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  • CHRONIQUES DE POURPRE 537: KR'TNT ! 537 : JOE BOYD / ROD STEWART / LEMON TWIGS / WENDY RENE / MOTHER MORGANA / ALEISTER CROWLEY / DICK RIVERS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 537

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    13 / 01 / 2022

     

    JOE BOYD / ROD STEWART

    LEMON TWIGS / WENDY RENE

    MOTHER MORGANA / ALEISTER CROWLEY

    DICK RIVERS / ROCKAMBOLESQUES

    London Boyd

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    C’est un peu grâce ou à cause de Jac Holzman qu’on ressort de l’étagère l’autobio du Boston boy Joe Boyd, White Bicycles. Jac nomma Joe correspondant d’Elektra à Londres. Mais pour dire les choses franchement, on attaque le Boyd book avec une certaine appréhension car le nom de Boyd reste lié à la scène folk anglaise, Incredible String Band, Nick Drake et Fairport. Ce n’est pas l’univers de Mick Farren, if you see whant I mean. Et puis «My White Bicycle» n’est quand même pas la meilleure des références : ce n’est ni «Arnold Layne», ni «Strawberry Fields Forever» et encore moins «I Can Hear The Grass Grow». Dommage, car comme on va le voir, London Boyd avait aussi flashé sur les Move.

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    Chacun sait que les a-priori sont faits pour être dépassés. C’est leur raison d’être. Alors tu entres dans ce petit book la fleur au fusil et à ta grande surprise, ce texte vivifiant t’embarque aussi sec pour Cythère. Joe Boyd nous sert un cocktail surprenant, à base de vitalité du style, de background richissime, d’intelligence du regard, il frise parfois le Dylan de Chronicles, mais ce qui le hisse au niveau des grands mémorialistes que sont Robert Gordon et Peter Guralnick, c’est un sens aigu de l’histoire. Mac Rebennack dirait plutôt qu’il était au bon endroit au bon moment - The right place at the right time - Joe Boyd eut en effet la chance extraordinaire de vivre deux épisodes marquants de l’histoire du rock : le festival de Newport 65 (Dylan goes electric, accompagné par des membres du Paul Buttlerfield Blues Band), et l’UFO à Londres (découverte du Pink Floyd de Syd Barrett). Les vivre est une chose, les relater en est une autre. Et Joe Boyd nous les fait revivre comme si on y était. Voilà pourquoi il est nécessaire de lire ce petit book.

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    Voici ce qu’il dit du Newport 65 : «(Non seulement Dylan avait transformé ce festival) qui ne serait plus jamais le même, mais il avait aussi transformé la musique populaire et la ‘youth culture’. Tous ceux qui souhaiteraient raconter l’histoire des sixties sous l’angle d’un passage de l’idéalisme à l’hédomisme doivent situer le moment charnière autour de 9h30, le soir du 25 juillet 1965.» Un peu plus loin, Joe Boyd raconte qu’au moment où son ami Paul Rothchild se prépare à entrer en studio avec les Doors à Los Angeles pour enregistrer leur premier album, lui est sur le point d’entrer en studio avec le Pink Floyd à Londres pour enregistrer «Arnold Layne» - In 1966, the world was changing by the week - L’autre moment historique est le 14-Hour Technicolour Dream qui a lieu le 29 avril 1967 à l’Alexandra Palace - The underground was becoming the mainstream - avec à l’affiche Pink Floyd, Arthur Brown, Soft Machine, the Move, Tomorrow, les Pretty Things, John’s Children, Alexis Korner, the Social Deviants, Champion Jack Dupree, Graham Bond, Savoy Brown, the Creation et des tas d’autres luminaries.

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    Joe Boyd reste lucide sur l’impact des sixties et de ses idéaux : «L’idée que les drogues, le sexe et la musique pouvaient changer le monde m’a toujours semblé être d’une grande naïveté. Alors que les effets de la contre-culture grossissaient, ses valeurs se détérioraient. Alors que les revers politiques faisaient la une des journaux, les idéaux se diluaient plus tranquillement, mais quand même de façon marquante pour ceux qui le voyaient.» Joe Boyd fait bien sûr mention d’Altamont et d’autres faits divers, mais ce qui le choque le plus dans la dérive de la contre-culture, c’est cette image anecdotique tirée d’un roman de Michael Herr (Dispatches) : dans les hélicos, les mitrailleurs de l’armée américaine s’amusant à buter des fermiers vietnamiens pour le plaisir tout en écoutant Dylan et Hendrix sous leur cockpit headphones. Pour Joe Boyd, cette image met définitivement fin au mythe des sixties - That finished off what remained for me - Et il ajoute : «Aujourd’hui, quand les modes musicales changent, (les murs de la ville ne tremblent plus), ils sont couverts d’affiches publicitaires vantant les mérites de superficially subversive artists.» Joe Boyd nous épargne la liste des noms. On les connaît. Berk.

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    S’il craque pour Londres, c’est parce qu’en 1964, il se trouve à l’Hammersmith Odeon. À l’affiche, les Animals, les Nashville Teens, et les Swinging Blue Jeans qui ont comme invités Chuck Berry et Carl Perkins. Et là, Joe Boyd voit un truc incroyable : «White teenage girls screaming ecstatically at Chuck Berry», c’est-à-dire le pire cauchemar de l’Amérique, des blanches qui s’éprennent d’un nègre ! Mais ce n’est pas tout. Joe Boyd reconnaît une silhouette familière derrière le rideau, sur le côté de la scène. John Lee Hooker ! La nouvelle se répand vite fait dans le public. Des gamines commencent à crier : «Quoi ? John Lee ? Où ça ?». Et tout le monde se met à réclamer John Lee. John Lee ! John Lee ! Alors là, Joe Boyd est complètement scié : «C’est à ce moment-là que j’ai décidé de m’installer à Londres et de produire de la musique pour cette audience. En comparaison, America was a desert. Ces jeunes Anglais n’étaient pas une élite privilégiée, they were just kids, Animals fans. Et ils savaient qui était John Lee Hooker ! Aucun blanc en Amérique en 1964, excepté mes amis et moi, ne savait qui était John Lee Hooker.»

    À un moment donné, Joe Boyd a des ennuis avec la justice anglaise à cause des drogues. Joe Boyd n’est pas Keef, rassurez-vous, mais l’épisode lui a permis d’observer que la justice, anglaise comme américaine, s’en prend exclusivement à ce qu’il appelle the underclasses : «Pendant les sixties, les autorités s’effrayaient de voir autant de kids respectables prendre des drogues. À leurs yeux, c’était la fin de la civilisation. Aujourd’hui, les traders sniffent de la coke, des millions de kids prennent de l’ecstasy chaque week-end et la société continue de fonctionner normalement. Alors les autorités peuvent se concentrer sur les pauvres qui sont toujours aussi dangereux, en utilisant les lois anti-drogues à des fins d’intimidation et de rétribution.» Bien vu Joe !

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    Avant de débarquer à Londres, Joe Boyd fait aux États-Unis un parcours d’amateur sans faute. Dans les early sixties, il commence par bosser comme tour manager pour George Wein, le boss du Newport Festival : Joe accompagne en tournée les artistes de blues, de ville en ville, à travers les États-Unis, comme par exemple Sleepy John Estes et son harmoniciste Hammy Dixon.

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    Voici une belle anecdote : ils roulent toute la nuit et en arrivant à Syracuse, dans l’État de New York vers 8h45, ils voient un bar ouvert. Chouette ! Joe pense pouvoir entendre des histoires sur Robert Johnson et les Beale Street Sheiks pendant le petit déjeuner, mais ses espoirs fondent comme beurre en broche avec les bouteilles de bourbon qu’il doit acheter pour Sleepy John et Hammy - They were drunk by 9.30 and out cold by ten.

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    Joe Boyd accompagne aussi en tournée Brownie McGhee, Sonny Terry et le Reverend Gary Davis. Ils se produisent dans les coffee houses et les folk blues festivals - Originaires de Caroline du Sud, Brownie et Terry avaient suivi Leadbelly on to the 1940s folk circuit - Puis Joe nous brosse des trois personnages des portraits extrêmement pertinents : «Brownie était un habile finger-picking guitarist. Il était assez rond. Il marchait avec une cane et boitait. Derrière son apparente politesse, il y avait une énorme amertume : le fait d’avoir joué pendant des années pour des publics blancs avait laissé des traces. De son côté, Sonny était le génie du rural blues harmonica. Il était aveugle de naissance. Il était si gentil et si déférent derrière ses lunettes noires qu’on ne savait jamais ce qu’il pensait. J’ai découvert qu’une fois sortis de scène, Brownie et Sonny ne pouvaient pas se supporter. La seule chose sur laquelle ils arrivaient à se mettre d’accord, c’est qu’ils ne voulaient aucun contact avec le Reverend Gary, sans doute à cause d’une histoire ancienne.» Joe passe ensuite au Reverend Gary Davis, aveugle lui aussi. Pendant l’entre-deux guerres, il a sillonné les routes et prêché dans tout le Deep South. C’est dans le Bronx new-yorkais qu’on a découvert nous dit Joe «ses monumental skills in a long-forgotten ragtime picking style», et des tas de petits blancs sont venus chez lui prendre des cours de guitare - Gary avait une sacrée allure. Son menton était couvert de chaume gris. Il portait un chapeau fatigué et un vieux costume noir tout froissé. Quand ses lunettes noires glissaient sur son nez, on voyait le blanc de ses yeux d’aveugle. Un matin au breakfast, il horrifia Rosetta Tharpe et son mari/manager Russell : il attrapa d’une main tremblante l’œuf sur le plat qu’on venait de servir, le positionna au dessus de sa bouche ouverte, et, alors que le jaune d’œuf s’écoulait goutte à goutte sur sa chemise, il l’enfourna d’un bloc. Le blanc dégoulinant de graisse dépassait encore de sa bouche alors qu’il était en train de mâcher.

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    Joe Boyd adorait ces vieux personnages hauts en couleur, mais il avoue que de se s’occuper du Reverend Gary était un boulot à plein temps. Pour lui, il n’existait pas de meilleurs guitaristes que Sister Rosetta Tharpe et le Reverend Gary Davis. Joe accompagne aussi Rosetta en tournée, une Rosetta qui dit un jour à Joe : «By the time I was eighteen, I had my boots laced on up to my hips !». Quand elle eut des hits dans les années 40, Rosetta put acheter une maison avec son mari Russell à Philadelphie. Rosetta portait aussi nous dit Joe «une perruque rouge, un manteau de fourrure et des talons hauts. Elle était déjà allée jouer plusieurs fois en Europe» - Se retrouver assise pour le breakfast à côté du Reverend Gary, le genre d’homme qu’elle avait croisé 35 ans plus tôt sur les routes poussiéreuses de l’East Texas, ça n’était pas du tout ce qu’elle imaginait en acceptant de participer au Blues and Gospel Caravan qui allait débarquer en Angleterre. Encore un moment historique au crédit de Joe Boyd, qui en est l’un des acteurs, puisqu’il en est le tour manager - La tête d’affiche de la tournée était Muddy, un homme d’une extraordinaire dignité. Il se tenait très droit et s’habillait sharp. Il portait toujours un fedora, une petite cravate grise et une chemise blanche immaculée. Son regard était bon, mais il restait prudent avec moi - Joe Boyd vénère aussi the ceremonial priest of an exotic religion, Roland Kirk, «blowing continuous arpeggios in three-part harmony usisng his circular breathing technique».

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    Comme Joe grenouille dans le milieu des musicologues du blues, il finit par croiser ces deux croisés de la musicologie que sont Alan Lomax et Harry Smith. Lomax est allé dans les campagnes les plus reculées des Appalaches et du Deep South pour enregistrer ce qu’il appelle the field recordings. Quant à Harry Smith, il est connu dans le monde entier pour son masterful Anthology Of American Folk Music. C’est lui qui a enregistré Bukkah White. Et là Joe Boyd devient fascinant, car il nous dit pourquoi ces deux hommes sont tellement différents, cette différence qui existe entre l’avant-garde (Smith) et la old guard (Lomax), une différence qui allait conduire au fameux clash de Newport 65 : «Lomax était un ours, un coureur de jupons, un homme sûr de lui et de ses théories à propos de l’interconnexion entre les musiques des divers continents. En allant avec son magnétophone fréquenter les bagnards des chain-gangs du Mississippi et les Italiens qui exploitaient des champs de tabac, il avait développé des manières un peu rudes. Quant à Smith, il était devenu accidentellement collectionneur d’enregistrements de musique traditionnelle. C’était un homosexuel qui tournait des films expérimentaux, qui parlait plusieurs Native American languages et qui fumait fréquemment des joints. Sa collection de disques recouvrait presque entièrement le sol de sa chambre au Chelsea Hotel, pas très loin de l’appartement de Lomax on the West Side. Les chanteurs de folk new-yorkais préféraient les field recordings de Lomax, alors les musiciens de Cambridge, Massachusetts, préféraient les 78 tours commercialisés par Smith : Big Bill Broonzy, Jimmie Rodgers, the Carter Family et Blind Lemon Jefferson furent des stars des années 20 et 30 pour des raisons évidentes. Leur dimension artistique surpassait de très loin celles des amateurs qu’enregistrait Lomax. Alors Lomax voyait d’un sale œil cette commercialisation. Lors d’un dinner party à Londres dans les années 80, je lui fis remarquer que les folkloristes et les producteurs étaient des professionnels qu’on payait pour enregistrer de la musique destinée à un public ciblé. En guise de réponse, il m’invita à sortir pour continuer le débat à coups de poings.»

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    C’est à Cambridge, Massachusetts, en 1963, que Joe Boyd entend chanter Bob Dylan pour la première fois : «Je suis tombé au sol comme si on m’avait assommé. Pendant un long moment je n’ai pas pu bouger, et j’en avais les larmes aux yeux. (Ça se passait quelques mois après la crise des Missiles à Cuba). Aussitôt après ‘Hard Rain’, il enchaîna avec ‘Masters Of War’. Dans la petite pièce, la voix nasale de Dylan et son strumming de guitare vous enveloppaient.» Joe voit Dylan évoluer rapidement entre 1963 et 1965, il le voit échapper aux chapelles et prendre une avance considérable, prêt nous dit Joe à lancer l’assaut final sur la forteresse de l’American popular music - The next time our paths crossed, at the ‘65 Newport Folk Festival, I would help him storm the citadel - On est ravi que deux esprits aussi brillants se soient rencontrés.

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    Plus loin, Joe Boyd compare les deux cultures : l’anglaise et l’américaine. Il observe que les Anglais qui montent un groupe sont souvent plus originaux que ne le sont leurs collègues américains, trop respectueux de leurs racines musicales pour les recréer - Dylan, always the exception, was almost British par son insouciance, sa grâce vocale et la fluidité de sa technique de jeu - Et là, Joe Boyd pousse fabuleusement son raisonnement : «Dans une interview, Keith Richards explique qu’il n’avait au moment de sa rencontre avec Jagger qu’un seul EP, un EP que je connais bien sur Stateside, sous licence Excello, avec Slim Harpo d’un côté et Lazy Lester de l’autre. À force de l’écouter, ils ont rincé cet EP jusqu’à la corde. C’est une façon de voir les Stones comme une South-East London adaptation of the Excello style. S’ils avaient eu plus de disques, leur musique aurait sans doute été moins distinctive.» C’est sa façon de rendre hommage aux Anglais et à leur sens inné de la recréation.

    Quand il débarque pour la première fois à Londres au printemps 64, Joe voit les Pretty Things sur scène - I was impresssed, not so much by the derivative music, but by the show - Il trouve Phil May très efféminé. Plus tard il deviendra ami avec Phil et fera deux découvertes : «Un, l’autre talent de Phil est le tennis, dans les années 80, il m’a appris à améliorer mon revers. Et deux, Phil a toujours été bisexuel.»

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    C’est là que Joe Boyd apporte un éclairage fondamental sur la découverte du Paul Butterfield Blues Band : il se trouve un soir dans un club de McDougal Street, the Kettle of Fish, pour voir jouer Son House - the latest blues legend to emerge from the mists of history - À la même table, se trouve l’un des héros de Joe, Sam Charters, l’auteur de The Country Blues. Joe dit à Sam qu’il part à Chicago, mandaté par son boss George Wein pour rencontrer Muddy, et Sam lui dit : «Well there’s a band there you have to hear.» Joe se marre : «C’mon Sam, je sais tout de Magic Sam, de Buddy Guy, d’Otis Rush et de Junior Wells», des gens précise-t-il qui étaient alors encore inconnus. Et Sam lui dit non, «c’est un groupe avec des white kids et des black guys, led by an harmonica player called Paul Butterfield». Sam insiste pour que Joe aille les voir. Et il lui donne le nom du bar où joue ce groupe. Le lendemain matin, Joe appelle Paul pour lui raconter cette histoire. Paul prend l’avion pour Chicago immédiatement. Joe de son côté voyage en bus et arrive un peu plus tard. Bizarrement, cette info n’apparaît pas dans les deux Elektra books. Rothchild ne dit pas que l’info sur Butter venait de Joe, via Sam Charters. Joe et Paul se retrouvent donc dans ce bar de Chicago et quand Joe arrive, il voit Paul et Butter en train de se mettre d’accord sur les termes d’un contrat. Et quand Joe voit enfin jouer Butter, il est sidéré : «It was Chicago blues, hard edged and raw with nothing folk or pop about it.»

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    Retour au Newport 65. C’est Peter Yarrow de Peter Paul & Mary qui impose Butter au comité du festival. Les gens du comité sont attachés aux traditions et ne veulent pas entendre parler de modernité ni d’électricité. Joe : «Peter Paul & Mary étaient managés par Albert Grossman, l’ancien propriétaire d’un club de blues à Chicago qui était devenu l’équivalent américain de Brian Epstein. D’anciennes photos nous montrent un Grossman avec des petits yeux derrière des verres sans montures et vêtu d’un costume cravate. Depuis, ses cheveux étaient devenus gris et il portait des jeans. C’est Sally, sa femme, qu’on voit sur la pochette de Bringing It All Back Home avec Dylan. Grossman avait conduit Peter Paul & Mary au succès et il se préparait à y conduire Dylan.» Dans ce chapitre qu’il faut bien qualifier d’historique, Joe apporte des éclairages capitaux : «À l’exception du loyal Yarrow, le comité organisateur du Newport Folk Foundation haïssait Grossman.» Lomax qui faisait partie de ce comité organisait son Blues Workshop en marge du festival proprement dit. Il y programmait cette année-là Robert Pete Williams et Son House. Butter devait suivre et comme Yarrow l’avait imposé, Lomax l’avait accepté de mauvaise grâce. Alors pour introduire le set de Butter, il annonça some kids from Chicago qui ont besoin de tout un équipement électrique pour «essayer de jouer le blues». Grossman qui était aussi le manager de Butter était furieux. Au moment où Lomax passa devant lui, Grossman lui lança : «That was a real chicken-shit introduction, Alan», et Lomax bouscula Grossman. Puis, comme si ça ne suffisait pas, Lomax convoqua une réunion d’urgence du comité d’organisation, sans prévenir Peter Yarrow, bien sûr, pour un vote d’urgence : il voulait que le comité bannisse Grossman du festival - His crimes included not just the ‘assault’ on Lomax but being a source of drugs - Quand George Wein fut mis au courant de ce vote, il expliqua au comité qu’on ne pouvait pas virer Grossman, car tout le monde allait se barrer avec lui : Dylan, Peter Paul & Mary, Odetta et Butter, c’est-à-dire toutes les plus grosses stars du festival. Mais à ce moment-là, le pire est encore à venir : Dylan va passer à l’électricité ! Joe Boyd profite de l’épisode pour expliquer que Pete Seeger n’a jamais tenté de couper les câbles de la sono à coups de hache. Cette histoire dit-il est inventée de toutes pièces. Elle servait juste à illustrer le combat que se livraient les conservateurs et les modernistes.

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    Sur scène, c’est Joe qui branche Dylan. Al Kooper et Barry Godberg (keys), Mike Bloomfield (guitar), Jerome Arnorld (bass), Sam Lay (beurre) et Dylan montent sur scène pour l’un des épisodes les plus cruciaux de l’histoire du rock américain. Joe vérifie tous les réglages - Quand les musiciens furent prêts, j’envoyai mon signal au flashlight. The introduction was made, the lights came up and ‘Maggie’s farm’ blasted out in the night - Et Joe se rue devant la scène, dans la fosse réservée à la presse, pour suivre le concert - Si on le compare aux standards actuels, le son n’était pas très fort, mais en 1965 ce fut sans doute the loudest thing anyone in the audience had ever heard - Quelqu’un vient taper sur l’épaule de Joe pour lui dire qu’on veut lui parler dans le backstage. Alors il y va et tombe sur Lomax, Pete Seeger et Theo Bikel, furieux tous les trois : «Nous devez baisser le son, c’est bien trop fort !». Joe leur dit qu’il ne peut rien faire et qu’il faut aller à la régie. Ils lui ordonnent d’y aller pour faire baisser le son. Mais la régie, c’est Grossman, Yarrow et Rothchild qui trouvent eux que le niveau du son et bon - Tell Alan que le son est bon et dis-lui aussi qu’il aille se faire foutre - Yarrow accompagne l’injonction d’un doigt. Grossman et Rothchild éclatent de rire alors que Joe repart avec le message pour Lomax. Et c’est là que Joe Boyd, fabuleux écrivain et témoin de son temps, écrase le champignon : «Des paroles de chansons en roue libre, un mépris total des convenances et des valeurs établies, le tout accompagné by a screaming blues guitar and a powerful rhythm section, played at ear-spliiting volume by young kids. En 1965, les Beatles chantaient encore des chansons d’amour et les Stones jouaient a sexy brand of blues-rooted pop. Dylan c’était différent. THIS WAS THE BIRTH OF ROCK.» Et Joe ajoute : «Dylan avait laissé tomber the dialectic world of politic songs. Il chantait à présent his decadent, self-absorbed, brillant internal life. Il termina avec ‘It’s All Over Now Baby Blue’, crachant ses paroles avec le plus profond mépris à la gueule de the old guard.» Ces pages de Joe Boyd sur Dylan valent bien celles que Mick Farren lui consacre dans Give The Anarchist A Cigarette. Ils ont tous les deux perçu le génie de Dylan, un phénomène artistique qui est resté depuis lors inégalé. Ces trois books, le Farren, le Boyd et le Chronicles de Dylan appartiennent à la même communauté de pensée.

    Pour le remercier de l’avoir mis sur le coup de Butter, Paul Rotchild décroche un job pour Joe chez Elektra : Jac a décidé d’ouvrir un agence à Londres. Joe doit donc démissionner de son job pour George Wein. Sa mission à Londres va consister à découvrir de nouveaux talents pour continuer de moderniser Elektra.

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    Le premier groupe sur lequel Joe flashe, ce sont les Move. Chaque fois qu’un Américain débarque à Londres pour y séjourner, Joe l’emmène voir les Move au Marquee : John Sebastian, Zal Yanovsky, Paul Butterield, Mike Bloomfield, Jac Holzman, Phil Ochs et quelques autres y ont droit. Pour Joe, les Move sont aussi balèzes que les Who ou Hendrix qui ont été les révélations de Monterey : «Les Move étaient des ambitious working-class kids from Birmingham qui n’avaient aucune envie de révolutionner le rock, de prêcher l’amour et la paix ou de promouvoir les états seconds, tout ce qu’ils voulaient, c’était devenir riches et célèbres.» Joe fait un portait spectaculaire d’Ace Kefford, skeletal albino face - Ace went for the most powerful nail-your-chakras-to-the-seat-of-your-pants bass lines - Il voit Roy Wood comme un shaman-in-chief et Trevor Burton comme the innocent looking-one. Il qualifie leur musique de beer-drinker’s psychedelia - They made a far superior fist of deconstructing soul tunes than did Vanilla Fudge a year later - Alors Joe emmène Jac voir les Move dans leur loge à l’Edgbaston Mecca Ballroom. Il nous décrit la scène, et c’est comme si on y était : «(Cramped in the small room), Jac Holzman à la fois intimidant et impressionné, moi très sérieux, le Fagin-like Secunda and the monosyllabic Move. L’homme qui avait signé Jim Morrison et Arthur Lee était bien trop éloigné de son monde pour faire impression sur les Move.» Dommage. Les Move sur Elektra, ça aurait été le fin du fin, avec Love et les Doors.

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    À Londres, Joe Boyd croise donc ceux qu’il appelle les thugs - Les Thugs comme Grant et Don Arden ressemblaient à Lee Marvin dans Point Blank. Les exécutifs des maisons de disques installés dans leurs beaux bureaux n’imaginaient pas que des gens comme Grant et Arden pussent être aussi vicieux et aussi brutaux. Alors ces ronds de cuir acceptaient n’importe quoi parce qu’ils avaient peur. L’Américain qui suivait tout ça de près était bien sûr David Geffen - Selon Joe, il n’existait pas d’équivalent de ces thugs aux États-Unis. Les gens du Brill n’étaient absolument pas capables de gérer des artistes qui écrivaient leurs propres chansons et qui prenaient de l’acide. Comme Joe Boyd s’intéresse de près aux Move, il croise bien sûr Cordell & Secunda - Cordell & Secunda formaient la plus dépareillée des paires, mais ils eurent pas mal de succès entre 1966 et 1968 avec les Move, Procol Harum et Joe Cocker. Secunda venait de South London et avait grenouillé durant les early sixties dans le milieu du catch professionnel. Secunda était un gros dur de bandes dessinées, a reptilian hustler qui se vantait de ses séjours au placard. Il était vif d’esprit et doté d’un sinister charm. Cordell était aussi pimpant et relax que Secunda était moite et intrigant - Joe Boyd compare l’invasion du music biz par tous ces affairistes à l’invasion de l’Empire romain par les Wisigoths et les Ostrogoths : Lambert & Stamp (qui suivaient les traces d’Andrew Loog Oldham), Stigwood (qui se servait de Cream pour organiser l’avenir de Clapton), Mike Jeffreys (Joe l’écrit mal, il s’agit de Mike Jeffery, qui avait mis le grappin sur Chas Chandler et Jimi Hendrix), Chris Blackwell (masterminder de la carrière de Stevie Winwood), Chris Wright & Terry Ellis (Jethro Tull et Ten Years After), Peter Grant (Led Zep) - The Move en ratant leur conquête de l’Amérique, étaient l’exception - Oui, car Joe Boyd était convaincu que les Move pouvaient conquérir l’Amérique. Comme il est à Londres pour signer des groupes sur Elektra, il constate à un moment que pas mal d’occasions lui ont glissé entre les doigts : Stevie Winwood (à cause de Chris Blackwell), Cream (à cause de Robert Stigwood), Pink Floyd (à cause de Bryan Morrison), the Move et Procol Harum.

    C’est Joe qui rend le Pink Floyd célèbre à Londres dès 1966. Le Floyd n’est alors qu’un blues band fraîchement débarqué de Cambridge, mais Joe les trouve intéressants. Il fait écouter une démo du Floyd à Jac, mais Jac n’accroche pas. Tant pis. Alors que Joe cherche un autre label, Bryan Morrison lui brûle la politesse en emmenant le Floyd chez EMI. Comme Syd et les autres ont besoin de cash pour s’acheter une van, ils signent aussitôt pour récupérer l’avance. Cet échec laisse Joe assez amer.

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    Avec son copain John Hopkins, alias Hoppy, ils montent l’UFO fin 1966, parce qu’ils n’ont plus un rond. Joe ne bosse plus pour Elektra et Hoppy a cessé de travailler comme photographe pour International Times. L’UFO est au 31 Tottenham Court Road, sous une salle de cinéma. Le club est ouvert chaque vendredi soir de 10 h à 6 h du matin. Le soir de l’ouverture, le 23 décembre 1966, ils sont surpris de voir arriver autant de monde. En quelques mois, l’UFO fait connaître nous dit Joe «Pink Floyd, Soft Machine, the Crazy World of Arthur Brown, light-shows, tripping en masse and silk-screen psychedelic fly-posters». Hoppy et Joe louent le local à Mr Gannon, un homme charmant. Un soir, il prend Joe à part pour lui dire qu’il a le sentiment que certaines personnes fument de l’herbe - There’s a few people smokin’ dope in here - avec un trémolo à l’endroit du o de dope, nous dit Joe. Il répond alors à Mr Gannon : «Well, Mr Gannon, I can’t say this with absolute assurance, but I certainly hope you are mistaken.» Et Mr Gannon prend avec philosophie la répartie du Joe : «Well that’s as may be, and that’s as may be not, Joe. But all the same, je pense que ce serait une bonne idée de mettre le ventilateur en route.» Une fois que Bryan Morrison lui a barboté un Floyd qui est train de devenir énorme en Angleterre, Joe n’a plus qu’une obsession : trouver la groupe capable de remplacer le Floyd et de remplir l’UFO chaque vendredi. Tony Howard qui fait partie de la Morrison Agency revient vers Joe et lui propose de faire la paix. En signe de bonne volonté, il propose à Joe deux groupes gérés par l’Agency en remplacement du Floyd : Tomorrow et les Pretty Things. Alors Joe flashe sur les Tomorrow et ses concerts explosifs. D’où le titre de son récit. Avec son sens aigu de l’histoire, Joe estime les sixties vont de l’été 1965 jusqu’en octobre 1973 et connaissent leur pic le 1er juillet 1967 avec un set de Tomorrow at the UFO Club in London.

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    Joe croise aussi le chemin de Mick Farren et des Social Deviants. C’est Hoppy qui insiste pour que Joe vienne les voir répéter. Le résultat, c’est que Joe les trouve mauvais - Mick’s singing was devoid of melody and his group could barely play their instruments - Joe ne veut pas d’eux à l’UFO. Hors de question. Il dit à Hoppy qui insiste : «The Deviants would play UFO over my dead body.» S’ils veulent jouer à l’UFO, ils devront passer par dessus mon cadavre. C’est sans appel. Mais Mick Farren va se rendre indispensable en filant un coup de main aux entrées - Mick and his boys became a key part of my support team - Puis en avril 1967, Joe cède et laisse jouer les Deviants sur scène.

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    À la même époque, Joe entre dans sa période Incredible String Band, un duo folky folkah qu’il réussit à rapatrier sur Elektra. Jac en pince pour le folk, alors pas de problème. Joe pense que The Hangman’s Beautiful Daughter paru en 1968 est le meilleur disque qu’il ait produit. Alors autant prévenir les ceusses qui ne le savent pas : il faut vraiment aimer le folk pour entrer là-dedans. Dès «The Minotaur’s Song», on note une absence complète de magie et de mélodie. Mike Heron et Robin Williamson font dans le moyenâgeux. Il ne se passe rien. Mais les amateurs de folk obscur vont y trouver leur bonheur. Au fil des cuts, on observe que messires Heron et Williamson ne font aucun effort pour se rendre plus sympathiques. L’album tourne au cliché folk anglais. «Waltz On The New Moon» sonne comme une pauvre giclée de néant. On entend un glou glou dans «The Water Song», une chanson de troubadours. On est loin des Pink Fairies. Er avec «There Is A Green Crown», on est loin de Third World War. Pourtant c’est le même pays. L’album se réveille un peu avec «Swift At The Wind», un weird cut chanté à la plainte récurrente sur fond de gratté apoplectique. Le chant se veut immersif et la tendance est à la déchirure. Mais c’est vraiment tout ce qu’on peut en dire.

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    Le premier album d’Incredible String Band sur Elektra date de 1966 et n’a pas de titre. C’est du folky folkah pur et dur. Aucun espoir d’en sortir. La flûte double les coups d’acou, c’est assez rupestre, tout en restant soigneusement bucolique. Ils font même du festif de zyva mon gars avec «Schaeffer’s Jig». C’est le genre de truc qui doit faire baver Jac. Du vrai pur et dur à la mormoille. On ne saurait imaginer ni plus pur, ni plus dur. Heron et Williasmson sont dans leur petit monde bien hermétique. Ils attaquent «The Tree» à la flûte antique puis ils se prennent pour des mineurs du Kentucky avec «Empty Pocket Blues». C’est assez pointu car joué en picking des Appalaches. Ils font pas mal de fake Americana, et plus on écoute l’album et moins on leur fait confiance. On a l’impression avec «Niggertown» qu’ils prennent les gens pour des cons.

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    Paru l’année suivante, The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion est beaucoup plus intéressant, pour au moins trois raisons valables. À commencer par «Painting Box», un joli festival de gratté de poux, ah ça gratte sec dans le coin du springtime ! Ils grattent à la petite excédée avec une flûte en contrefort, et ça donne un mish mash assez puissant. Ces deux mecs sonnent comme les surdoués du régiment. L’autre point fort de l’album s’appelle «First Girl I Loved», une country pop anglais de niveau nettement supérieur. Il y a une fantastique énergie dans ce gratté de poux, c’est lui le gratté qui fait la grandeur du duo et ça devient tétanique car c’est bourré de feeling. Ils remontent aussi «Way Back In The 1960s» au country rock de String Band. C’est vraiment excellent, quel fabuleux brouet de fake Americana ! Non seulement ces deux Anglais se prennent pour des Américains, mais ils en ont en plus les moyens. Leur gratté de poux est sans doute le plus puissant d’Angleterre, c’est même trop américain pour être vrai. On comprend mieux pourquoi Joe a flashé sur eux. Les crin-crins inexorables de «Chinese White» ont dû plaire à Jac et le «No Sleep Blues» flirte avec Fred Neil. Ils sont dans une certaine richesse, un mélange de tradi Bribrit et d’Americana. Ils aiment bien jouer le cul entre deux chaises. Mais il faut leur reconnaître un sens aigu de la musicalité. Avec «The Mad Hatter’s Song», on les voit noyer leur soupe dans une psychedelia du tiers monde, c’est très étrange, ils soulignent leur do what you can aux instruments antiques. Ils adorent gratter de la fake Americana au bord de la Tamise. Leur parti-pris est de bousculer les préjugés, comme le montre «The Hedgehog’s Song». On finit par se faire avoir en beauté. Ces deux mecs sont beaucoup trop doués.

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    Sur le double album Wee Tam And The Big Huge paru en 1968, on trouve encore pas mal de petites friandises, notamment ce chef-d’œuvre fake Americana qui s’appelle «Log Cabin In The Sky». Il jouent ça au washboard et ça marche. Ils font ensuite de la dentelle de Calais avec «You Get Brighter», une dentelle de Calais florentine, bien détachée dans la lumière, c’est l’apanage du folk anglais. Comme souvent dans les trips, le mec ne lâche pas la rampe. Ils passent aux drug-songs avec «The Half Remarkable Question». Mike sort son sitar et Robin gratte ses poux, on se croirait à Marrakech. Ils ramonent bien les artères de la médina. Et comme le sitar favorise la montée au cerveau, ça devient de la pâmoison à rallonges. Joe nous dit que les String Band sont adeptes de la Sciento, mais on voit bien avec «Air» qu’ils sont aussi dans la dope. Ils font un peu d’orientalisme avec «Puppies», mais de l’orientalisme joyeux. Si on écoute ces albums, c’est uniquement parce que Joe Boyd dit avoir été remué, et comme c’est un homme de goût, on lui fait confiance. Mais il faut savoir se montrer patient. Avec son mélange de coups d’acou et de sitar, «The Yellow Snake» est presque beau, mais pour «Ducks On A Pond», ils partent en mode Bécassine. Une autre paire de manches.

    L’autre grand amour de sa vie de découvreur/producteur, c’est Nick Drake - There was something uniquely arresting in Nick’s composture - Joe pense que sa musique est «mystérieusement originale» et sa technique de guitare «complexe».

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    On comprend qu’il se soit passionné pour Nick Drake. Il suffit d’écouter les deux albums qu’il produisit pour Nick à Londres, Five Leaves Left en 1969 et Bryter Layter en 1971. Sur le premier se niche une véritable merveille d’intimisme Drakien, «The Toughts Of Mary Jane». Nick la nique à la magie pure, il a une façon unique d’instaurer son doux règne, c’est un mélange de magie et de brume, comme chez Robert Wyatt, c’est très pur, très rêvé, très attardé. On retrouve cette magie dans «River Man», gonna see the river man, Nick Drake fait régner une ambiance douceâtre et tiédasse, tout émane de sa voix et de sa façon de gratter ses poux. C’est violonné au plus mauve du crépuscule des dieux. Il crée l’ambiance à chaque retour de manivelle, avec un ton unique, une réelle chaleur de ton, c’est forcément inspiré, même si on ne court pas après le folk. Nick Drake ne travaille que dans la mélancolie fortement arpeggiée et donc mythifiée. Sa mélancolie est purement baudelairienne, elle fait écho à celle de Léo Ferré, «un désespoir qu’aurait pas les moyens». On reste dans l’éclat référentiel avec «Day Is Done» qui incarne l’aspect préraphaélite du rock anglais. Nick Drake propose une brume de son distinguée, très pure, très Burne-Jones, tu ne peux pas échapper au charme discret du vieux Nick. Il sonne tellement comme un port d’attache qu’on y jette l’ancre.

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    Bryter Layter est un peu plus sophistiqué et cette sophistication productiviste nous dit Joe ne plaisait pas à Nick. John Cale intervient sur deux cuts, «Fly» et «Northern Sky», qui sont un peu les points forts de l’album. Nick Drake attrape son «Fly» au vol, à la voix d’ange de nicotine qui va mal, please ! Il se fond dans sa mélancolie. «Northern Sky» symbolise la force de Nick Drake. C’est d’une rare puissance agonisante, ce mec pousse le bouchon de la beauté morose assez loin, il chante à la voix éteinte, mais il chante, il faut le savoir. Magnifique slow groove d’under the boisseau que ce «Poor Boy». Nick Drake navigue à la douce manœuvre de nobody knows, c’est très long, très orchestré, PP Arnold et Doris Troy font les chœurs, on entend du sax, on croit que Nick Drake touche au but, mais cette débauche de moyens l’indispose. Que fait-on dans ces cas-là ? On se suicide. Joe Boyd y revient longuement, sur ce suicide, une overdose d’antidépresseurs, officiellement. On revient à l’album et à l’«At The Chime Of A City Clock» qu’il chante sous le vent, c’est le goove suburbain. Il gratte ensuite «One Of These Nights First» dans l’ombre de l’underground, il tient son couldn’t be seen en haleine, c’est une merveille ténébreuse et lumineuse à la fois, on se love dans le giron du génie de Nick Drake, il est avec Syd Barrett et Robert Wyatt l’un des plus beaux artistes de son temps. Il chante littéralement sous le boisseau d’argent.

    Merci Joe Boyd pour ce beau livre et tous ces beaux albums.

    Signé : Cazengler, Joe Boit

    Joe Boyd. White Bicycles: Making Music in the 1960s. Serpent’s Tail 2007

    Nick Drake. Five Leaves Left. Island Records 1969

    Nick Drake. Bryter Layter. Island Records 1971

    Incredible String Band. The Incredible String Band. Elektra 1966

    Incredible String Band. The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion. Elektra 1967

    Incredible String Band. The Hangman’s Beautiful Daughter. Elektra 1968

    Incredible String Band. Wee Tam And The Big Huge. Elektra 1968

     

    Hot Rod - Part Two

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    Il n’est pas d’artiste plus intriguant que Rod The Mod. Considéré par beaucoup de gens comme un vendu, il n’en demeure pas moins un très grand artiste. Il fut un temps où le nom de Rod Stewart sonnait comme celui de Brian Jones ou de Ray Davies. Le Jeff Beck Group fut le plus grand groupe anglais de son temps, un groupe que Led Zep ne parvint jamais à égaler. Ceux qui ont vu les Faces sur scène savent qu’ils valaient largement les Stones, côté power, mais il ne leur manquait qu’une seule chose : des hits comme «Jumpin’ Jack Flash» ou «The Last Time». On ne va pas revenir sur l’époque Faces évoquée comme on l’a dit dans l’hommage à Ronnie Wood, on va se contenter d’explorer la carrière solo de Rod The Mod, une carrière qui a connu des hauts (très hauts) et des bas (très bas), comme toute carrière, surtout lorsqu’elle se mesure à l’échelle d’une vie. Il faut simplement garder bien présent à l’esprit que Rod the Mod est l’un des plus brillants interprètes de son époque. Son seul défaut fut peut-être de trop aimer l’argent. Mais comme Aretha ou Smokey Robinson qui ont eux aussi des discographies à rallonges, Rod réserve au gré des aléas quelques belles surprises.

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    Paru en 1969, le premier album solo de Rod The Mod porte deux noms différents : An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down et The Rod Stewart Album. Il est aussi paru sous trois pochettes différentes : une belle en France avec une photo, une jaune aux États-Unis et une Vertigo en Angleterre qui donne le vertige. Avec cet album, Rod The Mod impose un style unique, un roddish sound qui est un mix de rock, de Soul et de folk assez capiteux car chanté au mieux des possibilités maximalistes. Il est essentiel de rappeler que ce premier album solo sort la même année que Beck Ola, un autre album classique de l’histoire du rock anglais. Le seul point commun entre Beck Ola et l’Old Raincoat est l’excellent «Blind Prayer», un heavy blues que Woody joue en sur-tension de bassmatic avec un Martin Pugh au devant du mix. Comme dans le Jeff Beck Goup, Woody joue en solo et il croise Pugh comme s’il croisait Beck, il le croise à n’en plus finir. Ces mecs savaient créer l’événement. L’autre coup de maître de l’album est la reprise de «Street Fighting Man», en ouverture de balda. Mickey Waller bat le beurre pendant que Woody & Pugh grattent leurs poux. Ils font de la Stonesy pure et dure et Woody quitte le cut en beauté avec un énorme solo de basse, comme John Cale dans «Waiting For The Man». On trouve encore une merveille sur cette A bénie des dieux : «Handbags & Gladrags», une mélodie signée Mike d’Abo. Rod The Mod ne fait qu’une bouchée de cette extrême pureté. Woody fournit le bassmatic adéquat, il joue en mélodie pressante et ses notes chevauchent les crêtes. Il joue un peu comme Ronnie Lane. D’autres merveilles guettent l’imprudent voyageur en B, à commencer par le morceau titre, l’Old Raincoat, avec un Woody qui chasse sur les terres du Comte Zaroff. Ce fantastique entertainer est de toutes les relances, il développe une énergie considérable. Keith Emerson joue sur «I Wouldn’t Ever Change A Thing» et le groupe de Rod ramène dans «Cindy’s Lament» autant de son qu’en ramenait le Jeff Beck Group, mais sans la folie de Jeff Beck. Ils terminent avec une version de «Dirty Old Town» chantée à la perfection et qui préfigure celle des Pogues.

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    Pendant toute la période Mercury/Vertigo, Rod The Mod va réussir à maintenir le rythme d’un ou deux hits par album, et pas des petits hits à la mormoille. Alors on décide de le suivre à la trace. Sur la pochette de Gasoline Alley, on retrouve l’old raincoat, mais vautré sur le trottoir, enfin, si on peut appeler ça un trottoir. Le morceau titre est un joli street folk que Woody joue en slide, avec Plonk Lane on bass. Ils s’amusent bien à jouer cette dentelle de Calais. Retour au vieux Bobby avec «It’s All Over Now», mais joué en mode Faces, c’est-à-dire heavy boogie de fin de soirée bien arrosée. C’est au tour de Plonk de faire le zouave à la basse. Il bat Woody à plates coutures. Il bouclent cette belle A avec une reprise du «My Way Of Giving» des Small Faces. Plonk se joint à Rod The Mod pour les chœurs et ça donne un résultat plutôt émouvant. Les deux hits sont planqués en B, à commencer par cette reprise de «Cut Across Shorty» délicieusement heavy. Rod met son énorme moulin en route, avec en sautoir le deep doom de Plonk. Ces mecs sont comme les éléphants, ils jouent énormément. Puis Plonk s’en va faire des merveilles sur sa basse dans «Lady Day». Il tisse un fil mélodique qu’il mêle à celui de Woody.

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    De tous les albums solo de Rod The Mod, Every Picture Tells A Story restera sans doute le chouchou des fans, à cause bien sûr de «Maggie May», hit de rêve pour tous les kids qui ont connu l’Angleterre des early seventies - Wake up Maggie/ It’s late september and I should be back to school - on a tous chanté ça en faisant du stop vers Londres. Effarante allure de Rod The Mod, avec la magie du beat de Mickey Waller - You stole my heart/ I couldn’t leave you If I tried - Si à l’époque on était romantique, on était baisé. L’autre coup de génie de l’album, c’est «Mandoline Wind», idéal pour un crack comme Rod. Il chante son Wind à merveille, dans un environnement de pedal steel et de mandoline. Le solo de mandoline est l’une des septièmes merveilles du monde. Le morceau titre entre aussi dans la catégorie des cuts vénéneux, car chargé de big sound et de big singing de gorge chaude. Rod The Mod propose aussi une sacrée triplette de Belleville : «That’s All Right», «Amazing Grace» et une reprise du «Tomorrow Is Such A Long Time» de Bob Dylan. Il fait aussi en B une reprise faramineuse d’«(I Know) I’m Losing You». Avec ce vieux hit des Tempts, Rod The Mod devient Rod The Mad. Il ramène tout le heavy power du Jeff Beck Group. Merveilleux déballage de big dumb sound. Lors du pont, les éléments se déchaînent, on assiste à une véritable escalade de la violence avec un Mickey Waller qui tribal tout seul dans sa cave.

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    On reste dans l’ère des grandes pochettes avec celle de Never A Dull Moment. On y voit un Rod The Mod rétro prostré dans son fauteuil. C’est en B que se niche l’excellente reprise d’«Angel». Hommage génial à Jimi Hendrix, avec Plonk on bass. Il joue en mélodie. On a là ce que le rock anglais peut offrir de meilleur. On retrouve Plonk et Woody dans «Time Blue», un cut digne de la couronne d’Angleterre. On retrouve aussi l’excellent mandoline-man Martin Quittenton dans «Lost Paraguayos». Ce son illustre aussi bien que le glam la magie de l’Angleterre des seventies et sur cette merveille, Woody joue de la basse. On l’entend aussi bassmatiquer derrière Rod sur «Italian Girls». Il semble que Rod ait trouvé sa voie, il a un vrai son, avec un Woody qui bombarde et un Quittenton qui brode. Par contre c’est Peter Sears qui joue de la basse sur «I’d Rather Go Blind», un heavy blues d’antho à Toto.

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    Le dernier album anglais de Rod The Mod s’appelle Smiler. Il pose en full regalia sur le devant, mais il faut aller voir à l’intérieur du gatefold (comme d’ailleurs dans celui de Never A Dull Moment) : on y voit toute l’équipe élargie : musiciens, entourage et même parents. Superbe photo de famille, avec un Woody en costard rouge, la rock star par excellence. D’ailleurs Woody se régale à jouer «Hard Road», ce fabuleux cut des Easybeats. Admirable shoot de Facy raunch. Ils s’amusent comme des gosses avec ce vieux boogie en caoutchouc. On trouve deux resucées de «Maggie May» sur cet album : «Lochinvar» et «Mine For Me», pourtant signé McCartney. Mais c’est avec ce pur hot Brit rock qu’est «Sailor», puis la reprise du «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke que Rod The Mod donne la mesure de son génie. En B, il s’en va taper dans Goffin & King avec «(You Make Me Feel Like) A Natural Man». Dans la bouche de Rod, ça tourne à la magie.

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    Comme l’indique le titre, Rod The Mod quitte l’Angleterre en 1975 avec Atlantic Crossing. Adieu Plonk, Woody et le foot, voilà venu le temps du big american sound. C’est enregistré un peu partout, chez Hi, à Muscle Shoals, à Miami et du coup, on ne sait plus qui fait quoi. Par contre, on sait que Tom Dowd produit. On voit vite l’étendue du désastre : dans «All In The Name Of Rock’n’Roll», Rod The Mod perd tout le ruckus des Faces, même si les cracks de Muscle Shoals l’accompagnent (David Hood, Roger Hawkins, Al Jackson). Rod s’américanise pour un résultat dramatique. Il faut attendre ce «Stone Cold Sober» co-écrit avec Steve Cropper pour reprendre espoir, d’autant que Cropper gratte ça sec. Ça flirte avec la Stonesy. Et puis on se fait avoir avec la belle reprise d’«I Don’t Want To Talk About It» de Danny Whitten. Rod The Mod récidive un peu plus loin avec une fantastique interprétation de «This Old Heart Of Mine», un vieux hit signé Holland/Dozier/Holland. Signature de rêve, idéale pour un raucous comme Rod. Avec «Still Love You», il reproduit les dynamiques de «Maggie May». Il n’en finit plus d’aimer Maggie, I wouldn’t change a thing/ If I could do it all over again. Il crée vraiment une relation affective avec ses admirateurs. Pas facile de lâcher un mec comme Rod.

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    Rien n’indique sur le pochette d’A Night On The Town que l’album est enregistré à Muscle Shoals. On se croirait plutôt à la Maison Fournaise sur l’île de Chatou, là où fut peint le fameux Déjeuner des Canotiers. Bon ça reste du big Rod sound, mais avec un son trop américain. Il y a six guitaristes listés sur la pochette, du coup on ne sait pas qui joue sur «The Ball Trap». C’est vrai qu’on s’en fout. Sans l’Angleterre, Rod The Mod n’a plus de sens. Il n’est plus qu’un bon chanteur parmi tant d’autres. Il tente de refaire l’Angleterre des Faces à Hollywood, mais ça ne marche pas. L’album retombe comme un soufflé. Seul le morceau titre qui ouvre la Slow Face peut sauver cet album. C’est une merveilleuse rengaine. Il nous gagne à son corps défendant.

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    En 1977, rien à foutre de son Foot Loose & Fancy Free. Pffffff ! Pauvre ringard. On écoute tous les Buzzcocks ! «Hot Legs» ? Pffffff ! Il a des Vanilla derrière lui, Phil Chen on bass et le mec qui fait Woody s’appelle Jim Cregan. La voix de Rod est intacte, mais il est dans les hot legs. C’est la vie. Il faut attendre «You’re In My Heart» pour retrouver le styliste éblouissant. Sur la plupart des cuts, les Américains essayent de sonner comme des Anglais. Avec sa version de «You Keep Me Hanging On», Rod tente de rivaliser avec Mark Stein, mais ce n’est pas gagné, même s’il brûle bien le chant. Il termine avec «I Was Only Joking», une merveille de story telling - Suzy babe you were good to me - Pur jus de Rod The Mod américanisé. Il faut s’habituer à cette idée et ce n’est pas facile.

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    Suite de l’Américanisation des choses avec Foolish Behavior. On entre dans les années 80, c’est-à-dire la mort du rock. Alors Rod fait du boogie au bord de la piscine. On ne cherche même pas à savoir qui joue derrière lui, ça n’a plus aucun intérêt. Ah il y va le Rod avec son «Better Off Dead», il est devenu con comme une bite. Il a perdu l’art. Il va là où le biz le porte. C’est insupportable, mais il faut savoir que ça existe. On en souffre certainement autant que lui. Après tous ses grands albums, il est probable qu’il ait rechigné à se commercialiser à outrance. Il a encore de bons réflexes, comme le montre le morceau titre. Il nous dépasse quand il veut. Il est fantastique dans la fermentation de «My Girl» - She’s got a hold on me/ I mean my girl - Il revient comme un petit chat, mais c’est Rod la bête de sexe. Il chante son «Say It Ain’t Time» à l’extrême. Même dans des albums bizarres comme celui-ci, il peut chanter à la folie. Hot Rod.

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    C’est sur Tonight I’m Yours paru l’année suivante qu’on trouve sa version de «Just Like A Woman». Just perfect. The voice + the song. Dans le rôle du fan de Bob, Rod est parfait. Par contre, il fait un peu de diskö avec le morceau titre et ça coince. C’est l’occasion rêvée de dire du mal de ce chanteur extraordinaire. Il tape aussi dans le vieux hit d’Ace, «How Long». Ça marche à tous les coups. Un nommé Robin le Mesurier fait toutes les guitares. Mais le boogie de Hollywood n’a pas d’avenir («Tear It Up»). Rod parvient à sauver l’album à la force du poignet avec des trucs comme «Only A Boy» ou même «Jealous» qui frise pourtant le putassier. Il chante tellement bien qu’il finit par rendre tous ses albums attractifs.

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    Sur la pochette de Body Wishes, Rod porte un costard rouge Ferrari. On sauve un seul cut, là-dessus, «Move Me». Il y fait du hot Rod, il chante ça pied à pied, why don’t you move me ! Il chauffe à blanc le boogie rock de «Dancin’ Alone», mais ailleurs ça tourne à la putasserie. Son «Ghetto Blaster» est d’une atroce complaisance. Et la prod pue. L’époque veut ça. Mais c’est dans la pelle qu’il excelle, le Rod. Dès qu’il roule une pelle, comme dans «Strangers Again», avec sa petite langue de connard prétentieux, ça marche, et pourtant on le déteste d’avoir si mal tourné, mais bon, on l’écoute quand même. Sait-on jamais. On espère toujours une vieille resucée de Maggie May.

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    Camouflage est l’un de ses albums les plus putassiers. Il transforme l’«All Right Now» de Free en hit diskö. Comme il est millionnaire, il fait sa diskö des jours heureux. Il atteint probablement le fond artistique alors qu’il atteint le sommet de sa carrière de frimeur. Il tape maintenant dans la pop inepte («Heart Is On The Line»). Après Beck Ola, c’est intolérable. Quel gâchis ! Un si beau rocker ! C’est un suicide commercial, il devient une pauvre cloche avec son diskö funk de camouflage. Il a perdu toute sa crédibilité mais gagné des millions de dollars. Cet album est d’autant plus insupportable qu’on y voit une immense star se ridiculiser. C’est important de voir jusqu’où les gens sont capables d’aller.

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    On sauve le morceau titre sur Every Beat Of My Heart : il y redevient le magicien qu’on aimait bien. Mais pour le reste, il a perdu le fil. Il continue de chanter comme d’autres continuent de conduire. Comment a-t-il pu accepter de chanter une telle daube ? Ça restera un mystère. Au mieux du pire, il reste dans le vieux mode boogie-rock hollywoodien et fait du Rod. Il a du son, mais du son sophistiqué. Il a l’air de traîner dans un marigot, comme un vieux crocodile de luxe. Ça n’a plus de sens.

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    Après une série d’albums calamiteux, Rod semble reprendre son destin en main avec Out Of Order. On assiste au retour de la glotte parfaite dès «Lost In You». Sa glotte est son fonds de commerce, alors on ne va pas le blamer d’en avoir une aussi parfaite. Il est dans son son et son son marche, il est écœurant de frime, avec cette pochette de salon de coiffure, mais God, la voix est là. Il reprend l’habitude de retravailler ses chansons au corps comme le montre «My Heart Can’t Tell Me No». Il reprend le cap, il est le capitaine et c’est fantastique. Il retrouve les coudées franches et redevient l’immense artiste qu’il a été. Il fait une version diskö de «Nobody Knows You When You’re Down And Out», mais il la chante, c’est une version convaincue d’avance. Tout le monde a tapé dans ce vieux standard, Nina Simone, le Spencer Davis Group, Bobby Womack, mais Rod The Mod s’en sort avec les honneurs. Et voilà qu’il tape une version de «Try A Little Tenderness» et là t’es baisé. Il est dessus dès l’intro, à la chaleur de la voix. Il fait bien son Otis, oh yeah, il est le seul blanc à pouvoir retravailler la tenderness d’Otis, c’est merveilleusement orchestré, Rod patine dans le merveilleux verlainien, il creuse chaque syllabe dans le yeah yeah de so so easy, il redevient le chanteur de rêve qu’on adulait, le white niggah d’exception, il ramène le pathos dans les grandes orchestrations, les paquebots soniques qui traversent la nuit de Fellini et il monte sur le tard, comme Otis, mais sans aller jusqu’au gotta-gotta, dommage. Il termine avec un «Almost Illegal» amené à la Stonesy d’I said yeah. Le guitar slinger s’appelle Andy Taylor.

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    Paru en 1991, Vagabond Heart fonctionne aussi comme un sursaut. On y trouve trois merveilles à commencer par «Rebel Heart». Grosse prod. Il y ramène son swagger de London boy, putasssier oui, mais avec du son. Il fait un duo d’enfer avec Tina sur «It Takes Two». Il tape ça sec avec la Tina d’after Ike. Et puis il y a cet hommage miraculeux à Motown, «The Motown Song». Sinon, le vieux Rod se ressource aux fontaines de blé. Il cultive le charme puant de la bourgeoisie hollywoodienne. Mais bon, on l’écoute quand même. This is Rod, after all.

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    Suite de la phase de redressement artistique avec un troisième album bien foutu, A Spanner In The Works. Ça grouille de goodies là-dedans, à commencer par l’infernal «Muddy Sam & Otis» - I was only seventeen - Pas de plus bel hommage - Thank you Sam, thank you Otis, thank you Muddy for the times we shared/ For the sounds you made - Il n’y a que Rod qui puisse chanter ça à l’accent cassé. Autre énormité : «Delicious», fabuleux shake de big shakeout, ça joue à la déflagration orchestrale et c’est même assez raunchy, baby. Rod a conservé ses instincts carnassiers. Il rend encore un hommage à Sam Cooke avec «Soothe Me». Il remplit encore l’espace de façon extravagante avec «Purple Heather», il sort sa meilleure chaleur de ton, et cet enfoiré en abuse. «The Downtown Lights» prend vite des proportions de Beautiful Song. Comme c’est globalement un album de reprises, il tape aussi dans Tom Petty («Leave Virginia Alone») et Dylan («Sweetheart Like You», tiré de l’album Infidels). Tout ce que chante Rod est bon, c’est important de le rappeler, il chante à la vie à la Rod. De vieux relents de Maggie May remontent dans «Lady Luck» et le vieux «You’re A Star» de Frankie Miller lui va comme un gant.

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    Encore une photo de salon de coiffure pour When We Were The New Boys paru en 1998. Curieusement, il y fait une resucée d’«Oh La La», le vieux cut de Plonk et Woody. Ça joue à la folie Méricourt avec des violons irlandais. Rod colle à son destin. L’album est placé sous l’égide des Faces puisque ça démarre avec un «Cigarettes & Alcohol» qui perpétue la perpète des pépères. Puis il tape une cover du «Rocks» des Primal Scream. C’est assez brillant, plein de Rod, plein de power et plein de cuivres. Belle dégelée, en tous les cas. Il reprend plus loin l’«Hotel Chambermaid» de Graham Parker qu’il considère comme un concurrent. Hot Rod fout le paquet, il a toutes les guitares d’Hollywood derrière lui. Il ne fait qu’une bouchée du morceau titre, il adore redémarrer à l’épique du deuxième couplet, il ne manque plus que les cornemuses. Sacré Rod ! Il reprend aussi Skunk Anansie («Weak») et les Waterboys («What Do You Want Me To Do»). C’est du sans surprise.

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    Human sort sur Atlantic en 2001. Il y fait son numéro sur deux gros cuts, «To Be With You» et «Run Back Into Your Arms». Il ultra-chante au max du mix, comme il sait si bien le faire. Difficile de ne pas craquer face à tant de talent. Le jour où tu trouveras un mec qui chante mieux que lui, fais-le savoir. Il faut le voir aller chercher le groove. Avec «Peach», il propose un boogie assez convulsif, bardé de guitares et de violons. She was dark, il parle d’une petite black, il fait des confidences en mode rock’n’roll, et c’est excellent. Et pourtant l’album part du mauvais pied avec des trucs assez putassiers. Il faut attendre la fin de l’album pour retrouver la terre ferme, il ultra-chante «It Was Love That We Needed» et il nous refait le coup du big Rod avec «I Can’t Deny It», il chante tout ce qu’il peut, il devient moche avec son gros pif, mais il claque sa chique, le vieux Rod continue de passionner, il est à la fois le clown du système et un maître chanteur incontestable. Trente ans après ses débuts, il est toujours là, bon an mal an.

    En 2002, il entre dans une nouvelle phase, une sorte de consécration, qu’on appelle la phase du Great American Songbook, avec sept albums enregistrés sur huit ans. C’est une renaissance artistique, une façon de nous dire qu’il évolue bien. Il faut juste écouter cette série d’albums basés sur l’équation parfaite : the song + the voice. C’est du gagné d’avance.

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    Le volume 1 s’appelle It Had To Be You: The Great American Songbook et renferme deux pépites : «They Can’t Take That Away From Me» et «That Old Feeling». Le premier est signé Gershwin, c’est du swing joué à la pompe de jazz et Rod se situe au dessus des lois. Le deuxième est signé Chet Baker & Brook Benton, un classique du groove que Rod remonte au feeling, comme un saumon remonte le courant. Effarant ! La voix est là. Rod ne se sent plus pisser. Une merveille ! Il tape bien sûr dans Sinatra («The Way You Look Tonight» et «It Had To Be You»). Comme Bryan Ferry avant lui, il tape dans «Those Foolish Things», un vieux hit d’Ella et de Billie Holiday, Rod s’y colle et il rentre dans le lard du groove, alors forcément, on craque, tellement c’est beau. D’autres pures merveilles s’ensuivent, «Moonglow» et «I’ll Be Seing You» chanté aussi par Billie Holiday. Mais ce premier tour de manège finit par donner le tournis, surtout l’«Everytime We Say Goodbye» de Cole Porter, trop de swing, trop de professionnalisme, trop de son, trop de chant, on frise l’overdose. Tout est tellement glamourous, le vieux Rod explose toutes les turpitudes hollywoodiennes.

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    L’année suivante paraît As Time Goes By: The Great American Songbook Vol II. Même principe : des standards triés sur le volet chantés par l’un des plus grands interprètes du XXe siècle. Il se prend pour Chet Baker avec «I’m In The Mood For Love», c’est gonflé, mais ça passe. Le cut magique du Volume II est cette reprise d’«Until The Real Thing Comes Along», un heavy groove convaincu d’avance, c’est blanc mais c’est bien - My heart is yours/ What more can I say - Encore de la magie pure avec «I Only Have Eyes For You». Il entre dans le territoire sacré du doo-wop légendaire et ça tient en haleine. Il revient à Gershwin avec «Someone To Watch Over Me». C’est du très grand art, une merveille d’espoir et de swing. Il duette avec Queen Latifah sur «As Time Goes By» et ça tourne encore une fois à la magie pure - You must remember this/ A kiss is just a kiss - Irrésistible. Il rafle encore la mise avec le heavy groove de «Don’t Get Around Much Anymore». Il rafle toutes les mises. On le voit plus loin se prélasser dans «My Heart Stood Still», un vieux hit de Sinatra. Ces albums sont des bénédictions, à condition bien sûr d’aimer l’univers du croon.

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    Le volume III est sans doute le plus intense. Il s’appelle Stardust: The Great American Songbook Vol III et Rod attaque avec «Embraceable You» qu’il chante dans le gras du groove. Il enchaîne avec «For Sentimental Reasons», une Beautiful Song qu’il dévore à pleines dents, une merveille absolue d’I give you my heart, yeah yeah. On ne présente plus «What A Wonderful World». Rod entre dans l’eau magique du Wonderful World et Stevie Wonder l’accompagne à l’harmo. Il duette aussi avec Bette Midler sur «Manhattan», puis il swingue «Isn’t It Romantic» jusqu’à l’os. Avant Rod, ils sont tous passés par là : Ella, Chet Baker, Tony Benett et Mel Tormé. Encore un Gershwin avec «I Can’t Get Started», cette fois Rod fait son Louis Armstrong, il étale sa pâte dans le chant. Puis voilà «A Kiss To Build A Dream On», jazzé dans l’œuf du serpent, véritable apanage du swing d’antan, Rod est trop fort, trop subtil, il épuise la cervelle. Il duette enduite sur «Baby It’s Cold Outside» avec Dolly Parton et ses boobs. Elle sent bon le sexe. Retour à la racine du swing américain avec le «Night & Day» de Cole Porter. Ce swing galactique reste imbattable.

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    Il attaque Thanks For The Memory: The Great American Songbook Vol IV en duettant avec Diana Ross sur «I’ve Got A Crush On You». Cette vieille rosse de Ross ressort ses manières de courtisane, ça frise la putasserie et Rod paraît troublé. C’est très sexuel comme assemblage, elle ramène ses lèvres d’experte et ça devient vite équivoque. Nouveau duo de choc avec Chaka Khan et «You Send Me». Cette fois, ça chauffe ! Chaka ne lâche rien, elle arrive et balaye tout. Elton John a réussit à taper l’incruste dans «Makin’ Whoopee». Une chose est sûre : ce mec sait chanter. Encore une fantastique leçon de swing avec «Taking A Chance On Love». Il tient bon la rampe jusqu’au bout de ce volume IV, surtout avec «I’ve Got My Love To Keep Me Warm», il nous fatigue et il nous fascine en même temps, mais on l’encourage, vas-y Rod ! C’mon !

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    Le dernier volume du Great American Songbook paraît en 2010 et s’appelle Fly Me To The Moon: The Great American Songbook Vol V. Rod l’attaque avec un vieux hit merveilleux, «That Old Black Magic» qui date de 1942, du temps de Glenn Miller et de Judy Garland. Rod y plonge ses crocs d’artiste et de greedy man et en fait un hit de big heavy pré-American Sound. Puis cet enfoiré tape dans Charles Trenet avec «Beyond The Sea», il tente de récréer ce rêve de La Mer qui ne lui appartient pas, laisse tomber Rod, tu veux swinguer comme Charles ? Non, c’est Charles qui swingue, Rod sonne comme un parvenu américain, il oublie de swinguer la fin du cut, il n’a pas le power du fou chantant. Puis il va sur les terres d’Ella avec «I’ve Got You Under My Skin», c’est assez gonflé de sa part. Ce volume V est un drôle d’objet : à la fois une bénédiction (bien chanté) et une insulte aux interprètes originaux. Ces mecs-là se croient tout permis, et pourtant les reprises sonnent comme des hommages. Il file ensuite sur les terres d’Esther Phillips avec «What A Difference A Day Makes». Mais Rod ne fait pas le poids. Cette merveille appartient à Esther, Rod n’a pas le feeling intrinsèque qui fit la grandeur de Little Esther. Il retourne à la suite sur les terres de Sinatra avec «I Get A Kick Out Of You» et «I’ve Got The World On A String», c’est encore là que Rod est le plus à l’aise, dans le vieux groove de Cole Porter. Il revient à Sinatra avec «Fly Me To The Moon» et boucle avec le «Sunny Side Of The Street» de Louis Armstrong.

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    En 2006, il fait un album de reprises assez spectaculaire, Still The Same. Great Rock Classics Of All Time. Il démarre avec Fog et l’irrépressible «Have You Ever Seen The Rain». Son I know sonne si juste. Il est dans l’énergie de Fog - Coming down from a sunny day - Il fait bien sûr une cover de Dylan, «If Not For You», il caresse Dylan dans le sens du poil et fait de ce vieux shoot de romantica dylanesque une véritable merveille. Il tape aussi dans «I’ll Stand By You», l’un des slowahs les plus putassiers de l’histoire des slowahs et ça tient debout parce que c’est Rod. Puis il rentre dans le «Still The Same» de Bob Seger comme un renard dans un poulailler, il bouffe tout, la pop, le rock, les poules, les œufs, tout ! Il reprend aussi des trucs de Cat Stevens et des Eagles sur lesquels on ne va pas trop s’attarder et on file droit sur l’excellente cover de l’«Everything I Owe» de David Gates, le mec de Bread. Big heavy pop, fantastique énergie. Il décide de boucler avec une cover de «Crazy Love», mais face à Van Morrison, Rod ne fait pas le poids, oh la la, pas du tout.

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    Pour finir la phase des grands hommages compilatoires, voilà Soulbook. Cette fois, Rod rend hommages aux géants de la Soul, comme par exemple Stevie Wonder avec «My Cherie Amour». Évidemment, il l’avale tout cru. Quand il n’est pas le renard qui entre dans le poulailler, il est le crocodile qui rôde au bord du fleuve. Il fait ensuite un duo terrific avec Mary J. Blidge dans «You Make Me Feel Brand New», une belle Soul de chèvre chaud, et quand Mary arrive, elle dégouline de sensualité, alors Rod fait pouh pouh pouh ! Il tape aussi dans Jackie Wilson («Higher & Higher») et Smokey («Tracks Of My Tears»). Il manque tragiquement de crédibilité dans sa reprise de «Rainy Night In Georgia». Rod n’est pas Tony Joe White, c’est bon de le rappeler. Il s’en sort mieux avec ce vieux hit des O’Jays, «Love Train», composé par Gamble & Huff. Il avale cette fois la prunelle du black power.

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    Après cette cure de grandes chansons, Rod reprend son petit bonhomme de chemin avec des albums disons classiques. Il fait comme les copains, comme Totor, comme El Vez, comme Tav, comme les Beach Boys et comme les Four Tops un Christmas Album : Merry Christmas Baby. Il s’y montre encore pire que Totor, il cajole sa soupe, il n’y croit pas un seul instant mais il chante de tout son cœur. Il bat même tous les records. Il amène «Santa Claus Is Coming To Town» au groove de jazz. En fait il place son Christmas album sous l’égide du swing de jazz. Il duette avec Ella Fitzgerald sur «What Are You Doing On New Year’s Eve» et il fait le show avec «When You Wish Upon A Star». Il est dessus, il redevient le magicien que l’on sait.

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    Il marche sur la plage pour la pochette de Time, paru en 2013. Il attaque «She Makes Me Happy» au oh-ooh, il ramène sa vieille magie vocale pour redevenir Rod the Blow, il chante au oooh-woooh et rafle la mise. Il bénéficie d’une prod de rêve et reste l’un des grands chanteurs de son époque. L’autre énormité s’appelle «It’s Over», il reste l’immense chanteur que l’on sait, il fait de la pop américaine puissante qui finit par devenir énorme. On retrouve sa vieille puissance dans «Beautiful Morning». Il connaît les tenants et les aboutissants, rien ne peut lui résister, c’est bardé de son, avec un sax et des chœurs de Dolls, eh oui. Il refait son London boy avec «Finest Woman». Il sait driver un heavy boogie rawk à la mode des Faces, il est excellent à ce petit jeu-là, awite, il ressort toutes ses vieilles ficelles de caleçon, et les caleçons de Rod, c’est quelque chose. Côté compo, Rod est dans tous les coups, ce qui explique pourquoi le niveau général est faible. Très faible. Le vieux Rod fait de la soupe, alors du Rod The Mod fit en son temps des merveilles.

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    Another Country sort en 2015. Hollywood Rod porte une veste en cuir noir. Il attaque aux violons du pays avec «Love Is». Il donne aux Américains une petite dose de roots à la mormoille, on entend des cornemuses, du violon et encore du violon, c’est rempli à ras-bord. Voilà le Rod élevé au grain, il ramène toute la ferme à Hollywood. Ces mecs-là sont capables de tout et de n’importe quoi, il faut le savoir. C’est la raison pour laquelle on les admire et pour laquelle on continue d’acheter leurs disques, histoire d’assister à leur magnifique décadence. Si tu n’as pas vu ça, tu n’as rien vu. On a tous raté la chute de l’Empire romain. Pour se consoler, on a celle d’Hollywood Rod. Pour se faire un billet, il est capable de faire n’importe quoi. Comme il a une voix, il en profite. On en ferait tous autant. Avec «Please», tu en as pour ton argent, tu veux du Hollywood Rod ? Tu as du Hollywood Rod. Stay with me tonight. Oui, c’est ça, t’as raison. Son «Walking In The Sunshine» n’est pas orienté vers l’avenir, mais vers le tiroir-caisse. Il donne sa voix au biz de la dernière heure. Prod imbuvable, mais ça marche. Il fait encore du reggae de bar de plage («Love And Be Loved») et ramène ses fucking cornemuses dans «We Can Win». Le voilà emporté par le mainstream, il ne maîtrise plus grand chose. Hollywood Rod est devenu Fétu Rod. Il ramène tout le bataclan de la vieille Angleterre dans le morceau titre et renoue le temps d’un cut avec Rod the Pop («Batman Superman Spiderman»). Il sait encore allumer une pop de rêve. Globalement, ses derniers albums sont un peu spéciaux, un peu trop putassiers pour les gueules à fuel. Mais bon, de temps en temps, sa voix impose une sorte de respect.

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    Le dernier album en date s’appelle Blood Red Roses. Hollywood Rod est assis derrière le digi, en costard blanc. L’album réserve quelques bonnes surprises, passé le cap des diskö-kuts d’ouverture de bal. Il tente de nous refourguer ses vieux tours de magie avec «Farewell» et il développe pour l’occasion sa fantastique énergie balladive. C’est un hommage à Ewan Dawson, son vieux pote dont il parte dans l’autobio - Oh you/ Yeah you/ Were like a brother to me - Et là oui, on y va, car c’est balèze. Il nous refait le coup du vieux mage un peu plus loin avec le morceau titre, amené au son irlandais et dedicated to the great Ewan McColl. Il faut être à la hauteur pour écouter ça, on est vite dépassé par le génie cavalant d’Hollywood Rod. Cette fois il dépasse même l’entendement, c’est vite violent, avec le beat des origines. Il déclenche une incroyable furia del sol avec ses Roses, et ça débouche sur un final extravagant, plein d’énergie irlandaise montée en noise, hey hey ! Retour à la belle pop bien drivée avec «Rest of My Life», c’est putassier mais extrêmement bien foutu. Il tape dans le vieux «Rollin’ And Tumblin’» de Muddy, mais le Rollin’ à Hollywood, ça fait marrer. On entend une charge d’éléphants. Il fait encore deux coups d’éclat : «Julia» et «Honey Gold». Il chante comme une pauvre crêpe géniale, c’est ça le problème. Même s’il fait la pute, il est bon. Il fait tout le boulot, comme un vieux boxeur. Il crée un pathos énorme d’Honey Gold - Somebody is smiling down on you - Il est épatant, Hollywood Rod, le power est toujours là.

    Signé : Cazengler, Rote tout court

    Rod Stewart. An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down. Vertigo 1969

    Rod Stewart. Gasoline Alley. Vertigo 1970

    Rod Stewart. Every Picture Tells A Story. Vertigo 1971

    Rod Stewart. Never A Dull Moment. Mercury 1972

    Rod Stewart. Smiler. Mercury 1974

    Rod Stewart. Atlantic Crossing. Warner Bros. Records 1975

    Rod Stewart. A Night On The Town. Riva 1976

    Rod Stewart. Foot Loose & Fancy Free. Riva 1977

    Rod Stewart. Foolish Behavior. Riva 1980

    Rod Stewart. Tonight I’m Yours. Riva 1981

    Rod Stewart. Body Wishes. Warner Bros. Records 1983

    Rod Stewart. Camouflage. Warner Bros. Records 1984

    Rod Stewart. Every Beat Of My Heart. Warner Bros. Records 1986

    Rod Stewart. Out Of Order. Warner Bros. Records 1988

    Rod Stewart. Vagabond Heart. Warner Bros. Records 1991

    Rod Stewart. A Spanner In The Works. Warner Bros. Records 1995

    Rod Stewart. When We Were The New Boys. Warner Bros. Records 1998

    Rod Stewart. Human. Atlantic 2001

    Rod Stewart. It Had To Be You: The Great American Songbook. J Records 2002

    Rod Stewart. As Time Goes By: The Great American Songbook Vol II. J Records 2003

    Rod Stewart. Stardust: The Great American Songbook Vol III. J Records 2004

    Rod Stewart. Thanks For The Memory: The Great American Songbook Vol IV. J Records 2005

    Rod Stewart. Still The Same. Great Rock Classics Of All Time. J Records 2006

    Rod Stewart. Soulbook. J Records 2009

    Rod Stewart. Fly Me To The Moon: The Great American Songbook Vol V. J Records 2010

    Rod Stewart. Merry Christmas Baby. Verve Records 2012

    Rod Stewart. Time. Capitol Records 2013

    Rod Stewart. Another Country. Capitol Records 2015

    Rod Stewart. Blood Red Roses. Decca 2018

     

    L’avenir du rock

    - Lemon Incest

     

    D’une nature secrète, l’avenir du rock n’avouera jamais qu’il se sent parfois dépassé. Sa conseillère en communication ne rate pas une seule occasion de le taquiner :

    — Vous voulez toujours paraître sûr de vous, mais on voit bien qu’il vous arrive de vous surestimer...

    — À quoi voyez-vous ça, Nadia ?

    — Votre nez ! La pointe frémit lorsque vous défendez un groupe auquel vous ne croyez pas tant que ça.

    — Vous me rassurez ! Au moins vous n’avez pas vu mon nez s’allonger !

    — Vous êtes bien égal à vous-même. Vous vous en sortez toujours par une boutade. Au fond, c’est ce qui fait votre charme.

    — Ma chère Nadia, dois-je vous rappeler que je vous paye pour me conseiller et non pour me draguer ?

    — Allez, soyez fair-play, avenir du rock. Je ne fais qu’utiliser vos méthodes. Juste pour vous montrer l’effet que ça produit.

    — Bon cessons de batifoler, ma chère Nadia. Nous avons une journée chargée. Par qui commençons-nous ?

    — Nous avons rendez-vous à 11 h avec les frères d’Addario.

    — Ah très bien !

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    Responsables d’un petit buzz en 2016, les frères d’Addario sont vite devenus célèbres. Leur groupe s’appelle Lemon Twigs et leur premier album Do Hollywood. Leur truc, c’est de se distinguer à tout prix. Leur exemple pourrait rappeler celui des pré-Sparks, du temps où ils s’appelaient Halfnelson. Les Twigs pourraient aussi prétendre à être les Bowie des temps modernes, ils ont cette modernité de ton chevillée au corps, comme le montre «As Long As We’re Together». Ils visent le délibéré, l’absence de frontières, ils échappent à toutes les particularismes, ils sont à la fois intimistes et présents. Ils transforment leur pop en art. Attention avec les Twigs, il faut s’attendre à tout sauf à de la pop conventionnelle.

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    Ils sont résolus à brouiller toutes les pistes. Leur «How Lucky Am I?» est à la fois très pur et inclassable, avec son piano et ses harmonies vocales. Encore plus déroutant, voici «Hi+Lo» et ses grosses cavalcades teutoniques sur la glace du lac gelé, leur monde se complexifie mais fascine en même temps, ils s’amusent à casser le concept du hit, ils le fracassent en mille morceaux. Ils finissent néanmoins en mode hit pop, high & low for you, et ça explose. Ces deux-là ne respectent rien. Ils s’amusent à sonner comme des cadors avec «I Wanna Prove To You», c’est alarmant et réconfortant à la fois et cette pop baroque éveille vite l’intérêt, tellement elle se situe aux antipodes de la soupe qu’on nous sert aujourd’hui. Leur légèreté de ton les préserve des commentaires haineux. Ils sont vivaces et perspicaces, leur pop est à la fois baroque et sans avenir, mais que d’élégance dans l’élocution ! Ils ne se prendront jamais au sérieux, et ça va les sauver. Avec «Baby Baby», ils entrent à nouveau dans un délire. Ils fracassent littéralement la commerciabilité des choses. Ils échappent à tous les cadres. Ils terminent avec «A Great Snake» et s’imposent avec tout le sérieux du monde. Cette démarche ne te rappelle rien ? Mais oui, Dada, mais les Twigs sont américains et donc c’est autre chose. Dada est trop profondément européen, trop Arpy, trop romano-Tzarique. Leur Snake est très gorgeous, très introduit dans la vulve, l’ambiance reste à l’impertinence, rien ici ne correspond à rien, mais en même temps ça a du poids. Ils finissent tout de même en mode Mercury Rev.

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    Go To School est un album qu’il faut faire l’effort d’écouter sans trop s’arrêter sur les textes, car c’est un mini-opéra et donc un projet ambitieux. Autant le dire toute de suite : ils sonnent exactement comme Big Star avec «Queen Of My School». C’est joué à la dégringolade d’Alex Chilton, même processus, mêmes guitares, même power du poppisme. La fin de l’album est nettement plus intéressante, avec des cuts comme «Never Know», une fantastique explosion de pop supérieure, ou encore «The Fire» qui sonne comme un vrai hit, une vraie leçon de maintien. Incroyable stature de la tenure, c’est chanté au creux du menton, les deux frangins poussent bien le bouchon et le thème musical est fantastique. Ils sont les maîtres de leur monde. S’ensuit une Beautiful Song, «Home Of A Heart (The Woods)», ils retapissent la pop au cul des Twigs et ils passent ensuite à la Stonesy avec «This Is My Tree». On retrouve les accents tranchants de Steve Harley dans «Never In My Arms Always In My Heart», et ce chant typique suivi à la guitare. Très anglais, décadent et baroque à la fois. Ils vont parfois faire un petit tour à Broadway («The Student Became The Teacher») et dans un rock world qui n’est pas vraiment le nôtre («Rock Dreams»). Ils échappent aux cadres et aux modes. Il faut attendre «Lonely» pour renouer avec la beauté. Ils finissant en saluant les Beatles du White Album avec l’indicible «If You Give Enough» joué au thérémine.

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    Et voilà qu’en 2020 paraît Songs For The General Public. Pour fêter l’heureux événement, Shindig! leur octroie deux pages. Leur intention était de faire something that is no bullshit, like Paul Revere & The Raiders. Les deux frangins adorent jongler avec les références. Ils citent volontiers le Street Legal de Dylan et l’Holland de Brian Wilson. Ils citent aussi les Stooges et les Dolls pour «Leather Together», avec un chant à la Pete Shelley. Ils ont raison de faire appel à ces noms magiques, car leur Leather est amené à la violence extrême. Ils savent déclencher les furies de non-retour. Ça prend une tournure incontrôlable et ça explose en folie Méricourt de yah yah yah. Le coup de génie de l’album s’appelle «Hog» - You’re my confidente/ Now once in a while you haunt/ My dreams/ They turn into nightmares/ The water into mud/ The bed is soaked with blood - Ils montent ça jusqu’au sommet de l’art - I’m not you ! - Avec le «Hell On Wheels» d’ouverture de bal et cet accent tranchant, on se croirait chez Steve Harley & Cockney Rebel. C’est assez surprenant et plein de vie. Ils créent leur monde en toute impunité, avec un joli brin de décadence. Leur pop est inclassable, assez enjouée et même enjouable. On pense bien sûr à Halfnelson. Cette pop baroque n’a aucun espoir de plaire, mais ce n’est pas son propos. Ils amènent «Fight» aux accords de hit, mais ce n’est pas un hit. Ils montent chaque fois au créneau, gorgés d’esprit des seventies, au propre comme au figuré, c’est-à-dire au son comme au look. «Moon» sonne comme de la heavy pop désespérée. Ces deux mecs sont d’une enviabilité sans nom, ils battent la campagne avec la pop sauvage de «The One» et son solo arc-en-ciel. Ils développent une énergie de tous les instants. Avec «Only A Fool», ils explorent des territoires inconnus, ils créent des fondus chauds et veloutés dans le cul du diable, c’est même beaucoup trop baroque. Mais en même temps, ils inventent un genre : le baroque explosif. Il faut savoir l’accepter. Mine de rien, ils fabriquent de la modernité.

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. Do Hollywood. 4AD 2016

    Lemon Twigs. Go To School. 4AD 2018

    Lemon Twigs. Songs For The General Public. 4AD 2020

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    Jon Mojo Mills : Looking for a place to dream. Shindig! # 105 - July 2020

     

    Inside the goldmine

    - Wendy est la Rene

     

    Les deux flics de la patrouille ne rigolaient pas.

    — C’est quoi ton nom ?

    — Rene... Je suis Rene...

    Les deux cops échangèrent un regard chargé d’incertitude. Le plus gros des deux répondit au bout d’un instant :

    — Et mon cul, c’est du poulet ?

    — Mais si, officer, je suis Rene...

    — Tu vois, petite salope de négresse, mon copain il est pape. Ça t’en bouche un coin, pas vrai ?

    — Pape ?

    — Ben oui, si toi t’es reine, lui il est pape, tu piges ? Get It ?

    Elle commençait à paniquer. Elle comprenait qu’elle allait passer à la casserole... Elle portait une mini-jupe, ce qui devait encore plus les exciter, elle avait oublié son sac et il faisait une chaleur terrible, même au cœur de la nuit.

    — Je vous jure sur la bible que je suis Rene...

    Le flic maigre commença à déboutonner sa braguette.

    — Me suis jamais tapé une reine, ma bite va s’anoblir... Suis certain qu’elle va adorer ça...

    Le gros s’épongeait le front. D’un ton menaçant, il lui ordonna de se tourner :

    — Maintenant, tu remontes ta jupe et tu nous montres ton cul, magne-toi !

    Alors elle tenta sa chance. Elle se mit à chanter et à claquer des doigts :

    — I smell something in the air/ You know it smells like/ bar-B-Q !

    Les deux flicards semblèrent pétrifiés. Elle dansait et chantait avec une niaque extraordinaire.

    — If I had some I wouldn’t care because/ I like bar-B-Q !

    Ils furent comme entraînés par ce jerk de reine, le maigre se mit à danser avec sa bite à la main et le gros fit onduler ses poignées d’amour, les deux bras en l’air. Alors elle mit la gomme et prit son refrain au raw de Stax :

    — Well I like bar-B-Q/ You like bar-B-Q/ We like bar-B-Q/ You know I sure like bar-B-Q !

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    On trouve ce hit énorme sur une rétrospective de Wendy Rene parue en 2012 sur Light In The Attic : After Laughter Comes Tears (Complete Stax & Volt Singles + Rarities 1964-1965). «Bar-B-Q» fait partie des hits de ce qu’on appelle l’early Stax. Elle est marrante, la petite Wendy Rene, elle chante d’une voix aiguë sur le gros beat Stax, c’est complètement juvénile, elle s’amuse comme une folle. Comme tous les autres artistes signés sur Stax, Mary Fierson est arrivée avec son frère Johnny en 1963, au 926 East McLemore Avenue, pour tenter sa chance, et pouf, c’est Otis qui va la rebaptiser Wendy Rene. Wendy avait 16 ans et son frère 17 - We went down to the Stax recording company - Wendy avoua à Mister Stewart qu’elle avait des chansons et Mister Stewart lui demanda de les lui montrer. Ça lui plut et il demanda à voir les parents de Wendy pour la signature du contrat. Mister Stewart cherchait the next big thing et pensait l’avoir trouvé avec Wendy Rene et son frère Johnny.

    Wendy était fière car Monsieur Cropper, Booker T, Al Jackson et Packy l’accompagnaient. Puis en 1965, elle décida d’arrêter pour élever ses enfants. Stax insista pour qu’elle reprenne du service et participe à la tournée d’Otis en 1967, mais elle hésitait à revenir dans le biz et finalement elle déclina l’offre. Ce fut un sacré coup de pot, car c’est durant cette tournée qu’Otis et les Bar-Keys sont morts noyés, suite au crash de leur avion dans un lac du Wisconsin. Wendy l’avait échappé belle.

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    Il faut écouter Wendy Rene. Elle est adorable, si sucrée, si féminine. Comme Carla qui est encore au lycée à cette époque, elle fait des slowahs très staxy avec des chœurs de femmes languides. Elle parvient à arracher certains balladifs du sol, comme de «What Will Tomorrow Bring». Elle duette parfois avec son frangin Johnny dans les Drapels («Wondering When My Love Is Coming Home»). Elle fait pas mal de Carla Thomas, donc il faut aimer ça. Elle chante son «Crowded Park» pied à pied, c’est nappé d’orgue, un peu à la 96 Tears. Elle est très présente, mais pas aussi percutante que Rozetta Johnson. Bon, c’est vrai, on ne peut pas tout avoir. Il faut parfois accepter de changer ses désirs plutôt que le cours du monde, oh ce n’est pas facile, nous sommes bien d’accord, mais avec un peu de volonté, on peut espérer y parvenir. Light In The Attic fait bien les choses, puisqu’il s’agit d’un double album, alors la fête se poursuit en C avec un «Love At First Sight» bien embobinant. Avec «She’s Moving Away», elle lève une pâte de Soul bien épaisse. Elle n’a pas une voix très ferme, mais elle force la sympathie. Comme Carla, elle tartine tout ce qu’elle peut, elle y va de bon cœur, elle n’a pas de problèmes d’octaves, elle fait une Soul très primitive. Encore un joli groove de Staxy Soul avec «The Same Guy» et une belle basse au devant du mix. C’est excellent, un peu rampant et staxé jusqu’à l’os. Tout ici est ficelé au ras des pâquerettes de McLemore. Elle fait son gros popotin avec «Can’t Stay Away», c’est tellement épais qu’elle parvient à transcender la notion de primitivisme Soul. C’est toujours bien tartiné, jamais tartignolle. Wendy Rene propose une early Soul merveilleusement contrebalancée. Quelle fantastique présence ! Elle reste toujours au bord du faux, comme d’autres au bord du gouffre.

    Singé : Cazengler, Reine des pommes

    Wendy Rene. After Laughter Comes Tears (Complete Stax & Volt Singles + Rarities 1964-1965). Light In The Attic 2012

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    Encore une fois parmi les nouveautés la pochette m'a tenté. Comment résister aux sortilèges d'une fée, surtout si elle représente la déesse du destin ! Deux opus à l'actif de Mother Morgana. Des autrichiens. De la ville de Graz, grosse cité située à cent cinquante kilomètres de Vienne.

    RISE

    MOTHER MORGANA

    ( 06 Janvier 2022 )

    Katharina Franz : vocal, keyboards / Jacob Mayers : bass, lyrics / Stefan Höfler : drums / Fabian Gössler : guitare, enregistrement.

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    Artwork : Ines Peinhaupt. Trois des morceaux de cet album ont paru précédemment agrémentés de trois dessins reproduits à leur place ci-dessous. Le lecteur pourra méditer sur la différence des styles avec la pochette finale du CD. L'on y retrouve toutefois le corbeau à tête squelettique, est-ce celui qui siégeait sur l'épaule gauche d'Odin et qui connaissait l'avenir, celui-ci étant facile à prophétiser toute chose étant soumise à sa corruption dixit Aristoteles. Encore faudrait-il savoir qui se cache sous la mort. Mother Morgana le proclame, Rise est un concept-album. Si la pochette semble souriante, le sujet l'est moins. Comment retrouver son chemin intérieur lorsque l'esprit a craqué.

     

    Emptiness – Dream I : avancée sonore inaudible, une voix voilée s'élève incompréhensible, ce qui est sûr c'est qu'une monture trottine dans le brouillard, elle continue imperturbable malgré des herbes hautes de guitares qui tentent de l'arrêter, le voyageur continue son chemin, tout se tait, seul reste un chuintement de marécage. Ce premier rêve est juste un début de cauchemar.

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    Outcast and stranger : basse conciliante, il s'avance, on le voit, on ne l'entend pas, maintenant sa présence est indubitable, il parle mais à l'intérieur de bruits, imaginez sa voix comme un craquement de bruyère séchée, Katharina traduit ses paroles pour nous, elle conte son désarroi et crie son désespoir, pourquoi est-il empli de tant de sable de solitude, la musique continue toute seule, elle ne peut plus rien pour lui, elle a beau prendre de l'importance, ce que l'on perçoit c'est ce crissement de roue de charrette mal huilée qui se répète tel un appel au secours qui ne veut pas dire son nom.

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    Call me echo : galop fracassé de batterie et charge de guitares, éclats de synthétiseur, il-elle chante, tout bas, il-elle répète les mots que chacun de nous prononce dans sa vie, lui-elle les a aussi proférés, mais il-elle ne sait plus quand, où et pourquoi. Soubassement pianistique, il-elle se souvient qu'il fut un temps où il-elle se souvenait, la terrible incertitude de lui et d'elle-même assombrit les guitares qui pèsent lourd, le drame est là dans cette trahison du réel qui n'a pas été à la hauteur des rêves vécus. No hiding – Dream II : un clavier lance les étincelles d'un brasier qui rougeoie, la voix du cavalier se fait plus claire, juste quelques mots qui taisent plus qu'ils ne disent.

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    Rise : quelque chose arrive, une vague de musique, la mer qui bat les rochers, l'on dirait que Katharina retient sa voix tout en l'allongeant, elle n'en peut plus elle vocalise sur des escarpins de guitare, la chose est là, tout près, elle ne demande qu'à sortir, l'on pressent une bête informe, une bulle de souvenirs qui ne veulent pas se souvenir, un globo qui ne veut pas crever, du verre brisé qui se reconstitue avant que l'on ait pu voir, que l'on ait pu savoir, mais l'envie de passer outre, de se persuader qu'il importe peu de regarder les yeux crevés du passé, terrible combat de soi-même contre soi-même, passer oultre. Emotion : guitare klaxonnante et danse tournoyante, quelque chose au fond de soi, je ne sais pas quoi, mais je pressens, musique en danse du sabre, il est temps de régler ses comptes avec soi-même, d'abord avec la réalité du monde et des pantins qui me ressemblent qui le peuplent. Exaltation. Don't dive to deep – Dream III : intermède, des paroles qui ricanent, des notes de piano qui explosent, un grignotement de souris affairée qui dérange. Sea of vision : l'on cède toujours, l'on glisse, l'on s'enfonce dans le gouffre, est-ce une défaite ou une victoire, le monstre se précise, Katharina nous prend par la main et nous oblige à regarder les documents délavés, l'on sait que l'on brûle, tintements de cristal, hurlements de peur et de colère, il est impossible de reculer, la musique vous interdit de regarder par le trou de la serrure, l'instant de vérité approche. La mer musicale nous emporte. Farewell letter : lettre d'adieu et de trahison, lui et elle se répondent, batterie martelée et course rythmique, froissements sonores, vocal de colère et de dépit, un motif arabisant évoque la cruauté du monde et les yatagans de la souffrance et de la haine inassouvie. Veil of ilusions : tout doux comme des temps de rédemption, le morceau débute comme une symphonie, la voix de Katharina se charge d'y mettre le feu, les rêves les plus fous entrent en collision avec la réalité du passé, il n'est pas mort, il a retrouvé son égo, il sait qu'il faut avoir du courage pour briser les menottes que l'on s'est soi-même passées. Il est nécessaire de vivre avec soi-même si l'on veut aller de l'avant. I am you are me – Dream IV : quatrième instrumental, un piano qui joue classique, la voix parle, un peu voilée, mais l'on comprend que le passé ne nous quitte jamais, que les rêves brisés subsistent aussi dans leurs moments les plus délicieux, que personne ne pourra vous les enlever, qu'ils sont en vous comme la bosse est sur le dromadaire. Strange ways : délivrance, Katharina chante, un peu jazz, musicalement le morceau tranche avec tout ce qui précède même si les guitares et la batterie remplacent les cuivres et les violons, à mi-chemin le rock revient pour mieux s'éloigner, nous refait le coup deux fois, mais Katharina nous donne   l'impression d'être  un vieux crooner désabusé de l'existence qui n'en continue pas moins à se battre comme un lion face à la vie.

    Agréable à écouter mais pas vraiment rock. Le groupe a des idées, il lui manque le pétrole de la puissance. Le thème n'est pas vraiment original, il est souvent développé par les groupes de metal et de doom, la qualité du texte est toutefois à souligner.

     

    ENDONAUTICA

    MOTHER MORGANA

    ( Juillet 2019 )

    Katharina Franz : vocal, keyboards / Fabian Gössler : guitare / Michael Ambroschütz : bass /

    Martin Furian : drums / Jacob Mayers : texts.

    Artwork : Denica Denkmair

    Leur premier album. Un concept-album plus ou moins directement inspiré de 2001 Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick et peut-être aussi du jeu Randonautica. La pochette, très belle en elle-même, trop emphatique, ne correspond pas à l'esprit de l'album.

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    Ignition : belle performance de Katharina sur un groove imperturbable, elle ne chante pas le dictionnaire, plutôt un dépliant publicitaire pour nous proposer un voyage hors des limites de notre monde, on l'imagine à Cap Canaveral, au pied d'une gigantesque fusée interstellaire, déguisée en Monsieur Loyal en train d'appâter le client, attention à sa voix de poupée siliconée, bouchez-vous les oreilles comme Ulysse, sans quoi vous partirez, une tuyère rugissante se superpose au groove et l'on vogue déjà vers les étoiles. Musique rotor, forte et puissante. Hybris : Un ton au-dessus. Le voyage n'est pas ennuyeux car l'on peut parcourir deux routes à la fois, celle des étoiles et celle intérieure qui nous permet d'explorer notre passé, Katharina nous enchante de sa voix aérée. Maintenant elle est prête à tout, à passer la porte de l'inconnu. Longue traversée musicale, solo de batterie et note de synthé attiseur terminales. Odyssey : des cordes de guitare et la voix de Katharina s'enroulent autour d'elles telles un serpent versicolore et venimeux, attention à la piqûre tout s'emmêle et se brouille malgré la netteté cristalline de ce vocal, nous avons dû beaucoup voyager, dans le film, nous sommes dans la dernière scène, que se passe-t-il au juste, sommes-nous victimes d'une illusion programmée ou dans le cerveau macrocéphale d'un bébé imaginatif. Profitons-en pour goûter l'orchestration, peu de moyens et beaucoup d'effets, ce que les paroles n'expliquent pas, le background le traduit. Magnifique. Whispering : où sommes-nous, dans un cauchemar, dans une illusion, dans une solitude sans fin, la voix de Katharina semble constituée de larmes gelées, parfois elle s'énerve, désire si fort retoucher à la réalité, mais la glaciation éternelle l'emprisonne une nouvelle fois, la guitare soloïse comme si elle devait attendre toute une éternité avant qu'elle ne se réveille. C'est si bien fait que l'on se croirait dans la partition d'une comédie musicale, préparée au millimètre près pour triompher à Broadway. Wild eyes : suspense et délire. Une voix si lointaine. A qui parle-t-elle et surtout d'où parle-t-elle, depuis les tréfonds de son angoisse métaphysique ou quelque chose de trivial est-il vraiment en train de se passer, groove-blues, lorsque la mort s'avance vers nous, quel masque porte-t-elle, le nôtre, celui de l'ennemi à soumettre auquel il faudra peut-être se montrer servile. Une guitare qui file, une batterie qui pointille, tout va très vite, tout va trop vite. Jusques où ? Point d'interrogation synthétique. Icarian : Quelques notes qui tombent. Tout est fini. Le corps se désagrège. Lentement mais sûrement. Le temps de traverser le silence et de passer de l'autre côté. De l'autre côté de la vie. Dans cet espace plat que nous nommons la mort. Qui n'est que l'autre nom de l'éternité. Elle est retrouvée. Qui ? Ô temps suspends ton vol ! Serait-ce l'amour, ou le rire démoniaque de l'ironie qui au bout des circonvolutions du tapis volant instrumental vous invite à entreprendre le voyage.

    Cet album est bien meilleur que le deuxième. Totalement différent. On ne croirait pas qu'il s'agisse du même groupe. La section rythmique d'origine n'est plus sur le deuxième album. Elle avait cet avantage de jouer clair, de se marier en voiles blancs et gazes transparentes avec les autres instruments qui paraissent avoir plus d'espace pour respirer. Ce qui distingue ce disque de beaucoup d'autres, c'est son originalité. Il ne suffit pas de posséder un concept, encore faut-il savoir le faire bouger. Ici l'on ne sait pas ce qu'il va se passer au morceau suivant. Tout est surprise. Tout est signifiant. L'auditeur est en attente, et jamais déçu. Pourtant le disque possède une unité sidérante. Sur Rise l'on pressent une bonne chanteuse, sur celui-ci elle nous confond de par son talent. Quelle facilité, quelle plasticité. J'espère que ce petit chef-d'œuvre ait été reconnu à sa juste valeur en Autriche.

    Damie Chad.

     

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    L'image est mystérieusement apparue sur ma page FB, apportée par une cigogne ai-je hypothésé en déchiffrant le titre L'enfant de la lune, whaou ! un album pour les tout-petits, avec ce bleu de couverture clinquant de Klein, cette tache jaune qui monopolise l'œil, en prime cette bonne grosse lune blanche, on se l'arrachera dans le coin-lecture des maternelles, lorsque mon regard est tombé sur le nom de l'auteur en bas à droite, j'ai compris mon erreur. L'affaire était beaucoup plus sérieuse.

    MOONCHILD

    ALEISTER CROWLEY

    ( Trad: Audrey Muller & Philippe Pissier )

    ( Editions Anima / Novembre 2021 )

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    D'ailleurs inclinez le volume ( devant, derrière, sans omettre le dos ) vers la lumière et vous verrez... Ce que vous devez voir. L'on ne présente plus Aleister Crowley ( 1875 – 1947 ) aux kr'tnt-readers. Les Beatles ont figuré sa figure sur la pochette de Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band, Jimmy Page a tenu à s'acheter le manoir du Magicien le plus célèbre du vingtième siècle, comme aime à le rappeler dans sa docte introduction Mark S. Morrison.

    Phillipe Pissier a déjà traduit en notre langue plusieurs traités de magie de Crowley. Je sais, le mot de magie ne semble pas trop sérieux aux esprits raisonnables, détendez-vous, souriez, cette fois-ci c'est un roman, vous voici soulagés, vous êtes prêts à vous lancer dans une lecture pour le moins abracadabrante – avec Crowley il faut s'attendre à tout – mais une fiction sans danger qui n'engage à rien puisque c'est un roman ! Bien sûr vous avez raison. Un roman certes, toutefois un roman de magie. Si vous êtes courageux continuez la lecture de cette phrase, car plus qu'un roman de magie, nous avons affaire à un roman magique.

    Peut-être n'êtes vous pas très versé en magie. Cela tombe bien. Moonchild peut être lu comme un manuel de magie pour débutants qui n'y connaissent rien. Facile à comprendre, il ne se présente pas comme un précis théorique, n'ayez crainte ce n'est pas votre maladresse qui est appelée à entrer en action. Les personnages du roman s'en chargent. Z'êtes dans votre fauteuil comme si vous regardiez un western à la télé. Toutefois un western ésotérique. Ce qui change la donne. Nous voici obligé d'explorer le premier tiroir à double-fond. Aucune tricherie. Même si Moonchild est un roman à clefs multiples. Vous bénéficiez d'un éditeur, Anima, sympa : en fin de volume une dizaine de pages vous révèlent l'identité véritable des différents personnages. Pour être un Mage, Crowley n'en fut pas moins un homme. Règle ses comptes avec le petit monde ésotérique de son époque. Vous voici transporté au cœur de la Société Hermétique de l'Aube Dorée, cette société secrète britannique à cheval sur les dix-neuvième et vingtième siècles qui compta parmi ses membres le poëte Williams Butler Yeats, rappelons que Crowley fut lui-même poëte et que nous étions en une époque où la poésie fut un des véhicules essentiels du Mystère...

    A la fin du dix-huitième siècle les sociétés secrètes traditionnelles s'effondrent. Raymond Abellio synthétisera ce phénomène politique sous l'appellation de dévoilement de l'ésotérisme. Les enseignements secrets seront à la portée de tous. Le Romantisme s'en saisira. L'entreprise magicke de Crowley, durant toute sa vie, consista à revisiter tous les éléments dispersés de l'ésotérisme traditionnel afin de les rassembler selon une méthode de grande efficience capable de préserver cet héritage séculaire en le transformant en arme de combat contre la déhiscence péréclitante du Monde Moderne. Un tel projet de conceptualisation hégémonique rencontra de multiples oppositions. Crowley empêcha bien des sommités reconnues de l'ésotérisme d'ésotériser en rond...

    Je vous ai promis un western. Un vrai, avec le combat impitoyable des affreuses tribus peaux-rouges contre les gentils cowboys. Donc pas de féroces Séminoles ni de Septième de Cavalerie en renfort au grand galop, nous avons mieux en magasin, pire aussi. Deux ordres secrets engagés en une lutte à mort. Rassurez-vous les forces du bien l'emporteront sur les forces du mal. A cette nuance près qu'il ne faut pas trop se précipiter d'entrevoir ces deux postulations selon un regard éthique. Le néophyte en prend plein le cerveau. Tactiques et mises en pratique sont longuement exposées. Notamment les fameux rituels de sorcellerie. Ce mot n'est pas employé une seule fois dans le livre, reconnaissez que le petit frisson qui a parcouru votre moelle épinière n'était pas désagréable. C'est beaucoup plus subtil que cela. L'est sûr que les programmes à la bave de crapaud et de sang de porc-épic prélevé dans un cadavre encore chaud de moine syphilitique décédé depuis exactement treize heures sont l'apanage du camp adverse, celui qui s'oppose à l'équipe dans laquelle Crowley s'est doublement enrôlé puisqu'il apparaît sous forme de deux personnages.

    Le livre n'abuse point de ces oripeaux. Il se présente avant tout comme une réflexion sur l'essence de la magie. Sans tirer vers l'abstraction abstruse. De simples discussions tenues en un vocabulaire des plus simples. Nous vivons dans la réalité du monde. Du monde que nous percevons. Avec nos sens. Il est donc toute une partie du monde dans lequel nous vivons que nos limites sensitives nous interdisent d'appréhender. Le monde est peut-être beaucoup plus étendu que nous ne le pensons. Dans les quatre directions de la boussole. Mais aussi en hauteur et en profondeur. Nous ne squattons qu'un étage. Pourquoi n'existerait-il pas d'autres êtres vivants qui batifoleraient à nos côtés, et au-dessous et au-dessus de nous. Sans que nous les remarquions. La magie est l'art d'entrer en contact avec ces entités très différentes de nous, de les appeler, de pactiser avec elles afin qu'elles nous aident à réaliser nos desseins les plus sombres comme les plus lumineux. Cette vision du monde n'est pas très éloignée de celle des anciens grecs qui imaginaient le monde comme un assemblage de sphères emboîtées les unes dans les autres, chacune sous l'égide de la puissance tutélaire d'un Olympien.

    Crowley, même s'il a rejeté avec violence le christianisme familial, restera marqué par la fantasmagorie culturelle chrétienne. D'où à première vue ce camp du bien opposé au camp du mal. Crowley est beaucoup plus subtil que cela. Le lecteur préfèrera connaître cet enfant de la lune, qu'est-ce qu'au juste un enfant de la lune. C'est un enfant conçu selon les effluves séléniques. Une opération difficile qui exige calme et précision. L'enjeu est de taille. Il faut trouver la mère. Qui se doit d'être en accord avec le projet. Ce n'est pas la partie la plus difficile. L'ennemi rôde autour de la maison-chrysalide. Beaucoup plus embêtant. Une sombre puissance est aux aguets. Ses agent seront éliminés. Il est temps de relire Le Masque de la mort rouge d'Edgar Poe. Vous pouvez monter la garde la plus attentive en dehors et dedans le bunker protecteur, le cheval de Troie est déjà au centre de la place-forte depuis le début.

    Régal du lecteur. Rituels et contre-rituels se succèdent. Nous qualifierons ceux de la partie adverse de visqueux. Imaginez les démarches et les bêtes répugnantes que vous associerez à cet adjectif. Intellectuels sont les rituels qui arrêteront ces hostiles et gluantes menées. Intellectuels parce que tout se passe dans la tête. Nous n'avons pas cité Edgar Poe au hasard, d'abord parce qu'il est nommé dans le roman, surtout parce que le poëte du Corbeau s'est beaucoup préoccupé de la notion de réversibilité. Que tend à nous laisser entendre Crowley ? Que tout rituel est réversible à l'image d'un symbole. Toujours est-il que les choses malgré les menées des uns et des autres s'arrangent d'elles-mêmes, au final beaucoup de bruit pour pas grand-chose, le drame tourne au vaudeville.

    Ne soyez pas déçu. Si votre pardessus est réversible vous pouvez le retourner autant de fois que vous le désirez. Le vaudeville se transforme en histoire sans fin. La magie serait-elle une occupation stérile qui mène à tout et à rien. Vous n'avez rien compris du tout. Moonchild n'est pas un livre de magie, mais un livre magique. Bis repetita placent. Allez chercher l'enfant de la lune chez sa nounou, et laissez jouer les hommes entre eux. Ils ont mieux à faire que de torcher les gosses. Mark Morrison prévient le lecteur moderne, Crowley était misogyne. Que ce roman ne tombe jamais dans les mains d'une sectatrice Me tooïste ! Gloire à Audrey Muller qui a participé à la traduction ! Les esprits faibles rajouteront une deuxième couche : la magie ne serait-elle pas une occupation futile, pas plus importante que la partie de foot que disputent les gamins du quartier sous vos fenêtres.

    Le livre n'est pas terminé. Ne manquez pas de lire l'épilogue qui nous raconte ce que deviennent les personnages. Le roman fut publié en 1929 – année de crise - mais écrit aux Etats-Unis, en 1917. Le but de Crowley n'était pas de rédiger un bon roman rempli d'étranges péripéties dans le but d'étonner et de captiver le lecteur. Moonchild est une œuvre macgicke et métapolitique. Elle est à lire comme un rituel destiné à entraîner les USA à entrer en guerre contre l'Allemagne et surtout à rappeler la nécessité d'une renaissance spirituelle de la modernité. Le roman lui aussi est réversible. Vous pouvez le relire.

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 7 )

    HOLLY DAYS IN AUSTIN ( II )

    DICK RIVERS

    ( New Rose / 1991 )

    On prend les mêmes et l'on recommence. Pas exactement, ce serait trop simple.

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    Oh boy ! : rien à dire, ça change tout. Même orchestration, mais le vocal à pleine dents, c'est ainsi que l'on se rend compte de la difficulté de chanter en français ! Cette nécessité de resserrer les vocables de notre langue, de les compresser au maximum, de les réduire, de les mettre en bocal comme ces crotales que l'on jette vivant dans le moonshine et qui ne peuvent plus mordre malgré les torsades de leur agonie... Well, all right : ici, c'est un peu le contraire, Rivers chante trop ''français'', le titre paraît adopté de sa version française et non de Buddy, ce qui manque ce sont les nuances, ces courbures palatales de Buddy qui ne passe jamais en force. Heartbeat : absentes les effluves nasales de Buddy, Dickie bien à côté de la plaque, cette version anglaise fait regretter la french connection établie par Bernard Droguet avec le roman de Fitzgerald, les belles infidèles ont parfois beaucoup plus d'attrait que les épouses soumises à leur seul mari, s'affranchir en toute franchise est vraisemblablement le secret de toute adaptation – et non pas traduction – réussie. It doesn't matter anymore : doit être un grand fan de Buddy le petit Dickie pour reprendre pour la deuxième fois le titre le plus plat du rocker de Lubbock – Holly se cherchait plus qu'il ne s'était réellement trouvé, et le rock 'n' roll s'annonçait déjà comme la future cause perdue in the States – quoi qu'il en soit, en n'importe quelle langue, à Austin ils ont réussi à sauver les meubles et faire mieux que l'original. Ce qui entre nous n'était pas difficile. Malgré la multitude de ses possibilités Buddy n'était pas un chanteur de charme. Everyday : envoyez la musique, cette version enlevée est peut-être meilleure que la précédente, sûrement parce que le timbre de Rivers paraît beaucoup plus éloigné en langue originale de celui de Buddy, profonde coupure avec le monde de bisounours dans lequel nous plonge la douceur hollyenne. Not fade away : Vous préfèrerez la version sur Dick 'n' Roll et celle-ci à son homologue en langue verlainienne, please play loud, cela semble donner raison à ceux qui affirment que l'on ne peut chanter le rock 'n' roll qu'en idiome shakespearien, toutefois c'est mal poser le problème, même s'il existe de très belles et rares adaptations, le secret de la réussite consiste à créer et non à reprendre. Ce qui déjà effectue une brisure avec le déploiement du rock américain qui a énormément progressé de reprise en reprise. True love ways : l'a trouvé la parade Dickie pour nous offrir un somptueux cadeau, bye-bye Buddy, oubliez-le, Rivers se souvient de son ami lointain, la chante à la Elvis Presley, voix grave et profonde, d'une manière très différente de sa version française. Take your time : les bons plans, c'est comme la recette de cuisine dont on use et abuse dès que des invités se pressent à la maison, le vice d'Elvis reprend Rivers, nous sort de temps en temps – pas toujours car il ne faut pas exagérer – sa voix caverneuse, comme ce n'est pas tout à fait un slow, Dickie la laisse de côté sur les passages rythmiques. Wishing : passe en force Monsieur Rivers, certains trouveront qu'il est un peu cavalier envers Buddy, mais piquer un cheval aux hormones avant la course est de bonne guerre, surtout si l'on remporte la bataille. En plus il fait ressortir l'orchestration qui semble donner du clairon. Maybe baby : ce n'est pas meilleur, Dickie chante plus vite que ses chaussures. En français on pardonne, on feint de croire que l'on a mal entendu, mais en anglais c'est quelconque. De fait la meilleure version française de Maybe Baby c'est New York avec toi de Téléphone. Non créditée à Buddy. Reminiscing : la beauté de la version de Buddy c'est le sax qui écrase tout, le gars à lunettes se contentant de minauder tout autour, ce coup-ci Dickie y va plus à fond et j'ai l'impression qu'ils ont remis le sax devant. Vous préfèrerez la Rivers french touch. Crying, waiting, hoping : était-ce vraiment la peine de faire semblant de mâcher du chewing gum, certes Buddy était américain, mais il ne donnait pas l'impression de rouler un palot à un cheval quand il s'avançait pour embrasser une fille. On eût aimé un peu de distinction et non cette furia franchese trop balourde.

    Nous serons plus sévère envers cet Holly Days in Austin II, si le premier est une curiosité qui mérite le détour, ce second malgré quelques meilleurs scores ne ravira que les fans, s'avère dispensable. Ce qui n'oblitère en rien ce mémoire hommagial de Dick Rivers dédié à Buddy Holly.

    Damie Chad.

    P. S. : une triste nouvelle, la mort à l'âge de cinquante-six ans de Pascal Forneri, le fils de Dick Rivers. Il réalisa des clips notamment pour son père et pour Rachid Taha.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 14

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    CONFERENCE SOMMITALE

    Les filles toussaient. Le Chef avait passé toute la nuit à fumer Coronado sur Coronado afin d’élaborer le plan Alpha, d’épaisses volutes de fumée bleutée avaient envahi l’abri et rendaient l’atmosphère irrespirable, nous étions tous regroupés autour du Chef et attendions les directives.

    _ je vous sens tous tout ouïe serrés autour de moi comme un banc de sardines, pendant que vous dormiez, malgré les bruits suspects qui me parvenaient - les filles rougirent ou plutôt rosirent d'un rose socialiste libéral - mon vaste cerveau n’a point cessé de méditer un quart de seconde, voici donc le résultat de mes cogitations transcendantales.

    L’heure était grave, Molossa et Molossito se couchèrent aux pieds du Chef, et ne tardèrent pas à fermer les yeux, toutefois leur oreille gauche de temps en temps affligée d’un léger tiraillement trahissait leur attention, les braves bêtes étaient aux aguets et ne perdaient pas un mot des étonnantes analyses et terribles décisions auxquelles le Chef s’était livré :

    _ Il m’en coûte de le reconnaître, l’Avorton a raison - un oh ! de stupéfaction généralisée accueillit les paroles du Chef - chaque fois que le SSR intervient dans cette redoutable et incompréhensible affaire, les morts s’entassent à foison, à croire que ces impétrants y prennent du plaisir, cela ne peut plus durer !

    Le Chef alluma un Coronado, nous nous tûmes respectueusement durant cette délicate opération , une fois celle-ci terminée le silence s’installa. Au bout de cinq longues minutes je l’interrompis :

    _ Qu’allons donc nous faire ?

    _ Agent Chad, modérez vos ardeurs, je répondrai par un seul mot à votre interrogation angoissée, Rien !

    Cette fois-ci ce fut un Oh ! scandalisé qui jaillit de nos bouches, le pavillon droit des chiens se leva et s’abaissa signe de leur grande perplexité.

    - Je sens que le fait de ne pas bouger de toute la matinée vous effraie, vous avez peur de vous ennuyer, je le comprends, votre cervelet maigrelet ne peut se complaire à rouler de vastes interrogations, aussi je vous octroie une demi-heure de répit, sortez, précipitez-vous chez les marchands de journaux, achetez chacun une dizaine de revues et revenez les lire ici. Exécution immédiate.

    UNE SEANCE DE LECTURE

    Trente minutes plus tard, nous étions de retour, chacun surchargé d’un énorme paquet de diverses publications. Le Chef nous transmit ses dernières instructions.

    _ Sachez que nous ne faisons que suivre les leçons d’Edgar Allan Poe, un des plus grands esprits de l’Humanité, selon lequel il est inutile de se rendre sur les lieux d’un crime, la cause, et donc la solution, de toute affaire mystérieuse se trouve obligatoirement en dehors de celle-ci, hélas l’on ne peut pas être dans tous les coins du monde, par bonheur il existe des milliers de personnes qui se chargent de cette tâche, ce sont les journalistes sempiternellement à l’affût, ils collationnent tout ce qui leur tombe sous la main, sans réfléchir aux implications de leurs trouvailles qu’ils rangent dans les faits divers, donc lisez attentivement, l’un de vous finira par dénicher un indice qui orientera la suite de notre enquête.

    Pendant près de trois heures l’on aurait entendu une mouche marcher au plafond, la matinée fut studieuse, nous épluchâmes divers périodiques en long en large et en travers, hélas en vain. Sans doute y serions-nous encore si Molossito n’avait poussé un jappement. Nous nous étions immédiatement tous levés, heureux d’échapper à notre fastidieuse corvée pour déverrouiller la porte d’entrée et permettre au chiot d’arroser le gazon, Molossito nous tourna ostensiblement le dos, sauta lestement sur les genoux du Chef occupé à rêvasser sur son Coronado.

    _ Ah ! Ah ! Je subodore que ce jeune voyou a quelque chose à nous montrer, sans quoi il ne brandirait pas si fièrement une revue dans sa gueule, ah ! un choix canin intelligent : Trente millions d’amis, voyons voir, tiens une trace de truffe humide particulièrement baveuse page 33, écoutez-moi le titre de cet article : Le Trublion de la Tour Eiffel enfin arrêté ! Agent Chad voudriez-vous de votre voix mâle et virile nous lire cette prose que je pressens de première importance.

    De ma belle voix de baryton dont les modulations ne sont pas sans produire de délicieux frissons parmi la gent féminine je m’exécutais.

    _ Depuis plusieurs semaines les riverains de la Tour Eiffel avaient noté un changement anormal dans le comportement de leurs toutous chéris. Systématiquement leurs compagnons à quatre pattes se mettaient à aboyer comme des sauvages entre dix-sept et dix-huit-heures. La mairie alertée envoya un spécialiste qui assura que c’était la faute au changement climatique. Cette explication ne convainquit personne. Des citoyens excédés se réunirent et décidèrent de former une milice chargée de quadriller le quartier afin de découvrir l’origine de cette fureur canine. Après une longue enquête le coupable fut repéré. Une espèce de chanteur de rue qui de cinq à six heures du soir venaient chanter ( fort mal ) sous le parvis de la Tour Eiffel. La Mairie prévenue se défaussa de toute responsabilité en arguant de la liberté d’expression artistique qui reconnut-elle pouvait déplaire à certaines personnes et à certains chiens mais à laquelle elle ne saurait s‘imposer au nom des droits fondamentaux et démocratiques qui régissent notre société. Au moment où nous mettons sous presse nous sommes prévenus par un lecteur fidèle que hier soir à dix-huit heures pile un car de policiers procéda à l’arrestation du quidam qui rangeait son matériel. Le prévenu est en garde-à-vue au commissariat du dix-septième arrondissement, nous n’en savons pas plus. Nous espérons que cet abominable malotru qui se livre à des actes de tortures auditives sur de pauvres bêtes innocentes sera déféré au parquet et passera de longues années en prison.

    _ Agent Chad n’avez-vous pas honte, c’est votre chien qui ne sait pas lire qui trouve l’information capitale alors que vous n’avez cessé de regarder les illustrations de la revue pornographique : Gros Nibards et Petits Culs

    _ Oh ! firent les filles

    _ Il est évident que nous devons entrer en contact avec ce Neil Young, il est clair comme de l’eau de roche que l’on a voulu protéger ou mettre au frais ce rigolo, Agent Chad, débrouillez-vous pour vous faire arrêter par la police et rester en garde à vue dans la même cellule que ce gazier, revenez nous rendre compte de ses révélations. Exécution immédiate !

    TRAVAUX D’APPROCHE

    Lecteurs ne tremblez pas, il n’est aucune mission qui ne soit hors de portée d’un agent du SSR. Ma première idée fut de trucider une vielle mémé en pleine rue, d’être ceinturé et livré à la police par deux ou trois citoyens courageux. A la réflexion il n’était pas sûr que je sois emmené au commissariat du dix-septième. Je me devais d’agir avec discernement et subtilité. Rien ne sert de se précipiter. La réussite de toute entreprise tient de l’instant approprié à son déclenchement. En médecine ce principe est assuré par la chronobiologie qui consiste à administrer à un patient le médicament à l’heure à laquelle il lui sera le mieux approprié, les anciens grecs parlaient du kairos, cet instant propice garant de la réussite de votre action. Je passais la journée à me livrer à de menus achats, c’est à trois heures du matin que je sonnais à l’entrée du commissariat du dix-septième arrondissement. Je devais jouer serré, mais j’étais prêt, c’était maintenant ou jamais.

    A trois heures du matin je sonnais donc à la porte du commissariat. J’avais au préalable effectué quelques changements dans ma tenue. Pas grand-chose, j’avais pressé sur mes vêtements les nombreux steacks hachés que je m’étais procurés tout au long de la journée dans diverses boucheries. J’étais couvert de sang des pieds à la tête. Un guichet s’ouvrit, l’œil inquisiteur du préposé à l’accueil ne fut pas sans le remarquer

    _ Holà, Monsieur que vous arrive-t-il, vous avez été renversé par une voiture, je vous ouvre tout de suite !

    _ Merci Monsieur, c’est très gentil, non je n’ai pas été renversé par un chauffard, je viens de tuer ma femme, je ne l’ai pas fait exprès mais elle m’a énervé, elle voulait que je fasse la vaisselle !

    _ Ah, ça ne m’étonne pas, elles deviennent toutes folles ces temps-ci, elles ont de ces prétentions exorbitantes qui dépassent l'imagination, entrez, entrez, je vous prépare une tasse de café pour vous remettre !

    J’étais au cœur de la citadelle, la première partie de ma mission était accomplie. J’étais assez fier de moi, je l’avoue modestement.

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 528 : KR'TNT ! 528 : ROD STEWART / ROCK HARDI / GRYS-GRYS / ALICE CLARK / ILS / ROLLING STONES / CRIUM DELIRIUM / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 528

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    04 / 11 / 2021

     

    ROD STEWART / ROCK HARDI / GRYS-GRYS

    ALICE CLARK / ILS / ROLLING STONES

    CRIUM DELIRIUM / ROCKAMBOLESQUES

     

    Hot Rod - Part One

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    Tous les gens qui ont vécu les sixties et les seventies aux premières loges ont dans leur cœur une petite place pour Rod Stewart. Son passage dans le Jeff Beck Group fit pas mal d’étincelles. Il amena ensuite les Faces au tout premier rang de l’aristocratie du rock britannique et enregistra en parallèle une série d’albums solo - the Mercury albums - qui ont marqué certaines mémoires au fer rouge. Bon alors après, ça se gâte terriblement, puisqu’il s’en va faire fortune aux États-Unis, perdant au passage toute sa crédibilité de British rocker. C’est dingue comme ses fans lui en voulaient à l’époque, même John Peel lui en voulait, alors t’as qu’à voir. Mais ça n’empêchait pas les plus fidèles d’entre-nous de laisser traîner une oreille, car quand même, Rod The Mod avait ce qu’on appelle une voix, et on espérait secrètement son retour aux affaires, mais pas celles de l’immonde période diskö, non, celles de l’amateur de grosses compos. En gros, il a connu le même destin qu’Elvis : un gâchis extraordinaire de talent à des fins d’enrichissement personnel. Mais si on lit son autobio, l’animal s’avoue volontiers convaincu d’avoir eu raison de vendre son âme. D’ailleurs, chaque fois qu’il est confronté à une situation compromettante, il s’arrange pour la retourner à son avantage, et c’est chaque fois un peu limite. Mais bon, c’est Rod. Il a tous les droits, même celui de nous prendre pour des cons.

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    Prenons un exemple : tout le monde lui a craché dessus durant l’époque diskö-pants de «Da Ya Think I’m Sexy». Pour se justifier de ce désastre, il cite les ventes, des millions d’exemplaires vendus à travers le monde, les plus grosses ventes de sa ‘carrière’. Voilà le travail. Il en déduit que si ça plaît à des millions de gens, ça veut dire que c’est pas si mal after all. Il pratique cet art dialectique typiquement anglais qu’on appelle le cynisme. Ah tu m’accuses de ceci ou de cela, eh bien je vais te dire gentiment pourquoi tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude, my friend. Il est même un grand spécialiste de cette tournure d’esprit, car évidemment, il ne supporte pas la moindre critique, surtout depuis que la reine l’a décoré. L’autre épisode puant dont il tente de se justifier est bien sûr celui de la fin des Faces. Plonk Lane l’avait flairé depuis longtemps, il voyait bien que ce pingre de Rod gardait pour lui ses meilleures compos - the Mercury albums - et comme Plonk n’avait pas digéré la trahison de Steve Marriott, il se méfiait de Rod comme de la peste. Au point de finir par quitter les Faces. Mais Rod est la réincarnation d’un renard, car il rejette la faute sur Woody, sans l’accuser directement, mais bon, vous savez, Woody jouait déjà avec les Stones, et ça n’est un secret pour personne, oui, oui, Woody était fait pour jouer dans les Stones, alors vous comprenez, sans Woody, les Faces n’avaient plus de sens, et donc voilà, direction Hollywood after all. Et puis vous savez, le climat là-bas, c’est pas pareil, vous avez le soleil. L’épisode le plus glauque est celui du old fart, c’est-à-dire le vieux pet. C’est ainsi que Johnny Rotten le surnommait dans une émission en 1977 - En 1977, Johnny Rotten called me an old fart. Not to my face, mais dans une émission de British télévision. J’avais 32 ans, donc je n’étais pas si vieux que ça. Et je n’étais pas non plus un pet, si vous voulez mon avis, et vous pouvez vérifier quand vous voulez - Il faut dire que Rod avait provoqué les punks en déclarant dans le NME : «There are no fucking safety pins falling of me.» Ce qui, ajoute-t-il, était provoquant, et c’était l’intention. Il se sort de cette histoire déplorable avec deux pirouettes : la première en rappelant qu’il était numéro 1 dans les charts anglais avec «I Don’t Want To Talk About It», juste devant «God Save The Queen». Le problème c’est que tout le monde se rappelle de God Save et pas de ton single, Rod. Deuxième pirouette : il rend hommage au mouvement punk : «Je ne dis pas que le punk m’a appris des choses, musicalement. Très peu, en fait. J’aimais l’attitude, le côté ‘vas-y et joue’. D’une certaine façon, c’était dans l’esprit des Faces. Mais pas la musique. La musique que j’aimais était la Soul, le rythm’n’blues, le folk, avec un peu de rock’n’roll pour faire bonne mesure. En même temps, le punk ramenait aux réalités. Il y avait tout à coup une poche de résistance. Il y avait un défi, un vrai public, un public très bruyant.»

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    Sacré Rod, il faut voir comme il embobine le lecteur. Comme il embobinait toutes ses gonzesses, car en gros, il a passé sa vie à draguer des grandes blondes, à les épouser et à les tromper aussitôt, et chaque fois, il trouve la bonne excuse pour se justifier, un truc du genre ‘oh la la je ne suis vraiment pas fait pour le mariage’. Tout ça pour dire que la deuxième partie de son autobio est un vrai calvaire, car Rod ne parle quasiment plus de musique, seulement de ses mariages et de ses divorces à répétition, le tout mélangé à des piscines et à des voitures de sport. Autant dire que ça pue, mais il est important de savoir que ça existe. Toujours la même histoire. Tant qu’on ne sait pas tout, on ne sait rien. Et l’histoire d’un mec comme Rod est une histoire importante qui encore une fois, jette un éclairage sur un destin comparable à celui d’Elvis. Disons pour simplifier qu’il s’agit à la fois d’un suicide artistique doublé d’une fantastique réussite commerciale. On vit dans ce monde, il est grand temps d’en prendre conscience.

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    L’autobio est entrelardée de courts paragraphes qu’il appelle Digressions. Les thèmes en sont ses passions, comme par exemple les trains électriques, l’art de se coiffer ou encore les voitures de sport. On a chaque fois tout le détail. Il est un peu l’inventeur avec Ginger Baker de cette imagerie de la rock star roulant dans Londres en Lamborghini. Dès qu’il a des sous, Rod craque. Il va s’acheter un bolide. Quand il signe son solo deal avec Mercury, il récupère 1.300 £, le prix d’une brand-new yellow twin-seater Marcos sports car. En 1964, il avait économisé sou à sou pour s’acheter une MG Midget (£430, précise-t-il), mais son père lui avait chipé ses sous pour payer une facture. Puis en 1968, il fit ce qu’il appelle le grand bond en avant avec a white Triumph Spitfire. Après la Marcos jaune du solo deal, il passe à une autre Marcos : a 2500 Ford V6 in silver grey - They were all the go in those days - Et en 1971, alors que l’argent coule à flots avec son solo deal, il se paye sa première Lamborghini : a Muria S - This Muria was a considerable investment: £6,500. Pensez qu’une maison comme celle que j’ai achetée à Muswell Hill valait à cette époque £5,000. My car valait donc plus cher que my house - Peu de temps après, il se paye une white Rolls-Royce, just for the heck of it. Quand en 1971, après le succès de «Maggie May», il s’installe à Windsor, il se paye une Lamborghini Espada. Après, ajoute-t-il, il y a eu deux ou trois autres Murias - Jeff Beck ricanait à propos de mes Lambos et de mes Ferraris. Il préférait les hot rods qu’il montait lui-même. Je les trouvais assez laids, avec ces gros pneus stupides à l’arrière et des gros pots d’échappement. Give me a Lambo, any day - Puis il part s’installer aux États-Unis et après avoir hésité pour une Corvette, il opte pour a Shelby Cobra. Il a aussi roulé en Porsche, mais au fond de son cœur, il préférait les Italian cars, for the beauty of them. En 2002, il sa paye une Enzo Ferrari pour rouler en Angleterre. Il adore rouler dans Londres en Ferrari. Il se paye ensuite une Ferrari Testarossa, une red Lamborghini Diablo et en 2009 a pale-blue Murciélago. Il précise un peu plus loin que sa passion était contagieuse, car lorsque les Faces ont signé avec Warner Bros., ils ont tous acheté des sports cars : «Ronnie bought a silver Mercedes 190SL, Kenny an MGA, Woody a red Jaguar and Mac a Triumph TR6.» Voilà, comme ça on sait tout.

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    Globalement, Rod suit la chronologie de sa mythologie. Il flashe sur Dylan en 1962 - Which is when I got to hear Bob Dylan’s first album. Now that really did move the earth - Il ajoute que cet album ne lui a pas seulement ouvert un horizon, il lui a dessiné son horizon - No other album has worked on me this way since - On comprend mieux pourquoi Rod a passé sa vie à truffer ses albums de reprises de Dylan. Puis il flashe sur Long John Baldry - un grand blond avec une voix énorme, un homme terriblement séduisant. Il avait du charisme à revendre et une énorme présence scénique. Il avait 23 ans quand je l’ai rencontré, juste cinq ans de plus que moi. Il s’exprimait à la perfection et il était toujours très bien habillé, il portait souvent a silver sharkskin three button suit with high-heeled boots - Comme des rumeurs circulent sur sa relation avec Baldry, Rod s’en sort avec une nouvelle pirouette : «C’était aussi un prodigieux buveur de vodka et un pratiquant invétéré de ce qu’il appelait the madness, ce qui était le nom de code pour des actes stupides in the name of fun. Il était aussi gay, et il m’a fallu du temps pour comprendre ce que ça voulait dire.» Il raconte ensuite qu’il s’est souvent retrouvé seul avec Baldry qui sortait de la douche avec une serviette nouée autour des reins, ou même parfois rien du tout - And this didn’t even register to me to my naiveté, as a signal - Plus loin, il se tire encore d’un mauvais pas avec Elton John : une photo les montre tous les deux à poil, mais dans des baignoires séparées, pas dans la même baignoire, il ne faut pas déconner. Baldry, c’est donc l’époque Hoochie Coochie Men, puis The Steampacket the first British Supergroup, un coup monté par Giorgio Gomelski autour de Long John Baldry, avec Brian Auger, Julie Driscoll et un Rod the Mod encore débutant. Julie Driscoll nous dit Rod travaillait alors pour Giorgio : elle ouvrait le fan mail des Yardbirds. Elle avait 18 ans et se disait passionnée de Motown. L’album de Steampacket est sorti sur le label du gros Giorgio en 1970, soit cinq ans après la bataille. Il présente un intérêt purement anecdotique et bien sûr les fans de Long John Baldry l’ont harponné au passage, pour l’entendre shouter sa fantastique version de «Cry Me A River». C’est Brian Auger qui ouvre le bal d’A avec «Back At The Chicken Shack», un big shuffle typique de l’early Trinity. Ricky Brown et Mickey Waller composent la section rythmique, mais c’est Vic Briggs à la guitare jazz qui vole le show. On l’entend encore faire des siennes dans le «The Inn-Crowd» qui suit et Rod the Mod vient duetter avec Jools dans «Baby Take Me». Il monte ensuite au créneau pour une version bien soulful de «Can I Get A Witness». Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.

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    Rod profite de l’épisode Steampacket pour évoquer Sam Cooke : «Sam Cooke était devenu le real deal pour moi à cette époque, notamment deux albums, Night Beat (1963) et Sam Cooke At The Copa (1964).» Le groupe a duré un an - And we looked great, dressed to the nines, a complete fashion parade, on imagine le travail. Quand il est viré du groupe au terme d’un séjour à Saint-Trop, Rod monte Shotgun Express avec Peter Bardens et Beryl Mardsen, a gutsy singer from Liverpool. Il précise aussi que le guitariste s’appelait Peter Green et le batteur Mick Fleetwood.

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    Il touche enfin la terre ferme avec Jeff Beck. Enfin presque ferme, car les choses ne sont pas aussi simples qu’il y paraît - On a dit que je haïssais Jeff Beck, mais ce n’est pas vrai, ni pendant les deux ans et demi du Jeff Beck Group, ni depuis. Il y eut c’est vrai des périodes pendant lesquelles on devait faire des efforts pour se supporter. Le Jeff Beck que j’avais rencontré au Cromwellian était un type sérieux, très self-conscious et parfois assez brutal. Il pouvait être distant, mais à cette époque, il était déjà une rock star, ce que je comprenais. Nous allions former un groupe ensemble, son groupe, mais il y avait deux front-men, aussi existait-t-il une petite rivalité. On se respectait, c’est sûr, moi pour son jeu de guitare et lui pour ma voix et on savait qu’ensemble we could produce music that was pretty extraordinary - Pretty extraordinary ? C’est une évidence. Encore une fois, le Jeff Beck Group de Truth et de Beck-Ola est l’un des meilleurs groupes qui ait jamais vu le jour en Angleterre. Led Zep n’a jamais pu se hisser à leur niveau. Puis Rod entre dans le détail de la genèse et ce sont les pages les plus fascinantes de son autobio. Il rappelle que Jeff Beck voulait Jet Harris et Viv Prince comme section rythmique - Harris looked great, he had a big peroxyde hairdo, mais il était encore en convalescence après un accident de voiture, et il avait quelques problèmes avec l’alcool. Le jeu de batterie de Viv Prince faisait passer Keith Moon pour un conservateur. Jeff disait vouloir un hooligan à la batterie et Prince collait parfaitement, peut-être même un peu trop, d’ailleurs. On répétait dans une pièce au dessus du pub Prince of Wales on Warren Street et après une demi-heure de jam en mode twelve-bat blues, Jeff décida que ça n’allait pas et il les vira tous les deux - Rod finit par ramener son vieux copain Mickey Waller qui jouait avec lui dans Steampacket. Truth nous dit Rod fut enregistré en mai 68 à Abbey Road, en deux sessions de deux jours. Rod avoue que le Jeff Beck Group aurait pu devenir aussi énorme que Led Zep, qui, précise-t-il bénéficiait d’un gros avantage : des compos originales. Le Jeff Beck Group a tourné cinq fois aux États-Unis, où ils avaient bâti leur réputation, sur les traces des Yardbirds. Mais l’argent se fait rare. Mickie Most et Peter Grant managent Jeff Beck et donc le Jeff Beck Group. Un comptable nommé Derek Nibb verse des salaires de misère à Rod et Woody. Quand ils viennent voir Nibb le matin pour empocher leur salaire, Nibb les fait parfois poireauter jusque dans l’après-midi. Et puis en 69, Jeff Beck vire Woody, sous prétexte qu’il passe son temps à se plaindre et c’est la fin des haricots.

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    Grâce à cette expérience, Rod avait réussi à trouver son équilibre artistique, à avoir confiance dans sa voix, à s’approprier les chansons, une confiance qui avait grandi au cours de la période Long John Baldry et qui s’était cristallisée avec le Jeff Beck Group. Il savait alors qu’il avait un style à part, ce qu’il appelle distinctiveness.

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    Il entre ensuite dans la période des Mercury albums. À cette époque, Mickey Waller joue dans Steamhammer et quand Rod les voit sur scène, il flashe sur les deux guitaristes, Martin Pugh et Martin Quittenton. Ce sont eux qu’on entend sur les Mercury albums. Ils enregistrent le premier album en un peu plus d’une semaine. Il ressort «Man Of Constant Sorrow» du premier album de Bob Dylan et flashe sur l’«Handbags & Gladrags» que Mike d’Abo a promis à Chris Farlowe. Mais Rod insiste tellement qu’il finit par l’obtenir. Puis c’est Gasoline Alley et Every Picture Tells A Story, qui sera délogé de la tête des charts par l’Imagine de John Lennon. Côté ventes, Bridge Over Troubled Waters sera le seul album à surpasser Every Picture Tells A Story. Et bien sûr, Rod indique que «Maggie May» grimpe tout de suite en tête des charts, avant d’être délogé par «My Sweet Lord». Il est assez fier du niveau de ces mises en concurrence.

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    En parallèle démarre le wild ride des Faces avec Woody et les trois rescapés des Small Faces. Rod commence par raconter la fin, chacun voyage séparément et séjourne dans des hôtels différents, et chaque fois qu’ils s’adressent la parole, ça explose - But while it worked - God it was brillant! - Rod règle ses comptes avec Jag à qui il pose la question un jour de 1974 dans une party - Me: «Are you going to nick Woody from us?», Mick: «I would never do that.» - Mais les dés étaient jetés. Et quand Ronnie Lane quitte les Faces, Woody et Rod ont concluent qu’ils ont perdu le moteur du groupe. Avec Mac, Rod n’est jamais à l’aise. Il pense que des trois rescapés des Small Faces, Mac est le plus traumatisé, et il n’accorde pas sa confiance à Rod, the bloody singer. Mais bon le groupe fait comme dit Rod du good-time rock’n’roll. C’est leur slopiness qui les rend vulnérables et d’une certaine façon, entertaining. Rod avoue que les Faces utilisaient les fringues et l’alcool pour masquer leur manque d’assurance. Comme ils ne répétaient pas assez, ils préféraient monter bourrés sur scène, comme ça au moins, il n’y avait pas de problème. Rod rappelle aussi qu’au temps des Faces, le prog se répandait en Angleterre et il voyait les Faces comme l’antidote à ce poison de synthés et de mock-symphonies.

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    Pour l’illustration sonore de l’épisode Faces, on peut s’écouter un Rod Stewart & The Faces Live In London paru en 2007. Les Faces y font feu de tout bois, ils sonnent comme une grosse bécane, sans doute la plus grosse bécane de l’histoire du rock anglais. Avec «Take A Look At The Guy» on est en terrain connu. Seuls les Faces peuvent claquer des boogies aussi ravageurs. Ils chauffent leur «Sweet Little Rock’n’Roller» à blanc. On ne peut pas imaginer plus blanc que ce blanc-là. Rod the Mod adore aussi se vautrer dans le Rather Go Blind, et les Faces redoublent de facéties. On le sait, les Faces sont des facétieux. Ils sortent une monstrueuse version d’«Angel». Woody en fait trop, c’est dommage. Quand on a un chanteur comme Rod à côté, on le laisse chanter. Et le stade chante avec lui. Avec «I Can Feel The Time», on sent l’énergie d’un groupe in full flight. Puis ils font tout sauter avec «You Wear It Well». Ce fantastique shouter rentre dans le lard du Wear it well et l’apothéose s’ensuit avec «Maggie May», le hit anglais par excellence, en ce temps-là. La foule connaît les paroles de Maggie, alors c’est elle qui chante le premier couplet - It’s late september/ And I should be back at school - Version mythique - I know I keep you amused but I feel I’m being used/ Oh Maggie I couldn’t have tried any more - On avait tous ces paroles en mémoire à l’époque, avec celles de «Jumping Jack Flash» et d’«All Along The Watchtower». Dommage que cet abruti de Woody la ramène, il brise le charme. Quant aux quatre albums officiels des Faces, ils sont épluchés dans l’hommage à Woody mis en ligne en janvier dernier sur KRTNT.

    Côté dope, Rod ne rentre pas trop dans le détail. Ce n’est pas Johnny Thunders. Allez, un peu de coke au temps des Faces. Il en prend parce que bien sûr elle est gratuite. Par contre, Rod ne fume pas, il a peur d’esquinter sa voix - Cocaine was best of all - Quand avec Woody ils s’aperçoivent qu’ils ont des trous dans la paroi nasale, il se fabriquent des suppositoires de coke - Bingo, on a découvert que ça fonctionnait très bien - Il nous suffisait d’aller dans la salle de bains and insert the required medication French-style, via the Harris - Puis quand il se marie avec Dee, il devient un peu parano et interdit la dope à la maison, à cause des descentes de police qui devenaient de plus en plus fréquentes to poor old Keith Richards. Mais globalement, Rod veille toujours à garder le contrôle. Il ne veut pas se retrouver legless or face down and comatose. Vers la fin du book, il avoue qu’il n’a jamais acheté un seul gramme de coke. On le savait radin, mais pas à ce point. Même quand il veut payer un verre, c’est impossible, car il y a toujours quelqu’un qui veut lui en payer un.

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    C’est pendant qu’il vit avec Dee, de 1971 à 1975, qu’il change de mode de vie : «Maggie May» fait de lui une superstar. Il se retrouve au centre de l’attention, comme il dit. Il relate aussi un épisode bizarre qui se déroule au Tramp en 1977 : il relève un défi adressé par Keith Moon : booze and coke all nite long - Moon was always dangerous - Mais bien sûr Rod ne tient pas. Moon l’entraîne ensuite chez Woody, puis dans une party où ils ne sont pas invités et enfin chez lui à Chertsey et là Rod dit stop, ce qui fout Moony en pétard : «You fucking ponce, Stewart. Come back here and finish what you started.»

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    Rod s’arrête parfois devant son miroir pour faire le point : «God, j’adorais mon job à cette époque, et je l’adore toujours. Qui n’aimerait pas être une rock star ? Surtout dans les années 70. J’avais fait mon apprentissage dans les sixties et j’ai connu la consécration dans les seventies, une époque où tout était entièrement nouveau et surprenant. Personne n’avait vécu ça avant nous.» Rod s’installe aux États-Unis et redémarre avec Atlantic Crossing. Tom Dowd trouve que les Faces ne sont pas assez bons pour jouer sur les cuts que veut enregistrer Rod et propose les MGs à la place. C’est là qu’il entame sa période d’américanisation. Il perd tout son cachet de rocker anglais. Il perd aussi tous ses fans anglais. Il le sait puisqu’il en parle. Il évoque aussi tous les albums pourris qu’il enregistre à la suite, avec des chansons que lui impose la maison de disques - I was beginning to think of myself as entirely a voice to hire - Jusqu’au moment où il réussit à redresser la barre grâce à Clive Davis qui est le seul à trouver intéressante l’idée du Great American Songbook, à une condition : ramener le son des grandes orchestrations. Rod va en faire cinq volumes, sur lesquels on reviendra dans un Part Two. Car ces cinq volumes sont d’une certaine façon la cerise sur le gâtö.

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    Avec simplement deux boxes et si on manque de place, on peut faire le tour du propriétaire : Rod Stewart - Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings et surtout The Rod Stewart Sessions 1971-1998 qui date de 2009. La deuxième box propose carrément quatre CDs de versions inédites des grands classiques du hot Rod. Ça commence par une early version de «Maggie May». Il se carapate vite fait dans la couenne de sa mélodie. Ce hit n’a rien perdu de sa grandeur totémique, surtout pour les adolescents qui montaient à Londres en stop et qui entendaient Maggie May dans les bagnoles. Tiré des sessions de Never A Dull Moment, voilà une early version d’«Italian Girls», co-écrit avec Woody. C’est le full blown des Faces, à l’âge d’or du rock anglais. C’est déjà très ouvragé, à tous les niveaux. On retrouve l’énergie du chant dans une alternate de «Lost Paraguayos», Quittenton gratte sa gratte et la basse entre dans la danse. Tiré de la même session, voilà «I’d Rather Go Blind» chanté au sommet du lard suprême. La beauté du chant n’en finit plus de subjuguer. S’ensuit une version fantastique d’«Angel», avec Woody in tow. Hendrix toi-même ! Dès qu’il ouvre le bec, Rod te fend le cœur. Il installe le rock anglais dans la lumière mythologique d’un espace préraphaélite. Les cuts tirés des sessions semblent toujours sonner mieux que ceux des albums, ils sont plus raw, moins lisses. Tiré des sessions de Smiler, voilà «Farewell» monté sur le modèle de Maggie May. Puis Rod the Mod rend hommage à Dylan avec «Girl From The North Country». Pas de meilleur hommage sur le marché. C’est écrasant de verdeur fanatique. Il est chaque fois au mieux de l’interprétation, comme le montre encore sa reprise du «You Make Me Feel Like A Natural Man» composé par Goffin & King pour Aretha. Il est fabuleusement juste. Immense artiste. Trop facile d’aller le critiquer. Il faut l’écouter chanter. Puis on entre dans la période Atlantic Crossing. Il enregistre une partie des cuts à Miami et l’autre à Muscle Shoals. Il chante avec un feeling écœurant. Le big cut est bien sûr «Tonight’s The Night», le hit absolu. Avec le disk II, on entre dans la période résolument américaine et Rod va y perdre des plumes. «Rosie» est enregistré à Los Angeles avec, entre autres, Steve Cropper et Carmine Appice. C’est autre chose. Rod fait le show tout seul. Il essaye de recycler son factory wall en Amérique, mais ça ne marche pas. Derrière lui, on sent la grosse équipe. Trop grosse. On perd la finesse de Mickey Waller. Rod continue de vouloir faire du boogie («Hot Legs»), mais c’est du boogie en plastique. C’est un peu comme si les musiciens américains tournaient le boogie des Faces en dérision. Rod redevient un chanteur d’exception lorsqu’il chante seul en s’accompagnant à l’acou : «You’re In My Heart». Il reprend de l’altitude avec «I Was Only Joking» - I’m not different alfter all - Hot Rod is back. Encore une merveille avec «Scarred & Scared», il dispose du même pouvoir que Dylan pour pousser une mélodie vers le firmament. Il se montre encore déchirant d’insistance avec cette reprise de Frankie Miller, «When I’m Away From You». Heureusement, tout n’est pas bon dans cette période d’américanisation. Quand il n’a plus de bonne chanson à se mettre sous la dent, il peut devenir pénible. Sa version du «Maybe Baby» de Buddy Holly est de toute évidence l’une des plus belles. Dans les pattes de Rod, ça devient énorme. Retour fracassant au vieux boogie avec «I Guess I’ll Always Love You». Il démarre son disk III avec un «Thunderbird» tiré des sessions de Tonight I’m Yours. Il se croit tout permis, même de faire du gospel. Le pire, c’est que c’est excellent, yeah yeah. Puis il s’enfonce dans le raunch de Los Angeles. Aucun des musiciens n’est connu. Terminé le temps de Jeff Beck et de Woody. Rod joue avec des pros de studio et ça s’entend, même si la voix est toujours là - Dancing alone - Mais quel chanteur ! Les pros de studio essayent de sonner comme des Anglais. Rod chante «Sweet Surrender» comme un dieu, il faut bien se rendre à l’évidence. Tout est superbe dans cette box, dès qu’il ouvre le bec, Rod est magnifique. Comment un mec peut-il être aussi doué ? Il fait le show, quoi qu’il arrive, il chante tout à l’arrache subliminale. Dans «Heaven», il ne reste plus que la voix. On n’écoute même plus ce que font les autres, derrière. Sur le disk IV, on trouve deux hommages à Bob Dylan : «The Groom’s Still Waiting At The Altar» et «This Wheels On Fire». Il enrichit sa fascination pour en faire du heavy dylanex. Cette box est de la dynamite. Le Wheels on Fire est tellement puissant qu’il donne la chair de poule. Rod le tape au heavy grrove. On tombe aussi sur le vieux hit de Python Lee Jackson, «In A Broken Dream», mais dans une version réactualisée. Seul un mec comme Rod peut allumer ça, alors il l’allume au power pur, comme il allume Dylan - Everyday I spend my time/ Feeling fine/ Drinking wine - Voilà le génie de Rod The Mod, il en rajoute, il lève ses petites tempêtes, il sort là une version dévastatrice. Il charge tous ses balladifs à l’extrême, comme le montre encore «Kiss Her For Me». Ça finit toujours par devenir extraordinaire. On tombe plus loin sur un «On And On» assez puissant, Rod prend feu. Il reprend aussi le «Rocking Chair» de Noel Gallagher et un cut de Paul Weller qui s’appelle «The Changing Man». Quel mélange ! Rod fout le feu partout.

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    L’autre box permet de faire le tour de l’époque Mercury qui est sans doute la plus intéressante après celle du Jeff Beck Group. Rod Stewart - Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings regroupe sur trois CDs les cinq albums avec lesquels Rod The Mod a démarré sa carrière solo, en parallèle avec sa carrière dans les Faces. Vu d’avion, on est bien obligé de parler de carrière, mais en 1969, Rod The Mod se contentait encore de chanter et il fallait le voir taper dans la Stonesy avec «Street Fighting Man», il le cramait d’entrée, il le prenait à la Rod, droit dans l’œil, le sol vibrait, les Stones rêvaient sans doute de swinguer aussi bien, ça jouait derrière aux accords déconstruits, mais Rod chantait ça dans l’os du jambon, shhhh, il envoyait la Stonesy rôtir en enfer, il tournait Jag, Keef et le rock’n’roll band à la broche, il faisait de «Street Fighting Man» une sorte de version définitive. Voilà pourquoi on le prenait au sérieux. Oh cette façon qu’il avait d’attaquer ses vieux cuts, avec «Blind Prayer» il incendiait la nuit. Il était le brasero du rock anglais, ce que confirmait encore cette version somptueuse de «Handbags & Gladrags» qui rivalisait de power surnaturel avec celle de Chris Farlowe. Il pouvait aussi taper le boogie à l’anglaise («An Old Raincoat Will Never Let You Down»), puisqu’il avait Woody on bass et Mickey Waller au beurre. Ils restaient dans la foulée de Truth et de Beck Ola qui font partie des joyaux de la couronne d’Angleterre. Il fallait aussi le voir enflammer le lament de «Cindy’s Lament», un vrai killer, et ça repartait de plus belle avec Gasoline Alley, un album tout aussi impressionnant, avec cette version d’«It’s All Over Now» amenée à la déboulade de platform boots et chantée d’une voix de roi du rock, c’était tout simplement imparable d’I used to love her/ But it’s all over now. Rod The Mod était déjà devenu un artiste extraordinaire. Il rendait hommage aux Small Faces avec sa vision de «My Way Of Giving», pur jus de British Mythology. Il rendait un peu plus loin un autre hommage, cette fois à Eddie Cochran, avec «Cut Across Shorty», il lui rentrait dans le lard et le Shorty prenait feu aussitôt. Comme Jerry Lee, Rod The Mod travaillait toutes ses chansons au corps pour se les approprier. Et puis on arrivait à une sorte de sommet de l’art avec Every Picture Tells A Story, il devenait à la fois roi du rock et roi d’Angleterre, il fracassait des slowahs comme «Seems Like A Long Time» ou «Amazing Grace» et on glissait doucement jusqu’à «Maggie May», le hit de non-retour, le hit broyeur de cœur, l’overdose de nostalgie, l’Angleterre éternelle de notre adolescence, le plus puissant de tous les hits, le wake up magique du late september, fantastique swagger du rock de Rod, il le balançait au Rod island de Maggie, et ça montait encore d’un cran avec «Mandoline Wind» d’une pureté sans égale, il lançait ses mandolines et les frissons ravageaient tout, mais ça allait encore monter d’un cran avec l’«(I Know) I’m Losing You» des Tempts, il tapait cette fois dans le gros lard, il retrouvait les climats cataclysmiques de Beck Ola, il explosait son losing you et en livrait une mouture insurpassable. Avec Never A Dull Moment, il donnait l’impression de se calmer, mais «Lost Paraguayos» intriguait par son aisance instrumentale, ces guitares espagnoles donnaient le vertige, il semblait que tout, jusqu’à la moindre note, était hissé au sommet de l’art. Qui mieux que Rod the Mod pouvait cultiver l’insoutenable légèreté de l’être ? Il roulait son «Italian Girls» dans une farine de Stonesy, il chantait ça à la volée de bois vert et attaquait son hommage hendrixien («Angel») au raunch pur. Il semblait être en quête d’éternité, ce qui est la clé de la métaphysique de l’art. Avec «I’d Rather Go Blind», il fabriquait l’archétype du heavy blues de Soul, jamais aucun blanc n’avait chanté comme ça. Il attaquait Smiler avec un gros clin d’œil à Chuck, «Sweet Little Rock’n’Roller», c’est là qu’on entendait aboyer Zak, le chien de Mickey Waller et la machine infernale se mettait en route, par de meilleur shoot de down home boogie down, on avait là le boogie anglais dans toute sa magnificence, hyper-chanté, hyper-joué, Rod et ses amis battaient bien sûr les Stones à plates coutures, il bouclait toutes ses phrases au ollah, comme un matador. Il retrouvait son aura de boss absolu avec «Sailor», il explosait aussi Sam Cooke avec «Bring It On Home To Me», non seulement il l’explosait, mais il le magnifiait, il se marrait en plein couplet, bring out your sweet lovin’, il avait tous les pouvoirs, en plus du pouvoir royal, il disposait des pouvoirs du mage. Et puis comme dans toutes les boxes, il y a quelques bonus pour lesquels on se damnerait, du genre «You Put Something Better Inside Me» ou encore «Every Time We Say Goodbye».

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    Voici quelques temps paraissait dans Uncut une interview assez pointue de celui que Michael Bonner appelle the rock’s most celebrated playboy. Rod y rappelle qu’il a beaucoup aimé l’argent et la célébrité - Who wouldn’t? - Il répond ça à chaque fois, comme si au fond il avait un peu honte d’avoir tellement frimé. Mais bon, il n’est pas le dernier à rappeler qu’il a les moyens de sa frime. Et comme il aime bien rappeler qu’il n’est en fait qu’un fils de North London plumber parvenu au sommet, Bonner s’en émeut. Rod n’aurait donc que peu d’estime de lui-même ? Allons allons, calme-toi, Bonner. Un Bonner qui poursuit sur sa lancée et qui a sans doute lu l’autobio, car il révèle que Rod est construit sur deux valeurs, la famille et le foot. Il oublie le blé. On voit bien qu’il tente d’assainir la réputation de Rod. Il va lui falloir douze pages pour ça, et ce n’est pas gagné. Après la famille et le foot, arrive Dylan. Oui, on le sait, un Bonner n’arrive jamais seul. Le problème c’est que Bonner amène Dylan comme une caution intellectuelle. Rod évoque le first Dylan album qu’il écoutait night and day, mais il avoue s’être ennuyé quand il a vu Dylan sur scène. Il met d’ailleurs dans le même sac Van Morrison, qui passe deux heures sur scène sans lever la tête. Rod va même jusqu’à avouer que ses filles auxquelles il avait payé des places pour voir Van étaient sur leurs portables au bout de deux cuts. Et il nous refait le coup de la pirouette : «But he is great, so is Bob.» Comme il n’a pas fait d’études, Rod avoue avoir appris l’art d’écrire des chansons en écoutant du folk. Bonner le branche sur le Jeff Beck Group et les tournées américaines, et là ce frimeur de Rod raconte qu’il étaient meilleurs que Sly & The Family Stone - gave them a run for their money - et il ajoute : «We blew the Grateful Dead way off the stage.» Bonner tend ensuite une perche grosse comme une poutre à Rod à propos de Led Zep qui leur a volé leur thunder. Et Rod avoue que c’est vrai, Jeff Beck le vivait mal, Jimmy Page, John Paul Jones et Robert Plant venaient les voir jouer sur scène et prenaient des notes. Pour Rod l’explication est simple : «We had the same manager, Peter Grant. Prick he was.» Ce gros malin de Bonner branche Rod sur l’album que Robert Plant et Alisson Krauss ont enregistré ensemble, Raising Sand. Alors, oui Rod aimerait trouver la girl pour duetter sur du stripped down comme ça - Bonnie Raitt would be great - Il y pense. Chaque chose en son temps, mon bon Bonner. Rod rappelle dans la foulée qu’il a vendu 27 millions de Great American Songbook, alors t’as qu’à voir ! Quand Bonner prend l’exemple de Ronnie Lane qui a fini sa vie dans une caravane, Rod dit que oui, la caravane ça plaisait à Ronnie, mais lui il préfère avoir ses quatre baraques : une à Hollywood, une en Floride, une à Londres et une autre dans le Sud de la France. C’est tout Rod. Il ajoute que tout ça est destiné à ses gosses et qu’il a bâti cette fortune uniquement avec sa voix. Et il n’en finit plus dit-il de trouver ça amazing.

    Signé : Cazengler, Rote tout court

    Rod Stewart. Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings. Mercury 2002

    The Rod Stewart Sessions 1971-1998. Warner Bros. Records 2009

    Rod Stewart & The Faces Live In London. Immortal 2007

    Rock Generation Vol. 6. The Steampacket. BYG Records 1970

    Michael Bonner : Never A Dull Moment. Uncut # 250 - September 2018

    Rod. The Autobiography. Century 2013

     

    Rock Hardi moussaillon ! - Part Two

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    Fanzine libre et autonome, Rock Hardi continue son petit bonhomme de chemin, va de ferme en château, chante pour du pain, chante pour de l’eau, Rock Hardi est heureux et libre enfin.

    Le point d’orgue du 58 est sans aucun doute l’interview d’Alain Feydri qui ne nous apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà de sa modestie, de son refus du piédestal, de cette façon qu’il a rejeter les lauriers sur les autres, de son horreur des compromissions et de sa sainte constance contestataire, avec tout le décorum qu’il faut, surtout lorsqu’il évoque le Figaro et les rockers sombrés dans la beaufitude. On profite pleinement de ces six pages et de cette faconde périgourdine pas si éloignée du long fleuve tranquille de sa prose, une prose qui ne veut pas dire son nom et qui fait bien entendu le charme discret de son Bourgeois Blues. Lorsqu’il évoque ses anciennes admirations, il ressort les noms d’Alain Dister, de Jean-Noël Coghe, de Jocelyne Boursier, des noms avalés par l’oubli, et puis bien sûr Garnier, mais ça s’arrête là, il veille à ne pas faire trop étalage de sa culture littéraire qu’on devine planquée derrière le rideau de pourpre de sa bonhomie. Curieusement, ces six pages prennent tout leur sens, puisqu’il s’agit de l’interview d’un vétéran du fanzinat par un fanzinard, et c’est d’autant plus remarquable qu’il s’agit d’un propos qui se tient. On ne passe pas à travers, comme c’est hélas souvent le cas. Quand on avait retrouvé Gildas à Binic en 2019, dans la maison qu’il louait avec ce qu’il appelait «l’ambassade toulousaine», l’Azerty Blues d’Alain Feydri trônait sur le buffet. On tourne la page et sur qui qu’on tombe ? Gino & The Goons, un groupe que Gildas passait régulièrement dans le Dig It! Radio Show. Et quand il passait régulièrement un groupe, ça voulait dire ce que ça voulait dire. Le chapô a raison de dire que ce groupe reste confidentiel. Gino & The Goons sont basés en Floride et Tim Warren leur donne un coup de main au mastering. Gino dit aimer les Stones, Dead Moon, Link Wray et des tas d’autres gros trucs, il en a la bouche pleine. Ah ces Américains ! Ils ne savent pas s’arrêter. Par contre Dan Sartain sait s’arrêter, il fait preuve d’une étonnante modestie. Il a sans doute cassé sa pipe très peu de temps après cette interview. On y apprend qu’il travaillait à une époque dans une pizzeria et qu’il est ensuite devenu propriétaire d’un salon de coiffure (barber shop). L’homme paraît incroyablement désintéressé. Il rend un hommage furtif à John Reis, via Swami Records. C’est avec lui qu’il a enregistré deux de ses meilleurs albums (Dan Sartain Vs The Serpientes et Join Dan Sartain). On apprend plus loin que le film sur les Country Teasers - This Film Should Not Exist - n’est pas de Nicolas Drolc mais de Massimo Scocca et Gisella Albertini, qui avaient suivi la tournée Crypt en 1995. Ils avaient filmé en super 8. Mais comme ils ne savaient pas monter, c’est resté à l’état de rushes. Alors Drolc leur a proposé de «reprendre» le projet. C’est vrai que le résultat est surprenant, c’est un vrai film rock avec toutes les qualités de ses défauts. On en a parlé ici en novembre 2020. Drolc reconnaît que c’était «intelligemment filmé». Là où Drolc devient bon, c’est quand il explique qu’il n’a pas de retours presse pour la promo de ce film - mis à part les fanzines - parce que dit-il, «toute la presse musicale branchouille parisienne se fout éperdument des Country Teasers depuis 25 ans.» Bien vu. L’underground reste l’underground et c’est sans doute ce qui le sauvera. L’autre morceau de résistance du 58, c’est bien sûr l’interview de Little Bob que les Havrais appellent ‘Ti Bob. On peut même parler d’une interview fleuve. Chaque fois qu’il prend la parole dans la presse, Bob raconte des histoires rocambolesques, il entre dans les détails et on sent nettement le vécu. Il revient sur les deux Mont-de-Marsan (76 et 77) pour balancer quelques anecdotes croustillantes, on se croirait dans la cour du lycée, puis il attaque sur les tournées en Angleterre à l’époque où les punks anglais crachaient sur les musiciens : il nous sort l’histoire hilarante des 500 crachats sur Téléphone, en première partie des Ramones à l’Hammersmith. Il n’est pas très charitable pour Marc Zermati qui de son côté ne l’était pas non plus pour lui, mais ça c’est leurs histoires. Bob est tellement en verve que Rock Hardi doit lui couper la chique, il a déjà douze pages, donc il faut réduire la cadence. Alors Bob fait un crochet au Havre pour saluer les François Premiers, puis il raconte son concert à Matignon pour l’ancien maire du Havre qui était alors Premier Ministre. Tout cela nous replonge bien sûr dans des vieux souvenirs de concerts, notamment un set à la salle Sainte-Croix-des-Pelletiers, early seventies, où entre deux morceaux Bob demandait au public : «Est-ce que vous m’aimez ?», il faisait son Johnny et ce n’était pas du meilleur goût. Et puis un autre souvenir, plus tard, à la Villette, un copain appelle pour dire qu’il y a les Pretties sur scène, ah bon ? Alors on y va, mais c’est un set des Blues Bastards et effectivement Phil May apparaît pour faire les chœurs pendant les rappels. Épisode très bizarre, une sorte de monde à l’envers. Sur le CD du 58, on trouve deux cuts de Bob. Mais Gino & The Goons raflent la mise avec leur heavy Dig It! stuff. «Do The Get Around» est bien explosé, ces mecs sont des gros dingues de trash gaga-punk, c’est vite plié des gaules, Gildas ne s’était pas fourré le doigt dans l’œil, on a tout là-dedans, la dégueulante et les guitares qui saturent, pas de pire équipe sur cette pauvre terre ! L’autre grosse surprise, ce sont les deux cuts des Needs d’Aix qui ont aussi leur interview. Ils sont bons, ils jouent au bord de la perte d’équilibre, c’est noyé de son et ce mec épelle ses lettres dans le chaos, D, O, R, A. Encore mieux : leur «Dead Fish» est digne des Heartbreakers. Chapeau bas.

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    On reste dans les ténèbres de l’underground avec le 59 et El’Blaszczyk. Pour se rappeler comment ça s’écrit, il faut juste mémoriser le sz-cz, après ça revient tout seul. Là, on entre non pas sur les terres du Comte Zaroff mais sur celles de Mono-Tone, le label underground par excellence. Et comme le chapô parle de Dada, c’est dans la poche. Et en plus, El’Blaszczyk se réclame de «Vian, Yanne, Averty et Mocky». Il a tout bon. D’où sa nostalgie. Nostalgie d’une époque qu’il aurait voulu vivre. Passion pour les apéros démodés et pour les apéros atomiques du futur. Puis dans le feu de l’action, il cite des héros du temps passé : Boby Lapointe, Pierre Vassiliu et Ricet Barrier, Hector et Henri Salvador, Ginette Garcin et Arletty, et puis Fernandel pour «sa diction hyper-articulée». Ça fait des bulles dans Rock Hardi ! On trouve d’ailleurs deux cuts d’El’Blaszczyk sur le CD du 59, «Pop Scoteka» et «To Jest Drogo». C’est du rococo aquatique, pour y entrer, il faut chausser des palmes et ne pas oublier le tuba. Plus loin, Alain Feydri interviewe les Toulousains de Don Joe Rodeo Combo, qui disent vouloir marier Link Wray à Baudelaire et qui en sont à leur troisième album. Démarche intéressante et références intéressantes (MC5, Gainsbourg, Count Five). Alors on écoute «Rien Dans le Cœur» pour se faire une idée. Joli coup, c’est bien foutu, bien monté, bien introduit dans la vulve du son.

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    Puis Rock Hardi salue bien bas le nouvel album des Demolition Doll Rods, qui arrive quatorze ans après la bataille. On sait tout de la reformation et bien sûr Larry Hardy fait paraître l’album sur son label. On y reviendra, c’est sûr. Quant à Paul Roland, il n’évoque pas Fernandel ni Boby Lapointe, mais Bram Stoker et MR James. Il rappelle qu’il fut dans les années 80 sur New Rose et Bam Caruso, ce qui fait de lui un artiste culte, un de plus. Comme on ne le connaît que de nom, on profite des deux cuts que propose le CD : dark folk capiteux, ce mec cherche la petite bête dans les dark shades. C’est un autre monde, loin là-bas, comme dirait Huysmans, mais avec un étrange goût de revienzy. Oh ! Voilà les Psychotic Youth, reformés à la demande de Kurt Baker, un autre chouchou de Gildas. Comme le monde est petit. Les Psychotic Youth furent à une époque les rois de la power-pop. Attention, cette équipe de popsters suédois compte parmi les plus puissantes du monde. La compile Bamboozle parue en 1994 offre un joli panorama des Psychotic possibilities. Bien bombardée au bassmatic, leur reprise du mythique «When You Walk In The Room» de Jackie DeShannon pourrait bien te faire tomber de ta chaise, on t’aura prévenu. Par contre, «Summer Is On» sonne trop pop, trop sunshine, à force de bonne humeur et de dents blanches. Disons qu’ils passent leurs Nerves. «MTV» ne manque pas de power et «Mercy» confirme l’excellence de la globalité. Si on en pince pour les Nerves, Psychotic Youth est une bonne adresse. On sent même une certaine virtuosité poppy dans «Elevator Girl». Ils évoluent à un très haut niveau frénétique, c’est sûr. Ils finissent l’A avec l’excellent «Hang Around», pur jus de juke. Ils reviennent en B niaquer «How Long Will It Take». C’est une compo de Peter Case, ce qui ne surprendra personne. Ils passent au blasting pop-punk avec «Hot Red Girl», très joué, très rythmé, très sain. «Speak The Same Language» sonne aussi comme un hit et ils stompent «The Girl’s Alright» à l’exaction psychotique, ce qui paraît logique pour des Psychotic Youth. Le conseil qu’on pourrait donner serait de ne pas les perdre de vue. Ce que fait très bien Rock Hardi, qui en plus balance dans le CD un joli shoot de «Take You Down». Avec ça, ils sont tout de suite au power-top de la power-pop, avec du son, des chœurs et de la wah qui giclent dans tous les coins. Et juste avant eux Johnny Jetson casse bien la baraque avec un «Love Me For My Car» bourré de ferraille et de swagger, il fait un glam de dépouille et c’est excellent. Il récidive aussitôt après avec «Knocked Out», il ramone le créneau de la cheminée, c’est-à-dire qu’il joue avec le feu du power gaga-punk. Et puis Rock Hardi tend son micro à Nicolas Moog dont le big Underground fait actuellement la une de l’actualité bédéto-éditoriale. Tout le monde en parle, une expo est même prévue au 106, avec un concert du groupe de Moog, Thee Verduns. Moog parle d’un ton très direct, sans fioritures, il n’aime ni les patrons, ni les banquiers et dessine dit-il pour survivre.

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    Un peu plus loin figure la chronique d’une compile intitulée Sous Le Soleil Du Midi. Belle coïncidence, puisqu’on en a rencontré l’instigateur voici deux semaines chez Parallèles, aux Halles. L’homme est très attachant et très féru, et la moindre des choses est d’écouter cette compile qu’il n’hésite pas un seul instant à offrir. Elle raconte l’histoire «du temps où Montpellier rockait», le temps du «french punk rock» des années 80, et l’époque où Raph a monté son studio, La voix de son chien. Dans le petit texte de présentation, il rend hommage à OTH et aux TV Killers qui sont dit-il les parrains du projet, et qui ont chacun deux cuts sur la track-list. Trois choses. Un, à l’écoute de l’ensemble, on sent pointer un réel enthousiasme. Comme la scène toulousaine, celle de Montpellier devait être joyeuse et bourrée de cette énergie festive qu’on appelle aussi l’énergie de l’apéro. Here we go ! On va voir jouer des groupes pour s’amuser. Deux, on trouve pas moins de six hommages à Johnny Thunders, tous bien calibrés, à commencer «You Can’t Get Your Arms Around A Memory» repris par le Général Alcazar, oui oui, celui de l’Oreille Cassée. On trouve un peu plus loin une solide version de «Pipeline» signée Jeff Dahl, aussi solide peut-on dire que celle qui ouvre le bal de So Alone. The Electric Buttocks trashent l’«All By Myself» des Heartbreakers, on ne sait pas si c’est délibéré, mais ça passe comme une lettre à la poste, comme quoi il faut parfois savoir se montrer inonoclastic. Puis la Deconnection tape le «Treat Her Right» qui se trouve sur Copy Cats, ils sont bien dans l’énergie de l’hommage, quelle belle avoine ! Les Mystery Boys s’éreintent à vouloir jouer l’un des cuts les plus difficiles à jouer, «Personality Crisis», et ça se termine avec Chris Waldo et un «In Cold Blood» gratté dans l’aléa. On aimait bien Johnny Thunders à Montpellier, c’est la deuxième bonne nouvelle de la compile. Trois, on a droit à une petite révélation. C’est la raison pour laquelle on écoute les compiles. Cette fois, la révélation s’appelle Splurge. Comme OTH et les TV Killers, ils ont deux titres, dont un «Watch Out» qui ouvre le bal. Après une intro de basse incertaine, le Watch Out est vite rattrapé par les requins, c’est-à-dire la guitare disto et le chant qui veut bien. On dresse l’oreille car le mec chante bien. Splurge est heavy on the sludge. Ils sortent une véritable purée à l’anglaise. Ce que va confirmer «You». Le mec chante à l’héroïque, comme Johnny Rotten. Fantastique qualité du chant doublée d’une fantastique qualité du jeu de guitare. Sinon Raph jouait avec son groupe les Rabbit Stoïks un heavy punk de la nuit tombée qui tenait bien la route. On entend aussi les Circlips ferrailler leur «Bill Gates» et il faut attribuer une mention spéciale au batteur des Brain Sneakers car il bat «Bad Girl» à la diable vauverty. On entend rarement des mecs battre aussi sec et sick. On l’entend moins dans «Crazy Hospital» car ce brûlot est couvert par les guitares. On ne peut pas tout avoir.

    Signé : Cazengler, Rock Hardu

    Rock Hardi # 58. Fanzine libre et autonome.

    Rock Hardi # 59. Fanzine libre et autonome.

    Sous Le Soleil Du Midi. La Voix de Son Chien 2021

     

    L’avenir du rock

    - La nuit tous les chats sont Grys-Grys

     

    En quête d’exotisme, l’avenir du rock se paye un voyage en Jordanie. Petit, il a lu et relu Coke En Stock et il s’est juré qu’il irait visiter Pétra, la cité sculptée dans la roche, quand il serait grand, et qu’il ferait ça à cheval, comme Tintin et le capitaine Haddock. Il arrive à Amman, pose son sac à l’hôtel et se rend au marché pour acheter un cheval. Mais ce n’est plus la saison. On lui propose un dromadaire. Bon d’accord. Le lendemain à l’aube, il part en direction de Pétra avec un équipement léger et sa boussole. Bon, la boussole, c’est de la frime, il n’a jamais su s’en servir. Il faut savoir que l’avenir du rock a ses petites manies, comme tout le monde.

    À la sortie de la ville, un paysan lui indique la direction.

    — Wallah wallah, sahib !

    Il fait route pendant tout le jour, dodelinant au sommet de son dromadaire comme Lawrence d’Arabie. De temps en temps, il sort sa boussole, mais il ne comprend rien. Le soleil se couche et il se retrouve en plein désert. Comme il a la trouille des serpents et des araignées, il reste perché sur son dromadaire pour somnoler. Bien sûr, il se casse la gueule. Il ordonne au dromadaire de s’agenouiller pour pouvoir remonter.

    — Yallah !

    Il remonte en selle.

    — Yalloh !

    Le dromadaire se redresse.

    Pendant trois jours, l’avenir du rock erre dans le désert. Il ne se doute même pas qu’il est arrivé en Syrie. Et pouf, pas de pot, il tombe sur une patrouille de l’État Islamique qui l’accuse d’être un espion américain.

    — Amelican ! Amelican !

    Ils le ramènent au camp pour le décapiter. L’avenir du rock n’a pas besoin de comprendre l’arabe pour savoir ce qui lui pend au nez. On le jette dans une cabane après l’avoir roué de coups.

    Pas de remords. Se planter, ça arrive à tout le monde, même à l’avenir du rock. Pour dédramatiser, il sort sa phrase favorite : La nuit tous les chats sont Grys-Grys... Après tout, finir comme Danton et Robespierre, c’est quand même plus classe que de finir dans un Ehpad à la mormoille.

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    En 2019 paraissait le premier album sans titre des Grys-Grys, l’album du phare, comme on dit chez les Bretons, puisqu’on les voit photographiés au sommet d’un phare. Ils sont toujours dans le british Beat, mais avec un parfum psyché extrêmement capiteux. «The Day» n’est pas très loin des Sorrows. Sous la peau du beat, ça gronde d’excellence, notamment dans «Brother Tobio». Ils se livrent à de sacrées remontées d’intérêt général. Mais ça commence vraiment à chauffer en fin d’A, avec «Got Love», qui est lancé comme Boom Boom, avec un rentre-dedans de revienzy à l’anglaise. Et ça continue avec «Satisfy The Lord Of Anarchy», un exercice de style digne du raunch des early Stones. Pas de problème, les Grys-Grys savent couler un bronze. C’est même un sacré coup de génie. Le festin se poursuit en B avec l’effarant «In A Loop». Ils rentrent dans le lard de la mad psyché et les ponts sont dignes non pas de la rivière Kwaï, mais de la rivière Who, alors t’as qu’à voir. Ah mais ce n’est pas fini ! Voilà qu’arrive au galop «She Just Left» un solide boogie blast embarqué à coups d’harmo, bien râblé et joué dans la chaleur de la nuit. Quelle violence, c’mon ! Ils sont en plein essor avec «Daylight Robbery», un boogie rock à la sauce sixty-five, leur son tient du meilleur teenbeat anglais, all the rage, ils naviguent au même niveau que les Downliners, les Pretties et les early Stones. Encore une horreur d’exaction parégorique avec «It Ain’t Right». Ils labourent les côtes du lard et alimentent la polémique. Rien de ce qui est excellent ne leur est étranger.

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    Leur deuxième album paraît sur Norton cette année et s’appelle To Fall Down. Pochette fantastique, l’image rivalise de grandeur tutélaire avec celle de la pochette du deuxième MC5, photo noir et blanc de backstage fumant, wow wow wow, back in the USA ? On se frotte les mains, miam miam, on lance l’A et on tombe sur un «I’m Going Back» assez classique qui peine à gicler, même s’il sonne bien les cloches. Comprenez qu’on attend des miracles de ces mecs-là. Pas facile de vouloir créer la sensation en permanence, ce n’est pas automatique et ce n’est pas non plus un métier. Il faut être béni des dieux pour ça. Ça devient poppy avec un «Tell Me» qui ne fonctionne pas et «Watching My Idols Die» renvoie sur l’Heart Of Stone des early Stones. L’A retrouve enfin des couleurs avec un «See Me Frown» plus psyché, chauffé à coups d’harmo, un Frown qui renoue avec les sixties et l’évangélisation de la jeunesse américaine par les tenants et les aboutissants de la vieille Angleterre. Tu cherches la viande ? Elle est là, en B, avec «Milk Cow Blues», amené au Downliners stomp, en fourbasse, par en dessous. C’est là qu’ils sont bons, dans le raw de l’heavy British beat, dans l’aube claire du rock anglais, ils sont dans le Don Craine et le Phil May de l’origine de tout. L’autre hit de l’album est le morceau titre qui referme la marche. Belle cavalcade, ils restent dans la fière allure avec une basse bien sous-jacente et un killer solo flash salement envenimé. Ils adorent le son bien ferme sous la peau du beat, avec des guitares dans le coin de l’oreille, comme celles des Groovies et des descentes de chant dignes de celles de Roy Loney.

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    Ce serait bête de faire l’impasse sur les premiers singles des Grys-Grys qui étaient certainement les plus explosifs. Bon exemple avec «Left Unseen/It’s Mighty Crazy», joli slab de fuzz punk rave up, ultime purge de surge, digne des géants du genre, surtout le Mighty Crazy de Lightning Slim que les Grys-Grys font sauter à la dynamite.

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    Les Grys-Grys auraient splitté. L’avenir de rock a raison, la nuit tous les chats son Grys-Grys.

    Signé : Cazengler, gras-gras

    Grys-Grys. Les Grys-Grys. Groovie Records 2019

    Grys-Grys. To Fall Down. Norton Records 2021

    Grys-Grys. Left Unseen. Dirty Water Records 2015

     

    Inside the goldmine

    - Alice au pays des merveilles

    Allongé sur la plage, il scrutait l’immensité du ciel. Il réalisa soudainement qu’il n’était pas grand chose, comparé à cette immensité et ce sentiment lui plut énormément. Par contre, sa bite en érection le ramenait aux réalités terrestres. Il avait tellement la trique qu’il voyait le gland pointer sous l’élastique du maillot de bain. Il faisait déjà chaud sur la plage, il sortait de l’eau. Il venait de passer sa première nuit dans les bras d’une gonzesse. Son esprit et son corps d’adolescent étaient encore en chantier. Elle s’appelait Alice et elle l’avait invité dans sa tente au camping. Elle venait de Cherbourg et sa mère tapinait sur le port. Alice avait des seins extraordinaires et il ne comprenait toujours pas pourquoi elle avait opté pour lui, et pas pour l’un de ces beaux mecs un peu plus vieux, comme Mao et Philou qui avaient du poil sur la poitrine et des grosses rouflaquettes. Ces mecs se baladaient sur la plage avec leurs paquets de clopes glissés dans l’élastique du maillot de bain. Ils venaient des banlieues et portaient des tatouages dans le dos et sur les bras. Ça nous faisait tous rêver. Il se remémorait toutes les secondes de cette première nuit, il se revit se glisser dans le duvet qu’elle avait ouvert, puis il la revit défaire son soutif et tout le bataclan à la suite, la motte, la main, laisse-moi faire, et puis la voix de sa mère dans la tente voisine, fermez-vos gueules, on voudrait bien dormir. Il sentait que sa bite allait exploser. Alors pour calmer le jeu, il retourna à l’eau et nagea un peu. Puis il revint s’étendre sur le sable mouillé, et se mit à chanter un truc qu’il aimait bien et qui passait à la radio cet été-là - J’avais dessiné sur le sable/ Son doux visage qui me souriait/ Puis il a plu sur cette plage/ Dans cet orage, elle a disparuuuu - Il ne comprenait rien à ce sentiment nouveau fait d’attirance sentimentale et de désir animal, alors il se mit à hurler : «Et j’ai crié/ Crié/ Aliiiiiice/ Pour qu’elle revienne/ Et j’ai bandé/ Bandé/ Oh j’avais trop la triiiiiique !».

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    Évidemment, Alice Clark n’a rien à voir avec l’Alice de la plage abandonnée. Alice Clark est une petite black que Lewis Carroll aurait pu choisir s’il avait bien sûr possédé un tourne-disque. Pour ceux qui la connaissent, Alice Clark c’est Alice au Pays des Merveilles. Il n’existe qu’un seul album d’Alice paru en 1972, un album sans titre. Et puis Ace qui fait toujours bien les choses a sorti en 2010 The Complete Studio Recordings 1968-1972, sur lequel on s’est tous jetés.

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    Attention, Alice Clark est un peu à part. Le mec qui la présente pour Ace, Dean Rudland, parle d’acid jazz et de modern soul scene et bien sûr ce sont les Anglais qui l’ont redécouverte dans les années 90, ce qui a fait flamber le prix de l’album paru en 1972. L’album original vaut aujourd’hui 500 euros. Par chance, il a été réédité. En tout, elle n’a enregistré que quinze cuts, dont dix figurent sur son unique album. Comme les Crystals, avec lesquelles elle partageait d’ailleurs le même manager, Alice venait de Brooklyn. Elle tenta de percer pendant trois/quatre ans, puis nous dit Rudland, elle s’est retirée du biz pour s’occuper de ses enfants. Rudland a fini par retrouver sa trace via l’un de ses sept petits-enfants, Ace Clark, qui explique qu’Alice a cassé sa pipe en bois assez jeune, en 2004 et qu’elle n’a jamais su qu’elle était l’une des reines des dance-floors britanniques. Reine tout court serait-on tenté d’ajouter.

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    Oui, rien qu’à la voir, que ce soit sur la pochette de son album ou sur celle de la compile Ace : elle a le port d’une reine de Nubie et des seins extraordinaires, comme l’autre Alice, justement, celle de Cherbourg. Dès l’«I Keep It Hid» de Jimmy Webb, on assiste à un stupéfiant concassage du rythme, le son s’étale dans l’éclat d’un matin magique, elle transforme la Soul en mer étale, avec une fabuleuse dynamique d’acid jazz - Maybe someday - C’est l’un des sommets de l’art. L’autre coup de génie s’appelle «It Takes Too Long To Live Alone». Elle attaque son groove de jazz de front, elle se swingue à la vraie vie, elle est dans cette puissante certitude, dans les tréfonds du sensible, elle chante à l’intelligence pure du son, elle ne module que des pulsions et des émotions, elle en jette partout, elle rayonne d’espoir, elle devient une merveille inexorable, elle poussent des ahhh qui atteignent les zones érogènes. Avec l’«Hey Girl» d’Earl de Rouen (qui est le percussionniste de Donny Hathaway), elle entre dans le lard de la Soul par le jazz, c’est stupéfiant d’audace, elle va droit sur Sarah Vaughan. Et le solo de sax vaut bien ceux de Charlie Parker.

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    L’autre info essentielle, c’est que l’album est sorti sur le label de Bob Shad, Mainstream. Shad était un amateur de jazz qui se mit à sortir des albums de rock quand il a vu que ça se vendait, notamment le premier album de Big Brother, puis il est passé à la Soul avant de revenir à ses premières amours, le jazz. Et Alice. On trouve aussi trois cuts de Bobby Hebb sur l’album, notamment l’excellent «Hard Hard Promises» qu’Alice chante par dessus les toits, elle pousse son bouchon tant qu’elle peut. Hebb signe aussi l’excellent «Don’t You Care», embarquement pour Cythère immédiat, elle swingue sa Soul comme une reine de Java, elle grimpe au sommet des bouquets de cuivres, elle fonctionne au vif argent, elle court dans le son comme le furet, elle brille de mille feux, elle règne sans partage sur l’acid jazz, don’t you care ! Elle tape un autre hit d’Hebb, «Charms Of The Arms Of Love», plus groovy, elle s’y faufile néanmoins comme une déesse, et là on arrive une fois encore au paradis. Et puis voilà les inédits, «You Got A Deal» de Billy Vera, on se croirait sur un album d’Aretha, c’est exactement le même son, elle monte bien sur ses grands chevaux. Autre merveille arrachée à l’oubli : «You Hit Me (Right Where It Hurt Me)», qui est en fait son premier single, paru en 1968. Elle déroule bien sa Soul sur l’horizon, avec une belle basse voyageuse dans les parages. Comme Aretha, elle va chercher sa viande de Soul, c’est très au dessus de la moyenne. Sur la B-side de ce premier single se trouve «Heaven’s Will (Must Be Obeyed)», une heavy Soul visitée par la grâce. On comprend que les Anglais aient craqué. «Never Did I Stop Loving You» figure un single Acid Jazz paru en 2004 : elle entre dans le lagon du groove comme Marvin, et derrière elle ça joue au jouissif définitif, avec des échelles de cuivres et une basse qui fait le grand écart, alors elle s’abandonne aux montées de fièvre et coule Broadway dans l’éclat de la Soul, un mec derrière bat le beurre du diable à la cymbale, elle claque son loving you à l’Aretha, avec les coups de reins de Nina Simone et l’exubérance en plus. Never ! Cette femme sait se fondre dans l’or du Rhin. Avec «Say You’ll Never (Never Leave Me)», elle se lance dans une Soul aventureuse, elle occupe tout l’espace, elle module au fil du chant une Soul qui ne demande qu’à éclore, elle réussit même l’exploit de chanter comme une jeune prodige, à l’accent innocent.

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    Signé : Cazengler, tête à clarks

    Alice Clark. Alice Clark. Mainstream Records 1972

    Alice Clark. The Complete Studio Recordings 1968-1972. BGP Records 2010

     

    *

    Diable un groupe américain qui portent un nom français, Forêt Endormie ferait-il des émules ! En plus une pochette pleine nature ! Quoique si on zieute d'un peu plus près, d'accord pour les arbres et le ciel bleu, mais cette espèce de brume quasi-invisible avec cette drôle ( pas du tout rigolote ) ambiance, hum-hum serais-je sur une fausse piste, d'autant plus que ça ne colle pas avec le label P. O. G. O. Records, les accointances du rock avec le mystère Symboliste et les climats à la Debussy, ce n'est pas tout à fait le rayon de Pour des Oreilles Grandes Ouvertes, tape en règle générale plutôt dans la tonitruance, d'autant plus que Curse ne se traduit pas par course forestière et encore moins par promenade champêtre, mais par malédiction. Ce qui change la donne. De surcroît, ces derniers temps ILS a fait beaucoup de bruit dans le Noise. Esgourdes fragiles abstenez-vous de cette chronique. Inutile de me chercher noise, car vous trouverez. Tant que l'on est dans les traductions, sachez que le nom du groupe ne se traduit pas, l'est nécessaire d'effectuer une translation, chacun la sienne, moi je propose le mot FILS ( pas celui ou ceux du papa, ceux de la couturière ) euphoniquement, orthographiquement il s'en rapproche, et puis les fils se faufilent là où ils en ont envie, et s'ils ne sont pas d'accord avec un de leurs points d'arrivée, il ne leur reste plus qu'à couper un fil pour recouvrer leur liberté pleine et entière. De fil en aiguille et d'aiguille en anguille ( EELS en anglais ) on ne perd pas le fil...

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    ILS n'est pas un groupe de débutants, z'ont déjà jeté leur gourme dans plusieurs formations, apparemment il leur en restait, n'avaient pas épuisé les stocks de la prime jeunesse. Les Etats-Unis regorgent de groupes hardcore, dépliez la carte, ILS provient de l'Oregon tout en haut, à gauche, comme par hasard au-dessus de la Californie – sacré nid de frelons – séparé du Canada par l'Etat de Washington. Port d'attache : Portland, cité verte et populeuse, cherchez l'erreur, sise au confluent de la Columbia et de la Willamette, de l'eau et des arbres, tout pour calmer les esprits, apparemment pas en assez grande quantité pour apaiser notre quatuor infernal. Comme quoi les mêmes causes ne produisent pas obligatoirement les mêmes effets. Relisons Aristote.

    Revenons à cette constatation de nuées de groupes de rock, c'est idem dans de nombreuses expressions artistiques, littérature, peinture, cinéma, graphiste, etc... sans doute en fut-il de même dans les siècles précédents, au prorata de la population préciserons-nous, à part que de nos jours avec la surmultiplication des moyens techniques et de communication, les artistes creusent souvent dans une même direction, leur pré carré est cerné de près par une foultitude de concurrents, l'on n'est pas loin des concessions de quelques mètres carrés attribuées aux mineurs lors de la ruée vers l'or. Rares sont les pépites de dix mille carats... la poudre d'or de la notoriété s'avère rare et volatile... Conséquence le public se retrouve confronté à un vaste choix qui l'emmène à explorer et à s'enfermer en un style qui lui agrée particulièrement. L'état de la création rock ressemble à ces marchés de producteurs locaux dont les étals finissent par s'uniformiser. Il est si difficile de leur établir une identité propre que l'on en vient à définir les groupes, non pas selon leur apport intrinsèque différentiel, mais en citant les noms de formations desquelles ils se rapprochent, ou dont ils se sont inspirés... Les générations rock se renouvellent vite, à tel point que les différents styles se talonnent de près et s'emmêlent les guiboles, ce pointillisme stylistique trahit la richesse et l'impasse du genre Metal... Ceci n'est pas une critique, aujourd'hui peinture et graphisme, pour ne prendre qu'un seul exemple, connaissent la même extravagante dilution... Pourquoi présenter tel groupe et pas un autre... Ne nous cachons pas derrière l'arbre qui cache la forêt de nos incertitudes en répondant que justement la prochaine fois nous en évoquerons un autre... Ce qui nous intéresse dans ILS ce n'est pas leur musique, mais leurs musiques en leur unicité, se servent à volonté de tout ce qui a précédé, hard, heavy, metal, punk, hardore, et poussent le tout vers le point de non-retour du noise, celui-ci entendu non pas comme rupture bruitiste du début du siècle précédent, mais comme un ressourcement de et dans l'agonique pâmoison finale de la musique classique européenne, celle-ci se complaisant à délaisser la mélodie pour ne garder que les dissonances extraverties du rythme. Le metal suit une courbe parabolique parallèle à l'aventure jazz... A la recherche de son point oméga. Chardinique, en quelque sorte, mais dépouillé de toute connotation christologique, réduit à sa plus simple expression conceptuelle.

    PAIN DON'T HURT

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    ( P. O. G. O. Records / 02 / 01 / 2019 )

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    La couve est sans appel. Sont prêts à engloutir la pomme du monde. Une faim si dévorante que le dentier aux lèvres en ailerons de requin s'est évadé de sa gangue de chair humaine qui l'abritait. Poursuit son chemin tout seul, n'a peur de rien,

    Vocal : Tom Glose / Guitar : Nate Abner / Drums : Tim Steiner / Bass : Chritopher Frey )

    No luck : grabuge à l'horizon, pas de chance vous êtes juste sous la ligne d'horizon, à l'endroit exact où la voûte stellaire et la croûte terrestre entament un duel à mort. La musique dégouline sur vous comme une vomissure visqueuse qui glisse et se renouvelle sans cesse, un torrent de déglutition dégoûtante, que vous aimeriez retenir dans vos deux mains afin de boire à cette diarrhée kaotique, et là-dessus surnage le cadavre pustuleux d'un chat écorché encore vivant, c'est la voix de Tom Glose qui vous emporte où vous voulez plus profond que l'enfer, plus haut que le paradis, il crie comme le tigre griffe et entaille, au loin résonne l'éperon triomphant d'une guitare. It's no lard, but it's just a cyst : j'essaie de vous rassurer par ces quelques mots explicatifs, souvent ILS accole aux trois lettres de son nom trois autres, PDX, qui comme chacun sait sont le sigle qui en aéronautique désigne l'aéroport de Portland, dans le même ordre d'idée ILS désignent aussi un système d'atterrissage sans visibilité... maintenant elles ont aussi une autre signification, médicale, biologique, elles désignent le processus qui consiste à instiller dans le corps d'une souris de laboratoire une bouture d'un cancer humain, pas de panique ce n'est pas du saindoux, c'est juste un kyste ! Douze secondes d'un coureur de Formule Un qui appuie un peu sur son accélérateur ( peu écologique ) en attendant que le signal du départ soit donné, en fait tout irait bien, le moteur BDG ( Bass, Drums, Guitar, mémorisez je ne répèterai pas ) ronronne à fond, une régularité exemplaire, hélas, ils vous en veulent, z'ont prévu de ne pas vous laisser vous assoupir, alors Tom Glose se surpasse, l'a la glossolalie ultra rapide et puissante, à lui tout seul il empêche un arrondissement de Paris de dormir en toute quiétude, les mecs tirés de leur sommeil se croient enfermés dans un cauchemar, se jettent par la fenêtre pour y échapper. Une chance pour vous, les morceaux ne sont pas longs, vous éviterez le grand plongeon. Northstar : tout le monde le sait mais je le rappelle, l'étoile polaire est le signe scintillant de l'axe invisible qui a permis aux extraterrestres de descendre sur terre pour apporter la civilisation aux brutes préhistoriques que nous étions, tendez l'oreille vous entendrez le frou-frou furtif de leurs entité frôlant l'axe du monde, hélas ils ne descendent pas, ils remontent, dégoûtés de notre humanité, le Gloseur de service tente de nous l'expliquer calmement ( tout est relatif ), mais la population de la planète ne l'écoute pas, alors sa voix se charge d'acrimonie indigeste, il hurle, il prophétise tous les malheurs qui roulent en avalanche sur nous. Sûr qu'à l'entendre dégoiser si abruptement l'on perd et le nord et l'étoile, chamboule notre comprenette, ne nous reste plus qu'à nous cacher sous le lit comme les chiens qui ont peur de l'orage. Curse : un malheur n'arrive jamais seul, la malédiction est prononcée, elle est scandée et martelée très fort au début, mais la batterie roule les galets de la mer sur vos pieds et un océan de guitares déferle et emporte tout sur son passage, ne reste plus rien qu'un brouillamini de stridences qui finissent par s'éteindre. For the shame I bring : imaginez que dans un cimetière un million de mammouths congelés dans le permafrost sibérien se réveillent et entreprennent de marcher sur les riches pâturages de l'Europe occidentale, le Gloseur est sur l'échine du plus vieux pachyderme, la basse imite le grondement de cette armada, et la batterie lance la horde au triple galop. Nous en veulent en mort, l'on ne sait pas pourquoi, ils renversent les immeubles et ravinent les autoroutes, non contents de notre sort nous commençons à avoir honte de nos propres faiblesses. Ouf, ils sont déjà passés, arpentent l'Atlantique, laissons-les à leur œuvre de colossale destruction. Il ne nous reste plus qu'une seule solution après ce cataclysme sonore, il nous faut tenter de survivre ! Guère facile.

    CURSE

    ILS

    ( P. O. G. O. Records 147 / Vicious Circle / Juillet 2020 )

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    Vocal : Tom Glose / Guitar : Nate Abner / Drums : Tim Steiner / Bass : Adam Pike )

    Les petits futés l'auront remarqué de leur œil de lynx, sur dix titres cinq étaient déjà sur le premier opus. Fallait ouvrir les deux globules, le bassiste a changé, ils ont réenregistré le club des cinq, à leur manière, quand ils repeignent leur cuisine, ne se servent pas du pinceau, usent du bulldozer.

    Bad parts : d'après moi, ils font un concours à celui qui fera le plus de bruit, à la batterie Steiner ne se retient plus, à la guitare Nate Abner compresse les riffs, et la basse Adam Pike tire le cordon funèbre pour arrêter les convois funéraires qui passent au triple galop dans la rue, un jeu comme un autre, quant à Tom il vous envoie le vocal à la figure, il doit confondre avec un nid de vipères, n'empêche qu'ils font des efforts, z'ont réussi à tenir une rythmique sans que le train ne déraille. Curse : la Malédiction 2, ce coup-ci Tom vous découpe les mots au chalumeau, derrière ils se font tout petit, jouent en pointillés, pas trop fort, pas vite du tout, n'ayez crainte les mauvais côtés de leurs individualités délétères reprennent vite le dessus et l'on sombre corps et bien dans un immonde charivari, la guitare a attrapé la tremblante du mouton enragé, Steiner doit avoir quelques comptes à régler avec l'Humanité, ce doit être ce que nous conte Tom dans sa bouillie de grumeaux de gros mots irradiés. Don't hurt me : miracle un vrai riff introductif, c'est vrai qu'ils sont sages sur ce morceau, bien sûr il ne faut pas faire attention à ce type bloqué dans un embouteillage depuis trois heures et qui klaxonne comme un madurle, les bonnes vieilles habitudes se radinent au bout de trente secondes, ne peuvent pas tenir un morceau jusqu'au bout, c'est plus fort qu'eux, il faut qu'ils le salopègent, qu'ils le transforment en un truc inécoutable, le genre de vacarme dont on se sert pour réveiller les zombies dans leur cercueil. Quand vous serez six pieds sous terre, cela vous semblera délectable. No luck : pas de chance pour l'auditeur moyen, ils remettent leur titre fétiche en jeu. Inutile de gloser sans fin sur Tom, le roi des screamers, le gars s'est fait greffer des cordes vocales en tungstène, puissance et célérité, les mambas noirs lui sortent de la bouche pour venir siffler dans vos oreilles, bonjour les acouphènes, vous n'avez pas de chance. Petites natures ! Noose : le mec on lui passé un nœud coulant autour du cou pour le faire taire une bonne fois pour toute, gigote sans fin comme le balancier de la pendule de votre arrière grand-mère qui vous hypnotisait quand vous étiez petit, n'en borborygme pas moins à croire qu'il fait la causette dans le salon de Madame de Récamier, doit un peu choquer la maîtresse de maison avec son organe vocal turgescent qui gueule aussi fort que les douze têtes de l'hydre de Lerne, les trois copains essaient de faire un boucan de tous les diables pour couvrir sa voix écrabouillée de stentor asthmatique, en vain. White meat : si vous n'avez jamais été invité à une soirée d'anthropophages sur l'île de Pâque, vous en avez au moins un aperçu sonore, plus un mec qui hurle à la manière d'un cowboy qui crâne devant un millier d'indiens qui bandent. Leur arc sur lui. Tant pis pour lui il a mérité toute cette haine. Des catastrophes comme cela vous n'en entendrez pas souvent dans votre vie. Dixième fois que vous repassez le titre, au suivant s'il vous plaît, par pitié, on veut tout entendre au moins une fois avant de mourir. Northstar : ces troublions vous leur payez un voyage en première classe sur Alpha Ursae Minoris , vous croyez en être débarrassés, plus ils s'éloignent dans leur fusée interplanétaire plus vous les entendez. Le Gloseur ébranle le zodiaque et le BDG par derrière attise sa vindicte. Nom de code : conjuration de l'Etolie Polaire. Casket race : les cinglés cinglent vers l'île au trésor, des pirates au sabre dégoulinant de sang, le capitaine Abner a changé d'avis au dernier moment, il ordonne de virer de cap, l'a décidé de trancher à la guitare électrique la baleine blanche, Adam Pique martèle les coutelas, Tim Steiner crève ses peaux à coups de harpons, sur la dunette la voix du bosco domine le tumulte de la tempête. It's not lard, but it's just a cyst : guitare d'Abner en apnée, elle hoquete gravissimo, manque d'oxygène, Pike a beau pomper sur sa basse rien n'y fait, l'opéré vous pousse de ses râles de mourant à déterrer les morts, c'est la fin, l'abreuve d'injures le chirurgien, pour l'endormir définitivement Tim le bourre d'horions. La scène tragique se termine brutalement. On n'entend plus rien. Qui a succombé ? For the shame I bring : encore un effort, c'est le dernier titre, the last but not the least. Ne veulent pas qu'on les oublie, n'ont rien à craindre. On se croirait dans un film de guerre. Finissent en beauté. Poussent les cris et les instrus comme Attila lançaient ses huns sur l'empire romain. Hélas il n'y aura personne pour les arrêter. Débauche sonore totale.

    MY LOW

    ILS

    ( Août 2020 / Bandcamp )

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    My low : un morceau à part, pour Milo le fils de Chris Dunn, qui a quitté cette vallée de larmes. La pochette le représente. De quoi récolter dix mille dollars au profit de son gamin orphelin... La tonalité est grave, mais Chris était un véritable rocker, aussi Adam Pike et Tom Glose qui ont écrit le morceau, n'hésitent pas à balancer la sauce. Evoquent le temps passé ensemble, n'était-ce qu'un rêve. Parfois il est bon d'exorciser son incompréhension en hurlant... Bel hommage caritatif. Sans mièvrerie.

    P. S. : Les sommes recueillies par la chanson sont intégralement reversées à la cagnotte, le lien est sur Bandcamp.

    NO LUCK

    ILS

    ( Vidéo YT : 2020 )

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    Vous les avez entendus, vous aimeriez les voir. Deux minutes et une poignée de secondes suffisent. Une vidéo, manifestement ce n'est pas David Lynch qui s'est chargé du cadrage. Un téléphone portable y a supplée largement. L'image remue un peu, sont dans une petite pièce, ce qui limite les décrochages, première surprise, Tom Glose a une gueule d'intellectuel, ses lunettes de travers lui donnent l'air d'avoir un grind de folie. Vous vous demandiez comment Tim Steiner frappe si fort, quand vous voyez le gabarit, style convoi exceptionnel dont la largeur bloque les trois voies de l'autoroute à lui tout seul, la réponse est évidente. D'Adam Pike vous n'apercevez que sa basse, un peu plus de chance pour Nate Abner sous son bonnet. A moins que ça ne soit le contraire. N'en font pas trop, vous vous attendez à une scène d'Apocalypse Now, et ce n'est qu'un groupe qui répète dans son coin. Oui mais quel groupe ! Fulminant.

    Damie Chad.

    Voir : interview sur New Noise Magazine.

     

    ROLLING STONES

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    Etrange phénomène dû au dérèglement climatique ? Pourquoi les pierres deviennent-elles moins dures ? Pas toutes, uniquement celles qui roulent. Pas n'importe où, pour le moment cet étrange phénomène ne touche que l'Angleterre, et des deux grands édifices pierreux de la Grande-Bretagne, un seul en est victime. Stonehenge est épargné, mais le deuxième amoncellement rocheux du pays, célèbre sur toute la planète paye un lourd tribut. Certes depuis longtemps l'on a remarqué que le massif stonien était victime d'un effritement ravageur, Brian Jones, Mick Taylor, Bill Wyman et dernièrement Charlie Watts se sont au fil des années détachés de la montagne des chauds cailloux. Toutefois pour rassurer nos lecteurs les analyses scientifiques sont formelles le climat n'est aucunement responsable de cette dégradation.

    Pour le dire clairement les Stones m'ont déçu. Les esprits acariâtres en rajouteront, belle lurette que les Stones ne sont plus les Stones, depuis... vous complétez avec le titre du dernier album après lequel d'après vous ils sont entrés dans l'ère du déclin. N'ont pas tout à fait tort. Mais si l'on a aimé les Stones, certes c'est leur musique mais aussi leur cynisme, leur manière à eux d'être Stones, d'être un groupe qui n'a pas respecté l'espèce d'idéologie rock qui voudrait que l'on soit moralement irréprochable, que l'on soit en rupture avec le Système, jamais de son côté... Un rêve d'une extrême naïveté si l'on pense une demi-seconde aux intérêts colossaux financiers en jeu. Les Stones l'ont assumé, les tournées apporte-monnaie qui se chiffrent en dizaine et centaines de millions de dollars, ils n'ont pas craché dessus. Une conduite amorale, les fans de la première heure renâclent mais le troupeau en son entier finit par emboîter le pas.

    Une déclaration a mis le feu aux poudres. Z'ont rayé un morceau de leur set-list, non pas parce qu'il serait musicalement dépassé ( impossible ! ), non pas parce qu'il ne leur plairait plus ( raison acceptable ). Non, pour des raisons morales ! Pourrait choquer les âmes de certains citoyens. Pas le riff, les paroles. Que voulez-vous Brown Sugar serait un peu ambigu, cause de la drogue ( pas grave ), des marchés d'esclave de la New Orleans, et de sévices corporels infligés à jeune femme noire par ses maîtres blancs. Evocation d'un passé carrément condamnable. Ne l'exaltent pas, ne le cachent pas.

    Oui mais voilà les USA vivent une époque étrange, suite au mouvement Black Lives Matter, suite à la présidence de Donald Trump qui a révélé les soubassements arriérés de la mentalité raciste d'une partie de la population blanche, s'est installée dans les universités du pays, une espèce de bien pensance de gauche, entée sur les principes de l'anti-racisme et d'un féminisme virulent, ce que l'on a pris l'habitude de désigner sous le terme de Woke culture, une espèce de maccarthysme intellectuel, une police de pensée qui dénonce, pétitionne et interdit toute attitude, tout écrit, toute évocation qui mentionneraient des faits historiques ou des idées philosophiques qui pourraient blesser ou attenter à la dignité de certaines personnes... Ses partisans se déchaînent sur les réseaux sociaux ( ici en l'occurrence le site d'abonnement IORR It's Only Rock'n'roll ) en les inondant de virulents messages... L'on n'est pas loin des caricatures du prophète... La liberté de pensée est un luxe qui se paye cher.

    Donc exit Brown Sugar. C'est vrai qu'une plainte portée contre l'interprétation du morceau lors de la tournée américaine pourrait coûter quelques millions de dollars. Mais la déception des fans n'est pas à négliger, Jagger s'est lancé dans les excuses vaseuses du consensus mou, puisque certains peuvent être choqués, nous supprimons le sucre dans le café noir du récital, ce n'est pas nous, c'est de la faute à eux. Puis s'est embourbé dans un pieux mensonge, nous sommes fatigués de la jouer depuis cinquante ans à tous les concerts, enfin s'apercevant que Satisfaction et Jumpin' Jack Flash devraient logiquement suivre le même sort, le Jag s'est résolu à prendre une pose qui correspond davantage à l'image Rolling Stones, dont le logo tire une langue impertinente au monde entier. Il n'est pas exclu qu'on la rejoue un de ces soirs si l'occasion se présente... C'est bien beau, pour ne pas dire c'est bien beauf, mais sur ce coup-là les Stones ne sont pas à la hauteur .

    Damie Chad.

    P. S. : la woke culture commence à étendre ses méfaits dans l'université française. Mais là les Stones n'y sont pour rien.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 5 )

    Un souvenir inoubliable. Toute une époque. Ça n'a pas duré longtemps, entre mai 68 et l'élection de Giscard D'estaing. Six ans de folie. La jeunesse en éruption. Une mosaïque de révoltes. Le pouvoir a su se reprendre, prétextant l'augmentation du prix du pétrole le Capital nous a servi ce qu'il fallait pour faire peur, la Crise, plus tard ce fut la couche d'ozone, puis le chômage, le dérèglement climatique, le terrorisme, les méfaits du carbone, le Covid, ces gens ont de l'imagination et des media aux ordres, le citoyen lambda a la trouille, il serre les fesses, encaisse et n'ose plus l'ouvrir, essaie de s'insérer tant bien que mal dans le Système qui ne veut que votre bien. Que vos biens, votre fric, vous réduire à la misère, vous transformer en esclave consentant...

    Quittons le cauchemar actuel, retournons au rêve post-soixante-huit, un seul mot le résume, galvaudé au plus haut point, la fête, et ce fut vraiment une fête, les corps se libérèrent, les esprits s'ouvrirent et se radicalisèrent, s'il y eut une époque qui réponde au mot d'ordre sex, drugs and rock'n'roll, ce fut bien celle-là.

    Crium Delirium est un des groupes français qui fut une des figures de proue de ce mouvement. L'on occupait la faculté de lettres de Toulouse, à l'époque implantée au centre ville. L'après-midi festive avait commencé sur les treize heures, cour centrale, un gratteux a entamé San Francisco de Maxime Leforestier, repris en chœur par une partie de l'assistance, pas vraiment le pied... Crium Delirium a débarqué, l'était attendu, ont déchargé le matos et commencé à l'installer, et ont lancé la zique sans préavis, si mes souvenirs sont bons – la scène se passait en 1972 – z'étaient quatre, pas de chanteur, z'ont pondu ( guitares-batterie ) un magma qui s'apparentait au jazz, un truc qui n'éclatait jamais mais qui augmentait votre pression intérieure. Deux heures plus tard, se sont arrêtés de jouer sans esbroufe, s'est alors déroulé un étrange mouvement de masse, près de six cents personnes, sans concertation, sans meneurs, ont pris d'assaut le grand amphithéâtre, la foule s'est assise et les vociférations ont débuté, pleine gorge, plein poumon, trois quarts-d'heure ininterrompus de folie stridente, quelques pupitres et bancs de bois en ont fait les frais. Défoulement général... et puis l'on est ressortis tout contents, tout heureux... It's was the good time !

    LIVE CONCERTS 1972 - 1975

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    CRIUM DELIRIUM

    ( Legend Music / 1994 )

    Lionel Magal est avec son frère Thierry à l'origine de la formation. Mais celle-ci n'est que la pointe de l'iceberg, Foxx le lion fut un activiste de ce que l'on appelait la contre-culture que l'on désignait aussi par le terme d'Underground, on en avait plein la bouche pour pas un rond... Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il a vécu intensément, il raconte tout cela dans un livre de collages paru en 2012, le Psykedelic Toad Book, paru en 2012. L'était important à l'époque de faire la route de visiter le monde, et surtout d'arpenter l'intérieur de soi. Une démarche qui recoupe celle d'un Rimbaud et de l'antique alchimie. Le microcosme de votre cervelle se doit être en inter-action avec le macrocosme de l'univers. Depuis Hendrix, l'expérience était un mot magique. Notre foxxy-man débuta par le théâtre-action, une espèce de happening qui demande la participation du public, car il est bon de briser les barrières qui séparent les professionnels des individus... l'est sur scène au Centre Américain de Paris lorsque débarque plus fous que lui, la Hop Farm, communauté hallucinatoire hippie, dont il invitera la quarantaine de membres à venir dormir chez lui. C'est parti pour une croisière au long cours qui les mènera jusqu'en Afghanistan, puis en Inde. Ce n'était que la reprise du fameux voyage en Orient cher aux romantiques de Lamartine à Nerval, mais là on poussait un peu plus loin...

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    Retour d'Inde Lionel et Thierry remettent en route leur groupe Crium Delirium, avec lequel depuis 1968 ils visitaient les caves parisiennes. Ce coup-ci c'est le grand départ, le groupe joue partout où on l'accueille et même là où on ne l'a pas demandé, rencontres musicales tous azimuts, de Nico à Steve Hillage, de Captain Beefheart à Miles Davis... des concerts qui regroupent tous les freaks du coin - profitez de l'occasion pour vérifier votre orthographe, ne confondez pas chichiteux avec shishiteux – le groupe ne s'appelle pas Delirium par hasard... En 1970 Maître Renard participe à la création d'Actuel et en 1981 à celle de Radio Nova, par la suite on le retrouve un peu partout, sur Canal + et aux quatre coins du globe...

    Crium Delirium, vivra aussi en communauté, lorsque le groupe cessera ses activités il peut être fier de ne pas avoir collaboré avec le système marchand que leur idéologie réprouvait. N'auront enregistré aucun disque. Ce n'est qu'en 1994 que sortira chez Legend l'album Power to the carottes, Live concerts 1972 - 1975, réédité en 2012 sous le titre de Live Concerts Psykedelick. Le groupe reformé remontera sur scène au Cirque Electrique en 2011 et 2012 pour leur quarantième anniversaire...

    Guitare : Thierry Magal / Drums : Lionel Magal / Bass : Daniel Léonard / Synthétiseur : Loy Ehrlich / Percussions : Victor Angel / Saxophone, flûte : Patrice Quentin

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    Aventures chez l'om : au mieux cela correspond aux notes graves de l'entrée de la Tétralogie de Wagner ( la version de Furtwangler s'impose ) et pas du tout l'entrée tonitruante d'Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, non c'est l'om initial pas très catholique si je puis me permettre à moins que ce ne soit le dernier des hOMmes, bref un truc malingre, torsadé et fuselé, Crium ( prononcez criom, crihomme si vous êtes du midi ) mugit comme il peut pour se mettre au diapasOM de l'illusiOM cosmique. N'oubliez pas que nous sOMmes en plein deliriOM cosmique et que les carottes sont cuites. Ouverture lutins : guitare allègre, les lutins sont là et batifolent dans l'herbe folle, une voix vocalise ( que pourrait-elle faire d'autre ) laissez vous emporter sur les ailes du rêve, de temps en temps la guitare miaule et la voix l'imite, peut-être pour coller à la réalité du monde, rien n'est moins sûr. Shilum baba : si vous croyez planer durant huit minutes... le début est abrupt, ça se calme un peu, et vous voici embarqué dans une fuite jazz au pas accéléré, les cymbales en apesanteur qui s'écrasent à terre, la guitare qui couine, preuve que le matou d'Alice s'est coincé la queue dans l'entrebâillement de la porte, tapis volant avec adjonction de moteur, font semblant de camer pardon de calmer le mouvement mais les moustaches du greffier frisent un max, z'avaient manifestement le shit peu somnolent, la guitare sonne comme une trompette dans laquelle une souris serait rentrée par erreur, elle qui pensait s'introduire dans une trompe d'éléphant pour vous ronger le cerveau. Peut-être est-ce pour cela que vous entendez des bruits bizarres.

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    Montlery guitare : un peu moins de jazz, un peu plus de rock, en roue libre, puis on ralentit pour négocier une courbe et plein pot par la suite, des pneus de guitare crissent pas de chance d'impressionner nos preux cyclomotoristes, tiens en plus ils ont posé le chat sur le porte- bagage, l'a la frousse mugit comme une baleine, à perdre haleine. Menuet / Paris ORTF : z'ont dû arriver à la cour du Roi Soleil, Louis XIV esquissant quelques pas devant le grand bassin, scène idyllique... '' Villes champignons'' : ( Bass : Thierry Robert / synthétiseur : Jean-Paul Demarque ) : ...qui ne dure pas longtemps, changement de programme, c'est maintenant qu'ils nous refilent leur intro de Also sprach Zaratoustra, à leur manière, apparemment le héros nietzschéen a grignoté des champignOMs hallucinogènes, car leur jazz boursoufflé a de l'hélium dans l'aile, délire grave, éructe des bruits étranges et marche lourdement, se reprend, volète parmi les pâquerettes, sont tous heureux du résultat, allégresse générale, l'un d'entre eux, ce doit être Lionel se met à chanter, l'appuie un peu fort sur ses baguettes, je comprends pourquoi à Toulouse ils étaient restés cois, la voix est quelconque, gâte un peu la musique. Quand vient le soir : ( voix + écriture : Joe Corbeau ) : moment japonais, la flûte décrit la courbe du lac et du croissant de lune, la voix en apesanteur passe mieux, Un vol de corbeaux disparaît dans la nuit. Roanne gig : synthé qui imite le piano, z'ont changé de style, c'est du tout doux, à l'ambiance romantico-sentimentale, la basse apporte le noir nécessaire, cris d'oiseaux dans les arbres, chacun pousse son instrument tour à tour, une espèce d'impro pour que chacun puisse démocratiquement s'exprimer, le matou s'en donne à cœur joie, s'en vient roucouler sur le croissant, Lionel énervé essaie de le faire taire à coups de mailloches mais il s'obstine, il se retire dans ses appartements en prenant son temps, il pousse de tendres gémissements mais non ses maîtres possèdent un muscle cardiaque de silex tranchant. Peanuts butter : l'on reste dans la même ambiance, des sons, des bruits, des tintements, un vocal intermittent, peu à peu se mettent d'accord pour lancer un riff à peu près potable, presque une digression musicale, doit y avoir une vache qui a quitté son pâturage et qui s'en est venu goûter aux honneurs de la scène, elle agite sa cloche parfois en dehors du rythme parfois en plein dedans, cela ressemble aux longueurs qui encombraient les plages de bien des albums de l'époque... quand ça se termine Marguerite a dû être contente de retrouver son étable. Nous aussi.

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    Les '' Road managers'' : tiens un rythme de rock, l'on croirait entendre les Beatles sur Back in the URSS, un petit côté humoristique qui se veut désopilant, question chant, c'est un peu le niveau zéro, tout le monde ne peut pas être Au bonheur des dames. Stone à rouler : on a eu peur qu'ils se prennent pour les Stones, mais non, tapent dans le free, mais plutôt ordonné, en fait cela ressemble à des chutes de studio des Fab Four, tout se calme après un gros éclat de voix superfétatoire dont on n'aime pas le suppositoire, et l'on repart dans une de ces improvisations qui se mord la queue, z'ont dû avoir l'idée en regardant le chaton, nous on s'ennuie un peu. enchaînent sur une ritournelle aigrelette de Boîte à musique : qui fomente et fermente dans le grave qu'une mouche vient troubler de son vrombissement agaçant, le synthé fait des vagues, patchwork, cut up musical, l'on verse tout ce qui passe dans l'esprit dans le chaudron et l'on sert chaud. Gros pets terminaux. Antibes : une espèce de symphonie à la Jethro Tull rehaussé de mouvements de menuets joués à la trompette. L'on s'approche de Dada mais l'on ne galope pas assez vite. Radium : qui n'irradie pas, quand on n'a plus rien à dire l'on laisse parler les autres, l'on s'amuse à pousser le curseur et l'on surfe sur les stations radio. Asks Freeco sax wah wah : un sax qui jappe, puis finit par miauler, serait-ce le matou déguisé. Night in Tabarka : La nuit tombe sur Tabarka et l'ennui finit par s'appesantir sur nous.

    La dérision est un art d'un maniement aussi dangereux que le sabre d'abordage, parfois c'est elle qui vous découpe en rondelles et vous rend dérisoire. Les sept derniers titres sont pesants. Donnent l'impression que Crium Delirium n'avait plus rien à dire. Je ressors de ce disque déçu. Le groupe s'est-il fourvoyé dans une impasse qui l'a mené à l'échec ? J'aurais dû m'en douter, si vous ramassez un papillon mort et que vous rouvrez les ailes pour retrouver la fragrance de son vol, elles se déchirent, et les lambeaux colorés sont emportés par le vent...

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 05

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    LE CERCLE

    C'était hallucinant. Dans le noir de la nuit, l'ombre de Charlie Watts se chargea d'une opacité encore plus ténébreuse, à tel point qu'elle se détacha si distinctement sur le fond du ciel nocturne que celui-ci par un contraste saisissant sembla plus pâle. Plus tard nous en convînmes tous, nous y voyions comme en plein jour. Lorsqu'il passa devant moi, les chiens grognèrent, leur poil se hérissa, mais ils n'aboyèrent pas. Je posai la main sur l'échine de Molossito, il tremblait de peur et Molossa n'en menait pas plus large. De la gent humaine personne n'osa bouger, plus tard le Chef m'avoua qu'il n'avait même pas songé à allumer un Coronado. Charlie marchait sans se presser, il descendit la pente jusqu'au niveau du Chef devant lequel il effectua un demi-tour et entreprit de remonter la côte. Que voulait-il ? A quel jeu se livrait-il ? J'étais sûr qu'une fois qu'il m'aurait dépassé il disparaîtrait, mais non, il effectua un demi-tour et recommença son manège. Quarante-sept fois. Nous avions l'impression que parfois il s'approchait de nous à nous frôler de ses pieds, pour nous dévisager. Ou alors il s'éloignait de quelques pas sur le côté, comme l'on prend du recul pour mieux ajuster son regard. Il amorçait son quarante-huitième passage, ce fut Joël qui rompit le charme, il se leva et cria : '' On l'entoure tous en rond, en formant une ronde'' . Charlie s'arrêta indécis, nous eûmes tôt fait de l'entourer, '' On le touche, on le touche !'' hurla le Chef, et chacun s'avança les bras tendus, nous ne touchâmes que nos propres mains, réunies en faisceau, nous ne saisîmes que du vide, Charlie Watts avait disparu.

    Les exclamations fusèrent, il y eut des cris de déception ( les garçons ) et d'effroi ( les filles ), mais aussi des rires ( là, je ne sais pas ). C'était incroyable, l'on en discutait encore à l'heure où blanchit la campagne. Le soleil se levait, nous explorâmes les buissons, le bois, la prairie, rien, aucun indice, aucune trace. Bizarrement, l'échec avait soudé l'équipe. Personne ne songeait à renoncer. L'énigme était trop intrigante. L'on convint de se retrouver le soir même à vingt heures tapantes. Pas question de rester inactifs entre temps, l'on se partagea les tâches qui écouteraient l'intégralité de la discographie des Stones, qui farfouilleraient dans les livres consacrés à leurs musiques et à leurs augustes personnes, qui se renseigneraient sur les apparitions de fantômes, qui chercheraient dans l'ensemble de la presse régionale... Quant à nous, le Chef déclara qu'il avait à se livrer à Paris une expérience du plus grand intérêt, ayant un rapport certain avec le fantôme de Charlie Watts, et qu'il était sûr de ramener du nouveau. Des regards envieux nous suivirent lorsque nous montâmes dans la Lambor.

    L'EXPERIENCE

    Je brûlais d'impatience, à quelle mystérieuse expérience le Chef se livrerait-il. Durant tout le trajet il n'en souffla mot, il se contenta d'allumer Coronado sur Coronado. Je pensais qu'il se mettait en condition. Aussi fus-je très surpris une fois la Ghini stationnée pas très loin de notre repaire quand il m'annonça que j'étais le sujet de l'expérience. Lui se contenterait de garder les chiens dans la voiture. Ma tâche n'était pas très compliquée, elle n'exigeait aucune force physique ni aucune intelligence particulière. Je n'ai pas aimé son intonation lorsqu'il souligna ces deux derniers mots d'un sourire ironique.

      • Je vous octroie dix minutes, au bout desquelles les cabotos et moi vous rejoindrons. Ouvrez la grille et vos deux yeux. Ce n'est pas très difficile. Juste un peu d'observation. Inutile de pénétrer dans la baraque en planches, ou dans l'abri atomique. Exécution immédiate, agent Chad je compte sur vous.

    Je m'exécutais. Il n'y avait rien à voir de spécial, le jardin d'une quarantaine de mètres de côté s'étendait devant moi. De l'herbe, quelques arbustes, un fourré de ronces, du lierre rampait sur terre, quelques fleurs, quinze ans qu'il n'avait pas été travaillé, rien de surprenant dans ce qui s'offrait à ma vue. Dans mon dos j'entendis le ricanement du Chef, Molossa sur ses talons, Molossito se débattait entre ses bras.

      • Alors agent Chad, l'on fait chou blanc dans le potager ! Par bonheur Molossito est plus intelligent que nous, c'est en le regardant batifoler lors de notre précédente visite qu'il a découvert ce que je m'interdis de nommer le pot aux roses, voici donc la deuxième séquence de notre expérience !

    Le Chef posa Molissito à terre qui fila droit dans un des quatre coins pour arroser le pied d'un gros buisson, puis il traversa l'espace ventre à terre pour relâcher un jet d'urine sur les restes d'un parterre plutôt mal en point, après quoi très consciencieusement il aspergea de quelque gouttes de pipi la végétation plutôt maigrelettes des deux angles restants.

      • Chef, c'est terrible !

      • Le mot est faible, agent Chad, nous sommes embarqués dans une drôle d'histoire, nous ne sommes pas au bout de nos peines !

      • Oui Chef, ça va mal !

      • Vous pouvez le dire agent Chad, ça va malvaceae !

      • Chef vous pensez que...

      • Nous n'avons plus le temps de penser Agent Chad, sifflez les cabots, l'on repart à toute blinde sur Limoges !

    UNE NUIT EFFROYABLE ( Part 1 )

    Nous devions nous retrouver à vingt heures, mais à dix huit heures tous les étudiants étaient déjà présents. Ça caquetait dur en ingurgitant force fournées de chips. Joël distribuait des sandwichs :

      • Au minimum trois chacun, prenez des forces, j'ai l'intuition que la nuit sera mouvementée !

      • Au-delà de toutes nos espérances cher Joël - la voix grave du Chef résonna d'une manière si lugubre que les conversations cessèrent aussitôt – mes amis les résultats de la terrible expérience à laquelle nous nous sommes livrés, l'Agent Chad et moi-même, cette après-midi à Paris sont sans appel, nous n'avons pas le temps de tout vous expliquer, nous devons avant tout vous devez vous préparer à l'épreuve la plus terrible de votre existence. Je ne retiens personne, ceux qui veulent rentrer chez eux, qu'ils le fassent, sans honte et sans regret, je vous laisse trois minutes pour vous décider, après ce très court laps de temps, il sera trop tard.

    Il y eut un silence de mort. Personne ne bougea. Pas une seule défection, nous avions affaire à des garçons et des filles courageux. Le Chef reprit la parole :

      • Nous nous sommes séparés ce matin, vous vous étiez organisés en groupe de travail, auriez-vous trouvé quelque chose d'intéressant ?

    Seules deux mains se levèrent, deux filles qui se présentèrent :

      • Françoise et moi Framboise, avons cherché du côté de Sympathy for the devil, et en farfouillant nous sommes tombés sur le personnage d'Aleister Crowley et cette anecdote étrange où il devient invisible, peut-être cela a-t-il quelques relations avec les apparitions et les disparitions subites de Charlie Watts ?

    Le groupe fut agité d'un étrange remous, peut-être certains pensaient-ils qu'ils auraient mieux fait de rentrer à la maison pour regarder la télévision entre Papa et Maman, mais le ton ferme du Chef leur permit de comprendre que ce rêve était désormais inaccessible :

      • Une bonne piste, mais ce n'est pas la bonne, pour Crowley il ne s'agissait pas de se transformer en homme invisible, mais d'interférer avec la conscience des passants qu'il croisait et de leur ordonner de ne pas le voir. Une simple question d'autosuggestion ! Non ce soir, vous vous en apercevrez, vous intimerez à Charlie Watts les ordres que vous voudrez, il restera insensible à vos désidérata. Je puis déjà vous révéler ce qui va se passer. Hier soir nous avons guetté Charlie Watts et tenté de l'arrêter, mais ce soir c'est Charlie Watts qui tentera de nous attraper !

    A suivre...