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rockambolesques ep 11;

  • CHRONIQUES DE POURPRE 534 : KR'TNT ! 534 : JAC HOLZMAN / DARRYL READ / BARRY RYAN / TAME IMPALA / MOONSTONE / LEA CIARI / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 534

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    16 / 12 / 2021

    JAC HOLZMAN / DARRYL READ

    BARRY RYAN / TAME IMPALA

    MOONSTONE / LEA CIARI

    ROCKAMBOLESQUES

    Jac of all trades - Part One

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    Fort heureusement, les acteurs majeurs du showbiz américain ne sont pas tous des truands. Une infime minorité de parfaits gentlemen réussirait presque à sauver la réputation de cette industrie ravagée par la plus brutale des cupidités. Les gentlemen les plus connus sont Uncle Sam, Ahmet Ertegun et Jac Holzman, comme par hasard, trois patrons de labels indépendants. Pendant qu’Uncle Sam lançait à Memphis la plus grande révolution culturelle du monde moderne, Ahmet Ertegun et Jac Holzman œuvraient à New York, dans des secteurs honorifiques : la black music d’Atlantic pour Ertegun et le folk d’Elektra pour Holzman. Sun, Atlantic et Elektra ? Une sainte trinité.

    Tout le monde connaît Elektra, grâce aux Doors, aux Stooges et au MC5. Mais le label grouille de trésors, puisque son histoire s’étend sur 30 ans de mouvement perpétuel, ce tinguelinage culturel qui au long des sixties et des seventies n’en finissait plus de révéler des artistes plus extraordinaires les uns que les autres, et Jac Holzman brassait large puisqu’il lança Jim Morrison, Arthur Lee, Tim Bucley, Fred Neil, Iggy Pop, Paul Butterfly, pour n’en citer que quelques-uns.

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    Nous disposons de deux bibles pour entrer dans le détail de cette histoire passionnante, l’autobio de Jac Holzman parue en l’an 2000, Follow the Music: The Life And High Times Of Electra Records In The Great Years Of American Pop Culture, et un ouvrage encore plus volumineux de Mick Houghton, Becoming Elektra: The True Story Of Jac Holzman’s Visionary Record Label, paru en 2010. Le plus intense est bien sûr l’autobio, mais les deux volumes se complètent bien, il faut juste se donner du temps pour en venir à bout, car ce sont des grands formats de 300 et 400 pages chargés comme des canons de flibuste jusqu’à la gueule. Et on retrouve sur les deux couvertures le papillon d’Elektra qu’on aimait tant voir sur les rondelles de nos vieux disques des Doors et des Stooges, ces disques dont on écoutait un cut chaque matin pour se donner du courage avant de partir au fucking lycée. Five to one, baby/ One in five !

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    En plus d’avoir un flair de cocker pour les rockers légendaires, Jac Holzman présente l’immense avantage d’être un homme intelligent. On en apprécie d’autant plus sa compagnie. Il crée son label en 1950 et le baptise du nom d’une déesse grecque, fille d’Agamemnon, Électre, soit Electra en anglais, qu’il modernise avec un K. Il trouve que le K apporte un solid bite, du mordant, comme dans Kodak. Quant au papillon, il viendra dix ans plus tard. Pour financer son label, Jac ouvre une petite boutique de disques sur la 10e rue, à New York, The Record Loft. Un soir il aperçoit un black planté devant sa vitrine. Comme il pleut à verse, l’homme est trempé. Il le fait entrer et lui propose un siège. L’homme est charmant, extrêmement poli, c’est un musicien de jazz qui joue au Village Vanguard, just a few blocks away. Then he told me his name: Charlie Parker.

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    Cette petite anecdote pourrait à elle seule résumer Jac Holzman. Toutes les rencontres qu’il évoque ressemblent à des tours de magie. Si pendant dix ans il ne sort que des albums de folk, c’est parce que dit-il le rock’n’roll lui passe par dessus la tête. Pas de contenu. Il vit près de Greenwich Village, là où se produisent tous les géants du folk, Dave Van Ronk, Fred Neil, Dylan et les autres - My day was defined and circumscribed by the village - La 14e rue constituait la frontière nord de son univers. Jac commence par tomber raide dingue de Judy Henske. Il affirme que Mama Cass s’est modelée sur Judy. D’ailleurs Judy témoigne dans le book. Jac rappelle qu’elle jouait en première partie de Lenny Bruce lorsqu’elle vivait sur la côte Ouest - The Lenny Bruce audience were the hard-bitten Hollywood habitués. They were so hip, so mean, c’mon, the meanest audience on earth - Tout ça pour dire que Judy en avait vu des vertes et des pas mures - J’ai eu du succès à Tulsa, à Oklahoma City, à Boulder, à Chicago. Mais ça n’a pas trop bien marché à Indianapolis et au Canada. J’ai joué une fois à Biloxi, Mississippi, ils me crachaient dessus. Mais ça a bien marché à Cleveland - Jac la découvre sur scène à Los Angeles - Cet humour raunchy, cette voix énorme, elle pouvait secouer les vitrines en chantant, elle tapait du pied si fort pour marquer le tempo qu’elle fit un trou dans le plancher. Je la voulais pour Elektra - Mais Judy n’est pas facile à gérer - I was a troubled beatnick, pas question de me faire porter une robe. La plupart du temps, j’avais des vertèbres cassées suite à des motorcycle accidents and stuff. I was on the other side - Un certain Michael Ochs affirme que Judy Henske fut la première superstar du mouvement - She was this real Bessie Smith type gutsy singer, but white - Judy confirme : «Tout ce qui m’intéressait was the life of being on the road. It was really fun. J’adorais aussi aller en studio, car je chantais tout le temps. Je voulais juste entrer, chanter et retourner à ma vie. I liked drifting, c’est-à-dire la dérive, j’en avais rien à foutre de rien.»

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    Deux albums de Judy sortent sur Elektra en 1963 et 1964, Judy Henske et High Flying Bird. Pour la pochette du premier, les gens d’Elektra ont réussi à la convaincre de porter une robe. On trouve une belle énormité en B, «Every Night When The Sun Goes In», un blues qu’elle chante à la dure, à la Judy. Elle travaille son jive à la force du poignet, Judy est une puissante chanteuse, elle force bien ses syllabes. Elle tape son «Empty Red Blues» au jazz New Orleans. La plupart des cuts sont enregistrés live et elle fait bien rigoler son public. C’est là sur cet album que se trouve sa fameuse version de «Wade In The Water» qu’elle chante au power du gospel batch. Pour «Hooka Tooka», elle crée une ambiance de mama chalk’d tobacco, elle est assez géniale, elle chante tous ses cuts à l’énergie maximaliste.

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    High Flying Bird est un album nettement supérieur. On la sent plus concentrée dès le morceau titre en ouverture de bal d’A. Elle se rassemble sur la chanson. On a là la vraie dimension du rock d’Elektra. Avec «Til The Real Thing Comes Along», on passe aux énormités, elle rentre dans le lard du heavy blues comme elle seule sait le faire. Elle se jette dans le son et chante tout à l’accent fatal. Elle est à fleur du peau. En B elle revient au blues avec «Blues Chase Up A Rabbit», elle est idéale pour le rabbit, cet heavy blues de cool Colorado rain. Avec «Glod Bless The Child», elle passe au round midnite, elle est black dans l’âme, comme Nina Simone. On sent bien qu’elle a roulé sa bosse partout à l’écoute de «Good Old Wagon», car c’est de la pure Americana. Et c’est avec le round midnite qu’elle excelle, et notamment ce fantastique «You Are Not My First Love». Tout est bien sur cet album, il faudrait aussi saluer «Lonely Train» et «Charlotte Town», bien développés au Judy power.

    Mick Houghton rajoute son petit grain de sel dans son pavé biblique - Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label - Judy quitte Elektra parce que ça ne fonctionne tout simplement pas. Elle va enregistrer son meilleur album avec son mari Jerry Yester, Farewell Aldebaran sur le label d’Herb Cohen, Bizarre. Cohen est inconsolable : «Elle a eu du succès, mais pas avec ses disques. Elle a joué dans tous les grands clubs, elle est passé au Judy Garland Show à la télé ce qui à l’époque était énorme. Bette Midler a pris Judy comme modèle.»

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    Et pendant que Jac séjourne à Los Angeles en repérage pour Elektra, John Hammond signe Dylan sur Columbia. Jac reconnaît qu’il a loupé Dylan. Quand il écoute son premier album, il se dit sidéré par le talent de Dylan. Même si dit-il l’album ne marche pas. Il reviendra souvent sur Dylan, rappelant qu’il est arrivé à New York très jeune, «se modelant sur les expériences de vies de Leadbelly et Woody Guthrie - But he did have - and in depth - the power of his beliefs - Bob Neuwirth affirme que Dylan n’est pas arrivé à New York par accident - He was career-oriented.

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    À l’été 1963, au terme d’un séjour d’un an de prospection à Los Angeles, voyant qu’il ne s’y passe rien, Jac décide de rentrer à New York. Il a déjà 13 ans de bouteille avec son label et c’est là qu’il a avec Paul Rothchild ce qu’il appelle «the single most important conversation of my professional life». Rothchild s’en souvient comme si c’était hier : «Appalachian ballads, Child ballads, bluegrass and all versions of the blues, up to and including electric. Tous ces gens chantaient the truth avec leur cœur. Et quand on ajoute à l’équation Dylan et les Beatles, ça donne une formule explosive. C’est prêt à sauter. Il y a tous ces gens bourrés de talent, tous ces gens qui vont changer la façon dont on fait la musique populaire.» Paul et Jac voient exactement la même chose - Paul et moi aspirions aux mêmes choses à New York. On a parlé pendant deux heures et plus je l’écoutais, plus j’adorais sa façon de penser la musique. On partageait tous les deux la même conviction : faire des disques, c’était comme d’entrer dans les ordres, une vocation plus qu’une carrière - Voilà pourquoi Jac Holzman est un personnage important dans l’histoire du rock américain : il nourrit une vision et tombe sur les gens qui la partagent. Et plus il dénote chez Paul «an obvious energy and a hip hustle, couplés avec une intelligence supérieure et une perception aiguë de la musique et du music business». Alors Jac lui propose un job chez Elektra : «Je veux que vous cessiez de bosser pour les autres compagnies et que vous écrémiez les clubs pour moi. Je veux que vous apportiez the street music to this company.» C’est exactement ce que va faire Paul Rothchild qui comme Ahmet Ertengun passe toutes ses nuits dans les clubs new-yorkais. Jac demande à Paul s’il peut produire dix albums par an, et Paul rétorque : «No Problem.» C’est cette fantastique coalition d’intelligences qui va permettre l’avènement d’un roi, the Lizard King.

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    C’est donc Paul qui va produire l’un des plus beaux albums de tous les temps, le Bleeker & MacDougal de Fred Neil : «Il était sur Elektra. On m’a puni pour mes péchés en me demandant de le produire. He was a brillant songwriter and a total scumbag. Il était le prototype de l’artiste pas fiable, the original rock flake. On prévoyait des séances, et soit il venait, soit il ne venait pas. C’est le mec qui a composé «Candy Man», Roy Orbison en a fait un hit, et le jour où il l’a composé, il est allé au Brill Building le vendre à 20 publishers pour fifty bucks each. This is not a nice man. C’est le genre de mec qui allait chez Izzy Young, «Izzy je joue ce soir et je n’ai pas de guitare», et Izzy lui répondait : «Freddie, tu me dois déjà vingt guitares, but I love you, tiens prends cette douze cordes.» Et Freddie arrivait au club fucked up, he was always fucked up, je l’ai vu dans cet état au moins dix fois, il était incapable d’accorder sa guitare, alors il la fracassait en mille morceaux sur scène. Une guitare qui ne lui appartenait pas.» Bon, Paul n’aime pas Fred Neil, il n’empêche que l’album est l’un des grands albums magiques du monde enchanté d’Elektra. Fred Neil jouait dans les clubs de Greenwich Village pour quelques dollars. Il grattait sa douze et embarquait le public dans un univers de balades mirifiques. On en trouve une douzaine, pas moins, sur Bleeker And MacDougal. Il attaque avec le Bleeker qui donne son titre à l’album, un gros groove débraillé et il installe immédiatement un mélange de profondeur, de chaleur et d’intense proximité. Il dit qu’il veut rentrer à la maison - I wanna go home - «Blues On The Ceiling» relève du miracle, avec son parfum jazzy. Un filet de fumée opiacée t’effleure la peau - I’ll never get off this blues alive - On monte encore d’un cran dans le vertige sensoriel avec «Little Bit Of Rain». On pense immédiatement au «Pale Blue Eyes» du Velvet, à cause des accents similaires et de cette profondeur émotionnelle d’une rare beauté. Fred Neil laisse flotter sa mélodie au timbre chaud. Il nous refait Folsom avec «Other Side Of This Life» (repris par les Lovin’ Spoonful, les Youngbloods et le Jefferson Airplane). C’est quasiment le même son - mais sans le tagadac - la même ampleur et la même pente. «Mississippi Train» est une petite merveille d’americana bluesy bardée d’harmo. Fred bourre sa dinde d’une farce de classe hargneuse. Pareil pour «Travellin’ Shoes», tapé à la Dylan, sur une fabuleuse mélodie descendante, et John Sebastian souffle comme un dingue dans son harp. C’est exaltant, embarqué comme pas deux, gratté à l’os, mélodiquement parfait - My travellin’ shoes ! - C’est le morceau de folk-rock idéal, bourré d’énergie et de classe vocale. Puis on ira de grosse surprise en grosse surprise jusqu’à la fin de cet album hors compétition. «The Water Is Wide» vaut pour une belle bluette inspirée, chaudasse et vaste, comme l’indique le titre. Profondeur et vibrato restent les deux mamelles de Fred, rocking blues boy de rêve. Et si on aime le blues joué en picking, alors on se régalera de «Yonder Comes The Blues». Composé pour Roy Orbison, «Candy Man» est une belle pièce montée sur des accords à la Bobbie Gentry - C’mon babe let me take you by the hand - C’est une fois de plus gratté sec et dévoyé à l’harmo. Fred pousse les mêmes coups de baryton qu’Ike Turner. «Gone Again» frappe par l’ampleur du ton - Can you hear the whistle/ On on on/ On that lonesome train ! - Retour au shuffle mythique du train des blues de base - I’d loved to stick around/ But you know I’ve got to go again - Et ça tourne à l’hypno avec les coups d’harmo dans le feu de l’action - I love you baby/ But you’ve got to understand right now !

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    L’Houghton est d’accord avec nous : «C’est un album de chansons classiques enregistré par l’un des chanteurs de folk les plus importants. It’s intense, deeply personal, introspective, bluesy and melodic.» Il ajoute un peu plus loin qu’avec cet album, Fred invente le folk-blues, «fondant le blues, la pop, le folk, le gospel et le jazz, avec cette voix qu’Odetta disait impossible à capturer - Fred’s voice is a healing instrument.» Sur sa lancée, l’Houghton consacre de très belles pages au grand Fred Neil. Il commence par citer Jac qui comme Paul n’apprécie guère Fred pour ses qualités humaines : «Même s’il est certainement très apprécié aujourd’hui, it isn’t for his humanity.» Et crack, prends ça dans ta barbe ! Mais celui qui connaît bien Fred, c’est Herb Cohen : «Sa plus grosse chanson est ‘Everybody’s Talking’, enregistrée in one take. Il a écrit ça en cinq minutes, dans les gogues, parce que je ne voulais pas le laisser sortir du studio. Il avait enregistré neuf titres (pour son premier album Capitol de 1966) et il en fallait encore un. Fred disait qu’il n’avait plus rien et qu’il voulait partir. Il est allé aux gogues, s’est fait un shoot et cinq minutes plus tard il est revenu et a dit : I’m just going to do this once. Il l’a chantée une fois et on l’a emmené à l’aéroport. Trois ans plus tard, Nilsson l’a enregistrée et Fred a gagné tellement de blé avec cette seule chanson qu’il pu prendre sa retraite.» Dans le Village, Fred traîne avec les gloires locales, Bob Gibson, Dino Valente et Len Chandler. Il hérite de tout le talent des pionniers du folk-blues, Josh White, Leadbelly, Lonnie Johnson et Ray Charles - It was one of his crowd, Dino Valente, who introduced Neil to Vince Martin -

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    Bon, l’album de Vince Martin & Fred Neil paru en 1964, Tear Down The Walls, n’est pas l’album du siècle, mais on le recommandera chaudement aux fans de Fred Neil, surtout pour ce «Baby» embarqué à l’échappée belle. Fred the sailor est la barre, il chante à la bonne franquette de la bonne franchise et se fond dans le groove comme un poisson dans l’eau. Tout aussi idéal pour Fred the sailor, le «Weary Blues» d’Hank Williams, un heavy blues tapé au be cryin’ et au sweet mama please come home, le pauvre Vince Martin claque sa chique et Fred revient dans le chant pour arracher le blues du sol. C’est un album chanté à deux voix et tapé à coups d’acou, très typé, très Greenwich Village des early sixties. Le baryton de Fred domine, le pauvre Vince Martin ne fait pas le poids. Il est avalé par le star system de Fred. Ils font une belle version de «Morning Dew», ils la tapent à deux voix, Fred renchérit sur le copain Vince, walk me out in the morning dew my honey, puis Fred enchaîne cinq de ses cuts, notamment le rampant «I Get ‘Em». Fred Neil est le roi des rampants

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    Fred avait déjà du métier. Quand il voyageait avec son père qui vendait des jukeboxes dans le Sud, Fred avait rencontré Buddy Holly et Roy Orbison au Texas. D’ailleurs, une fois installé à Greenwich Village, Buddy et Fred vont manger ensemble au restau. Les grands esprits se rencontrent toujours, dit-on. Puis l’Houghton entre dans le cœur du sujet : l’héro. Une héro qui rendait ses relations avec le biz compliquées. L’Houghton cite Jac : «Fred Neil was an artist’s artist. Il écrivait très bien, il avait une voix fantastique, mais travailler avec lui était un enfer. Il cherchait à intimider les gens via son manager Herbie Cohen. Comme il ne jouait pas très souvent, ses apparitions étaient des événements. Il était feignant et n’a pas enregistré grand chose. En qualité, oui, mais il a très peu enregistré. On lui a rendu sa liberté après Bleeker & MacDougal.» L’Houghton rappelle aussi que Mort Shuman a fait la photo de Fred sur la pochette de Bleeker & MacDougal, une photo aussi iconique que celle du Freewheeling de Dylan, et c’est pas peu dire. Toujours sur sa lancée, l’Houghton affirme que Fred Neil a influencé des gens comme Gram Parsons, Stephen Stills, Paul Kantner, Tim Buckely, David Crosby, et il ajoute, au sommet de son élan : «On a dit que Crosby Stills & Nash prévoyaient de s’appeler The Sons Of Neil, bien que Stills ne l’ait pas confirmé.» Stephen Stills embraye aussi sec : «Fred était mon mentor à New York quand j’essayais de percer sur la scène folk, dans les mid sixties. Il a fini par haïr cette scène et il est parti s’installer à Key West, en Floride, aussi loin que possible de Greenwich Village. Je garde de très bons souvenir de ce mec, je l’adorais, il était extrêmement drôle, et quelle voix ! Il m’a fallu des années pour pouvoir apprécier ses chansons, cette façon qu’il avait de chanter très bas. Le gens disent qu’on devait s’appeler The Sons Of Neil ? Je ne m’en souviens pas. Mais c’est possible, car il avait une énorme influence.» Et Croz en rajoute une petite louche : «Freddie taught me a lot. C’était un chanteur de folk extraordinaire, certainement l’une des meilleures voix qu’on ait pu entendre. He was crazy and self destructive, but, oh man, could he sing. Ce mec très talentueux n’était pas fait pour le monde commercial. Et plus ça devenait commercial, plus il disparaissait. Jusqu’au moment où il a complètement disparu.» Fantastique témoignage. Pas étonnant que Crosby & Stills aient fait de grands albums.

    Jac va rester toute sa vie fidèle à ce principe : «I just wanted to make records I gueninely loved and believed in». Quand on lui demandait quels étaient les disques qui l’avaient le plus influencé, Jac répondait toujours Koerner Ray & Glover - Their music m’a aidé à décider ce que je voulais faire avec Elektra. Continuer à faire du folk ou enregistrer Koerner Ray & Glover ? La réponse était claire. L’Houghton affirme que Koerner Ray & Glover «jouaient le country-blues comme des punks, fast and furious.» Il ajoute que lorsque Jac rencontre les Beatles en 1965, John et George se disent fans de Koerner Ray & Glover.

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    C’est vrai qu’il se passe des choses très intéressantes dans le premier album de Koerner Ray & Glover, Lots More Blues Rags And Hollers. Leur «Black Dog» d’ouverture de balda est un pur jus d’Americana, ils grattent leurs poux tous les trois - It’s a full 19 strings in action - la 7-string guitar de Spider John Koerner et la douze de Dave Snaker Ray donnent un son très fouillé, d’une incroyable musicalité, fine hillbilly blues from an Ernest Stoneman Family record, pas étonnant que ça plaise tant à Jac. Sur l’«Honey Bee» de Muddy, Tony Glover joue des coups d’harp au bord du fleuve. On salue l’extrême pureté de la démarche. Avec «Crazy Fool», ils passent au primitif, Spider John Koerner travaille des arcanes d’acou primitifs. Ils récidivent plus loin avec «Fine Soft Land». Dave Snaker Ray chante tellement bien qu’on croit entendre le vieux Big Joe Williams qui est photographié avec eux. Ils rendent hommage à Billie Holiday avec «Lady Day», ils racontent son histoire - She got real sick - et grattent à la suite «Freeze To Me Mama» à la folie de 1963. C’est vrai qu’ils auraient pu devenir des punks. «Ted Mack Rag» arrive à point nommé pour nous rappeler que ce registre rootsy reste assez âpre, et ils reviennent au protest song avec le «Fannin Street» de Leadbelly. Pour finir, un petit shoot d’early blues du fleuve avec «Can’t Get My Rest At Night», suivi de «What’s The Matter With The Mill», un bon vieux shoot d’Americana de blancs.

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    L’année suivante, Koerner Ray & Glover sont de retour avec The Return of Koerner Ray & Glover. Ils ne pouvaient pas trouver titre plus idéal que celui-ci. Ils profitent de leur élan pour nous proposer un beau festival d’Americana («Titanic» et «Poor Howard»), ça gratte encore aux 19-strings, ça joue à fond de cale d’Americana, au fouillis country-honky de fairly well. Un peu revêche au premier abord, leur Americana finit par devenir lumineuse. Et quand ils jouent le blues («You’ve Got To Be Careful»), ce n’est pas du blues, monsieur, c’est de la dentelle de Calais du fleuve. Chez ces gens-là, monsieur on a des carottes dans des cheveux qu’ont jamais vu un peigne. Ils vont sur la black avec «Looky Looky Yonder», ouh wah ! C’est quasiment du chain-gang chanté a capella, avec des chaînes aux pieds. Ils tapent aussi dans le «Statesboro Blues» de Sleepy John Estes au fouillis universaliste. Rien à voir avec le version magique de Taj Mahal sur son premier album. Le trio en fait une merveille de rootsitude grattée à la moelle d’osso bucco des enfers. En fait, ils tournent un peu autour du pot, avec le même modèle («Eugene C»), ils rootsent les roots aux petits oignons, ils sont purs comme des bonnes sœurs qui ont trouvé leur vocation, on ne peut pas imaginer plus pure pureté. Ils sont même indécrottables, comme le montre «Goin’ To The Country», c’est une country de bouseux de la blouse de blues, on se croirait dans le pays de Caux, ça rootse sec dans les roustons rustiques. Ils tapent «I Don’t Want To Be Terrified» au punk d’around the Koerner, ils amènent ça au Somethin’ else. Ça chante encore à la black dans «Lonesome Road», s’ils n’étaient pas en photo sur la pochette, on se ferait avoir. Retour à l’extrême pureté des intentions avec «England Blues», mais les crocodiles finissent par bâiller aux corneilles. Ils jouent dans toutes les règles du lard, on peut leur faire confiance, il n’en manque pas une. Peu de traditionalistes sont allés aussi loin dans l’exégèse des lieux communs de l’Americana : on peut citer les noms de Ry Cooder, de John Fahey et dans une moindre mesure, de Mike Wilhelm. Ils restent dans leur délire avec «Packin’ Truck». On peut leur faire confiance, ils veillent à maintenir du bon niveau, une rectitude de la rootsitude. Il faut les voir exceller dans l’excavation de regains de blues gutter.

    En fait, Jac pousse le bouchon assez loin : il vaut faire d’Elektra un label hip, avec un Paul qui traîne dans les clubs pour copiner avec les hipsters, les cajoler et éventuellement les signer. Paul could do that. Ça s’appelle un concept. Leur premier gros coup, c’est le Paul Butterfield Blues Band. Quand Paul les harponne, Jac ne sait pas où cette histoire va les entraîner. Ils sont trop en avance sur leur époque. Dans le book, Paul raconte comment ce coup est arrivé : il est à Cambridge, Massachusetts pour le jour de l’an 1965 et un mec le branche sur Paul Butterfield, «The best music I’ve heard in my entire life. You should go there right away.» Le mec en question, c’est Joe Boyd, mais Paul ne le dit pas. C’est en lisant l’autobio de Joe Boyd qu’on tombe sur le pot-aux-roses. Bon, Paul saute dans l’avion et débarque à 3 heures du matin chez Big John’s, le club où joue Paul Butterfield - And I heard the most amazing music. It was thrilling, chilling - changed my entire genetic code - À la fin du set, Paul chope Butter et lui propose de le signer sur Elektra. Ça discutaille pendant dix minutes pour le principe et finalement Butter accepte. Puis il demande à Paul s’il est fatigué et Paul dit non, «I’m on fire!». «Great», fait Butter, «I’ve got this buddy playing at an after-hours club over on the South Side. Pepper’s Lounge». Ils entrent au Pepper’s et c’est Muddy Waters. Puis Butter dit qu’il aimerait avoir Michael Bloomfield dans le groupe, mais Bloomy ne veut pas jouer avec lui. Alors Paul chope Bloomy dans un club et lui demande s’il aimerait bien venir enregistrer un album à New York avec Butter. Aussi sec, Bloomy répond : «Sure!» - Fuck it ! Butter n’en revient pas - He is sitting there with his jaw on the table - Ils vont ré-engistrer l’album trois fois, car Paul est atteint de perfectionnite aiguë. Lorsque la premier tirage de l’album est pressée, Paul l’écoute, mais il dit non, ça ne va pas. Il dit à Jac :

    — Jac I got a problem.

    — Quoi ?

    — Je veux refaire the Butterfield album.

    — You want to do what ?

    Jac ne comprend pas, l’album est fabriqué, prêt à être distribué. En fait, Paul veut retrouver le son qu’il a entendu quand il est entré pour la première fois chez Big John’s à Chicago. «We don’t have that on tape. We have a pale facsimile. I want to record them live for a week.» Jac réfléchit un instant et dit : «Not a bad idea.» Avec le recul, Jac pense que cette décision n’était pas raisonnable, mais «Rothchild had my artistic sensibility convinced». Paul ré-engistre le groupe au Café Au Go Go, un club folk en face du Bitter End et fait venir the recording trucks. Ils enregistrent plusieurs soirs de suite, mais Paul n’y trouve pas son bonheur. Il dit à Jac qu’«it sucks beyond your wildest expectations. We have nothing.» Alors Jac s’écrie : «Oh my God!!! What are you going to do now?». Alors Paul dit qu’il va retourner en studio to get it right. Et Jac dit ok. Finalement, l’album coûte 50 000 $ ce qui à l’époque est une somme énorme, mais l’épisode montre bien à quel point Jac veille au grain. Cet album est devenu un énorme classique, comme d’ailleurs pas mal d’albums Elektra.

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    Ce premier Butter paraît en 1965. Sur la pochette, le groupe pose devant l’échoppe d’un marchand d’herbe. On compte deux blackos superbes dans les rangs du groupe, Sam Lay et Jerome Arnold, alors que Bloomy et Butter ressemblent à des freluquets. Par contre, sur la deuxième photo de la pochette, on les voit sur scène dans l’effarance du blues. Ils attaquent avec «Born In Chicago» - I was born in Chicago in 1941/ Well my father told me son you’re going well - Jerome Arnold joue de la basse folle sur «Shake Your Money Maker» et Sam Lay y tape le beat du diable. C’est Elvin Bishop qui rappelle que Sam et Jerome jouaient avec Wolf avant de jouer avec Butter. Mais on n’entend pas Bloomy. Il est perdu au fond du mix ! Bravo Paul ! Et ça commence à déconner quand Butter se prend pour Little Walter dans «Blues With A Feeling». Puis il se ridiculise en voulant imiter Muddy dans «Got My Mojo Working». En B, «Our Love Is Drifting» tente de sauver l’album à coup de heavy blues insistant et ils se vautrent encore une fois en tapant dans le «Last Night» de Little Walter. Butter fait pitié. Il subissait le même sort que Mayall en Angleterre : les blancs ne faisaient pas le poids face aux géants du blues électrique : Muddy, Wolf, Junior Wells et tous les autres.

    Pour Paul, Butter était le boss, a tough guy - He was the guenine article: feeling the blues. Je crois qu’il a été l’un des plus grands bandleaders de ce pays. Même niveau que Benny Goodman et Nelson Riddle.

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    L’année suivante paraît East-West, le dernier album avec Bloomy. Ils tapent directement dans Robert Johnson avec «Walking Blues», c’est cousu, affreusement cousu. Mais à l’époque, ils ne le savent pas. Puis Bloomy pose «I Got A Mind To Give Up Living» dans l’écrin blanc du Chicago Blues. Malheureusement, Butter chante comme un blanc qui n’a pas de crédit. Le «Work Song» qui clôt l’A est cousu jusqu’à l’os. Bloomy a eu raison de se faire la cerise. La viande se trouve en B, d’abord avec «Mary Mary» que Butter chante à l’insidieuse, puis avec le morceau titre, monté sur un gros drive de jam à la revoyure. Jerome Arnold pulse un drive de bille en tête. Butter passe ses coups d’harmo et ça vire à l’orientalisme cabalistique. Monstrueux car novateur. Elvin Bishop abat ses cartes. L’incroyable de la chose est qu’on remonte à travers ce groove halluciné jusqu’à l’origine des temps puis Bloomy coule de la Soul dans l’Asie mineure d’un art majeur, son miel mêle la Mésopotamie au beat nombriliste de l’ombilic des limbes et il repart à l’aventure, comme si de rien n’était.

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    The Original Lost Elektra Sessions du Paul Butterfield Blues Band est une sorte de passage obligé : Rothchild a réussi à retrouver les masters du premier enregistrement, celui qu’il a fait mettre à la benne. C’est une révélation et ces early cuts sont certainement bien meilleurs que ceux de l’album officiel, ne serait-ce que pour la version punkish d’«Our Love Is Drifting», tapée au wild boogie de Chicago. C’est carrément du proto-punk, rien de plus wild, ces mecs sont les killers du South Side, monster drive, cette façon de claquer le riff est unique. Ils jouent le beat des squelettes de l’underground avec une réelle violence de la pugnacité - It’s too late babe/ Our love is drifting - Ils jouent tous leurs trucs sec et net, comme cet «Hate To See You Go», violent et punkish, claqué à l’harmo, Butter est le roi des punks, ces mecs sont des dingues de blues, you know babe, c’est là où Butter fait son beurre, si tu cherches les punks du blues, c’est là. Ils restent dans le heavy punk de rock me avec «Rock Me», Butter y va au sun goes down, c’est du punk de rock me slow. Ça joue à l’enfer de la ferraille derrière Butter. Pour l’époque, la version d’«Help Me» est assez révolutionnaire. Même chose avec «Lovin’ Cup». Ils passent au heavy blues avec «It Hurts Me Too». Encore du punk-blues avec «Ain’t No Need To Go No Further» et ce démon de Butter profite de «Going Down Slow» pour traîner sa hure dans un gutter de way no more.

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    Jac assistera fasciné au fameux concert de Newport 65 lorsque Dylan goes electric - C’était l’électricité mariée au contenu - C’est là qu’il prend conscience d’un son, le rock - It was like a sunrise after the storm, when all is clean, all is known - Et comme des gens sifflent le Dylan electric, Jac n’en revient pas, «je n’arrivais pas à comprendre que ces gens n’entendaient pas the wonderful stuff I was hearing.» Pour Paul Rothchild, cet épisode de Newport symbolise la fin d’une époque et le début d’une autre. Pas de précédent historique, ajoute-t-il - This is a young Jewish songwriter with an electric band that sounds like rock and roll - Et Paul se dit fier de Jac qui à l’opposé des vieux crabes du folk trouvait Dylan génial - J’étais très fier de Jac, le voyant choisir l’inconnu plutôt que le confort de ce qui était alors connu - Et Jac ajoute : «I followed my instinc and my heart. I followed the music.» Par contre, Elvin Bishop n’est pas du tout fasciné par Dylan : «J’ai rencontré Dylan. Nice guy, mais je reste partagé. Je trouvais qu’il ne savait pas chanter ni jouer de l’harmonica. J’avais accompagné Little Walter et c’était autre chose. Mais Dylan n’avait pas besoin de ma sympathie. Le meilleur souvenir que j’ai de Newport, c’est le moment passé avec Mississippi John Hurt et Mance Lipscomb : on s’est sifflé tous les trois a half pint of whiskey.»

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    Jac repère les Lovin’ Spoonful, il les veut sur Elektra, mais les Spoonful demandent une avance de 10 000 $. Jac répond : «No way, I have never given an artist 10 000 $ and I can’t start now.» Finalement les Spoonful vont ailleurs et Jac est inconsolable. Il les voyait comme «an electrical extension of what Elektra had been doing. L’année suivante, on entendait «Summer In The City» all over radio, with its pulse and urgency, that gritty New York rooftop feeling, it was exactly the kind of powerful music I wanted.»

    Dans le cours du fleuve, Jac avoue un goût prononcé pour le cannabis. Il organise chez lui des soirées musicales où l’on se goinfre de cannabis cookies - People floating away in their private reverie, head soirées. Grass was cheap. We’re talking $150 a kilo, though it didn’t have the potency of today’s product, but it certainly cooked up well - L’autre aspect fondamental du cat Jac est qu’il roule en scooter dans les rues de New York.

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    Puis on arrive à l’un des chapitres les plus fascinants de la saga Elektra : Love and Arthur Lee. Quand Jac les voit sur scène à Los Angeles, il est impressionné, car ils reprennent le «My Little Red Book» de Bacharach & David - Hip but straight. Et Arthur Lee & Love going at it with manic intensity. Five guys of all colours, black, white and psychedelic - That was a real first. My heat skipped a beat. I had found my band - Herbie Cohen qui les a découverts pour Jac rappelle qu’à l’époque Arthur Lee & Love crevaient la dalle et qu’ils vivaient tous les cinq dans une chambre d’hôtel. Arthur demande une avance cash de 5 000 $, Jac dit OK, meet me at the bank. Il file le cash, Arthur l’empoche et dit aux membres du groupe de l’attendre à l’hôtel. Cinq heures plus tard, Arthur réapparaît au volant d’une two doors gull-wing gold Mercedes 300 qu’il a payée 4 500 $. Il explique à ses copains consternés qu’il fallait un moyen de transport pour le groupe, so we can get around to the gigs. Puis il donne 100 $ à chacun de membres du groupe qui ne mouftent pas, nous dit Herbie Cohen qui assiste à la scène. Hilare, Jac ajoute : «That car was just big enough for him, his girlgriend and his brand new harmonica.»

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    Jac signe Love pour trois ans et six albums. Mais très vite, Arthur dit à Jac qu’il va casser le contrat, sous prétexte qu’il était mineur au moment de la signature. Donc le contrat n’est pas valable. Personne ne connaît l’âge d’Arthur. Jac : «He was a heavy ingester of substances and he wasn’t Dorian Gray.» Arthur dit qu’il veut bien re-signer chez Jac, à condition d’avoir a higher royalty, a ten percent, parce qu’il a dix membres dans le groupe. Et tu sais ce que lui répond Jac ? : «By that logic, the Mormon Tabernacle Choir gets a one hundred-ten percent royalty.» Jac lui accorde 7% et Love reste sur Elektra. Selon l’Houghton, Jac trouve Love fresh, exotic and deliciously weird. Jac : «Le background d’Arthur Lee était le Memphis R&B, mais Love intégrait toutes les valeurs traditionnelles de la pop. Ils reprenaient ‘My Little Red Book’, after all. Love n’était rien de plus ou de moins qu’Arthur’s conception of what it should be - a terrific band with tons of enrgy and crazy as loons. That appealed to me. Lorsqu’il y a un élément de danger, quand on ne sait pas ce que le groupe fera à la prochaine étape, ça m’attire. Bland bands need not apply.»

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    Bruce Botnick qui enregistre Love et qui dans la foulée va enregistrer les Doors est fasciné par Arthur : «Je n’ai jamais entendu personne parler comme Arthur. Il était sous acide 24 h/24, or smoking hemp-something. He was so high all the time that he wasn’t high. Il était arrivé à ce qu’on appelle l’état de clear light. Je garde un souvenir ému d’Arthur, because he was a very, very gentle human being.» Le fils de Jac qui s’appelle Adam a aussi des souvenirs extraordinaires d’Arthur : «Arthur m’a emmené chez lui. Il roulait vraiment très vite et j’avais la peur de ma vie, mais en même temps je trouvais ça extraordinairement excitant. Je savais juste qu’il n’aurait pas d’accident de voiture. Il avait l’une de ces maisons où la piscine rentre à l’intérieur du salon. On s’est assis et on a écouté le premier album du Jimi Hendrix Experience, Are You Experienced. On disait qu’Arthur et Jimi avaient monté un groupe ensemble longtemps avant Love. Je pense qu’Hendrix aurait bien aimé qu’Arthur lui écrive des textes de chansons. Ils auraient formé l’un des meilleurs groupes de tous les temps. Arthur adorait Jimi Henrix et il repassait inlassablement l’album. Il se levait et disait : ‘Je dois absolument réécouter cet album une fois de plus.’ Et il remettait ‘Purple Haze’.» Et puis comme Arthur déteste voyager, Jac ne peut pas organiser la promo du premier album. Jac insiste pour qu’il vienne à New York rencontrer le staff d’Elektra qui a bossé dur pour Love, mais Arthur ne reste que 36 heures. Les quatre albums de Love parus sur Elektra ne marchent qu’en Californie et en Angleterre, où nous dit Jac, il bénéficie d’une énorme réputation «precisely because he was so mysterious and refused to travel». Jac pense qu’Arthur ne voulait pas s’éloigner de ses connections - Which is not to minimize the importance of connections - Les tournures de Jac Holzman sont toutes somptueuses. À l’image des artistes qu’il prend sous son aile.

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    Bon, les albums de Love sont épluchés ailleurs. Jac indique que c’est Bruce Botnick qui a sauvé Forever Changes. Malgré les tensions, il a adoré travailler avec Arthur : «J’adorais son étrange sens de l’humour. Mais pendant les dernières sessions, il m’a balancé des choses que je n’ai pas réussi à encaisser, je n’étais pas assez mûr pour ça. C’était trop intellectuel pour moi. J’ai appelé Jac et lui ai demandé de retirer mon nom de l’album. C’est pourquoi on peut lire que l’album est produit par Arthur Lee. Mais je suis fier d’y avoir participé.» Jac confirme : «Il était très difficile de travailler avec Arthur qui était un downer et donc extrêmement critique envers les gens qui bossaient avec lui. Il faisait rarement un compliment, parce qu’il se sentait supérieur. Mais en même temps, il n’a pas réussi à montrer au monde son vrai talent. Arthur est l’un des génies que j’ai rencontrés. But genius needs focus and intent, otherwise it just discharges into the ground.»

    Puis l’Houghton salue Love Four Sail, le quatrième et dernier album de Love sur Elektra et l’un des plus grands disques de rock de tous les temps. Arthur avait reformé Love avec Jay Donnellan qu’il vira aussi sec pour le remplacer par Gary Rowles.

    C’est à cette époque que Paul Rothchild est envoyé au placard pour une valise de shit. Au procès, Jac soutient Paul, évidemment - Jac était courageux car à l’époque personne n’aurait osé témoigner pour une personne accusée de trafic de drogue - Ce courage s’appelle l’élégance. Et c’est ce qui fait la force d’Elektra, on retrouve cette élégance aussi bien dans les choix musicaux que dans les comportements humains. Jac ne sait même pas si Paul est un vrai dealer. Il s’en fout - I never knew and I never asked - Pendant que Paul moisit au placard, Jac lui verse son salaire et donne du travail à sa femme Terry. Paul va y rester sept mois avant d’obtenir une condi. Il rentre chez lui, prend une douche, dort un bon coup et le lendemain matin il est au bureau, chez Elektra.

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    Les gens qui fréquentent Jac lui trouvent d’autres qualités : «Jac had style, mystique. He was mysterious. On ne pouvait pas le situer. Personne ne savait dans quelle direction il avançait, mais lui le savait.» Sa collaboratrice Suzanne Helms dit qu’il est l’un des esprits les plus vifs qu’elle ait connu, avec David Geffen. Jac continue d’appliquer sa formule : «Rassembler les meilleurs talents, faire en sorte que le process fonctionne bien et assurer le résultat.» Et il ajoute pour que les choses soient bien claires : «Suivre la musique signifie bien plus que de traquer les tendances. Chaque fois que je m’interrogeais sur un enregistrement, j’ai toujours obtenu la réponse en écoutant la musique, jusqu’à ce qu’elle m’indique ce que j’avais besoin de savoir.» Le résultat de tout ça est qu’à l’époque, un artiste ou un groupe devient aussitôt important, parce qu’il est signé sur Elektra. C’est un label qui fascine le jeune Lenny Kaye. Il louche surtout sur le premier album de Love - Chaque album paru sur Elektra était intéressant, je trouvais les artistes fascinants. C’était une pure démarche intellectuelle (Definitely intellectually challenging). Aucun label ne ressemblait à Elektra. They were cutting edge - C’est d’ailleurs pour ça que son Nuggets paraît sur Elektra un peu plus tard. Danny Fields arrive aussi dans la boucle, très vite Jac l’impressionne : «Jac always wanted to do the right thing for the right reason. I never saw hypocrisy or venality or political ambition.» La meilleure preuve aux yeux de Nina, la femme de Jac, c’est qu’il n’a jamais eu de procès - Jac would always say «I’m not in the suing business, I’m in the music business - Aux yeux de Bill Graham, Jac est un saint : «He ran his label in a much more humane fashion.» Et Tony Glover ajoute le coup de dé qui jamais n’abolira le hasard : «He was the first rich guy I met that wasn’t an asshole.» Jann Wenner, le fondateur de Rolling Stone, raconte qu’un jour il est venu trouver Jac pour lui emprunter du blé : «He said ‘sure’ in a second.»

    Paul Rothchild va encore bien plus loin que tous ces apologues : «Je pense que Jac doit être le père du genre humain, parce qu’il a dû être son propre père quand il était jeune. Il a dû se débarrasser de ce père qui n’en fut pas un et créer une autre autorité en lui, trouver ses propres règles de vie.» Jac embraye aussi sec pour dire que Paul tape en plein dans le mille, comme d’habitude. Comme son père n’était pas capable de briser sa carapace, Jac a commencé à l’imiter jusqu’au moment où dit-il il a compris qu’il devait se recréer comme quelqu’un de plus bienveillant - At first it felt like an act mais au bout d’un moment c’est devenu naturel.

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    Avec les Doors, on touche encore une fois au cœur du mythe Elektra. C’est Arthur qui insiste pour que Jac vienne un voir un groupe au Whisky. Jac est fatigué, il descend d’avion et il ne sait rien de ce mystérieux groupe - Quel que fut le groupe, Arthur en avait une haute opinion, et comme j’avais une très haute opinion d’Arthur, je suis resté - Il s’agit des Doors - And they did nothing for me. Il y avait un autre groupe qui jouait au Whisky et que j’adorais, j’ai même essayé de les signer : Buffalo Springfield. Mais Ahmet Ertegun d’Atlantic s’est montré plus convainquant que moi. Elektra était beaucoup plus petit qu’Atlantic qui avait sorti un nombre incroyable de hit singles. Avec Love j’avais mis un pied in the rock door et j’avais besoin d’un autre groupe pour donner plus de crédibilité à Elektra, mais les Doors ne me plaisaient pas. Jim est agréable à regarder, but there was no command. Peut-être que j’avais des idées trop conventionnelles, mais leur musique n’avait pas le rococo des autres groupes de l’époque, on était en 1966, en plein Revolver des Beatles. Une petite voix intérieure me disait que ce groupe avait autre chose à offrir que ce que j’entendais et je suis revenu les voir sur scène. Finalement le quatrième soir, je les ai entendus. Jim générait une énorme tension, il fonctionnait comme une sorte de trou noir, il aspirait toute l’énergie de la salle - Et voilà c’est parti, Jac a pigé les Doors. Il flashe notamment sur la reprise d’«Alabama Song» - Aha! Kurt Weil, Bertold Bretch. These Doors are not just California pretty boys, they actually have some brains - Paul Rothchild produit le faramineux premier album et Bruce Botnick l’enregistre. Botnick dit pouvoir compter les moments magiques en studio sur les doigts de la main et l’enregistrement de «The End» en fait partie. Jac dit que Paul a pris d’énormes risques avec les Doors, car il les poussait à se surpasser - He was able to get them to want to perform for themslves and for their audience in a way that transcended ‘going into the studio’, because they weren’t just going into the studio, they were going into the soul of the music - Voilà, c’est encore du Jac, du paragonnage de visionnaire. Il voit les Doors comme un groupe strange and dangerous. Quand ils partaient en tournée, nous dit Jac, personne ne savait à quoi s’attendre : nous voilà donc au cœur d’un mythe qui s’appelle le rock. Il faut se souvenir que le cuir noir n’était pas encore très répandu au temps des Doors. C’était réservé aux bikers et aux gays. Quand Jimbo débarque sur la côte Est, he knocked New York on its ass, nous dit Ray. Un Jimbo qui devient vite ingérable. Paul : «Control is a word that didn’t work around Morrison.» Jac préfère rester à l’écart, il évite de traîner avec les artistes dont il s’occupe - Devenir trop proche, ça érode l’autorité et l’objectivité et on peut avoir un jour besoin des deux - Quand Jim traîne au bar avant de monter sur scène, il siffle des vodkas à la chaîne. Bill Siddons qui est le road manager des Doors demande au barman combien Jim a sifflé de verres, le mec ne sait pas, alors Bill demande à voir l’addition : 26 verres ! Jimbo ramène souvent des copains bourrés au studio et Paul se charge de les virer. Robby Krieger : «Some heavy, heavy scenes. Heavy pill taking and stuff. That was rock and roll to the fullest, I would say.» Tout ce qui touche aux Doors est héroïque. C’est pour ça qu’on s’ennuie tellement depuis que Jimbo est mort.

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    L’Houghton rappelle que Botnick est celui qui a eu la relation la plus longue et la plus suivie avec les Doors. Botnick peut donc dire en quoi les Doors sont différents des autres groupes californiens - There were no peace-and-love vibes et le seul lien qu’ils avaient avec la scène acid-rock de San Francisco, the Dead and Quicksilver, c’est l’improvisation. Et à Los Angeles, ils n’avaient rien à voir avec les Byrds et les Mamas & the Papas - Il ajoute : «Ils étaient très forts pour les mélodies et amazing pour les lyrics. Les Doors se foutaient des tendances, notamment du folk-rock alors en vogue à Los Angeles. On ne trouvait dans leur son rien de ce qui faisait alors le son des sixties, pas de douze cordes, pas d’harmonica, même pas de basse. Ils étaient à part.» Ray Manzarek renchérit : «On a créé une nouvelle musique américaine qui était universelle : un rock band américain qui commentait l’Amérique. On a exploré night and day, ying and yang, we loved Orson Welles and the music of Howlin’ Wolf, en d’autres termes, darkness. Ou encore Muddy Waters chantant ‘Hoochie Coochie Man’. On écoutait Miles Davis, with its dark overtones. Une musique qui proposait a deep dark psychological poetry. On aimait beaucoup l’opening d’Allen Ginsberg sur Howl : ‘I saw the best minds of my generation destroyed by madness.’ Les Doors sont issus de tout ça : city of night, Raymond Chandler’s Los Angeles, Nathaniel West’s Miss Lonelyhearts and Days Of The Locust.» L’Houghton confirme que cette descente dans l’underbelly of America s’illustre parfaitement sur la pochette fellinienne de Stange Days.

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    Paul Rothchild voit Jimbo comme un mage qui invoque the dark forces et qui est avalé par elles - It’s very hard to control the madness that such a conjure brings - Mais toujours selon Paul, c’est ce que Jimbo voulait, il trouvait ça intéressant, c’est ce qu’il recherchait, the madness. À quoi Jac ajoute, goguenard : «En mars 1969, Jim a provoqué l’ultimate out-of-control experience. The word came that he had exposed himself in full view of concert audience in Miami.» Tu noteras l’élégance de l’expression. Un Français moyen aurait dit : «Il a sorti sa queue devant tout le monde à Miami.» Jac se marre bien avec cette histoire. On sait qu’il n’existe aucune preuve d’exhibition, même pas une photo - If It had happened it would have been a sight to remember - La belle expression, a sight to remember. Et Bruce Botnick ajoute : «The Great White Shaft.» Ray rebondit à son tour : «The sheer heft! An avenger! A Terrible object! The destroyer!». Ils sont tous pliés de rire avec ces conneries. Mais Jac conclut : «Mais personne n’a pu voir the weapon being brandished. Personne dans le backstage. Personne sur scène, ni John, ni Ray, ni Robby.»

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    Pour garder les Doors sur Elektra, Jac leur fait des cadeaux princiers et monte leur royalty rate à 7 %, puis à 10 %. Il leur refile aussi 25 % du publishing pour les remercier de leur fidélité - That was the right and proper thing for me to do - Bill Siddons est sidéré par la générosité de Jac : «Ça lui a coûté des millions de dollars, car c’est ce que valait le catalogue des Doors, mais en échange il a obtenu leur loyauté.» Comme chacun sait, Paul Rothchild va arrêter de produire les Doors au moment de LA Woman. Il trouve les chansons mauvaises - Two good songs, «LA Woman» and «Riders On The Storm» and the rest is lounge music. Two weeks into production, I quit - C’est Bruce Botnick qui prend le relais : «On enregistré l’album en dix jours. Le jour du mixage, il y eut le tremblement de terre. J’ai fini de mixer et suis allé voir Jac chez Elektra avec les Doors, mais sans Jim qui ne venait jamais - Et Jac s’est assis et s’est mis à pleurer.» Oui, il avait raison de pleurer Jac car LA Woman est de toute évidence le couronnement de sa carrière. Jac dit avoir été inquiet suite aux propos négatifs de Paul, «but the album knocked me out, song after song.» On l’évoque longuement ailleurs, dans ‘Ka-Doors - Part One’, mis en ligne en mars dernier.

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    Quand Jac apprend la mort de Jimbo à Paris, il est complètement secoué - Jim’s death affected me more than the death of my dad or my grandparents - Il explique à la suite que ça équivalait à perdre quelqu’un qui avait occasionné dans sa vie «des changements tellement profonds que les choses ne furent plus jamais les mêmes après». C’est Bill Siddons qui dans ce livre fascinant dit les choses les plus définitives sur Jimbo : «L’une des manies de Jim était de vous pousser le plus loin possible dans vos retranchements pour vous faire sortir de vous-même et pour être qui vous étiez vraiment. Il faisait ça avec tout le monde. J’ai eu avec lui de longues conversations et j’ai dû finir par le faire taire car il m’entraînait dans des schémas de pensées que je ne savais pas maîtriser. He could be the biggest asshole in the world. Et il était l’un des mecs les plus gentils qu’il m’ait été donné de connaître. Ce mec que les gens percevaient comme quelqu’un de cinglé et d’arrogant était en fait l’être plus sensible et le plus développé au niveau esprit qu’on puisse imaginer. There was a gentle, generous human soul there. Et ce dont je me souviens le mieux, c’est sa générosité.»

    On croise aussi Tim Buckley sur Elektra, un Buckley fucked up on heroin at the Chelsea Hotel - It was trouble behind my perception, nous dit James Jackson. Un Buckley qui va faire quatre albums sur Elektra, tous devenus un peu cultes.

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    Son premier album sans titre paraît sur Elektra en 1966. Cette année-là, on avait avec les Troggs, les Pretties, les Kinks, les Who, les Stones et tous les autres zigotos d’autres chats à fouetter. On est revenu sur Tim Buckley un peu plus tard, comme on allait sur Love ou les Doors, via Elektra, en quête d’une certaine modernité. Paul Rothchild produit l’album, Bruce Botnick l’enregistre et Jack Nitzsche fait les arrangements. Buck bénéficie donc des services d’une grosse équipe. On voit tout de suite qu’il échappe à tous les genres. Il a dérouté plus d’un cargo. Il ne chante pas, il fait des oraisons, comme Jacques Brel. Il se livre à des dérives octogonales, va là où le vent le porte. Il fit déjà partie des inclassables, comme Brel, Scott Walker ou Captain Beefheart. Il fait du Buck comme Brel faisait du Brel. Comme Dylan fait du Dylan. C’est tout ce qu’il faut comprendre. Et à partir de là, c’est simple. Pourtant Buck ne se vend pas. Buck ne doit sa survie artistique qu’à son génie d’auteur et d’interprète. Et à Jac Holzman qui croyait autant en lui qu’il croyait en Jimbo et en Arthur Lee. Ce qui frappe à l’écoute de cet album, c’est le côté bien décidé de Buck. Il semble te dire : «viens !». Alors tu y vas. Ce genre d’invitation n’est pas très courant. Buck te propose un univers même pas psychédélique, juste un univers de sensations. Il peut chanter d’une voix d’ange, mais on préfère penser qu’il chante comme un dieu, et ça établit aussi sec ce qu’on appelle un contrat de confiance. Il chante à la régalade et nous enchante. C’est pas compliqué. Cet album regorge d’ambiances. On en pince surtout pour «It Happens Every Time», une Beautiful Song qu’il prend à la clairette d’élan patriotique. Cut idéal pour l’amateur de beauté pure. C’est l’album du vif argent.

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    Sur la pochette de Goodbye And Hello, Coco Bel Œil nous décoche un franc sourire. Pochette parfaite. Quand on ressort l’album, on est frappé par la singularité du ton de Buck. Il psalmodie plus qu’il ne chante, avec des accents tranchants et souvent pelucheux. Comme Brel, il cherche les voies impénétrables de la dérive astronomique, il chante à la puissance hertzienne et compresse son feeling dans une nuisette de bas des reins, comme s’il visait la perfection de la perversion. En fait, il vise l’envol élégiaque, c’est son truc, mais il nous faudrait des ailes pour pouvoir le suivre. Sa religion, c’est la tension. Il en joue. Si ce cut s’appelle «Hallucinations», ce n’est pas pour rien. Avec «I Never Asked To Be Your Mountain», il préfigure Jonathan Richman et se livre à l’exercice d’un final apocalyptique. Buck n’en finit plus de jouer les indicibles. Il brouille les pistes au long cours. Il peut aussi chanter des petites conneries et puis voilà «Morning Glory», la dérive d’excellence par excellence, sous le voile à peine clos, Buck bouge encore, il veut encore prodiguer ce groove inespéré de beauté baudelairienne, c’est très spécial, on suit car on l’adore, mais c’est pas gagné. Comme il a dû ramer pour convaincre les convaincus ! Pas si simple. Les légendes, vois-tu, c’est comme le pâté, on les tartine comme on veut, sans vraiment savoir.

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    Encore une belle pochette pour Happy Sad, un album nettement plus détendu que les autres. Buck y propose avec «Strange Feeling» un rock confortable et ensoleillé, destiné aux gens qui ont du temps et de grandes baies virées, un rock plus jazzé, bien balancé des hanches, avec l’extraordinaire Lee Underwood on guitar. Buck sonne comme une centrale marémotrice. Avec le buzz de «Buzzin’ Fly», il propose un heavy groove californien à califourchon. Deux dérives mêlent leurs langues, celle de Buck et celle d’Underwood. Ces mecs brillants s’étalent sur la longueur, Underwood épouse la dérive de Buck, I miss you so. Tout l’album s’imprègne de cette ambiance mercuriale, avec le bruit des vagues, histoire de nous faire rêver, nous autres, les parvenus jusqu’ici. Tiens, comme c’est étrange : avec «Love From Room 109 At The Islander», Buck et Underwood s’amusent à prendre les gens pour des cons, enfin ceux qui ont des grandes baies vitrée ensoleillées et des charmantes épouses qui sentent la lavande. Bon, parfois, c’est un peu moins pompeux et on retrouve ce qu’on aimait bien chez Buck au départ, la perdition, comme avec «Dream Letter» qui ouvre le bal de B. C’est joué au xylo. Mais on n’écoute même pas ce qu’il raconte tellement on s’ennuie. Cut un peu gluant, un peu Cave dans l’esprit, Buck a besoin de se répandre. Alors vas-y mon gars, répands-toi. Quel dommage ! L’album s’annonçait si bien. On attend des miracles d’un mec comme Buck, mais il a du mal à fournir.

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    Son dernier album pour Jac s’appelle Lorca, comme le poète. Sur le morceau titre, Buck ramène sa ramasse existentielle et l’ami Lee pianote. Il pianote même sauvagement. Buck fait ramer sa voix, comme aux galères. «Lorca» sonne comme une merveille tentaculaire. L’ami Lee pianote de plus en plus et Buck chante à la perdition définitive. C’est une merveille délivrée de ses chaînes, enfin libre, avec un son unique dans l’histoire du rock. On suivra donc Buck jusqu’en enfer. Avec «Anonymous Proposition», Buck sonne comme un Brel déguisé en hippie californien qui se passionnerait pour le crépuscule de Big Sur, assis en compagnie d’Henry Miller. Il chante du plus profond de son âme. Désolé, les gars, d’avoir recours à des formules aussi ringardes, mais c’est la seule façon d’exprimer ce qu’est le blues, comme dirait l’autre asticot. C’est beau et plein de jazz, mais du jazz manouche, avec le round midnite d’une stand-up. Buck est l’un de ces géants des Amériques dont parle Dylan dans Chronicles. En B, Buck nous fait le coup du petit groove de congas avec «I Had A Talk With My Woman». Quel dommage que la pochette de cet album soit si foireuse, car Buck est ici au sommet de son art. Il groove son petit business perditionnaire et ça pourrait durer des heures qu’on ne s’ennuierait pas. On entend des belles guitares à la Croz dans «Driftin’», un drive de psychedelia magique. Pur jus de Croz. Lee Underwood monte ça bien en neige. Et la voix de Buck se perd là-bas au loin. Underwood est un génie, il distille une sorte de pureté groovytale dans sa façon de jouer et dont Buck s’enivre - I’ve been drifting in between/ What used to be - C’est vrai qu’il va de plus en plus loin. Cet album miraculeux s’achève avec le fast ride de congas de «Nobody Walkin’», Buck lance une sorte de fiesta frénétique et il devient héroïque, même si ça reste un groove typique de l’époque, mais Buck se met en roue libre, il dicte ses lois et voilà qu’arrive un solo de wild piano, quelle sinécure !

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    Les autres gros cultes d’Elektra sont bien sûr le MC5 et les Stooges. C’est l’époque Danny Fields qui devient tout de suite pote avec John Sinclair, le manager du MC5 - I thought he was a fantastic man. He was funny, il aimait la bonne bouffe, il aimait sortir, il aimait avoir des plans, il aimait causer. Et c’était un businessman. Il parlait le même langage que les gens du music business. J’ai l’ai virtuellement signé, lui ai serré la main et l’ai assuré que l’approbation de Jac ne serait qu’une simple formalité - Eh oui, Danny sait ce qu’il faut pour Jac qui est d’accord : «Danny had immaculate taste for the arcane and he knew I’d go for it.» Jac sait que l’arrivée du MC5 et des Stooges chez Elektra va faire grincer les dents de ses principaux collaborateurs, mais l’engagement politique du MC5 l’intrigue - Pour moi Sinclair n’avait rien de nouveau. Je m’étais fait les dents avec Phil Ochs. Sinclair avait plus de cheveux que Phil, il était plus violent, wild, woolly, intelligent et d’abord facile. Sinclair voulait le succès du groupe et Elektra était un label hip. La signature se fit aussitôt, dans les meilleures conditions. Les révolutions sont des événements immédiats et je voulais les enregistrer dans le feu de l’action, which meant right away - Tout se passe bien avec le premier album, puis ça dégénère assez vite. Bruce Botnick indique que le groupe défèque sur scène pour protester, puis ils barbotent l’équipement du studio où ils commencent à enregistrer le deuxième album. Alors Jac leur envoie un télégramme leur suggérant d’aller chercher un autre label. Ils traversent la rue pour aller signer chez Atlantic.

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    Danny propose les Stooges à Jac en même temps que le MC5. Jac est impressionné par Iggy qu’il situe beyond Jim Morrison - You had to be ready for something beyond stock outrageous - Chacun sait que les Stooges n’ont pas marché commercialement mais qu’ils ont inspiré autant de gens que le Velvet. Danny Fields dit que les deux albums des Stooges were way ahead of their time. Il parle même d’avant-garde - I thought it was the perfect group - Et nous aussi, on pense la même chose. Danny reprend : «J’aimais le MC5 pour leur vitalité, leur power, leur impact sur de grosses audiences et le carnaval qu’ils développaient sur scène. Mais j’aimais surtout les Stooges pour la pureté de leur son, de leurs chansons et de leur lyrics.» Et emporté par la flamme, il poursuit : «Sans les Stooges, il n’y aurait jamais eu de punk rock, de Sex Pistols, de Ramones, aucun des groupes qui furent importants dans les seventies. S’il n’y avait eu ni les Stooges et le Velvet, il n’y aurait plus rien d’intéressant aujourd’hui.»

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    Jac aime bien Danny Fields : «J’ai été vraiment charmé par des gens comme Frazier Mohawk et Danny Fields. J’aime bien avoir ce type de personnages dans mon orbite. Frazier still has an eye for the unusual.» C’est lui qui ramène en effet les Holy Modal Rounders chez Jac. Par contre, c’est Danny Fields qui présente Nico à Jac. The Marble Index est enregistré en quelques jours. Frazier Mohawk : «Le budget était très limité et le studio minuscule. On a enregistré la nuit, quand le studio était plongé dans le noir. Je suis tout de suite tombé amoureux de Nico. C’était un rêve que de travailler avec elle. Belle, théâtrale, and a marvellous human being. Les gens la trouvaient glaçante à cause de sa voix, mais elle était de compagnie très agréable et riait beaucoup. Il y avait beaucoup d’hero. Nico and I were stoned the whole time. Le fait d’être dans le même état qu’elle m’a permis de me concentrer sur la musique.»

    Comme tous les albums de Nico, The Marble Index est exclusivement réservé aux fans de Nico. On y retrouve l’ambiance glacée. Très difficile de rentrer là-dedans. C’est complètement barré. Très Nibelungen. Elle fait du germanique, pas toujours juste et c’est très loin du Velvet. «Ari’s Song» est plombé dès l’arrivée du chant. C’est très spécial, paumé, oui, elle semble complètement paumée. Bizarre que Jac ait pu entrer dans ce son. Il faut faire gaffe avec Jac, certains de ses premiers coups de cœur sont très ésotériques. Nico n’est pas faite pour le rock, elle est faite pour la légende. Il faut attendre le dernier cut, «Evening Of Light» pour trouver la perle noire : elle y crée du flux, c’est indéniable. C’est une fantastique cut de junk, joué à l’irréelle, dans un environnement supérieur. Et là on dit amen et merci à Jac.

    John Cale dit que Marble Index «is an artefact, not a commodity». Il ajoute : «You can’t sell suicide.» Il a raison, l’album ne se vend pas. Et bon prince, Jac déclare : «Sales are not the only benchmark.» Mais chez Elektra, Bill Harvey qui est le directeur des ventes ne peut pas schmoquer Danny Fields. Il ira même jusqu’à entrer dans son bureau pour lui péter la gueule. Jac : «Danny was let go by Bill Harvey who said : ‘I can’t stand Danny Fields, he’s wrecking the label, either he goes or I go.’ And I said OK, tu peux le virer. Maintenant je regrette profondément d’avoir autorisé ça. Danny Fields was smart, with excellent taste : highly outspoken, frequently outrageous.» Danny aurait pu ramener les Ramones chez Elektra.

    L’autre gros coup d’Elektra, c’est Delaney and Bonnie, enfin surtout Bonnie. Jac l’a repérée : «Bonnie was one hell of a singer, the best white blues chick singer I’d ever heard. Blonde à la peau claire but sounding so black. À 17 ans, elle avait chanté avec Ike & Tina Turner à Saint-Louis, elle fut une Ikette pendant trois jours avec une perruque noire et du fond de teint pour s’assombrir la peau.»

    L’Houghton nous rappelle que Delaney & Bonnie étaient the hottest act in the San Fernando Valley, ils faisaient partie d’un loose collective qui comprenait Gram Parsons, Leon Russell, Mac Rebbenack et Rita Coolidge. Le couple avait un backing band terrible, Bobby Whitlock, Carl Radle, Jim Keltner, Jim Price, Bobby Keys, qui dès qu’on leur proposa en 1970 d’accompagner Joe Cocker sur la tournée Mad Dogs & Englismen, mirent les voiles. Tous sauf Whitlock. Delaney & Bonnie n’avaient plus de groupe.

    Ils signent sur Elektra, mais Jac n’aime pas beaucoup Delaney : «I just didn’t like him. Il était sur le label parce qu’on lui a proposé un bon deal, et son manager voulait qu’il soit sur Elektra, mais Delaney always thought we were small potatoes, qu’on était pas dignes de lui. Avant même que l’album ne sorte sur Elektra, il essaya de le vendre à Apple, mais ce n’était pas possible, car le contrat était signé avec nous. Il était le prisonnier de son ego, burning the bridges with everyone.» Puis le couple pose vite un problème, car Delaney est tout le temps bourré et Bonnie most of the time mad. Jac évoque des problèmes terribles avec Delaney : «It was the only artist with whom I ever had major personal problems. Je dirigeais la compagnie et je ne pouvais faire de bons disques qu’avec des gens que je respectais. Il y avait chez Elektra des stars beaucoup plus importantes qui ne se conduisaient pas aussi mal que Delaney.» En fait Delaney se plaint que l’album ne se vend pas. Ça le rend agressif. Un jour il appelle Jac qui est en voyage en Angleterre pour lui dire qu’il est à Aardvark, Texas, là où vit son père, et qu’il n’y a aucun album de Delaney & Bonnie dans le local store - Il me disait : «Si demain, les albums ne sont pas dans ce magasin, je viens en Angleterre pour te buter.» Je lui ai répondu qu’il pouvait lui-même se charger d’y déposer ses albums. Ensuite qu’il pourrait aller terroriser un autre label, parce que je le libérais de son contrat. Enregistrer pour Elektra est un privilège qui marche dans les deux sens, pour l’artiste comme pour le label et personne ne peut me menacer.» Puis j’ai appelé David Anderle qui s’occupait du groupe, et qui avait eu lui aussi des problèmes avec Delaney. Il y a eu 15 secondes de silence et il a dit d’un ton très calme : «Well Jac, go look in the mirror and be proud of yourself.» So Delanay & Bonnie went to Atlantic, new home of the MC5... - À quoi, David Anderle ajoute : «And drove Ahmet Ertegun and Jerry Wexler crazy.» Fantastique façon de relater les événements.

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    Jac est le premier à reconnaître qu’Accept No Substitute paru en 1969 est excellent. Bonnie y fait des étincelles. Elle explose au moins trois cuts, à commencer par «When The Battle Is Over», qu’elle attaque à la black. Elle s’insinue dans le groove avec une voix de petite souris noire et elle transforme la Battle en pure staxerie. Même chose avec «Dirty Old Man», toujours très deep Soul dans l’esprit et bien monté aux chœurs. Il faut entendre Bonnie tartiner ses syllabes comme une géante de la Soul. Elle dégage autant d’animalité que toutes les grandes Soul Sisters. Elle embarque aussi «Soldiers Of The Cross» au combat. Elle invente carrément la deep Soul blanche. Elle sait se montrer énorme, d’autant que Jim Keltner double sur le tard du cut. Ça vire gospel frénétique et Bonnie s’active comme une diablesse. On entend aussi Rita Coolidge sur cet album. Elle chante dans les chœurs. Toute l’équipe est là, Leon Russell, Bobby Keys et Jim Price, Carl Raddle et Jim Keltner, bref tous les gens qui vont quitter Delaney & Bonnie pour aller accompagner Joe Cocker dans Mad Dogs & Englishmen.

    Bon, il manque encore un paquet de gens, mais on verra ça dans un Part Two.

    Pour se développer, Jac essaye d’embaucher Clive Davis, qui se disait mal loti chez Columbia. Jac lui propose «a thirty percent stake over time et l’opportunité de bosser en tandem, pour joindre nos forces. Il prit le temps d’y réfléchir, puis il déclina l’offre. Ça devait le gêner de bosser for a boutique label sans avoir l’infrastructure d’un gros label comme CBS derrière lui. Pourtant, c’est exactement ce qu’il fera plus tard avec Arista, mais en 1969, il n’était pas prêt.»

    Puis quand Elektra grossit, Jac n’a plus le temps de rien. Il bosse chez lui car au bureau il est constamment interrompu. Il se compare à un joueur de tennis qui joue contre cent adversaires en même temps. Il bosse tous les soirs tard et se lève de bonne heure chaque matin, et hop ça recommence. Puis apparaissait des crevasses dans sa relation avec Paul Rothchild. La décision finale appartient toujours à Jac, mais il laisse Paul monter ses projets, même si parfois Jac sent que ce n’est pas bon. Il cite l’exemple de Rhinoceros, a Rothchild-confected supergroup.

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    Puis quand il s’aperçoit avec le succès des Doors qu’il n’a pas les réseaux de distribution nécessaires, Jac sent qu’il doit fusionner. Il pose la question à Jerry Wexler qui vient de fusionner avec Warner : «Comparé à celui d’un label indépendant, que vaut le réseau de distribution d’une grande compagnie ?», et Wexler lui répond que le pire réseau de grosse compagnie sera toujours meilleur que la distribution d’un indépendant. Jac sent que l’ère de la distribution indépendante s’achève et qu’il faut intégrer un grand groupe. Il sait qu’Elektra ne survivrait pas au racket institutionnel des grosses structures qui prennent la distribution en charge. Il vend Elektra à Warner. C’est le début de l’ère WEA, Warner/Atlantic/Elektra, chaque label conservant la maîtrise de ses choix artistiques. Il ne restera que trois ans dans la multinationale et quittera son job de président pour aller s’installer à Maui dans le Pacifique - Pendant 23 ans Elektra fut toute ma vie. Tout en moi me disait que ce cycle s’achevait et arrivait à sa fin naturelle. Les seventies n’avaient pas été aussi prometteuses au plan musical. Mais quelqu’un devait veiller sur ma société et la solution que se semblait évidente était David Geffen. C’est Paul Rothchild qui dit tout le bien qu’il faut penser du nouveau boss d’Elektra : «Quand David Geffen est entré dans les eaux californiennes en tant que manager, les requins sont entrés avec lui et toute l’ambiance a changé. It became: ‘let’s make money, music is a by-product.’»

    Le fin d’Elektra sous la houlette de David Geffen n’est pas jojo. L’Houghton donne tous les détails, c’est le management à l’américaine, on vire en masse pour faire des économies.

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    Pour se remonter le moral, on peut écouter la petite compile encartée dans la troisième de couve de Follow The Music, l’autobio de Jac. Elle propose 26 cuts et couvre toute l’histoire d’Elektra, y compris les artistes de la première époque, ceux dont on n’écoutera jamais les albums, car ils sont terriblement spéciaux. C’est le folk des années 50, Jean Richie, Susan Reed, Frank Warner, Cynthia Goody, tous les caprices de Jac. Il y a aussi des blacks, Sonny Terry et Josh White. On tombe sur l’Americana pré-pubère de Kathy & Carol («Wondrous Love») puis ça rebascule dans le vieux Theodore Bikel et la pire de toutes, Jean Redpath qui roule des r, ah la garce ! Le premier gros truc est le «Banjo In The Hollow» des Dillards, ils sont encore pires que dans Deliverance, ils explosent tout à coups de banjos. À sa façon, Judy Henske défonce tout aussi, mais avec sa voix, dans une version somptueuse de «Wade In The Water». Judy is on fire ! Koerner Ray & Glover font une apparition avec une chanson de chain gang et là c’est pas terrible, on ne joue pas avec ces choses-là. On arrive dans le secteur des grandes voix avec Tom Rush et une version solide de «Milk Cow Blues». Admirable, grosse énergie new-yorkaise, trois albums sur Elektra qu’il faut explorer. S’ensuit le «Got My Mojo Working» du Butterfield Blues Band, ça joue sec et net avec Bloomy et Butter ne rigole pas. On monte au cran supérieur avec le jazz blues de Fred Neil. Fantastique «Blues On The Ceiling», magie pure du son et de la voix - I’ll never get out of this crazy blues alive - Grosse surprise avec The Incredible String Band, gentle folk-rock mais avec un drive, des guitares partout, c’est assez impressionnant. Quant à Phil Ochs, il est trop énervé. Il gratte comme un con, il chante à la colère pure, alors ça ne peut pas marcher. On est surpris par le timbre extrêmement chaleureux de Tom Paxton, par l’autorité féminine de Judy Collins et c’est à Tim Buckley que revient l’honneur de fermer la marche.

    Signé : Cazengler, Jacques Holsmerde

    Jack Holzman. Follow the Music: The Life and High Times of Electra Records in the Great Years of American Pop Culture. First Media Books 2000

    Mick Houghton. Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label. Outline Press Ltd 2010

    Judy Henske. High Flying Bird. Elektra 1963

    Judy Henske. Judy Henske. Elektra 1963

    Koerner Ray & Glover. The Return of Koerner Ray & Glover. Elektra 1964

    Koerner Ray & Glover. Lots More Blues Rags And Hollers. Elektra 1965

    Vince Martin & Fred Neil. Tear Down The Walls. Elektra 1964

    Fred Neil. Bleeker & MacDougal. Elektra 1965

    Paul Butterfield Blues Band. The Paul Butterfield Blues Band. Elektra 1965

    Paul Butterfield Blues Band. East West. Elektra 1966

    Paul Butterfield Blues Band. The Original Lost Elektra Sessions. Elektra Tradition 1995

    Delaney & Bonnie. Accept No Substitute. Elektra 1969

    Tim Buckley. Tim Buckley. Elektra 1966

    Tim Buckley. Goodbye And Hello. Elektra 1967

    Tim Buckley. Happy Sad. Elektra 1969

    Tim Buckley. Lorca. Elektra 1970

    Nico.The Marble Index. Elektra 1968

     

     

    Inside the goldmine

    - Darryl de poudre

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    — À vot’ bon cœur, m’sieurs dames... À vot’ bon cœur...

    L’aveugle assis au coin de la rue de la Convention psalmodiait tout le jour, de l’aube jusqu’à la nuit tombée. Un haut chapeau cabossé trônait au sommet de son crâne et comme le vieil homme portait passée autour du torse une trompette antique, on l’appelait Jéricho.

    — À vot’ bon cœur, m’sieurs dames... À vot’ bon cœur...

    Suffisants et ventripotants, les bourgeois du quartier passaient sans même lui jeter un regard. Ils ne craignaient pas le mépris de l’aveugle puisque celui-ci ne pouvait les voir. Ça leur conférait une sorte d’impunité qui, soyez-en sûrs, n’eut pas soulagé cette conscience qui leur faisait si cruellement défaut. Seuls les voyous du quartier, craignant sans doute de finir comme l’aveugle à mendier dans les rues, lui jetaient un sou. Cling !

    — Sank you Paris match, milord !, croassa l’aveugle d’un ton guilleret.

    L’aveugle le voyait-il ? L’apache eut un doute et il repartit d’un pas pressé, un sourire aux lèvres, en direction de la Seine qu’il franchit au Pont Mirabeau pour gagner Auteuil. Il alla s’enfouir dans l’ombre d’une porte cochère pour guetter une demeure bourgeoise. Il attendit le milieu de la nuit, s’introduisit dans le parc et escalada la façade jusqu’au balcon. En échange de la moitié du butin escompté, un vieux serviteur lui avait indiqué qu’une fois entré dans le salon par le balcon, il verrait un coffre. L’apache tailla la vitre au diamant, claqua le coupe et passa la main pour atteindre l’espagnolette. Il traversa le salon à pas de loup et vit le coffre, près de la cheminée. Il sortit d’une vaste poche intérieure un pied de biche et une tenaille de chirurgien de marine. Il entreprit de faire céder le premier gond. Puis le second. Il déboîta ensuite le lourd battant du coffre. Quelle ne fut pas sa stupéfaction ! Le coffre ne contenait ni argent, ni bijoux, juste un microsillon.

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    Crushed Butler, lit-on en haut de la pochette, Uncrushed, lit-on en bas et au milieu, trois graines de violence posent dans les éboulis d’un immeuble de banlieue écroulé. N’importe quel amateur de proto-punk aurait pu rassurer l’apache. En effet, ce microsillon de Crushed Butler vaut tout l’or du monde, enfin, de manière symbolique, entendons-nous bien. En fait, il ne vaut pas un clou sur Discogs. Mais bon, pour certaines personnes, c’est un Graal. Uncrushed ! Au seul prononcé du mot, certains visages s’illuminent. «My Son’s Alive» et sa fantastique heavyness éreintée, travelled down to Mexico, et puis «Ractory Grime» et ses syncopes cardiaques tirées tout droit du «Fire» de Jimi Hendrix. Fantastique osmose hectorienne ! Mais il y a aussi le glam d’«Highschool Dropout» et le Sabbing de «Love Fighter» : Jesse Hector y hallucine dans les mauves du premier Sab. Et puis il y a un DVD glissé dans la pochette : on y voit les trois Crushers répéter dans une cave, filmés en plan fixe, avec un Jesse Hector qui saute partout, tel un étalon sauvage.

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    Quel album étrange que ce Beat Existentialist enregistré en 1993. Darryl Read y propose une version surprenante de «Band New Cadillac». Il veut rendre hommage à Vince Taylor, alors il s’y colle. Il cherche l’écho et la canaille, il y va de bon cœur, mais il va dans le mur, c’mon sugar, personne ne peut égaler la grandeur de Vince Taylor. Le pauvre Darryl se vautre à coups de she ain’t coming back. Il tape aussi dans l’excellent «Gin House» rendu célèbre par Amen Corner. Ce vieil heavy blues remonte jusqu’à Bessie Smith, et Darryl y rôde comme un loup affamé. Il rend un bel hommage à Dylan avec son «Blue Fandango Man». Une vraie osmose, il fait son Dylan 66 à merveille, il ramène tout, même le masterplan et le Baltimore. Le hit du disk s’appelle «Shake Off The Devil». En fait ce sont les chœurs de filles qui en font la grandeur. L’univers photographique de l’album est rudement intéressant : on y trouve du perfecto et du sein tatoué. Darryl y joue son rôle de prince des ténèbres à la perfection. Il ramène bien son stranger dans «Love Is A Perfect Stranger». Dans «Vipers Of Harlem», il mugit comme un bœuf chargé d’ouvrir la voie. C’est comme toujours chez lui, excellent, plein de son et plein de filles qui font des chœurs.

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    En 1999, Darryl Read s’acoquine avec Ray Manzarek pour enregistrer Freshly Dug. Bon alors attention, il s’agit d’un exercice de style censé rééditer l’exploit poétique de Jimbo, lorsqu’il enregistra An American Prayer. Darryl Read lit ses textes et Manzarek l’accompagne au piano. Alors pour tromper l’hydre de la monotonie, ils varient habilement les genres. Ça devient vraiment intéressant quand ça vire jazz («Man O Jazz» ou «Behind The Beat»), et bizarrement Manzarek devient bon. Il est aussi capable de jouer le piano d’aube blême («Cup Of Dark») et de créer la sensation. On finit par succomber au charme discret de l’ensemble. Darryl est assez drôle avec ses petits poèmes de reptile family («The Plumes Of Fire») mais au fond on voit bien que Manzarek rafle la mise avec son excellence pianistique («Azur Skies»). Tout est très poétique sur cet album, très piano-advanced. Ils sont dans un son qui nous dépasse, puisque ça les concerne eux, directement. Darryl ramène sa poésie dans le giron du big Ray piano man («Broken Highways») et cet album hautement littéraire se termine avec «Last Poets Land». Du coup, Darryl Read devient un immense poète underground, un de plus.

     

    En 2002 paraît un autre album de Darryl Read, l’excellent Shaved qui s’ouvre sur une reprise stupéfiante de «You’re A Better Man Than I». Darryl Read se transforme en Max la Menace pour redynamiser les Yardbirds, dans l’éclat du chant proto-punk et des guitares flamboyantes. Darryl joue de la guitare mais le monster break est signé Geoff Knwoles. C’est Dave Goodman, the Pistol man, qui joue de la basse. Ce n’est donc pas un hasard si «Programme» sonne comme un cut des Pistols. Darryl y déploie la même ampleur, la même démesure, pas de problème, c’est un énorme shoot de big English rock. Puis il passe à Dylan avec «Love Falling Like Rain». Il fusille ça au riffing définitif, c’est terrifiant d’à-propos. Il tape chaque fois dans le mille : Crushed Butler, Third World War, les Yardbirds et maintenant Dylan. Aw my Gawd que de son ! On se croirait sur l’un des grands albums de Mick Farren, ça tape dans le haut de gamme imputrescible. Et le roi s’écria : «Mon royaume pour un Darryl !». Il y a bien sûr des cuts plus faibles mais il revient sur le tard avec une somptueuse cover de «Positively 4th Street». Il se rassasie du génie de Dylan, et réussit une fois de plus l’exploit d’y associer la pure Brit energy. Dans les pattes des proto-punks britanniques, le Dylanex ne pardonne pas.

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    Le Collectomatic Vol. 1 paru en 1997 ressemble étrangement à un passage obligé. Pourquoi ? Parce que Darryl Read y commente ses cuts, et là, on en a pour son argent. On a tout le détail d’«On The Street Tonight», vieux shoot de rock underdog, artefact du proto-punk, composé avec Jim Avery et enregistré en 1975. Le cut est ressorti en 2013 sur un single qu’on pouvait commander chez Crypt, à Hambourg. L’ex-Silverhead Steve Forrest joue de la basse et le lead guitar, Darryl bat le beurre et chante. La démo n’a pas plu, à l’époque. Darryl explique qu’au moment de Crushed Butler et d’«On The Street Tonight», il tentait de convaincre les mecs des labels que le proto-punk allait bientôt exploser, ce qu’il fit deux ans plus tard, avec les Pistols et tous les autres. Darryl et Jesse Hector avaient pas mal d’avance. «Back Street Urchin» date de 1976 et Steve Forrest joue aussi dessus. Ça sonne un peu comme les Pink Fairies, un peu éparpillé au gré des couplets, pour ne pas dire décousu. Manque de lien, manque de prod. On tombe un peu plus loin sur une puissante cover de «Play With Fire» enregistrée à Berlin. Avec «Trouble In The House Of Love», il fait autorité - We’ve got trouble in this house of love - Il sait rôder sous le boisseau. Et puis voilà le coup de génie : «The Devil In Black Leather» co-écrit avec Terry Stamp. Comme son nom l’indique, le cut parle de Gene Vincent, c’est groové dans le lard fumé, Stamp plays the slide guitar, pas de drums, Darryl tape sur un chaise en plastique. Rien plus mythique que ce genre de Black Leather. Terry Stamp est l’auteur de «La Punka Morbida», solide groove underground enregistré à LA - Body surfing South on the San Diego freeway - «Vipers Of Harlem» qu’on trouve sur Beat Existentialist est aussi co-écrit avec Terry Stamp. C’est d’ailleurs à cette époque que Darryl fait la connaissance de Ray Manzarek. Plus loin, il reprend le «Teenage Dream» de Marc Bolan pour en faire un bijou Dylanex. C’est dingue ce qu’il sait bien le faire. Il rend aussi hommage à Bo Diddley avec «Walking In Shadows» et à Captain Beefheart avec «Full Speed Ahead».

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    Si en 2013, on commandait chez Crypt l’«On The Streets Tonight» paru sur Last’ Year’s Youth Records, c’était pour pouvoir l’écouter jusqu’à plus-soif, comme on écoutait jadis nos précieux EPs des Pretties et d’Eddie Cochran, debout devant le tourne-disques. Il est bien le petit Darryl sur ce 45 tours. La guitare de Steve Forrest sonne comme une trompette, mais Darryl sonne comme un vrai proto-punk. La structure est classique, mais l’à-propos ne l’est pas. Il n’y a que des mecs comme Terry Stamp, Phil May, Steve Peregrin Took, Mick Farren ou Jesse Hector pour chanter avec un telle fureur apache.

    Signé : Cazengler, Darryl Raide (manche à balai dans le cul)

    Cruched Butler. Uncrushed. Crush Records 2013

    Darryl Read. Beat Existentialist. Rock Chix 1993

    Darryl Read & Ray Manzarek. Freshly Dug. Ozit-Morpheus Records 1999

    Darryl Read. Shaved. Madstar Records Ltd 2002

    Darryl Read. Collectomatic Vol. 1. White Label Records 1997

    Darryl Read Group. On The Streets Tonight. Last’ Year’s Youth Records 2013

     

    Il faut sauver le soldat Ryan

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    Tous les ceusses qui écoutaient la radio dans les années soixante se souviennent parfaitement d’Éloise. Ah comme ça gueulait dans la radio - Eloise/ Eloise/ You know I’m on my knees/ Yeah I said please/ You’re all I want so hear my prayer/ My prayer - Les frères Ryan n’y allaient pas de main morte. Ils sont même entrés dans l’histoire avec ce hit considérable que les Damned avaient repris sur l’album Anything. Dave Vanian rivalisait de virevoltes octaviennes avec l’excellent Barry Ryan qui comme beaucoup de gens célèbres en 1967 vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage. Pour les situer, Paul & Barry Ryan figuraient dans le peloton de tête des grands popsters britanniques.

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    Leur premier album Two Of A Kind paru en 1967 est une merveille absolue. On trouve en bout de la B deux cuts produits par Les Reed, «‘Twas On A Night Like This» et «Silent Street», un Les Reed qui se prend véritablement pour Totor, il ramène tout le saint-frusquin et ça tourne à la fantastique exaction productiviste. Barry Ryan chante «Silent Street» à l’extrême power du Silent Street, et Les Reed le monte en neige, au maximum des possibilités de la pop anglaise. En bout d’A, Ivor Raymonde, autre monstre sacré, produit «Am I Wasting My Time». Présence inexorable, les frères Ryan travaillent leur pop au corps. Avec «Hey Mr Wiseman», les frères Ryan rivalisent de vélocité avec Moby Grape. Ils vont vite et bien, c’est fast and beautiful et ça joue derrière à la fantastique énergie. Ils font aussi une cover des Yardbirds, «I Can’t Make Your Way» bien pop, avec une guitare suceuse. Cette belle pop anglaise pressurisée est l’un des joyaux de la couronne du roi Ryan. Ils tentent aussi le diable avec une cover du fameux «You Don’t Know Like I Know» de Sam & Dave. Ils le blanchissent, on perd la niaque, mais il faut saluer l’effort. Ils démarrent leur album avec une autre cover, «That’ll Be The Day», un hommage sucré au grand Buddy Holly. Les Anglais adorent Buddy Holly. Et sur «Love, You Don’t Know What It Means», les frères Ryan sonnent comme les Hollies, alors t’as qu’à voir. Globalement, ils se situent avec cet album au cœur de l’âge d’or du British Beat des reins.

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    Si tu veux mesurer le génie du soldat Ryan, inutile de sortir ton mètre-ruban, un simple Best Of suffira, comme par exemple celui que propose Repertoire : The Best Of Paul & Barry Ryan. Attention, c’est un double CD d’une rare densité. Il faut partir du principe que le soldat Ryan est un chanteur extraordinaire, que son frère Paul lui compose des chansons extraordinaires et qu’il bénéficie en prime d’une prod extraordinaire : bienvenue dans le saint des saints du Swinging London. Trois énormités guettent le chaland sur le disk 1 : «Have You Ever Loved Somebody», «I’m Telling You Later» et «Rainbow Weather». Ce sont trois fantastiques dégelées de pop anglaise, le Telling You Later est monté aux harmonies vocales des Hollies avec du shaking de glotte en prime. C’est même complètement saturé d’harmonies vocales. Le Rainbow Weather est amené à la cloche de bois et le soldat Ryan s’en va chanter ça au sommer du lard. «Have Pity On The Boy» - Baby pity on the boy - et «Carry The Blues» sont deux modèles de prod. Tout ici est gorgé d’écho et d’allure. Les frères Ryan chantent comme des Mods, à la folie du can’t you see. Même le rocky «There You Go» sonne comme une énormité, tellement c’est bien orchestré. Ils ont du son à un point inespéré. Ils surpassent tous les tenants et tous les aboutissants d’Angleterre, y compris les early Bee Gees et les Hollies. Paul et Barry Ryan sont de puissants seigneurs. Ils attaquent même leur «I Love You You Love Me» à la cornemuse. Ils font des fantastiques numéros de chant à deux voix («Keep It Out Of Sight» qui n’est pas celui de Wilko). On croit entendre les Beatles dans «Pictures Of Today» et on entend un guitar hero dans «Reincarnation Games». Le soldat Ryan se réserve le disk 2 et attaque avec l’un des plus grands hits des sixties, «Eloise». C’est une fantastique envolée mélodique avec la tension des tambourins, on a là un hit exceptionnel de Swinging Londonnery - Every night & day/ I break my heart/ To pliiiiise/ Eloiiiiise - Le soldat Ryan grimpe à l’Anglaise, avec une niaque très particulière qui n’appartient qu’aux dandys britanniques, une niaque chaude, bien timbrée, bien dans les knees. Il se paye en chemin des ponts à la Brian Wilson et finit à la Wilson Pickett. Barry Ryan est l’artiste complet par excellence. À côté d’«Eloise», «Kitsch» reste sans doute l’une des meilleures introductions à l’art fumant du lard fumé. Le soldat Ryan chante ça à l’efflanquée carabinée, comme il chante Eloise, il va chercher l’effort suprême dans l’heavily orchestrated, il sait monter son Kitsch en neige, c’est puissant et bien cadencé, au sens des cadences infernales, vraiment très impressionnant, il va chercher les effets maximalistes, «Kitsch» est un cut qui kicke, très harnaché, très caparaçonné, très flamboyant, bourré de farce de layers comme une dinde de Noël, le soldat Ryan s’en va hurler son beautiful word au sommet du mont Ararat comme s’il était le Moïse du Swinging London. L’autre coup de génie, c’est «I’ll Be On My Way Dear», amené au heavy beat de gaga brit, au monster push. Le soldat Ryan s’en va screamer au bout du lac, ça sonne comme du proto-punk, c’est un passage obligé pour un DJ car on a là l’un des cuts les plus définitifs du Swinging London. Barry Ryan l’explose. En fait, les frères Ryan combinent bien les climats, ils se donnent tous les moyens. Ils sont dans l’exercice de la puissance. Leur pop chargée reste invariablement du meilleur goût. «The Hunt» se développe comme un hit de Jimmy Webb. Le soldat Ryan chante à l’extrême pulsion du gig, il accompagne ses compos et les enlace. Dans «It Is Written», il a des chœurs terribles derrière lui, les girls sont explosives, c’est une véritable clameur et Barry fait son dandy, il sait monter par dessus les toits. Encore une énormité avec «Sanctus Sanctus Hallelujah», il claque sa pop quand il veut. Mélodiquement parlant, son Sanctus reste exceptionnel. Il fait du Tamla anglais avec «Give Me A Sign» et son «Alimony Money Blues» sonne comme un hit des Kinks. Il retrouve les accents épiques d’«Eloise» dans «We Do It Together», bref, pour qui ne connaît pas le soldat Ryan, ça peut être une révélation.

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    On ne perd pas son temps à entrer dans les cinq albums que le soldat Ryan a enregistrés entre 1969 et 1972. Les pochettes sont toutes superbes. Bienvenue dans la grand art du Swinging London avec Barry Ryan, un Raymond Polydor arrivé premier en 1969. Le hit s’appelle «I See You», un enchantement. On se régale aussi du «Makin’ Eyes» en ouverture de bal de B et de cet environnement orchestral solide comme un bœuf. Tout est très ambitieux sur cet album, très composé. Dans le «Man Alive» qui boucle le bal d’A, on observe une fantastique tension d’I’m alright et d’I’m OK. Le soldat Ryan chante son «Not Living Without Her Love» au timbre Brit pur, d’une voix ample et âpre à la fois, et d’une résonance exceptionnelle. Il est l’un des très grands chanteurs de son temps. On ne se lasse pas de sa magnitude et de sa clameur.

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    Si on ouvre le gatefold du Barry Ryan Sings Paul Ryan paru la même année, on voit les deux frères au travail, Barry debout et Paul de dos assis au piano. Mais on voit surtout deux des plus belles superstars d’Angleterre. Ce sont des dandys londoniens, ils portent la même chemise blanche à motifs imprimés et d’énormes rouflaquettes. En plus, l’album est monstrueux. On se prosterne devant «Why Do You Cry My Love» : grande pop, vraie voix, grand élan. Ils continuent de baigner dans l’excellence avec «The Colour Of My Love». Paul & Barry Ryan naviguent au même niveau que Lennon & McCartney et que Jimmy Webb. Ils cultivent l’art pop. D’ailleurs, la pochette offre une troublante ressemblance avec celle du Twelve More Times de P.F. Sloan. «Eloise» boucle le bal d’A avec le même power vocal et composital. Le soldat Ryan s’en va chanter là-haut sur la montagne, c’est un hit à la fois épique et fascinant. Même power et même ambition que «MacArthur Park». En B, ils font avec «My Mama» un heavy pathos spectaculaire. Le soldat Ryan clame son amour à sa mère. Tout ici est formaté au sommet du lard, cette pop gorgée de vie et de power flirte avec le surnaturel.

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    On trouve deux belles énormités sur Barry Ryan 3 : «Follow Me» et «We Did It Together». Avec le Follow Me, ils font du Jimmy Webb de London town, c’est de la heavy pop dotée de développements orchestraux assez mirifiques, c’est plein d’énergie et d’excellence de la prestance. «We Did It Together» ouvre le bal de la B et laisse échapper des échos de «Let’s Spend The Night Together». Le soldat Ryan orchestre au chant toute la démesure du Swinging London. Encore de la belle pop orchestrée avec «Stop The Wedding». Le soldat Ryan se coule dans son moule avec une élégance qui en bouche un coin. Il finit encore une fois au shouting de star. Ils font de la Soul blanche avec «In The Shelter Of My Heart». Présence inexpiable, comme toujours. Et puis on a cette pop alerte et vive, «Better Use Your Head», dressée face à l’horizon, avec son jabot et sa mâchoire volontaire, une pop de dandy absolu. C’est sur cet album qu’on trouve «Kitsch» dont on a déjà dit le plus grand bien. Barry barrit bien sa dandy pop et grimpe son beautiful word dans les volutes de trompettes antiques. Les vagues de violons libèrent des staccatos d’effluves capiteuses.

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    Le dandy Ryan orne la pochette de Red Man. Toute la viande est en B, cette fois, à commencer par «Dance To The Rhythm Of The Bard», un cut extrêmement bien contrebalancé et orchestré à l’anglaise, avec cette voix en figure de proue, toujours bien profilée. «Show Me The Way» est une pop qui se donne les moyens de ses ambitions, avec notamment l’adjonction de chœurs d’église somptueux. Le soldat Ryan mérite bien ça. Le hit de l’album, c’est «I’ve Been Around», pur jus de good time music, anglicisme à toute épreuve et ampleur considérable, à la fois digne du Brill Building, du Swinging London et de Broadway. Il termine l’album avec un «It Is Written» superbement orchestré - I’ve been down so long/ I could not say - Il chante à la fantastique persistance de Jesus Christ/ He will care for me et il repart à l’assaut du ciel.

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    Retour du dandy jaboté pour Sanctus Sanctus Hallelujah. On y trouve l’excellent «Alimony Honey Blues» digne des Kinks comme on l’a dit, mais aussi de Ronnie Lane. Le «LA Woman» d’ouverture de bal de B n’est pas celui des Doors et les frères Ryan retrouvent leur veine avec «I Think You Know My Name», une belle pop ambitieuse gorgée de développements. Le morceau titre est une merveille inexorable, une pop de gospel londonien signée Paul Ryan, bien au-delà des attentes de camping camp. Avec «Storm Is Brewing», les frères Ryan se fâchent, ils ramènent du gros riff anglais, on se croirait sur le premier Sabbath, c’est exactement le même son. Par contre, ils sonnent comme les Monkees avec «When I Was A Child». On entend les riffs de «Last Train To Clarksville». Le soldat Ryan ramène du heavy beat dans «Slow Down» et cette fois il frise le Lennon. Il boucle l’album avec un «From My Head To My Toe» signé Russ Ballard, grande pop anglaise, bien bâtie et dans les pattes de Barry, ça prend de l’allure, beaucoup d’allure.

    Signé : Cazengler, Barry rillettes

    Barry Ryan. Disparu le 28 septembre 2018

    Paul & Barry Ryan. Two Of A Kind. Decca 1967

    Paul & Barry Ryan. The Best Of Paul & Barry Ryan. Repertoire Records 1998

    Barry Ryan. Barry Ryan. Polydor 1969

    Barry Ryan. Barry Ryan Sings Paul Ryan. MGM Records 1969

    Barry Ryan. Barry Ryan 3. Polydor 1970

    Barry Ryan. Red Man. Polydor 1971

    Barry Ryan. Sanctus Sanctus Hallelujah. Polydor 197

     

    L’avenir du rock

    - Tame ça ou Tame pas ça ?

     

    Contrairement à ce que tout le monde croit, la vie de l’avenir du rock est un vrai cauchemar. Dans la rue, les gens l’accostent sans arrêt :

    — Que pensez-vous du dernier album de Catarina Shit ? Téléramax en dit le plus grand bien !

    — Savez-vous si Jean-François Asshole va remporter les élections ?

    — Dites-moi, avenir du rock, pensez-vous comme moi que les Bleus vont écraser la Patagonie, ce soir, au stade de France ?

    Eh oui, l’infaillibilité peut détruire une vie. Alors l’avenir du rock n’a plus que deux solutions : changer de sexe ou altérer volontairement son jugement. Il écarte rapidement la première solution car les cons vont sauter sur l’occasion pour l’appeler Madame Soleil. Alors, il opte pour la deuxième solution, au risque d’y perdre son honneur. Mais bon, au point où en sont les choses...

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    Si on souhaite tester la faillibilité des choses, Tame Impala est le cobaye idéal. Ce groupe de la nouvelle vague psyché fut porté aux nues par les Shindigers - Kevin Parker (...) shows how psychedelia can move with the times - Alors que fait le fidèle lecteur de Shindig! ? Il se penche sur le cas du Lonerism paru en 2012.

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    On y trouve en effet de la mad psychedelia, notamment dans «Mind Mischief», joué à la heavyness de gros consommateurs d’acide. Ça groove au nowhere land, ça se perd dans des Sargasses, du coup on s’y prélasse. C’est un son qui emporte la cervelle comme le ferait un boulet rouge à l’abordage. Même chose avec «Keep On Lying» joliment nappé d’orgue et fabuleusement embarqué pour Cythère. Ça s’étend à longueur de temps, bien élancé aux guitares. Avec «Elephant», les Tame nous font du glam de Tame. Ils renouent avec l’énergie du riff glam et ça sonne comme un hit des Beatles. Tout aussi digne des Beatles, voici «Nothing That Has Happened So Far Has Been Anything We Could Control». On sent que ces Australiens de Perth adorent le son. Quand on écoute «Be Above It», on se croirait convié à une fête. Ces mecs imposent un son qui se répand, plein d’écho, lancé comme une passerelle vers l’avenir. On se demande bien quel rêve poursuivent ces mecs dans «Apocalypse Dream». Ils font leur petit business de voix écloses dans la douceur des matin blêmes. C’est très spécial. Ça prend un peu la gorge. C’est quasiment du symbolisme à la Fernand Khnopff. Ils réussissent leur coup. Ils créent la sensation sans effort. Le son des Tame se répand en continu dans les plaines, ils créent leur monde, indéniablement. On devrait plutôt parler de voyage musical, car tout est très changeant. Encore un cut terriblement impliqué avec «Music To Walk By». Ils s’inscrivent dans le temps. Ils marquent les esprits. Ils montent même sur leurs grands chevaux pour un «Why Don’t They Talk To Me» poppy et alerte. Voilà encore l’un de ces disques bien foutus mais noyés dans la masse.

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    Leur premier album s’appelle Innerspeaker et date de 2010. Dès «It’s Not Meant To Be», on les sent motivés. Ils sont très psyché dans l’esprit. Ils sont dans leur trip, faut pas les embêter. C’est plein de son et de bonne volonté, mais pas de voix ni de mélodie. C’est tout sauf une chanson. Impala n’est pas là. Par contre, si on cherche la viande, elle se trouve dans «Alter Ego», une pure merveille, ils arrivent en vol plané et explosent dans l’œuf du serpent, et là on peut dire que ça devient monstrueux. L’autre smish smash de l’album s’appelle «Runway Houses City Clouds». Ils grimpent à la surface avec les moyens de l’excellence psychédélique, c’est très gonflé de leur part. Ils sont là dans une sorte de génie du son, des processus se mettent en route et on s’en effare. Quant au reste, c’est très varié. Avec «Desire Be Desire Go», ils se prennent pour les rois du gaga, c’est assez violent et plein de pouet-pouet, alors forcément ça sonne un peu les cloches. Dommage que le chanteur n’ait pas de voix. Son everyday ressemble à un radis noir. «Why Won’t You Make Up Your Mind» sonne comme une belle expectation psychédélique destinée aux cervelles fragilisées. Leur truc finit par exploser, c’est prévu. «Solitude Is Bliss» a de jolies jambes et les solos s’écoulent dans la rivière. Ces mecs sont un peu des diables, ils créent des ambiances de non-retour, leur mélange finit par devenir hautement toxique. Disons pour faire court qu’ils produisent un psyché racé et acéré. Même sans voix, «Expectation» atteint des profondeurs. Ces mecs sont dans l’épaisseur du son et savent finir en beauté : certaines fins comme celle-là sont spectaculaires. «The Bold Arrow Of Time» sonne comme un chèque en blanc sur le compte du rock. Ces mecs jouent leur va-tout au heavy blues graveleux. Ils sont capables de tout, ce qui les rend sympathiques. Ils terminent avec «I Don’t Really Mind». L’album est tellement chargé de son qu’il menace en permanence de couler. Ils amènent ce final cut au petit drive de disto et ça prend vite des proportions extravagantes. Bravo pour ce festival de heavy psycho-pot-au-feu.

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    Le Live Versions paru en 2014 est un excellent album. Attention, les synthés brouillent les pistes sur toute l’A, même si les thèmes récurrent, grâce à une dominante élégiaque. En fait ce sont les thèmes qui captivent. C’est en B que se joue le destin de l’album, et ce dès «Halfull Glass Of Wine», qui renoue avec les guitares, c’est même assez heavy, une bonne aubaine, avec un petit cœur de métier hypno. Très bonne emprise. On reste dans l’hypno dodelinant avec «Be Above It». On retrouve cette qualité mélodique superbe, même si c’est relayé par des machines. On reste dans la grâce avec «Feels Like We Only Go», chant très mélodique, certains accents pointent sur la mélancolie du Robert Wyatt des Windmills, mais c’est lointain. Les ambiances sont superbes, encore une finesse mélodique édifiante dans «Apocalypse Dreams», ce mec crée la sensation, il déploie ses climax comme savait si bien le faire Todd Rundgren en son temps. Ça donne au final un ersatz paradisiaque.

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    Et puis les choses commencent à se gâter avec Currents, paru l’année suivante. Ils sont comme qui dirait passés à autre chose, à un son plus synthétique, et là, ça coince, même si «The Moment» vaut pour une belle pop envahissante. Mais dans cet album, il n’y a pas plus de psyché que de beurre en broche. Si le Tame de Currents est psyché, alors la concierge de l’immeuble est la sœur du pape. Et ta sœur, elle bat le beurre ? Les Tame ta mère sont passés à la pop orchestrale qui pète plus haut que son cul, une petite pop d’orchestral manœuvre in the dark, ils articulent leur petit monde au chat perché, mais franchement, il n’y a pas de quoi se damner pour l’éternité. «Eventually» sonne comme une petite pop de pétales. On y va ou on n’y va pas. Chacun cherche son chat. «Gossip» manque tragiquement de power mélodique, ils n’ont pas de wall, et pas grand chose dans la culotte. Leur pop vire trop electro et ça coince. On finit par ne plus entendre que les synthés. Les guitares ont complètement disparu et ça commence à craindre. Fuck the machines. Dans «Disciples», le mec se prend pour Dwight Twilley, il chante au petit chat pelé perché, mais ça ne marche pas, car bien sûr la magie se fait porter pâle. Tame is lame. Ils essaient de revenir avec du son dans «Reality In Motion», mais les fucking synthés dévorent tout, comme le feraient des crabes des cocotiers affamés de chair fraîche. Ils nous font le coup de la larmoyante avec «Love/Paranoia», mais la crédibilité s’est barrée depuis longtemps. Elle est partie se coucher. Cet album méprise les conventions de Genève et se situe au delà de toute forme de médiocrité. Tame ta mère ! Ils sont dans un délire de synthés et font injure aux lois sacrées du psyché so far out. Ils croient faire sensation en réhabilitant les machines, mais ça ne marche comme ça.

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    Allez, soyons magnanimes et donnons-leur une chance de se racheter avec The Slow Rush. Hélas, les machines sont toujours là. Tame peine à jouir. Ça pue la boîte à rythme. Kevin Parker est dans un son qui ne va pas bien. Trop electro, pas de guitares, c’est pénible. On s’emmerde comme un rat mort. C’est bien, car chaque fois qu’on s’emmerde comme un rat mort, on pense à Choron. Plus on avance dans l’album et plus ça plonge dans l’electro. Ni Bardo Pond ni Wooden Shjips ne nous infligeraient une telle confiture de déconfiture. Et le Parker fait son petit numéro de chat perché et en plein «Posthumous Forgiveness», il nous sert en prime un solo de synthé. On se croirait chez Rick Wakeman. Berk ! Nous voilà au paradis de l’electro shit de choc, c’est tragique, tout est sevré de synthé, tout sonne faux. Si c’est ça le psyché du futur, laisse tomber. Tame n’offre aucun échappatoire, les tentatives d’enrichissement de l’uranium échouent lamentablement. Le problème est qu’on attend monts et merveilles d’un groupe qui n’a plus grand chose sous la capote, à part un synthé en forme de saucisse plate. Ils vont même pousser l’ignominie jusqu’à injecter du simili-reggae dans l’electro-shit de «Lost In Yesterday». Ils finissent par battre tous les records de putasserie avec «It Might Be Time». Et comme si ça ne suffisait pas, ils te font le coup de lapin avec le diskö-funk de «Gimmer». Whoah !

    Signé : Cazengler, Impala peine de discuter

    Tame Impala. Innerspeaker. Modular Recordings 2010

    Tame Impala. Lonerism. Modular Recordings 2012

    Tame Impala. Live Versions. Modular Recordings 2014

    Tame Impala. Currents. Fiction Records 2015

    Tame Impala. The Slow Rush. Island Records 2020

    *

    Des groupes qui se prénomment Moonstone vous en trouvez pratiquement dans tous les pays. Celui-ci vient de Pologne. De mémoire si je ne m'abuse c'est le premier groupe polonais que nous chroniquons. Quand j'ai vu qu'ils étaient basés dans la cité de Krakow j'ai cru qu'ils provenaient des abysses du Kraken, seulement de Cracovie. Deux opus à leur actif, le dernier est paru ce 03 décembre 2021, avant de l'écouter nous tendons l'esgourde gauche sur leur première production, en décembre 2019.

    MOONSTONE / MOONSTONE

    ( Interstellar Smoke Records / 2019 )

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    The oncoming : bizarroïde, à peine une minute et demie et vous ne savez pas quoi en penser, tout ce que vous pouvez désirer est dans cette mini-boîte magique, de belles sonorités cordiques, une espèce de sifflement interstellaire sous-jacent, des éclatements d'orages continus, rien d'assourdissant, un trop-plein sonore des plus agréables. Mushroom king : dés la première seconde une curieuse voix de fausset nous raconte une courte histoire à dormir debout, étrange musicalement ce n'est que la reprise de l'introduction, une réplique à l'identique, on avance lentement, ne se pressent pas, le fuzz fuse par-dessous, l'on pressent quelque chose mais quoi, pas cette espèce de cantique majestueux et lorsque l'on croit le morceau fini, ils mettent en marche le sèche linge, vite fait bien fait, vous comprenez au moins le champignon sur la pochette, le morceau est dédié à ce monarque, mais quel est son royaume. Pale void : méfions-nous des champignons, vous mènent facilement par le bout du nez en voyage, pas de panique l'on s'élève sans secousse sur un tapis volant, l'a déjà quitté la stratosphère, une guitare claironne le riff sempiternel qui vous emporte de plus en plus vite, cette accélération est amortie par la batterie qui ralentit le rythme alors que basse et guitare grimpent maintenant dans l'espace intersidéral, la voix que vous entendez n'est pas la musique des sphères mais un chant sacré processionnaire, fermez les yeux l'espace est noir mais l'œil de la lune éclaire votre âme, vous marchez sur la voie lactée, la voix vous appelle, montez et planez, vous êtes bercé par un mouvement ouaté qui vous enfonce toujours plus profondément vous ne savez pas dans quoi, la basse vous caresse, la batterie devient tribale et le bonheur vous envahit, vous êtes redevenu le bébé que vous n'êtes plus, vous buvez le lait à même le sein virginal de Diane la chasseresse. Ash and stone : la guitare s'assombrit, la batterie appuie lourdement, la basse balaie vos émotions, qui êtes-vous pour croire que l'on pose ses lèvres sur les dômes sacrées de Séléné sans contre-partie. Il est des laits qui sont trop beaux pour les simples mortels, ce suc nourricier comporte une part sauvage, elle n'est pas destinée à votre faible constitution, un chœur d'avertissements s'éloignent dans le lointain, la musique est omniprésente et en même temps elle semble s'éclipser alors qu'elle vous écrase de plus en plus violemment, vous ne savez plus qui vous êtes, pas très grave vous n'êtes pas grand-chose, mais elle l'Immortelle que vous veut-elle, votre cœur s'emballe, tout va trop vite, vous étiez tapis de cendre et maintenant la pierre brûlante qui roule sans fin, lancée comme un boulet de canon, troupeau de chevaux sauvages, galopant au-delà du zodiaque. SulphurEye : sans préavis dans l'orbite de l'œil de soufre. Vents violents et pluies acides. Vous ne saviez donc pas où vous mettiez vos ailes frelatées, grandiloquence menaçante, la basse est une flamme de bougie qui manque d'oxygène, vous voici dans un pays sombre et désolé, mille lumières vous assaillent, du pareil au même, cet instant s'appelle la mort, la voix vous cloue au piloris de votre souffrance, la batterie martèle votre condamnation sans appel, vous avancez dans le dernier corridor, le background devient plus lourd, tu n'en réchapperas pas, énorme poussée dans votre dos, on ne résiste pas une telle force, la musique incoercible s'éteint doucement, vous ne l'entendez déjà plus. Une seule consolation vous n'aurez pas à vous plaindre. La lune froide comme une pierre clignera-t-elle de l'œil en lorgnant votre cadavre inutile.

    Superbe chausse-trappe, Moonstone vous offre les reflets chatoyants des pierres de lune, vous aimeriez les garder prisonniers de votre regard, mais ils sont changeants, insaisissables, un nuage qui passe, une inclination de votre tête et la pierre change de couleur, peu à peu les reflets s'assombrissent et la tête ricaneuse de la mort vous sourit... Cependant l'ensemble vous ensorcèle du début à la fin.

    1904 / MOONSTONE

    ( GSHIRS005 / 2021 / Bandcamp ))

    ( Pre-order : diponible en vinyl, CD, cassette, au 30 / 01 / 2022 )

    Une couve bien mieux réussie que la précédente qui laissait l'amateur dans l'expectative. En arrière-fond mais dominant l'image, la lune, au centre un monolithe commémoratif, érigé au milieu d'une place, pointe vers le ciel. Derrière les bâtiments, les cimes de hauts sapins teintent l'atmosphère d'une touche funèbre. A quoi correspond la date de 1904 : la mise en train d'un soulèvement populaire contre l'occupation russe en 1905, je n'en sais rien.

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    Magma : le premier Ep de Moostone ressemblait un peu à un conte pour les enfants, il se terminait mal certes, mais ici l'ambiance est d'entrée et de facto beaucoup plus noire. Une longue suite que l'on pourrait qualifier de musicale si ce n'était qu'un très court espace réservé au vocal. A lire les lyrics, l'on s'attend à une énorme tonitruance sans fin, pas du tout, de la mutation géologique décrite par les paroles, Moostone n'exprime que l'inéluctabilité du phénomène géophysique. L'orchestration est grave mais pas forte. L'on assiste au déploiement de quelque chose de monstrueux, comme vu de haut, observé d'un avion par un pilote qui n'entendrait rien mais qui serait aux premières loges du cataclysme, il ne peut rien faire pour s'y opposer, alors il jouit esthétiquement de la fureur des éléments, une lave rouge issue des profondeurs de la terre ravage la planète. Grandiose et magnifique, Moonstone tisse un linceul musical, un voile noir horrifique qui recouvre les continents, la musique se soulève comme la respiration d'un mourant, un immense géant de pierre, qui chercherait à reprendre souffle, qui tousse d'angoisse et de terreur, sans ostentation, écrasement carcasseux de batterie, scie de guitare, turbine de la basse. Tout s'apaise pour mieux redémarrer, une guitare qui égrène un vent triste de sanglots, l'acmé de la catastrophe est dépassé, l'horreur continue, si victorieuse qu'elle en paraît paisible. Plus rien à prouver. Tout est accompli. Nostalgie de ce qui est et qui triomphe, tout se précipite, le dernier effort, le drap dont on recouvre le cadavre, le moment crucial de l'adieu, la terre a gagné, les hommes n'existent plus. Tsunami écologique. Flonflon de l'extinction humaine. Définitive. La vengeance est assouvie. L'engeance détestable anéantie. Spores : quels sont ces bruissements, ces notes de basse comme si un débutant faisait ses gammes, l'on croyait qu'il n'y aurait pas de suite, que le sujet était mort et enterré, que l'espèce humaine avait été annihilée, si l'on en juge par la montée instrumentale progressive il n'en est rien, les atomes dispersées et enfouies des œufs du serpent de la vie venimeuse, s'interpellent et s'accouplent entre eux, un nouveau cycle est en préparation, nette coupure dans le morceau, l'on ne suit pas pas à pas toute l'évolution, l'on use de la métaphore pour traduire l'idée que toute existence est tissée de sa propre mort, l'on nous raconte l'histoire du roi mort dont les enfants s'emparent de la couronne non pas pour préserver le royaume mais pour affirmer leur volonté de puissance, dans l'unique but de tuer leurs semblables, la musique se calme comme désabusée, même plus la peine de chanter, parler suffit, la ronde continue tout lentement, voici qu'elle tournoie et virevolte sur elle-même à toute vitesse, une toupie folle que rien n'arrête et qui sème la terreur et la désolation, le plus terrible c'est que cela importe peu, qu'elle tourne vite ou lentement la meule n'en broiera pas moins la quantité de grains à moudre, vis sans fin ni commencement, lorsque tout aura été réduit en poussière, les spores se reconstitueront et tout recommencera. Eternellement.

    Plus sombre, plus tragique, plus désespéré que le précédent, mais bien plus beau, un chef-d'œuvre du stoner-doom. Terriblement pessimiste. Schopenhauerien. Le monde comme volonté d'impuissance à se surmonter.

    Damie Chad.

    *

    Amis rockers nous ne parlerons pas ici de lindy hop, ni de jerk, ni de pogo, ni de toutE autre danse en relation directe avec la musique rock. De fait nous n'évoquerons pas la danse en tant que danse se déroulant devant nos yeux, mais de représentation graphique de la danse. Notons que toute représentation de danses quelles qu'elles soient, tous styles confondus, ne sont que représentations de mouvements. Le lecteur kr'tntiste réticent à ce genre d'exercice pourra jouer au jeu chinois de la métaphore en répondant à la question suivante : si le rock 'n' roll est un art que représente-t-il ?

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    Léa Ciari se définit comme artiste plasticienne. Soyons plus précis, peinture, photo, vidéo, musique. Je l'ai entendue interpréter divinement les Gnossiennes d'Eric Satie. Non elle n'est pas spécialement rock 'n' roll, serait plutôt jazz, l'aime aussi jouer et chanter au piano les vieilles rengaines populaires d'Italie et d'ailleurs, mais dans cette chronique je n'évoquerai en rien cet aspect musical. Me contenterai d'explorer une partie de sa production graphique, ce dernier mot est assez approximatif, mais je n'en connais pas d'autre qui me satisfasse. L'expression '' arts plastiques'' ne me plaît guère, ressemble un peu trop à celle de '' sandwichs composés '' qui contiennent on ne sait trop quoi. Je préfèrerais employer les termes d'arts synesthésiques qui ouvrent à l'idée de plusieurs arts ou moyens d'expression emmêlés, nous entrons là en des ratiocinations superfétatoires quant à ce qui suit.

    Le lecteur intéressé trouvera sur son FB nombre de photos de ses représentations picturales et photographiques, notamment la série de 81 éléments intitulée Dance.

    QUAND LEA CIARI DANSE

    1

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    Blanc acrylique sur fond noir. Cette esquisse n'est pas sans évoquer une certaine idée de la nudité. Juste suggérée par l'échancrure des corsages. Le flou rapide des vêtements n'empêche pas la netteté des formes. S'en dégage non pas la prégnance du groupe mais l'idée de la force. Elles dansent, fixées dans leur immobilité, elles ne vieilliront plus, le pinceau de Léa Ciari les a arrachées de leur danse, les a immortalisées dans un bref instant de papier, les a détachées d'elles-mêmes, leur a permis d'échapper à la vie vivante du temps qui passe et qui déjà n'est plus.

    2

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    C'est un peu comme si l'on repassait un film à l'envers. Cette photographie précède la vue précédente. Représente-t-elle la réalité d'un spectacle, disons qu'elle est déjà la réalité travestie par le regard et le travail de la photographe. Nous ne croyons pas à une simple prise de vue objective. L'art est un traficotartge. L'on n'expose pas, l'on impose. Que font ces femmes ? Vers quoi tournent-elles leurs regards ? Implorent-elles ? Sont-elles Les Suppliantes d'Eschyle ? A vrai dire l'on s'en moque, elles sont la représentation de quelque chose dont on ignore tout, si ce n'est cet aperçu que Léa Ciari daigne nous montrer.

    3

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    L'on ne sait pas davantage, mais l'on sait mieux. Léa Ciari a rajouté du rouge. Un nuage de sang sur le mur décrépit du haut. Voici nos danseuses comme arrosées de cette rosée sanglante qui teint leur vêtement. Ne serait-ce pas une lumière ensoleillante qui les éclaire et leur distribue en partage l'orange de l' espérance. L'image est terriblement ambigüe. L'artiste se joue de nous. Nous sommes la plaque sensible, à moitié positive, à moitié négative, le verre d'eau à moitié rempli de nos impressions. Cédons-nous aux vertiges de l'interprétation, la photographe s'amusera-t-elle à varier les couleurs pour juger des effets des différentes teintes. Qui mène la danse, l'artiste, la technologie ou le hasard ?

    4

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    Acrylique manifestement inspiré de la série précédente, trois danseuses isolées du groupe, toujours cette impression de femmes d'Afrique qui baissent en s'accroupissant très légèrement leur centre de gravité ce qui leur permet de soutenir sur leur tête de lourdes charges, autant sur les trois premières images l'on pensait à un ballet classique mis en scène d'une façon moderne, autant maintenant l'on est convaincu qu'il s'agit de danse contemporaine. Le rouge a perdu toute référence sanguine, il recouvre le mur, comme si l'on dansait devant le rideau, quant à nos trois danseuses leurs visages arborent le look des joyeuses commères shakespeariennes, nous tutoyions le drame antique, nous voici dans la réalité humaine quotidienne. Quasi aristophanesque. Avec de mêmes lettres vous composerez des histoires différentes, le peintre évoque autres spectacles du monde en usant des mêmes formes, des mêmes couleurs.

    5

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    Elles étaient trois, elles sont deux. Acrylique. Pure, serais-je tenté d'écrire, couleurs et motif. L'on n'est pas loin des Danseuses de Degas et pourtant à cent mille lieues. Cela ressemble à une ébauche. Ce qui est très bien. Hélas, cela ressemble encore plus à notre monde, qui se déglingue. Ce qui est beaucoup plus inquiétant. Trop fragile, trop hâtif, des essais de mouvements qui ne respirent pas la beauté, trop humbles, trop maladroits. Des filles honteuses qui n'osent pas nous regarder en face. Léa Ciari accompagne ce chef-d'œuvre d'une citation de Pina Baush qui déclare que le mouvement de la danse commence quand les mots se taisent et quand le geste isolé s'arrête. Notons le défi relevé par Léa Ciari, sûr que sur un tableau le mouvement est stoppé, figé en son élan, que le peintre ne peut rivaliser avec le danseur, mais la danse est un acte fugace qui meurt dès qu'elle cesse, alors que la peinture reste en elle-même en son fragment stabilisé de mosaïque mouvante. Si je devais qualifier ceci j'inventerais le terme d'art-post, non pas celui qui continue ce qu'il y a eu avant, mais qui arrive après tout ce qui a précédé. Il ne lui reste plus rien à signifier, sinon que nous sommes au bord de l'abîme. Est-ce un hasard si une des œuvres suivantes s'intitule : Danser jusque sur le bord des abîmes.

    6

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    Si la peinture est l'art qui reste, que reste-t-il dans cette acrylique. Nous et notre représentation du passé. Un simili de fresque sur un mur blanc desquamé de son vert-empire. Qui fut encadré d'un rouge pompéien aujourd'hui bien terni, au premier plan,une singerie peu héroïque de l'Héraklès de Bourdelle et une Vénus au bain pas assez dénudée, derrière des ombres, ce ne sont pas les âmes des morts ensevelis sous les cendres du Vésuve, mais nous-mêmes, nous les contemporains, réduits à des masses indistinctes, des curieux sans entrain, des touristes désabusés, qui nous penchons sur les représentations d'avant-temps, que nous regardons avec les filtres de notre impuissance à vivre pleinement. Une toile qui nous dit que notre monde a perdu ses dieux, ses héros, et que ses couleurs s'estompent.

    7

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    Nous ne sommes plus sur la photo, nous sommes sur le plateau. Les danseurs se débrouillent mieux sans nous. Notre regard ne les amoindrit pas. Ils ne miment plus notre atonie, mais la vie. La photo a cet avantage de saisir le vivant sur le vif, alors que le pinceau reconstitue la construction mentale du peintre par laquelle il s'est emparé en premier temps du monde suite à laquelle il la retransmet à celui qui regarde son œuvre. Un jeu de miroirs brouillés, les choses ne nous parviennent que par une vitre ici comme opacifiée, rayée, salie à dessein, toute illuminée d'une pluie d'orangeade bienfaisante, qui redonne à ses acteurs l'énergie et la joie de vivre. Les œuvres de Léa Ciari sont à regarder comme des triptyques mentaux. La chose s'efface devant sa représentation pour mieux culminer en elle-même, en autre-même selon le guetteur obstiné à l'affût de quelque chose qui n'est plus mais qui subsiste.

    8

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    La danse est-elle une renaissance. Le geste de l'artiste est-il une remémoration d'instants perdus. La vision du spectateur des retrouvailles avec une antériorité souveraine. Une vue d'un ballet actuel, des danseuses aux gestes qui miment l'antique, sans doute existe-t-il une éducation commune à tous, une espèce de padeïa grecque de nos représentations historiales, qui surgit à tout instant et s'intercale dans les interstices de toute présence au monde. Il n'est pas besoin de visiter les galeries pour apprendre à peindre ou à photographier, la réalité s'impose à nous, pas celle qui s'étale devant, celle qui resurgit de l'oublieuse mémoire, Platon traite de cela dans le Sophiste en devisant du travail de l'artisan, sa démonstration s'applique aussi à l'artiste, cet artisan de l'art-tison, la flamme qui dévore les chairs humaines d'Achille pour frayer un chemin à sa part immortelle.

    9

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    Tribute to Pina Baush, acrylique sur papier. Et si l'on posait la question béotienne par excellence. Qu'est-ce que cela représente ? Elémentaire cher Watson. D'abord surtout pas deux danseuses qui dansent. Ce serait trop simple. D'ailleurs sont-elles vraiment deux. La forme toute jaune, ne serait-elle pas la codification figurative de la position qu'occupait à la seconde antérieure la seule danseuse vraiment représentée. L'espace, le lieu qu'elle vient de quitter, admettons cher Cherlock, n'est-ce pas chercher midi à quatorze heures, que vouloir symboliser l'endroit que notre corps vient de quitter ? Je le concède volontiers cher Watson, l'on pourrait imaginer une longue file de fantômes destinés à indiquer toute sa progression sur des kilomètres de marche, mais le sujet du tableau n'est pas la marche. Regardez les deux mains pointées sur les seins, et cet espace de peau nue dévoilée par la tunique, ces deux jambes légèrement repliées, et ce regard vers le haut, non Léa Ciari n'a pas peint la marche, mais l'instant fatidique où la danseuse s'arrache à l'attraction terrestre, c'est à un envol que nous assistons. Apprenons à regarder non la réalité montrée mais l'intention suggérée.

    10

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    Regardez cette photographie. Dans les marges Léa Ciari a inscrit une phrase de Paul Valéry ( l'ami de Rilke a beaucoup écrit sur la danse ) : '' Il faut être léger comme l'oiseau et non comme la plume '' la plume n'a aucun mérite le vent l'emporte, la danseuse tout comme l'oiseau doit s'arracher au sol, regardez celle-ci, fagotée dans sa robe telle une lourde futaille cerclée de fer, seule sa cambrure révèle son envol, et bien plus que son envol son désir, désir de femme et désir d'envol, n'en forment plus qu'un, avez-vous pensé à l'érotisme véhiculé par la danse. Dans la série vous trouverez des couples enlacés, le bal du 14 juillet si vous voulez, ce ne sont-là que reconstitution naïve de l'idée du désir qui vole de l'un à l'autre. Ici la danseuse n'appartient à personne, elle se s' appartient même plus, elle n'est que désir d'envol, et si elle s'envolait, pour parodier Rilke, quel ange voudrait bien danser avec elle ?

    11

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    La réponse est ici. Aucun, si le danseur est habité par le mythe de Narcisse, spectateurs regardez-moi, puisque je ne peux me voir, vous serez mon miroir. L'intérêt d'un peintre ou d'un photographe pour la danse réside en cet attrait de représenter non pas le danseur, mais la représentation de lui-même que le danseur ne voit pas. De figurer le mouvement par une image statique. Mais la danse emprunte aussi au mythe d' Icare que nous résumerons par les expressions consacrées, plus dure sera la chute, qui trop étreint mal embrasse, dès que l'on s'arrache à l'air dans le but d'évoluer dans l'éther, l'échec est sans appel. Cette photographie en est la représentation la plus frappante. L'on n'empiète pas dans le domaine des Dieux, sans dommage. Corps blanc étendu devant une muraille de pourpre.

    12

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    Puisque la photographie et le pinceau ne suffisent pas, ne faudrait-il pas faire appel à un troisième art. Celui de la statuaire. Certes les statues des Dieux ne sont pas des Dieux, mais les statues des danseurs restent des danseurs. La pétrification n'abolit pas tout à fait la chair. Ces Cariatides ne soutiennent pas le ciel, elles sont fixés au sol, sont des guerriers, des guerrières qui restent debout, l'échec les tue mais elles restent en vie, elles barrent l'espace, elles le délimitent, elles séparent le monde du possible de celui de l'impossible, elles sont des bornes dressées à la gloire de toute démesure humaine.

    13

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    Certains n'y croient pas. Ils espèrent encore en la lutte avec l'ange. Ils n'ont pas compris que l'on est toujours seul, que l'ange n'est que nous-même. Nous brassons l'air. Nous gesticulons d'invraisemblables mouvements, nous saisissons à bras le corps le vide qui nous entoure, nous donnons des coups de pied au néant. La danse est un sport de combat. Le danseur ne se bat que contre lui-même, par la décomposition des mouvements, toujours cette zénonienne fragmentation cruelle de l'espace que l'on occupe mais que l'on ne saurait franchir d'un centimètre, Léa Ciari dénonce l'apparence de la réalité, nous bougeons davantage dans notre tête que nous ne traversons la fragmence mosaïcale du monde. Le danseur glisse sur l'illusion de sa propre victoire.

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    Qu'est-ce ? Un corps morcelé. Mangé, bouffé, récuré jusqu'à l'os, creusé jusqu'au vide. L'on connaît l'ogresse : la danse. Celle qui se confronte à la danse, n'en ressort pas entière. Elle est le risque total. Elle sculpte le corps, elle massacre à la tronçonneuse. Elle pulvérise sa propre représentation, tout ce qu'elle touche, elle le tord, elle le détruit, elle presse les chairs comme une éponge pour en extraire le suc de ces gestes de toute beauté qui nous stupéfient. Mais encore debout. Chevalier sous sa cotte de maille. Prêt à recommencer le combat. Écuyère en équilibre sur une jambe, bras absents, Galatée sans cesse renaissante de son immobilité première, nous tourne le dos pour mieux s'affronter au monstre invisible de sa volonté.

    15

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    Si vous estimez que Léa Ciari peint la danse comme au cirque vous filmez l'acrobate en haut du chapiteau en espérant secrètement qu'il tombe, vous vous trompez. Léa Ciari au travers des autres ne peint et ne photographie que soi. Cet autoportrait le prouve. La voici désir de son propre reflet. Elle n'est pas la danseuse qui déchire l'espace, elle traverse le mur qui le circonscrit, de tous ses clichés retravaillés, réajustés à sa vision, de tous ses pinceaux, elle n'a fait que donner l'illusion de coller des aplats graphiques sur la muraille mouvante et amphionesque de la danse, dans le désir illimité de l'arrêter en plein vol avant qu'elle ne s'écrasât au sol, elle était de l'autre côté, cela ne lui suffisait pas, elle surgit dans le ballet, karatéka métaphysique elle brise la dialectique des briques pour se fondre à son désir physique, qui danse et palpite sur ses feuilles de papier. Et nous regarde. Sans nous voir.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

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    EPISODE 11

    FIN DE SOIREE

    Le Chef referma placidement la porte. Il ne paraissait guère inquiet. Molossa et Molossito s'extrayèrent de dessous leur coussin et agitant leur appendice caudal s'en vinrent gratter l'huis que le Chef venait de fermer.

    _ Quelles bêtes intelligentes ! Elles ont préféré se coucher que d'ouvrir à un simili fantôme – il prit le temps d'allumer un nouveau Coronado – regardez, je rouvre et qui rentre ?

    C'était Rouky, tout heureux de retrouver ses copains qui lui firent fête. Le Chef caressa la tête du Golden :

    _ L'a dû s'ennuyer terriblement avec son handicapé, l'est prêt à suivre n'importe qui, n'est-ce pas Agent Chad, où n'importe quoi, par exemple cette espèce de baudruche ectoplasmique qui nous apporte un message qui n'en est pas un... nous découvrirons bien un jour ce qui se cache derrière cette étrange manigance, concentrons-nous sur le fantôme de Charlie Watts, une fois que nous l'aurons coincé, l'aura des renseignements à nous fournir nettement plus intéressants qu'une feuille blanche. Il se fait tard, il est temps de dormir, demain nous partons en chasse.

    REVEIL MATINAL

    Le reste de la nuit s'écoula paisiblement, quoique la vérité historique m'oblige à rapporter que le début en fut kaotisé par de nombreux ébats sur lesquels je ne m'étendrai pas, que voulez-vous la nuit tout.e.s les chat.e.s sont gris.e.s, le lecteur aura remarqué ce premier essai d'écriture inclusive. Me suis réveillé de bonne heure. Alors que je m'étirai une idée philanthropique me traversa l'esprit. L'on est toujours trop bon, j'ignorais alors quelle catastrophe elle allait déclencher, si j'avais su je serais resté couché. En fait j'en doute, le métier d'agent secret n'est-il pas d'affronter le danger si grand soit-il. Je vous laisse méditer... Ce n'était pas très original, j'avais décidé de ramener des croissants pour les dormeurs.

    MATINEE CHANCEUSE

    De la boutique s'exhalaient d'appétissants effluves, derrière son comptoir la boulangère souriait :

    _ Bonjour Madame, je voudrais soixante croissants.

    _ Oh ! Oh ! Monsieur a une grosse faim, à moins que Monsieur ne soit directeur de colonie de vacances !

    _ Pas du tout, nous sommes six, avec trois chiens, en comptant six viennoiseries par individu, nous en sommes à cinquante-quatre, j'arrondis à soixante car je déteste mégoter !

      • Oh ! Oh ! Monsieur et ses amis ont de l'appétit, je ne peux que vous féliciter, ces six croissants supplémentaires trouveront bien acquéreur, j'en suis certaine, n'est-ce pas Monsieur Neil !

      • Je l'affirme Madame Gisèle, je me porte volontaire !

    Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je me retournais pour dévisager le client derrière moi qui se proposait de participer à la sainte table du petit déjeuner, je le reconnus immédiatement. Portait les mêmes cheveux longs et le même T-shirt Neil Young qu'à notre première rencontre. Pendant que Madame Gisèle s'affairait dans l'arrière-boutique pour empaqueter mon maigre en-cas matutinal, Neil s'approcha de moi et me souffla dans l'oreille droite :

    _ Je suis sûr que vous ne me croirez pas, j'ai revu Charlie Watts !

    PETIT DEJE INSTRUCTIF

    Nous nous assîmes dans le premier troquet

      • Cher Neil, puisque vous me faites l'honneur de bien vouloir terminer ces six croissants en trop, permettez-moi de vous offrir quelques bols de café afin de les accompagner.

    Le gaillard ne refusa pas. Pendant un long moment il ne dit pas un mot, trop occupé à engloutir sa nourriture. Ensuite nous échangeâmes des banalités sur le temps, l'ingratitude humaine, la beauté de Madame Gisèle, et la recette de la soupe au pistou. Je ne ferai pas languir davantage le lecteur, j'en viens tout de suite à la partie de notre si philosophique conversation qui vous intéresse :

    _ Avez-vous deviné ce que je fais dans la vie, il n'attendit pas ma réponse, je suis guitariste, tous les jours je donne un concert au pied de la Tour Eiffel, devant des centaines de personnes, le public est si enthousiaste qu'au bout d'une demi-heure, la police est obligée de m'exfiltrer, je ne me plains pas, que voulez-vous, c'est le lot quotidien des rockstars poursuivis par des fans en furie.

    _ Je suppose que vous chantez du Neil Young !

    _ Exactement, je commence tous les après-midi à cinq heures tapantes, venez me voir ce soir, vous ne serez pas seul, ne croyez pas que j'extravague ou que je me vante, à chaque fois Charlie Watts s'arrête quelques minutes, puis il me quitte sur un dernier petit signe de la main, un gars vraiment sympathique, il n'est pas obligé, enfin, nous sommes tout de même collègue en quelque sorte !

    _ Oui mais vous vous êtes vivant, et lui il est mort !

    _ Mort ou vivant il sait reconnaître la bonne musique, Charlie Watts un connaisseur, je le suivrais bien, je n'ose pas, j'essaie de voir quelle direction il prend, ce n'est jamais la même !

    LES GRANDES DECISIONS

    Mes croissants n'eurent aucun succès. Les chiens se sacrifièrent. Le Chef alluma un Coronado et prit les décisions qui s'imposaient :

    _ Quatre heures tout le monde sous la Tour Eiffel. Joël posté sous le pilier nord. Noémie pilier Sud. Françoise pilier Est. Je me charge du pilier Ouest. Framboise au plus près de notre guitariste, Agent Chad pour vous récompenser de votre renseignement, vous serez chargé de la mission la plus délicate, vous volez une ambulance et vous vous arrêtez sur le boulevard juste devant la Tour Eiffel, c'est interdit, toutefois la police n'osera rien dire, dès que vous verrez Charlie Watts s'éloigner, descendez du véhicule et prenez-le en chasse discrètement. Quant à vous les chiens, cachez-vous, je ne veux pas vous voir, accrochez-vous un touriste anodin, dès que Charlie Watts s'éloignera vous suivrez de loin l'Agent Chad, nous vous suivrons à vous, si l'Agent Chad a besoin d'aide, deux d'entre vous se porteront à ses côtés et un troisième retournera sur ses pattes pour nous avertir de presser le pas. Vous avez tous compris.

    _ Oui Chef, bien Chef !

    _ Ouah ! Ouah ! Ouah!

    LE GRAIN DE SABLE

    A quatre heures nous étions tous à notre poste. J'avais garé l'ambulance de telle sorte que je pouvais voir mes camarades jouer les touristes, l'air de rien. A cinq heures moins cinq je reconnus la silhouette de Neil, outre ses cheveux et son T-shirt il portait sa guitare, un pliant et petit ampli. Ils s'installa et commença à jouer. Les gens passaient devant lui sans s'arrêter. Devait toutefois être content puisqu'une jeune fille décida d'assister à son set. Molossa avait fait la conquête d'une vieille grand-mère qui le caressait en lui racontant ses malheurs. Molossito dragua ostensiblement une petite fille qui n'hésita pas sous l'œil attendri de ses parents à partager sa barbe à papa avec lui.

    Brutalement je le vis ! Joël avait agité un chapeau dont il avait pris soin de se munir. De derrière le pilier Nord surgit Charlie Watts. Il était seul et se dirigeait vers Neil. Jusque-là tout allait bien. Mon cœur s'arrêta de battre. Rouky manquait d'entraînement. Il avait mal interprété la consigne. Il s'extirpa de dessous d'une voiture de police et se mit à suivre un touriste. Sauf qu'il se colla aux basques de Charlie Watts et ne le quitta plus d'une semelle ! Charlie n'en parut pas dérangé. Il se retourna et lui gratta la tête. Le batteur des Stones s'arrêta devant Neil durant une dizaine de minutes, Rouky s'assit bravement à ses côtés. Quand Charlie adressa de sa main un signe d'au revoir à Neil Rouky lui emboîta le pas comme s'il était son maître...

    Cela ne me disait rien de bon, mais je descendis de l'ambulance et débutai ma filature. Assez facile à ses débuts. Charlie se dirigeait ostensiblement vers le passage clouté, je devinai qu'il allait emprunter le Pont Alexandre III. Il me précédait d'une trentaine de mètres. Il avait déjà parcouru la moitié du pont lorsqu'il s'arrêta. De l'air désinvolte d'un curieux il semblait admirer la Seine. Tout se passa très vite. Brusquement Charlie Watts se baissa prit Rouky dans ses bras, franchit d'un bond léger le parapet et se jeta dans le vide. Ce fut si rapide que personne ne s'en aperçut.

    _ Jamais entendu parler d'un fantôme qui se suicide, pensai-je !

    J'avais affaire à un mort qui n'était visité par aucune idée morbide. L'avait sauté dans une péniche, cale ouverte, chargée de sable, il courait joyeusement me semblait-il sur ce désert artificiel poursuivi par Rouky qui s'amusait à se glisser entre ses jambes...

    Une truffe humide se posa sur mon mollet. Moossa ! Au bout du pont j'entendis les aboiements perçants de Molossito, braves bêtes, je le rejoignis en courant. Tous trois nous dégringolâmes la pente qui donnait sur les quais, des coups de feu claquèrent derrière nous, une ambulance nous dépassa toutes sirènes hurlantes, Joël semblait avoir perdu le contrôle du véhicule, les gens s'enfuyaient de tous côtés en hurlant, le Chef abattait systématiquement les maladroits qui ne s'écartaient pas assez vite pour qu'ils ne soient pas écrasés par la voiture. Les filles descendirent toutes pâles du véhicule, ses deux roues-avant engagées au-dessus de la Seine. Le Chef prit le temps d'allumer un Coronado :

      • Agent Chad, nous arrivons à temps pour la croisière, ne vous inquiétez pas si vous n'avez pas votre billet !

    A suivre...