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CHRONIQUES DE POURPRE 496 : KR'TNT ! 496: P. F. SLOAN / COWBOYS FROM OUTERSPACE / CRASHBIRDS / CROAK / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XIX

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 496

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

04 / 02 / 2021

 

P. F. SLOAN / COWBOYS FROM OUTERSPACE

CRASHBIRDS / CROAK / ANIMALS

ROCKAMBOLESQUES 19

 

Sloan square

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P.F. Sloan a mené une vie tellement incroyable et traversé de si mauvaises passes qu’il n’ose pas les raconter normalement. Qui le croirait ? Alors, pour contourner l’obstacle, il transforme certains épisodes extra-ordinaires de sa vie en contes. Ainsi personne n’est obligé de le croire. Dans les temps reculés, on appelait les gens comme Sloan des magiciens. Pour raconter son histoire, Sloan fait des tours de magie et les rassemble dans un livre qui porte le nom d’une de ses chansons, What’s Exactly The Matter With Me? Memoirs Of A Life In Music, car en plus d’être un conteur magique extra-ordinaire, Sloan est aussi un grand compositeur de chansons. Enfin, n’allons pas trop vite. Il n’est pas connu du plus grand nombre, mais il lui suffisait d’être simplement l’ami de Bob Dylan et de Brian Epstein, il n’en demandait pas davantage. Issu de la Surf culture, Sloan émergea dans les early sixties avec un réel talent d’auteur-compositeur et les médias firent de lui une sorte de sous-Dylan coiffé de la casquette de Donovan. «The Eve Of Destruction», c’est lui. Remember ?

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Si vous lisez son livre, vous écouterez ses disques d’une autre oreille. C’est valable dans beaucoup de cas, mais ça l’est encore plus dans le cas de Sloan. Il navigue exactement au même niveau d’excellence littéraire que Bob Dylan qui, souvenez-vous, reçut le Nobel de littérature pour Chronicles. Sloan mérite aussi un Nobel pour son autobio, mais vu qu’il a cassé sa pipe en bois voici 5 ans, le Nobel ne lui serait plus d’un grand secours.

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On va simplement prendre un exemple pour bien situer les choses. Sloan a 15 ans lorsqu’il se rend avec sa guitare chez Wallach’s Music City sur Sunset and Vine, à Los Angeles. Ce magasin énorme vend des disques, des instruments et des partitions. Son père lui a offert cette guitare mais il ne sait pas en jouer. Il pense trouver de l’aide chez Wallach. Lorsqu’il arrive, la rue est bouchée : des centaines de filles s’entassent devant le magasin. Sloan se fraye un passage et le flic qui bloque l’entrée le laisse passer, sans doute à cause de la guitare. À l’intérieur du magasin, les lumières sont éteintes. Sloan trouve un mec derrière un comptoir qui lui demande ce qu’il fait là. Sloan répond que le flic l’a laissé entrer. Puis il explique qu’il ne sait pas quoi faire avec toutes ces cordes sur la guitare. «Tout ce qu’il te faut, kid, c’est une bonne méthode», lui répond le mec. Soudain, le mec du comptoir se transforme en silhouette en carton, cardboard man. Sloan ne sait quoi penser. Il entend ensuite des pas dans l’escalier qui descend de l’étage. Sloan voit apparaître Elvis. Incroyable ! Sloan sent aussitôt son incroyable énergie. Elvis le fixe dans le blanc des yeux. Puis il voit la guitare. «J’imagine que tu veux apprendre à en jouer, son», dit-il. «Yes sir I would», répond Sloan. Alors Elvis se place derrière Sloan et lui positionne les doigts de la main gauche sur le manche pour former un Ré. Puis il place un médiator dans la main droite de Sloan, lui montre le mouvement du grattage d’accord et chante dans son oreille «Love me ten-der... love me... true...». Elvis repose alors la guitare sur le comptoir et dit à Sloan : «J’avais une guitare avec du cuir comme celle d’Hank Williams et j’en étais très content mais pas le Colonel Tom. Le Colonel veut de l’or. Mais une guitare en or est trop lourde pour en jouer. Il ne comprend pas ça.» Et Sloan sent alors l’immense tristesse d’Elvis. Il est sidéré de voir que l’homme le plus célèbre du monde est triste. Elvis signe ensuite un autographe pour la sœur de Sloan, sans que Sloan lui ait dit qu’il avait une sœur, lui tapote affectueusement l’épaule et remonte l’escalier par lequel il est arrivé. Il s’arrête au milieu des marches, se tourne vers Sloan et lui lance : «Je sais que tu vas réussir», avant de disparaître. En guise de chute, Sloan raconte l’histoire à sa sœur qui lui répond qu’il est complètement siphonné. Alors pour lui prouver que c’est vrai, il lui donne l’autographe et voilà qu’elle s’énerve : «N’importe qui peut imiter la signature d’Elvis ! Si tu continues à raconter ce genre de conneries, tu finiras à l’asile de fous !».

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L’autre personnage clé du monde magique de Sloan, c’est Bob Dylan qui apparaît à plusieurs reprises dans le cours du récit. En 1964, Dylan est à Los Angeles et il veut rencontrer Sloan. Il a pris une chambre au Continental Hotel sur Sunset. Sloan arrive au 14e étage. Bob l’accueille chaleureusement et lui dit :

— Adler ne veut pas que je te parle, man...

— Yeah, il craint que tu aies une mauvaise influence sur moi, car tu es considéré comme subversif. Adler pense que je fais déjà pas mal de ravages chez Dunhill, mais il ne m’a pas encore viré.

— Alors continue de composer des hits. Ça devrait leur clouer le bec.

Puis Bob dit qu’il voudrait lui faire écouter un truc. Ils s’assoient tous les deux sur le tapis et Bob pose sur son tourne disque portable un acétate de Highway 61 Revisited. Sloan précise qu’un acétate est un objet fragile qu’on ne peut utiliser que 5 ou 6 fois avant qu’il ne se détériore.

— Columbia ne veut pas le sortir, parce qu’ils ne savent pas comment le vendre.

En écoutant «Ballad Of A Thin Man», Sloan éclate de rire. Alors Bob se marre avec lui :

— You get it ! Thnak God you get it !

Sloan réalise qu’il entend un mélange révolutionnaire de poésie moderne de très haut niveau et d’humour.

— C’est du Chaplin ! Non, c’est Fellini et Chaplin dans du Picasso !

La visage de Bob s’éclaire, ils écoutent tous les morceaux et se pâment de rire sur le tapis, ils réécoutent l’album encore une fois et Bob lui demande de choisir un cut. Cadeau. Sloan choisit «Ballad Of A Thin Man». Puis on frappe à la porte. C’est David Crosby. Il porte un chapeau mauve et une cape. Il n’aime pas Sloan qu’il juge illégitime. Pourquoi ? Parce qu’il a écrit de la surf music pour Terry Melcher et Jan & Dean. Crosby considère qu’il se situe à une autre échelle avec les Byrds, alors quand il voit Sloan assis sur le tapis avec son idole, il s’étrangle de rage : «Qu’est-ce qu’il fout ici celui-là ?». Dylan lui dit de la fermer. Crosby insiste pour dire que Sloan est un tocard. Dylan lui rétorque : «Si Sloan est un tocard, moi aussi !». Alors Dylan prend Crosby par le bras, j’ai un mot à te dire, et il le fait entrer dans la salle de bain. Sloan se lève et va s’asseoir sur le canapé pour attendre. Il entend Dylan crier dans la salle de bain. Il entend aussi des bruits de gifles et la voix de Crosby qui dit : «Je ne savais pas ! Je ne savais pas !». Soudain, la porte de la chambre s’ouvre et Sloan voit apparaître deux blondes avec les seins à l’air. Elle portent des pantalons de pirates et demandent si Monsieur Zimmermann est là. Sloan leur dit qu’il sera là dans une minute et les deux blondes s’assoient sur le canapé de part et d’autre de Sloan. Les voilà assis tous les trois dans un silence surnaturel, avec des bruits de gifles provenant de la salle de bain. Soudain Sloan voit une corde et un mec déguisé en Zorro se laisse glisser sur le balcon. Il entre dans la pièce, se dirige vers Sloan et lui demande s’il est monsieur Zimmermann. Sloan lui répond qu’il sera là dans une minute. Crosby finit par sortir de la salle de bain et en partant, il dit à Sloan qu’il s’excuse et qu’il ne savait pas. Sloan réalise alors qu’il est dans une chanson de Dylan. Justement le voilà qui sort à son tour de la salle de bain. Il voit les deux filles et Zorro, et demande à Sloan : «Aurais-je raté un épisode ?». Rien d’important, lui répond Sloan. Alors Dylan entre dans son rôle de protecteur/prédicateur :

— Je voulais te dire un truc important, Phil. Les mecs de Dunhill vont te mettre en pièces. Tu es en danger avec eux.

Phil lui dit qu’il va faire gaffe. En guise de chute à cette merveille d’inventivité, Sloan dit que sa visite à Dylan fut découverte par les mecs de Dunhill et qu’il fut viré comme un chien. Mais quand il indiqua à Adler que Dylan lui avait filé une chanson, il fut réincorporé sur le champ.

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En plus d’Elvis et de Dylan, Sloan jouit pendant la période heureuse de sa jeunesse californienne du privilège de croiser une belle palanquée de rock stars : John Phillips, les Turtles, Phil Ochs, Buffalo Springfield, les Byrds, Jimmy Webb et les Stones. Il fait d’ailleurs un conte de sa nuit passée avec les Stones. Oh pas au lit, mais en studio. Ils sont à Los Angeles et une nuit Jag appelle Sloan pour lui demander de venir les aider. Quel studio ? RCA sur Sunset. Jag explique qu’ils viennent de virer du studio leur producteur Andrew Loog Oldham et qu’il leur faut un coup de main pour enregistrer «Paint It Black». Quand Sloan arrive, le studio est plongé dans l’ombre. Keef est sur une chaise près du control room, Bill debout contre un mur en train de dormir, Charlie est assis près de son kit, lisant un roman avec une petite lampe torche et Brian sommeille, enveloppé dans une cape et assis sur une chaise. Jag qui est dans le control room décide d’enregistrer Paint et Sloan voit un groupe incroyablement professionnel à l’œuvre. Sloan repère un gros étui dans un coin. C’est le sitar de Keef. Sloan suggère alors à Keef d’en jouer sur Pain. Tout le monde pense que Brian joue du sitar sur Paint, mais cette nuit-là, ce n’est pas nous dit Sloan ce qu’il a vu. Le conte démarre véritablement lorsque Sloan sort du studio aux première lueurs de l’aube. Libre à vous de le découvrir.

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Sloan est très lié avec Jan & Dean qui furent rappelons-le des méga-stars en Californie. Le problème c’est que Jan Berry interdit à Dean Torrence de chanter les parties de falsetto lors des enregistrements. C’est Sloan qui les fait - Jan was a lovable despot and tyrant - Sloan lui reconnaît en plus un don pour faire travailler les gens à l’œil. Il privilégiait l’efficacité plutôt que l’esprit. Après son accident, Jan va rester invalide un bout de temps et le premier à s’occuper de lui sera bien sûr Dean Torrence - He was the most loving friend one could ever hope for - Et puis voilà les Turtles. Pour Sloan, ils étaient extrêmement doués - This was a group with a unique sound - Ils savaient très bien qu’ils n’avaient pas de look, il ressemblaient simplement aux gens qui achetaient leurs disques. En plus nous dit Sloan Volman et Kaylan étaient un peu grassouillets, donc pas des rock stars. Sloan ajoute qu’en dépit de leurs tubes, les Turtles furent toujours considérés comme une groupe de second ordre. Mais ils n’étaient pas les seuls à ne pas être pris au sérieux - On n’avait aucun respect à Los Angeles pour les groupes locaux, Buffalo Springfield, les Turtles, les Byrds, les Doors n’étaient pas des vrais groupes comme pouvaient l’être les Beatles et les Stones - À tel point qu’un jour Howard Kaylan fit choqué d’entendre Lennon lui dire qu’il admirait les disques des Turtles. Pour Sloan, 1965 est donc l’année du feu de Dieu, avec «Eve Of Destruction» et la tournée européenne, dix chansons dans les charts américains, les Searchers, les Mamas & the Papas, les Byrds, les harmonies vocales avec Jan & Dean, l’album de Barry McGuire, les Grass Roots, la rencontre avec Bob Dylan au Continental Hotel. Oui, Sloan fricote avec la crème de la crème. Il rencontre aussi Phil Ochs qui est à ses yeux une sorte de mélange de Woody Guthrie et de Peter Seeger, comme l’est d’ailleurs Dylan. Sloan voit régulièrement Phil Ochs dans sa petite maison de Laurel Canyon, où il gratouille l’acou en compagnie de David Blue et d’Eric Anderson. Sloan détecte très vite chez Ochs une fragilité - C’était un brillant personnage, mais on sentait que son cœur se brisait. Tous ceux qui l’aimaient le sentaient. Il essayait de convaincre les gens que ça faisait partie du personnage de poète au cœur brisé - Sloan va encore plus loin en disant qu’il lui manque un truc : le cœur. Ils parlent ensemble d’Elvis pendant des heures. Ochs demande alors à Sloan ce qu’a Bob Dylan de plus que lui, alors Sloan lui répond : «L’amour d’Elvis Presley.» Ochs n’en revient pas. Quoi ? Il cherche à comprendre.

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Alors Sloan lui explique : «Elvis est un interprète exceptionnel, il est même surnaturel. Et pas que lui. Il y a aussi son groupe. Il avait l’un des plus grands groupes qui ait jamais existé. Quand tu les entends jouer, tu entends l’éternité. Elvis chante comme un dieu, mais son groupe sonne comme le meilleur jazz band qui ait jamais existé.» Sloan parle bien sûr de Scotty Moore, Bill Black et D.J. Fontana. Ochs est tellement bouleversé par cette révélation qu’il va un peu plus tard chez Nudie s’acheter un costume en or, comme celui d’Elvis. C’est le costume qu’il porte sur la pochette de Greatest Hits.

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Dans son introduction, le co-auter S.E. Feinberg revient sur la notion de profondeur et sur Phil Ochs : «Il n’existait pas beaucoup d’artistes profonds (deep est un mot-image difficile à traduire en français). Janis Joplin, Phil Ochs, Bryan McLean, Bobby Darin Bob Dylan étaient deep. And P.F. Sloan was deep.» D’ailleurs Sloan connaît bien Janis et il la voit morfler autant que lui, mais dit-il si je ne pouvais m’aider moi-même, comment aurais-je pu l’aider elle ? Enfin il le dit à l’envers, ce qui revient au même : «Si je n’ai pas pu l’aider, comment aurais-je m’aider ?». Et il ajoute, du fond de son insondable chagrin : «Quand on m’a dit qu’elle était morte, j’étais soulagé pour elle, aussi bizarre que cela puisse paraître. Janis faisait partie du peuple et elle chantait pour le peuple. Quand les gens du business (the corporate types) ont mis leurs sales pattes sur elle pour en faire une Barbra Streisand, elle a dit okay et puis elle est morte.» Sloan dit aussi que de tous les artistes qu’il a pu connaître, Janis struck the deepest chord, c’est-à-dire qu’elle était la plus sincère.

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Quand Barry McGuire enregistre «Eve Of Destruction» au Western Recorders sur Sunset, Sloan joue de la guitare et de l’harmo, Hal Blaine bat le beurre et Larry Knechtel bassmatique, avec Bones Howe dans le rôle de l’ingé-son. Sloan parle d’une session d’enregistrement magique. Bones dit à Lou Adler que c’est un hit, Larry Knechtel dit qu’il y a trop d’énergie là-dedans et Steve Barri feint de s’intéresser à la conversation. Eve explose en Europe, d’où la tournée organisée par Brian Epstein. Sloan participe aussi au fameux Fantasy Fair de Marin County qui a lieu une semaine avant le Monterey Pop festival. Mais comme le Fantasy Fair n’est ni enregistré ni filmé, il disparaît des mémoires. Sloan se souvient que tout le monde était comme lui sous LSD, ce qui rendit l’épisode particulièrement magique. On lui a dit après coup qu’il avait joué un solo de vingt minutes dont il n’avait aucun souvenir. Il découvre aussi la merveilleuse résonance d’une guitare désaccordée, en écoutant Quicksilver.

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L’autre grand moment du book, c’est l’épisode du traficotage de «Mr Tambourine Man», le hit qui allait lancer la carrière des Byrds. Terry Melcher essaye de lancer les Byrds, mais Columbia ne voulait ni des Byrds ni de Terry Melcher qui allait se faire virer. Sloan qui connaît bien Terry pour l’avoir accompagné lors des sessions de Bruce & Terry le rejoint dans le control room du studio. Terry a une déjà une version de Tambourine Man enregistrée qui a été rejetée. Terry s’interroge. Ce Tambourine ne marche pas. Pourquoi ? Sloan lui dit : «L’écho !». En effet, pour Bruce & Terry, ils avaient passé la guitare à travers une série de chambres d’écho et du coup, le son est énorme. Terry s’adresse alors à l’ingé-son présent dans le control room et lui demande de connecter toutes les chambres d’écho du studio. Le mec dit non, il faut une autorisation écrite. Terry se marre. Tu sais à qui tu parles ? Le mec dit oui et qu’il s’en fout. Tu sais qui est ma mère ? M’en fous de ta mère dit le mec. Alors Terry lui dit qu’il est le fil de Doris Day et là tout change. «Bon, je dois aller demander à mon chef», et il sort du studio. Alors Sloan et Terry barricadent la porte derrière lui et connectent toutes les chambres d’écho pour gonfler le son de Tambourine Man. Ils ne disposent que d’une heure avant de se faire virer du studio. Alors ils envoient la guitare de McGuinn à travers a reverb unit, puis à travers une autre et encore une autre - The guitar popped - Ils appliquent ensuite le même process à la basse de Joe Osborne, aux drums d’Hal Blaine et au tambourin, puis une triple couche de reverb layers sur la voix - The result is what you hear on the record - et soudain Terry s’exclame : «It’s alive !». Au même moment la sécurité tape dans la porte - Open the door ! - Terry appuie sur le play et fout le Tambourine Man à fond. Puis il va ouvrir la porte et le mec de la sécurité leur ordonne de quitter l’immeuble sur le champ. Comme on le voit, le rock n’est jamais ce que l’on croit et pas non plus une activité de tout repos. Ce book n’est fait quasiment que de ça, de petits épisodes révélatoires qui en disent long sur la coulisse de la culasse, autrement dit l’envers du décor.

Il est essentiel de rappeler que Sloan et Terry Melcher viennent de la scène surf californienne - Jan, Dean, Bruce Johnston, Terry Melcher, Roger Christian, Don Altfeld, Gary Usher and Brian Wilson were the genius innovators of this new sound - Dans les early sixties, Sloan joue dans les Fantastic Baggys qui s’appelaient au début les Baggys, et puis le jour où les Stones débarquent à Los Angeles pour la première fois, on leur fait écouter l’album des Baggys, et Jag saute en l’air et dit : «It’s fantastic !». Du coups les Baggys sont devenus les Fantastic Baggys. C’est l’humour de Sloan, cette nonchalante manière de retourner les anecdotes comme des crêpes. Sloan ajoute que Bruce & Terry, c’est-à-dire Bruce Johnston et Terry Melcher, ont ré-enregistré les cuts que Sloan avait composés pour les Fantastic Baggys. Une mine d’or.

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Sloan fit partie du fameux Wrecking Crew, avec Hal Blaine, Joe Osborne ou encore Leon Russell - J’avais 15 ans quand j’ai rencontré Leon Russell et ses cheveux commençaient à blanchir. Il avait un fort accent sudiste et il prononçait Flip en deux temps - Hi-ya, Fli-ip - Leon pouvait transformer n’importe quelle petite chanson ordinaire en concerto ou en swamp boogie. Il maîtrisait tous les styles. Il imaginait des grooves auxquels nous n’aurions jamais pensé - Et puis voilà Carol Kaye, la fantastique bassiste du Wrecking Crew qu’on voit toujours assise avec sa basse - Elle était la seule femme du Wrecking Crew. Elle entendait pas mal de blagues mais elle n’avait aucun problème avec ça. Elle était très demandée car elle bossait sur toutes les sessions importantes, Sinatra, Elvis Presley, Phil Spector, puis elle finit par travailler exclusivement pour Brian Wilson. La dernière fois que j’ai bossé avec elle c’était en 2010. Frank Black était à Los Angeles pour enregistrer Fast Man-Raider Man et il m’engagea pour jouer du piano. Il me demanda quel bassman il devait engager et je lui ai dit Carol qui avait alors plus de 70 ans, mais qui avait l’énergie d’une femme de 30 ans.

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Sloan dit aussi que le fameux wall of sound fut créé par Larry Levine, qui était ingé-son adjoint au Gold Star studio : Larry installait un micro qui captait tout au milieu du studio et qui envoyait le son dans une chambre d’écho, d’où l’énormité. Bones Howe fait partie de l’équipe des ingés son du Wrecking Crew, un Bones qui produira par la suite the Association, les Turtles, the Fifth Dimension et les Monkees. Sloan ajoute que comme tous ceux qui y ont bossé, Bones va quitter Dunhill scarred and damaged, c’est-à-dire terrifié et en très mauvais état. On va voir ça dans le détail un peu plus loin.

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Avec le premier voyage en Inde qu’il fera beaucoup plus tard, l’un des points lumineux de ce récit est l’amitié que noue Sloan avec Jimmy Webb. En fait c’est Webb qui veut rencontrer Sloan, car il a besoin d’aide. Il compose mais ses compos ne passent pas. Il envisage même de rentrer en Oklahoma. Sloan lui dit qu’il connaît bien le problème, car on rejette aussi ses compos. Ah bon ? C’est une blague ? Webb demande comment s’appelle son publisher et Sloan lui dit Trousdale, out of Dunhill. Webb se marre et lui dit que ça sonne comme trou de balle. Il s’assoit ensuite au piano et commence à jouer ses compos pour avoir l’avis de Sloan. Il commence par «Wichita Lineman», puis il enchaîne avec «MacArthur Park» et «By The Time I Get To Phoenix». Sloan est scié, comme lorsque que Dylan lui faisait écouter l’acétate d’Highway 61. Webb précise qu’il a prévu un passage instrumental dans MacArthur Park, mais pense-t-il, personne n’en voudra. Sloan lui dit au contraire de charger l’orchestration - Play it from the top with the instrumental section - En conclusion, Sloan dit que ces trois cuts sont des major hits. Même celui qui est long ?, demande Webb. Surtout celui qui est long, lui dit Sloan. Il ne s’est pas trop fourré le doigt dans l’œil, car «MacArthur Park» allait devenir l’un des plus grands hits de tous les temps. Même long. Surtout long.

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L’autre grand point de repère dans la saga Sloan, c’est John Phillips et les Mamas & The Papas. Sloan participa à la première séance d’enregistrement du groupe et nota chez eux un profond mépris de Lou Adler et de l’autorité en général. Avec Sloan se trouvaient Hal Blaine et Joe Osborne. Sloan sentait bien que John Phillips avait la carrure d’une star. Cette première session fut idéale nous dit Sloan, car sans drogues, ce qui n’allait pas être le cas des suivantes, où ils pensaient qu’avec les meilleures drogues ils allaient faire de la meilleure musique ce qui bien sût n’était pas possible, précise gentiment Sloan. Il indique aussi que Jay Lasker haïssait les Mamas & the Papas comme il haïssait les hippies en général. Quant à Lou Adler, il les appréciait d’autant plus qu’il louchait sur la jeune et nubile Michelle Phillips. C’est finalement Lasker qui allait réussir à détruire le groupe. Adler et John Phillips, ça ne vous rappelle rien ? Oui, Monterey. Alors nous y voilà. Sloan participe à la session d’enregistrement du fameux «San Francisco» de Scott McKenzie, qu’a composé John Phillips pour promouvoir le festival à venir. Phillips était alors en plein power trip et se comportait en tyran sous l’influence des drogues - Drugs were starting to make a serious play on John’s mind, et je n’étais pas le seul à sentir ce vent de folie - Adler invite les stars que l’on sait pour son festival, mais nous dit Sloan il n’y tenait pas plus que ça. Il voulait juste les Mamas & The Papas en tête d’affiche. Adler organise chez lui une fête en amont du festival où sont invitées toutes les stars locales, de Paul Simon à Croz en passant par Cass Elliott et Stephen Stills. Parmi les invités se trouve Derek Taylor, l’attaché de presse des Beatles que pressure Adler pour avoir les Beatles à l’affiche du festival. Sloan et Jimmy Webb se rendent à cette fête et s’y sentent très mal : «C’est comme si Jimmy et moi étions deux journalistes juifs qui entraient dans une réunion du haut commandement nazi à la recherche d’un scoop.» Sloan épingle au passage les goûts d’Adler qui a transformé sa baraque en palais royal marocain. Jimmy et lui se sentent ignorés, alors ils sortent sur le balcon. C’est là que John Phillips, coiffé de sa toque cosaque vient trouver Sloan. Il veut lui parler en privé. Direction la cuisine et pouf ! Phillips pique sa crise et dit à Sloan tout le mal qu’il pense de son jeu de guitare. Il ne veut plus de lui en studio ! Sloan est scié car il a amené des trucs comme «Monday Monday» et la guitare sur «California Dreaming», c’est lui. La conversation tourne au vinaigre. Fuck you Phillips ! Quoi ? Fuck me ? Oui fuck you, je vous ai aidé à créer votre son ! Furieux Phillips rétorque que n’importe quel cloporte de studio en aurait fait autant. Et là Sloan sort de ses gonds : «Sans les cloportes de studio vous en seriez encore à faire des backing vocals pour McGuire !». Alors Phillips attrape un couteau de cuisine et informe Sloan que s’il met les pieds à Monterey, il le tuera. Compris ? Sloan répond qu’il ira où ça lui plaira - Phillips gave a kind of demonic chuckle, c’est-à-dire qu’il ricana comme le diable - Choqué par tant de haine, Sloan décide de quitter la fête, mais comme il ne trouve pas Jimmy Webb, il repart seul. De son côté Jimmy Webb le cherchait et ne le trouvant pas, il a aussi quitté la fête, mais il a écrit une chanson magique qui s’appelle «P.F. Sloan» - I’ve been seeking P.F. Sloan/ But no one knows where he has gone - Voilà encore un épisode dramatique que Sloan transforme en conte magique.

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Bien sûr, Sloan se rend à Monterey. Il attend à l’entrée et Jimi Hendrix lui propose de le faire entrer dans sa limousine. Sous la tente de la presse, Sloan retrouve Derek Taylor avec lequel il s’entend bien car Brian Epstein lui a dit qu’il était one of the lads. Dans cette séquence, tous les personnages apparaissent comme des personnages de conte : Derek Taylor comprend que l’ambiance est pourrie, alors il ramasse ses cliques et ses claques et dit à Sloan d’en faire autant. Mama Cass prévient Sloan que Phillips le cherche et lui conseille de quitter le festival. Assis à côté d’elle, Brian Jones demande à Sloan de s’éloigner à cause du danger qu’il représente. Mais Sloan est venu voir les Who et il voit les Who. Vers la fin du livre, Sloan précise toutefois que John Phillips finira par lui présenter des excuses.

Sloan donne aussi des aperçus de lui-même qui augmentent encore son crédit auprès du lecteur. Il y a quelque chose d’infiniment stendhalien chez Sloan, un vision du monde unique portée par un style très pur : «En tant que juif et donc outsider, je ressentais une profonde connexion avec les Noirs américains. Je vivais le même genre de préjudice. À mes yeux, le rock’n’roll vient de là. Elvis Presley fut un kid défavorisé. Il a vécu la pauvreté et ça ne lui correspondait pas. Le rock, la Soul, le blues et la country s’enracinent dans la pauvreté, dans le préjudice et la solitude. Que fait un kid confronté à tout ça ? Il crée. Il entre en contact avec le monde des outsiders, c’est-à-dire le monde des gens qui pensent qu’ils sont seuls. Et lorsqu’ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls, ça leur change la vie. Même à notre époque qui est celle de l’immédiateté et du social media, beaucoup de gens sont encore seuls. Il y en a même peut-être encore plus qu’avant.» C’est criant de vérité. Sloan dit aussi qu’il faut mettre du contenu dans les chansons, ce qui n’était pas du tout dans les mœurs à cette époque : «Le label (Dunhill) pensait que les chansons ne servaient qu’à vendre des disques et non à explorer le monde intérieur. Leave that to F. Scott Fitzgerald or John Steinbeck or Bob Dylan.» Sloan tient bon, il met du contenu dans ses chansons. Mais la pression est terrible, il s’en plaint. Même s’il est auteur à succès, il sent qu’il est en train de couler : «J’aurais bien aimé avoir quelqu’un à qui parler. Un Brian Epstein. Mais j’appartenais à Dunhill. Je ne pouvais pas parler à mes parents. Et de quoi allais-je me plaindre ? Tout marchait bien. J’avais 20 ans, beaucoup de succès et je me demandais si j’allais encore pouvoir tenir une semaine.»

Sloan fait aussi pas mal de ravages avec son humour. Il vient de composer «Eve Of Destruction» et veut lire les paroles à sa mère, qui lui dit non, pas ce soir, tu vas réveiller ton père. Quand il joue la chanson à son «copain» Steve Barri, celui-ci lève les bras au ciel et s’exclame : «I hate that kind of shit!». Quant à Adler, il ne voit aucun avenir dans ce qu’il appelle ‘le folk’. Chacun sait qu’Eve va être l’un des plus gros hits des sixties.

Alors nous y voilà. Comme dans tous les contes, il y a les bons et les méchants. Les méchants, c’est Dunhill, c’est-à-dire l’employeur de Sloan. Dunhill paye Sloan et Steve Barri pour composer des tubes. En fait c’est Sloan qui fait tout le boulot et ce n’est pas sans une certaine amertume qu’il voit le copain Barri vivre des royalties de tubes qu’il n’a pas composés. Alors ça passe mieux dans l’univers d’un conte. Les deux patrons du label sont Lou Adler et Jay Lasker. Sloan ne les épargne pas, d’ailleurs, ils ne l’ont pas épargné non plus. Sloan commence par de petites insinuations du style : «Jan Berry ne payait pas très cher ses musiciens et Adler lui fit comprendre qu’on - c’est-à-dire Sloan et Barri - lui coûterait encore moins cher. Pour faire avancer les albums de Jan & Dean, Adler utilisait la méthode du bâton et de la carotte.» Quand Sloan reçoit la démo du premier 45 tours des Beatles que lui envoie Brian Epstein en 1963, il la fait écouter à Lou Adler en lui disant que ces Anglais allaient devenir encore plus énormes qu’Elvis. Mais ça ne plaît pas à Adler qui rétorque : «Ces mecs ne font qu’une mauvaise imitation des Everly Brothers.» Quand un peu plus tard Sloan reçoit la démo du premier 45 tours des Stones que lui envoie Andrew Loog Oldham sur le conseil de Brian Epstein, il dit à Adler que les Rolling Stones vont devenir aussi énormes que les Beatles. Cette fois, il est viré. Appelons ça de l’humour historical, car c’est infernalement drôle et juste. Cet épisode raconté sur un mode léger éclaire un moment crucial de l’histoire du rock américain : les décideurs furent complètement dépassés par l’arrivée des Beatles et des Stones et par leur modernité. Sloan fait aussi un portrait d’Adler qu’il n’arrive pas à détester complètement, un Adler de trente ans, qui porte des pulls élégants et qui passe son temps les pieds sur son bureau à regarder par la fenêtre. Un Adler qui manageait Jan & Dean et qui pensait que l’âge d’or de la Surf music allait durer éternellement. Il n’avait aucune considération pour le folk-rock, même si «Eve Of Destruction» lui rapportait un gros paquet de blé. C’est même à l’époque un hit mondial qu’interprète Barry McGuire. Et hop, tournée européenne, Sloan et Adler accompagnent McGuire. En arrivant à Londres, Brian Epstein vient les accueillir à l’aéroport. Il fait monter Sloan dans sa Rolls, mais pas Adler qui devient livide. Epstein dit poliment à Adler qu’il a quelque chose à dire personnellement à Sloan - L’expression du visage d’Adler était un mélange de honte, de douleur et de rage - Adler va d’ailleurs coincer Sloan un peu plus tard pour lui annoncer qu’ils allaient régler leurs comptes en rentrant à Los Angeles. Sloan nous dit les choses d’un ton badin, mais il est évident qu’il a souffert du despotisme de ces mecs-là. Par contre Brian Epstein aimait bien Sloan car il avait tout compris aux Beatles au moment délicat de leur lancement. Epstein conseilla même à Sloan de rester en Angleterre et de se placer sous sa protection, mais bêtement Sloan refusa.

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Le méchant dans ce conte, c’est Jay Lasker. Sloan en brosse un portrait terrifiant. Ça commence avec des broutilles comme le nom des Grass Roots que Lasker pique à un groupe existant et réputé à Los Angeles, puisqu’il s’agit du groupe de Bryan MacLean et d’Arthur Lee, des copains de Sloan. Lasker n’en a rien à foutre. Pas grave, MacLean et Arthur Lee optent pour Love. Lasker hait encore plus profondément Dylan - I don’t believe in this communistic shit - Un peu plus loin, Sloan ajoute : «Il allait détruire les vies de tous les gens qui entraient en contact avec lui, Steppenwolf, Three Dog Night, The Mamas & The Papas, the Grass Roots, tout le monde excepté Steve Barri.» Bizarrement Sloan oublie de citer Emitt Rhodes dans la liste des victimes de Lasker. Mais la principale victime de Lasker va être Sloan et là on entre dans l’horreur. C’est encore pire qu’un conte de Petrus Borel. Un jour Sloan est convoqué dans le bureau de Lasker. Sloan appréhende toujours ces meetings. Lasker va doit au but : tu vas dire à Barri qu’il est viré. Bon Sloan n’a pas une très haute opinion de son collègue Barri, mais il est loyal. Non, pas question. Alors Lasker raconte qu’il vient de Chicago et qu’il a encore des relations là-bas. Pour muscler son effet, il ouvre un tiroir et sort des grandes photos de corps mutilés. Sloan comprend tout à coup qu’il est mal barré et qu’il a affaire à un tortionnaire. Puis Lasker lui dit de baisser son pantalon et de se couper une couille avec le couteau à cigare qu’il brandit. Ça tourne au cauchemar épouvantable, mais quand vous lirez ce passage, vous verrez que c’est encore pire. Alors Lasker dit ensuite à Sloan que la vie de ses parents est en danger et que la seule façon de les sauver et de signer ce document et de quitter définitivement la ville. Dans ce document, Sloan renonce à ses droits d’auteur et à la propriété de son nom d’artiste. Il signe et sort du bureau dans un état second. Il va chez lui pour prendre quelques affaires, dit au-revoir à sa mère qui ne comprend rien et part au volant de sa Jaguar en direction de New-York. Drive and cry. C’est la page 208 d’un livre qui en fait 300, et c’est symboliquement la fin de sa vie d’apprenti rock star. Il n’a que 22 ans. On est en 1967. Pour illustrer ce drame, l’éditeur met en fin de chapitre la photo de Sloan qui orne la pochette de Raised On Records, lorsqu’il a les cheveux longs, la barbe et le regard noyé de tristesse.

Sa mère lui demandait ce qu’il avait fait pour que les gens le haïssent autant, et Sloan lui répondait : «Rien, Mom.» Toute cette histoire n’était en fait qu’une histoire de blé : les tubes de Sloan généraient des millions de dollars qu’il fallait partager en trois : Barri, Lasker et lui. Sloan parti, ils allaient se partager ce blé à deux. Barri allait devenir producteur et vice-président d’ABC-Dunhill, avec une belle maison à Encino - He was living well and enjoying my royalties - Plus tard, des gens du label MCA seront horrifiés de découvrir la barbarie des pratiques en cours à l’époque de ce drame. Tout ce qui pouvait exister de pire dans ces pratiques figurait dans le contrat de Sloan avec Dunhill. Sloan envisageait d’enregistrer une nouvelle version d’«Eve Of Destruction», mais Barri s’y opposait. Il osait se prétendre co-auteur, grâce à ce fucking contrat établi par Lasker, mais il finit par s’écraser. Quand Sid Bernstein qui croit en Sloan propose de relancer sa carrière à New York en le faisant signer sur ATCO, Dunhill entame des poursuites, prétextant que Sloan leur appartient. Le silence de Sloan va durer vingt ans. C’est quasiment l’histoire d’Edmond Dantès, plus connu sous le nom de Comte de Monte-Cristo. Tous ces rats ont détruit Sloan par simple cupidité.

Certains livres proposent des mélanges détonants. Celui-ci en est un parfait exemple. Ce livre est un capiteux mélange de contes, de drames, le tout mêlé à l’éclairage d’une période cruciale de l’histoire du rock américain.

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Il faut se plonger dans les albums de Sloan, car ils produisent sensiblement le même effet sur la cervelle que le book : les chansons montent droit au cerveau. Paru en 1965, Songs Of Our Times a des allures d’album folk. Sloan porte un blouson en daim et un jean. Il se tient debout près de sa guitare qui est une acou, donc le message est clair. Il sonne comme Dylan dès «The Sins Of A Family». Sloan raconte l’histoire d’une fille qui se prostitue pour payer ses études. Comme c’est produit par Bones Howe, on a la qualité californienne qu’on retrouvera sur les albums de The Association. Il règne chez Sloan quelque chose d’intrinsèque. En fait il mélange le chant nez-pincé dylanesque avec la casquette de Donovan et lie le tout au gratté de circonstance. Mais cet album est tout de même un peu trop dylanesque. On aime bien Sloan, mais autant aller écouter Dylan. On tombe un peu plus loin sur l’«Eve Of Destruction». La version de McGuire est bien plus puissante. Sloan la radoucit trop. Il nous ramène enfin une grosse compo en ouverture de bal de B : «I Get Out Of Breath». Il sait monter tout seul en température, il manie fort bien le climaxing. C’est un hit. Et puis avec la belle pop d’«All The Things I Do For You Baby», il parvient à se glisser dans un juke. Il réactive son sens aigu du beau pour «(Goes To Show) Just How Wrong You Can Be» qui frise la Beautiful Song et termine avec une pop-song digne des Mamas & The Papas, «What Am I Doin’ There With You». En même temps, ça sonne très anglais et on comprend qu’il ait développé des affinités électives avec Brian Epstein et Derek Taylor.

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Guy Webster fait un petit montage pour la pochette de Twelve More Times paru l’année suivante, mais c’est au dos (comme d’ailleurs pour l’album précédent) que se trouve le vrai visuel de pochette : Sloan cadré serré, coiffé de sa casquette Donovan et dans le regard, une insondable mélancolie. Il en est presque beau. Un petit maître de la Renaissance aurait pu peindre ce portrait, tellement les traits sont purs. On irait même jusqu’à dire qu’il a des faux airs d’Elvis.

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En plus, c’est un très bel album rempli de cette petite pop élégiaque, bien douce et bien tendue, à laquelle on va devoir s’habituer si on décide de le fréquenter assidûment. Il chante avec une légère affectation, oh rien de grave, il fait son Sloan, il navigue dans les même eaux qu’Eve, secrètement rongé par des ambitions dévorantes. Il revient à sa fascination pour Dylan avec «The Man Behind The Red Balloon». Il adore Bob, c’est évident. Et comme il l’explique dans son book, cette chanson est un règlement de comptes. Derrière lui, on retrouve encore une fois la crème de la crème : Hal Blaine, Larry Knechtel, Joe Osborne et même John Phillips. Comme le montre «Here’s Where You Belong», Sloan est capable de grande pop et c’est là qu’il décolle pour voler de ses propres ailes. Il aspire à la grandeur. S’ensuit un autre hit enivrant, «This Precious Time». Sloan injecte une énergie considérable dans sa pop. Il boucle son bal d’A avec un «Halloween Mary» encore plus dylanesque que le roi. On a même les coups d’harmo, t’as qu’à voir. Il revient en B à la pop élégiaque avec «Lollipop Train (You Never Had It So Good)». En fait il collectionne les cordes à son arc, car il va à la fois sur l’élégiaque, le dylanex et la protest song. Comme le riz, il est assez complet. Sacré Sloan. On l’aime bien. Avec «Upon A Painted Ocean», il fait encore du pur dylanex. Il est en plein dedans, au moins autant que peut l’être Dick Campbell. Et il boucle avec un extraordinaire shoot de ramdam dylanesque, «Patterns Seg. 4». On ne peut pas être plus clair.

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En 1968, Sloan a quitté la Californie. C’est l’année où il enregistre Measure Of Pleasure. Comme on le voit sur la pochette, il a opté pour un look dylanex. Il vit alors à New York avec une poule nommée Miki et pour fêter la signature du contrat avec ATCO, elle propose un shoot d’héro - which she felt would give me Village chops like her friend Fred Neil - Alors Sloan se fend d’un passage fascinant sur l’héro : «L’héro est le sujet tabou numéro un parmi les jeunes musiciens. L’héro pouvait vous tuer ou vous rendre génial. L’héro me donna la sensation de ne plus être dans mon corps. Je pouvais réfléchir normalement. Je connaissais les histoires horribles de musiciens qui vendaient leurs guitares pour se payer un fix, mais en même temps, les écrivains que j’admirais comme James Baldwin,William Burroughs et Lenny Bruce en prenaient.» Sloan descend enregistrer Measure Of Pleasure à Memphis au Studio Sun avec dit-il la crème de la crème locale : Steve Cropper, Duck Dunn et Al Jackson. Sam Phillips vient même faire un saut pour dire bonjour. Il dit à Sloan : «Il y a un truc en vous qui me rappelle Elvis.» Et forcément Sloan lui raconte l’histoire de sa rencontre avec Elvis quand il avait douze ans. Pour lancer la session, Cropper demande à Sloan de lui chanter une chanson. Bon, ça ne va pas. Il va voir Tom Dowd dans le control room pour lui dire qu’ils ne sont pas le bon backing band pour un gars comme Sloan. Puis Cropper décide de sauver la session. Il passe un coup de fil et un mec apporte un sac de hash. Cropper et les autres vont faire un tour dans la salle de bains et à leur retour, la session peut démarrer. «Vas-y mon gars, chante-nous ta chanson sur Perry qui va partir à l’armée, je pense qu’on peut en faire un jazz blues thing.» And he did. Eh oui, avec sa chemise à fleurs et sa douze, on se demande ce que Sloan vient foutre à Memphis ! Détrompez-vous les gars, car dès «One Of A Kind», ça groove sec chez Sun, c’est même du heavy goove à la Croz, baby now, she is one of a kind, c’est excellent, bien dans le move Stills/Buffalo. Et paf, il nous balance une Beautiful Song, «New Design», bien à cheval sur le Dylanex et le Sloan Square. Ce démon de Sloan injecte énormément de beauté dans son Dylanex et Cropper doit se dire : «Ah si on m’avait qu’un jour je jouerais du Dylanex !». L’«How Can I Be Sure» n’est pas celui des Turtles, mais c’est une fantastique extension du domaine de la hutte. Sloan groove son balladif avec une sidérante insolence. Il fait aussi des choses plus exotiques comme «Champagne» en B, mais avec un telle présence qu’on s’en effare. Au niveau musicologique, c’est excellent. Il gratte encore sa douze dans les alizés du big songwriting pour envoyer «And The Boundaries In Between» au firmament et on assiste une fois encore à la persistance de la latence. Sloan semble pratiquer le dématérialisme. Il pique une nouvelle crise de hargne dylanesque avec «Above & Beyond The Call Of Duty». Il y excelle, il adore cette façon qu’a Bob de haranguer les harengs. Il termine avec un «Country Woman (Can You Dig It All Night)» solide jusqu’au bout des ongles. Ce mec swingue sa douze en fier caballero.

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Belle pochette bien travaillée au grattoir que celle de Raised On Records. En 1972, Clive Davis décide de sauver Sloan en relançant sa carrière. Mais Sloan ne va pas bien - A chronic melancholy infected my spirit and had an effect on the songs I was writing - Il propose avec cet album une pop paisible, très orchestrée, très Los Angeles. On comprend que Jimmy Webb en soit fan. Sloan va droit sur des compos très ambitieuses, comme «The Night The Trains Broke Down», il répète son love begin when you love someone comme un mantra et ça prend vite fière allure, puis il ajoute en matière de conclusion : love is best when your head and heart agree. Il a raison, il vaut mieux que ce soient la tête et le cœur plutôt que la bite. Il a du beau monde derrière lui : Hal Blaine on drums & Joe Osborne on bass. On se régale du morceau titre pour la noirceur de sa mélancolie qui est en même temps une sorte de power. Il dit y remercier son père de lui avoir acheté une guitare quand il était petit, mais avoue que sa vraie nature était de n’être le fils de personne - If it weren’t for the music/ I would have said goodbye a long time ago - Il revient en B faire son Nick Drake avec «Springtime». Plus loin, il propose un heavy groove de coups d’harmo dylanesques : «Sins Of A Family», l’un de ses vieux hits. Finalement, c’est avec la bossa nova océanique de «Midnight Girl» qu’il emporte la partie. Hélas l’album ne plaît pas au label qui le trouve plat et sans énergie. Nouvel exit.

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Sloan parle un peu plus loin de Serenade Of The Seven Sisters avec affection : «Il y a de très belles chansons sur Serenade Of The Seven Sisters, comme ‘Spiritual Eyes’ ou ‘Help Me Remember To Remember’, qui prouvaient que P.F. Sloan était encore en vie. Bon, c’est vrai, il ne proposait pas douze grandes chansons sur cet album, mais personne d’autre ne le faisait plus non plus. Et ce n’était pas non plus ce que les gens attendaient de moi. L’ambiance de cet album était plus modern jazz que blues et folk. Folk-jazz ?». «Love Go Easy» sonne comme de la petite pop californienne, took it easy on me fait Sloan et les chœurs font oh yeah. Il rafle sa mise. Pour installer «Spiritual Eyes» dans l’inconscient collectif, Sloan crée une ambiance de rengaine d’Amsterdam avec des nappes d’accordéon. C’est tellement bien foutu qu’on comprend qu’il soit devenu culte. Il revient à son vieux hit d’Eve avec «(Still On The) Eve Of Destruction». Mêmes accords magiques et même vivacité. Il pique une petite crise de power avec «Sleeping Dogs Lie». Pas de vagues, mais du juste-au-corps, voilà comment on pourrait le définir. Une certaine façon de gérer les choses. Il fait des balladifs éplorés («Woman And Gold») mais avec un certain poids. Hélas, bon nombre de cuts ne fonctionnent pas. La pop est parfois trop ouvragée, trop Sloan, trop paumée. Il termine avec une resucée de son vieux hit, «Secret Agent Man», et vire heavy rock. Il a derrière lui deux Posies, John Auer et Stringfellow. En 2001, soit sept ans plus tard, Sloan va retourner enregistrer ces chansons tout seul - I called it Seven Sisters Redux.

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Comme Jon Tiven insiste pour que Sloan fasse un album, celui-ci finit par céder et débarque à Nashville en 2006. Voilà donc Sailover. Derrière Sloan, il y a du beau monde : Buddy Miller qui a joué avec Emmylou Harris, et Felix Caveliere des Rascals qui justement vit à Nashville. Sloan récupère aussi le bassman de Cheap Trick, Tom Peterson et puisqu’on est dans le haut de gamme, Lucinda Williams vient duetter avec Sloan sur «The Sins Of A Family». Mais ce n’est pas fini. Au même moment, Jon Tiven produit un album de Frank Black à Nashville. Le gros dit à Tiven qu’il adore «Halloween Mary» et qu’il aimerait bien chanter dessus. Il chante aussi deux couplets sur la resucée d’«Eve Of Destruction». Sloan ne tarit pas d’éloges sur le gros : «Frank is a divine artist, il a une façon de déconstruire les pop songs pour en faire quelque chose de nouveau et de malléable. Il fait ça with heart, intellect and soul. C’est la raison pour laquelle les Pixies étaient les meilleurs.» Alors oui, quel album ! Surtout que Sloan démarre en duo avec Lucinda Williams et son vieux «Sins Of A Family». Franchement, Sloan a du génie, ici ça crève les yeux et en plus ça crève le cul quand Lucinda prend le relais. Sloan & Lucinda for ever ! Stupéfiante présence du son. Alors attention, c’est un album fabuleux de bout en bout, vous voilà prévenus. Sloan fait sa big pop avec «Violence» et son Exploding Fantastic Inevitable. Sloan c’est du stream. Il cut ses cuts avec aménité, il faut le voir amener «If You Know», il sonne comme un prodigieux humilitaire - I’m not forgetting you - Il envoie ça droit dans le cosmos. Il se montre effarant de ténacité. Et voilà le grand retour d’Eve, avec Frank Black au deuxième couplet. Personne n’est mieux placé que Sloan pour exploser la rondelle d’Eve, my friend, il chante ça à la perfection, c’est l’un des trucs définitifs du rock et quand le gros entre dans la danse, alors ça devient miraculeux. Ces démons ont tout compris, on a là une sorte d’aboutissant, tell me over and over my friend. On retrouve le gros sur «Halloween May». Joli concubinage. Sloan chante comme Dylan et pareil, le gros entre au deuxième couplet avec tout le power qu’on voudra bien imaginer. Sloan revient à l’intimisme catégoriel avec «All That Time Allows». C’est in the face, mais intimistiquement parlant, oui, car il te chante ça en pleine gueule, that’s the miracle, c’est une grosse compo - What I can do now/ All that time allows - «Hollywood Moon» est plus festif et passe donc par pertes et profits. Mais que de son, my son ! Il tape aussi son vieux «Where Were You When I Needed You». Normal qu’il pose la question. Il est presque dylanex avec ce vieux coucou composé pour les Grass Roots et repris par Jan & Dean. Sloan bascule dans le meilleur dylanex, avec le même génie d’expressivité. C’est en plus exceptionnel de grandeur productiviste. C’est Jon Tiven le producteur qui joue de la guitare sur les cuts. Pour un album de come-back à la sortie du désert, c’est assez spectaculaire. On retrouve dans ses chansons l’intelligence de l’écrivain Sloan. Chaque chanson est immédiate. On croit entendre «Maggie’s Farm» dans «Pk & The Evil Dr Z». Sloan fait son Dylan et se tape un délire de pince à linge. Il finit en beauté avec «From A Distance», une chanson si belle qu’elle n’en finira plus d’exercer sa fascination.

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Voilà encore un passage obligé : la belle compile qu’Ace consacre à Sloan et qui s’appelle You Baby: Words & Music By P.F. Sloan And Steve Barri. On y retrouve tous les héros de Sloan. Si on met le nez dans les liners, on entend un son de cloche différent de celui du Sloan book. Par exemple dans le paragraphe consacré à «Eve Of Destruction» : ce que raconte Barri n’a rien à voir avec ce que dit Sloan dans son autobio. Barri insinue qu’à son retour de Londres et de la tournée de promo d’Eve avec Barry McGuire, Sloan était radicalement transformé. Il était devenu très sérieux. Plus le même. Drogues ? Pas drogues ? Le Barri va même jusqu’à insinuer que Sloan se prenait pour Dylan. T’as raison, pomme de terre ! Ben oui, Eve sonne comme un hit de Dylan ! C’est gratté à la ferveur suprême avec du contenu à gogo, Sloan ne veut pas du crazy world, et bien sûr, le bord du chaos reste d’actualité, cinquante ans après. À l’époque où Lou Adler drague Ann-Margret, il demande à Sloan de lui composer deux ou trois trucs et de les produire. Elle chante «You Sure Knew How To Hurt Someone» au petit downhome de bas-ventre, c’est excellent, kiss my lips, elle fait de la délinquance pré-pubère. On croise aussi le «Tell ‘Em I’m Surfin’» des Fantastic Baggys, le surf-band de Sloan, puissant, pur surf craze digne des early Beach Boys. On entend aussi de très grands interprètes fracasser les Sloan songs : Mel Tormé («Secret Agent Man») et Betty Everett («Someday Soon»). Betty rentre dans le lard de la Soul avec toute sa niaque de belle poule black. Sloan/Betty, encore un mariage réussi. Bon, la compile démarre avec l’«Another Day Another Heartache» des 5th Dimension, histoire de rappeler la connexion Sloan/Jimmy Webb, et quelle connexion ! L’une des connexions miam-miam de l’histoire du rock. L’autre grosse connexion est celle de Sloan avec les Turtles, illustrée ici par «Can I Get To Know You Better». Avec les Turtles, on reste dans la crème de la crème du rock californien. Big power en tous les cas. Écoutez les Turtles les gars, vous ne perdrez pas votre temps. Et puis voilà l’excellent «Where Were You When I Needed You» tiré de l’album à la chaise des Grass Roots, du zyva Sloan de descente au barbu, avec tous les trucs d’Eve Of Destruction et le côté explosif de la Spectorish pop. Sloan rappelle que les crevards de Duhnhill ont inventé les Grass Roots uniquement pour empêcher Sloan de démarrer une carrière solo. Comme le nom existe, Sloan doit trouver des musiciens pour l’incarner et il va prospecter à San Francisco. Il trouve des Bedouins qui vont faire les Grass Roots, mais pas très longtemps. Ace n’oublie pas les Mamas & The Papas et Jan & Dean dont l’«(Here They Come) From All Over The World» fout le feu, comme foutaient le feu jadis les early Beach Boys hits. Jan & Dean sont les plus gros clients du team Sloan/Barri. Autre duo de choc : Bruce & Terry, c’est-à-dire Bruce Johnston & Terry Melcher, deux autres monstres sacrés de l’early Californian hell, avec «Summer Means Fun», big B.B. Sound en plein dans le mythe de Brian Wilson, gratté à la meilleure surf craze, avec des voix qui ne sont que dream de fun fun fun come true. Ex-plo-sif ! Sloan est invité à les accompagner, en plus d’Hal Blaine et de Glen Campbell, tu vois un peu le tableau ? Les Fantastic Baggys reprendront d’ailleurs ce hit faramineux. Après que Sloan lui ait fait découvrir les Beatles, Lou Adler qui ne pense qu’à faire du blé a l’idée de monter un faux groupe anglais : Philip & Stephan qui sont bien sûr Sloan et Barri. On entend donc la démo d’un truc qui s’appelle «Meet Me Tonight Little Girl». C’est une étrangeté qui deviendra culte, reprise par les Bantams. On passe aux choses sérieuses avec Yvonne Carroll et «Please Don’t Go». C’est même quasiment du Burt, Yvonne est sexy. On croise encore pas mal de cuts qui font rêver comme par exemple «Goes To Show (Just How Wrong You Can Be)» par Joey Paige ou encore «The Sh-Down Song (You Better Leave Him Alone)» des Ginger Snaps, une équipe de blackettes que Sloan a dénichée dans le quartier de Watts lorsqu’il cherchait des interprètes pour faire un 45 tours. Les filles explosent vite fait le hit de Sloan au down down down. Par contre, impossible de prendre les Herman’s Hermits et Terry Black au sérieux. Le compte n’y est pas et n’y sera jamais.

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Ce mini-panoramique de Sloan serait salement tronqué si les deux premiers albums des Grass Roots n’y figuraient pas. Comme on l’a dit, ce n’est pas un groupe de Sloan à proprement parler mais plutôt un groupe que tente de lancer Dunhill avec des chansons de Sloan. Les gens de Dunhill sont tellement infects avec les Grass Roots qu’ils mettent une chaise pourrie sur la pochette de leur premier album, Where Were You When I Needed You, paru en 1966. Le premier choc esthétique est une reprise d’«I’m A Rock» de Paul Simon, bien bardée d’harmonies vocales. S’ensuit «Lollipop Train», une puissante pop de Sloan, c’est même la pop des reins, Sloan la propulse bien vers l’avenir, cette pop frise le dylanex. Tiens puisqu’on parle de Dylan, on tombe en bout de B sur «Mr Jones (Ballad Of A Thin Man)», la chanson que Dylan offrit à Sloan lors de leur première rencontre à Los Angeles. Merveilleux cadeau, en vérité, et Sloan joue les blues licks. On le voit aussi jouer un solo très primitif dans «Look Out Girl». Sloan joue toute sa pop à coups d’acou. «I’ve Got No More To Say» regorge de coups d’acou et d’harmonies vocales, c’est à la fois léger et austère, pour ne pas dire californien. Le morceau titre sent bon la grande énergie, même élan et même détermination. Ils font aussi une reprise de Jon Sebastian («You Didn’t Have To Be So Nice») qui ne marche pas et une autre des Stones («Tell Me») qui n’apporte rien au genre humain.

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Sloan participe à l’enregistrement d’un deuxième Grass Roots, Let’s Live For Today, qui paraît l’année suivante. Pareil, Sloan essaye de faire jouer les musiciens du groupe et Lasker oblige Sloan à virer la guitare de Creed Bratton pour la remplacer par la sienne. Sloan proteste en vain. Il n’empêche que cet album est une merveille. Rob Grill et Warren Entner se partagent le chant et les superbes compos de Sloan. Dans le studio, avec Sloan, on retrouve Joe Osborne et Larry Knechtel. Les Grass Roots sonnent en gros comme les Mamas & The Papas, avec une prod de rêve. Sloan est à son sommet avec des merveilles comme «Wake Up Wake Up» ou «Is It Any Wonder». Les Grass Roots semblent donner à la pop californienne ses lettres de noblesse. «Top Of My Tongue» sonne aussi comme du haut de gamme. On sent la différence quand les compos ne sont plus signées Sloan, ça retombe comme un soufflé. Le son est si bon que cet album pourrait être produit par Brian Wilson. «Where Were You When I Needed You» (qui figure sur l’album précédent) sonne comme un hit dès l’intro. Rog Grill chante ça à la perfection. Cette pop de folk s’inscrit dans la veine d’Eve et finit par rafler la mise. On entend Sloan gratter sa gratte sur «This Precious Time», dans l’atmosphère féerique d’une prod de rêve. Cette belle aventure s’achève avec une compo qui n’est pas signée Sloan mais qui casse bien la baraque : «House Of Stone», un fabuleux shake de Californian pop gorgé d’électraque de sunshine et conçu dans un épouvantable déploiement d’ailes de prod avec juste des licks de gimmicks et du chant par dessus les toits. Wow, quel album !

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Pour parfaire le voyage en Sloanie, il semble utile de faire un crochet par les Fantastic Baggys et la scène surf dont sort Sloan. Leur big album s’appelle Tell ‘Em I’m Surfin’ et paraît en 1964 sur le grand label Surf de cette époque, Imperial. On est en pleine surf craze comme sur les premiers albums des Beach Boys, et ce dès le morceau titre d’ouverture de bal d’A. Sloan qui s’appelle Flip chante lead. On le voit sur la pochette, le deuxième à partir de la gauche. Ce qui frappe le plus sur cet album, c’est l’énergie. «Anywhere The Girls Are» est quasi gaga, Flip gère ça au wild, même chose avec «Big Gun Board», c’est un pur hit de juke. Ils font du Bibi craze chanté à l’harmonie. Ils explosent toutes les variations du surf craze et savent rester trépidants. En B, «Surfer Boy’s Dream Come True» brille comme une perle rare. C’est le balladif de la crème de la crème. Sloan s’y illustre comme l’enfant prodige de la scène californienne. Sa pop d’«It Was I» tient déjà bien la route. Il n’a que 18 ans, alors t’as qu’à voir. Fantastique qualité de sa presta. «Wax Up Your Board» est monté au beat des reins de Surf City.

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Dans son book, Sloan rappelle aussi qu’il a aidé Jan Berry à sauver sa carrière avec l’album Folk & Roll, paru en 1965. Menacés de disparaître, Jan & Dean devaient passer au folk et leur sauveur n’était autre que le papa d’Eve, Sloan. D’ailleurs, Sloan se marre car il voit Jan Berry faire du Eve avec «The Universal Coward». Berry reprend exactement les mêmes ficelles, le gros gratté d’acou, les coups d’harmo et les élans élégiaques. Berry rend aussi un bel hommage à Dylan en reprenant «It Ain’t Me Babe» : version bien sentie, bien envoyée, très inspirée. Même chose avec le «Turn Turn Turn» des Byrds. Ils le font bien, avec tout le gusto des légendes dorées, chanté aux deux voix d’unisson du polisson. Jan Berry revient aussi à sa chère surf craze avec «Folk City», qui singe effectivement «Surf City». Quelle énergie ! Jan & Dean ouvrent leur bal d’A avec un cut de Sloan, «I Found A Girl» et c’est tout de suite beau, très enjoué, salé et poivré, magnifiquement orchestré. Par contre, le mix d’«Hang On Sloopy» est bizarre, la voix sort d’une enceinte, on ne sait pas pourquoi. Sloan fait les backings derrière. On l’entend claquer de sacrées parties de guitare derrière les vieux surfers. On voit «I Can’t Wait To Love You» décoller, avec des petites poussées de fièvre et des coups de cloche. On tombe ensuite sur une version d’«Eve Of Destruction». Beautiful hit, toute la musicalité de Sloan est là : nappes d’orgue, gratté d’acou et chœurs somptueux. Tout sur cet album est fantastiquement orchestré. Encore du pur Sloan avec «Where Were You When I Needed You». Jan Berry a du pot d’avoir Sloan comme pote.

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Pour Sloan, l’un des big beautiful albums de l’époque est celui que Phil Ochs enregistra en 1967, Pleasure Of The Harbor. Bon la pochette est un peu foireuse, mais Sloan a raison, il y a des moments de grâce sur cette galette. Pas de hit, mais des moments de grâce, c’est déjà pas mal. En écoutant «Flower Lady», on comprend que Sloan se soit amouraché de la voix d’Ochs : ce mec cisèle son chant à la recherche du beau, comme un sculpteur. Mais en même temps, ça alambique un peu les choses. Son drame c’est de faire des chansons qui ne sont pas des hits, à la différence de Sloan et de Fred Neil, que Sloan cite en référence. Sur «I’ve Had Her», Ochs a de faux accents de Donovan, et les flûtes aggravent encore la pente. Who needs an American Donavan ? L’album se réveille en fin de bal d’A avec «Miranda» - She’s a Rudoph Valentino fan - et ses trompettes de dixieland, alors un doux parfum de nostalgie fait dresser l’oreille. La B offre ses petits moments de grâce avec «The Party» où l’on entend le phrasé de piano de «Smoke Gets In Your Eyes» et ça part en mode Ochs. Alors ça devient captivant, avec une stand-up de balloche en contrepoint. Sloan a raison, on finit par se faire avoir. Le morceau titre ne fonctionne pas, malgré tous les violons du monde, et il termine avec «The Crucifixion», une chanson extrêmement ambitieuse, peut-être même trop ambitieuse. L’ambition est une discipline difficile. Il faut savoir s’en donner les moyens.

Signé : Cazengler, P.F. Slow (va pas vite)

Grass Roots. Where Were You When I Needed You. Dunhill 1966

Grass Roots. Let’s Live For Today. Dunhill 1967

P.F. Sloan. Songs Of Our Times. Dunhill 1965

P.F. Sloan. Twelve More Times. Dunhill Records 1966

P.F. Sloan. Measure Of Pleasure. ATCO Records 1968

P.F. Sloan. Raised On Records. Mums Records 1972

P.F. Sloan. Serenade Of The Seven Sisters. Pioneer 1994

P.F. Sloan. Sailover. Hightone Records 2006

Fantastic Baggys. Tell ‘Em I’m Surfin’. Imperial 1964

Jan & Dean. Folk & Roll. Liberty 1965

Phil Ochs. Pleasure Of The Harbor. A&M Records 1967

You Baby: Words & Music By P.F. Sloan And Steve Barri. Ace Records 2010

P.F. Sloan. What’s Exactly The Matter With Me? Memoirs Of A Life In Music. Jawbone 2014

 

Un Outerspace qui porte bien son nom

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S’il existait des jeux olympiques du rock en France, on verrait monter sur le podium les Cowboys From Outerspace, suivis des Dum Dum Boys et des Weird Omen. Power, indépendance d’esprit, no sell-out, ces groupes ont tout bon. Même tout trop bon. Pire encore : les Cowboys, c’est trop beau pour être vrai. T’en connais beaucoup des groupes qui font sept albums de pur freak-out en dix ans ? Des groupes qui ne prennent pas les gens pour des cons ? Des groupes qui chargent tellement la barque qu’elle finit par couler ? Qu’y a-t-il de plus ennuyeux qu’une barque qui ne coule pas ? De la barque à l’Arche de Noé, le pas est vite franchi. Par Cowboys, il faut entendre déluge biblique, tempête au Cap Horn, et glou et glou ils sont des nô-ô-ô-tres ! Écouter les Cowboys n’est pas de tout repos. C’est même souvent plus mouvementé que d’écouter les Cramps ou le Gun Club. Les Cowboys vont loin dans la démesure, aussi loin que porte le regard.

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Et ça, mon gars, ça vaut pour le premier album. On pense à tous les malheureux qui sont passés à côté ! Illustré au pur chaos, cet album sans titre explose avec une question : «What’s Jerry Lee Doing ??». Boom ! S’échappe alors des enceintes un horrible remugle de no way out, un son craqué de craquelures et gorgé de saletés, une vraie giclée putréfiée, t’as pas idée, ça va te déboucher les boyaux, les Cowboys te ramonent les annales à l’œil. Ils inventent même un nouveau genre : le Boom futuristic, un Boom qu’il faut entendre au sens où l’entendaient les Sonics, le son explose en gerbes et te retombe sur la tête, avec des solos en forme de coups de tournevis dans la serrure, ils battent tous les records de délinquance sonique, ils te travaillent ça au corps alors que tu n’as rien demandé, mais bon il faut bien avancer sinon à quoi ça sert ? Basly te piétine la gueule et tu cries au génie, Basly cabalistic, roi des emboucheurs ! Au moins les choses sont claires. Tu comprends que ce mec va profiter de chaque cut pour créer l’événement. Par exemple, dans «I Know», il se prend carrément pour un nettoyeur de tranchée et envoie le plus cruel des solos au napalm. Il sait aussi créer les conditions de la tempête shakespearienne («You Got Love If You Want It»). Disons que c’est son côté génie déflagratoire. On ne sait pas comment il s’y prend, mais il réussit à jouer un solo qui explose au moment où tout explose dans le studio. On n’avait encore jamais vu un truc pareil. On suivrait ce mec jusqu’en enfer, c’est d’ailleurs ce qu’on fait, puisque voilà qu’arrive «It Makes Me Mad». Descentes aux abîmes du big sound de démesure catégorielle, Basly gratte ses poux au dessus du gouffre et rivalise de surenchère apocalytique avec le Killing Joke de l’âge d’or. Le solo au vitriol qu’il passe dans «Do The Twist» entrera lui aussi dans les annales du vitriolage. C’est d’une violence qui se rit du langage. Il tombe ensuite à bras raccourcis sur Hank Williams avec une version inqualifiable d’«I’m So Lonely I Could Cry». Ça goutte de son. Basly triture jusqu’à la nausée le va-pas-bien d’Hanky. C’est haleté au coin du bar, bien balayé par des tempêtes, Basly chante comme Lux, à la désespérée. Cet album ne pouvait que se terminer par une abomination comme «Another Day». On y voit big Basly on the run dans un océan d’échos et de salmigondis, il se débat comme un géant, I don’t pretend, et du haut de sa fierté de rockab marseillais, il arrose l’océan d’un horrible remugle de gras double.

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Ceux qui prédisaient l’apocalypse en l’an 2000 avaient raison. Ils ne se fourraient pas le doigt dans l’œil. Rien n’aurait pu protéger l’humanité d’un truc comme Choke Full Of... et pire encore, de «Choke Me Up». Welcome in hell, mais pas le petit hell à la mormoille d’Alice Cooper, non t’es propulsé directement dans la gueule du son, avec du râclé de heavy disto et ce fou de Balsy qui «chante» au sommet d’un slum de sludge indescriptible de violence intentionnelle. Rien d’aussi beau que ces filets de killer solo transverses ! C’est le pire sonic onslaught qui se puisse imaginer, mix de squelettes et de napalm. Le son est à Marseille, chez les Cowboys, ne le cherchez plus. Ils restent au bord de chaos avec «Way Down South», c’est de la confrontation extrême mais sans tomber dans les travers du hardcore ou du métal, c’est bien plus puissant, il y a du souffle. À part les Chrome Cranks, aucun groupe n’est allé aussi loin dans l’extrémisme sonique. C’est une espèce de summum du déterminisme. Basly le ballsy gratte sa «Linda» sous la panse, c’est atrocement bon, wow Linda ! Il la flatte, le cœur qu’on entend battre est le beat rockab et comme d’habitude ça dégénère, ah quelle sainte horreur, on patauge dans l’avanie du trash punk blues, ça va même au-delà des mots et des étiquettes à la petite semaine. Basly hoquette et s’écroule dans des mares de boue fumante avant de se relever et de continuer en titubant, paré de son cuir et de sa fierté d’homme libre. Il chante ensuite «Let’s Get Wild» comme s’il sombrait dans la folie. Avec son écho et ses guitares malveillantes, «Girl» réveille le fantôme du Gun Club, Preaching in the darkness, pur jus de Jeffrey Lee ride. Deep deepy groove noyé d’ombre. Tiens justement puisqu’on parle de preacher, voilà «The Preacher» ! C’est une véritable entreprise de démolition. On ne peut que crier au génie, d’autant que le solo de Basly coule comme du venin dans l’escarcelle du destin. Ce mec ne fait que chanter à la limite de l’épuisement et de l’horreur. On pourrait qualifier «Waiting For Your Love» de garage punk définitif. C’est taillé dans la masse, à l’énergie rockab et à la cisaille de Gretsch. On pourrait appeler les Cowboys les Cranks marseillais. Et c’est avec «Dancin’ Machine» que le ciel s’écroule sur eux - I like to rock’n’roll - Quand il crie, c’est dans la clameur du massacre, il cavale ses yeah à coups d’éperons, c’est du ventre à terre de la vingt-cinquième heure, Basly est le roi des écroulades de chant dans la mare aux canards. Cut de drummer avec «Headsider», violence ultime avec un Basly en effervescence, pur jus de white heat, ça chauffe tellement qu’on ne peut pas approcher la main. Basly joue son «Japanese Girl» à la cisaille épouvantable et Mr Henry bat ça au big badass boom marseillais. Tout dans ce disk est noyé de son et désespéré.

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On croyait que les Cowboys allaient s’épuiser au bout de deux albums. Une fois de plus on se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au coude : le cavalier de feu de Space-O-Phonics Aliens allait ravager bien des contrées. Cet album est sans doute le pire de la série de sept. Il ne s’agit pas d’un album mais d’une rafale de killer cuts d’une rare violence et ça démarre avec le génie excavateur d’«Every Girl Got Her Dog» chanté au wild scream de non-retour, on ne sait pas comment ils font, c’est gonflé à l’ultra-junk d’adrénaline, cette ouverture de bal maudit sonne comme une descentes aux enfers, et Basly t’enfonce un suppositoire de solo trash dans le cul, alors t’es baisé. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu les Cowboys en feu. Ça sonne bien les cloches. In the face. «Humility» est encore plus malsain, ils sont dans la déglingue des Cranks, ça te cloue une chouette à la porte de l’église, ces mecs sont atrocement géniaux. Tous leurs cuts sont des plongées fatales dans la folie Méricourt, peu de gens atteignent ces profondeurs, ils jouent sans répit, et quand ils s’offrent le luxe d’une cavalcade («Big Woman Blues»), le Cowboy en feu prend tout son sens. Ils dépotent autant que Motörhead, leur power dépasse les normes. Ils te donnent tout ce que tu attends du rock, l’ultra-sound, les virées dans la mélasse et l’exercice virtuose de la démesure. Il faut entendre Basly chanter «Tired» à la petite évaporée, avant de reprendre le big drawl et d’aller brouter la motte du trash. Il chante sur deux registres, comme un pro du cataclysme, c’est-à-dire le diable en personne. Il rallume sa chaudière à chaque instant. Avec «Hornets», on se croirait sur un album des Cranks, car c’est embarqué au watch out de psychose extrême. Leur «Rock’n’Roll Star» n’est pas celui d’Oasis. Il s’agit plutôt d’un heavy groove de cromagnon, oooouh baby I’m sick. Le son est tellement plein que les Cowboys atteignent à une sorte de plénitude qui n’est pas celle des sages, rassurez-vous. Il y a deux ou trois clins d’œil à Elvis, sur cet album en feu, «Col. Parker Medication» et «Hallohah From Elvis». Ils ne reculent devant aucun sacrifice. L’Hallohah est l’un des plus gros brouets explosifs jamais imaginés. C’est même l’un des sommets du junk sonique. Ils embarquent «Rugged Love» à l’extrême garage dévorant, il remonte de ce truc tous les remugles qu’on peut imaginer, DMZ, Gun Club, mais c’est surtout un remugle de Cowboys. Basly rivalise de folie screamée avec Peter Aaron. Cet album est une merveilleuse abomination, chaque cut vaut pour une explosion inespérée, les killer solos sont des modèles d’infection, ça sort tout droit du Kaiser studio.

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Bizarrement le Bones Keep Smilin’ paru en 2003 sonne comme un moment de répit. Même si une horreur tentaculaire comme «Too Much Sun In My Room» guette le voyageur imprudent. Basly drive cette frenzy Gun-clubbique avec une poigne de fer. Absolute wilderness, le génie de Basly consiste à savoir basculer dans le scream extrême. Il fait même un Part II de cette horreur tentaculaire. Basly lui tire dessus et ça s’écroule. Quel fantastique shaker d’apocalypse ! Même les guitares sonnent comme des appels à l’émeute. Il faut l’entendre hurler dans sa fournaise. C’est aussi sur cet album que se planque «Luna». Luna, objet de toutes les convoitises. Le cul de rêve. I need you Luna. C’est du ramoné de cheminée sans égal. Les riffs transpercent le mur du son comme des jets d’acide et Basly chante à l’apoplexie militante. Les riffs se concassent dans le chaos d’un beat des forges, ces mecs sont complètement fous. Quand on tombe sur «I’ve Been So Down», on s’exclame : «Ah comme c’est bon !». Ils te courent sur le haricot. Honneur aux roots avec «Well» qui est plus rockab, mais avec la Cowboy attitude. Ils gravent leur «Such A Long Time» dans le marbre de la folie et rendent hommage à leurs amis marseillais avec l’excellent «Gasolhead».

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On les voyait tous les trois au dos de la pochette de Bones. Pour celle de Sleeping With Ghosts, ils sont devant. C’est là, sur cet album en feu que se trouve leur reprise de «Preaching The Blues». Hommage définitif. Go ! Nous sommes dans le vrai truc, avec la folie et le drumbeat. Ils ont tout compris au génie de Jeffrey Lee Pierce. C’est le meilleur shoot de chicken shit qui se puisse imaginer, Basly entre dans la peau de Jeffrey Lee, car quand ça explose, ça devient le Gun Club, yeah ! Il gère à merveille les zones infernales, il tape en plein dans le mille. Rappelons que Lucas Trouble produit les Cowboys. Il est aux Cowboys ce qu’Uncle Sam fut à Elvis et à Jerry Lee. Ils ouvrent leur bal avec «Black Haired Coktail» et libèrent les légions des démons du trash-punk d’undergut. C’est une dégelée suprême avec ses woooh de plongées en enfer, ce mec ne sait faire que ça, plonger en enfer. Une fois du plus, c’est cranky à souhait. Basly monte ses hot shots à la Lux, mais avec le power des Cranks et la folie de Jeffrey Lee Pierce. Les Cowboys font partie des dieux de l’Olympe trash. Les écouter, c’est une façon de se confronter aux vraies valeurs. Tu veux jouer aux Cowboys et aux Indiens ? Alors écoute le morceau titre, tu vas tomber de ta chaise et tu vas pouvoir ramper sous le tapis du salon. Basly remonte des courants comme Rimbaud et crée en permanence toutes les conditions de la fournaise. «I’ve Been Loving You Too Wrong» est un heavy groove qui vaut tout l’or du Gun Club. Ça coule partout, les filles sont là, dans l’écho du temps. Basly ramène à manger. Il nourrit sa famille. Le Tamer de «Buzy Vat Tamer» est celui de Dale Hawkins. Basly claque son heavy bop de punk à la Cranks, ça cool de jus, ça se démantibule et c’est pourri de solos vénéneux. Dans «Fade Away», on croit entendre chanter le comte Dracula. Basly montre encore qu’il est le roi des inflammations avec «The Push In». Il démarre avec une big attaque et ça s’envenime aussitôt. Pas la peine d’emmener le cut à l’hosto, c’est déjà trop tard. Basly l’explose. Les ponts sont des ponts de la rivière Kwaï en feu. On ne sait pas pourquoi, ça se met à cavaler à travers la plaine, avec des pouets de cuivres, Basly fait son push in de punk et ça se termine comme ça doit se terminer, en clameur de guitares extraordinaires. On sort de ce cut le souffle court. Et voilà, trop bourré pour baiser : «Too Drunk To Love You». Basly en profite pour tramer un heavy doom. Vous devriez l’écouter car ça ouvre des horizons. D’autant que Basly chante à la syllabe mouillée et passe un solo d’absolute killering. C’est l’un des sons de guitare les plus wild qu’on ait pu entendre ici bas.

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Les voilà de nouveau tous les trois en devanture du Super Wright Dark Wright paru en 2009. Basly ressemble de plus en plus au Comte Dracula. Ils attaquent avec un «Extra Wright» à la Jon Spencer, joué à la clairette de funky-gaga guitar et Basly décide tout simplement de chanter comme un dieu, alors oui, my extra wright. Ils font ensuite exploser le saucisson avec «Im Waiting». Basly l’attaque au dark de glotte, il sait allumer une mèche ! Mais on perd un peu la démesure du Space-O-Phonics. C’est autre chose. Comme si la sauvagerie était enfin domestiquée. Alors on se régale de l’ambiance d’accords biseautés. De toute évidence, le Comte Dracula a du génie, ça joue dans le clair obscur et il va bien sûr s’exploser la glotte à coups de whoo wahh oooh, c’est un modèle du genre, un truc qui intéressait beaucoup Wolf. Il faut aussi le voir moduler son chat perché dans «All Right All Right». En plus, il gratte les poux du son jusqu’au sang. Et maintenant, un encart publicitaire : amateurs de folie, adressez-vous à Monsieur Basly. Comment fait-on ? Il suffit d’écouter «She Wanna Take Drugs». Basly est le chanteur définitif, il dérape dans les peaux de banane. Basly et Peter Aaron, même combat. Suivez-le dans ses fuites de wanna take drugs, c’est la connaissance par les gouffres du son, ça fait même drôle d’entendre Basly hurler comme s’il était tombé dans les pattes des tourmenteurs de l’Inquisition, c’est du scream externalisé d’implosion suprématiste, on ne peut pas faire l’impasse sur une telle démesure. Il gère aussi son «Who Says A Rockband Can’t Play Funky» à la voix de petite fiotte et ses potes l’aident à swinguer sa pop humide. Encore un coup de génie en forme de coup de bambou, il finit en mongolien échappé d’un bac à sable et s’en va hurler dans les bois. Le «Me And Mrs Smith» qu’on croise ensuite n’a rien à voir avec le «Me And Mrs Jones» de Billy Paul. C’est très différent car on y voit Basly se jeter dans l’eau bouillante comme un crabe ivre de liberté. L’une de ses spécialités c’est aussi d’allumer son cut une fois qu’on le croit fini, mais non, il décide d’en remettre un coup dans le cul du cut et ça devient glorieux, car ça gicle, ça tourne au trash organique, à l’orgasme sonique avec ta copine de cheval, explosivité à tous les étages en montant chez Brenda. Tiens justement, la voilà, la «Brenda». Elle est tellement chargée de son qu’elle en chevrote. Les accords raclent le fromage sans que Basly ait besoin de sortir la râpe. Il râpe, ses accords sont encore une fois un modèle du genre, tout vibre dans la baraque, ces fucking Cowboys vont nous écrouler la baraque, ô sainte mère !, mais vas-y Basly, gratte ta chique et fais grimper la température ! Retour à la folie du Gun Club avec «Rooms Of Hate». Bienvenue dans le giron du punk blues. Jeffrey Lee serait fier d’entendre ça, d’entendre cette belle démesure gun-clubbique. C’est un extrême qui ne veut pas baisser la tête, Basly chante comme toujours, à la vie à la mort. C’est le lui le king. Stupéfiant ! L’hymne du non-retour. La suite du Gun Club de non-retour. Basly hurle dans la toundra, seul, à des milliers de kilomètres de toute trace de civilisation. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec une belle dépotée intitulée «A Brand New Story». Pour ça, on peut faire confiance aux Cowboys, les dépotées ça les connaît. Ces mecs vont nous battre le rappel jusqu’à la fin des haricots. Et avec Basly, on est sûrs d’avoir du rab de ragoût. Il y va de bon cœur, comme toujours. Il fait du Basly pur, il niaque sa niaque et reste sur le story bad. Il est très certainement le plus brillant rocker de France.

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Avec les Cowboys , il ne faut attendre rien d’autre qu’un festin de son. Exile At The Rising House ne fait pas exception à la règle. Et ce dès «Lost Men Blues» et ce son hanté jusqu’à l’oss de l’ass, digne des Cranks, dévastatoire autant que révélatoire. Ces mecs pataugent dans leur lave, ils fonctionnent par crises de rage éruptives, quand ça coule, ça coule, dans la grande tradition du trash-punk new-yorkais. Les flammes dévorent les immeubles. Ils savent très bien faire leur petite Blues Explosion («My Favorite Rock’n’Roll Band») et jouer aux frichtis de guitares claires («Voodoo Lover»), animés d’une volonté sempiternelle de sonner rétro avec un côté tordu. Retour au pur jus de Jon Spencer avec «Cheree Cheree» et une fantastique modulation du velouté de chant. Basly chante comme un vampire hermaphrodite. Ils bouclent cette A infernale avec «Penitent Hood Song». Basly sait devenir fou et même dangereux. Ce fantastique transgresseur écrase du talon les conventions de Genève comme des excréments, d’un quart de tour bien appuyé. Et ça repart de plus belle en B avec «I Wanna Be Pictured (In A Trash Magazine)», fantastique shoot de wild thing. Basly sait rendre hommage aux vieux standards du lard de la matière. C’est un shoor de choc frontal chanté à la belle désespérance des barricades et les accords battent tous les records de heavyness. «Strange Kinda Hell» vaut aussi le détour, car bien balayé par des vents brûlants. Les petits couplets restent clean, mais les ponts brûlent. Quelle science du rebondissement et de la terre brûlée ! Retour aux belles dégelées royales avec «In Your Dream». Basly fait du sur-place dans cette masse grelottante qui semble frappée d’un coup de pelle à plat, ça gicle, c’est du grand splank fantasmatique. Et toujours cette profondeur de champ dans le son. Il va droit sur le rockab pour «I’m Drivin’ In», avec un gimmick de guitare en embuscade et ça splashe in the face dès que ça s’énerve. Comme si les Cowboys ne maîtrisaient plus leur bolide.

Avant d’installer les chandelles pour éviter que le toit de la baraque ne s’écroule, un petit éclaircissement s’impose : pourquoi sur l’illusse voit-on les Cowboys armés et réfugiés dans une cave ? Parce qu’on a projeté les Cowboys au troisième millénaire pour les besoins d’un conte moral. C’est une époque que nous ne connaîtrons pas, heureusement, car un totalitarisme issu des profondeurs de l’obscurantisme régnera sur la terre et tout anticonformiste sera considéré comme terroriste et aussitôt éliminé. Les affiliés du Gun Club seront considérés comme des ennemis du peuple et traqués. D’où la cave et les armes, en cas d’arrivée des forces spéciales d’intervention.

Singé : Cazengler, cowboy d’opérette

Cowboys From Outerspace. Cowboys From Outerspace. Nova Express 1997

Cowboys From Outerspace. Choke Full Of... Nova Express 2000

Cowboys From Outerspace. Space-O-Phonics Aliens. Nova Express 2002

Cowboys From Outerspace. Bones Keep Smilin’. Nova Express 2003

Cowboys From Outerspace. Sleeping With Ghosts. Nova Express 2005

Cowboys From Outerspace. Super Wright Dark Wright. Nova Express 2009

Cowboys From Outerspace. Exile At The Rising House. Lollipop Records 2015

 

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On était contents, durant le confinement les cui-cui avaient émigré en Bretagne. On plaignait les Bretons, un peu hypocritement, car l'on était heureux d'en être débarrassés. Plus de maudits volatiles pour vous corner dans les oreilles. Quel repos ! C'était mal les connaître. Première alerte, se rappellent à notre souvenir ( voir Kr'tnt ! 485 ) en faisant paraître un livre sur les affiches de leurs concerts. On n'a rien dit, de toutes les manières, sont comme tous les autres désormais privés d'apparitions publiques, à quelque chose malheur est bon. Ben non ! En ont profité pour enregistrer un album, du coup ils produisent un Clip ( voir Kr'tnt ! 491 ) pour prouver qu'ils savent faire du bruit. D'ici à ce que le CD soit dans le commerce, vu la situation l'on est pénardos pour un bout de temps pensions-nous. A tort. Un bombardement ininterrompu, toute la semaine dernière, tirent à la grosse Bertha, un nouveau clip sur un morceau du précédent album Europeans Slaves, puis un extrait du futur album sur Soundcloud, et deux jours après un deuxième titre... En plus ils ont survécu à la grippe aviaire... Quand je pense que certains kr'tntreaders sont peut-être membres de la Ligue pour la Protection des Oiseaux !

NOWHERE ELSE

CRASHBIRDS

( Clip : Rattila Picture / Janvier 2021 )

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Dirty country road rock'n'roll blues. C'est le fil conducteur. Il vous est d'autant plus nécessaire qu'au début vous êtes en voiture. Avec chauffeur. Perso je ne lui ferai aucune confiance. Pas plus à son look d'agent secret en mission qu'à la gerce emmitouflée à ses côtés. Le paysage défile en grand panorama, c'est beau mais l'humidité vous transperce les os ( les géographes s'accordent pour décrire la Bretagne comme un pluviomètre géant ). Oui bien sûr, vous avez reconnu Pierre Lehoulier et Delphine Viane, les deux cui-cui infernaux. Où vont-ils ? Rattila Picture va vous le dire. Là où Rattila passe l'herbe des images repousse plus vite que le vent. L'écran se divise en deux, à gauche campagne mouillée et hivernale, à droite Pierre à la guitare et Delphine idem mais son pantalon rouge coquelicot vous arrache les yeux. Vous ne les écoutez pas toute votre attention est dévolue à la ruine derrière eux, un vieux baraquement en bois tout pourrave que les termites ont refusé de ronger. Dans les romans policiers, ce sont les détails qui sont importants pour les déductions. Je vous en donne trois, Delphine qui n'arrête pas de bouger comme si elle était atteinte de la danse de saint guy, les branches d'arbre qui s'agitent, le bonnet de Pierre avec ses oreilles fourrées d'épagneul. Parfait canidé pour la chasse aux canards. Oui, il fait un froid de canard. Et même de loup. Un esquimau refuserait de virer un ours polaire de son igloo, mais les cui-cui sont dehors.

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Jusque-là tout va à peu près bien, c'est aux secondes suivantes que vous êtes en plein décrochage temporel, sont encore dans la bagnole, pas très futés d'ailleurs, ont perdu leurs chemins, dédoublement des images, sur la bande latérale supérieure ils s'énervent sur la carte, sur l'inférieure ils sont devant leur bungalow ( ceux que la SNCF revendait à la fin de la guerre aux miséreux qui ne trouvait pas où se loger ) en train de gratter leur zique. Vous les revoyez en alternance longeant des paysages granitique par des routes détrempées ou martyrisant leurs instruments. Belles collines verdoyantes, on se croirait au Népal, nos voyageurs croquent des chips dans la nuit noire de leu habitacle. Dans les mêmes instants ils ont laissé leurs instruments et ramassent du bois, sortent un barbecue et allument un feu d'enfer. La nuit est tombée, sont assis près du feu et boivent une canette.

En tant que Kr'tntreaders vous êtes assez finauds pour avoir compris. La morale de l'histoire est simple : vous ne serez jamais mieux que chez vous.

                                           Quand (… )

Reverrais-je le clos de ma pauvre maison

Qui m'est une province et plus davantage

chantait déjà le poëte Joachim du Bellay au seizième siècle, une terrible époque qui ne connaissait pas le rock'n'roll, ce qui n'est pas le cas de nos deux inséparables nés en des temps plus fastes. Ce qui nous oblige maintenant à regarder une nouvelle fois ce high voltage pictured clip, non pas avec nos yeux, mais avec nos oreilles.

Un bon vermicelle à l'arsenic guitarique pour lancer le bastringue, Dehphine ne tarde pas à sonner le tocsin sur sa cloche à vache et Pierre à passer le bulldozer sur tout ce qui bouge, la surprise vient de Delphine, ne lui en veuillez pas, ce sont les aléas existentiels des rockstars, elle a commencé par un vocal normal, mais sous pression, Pierre vous fait défiler deux ou trois enterrements au pas de course et soudain Delphine se lâche, elle n'est plus un cui-cui sur sa branche, sa voix monte haut comme l'aigle de Zeus, ce n'est plus Delphine, mais une cantatrice, une walkyrie dans son cercle de feu, forte houle de Lehoulier, le creux des vagues atteint douze mètres, les bateaux coulent votre raison aussi, La voix de Delphine tournoie sur le naufrage, et dans un dernier soubresaut elle se précipite au fond du gouffre telle un goéland suicidaire qui expire en deux cris stridents. Magnifique...

 

THE DEAD KING SON

( Crashbirds Suncloud )

Extrait de l'album Unicorns à venir. Une sombre histoire. Imaginez Hamlet de Shakespeare racontée par Ophélie du fond de l'Enfer, hélas son suicide par noyade ne l'a pas faite revenir à la raison, elle est toujours aussi folle, est-ce pour cela que la guitare de Lehoulier tout en gardant sa noirceur habituelle vous prend de temps en temps une sonorité narquoise, un petit côté tra-lala-lalère insidieux pour souligner la sombre tragédie que nous conte Delphine Viane sur ce ton sentencieux et insouciant qui nous nous fait toucher du doigt la pourriture du Royaume France. Ophélie en pleine crise doit être enfermée dans une cellule capitonnée pour que l'on n'entende plus ses hennissements cristallins si bien imitée par Delphine, et Pierre Lehoulier touché à son tour se lance dans une espèce de bourrée auvergnate finale qui risque de vous étonner. Et lorsque vous l'aurez écouté une fois vous serez comme le petit enfant qui exige de son papa Pierre et de sa maman Delphine qu'ils vous la racontent tous les soirs avant de vous coucher pour atteindre le pays des cauchemars interdits.

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THE GOOD OLD TIME

( Crashbirds Suncloud )

Comment Pierre parvient-il avec sa guitare électrique à donner ce sentiment de musique médiévale, certes les temps durement marqués du pied sur ses caisses phoniques aident à matérialiser l'atmosphère musicale de ces époques de royauté et de servitude... quant à Delphine elle semble sortie tout droit de la tapisserie La Dame à la Licorne, on l'imagine coiffée d'un long hennin surmontant sa rousse chevelure récitant une de ces mystérieuses histoires hantées et secrètes des temps passées, les pas des soudards qui résonnent sur les pierres de la plus haute tour, parfois il vaut mieux se taire et écouter le vent qui souffle en haut du donjon...

Ce ne sont que des impressions, des approximations oniriques nous attendons avec impatience la sortie de l'artwork finalisé. L'on pressent facilement que ces malotrus de cui cui ont encore pondu une galette indispensable.

 

Après cela on croyait être tranquille pour un bout de temps, ne vont tout de même pas enregistrer un nouveau disque tant qu'ils n'auront pas écoulé Unicorns ! Non, ils n'ont pas osé. Ils ont fait pire, ils ressortent le précédent, European Slaves, vous l'avez déjà, oui en CD, mais là c'est le tirage vinyle, que voulez vous, depuis le covid la vie devient si difficile !

Damie Chad

P. S. : alerte noire, Pierre Lehoulier entame une nouvelle bande dessinée : sujet : la préhistoire, depuis au moins l'extinction des dinosaures... Survivrons-nous à cette avalanche crashbirdienne... Ne l'oubliez pas, seuls subsisteront à l'actuel ravage culturel ceux qui contre vents et marées ont encore la force de lutter et de créer.

 

CROAK

( 2013 )

Pit : vocal / Mathieu : guitares / Bruno : Lead guitar / Chris : basse / Alex : drums.

Groupe canadien formé par Pit ( canadien ) et Mathieu ( froggy man ) à Grenoble. N'ont sorti que trois disques, le dernier en juin 2020, le II en 2016, et le premier dont nous nous occupons présentement en 2013. Suis tombé dessus totalement par hasard, enfin presque, vous connaissez ma dévotion pour les corbeaux, cet oiseau de mauvais augure cher ( façon de parler ) à Edgar Poe. Un dessin, étrange un corbeau à deux têtes – ne serait-ce pas un aigle – et dessous un corps d'homme mal foutu, maladroitement tracé, sur ce que l'on pourrait prendre la toile d'un tipi indien. A ses pieds un animal non identifié que l'actualité nous oblige à baptiser du nom de pangolin, mais les lettres gothiques en arrière-fond infirmeront ma vision par trop orientée. Cet artwork est dû à Grégory Migeon qui a réalisé de superbes pochette pour Anasazi. Groupe de Grenoble ( comme le monde est petit ), d'ailleurs la plupart des membres de Croak font aussi parti d'Anasazy. Un véritable projet parallèle.

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Beneath : étrange intro très courte qui tient autant d'un heavy rock bien appuyé que du déplacement d'une soucoupe volante. Un beau vocal, lui aussi bien écourté, dans le genre on vous en donne moins pour que vous en ayez davantage envie, c'est réussi. Odorless acid : le genre de morceau qui ne révolutionne pas le rock mais qui donne envie d'écouter, le riff de base qui installe du bonheur dans votre vie, un bel organe qui tape dans le grave, Pit vous donne l'impression que vous êtes un chien qui court après le maître pour avoir le sucre qui se dérobe sans fin, les instrus se la mettent souvent en sourdine pour lui permettre de chanter et presque de rapper le gruyère canadien à son aise, mais quand ils reprennent l'estampage, ils vous tamponnent agréablement les esgourdes. Le drumin' et le fuzzin' des guitares squattent le dernier tiers de la piste, un constat s'impose : sont des musiciens. Faking god : Pit n'est pas piteux au crachoir, vous tient en haleine dès qu'il ouvre le bec, et sur ce Bruno vous laisse tomber une mini ondée d'accords de guitare qui... closent le morceau. Une minute et trois secondes. Ces gars-là sont des affameurs. Boogie time in Topanga Canyon : ce coup-ci, ils n'y vont pas de main morte, vous balancent la sauce tout de suite, cette voix de Pit mixée tout devant est prodigieuse, jamais très longtemps, simplement de brèves séquences, question guitares on dirait des gars qui s'amusent avec des modèles réduits d'avions à faire des loopings incroyables pour épater le public. Raising fist : Alex vous démontre que guitares sans batterie sont filles perdues, et l'on part dans une espèce de mild heavy-boogie qui question originalité ne casse pas trois pattes à un canard mais qui requiert votre attention, z'ont une formule simple, à tout instant comme dans ces grands magasins où l'on vous annonce une promo subite sur tel produit, puis une autre encore plus avantageuse au rayon le plus éloigné de la précédente, la clientèle ne sait plus où donner de la tête, la folie s'installe, les gens se battent autour de la camelote, et Pit avec sa voix de bonimenteur gentil déclenche une émeute.

Devil's reject : c'est reparti pour les belles ondées cordiques et Pit prend sa voix la plus grave pour vous raconter une histoire, de quoi cause-t-elle? Là n'est pas le problème, le timbre agit sur vous comme un calmant, la léthargie s'installe en vous et la brume des rêves s'emparent de votre cerveau. Alex profite de ce que vous soyez endormi pour faire un peu de bruit sur ses tambours et les guitares acquièrent une sonorité diabolique. Ne vous réveillez pas, ce n'est pas la peine, vous êtes mort.

Présentent Croack comme la face metal d'Anasazy, pas du tungstène aux arêtes écorchantes, ni de la quincaillerie tonitruante, un goût prononcé pour les belles sonorités, des musiciens prog qui fourmillent d'idées et qui savent vous séduire. Un corbeau au croassement particulièrement mélodieux.

Damie Chad.

 

*

Ne soyons pas racistes, vous avez aimé la série consacrée à Steppenwolf ( Non ? Tant pis pour vous ! ) ce coup-ci, le zoo tout entier, l'arche de Noé in extenso, nous nous intéresserons à tous les animaux à la fois, la direction ne recule devant aucun sacrifice, vous aurez une série consacrée aux Animals, aux premiers, pour être précis à la période 1963 – 1966, le groupe originel. Encore que... parce que la harde s'est relativement vite débandée.

ANIMALS / 1963

Newcastle-Upon-Tyne, vous ne choisissiez pas cette ville portuaire pour passer vos vacances. Par contre une soirée au Downbeat vous permettait de rencontrer les Kansas City Five avec Alan Price aux claviers, John Steel à la batterie et Eric Burdon au vocal. Alan Price stratège en douce avec Chas Chandler le bassiste des Kontours, seront chargés d'occuper les soirées durant trois heures, l'est rejoint par Steel et Burdon, à tel point que les Kontours se transforment en Alan Price Rhythm'n'Blues Combo, survient enfin Hilton Valentine qui comprend que le bidule a le vent en poupe. Eric Burdon n'est pas du genre mannequin, l'est taillé comme une allumette mais une voix profonde comme une tombe sans fond, le gamin pas très beau, chétif et malingre – l'avait la vingtaine - chantait comme un dieu nègre. Enfin fallait aimer. Bramait comme cerf, glapissait comme un renard, grognait comme un ours, feulait comme un tigre, rugissait comme un lion. Dans le combo se sont vite rendu compte que ce con pas beau attirait le public, ses beuglements avaient un effet bœuf, pas mironton mais minotaure, sur la foule. On adorait, mais on le formulait selon cet humour britannique inimitable, où vas-tu ce soir, voir le Alan Price Rhythm'n'Blues Combo, vous conviendrez que c'est un peu long, alors s'est installé le sobriquet Animals, plus court, plus rapide, plus sauvage. C'est que le petit bonhomme qui braillait comme les chevaux ruent dans les brancards obligeaient les copains à secouer salement leurs instruments. Les a convertis de gré et de force à sa vision à lui du rhythm'n'blues, oui pratiquement du race series, avec une forte injection de blues.

Cette histoire est bien belle, celle qui suit plus complexe que le Tractatus Logicus de Wittgenstein, car se pencher sur la discographie des Animals est un véritable casse-tête. Le fait qu'ils n'aient pas sortis de 33 tours facilement identifiables dans la tête des gens a nui à la conservation mémorielle du groupe. Les Rolling Stones ont aussi joué aux titrages différents selon les pays, mais ils ont su corriger le tir à temps, et ont eu cette chance de devenir très vite un mythe vivant...

 

I JUST WANT TO MAKE LOVE TO YOU

ANIMALS

( ALO 10865 / Octobre 1963 )

C'est le titre de leur premier Ep, jamais vu, jamais entendu, enregistrement privé, sorti à 99 exemplaires, les quatre titres de cette première galette se retrouvent sur la réédition d'Animalisms Secret Records Limited 2018 ) en tant que bonus tracks. Qu'importe, ne soyons pas mécréant, écoutons religieusement. Pas tout à fait comme la messe de onze heures du dimanche matin, celle-là est réservée aux tièdes que le Seigneur recrache, tapez plutôt dans la cérémonie vaudou avec poulets égorgés et zombies affamés.

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I just want to make love to you : composé par Willie Dixon homme à tout faire de haute main chez Chess, illico enregistré en 1954 par Muddy Waters, mais la version qui doit être dans l'oreille de Burdon est celle de Chuck Berry publiée en 63, l'on remarquera le changement de titre le Just make love to me de Waters le boueux s'est métamorphosé en slogan revendicatif de base de ces années de libération sexuelle que furent les sixties, l'écoute des deux versions s'avère judicieuse, l'on sent le glissement phénoménal entre le bluesy rock'n'roll de Chuck Berry et le british Boom anglais, nos jeunes gens y vont franco, parient sur l'expressivité, chaque fois que Burdon entonne le vocal il donne l'impression d'allumer un chalumeau, quant à Price pas question de tricoter le clavier pour entremêler ses notes à celle de la guitare, intervient comme s'il agitait un oriflamme pour entraîner le gros des troupes dans la mêlée. Boom boom : j'avais acheté le 45 tours français pour Don't let me be misunderstood, au bout de huit jours j'ai dû me rendre à l'évidence, je n'écoutais pratiquement que Boom Boom, un truc qui vous ravageait les synapses, certes l'originale de John Lee Hooker est davantage racée et stylée, mais le Hooker lui-même la réenregistrera après avoir écouté celle des Animals, les Bestiaux n'y vont pas par quatre chemins, ils forcent l'entrée au pied de biche, cassent du bois mais le feu qu'ils allumeront restera un peu maigre tout comme le son. Le morceau sera repris sous la houlette de Mikie Most et sera sur le fameux 45 tours qui ouvrit les portes du blues à un certain Damie Chad. Big boss man : les anglais ont raffolé de Jimmy Reed, faut l'entendre l'a une manière si flegmatique de s'adresser au big boss que vous sentez la hargne rentrée et rampante, un serpent qui se glisse pour se dresser et vous planter un couteau entre les omoplates, les Animals n'ont pas cette ironie doucereuse, une de leur reprises les plus faibles, cette étrange idée de se caler d'abord sur la rythmique de Memphis Tennessee de Chuck Berry et quant à Burdon c'est du genre, retenez moi ou je fais un malheur et comme ses potes le retiennent c'est un véritable malheur, une version sans saveur, pour faire la différence écoutez celle d'Elvis qui lui aussi a repris le morceau de Dixon en 1966 ( ce coup-ci c'est pas Willie mais Luther, comme dit le dicton y a plus d'un Dixon dans le boxon ). Pretty thing : en France Bo Diddley a été le pionnier du rock le moins écouté ce qui explique peut-être la faiblesse de notre rock national privé d'un de ses fondements essentiels, en Angleterre l'anecdote est connue, celle de Keith et Mick se retrouvant et sympathisant autour d'une pile de disques de Chuck Berry et du beau Bo pas bobo pour un dollar, les Animals nous en offrent une version dopaminée, Hilton en profite pour refiler le riff de Brown eyed handsomme man ( merci Chuck ) en catimini, c'est vrai qu'ils fourrent le hot dog avec toutes sortes de moutardes, notamment un harmo dépenaillé, mais le hot hit du Bo le supporte sans broncher, avec Bo vous pouvez charger la barque, elle ne coule jamais, même qu'ils terminent un peu trop rapidement à notre goût. Question métaphysique subsidiaire : pourquoi Burdon a-t-il adopté cette voix nasillarde des vieux disques de country ?

 

LIVE WITH SONNY BOY WILLIAMSON

( Enregistré au Club A GO-GO / 30 – 12 - 1963 )

(Morceaux avec Sonny Boy Willialson : BYG / 1972 )

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Vu la date d'enregistrement il n'a pas dû sortir en 1963 ! Le genre d'adoubement dont tous les petits blancs rêvaient à l'époque, accompagner sur scène une légende vivante du blues. Sonny Boy Williamson ( II ) - appelé aussi Rice Miller pour le différencier de Sonny Boy Williamson ( I ) harmoniciste assassiné en 1948 - connaîtra le succès en Europe grâce à ses deux participations à l'American Folk Blues Festival en 1963 et 1964. C'est durant ces deux tournées qu'il adopta le chapeau melon, selon lui signe extérieur de respectabilité, qui fit autant pour sa célébrité que le soin maniaque qu'il prodiguait à la mallette qui contenait ses harmonicas. Chanteur et harmoniciste renommé lui aussi, il commença à enregistrer en 1941 et décéda en 1965. Tous les amateurs de blues débutants se font les dents sur son Help me. La connexion avec Sonny Boy Williamson est établie grâce à Giorgio Gomelsky, figure incontournable et fondamentale du rock anglais, le manager des Rolling Stones.

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Let it rock : premier des six morceaux joués uniquement par les Animals en première partie du vétéran, au hasard un titre de Chuck Berry qu'il a enregistré en 1960. Une chose est sûre c'est que nos animaliers s'y entendent pour interpréter le rock'n'roll, le morceau défile à cent à l'heure, un seul problème l'orgue d'Alan Price n'a pas la légèreté fuyante et escarbouclante du piano de Johnnie Johnson, par contre le combo a compris que le seul défaut de l'interprétation de Chuck Berry résidait en sa brièveté. Doublent pratiquement la longueur des rails et font notre bonheur. Quelques années plus tard les Stones sur scène les imiteront, mais leur convoi n'atteindra pas cette vitesse déjantée. Gotta find my baby : une vieillerie du Doctor Peter Clayton que les Beatles reprendront durant leurs BBC sessions , Price ne joue pas les abonnés absents, la partie toute en subtilité de piano du bon Docteur il vous la plaque à coups de marteau, en inonde le morceau, vous pond ce qui deviendra le son de base des Animals, quant à Burdon il vous la chante au mégaphone, sur la fin gueulent tous en chœur si fort que pour un peu on ne se souviendrait plus du petit solo tout en finesse d'Hilton Valentine. Un chef-d'œuvre ignoré. Bo Diddley : entendez-le brailler du fond de la jungle, Burdon se retrouve en terrain conquis, bien sûr John Steel est au boulot, L'orgue de Price glougloute comme une bouteille que vous enfoncez dans un marigot de djack, dommage que le public soit mixé loin derrière, pensez à un set de Jake Calypso pour vous créer un équivalent mental, on aimerait y être mais on n'y est pas, cela perd un peu de son charme, mais l'organe de Burdon vous procure un réel plaisir. Plus de sept minutes. Almost grown : retour à Chuck Berry, si certains en doutaient c'est là qu'ils s'apercevront de l'aisance de Burdon au vocal, fait ce qu'il veut et n'oublie pas de s'amuser, derrière ça assure au rutabaga dans les chœurs, quant à l'orgue de Price il astique la quincaillerie de dorure rubescente, style camion de pompier en feu. Dimples : ils aiment John Lee Hooker, mais ils s'en servent comme d'un tremplin, certes il y a une urgence sous-jacente chez John lee mais alliée à une sorte de flegme venimeux, je ne dis pas qu'ils n'essaient pas d'y aller mollo, mais chassez le naturel il revient au galop, la guitare tente de ne pas grincer trop fort, l'orgue se fait minuscule mais le Burdon il hurle à lui tout seul comme une classe de CM 2 privée depuis trois jours de récréation, pas besoin de vous faire un dessin pour vous aider à imaginer. Boom boom : d'autant plus qu'ils terminent sur un de leur morceau fétiche et que dans trois minutes, il faudra se tenir sagement derrière le grand monsieur, alors le Boom Boom ils vous le massacrent à souhait pour notre plus grande joie, le Burdon s'envole dans un hommage à Sonny Boy, égosillement général.

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C Jam blues : on ne va pas se quitter comme cela, un dernier blues en l'honneur de Sonny Boy, une véritable tuerie, attention c'est Sonny qui donne le tempo, s'est installé à la batterie, tous sont aux petits soins avec lui, Price se la joue discrétos mais omniprésent, Valentine est à la fête sur sa guitare. Burdon survolté au bord de la rupture d'anévrisme. Sonny's slow walk : ne se dégonflent pas les Animals, ne sont pas là pour faire acte de présence, superbe duo orgue et harmonica, tout de suite la griffe du maître, leur montre un peu ce que c'est l'économie de moyens, quelques miaulements de l'orgue à bouche et l'on entre dans le vif du sujet. Pontiac blues : silence absolu dans la salle, le roi parle, vous déchire les tympans de son harmonica, et puis il chante, ne hurle pas comme le Burdon, tout juste s'il ne cause pas, Hilton ne reste pas à l'hôtel, il prend le solo, Price qui jusque-là se contentait d'accompagner passe devant mais le Williamson vous étripe un peu avec son harmo et se remet au vocal pour cautériser votre plaie béante, un sorcier, à la fin du morceau vous êtes guéri. Vous pouvez profiter pleinement de la porte qui grince dans la bouche de Sonny. My babe : recoucou Willie Dixon, un classique, tout ce que les Stones n'arriveront jamais à faire, l'a l'air d'un oiseau qui pépie sur la branche le Lee, vous souffle des trilles assassines et les Animals se contentent de suivre sans la ramener, maintenant quand il dit ''she's my baby'' il semble qu'il vous murmure à l'oreille le plus grand secret de l'univers. Vous ne vous rendez même pas compte que vous le saviez déjà. I don't care no more : cette manière de parler en chantant, rien à voir avec le rap, en prime ses éclats d'harmo qui vous crèvent les yeux, le vieux brigand s'amuse tout seul, n'a besoin de personne sur son harmonium à dentier, le public l'interrompt pour applaudir, l'en profite pour se raconter un peu. Baby don't you weary : intro d'harmo guimbardien, voix presque murmurante, le gars qui monologue seul, le blues est dans votre tête cela suffit pour remplir le monde, une mouche bourdonne sur l'étron de votre vie, tape ses élytres sur la vitre du malheur, la voix se brise comme du verre. Night time is the right time : Price fait des guili-guili tandis que le Boy étire la nuit sur son harmo, l'orgue se fait tout doux pour nous bercer, le fils de William vous émoustille les heures sombres, derrière en écho Burdon hurle tout en restant dans les limites du tapage nocturne tolérable, quelques lichettes de Sonny et vous êtes au pays des rêves. I' m gonna put you down : la voix d'abord, l'orgue entre deux eaux, à volume constant la nécessité de tendre les esgourdes s'impose, Sonny prend le contre-pied des Animals, devient l'homme qui murmure à l'oreille de l'harmonica, baisse le son au maximum, à peine hausse-t-il d'un mini chouïa la voix que ça résonne à se croire dans un hangar vide. Termine doucement en cheminant avec l'orgue qui se fait frôlement d' attrape-rêves. Fattenings frogs for snakes : guère plus fort, tout dans la nuance, et le blues tombe sur vous comme un éteignoir sur un lampadaire, la batterie qui donne le tempo vous suffit, Price ferait bien de débrancher sa machine, elle est de trop. Légères touches de guitare, coups de pinceaux à l'aquarelle. Nobody but you : beaucoup plus enjoué, Williamson donne le la à Burdon et l'on retrouve les Animals qui devaient piaffer d'impatience. Du coup ils piquent un galop de steeple-chase pour garder la forme, et Sonny donne la réplique à Eric avec une facilité déconcertante. C'est parti pour les congratulations mutuelles sous les ovations du public. Bye-bye Sonny bye-bye + coda : dernière proclamation hommagiale à la royauté de Sonny Boy Williamson.

Il est indéniable qu'à la fin de l'année 63 les Animals possèdent un son bien à eux qui les classe parmi les meilleurs groupes du pays.

Pour ceux qui aiment, Sonny Boy Williamson a aussi enregistré avec les Yardbirds.

Damie Chad.

 

 

XX

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

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    • Ça alors !

Les filles n'en reviennent pas. Ce n'est pas une transformation mais une incroyable métamorphose. La 2 Chenille est devenue un papillodrone ! Vince récapitule les changements qu'il a effectués : je n'ai gardé que la structure minimale, le châssis et les sièges. Les deux énormes bouteilles dessous qui ressemblent à des flotteurs de pédalo contiennent de l'hydrogène, j'ai adapté le moteur pour qu'il ne soit plus alimenté par l'essence, mais par le gaz. Cinq adultes et deux chiens plus le matériel nécessaire à notre mission cela pèse un max d'où la nécessité des pales supérieures qui nous font ressembler à un hélicoptère. Evidemment le rotor qui tourne à grande vitesse émet un bruit terrifiant, nous sommes parvenus grâce à l'idée géniale de Damie d'appeler le Cat Zengler à juguler ce problème. Voilà pourquoi juste sous les pales vous apercevez ce gros haut-parleur et à côté du volant ce lecteur de CD.

    • Chic on va pouvoir écouter de la musique pendant le voyage s'exclament les filles ravies

    • Mais non cela ne ferait qu'ajouter du bruit à l'infernal boucan du rotor ! Le Cat Zengler nous a envoyé un enregistrement de John Cage, 4' 33'' ce célébrissime morceau composé de silence, il nous suffira de monter le volume à fond pour que le silence recouvre le vacarme du moteur, et nous nous déplacerons sans bruit. Mais le temps passe, je laisse la parole au Chef.

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Le Chef allume un Coronado :

    • Ecoutez-moi, sachez que nous n'avons pas le droit d'échouer, la survie du rock'n'roll est en jeu. Exécuter les ordres au fur et à mesure que je les énonce. Charline sur la banquette arrière, à gauche, Molossito sur les genoux, Charlotte vous vous mettrez à droite et vous serez responsable de Molossa, Vince entre les deux filles ( ce renard de Vince s'adjuge l'air de rien la meilleure place ), à tes pieds une trappe, à hauteur de tes mains le treuil, c'est par là que les chiens et par où les filles seront évacués dès que la phase d'attaque de l'objectif commencera. Les filles, félicitations vous avez suivis mes conseils à la lettre, congratulation pour les épais peignoirs dans lesquels vous êtes emmitouflés et je vois que vous n'avez pas oublié le petit sac à ustensiles.

Le Chef jette son Coronado :

    • Il est encore temps de vous défaire de vos portables, ce sont de véritables mouchards qui révèleraient très vite notre position. Agent Chad, asseyez-vous au volant, notre engin se conduit comme une deux-chevaux classique, toutefois interdiction absolue de toucher au clignoteur tant que je ne vous en aurais pas donné l'ordre. Nous volerons le plus bas possible pour ne pas être détecté par les radars. Pour vous diriger vous avez une boussole juste sous le volant, je vous indiquerai le cap au fur et à mesure. Vous avez remarqué que j'ai jeté mon Coronado. Lorsque j'allumerai un Coronado, la phase la plus difficile de l'opération débutera. J'exigerai alors un silence absolu, un millionième de seconde d'inattention de ma part et nous sommes tous morts. Agent Chad, il est exactement onze heures, contact !

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C'est encore plus difficile à conduire que de slalomer en marche-arrière et en contre-sens sur l'autoroute, je ne voudrais pas me vanter mais à part les dix premiers kilomètres durant lesquels j'ai zigzagué quelque peu, grâce à mes nerfs d'aciers et mes réflexes de félin j'ai vite maîtrisé l'engin. C'est étrange de frôler la cime des arbres à toute vitesse – vitesse maximale 200 km / h – sans un bruit sous la voûte étoilée...

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Les deux bidasses s'ennuient un peu.

    • T'as vu Pierre, trois nuits que l'on passe à garder le portail, pendant que les autres sont au chaud, quelle injustice !

    • C'est l'été, ça va, on ne peut pas dire qu'il fasse froid, le plus embêtant c'est que l'on s'enquiquine à mort, même pas un passant depuis trois heures, tu parles d'un boulot !

    • T'as parlé trop vite, regarde deux chiens ils cavalent à toute vitesse !

    • Ils auraient pu s'arrêter pour une caresse, cela nous aurait passé le temps..

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cela se passe avant

Le Chef sort un Coronado de sa poche.

    • Agent Chad, ralentissez, presque au pas, ah voilà regardez à droite, sur le toit deux points rouges !

Le Chef tire trois fois sur son cigare, et les points rouges sur notre droite deviennent par trois fois davantage lumineux.

    • Agent Chad tout doucement, avancez vers eux, là voilà à gauche, deux points rouges, attendez j'aspire trois fois, oui ils répondent, maintenant Agent Chad, visualisez la distance entre les points de droite et les points de gauche, tenez-vous au milieu, foncez droit devant nous y sommes presque !

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  • Attention Pierre il y a des gens qui courent sur le trottoir, prépare-toi à faire feu si nécessaire

  • T'affole pas Marc, ce sont des filles, en tenues légères en plus !

  • Ne rêve pas, je parie qu'elles vont passer sans nous voir !

  • Monsieur, Monsieur !

  • Vous n'avez pas vu passer deux chiens ?

Elles sont mignonnes dans leur justaucorps roses, toute essoufflées, prêtes à pleurer...

  • Si, il y a une minute, oh regardez ils reviennent !

  • Oh, vous êtes nos sauveurs, regardez ils ne sont pas méchants !

  • En plus ils sont tout beaux, tout mignons, comme vous !

  • Oh, vous êtres trop gentils, et vous semblez si forts !

L'on entend un grésillement et une voix courroucée sort du haut parleur :

    • Foutredieu, soldat Pierre et Soldat Marc, vous savez qu'il est strictement interdit de parler aux passants !

    • Mon adjudant ce n'est rien, deux filles qui avaient perdu leurs chiens !

    • Branledieu, en plus vous êtes en train de caresser les cabots, avez-vous pensé à vérifier ce qu'elles portent dans leur sac; je sens d'ici à plein nez la corvée de chiotte qui va vous tomber dessus !

    • Je viens de vérifier mon adjudant, dans chaque sac il y a un chapeau en carton recouvert de papier crépon !

L'adjudant n'en croit pas ses oreilles, deux voies féminines l'interpellent :

    • Mon adjudant, vous qui êtes un homme de goût, regardez, on vous les montre à la caméra, c'est le mien en crépon vert qui est le plus beau !

    • Non c'est le mien, en crépon orange !

    • Culdedieu, soldats Pierre et soldats Marc, tenez bon, votre adjudant va venir trancher ce terrible différend !

    • Oh, c'est gentil, on travaille dans un cirque, on présente un numéro de chiens savants, on va le faire rien que pour vous sur le trottoir !

    • Bitededieu, j'arrive !

Les deux larges vantaux s'ouvrent en grand, les deux filles se glissent dans la cours intérieure et sautent au cou de l'adjudant pour l'embrasser...

    • Oh, mon adjudant les chiens sont entrés par la porte d'où vous êtes sorti !

    • Trouduculdedieu ! On va les chercher avant qu'ils ne dérangent la réunion ultra-secrète !

( A suivre... )

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