KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 488
A ROCKLIT PRODUCTION
SINCE 2009
FB : KR'TNT KR'TNT
10 / 12 / 2020
ANDY ELLISON / JOHN LYDON STEPPENWOLF / JANIS JOPLIN / SOUL TIME ROCKAMBOLESQUES XI |
Qui a inventé l’électricité ? Ellison, bien sûr !
Ouf ! Enfin un article sur Andy Ellison ! Pour de vrai ? Oui, pour de vrai. C’est Shindig! qui se charge de célébrer cet hommage inespéré. Cinq pages, c’est pas beaucoup, mais c’est mieux que rien. Andy Ellison est aussi vital à l’histoire du rock anglais que peuvent l’être Jesse Hector, Ronnie Lane ou Dave Kusworth. John Mojo Mills fait rouler l’interview que nous allons croiser avec la lecture d’un petit book que Dave Thompson consacra en 1985 à John’s Children et qui est reparu en 2012, revu et corrigé. Merveilleux objet, facile à lire, rapide et dense. John’s Children ? Une légende, un seul album, un modèle du genre.
Andy Ellison, Chris Townson, Geoff McClelland et John Hewlett forment The Silence au début des sixties. Ce sont des Mods purs et durs. La bassman John Hewlett entre en contact avec Simon Napier-Bell et lui demande de manager le groupe. Napier-Bell n’en revient pas de voir un groupe aussi nul. Il accepte, mais en contrepartie, il leur demande d’obéir à ses ordres. Napier-Bell croit que pour s’imposer en Angleterre, il faut faire scandale. En utilisant la même stratégie avec les Move, Tony Secunda réussira l’exploit de les tourner en ridicule.
Comme Andrew Loog Oldham, Secunda, Don Arden et bien d’autres affairistes du début des sixties, Napier-Bell avait compris qu’en misant sur le bon cheval, il pouvait s’enrichir très vite. Il avait misé sur les Yardbirds et tenté de sauver leur carrière, mais les guitaristes successifs du groupe (Clapton, Beck et Page) avaient assez de caractère pour refuser de se laisser plumer. Jimmy Page transforma les Yardbirds en Led Zep et fit appel à Peter Grant qui en fait n’était rien d’autre qu’un sous-Arden. Pour la petite histoire, Don Arden méprisait profondément Grant qu’il avait embauché pour conduire la Rolls et emmener ses gosses à l’école. Dans son book, Don Arden considère Grant comme la dernière des fiottes.
Napier-Bell rebaptise le groupe John’s Children, c’est-à-dire les enfants de John Hewlet, le bassiste du groupe, pour lequel il a un faible. Il leur demande de s’habiller en blanc comme des anges. Puis il met au point sa stratégie de la violence scénique. Il achète dix mètres de chaîne en acier pour les combats et suggère que John et Andy se battent pour de vrai et qu’ils se déchirent mutuellement leurs vêtements. De son côté, Tony Secunda fit la même chose avec les Move : il demandait à Carl Wayne de fracasser des postes de télé à coups de hache et de déclencher des bagarres dans le public. Ça marche à tous les coups. Andy jette des paquets de plumes dans le public, les chaises volent et les gens se battent. Le tour est joué en cinq minutes. Intervention des flics. Napier-Bell les attend dehors au volant de la Bentley. Ils échappent de justesse à l’arrestation. Napier-Bell : «Andy s’était cassé le cou et il gisait sur la banquette avec la tête tournée comme celle d’un perroquet abîmé. Il avait aussi une grosse trace de semelle sur l’entre-jambe de son pantalon blanc. Il avait dû recevoir un mauvais coup de pied. Chris avait au visage une vilaine blessure faite avec une bouteille. John et Marc avaient le nez qui saignait. J’attendis qu’ils se détendent un peu puis je leur dis : ‘Je crois bien que la scène de violence sur scène prend une bonne tournure’».
Dans l’interview, Andy fournit tous les détails sur la fameuse tournée allemande en première partie des Who. Leur plan était simple : faire plus de barouf que les Who. Ils jetaient leurs tonnes de plumes et se battaient sur scène pendant que Marc Bolan, fraîchement enrôlé slashait sa guitare à coups de chaînes. Ça allait tellement loin que Kit Lambert finit par les virer de la tournée. Ils n’eurent pas que les Who comme ennemis : dans le Thompson book, Andy rappelle que Don Arden avait les John’s Children à l’œil, parce qu’ils représentaient une menace pour ses poulains les Small Faces.
Côté disks, les John’s Children n’ont pas eu le temps de faire grande chose. Thompson nous apprend que leur premier single «Smashed Blocked» fut enregistré par des musiciens de studio californiens - dont Hal Blaine - payés par Napier-Bell. Rassurez-vous, la voix est bien celle d’Andy. Phénomène typique de cette époque. Quand on demandait à Dee Dee Ramone qui avait joué sur End Of The Century, il répondait qu’il ne savait pas. Les Chocolate Watchband furent surpris de voir leur second album paraître sans qu’ils eussent joué la moindre note. Pour faire passer la pilule, Napier-Bell dévoile son stratagème : «Je leur ai fait boire quelques verres avant de commencer la prise de son. Ils en avaient un sacré coup dans le nez et je les ai laissés jouer. Puis je leur ai demandé de rentrer chez eux. Aussitôt après leur départ, j’ai jeté leur prise et je l’ai remplacée par celle faite à Los Angeles par des professionnels. Les gosses étaient tellement pétés qu’ils étaient incapables de savoir ce qu’ils avaient joué. Ils n’auraient appris la vérité que si quelqu’un avait vendu la mèche.»
Ils commencent à enregistrer leur album Orgasm dans les pires conditions : Napier-Bell n’arrête pas de regarder sa montre, il se plaint que les heures de studio lui coûtent une fortune et les pauvres John’s Children n’ont pas le temps de se mettre à l’aise pour jouer correctement.
Avec un nom pareil, Orgasm fut bien évidemment interdit par la BBC. Et comme de bien entendu, il est aujourd’hui activement recherché. Ceux qui le veulent doivent sortir les gros billets. L’intéressant de cette l’histoire, c’est qu’on retrouve le trash scénique du groupe dans les morceaux. «Midsummer Night’s Scene» pourrait bien être leur monster hit. Cette admirable pièce de psychout est plus barrettienne que le roi. Il se dégage de Midsummer la fulgurante fragrance des jardins mauves, alors que de grosses bulles oranges éclatent dans un ciel gélatineux. On trouve sur Orgasm un autre fleuron du psyché britannique, «Jagged Time Lapse», monté sur une étonnante ligne de basse, chanté perché et tiré par les cheveux. C’est le morceau scintillant par excellence, bien mixé, admirable et aventureux. Les John’s Children pouvaient aussi sonner comme les Who, avec lesquels ils se sentaient en concurrence. D’ailleurs, «But She’s Mine» est monté sur les accords de «Can’t Explain». D’autres morceaux comme «Cold On Me» et «Just What You Want» auraient pu smasher les charts, impeccables qu’ils sont, avec leurs grosse rasades de chœurs et de fuzz.
Quand ils jouent sur scène, ils ont une combine. Le guitariste Geoff McClelland tombe dans les pommes au signal - il n’a pas assez de sucre dans le sang - et chaque fois l’organisateur leur demande d’emmener le malheureux d’urgence à l’hôpital. Ce qui arrange bien le groupe qui doit jouer une demi-heure plus tard dans un autre club. Ce sont les petites routines de l’arnaque ordinaire telle que la pratiquaient les groupes pressurisés par des managers peu scrupuleux. Ian McLagan raconte dans ses mémoires que Don Arden ne payait jamais les musiciens, ni sur les ventes de disques ni sur les recettes des concerts. Il empochait tout. Par contre, il leur louait un appartement et mettait un chauffeur et une Jaguar à leur disposition sept jours sur sept - un bon moyen de les avoir à l’œil. Il leur ouvrait aussi des comptes chez les marchands de fringues de Carnaby Street. Comme Steve Marriott avait compris qu’il se faisait plumer, il prenait des piles de chemises, de vestes et de pantalons qu’il revendait ici et là - et il poussait les autres membres du groupe à en faire autant. On reste dans le même registre avec le classement au hit-parade. Napier-Bell voulait voir les John’s Children dans les charts. Il téléphona au rédacteur en chef de l’un des principaux canards de rock et lui expliqua ce qu’il voulait. Le mec lui demanda de venir le rejoindre au pub avec 200 £ en cash. Deux semaines plus tard, les John’s Children étaient dans les charts. Puis on tombe sur le passage puant, celui de l’éviction du pauvre Geoff McClelland : Napier-Bell convoque le groupe pour une répète et demande à Geoff de quitter la salle, car il ne fait plus partie du groupe. Même épisode que celui de l’éviction de Wally Nightingale des Sex Pistols par McLaren. Horrible horreur. Geoff encaisse le coup comme il peut, il va serrer la main à ses copains et sort de la pièce. Il est remplacé par Marc Bolan. Napier-Bell voyait du potentiel dans le petit Bolan puisqu’il savait composer des chansons.
Comme ça les amusait de choquer la BBC avec Orgasm, ils décidèrent d’en rajouter une couche en titrant leur deuxième album John’s Children Playing With Themselves (ce qui, traduit en français donnerait : les John’s Children se branlent). Ce deuxième album ne vit jamais le jour, mais des tas de moutures compilatoires ont depuis fait leur apparition, à cause de Marc Bolan : Playing With Themselves. Vol 1 et 2, Smashed Blocked, Jagged Time Lapse - Rare & Unreleased.
Bolan ne va rester que quelques mois dans les John’s Children, le temps de composer «Desdemona», «Mustang Ford» et quelques autres bricoles. Le groupe pousse «Desdemona» dans le trash habituel mais Bolan massacre la fin du morceau en faisant la chèvre. Ils repompent un riff des Small Faces pour «Remember Thomas A Beckett», mais le résultat en valait la peine. On se retrouve là avec une vraie dinguerie, une belle pièce de psychout perverti, dotée du gros son de basse et d’harmonies vocales dignes de celles de Steve Marriott & Ronnie Lane. Grâce à son talent fou, Andy sauve la plupart des compos de Bolan, comme «Sarah Crazy Child» et «Mustang Ford». «Come And Play With Me In The Garden» sonne comme un hit des Small Faces. Et leur reprise de «Help» permet de mesurer toute l’étendue du talent vocal d’Andy. Une version live de «Hot Rod Mama» enfonce encore le clou : au chant, Andy et Bolan s’échangent les couplets. Bolan fait la chèvre et c’est insupportable. Pour Andy, c’est un jeu d’enfant que de faire la différence. Il a tellement la classe qu’il en devient exaltant et donc on exulte. Prodigieusement bien produit, avec un son de basse bien rond et un chant glam bien épaulé, «Cashbah Candy» aurait logiquement dû atteindre le top of the pops. Ce groupe disposait d’un potentiel énorme et le fait qu’il soit parti à vau l’eau est terriblement injuste.
Fin des haricots au retour de la fameuse tournée avec les Who : leur matériel est confisqué par la police allemande. Bolan qui ne supporte plus la madness quitte le groupe pour monter ce qu’Andy appelle a very gentle acoustic duo with a bongo player.
Thompson nous apprend aussi que Chris Townson sera invité un peu plus tard à remplacer Keith Moon pour quelques concerts des Who. Il en sera d’ailleurs ravi, car il gagnait chaque soir 40 £ ce qui à l’époque était une somme énorme. Après le départ de Bolan, Chris Townson tente de relancer le groupe en prenant la guitare et en mettant le roadie Chris Coville - from the Shepherd Bush mob - à la batterie. Bien sûr, Chrissy n’a jamais battu de se vie. Les John’s Children vont jouer leur dernier concert au Star Club de Hambourg. Comme leur matériel n’était pas arrivé, ils ont dû utiliser le premier soir l’équipement du groupe de première partie. Chris Townson raconte qu’en jouant, il voyait le propriétaire de la guitare le fixer intensément : «Je jouais vraiment comme un dégueulasse, et plus il me regardait, plus je jouais mal. Je l’ai vu ricaner et je me suis dit : ’Attends un peu, mon con joli’. Alors qu’il me regardait bien, j’ai crevé son ampli avec le manche de sa guitare et j’ai touillé là-dedans. La gueule qu’il tirait ! Puis j’ai lancé sa guitare dans le fond de la salle.»
Napier-Bell conseille ensuite à Andy de démarrer une carrière solo. Okay then alors il se rend à une audition chez Lionel Bart pour participer au tournage de The Virgin Soldiers, mais quand on lui demande de couper ses cheveux, il refuse. Dégage !
Trevor White - Ralf "Ian" Kimmett - Ian Hampton - Chris Townson
Andy entame alors sa traversée du désert : il peint des toiles qu’il vend en porte-à-porte, puis il travaille dans une boulangerie - Beckers Bakers of Finchley - John Hewlett qui est devenu manager de Jook lui propose un job de roadie et voilà qu’il part en tournée avec Jook dans le Sud de la France. Son vieux pote Chris Townson est le batteur de Jook. La côte lui plaît et il y reste après la fin de la tournée. Un an à Saint-Raphaël. Jusqu’au jour où il entend «Ride A White Swan» dans un jukebox - I recognize that voice. My old mate Marc. Well that’s it. I’ve got to get back et get into a band - À peine est-il rentré à Londres que le téléphone sonne.
Jook allait devenir l’un des plus grands groupes anglais, mais ils splittent à cause des Sparks. Fraîchement débarqués à Londres, les frères Mael embauchent Trevor White, ce qui met Jook par terre. Chris Townson est furieux ! Puis les frères Mael virent Martin Gordon. John Hewlett devient le manager des Sparks, mais comme il aime bien Martin Gordon, il lui suggère de monter un groupe dans son coin.
Ce sera Jet, un super-groupe glam. Martin Gordon, Chris Townson et Davey O’List cherchent un chanteur et c’est là que Chris Townson appelle Andy : «Fancy coming down to a rehearsal ?». Et comme Andy est l’un des meilleurs glamsters d’Angleterre, allez hop, Jet ! L’album de Jet est bon, mais il passe à la trappe, va-t-en savoir pourquoi. Sur des morceaux comme «Nothing To Do With Us» et «Fax’n’Info», Andy chante comme un dieu, mais les compos de Martin Gordon manquent de réalisme. On sent qu’il a passé du temps en compagnie des frères Mael et qu’il a subi une sale petite influence baroque à la noix de coco. On entend ici et là des solos déments de Davey O’List. Dans «Tittle-Tattle», ils envoient du bois, comme disaient les bûcherons à l’époque de Bourvil. C’est un véritable paradis glam, avec les lignes de basses ultra-fluides de Martin Gordon, la fabuleuse powerhouse de Chris Townson, le chant ziggoïde d’Andy Ellison et le furieux débit des interventions liquides de Davey O’List. Avec en prime un final apocalyptique. Ça s’appelle un morceau sauveur d’album. «Cover Girl» est une autre énormité cavalante. Au fond, Davey fait un travail de dingue. Ce mec est un dieu du glougloutage psychédélique. Comme c’est RPM qui exhume l’album de Jet, on a droit à un disque entier de bonus qui sont des démos et des morceaux live. On entre sur ce disque comme dans la caverne d’Ali-Baba. Oh la la ! On démarre avec une reprise de «Desdemoda» bien stompée. Ce groupe allait devenir énorme, avec les solos liquides de Davey O’List. Absolument énorme. Pour une fois, ce n’est pas exagéré. «Around The World In 80 Minutes» était un morceau prévu pour le second album qui n’a jamais vu le jour. C’est un classique glam de rêve, authentique, nerveux, perverti, ambigu et aussi musclé des cuisses que Ziggy, avec bien sûr à la clé un gros solo morveux de Davey O’List, génie patenté. Martin Gordon dégomme tout ça à la basse. Voilà les seigneurs du sucre d’orge et de la dégomme glammy. En écoutant «Lady Ricochet», on réalise que ces mecs-là se situaient très au-dessus de la moyenne. Andy : «Punk music had arrived - basically everything John’s Children had already shocked audiences with ten years earlier.» Andy a raison de rappeler qu’ils avaient dix ans d’avance. Jet tapait aussi dans le haut de gamme de la pop anglaise. Avec «We Love Noise», ils nous donnent une idée de ce que signifie le mot puissance. Ils ont un son plein comme un œuf - I think I am going deaf - Encore du glam dans la force de l’âge avec «Hand On My Heart», puis, avec cette aisance naturelle qui n’en finit plus de déconcerter, ils rendent hommage aux Small Faces avec une reprise de «Lazy Sunday», le morceau intouchable par excellence. Martin Gordon sale et poivre la chose avec une ligne de basse de son invention. Faramineux. Malheureusement, Jet dégage. Personne n’en veut. C’est à n’y rien comprendre.
Andy raconte qu’un jour de 1977, il se baladait dans Candem à la recherche d’une paire de Doc Martens et il aperçoit une boutique just around the corner from the station. Alors qu’il essaye ses pompes, il repère une enseigne indiquant Rock On Records à l’étage. Il trimballe toujours des cassettes sur lui et il raconte qu’il monte et tombe sur a large jovial figure with an Irish accent. Andy lui fait écouter «Dirty Pictures» et la jovial figure lui dit qu’il veut sortir le disk sur le champ. Mais au fait, comment s’appelle le groupe ? Andy écrit une série de noms sur un bout de papelard. Parmi eux se trouve celui de Radio Stars. Vendu ! Ted Carroll sort leur premier single sur Chiswick Records.
Les Radio Stars ne sont que trois : Andy, Martin Gordon (basse) et Ian Mcleod (guitare). Ils sont un peu comme les Only Ones : ils n’ont absolument rien à faire dans cette vague punk qui squatte la une de tous les music papers d’Angleterre. Andy, Martin et Ian gardent tous les trois de fières allures de glamsters et leur premier album, Songs For The Swinging Lovers, sort en 1978, bourré de hits glam. Notons au passage que sur la pochette, les swinging lovers se balancent au bout d’une corde. C’est probablement l’une des pochettes les plus macabres de l’histoire du rock. Côté look, Andy Ellison ressemble de plus en plus au grand Iggy péroxydé des années trash, avec sa frange de cheveux blonds, ses cernes sous les yeux et les risques physiques qu’il prend sur scène en escaladant les structures pour aller se jeter dans le public. Il va collectionner les fractures du crâne et de la mâchoire et se tailler une réputation de glam-cascadeur. S’ils sont référencés «punk» dans la presse anglaise, c’est surtout nous dit Andy à cause du wild stage act. Il répète à qui veut l’entendre que les Radio Stars n’ont jamais voulu faire de politique. Ils montaient sur scène to be loud, have a good time, go crazy - Et Andy s’accrochait aux rails de projos pour chanter suspendu à plusieurs mètres du sol. Pendant la tournée avec Eddie & the Hot Rods, Andy avoue avoir fait plusieurs séjours à l’hosto - broken knee caps, broken coccyx, cut a major artery in my hand, the list goes on - Il explique que plus il prenait des risques et plus le public en redemandait, alors il ne pouvait plus reculer. Il avait un mini-trampoline derrière la batterie et pour ouvrir le show il sautait par dessus le batteur. Il sautait si haut qu’un jour il est tombé dans le public, envoyant un photographe à l’hosto.
«Dirty Pictures» ouvre le bal du premier album des Radio Stars. Retour en force du glam, porté par l’excellent jeu de basse de Martin Gordon. En 1977, le glam n’intéresse plus personne. Les Radio Stars s’en foutent et en resservent une louche. Et du bon. Du bien gras. Du qui coule entre les doigts. Sur la B, «Don’t Waste My Time» et «Nice Girls» sonnent aussi comme des pépites glam. On trouve aussi sur ce premier album du bon vieux heavy rock. Martin Gordon démarre «Talkin’ About You» à la basse et Ian Mcleod le rejoint et livre un peu plus tard une espèce de solo fleuve. Mcleod continue de se coiffer comme Brian Connolly des Sweet. Rien à foutre des coupes de punks. Ils terminent cet album impertinent avec un petit glam-rock à la Bowie, «No Russians In Russia». Voilà pourquoi le groupe est passé à l’as en 1977. Le glam était passé de mode. Les Pistols et les Clash focalisaient l’attention d’un public affamé de pain et de jeux.
Roger Armstrong et Ted Carroll continueront de faire confiance à Andy, puisqu’un deuxième album sort sur Chiswick l’année suivante. On voit nos trois glamsters bien coiffés assis en maillots de bain et en tongs autour d’une table de plage un peu gondolée. Nous ne sommes pas sur une plage des Bahamas, mais juste à côté de la station de métro Oxford Circus, à Londres. On a mis un peu de sable sur le bitume, un ballon de plage et une fausse poule sensée faire la mouette. Autour d’eux, les badauds reluquent. On trouve sur cet album des glam-rocks des enfers comme «Boy Meets Girl». On y entend aussi des solos très pointus de Ian Macleod («Sitting In The Rain»), ce qui était très mal vu, à l’époque. Retour au stomp avec l’excitant «Rock’n’Roll For The Time Being». Ian Macleod riffe comme un fou sur «Get On A Plane» et s’inscrit dans la grande tradition des guitaristes anglais. Andy chante «I’m Down» à la manière de Ziggy et ils terminent avec un pastiche savoureux des Shangri-Las, «It’s All Over». Andy raconte que sa poule monte sur sa moto, qu’elle s’en va et se fout dans un mur (She rode into a wall).
La poisse semble s’acharner sur le pauvre Andy : les albums des Radio Stars se vendent mal. Il aurait pu rejoindre les milliers de collègues enterrés au cimetière des rêves brisés du rock. C’est mal connaître l’animal. Il décide de traverser les décennies austères en remontant inlassablement des groupes et en s’appuyant sur le capital culte de l’épisode John’s Children.
En 1992, Chiswick ressort sur un CD tous les singles des Radio Stars et quelques inédits. L’album s’appelle Somewhere There’s A Place For Us. Il est chaudement recommandé. La plupart des singles du groupe sonnent comme des classiques. Par exemple, «Radio Stars», premier single du groupe, est une belle pièce de glam-punk tenue en haleine. «Dirty Pictures» est plus glam que gloom. Andy élève le glam au rang d’art suprême. Il sait mouiller ses syllabes et semer le trouble dans le pantalon des matelots de la Cunard. Dès qu’il s’agit de stomper dans tous les coins, les Radio Stars sont à l’aise. Avec «Arthur Is Dead Boring», ils se font experts d’un glam punk bien coiffé, bourré d’énergie et glamourous à souhait, très anglais, en fait. Pur stomp encore avec «Good Personality». Et on tombe un peu plus loin sur une magnifique cover de «Dear Prudence». Son de basse fantastique, la perle du siècle - look around - «From A Rabbit» est un hit digne des Sweet, complètement tournicotant, splendide pièce de glam à l’ancienne qui montre l’incroyable vitalité de ce groupe qui savait tout jouer : le glam, le glam-punk, la pop et le stomp. Leur fantastique énergie reste un modèle. Quand on a goûté à ça, on ne perd plus jamais de vue un personnage aussi brillant qu’Andy Ellison. Un hit comme «Sail Away» aurait dû finir au top of the pops. C’est aussi bon que les meilleurs cuts de Ziggy. Encore une monstruosité inconnue : «I’m Talking About You». Petite leçon de vertige. Ils coupent la chique au garage et viandent leur glam d’un killer solo d’antho à Toto. Foutraque et bon, «Baffin Island» est vraiment digne des Kinks. En prime, le livret propose un texte passionnant de Dan Dimancescu. Il donne une petite idée de la détermination d’un Andy qui refusait obstinément de jeter l’éponge après le split de Jet.
Après celle de Ted Carroll, Andy fait une autre rencontre déterminante. Il fait ses courses dans une épicerie de West Hampstead, dans le Nord de Londres. Il vit là. Un mec arrive à la caisse derrière Andy et lui tape sur l’épaule pour lui expliquer qu’il le connaît parce que les John’s Children étaient son groupe préféré. Tu m’en diras tant ! Le mec ajoute qu’il connaît par cœur tous les morceaux des John’s Children. What ? Andy n’en revient pas. Il a en face de lui Boz Boorer, le guitariste des Polecats puis de Morrissey (et qui joue aujourd’hui dans les Sure Can Rock). Et crac boom hue, comme dirait Jacquot ! - Fancy reforming ? - Boz propose son studio à Andy pour enregistrer un album de reformation des John’s Children.
Et boom, Black And White sort sur le prestigieux label Acid Jazz d’Eddie Piller. Un vrai rêve. Boz Boorer sait qu’Andy est une vraie star. Black And White est un album solide, encore une fois chaudement recommandé. Ça démarre avec ce qui pourrait bien passer pour un hymne Mod, «I Got The Buzz». Énorme compo de Martin Gordon qui est venu spécialement de Berlin où il vit pour enregistrer cet album. Spectaculaire retour en force des John’s Children. On va de hit en hit. «Turned To Share» est un mid tempo d’une incroyable élégance, «This Is Your Wife», compo de Boz et d’Andy, a quelque chose d’explosif. Réactualisation de «Perfumed Garden Of Gulliver Smith», joyau psyché, et gros travail de Martin Gordon, derrière, à la basse. Quel culot, ils reprennent une fois de plus l’intouchable «Lazy Sunday» et Andy le déprave bien, en bon seigneur des gutters de Whitechapel. Arrive ensuite une merveille digne des Who : «Oh No (She Wouldn’t Swallow It)», extravagant de classe supérieure, oh yeah, bardé de chœurs who-ish, qui nous ramène à l’aube des temps, c’est-à-dire en 1964. S’ensuit une reprise fabuleuse d’«Eleanor Rigby» et Andy réussit là où les Damned se sont vautrés en voulant ré-interpréter l’«Help» des Beatles. Andy parvient à générer du punk dans la viande même d’Eleanor. Il a derrière lui l’un des meilleurs orchestres du monde. Chris Townson bat comme un dératé, Boz joue comme un fou et Martin Gordon louvoie sous la peau du son. Ces mecs sont complètement dingues. Et une fois de plus, Andy devient le plus grand chanteur de l’univers le temps d’une chanson. Vous voilà prévenus.
En 2006, paraît un album solo d’Andy sur Voiceprint, Cornflake Zoo, qui comme tout le reste, passe à la trappe de Père Ubu. Andy a rassemblé des morceaux et il les commente dans le petit livret qui accompagne le disk. On retrouve les morceaux bricolés avec Bolan, comme «Casbah Candy», et ça sonne comme du T.Rex, avec un beau stomp de basse. Comme les Damned, Andy propose une reprise d’«Help», mais la sienne est plus psyché. Il reprend aussi «Foot From Upper Eden», un morceau de Grapefruit - groupe qui fut signé sur Apple - Comme Andy a une vraie voix, il s’intéresse aux vraies chansons. Sur «Life’s Too Short», Trevor White vient donner un coup de main, ce qui est sympa. Puis on tombe sur le vrai hit de l’album, un morceau intitulé «Heather Lane», qu’on retrouve sur un album d’Andy Lewis, Billion Pound Project. Andy y est invité à chanter ce morceau superbement orchestré et pour finir, clin d’œil à Boz qui habite au coin de la rue, avec «Anyway Goodbye».
On trouve également dans le commerce un album live, Music For The Herd Of Herring, enregistré lors de plusieurs concerts en l’an 2000. Là-dessus, les vieux copains Chris Townson, Ian Mcleod, Martin Gordon, Trevor White et Boz Boorer viennent jouer avec Andy qui tape dans tout son répertoire : John’s Children, Jet et Radio Stars. C’est un véritable festival. On est vraiment ravi d’entendre les copains rejouer ensemble, ce sont des héros de l’histoire du rock anglais et du coup l’album prend une dimension particulière. Ils balancent une version gaga du who-ish «But She’s Mine», sur laquelle la basse de Martin Gordon prédomine intensément. Version complètement délirante de «Sarah Crazy Child», avec un random trashing de Chris Townson qu’essaie de suivre à la basse Martin Gordon. Retour au psyché légendaire avec «Jagged Time Lapse», basse devant toute, et avec «The Perfumed Garden Of Gulliver Smith», tiré de l’âge d’or, version dévorante, embarquée une fois de plus à la basse, monstruosité sonique de psyché tantrique. On retourne dans Jet avec le musculeux «I Think I’m Going Deaf», bassmatiqué et glammé à la vie à la mort. S’ensuit un medley de trois Jet cuts bardé de solos gratuits. Sur «Johnny Mekon», Martin Gordon reprend le dessus à la basse. Il joue avec une sorte de génie vulcanien. Il roule en tout-terrain et multiplie les variantes à l’infini. Nos vieux camarades nous en bouchent un coin avec un recyclage du vieux «Dirty Pictures» et la guitare enchantée de Ian Mcleod, et ça se termine avec les lignes de basse ahuries de «Desdemona». Chris Townson frappe si fort qu’il enfonce la tête du morceau dans les épaules. Quel stomp atroce !
À la fin des seventies - c’est-à-dire après John’s Children, Jook, Jet et Radio Stars - Chris Townson jeta l’éponge. Plus question de faire le con derrière une batterie. Il devint illustrateur de renom, puis travailleur social. C’est à lui que revient l’immense honneur de conclure le petit book de Dave Thompson : «Les gens nous considéraient comme un grand groupe, mais nous n’étions qu’une bande de petits mecs qui ne pensaient qu’à déconner. Pour nous, être dans un groupe, ça ne voulait rien dire. Ça nous permettait juste de vivre autre chose que ce qu’on vit quand on travaille comme maçon ou autre chose. On n’était pas des vrais musiciens, on ne pensait qu’à faire les cons et à s’amuser.» Chris Townson est mort d’un cancer en 2008. God bless him.
Andy, lui, continue de brûler les planches. Burn baby burn.
Signé : Cazengler, Ellisonné des cloches
John’s Children. The Legendary Orgasm Album. Cherry Red Records 1982
John’s Children. Playing With Themselves. Vol 1 et 2. Zinc Alloy Records 1991
John’s Children. Smashed Blocked. Get Back 1997
John’s Children. Jagged Time Lapse - Rare & Unreleased. Vinyl Lovers 2009
John’s Children. Black & White. Acid Jazz 2011
Radio Stars. Songs For Swinging Lovers. Chiswick Records 1977
Radio Stars. Holiday Album. Chiswick Records 1978
Radio Stars. Somewhere There’s A Place For Us. Chiswick Records 1992
Radio Stars. Music For The Herd Of Herrings. Radiant Future 2001
Andy Ellison. Cornflake Zoo. Voiceprint 2006
Jet. Jet/Even More Light Than Shade. RPM Records 2010
Dave Thompson. John’s Children - A Midsummer Night’s Scene And Other Stories. 2012
Simon Napier-Bell. Black Vinyl White Powder. Ebury Press 2002
John Mojo Mills : Smashed! Blocked!. Shindig! # 109 - November 2020
Public Image Illimited - Part Two
Le confort moderne, c’est de poser son cul dans un bon canapé et d’attaquer la lecture du dernier interview de John Lydon. «Fréquenter» John Lydon ou Keith Richards à travers une interview, on appelle ça par ici la sécurité maximale. Deux époques différentes du rock anglais, deux intelligences supérieures du rock. Angles parfait, style parfait, crédit total, rien à redire. Juste lire. Et relire si on a le temps.
Sur la planète rock, il existe deux catégories de parleurs. Il y a ceux qui parlent du rock en tant que consommateurs de rock et il y a ceux qui sont le rock et qui en parlent. Le vieux Keef et le vieux Pistol qui sont au rock ce que l’air est à la vie savent dire les choses comme on aime les entendre, c’est aussi simple que ça. Et pas que musicalement.
Si John Lydon apparaît dans le dernier Mojo, c’est pour breaker les news, comme disent les Anglais : parution l’an prochain d’un troisième book intitulé I Could Be Wrong I Could Be Right et gros problème à la maison, car sa femme Nora a chopé Alzheimer. Lydon dit en gros ce qu’on sait tous : on ne se méfie jamais assez des moments de bonheur, mais il le dit à sa façon - I’m not a Christian kind of bloke, but God does like to test you, doesn’t he? Or is it Mother Nature? They do like to drop bombs. Just when you’re at your most superciliously confident (Je ne suis pas croyant mais God adore nous tester, pas vrai ? Ou Mère Nature. Ils lâchent des bombes quand on ne se méfie pas) - Il ajoute que les coups du sort nous aident à devenir plus ouverts et plus honnêtes, il va même jusqu’à dire que l’empathie est un bon remède. Ah ce mot empathie, combien de fois l’a-t-on entendu dans la bouche de consultants merdiques qui se prenaient pour les guides spirituels d’une petite collectivité d’apprenants. Ça doit être l’humour rottinien : «A bit of empathy cures a lot.» Et comme tout le monde, Lydon donne son point de vue sur ce que les Anglais appellent the lockdown et les Françaises la coufinade : l’épisode lockdown le fait marrer. Pour lui le problème est géré n’importe comment - just headless chicken-dom - c’est-à-dire que les gens au pouvoir courent dans tous les sens en faisant n’importe quoi, comme des poulets décapités, et que bien sûr derrière tout ça il y a des gros intérêts économiques liés aux vaccins et que de toute façon il n’est absolument pas question qu’on lui injecte à lui John Lydon des chemicals dans le corps - you don’t have the right to pump chemicals in me if I don’t want to - sauf si c’est de la Corona, et ça le fait hurler de rire. Ce n’est pas à un vieux Pistol qu’on apprend à faire des grimaces, pas vrai ? Et l’interviewer Pat Gilbert qui est malin comme un singe, justement, en profite pour lui rappeler qu’il crache sur l’autoritarisme institutionnel depuis 1976. Lydon exulte ! Ben oui, mon con joli ! «À cette époque tu avais d’autres headless chicken qui te crachaient dessus !». Mais là, Johnny ne rigole plus car cette manie qu’avaient les punks de cracher sur les groupes a dit-il généré pas mal de maladies assez crades et pouf, il confie d’une voix sourde que poor Joe Strummer s’est chopé une belle hépatite à cause des rafales de molards (the punk-spitting) et tout naturellement, la conversation dérive sur Sid. Gilbert demande comment Sid aurait géré le lockdown et Johnny s’enfonce dans le fatalisme, expliquant à ce pauvre Gilbert qui ne comprend rien que Sid de toute façon était trop con pour s’en sortir - He wasn’t bright enough to work things out - C’est dit à l’Anglaise, avec une élégance stupéfiante. Johnny ajoute que Sid était un sad character, élevé de traviole par sa mère qui était une registered heroin addict, une junkie référencée, comme l’était Ginger Baker, qu’il était aussi an awful arsehole and cynic to the highest degree et en même temps a sweet nature. Ça ne pouvait que mal finir, murmure Johnny d’une voix sourde, pour conclure le chapitre molard. Ce vieux singe de Gilbert entraîne ensuite le Pistol sur le sujet des addictions. Oui, il avoue dans son book à paraître une addiction au crystal meth dans les années 90 - It’s a really weird chemical that doesn’t do you any good - Il explique que le crystal meth te rend neurotic, mais c’est le but recherché, alors on continue de plus belle. Et il ajoute en guise de pied de nez fanfaronique : «Mon attitude envers les drogues a toujours été de dire, si tu en prends, prends-en plein ! (then overdo it). Voilà ce que j’appelle ma sagesse !», ah ah ah ah ah ah ! Aujourd’hui, il carbure intensivement à la Corona.
Gilbert revient aux Pistols en demandant au vieux Pistol s’il a lu le book de Steve Jones, Lonely Boy. No, lui dit Johnny, seulement vu un article de presse contenant un passage du book où il est question de Nora, et là c’est pas passé. Pourquoi ? Parce que Jonesy raconte n’importe quoi sur Nora. Donc pas question de lire ce book qui de toute façon s’est bien moins vendu que celui de Glen Matlock et là il explose de rire comme Topor, ah ah ah ah ah ah et du coup on se marre aussi, alors il continue de se foutre de la gueule de Steve et de son album Never Mind The Ballads (qui est en fait Fire And Gasoline), de sa coupe de cheveux et de ses postures de rock star dans le désert, images qui datent de l’époque où il s’était installé en Californie pour redémarrer sa carrière, mais Johnny nous rassure très vite en expliquant que Steve et lui ont l’habitude de se balancer des vacheries et nous dit Johnny, it’s very fucking refreshing. Et crac, Gilbert qui a lu le book a paraître traite Lydon d’anarcho-punk Samuel Beckett. En effet, Lydon traite l’actualité politique à sa façon, n’hésitant pas à qualifier le président américain Trump de Sex Pilstols of politics, même si dit-il c’est un sale mec. Justement, c’est l’énormité du truc qui le fait marrer. Il sait en parlant comme ça qu’il s’expose aux commentaires, mais il les balaye d’avance du revers de la main en affirmant qu’il n’a jamais supporté de consensus sociétal à la mormoille, le ventre-mou de la bien-pensance, et pire encore, la nouvelle langue de bois médiatique. Il a ses propres valeurs - I don’t believe in morals because they’re connected to religion - Il ne croit qu’en une seule chose : to get by, c’est-à-dire avancer, et aider autant de gens que possible en chemin. Quand Gilbert ramène la conversation sur PiL, Johnny devient radieux : il règne désormais une bonne ambiance dans le groupe. Tout le monde s’aime et tout le monde se respecte ce qui n’a jamais été le cas auparavant - Animosity was the only thing I had happening with me for years, because everything was so fucking difficult - Johnny ajoute qu’il continue d’apprendre et qu’il apprendra jusqu’à son dernier souffle - I’ll continue to do the best I can - Il va réussir à nous faire chialer, cet abruti. Puis commence la valse tant attendue des hommages, à commencer par Bowie, qui dit-il s’est esquivé sans cérémonie et ça l’épate, notre Pistol. Hommage aux Who qu’il vit à l’Oval en 1971 - One of the greatest gigs I’ve ever been to - Hommage au Physical Graffiti de Led Zep, enfin, précise-t-il, seulement une face, le reste non, et il met dans le même sac de ses all-time favorite albums le Fun House des Stooges. Par contre, il ne supportait pas les Ramones, because there was no content in it - Tout était basé sur l’image, ils jouaient un rôle et prétendaient être stupides alors qu’ils ne l’étaient pas du tout - Ce brillant petit panorama rottinien se termine avec un dernier regard sur les Pistols - Il n’y a jamais eu de camaraderie dans les Pistols. J’ai traîné en ville quelques fois avec Paul et j’aimais bien sa compagnie, c’est un decent fella mais c’était le pote de Steve et il ne m’a jamais aimé. Il me disait qu’on pouvait causer mais qu’il ne fallait pas que Steve l’apprenne. Voilà à quoi ressemblait notre groupe - Lorsque l’amertume atteint ce niveau de pureté, elle devient lumineuse.
Signé : Cazengler, Johnny Raté
Pat Gilbert : Did you no wrong. The John Lydon interview. Mojo #325 - December 2020
STEPPENWOLF ( I )
DANS LES PAS DU LOUP
C'est un de mes groupes préférés. J'annonce la couleur. Bien oublié aujourd'hui. Tout comme pour les moineaux l'on ne piège pas un loup en lui mettant du sel sur la queue. Aussi allons-nous nous approcher de la bête tout doucement, à pas de loup. Souvent nous prendrons des sentiers détournés qui sembleront nous éloigner de notre prédateur – pas d'entourloupe la proie c'est nous - mais qui de fait nous y ramènent. Nous commençons tout de suite par une de ces pistes de neige et de frimas, qui prennent racine dans la région des hauts-plateaux de la littérature allemande. Voire sur les cimes enneigées sur lesquelles il est dangereux de s'aventurer. Plus vous montez, davantage profondes sont les crevasses.
HERMANN HESSE
( 1877 – 1962 )
Un grand monsieur. Lauréat du prix Goethe, et du prix Nobel de littérature. Ce genre de médailles en chocolat officiel peut faire peur. Pourtant c'est bien cet écrivain que l'on retrouve aux sources de deux des courants musicaux les plus importants du rock'n'roll. Cela peut sembler étrange car très lointain, toutefois n'oublions pas que les dates de naissance des premiers bluesmen répertoriés dépassent rarement 1877. Les parallèles sont aussi faites pour se croiser un jour.
Il part de loin. Famille de pasteur, protestant certes, nous sommes en Allemagne, mais embringués dans un surgeon particulièrement prosélyte le mouvement piétiste proche des Frères moraves. Une influence certaine sur les consciences à la fin du dix-huitième et au début du dix-neuvième siècle. De grands aînés de Hermann Hesse côtoieront ce mouvement, Goethe, le créateur de Faust se laissera tenter dans sa jeunesse... Hesse est plus indocile, à quinze ans il fugue de son séminaire, il souffre de ce que l'on appelle aujourd'hui de troubles bipolaires. Les livres l'attirent il travaillera dans des librairies, ce qui lui permet de lire, les romantiques allemands en premier, notamment Goethe... Il publie ses premiers romans assis sur ses propres expériences existentielles, vit rapidement de sa plume, voyage en Orient... en 1917, il publie Demian ( = démon), un roman, toute référence au Faust de Goethe ne saurait relever du hasard, qui émet l'hypothèse que la connaissance peut s'obtenir par la voie de la main gauche, celle d'une vie dissolue. En 1922, paraît Siddhartha.
SIDDHARTHA
Traduit en 1951 aux Etats-Unis, Siddhartha eut une énorme influence auprès des jeunes américains. Il est un livre de chevet de la génération hippie. Ce jeune homme riche et comblé qui quitte sa famille et part sur les routes pour atteindre la connaissance fera bien des émules. Il ne sait pas trop ce qu'il recherche, un sens à sa vie et beaucoup plus que cela une harmonie avec le monde qui lui apporterait un sentiment de plénitude, l'absolu, l'éveil, l'illumination, vit nu dans la forêt auprès d'une rivière, se contente de peu, rencontre le Bouddha mais il refuse de le suivre, change de vie, connaît le sexe, la richesse, l'alcool, puis fatigué se retire en pleine nature pour une vie plus ascétique, car la plénitude culmine peut-être dans le vide...
Très court, d'une lecture facile, ce livre qui est davantage un vaste apologue qu'un roman est en même temps très séduisant et très subtil... Il s'inscrit pour toute une jeunesse estudiantine dans la mythologie nationale américaine comme une suite naturelle à l'œuvre de Henry David Thoreau qui prônait le retour à une vie simple, au milieu des bois, et dégagée des lois coercitives de la société. Siddhartha correspond à ce désir de repliement sur soi, de vie en petites communautés, autarciques, qui agite toute une fraction de la petite-bourgeoisie plutôt intellectuelle amerloque qui instinctivement refuse de s'engager dans une société de consommation à outrance...
Les contradictions de la société américaine s'exaspèrent, lutte des droits civiques, guerre du Vietnam, explosion de la sexualité, attrait des drogues, tout se mélange en un cocktail dangereux, est-ce avec des colliers de fleurs que l'on arrêtera la répression policière...
STEPPENWOLF
Bizarrement c'est le titre d'un autre roman, édité en 1927, de Hermann Hesse que prendra pour nom un des groupes fondateurs d'une musique beaucoup plus dure. Du folk l'on passe au heavy-metal. De la contestation critique qui se bat pour des idéaux l'on fonde une musique plus lourde, qui ne recherche peut-être pas l'affrontement direct avec le système mais qui entend faire comprendre qu'il ne faut pas trop venir lui marcher sur les pieds. A feuilleter le livre on ne s'y attend pas. Un intellectuel qui se regarde le nombril. Déteste ses congénères, se réfugie dans la solitude, ce n'est pas qu'il se croit un génie supérieur de l'humanité, mais selon l'adage il vaut mieux être seul que mal accompagné. C'est cet être-là qui se valorise en se donnant pour étiquette l'exemple des loups solitaires dans l'immensité des steppes inhospitalières. Mais ce n'est pas simple, cette société bourgeoise qu'il exècre le fascine, sa richesse, son confort, la notoriété qu'elle peut donner l'attirent, du coup il se méprise... Mal dans sa peau, mal dans sa vie, mais il rencontre Hermine qui lui apprend à aimer ce qu'il déteste, les cafés, le bruit, l'alcool, les discussions interminables, le jazz... Hermine ne se donnera pas à lui mais lui offre un petit jeu dont il faut réussir à assembler toutes les pièces... Roman sombre, illuminé d'éclairs violents, le lecteur est projeté à l'intérieur de la cocote-minute d'un cerveau humain sous pression... C'est à ce livre que John Kay empruntera le titre pour en baptiser son groupe.
JOHN KAY
Joachim Fritz Krauledat est né en en Allemagne le 12 avril 1944. N'a pas choisi la meilleure période de l'histoire de son pays pour venir au monde. Quelques mois plus tard dans les bras de sa mère par un hiver glacé il fuit l'avancée des troupes russes... Les voici en Allemagne de l'Est, en 1948 ils arrivent à passer en Allemagne de l'Ouest... En 1958 ils débarquent au Canada... Cet enfant balloté par les bouleversements de l'Histoire a trouvé sa boussole, la musique diffusée en Allemagne occupée par les radios des troupes alliées...
JIM MORRISON
Une histoire parallèle. Jim Morrison est né avec une cuillère beaucoup plus argentée dans la bouche que celle qu'a sucée le jeune Joaquim. Mais tous deux ont puisé aux mêmes sources intellectuelles. Morrison a été profondément marqué par la lecture de La naissance de la tragédie de Nietzsche. Le roman Narcisse et Goldmund de Hermann Hesse est un développement littéraire d'une des thèses de Nietzsche, celle qui établit une distinction caractérielle et catégorielle ( au sens aristotélicien de ce terme ) des individus, les Apolliniens et les Dionysiaques, les premiers qui domptent le monde en se fiant avant tout aux capacités analytiques de leur clairvoyance intellectuelle, les seconds qui pensent accéder à la connaissance en s'abandonnant à tous les vertiges possibles qu'offre l'attrait du monde. Intransigeance ou acceptation. Intelligence ou ivresse. Morisson choisira la voie dionysiaque, toutefois dans The Celebration of the lizard, vous avez un couplet des plus énigmatiques, Once I had a little game ( Hervé Muller en donne une analyse fort instructive dans son livre Jim Morrison au-delà des Doors ) qui n'est pas sans rappeler les dernières lignes du Loup des Steppes et l'œuvre la majeure de Hermann Hesse Le jeu des perles de verre, vaste méditation apollinienne sur la musique...
Sans doute est-il temps de retourner au rock'n'roll...
*
Pour le moment nous faisons l'impasse sur les Sparrows ( moineaux ) aventure qui mène John Kay de Toronto à la Californie où tout se passe... Dès 1967 Steppenwolf sort deux singles, qui seront repris sur le 33 tours qui sort en janvier 1968. Oui le groupe est d'origine canadienne, mais son impact a été si fort aux States, qu'il est considéré par de nombreux fans comme américain...
STEPPENWOLF
( ABC , DUNHILL / 1968 )
John Kay : chant, guitare, harmonica / Jerry Edmonton : batterie / Michael Mornach : guitare / Goldy McJohn : claviers / Rushton Moreve : basse.
Sookie Sookie : titre de Don Covay, face B de Mercy, Mercy sorti en 1966 : z'ont pas de cuivres les Steppenwolf, mais ils ont des guitares qui les remplacent facilement, Michael est vraiment un monarque du manche, tout de suite l'on comprend que l'on est dans un disque de rock'n'roll, les notes cristallines de Steve Cropper il vous les transforme en tout autant de mini-riffs tranchants comme le hachoir d'un boucher, tout est en place, dès ce premier titre l'on sent que l'on est entré dans un bon disque, si le chant de Kay est encore clair, l'orchestration devient de plus en plus compacte au fil du morceau. Everybody's next one : face B du single Born to be wild sorti en 1967 : un petit côté Beatles pour l'écriture, entre tranche de vie et critique sociale ironique, une espèce de petite chronique acide et quasi théâtrale, avec une orchestration qui enrobe la voix comme la couche de sucre dragéifie l'amande, un bijou que l'on expose en vitrine car on sait d'avance qu'il attirera les regards. Sonne très anglais. Berry rides again : il n'y a qu'un seul Berry, il s'appelle Chuck, un titre hommagial au great Chucky, tout y est, presque aussi bien qu'un original, écoutez-le soigneusement vous vous apercevrez qu'il est fignolé avec soin, attention certains licks de guitare rappellent en passant, mais sans insister, que l'on a aussi dans les oreilles le souvenir du Carol des Rolling Stones. Hoochie Coochie man : madnoiselle si vous ignorez ce que signifie hoochie coochie je suis votre homme pour vous y faire des guili-guili dessus, excusez ma salade salace, s'agit d'un vieux blues ( mais à qui Willie Dixon l'a-t-il repris ), la version de Muddy Waters avec Little Walter, est inoubliable. Attention le Loup s'attaque à une grosse bête, et tout change, pas difficile à l'écouter de comprendre comment le blues de Chicago a engendré le hard, John Kay abandonne sa voix en dentelle, vous y met cette graisse de locomotive asthmatique qui fait notre régal et derrière tout le monde pédale sec, vous repeignent le blues en plus sombre. Born to be wild : ( Le morceau est de Mars Bonfire ancien membre des Sparrows sous le nom de Dennis Edmonton, il est sorti sur le deuxième single du Loup en 1967 ) : avec les quatre titres précédents ils ont revisité le rock des pionniers, la pop anglaise, le rhythm & blues, et le vieux blues, se sont dépatouillés comme des chefs, z'apportent maintenant leur contribution à cette musique qu'ils aiment. Accouchent d'un classique, l'ampleur sonore prend ce balancement qui deviendra caractéristique de leur style, avec en plus cette envolée emphatique sur le refrain, qui sonne comme un mot d'ordre. Le titre a été magnifié par son inclusion dans la bande-son d'Easy Rider, il est devenu l'hymne des bikers, et encore plus que cela, vous avez deux mantras opératifs pour le rock'n'roll, Drugs, sex and rock'n'roll et Born to be wild, il est reconnu et repris par tous ceux qui optent pour un rock'n'roll dur et violent. Un drosera vénéneux et carnivore qui n'était pas prévu dans la gerbe agreste du mouvement hippie. Parfois c'est le fumier qui pousse sur les fleurs.
Your wall's too high : Kay crache le blues, vous mollarde en pleine face tandis que Mornach vous cisaille la boîte crânienne de sa guitare suraigüe, c'est le moment de porter attention au clavier de Goldy McJohn et de penser à cette filiation organique entre Animals, Doors et Steppenwolf, le meilleur du rock s'inscrit dans cette généalogie, Jerry Edmonton ramasse le son, ne laisse rien échapper, sa batterie est la gardienne du troupeau, s'agit de réunir toutes les forces sans en oublier une, l'est méchamment secondé par la basse de Rushtom Moreve qui joue au chien berger, vous file des coups de dents sur les jarrets qui traînent sans défaillir. Desperation : dans le titre précédent, la leçon était claire, si tu veux quelque chose, donne-toi les moyens, bouge-toi mais avec celle-ci l'admonestation individuelle se change en critique politique, n'est-ce pas la société qu'il faudrait changer, un orgue funèbre pour entrer en matière, la suite n'est pas très gaie, une espèce de blues qui se traîne, presque pleurnichard entrecoupé d'éclats de voix, le morceau s'étire, le loup lèche ses plaies, Kay pose les questions aux réponses évidentes, le groupe est compact, la colère s'amasse silencieusement, l'on sait que le barrage va craquer, s'il le faut on arrivera à le renverser à plusieurs. The pusher : ( le morceau est de Hoyt Axton qui mena conjointement une carrière d'acteur – il est le père d'Alec dans les deux films tirés de la série L'étalon Noir de Walter Farley, et de chanteur et compositeur folk, beaucoup d'albums ( country, folk, blue grass ) à son actif, les amateurs de Gene Vincent remarqueront sa reprise de Pistol Packin' Mama ) : ce morceau que Hoyt Axton a pris quelque temps avant de l'enregistrer lui-même, le magma sonore du groupe le dope à mort, surtout que Kay ne met pas sa langue dans sa poche pour que personne ne puisse dire qu'il n'a pas compris. Ce titre fit l'objet d'une polémique, il appelle à tuer les pushers ( trafiquants de drogues dures ) mais à laisser en paix les dealers d'herbe, de quoi se faire attaquer sur sa droite et sur son extrême gauche. Un des temps forts du groupe, aussi puissant ( et peut-être plus ) que Born to be wild. Le loup est sûrement un animal nuisible. C'est pour cela que nous l'aimons. A girl I knew : pour son premier single sorti en 1967 le loup y était allé mollo, une ballade, c'est gentil, c'est joli, c'est bien fait, bien sûr il y a cette rythmique un peu trop rapide et cette guitare qui bourdonne un peu trop fort, mais tout se calme, presque un rythme de valse. Parfois il faut avancer avec un masque de loup feutré sur le visage pour avoir le droit de participer au bal du lycée. Take what you need : tiens une autre chanson d'amour, ce n'est pas vraiment cela, le texte se politise, l'air de rien une critique acerbe d'une société qui accumule les richesses mais qui ne les partage pas beaucoup, une espèce de binaire insidieux, qui fait semblant de s'arrêter pour reprendre, sur la fin la voix de Kay n'est pas sans évoquer celle de Morrison, les deux univers sont plus proches qu'il n'y paraît... mais Morrison regarde ses gouffres intérieurs, tandis que Kay est davantage tourné vers l'extérieur. The ostrich : l'autre face du premier single sorti en 1967, jungle-sound à la Bo Didley, c'est parti pour l'enfer. Pas celui du diable. Celui des hommes. Ce coup-ci Kay ne mâche pas ses mots, le texte semble avoir été écrit il y a dix minutes, l'autruche c'est moi et vous, qui partons bosser chaque matin et qui nous cachons la vérité, que nous sommes les esclaves formatés d'une organisation sociale qui ne respecte rien, ni les êtres vivants, ni la nature... Kay vous scotche les mots un par un à la Dylan pendant que les autres cavalent derrière lui, le morceau se termine en oscillant entre kermesse du bal des pompiers et aventurisme noise.
Ce disque est sorti depuis plus d'un demi siècle, il n'a pas pris une ride ( sur la carpette magique ). Totalement de son époque et tellement en avance. Steppenwolf est un groupe à réécouter, de toute urgence.
Damie Chad.
JANIS JOPLIN
MARIE DESJARDINS
LE MAG / PROFESSION SPECTACLE
Juste un article de quelques feuillets, oui mais c'est de Marie Desjardins. Une écrivaine, une autrice, une auteure, dites comme vous voulez, Marie Desjardins suffit. Qui réside au Canada. Les Kr'tntreaders commencent à connaître, elle a publié des romans de glace et de foudre et donné maints textes sur des musiciens de rock ( et autres ), une plume dentelée de neige et de feu qui se plante à la manière des flèches iroquoises dans votre mémoire et qui refuse d'en sortir.
A quoi bon parler de Janis. Le monde entier connaît son histoire. Une fille laide qui devint la diva du rock'n'roll. Pas une muse mystérieuse à la Nico nous précise Marie Desjardins, Non une diva dévastée d'elle-même. Une tornade, une force qui va, un aérolithe qui n'a pas eu la chance de s'écraser sur notre terre pour éradiquer la race héraldique des lézards géants. Non, un phénix incandescent, brûlé de ses propres flammes, qui s'est consumé tout seul, refusant de mêler ses cendres à notre misérable tourbe humaine, qui la rejeta, et puis la divinisa, pour ne pas avoir à subir sa présence coruscante.
L'on ne saura jamais ni comment, ni pourquoi, en son corps de petite fille blanche s'incarna une force primale échappée des noires nuits alligatoriennes du bayou. Morrison, un de ses amants d'ombre et de folie, fit à plusieurs reprises allusion à l'esprit de cet indien mort en un accident de la route qui s'était incarné en son enveloppe charnelle. Au contraire de Janis il était beau comme un Dieu grec ce qui ne l'empêcha pas de s'enliser, de s'enkyster dans l'alcool et la bouffissure de sa chair.
En peu de temps Janis accéda au statut de rock'n'roll star. Elle pouvait difficilement assumer un autre rôle, quand on ne peut être le reflet du miroir il ne vous reste plus qu'à devenir le miroir dans lequel les autres se regardent pour accéder au sentiment d'exister. Sa révolte était tapie à l'intérieur d'elle telle une lave de volcan, elle la recracha, en une éruption vocalique, vésuvienne. Un blues aux tentacules noirs de haine rentrée et rouges sanguinolents de désir turgescents sans limite. Janis la pieuvre aux cheveux de cette pourpre orangée qui reste la marque des Dieux, du Diable et des succubes.
Janis qui mettait des lunettes pour mettre une barrière entre elle et le monde vil. Pour protéger sa solitude qui corrodait son âme bien plus ardemment que tous les venins artificiels qu'elle s'inoculait, de toujours les vouivres ont aimé le poison. Marie Desjardins pose la question qui gêne. Si Janis la rouquine, Janis la renarde, ne cherchait pas la mort elle l'a, bel et bien, belle et bien, trouvée.
Imagine-t-on Janis, aujourd'hui, vieille, flétrie et oubliée, au fond d'un hospice, n'ayant même plus la force de souffler ses quatre-vingt bougies, ou alors une mémère sereine radotant un tant soit peu, et comble de la misère spirituelle, réconciliée avec elle-même. Peut-on penser que vu la dimension épique du personnage que Janis ait déchu, qu'elle se soit reniée, et sans doute pire que tout, n'aurait-elle pas trahi ses fans, je ne parle pas des suiveurs qui courent après les hochets stupides de la célébrité, mais de ceux qui ont été brûlés, fendus en deux par la beauté de son chant tomahawk, ce torrent qui vous emportait vers l'autre pays, dont on ne revient jamais, même si l'on n'y a jamais mis les pieds.
Le texte de Marie Desjardins, se finit en méditation. Cherche-t-on le cobra du destin. Le subit-on passivement ou marchons-nous vers lui en toute connaissance de cause, afin de le saisir à la gorge, à moins que ce ne soit lui qui ne nous morde et ne fasse qu'une bouchée de nous. Et s'il en est ainsi, si c'est la case de ce dernier atermoiement que nous cochons, n'est-ce pas que nous l'avons voulu, et au lieu de parler de masochisme humain, ne vaudrait-il pas mieux employer la notion de sacrifice consenti. Absolument nécessaire. Simplement certains, à l'instar de Janis Joplin, exigent en eux-mêmes que leur vie soit un signe, une marque indélébile sur le chemin emprunté par la caravane humaine. Mais dans la vie comme dans la mort, tout se paie.
Damie Chad.
Profession Spectacle est un magazine culturel sur internet depuis 2015
IF I ONLY COUD BE SURE
SOUL TIME
Il y en a qui confinent et d'autres qui confirment. Soul Time se range dans la deuxième catégorie. La semaine ne s'était pas écoulée qu'ils tenaient leur promesse. Z'ont posté une deuxième vidéo sur You Tube. La première fois c'était Lonely For You baby et je peux dès maintenant révéler que celle qui drivait le chant de la reprise de Sam Dees c'était Carla Castro, mais ce coup-ci c'est au tour de Lucie Abdelmoula de mener le train sur ce morceau de Nolan Porter.
Etrange carrière que celle de Nolan Porter, deux albums, six singles, entre 1970 et 1972, et puis suite à la disparition de sa maison de disque l'homme se cantonne à animer les nightclubs de Los Angeles. Reconnu en Angleterre par Paul Weller qui reprendra If I only could be sure, et Joy Division, Nolan Porter est une espèce d'étoile filante de la northern soul, mais beaucoup se souviennent encore de la brillance de son passage. L'on retrouve des musiciens de Frank Zappa sur ses disques, cela peut paraître étonnant mais s'explique par le fait que Nolan Porter était marié avec la sœur du père des Mothers of Invention.
Joy Division, se sont contentés de reprendre les riffs de Keep on keeping on sur leur Interzone, mais la version de Paul Weller de If I only could be sure vaut le détour. Surtout en ses débuts, le chanteur des Jam vous a des intonations à tromper un éléphant, vous écoutez en blind-test et dans votre tête vous cherchez dans la liste des chanteurs noirs de soul américaine, avec sa voix plus noire que le charbon écossais il vous bluffe à mort, ben non c'est un petit blanc du Surrey qui vous fourvoie sur une fausse route. Le problème c'est qu'à partir de la deuxième moitié, vous commencez à vous ennuyer, l'allume le brasier mais ne le maintient pas.
C'est d'autant plus dommage que si à la suite vous écoutez la version de Nolan Porter, vous pensez avoir interverti les disques dans les pochettes, non pas du tout, c'est le timbre de Nolan qui sonne plus blanc que celui de Paul. C'en est presque choquant, c'est peut-être pour cela que Porter est reconnu pour être comme un trait d'union entre la soul et le rock'n'roll. Et c'est vrai qu'il trimballe bien le vocal, l'a une sacrée aisance le gars, chante pointu et rapide, vous emballe la minette en trois coups de langue, un solo d'orgue des chœurs masculins en sourdine, vous êtes sûrs que la gercette est en train de fondre à la vitesse d'une tablette de chocolat oubliée en plein soleil un jour de canicule !
Chez Soul Time, ils ont tout compris, de la douceur et de la rapidité, faut prendre l'auditeur à chaud, attention pas de la vulgaire et brutale brûlure au fer rouge, par surprise, agissent à la manière des malandrins à la foire du Trône, il y a en un qui vous pique le porte-feuille et neuf autres qui se le passent avec une époustouflante dextérité, quand trente secondes plus tard vous vous en apercevez, c'est trop tard, votre fortune est déjà déposée sur un compte en banque au Îles Caïmans. Vous ne pouvez même pas leur en vouloir, c'est exécuté de mains de maîtres. Démarrent avec quelques cordes de guitare qui jouent à l'élastique, celui avec lequel vous envoyiez des fléchettes en papier sur les filles en sixième, puis un coulis d'orgue, genre Mirage IV qui vole très haut dans le ciel, et la rythmique s'installe avec le naturel de Louis XIV s'asseyant sur son trône devant ses courtisans, et plic-ploc-plic, la voix de Lucie tombée de la lune rebondit sur la double table de ping-pong de vos deux tympans. Elle a tout pour elle la demoiselle, son chant glisse comme une anguille dans l'herbe près des lacs des hautes montagnes, ce n'est plus une voix c'est une apparition, et alors faute d'un nuage rose pour l'entourer d'un halo divin la fanfare des cuivres lui tissent un coussin doré pour qu'elle puisse poser ses petits bémols sur une sente de douceur, et c'est la fête totale, tout le monde y va de son petit trémolo, chacun pousse sa giclée de notes pour qu'elle se rappelle de lui, Thierry vous insinue un long glissandi sur patin à clavier glacé, à la batterie le batteur ne fonce pas à Torz et à travers sur ses caisses feutrées, tout le monde est au septième ciel, les portes de l'empyrée s'ouvrent, et c'est alors que le rêve s'achève, Lucie nous laisse tomber du haut des étoiles, elle arrête et c'est fini, plus rien. Le morceau s'achève sur un tranchant de guillotine et pendant que votre tête roule dans le panier de son du désespoir, vos lèvres s'entrouvrent une dernière fois et vous vous entendez crier en vain : Lucie ! Lucie !
Une réussite parfaite !
Damie Chad.
XI
ROCKAMBOLESQUES
LES DOSSIERS SECRETS DU SSR
( Services secrets du rock 'n' rOll )
L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS
Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.
Lecteurs, ne posez pas de questions,
Voici quelques précisions
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Nous approchions du Trocadéro. Le Chef donna l'ordre d'arrêter dans une petite rue discrète. Le briefing fut bref.
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Lorsque nous serons arrivés, Alfred dans la cabine, l'agent Chad et Molossa discrétos autour du Dodge prêts à intervenir, Thérèse, Jean-Pierre, Molossito et le Westie pouilleux...
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Il s'appelle Fanfreluche et...
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Taisez-vous péronnelle, apprenez à agir sans discuter... donc les quatre sus-cités sur la benne, je serai-là, vous n'aurez qu'à obéir. Agent Chad, vous arrêterez le Dodge sous la tour Eiffel, si possible à l'intersection des diagonales des quatre piliers...
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Donc pour atteindre le Pont d'Iéna, je descends l'avenue Delessert...
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Agent Chad, pas de tergiversation, direct par les escaliers du Trocadéro ! Action, n'oubliez pas que la survie du rock'n'roll est en jeu !
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Je me suis fait haïr lorsque j'ai lancé le bahut à fond de train sur l'esplanade du Trocadéro, les mots d'assassins, et les injures de toutes sortes m'accompagnèrent, mais le peuple est versatile, dès que j'eus tourné à angle droit pour enfiler les escaliers, et dévaler la pente raide, les exclamations fusèrent, tout le monde croyait assister à un exploit sportif sans précédent, je finis la deuxième rampe sous des hourras frénétiques, mais dès que je me suis payé le pont d'Iéna à plus de cent kilomètres-heure, ce fut le délire, des milliers de promeneurs me suivirent en courant, et lorsque j'arrêtais le Dodge à l'endroit exact exigé par le Chef, un public enthousiaste convergea de tous côtés vers le camion. A peine m'éjectais-je de la cabine deux flics en civil revolver au poing se précipitèrent vers moi. Ils me sauvèrent la vie, la foule en délire les écrasa sans même s'en apercevoir, au bout de quelques secondes il ne restait plus que deux grosses tâches rosâtres sur le macadam piétinées par des gens surexcités. De quelques coups de mâchoires dans des dizaines de mollets anonymes Molossa me fraya un passage dans la marée humaine. Je ne donnais pas cher de la survie de mes camarades.
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De la scène qui suivit je ne garde avant tout en mémoire que la capacité du Chef à maîtriser les situations les plus périlleuses. Il ne lui fallut que trois secondes pour s'emparer du micro qu'Alfred lui tendait par la lunette arrière, l'avait eu la prescience de se glisser dans la cabine par la vitre ouverte de la portière de droite, et déjà il lançait Great Balls of fire sur sa chaîne, le salaud, il avait planqué ses Jerry Lou pour que je ne risque pas de les rayer pas en les écoutant, et maintenant il en abreuvait le monde entier !
Lorsque le morceau fut fini, le Chef leva la main, et un silence absolu tomba sur la foule qui instantanément comprit qu'une communication importante imminente leur serait délivrée, et le Chef prit la parole : '' Chers amis, le SSR, le Service Secret du Rock'n'roll, vous a offert la première descente des escaliers du Trocadéro sur camion à roues métalliques, pour saluer cet exploit, tout le monde aura droit à un superbe cadeau, un véritable Coronadito, le cigarillo que fument les agents les plus renommés du SSR, le Service Secret du Rock'n'roll, pour une fois vous allez pouvoir goûter à ce délice suprême, ce nectar des Dieux, cette ambroisie des demoiselles, il y en aura pour tout le monde, vous pourrez en proposer à vos enfants, ainsi ils deviendront des hommes, et parmi eux les plus valeureux auront peut-être la chance d'être recrutés par le SSR, le Service Secret du Rock'n'Roll !''
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La scène qui suivit tient de l'épopée. Certes avec Molossa j'occis ( sans gêne ) dans les fourrés en douce quelques agents qui voulaient s'opposer à cette énorme réunion publique non déposée, ils se lassèrent vite, car alertés par leurs téléphones portables des parisiens se hâtaient pour nous rejoindre. A l'aide d'un pied de biche Jean-Pierre ouvrait les caisses de cigarillos que Thérese distribuait de son mieux. Molossito et Fanfrelucche les saisissaient délicatement un par un et les apportaient fièrement aux mains qui se tendaient. Le Chef qui galvanisait la foule au micro, et Alfred qui choisissait les plages les plus endiablées de Jerry Lou, ne pouvaient les aider. Mais Jean-Pierre avec ses quatre mains abattait à lui tout seul plus de boulot que quatre hommes, l'était partout de tous les côtés du plateau, les gens s'arrachaient ses présents qu'il présentait à la vitesse d'une mitraillette.
Les reporters-radio à moto arrivèrent les premiers, bientôt rejoints par les unités de télévision, nationales et très vite par les antennes internationales. L'acronyme SSR faisait le buz sur tous les réseaux, mais un gamin déclencha la bombe atomique du début du millénaire. Tout le monde l'avait vu, personne n'y avait fait gaffe, sa voix suraigüe de môme surexcité perça le brouhaha et squatta tous les micros ouverts de tous côté :
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Regarde, Maman, le monsieur il a quatre mains !
Subito expresso les cameramen firent un gros plans sur Jean-Pierre qui devint célèbre en quatre secondes, les journalistes se l'arrachèrent pour des interviews improvisées, ce fut une cohue infernale, personne n'y comprenait rien, mais c'était le scoop de l'année, Jean-Pierre fut arraché du camion et porté en triomphe tout autour de la Tour Eiffel, un cortège se forma et l'emporta au loin, nous finîmes par distribuer les cigarillos et nous nous éclipsâmes discrètement...
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Le Chef alluma son premier Coronado du matin, je lui tendis Le Figaro, son compte-rendu était celui qui était le plus près de la réalité, nos lecteurs y trouveront peut-être un manque flagrant d'objectivité mais ils peuvent se rendre en bibliothèque publique pour lire ce numéro historique.
Une manchette énorme : SAUVE PAR LE SERVICE SECRET DU ROCK'N'ROLL !
Dessous une belle photo prise devant le perron de l'Elysée , Jean-Pierre entre le Président tout sourire et Thérèse radieuse, devant fièrement assis Fanfreluche, que l'on avait dû repeigner pour la cause. Je résume l'article qui couvre trois pages entières grand-format, notamment constitué par des interviews, celui de Jean-Pierre relatant sa terrible aventure, expliquant qu'ayant trouvé un numéro de téléphone dans une vieille veste de son père, il était tombé sur ancien copain de son père un certain Vincent Trajers ( sic ) qui lui avait révélé que le SSR le recherchait et l'avait poussé à les contacter, qu'il avait été accueilli très gentiment... Thérèse prenait la parole à son tour et expliquait que lorsqu'elle l'avait vu, elle était tombée amoureuse de lui '' ...quand j'ai pensé que de deux ses mains pouvaient chacune caresser un de mes seins tandis que les deux autres s'affaireraient plus bas, j'ai craqué... '' Puis c'était autour du Président, longuement et fortement acclamé par la foule – le journaliste remarquait que c'était la plus grosse ovation de son quinquennat – qui exprimait sa fierté de posséder un Service Secret du Rock'n'roll aussi formidable bla-bla-bla...
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Pour la petite histoire je rajouterai que Jean-Pierre, Thérèse et Fanfreluche devinrent le couple le plus aimé des français, toutes les semaines en couverture d'au moins un ou deux des titres les plus vendeurs de la presse people... De temps en temps Jean-Pierre nous passe un coup de fil pour nous remercier de son bonheur.
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Le Chef reposa le journal – nous avions réoccupé notre local - prit le temps d'allumer un nouveau Coronado :
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Agent Chad, je vous le dis et le redis, tout cela est certes très sympathique, mais pour le moment nous ne sommes qu'à la périphérie de cette affaire. Des nuages noirs sont en train de s'accumuler sur nos têtes, croyez-moi ils ne tarderont pas à nous tomber dessus.
L'avenir n'allait pas tarder à concrétiser sa prophétie.
( A suivre... )