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charlie watts

  • CHRONIQUES DE POURPRE 593: KR'TNT 593 : TOM POTTER / WIPERS / CHARLIE WATTS / ANN SEXTON / MOONLIGHT BENJAMIN / ACROSS THE DIVIDE / EIGHT FOOT MANCHILD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 593

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 03 / 2023

     

    TOM POTTER /  WIPERS

    CHARLIE WATTS / ANN SEXTON

    MOONLIGHT BENJAMIN / ACROSS THE DIVIDE  

    EIGTH FOOT MANCHILD / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 593

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Le pote Potter

     

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             Il fut un temps où Tim Warren régnait sur le monde. Les fans de garage ne juraient que par Crypt. Ce label devint aussi mythique que Bomp et Skydog. L’un des groupes phares de Crypt s’appelait Bantam Rooster. Il s’agissait en fait d’une paire de petits mecs surexcités, Tom Potter et son ami batteur (kick & snare) Eric Cook.

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             L’écoute de leur premier album Deal Me In permettait de prendre la mesure du phénomène. Il était difficile d’admettre qu’un duo pouvait occasionner autant de ravages dans les oreilles d’un lapin blanc. Le pote Potter attaquait son morceau titre à la hurlette dégénérée. Il s’inscrivait directement dans la lignée de grands screamers, ceux qu’on dit définitifs et qu’on enferme à vie. Son «In The Manner To Which I’m Accustomed» était complètement trépigné de la trépignette, on le sentait incapable de revenir au calme. Il dépassait encore les bornes du scream dans «Ain’t Gonna Touch You». Il s’y conduisait en vrai diable cornu. Il arrosait la terre du scream le plus incendiaire qui se put alors concevoir. Et il atteignait à une sorte de génie lapidaire avec «Bantam Rooster Theme», véritable giclée de freakout extrême. Cette violente explosion d’exaction excédée relevait du pur génie trash. On aurait même pu parler de souffle atomique et de blast du siècle, tant qu’on y était. Le problème était que tout l’album ruait dans les brancards. Le pote Potter et son sbire n’avaient jamais envisagé le moindre répit. Cette notion devait même leur être complètement étrangère. Ils préféraient s’adonner au stomp des forges de Detroit avec «Lawdy Lawdy» ou emprunter quelques riffs au MC5 pour «Miss Luxury». Tom Potter n’en finissait plus de hurler, à seule fin de relancer sa machine. On avait là du jamais vu. Il braillait son «Man Of Wealth And Taste» au scream protubérant et se livrait à une sorte de devastating sludge dans «Fuck You Muh Man». Il portait le Potter à incandescence. Il ne pouvait pas non plus s’empêcher de désintégrer le pauvre «Shit Town» et on savait d’avance comment ça allait se terminer pour «Panther». Horrible ! Il screamait ça jusqu’à l’oss de l’ass. Il fallait le voir pour le croire. Ils amenaient des cuts comme «Brokeback Fit» et «Down & Out» au bord de la folie. On espérait bien ne jamais croiser ces deux fous dans la rue. Ils symbolisaient tout ce qu’on craignait, principalement l’esprit de non-retour. Et jusqu’à la fin de cet album terrifiant, Tom Potter se montrait incapable de la moindre humanité, il hurlait de plus belle sur «Mammon», il dépassait toutes les bornes. Aucun médecin n’aurait pu l’aider.

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             Avec The Cross And The Switchblade paru deux ans plus tard, le duo montait encore d’un cran dans l’insanité. Ils blastaient leur maximum overdrive dès «State Cracker», un cut complètement trépigné du bulbique. On sentait bien qu’on allait passer un mauvais quart d’heure en écoutant cet album. «Goin’ Cold» paraissait plus construit, avec ses semblants de couplets, mais ça basculait très vite dans la physique nucléaire. Ils finissaient l’A avec deux merveilles, «Tom Skinner» - Call me Tom Skinner  ! - et «You Ain’t The Boss Of Me», pur chef-d’œuvre de garage vénéneux. En B, le pote Potter inventait un nouveau genre avec «Shot Down» : la garage apocalyptique. Au fil des cuts, on se passionnait pour le travail de cet homme, à commencer par «Catfight», un cut bardé de dynamiques internes, tellement bardé que ça en devenait fascinant. Matthew Sweet d’Outrageous Cherry jouait de l’orgue sur «Ghost» et on avait là une sorte d’heavy groove bienfaiteur de l’humanité. Et puis, tout rebasculait dans le jusqu’au-boutisme potterien avec «Electricity», car il chantait ça à la hurlette purulente. Et là franchement, on craignait pour sa santé. Pourtant cinglé, Little Richard ne serait jamais allé jusque-là.

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             Leur troisième album Fuck All Y’All parut en l’an 2000 sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry, concurrent direct de Crypt. Cet album est un véritable chef-d’œuvre d’insanité. Si l’insanité figure au premier rang de vos valeurs, alors vous devez impérativement vous jeter sur ce chef-d’œuvre. Ça explose dès «Dum It Down», mais de manière incontrôlable. Tom Potter et Mike Alonso jouent dans la pire urgence qui se puisse imaginer, leur démesure renvoie à l’incendie de Rome jadis imaginé par Néron pour la seule beauté du spectacle. Jamais aucun humain n’a hurlé comme ça dans un micro. Tom Potter pousse l’art du scream dans ses retranchements. Tiendra-t-il jusqu’au bout de l’album ? Franchement, on s’inquiète pour sa glotte. Il enchaîne avec une nouvelle preuve de l’existence du diable qui s’appelle «High Priestess». C’est un pounding éhonté, on a là le pur stomp de Detroit. On a l’impression que les cuts se succèdent comme des petits exercices de style visant à démontrer la suprématie du Detroit Sound. Mike Alonso se fend d’une belle pétarade évangélique et tout bascule dans l’insanité. On entend ce fou de Tom Potter hurler au fond de «Crack Your System», et comme si ça ne suffisait pas, il finit même par l’exploser en mille morceaux. Et puis avec «You’re The Sun», il flirte une fois encore avec le génie. Comme Artaud, il veut en finir avec le jugement de Dieu, alors il hurle tout ce qu’il peut. Il atomise le rock, il en fond tous les atomes, il en désintègre l’essence et en piétine la quintessence. Tom Potter s’inscrit en faux dans le vrai, il devient le temps d’un cut le plus grand screamer de l’univers. «Burn Down» sonne comme une incitation à l’émeute. Tom Potter est un apôtre de la folie, il explose systématiquement tous ses cuts, les uns après les autres, il n’en finit plus de burn it down, Alonso pilonne et le pote Potter hurle à s’en arracher les ovaires. On croit que ça va se calmer. Ha ha ha ! Potter se calmer ? Impossible, car voilà «Lockdown Monologue», une nouvelle abomination explosée d’entrée de jeu. Il hurle son cut dans son pantalon, et ça gicle. Il plonge une fois de plus dans le chaos avec «Dealbreaker». On a parfois l’impression qu’il veut se spécialiser dans la folie. Il n’existe rien de comparable dans le monde du rock. Il termine avec «This Close To Suicide» et passe un killer solo histoire de finir en beauté.

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             Et pouf, le pote Potter monte Beasteater avec Aaron Adduci (guitar), Traci Volker (bass) et Nick Lloyd (drums), et sort un premier album sans titre en 2016. Dès «The Night Air» qui ouvre le balda, on est frappé par le génie de ce big sounder qu’est le pote Potter. Il attaque à la hurlette massive, des gros sabots de plomb splouchent dans une marée de gélatine et la chair humaine à la Druillet, flic floc, c’est épais et barbare, gras et mauvais, au sens de l’intention, bien sûr. Le pote Potter dispose d’un sens aigu du riff porteur. On irait même jusqu’à dire qu’il fait de l’universalisme garage. En tous les cas, si le garage moderne doit ressembler à quelque chose, c’est au son de Beasteater. Attention, cet album se joue en 45 tours. Le plus drôle, c’est qu’on ne l’indique nulle part sur la pochette. Et tout l’album bascule dans la fournaise, mais une fournaise intéressante, à commencer par «I Eat Scum», où tout explose, Tom tape dans le tas, ça power-riffe dans le souk et Traci Volker lui répond du tac au tac, c’est le top de l’attaque, I’m losing my mind et Traci le singe. Admirable !  Le pote Potter continue d’ignorer la notion de répit. Les cuts avanceraient presque à marche forcée, au beat du pilon des forges du Creusot ou de Sheffield, peu importe, en tous les cas, ça emboutit la tôle et ça fume et avec toute cette vapeur, on ne voit plus grand chose. On tombe en B sur une terrible enfilade : «Scum Of The Earth», «Ovary Action» et «Taste The Floor», une enfilade qui justifie pleinement l’emplette. Scum c’est en effet du pur jus de Potter de pot de fer, le teutonné du bulbe, le destructeur de tour Eiffel, l’ogre aux dents d’acier, il arrache tout sur son passage, même les marronniers de l’avenue des Tilleuls, et puis avec Action, on monte encore d’un cran dans le détroitisme, c’est allumé aux riffs pyromaniaques, voilà le son dont rêvent tous les groupes garage, mais c’est le pote Potter qui a trouvé le truc. Oh et puis cet immonde Taste, qui te replonge dans l’heavy liquid des Stooges, c’est rampant en diable, explosé du cortex, émincé à l’échalote, farci aux gémonies, ça rôtit en broche, ça rissole dans le jus des enfers. Quel admirable sens des affaires ! Il termine cet album fabuleux avec deux autre brûlots, un «Slight Overnight» tendu à l’extrême, Tom y pétrit bien sa pâte, il soigne ses clameurs et puis un «Wood Shampoo», qui sonne comme la pure démence en partance pour Detroit, ça joue ventre à terre, lui, si on veut l’arrêter, c’est impossible, il enfonce les barricades et explose les cars de flics qui tentaient de barrer la route. Malheureux, tu veux stopper le pote Potter dans son élan ? Impossible ! Sache que le pote Potter joue son va-tout en permanence. Et ça va même plus loin : il ouvre des portes. Réfléchis à ça.     

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             Quand on parle du Detroit Sound, on cite généralement les noms des Stooges et du MC5, accessoirement ceux de Frost et des Amboy Dukes, mais rarement celui de Bob Seger, qui fut pourtant l’un des fers de lance du Detroit Sound avec des singles énormes comme «Heavy Music» et «Ramblin’ Gamblin’ Man». Pour réparer cette injustice, Tom Potter monte en 2008 The Seger Liberation Army et enregistre Down Home, un album de reprises du early Bob. Pat Pantano et Jim Diamond sont dans les rangs. Et forcément, l’Army attaque avec «Heavy Music». Le pote Potter ne s’embête pas, il tape dans l’un des pires classiques du Detroit Sound. Il en fait une abomination désespérée en le montant sur un beat Tamla. C’est exceptionnel, chargé à ras-bord de chœurs et de nappes d’orgue. Le pote Potter enfonce son clou de prime abord d’abordeur dédouané. Il balance tout ça dans la gueule des gémonies. Des cuts comme «Chain Smokin’» et «Get Down On Your Knees» sonnent comme de véritables énormités concomitantes, noyées de son et battues comme plâtre. L’Army claque «Down Home» au pire garage de Detroit. Le pote Potter pousse le bouchon de Bob un peu trop loin. Les choses montent encore d’un cran avec l’imparable «2+2=?», le hit définitif du vieux Bob. Le pote Potter l’expatrie ad patres. Il dispose de cette niaque qui lui permet d’exploser les choses de la vie - Two plass two is on my mind - C’est le hit idéal du Detroit Sound, monté en mayo d’assembly line. Le pote Potter travaille son cut au corps, il shoote toute la folie des matins du monde dans le vieux cul segérien, avec une fabuleuse insistance délétère, et ça repart de plus belle après l’inopiné d’un break béant. Il prend ensuite «East Side Story» à la pire fuzz rampante qu’on ait vue depuis le Gloria des Them. Voilà un chef-d’œuvre garage nocturne et dangereux, aussi dément et déterminé que ce vieux Gloria de Marine Hotel. Tout est là. Évidement, s’il tape dans «Ramblin’ Gamblin’ Man», c’est pour en faire de la charpie. Il explose ce hit incontournable des sixties. Le pote Potter le ré-explose de plus belle. Ah il ne faut pas lui confier les clés de la baraque ! Surtout pas ! Ce screamer fou bouffe le Ramblin’ tout cru. Il réduit tout effort langagier en bouillie et saute à pieds joints sur la syntaxe. Il finit avec un «Florida Time» qui sonne comme un pied de nez aux frères Wilson.

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             Un deuxième album du Seger Liberation Army paraît en 2016, avec quasiment tous les titres du précédent. On retrouve en effet sur Innervenus Eyes les somptueuses reprises d’«Heavy Music», d’«East Side Story», de «2+2=?», de «Chain Smokin’», de «Down Home» et de «Ramblin’ Gamblin’ Man». Very big business ! C’est un brouet sonique unique au monde. Parmi les cuts nouveaux, on trouve le morceau titre, porté par le souffle des vainqueurs, celui de ceux qui, comme la vieille garde, ne se rendent pas. Le pote Potter pulvérise sa version de «Death Row» au scream et travaille «Lucifer» au corps, alors que derrière lui s’écoule un solo liquide bien alambiqué. Ces gens ne laissent absolument rien au hasard. 

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             Nouvelle aventure sonique avec Choke Chains, un groupe que le pote Potter monte avec Chizz (bass), Linsey Crappor (guitar) et Mark Millionnaire (drums). L’album vient de paraître, produit par Jim Diamond, et petite info de choix, masterisé par Tim Warren. On y trouve quatre authentiques énormités, à commencer par ce «Safe Word» d’ouverture de bal. On sent le pote Potter possédé par le diable dès l’intro. Il maintient en effet son enfer sous le boisseau, il chante la bouche tordue et soudain, il se met à hurler, mais vraiment à hurler, on croirait entendre un ignoble barbare exaspéré, un monstre sorti des bois qui cherche désespérément à en découdre soit avec la légion romaine, soit avec les dieux, mais il ne peut plus se contrôler, c’est au-delà de ses forces, il suinte de colère noire, il hurle avec les yeux injectés de sang, il écume, il bave. Quel atroce spectacle ! Deuxième énormité en bout de balda : «Let’s Try Suicide». Joli programme ! Cette fois, le pote Potter vise l’extrémité du jusqu’au-boutisme outrancier. C’est un chercheur de petite bête, un allumeur de shootes, un détonateur à deux pattes, un spécialiste de la menace. Les deux autres énormités se nichent au bout de la B des cochons, à commencer par «Rock Paper Rapist». Cette fois, le pote Potter nous replonge dans l’un de ces cauchemars soniques dont il a le secret. On entend rôder un sax dans le coin. Ah quel fabuleux fouteur de bordel ! Il est bel et bien le roi des ribauds, le Detroit Sounder définitif. Tom Potter a tout compris, il est certainement le plus bel héritier des Stooges de 1969. Toute la sauvagerie urbaine est en lui. Il termine cet album puissant avec le morceau titre, «Choke Chain», infernal et fouillé aux tisons du grand Inquisiteur, ça pue la chair brûlée et la sueur de l’immense horreur des caves pontificales. On se régalera aussi du solo qui traverse en crabe «Moisture Technician». T’as déjà entendu un truc pareil ? Bien sûr que non. Quand on écoute «Cosmic Shadow», on réalise que Tom Potter peut aussi ratisser large. Il brasse tous les genres, mais il est visité par la grâce, et ça s’entend. Sur cet album, tout est chanté à la stoogerie, en mode voilé, avec l’insistance des bas-fonds et une ferveur abyssale. Tout ce que fait ce mec est absolument passionnant, il sort en permanence un son épais et jouissif, il chante le plus souvent en mode laid-back de la menace et s’autorise ici et là des petites crises d’épilepsie qui font notre bonheur. Son «Cracked Dracula» relève d’une pure puissance festive, mais au sens de Gilles de Rais, murailles humides, chaînes, bijoux et peaux de bêtes. Il traite aussi «Random Number Generator» en mode heavy mais avec un panache aussi sidérant que fédérateur. C’est presque une anomalie que de voir surgir du néant un groupe aussi génial. 

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             Le pote Chocker revient à la charge un an plus tard avec Android Sex Worker, un album mastered by Tim Warren, s’il vous plaît. Autant le dire tout de suite, le real deal se trouve en B, à commencer par «Lie From Hell». Back to the heavy Detroit Sound monté sur un bassmatic joliment métallique et les Chokers partent à l’assaut du ciel gris du Michigan. Ils enchaînent avec un «Galactic Overland» absolument dévastateur. Le pote Potter calcule bien ses effets, il dépote du Potter de Choker, épaulé par des chœurs de mâles. S’ensuit un «Sunday Goin’ To Meeting Whore» lesté d’une excellente pesanteur de beat. Ces mecs pilonnent les tranchées. C’est tellement hypno qu’il est impossible d’en réchapper. Ils mènent leur débinade de Detroit Sound à terme et on s’extasie face à l’excellence de la beatitude. Le bassman s’appelle Chizz et joue tout au bassmatic de metallic KO. On note aussi la virulence du morceau titre qui ouvre la B. Le pote Potter y joue la carte du tourbillon. On sent nettement l’influence de Brother Wayne, c’est sûr. Et puis avec «Put Your Hands»,  il plonge dans le désespoir et s’en va rôtir en enfer. Oh ce n’est pas que l’A soit mauvaise, mais elle se montre d’accès plus difficile. Comme toujours, le mieux est d’écouter. Les radios prennent toujours l’avantage sur les chroniques, qu’elles soient pertinentes ou non. Le pote Potter joue son «Mayan Starship» à la petite insidieuse cabalistique. Ce n’est qu’un dévoreur d’attention, un charmeur de serpents. On entend le batteur Mark Million baratter comme un beau diable dans «Cairo Scholars» et on assiste à un joli départ de feu, comme diraient les pompiers. Le pote Potter boucle son balda avec un «Rat Ladder» sacrément rebondi. Le marteau et l’enclume n’ont plus de secrets pour lui. Chez Potter, pas de fioritures.  

    Signé : Cazengler, pot de chambre

    Bantam Rooster. Deal Me In. Crypt Records 1997

    Bantam Rooster. The Cross And The Switchblade. Crypt Records 1999

    Bantam Rooster. Fuck All Y’All. Sympathy For The Record Industry 2000

    Beasteater. ST. Big Neck Records 2016            

    Seger Liberation Army. Down Home. Big Neck Records 2008

    Seger Liberation Army. Innervenus Eyes. Big Neck Records 2016

    Choke Chains. ST. Slovenly Recordings 2016

    Choke Chains. Android Sex Worker. Slovenly Recordings 2017

     

     

    Wiper Noël

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             Dans un SMS, Karim me disait l’an dernier : «Greg Sage est un génie !». Rien de tel qu’un bon SMS pour piquer la curiosité. Alors on est allé voir ce qui se passait sous les jupes de Greg Sage et de son groupe, les Wipers, un power trio de Portland, Oregon, qui sévissait dans les années 80/90. Quelle découverte ! Onze albums et pas un seul canard boiteux. Alors oui, on confirme : Greg Sage est un génie.

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             Embarquement pour Cythère dès le premier album, l’interrogatif Is This Real?. Ça démarre sur une triplette de Belleville, «Return Of The Rat», «Up Front» et «Let’s Go Let’s Go Away» : ça joue au heavy punch, c’est gorgé de son, ça file en mode heavy sludge. De vrais démons, wild as fuck, tout brûle dans la combustion de l’upfront. Ces mecs y vont pour de vrai, ils dégagent de la fumée, tout est submergé de son et tu as même, luxe suprême, des départs en solo dans la côte de la fournaise. Même le morceau titre est inespéré de power. Tout va très vite sur cet album, comme chez Hüsker Dü. Ils n’en finissent plus de déterrer la hache de guerre. Wipers all over ! Et puis, ils commencent vraiment à jouer avec le feu de l’hypno sur «Potential Suicide». Le Sage est le maître de l’heavy hypno d’erase the pain. Il ne cherche même pas à s’en sortir, il tartine son getting so depressed. Avec «Don’t Know What I Am», ils sonnent comme des Buzzcocks américains, ça joue vite et c’est bardé d’éclats de grattes. Sage qu’est pas sage referme sa marche avec un «Wait A Minute» gratté aux accords frais de la marée, des accords vivants prêts à être bouffés, les claqués resplendissent, c’est du gros Sage, bien sabré, wild et beau. On accueille ce mec à bras ouverts.

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             Youth Of America est certainement le meilleur album des Wipers. Sage qu’est pas sage démarre son affaire en mode punk’s not dead. Ah ils n’y vont pas de main morte ! Ni par quatre chemins ! Ils récidivent avec «Can This Be», joué aux gros accords bien gras. Mais c’est surtout le morceau titre qui nous interpelle, car voilà de l’hypno bien ravagée du bulbe. Ils sonnent comme de vrais héros, avec un son de heavy revienzy, on se croirait chez Can avec ce wild ride de dix minutes, ils jouent all over les dix minutes, c’est bourré d’énergie. Encore une belle énormité avec «Pushing The Extreme», nouveau shoot d’hypno extrêmement bienvenu. Et puis voilà le coup de génie : «When It’s Over», un instro bourré de charpie de son et de climats invulnérables. Sur la red Zeno, tu as des bonus extraordinaires. Forcément, avec un mec comme Sage, on est gâté. Il claque à sec «Scared Stuff» et ajoute des tortillettes atroces. Cette belle dégelée d’overtime te coule dessus. C’est extravagant de power. Sage n’est décidément pas sage. Même chose pour «No Fair». Les bonus restent les bonus, des lacs inespérés, des lunes de la lune, des bienfaits bienvenus. Dans ses bonus, Sage est encore moins sage. Il ne sera jamais sage. Il a des compos et du son, alors pas de problème. On tombe bien sûr sur des versions alternatives des cuts de l’album, comme par exemple le morceau titre. Sage est toujours le seul maître à bord, mais derrière lui, c’est l’overdrive incontrôlable. Bass & beurre on fire ! Sage se pavane dans les giclées de disto, il embarque tout en enfer. 

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             Sur Over The Edge, on trouve un énorme clin d’œil aux Saints : «No One Wants An Alien». Extraordinaire proximité. Sage fait son Bailey. Retour à l’hypno de choc avec «Romeo», on assiste à une fusion du rentre-dedans, Sage joue au lance-flammes, comme les Nazis, il nettoie les tranchées. Belle hypno de schlouffff ! Il ne respecte rien. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, Sage et sa troupe défoncent le barrage de Marguerite contre le Pacifique, le cut porte bien son nom. Aucun espoir d’en réchapper. Il claque ensuite son «Doom Town» aux accords de Doom Town. Comment veux-tu échapper à ça ? C’est impossible. Sage est un sorcier. Il crée des clameurs à sec. Il exploite toutes les failles psychologiques. C’est extrêmement heavy, claqué aux meilleurs accords de l’Oregon. Il s’en va jouer «So Young» sous le boisseau, aux accords underground, C’est l’une de ses spécialités. Ses accords d’entre-deux sont très beaux. Pas de retour possible avec «Now Is The Time». Il gratte à l’efflanquée, il gratte en permanence tout ce qu’il peut gratter, ses poux et tout le reste. Son «What Is» est encore pire. On peut même parler de cut irrépressible. Sage arrose tout à la cantonade. Il referme la marche avec «This Time» qui sonne comme une plongée en enfer, bien monolithique. Dans les bonus de la red Zeno, tu as du live et c’est encore plus effarant : «Mistaken ID» live in San Francisco, ça vaut le détour ! Sage passe tout à la moulinette, la version de «Now Is The Time» est wild as fuck, comme noyée dans les aventures, le «Romeo» (+ horn section) bascule dans l’hypno demented et là tu ne rêves plus que d’une seule chose : serrer la pince de Sage pour le remercier de n’être pas sage.

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             Land Of The Lost date de 1986. Ce n’est pas le meilleur album du grand Sage, loin de là, mais on se régale du bassmatic de Brad Davidson dans «The Search». Ça gronde derrière le Sage. Le bassmatic dévore le cut de l’intérieur et le digère. Brad Davidson récidive avec «Nothing Left To Lose», c’est lui qui drive cette belle ambiance d’ambivalence. «Different Ways» est encore un joli groove wiperain et le «Just A Dream Away» d’ouverture de balda offre à qui sait voir une réelle profondeur de champ. Le grand Sage construit bien son ambiance. Il la veut pesante. On peut même dire que «Way Of Love» est un cut très concerné. Globalement, on peut dire que Sage qui n’est pas sage mène tout à la baguette, il ne traîne jamais en chemin, il faut que ça avance, coûte que coûte. Et bien sûr, tu retrouves le riff de «Death Party» dans le morceau titre.      

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             Paru l’année suivante, Follow Blind est un album nettement supérieur. Il faut attendre «Any Time You Find» pour voir le grand Sage renouer avec sa chère hypno. Il y passe des solos redoutables, qui font l’effet de coulées étincelantes, c’est d’une parfaite élégance sonique. Il illumine aussi le cut suivant, «The Chill Remains», le grand Sage joue en layers sur le doux du son et c’est extrêmement puissant. On peut comparer ce qu’il fait au travail des deux guitares sur Marquee Moon. Le Sage navigue à ce niveau d’excellence. On ne se lasse pas de cet énergumène et de sa sagesse. Il repart de plus belle en B avec «No Doubt About It», il joue ça au son plein, c’est une aubaine inespérée pour les oreilles, le voilà une fois de plus lancé à travers la plaine. C’est un slinger frénétique. Encore une fantastique embardée avec «Don’t Belong To You», monté sur le beat rebondi de Portland, pas de chichis, grosse section rythmique, ces trois mecs ne sont pas là pour rigoler. Ils finissent cet album béni des dieux avec deux gros shoots d’hypno, «Coming Down» et «Next Time», menés au beat rebondi. Cet album est enthousiasmant. Les Wipers sont les rois de l’hypno. Ils ont le Kraut dans le sang.

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             Bien obligé de l’admettre : The Circle est encore un big fat album. Cette fois, Sage qu’est pas sage envoie trois clins d’œil : un aux Stooges, un aux Saints et un au Gun Club. Monsieur Sage ne fait pas dans la dentelle. La stoogerie s’appelle «Make Or Break». C’est un petit fleuve de lave. Sage adore le power brûlant et les riffs des Stooges. Il est capable de démesure. Tu peux lui faire confiance. Pas de problème, tu peux lui confier tes clés et ta femme. La Gun-Clubberie s’appelle «True Believer». Il crée la bonne tension avec le son des poumons d’acier. Il revient à son cher «Death Party», la basse te rebondit sur l’haricot et là tu te dis une fois de plus : «C’est énorme !». La Sainterie s’appelle «Good Thing». On se croirait sur «I’m Stranded», ce sont les mêmes accords power-punkish. Sage n’a pas la voix mais il a le son, alors bravo quand même ! Et puis son «I Want A Way» d’ouverture de bal est une ravissante énormité. Sage est un fou. Il allume dès l’ouverture, il a du son, du rebondi, de la profondeur de champ, c’est complètement saturé de couenne de lard. Ce Sage n’est vraiment pas sage. Ils ne sont que trois pour sortir tout ce ramdam. Le mec au beurre s’appelle Steve Plouf. Il sortent le heavy power de surrender dans «Time Marches On». «All The Same» est vite expédié ad patrès, et il faut voir le Sage qu’est pas sage chevaucher son cut, un vrai cavalier de l’apocalypse, il fonce droit dans le décor, en vrai seigneur de l’hypno. Alors on le suit à califourchon. Sage est un artiste complet, on se régale de la qualité de son hypno. Et puis voilà le morceau titre, wild as fuck ! Sage est vraiment fou, il démolit son Circle et ça se tient quand même. Il maintient une pression extraordinaire, il joue du fast heavy pop rock de lard fumant.         

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             Tu vas encore trouver un sacré coup de génie sur Silver Sail, un Tim/Kerr Records paru en 1993 : «On A Roll». Comme sur la plupart de ses albums, le grand Sage s’énerve à la fin. Cette fois, il recycle des vieux réflexes glam, il réussit à faire du glam d’Amérique, c’est dire l’étendue de son registre, il y va avec un solo trash sous l’aile, bien dans l’angle, tu le reçois en pleine poire, cadeau du Sage, et il continue de cavaler on the roll, avec ce génie interventionniste qui le caractérise si bien. Il est partout dans son cut, il en carbonise la fin au solo trash. Tu entends rarement des guitaristes aussi doués. Avec «Prisoner,» il plonge dans de drôles de profondeurs, c’est noyé d’ombre et de no way out. Et même assez toxique. Il réussit toujours à l’alpaguer. Il monte comme Jimi Hendrix dans le Watchtower. Cet album est enregistré et mixé en Arizona. Il revient à sa chère heavyness avec «Line». Bienvenue en enfer ! Son solo coule comme un jus brûlant. Bien heavy lui aussi, son «Never Win» tranche dans l’épaule. Il t’enfarine ça dans un solo de trash-punk. Tu crois rêver. Le grand Sage qu’est pas Sage est un fast runner, un coureur de distance. On l’admire pour cette faculté qu’il a de courir en fin d’album («Silver Trail»). Bizarrement, le début d’album n’est pas très bon : trop conventionnel, trop soupe aux choux, rrrhuu, rrrrrhuuu. Il a du mal à sortir de sa casserole. Les trois premiers cuts sont atrocement connotés, on dirait du gratté de poux à la Dire Straits, comme si le Sage était devenu bien sage. On le préfère quand il repart en fast tempo, par exemple avec «Sign Of The Times». Il remonte à cheval et file à travers la plaine. Il tagadate à l’éclate du Sénégal, il n’est pas près de s’arrêter. Ses fast rides sont secs et sanctionnés, alors tu peux le suivre, si tu sais courir vite. 

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             Deuxième album sur le label de Tim Kerr : The Herd. Ça commence mal, car «Psychic Vampire» te tombe littéralement sur le coin de la gueule. Ce Sage qu’est pas sage te cavale à travers ta plaine, il t’écrase ton petite champignon et te court sur l’haricot. Tu n’as pas le choix, tu ne peux que le vénérer. Il est effarant de power et toujours cette profondeur de champ, cette extrême tension, il faut le voir gratter ses poux dans l’écho du temps. Greg Sage et Eddie Bo dans la même soirée, ça fait beaucoup trop. Sage qu’est pas sage est le roi de la dégelée, il a le génie du son, il est une sorte de Totor du pauvre, rien qu’avec ce «Psychic Vampire», t’es repassé au pli. L’autre coup de génie de l’album est le «Resist» qui se planque vers la fin. Bardé de Sage sound, ce mec te remplit à ras-bord, c’est extrêmement puissant. Il va toujours vite, avec du son. Encore une belle énormité avec «Last Chance». Il crée son monde sur place, au débotté, il malaxe l’argile de sa heavyness, il pétrit la latence de la pertinence, c’est miraculeux de le voir à l’œuvre. Il sait aussi bombarder, comme le montre «No Place Safe». Aw comme c’est chargé, un vrai ciel d’apocalypse ! Il y flotte comme un psychic vampire et ses solos remontent jusqu’au firmament, au note à note. Ce mec te carbonise de bonheur sonique. Avec «Stormy», il taille sa route dans la jungle. Il est bon dans tous les registres, il s’accorde à toutes les imageries, même celles d’Épinal. C’est vrai que ce mec gagne à être connu. Son «Green Light Legion» est bien charpenté, hérissé de rafales. Pas de place pour le hasard, ici. Sage qu’est pas sage bâtit son empire cut après cut. Il revient à sa chère hypno avec «Defiant». Cavaler ventre à terre dans la plaine en flammes, c’est tout ce qui l’intéresse.

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             Ah, encore un album imparable : The Power In One. Ça grouille de coups de génie, là-dedans, dès «The Fall», fracassé aux accords de fricassée, on sent la fibre des notes de clairette dans le bazar de la frondaison, c’est un son extrêmement puisant, ce mec orme son tourment apocalyptique de finesses florentines, il torture le spectre sonore pour lui faire avouer ses avanies. Le grand Sage te plonge dans sa bassine d’huile bouillante, il développe une ambiance de densité extrême. Et ça continue avec «Shaken», il est partout dans le son, il renoue avec l’énergie du Gun Club, son Shaken est du pur jus de «Death Party». Il repart de plus belle avec «Rest Of My Life», il joue sur du rebondi avec des layers fantastiques, il est aussi fin que l’était Jeffrey Lee Pierce, tu retrouves dans ce Rest toute la navigation du Gun Club. Avec «Rocket», il sonne comme Thin Lizzy, il est on fire, il a des pétards dans le cul, il force bien le passage, comme le fit Phil Lynott en son temps. Le Sage veille sur notre incurie. Avec le morceau titre, il arrose la terre de brillants accords bruissants, il joue à l’automne du rock hypnotique, c’est incroyablement bien dosé. Il faut dire que la prod d’Arizona est superbe. Il remonte au créneau du heavy sludge avec «Misleading». Tu entends rarement des heavy boogies de cette qualité. Le Sage a tous les pouvoirs. Encore un déluge de son avec «Still Inside Of Me», il pleut du son et du Sage. Il trace son chemin de croix à coups de solos d’élévation. Tout aussi wild as fuck, voilà «Ship Of Dream», il entasse les layers de gratte, c’est hallucinant. Greg Sage est un artiste passionnant. Il est l’un de ceux qui savent gratter des accords sautillants dans la tourmente d’un heavy mood.

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             Entre deux rafales de Wipers, Greg Sage enregistre des albums solo. Le premier s’appelle Straight Ahead. La tendance globale de l’album est le balladif enragé. Sage qu’est pas sage gratte à sec. Dans «Soul’s Tongue», il lui demande de lui parler avec sa langue : «Speak to me with your soul’s tongue». Et puis au détour d’un «Blue Cowboy», il se met à sonner comme Chris Bailey. Petit à petit on le voit s’énerver, toujours avec du son Sainty, sur «Your Empathy» et comme il a de l’énergie à revendre, il devient sautillant sur «Seems So Clear». Il se perd un peu en B («Lost In Space») et continue de tout gratter à la clairette d’electrac («World Without Fear»), avec une belle unicité de ton et de son. Il termine avec un «Keep On Keepin’ On» plus sombre, gratté dans les ténèbres de va-pas-bien, l’a pas été sage, le Sage. Puni. Alors il gratte au fond du placard à balais où l’a enfermé le diable.

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             Pour la pochette de Sacrifice (For Love), le Sage qu’est pas sage a pensé à des petits squelettes mexicains. Quel farceur ! En attendant, il continue de gratter ses poux. Pour le morceau titre, il gratte vite et sec à la surface de la peau du cut. Pas facile de savoir avec un mec comme lui, il tente un peu le diable, il cultive la tension, ce qui peut expliquer la présence de squelettes sur la pochette. Avec «Forever», il tente encore de créer l’illusion, il est tout près, et puis il finit par te harponner avec ses vieux accords. Curieux mélange de oui/non. Ça paraît bon et ça ne l’est pas vraiment. Il a perdu l’éperdu des premiers albums. Mais il rebondit toujours. Avec «No Turning Back», il dégouline de no turning back aw ! Il redevient enfin monstrueux avec «Ready Or Not». C’est même du pur jus Gun Clubbish, du «Death Party» à la sauce de Sage avec du killer solo flash en retour de manivelle. Sage a du génie, qu’on se le dise ! Rien qu’avec «Ready Or Not», t’es content d’écouter cet album. Et pouf, il enchaîne sur une cover démente de «For Your Love», il tape dans le yard des Yardbirds, il en a les moyens, il en fait un Sage Yard, il a tout le son du monde. Il réussit à rehausser le power des Yardbirds avec le sien et il amène son beat en plus. «For Your Love» devient autre chose, Sage le joue au super power. Il y a là un truc qui te dépasse. Il reste dans le heavy Sage avec «This Planet Earth», il redevient magique, il gratte ses poux dans un overall de sonic boom, il te barbouille l’horizon au beat énorme, il est là, debout avec un chant un peu épais, il revient à son péché mignon, l’hypno. Il referme la marche des squelettes avec «Dreams». Au milieu des arpèges, il sonne comme Lou Reed. Ce mec t’épuise. Il est trop bon. Il faut le voir descendre dans la fosse. Oui, c’est un génie.

    Signé : Cazengler, Wiper fouettard

    Wipers. Is This Real? Park Avenue Records 1980

    Wipers. Youth Of America. Park Avenue Records 1981

    Wipers. Over The Edge. Brain Eater 1983

    Wipers. Land Of The Lost. Restless Records 1986    

    Wipers. Follow Blind. Restless Records 1987           

    Wipers. The Circle. Restless Records 1988         

    Wipers. Silver Sail. Tim/Kerr Records 1993   

    Wipers. The Herd. Tim/Kerr Records 1996  

    Wipers. The Power In One. Zeno Records 1999

    Greg Sage. Straight Ahead. Enigma 1985

    Greg Sage. Sacrifice (For Love). Restless Records 1991

     

     

    Wizards & True Stars

    - J’ai la Watts qui s’dilate (Part Three)

     

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             L’autre jour, on musardait dans les pages de chroniques de livres que proposent chaque mois les canards anglais et pouf, sur qui qu’on tombe ? Oh ! Charlie Watts ! What, encore un Watts book ? What the fuck ! L’«À-quoi-bon» fut la première formule à s’inscrire dans la bulle de BD qui se formait au-dessus de la tête. Mais au fond, cette persistance éditoriale avait un petit côté tellement mutin, tellement espiègle, que dans les bulles suivantes s’inscrivirent des formules du genre «Là Charlie tu charries», ou mieux encore, «Arrête ton Char, lie.»

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             Oui, car la légende de Charlie Watts n’en est pas à son coup d’essai. On avait ici même salué en 2021 l’excellent book de Mike Edison, Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters. Book doublement excellent, puisque ce fut d’une part le dernier cadeau de Gildas, et d’autre part une fantastique incitation à réécouter tous les albums des Stones, via Charlie. Mike Edison loue si bien le talent de Charlie Watts qu’on réécoute les Stones avec une oreille complètement vierge. Dans les vieux blah-blahtages marathoniens, les spécialistes citent toujours les deux mêmes : Keef et Brian Jones, rarement Charlie Watts. Avec un brio surnaturel, Mike Edison avait réussi à colmater cette atroce carence. Et voilà que Paul Sexton prend la suite avec Charlie’s Good Tonight.

             Bon alors attention, ce n’est pas du tout la même approche. À force d’enthousiasme, Mike Edison réussissait à transformer un beurreman effacé en clé de voûte de la Stonesy. Sexton propose une collection d’anecdotes et de témoignages qui puent le déjà vu, mais comme il s’agit de Charlies Watts, le déjà vu convient parfaitement, puisqu’il s’agit avant tout d’alimenter la rubrique des True Stars. Les tours de Brian Jones et de Keef viendront plus tard. Pour une fois, Charlie passe en proms.

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             Au dos du Sexton book, tu vas tomber sur un portrait extraordinaire de Charlie : il prend la pose, accoudé sur une commode, le buste serré dans un blazer prince de galles croisé, fermé d’un seul bouton, avec la main droite qui pend dans le vide. On pense immédiatement au portrait de Robert de Montesquiou par Boldini : c’est exactement la même élégance de jeté d’épaule, à la canne près. Montesquiou déboutonne sa vareuse en soie, c’est le côté français. Charlie boutonne son blazer, c’est le côté anglais.

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             Sexton ne prétend pas être écrivain. Il compile. Il réussit toutefois à bien approcher la psychologie de son personnage, n’utilisant que la partie visible de l’iceberg. Pour structurer son récit, il opte pour la facilité : le fil chronologique. Pour un auteur, un personnage du calibre de Charlie, c’est vraiment du gâtö : il n’existe pas de vie plus lisse que celle de Charlie Watts : une seule femme, Shirley, une seule fille, une seule petite-fille, un seul groupe, une seule passion, l’élégance, et un seul vice : les collections. Collections d’objets, de 78 tours, de drum kits, de bagnoles, de livres, et de chevaux de course. Car oui, on finit par devenir millionnaire quand on bat le beurre dans les Stones pendant soixante ans. Ah n’oublions pas le plus important : un seul talent, indépendamment du beurre, l’humour. Attention, c’est de l’humour anglais. Un petit exemple. Charlie s’adresse à la presse qu’il n’aime pas beaucoup et leur balance : «Je donne l’impression de m’ennuyer - of being bored - Mais je ne m’ennuie pas vraiment. I’ve just got an incredibly boring face.»

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             Alors évidemment, ça démarre avec les deux préfaces prévisibles : celle de Jag et celle de Keef. Ça commence mal avec celle de Keef, car il explique qu’à chaque fois qu’il doit parler de Charlie Watts, il s’aperçoit qu’on ne peut pas en parler - you realise the essential man wasn’t something you put into words - Keef en déduit que Charlie était une présence, «and when you were with him, that was it.» Il conclut avec cette phrase qui sonne comme un aphorisme : «Charlie was just what you got, which was Charlie. He was the realest guy I ever met.» On peut le croire , le Keef Keef bourricot, car des guys, il en a pratiqué des tonnes.

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             Sexton commence par nous radiner la fraise d’un jeune Charlie passionné de jazz et de design. Avant d’intégrer les Stones, il bosse dans une petite agence de pub à Londres. Et comme bon nombre de ses contemporains devenus célèbres par la suite - Jack Bruce, Ginger Baker, Graham Bond, Davy Graham, Long John Baldry, Dick Heckstall-Smith, Jagger - il débute dans le Blues Incorporated d’Alexis Korner. Quand Charlie bat le beurre pour Korner, Jack Bruce joue de la stand-up. Charlie indique d’ailleurs que Jack va passer rapidement à la basse électrique. En plus de Jag, d’autres chanteurs se bousculent au portillon. Charlie se souvient de Paul Jones et d’un Américain nommé Ronnie Jones.

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             Alors évidement, ce book est l’occasion rêvée de replonger dans l’histoire des early Stones, un temps béni où Brian Jones se faisait appeler Elmo Lewis en hommage à Elmore James, il y avait aussi Stu Stewart qu’Andrew Loog Oldham allait écarter pour cause de non-look, et dans la toute première mouture des Stones, avant l’arrivée de Bill & Charlie, tu avais Dick Taylor à la basse et Mick Avory au beurre. On parle aussi d’un certain Tony Chapman, qui jouait avec Bill dans les Cliftons, ou encore de Carlo Little, qui jouait dans le groupe de Screamin’ Lord Sutch. Charlie les connaît tous. Puis les early Stones s’installent à Edith Grove, Chelsea : d’abord Jag et Brian Jones, puis Keef. Charlie dit qu’il s’y installe aussi, mais il rentre chez ses parents le week-end. Il ne faut tout de même pas exagérer. Il en garde cependant un bon souvenir - It was a bloody laugh, actually - On est en 1962, à l’aube des temps. Bill est engagé plus pour son ampli que pour sa technique, ironise Sexton, et Charlie donne sa dem à Blues Incorparated pour rejoindre les Stones. Comme motif de démission, il dit qu’il n’est pas au niveau des autres Blues Incorporated.

             Charlie admire énormément Ginger Baker, il le trouve américain - He sounded more to me like Elvin Jones than Elvin does - Il faut s’habituer à ce genre de facétie. Charlie est un pince sans rire. En quittant les Blues Incorparated, Charlie refile le job à Ginger et lui dit qu’il se casse parce que le groupe n’est pas «a secure future». Nettie, la fille de Ginger, rapporte que son père a trouvé cette répartie hilarante. En échange, Ginger lui refile le plan Brian Jones. Nettie : «My dad liked Brian because he said he was a good musician.» Un soir, après un concert des early Stones, Ginger chope Brian Jones pour lui dire ceci : «Ton batteur est une vraie catastrophe. Why don’t you get Charlie Watts ?».

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    ( Fred Below )

             Mais les Stones ne savent pas s’ils ont les moyens de s’offrir Charlie Watts. C’est en tous les cas ce qu’affirme Keef dans son autobio - God, we’d love that Charlie Watts if we could afford him - Ils finissent par se l’offrir, lui faisant miroiter un CDI. Un fois embauché, Charlie écoute les albums de Jimmy Reed avec Keef et Brian Jones, à Edith Grove. Il écoute surtout Earl Phillips, le batteur de Jimmy Reed, il découvre ensuite qu’Earl Phillips joue comme un batteur de jazz, «playing swing, with a straight four.» Puis il passe à Fred Below, le batteur Chess qu’on entend sur les albums de Chucky Chuckah et de Muddy - Freddy Below, on the other hand, played shuffle, which is what they did in Chicago - Il rend un hommage fondamental à cet homme qui fut à sa façon la clé de voûte du Chess sound - So we learned to play the Freddy Below way - Et pouf, les voilà sur Decca, les early Sones, avec une cover de «Come On». Charlie se marre : «We never did it as good as Chuck Berry, nobody ever does.» Il ajoute que Chucky Chuckah en fit une «very hip version. The rhythm is great. It’s like a New Orleans rhythm he plays, it’s fantastic. We played it straight, like a Liverpool beat group. When we were young, we played things bloody fast.» «On ne se posait pas de questions», conclut Charlie en éclatant de rire.

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             Bill indique que si les early hits des Stones sont tellement brillants, c’est un peu grâce à Charlie, «because he was a jazz drummer, and so we were streets ahead of anybody that ever wanted to imitate us. They never could quite get the feel we had.» Les Stones se font virer des clubs de jazz à Londres et sont obligés d’aller jouer à Richmond ou à Twickenham. Charlie rappelle que les Stones en pincent pour le down home blues, the Diddley stuff and Muddy Waters.

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             Et puis en 1964, les Stones explosent. Sexton sort les chiffres : 206 gigs dans l’année, deux tournées américaines, et les gros shows télévisés. Bill ramène toujours son grain de sel à bon escient : «Les Beatles composaient des chansons meilleures que les nôtres, ils chantaient mieux que nous, but we were so much better than them alive.» Très vite, il apparaît que la vie en tournée ne plaît pas trop à Charlie qui est assez casanier et qui ne rêve que d’une chose : retrouver sa chère Shirley et sa fille Seraphina. Charlie menace régulièrement de faire la grève des tournées : «I’m not touring anymore», et les autres lui rétorquent : «You are». Bill dit que Charlie mettait du temps à accepter de repartir - But he didn’t like it - Alors en tournée, il dessine. Il dessine toutes ses chambres d’hôtel, les lits, les postes de télé. De toute façon, Charlie n’aime pas la musique des Stones. Quand on lui dit : «I’m a great fan of the Stones», il répond : «I’m not. It’s what I do. Mick and Keith and Ronnie are my friends and the band is a very good one, but that’s it.» Sec et net. Comme son beurre.

             Il ne s’attarde pas trop sur la fin de Brian Jones, une fin qui dit-il était prévisible, mais il le dit à l’anglaise : «It wasn’t unexpected, to be honest with you.» Bon, il précise : «On ne s’attendait pas à ce qu’il casse sa pipe en bois, mais ça faisait au moins deux ans qu’il allait très mal.» Il a une façon très wattsienne de dire les choses : «Brian, you could see him going, or not going but getting very unwell. Il était très jeune, on ne meurt pas à son âge. Il est allé de plus en plus en plus mal. So there was that ‘knock, boink, pick up again’, et on ne tournait plus depuis longtemps. I guess that’s what happened.» Pour d’autres détails, il faudra repasser un autre jour.

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             Quand les Stones s’exilent et qu’ils s’installent dans le Sud de la France, la famille Watts s’installe à Saint-Jean-du-Gard, dans les Cévennes. Séraphina va à l’école du village. C’est l’époque Mick Taylor, puis Ronnie Wood arrive. Sexton salue Some Girls, un album qui selon lui out-punked punk, avec «Respectable» et «Shattered». Il a raison, le Sexton. Charlie dit avoir adoré les Pistols, mais détesté le look punk autant qu’il avait détesté le «bloody flower power».

             Sexton passe un temps fou sur le chapitre vestimentaire. Charlie entre un jour chez Cleverley demander s’il pourrait se faire faire des pompes sur mesure. Le shoemaker lui répond qu’il en serait ravi. Alors Charlie indique qu’il a déjà un shoemaker qui lui fait des pompes sur mesure, mais dit-il ça prend du temps : «Il leur faut deux ans et demi. Pouvez-vous réduire ce délai ?». Le mec le rassure : «Oui, deux ou trois mois». Charlie est ravi : «Oh, that’s wonderful.» Puis il demande au loufiat s’il va lui prendre ses mesures. Bien sûr dit le loufiat. La scène se déroule en 1993 et Charlie sera client du shoemaker d’Old Bond Street jusqu’à la fin, en 2021. Une paire de pompes chez Cleverley coûte la bagatelle de £4,000. Charlie s’est fait faire 80 paires de pompes chez eux. Bien sûr, il se fait aussi faire des costards sur mesure. Si un jour il s’aperçoit qu’il a du mal à entrer dans son futal, il arrête de manger. Il surveille sa ligne. Quand il monte sur scène, il porte aussi du sur-mesure. Pas question de jouer en costard trois pièces, bien sûr, alors il se fait faire des T-shirts sur mesure. Même quand il se trouve chez lui, dans le Devon, au fond de sa cambrousse, Charlie porte un costard trois pièces à table. Jools Holland dit que «Charlie was the best dressed man I think I’ve ever met.» Charlie prend en fait comme modèles les fameux jazz greats qui s’arrangeaient toujours pour être tirés à quatre épingles. Charlie s’inspirait en outre de personnages historiques du XVIIIe siècle ou des années 30. Dommage qu’il ne soit pas fait mention d’Oscar Wilde, ni de George Brummel. Sexton ne s’aventure pas trop sur le sujet des dandies. Peut-être est-il inculte sur le sujet. Va-t-en savoir. 

             Quand il pique sa crise de midlife, Charlie tape dans la dope. C’est la seule explication qu’il donne. Plus jeune, il n’avait jamais approché les drogues, «but at that point in my life I went ‘Sod it, I’ll do it now.» Il est le premier à savoir que les drogues sont dangereuses pour lui parce qu’il sait qu’il est déjà bizarre naturellement. Il reconnaît en outre qu’il n’a pas la constitution idéale pour jouer avec junk. La crise a duré deux ans - And I very nearly killed myself, je veux dire, pas en overdosant, I mean I nearly killed myself spiritually, I nearly ruined my life - Alors il arrête tout, même de bouffer. Pendant six mois, il a vécu de «water, sultanas and nuts.» Keef l’admire car en ce qui le concerne, il a mis dix ans à s’en sortir.

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             Et puis voilà Bill qui s’en va. La nouvelle est annoncée en 1993. Bill sort d’un mariage compliqué avec Mandy Smith et il se maque avec Suzanne Accosta. Il veut reprendre sa liberté artistique et développer ses propres projets. Charlie est triste de voir partir son meilleur ami. Quelques années après son départ, Bill raconte qu’un soir Charlie l’appelle d’Amérique du Sud pour lui dire : «Ce soir, en plein milieu du show, je me suis tourné vers toi pour te dire un truc, mais tu n’étais pas là.» Fantastique anecdote. Elle en dit long sur la qualité du lien qui unissait Bill et Charlie. Keef demande à Charlie de choisir un successeur à Bill. Le remplaçant n’est autre que Darryl Jones, un bassman black qui a joué avec Miles Davis. Encore l’une de ces petites infos rigolotes dont se pourlèche Sexton : pour le 75e anniversaire de Bill en 2011, les Stones lui ont offert 75 roses. Dead roses ?

             Puis on arrive à l’époque où les tournées des Stones deviennent extrêmement lucratives. Charlie a beau rechigner à tourner, les autres se marrent en douce. Ronnie raconte que Charlie et Shirley sont allés acheter des étalons arabes à Albuquerque, au Nouveau Mexique : «Il faut qu’il puisse les payer, ses canassons. Alors il doit repartir en tournée, sinon, il est fauché.»

             Entre deux tournées, les Stones sont éparpillés à travers le monde. Charlie : «Mick est celui auquel je parle le plus. Par contre, tu n’as pas de nouvelles de Keith pendant un ou deux mois, parce qu’il hait les téléphones. Il est le plus excentrique de nous tous. Il adore partir en tournée. Quand je lui dis que je vais prendre ma retraite, il me dit : ‘Mais qu’est-ce que tu vas faire ?’. Il lit des tas de bouquins. Il ne lit que des très gros livres. Plus ils sont gros, plus il est content. Il ne regarde jamais la télé.» Charlie déteste que Keef lui pose cette question : «Qu’est-ce que tu vas faire ?» - I actually don’t do anything except play the bloody drums. So it’s a very difficult one to answer.

              Charlie collectionne les batteries : celle que Kenny Clarke a filé à Max Roach, celle de Sonny Greer qui jouait dans le Duke Ellington’s band, il collectionne aussi les premières éditions d’Agatha Christie, de Graham Greene, de Pelham Grenville Wodehouse, d’Evelyn Waugh, all signed, ajoute Sexton haletant. Charlie collectionne aussi les costards, les bijoux, il possède la montre de Benny Goodman. Il entasse ses collections dans une pièce - It’s a museum that‘s out of control - Sexton en tartine des pages entières, Charlie collectionne aussi les bagnoles, alors qu’il n’a jamais passé son permis, et ça repart de plus belle, il adore s’habiller pour aller s’asseoir dans ses bagnoles et écouter le bruit du moteur, il possède une Lagonda Rapide Cabriolet de 1937 avec un moteur V12, une Bugatti Atlantic des années 30, une 2CV Citroën jaune, un Méhari, une Lamborghini Miura et quelques Rolls-Royces - Il ne voyait pas l’intérêt d’ajouter à sa collection un camion de marchand de glace ou un hovercraft, comme l’avait fait son ami Keith Moon.

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             Et puis l’humour rejaillit à tout instant. Charlie confie ceci à Sexton à la fin des années 1990 : «Mobile phones I think are a pain in the arse, mais la plupart des gens les trouvent fantastiques. Je ne sais comme ferait Mick sans son mobile phone. Je ne peux pas les supporter. But I think I’m more of a dinosaur than he is.» C’est d’une finesse extrême et d’une grande drôlerie sous-jacente. En juin 2018, Charlie est sur scène pour son 77e anniversaire. Les gens le verront pour la dernière sur scène le 30 août 2019, lors du concert final du No Filter tour.

    Signé : Cazengler, Charlie Ouaf (va chercher la baballe)

    Paul Sexton. Charlie’s Good Tonight. Mudlark 2022

      

     

    Inside the goldmine - Sexton machine

     

             Pendant quelques années, nous passions notre temps à réinventer la vie. Avec Baby Brain, c’était un jeu d’enfant. Nous mettions nos idées en commun et elle savait comment assurer leur mise en œuvre. Encore fallait-il que les idées soient crédibles et qu’elles fussent en concordance avec ce que nous savions de nos profondes aspirations. Notre mode de fonctionnement reposait sur un étrange mélange d’audace, de fantaisie, d’admiration mutuelle et de soif de vie. Il fallut donner un toit à ces jaillissements quotidiens de créativité, ce que nous fîmes en finançant la réhabilitation d’une ancienne usine à bonbons, puis pour donner corps à notre audace, nous nous mîmes à remporter des appels d’offres et à collectionner les gros budgets, en veillant à ne pas nous compromettre avec des rabat-joie institutionnels. Baby Brain valait franchement le coup d’œil. Il émanait d’elle un charme extrêmement subtil, un mélange de Lady Chatterley et de regard clair, de crinière fauve et de léger accent, elle savait choisir un parfum, elle disposait de cette intelligence très vive qui distingue les Anglaises des continentales. Pendant que neuf continentales sur dix s’observaient le nombril, Baby Brain imaginait l’avenir, elle entrevoyait les possibilités, et quand elle décrivait les façons d’y parvenir, c’était en rigolant, car pour elle, tout n’était qu’un jeu. Nous découvrîmes en nous une source d’énergie intarissable. Nous repartions de plus belle chaque matin, aussitôt le breakfast : les plans sur la comète, les rendez-vous prévus avec tous ces gens qu’on aimait bien, et la perspective d’une soirée au théâtre ou dans un cabaret, il suffisait de feuilleter l’Officiel qui regorgeait alors de possibilités. On appelle généralement ce type de tranche de vie un conte de fées. Comme Baby Brain savait pertinemment qu’un conte de fées ne peut pas durer éternellement, elle décida un jour d’anticiper et d’y mettre un terme. La scène se déroula de façon très formelle, un dimanche matin. Nous prenions le breakfast sur la grande terrasse surplombant la Seine et d’une voix absolument normale, elle déclara : «Puisque nous devons mettre un terme à notre histoire, tu vas devoir te suicider.» Elle avait raison, il n’existait pas d’autre moyen de mettre fin à ce conte de fées.  

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             Pendant que Baby Brain réinventait la vie, Ann Sexton réinventait la Soul, ce qui revient à peu près au même. Ann Sexton n’est pas anglaise mais américaine, descendante d’esclaves de Caroline du Nord. Aux États-Unis, tous les blacks et toutes les blackettes descendent d’esclaves, puisqu’il apparaît qu’aucun d’entre eux n’a traversé l’océan de son plein gré. Le fait que cette tragédie ait généré la Soul est une maigre consolation, disons qu’il s’agit là d’une façon d’illustrer le désuétisme de l’expression «faire bon cœur contre mauvaise fortune». Ann Sexton n’est pas facile à localiser, elle n’est connue que des amateurs chevronnés de Northern Soul, on croise son nom sur les fameux Northern Soul Weekenders, et comme elle sonne particulièrement bien, on fait l’effort d’aller fouiner dans sa discographie. Oh, il n’y a pas grand chose, à part les singles, juste deux albums.

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             Le premier date de 1973 et s’appelle Loving You Loving Me. Ann Sexton fait de la heavy Soul et chante d’un timbre légèrement altéré. Elle fait partie des petites Soul Sisters qu’on vénère, car sans prétention. Elle fait de la petite Soul fine avec «You’ve Been Gone Too Long», elle est suivie par une guitare funky fluette et ça file bon train. Avec «I Still Love You», elle vire plus shaky. Elle drive son modeste r’n’b avec cet élan vital qui fait les grandes Soul Sisters de l’underground magnétique et, petite cerise sur le gâtö, tu as un solo de jazz joué en atonalités dans le flux du groove. Tout est extrêmement fin sur cet album, tout est tiré à quatre épingles. Rien à voir avec Stax ou Motown. C’est encore une autre école. Il faut savoir que l’album est produit par deux blancs, David Lee et John Richbourg, surnommé «the Daddy of Rhythm & Blues». En B, Ann Sexton fait du pur Muscle Shoals avec «You’re Gonna Miss Me». Bien vu, bien foutu, magnifique mise en place des chœurs et des cuivres, oh honey !  You’re gonna lose a good thang ! Elle fait aussi  un «Love Love Love» avec des chœurs de gospel et nous ramène un peu plus loin un joli shoot de cuddle up avec «Let’s Huddle Up And Cuddle Up», pianoté dans le lard des règles avec un bassmatic proéminent et un beurre de jazz. Magnifico !    

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             Son deuxième album s’appelle The Beginning. L’amateur de dancing Soul se régalera de «You Can’t Lose With The Stuff I Use». Solide et beau, elle fait danser le dancing floor, elle est bonne au petit jeu du gros popotin. L’autre standout track de l’album est celui qui ouvre le bal de la B, «Colour My World Blue». Elle poursuit son petit bonhomme de chemin et chante d’un beau timbre black bien rond. Son «Sugar Daddy» semble rester en suspension, mais c’est extraordinairement bien articulé. Ann Sexton est une petite Soul Sister passionnante. Elle sait se montrer languide quand il le faut, attachante et elle n’oublie jamais de se maintenir à un niveau d’excellence.

    Signé : Cazengler, Âne sectaire

    Ann Sexton. Loving You Loving Me. Seventy Seven Records 1973  

    Ann Sexton. The Beginning. Sound Stage 7 1977

     

     

    L’avenir du rock - Moonlight my fire

     

             When the sun goes down and the moon comes up, l’avenir du rock chante son petit couplet et sort faire un tour. Les soirs de pleine lune, de longs poils noirs poussent sur ses mains et son visage. Il rase les murs et file directement jusqu’au cimetière. Il ouvre une tombe avec son pied de biche pour en extraire un squelette et danse le jerk avec lui. Et puis soudain, il s’arrête. Il se dit que c’est trop facile de faire le con dans un cimetière une nuit de pleine lune. Le voilà en plein cliché, lui qui en a une sainte horreur. Il ne manque plus que les ouuhhhh-ooouhhh de Wolf pour que le tableau soit complet. La messe est dite depuis tellement longtemps. De rage, il jette le crâne qu’il a déterré et rentre chez lui. Il croise un chat qui lui souhaite le bonsoir d’une voix humaine. Excédé, l’avenir du rock lui flanque un coup de pied terrible. Le chat s’écrase contre un mur. Au coin de la rue, l’avenir du rock tombe sur Bryan Gregory. Ah non pas lui ! Cette fois, c’en est trop. Il brandit son pied de biche pour aller éradiquer le cliché qui, épouvanté, s’enfuit en poussant des cris d’orfraie. Bryan Gregory court trop vite. L’avenir du rock le poursuit jusqu’au cimetière, bien décidé à en finir une bonne fois pour toutes avec ces maudits clichés. Évidemment, une fois arrivé dans le cimetière, Bryan Gregory se volatilise. L’avenir du rock réfléchit un moment. Cet imbécile a dû se planquer dans un caveau. Il commence à inspecter les gros bâtiments funéraires et soudain, il tombe sur une porte entrebâillée. Il s’y faufile. Il aperçoit dans la pénombre une dalle déplacée. Il la pousse et découvre l’accès d’un tunnel. Il y descend et au loin brille une petite lueur. Il s’en approche, c’est une torche. Et plus il avance, plus il sent qu’il s’enfonce dans le ridicule. Le cliché le mène par le bout du nez. Ah non ! Cette fois c’en est trop ! Il fait demi-tour, rentre chez lui. Il commence par raser les poils qui ont poussé sur ses mains et son visage. Fin du cliché. Puis il passe aux choses sérieuses : il s’installe confortablement dans son fauteuil pour écouter le dernier album de Moonlight Benjamin.

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             Si tu veux voir et entendre du Voodoo, c’est pas compliqué : tu prends ton journal régional, tu vas directement à la page des actualités culturelles de ta fucking région chérie et tu cherches un concert voodoo. Comme c’est ton jour de chance, tu tombes sur le nom de Moonlight Benjamin. Haïtienne ? Tu ne peux pas espérer plus voodoo. Il ne te reste plus qu’à prendre tes cliques et tes claques et filer au concert.

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             On ne sait pas d’où elle sort, mais elle sort. Pas seulement de l’ordinaire. Elle sort. Elle échappe à tout. Pourtant jeune, elle semble avoir traversé les siècles, pas vampire, juste voodoo, un cran légèrement au-dessus, elle porte une robe noire de prêtresse voodoo du XVIIIe siècle, mais elle danse aussi comme ces magiciennes de Libye que décrit Marcel Schwob dans l’un de ses contes les plus lunaires, «Les Embaumeuses». En évoluant sur scène, elle croise les sons et les époques, elle exhale toute l’Africanité d’Haïti et véhicule dans son sillage la clameur des révoltes d’esclaves qui ont conduit cette île à l’indépendance, elle est le voodoo de la colère du peuple noir, et pourtant, elle s’entoure de musiciens blancs, comme pour mieux dérouter les cargos d’hypothèses entrepreneuriales, elle visite les replis du temps et jette sa poudre magique dans les tempêtes soniques que lève sur sa guitare le petit blanc à sa droite, elle traverse la salle d’Est en Ouest et ses voiles noirs flottent comme des mauvais songes, pire encore, comme des mauvais présages, elle dégage l’âcre odeur des sortilèges, elle charge l’atmosphère à outrance, seule une grande prêtresse voodoo issue des siècles passés peut prétendre à une telle démesure.

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             C’est vrai, on cède dès le premier coup d’œil, on se laisse aller à délirer, mais le son de sa voix ne trompe pas : comment une voix aussi sourde et aussi puissante peut sourdre du corps d’une blackette aussi jeune ? Elle ne chante pas, elle tonne, elle ne tonne pas, elle dégomme, elle ne dégomme pas, elle boule de gomme, elle ne boule de gomme pas, elle bourre et bourre et ratatame, elle n’a même pas besoin de tam-tams, elle bourre et bourre les dindes idéologiques, elle bourre le mou du consensus mou, elle bourlingue l’angle, elle ne s’offre pas en spectacle, elle crucifie l’idée du spectacle sur l’autel voodoo.

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    Elle chope le poulet spectacle des blancs pour lui couper cabèche et prendre une douche fictive de sang voodoo, alors tout ça se met à danser dans l’imaginaire, mais il manque l’essentiel : la transe. No transe en France.

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             Ce qui fascine certainement le plus chez Moonlight Benjamin, c’est l’ovale parfait de son visage, l’extraordinaire dessin de ses yeux en amandes, cette beauté parfaite qu’on retrouve chez toutes les grandes artistes noires, de Dionne la Lionne à Miriam Makeba et passant par Nina Simone, cette façon qu’elle a de fixer les gens, et pour les ceusses qui auront eu le bon goût de rapatrier les albums, il y aussi des tatouages éphémères sur son visage. Ce sont les tatouages des gens du désert, elle aura sûrement vécu en Somalie, au temps de Richard Burton et d’Arthur Rimbaud, au temps où on tatouait le visage des plus belles femmes. Tu vois encore des très beaux visages tatoués dans certaines régions du Maroc, lorsque tu descends vers le Sud, après Ouarzazate. L’art scénique de Moonlight Benjamin consiste à s’accroupir au fond de la scène pour éclore comme une fleur maléfique, puis revenir arpenter la scène d’Est en Ouest. Elle peut tournoyer comme les derviches des montagnes du Rif. Lorsque la tension musicale atteint son paroxysme, elle peut s’élever de quelques centimètres. Elle danse pieds nus, des pieds qu’on aperçoit très peu, car longue est sa traîne.

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             Tu as tout ça pour une bouchée de pain, dans un théâtre de quartier populaire, sur ce que les gens d’ici appellent les hauts de Rouen, pas très loin d’un immense cimetière pas voodoo qui porte le doux nom de Monumental.

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             Elle est cadrée plein pot sur la pochette de Simido. Dès «Nat Chape», elle donne le ton : heavy beat voodoo. Elle chante au gut d’undergut avec toute l’Africanité dont elle est capable. Les deux petits culs blancs aux grattes se tiennent à carreau car Moonlight Benjamin ramène le souvenir des révoltes d’esclaves, c’est puissant, plein de coups de machettes dans la gueule des békés. Toute l’Afrique est derrière elle. Tu as des sons comme celui-là qui reprennent la compétition. Espérons que les fils d’esclaves vont conquérir le monde. Ça ne serait que justice. Moonlight Benjamin monte au créneau, elle chante avec autorité, elle ne s’écrase pas comme si elle avait grandi dans le Mississippi et dans la peur du patron blanc. Sur «Ki Novel», les grattés de poux sont admirables. Ils attaquent «Salwe» au heavy shuffle de gratte, ça vire JSBX, c’est explosé de son et de congestion et Moonlight Benjamin explore des régions inconnues du spectre sidéral. Cette dimension du voodoo n’est pas apparue pendant le concert, on a vu autre chose, mais pas cette dimension atrocement épaisse de domination spirituelle du peuple noir sur le monde, ça joue à la pire heavyness voodoo, une heavyness montée sur un riff hypnotique et bien ravagé par des lèpres, les plaies sont profondes, ça va chercher loin, dans un concert montant de fièvres et de rancœurs. Tu ne trouveras pas cette ferveur atroce sous le sabot d’un cheval. C’est wild as hell. Elle fouille les entrailles de l’Africanité dès l’intro de «Pale Pawol», elle danse autour des riffs, tu as enfin la transe. Étrange alchimie que celle des riffs blancs et de l’Africanité intrinsèque. «Tchoule» part en mode wild guitar slinging, elle allume le comment du pourquoi, le profond des surfaces, elle retourne le rock des blancs comme une peau de lapin. Elle est dans l’Haïti dont on ne sait rien, elle ratiboise le clair de lune, elle vise les hauteurs de la niaque, elle propose un mix de rock voodoo qui se fige à la Pointe du Ras des pâquerettes. Tout est puissant sur cet album, les petits culs blancs jouent bien le jeu, tu as de l’Africanité à tous les étages en montant chez Moonlight, elle touille tout ça dans son chaudron et te sert l’Africana du diable. Ça gratte pour de vrai sur «Pasay», elle a du pot d’avoir ces mecs derrière elle, alors elle peut exploser encore et encore, elle injecte des zèbres et des girafes dans le tourbillon, elle réinvente la notion d’intemporalité. Sur «Kafou», les petits culs blancs jouent comme des Africains, même le batteur réussit à jouer comme un blackos, et le guitar slinger claque des contretemps, alors Moonlight répand la clameur de son Africana dans l’éclat d’un jour d’ici ou d’ailleurs, on assiste avec «Kafou» à l’éclosion d’un effet participatif de la meilleure auspice, rien d’aussi pur dans le mélange des races, on n’avait pas vu ça depuis Sly & The Family Stone et Booker T & The MGs. Pur génius de mixed blast.

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             L’album précédent s’appelle Siltane. C’est l’album aux tatouages. Visage et dos. Les images sont magnifiques. Ça chauffe dès «Memwa’n» au heavy rockalama de Somalie, elle ouate ses sortilèges à la surface du son et derrière ça gratte le hard funk. C’est l’un des cuts du set sur scène. Oh oui, ça gratte au real funk, elle moule le funk dans sa voix vieille de plusieurs siècles, elle groove dans les ténèbres. Elle est bien plus puissante que ne le fut jamais le JSBX, elle te claque une Africana subliminale. Voilà enfin «Papa Legba», le plus connu des personnages mythiques haïtiens. Et pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Papa Legba est un diable, elle l’invite à venir danser le sabbat, alors bienvenue en enfer ! On se croirait dans la scène mortelle de Wild At Heart à la Nouvelle Orleans. Aw comme c’est tribal ! Ça résonne si profondément dans ta conscience ! Retour à la pure Africana avec «Moso Moso», c’est un cut de batteur bien renchéri par des percus. Ils s’appellent Claude Saturne et Bertrand Noël. Pour le morceau titre, elle propose du heavy JSBX, mais c’est amené au sludge de no way out, elle tripote le groove de ses doigts crochus, elle fout la trouille, elle aménage des orifices, elle est atrocement reptilienne. Elle tape «Chan Dayiva» avec heavy groove voodoo, mais elle fait à la voix d’airain. C’est incroyable comme ses amis blancs sont à la hauteur. Elle enfonce encore son clou voodoo avec «Tan Malouk» et puis «Des Murs», qui est quasi r’n’b, ce sont les accords de «Gloria» qui se fondent la soupe aux choux et elle termine avec un «Met Agwe» qu’elle fait sonner comme un hit de Nina Simone. Elle fait autorité dans l’au-delà des guitares électriques.

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             Vient tout juste de paraître son nouvel album, Wayo. Même ambiance, elle sort encore des ténèbres pour la pochette. Esthétique maîtrisée. On sent qu’il y a une grosse équipe derrière. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, on est en Haïti, elle ramène le son à l’essentiel, elle monte son Africana en neige noire, aye aye aye, elle te dévore de l’intérieur. On reste au pays des merveilles avec l’oh la oh de «Haut Là haut», elle te groove l’oh la oh à la mandingue de dingue, elle ramène carrément de la dignité dans le stomp des blancs, elle en fait le stomp d’Haïti, elle s’implique fabuleusement dans le process de démentoïsation de l’Africana. Le fantôme du JSBX hante encore «Taye Banda», cette fois c’est Jon Spencer qui hante le voodoo de Moonlight Benjamin, elle s’en accommode fort bien. Que de power dans ce Banda ! C’est claqué au heavy chords, à ce niveau de heavy blast, on est obligé de raisonner en termes de génie haïtien. Il faut bien admettre que les interconnections de fantômes finissent par nous dépasser. Elle tape dans le heavy groove de blues pour «Ouve Lespri», elle s’y fond avec l’aplomb d’une reine. Chaque fois, elle reprend le contrôle pour insuffler sa magie. C’est d’autant plus spectaculaire que ses amis blancs jouent comme des cracks. Elle taille encore «Pé» à sa mesure et entre en osmose avec le heavy goove de «Limyé». Sa voix sonne comme la grondement des flammes d’un immense incendie. Elle devient sculpturale dans «Bafon», elle s’enfonce dans les ténèbres du voodoo symphonique. C’est un peu comme si elle créait l’hymne national des temples voodoo. Rien d’aussi spectaculaire ! Tout est absolument noyé de son. Elle attaque encore «Ale» à la dure, avec sa belle énergie primitive. Elle chevauche son drive, Ale ale, elle y va, elle semble filer à travers une savane imaginaire. Quelle exubérance !

             On apprend à l’issue du concert que Moonlight Benjamin est installée à Toulouse et que ses amis blancs sont basés à Paris. Heureuse conjonction. 

    Signé : Cazengler, Benjaminable

    Moonlight Benjamin. L’Étincelle. Salle Louis Jouvet. Rouen (76). 28 février 2023

    Moonlight Benjamin. Simido. Ma Case 2020

    Moonlight Benjamin. Siltane. Ma Case 2017

    Moonlight Benjamin. Wayo. Ma Case 2023

     

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    C’était le printemps. Un des mois les plus beaux de l’année. L’ont-ils fait exprès, voulaient-ils gâcher notre allégresse, je n’en sais rien, ne soyons pas complotiste, toujours est-il que Across The Divide sortait une vidéo du premier morceau de son proximal opus. Une horreur sans nom, d’une beauté inoubliable, je ne vous parle que de la première image, la suite n’était pas gaie mais nous avons tous des filtres de réception qui nous permettent de classer les émotions les plus insupportables dans des petites cases conceptuelles prévues à cet effet : exemple : dans la famille des Suicidés je voudrais la mort par pendaison. Si vous trouvez ce jeu un peu enfantin, il en existe une version davantage ésotérique : exemple dans les arcanes divinatoires du tarot me voici en possession de la carte du Pendu. Je dis cela pour vous faire sourire, car la première image de cette vidéo, s’inscrit en vous avec autant de force que le tableau L’île des morts d’Arnold Böcklin, un de ces engrammes qui s’en viennent tatouer votre cerveau pour en infléchir la marche. Vous n’avez pas de chance c’est ce titre qui ouvre cet opus que nous attendions avec impatience. 

    ETERNAL

    ACROSS THE DIVIDE

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    L’esthétique de la couverture n’est pas sans rappeler celle de Disarray leur dernier album, voir en notre livraison 497 du 11 / 02 / 2021 son élogieuse recension, prédominance de la couleur orange et importance donnée au nom du groupe. Sur Disarray il occulte la photo, sur Eternal réduit à son logo, il apparaît tout de même comme si l’on avait voulu l’agrandir au maximum de son support alors qu’à l’origine il n’occupait qu’une toute petite surface de l’écorce de l’arbre initial sur laquelle il aurait été gravé, pensons à la formule X + Y = A E qui perdure beaucoup plus longtemps que le lien affectif des naïfs amoureux qui l’ont tracé. Surtout si par mégarde il aurait été inscrit sur le tronc de l’Yggdrasil éternel.

    Ce qui tombe très bien quand on songe au titre de l’EP Eternal. Je ne pense pas que Across The Divide soit persuadé que son EP est éternel, mais qu’ils veulent nous avertir que la seule chose de la vie qui ne puisse pas mourir est la mort elle-même. Car si la mort mourait elle deviendrait vie. Across The Divide porte bien son nom. Ils explorent cette faille – Mallarmé la surnommait ‘’ un peu profond ruisseau calomnié’’ – qui sépare – et qui donc en même temps en exprime la jointure négative – la mort de la vie. Ou la vie de la mort.

    Charles Bogan / Regan McGowan / Axel Biodore / Maxime Weber / Alexandre Lhéritier

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    Unforgotten : au taquet, au maximum musical, une voix colérique comme qui sourd d’un cercueil refermé ou qui s’exhale  d’un chaos de grumeaux de terre enfoncée dans la gorge, une musique noire qui se plie et se replie sur elle-même tel un suaire infini qui ne parvient pas à étouffer la révolte intérieure, ne pas mourir définitivement, le cadavre crie ses dernières volontés, la consolation du pauvre, celle de vivre dans la mémoire des autres, des vivants qui lui ont survécu, ne pas être dissout dans le néant léthéen, chaque fois que leur nom est prononcé les morts ressuscitent-ils ne serait-ce que quelques secondes demande Rilke, la musique aurait-elle ce pouvoir, Across The Divide tente une résurrection orphique, instrumentation en lave de serpent qui tente de se mordre la queue, de boucler la boucle de la vie afin de nouer le nœud gorgien de l’éternité. La couleur de l’espoir est encore plus noire que les paroles prononcées par la bouche d’ombre. Ecoutez ce morceau à plusieurs reprises, au début vous avez l’impression d’une coulée uniforme, plus tard vous discernerez un entremêlement kaotique disparate, opposition de volitions contradictoires, par laquelle le groupe parvient au point dis harmonique d’instabilité absolu dans lequel rien ne se résout. Nothing left : s’il n’y a plus d’après il y a eu un avant. Musique sérielle répétitivement martelée, rehaussée d’élans lyriques, derniers efforts de la flamme de la bougie vacillante prête à s’éteindre qui durant de courtes secondes s’exalte d’elle-même et illumine la conscience de l’être au plus haut, et une voix chargée de colère et de hargne, qui se retourne contre tout le monde, qui accuse le monde entier en commençant masochistement par soi-même et qui finit par vilipender le Sauveur hypothétique qui a totalement échoué en sa mission. Du plus bas au plus haut, malgré leurs efforts, il ne restera rien. Sait-on jamais ? La vengeance est un plat de viande morte qui se mange froid. Dead : ( reprise du groupe The Legendary Pink Dots ( voir plus loin ) : petit apéritif en vue d’une meilleure appréciation :  il y a les morts et les morts-vivants, ne pas confondre avec les zombies des films d’horreur, il y a des vivants qui sont déjà morts, des gens comme vous chers lecteurs qui vous ressemblent  étrangement, au lieu de morigéner taisez-vous et écoutez : musique futuriste, les punks diraient no-futuriste, mais c’est un détail, morceau davantage sériel que le précédent mais tout aussi chaotique, à cette différence que le chaos est vécu de l’intérieur, rien ne vaut les exemples de chair et d’os, avec toutes ces fracturations sonores l’on aurait tendance à penser que le pauvre gars terminera en hachis menu. Pas du tout reste calfeutré chez lui. Un peu forcé puisque l’électricité est coupée. Une situation à la Ravages de René Barjavel, toutefois à notre époque moderne, connectée pour la définir rapidement. Une aubaine cette ‘’ panne’’, le moyen idéal de faire le point sur sa propre situation, désespérante, tous ces liens immatériels qui nous permettent de nous ouvrir aux autres, ne sont-ils pas des ersatz de solitude, est-cela la vraie vie. Deux voix qui se répondent, le gars se parle à lui-même. Désespération, exaspération, acceptation. Humour sombre terriblement ambigu, il lui reste encore des livres à lire. Avant de… Sufferer : brutal, le vocal éclipse le background musical qui virevolte, pensez à la musique qui accompagne les corridas, ne pas être victime comme le taureau, appel à la révolte, à l’insurrection, devenir maître de son propre destin, ne suffit-il pas de vouloir, n'empêche que parfois l’on veut et que le système nous dicte ses volontés, l’éternité possède deux faces, l’une négative celle de ton infini servage, de ton abandon, de ta résignation, et l’autre plus claire celle de ta révolte par laquelle tu existes pour toujours. Ce n’est pas facile, ne demandez pas pourquoi le morceau est empli de violence, de dégoût de soi-même et de hargne nécessaire pour atteindre à l’apogée de son unique royauté. Stirnérien.   A thousand times : encore plus rapide, encore plus lyrique, sur la ligne de crête, parfois le problème se pose à vous très concrètement, continuer à se battre, ou abdiquer. Définitivement. Faire le saut. Final. Fatal. Eternité dans la mort ou éternité dans la vie. L’une est irrémédiable, l’autre est incertaine. C’est ici que finit la solitude, que commence la sollicitude de l’entraide kropotkinienne. Etrange comme cet ensemble de titres est à écouter comme une méditation de philosophie anarchiste. Peut-être cela ne participe pas de la démarche initiale d’Across The Divide, lorsque l’on creuse à l’endroit adéquat l’on finit par entrer en résonnance avec des sillons déjà tracés. Another day : un titre optimiste, une chanson d’amour, le son n’est-il pas plus doux, le refrain ne demande-t-il pas une autre chance, ceux qui détestent se pencher sur les abysses préfèreront, préserveront, se réserveront cette lecture, la fin est pourtant sans appel, n’est-ce pas la revendication d’une solitude absolue. L’autre n’est-il pas au fond du gouffre. N’a-t-il pas choisi de passer la ligne de crête. Ni du bon. Ni du mauvais côté. Juste sur le versant éternel.

    Sans concession, un groupe que nous suivons depuis plusieurs années, qui se bonifie à chaque nouvel album, dont la démarche est une des plus originales du metal français.

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    Nothing Left : ( official Music Vidéo ) : dirigée par Danny Louzon : superbe réussite. Figure imposée : un groupe se met en image en train d’interpréter un de ses morceaux. Evidemment ce n’est pas du live. Un montage : vues d’ensembles, parties d’instruments, quelques silhouettes, quelques effets spéciaux, etc… Un genre chorégraphique auquel se plient de nombreuses formations, ce qui peut entraîner chez les amateurs une certaine lassitude, surtout quand une musique brutale se contente d’une esthétique brute. Dans ce cas-là on ne peut pas tricher. L’art de la ligne-obscure est vraisemblablement encore plus difficile que l’art de la ligne-claire, en le sens où les figures imposées s’imposent d’elles-mêmes de par leur rareté. Celle-ci est magnifique, l’économie de moyens y acquiert une force rarement atteinte.

    A voir. A admirer.

    Damie Chad.

    Appendice : sur The Legendary Pink Dots : vous êtes vraiment difficiles si vous ne trouvez pas au moins un titre de ce groupe à votre goût sur les deux centaines albums, plus quelques dizaines et sans compter les autres formats qu’ils ont sortis entre 1981 et 2023…

     

    *

    I wake up this morning… pas besoin d’être un musicographe averti pour deviner que c’est un morceau de blues. Ne jamais tuer l’ours avant de l’avoir entendu grognasser. J’utilise la seule porte de sortie qui se présente à moi, pas tout à fait du blues mes amis, plutôt du rhythm ‘n’ blues, vous savez que ce dernier procède du précédent. Ouf l’honneur est sauf ! Plaf ! survient un démenti cinglant, avec les gamins, même ceux qui mesurent huit pieds de haut, il faut se méfier. Non ils ne se définissent point comme un groupe de blues ou de rhythm ‘n’ blues, s’adjugent le prix du meilleur groupe de Doom-Brass existant sur cette terre qui a pourtant connu bien des horreurs, toutefois ils se la jouent modeste, z’ont une excuse pour se proclamer les meilleurs : ils sont les seuls au monde à pratiquer cet accouplement musicologique inédit. Des pionniers ! 

    THE GREGOR SAMSA BLUES

    EIGHT FOOT MANCHILD

     ( Piste numérique / Bandcamp / Mars 2023 )

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    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : trombone, vocals / Mr Squirrel : barytone sax / Alison Eamhart : tuba / Steve Kosinsky : drums.

    Franchement je ne sais pas comment ils ont fait, sont trois à jouer de la cuivrerie, à les entendre vous pensez qu’ils ont entassé une fanfare de souffleurs dans le studio. Pour les amateurs orthodoxes de doom, profitez des trois premières secondes, une espèce de hachis guitarique pour vous mettre en confiance, genre morceau de gruyère empoisonné, un piège à souriceaux inexpérimentés, ensuite la plomberie vous tombe sur le paletot, un véritable bain de saturnisme dont les méfaits sur la santé humaine ont été dénoncés par le docteur Théophile-René-Marie-Hyacinthe Laënnec ( remarquez le doomesque tréma patronymique ) dès l’an de grâce 1831, c’est dire si vous courez les plus grands périls à prolonger l’écoute… Même chez Stax, ils n’ont jamais réussi à créer le même impact sonore, d’après moi c’est la présence du tuba, que l’on retrouve sur les premiers enregistrements de Kid Ory, bref c’est méchamment bien foutu, en plus il y a de la place pour tout le monde même pour les cymbales de Steve, surtout n’oubliez pas le solo de de sax de l’Ecureuil, l’ont manifestement ligoté dans une cage durant quinze jours et libéré juste pour l’enregistrement afin qu’il donne le maximum. C’est comme cela que j’imagine le son du cor au fond des bois cher à Alfred de Vigny, du moins comme doit l’entendre le cerf au moment de l’halali. Je n’ai pas fini mon dithyrambe, car en plus de bouleverser l’accompagnement, ils filent un coup de balai aux vieilles paroles du blues, début classique, le gars se réveille le matin, se regarde dans son miroir, dans lequel s’agite un être dégoûtant. Vous auriez fait comme lui devant cette vision diabolique, vous courez chez la prêtresse vaudou du coin de la rue. Jusque-là, tout est normal, dès qu’elle ouvre la bouche c’est la douche froide, notre blues se teinte de rouge. Non ce n’est pas du sang. Ou alors métaphoriquement parlant, celui des patrons que tu n'as pas encore éliminés. Si le blues devient politique, ma pauvre dame ! Le mec s’affole et demande ce qu’il peut faire. La réponse est cinglante : Va te faire foutre !

    Jouissif et réjouissif. L’on se précipite sur leur enregistrement précédent.

    BORN INVINCIBLE

    ( Bandcamp / Février 2023 )

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    Opus seulement sur Bandcamp, les bénéfices engendrés par son écoute seront versés en faveur de rescue.org une association qui vient en aide aux réfugiés de tous pays, qui ont intérêt à s’unir ajouterait Karl Marx.

    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : doombone, vocals / Mr Squirrel : doomsax / Alison Eamhart doom tuba / Krys Kobiaka : drums.

    Born Invincible : une guitare échoïfiée tous azimuts, les cuivres s’imposent très vite, belle sonorité, disons que cette fois-ci l’animal n’est plus le résultat de l’improbable union d’un brontosaure cuivré avec doomonique la baleine bleue, mais que le saurien géant a sailli sans préavis la douce funkie, l’anacondate géante. Avouons que le bébé rutile et se porte bien,  il ne prononce encore que quelques mots, par contre il vagit et se débat comme un beau diable car il ne veut pas être tué. Âmes sensibles écoutez bien jusqu’à la fin, sans quoi vous passerez la nuit à pleurer. Born invincible ( Kill no more version ) : avez-vous déjà entendu des cuivres pleurer, pas doucement, parce qu’avec le bruit de la barate à beurre africaine qui fait un potin de tous les diables, ils ont intérêt à forcer sur le diapason. Rires sinistres, c’est la seule chose que l’on peut encore faire quand on est mort. N’en tuez pas davantage !

    C’est ce que l’on doit appeler un charity record contondant. Très réussi. Ne jamais mendier. Ne jamais se plaindre. Même vaincu l’on reste invincible.

    EIGHT FOOT MANCHILD

    ( Bandcamp / Décembre 2022 )

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    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : tromboneFX, vocals / Mr Squirrel : baritone saxFX / Alison Eamhart tubaFX / Krys Kobiaka : drums.

    Le lecteur pointilleux ne s’interrogera pas : FX signifie : effets spéciaux, un peu comme XXL pour les très grandes tailles. Dans la vie il est nécessaire d’afficher ses prétentions.

    Buddha finger : un titre prometteur, bourdonnement de guitare, les cuivres ne tardent pas à tirer la langue à l’impétrant qui veut devenir le disciple du maître, se foutent carrément de sa gueule, l’on croirait entendre Donald dans un dessin animé de Disney, ensuite ça se gâte comme chez tante Agathe, ça sonne comme un requiem funèbrement FX, ne serait-ce point un hymne anti- hiérarchique composé par d’acharnés partisans de l’idéologie anti-autoritaire ? Wisdom fist : la suite du morceau précédent, même pas de coupure, la quincaillerie se la joue grave, un enterrement de première classe, comme à l’école : une méditation philosophique sur l’expression ‘’ poing de la sagesse’’, l’on s’interroge mais encore une fois l’on apprend à penser par soi-même, à ne pas se prosterner devant les maîtres qui sont les chantres de l’économie capitalo-libérale, de légers coups de batterie nous mettent la puce à l’oreille, du poing théorique de la sagesse l’on passe à la pratique pugilistique, apprenons à nous servir de notre poing, la zinguerie devient écrasante. Ne serait-point un groupuscule de radicaux… Orgy at club Megalon : une voix enfantine, nous supposons Sara, nous interpelle, elle a trouvé une sorte de poudre marrante, je vous laisse hypothéser sur la réalité de cette farine rigolote, à chacun selon ses fantasmes, ce qui est sûr c’est que l’on plonge dans un superbe instrumental, un peu rhythm ‘n’ blues, un soupçon de jazz, une pincée de funk, qu’ont-ils mis au juste dans la marmite, ce qui est certain c’est que la soupe qui mijote là-dedans est délicieuse, une potion magique qui vous permettra de vaincre vos ennemis. Energisant. Monoliths and monkeyman : vous pensez à la première scène de 2001 Odyssée de l’Espace, vous avez raison, les cuivres vous offrent le générique grandiose adéquat, à l’entendre vous êtes prêt d’accéder au mystère originel de l’humanité, un accord discordant, la voix sur un rythme binaire et simiesque, attention le pompiérisme musical revient en fanfare, inutile de vous exciter, si vous voulez la vérité la voici, votre monolithe n’est qu’une dalle d’obsidienne. Méfiez-vous de votre imagination et des idoles.

    PANDEMOS

    ( Bandcamp / Février 2022 )

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    Nul besoin de lire la note explicative pour comprendre que ces démos ont été réalisées durant la dernière ère covidique.

    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : trombone, vocals / Mr Squirrel : baritone sax, tabla / Alison Eamhart tuba / Corey Schreppel & Don Music : drums

    Hecka witches n shit :  est-ce un trombone qui imite le bruit d’une mouche, pas besoin de la couper en quatre, la brasserie survient comme le septième de cavalerie, heureusement la situation est grave, la voix est couverte par les cuivres, elle ne hausse pas le ton, l’entendront ceux qui sont déjà prêt l’entendre, méfiez-vous des charlatans qui vous refilent des médicaments dont les effets sont bien plus dévastateurs que le mal dont vous souffrez. Ne prennent pas de risque, parlent de sorcières mais tout le monde comprend, pas pour rien que le frontground est si dramatique. The slouchening : une intro différente avec tablas à la clef de sol(itude), sonorités indiennes, qui auraient été parfaites pour Le doigt de Buddha, Eight Foot Manchild nous la font à la Ravi Shankar, comme ils n’ont pas de sitar se servent des cuivres pour réaliser le bourdonnement infini séquenciel, pas de parole, le titre suffit : amoindrissement, ne vous laissez pas dépérir lorsque l’on vous cloître inutilement chez vous. Wisdom fist : très différent de la version ultérieure, les cuivres donnent l’impression d’avoir davantage de souffle, plus charnel en quelque sorte. Le vocal plus enfoncé dans la gangue musicale. Je préfère cette version. Question de mixage ? Ou de support ? celle-ci est sur Suncloud. You’re gona die dumb and lonely : changement de thème, l’est d’autres maladies bien plus graves que le covid, la connerie humaine, se déchaînent cassent à coups de merlins les illusions de l’ado moyen prisonnier de la société de consommation, sont hyper-violents, faut que la leçon porte, même si elle est inutile puisqu’il est déjà trop tard, le gamin en prend plein la tronche, nous aussi, mais ce chant nerveux nous agrée, cette instrumentation aussi pesante et précieuse qu’un coffre-fort rempli à ras bord de lingots d’or nous ravit. ( Sans Shankar ). The Gregor Samsa Blues : la version précédente était cuivrée comme un canard laqué, celle-ci est toute ébouriffée, ce ne sont pas des cuivres mais des coups de klaxons lancés par des automobilistes hagards, quant au vocal, Dylan l’avait dû se faire un lavement à la cocaïne, l’a dû bouffer tous les cromis du studio, le mec l’a pas le cafard, se débat contre une invasion d’insectes carnivores. Sur la fin, vous avez un trombone qui mugit tel un cargo fracassé sur des récifs qui actionne sa sirène. En vain.

    Je suis trop sympa, un petit dernier qui n’est pas sur Bandcamp mais que vous trouverez sur Suncloud. Take it to the chorus, Titanosaurus : ( Robo Version ) :  un début à la ritournelle, avec déclaration d’amour, hélas toutes les bonnes choses ont une fin, surtout si vous avez un dinosaure dont les pas pesants font trembler la maison, même qu’il pousse quelques hennissements que je qualifierai d’inquiétants,  y a bien un tuba qui essaie de le charmer style joueur de pipe à Joujouka, mais la bestiole n’a pas l’air d’aimer les gammes orientales. L’on comprend pourquoi le morceau a été écarté, trop différent de tous les autres.

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             De fait Eight Foot Manchild est un vieux groupe, j’ai mis la main sur YT une vidéo délirante postée en 2011 Sushi Christmas, vous avez aussi Celestial Tumult un peu dada, Alexander’s Channel  Surfing Mescaline Nightmare Band, une espèce de Sgt. Peppers parodique, bref une bande de joyeux drilles un peu à l’image des artworks qui illustrent les pochettes desquelles nous n’élirons que la toute dernière, cette pièce de soutient gorge armurial microphoné… Elles sont dues à Dylan Foley, le meneur de cette bande d’allumés.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 21 ( Coupe-tif  ) :

    110

    En proie à une grande perplexité le Chef allumait Coronado sur Coronado :

             _ Je ne crois pas au hasard, je suis en quelque sorte visé personnellement par cet étui de Coronado que la belle Ecila tenait en sa main, pourquoi je n’en sais rien, je me suis interrogé toute la nuit, j’ai fouillé dans mes souvenirs, mais non je n’ai rien trouvé. Pourtant c’est bien moi au début de cette aventure qui ai décidé qu’il fallait chercher quelque chose au Père Lachaise, nous avons marché toute une semaine, sans but, sans un indice, nous avons abandonné, la mort d’Alice nous ayant entraîné sur d’autres pistes qui nous ont emmené… devant la tombe d’Ecila. Une dernière chose d’importance, depuis le début j’ai la ferme conviction que cette affaire est liée au rock ‘n’roll !

    Carlos se resservit d’une grande rasade de Moonshine qu’il avala cul-sec, sa langue claqua trois ou quatre fois avant qu’il ne prenne la parole :

              _ J’ai lu attentivement les pages que Damie a consacrées dans ses Mémoires d’un GSH à cette enquête qui nous préoccupe, il désirait qu’un œil neuf les lise et vous fit part de ses observations, je rappelle que je n’étais pas là au début de vos péripéties. Celle lecture me laisse perplexe, je ne prendrai qu’un exemple : qui vous a glissé le nom d’Ecila ? Mme Irma. Pourquoi êtes-vous allés chez cette devineresse plutôt qu’une autre ? Parce que le matin, l’on en parlait dans un article du Parisien Libéré. Un article posthume de Lamart et Sudreau dont nous avions vu de nos yeux les cadavres en décomposition dans leur bureau. Au départ de cet enchaînement de faits, une idée farfelue de l’agent Chad. Bref je résume, j’ai l’impression que quoique vous preniez comme décision vous retombez toujours sur l’affaire qui vous préoccupe, bref que vous êtes en quelque sorte manipulés.

    Il y eut un grand silence. Le Chef alluma un Coronado, j’en profitais pour rouvrir une deuxième bouteille de Moonshine. Carlos reprit la parole :

              _ Je propose que l’agent Chad et moi-même nous nous rendions d’abord une petite visite à Mme Irma et sur la lancée à Alice qui tient le bureau d’accueil du Parisien Libéré, cette petite qui occupe une position d’observation de choix nous a apporté la preuve qu’elle nous était dévouée corps et âme.

              _ Deux très bonnes propositions auxquelles j’acquiesce en toute unanimité. Ne tardez point, pour ma part je tiens à réfléchir encore à la présence de ce tube à Coronado dans la main d’Ecila.

    111

    Nous nous étions garés dans une rue adjacente. Un attroupement de badauds s’était formé aux alentours de l’immeuble dans lequel nous avions été reçus par Mme Irma.  L’on se serra pour nous permettre de profiter du spectacle. Pas d’erreur d’interprétation, des bandes plastiques blanches et rouges, une camionnette de police-secours, des voitures banalisées dont descendaient des visages à la mine grave, tout indiquait la présence d’un crime. Un policier voulut nous barrer le passage, ma carte d’agent du Service Secret du Rock’n’roll lui arracha un sourire : ‘’ J’adore Chuck Berry !’’ nous souffla-t-il, et d’un geste ample il nous désigna l’escalier. Derrière moi, une femme s’écria : ‘’ C’est un certain M. Truc Berry qui a été assassiné ! ’’ .

    Une désagréable odeur de pourriture flottait dans les escaliers. Au cinquième étage ça sentait carrément la charogne. Au huitième nous ne fûmes pas surpris par le spectacle, Mme Irma était à demi couchée sur sa son bureau. En état de décomposition avancée comme était en train de le spécifier un médecin légiste à la mine dégoûtée à un commissaire de quartier blanc comme un linge.

    112

    Carlos avait adopté une conduite peu citoyenne, la fenêtre ouverte il crachait sur les piétons qui s’obstinaient à vouloir emprunter les passages cloutés sous prétexte que le petit bonhomme vert leur permettait de passer. Les gens s’énervent pour un rien. J’ai dû descendre de la voiture pour fourrer le canon de mon Rafalos dans la bouche d’un imbécile colérique qui s’obstinait à rester immobile devant notre véhicule.  Quand je lui eus susurré doucement mais fermement à l’oreille que j’ignorai le sens du mot résilience, il se carapata à toute vitesse.

             _ Quel crétin, j’espère que notre Alice sera dans un état moins faisandé que Mme Irma quand nous serons arrivés !

    Les espoirs de Carlos furent exaucés. Dans sa cage vitrée Alice rosit de plaisir :

             _ Enfin vous revoilà, je commençais à me languir ! Notre dernière soirée a été si plaisante, je laisse ma place à la stagiaire, et l’on file à la cafétaria, je vous offre un café, je vous dois bien cela, j’ai un truc marrant et bizarre à vous raconter, à cette heure-ci, la cafet est vide.

    Je suis franc, malgré toute la sympathie que nous portions à Alice, le breuvage qu’elle nous apporta sur un plateau était dégueulasse. Par contre ce qu’elle nous révéla nous stupéfia :

              _ Lamart et Sudreau ont été remplacés !

              _ Rien d’étonnant, ils ont dû embaucher deux grosses pointures, observai-je.

              _ Je ne sais pas, ils n’ont encore signé aucun article, ce sont des jumeaux, ils signeront les articles : Les frères Did.

               _ Un nom peu commun !

               _ Oui Carlos, on murmure qu’ils ont choisi ce pseudonyme à cause de leur nom !

               _ Ils portent donc un nom si ridicule ?

               _ Ridicule je ne sais pas, mais étrange oui, le premier s’appelle Ladreau et le deuxième Sumart.

    La petite était toute chose, Carlos l’invita au restaurant pour lui changer les idées. Tous deux me raccompagnèrent en voiture au local.

    113

    Je montais les escaliers quatre à quatre, depuis le bas de l’immeuble j’entendais les aboiements rageurs de Molossa et Molssito. J’ouvris la porte avec précipitation. Le Chef était paisiblement assis son bureau, Coronado aux lèvres, en train de discuter avec un inconnu que je voyais pour la première fois. Le Chef fit les présentations :

    • Agent Chad, je vous présente le Professeur Laffont un des plus grands spécialistes de l’Hôpital Henri Mondor !
    • Enchanté M. Chad ! excusez-moi de m’absenter, je reviens d’ici une heure avec le matériel et le personnel nécessaires à la petite opération à laquelle nous allons nous livrer ! Avec un peu de chance, la Science risque de faire un grand pas en avant grâce à votre collaboration pour laquelle je vous remercie.

    114

    Je n’étais pas extrêmement fier, mais lorsque votre modeste personne a l’opportunité d’un progrès décisif de l’Humanité qui oserait s’opposer à un tel programme. Des infirmiers avaient installé deux lits voisins sur lesquels le Chef et moi-même étions confortablement installés. L’on nous fixa sur la tête de casque de virtualité intellectuelle. Derrière nous un technicien surveillait l’écran d’un ordinateur. Sourire didactique aux lèvres le Professeur Laffont se tourna vers moi :

              _ Cette après-midi sur la demande de votre supérieur hiérarchique je me suis livré à une expérience d’hypnose sur sa personne. Il voulait avoir accès à certains souvenirs enfouis dans sa mémoire. L’hypnose en elle-même a très bien fonctionné, mais le patient s’est trouvé, comment dire, devant un mur psychologique qui a refusé de s’ouvrir. Ce genre de cas est assez rare, je ne me vante pas, mais je pense avoir mis au point une théorie explicative de ces échecs. Secondé par une équipe diligente j’ai trouvé la méthode d’ouverture de ce mur psychologique. Il s’agit de transférer le contenu du subconscient d’un individu dans l’espace neuronal d’un autre individu préalablement vidé du contenu de son propre subconscient. Comment l’expliquer simplement : nous allons transférer vos deux subconscients dans la boîte crânienne de l’autre. Par contre nous vous laissons chacun vos propres murs de défense qui ne cadenassent pas les mêmes émotions. Conclusion lorsque vous aurez dans votre tête le contenu de M. Lechef, avec une simple séance d’hypnose vous nous révèlerez ce à quoi M. Lechef n’a pas accès. Evidemment, quelles que soient vos révélations elles sont couvertes par le secret médical. Pour votre confort, vous pouvez garder auprès de vous les objets qui vous sont chers. M. Lechef peut ainsi continuer à fumer quelques Coronados et M. Chad peut caresser sur son lit ses deux adorables canidés. Messieurs, êtes-vous prêt ?

    Tous deux d’un même élan, malgré notre état de cobaye humain d’une voix mâle et virile nous nous écriâmes :

               _ Prêts !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 497 : KR'TNT ! 497 : CHARLIE WATTS / DOWN IN NEW ORLEANS / ACROSS THE DIVIDE / MARC SASTRE / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 497

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    11 / 02 / 2021

     

    CHARLIE WATTS / DOWN IN NEW ORLEANS

    ACROSS THE DIVIDE / MARC SASTRE

    ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES 20

     

    J’ai la Watts qui s’dilate - Part Two

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    Les Stones ? On en fait tout un plat, alors que ça ne représente que trente albums. Que sont trente albums comparés à l’univers ? Rien.

    Grâce à ce type de raisonnement, on peut se livrer à l’expérience d’une réécoute des trente albums, ce qu’a dû faire Mike Edison pour écrire Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters. Mais ce ne sont pas les Stones qu’on écoute, c’est Charlie Watts. Diable, comme Edison a raison : l’énergie des Stones vient de Charlie Watts. Fantastique éclairage ! Celui qu’on prenait jusqu’alors pour un personnage de second plan devient une sorte de maître d’œuvre de la Stonesy.

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    C’est ce qui frappe le plus lorsqu’on ressort de l’étagère le premier album des Stones paru en 1964, England’s Newest Hitmakers. Charlie est partout, et même mieux que partout : il pulse, notamment dans «Carol» qu’il bat à la diable. Ce n’est pas un batteur qu’on entend, mais une machine de takatak. Leur «Route 66» est incroyablement bien emmené, on peut même parler de proto-punk. Voilà une occasion en or de saluer le génie de Brian Jones, composante punk des Stones. L’«I’m A King Bee» qui ouvre le bal de la B est sans doute le cut qui situe le mieux Brian Jones dans les Stones : heavy groove et glissé de note dans l’alternance du va et vient, et bien sûr, Jag pose bien son King bee baby. Personne ne peut battre les Stones à ce petit jeu. Ils traînent aussi leur «Little By Little» dans la boue, ils font littéralement du heavy punk avec un beau départ en solo d’épate latérale. Avec «Can I Get A Witness», les Stones semblent nous dire : «Bienvenue dans le swinging London motownisé !». Charlie fait une fois de plus tout le boulot, il bat ça tout droit avec un épouvantable gusto. Ils terminent avec un autre chef-d’œuvre proto-punk, l’infernal «Walking The Dog» de Rufus, c’est du punk in the flesh, avec des coups de sifflet, numéro complet avec l’I’ll show you how to wok the dog et le killer solo flash on the run. Fa-bu-leux, complètement saqué du shook et le beat de Charlie sonne comme des clap-hands.

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    La même année paraît 12 x 5, un album un peu raté car la moitié des cuts sont mous du genou. Dommage car la pochette est magnifique. On ne voit que Brian Jones dans le coin de droite. Ils ouvrent le bal avec la meilleure version d’«Around & Around» jamais enregistrée. Charlie la swingue à la perfe et les guitares se fondent bien dans l’overwhelming. Avec son tapatap, Charlie n’en finit plus de ramener du jus au jeu. On tombe plus loin sur l’«Empty Heart» qui fit bondir Roky Erickson. Il se peut que tout le son du 13th Floor vienne de là, de cette ferveur cathartique d’harmo et de guitare. Ils rockent aussi le Womack d’«It’s All Over Now» avec toute leur niaque de punksters et glissent dans la course un killer solo flash d’antho à Toto. Quelle section rythmique ! Charlie sauve la B avec «Grown Up Wrong» : il joue ça tout droit avec un petit takaktak de recalage ici et là, pendant que Brian Jones le claque au bottleneck. Ils bouclent avec un «Susie Q» joué punk aux clap-hands. Les Stones comme on les aime.

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    Trois albums paraissent en 1965, à commencer par The Rolling Stones Now ! Si on voulait faire simple, on pourrait dire que c’est un album de batteur. Eh oui, il faut voir Charlie shaker le vieux hit de Solomon Burke, «Everybody Needs Somebody To Love». Il nous shake ça au tambourin de charley derrière le need you you you. Sur «You Can’t Catch Me», il fait du rockabilly. Tout repose sur l’élégance de son beat. On entend même Bill voyager dans le son, c’est dire si les autres se régalent. Et quand on tombe sur le «Down The Road Apiece» qui ouvre le bal de la B, l’évidence saute une nouvelle fois au paf : tout repose sur le swing de la section rythmique et les solos arrivent comme des bonus mirifiques. Le British beat n’est pas une vue de l’esprit. Brian Jones se tape la part du lion avec ce «Little Red Rooster» monté sur une dentelle de takatak provided by Charlie Watts. Il bat ça fin à la folie et Brian Jones joue au long cours. L’album s’achève avec «Surprise Surprise» que Charlie bat rockab avec des relances d’une incroyable finesse. Il soutient le beat avec un tambourin posé sur la charley et l’auréole d’accointances de cymbales qu’il claquouille à la volée mesurée.

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    Aux yeux des fans, Out Of Our Heads reste l’un des sommets de la Stonesy, car c’est là que se nichent ces coups de génie inexorables que sont «The Last Time» et «Satisfaction». Ils enregistrent ces deux hits à Hollywood et sont au sommet de leur art. Charlie sort un beat infernal sur «The Last Time» et il ramène du jus d’entrée de jeu dans «Satisfaction», qui reste l’hymne de l’éternelle adolescence. La messe est dite depuis 1965. Charlie amène aussi «The Under Assistant West Coast Promotion Man» d’un simple roulement. Belle leçon de swing. Mais le reste de l’album n’est pas aussi convaincu : ils tapent dans Sam Cooke avec «Good Times», dans Solomon avec «Cry To Me» et dans Marvin avec «Hitch Hike». Ils sont complètement fous ! Par contre leur version du «Mercy Mercy» de Don Covay enregistrée à Chicago est bien envenimée.

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    Le troisième album enregistré en 1965 s’appelle December’s Children (And Everybody’s). Il laisse un goût amer car on s’y ennuie au peu, malgré les clins d’yeux à Muddy Waters, à Arthur Alexander et à Hank Snow. L’hommage rendu au vieux délinquant de Saint-Louis avec «Talkin’ Bout You» sauve l’A, car elle est heavily insidieuse. Et «Get Off My Cloud» sauve la B. On a là l’un des emblèmes du swinging London. Pas de plus beaux accords de guitare, pas de plus belle profusion de chant, de clap-hands, de Charlie et de Brian. Edison a bien raison d’écouter les takatak de Charlie : c’est de l’art moderne.

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    En fait, les Stones auront un mal fou à égaler la splendeur punkoïde de leur premier album. Ils auront enregistré cinq albums en deux ans et c’est semble-t-il avec le sixième, Aftermath, que Brian Jones atteint son apogée. Charlie bat «Stupid Girl» sec et net et il donne toute sa mesure avec «Under My Thumb» : il envoie son takatak secouer le doh doh doh de Bill. Si la Stonesy est une science, en voilà l’équation de base : Charlie + Bill = la Stonesy. La perfection du son s’accompagne d’une progression du groove, avec un plus un mélange insolent de marimba et de fuzz, c’est-à-dire Brian + Keef. C’est plombé du beat, down to me. Si Aftermath reste l’album le plus discret des Stones, c’est à cause de «Goin’ Home», véritable apanage du groove de Stonesy. Ils jouent véritablement à l’apogée d’un style. L’autre sommet de l’album est le «Flight Five O Five» qui ouvre le bal de la B, l’un des cuts les plus punky des Stones - Get me on the flight five o five - Jag s’y fracasse la part du lion. Il faut noter l’extraordinaire qualité de la prod hollywoodienne de Dave Hassinger. On note aussi une belle fuzz noyée dans le son d’«It’s Not Easy» et le génie marimbique de Brian Jones dans «Out Of Time».

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    Brian Jones vole encore la vedette sur la pochette de Got Live If You Want It paru aussi en 1966. Cet album live propose une belle collection d’énormités, à commencer par «Under My Thumb» que Charlie s’empresse de basher aux cymbales. Bill rôde divinement dans le son. The bass on the beat ! C’est le son de la sauvagerie. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Bill dévore ensuite «Get Off Of My Cloud», l’hymne des sixties par excellence. Il faudrait que quelqu’un se dévoue pour écrire un book sur Bill. La section rythmique fait encore des ravages dans «Not Fade Away» : carrée et sauvage, pleine de jus, le modèle absolu. En B, ils cassent la baraque avec l’enchaînement fatal de «The Last Time» et «19th Nervous Breakdown». Toute l’énergie vient du team Charlie/Bill et le riff vient incendier la plaine. Il faut voir Charlie entrer dans le beat du Nervous Breakdown ! Here it comes ! C’est là très précisément qu’on entre en religion. Arrive plus loin l’un des plus beaux hits des Stones, «Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow». Quelle purée royale ! Charlie bat le beurre des dieux. C’est joué aux chimes de guitare et battu à la diaboulette. À cet instant précis, les Stones sont le plus grand groupe de rock du monde.

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    Malgré sa pochette qui compte parmi les plus réussies de l’époque, Between The Buttons n’est pas l’album culte qu’on voudrait qu’il soit. Seuls deux cuts retiennent l’attention, «My Obsession» et «Miss Amanda Jones». Le premier est plutôt weird, monté sur un mish-mash de disto. Pour l’époque, c’est très aventureux et un brillant pianotis soutient les ooh baby du Jag. Il faut aller en B déterrer «Miss Amanda Jones», un cut qui préfigure Exile, c’est-à-dire l’esprit boogie foutraque. Les autres cuts peinent tragiquement à convaincre. Charlie et Bill devaient s’ennuyer à jouer «She Smiled Away». «Cool Calm & Collected», c’est vraiment n’importe quoi. Malgré les coups d’harmo, «Who’s Been Sleeping Here» refuse obstinément de décoller. Par contre la basse de Bill monte bien dans le mix.

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    Quand la conversation arrivait sur Their Satanic Majesties Request, on parlait d’un album raté. Les fans les plus exacerbés parlaient même de haute trahison. On en voyait se rouler par terre dans la cour du lycée, en proie à de violentes crises de dépit. C’est vrai que le son est beaucoup trop psychédélique pour les Stones. On vit des cars entiers de fans aller se plaindre au mur des lamentations. Keef parvient tout de même à caler un riff de Stonesy dans «Citadel» et Charlie réussit l’exploit de le swinguer. Il faut entendre ses relances titanesques ! Sinon, en s’ennuie pendant tout le reste de l’A, même si Brian Jones s’amuse avec son clavecin et sa flûte. En entendant ça, on criait à l’arnaque. Et tout reprenait du sens en B avec l’arrivée de «She’s A Rainbow», le hit parfait des Stones. Drumming impeccable, puissant et swingué à la fois. C’est ce qui frappe le plus dans ce hit magique : la qualité du drumming. Par contre, «Gomper» bat tous les records de nullité crasse. Cette volonté de psychedelia est une vaste fumisterie. Les Stones sauvent les meubles avec «2000 Light Years From Home» : belle entrée en matière, riff de basse et tatapoum de Charlie, back to the real deal de la Stonesy mais dans les étoiles, smooooth & soooo cool - It’s so very lovely/ 2000 light years from home.

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    L’un des sommets de la Stonesy s’appelle «Sympathy For The Devil» et se trouve sur Beggars Banquet. C’est l’histoire du man of wealth and taste. Tout repose sur le mix percus/drumbeat, la hargne de Jag, aw yeah, la bassline voyageuse et ces ooh-ooh qui vont marquer l’histoire du rock. Il ne faut pas oublier le solo exacerbé de Keef, assez novateur pour l’époque. La photo déployée dans le gatefold ténébreux illustre parfaitement ce chef-d’œuvre qu’est Sympathy. Encore de la Stonesy à son sommet avec «Parachute Woman», land on me tonite, et ces deux guitares qui se fondent dans le melting pot. Son très Chess dans l’esprit. Puis Jag chante son «Jig Saw Puzzle» au nez pincé à la Dylan, même esprit qu’«All Along The Watchtower», oh the singer he looks so angry. Charlie se tape un coup de génie en B avec «Street Fighting Man». Son tap tap déclenche la furia del sol. Le cut est gorgé de son, de descentes de basse, de rumeurs de sitar. Les Stones remontent à leur apogée. C’est aussi là qu’on trouve la vraie version du «Stray Cat Blues», bien vitriolée aux guitares, rien à voir avec la version à la mormoille que va jouer Mick Taylor par la suite. Et Brian Jones sort son dulcimer pour «Factory Girl».

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    La deuxième moitié de l’apogée du règne des Stones s’appelle Let It Bleed. Trois coups de génie s’y nichent, à commencer par «Gimme Shelter», if I don’t get somme sheltah, et cette folle de Merry Clayton gueule tout ce qu’elle peut. Les Stones se font tout petits dans le storm de Jag et de Merry, et quand ils chantent ensemble, Charlie pointe bien le beat. C’est un cut dont on ne se lassera jamais. On peut dire la même chose de «Live With Me». Keef & Charlie, voilà le secret des Stones, avec un punk de Jag et ses water rats par dessus. Ah quelle blague ! C’est l’un des pires coups fourrés jamais imaginés. On y entend même un solo de sax, alors t’as qu’à voir ! C’est «Monkey Man» qui illumine la B. Encore un coup du punk Jag, qui aménage une petite accalmie avant la tempête et le freakout savamment orchestré. On a toujours eu un petit faible pour le cut d’adieu, «You Can’t Always Get What You Want». Tout y est : les coups d’acou, les congas de Congo Square, le gospel batch, les pianotis et l’extrême richesse de la musicalité. On y voit le Jag jeter tous ses try sometimes dans la balance, et puis on a aussi les prescriptions filled et les gimmicks de relances très Southern, et bien sûr Mister Jimi. Sans oublier la montée au ciel du gospel batch et le basculement dans l’éternité, avec un décalage du beat imaginé par Charlie Watts. On croise peu de cuts aussi spectaculairement parfaits.

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    À ce stade des opérations, il est bon de remettre le nez dans le Mojo Interview qu’accorda Charlie en 2015. Mark Paytress y cite Keef : «No Charlie, no Stones.» Un Keef qui rappelle aussi que Charlie était un batteur de jazz peu concerné par la révolution culturelle à laquelle il participait. Charlie aime à rappeler qu’il préférait Charlie Parker à tout le reste, y compris Jimi Hendrix. Il rend aussi hommage à Ginger Baker - He’s a white African - et donc à Phil Seamen, le mentor de Ginger. Charlie se souvient aussi de sa première révélation : Chico Hamilton - You must remember, jazz was very big in those days - Et Charlie cite des noms de jazzmen anglais que personne ne connaît, sauf les spécialistes : Eddie taylor, Brian Broklehurst, John Picard, Danny Moos, people nobody knows now. Puis Charlie remonte dans le temps jusqu’à Fred Below, chez Chess, et DJ Fontana chez Sun - Il ne joue pas comme jouent les batteurs aujourd’hui, he plays shuffle, swing. he’s playing country and western like a big band drummer, a 4/4 swing time swing - Il en arrive fatalement aux Stones et rappelle qu’il suivait Keef - Keef is the rythm and I would follow him. It’s very much a Chuck Berry type mentality - Il a aussi un regard très clair sur le succès des Stones aux États-Unis : à la différence des Beatles qui ramenaient leurs chanson, les Stones se basaient sur des reprises américaines et forcément ça étonne Charlie qu’ils aient pu avoir autant de succès auprès des kids américains - These white kids actually bought it. Amazing ! - Et il ajoute : «On jouait du Jimmy Reed dans des dance shows, ce qui est plutôt ridicule, quand on y pense. Mais les kids aimaient ça. On jouait à Chicago et si tu descendais un peu plus bas dans la rue jusqu’à Smitty’s Corner, tu pouvais voir the real thing. Mais ils n’allaient pas chez Smitty’s.»

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    En 1970, il a fallu se débrouiller avec un seul album des Stones, ce Get Yer Ya-Ya’s Out qu’on a beaucoup trop écouté. Mick Taylor n’y amène rien. Que dalle. À la limite, on préfère le «Jumping Jack Flash» des Groovies. Si on écoute «Midnight Rambler», c’est uniquement pour Charlie. Pareil pour le Sympathy qui ouvre le bal de la B : tout le jus vient du battage en règle de Charlie. Ça ne tient que par lui. Mick Taylor en fait trop. Très belle version de «Little Queenie», aw took a look at cha, c’est l’un des sommets du boogie boogah, bien allumé au coin du bois. On les voit ensuite ramener toute la musicalité du rock dans «Street Fighting Man». Les descentes de guitares croisent l’impeccabilité du drive de basse, ça claironne très haut dans le ciel du Madison, les Stones jouent à la clameur and Charlie is good tonite, hesn’t he ?

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    Sticky Fingers est un album à double tranchant. Impossible de s’habituer au son de Mick Taylor. Son solo dans «Sway», ce n’est plus de la Stonesy. Par contre, «Can’t You Hear Me Knocking», si, c’est la Stonesy comme on l’aime, avec une basse bien ronde dans le son et un Jag bien punk au chant - Help me baby/ Ain’t no stranger - Voilà la Stonesy mal peignée, percutée de la culasse, impavide et Bobby Keys rive le clou du cut avec son shoot de sax. Mais ce fut peut-être un peu trop groovy pour les fans des Stones à l’époque. En B, Charlie fait un carton avec «Bitch» et c’est là qu’on entend le fameux my heart’s beating louder than a big bass drum.

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    Il faut bien dire qu’Exile On Main St sent le remplissage. L’album qui est double ne tient que par la présence de deux merveilles, «Rocks Off» et «Happy». Charlie bat sec l’up-tempo de «Rocks Off» et Keef chante son «Happy» d’une belle voix de fausset. Le voilà à son plus frénétique. Fabuleux travail de riffing. Mais pour le reste, c’est compliqué. On les voit tenter le diable avec «Rip This Joint», jolie tentative de jump cuivré de frais et joué à la stand-up. C’est Charlie qui rafle la mise avec un jive de jump. «Casino Boogie» est l’archétype de la Stonesy qui ne sert à rien. Avec «Tumbling Dice», les Stones inventent les Black Crowes. C’est là que Chris Robinson et les autres vont venir s’abreuver. Il faut dire que la musicalité de Dice est un modèle éternel. La B est la face la plus faible d’Exile. Tous les cuts sont mous du genou et privé d’éclat, comme d’autres sont privés de dessert. Zéro idée aussi en C, à part «Happy». C’est le problème global d’Exile. Pas d’idées. Cet album est infesté de filler. Pas de quoi faire un plat non plus avec la D. Ils recyclent le riff de «Monkey Man» pour essayer de sauver «Soul Survivor», mais on ne l’écoute même pas.

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    Tous les fans des Stones se sont arrêtés à l’époque avec Goats Head Soup. Le vieux groove de «Dancing With Mister D» rendait l’album tolérable. On éprouvait une immense pitié pour les Stones qu’on sentait en panne d’inspiration. On écoute ce Dancing en sachant bien qu’il ne s’y passera rien de plus que ce qui s’y passe déjà. Exile nous a heureusement habitué aux faces pitoyables, et donc l’A ne choque pas plus que ça. «Doo Doo Doo Doo (Heatbreaker)» se noie dans cette A pitoyable, presque sauvé par des chœurs déshinibés et des nappes de cuivres. On retrouve deux shoots de Stonesy en B, «Silver Train» et «Star Star». Chaque fois, le Silver Train rejaillit du passé. C’est le cut oublié par excellence. Johnny Winter en fit une reprise superbe. «Star Star» est typiquement le genre de cut qu’on attend d’eux : voilà de la Stonesy pure et dure, fuck a star ! Quatre bons titres sur un album, ce n’est pourtant pas si mal. Le problème est qu’à cette époque, on attendait encore des miracles des Stones.

    Dans le Mojo Interview, Charlie rappelle à quel point il a détesté le succès - Je n’ai jamais aimé ça. Oh, j’adorais jouer dans un groupe qui marchait bien, et j’adorais la scène. Mais une fois le rideau tombé, laisse tomber. Je détestais ça - Comme il détestait le flower power.

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    On a tout de suite détesté la pochette d’It’s Only Rock’n’Roll, même si Guy Peellaert la signe. Pochette trop arty pour les Stones ? Allez savoir ! C’est là sur cet album paru en 1974 qu’on trouve le «Luxury» que reprenait Jesse Hector. Joli coup de working so hard to keep in your luxury, monté sur le riff de Keef. Sinon, l’album propose un joli tas de Stonesy bien pépère, du style «If You Can’t Rock Me» ou «Short And Curlies», et même des cuts qui ne servent à rien comme «Ain’t Too Proud To Beg» ou le morceau titre. Voilà où mène la célébrité. On voit même Mick Taylor faire son Santana sur «Time Waits For No One», un cut qui étrangement se laisse écouter. Ils finissent cet album mi-figue mi-raisin avec une belle tentative de retour aux affaires, «Fingerprint File». Ces vieux démons de Jag & Keef savent encore touiller un dirty bag.

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    Paru en 1976, Black And Blue est peut-être l’album des Stones le plus détesté et donc le moins connu, sans doute à cause de ce «Hot Stuff» qu’on entendait partout à la radio et qui était leur vision du funk blanc. C’est vrai que l’A est catastrophique. Ils se prennent pour Peter Tosh avec un «Cherry O Baby» inepte et pour Rickie Lee Jones en B avec un «Melody» encore plus inepte. Et pire encore, pour Roy Orbison avec «Feel To Cry». Alors que fait Charlie ? Il frappe «Hey Negrita» sec et net. Keef sauve l’album avec «Crazy Mama» et son phrasé distinctif. On y admire une fois encore la cohésion du son. Les Stones, ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité, l’un des symboles du British sound. Keef est un guitariste qui joue avec une précision exceptionnelle, son petit riff est une véritable merveille d’intentionnalité. C’est aussi sur Black And Blue que Ron Wood fait son entrée dans les Stones. Il joue sur quelques cuts et figure au dos de la pochette.

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    Le Love You Live paru en 1977 est un document intéressant, quasi ethnologique. Keef y sort une fantastique version de «Happy» qui justifie à elle seule l’écoute de ce double album. C’est un peu comme si tout le dandysme des Stones s’y incarnait. Tout ce qu’on peut aimer dans le rock anglais est là, dans cette version embarquée au heavy beat de Charlie. Et curieusement, le «Hot Stuff» qu’on y trouve est bien meilleur que la version studio de l’album précédent. En B, Keef chante son vieux «Tumbling Dice» à la force du poignet et Woody se fend d’un beau solo entreprenant dans «You Can’t Always Get What You Want», mais quand même, il vaut mieux écouter la version studio pour récupérer le gospel batch. Les Stones rendent hommage aux blackos avec la C : du blues avec «Mannish Boy» et «Little Red Rooster» et du Chuck avec «Around & Around». Ils terminent avec le bouquet fatal «Brown Sugar»/Jumpin’/Sympathy. C’est vrai qu’avec ça, ils sont dans l’universalisme. Voilà trois hits puissants qui ont façonné leur époque. Le Sympathy est assez long mais ultra joué. On en a pour son argent. Les Stones ont des hits, ils s’amusent bien et ils ont raison.

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    Tiens, voilà l’album du grand retour : Some Girls. En 1978, tout le monde croyait les Stones finis. Les Stones ? Ces vieux has-been ? Ha ha ha ha ! C’est vrai qu’ils commencent l’album en se prenant les pieds dans le tapis avec «Miss You». Sacrilège ! De la diskö ! Mais aussitôt après, Jag fait claquer le fouet de «When The Whip Comes Down». Cut sans peur et sans reproche. Et puis de fil en aiguille, ce bal d’A va nous réconcilier avec les Stones. Si on en pince pour la Stonesy, c’est même l’album idéal. On retrouve le joli mingling de guitares dans «Just My Imagination». Serait-ce le retour de the Ancient Art of Weaving dont parle Mike Edison ? Le morceau titre est lui aussi très bardé de son. Les deux guitares jouent le jeu de la musicalité à gogo. Il semble que les Stones se réinventent avec ce retour aux sources, dans l’insatiabilité de l’Ancient Art of Weaving. Encore trois belles surprises en B, à commencer par un «Respectable» gorgé de guitares et des meilleures. Charlie mène la danse à la force de son énergie. C’est Keef qui chante «Before They Make Me Run», avec son accent biaisé et les guitares en biseau derrière. Fantastique allure de bastringue ! Il relance inlassablement son relentless, penché en avant, comme s’il chantait par en-dessous. Woody passe à la basse pour un «Shattered» tapé à l’insidieuse. Voilà ce qu’on appelle une vraie fin de non-recevoir.

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    Puisque Some Girls marque le retour à la confiance, alors on peut s’octroyer une écoute d’Emotional Rescue. Force est de constater que les Stones des années 80 savent encore se montrer impressionnants. Il se peut que Woody ait amené du sang neuf. C’est Charlie qui tire l’épingle du jeu en B avec son numéro de drummer dans «When The Boys Go». Il bat ça sec et en force. Il vaut largement tous les batteurs du punk anglais, il pulse à merveille. Les chœurs de filles participent aussi à la grandeur des Stones. Le hit de l’album s’appelle «Let Me Go». Merveilleux shoot de Stonesy - I tried giving you the velvet gloves/ I tried giving you the knock-out punch - Keef joint ses chœurs de fausset à ceux du Jag. On note que Bill est toujours là et on l’entend bien mener la danse de «Dance», alors que Charlie joue au fouetté de peau des fesses avec un tact qui encore une fois en bouche un coin. C’est un plaisir que d’écouter ça, rien que pour le fouetté de Charlie. Cet album ne laisse pas indifférent, on s’effare assez rapidement du son, notamment dans «Summer Romance». Le son est plein comme un œuf. Ils jouent leur vieille carlingue de Stonesy en fer blanc et Charlie bat ça comme s’il avait vingt ans. C’est aussi sur cet album que se niche l’infâme putasserie qui donne son titre à l’album et Keef vole au secours des fans avec «All About You». Il est faux dès qu’il monte son ouuhhh, mais c’est ce qui fait le charme discret de sa bourgeoisie.

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    Attention, le Tattoo You date de 1981, donc il ne date pas d’hier. Ce Tattoo-là est un faux album puisque les Stones y proposent les restes de sessions précédentes, comme par exemple ce «Slave» qui date des sessions de Black And Blue. On peut donc parler d’un cut sauvé des eaux. Il y a du son, quoi qu’on puisse dire des Stones d’après les Stones. C’est même assez balèze, avec ces coups de sax et ces chœurs de rêve - Don’t wanna be your slave - Mais si on écoute tous les tardifs des Stones, ce n’est pas seulement à cause du big book de Sharky, c’est aussi pour Keef, et là, il nous ressort un «Little T&A» qui date des sessions d’Emotional Rescue. Il faut le voir lancer ses She’s my little rock’n’roll. Il n’y a que lui qui puisse réussir ce sortilège. Il lance des yah keefy, il niaque son chant avec génie et derrière le son fonce comme une diligence. Puissant Keef ! Rescapé des sessions de Some Girls, voici «Black Limousine» que Jag chante comme un punk. Les Stones renouent avec le pâté de boogie. L’autre merveille de ce ramassis de rescapés est «Waiting On A Friend» qui date du temps de Goat Heads Soup. Voilà les Stones dans une espèce de pop-rock à parfum paradisiaque, ambiance Southern, good time music de rêve, pur moment de magie. Sonny Rollins blows the sax et Nicky Hopkins égrène ses rivières de diamant. C’est le cut parfait, avec des accents dylanesques et sa musicalité maximaliste. C’est aussi sur cet album qu’on trouve le heavy keefy «Start Me Up» que Charlie bat à la bravado. Comme si les Stones montraient qu’ils voulaient encore frapper un coup. Et quel coup ! Ce sont les vieux Stones, mais God, comme ils savent tenir un beat. C’est dirons-nous leur façon de chasser le doute parmi les fidèles de la vieille paroisse. Quant au reste, on peut le foutre à la poubelle. Ce sale petit voyou de Jag ruine pas mal d’efforts.

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    Malgré sa pochette d’une incroyable vulgarité, Undercover est un bel album de Stonesy. On note la frappe sèche et déterminée de Charlie dans «She Was Hot» et «Tie You Up» sonne comme un vieux rockalama net et sans bavures. Keef monte aux chœurs sur les ponts, et comme c’est chanté à la ramasse, ça redevient du grand art. «Wanna Hold You» est le cut de Keef. Il adore chanter ses cuts de Keef. C’est dingue comme il sait faire la différence. Charlie veille au bon grain de l’ivraie, car il cavale bien le beat. On trouve aussi des cuts de diskö-funk bizarres sur l’album («Undercover Of The Night» et «Too Much Blood») et les Stones retrouvent leur éclat avec «Too Tough», un cut qui repose une fois de plus sur le beat de Charlie. Bon d’accord, Jag chante et Keef ramène du riff de fer blanc, mais la classe du cut vient du beat. Curieusement, «All The Way Down» est encore un énorme cut de Stonesy chanté à pleine gueule. Ils continuent de produire cet excellent mix de riffs, de beat et de voix. Ils n’ont rien perdu de leur superbe.

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    Pochette années 80 pour Dirty Work avec des Stones déguisés en coiffeurs. L’époque veut ça. Il semblerait que ce soit l’album de Charlie car le beat est monté au devant du mix. Du coup, «Fight» devient un cut de batteur. Et comme le montre «Hold Back», Charlie n’a jamais battu aussi sec. Il joue dans la devanture du mix et ça donne du jus à ces cuts qui n’ont pas de cou. Et comme le dit si justement Edison, «Had It With You», c’est le son de Jag et de Keef qui se battent. C’est gratté à l’os et l’harmo ramène les Stones aux sources. Le cut de Keef s’appelle «Sleep Tonight». Au fond, Keef est un vieux requin mélancolique.

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    On trouve une belle énormité sur Steel Wheels : «Hold On To Your Hat». Les Stones sont encore capables de beaux blasts, il faut s’en féliciter. Keef introduit «Sad Sad Sad» au riff vainqueur et Charlie le bat à la dure. Voilà encore un cut de batteur avec un fort relent de Stonesy. La prod est une merveille absolue. Keef doit aimer le hard funk car voilà qu’arrive «Terrifying». Comme il a des idées de riffs en tête, il faut que ça sorte. Le «Rock And A Hard Place» qui ouvre le bal de la B est plus classique. On entend les Stones de l’époque. Charlie y bat un big break de bass drum. Edison a raison d’insister sur l’importance de Charlie Watts. Pas de Stonesy possible sans cette force de frappe. Et puis voilà le cut de Keef, «Can’t Be Seen». Quand il prend le micro, on sent nettement la différence. Il chante à perdre haleine, embarqué une fois encore ventre à terre par le beat cavaleur de son poto Charlie.

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    Énorme album que ce Voodoo Lounge paru en 1994. Inespéré ! Charlie casse la baraque avec «You Got Me Rocking». Charlie on the beat, yeah ! Si les Stones, n’ont pas le heavy drum beat de Charlie, ils n’ont rien. Charlie bat comme un galérien. C’est une leçon dont l’histoire se souviendra. Il fait encore des siennes dans «Sparks Will Fly». Une bombe. Tout le chant de Jag repose sur Charlie. C’est bardé de son, avec Darryl Jones on bass. Terrific ! Charlie réveille encore les bas instincts dans «Moon Is Up». Il bat tout ce qu’il peut battre. Alors Jag peut faire son cirque. C’est soutenu au concert d’orgue cajun. Encore une fois, tout repose sur les épaules de Charlie et les autres ramènent du gratté de poux sur leurs guitares. Résultat plutôt fascinant. On entend Keef charger la chaudière d’«I Go Wild». C’est le cut révélatoire de l’album, rien d’aussi explosif. Et les keefy cuts ? On en trouve deux, ici, «Thru & Thru» et «The Worst». Keef ne chante pas très bien son Thru, mais c’est Keef, il est encore capable de coups de Jarnac, d’autant qu’il part en sucette à la fin du cut. Beautiful Keef !

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    Avec Stripped, les Stones radotent leurs vieux tubes. Charlie bat «Street Fighting Man» comme plâtre, mais on perd toute la magie de la version originale. Puis ils flinguent «Like A Rolling Stone», «Not Fade Away» et battent tous les records d’infamie avec «Shine A Light». Jag s’y prend pour un Soul Brother, c’est comme si on voyait palpiter son anus. Rien à tirer non plus de «The Spider & The Fly» et d’«Im Free». Pareil pour «Wild Horses» : allez plutôt écouter la version originale. Ici, le Jag est insupportable. En fait on ne supporte plus le vieux Jag, on ne supporte plus de le voir ruiner ces hits magiques que sont «Let It Bleed» et «Dead Flowers». Keef sauve le set avec «Slipping Away».

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    Heureusement, Bridges To Babylon vole au secours des Stones. Quel album ! Démarrage en trombe avec «Flip & Switch», fracassé par Charlie le punk. Wow, on peut dire que Charlie bat ça wild. Alors Jag peut ramener sa fraise mordorée. On entend rarement des beats aussi ramassés. Tous ceux qui s’imaginent que Charlie sucre les fraises se mettent le doigt dans l’œil. Il n’a jamais aussi bien battu. C’est un batteur infernal. Il bat à la folie Méricourt. Il bat dans l’aura du no way out. Keef est juste derrière. Avec «Low Down», on sent que les Stones font l’impossible pour rester les Stones. Ils ressortent toutes leurs vieilles ficelles de caleçon, mais ça ne marche pas. «Gunface» non plus. Keef sauve les meubles avec «You Don’t Have To Hear It», un reggae de pirate, whisper in my ear, Keef nous emmène dans la cabane, il sait le faire, avec les chœurs et les cuivres. Admirable. Retour en force des Stones avec «Out Of Control» et son refrain explosif, comme à la grande époque. C’est le genre de cut qui ne prévient pas, comme un coup de boule. Retour aussi du power dans «Saint Of Me» - You’ll never make a saint of me - ce démon de Charlie bat ça wild encore une fois et Jag tire bien son épingle du jeu. Charlie bat «Might As Well Get Juiced» au hip-hop beat et on entend une belle mélasse de guitares dans le fond du beat et une fois encore, Jag se prend pour le diable. Belle démonstration de heavyness. Encore un cut de batteur avec «Too Tight», violente décharge de Stonesy, Charlie tend le beat. Puis Keef se tape la part du lion avec «Thief In The Night» et «How Can I Stop». Magie pure, on est bien obligé de l’avouer.

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    Faut-il écouter A Bigger Bang ? Oui, mille fois oui, ne serait-ce que pour «This Place Is Empty», cut de Keef, c’mon baby. Il est effarant de classe. Il chante sa vieille rengaine aux dents branlantes de junkie dude. Du coup, les Stones reprennent du sens, loin des putasseries de Jag. Keef et Charlie veillent au grain. Et puis on voit aussi les Stones devenir fous avec «Rough Justice». Surtout Keef et Charlie. C’est une horreur, une cavalcade infernale, une Stonesy punkoïde qui t’embarque pour Cythère, un ouragan raseur de mottes, ça déloge les bunkers, ça siphonne Tournesol, Charlie frappe comme un frappadingue. Précision capitale : Don Was produit l’album, d’où le son. «It Won’t Take Long» n’est pas de la Stonesy, mais du big heavy sound. Ça reste une aventure de rock électrique intéressante. Il faut dire aussi qu’on croise pas mal de cuts qui ne servent à rien. Il faut attendre «Oh No Not You Again» pour retrouver la terre ferme et la grosse riffalama. C’est assez violent, on assiste à un beau développé de Stonesy et c’est à Charlie que revient l’honneur de finir en beauté avec «Look What The Cat Dragged On». Charlie power ! Imbattable.

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    Le dernier album des Stones paraît en 2016 et s’appelle Blue & Lonesome. C’est un album conçu en hommage au blues et ils tentent de renouer avec le son de leurs premiers albums, mais sans Brian Jones, ce qui est une grave erreur. Sans Brian Jones, les Stones ne sont pas très doués pour le blues. Les problèmes commencent avec le «Just A Fool» de Little Walter. Jag y sonne comme une vieille tante de la Nouvelle Orleans. Derrière ça joue et ça bat sec et net. Quoi qu’on en pense, il faut avoir écouté ça. Et pas sur un smartphone. Il faut un minimum de son pour se faire une idée. Avec «Commit A Crime», Jag se prend pour Wolf, donc ça pose un problème. Ça ne marche pas, malgré tout l’harmo du monde. On les voit jouer aussi le morceau titre à l’extrême sincérité, mais justement, c’est là où le bât blesse : trop de sincérité tue la sincérité. Jag tente de faire illusion avec l’antique «All Of Your Love» de Magic Sam, mais encore une fois, on décroche. Il faut attendre «I Gotta Go» pour voir les Stones s’aligner sur la folie de Little Walter. Saluons leur courage. C’est gonflé de leur part. Charlie stompe le beat et sauve les Stones du naufrage. Et comme on le voit avec le heavy blues d’«Everybody Knows About My Good Thing», Keef ne fait jamais n’importe quoi. Même s’il choisit Johnnie Taylor, les Stones manquent de crédibilité sur ce coup-là. N’est pas Stax qui veut. Et si c’est Keef qui le prend au chant, on l’accepte, mais jamais Jag. No way. Retour à Little Walter avec «Hate To See You Go» tapé au heavy beat de garage blues. C’est bardé de son et d’énergie, c’mon baby/ baby please don’t go - Ils noient ensuite «Hoodoo Blues» d’harmo, et Jag chante comme à l’aube des Stones. Alors forcément, ça pince le cœur. D’autant que les Stones rendent un bel hommage au génie de Lightning Slim.

    Au moment de l’interview, Charlie a 73 balais. Il pense pouvoir jouer avec le Stones jusqu’à 85 ans - C’est facile, tu t’arranges pour que le public soit heureux à la fin de la soirée - L’interview a lieu au moment où les Stones prévoient de partir en tournée pour jouer Sticky Fingers. Mais sans Mick Taylor. En même temps, Charlie avoue qu’il en a un peu marre des tournées - I want to do other than sit in a hotel in Ohio. Je veux dire que j’ai fait ça toute ma vie. Si Keef était là, il dirait : ‘Que veux-tu faire d’autre ?’ - Charlie reconnaît pour finir que les Stones sont plutôt bien conservés. Paytress lui fait d’ailleurs remarquer qu’il a toujours ses cheveux. We’ve kept a lot of it together, lui répond Charlie, surtout Mick. Mais aussi Roger Daltrey, et Ringo. Il rappelle ensuite que passé les 40 ou 50 ans, il y a des choses à faire pour pouvoir encore durer 20 ans. Paytress demande quelles choses et Charlie lui répond faire de l’exercice. Mais pas trop. Il dit détester les muscles. «Si tu as des muscles, tu ne peux plus porter un costume.» Alors Paytress lui rappelle que Ginger avait fait du vélo de course. Charlie conclut là-dessus : comme Keef, Ginger était une force de la nature. Ginger n’avait pas l’air bien ces derniers temps, mais il jouait encore comme un démon après avoir mené la vie qu’il a mené. Now that’s amazing.

    Signé : Cazengler Charlie Ouaf (va chercher la baballe)

    Rolling Stones. England’s Newest Hitmakers. London Records 1964

    Rolling Stones. 12 x 5. London Records 1964

    Rolling Stones. The Rolling Stones Now ! London Records 1965

    Rolling Stones. Out Of Our Heads. London Records 1965

    Rolling Stones. December’s Children. London Records 1965

    Rolling Stones. Aftermath. London Records 1966

    Rolling Stones. Got Live If You Want It. London Records 1966

    Rolling Stones. Between The Buttons. Decca Records 1967

    Rolling Stones. Their Satanic Majesties Request. Decca Records 1967

    Rolling Stones. Beggars Banquet. Decca Records 1968

    Rolling Stones. Let It Bleed. Decca Records 1969

    Rolling Stones. Get Yer Ya-Ya’s Out. Decca Records 1970

    Rolling Stones. Sticky Fingers. Rolling Stones Records 1971

    Rolling Stones. Exile On Main St. Rolling Stones Records 1972

    Rolling Stones. Goats Head Soup. Rolling Stones Records 1973

    Rolling Stones. It’s Only Rock’n’Roll. Rolling Stones Records 1974

    Rolling Stones. Black And Blue. Rolling Stones Records 1976

    Rolling Stones. Love You Live. Rolling Stones Records 1977

    Rolling Stones. Some Girls. Rolling Stones Records 1978

    Rolling Stones. Emotional Rescue. Rolling Stones Records 1980

    Rolling Stones. Tattoo You. Rolling Stones Records 1982

    Rolling Stones. Undercover. Rolling Stones Records 1983

    Rolling Stones. Dirty Work. Rolling Stones Records 1986

    Rolling Stones. Steel Wheels. Rolling Stones Records 1989

    Rolling Stones. Voodoo Lounge. Virgin Records 1994

    Rolling Stones. Stripped. Virgin Records 1995

    Rolling Stones. Bridges To Babylon. Virgin Records 1997

    Rolling Stones. A Bigger Bang. Virgin Records 2005

    Rolling Stones. Blue & Lonesome. Polydor 2016

    Mark Paytress. The Mojo interview : Charlie Watts. Mojo # 261 - August 2015

     

    Down in New Orleans

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    Avec Stuart Baker (New Orleans Funk/Soul Jazz), l’autre grand spécialiste du New Orleans Sound s’appelle John Broven. Rhythm And Blues In New Orleans est très certainement l’ouvrage de référence en la matière. Comme le dit si bien Charles Aznavour, ils sont venus, ils sont tous là. Broven brosse dans son livre le portrait de chacun des acteurs d’une scène incroyablement riche, à commencer bien sûr par Cosimo Matassa, le Sam Phillips local, auquel Fatsy, Little Richard, Lloyd Price et tant d’autres doivent tout. Passionné de son, ce petit épicier italien développa ce que Mac Rebennack appelle the Cosimo sound - strong drums, heavy bass, light piano, heavy guitar, light horn and strong vocal lead (gros son de batterie, de basse et de guitare, piano et cuivres légers et chant puissant) - Alors bien sûr, vous allez dire que c’est facile pour lui quand on a des mecs aussi brillants que Fatsy et Little Richard dans le studio, mais non, pas du tout, il faut raisonner à l’inverse, c’est parce que ces mecs sont brillants qu’il faut se montrer à la hauteur. Mac ajoute que Cosimo demandait au guitariste de doubler la bassline et aux cuivres de la renforcer. Mais ce n’est pas tout. Cosimo : «The New Orleans Sound wasn’t only based on horns and rhythm. There’s a kind of attitude to lyrics too.» (Le son New Orleans n’est pas seulement basé sur les cuivres et la rythmique. Les textes jouent aussi un rôle capital). Il cite l’exemple des Cajun guys de la Louisiane du Sud qui avaient la même kind of attitude to lyrics, oui des mecs qui savaient soigner leurs textes. D’ailleurs Huey P. Meaux travailla énormément avec Cosimo. Notons qu’en 1956, Cosimo avait déjà enregistré «Lawdy Miss Clawdy», «Tutti Frutti» et «Ain’t That A Shame». Pas mal pour un petit épicier rital, non ?

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    Red Tyler parle du studio de Cosimo comme d’un endroit très primitif - Si tu vas y jouer en été, tu vas avoir de sacrés problèmes, car il n’y a pas d’air conditionné - et Bert Frilot qui travailla pour Cosimo de 1961 à 1964 ajoute : «Anytime we had a recording session, that morning we’d call the French Market Ice Company and we would order two tons of crushed ice.» (Chaque fois qu’on allait enregistrer, on appelait la French Market Ice Company pour se faire livrer deux tonnes de glace pilée). Le nom de Cosimo restera donc attaché à des anecdotes aussi poilantes que celle des deux tonnes de glace pilée. Par contre, l’aspect business est beaucoup moins drôle. Le pauvre Cosimo tenta l’aventure en montant Dover Records. Il croyait réussir là où Harold Battiste avait échoué avec A.F.O. Records, mais il allait y laisser toutes ses plumes. Les sous rentraient moins vite qu’ils ne sortaient - I didn’t know anything about the record business - Pourtant il avait des hits («Tell It Like It Is» d’Aaron Neville ou encore «Barefootin’» de Robert Parker), mais ça ne suffisait pas. Les distributeurs jouaient sur les délais de paiement et Cosimo fut confronté au même problème qu’Uncle Sam à Memphis : plus de tréso. Le pauvre Cosimo n’avait pas d’Elvis à vendre pour se remettre à flot et il perdit tout ce qu’il possédait, y compris l’épicerie.

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    C’est Roy Brown qu’on voit en couverture de l’ouvrage de John Broven. Pour le situer, Broven dit qu’il fut le premier chanteur de Soul et que ses héritiers sont les géants du popular urban-blues, B.B. King, Bobby Blue Bland et Little Milton, auxquels il faut ajouter the early rhythm and blues output de Little Richard, de Clyde McPhatter et de Jackie Wilson. Avec «Good Rockin’ Tonight», Roy Brown started it all in New Orleans : enregistré en 1947 chez Cosimo, soit quatre ans avant que Jackie Brenston et Ike Turner n’enregistrent «Rocket 88» chez Uncle Sam à Memphis, un Rocket qu’on considère à tort comme le first rock’n’roll record. Mais dans les deux cas, on se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude : la première à hot-rocker dans ses godasses fut Sister Rosetta Tharpe en 1944 avec «Strange Things Happening Every Day». Elle y passait un petit solo hardi qui fit bander plus d’un guitariste.

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    New Orleans devient vite le nouvel El Dorado et le premier à en profiter, c’est Lew Chudd, le boss d’Imperial Records, label indépendant californien. C’est avec Chudd que commence la merveilleuse aventure de Fatsy, l’un des artistes les plus attachants et les plus brillants du XXe siècle. Cosimo rappelle que Fatsy était très créatif. Il savait s’approprier un air traditionnel. Broven : «Somehow Fats was rock’n’roll’s safety valve, and all he was putting down was good-time New Orleans music.» (D’une certaine façon, Fats servait de soupape de sécurité au rock’n’roll, il proposait de la good time music de la Nouvelle Orleans). Et il ajoute : «Relaxed good humour permeated his records and everything was simple and danceable.» Oui Broven a raison, sa musique respirait la joie et la bonne humeur et tout le monde dansait. Fatsy était aussi très populaire chez les Cajuns. Earl King se souvient d’avoir vu dans le bayou des juke-box bourrés de singles du grand Fats Domino. Parmi les gens qui doivent tout à Fatsy, on trouve bien sûr Clarence Frogman Henry, Joe Barry, Warren Storm, Chubby Checker, Bobby Darin et Little Milton à ses débuts. Broven dit mieux que personne la puissance de Fatsy sur scène : «Fats drove the band from the front, with immaculate drummer Smokey Johnson by his side setting up an irresistible street beat.» (Fats jouait devant sur scène et installé à côté de lui, Smokey Johnson battait l’irrésistible street beurre). Allen Toussaint qualifiait Fatsy de master of simplicity, mais il ajoute que la racine de sa légende reposait sur the studio magic created by Fats and Dave Bartholomew, with Cosimo Matassa at the control board. Toussaint a raison d’insister sur ce point : un artiste n’est jamais seul pour créer de la magie. C’est dans tous les cas une combinaison. Ici, ils sont trois : Fatsy, Dave Batholomew ET Cosimo. Dans le cas d’Elvis, ils seront quatre pour créer la magie de «That’s All Right» en 1954 : Elvis, Scotty Moore, Bill Black ET Uncle Sam.

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    Avec Lew Chudd, l’autre grand exploitant du New Orleans Sound s’appelle Art Rupe, boss de Specialty Records, un autre label indépendant californien. Il voyait Lloyd Price comme un équivalent de Fatsy et «Lawdy Miss Clawdy» parut en 1952. Quand Lloyd Price est appelé sous les drapeaux, il ramène Little Richard chez Specialty, et du coup, il perd sa couronne. Rien ne pouvait arrêter the wild and frantic Little Richard. Tous ses hits furent enregistrés en 13 mois, de septembre 1955 à octobre 1956, chez Cosimo, on North Rampart. Selon Mac Rebennack, Little Richard avait du talent, mais il n’eut de succès que lorsque Lee Allen and Red Tyler put that sound on him and put that hard rock feel on him. C’est le New Orleans Sound that got Little Richard across, and since he’s left that sound behind, he’s never been susscessful. Little Richard devait tout, absolument tout, au barrelhouse power de New Orleans et il commit une erreur fatale en allant ensuite enregistrer ailleurs. Pas de wild and frantic Little Richard sans New Orleans Sound, sans Earl Parmer ni Lee Allen. Il arriva la même mésaventure à Guitar Slim : tant qu’il enregistrait chez Cosimo, ça restait passionnant et tout s’écroula dès qu’Art Rupe l’envoya enregistrer ailleurs - New Orleans music does not travel (c’est un son qui ne s’exporte pas) - Guitar Slim n’enregistra que quatre cuts chez Cosimo, dont le fameux «The Things That I Used To Do», lors d’une session supervisée par Jerry Wexler, pour ATCO. Mais Art Rupe voulait Slim et il l’envoya enregistrer ailleurs, ce qui ruina sa carrière. Guitar Slim mourut alcoolique à New York. Il n’avait que 33 ans. Il était pourtant devenu légendaire : quand il jouait dans un club, il lui arrivait de sortir dans la rue avec sa guitare. Il portait des costards très voyants, rouges, blancs ou verts (the loudest green). Al Reed : «Jimi Hendrix was a latecomer with this electric sound. The man who had a hell of a lot to do with the electric sound was Guitar Slim, because his was the finest and his was about the first. No one else had done it before.» (Jimi Hendrix est arrivé longtemps après Guitar Slim qui fut le premier à jouer aussi électrique et il était le meilleur. Avant lui, personne n’avait jamais sorti un son pareil). Et Mac ajoute que lorsqu’on entend jouer Earl King, on entend Guitar Slim - But Earl was never the insane entertainer that Slim was.

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    John Broven évoque aussi le proto-punk de la Nouvelle Orleans, avec Jerry Byrne et Ronnie Barron. C’est Byrne qu’on retrouve dans l’ultra-mythique «Morgus The Magnificient» de Morgus and The 3 Ghouls, mystérieuse formation dans laquelle officient Mac et Frankie Ford. Pour Mac, Jerry Byrne et Joe Barry étaient «the two problem kids that I had.» Il faut préciser que tout ce petit monde tournait à l’héro. Broven évoque aussi le souvenir du grand Bobby Charles, un kid blanc qui s’imposa dans la black scene, avec ce mélange de New Orleans r’n’b et de Cajun feel qu’on appelle swamp pop et dont Ace remplit aujourd’hui de délicieuses compiles.

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    L’autre grand héros de Broven, c’est Johnny Vincent, d’origine italienne comme Cosimo et qui après avoir bossé pour Art Rupe chez Specialty fonda le label Ace à Jackson, Mississippi (un nom qu’allaient reprendre Ted Carroll et Roger Armstrong à Londres, en hommage à Johnny Vincent). Sur Ace, on trouvait Frankie Ford, Huey Piano Smith, Earl King, Joe Tex et... Morgus and The 3 Ghouls. Tout le catalogue Ace est réédité sur Ace en cinq volumes. On peut parler de passage obligatoire.

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    L’ouvrage de Broven épuise autant qu’une marche en forêt équatoriale. Il n’en finit plus de ramener des figures de légende. Tiens, Earl King, fils spirituel de Guitar Slim. Broven dit qu’avec lui, on est au cœur du South Louisiana swamp-pop style. Cosimo le considère comme un grand producteur, un homme à idées - He would be coming up with little figures that fit (Il sortait des petits gimmicks qui convenaient parfaitement) - Earl King enregistrait pour des tas de labels locaux.

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    Broven évoque aussi les sessions organisées par Berry Gordy en 1963 avec un pack d’artistes de la Nouvelle Orleans, Eskew Reeder (Esquerita), Earl King, Joe Jones et Reggie Hall. Reeder indique que ces sessions changèrent le son de Motown qui était alors cha-cha («Shop Around») et qui se transforma pour devenir le full sound des Vandellas («Nowhere To Run»), that funky boomin’ stuff we brought up from New Orleans. Ne les cherchez pas, ces sessions pour Motown sont restées inédites.

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    Earl King n’eut pas le temps d’écrire son autobio, Huey Piano Smith non plus, mais par chance, John Wirt lui consacre un ouvrage, Huey Piano Smith And The Rocking Pneumonia Blues. Smith avait commencé dans les années 50 à tourner dans les clubs avec Guitar Slim, puis après avec Earl King. Comme Dave Bartholomew trouvait Smith trop parfait au piano, il lui conseilla de jouer quelques fausses notes, ‘like Little Richard’. Smith tournait avec un groupe à géométrie variable nommé the Clowns dans lequel passèrent des gens comme Bobby Marchan et Gerri Hall. Huey Smith ne jurait que par la good time music, comme Fatsy. Cosimo le traitait de driving force. Huey was hot et ses albums sortaient sur Ace.

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    ( Joe Banashak )

    Puisqu’on parle des labels locaux, voilà Minit monté par Joe Banashak. Mac : «Banashak was the fortunate cat to fall upon Toussaint’s services.» (Banashak eut la chance de tomber sur un mec aussi doué qu’Allen Toussaint). Banashak embauche en effet Allen Toussaint comme producteur maison et Minit devient légendaire, avec un roster composé de gens comme Bobby Womack, Ernie K-Doe et Chris Kenner qui est selon Mac, l’un des heaviest songwriters down here - I don’t think there was anybody writing better songs, from ‘Sick And tired’ to ‘Something You Got’ in the gospel tradition, and his writing influenced Allen Toussaint - Son vieux complice Marshall Sehorn dit de Toussaint qu’il fut the most talented man I’ve ever known.

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    Dans ce livre, Mac est à la fête bien sûr, surtout quand Harold Battiste décrit le son de Dr. John the Night Tripper : «African-New Orleans-Congo Square type of spiritual thing.» Eh oui, ça devient intéressant quand le rock se fait spirituel. Battiste sait de quoi il parle puisqu’il produisit le premier album de Dr John à Los Angeles. Personnage clé lui aussi, Harold Battiste, qui fut le boss du label A.F.O., l’un des berceaux du pur New Orleans Sound, et qui comme Cosimo, bouffa la grenouille. Battiste connaîtra des heures meilleures à Los Angeles en lançant Dr John et en produisant «I Got You Babe» de Sonny & Cher. Il va aussi co-produire Doctor John’s Gumbo avec Jerry Wexler, un album clé de la mythologie de Big Easy puisque Mac y rend hommage à tous ses héros, Huey Smith, Archibald, Earl King et Fess, aidé en cela par une ribambelle de légendes locales : Lee Allen, Ronnie Barron, Shirley Goodman, Tami Lynn et Alvin Robinson.

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    Restons au rayon des producteurs de génie. Voici Dave Bartholomew, qui vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois à l’âge de 100 ans. Bert Frilot le situe ainsi : «Dave Batholomew was another one of those guys that was smarter than he knew he was.» (Il était encore plus classe qu’il ne croyait l’être, pas mal comme compliment, non ?) Frilot ajoute que Bartho pouvait diriger un big band et qu’au premier abord il pouvait avoir quelque chose d’intimidant.

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    Broven termine son parcours du combattant avec les Meters et leur organized freedom qui fit tant baver Keith Richards. En 2015, Broven se félicitait de voir que ses deux grands héros Fatsy et Bartho étaient encore en vie. Fatsy monta sur scène pour la dernière fois en 2007 au Tipitina, un set qu’on retrouve dans le film Walking Back To New Orleans.

    Marshall Sehorn : «You can go anywhere you want to: there’s no music like New Orleans music. There’s no other singers like New Orleans singers. There’s no other people like New Orleans people. Nobody else has as good a time as we do. Nobody else shakes their ass as we do, and that’s everybody, everybody from old to young, black and white, Indians, jumpin’, dancin’, carryin’ on and having a good time. And that’s what it’s all about. That’s what this city is all about.» (Tu peux aller où tu veux : il n’existe rien de comparable au son de la Nouvelle Orleans, rien de comparable aux chanteurs d’ici, rien de comparable aux gens d’ici. Ici, on prend du bon temps, personne ne danse comme on danse ici, les jeunes comme les vieux, les bancs, les noirs et les Indiens, tout le monde danse et prend du bon temps, et ça dit tout ce qu’il faut savoir de la Nouvelle Orleans).

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    La meilleure illustration de cette déclaration prophétique est sans doute le Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Le roi du Mardi Gras s’appelle Theodore Eugene Bo Dollis. Il chante dans un Indian Tribe nommé the Wild Magnolias, et leur premier album, The Wild Magnolias With The New Orleans Project parut en 1974. Aaron Neville : «The Wild Magnolias record was the first of its kind.» C’est ce qu’on appelle en langage tonitruant a smokin’ beast, un véritable chef-d’œuvre de funk primitif. Art Neville : «You heard everything in that music, Sly Stone, James Brown, Parliament, Funkadelic, even the Meters.» Rien qu’avec «Handa Wanda», c’est dans la poche. Wow, quel shuffle de funk ! C’est wahté d’entrée de jeu, chanté à l’Africaine et monté sur une extraordinaire assise rythmique, avec bien sûr des filles qui déraillent. Bo Dollis mène le bal des vampires. Même jus avec «Smoke My Peace Pipe», afro-cubain en diable, jazz de Soul de butt. On est dans l’excellence du beat, dans la moiteur des jazz-roots, dans l’orgie des influences - Sly, War, Isleys, JB’s, MG’s, Hendrix & Coltrane - Bo : «No pop, but that Otis Redding and Little Willie John, they were alright !». Pour Bo qui adore Otis et Little Willie John, le rêve absolu est de voir les Indian Tribes from Brazil, Trinitad, Haïti and the Wild West hanging out and having fun, Willie Tee est survolté, pas besoin d’expliquer, just listen ! On reste dans l’énormité avec «(Somebody Got) Soul Soul Soul», énorme cut de Soul System, têtu comme une mule, joué à l’excellence des percus et ramoné par le bassmatic. Sans doute avons-nous là le meilleur funk d’Amérique. Les Wild Magnolias terminent ce festin de son avec une triplette insurpassable : «Golden Crown», «Shoo Fly» et «Iko Iko». Back to Congo Square, sous tension maximaliste, avec tout le génie du carnaval et de ses coups de sifflets. Ils tapent «Shoo Fly» au funk têtu comme une mule, avec toute l’énergie du gospel batch puis Bo éclate l’Iko du Congo. Les filles sont magnifiques. Cyril Neville : «It came from New Orleans, and it also came from a deeper place, a place of alienation, double alienation, for being black and for being Indian.» (Ça vient de la Nouvelle Orleans, bien sûr, mais aussi de quelque chose de plus profond, d’une double aliénation, celle d’être nègre et celle d’être indien). Cyril parle bien sûr de marginalisation.

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    Sur la pochette de They Call Us Wild, les Wild Magnolias posent en grande tenue de carnaval. Au dos de la pochette, on trouve les portraits des musiciens qui les accompagnent. Black is black. Tout l’univers musical des Wild Magnolias tourne autour du carnaval. Ils tapent «New Suit» au funk de Soul très pro. Soul brother à la voix très généreuse, Bo Dollis mène bien sa barque. Le hit du disk s’appelle «Fire Water». Groove de forêt profonde et humide, ultra joué aux percus, un vrai modèle de funk africain et attention, car les Injuns arrivent avec «Injuns Here We Come» ! Bo shake bien son shit secoué de percus. Le bassman Erving Charles fait décoller le groove. Bo mâche sa niaque. Ça repart de plus belle en B avec «New Kinda Groove». Bo joue la carte du heavy groove. Il fait danser les esprits. Bo ne lâche jamais prise. La classe du groove de funk qui suit : «Jumalaka Boom Boom» ! Erving Charles joue comme un dieu. Il drive sa basse en queue de poisson. Il récidive avec «We’re Gonna Party». Ce démon d’Erving Charles crée la magie chez les Magnolias. Groove profond et luxuriant comme la forêt du Douanier Rousseau - Do you wanna party/ That’ what I say/ Party all nite long - Huitième merveille du monde.

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    Grand retour de Bo Dollis & The Wild Magnolias en 1990, soit quinze après, avec I’m Back At Carnaval Time. Casting de rêve : George Porter on bass et Snooks Eaglin on guitar. Bo attaque avec cet extraordinaire shoot de good time music qui s’intitule «Carnival Time» - Everybody’s happy - organique ! On a même un solo de trompette dixieland. S’ensuit un «Bon Ton Roulet» magnifique, véritable street rumble, il bong tong roulette, Bo chante au timbre fêlé. Belle version d’«Iko Iko» cuite dans son jus d’Africanité. Bo chante ses gênes de Brazzaville et de fuckin’ Servognan et tout l’album remonte ainsi dans le temps, comme une pirogue sur un fleuve inexploré. Tiens voilà «Shallow Water Oh Mama», fantastique exercice de style, soufflé à la Satchmo, c’est-à-dire aux trompettes de la renommée, mais ça joue dans la matière d’un groove, plus sophistiqué, pas loin de Miles Davis. On tombe plus loin sur l’imparable «Tipitina», ils fessent le Fess, à la trompette de tromblon, ce sacré Bo roule Tipi dans sa vieille diction salivaire. On s’effare de tant de classe, tous ces mecs du carni font un carnage et Bo chauffe à blanc le cul du cut. Encore une merveille avec «Coconut Milk». On suivrait Bo Dollis jusqu’en enfer. Si on recherche de l’organique, c’est là. George Porter fait le con sur sa basse pouet-pouet. Tout bascule dans la démesure, dans une orgie de beat et Bo is back, inlassable, mouvant, il groove tout à l’édentée patentée.

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    Bo Dollis & The Wild Magnolias remettent leur business en route en 1996 avec 1313 Hoodoo Street. Bo tape dans le Cuban beat avec «Run Joe». Ça se danse avec une poule dans les bras et un grand verre de rhum à la main. Ce Bo-là chante divinement, au chicot branlant. Il sonne comme le roi de la fête au village. C’est tellement plein de son que ça frise chaque fois l’énormité. On tombe beaucoup plus facilement accro de Bo Dollis que d’un disque de garage classique. Pourquoi ? Parce qu’ils s’y passe des trucs extraordinaires. Bo est un diable. «Angola Bound» pourrait bien être l’hymne à la liberté des esclaves. Bo le prend à la petite voix, accompagné par les fantômes des congas de Congo Square. Fuck, tous ces pauvres blacks n’avaient pas demandé à voyager, et encore moins à devenir les esclaves des blancs ! Mais Bo décide de prendre la chose du bon côté et fait battre les tambours. Ça donne Bo Diddley à la Nouvelle Orleans. On passe au funk avec l’excellent «Might Mighty Chief», Bo part en guerre - I’ve got a dance - mais il part en guerre sous le boisseau, en pur groover épidermique. Il tape aussi une reprise de «Walk On Gilded Splinters». C’est joué au boogaloo du lac Pontchartrain, avec le spectre de Marie Laveau en toile de fond. Bo sait réveiller les zombies. Il en fait une version bien plus authentique que celle de Steve Marriott. Les morts sont là ! Il n’existe pas de pire version. Son «Voodoo» est trop funk pour le boogaloo, mais comme Bo est un mec bien, alors on le suit. Il sabre son funk à merveille - Voodoo women ! - Les chœurs effarent au plus haut degré. Bo est dans le bain. Ça baigne pour Bo. Encore une belle rasade de funk New Orleans avec un «Injuns Here They Come» très africain, bien ramené au devant de la scène, pure africana, le son a survécu aux horreurs de l’esclavage, c’est dire si la nature humaine a bon dos. Bo salue les Injuns, c’est-à-dire les Indiens, eux aussi victimes de la cruauté des blancs dégénérés. Il termine cet album faramineux avec un «Indian Red» encore plus primitif. C’est leur façon de dire «Foutez-nous la paix !».

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    Quel fantastique délire carnavalesque que ce Life Is A Carnival ! Cet album peut rendre dingue, surtout si on commence à écouter «Pock-A-Nae» en regardant le Tribe danser la nuit sous le grand chêne. C’est de l’African beat funk, cette Africana qui traversa l’océan bien malgré elle, mais elle resplendit désormais de tout son éclat magique. Rien d’aussi définitif que ce funk de la Nouvelle Orleans, beat têtu et sensuel - All nite long - Pur genius, esprit vengeur du peuple noir qui mangera les petits culs blancs. «Pock-A-Nae» vous hantera. Toute la mythologie se met en route avec «Who Knows», groove Pontchartrain, digne de Dr John et mené par Big Chief Bo Dollis qui n’en finit plus de rallumer des brasiers dans «Party» - We are the Wild Magnolias/ Keen to sing you a song - C’mon, c’est digne de Sly - We’re on a party - C’est à se damner, le Tribe nous balance l’un des meilleurs rafts de funk de l’univers. Raw to the bone ! On vendrait son père et sa mère pour un cut aussi beau qu’«All On A Mardi Gras Day», joué au duveteux de la Nouvelle Orleans, avec un coup de tuba dans le cul du cut. Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Et voilà le Zulu King, c’est le carnaval, tout le monde danse. «Shanda Handa» sonne assez Dr John, c’est même envoûté de frais, on mesure l’emprise du hoodoo sur le rock blanc. Tout Dr John vient de là, du monde des esprits. Oui, l’Afrique a vraiment débarqué sur le continent. Avec «Cowboys & Indians», on retrouve l’esprit de Splinters, fabuleux groove de cimetière à la nuit tombée joué aux percus. On parlait du loup, le voilà : Dr John joue sur «Blackhawk», nouveau cut d’ambiance subliminale, monté sur un sale groove de mousse de cimetière abandonné - When I come down to New Orleans - Ils racontent leurs routes et leurs déroutes. Tout cet album vibre de hoodoo motion, de pulsion carnavalesque, d’all nite long, on entend jouer un guitar king du coin de la rue dans «Battlefield» et Marva Wright vient débaucher le funk-monster «Hang Tough», elle s’y arrache les ovaires, Bo Dollis l’allume et elle répond du tac au tac. Encore un chef-d’œuvre violent et dangereux avec «Tootie Ma», digne de David Lynch et des exécutions sommaires auxquelles on assiste furtivement dans Wild At Heart.

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    Un autre Indian Tribe vaut largement le détour : The Wild Tchoupitoulas, avec un album du même nom paru en 1976. Même genre d’extravagance, ces mecs posent en costume d’Injuns de carnaval, mais cette fois, Allen Toussaint les produit et les Meters les accompagnent. Leon, George, Zigaboo, ils sont tous là. Le boss s’appelle Big Chief Jolly et il mène le bal du gospel carnavalesque. Personnage clé dans l’histoire des Neville Brothers puisque George Landry, aka Big Chief Jolly, n’est autre que leur oncle. Ce junkie notoire et dealer local passe ses nuits en ville et rentre au petit matin en sifflotant. Charles Neville : «Always sharp. Hats for days.» Toujours sur son trente-et-un et coiffé d’un chapeau. Aaron raconte qu’Uncle Jolly s’asseyait au piano pour jouer (to bang out) ‘Junkie Blues’. Et bien sûr, Uncle Jolly porte une arme. Un jour, la police l’accuse d’avoir accosté une blanche. Les poulets commencent par le mettre en cage pendant 72 heures. La question n’était plus de savoir si l’histoire était vraie, si Jolly connaissait cette femme, s’il l’avait même déjà vue. La blanche est catégorique, même si pour elle tous les nègres se ressemblent. Alors les poulets mettent la pression sur Jolly. Tu vas avouer, niggah ? Impossible. Pourquoi ? Parce que Jolly ne peut pas avouer un truc qu’il n’a pas commis. Les coups commencent à pleuvoir. Bim bam ! Jolly tient tête. Mais non, j’ai rien fait ! Alors les flicards lui disent : «Baisse ton froc» et le placent face à un bureau. Un poulet ouvre un tiroir, dit à Jolly d’y mettre ses couilles et claque le tiroir. Cyril Neville : «They nearly beat him to death. Ils l’ont tellement rué de coups qu’il n’entend plus d’une oreille. Mais il a réussi à garder sa dignité et ils ont été obligés de le relâcher.»

    Ce héros de la famille Neville dit un jour à ses neveux qu’il voudrait bien enregistrer un disque comme celui des Wild Magnolias. Son idée est simple : il veut une musique qui puisse exprimer l’esprit et l’âme de son Uptown tribe. Comme il revendique le sang indien qui coule dans ses veines, ses neveux lui proposent «Indians Here We Come», un groove à la Dr John. Fantastique décontraction de groove - I’m sending my gang down two by two - Ils tapent ensuite dans un hit des Meters, «Hey Pocky A-Way». George Porter entre dans le lard du funk à la syncope. Zingaboo souligne ça finement. On est dans l’archétype du New Orleans Sound, joué à l’épisodique miraculeux. Les voix éclatent dans le blossom de la légende. L’«Indiand Red» qui ouvre le bal de la B est un hymne à la révolte - We are the Indians of the nation/ The wide wild creation/ We won’t kneel down/ Not on the ground - Fantastique déclaration d’indépendance, les Tchoupi gèrent ça au gospel batch. S’ensuit un fantastique «Big Chief Got A Golden Crown» avec de paroles mythiques - Mardi Gras morning when the sun comes up/ Big Chief gets a golden crown/ Drink fire water from a silver cup - Joli groove vermoulu, idéal pour danser dans la rue avec Martha. Encore un joli slab de funkitude avec ce «Hey Mama» joué aux congas de Congo Square - Hoon don day - C’est rythmé au don day ! Pour Cyril Neville, voir son oncle chanter, c’était comme de voir un roi : «It was royalty, funky royalty. The gooves were dance grooves, parade grooves, party grooves. It was a music of motion, a music that moved us to change our lives.» Aaron Neville pense que cet album enregistré avec Uncle Jolly est un disque saint. Uncle Jolly veut enregistrer un deuxième album, mais quand il voit si peu de blé arriver, il décide d’arrêter les frais : «Screw ‘em. I ain’t recording for those guys again.» Jolly propose de partir en tournée et ils déboulent en Californie avec Fess.

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    Wardell Quezergue est l’une des légendes du New Orleans Sound des années soixante et soixante-dix. Mais il est beaucoup moins connu qu’Allen Toussaint. Pourtant, dès qu’on met le grappin sur l’une de ses production, on tombe de la chaise et ça fait mal au cul. La preuve ? Cette compile inespérée qui s’appelle Sixteen Smokin’ Soul Senders Vol. 1 et qui sonne comme un Best of Stax, mais avec un petit quelque chose de particulier : les artistes qui s’y trouvent sont notoirement inconnus, à commencer par l’immense Lydia Marcelle et son «Everybody Dance». Une pure énormité sortie des Districts - C’mon baby do the jerk - Elle chante comme une sale petite carne des bas fonds, elle ramène tout le scum des streets, ça clap du hand et ça stomp du feet. Révélation suprême et timbre unique. Un peu comme Earl-Jean McCrea. L’autre grosse poissecaille de cette compile miraculeuse s’appelle Senator Jones. Il est là avec deux smokin’ monsters, «Let Yourself Go» et «Boston Feel». Il y est soutenu par des chœurs de filles complètement délurées. Vous n’aurez ça qu’à la Nouvelle Orleans. Senator Jones chante avec une vraie voix d’arrache. Il a ce petit quelque chose que n’ont pas les autres. Si vous aimez bien le raw r’n’b, c’est là que ça se passe - Do the Boston feel ! - Tiens, voilà encore une incroyable merveille d’Ali Baba : the Jades avec «Lucky Fellow», un fabuleux hit de groove de Soul. C’est même la part du rêve, le hit absolu des jours heureux. Idéal pour les petits cœurs serrés. Et ça repart de plus belle avec the Fabuletts et «Can’t Stay Away», encore une belle lampée de r’n’b. Tout y soigné, le son, les chœurs, les cuivres, c’est du hot raw de rêve. Et les Bates Sisters s’amusent à sonner comme les Ronettes. Yeah baby, on se croirait chez Phil. Elles y croient dur comme fer. Et puis voilà Guitar Ray qui radine sa fraise avec «Patty Cake Shake», un hit roulé dans la farine d’une basse bien ronde. C’est d’une classe indécente. Vous ne trouverez pas un seul déchet sur cette compile. Tout est nickel chez Wardell. Il visait de toute évidence le public Stax, mais comme les labels locaux n’avaient personne pour les distribuer, c’est resté lettre morte. On y entend aussi l’immensément immense Earl King avec «Feeling My Way Around». Quelle brochette de surdoués !

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    Autre légende du New Orleans Sound, Eddie Bo. Un conseil, chopez Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1956-1962, une compile Ace plutôt récente. Ne serait-ce que pour entendre «Hey There Baby», un cut digne des Beatles mais avec un batteur dément. Un vrai dingue du beat et le petit solo de sax n’y changera rien. Bo the beat fait le show. Il faut aussi entendre ce coup de génie intitulé «Check Mr Popeye», ce funk bien vermoulu qu’il l’emmène au paradis - Oh do the papah - Eddie Bo est aussi le grand spécialiste du slowah super-frotteur. On en trouve une série sublime dans cette compile, à commencer par «I Need Someone». Eddie chante comme un crocodile, les mâchoires en cœur. On note son incroyable prestance et la qualité plastique du chant l’élève au plus haut rang du kitsch. Même chose avec «Nobody Without You», slowah effarant de présence décadente et de fleurs fanées - Please/ Please come back - Ou encore «Everybody Everything Needs Love», vieux slowah gluant qu’il chante au-delà de ses capacités. Eddie est un démon, il faut le savoir, un extraordinaire artiste, il pousse les choses aux max du mix. On le voit aussi taper dans le r’n’b rudimentaire avec «Every Dog Got His Day». Eddie est une génie du chachapoum de balloche louisianaise, et il se paye même le luxe d’un killer solo de sax. Alors il tombe et remonte, affolant de petite énergie. Il tape aussi dans le heavy blues avec «You Got Your Mojo Working». Ah comme c’est bon ! On est dans le Ric d’époque, c’est-à-dire dans l’underground louisianais de l’excellence. Avec «It Must Be Love», Bo se plonge dans le heavy groove romantico - I wonder - Il se demande pourquoi il est si stupide. Il passe au rock de petite bite avec «Ain’t It The Truth Now» et attention à «What A Fool I’ve Been», c’est à tomber. Il tape là dans l’excellence du kitsch, c’est battu aux congas et nappé de violons. Extraordinaire ! Voilà encore une raison de ne pas perdre Eddie Bo de vue. On le voit danser «Dinky Doo» au coin du juke, il y va à coups de ya ya ya. Il adore aussi le jump comme on le constate à l’écoute de «Ain’t You Ashamed», il chante ça à la fritaille, avec du guitar gimmick de luxe. Ah le veinard ! Eddie Bo ne se refuse rien. C’mon Bo ! Il termine avec le morceau titre, qui est un hit du grand Lee Dorsey - Baby you’d better be movin’ on !

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    Autre passage obligé pour tout amateur de New Orleans Sound : Clarence Frogman Henry. Grâce à Ace, on peut se goinfrer en écoutant Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Comme Eddie Bo, Forgman Henry est un artiste complet et assez fascinant, il faut le voir attaquer «Ain’t Got No Home», ce typical jive de juke monté au oh wooh wooh. Il chante ça d’une voix de gonzesse et ça bascule dans le hot kitsch et puis cet enfoiré redescend chercher son meilleur baryton pour créer de l’expressionnisme. On ne trouve pas ce genre d’artiste sous le sabot d’un cheval. Cette compile pullule de petits hits de juke, à commencer par «Cajun Honey», fantastique coup de mon cher ami, aw quel punch, encore une histoire de fille qui rend fou - You’re driving me wild - Tout aussi excitant, voilà «That’s When I Guessed». Il passe au groove de boogaloo avec «Shake Your Money Maker». Frogman sait jiver sa petite affaire. Il nous propose les meilleures conditions du groove. C’est là qu’on danse avec les loops. Avec «Saving My Love For You», il se montre tout simplement extraordinaire de prestance. Un patron blanc dirait de lui : «C’est un bon esclave !». Il tape dans Meaux avec «Think It Over». C’est noyé d’orgue et Frogman sort des grosses mains balladeuses pour tripoter le cul du cut. Effarant ! «Baby Ain’t That Love» semble gravé dans le marbre de l’underground louisianais. Il sait aussi faire du Fatsy. La preuve ? «Cheatin’ Traces». Il tape aussi une cover du «Sea Cruise» de Frankie Ford, mais il la prend trop reggae et ça ne marche pas. On note au fil des cuts l’extraordinaire santé de cette compile. On passe en effet de genre en genre et Frogman suit le mouvement. Quand il tape dans le heavy blues avec «I Can’t Take Another Heartache», ça devient passionnant, car il sait titiller son blues d’un doigt expert. Il traite «Hummin’ A Heartache» à la maturité de bon aloi. C’est un vieux pro. Il sait jiver un jive et chanter du nez. Lorsqu’arrive «It Went To Your Head», le son se modernise considérablement. Attention, c’est encore du Meaux. C’est ultra-joué à la guitare. Joli coup de Tex-mex avec cette reprise de Doug Sahm, «We’ll Take Our Last Walk Tonight». C’est bardé de coups d’harmo et Frogman en fait une merveille élégiaque. Et quand on écoute «You Can Have Her», on se dit qu’on est bien dans ce coup d’Ace. Eh oui, Ace sait tisonner les vieux braseros et créer les conditions de la légende. Une chose est bien certaine, Frogman Henry en est une. Encore du Meaux avec «Mathilda». Huey P. Meaux s’y connaît en rock motion, aucun doute là-dessus. Frogman tape dans la country avec «In The Jailhouse Now», il gère la chose au mieux des possibilités. Chez Meaux, on ne fait pas n’importe quoi. Quel son ! Voilà ce qui s’appelle une production ! Le heavy groove d’«A Certain Girl» se montre digne de Slim Harpo et cette compile se termine avec «Shock-A-Dilly Alabam» - I was born/ Just across the river/ In a little town - On se trouve une fois plus noyé dans le meilleur groove d’Amérique et il loue les musiciens qui l’accompagnent - Come on Jojo !

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    Puisqu’on dans les passages obligés, en voici un autre : The Dave Barholomew Songbook. The Big Beat. Toujours Ace. On n’imagine pas à quel point Dave Bartholomew fut sollicité en tant qu’auteur. Bien sûr, ça commence par Fatsy, mais tous les grands artistes américains ont tapé dans ses chansons, à commencer par Elvis avec «Witchcraft» (Il jive ça comme un king), Jerry Lee Lewis avec «Hello Josephine» - Hello Josephine/ How doo/ Youuu/ Doooo - Brenda Lee avec «Walking To New Orleans» (Fantastique et juvénile, c’est presque aussi beau que la version de Fatsy) et bien sûr Dave Edmunds avec «I Hear You Knocking» (pur génie, ce Gallois sorti de nulle part qui nous Slim Haponise Bartho). On profite aussi de l’occasion pour réécouter «The Fat Man», vieux coup de ramdam de piano drive. On peut même parler de beat des origines. Là mon gars, tu es aux sources du rock avec ce petit gros qui pianote comme un dingue. Il ventricule son beat à l’orée du bois. Laisse tomber les autres, c’est Fatsy qu’il te faut. Shirley & Lee, c’est du même acabeat. Avec «I’m Gone», on a le duo le plus sexy de toute l’histoire du rock. C’est elle, la reine du groove juvénile, elle dégouline de génie purulent. Dans cet enfer, le pauvre Lee tente de faire surface, mais c’est elle la coche qui ouuuh-ouuuhte le babïïï. Elle est perçante, elle chante du ventre, elle est la source du rock, la pure source de tout le sexe du rock. Prodigieux ! Tiens, encore une folle de la Nouvelle Orleans : Annie Laure, avec «3x7=21». Elle tape ça au gospel batch, elle jazze son dam doo leum dah bam bam et là tu as Ella, tu as aussi Miles qui vient schtroumpher du solo de wah dans l’ombilic des limbes. Ces gens sont sublimes. Tout aussi dévastateur, voilà Smiley Lewis avec «Down The Road». Ah t’as voulu voir Vesoul ? Alors voilà Smiley. Il joue comme une brute. Il chante au gras du yes I’m gone et le solo de sax sonne comme une pétaudière. On a là un extraordinaire drive de New Orleans Sound. Smiley chante comme un démon, yes I’m gone, il défonce la rondelle des annales. Tout aussi explosif, voilà «Ain’t Gonna Do It» des Pelicans. Ils jouent ça à l’énergie concomitante, c’est un délire de good time music. Mais qui ira écouter les Pelicans ? On ne connaît même pas leur existence. Par contre on connaît celle du Johnny Burnette Trio qui tape une belle cover d’«All By Myself». Évidemment, ils claquent ça au jive de rockab de fière allure. On trouve aussi l’un des tout premiers rockers d’Amérique sur cette compile : Roy Brown, qui explose «Let The Four Winds Blow» - Have you heard the news - Quelle énergie ! C’est battu à la diable. Ce shuffle énergétique n’existe nulle part ailleurs. Encore un autre roi du shuffle : Bobby Mitchell avec «I’m Gonna Be A Wheel Someday». C’est joué à l’extrême des possibilités. Rien d’aussi jivé de la ciboulette que ce truc-là. D’autres merveilles impitoyables guettent l’imprudent voyageur : «Everynight About This Time» par les Fabulous Upsetters, ou encore l’implacable «Blue Moday» repris par Georgie Fame. Et combien d’autres encore ? Il faudrait s’étendre sur Keith Powell, Tami Lynn ou encore Bobby Charles. C’est vrai qu’on n’en finirait plus.

    Le mot de la fin revient à Dr. Ike Padnos, cité par John Broven dans sa bible : «New Orleans rhythm and blues, by mixing in the influence of the territory bands, Louis Jordan, and boogie-woogie piano, kicked off with Roy Brown’s ‘Good Rocking Tonight’ in 1948. Then a year later Fats Domino’s ‘The Fat Man’ helped usher in the birth of rock’n’roll with Earl Palmer laying down a subtle backbeat and Dave Bartholomew’s arrangements of the horns doubling up on top of the rhythm section.»

    Signé : Cazengler, new orléon de Bruxelles

    Wild Magnolias With The New Orleans Project. Polydor 1974

    Wild Magnolias. They Call Us Wild. Barclay 1975

    Bo Dollis & The Wild Magnolias. I’m Back At Carnaval Time. Zensor 1990

    Bo Dollis & The Wild Magnolias. 1313 Hoodoo Street. Aim 1996

    Wild Magnolias. Life Is A Carnival. Metro Blue 1999

    Wild Tchoupitoulas. ST. Antilles 1976

    Wardell Quezergue. Sixteen Smokin’ Soul Senders Vol. 1. Night Train International 2002

    Eddie Bo. Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1956-1962. Ace Records 2015

    Clarence Frogman Henry. Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Ace Records 2015

    The Dave Barholomew Songbook. The Big Beat. Ace Records 2011

    John Broven. Rhythm And Blues In New Orleans. Pelican Publishing 2016

     

    DISARRAY

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Digital Album - 02 / 12 / 2020 )

     

    Les ai vus trois fois en concert. Ce n'est pas un mythe, il fut un temps où l'on pouvait voir des concerts, je vous assure que cela a existé, j'avais chroniqué leur album Encounters, j'ai souvent jeté un œil sur leur FB, ne se passait pas grand-chose, je me doutais que dans leur coin ils devaient trimer et tramer quelque plan secret, et au deuxième jour de décembre ils ont sorti un nouvel album, précédé de quelques clips sur You Tube, un acte de courage, mais ils ont raison c'est au petit matin du deux décembre que les canons ont brisé la glace d'Austerlitz, et fissurer la chape de plomb qui est tombé sur le rock est une louable initiative.

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    La pochette mérite d'être vue. Au début vous souriez, quel besoin d'écrire le nom du groupe en si gros sur la pochette, seraient-ils en pleine crise mégalomaniaque. A croire qu'il n'existe qu'eux dans ce bas-monde. Faut scruter l'ocre-orangé pour visualiser la vestale en ses voiles blancs qui va de l'avant les yeux bandés. Son pied-nu frôle la pierre usée d'un porche, serait-ce l'entrée d'un temple abandonné. Derrière elle l'orée d'une forêt embrumée, peut-être simplement un parc déserté, en tout cas, un sentiment de solitude, ambiance romantique, l'on songe aux somptueuses et mélancoliques proses de Chateaubriand et l'on se dit que si le nom du groupe voile la photo de la couverture, ce n'est pas du tout une naïve manifestation de fierté mal-placée mais une mise en situation de l'auditeur, ne sommes-nous pas des aveugles qui marchons dans la vie sans rien savoir de très précis de là où l'on va, même si l'on associe l'idée de mort à la plus néfaste et angoissante noirceur... D'ailleurs le premier titre n'est guère encourageant...

    Black hole : étrange il y a de la musique mais la voix d'Alexandre est si prenante qu'il vous capte et que vous n'entendez qu'elle, s'il y a un trou noir c'est elle dans laquelle vous vous engloutissez, rassurez-vous nous ne sommes ni dans l'espace ni dans la guerre des étoiles, la cavité ombreuse qui vous emporte est à l'intérieur, maintenant vous pouvez entendre le ruissellement du métal, une pluie qui claque et qui lave, vous enferme dans un cocon, car si la désolation est au-dedans de vous, la lumière aussi, il suffit d'oser le voyage de ne pas se perdre dans les mers de noire solitude, juste un passage, un étroit et immense boyau, un tunnel sans fin dont vous finirez par joindre le bout. Superbe intro, une espèce de récitatif sauvage, un rugissement sans fin de lion. Burried memories : harmonieuses glissades, les guitares ont l'air de s'enfuir, comme un relent de fête, mais cela ne dure pas, l'épreuve ne fait que commencer, une espèce de jeu-vidéo, une partie que vous n'avez pas le droit de perdre, l'ennemi est le plus terrible qui soit, vous n'en rencontrerez jamais de pire, vous le connaissez bien, est-ce pour cette raison que cette piste est une épilepsie joyeuse, renforcée par le chœur des voix, hachée par Alexandre, l'alien est en vous, vous êtes l'alien de vous-même, une bête sombre qui vous hante et qui surgit la nuit pour vous attaquer. Une course-poursuite, une chute sans fin à l'intérieur de vous-même, le morceau s'arrête brusquement, avez-vous touché le fond, allez-vous être enseveli sous des morceaux de vous qui tombent sur vous...

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    Invincible : tambourinades, bruits de forges titanesques, je suis un peu comme ces martiens de la guerre des mondes d'H. G. Wells qui se réparaient eux-mêmes après avoir été touchés par les obus et les torpilles, la plus grande violence est en moi, morceau tornade, morceau limite, de mes défaites je construirai mes victoires, ma vie sera une tour érigée pour détruire l'univers, ce qui m'a tué m'a rendu plus fort que la mort, plus fort que la trahison. Un vent de haine et d'allégresse souffle dans les voiles de la vengeance. Oblivion : tout va trop vite, kaos dans la tête, sont-ce des rêves ou des claquements de metal qui s'échappent, la voix d'Alexandre déchire les certitudes, des chœurs venus d'ailleurs creusent des espaces immenses comme des cathédrales stellaires, l'on ne sait plus si l'on est dans un film de science-fiction ou dans soi-même, la vitesse exponentielle du déluge musical ne vous aide pas à garder vos idées claires. Gold : Axel ouvre le vocal mais Alexandre l'éventre, l'or scintille et corrompt, ne reste qu'à le rejeter, qu'à le maudire, et à abandonner ceux qui l'utilisent comme monnaie d'échange, un cri de colère et de dégoût, le groupe devient fracas hurlant, une hystérie musicale, ne s'agit-il pas de détruire la société. (S)Hell : la musique ronronne, ce n'est pas un chat mais une bête hideuse qui s'éveille dans la gorge d'Alexandre, c'est le démon du bien, celui qui promet de tout recommencer, générique de film à gros budget et multitudes de figurants, grandiloquence des grands sentiments, les promesses n'engagent-elles que ceux qui les croient, l'œuf dans le nid que l'oiseau couve n'est-il pas celui d'un serpent. Brisez la coquille, vous entendrez l'enfer.

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    To the bone : très rock, un cri de haine, l'envie de cracher sur sa gueule, les chœurs comme des oiseaux moqueurs et le vocal tel un procureur qui condamne et maudit, tu ne fais plus partie du clan, les mots claquent comme les lanières d'un fouet. Damnation, retranchement définitif de la communauté humaine. Lost : il existe sur YT une magnifique vidéo verticale oppressante à souhait. Pas d'attente, musique concassée un peu à la manière de Linkin Park . Sans appel. Sans rappel. Le constat froid et glacé de l'échec de la civilisation humaine. Quelques survivants qui errent sans but. Danny Louzon de Nakht est venu en renfort pour bazooker le vocal sans rémission. Des éclats de haine retournée envers soi-même. Un monde et une musique sans résilience. Même pas le no future, juste le no tout court. Un non-avenir qui fait froid dans le dos. Une explosion désatomisée. By any means : très belle vidéo verticale à regarder en vis-à-vis de la précédente, elles forment un véritable diptyque. Après la perdition, l'apaisement, la possibilité d'un recommencement, musique plus douce, un orage bienfaisant qui redonne vie. Serait-ce la fin du cauchemar. Etrange comme les éraillements d'Alexandre paraissent dans l'immense vacarme de l'album une berceuse douce et tendre. Addiction : encore un pas en soi-même, un chant de rouille pour avouer la vérité, un bien grand mot pour nommer un souvenir inoubliable, juste un chagrin de rencontre, qui vous a emmené dans les ténèbres intérieures, parfois l'on a l'impression que le metal se fait violon, l'a beau se reprendre tout casser et concasser, rien n'y fait l'addiction est un poison, en eaux troubles, l'addiction est un plaisir. Between You & Me : des cordes comme des perles de rosée. Tout dire, tout vomir, faire le point et le poing, ce que l'on garde et ce que l'on chasse, Alexandre dégueule le vocal, bile noire et bile sanglante, les guitares deviennent les clairons de la victoire, les voix s'éloignent dans le lointain. Fastueuse emphase finale de l'orchestration. Le rideau tombe.

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    Unité rythmique et sonore. Le vocal d'Alexandre est le fil noir qui traverse l'œuvre de part en part. La batterie de Maxime Weber gronde et galope telle une nuée menaçante et dévastatrice. Elle ne faiblit jamais. Il est important d'entrevoir la guitare d'Axel Biodore et la basse de Regan MacGonam en tant que chants lyriques de grande amplitude. Ecouter ce disque c'est entrer dans une immense symphonie vocale qui ne faiblit jamais. Un grand vent qui vous emporte et vous ravage.

    Damie Chad.

     

    LA FIN DU ROCK

    MARC SASTRE

    ( Les fondeurs de briques / Janvier 2021 )

    Rock is dead, titre posthume des Doors publié en 1997, mais enregistré en 1969. De l'eau a coulé sous les ponts depuis. Plus d'un demi-siècle... Et voici que Marc Sastre nous propose ces quatre mots qui tuent, la fin du rock, comme disent les bluesmen, il n'y va pas avec le dos de la spoonfull. Marc Sastre n'est pas un inconnu pour les kr'tntreaders, nous avions chroniqué son Jeffrey Lee Pierce. Aux sources du Gun Club in Kr'tnt 160 du 23 / 10 / 2013. L'on avait beaucoup aimé à tel point que l'on s'était intéressé à deux de ses recueils de poèmes, L'homme percé et Aux bâtards de la grande santé dans notre livraison Kr'tnt 190 du 22 / 05 / 2014.

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    Avis aux amateurs, ceci n'est pas une histoire du rock'n'roll qui se terminerait par de vagues considérations sur l'essoufflement du genre et conclurait sur sa prochaine et rapide extinction. Le livre serait plutôt à ranger parmi les essais éthiopathiques. La disparition du rock n'est pas une fin en soi. Si vous désirez savoir pourquoi le rock est mortel, il est d'abord nécessaire de savoir pourquoi le rock existe. Tout phénomène nécessite la cause qui l'a engendré dixit Aristote, le rock'n'roll n'est pas l'exception qui confirme la règle. Encore faut-il s'interroger sur la notion du pourquoi dont émane un parfum trop eschatologique, qui tendrait à faire accroire que le rock'n'roll est apparu pour sauver le monde. Très prudemment Marc Sastre se contente de réfléchir sur les circonstances qui ont permis au rock'n'roll de se déployer, restons terre à terre, remplaçons l'élucidation du pourquoi par l'interrogation du comment.

    Question de méthode. Tout de suite l'on se heurte à un grave problème. Même si l'on part du pire, du principe que le rock est à deux pas de sa tombe, qu'il est moribond, qu'il n'en a plus pour très longtemps, il n'en empêche pas moins que le rock n'étant pas encore tout à fait mort, il est encore vivant, étudier un phénomène dont on fait partie, dont on est encore partie prenante, et en dresser son certificat de décès est chose impossible, celui qui dit en ses derniers instants je meurs sur son lit d'hôpital au milieu de multiples perfusions est encore en vie même si l'annonce s'avèrera très vite avoir été prophétique... Marc Sastre réussit à contourner – et c'est en cela que réside la force de son livre qui n'excède pas cent pages – cet obstacle épistémologique. Pour annoncer la mort du rock, vous pouvez garder un pied à l'intérieur du rock si cela vous chante – en fait parce que vous êtes incapable de faire autrement - mais il faut avant tout s'en extraire, s'en libérer.

    Le rock n'est pas né de la Sainte Vierge, il est le fils utérin de la domination marchande du monde. Ce n'est pas un hasard si l'opuscule débute non pas dans un champ de coton mais à la Renaissance, à ce moment conceptuel précis où la technique permet à l'homme occidental de se rendre maître de sa planète, encore moins si ce premier chapitre a pour titre : à la croisée des chemins le diable conduisait une Ford T, laissez le Diable se dépatouiller avec Robert Johnson, concentrez-vous davantage sur la voiture, un instrument de libération clamera-t-on dans les années soixante, car l'on est toujours séduit par les riches couleurs du serpent dont vous êtes mordu. Heidegger vous énonce la même chose mais il ne parle pas de l'encombrant reptile, il laisse le dangereux ouroboros à Nietzsche, mais ceci est une autre histoire. Enfin si l'on veut car l'histoire de la fin de la philosophie ressemble étrangement à celle de la fin du rock'n'roll, celui qui l'annonce y est encore empêtré en plein dedans.

    Chacun a son anecdote croustillante à raconter, pour Marc Sastre il met en scène The Clash, un groupe qui pour moi ne vaut pas tripette mais chacun de nous possède ses propres histoires d'amour-haine bien plus véridiques que celles de tous les autres... Arrachons-nous les paillettes exaltantes de nos yeux exaltés, le rock'n'roll a partie liée avec quelque chose qui nous dépasse tous, la domination économique du capitalisme productiviste – comme par hasard c'est en ces années-là que le rock'n'roll est le plus imaginatif, le plus créatif - et  puis libéral, la finance coupe les vivres à la production – le rock s'étiole, s'éparpille, le serpent se mord la queue – c'est le moment idéal de sortir le couplet idéal que tout le monde attend.

    Le rock est une musique de révoltés. De laissés pour compte. De ceux qui ont refusé de pactiser avec le Capital – à moins que ce ne soit cette hydre tentaculaire qui ait négligé de leur glisser le minimum vital – le pire c'est que c'est vrai et totalement faux. Certes, le blues, le rock, le rap sont à l'origine des musiques mises au point par des couches délaissées de la population. Ces premiers de corvées – et encore souvent ils se contentent de claquer du bec la bouche ouverte car il n'y a pas de travail pour tout le monde, car le travail est la seule richesse des pauvres et il n'est pas bon qu'elle soit partagée entre tous – sont les véritables héros du rock'n'roll.

    Tu parles Charles. Tu n'as jamais entendu parler du grand retournement. Ah ! mes cocos vous aimez le rock, souriez vous êtes filmés ( soyez modernes faites des selfies ) vous voulez du rock, l'on va vous en vendre du rock, du beau, du bon, du gras, tous les styles, tout ce que vous voulez – cela s'appelle diviser pour mieux régner – nous aussi on a lu Marx, la marchandise on va vous la fétichiser à outrance, vous allez connaître non pas la malédiction mais l'addiction ( ce qui est beaucoup plus diabolique ). La porte des élus sera étroite, pour des milliardaires comme des Stones combien de crève-la-faim, non ne les plaignez pas, ils possèdent quelque chose de bien plus précieux que les grosses liasses de bank-notes, ils ont le rêve dans leur tête dont ils ne veulent pas se défaire, dont ils refuseront de se départir d'une seule miette. Etrangement cette musique de laissés-pour-compte aide à les maintenir dans leur dépendance, le rock'n'roll participe d'une démarche oppressive, réactionnaire, conservatrice, anti-révolutionnaire. Tout ce que vous inventez, tous vos crans d'arrêt, on vous les rend, on vous les vend, en plaqué-or, armes émoussées que vous brandissez fièrement et retournez contre vous.

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    O. K man Sastre, tu parles d'or et tu causes de toc, mais le rock dans tout ça ? Je vous rassure, le rock ce n'est pas qu'il ne connaît pas, il en jacte en mec qui en a fait la colonne vertébrale de son implantation dans le monde. Et le livre regorge de magnifiques évocations, ce mec sent le rock, il est son propre sang, il l'a fait sien, ou plutôt c'est le contraire c'est le rock'n'roll qui a donné un sens à son existence et permis d'accéder à une vie plus pleine, plus riche, plus enthousiaste. D'où cette inquiétude devant ce recul du rock dans la culture contemporaine. Sans doute un jour qualifierons-t-on le moment historique que nous vivons comme celui de la recul-ture, un truc encore pire que le no future des punks car il n'y a pas que le rock qui recule, de nouveaux âges d'obscurité se mettent doucement en place.

    N'est pas vraiment optimiste le Sastre. Le sastrisme est encore plus décourageant que le sartrisme. S'en tire par la consolation du pauvre. Certes le rock est mort, certes nous n'y pouvons rien, certes c'est foutu, mais au moins nous avons eu la chance d'être une génération à qui le rock a permis de partager la table des Olympiens, le beggar's banquet nous y avons accédé et cela personne ne nous l'enlèvera. Il suffisait de tendre l'oreille et de se servir. Que ceux qui n'y ont pas pensé ne s'en prennent qu'à eux-mêmes. Quant à nous, nous ressemblons un peu à ces soldats d'Alexandre qui l'aventure finie rentrèrent chez eux la tête pleine d'un rêve qu'ils avaient eux-mêmes forgé mais qui maintenant leur échappait et qui était bel et bien terminé. Ils ont pu le raconter à leurs petits-enfants mais qui aujourd'hui se souvient de leurs récits à part les livres d'histoire... dont tout le monde se fout...

    Et pourtant quelques pages avant ses derniers mots Marc Sastre nous parle du futur du rock. Ce n'est pas du tout ce qu'il dit. Il se contente d'en relater les derniers soubresauts, les derniers obsédés du rock qui montent des labels, forment des groupes, qui organisent des tournées qui ouvrent leurs bars pour les concerts, qui écrivent des livres et des blogues, bref tous ceux qui se démènent pour entretenir la flamme avant qu'elle ne s'éteigne... le dernier carré à Waterloo qui meurt et ne se rend pas.

    Z'oui il y a des malchances que ça se termine ainsi, mais il y a une autre manière d'entrevoir le feu qui couve. La situation est-elle désespérée ? Oui mais pas plus et même moins qu'elle ne l'était lorsque les premiers bluesmen tendaient des cordes sur les planches de leur baraque pour produire la bourrasque des sons qui exprimeraient leur mal-être et leur révolte. Le monstre qu'ils ont produit leur a échappé, d'autres s'en sont gavés, l'ont retenu prisonnier à l'aide de chaînes d'or, et ont fini par l'abattre, mais ses bâtards et son esprit courent encore. La mauvaise herbe repousse toujours.

    Un spectre hante le monde. Il se nomme rock'n'roll.

    Un beau bouquin qui parle de la mort du rock pour l'aider à vivre et à revivre.

    Damie Chad.

     

    ANIMALS / 1964 ( I )

    L'année 1964 sera faste pour les Animals, une rencontre déterminante, celle de Mickie Most, pour rester dans l'étroit périmètre de Kr'tnt relisez dans la kronic 495 ( du 28 / 01 / 2021 ) du Cat Zengler consacrée à Ron Wood tout le bien qu'il dit sur Truth et Beck Ola du Jeff Beck Group, apprenez-le par cœur pour plus tard le réciter à vos petits-enfants et concluez pour chaque album par la formule : produit par Mickie Most. Cela servira à leur élévation morale. Brjeff, suffit pas d'avoir des musiciens doués, si c'est un glandu qui s'agite derrière la console, il vous manquera le son, et sans son que ferait Delilah ! Pour ceux qui veulent tout savoir sur Mickie Most, le Cat Zengler vous a préparé exprès pour vous un topo au top à lire sur Kr'tnt ! 434 du 17 / 10 / 2018.

    MARS 64

    Baby let me you take home : ce n'est pas une vieille reprise de blues, je pense que Most a dû suggérer ce morceau écrit par Bert Russel Berns – lui aussi producteur qui forma Bang Record avec Jerry Wexler – et Wess Farrell qui travailla avec Russel. C'est quoi au juste : une chansonnette de rien du tout, fleur bleue et tout ce que l'on déteste, mais gravée dans le marbre. Rien à enlever et rien à ajouter. Les plans se succèdent à une vitesse diabolique, un clavier gentillet qui joue le rôle de l'orgue de barbarie dans les chansons sentimentales, Price a compris que point trop n'en faut, se faire voir et se faire désirer sont les deux mamelles du rock, ce qui signifie qu'il est urgent de se faire oublier de temps en temps, le morceau n'excédant pas les trois minutes notre organiste n'est pas tout à fait en cellule d'isolement, Burdon se charge de tous les rôles, du garçon qui presse, de la fille qui attend qu'il se taise enfin pour dire oui, et du mec romantique qui tire sa tirade ( parlée ) de ( fausse ) passion racinienne, et les trois autres que leur reste-t-il à faire, les jolis chœurs, moqueurs qui tiennent la chandelle pendant que le copain décharge. Une véritable comédie de mœurs juvéniles. Gonna send you to the Walker : un de ces vieux traditionnels arrangés et trafiqués par beaucoup de monde. Vous changez les titres et un peu les paroles et vous créditez de votre nom, ici elle est aussi signée des deux précédents. Ce qui est certain c'est qu'elle ne se retrouve pas tout à fait par hasard chez les Animals après que Dylan l'ait enregistré sur son premier disque. Influence Chuck Berry certaine dans le traitement du morceau. Même départ, mais deux fusées intergalactiques peuvent avoir été tirées du même pas de tir sans que les espaces qu'elles visiteront soient les mêmes. C'est sûr que vous avez deux petits soli de guitare de Valentine mais le premier s'amourache de l'orgue de Price et cela change la donne, Burdon vous dégobille le vocal à la torpille, si vous aimez les albums Où est Charlie ? je vous propose une nouvelle version Où est Chas ? pour ma part j'ai envie de répondre que je comprends pourquoi les Doors se sont passés de bassiste, doit quand même contribuer à la noirceur du son des Animals, je me demande si parfois sa piste n'est pas overdubée par l'orgue ce qui contribue à sa prééminence... Walker où le guy renvoie sa poupée qui ne s'habitue pas à la grande ville étant tout près de Newcastle l'on peut se demander si le morceau n'est pas une parodie des vieux south blues...

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    JUIN 64

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    The house of the rising sun : la première fois que je l'ai entendue c'était par Johnny Hallyday, paroles d'Huges Aufray, Alan Price à l'orgue, et les Animals quand et par qui l'ont-ils écouté la première fois... sur l'origine de la chanson jeu concours : cherchez la chronique dans Kr'tnt !, il est logique de penser que Burdon grand connaisseur de blues devait connaître certains des premiers enregistrements, toutefois il à remarquer que si Baby let me to take you at home est en piste 2 de la face B de l'Album Bob Dylan en tant que Baby let me follow down il est immédiatement suivi, en piste 3, sur ce même 33 T de The house of the rising sun, d'après moi c'est ce que l'on appelle un hasard significatif... C'est bien l'arrangement de Dylan et de Dave Van Ronk à qui le Bob l'avait '' emprunté'' que reprennent les Animals. Ce morceau hissa les Animals au pinacle du rock'n'roll, il fit leur gloire, il les expédia directly dans le heartbeat des fans de l'époque au même niveau que les Rolling Stones et les Beatles. Il fut aussi la première fêlure qui brisa l'unité du combo. J'étais jeune et pas trop bête, je me disais, l'est attribué à Price ce ne peut pas être Alan Price, l'est bien sympathique mais il n'a pas la carrure pour écrire cela ( le fameux flair du rocker ), j'ai cherché, me suis creusé la tête pour finir par l'attribuer à Lloyd Price, résultat j'ai cherché vainement durant des années The house of the rising sun par Lloyd Price sans jamais la trouver... mauvaise piste. Une erreur fatale que ne commit pas Alan Price, crédita le traditionnel à son nom. Il oublia bêtement de rajouter les quatre autres copains... qui ne le lui pardonnèrent jamais. Le ver était dans le fruit mais Price a dû penser que le fruit était autour du ver... on ne commente pas un tel morceau, c'est sur celui-ci que l'on entend Chas un max... la voix de Burdon est magnifique, quant à l'orgue de Price il puise dans les racines du gospel... D'ailleurs le premier morceau de la face B de Bob Dylan, s'intitule Gospel Plow ( voir la version de Chance McCoy And the Apallachian String Band )... Talkin' 'bout you : ne pas confondre avec le Talking about you de Chuck Berry, l'adaptation provient de Ray(on de soleil noir ) Charles quand on sait d'où procède Ray Charles l'on ne s'étonne pas que le morceau sonne méchamment gospel, sans surprise quand on a le début l'on sait comment cela se terminera sept minutes plus tard, l'orgue court comme l'aiguille des secondes au cadran de la montre pas du tout arrêtée, l'on pourrait s'ennuyer mais Burdon est si imaginatif qu'il vous entraîne dans un tourbillon sans fin, et les chœurs derrière miaulent comme des chats amoureux sur les toits les nuits de pleine lune.

    SEPTEMBRE 64

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    I'm crying : enfin un original, Price et Burdon ont mouillé la chemise, résultat un must, Hilton hausse le ton de sa guitare et ça défile à la vitesse d'un troupeau de mustangs qui galopent pour échapper à un feu de prairie, un superbe morceau refermé sur lui-même comme une sphère parménidienne, Burdon s'impose comme l'un des plus grands vocalistes rock, mais le plus terrible ce sont ces chœurs masculins échappés d'une représentation de l'Agamemnon d'Eschyle qui ont la même force dramatique que les trois coups du destin dans la symphonie du destin brisé de Beethoven... Eddy Mitchell en a donné une version qui n'est pas à dédaigner, même les lyrics sont moins passe-partout que ceux de Burdon. Take it easy : encore écrit par le duo Price-Burdon, je n'appelle pas cela une création, plutôt une imitation de ce qui existait avant eux, une espèce de décalcomanie de leurs inspirations, vous avez le droit de penser que je cherche des poils sur les œufs pondus par les Animals surtout que c'est méchamment mis en boîte, le Mickie Most il devait être horloger suisse dans une autre vie. Nos deux compositeurs ne se sont pas oubliés, occupent toute la place, mais Mickie Most a su faire sonner l'heure à la batterie de Steel et vous a ménagé pour Hilton le quart de minute dont chaque soliste a besoin pour être célèbre. L'ensemble souffre de sa juxtaposition avec I'm cryin'

    Nous les avons écoutés, regardons-les :

    The house of the rising sun :

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    Décor de studio, des espèces d'éléments de croix blanches de pierres tombales  appuyées sur une cloison que la lumière des projecteurs rend jaunâtre, la caméra se déplace de droite à gauche, voici Alan Price assis devant son orgue, mince comme une table à repasser, l'on se demande comment il peut tirer de cet étui à mitraillette un telle amplitude sonore, sous les manches des guitares l'on aperçoit au fond et au faux centre de l'image le haut de la batterie de John Steel légèrement positionné de guingois, impressionnante la carrure de Chas Chandler bouche le fond du décor, devant lui Hilton Valentine avec son air sage et sa Fender et devant Hilton Eric Burdon – pas vraiment beau, ne rallumons pas la Guerre de Cent Ans, disons une beauté anglaise – sont rangés tous les trois en escalier, portent tous un complet marron-gris qui ne laisse dépasser que le col jaune de leur chemise. Sont affublés d'une cravate noire. Le décorateur aurait-il compris que The house of the rising sun désignait la dernière demeure des cimetières ? C'était la vue d'ensemble. Attention une chorégraphie, les trois ostrogoths debout défilent devant nous, dévoilant pleine vue l'entier attirail de John Steet et Alan et son joujou. Voici à l'extrême droite la tête de Burdon, peau acnéique, qui d'un lugubre appel met en garde toutes les mothers du monde, il baisse la tête et ses beuglements vous filent le frisson filandreux, la caméra tourne et l'on se rend compte que les planches blanches symbolisent les barreaux d'une cage dans laquelle ils sont prisonniers, preuve que décorateur avait intuité juste, et que nos trois zigotos ne se livrent pas à une chorégraphie de centre aéré mais qu'ils tournent en rond dans leur cellule, Steel bat le beurre en mâchant un chewing gum de façon peu ragoûtante, Burdon vous ouvre la bouche avant que le dentiste ne lui arrache ses dents de sagesse, mains de Price avec la gourmette en argent au poignet droit, Hilton vous adresse son meilleur sourire hypocrite, l'est manifestement content que ça se termine ( on achève bien les Animals ), s'inclinent tous respectueusement.

    I'm cryin'

    Dans le temps traînait sur le net une espèce de réplique de la précédente. Nos Animals y interprétaient en playback I' m cryin, restaient sagement alignés comme des I jaunes ( Rimbaud affirma en un poème célèbre que le I était rouge mais les historiens ont prouvé n'avait jamais vu cette vidéo ). Etaient revêtus d'un magnifique costume bouton d'or éblouissant, pourquoi les Animals ne seraient-ils pas des canaris après tout, je ne l'ai pas retrouvée, hélas. Il existe tout un tas de versions plus ou moins live de ce morceau, question ethnologique privilégiez leur premier passage au

    Sullivan Show, le 18 octobre 1964

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    Le décor est un peu chiche, un fond de baraque de loterie de fête foraine agrémentée d'un arc d'ampoules électriques colorées – rappelons que l'image est en noir et blanc, enfin en grisâtres inexpressifs – mais l'on entend la foule invisible qui crie et surtout l'on voit : John Steel surélevé sur son podium, Alan au niveau de la médaille d'argent sur sa gauche et devant plantés comme des piquets de tomates les trois autres. Le morceau n'est pas commencé que déjà ils ouvrent leurs râteliers aussi larges que des bouches d'égout et l'ouragan vocal vous surprend en pleine campagne, vous expédient le choral comme un tapis de bombes sur un village innocent, z'ont les yeux qui pétillent de joie, Steel est un peu inquiétant ne se préoccupe que de sa cymbale, un gosse autiste qui joue pendant des heures avec l'emballage du cadeau que sa grand-mère lui a offert, Chas est à la fête, il balance tout heureux sa stature de géant, l'est sûr que les filles ne peuvent pas ignorer sa présence virile, le plus rigolo c'est Eric, il a une façon d'allonger le cou comme une girafe chaque fois qu'il s'approche du micro, et puis sur la fin il roule les épaules avec ce regard en biais de boxeur qui va vous décrocher le knocked out dans la seconde qui suit, tiens il se tient l'épigastre gauche d'une manière luxurieuse, l'Alan a l'air pour une fois plus préoccupé par sa participation à la chorale démoniaque que par sa machine à touches, n'y a que l'Hilton qui semble se souvenir qu'il est là pour jouer de la musique encore qu'il n'oublie pas d'ouvrir sa bouche aussi large que l'entonnoir d'un mégaphone. Normalement ils devraient être tristes puisque la chanson veut qu' ils pleurent, mais l'on devrait conseiller cette bobine à tous les dépressifs. Z'ont l'air tellement heureux que c'est plus que jouissif, réjouissif.

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    Damie Chad. A suivre.

     

    XX

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    91

    Sont tous à la poursuite de Molossa et de Molossito, Charline et Charlotte en leur maillot rose, l'adjudant qui les suit de près, soldat Pierre, soldat Marc qui comme tout soldat du rang qui se respecte sont prêts à suivre leur chef jusqu'à la mort, et une dizaine de fusiliers-marins qui gardaient le poste de garde de l'entrée qui ont suivi le mouvement par réflexe, commettant une première erreur, celle de laisser la grande porte d'entrée du palais ouverte, et une deuxième qui pourrait leur valoir le conseil de guerre, le portail de la cour d'honneur béant aux quatre vents, ceci est juste une expression parce que pas un souffle d'air ne trouble l'atmosphère du petit matin.

      • Droit dedans !

    Je n'ai pas attendu l'ordre du Chef pour commencer la manœuvre, avec la sureté et l'élégance d'un pilote professionnel, je pose l'appareil et coupe les gaz.

      • Nous ne pouvions trouver circonstances plus favorables, déclare le Chef en retirant de sous son siège une mallette de fer-blanc, les filles et les chiens ont été formidables, j'avais escompté entrer en force, mais la voie est ouverte !

      • Attention hurle Vince, une grosse bagnole passe le portail, suivie d'une autre!

    En six secondes c'est une dizaine de voitures qui entourent notre appareil, elles ne sont pas totalement arrêtées qu'en surgissent une quarantaine d'individus ( mâles et femelles ) passablement excités qui se ruent sur nous en criant et en nous tendant un carton à bout de bras. Les logos sur les voitures, les caméras et les micros sont explicites, BFM TV, Europe 1, France Inter, Antenne 2, Match... des journalistes !

      • Mesdames, Messieurs – la voix onctueuse du Chef s'élève et comme par miracle le silence s'installe – service de Sécurité de L'Elysée, que puis-je pour vous, s'il vous plaît si un seul d'entre vous pouvait formuler votre requête, cela nous permettrait d'avancer plus vite !

      • C'est très simple, une jolie petite brunette a pris la parole, nous avons reçu une convocation de la Présidence de la République pour participer au point presse, qui suivra la réunion secrète sur la pandémie Coronado-virus que tient actuellement le Haut Conseil de Surveillance en présence du Président de la République. Il est vrai que nous sommes un peu en avance, mais le portail était ouvert et nous avons cru...

      • Vous avez eu raison. Je vous demande de patienter une petite vingtaine de minutes en compagnie de l'agent de sécurité Vince, je me précipite aux nouvelles avec l'agent Chad, à tout à l'heure.

    Un soupir de satisfaction s'élève de la foule...

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    Molossa et Molossito galopent dans les couloirs, ils ont bien une minute d'avance sur leurs poursuivants, tous deux se cachent sous les tentures de doubles-rideaux qui encadrent une vaste fenêtre face à une large porte capitonnée. Charlotte, Charline, l'adjudant, soldat Pierre, soldat Marc et la douzaine de fusiliers-marins passent devant eux en trombe sans les voir.

      • Crois-en mon flair, Molossito, c'est là-dedans que ça se passe !

      • Oui Molossa, ce serait bien que l'agent Chad soit là, il trouverait le moyen d'entrer lui, il est si intelligent !

      • Tiens le voilà, avec le Chef en plus !

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    Ambiance studieuse. Le Président de la République parle. Tout le monde l'écoute, certains prennent des notes.

      • La situation est grave, des milliers de morts chaque jour, nous avons réussi à détourner la colère de la population en accusant à tort le Service Secret du Rock'n'roll d'avoir répandu le virus en distribuant gratuitement des Coronado sous la Tour Eiffel, le temps que nous arrêtions les deux responsables de cette organisation terroriste et nous...

      • Troudemerdededieu, ouvrez vite, nous les tenons !

    La porte vient de s'ouvrir brutalement, l'Adjudant entre suivi du soldat Pierre qui tient fermement par le bras Charlotte qui porte Molossa, puis du soldat Marc qui tient fermement par le bras Charline qui porte Molossito, suivi du Chef solidement encadré par une dizaine de fusiliers-marins et qui porte précautionneusement sa mallette de fer blanc contre sa poitrine...

      • Clitotrouédelasaintevierge, mon Président, nous avons le Chef, les chiens et deux jeunes innocentes qui se font faites avoir par les paroles doucereuses de ces aigrefins, pour l'agent Chad, d'après moi, il ne doit pas être très loin !

      • Adjudant, vous méritez de la France, et vous le dénommé Chef, l'ignoble empoisonneur du pays, quelles piteuses excuses allez-vous imaginer pour votre défense !

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    Lorsque j'apparais sur le perron je m'attends à entendre des exclamations de soulagement et d'impatience, mais non tous les journalistes sont assis sur les marches et semblent porter une très grande attention aux paroles de Vince.

      • Excusez-moi, mesdames, messieurs le Président vous recevra dans une vingtaine de minutes !

      • Chut ! Taisez-vous ! Laissez-nous donc tranquilles ! Dites au Président que ce n'est pas pressé, qu'il prenne tout son temps ! Il y a tout de même des choses plus graves que les milliers de morts du Coronado-Virus sur cette terre ! Ecoutez plutôt ce que nous raconte l'agent Vince, c'est prodigieux, insensé, incroyable !

      • Oui Messieurs-dames, je vous ai pour le moment évoqué la vie de mon ami Eddie Crescendo, j'en viens maintenant à raconter les derniers jours de sa mystérieuse disparition...

    Je m'éclipse discrètement...

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    Je suis revenu une demi-heure plus tard. L'assistance est atterrée. La petite brunette est en pleurs. Certains appellent nerveusement leur rédacteur en chef sur leur portable. Il y en a même deux qui retiennent une chambre d'hôtel à Nice...

      • Le Président de la République vous fait savoir qu'il a l'honneur de vous recevoir, je vous demanderais le plus grand calme et la plus grande dignité. Nous avons à traverser de longs couloirs, je compte sur vous pour ne pas crier et courir pour arriver les premiers.

    Vince et moi marchons en tête. Tout le monde se déplace avec gravité et componction. L'adjudant nous attend devant la porte

      • Enculédetaracededieu, le Président a dit que les caméras et les appareils photos sont autorisés, en rang par deux, un dernier coup de peigne pour les dames, messieurs rajustez vos nœuds de cravates, et que personne ne moufte sans autorisation, facederatsdedieu !

    Et d'un geste auguste il poussa les deux vantaux matelassés...

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 464 : KR'TNT ! 464 : LITTLE RICHARD / CHARLIE WATTS / LITTLE VICTOR / MOUNTAIN / CONFIDENTIEL SSR

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 464

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB KR'TNT KR'TNT

    14 / 05 / 2020

     

    LITTLE RICHARD / CHARLIE WATTS

    LITTLE VICTOR / MOUNTAIN ( III )

    CONFIDENTIEL SSR

     

    Richard cœur de lion - Part One

    mountain,confidentiel ssr

    — Hey Richard ! Faut les laisser entrer, sinon y vont démolir cette fucking porte !

    Perché sur son trône, Little Richard apporte les dernières retouches à son maquillage. Il est au Cobo Hall de Detroit pour y affronter Jerry Lee Lewis. Terrible combat en perspective ! Le titre de roi du rock’n’roll est en jeu.

    — Ah ces journalistes ! Ils ne connaissent rien à la patience ! Pffffff ! Bumps, sois cooooool, fais-les attendre encore un p’tit chouille...

    Little Richard réactive sa pompadour. Elle s’élève à cinquante bons centimètres au-dessus de son front. Ses yeux de chat espiègle sont soigneusement soulignés au khol. Il passe un doigt humide sur la fine moustache qui surligne ses lèvres peintes.

    Bumps Blackwell entrouvre la porte :

    — Encore un peu de patience, messieurs... Le king se coiffe...

    Une houle de protestations s’engouffre par l’ouverture. Bumps repousse la porte avec d’énormes difficultés. Little Richard brille de mille feux. Les miroirs cousus sur sa tunique renvoient les faisceaux des projecteurs braqués sur lui.

    — Come on, Bumps, I’m ready ! Rrready rrready rrready ! Fais entrer la meute !

    La meute envahit la loge. Les flashes crépitent. Little Richard surplombe la cohue du haut de son trône. Des bras tendent des micros. Les questions commencent à fuser :

    — Monsieur Richard, vous allez affronter le killer en combat singulier. Franchement, croyez-vous pouvoir le battre ?

    Piqué au vif, Little Richard se lève d’un bond :

    — Jerry Lee Lewis a tout appris de moi ! Tout, vous m’entendez, tooooo ! Sans moi, il n’existerait pas ! Je suis le roi du rock’n’roll... ainsi que la reine !

    Et il éclate d’un gigantesque rire cristallin. Comme contaminés, les journalistes éclatent de rire à leur tour.

    Un vieux renard de la presse sportive se faufile jusqu’au premier rang :

    — Monsieur Penniman, j’apprends à l’instant que vous passerez avant le killer. Le tirage au sort en a décidé ainsi. Pour vous, le combat est perdu d’avance, n’est-ce pas ?

    Little Richard s’effondre dans son trône et s’enfouit le visage dans les mains. Il sanglote comme une jouvencelle. Des perles d’une grande pureté coulent sur ses joues et vont rouler aux pieds des journalistes qui les ramassent. Soudain, il se relève, prend une pose acrobatique, les jambes écartées, les bras tendus en croix et les yeux rivés au plafond. Son visage s’illumine. Un immense sourire lui ouvre le visage comme un fruit. Il s’adresse au ciel :

    — Je suis à l’origine du rock’n’roll et le seigneur almighty est avec moi ! Je suis le roi du rock’n’roll, awop-bop-a-loo-mop alop-bam-boom !

    Bumps s’interpose :

    — Messieurs, j’vous prie de quitter la loge fissa. Little Richard a besoin de se préparer pour le combat...

    La meute quitte la pièce et file au trot jusqu’à l’aile opposée du Cobo Hall. Le killer les attend lui aussi dans sa loge pour une conférence de presse. Jerry Lee accueille la meute, négligemment assis sur une chaise en fer. Le franc sourire du vainqueur éclaire son visage. Son large front est encombré de mèches rebelles qu’il réincorpore occasionnellement d’un geste lent. Jerry Lee est ravi d’accueillir les témoins de sa gloire.

    — Ha ha ha ha ! Ha-ha ! Entrez, bande de foies blancs !

    Son rire guttural roule comme la foudre sur les têtes agglutinées devant lui.

    — Monsieur Lewis, vous êtes donné favori ! Mais Little Richard a du punch... Il risque de vous en faire baver, vous ne croyez pas ?

    Jerry Lee se lève et se dirige vers le piano en ricanant comme une sorcière shakespearienne.

    — Chuck Berry a déjà essayé de me faire avaler une couleuvre à Saint-Louis... On ne fait pas avaler de couleuvre à Jerry Lee... Il faut être nègre ou complètement fou pour croire qu’on peut faire avaler une couleuvre à Jerry Lee...

    Il sort de sa poche un petit flacon d’essence, asperge le piano et gratte une allumette. Floufff ! Les flammes s’élèvent.

    — No sonofabitch n’ose la ramener après ça ! Ha ha ha ! Ha-ha !

    Les journalistes raffolent des coups d’éclat de Jerry Lee.

    — Ha oui, monsieur Lewis, vous n’en ferez qu’une bouchée de ce petit nègre arrogant, pour sûr !

    — Ha ha ha ha ! Ha-ha ! Yeah-yeah-yeah-yeah...Yeaaaaahhhhhhhhh !

     

    Le Cobo Hall est plein comme un œuf. Assoiffé de sang, le public est venu en masse pour assister au combat du siècle. Little Richard monte sur scène. La foule l’acclame. Il ruisselle de lumière. Sa tunique à miroirs renvoie des centaines d’éclats. Il s’approche à pas feutrés du piano et soudain, il s’électrise, comme s’il recevait une violente décharge ! Il plaque avec sauvagerie les premiers accords de «Lucille» et attaque à la hurlette définitive :

    — Louciiiiiiiiile ! you won’t do your daddy’s will... Louciiiiiiiiile ! you won’t do your daddy’s will... you ran off and married but I love you still !

    Il hennit comme un poney apache. Le rock jaillit de sa gorge. Little Richard a décidé de terrasser son adversaire, aussi enchaîne-t-il tous ses hits. C’est une véritable entreprise de démolition. Il reçoit ovation sur ovation. En l’espace de quelques hits incendiaires, il redevient le plus grand showman du monde. Il saute sur le piano et jette ses boots blanches au public. C’est le délire. Puis il ôte sa tunique à miroirs et la jette aussi en pâture à une foule en délire. Une gigantesque clameur s’élève de la salle. Little Richard finit en caleçon et en chaussettes, debout sur le piano. Il déclenche l’enfer sur la terre. Il enchaîne avec «Jenny Jenny», «Tutti Frutti» et «Ooh Poh Pah Dooh». Il repère Mitch Ryder au premier rang et le fait monter sur scène. La foule hurle de plus belle, car Mitch Ryder est le roi de Detroit. Ils chantent tous les deux mais les hurlements de la foule devenue folle couvrent leurs voix. Little Richard donne le coup de grâce avec une version apocalyptique de «Long Tall Sally», qui est certainement la pire teigne rock de l’histoire, et il quitte la scène, trempé de sueur. En passant près de Bumps, il lâche dans un râle :

    — Jerry Lee est mort, ha ha ha ! Il ne pourra pas faire mieux...

     

    Quelques instants plus tard, Jerry Lee monte sur scène. Il reçoit un accueil chaleureux, mais qui n’a rien à voir avec l’hystérie déclenchée par Little Richard. Jerry Lee s’assoit au piano et attaque «You Win Again», une chanson country assez pépère. Il enchaîne avec une autre chanson country, toujours sur le même tempo. Le public commence à manifester son mécontentement.

    — À poil !

    Les plus courageux réclament «Great Balls Of Fire» et «Whole Lotta Shaking Going On». Jerry Lee arrête de jouer et croasse :

    — Si vous z’êtes pas contents, la sortie c’est par là !

    Des centaines de gens sifflent. Alors Jerry Lee gronde comme le tonnerre :

    — Roooaaarrrrrrrrrr ! Ooooooh yeah-yeah-yeah-yeah...Yeaaaaaaaaaaah!

    Et il enchaîne sur «Money». Puis il cueille la foule au menton d’un coup de «What’d I Say» :

    — Tell your momma, tell your pa... gonna mov’ you back to Arkansas !

    Puis il assène le coup du lapin avec sa version démente de «High Heel Sneakers». L’hystérie gagne à nouveau la foule. Jerry Lee reprend les rennes du pouvoir. Il chauffe la salle à blanc. En seulement trois morceaux, il a galvanisé le public. Les filles hurlent à s’en arracher les ovaires. Jerry Lee va chercher dans ses réserves gutturales les accents les plus sauvages. Il reprend la main à coup de yodell, la victoire lui appartient. Il crache le feu, il tient le rock par les couilles. Il martèle ses paroles avec l’insolence du vainqueur.

    — And a bring along some boxin’ gloves... in case some fool might wan-na fight !

    Jerry Lee s’est levé. Le visage couvert de mèches rebelles, rooooaaarrrr, le cerbère des enfers gronde. Il pianote convulsivement, donne des coups de talons sur les touches et d’un bond, saute sur le piano. Il calme le jeu quelques minutes, le temps de préparer l’explosion finale. La foule l’acclame comme on acclamait l’empereur dans la Rome antique.

    C’est le moment que choisit Little Richard pour donner le coup de grâce à cet enragé de Jerry Lee. Il apparaît tel un ange de miséricorde dans l’allée centrale. Il avance d’un pas léger, avec de grandes ailes blanches déployées dans le dos et une auréole que scintille au dessus de sa pompadour. Les gens n’en croient pas leurs yeux. Little Richard signe des autographes ! Il embrasse les filles sur la bouche. Il serre des mains en pagaille. Bumps fait de son mieux pour le protéger mais des dizaines de mains arrachent les plumes des ailes. La foule déchaînée s’agglutine autour de cette apparition surnaturelle.

    Debout sur son piano, Jerry Lee n’en croit pas ses yeux, lui non plus. Se faire rouler comme ça ! Par un nègre en plus ! Il sent la moutarde lui monter au nez. Il voit les premiers rangs se vider. Little Richard remonte l’allée centrale et se dirige vers la sortie, suivi d’une foule en délire. Alors, Jerry Lee fait signe aux techniciens. Il leur murmure des trucs à l’oreille. Puis il quitte la scène en donnant un violent coup de pied dans le tabouret du piano.

    Little Richard et ses milliers d’admirateurs remontent l’avenue. Le roi du rock’n’roll devient celui de Detroit. La foule grossit de minute en minute. Les curieux se joignent à l’immense cortège. Des clochards, des mères de famille, des vendeurs de journaux à la criée et des centaines de passants affluent.

    — Qui c’est ?

    — Little Richard, le King !

    — Mais non, c’est Elvis le King !

    — Bullshit !

    Little Richard marche en tête et distribue cérémonieusement ses grâces aux manants qui le courtisent. Un camion arrive de l’autre bout de l’avenue. Il ralentit et se gare en travers de la chaussée. Jerry Lee descend de la cabine et grimpe sur le plateau où est installé un piano. La foule s’immobilise. Jerry Lee reste un moment debout, le regard vissé dans celui de son adversaire. Les deux prétendants au trône s’affrontent du regard pendant d’interminables minutes. Des murmures parcourent la foule :

    — Que se passe-t-il ?

    — Chais pas...

    — C’est qui, l’autre sur le camion ?

    — Jerry Lee, le perdant...

    — Oh bah dis donc, l’a pas l’air content...

    Assez plaisanté. Jerry Lee se plante devant le clavier et le balaie de la main droite.

    — You shake my nerves/ and you rattle my brain !

    Il démarre «Great Balls Of Fire» sans crier gare. Il chante sans micro. Sa voix porte dans toute l’avenue. Il gronde, secoue ses mèches folles et martèle ses accords avec un violence terrible.

    — Goodness, gracious, yeahhhhhhh !/ Great balls of fire !

    S’ensuit un killer solo de piano. Il ploie les jambes, bascule le buste en arrière et les yeah-yeah-yeah-yeah qu’il hurle s’en vont défoncer la rondelle des annales.

    La réaction de la foule ne se fait pas attendre. C’est une explosion. Des milliers de gens se mettent à danser le twist. Jerry Lee enchaîne sur «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On». Il fait rouler les diamants de ses accords et regarde la foule, un sourire psychotique au coin des lèvres :

    — I said/ come on over baby/ a-whole lotta shakin’ goin’ on...

    La foule se calme car Jerry Lee met la pédale douce. Mais ce n’est que l’accalmie qui précède la tempête. Elle finit par éclater. Jerry Lee fait littéralement exploser son Lotta. Son guttural couvre le tonnerre du piano et des acclamations. Il hurle, se contorsionne, lève un bras au ciel, se tourne et écraser les basses à coups de cul, puis il saisit le piano, le lève au dessus de sa tête et le jette dans une vitrine.

    La foule hurle :

    — Jerry Lee ! Jerry Lee ! Jerry Lee !

    Little Richard approche du camion.

    — Bumps, aide-moi à monter.

    Bumps le hisse sur le plateau. Little Richard s’agenouille devant Jerry Lee et lui baise la main.

    Signé : Cazengler, Little Ricard

    Little Richard. Disparu le 9 mai 2020

     

    J'ai la Watts qui s'dilate - Part One

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    S’il en est un qui a la dent dure, c’est bien Mike Edison. On ne le surnomme pas Sharky pour rien. Pour bien situer les choses, Sharky fut, entre autres choses, le batteur des Raunch Hands, un groupe Crypt des années 80/90 et c’est en tant que batteur qu’il rend hommage à Charlie Watts avec l’excellent Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters, un ouvrage que liront tous les fans des Stones, mais aussi tous ceux qui s’intéressent au rude métier de batteur.

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    Ce book hautement énergétique et comme écrit à coups de relances permet de revisiter dans le détail toute la discographie des Stones, ce qui n’est jamais du temps perdu, car on redécouvre des choses à chaque réécoute. À travers Charlie Watts, Sharky rend hommage à des quantités d’autres grands batteurs qui ont fait l’histoire du rock et il encense comme seul un batteur peut le faire, avec l’œil rond comme une cymbale et une niaque de chamboule-tout. Ce livre est une fantastique galerie de portraits, aussi va-t-on prendre le temps d’aller y musarder un peu.

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    Revenons à la dent dure. Car c’est là que Sharky s’impose. Il ne tourne jamais autour du pot. Le pot, ce n’est pas son truc. S’il n’aime pas un mec, il le cloue à la porte de l’église. Il commence par clouer les Doors - they reprensented the worst sort of rock mendacity: a blues band that could not play the blues (le pire genre d’arnaque : un blues band qui ne sait pas jouer le blues) - Et paf, à dégager. Il pourfend ensuite Cream en les accusant d’avoir massacré «Spoonful», l’un des chefs-d’œuvre de Wolf. Ils en font dit-il de l’atonal cacophony, ce qui n’est pas une mauvaise choses if you are John Coltrane or Cecil Taylor, but Cream were not John Coltrane or Cecil Taylor. Cream n’était ni Trane ni Cecil Taylor. Et il conclut en assénant ceci : «The damage they did can still be felt.» (Les dégâts qu’ils ont faits sont toujours d’actualité). Sharky a le courage de ses opinions et ça lui vaut les encouragements du lectorat. Vas-y Sharky ! Cloue-les tous à la porte de Notre Dame ! Plus loin il s’interroge sur le choix de Kenney Jones pour remplacer Keith Moon : «C’était comme échanger Jackson Pollock contre un peintre en bâtiment.» Il a raison, au fond, car après la mort de Moony, les Who n’avaient plus aucun sens. N’importe quel batteur aurait été un peintre en bâtiment. Il s’en prend aussi à Kiss, un groupe si ugly qu’il devait se maquiller. Le passage que Sharky consacre aux groupes qui vendirent leur cul en passant à la diskö vaut les pires coups de hache pamphlétaires de Léon Bloy : «Kiss a prouvé une bonne fois pour toutes qu’ils n’avaient ni honte ni scrupules en enregistrant ‘I Was Made For Lovin’ You’», et il épingle plus loin les smarty-pants prog-rockers Pink Floyd qui eux aussi ont trempé dans la diskö à des fins commerciales. Sharky pourfend plus qu’il ne cloue. Mais à ce petit jeu, Luke Haines est beaucoup plus violent. Nous y reviendrons, c’est promis.

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    Sharky est aussi un auteur convainquant : il faut voir avec quel brio il défend une idée, comme par exemple celle du minimalisme, dont Charlie Watts est un expert : «Ginger Baker allait devenir une sorte de drumming superhero, alors que Charlie allait poursuivre son petit bonhomme de chemin, en se contentant de veiller sur le roll des Rolling Stones, with little if any fanfare, c’est-à-dire sans jamais la ramener. Il existe d’autres grands minimalistes dans notre culture : Coco Chanel me vient tout de suite à l’esprit, mais aussi Monk, Miles Davis, les Ramones, Keith Richards et les grands batteurs de Chess Records, ils ont tous de l’importance car ils ont prouvé que le moins est souvent supérieur au plus.»

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    Ailleurs, il définit à sa façon ce qui fait la grandeur d’un groupe de rock : «Les grands groupes sont des gangs - et il met le mot gang en ital - Ils savent rester ensemble. Ça ne veut pas dire qu’ils s’aiment les uns les autres, ou qu’ils s’apprécient - tous ceux qui ont traîné assez longtemps avec des groupes savent très bien quel genre de merdier y circule - mais une fois que tu as franchi le cap et compris qu’un groupe peut vibrer comme un seul homme, et que le groupe est devenu plus important que la somme des individus, alors tu n’as plus envie de tout bousiller.»

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    Il donne plus loin une vision terriblement lucide de l’évolution des choses : «Si tu allais voir les Stones en 1969 ou dans le début des années soixante-dix, tu assistais à une révolution. Les choses ne seront plus jamais comme ça. Ce que je dis n’a rien à voir avec la nostalgie. Je fais référence à un fait scientifique. L’environnement dans lequel le rock est apparu ne peut être recréé. Le public a beaucoup trop changé. Le monde culturel contemporain serait incapable de supporter un truc aussi radical que les Stones de 1969. Trop de choses se sont passées depuis, et trop de choses ont disparu. Il n’existe plus aucune trace de danger dans la musique.» Puis il envoie une bourrade aux pseudo-temps modernes : «C’est la grande arnaque de l’ère Internet, confondre l’accès à l’information et la connaissance. Les vidéos gratuites ne remplaceront jamais l’expérience. Tout le monde cherche un shortcut, c’est-à-dire un raccourci. Charles Watts vous dirait qu’il n’existe pas de raccourcis.»

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    Sharky est un excellent écrivain. Il sait mortaiser le chêne pour étayer sa pensée. Mais dès qu’il rend hommage à des gens, ça devient encore plus impressionnant. Eh oui, on connaît tous les grands disques, mais sait-on seulement comment s’appellent tous les batteurs géniaux qui jouent derrière ? - Little Richard’s drummers were monsters - his music demanded nothing less - Sharky dit que Little Richard était trop black, trop sexuel, trop sauvage pour l’Amérique en plastique d’Eisenhower et pouf, il rend directement hommage à Charles Connor, le héros inconnu qui joue l’intro de «Keep A Knockin’», puis il cite l’autre monster, Earl Palmer, un peu plus connu et qu’on entend aussi derrière Fatsy, à l’époque. Tiens voilà Ebby Hardy, le premier batteur de Chucky Chuckah, qui foutait la trouille au public avec son snaggletooth grin et qui, nous dit Sharky, a slammé the hardcore hillbilly madness of «Maybellene», practically a Motörhead prototype ! (En slammant à la folie Maybelline, cet homme au sourire monstrueux préfigurait Motörhead). Sharky exagère un peu, mais bon, c’est un enthousiaste et il ne faut pas le contrarier. Puis voilà Fred Below, the undisputed King of Chess Studios drummers. Charlie Watts déclara : «Je dois tout à Fred Below.» Et pouf, Sharky embraye - Below brought it all : blues thump with jazz roots, easygoing double shuffles, a killer backbeat, anticipation, penetration, and high-octane propellant (le blues beat avec les racines jazz, la souplesse du shuffle, le killer backbeat, l’anticipation, la pénétration et la propulsion) - Et il envoie son hommage au firmament des hommages en lâchant ça : «Comme Earl Palmer, il avait le don surnaturel de mélanger les shuffle beats à l’ancienne avec le tout nouveau rock’nroll telemetry sans perdre son swing.» C’est la piste aux étoiles ! Sharky se fait virtuose du rock language pour honorer ses idoles.

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    Il fait un passage obligé par Bo qui ne s’intéressait qu’à la pureté du beat : «Bo était à la fois primitif et futuriste, il jouait des sons de l’espace sur des rythmes purement africains et il épiçait tout ça d’espagnolades. It was true jungle music, every song a sex bomb.» Et puis on tombe plus loin sur une double page en hommage à Bo, illustrée par une petite photo de Bo avec the Duchess et Jerome Green en veste à carreaux avec ses maracas. Sharky évoque une tournée anglaise des Stones avec Bo - Mick et Keith le regardaient jouer chaque soir and they learned, boy-oh-boy did they learn - Ils ont tout appris de Bo Diddley, le son primordial African swamp-rock and futurist blues, de ses chansons qui puaient la sueur et le sexe, son hypermodern wash of rhythm guitar paying, his tropical boogie, his explosive shimmy and shake, tout ce bazar tiré des anciens dieux de la fertilité, des space aliens et de la racine de mandragore, qu’on appelle John the Conqueror root en Amérique. Sharky brosse tout bêtement le portait d’un génie. Il rend ensuite hommage aux femmes que Bo ramenait sur scène, the Duchess (Norma-Jean Wofford) et avant elle, Lady Bo (Peggy Jones) qui chaloupait sur scène avec sa guitare customized, doing the Ancient Art of Weaving with the man himself. Et juste en dessus de cette image du trio mythique, ce démon de Sharky écrit : «This was exactly the strain of primal Negro eroticism that Mick and Keith mainlined, at least until the drugs took over.» (Mick and Keith cultivèrent cet érotisme négroïde avant de passer à, autre chose, c’est-à-dire les drogues).

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    Sharky rend ensuite hommage à Earl Phillips, le batteur de Jimmy Reed, the master of laid-back shuffle. Plus loin, il brosse les portraits des grands batteurs blancs qu’il admire, par exemple John Bonham, qui comme Charlie Watts et Keith Moon, sut inventer une façon originale (unprecedented) de battre le rock. Sharky félicite Bonham d’avoir inventé les double strokes, les triplettes de Belleville, et des untouchable chops. Mais il réserve le gros de son admiration pour Keith Moon dont le jeu était une extension de sa personnalité - outrageous, capricieux, drunk, charismatic, generous, honest and out of control - mais Sharky lui reproche aussi d’avoir influencé les kids qui croyaient bien faire en rajoutant des tas de cymbales et de gamelles sur leurs kits, et qui se mirent à faire n’importe quoi, croyant faire du Keith Moon. Il rend aussi un fier hommage à Jerry Nolan qui ne fut jamais aussi célèbre que les autres grands batteurs mais dont le drumming était the musical equivalent of a zip gun, leather jacket and pegged pants, c’est-à-dire l’incarnation musicale du zip gun, du blouson de cuir et du pantalon à pinces.

    Bon tout ça c’est bien gentil, mais les Stones ?

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    Sharky entre chez les Stones comme on entre en religion. Plus que des individus, il voit surtout un groupe, un son et un phénomène. Tous ceux qui ont vécu ça en direct savent que les Stones furent le plus gros phénomène rock du siècle passé. Sharky dit d’eux qu’ils ont créé un univers où le country blues se mêlait à la violence et au LSD, où les steel guitars infestaient le diskö beat, où le gospel pouvait être malsain et où tout puait le sexe. Quand les Stones passent au Ed Sullivan Show, Sharky dit qu’on sentait the Stones’ sex pouring off the television screen. Oui, le sexe dégoulinait de l’écran de télé. Et pour lui, comme pour tous, «Satisfaction» reste the first guenine punk rock song. Entre 1966 et 1969, les Stones passent du noir et blanc à la couleur et trouvent leur public : «Les ados vierges avaient laissé la place aux vétérans du Summer of love : stoners, burnouts, freaks, déserteurs, révolutionnaires occasionnels, sans parler des mannequins de mode, des intellectuels, des réalisateurs de cinéma, des artistes et de tout ce qui constituait la drug-culture aristocracy.» Sharky décrit à merveille la construction d’un monde nouveau. Puis il raconte comment les Stones se vautrent avec Their Satanic Majesties Request - Chaque fois que les Stones ont voulu suivre une mode ou une tendance, ce fut une horrible erreur - Puis ils redressent la barre avec «Jumping Jack Flash» - qui était au hard rock ce que «Satisfaction» était au punk - Keef parle de turbo overdrive - You jump on the riff and it plays you - Et Sharky revient inlassablement à la charge, il jette des mots dans ce chaudron intellectuel qu’il appelle the Rolling Stones music - Il n’y avait aucune différence entre les blancs et les noirs, entre le gospel et le hard rock, entre Bo Diddley et l’apocalypse - Ses formules prennent feu sous nos yeux, la verve dépasse le fan, le book se met à vivre sa propre vie, certains paragraphes sont comme possédés. Fan-tas-tique écrivain ! Bill Wyman explique à un moment que tous les groupes suivent le batteur. Pas les Stones. Charlie suit Keith. So the drums are very slightly behind Keith. Et Bill dit qu’il est un peu devant, «I tend to play ahead.» - It’s dangerous because it can fall apart at any minute - Il explique en gros qu’ils ne jouent pas ensemble : Charlie derrière le beat et Bill devant, ça peut se casser la gueule à tout moment. Et Sharky s’extasie : «The essence of the Stones style - Tight but loose. C’était terriblement sexuel et merveilleusement steamy.» Et il ajoute, tétanisé par l’aveuglante lumière de la révélation : «Les leçons de Chuck Berry, Bo Diddley, James Brown et Little Richard s’étaient déversées dans le cerveau de Keith et voilà ce qui en ressortait.» Quand ils arrivent à l’époque d’Exile, les Stones ont évolué. «Avec Brian Jones, les Stones jouaient des chansons. Avec Exile, ils jouaient de la musique.» C’est là que les Stones intègrent the all-Texas horn section - Bobby Keys and Jim Price - alors ils deviennent encore plus énormes, nous dit Sharky. «Comme si Keith les avait kidnappé à Muscle Shoals et conditionnés en leur injectant des amphétamines militaires, du crystal pur, pas la merde des bikers, the good stuff, the shit that won wars. Ils avaient tous des gueules de mecs s’apprêtant à cambrioler une pharmacie.» C’est là où Sharky devient puissant, sa langue dépasse sa pensée et sa vision transfigure la réalité pour mieux la lester de plomb véracitaire. Il utilise les formules idéales pour dire la grandeur décadente des Stones. Il parle aussi d’une symphonie de boogie-woogie, de sexe, de glam rock et de violence et il va loin en affirmant que les Who et Led Zeppelin sonnaient rococo next to the Stones’ highly distilled strain of mayem.

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    Puis Sharky aborde le chapitre du déclin, avec Goats Head Soup, le premier album qui relève plus de l’obligation que de l’inspiration. À cette époque, Keith explique dans la presse qu’il prend la route downhill to Dopesville alors que Mick s’envole pour Jetland. C’est l’époque où Keith assoit sa légende d’unrepentant dope fiend, qu’il se gave de coke et de speed, qu’il oublie de dormir pendant 9 jours, qu’il boit comme un trou et qu’il travaille comme un fou, and bless his soul, making it work. Alors Sharky reprend son bâton de pèlerin et examine les albums un par un. It’s Only Rock’n’Roll est à ses yeux un semi-échec, avec un morceau titre qui ne vaut même pas a good T. Rex song. Selon Bobby Keys, l’âme des Stones, c’est Charlie and Keith - This is were the engine room is - Puis Sharky annonce que Black And Blue est l’album le plus sous-estimé des Stones. On y note l’arrivé de Ronnie Wood sur quelques morceaux et le retour de l’Ancient Art of Weaving qui prévalait au temps de Brian Jones et qui joua un rôle tellement essentiel dans la genèse des Stones - Ils avaient besoin de Brian pour conjurer le hoodoo de Muddy, de Wolf, de Bo et de Chuck, leurs maîtres spirituels. Mick Taylor avait été embauché comme chirurgien pour tailler dans le vif et sortir le groupe des sixties. Le temps de l’Ancient Art Of Weaving avec Brian était donc révolu - Mais l’arrivée de Ronnie Wood allait le ressusciter. Autre métamorphose : les Stones avaient aussi remplacé leur vieille section de cuivres par le funk de Billy Preston. Sharky indique que Billy avait tendance à sur-jouer et son Afro occupait la moitié de la scène, si bien que, nous dit Sharky, Keith dut lui mettre son cran d’arrêt sous la gorge pour lui rappeler que les Stones n’étaient pas son groupe. Avec Ronnie, Keef trouve un nouveau drug buddy - they were running on pure pharmaceutical Merk cocaine - one song, one line, a reasonnable dose for an adult Rolling Stones - et hilare, Sharky ajoute : «Une fois de plus, les Stones étaient tellement dans leur époque qu’ils paraissaient l’inventer. You could practically HEAR the cocaine !».

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    Et la verve de Sharky repart de plus belle : «Keith was no longer playing Chuck Berry riffs, he was playing Keith Richards riffs, or more likely, they were playing him - C’était impossible de savoir où s’arrêtait l’homme et où commençait la musique.» Sharky sort des disques et entre dans la matière de l’art, il s’y fond spirituellement comme s’il entrait dans le cercle magique du divin, dans un au-delà de la compréhension des choses. Il écoute Some Girls et trouve la diskö de «Miss You» intéressante - Well for one they were really good at it. They made disco sound greasy and wet - Gras et humide, bien vu ! On trouvait tous que c’était un sacrilège à l’époque, mais Sharky a raison, il faut écouter ce que fait Charlie Watts. Il ajoute que Some Girls remet les pendules à l’heure, il parle de toughest and sleaziest record the Rolling Stones would ever make. Il dit aussi que Charlie n’a jamais aussi bien joué que sur Some Girls - Every song was a fresh take on the art of rock’n’roll drumming - Aux yeux de Sharky, Some Girls est l’album de la rédemption - The so-called punk songs on Some Girls twanged with clarity and Telecaster thump - et dans le feu de l’action, il ajoute : «It wasn’t punk-by-numbers, it was the Rolling Stones and their music was far closer to the edge of chaos - Puis il qualifie Tattoo You d’unexpected jewel, their last truly great record et il en arrive à la conclusion que c’était aussi bien Charlie que Keith qui rendaient toute chose Stonesy, et que Charlie amenait ce zork que lui seul pouvait amener, que c’était devenu indéniable, it was dogma. Et puis quand Jagger se négocie un deal solo pour sa pomme, c’est le déclenchement de la guerre atomique. Sharky : «Pour Keef, ça va plus loin que la sédition. C’est un manque de respect, c’est minable, malhonnête, une trahison. Personne n’est plus important que le groupe. Ils ont construit cette cosa nostra ensemble, alors Keef se sent trahi, et Charlie, dont la loyauté est encore plus profonde que l’océan, le vit encore plus mal.»

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    Puis au moment où Charlie sombre dans la dope et la booze, les Stones enregistrent Undercover - This is not Goats Head Soup fucked-up, c’est complètement autre chose. Non seulement Keef et Mick ne se parlent plus, mais ils viennent chacun à leur tour en studio pour saboter ce qu’a fait l’autre - Making Rolling Stones records used to be fun. Now it’s like digging graves (faire des disques était marrant auparavant, mais ils semblaient alors creuser des tombes) - Fin des haricots ?

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    Non car Dirty Work paraît en 1986, et Sharky y trouve the last great Rolling Stones song, «Had It With You». Dirty Work est selon lui the sound of Mick and Keith fighting. Puis les Stones basculent dans un tourbillon de tournées byzantines et d’unfocused studio records dont Steel Wheels (1989). Les Stones ne font plus ce que Phil Spector appelait une contribution, il faut, nous dit Sharky, un pendule pour trouver les bons cuts dans les albums, comme Voodoo Lounge. Avec A Bigger Bang, Sharky a l’impression que les Stones sonnent à nouveau de la façon dont ils croient devoir sonner.

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    Il termine ce brillant panorama avec Blue & Lonesome, un retour aux sources - The entire record was a minimalist masterpiece. Clapton qui intervient sur deux cuts n’a même pas réussi à le ruiner - Pour Sharky, Blue & Lonesome était l’album tant attendu après le bullshit de la demi-douzaine d’albums qui ont précédé.

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    Il ne s’étend pas longtemps sur les personnalités, sauf bien sûr Charlie auquel ce livre est consacré. Brian Jones ? Sharky le salue pour avoir su inventer avec Keef the Ancient Art of Weaving, une interaction entre les deux guitares qui générait un ragoût organique dans lequel ni le lead ni le rhythm ne dominaient. Brian allait injecter dans cet Ancient Art of Weaving l’exotica du dulcimer, des mirambas et du mellotron - A beautiful man, la musique coulait de ses doigts et sa contribution aux early hits des Stones brûlait d’un éclat sans pareil, jusqu’à son burning out, conséquence des mœurs en pratique à cette époque. On lui demanda de quitter le groupe en 1969 et on le retrouva mort dans sa piscine peu de temps après, laissant derrière lui une légion de cœurs brisés et une mystique intemporelle - Cet hommage à Brian Jones est aussi beau que celui que lui rend Marianne Faithfull dans son autobio. En fait la situation de Brian Jones n’était plus tenable - la double hélice psychedelic pop star et bluesman était trop tordue pour être viable - et comme les Stones devaient évoluer, Brian devait dégager. Sharky : «Se consumer avec les drogues et le pop stardom est devenu un cliché, mais le mérite en revient à Brian qui sut si bien l’incarner.»

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    ( Photo : André Fernandez )

    Ron Wood ? «Il semblait destiné à devenir un Rolling Stone. Comme Ronald Reagan, Elvis Presley et quelques autres, il était né sous sa bonne étoile et une fois lancé, pour le pire ou pour le meilleur, rien ne pouvait arrêter son ascension.» Les Stones le voient plus comme un chiot qui adore jouer. Il est le sideman parfait, nous dit Sharky, une menace pour personne. Quant à Keef, tout le monde l’aime. He is a man of the people. Sharky revient longuement sur la guerre atomique qui oppose Keef et Jagger dans les années 80. Un soir, dans un hôtel, Jagger appelle Charlie dans sa chambre et se croit assez malin pour s’exclamer : «Where’s my drummer ?». Alors Keef raconte que 20 minutes plus tard, on frappe à la porte. C’est Charlie, sur son trente-et-un, il sent même l’eau de Cologne. Charlie avance droit sur Mick et lui dit : ‘Ne m’appelle jamais plus TON drummer’, il le prend par le col, le soulève de terre et lui colle son poing en pleine gueule. Dans leurs échanges, Keef appelle Jagger ‘Brenda’, ou ‘Madame’, ou ‘Sa Majesté’. Et quand un mec lui demande : «Quand allez-vous arrêter de bitcher at each other», c’est-à-dire vous envoyer des insultes, Keef rétorque : «Ask the bitch.» Et quand l’album solo de Jagger sort dans le commerce, le tristement fameux She’s The Boss, Keef lâche ce commentaire d’un laconisme souverain : «C’est comme Mein Kampf. Tout le monde en a une copie mais personne ne l’écoute.» Par contre, tout le monde ADORE Talk Is Cheap. Eh, oui, on ne joue pas dans la même cour.

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    Sharky finit tous ses chapitres avec des stances qui constituent au bout du compte un extraordinaire dithyrambe à Charlie Watts. Ça commence en douceur quand il indique que Charlie ne jouait pas de solos de batterie, non pas parce qu’il n’en avait pas le niveau, mais parce qu’il était assez bon pour ne pas avoir à le faire. Sharky rappelle aussi que Charlie ne souriait pas en jouant. The best jazzers never did. Il prend le temps de préciser que Charlie was a man of true style. Quand un journaliste lui demande comment il évite les pièges de la vie de rock star, Charlie répond qu’il n’est pas une rock star - This speaks well to the character of Charlie Watts, I would say - Le style de Charlie watts is more music than muscle. Sharky entre dans le détail du hit hat thing, mais c’est trop technique pour les novices. Et cette phrase «This is why Charlie Watts matters» revient comme une sorte de leitmotiv religieux dans les pages de cette bible Stonesy : «Il y avait l’anticipation dans le groove et la pénétration était laissée de côté, comme il se devait, pour ce qui était prévu après l’heure de fermeture.» And this is why Charlie Watts matters : He made them sound unique again. Et Sharky entre dans le détail de la China cymbal, un délire encore trop corsé pour le novice. Il dresse ensuite un parallèle entre le drumming de Charlie dans Tattoo You et le Kama Sutra : il enfilait chaque roulement de batterie avec un nouvel angle. Encore un matter de taille : Vous pouviez toujours compter sur Charlie Watts quand tous les autres avaient perdu la boule - when everyone else has lost their fucking minds - Et retour au drum style, it was never about chops, c’est-à-dire la technique, it was about style. Et quand à 40 balais Charlie décide de faire le con en passant à l’héro, il entre en concurrence avec Keef : «J’ai failli en mourir. J’étais très malade au terme de deux ans sous héro et sous speed. Ma fille me disait que je ressemblais à Dracula.» Il va subir deux interventions, faire une semaine de rayons pour soigner son cancer et s’en sortir avec les honneurs, sous le regard ô combien admiratif de Sharky : «He is Charlie fucking Watts and he comes back strong.» Oui, Charlie passe à travers !

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    Sharky explique dans le dernier chapitre qu’il a appris à jouer de la batterie en jouant sur les disques de Sabbath, des Who, de Led Zep, d’Hendrix, de Little Richard, de James Brown, de Professor Longhair, du MC5, de Chuck Berry et des Ramones, mais ce que faisait Charlie était beyond, c’est-à-dire bien au-delà.

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    Sharky redescend de son nuage d’écrivain en rappelant, avec un art consommé de la synthèse, que Charlie a survécu au cancer et à l’héro, à cinquante ans de tournées avec Keef et Jagger et qu’il n’a jamais quitté les Stones, même lorsqu’il avait de bonnes raisons de le faire. He had the patience of a fucking saint. Oui, la patience d’un saint. Et il termine ainsi : «This why Charlie Watts matters : on pouvait toujours compter sur lui pour swinguer.»

    Dernière chose : en janvier dernier, Gildas descendit de chez lui en tenant un book à la main. Nous l’attendions en bas.

    — Tiens, c’est pour toi, tu nous feras une chronique !

    — Wouah ! Mais c’est le book de Mike Edison ! Quelqu’un que tu connais bien m’en a dit le plus grand bien !

    La chronique n’est pas parue, car cet enfoiré a cassé sa pipe en bois fin février. Je la confie donc à Damie, elle est entre de bonnes mains.

     

    Dans la vie, on va vite à mythifier. Il est possible que ce book soit l’un des plus beaux de la rock-culture et comme par hasard, ce fut l’ultime cadeau de Gildas. D’où sa valeur considérable.

    Signé : Cazengler, charlot Ouate

    Mike Edison. Sympathy For The Drummer. Why Charlie Watts Matters. Backbeat Books 2019 (Advance Uncorrected Reader’s Proof )

     

    La petite victoire de Little Victor

    - Part Two

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    Little Victor n’est pas avare de petites victoires. Sa nouvelle petite victoire s’appelle Deluxe Lo-Fi, un album dont le nom dit tout. Si tu aimes le luxe et que tu n’es pas riche, cet album est pour toi. Et si tu sors l’insert de la pochette, tu verras Little Victor photographié avec sa casquette de capitaine, tu sais ces casquettes de contrebandiers San Francisco, qui datent du temps des films noirs : un look un brin Bogey, mais avec une barbichette et une allure à l’Ali Baba. Il gratte sa gratte derrière un gros micro vintage accroché au plafond et ferme les yeux pour chanter «Gambler’s Boogie», un fier boogie à la Louisianaise. Little Victor se montre à la fois digne de son idole le grand Louisiana Red et de John Lee Hooker. D’ailleurs, «My Mind» qui ouvre le bal de l’A est dédié à Louisiana Red. Il chante aussi au velouté ce big heavy blues de rentre dedans qu’est «I Done Got Tired». Quel son, my son ! Un son chargé à ras-la-gueule comme un canon confédéré pointé sur ces damned Yankees, un son puissant et seigneurial de lo-fi bien roulé au déroulé, mais pas n’importe quel déroulé, un déroulé lourd de sens. Ah comme c’est powerful ! Little Victor montre aussi qu’il peut rocker comme mille diables, il suffit d’écouter «Slow Down Baby», vrai boogie demented à gogo chanté avec la foi du charbonnier.

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    Ou pire encore, ce «Graveyard Boogie» tapé à l’énergie rockab, une absolute departure de beginner. «I don’t play no pretty guitar ! I always try to play the meanest possible guitar !» dit-il dans la note d’intention accompagnant sa petite victoire. En B, il envoie un beau clin d’œil ferrailleux à Elmore James avec «Rocks». Il va down the road de bon cœur et se montre encore plus royaliste que le roi Elmore, il joue à la déglingue fondamentale et avale son chant à l’édentée salivaire des faubourgs de Vicksburg. Par contre, il chante «Whats The Matter Now» à la rocaille de la victorisation des choses. Il sonnerait presque comme Little Richard ou même Larry Williams, c’est d’un authentisme qui frise l’attentisme. Sérieux client que ce Little Victor, il se montre parfaitement capable de rocker la couenne du vieux rock’n’roll de la Nouvelle Orleans. Il adresse un autre clin d’œil, cette fois à Big Dix avec «Rockin’ Daddy». Il joue le boogie en père peinard sur la grand-mare des canards, ça suit sa route, ça fluctuat nec mergitur et ça swingue la couenne du meilleur boogie victorien. Il rocke le blues à l’estomac. C’est porté par un son délié, monté sur un bassmatic bien rond et une frappe légère. Ah comme ce mec sonne juste. On entend là the real black white man blues.

    Signé : Cazengler, Little Victordu

    Little Victor. Deluxe Lo-fi. Stag-O-Lee 2018

    MOUNTAIN ( III )

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    Troisième rendez-vous hebdomadaire avec Mountain. Chiffre idéal quand on aborde le dernier volet d'une trilogie. Celui de la fin. Il y aura un quatrième tome, un os ( moelleux, très bon ) jeté en pâture aux fans pour les faire patienter, et accroire que va bien. En attendant, un beau titre Flowers of Evils, emprunté à Baudelaire. Chacun trouve ce qu'il lui plaît dans une œuvre poétique, ou ce qui l'interpelle. De fait Mountain est confronté à une double problématique, historiale et personnelle. La guerre du Vietnam, elle eut par chez nous un retentissement souterrain, invisible, dès 1966 dans les lycées et les facultés se créèrent des Comités Vietnam d'obédience trotskiste ou maoïste, ces groupes furent les embryons de Mai 68. La conscription mit la jeunesse américaine directement en prise avec la guerre. De nombreux boys laissèrent leur peau dans les rizières. Ceux qui avaient la chance d'en revenir ramenèrent avec eux de sérieux malaises psychologiques. Beaucoup trouvèrent un dérivatif dans les drogues. L'époque s'y prêtait mais certains changèrent simplement d'enfer...

    Les membres de Mountain étaient dégagés des obligations militaires, les produits plus ou moins illicites faisaient partie à part entière de la culture rock. Le groupe tournait beaucoup, une aubaine pour les dealers, les filles, la route, l'alcool, l'argent, la fatigue, la dope, un cocktail explosif. Le succès renforce les égos et exacerbe les conflits latents ou artificiels... tout était réuni pour le split...

    FLOWERS OF EVIL

    ( Novembre 1971 )

    Est-ce que ces dissensions seraient à l'origine de la discrétion de Gail Collins sur cette pochette. Certains de ces messieurs ont-ils exigé d'avoir leur trombine en couverture ? Certes la photographie est de Gail, heureusement que la graphie du nom du groupe lui fût revenue. A touch of Gail qui brise l'anonymat de nos quatre chevelus. Des milliers de disques interchangeables arborent la tronche de leurs géniteurs, le lettrage de Gail détourne nos regards de nos quatre héros. Ce n'est pas qu'ils soient particulièrement laids c'est qu'ils sont comme tout le monde. Les huit signes de Gail se déchiffrent, des runes colorées qui racontent une histoire que chacun doit s'inventer. Et cette princesse de cœur qui semble remonter le courant de l'alphabet, est-ce pour signifier sinon son désaccord du moins une fêlure ? Les créations graphiques de Gail relèvent d'une ambivalence synesthésique peinture /musique qui a agi en tant que chambre artefactique de distorsion quant à la réception du groupe. Comme par hasard Baudelaire a beaucoup réfléchi sur l'impact réceptionnel et opératoire d'une toile sur le public.

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    Side A : Studio : Flowers of Evil : pas si violent que cela, c'est que le mal est plus rusé que vous ne le croyiez, s'insinue dans vos veines l'air de rien, même qu'au début vous avez l'impression qu'il vous fait du bien, un petit côté country, pas radisiaque mais presque, c'est bien de cela qu'il s'agit, du retour à la maison, le boy n'est pas en meilleure forme, n'a pas envie d'offrir des bouquets de fleurs à tout le monde, n'est plus ici, l'est ailleurs, barjote, barbote en lui-même, fini par rempiler au Vietnam pour trois ans, le titre est à la hauteur du sujet, d'un certain côté il ne vous satisfait pas tout à fait, et de l'autre vous ne pouvez vous empêcher d'y revenir. Ne cherchez pas, la solution est impossible à trouver. Une similitude avec le son du Creedence n'étonnera personne. L'eau qui coule des montagnes n'est pas toujours aussi claire et revigorante que l'on pourrait s'y attendre. King's Chorale : nous refont le coup de Taunta sur le Nantucket Sleighride, l'instru-mental qui tue. Même pas une minute. Knight se la joue sonate de Beethoven, vous enfile les arpèges du désespoir et les asperges de la solitude, à peine commencé, déjà terminé. Le mieux c'est de vous l'enregistrer en boucle. Faites attention à ne pas vous la passer autour du cou. Un malheur est si vite arrivé. Si cela survenait, vos amis seront tous d'accord pour affirmer que vous avez trouvé la musique appropriée pour votre générique de fin. One last cold kiss : Vous avez aimé The Wild Swans at Coole de William Butler Yeats, alors vous adorerez cette ballade. Froide comme le baiser de la mort. Paroles de Felix et Collins. Pratiquement prophétiques si l'on y pense. La mort du cygne est un lieu commun de la poésie symboliste. Avec ici un arrière goût moyenâgeux à la Swinburne. Mountain n'a pas donné dans la facilité, n'importe quel groupe de heavy-hard vous aurait traité cela à la manière grandiloquente des peintres pompiers du dix-neuvième siècle, non y ont introduit une pointe narquoise, pour mieux se tenir dans l'entre-deux de la mort et l'agonie de la beauté de vivre. Vous déroule la ballade comme le tuyau d'arrosage du jardin, au moins quelqu'un versera des larmes. Encore faudrait-il que le jardinier ait compris la signification de son geste. Crossroaders : retour à la mythologie rock, West devait en avoir marre ces quatre premiers morceaux larmoyants font un peu truc de gonzesse qui s'apitoie sur l'oiseau tombé du nid, alors là il vous le met riff profond, avec cette élégance toute britannique à la Eric Clapton, entendez ce morceau entre deux portes et instinctivement vous étiquèterez Cream, non vous n'êtes pas dans la bonne crèmerie, mais ici les blancs montés sur la neige de la montagne sont une spécialité. Inégalable. Pride and passion : Knight fait mumuse-couic avec son clavier. Longuement, ne vous impatientez pas, il y en a pour sept minutes et quand ça part c'est un peu dans tous les sens, de temps en temps vous avez un relent de fado de portugais, mais ce n'est pas fade. Une espèce de mini-opéra à la Kinks, retour au thème du début, la guerre qui tue les enfants des pauvres gens, encore un truc de nana, tout à fait Gail, pas vraiment gai, marmonne West, mais il met sa guitare en sourdine et vous tresse des harmonies à faire pleurer un crocodile dans son marigot. Dans toutes les montagnes qui se respectent vous avez des gorges profondes qui débouchent sur des grottes dont les parois sont recouvertes de dessins inattendus mais inoubliables.

    Side B : Live enregistré au Filmore-Est de New York : 1 / Dream Sequence : A : Guitar solo : tournez le disque, surprise, bien sûr c'est la face de West, une pyramide à sa gloire, oui mais c'est beaucoup plus subtil que cela. Vous vous focalisez sur la section suivante, un bon vieux Chuck Berry ce n'est pas spécialement fait pour piquer un petit roupillon, tout-à-fait d'accord avec vous, mais avez-vous remarqué qu'au début de cette dream sequence Knight vous re-pond ( et ron et ron petit patapon ) son pointu tchik-tchik du début de Pride and Passion, le disque est composé à la manière d'une symphonie avec des thèmes qui s'en vont et qui reviennent, même que West il commence par s'amuser avec la knighteuse mouchette chichiteuse, et puis il n'y tient plus, l'a son naturel de guitariste diplodocus qui le reprend et il vrombit de colère comme si vous aviez eu la malencontreuse idée de lui couper une corde. B : Roll over Beethoven : contrairement à ce qu'affirmait Eddy Mitchell, ici Beethoven  ne se repose pas, le West n'a aucun respect pour les classiques, vous le malmène salement, t'as voulu savoir ce que c'était que les coups du destin, tiens prends-ça, les riffs en rafales trafalgariennes, le Corky vient à son secours comme s'il avait besoin d'aide, l'agilité d'un lézard des murailles qui dépasse les cent cinquante tonnes, là où la guitare de West passe, la forêt hercynienne ne repousse pas, un vocal à la tronçonneuse et Corky à la bétonneuse, si vous sautez au plafond en écoutant cela prenez garde de ne pas percer le plancher du voisin d'au-dessus. En fait je retire ce que je viens d'écrire, à la fin c'est l'immeuble entier qui s'écroule. Pire que les Twin Towers ! C : Dream of milk and honey : le Leslie l'est comme le taureau qui vient de tuer le torero, ça lui file le peps,  le rêve de lait et de miel il en change la recette, les autres se dépêchent de dresser la table, programmation démente, cauchemar avec dynamite et vitriol, vous ne reconnaissez plus le film, ils n'ont gardé que les scènes de carnage et d'abattoirs, et le West l'est à la guitare comme le divin Ajax qui frappé de folie s'en va tuer les réserves de vaches folle, que les Grecs gardaient pour les Dieux. Tout va mal, nous sommes aux anges. D : Variations : si vous n'avez jamais entendu ces variations, vous n'avez aucune idée de comment on peut tripoter une guitare, chaque cinq secondes une révélation, du coup Corky s'en va taper sur sa cloche à long horns sauvages et évidemment la guitare de West se met à meugler telle la charolaise neurasthénique qui sentant le soir venir appelle le fermier pour être ramenée à l'étable, aussi technique que les Variations Goldberg de Bach mais sans clavecin. Essayez d'imaginer le désastre. E : Swann theme : Corky agite ses plumes sur la batterie et l'on rentre dans la reprise du Cygne. Est-il vivant ou est-ce son âme brillante qui s'élève rapidement et qui fonce à toute vitesse vers la ligne d'horizon. Derrière lequel il disparaît d'un dernier coup d'aile. 2 / Mississippi Queen : vous en voulez encore, en voiçà en voili, la pièce montée après le cuissot de mammouth, Mountain s'amuse, la reine du Mississippi nous fait tous les plans-drague qui marchent à tous les coups, soulève sa robe et dévoile son sein, par Toutatis une partouze-party à vous péter les rotules sur le tatami.

    J'en connais, je ne citerai pas de nom mais les tiens à la disposition des journalistes, qui n'ont pas du tout aimé la première face, ce qui ne les empêche pas de déclarer que vous vous ne trouverez pas mieux que le trésor de la B-side. D'autres posent le problème autrement : le groupe est à court d'inspiration, il patauge en studio et donne le meilleur sur scène. Cela sent le sapin. L'est vrai que le groupe se sépare – officiellement il prend un peu de repos – pour garder une casserole sur le feu, au cas où l'arrête ne serait pas définitif en 1972 Windfall leur maison de disques fait paraître un live.

    LIVE : THE ROAD GOES EVER ON

    ( Avril 1972 )

    Le titre hobbitique sonne un peu comme la formule rituelle, quand un artiste est tombé du trapèze dans la fosse aux crocodiles affamés, the show must go on ! Même si vous n'êtes pas diplômé des Beaux-Arts vous reconnaissez la patte de Gail, elle fait attention à ne pas se montrer, pas de jeune lady féérique sur la couverture qu'elle ne tire pas à elle. Toutefois l'on reconnaît les couleurs et le pic auréolé de Climbing ! Mais la paisible présence du cygne de Flowers of Evil devrait-elle être considérée tel un avatar baudelairien de l'albatros ? Et ces fleurs contournées - ces espèces de clématites délirantes, ces corolles carnivores qui se nourrissent de nos rêves - ne s'étalent-elles pas comme des forêts de symboles.

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    Long red : Smart est à la batterie. C'est norsmart, ce morceau est issu du set de Mountain à Woodstock. ( août 1969 ). Nous l'avons chroniqué dans la livraison Kr'tnt 462. Waiting to take you away : même remarque que pour la piste précédente. Crossroaders : légers glissandi de guitare, deux tapotements de baguettes et la machine démarre. Beaucoup plus bluesy que la version studio. Encore plus crémeuse aussi. Pappalardi vous a de ces profondeurs de basse capable de chavirer le Titanic, quant à West, sait qu'il doit faire mieux que vous savez qui. Alors il fait mieux. Simple, il suffit de vouloir, c'est dans les fioritures qu'il installe la différence, le riff c'est facile, c'est tout le reste qu'il fait en même temps, j'imagine ses doigts comme des essaims de mouches qui courent partout sur une surface plane, vous les chassez, elles reviennent encore plus insistantes. Six minutes de bonheur qui vous aident à comprendre pourquoi parfois l'éternité c'est trop court. Nantucket sleighride : on ne repartira pas à la chasse à la baleine, nous l'avons aussi chroniqué dans notre livraison 462. Le disque se terminait là, je sais c'est frustrant mais en 2018 pour une réédition CD, Bonus track : Stormy Monday : ( in Byron, in Georgia ) le vieux classique de T-Bone Walker dont on se plaît à dire qu'il fut le Prométhée moderne qui apporta l'électricité à la guitare, au blues et au rock. Peut-être un peu trop pour un seul homme, l'on ne prête qu'aux riches. Le blues c'est comme l'élastique plus vous l'étirez à chaque centimètre gagné il sonne différemment, alors Mountain ils vous le tirent durant dix-sept minutes, je vous laisse imaginer comment ce genre de facétie agrée un guitariste tel que Leslie, le Corky peut bien activer son drumin', vous ne quittez pas West de l'oreille, ce diable d'homme a toujours un chapelet de notes en rab, le mec il jette des perles aux pourceaux que nous sommes à pleines poignées. Chez la plupart des groupes de rock, quand on se lance dans un blues, c'est un peu l'aire de repos sur l'autoroute, vas-y mollo Julot, ça ne mange pas de pain et c'est autant de gagner sur la pendule, le Leslie il arrache les feuilles des marguerites une par une et les recolle à l'identique. C'est son passe-temps, un miniaturiste, un perfectionniste, c'est fou tout ce qu'il est capable de fabriquer, vous décoche ses notes comme un indien pawnee ses flèches mortelles, ou alors il se lance dans l'élevage des puces sauteuses, vous refile des croches cinglantes comme des barres de fer, ou  vous les envoie par-dessous la ceinture, en catimini, vous les fait planer très haut comme des cerfs-volants, et quand vous essayez de les suivre vous comprenez que vous n'êtes qu'un gros balourds. The West is the best.

    THE BEST OF MOUNTAIN

    ( Février 1973 )

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    Never on my life / Taunta / Nantucked Sleighride / Roll over Beethoven / For the Yasgur's farm / The animal trainer and the toad / Mississippi Queen / King's chorale / Boys in the Band / Don't look around / Theme for an imaginary western / Crossroader / + BONUS TRACK Réédition 2003 : Long red / Dream of milk and honey / Silver paper / Travelin' in the dark.

    En règle générale je n'aime guère les greatest hits and consorts, les visées commerciales y sont bien plus prépondérantes, prennent le pas sur la démarche artistique. Celui-ci est bien fait. Si l'on excepte la pochette hideuse – une espèce de grossièr duplicata du Paranoid de Black Sabbath - pour laquelle l'on n'a pas pensé à demander la participation de Gail Collins. Il regroupe des titres issus des trois premiers albums du groupe et aussi du Mountain de Leslie West. Certes il n'apporte rien de neuf pour le fan de base mais l'écoute des morceaux aide à percevoir la profonde unité de la production montagnarde. Y éclate la puissance du groupe et met en évidence une sourde nostalgie un peu surprenante. Il n'existe pas vraiment de séparation entre les morceaux rentre-dedans et ceux plus lents que l'on qualifiera pour être plus explicite de ballades. Cela est dû en partie au toucher magique de Leslie West qui même dans les envolées les plus warm semble n'effleurer les cordes que du bout des doigts. Mais surtout au fait que Mountain a su créer une ambiance quasi-poétique ( au sens fort de ce terme, qui ne signifie pas mièvre joliesse mais issu d'un véritable processus créatif ) auquel peu de formations sont capables d'accéder.

    Ce best of permet de souligner un paradoxe, Mountain aura de nombreux fans inconditionnels, les critiques seront la plupart du temps élogieuses, mais les ventes s'avèrent pour une formation de cette importante décevante. Elles n'atteindront jamais le grand public, celui qui achète les oreilles fermées, sur la réputation... D'où une certaine déception chez les principaux protagonistes de l'aventure. L'on peut s'interroger sur ce manque de saut quantitatif. Pour ma part je l'explique par la nature même de la musique. A l'emporte-pièce, capable de décapsuler n'importe quelles esgourdes bouchées, mais mises alors en présence d'une réalité plus complexe que la facilité escomptée. Mountain ouvre des espaces dans lesquels beaucoup refusent de s'engager, celui des abysses du rêve irradié d'un miroitement de verre brisé. Une dangereuse fragilité de la réalité du monde suggérée par le pinceau de Gail Collins, ses belles acanthes torturées éprises d'une préciosité de princesse impérieuse prisonnière de sa propre tour d'ivoire et d'ivresse.

    L'aventure Mountain semble terminée. Mais il est des cachalots échoués sur une plage qui se refusent à mourir et parviennent à regagner les eaux du large.

    Damie Chad.

     

    UNE ETONNANTE EXPERIENCE

    ( confidentiel SSR )

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    Molossa s'est subitement figée. Nous étions à quinze mètres de la porte de l'immeuble. La rue était déserte. J'étais aux aguets, j'ai glissé la main dans ma poche. Pas de panique avec un Glock 26 en bon état de marche, un agent du SSR ( Services Secrets du Rock'n'roll ) peut aller jusqu'au bout du monde. Je ne croyais pas si bien penser. Trêve de philosophie, il restait les sept étages à monter. Sans ascenseur. Molossa me suivait le nez planté sur mon jarret gauche. Elle m'avertissait. Quelque chose ne tournait pas rond. Sur ce coup-là j'augurais mal de la suite des évènements. C'est en arrivant sur le palier du deuxième étage que moi aussi j'ai entendu. Un bruit, une espèce de ronronnement insaisissable. Etrange, à part les bureaux du SSR au septième, tous les appartements sont inhabités. Ce n'était pas une fausse impression. A chaque marche le bruit s'amplifiait d'une façon démesurée. C'est quand j'ai posé le pied sur la dernière marche que mon esprit subtil réalisa avec une netteté prémonitoire le scénario de la catastrophe. Le service était attaqué, un commando en hélicoptère menait un raid-suicide, comptaient passer par les fenêtres, des professionnels, faut un pilote hors-pair pour se risquer à faire tournoyer les pâles d'un EC665 Tigre, au ras d'une façade. Déjà Molossa la brave chienne, fidèle mais féroce galopait à fond de train dans les escaliers, elle passa dans la rue, s'arrêta pile devant la porte arrière-gauche de la teuf-teuf, poussa trois jappements brefs et incisifs qui déclenchèrent l'ouverture automatique de la portière. Maintenant elle remontait les escaliers les mâchoires serrées sur mon bazooka de poche toujours posé sur la banquette arrière. Je vérifiais mon chrono, 1 mn 35 s, mieux qu'à l'exercice. Me restait plus qu'à entrer en scène. J'ai pratiquement arraché la porte de ses gongs, me suis précipité à l'intérieur le bazoo tourné vers la baie vitrée, le bruit était intenable, il s'est arrêté brusquement :

      • Agent Chad, vous répétez une scène pour un remake des Oies Sauvages ?

    Le Chef était vivant. L'hélico n'existait plus. Franchement j'aurais préféré mourir qu'assister à ce que mes yeux me montraient mais que je me refusais à voir. Non, le Chef n'était pas à sa place, à son bureau, en train de fumer placidement un Coronado. J'avoue que cette hypothèse puisse à la rigueur se concevoir dans l'absolu hypothétique, mais le reste relève de l'impossible, Kant le philosophe n'aurait pas hésité à décréter la chose moralement inconcevable. Le Chef lui-même passait l'aspirateur !

      • Chef, vous ne devriez pas, ce n'est pas un travail d'homme, Marie-Odile chargée du ménage le fera demain, vous ne savez même pas vous en servir, vous l'avez détraqué, vous avez entendu le potin, quand c'est Marie-Odile il ronronne si doucement, presque voluptueusement ! Elle a une manière de presser le flexible tuyau dans ses mains potelées que...

      • Agent Chad, ce n'est pas le moment de s'égarer en des considérations subalternes, nous avons mieux à faire, un immense défi à relever, une tâche grandiose et insurmontable, l'Humanité ne comprendra jamais pourquoi nous lui faisons un tel cadeau, évidemment ce n'est pas pour elle - nous n'y pouvons rien, parfois certaines actions prodigieuses produisent des bienfaits collatéraux - mais nous l'accomplirons uniquement pour la gloire du rock'n'roll et le bonheur des seuls rockers !

         

    Je ne peux vous révéler le projet auguste fomenté par le cerveau du Chef, vous mettre devant le fait accompli vous suffira. Vous communiquerais-je la conversation que nous tînmes que vous nous feriez enfermer à l'asile. Sachez que notre entretien fut long – il demandait des connaissances intellectuelles bien supérieures à vos pauvres capacités – le Chef fuma moult Coronado, Molossa et moi en profitâmes pour laper chacun son tour dans le même verre, au moins trois bouteilles de Jack...

     

    Nous avions repeint la teuf-teuf en vert kaki. Le plus difficile fut de parvenir à ce que Molossa ne se délestât point de son béret artistiquement posé sur ses oreilles. Le Chef avait endossé un costume de colonel et moi celui de sous-lieutenant. Les deux troufions qui nous virent arriver rectifièrent leur position. Ils n'osèrent même pas sourire lorsque Molossa s'avancer pour les passer en revue.

      • Sous-lieutenant Chad, c'est quoi ce ramassis de cloportes, ne me dites pas que ce sont des soldats, à la façon dont ils se trémoussent, tout au plus des danseuses de french-cancan.

      • Vous avez raison, Colonel, je parie la moitié de ma solde qu'ils n'ont même pas la clé !

      • Si, si, nous l'avons, la voici !

      • Alors qu'attendez-vous pour ouvrir ?

     

    L'immense hangar était totalement vide. Mais le Chef se contenta de tâter les murs, sa moue me prouva qu'il était satisfait :

      • Hum, impeccable, 5 sur 5 !

      • Si... Si... je peux me permettre mon Co-colonel bafouilla l'un d'eux, c'est un abri-anti-atomique de dernière génération, anti-radiation, vous pouvez le bombarder avec cent bombes à neutron, rien ne traversera ses murs, tout comme aucune émanation intérieure ne pourrait s'échapper de leur structure moléculaire, totalement étanche et hermétique du sol au plafond, spécialement conçu pour protéger l'Etat-Major en cas de guerre atomique ou même bactériologique !

      • Exactement ce qu'il nous faut, soldats, je suis content de vous, vous êtes venus avec la jeep là-bas, prenez-là, je vous file six semaines de permission immédiate, ne retournez pas à la caserne, je me charge des paperasses.

      • C'est que... normalement personne ne garde le bâtiment mais la nuit dernière on a fait le mur, en punition l'adjudant nous envoyé ici en pleine forêt pendant trois jours.

      • Parce que vous préférez obéir à un trou du cul d'adjudant plutôt qu'à votre colonel, hurlai-je, obéissez immédiatement ou je vous fais coffrer pour six mois.

    Ne se le firent pas répéter, surtout que Molossa s'approchait d'eux, la bave dégoulinant de ses crocs pointus...

     

    Le plus difficile fut de de ménager une ouverture pour passer le tuyau de l'aspirateur. Il nous fallut des heures pour découper un cylindre de trois centimètres de diamètre et toute la nuit pour en détacher quelques parcelles obtenue à coups de râpes et de dissolvants divers afin de les transformer en un ciment de jointure qui possédât les mêmes qualités d'étanchéité totale que le reste de l'abri. Ensuite nous sortîmes l'aspirateur du coffre de la teuf-teuf l'arrimâmes au tuyau. Il n'y avait plus qu'à appuyer sur le bouton.

      • Chef, il fait quand même du bruit votre aspirateur !

      • Agent Chad, ceci n'est pas un aspirateur, ceci est un excavateur métaphysique.

      • Chef quand vous parlez, des fois vous me faites peur !

      • Agent Chad, vous avez raison. Moi-même j'éprouve une légère appréhension, ce que nous sommes en train de faire, personne ne l'a encore tenté, même pas dans les laboratoires secrets des amerloques et des ruskofs. Maintenant il suffit d'attendre.

    Le soleil se levait, Le Chef alluma un Coronado, Molossa me rappela que nous avions emmené quelques sandwiches.

     

    Le Chef regarda sa montre et leva la main. L'aspirateur s'arrêta.

      • Les calculs sont justes. Nous avons retiré tout l'air qui se trouvait dans ce bâtiment. Voyons agent Chad, d'après vous que reste-t-il à l'intérieur ?

      • Rien Chef, l'espace est totalement vide.

      • Ne dites-pas tout et son contraire, agent Chad, il n'y a pas rien, puisque vous venez de dire qu'il restait l'espace. Voyez-vous agent Chad, le bouton vert sur lequel vous avez appuyé a permis à l'excavateur d'attirer l'air, l'orange sur lequel vous poserez votre doigt dans quelques secondes permettra à cette prodigieuse machine d'accomplir sa deuxième mission, maintenant nous allons retirer l'espace de l'intérieur du bâtiment.

     

    Le bruit fut nettement plus agréable, un sifflement insistant mais très supportable. Par contre le spectacle fut extraordinaire. L'immense bâtiment se ratatina sur lui-même comme un canot pneumatique que l'on dégonfle à la fin des vacances. En fin de compte il ne resta qu'un gros tas aussi volumineux qu'un énorme cube de ciment.

     

      • C'est insensé chef, au fur et à mesure que la masse volumétrique se volatilisait, le bâtiment s'est tassé sur lui-même, à croire que les murs se sont adaptés d'eux-mêmes aux changements incessants de dimension, c'est à penser que la matière est pourvue d'intelligence

      • Agent Chad, ne racontez pas n'importe quoi, la matière obéit à des lois physiques elle s'adapte en se concentrant à ses propres capacités de déploiement dans l'espace, puisqu'il n'y a plus d'espace il ne reste plus que les murs, et comme les ingénieurs de l'armée avaient donné aux parois, au plafond et au toit la réglementaire et unitaire épaisseur de trois mètres, ne reste plus qu'un bloc de béton précontraint pour ne pas dire post-contraint, soit exactement un cube de 696 m3.

      • En fait Chef, nous avons éliminé les trois dimensions de l'univers physique, c'est fabuleux !

      • Agent Chad, ne nous contentons point d'une médiocre réussite à la portée de la majorité de nos contemporains !

     

    Nous convînmes qu'il était temps de poursuivre notre protocole. Expression des plus heureuses, puisqu'il s'agissait d'extraire de cet amas cimenteux la quatrième dimension de l'espace, le temps qui n'avait pas jugé bon de sortir avec ses trois consœurs, j'appuyais donc sur le bouton rouge. Il y eut un très doux chuintement qui dura quelques minutes.

      • Extraordinaire Chef, l'on dirait un glaçon qui fond, qui s'évapore dans l'air ambiant !

      • Agent Chad, pour une fois que vous dites quelque chose d'intelligent ! C'est cela même, les atomes de temps qui sont les véritables particules du vide volumique se sont réfugiés dans les murs, et maintenant que nous les arrachons de leur repaire, et les expulsons, la matière privée de temps n'existe plus.

     

    Molossa qui venait de terminer son douzième sandwich ( roquefort – tête de veau – crème vanille en guise de mayonnaise ) se rapprocha de nous. Son instinct ne la trompait pas, nous nous apprêtions à enclencher la phase 4, c'est d'une main tremblante d'émotion que je poussais sur le bouton noir surchargée d'une tête de mort.

    Pendant trois heures il ne se passa rien du tout. L'excavateur métaphysique gisait sans bruit dans l'herbe tel un hippopotame vautré dans la vase du Zambèze. Et subitement Molossa tressaillit, elle pencha sa tête sur la droite et sembla écouter longuement, au bout de quelques heures elle remua la queue de contentement, puis elle se mit à aboyer joyeusement, et l'impossible se produisit, loin très loin nous entendîmes comme un aboiement !

     

      • Chef, il répond, c'est lui Molossos, le frère de Molossa, il revient, c'est inouï !

      • Agent Chad, apprenez à modérer vos émotions, ce qui se passe est d'une simple logique aristotélicienne, puisque nous avons détruit le temps en un point donné de l'univers, nous avons du même coup tué la mort, et puisque la mort n'existe plus, les morts reviennent à la vie, nous avons ouvert un couloir qui leur permet de revenir.

      • Chef, chef, regardez, c'est lui, c'est Molossos !

     

    Et Molossos surgit brutalement bondit dans mes bras me lécha abondamment la figure, et entama une poursuite endiablée avec Molossa heureuse de retrouver son frère. Mais subitement il s'arrêta, et disparut dans le trou de l'espace-temps que nous avions opéré...

      • Chef, il n'est pas loin, je l'entends aboyer, c'est un chien fidèle, il me rapporte un cadeau, c'est son truc, rappelez-vous la fois où il nous avait amené en le tirant par la queue l'anaconda de douze mètres de long qu'il avait volé au zoo de Vincennes !

      • Si je m'en souviens, heureusement que je me suis aperçu que cette maudite bestiole détestait la fumée du Coronado ! J'espère que ce coup-ci il n'aura pas choisi un tyranosaurus, parce que je n'ai jamais lu dans un traité de paléontologie que ces bébêtes ne supportaient pas les suaves effluves du Coronado.

      • Chef, ne vous inquiétez pas, Molossos est un chien de rocker, que dis-je, c'est un rocker lui-même, ne comptez pas sur lui pour nous ramener n'importe qui !

     

    J'avais raison. Quelques minutes plus tard, coup sur coup, devant nos yeux extasiés, surgirent Eddie Cochran, Buddy Holly et Gene Vincent. Ils nous regardèrent mais ne paraissaient pas extrêmement heureux '' The acoustic is better donw the line s'exclama Buddy, oh Yes, three steps to heaven, chantonna Eddie, I'm comin' home to see my baby'' déclara Gene Vincent et sans plus tergiverser ils retournèrent sur un dernier signe de la main dans le trou suivi de Molossos.

    Je voulus les suivre mais le Chef s'y opposa.

      • Agent Chad, votre mission d'agent du SSR n'est pas terminée sur cette terre. Nous allons remettre tout en place, en inversant le sens de rotation du moteur. Songez que demain Marie-Odile vient passer l'aspirateur au local. Il nous va falloir redonner sa physionomie habituelle à ce ramasse-poussière breveté, et faire disparaître toutes les améliorations qui nous ont permis de le customiser en excavateur métaphysique. Maintenant nous savons que les rois du rock sont immortels, que voulez-vous de plus ! Inutile d'ébruiter cette affaire. Personne ne vous croirait. Vous avez mieux à faire. En plus, suprême lot de consolation pour un esprit comme vous bassement attaché à la chair des choses, je pense que Marie-Odile en pince pour vous.

     

    Et comme toujours le Chef avait raison.

    ( Rapport confidentiel ultra-secret de l'Agent-Chad ).