.

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    Charlie Harrison : c’était donc dommage, si je ne me trompe pas voici à peu près tout le truc avec Gene, c’était juste, finissons-en, allons-y ! Je ne me souviens d’aucune situation particulièrement bouleversante ni de situation heureuse, ni de quoi que ce soit entre ces deux extrêmes. C’était à peu près la règle commune à cette époque quand on organisait une tournée : on faisait venir l’artiste, et un autre gars pour régler tous les autres détails, généralement on choisissait un musicien du groupe. C’était une habitude établie, donc l’organisation des choses ne favorisait pas la naissance  de grandes amitiés durant le déroulement, ce dont je me souviens  correspondait à peu près à la norme ; on y va, on fait ces morceaux, on y va. Gene était un gars assez angoissé je ne pense qu’il lui ne restait pas assez de temps pour ces trivialités, disons qu’il était du genre : allons-y, on y va, on y va, on y va, faisons le concert ! Je pense que Gene se pliait à ce qui se passait habituellement  dans le bizness  de la musique de l’époque. Je pense qu’en  fait Gene était vraisemblablement le véritable créateur d’un style, oui il était l’authentique créateur d’un style,  je ne pense pas que Gene ait eu l’intuition  qu’il était trop tard, peut-être qu’à l’époque l’on ne savait pas vraiment si c’était trop tard ou trop tôt, je ne pense pas qu’il avait intégré cela à son mode de raisonnement.

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    Bob Moore : je ne pense pas que Gene ait exercé une influence grâce  aux concerts que nous avons donnés, même si l’on enlève ceux, un ou deux, qui ont été annulés, car ceux que nous avons assurés c’était devant des fans convaincus de Gene Vincent. Je ne pense pas que la musique d’alors ou passée ait exercé une influence, le public était dans son intégralité composé de rockers venus pour voir spécialement Gene Vincent, si vous y tenez incluons quelque curieux. En y réfléchissant ces spectacles se déroulaient dans une sorte d’atmosphère de club, car nous avions joué essentiellement dans des espèces de cabaret-clubs connus pour accueillir des artistes de cabaret, le mouvement hippie était très peu représenté, plutôt des groupes de rock’n’roll genre middle of the road, Il y avait un gars qui partageait le même hôtel que nous, appelé Dave Dee (??) qui a eu beaucoup de succès , avec qui Gene est devenu très copain, c’étaient dans l’ensemble des troupes de danse et des trios, des jongleurs, des magiciens bref des artistes de ce genre. En fait il s’est fait virer du club un soir parce que le bassiste du groupe, il a depuis déménagé aux USA où il a rejoint un groupe appelé Poco, bref il a bien réussi, il était jeune à l’époque, il était en train de chahuter quelques membres des Axes (??), Gene lui a dit de sa calmer, cela l’a bien calmé, c’était drôle car il n’avait que seize ans, mais ce gamin avec sa basse il s’est bien débrouillé. Il a bossé, je m’en souviens encore avec Roger McGuin qui était avec les Byrds, et il a fait des trucs avec Glen Campbell, il a travaillé avec Rod Stewart et beaucoup de monde Frankie Miller, Leo Sayer et beaucoup d’autres, mais il n’était qu’un bébé quand il nous a rejoint et Gene lui a dit de la boucler, Tu n’es qu’un petit garçon idiot, ce sont ses mots exacts.

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    Charlie Harrison : Puisque nous parlons de l’influence que Gene a eu sur ma carrière. Je déteste dire ça mais je ne suis pas vraiment sûr que cette période ait eu une influence sur ma carrière.  J’étais en train de passer de ce que me figurais être un bassiste à m’interroger sérieusement à ce que devait être un vrai bassiste. C’était juste à ce moment où j’ai commencé à travailler très sérieusement. Tous mes héros sont des noirs, vous connaissez, toi Chuck Rainey et toi Gerald Master le meilleur du monde du monde, donc je ne peux honnêtement pas dire pas dire que Gene ait eu une influence massive, ce fut davantage une leçon de vie, j’étais très excité de jouer avec Gene, très excité car j’étais conscient qu’à un moment ou autre cela serait inscrit sur mon CV, mon Dieu je ne savais pas qu’il allait retourner en Amérique, que dans l’espace d’une dizaine de jours il ne serait plus avec nous…

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    Bob Moore : (question : Avez-vous réellement enregistré des morceaux ?) : Nous l’avons fait en effet au moment, la semaine suivante où nous nous sommes  rendus à la BBC à Merale. Je pense que nous avons enregistré cinq morceaux en tout que nous n’avions répété avant. Gene a proposé un  vieux titre de Jim Reeves : Distant Drum, mais tous les autres morceaux étaient des standards du rock’n’roll, beaucoup de fièvre et même sur Say Mama tout le truc de la scène, soudain Gene s’est exclamé : pouvons-nous faire ce morceau de Jim Reeves que nous n’avions jamais joué et nous l’avons fait en une seule prise, il s’est avéré qu’elle était plutôt bonne. (question : pouvez-vous nous parler du dernier show que vous avez donné avec Gene au Wookey Hollow Club ?) : Si je me souviens bien, ce fut un assez bon concert même si la voix de Gene semblait être – il prenait beaucoup de calmants et beaucoup de trucs pour sa gorge – vous pouvez dire que sa performance  n’était pas au top, et son état semblait empirer avec le temps, mais le club était génial, c’est vraiment étrange, très étrange, vous traversiez comme un pont pour débouler sur sçène, le groupe a très bien joué, et Gene a été très bien accueilli par la foule mais vous pouvez dire que Gene s’efforçait de tenir les notes, c’était comme s’il était à bout de souffle pour être honnête  avec sa gorge et ce qui allait avec, plus la boisson et tout ce qui allait avec, je pense que ça commençait à se voir lors des concerts de Gene Vincent vers la fin, vous savez qu’il ne se sentait pas très bien du tout et je pense que ça jouait un grand rôle. En fait nous sommes descendus avec la foule pour le spectacle mais on pouvait voir qu’il torsadait ses notes et des trucs du même genre, il changeait de tonalité et de timbre à mi-chemin du morceau, il ne pouvait pas torsader les notes, il variait la tonalité au fur et à mesure pour que ça colle, on imaginait facilement que de ce point de vue il n’offrait pas vraiment le meilleur des spectacles. Je pense que c’est la scénographie de Gene qui a plu, même s’il était malade, il possédait le charisme d’un grand chanteur grâce à son équipement et tout ce qui allait avec, je pense que ce que lui a permis de se tirer de cette épreuve c’est qu’il a séduit le public davantage  par sa prestation scénique que par ses capacités vocales.

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    Charlie Harrison : pour être honnête si l’on me demandait la différence entre le regarder dans une émission Top of the Pops ou Ready Steady Go et le voir performer sur scène à ses côtés, y avait-il une différence ? Absolument pas, absolument pas, c’était la même chose, nous répondrons à quelqu’un agacé par toujours les mêmes postures, vous savez les jambes, et tout le bataclan, tout ça c’était l’essence de Gene, il ne l’a jamais abandonnée. Une anecdote significative me vient à l’esprit quand je pense à ces journées passées avec Gene. Cela m’attriste vraiment d’y penser, néanmoins c’est ainsi. Nous avons donné le dernier concert. Le lendemain nous nous sommes levés et avons pris le petit déjeuner qui faisait partie du rituel. Vous savez à l’hôtel vous prenez votre petit déjeuner, nous l’avons tous pris sauf Gene Vincent. Le petit déjeuner expédié, j’ignore si les gars sont allés faire leurs valises mais je me souviens d’être sorti et avoir vu Gene assis sur le trottoir, en Angleterre, ses pieds sur la route et les fesses sur le trottoir, il tenait une bouteille de vodka dont probablement il ne restait plus grand-chose, il paraissait joliment ivre, je ne sais si c’était ce jour où il a constaté qu’il était foutu et sur le champ il a bu un max. Toutefois en y réfléchissant je ne suis pas même sûr que Gene était un alcoolique invétéré ou si la cause était due à cette maudite jambe, je suppose qu’il essayait de cacher sa douleur derrière cet état destiné à tromper le jugement de celui qui le regardait, mais si un garçon aussi alcoolisé peut se mentir à lui-même, mais il buvait vraiment beaucoup, il buvait tout le temps…

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    Bob Moore : je ne sais pas exactement au courant de ce qui s’était passé, mais je crois que Gene transportait une âme avec lui parce ce qu’une nuit il avait oublié ses valises à Manchester, nous étions descendus à Birmingham et nous avons dû ouvrir les valises pour y mettre une partie de ses affaires et je suis certain qu’il y avait un pistolet dedans, je ne sais pas s’il avait eu une altercation  avec un homme de loi à propos de son port d’arme, mais je peux vous dire maintenant qu’il en avait certainement un car le lendemain nous avons reçu la valise par un coursier de  Red Star, un service de livraison, le lendemain nous nous en sommes débarrassé en sachant pertinemment qu’il y avait une arme dedans. Je pense qu’il avait eu quelques démêlés avec la loi, sur différents points, toutefois je ne sais pas exactement à quel sujet, peut-être que c’était l’arme, ce n’était sûrement pas une sarbacane.

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    Charlie Harrison : de quoi puis-je me rappeler encore, je me souviens en pensant aujourd’hui à tout cela, que si j’avais pu savoir ce que je sais maintenant, c’est à quel point tout ce scénario était important pour le rock’n’roll. Je veux dire Gene merci beaucoup, tu sais tu es venu faire ce documentaire car c’est une nécessité d’entendre cette histoire, ce n’est pas du tout ce qu’on peut imaginer, je pense qu’il était en grande partie influencé un nombre incroyable de musiciens et certainement aussi de chanteurs. Combien de personne ont copié les postures de Gene, sa mine agressive, sa manière de tenir le micro incliné. Rod Stewart l’a fait, que Dieu bénisse son cœur, qu’il veuille l’admettre ou non, mais ce ne sont pas mes affaires. Vous savez Johnny Rotten l’a fait, Jim Morrison l’a fait, beaucoup de gens l’ont copié, qu’ils le veuillent ou non, même s’ils n’en sont pas conscients !

    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

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    Nous retrouvons Lee Tracy & The Tributes sur l’album Battle of the Bands (publié en 1971) sur lequel figurent : I’m Movin’ on et Say Mama, enregistré par Gene Vincent and The Houseshackers.

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    Photo de l’intérieur du   Wockie Hollow de Liverpool.

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    Chuck Rayney : né en 1940 : un beau palmarès : l’a travaillé avec Quincy Jones, Aretha Franklin, Dizzy Gillespie, Steely Dan, Peggy Lee, et quelques autres du même acabit…

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    Gerald Masters : (1955-2007) : surtout producteur.

     

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 706 : KR'TNT ! 706 : MORLOCKS / JERRY REED / SWELL MAPS / BOB STANLEY / ROBERT KNIGHT / ROCKABILLY GENERATION NEWS TELESTERION / DOORS / GENE VINCENT +CHRIS DARROW

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 706

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 10 / 2025

     

     

    MORLOCKS / JERRY REED / SWELL MAPS

    BOB STANLEY / ROBERT KNIGHT

     ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TELESTERION /  DOORS

        GENE VINCENT +  CHRIS DARROW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 706

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

    - À la vie à la Morlocks

    (Part Three)

             Après quelques années d’errance dans le désert, on finit généralement par perdre pas mal de choses : du poids, c’est évident, mais aussi sa fierté et ses complexes. L’avenir du rock n’échappe pas à la règle. Il se sent même tellement décomplexé qu’il se prête naturellement à quelques fantaisies : il donne libre cours à des fantasmes.

             — Et si la mort n’existait pas ?, énonce-t-il d’un ton jovial. 

             Délicieusement surpris par la clarté préraphaélite de sa logique, il ajoute :

             — Puisque je suis en vie, ça veut donc dire que la mort n’existe pas !

             Quelle fabuleuse évidence ! Il adore cette idée. Il l’alimente. Il la dorlote, il l’emmène partout avec lui, il en fait des slogans :

             — L’oisiveté est la mort de tous les vases !

             Il regorge tellement d’ingéniosité événementielle qu’il se met à chanter:

             — La mort qu’on voit danser le long des golfes clairs !

             Et puis un jour, alors qu’il traverse une immense étendue caillouteuse, il voit un nuage de poussière s’élever à l’horizon. C’est un chameau ! Il approche rapidement. Oh mais c’est Lawrence d’Arabie ! Encore lui ! Quelle erreur celui-là ! Il est encore pire que moi, se dit l’avenir du rock !

             — Alors Lawrence, pas encore mort ?

             — Pfff... La mort ne m’intéresse pas, puisqu’elle ne peut être vécue.

             — Suis d’accord avec vous Lawrence, la mort c’est de la merde !

             — Pire que ça, avenir du rock, c’est de la merde turque !

             — Arrrrgggghhhh, vous êtes vraiment un gros dégueulasse Lawrence ! Vous allez me faire gerber !

             — Bon c’est pas tout ça, avenir du rock, j’ai encore des trucs à faire. Salut, mec, à la prochaine !

             — À la vie à la Morlocks, Lawrence !

     

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             L’avenir du rock est assez fier d’avoir réussi à caler son petit slogan. Il n’a donc pas perdu toute sa fierté, comme on le supposait. Et de son côté, Leighton Koizumi n’a rien perdu de sa fantastique animalité. Il se dresse dans le paysage garage-punk comme un bloc de granit, il paraît indestructible, merveilleusement wild as fuck. Il

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    avoue sur scène atteindre la soixantaine, mais tout en lui dit le contraire, il reste notre screamer américain préféré, le dernier survivant d’une lignée qui remonte à Gerry Roslie et qui passe par John Schooley, Frank Black et Jimbo. Leighton Koizumi est le dernier roi du scream américain, de la même façon que Wild Billy

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    Childish est le dernier roi du scream anglais. Ce n’est pas le même genre de scream. L’anglais est assez pouilleux, assez délinquant, assez peau-sur-les-os, c’est le scream des kids qui fuck you, le scream des kids qui s’en battent les bollocks, le scream des kids qui ne craignent ni la mort ni le diable. Le scream américain est plus reptilien, plus démesuré, il fait appel à une notion inconnue en Europe qui est celle de la

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    frontière, le scream d’une vie qui ne tient plus qu’à un fil, mais d’une vie quand même, le scream des plaines qui s’étendent à l’infini, le scream des scalps et des chariots brûlés, le scream d’une vie culturelle qui n’existe pas, le scream d’une «nation» de colons bâtie sur la destruction des autochtones et l’esclavage, c’est aussi le scream du Vietnam, le scream d’une société maudite. C’est un scream hanté, le scream d’une violence endémique, et ce géant en perpétue la tradition avec une élégance stupéfiante. Si tu veux voir un showman à l’œuvre, c’est lui. Il est l’une des

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     plus pures incarnations d’un genre éculé par tant d’abus qu’on appelle le garage-punk. Sa presta est d’une pureté absolue. Le set des Morlocks est conforme aux canons. Il pleut des hommages : hommage à Robert Johnson avec un «Killing Foor» tapé au pilon des forges, un autre gros clin d’œil au 13th Floor avec «You Don’t Know» et surtout cette cover ultra-puissante du «Teenage Head» des Groovies, et là, oui, tu montes jusqu’à ton cher septième ciel. 

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             On voit régulièrement les Morlocks en France. La dernière fois, c’était à Toulouse, en 2020, et petit détail macabre, c’était le dernier concert de Gildas (Hello Gildas). Retourner voir les Morlocks sur scène, c’est donc une espèce de pèlerinage - Hello darkness my old friend - Bernadette est toujours là, Gildas le connaissait bien. Bernadette qui est un guitariste qui jouait dans un groupe de garage allemand, les Gee-Strings. Cox est là, elle aussi, au premier rang. Première rencontre à Binic en 2019, où elle faisait une petite interview de Gildas à la terrasse du Nerval pour son fanzine. Alors on renoue, et Gildas n’a jamais été aussi présent. C’est ce qu’on appelle communément une communion. Spirit in the sky.

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    Signé : Cazengler, la (mort) loque

    Morlocks. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 30 septembre 2025

     

     

    Rockabilly boogie

    - Jerry Reed n’a pas pris une ride

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             Dans ses liners pour The Rocking US Male, Roland Heintich Rumtreiber rappelle que la Georgie est le pays des grands guitar pickers, à commencer par Blind Willie McTell. Puis il va droit sur l’outstanding Jerry Reed. Né pauvre, Jerry chope sa première gratte à l’âge de 7 ans - I picked up the guitar at age seven and never put it down again - On appelle ça une vocation. Il devient vite the hottest picker in town, et Bill Lowery lance sa carrière à Atlanta. Puis il lui décroche un contrat chez Capitol. Lowery voit du potentiel dans le jeune Jerry et le pousse à composer.

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             Alors attention, on entre dans le cœur du mythe : Capitol et Ken Nelson. Ce nom ne te rappelle rien ? Ken Nelson ? Mais oui, le producteur de Gene Vincent. En 1956, à la fin d’une session chez Capitol, Ken Nelson demande à Jerry de composer un catchy tune pour son «rockabilly hopêful Gene Vincent». Jerry rentre au bercail et compose aussi sec  «Crazy Legs» que Gene et les Blue Caps enregistrent quatre jours plus tard.  Puis Jerry rejoint le backing band de Ric Cartey, the Jiv-A-Tones.

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             Jerry va ensuite s’installer à Nashville. Parmi ses admirateurs se trouve Chet Atkins. Ils vont devenir amis. Chet signe Jerry sur RCA en 1965 et veille sur la qualité des enregistrements. Jusqu’alors, personne n’a selon Chet su capter le vrai son de Jerry. C’est exactement ce qu’il entend faire en 1967 avec The Unbelievable Guitar And Voice Of Jerry Reed. C’est là que se trouve la pépite du diable, «Guitar Man» et son wild rockab drive. C’est d’une véracité à toute épreuve. Jamais un cut n’a aussi bien taillé la route. Sur le même album, on trouve «US Male» qu’Elvis va aussi reprendre. Heavy Jerry ! Superbe ! Il développe du génie pur. «Woman Shy» est aussi puissant. Jerry Reed est un wild cat in the deep. Il met encore du chant dans ton oreille avec «I Feel For You». C’est toujours ça de gagné. Ce mec Jerry te met dans sa poche, cut après cut. L’heavy groove infectueux ? Il a ça dans la peau, comme le montre «Take A Walk». Il reste l’un de ces fabuleux cats d’undergut dont le Deep South a le secret. Tu te régales encore de «Love Man» et de son claqué d’acou en travers. Il gratte «If I Promise» à l’espagnolade. Tu sors de ta torpeur et tu danses au bar de la plage avec les plantureuses de service. Jerry Reed est l’artiste complet par excellence : voix, poux, compos, tout est bon. 

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             Elvis est au volant quand il entend «Guitar Man» sur son auto-radio. Pouf, il veut l’enregistrer. Ce qu’il fait à Nashville en septembre 1967. Mais aucun de ses guitaristes ne réussit à choper le funky feel de la version originale. Même pas Scotty Moore. Alors un mec conseille à Elvis de faire venir Jerry Reed. Jerry débarque au Studio B de RCA. Quand on l’a prévenu, il était à la pêche depuis plusieurs jours et il n’a pas eu le temps de se changer. Il arrive en bottes crottées et en vrac. Elvis adore ça. Ils s’entendent tout de suite très bien et ils ne font que deux takes de «Guitar man». Quand les sbires du Colonel coincent Jerry pour lui demander de céder ses droits, Jerry les envoie sur les roses. Fuck you ! Comme l’a fait Chips.   

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             L’année suivante, il enregistre deux albums, Alabama Wild Man et Nashville Underground.  Le morceau titre d’Alabama t’envoie direct au tapis : forte présence vocale à la Jerry Lee. Son «Alabama Man» est monté sur la carcasse de «Guitar Man». C’est de bonne guerre. Il reste encore coincé dans son Guitar Man pour «Broken Heart Attack», petit tatapoum vite fait bien fait, et puis on tombe sur le coup de génie de l’album : «Free Born Man». Prestance à la Tony Joe White, mélange de Steve McQueen, de Chips Moman et de guitar genius. Il adresse ensuite un gros clin d’œil à Boyce & hart avec une cover de «Last Train To Clarksville», oh no no no. On trouve aussi une Beautiful Song sur cet album : «Losing Your Love», montée sur des arpèges atonaux. Une vraie merveille à la coule. Il combine encore tous ses talents sur «Maybe In Time» : big power et easy going.

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             Nashville Underground peut se targuer d’avoir l’une des plus belles pochettes de l’histoire du rock américain. Toujours cette sacrée présence vocale, mais Jerry Reed devient plus commercial. Petite pop, c’est vrai, mais belle voix. Plus aucune trace du wild cat. Nashville a fini par lui limer les dents. Bon la voix, bon le truc, bon le machin, mais zéro slap. Il revient s’inscrire à merveille dans le Guitar Man avec «Save Your Dreams», qu’il chante d’ailleurs avec une voix de rêve, sans doute par souci de cohérence. Il revient aussi à son cher heavy groove avec «Almost Crazy» et «You’ve Been Cryin’ Again». Il profite de «Tupelo Mississippi Flash» pour faire du gros rumble de Tupelo.

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             Sentant qu’il va virer country, on teste un dernier RCA : Better Things In Life. On espère y retrouve l’éclat de ses deux premiers albums sur RCA. Il est tout de suite là avec son mix de Tony Joe White, de vieux gratté et de lay my burden down. Il gratte ses petites conneries dans «Roving Gambler». Il passe un solo aux petits oignons dans «The Likes Of Me» et te gratte sa vision du blues dans «Blues Land» : superbe heavy blues jump ! Tu te prosternes. Il fait du story telling à la Tony Joe White dans le front porch de «Johnny Wants To Be A Star». Il joue bien sa carte vermoulue. Puis il refait son Elvis dans «Oh What A Woman» et tape un véritable numéro de surdoué avec «Swingin’ 69». C’est pour ça qu’on est là.

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    Glen + Jerry

             Puis dans les années 1970, Jerry va devenir un habitué du ‘Glen Campbell Goodtime Hour’ à la télé. Rumtreiber n’en finit plus de rappeler que Jerry est resté Jerry toute sa vie - What’s wrong with being happy? - Il jouait pour le fun, spontaneous and efforless, alors que les autres semblaient sérieux et concentrés. Jerry est toujours resté funky and soulful - He was a mean son of a gun, a rocker, and a damn hot picker - when you’re hot...

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             En 2022, Bear sort un 25 cm, The Rocking US Male. Tu t’attends à monts et merveilles. T’as effectivement le fameux «Guitar Man» qui avait bien tapé dans l’œil d’Elvis. Très intriguant, voilà «You Make It They Take It», un petit comedy rock à la Coasters, mais ça joue au pulsatif rockab. En B t’as encore cet «US Male» taillé sur mesure pour Elvis, mais le coup de Jarnac s’appelle «I’ve Had Enough» : pur rockab, slappé dans les règles, fabuleux shake de shook, Jerry boppe son blues. Diable comme ça swingue ! Chapeau bas aussi pour «Have Blues Will Travel» : Jerry gratte son riff raff comme un punk. Et puis, glissé dans la pochette avec le fat booklet, t’as un CD 25 titres qui reprend les cuts du 25 cm, bien sûr, mais t’as plein d’autres choses, notamment «The Great Big Empty Room», un heavy groove de rockab, il te tape ça sous le boisseau, avec le poids du slap et l’éclat du chant. Il chante encore comme un cake sur «Teardrop Street» et revient au heavy romp avec «Your Money Makes You Purly». C’est une merveille jouissive, avec ces chœurs de filles. T’es vraiment frappé par l’incroyable qualité des cuts, et ça continue avec «I Can’t Find The Worrds», un swing de balladif : il y claque le solo que passe Burlinson sur Train Kept A Rollin’. Et pour finir, Jerry le crack accompagne Ric Cartey sur deux cuts déments, «Heart Throb» (on se croirait chez les Cramps, Jerry gratte comme un punk et Ric sonne comme Lux, exactement le même son !) et «I Wancha To Know», un fast rockab d’excelsior, fouetté à la peau des fesses par un swinger fou. Et Jerry te claque l’un des solos de son siècle.  

    Signé : Cazengler, ridé

    Jerry Reed. The Unbelievable Guitar And Voice Of Jerry Reed. RCA Victor 1967

    Jerry Reed. Alabama Wild Man. RCA Victor 1968

    Jerry Reed. Nashville Underground. RCA Victor 1968

    Jerry Reed. Better Things In Life. RCA Victor 1969

    Jerry Reed. The Rocking US Male. Bear Family Records 2022

     

     

    Wizards & True Stars

     - Swell Maps on the map

     (Part Two)

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             Les Anglais saluent royalement la résurrection des Swell Maps : quatre pages dans Uncut, et deux dans Mojo. Tu crois rêver. Que nous vaut cette avalanche de pages merveilleuses ? La parution des John Peel Sessions !

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             Jim Wirth qualifie les Swell Maps de punky outsider artists. C’est beaucoup plus que ça. Les Swell Maps sont les chantres de la modernité du rock anglais, au même titre que Syd Barrett, Paul Vickers et Lawrence. Apparemment, Nikki Sudden avait une facilité à composer - I write songs like I drink a cup of coffee or read a book - I just do it - Et il ajoute ça qui en dit long sur ses mensurations : «I can’t see ourselves becoming too polished, note-perfect and all that.» Nikki est punk dans l’âme, c’est-à-dire just do it et no note-perfect. Wirth parle encore d’un chaotic mix of Can and T. Rex. Il rappelle ensuite qu’entre 1978 et 1980, les Swell Maps ont sorti deux albums et quatre non-album singles. Puis il passe aux influencés, parmi eux Sonic Youth (attirés par le filthy guitar sound), les Pastels (attirés par le rudimentary, free-form style, c’est-à-dire le dégingandé) et surtout Luke Haines au temps des Auteurs qui qualifiait des Swell Maps de «British Velvet Underground». Wirth qui est outrageusement bien documenté rappelle encore qu’au commencement, les Swell Maps ne juraient que par les Faust Tapes (their blueprint) et qu’ils ont expérimenté chez eux à Birmingham jusqu’à l’éclosion du post-punk DIY frenzy. John Peel va flasher sur le premier single, «Read About Seymour» (qu’on retrouve bien sûr dans la première Peel Session de 1978). Quand ils sont arrivés au studio de la BBC à Maida Vale en octobre 1978, les Swell Maps ont flippé quand ils ont vu que l’ingé-son portait un T-shirt ELO, mais ça s’est bien arrangé. Ouf !

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             John Dale attaque son hommage en citant les précurseurs des Swell Maps : Buzzcocks, Desperate Bicycles et Raincoats. Les Swell Maps se présentaient comme «a multi-headed hydra inhalating a galaxy dont les constellations comprennent les grooves hypnotiques de Can et de Faust et the minimalist pop poetry of Marc Bolan.» Dale dit évoque aussi the furious creativity of the Godfrey brothers, c’est-à-dire Nikki et Epic. Et Bolan remonte toujours à la surface. Nikki : «As Soon as I heard T.Rex, that was it.» Dale parle encore d’«out of control rock’n’roll action» et d’«hypnotic mesmerism». Il parle encore d’un groupe «barely in control of themselves». Puis il rend hommage à ce fantastique batteur qu’est l’Epic, «able to drive songs to their relented climax with fire, throwing in accents that lift the songs to their next level, pushing things ever forward.»

             Mais le groupe va exploser lors d’une tournée en Italie et donc à la veille d’une tournée américaine. Chacun va partir de son côté, «Nikki as a post Stones troubadour, Epic as a Wilson and Nyro devotee, Jowe as a peripatetic avant-popster.»

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             Dans l’interview qui suit, Jowe Head explique que les Swell Maps existent encore et qu’il a enregistré en 2021 un album, Polar Region, avec des cuts qui datent du first incarnation of the band. Alors, il les a développées. Howe indique en outre que le groupe était beaucoup trop créatif à l’époque. 

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             À l’époque du Trip To Marineville, t’étais déjà complètement effaré par la modernité des Swell Maps. Avec les John Peel Sessions qui viennent de paraître, c’est mille fois pire. Cette modernité te saute à la gorge, et franchement, tu adores ça. Tu ressens exactement ce que tu ressentais à l’époque où tu découvrais The Spotlight Kid, à l’époque où tu découvrais d’Angelo, à l’époque où tu découvrais  le Who Else de Jeff Beck, le Songs And Other Things de Tom Verlaine, et t’avais encore autant de modernité chez Junie, chez Huey Piano Smith, chez Mozart Estate, chez Big Joanie, dans le Five Legged Dog des Melvins, dans le Buy de James White, chez les Dawn Of The Replicants. Autant de modernité qu’il n’y en avait chez Tzara et Guillaume Apollinaire.

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             Ces John Peel Sessions dégoulinent littéralement de modernité. L’«International Rescue» enregistré en octobre 1978 grouille de vie. C’est du rock exubérant. «Harmony In Your Bathroom» sonne comme du punk rock aventureux. C’est Fantômas en Angleterre, de la même façon que Tav Falco est aujourd’hui Fantômas à Bangkok. Les Sweel Maps dégagent une énergie primitive. L’«Another Song» sonne comme le «Time’s Up» des Buzzcocks. Même son et mêmes chœurs ! Ils flirtent avec le Magic Band dans «Full Moon In My Pocket». C’est à la fois osé et balèze, c’est même indécent de modernité. Absolument essentiel !

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             En mai 1979, ils attaquent une deuxième Peel Session avec «Armadillo» et un son plus offensif. C’est nettement plus militaire. S’ensuit un «Vertical Slum» gratté sévère et sérieusement emporté de la bouche, c’est taillé à la serpe avec un sax free qui entre dans la danse. Tu vas continuer à rôtir dans l’enfer de la modernité avec «Midget Submarines». Nikki gratte ça au gras double de Kraut de bic et l’Epic te bat ça si sec. Quelle overdose d’overload ! Ils ont cette assurance dodelinante du beat Kraut, confiant et lourd comme un bœuf, et Nikki te groove ça avec tellement d’avance sur son époque.

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             La troisième Peel Session date de mars 1980. Elle est un peu moins dense. On retrouve un énorme beat anglais sur «Helicopter Spies». Leur son est plus libre. Ils règnent sans partage sur l’indie rock britannique.

    Signé : Cazengler, Swell Naze

    Swell Maps. The John Peel Sessions. The Grey Area 2025

    Jim Wirth : The lost boys. Mojo # 383 - October 2025

    John Dale : Swell Maps. Uncut # 343 - October 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Stanley your burden down

    (Part Four)

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             Motown ! On est au cœur de Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. PolyBob plonge dans Motown comme s’il plongeait dans le lagon d’argent. Plouf ! Il commence par dire que Motown a pris la suite du Brill et en a amplifié l’éclat. Puis il rappelle que les Beatles étaient dingues de Motown et qu’ils tapaient des covers des Miracles et des Marvelettes sur leur deuxième album. Motown, nous dit l’hyper-exubérant PolyBob, avait des mélodies qui passaient bien à la radio, aussi bien que celles des Beatles et des Beach Boys - The sound of young America. Its roster was obscenely rich in talent, and lurking unseen in the backroom was a rhythm section that was just about the best pop has ever seen, even now - Et quand tu ne t’y attends pas, PolyBob te fait un croche-patte au bas d’une page : «Yet Gordy built Motown one piece at a time, and it barely cost him a dime.» L’autre arme secrète de Motown, c’est bien sûr Holland/Dozier/Holland : 11 number ones pour les Supremes, pendant les sixties, «more than anyone except the Beatles». Gordy ne voulait pas créditer les musiciens sur les pochettes, parce qu’il voyait Motown comme une marque de qualité, comme General Motors - Si vous achetez une nouvelle voiture, disait-il, vous n’avez pas besoin de savoir qui a monté le carburateur - Le seul qui n’aime pas Motown, c’est Eric Burdon : il trouve que c’est de la Negro music blanchie - Motown is just too pretty for me - PolyBob se demande alors si Burdon a écouté l’«Heatwave» de Martha & The Vandellas. Il conclut en affirmant que Motown était là pour faire danser la young America - In this respect, nobody did it better.

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             Dans le chapitre ‘1966: the London look’, PolyBob épingle l’absence de Totor, qui s’est retiré du business après le flop inexplicable de «River Deep Mountain High». Il parle ici d’un homme qui avait fait «more than anyone to progress the sonic impact of pop.» En 1966, Londres est devenu le centre du monde, «and the Rolling Stones were its embodiment, the ultimate dandy pop stars for louche aristocrats to be seen with.» Cette année là, «Reach Out I’ll Be There» et «Good Vibrations» sont des number ones - In a way they were the ultimate number ones - Eh oui, il n’a pas tort, PolyBob, tu n’en as plus des masses, des number ones de ce niveau. Il fallait en profiter, à l’époque. Dans le même chapitre, il rend hommage à Frankie Valli et à son unearthly falsetto, et pour lui, le «Walk Like A Man» des Four Seasons est la plus parfaite incarnation de New York. Dans la foulée, il rend hommage à Bob Crewe qui a lancé les Four Seasons, et ensemble, ils ont créé ce que Crewe appelle «a fist of sound», «a harder counterpart to Brian Wilson and Phil Spector West Coast teen symphonies.» C’est du même niveau. Avec ces pages intenses, PolyBob ne fait que rappeler un truc de base : ne commets pas l’erreur de faire l’impasse sur les Four Seasons. Il profite d’ailleurs de ce crochet par Valli pour saluer Lou Christie qui vient tout juste de casser sa pipe en bois - He’s probably worth a book of his own - Et pour finir, PolyBob recommande l’écoute de Paint America Love. C’est grâce à l’une de ses compiles, State Of The Union (The American Dream In Crisis 1967-1973) qu’on a découvert cet album.

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             On reste à Londres en 1966 avec les Troggs et les Hollies. PolyBob se mare bien avec les Troggs, insinuant que Larry Page les trouvait tellement rudimentaires (so lacking in charisma and grace) qu’il rebaptisa le chanteur et le batteur avec les noms des two most stylish people he could think of - Elvis Presley and James Bond. Et toujours selon PolyBob, les Troggs n’auraient dû être qu’un one-shot band avec «Wild Thing» - But it turned out that Reg Presley was a decent songwriter who could capitalize on their limitations - Ils sont donc devenus les premiers poster boys, et les premiers alternative heroes dans une liste qui comprend Big Star, the Go-Betweens and Nick Drake. Et quand il rend hommage aux Hollies, PolyBob rend surtout hommage à Tony Hicks, «maybe British pop’s most underrated guitarist». Et pour situer les Who, PolyBob te sort ça : «Si les Hollies were the straightest, then the Who were the wildest.» Et puis bien sûr les Kinks, et cet hommage vibrant à Ray Davies : «His incisive satire made him the Wyndham Lewis of his day.»  

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             Il tape à nouveau dans le dur avec les Beach Boys. Hommage spectaculaire à l’autre géant de la pop américaine, avec Totor, Brian Wilson, qui «grew up with younger brothers Dennis and baby Carl in Hawthorne, California. Along with cousin Mike Love, they sang harmonies around the kitchen table.» Voilà le génie de PolyBob, il nous restitue les racines d’un mythe dans le quotidien d’une famille californienne. Plus loin, il explique que les Beach Boys ont recyclé le sonic thunder de «Wipe Out» et de «Pipeline», et ajouté dans le mix the Four Freshmen-styled harmonies they had sung since childhood, et nous dit PolyBob, «ça aurait pu sonner creux (a bit daft), a one-off novelty at best, but instead this combination came over as the promise of a never-ending summer.» Quand tu lis ça, tu l’as dans le baba. Ses petites formules tapent chaque fois en plein dans l’œil du cyclope. PolyBob formule merveilleusement bien les choses du rock. On sent le fan en lui. Le fan qui sait dire les choses comme il faut les dire. On en croise pas des masses dans la vie, des fans comme PolyBob. Il revient inlassablement à son cher Brian Wilson, un homme qui reste mélancolique, bien qu’étant le leader du biggest pop group in America et qui n’a alors que 23 ans - Sometimes I feel very sad - et quand il se met à expérimenter avec Pet Sounds, le cousin Mike Love l’avertit sèchement : «Don’t fuck with the formula.» Brian, nous dit encore PolyBob, aurait bien aimé continuer à chanter les Four Freshmen sur sa little Honda, mais la pression de la famille et de la record company, combinée aux fioles de LSD, l’ont vite envoyé valdinguer par-dessus bord (eventually tipped him over the edge). Puis Brian annule la participation des Beach Boys à Monterey, il arrête Smile et fait comme Totor, il se retire. Alors les Beach Boys font paraître ce que PolyBob qualifie d’«emasculated Smiley Smile». À l’époque, on avait tout de même l’impression que Smiley Smile n’était pas si emasculted. Enfin, puisque PolyBob le dit...  Puis vient le temps des règlements de comptes : «Dennis and Carl were dead and Mike Love - for his part in the collapse of the Beach Boys - was possibly the most reviled person in all of pop.» Brian refait surface avec l’aide des Wondermints et joue Smile sur scène. Et PolyBob refait son messianique : «Crawdaddy’s Paul Williams encapsulated the feel of the Beach Boys music in three words: warmness, serenity, friendship. For this reason, there is more love directed at Brian Wilson than anyone else in this book.» C’est une phrase qu’on relit plusieurs fois car sa résonance est réelle. PolyBob dit ce qu’on aurait aimé dire avant lui. Grâce à lui, on sait maintenant dire pourquoi on aime Brian Wilson à la folie.

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             Puis notre inépuisable PolyBob file droit sur San Francisco et Los Angeles, et on croise dans ces pages touffues le mixed-race hardnut Arthur Lee, qui, au temps de l’early Love, vivait en communauté dans l’ancienne maison de Bela Lugosi qu’on appelait the Castle. Un Arthur Lee who modelled his vocals on crooner Johnny Mathis. Et puis on finit par tomber sur un premier point de désaccord. PolyBob prétend en effet qu’après la désintégration de Love en 1968, «Lee’s subsequent career was rarely more than disappointing», ce qui est complètement faux, puisque Four Sail reste pour nous le meilleur album de Love. C’est la première fois qu’on surprend PolyBob en flagrant délit de faute de goût. Alors, on décide de le surveiller de plus près. Même un messie mérite une tarte dans la gueule.

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             Bizarrement, à la page suivante, PolyBob refait un faux pas en évoquant Syd Barrett : il affirme que Syd voulait être une pop star, alors que dans A Very Irregular Head, Syd affirme exactement le contraire. Il ne voulait surtout pas devenir une pop star. Syd n’était pas un mec vulgaire. On passe aussi sec à Jimi Hendrix et à la formation miraculeuse de l’Experience  - They gelled like no trio before or since - Et Jimi devient le A-grade showman que l’on sait, «he claimed to be from Mars, dressed outrageously, was both boyishly and sexual as hell.»

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             Dans son chapitre ‘Soft rock’, PolyBob évoque les Mamas & The Papas et leur cover du «Dedicated To The One I Love» des Five Royales - the sexiest lullaby you ever heard - Puis il rend hommage à Nilsson : quand on demandait aux Beatles quel était leur artiste américain favori, ils répondaient Nilsson. Et PolyBob se fend d’une délicieuse anecdote : «Un lundi matin, à 7 h, Nilsson reçoit un coup de fil. ‘Is that Harry?’ This is John.’ ‘John who?» ‘John Lennon.’» Lennon l’appelle pour le féliciter et lui dire que son album est fantastique. Le lundi suivant, à 7 h du matin, il reçoit un autre appel : McCartney, qui lui dit la même chose. Alors le lundi suivant, Nilsson se lève de bonne heure et attend le coup de fil de Ringo, mais Ringo n’a jamais appelé.

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             On reste chez les géants avec Burt et Dionne Warwick que PolyBob décrit comme une «improbable-looking woman with a jutting jaw, Martian hair, and wide, oval eyes that conveyed no emotion whatsoever.» En parlant d’elle comme ça, il frôle le blasphème. Elle était donc, nous dit PolyBob, «the perfect foil for Bacharach’s ever more odly constructed songs, with their staccato thrills and cool, clipped, offbeat rhythms.» Et il conclut sur ça qui vaut encore le détour : «Bacharach-produced Dionne Warwick albums were an essential component of any sixties apartment.» Quand il saura composer des cuts comme ceux Burt, on l’autorisera à ricaner sur le dos de Burt. En attendant, c’est loin, très loin d’être le cas.

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             PolyBob glisse logiquement sur Scott Walker et sa «combination of florid woe and art-house angst.» Il rappelle au passage que Gary Leeds avait été le drummer des Standells. Il rappelle aussi que les covers que fit Scott Walker de Jacques Brel sont emotionally bettered by no one - Walker abandonned himself in hymnal orchestral pop - tout au long de ses «five starling solo albums between 1967 and 1970.» PolyBob passe ensuite tout naturellement à Jimmy Webb qui avec «By The Time I Get To Phoenix», devient soudainement «the biggest thing since Lennon & McCartney». Mais le pire est à venir avec «MacArthur Park», en 1968, «the longest single that had ever reached the American Top 10 - It was an elaborate mansion of a song, with doors opening onto a new room full of inexpected treasures every thrity seconds or so.» Mais les hippies, croasse encore PolyBob, ne pigent rien au «someone left the cake in the rain».

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             Dans la foulée, il nous rappelle que Dave Godin a inventé la Deep Soul. Northen Soul, c’est encore lui - He was gentle and private, and found he got the most pleasure from music when it was slow and fervent - PolyBob cite quelques cuts de Deep Soul (George Perkins’s «Cryin’ In The Streets», Timmy Willis’s «Easy As Saying 1-2-3», Doris Allen’s «A Shell Of A Woman», et une dizaine d’autres) avant de conclure ainsi : «Hear Betty Harris’s ‘What Did I Do Wrong’ or Irma Thomas’s ‘Wish Someone Would Care’ and you can understand why people like Dave Godin devoted their lives to it.»   

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             Creedence ! PolyBob est fasciné par le «run of tight, loud, instant classic hit singles, something almost no one else managed in those years.» En 1969, ils étaient «America’s hottest act» et en tête d’affiche de Woodstock, manque de pot, ils passèrent après le Grateful Dead qui terminèrent leur set à 3 h du matin, et les gens dormaient. Puis les deux frères Fogerty vont se fâcher et ne s’adresseront plus jamais la parole. Dans le chapitre suivant, PolyBob attaque les Monkees - The Monkees are one of pop’s greatest conundrums - c’est-à-dire l’une des plus grosses énigmes. PolyBob prétend qu’ils ont détrôné les Mamas & The Papas et déstabilisé Brian Wilson : il exagère un peu. Les Monkees n’étaient pas aussi bons qu’il veut nous le faire croire. Écoute les albums et tu verras. Il y a à boire et à manger. PolyBob prétend aussi qu’il y a du Dada dans la série TV qu’ils tournent avec Bob  Rafelson : encore de l’exagération. La série n’est pas si bonne, même si John Lennon prétend que ce sont le nouveaux Marx Brothers. En fait, les Monkees sont bons tant que Don Kirshner, Boyce & Hart sont dans les parages. Kirshner veut battre les Beatles à la course et il rameute toutes les stars : Goffin & King, Mann & Weil, Carole Bayer, David Gates, Russ Titelman, puis t’as les cracks locaux en studio : James Burton & Glen Campbell, Al Casey en bass, Larry Knetchel on piano, Hal Blaine au beurre. Ça ne peut que marcher - It was the whole Spector wrecking crew - Et boom, «Last Train To Clarksville» déloge «96 Tears» de la tête des charts. Les Monkees sont mignons et remplacent dans le cœur des kids américains les Beatles qui portent alors la barbe. Ils deviennent le new pop phenomenon. Quand ça commence à grogner chez les Monkees, Don Kirshner débarque de New York avec un chèque d’«a quarter-million dollar for each Monkee». Ça va les calmer, pense-t-il. Au contraire. Ils veulent enregistrer leurs propres chansons, et quand l’avocat de Kirshner leur dit qu’ils ont signé un contrat, Mike Neshmith défonce un mur en placo d’un seul coup de poing et dit à l’avocat «in his best Clint Eastwood voice» : «That could’ve been your face.» C’est là que les choses vont se gâter pour les Monkees : ils perdent les compos. Seul Nesmith s’en sortira plus tard avec sa carrière solo et des albums magiques.

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             Nous voilà en 1970. Rod the Mod est arrivé en Californie. Greil Marcus l’épingle : «Rarely has a singer had a full and unique talent as Rod Stewart. Rarely has anyone betrayed his talent so completely». Eh oui, on n’a jamais pardonné à Rod The Mode d’avoir enregistré ses albums pourris. PolyBob est assez cruel sur ce coup-là : «Que peut-on attendre d’un working-class kid qui a grandi à Archway Road et qui s’est installé en Californie, qui dîne au champagne et qui savoure les grappes de raisin que lui proposent des blondes nubiles. C’est vrai qu’il a trahi son talent, mais il n’a pas trahi ses racines.»

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             Dans son chapitre ‘Electric Soul’, Polybob rend hommage à Sly et à George Clinton - Sly & the Family Stone were the most goodtime groupe since the Lovin’ Spoonful. Their spirit was irresistible - En un an, ils ont transformé la Soul music. «How ? it’s all there in their first hit ‘Dance To The Music’ : thumping fuzz bass, doo-wop harmonies, propellant drums, topped off with a Minnie The Minx yell of ‘all squares go home!’. En trois minutes, chaque chanteur et chaque instrument get their moment in the spotlight, it had the feel of a Sunday-school riot, the same giddy spontaneity as ‘Be-Bop-A-Lula’, with the random, exultant shouts.» PolyBob a l’air de jerker quand il écrit ça. Et ils se marre, se demandant si Sly s’est posé la question : pourquoi personne n’avait pensé à cette formule avant lui : «He took the live excitment of the Stax soul revue, grafted on James Brown’s functional, rhythm-as-a-pure-state funk and mixed in the heightened airs of psychedelia (The Family Stone were from San Francisco, after all).» On sent nettement l’exubérance jouissive dans les propos de PolyBob. Et il enchaîne aussi sec : «Sly Stone, brother Freddie, sister Rose, teenage Italian American drummer Greg Errico, slap-pop bass pionneer Larry Graham, Motown-loving saxophonist Jerry Martini, and a Californian forest fire of a trumpet player called Cynthia Robinson went from mere stars to superstars at Woodstock in ‘69.» PolyBob compare aussi There’s A Riot Goin’ On aux singles que Norman Whitfield a produits pour les Temptations. Dans la foulée de Sly, voilà Funkadelic et leur message messianique : «Free your mind and your ass will follow.» Des Funka qui font des «loud progressive and polyrhythmic jams that owed as much to Jimi Hendrix as they did to James Brown.» PolyBob arrache Ruth Copeland à l’oubli, en rappelant que les Funka accompagnaient cette belle blanche sur scène en 1971 et qu’elle a enregistré deux astonishing albums, Self Portrait et I Am What I Am. Tout cela nous conduit naturellement aux Isley Brothers qui font entrer Brother Ernie dans le groupe en 1973 pour virer psyché - The atmosphere on their ‘73 album 3 +3 was not unlike Jimi Hendrix guesting on What’s Going On.

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             Le glam ? It came from the suburbs, rappelle PolyBob. C’est Chelita, la femme de Tony Secunda, qui emmène le jeune Marc Bolan s’acheter des boas et des fringues sexy. Puis devenu superstar, Bolan va se détériorer. Dans Born To Boogie, il se prend, nous dit PolyBob, pour Jimi Hendrix sur scène alors qu’il n’en a pas les moyens - he ended up looking rather brattish - Puis il se mit à se nourrir de coke et de champagne - Bolan ballooned. By the time 1973’s Tanx came out, he looked more Elvis than elfin.

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             Plus anecdotique : en 1970, de passage à New York, Bowie rend visite à Andy Warhol. Pour se présenter, Bowie fait un numéro de mime. Warhol qui n’est pas impressionné se tourne vers son assistant et demande : «Should we laugh?». Ce qui n’empêchera Bowie de rendre hommage à Warhol sur Hunky Dory, un album, nous dit PolyBob, bourré de chansons extraordinaires - «The Bewlay Brothers» was terrifying - Puis il décide de bâtir sa musique autour d’une image et non d’un son et d’influences : il crée an alter ego, the sci-fi rocker Ziggy Stardust - which enabled him to become a star before he had more than a handful for fans - Ce genre de phrase se savoure, tant elle est paraît délicieuse. PolyBob fait ici du mimétisme artistique. Il écrit comme écrirait Ziggy. Ziggy ouvre donc la porte, et Roxy s’engouffre - They were very much British art-school - Roxy apprend tout de Richard Hamilton, avec un Bryan Ferry qui ressemble à un «coke fiend from an F. Scott Fitzgerald novella, which was entirely the idea.» Eno quitte Roxy en 1973, «as it became clear that Ferry was running the show». C’est ce qu’on n’aime pas chez le Ferry, cette main-mise sur Roxy. Puis PolyBob va faire un nouveau faux pas, affirmant qu’après le départ d’Eno, «Roxy just got better: their two first albums revealed a little too much of their art training and Eno’s departure led to a finer, more unified sound». C’est exactement le contraire qui s’est produit : après les deux premiers albums, Roxy est devenu plus commercial et s’est mis à puer. Une horreur. Bizarre que PolyBob qui a pourtant le nez fin n’ait pas été incommodé par cette horrible puanteur. Avalon ! 

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             Il boucle son chapitre glam avec Slade et Mott. Pour lui, c’est du gâtö - Dickensian singer Noddy Holder had a voice like John Lennon screaming down the chimney of an ocean liner - il les décrit un par un, «Dave Hill on guitar had the most rabbity face in the world» (il fait référence aux dents de lapin) et Don Powel mâchait son chewing gum et fixait l’espace en battant le beurre, et même après un terrible accident de voiture où il avait perdu la mémoire, he looked exactly the same, et puis Jim Lea qui avait l’air de vivre chez sa mère et d’élever des pigeons. Eh oui, Slade c’est pas de la tarte, t’as les looks et t’as les cuts, et, encore une cerise, Chas Chandler comme manager. Mais comme T. Rex, ils ne parviennent pas à percer aux États-Unis. Alors en 1976, ils sortent un album appelé Whatever Happened To Slade? - It seemed that nobody knew - Et puis Mott, «a pleasant enough band without suggesting they’d ever catch fire.» Bowie les supplie de ne pas splitter. Alors Ian Hunter, nous dit PolyBob, se marre : «Give us a hit  and we’ll think about it, Dave.» Bowie leur file «All The Young Dudes» - It was the equivalent of Brian Wilson giving Jan & Dean «Surf City» - Et PolyBob se moque de Mott : «They self-mythologized to a ridiculous degree. Giving themselves nicknames like rock’n’roll action heroes - Overend Watts, Ariel bender - They aimed for the sky and they hit the pub ceiling - C’est d’une rare cruauté. PolyBob n’aime pas Mott et les traîne dans la boue. Troisième faux pas. Alors qu’ils enregistrent des classiques impérissables - And just when it was about to get boring, just as glam had run its course, they split en 1975 - C’est faux, PolyBob ! Hunter est allé faire carrière aux États-Unis, abandonnant ses copains comme des vieilles chaussettes. Même histoire que Steve Marriott avec les Small Faces. Comme Bowie l’avait prédit, le glam a duré 5 ans - Glam was constantly aware of its mortality and that is what made it enjoyable.

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             On passe directement à la Philly Soul, à Thom Bell et son «Beat concerto» sound. Delfonics («America N°1 sophisticated soul group»), Stylistics (whose singer Russell Thompkins Jr. had an extraordinary falsetto and a look of guenine surprise whenever he hit the high notes), les chansons «sounded impossibly lush and heartbreakingly pure, richer than anything that had gone before.» Voilà Gamble & Huff qui comme Thom Bell viennent d’un Cameo Parkway house band called the Romeos. Ils vont tous les trois apprendre à produire the definitive Philadelphia sound. Les superstars du Philly Sound sont les O’Jays, et la réponse de Gamble & Huff à Motown furent les Three Degrees. Sur la West Coast, Barry White va ramasser trois girls et les baptiser Love Unlimited. «Walking In The Rain With The One I Love» was a masterpiece.

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             PolyBob passe sans ciller au «ridiculously talented» Todd Rundgren. Hommage à l’un des albums phares de la grande époque, A Wizard A True Star. Il tape plus loin un chapitre entier sur Abba et salue ces deux mecs, Ulvaneus et Anderson, qui dans leur cabane de rondins suédoise, composent en six ans une série de chansons «which were the best planned, best edited, most hook-filled, polished, economically tight hits of their era - maybe of any era.»

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             On évoquait les ceusses qui laissaient tomber leurs meilleurs potes comme de vieilles chaussettes : en voilà un autre, Graham Nash, qui vaut pas plus cher et qui non seulement abandonna ses potes, mais aussi sa femme et ses kids à Manchester pour aller vivre la belle vie en Californie et baiser la copine de Croz, Joni Mitchell. Puis PolyBob s’occupe du cas de Neil Young. Il épingle deux cuts qu’il aime bien, «Like A Hurricane» et «Albuquerque». Dans la série des hommages qui tapent à l’œil, voici celui qu’il rend à Alex Chiton qui, avec Big Star, inventa la power pop, «using sharp Who edges and bright Beatles harmonies on 1974’s Radio City.»

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             Il se montre une fois de plus ambigu sur le cas du MC5, on peut même dire qu’il se grille quand il écrit sur «Kick Out The Jams», «one of pop’s great titles, proved to be a noise in search of a tune. People wanted them to be great, but they spluttered and died.» C’est pas très gentil d’écrire un truc pareil sur un groupe aussi vital que le MC5. C’est vrai que Saint Etienne n’a jamais kické les jams. C’est tout de même assez drôle : on autorise les auteurs à dorloter certains de nos chouchous mais on ne supporte pas qu’ils esquintent la réputation des chouchous les plus importants. Qui est-il ce PolyBob pour oser juger des groupes comme Love, Roxy ou le MC5 ?

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             Par contre il se rattrape avec les Stooges, qualifiant leurs deux premiers albums de «refreshing and influential, first to David Bowie («Rebel Rebel» is essentially a Stooges knock-off) then in punk (the Sex Pistols covered «No Fun»), and then dozens of acolytes in the eighties.» Il passe de là tout naturellement au Velvet - Reed and Cale had somehow created a noise so brand new that it tore a hole in pop’s natural state of progression, so sharp and freakish and heart-piercing that it makes me burst out laughing every time I hear it - PolyBob rappelle qu’au temps du Velvet, en 1967, «A Whiter Shade Of Pale» et «All You Need Is Love» étaient en tête des charts. Puis petit coup de projecteur sur les Ramones qui cherchaient à condenser «les hits des Beach Boys, de Phil Spector, et des Shangri-Las into recidivist ninety-second bursts with antagonistic titles.»

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             Puis c’est l’épisode punk, avec «Anarchy In The UK» qui «had some of the best lyrics in pop.» Et bien sûr PolyBob ne rate pas l’occasion qui s’offre à lui de traiter Sid Vicious de caricature. Puis c’est la débâcle de la tournée américaine - At a gig in Dallas, Sid was headbutted but carried on playing, blood pouring down his face like a badge of honor. «Look at that», sighed Rotten, «a living circus.» - Quand Rotten quitte le groupe, à la fin de la tournée américaine, «all of pop waited his next move, as it had done with the post-army Elvis and the post-crash Dylan. Listen to Johnny. Johnny Rotten will know what to do.» Et bien sûr, «Public Image» sounded like the future. PolyBob lui rend fantastiquement hommage, indiquant qu’il a fallu dix ans aux groupes anglais «to make guitar sound as intangibly and emotionally unsettling.» Ouais il cite ce «beautiful manifesto» de John Lydon : «I’m not the same as when I began. I will not be treated as property.» Et PolyBob d’ajouter : «Some days, I think «Public Image» is the most powerful record ever made.»

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             Dans son chapitre New Wave, il se fout bien de la gueule de Costello qui «wrote pun-packed songs while singing as if he was standing in a fridge.» Puis il cite brièvement Joe Jackson, «a caricature of a caricature» qui «barked like a pissed-up accountant». Comme Léon Bloy, PolyBob peut sortir la hache et frapper dans le tas. S’ensuivent les chapitres Disco et Bee Gees, et bien sûr il n’en finit plus de chanter les louanges de Robin Gibb qui n’a que 19 ans quand il dirige un orchestre de 97 musiciens et un chœur de 60 personnes pour enregistrer «In Heaven And Back». Il conclut son chapitre Bee Gees ainsi : «They wrote a dozen of the finest songs of the twentielth century. The Bee Gees were children of the world.»

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             Il sort hagard de son chapitre et enquille avec le Post-punk, c’est-à-dire la Post, comme le disait Gildas (Hello Gildas). PolyBob profite de la Post pour rendre hommage à Peely qui sur Radio 1 devint «a teenage hero». Et bien sûr, le chouchou de Peely, c’est Mark E. Smith & The Fall - Their truculent leader Mark E. Smith combined love of M. R. James ghost stories, Wyndham Lewis Vorticist manifesto and an anti-fashion stance - flares, tank tops, cheap beer and fags. Smith was witty, bloody-minded, and had little time for any music beyond Can, Lou Reed and sixties garage punk - Ce n’est pas un hommage aussi percutant que celui rendu à John Lydon, mais c’est bien qu’il ait associé ces deux héros dans la même page, Peely et Mark E. Smith. Pour saluer l’after-punk américain, il choisit ESG qui furent «the quintessence of New York in 1980», avec leur «tight, super-minimal, super rhythmic pop (two-note basslines, one-note guitar solo, cowbells all over the shop).» Il consacre à la suite des chapitres à Kraftwerk et à l’early rap, ainsi chacun peut y retrouver son compte. PolyBob a tout écouté, donc il peut parler de tout ça dans le détail, et éventuellement t’inciter à écouter des trucs que tu ne connais pas. Dans son chapitre New Pop, il s’attarde sur des machins comme Human League et Boy George, puis retourne aux États-Unis pour Springsteen et Meat Loaf, eh oui, ce sont des passages obligés pour un mec qui prétend raconter toute l’histoire de la pop. Et crack, tu tournes la page et sur qui tu tombes ? Michael Jackson. C’est une époque pourrie. Et ça continue avec Prince et Madonna. T’es pas obligé de lire toute cette daube. PolyBob fait son boulot consciencieusement, il rame dans les Sargasses de la pop, et d’une certaine façon, il atteint ses limites, car jamais il ne réussira à te convaincre d’écouter Michael Jackson ou Madonna. Plutôt crever. Mais à ce stade des opérations, tu lui donnes encore une chance, car il reste quelques chapitres, notamment un chapitre Metal et comme il n’a rien compris au metal, il met là-dedans, tiens-toi bien, Sabbath, Thin Lizzy (!), Deep Purple et Led Zep, puis ça glisse sur Metallica et AC/DC. Puis ça glisse encore dans la ‘Birth of Indie’ avec les Smiths et REM. Il qualifie Morissey de «best lyricist British pop had ever profuced», mais bon, après, il faut aimer les Smiths et c’est pas demain la vieille qu’on ira écouter ça, quoi qu’en dise monsieur PolyBob. Et ça déraille encore sur Phil Collins, toutes les malédictions de la pop culture sont au rendez-vous, semble-t-il. On tombe fatalement sur le chapitre Pet Shop Boys & New Order. Il n’y a que les Anglais pour s’intéresser à ça. PolyBob attaque son Part Five avec un chapitre ‘House & Techno’. Puis c’est l’Acid House & Manchester. PolyBob s’épuise à ramer dans ses Sargasses. 

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             Il tente un dernier coup de bluff avec un truc très anglais, beaucoup trop anglais, et voici comment il s’y prend : en fin renard - Quel est votre favorite pop group ? Pas facile, n’est-ce pas ? Je pourrais opter pour les Beach Boys, mais il y a toujours cette difficulté à aimer Mike Love (of loving Mike Love). The Who? Far too patchy. The Pet Shop Boys? They didn’t know when to quit. The Bee Gees? Oh, too much to explain. Si on vous forçait à citer your favorite group of all time, then the Beatles would be a hard one to argue with, but so would the KLF - Et voilà comment il réanime un vieux scoop de la presse anglaise - The KLF - Bill Drummond and Jimmy Cauty - epitomized everything that had changed in pop since acid house. They weren’t young, or pretty, but they had ideas, a lot of good ones, a lot of stupid ones, and they were smart enough to put them into practice - Drummond avait joué avec Big In Japan à Liverpool, et dit à Seymour Stein qu’il avait sorti deux des greatest records of the decade, «Shake Some Action» des Flamin’ Groovies et «Love Goes To Building On Fire» des Talking Heads. Bon alors, est-ce une raison suffisante pour aller écouter KLF ?

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             On se remonte le moral un peu loin avec deux pages stupéfiantes sur les Mary Chain - You can imagine Beach Boys harmonies on «Never Understand» and Mary Weiss would have been the perfect singer for «Just Like Honey». La raison pour laquelle ils ne sonnaient pas comme des sixties revivalists, c’est parce qu’il recouvraient leurs songs with defeaning layers of squalling feedback (...) ce qui n’avait jamais été fait dans la pop - Et une fois encore, PolyBob se vautre quand il évoque le passage de Psychocandy à Darklands : «They ditched the feedback on their second album, Darklands. Now you could hear the tunes and the lyrics, clear as a bell, on «Some Candy Talking» and «April Skies», and they weren’t bad. But the point of the group was entirely lost.» T’inquiète pas PolyBob, si un jour t’écoutes «I Hate Rock’n’Roll», tu verras que le point of the band n’est pas lost du tout. Mais alors pas du tout ! Dès qu’un groupe est un peu trop sauvage ou trop moderne, PolyBob est paumé. On le voit attaquer Spacemen 3 et on craint le pire - It was hard to imagine Rugby group Spacemen 3 getting it together to go to the post office, let alone getting played on the radio - Oui, c’est sûr PolyBob, sauf que Sonic Boom et Jason Pierce comptent encore aujourd’hui parmi les plus belles rock stars anglaises. PolyBob ramène une anecdote : «Lorsqu’ils enregistrèrent leur album en 1987, la fumée de leurs pétards était tellement dense que l’ingé-son devait débrancher l’alarme incendie à chaque session.» Et il termine avec un pauvre petit jeu de mots : «If you wanted a soundtrack to narcotic oblivion, they were the perfect prescription.» Sauf que les albums des Spacemen 3 sont de vaillants classiques, et ça, PolyBob oublie de le mentionner. Faut-il faire confiance à un mec qui se prosterne devant les Bee Gees ?

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             Il va se reprendre en saluant Dinosaur Jr et J Mascis, qui «looked like a long-haired kid who’d sit on the toilet for forty minutes at a time reading Marvel comics.» Puis ça glisse tout naturellement sur Kurt Cobain - The Mascis whine, the Mould holler, neither could stand up to the sheer volume of Kurt Cobain and Nirvana - Et il surenchérit avec ça : «Summoning up the hard-rock noise of Led Zeppelin, Black Sabbath and Motörhead as a backdrop, for their underclass concerns, Nirvana became the biggest alternative group in the world.» Et Kurt, nous dit PolyBob, vénérait les Vaselines, Hüsker Dü et les Pixies. Et là PolyBob retombe miraculeusement sur ses pattes. On craignait qu’il n’ose esquinter la réputation de Kurt Cobain.

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             Il fait un dernier crochet par la Britpop, histoire de saluer Suede et leurs premiers singles, «The Drowners» et «Animal Nitrate», qu’il qualifie de «louche and lithe, clean and classy» - Suede’s artwork and asethetic was simple, and that suddenly seemed sexy - Il aurait pu qualifier ces singles de géniaux. Même Mark E. Smith qualifiait Suede de «best new band in Britain». Et ça se termine forcément avec Oasis - There was no Bowie, Smiths or Syd Barrett in the sound of Oasis, the group they were most reminiscent of was Slade - loud raucous, goodtime music. Liam Gallagher had far and away the strongest voice in Britpop, as rough and ragged as John Lennon on «Twist And Shout» (...) Noel Gallagher, like Marc Bolan before him, had the knack of rewriting his favorite riffs and creating something new and irresistible: «Don’t Look Back In Anger», «Wonderwall», «Cigarettes And Alcohol». And like Bolan, his ego quickly got the better of him - Puis Polybob évoque la «stratospheric fame» d’Oasis, avec ses 8 number ones, «and they blew it - It was a classic working-class tale, rag to riches and back again.» Il compare cette «tragédie» à celle des Bay City Rollers.    

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             Malgré ses petits défauts, cette bible est l’une de celles qu’il faut lire, car elle raconte l’histoire de la pop, c’est-à-dire l’histoire de ta vie. PolyBob t’aura au moins orienté sur deux groupes que tu ne connaissais pas : les Wondermints et KLF, et poussé à réécouter toutes affaires cessantes le 3 + 3 des Isley Brothers. C’est déjà pas si mal.

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    Signé : Cazengler, Stan laid

    Bob Stanley. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. Norton 2015

     

     

    Inside the goldmine

     - Knight of white satin

             Personne ne connaissait son nom. On l’appelait Nate. Un Savoyard. Un homme descendu des montagnes. L’œil clair. Un certain âge. Le cheveu gris. Solidement charpenté. Assez haut. Voix profonde. Toujours en pull marin l’été. En caban l’hiver. Il semblait indestructible. Un roc. Un homme austère. Jamais un sourire. Il passait voir les gens pour leur apporter un soutien moral. Quelques paroles de sagesse. Il aidait aussi à résoudre certains problèmes administratifs. Il savait où s’adresser pour obtenir des aides municipales. Il ne demandait rien en retour. C’était un bénévole. Il se mettait au service des gens. Pour le voir, il suffisait de lui laisser un message au tabac-épicerie du coin de la rue. Il fallait lui indiquer l’adresse exacte, le jour et l’heure. Il était toujours ponctuel. Il entrait et s’installait en position de lotus sur le canapé, sans enlever ses chaussures. Il attendait. Il n’ouvrait jamais le débat. Il fallait lui soumettre le problème. Il réfléchissait avant de donner une réponse. On sentait en lui un caractère forgé. Il cultivait probablement un mélange de casuistique et de foi en l’homme. Il ne supportait pas les pleurnicheries. Il appelait ça «les larmes de crocodile». Il affirmait sèchement qu’il existait une solution pour tout problème. Et qu’il fallait fournir un petit effort pour trouver la solution. Il prenait des risques en parlant ainsi à des gens affaiblis par les rigueurs de la vie, mais il le faisait intentionnellement. Passer à l’action était pour lui le seul remède contre la misère du monde, le seul vaccin moral capable de vaincre la gangrène. Il utilisait toute sa force de caractère pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire sauver les gens d’eux-mêmes. Combien de vies a-t-il sauvées, personne ne le saura jamais. Mais ceux qui l’ont connu se souviennent de lui comme d’un saint homme. Un saint homme dur.

     

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             Pendant que Nate sauve des vies, Knight met au monde la Soul des jours heureux. Dans leurs domaines respectifs, ils ont joué des rôles fondamentaux. Et plus ces rôles sont insignifiants aux yeux de la postérité, plus ils sont fondamentaux aux yeux de l’infra-monde. 

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             Merci Philippe Garnier de nous avoir signalé, au temps des Coins Coupés, l’existence d’Eddie Holman et de Robert Knight, un Robert Knight dont on retrouve d’ailleurs la trace chez Steve Ellis et Love Affair, puisqu’ils vont faire leurs choux gras d’«Everlasting Love».

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             Dave Godin nous rappelle les infos de base : Robert Knight est un petit black du Tennessee, qui grâce à Love Affair, va devenir une star de la Northern Soul en Angleterre. On est donc en territoire sacré.

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             Alors tu remontes à la racine de l’hit avec l’album du même nom, paru en 1967. Robert Knight chante ça d’une voix blanche et fait de la fantastique dancing Soul. Steve Ellis en fera autre chose. Ça continue sur le même registre avec «Somewhere My Love», un cut assez capiteux, monté sur un petit beat serré et Robert Knight chante pépère à la surface. On s’attache à lui. Ça explose plus loin avec «My Rainbow Valley» que reprendra aussi Steve Ellis; Quelle qualité de dancing Soul ! Il chante comme un vainqueur. Les Anglais ne pouvaient que flasher sur lui. Un vainqueur avec l’accent black, ça devient vite génial. Robert Knight est l’anti-Wilson Pickett, il arrive au même résultat sans screamer. Il tape à la suite une cover de «The Letter», c’est fin et bien enquillé. Il entraîne son monde avec une étonnante facilité. Il n’existe rien de plus propice au bonheur que cette Soul des jours heureux.

             Tant qu’on y est, on peut aussi écouter deux ou trois bricoles, comme «Love On A Mountain Top» (pur jus de diskö-Soul, il finit en apothéose de Soul Brother), ou encore «I Can’t Get Over How You Get Over Me», nouveau shoot de Soul des jours heureux. Te voilà plongé dans l’extrême beauté de la Soul dansante.

    Signé : Cazengler, Robert Nike

    Robert Knight. Everlasting Love. Rising Sons 1967

     

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    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 35

    OCTOBRE – NOVEMBRE - DECEMBRE

     

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    Graham Fenton sur la couverture. Avant de sauter sur l’article hommagial, il a disparu au cœur de cet été, restons quelques instants sur cette belle photo, remercions Sergio pour ce portrait parlant, ce n’est plus le jeune fan qui accompagnait Gene Vincent sur une de ses tournées françaises, l’est dans son perfecto comme d’autres s’installent dans leurs raisons de vivre, l’homme a vécu, il a partagé bien des combats, et le voici tel qu’en lui-même le rock’n’roll l’a statufié. Baudelaire dirait qu’il a plus de souvenirs que s’il avait mille ans, l’est un peu voûté comme Atlas obligé de supporter le poids de la voûte stellaire sur ses épaules, mais l’on comprend qu’il est un combattant de notre musique, qu’il ne regrette rien, qu’il assume tout, les mille orages, les mille printemps, son regard clair est une invitation impérative adressée à tout un chacun de vivre sans faillir à son propre destin. C’est un Homme qui vous regarde.

    L’on pourrait résumer la vie de Graham en inversant une formule célèbre, on ne devient pas un rocker, on naît rocker. Un privilège, une malédiction comme celle des chacals de Béthune, ou alors ce sont les circonstances qui se plient à notre désir, peut-être inconscient sûrement chevillé à notre volonté, à notre corps et à nos propres représentations mentales, car si le monde exerce une certaine influence sur nous, ayons l’outrecuidance de penser que nous en avons une sur lui. L’a un ange noir, normal c’est un biker, protecteur auprès de lui, son frère aîné qui lui montre les deux chemins à suivre : la moto et les pionniers, du rock’n’roll  évidemment.

    Avec les Houseshakers il se retouvera à accompagner Bo Diddley et Chuck Berry, il participera au festival de Wembley, le coup de tonnerre qui annonce le retour du old good rock’n’roll parmi les peuples qui n’attendaient que la levée des orages désirés. La suite de sa carrière, les Hellraisers et Matchbox. Profitons de cette boîte d’allumettes pour honorer Carl Perkins qui l’avait repris à Blind Lemon Jefferson, car vous savez toute la musique que l’on aime vient du blues. Je vous laisse lire et vous mirer dans les photos. Tout ce que vous avez rêvez d’être. Que vous serez peut-être dans une autre vie.

    Méfiez-vous pour le premier article qui ouvre la revue. Jean-Louis Rancurel vous ouvre sa boîte à images. Nous fait le coup du crocodile qui mord. Nous refile un ange noir. N’est pas noir du tout, mais la première fois que j’ai entendu Vigon sur Salut les Copains, j’avais débarqué en plein milieu de morceau, il ne chantait même pas, il parlait, j’étais sûr que c’était un blackos venu tout droit de l’Amérique, je n’avais même pas remarqué qu’il causait en français, c’était la période rhythm and blues, Sam and Dave, Arthur Conley, Otis Redding, James Brown, Wilson Pickett, et toute la troupe avec leurs fanfares cuivrées, par la suite l’on a appris qu’il n’était pas français mais marocain, un véritable melting pot à lui tout seul. Un véritable météore, un alien dans notre douce France, l’a fait toutes les premières parties des vedettes d’Amérique. Et puis du jour au lendemain plus rien. Que lui était-il arrivé ? Etait-il mort ? Silence radio. Quelques années plus tard un entrefilet dans Rock’n’Folk nous apprenait qu’il était propriétaire d’une boîte de nuit au Maroc… Un goût amer dans notre bouche. L’a fallu trente ans et un mauvais coup du destin, la mort de sa fille, pour qu’il revienne, lisez la suite de cette histoire triste et en même temps merveilleuse pour les fans de Vigon… Notre Cat Zengler nous a chroniqué un de ses concerts à Paris…

    Vérifiez vos chaussures, un serpent s’est glissé dedans, non ce n’est pas un anaconda mais Thibaud Lefaix de Snakes In The Boots, nous l’avons vu, voici trois semaines au 3B à Troyes, l’est tout seul sans ses deux comparses, il se raconte, sans prétention, étonné de son parcours, de ce qu’il sait faire, il prend soin de n’en tirer aucune gloire, rafraîchissant ! N’empêche que l’avenir s’ouvre devant lui.

    Cette fois Julien Bollinger a pris trois pages. C’est que certaines racines s’enfoncent plus profondément dans le sol que d’autres. Ce n’est pas du rock, ne prenez cette mine mitigée, ce n’est pas du country, quittez cet air contrit, ce n’est même pas du blues, n’en ayez pas le blues pour autant. C’est du folk ! Inutile de cracher par terre ou de vomir votre quatre-heure, rien à avoir avec des chansons scoutes. Tout le contraire. Un misérable ! Un guerrier, un battant. Le genre de trouble-fête que l’Amérique de Trump lyncherait avec plaisir, c’est un blanc, un hobo aux idées claires, l’avait une guitare qui tuait les fascistes. Woody Guthrie s’est toujours battu pour les pauvres contre les riches et les capitalistes. Remercions Julien Bollinger d’exhumer cette figure qui représente l’Amérique que nous aimons… Un peu de politique ne peut pas faire de mal.

    Pages suivantes : l’histoire de Christophe et Jessica. Une histoire d’amour certes, mais surtout de voitures et de rockabilly. Une passion pour les voitures et les choppers. Un garagiste, seul au début, oui mais pas tout à fait, la famille (nombreuse) se joint à lui, puis des passionnés qui se greffent dessus, entraide et soutien, et la création de l’Open Garage Mc Coy’s, manifestation publique, pour la neuvième cuvée : customs, hot rods, expos, etc, etc, mais attention la musique adoucit-elle le bruit des moteurs ou le renforce-telle, en tout en ce mois de mai 2025, vingt groupes, en trois jours, une anthologie historiale de la scène française, un truc qui dans quelques années sera devenu une légende…

    Nous clôturons avec la quatrième de couverture et la promesse d’un nouveau Hors-série de Rockabilly Generation News pour le premier janvier 2026. Une année qui s’annonce bien.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 6 Euros + 4,72 de frais de port soit 10,72 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 39 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    S’il est un groupe mystérieux c’est bien Telesterion, non pas parce que l’on ne connaît rien de ce groupe mais parce ce que toute sa démarche s’inscrit dans le Mystère ou plutôt dans les Mystères les plus sacrés, ceux de l’antiquité grecque. Fin août 2025 Telesterion a sorti un album de deux 33 Tours, intitulé Aporrheta. Le titre vous semble-t-il mystérieux : il signifie Choses Tues. Autrement dit ce que vous ne devriez pas savoir. Ne vous plaignez pas de votre ignorance, les fidèles lecteurs de Kr’tnt en savent beaucoup plus qu’ils le croient puisque ce disque reprend les quatre premiers EP du groupe que nous avons déjà chroniqués : An ear of grain in silence reaped sorti le 16 / 06 / 2022, House of lilies sorti le 15 / 09 / 2022, Echoing palaces sorti le 02 / 12 / 2022, Myesis sorti le 18 / 03 / 2013. Le concept d’Aporrheta est intimement lié aux Mystères d’Eleusis.

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    Si nous n’avons pas donné le numéro des successives livraisons dans lesquelles nous les avons chroniquées c’est pour que vous ayez le plaisir de les rechercher par vous-mêmes. Si les choses sont tues c’est uniquement pour vous encourager à les retrouver par un long et méthodique effort. C’est le principe même de l’Initiation. Sur son bandcamp Telesterion se présente en quelques mots : Je commence à chanter Demeter, déesse intimement liée aux mystères d’Eleusis.

    SONGS OF ORPHEUS

    TELESTERION

    (Ixiol Productions / Snow Wolf Records / Septembre 2025)

    Pour ce qui veulent tout savoir Ixiol est un label basé en Amérique du Nord . Snow Wolf est aussi le label de Thumos, groupe américain, que grossièrement nous qualifierons de platonicien, dont nous suivons systématiquement toutes les sorties.

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             Les poèmes d’un poëte ne parlent pas obligatoirement du poëte qui les a écrits. Cette première phrase est sujette à caution et pourrait nous entraîner en des gloses interminables. D’autant plus inutiles qu’il ne nous reste aucun écrit d’Orphée, que notre héros grec est au pire un personnage symbolique, au mieux une conceptualisation forgée par les Grecs durant des siècles. Les Dieux et les héros grecs sont des espèces de work in progress (et de régression) pour reprendre une expression chère à Joyce. L’avantage de ces concrétions mentales successives réside en le fait que chacun peut se façonner une image d’un dieu conforme à son désir… Un peu comme des statuettes de terre glaise que l’on se passe de génération en génération, d’individu à individu, chaque époque, chacun de nous, peut ainsi imprimer ses propres désirs sur cette argile mouvante…

             Nous aborderons la problématique avec les gros sabots de l’ignorant qui pose la question qu’il ne faudrait pas poser, la voici : quelle relation existe-t-il entre Orphée et Demeter, que nous conte la mythologie grecque à leurs sujets ; se sont-ils rencontrés, se sont-ils combattus, se sont-ils aimés, trahis, haïs. Rien de rien, aucune anecdote, ne serait-ce que croustillante, ne les relie. Ne vous désolez pas, souvenez-vous que les Grecs ont un esprit subtil. Alors procédons subtilement.

             Commençons par  l’ histoire officielle : Orphée n’est pas n’importe qui : il est le fils de Calliope la première des Muses, celle de la poésie épique, celle qui préside aux chants qui content les combats des Dieux et des Héros. C’est avec Zeus qu’elle engendrera Orphée. Bon sang ne saura mentir, Orphée participera avec Jason à l’épopée de la Toison d’Or, tout au long du périple son chant  sera d’un grand secours pour vaincre aux instants cruciaux les difficultés que Jason et les Argonautes auront à affronter. Le chant et la lyre d’Orphée sont insurpassables, lorsqu’il se saisit de sa lyre les arbres inclinent leur houppe en cadence et les animaux sauvages sortent des forêts et viennent l’écouter couchés à ses pieds comme les chiens auprès de leur maître… Pour vous en convaincre, lisez le Bestiaire de Guillaume Apollinaire. Comme par hasard remémorez-vous que Calliope eut quelques intimités avec Apollon.

             L’Histoire commence comme un conte de fée et se termine comme Massacre à la Tronçonneuse. Orphée tombe amoureux d’Eurydice, piquée par un serpent le jour de ses noces, elle meurt. Inconsolable Orphée descend aux Enfers chercher sa bien-aimée, son chant séduit Cerbère le gardien des portes inviolables mais aussi les souverains du monde souterrain Hadès et Perséphone  qui permettent à Eurydice de suivre son chéri en marchant derrière lui, une seule condition : Orphée ne doit pas se retourner pour la regarder avant qu’ils ne soient revenus à la surface de la terre. Orphée se retourne, Eurydice retourne au royaume des morts. Cerbère ne se laissera pas attendrir une deuxième fois… N’oubliez pas de relire Les Chimères de Gérard de Nerval…

             Inconsolable Orphée passe ses journées à pleurnicher… Les prêtresses de Dionysos, les Ménades se mettent en quête de consoler ce beau garçon de son chagrin, Orphée reste insensible à leurs charmes, dépitées elles se ruent sur lui et le découpent en morceaux qu’elles jettent dans les flots du fleuve… la tête posée sur la lyre rejoindra l’île de Lesbos. La lyre fut placée dans le ciel dans lequel elle devint la constellation de la Lyre, la tête fut installée avec moult égards dans le temple d’Apollon. Elle ne sut pas retenir sa langue : elle contracta  la fâcheuse habitude de répondre avant la célèbre Pythie la prêtresse d’Apollon, aux questions que lui posaient par l’entremise des prêtres les hommes qui venaient interroger Apollon quant à leur destinée… Excédé Apollon se mit en colère et vint en personne intimer le silence au chef d’Orphée qui dès lors garda le silence…

    Méditons sur cette histoire. Quels en sont les éléments essentiels : la présence de la  mort, Perséphone, Dionysos, et le silence des choses tues qui ne doivent pas être divulguées. Ce choix n’implique pas des préférences aléatoires, il repose sur ce que nous appellerons l’histoire officieuse. Toutefois pour ceux qui penseraient que nous nous éloignons du rock’n’roll nous vous enjoignons à lire La descente d’Orphée de Tennessee Williams, pièce datant de 1940, dans laquelle apparaît un mystérieux personnage porteur d’une guitare et d’une veste en peau de serpent… Très belle prémonition du surgissement du rock’n’roll dans la société américaine…

    L’Histoire officieuse : commençons par nous interroger sur la signification du titre : The songs of Orpheus : l’opus en question évoque-t-il les chants que composaient Orphée, ce serait donc une espèce de reconstitution imaginative, ou les chants relatifs à l’histoire d’Orphée, un peu comme ce que nous venons de faire dans notre rapide exposé. Nous aurions envie de répondre : un peu des deux mon général. Toutefois méfions-nous des choses tues.

    Selon les Grecs, Orphée aurait connu le lamentable destin que nous avons rapporté pour avoir dans ses chants révélé des secrets sacrés… dans ses vers il aurait livré des explications interdites quant à la signification des rites que les prêtres mettaient en œuvre lors des cérémonies religieuses. Aux fidèles de percer  le sens des gestes accomplis et des paroles proférées. Si vous ne les comprenez pas contentez-vous d’adorer et de vous taire. Le silence est préférable aux âneries.

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    Notre modernité tient Dionysos en haute estime, il doit une fière chandelle à Nietzsche, dieu du vin de l’ivresses et de l’extase il a tout pour plaire, qu’il soit à l’origine de la comédie et du drame ne lui attire point un gramme de sympathie supplémentaire.  Bref nos contemporains ne retiennent que ce qui les arrange. Certes l’on se souvient que son père a arraché le foetus du bébé Dionysos du ventre enflammé de Sémélé sa mère, que l’enfant a été déchiré par les géants envoyés par Héra jalouse de Zeus… Zeus recollera les morceaux et   donnera à son fils l’immortalité. L’on se plaît à voir en Dionysos le dieu mortel une préfiguration du Christ bla-bla-bla… par contre il se murmure d’autres histoires, que Dionysos serait descendu aux Enfers pour demander à Perséphone la permission de rencontrer sa mère, mais il y a encore davantage troublant : Dionysos serait le rejeton de Zeus et de Perséphone, il serait donc aller rendre une visite de courtoisie à sa mère… Or Perséphone n’est autre que le nom qu’elle porte durant les mois où elle vit auprès de son époux Hadès, son nom de jeune fille est Koré. Or Koré est la fille de… Demeter. Or les Mystères d’Eleusis qui traitent des arcanes de la mort et de la renaissance, sont des décryptations du mythe de Koré obligée de passer trois mois dans les Enfers, royaume de la mort, elle vit sur la terre durant les neuf autres mois. Encore plus significatif les Mystères d’Eleusis ont été fondés par Dionysos et… Orphée. Je vous laisse réfléchir quant aux faisceaux de perméabilité  entre toutes ces personnages…

    Nous en savons maintenant assez pour établir le lien entre Orphée et Demeter. Apprêtons-nous maintenant à écouter Telesterion, qui hormis les titres des sept morceaux de son opus ne nous donne pas d’autres indications quant au sens de ce par quoi notre attention est monopolisée. Toujours la même loi des choses tues… notre interprétation est donc sujette à caution…

    La couve est une reproduction d’un tableau du peintre allemand Von Stuck (1863-1928), peintre symboliste qui eut pour élève Vassili Kandinsky  et Paul Klee, on peut le considérer comme un point de passage entre la vieille peinture et l’aventure picturale de la modernité, sans doute ne faut-il pas oublier tout ce qui le relie à des peintres comme Arnold Böcklin et Gustav Klimt… Le titre de l’œuvre ne saurait être plus explicatif : Orphée charmant les bêtes sauvages avec sa lyre. Quelle signification donner aux animaux ? Le Lion est vraisemblablement un hommage à Alexandre Le Grand dont le rêve (réalisé) fut de tuer un des derniers représentants du roi des animaux, n’oublions pas qu’il descendait des Héraclides, et dont l’entreprise guerrière  le mena jusqu’en Inde, déjà de son vivant son entreprise de conquête apparaissait comme une manière d’égaler l’exploit de Dionysos qui avait mené son cortège jusqu’aux Indes… La présence de l’ibis est-elle un discret hommage au poëte latin Ovide qui dans un des passages les plus poignants des Métamorphoses conte la descente aux Enfers d’Orphée. Pour le crocodile je vous renvoie à Virgile et au blason de la ville de Nîmes. Je n’en dirais pas plus, certaines choses doivent être tues.

    Rites performed by the Priests of Demeter: Celeus / Dioclese / Eumolpos / Triptolemus / Polyxeinus

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    Ye, I inwoke Dread Pow’rs : (Oui, j’ai réveillé les pouvoirs redoutables) : ne vous fiez pas à l’entrée apaisante, ou alors changez de disque, une déferlante d’une violence infinie, sombre, voix, chœurs et orchestrations emmêlés en un magma océanique, lorsque l’intensité sonore baisse, restent un profilage ténébreux qui ne recule pas mais au contraire avance avec une brutalité marcescente, même pas le temps de vous demander l’identité de celui qui prononce l’invocation, en est-ce d’ailleurs une, ou une revendication d’un geste innommable et défendu qui a été accompli par le seul fait de se taire serait est à lui tout seul un sacrilège.  Ce premier morceau est bien l’ouverture d’un Drame, ce qui doit arriver surviendra. Alea Jacta Est aurait dit César, c’est vrai qu’il ne traversait pas l’Achéron mais le modeste Rubicon. Toutefois, de l’autre côté de ce modeste cours d’eau l’attendaient les poignards des conjurés. En descendant dans les Enfers Orphée n’a-t-il pas mis en branle des forces extrêmes. Come, Snaky-Hair'd, Fates Many-Form'd : (Viens, cheveux de serpents, destin aux multiples formes) : comment ne pas voir en ses cheveux serpentueux la chevelure de serpents de Méduse. Indice fragmental : Franz Van Stuck n’a-t-il pas

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    peint dans Medusa le visage pâle du soleil noir de la tête de la Gorgone ? Une orchestration encore plus violente, encore plus démesurée, une batterie qui joue la marche lourde et pesante du Destin. Qui vient à votre rencontre. Un ami me disait que quand vous fonciez en voiture sur un mur, le mur venait aussi vers vous à la même vitesse et que vous subissiez un choc de deux cents kilomètres heures. Cinétiquement c’est faux, et pourtant quand vous écoutez ce morceau vous avez l’impression que non seulement il vous écoute mais qu’il ouvre une bouche démesurée pour vous avaler. Sur la fin une ruée sonore cataclysmique. Terrestrial Born : (Né(e) terrestre) : Nous sommes tous nés sur cette terre, tous les protagonistes

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    Le Printemps / Franz Von Stuck

    du mythe aussi : Koré la pure jeune fille, Dionysos le Dieu démembré, Orphée le poëte maudit. Identifiez-vous au masque de votre choix, Telesterion ne nous fait pas de cadeau. Sur cette terre nous marchons tous vers notre terre. Personne ne sortira vivant d’ici disait Jim Morrison. Est-ce pour cela que l’orchestration rampe lourdement comme un crocodile, vous pensez que vous lui échapperez mais elle court sur vous à une rapidité incroyable, ses mâchoires puissantes vous saisissent vous prennent en tenailles et vous, la bête féroce du destin, vous mâche tranquillement sans se soucier de vos supplications. Le niveau sonore implacable ne cesse d’augmenter. These Rites Rejoice, For Ye, I Call (Ces rites vous réjouissent, car oui, je vous appelle) : cordes vibrionnantes, et si l’on repassait le film à l’envers, si ce n’était qu’un faux semblant, tout aussi fort mais encore plus impressionnant, et si ce n’était pas le Destin qui vous appelle, mais un Dieu par l’entremise d’un hiérophante qui ouvre les portes jusqu’à lors fermées, le portail de L’Enfer n’a-t-il pas tourné sur ses gonds, avec quelle force, quelle violence Orphée n’a-t-il pas dû jouer pour forcer l’interdit, la barrière infranchissable qui sépare les morts des vivants, mais aussi les morts des vivants. Sachez où vous mettez les pieds lorsque le Destin cède à vos demandes.  Excite The Mental Eye, Waken : (Ouvre l’œil mental, Eveille-toi) : nous sommes au cœur du rite, tout se passe désormais dans ta tête, tout dépend de toi, la musique s’extrémise mais le chœur s’amenuise, ne serait-il pas louangeur, profèrerait-il des mensonges, à toi d’y voir clair, de te hisser hors des bords chaotiques et presque cacophoniques de cette musique catacombique qui entrechoque ta cervelle comme les icebergs sur la coque du Titannic, pas de trêve, pense par toi-même, ne te fie à personne, toi seul détiens les clefs de l’énigme et de ton âme, et de la vie et de la mort. Que de vacarme dans l’âme sans arme, ne joue pas ton avenir aux dés, ils roulent et t’écraseront, bâtis ton propre destin, opère le choix que tu es. Une symphonie à la Malher, n’est-ce pas la prémonition du malheur. Great Ocean's Empress, Wand'ring Thro' The Deep : (Impératrice du grand Océan, errant dans les profondeurs) : l’entrée nage entre deux os, es-tu le squale ou celui à desquamer, le rythme balance, le chant suit le mouvement tempétueux de la mer, serais-tu dans la longue  jonque noire de Charon, dans quel sens l’étrave trace-t-elle son sillage, es-tu sur le chemin de l’aller ou sur celui du retour, la cadence ne suit-elle pas simplement tes atermoiements, est-ce l’ignorance, est-ce la peur, est-ce le rêve, tu ne sais pas, silence, juste quelques effluves cordiques, mais non la rythmique infernale recommence, comme un chant de sirène plane sur les eaux du désastre, vite assourdi par des milliers de pas qui battent la semelle sur un rivage désolé, tu vas savoir, les profondeurs de la terre sont-elles aussi vastes que l’Océan infini qui entoure la terre. Hear Me, O Death : (Ecoute-moi, Ô Mort) : un peu de douceur dans ce monde de brutes, prélude et mort d’Yseult, qui parle est-ce toi qui supplies, est-ce toi qui comprends enfin que tu as compris, vainqueur et vaincu, tu l’as été et tu le seras encore, la mort est un passage, n’est-il pas réversible, la graine ne refleurit-elle pas sur la terre, tout n’est que transbahutement, transhumance, transformation, métamorphose infinie, la mort n’est-elle pas la chrysalide du vivant, le linceul de l’homme et l’enveloppe des Dieux que tu es et que tu n’es pas. Quelques notes de piano. Un dernier message d’encouragement comme une poignée de main. Quand tu sortiras au grand jour seras-tu à la table des Dieux sur l’Olympe ou attelé aux travaux et aux jours de tes semblables. Toi le dissemblable.

             Splendide. Je ne sais pourquoi, car les deux œuvres sont musicalement extrêmement différentes, l’une qui se déroule dans les espaces grandioses du Mythe, et l’autre dans les soubassements cacafouillesques de la conscience des vidanges psychanalytiques victimaires, en écoutant l’avant-dernier morceau s’est établi dans mon esprit vraisemblablement malade le rapport avec Tommy l’opéra rock des Who. Peut-être faut-il se méfier des références culturelles. Dans tous les cas un chef d’œuvre. Il ne faut pas se contenter de l’écouter, il faut entreprendre de l’assimiler.

    Damie Chad.

     

    *

    Je connais le gars, il revient systématiquement chaque année à la brocante de Provins, l’a des tas de cartons accessibles, j’y dégotte toujours quelques raretés, il y a quelques années un texte rare du divin Marquis, non je ne parle point du groupe de Rennes mais de l’authentique, mince correspondance dont je n’avais jamais entendu parler, je ne suis pas de ces nombreux amateurs de Sade qui se vantent de tout connaître, non je ne le chroniquerais pas ici de peur que ne s’opérassent de graves perturbations intimales et sexuelles parmi nos lecteurs, mais ce coup-ci j’avais dégoté un roman plutôt jazz, je vous en reparlerai si vous êtes sages.

    • Je n’ai rien sur le rock cette fois ci, ah ! si tenez, un seul bouquin sur les Doors !
    • Sur les Doors, je prends !

    OPEN THE DOORS

    LE GROUPE, LES CHANSONS, LA MUSIQUE

    PHILIPPE MARGOTIN

    (GLENAT / Octobre 1921)

             J’avoue qu’en rentrant chez moi je n’étais pas trop chaud, l’est vrai que ce n’est pas facile de feuilleter en marchant un livre qui avoisine les deux kilos, tracté par deux chiens tenus en laisse. A première vue, un ouvrage en vue des cadeaux de Noël, l’en sort systématiquement toutes les fins d’années, sur tous les grands noms du rock, d’ailleurs le Margotin malin ne mégote pas, l’est un spécialiste du genre, l’est souvent au rendez-vous lorsque surviennent les premiers frimas annonciateurs des turbulentes saturnales. Peu de texte, un max de photo, une maquette aérée, des couleurs vives à transpercer les yeux des aveugles, bon je le mettrai sur une étagère, on verra plus tard. Oui mais trois jours plus tard, parce que les Doors quand même, je détachais le paquebot de son mouillage présomptif…

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             Le porte-avions entre les mains se révèle encombrant mais on oublie vite son look d’armoire normande, première impression, l’on s’attend à une police géante, il n’en est rien, deux microns d’épaisseur et de hauteur de surcroît n’auraient en rien été superfétatoires. A vrai dire le texte manque un peu de profondeur mais par contre sa surface est si intéressante qu’elle pousse à la réflexion. Elle fourmille d’informations, pas de révélations fracassantes mais l’exposé chronologique des faits aide à mieux entrouvrir les portes. Ainsi dès les premières pages qui exposent les racines culturelles – cinéma, littérature - de la contre-culture américaine m’est venue à l’esprit cette idée que le phénomène agrégatif qui s’est produit dans les années cinquante et soixante sur la côte ouest pacificale a eu une influence intellectuelle et artistique aussi importante que Dada après 1918. Certes le dadaïsme, fils de la tuerie organisée de 14, reste marqué par le nihilisme, à l’inverse ce qui naît après 1945 est teinté d’optimisme, la destruction procure entre autres conséquences une joie libératrice, la contre-culture américaine revendiquera l’influence du Surréalisme, toutefois lorsque je zieute les photos du groupe surréaliste je ne puis m’empêcher de penser que, face aux beautifull people californiens, nos chantres de la révolte européenne étroitement embourgeoisés dans leurs costumes du dimanche ont l’air un peu coincés du cul. Vous n’êtes point obligés de partager mon jugement : je reconnais éprouver quelques aversions théoriques et esthétiques divergentes envers le mouvement de la bande à Breton, bien pâlichonne comparée à celle de Bonnot…

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             Procédons avec ordre et méthode : le livre suit l’ordre naturel de la discographie – de la formation du groupe à la mort de Morrison – soit six albums studio et un Absolutely Live composé de deux  trente-trois tours. Chaque titre est disséqué à tour de rôle. L’on n’apprend pas grand-chose – par contre une bonne entrée en matière pour un néophyte – certes ne sont oubliés ni le producteur ni les ingénieurs du son, de petits encarts colorés vous apportent des renseignements sur des noms qui aujourd’hui risquent de ne réveiller aucun souvenir à la majorité des lecteurs.  Margotin nous baratine les faits, il résume le sens des textes, indique la (ou les) date(s) de composition, esquisse rapidement quelques interprétations, mais ne pénètre pas plus avant dans la compréhension des textes alors qu’il décerne à Morrison le titre de grand poëte américain. A sa décharge notons que Robby Krieger a été souvent sollicité par le reste du groupe, Jim compris, pour l’écriture de nouveaux morceaux, le groupe ayant peur de ne pas se renouveler, mais aussi  pour  rester fidèle aux principes démocratiques qui avaient présidé à sa formation. Certes les Doors c’était : un leader charismatique + trois musiciens doués mais pas un chef avec trois sous-fifres le doigt sur la couture du pantalon. Margotin n’oublie jamais, à juste titre, de préciser l’apport décisionnel des trois musiciens dans la mise en musique des morceaux.

             Deux remarques adjacentes qui ont de l’importance, et pour mieux appréhender le livre, et pour mieux cerner la carrière somme toute météorique du groupe. Statistiquement parlant les Doors ont produit un disque tous les six mois. D’autre part ils n’ont cessé de donner des concerts. Pressés par le temps, ils n’ont pas eu le temps de rester trois mois en studio pour peaufiner un album. Dès qu’ils avaient quelques trous dans leur emploi du temps, ils filaient en studio et mettaient au point deux ou trois morceaux pour le prochain opus. D’où parfois la fausse sensation de répétition, lorsqu’il examine un album Margotin n’a plus de détails inédits à nous mettre sous les yeux. Nous ne pouvons lui reprocher sa minutie chronologique. Ne pas confondre gestation et séance finale d’accouchement.

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             Lorsque Manzarek rencontre Morrison, Jim a déjà noirci nombre de pages.  Il est étonnant de se rendre compte combien Morrison puise incessamment dans ses premiers poèmes et textes, l’essenciel, je mets un ‘c’ et non un ‘t’ pour attirer l’attention sur le mot essence, non pas pour comprendre ce mot en tant que finitude ou résultat, mais en tant qu’indication de l’origénéité séminale de la poésie de Morrison. Toute grande poésie se doit d’être originelle et non circonstancielle. Il est dommageable que Margotin ne s’engage point dans cette sente obscure. Il ne l’aborde que pas le petit côté de la lorgnette, se contentant de remarquer que contemporains de l’éclosion du mouvement hippie les Doors n’en partagent ni l’idéologie ni l’aspect fleur bleue. L’univers des Doors es beaucoup plus dur et pessimiste. Sans trop insister. Nietzsche, que Morrison a lu, est de tous les philosophes le plus pessimiste en le sens où il n’appuie pas cette vision du monde sur le simple constat de la présence du nihilisme car il entrevoit le nihilisme non pas comme ce qui serait, de par sa nature même, un fait insurmontable ou une donnée fondamentale mais au contraire ce qui nécessite les plus grands efforts pour s’en abstraire… Le pessimisme exige une tension libératoire que Rimbaud, et Jim Morrison à sa suite, nomment sauvagerie. C’est cette sauvagerie qui permet de break(er) on through to the other side, sur l’autre versant. Ensoleillé. Attention le passage est dangereux, leopard on my rigth, cobra on my left, autrement dit les animaux symboliques : de Dionysos  toujours accompagné de son cortège de strange people et de panthères, et d’ Apollon avec le serpent sacré qui logeait à Delphes dans son temple nombril du monde, attention Dionysos et Apollon sont réversibles, la parade est molle car elle ne se dirige ni vers la droite, ni vers la gauche, mais dans l’hésitation, d’où dans le poème l’appel à d’autres animaux lions et chiens, il ne s’agit pas d’un choix mais du retour éternel de chaque chose à revenir, non pas sur elle-même mais l’une après l’autre ou   l’une avant l’autre car sur le cercle mobile les deux positions s’équivalent, reviennent au même… Dans Ainsi parlait Zarathoustra Nietzsche se demande où il a déjà entendu ce chien aboyer.

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             Il est à noter l’allusion au carrefour de Robert Johnson dans The Soft Parade, ce n’est pas le diable (trop chrétien, pas assez païen) qui survient mais le blues, le rock’n’roll, que Morrison a utilisé comme vecteur pour forcer les portes, sans doute entrevoyait-il non pas une plongée individuelle par le LSD et autre produits, mais un passage en force sinon collectif du moins générationnel, chacun avait son rôle, il était le chasseur au gilet vert ou le Roi Lézard ou tout autre avatar, et les autres les strange people formaient le cortège.

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             J’ai longtemps eu un problème avec Strange Days, le deuxième album des Doors, pas précisément avec la musique, mais la pochette m’a longuement interrogé. Ce n’est pas moi qui ai posé des questions, c’est bien elle qui me les adressait. Pour le dos de la pochette je savais répondre : un clin d’œil à The House of the Rising Sun, à l’origine un bordel de la Nouvelle-Orléans. D’ailleurs le disque suivant n’était-il pas titré Waiting for the Sun. Mais le recto, c’est quoi ce ramassis de simili saltimbanques, des artistes de rue, semblaient un peu trop se moquer du public, qui sans parenthèse n’était pas présents sur la couve. J’avais une réponse – faut toujours en avoir une juste à côté d’un colt, car dans la vie il ne faut pas être prêt à se défendre mais toujours anticiper à tous moments l’approche (et donc la mort) de l’ennemi. Ne cherchez pas qui c’est, il est près de vous. Juste derrière. Evidemment vous pensez à  Freaks le film de Tod Browning. Une vieille pellicule en noir et blanc. Pas mal comme parade, hélas pas assez dure, j’avais l’impression que mon colt s’était changé en Browning, malheureusement chargé à blanc. J’avais une autre solution, une voie de secours, sans issue devrais-je dire. Pensez donc, je pensais au Club des Cinq en Roulotte d’Enid Blyton, à cause de l’invraisemblable  groupe de forains hétéroclites qui en  peuplent les pages, oui mais c’était le début de la piste… étranges gitans, strange people, c’est bizarre tout de même… Puis est venue l’illumination, je me vante, m’a fallu trois ans pour établir la connexion : Egar Poe ! Non pas parce que les contes d’Edgar sont remplies d’histoires extraordinaires, mais parce que lui-même les qualifiait de grotesques et d’arabesques. A bien y réfléchir suffit de changer l’angle de vision : nos Beautifful People avaient bien un petit côté grotesque, une idéologie transcendantaliste un peu trop fumeuse pour prendre le Thoreau William par les cornes. Des babas sans rhum. Restaient les arabesques. Drôle de quadrillages ! Structures mouvantes. En d’autres mots : la poésie. Edgar Poe a écrit des contes et de la poésie. Jim Morrison a fait du rock’n’roll et écrit de la poésie. Deux démarches parallèles. Des arabesques qui ne se  rencontrent jamais c’est ce qu’en géométrie des espaces l’on nomme des cas particuliers ! Je termine en quelques mots : ce n’est pas parce que les textes de Poe regorgent de situations étranges que nous affirmons qu’il existe des similarités entre nos deux poëtes, mais dans leurs tentatives de transformer leur appétence de vivre en maîtrise poétique. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. I’m The Lezard King, I can do anything ! Dans la préface de ces poésies Edgar Poe note la présence circonstantielle d’ évènements obstaculaires survenus en dehors de toute maîtrise…

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             A plusieurs reprises Margotin souligne la tristesse et la solitude de Morrison. Peut-être s’est-il aperçu que personne ne le suivait, car personne ne le comprenait, ou pire encore que son rêve à lui n’était qu’une des formes, plus colorée, plus bigarrée, plus anarchisante que le sempiternel american dream. Que Warhol avait défini comme le petit quart d’heure de célébrité auquel chacun a droit, que la société vous accorde si vous le voulez bien, mais qui n’est qu’un indigne lot de consolation. Un peu comme ces portraits du ‘’Maître’’, démuni pour ne pas dire andycapé, qu’un sous-fifre peinturlurait d’une couleur vive dans la Factory. Le rock et son cortège de masques n’était-il qu’une des formes électrifiées du charlatanisme sociétal. Morrison a quitté le rock pour la tentation suprême : la poésie. Nietzsche a expliqué que toute valeur court à sa perte. Morrison a abandonné la poésie pour la mort. A-t-il gagné au change ?

             Cet ouvrage enfonce peut-être des portes ouvertes, mais ouvre le lecteur à la réflexion, que Mallarmé nommait divagation. Ce n’est pas mal du tout pour un bouquin qui ne se revendique pas scriptuairement assoiffé d’absolu. Margotin vous refile un jeu de clefs. Ce ne sont pas les clefs qui doivent susciter votre intérêt. Mais le jeu. Grand concept de Jim Mor(t)isson.

             Les morts y sont. Mais nous ?

    Damie Chad.

     

     

    *

    Chris Darrow (1944 - 2020) multi-instrumentiste s’est intéressé au blues et au Bluegrass.  Il fait partie de ces musiciens qui comme Chris Hillman fondateur des Byrds ont aidé à la création du  Country Rock. Darrow a participé à de nombreuses sessions de studio, il a produit des albums sous son propre nom, fondé, et participé à de nombreux groupes, il a été aussi membre du Nitty Gritty Dirt Band.

    Pour une fois l’entretien se déroule à l’extérieur, Chris Darrow assis sur une chaise de jardin devant la luxuriance sinoplique d’un massif de bambous.

     

    The Gene Vincent Files #11: Chris Darrow about playing on Gene’s last official studio album.

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    Voici la copie du disque sur lequel j’étais, il possède encore la petite bande blanche sur le devant, c’est le dernier disque  de Gene Vincent, sur lequel j’ai participé et joué du violon sur la chanson Danse Colinda. Je me suis présenté très tôt au studio pour cet album dans l’espoir de le rencontrer, c’était le studio de Dave Hassinger sur Selma Avenue. J’étais excité de travailler avec l’ingénieur Dave Hassinger car il a réalisé un certain nombre de choses comme Satisfaction pour les Stones, d’autres disques importants, il était un grand producteur de rock’n’roll… Oui je suis arrivé tôt au studio, il n’y avait personne à qui au moins serrer la main ou à dire bonjour, donc quand je suis entré il n’y avait personne ni dans le studio ni aux environs, Dave était dans la cabine en train de surveiller des cadrans, je suis entré dans la zone où l’on enregistre, dans un coin se trouvait un gars qui ressemblait à un concierge, il portait un pantalon sombre et une chemise sombre, le genre de frusques que l’on trouve chez Sears, que les gens portent comme ça, le gars avait aussi une ceinture noire et des chaussures noires. Je me demandais où était Gene Vincent, et je continuais à le chercher des yeux, quant à coup le type s’est retourné vers moi : c’était Gene Vincent, il semblait avoir vieilli de plusieurs années et être plus près de la cinquantaine que de la trentaine, j’avais été assez choqué par son apparence, lorsque j’ai réalisé  qui il était, je me suis déplacé pour lui serrer la main, lui dire bonjour et me présenter. Je me suis présenté et lui ait appris que j’allais jouer sur son disque. Oui c’était la première fois que je le rencontrais, je le connaissais  depuis très longtemps car je l’avais en quelque sorte déjà rencontré grâce au  film The Girt Can’t Help It, j’avais douze ans, il m’avait vivement impressionné,  c’était comme si

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    je l’avais vraiment vu en chair et en os, je possédais ses disques et j’espère que vous aviez vu ses anciennes photos, il m’a totalement captivé et il est devenu une de mes idoles favorites, sans parler de  Cliff Gallup son guitariste, ils ont fait partie de ces gars qui pour un jeune homme et un jeune musicien comme moi essayant d’apprendre à jouer étaient des modèles, Gene Vincent faisait partie des grands… C’était une drôle de gageure de le rencontrer réellement, je me sentais extrêmement chanceux et béni (par les Dieux) de pouvoir jouer sur cet album. La session s’est très bien passée, ils ont été très contents de ce que j’avais fait, le groupe était

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    principalement constitué des membres du Sir Douglas Quintet sans Doug qui avait joué dans les sessions précédentes. J’ai eu la chance de rester et d’assister au déroulement des sessions suivantes. Gene était impeccable, je veux dire qu’il assurait grave au micro, il chantait très bien et il semblait s’être vraiment euh ! quel serait le mot juste, il semblait vraiment régenter la situation, il n’était pas du tout sous la direction de quelqu’un d’autre, c’était sa session et il avait une très grande maîtrise de ce qui se passait. (Question inaudible) Son humeur était plutôt bonne, il semblait être très optimiste et très heureux d’être là et je pense qu’à ce stade très particulier il semblait être très euh, il semblait vouloir s’éloigner de ce que tout le monde pensait qu’il était uniquement : un artiste de rockabilly, ce qu’il n’était pas, en fait il aimait la   musique country, une des chansons que nous avons enregistrée, celle sur laquelle j’ai jouée était de fait un air cajun, Gene a été vraiment bon je pense. J’ai eu l’occasion de le rencontrer plus tard lors d’une fête après avoir fini l’album, nous sommes restés assis un long moment dans la cuisine de Tom Mars à parler longuement, j’ai senti que c’était un gars un peu… son comportement trahissait quelque chose de très mélancolique, il était visiblement très amoureux de sa femme. Je veux dire qu’il était davantage motivé par sur cette relation que peut-être sur sa

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    propre carrière en ces moments-là. C’est difficile pour moi d’affirmer, je ne le connaissais pas assez pour avancer cela, il y avait une sorte d’atmosphère très, très, très sombre qui l’entourait. A l’époque je pensais que c’était dû aux séquelles de l’accident dans lequel Eddie Cochran a perdu la vie. En fait on se rendait compte qu’il souffrait de sa blessure au pied qui paraissait ne pouvoir jamais se résorber, il boîtait, il montrait une certaine détermination malgré sa sclérose latérale. Cette sorte de malaise qu’il dégageait était, je ne dirais pas effrayant mais très mélancolique ( il s’interrompt pour mettre de la musique dont on entendra que quelques notes, quand il reprend la parole il se frotte l’œil) Je pense que l’aspect majeur des années 60, je faisais alors partie d’un groupe appelée The Kalidoscope, un groupe psychédélique, on jouait du blues, de la musique orientale, bref ce genre de musique, on était connu pour être un groupe de World Beat, je pense que s’il était étiqueté comme un artiste de rockabilly, même s’il était beaucoup moins stéréotypé que cela pouvait le paraître, je pense qu’il aurait été capable d’accepter la musique de cette époque, toutefois en ce qui concerne sa tentative d’adapter sa musique aux années soixante, les gens auraient pu le comprendre, mais cela a paru une faute de goût. Je ne pense pas que

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    cette mixture était d’un bon niveau pour les gens qui aimaient ce courant même si la musique à cette époque était très ouverte. Elvis, les Everly Brothers  et tous ces gars du même acabit, la période n’était pas très bonne pour eux comme vous le savez. Je pense que la musique a évolué, certains artistes qui étaient au top, et ce fut identique pour tout le monde, lorsque les Beatles ont frappé, tous ces gars qui avaient auparavant connu le succès ont tout simplement disparu. Je ne pense pas que sa musique était nécessairement inadaptée  aux années 60, quant à sa capacité à intégrer la mentalité des années 60 je n’y crois guère, je pense que cela lui aurait été très difficile, probablement parce qu’il était beaucoup plus connu en dehors des Etats-Unis qu’il ne l’était aux Etats-Unis. Je suis prêt à parier qu’il a eu davantage de fans en Europe et dans d’autres parties du monde qu’aux Etats-Unis, aujourd’hui

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    encore. J’ignore pour quelles raisons. Je pense que Gene avait une personnalité plutôt effacée. Il n’était pas le genre de gars qui me donnait l’impression qu’il était là pour vous conquérir. Son talent lui a été davantage bénéfique que son attitude et son énergie. Il était excitant et tout ce genre de trucs, mais il avait en lui une douceur, et une gentillesse, je ne pense pas qu’il avait une personnalité conflictuelle. Elvis était un véritable showman et il s’excitait bien plus quand il montait sur scène. Je ne pense pas que l’humeur maussade et cette mélancolie que j’évoquais tout à l’heure ont été des facteurs qui l’ont peut-être empêché d’être un plus grand artiste qu’il aurait pu être, ce n’était certainement pas une question de talent, son talent est hors de cause, hélas certains artistes n’y parviennent jamais comme on le souhaiterait. Il est un de ces gars dont aujourd’hui lorsque l’on écoute ses disques l’on se doit de reconnaître qu’ils sont intemporels. Ce n’est pas qu’ils ne retiennent pas l’attention ou qu’ils ou n’accrochent pas, je pense qu’ils fonctionnent encore, le fait que je possède une copie de The Girl Can’t Help It, et que je l’écoute régulièrement juste pour le plaisir de le voir reste la preuve que ça vaut le coup de l’acheter, en cassette ou en vidéo si par hasard vous ne connaissez rien d’autre de Gene Vincent. Je n’ai

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    pas été le moins du monde surpris d’apprendre sa mort, à cause de l’impression qui me le laissait présager, je ne pensais pas que je lui survivrai si longtemps. Il a eu une vie très difficile, il semblait avoir vieilli très vite. Je n’avais seulement que quelques années de moins que lui alors qu’il paraissait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi. Il m’a donné l’impression, si je puis dire, de se battre comme la montre. Comme je l’ai dit je n’ai pas été particulièrement surpris d’apprendre son décès. En quelque sorte cela s’inscrivait dans la logique des choses… J’ai dit à quelques personnes qu’il était peut-être mort le cœur brisé. Il y avait quelque chose en lui qui donnait l’impression qu’il n’avait jamais réalisé le potentiel qu’il avait en lui. Ceux d’entre nous qui se souciaient sincèrement de lui l’ont ressenti, je sais que des gars comme Jeff Beck et beaucoup de grands musiciens ont été très affectés comme je l’ai été et il fera toujours partie de moi, je me sens chanceux, extrêmement chanceux d’avoir pu jouer avec lui, d’autant plus qu’il s’est avéré que c’est sur son ultime disque que j’ai joué.

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    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

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    Danse Colinda  est paru sur l’album Gene Vincent qui a été enregistré en mars 1970  il est paru aux USA en juillet 1970. Il est paru en Angleterre titré : If You Only Could See Me en mai 1971.  

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    L’album The Day The World Turned Blue enregistré en octobre 1970 est paru aux USA en décembre 1970 et en août 1971 en Angleterre.

    La proximité des dates de parution explique certainement pourquoi Chris Darrow pense avoir participé à l’enregistrement du dernier album officiel de Gene Vincent.

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    Dave Hassinger : il fit des miracles chez RCA, les Rolling Stones ne sont pas les seuls à inscrire sur son tableau de Chasse : Elvis, Mama’s and Papa’s, Love, Seeds, Electric Prunes, Crosby, Still, Nash and Young et bien d’autres…

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    Sears créé est une chaîne de distribution de commerce de détails, un peu l’équivalent de nos Leclerc, la firme crée à la fin du dix-neuvième siècle a atteint son apogée dans les années cinquante et connu un grave déclin dès le début des seventies. Les magasins ont vieilli et les locaux sont délabrés… Sears se débarrasse de centaines de magasins… Sears s’est refait une santé au Canada et au Mexique…

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    Marcia Avron la dernière compagne de Gene, lorsqu’il  rentrera de Londres début octobre 1971 Gene trouvera sa maison totalement vide. Terrible coup porté au moral du chanteur. Il décèdera le 12 octobre.

    SLA : c’est ce terme qu’emprunte Chris Darrow pour désigner la maladie de Gene, en toutes lettres Sclérose Latérale Amyotrophique, communément appelée : Maladie de Charcot. Sans être médecin nous mettons fortement en doute ce diagnostic… L’alcool aura causé bien des ravages dans le corps de Gene…

     

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne

    YT de VanShots – Rocknroll Videos