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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 75

  • CHRONIQUES DE POURPRE 444 : KR'TNT ! 444 : LA CRAMPE / WEIRD OMEN / SUICIDE COLLECTIF / DAVE VAN RONK

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 444

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    26 / 12 / 2019

     

    LA CRAMPE / WEIRD OMEN

    SUICIDE COLLECTIf / DAVE VAN RONK

     

    VOUS EN AVEZ DE LA CHANCE !

    LA LIVRAISON 444 ARRIVE EN AVANCE !

    PAR CONTRE NOUS SERONS UN PEU RANCES

    POUR LA 445 QUI SERA EN PARTANCE

    APRES TROIS JOURS D'ERRANCE...

    BONNES VACANCES !

    KEEP ROCKIN' AND DANCE !

     

     

    La Crampe tear sa crampe

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    Elle a tout compris. Elle s’appelle Fanny et elle tear it up, comme dirait Johnny Burnette. Ce qu’elle tear n’est pas ce que vous croyez, elle tear up le mad genius de Lux Interior, elle entre dans le mondo bizarro des Cramps à coups de cello et de bravado vocale et si nos souvenirs sont exacts, elle fait ce que fit Lux pendant trente ans : mener sa bacchanale à la bravado pure et dure. Fantasy, power and boogaloo, telles sont les trois mamelles de ce vieux mythe que sont devenus les Cramps.

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    Pari gonflé : jouer les cuts des Cramps au violoncelle, ça pourrait presque passer pour une belle arnaque intellectuelle. Quoi ? Pas de fuzz ? Pas de heavy beat ? Tout repose sur une allégresse vocale hors normes, un sens aigu du va-comme-je-te-pousse, une espèce de démesure cabaretière sans foi ni loi, un rigoletto savamment décomplexé, elle allume son buzz buzz à la hussarde, elle poivre on Saddle up à la régalade, elle dégouline d’allure véracitaire, elle est l’une des plus crédibles crampoulettes qui se puisse imaginer ici bas. Oui, on peut dire qu’elle a pigé l’essentiel : le mad genius de Lux Interior repose principalement sur l’interprétation. Quand Lux tape dans «The Crusher», il devient un catcheur mexicain plus vrai que nature, rrrrrahhhh, de la même façon que De Niro devint Jake La Motta pour les besoins de Ragging Bull. Quand Lux tape dans «Goo Goo Muck», il gratte ses puces comme le faisait King Kong dans sa forêt de Skull Island, avant que Carl Derham ne vienne le capturer. Quand Lux tape dans «She Said», il s’enfourne un gobelet dans la bouche pour rivaliser de dinguerie fulminante avec le plus dingue d’entre les dingues, Hazil Adkins, et il y parvient. Fanny y parvient elle aussi, elle balance une version de «She Said» qui vaut son pesant de hou hi ha ha/hou hi ha ha, elle s’en donne à cœur joie et chante ça à la glotte folle, bien épaulée par le tatapoum d’Olive, son drumbeat man planté de l’autre côté de la scène et qui donne au passage une brillante leçon de désinvolture.

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    L’autre notion fondamentale des Cramps sur laquelle Fanny s’est penchée, c’est bien sûr celle du mondo. Les Cramps surent en leur temps créer un univers à base de films fantastiques, de singles rares, de voodoo, d’exotica et de sensualité, en conformité avec le fameux sex & drugs & rock’n’roll qui sous-tend l’esprit d’un phénomène socio-culturel moderne qu’on appelle le rock. Le sexe des Cramps n’est jamais vulgaire, les drogues des Cramps sont tellement discrètes que personne n’en parle. La Crampe, c’est exactement le même esprit. Fanny démarre son set enveloppée dans un manteau et dix minutes plus tard elle trouve qu’il fait chaud - It’s hot in here, isn’t it ? - Elle tombe le manteau et devient Chihuahua Pearl, l’aventurière de saloon qu’on croise en petite tenue dans les aventures de Blueberry, et pouf voilà Fanny en corset et bas résille, il ne lui manque que le cigare et le colt Cobra 38 special planqué dans la bottine à boutons. Cette esthétique de saloon bitch renvoie directement à Ivy. Fanny et Ivy même combat ! T’as voulu voir Vesoul et t’a vu la Crampe !

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    Mais ce n’est pas tout. Elle pousse encore le bouchon en fabriquant le décor. Ça tombe bien, dans le civil, elle travaille le métal, elle brase et elle soude, she welds it up ! Son pied de micro pourrait en effet sortir tout droit du cerveau purulent de HR Giger : avec une chaîne de moto, elle fait de l’Alien pur et dur. L’objet haut de deux mètres pèse une tonne. Pareil pour la chaise haute sur laquelle elle s’installe pour jouer, c’est un objet d’art pensé/soudé/limé/poncé à la Tinguely, weird-weld iron shoot, mêmes réflexes à base de récup et de confrontation avec la matière, même sens de la possibilité d’une île, lorsqu’un objet condamné à disparaître trouve sa vocation dans l’incongruité. Le pompon est sans doute la lampe tournante installée au fond sur l’ampli basse : posée sur la platine d’un petit tourne-disque rescapé des sixties, elle démarre une nouvelle carrière en arrosant la scène de lumière rococo. Avec tout ça, les cuts des Cramps arrivent forcément comme la cerise sur le gâteau. Rien n’est plus capiteux, plus exaltant que l’expression de la cohérence artistique. Songez-y. D’autres très grands artistes ont aussi compris cela, l’importance qu’il faut attacher au décor. Quand on voyait Beat Man (en solo, avec sa petite lampe, sa valise et ses instruments de bric et de broc) ou Queen Adreena (ambiance de catacombe avec des linceuls sur les amplis), on ne pouvait pas s’empêcher de penser à Kantor et à son obsession maladive de l’acte créateur. Chez lui, les objets du décor jouaient un rôle capital. Pas de Classe Morte sans les bancs d’école. Avec toute la modestie qui lui incombe, Fanny inscrit la Crampe dans cette prestigieuse lignée. La Crampe sur scène ? C’est quasiment gagné d’avance. On reconnaît les grands artistes à leur capacité à lever une pâte de temps, c’est-à-dire l’heure de spectacle. Et c’est sans doute beaucoup plus difficile en matière de rock que d’avant-garde théâtrale, telle que la concevaient tous ces grands maîtres de l’épate contextuelle que furent Kantor, Barba et Peter Brook.

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    Pour conclure le déballage de Raymond la Science, citons Tav Falco, passé lui aussi maître en épate contextuelle (sidérante prestation au Silencio, on y reviendra) : «Les Cramps furent un groupe de rockabilly post-moderne qui par sa grandeur incarna le Théâtre de la Cruauté, tel que défini par Antonin Artaud.»

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    Hou hi ha ha ! On est en plein dans le Théâtre de la Cruauté, aucun doute, hou hi ha ha ! Pour En Finir Avec Le Jugement de Dieu, c’est les Cramps en 1947, alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers comme dans le déliiiiire des bals musette, and I need a new kind of kick ! Et cet envers sera son vériiiitable endrrroit ! Bon, Fanny ne reprend pas «New Kind Of Kick» sur scène, mais elle attaque son set à l’arrache malgache, Craaaaamp Stomp ! C’mon baby, get ya high as King Kong twat, elle ne gratte pas ses puces mais son violoncelle à coups d’archet, elle module ses attaques sur le tatapoum d’Olive et comme les deux font bien la paire, ça tourne vite au beautiful ramdam de bric et de broc ! Rien de plus crampsy que cette débauche de beat hagard et grincheux, le crin-crin amène une overdose de bringueballage déambulatoire. Leur ramdam monte vite au cerveau. Pas besoin de prendre des trucs. Elle enchaîne avec «The Way I Walk», clin d’œil superbe à l’immense Jack Scott récemment disparu, c’mon baby love me right. Fanny fait couiner la mythologie (ça lui fait du bien), elle fait grincer les portes vertes et voilà qu’elle s’en va faire sa bad bad girl avec un «Like A Bad Girl Should» transformé pour le coup en rengaine insistante et prodigieusement balancée. Elle tombe sur le râble du refrain avec des ahhhh orgasmiques assez troublants, ça devient même complètement surréaliste puisque la voilà encore plus royaliste que la reine en bad girl de cartoon américain - Bad bad/ bad bad girl ! - Magique élan prolétarien, hommage stupéfiant aux Cramps. Elle buzze ensuite un coup d’«Human Fly» et l’introduit à la couinante supplétive, vite reprise par le heavy beat tribal à dix balles d’Olive. Ils invoquent si bien l’esprit des Cramps qu’il en devient palpable.

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    C’est presque un numéro de médium. Elle s’en va sculpter le chant au sommet des ninety-six tears et replonge dans l’enfer délicieusement grinçant de l’infernale transmutte combinatoire. Rock tonite ! Buzzzzz ! Rock it right ! Dommage que Lux ne puisse pas voir ça. Le cello et la caisse claire se livrent un combat sans merci dans «The Most Exalted Potentate Of Love», l’un des cuts les plus âpres des Cramps. Quasi-intouchable. Wow, ils en sortent la plus honorable des versions couinantes et trébuchantes, le cello parvient même à orientaliser la moelle de la Potentate qui n’en demandait pas tant. Et comme si ça ne suffisait pas, elle file droit sur «Faster Pussycat», un cut encore plus difficile et certainement le plus ambitieux jamais entrepris par les Cramps. Épique et perché, Faster ne se laisse pas dompter, Fanny et le Professor qui tente lui aussi de s’y frotter peinent à en tenir les rênes, comme si Lux était le seul au monde à pouvoir l’interpréter, alors Fanny se bat avec son Faster, elle parvient miraculeusement à rester juste et passe le beau break instru à coups d’archet rageur, fabuleux brouet de crin-crin qui encore une fois transporte les Cramps au château de Versailles parmi les emperruqués et les fardés de la cour. Barry Lyndon meets the Queen of Pain ! Fantastique énergie ! Ils dégagent à deux autant d’énergie qu’une centrale nucléaire et elle finit à la hurlette de Hurlevent, dans un délire de tortillettes extrapolatoires. Il faut aussi la voir driver un Saddle Up emmené au beat des reins en rut, salement cadencé, Olive le tape à la cloche de bois, baby rock tonite, rien de plus crampsy que ce shoot infernal de buzz buzz. Elle joue «Fever» toute seule et maîtrise bien la jazzification des choses, parfaitement à l’aise sur les contretemps de ce drive cellico-jazzy. Elle swingue le chant comme si elle avait passé toute sa vie à se produire dans les clubs de Harlem - Fever in the morning/ Fever all through the nite - et Olive revient pour le dernier couplet, tac-tac en place pour un tact de fin. Ils finissent la conquête du bar avec la triplette de Belleville «You Got Good Taste»/ «What’s Inside A Girl»/ «She Said», véritable shoot fulminant. Il faut voir l’Inside couiner et tatapoumer comme si de rien n’était. Olive ramène pour l’occasion toute la dynamique du rockab, il tape à la relance insistante et bigne sa cymbale au coin du bois, comme un bandit de grand chemin. Au point où on en est, on pourrait même insinuer que leur version de «She Said» est la plus sauvage de toutes, tellement Fanny se jette avec la bataille dans la balance, elle chante de toutes ses forces et ça explose à tous les sens du terme. Un régal pour un rockab comme Olive qui joue ça au fouetté de huitième de cavalerie, Hopalong, c’est lui, et pendant ce temps Fanny hou-oute à s’en arracher la rate. Tank youuu, tank youuuu ! Elle est délicieusement drôle, tout le bar rigole. Pour finir, elle atteint le summum de l’American despair avec un «Lonesome Town» joué à la scie musicale ! Sans doute le moment le plus sensiblement intense de son show. Elle dérive dans la mélodie et fait pleurer sa vieille scie rouillée. On croyait ce numéro réservé à l’élite. Fanny va vous scier quand vous la verrez. Vous voilà prévenus.

    Signé : Cazengler, la Crêpe

    La Crampe. Le Ravelin. Toulouse (31). 7 décembre 2019

     

    Et spiritus sancti, Omen

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    S’il est un groupe qui a su créer son monde, c’est bien Weird Omen. Comme Jim Jones, ils font appel à Jean-Luc Navette pour dessiner la pochette de Surrealistic Feast, leur troisième album.

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    Au vu du médium, on sait exactement ce qui nous pend au nez. On entre alors dans cet album comme on entre dans le cabinet du médium, «A Place I Want To Know». Un son distinct de naissance, distinct de sang, distinct de lignée, cisaillé dans l’âme des tibias, stupéfiant et dépenaillé à la fois, hardi mais brutal, un vrai punch-up. Comme si on recevait un coup à l’estomac. Ils ne sont que trois mais ils dépotent tout le volume de l’enfer à coups de pouet pouet. Dans l’esprit, ça flirte avec le chaos de Fun House, avec une vielle impression de jamais vu, de fumées, de lumière rouge, les trois Weird Omen explosent au quart de tour avec des pauses en forme de chutes du Niagara, le son tombe du ciel comme un déluge, cataplasmé par une frappe in-cro-ya-ble-ment frappadingoïdale. Il s’appelle Rémi Lucas et il réincarne à lui seul deux siècles de forges du Creusot, mais il faut imaginer ces forges amphétaminées. Power & drive. S’ensuit un «Wild Honey» d’une très rare violence et ils reviennent jiver le cabinet branlant du médium avec «Please Kill Me», une sorte de heavy groove garage de Johnny fais-moi mal assez obsédant. Un démonologue dirait que ça sort de la cuisine du diable. Ça parait en effet chanté au fond des bois, et ce solo digne d’entrer dans la petite boutique des horreurs entre en collision avec une turbulence de saxophone. Devant un groupe qui sort un son pareil, on ne peut faire qu’une seule chose : s’agenouiller pour prêter allégeance. Tiens puisqu’on parle du diable, voici «The Goat». C’est là qu’ils révèlent leur vraie nature : ce sont des fous du son. Ils ne vivent que pour le heavy sludge, mais un heavy sludge qui ne doit rien à personne, même pas aux Stooges et encore moins à Monster Magnet. Leur son sent la terre humide et les coups de wah dégagent l’âcre odeur du génie putride. Ils chantent «Trouble In My Head» à plusieurs voix, ils crucifient leur garage au Golgotha, sous un ciel noir comme le cul d’un esclave nègre. S’ensuit un «Out Of My Brain» battu et riffé comme plâtre, leur garage n’a plus rien à prouver. Ils sont déjà si loin devant. Ils battent encore tous les records de démesure avec un «Earthworm» tapé à la définitive. «Earthworm» explose à la face du monde. Les vagues de son déferlent sur «Earthworm» et avec sa guitare, Martin Daccord part en vrille de néant absolu. On plonge avec délice dans le bain d’acid de «Collection Of Regrets», nouveau hit heavy et conquérant, sans foi ni loi. Les clameurs tombent du ciel et tu ne peux rien y faire.

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    Si on aime les très grands disques, il faut écouter Breakfast Before Chaos. Un cut comme «Stranger» donne une idée assez juste de la modernité, une modernité de baraque foraine, avec une forte odeur de friture. «Stranger» frit vivant devant nous, les Weird Omen sortent un son saigné aux quatre veines et nous mettent de la stoogerie plein la vue. On prend la wah en pleine gueule, c’est un son qui avance à marche forcée, chaussé de plomb. Effarant ! Même quand ils proposent un petit garage vite fait comme «Extatique», c’est wild au-delà de toute espérance, et le diable sait si l’espoir fait vivre. Retour aux incendies volontaires avec «Back From WBB», véritable downhome d’overwhelmed Weird Omen. Avec ce huge shoot d’overdose, ils passent de l’autre côté du miroir. «Transcontinental», c’est Bo Diddley accompagné par les éléphants de Salammbô. Ils sortent un son bourrelé de démesure, ils chantent au sucre de My Friend Jake, ils saturent tout d’allant définitif, ils touillent leur fournaise à coups de tridents soniques - I hate you ! - Ils enchaînent avec un «Saturday Nights Are Gone» encore plus insensé, Fred Rollercoaster joue du sax errant et paf, ça explose, on s’en doutait, mais quand ça explose chez eux, mieux vaut s’accrocher à la rampe, ils travaillent la tempête au long cours, le sax fracasse le plafond de verre, ils font sauter leur Saturday comme on faisait sauter la Sainte-Barbe autrefois, à coups d’overdose de claquemure cataclysmique. Seuls les Weird Omen sont capables de fourbir un final screamé comme celui de Saturday. Ils sont aussi capables de gras double («Complications») et d’arpèges sixties («I Think I’m Going Down»). Mais ils préfèrent plonger dans la folie et «Tumblin’ Down» sonne comme l’au-delà du rock français, c’est le Weird Sound à base de wah et de crises, une sorte de summum de mad frenzy. «Don’t Know Why You Go Away» monte tout seul en température. Sur cet album, chaque cut est frappé au maximum des possibilités. Le son happe et fond systématiquement. Le Weird Sound rôde dans le marigot comme un vieux croco. Quand il ouvre le bec, c’est trop tard, t’es baisé. Ils terminent cet album faramineux avec «Sunday Drowning» et son bouquet de clameurs. Ça couine dans l’air brûlant, comme si des milliers de guerriers sortaient d’un désert de l’Antiquité. Les Weird Omen jouent en cinémascope chamanique.

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    On peut aussi se jeter sans risquer l’ennui dans leur premier album, Last Train For Love, paru sur Beast à l’époque. Ils y proposent un garage plus classique («Thousand Times A Day»), mais très bien gaulé et un solo de sax demented vient désailler l’organisation de ce garage d’arrache. Les deux gros coups de l’album s’appellent «It’s Up To You» et «Action Time». Ils visent chaque fois le burst out maximaliste, avec toute la bravado dont on peut rêver quand on aime le blast off. C’est comme toujours chez eux tapé à l’insistance et le sax vient toujours envenimer les choses. Ça pourrait devenir un principe, mais chaque cut est tellement libre qu’il semble crier vive l’anarchie ! Sur «Action Time», le sax vient même krakatoer le beat à coups de délires de free. C’est chauffé à blanc comme au temps de Steve MacKay. C’est encore le sax qui vole le show dans «Bag O’ Bones». Il règne en maître sur l’Omen et ça devient même très spectaculaire, il s’étrangle de fureur apocalyptique, Fred scalpe le son comme savait si bien le faire Rahsaan Roland Kirk. Ce morceau de bravoure se révèle indécent de véracité viscérale. C’est aussi le sax free on the loose qui embarque «Do The Boogie». L’Omen donne une belle leçon de garage avec ces coups de sax tressautés à la folie. Ces mecs ont du son au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Aventure. On se régalera encore plus de ce «Lumber Jack» chanté de l’intérieur du menton et déchiqueté par un solo de sax sourd. Le sax de Fred Rollercoaster plonge «Be My Rose» dans une profonde comatose, c’mon be my rose, le son coule en intraveineuse et ça explose à chaque coup de c’mon pour le meilleur et pour le pire. Ils terminent cet album tentaculaire avec un «(You’ve Got To) Hide Away» en hommage aux Beatles. Joli coup, en tous les cas, l’émotion est au rendez-vous.

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    Les trois albums suffiraient largement à rendre un homme heureux, mais c’est sur scène que l’Omen donne une petite idée de ce que peut vouloir dire le mot démesure. Wagner, John Coltrane, les Stooges comptaient jusque-là parmi les rois de la démesure. Il faut maintenant ajouter l’Omen à cette caste. Les voir sur scène est une expérience plutôt physique qu’il faut recommander à tout amateur de real deal.

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    L’Omen échappe littéralement à toutes les étiquettes. Ni rock, ni punk, ni garage, ni trash, ni wave à la mormoille, ils ne sont plus qu’un souffle, ils balayent toute forme de classification, ils vont loin, bien au-delà de tout ce qu’on sait du garage ou des Stooges, ils développent un son en fusion permanente, ils fondent les structures des cuts comme s’il fondaient le bronze des statues.

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    Des trois, le plus spectaculaire est le batteur, penché sur ses fûts, comme aux aguets, comme prêt à bondir, fabuleusement animal, repoussant continuellement les limites du blasting, il bat par rafales jusqu’au-boutistes, il va au bout du bout du maximalisme, il bat tous les records de violence et shoote dans le cul des cuts la plus belle dose de powerhouse qu’on ait vu ici bas. Si on voulait le comparer à d’autres batteurs, ce serait impossible, il est infiniment plus wild que Mickey Dee ou Jerry Shirley et n’a de point commun avec Manah (le batteur des Lullies) que le fait de jouer en short et de porter des tatouages superbes sur tout le torse et les bras. Remi Lucas est le far-out drummer par excellence, il ne se contente pas de jouer la loco, il joue la loco dingue, ses rafales sont les pelletées de charbon que jette à la volée dans la chaudière un mécano possédé par le diable. Si les deux autres n’étaient pas aussi spectaculaires, il ferait quasiment tout le show à lui seul.

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    Wow ! Il faut voir Fred fondre ses notes de baryton dans l’infernal tohu-bohu que génère ce power-trio éruptif, il se plie et se déplie dans les rafales comme s’il cuisait à la chaleur d’un four, il ne joue qu’en termes de clameurs d’émeutes urbaines, ça va même encore plus loin car il fait barrir son sax, il sort un son tragiquement organique, celui de l’éléphant de combat horrifié de voir des fantassins numides tenter de lui cisailler les tendons des quatre pattes pour l’abattre avec son howdah bourré d’archers, et pendant que les barrissements trouent le cul des annales, le groover en casquette groovy plaque sur sa Phantom des volées de power-chords que le courant emporte comme des fétus de paille, ça glougloute dans la marmite des enfers, ça n’en finit de rougeoyer au fond de la cave, leur son trouve l’environnement idéal, comme si Hadès pressé de faire trembler la terre, avait convié l’Omen à lui rendre hommage en célébrant l’immense portée de sa colère.

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    L’Omen ne laissera personne indifférent. Mieux qu’une cuirasse, leur sauvagerie les protégera des imbéciles. Mais ils sont beaucoup trop bons pour une scène comme la scène française. On se souvient que Gallon Drunk tenta le diable à Londres à une époque. Même chose avec James Chance qui mit jadis le feu à la scène new-yorkaise. Mais aucun d’eux n’a jamais atteint le niveau de volatilité inflammatoire de l’Omen.

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    Signé : Cazengler, Weird Omerde

    Weird Omen. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 décembre 2019

    (Encore merci aux Délicieuses Récidives)

    Weird Omen. Last Train For Love. Beast Records 2013

    Weird Omen. Breakfast Before Chaos. Beast Records 2016

    Weird Omen. Surrealistic Feast. Dirty Water Records 2019

     

    SUICIDE COLLECTIF

    full EP 2019

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    Vous trouvez le monstre sur You Tube ou sur le FB de Pogo Car Crash Control à la date du 09 / 11 / 2019. Ce n'est pas une vidéo. Il vaut peut-être mieux car rien qu'à voir le dessin – ne manquez pas de vous en délecter - de Baptiste Groazil qui s'affiche et qui ne bouge pas de toute la bande-son l'on aurait pu s'attendre au pire s'il s'était chargé d'animer l'immonde dégueulis qui coule comme une glaireuse fontaine de jouvence maudite, tout le monde se souvient des clips qu'il a réalisés pour les Pogo. Je suis malade rien qu'à la pensée du compte-vomi dans lequel j'aurais été obligé de patauger.

    Les esprits incisifs demanderont : pourquoi les Pogo diffusent-ils ce premier EP de Suicide Collectif ? C'est la faute de Lola, en tant que fille elle devrait savoir qu'il ne faut jamais laisser les garçons tout seuls, sans quoi ils s'ennuient, tournent en rond, ne savent pas quoi faire, et finissent par devenir incontrôlables. Ce qui pour des Crash Control s'avère doublement nuisible. Bref pendant qu'elle s'occupait parallèlement avec Cosse, les trois boys ont emprunté la diagonale de la folie, z'ont rendu visite à leurs copains une bande de singes psychédéliques qui les ont laissé s'amuser dans leur studio avec Fred ( pas du tout ) Lefranc du collier, et des mains pas très nettes aux manettes.

    Bref voici le résultat final : une abomination. Comme on les aime. Attention les morceaux se suivent sans séparation.

    Fuckin' Party : ( débute au début ) : vous avez de la chance, cela ne dure que soixante-douze secondes, les plus dures de votre existence. Un coup de batterie, ne comptez pas sur cet avertissement salvateur pour vous prendre la poudre d'escampette, vous n'avez même pas le temps de sauter par la fenêtre ouverte de votre chambre de bonne au dix-huitième étage, pouvez même plus ouvrir la bouche pour vous plaindre, vous êtes irrémédiablement englué dans une diarrhée sonore dont vous n'avez jamais eu l'idée qu'il puisse en exister de si dégoutante, une avalanche de merde gluante qui vous transforme en statue d'étron liquide. Une musique compressée à l'extrême – vous savez à ce degré où l'eau perd son humidité et devient une tempête de sable saharienne - et un vocal à l'arrache catapulté à la fronde. N'espérez pas vous en sortir vivant, vous n'êtes déjà plus de ce monde. Ça s'arrête comme ça a commencé. Très mal. Très brutal. Optimal. She said : ( commence à 1' 13'' ) : vous croyiez que la suite ne pourrait pas être pire, que vous aviez mangé votre pain noir empoisonné au cyanure et à l'ergot de seigle, funeste erreur, pour She Said, ils ont défoncé toutes les portes de tous les asiles de la terre, une sarabande terrifique, certes vous avez un moment de répit, quand l'avion de chasse descend en piqué sur vous et vous envoie deux missiles air-sol pour vous refaire le portrait, hélas ce bienfait céleste ne dure même pas six secondes, tout de suite après ça reprend en plus sauvage, en plus condensé, ne vous demandez pas qui est cette She qui vous chie en pleine face vos quatre mensonges, vous la reconnaissez vite, vous êtes de l'autre côté de la rive noire, c'est Perséphone en personne à fond les mégaphones qui vous semonce et sermonne méchamment. Mais ce n'est pas là le plus terrible. C'est en sous-main, les guys se moquent de vous, prêtez bien l'oreille, alors que vous subissez les pires avanies, rôde au-dessous de tout, une allégresse vicieuse, une jubilation festive qui traduit le plaisir qu'ils prennent à vous faire du mal. Sont visiblement contents d'eux, alors l'escadrille du cynisme vous abandonne à votre triste sort et fonce à l'infini dans l'horizon sanglant de vos rêves détruits. All inclusive : ( démarre à 2' 55'' ) : un bourdonnement prolongé pour débuter, un peu comme le début de la Tétralogie wagnérienne l'om du malheur métaphysique dont êtes prisonnier, et puis une accélération foudroyante, des cris de haine qui vous tombent dessus à la manière des flèches agoniques d'Héracles sur les oiseaux de Stymphale, le soleil est devenu aussi noir que votre âme et des vociférations telluriques vous emmurent les tympans à tout jamais, et toujours cette aigrette aigrelette de presse-purée moqueur qui grince comme si l'un des rares neurones de votre cervelle tentait vainement de résister à ce traitement de choc, mais non vous serez pas le grain de sable qui enrayera l'engrenage de ce retors rotor surpuissant. La maison ne fait pas de crédit, pas de remise de peine, par contre tout est compris dans le prix. Sévices irréprochables. Mother faces 30years in prison : ( attaque à 4' 28'' ) : tiens c'est les soldes, ils ont décidé de liquider leur complexe d'œdipe. Ils ont raison, c'est comme cela que l'on grandit. Batterie endémique aussi puruleuse que les sept plaies d'Egypte, guitares tournoyantes et la voix traitée en meute de chiens qui se disputent la dépouille sanglante de la biche – pas plus innocente que vous puisqu'elle ne mérite pas de vivre - dépecée. Ne vous laissent même pas un os à moelle à sucer pour vous remercier de les avoir écoutés jusqu'au bout.

    A écouter en boucle. Si vous êtes clautro évitez, le son vous emprisonne comme des petits pois dans leur cosse. Idem si vous ne supportez pas les cris et les bosses. Attention pour les cadeaux sous le sapin. Plutôt Père Fouettard que Père Noël. Déconseillé pour Tante Agathe. Faudra qu'un jour ils sortent ce bébé vagissant sur un vinyl. Ce sera le 45 tours le plus nocif du rock français. Un objet digne de vous. A la condition expresse que vous soyez dignes de lui.

    Ce qui n'est pas donné.

    Damie Chad.

     

    MANHATTAN FOLK STORY

    DAVE VAN RONK

    Avec Elijah Wald.

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    Le guitariste qui a inspiré le film Inside Llewyn Davis des frères Coen que je n’ai pas vu. Dave Van Ronk décédé en 2002, reste une figure incontournable du folk américain. Un activiste, peu connu du grand public par chez nous, si ce n’est par les fans de Bob Dylan, les paléontologues de la musique populaire américaine le définissent comme le chaînon manquant entre Woody Guthrie et le Zimmerman. Van Ronk n’a pas pu terminer ses mémoires, la grande faucheuse l’ayant transféré au pays des ombres. C’est Elijah Wald qui a donc bouclé le bouquin en s’aidant des bandes de préparation et des interviews réalisées auprès de nombreux acteurs de la scène folk qui l’ont croisé et mené à divers titre des carrières dans cette branche de la zique contestataire. L’on peut le regretter, Van Ronk n’étant pas dépourvu d’humour n’est guère tendre avec lui-même. L’auto-dérision semble être sa seconde nature.

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    Né en 1936 - un an après Gene Vincent pour mieux signifier les bifurcations entre rock et folk - très vite abandonné par son père, pourvu d’une mère souvent absente, Dave Ronk passe papido sur ses premières années, ce n’est pas qu’il veuille les biffer de sa vie, révèle son pragmatisme, c’était comme ça, un point c’est tout, pas de pleurs, pas d’auto-apitoiement, ni d’introspection psychanalytique à la petite semaine. Plonge directement dans sa vie. L’a compris que son faux statut de petit-bourgeois très au-dessous de la moyenne ne le mènera pas bien loin. Suit son instinct d’adolescent, qui le conduit surtout dans des impasses. C’est qu’il veut devenir musicien. Une intention louable. Mais il n’est pas doué, gaucher contrarié, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux question agilité des doigts lorsque l’on s’obstine à pratiquer un instrument… Mais il s’obstine d’autant plus qu’il abandonne l’apprentissage du solfège trop rébarbatif et du même coup le piano. Se rabat sur la guitare - influence de Charlie Christian - qu’il remplacera par le banjo. Un instrument qu’il aura du mal à maîtriser.

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    Ce n’est pas qu’il préfère le banjo à la guitare. Avant tout un choix idéologique. Le petit gars de Brooklin s’est naturellement orienté vers le jazz. En ses débuts il ne se pose pas de problème, il aime tout ce qui est bon, d’Amrstrong à Charlie Parker pour prendre des noms symboliques. Il rencontre Clarence Williams - compositeur de Crazy Blues, le premier blues officiel enregistré par Mama Smith, chasseur de tête pour Okeh qui découvrit Bessie Smith - Clarence lui apprend à écouter des disques, à reconnaître le style de chaque soliste, à comprendre comment ils résolvent les problèmes qu’ils se posent… parallèlement Dave profite de toutes les occasions pour jouer sans oublier de s’initier à la marijuana. A seize ans il décide de devenir musicien de jazz professionnel.

    Déclaration de guerre musicale, il s’engage du mauvais côté. Le monde du jazz s’est scindé en deux camps irréconciliables. Les anciens contre les modernes. Les tenants du premier jazz contre les amateurs des novateurs de la deuxième génération. Jazz trad contre be-bop. Il s’est enferré dans une mauvaise route. S’aperçoit qu’il en arrive à défendre par principe des musiciens qui refourguent les vieux plans éculés aux véritables aventuriers et créateurs. Il est difficile d’avouer que l’on s’est trompé. Cela ressemble à une trahison. Quand on y pense n’est-on pas trahi que par soi-même ? Honteuse palinodie ou stérile entêtement ? Une seule solution pour échapper à un tel marasme psychologique, se trouver, pour ne pas parler d’issue de secours, une porte de sortie…

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    Il n’est pas un bon musicien de jazz. On le tolère avant tout parce qu’il se charge de la tâche ingrate et infamante pour tous les musicos de jazz : le chant. L’a une grosse voix - qui lui sert à couvrir ses insuffisances instrumentales - dont il use à volonté. C’est une copine qui lui demande de l’accompagner à Greenwich Village, une première visite qui laissera des marques… Et surtout cette découverte de visu de ce style de jeu de guitare qu’il ne connaissait pas : le finger-picking qui lui ouvre de grandes perspectives… Certes il ne sera jamais un grand instrumentiste, se débrouillera, mais son atout maître dans ce nouveau monde sera sa voix sonore.

    UN PEU DE POLITIQUE

    Petit intermède boulot de marin bien payé, le pied quand le job de musicien vous a souvent laissé le ventre vide… Mais le revoici à Greenwich Village avec une belle guitare. Pour la musique vous attendrez un peu, Dave Ronk est décidément un être idéologique. Le folk est-il de gauche ou de droite ? Grave question, mon bon monsieur, il est avant tout un ramassis de chansons que tout le monde connaît. Si vous voulez chanter, vous puisez dans le pot commun, un point c’est tout. Il existera même un folk d’extrême-droite, les fameuses racines ancestrales de la race blanche. Par contre s'est creusée une sacrée différence entre le folk rural et le folk urbain. La même qui parcours les milieux occitanismes en France, entre les tenants de l’occitan, artificiel idiome moderne créé de toutes pièces par les intellectuels au dix-neuvième siècle et les tenants du patois, pardon des patois, car chaque village possède ses vocables et ses expressions qui lui sont propres, les modernistes s’exprimant en un strict et honteux volapuk non représentatif…

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    Ceci posé, Dave Ronk survit dans un milieu de marginaux, des gens sans travail ou des étudiants en rupture d’études. Naturellement de gauche serait-on tenté de dire. Commence par rendre hommage au Parti Communiste américain, qui a été au cœur des luttes sociales et qui a subi de plein fouet le maccarthisme, en perte de vitesse, parce que la répression l’a durement touché mais surtout parce que toute une nouvelle génération avide de liberté ne se reconnaît plus dans ce qui se passe en URSS, la révolte hongroise sonnera le glas de bien des illusions… Par contre-coup les luttes syndicales menées depuis les années 10 par les IWW lui paraissent participer d’une philosophie libertaire beaucoup plus tentante, Woody Guthrie n’a-t-il pas participé guitare en main aux grèves des cueilleurs de fruits dans les grands domaines californiens. C’est décidé, Dave Ronk sera anarchiste ! Jusqu’à ce qu’un vieux militant lui demande perfidement s’il a lu Kropotkine ( et tous les autres ) dont il ignorait jusqu’à l’existence. Dave s’aperçoit qu’il a besoin de lire… Nous sommes en 1956, toute cette mouvance gauchisante sera au rendez-vous des luttes pour les droits civiques aux côtés des noirs.

    En 1957 ouvre le Café Bizarre, le premier muni d’une véritable scène spécialement ouverte au folk, elle sera inaugurée par Odetta, toute jeune mais qui possède déjà une légitimité artistique au moins égale à celle d’un Pete Seeger. Dave ouvre la deuxième partie du spectacle. Odetta le félicite et lui demande une cassette qu’elle passera à Albert Grossman le propriétaire du Gate of Horn, le cabaret folk par excellence, sis à Chicago. La démo ne parviendra jamais à Odetta, et notre Dave ( je m’y voyais déjà ) Ronk après d’interminables semaines d’attente monte en stop à Chicago. Grossman l’écoute mais lui fait remarquer qu’il fait un peu pâle figure comparé à Big Bill Broonzy, Josh White, Brownie McGhee et Sony Terry… Retour à la case départ.

    MONTEE EN PUISSANCE DU NEO-FOLK

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    1957 et 1958, furent cruciales. Le mouvement néo-folk commença à s’organiser. Izzy Young ouvre le Folklore Center, un petit magasin de disques et de livres consacrés au folk qui ne tarda pas à devenir un lieu de rendez-vous et de discussion. Le panneau des petites annonces servit à de multiples rencontres… Une base organisationnelle c’est bien, un vecteur de diffusion des idées c’est mieux. Ce fut Lee Shaw Hoffman qui créa le magazine Caravan. Dave Ronk n’hésite pas nous donner de larges extraits de ses éditoriaux, le premier une attaque en règle contre le catalogue Elektra qu’il accuse de n’offrir que du bon vieux folk traditionnel peu urticant, et le deuxième une défense de Pete Seeger à qui certains reprochaient son engagement militant pro-communiste. La théorie c’est bien, la pratique c’est mieux. Tous nos jeunes artistes sont en manque de concerts, se formera la Folksingers Guild Retribution destinée à organiser la défense et la promotion de ses adhérents. Un conglomérat d’amateurs certes mais au milieu de cette armada mexicaine peu douée certains espèrent devenir de véritables professionnels. Leurs concerts regroupent entre trente et deux cents personnes. Dave Ronk fait partie du haut de panier. Le monde bouge, certaines émissions de radio spécialisées commencent à faire appel à eux. The times they are a changin’ comme dirait l’autre.

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    N’empêche que le revival folk se fait attendre. Malgré l’aide du vétéran Paul Clayton, la situation de Dave ne s’arrange point. Plus tard Clayton deviendra le mentor de Dylan qui lui empruntera beaucoup pour Don’t Think Twice. Van Ronk participera à quelques anthologies foireuses parviendra à arracher à Kenny Goldstein un contrat pour Folkway. Le trente-trois tours enregistré en un jour, avec pour seul additif à une voix haut perchée un micro et une guitare pas plus maîtrisés l’un que l’autre, n’est pas un chef d’œuvre. Bien plus passionnante s’avère la rencontre avec Sam Brill l’homme qui avec son bouquin Country Blues relança l’intérêt pour le blues et déclencha la recherche à travers tout le pays des vieux bluesmen que tout le monde croyait morts.

    ESCAPADE CALIFORNIENNE

    Un plan d’enfer, un copain qui lui refile l’adresse d’un restau-concert à Los Angeles, cent vingt cinq dollars la semaine. Ce qui nous vaut un remake de On The Road de Kerouac, la traversée des States sous la neige. L’arrive à San Francisco. Tout le long du chemin, il s’est aperçu que la chasse aux barbus est ouverte, à Frisco les autorités n’aiment pas tout ce qui ressemble de près ou de loin à un beatnick… Il rencontre Mimi Baez à l’époque beaucoup plus connue que sa cadette Joan… Se laisse un peu vivre, la scène folk de Frisco est envahie d’étudiants friqués qui dispensent une musique ennuyeuse et médiocre. Beaucoup de syndicalistes, d’anarchistes, et de gauchistes. L’est comme un poisson soluble dans l’eau frelatée d’un aquarium… Sous l’injonction téléphonique de Terry sa petite amie, il file enfin à Los Angeles profiter de la place promise, la paie est bonne, mais ce n’est pas le plus important, c’est-là où il apprend le boulot, chante six soirs par semaines jusqu’à cinq sets par soirée. Il rentre à New York. Dresse le bilan : positif : a fait la connaissance d’une légende vivante du folk New Yorkais qui s’était tiré faire fortune sous les palmiers, Ramblin’ Jack Eliott, négatif : par rapport à la côte du Pacifique, New York est en retard question folk, partout l’on trouve des établissements qui programment à grands flots du folk, alors que dans la Grosse Pomme, découvrir un lieu où jouer s’avère difficile. Quand on se prend pour l’avant-garde et qu’ailleurs l'herbe est plus verte, il y a comme un bleime.

    MONTEE EN PUISSANCE

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    Rien n’a changé mais tout a évolué. Dave revient à New York sur la fin de l’été 1958, dans les deux années qui suivent a lieu une véritable révolution culturelle. De nombreux café-houses vont ouvrir. Ce n’est pas le folk qui en sera le premier bénéficiaire, mais les beatniks, ces poètes vociférant aux proclamations séditieuses attireront la clientèle des touristes qui débarquent en masse. Mais le spectre spectaculaire de la poésie est des plus limités, cris et chuchotements accompagnées de tamponnades de bongos finissent par lasser, les folkleux sont appelés à la rescousse. Van Ronk rappelle que les beats sont des amateurs de jazz et que plus subtilement le folk est le cousin germain du blues. Lui-même a fait de grands progrès à la six-cordes. Le fautif en est Gary Davis auquel il rend un magnifique hommage. Ce prêtre aveugle et baptiste qui accompagne ses sermons à la guitare est aussi un adepte de la musique du Diable. Chez lui, en privé, il n’hésite pas à jouer Cocaïne Blues. Possède une âme charitable, ne connaît pas la musique, mais lors de ses leçons de guitare, il ralentit les riffs pour que l’élève Dave puisse voir là où, et comment, il faut poser les doigts pour obtenir l’effet recherché.

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    Les coffee-houses ouvrent, ferment, changent de patrons, sont sous la surveillance suspicieuse de la police mais le mouvement est ascendant. Dave va de l’un à l’autre, d’abord adepte du Commons il jettera son dévolu sur le Gaslight qui paye mieux. N’en fait pas une description idyllique, un trou à rats - ceci n’est pas une métaphore - d’une saleté imbuvable, un ancien entrepôt de charbon - qui vous propose pour le prix d’un whisky un café imbuvable, quand vous avez bu une tasse vous n’en prenez pas une deuxième, vous quittez les lieux sans demander votre reste, ce qui est parfait car vous pouvez accueillir une nouvelle fournée de touristes décidée à s’encanailler… L’on sent que Dave est devenu un des principaux personnages de Greenwich, il a ses entrées partout, est souvent chargé de la programmation. Il est aussi pratiquement le seul survivant des années de bohème précédentes. Les étudiants originels ont repris leurs études, de partout arrivent des étrangers doués et qui en veulent… Les grandes voix du folk new yorkais proviendront des états lointains…

    L’EXPLOSION FOLK

    Un petit nouveau venu passe au Café Wha ? Arbore un nom destiné à devenir célèbre : Bob Dylan. Un maigrichon, bourré de tics, une voix calamiteuse, une guitare intermittente, un harmonica essoufflé. Un mytho. Ce n’est pas le plus grave, dans le métier on réinvente son passé pour les besoins de la cause. Comprendre : l’effet escompté sur un groupe d’auditeurs particuliers. Par contre le Bob possède deux qualités essentielles, certes il vous raconte des craques mais vous êtes sous le charme, mais le plus gravement génial c’est que le gars il a compris que l’on ne gagne qu’avec les armes que l’on possède, les siennes sont rouillées et tordues, tout autre penserait s’en défaire mais lui non. L’assemble tous ses manques et toutes ses défectuosités en un mix unique, un tract incapacitant métamorphosé en tremblements de prophète, une voix abominablement nasillarde, un harmonica asthmatique et une guitare bringuebalante, ce juif rachitique a du génie, un véritable charmeur de serpents qui tient le rôle du serpent. Brûle les étapes, commence par squatter le canapé de Dave - ce qui n’est pas un exploit, son appart est une ruche à amis et à folkleux démunis, Terri lui sert d’imprésario, il se débrouille l’on ne sait comment pour avoir une cohorte de fans fidèles qui le suivront partout, est vite remarqué par Albert Grossman qui lui signe un contrat chez Columbia.

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    Dave en profite pour tracer un intéressant parallèle entre l’itinéraire de Ramblin’ Jack Elliott, fils de bonne famille new yorkaise parti courir les routes californiennes avec Woody Guthrie, alors revenu sur la côte est pour profiter du boom-folk, et Dylan.

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    Quelques pages sur l’affaire de The house of the rising sun. Le morceau c’est une découverte de Dave sur un vieux disque appartenant à Hally Wood, un enregistrement de Georgia Turner effectué dans le Kentucky par Alan Lomax. Dave en a peaufiné l’arrangement, et compte le mettre sur son prochain disque, dans la série ce qui est à toi ne ferait pas de mal dans mon escarcelle Dylan l’enregistrera sur son premier trente-trois. Gros froid entre les deux amis. Se réconcilieront, mais rien ne sera plus comme avant. Pour la petite histoire The Rising Sun n’était pas un bordel de la Nouvelle-Orleans mais une prison. Un nom qui fleure bon, enfin qui pue, la rédemption chrétienne. Le Pénitencier de Johnny est donc assez proche de l’esprit originel, Saluons l’intuition d’Hugues Aufray qui composa les paroles…

    Comme le livre est censé raconter la carrière de Dave, revenons à lui, l’est au plus haut de la vague. L’est invité dans la ville de Cambridge, la hype de l’intellingentia américaine, qui se pare de la plus prestigieuse des universités : Harvard… dont de nombreux étudiants s’adonnent au folk. Ronk ressort son vieux couplet prolétarien anti-petits-et-grands-bourgeois sans problèmes… N’empêche qu’il est obligé de reconnaître que la mouvance cambridgienne très old-folk et peu ethno-folk compte tout de même quelques cadors, Bob Gibson par exemple, dans ses rangs. L’en profite pour passer ses nerfs sur le néo-folk féminin, toutes ces filles chantent dans le style des générations précédentes, Joan Baez la première. Ses préférences vont à Joni Mitchell. Dans le village Grossman a dans l’idée de monter à un bon vieux trio à l’ancienne, ce sera Peter Paul and Mary qui attirera le grand public au folk. En plus ils auront la bonne idée de reprendre The River un morceau de Dave, ce qui lui vaudra un bon paquet de royalties. Dave ne crache pas sur la monnaie, question romantisme de la misère il a déjà donné.

    OLD BLUES AND NEW SONG

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    L’argent arrive. Dave signe chez Mercury, auparavant il enregistre deux galettes chez Prestige, une de jazz trad, et une de jug band. Qui ne marcheront pas fort, mais l’on revient toujours à ses premières amours, le passage du jug band au Newport Jazz festival sera un fiasco, vite oublié avec la clique de revenants qui firent leur apparition, jugez du beau monde : Mississippi John Hurt, Skip James, Sleepy John Estes, Robert Wilkins, Fred McDowel, Fury Lewis, Booker White, Yank Rachell et jusqu’à Son House et Lonnie Johnson. Dave les croise en tournée, joue avec eux, les côtoie de près, et nous livre de savoureuses anecdotes que les amateurs de Blues apprécieront.

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    Et Dylan se mit à l’électricité. Ce n’était plus du folk, mais ce n’était pas le plus grave. Se mit à écrire ses propres morceaux lançant ainsi la mode des « auteur-interprètes-compositeurs » ce qui lui faisait franchir le Rubicon qui sépare le folk de cette sous-musique pour laquelle Dave n’emploie pas le mot rock afin de l’étiqueter. Le plus fou c’est que Dylan n’était pas le premier, avant lui Tom Paxton et Phil Ochs l’avaient précédé, Paxton dans l’expression lyrique et Ochs selon une couleur politique beaucoup plus prononcée. Mais Dylan était beaucoup plus doué. L’avait le style qui faisait la différence. L’avait aussi de la jugeote, comprit vite que des textes en faveur des droits civiques et contre la guerre au Vietnam ne seraient plus d’actualité lorsque ces deux causes seraient périmées. Contrairement à Dylan, Ochs et Paxton n’avaient point lu et soigneusement annoté la collection des poëtes français de la bibliothèque de Dave. Le Zim avait pris des leçons chez Rimbaud et Mallarmé. Cela densifia quelque peu ses textes. Dylan avait des facilités : travaillait vite et bien, si vite qu’il se convainquit que personne ne ferait la différence entre un beau couplet et un charabia pondu au fil de la plume. Si Dylan l’avait écrit et si vous ne compreniez pas, c’était de votre faute. On ne prête qu’aux riches… Dave ne mâche pas ses mots. Les dylanophiles n’apprécieront pas. Dave vous refile la recette : rédigez n’importe quoi et prétendez-vous artiste ! Toutefois Dave se mettra à écrire quelques unes de ses chansons : nous en donne un exemple inspiré de Villon. Ce n’est pas mal du tout, Dylan aurait pu le signer…

    THE END

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    1967-1968, l’attrait de l’argent a changé la donne, le rock devient hégémonique, lorsque Dave le puriste consent à former un groupe il est trop tard… Les dix années suivantes seront difficiles, retour à la case départ, refaire les cafés, redonner des leçons de guitare, accumuler les dettes… La machine se remettra en route grâce à l’Europe, nouvelles tournées, mais cela c’est Elijad Wald qui le raconte, Dave Van Rock s’arrête au début de la fin, son projet n’était pas de rédiger une autobiographie mais de rendre compte de la mouvance new yorkaise de la grande panique folk. Essaie de rester debout, se retranche dans la fierté de son intégrité, mais quand il mesure son destin à celui de Bob Dylan, la nostalgie est dure à combattre, l’aura fait ce qu’il aura aimé, ce qu’il aura pu. Pour la plupart d’entre nous il est difficile de faire mieux. Et même aussi bien.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 443 : KR'TNT ! 443 : SPLIT SQUAD / WILLIE ALEXANDER / SKIP SPENCE / ABSTRACT MINDED / CRASHBIRDS / POGO CAR CRASH CONTROL / ROCK ET POLITIQUE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 443

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    19 / 12 / 2019

     

    SPLIT SQUAD / WILLIE ALEXANDER

    SKIP SPENCE / ABSTRACT MINDED

    CRASHBIRDS / POGO CAR CRASH CONTROL

    ROCK ET POLITIQUE

     

    VOUS EN AVEZ DE LA CHANCE !

    LA LIVRAISON 443 PARAÎT AVEC DEUX JOURS D'AVANCE

    LA LIVRAISON 444 PARAÎTRA DES SAMEDI

    LA LIVRAISON 445 AVEC DEUX JOURS DE RETARD

    LA LIVRAISON 446 LE 09 JANVIER 2020

    SEX DRUGS AND ROCK'N'ROLL FOR EVER

    KEEP ROCKIN' TIL A NEXT TIME !

     

     

    Banana Split

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    On y va sur des œufs car la principale attraction des Split Squad s’est fait remplacer. Tony Truant remplace Keith Streng pour ce set à la cave. Bon au fond, ce n’est pas si grave, car il reste le Plimsoul Eddie Muñoz et surtout Clem Burke, batteur de Blondie. Les deux autres membres de ce super-groupe new-yorkais sont moins connus : Josh Kantor joue de l’orgue dans l’excellent Baseball Project de Steve Wynn et Michael Giblin fait le lead avec sa basse, ses baskets et ses lunettes. Il fait un lead très new-yorkais, très activiste, power-poppy et sautillant, il sait driver une mélodie chant dans la veine des Nerves et de l’early Blondie, il arriverait presque à nous faire oublier l’absence de Keith Streng. Quant à Eddie Muñoz, il impressionne par son jeu et son look. Petit et rond, il arbore des faux airs de Little Bob, celui des années soixante-dix, ce qui ne peut que plaire aux Normands. Ses petites mèches noires accentuent jusqu’au délire les dérapages comparatifs, il semble appartenir à une autre époque. Eddie Muñoz et Clem Burke font partie des vieux rockers qui continuent de soigner leur look parce qu’ils refusent tout bonnement de vieillir. Hein ? Quoi ? Vieillir ? Oh tu rigoles ! C’est hors de question !

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    Si un jour vous lisez les mémoires de Gary Valentine qui fut le premier bassman de Blondie, vous saurez ce que veut dire soigner son look. Valentine raconte dans New York Rocker qu’avant de sortir le soir, Clem Burke se laquait les cheveux et se mettait la tête dans le four un bon quart d’heure pour que ça cuise. Sa coiffure en bombe pouvait alors tenir toute la nuit. Valentine moqueur ? Non, ça fait partie du jeu. Richard Hell soignait aussi son look. Johnny Thunders itou. Pas de touches sans look. Rock tonite, comme dit Lux Interior dans «Human Fly». La séduction est le principal moteur d’une vie de rocker, pour ne pas dire l’unique.

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    Sur scène, ils tirent la plupart des cuts de leur album paru en 2014, l’excellent Now Hear This sur lequel se sont jetés tous les fans des Fleshtones. Les Split Squad saupoudrent leur plotach d’un choix de reprises triées sur le volet, comme par exemple l’imparable «Million Miles Away» des Nerves, l’encore plus imparable «Sorry She’s Mine» des Small Faces, l’ultra-bien vu «Rock And Roll Queen» de Mott The Hoople et en guise de rappel, un «Can’t Explain» des Who bien senti et explosif, comme il se doit.

    Un super-groupe de cet acabit ne peut que tourner comme une grosse cylindrée. Mais on a un petit problème. Ah bon ? T’es sûr ? Et pourquoi y aurait-il un problème ?

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    Figure-toi qu’on s’était posé exactement la même question lors d’un concert de Deniz Tek, voici deux ans. Tek pilotait le show et Streng l’accompagnait à la guitare. Tout allait comme sur des roulettes jusqu’au moment où Streng a commencé à... voler le show. Sans même s’en rendre compte, rien qu’en tourneboulant et en vrillant du killer solo flash go go go à gogo, il a fini par gommer la présence de Tek qui pilotait pourtant le set d’une main de fer. Mais Tek ne put rien faire pour empêcher Streng de tout barboter. Ah ce Streng ! Un vrai Arsène Lupin ! Cette expertise délinquante sidéra le public. Bon d’accord, cette histoire est bien gentille, mais ce soir, à la cave, il n’y aucun danger, puisque justement cet odieux délinquant de Streng s’est fait porter pâle, alors, où est le problème ? T’as vu un autre voleur ? Eh oui, hélas ! Ou plutôt tant mieux.

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    Cette fois, c’est Clem Burke qui fait main basse sur le show, tapi au fond de la cave derrière ses fûts. Il ne laisse rien aux autres. Rien ! Que dalle ! Il rafle tout, il joue avec une classe écœurante, c’est à dégoûter tous les batteurs, ce mec est tout simplement fantastique d’élégance, d’ampleur new-yorkaise, il bat un beat dressé vers l’avenir, souvent les bras en l’air, la tête un peu penchée sur le côté. Ah il faut le voir battre son va-tout ! Il vient en droite ligne de Jerry Nolan, ça ne fait absolument aucun doute, il tatapoume à la new-yorkaise avec un mélange incomparable de désinvolture et de hargne. Sec, précis, ample, affamé de relances, il injecte une sorte de démesure magnanime au son des Squad. Il peut faire son Keith Moon sans en rajouter dans l’explosivité ni faire le clown, et son Kenney Jones à la mode new-yorkaise, en mode moddish beat bien tempéré. Burke mène sa barque, Clem claque au clean. Il est l’une des plus belles incarnations de ce qu’on appelle le drummer, il bat avec son corps, il devient une sorte de bopping machine en mouvement permanent et synthétise par certains de ses regards l’extrême pureté du romantisme rock. Ce mec est tout simplement parfait, il est le batteur qu’on ne peut pas quitter des yeux, il ressuscite tout ce qui fit la flamboyance du rock new-yorkais des seventies, celle du temps béni des Dolls et des Ramones. Contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas la scène punk de Londres qui a réanimé le rock, mais celle de New-York et Clem Burke en fut avec Richard Hell et Johnny Thunders l’un des plus brillants acteurs. Ce n’est pas non plus un hasard si on le retrouve dans cet album tribute aux Heartbreakers, LAMF Live At The Bowery Electric, avec Walter Lure, Wayne Kramer et Tommy Stinson. On y voit cet enfoiré récidiver en volant le show sur «Baby Talk» et en chantant «Can’t Keep My Eyes On You» avec un brio qui frise l’arrogance.

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    Et encore moins un hasard s’il porte ce soir-là à la cave un T-shirt LAMF en souvenir de l’un des derniers grands mythes de l’histoire du rock. C’est même étonnant que les Split Squad n’aient pas pensé à reprendre un hit des Heartbreakers.

    Il faut donc se contenter des Who et des Small Faces, ce qui n’est déjà pas si mal. On trouve la version studio de «Sorry She’s Mine» sur l’album. Bon d’accord, Michael Giblin ne vaut pas Stevie Marriott, mais leur version ne manque pas de charme. Giblin redouble de crédibilité en poussant ses yeah, et Kantor nous nappe tout ça d’orgue comme le fit Mac au temps jadis. Allez les gars ! On est avec vous ! Ils sortent là une cover bien dynamitée. On trouve d’autres covers de choix sur Now Hear This, comme par exemple l’excellent «You’ll Never Change» de Bettye LaVette, idéal pour ce boss de la basse qu’est Giblin. L’animal s’en va même groover ça sous le boisseau. Attention, Split Squad, c’est une histoire qui va loin, car ils reprennent aussi «Tinker Tailor» tiré du premier album de Terry Reid, qui fut, t’en souvient-il, une sorte de Graal du rock anglais. Ils en font une version infernale et le move emporte le pauvre Giblin comme un fétu de paille. Ils vont même jusqu’à arracher de l’oubli le «Put It Down» des Jellybricks, un stormer power-poppy embarqué aux rollmops burkinah. Une fois encore, Burke fait le show, il bombarde à bras raccourcis, on n’entend que lui, les guitares peuvent s’accrocher mais Clem claque son cling-a-clong à la claquemure. Streng ne co-écrit qu’un seul titre de l’album, «Touch & Go», garage classique mais terriblement visité par les démons new-yorkais. C’est hanté et c’est dans la poche, joué à la hanche de solid body avec une classe inhérente, les vrilles se traînent honteusement dans la mélasse, pas loin derrière les oreilles.

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    Il faut voir comme ils savent travailler les précieuses petites persistances perverties. Giblin se tape la part du lion avec ses sept compos, et notamment le morceau titre monté sur les accords de «Can’t Explain». Belle vitalité et gros départs en solo de vrilly vrilly petit bikini. On sent cette maîtrise imbue d’elle-même dont disposent les vétérans de toutes les guerres, ils sont à l’aise dans leur son et savent lever une tempête. Le riff de Can’t Explain constitue une bonne résurgence de la contingence. Muñoz et Streng tortillent sacrément bien leurs tortillettes. Question guitares, on peut dire que ça culbute dans la percute. On tombe plus loin sur un «She Is Everything» tapé sec et net à la Burkinah et vite repris au serpent à sonnette de bas du manche. Voilà ce qu’il faut bien appeler un swagger infectueux. Il semble qu’avec chaque cut les Split Squad donnent une leçon de morale, oh pas la morale au sens où l’entendait Descartes, non, on parle ici d’une morale qui est celle des fosses de vidange. Encore une belle leçon de morale avec l’énorme «I’ve Got A Feeling». Le son se déverse, charriant des nappes d’orgue. Ils drivent un flux anglo-new-yorkais d’une rare puissance, avec bien sûr toutes les guitares incendiaires qu’on peut bien imaginer. Et ça explose à n’en plus finir. Giblin fait son Soul Brother dans «I Can’t Remember», il chante à la petite glotte inflammatoire, et comme ses copains l’aiment bien, ils l’accompagnent vaillamment. Il passe ensuite à la power pop avec «Feel The Same About You». Ils font de l’invétéré, du sans concession. Clem bat ça sec à la serpe et va même parfois jusqu’à tagadater avec tout le tact du takatak. Ils terminent avec la heavy pop de «Messing Around» - I’m not messing around - Il tente de nous rassurer, il affirme que ce n’est pas lui qui fout le souk dans la médina. À d’autres !

    Signé : Cazengler, Split crade

    Split Squad. Le Trois Pièces. Rouen (76). Le 19 novembre 2019

    (Merci aux Délicieuses Récidives)

    Split Squad. Now Hear This. Red Chunk Records 2014

    Loco motion

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    On aurait bien tort de ne pas prendre au sérieux tous ces vieux artistes jadis soutenus par New Rose. Willie Loco Alexander était à Paris par un beau soir de novembre pour un concert confidentiel et grand bien nous prit d’aller le voir s’agiter derrière un piano électrique.

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    Dénué de toute forme de prétention, il dégageait pourtant un fort parfum de légende. Comme Roky Erickson et Johnny Thunders, Willie Loco Alexander bénéficie d’une aura d’artiste culte et le voir secouer sa vieille carcasse en toute impunité ne fait que renforcer ce postulat. Âgé de 77 ans, il dégage un charme fou, il fait partie de ces vieux Américains qui ont la gueule tannée par les vents du large, ceux qu’on qualifie de larger than life. Assez haut et filiforme, le vieux Willie arbore un profil d’aigle que vient couronner une crinière d’épais cheveux blancs taillés à la serpe, et un regard clair affûte à l’excès un sourire carnassier. Cette antique rock star ne risque pas de passer inaperçue. Bien au contraire.

    Le concert se déroule dans les sous-sols d’un endroit situé au Quai Bourbon, dans un labyrinthe digne de ceux jadis dessinés par Piranese. Des gens s’y égarent et personne ne les revoit jamais. Il faut rester prudent et ne pas s’éloigner des torches. Il règne dans cette cave minuscule une jolie promiscuité, de celles qui densifient les spectacles à l’excès, et ça se densifie d’autant plus que les Jones accompagnent Willie Loco.

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    Il n’aurait sans doute pas pu rêver d’un meilleur backing-band, les Jones sont experts en matière de dynamitage et du coup, les vieilles compos de Willie Loco n’ont jamais aussi bien sonné.

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    Il ne prend pas de risques, il tire cinq petites bombes du premier album enregistré en 1978 avec le Boom Boom Band, «Home Is», «Kerouac», «Radio Heart», «Looking Like A Bimbo» et ce «Rock & Roll 78» sur lequel l’excellent Billy Loosigian fit jadis ses choux gras.

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    Pas de problème pour Thierry Jones, il bouffe Loosigian tout cru avec un son encore plus incisif. «Radio Heart» sonnait à l’époque comme un hit, mais dans la cave, ça prend des proportions spectaculaires, il faut voir Willie pianoter dans le Blitz et trouver un équilibre entre le groove du thème et ses éclats de piano jazz.

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    Monté sur un riff bien heavy, Bimbo impressionne toujours autant, et là où Billy Loosigian développait du son, Thierry Jones multiplie les incartades de bas du manche. Loosigian jouait sa loose dans «Home Is» et les Jones le chauffent à blanc, pas de meilleure entrée en matière. Comme le fit aussi en son temps Richard Hell, Willie propose une belle tranche de rock littéraire - Oh Kerou/ Aqque/ You’re on the top of my shelf - Tout est dans la diction.

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    Willie Alexander n’est pas un artiste qu’il faut prendre à la légère. Il tire «Bebopalula» et «Gin» du Solo Loco paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. Tous les gens présents dans la salle connaissent ces vieux coucous par cœur. Willie Alexander les interprète au mieux des possibilités du genre, il reste fidèle à son heavy rock bostonien et joue de sa voix comme d’un instrument.

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    En une heure il fait le tour de sa légende et se paye le luxe d’entrer dans le cercle des rockers américains capables de n’aligner que des hits, Il termine avec un «At The Rat» stompé dans les règles de l’art par les Jones et revient en rappel tartiner une couche de «Too Much Monkey Business», un cut qui de tous temps fut problématique, même pour Johnny Thunders.

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    Il existe deux autres albums de Willie Alexander avec The Boom Boom Band : Meanwhile Back In The States, paru aussi en 1978 et Dog Bar Yatch Club, paru en 2005. Very big albums. Le premier regorge de son et dès «Mass Ave», Loosi joue sa loose au classic Boston sound. Section rythmique impeccable avec un big fat bassmatic de Sev Grossman. Willie Alexander révèle dès Meanwhile un don certain pour les balladifs : «You Looked So Pretty When» et «Sky Queen» captivent au plus haut point. Chacun de ces balladifs tape en plein dans le mille. On reste dans le so solid stuff avec «Pass The Tabasco» et «Hitchhiking», groovés tous les deux en mode heavy Boston rock, un son très Américain qui ne doit strictement rien au punk. Ils vont sur un son plus goulu, plus sourd, bien produit, avec un Willie Alexander en verve. Meanwhile s’achève avec «For Old Time Sake», un vieux boogie rock typique du Boom Boom Band. Willie Alexander le chante à l’abandon syllabique et Loosi joue sa loose avec un regain d’effervescence, allant une fois encore voler le show. Ce mec est un crack Boom hue.

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    Le Dog Bar Yatch Club paru en 2005 est encore plus explosif. L’album grouille d’énormités aussi voraces que le sont les crocodiles de mer. Tiens, comme ce «Gravelly Hill», Willie Alexander y rôde comme un loup, il chante avec des crocs et de la bave et c’est la loose de Billy Loosigian qui vient encore une fois rafler la mise, il joue au pire heavy blast de Boston, il est le roi de la cocotte inexpugnable, il est encore pire que ce loup de Loco. Ces mecs jouent leur rock avec une ampleur sidérante. Loosi éclaire la nuit, il riffe à la vie à la mort. Sur la pochette, il porte un bonnet de laine. Comme les autres, il a pris un coup de vieux. Mais pas son jeu. Cet album du Boom Boom Band est un festin de son, alors bienvenue à table. «Hey Kid» surprend par sa violence. Loosi le claque dans le dos, au big fat Boston riff. C’est encore plus ravageur que ravagé, ces mecs jouent leur va-tout à la revoyure et quand Loosi part en vrille de loose, il remet Boston sur la carte du rock. Il se pourrait que cet album tardif des Boom Boomers soit l’un des trésors cachés du rock moderne américain. Ils traitent «Fred Buck’s Footsteps» à l’insidieuse et enchaînent avec un «Who Killed Deanna» excessivement bardé de son. Loosi fait tout le boulot. Il explose le cut, il en faut sauter les coutures, s’il sort du son, c’est à la giclée. S’ensuit un «High Tide Heroes» beaucoup trop énervé qui prend des allures de blast. C’est leur contribution au punk hardcore américain. On retrouve aussi le «Oceans Condo III» tiré de l’album des Dragons. Loosi joue ça comme un dieu cloué au plafond, il purge sa bile de notes terribles mais ce n’est rien en comparaison d’«Oh Daddy Oh» et «Telephone Sex», deux heavy monsters vivaces et d’une rare virulence. Loosi rentre dans le groove avec un solo à l’adéquate écarlate. Il dégouline de jus. Ils reprennent aussi «Ogalada» tiré de Persistence. Big heavy rock in the Boston face. Pendant que Loco chante à la niaque volontariste, Loosi veille à l’ivraie du grain. Les deux font sacrément la paire. Le batteur David Mclean est à l’honneur sur «AAWW» et Loco est à la fête. Et bien sûr Loosi vient éclater la fleur du cut à la manière de Fast Eddie. Ce disk va rester d’une brûlante intensité jusqu’au bout du bout. Il font de «Mystery Training» un groove demented, Loco pianote dans le groove comme un démon et Loosi entre là-dedans comme un chien dans un jeu de quilles.

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    Solo Loco n’a pas pris une ride depuis sa parution en 1981, l’année de l’élection de qui déjà ? Ah oui, de François Mitterrand. Willie Alexander y propose un solide panaché de sons. Ça peut aller d’une belle ambiance Dollsy («Eyes Are Crossed») au groove à la Suicide («Small Town Medley»), en passant par la samba maladive extrêmement envoûtante («It’s All Over» - I still love you) ou par le joli beat bostonien hanté par une trompette («Hit And Run»). Partons du principe que tous les cuts sont bons et même captivants. Ce mec s’arrange toujours pour maîtriser la situation, comme on le voit avec la belle plénitude de «No Way Jose». Ted St Pierre fournit le beat de basse et les guitares sur «Bebopalula». On pourrait même parler de beat envenimé. Willie Alexander développe une énorme ambiance conviviale avec «Up For This», il chante dans la touffeur d’une groove bâti de toutes pièces. On sent nettement le côté expérimental dans ce rock, Willie Alexander développe une sorte d’intelligence du son. Tout est dans le son, ici, il s’amuse avec «Take Me Away» et ça marche. À l’écoute d’«Autre Chose», on comprend mieux que la basse tient le Boston Sound par la barbichette. C’est joué au rond du bassmatic, avec une science du son qui relève de l’expertise. On s’effare encore de la qualité de l’ambiance une fois entré dans «So Tight». On ne saurait s’en lasser. Willie Alexander bricole des grooves ambianciers et se vautre dedans avec une délectation bostonienne qui ne doit rien à personne. Envoûtement garanti.

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    Paru l’année suivante, A Girl Like You se distingue par deux hits séculaires : «Video Games» et «Bite The Bullet». Il tape son Video Games au heavy beat avec un pianotis subtilement dosé. Il y développe un admirable sens du temps et de l’espace, une sorte d’instinct de la mesure, un beau brin de beat sourd comme un pot. L’air de rien, il crée le beat de la menace. Un sax vient se fondre dans le Boston groove de «Bite The Bullet». C’est adroit et aventureux, avec un beat quasi africain. Cut d’autant plus culminant que le sax va vers Bird. On a là l’apanage du groove de rock jazzé dans l’âme. D’ailleurs, Willie Alexander dédie cet album à Thelonious Monk. Il chante aussi «Oh Daddy Oh» avec une niaque bien ferme, et ramène pour l’occasion beaucoup de son. Énormément de son. Il vise la petite ampleur atmosphérique avec «The Only Time». C’est de bonne guerre de la part d’un Boston boy, et son «Up Till Now» se tient très bien. Il chante à l’outrage de petit punk et pianote dans la matière du groove de Till now. Ce mec collectionne les coups d’éclat.

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    Bizarrement, l’album live de Willie Alexander & The Confessions paru en 1982 ne fonctionne pas. Autre Chose refuse obstinément d’obtempérer. Matthew MacKenzie joue pourtant de la bonne gratte, mais c’est comme s’il manquait la loose de Loosi. «Kerouac» se révèle encore une fois mélodiquement parfait. C’est un hit. Même chose pour «Radio Heart», reconnaissable entre mille, entraînant et même assez élégant.

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    Taxi-Stand Diane date de 1984 et sonne comme une déclaration d’indépendance. Willie Alexander ne doit rien à personne. Il crée son monde. Billy Loosigian revient éclairer «Dream» avec un jeu extrêmement fin, il est une grosse constituante de la constitution du Boston Sound. Dans «Telephone Sex», Loosigian ramène du bon gras double et fait tout le sexe du cut. Ce guitariste est extrêmement complet, il fait bien la paire avec Willie Loco. Un Willie Loco qui revient toujours à son obsession du petit groove infectueux, comme le montre «Walkman Woman», avec cette façon unique de chanter le rock underground de l’époque. C’est très saxé, très embourbé dans l’ornière fatidique du Boston Sound. S’ensuit un «Just Another Feel» emmené à l’up-tempo, battu sec et net, idéal pour un navigateur au long cours comme Willie Alexander, et les filles font des jolis chœurs.

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    Tap Dancing On My Piano est une petite collection d’exercices de style. On l’a vu, Willie Alexander sait créer de l’ambiance et «Zombie Strut» ne fait que confirmer la chose. N’oublions pas qu’il pianote en autodidacte. Le son de l’album est très dépouillé, ce qui permet d’apprécier le chant. Il travaille tout à la voix, il manie le son comme Rodin maniait l’argile. «The Ballad Of Bobby Bear» évoque Kurt Weill. Willie Alexander va chercher des effets de voix dans le déconstructivisme berlinois des années trente. Fantastique démarche ! Il revient au format chanson avec «In Your Car». Il a un sens aigu du hit, un peu à la manière de Lou Reed. Il revient au jazz avec «Again & Again». C’est très intéressant, il saupoudre son cut d’une pincée d’anticipation. Willie Alexander fait partie des gens qui savent mettre en confiance, car il s’adresse directement à l’intellect, sans que ça ne devienne prétentieux. Il réussit l’exploit de shooter des chœurs de Dolls dans un hommage à Stravinski. Puis il passe au boogie down trompetté avec «Only A Girl». Excellent !

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    In The Pink et The Dragons Are Still Out proposent quasiment les mêmes cuts, à deux variantes près. Le guitariste s’appelle Rupert Webster et on l’entend jouer à la titubante bien née sur «Burma Shave Thing». Voilà un cut très bien foutu, ça bat sec et net derrière un Loco au sommet de son art. On peut dire qu’il sait vraiment faire un disk de rock. C’est Bobby Bear qui vole le show sur «A Little Reminder», il bat ça à bras raccourcis. C’est un très bel album. Plats variés et copieux. Loco termine avec un «You Got A Hard Time Coming» très avenant, car bien riffé par Rupert Webster. Excellent cut de guitar rock, avec un beau départ en vrille cadencée et une fin en forme de Really Got Me des Kinks.

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    L’«In The Pink» qui donne son titre à la version américaine de l’album regorge de son et la voix du Loco reste bien au dessus de la mêlée. On admire aussi son rapping dans «WA Rap», hey Bobby gimme a beat. Loco y raconte son histoire, ainsi que dans «Me And Dick V.» Sur la version américaine de l’album, on trouve un «Dog Style» bien énervé et monté sur un bassmatic cavaleur, un peu stoogy. On se croirait dans «1969». L’autre variante s’appelle «Cut My Lover Up», un cut assez alexanderien bourré de sax jusqu’à la gueule comme un canon de bronze l’est de poudre.

    Avec ses trois derniers albums, Willie Alexander entre dans une veine plus expérimentale et curieusement, plus viscérale. Jusque là ses albums avaient beaucoup de classe, mais là il passe à autre chose, comme s’il avait décidé de flirter avec le génie.

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    Premier coup de semonce en 1993 avec Willie Alexander’s The Persistance Of Memory Orchestra. On les voit tous les quatre au dos. Willie Alexander s’entoure d’inconnus au bataillon et on retrouve l’excellent «Ogalala» entendu sur Dog Bar Yatch Club. Il chante comme un voyou mal embouché et se planque sous le couvert du sax. C’est un heavy groove savamment saxé et violonné, et comme si cela ne suffisait pas, des chœurs de Maoris l’allument. Terrifiant ! Ça se corse avec un «Sambarama» chargé de sax, de percus et de relents toxiques d’expérimentation. Attention, c’est assez explosif. C’est groové dans l’âme. Willie Alexander passe aux choses très sérieuses. Les dynamiques sont terrifiantes. On peut parler ici de musicalité. S’ensuit un «Alligators» bombardé au beat, ça joue à l’incroyable battement de la persistance avec des coups de sax à la ramasse de la bostonasse. Même quand il tape «Shopping Cart Louie» au heavy blues, il captive l’auditoire, et comme il se sait intéressant, il s’investit encore plus. Il fait son Lou Reed avec «Rita Ratt» et tout explose à nouveau avec «MF Swine». Il sonne somme une Soul Sister, il investit le plus infectueux des grooves. On va de surprise en surprise, car voilà «Minimum Wage», un incroyable parti-pris dada, une exotica des isles saxée façon mambo. Il tape dans la plus fine des exoticas, celle qui flatte les glandes. Il fait aussi son Elvis avec une cover de «Mystery Train». Il est dessus, et ça bat à la diable ! Extraordinaire hommage à Elvis. On note en outre l’extrême acuité de sa présence artistique dans «Around The World», un cut qui pour employer une métaphore à quatre pattes sonne comme un cheval de bataille, c’est-à-dire un heavy groove de bravado tentaculaire, très dérivé de la dérive, et on salue enfin son fantastique sens mélodique, tel qu’il apparaît dans le «Too Bad» qui clôt les enchères. On y voit Willie Alexander aller se jeter dans le flot du sax.

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    On retrouve la même formation sur The East Main Street Suite paru six ans plus tard. Impossible de faire l’impasse sur un album aussi génial. Willie Alexander s’en va chercher l’admirabilité des choses du groove avec «Amber & Ebony». La trompette wah taille la route et Willie Loco s’égare, comme emporté par le son. Le cut relève à la fois de l’organique et de l’océanique. Il passe au heavy shake avec «Who Killed Deanna», mais il ne s’agit pas de n’importe quel heavy shake : c’est un heavy shake de cuivres. Son «Josephine & Jono» vaut bien Can. Non seulement c’est amené au heavy tatapoum mais des climats superbes s’y développent inexorablement. C’est très frontal, avec une flûte dans la matière. Willie Alexander sait créer l’événement. Avec «Ocean’s Condo #2», il atteint au génie. C’est du real big sound. Il jive l’ambiance à la folie. On croirait entendre Miles Davis accompagné par les tambours de guerre berbères. Quelle clameur extraordinaire ! Ça vaut le carnaval de Rio, c’est secoué du cocotier, mais avec une foutue niaque de jazz. S’ensuit un «WA Anyway» tout aussi infesté du meilleur free de Boston et avec «Honeysuckle Rose», il relance sa fabuleuse machine à coup de vieilles onomatopées. C’est haleté et tendu à merveille, battu hard et secoué au sick sick sick. Il termine cet album avec l’excellent freakout de «People Everyday». C’est du Roland Kirk in the flesh avec des percus brésiliennes qui sont, comme chacun sait, les meilleures du monde. Willie Alexander a toujours enregistré des disks hautement énergétiques, mais cette fois il ramène la folie du free. Elle se marie bien à l’excellence de son chant. Il jazze sa Loco motion et ça n’a pas de prix. Ses échappées belles prennent une sacrée tournure. Il faut aussi saluer «Eat What You Can», car c’est la bande-son d’un trip à l’acide, tu es sous l’emprise et tu ne peux pas t’en sortir. Alors laisse venir. Ça digonne dans les veines avec du gratté d’électro, juste sous la peau lumineuse. Saluons aussi «For My Sister», car Willie tape dans les molasses et évoque sa favorite sister en pianotant au fond de l’océan de Jane Campion.

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    Pour conclure, saluons cet album étrange paru en 1995 sur lequel Willie Alexander se livre à quelques belles dérives. The Holy Babble défie un peu les lois de la gravité, notamment «Up On Doll Mountain», ce cut incertain qui sent bon le trip, celui de Lucy in the Sky with Diamonds. Powerfull druggy sound ! Willie Alexander remet le couvert avec «WA Rap». Ou, pour être plus précis, il y rampe. C’est une junk party, les mecs jouent à la petite débinade, et comme tout ce qui touche aux drogues, c’est un étrange mélange de dérive absolue et de violence intrinsèque. That’s right ! S’il veut exprimer des effets dans le son, c’est réussi. On pourrait dire la même chose d’«Alien Wonderland» amené aux percus brésiliennes. C’est LA drug-song par excellence, Loco plane, two sisters in Washington ! Il offre ici une belle rasade de power percus dans l’aube un peu mauve d’un nouveau jour d’hiver. Pour le reste, il fait pas mal de spoken word, de bruitisme, comme par exemple dans «Listening To Yaggfu», où piaillent des moineaux et où il swingue sur fond de crackle colours, de Johnny Red et de Ray Manzarek. Il chante aussi son «Waiting For BC Kagan» au drugged tone extrêmement ralenti et c’est de meilleur effet. Et après divers épisodes déroutants mais jamais ennuyeux, il ramène ses chères percus brésiliennes pour un excellent «Party All Night». Il réinvente à sa façon le souffle des origines du monde, avec une flûte fellinienne qui danse à la surface. On pourrait presque parler de vision.

    Signé : Cazengler, Willie Lobo(tomisé)

    Willie Loco Alexander. Quai Bourbon. Paris IVe. 16 novembre 2019

    Willie Alexander & The Boom Boom Band. Meanwhile Back In The States. MCA Records 1978

    Willie Alexander & The Boom Boom Band. MCA Records 1978

    Willie Alexander & The Boom Boom Band. Dog Bar Yatch Club. Last Call Records 2005

    Willie Alexander. Solo Loco. New Rose Records 1981

    Willie Alexander & The Confessions. A Girl Like You. New Rose Records 1982

    Willie Alexander & The Confessions. Autre Chose. New Rose Records 1982

    Willie Alexander. Taxi-Stand Diane. New Rose Records 1984

    Willie Alexander. Tap Dancing On My Piano. New Rose Records 1986

    Willie Alexander. In The Pink. Mellen & White 1988

    Willie Alexander. The Dragons Are Still Out. New Rose Records 1988

    Willie Alexander & The Persistance Of Memory Orchestra. Articulate Distorsion 1993

    Willie Alexander. The Holy Babble. Tourmaline Music 1995

    Willie Alexander & The Persistance Of Memory Orchestra. The East Main Street Suite. Articulate Distorsion 1999

     

    Skip on rolling (till next time)

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    Paraît ces jours-ci l’intégrale d’Oar, l’album culte de Skip Spence, sous le titre AndOarAgain, titre choisi vraisemblablement en hommage à Arthur Lee. Le coffret propose deux bonnes heures d’écoute réparties sur trois rondelles.

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    Pour faire court, disons qu’en 1968, Skip Spence fut interné cinq mois au Bellevue Hospital, dans le département psychiatrique. Pourquoi ? Il s’était grillé la cervelle aux acides et se baladait dans les couloirs d’hôtel armé d’une hache d’incendie. Il cherchait Don Stevenson pour le tailler en pièces. Les flics vinrent le coffrer. Direction le Bellevue. Le producteur David Rubinson croyait encore assez en Skip pour convaincre Columbia de lui verser une avance. Le jour de sa libération, Skip s’acheta une Harley avec ce blé providentiel et mit le cap en décembre 1968 sur Nashville pour y enregistrer seul les chansons qu’il avait composées pendant ses cinq mois d’internement. L’album Oar parut en 1969. Après quoi, Skip rentra chez lui en Californie et sombra peu à peu dans l’autre monde, celui des clochards célestes.

    Gros plan sur la légende d’Oar : à Nashville, Skip enregistre ses chansons une par une. Il traite de thèmes classiques, comme l’innocence de l’enfance, la trahison, la chaleur de l’amitié. Il en enregistre un paquet et Rubinson va en retenir douze. Pour Peter Lewis, Skip est un mec essentiellement spirituel - A lot of his music wasn’t visceral, it was more of an ethereal thing - Don Stevenson et Jerry Miller avouent qu’à l’époque ils ont eu du mal à entrer dans Oar, mais comme beaucoup d’autres gens, ils ont fini par saisir l’insoutenable légèreté de l’être qui sous-tend le propos. Il est important de savoir qu’en dépit d’un bon soutien critique, l’album ne s’est pas vendu. On dit même qu’avec Oar, Columbia a connu son pire bide commercial... Et puis Oar a fini par disparaître. Out of print.

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    Si cet album extrêmement underground finit par reparaître sous forme d’un petit coffret destiné aux collectionneurs de coffrets, c’est qu’il a une histoire, contrairement à beaucoup de disques qui eux n’ont pas d’histoire. Ou dont l’histoire n’intéresse personne, ce qui est encore plus grave. Dans le cas de Skip Spence, on entre dans la légende d’un artiste extrêmement doué, tellement doué qu’il faillit devenir l’une de ces superstars dont sont tellement friands les Américains. Dans le livret du coffret, David Fricke nous ramène cinquante ans en arrière, dans ce Columbia Recording Studio, au 504 16th Avenue South, Nashville, où Skip enregistre seul. Columbia le considère comme un artiste solo, alors il joue en solo. Six jours d’enregistrement étalés sur deux semaines. Fricke parle d’une experimental verve et d’une musical facility. Il tient Oar pour un chef-d’œuvre de l’époque, a chaos of eccentric composition and overwhelming melancholy. Ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, Syd Barrett ! Le parallèle saute aux yeux. Skip d’un côté, Syd de l’autre, même penchant pour les drogues hallucinogènes et la grandeur du concept psychédélique. Skip ajoute à tout ça ses country-blues shadows et ses chauds accents de barytone. Dans le studio, l’ingé son s’appelle Mike Figlio. Quand Rubinson appelle Figlio pour le prévenir de l’arrivée de Skip, il lui dit : «This guy’s coming down. He’s a trip, but he’s fun. Take care of him. And wathever he tells you to do, do it. Don’t say ‘you can’t do that’. Don’t second guess him. Just put it down that way. Make sure he gets it the way he hears it.» (Ce mec va arriver. Il est un peu barré, mais rigolo. Prends soin de lui. Et quoi qu’il te dise, fais ce qu’il te dit, ne lui dis pas qu’il ne peut pas faire ci ou ça. Prends-le au sérieux. Fais comme ça. Fais en sorte qu’il obtienne ce qu’il entend).

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    Skip joue tous les instruments, y compris the bass & drums. Ses chansons constituent un curieux cocktail de primal blues, ragged country & solitary folk, chanté dans une sorte d’émoi tantrique. Skip enregistre à bas volume. Il veut conserver une certaine clarté du son. Des mecs comme Greil Marcus y vont fort, comparant l’esprit d’Oar à celui des Basement Tapes de Dylan. Pire encore, Fricke compare Oar aux derniers cuts que Cash enregistrait avec Rick Rubin, un mois avant de mourir, en 2003. Cash avait 71 ans. Au moment d’Oar, Skip n’en a que 22.

    Fricke juge essentiel de rappeler que Skip ne tombe pas du ciel et qu’il fut l’un des rock Gods de la fameuse scène californienne, avec Moby Grape, un groupe de surdoués tous chanteurs compositeurs qui fusionnaient le blues, le folk, la country et la Soul et dont le premier album sonnait comme une réponse directe au Revolver des Beatles et à l’Aftermath des Stones. Rien de moins. Le plus gros next big thing de Californie. Tout ça ruiné par un management désastreux. Pour comprendre Oar, nous dit Fricke, il faut connaître le deuxième album de Moby Grape, Wow. Il fut mal reçu, considéré comme mal foutu et indéfinissable, privé du vif argent qui faisait la force de leur premier album. Mais Fricke dit que Wow est bien plus honnête que le premier album, puisque c’est un disque qui documente un grand groupe en pleine crise. Pour étayer son propos, Fricke rappelle que Skip compose alors des cuts étranges, comme «Just Like Gene Autry A Foxtrot» et «Motorcycle Irene» - deeply profound, poetic, cosmic with a hysterical sense of humor - dit Rubinson - An amazing confluence of all those things - Oar fut qualifié de classic acid damage et c’est là que Fricke trace un parallèle avec The Madcap Laughs. Mais Fricke insiste pour dire qu’à la différence de Syd Barrett, Skip sait précisément ce qu’il fait au moment d’Oar, notamment dans le fait de mettre le son de basse en avant, s’adaptant au trois pistes que lui propose le studio.

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    Dès «Little Hands», on sent une ambiance particulière, Skip joue dans le gras d’un son de belle envergure. C’est d’une indéniabilité sans nom, comme dirait HP Lovecraft. Assez tantrique. Skip keeps it simple avec de forts relents psychédéliques. Et ça prend encore plus de relief avec «Cripple Creek», fabuleux shoot d’Americana concassée, montée sur un fil mélodique superbe, d’une grande musicalité. Il sur-gratte son Creek à la débinade concurrentielle, il swingue à la folkmania de la Grape. C’est avec «Diana» qu’il se rapproche le plus de Syd Barrett, car il joue à la ramasse de la rascasse, il chante à la plaintive d’acou inspiratoire. Et s’il est un cut qui doit figurer au panthéon de la mad psychedelia, c’est bien «War In Peace». On sent chez lui un goût prononcé pour le voyage intérieur à la Xavier de Maistre. Il ultra-joue l’essence même de la mad psychedelia. Il en crée même les conditions. On le voit plus loin jouer d’effarants gimmicks classiques sur sa guitare. «Book Of Moses» sonne comme le real deal. Il gratte ça au country riff tutélaire. Chaque fois, il s’arrange pour créer d’étranges climats, mais tout relève du pur sensitif. L’Oar original s’achève sur «Grey/Afro», un groove de neuf minutes. Difficile à suivre, car Skip joue complètement à côté du beat.

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    Et c’est là où s’ouvre le territoire des inédits. Ça commence avec un «This Time Has Come» étrange. Mais encore une fois, Skip ne fait pas n’importe quoi. On sent très nettement le mec qui cherche un passage. Il dispose d’une effarante réserve de chansons et les teste une par une. Il drive «Keep Everything Under Your Hat» au bassmatic et swingue admirablement son délire. Et plus on entre dans ces démos, plus la fascination s’exerce. Il tape aussi «Funny Heroine» au groove de basse et joue un peu de batterie dépareillée. Il dispose de ressources inépuisables. Il joue même la country de «Doodle» à la basse. Dans Or, le disk 2, on tombe en arrêt devant le basic track de «Creeple Creek». Il joue derrière le beat ! Ce mec est très complet. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. On trouve aussi une version de «Funny Heroine» jouée à la basse. Il plie son bassmatic au joug du chant. L’alternate de «War In Peace» se montre digne des fantômes d’Écosse, puis il s’amuse avec le rock’n’roll system dans «I Want A Rock’n’Roll Band». On le voit rocker au soft. Il vaut largement les Byrds à lui tout seul. Ce mec fait exactement ce qu’il veut. Profondeur de champ indiscutable. Il refait aussi une version électrique de «Diana» qui sonne comme une belle dérive psychédélique à la Crosby. Sur More, le disk 3, il revient gratter «Diana « à la douze. Il joue ça à la pointe de la musicalité. Il tape très fort dans le haut gamme de douze. C’est une vraie merveille qui justifie à elle seule le rapatriement du coffret. Il joue son renom sur un thème. Pas mal. On trouve aussi un «It Ain’t Nice» monté en basse batterie uniquement où il se prend pour une star. On ne s’ennuie pas un seul instant. De toute évidence, ce mec est horriblement doué, mais aussi très libre. La fin du disque trois ressemble à un fond de tiroir. On a même un peu l’impression de fouiller les poubelles. C’est vrai, il faut parfois savoir plonger les mains dedans. Les mains ne sont en réalité qu’un prolongement de nos rêves, alors, où est le danger ?

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    Ce serait dommage de rater l’occasion de sortir du placard More Oar, le fameux tribute à Oar paru en 1999. D’autant plus dommage que Mark Lanegan y reprend «Cripple Creek». Il fait tout le boulot. Il tape ça en direct. Heavy on the streams of fire. L’autre coup de génie de ce tribute est la version de «Dixie Peach Promenade» par Greg Dulli. Dulli does it right. Il te chante ça au sucré des fraises, il schpouze son gut, il est le round about de Spence, he skips the ship. Mudhoney fait aussi un «War In Peace» énorme. Ils sont extrêmement dévoués. Mark Arm ne fait jamais n’importe quoi. L’or qu’il trouve dans Oar prend forme de mad psychedelia. Parmi les autres candidats, on trouve Robert Plant qui marche sur des œufs avec «Little Hands». Il n’ose pas aller trop loin. C’est bien emboîté, mais trop dirigé. Alejandro Escovedo peine à rallumer «Diana». Robyn Hitchcock s’en sort beaucoup mieux avec «Broken Heart». Il a le sable du cimetière dans la voix. Bon d’accord, il ne va pas aller fracasser l’Oar, mais il propose une alternative. Beaucoup d’autres groupes donnent d’Oar une vision assez libre, comme Flying Saucer Attack avec «Grey Afro» qui sonne assez Soft Machine ou encore Alastair Galbraith qui plonge «This Time Has Come» dans la mad psychedelia. Matthew Smith et Outrageous Cherry sonnent bien les cloches de «Keep Everything Under Your Hat». Ils en font en truc à eux, sans même demander la permission à Skip. Il est mort, ça tombe bien. Comme Smith insiste pour faire le tour du propriétaire, il finit par tout foirer. S’ensuit un coup de Beck trop à la mode. Trop apprêté. Trop n’importe quoi, il sort pour «Halo Of Gold» un son qui ne sert à rien. Ce tribute s’achève avec le «Doodle» de Minus 5. Ils sont en plein dedans. Ça réchauffe le cœur de les voir si fièrement honorer le génie de Skip Spence.

    Signé : Cazengler, Spince à linge

    Alexander Spence. AndOarAgain. Modern Harmonic 2018

    More Oar. A Tribute To The Skip Spence Album. Birdman Records 1999

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    Cam Cobb. Alone again Oar. Record Collector #483 - September 2018

     

    SAVIGNY-LE-TEMPLE14 / 12 / 2019

    L'EMPREINTE

    ABSTRACT MINDED

    Un extraordinaire coup de chance. Tout à l'idée d'un deuxième volet de la chronique Clip! Clip ! Clip ! Hourrah ! initiée la semaine précédente – je rappelle qu'il s'agit de s'inquiéter de ce que deviennent les groupes actuels et aimés que nous n'avons plus croisés sur notre route depuis quelques temps – l'instinctive nécessité périscopique me vint de m'en aller fouiner sur mon moteur de recherches rock'n'rollesques du côté d'Abstract Minded. Légendaire flair du rocker : double prise : non seulement ils avaient sorti un nouveau clip, mais encore ils annonçaient une prestation dans deux jours. Un bémol toutefois à ce coup de bol, après quoi Abstract Minded rentrerait en hibernation pour un temps indéterminé. Départ du bassiste, éloignement géographique du chanteur, sans doute reviendront-ils plus tard avec un fol album à la clef de sol... Une visite au temple ( du rock ) savignyen s'imposait.

    Oui, il y avait deux autres groupes au programme après les Abstract Minded, mais il vaut mieux n'en point parler, pour le deuxième nous n'avons pas été convaincus, pour la tête d'affiche, il est inutile d'ajouter de la souffrance à la misère du monde.

    ABSTRACT MINDED

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    Pas une abstraction. En chair et en os. Mais la musique en-elle même n'est-elle pas une abstraction sauvage insaisissable, une espèce de toile d'araignée mentale sur laquelle souffle le vent de l'immémoire des choses tues dans le silence du monde. Une mise en scène de la fuite du temps et du son, un souvenir qui vous poursuit tel le couteau de l'assassin qui jamais ne parviendra à vous rattraper. Alexis Godefroy est à la basse au centre du plateau, encadré des deux guitaristes, la batterie derrière et Joey le chanteur devant. Le quinconce secret et sacré des ères fatidiques, une des structures efficientes de l'universelle présence. Abstract Minded puise au chant des astres, le groupe n'est que l'écho de cette mouvance qui se déroule ailleurs, loin de nous.

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    Cette figure répétitive, ce fracas sec de branches qui se cassent lorsque l'arbre mort s'écroule, Jimmy Lavogiez en détient les clefs, les dispose sur sa caisse claire, en leitmotives wagnériens crépitants, qui reviennent pour marquer le départ de l'ouragance et de l'arrogance de la masse sonore, c'est cela Abstract Minded, ces vagues ondoyantes de calme qui brutalement se soulèvent et irradient une violence suprême jusque dans le cœur intangibles et cadenassés des objets humains que nous sommes. Vishaal déboule sur vous comme le kraken s'empare des navires sur la mer tempêtueuse et les brise entre ses mains. Et puis il rit de sa cruauté et les guitares se lancent à corps perdus dans une folie kaotique, alors survient Joey Baudier, il s'avance au tout devant de la scène et la clameur de la destruction sort de sa gorge et tombe sur vous en une suprême malédiction.

    La guitare de Zivan Rassolofo ruisselle follement de splendeurs éphémères, il émiette au-dessus de nous des escarbilles de puissance comme l'on jette du pain empoisonné aux oiseaux, penché sur lui-même, corps recroquevillé, comme si sa tête voulait se ficher dans le sol, aurait-il envie que les graines de la démence s'échappent de sa fontanelle pour ensemencer la terre de moissons amères.

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    Louis Guffond mise sur l'élégance du désespoir. Autant Zivan opte pour les forces telluriques, Louis lance des éclats de guitare vers la lumière, tranchants, un pari fou, celui de crever irrémédiablement l'œil jaune du soleil afin que la noirceur du malheur qui peuple nos âmes esseulées recouvre en une gigantesque marée noire tout ce qui bouge et palpite et les englue à jamais dans la gangue d'une incapacité infinie.

    Alexis pousse son chant du cygne. A la fin du set il partira pour une autre aventure. Mais il tient à laisser une dernière empreinte, sa main griffe les quatre cordes élémentales de sa basse, et l'on perçoit clairement jusque dans les séquences tohu-bohiques ses notes qui s'éparpillent et roulent sinistrement sur le plancher de l'appartement ravagé à la manière des billes échappées de la poche d'un enfant mort.

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    Juice, Released !, Behind the will, Seven, peu de morceaux mais chacun d'entre eux oratoriés comme une longue prière tordue au néant impassible, la voix de Joey scande les vagues d'un océan brumeux qui roulent vers un rivage inaccessible qui recule au fur et à mesure que les flots monstrueux se ruent vers lui. I'm the hunter hidden on the woods clame-t-il et chacun se reconnaît en cette solitude de chasseur qui ne chasse que lui-même qui ne souffre que de sa seule entité. Crépusculaire solitarité. Malgré la violence de l'amplitude sonore la foule tétanisée ondule doucement, rien ne sert de se départir de ses angoisses en s'agitant vainement, il faudra de toutes les manières mourir à temps.

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    Lorsque Joey prend la parole pour remercier, il choisit ses mots, la musique d'Abstract Minded peut être comprise par ceux qui n'entendent que le bruit, quand on leur montre la turgescente tourbillonante du monde, comme une simple production à l'arrache, mais dans ces propos clairement énoncés et ce timbre retenu, Joey indique sans le dire, signifie, qu'il s'agit d'une cérémonie à laquelle nous avons été conviés. Une convocation de l'extrême. Une invitation à être. Et puis la musique balaie de nouveau la scène. A plusieurs reprises elle se calmera et l'on attendra alors qu'elle reprenne sa furie, jusqu'à la fin, tous sur leurs instruments, prêts à un dernier final apocalyptique, mais non le silence s'installe, dure, perdure, et la lumière se rallume. La salle éclate. Mais le plus dur reste à faire. Il va falloir survivre à tant de sauvagerie, à tant de beauté.

    Damie Chad.

    CLIP ! CLIP ! CLIP ! HOURRAH ! ( bis )

    Nous discutions paisiblement ,moi et un ami cher, la conversation en vint à tomber sur les dinosaures. De grosses bestioles dont nous n'avons plus rien à craindre m'écriais-je en nous versant une dix-septième ( nous commencions tout juste ) rasade de whisky amélioré au jus de crotale. Détrompe-toi me dit-il. L'espèce dinosaurienne s'est adaptée à sa disparition, l'est encore tout près de nous, méfions-nous, les germes du mal pourraient se ranimer à tout moment. J'éclatais de rire, non sans jeter au préalable un coup d'œil au jardin par la fenêtre, je rassure les lecteurs aucune silhouette de brontosaure ne paissait paisiblement le gazon mal entretenu. Ne me crois pas si tu veux, reprit mon naturaliste en herbe apparemment fort au courant, les sauriens géants sont partout sous la forme des innocents passereaux qui peuplent nos haies et que de forcenés écologistes inconscients recommandent de nourrir. Ne sais-tu pas que nos oiseaux sont les descendants directs des dinosaures ? J'avoue que je ne le crus pas, comment imaginer que par exemple une ravissante mésange bleue puisse s'avérer dangereuse. Nous nous séparâmes fâchés. Le lendemain j'ai dû lui téléphoner pour m'excuser. Il avait raison.

    C'est qu'à peine avait-il quitté la maison que deux volatiles sont venus s'installer sur mon pommier préféré sous laquelle repose ma chaise-longue. Les mauvais esprits vous diront que c'est surtout moi qui me repose. Ne les écoutez pas, j'étais en train de feuilleter Les cent-vingt jours de Sodome du divin Marquis– une édition richement illustrée – lorsque une pomme véreuse s'écrasa mollement sur ma tête. Je pris l'incident avec philosophie, sans doute était-ce là le signe que mon vaste cerveau en ébullition s'apprêtait à émettre une nouvelle théorie newtonienne qui permettrait à l'Humanité d'accéder enfin à son stade ultime de perfectionnement. Hélas, l'incident passablement désagréable se renouvela, pif !une deuxième pomme dégoulinante de pourriture s'écrasa sur mon nez tandis que résonnait une espèce de croassement hideux dans lequel je crus percevoir les éclats moqueurs d'une cynique réjouissance. Evidemment, vous les avez reconnus, c'étaient les cui-cui, ces prophètes du malheur auprès desquels les sinistres prédictions du corbeau nevermorien d'Edgar Poe passent pour des contes à dormir debout réservés aux enfants sages. J'ai eu de la chance, ne se sont pas attardés, se sont amusés à me bombarder avec les derniers fruits de l'automne, puis se sont envolés à tire d'ailes en ricanant monstrueusement, mission accomplie j'y ai filé une copie de notre dernier clip s'est écrié Pierre Lehoulier, j'ai piqué sa bouteille de whisky a rétorqué Delphine Viane.

    CALL DOCTOR NO / CRASHBIRDS

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    C' est du tout chaud. Du tout cuit-cuit, l'ont mis sur leur FB et sur You Tube, ce cinq décembre 2019. Des images sympathiques. Des manifestants qui se font gazer et taper dessus. Des vues de manifestations diverses, aux States, en Angleterre, en Russie, toute ressemblance avec des évènements récents qui se seraient passés en notre douce France de notre enfance et de nos enfonce-crânes actuels ne saurait être qu'indépendante de la volonté des cui-cui. En plus il y a un faussaire, je donne son nom à la police, je sais bien que tout le monde la déteste, mais il faut bien jeter les délinquants en prison. Surtout quand ils sont doués, car ils sont alors d'autant plus dangereux. Apparemment il ne fait pas grand-chose, se contente d'immobiliser l'image juste pour détourner au gros feutre noir les pancartes que brandissent les rouspéteurs professionnels. L'y écrit dessus des gros NO. En plus il rajoute quelques plans, vous transforme les ramène-leur-mécontentement en espèce de statues de zombies menaçantes. Heureusement les citoyens propres sur eux ( et sales à l'intérieur de leur bêtise ) se dépêchent de prévenir par téléphone les responsables politiques qui se hâtent de saisir leurs combinés pour donner les ordres adéquats. Evidemment il s'est préparé un alibi. Impossible de l'accuser. Ce n'est pas moi monsieur l'agent, regardez j'étais en train de jouer tranquillou, je gratouillais ma guitare devant au moins soixante personnes qui pourront témoigner de mon innocence. En public, lisez sur le mur orange, vous voyez bien que L'Armony règne. Argument imparable ! Certes les cui-cui sont de sacrés rusés, ils ont un deuxième pare-feu. Sont très forts, quand vous regardez Pierre, vous ne zieutez que Delphine. L'est trop belle. Elle entre dans votre champ de vision et avant même qu'elle ouvre la bouche vous lui pardonnez tout ce qu'elle dit. Tout ce qu'elle édicte. Une véritable pétroleuse, une pasionaria, une vierge ( ceci est juste une image ) rouge. La pythonisse de la révolte. Une voix qui vous envoute. Vous crache la colère du monde à la face, un vocal barricade, un chant insurrectionnel. Et le Lehoulier il a de ses façons de pincer sa guitare pour qu'elle grince encore plus fort, que vous avez l'impression que vous vous lavez les dents avec une perceuse. Ah ! ces cui-cui, s'ils n'existaient pas il faudrait les inventer. Bien sûr que vous dites oui !

    Damie Chad.

    L'ODEUR DE LA MORT

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( 28 / 11 / 2019 )

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    Il n'y a pas de fumet sans feu. Mais là c'est top tard, vous arrivez après la bataille. La dernière. Ne reste plus que des survivants, la terre est devenue une décharge planétaire. Toutefois une bonne nouvelle. Les Pogo ont survécu. Mais ils ne sont pas beaux à voir. Des visages pustuleux, des chancres sanglant qui les défigurent, des croûtes purulentes sur les joues, aucune envie de leur faire la bise, n'insistez pas, même pas à Lola. En plus ils ont des mines de zombies qui reviennent de leur enterrement. Errent sans but sur des amoncellements de débris. Les restes de notre civilisation livrés au néant des temps révolus. Cette surface désolée c'est vraisemblablement leur terrain de jeu, ils y retrouvent une bouteille d'alcool, un crâne humain et comme ils n'ont pas d'autre chose à faire pour tuer le temps, Lola – les filles sont parfois cruelles – s'amuse à arracher avec une vieille pince rouillée une dent à un de ses camarades endormi... Même la musique des Pogo n'est plus ce qu'elle a été, un long bourdonnement infini d'une minute entrecoupées de sons métalliques, comme des portières de voitures désossées jetées violemment sur l'asphalte. Le pire c'est que cette scène peu idyllique va être gâchée par la venue d'un étranger. Un être humain comme vous et moi, affublé d'un sac en bandoulière. N'a pas l'air bien méchant, mais nous ne sommes plus à l'ère des bisounours. Tout intrus doit d'être férocement éliminé. Une bouche de moins à se nourrir d'immondices. Quand il y en a pour quatre, il n'y en a pas pour cinq. Devant ce danger les Pogo retrouvent leur antique énergie, vous prennent l'ennemi en chasse au pas de course, irruption d'une musique folle qui vous projette dans les cordes de la démence, Olivier vous bouffe les mots à la manière d'un cannibale qui becte à pleines dents le foie sanglant de sa victime et se suce les doigts pour lécher jusqu'à la dernière goutte l'amertume de la bile, moment de folie, sur les images, ce n'est guère mieux. Pour savoir le sort final de l'intrus, je vous laisse vous délecter en famille. Ne reste plus que la sacoche de l'individu inconnu, un CD a glissé de sa gibecière, le prochain de Pogo Car Crash Control.

    Sont en train de l'enregistrer. Viennent de faire ( ce 06 décembre ) le Zénith avec Mass Hysteria, par contre le 10 décembre 2020 ils seront au Bataclan. Une prochaine tuerie.

    Damie Chad.

    JUICE

    ABSTRACT MINDED

    ( Réalisation : MARLENE REICHMAN )

    ( 30 / 03 / 2019 )

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    Filmer un concert est un boulot qui pratiquement ne demande que des compétences techniques, transformer une vidéo brute en artwork est plus difficile. Souvent c'est n'importe quoi. Au pire une copie conforme de la réalité. Au mieux une équivalence. Une synesthésie, faire en sorte que l'image animée et la bande-son qui l'accompagne forment un objet différent de ce qu'ils sont censés représenter. Après reste le choix de la méthode : rester fidèle à ce qui a eu lieu, ou donner à sa place des images étrangères qui sont comme des transpositions poétiques de l'évènement. Marlène Reichman a choisi la première option. Juice sera donc un cocktail servi brûlant. Peu d'ingrédients, le groupe sur scène, quelques images d'avant ou d'après le concert, mais très proches du moment éruptif, des vues de la salle. Rien d'original. Vous avez déjà vu cela mille fois. C'est la mille et unième qui est la plus importante. Tout est question de dosage. Une seconde de trop sur un plan et le clip est foutu. Faut naviguer entre les étocs de la banalité et les écueils de l'esbroufe gratuite.

    En fait ce n'est pas ce qui se passe sur scène qui construit le clip. Pour cet aspect, vous pouvez faire confiance à Abstract Minded, ils assurent grave, et Marlène Reichman a su insuffler l'énergie aux images-clichés passe-partout que vous retrouvez sur tous les clips de metal music. Elle a compris que cette clef de voûte imposante doit reposer sur des piliers d'une extrême finesse qui conduisent, contrôlent et signifient les forces en jeu. Mais qui ne doivent pas s'imposer à la manière de ces mastodontes pachydermiques emprisonnés qui se projettent en plein dans vos yeux depuis l'étroite cage d'un cirque. Elle a adopté une démarche similaire à celle de Victor Segalen qui a écrit Simon Leys en tant que roman du dehors et Le fils du ciel en tant que roman du dedans. Des chinoiseries certes, mais cette idée que si la vérité d'une chose existe elle doit se trouver hors de la chose. Sans quoi elle ne serait pas plus ni davantage que la chose. Aucune valeur ajoutée ! Ainsi la force d'Abstract Minded est-elle donnée par ces instantanés des visages des musiciens hors de scène. D'insignifiants hochements de têtes, des doigts qui s'élèvent, des corps allongés, de mystérieux sourires, des mimiques quotidiennes à la portée de chacun de nous, mais ces attitudes saisies au vol confrontées au délire scénique en amplifient la virulence rock'n'rollesque.

    Tout est question d'équilibre. Des fils d'araignée invisibles. Dans lesquels vous vous engluez comme dans la beauté d'un visage. Marlène Reichman est l'épeire diabolique et vous qui vous extasiez devant la finesse du travail accompli, vous êtes la proie de son regard abstrait qu'elle a porté sur le groupe. Dont elle a su traduire l'esprit.

    Damie Chad.

    LE ROCK EST-IL REAC ?

    POSTURE ET IMPOSTURE DU ROCK

    HENRY CHARTIER

    ( Editions Carpentier / 2016 )

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    Si vous n'aimez pas le rock, vous adorerez ce bouquin. Henry Chartier doit avoir un vieux compte à régler avec le rock'n'roll. Pour quelle mystérieuse raison psychanalytique je n'en sais rien. Le charge à mort. Ne lui reconnaît aucune qualité. Pas la moindre. Le titre ne correspond pas au contenu du livre qui explique en plus de deux cents trente pages que le rock est réac. Cette affirmation est un fait établi, une certitude inébranlable, une vérité absolue. Plus réac que lui, ne cherchez pas, vous ne trouverez pas. Et pas de tergiversation depuis le premier jour de sa naissance. Aucun élément ne saurait infirmer une déclaration si péremptoire. Une véritable musique maudite, ontologique viciée. Lorsque l'on soulève une problématique sous forme de question, normalement on s'attend à ce que la réponse prenne en considération les arguments que l'on pourrait opposer à la thèse que l'on tient à défendre et à développer. Henry Chartier ne s'embarrasse point d'une telle méthodologie. L'a ses idées fixes, et il n'en démord pas. Il n'est pas inintéressant de s'attarder sur son processus idéologique de raisonnement.

    UNE ANALYSE IDEOLOGIQUE

    Première point : uns simplification abusive : Le rock ne possède aucune authenticité. Il n'est qu'une pâle et grossière copie du rhythm'n'blues noir. Une édulcoration scandaleuse. Certes il y a un semblant de vrai dans cette affirmation, mais elle manque d'un tantinet de subtilité dialectique. Les choses ne sont jamais simples. Pas obligatoirement complexes non plus. Entremêlées, un véritable sac de nœuds. Oui, les rockers blancs ont écouté la musique noire : gospel, blues, jazz et rhythm'n'blues. Mais ils ont touillé cette pâte sombre avec leurs grosses pattes blanches, country, hillbilly, romance à la Tin Pan Alley, musique sacrée et danse de salon européennes. D'ailleurs entre nous soit dit les nègres ont aussi intégré dans leur apport africain quelques rudiments de musique militaire et ont emprunté à la valse son rythme chaloupé pour le fourguer dans le blues. Un véritable micmac. Un métissage éhonté ! Cerise noire sur le gâteau, ce sont des gaziers de génie nommés Little Richard, Bo Diddley et Chuck Berry qui ont tout de même participé un maximum à la transmutation du R'N'B en R'N'R !

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    Deuxième point, refus de l'analyse historiale ; aujourd'hui le rock'n'roll est la musique des petits-bourgeois blancs de peau. Les ados issus des couches populaires écoutent en leur majorité du rap nous assène sans plus de tergiversation Henry Chartier. Le problème c'est qu'il est arrivé au rap la même mésaventure qu'au rock. N'oublions pas qu'en ses débuts, cette musique diabolique était considérée comme une musique de voyous. Une dizaine d'années plus tard ce sont les enfants de la petite-bourgeoisie qui ont à leur tour se sont gavés de ce redoutable poison. Musique des cités en son surgissement le rap est aussi devenu l'écoute préférée de la petite bourgeoisie blanche, noire, et métissée. L'on assiste exactement au même phénomène d'appropriation des musiques populaires par les enfants des classes plus aisées. Même dérive au niveau des vocabulaires : dans les seventies le terme pop-music remplaça celui trop rugueux de rock'n'roll, depuis une dizaine d'année l'on délaisse le mot rap qui flaire un peu trop la racaille, celui de hip-hop possède un parfum bobo beaucoup plus acceptable.

    Troisième point : indifférenciation des niveaux d'analyse, ou la maltraitance syllogistique : le rock n'est pas une musique ontologiquement rebelle. Cette affirmation péremptoire possède une traduction politique. Le rock vous trompe, il vous fait croire qu'il se bat contre le système capitaliste, ce mensonge éhonté est une imposture. Déduction logique : le rock n'est pas de gauche ! Heureusement, quand on voit, ne serait-ce que dans notre pays, tous ces gouvernements de gauche qui ont mené des politiques hautement proclamée de gauche qui ressemblent étrangement aux politiques de droite largement revendiquées par les gouvernements de droite, l'on se sent soulagé d'apprendre qu'il n'est pas de gauche !

    Un raisonnement cousu de fil rose. Si le rock n'est pas de gauche, c'est donc qu'il est de droite. Voire d'extrême-droite. Autrement dit : raciste, fasciste, sexiste, pro-capitaliste. Irrémédiablement rangé du côté du mal. Henry Chartier use d'une rhétorique de gauche bien-pensante qui consiste à analyser les choses non en tant que ce qu'elles sont ( pour le sujet qu'il aborde, musicales ) mais selon le jugement moral de bien-pensance de gauche que l'on se doit d'afficher si l'on veut être politiquement correct.

    UNE ANALYSE FACTUELLE

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    La méthode est simple : pour prouver que le rock n'est pas de gauche, il lui suffit de citer les artistes qui se revendiquent de droite. Voire d'extrême-droite. Soit carrément nazis. La liste est longue : des purs et durs à la Ted Nugent qui clament haut et fort leurs idées peu reluisantes à ceux qui comme David Bowie s'excusent avec prudence lorsqu'ils sont allés un peu trop loin en d'intempestives déclarations.

    En fait Henry Chartier déteste l'hypocrisie. Belles paroles par devant et plein les coffre-forts par derrière. Les concerts style Live-Aid sont de magnifiques opportunités pour les artistes et les compagnies de disques, ils génèrent une monstrueuse médiatisation qui ne coûte pas un kopeck. Souvent ils aident à relever des chanteurs qui sont un peu dans le creux de la vague. Charity-business bien ordonnée commence par soi-même.

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    Les mentalités ont évolué : si en 1974 les Pink Floyd soulevèrent un tollé de récriminations chez leurs fans qui n'acceptaient pas qu'ils aient vendu leur musique pour des spots de pub vantant les mérites de Gini la boisson qui vient d'ailleurs, se déchaîna alors une telle bronca protestataire qu'ils furent obligés d'annoncer que les bénéfices de l'opération seraient reversés – la vie n'est pas toujours pinky - à des organisations caritatives... Aujourd'hui les groupes n'hésitent pas à se faire sponsoriser par les grandes marques capitalistes. Et comme il n'y a pas de petits profits chanteurs et musiciens ont érigé en chasse-gardée le merchandising d'après ( et d'avant ) concerts. Les produits dérivés sont devenus une lucrative source de profits. Un ruissellement vers le haut...

    Les fans de base sont pris pour des vaches à lait. Les prix des billets s'envolent. Plus de mille euros pour être dans le carré des VIP's. Les tournées gigantesques génèrent des millions de dollars. Extrêmement rares sont les groupes qui exigent des places à prix modérés. Haro sur les plate-formes de téléchargement gratuit. Récupération des bootlegs remplacés par des tirages commémoratifs... Le rock est devenu un commerce particulièrement lucratif.

    Ne faut pas prendre les amateurs de rock pour de simples idiots. Beaucoup d'entre eux ne sont pas dupes. Mais le fétichisme de la marchandise est si fort qu'il induit des conduites d'appropriation consommatrices que l'on réprouve moralement mais auxquelles l'on est incapable de résister. Le capitalisme est si puissant qu'il vous vend la corde pour vous pendre. Ne craignez rien : strangulation douce. Un tout petit peu chaque semaine. Il est inutile de se presser. Dans trois jours sortiront trois inédits ( pourraves ) de votre vedette préférée...

    UNE IMPITOYABLE CRITIQUE

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    Pour les esprits trop clairvoyants qui ne marchent plus dans le système, pas de problème. Oui vos groupes adorés vous ont trahis. Ceux qui se proclamaient rebelles-de-la-mort voici cinq ans sont passés de l'autre-côté du tiroir-caisse. Se remplissent les fouilles avec avidité. Souriez, tout n'est pas perdu. Une nouvelle génération se profile sur le marché. Des révoltés à l'état pur. Des tueurs fous sans concession. Le rebelle nouveau est arrivé. Bien sûr ils vont mal finir. Les petits groupes sur petits labels vont grandir et rentrer dans les écuries des majors. Eux aussi ne pensent plus qu'à empiler les gros biftons du lucre. Ne pleurez pas, ne vous lamentez pas, dans l'ombre une nouvelle génération de pirates aux dents aiguisées par la faim et l'esprit peuplé par de belles idées anarchisantes se prépare à prendre le système à l'assaut, pas de panique nous préparons la suite, le prochain produit est à l'étude, les prototypes sont prêts... Nous nous occupons de tout. Big Rockin' Brother ne vous laissera pas tomber. Il pourvoie à toutes vos révoltes. Vos désirs seront satisfaits. Avant même que vous en ayez pris conscience. L'offre précède toujours la demande. Que sont devenues les âmes blanches des punks du temps jadis...

    C'est que voyez-vous, vous êtes d'incurables romantiques. Prenons le premier terme de la sainte trinité. Le sexe. Oui le rock a participé à faire sauter les verrous de la moralité chrétienne. Son rythme, ses paroles... tout ce que vous voulez. Mais enfin, il ne faudrait pas que vous le considériez comme l'arbre qui cache la forêt. S'est simplement inscrit dans un long mouvement de déchristianisation des esprits dont on peut dater les commencements dans le lointain dix-huitième siècle. L'est arrivé au dernier moment. Le boulot de fond avait déjà était fait. L'a simplement filé la dernière chiquenaude.

    Quant aux drugs censées vous ouvrir les portes psychédéliques de la perception, elles n'ont pas vraiment déclenché une nouvelle civilisation spirituelle. De toutes les manières, là aussi le rock a pris l'ultime métro des retardataires, pensez aux rituels chamaniques qui se perdent dans la nuit des temps pré-néolithiques... Le rock n'est que le camelot pourvoyeur des antiques lunes qui crie un peu plus fort que les autres.

    Mais qu'a donc apporté de neuf sur cette terre le mouvement rock depuis ses débuts, toutes chapelles confondues, s'exclame Henry Chartier. Rien du tout. L'est même le contraire de la révolte qu'il prétend être. L'est devenu la musique des élites. Attention la vis se resserre. Ne pensez pas que ce mot d'élite désigne ici la petite bourgeoisie blanche cultivée. Il faut le prendre en son acception plénière. La crème qui dirige l'humanité. Le 1% de cette population de nantis qui possèdent les 90 % des richesses. Rien à voir avec le 1 % que les bikers dissidents affichent fièrement sur leurs blousons. Qui eux par contre doivent honorer 100 % des traites de leur Harley. Steve Jobs ne fut-il pas un fan des groupes de rock tels que les Beatles, les Stones et le Creedence Clearwater Revival...

    Pour résumer : Thierry Chartier nous assure que le rock est pire que réac. Il est l'opposé de ce qu'il prétend être. Une entreprise malhonnête d'asservissement des cerveaux, un des rouages extrêmement performant de l'idéologie capitaliste.

    PLOUF !

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    Quelle douche froide ! Henry Chartier jette le bébé vagissant du rock'n'roll avec l'eau du bain capitaliste. Ne nous laisse pas que des larmes pour pleurer. Vous refile un lot de consolation. Exit le rock. Déroule le tapis rouge pour la chanson. Brassens bien entendu. Le pépère tranquille à la pipe qui déclarait que puisque les jeunes soixante-huitards se laissaient pousser les cheveux, lui il aurait plutôt tendance à raccourcir les siens. En fait pas si loin que cela des Cheveux longs idées courtes de Johnny... Comme quoi il ne faudrait jamais vieillir, même quand l'on s'appelle Brassens. Autres exemples, les chanteurs catalans qui sous Franco entonnèrent des hymnes anti-franquistes. Il est vrai que la riche bourgeoisie catalane a toujours eu des velléités de séparatisme nationaliste. Une idéologie pas tout à fait marquée à gauche. Enfin les chanteurs chiliens contraints à l'exil sous Pinochet ou carrément assassinés comme Victor Jara durant le coup d'état. On passe généralement sous silence que dans la semaine qui précéda el golpe funeste, le gouvernement socialiste et de gauche d'Allende avait ordonné le désarmement des Cordons Ouvriers... L'est sûr que le peuple chilien uniquement unido avait beaucoup plus de chance d'être vincido que le même peuple armado. Bref les mirifiques exemples anti-capitalistes apportés par Henry Chartier ne nous convainquent pas plus qu'ils n'ont vaincu...

    Non le rock et ses déclamations rebelliques n'ont pas abattu le capitalisme. Celui-ci l'a même récupéré. A un niveau marchand et à un niveau idéologique. Le rock est devenu une marchandise comme tout autre objet de consommation. Comme l'idéologie par exemple. Vous êtes contre le capitalisme, ça tombe bien voici une idéologie de gauche démocratique des plus méritoires. Totalement adaptable aux températures ambiantes. En vente libre. Oui, oui prenez à volonté, c'est nous qui vous achetons. Que voulez-vous nous avons toujours besoin de plusieurs sorties à notre terrier. De droite et de gauche. Selon les nécessités du moment. Un peu comme ces vendeurs à la sauvette au Portugal qui vous proposent des parapluies quand il pleut et cinq minutes plus tard des lunettes de soleil quand le temps se met au beau.

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    C'est que le rock n'est pas un mouvement d'obédience politique. Juste une mouvance culturelle. Un champ de bataille. Bien sûr que le capitalisme y insuffle ses conduites marchandes, il propose à la vente tout ce qu'il peut, vous fournit les produits de première nécessité, les symboliques et les dérivés, et achète tous ceux qui peuvent le servir en sa main-mise commerciale sur les esprits. Par contre le rock est aussi traversé par d'autres pratiques économiques différentes, les concerts gratuits ou à prix libres, les fanzines bigarrés aux contenus peu consensuels, les blogs comme le nôtre en accès libre, les boutiques de disques aux goûts peu mainstream pour amateurs éclairés, parfois tenues par des associations à but non-lucratifs, voire soutenues par des monnaies locales, tout un réseau inséré de force et contre son gré dans le cadre marchand de notre société capitaliste mais qui essaie de s'y salir le moins possible...

    Le rock n'est pas plus réac, rebelle ou révolutionnaire que n'importe quel autre lieu d'activisme culturel. Il est des livres qui vous vantent les mérites insurpassables du capitalisme, d'autres qui le critiquent, d'autres qui appellent à sa destruction. Parfois vous trouverez ces différents types de volumes chez le même éditeur ou chez le présentoir d'une même grande surface ( à prétention culturelle ). Parfois vous remarquez que certaines maisons d'éditions sont davantage ceci que cela. Parfois vous devez chercher un peu plus longtemps sur des réseaux parallèles... Ce n'est pas pour cela que vous allez écrire un ouvrage titrée La littérature, la philosophie, le roman, la poésie sont-ils réacs ? Le système capitaliste est tentaculaire et pétri de contradictions. Les champs politiques, économiques et culturels sont traversés de courants idéologiques différents et antagonistes.

    Et puis, the last but not the least, en dernier ressort il y a les individus irradiés des mêmes contradictions que le milieu dans lesquels ils se dépatouillent avec leur propre existence, de surcroît emmêlée à celle des autres. Les niveaux de conscience ne sont pas les mêmes. Certains suivent les courants principaux, d'autres s'activent dans leurs coins. Au couple dominants / dominés, je préfère celui du binôme suivistes / activistes qui me semble participer d'un dynamisme moins stagnant et plus optimistement moins entaché de pérennité absolutrice.

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    Enfin pour terminer, à lire la liste des livres publiés par Henry Chartier : La magie McCartney, Christophe, le beau bizarre, La musique du diable et ses succès damnés, Nick Drake, l'abécédaire, John Lennon le Beatles révolté, Nino Ferrer, un homme libre, je me dis que cela fait beaucoup d'ouvrages consacrée à des acteurs-phares d'une musique fondamentalement réactionnaire !

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 442 : KR'TNT ! 442 : JACKETS / DON CAVALLI / MIKE FANTOM ET LES BOP - A - TONES / BILL HALEY / SYLVIE ET JOHNNY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , jackets, don cavalli

    LIVRAISON 442

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    12 / 12 / 2019

     

    JACKETS / DON CAVALLI

    MIKE FANTOM ET LES BOP-A-TONES

    BILL HALEY / JOHNNY ET SYLVIE

     

    Jackets of all trades

    jackets,don cavalli

    Vous vous souciez de l’avenir du garage ? Rassurez-vous, il est entre de bonnes mains. Jackie Jacket et ses deux jackpotes veillent au grain. Ils veillent d’autant mieux au grain qu’ils savent s’entourer : au dos de la pochette de leur quatrième album, Queen Of The Pill, on lit les noms de Beat-Man, de King Khan et de Jim Diamond. Bloody hell ! On ne pourrait pas concevoir meilleure crème de la crème du gratin dauphinois. On parle ici d’une nouvelle aristocratie du rock underground, ancrée dans l’axe Berlin/Berne, réplique de ce que fut l’aristocratie rock du Swingin’ London, telle que l’incarnèrent Keef Richards, Ginger Baker, Jeff Beck et Rod The Mod avec leurs drogues, leurs bijoux, leurs fast cars et leur belles gonzesses.

    jackets,don cavalli

    Entre ce nouvel album des Jackets et leur réapparition sur scène, on ne sait plus où donner de la tête. Comme dirait la môme Piaf à propos de Jackie Jacket, «tu me fais tourner la tête/ Mon manège à moi c’est toi», oui sur scène, elle n’arrête pas, elle fait tout à l’énergie brute et riffe à bras raccourcis. Elle sur-joue son sur-jeu, elle trépigne et elle hennit, elle prend un malin plaisir à démarrer ses cuts en fuzz-scuzz avant de foncer à travers la plaine en mode slash-and-burn pour aller trébucher fabuleusement, histoire de partir en piqué de Stuka. Live, le «Dreamer» d’ouverture de bal d’A atteint un volume énorme, elle le prend de haut, de très haut et injecte son pathos à la Louise Brooks dans un yeah yeah qui se répand à l’aube de l’aune - Hey little dreamer - ça sonne comme un classique, et ce beau riff se promène à la surface du cut comme une scie de l’ancien régime. Ils tapent très vite dans le «Be Myself» de fin de B, dommage qu’elle n’ait pas sur scène les chœurs d’artichauts berlinois - Do you wanna/ Be my tool - Ce démon de King Khan fait la pluie et le beau temps sur l’album, notamment dans «What About You». Samuel Schmidiger l’embarque au bassmatic jumpy et Jackie Jacket chante sous le couvert jusqu’au moment où ce démon de King Khan vient guester pour un couplet qu’il se met à shaker comme un King. Sur scène, les Jackets exploitent toutes les possibilités que peut offrir la triangulation et ne tombent jamais en panne d’éclairs ni d’interactions. Au contraire, ils montrent que les possibilités sont infinies, pour eux c’est même une évidence, leur abnégation donne le vertige, ils retrouvent une sorte d’innocence originelle, celle dont pouvaient se prévaloir les jeunes loups des early sixties, lorsque ne comptaient que le plaisir de jouer, les poussées de fièvre et les déjections coïtales. Les Jackets, c’est ça, le raw to the bone du plaisir de jouer. Jackie Jacket doit parfois retrouver une certaine forme de stabilité pour chanter, mais aussitôt la fin de couplet, elle bondit et passe des killer solo flash d’antho à Toto, ceux dont on peut se goinfrer jusqu’à la fin des temps sans jamais risquer l’overdose. Elle est le temps du set la reine d’un petit monde afficionadiste. On voit toutes les têtes bouger en rythme, alors ça la galvanise et elle met le turbo dans une riffalama déjà bien énervée. Dans les très bons concerts, les circulations de flux entre la scène et le public sont palpables. Jackie Jacket ne fait pas semblant. Elle se donne à fond. Elle y croit dur comme fer et se transforme en géante. Elle réussit même à allumer le «Steam Queen» qu’on trouve sur Queen Of The Pill. Elle tient son garage par la barbichette, elle semble passer ses solos entre deux eaux et plante son regard dans ceux des méduses échouées au premier rang. Le set dure une bonne heure et ne s’accorde aucun répit. Il se pourrait bien que ce soit le public qui transpire, et non les musiciens. Le clou du spectacle est cette terrifiante reprise du «Hang Up» des Wailers. Jackie Jacket ne pouvait pas faire de meilleur choix que de prêter allégeance aux Wailers qui incarnèrent jadis avec les Sonics le wild Sonic Boom du Pacific Northwest.

    jackets,don cavalli

    On les vit une première fois au Cosmic en 2013. What a révélation ! Ce n’est pas Jackie Jacket qu’on vit arriver sur la petite scène du Jungle Room, mais Loulou de Pabst avec une couette à la verticale sur le haut du crâne et le maquillage d’Alice Cooper (ou d’Hank Von Helvete, au choix), encadrée de deux mecs. Elle chantait avec une hargne édifiante et son bassman jouait en mélodie avec un son bien gras du bide. On aurait pu se croire dans un pub de Londres en 1964.

    jackets,don cavalli

    Loulou termina son couplet et soudain, elle disparut - Freak out wouaaaah it’s the only way out ! - Il fallut vite fendre la foule pour aller voir ce qu’elle était devenue. Elle se tortillait au sol pour jouer un solo de pure frenzy, les pattes en l’air. Elle avait tout pigé. Ceux qui virent les Them au Maritime Hotel de Belfast en 1964 durent ressentir exactement la même chose. Il n’existe rien d’aussi jouissif que la sauvagerie scénique. Johnny Burnette et Jackie Jacket, même combat. Indomptable ! Du genre qui s’en va hennir dans la prairie.

    jackets,don cavalli

    Trois ans plus tard, ils sont revenus jouer au même endroit, dans la Jungle Room. Tant mieux, car la salle est plus petite et le son plus ramassé. On les retrouvait tous les trois, bien rassemblés autour de ce lanceur de cuts patenté qu’est le drummer Chris Rosales. Cet Américain expatrié en Suisse mit pendant quelques temps son talent au service du bon Reverend Beat-Man.

    jackets,don cavalli

    Et pouf, ça partait en garage blast, avec une Jackie Loulou en forme olympique. Incroyablement légère et vivace, elle dansait en grattant sa petite guitare jaune. Elle ne portait que du noir et passait ses accords avec une classe indécente, pendant que Samuel Schmidiger montait au créneau pour les chœurs. Ah quelle équipe ! Elle s’amusait déjà à fixer les gens entassés au pied de la petite scène.

    jackets,don cavalli

    Ils jouaient ce petit garage féroce et bien en place qu’on retrouve sur leurs quatre albums. Ils incarnaient alors l’avenir du genre. Ils mettaient un point d’honneur à soigner leur virulence. Ils proposaient un garage bien claqué du beignet et baigné dans son jus, rondement mené, sans frime, sans filler. Jackie Jacket montait parfois sa voix comme une sorte de Siouxie éperdue mais elle mettait tellement d’influx dans son blast qu’elle balayait tous les soupçons.

    jackets,don cavalli

    On attendait tous le moment fatidique : le solo pattes en l’air. Et pouf, elle tombait enfin sur le dos et pédalait à l’envers en claquant son killer kling-a-klong ! Magnifico ! Elle mettait l’assistance en transe, elle nous shootait une belle dose de spectacle. Le public adore voir les guitaristes se rouler par terre.

    jackets,don cavalli

    Les Jackets s’appuient désormais sur un beau parcours discographique. De la même façon que Queen Of The Pill, leur troisième album intitulé Shadows Of Sound est sorti sur le label du bon Reverend Beat-Man, Voodoo Rhythm. Ça commence mal : Jackie chante son « Don’t Turn Yourself In » à l’insidieuse et remplit son garage de sale petite fuzz. Question son, elle a tout compris, comme Thee Headcoatees voici vingt ans : il faut appuyer sur le bouton pour faire gicler le pus. Ça marche ainsi depuis la nuit des temps. Encore de la belle fuzz dans « At The Go Go ». Ses élans moites se frottent aux résurgences. C’est admirable de râpeuse perversité. Elle encrasse aussi « Keep Yourself Alive » de fuzz, mais chante d’une voix un peu trop docte, à l’Allemande, c’est-à-dire d’une voix glaciale un peu hautaine qui n’est pas sans rappeler celle de Nico. En B, ça chauffe avec des trucs comme « Wheels Of Time », un jerk monté en épingle. Elle trouve enfin sa voix sans « You Better » et paf, on prend une giclée de fuzz dans l’œil. Voilà ce qui arrive quand on s’occupe de ce qui ne nous regarde pas. Elle mène son bal de la dérive, fait des brrrrr et part en vrille de stash. Dans ce mid-tempo bardé d’avantages qu’est « Hands Off Me », elle dit à un mec bas les pattes. Elle sait placer un solo, la garce. Elle termine avec l’excellent morceau titre et chante avec de faux airs de Grace Slick, ou de qui on voudra, après tout on s’en bat l’œil.

    jackets,don cavalli

    L’album précédent s’appelait Way Out. On y trouvait quelques belles énormités fumantes, comme le fameux « Freak Out » qu’ils jouaient sur scène en 2013. Elle le tire à la force du poignet, car c’est du garage gros popotin, bien lesté de basse. Jackie Jacket screame plutôt bien et elle semble à l’aise dans le gros boogaloo - Freak out is the only way out - Ça sonne comme un leitmotiv constructiviste. S’ensuivent quelques cuts très moyens qui font douter les pèlerins et puis soudain, la machine semble se remettre en route avec « You Said ». On y sent bien la partance de la véhémence et l’exégèse de la paragenèse. Voilà un garage fuzz digne des meilleurs jukes du lac Léman. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio du fameux « Hang Up » des Wailers. C’est exactement le même principe que l’« I Can Only Give You Everything » des Them : la fuzz impose sa loi, bien vicelarde et bien lancinante. En B, on tombe sur un « In My Mind » bien sautillé à l’accord et tapé au petit riff persistant. Mais ce qui fait le charme du cut, c’est le minuscule filet de bave fuzz qui coule et qui sert de solo. Fameux ! C’est avec ce genre de trouvaille qu’ils font la différence. Ils semblent aussi vouloir rendre hommage aux Seeds avec « Oh Baby » car on y entend les petits accords légers bien connus des Seedomaniacs. Tiens, encore un perle avec « Falling Girl », fantastiquement balancé aux couplets de chœurs d’artichauts. Comme c’est bien ficelé ! « Last Chance » qui est le dernier cut vaut largement le détour : elle y fait sa folle, sa fauve, sa reine du garage et ça s’emballe pour de vrai. On a là un gros classique chanté à la liberté de ton et elle finit à la clé d’apothéose, sous le soleil de Satan.

    jackets,don cavalli

    Il se pourrait bien que leur premier album, Stuck Inside soit le meilleur des quatre. Jackie Jacket y taille une bavette à la serpe dans le mythique « Demolition Girl » des Saints. Elle jette tout son dévolu dans la balance. Sacré courage, car elle tape vraiment dans l’intapable - That’s what I say ! - On trouve sur ce disque trois beaux classiques garage, à commencer par « Get Back With You », impérieux, joué au riffing traditionnel avec des chœurs masculins bien sentis. Restons dans le garage de sang et de larmes avec « Traitor ». C’est là que naît leur extraordinaire balistique cabalistique, cette fantastique exhalaison riffique qui finit par les caractériser. Jackie Jacket prend un solo en franc-tireur et remonte à la note de gamme pour créer la lueur d’incendie. On sent qu’elle a écouté Johnny Thunders et le MC5. Les Jackets sont déjà terriblement bons - I can’t stand it no more yeah yeah yeah - Et puis voilà « Escape », bardé d’accords exponentiels. Jackie Jacket entre à la fine fleur d’excellence, elle cherche le Graal du gras et transforme le riff en or comme un Pic de la Mirandole des temps modernes. Quel sens aigu de la transmute ! Elle explose le garage c’mon avec des brrrr de lippe ! Fab Fab Fabulous ! D’autres cuts titillent bien l’occiput, comme par exemple « Running », gratté au raw to the bone, belle passade de rhythmalama fa fa fa et de yeah yeah yeah, c’est nerveux, excitant, ah la bourrique, elle sait partir sans prévenir, exactement comme Wild Billy Childish, c’est fin, viandu, tapé derrière par l’infernal Chris Rosales - Get outta my way ! - Elle est dessus et maintient une tension vocale impressionnante. Elle enchaîne avec un « Got No Time » digne des Standells, oui, car elle gratte les accords de « Good Guys Don’t Wear White », et tant mieux. Encore une merveille avec « Out Of My Head » et sa violence déterminée. Jackie Jacket travaille à l’escarmouche et c’est vraiment battu à la soudarde, sans aucune moralité. Vilain cut guerroyé à l’axe et gratté mauvais.

    Signé : Cazengler, Jaquéquette

    Jackets. L’Abordage. Évreux (27). 28 novembre 2019

    Jackets. Stuck Inside. Subversiv Records 2009

    Jackets. Way Out. Sound Flat Records 2012

    Jackets. Shadows Of Sound. Voodoo Rhythm Records 2015

    Jackets. Queen Of The Pill. Voodoo Rhythm 2019

     

    Un bon Cavalli n’est jamais le dernier

    - Part Two

    jackets,don cavalli

    Le nouvel album de Don Cavalli arrive quelques mois après la bataille. Enregistré et mixé en avril dernier, il aurait pu se vendre au Rétro. Et même bien se vendre. Cet été, beaucoup de gens ont fait le déplacement pour voir Don Cavalli sur scène.

    jackets,don cavalli

    L’album qui vient tout juste de paraître s’appelle Banjara et ne propose que six titres. Don Cavalli y calme le jeu. Il chevauche en père peinard dans sa Sierra Banjara au son d’un beau gratté d’exotica. I ain’t gonna hide, chante-t-il dans le morceau titre, il a raison, ça ne sert à rien de vouloir se planquer. S’ensuit ce qu’il faut bien appeler un coup de maître : «The Fall (Of The Roman Empire)», un joli balladif dedicated to the followers of the motion. Don Cavalli y développe un fabuleux sens de l’espace, il fait ici une sorte d’Americana miraculeuse qu’il vient claquer au gimmick dans les encoignures. Ce Fall sonne comme une merveille palpitante. Un «Girl At The Drugstore» gratté au deep de deep avec un son sourd comme un pot boucle l’A. Don Cavalli, c’est Hopalong Cassidy avec une guitare en bois, le menton pointé vers l’avenir, il chante à la petite véhémence et gratte sa dentelle d’arpeggio du Montana. Just perfect ! Vous trouverez certainement la B moins spectaculaire. Il y joue son shake d’«Ann-Doo-Wee» aux percus de cabanon. Ah ça gratte sous le poncho. Nous voilà dans un western, même s’il passe au gospel d’église en bois avec «I’m Gonna Shout». Il termine ce bel exercice de style banjarien avec un «Sunny Side Of The Mountain» qui n’est pas sans rappeler le voyage de retour du Desperado, cet appel à la raison lancé au soir d’une vie - Desperado oh you ain’t gettin’ no younger - Il est temps de rentrer à la maison - Come down to your fences and open the gate, chantait le veux Cash à l’article de la mort. Comme le fit jadis le vieux Cash, Don Cavalli tape dans les profondeurs du feeling pour enchanter son Sunny Side.

    jackets,don cavalli

    S’il faut saluer bien bas un album de Don Cavalli, c’est évidemment The Pharoah. Cet étrange objet paru sous la forme d’un double 25 cm en 1999 fit paraît-il sensation à Londres, parmi les amateurs éclairés. Hélas, mille fois hélas, l’objet est devenu inabordable. Pour l’écouter, il faut soit le télécharger, soit se le faire prêter. C’est l’un des meilleurs albums de rockab jamais enregistrés. Histoire de bien donner le La, Don Cavalli démarre en trombe avec une reprise de Charlie Feathers, «Let’s Live A Little». Il ramène tous les petits jets de junk et hiccuppe à gogo. Il enchâsse son rockab avec une niaque épouvantable. Dans le morceau titre, il fait rimer bingo avec Cairo, il swingue sa chique comme un real cool cat et passe un solo des enfers les deux doigts dans le nez. On trouve très vite un coup de génie en fin d’A : «Money In My Shoe». Ce diable de Cavalli savate son bop, il est mille fois meilleur que Cash, il shake à l’os du crotch, à coups de swings de glotte, le son des guitares se perd dans l’écho du temps, il n’existe aucun équivalent de cette sauvagerie, de ce claqué délinquant, Don Cavalli s’agite comme un punk, il retrouve les secrets de la violence originelle du wild rockab, ça goutte de jus, un vrai jus de frappadingue. Il se régale encore plus avec «Behind The Mountain». Personne ne voudra jamais croire qu’il est plus américain que les Américains, et pourtant c’est vrai, il tourneboule son rockabilly à la softerie enfarinée. Le temps d’une chanson, il règne sur le monde, comme le montre la pochette. Crazy cat ! Il fait exactement ce que fit Elvis en 1954 : il ramène sa voix et son déhanché. C’est tout ce qu’il possède. Et ça suffit. Don Cavalli se situe exactement à ce niveau de compréhension des choses. Tu as la voix et le déhanché, alors roule ma poule. Roll on ! Du coup, Don Cavalli s’en sort bien mieux qu’Elvis car aucun Tom Parker ne l’a harponné. Ouf !

    Et ça repart de plus belle en B avec «You’re Gonna Rap». Il explose tous les contours, il joue la carte du gonna rap, chante au lousdé de l’effervescence, il surine ses intentions et viole ses breaks de guitare comme on viole des traités, à l’arrache maximaliste. Il sait aussi partir en mode hillbilly à travers les collines comme le montre «Travelin’ This Lonesome Road», mais il le fait à sa façon, à l’excès de big time de lonesome drifter. En vrai puriste, il joue la carte de l’Americana, qui comme chacun sait, correspond à la vision d’un son. Sans vision, pas d’Americana. Tintin. Sur «Early In The Morning», il émule Charlie Feathers avec un tact et une délicatesse qui n’en finissent plus de l’honorer. Il nous sert cette tranche saignante de rockab du Tennessee sur un plateau d’argent. Il hoche bien son hoquet. Il recrée toutes les conditions du mythe à coup de heavy hiccup, wow cet early in the morning qu’il emmène à fantastique allure ! S’il fallait résumer Don Cavalli en seul mot, ce serait allure. Belle et fantastique allure.

    jackets,don cavalli

    On sort en tremblant de la B et on se demande ce que nous réserve la C. «Master Of Earth» sonne plus classique mais ça reste très sérieux. Il enroule son vaillant Master au ding-a-ling de sing-along avec une présence totémique et enchaîne avec un beau punch-up de saturday night dans «Downtown Saturday Night». Ce mec est bon à pleurer. Il enroule son downtown comme le ferait un géant de Tennessee et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il regorge de véracité, et dans ce domaine très pointu qu’est le rockab, la véracité vaut tout l’or du monde. Tu ne fais pas de rockab sans crédit. Sans voix ni déhanché. Son «Hey Charmin’» tombe d’ailleurs à point nommé, puisqu’on parle de véracité. Il chante ça au délibéré de Memphis, ce mec déambule dans la mythologie avec une classe désarmante. Ce qui stupéfie le plus, c’est qu’il ne frime pas. Il entend le téléphone sonner dans «When The Phone Rang», hey hey - There was a voice/ Speaking so free/ Calling my name - Il nous fait le coup du boogaloo téléphonique et s’amuse à bopper comme un boppeur. Et de la même façon que Jake Calypso, Don Cavalli sait sonner cajun. La preuve ? «Low Rock And Roll». Il va y chercher des dissonances d’attirance gominale with the ole spanish guitar. Il nous ouvre les portes de son monde qui est celui de la musicalité, un monde réservé aux très grands artistes, des gens du calibre de Mac Rebennack, de Leon Russell, de Davy Graham ou de Taj Mahal. Puis sans prévenir, il revient au big time avec «You Ain’t Gonna Be My Baby» et hiccuppe comme un beau diable de Tail Feather. Rien qu’avec son premier album, il est passé complètement à autre chose, ce que viendront confirmer les albums suivants. Il faut entendre Don Cavalli éclater sa vieille éclate : c’est un phénomène unique au monde. Alors et la D ? Ah mon pauvre ! Pas question de souffler. Don Cavalli tagadate de plus belle avec «Your Lies» qu’il chante du menton, il y va, rien ne peut le freiner. Il sonne déjà comme une vieille évidence avec ce cut demented are go à gogo. Il embarque son «Where You Been Honey» à la folie Méricourt, tagada tagada, c’est trémoussé du gogotting et slappé derrière les oreilles. Il propose un real raw rumble de Parasite dans un «Parasite Blues» gratté aux meilleures guitares de la confrérie confédérée. Si on aime bien les éclairs sauvages, c’est ici qu’on les trouve. Il adresse un dernier clin d’œil à Charlie Feathers avec «Cold Dark Night». Il va le chercher dans la taverne. Attention, c’est un épisode extrêmement attachant. Pas déterminant mais attachant. De toute façon, on adore Charlie Feathers.

    Signé : Cazengler, Don Casanis

    Don Cavalli. The Pharoah. Tail Records 1999

    Don Cavalli. Banjara. Doghouse & Bone Records 2019

     

    TROYES - 07 / 12 / 2019

    3 B

    MIKE FANTOM AND THE BOP - A – TONES

    jackets,don cavalli

    Quarante jours sans assister à un concert de pure rockabilly, une véritable mise en quarantaine, un scandale éhonté, une catastrophe planétaire, ne vous raconte pas à quelle vitesse vertigineuse la teuf-teuf roule vers Troyes. Surtout que ce soir, c'est Mike Fantom et ses boys pas du tout atones. J'arrive même avant Lucky le guitariste, ce qui me permet d'assister à sa petite répète personnelle, pas longtemps, l'est pressé de rejoindre ses collègues déjà à table, vous sort sa guitare de son étui et en trois minutes, il effectue tous les règlements nécessaires, royal mais pas manchot le gamin, mais ne gâtons pas le plaisir à l'avance.

    MIKE FANTOM AND THE BOP- A-TONES

    Quatre sur scène. D'abord il faut réviser vos a priori. Sur les fantômes. Si vous pensez que ces esprits sont à même de circuler sans problème entre le mur et la tapisserie, voici une idée fausse. Apercevoir Mike le Fantom vous détrompera aisément : un géant, massif, en chair et en os. Quand il s'approche du micro vous reculez d'un pas devant sa carrure impressionnante. Sont chacun comme cela. Doués d'une personnalité, une dégaine tranchante qui n'appartient qu'à eux.

    jackets,don cavalli

    Big Ben et sa contrebasse, pas vraiment une big mama, une greluche mal formée, poussée en graine de cocotier, au long cou d'autruche déplumée, des hanches étroites, peau de bois , pas la vénus callipyge aux formes rondouillardes attendue, mais cette maigrelette Big Ben qui ne semble lui prêter qu'une attention distraite ne cesse, l'air de rien, de la frapper durement. Pas en brute, en tire un son d'une lourdeur veloutée – quand on pense qu'il y a des gens qui dépensent des fortunes pour des séances de thérapie sonore – imaginez un éléphant en chaussons roses qui fait des pointes sur le plancher de l'opéra, vous avez les lattes de bois qui fléchissent et craquent puis qui reprennent leur situation initiale dès que la grosse patte se relève et vous sentez une puissante vibration vous envelopper. Durant les trois sets Big Ben n'a pas arrêté une seconde de nous servir ce doux ravage dans nos oreilles, nous a concédé deux petits solos aussi claironnants qu'une trompette, mais pas plus. Sûr de son fait, vous offre la crème de la crème. Et vous n'en avez jamais goûté d'aussi fouettée, d'aussi onctueuse.

    Ce grand blond, avec ses lunettes, son grand front intelligent, et son air de mathématicien absorbé en train de résoudre dans sa tête une équation du vingt-septième degré, c'est Marco. Il est assis devant sa batterie. Je précise, car vous pourriez ne pas vous en apercevoir. Le mec ne cherche pas à vous en mettre plein la vue, pour la grosse caisse, l'a choisi la taille fillette, le plus petit modèle disponible dans le commerce. Idem pour la caisse claire, une extra plate, presque un frizbee, un tambour sur sa gauche, pour les autres toms vous remarquerez leur absence. Le minimum vital de survie. Toutefois une frivole fantaisie, une cloche de vache en plastique rose à mon humble avis d'une laideur repoussante. Mais où va-t-on avec cette parcimonie même si on rajoute deux cymbales et une charleston ? Direct au trouble auditif. Car le Marco quand il tape c'est sec comme une écaille de serpent qui joue au cache-nez strangulateur autour de votre gorge, et net comme un bris de vitre qui vous décapite sans que vous vous en rendiez-compte. Comment peut-il arriver à développer une tel ravage sonore avec un kit si minimaliste. Sur Whipe out par exemple il s'est permis trois petits soli aussi efficaces que la lame d'un gladiateur qui sectionne la carotide de son ennemi tombé à terre. Des tueries de trente secondes qui arracheront des cris de joie au public.

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    Un bémol. L'on sait bien que Lucky n'est ici qu'en remplacement. Mais à choisir un guitariste autant en prendre un qui sache jouer. J'ai le regret de le répéter. Lucky ne joue pas de la guitare, il s'amuse de sa Gretsch. La face éclairée d'un sourire malicieux. Pétillant de mille feux. C'est qu'un morceau de rockabilly, c'est comme un château de cartes, un équilibre miraculeux, un poker qui se gagne, mais que l'on n'a pas le droit de perdre. Dure tâche pour les guitaros, la note N à l'instant T, pas une autre, ni un peu plus tard, ni un peu plus tôt. Pile à l'heure exacte. Tout cela Lucky il sait le faire, il s'en charge parfaitement. Impossible de comprendre comment il fait, mais lorsqu'il a accompli l'impossible, il lui reste encore du temps de rabe. Exemple : il ne peut pas passer un riff comme tout le monde, une fois qu'il a fait son boulot, l'éprouve le besoin mauvais de vous le cisailler en mille morceaux, de lui foutre les tripes à l'air et de s'en servir comme guirlandes pour décorer le sapin de Noël. N'est pas toujours aussi cruel, l'a de délicates intentions, dans un rock torride, dans un maelström dévastateur, au milieu de la tourmente et de la tempête, il hausse sa guitare vers le public, et son visage s'illumine d'une ironique expression extatique pour vous faire écouter le cristal de quelques fragiles notes qui se complaisent à imiter le son charmant d'une mandoline énamourée.

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    La revue des effectifs est-elle terminée. Non, il y a un général à cette armée de bras casseurs. Mike le Fantom, bien sûr. Ne lance pas du gaz inerte dans les tuyaux. Uniquement de l'hydrogène explosif. Quand il s'empare d'un morceau, il vous en étrille le vocal d'une bien belle manière. C'est comme s'il engageait sa vie et celle de sa fille dans le tumulte. Traitez-le de tête brûlée, mais pas de mauvais père. Quand il boppe il ressemble à Hercule toujours vainqueur avec son art d'enfoncer les crânes avec sa massue. Mike s'en sort toujours haut la main. Que ce soient les compos du groupe ou les classiques – une petite préférence pour Al Ferrier ce qui n'est pas un choix des plus banal – ah, ce Vampire Baby à vous glacer le sang, et ce Real wild child sauvage à souhait.

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    Et puis Mike il a un truc en plus. Une voix chaude et empathique qui renforce ses pointes d'humour entre les morceaux, une simplicité bonhomme qui ravit l'assistance qui répond et renvoie la balle qu'il saisit au vol. Haute maîtrise et grande simplicité. Sait s'effacer, durant les instrumentaux et laisser la place aux copains. Lucky qui ne s'en prive pas, car en plus de jouer de la guitare comme un dieu, le garnement chante. Là on peut affirmer qu'il sait chanter. Vous transbahute les couplets à croire qu'il chasse les ratignoles à grands coups de balai meurtriers. Cet intermède local l'a émoustillé. Il ne faut jamais réveiller le fauve qui dort en vous, sur Guitar Breaker – un titre sur mesure – il finit par terre à genoux, rejoint par Mike, et même Big Ben vient se mêler à ce capharnaüm de délire collectif pendant que derrière sa batterie Marco sonne la batucada de la fin du monde, à coups de breaks caterpillaresques qui vous encombrent les tympans jusqu'au terminus de votre vie.

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    Le deuxième set restera impérissable dans les mémoires des assistants. Bien sûr cette interprétation tragi-comico-hilarante de Watcha Gonna Do transformée en espagnolade, Marco ponctue en sous-main d'un pontifiant paso-doble – que dis-je d'un paso sextuplé – Mike se la joue en pseudo-cantaor de flamenco, Lucky le chanceux gratte sa guitare à la manière des gitanos de Séville, et Big Ben égrène de lourdes notes qui tombent comme des larmes, l'ensemble évoque le taureau désolé et attendri au milieu de l'arène qui pleure pour consoler le torero de son chagrin d'amour incapacitant car le potentiel meurtrier n'a plu la force d'accomplir son office, oui, il est cocu le matador au cœur d'or ! Mais surtout la quinte flush Shool of rock'n'roll, Blue Suede Shoes, Rockin Ball ( destiné à sortir sur un tribute album le 8 janvier 2020 pour l'anniversaire d'Elvis Presley ), Let's go Boppin Tonight, Skinny Jim ( un petit Cochran n'a jamais tué personne mais vous allonge à jamais sans rémission ), Mike époustouflant dans sa tunique léopard, il chante le rockab, ni à l'américaine, ni à l'anglaise, mais à la Mike, selon sa propre idée créatrice, qui vaut son pesant d'or originel. Bouscule les phonèmes avec une netteté jubilatoire.

    Le troisième set passera en une seconde, malgré ses quatre rappels, et le groupe qui serait bien resté encore un peu pour nous régaler... nous retiendrons ce Justine, l'est sûr à la manière dont Mike dégobille les lyrics d'une façon si jouissive qu'elle a connu toutes les infortunes de la vertu et toutes les fortunes du vice. Nous terminerons, sur les riffs berryques de Lucky à faire sauter les barriques et vous faire tourner en bourrique. C'était le dernier concert de l'année au 3 B pour lequel il faut une fois de plus remercier Béatrice la patronne. Mike Fantom and the Bop-A-Tones nous ont régalés d'une apparition et d'une prestation terrifiantes. Allez les voir et vous croirez aux fantômes.

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    Damie Chad.

    P.S. : sans oublier Alex qui n'était pas là, mais présent dans nos pensées.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot et FB : Michel Texier )

    ROCK'N'ROLL STORIES

    ( Chaine You tube ou FB )

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    L'on ne se refait pas. Difficile de se débarrasser de ses vices. D'autant plus quand il s'agit de rock'n'roll. Là, c'est impossible. Surtout quand l'on cause du earlier rock'n'roll. Quand vous avez trempé les doigts dans les pots de confiture de l'armoire de votre grand-mère vous y revenez toujours. Malgré les plus terribles punitions. En plus chez Rock'n'roll Stories c'est ouvert à deux battants. Que voulez-vous il existe des gens qui n'imposent pas de droit d'entrée à leurs passions. Font partager. Alors là je me gave. En plus je m'instruis. Je connais l'histoire par cœur, mais j'y reviens comme l'assassin sur le lieu de son crime. Toujours un détail que l'on ne savait pas, une pochette que l'on n'avait jamais vue, une vue de l'esprit qui ne nous avait jamais traversé. Bref mille et une bonnes et mauvaises raisons de goûter au beurre de cacahouète pimenté du rock'n'roll.

    L'on a déjà visionné ensemble Eddie Cochran, Buddy Holly et Gene Vincent, ce coup-ci ce sera Bill Haley.

    ROCK'N'ROLL STORIES

    Série 1 / Episode 2

    BILL HALEY ET SES DEUX PREMIERS LP

    Tromperie sur la marchandise. Vous avez acheté un kilo de farine chez l'épicier du coin et vous vous retrouvez avec un kilogramme de pure cocaïne. Bien sûr la quantité est moindre, la vidéo ne dépasse pas les treize minutes. Mais quelle qualité ! Des informations de première main. Préparez-vous à stopper le film à tout instant parce que les pochettes défilent à la vitesse d'un imperturbable vol d'oiseaux migrateurs. Faudrait changer le titre. Les deux premiers LP de Bill Haley, vous les verrez certes, mais cela devrait s'intituler les débuts du rock'n'roll, ou plutôt A la recherche des mythiques racines introuvables du rock'n'roll. Une entreprise aussi insensée que la remontée du Nil de son Delta terminal à sa source originelle. Z'oui mais ceux qui ne l'auront jamais tentée le regretteront toute leur vie.

    Bill Haley fut-il le créateur du rock'n'roll ? Ce qui est sûr c'est qu'il fut le premier des pionniers du rock. La différence est subtile mais réelle. De toutes les manières l'on ne prête qu'aux riches, et sa couronne lui sera volée par un Roi plus jeune que lui. Ce n'est qu'une image, mais les dernières années de Bill furent terribles, oublié de tous, arpentant sans fin les trottoirs de sa ville mortuaire, on l'imagine sans peine en héros shakespearien, perdu en sa dépression pré-létale, hurlant à la foule '' My Kingdom for a rock'n'roll !'', alors que la pendule fatidique du rock sonnait son heure ultime.

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    Elvis naît en 1935, Bill Haley débute dans le métier en 1946... Une grande différence entre les deux, Bill provient du Hillbilly, du western swing, de la country, Elvis exactement pareil mais avec une grande différence, si tous deux s'inspirent de la musique noire, le premier effectue un démarquage, ne le rend pas forcément plus policé, car ça swingue dur sur ses disques, mais son vocal est des plus blancs, alors qu'Elvis commet le sacrilège de véhiculer sur ses enregistrements un impact vocal émotionnel typiquement noir. Elvis rejoint la filigrane du blues, Bill Haley se cantonne au rhythm'n'blues. N'empêche que Presley était infiniment doué et que le beau baryton de ses ballades relève d'une tradition toute européenne. S'il y a eu un melting pot réussi aux USA, c'est avant tout le croisement des origines musicales.

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    C'est en 1952 que les Saddlemen de Bill prennent le nom de Comets. Jeu de mots comateux avec la comète de Haley. Chez Rock'n'roll Stories dans l'ensemble des musiciens qui gravita autour de Bill c'est à Rudy Pompilli que vont les préférences. C'est vrai que le sax de Pompilli cartonne et écrase tout ce qui bouge autant que le Vésuve dans Les derniers jours de Pompéi. Fait un sacré ménage, le saxo en fureur aboie encore plus que tous les hound dogs de la création. Pour nous, c'est dans le solo de guitare de Danny Cerrone de Rock around the clock que le rock prend vraiment son essor. A ceci près que Cerrone se contente de glisser dans le solo qu'il avait crée trois ans auparavant pour Rock the joint comme le raconte Tony Marlow dans le numéro spécial de Jukebox magazine que tout rocker se doit de posséder, le fameux Rock'n'roll Guitare Heros. Quoi qu'il en soit c'est avec le premier album de Bill chez Essex Rock with Bill Haley and the Comets qui contient entre autres pépites Crazy man crazy, Rock the joint, Farewell so long good-bye, que débute le rock'n'roll. Enfin presque, ou presque pas. Nous sommes invités à écouter la version de 1952 de Rock around the clock par Hal Singer. Ce que je ne manque pas de faire. Une version très swing, beaucoup plus légère et moins cogneuse que celle de Bill, avec passage solo de cuivres à la big band jazz, qui n'est pas sans rappeler les premières moutures ''rock'' auxquelles s'essaieront les français comme Moustache au milieu des années cinquante. Il existe aussi une version originale par Sonny Dae and the Knight enregistrée vingt-trois jours avant Bill et ses Comets. Le deuxième LP sera le Rock Around the Clock paru en 1954 chez Decca. L'on ne s'y attarde guère, la carrière des Comets et de leur mentor est lancée, mais Bill Haley est-il vraiment le père du rock'n'roll ? Je vous laisse regarder la suite passionnante.

    Damie Chad.

    ROCK'N'ROLL STORIES

    Série 1 / Episode 5

    BLACKBOARD JUNGLE

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    Rock around the clock aurait-il mis le feu aux poudres planétaires si le titre n'avait pas été inclus dans la bande-son du film Blackboard Jungle, Graine de violence en version française, paru en 1955. Nous ne le pensons pas, n'oublions pas que Rebel Whithout a Cause avec James Dean, et The Wild One avec Marlon Brando ont en un premier temps davantage marqué les imaginaires et les attitudes des jeunes adolescents que la musique des premiers rockers. Elvis inconnu rêvait d'être acteur. Cet aspect n'est point approfondi dans la présentation. Réalisateur et principaux acteurs nous sont présentés, générique de leurs carrières et analyse de leurs talents, de véritables professionnels certains d'entre eux viennent du théâtre, leur filmographie réveille bien des souvenirs, des films comme 3 Heures 10 pour Yuma ou comme La chatte sur un toit brûlant, sont des classiques qui ont permis à la culture américaine d'entrer en symbiose avec l'européenne.

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    En son temps dans la grande Amérique Graine de violence marqua les esprits. Un professeur qui croit en son métier se trouve confronté à des jeunes garçons issus des basses couches populaires de New York. Blackboard Jungle entraîna bien des débats dans la société blanche d'outre-atlantique, l'élève positif qui veut à tout prix s'en sortir est un jeune noir, et le rôle de la sombre crapule est réservé à un blanc. La pellicule fut une étape non négligeable dans le combat pour les Droits Civiques. Le film se révéla aussi prémonitoire, bien plus que le livre dont il fut tiré, voir notre livraison N° 20 du 27 / 09 / 2010 consacré à l'ouvrage d'Ed Mc Bain paru sous le pseudonyme de Steve Hunter. Une simple adjonction fortuite, pas du tout réfléchie à un niveau idéologique ou artistique, juste une opportunité financière de détention de droits musicaux qui décida de l'inclusion de Rock Around the Clock dans le générique. Mais lorsque l'on remet en relation le morceau de Bill Haley avec la scène au cours de laquelle les élèves cassent la collection de disques de jazz que leur professeur essayait de leur faire connaître et aimer, cette inclusion pratiquement fortuite prend un sens symbolique non escompté. L'on ne pouvait mieux faire pour signifier aux jeunes générations que le jazz était la musique des adultes, et le rock'n'roll, le rythme de la jeunesse. Fatidique et significatif passage de témoin. Dans The Wild One, sorti en 1953, les motards rebelles écoutent du jazz... Foudroyante accélération de l'Histoire qui se met à l'heure du rock'n'roll...

    Damie Chad.

     

    SYLVIEJOHNNY

    LOVESTORY

    MARIE DESJARDINS

    ( Les Editions du Cram / 2016 )

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    Les livres consacrés à Johnny ne manquent pas. Certains adulent Hallyday et d'autres l'abhorrent. Pour ces derniers peut-être a-t-il vécu l'existence tourbillonnaire qu'ils auraient tant aimé vivre. A laquelle ils n'ont pas osé prétendre. Nietzsche nous a prévenus, nos conduites sont souvent filles d'un ressentiment dont nous refusons d'être conscients. Nos petits arrangements avec la vie – les citernes vides de notre si terne existence pour employer les mots qui disent au plus près nos inconséquences – grimacent comme autant d'ironiques miroirs brisés. Aujourd'hui Sylvie Vartan n'attise plus les mêmes adorations et les mêmes jalousies qu'autrefois. Certes elle fut la compagne de Johnny – il y a longtemps – mais elle n'était qu'une yé-yé, avec tout ce que ce terme induit de mépris et de condescendance. Qu'on lui en dénie ou reconnaisse le titre, au-delà de toute admonestation vitépurative ou récupération laudative, Johnny reste un rocker. Le rocker français par excellence. Le fondateur.

    C'est du Canada neigeux que nous vient cette étrange chronique des amours tumultueuses de Sylvie et Johnny parue pour la première fois en 2010 chez Transit Editeur. Peut-être n'est-ce pas un hasard si elle provient de ce pays en même temps cousin et si lointain du nôtre. L'auteur n'est autre que Marie Desjardins, nous avons beaucoup apprécié voici quinze jours son Ambassador Hotel, La mort d'un Kenedy, la naissance d'une rock star, roman imaginaire d'un groupe de rock qui n'a jamais existé, hormis peut-être dans les égrégores – ces résidus psychiques - de l'inconscient collectif de tous les rockers du monde. Qui ne se tendent guère la main et ne s'unissent point davantage, mais ceci est une autre histoire. Tribus indiennes hautement bariolées toujours prêtes à déterrer la hache de guerre l'une contre l'autre.

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    Les passions humaines sont-elles comme ces soleils morts dont la lumière nous parvient encore des millions d'années après leurs extinctions. Existent-ils des brasiers incandescents qui jamais ne s'éteindront. Marie Desjardins s'est-elle voulue vestale sacrée chargée par les Dieux de rallumer le feu d'un foyer dévasté par les cendres oublieuses du temps passé qui toujours vole de l'avant, obstinément aussi immobile que la flèche cruelle de l'imparable Zénon, refusant de s'enfuir et renaissant éternellement dans la stagnance de sa propre présence ?

    Dans les pages de garde de la rubrique '' Même auteur'' Sylvie , Johnny love story est classé dans la rubrique de quatre romans écrits par Marie Desjardins. Nous en prenons acte, ce qui ne nous empêche guère de penser que nous inscririons plutôt ce texte dans la rubrique Poésie ( absente de cette bibliographie ), ou alors de l'entrevoir à la manière antique, comme ce talismanique Daphnis et Chloé, roman choral de Longus. A la mode de chez nous. De nos temporalités heurtées. Rien de pastoral ni de bucolique dans les amours tourmentées de Sylvie et Johnny.

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    Une histoire d'une banalité absolue, celle d'un couple qui se rencontre, qui s'aime, qui se déchire, qui divorce. Avec tout ce que ce dernier terme induit de conduites sociétales. De ces scansions indépendantes de notre seule volonté qui entremêlent en une même tresse nos inclinations atomiques les plus intimes avec les sanctions symboliques prévues par la loi grégaire du groupe. Nous y réfléchissons peu, mais à chaque moment nous subissons la manipulation prédatrice et insensible de nos congénères.

    Avant d'ouvrir ce livre, l'on pourrait opérer un procès d'intentions en facilité à Marie Desjardins. Un ouvrage qui ne manque pas de pain. Facile à écrire puisque la documentation est pléthorique. Rien qu'avec les unes de France-Dimanche et les articles de Match, le volume n'est pas commencé qu'il est déjà écrit à moitié. Pour être gentil, parce que si l'on rajoute les biographies des deux principaux intéressés, les témoignages des principaux témoins de l'affaire, sans parler des nombreux ouvrages dévolus à l'exploration plus ou moins croquignolesques de la carrière de Johnny, ce sont les neuf dixièmes du bouquin qui sont performés avant même d'en avoir tapé le premier mot sur un ordinateur. Oui, mais Marie Desjardins ne mange pas de ces farines-là. Certes elle connaît son sujet, n'en ignore aucune anecdote, mais elle a refusé de se laisser envahir par les détails qui vous enlisent, avant de se vouer à cette tâche elle a soigneusement chassé de sa table de travail, vilains mots remplaçons-les par son espace – physique et mental – de création, toute oiseuse documentation. Je ne citerai qu'un seul exemple. Parmi mille autres possibles.

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    En juin 1973, le hit J'ai un problème squatte toutes les antennes de radio, les paroles sont de Jean Renard ( provinois notoire et grand-père de Shaké Mouradian dont nous chroniquâmes voici neuf ans le roman Jude R dans notre livraison 78 du 22 / 12 / 2011 ) elles mettent en scène les retrouvailles de Johnny et Sylvie, la énième assomption du couple qui bat d'une aile frénétique, à la télévision l'on aura droit '' en direct '' au baiser de réconciliation des deux amoureux – toute la France populaire émue en pleure de bonheur en ses chaumières – la bonne aubaine pour Marie Desjardins, un chapitre entier, au minimum vingt pages d'assuré, et en avant la musique, tous les dessous et tous les dessus de l'affaire révélés, analysés, scrutés en ses tréfonds les plus sordides. Ben non ! Pas une ligne. Pas un mot. Passé à l'as de pique. Vous n'en saurez rien. Marie Desjardins s'en désintéresse totalement. Ce n'est pas le sujet de son livre.

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    Vous tiquez. Comme un cheval qui n'en finit pas d'avaler de l'air en s'appuyant sur le rebord de son abreuvoir. Je suis désolé, mais ce qui va suivre renforcera votre angoisse. Qui voit-on dans cet ouvrage : Johnny et Sylvie – respirons c'est la moindre des choses – un soupçon de parents de Johnny, un petit peu plus ceux de Sylvie, David – l'enfant de l'amour – Carlos le secrétaire de Sylvie. Et puis c'est à peu près tout. Quelques noms de-ci de-là surnagent dans le désastre de cet anonymat collectif. J'oubliais la bruyante suite tapageuse non identifiée des copains de Johnny. A la cour du roi Johnny, plus on est de fous, plus on rit, plus on boit... Et puis plus rien. Marie Desjardins n'est pas une adepte du name-dropping. Ne donne pas dans ce genre de facilité. Si cela vous chante vous pouvez vous amuser à un super-jeu de société : ah oui, là c'est la scène avec Bidule... et ici c'est quand Schmoulefrite fait... Il est indubitable que Marie Desjardins ne participera pas à vos futiles amusements de Monsieur-je-sais-tout-de-Johnny ou de Madame-je-n'ignore-rien-de-Sylvie. Manifestement elle n'est pas une fanatique des triviales poursuites circonstancielles. Les noms ont ici pour ainsi dire fonction de couleur locale.

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    Certes vous avez le décor, les lieux, les endroits, les meubles, les objets, les couleurs. Ne décolle pas non plus de la trame chronologique, les pérégrinations familiales, les circonstances historiques de la cette première génération née durant la deuxième guerre mondiale et qui s'éveillera à l'aube des trente glorieuses, les entrechats du showbiz, l'enfance de nos héros, leur rencontre, leur attirance, leurs fiançailles, leur mariage, leur vie de couple, leurs carrières... Certes s'il avait été agent d'assurances et elle vendeuse dans une boutique de fringues... Rien ne se serait passé comme elle le raconte. Les modalités de votre existence influent sur votre personnalité, votre caractère, vos goûts, vos idées, votre pensée et vos sentiments, vos actes et vos volitions. Marie Desjardins n'oublie aucun de ces termes. Mais elle vise au plus intime. Ô insensé qui crois que je ne suis pas toi. Elle raconte Sylvie et Johnny en dehors de toutes les écorces mortes du vécu.

    Comment notre vécu s'interpénètre-t-il avec notre sensibilité ? Comment l'extérieur influence-t-il notre intérieur. Comment le monde nous modifie-t-il, comment se sert-il de notre étendue psychique pour la modeler entre le pouce de la nécessité et l'index du hasard afin de nous transformer à sa guise, tel Descartes joue en ses Méditations avec la cire de l'étendue, et comment réagissons-nous à cette empreinte, comment parvenons-nous à y imprimer la marque indélébile de ce que nous sommes, ou de ce que nous croyons être, ou de ce que nous désirons être !

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    Là n'est-il pas le problème fondamental. Savoir exactement la puissance de notre opérativité, de notre efficience personnelle sur le monde. La réponse qu'en apporte Marie Desjardins n'est pas des plus optimistes. En apparence nos deux amoureux ne parviennent à n'interagir que l'un sur l'autre. Soyons négatifs : ils sont victimes, soyons positifs : ils sont porteurs de leurs propres êtralités, ils ont beau faire, ils ont beau dire, certes ils ont choisi leur vie, n'ont pas ménagé leurs peines et leurs joies en toute connaissance de cause des nécessaires implications artistiques et existentielles – tournées incessantes, éloignements impératifs – dans le but recherché d'assouvir et d'explorer les potentialités de leurs métiers respectifs. Jamais ils n'auront la force de surmonter, non pas leurs différences, non pas leurs divergences, mais leur trajectoire impulsive, cette course toute personnelle dans laquelle nous nous propulsons selon les affinités les plus électives de notre propre consubstantialité, par laquelle et en laquelle, à nos corps semi-défendant et semi-consentants, nous sommes happés en un engrenage pervers des plus étrangers, des moins maîtrisables.

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    Johnny et Sylvie se sont aimés. Ils auraient pu être heureux. Ils l'ont été. Par intermittences, ce qui est déjà beaucoup, mais le pire c'est qu'ils ne l'ont pas été, sinon aussi par intermittences. Unis par un sentiment d'incomplétude souveraine. C'est cela que s'attache à rendre visible Marie Desjardins, nous fait pénétrer dans l'âme esseulée et désertée de nos deux héros. Elle s'attarde davantage sur Sylvie, peut-être parce qu'elle est femme et qu'elle distingue mieux les affres et les pâmoisons féminines, sûrement parce que Johnny est plus secret, plus ténébreux et que toute une part de la psyché masculine reste pour elle un continent noir... peut-être parce que Sylvie a beaucoup plus souffert que Johnny, qu'elle était en attente de Johnny, alors que Johnny, grand amateur de chair féminine, ne s'interdisait la consommation d'aucun lot de consolation ou de conquête... Johnny le rocker, sex, drugs and rock'n'roll, Sylvie non pas l'épouse éplorée mais la femme de tête et de stratégiques concessions... Qui ne furent pas à perpétuité. Mais Marie Desjardins ne charge point plus fort l'un des deux plateaux de la balance, un fait reste indubitable : Johnny et Sylvie se sont aimés. Sincèrement, authentiquement. Une love story qui doit se terminer comme toutes les histoires, puisque par essence toute histoire a une fin. Une passion. Autrement dit, une tragédie ontologique. Un aérolithe tombé par mégarde destinale sur deux êtres humains qui n'étaient pas faits l'un pour l'autre, si on estime le phénomène selon les paramètres de la froide raison, un cadeau des Dieux destructeurs, trop grand pour être contenu dans deux misérables vies humaines, cause kaotique d'une irrémissible fracture initiale. A entendre Le cœur en deux de Johnny Hallyday je n'ai jamais pu m'empêcher de penser à la couverture de la première édition d'Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry ( dans Folio) , en tant qu'image tarotique de haute signifiance.

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    Dans ce livre Marie Desjardins s'est attachée à décrire les émois d'une passion, ses désirs, ses troubles jouissances car ne jouit-on pas davantage de soi-même que de l'autre au travers des étreintes les plus fougueuses comme les plus tendres, ses folies, ses cassures, ses débris, ses détritus, ses désespoirs, ses triomphes, ses victoires, ses défaites, ses incendies, ses extases, ses outrances, ses outrages. A foison le poison ! Ces pages sont à lire comme autant de monologues raciniens, Marie Desjardins use d'une écriture sans appel, un scalpel introspectif qui n'épargne rien, qui triture les chairs de l'âme, qui la met à nu, qui ne cèle rien, ni les non-dits, ni les mensonges que l'on se raconte, ni les rancœurs secrètes qui rancissent le cœur encore plus cruellement que les trahisons les plus éclatantes.

    Un lied sauvage et mordoré à la Tristan et Yseult, mais à la fin duquel et Tristan et Yseult oublient de mourir. Point de mort dorée. Ne se termine pas bien. Mais ne finit pas mal non plus. Piteusement, serait-il le mot le plus adéquat ? Puisque nous avons en ce début de chronique cité Nietzsche, le forgeron philosophe, empruntons-lui les mots de la fin. Humain, trop humain.

    Un beau livre. Un poème. Un pur poaime. Pas forcément rassurant. Une tenace menace. L'inconciliabilité naturelle des êtres.

    Damie Chad.