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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 684 : KR'TNT ! 684 : UNDERTONES / LAMBRINI GIRLS / TEX PERKINS / LOVELY EGGS / JOHNNY SAYLES / ORGO / CHAT PILE / MARLEY HALE / SECRET AGENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 684

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    03 / 04 / 2025

     

     

    UNDERTONES / LAMBRINI GIRLS

    TEX PERKINS / LOVLY EGGS

    JOHNNY SAYLES / ORGO / CHAT PILE

    MARLEY HALE / SECRET AGENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 684

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Les Undertones en font des tonnes

    (Part Three)

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             Pour ceux qui écoutaient le John Peel Show en 1978 sur les ondes moyennes, le nom des Undertones reste la référence absolue. T’avais cette voix de délinquant sexuel qui attaquait à coup d’Are teenage dreams so hard/ To beat, et c’était dans la poche : «Teenage Kicks» allait rester l’un de tes singles favoris. Avec Laurent (hello Laurent), on est allés voir les Undertones kicker la Maro en 2013, et ce soir-là, ils claquèrent deux fois leur «Teenage Kick», comme le fit historiquement Peely en 1978, alors qu’il venait de recevoir le single. On était tous deux sortis sonnés de la Maro, on titubait dans la rue Boyer. C’est à peine exagéré.

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             Les Undertones occupent une place à part dans la petite mythologie du British punk : ils ne sont ni les Damned, ni Stiff Little Fingers, ni les Buzzcocks, ni les Pistols. Les autres, on n’en parle même pas. Les Undertones sont restés les kids qu’on voit sur les premières photos de presse, des kids incroyablement talentueux et modestes, avec des sourires dents de lapins, des fossettes, et des doc Martens. Tu les observes sur la photo du rang d’oignon, Michael Bradley n’a pas changé, même s’il a pris un petit coup de vieux. Derrière, Billy Doherty rigole lui aussi de bon cœur. Bon, Feargal est parti, mais c’est pas grave. Ensuite tu vois Damian O’Neill, avec son incroyable sourire de kid rock. Et derrière lui, au fond, son grand frère John O’Neill se marre un peu, mais pas trop. Aujourd’hui, il gratte sa gratte au fond de la scène. Même s’il est tout déplumé, il reste le génie des Undertones. C’est lui qui a pondu tous les hits. Cot cot ! John O’Neill ! Et tous les punks anglais ont rêvé de composer des cuts aussi balèzes que ceux de John O’Neill, mais à part Brian James, Jake Burns, Pete Shelley et John Lydon, aucun d’eux n’est jamais arrivé à la cheville de John O’Neill. Les Undertones proposaient un détonnant mélange de fraîcheur et de power, mélange qu’on retrouve d’ailleurs dans «New Rose» et dans Spiral Scratch. Avec la goutte de sexe d’I wanna hold her wanna hold her tight, ce mélange constitue l’essence même du rock.

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             En plus de leur désarmante facilité à pondre des hits, ils n’offraient aucune prise à la frime. Ils sont les rois du Zéro frime. Tu ne les aurais jamais vu frimer à la une du NME en costards à la mode et cols relevés, comme le firent les Clash. Quelle horreur quand on y repense ! Les Undertones sont restés d’éternels Irish ados et c’est exactement ça que tu vois sur scène 47 ans plus tard. Ils sont certainement les seuls à pouvoir réussir un tel exploit. Et proposer un set de 90 minutes complètement explosif. C’est le seul mot qui te vient à l’esprit pendant le set : explosif ! Pas un seul déchet, à peine un morceau lent, et tout le reste déboule à vive allure, la moyenne d’un cut restant en dessous des 3 minutes. Wham bam !  

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             Coup de pot : ils jouent deux fois dans les parages. Le premier soir au Trabendo et le lendemain au Havre. Alors tu fais en sorte que. Pas question de rater un tel festin. Quand t’arrives un peu à l’avance pour ce genre de concert, tu tombes fatalement sur les vrais fans, ceux qui viennent de loin et tu ne vois plus le temps passer, car tu parles la même langue. Et ça devient magique quand arrivent les Undertones qui viennent de terminer leur soundcheck et qui sortent faire un tour dans le quartier. Papotages. Et photos. Pas de problème.

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             Si par chance, tu t’installes aux pieds de Damian O’Neill, tu verras jouer l’un des meilleurs guitar slingers de notre époque. Il gratte une Gibson les Paul Standard Double Cutaway, pas la plus courante, et n’a que deux petites pédales d’effets au pied, autant dire rien, mais il gratte les poux du diable. Oh bien sûr, ça ne veut rien dire, les poux du diable, disons qu’il claque des gimmicks d’une simplicité enfantine et repasse d’un tour de main en power chords, tu n’y vois que du feu, et franchement, l’efficacité de son jeu te bluffe. C’est un style extrêmement dépouillé qui te renvoie à la fameuse technique de dessin de Cocteau qui préconisait d’en enlever plutôt que d’en rajouter. Damian O’Neill en enlève et claque du killer flash en permanence. D’où l’insolence de ce power. D’où le son des Undertones. Et jamais de grimaces de frimeur. Il n’a l’air de produire aucun effort. On appelle ça la classe naturelle. Son seul défaut serait peut-être de voler le show. Eh oui, tu n’as d’yeux que pour lui. Il incarne le punk-rock anglais comme l’a incarné Brian James.

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    Derrière lui, Billy Doherty bat le beurre en mâchouillant son chewing-gum, et de l’autre côté, Michael Bradley gratte sa Ricken bien pépère, pas de problème, et là-bas au fond, ce vieux génie déplumé de John O’Neill continue de riffer sa Gibson SG comme s’il avait douze ans. Et au milieu de tout ça, t’as Paul McLoone qui chausse les godasses de Feargal Sharkey. Pas évident. Il s’en sort plutôt bien, il multiplie les postures circonstancielles, il aime bien faire le David Jo, par exemple, et l’un dans l’autre, il remplit bien sa mission qui est de donner vie au vieux ramdam juvénile des Undertones. Pas toujours facile de trouver un chanteur qui fasse le poids.

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             Ils démarrent en trombe avec «Jimmy Jimmy», te voilà tanqué, ils te calent «Teenage Kicks» au beau milieu du set, tout le monde chante en chœur, et pour regagner la sortie, ils vont enchaîner l’impeccable «Hypnotized», «I Know A Girl», «Listening In» et soudain, Damian O’Neill déclare : «This one is for David Johansen !», il siffle, gueule «c’mon boys !». Et tu prends «Get Over You» en pleine poire, eh oui, c’est monté sur les accords des Dolls. Damian O’Neill joue exactement comme Johnny Thunders ! Ils ont une trentaine de cuts en tout, et reviennent pour un rappel apocalyptique, «Here Comes The Summer», «Jump Boys», alors tout le monde Jump, surtout au Trabendo, puis c’est «Really Really» et pour finir le so perfect «Perfect Cousin», I’ve got a cousin called Kevin !

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             Les deux concerts sont très différents. Au Trabendo, ça valsait de partout, alors qu’au Havre, c’est resté un peu pépère. Les Undertones semblaient se nourrir de l’énergie du public parisien. Tu sentais les vibes dans l’air. Tout sonnait incroyablement juste. Perfect Concert.

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             This one is for Thierry & Anne.

     

    Signé : Cazengler, Undertorve

    Undertones. Trabendo. Paris XIXe. 14 mars 2025

    Undertones. Le Tetris. Le Havre (76). 15 mars 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Les Lambrini ne lambinent pas

     

             — Dis donc, avenir du rock, paraît qu’t’es allé voir l’concert des Lambrini ?

             — Ah bah ouais !

             — T’as pas l’air très lambruni...

             — Ah bah si !

             — T’as bien lambretté alors...

             — À fond !

             — C’est drôle, j’te voyais pas comme ça...

             — Comme quoi ?

             — Ben, lambritable...

             — Ben si, comme tout l’monde. Et toi, t’es pas lambritable ?

             — Ça dépend avec qui. Et pis ça dépend aussi d’l’angle eschatologique, ça dépend d’comment tu mates le mur d’l’éternité...

             — Tu m’fais marrer, tu noies la poissecaille dans l’eau. La lambritabilité, c’est un automatisme pschychique de la pensée, tu piges ? C’est pas toi qui décides, c’est la lambritabilité qui décide pour ta pomme.

             — Ton baratin veut rien dire, avenir du toc ! T’es vraiment qu’un escroc !

             — Vazy répète...

             — T’es qu’un putain d’escroc !

             — Vas te faire lambritter chez les Grecs !

             — T’es complètement lambruti, avenir d’mes deux !

             — Et fier de l’être. Tiens, j’lève mon verre à la santé des lambris !

     

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             Encore l’autre jour dans la queue pour un concert à la Maro, t’entendais des mecs dire du mal des Lambrini Girls, mais vraiment du mal, des choses du genre «elles savent pas jouer», «elles passent leur temps à jacter», «leur dernier album c’est de la...», «jamais vu des connasses pareilles», tout ça mélangé avec «Les Russes seront bientôt Porte de la Chapelle», et toutes les autres conneries que les gens qui se prennent pour des experts amplifient en les colportant, alors ça devient assourdissant, tu te retrouves au beau milieu d’une caisse de résonance et tu ne sais plus s’il faut désespérer ou éprouver du chagrin pour ces pauvres gens qui ne se rendent plus compte de rien. Les cervelles seraient-elles donc à ce point inféodées ?

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             Et bien sûr, les Lambrini Girls n’ont rien à voir avec ce que les cons racontent. Il faudrait même remercier les Girls d’exister. Elles te consolent. Elles te remontent en même temps les bretelles et le moral. Elles te ramènent à la maison. Elles te sauvent la muse. Elles t’arsouillent et te dédouanent. Elles t’intéressent et elles t’avertissent, du coup t’en vaux deux et t’es bien content, elles t’excitent et te réveillent, elles t’affranchissent et te remettent tout à plat, elles t’épatent à la sauce tomate, elles t’embarquent pour Cythère, elles te redressent la barre, elles t’éclatent au Sénégal, elles t’intronisent et t’atomisent, elles t’oblitèrent à terre et t’accaparent de marché, elles t’inspirent le pire et t’aspires le meilleur, elles t’importent dans leur monde et t’exportent aussi sec, elles t’éduquent aux grands ducs et t’impliquent à pic, il faudrait même inventer des mots pour les situer, tellement elles échappent à tous nos pauvres petits clichés à la mormoille. Lambrini Girls ? C’est du trash-out so far out, du wash out, du smash out, du girl-punk in the face, elles réveilleraient les morts de la tranchée - Debout les morts ! - elles tapent dans l’essence même du rock, le viscéral exacerbé, le vital extraverti, le vivace excédentaire, la virulence excuriatrice, elles font jaillir la vie à jets continus, comme peu de groupes savent le faire, elles font du rock en rut, c’est un trio du printemps, un groupe de sève qui monte et qui monte, en orgasme continu, t’en reviens pas de les voir gicler.

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             La petite blonde qui gratte ses poux et qui harangue les foules s’appelle Phoebe Lunny. Elle sort tout droit d’un roman de Dickens, avec sa petite bouille d’arsouille et son énergie de délinquante juvénile, elle passe son temps à ruer et à brailler ses rafales de textes, elle court pour occuper le grand espace de la scène. C’est Kurt Cobain au féminin. 

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    Elle fait comme Moïse avec la Mer Rouge, elle demande à la foule de s’ouvrir, alors elle saute de la scène, blomp, enfourche la barrière et s’en va traverser la salle pour créer de l’événement. Et elle en crée fabuleusement. Quand elle remonte sur scène, poussée au cul par les mecs de la sécurité, un roadie lui repasse la bandoulière et elle repart de plus belle au wash out de big time. Sa copine Lilly gratte une basse fuzz, et derrière t’as un batteur fou déguisé en fille, Jack Looker. Encore un lien avec Nirvana. Kurt adorait s’habiller en femme. Jack porte du rouge à lèvres et des collants troués. Trash out, baby ! La powerhouse des Lambrini, c’est Jack the lad ! Fantastique batteur anglais, de type Paul Cook ou mieux encore : l’Eddie des Vibrators.

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             Elles démarrent leur set avec l’explosif «Big Dick Energy» que tu retrouves sur leur premier album, Who Let The Dogs Out. Pur trash punk de Stay the fuck away from me ! Looker push the push, elles montent leur trash en neige, c’est un sommet du genre. Phoebe Artful Dodger se marre avec cette histoire de grosse bite, elle ricane à coups de Cos it’s not that big ! T’as l’impression que la messe et dite, mais ça va continuer de débouler avec un autre temps fort de l’album, «Bad Apple», une espèce de summum de l’harangue, elle cultive l’art antique de la dégelée verbale, il pleut du rut comme vache qui pisse, elles font encore plus de ramdam qu’un groupe américain à deux guitares, elles concentrent tellement de power que t’en oublies la faiblesse des compos, tout tient par l’énergie viscérale, et ça vire au prodige.

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    Tu les vois claquer des rafales dans «No Homo» et la basse fuzz repend le dessus dans «Filthy Rich Nepo Baby», alors ça buzze dans le bush. Phoebe Artful Dodger applique toujours la même recette : elle appelle à l’émeute sur le couplet et le monde s’écroule à la suite. Elle n’a même plus besoin de gratter ses poux, la dynamique lui échappe et c’est la salle qui fait le reste. Elles bouclent leur set avec une espèce de rap-punk, «Cuntology 101» dont il n’y a rien à dire, hormis le fait qu’elle fait l’apologie du cunt.

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             L’énergie est intacte sur Who Let The Dogs Out. Tu retrouves toute cette arrogance géniale, tout le festival de Jack the lad, la belle basse fuzz de Nepo Baby, l’explosif wash-out de «Big Dick Energy», tu retrouves aussi les rafales de «No Homo» et quelques cuts qu’elles ne tapent pas sur scène, par exemple le terrific «Nothing Tastes As Good As It Feels», grosse énergie punkoïde, elles restent dans la ligne du party, c’est même wild as super-fuck ! Et t’as ce «You’re Not From Round Here» emmené ventre à terre. Viva the Lambrini  Girls  !

    Signé : Cazengler, Labruti Girl

    Lambrini Girls. Le 106. Rouen (76). 21 mars 2025

    Lambrini Girls. Who Let The Dogs Out. City Slang 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Explication de Tex

    (Part One)

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             Certains rock books sont des classiques. Comme on les cite à chaque fois, on ne va pas recommencer. Et puis t’en as d’autres qui sont des bêtes, comme Tex by Tex Perkins. A Beast of a book, un vrai book de Gévaudan ! T’as pas le temps de t’enfuir, il est déjà sur toi.

             Il y a deux préalables à cette lecture : un, avoir écouté les Beasts of Bourbon, et deux, les apprécier pour ce qu’ils sont, l’un des groupes les plus génialement bestiaux de l’histoire du rock.

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             Tex Perkins écrit comme il chante, avec la rage de l’emporte-pièce. Il écrit le rock comme il le chante, avec un dévolu magistral. Comme les Saints, il est originaire de Brisbane, mais curieusement, il ne parle pas d’eux.

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             Si tu veux tout savoir sur les Beasts, c’est là. Kim Salmon avait lui aussi creusé la question dans son autobio, mais Tex va beaucoup plus loin. On entendrait presque le son de sa voix, le son de sa rage, le son de son rock. Tex est l’une des plus brillantes incarnations du rock. Et ce n’est pas un hasard si les Beasts furent au temps de leur gloire «a lazy, insolent, cocksure, sneering, lascivious, threatening bunch of men» (dixit Rowland S. Howard). Pour bien situer les choses, Tex parle des Beasts comme d’un «ugly rock’n’roll band» face à «an angry mob». D’où la pochette de Low Life : Tex est au sol, sanguinolent. Il s’est fait canarder sur scène par l’angry mob.

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             Il a des roots impeccables : son grand frère Brisbanais écoute les Modern Lovers, Iggy, le Velvet, les Sex Pistols, «all that difficult stuff, but also loved Jerry Lee Lewis, Gene Vincent, and a very little known rockabilly cat called Ronnie Self.» Bonne école, Tex ! En 1980, il découvre les Ramones sur scène. Puis il flashe sur The Idiot d’Iggy - I didn’t own this copy of The Idiot. The Idiot owned ME - Comme Chris Bailey, il rappelle que Brisbane battait tous les records de répression et que les skins locaux lui couraient après dans la rue pour lui casser la gueule.    

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             Puis il découvre les Scientists - It was a bit like the first time I heard The Cramps. It was OF COURSE - Il met des cap - THAT’S HOW IT’S DONE - Et il fulmine : «They looked like the perfect rock band. Wild hairdos, weird clothes and a gang mentality.» On ne peut plus l’arrêter, le Tex - The Scientists had The Stooges’ heavy riffing, the swamp sound of The Cramps and Creedence Clearwater Revival - Puis il va faire la connaissance d’un Kim qui s’intéresse aux autres et qui est curieux. Tex passe les autres en revue : «Boris Sudjovic était le mec affable du groupe. Brett Rixon se planquait derrière une frange de cheveux et ne parlait que lorsque c’était absolument nécessaire. Tony Thewlis avait une fuzz box et la coupe de cheveux de Johnny Thunders, donc il n’avait rien de plus à ajouter. J’ai appris à connaître et à aimer Boris. He was a big guy with big hair and he wore shirts louder than the bands he was in.» Tex pèse ses mots. Pour lui, les Scientists étaient the best band in the country.

             Les Scientists sont allés à Londres et sont revenus au bercail, après leur désintégration. Tex devait lui aussi s’installer à Londres pour chanter avec Kid Congo, mais il a été renvoyé au bercail par les douaniers anglais.

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             Tex monte les Beasts avec Boris et Spencer P. Jones, l’ex-Johnnys dont il faut célébrer l’album Highlights Of A Dangerous Life - They played New York Dolls-style rock’n’roll that had cowboys song titles - Car oui, car wow, quel album ! Highlights Of A Dangerous Life démarre en mode Dolls avec une cover de «(There’s Gonna Be A) Showdown» et Spencer P. Jones claque le Dollsy beat. Il sait aussi claquer le Crampsy beat, comme le montrent «Move It» (tu crois entendre Nick Knox), «Deadmen From Boot Hill» (fabuleuse ferveur, limite rockab) et «Slip Slap Fishing», merveilleux clin d’œil aux Cramps. «Injue Joe» se veut savant et entraînant, et le country rock de «Green Back Dollar» en B est comme visité par la grâce. Spencer est un crack. Sur «Way Of The West», le batteur Billy Pommer Jr vole le show. Et le crampsy drive de «Montain Man» ramène les Johnnys à bon port.

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             Tex repère un article sur le Gun Club dans un magazine - La photo qui illustrait l’article nous les montrait partageant une bouteille de whisky and the headline was ‘Beasts Of Bourbon’. I looked at it and said ‘there’s a band name’ - Tex ajoute que des gens ont cru qu’il s’agissait d’un détournement du «Beast Of Burden» des Stones - That’s bullshit. At that stage I hadn’t even heard the song - Ils montent un répertoire vite fait bien fait avec des covers des Cramps, du Gun Club, des Stones, des Stooges, de Creedence et des Dolls. Comme ça au moins, les choses sont claires. Le premier batteur des Beasts n’est autre que James Baker, un big brother qui a 11 ans de plus que Tex. Et puis il y a Kim Salmon.

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             Le premier Beasts date de 1984 et porte le joli nom de The Axeman’s Jazz. Tex indique que le titre de l’album sort d’un book, The Myths And Legends Of New Orleans. The Axeman’s Jazz est l’histoire d’un serial killer qui opérait à coups de hache pendant la Première Guerre Mondiale et qui en dehors des coups de hache vouait une passion pour le jazz. The Axeman écrivit paraît-il une lettre au journal local pour indiquer qu’il n’entrerait jamais chez des gens qui écoutent du jazz. Musicalement, les Beasts ne cachent pas leurs influences : Cramps avec «Lonesome Bones» et «Love & Death», Creedence avec «Grave Yard Train» et puis bien sûr la Stonesy d’«Evil Ruby». On se croirait sur Exile, le Tex se prend pour le Jag, avec du gut en plus. Mais à l’époque on ne voyait pas bien l’intérêt de la Stonesy australienne. Avec «Lonesome Bones», ils ne se cassent pas la nénette, ils reproduisent exactement le son des Cramps. «Grave Yard Train» est une cover, ils tirent le cut de Bayou Country, sans doute le meilleur album de Fog. Swamp pur, amour de jeunesse de Kim. Et «Drop Out» sonne comme un coup de génie, arrosé d’un joli bouquet de killer kill kill bien aussie. Le «Save Me A Place» qui ouvre le bal de la B est du pur Scientists Sound. Encore une histoire de cimetière. Tex rapporte qu’en studio, Spencer P. Jones était tellement défoncé qu’il joua «Lonesome Bones» couché au sol, sur le dos et qu’il tomba dans les pommes à la fin du cut - I didn’t know it then but it would never be this simple and pure again - Pour lui, The Axeman’s Jazz est the purest of the Beasts’ albums. C’est son préféré - It’s also for me a document of one of the best days of my life. Il y a une petite photo des Beasts à la fin du chapitre Axeman : c’est dingue ce que Tex ressemble à Lux !

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             C’est avec Sour Mash que Tex s’impose en tant qu’énorme chanteur. Il attaque avec cette reprise de Captain Beefheart, «Hard Work Drivin’ Man», il tape ça à l’heavy guttural de cromagnon. Il reste dans cromagnon pour «Hard For You», il ramène toute l’humanité primitive de la caverne humide. Le reste de la viande est en B, avec «Pig», Tex y devient le roi des cromagnons fondamentaux. Il est à ranger sur l’étagère du haut avec Wolf et Captain Beefheart. Pire encore : «Driver Man», monté sur l’heavy drive de basse de Boris le Scientific. Cut énorme, gluant, préhistorique ! Le Tex refait encore du cromagnon avec «This Ol’ Shit». Ah comme il est raw, l’animal !

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             Leur meilleur album pourrait bien être Black Milk. Parce que «Bad Revisited» (le Tex évoque une place called bad, t’a les couinements du Kim, croahhh croahhh, pur Scientific thème). Parce que «You Let Me Down» (oh les chœurs de lads, le bassmatic fantôme, la dérive congénitale et le Tex !). Parce que le morceau titre, qui sonne exactement comme le «Walking On Guilded Splinters» de Dr. John. Parce qu’«I’m So Happy I Could Cry» qui sonne comme «Pale Blue Eyes» avec en guise de cerise sur le gâtö une envolée belle apocalyptique du killer kill kill Kim. Parce que «Let’s Get Funky», fantastique coup de chapeau à Hound Dog Taylor ! Parce que «Blanc Garçon», coup de Cajun d’I am bonnet blanc garçon/ With nothing to do. Et parce qu’«Execution Day» qui sonne comme un classique d’on my execution day, avec sa bassline alerte et fantasque. Pour toutes ces raisons, Black Milk est un album culte.

             En juin 1991, les Beasts tournent aux États-Unis. Tex : «We were horrible. That was our stock and trade. We dealt in horrible.» C’est la formation avec Tony Pola et Brian Hopper qui ont remplacé James Baker et Boris. Tous les Beasts sauf Kim sont incontrôlables - Tony was outrageous - L’hero est entrée dans la danse - He would do anything to score - Pire encore, Brian Hooper - Brian was wiry and good looking and dressed like Ray Liotta in Goodfellas. Brian était l’un de ces mecs  qui ne se contentent pas d’un peu, he couldn’t be just a little stoned. Like Tony, Brian would think it a good idea to get hammered on smack JUST BEFORE WE WENT ON STAGE. Tony pouvait jouer, mais Ol’ Brian on the other hand would be close to passing out on stage and playing like shit - Kim parle très bien de tout ça dans Kim Salmon & The Formula For Grunge. S’il quitte les Beasts, c’est à cause des excès. 

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             Très beau spécimen d’album que The Low Road. Ce sont les Beasts avec Tony Pola et Brian Hopper, c’est-à-dire les Surrealists. Dès «Chase The Dragon», on voit qu’ils ont un sens aigu du son. Ils lâchent une fantastique dégelée de riffs gras et le Tex fait bien son cromagnon. Les grattes de Kim et de Spencer P. Jones se chevauchent comme des dragons en rut. Sur «Just Right», Kim sonne comme Jimi Hendrix. Wow le Kim power is all over ! Ça sert de base au groove du Tex. Et Kim n’en finit plus de titiller l’Hendrixité des choses. Nouveau coup de génie avec «Straight Hard And Long», le Tex y claque ses onomatopées et ça bascule dans la Stoogerie. Les plongées sont spectaculaires, t’as le Kim dans toute sa splendeur. Et ça culmine avec «Something To Learn To». Leur profondeur de champ est invraisemblable, leur son est d’une ardeur épouvantable, ils sont certainement les seuls au monde à proposer un tel melting-pot, c’est épais, fouillé par Kim et arraché au gut par le Tex à coup de you’re my love and you’re my dealer. Tu sors de là ahuri.

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             From The Belly To The Beasts porte bien son nom : ce double album est un monstre. Le Blue Disc est du live ‘91 & ‘92. Ils tapent «Love & Death» à l’heavy blues de bulldozer, avec la Méricourt du Kim au fond du son. Puis ils tapent une cover du «LSD» des Pertties pour en faire un «ESP», suivi du «Dead Flowers» des Stones, et le Tex enfonce le Jag au well I’m sitting here. Il bouffe le Jag tout cru. Puis il bouffe Lemmy et Johnny Burnette tout crus avec sa cover de «Train Kept A Rollin’». Le Tex fonce dans le tas du train. C’est la plus raw de toutes les covers du Train. Il fait passer les Yardbirds et Johnny Burnette pour des enfants de chœur ! Encore pire : cover incendiaire du «So Agitated» des Electric Eels, avec un solo liquide du Kim. Et tout explose avec «Dirty Water» et son attaque mortelle de la mortadelle. Le Tex enfonce Dick Dodd et t’assistes à un fantastique développement de love that dirty water ! Et ça continue sur le Red Disc avec l’heavy trash de «Chase The Dragon». Ils s’enfoncent dans la désaille monumentale avec «Driver Man» et la basse s’en va jazzer dans le chaos. Et t’as le Kim qui plonge encore dans les enfers avec «Save Me A Place», puis les Beasts battent tous les records d’heavyness avec «Black Milk». Et c’est pas fini ! Le Kim fout encore le feu à la plaine dans «Drop Out», il abat un boulot extraordinaire, on n’entendrait plus que lui si on n’y prenait garde. On reste dans le meilleur sonic trash de tous les temps avec «Straight Hard & Long». Il n’existe rien de plus extrémiste que cette purée australienne. Gros clin d’œil à Hound Dog Taylor avec un cover extravagante de «Let’s Get Funky». C’est du Hound Dog extrémiste, dans une version longue et complètement hypno, ponctuée d’ah ah du diable, c’est-à-dire le Tex. «Execution Day» sonne comme un hit intercontinental, magnifié par le guitarring du Kim qui part en vrille excédentaire. Fin de la fête avec l’ahurissant bulldozer de «Good Times». Good times ha ha ha ! Tu sors de là encore plus ahuri qu’avant.

             Tex : «From about 1984 to 1999 every band I was in had junkies in it.» Et il ajoute : «Dans le groupe, au début des années 90, juste après que Charlie Owen ait remplacé Kim Salmon, there was heroin everywhere.» Tex évoque aussi les annulations de tournées à cause des overdoses - The junkie line-up of the Beasts came later. That’s when it became a truly scary, dark and ugly rock’n’roll band. And despite everything, for the most part, we were playing good.

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             Encore un album qu’il faut bien qualifier de monster : Gone. Pas de Kim là-dedans. Spencer P. Jones et Charlie Owen se débrouillent très bien tout seuls. Dès «Saturated», Tex te sature. Il chante à la glotte saturated. Il est le grand screamer de l’impossible. Les Beasts sont sans le moindre doute le groupe le plus extrême de l’histoire du rock. Ils attaquent «Fake» au pilon des forges. Ahurissant ! Personne ne peut résister à ça ! - Don’t know myself/ I’m a fake ! - Puis ils plongent dans la Stoogerie avec «Makem Cry». Ce sont les accords des Stooges et du MC5. Peu de groupes peuvent atteindre ce sommet du trash. Ils sont sous la fournaise exactement. Plus loin tu croises une autre fournaise : «I S’pose», Ils sont bien meilleurs sans Kim. Ils lâchent des vents uniques de sonic trash. C’est ultra-electric ! Ça joue à la cisaille divine. Encore plus cisaillé des tibias, voilà «What A Way To Live», back to the Beefheart groove, le plus dangereux de tous. Tex a ce pouvoir. Il est en plein dedans. Les Beasts re-déboulent avec «Is That Love». C’est du gros panache barbare. Quelle violence ! C’est l’équivalent sonique d’une attaque de barbares au Moyen-Âge, avec les cris de Tex qui couvrent ceux des brebis qu’on anéantit. Tu ne te lasses plus des Beasts et de leur paquet d’inventivité de sonic trash. Ils sont épouvantables de grandeur tutélaire, avec des guitares qui taillent dans le vif, wow le solo d’«Is That Love», t’as rien au-dessus en termes de brutalité, et c’est qui fait leur génie. Et ce beat énorme de pilon renvoie à celui de Pussy Galore, mais Tex est mille et mille fois plus puissant que Jon Spencer. Pas de commune mesure. Il a le pouvoir des dieux de l’Antiquité.     

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             Low Life est un Live qui te permet de réviser tes leçons. On y retrouve des cuts de Gone, comme «Saturated» ou «Make ‘Em Cry», tapé à l’ancienne mode du high energy, avec un killer solo d’incendie urbain. Tout ici est monté dans l’absolue démesure de la pyromanie. On retrouve aussi «Fake» - I’m a fake ! - Il n’en démord pas. Le son et la voix : c’est ça, les Beasts, le power immédiat et le Tex qui défonce tout de suite la rondelle des annales. Et voilà l’imparable «Chase The Dragon» drivé au riff de non-retour. C’est chanté à outrance, c’mon ! Get on the foam/ Chase the dragon ! Ils font quasiment du Nathaniel Mayer avec «Just Right», te voilà encore un pleine Stoogerie. S’ensuit l’un des hits de l’Internationale Beasterie, «Straight Hard & Long». Over and over again/ I start to explode, et ça bascule dans un blast débilité qui déboîte aussi sec dans le virage, et t’as le Tex qui écrase son chant extrémiste. Ah il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Et ça repart de plus belle avec «Ride On». Tex est le pire de tous, il faut le voir allumer, et Spencer P Jones se convulse avec du killer digne de Kim. Il fout le feu au bush avec son killah kill kill, il joue au plus près de l’enfer sur la terre, il est même encore plus incisif que Wayne Kramer, et pour finir t’as le Tex qui remercie le publie en gueulant : «Hey thank you ! Thank you !». Avec «Drop Out», les Beasts ont plus de son que n’en ont jamais eu les Stones. Tex bouffe le monde tout cru. C’est le pire des carnivores, il ne te laisse aucune chance. Ils terminent ce Live effarant avec leur cover de «Let’s Get Funky» - I feel like/ I feel like/ Gettin’ funky - C’est l’apocalypse. Awite ! Tex est un démon, en voilà la preuve, ha-ha-ha-ha, ça bat sec et ça brûle partout.

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             Little Animals est encore une bête des Beasts. Pour trois raisons : «Don’t Care About Nothing Anymore», «I’m Gone» et «Too Much Too Late». C’est du sans Kim, mais Pola, Hopper et Spencer P. Jones rockent encore le boat derrière le Tex. «Don’t Care About Nothing Anymore» est bien drivé sous le boisseau australien avec un solo caverneux. Dans «I’m Gone», le Tex fout bien le feu au bush. C’est même fabuleux de véracité crématoire. Ils t’amènent un son que les autres groupes n’ont pas, avec des solos en forme de serpents. Chaque solo est tordu, au sens psychiatrique du terme. Encore du gros biz des Beasts dans «Too Much Too Late». Ils ont le génie du son destroy oh boy, là t’as un vrai son de guitare, le mec qui gratte derrière le Tex est un real killer killah, il dérape bien dans les virages et claque un vrai solo de fin du monde. Là t’es obligé de prendre les Beasts au sérieux. Ils semblent même encore meilleurs depuis le départ de Kim. Jamais t’auras autant de son que sur cet album. Les poux sont fabuleux d’incartade et de too muchy much. Ils repartent à la bonne bourre avec «The Beast I Came To Be». Ils ont le beat de la main lourde. Ils sont à maturité. Leur crédo c’est d’activer des bombes l’une après l’autre. Voilà encore un cut explosé de clameurs. Ils tapent leur «Sleepwalker» à l’heavy blues primitif. Il n’existe rien de plus funambulique que ça. Le Tex referme la marche avec «Tanks», thanks for the water, thanks for the wine, il va chercher son meilleur baryton, thanks for the heroin and the cocaine too. Il remercie aussi pour l’acid et l’ecstasy. Thanks !

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             En 2019, Kim Salmon remonte les Beasts (sans les Bourbon) pour attaquer le XXIe siècle. Il récupère Boris Sujdovic et Tony Pola pour remplacer les morts, c’est-à-dire Spencer P. Jones et Brian Hooper. Par miracle, Tex vit encore. L’album démarre en puissance avec «On My Back». Ils récupèrent tout le souffle des vieux Beasts. Kim les met en coupe réglée, come inside, il screame comme un démon de l’antiquité. Malheureusement, tout l’album n’est pas du niveau de ce brillant starter. Tex reprend le lead sur «Pearls Before Swine». Les Bêtes traitent ensuite «My Shift’s Fucked Up» à l’heavily heavy pachydermique et bien vulgaire. Quand ça va mal, ça va mal. L’album se réveille en B avec «Drunk On A Train» heavily sonné des cloches, avec tous les oooh-oooh de Stonesy qu’on peut bien imaginer. On retrouve un peu plus loin un shoot de Stonesy dans un «What The Hell Was I Thinking» monté sur les accords de «Dead Roses» - You used to be a prostitute/ You can send me dead flowers for my wedding - Et pour le reste, on repassera.

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             Dans Tex, Tex évoque aussi son retour à Londres pour rejoindre Kid Congo et Patricia Morrison. Il n’est pas tendre avec ce projet foireux : «It was terrible.» Il enfonce son clou : «I thought, Wow this is... kinda boring.» Il s’explique : «Les groupes comme The Birthday Party étaient réellement excitants en 1981 et 1982, mais en 1985, that whole Nick Cave thing was really stale and pompous to a lot of us. And that whole goth thing with lots of makeup? Sisters Of Mercy and those bands? It was just horrible.» Et il embraye sur le Kid : «The band Kid and Patricia were putting together was heading towards being a bit London and a bit goth and a bit shit. I didn’t dig it at all so I stuck it out for a few months and then skulked back to Australia.» Bien évidemment, si le Kid flashe sur Tex, c’est à cause de sa ressemblance avec Lux. Une petite image en apporte la preuve formelle.

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             Tex évoque d’autres personnages légendaires : The Legendary Stardust Cowboy, qu’il accompagne en tournée australienne, et P.J. Proby, un Proby qui monte sur scène complètement défoncé - to a level of drunkenness that was a kind of madness.

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             Puis il entre dans une zone de calme, entre 1991 et 1995, avec The Cruel Sea. Il parle de magie. Il se plaint de la qualité des reviews dans la presse : elles étaient tellement élogieuses, «it got ridiculous. It got to the point I didn’t believe them.» Il rappelle un point essentiel : «Having all come from the underground we were suspicious of success.» Il n’a qu’une seule explication pour ce succès : «We were the right band at the right time. We arrived in the post-Nirvana shake-up, smack in the middle of a whole bunch of changes in music, and we worked because we were playing good, true, honest music that people reacted to on a grassroots level.» C’est Tony Cohen qui les produit - He would mix louder and louder and with more and more reverb - everything was at full volume - The Honeymoon Is Over album is tweaked and fiddled to within an inch of its life and probably worth every twist of the knob. On y revient dans un Part Two. The Cruel Sea tourne en première partie des Stones en 1995 - It was the Voodoo Lounge tour of Australia - Pour Tex, les Stones «are THE greatest band of all time and have given me more joy, more pleasure, more inspiration than anyone else - mais en 1995, comme d’ailleurs beaucoup de fans des Stones, il en avait marre : «A was a bit blasé about the whole thing.»

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             Tex consacre un petit chapitre à Iggy, histoire de dire tout le bien qu’il pense de lui. Tex adore les trois albums des Stooges, «all three are absolutely vital.» Et il ajoute ça qui en dit long sur les mensurations de son fandom : «The Stones have more great songs but Iggy is where I live. Deep down, everything I do has a little Iggy in it.» C’est fabuleusement bien dit. Tex rappelle aussi qu’à la grande époque, Iggy faisait la moitié du show avec le pantalon en bas des jambes, et ça limitait ses mouvements, «when he wanted to move, big dick and saggy arse swinging.»

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             Tex évoque un autre projet qu’il aime bien, Tex Don & Charlie. Charlie jouait dans les New Christs et Tex l’admirait - I watched this guy play incredibly soulful rock’n’roll guitar - Et hop, ça se termine en studio avec Tony Cohen, Shane Walsh on stand-up et Jim White des Dirty Three au beurre. Il indique en outre que Sad But True est l’un de ses albums favoris. Il leur faudra 12 ans pour en refaire un autre.

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             Il fait aussi allusion à You I Am, et il s’acoquine avec Tim Rogers dans T’N’T (Tim & Tex) pour enregistrer My Better Half. Tex n’en finit plus d’accumuler les projets. La fin du book pullule de projets. Tu te demandes si tu vas réellement écouter tout ça. Il monte encore The Ape avec des petits jeunes. Il a des cuts en réserve - Je ne pouvais pas les proposer aux Beasts Of Bourbon, it wasn’t dark enough for the Beasts but it was too heavy for The Cruel Sea - Allez hop ! The Ape ! - In some ways, The Ape record is the most ‘me’ album that I’ve ever made - Il en profite pour rappeler que «the Beasts’ music is dark and ugly», mais que «The Ape’s music is heavy but it has a grin rather than a scrowl.» Il ne peut pas être plus précis : «It’s got the sense of fun that can be found in the Cruel Sea and then there’s bits of Beasts heaviness about it but it’s not as nihilistic.»  Et plus loin, il enfonce son clou : «A 10-song rock’n’roll album with a grin.» Sacré Tex, il nous en aura fait voir de toutes les couleurs.       

    Signé : Cazengler, Tex toy

    The Johnny. Highlights Of A Dangerous Life. Mushroom 1986

    Beasts Of Bourbon. The Axeman’s Jazz. Big Time 1984

    Beasts Of Bourbon. Sour Mash. Red Eye Records 1988

    Beasts Of Bourbon. Black Milk. Red Eye Records 1990

    Beasts Of Bourbon. The Low Road. Red Eye Records 1991

    Beasts Of Bourbon. From The Belly To The Beasts. Red Eye Records 1993

    Beasts Of Bourbon. Gone. Red Eye Records 1996          

    Beasts Of Bourbon. Low Life. Red Eye Records 2005         

    Beasts Of Bourbon. Little Animals. Albert Productions 2007 

    Beasts  Still Here. Bang! Records 2019

    Tex Perkins. Tex. Pan Macmillian 2017

     

     

    L’avenir du rock

    - Egg toi et le ciel t’aidera

    (Part Two)

     

             L’avenir du rock savait qu’il faisait une grosse connerie en acceptant l’invitation de Jeremiah Johnson.

             — Viens prendre l’apéro, avenir du rock, je te présenterai des copains Crows.

             — Je croyais que les Crows voulaient te faire la peau...

             — C’est la trêve des confiseurs.

             Il neigeait abondamment sur les montagnes du Colorado. Jeremiah Johnson avait installé son bivouac sous un grand sapin, à l’orée d’un petit bois. Il jeta quelques bûches dans le feu et sortit une bouteille de Ricard de la sacoche de son cheval pour la faire dégeler au-dessus du feu.

             — Y vont pas tarder, les oiseaux se sont tus... Tiens, en voilà un là-bas.

             En signe d’amitié, le Crow décocha une flèche qui alla se ficher dans l’épaule de Jeremiah Johnson. Ploc ! L’avenir du rock allait se lever pour se barrer, mais Jeremiah le rassura :

             — T’inquiète pas, avenir du rock, j’ai l’habitude, avec ces mecs-là.

             Il arracha la flèche de son épaule, plic !, et la brisa sur son genou, en signe de paix. Le Crow approcha, fit «Ugh» en levant la main et prit place autour du feu. Jeremiah lui servit un double Ricard sec.

             — Attention, Jeremiah, il y a un message attaché à la flèche

             — Oui je sais. Il s’appelle Fesse Bouc. Il vient d’ouvrir une messagerie pour les visages pâles.

             — Quoi ?

             — Il envoie des messages en tirant des flèches. Cherche pas à comprendre. C’est les Crows.

             Un autre Crow tira une flèche, ploc !, dans la cuisse de Jeremiah qui l’arracha, plic ! Le Crow prit place autour du feu. Jeremiah le présenta :

             — Çui-là, y s’appelle Egg Poché.

             — Pffffff. C’est la misère, ton apéro, Jeremiah Johnson. Je préfère Lovely Eggs. 

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             Franchement, t’en reviens pas de voir non seulement la qualité des albums des Lovely Eggs, mais aussi la qualité du silence qui les entoure. T’as rien sur les Lovely Eggs, même dans les canards anglais. Que dalle ! heureusement que KRTNT est là pour réparer cette injustice. Et pourtant, Holly Ross est une véritable superstar.

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    Le nouvel album des Lovely Eggs s’appelle Eggsistentialism. Rien à voir avec Sartre. T’entends l’Holly ruer dans les brancards dès «Nothing/Everything». Ils font tous les deux des Raveonettes à la puissance 1000, c’est pulsé au riff d’orgue séculaire et t’as l’everything qui s’étale dans l’étoile d’une mer étale, juste au-dessus de la surface du paradis, c’est une authentique bénédiction, l’aboutissement intellectuel de la pop. L’Holly est fantastiquement pure et magique. Elle chante au sucre sacré d’I still go around. Elle te fait l’everything du firmament. Elle est complètement folle, cette gonzesse, elle te tombe dessus dès «Death Grip Kids», une vraie furie, c’est pas la reine du rodéo mais plutôt la reine de la dégelée royale. Avec «My Mood Wave», elle te fait du Jackie DeShannon à la puissance 1000, elle vibre de toutes parts - I don’t know where I should begin - Nous non plus, on ne sait pas. Elle joue avec le trash-punk dans «I Don’t Fucking Know». Même en mode trash-punk elle pousse à la roue mélodique. Elle reste fabuleusement pop sur «Echo You», même avec des machines. Son sucre candy force l’admiration. Son power perce les blindages. Elle nage comme seuls les dauphins savent nager. She’s a hero/ Just for one day. Elle boucle avec «I Am Gaïa» et fait sa Nico. Cut dense, profond et gothique, joli brouet d’I won’t cry for more. T’attends la suite et tu ne caches pas ton impatience.  

    Signé : Cazengler, bec d’egg

    Lovely Eggs. Eggsistentialism. Egg 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Sayles et poivre

             Chaque fois qu’un mec commençait à le charrier sur son nom, Jacky Sel se mettait en pétard.

             — Oh Jacky, quand est-ce que tu remontes en scel...  

             Paf !

             Il n’a pas eu pas le temps de finir. Il a reçu le poing de Jacky Sel en pleine gueule.

             — C’est la dernière fois que j’te l’dis, mon con joli, me charrie pas sur mon blaze ! La prochaine fois, j’te défigure, t’as pigé ? Ta mère enne’te r’connaîtra pas !

             Mec ou gonzesse, même tarif. Cette petite conne est arrivée au bar et s’est crue autorisée à charrier Jacky Sel.

             — Oh Jacky, t’es le sel de ma vi....

             Paf !

             Elle s’est retrouvée le cul par terre.

             — C’est la dernière fois que j’te l’dis, connasse, me charrie pas sur mon blaze. La prochaine fois t’auras les deux yeux au beurre noir.

             Et puis un jour, un gros malabar s’est pointé au bar. Il faisait deux mètres de haut et pesait dans les 200 kg. Pour aggraver les choses, il portait des bracelets de force aux poignets et des tatouages russes sur les mains et dans le cou. De toute évidence, il venait se payer Jacky Sel. Il déclara d’une voix forte, pour que toute la salle entende bien :

             — J’vas béqueter un œuf dur... Passe-moi l’sel !

             Il y eut un murmure dans la salle. Le malabar se tourna vers les gens un affichant un grand sourire édenté. Jacky Sel ne disait toujours rien. Le malabar en rajouta une petite couche :

             — Ça t’va bien les ch’veux poivre et sel...

             Nouveau murmure. Alors le malabar décida de brûler les étapes :

             — T’es un vrai demi-sel, Jacky Sel.

             Jacky voulut frapper, mais le malabar lui saisit le poignet, attrapa l’autre bras de Jacky, leva le pauvre Jacky au-dessus de sa tête et le jeta au sol de toutes ses forces. Crack ! Dos brisé. Jacky se retrouva dans un fauteuil roulant. Dans la rue, les gens se vengeaient de lui en ironisant à voix haute, pour qu’il entende : «Oh Jacky est dans un sel état.»

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             Johnny Sayles n’a pas eu à subir les mêmes tourments que Jacky Sel. Des farceurs lui ont peut-être demandé s’il était on Sayles, c’est-à-dire en vente, mais il ne risquait pas de se faire traiter de demi-Sayles.

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             C’est dans la compile Move With the Groove qu’on peut découvrir l’effarant Johnny Sayles. Si tu veux t’effarer, alors écoute cet album effarant paru sur Dakar en 1972, Man On The Inside. Rien qu’à voir la classe du Johnny sur la pochette, tu claques déjà des doigts. La classe du black ! Et la classe des cuts ! Boom dès «Snake In The Grass» - They call me/ Snake in the grass - et il rigole de bon cœur. C’est Johnny, les gars, ha ha ha, il est fabuleux. Si t’en pinces pour le groove, c’est là. Il enchaîne avec deux autres coups de génie, «Good Golly» et «Troubles A Comin’». Il fait de l’heavy Soul avec le power des Four Tops sur «Good Golly». Il a des chevaux vapeur dans le tiroir, et avec son Troubles, il passe au heavy somebody, c’est orchestré à outrance. Willie Henderson produit cette merveille. Johnny attaque sa B avec une autre triplette de Belleville : «Voice From The Inside», «Ooh Baby» et «I Understand. Ce magnifique Soul Brother claque son Voice au deep Soul funk. Puis il fait du Tempts avec «Ooh Baby», il a toute la résonance, tout l’expéditif, tout le considérable des Tempts. Et tout explose avec «I Understand», un solide r’n’b fabuleusement repris par les chœurs, mécanique intense avec la voix du dandy Johnny qui brille au firmament.

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             On reste dans The Chicago hard Soul style avec The Johnny Sayles Story, magnifique compile sortie de nulle part. Il amène très vite un gros shoot de Black Power avec «You Did Me Wrong», heavy blues de va-pas-bien - I can’t blame you baby - Il est bon, le petit Johnny sorti de nulle part - Want somebody ! - Avec «Tell Me Where I Stand», il passe au harsh r’n’b, il y va au I need you baby et on découvre le pure genius of Johnny Sayles avec «The Girl I Love». Les filles qui sont les Duetts font hey hey hey et ça devient énorme, fabuleux brouet d’heavy Soul, le black dude Johnny est un héros de la Soul. Encore un fabuleux r’n’b de good time Johnny avec «I’m Satisfied», on fond comme beurre en broche. Il explose l’heavy blues avec «Nothing But Hard Rocks», il est intense d’eveytime I look around. Il revient à son cher r’n’b de destruction massive avec «The Concentration» - Move it mama - et l’encore plus wild «Anything For You». Avec «Deep Down In My Heart», il passe à l’heavy gloom défenestré, il se cale sur des chœurs de folie pure, toujours les Duetts. Johnny sait rebondir sur le deep. Comme il a fait partie des Five Du-Tones, il a gardé un penchant pour l’hard Soul. Son «Little Mae» est aussi incendiaire qu’un hit des Tempts.

    Signé : Cazengler, demi-sel

    Johnny Sayles. Man On The Inside. Dakar Records 1972

    Johnny Sayles. The Johnny Sayles Story. Official

     

    *

             Peut-être ne vous êtes-vous jamais demandé ce qu’il y avait – j’aurais pu dire la suite - après la fin, les derniers lyrics de The End. Des Doors. Laissez tomber l’aspect musique envoûtante. Pensez plutôt à la poésie de Jim Morrison. J’ai longtemps rêvé sur un passage très précis du poème : ‘’The killer awoke before dawn  / He put his boots on / He took a face from the ancient gallery / And he walked on down the hall / He went into the room where his sister lived,’’.

             J’ai toujours pensé que le début de ce couplet était le nœud démiurgique du poème, beaucoup plus que le meurtre du père et le viol de la mère qui le suit. D’abord une remarque d’ensemble, nous sommes davantage dans une demeure seigneuriale, voire princière, que dans un intérieur familial américain, même de l’upper-classe. Plus près de la maison d’Usher d’Edgar Poe que des réceptions huppées de Fitzgerald. Beaucoup plus précisément, trois questions : pourquoi avant l’aube ? Est-ce une scène de nuit ou d’avant la naissance du jour. Symboliquement cela affecte la portée du texte. Est-elle de mort ou de naissance ? Est-ce la fin, ou le début ? Quel visage, quel masque le tueur décroche-t-il ? Celui du sacrificateur, celui de l’enfant ? Enfin troisième interrogation qui déplace jusqu’au sens du poème. Pourquoi entre-t-il dans la chambre de sa sœur ? Tout de suite après il rend visite à son frère. Assistons-nous à une cérémonie d’adieu, ou cette dernière visite fraternelle et point sororale est-elle évoquée pour ne pas s’attarder sur la précédente… pour que toute votre attention vous conduise, soit focalisée, au plus vite sur les deux forfaitures suivantes…

             Je me suis couché hier soir en souhaitant écrire ce matin une kronic sur un groupe français, c’est mon côté nationaliste, pléthore de nouveautés chez Mister Doom 666, de toutes les nationalités, jusqu’à un groupe indonésien, je sursaute, coup sur coup, assailli par deux expressions en langue rimbaldienne. La première cache un groupe américain, mais la seconde m’esbaudit, au titre si particulier j’intuite que non seulement ils sont français mais qu’ils chantent aussi en français ! Tout compte fait je m’aperçois qu’ils de nationalité suisse.

             Je suis heureux. Je ne savais pas encore où je mettais les pieds.

    s’allier à l’errance

    ORGO

    (Bandcamp / Mars 2025)

    Magh : vocal, bass / Wolfli : drums, backing vocals / Julien : guitars / Bertruand : guitars.        

    Orgo regroupe des habitués de la scène des musiques extrêmes suisse, ils proviennent de différents groupes : Calcined, Sixokondo, Churchill, Challenger. Le groupe s’est formé en 2021. S’allier à l’errance est leur premier EP.

    Eux-mêmes se définissent en quelques mots que certains trouveront aussi sibyllins que l’essence de la poésie : ‘’Le soulagement arrive, mais le vide aussi. Hallucinations fébriles entre résilience et effondrement. Sans fin. Inévitable. Orgo déterre une geôle sonore. Blafarde et dissonante. Un espace sombre où la raison se promet à la potence.’’ 

    Dans son Discours de la Méthode, Descartes a écrit ‘’ je pense donc je suis’’ mais dans Les Méditations Métaphysiques il rédige autrement sa  formule : ‘’Ego sum, ego existo’’ (je suis, j’existe ou alors moi je suis, moi j’existe). Dans Les Principes Philosophiques   en jeune coq de la philosophie moderne il tient à  marquer la renaissance de la gaya scienza grâce à la griffure de son ergot ‘’Ego cogito, ergo sum’’ (Je pense donc je suis). Ce n’est pas le mot raison sis à la fin du précédent paragraphe qui fonde cette allusion à Descartes, mais le nom du groupe ORGO qui en latin signifie en toute simplicité : ‘’avec orgueil’’. Selon le nom groupe l’on peut ainsi dire que le fait de penser fonde l’orgueil de l’avènement de l’Être. Je vous laisse méditer quant aux conséquences, par exemple heideggériennes, de cette interprétation.

    Il est une notion que nous ne prenons pas en compte celle d’’ego’’, nous nous contenterons de signaler, presque hors-propos, toutefois il existe une chaîne d’or qui relie certains évènements, certains concepts, et surtout certains évènements conceptuels, même si les esprits distraits auront du mal à remonter la logosité concaténationnelle qui les rassemble, ainsi par exemple l’inscription Et ego in arcadia, pour laquelle nous renverrons dans ce blogue-ci au travail atlantidéen et platonicien effectué par le groupe de metal : Thumos. Incidemment cette idée d’enchaînement logique renvoie par-delà Descartes à  la chaîne des notions  causales des conséquences d’Aristote.

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    Ne dites pas que la pochette est un gribouillage infâme et informe, que votre petit neveu de dix-huit mois fait aussi bien. Alors que vous pensez aussi mal. Essayez de vous en tenir à de sommaires constations. Il y a noir et du blanc. Il y a un dessus, peut-être un ciel nuageux, peut-être une terre marécageuse. Il y a un dessous. Peut-être de l’eau, peut-être l’ouverture d’un soubassement souterrain. Vous avez l’essentiel. Quelque chose vous manque-t-il, c’est que vous n’avez pas comme Gérard de Nerval, traversé deux fois vainqueur l’Achéron.

    Je vous engage à lire les lyrics, depuis près de quinze ans que je kronique des disques, je ne me suis jamais trouvé face à un texte d’une telle densité poétique.

    Catenae Fortunae : ne pas confondre cette chaîne fortunée ave la chaîne d’or, au sens  du mot latin la fortune s’avère bonne ou mauvaise, tout dépend de votre sort, ou il est bon, donc vous êtes en vie, ou il est mauvais : donc  vous êtes mort.  Il n’y a pas à tergiverser. Gardez cette dichotomie en tête pour écouter ce morceau. Z’ont mis trois tags pour vous prévenir de vous engager sur ce sentier (ultra)sonore et ombreux : doom, sludge, noise. Bruyant, un peu cacophonique, monumental, expérimental, pyramidal, terrible, effrayant, magnifique. Non le mixage n’est pas mal fait, si le vocal semble lointain  ils n’ont pas oublié de tourner à fond le bouton, Magh hurle de toutes ses forces, mais il est loin très loin, alors autant écouter et en prendre de la graine de grenade comme s’amusait à le proclamer Perséphone. Le désir de la mort n’est pas la mort du désir. Avez-vous essayé de séquestrer un cadavre. N’est-ce pas un mot qui ne veut rien dire, un être mort n’est-il pas aussi vivant qu’un être vivant, à moins que ce ne soit le contraire, il y a lui , il y a elle, nous fûmes deux, ô sœur, je le maintiens dixit Mallarmé,  le gardien de la porte qui s’ouvre et se ferme dans les deux sens, dans les caves du manoir les arbres poussent leurs racines au plus profond des caveaux, leur manière à eux d’indiquer le chemin , une boîte oblongue et odorante, une très petite sœur était morte,  j’avais eu qui sent bon son cercueil dixit Saint-John Perse, puis-je retenir encore à moi l’âme sœur que les ombres me réclament, ce n’est pas qu’elle est presque morte, c’est qu’elle est presque vivante, déjà sur l’autre rive, Eurydice perdue à jamais.

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    Le signe du fugitif : si le premier morceau est éprouvant, le second, ce mot signifie qu’il n’y en aura pas de troisième, parce que contrairement à The End il n’y a pas d’interstice, pas de porte de sortie, pour reprendre une expression qui colle aux Doors, l’ultime donc, est strictement infernale. Un tintamarre pandémonial, les ombres sont là autour de vous, un flot ininterrompu de présences ombreuses vous assaille, nulle part ailleurs vous ne trouverez davantage de clameurs bruiteuses, impossible de sortir, le cortège vous poursuit, une seule solution, s’enfuir. Toutes les issues sont bouchées ne reste que la fuite en vous-même, ce qui n’empêche pas un capharnaüm de hurlements de retentir en vous, osmose, l’extérieur de vous pénètre en vous, vous êtes entre les deux rives, peut-être  dans le rêve impossible d’une double présence éternelle, celle d’une jonction nuptiale et hiérogamique du frère avec sa sœur, vous avez passé, de la vie à la mort, vous êtes cadavres, peut-être à deux  ne possédez-vous qu’un corps unique, mais la mort vous pèse, le cercueil vous plombe, elle veut sortir de cette étreinte, de votre embrassement, peut-être est-ce la Mort que vous avez enchaînée en vos bras, la Mort n’est-elle pas votre sœur d’âme, on n’enferme pas la Mort, elle s’échappe de vous, peut-être a-t-elle été l’intercesseuse de votre union à votre rêve, à votre désir solitaire, mais le rêve de votre sœur est-il en elle, ou en vous, peut-être même n’êtes-vous que le rêve de votre sœur, de cette sœur rêvée, ce qui vous appartient n’est-il pas à elle, n’est-il pas elle, d’ailleurs son rêve, votre rêve n’est-il pas au-dehors de vous et de tous les autres, n’est-il pas déjà de par sa nature en fuite, vogue-t-il immarcessible au-dessus de la ville, au-dessus de la poussière des morts, ces ombres dont vous vous êtes enfui, l’une dans l’autre et vice inversé, pour devenir cette poussière irradiante dont votre forme n’est qu’une constellation luminescente que vous seuls pouvez voir car en elle seule réside votre  double royaume. Kaos. Kaos. Kaos.

             Après une telle écoute, il ne vous reste plus qu’une chose à faire, relire Annabel Lee d’Edgar Allan Poe.

             Ou mourir.

             C’est ainsi que vous vous allierez à l’errance.

    Damie Chad.

     

    *

    Certains titres d’album vous attirent plus que d’autres. Naïvement j’aurais pu croire qu’il parlait de Moi et de mon pays. Hélas mon esprit un peu retors a subodoré un soupçon d’ironie politique dans l’intitulé. Je suis allé voir, pourtant la pochette n’est guère engageante, oui mais au premier coup d’œil j’ai deviné que c’était un paysage américain. Qui refuserait un voyage dans la grande Amérique, le pays du rock’n’roll !

    GOD’S COUNTRY

    CHAT PILE

    (Flenser Records  / 2022)

             J’ai dû déchanter, j’avais cru moi qui adore les félins que j’étais tombé pile sur un chat, mais non, Chat Pile  désigne les tas de déchets toxiques rejetés et entassés par l’industrie… Deuxième déconvenue en cherchant à savoir qui ils étaient je me suis aperçu que je j’avais déjà effectué voici deux ans cette démarche, dois-je me lamenter sur ma mémoire défaillante ou y voir la preuve de la non-existence du hasard dans mes recherches sonores…  Une bonne nouvelle : New Noise qui continue de paraître en  kiosque - et qui en est au numéro 74, après un brutal et inexplicable chute des ventes voici deux ans, nous en avions parlé - les suit pratiquement depuis leur début. Ils seront en concert au Trabendo le 28 avril de cette année 2025.

             Viennent d’Oklahoma City in Oklahoma. Etat situé entre le Texas et le Kansas, pétrole et gaz de schiste n’aident pas à le classer parmi les régions les plus écologiques du monde… Consolation de taille qui vous réconciliera avec la région : les parents d’Eddie Cochran étaient originaires de l’Oklahoma.

             Passons donc sur la couve attention, ce paysage industriel déprimant  colle parfaitement au sujet de l’opus. God’s Country est leur premier album, leurs précédents splits et EP’s avaient attiré l’attention sur eux, mais ce full lenght leur permit d’atteindre une notoriété nationale et internationale, ils ont depuis acquis un statut professionnel. 

    Raygun Busch :  chant / Luther Manhole : guitare / Stin : basse / Cap'n Ron : batterie.

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    Slaughterhouse : ça se passe en Oklahoma, aussi ailleurs, pour la visite touristique vous n’êtes pas sur la bonne file, par contre la musique d’ambiance colle au plus près du sujet. Si vous ne savez pas ce que signifie slaugther je vous donne l équivalent en français, L 214, oui l’association Loi 1901 qui filme en catimini dans les abattoirs, qui dévoile le sort réservé aux animaux, des images qui choquent, je vous rassure Chat Pile ne vous filent que le son, l’on peut dire que la batterie de Cap’n Ron abat le boulot de toutes ses forces, en poésie ça s’appelle de l’harmonie imitative, le bruit de la masse qui s’écrase sur la tête d’une vache, ou qui démantibule le crâne d’un cheval, vous ne voyez pas mais vous entendez, quant à  Raygun Busch  il ne chante pas, il clame, il déclame, il proclame, il dit le meurtre, il décrit les yeux des animaux, il vous asperge d’un peu de sang, il constate que Dieu qui voit tout n’intervient pas, n’accusez pas les manouvriers, bien sûr ils frappent, mais les coups s’insinuent dans leurs têtes, le pire c’est qu’ils y résonnent indéfiniment, qu’ils refusent d’en sortir, idem pour les cris qui débordent des oreilles, les hommes et les animaux aimeraient être ailleurs, mais ils sont là. Condition ouvrière, condition animale. Bourreaux et criminels. Mort et remords. Un peu gore pour une intro. Musique industrielle, carnage vocalique. Bienvenue dans les hécatombes de notre modernité civilisationnelle. Why : ils vous le précisent en fin de morceau, l’histoire se passe en Amérique. Remarquez, s’ils étaient en  France ils diraient qu’elle se passe en France. Un beau bruit charivarique, sur le plan vocal il commence en parlant doucement, comme personne ne lui répond il s’énerve un peu. Beaucoup. A la folie.  Il est vrai qu’il pose une question insupportable, à devenir fou, pourquoi y a-t-il des gens qui vivent dehors dans le froid. Alors qu’ils habitent un pays riche. Entre nous ils connaissent la réponse, vous aussi, mais la posez-vous à voix assez haute pour être entendu… Ce qui suit, ils ne disent pas mais j’ai toujours trouvé bizarre que les gens autour de moi s’émeuvent davantage du sort des animaux que celui des hommes. Pamela : vous respirez, enfin une histoire d’amour ! Tout de suite c’est moins bruyant, basse et guitare émettent une espèce de mélopée mélancolique, le Raygun Bush n’a plus de timbre, devrait prendre de la vitamine C, l’histoire est triste, lui il est mort, il s’est noyé dans un lac, elle le pleure, ah ! c’est sa maman, ah ! il s’est suicidé, mais pourquoi ce bruit de ferblanterie et pourquoi cet arrêt si brusque, devraient être davantage compatissant et laisser pleurer cette pauvre femme, qui n’a qu’une envie, de mourir à son tour… hien, quoi, que dit-elle, que sous-entend-elle, qu’elle va se venger, que ça va saigner. Ils ont raison de couper le son. La police n’a pas besoin d’être prévenue. Je compte sur vous pour vous taire. Soyez complices. Soyez solidaires.

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     Wicked Puppet Dance : une special music video, n’appelez pas pour autant vos enfant, oui c’est du guignol, avec une marionnette, elle se permet de peindre le nom de Karl Marx sur un mur, ce genre de gribouillage pourrait   inciter les moutards à lire et leur donner des idées, et puis pourquoi la commande de la marionnette épouse-t-elle la forme d’une croix, cela signifierait-il que le marionnettiste est Dieu, et que l’Homme serait envoyé se faire crucifier par son Dieu tout puissant, et pourquoi la pauvre marionnette pisse tellement de sang que l’urinoir déborde et que l’hémoglobine inonde la terre. Vous conviendrez que cette vidéo est quelque peu séditieuse. Contentons-nous d’écouter sans voir. Ça grince, ça tangue, ça frappe, pourquoi ce ton excédé, pourquoi cette rage d’expression, il n’en peut plus, il pète un câble, Dieu le regarde, Raygun Bush préfère se taire. L’a raison. L’on n’est jamais trop prudent. Le gars a craqué. A envoyé une bastos de la mort dans la tête de celui qui l’emmerdait. Son propriétaire, son patron, son député, ce n’est pas précisé. Peut-être même a-t-il tiré sur Dieu. La vengeance du prolétariat, ça fait toujours plaisir. Oui j’avais averti que c’était politique, alors ne venez pas vous plaindre si cela ne vous convient pas. L’y a laissé peut-être la vie aussi. Oui mais quelle jouissance de s’être vengé d’une existence qui ne vous appartient plus, des sons de trompette, la batterie a attrapé le rythme par la queue et ne le lâche pas. Cahotique et mélodramatique dans la deuxième partie. C’est un morceau de rattrapage pour ceux qui n’ont rien compris aux deux précédents, alors ils vous versent toute la gomme sur la gueule, tout se passe dans la tête d’un seul personnage, quand vous avez un pistolet dans la main, c’est pour s’en servir, contre les autres, contre soi-même, tel est pris qui croyait prendre, les limites de l’action individuelle, si la destruction est aussi une création, il ne faut pas confondre destruction et auto-destruction. Marx versus Bakounine. Tropical Beaches, Inc : laminoir automatique, attention ne pas passer sous les rouleaux compresseurs qui vous attendent, il hurle, il ne veut pas, les autres appuient de toutes leurs forces pour hâter l’inéluctable, l’employé dont l’entreprise n’a plus besoin, ne comprend rien rend à cette logique économico-libérale qui ne vous rend pas plus libre, qui vous éjecte des rouages qui n’ont plus besoin de vous. S’égosille de peur et de haine. En vain. Trois légers sifflements terminus comme quelqu’un qui a coupé la communication et qui vous laisse dans votre solitude. The

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    Mask : attention ça barde, pas de pitié, pas de prisonnier, furax et féroce, le gars utilise les grands moyens, la force, l’est prêt à tuer, alors il tue, haine et jouissance, de face ou dans le dos, oui c’est violent, le morceau est court, faut savoir être expéditif. Ou c’est moi qui meurs, ou c’est vous.  Banque-route de cadavres. Hold on and hold-up. Comme les animaux à l’abattoir. I Don’t Care If I Burn : peu de bruit pour une fois, juste des pas, il ne hurle pas, presque une berceuse, il chantonne un peu, de la jubilation, il est près de son but, il est derrière lui, il ne vit que pour le tuer, il en crierait de joie, et il arrive, juste le tuer pour être en paix, enfin, avec soi-même. Grimace-Smoking-Weed : tout compte fait, il ne s’en tire pas mal, il abat sans faille ceux qui se mettent devant lui, peut-être pas dans la réalité, peut-être dans ses rêves, dans ses pensées, dans ses ruminations, musique implacable pratiquement la même qu’au tout début, n’est qu’un vaincu, l’a trop fumé, prend trop de produit, se débat contre ses hallucinations, l’homme purple qui ne le quitte pas, qui lui colle à la peau, alors il s’adresse à ce fantôme encombrant de la réalité, il le chasse, il lui claque la porte sur le nez, attention c’est la grande scène finale de l’opéra, fout tout le poids de sa voix persuasive dans la balance, l’a quelque chose de très important à faire. Se jeter par la fenêtre. Rassurez-vous, elle n’est pas très haute. L’on n’échappe pas à son destin social.

             Pessimiste. Violent. Radical.

    Damie Chad.

    *

             Les filles ne sont plus ce qu’elles étaient, je ne parle pas des françaises parfaites et sans défaut, mais des américaines, surtout les chanteuses et spécialement celles qui gravitent dans les roots zones de la country music. Soyons justes, elles chantent comme des tourterelles mais qu’est-ce qu’elles trimballent comme mal-être. Les deux chroniques précédentes ne sont pas joyeuses, je me suis dit que chez Western AF, je trouverais luxe, calme et volupté. Un paradis baudelairien. J’avais oublié que chez Baudelaire l’Enfer et le Paradis ne sont qu’une même contrée.

    DRUNK ON YOU

    MARLEY HALE

    (YT / Western AF / Février 2025)

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             Y a ceux qui font la fermeture des bars et ceux qui font l’ouverture. Les couche-tard ne sont pas nécessairement des ivrognes, mais les lève-tôt ne sont pas obligatoirement d’honnêtes travailleurs. Bref une belle intro, l’ouverture du bar Jones, une chaise, une table on ne la voit pas, mais elle commence à parler, elle explique comment et pourquoi elle a écrit the song, je résume en deux mots : alcool et peine de cœur. Guitare, veste en jeans, cheveux ondulé, visage de jeune fille un peu naïve mais petits sourires désabusés. Une belle voix, plutôt classique, idéale pour les histoires à l’eau de rose, oui mais les mots bleutés qu’elle prononce tout doux sont chargés de toutes les brisures du blues.

             J’ai voulu en savoir plus, née à Austin, élevée en Californie du Nord, son père qui écoute du Led Zeppelin lui donne ses premières leçons de guitare à dix ans, aujourd’hui elle est basée à Brooklyn autrement dit à  New York où voici plus d’un demi-siècle un certain Dylan fit son trou. L’on trouve quelques traces d’elles sous le nom de Marley Collins. Elle aime aussi Karen Dalton. Ecoutons son premier EP.

             Le titre sonne fièrement. Une belle proclamation de foi féministe. La couve instille le doute : cette fille qui tangue et se laisse aller dans les bras de son cavalier ne donne pas l’impression d’une prédatrice sûre de sa capture. Semble en attente.

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    BY MY OWN WAY

    MARLEY HALE

    (  / Juillet 2024)

    Aidan Cafferty : bass on all songs except "Good Man" / Kai Barshack : drums / Antonio Romero : fiddle, Piano /  Sam Talmadge : electric, acoustic, and baritone guitar / Jack McLoughlin : pedal steel / Dylan McKinstry : bass on "Good Man" / Marley Hale :  vocals

    To those at my window : vous avez lu la liste des accompagnateurs, c’est une erreur, de véritables acteurs, ils créent le décor, l’ambiance et le commentaire, du coup Marley ne chante pas, elle interprète les rôles, elle et lui, rien à voir avec la nudité de chez Jones, c’est pourtant la même histoire, mais transformée en comédie humaine balzacienne, en trois minutes vous n’avez que l’analyse d’un seul personnage, le regard qu’elle porte sur les hommes, des cinq morceaux de cet Ep il est l’unique dans lequel c’est elle qui mène le jeu, même si elle comprend et souffre de savoir qu’elle ne correspond pas à ses rêves à lui, et qu’il pourrait s’accrocher à ses rêves à elle, ce qu’elle ne veut pas, car la quille des bateaux du songe ne doit pas trop s’approcher des rochers de la vie réelle… Le violon vertigineux vous emporte sur les rives du naufrage.  Drunk on you : cette version bien plus belle que celle de western AF, la même lenteur, le même rythme certes mais la discrète orchestration change tout, sa voix n’a plus besoin de pleurer puisque la la steel le fait pour elle, alors elle peut se poser comme une mouette goudronnée dégoulinante de désespoir s’abat sur le rivage pour survivre dans la propre mort de sa vie impossible. Valse lente, car dans ces moments-là l’homme de chair impossible à qui je pense est plus beau que moi. Chanson à boire sans soif. Avec ou sans alcool. Dear girl : vous avez une Official

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    Video, même sans le savoir, dès les premières notes vous sursautez : vous êtes dans un western, non pas une pellicule avec John Wayne ou avec une flèche brisée dans le dos, un film, de la génération d’après, un spaghetti bolognaise rouge d’hémoglobine, pelloche déchirée de chez les ritals exacerbés, les musicos vous la font à la Ennio Morricone plus un soupçon funèbre de mariachi, pour les images aucune fusillade, une fille qui erre dans la nuit, qui s’y frotte mais qui ne s’y pique pas, le combat est à l’intérieur, elle déambule dans la noirceur lunaire, elle se bat contre un terrible ennemi : la solitude. On your knees : la ballade country rock par excellence, pour une fois c’est sa voix qui mène le bal, les autres tiennent la chandelle derrière elle-même si le vent du violent la fait vaciller très fort, la bougie du désespoir, le cierge de l’attente vaine que l’on laisse brûler près du cercueil de l’existence, quelle force dans ses lyrics, au détour d’un vers il y a toujours une balle qui vous atteint en plein cœur.

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    Good Man : l’Official Music Video n’est pas jojo, un couple qui danse, pas du rock acrobatique, une espèce de lindy hop mou, sur la bande-son les musicos essaient d’installer une ambiance country sans western, en l’écoutant l’on se dit que si le rythme de la valse se retrouve dans le blues, elle est aussi l’épine dorsale de la country, je parle et vous aimeriez savoir ce qu’elle chante (divinement) une histoire toute simple, la grande leçon de la tristesse de la vie acceptable, faute de grive l’on se contente de merle. C’est pareil pour les hommes. Nous ne dirons pas que c’est identique pour les filles, car nous ne voudrions pas être mufle. Because we are a good man.      

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             L’existe une version live de To Those at my window, et de On your kees, la voix et le violoniste, c’est d’ailleurs ce dernier qui joue le cavalier du couple sur la vidéo de Good Man.

    Cet EP est magnifique.

    Damie Chad.

     

    *

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (SERVICES SECRETS DU ROCK’N’ROLL)

    LA CONNEXION MEXICANO-AMERICAINE

             A peine ai-je entrebâillé la porte que Molossa et Molossito se sont précipités sur leur canapé préféré :

             _ Enfin de retour Agent Chad, je vois que l’équipe est au complet, êtes-vous parvenu à vous procurer les documents que je vous ai envoyé chercher, vous avez mis un temps fou !

             _ Chef, les mexicains ne sont guère loquaces, caramba ! tout juste si au bout de soixantième mojito ils entrouvrent la bouche… Ensuite ils y tiennent comme si c’était des photographies de la Madre de Dios en monokini, mon rafalos a dû en éliminer une soixantaine avant que je puisse m’en emparer, les voici.

             Le Chef s’apprête à allumer un Coronado, il le soupèse, le palpe, hume la robe, le repose, en choisit un autre dans le tiroir de son bureau, le caresse, craque une allumette, exhale enfin avec volupté un nuage de fumée aveuglant :

    _ Agent Chad, ne perdez pas de temps, l’affaire est importante, j’attends votre rapport, montrez-moi la première photo !

    _ La voici Chef !

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    _ Quoi un disque des Ramones si j’en juge par le dessin !

    _ Pas tout à fait, ils ont utilisé les pistes drummiques de l’album Rocket To Russia des Ramones, puis ils ont rajouté leur sauce, j’ai dû faire un détour jusqu’en Turquie pour m’en procurer un exemplaire !

    _ Nous serions donc face à un gang aux ramifications internationales !

    _ Oui Chef, regardez le deuxième document, ces gars-là ne se cachent pas, ils  jouent à visage découvert !

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    _ Pedro Pistola ! Vous avez leur véritable identité ?

    _ Bien sûr : Rick Jeschke Deli : guitar / Rack Guerrero Aguirre : bass / Alis Emerson : drums

    _ Beau travail Agent Chad, qu’avez-vous d’autre ?

    _ Tenez ce document n’est-il pas étonnant !

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    _ Diable, quelque chose me trouble, j’y vois comme un rapport avec l’album Agent of Fortune des Blue Oyster Cult, par contre la connexion n’est pas évidente, Ramones ça sent le chicano, mais le Culte de l’Huitre bleue…

    _ Regardez celui-ci, cela vous aidera !

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    _ Moros en la Costa, ne se mouchent pas avec la manche, ces palmiers sortent tout droit de Miami, s’attaquent aux USA !

    _  Ont déjà traversé, entre 2017 et 2022, le pays jusqu’aux grands lacs, ils ont une base à Chicago.

    _Pas étonnant, tous les chats sont noirs en Illinoirs, nous sommes face à une maffia tentaculaire, des gars dangereux !

    _  Plus que vous ne le croyez chef, ils font régner la terreur, la loi du silence, si tu parles t’es mort, en voici la preuve !

    _  Des gars sans pitié, j’aimerais bien savoir la came qu’ils refourguent chez les amerlocs !

    _ J’ai récupéré un spécimen !

    _ Laissez-moi allumer un Coronado et examinons la bestiole :

    LOOSE LIPS, SINK SHIPS

    SECRET AGENT

    (Triple Agent Records / Juin 2023)

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    Ferme ta gueule, tout ira bien. Excusez-moi pour la grossièreté de ma traduction. Mot à mot : Lèvres ouvertes, bateaux coulés. Formule anglaise. Durant l’Occupation nous en avions une  similaire : Les murs ont des oreilles. En ces temps-là le gouvernement britannique avertissait sa population : tout renseignement glané par l’ennemi peut entraîner la perte d’un navire, or l’Angleterre étant une île…

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    I'm Not A Spy (I'm Your Guy) : carrément une vidéo où on les voit en pleine action, félicitations Agent Chad, ne lésinent pas sur les moyens, c’est rempli de jolies femmes, les pékins doivent tomber dans le panneau comme des mouches, z’ont un commando spécial Chef, El Vez and his Elvettes, je vois c’est entre Elvis et les Claudettes de Claude François, El vez Chef, c’est celui qui chante avec son bouc, l’a une voix de crooner insidieusement molle, vous endormirait presque, si j’en crois mes yeux la tête pensante de Secret Agent, c’est ce mec qui caresse mollement sa guitare, et la fille à la basse et une autre à la batterie, cela aide à comprendre certaines des photos  que vous avez apportées, les paroles sont codées, calquée sur un film idiot qui n’a jamais remporté de succès, hum, hum, j’ai une intuition Agent Chad, l’on ne voit pas la marchandise qu’ils font circuler, vraisemblablement de faux Coronados, des succédanés sans nicotine, à bas prix, de fades cigarillos sans âme, ni sortilège. Passons à la suite. Love In A Post War : ah, attention apparemment ils ont aussi des produits davantage roboratifs, savent noyer le poisson, le poison aussi, toujours le gandin devant qui fredonne, la batteuse bétonne mou, mais le mec à la guitare il sait se servir de ses doigts, nous avons affaire à un chimiste de laboratoire assez doué, doit être capable de vous concocter un Coronado à goût de poireau. Pouah, vous empaquettent le tout avec une chansonnette, une canzionata de amor Jeffe ! World To Burn : holà, Agent Chad,  misent sur toutes les gammes, même le pantouflard du blues vous prend une voix à faire frémir une classe de maternelle, ils en ont pour tous les goût, après l’amour mou, vous menacent de faire sauter la planète, et le guitariste est vraiment un gars dangereux, manie sa guitare comme un Parabellum, à six coups, ce guy est une véritable vipère vicieuse, en plus l’a pris un synthé à ses côtes pour les effets spéciaux.  Disguise : voyez-vous Agent Chad, se vantent de porter des masques, ils se moquent du monde, vous avertissent carrément qu’ils vous vendent de la merde, écoutez-moi ce vocal langoureux del cantaor, et derrière le guitar héros qui vous pond des picotis-picotas comme s’il vous offrait des biscuits d’apéritifs au vitriol, vous vous attendrissez, l’imbécile se dit, je suis sûr que c’est du caca boudin qu’il me tend, mais je le prends car il me fend le cœur, pour un peu je pleurerais, par amour ou par pitié, je ne sais pas, mais je vais lui prendre trente doses, pour le mois qui vient.

             _ Agent Chad, j’espère que vous avez annihilé ce nid de crotales, ne me dites pas que vous les avez laissé vivre !

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             _ Chef j’ai pensé que les tuer serait une punition trop douce, je me suis mis en cheville avec la CIA, sont en prison pour le reste de la vie, regardez voici un cliché de leur internement. Remarquez la CIA n’est plus ce qu’elle était, dans leur cellule ils leur ont donné le droit de monter un groupe, z’ont quand même supprimé le chanteur d’occasion, vous pouvez entendre la guitare, un drôle de mélange, une espèce de psyché surf, sans tsunami ni requins, même pas une scie-sauteuse pour démantibuler la planche, enfin, ça a le mérite d’exister, je vous laisse la bande, je m’en vais, j’ai promis à Molossito et Molossa un resto steak frites, z’en ont assez d’avoir eu à ingurgiter durant huit jours des taccos au piment !

    Rapport 292 – Archives Secrètes du SSR / Agent Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 683 : KR'TNT ! 683 : DON NIX / MAIDA VALE / LARRY WALLIS / LINDA JONES / FONTAINES DC / THE COOPERS / ASHEN / NIGHTSTALKER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 683

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 03 / 2025

     

    DON NIX / MAIDA VALE

      LARRY WALLIS / LINDA JONES  

    FONTAINES DC /THE COOPERS

     ASHEN / NIGHTSTALKER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 683

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Superso-Nix

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             Par miracle, le fameux Road Stories And Recipes de Don Nix reparaît sous le titre Living High Laying Low. Non seulement il permet de se replonger dans les souvenirs passionnants de l’un des pères fondateurs du Memphis Sound, mais il permet aussi d’admirer l’une des plus belles photos de signature de contrat qu’on ait pu voir ici-bas : Don change la roue arrière d’une Cadillac tout en signant son contrat posé à terre. Assis par terre devant lui et adossé contre la bagnole, Denny Cordell, boss de Shelter Records, lit un journal et pointe un flingue sur Don. Et debout derrière Don se tient l’un de plus fabuleux dandys de la scène américaine, mister Tonton Leon en personne, en lunettes noires, cigare au bec et vêtu d’un costard croisé à rayures. Wow ! Voilà ce qu’on appelle une image ! Et elle donne bien le ton du livre.

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             Don Nix vient de casser la pipe en bois, aussi recueillons-nous au bord du trou pour un ultime hommage.

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             Comme Robert Gordon et Jim Dickinson, Don Nix fut un touche-à-tout de la scène de Memphis : il a démarré dans les Mar-Keys avec Packy Axton, Steve Cropper et Dickinson, puis il est devenu pote avec John Fry d’Ardent, Jim Stewart de Stax, Furry Lewis du blues et Leon Russell du Wrecking Crew - John Fry was the grandfather of Memphis music. Il y a trois personnages importants dans ma vie, en matière de music business : Leon Russell, John Fry et Jim Stewart. Leon m’a appris à produire, John Fry m’a donné la clé de son studio, de sorte que je pouvais aller y travailler quand je voulais. Jim Stewart m’a engagé comme producteur et compositeur et a fait paraître quatre des albums que j’ai produits - C’est sans doute Jerry Wexler qui donne la meilleure définition du Nix : «A pioneer mover-and-shaker (and one of the finest of the breed) [Nix] came out of the Memphis/Muscle Shoals matrix along with compeers like Steve Cropper, Packy Axton and Jimmy Johnson - These country-friend originals who took the left turn to the blues. And who left their incredible mark on American root music.» Voilà ce qui s’appelle un hommage. Don Nix peut être fier de ce coup de chapeau. Il évoque d’ailleurs le Memphis Sound à sa manière : «C’est un son qu’on ne pouvait pas mettre en boîte pour l’emmener à L.A. ou New York. Ce n’était pas seulement un son. C’était surtout des gens - les écrivains et les musiciens de Memphis - qui l’incarnaient.» Il cite alors les noms de Sam Phillips, Dewey Phillips, Jim Stewart, Estelle Axton et Willie Mitchell - C’est un son qui a explosé à la face du monde, mais dans les années soixante-dix, il était en train de mourir. Si vous me posez la question, je vous répondrai qu’il fut mortellement blessé le jour où Martin Luther King se fit descendre et depuis, le Memphis Sound n’en finit plus d’agoniser - Don raconte qu’après l’attentat qui coûta la vie au Dr King, les rapports de voisinage avec la population noire devinrent compliqués.

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             Il avait aussi d’autres amis, et d’ailleurs, c’est là-dessus qu’il termine son livre : «Mes meilleurs amis sont tous morts - George Harrison, Joe Cocker, Duck Dunn. Et la liste s’allonge. La musique a été toute ma vie. C’est que j’ai le plus aimé. J’ai eu le privilège de jouer avec le Stax band, le Wrecking Crew, avec mes amis à Muscle Shoals et tous les mecs d’Apple. Personne n’a eu une vie meilleure que la mienne. J’aurais pu mourir voici quinze ans, content d’avoir vécu tout cela.» Mais Don vit encore et on trouve son portait dans l’excellent Memphis Soul de Thom Gilbert. Il est même plutôt bien conservé.

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             À la différence de Jim Dickinson, Don Nix n’est pas un écrivain. Mais il fait des photos. Il dispose en outre d’une bonne mémoire et d’un caractère bien trempé : il décide en effet très tôt qu’il fera ce qu’il veut de sa vie et qu’il ne recevra d’ordres de personne. Il traîne avec Packy, Duck Dunn et Steve Cropper et monte sur scène pour la première fois en 1958. Il précise aussi que sa mère avait du sang indien dans les veines et son arrière-grand-père était un métis Cherokee qui servit dans le 5e de Cavalerie de Caroline du Sud pendant la Guerre de Sécession.

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             Il consacre des pages émouvantes aux derniers jours de Dewey Phillips, à Furry Lewis dont il fut particulièrement proche, à Joe Cocker qu’il côtoya pendant des mois, à John Mayall dont il fait un portrait sidérant, celui d’un homme de la Renaissance qui construisit sa maison de Laurel Canyon de ses propres mains. Mayall n’est pas seulement musicien : il est aussi tailleur de pierre, charpentier, il coud lui-même ses vêtements et adolescent, il vécut dans une maison en bois qu’il avait aussi construite de ses propres mains. Dans sa maison de Laurel Canyon se baladaient des filles nues. Comme Tonton Leon et David Crosby, Mayall pratiquait l’hédonisme, un mode de vie dont raffolait aussi Don. Un autre portrait sidérant, celui de Jeff Beck dont il fait la connaissance à l’époque de Beck Bogert Appice. Il ne supporte pas les deux Yankeees et il demande à Jeff comment il fait pour les supporter. Jeff lui répond que c’est une décision de son management, et même s’il n’est pas très content de se projet, il se dit décidé à jouer le jeu. Mais Don remarque que Jeff est un homme infiniment triste. Il paraît déprimé la plupart du temps, sauf quand il joue.

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             Comme Don a commencé par écumer les États-Unis d’Amérique avec les Mar-Keys, il regorge d’anecdotes et de road stories, comme par exemple ce souvenir de Lee Dorsey sur scène qui était tellement bourré qu’il fallait le faire asseoir pour qu’il chante quatre ou cinq chansons. Mais même soûl comme un Polonais, Lee chantait encore mieux que les autres. Les Mar-Keys ont aussi la chance d’accompagner Chuck Berry qui les prend à la bonne, sans jamais leur adresser la moindre parole. Don voit donc la naissance de Stax à Memphis, avec des nouvelles têtes qui traînent dans les parages, un jeune étudiant nommé Booker T. Jones, et un certain Isaac Hayes qui travaille à l’usine d’emballage de viande. C’est aussi l’époque ou Furry Lewis est balayeur municipal. Son parcours va de South Main à Beale Street, il pousse sa poubelle à roulettes et trimbale une guitare. À l’époque où Don réussit à le convaincre de venir enregistrer en Californie, Furry a 73 ans, une patte en moins, il fume à la chaîne et boit comme un trou.

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             Don fait aussi un bout de chemin avec Dale Hawkins qui ne dort jamais et qui ne peut pas rester en place plus de deux minutes. Trop d’amphètes - Il avait une Cadillac Coupe deVille et conduisait comme un dingue. Je n’avais jamais rien vu de tel. Il racontait des histoires et agitait les bras comme un pasteur - Pages fantastiques aussi consacrées à ce vieux Tonton Leon, l’un des producteurs les plus courus d’Hollywood, qui travailla avec Frank Sinatra et les Beach Boys. Don voit germer l’idée de Mad Dogs & Englishmen. Il voit même Tonton Leon voler le show à Joe Cocker qui au départ devait tourner avec le Grease Band, ceux qu’on voit dans Woodstock, mais comme Henry McCulloch et les deux autres n’ont pas pu obtenir leurs visas, Denny Cordell qui manageait Joe demanda à Tonton Leon de monter vite fait un groupe pour la tournée prévue. Pour Don, the Shelter People fut l’un des meilleurs groupes d’Amérique - It was without a doubt the best band west of the Mississippi.

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             Don eut aussi l’immense privilège de produire Albert King. Il ne fallait pas importuner Big Albert, car il écartait le revers de son veston pour montrer qu’il portait un calibre 45. C’était sa façon de dire que la discussion s’arrêtait là. Big Albert ne savait ni lire ni écrire, mais Don réussit à le mettre à l’aise avec ça, d’autant que Big Albert ne voulait pas que ça se sache. Quand Isaac Hayes lui colla les paroles d’une chanson qu’il venait d’écrire sous le nez, Big Albert quitta le studio. Il fallait donc ruser pour travailler avec lui. Un soir, Don lui dit : «Albert, je sais que tu ne sais ni lire ni écrire, mais si je savais jouer de la guitare comme toi, je m’en foutrais de ne pas savoir lire ou écrire.» Big Albert l’observa un moment et Don pensait qu’il allait sortir son flingue pour le descendre. Mais un grand sourire éclaira son visage : «I like you, Don. You all right.» Et Don ajoute : «Je n’oublierai jamais cet instant.» Eh oui, il venait de gagner la confiance de Big Albert, et pour le mettre à l’aise en studio, il se cachait derrière une banquette pour lui souffler les paroles des chansons. Quand Jim Stewart vit ça, il lança : «On aura tout vu !» (Now I’ve seen everything). Big Albert raffolait tellement du stratagème qu’il demanda à Don de mettre les paroles des chansons bien évidence dans la cabine de chant, de sorte que tout le monde pût croire qu’il savait lire, et Don bien sûr continuait de lui souffler les paroles en cachette. L’album de Big Albert que produisit Don Nix et pour lequel il écrivit huit chansons est le fameux Lovejoy. Il existe un autre album de Big Albert enregistré à Muscle Shoals et produit par Don qui n’est jamais sorti. Comme d’ailleurs un album des Swampers aussi produit par Don, et dont il avait l’air d’être fier.

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             Don rappelle qu’il adorait Muscle Shoals, qui se trouvait à trois heures de route de Memphis. Il a aussi la chance de travailler avec l’un de ses héros, Freddie King, a big man with a smile to match that immediately put us at ease.

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             Puis il monte les Alabama State Troupers avec Tarp Tarrant, le batteur qui a joué 13 ans pour Jerry Lee, Clayton Ivey aux keyboards, Wayne Perkins et Tippy Armstrong aux guitares. Il ajoute un deuxième batteur, Fred Prouty, qui jouait chez Rick Hall, et Brenda Patterson aux backing vocals - It was a hell of a band - Pour la photo, ils posent tous devant une église baptiste. Comme l’écriteau indiquait «The Mount Zion Middle Baptist Church», il baptisa son groupe the Alabama State Troupers with the Mount Zion Band And Choir. Le double album The Alabama State Troupers paraît sur Elektra en 1972. Attention, ce n’est pas un album facile. Don Nix propose en effet un capiteux mélange de country blues et de gospel, qui sont pour lui les racines du Memphis Sound. On entend donc Furry Lewis sur une face entière. Ce vétéran du Beale Street Sound joue fin et claque des petits coups de bottleneck. On l’ovationne. L’homme est d’une extraordinaire gentillesse - Hank you - Il chante le blues traditionnel des années vingt - And I went to the gypsy/ To get my hambone done - et il se moque gentiment des racistes dans «I’m Black» - Some people don’t like that colour/ But I sure like mine - On se régale de cette leçon de country-blues et de cette diction à l’ancienne. En D, on tombe sur une série de boogies ‘sudistes’. On y entend ce démon de Tarp battre le beurre et Brenda Patterson chante dans les chœurs de Zion. C’est du gros boogie rock seventies surchargé de chœurs de Zion. On se croirait chez Tonton Leon. Par contre, Don Nix commet une erreur : il met en avant Jeanie Greene pour chanter le gospel rock de «My Father’s House» et ça ne marche pas du tout, mais alors pas du tout. On sent les limites de la voix blanche. Jeanie n’a pas l’allant d’une Mavis. On trouve encore du gospel en B, notamment ce vieux classique repris par les Staples, «Will The Circle Be Unbroken». Don Nix respecte bien les fondamentaux du Memphis Sound System, malheureusement, c’est lui qui chante et pour chanter le gospel batch, il vaut mieux disposer d’une vraie voix et avoir la peau noire. Et quand Jeanie Greene reprend le lead dans «Mighty Time», même chose, elle se vautre. Il lui manque deux choses essentielles : le groove et la Soul. Brenda est un peu plus wild, comme on le constate à l’écoute de «Jesus On The Main Line». Elle s’énerve toute seule et cherche à incendier la plaine, mais tout le monde n’est pas Bonnie Bramlett. Voilà enfin un hit en B : «Yes I Do Understand», un gospel batch poppy joliment amené par la joyeuse assemblée. Excellent ! Et puis en C, Don Nix s’en va chevaucher dans la Sierra. S’ensuit un peu plus loin «Heavy Makes You Happy», un boogie-rock encore une fois digne de Tonton Leon. Ça sent bon la grosse équipe, le surnombre et les vétérans de toutes les guerres. Don Nix termine avec «Iuka», un gros boogie blues dans l’esprit de ce que faisait Johnny Winter. Il y va au guttural. On se croirait presque sur Johnny Winter And Live.

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             Il existe un autre album de Don Nix sur Elektra : l’extraordinaire Living By The Days paru en 1971. Tout est bien, là-dessus, ce qui semble logique étant donné que les Swampers accompagnent le vieux Don qui d’ailleurs dit d’eux : «The best backing-band at the point, maybe the best ever.» Par contre, on se demande pourquoi il porte un uniforme yankee sur la pochette. C’est une véritable insulte aux Rebs. Pur chef-d’œuvre que cet «Olena» qui sonne comme un vieux rock’n’roll, mais Claudia Linnear (sic) et Kathi McDonald font des chœurs de folles. Comme dans Mad Dogs & Englishmen, elles amènent une énergie hors normes. Il faut bien reconnaître que les Alabama State Troupers sont formatés sur Mad Dogs & Englishmen. On assiste à l’envol des guitares de Wayne Perkins et Jimmy Johnson. Un vrai festival ! Et ça continue avec l’«I Saw The Light» de Furry Lewis, fantastique partie de gospel batch avec les Mount Zion Singers derrière. Pure énormité que cette sinner prayer d’Hank Williams. S’ensuit un balladif de rêve intitulé «She Don’t Want A Lover», so solid stuff à l’Américaine, ultra-joué et harcelé par une guitare en embuscade. Quelle ampleur ! Cet album semble relever de l’indéniabilité des choses. Nix ressort le «Going Back To Iuka» qu’il avait composé pour Albert King, c’est joué au wild beat de Muscle Shoals. Ces mecs sonnent comme des punks et David Hood va même jusqu’à doubler dans les virages. Ils partent carrément en mode Stax de killer Stax - I’m going back to Iuka/ Back to where I belong - Ils repassent en mode gospel pour «Three Angels», encore une pure énormité. Les Mount Zion Singers, c’est quand même autre chose que le gospel choir des Stones dans «You Can’t Always Get What You Want» ! Mais ce sont les Stones qui ont décroché la timbale. On tombe ensuite sur un rock de mountain man des Appalaches, «Mary Louise», suis-moi, pilgrim, je vais te montrer le grizzly, pur jus d’Americana à la Nix. On retrouve les filles dans «My Train’s Done Come And Gone». Claudia et Kathi ! C’est du heavy balladif de Lord knows I’ve been gone way too long when I was weak/ She helped to make me strong, avec du solo de slide américain, Nix nique tout et derrière les filles t’explosent la rondelle des annales.

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             Paraît aussi en 1971 sur Shelter Records - le label de Denny Cordell et Tonton Leon - le premier album de Don Nix, In God We Trust. Il pose déguisé en cowboy sur une pochette traitée dans le design du billet vert. Au moins, on sait qu’on est en Amérique. Ce disque très orienté gospel ne pouvait que dérouter les amateurs de rock. Mais il vaut le détour, car Don Nix y réussit un sacré tour de passe-passe, avec le morceau titre qui fait l’ouverture du balda. On a là un vieux coup de country rock joué au violon de saloon. Attention, Don Nix joue avec les mecs de Muscle Shoals : Barry Beckett, Eddie Hinton, David Hood, ils sont tous là. Don Nix sait entretenir la flamme d’un cut, pas de problème. Il dispose de cette puissance intrinsèque. On entend bien David Hood bassliner sur «Golden Mansions» et derrière, les filles de Mount Zion sont superbes. Grâce à ces musiciens exceptionnels, Don Nix trouve l’élan du gospel. «I’ll Fly Away» est sans doute l’hit de l’album. «He Never Lived A Day Without Jesus» sonnerait presque comme du Neil Young, mais en moins pleurnichard. C’est une fois de plus un parti-pris de gospel church chic. On retrouve «Iuka» sur cet album. David Hood y enroule bien sa gamme.     

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                         Paru sur le sous-label de Stax Enterprise, Hobos Heroes And Street Corner Clowns date de 1973. À cette époque, Don Nix voyage à travers le monde et il enregistre un peu partout, à Londres, à Memphis et à Muscle Shoals. Avec cet album, il va plus sur le balladif. Mais il n’hésite pas à taper dans l’heavy blues avec «Black Cat Moan». Sur ce genre de chose, il est extrêmement crédible. Il chante avec un joli sens du raunch. Le coup de génie de l’’album est une version de «When I Lay My Burden Down» qu’il dédie à Fred McDowell. Il propose tout simplement un raccourci du Memphis Sound et même de l’Americana du Deep South. Il démarre en blues de cabane branlante et finit en gospel batch, et comme Claudia Lennear traîne dans les parages, eh bien ça explose. Fantastique exercice de style ! Il faut aussi écouter «Look What The Years Have Done», un balladif très impressionnant. Cet homme sait écrire des chansons, c’est indéniable. Voilà un balladif parfait au plan mélodique et bien saxé sur le pourtour.

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             En 1976, Gone Too Long paraît sur Cream Records, le label d’Al Bennet qui a racheté Hi Records. Attention, c’est un très bel album. Il s’y niche ce qu’on appelle des Beautiful Songs, à commencer par «Goin’ Thru Another Chance» qu’il chante d’une voix de vétéran du Memphis Sound. Il s’arroge toutes les prérogatives. Sa pop ne peut que plaire. Don Nix semble cultiver un goût pour l’envol. Il sait donner de la voile. Il fait partie des grands prêtres de l’Americana, dans ce qu’elle présente de plus rootsy. George Harrison traîne dans les parages et ça s’entend. Autre merveille : «Forgotten Town», un balladif visité par la grâce. Il chante avec brio. La basse enrichit considérablement le backing, avec une excellente enfilade thématique. Le mec joue en continu, avec un sens aigu de l’a-priori. Et puis, Don Nix finit l’album avec l’excellent «A Demain». Il duette avec une Française. Nix explore l’empire du slowah et la fille n’en finit plus d’allumer la romantica - Et puis un beau matin/ Tu recevras ces mots/ Je t’aime, je t’attends, viens - C’est à la fois infernal et somptueux, et elle ajoute - Nous oublierons alors que le temps a passé. Par contre, il se vautre avec une reprise trop empesée du «Feel A Whole Lot Better» des Byrds. Il en fait une sorte de gospel pop avec des chœurs vengeurs. Curieux parti-pris. Il tape aussi dans le «Backstreet Girl» des Stones. Il en fait du gospel avec une basse bien montée dans le mix. Sacré Don, il ne rate pas une seule occasion de se faire remarquer.

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             Skyrider parut en 1979 sur Cream, le label d’Al Bennett. On y retrouve bien sûr l’habituel mélange des genres nixien. Le morceau titre sonne comme un gros boogie-rock richement drapé d’orchestrations et des chœurs southerny. Don chante toujours avec un bel aplomb. On le voit ensuite taper dans la grande prétention poppy avec «Nobody Else». On voit aussi l’idéaliste poindre sous le cuir du desperado buriné par les années de vie sauvage sur la frontière. Et bien sûr, il règne ici un léger parfum de gospel batch. Dans «Maverick Woman Blues», Don évoque la Nouvelle Orleans. Il y rocke son shake et lâche du bon set me free. Disons que ça reste bon esprit, même s’il pompe le riff de «Get Ready». Même chose avec «Do It Again» : le riff est connu comme le loup blanc des steppes, mais on ne s’étonne plus de rien. Don propose ce qu’il a de meilleur en magasin, un funk rock sudiste un peu hybride et intéressant. On y retrouve d’ailleurs les Memphis Horns et tout le tralala. Don joue un petit coup de sax, histoire de nixer le mix. En B, il revient avec «I’ll Be In Your Dreams» à son vieux dada : le slowah de printemps, bien aéré et judicieusement orchestré. Il monte «All For The Love Of A Woman» sur le modèle de «Let’s Work Together», mais il y met une telle énergie qu’on lui donne l’absolution. Don Nix te nique ça bien, c’est un vieux routier, il avait déjà écumé toute l’Amérique au temps des Mar-Kays. Le guitariste est un bon, il s’appelle Rob Kendrick. Guitariste idéal pour un gaillard comme Don qui n’est pas né de la dernière pluie.       

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             Voilà trois bonnes raisons de rapatrier Back To The Well paru en 1993 : la première s’appelle «Out On The Road Again», un vieux boogie blues qui part sur un fantastique dady’s gone fishing. Don is back on the chain gang, il claque le beignet de la caillasse du meilleur son, comme il l’a toujours fait. Ce démon sait déverser un jus de boogie et l’autre démon qui gratte ses poux s’appelle Billy Crain. On a là l’un des meilleurs sons du Deep South. La deuxième raison s’appelle «Waiting For The Help». Don revient à son cher gospel batch, c’est un enragé, un mordu de la racine. Plus elle est sèche et ardue, plus il exulte. C’est ultra-joué. Derrière, les filles gueulent sweet Jesus et ça riffe au cul de slide. La troisième raison s’appelle «Fool’s Paradise», un extraordinaire slowah océanique. Don est à ses heures perdues un charpentier du songwriting, il connaît l’art des mortaises et il sait poser des toits de chœurs, et là, dans ce cas particulier, quel toit ! Encore du son dans «Dance Chaney Dance». Nix nique tout à dix kilomètres à la ronde. Il embarque son monde dans le tout venant, ce qui le rend héroïque et donc sacré. Avec «Plastic Flowers», il avertit : Don’t put plastic flowers on my grave ! Il se met en colère. Il sait aussi taper le vieux coup d’r’n’b, comme le montre «Cruise Control» - You better slow down - Et il termine avec l’excellent «Addicted To You». Il tape ça au vieux jus de nixitude - I don’t drink/ I don’t smoke - mais il a un problème avec le groove de cette fille, surtout son sweet love. Don Nix ne prend pas les choses à la légère, il joue ça au funk de groove de blues.   

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             Paru en 2002, Going Down. Songs of Don Nix est un classique indispensable. Pourquoi ? parce qu’il s’y niche des duos exceptionnels, notamment avec Bonnie Bramlett. Elle commence par venir exploser «Right Where You Want Me». Elle ramène toute son énergie criante de vie. Elle part à l’assaut du groove d’une voix pincée de reine du rodéo. C’est monté sur des accords de Stonesy. Quel fantastique exercice de style ! Elle revient groover le blues de «Same Old Blues». Steve Cropper sort sa plus belle Tele et Dan Penn radine sa fraise. Quel festin de rois ! Tout est allumé de l’intérieur. Steve Cropper joue au clair de lune pendant que Bonnie mouille sa syllabe et l’écrase dans le gras du menton. Elle s’arrache les ovaires et sonne comme une mama black, yeah, elle racle tout dans la salive, elle est bien la pire de toutes, la plus grande chanteuse blanche du monde. Elle revient illuminer «Like A Road Ready Home». Il faut voir comme elle shake son shook. Elle chante ça au meilleur chaud du South, elle chante pour de vrai et Steve Cropper joue comme un dieu grec. Autre duo des enfers avec Dan Penn dans «Palace Of The King». Un black nommé Audley Freed joue lead, il joue à l’exacerbette de la belette. Dan rocke son going down to Dallas. Il sait le faire, mais à la mode black, de l’intérieur du menton, il fait de l’hot de hutte - Going back to Dallas/ Living In The Palace of the King - Leslie West vient jouer le fameux «Going Down» avec Brian May. En fait, ils sont quatre leads sur cette reprise éculée. Bonnie est au fourneau et Max Middleton au piano. Ça tourne au vertige guitaristique, les leads coulent ensemble comme des vieux claquos oubliés. Dommage que Don n’ait pas la voix. Les leads vont se repaître de la charogne de Going Down pendant six minutes. Tous les solos sont gorgés de sève. Sur «Going Back To Iuka», Tony Joe White joue lead et Mayall claque des coups d’harp. Le pompon, c’est Billy Lee Riley. Don a de sacrés potes ! - You know the train that I ride/ I ride it all nite long - Fantastique Billy ! Il amène une autre profondeur. On retrouve Leslie West dans «Lying On The Highway» (il n’a rien perdu de sa grosse niaque), et Billy le héros dans «Everybody Wants To Go To Heaven».  

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             Sur la pochette d’I Don’t Want No Trouble paru en 2006, Don Nix est assis en salopette dans son jardin avec son dalmatien. Il semble posséder une belle petite maison à deux étages équipée du porch traditionnel, cette fameuse avancée qu’on retrouve à tous les coins de rue dans les chansons du Deep South. C’est là que se grattent les jolies mélodies au clair de la lune. Don nous refait le coup de l’heavy blues gospellisé avec «Hurt Somebody». Il ne risque pas de se faire une entorse à la cervelle. Nix n’est pas homme à forcer le destin. Il ramène tout le gospel batch qu’il peut dans son heavy blues et franchement, c’est très bien vu. Il fallait y penser. Il reste encore plus traditionnel dans les autres cuts, comme par exemple «Memphis Man» qu’il tape au vieux boogie de r’n’b rock’n’roll. Il ne risque pas l’embolie. Mais c’est bardé de son. L’animal s’y connaît, en la matière. Boogie rock toujours avec un «Snack Dab» bardé de chœurs de filles. Il est vrai qu’à son âge, Don ne va pas s’amuser à réinventer la poudre et encore moins le fil à couper le beurre. Il faut le voir tartiner son «Hole In The Sky». Ça sonne comme n’importe quel rock de vieux renard sur le retour. C’est même sur-produit. Nix y gueule comme un veau qu’on amène chez le boucher. En écoutant «One Step Ahead», on voit bien qu’il connaît toutes les ficelles du son. Le cut dégouline de son moderne, mais certainement pas de modernité. C’est ultra-joué au bottleneck d’heavy dude. Don y va de bon cœur. C’est ce qui fait sa force. On pourrait même ajouter que ça nous dépasse. Ils se prend aussi parfois pour un pionnier («Just About Had It»), et là ça devient compliqué. Il s’amuse aussi à jouer des boogies qui ne servent strictement à rien («Subject To Change»). On le voit même faire son vieux renard de charme («Crazy From The Heart»). Une fille chante ça avec lui, mais elle se révèle bien meilleure que lui. Il est encore capable de taper du très gros son, comme on le constate à l’écoute d’«Addicted To You» qu’il prend en mode gospel batch. C’est sa came.

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             On trouve aussi dans le commerce un album intitulé Passing Through. Don qui ne se refuse rien l’a enregistré chez Malaco. Il adore butiner toutes les mythologies régionales. Il démarre l’album avec un solide balladif, «Sit Down On Your love». Don a toujours de l’avenant. Il n’a aucun problème ni avec les impôts, ni avec la santé et ni avec Dieu. Il y va du tac au tac. Don est un amateur de big sound et d’horizons. Il adore aller loin vers l’Ouest, là où les montagnes lèchent le cul du ciel. Comme l’hydravion d’Howard Hugues, le cut met du temps à décoller, mais il finit vraiment par s’arracher de la surface du lac. Don tape dans le devenir de l’Americana. Il ne vit que pour l’ampleur, personne ne pourra jamais lui enlever ça. Ses cuts fondent bien en bouche. Comme la plupart de ses chansons, «She’s My Rock» sonne bien, même terriblement bien. Chaque fois, Don frise le Nix universaliste. Sa pop convainc. Et puis voilà «Roads». Il faut comprendre qu’avec Don Nix, on est dans le très gros truc. Une sorte de perfection. Son balladif prend la gorge et on tousse d’aise. C’est une sorte de délire technologique du groove sentimental. Fuck, comme ce mec est bon, même son solo de flûte passe comme une lettre à la poste. On ne peut pas dégommer Don Nix. L’homme est puissamment bon. Il amène le morceau titre au gospel batch. On y sent le poids d’un pathos énorme. Il tape un instro superbe avec l’«I Don’t Know Why I Care About You» joué au Grand Jeu de Malaco. Puis il renoue avec l’art de la grosse compo en s’interrogeant : «Where’s The Problem». Don a un don, indéniablement. Donc, ça semble logique qu’il s’appelle Don. Il boucle avec «I Belong To My Songs». Il y explique qu’il appartient à ses chansons et s’éclipse dans les fumerolles d’un balladif édifiant.

    Signé : Cazengler, Nix ta mère

    Don Nix. Disparu le 31 décembre 2024

    Don Nix. In God We Trust. Shelter Records 1971  

    Don Nix. Living By The Days. Elektra 1971                      

    Don Nix. The Alabama State Troupers. Elektra 1972

    Don Nix. Hobos Heroes And Street Corner Clowns. Enterprise 1973

    Don Nix. Gone Too Long. Cream records 1976

    Don Nix. Skyrider. Cream Records 1979        

    Don Nix. Back To The Well. Appaloosa 1993    

    Don Nix. Going Down. Songs of Don Nix. Evidence 2002   

    Don Nix. I Don’t Want No Trouble. Section Eight Productions 2006

    Don Nix. Passing Trough. Section Eight Productions 2008

    Don Nix. Memphis Man. Living High Laying Low. Mojo Triangle Books 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - MaidaVale live in style in Maida Vale

     (Part Two)

             Lorsqu’ils voient arriver l’avenir du rock, les habitués du bar interrompent leur conversation. La ramasse de ce vieux schnock leur fait presque pitié. L’avenir du rock commande son double jaune sans glaçons, le siffle cul sec et en commande un deuxième aussi sec. Il adore faire jaser les cons. Et ça marche à tous les coups. En voici qui s’approche :

             — Dis donc, avenir du rock, dans ton état de décrépitude avancée, tu crois vraiment qu’c’est raisonnable de siffler des jaunes comme ça ?

             L’avenir du rock rote, et en commande un troisième.

             — C’est pas passe que t’es l’avenir du rock qu’y faut mépriser l’peuple !

             L’avenir du rock fait signe au patron :

             — Hep ! Patron ! Chuis à marée basse !

             Un autre habitué vole au secours du premier :

             — Pourquoi qu’tu causes encore à c’te vieux pédé ? Tu vois donc pas qu’il est bon pour la déchetterie ?

             — Non mais r’garde-moi comment qu’il est attifé avec ses godillots et son pal’tot ! C’est-y pas une honte de voir des vieux chtars pareils !

             — Y paraît qu’y va encore aux putes !

             — Arrhhhhh ! Sont pas dégoûtées les putes !

             — Y paraît même qu’y va encore voir des concerts de rock !

             Et là, l’avenir du rock se tourne vers les deux cons et leur balance, histoire de leur clouer le bec :

             — Vale que Vale !

     

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             Lorsqu’il se trouve coincé dans un plan délicat, l’avenir du rock parvient toujours à tirer son épingle du jeu. Et plus c’est délicat, meilleur c’est. MaidaVale, c’est exactement ça : le Vale que Vale du rock. 

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             C’est quand même pas mal de revoir les quatre petites Stockholm girls de MaidaVale dans un endroit plus ramassé, au fond d’une cave. Ça leur donne encore plus de power. Au Club, c’était bien, mais dans la cave, c’est mille fois mieux. Tu retrouves cette section rythmique infernale, directement inspirée de celle de Can, même dynamiques, même goût pour l’hypno explosif, la grande brune sur la Ricken s’appelle Linn, et la fille spirituelle de Jaki Liebezeit au beurre s’appelle Johanna. Rien qu’avec ça, t’as de quoi t’occuper. Johanna bat un beurre à la fois fin et puissant, elle fait parfois des petites grimaces animales, des rictus carnassiers, comme si elle laissait monter en elle un torrent d’adrénaline. T’en finis plus de la voir battre le beurre du diable. Et là-bas au fond, Linn mouline un bassmatic de rêve en secouant quasiment tout le temps les cheveux. Et là, tu sais que t’assistes à un vrai concert de rock. Ça joue ! Pour leurs deux copines, c’est du gâtö, la petite Sofia gratte des poux bien psyché sur sa Strato immaculée, elle tourne comme un manège, tricote des gammes gorgées d’écho et revient sur des power chords de la pire espèce, comme si elle enfonçait son clou dans la paume du beat. Dans le feu de l’action, elle reste incroyablement présente, car c’est bien d’un feu de l’action dont il s’agit avec MaidaVale, elles savent kicker les jams. Le son ricoche bien sous la voûte en briques

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    de la vieille cave. Et puis t’as Matilda au chant, elle montre un goût particulier pour les crises de Méricourt et les coups de tambourin. Tu lui donnerais le bon dieu sans confession, tellement elle est dans le coup, tellement elle rocke le boat, tellement elle shake le souk de la médina, c’est une rockeuse hors normes, elle chante de tout son corps, et là mon gars, ça rocke, t’es plus en face d’un groupe de branleurs à la mode. MaidaVale c’est le real deal, mais pour le savoir, il faut les voir sur scène.

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             Elles tapent bien sûr dans leur dernier album, l’excellent Sun Dog et attaquent avec «Give Me Your Attention» qui n’est peut-être pas le meilleur choix. Sur scène, ça ne marche pas, mais sur l’album, tu les vois foncer en rase-motte. Elles aménagent de grands ponts hantés par la space guitar. Tu n’en finis plus d’admirer la section rythmique. Elles enchaînent sur scène avec un «Control» plus Kraut, et même assez caverneux, Kraut de nez et d’esprit, avec une couche de keyboard par dessus. On sent poindre l’ambition. C’est avec «Wide Smile All Is Fine» que Linn commence à voler le show avec un beau thème de basse. T’as du mal à frémir avec «Daybreak». Elles cherchent la lumière avec «Pretty Places». Elles développent toujours une certaine richesse instrumentale, une réelle prégnance de la pertinence qu’on peut aussi qualifier de latence de l’essence. Voilà pourquoi il faut les prendre très au sérieux. Matilda chante «Faces (Where is Life)» d’une petite voix pointue et enchaîne comme sur l’album avec «Fools», beaucoup trop proggy. Elles visent le Big Atmospherix, mais on préfère quand ça prend feu. Elles finissent leur set avec des cuts de Madness Is Too Pure, «Transe» et «Gold Mind» et un «Perplexity» qui n’est pas sur le CD, uniquement sur l’LP. Bizarrement, elles ne jouent pas «Vultures», le dernier cut de l’album. Dommage, car la ligne de basse est un régal. Linn est la star du groupe, elle nourrit le son sur sa Ricken, elle laboure le Kraut en profondeur. Elle est la Millet du Kraut.

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    Signé : Cazengler, Maida Vain

    MaidaVale. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 mars 2025

    Concert Braincrushing

    MaidaVale. Sun Dog. Silver Dagger 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Wallis the question ?

     (Part Two)

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             Quand en décembre 2019 Larry Wallis a cassé sa pipe en bois, nous lui avons rendu ici même un hommage en forme de tournée des grands ducs : Pink Fairies, Motörhead, Mick Farren, Deviants, Shagrat et solo. C’était bien le moins qu’on pût faire.

             Étant donné que vient de paraître une compile Cleopatra aussi gorgée de richesses qu’un galion espagnol en mer des Caraïbes au XVIIIe siècle, nous allons récidiver, car écouter la bombe qu’est Police Car/ The Anthology, ça équivaut à écouter Larry Wallis pour la première fois. Et pour rester dans la facilité des métaphores : attachons nos ceintures.

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             Tiens on va commencer par pondre un nouvel adage : Larry, ça tombe sous le sens. T’as le son d’entrée de jeu, avec le morceau titre et Larry qui feule dans le sonic storm «I’m a police car». Diable, comme on avait adoré le single Stiff à l’époque. D’ailleurs, Cleopatra a repris quasiment le même visuel pour sa pochette, la strato en moins. Dans ses liners, Roger Morton qualifie Lazza de true gentleman - He was one of the last true gentlemen in rock’n’roll - Morton s’échauffe lorsqu’il évoque l’arrivée de Lazza dans les Pink Fairies - Playing one of the most electrifying rock’n’roll guitar of the era, fast, loud and filthy as fuck - Rien de plus vrai. Cette compile ne te laissera pas respirer, car voilà qu’arrive «Leather Forever» qui sonne comme l’hymne du rock anglais, monté sur un glorieux bassmatic. Ça stompe dans toutes les backs alleys de London town. Non seulement Lazza est un crack du boom-hue, mais il compose des hits à la queue-leu-leu. Son «Meatman» en est l’un des exemples les plus frappants, il cisaille son heavy boogaloo à la base, il le fait danser au sommet d’un balancement d’heavy dude. Quel exploit ! Et ça dégénère, ça vire cro-magnon et ça s’envenime salement. Il pose sa wah comme une cerise sur le gâtö. Tout ce qu’il touche, il le transforme en or du rock : il fait d’«Old Enuff To Know Better» un fantastique shoot d’old enuff. C’est vraiment l’Enuff qu’on a envie d’écouter. Il gratte son «Crying All Night» à l’oss de l’ass de Ladbroke Grove. Quelle fantastique démesure underground ! Il s’emballe avec «I Think It’s Coming Back Again» et bat Motörhead à la course avec «Story Of My Life». Il y déboule avec une ferveur spectaculaire ! Ça dépote en permanence, chez Lazza, il sait aussi faire du Saints, mais sans la voix de Chris Bailey («I Can’t See What It’s Got To Do With Me»). Il refait son Pink Fairy dévastateur avec «Don’t Fuck With Dimitri» et fout le feu à la ville avec «Mrs Hippy Burning». Tout prend feu, avec lui. Feu encore avec «When The Freaks Hang Out». Il taillade son «I Love You So You’re Mine» à la scie sauteuse. Wild Lazza joue à la vie à la mort, et cette façon qu’il a de se rattraper au vol ! Son truc, c’est vraiment se cisailler à la base. Il pond une petite stoogerie ici et là («Downtown Jury») et rend un bel hommage aux Stones avec un cover de «Street Fighting Man». La compile s’achève avec un cut de Shagrat (pas le meilleur Shagrat) et un UFO, dont on se serait bien passé. Morton annonce d’autres volumes à paraître. Wait and see.  

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             Dans l’actu, tu retrouves aussi une belle compile Cleopatra de Motörhead, Lemmy & Larry Wallis : The Boys Of Ladbroke Grove. Tu peux te jeter dessus sans problème, car elle grouille de puces. Et des grosses ! T’en vois pas d’aussi grosses tous les jours. À commencer par cette version live at the Roundhouse d’«On Parole», c’est Motörhead à son sommet, avec Phast Eddie et Philthy Animal, c’est l’un des blasts les plus géniaux de l’ère fumante du blasting, et Philthy te bat ça si sec, franchement t’en reviens pas de cet over-power, tu comprends mieux pourquoi Motörhead fait partie des cracks du boom-hue. C’est bien sûr Lemmy qui se tape la part du lion dans cette compile explosive. Il fait une version de «Twist & Shout» qui bat toutes les autres à la course, accompagné cette fois par Scott Ian et Gregg Bissonette. Sans doute a-t-on là l’une des plus grosses covers du siècle passé, et t’as en plus des chœurs de candy avarié ! Stupéfiant ! Avec Mick Green et les Upsetters, Lemmy tape ensuite dans «Blue Suede Shoes», et oh boy, ça joue à la pure Méricourt, Lem is on fire ! Sans doute la plus belle cover de «Blue Suede Shoes», infernale, bien rentre-dedans. Lem fout encore le souk dans la médina avec «Paradise». Mick Green monte au braquo du Paradise. S’ensuit un «Keep Us On The Road», c’est le Motörhead de l’âge d’or, avec Fast Eddie et Philthy, Lem fout le feu au souk de la médina. Live 78, t’as pas idée ! Lem tient la dragée haute au blast. T’as bien sûr ta dose de proto-London punk avec le «Lone Wolf» des Pink Fairies, ce ne sont pas ceux de Lazza, mais ceux de Paul Rudolph, avec Alan Davey et Lucas Fox. Et Lazza dans tout ça ?, demande Jacques Chancel. Lazza arrive avec son «Police Car». Classique intemporel, mais face à Lem, il fait un peu pâle figure. On le retrouve plus loin avec George Butler et Andy Colquhoun pour «Crying All Night», et c’est bien bardé de barda. Bon, t’as deux versions de «Leather Forever», avec la grande clameur invulnérable. Lazza a encore du son à gogo, mais vraiment à gogo, sur «I Think It’s Coming» et plus loin «Seeing Double». Il n’en finit plus de foncer dans le tas. Il brûle de tous ses feux, et cut après cut, il entre dans la légende. Viva Lazza ! 

    Signé : Cazengler, Larry WC

    Larry Wallis. Police Car/ The Anthology. Cleopatra 2024

    Motörhead Lemmy Larry Wallis. The Boys Of Ladbroke Grove. Cleopatra 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Lindanaïde

             Comment s’appelait-elle, déjà ? Ah oui, Baby Jam. On la surnommait la reine de la nuit. Pas très grande, très brune, elle parlait d’une voix un peu rauque et les connaisseurs la qualifiaient de brune sensuelle. Elle était pourtant casée et mère de famille, mais elle aimait trop la vie pour rester tranquille à la maison et regarder des conneries à la télé. Baby Jam couchait les gosses, puis elle annonçait à son mec qu’elle sortait faire un tour avec une copine. Pas de problème. Il était du genre conciliant. Il l’aimait assez pour comprendre qu’elle avait besoin de vivre selon ses besoins. C’était pour lui le seul moyen de ne pas la perdre. Elle prenait l’ascenseur et retrouvait sa copine au pied de l’immeuble. Puis elles partaient toutes les deux en vadrouille. Elles adoraient ça, l’aventure, le hasard des rencontres, la fréquentation des oiseaux de nuit. Personne n’a jamais vu Baby Jam dans les bras d’un autre mec. Les rumeurs allaient bon train, les gens racontaient qu’elle baisait avec n’importe qui, mais il n’existait absolument aucune preuve. Sa copine et elle faisaient une sorte de tournée des grands ducs, retrouvant dans les bars de nuit des copains et des copines, et tout ce petit monde finissait au Gibier de Potence, une sorte de cabaret perché sur la colline qui dominait la ville. Le Gibier fermait à quatre heures du matin et on y buvait du rhum arrangé à volonté. Chacun s’arrangeait avec la vie et profitait de la nuit. Baby Jam trônait au bar et se faisait payer des verres. On l’entendait rire, elle parlait de tout et de rien. Parfois un mec la draguait, ça l’amusait beaucoup, elle laissait faire jusqu’à un certain point, puis pour le calmer, elle lui expliquait gentiment que sa gueule ne lui plaisait pas, alors tout rentrait dans l’ordre. Tout ce cirque a duré quarante ou cinquante ans. Aujourd’hui, Baby Jam a pris un sacré coup de vieux, elle porte des lunettes à monture écaille et du rouge à lèvres. Elle tire ses cheveux bruns vers l’arrière pour se donner un petit air d’assistante de direction, mais sa gouaille est intacte. Tu la trouveras au bar du Gibier en train de siffler des verres de rhum tiède jusqu’à la fermeture. Elle attendra, comme elle l’a fait toute sa vie, qu’une bonne âme veuille bien la prendre en charge pour la déposer chez elle.

     

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             Pendant que Baby Jam savourait sa liberté, Linda Jones tentait de faire carrière. L’accomplissement d’un côté, l’abrègement de l’autre. Destin enviable d’un côté, destin tragique de l’autre.

             Contrairement aux Danaïdes, Linda Jones ne fut pas condamnée à remplir un tonneau percé. Elle fut condamnée à autre chose : l’obscurité. Lorsqu’elle cassa sa pipe en bois en 1972, elle n’avait que 28 balais. Elle était quasiment inconnue aux États-Unis. Seuls les Anglais la vénéraient. C’est la raison pour laquelle on la retrouve sur l’une des meilleures compiles de Northern Soul, celle de Rhino. David Godin parle d’une «enigmatic quality».

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             Son premier album s’appelle Hypnotized, un fat Loma de 1967. Tu donnerais ton père et ta mère en échange de «You Can’t Take It», un heavy r’n’b qu’elle fait décoller à coups d’you can’t take, elle te chante ça à l’efflanquée miraculeuse. Elle est encore très raw sur «I Can’t Stop Loving My Baby», elle est aussi directive que l’Aretha de l’âge d’or. Et en B, tu tombes sur une autre perle noire en forme de Beautiful Song, «If Only (We Had Met Sooner)», une Soul soûlante qui te donne le tournis.

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             Elle sort deux albums en 1972 :  Your Precious Love et Let It Be Me. Le premier est de toute évidence son meilleur album. Il grouille de puces. Elle attaque son morceau titre en ouverture de balda avec une stupéfiante énergie. Linda est la reine de la hurlette de Hurlevent. Elle chante encore «Don’t Go (I Can’t Bear To Be Alone)» au sommet de la Soul, avec une indicible audace. Elle brûle d’authenticité. Elle brasille de Soul, son «Stay With Me Forever» est extravagant d’intensité. Elle brasille à sa façon, ni comme Aretha, ni comme Brenda, c’est encore autre chose. Alors attention, car tout explose en B : si tu veux écouter l’un des plus beaux albums de Soul, c’est là, dès «Not On The Outside». Elle se veut océanique, avec des flux et des nappes d’orchestration, alors elle le devient. Elle tape un beau «Dancing In The Street» et boom, elle te roule le «Let It Be Me» de Gilbert Bécaud dans sa farine. Elle le travaille au corps de manière spectaculaire. Elle te transforme encore la Soul avec «I Can’t Make It Alone», elle en fait un tir de barrage, elle te la plombe en or, elle te la pétrit à Petra, elle te l’élève dans la hiérarchie, bref, elle sait tout faire. Elle se dirige vers la sortie en faisant son Aretha dans «Doggin’ Me Around», mais pas avec le même fruité de glotte, Linda est plus sèche, plus âpre, et plus violente dans sa hurlette. Elle ne laisse aucune chance au hasard, elle pousse à la roue, elle défonce la rondelle des annales, elle a du cran. Logique car c’est une crack. 

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             Et donc sur Let It Be Me, on retrouve fatalement le «Let It Be Me» de l’album précédent. Elle est sans doute la seule à savoir monter au ciel from scratch, c’est-à-dire sans élan. On ne reconnaît pas l’hit de Bécaud. Elle en fait de la Soul. Fantastique présence encore avec «Fugitive From Love». Such impact dit Diamond Jim Sears au dos de la pochette. Eh oui, que peut-on dire de plus ?  Le coup de génie de l’album se planque en B : «I’m So Glad I Found You», un fantastique shoot de Soul des jours heureux, elle rivalise de good timing avec Brenda Holloway, elle ajoute sa tripe au walking beat. Encore jamais vu un truc pareil. Linda forever !

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             Malgré les liners de David Godin et de Tony Rounce, Never Mind The Quality… Feel The Soul n’est pas un très bon album. C’est enregistré dans l’Ohio en 1970. Elle tape un vieux coup d’«If I Had A Hammer» qu’elle attribue à Sam Cooke, alors que c’est signé Pete Seeger. Elle aime bien son Hammer, on sent la vieille Soul Sister pleine de réflexes et pleine de jus. Puis elle fait son éplorée avec «That’s When I’ll Stop Loving You» - my latest recording - Elle gueule dans son micro, c’est la règle du jeu, mais ça devient pénible. Elle reste en mode heavy froti avec «For Your Precious Love». Elle s’y connaît en bosses dans les pantalons serrés, comme Carla quand elle chantait avec un Otis en rut dans la chaleur de Memphis. Elle rappe un peu et déroule son écheveau de lemme tell something I can’t say. Puis elle rend hommage aux Falcons avec une cover d’«You’re So Fine», mais elle est essoufflée. Sa cover ne vaut pas tripette, comparée à celle d’Ike & Tina. Elle finit avec un gros clin d’œil à Wicked Pickett et «I Found A Love».

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             La compile que concocte Kent avec Precious - The Anthology 1963-72 ressemble à un passage obligé. Tony Rounce te sert Linda sur un plateau d’argent - Black American music has never had a singer with the extraordinary vocal power of Linda Jones - Te voilà prévenu. Rounce parle même de full-on fire. Il dit aussi que certains voient Linda comme, «simply, the greatest female soul singer of all time.» Il ajoute qu’on peut la mettre au même niveau qu’Aretha, Gladys Knight, Irma Thomas and others of similar calibre. Parcours classique, gospel dans les églises, puis petits boulots ineptes dans des usines avant de rencontrer George Kerr, un doo-woper new-yorkais qui fit partie des Serenaders. Kerr l’entend chanter et comprend aussitôt qu’elle a du talent. Il rassemble la crème de la crème new-yorkaise pour accompagner Linda en studio, notamment Cornell Dupree au bassmatic et Bernard Pretty Purdie au beurre. En 2014, Rounce demande à Purdie s’il se souvient de Linda - Yeah, Linda Jones. Big gal. Very good. Very loud - Après un premier single sur Atlantic, Linda se retrouve sur Red Bird, en bonne compagnie, puisqu’il s’agit de Leiber & Stoller. Kerr sort l’effarant «You Hit Me Like TNT» sur Red Bird, mais Leiber & Stoller déclarent forfait, à cause des embrouilles de leur associé George Goldner qui joue aux courses et qui doit beaucoup trop d’argent à la mafia. Kerr fait alors la tournée des labels new-yorkais. Il va taper à la porte de Brunswick, mais on lui dit qu’ils sont délocalisés à Chicago et trop occupés à lancer Barbara Acklin. Le mec de Brunswick est gentil, il donne à Kerr l’adresse de Ron Mosseley chez Warner Bros. Kerr fait écouter «Hypnitozed» à Mosseley, et Jerry Ragovoy qui passait dans le couloir entend ça et dit : «That’s a hit!». «Hypnotized» sort sur Loma, un R&B subsidiary de Warner Bros.   

             Dès l’«Hypnotized» d’ouverture de bal, cette coquine de Linda fait vibrer sa glotte effrontément. On trouve hélas à la suite quelques singles de peu d’intérêt, Linda propose une espèce de Soul de MJC mal foutue, elle braille dans son micro. Elle y va de bon cœur. On ne peut pas lui enlever ça. Elle se bat pied à pied avec une Soul de débutante et boom, ça explose enfin avec le fameux «You Hit Me Like TNT» sorti sur Red Bird, un stupéfiant hit de juke, et là on dresse l’oreille. Il faut la voir ponctuer son texte sur le beat. Et voilà que s’ouvre un formidable festin de Soul, avec à la suite du TNT l’effarant «Give My Love A Try». C’est le début de la période Loma qui dure deux ans. Avec «Give My Love A Try», Linda explose autant que Lorraine Ellison ! Elle déborde encore de répondant et de super jus avec «A Last Minute Miracle», un fast r’n’b porté par des chœurs puissants. Elle le porte à la force de la glotte. Elle replonge ensuite dans l’heavy Soul de circonstance avec «What’ve I Done (To Make You Mad)». Elle se bat avec une énergie extraordinaire. Elle chauffe encore son «My Heart Needs A Break» avec un aplomb extraordinaire. Cut après cut, elle se révèle imbattable. C’est avec ce hit que prend fin la période Loma. En 1968, Warners vend plus d’albums que de singles et décide de fermer Loma. Linda est virée avec tous les autres. Kerr reprend son bâton de pèlerin. Il enregistre Linda et vend les cuts à des petits labels. La voilà encore par-delà la Soul avec «I’ll Be Sweeter Tomorrow», sorti sur Neptune, un label monté par Chess avec Gamble & Huff. Elle incarne tout le ruckus du Soul System, elle est dévorante, complètement all over. Elle monte encore à l’apogée de sa clameur avec «That’s When I’ll Stop Loving You», qui est en B-side du single Neptune, elle le porte à l’extrême pointe de la Soul. Elle semble dominer le monde. Pas de chance, Gamble & Huff ferment Neptune pour lancer leur prestigieux Philadelphia International.

             Elle finit par enregistrer sur Turbo, un petit label du New Jersey. On arrive dans le terrain miné des coups de génie avec «Can You Blame Me?», wild Linda y va au yeah yeah, elle ne lâche rien, elle n’en finit plus de remonter le courant, et elle te retombe dessus à bras raccourcis avec «I Do», elle hurle ça dans la plaine, Soul Sister pure et dure, ah il faut l’entendre hurler à la lune. Encore un cut gorgé de son avec «I Can’t Make It Alone» signé Goffin & King, et ça monte encore d’un sacré cran avec «Not On The Outside», elle a cette faculté de s’élever à la force de la glotte, elle se pâme dans un excelsior inexorable, Linda Jones est une géante. Et puis t’as encore cet «I’m So Glad I Found You» extraordinairement groovy, elle y va la cocotte, elle défonce les portes d’airain du palais de la Soul, elle fait la fête à elle toute seule et chante à la folie. Encore une compile dont tu sors rincé. Vraiment rincé.

    Signé : Cazengler, Lindabîmé

    Linda Jones. Hypnotized. Loma 1967

    Linda Jones. Your Precious Love. Turbo Records 1972

    Linda Jones. Let It Be Me. Turbo Records 1972  

    Linda Jones. Never Mind The Quality… Feel The Soul. Sequel Records 1997

    Linda Jones. Precious. The Anthology 1963-72. Kent 2016

     

    L’avenir du rock

     - Fontaines de jouvence

     (Part Two)

             Tous les témoignages concordent. Tous, sans exception. Lawrence d’Arabie, Stanley et Livingstone, Sylvain Tintin, Richard Francis Burton ont tous croisé l’avenir du rock dans le désert et sont catégoriques : il est complètement givré. Irrécupérable. À force de marcher pendant des mois et des années sous un soleil de plomb, il a fini par perdre la boule, ce qui paraît logique.  Tous ont essayé de converser avec lui, de lui redonner le goût des échanges courtois, le goût des petits commérages, tous ont essayé de lui apporter un peu de réconfort moral, de lui redonner foi en lui, foi en l’avenir, foi en Dieu, foi en l’être humain, foi en la gauche républicaine, foi en la science, et quand il répondait qu’il préférait le pâté de foi, nul ne s’en offusquait, car, par 60 degrés à l’ombre, une boutade se dessèche et meurt aussitôt. Tous sont unanimes pour dire qu’il vaut mieux le laisser errer dans son coin, tous affirment que de vouloir lui porter secours ne servirait plus à rien. Les témoins vont même plus loin, affirmant que ça lui rend service de le laisser errer dans le désert, que ça lui donne un certain cachet, car sa peau se parchemine. Son visage est tellement hâlé, disent certain, que ses yeux de fouine paraissent délavés, comme s’ils étaient clairs, ce qui n’est évidemment pas le cas. Cette errance lui permet en outre de conserver sa ligne, au moins il ne risque pas de ventripoter comme la plupart des mâles de son âge, tous ces lascars qui se plaignent de grossir alors qu’ils bouffent comme des vaches, de toute façon, ce n’est pas l’avenir du rock qui ira critiquer les gros lards, car il rate jamais une occasion, même dans le désert, de rappeler que les gros sont les meilleurs, notamment le gros Black et Leslie West. Le pire, c’est qu’il ne parle plus que de Fontaines, dans une région où elles n’existent pas. Bref, tout le monde le croit foutu. Si l’avenir du rock entendait tous ces cons, il serait mort de rire.

     

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             Les Fontaines dont il parle sont bien sûr les Irlandais de Fontaines D.C. Il n’est pas le seul à prêcher dans le désert : Stephen Troussé en tartine six pages dans Uncut. C’est pas rien. Il commence par qualifier leur quatrième album Romance d’astoshing, et parle même  d’«apocalyptic sci-fi stadium rock». Ah ces journalistes ! Ce qui rend les Fontaines éminemment sympathiques, c’est leur trouille de la gloire. Le chanteur Grian Chatten prévient tout de suite : «I’m not mad keen to get that big.» Et il ajoute, haletant : «I really, really don’t want us to turn into dickheads.» On ne sait pas qui il vise à travers ça, mais il vise, c’est sûr. Chacun mettra les noms qu’il voudra. Mais il sait que la gloire arrive. Pourquoi ? «Because we’re really good.» Troussé parle d’un «winning charm and modesty», même s’il frôle l’absurdité.  

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             Quatre albums en cinq ans, ça va vite. Troussé parle d’une «volicity that puts their peers to shame» et de «quantum leap». Il a du vocabulaire, l’ami Troussé, puisqu’il qualifie Dogrel d’«astonoshing rush-and-push debut», A Hero’s Death d’«assured consolidation», puis Skinty de «staggering, surreal letter of love and poison». Mais Troussé se surpasse en qualifiant «Starburster» d’«huge rambling panic attack that sounded like Korn covering Happy Mondays’ ‘Wrote For Luck’». Il qualifie aussi Carlos O’Cornell de «flame-haired guitarist and conceptualist» des Fontaines. Dans son élan, Troussé se met à sortir les comparaisons oiseuses : il compare Romance à l’Ocean Rain des Bunnymen, au Disintegration des Cure, à l’OK Computer de Radiohead, et d’autres qu’on ne va pas citer pour éviter de gaspiller de la place. Il se dit encore frappé par le «Technicolor» des cuts de Romance. Il parle enfin d’un album cinematic.  

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             Il a raison, Romance est vite bardé ! Les DC sont les rois du barda. Comme ils visent la démesure, les Fontaines s’en donnent les moyens. Mais les premiers cuts manquent de magie. Ils labourent la bouillasse d’une pop épaisse. Et puis tout à coup, ça swingue dans les voiles : le mec chante son «Here’s The Thing» au doux tordu et ça percute. Voilà l’Irish power, Grian Chatten chante à la déconnade et ça explose de grandeur. Oh yeah, il chante à l’évaporée dévastatrice et mine de rien, il rentre dans le chou d’un lard très fumant, ça groove dans l’épidermic, ça rocke le booty, aw quel fantastique racket d’Irish finish ! S’ensuit une belle montée en neige nommée «Desire». Ça redevient sérieux, tu commences à te prosterner. T’as pourtant déjà entendu cette surenchère de la démesure chez Adorable, mais les Fontaines plongent très loin au fond du Desire, ils battent tous les records du Grand Bleu. T’es estomaqué. On les voit encore chercher leur voie avec «Big». Grian Chatten appuie bien son chant, il a le bon timbre, pas de problème, un timbre pas trop oblitéré. Il ne manque aucune dent au timbre. Irish power pop ! Ils font les Pixies avec «Death Kink» et tout re-bascule dans l’excès qualitatif avec «Favourite» qui sonne comme un vieux hit insistant. Ah comme Grian Chatten chante bien ! Cette pop ne pardonne pas. Il chante à l’accent tranchant. Pur genius !

             C’est vrai que l’album sonne comme une grande aventure. Conor Curley raconte plus loin dans Uncut qu’il tire son énergie du cinéma, un art qu’il juge plus puissant que le rock et la littérature. Chatten dit aussi qu’il est «bored of talking about music, bored of talking about books.» Il dit chercher une nouvelle voie et se dit obsédé par Mickey Rourke dans Rumble Fish.

             Les Fontaines sont aussi partis en tournée américaine avec Artic Monkeys. C’est drôle comme leurs références ne sont pas bonnes. Chatten dit avoir flashé sur Blur à Wembley. Au moins avec Dean Wareham, on parle des vrais trucs, c’est-à-dire Lou Reed et le Velvet. Là on est dans autre chose. Il s’agit sans doute d’un problème générationnel.

             C’est O’Connell qui sauve les meubles en avouant qu’il a produit le nouvel album de Peter Perrett, The Cleansing. Et Perrett se dit fasciné par la voix de Grian Chatten - They’re lucky to have a singer with such an iconic voice. A Voice is everything - Peter Pan sait de quoi il parle. O’Connell devient rudement intéressant lorsqu’il aborde la question de la culture irlandaise : «Il y a beaucoup plus dans notre histoire que les prêtres et les curés. The weirdness of pagan Ireland.» Puis il fait l’éloge des groupes de sa génération, «us, Gilla Band, Lankrum», et de «something very irish about dissonance as a concept.» Et bien évidemment, l’article finit par se casser la gueule avec l’irruption des Spice Girls et de U2. C’est là que Chatten sort son fameux prêche contre les dickheads. Il se sent devenir narcissique, talking about myself, et bien sûr il sent que c’est le problème.  

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             Avant de conclure, il est bon de rappeler que Skinty Fia est un album raté. Ils font illusion le temps d’un «Big Shot» très Radiohead, mais les compos ne sont pas au rendez-vous. Il ne reste que la voix de Grian Chatten, cette voix intéressante au timbre profond, avec de jolis effets de baryton sur le so cold d’«How Cold Love Is». Mais globalement, rien n’accroche. Ils sont dans le manque à gagner, dans le laissé pour compte, dans le solde de tout compte, ils tentent encore de viser l’horizon avec «Roman Holiday», mais l’album devient un radeau de la Méduse. C’est la damnation du cerf, ils n’ont absolument aucune compo. Rien. Que dalle. C’est le l’arty-gros foutage de gueule et ça ne reprend vie à la fin qu’avec «Nabokov» qui est bien écrasé de son. Quelle tragédie. Cet album a dû traumatiser leur destin. 

    Signé : Cazengler, Fonteigne d’ici

    Fontaines D.C. Skinty Fia. Partisan Records 2021

    Fontaines D.C. Romance. Xl Recordings 2024

    Stephen Troussé : Last of the new romantics. Uncut # 330 - October 2024

     

    *

             La teuf-teuf fonce à donf. Pourquoi donc ? Parce qu’elle emprunte la 619 qui vous emmène à Troyes. Dont on peut dire qu’en France elle est l’équivalente rock de la mythique road 66. Un don des Dieux ! Moins longue que Le Don Paisible de Mikhaïl Cholokov mais au bout de la route, comme à la bataille navale, la case Trois B s’avère gagnante à tous les coups. Comment cela se fait-il, je n’en sais rien, faudrait demander à Béatrice la patronne par quel stratagème elle se débrouille pour ramener systématiquement  de bons groupes. Peut-être a-t-elle la main verte, mais sûrement the main feeling rockabilly.

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             Remarquez ce coup-ci elle avait deux bonnes cartes dans son jeu. Luky Will est déjà venu 3 B...   Le deuxième as depique elle ne le tenait pas dans sa menotte toute mignonnette, elle nichait dans la poigne la plus féroce du rocker le plus intrépide, vous avez reconnu Jerry Lou, le pianiste fou, une photographie sur laquelle l’indomptable Jerry Lee Lewis arborait fièrement le premier CD de Luky Will.

             Autant dire que je ne m’attendais pas une douce veillée de colonie de vacances, mes prédictions ont été comblées au-delà de toute espérance. L’est vrai que 3 B recevait la visite  d’un sacré groupe de coupeurs de têtes.

    THE COOPERS

    3B

    (Troyes / 21 – 03 – 2025)

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                Suis surpris dès mon entrée au 3 B. Peu de monde. La moitié des tables désertes. Une demi-heure plus tard je suis effaré. D’où sort cette foule ! Jamais vu autant, une marée humaine, tellement de presse que l’accès au bar sera interdit pendant tout le concert à ceux qui squattent les places près des musiciens, debout, chaises, et même assis par terre ! Ce n’est tout de même pas une soirée folk qui est prévue.

             Z’arrivent sourire aux lèvres, s’installent sans se presser, la pression monte, profitons du premier instrumental, un Chicago Blues mid tempo, un tantinet funky, ce n’est pas la tornade que l’on attend, mais non de Zeus, pas besoin de sortir de Polytechnique pour se rendre compte que l’on est devant de sacrés musiciens. Tout au fond Kevin, à l’affût derrière ses fûts, frappe mollement, mais quelle étrange décontraction, l’est toujours prompt à ouvrir ou clôturer n’importe quelle séquence, à sa droite c’est plus grave, je ne parle pas du bassiste, l’a une moustache terriblement sympathique, mais chaque fois qu’un de ses doigts touche une corde de sa basse, non, ce n’est pas une upright, plutôt une upsound, vous avez un son profond et moelleux, du chocolat fondu, est-ce pour cela qu’il est surnommé Pepito, juste devant lui, sous son chapeau, Lucky et sa Gretsch rouge-sang, tout ce que l’on peut dire c’est qu’il maîtrise salement sa bécane sanglante. Enfin à droite, Bruno aligné contre le mur, enfoncé dans le recoin vous pouvez ne pas le voir, mais pour l’entendre pas de problème, paisiblement assis sous sa casquette, ses doigts n’arrêtent pas de ricaner, chaque fois qu’il les pose sur son clavier, c’est comme s’il instillait un brin de folie foutraque dans l’ambiance qui ne parle pas à tourner à l’orage dès le deuxième morceau.

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             Faut comprendre, l’amateur très moyen de rockabilly connaît la plupart des morceaux, mais ils ont une manière très spécifique de les interpréter. Ne vous filent pas les titres à tire-larigot à la queue-leu-leu, bonjour-bonsoir voilà le boulot, non ils ne récitent pas leur leçon, ils interviennent à chaque instant, vous les reconstruisent, vous les dégobillent sans retard, mais vous les ressortent totalement métamorphosés. C’est qu’ils possèdent une arme invincible mais souterraine, ils swinguent comme aucun autre groupe de rockabilly, z’ont la pulsation primitive, mais ils ne le montrent pas, partent du principe que chaque morceau doit être mené comme un round de boxe, mais avec quatre boxeurs qui chacun à leur tour sort son uppercut dévastateur.         

     Lucky, il joue la surprise attendue, suspend son jeu, tourne la tête à droite eut à gauche comme s’il ne se rappelait plus de ce qu’il lui faut faire, mais quand il envoie le riff vous supputez dans votre pauvre cervelle la seconde exacte où il va le relâcher, pas maintenant, ni après, ni avant, à l’instant précis où il veut ( ne s’appelle pas Will pour rien), sur son Folsom Prison Blues vous donne une sacrée leçon sur la notion de la liberté de l’artiste, quand il veut, où il veut, il vous pose le bibelot à l’endroit exact où vous n’aurez jamais escompté qu’il soit là. Avec lui chaque écoute d’un seul morceau devient une aventure sonique.

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    Autre tactique. Celle de Kevin. Il tapote dans son coin. Vous pensez qu’il joue à la belote avec un comparse imaginaire. Le gars loin de tout, retranché dans son quant à soi. Ses camarades se retournent vers lui. Qu’est-ce que tu fous Kevin, on ne voudrait pas te déranger mais si tu faisais un petit truc ça nous aiderait bien, alors il leur adresse un petit sourire, le même que Napoléon avait jeté à Murat pour lui signifier qu’il pouvait mener la charge de ses douze mille cavaliers contre l’infanterie russe à Eylau, mais Kevin c’est la décharge, la canonnade en quinze secondes il vous jette le morceau par terre, l’emporte tout sur son élan,  rasé rasibus, et hop il vous refigure le building qui sort de terre transfiguré de pied en cap, vous impose sa vision du monde, et vous convenez qu’elle est beaucoup plus efficace que la vôtre. Ensuite mine de rien, il joue l’élève innocent qui n’a rien fait, ni vu, ni pris, l’œil aux aguets, prêt à repartir en guerre dès que nécessaire.

    Bruno, sur son piano Yamaha, l’est comme vous qui de temps en temps parsemez du parmesan sur votre plat de pâtes, distribue quelques notes pour accompagner, c’est sans préavis qu’il lance la galopade effrénée sur son clavier, ce qui ne l’empêche pas parfois, un doigt à demi replié de s’obstiner sans trêve sur une note qu’il doit avoir envie de détruire l’on ne sait pas trop pourquoi, c’est un peu comme l’étincelle, chère au président Mao Tsé Toung, qui était censée mettre le feu à toute la plaine, en tout cas avec lui, ça marche à tous les coups, le morceau accélère comme une fusée interplanétaire, z’avez l’impression qu’il penche d’un côté et que dans la seconde qui suit tout va s’effondrer happé par cette maudite descente vertigineuse, d’autant plus que l’air de rien Kevin tout en continuant à battre son beurre, attrape le clavier d’une main et le soulève pour accentuer la pente fatale, genre de facétie qui n’empêche pas Bruno de  continuer sa dégringolade de notes infinies.

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    Pépito met le paquet, à sa façon. N’attaque jamais de face. L’est comme ces motards qui se positionnent au cul de votre voiture et vous poussent à accélérer sans fin. Choisit un de ses camarades, et hop il se colle à lui, en toute innocence, un véritable boutefeu, vous avez l’impression qu’il suit la cadence, il l’englobe d’une sonorité voluptueuse, il suscite le désir d’une course éperdue et c’est parti jusqu’au bout de l’avenue, quand l’autre s’arrête il stoppe aussi sec pour mieux rappuyer sur l’accélérateur, l’a une préférence pour les Gretsch de Lucky, il passe à l’orange et la rouge ne l’arrête pas. 

    Le cercle se referme. Will ne se contente pas de sa guitare. Il mène le jeu. Au vocal, faut l’entendre débouler Good Golly Miss Molly, l’a le gosier de fer et de foudre, parfait pour  arracher les dégringolades sublimes, descendre les torrents foudroyants de Blue Suede Shoes et éparpiller  les éclats de grenade de Great Balls of Fire aux quatre coins du monde. En plus un véritable entertainer, en trois réparties il dope la salle qui n’en finit plus de hurler. D’un geste souverain il arrête la furie générale pour la catapulter un quart de seconde plus tard dans un grandiose tumulte.

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    Trois sets de feu. Etourdissants. Effervescents. Excaliburants. L’ordonne à tous de se lever et de danser. Et tout le monde obéit Dinguerie absolue le You Never Can tell de Chuck Berry avec Bruno et son piano bordel-line…. Béatrice la Patronne indique que l’heure… il est temps d’arrêter l’émeute. Les instruments sont posés à terre. Lucky s’empare du micro court se réfugier dans la densité du public, s’empare du micro et pratiquement a cappella il entonne I Saw The Light le gospel sacrilège d’Hank Williams que nous reprenons tous en chœur… c’est reparti pour trois classiques, l’on termine comme dans les années 70 avec un petit Johnny B. (very) Goode

    C’était la fin. Pas du tout, maintenant l’on passe aux riffs les plus célèbres, genre l’on fait feu de tout bois de Téléphone à Smoke on the Water

    Je m’arrête ici, pour que vous ne soyez pas jaloux. Merci à Béatrice et  aux Coopers. Ce n’était pas une soirée inoubliable mais un rock-choc immémorial.

    Damie Chad.

     

    *

    Ashen continue sa route. Profitent du printemps pour déposer un œuf dinosaurien dans nos pupilles, une nouvelle vidéo explosive. On ne les compte plus, sans compter Smell like Teen Spirit, ce fut Sapiens, Hidden, Outler, Nowhere, Angel, Chimera, Desire, toujours pas d’album, mais une stratégie qui porte ses fruits, Outler, commis par un groupe français, vient d’être crédité d’un million de vues sur Spotify. Voici donc le dernier opus, le dernier obus :

    CRYSTAL TEARS

    ASHEN

    (Official Music Video / Mars 2025)

    OUT OF LINE MUSIC

    Bastien Sablé a dirigé la vidéo qu’il a scénarisée en compagnie d’Ashen. Le site de Bastien Sablé est à visiter. Il a réalisé de multiples clips pour de nombreux (et nombreuses) artistes de la nouvelle variété française. De mirifiques décors, des mises en scène inspirées, dommage, selon mes goûts de rocker endurci, que les musiques ne soient pas souvent à la hauteur images qui les accompagnent.

    Mais pour celle-ci, la transcription mouvante de la  beauté formelle des hallucinations cryptiques échevelées est si parfaitement adaptée à l’univers spirituel darkside et à la violence fragmentale de la musique du groupe, que l’ensemble symbiotique s’inscrit sur les murs charbonneux de  notre nuit mentale en traits de feu sanglants significativement aussi éphémères qu’éternels…

    Où sommes-nous ? Dans une des sombres galeries des Indes Noires de Jules Verne, ou en un endroit encore plus dangereux, à ras-de-terre et de cendres des Champs Phlégréens, juste à la l’orée du porche de la caverne qui selon les Anciens conduisaient aux Enfers, au Royaume de la Mort, à moins que cette ombre noire qui chemine précautionneusement, son bras levé supportant un flambeau de lumière indistincte, ne soit un être humain vivant déjà mort. Cette ombre animale que l’on entraperçoit une demi-seconde ne serait-elle pas celle de Cerbère, le chien obturateur rendant impossible toute remontée.

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    Devant une muraille de schiste noir, le groupe joue, se démène, se trémousse assène la musique sous forme de lingots de plomb noircis, il crie, il hurle, il clame, il geint, il gesticule, il joue… son rôle de chambre noire de Chenonceau, Clem, l’Orphée mythique, n’est déjà plus qu’une âme, les vestiges remuants de ce qui a eu lieu, le vertige rampant de ce qui n’est plus, la dague est plantée dans le sol, en éclat de quartz, un éclair blanc de robe de reine morte, l’épée où se jeter et se percer le cœur, le groupe en transe paroxystique, et Clem qui s’approche précautionneusement, de la fleur de lys, de l’incisive géante d’un monstre antédiluvien, la forme blanche de la lance du Graal, folie noire, fantôme de pierre, albâtre qui grandit démesurément, le toucher, la toucher, est-ce lui, est-ce elle, cette Excalibur proéminente dont la lame froide arde et illumine, mais avant se reposer, se concentrer en soi, se poser les bonnes questions, faut-il s’adresser à lui, à elle, à soi-même, à cette énigme translucide, alors que l’on dit que la Mort est blanche, et ce menhir illuminatif, qui est-il ? Pourquoi ne serait-il pas moi. Serait-il l’autre. De l’autre côté du miroir. N’aurait-il pas la forme d’un cœur. Immortel puisqu’il ne bat plus. Confrontation avec l’autre de soi-même. Gerçure et brûlure à la jointure. L’orchestre exorcise sa fureur. Bersek de lui-même. Hurlement. Qui meurt là, qui tombe et s’affale sur la pierre druidique, qui titube et s’appuie sur le pilier christique. Communion. Extrême-onction sacrificielle. Le groupe massacre-t-il de désespoir sa musique noisique. Plus personne. Ne reste plus, sublime, immarcessible, que l’épée blanche qui semble s’élever vers le ciel. Serait-elle la représentation de l’aile d’un ange rilkéen. Celui élémental qui descend.

    Damie Chad.

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    Nota-Bene : L’œuvre au noir, la forme blanche n’évoque-telle pas la forme oblongue d’un cercueil, peut-elle être éblouissance. En quoi le tout se résorbe-t-il ! La forme blanche est-elle l’épée de la séparation ? De cet autre côté de nous-même que nous sommes et ne sommes point. Notre somme additionnelle n’est-elle égale qu’à la silhouette du 1 maladroitement tracée, cette frontière qui ne délimite qu’un même et unique royaume. Toute la douleur existentielle de cette dichotomie de nous-même qu’aucun scalpel de pierre ne parviendra jamais à séparer de nous-même car notre vie s’apparente si bien à notre mort que nous sommes tout aussi bien que nous ne sommes pas, ce tout que l’on voudrait ne pas être ou ce rien que l’on voudrait être.

    Une lecture plus simple, l’adieu à l’androgynie que l’on a été, que l’on a cru être et que l’on n’est plus. Cette coupure de l’autre qui n’est que la coupure de soi-même d’avec l’autre. Vouloir être dans une unique solitude et n’être plus que la solitude de soi-même. Un moins Un égale toujours Un. L’illusion posthume du 2. Le Un est toujours seul, séparé de sa propre multiplicité.

    Pour aider à réparer la fracture, Platon disait que l’on ne pouvait passer du Un au Deux, sans quoi le Un reste seul. L’a préconisé le principe de la dyade qui n’est autre que la reconnaissance du Deux, non pas en son unité, mais en sa dépendance à l’autre qui reste l’Un, ce qui de fait de la dyade le principe de la reconnaissance de la multiplicité infinie, qui n’est autre que le ravalement du Un, non pas en sa Unicité, mais en simple fraction élémentale de la répétition du Même.

    Le Même n’étant que la négation de l’unicité du Un. Or un Un qui n’est pas unique nous oblige à vivre  l’équivoque relationnel avec tout autre. A nous atomiser avec le n’importe quoi. Une espèce de suicide collectif métaphysique en quelque sorte. Commis par un seul.

    Damie Chad.

     

    *

    Vous avez des mots et des titres qui vous attirent plus que d’autres. J’avoue avoir pas mal barjoté sur le Midnight Rambler des Stones mais là je suis servi : un groupe qui se nomme Nightstalker, mais qui très vite aggrave son cas, ils sont grecs, d’Athènes, sont cités dans la mouvance de Rotting Christ, quant au titre de l’album jugez-en par vous-même,

    RETURN FROM THE POINT OF NO RETURN

    NIGHTSTALKER

    (Heavy Psych Sounds Sounds Records / Mars 2025)

             En langue anglaise ‘’starlker’’ désigne un rôdeur dont il vaut mieux se méfier, l’on ne sait ce qu’il manigance mais vous êtes sûr qu’il ne travaille pas au bonheur de l’humanité, il désigne aussi un chasseur lancé sur une piste qui n’appartient qu’à lui. Stalker c’est aussi le film du réalisateur soviétique – il eut quelques ennuis avec le régime – Andréi Tarkowski. Une étrange histoire d’un stalker mystérieux qui guide au travers d’une zone désolée et interdite deux voyageurs, un écrivain et un professeur, vers une mystérieuse cellule où vous atteindriez l’horizon zénithal de  l’absolu de vos désirs profonds… Le film est sorti en 1979, il a trouvé une étrange résonnance dans la zone interdite située autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl explosée en 1986 dans laquelle certaines espèces animales semblent avoir développé une espèce d’armure biologique contre les radiations atomiques… Si vous partez du principe que l’Homme n’est qu’une espèce animale parmi tant d’autres, toutes les cogitations vous sont permises… Stalker est aussi le nom du blogue littéraire de Juan Asensio adonné à la dissection du cadavre de la littérature…  

             Le retour au point de non-retour doit-il être considéré comme une régression ou une avancée. Une deuxième chance ou la peur de s’enfoncer dans la logique d’un cheminement. De toutes les manières l’idée du retour n’implique pas-t-elle la notion de l’origine quel que soit le sens de votre marche qui, même si vous revenez sur vos pas, en reposant systématiquement chacun de vos pas dans vos propres empreintes vous oblige à dessiner l’idéelle figure d’un cercle nietzschéen…

             La pochette vaut le détour. Cette espèce de ville endômée, endoomée par une calotte humaine protectrice et emblématique – appréciez au-dessous l’espèce de péristyle morcelé, ces colonnes qui furent la fierté des cités grecques antiques et par-dessus le capillaire village rural  exhaussé sur les déclivités crâniennes du crâne, poussé tel un rêve, qui ne veut pas mourir et s’accroche désespérément aux superstructures de cet exo- squelette tombal et génital.   

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    Cette couve est d’Alexander Von Wieding, un illustrateur qui a beaucoup travaillé en  packaging et notices diverses en relation avec la production industrielle, amateur de blues depuis 2006 il s’est spécialisé pour la production de pochettes d’albums. Son Instagram regorge de photos de couves pour des groupes et des chanteurs dont j’ignorais l’existence. Idéal pour mesurer le gouffre de votre ignorance, car l’intérêt pour les images vous empêche de vous attrister sur vos manques de connaissances.

    Nightwalker fut fondé en 1989. Ce disque est leur septième album, ( + deux lives et quelques simples),

    Andreas Lagios : bass / Dinos Roulos : drums, percussions / Tolis Motsios : guitares / Argy : vocal, lyrycs, percussions.

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    Dust : si vous vous  attendez à une sereine méditation sur la poussière que vous êtes et sur la poussière que vous deviendrez, c’est râpé, la batterie bouscule vos synapses, des tourbillons sonores précipitent vos circuits cérébraux en une espèce de surdopéisation de vos neurones préférés.  Plus de chair  vous êtes comme sur la couve réduit à l’os de vos prétentions, comme quoi tout se passe dans votre tête, au-dehors tout se rétrécit, Argy vous prévient, tout a une fin, même ces jours que vous avez longtemps crus heureux. En quatre courtes strophes il vous indique le début de la catastrophe. Une seule consolation la guitare de Tolis, toujours ça de pris sur l’ennemi. Heavy Trippin’ : dur, dur docteur Arthur, un peu de méditation, la basse de d’Andreas vous y invite, mais les camarades haussent le niveau sonore, l’introspection silencieuse c’est terminé, pratiquement une confession publique obligatoire, modulée d’un vieux fond bluesy salement malmené, c’est beau comme du Verlaine mais ça remue comme Le Bateau Ivre de Rimbaud, vous avez vécu dans un rêve, du toc de chez toc-toc qui refuse la réalité, qui oublie le malheur de ses congénères, qui ne pense qu’à sa petite quiétude personnelle, c’est fou comme le temps s’allonge indéfiniment lorsque l’on tourne et retourne en soi-même, alors qu’autour de vous tout se désagrège à une vitesse supersonique. Il est temps de prendre les décisions qui s’imposent. Pour vous consoler les quinze dernières secondes du morceau sont superbes. Jamais entendu une semblable coda à décoder.

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    Uncut : je vous rassure, ils ne sont pas tombés dans un trip à l’acoustique, l’électricité ronronne à fond, à gros flocons, si vous ne me croyez pas vous avez une vidéo, en studio et sur scène, de vrais rockers ils jouent au billard à trois boules, pas à l’amerlok, toute la différence entre un traité d’Aristote et un roman naturaliste, ce dernier est bien plus simple mais nécessite moins d’aptitude intellectuelle, s’amusent aussi au flipper et z’ont des groupies à foison. Ce qui est un peu à contre-courant du scénario aujourd’hui fortement  conseillé parce qu’après qu’Andras nous a appris ce que l’on peut faire avec une basse, l’Argy, ce n’est pas de l’argile, l’est dur comme du granit, vous congédie sa copine sans fioriture, le temps des simagrées et des faux-semblants c’est terminé, pour les féministes concentrez-vous sur la machine de guerre de ce groupe, ils n’ont peut-être pas inventé le lait en poudre, mais c’est si puissant et si beau que dans vos cerveaux ils font pousser l’herbe qui nourrit les vaches.  Return from the Point of No Return : encore une vidéo, vous voyez l’Argy se livrer à ses petites activités matinales un peu de sport, un peu de bourbon, finit par se rouler un joint aussi gros qu’un bâton de maréchal, vous voyez le groupe jouer et

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    surtout vous entendez la mayonnaise, elle vous emporte sur le haut sommet de l’Empyrée, le Dinos, l’a la frappe dinosaurienne, vous berce dans les roulements incessants de ses toms, ne cédez pas à l’hypnose musicale, Argy est en train de mettre de l’ordre dans son existence, confond un peu son balai avec un char d’assaut, mais faut ce qu’il faut, ou vous êtes capable de retourner au point de non-retour ou vous ne l’êtes pas. Sachez repérer les cris en sourdine. L’art du hurlement souterrain n’est pas donné à tout le monde. Un morceau qui fait place nette. Shipwecked Powder Monkey : attention de l’eau dans les écoutilles, sont comme fatigués d’écoper, se reprennent vite, z’ont intérêt maintenant à se magner car ça entre par gros paquets, voici les temps de l’incertitude le moment où l’on s’aperçoit de l’équivalence de nos actes, que l’on fasse ceci ou cela, le résultat est identique, maintenant le groupe fonce en piqué et en escadrille, les choses t’échappent, vous filent les derniers enseignements, tu n’y peux rien, l’existe un point où l’avant devient l’après, à moins que ça ne soit juste le contraire, tu te dois avancer, mais c’est le temps qui te rattrape et te dépasse.  Guitare en chappe de plomb te percent les oreilles, te bercent dans ton incomplétude, dans ton impuissance programmée. Shallow Grave : cette basse trop grave, plus basse que la terre que tu as creusée pour enfouir tes rêves et ta volition,  voici donc le slow des grandes glaciations, la musique dodeline, au bout de la mort une renaissance, un rite de passage, les tisons de la guitare te réchauffent la musiquen se redressent tel un serpent prêt à se battre, fais le tour de tes anneaux mémoriels, ne te laisse pas enfermer dans le cercle vicieux de tes habitudes. Reviens à toi. Extrais-toi de ta propre tombe. Falling Inside : le retour en soi, une pierre qui dévale la colline, qui tombe, qui n’en finit pas de tomber, de plus en plus vite, le rythme s’accélère, il est trop impétueux pour que tu aies le temps d’avoir peur, le groupe explose littéralement, un élan dévastateur, créateur, tout au fond tu trouves ce que tu cherchais en vain depuis longtemps. En toi-même. Te voici redevenu toi-même. Tout voyage est intérieur. Tu es le retour et tu es en même temps le non-retour pour ne pas stagner. Flying Mode : le son est lourd, il ne trébuche pas, il s’amplifie, le tout est de ne pas s’appesantir en soi, de ne pas se confiner en une morale étriquée du bien et du mal, la zique prend son envol, faut savoir s’envoler, le chant devient encombré de parcelles de gai savoir, vivre ses rêves c’est déjà vivre, le cheval fou de la batterie trottine allègrement, bientôt il galope ardemment, rejoint par le reste de la horde, crinières pâmoisantes de guitares, toujours de l’avant, cris de joie, de victoire et de triomphe. Si vous restez à les écouter vous ne les rattraperez jamais.

             Enthousiasmant. A écouter attentivement, peuplé d’idées musicales inédites. Un groupe au sommet de son art. Testamentaire en le sens où les héritiers viendront boire. Source vive.

             Tellement bon que j’ai voulu en écouter davantage, j’ai choisi un titre choc :

    DEAD ROCK COMMANDOS

    (Small Stone Records / 2012)

    Pas tout à fait au hasard, d’abord une pochette d’Alexander Von Wieding qui n’est pas sans préfigurer un demi-quart de siècle à l’avance celle de Return from the point of no return, un peu moins réussie toutefois, quel sens donner à ce trognon de pomme déposé entre les mâchoires de cet animal monstrueux aux dents hyper développées de tyrannosaure, si ce n’est celle d’une éthique rock qui consiste à croquer la vie à pleines incisives mais en privilégiant uniquement les  meilleurs morceaux. N’est-ce pas normal que Kr(tnt ! qui vous propose chaque semaine les aventures de l’Avenir du Rock dans le désert d’Egypte se penchât aussi sur ces commandos du rock décédé, un titre d’autant plus énigmatique que si l’on en croit nos oreilles le cadavre en pleine forme s’agite beaucoup pour un moribond. 

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    Go get some : choc de zinc dézinguant, z’en remettent une couche et c’est parti pour le rock’n’roll, le vocal qui klaxonne comme une trompe pour vous avertir que l’avalanche déboule sur vous, trop tard vous êtes déjà enseveli dans les neiges éternelles, une guitare non décarbonée signale l’endroit de votre passage, de l’autre côté de la montagne noire. N’ayez crainte seulement une métaphore afin de vous inculquer la rudesse de l’art tonitruant de vivre rock’n’roll. Pas difficile vous cherchez à crever la gueule ouverte mais vous recracher les pépins de la mort pour ceux qui les ramasseront et s’en nourriront. Codicille de dernière importance : ou le rock ou le néant. La vie appartient aux excités. Soma : nouvelle somation. Vous la lancent à la balle dum-dum.  Très agréable, musicalement parlant si vous aimez le rentre-dedans, délectable aussi si vous suivez les conseils, pardon les ordres. Un combat au corps à corps, jouissance sexuelle tous azimuts, une guitare qui hennit de plaisir et le reste e la bande qui enfonce le clou dans les cercueils de chair. Dead Rock

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    Commandos : vous avez une vidéo pour vous aider à comprendre, le printemps qui s’éveille, la nature presque frémissante, déboulent en courant, tous habillés de noir, un moment pour comprendre qu’ils sont poursuivis, qu’ils sont vont être rattrapés, on se saisit d’eux, on leur recouvre la tête d’un voile blanc, sont emmenés sur les lieux de leur exécution, brutalement on les libère et on les place derrière leurs instruments, morale de l’Histoire, il y a commandos et commandos, les uns détruisent la planète et lobotomisent les populations et les autres se servent de leur musique pour se défendre et survivre. Riffs noirs et sombres à grandes enjambées vous assomment, eux aussi sont des commandos, les commandos du rock. Ceux qui cherchent à tuer le rock, ceux qui se battent pour qu’il survive. Le texte est beaucoup plus politique qu’il n’y paraît. One million broken promises : pompent plus vite et plus énergiquement que les shadocks, normal ce sont des shadrock, n’en profitent pas pour rejeter la faute exclusive sur le reste du monde, reconnaissent leurs torts, ils boivent, ils se droguent, reconnaissent qu’ils ont peur, qu’ils se dépatouillent mal, parce l’ombre de la mort les terrorise et que l’on meurt toujours seul. Rarement entendu une si grande probité intellectuelle chez les groupes heavy et metalleux. En plus ils vous l’assènent sans ambages et surtout sans repentir ni fausse honte.

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    Children of the sun : la vidéo vous évitera de croire qu’après une crise mystique subite le groupe se soit converti à l’idéologie hippie. Musique franche et directe assénée à pleines bouches, à pleins instruments, vidéo superbement mise en scène, toute simple mais pétillante d’intelligence, rock bien sûr mais avant tout une superbe pantomime des relations humaines, une traduction de cette complicité entre les individus qui les relie tels qu’ils sont avec toutes leurs différences. Les petites ironies de la vie, pour reprendre un titre de Thomas Hardy. Suffit de ne pas croire en la petite fleur bleue. Back to dirt : face B. Une lettre de bienvenue à un nouveau-né, elle n’est pas rédigée par Madame de Sévigné, la batterie vous met les points sur les i, la basse froisse le papier, le vocal bien fort pour que l’on n’ait pas besoin de le lui répéter quand il aura grandi, la guitare lui scie les planches pour son futur concert, on ne lui cache rien au petitou, il sort du trou de sa mère, il finira dans un trou de la terre, pour le reste débrouille-toi comme tu veux, un conseil fais-toi tout petit, et essaie de vivre jusqu’au jour de ta mort. Tu y passeras comme nous tous. Une tendresse en fer forgé. Keystone : une seule clef de voûte pour tenir une vie à peu près droite : le rock’n’roll. Qui balance pas mal avec des appuyés au forceps. Parce que t’es rock, t’en prends plein la gueule, tu t’en fous tu as toujours un temps d’avance sur les autres, mais surtout sur toi-même. C’est ainsi que je ne suis plus moi-même puisque je suis devenu moi-même. Me reste encore à apprendre à aimer. Rockaine : une guitare torturée, elle a dû écouter Jimi Hendrix, quel kaos dans sa tête, le moment du doute, tu t’es sorti de l’enfer pour entrer dans un autre, la batterie joue à l’éléphant dans le magasin de porcelaine, la basse repeint les murs en noir, obstination d’un pachyderme dans la toundra glacée qui essaie de trouver en lui-même un pâturage d’herbe fraîche, l’est pas près de brouter tout à son aise. The boogie man plan : mauvais plan. Encore plus violent que le précédent. Fait le point, l’a peur de tout, du quotidien et de l’exceptionnel. Un coup de projecteur sur Dead Rock Commando, encore une fois le groupe se démarque des autres, certes les instrus vous baladent dans un hachis parmentier saignant, vous aurez du mal à reconnaître vos oreilles embringuées dans ce vortex, mais au contraire de tous les groupes, il ne se cache pas derrière les mots, l’a la trouille de lui-même et encore plus des talibans. Talibang, le mot résonne, un défi civilisationnel, la déjante du rock’n’roll  face à la laideur du monothéisme sociétal. The underdog : entrée en fanfare, accueillez le héros, l’outsider que plus personne n’attendait plus, le voici, le voilà, il revient du vingt-quatrième dessous, faut entendre comme la batterie tape des mains, la guitare exulte, la basse monte haut, attention, les acclamations se voilent, l’outsider vous donne sa propre leçon de survie, vivez cachés, faites-vous oublier, rentrer dans un trou de souris, de toutes les manières pour les jeunes générations c’est trop tard. Affirmatif . Cinq sur cinq. Elles ne survivront pas.

             Musicalement, très brut de décoffrage. Du solide. Du résistant. Du béton armé. Peu d’imagination, mais c’est avec des pierres unidimensionnelles que l’on a bâti les pyramides. Question moral, il va descendre plus bas que les talons de vos santiags. Noir de chez noir. Ne vous reste plus rien à vous mettre sous la dent. Ah ! si un vieux trognon de pomme fossilisé. N’espérez rien. Claque rock. C’est que l’on appelle l’énergie du rock’n’roll ! A vous injecter en intraveineuse chaque soir, même dose au petit matin. Vous aurez de quoi opposer au cauchemar qui se profile à l’horizon. Médicamentation rock’n’roll du bon docteur :

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 682 : KR'TNT ! 682 : JOHN CALE / BRIAN JAMES / PETER MEADEN / SWEET INSPIRATIONS / KIM GORDON / BUDDY RED BOW / THE FENDERS / KEN POMEROY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 682

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 03 / 2025

     

    JOHN CALE / BRIAN JAMES

    PETER MEADEN / SWEET INSPIRATIONS

    KIM GORDON / BUDDY RED BOW

    THE FENDERS / KEN POMEROY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 682

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Cale aurifère

     (Part Five)

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                C’était presque rassurant de voir qu’on avait installé une batterie et des amplis au fond de la grande scène. Comme le programme annonçait un «concert tout assis», on s’attendait à un récital de piano bien pépère. Fausse alerte. Restait à savoir si John Cale allait rocker le boat normand comme au bon vieux temps du Sabotage.

             Il fait bien sûr partie de ceux qu’on attend comme on attendait le messie, autrefois, sur les chemins de Palestine. Calimero se paye le luxe de monter sur scène auréolé d’une légende qui s’étale sur soixante ans. Ils ne sont plus très nombreux à pouvoir se payer un tel luxe : Keef, Colin Blunstone, Iggy et lui. Après, t’as la seconde vague : Peter Perrett, Billy Childish, Frank Black, Anton Newcombe. Ils ont encore un peu plus de marge, car ils sont arrivés dix ans après. Calimero n’a plus trop de marge : 82 ans, pour un rocker d’avant-garde, ça ressemble un peu au dernier carat.

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             Et pourtant, il est là. Toujours aussi petit. La voix est intacte. Il est remarquablement bien accompagné, notamment pas cet incroyable guitar singer nommé Dustin Boyer qui là-bas au fond fait la pluie et le beau temps avec la pire des aisances, celle qui t’écœure. Il enrichit considérablement les structures sophistiquées des cuts de Cale, et des mecs comme Boyer, t’en croises pas tous les jours.

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             T’es donc là, assis comme un con à quelques mètres de Calimero. Tu n’as d’yeux que pour lui. Sa tête dépasse du clavier derrière lequel il est assis. Il lit ses textes sur un écran et regarde rarement le public. Tu sais que t’assistes à un concert hors normes, mais tu sombres assez rapidement dans une sorte de confusion. Le plaisir cède très vite au sentiment d’une fin des haricots. Une semaine après Peter Perrett, Calimero sonne le glas d’une époque. Fin de la rigolade. Dépêche-toi de bien les regarder tous les deux, car tu ne les reverras sans doute jamais. T’as même l’impression que toute ta vie va partir avec eux. Bon, tu te rattrapes aux branches, tu vis les secondes de set une par une, tu tends bien l’oreille pour attraper les mots que Calimero prononce encore d’une voix d’Empereur romain, tu l’observes pour fixer son image dans la psyché du temps, mais tu ne perds rien des signes d’affaiblissement de son corps, lorsque par exemple il quitte son clavier pour aller au micro voisin et passer la bandoulière d’une guitare. Il a du mal, c’est compliqué, il doit se faire aider, et tu ne peux pas l’accepter. John Cale n’est pas un pépère : c’est un héros, le bassiste du Velvet. 

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             La fin d’une époque est l’idée contre laquelle on se bat chaque jour de toutes nos forces. Le rock t’a servi de fil rouge toute ta vie, et tu continues de conformer tes pensées et tes actes sur ce modèle. Ça veut dire quoi le rock ? Liberté, pour commencer. Et donc refus catégorique de toute forme d’autorité. Puis plaisir sans entrave. Tous tes héros t’ont servi le rock sur un plateau d’argent. On a connu six décennies de bonheur parfait grâce à ces gens-là. Le rock a même réussi à balayer le souvenir de tes naufrages. Liberté, refus de l’autorité, mais aussi invincibilité. Il ne peut rien t’arriver, puisque tu écoutes du rock. Il ne peut rien arriver non plus à tes amis, puisqu’ils sont rock. Et si par malheur un de tes héros casse sa pipe en bois, tu fais quoi ? Tu pleures ? Non, tu lui dresses un autel de fortune pour célébrer sa mémoire et tu t’aperçois qu’il n’a jamais été aussi vivant. Elvis et Syd Barrett sont toujours parmi nous. On ira même jusqu’à dire qu’ils font partie de nous. Le rock pourrait bien être devenu la seule religion des temps modernes.

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             À leur façon, Peter Perrett et John Cale repoussent eux aussi les frontières. Ils donnent l’exemple. Ils taillent la route. C’est aussi ça le rock, tailler la route. Ils kickent the jams, motherfucker ! Il faut voir John Cale kicker les jams de «Ship Of Fools» ! Il faut voir Peter Perrett rocker «The Beast» ad vitam aeternam ! Ces vieux crabes rockent encore comme des démons ! Avec son weird «Ship Of Fools», Calimero avoisine dangereusement le «Sister Ray», ça riffe dans les brancards, ça flirte avec le wild as fuck - The Ship of Fools is coming in - Calimero gratte ses deux accords et derrière lui, t’as Dustin Boyer qui fait son Sterling Morrison, et qui gratte des riffs en travers, alors là tu bascules dans l’extase, car c’est en plein dans l’esprit du Velvet, mais sans feedback. Cette version de «Ship Of Fool» n’a strictement rien à voir avec la version originale qui se trouve sur Fear.

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             D’ailleurs, pour revenir à des aspects plus techniques, Calimero tape pas mal dans Fear pour ce set. Il claque une version bien sentie du morceau titre, «Fear Is A Man’s Best Friend» et jute avant la fin du set, il ressort aussi le vieux «Barracuda» qu’on aimait pas trop à l’époque, à cause de son côté balloche, mais là, sur scène, ça prend une autre allure, avec un léger côté heavy in tow. Le deuxième cut qu’il gratte sur sa Strato blanche est le «Cable Hogue» tiré d’un autre album Island, Helen Of Troy. Dommage qu’il n’ait pas préféré reprendre «Pablo Picasso». Le seul cut qu’il tire de Mercy est «Moonstruck (Nico’s Song)». Il met aussi son vieux Sabotage à contribution, avec trois cuts : «Captain Hook», fantastique entrée en matière, il en fait de l’avant-rock qui te laisse littéralement sur le cul, rien à voir avec la version originale. Version longue, fabuleusement intrigante, pas de meilleure entrée en matière. Puis il fait une version bien rampante d’un cut pas très connu, «Rosegarden Funeral Of Sores», qu’on trouve en bonus sur la red de Sabotage, et là, crois-le bien, ça rampe sec. Et bien sûr, il tape en rappel la vieille cover ratée d’«Heartbreak Hotel» qui ouvrait le bal de la B sur Slow Dazzle et qui sonnait comme un pétard mouillé. L’idée était bonne, mais ça ne fonctionnait pas. Il est aussi allé piocher «Villa Alabani» dans un album des années 80, Caribbean Sunset. Pas la meilleure époque. Dommage qu’il n’ait pas opté pour ce «Model Beirut Recital» complètement sonné des cloches d’all fall down. On espérait aussi un petit coup d’«Hanky Panky Nowhow» ou d’«Andalucia». Tintin. Zéro Paris 1919

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             Contrairement à ce que font la plupart des artistes, il ne tournait pas pour la promo de son dernier album, Poptical Illusion (il n’en a joué qu’un seul cut, «Davies & Wales»). Il a préféré servir sur son vieux plateau d’argent un panaché rétrospectif d’une carrière extraordinairement riche, l’une des plus riches qui soient, car il a couvert tous les registres avec un souci permanent de qualité avant-gardiste, que ce soit dans l’expérimentation (Mercy) ou dans la pop mélodique (Paris 1919). John Cale n’a jamais vendu son cul. Il a toute sa vie navigué à la pointe de l’intellect, il a toute sa vie veillé à rassurer ses fidèles, cet homme extraordinairement pur n’a jamais trahi sa parole. What’s Welsh for genius ?     

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Le 106. Rouen (76). 25 février 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Au bonheur des Damned

    (Part Four)

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             La dernière fois que Brian James est monté sur scène avec son groupe, les Damned, c’était à l’Apollo de Manchester en 2022, pour deux concerts, les 3 et 5 novembre. On peut voir celui du 3 sur le DVD d’une petite box : AD 2022. Bien pratique pour les ceusses qui n’y étaient pas.

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             Le DVD sur un grand écran, ça passe encore à peu près, c’est moins pire que cette catastrophe de YouTube, mais ça ne vaut quand même pas le groupe en chair et en os. Disons qu’avec un DVD, on se documente, on ne vibre pas. Et avec YouTube, on débande. 

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             Bon, c’est vrai, on n’est pas là pour parler de nos pannes de secteur. On est là pour rendre hommage à Brian James qui vient tout juste de casser sa pipe en bois et qui fut jusqu’au bout de sa vie le fils spirituel de Wayne Kramer. Sans lui, pas de Damned. Sans «New Rose», pas de punk.

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             La petite box AD 2022 est parue l’an passé. Inutile de préciser qu’elle est indispensable à tout fan des Damned. Brian James a dû donner des consignes à la caméra, car elle ne s’approche jamais de lui. Il joue dans son coin, sous son vieux chapeau. On ne voit jamais son visage qui reste dans l’ombre. Il porte une barbe blanche, un gilet, un grand jean flottant et des baskets. Pas question de faire un effort vestimentaire. Il gratte sa vieille SG rouge. Tranquille. Pas de gestes particuliers. Pendant une heure trente, il reste en mode wall of sound/statue de sel. Il doit se demander ce qu’il fout là, cinquante ans après la bataille, à gratter les mêmes vieux poux. Il doit avoir besoin de blé, c’est la seule explication valable. Car refaire les Damned à l’âge de 70 balais, c’est un peu compliqué. Mais ça passe, parce que ce sont les Damned. Ils ont un truc que les autres groupes anglais n’ont pas : l’énergie de Detroit et une petite brochette de hits.

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             Pour ces deux concerts à Manchester, ils ne jouent que les cuts des deux premiers albums, ceux de Brian James, et quelques reprises. D’ailleurs, ils démarrent sur un cut de fin, «I Feel Alright». Brian James ressort toute la vieille riffalama des Stooges. Captain porte une marinière et bombarde sur une Hofner. Assis derrière, le vieux Rat bat son beurre, mais on sent comme un léger ralentissement. Il a l’air tout crouni. Quant à Dave Vanian, il s’est peint les lèvres en noir. Brian James reste planté sur son tapis d’Orient. Seules ses mains bougent. Ils tapent une version d’«Help» que Brian James surjoue comme si c’était un cut du MC5. Il reste fidèle à ses racines. Il lance «Born To Kill» au riffing des enfers, mais on voit bien que le Rat n’a plus de punch.

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             Brian James reste le boss des Damned, son guitar-slinging ressemble à un déluge de feu. Les early Damned sont vraiment un cas unique en Angleterre. Mais leur set-list comporte quand même pas mal de déchets : «Stretcher Case», «I Fall», «Alone», «Fish», «Sick Of Being Sick», «See Her Tonight» ne sont pas beaux. Brian James gratte ses milliards de tiguilis à la Kramer. «Fan Club» sort du lot, avec son riff magique, et t’as cette grosse machine qui se met en route : sans doute l’un des plus beaux cuts des Damned, avec cette fuite sous le vent. Même quand les cuts ne sont pas bons («One Of The Two», «Problem Child»), il y a une dynamique. Et soudain Captain annonce le pot aux roses : «This one is a Lemmy favourite!» Dear ole Lem...» Boum ! «Neat Neat Neat», Captain fonce au dah dah dah dah-dah-doum, train fou dans la nuit, et t’as le solo déluge de feu - I can’t afford a gun at all - Et ça continue avec la démolition de «Stab Your Back». Captain indique qu’ils jouaient déjà ça en 1977 à Manchester avec Marc (Bolan pas l’autre). Ils font un «New Rose» approximatif, pas en place, c’est dur, ils ont perdu la félicité de la fluidité, la véracité de la vélocité. C’est le vieux Rat qui n’est plus bon à rien. Le cut se termine en eau de boudin. Puis ils tapent dans le «Pills» des Dolls, avec un sax qui fait les coups d’harp de David Jo. Brian James fait son Johnny T. Pas de problème. Puis il fait son Brian Jones sur «The Last Time». Sans doute est-ce la dernière fois que Brian James fait son Brian Jones. Ils terminent leur set avec un pur Damned hit, «So Messed Up» - Face is a mess - et le vieux Rat fout le feu à ses cymbales - She hadn’t even got a grain - Alors Dave Vanian détruit la basse Hoffner à coups de pied de micro. Sacré Dave ! Le seul qui ne soit pas pathétique est bien sûr Brian James qui a quitté la scène vite fait.

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             Pour retrouver Brian James, il existe un autre passage obligé : Final Damnation, le concert de reformation des Damned au Town & Country Club en 1988. Il vient tout juste d’être réédité. Ouf ! On avait ça sur VHS, mais pas de lecteur.

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             Pourquoi il faut impérativement voir ce DVD ? Parce qu’on y trouve une interview de Brian James. Il re-raconte toute l’histoire du groupe et ramène une foule de détails. Son narratif est le bon, celui qu’il faut écouter. Puis il en vient aux raisons du split des Damned après le départ du Rat : le groupe est retombé à plat - flat - et ça ne l’intéressait plus. Il ajoute qu’il est arrivé la même chose aux Who après la mort de Moonie : flat ! Comme il n’y avait pas d’animosité entre eux, Brian James et des Damned se voyaient et se parlaient. Quand l’idée d’une reformation est arrivée, Brian James a dit oui - A reunion gig? Sure! Why not? - Et les voilà sur scène tous les quatre comme aux plus beaux jours. Le Rat dit que pour lui c’était like in the old days. Intégrés dans le film du concert, on voit aussi pas mal de bouts d’interviews, notamment Roger Armstong qui affirme que les Damned  «were better musicians than Pistols or Clash.» Pour Carol Clerk, le Rat ne peut pas être autre chose que le drummer des Damned. Et les voilà qui arrivent sur scène : Captain en short, avec un masque de femme de harem sur la gueule et une basse sans mécaniques. Brian James porte un chapeau et un T-shirt Alamo, et Dave Vanian frime un peu avec sa banane, sa mèche blanche et cette longue queue de cheval décorée d’un nœud pap.

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             Brian James gratte sur une Tele et aussitôt après «See Her Tonite», ils lancent l’assaut de «Neat Neat Neat». C’est du pur MC5. Brian James se barre en vrille de Kramer. Ils enchaînent avec «Born To Kill» et ça reste dans le Detroit Sound : incroyable moisson de gimmicks, de chords et d’échappées belles, il vise la permanence de la fournaise, il est le maître à bord et donne aux Damned ses lettres de noblesse. «Fan Club» ! Captain allume sa clope. Il n’existe sur cette terre que deux rois de la fournaise : Brian James et Wayne Kramer. Ron Asheton, c’est autre chose, disons le cran au-dessus. Brian James fournit l’extrême fournaise aux Damned. Il mouline sa purée en continu, avec une gestuelle appropriée. Ils tapent une belle cover d’«Help» et enchaînent avec «New Rose». Ils basculent dans la stoogerie avec «I Feel Alright». On voit bien que Brian James est au paradis. Il fait du Ron à la Kramer. 

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             Fin de la première partie. Brian James sort de scène, il est remplacé par deux petits mecs et les Damned MK II tapent dans Machine Gun Etiquette. On mesure à quel point les Damned MK II ne sont plus du tout le même groupe. Le seul cut qui reste dans l’esprit originel, c’est «Love Song». En fin de deuxième partie, Brian James revient pour «Looking At You». Captain prend le premier solo et Brian James le deuxième. Le Rat fout le feu à ses cymbales. Ils terminent avec la cover du diable : «The Last Time».

             34 ans séparent ces deux concerts. Brian James aura tenu son rang jusqu’au bout. Magnifique incarnation du rock.

    Signé : Cazengler, damné du pion

    Damned. Final Damnation. DVD Fabulous Films Limited 2024

    Damned. AD 2022. DVD EarMusic 2024

     

     

    In Mod We Trust

     - King Meaden touch

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    En remerciement d’un service rendu, Dionysos accorda jadis au roi Midas la pouvoir de transformer tout ce qu’il touchait en or. The Midas Touch. Il se pourrait fort bien que Peter Meaden soit la réincarnation de King Midas. Steve Turner ne s’y est pas trompé, en titrant le book qu’il consacre à Peter Meaden King Mod.

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             Très beau book : King Mod. The Story Of Peter Meaden, The Who, And The Birth Of A British Subculture tient bien en main, belle reliure à l’anglaise, choix typo imparables, richement illustré, toute la paraphernalia des Mods est là, depuis les Who jusqu’aux scoots en passant par Major Lance, Guy Stevens, Jimmy James & The Vagabonds et Phil The Greek. Mise en page exemplaire, avec à la coupe de généreuses cheminées dans lesquelles glissent les textes des légendes. Tout s’aère fantastiquement. L’éditeur est un crack. Petite cerise sur le gâtö : t’as un avant-propos d’Andrew Loog Oldham.

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             Le Loog et King Meaden se connaissaient, puisqu’ils ont bossé un peu ensemble, avant de se lancer tous les deux dans les carrières que l’on sait : le Loog va lancer les Rolling Stones et King Meaden va lancer les Who. Pour le Loog, King Meaden connut d’une certaine façon le même destin que Brian Jones. Rise and fall. Brian Jones casse sa pipe en bois à l’âge de 27 ans et King Meaden à l’âge de 37 ans. Le Loog reconnaît qu’à l’époque il y avait dans l’empire naissant des Rolling Stones un petit côté Sa Majesté des Mouches, avec un côté «no mercy», dont Brian Jones fit les frais. C’est Peter Meaden qui a initié le Loog à l’«American Clobber» de The Scene Club.

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             King Meaden n’est pas n’importe qui. Il tente de bosser pour Brian Epstein, mais, se marre Turner, «Epstein qui était gay trouva Peter trop flamboyant à son goût.» Il y aura une petite brouille entre le Loog et King Meaden. Ils s’habillaient de la même manière - trying to outsmart each other - King Meaden tente d’imiter le Loog, nous dit Philip Townshend, «but one was a genius and the other wasn’t.» Et chacun part de son côté. Norman Jopling compare le Loog - Andrew was cool, sharp, very bright, very aware - à King Meaden, son aîné de deux ans - more artistic, a bit mad, a bit brillant, always flailing around - Et quand Meaden «was on», ajoute-t-il, «no-one could touch him.»

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             King Mod est essentiellement un Mod book. Un book de référence sur la Mod culture. Turner fouille dans les racines et exhume un article du Daily Mirror daté de 1958, titrant : ‘Are you a Trad or a Mod?’. Ça cause déjà de cheveux courts et de mohair suits. Puis un article du Guardian daté de 1960 évoque l’émergence des modernists, des jeunes gens qui dansent et qui s’habillent chez des tailleurs. Bowie - que cite King Meaden - indique que le look Mod «came out of the French fashions.» Les autres points clés de la Mod culture sont The Scene Club de Ronan O’Rahily, au 41 Great Windmill Street, Soho, et les amphètes, essentiellement le Drinamyl, qui permet de tenir du vendredi soir au dimanche sans dormir.

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             Première DJ du Scene Club : Sandra Blackstone, puis ce sera Guy Stevens, qui est alors un collectionneur de 45 tours américains. C’est King Meaden qui va transformer The Scene Club en Mod club. Il va créer la Mod craze originelle. Et voilà qu’arrivent les Mod words : la majorité des Mods sont des ‘tickets’, les purs et durs sont des ‘numbers’ et les cracks sont les ‘faces’. D’où les High Numbers, le nom que choisit King Meaden pour les Detours qui vont devenir ensuite les Who. Dans l’esprit de King Meaden, Townshend, Moonie, The Ox et Daltrey sont des «numbers who liked to be high», high on drugs, high on Drinamyl, bien sûr. Mine de rien, c’est toute la dynamique d’une culture que King Meaden met en route à travers les Who. Il n’en finit plus de faire l’apologie de ce mode de vie Mod, tout au long de l’interview qui est le cœur battant du book - The most amazing sort of life you could imagine ! - Pour lui, c’est la plus belle des vies, the finest, les trois jours sans dormir, the Scene Club. King Meaden évoque les années 1964 à 1967, il évoque les 250 000 Mods d’Angleterre, puis Jimmy James & The Vagabonds, «a purist mod band», et les Who qui sont devenus «the focus of mods». Il compare les 250 000 revolutionary kids aux combattants du Vietcong, et là, ça devient très fort.

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             King Meaden explique encore qu’il a sapé les Who, «boxing boots and fashionable  things», t’as des photos des Who qui prouvent qu’ils sont le plus anglais des groupes anglais. Il rappelle aussi que Moonie était un fan des Beach Boys, Daltrey «a straightforward rocker», The Ox «a serious musical student» et Townshend «an art student» parfaitement au courant des tendances de l’époque. King Meaden les emmène chez Guy Stevens qui leur fait découvrir Link Wray, James Brown et des tas de singles Motown, Stax & Sue. Il leur fait même un compile de deux heures sur une K7. King Meaden s’intéresse au moindre détail des futurs Who : leurs coupes de cheveux, leurs pompes, les paroles de leurs chansons. Turner a raison de dire que King Meaden voit les choses exactement de la même façon que les verra dix ans plus tard McLaren : il ne voit pas seulement un groupe, mais un mouvement. Il y a un parallèle évident entre les histoires des Who et des Pistols : sortis de nulle part, gros son, grands cuts et grands looks. Modernité, originalité et immédiateté. En 1964, les High Numbers jouent au Scene Club devant leur public Mod. Ils tapent des covers de Tommy Tucker («Long Tall Shorty»), des Miracles («I Gotta Dance To Keep From Crying») et le «Pretty Thing» de Bo Diddley. Turner livre là de fabuleuses informations - The groups that you loved when you were a mod were the Who - Boom «My Generation» ! - That’s how the song «My Generation» happened, because of the mods - Eh oui, on les voit danser les Mods sur «My Generation» dans Quadrophenia. Ça ne fait pas un pli. T’as l’impression de vivre un moment historique.

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    ( Keith Moon - Kit Lambert )

             Puis King Meaden va se faire évincer. Kit Lambert et Chris Stamp vont reprendre le management des Who et dédommager symboliquement King Meaden qui les a lancés. Lambert propose aux Who un «lucrative deal», alors c’est dans la poche. King Meaden ne fait pas le poids face à ces deux forces de la nature que sont Lambert & Stamp. C’est Daltrey qui annonce la couleur à King Meaden, lui disant qu’ils vont être payés 20 £ par semaine, «plus our cars». Il n’y a rien d’autre à ajouter : King Meaden n’a pas les moyens de suivre. Lambert l’invite au resto et lui propose 500 £ pour le dédommager. King Meaden qui est un gentil mec accepte et dit merci. Il va compenser avec Jimmy James. De toute façon, The Scene Club ferme en 1966, et en 1967, King Meaden passe à Captain Beefheart et à l’acide. Vers la fin du book, King Meaden conclut ainsi le tragique chapitre des Who : «I think Pete is the greatest mod of all time. And myself.»

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             King Meaden va ensuite perdre Jimmy James & The Vagabonds. Plusieurs raisons sont évoquées. Il semble que la plus plausible soit celle du comptable qui a récupéré le management du groupe. En 1967, King Meaden flashe sur la pochette de Safe As Milk qui trône dans la vitrine d’un disquaire de South Moulton Street. Il écoute ça et découvre un «brother in madness». C’est la période où il essaye de «développer des talents», notamment le duo Dave Brock/Mick Slattery qui vont devenir Hawkwind. King Meaden leur fait écouter Captain Beefheart et fout de l’acide dans leurs tasses de thé. Brock dira à Carol Clerck qu’il fut enchanté de ce trip. Puis King Meaden emmène Brock et Slattery en studio enregistrer une cover de l’«Electricity» de Captain Beefheart. Il va aussi tenter de lancer la carrière de l’immense Donnie Elbert en Angleterre. Mais rien ne sort de tout ça.

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             King Meaden cite à la volée des hits de Northern Soul, l’«Ain’t Love Good Ain’t Love Proud» de Tony Clarke, le «Daddy Rolling Stone» de Derek Martin, Major Lance, Curtis Mayfield & The Impressions. Turner ajoute à cette liste le «Let’s Go Baby (Where The Action Is)» de Robert Parker et «The In Crowd» de Dobie Gray.

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             King Meaden fait aussi l’apologie de la volition, c’est-à-dire la volonté, ou le drive - This is what speed gives you and this is what the mods are all about - C’est presque intraduisible. Le mot français le plus appropriée est sans doute ‘énergie’. D’où l’image de la Mod craze. C’est intimement lié au speed, le fameux Drinamyl prescrit par les médecins pour soigner la dépression, ces cachets triangulaires qu’on appelle aussi Purple Hearts ou Frenchies. «A functional drug», qu’il découvre en 1962. Il n’en est pas à son coup d’essai : il teste la Benzedrine après avoir lu Kerouac. Il reste infiniment littéraire, comme l’est Robert Palmer dans sa relation à l’hero, via William Burroughs. Quand on testait le laudanum, c’était bien sûr en référence à Artaud. Et ainsi de suite. King Meaden ajoute que le Drinamyl a disparu et que son toubib lui prescrit de la Dexidrine. Il revient inlassablement sur le kick du speed, qu’il image - It’s like the kick-start on a motorcycle - et revient encore au «move forward», au «keep moving forward, and that’s what the mod thing is.» Avoir ces cachets dans la poche de son Tonik : «You have paradise on hand». C’est King Meaden qui branche Townshend sur le Drynamil et en échange, Townshend le branche sur l’acide en 1967. King Meaden entre fabuleusement bien dans les détails, et on sait que le soin du détail est le cœur de la Mod culture. 

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             T’es Mod, alors tu danses. Tu ne dragues pas. King Meaden insiste beaucoup là-dessus - Free from libido, from sexual drives - T’es là juste pour avoir du bon temps. Pas de compétition. Il débouche sur la notion de liberté. Ne dépendre de personne. Mod pour lui c’est la liberté, «real free living».

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             Il descend au Scene Club avec son ami Brian Jones. Il insiste encore sur le purisme des Mods, «very private» et paf, il te sort la formule magique : «As I say, modism, mod living, is an aphorism for clean living under difficult circumstances.» Pour lui, tout ce qui comptait était de passer du bon temps, «just having a good time with your own drug which would keep you up.» Et paf, au détour d’une page, il t’apprend qu’il a vécu un temps avec Mick & Keef «in Mapesbury Road, in South West Hampstead».

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             Vers la fin du book, David Bowie dit un truc fondamental, qui éclaire bien tout le propos de King Meaden : «Non seulement j’ai été le premier dans le monde à reprendre une chanson du Velvet, mais je l’ai fait aussi avant que l’album du Velvet ne sorte. Now that’s the essence of Mod.» Jean-Yves qui était fasciné par la Mod culture expliquait que les Mods anglais étaient précurseurs en tout. Turner dit qu’un Mod est «at the cutting edge of the youth fashion», mais connaît aussi «all the hottest records, clubs, coffee bars, boutiques, trends and parties.» C’est génialement bien résumé.

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             King Meaden revient dans le cercle des Who en 1978 lorsqu’il bosse pour leur manager Bill Curbishley. Et paf, il tombe en plein dans la préparation du tournage de Quadrophenia, et bien sûr, il s’identifie pleinement au personnage de Jimmy qu’incarne Phil Daniels. Il va filer un sacré coup de main au réalisateur Franc Roddam. S’il en est un qui peut documenter la Mod culture, c’est bien King Meaden ! 

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             Le dernier gros coup de King Meaden sera le Steve Gibbons Band. Pour l’aider à se remettre du choc d’avoir été dépossédé des Who, les Who lui filent un coup de main, via leur structure Trinifold, pour manager financièrement le Steve Gibbons Band. Comme Gibbons est encore sous contrat avec Tony Secunda, Bill Curbishley rachète le contrat de Gibbons pour l’offrir à King Meaden. Musicalement, Gibbons va plus sur Chucky Chuckah que sur la Mod craze, mais c’est pas grave, puisque King Meaden a flashé sur lui. En 1977, Gibbons aura un hit avec une cover de «Tulane». King Meaden fait intervenir son ami Kenny Laguna (futur manager de Joan Jett) sur l’album Rollin’ On.

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             Comme on le craignait, le Rollin’ On du Steve Gibbons Band n’est pas l’album du siècle, même produit pas Kenny Laguna. C’est donc un son très américain, mais d’une banalité sans nom. Aucun espoir. Gibbons tape un country rock affreusement toc. Il se prend pour les Eagles. Au bout du balda tu croises le fameux «Tulane», mais t’en feras pas tes choux gras. En B, il tape une power pop à la mode californienne avec «Please Don’t Say Goodbye», bien éclairée par un big soloing à la mode US. Comme il y a deux lead guitaristes, Dave Carrol et Bob Wilson, tu ne sais pas lequel joue. Te voilà bien avancé.

             Puis King Meaden se fout en l’air. Six mois plus tard, Moonie casse sa pipe en bois suite à une overdose. 

    Signé : Cazengler, Peter Mitaine

    Steve Turner. King Mod. The Story Of Peter Meaden, The Who, And The Birth Of A British Subculture. Red Planet Book 2024

    Steve Gibbons Band. Rollin’ On. Polydor 1977

     

    Inside the goldmine

     - Sweet au prochain numéro

             Pour trouver Baby Sweet, il fallait aller jusqu’à Stalingrad et enfourner la rue du Chaudron, se glisser furtivement sous un porche avachi et grimper deux étages de marches vaincues par le temps. Tout dans cet endroit indiquait le plus absolu des renoncements : marches, murs, odeur, lumière. Drrring ! Elle ouvrit sa porte dès le premier coup de sonnette.

             — Bonjour cher ami !, lâcha-t-elle d’un ton enjoué.

             — Dear Baby Sweet, la gaieté de votre accueil me console des peines infligées par vos deux étages !

             Elle avait le physique très guilleret des petites femmes de Paris, telles qu’on se les représentait dans les années cinquante : corpulence plutôt fluette, taille de guêpe, visage poupon et bien rond, coiffure artificiellement frisée de cheveux châtain coupés courts, lunettes classiques à fines montures métalliques, tout cela enrobé d’une gouaille de type Arletty. Elle portait un chemisier noir négligemment passé dans un pantalon de flanelle noire. Nous prîmes place dans la banquette un peu défoncée du salon. L’appartement paraissait lui aussi avoir renoncé à tout, surtout au ménage. Il se trouvait dans un état de délabrement peu banal : la moquette élimée fourmillait de miettes. Cette nonchalance ménagère cachait peut-être quelque chose d’intéressant. L’explication ne tarda pas à se manifester en la personne d’un chat. Monsieur Mistigri sortit de la pièce voisine et vint renifler les jambes du visiteur. Baby Sweet semblait passionnée par son chat. Elle en décrivit dans le détail le tempérament et les manies, les sautes d’humeur et l’antériorité, les coupures d’appétit et les tentatives de fugue. Monsieur Mistigri ne se nourrissait que de biscuits et de friandises. D’où les miettes. Profitant d’une faille dans le soliloque, il glissa une requête :

             — Que pourrait-on boire pour agrémenter cette charmante conversation ?

             Prise au dépourvu, Baby Sweet s’excusa platement d’avoir manqué à ses devoirs d’hôtesse et proposa au choix de l’eau minérale ou du thé. Alors qu’elle préparait le thé dans la cuisine, il dut se résoudre à mettre les bouts. Pas question pour lui d’explorer les voies impénétrables de Baby Sweet, c’est-à-dire ses métiers, ses ex, ses goûts culturels et, pire encore, ses goûts sexuels, et d’y mélanger les siens, qui ne lui inspiraient que de la honte. 

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             On peut espérer que les Sweet Inspirations faisaient le ménage chez elles. Et qu’elles ont rencontré des mecs plus intéressants que celui cité plus haut. Elles furent longtemps les protégées de Jerry Wexler, puis d’Elvis, à Las Vegas. Elvis avait même réussi à les imposer au Colonel qui ne voulait que des blancs sur scène. Ah ce fucking Colonel !

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             Le premier album des Sweet Inspirations est un bel Atlantic sans titre de 1967. Belle pochette, les chicks te foutent bien l’eau à la bouche. Oh les cuisses, oh les cuisses, elles me rendront marteau ! T’as Cissy impératrice, Myrna Smith, Sylvia Shemwell et Estelle Brown. Tu veux jerker, baby alors tiens, voilà leur vision de «Knock On Wood», elles te gospellisent le Knock au softy du smooth, avec un fabuleux angle d’attaque. Le Kock te fond dans la main. Elles tapent aussi le «Don’t Fight It» de Wilson Pickett, elles sont magnifiques de get up, et d’here you sit yeah !, elles en font un real deal. Cissy remonte encore les bretelles du cut à coups d’I like the way you move et les chœurs de feel it t’explosent littéralement sous le nez. Elles tapent aussi dans Burt en B avec «Reach Out For Me», ce n’est pas le meilleur Burt mais elles te le groovent à merveille. Ça fait boom car la puissance interprétative s’ajoute à la puissance compositale et elles envoient Burt valdinguer par-dessus les toits. Pur Black Power de pouliches offertes ! Elles tapent aussi le «Don’t Let Me Lose This Dream» d’Aretha, elles n’ont aucun problème pour aller gueuler au sommet de l’Ararat d’Aretha. En B, elles tapent le «Sweet Inspiration» de Dan Penn à la clameur de gospel. Il faut les voir monter le Penn en neige. C’est quelque chose, d’autant que c’est produit par Tom Dowd et Tommy Cogbill. Elles tapent aussi l’«I’m Blue» d’Ike au choobeedoo beedoobeedoo, c’est fin et farci de feel à la patte du caméléon. Elles terminent avec «Why (Am I Treated So Bad)», un slow groove de Pops Staple. C’est une plongée dans le deepy deep de la Soul, la pire de toutes, celle des champs de coton. La Soul n’a jamais aussi bien porté son nom. Elles en font leur terrain d’excellence. Bravo les filles !

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             Cissy impératrice reprend son vrai nom (Drinkard) pour Songs Of Faith & Inspiration. C’est le bon gros gospel d’Atlantic. Dès «What A Friend», Cissy t’explose vite fait le gospel, le ciel, l’église en bois, boom ! Elle est la plus puissante du monde. «I Shall Know Him» est encore du pur gospel batch. Cissy impératrice s’échappe dans le ciel. C’est Myrna Smith qui prend «Swing Low», elle n’a pas du tout la même voix, elle est beaucoup plus veloutée. Les quatre Sweet sont d’extraordinaires solistes, comme on le voit ensuite avec Sylvia Shemwell et «Guide Me». Accent plus mûr, un peu fêlé. En B, c’est au tour d’Estelle Brown de charger la barcasse sur «He’ll Fight». Cissy revient avec «Without A Doubt», elle est beaucoup plus directive, elle pèse de tout son poids, elle expurge le gospel de tous ses péchés. On la voit ensuite chauffer son «23rd Psalm» à la folie. Ah, il faut l’entendre screamer dans le round final ! Et puis t’as Estelle Brown qui revient swinguer «Down By The River Side» avec un tambourin. Wild as gospel fuck !      

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                  Elles attaquent What The World Needs Now Is Love avec deux covers de Burt, «Alfie» et le morceau titre. Mais ça ne marche pas, elles chantent trop à la force du poignet, Burt est trop fin pour une femme à poigne comme Cissy. Dommage. Elles prennent le morceau titre à la voix perchée et ça foire lamentablement. Cissy n’est pas assez sexy pour Burt. Elles s’en tirent mieux avec le «Watch The One Who Brings You The News» de Don Covay. Il faut dire de Tom Dowd veille au grain. Elles font un numéro de haute voltige avec «Am I Ever Gonna See My Baby Again», monté sur un bassmatic en escalier et des nappes de violons au fond du son. On ne sait hélas pas qui joue le bassmatic. C’est en B que tu trouves leur fantastique version de «Walk In My Shoes». Pur Black Power ! Le wild r’n’b est leur vrai fonds de commerce. Ce que vient confirmer «I Could Leave You Alone», un r’n’b fabuleusement chaloupé, quasi gospel. Soul éternelle encore avec «You really Don’t Mean It». Ah comme elles sont bonnes pour le rumble ! Voilà un album qu’il faut bien qualifier de passionnant.    

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              Deux petites merveilles sur Sweet For My Sweet : «Get A Little Order» que Cissy mène au poumon d’acier, et «Crying In The Rain», un hit signé Carole King. David Hood se retrouve au devant du mix avec son bassmatic. Bien joué, Hoody boy ! Sa basse pouette savamment. Encore de la fantastique allure avec l’«Always David» d’Eddie Hinton, my yoyo hero/ I love you ! Elles sont irréprochables, de toute façon. Elles font aussi de la petite pop de Brill avec l’«It’s Not Easy» de Barry Mann & Cynthia Weil, et en B, tu vas retrouver le morceau titre signé Doc Pomus/Mort Shuman qui a donné «Biche O Ma Biche» en français. Là il faut remonter au temps de Salut Les Copains et de Frank Alamo. Disons qu’il s’agit d’un album classique, à l’image du «Don’t Go» d’Ashford & Simpson : Soul très chantée, très composée, très orchestrée, très Atlantic. 

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             En dépit de sa belle pochette Soul, Sweet Sweet Soul n’est pas le meilleur album des Sweet. Elles ont quitté Muscle Shoals pour aller enregistrer chez Gamble & Huff. On devra se contenter de «Shut Up». Elles s’y montrent explosives. Elles y font de l’Aretha avec la même niaque fondamentale, mais en mode Philly Soul. On se régale bien sûr du «Give My Love To Somebody» qui suit, car c’est un groove fabuleux de délicatesse, bien coulé dans le moove du Somebody. Là on est au cœur de la Philly Soul, une Soul beaucoup plus racée. Encore de la Soul sophistiquée avec «Two Can Play The Game», Cissy chante ça dans le haut du panier, à l’écarlate. Comme «(Gotta Fiind) A Brand New Lover» est signé Gamble & Huff, on s’incline devant cette incroyable sophistication, tout est joué au délié prémonitoire. Et puis en B, Gamble & Huff récidivent avec «Them Boys» une belle tranche de Soul secouée aux percus, encore du très grand art de look out for them boys. Elles sont magnifiques de docilité.  

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             Plus de Cissy impératrice sur Estelle, Myrna & Sylvia, un bon vieux Stax de 1973. Mais attention, toutes les compos sont signées David Porter/Ronnie Williams, gage de qualité et de sophistication. C’est une Soul très ambitieuse, solidement orchestrée, presque jazzée. «Wishes & Dishes» est un slowah superbe et sculptural. On entend de la belle harangue de Black Power dans «Slipped & Tripped», bien axée sur l’Aretha, et du joli swing de Stax dans «Pity Yourself». Robert Thomas gratte ça à la clairette. Cette Soul vise résolument l’aventure intellectuelle. Ray Griffin signe le bassmatic bien rond d’«All It Takes Is You & Me». En B, «Emergency» s’en va groover sous le boisseau de Porter, un boisseau d’or fin. Elles vont chercher des harmonies vocales troublantes. Porter sait travailler l’esprit d’une Soul audacieuse et d’une éclatante modernité. Il fait aussi de «Call Me When When All Else Fails» une merveille contemplative, montée sur le dos rond de Ray Griffin. Et puis avec «The Whole World Is Out», t’as encore une mélodie chant qui ne tient qu’à un fil, mais quel fil ! Les Sweet sont les crackettes de la haute voltige. C’est noyé d’orgue et chanté à la pointe d’une belle petite glotte rose et humide, avec la meilleure bonne volonté du monde. Et quelle prod !       

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             Sur le dernier album des Sweet, Hot Butterfly, ne restent plus que Myrna Smith et Sylvia Shemwell. Estelle est partie. Elles proposent un diskö-funk urbain et maintiennent un bon niveau de blackitude. Le morceau titre est assez beau, tenu par le chant impeccable de Sylvia. On retrouve Sylvia en B, avec «Love Is On The Way», très beau cut de diskö des jours heureux, et plus loin, Myrna tape dans la good time d’«It’s The Simple Things You Do» et ça lui va comme un gant. C’est un bonheur que de les écouter chanter.

    Signé : Cazengler, Sweet aspirateur

    Sweet Inspirations. Sweet Inspirations. Atlantic 1967   

    Cissy Drinkard & The Sweet Inspirations. Songs Of Faith & Inspiration. Atlantic 1968         

    Sweet Inspirations. What The World Needs Now Is Love. Atlantic 1968     

    Sweet Inspirations. Sweet For My Sweet. Atlantic 1969  

    Sweet Inspirations. Sweet Sweet Soul. Atlantic 1970  

    Sweet Inspirations. Estelle, Myrna & Sylvia. Stax 1973       

    Sweet Inspirations. Hot Butterfly. RSO 1979

     

     

    L’avenir du rock

     - Pour Kim sonne le glas

    (Part Two)

             Si tu souhaites rencontrer des gens intéressants, fais comme l’avenir du rock, va errer dans le désert. Ceux qui croient que le désert est désertique se fourrent le doigt dans l’œil. «Jusqu’au coude», ajouterait l’avenir du rock s’il lui restait un peu d’humour, mais comme il puise dans ses réserves pour continuer d’errer, il se contente du minimum, c’est-à-dire penser avec ses pieds. Un jour, alors qu’il marche vers ce qu’il imagine être l’Est, il voit s’élever devant lui un gigantesque nuage de sable. «Oh une tempête de sable, comme dans Un Taxi Pour Tobrouk !», s’exclame-t-il émerveillé. Hélas, c’est pas ça du tout ! Il s’agit d’une marée humaine. Des millions de guerriers armés de lances, de sabres, de mousquets et de boucliers ! L’avenir du rock se met sur le côté pour les laisser passer et en chope un pour lui demander :

             — Zallez où comme ça ?

             — Zallons faire un cartoon à Khartoum !

             — C’est qui le zig sur la mule avec le turban ?

             — M le Mahdi ! M le Mahdi a dit : «Pas de quartier à Khartoum !»

             Bon. L’avenir du rock ne sait pas quoi répondre, alors il repart vers ce qu’il imagine être l’Est. Quelques semaines plus tard, il revoit s’élever un gigantesque nuage de sable. C’est l’armée d’M le Mahdi qui rentre au bercail. L’avenir du rock se met sur le côté et chope l’un des guerriers pour lui demander :

             — Alors, c’était comment Karthoum ?

             — Karthoum kapout ! Couic les kékés !

             — C’est à qui la tête fichée sur la pique, là-bas ?

             — C’est celle de fucking Gordon Pasha !

             — Pffff, on s’en branle de Gordon Pasha. C’est Kim Gordon qu’y vous faut, les gars.

     

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             En mai dernier, Kim Gordon se produisait au Koko de London town. Elle tournait pour la promo de son No Home Record et Uncut se prosternait jusqu’à terre - Yet such is her allure as art-rock royalty, any appointment with Gordon is well worth keeping - Alors ça, c’est de la formule ! Le mec ajoute qu’elle n’a pas de temps pour le passé - no time for the past - Allez hop, le mec enchaîne aussi sec en passant en revue tous les coups d’éclat de l’art-rock royalty, Glitterbust, Body/Head et bien sûr le book Girl In A Band. À quoi il faut ajouter ses «paintings, video, installation exhibited around the world». Alors maintenant elle challenge l’indie-rock de plus belle et sur scène, les cuts de No Home Record sonnent comme du heavy no-wave grind

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             Et tout ceci s’actualise avec la parution de The Collective, son nouvel album solo. Il ne faut pas perdre de vue que l’art-rock royalty est aujourd’hui une mémère de 70 balais. Tu rapatries l’album vite fait, tu te frottes les mains, et dès «Bye Bye», tu ravales ta bave et tu commences à déchanter. Ah la gueule de l’art-rock royalty ! C’est de l’electro-shit de machine à laver. On perd toute la belle niaque de No Home Record, on perd la gratte et on perd la Kim. Au fil des cuts, elle se traîne dans son electro-shit, ça ne marche pas. Mais alors pas du tout ! Son «I’m A Man» n’est pas celui de Muddy Waters. Elle se noie dans une foutaise d’electro-shit de la pire espèce. On entend enfin une gratte dans «It’s Dark Inside». A-t-elle perdu la raison ? On l’entend un peu chanter, d’une voix de mémère qui s’énerve. On arrive vers la fin de cette merveilleuse arnaque de brouillage électro. Pas de grattes, rien que des machines à coudre de mémère infortunée. Cet album est une injure à sa carrière et à toute sa modernité. C’est foutu. On ne peut plus rien faire pour elle. Même pas l’écouter. Elle finit à la hâte avec «Dream Dollar», le seul écho de New York City sludge.

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             C’est d’autant plus dramatique qu’April Long lui consacre six pages dans Mojo et titre en mode bim bam boom ‘Music Art Revolution’, avec un gros ART en cap blanches d’Helvetica extra-bold. Ah tu parles ! La gueule de la Music Art Revolution ! On dirait que l’April n’a pas écouté The Collective, car elle ose dire qu’avec ça, la Kim «repousse ses frontières créatives to the limit.» Ah la gueule des limits ! C’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de s’offusquer, alors on en profite. Car avec The Collective, elle revient exactement à l’endroit où Sonic Youth a commencé à se foutre de la gueule des gens. Si tu veux faire de l’expérimental, cocote, commence par t’appeler Yannis Xenakis. Après on verra. Mais comme la mémère nous a bluffé avec No Home Record, alors on lit les six pages.

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             Mémère Kim emmène la Mojote en pélerinage dans les rues de New York. C’est un bon angle d’attaque. Ça commence par le 84 Eldridge Street, in downtown Manhattan, où le couple Moore/Gordon a vécu de 1980 à 1990. À deux pas du CBGB, comme par hasard. Alors elle commence à papoter, évoque les smartphones et le son qu’elle recherche, «making things as fucked-up as possible», elle revient au dirty distorded sound dans lequel elle a évolué avec Sonic Youth pour tenter d’en repousser encore les limites, elle dit aimer pousser le bouchon, «she loves to be pushed, challenged, questioned.» C’est là où ça devient intéressant : ça a marché avec No Home Record, pas avec The Collective. Cette pomme de terre d’April Long ose dire que les cuts on The Collective «are three dimensional soundscapes», avec des bruits qui se grattent les uns les autres, et la chute n’en est que plus lamentable : «En clair, c’est une façon de dire à ceux qui croient qu’on ne peut pas faire un album incendiaire à l’âge de 70 ans qu’ils se foutent le doigt dans l’œil.» Ça confirme ce qu’on soupçonnait : l’April n’a pas écouté l’album. Sinon, elle aurait écrit : «En clair, c’est une façon de dire qu’il vaut mieux éviter de faire un album incendiaire à l’âge de 70 ans.» Finalement, on s’amuse bien à lire cet article. Et puis tu as une autre pomme de terre qui déclare que The Collective pourrait bien être «the next Nirvana or something». Là tu commences à te marrer pour de vrai. La lecture devient palpitante. Tu lis rarement des âneries pareilles. 

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             Puis mémère Kim embraye sur Body/Head. C’est une autre histoire. Cette fois, elle fait équipe avec un certain Bill Nace, qu’elle a rencontré quand elle vivait dans le Massachussetts, après le split de Sonic Youth. Mémère Kim n’avait plus rien à perdre, «just go down in a basement with Bill and just start playing music for music’s sake.» Nace fait de la noise. Nace bat le nave. Trois albums dont le premier s’appelle Coming Apart. Digi underground avec photo bien floue à l’intérieur. La pauvre Kim s’y épuise à vouloir faire de la modernité de carton-pâte. Comme son nom l’indique, «Abstract» est très abstrait. Elle y gratte des poux indignes. C’est le genre d’album qui te met en colère. De cut en cut, tu la vois se complaire dans la cacaphonie. On la sent déterminée à ruiner tous ses efforts. Elle est trop barrée. «Everything Left» se barre tout seul. «Can’t Help You» te réveille en sursaut avec ses belles giclées de poux liquides, délétères et imberbes. Une vraie infection. Puis avec «Aint», elle se prend pour Nico. C’est assez liturgique - I got my boots/ I got arms/ I got my sex/ I got my legs - elle est encore plus barrée qu’on ne l’imagine. Ailleurs sa guitare dissone. C’est à qui va craquer le premier : toi ou elle ? Elle s’amuse avec sa gratte et ça finit par devenir pénible. «Free-form waves of shuddering feedback.» Tu parles ! Kim est ravie de cet experiment qu’elle qualifie de «the most pure thing I do.» Elle dit aussi vouloir secouer la poussière de trente ans de Sonic Youth. En soi, c’est admirable. Mais Coming Apart n’est pas bon. Trop complaisant. Rien à voir avec le supremo No Home Record.

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             Mais la curiosité reprend le dessus et bien sûr, on en écoute un autre, No Waves, un Matador de 2016, avec une titraille écrite à la main. Toujours deux grattes. Et toujours expérimental. Et toujours aussi déprimant. Le troisième s’appelle The

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    Switch, orné d’une belle photo de scène. On voit Kim grattant sa gratte dans le dos et accroupie, comme si elle faisait caca, elle fait son G.G. Allin. Au dos, t’as encore une photo de scène avec Bill Nace au premier plan. On retrouve la volonté affichée d’experiment. Franchement, qui va aller écouter ça ? Ils exagèrent. Ils se croient cultes, alors ils font n’importe quoi. Leur «Dark Room» n’est hélas pas celui des Chrome Cranks. C’est autre chose, du genre grosse arnaque. C’est atrocement inutile.

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             Tu ne vas pas le croire : c’est encore pire avec Glitterbust, un autre side project qu’elle mène avec Alex Knost. On ne sait pas d’où sort ce Knost et on ne veut pas le savoir. Le Glitterbust se présente sous la forme d’un double LP, avec en moyenne un cut par face qui se joue en 45 tours. Pour résumer la chose, disons que c’est l’ambiancier de l’inutile. Encore une arnaque. La mémère est en baisse, et ça rabat bien le caquet de l’avenir du rock. Le seul cut écoutable est l’«Erotic Resume» en B, un brave cut. On lui tape dans le dos, merci mon pote ! Mais en C, ça repart en eau de boudin avec un plaintif mordoré. On se croirait chez Sonic Youth. La pauvre mémère, elle ne sait faire rien d’autre dans la vie. Et tu vas voir la gueule de «Nude Economy» en D, sait-on jamais ? Là, t’attige, Tata. Le rock ? Tintin, Titine ! Belle arnaque d’antho à Toto. Tu l’as dans le baba, Bobo. Tu l’as dans le cherry, Bibi. C’est pas jojo sous le tutu. Tu t’es fait enfler, Floflo.

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             On a déjà épluché trois Free Kitten dans un Part One. Voilà le quatrième, Sentimental Education. Pour mémoire, Free Kitten est le duo que Kim a monté avec Julie Cafritz, l’ex-Pussy Galore. Ça vaut le coup d’écouter cet album flaubertien pour trois raisons, dont la principale s’appelle «Never Gonna Sleep». Elles y drivent bien leur biz de pur jus d’inventivité underground, avec un bassmatic au devant du mix, et un gratté de poux fantômes. Elles exploitent leur mine d’or. La deuxième raison est ce fantastique hommage à Gainsbarre en ouverture de bal : «Teenie Weenie Boppie». C’est d’une délicatesse infinie. J. Mascis y bat un beurre bizarre. S’ensuit une pure énormité new-yorkaise, «Top 40». What a rockalama ! «Bouwerie Boy» est une belle pop-punk de type Sonic Youth qui vaut le déplacement. Avec l’instro long et hypno du morceau titre, elles restent dans l’esprit Sonic Youth, et font du girlish goulish. Puis du weirdy weird avec «Eat Cake». Mais tu croises aussi des cuts complètement paumés, bien largués des amarres. Ça fait partie du jeu d’art-rock royalty. Elles donnent du temps au temps et elles font même du jazz de round midnite avec «Daddy Long Legs»

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             Si tu veux compléter le tour du propriétaire, tu peux aussi aller écouter Naked In Garden Hills d’Harry Crews, un groupe qu’elle a monté en 1990 avec Lydia Lunch (gratte) et Sadie Mae (beurre). Il n’est pas facile à choper mais t’es content de pouvoir l’écouter, surtout pour «Man Hates A Man», jolie slab de trash punk, ça dégringole dans les escaliers de l’hardcore punk, c’est une musicalité du chaos vite avalée par le bassmatic glouton de Kim. Mais diable, comme Lydia chante mal ! Nouveau choc esthétique avec «Gospel Singer» qui n’a rien à voir avec le gospel, puisqu’il s’agit d’un heavy groove allumé par derrière. C’est l’hypno du fracas des armes. On sent chez elles un goût pour le chaos total, comme le montre encore «Knock-Out Artist», un slab de wild New York City shuffle, mais quand Lydia chante, elle fait mal aux oreilles. Dans «Car», elle parle d’une Chevrolet Convertible et le rock reprend la main sur l’experiment. Quel envoi et quel punch ! Modèle absolu d’excelsior parégorique, ça y va au deep into my vein. Elles bouclent leur bouclard avec un «Orphans» stompé dans les règles. Mix d’hard nut rock et de pur chaos.

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             C’est à April Long que reviendra le mot de la fin (provisoire), car elle dit en deux phrases tout ce qu’il faut retenir de Kim Gordon. Un, qu’elle fut the most punk-rock in Sonic Youth, puisque, comme elle le dit si bien elle-même, «I was the only one who knew nothing about music.» Et deux : «She is at heart an explorer. Et sa capacité à faire de la musique d’avant-garde abstraite et expressionniste est aussi flagrante sur The Collective qu’elle le fut sur Bad Moon Rising en 1985.» C’est à Nace que revient l’autre mot de la fin (provisoire) : «She never has given a fuck what people think. She never will.» Alors, tu t’inclines respectueusement, même si The Collective te reste coincé en travers de la gorge.

    Signé : Cazengler, Kim Gourdin

    Free Kitten. Sentimental Education. Wiija Records 1997

    Body/Head. Coming Apart. Matador 2013

    Body/Head. No Waves. Matador 2016

    Body/Head. The Switch. Matador 2018

    Glitterbust. Glitterbust. Burger Records 2016

    Harry Crews. Naked In Garden Hills. Widowspeak Productions 1990

    Kim Gordon. The Collective. Matador 2024

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    Piers Martin : Kim Gordon. Koko London May 2023. Uncut # 303 - August 2023

     

    *

             La piste indienne je l’ai souvent empruntée. C’est facile, il suffit de suivre la moindre des sentes qui s’offre à vous. Whathéca Records. Pas à se tromper, cela sonne indien.  Une chaîne You Tube, pas beaucoup de vidéos présentées.  A peine 68. Uniquement des vieux disques ou des cassettes enregistrés sous forme de vidéos fixes dont les musiciens sont d’origine indienne. De toutes les tribus. Pourtant vous avez l’impression d’être tombé sur un site de country and western, sur les photos davantage de cowboys que d’indiens. Phénomène d’acculturation. Si vous écoutez, déception, ce ne sont pas des chants d’origine tribale ne relevant pas d’enregistrements ethnographiques. Ces artefacts ne se sont pas vendus à des milliers d’exemplaire. Si l’on en croit les commentaires sous les vidéos, certains se souviennent d’avoir enfants entendu tel ou tel disque et manifestent leur joie à le réécouter. Le coup de la madeleine de Proust fonctionne donc chez ces sauvages rouges indiens, l’Homme serait-il une race universelle !

             J’ai hésité les Fenders m’ont séduit, remarquez avec leur galopade d’Apache les Shadows ont dû avoir la cote dans les réserves. Peut-être leur consacrerais-je de ma plus belle plume une kronik d’ici peu. Je ne sais pas pourquoi j’ai flashé sur cette pochette, pas particulièrement originale, très country, mais je savais qu’il fallait se focaliser d’abord sur celui-ci. A première écoute je n’ai pas accroché. Mais si tu ne vas  pas chercher l’aigle, l’aigle ne viendra pas à toi.

    BRB

    BUDDY RED BOW

    (First American / 1980)

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             Surpris par la pochette. Me suis demandé trente secondes et demie ce que pouvaient signifier ces trois lettres, simplement les initiales de Buddy Red Bow ! Sans doute un signe de fierté indienne, revendiquer son nom c’est déjà imprimer son efficience sur le monde.

    Né en 1948, mort en 1993. Il est des dates qui ne trompent personne, même pas la mort. Ce n’est pas qu’un bon indien soit un indien mort. L’est mort jeune. A 44 ans. Hélas l’âge moyen de décès dans les réserves indiennes se situe autour de 52 ans. L’alcoolisme ne les aide guère… Or Buddy Red Bow est décédé d’une cirrhose du foie… Les statistiques sont parfois troublantes…

    Warfield Richard, adopté  par Maize et Stephen Red Bow, Buddy Red Bow a vécu dans la réserve lakota dans le Dakota du Sud. C’est devant la porte de la prison de Pline Ridge que sa mère avait abandonné ce bébé de douze mois… Buddy quitte le lycée à dix-sept ans pour devenir acteur. Tous ceux qui ont vu La Conquête de l’Ouest sorti en 1962 - les fans de Led Zeppelin seront heureux d’apprendre que How the West Wass Won était son titre original – ont donc pu apercevoir BRB dans son premier rôle. Il apparaît aussi dans  Young Blood II en 1990, l’est crédité sous le nom de Chef Buddy Redbow suite au film  Powhow Highway (1989)  dont un des personnages qui lutte pour empêcher la délocalisation de sa tribu et se bat pour tirer sa fille de la drogue se nomme Buddy Red Bow…  Thunderheart (1992) est tourné dans la réserve de Pline Ridge et met en scène l’occupation en 1973 par l’American Indian Movement  de Wounded Knee, lieu d’un terrible massacre en 1890. Il est normal que BRB ait trouvé un rôle à sa mesure dans ce film.

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     Les informations sur BRB, sont rares et peu précises. Il se maria avec Hamilton Barb, ils eurent une fille nommée Stardust. Hamilton quittera Buddy, trop de bruit, trop de monde dans la maison, on boit et on chante toute la nuit… Le couple resta en bon terme, aujourd’hui Stardust travaille aux Veterans Affairs le fait qu’elle s’occupe du Black Hills Health Care System n’est sans doute pas dû au hasard, son père est  revenu du Vietnam souffrant de troubles post-traumatiques mais il a toujours refusé de se faire soigner…

    Stardust raconte son père dont elle est fière. Il a connu de grands noms parmi les Outlaws, Willie Nelson et Waylon Jenning par exemple, mais ses disques n’ont pratiquement été diffusés que sur les radios locales des réserves indiennes… Il n’était jamais invité dans les conventions de disques, y entrait en tant que client et se débrouillait pour exposer ses albums sur  un coin de table… L’a dû batailler fort pour recevoir les aides afin de monter son propre label. Stardust avance une autre explication pour expliquer pourquoi sa carrière n’a jamais décollé, au dernier moment Buddy trouvait le moyen de saboter les routes qui s’ouvraient à lui. D’après elle il avait peur de réussir, de se retrouver pris dans un tourbillon qui l’aurait dépassé, qui l’aurait coupé de ses racines indiennes, il ne désirait pas devenir une star ayant crainte d’avoir à renoncer à ses convictions, à édulcorer son combat pour la défense de son peuple. L’était un artiste considéré comme un activiste indien, aujourd’hui par les temps qui courent, n’en doutons pas, il serait catalogué de terroriste.

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    Indian Reservation : (cette chanson écrite par John D Loudermick a été interprété par Marvin Rainwater en 1959, l’anglais Don Fardon et Paul Revere & The Raiders la rendront célèbre. Tout comme Elvis Presley Marvin Rainwater avait du sang cherokee dans ses veines…)   l’original, tout de même intéressant à écouter,  de Marvin Rainwater a des allures un peu indien de pacotille, pour cette reprise, symboliquement quasi-obligatoire,  BRB a gommé tout arrangement pseudo-folklorique, n’en a pas pour autant recherché une authenticité ethnographique, le timbre de sa voix est très différent, tout en s’en rapprochant, de Presley mais son orchestration mélodramatique n’est pas loin des titres grandiloquents d’Elvis style An American Trilogy, BRB  fait avant tout passer le message, le morceau commence par une sombre évocation de la longue marche des Cherokees et de ce qui s’en suivit, la perte de leur identité et de leur culture, mais DRB étend le sort cruel réservé aux Cherokees à celui de toutes les tribus Lakota, Mohawk, Navajo, à l’ensemble du peuple indien. Sur la fin, la flèche de feu du violon est de toute magnificence. Baby’s gone : les   paroles ne sont pas les mêmes mais le thème et le lent tempo sont identiques au morceau de Conway Twitty. Rappelons que Twitty débuta chez Sun, rockabilly boy à ses débuts, dès les années soixante il se tourne vers le country, sa voix rappelle un peu celle d’ElvisBRB reprochait à son premier opus d’être trop conutry and western, les paroles du gars qui se retrouve seul évoque les scénarios de Mickey Newburry.  Myrna : tout ce qu’il faut pour être heureux, premier amour de dix-sept années une pedal steell angélique, des chœurs dignes du paradis, vous ne trouverez pas mieux, évidemment si vous préférez l’enfer vous n’aurez peut-être pas tout à fait tort. … You’re not tne Only One : la voix de l’homme qui a beaucoup vécu, qui sait qu’il n’est ni meilleur ni pire qu’un autre, la sagesse ne consiste-t-elle pas à se satisfaire de ce qui s’offre trop rarement à vous, de ces instants  trop brefs miraculeusement gagnés sur la tristesse de l’existence   des vaincus de la vie, une belle voix grave pour affirmer que ce n’est pas grave de se contenter de peu.  Une mélodie à faire verser de vraies larmes à un crocodile. Indian Love Song : d’apparence une douce, tendre et paisible chanson d’amour, sur un tempo lent une voix chargée d’émotion, il promet, il assure qu’il reviendra, suffit de comprendre, un guerrier qui part à la guerre pour défendre son peuple… qui attendra verra… Standing Alone : à ne pas écouter, l’intro est un véritable générique de film, mais le héros est seul, certes il tient encore debout mais l’intérieur est effondré, coulent les larmes du violon, enfonce la batterie des pieux dans son cœur, à bout de ressource, n’a même plus une joue à offrir pour recevoir une gifle… qui éprouverait le besoin de lui en donner une d’ailleurs ! Si vous êtes cafardeux avant d’écouter achetez la corde au bout de laquelle vous vous pendrez. Pistolero : j’étais content, j’ai cru que

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     c’était la reprise de Pistolero de Dean Reed, le Red Elvis comme on le surnommait. Rouge non pas parce que dans ses veines circulait du sang indien, pas vraiment un activiste rouge, du moins pas à la manière de Buddy, natif du Colorado, Reed s’installa en Argentine où il était davantage célèbre qu’Elvis. Confronté à la misère des  peuples sud-américains il devint un marxiste convaincu et ne tarda pas à passer de la théorie à la pratique, fit une tournée en URSS, c’est comme cela vers 1965-1966 que j’appris son existence par un article paru dans L’Humanité, journal du Parti Communiste Français, il finit par se fixer en RDA (Allemagne de l’Est) et travailla pour les services secrets de la Stasi… on retrouva son corps en 1986 dans un étang, s’est-il suicidé, serait-ce une vengeance de la CIA ou de la Stasi qui jugeait que sa foi en le Socialisme avait plus que vacillé… bref un artiste de country and western que l’on ne porte aux nues aux USA… Dernier clin d’œil Reed tourna comme BRB  à plusieurs reprises dans des westerns…Me faut maintenant évoquer un autre chanteur, qui correspond davantage aux valeurs traditionnelles américaines, Johnny Cash et son Ring of Fire. Le ‘’ Pistolero’’ de Buddy est orchestré de la même manière, mariachi et trompette. Cash and Bow possèdent tous les deux une voix forte et grave, le timbre  de Cash s’avère plus sombre, normal ce n’est pas le man in red mais le man in black ! L’on sent l’ironie et la désillusion de Buddy, la fatigue de vivre et de poursuivre sa route jusqu’au bout de la piste, pour toute arme il ne possède que ses chansons, à chacun son flingue, à chacun sa solitude. Fifth dream : le cinquième rêve c’est un peu comme le cinquième élément, inatteignable, aux grandes questions la grande musique, les grandes orgues du lyrisme, voix ample et majestueuse assez puissante pour aller tutoyer les anges, l’on flirte un tantinet avec le gospel, n’y a plus qu’à se laisser porter, qu’à se laisser emporter. Grandiose. Just can’t take anymore : retour à la vie profane, la prison de la solitude, l’enfermement dans la privation charnelle, le thème mille fois ressassé du chanteur abandonné à lui-même, confronté à ses propres désirs fantomatiques, qui voudrait rentrer à la maison, bien sûr l’on connaît cette thématique jusque par-dessus les oreilles, mais quand il y a la voix qui vous saisit aux tripes, toute cette tristesse du monde vous tombe dessus et ne vous lâche plus.

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    South Dakota Lady ( Tina’s song) : des chants indiens lointains vite noyés par la sempiternelle orchestration country and western,  mais après la pompeuse amplitude du morceau précédent et le sentiment de tristesse déployée par l’ensemble de l’album l’on est surpris par  l’heureuse vélocité rythmique sur laquelle trotte le chant, l’a beau faire la-la-la Buddy donne l’impression qu’il raconte une histoire, l’on peut se laisser chatouiller agréablement les oreilles si l’on ne suit pas, mais si l’on prête un peu attention on est vite perdu, le texte court si rapidement que l’on ne comprend pas trop le sens du récit débité à toute vitesse, faut comprendre que sous une apparente facilité, n’entend-on pas l’harmonie imitative du galop du cheval au moment exact Buddy vous le dit, nous ne sommes pas  dans une simple histoire d’amour, avec le mari qui se hâte de rentrer chez lui pour retrouver son épouse, nous sommes pris dans le sortilège de l’imaginaire amérindien, qui revient, serait-ce l’Oiseau-Tonnerre, lors de l’essor de la Ghost Dance en 1889 - 1890, les Lakotas  répétaient que l’Oiseau-Tonnerre reviendrait rapportant avec lui les âmes mortes des anciens, que les blancs seraient chassés, que les envahisseurs s’enfuiraient, et que les âmes des anciens entraîneraient les tribus survivantes en un repli de la terre, où la civilisation des bisons renaîtrait pour toujours.  Est-ce pour cela que sur le chemin du retour, dans la chambre du motel où il a fait étape le mari se détourne de la Bible posée sur la table de nuit, il a compris que ce livre ne lui sera d’aucun secours, quant à cette femme qui dans le premier couplet semble attendre son mari, qui est-elle, la Mort, ou une ancienne squaw déjà morte en route pour rejoindre le peuple des vivants, est-ce vraiment une histoire d’amour ou un récit métaphorique pour inciter le peuple indien survivant d’aujourd’hui à retourner à ses racines, à sa culture originelle, ne représente-t-elle pas la terre sacrée des Black Hills qui doit être préservée, pour l’obtention de laquelle les Indiens  d’aujourd’hui doivent retrouver leur fierté, recouvrer leur dignité, enseigner les enfants, refonder le Dakota, terre des Lakotas… Est-ce un rêve, une volonté, un projet, une mauvaise période à passer au plus vite, déjà retentissent les chants indiens, présents dès le début, ils reviennent à la fin, comme pour mettre entre parenthèses un cauchemar qui a trop duré.

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             Certes dans ce premier  album de Buddy Red Bow, l’esprit cowboy et sa culture country and western occupent la plus grande partie du territoire, mais les Indiens étaient là dès le premier morceau et ils sont là encore pour clore l’histoire. Qui ne fait que commencer.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous reviendrons sur Buddy Red Bow mais je n’ai pas pu résister à en savoir plus sur les Fenders. Nous étions chez les Lakotas, nous voici chez les Navajos. Mais avant de parler des Fenders nous attarderons quelques instants sur un autre groupe :

    LUCINDA

    THE MERLETTES

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    Une vidéo sur You Tube, batterie, contrebasse, guitare, violons, derrière une un truc, pardon un truck  jaune, enregistrée en plein-air, la caméra s’attarde de temps en temps dans le ciel… Une petite notule nous apprend que le groupe basé à Albuquerque est inspiré par le Honky Tonk de Merle Haggard.  Quatre filles : Dair Obenshain : fiddle, Laura Leach-Delvin : upright bass, Sharon Eldridge : drums. Je ne m’attarde pas sur l’interprétation : sachez seulement que cette Lucinda qui manque terriblement n’est pas une tendre amie perdue mais un camion si l’on en croit la chanteuse. C’est elle qui nous intéresse, Kristina Jacobsen. Elle mérite le détour. D’abord parce qu’elle est chanteuse et un de ces jours nous écouterons ses disques, mais aussi parce qu’elle a ajouté une corde particulière à sa guitare : elle est anthropologue musicale, bardée des diplômes les plus prestigieux. Le titre de son

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    premier livre paru en 2017 nous fascine : The Sound of Navajo Country Music. Langage and Diné Belonging. Le terme Diné est le mot qui signifie navajo en langue navajo ! Le book a remporté le prix Woody Guthrie. Je me permets de citer les lignes suivantes : ‘’Ses recherches fusionnent les domaines de l'anthropologie culturelle, de l'anthropologie linguistique et de l'ethnomusicologie, avec des spécialisations en musique et langue, anthropologie de la voix, politiques de l'authenticité, indigénéité et appartenance, musique vernaculaire des autochtones d'Amérique du Nord, de Sardaigne et des Appalaches, race et genre musical, récupération de la langue et cultures expressives de la classe ouvrière.’’  Sujet passionnant, sa lecture doit permettre de mieux comprendre l’appropriation, plus ou moins forcée et rendue nécessaire, effectuée par les peuples dominés de la langue et de la culture du peuple dominateur.  Elle a publié plusieurs articles sur les Navajos notamment sur les Chants de la Réserve.

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    Américaine mais pas de sang navajo Kristina Jacobsen d’origine scandinave a été surprise de cette scène country and western Navajo. Comment se fait-il que cette tribu réputée pour avoir au mieux préservé sa culture originelle goûte particulièrement cette musique. Encore plus stupéfaite de la renommée de Wailon Jennings, il n’est pas rare de trouver des navajos prénommés Wailon !  Elle a enquêté, d’abord elle s’est aperçue que dès les années soixante les navajos appréciaient ce genre de musique, c’est ainsi qu’elle cite les Fenders comme l’un des meilleurs groupes country des années soixante. Reste à savoir pourquoi ! Certes la musique country véhicule des valeurs traditionnelles partagée par toute la culture indienne : l’amour et son corollaire la solitude, la famille, la nature… mais les navajos se sentent aussi un peu cowboys, non pas parce qu’ils auraient adoré les westerns mais pour une raison ethnographique culturelle : le peuple navajo qui a été forcé de se rendre dans sa réserve de l’Arizona, encore une longue marche, vivait dans les plaines du sud-ouest de l’Amérique, il pratiquait la chasse et l’élevage… Dans leur nouvelle ‘’patrie’’ ils ont certes préservé du mieux possible leur identité mais en gardant une nostalgie plus ou moins consciente de leurs jours heureux… Ainsi s’explique cette étrange ferveur envers la musique country… Même si ces dernières années toute une partie de la jeunesse Navajo s’en détache. Musicalement, le rap, le hip hop et le metal exercent une forte influence, les conditions de vie changent, les Navajos ont toujours su s’adapter, notamment en étant très vigilant sur le quantum, la quantité de sang (un quart) que vous devez posséder pour être admis dans la Nation Navajo, d’où des contradictions : avoir du sang navajo ne signifie pas que vous êtes un adepte convaincu de la culture navajo… Ce quantum qui à l’origine était un droit et un devoir d’entraide finit ainsi par être considéré comme un privilège. Qui ne peut que favoriser les sentiments d’exclusion chez les couches les plus précaires, notamment les jeunes, qu’elles accèdent ou pas au quantum… Les sociétés ne restent jamais stables. Elles évoluent, vers le mieux ou vers le pire, les améliorations et les reculs sont aussi ressenties différemment par les individus mais aussi par les classes sociales… les contradictions politiques, culturelles et économiques se chevauchent et se télescopent, avec plus ou moins de violence…

    THE FENDERS

    SECOND TIME ROUND

    (QQ Records / Années Soixante)

    QQ Records fut un petit label basé à Albuquerque dans les années soixante, Si l’on en croit Discogs ne seraient sortis que douze simples et trois 33 Tours parmi lesquels se trouve ce Second Time Round. Le premier simple de QQ r est sorti en 1966, seul un autre single est crédité d’une date de parution (1966). Notre album a dû sortir cette même année. Le terme Second semble indiquer qu’il y eut un premier album. Discogs nous renseigne sur la parution d’un album douze titres The Fenders on Steel. Volume 3 crédité Not on Label  avec date indéterminée. Il y aurait eu un premier album : nommé Introducing The Fenders.

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    Proviennent de la réserve navajo de Window Rock située à plus de deux milles mètres d’altitude et nommée ainsi grâce à un phénomène naturel propre à attirer les touristes, un énorme trou rond dessinée dans une montagne. La localité de trois mille habitants est la capitale de la Nation Navajo.

    Ervin Becenti et Johnny Emerson furent membres des Fenders. Je ne suis  pas sûr de l’identification des autres membres du groupe.

             Lorsque j’ai vu la couve la première fois, trompé par la photo j’ai cru à un groupe instrumental… Erreur de ma part. J’ai repéré sur le Net deux autres titres qui ne sont pas sur  cet album, je poste plus loin la photo en gros plan de la vidéo qui permet de mieux les admirer.

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    Your cheatin heart : difficile de trouver davantage symboliquement country pour un premier titre. Par cotre le son est terriblement sixties, ceux des premiers groupes instrumentaux français par exemple, poussons un cocorico, ils étaient meilleurs, le son de nos Fenders est un tantinet maigrelet. L’est sûr que l’original de Hank Williams n’est pas non plus supersonique toutefois il dégage un tel parfum de bouse rurale que vous ne pouvez que succomber au charme. Les Fenders suivent la ligne sans jamais sortir des rails. Seul le chanteur se permet quelques variations.  It is like more the heaven : une reprise   de Hank Locklin un des piliers durant presque un demi-siècle du Grand Hole Opry. Ont-ils été paralysés par l’ombre impressionnante de Hank Williams toujours est-il que cette reprise leur va comme un ghankt avec cette guitare qui rentre dedans et fait le gros dos, le vocal qui ne lui cède pas un pouce de terrain. Kristina Jacobsen nous avertit les premiers disques de country dimé n’étaient pas mastérisés. Pas pasteurisés non plus, ce son rêche et rustre n’est pas déplaisant. She knows why : prennent de l’assurance à chaque titre, la guitare ronfle et la voix ressemble à un brise-glace qui s’amuse à bousculer les icebergs. Le premier pont musical ressemble davantage à une passerelle branlante, mais on l’oublie dès que l’on pose le pied sur l’autre rive. Wildwood flowers : est-ce qu’ils n’ont pas osé s’attaquer au chant de Maybelle  Carter, doit-on cette version instrumentale à la difficulté de la transcription des paroles, serait-ce de la pudeur indienne, à l’origine c’est une jeune fille qui se donne par dépit à un autre après avoir été séduite par son premier amant. Agréable à écouter, toutefois l’on regrette la version qu’en donnera Johnny Cash. Honky tonk hardwood floor : ne reculent devant rien, après Hank Williams voici Johnny Horton, ce n’est pas la Bérézina mais pas la traversée du Granique par Alexandre non plus, font tout ce qu’ils peuvent, toutefois leur manque le sel hortonien, cet avant-goût prononcé du rock’n’roll. C’est un vieux rocker qui parle, reconnaissons que ce n’est pas mal du tout. All for the love of a girl : encore une reprise d’Horton, une bluette insignifiante, quand le country danse avec la guimauve, nos Fenders suivent le mauvais exemple, mais comme ils n’ont pas de violon à leur disposition, ils ne donnent pas l’impression de pleurnicher dans rideaux de la salle à manger. Font le job, mais l’on devine qu’ils ne vont pas se suicider pour une fille. Un peu de tenue ! Ce sont des guerriers ! I’m walkink the dog : l’on s’en doute ne sont pas inspirés de la version originale de Rufus Thomas que vous préfèrerez si vous êtes un homme de goût ou une lady distinguée, ont écouté la version country de Webb Pierce, mais ils ont dû manger du chien enragé car leur interprétation est nettement moins geignarde que celle de Pierce. Ne s’apitoient pas sur eux-mêmes c’est bien eux qui sont les maître et le chien n’a qu’à obéir.

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    Mule train : original du cowboy en chef numéro : un Frankie Laine, l’immortel auteur de la fantastique chevauchée Rawhide que ce train de mules ne parvient pas à dépasser, sont malins les Fenders s’inspirent de Rawhide, sans l’égaler bien sûr, mais leur interprétation dépasse celle de Frankie. Lui broutent la laine sur le dos. Counterfeit love : décidément ils aiment Johnny Horton, bon il y a Grady Martins à l’accompagnement ça aide à faire passer la pilule surtout que ça prend l’allure d’un slow sixties frétillant, mais ce n’est pas l’Horton que l’on préfère… à la limite cette version des Fenders nous agrée un tantinet, deux voix alternées, une qui nasillarde, l’autre qui entonne à plein poumons, ce n’est pas le Pérou mais l’on s’ennuie moindrement. Don’t let it go : un bel instrumental aux guitares retentissantes, serait-ce le meilleur morceau du disque. Qui dure. Font monter la chantilly jusqu’au plafond. Folsom prison blues : s’enhardissent n’hésite pas à marcher sur les brisées de Johnny Cash, ils s’en tirent bien, très caschien donc ça a du chien, l’on adore. Tout est en place, le vocal et les guitares. Love’s gona live here : crashing test, tiens un morceau de Buck Owens, je me disais c’est étrange l’on n’a pas encore rencontré Waylon Jennings, le voici, pas tout seul, en compagnie de Willie Nelson, vous l’avez aussi avec Johnny Cash, certes l’original est de Buck Owens sorti en 63 ce qui aide à dater ce Second Time Round. Dwight Yoakam, nous l’avons dernièrement rencontré dans notre kronic  de Rock en vrac de Michel Embareck a aussi repris ce morceau, l’était tout comme Buck originaire de Bakersfield, le vocal des Fenders est assez proche de l’original mais les guitares davantage proximales de Johnny Cash. Je vais être franc, ce n’est pas mon morceau de country préféré.

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    One woman man : encore un morceau de Johnny Horton, fut aussi repris par  George Jones (on ne résume pas la vie de George Jones, pour un country boy, il a eu une vie de rocker), ces derniers titres du disque sont les plus réussis, une guitare vraiment country rentre-dedans et un vocal plus que satisfaisant. Take me like I am : quand on a un maître, il faut le tuer, z’ont attendu la dernière piste pour commettre le meurtre du père Horton, une guitare qui fracasse tout, un vocal de guerre par-dessus, peuvent être fiers d’eux. Que voulez-vous de temps en temps les indiens gagnent la bataille !

    Damie Chad.

     

    *

    Impossible de ne pas terminer les deux précédentes kronics sur des artistes indiens par un autre artiste indien, mais actuel celui-ci. J’étais sûr que Western AF m’offrirait une piste à suivre. Le légendaire flair du rocker ne m’a pas trahi, j’avoue cependant que je ne m’attendais pas à tant d’émotion.

    COYOTE

    KEN POMEROY

    (YT / Western AF / 22 Octobre 2024)

             Comment ai-je pu faire l’impasse sur une telle merveille ! Rien que le titre, l’animal mythique des Indiens, un latranide malicieux aux mille ruses certes, toutefois n’oubliez pas que malicieux débute mal.

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            Toute seule, ses longs cheveux, sa guitare. Derrière la futaie sombre, troncs noirs, branches hautes d’un vert sans espérance. La voix, pas du tout mélodieuse, point charmeuse, chaque fois qu’elle l’accentue vous avez l’impression qu’elle vous arrache des lambeaux de chair. Elle vous cloue sur place, vous écoutez. Sans rien comprendre vous sentez qu’elle ne vous dit pas tout, qu’elle garde le plus amer par devers elle, qu’elle ne vous livre que de l’indicible, alors vous vous accrochez aux mots, vous essayez d‘entrer en résonance, de percer le mystère de ce dire qui ne dit pas son nom, quelque chose qui vient de loin, de plus profond. Cette lèvre qui tressaille à peine trahit une plaie ouverte et refermée, résurgente chaque fois qu’elle y pense. Elle y pense toujours. Vous n’avez jamais été aussi près de la solitude d’un être humain. Elle vous enveloppe. C’est sa manière à elle de communiquer. Ne rien donner, tout offrir.

             Illico, c’est la trentième fois que vous écoutez le morceau, vous voulez en savoir plus. Vous cherchez. Sur Bandcamp vous apprenez que son prochain album, sortira au mois de mai. En avance une vidéo du même titre :

    COYOTE

    KEN POMEROY

    (Official Visualizer  /  Ocobre 2024)

             L’est toute gentillette la bébête, restez sur cette image toute mignonnette. Ne cliquez pas dessus. Vous insistez. Tant pis pour vous. Non, il ne se passe rien, oui le coyote à la bougeotte, il remue tout le temps, toujours les deux mêmes mouvements. Un peu monotone, vous dites, alors activez le son, je vous aurais prévenu.

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    Ken Pomeroy : vocals, acoustic guitar / John Moreland :  vocals / Dakota McDaniel ; bass, electric guitar, banjo /Chris Scruggs : pedal steel / Colton Jean : Drums.

             Certes c’est plus doux, plus nuancé, moins roots que la version AF. Miracle de l’orchestration, vous ne perdez rien pour attendre. Un dernier renseignement : Cruel Joke est le titre de l’album.

             Oui la pedal steel guitar allonge le beurre sur la tartine, John Moreland pose le murmure de sa voix, une ballade d’enfant, sur l’image le coyote cligne de l’œil, quand il baisse la tête, il devient irrésistible, vous avez envie de le prendre au creux de vos bras, comme une peluche, ne serait-ce pas une ballade pour endormir les enfants sages, hélas, ils grandissent, vous, moi, nous tous, le Coyote viendra, soyons-en certains, dans la culture Cherokee l’on dit que lorsque vous apercevez le coyote, ce n’est pas bon signe, peut-être pas très grave, pas inoffensif non plus, d’ailleurs la vie n’est-elle pas une suite d’embêtements, n’osons même pas articuler le mot désagrément, sur l’image le Coyote tourne la tête, de quel côté regarde-t-il, vers le passé ou vers le futur, pourquoi reste-t-il assis dans le présent, est-ce pour être auprès de nous, ne pas nous quitter de l’œil, la voix de Ken Pomeroy s’insinue toute douce, toute nue, dans votre chair, comme le couteau ébréché de la vie s’enfonce en vous pour vous retrancher du monde. Dans lequel vous aurez vécu sous la sempiternelle garde du coyote. Ne croyez pas que quelqu’un peut l’écarter de vous. Nous sommes tous le coyote de l’autre.

             Nous nous quitterons sur une dernière vidéo. Un peu bizarre. Pour ne pas gâcher l’ambiance nous ferons semblant de croire qu’elle est surréaliste. C’est juste pour que vous n’ayez pas peur. Peut-être n’est-elle que le reflet exact de ce que nous trouverions dans votre tête si nous l’ouvrions avec un ouvre-boîte.

     PAREIDOLIA

    KEN POMEROY

    (Official Vidéo / Octobre 2023)

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    Le monde selon Ken Pomeroy. Extrospection. Elle chante comme une petite fée, avec un tel allant vous la suivriez en enféer. Que voyons-nous du  monde. La réalité n’est-elle pas paréidolique, en termes moins compliqués n’est-elle pas ce que voudrions ou ce qu’elle n’est pas. Une maison de poupée remplie d’êtres étranges. Furtive apparition, le coyote pousse son museau. Le mieux serait de croire que nous sommes dans un conte de marionnettes à la Alice au pays des merveilles. Depuis Lovecraft nous savons que les merveilles ne sont jamais loin des démons. Pour vous aider à comprendre, le texte vous énumère les figurines que Ken sort de la boîte à jouets de sa cervelle. Vos enfants adoreront, heureusement qu’ils ne comprennent pas l’anglais. Une espèce de nursery rimes, une de ces comptines loufoques dont les anglais raffolent, folle elle ne l’est pas, mais elle chante tout haut ce que d’habitude l’on cache, nos envies de meurtres par exemple, mais  les couleurs sont si belles et si surprenantes que l’on oublie que la vie est une cruelle plaisanterie. Si sordide que parfois l’on aimerait s’extraire du tableau. Ô Cruella !

    C’était juste une entrée dans le monde poétique de Ken Pomeroy. Cherokee girl.

    Damie Chad.