KR’TNT !
KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME
LIVRAISON 675
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR’TNT KR’TNT
30 / 01 / 2025
ROSA CRUX / ELDER JACK WARD
SUGAR PIE DESANTOS / JOHNNY ADAMS
KENNY LYNCH / LEONARD PELTIER /
GRIFFON / HAZY SEA / MENTAL FUNERAL
Sur ce site : livraisons 318 – 675
Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :
Qui l’eût Crux ?
Dans certaines circonstances, il arrive que la réalité du monde et la compréhension qu’on en tire ne correspondent plus. Les événements relatés à la suite se déroulèrent au soir du 31 décembre de l’an de disgrâce 2024.
Il posa le pied sur le goudron du parking, au sortir de son automobile, ainsi nommée en référence au riding along in my automobile de Chucky Chuckah, apôtre de la modernité et vieille connaissance. Il posait ce pied comme il l’aurait posé deux ou trois siècles plus tôt, au sortir d’une calèche. Il eût préféré poser le pied sur le goudron de Fontaine-blow, en l’honneur d’Edgeworth de Firmont, c’est-à-dire Eve Sweet Punk Adrien, mais la réalité voulut que ce fût à Darnétal, à deux pas de l’église Saint-Ouen de Longpaon, terre maudite. Il s’enfonça dans un misérable dédale de ruelles et longea un moment un petit ruisseau d’apparence joyeuse, mais bordé tout du long de mornes bâtisses dans lesquelles personne n’aurait voulu vivre. L’eau et les bâtisses semblaient se vouer mutuellement une haine ancestrale. Il pressa le pas, traversa un petit pont et arriva à l’adresse indiquée sur le message. Une gigantesque bâtisse de briques sales et haute de plusieurs étages se dressait devant lui. Les larges fenêtres donnant sur la rue en étaient comme sauvagement murées. Il franchit un portail qui semblait lui aussi abandonné de Dieu et se dirigea vers la seule porte éclairée. Il gravit une volée de marches vaincues par le temps et pénétra dans une salle d’accueil étrangement décorée : alignés sur des étagères, des crânes et des ossements étaient exposés à la vente. Il vit même des dents jaunies enchâssées dans de petits cadres en bois, comme autant de macabres souvenirs. Une jeune femme vêtue d’une soutane noire se trouvait dans une guérite faiblement éclairée. Elle y échangeait les euros contre des Lux, de grands écus en carton argenté, permettant d’aller consommer au bar. Il se rendit ensuite dans la salle voisine. En découvrant la Crypte, il passa brutalement de l’état de circonspection à celui de l’ahurissement.
Le maître des lieux avait reconstitué la nef d’une église gothique, toute de pierres taillées. Une imposante clé de voûte couronnait ce prodigieux édifice. Bâti de grandes pierres blanches, le sol de la nef inspirait un capiteux mélange de pureté, d’ancienneté et de froideur. On descendait à la nef par une volée de larges marches sur lesquelles étaient installés quelques rustiques bancs d’église. Dans un recoin, une rosace de pierre taillée renvoyait à celle de Saint-Sulpice, où œuvra jadis le sonneur Carhaix. Derrière cette rosace d’environ deux mètres de diamètre coulaient à la fois des filets lumineux et une résurgence du ruisseau d’apparence joyeuse qu’il avait longé en venant. Une magistrale reconstitution des catacombes occupait le mur du fond : une ribambelle de crânes surmontait un empilement de fémurs, et cinq authentiques squelettes attendaient qu’on leur fit signe pour battre les tambours qu’on avait installés devant eux. Il fut tellement ému de ce spectacle qu’il alla au bar commander une bière pour se déparcheminer le gosier. Ce fulminant mélange de flamboyance gothique et de réalisme macabre lui parut infiniment littéraire. Huysmans en aurait eu le souffle coupé.
Il but sa bière à petites gorgées et tenta d’ajuster son regard à cette nouvelle dimension de la réalité, mais il comprit très vite qu’elle allait le dépasser. Car pour en goûter le suc, il faut être initié. C’est ce que Huysmans martelait à longueur de pages dans ses romans.
L’affiche annonçait un concert de Rosa Crux dans la Crypte, mais en raison des circonstances, il lui fallut abandonner l’idée qu’il assistait à un simple concert de rock. Il savait très peu de choses de Rosa Crux. Un ami disquaire lui confia du temps de son vivant que Rosa Crux bénéficiait d’une réputation de groupe culte, que les albums valaient disait-il «un billet», car ils suscitaient un immense intérêt, mais, avait-il conclu avec un sourire étrange, «ça n’est pas ta came».
Pas d’amplis, pas de batterie. Des squelettes. Deux groupes se produisirent en première partie de soirée. Un public composé de très belles jeunes femmes et de jeunes gens costumés remplissait la salle. Certaines d’entre elles portaient des cornes de cerfs arrimées sur leurs coiffes, et certains jeunes gens exubérants, tout en jabots et effets de manches, semblaient sortir des gradins de la Convention, telle que la reconstitua en son temps Abel Gance. Quelques spectateurs prirent place sur les bancs d’église disposés sur les marches conduisant à la nef, où se produisaient les musiciens.
Quant à lui, il réussit à s’encastrer dans un coin d’ombre, juste derrière un piano d’église, tellement massif et ancien qu’il semblait échapper à tout espoir de datation. Quand vint le tour de Rosa Crux, on alluma des chandelles fichées sur un grand râtelier, juste au pied du maître des lieux. Deux personnes constituaient Rosa Crux, la jeune femme aperçue dans la salle d’accueil, et le maître des lieux, un homme plutôt petit, coiffé de longs cheveux noir corbeau et lui aussi vêtu d’habits noirs et d’un autre âge. Il brandissait une authentique Rickenbacker. La jeune femme l’accompagnait au piano et aux carillons de cloches.
Comme il était coincé derrière le piano, il ne put voir jouer la jeune femme, mais il l’entendait distinctement. Elle jouait des contrepoints divins, ses trilles de piano ornaient d’or fin un son outrageusement épique, qui semblait n’appartenir à nulle autre époque que celle de Rosa Crux.
Il monta de plusieurs crans dans l’émotion, tellement l’âcre modernité du concept l’effarait. Le maître des lieux chantait en latin et créait des clameurs moyenâgeuses qu’attisait jusqu’au délire la monstrueuse cloche d’un tocsin que sonnait un comparse accroupi derrière les squelettes. Ce flot musical hors du temps semblait raviver toute la mémoire des massacres, des épidémies et des incendies des siècles passés, ce flot emportait tout, embrasait l’imaginaire, emportait les barrages de la raison avec une sidérante violence, rétablissait le règne du niveau zéro de la conscience, c’est-à-dire les deux notions élémentaires, la vie et la mort. Rien d’autre. Bien pire : la mort étendait inexorablement son empire alors que la vie ne tenait plus qu’à un fil. Pire encore, la vie célébrait la mort. Le flot jetait la vie dans le noir tourbillon de la mort, comme on jette des pelletées de charbon dans la gueule ouverte d’une chaudière. Pareil à ces bas-reliefs qui ornent les murailles des catacombes, ce flot illustrait à merveille l’atroce destinée du genre humain. La jeune femme quittait parfois le piano massif pour aller sonner à l’aide d’un clavier artisanal des volées de cloches accrochées à une poutre. Chacune d’elles, disait-on, portait le nom d’un démon. Le flot s’engouffrait dans la nef avec la violence d’une tempête au Cap Horn et emportait le moindre espoir de miséricorde.
Il pensa soudain à son ami Damie qui, féru de sciences étranges, eût été à son aise dans cette démesure de l’impossible, démesure d’autant plus hallucinante que les squelettes martelaient leurs gros tambours en rythme. Oui l’ami Damie eût savouré chaque goutte de ce sombre suc, en aurait compris chacune des formules latines, se serait émerveillé de l’éblouissante cohérence de ce spectacle. Ne manquaient plus que les noirs remugles du chanoine Docre. À leur place, des fumées blanches montaient du sol. Des images projetées sur un écran attisaient encore l’embrasement des imaginaires. Alors que les squelettes pilonnaient ces rythmes plus anciens que l’Église, des images de momies défilaient sur l’écran, toutes plus génialement macabres les unes que les autres, des vestiges de chevelures tombaient du haut de crânes jaunis par les siècles, des momies d’archevêques y côtoyaient celles de señoritas de la noblesse espagnole coiffées de dentelles mangées aux mites. Puis des rats envahirent l’écran pour s’entre-dévorer avec une horrible violence. Il ne s’agissait pas des gentils rats de Murnau accompagnant le Comte Orlock à bord de l’Empusa, mais de rats cannibales, comme le furent les hommes en des temps reculés.
Le spectacle sembla durer une éternité et atteindre des sommets. Il se sentit atteint au plus profond, tisonné par des fers rougis au feu, il ne ressentait pas de douleur, mais il s’abandonnait, ce fracas interminable lui rabattait les abbatiales, les litanies le liturgeaient, ce chaos issu du fond des âges réduisait en cendres ses derniers vestiges de cartésianisme, le livrait corps et âme à des tourments qui lui étaient inconnus, il lui était impossible de résister, il en ressentait à la fois un profond malaise et une libération qu’il se refusait d’avouer. Sa cervelle endommagée sombra dans une sorte de léthargie. Il attendit minuit, trinqua car il fallait trinquer, puis il prit la fuite. Il franchit à nouveau l’étrange portail et longea le ruisseau joyeux. Il s’arrêta un moment sur le pont et reprit sa course. Il se jeta dans la nuit qui l’avala vivant.
Signé : Cazengler, Rosa Cruche
Rosa Crux. La Crypte. Darnétal (76). 31 décembre 2024
L’avenir du rock
- Ward scenes inside the goldmine
Grand amateur de batraciens et de symbolisme, l’avenir du rock va souvent traîner la nuit dans les marécages. Il y croise parfois Monsieur Quintron a quatre pattes dans les roseaux, occupé à enregistrer les chants des crapauds. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, les marécages vivent la nuit. Mieux : ils palpitent de vie nocturne. Comme c’est une nuit de pleine lune, l’avenir du rock y voit clair. Il aperçoit soudain trois gros batraciens assis peinards au bord de l’eau. Trois batraciens couronnés, au propre comme au figuré : Jean Lorrain, immense grenouille aux yeux fardés et aux paupières gélatineuses, ses deux pieds palmés trempant dans l’eau. En bon roi des Décadents, il Bougrelone. Puis l’Iguane, resplendissant de primitivisme, luisant de toutes ses écailles, son immense queue trempant elle aussi dans l’eau croupie, psalmodiant d’une voix sourde l’I’ve been dirt but I don’t care des Stooges. Et puis le Roi Lézard, hallucinant de grâce dionysiaque, coiffé d’une couronne trop lourde et trop antique, le poitrail nu offert à la lune, lost in a Roman wilderness of pain, sublime incarnation du symbolisme rock, et qui, voyant arriver l’intrus, le met en garde :
— Ride the snake, ride the snake !
L’avenir du rock hausse les épaules. Quel snake ?
— He’s old and his skin is cold...
— C’est bon, Jimbo, on connaît la chanson. Ça fait 50 ans que tu nous bassines avec ton End et ton complexe d’Œdipe. Au début c’était marrant, mais tu finis par devenir pénible. Essaye de penser à l’avenir !
Outragé, le Roi Lézard lève les bras au ciel, et scande le plus mystérieux de tous ses décasyllabes :
— Weird scenes inside the goldmine...
— Non, Jimbo, Ward scenes inside the goldmine !
Si au détour d’une parabole marécageuse, l’avenir du rock ne cite pas le nom d’Elder Jack Ward, qui le fera ?
Les deux albums d’Elder Jack Ward sont sortis sur Bible & Tire Recording Co, gage de qualité, le premier (Already Made) en 2021, et l’autre l’an passé (The Storm). Dans les deux cas, passage obligé, car l’Elder propose un savant mélange de gospel, de Soul et de funk.
Et de blues. Surtout sur Already Made. «Lord I’m In Your Care» pourrait être un classique de l’heavy blues, tellement c’est puissant. T’as là cette incalculable véracité du gospel blues, un gospel blues qui tombe littéralement sous le sens. Encore du pur jus de batch avec un «God’s Love» qui dégouline de God’s love, ah elles y vont les radieuses ! C’est énorme de batching. Tu batches à la folie avec Elder Jack ! Tu retrouves Elizabeth King sur «The Way Is Already Made». Terrific ! Pur gospel power ! Il swingue encore son «He’s Got Great Things» au God’s got great things for waiting you. Il te swingue tout ça à la hussarde du Mississippi. C’est un album de pulsions primitives. Autant le rockab est le beat des reins blancs, autant le gospel est le beat des reins blacks. Retour au gospel blues avec «Without The Lord». Infernal et nappé d’orgue. Surchargé de chœurs. Gospel classique mais classieux - I don’t know how I would do without the Lord ! - Puis l’album se perd dans les sables immémoriaux du gospel traditionnel. On ne sera pas très nombreux à aller écouter ça, juste une poignée de dedicated followers of the fashion Bible & Tire.
C’est Bruce Watson qui produit The Storm. Alors attention aux yeux. Car l’Elder attaque avec un heavy gospel boogaloo de Memphis, «When This Life Is Over». Il reste dans l’heavy boogaloo avec le morceau titre. Il groove bien sa chique - Go down on my knees - Là t’as encore une révélation comme avec les Dedicated Men Of Zion ou The Sensational Barnes Brothers. L’Elder passe au gospel pur avec «Be Ready» - Jesus is coming - L’Elder te recommande d’être prêt - Jesus is coming your way/ You better get ready - Il insiste lourdement - Will you be ready? - Comme c’est un fabuleux shouter, il prend le gospel d’«I Have Decided To Follow Jesus» à l’heavy Soul. Pur Black Power de won’t turn around. Puis il s’en va naviguer dans le gospel moderne avec «The Time Is Now» avant de revenir au Memphis beat avec «Payday After While». Fantastique ! Featuring Johnny Ward, sans doute le guitariste exacerbé qu’on entend. Globalement, Elder Jack Ward a la classe de Robert Finley : même genre de vieux blackos fin et classieux. Il termine en mode heavy groove de Memphis beat avec «Lord You’d Be Good To Me». C’est «Memphis Tennessee» dans l’église en bois. Ça boppe dans la chaire - Thank you/ Thank you Jesus !
Signé : Cazengler, Older Jack Weird
Elder Jack Ward. Already Made. Bible & Tire Recording Co. 2021
Elder Jack Ward. The Storm. Bible & Tire Recording Co. 2023
Sugar Pie bavarde
— Comment tu t’appelles ?
— Peylia Balinton !
—Non, ça ne va pas... Tu vas t’appeler Sugar Pie DeSanto !
Johnny Otis avait le génie des noms. Il avait fait le même coup à la copine de Sugar Pie qui s’appelait Jamesetta :
— Comment tu t’appelles ?
— Jamesetta Hawkins !
— Non ça ne va pas... Tu vas t’appeler Etta James !
Non seulement Johnny Otis découvrait des talents en Californie, mais il les rebaptisait pour la postérité et lançait leurs carrières. Shorty Long et Little Esther, c’est aussi lui. Pas mal, n’est-ce pas ?
La minuscule Sugar Pie se maria avec le guitariste Pee Wee Kingsley et ils eurent un premier hit avec « I Want To Know » sur un petit label. Comme Leonard Chess la voulait absolument sur Chess, il racheta son contrat - They wanted me real bad cos I was hot - Et hop ! 10 000 dollars in the pocket ! Sugar Pie était lancée et elle prit la route. À l’Apollo, Sugar Pie passait en première partie de James Brown. Oh, Mister Dynamite avait les mains baladeuses ! Elle l’envoya promener aussi sec : « No hanky panky ! Keep your hands to yourself ! ». Même chose lors de la tournée du American Folk Blues Festival en 1964. Les vieux boucs nègres lui faisaient la cour, la bouche en cœur et des fleurs à la main - I dont’ like old men. Never have. Everyone was trying to hit on me, trying to buy me flowers and take me to dinner. I refused all them old goats ! - Pas de vieux boucs dans mon lit !
Mais Sugar Pie n’a pas de chance, car elle disparaît pendant trop longtemps et on la perd de vue. L’apothéose de sa carrière en dents de scie, ce fut l’incendie qui ravagea son appartement en 2006 et dans lequel son mari Jesse Davis perdit la vie en la sauvant - He was the love of my life.
Bel album que ce Sugar Is Salty paru en 1993. Le disque date de 25 ans et sur la pochette, Sugar Pie ressemble à une mémère, mais quelle mémère ! Elle démarre avec du rap, « Boom Boom Song ». Sugar Pie a toujours de l’énergie à revendre ! Elle passe au heavy groove de Pie avec « Super Fool » - Super fool that’s what they say I am - avec un son qui défie toute concurrence. Sugar Pie connaît le circuit de l’heavy blues de Chicago. Grosse présence. Cœur de Pie. Avec « Close The Door », elle tape dans le charme fatal. Elle groove encore avec « Enemy » - I’m my worst enemy - On assiste à la fantastique expansion du talent de Sugar Pie. Elle revient plus loin au groove de charme avec un « See The Light » monté sur un beat fonky. Comme Barbara Lynn, elle est dessus et ne lâche rien. Retour au blues avec « Hello San Francisco » - Hello hello San Francisco ! - Ça prend des proportions fantastiques. Oh so special. Elle chante pointu sur un beat métallique très violent. Ça déroute les cargos.
Et puis de loin en loin, Sugar Pie sort de sacrés petits albums qui valent le détour. Classic Sugar Pie sort en 1997. Sur la pochette, on voit qu’elle a pris un coup de vieux, mais attention, la voix est toujours là ! Tout est bon sur cet album. Elle attaque avec « Bread And Butter », un coup de street-funk. Wow, les blacks du coin tartinent le funk on your finger. Elle entre là-dedans comme dans du beurre, all day long et les chœurs font working baddddd ! Elle chante avec des accents terribles ! Elle passe au r’n’b avec « Jump In My Chest », un mid-tempo bien orchestré et tapé au beat étrange. La fête continue avec « I Don’t Want To Fuss », elle fait du très hot r’n’b, du pur jus de Chicago, elle le pulse à gogo. Wow, quel jus de jive ! Retour à l’heavy blues avec « Use What You Got ». Beware ! Sugar Pie les prévient. Comme sa copine Etta, elle adore la dégoulinade d’heavy blues. R’n’b encore avec « Don’t Worry About Me ». Elle est dessus, c’est son monde. Elle le swingue et sa couronne de reine de Chicago tintinnabule à la nanarde. Quel son ! Avec « Never Say Die », tu vas danser la Saint-Guy devant le juke. Pure énormité, elle chante au timbre fêlé avec une sorte d’antique voracité. Sugar Pie est une géante de la Soul sauvage.
Deux ans plus tard, elle revient avec A Slice Of Pie. Encore un album faramineux. Elle entre dans « Shoppin’ Cart Blues » avec une voix de totem africain. Elle fait des ah ! et tape dans l’heavy blues avec tact, suivie par des Soul Sisters qui font les chœurs d’artiche. Elle tient ça comme la mère maquerelle tenait son bobinard, avec une poigne de fer. On retrouve le fabuleux « Hello San Francisco », bardé de ride on ride on et Sugar Pie réanime la réalité de l’heavy blues de Chicago. Elle est hallucinante de puissance viscérale. Elle lève des tempêtes de frissons. Elle passe au funk avec un « Git Back » ultra joué par le bassman Harley White. Elle rentre dans le lard du pathos avec « Face The Hard Times ». Elle a su garder sa voix de Soul Sister, alors ça roule tout seul. Il faut écouter cette femme chanter « Goodbye » car elle tient le taureau par les cornes. En plus, elle sait tartiner dans la durée. Exceptionnel ! Sugar Pie, c’est la petite reine de cœur, la Chess mate d’ébène qui gagne à tous les coups. Elle annonce qu’elle doit se tirer vite fait dans « Blues Express » - I’ve got to get away from this mess - Elle annonce ça d’une voix sûre. Les chœurs la rappellent à l’ordre avec le poids des Temptations. Il faut la suivre à la trace.
Six ans plus tard, elle revient avec Refined Sugar, encore un album atomique. Elle tape dans la jute de funk avec « Matter of Time ». Pour l’amateur de funk, c’est le paradis. Puis elle fait du blues de Chicago à gogo avec « Blues Hall Of Fame ». Elle chevrote dans « Life Goes On » et règle ses comptes dans « Nobody’s Here » - This is a message to all my friends who played me cheap until the end - Il faut attendre « Darkness To The Light » pour retrouver l’immense artiste. Elle fait exploser le genre, elle travaille son slowah au corps, from the darkness to the light, voilà l’hit de Supar Pie - You rejoice and you touch the sky - Elle finit avec un petit chef-d’œuvre de good time music, « Odds ». Elle y déborde d’énergie et donne à savourer une immense classe.
Grâce aux gens d’Ace, on a une superbe compile de singles Chess : Go Go Power - The Complete Chess Singles 1961-1966. Les premiers titres sont des purs slabs de r’n’b, comme ce « Souful Dress ». On sent que la petite en veut. Elle y va au guttural, le pire qui soit. Elle va même chercher des crises à la Jerry Lee - Put on your high heel - Elle reste dans l’hot guttural pour « I Don’t Wanna fuss ». Comme on le voyait dans le film de l’American Folk Blues festival de 1964, c’est une sacrée petite teigneuse. Elle tape l’« In The Basement Pt1 » avec sa cousine Etta James. Elles jerkent la Soul de Chess comme des folles. Avec « Witch For A Night », elle se bat bec et ongles. Elle traverse ensuite une mauvaise époque de variette et on retouche la terre ferme avec « Crazy Lovin’ », l’un des froti-frotah les plus torrides de l’histoire du froti-frotah. Elle en fait de la charpie de magie. On tombe plus loin sur une vieux r’n’b bien tapé qui s’appelle « There’s Gonna Be Trouble ». Et là, les gars, Sugar Pie casse la baraque ! Il suffit parfois d’un seul cut pour bâtir une légende, comme c’est ici le cas.
Avec un peu de chance, en fouinant dans le carton d’un particulier qui vend ses disques dans une convention, on tombera sur la compile intitulée Lovin’ Touch. La pochette s’orne d’un très beau portait de Sugar Pie. On y retrouve « (That) Lovin’ Touch » (merveilleux rock de juke, une sorte de perle du temps passé, dotée du son de la Revue d’Ike Turner), « Slip In Mules » (qui est une version d’« High Heel Sneakers » - Baby my red dress is in the cleaner/ But my shift will steal the show), « Go Go Power » (qui sonne comme du Ray Charles, superbement orchestré et elle nous chauffe ça à blanc), « Crazy Lovin’ » (dont les harmonies vocales renvoient aux Mamas And The Papas) et « Do The Woopie » (un hit de juke du temps d’alors, elle est dessus - ah ouuuuh let’s do the woopie - et elle gueule comme James Brown, c’est franchement énorme).
Sugar Pie DeSanto était une petite femme qui dansait de façon extravagante. Elle vient de casser sa pipe en bois, aussi nous sommes-nous réunis autour de sa tombe virtuelle pour lui rendre un dernier hommage.
Signé : Cazengler, Sugar Pire que tout
Sugar Pie DeSanto. Disparue le 20 décembre 2024
Sugar Pie DeSanto. Sugar Is Salty. Jasman Records 1993
Sugar Pie DeSanto. Classic Sugar Pie. Jasman Records 1997
Sugar Pie DeSanto. A Slice Of Pie. Jasman Records 1999
Sugar Pie DeSanto. Refined Sugar. Jasman Records 2005
Sugar Pie DeSanto. Go Go Power - The Complete Chess Singles 1961-1966. Kent Records 2009
Sugar Pie DeSanto. Lovin’ Touch. Diving Ducks Records 1987
Wizards & True Stars
- Pomme d’Adams
(Part Two)
Curieusement, il n’existe quasiment pas de littérature autour de Johnny Adams. Tout ce que tu pourras te mettre sous la dent, c’est The Johnny Adams Story, un petit book publié à compte d’auteur en Australie par Judy, la veuve de Johnny. Deux cents pauvres pages composées en Typewriter corps 14 ou 15 et en fer à gauche, comme si elles sortaient tout droit d’une antique machine à écrire. Autant dire que ça s’avale d’un trait. T’y passes pas l’année.
On n’y apprend pas grand-chose, mais peut-être n’y a-t-il pas grand-chose à apprendre. Judy Adams rappelle vite fait que Johnny a grandi à Hollygrove, un quartier de la Nouvelle Orleans, dans une famille de 10 enfants. Elle donne tous les détails, le père Shorty qui a déjà 5 gosses et qui se remarie avec the Voodoo woman pour lui refaire 5 autres gosses.
À l’école, le petit Johnny est victime des bullies qui le canardent à coups de pierres. Paf, il en prend une en pleine gueule et il perd un œil. C’est pour ça qu’il porte des verres teintés. Les gosses vont redoubler de cruauté et le surnommer «Bean Pole», «One Lamp» ou encore «Oyster Eye». Mais Johnny continue de chanter. Il ne vit que pour ça. Chanter.
Quand il a 20 ans, il intègre un gospel group, Bessie Griffin & The Consolators. Johnny s’entraîne au chant dans sa salle de bain, et Dorothy LaBostrie, qui occupe l’appartement au-dessus, l’entend. What ? Elle sait reconnaître un talent, la Dorothy ! C’est elle qui a retapé «Tutti Frutti» pour Little Richard. Elle descend voir Johnny et réussit à le convaincre d’entrer en studio pour enregistrer une chanson à elle, «Oh Why», qui sera rebaptisée «I Won’t Cry», et que va produire un jeune coq blanc de 18 ans, Mac Rebennack. «I Won’t Cry» sort sur Ric en 1959, et c’est là le problème.
(Acetate pour Ric)
Le boss de Ric s’appelle Joe Ruffino. Johnny signe un contrat et le voilà baisé. Ruffino bloque toute forme de diffusion nationale et menace de poursuivre en justice les labels qui auraient l’idée saugrenue de vouloir aider Johnny à se faire connaître ailleurs dans le pays. Judy évoque le fameux épisode de la délégation New Orleans montée à Detroit pour rencontrer Motown. Évidemment, Berry Gordy veut signer Johnny, mais quand Ruffino entend parler de ça, il menace de poursuivre Gordy qui lâche aussitôt l’affaire. Judy précise qu’il ne s’agissait pas uniquement de contraintes contractuelles. Elle révèle que Johnny était suivi et menacé par ce quelle appelle les small-time labels, ou encore the mafia-like local labels. Johnny n’avait apparemment pas trop le droit de s’éloigner de la Nouvelle Orleans. Méthodes italiennes. Quand Ruffino casse sa pipe en bois en 1963, Johnny est enfin libre. Mais il commet la même erreur : il re-signe sur le petit label local de Shelby Singleton, SSS.
Globalement, Judy Adams dénonce surtout une grave injustice, celle d’un homme qui a vendu des millions de disques et qui a passé sa vie dans une relative pauvreté, c’est-à-dire qu’il n’est jamais devenu riche. Quand en 1983, il signe un contrat pour 9 albums avec Rounder, il croit que sa situation va enfin s’améliorer. Mais les mecs de Rounder n’autorisent pas Johnny à faire venir son avocat lors de la signature, et Judy ajoute que they paid him almost nothing.
Le seul rayon de soleil dans ces ténèbres, c’est l’évocation du fidèle guitariste de Johnny, l’excellent Walter Wolfman Washington dont on dira prochainement le plus grand bien inside the goldmine. Johnny et Wolfman s’entendaient comme des frères, et Johnny lui prêtait certains de ses costards. Il est donc logique que Wolfman soit devenu à son tour un dandy.
Judy met aussi les choses au clair sur l’aspect sex & drugs & rock’n’roll : Johnny ne touchait à rien. Ni dope, ni alcool, il se faisait charrier pour son love of Coca-Cola. Johnny disait qu’il n’avait pas besoin de dope, «I’m not sick! Drugs are for sick people.» Johnny et Judy réussissent enfin à s’acheter une maison, après avoir économisé every penny, puis Johnny se paye la bagnole de ses rêves, une Nissan Maxima, couleur forest green. Johnny et Judy auront aussi une petite fille ensemble, Alitalia.
Puis Johnny va choper un petit cancer et tous les cracks du boom-hue de la Nouvelle Orleans vont se pointer à son chevet, à commencer par Aaron Neville (qui d’ailleurs duette avec Johnny dans «Never Alone», sur Man Of My Word), puis Walter Wolfman Washington, bien sûr, et d’autres comme Duke Robillard, Lonnie Smith, Dr. John, puis d’autres qu’on en connaît pas, et que cite Judy, David Torkanovsky, Ruth Brown et Houston Person.
C’est un DJ local de la Nouvelle Orleans nommé Groovy Gus Lewis qui avait baptisé Johnny Adams ‘The Tan Canary’. Judy précise dans son book que le DJ Billy Delle baptisa lui aussi Johnny ‘The Tan Canary’, plus à cause de son beautiful whistling qu’à cause de sa voix.
Johnny est l’un des rares dandys de la Nouvelle Orleans, qualifié de sharp & smooth. Judy Adams rappelle que Johnny se changeait trois ou quatre fois par jour, ce qui rendait sa mère folle. L’ado Marc Bolan faisait exactement la même chose. Il se changeait plusieurs fois par jour pour aller parader dans son quartier. Johnny portait des costumes italiens et des cravates en soie. Il pouvait aller jusqu’à New York ou en Californie pour s’acheter a good pair of shoes. Quand il rencontra Judy, Johnny portait un costard blanc.
Johnny Adams est très certainement l’un des plus beaux artistes issus d’un sérail extrêmement abondant. En tous les cas, les ceusses qui le suivent depuis la nuit des temps ne jurent que par lui et le voient au même niveau que Walter Jackson, Marvin Gaye ou Sam Cooke. Pour situer la grandeur de Johnny, Judy le compare à David Ruffin et à Billy Eckstine. Elle cite le Washington Post : «Adams combines the forcefulness of David Ruffin with the elegance of Billy Eckstine.»
Si tu veux entrer dans le monde magique de Johnny Adams, l’idéal est de commencer par Only Want To Be With You, un double CD qui rassemble des sessions enregistrées entre 1975 et 1981 au Sea-Saint Studio de Marshall Sehorn, et produites pas la crème de la crème du coin, c’est-à-dire Senator Jones, Wardell Quezergue et Allen Toussaint. Quatre photos du black dandy décorent le digi. Tantôt il fume, tantôt il ne fume pas, il porte toujours des lunettes noires et un costard chic. Tu ne te lasses pas de l’observer. L’objet grouille bien sûr de puces et de ce que Bill Dahl appelle des «intriguing covers», comme par exemple «Nothing Takes The Place Of You» de Toussaint McCall ou encore l’«I Don’t Want To Cry» de Chuck Jackson. On entend Johnny monter dans ses octaves. Il ne se refuse aucun luxe. Il te balaye toute la Soul d’un geste large, oh no ! Autre cover de choc : «Spanish Harlem». Là, il tombe dans la marmite du bonheur. Il donne même des ailes à la marmite. Il prend le deuxième couplet au falsetto du diable et fait passer Spanish Harlem par toutes les couleurs. Il attaque le disk 1 avec le «Chasing Rainbows» de Teddy Royal et le chante à pleine glotte. Il lisse les aspérités du funk. Il enchaîne avec une autre énormité, «It’s Been So Long» et l’arrache littéralement du sol. Tu as là la Soul et l’esprit de la Soul. C’est stupéfiant de high time. Il est encore plus flamboyant sur «Think About You», un soft groove gratté en quinconce de la Nouvelle Orleans, t’as pas idée. On le voit descendre au barbu des cuivres dans «Gimme Me A Chance». C’est d’un niveau tellement supérieur que tu dis amen. La mise en place est toujours impeccable. On le voit entrer dans le groove de «Night People» comme un dieu. C’est un peu comme s’il tartinait le firmament. Il troue encore le cul de la Soul avec «Your Love Is All I Need» - Baby/ Baby/ Here I stand - Johnny est un immense shouter, il chante à outrance («She’s Only A Baby Herself»), et quand il tape un heavy blues, ça donne «Slefish» - Selfish/ Call me selfish - Il tient tous ses slowahs par la barbichette, Johnny ne lâche jamais rien. Plus tu avances dans cet album et plus t’es fasciné par cet homme. Il sonne comme Wilson Picket sur le «Baby I Love You» d’Aretha - Ah-ah I need your loving/ Early in the morning - Il attaque le disk 2 avec l’hard funk de «Feel The Beat Feel The Heat» et te swingue à la suite le «Stand By Me» de Ben E. King, il y va au sit down & wonder et revient par la bande à l’oh baby. Si tu en pinces pour la country Soul, alors écoute «It Only Rains On Me». Énorme classique. Il tape plus loin l’«After All The Good Is Gone» de Conway Twitty, il y déchire le ciel à l’accent tranchant. Il tape encore le «Who Will The Next Fool Be» de Charlie Rich et l’enrichit considérablement. On peut parler de classe intercontinentale. Il tape plus loin la supplique surnaturelle de «Memories». Il faut le voir poser sa voix. Il est comme Walter Jackson, il pose sa voix pour chanter. Johnny Adams règne sans partage sur son empire d’heavy Soul ultra-chantée. Encore du génie vocal à l’état pur avec «Stay With Me & Stay In Love». Ça te tombe littéralement dessus. Pure magnificence. Johnny Adams te tartine la Soul de tes rêves, et les chœurs de sucre candy font «Set me free & stay in love». Son «Lost Mind» est saturé de stand-up de round midnite, et pour finir, il jazze «I Cover The Waterfront» en mode super-shouter, porté par la stand-up du diable.
Sans doute l’une des plus belles compiles de Soul qui ne soit pas sur Ace : Release Me: The SSS & Pacemaker Sides 1966-1973 : 13 bombes sur 26 cuts. T’en as pour ton billet. Ça démarre sur trois coups de génie intemporels : «Release Me» qu’il couine au niveau ultime de Tan Canary, gospel Soul de la Nouvelle Orleans de fantastique allure, puis «Reconsider Me» - After the road I’ve done/ I guess you’re surprised to see me - il te yodelle ça comme un dingue, et «I Can’t Be All Bad», une Soul qu’il explose au coin du bois. Ah cette façon qu’il a de déraper dans les virages ! Johnny Adams développe le power de la force tranquille. Il chante son «(Sometimes) A Man Will Shed A Few Tears» de toutes ses forces, de toute son âme, puis il chauffe à blanc l’hard Soul d’«If I Could See You One More Time». Johnny Adams est le cœur battant de la Southern Soul, il est le plus brûlant de tous, il y va à coups d’I’m gonna love you. Encore un coup de génie faramineux avec «You Made A New Man Out Of Me». On se croirait chez Hi. La palette de Johnny s’étend à l’infini, il sait tout faire, avec un bonheur égal. Il survole la Soul de «Living On Your Love» comme un vampire, et il devient de plus en plus rocking Soul avec «Proud Woman» qui finit en apothéose géniale. Il devient un crack de l’heavy Soul. «I Won’t Cry» ? Quel croon ! Johnny Adams est un épouvantable crack du croon. Il prend tout un couplet à la pointe extrême de la glotte. Cette compile du diable se termine avec une quadruplette de Belleville : «South Side Of Soul Street» (incroyable modernité du son et riffs en acier bleu), «I Don’t Worry Myself» (hard raw de r’n’b, incroyable power !), «Something Worth Leaving For» (il t’explose le give me something à la Little Richard) et «Kiss The Hurt Away» qu’il prend à la glotte folle. Tan Canary for ever ! Dans ses liners, Jeff Hannusch s’extasie sur Johnny Adams qu’il qualifie d’«one of the greatest vocalists to ever come out of New Orleans. His soulfulness and versitality compares him to the likes of Arthur Alexander, Solomon Burke, Joe Tex, Sam Cooke and Joe Simon.» C’est Dorothy LaBostrie qui convainc Johnny de passer une audition chez Ric avec l’une de ses compos, «I Won’t Cry». Ça sort en 1959. Ric et Ron sont les deux labels de Joe Ruffino, un disquaire sur New Rampart Street. Il va sortir 11 singles de Johnny, qu’on retrouve dans cette fabuleuse compile Ace de 2015, I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964 (explorée en long et en large dans un Part One, inside the goldmine). Quand Ruffino et Ric et Ron disparaissent, Johnny Adams se retrouve le bec dans l’eau et pour vivre, il chante dans les clubs - I’d go to play all the little hole-in-the-wall joints for next to nothing. But it was steady - Puis Huey P. Meaux signe Johnny sur Pacemaker. Meaux avait pas mal bossé avec Cosimo à la Nouvelle Orleans, mais un falling out éclata en 1964 entre Meaux et Cosimo, et Johnny dut enregistrer à Houston. C’est pourquoi on retrouve ce son très électrique sur certains cuts. Après trois singles avec Meaux, Johnny se carapate. Il passe sur le label Watch d’Henry Hildebrand qui, pour être sûr de taper dans le mille, fait appel à Wardell Quezergue. «Release Me», c’est du Quezergue. Puis Shelby Singleton entre dans la danse et signe Johnny on his SSS international imprit. Il rachète le contrat de Johnny et boom !, «Release Me» devient un national hit. Singleton amène Johnny au studio Music City - It was there that Adams waxed one of the quintessential country-soul records of all time, «Reconsider Me», composé par Margaret Lewis et Myra Smith - Hannusch considère que «Reconsider Me» est son «biggest hit ever». Dans la foulée sort cet album faramineux qu’est Heart & Soul. Johnny aurait dû devenir riche et célèbre, mais Singleton vient de racheter Sun, alors il se désintéresse des blackos. Johnny dit qu’il a gagné un peu de blé pendant la période SSS - I bought a new car in 1970, bat that’s about all I got. I went back to my same old routine here - Il se dit aussi très déçu par Singleton qui ne l’a même prévenu quand il a fermé SSS.
Il existe une autre belle compile de Johnny Adams : The Great Johnny Adams Blues Album. Pour au moins quatre raisons, dont le première est cet Heartbreaking Blues qui s’appelle «Danger Zone» : round midnite, classe extrême. King of croon ! Le «Garbage Man» qu’on croise plus loin n’est pas celui des Cramps. C’est Johnny qui joue lead sur cet heavy blues. Johnny est un artiste complet. Il tape plus loin un «Room With A View» signé Lowell Fulsom/Billy Vera. Mac Rebennack pianote en prime. C’est le summum du boogaloo. Walter Wolfman Washington gratte une rythmique infernale, il se colle au bassmatic et gratte des accords sombres. On retrouve Walter Wolfman Washington sur «Scarred Knees», fabuleux slinger, génie de l’heavy blues, et Johnny y va au I’ve got scars on my knees/ I’ve been pryaing for so long. Encore un fabuleux Heartbreaking Blues : «This Time I’ve Gone For Good», avec George Porter Jr des Meters au bassmatic, et Walter Wolfman Washington aux poux. Grâce à Johnny, t’as découvert un pot aux roses qui s’appelle Walter Wolfman Washington. Merci Johnny.
Greatest Performance est sorti sur Ace Records, mais c’est l’Ace de Jackson, Mississippi, c’est-à-dire Johnny Vincent. Le Tan Canary fait ce qu’il veut de sa voix, surtout de la haute voltige. Il chante deux vers de «Performance» à la glotte folle. Puis il tape ce hit intercontinental qu’est «Feeling» (écrit au singulier, ici), une compo du Brésilien Morris Albert et tapé par Nina Simone et d’autres cracks du boom-hue. Johnny Adams en fait un chef-d’œuvre organique. Il faut ensuite attendre «Baby I Want You» pour goûter le bonheur à l’état pur. Il passe au funk avec «Feel The Beat» - You gotta feel the beat/ You gotta feel the heat/ Can you see the city is the city - Tu ne résistes pas à un truc pareil. Le «Stairway To Heaven» n’est pas celui de Led Zep. Joli tapis d’orgue, here we go ! Une vraie merveille inexorable. Il chauffe tout ce qu’il peut. Chaque cut est passionnant, Johnny façonne sa Soul à la main, comme Rodin, un autre puissant seigneur. Johnny te drive encore «Think About You» à l’aise. Il sait groover une histoire sentimentale. T’as le vertige, tellement c’est puissant. Tout est dans la stature de la statue. Encore un coup de génie avec ce «Turning Point» qu’il attaque au yeah-eh-eh. Il tape la Soul-funk à sa façon, sous sa casquette de dude. Sur le classic stuff, il reste imbattable. Puissant Soul Brother ! «The Greatest Love» est un cut de dandy. C’est Wardell Quezergue qui arrange la cover de «Love Me Tender» et Johnny l’éclaire de l’intérieur. Il chante comme un dieu, voilà ce qu’il faut retenir du Tan Canary.
Comme son nom ne l’indique pas, The Verdict est l’album de round midnite, c’est-à-dire de piano blues dans la fumée bleue. Johnny y va de bon cœur avec le morceau titre - I know I love you/ I must confess/ What is your verdict/ Is it no/ Is it yes - Rien à voir avec une cour d’assises. On s’effare une fois de plus de l’incroyable profondeur de champ de l’is it no/ Is it yes. Il groove le round midnite avec «Down That Lonely Lonely Road» et il te malaxe l’«I Cover The Waterfront» entre ses dents, mais au smooth. Il passe au swing de jazz avec «Love For Sale». Jazzy, Michel ! Et il te retourne à la suite «You Always Knew Me Better» comme une crêpe. Quel fabuleux tour de force ! Avec ce Rounder paru en 1995, on est sur ce qu’on appelle les tardifs, et Johnny n’a jamais été aussi bon. On a des saxes de willow weep dans «Willow Weep For Me». Johnny Adams est un creator with a master plan, comme le montre l’heavy blues de «Come Home To Me» et il termine avec un fameux coup de génie, «D Jam Blues», pur spirit de black slap.
Tu vois le dandy en costard rouge sur la pochette de One Foot In The Blues. Il essaye d’enfiler un godillot de poor black, emblème suprême de la pauvreté abjecte. Il a Dr Lonnie Smith à l’orgue Hammond, alors ça swingue (rien à voir avec Lonnie Liston Smith). C’est d’ailleurs un album de swing comme le montre «Won’t I Pass Me By». Tu retrouves ce swing Nouvelle Orleans dans «Cooking In Style». C’est le big-band swing des démons. Sur le morceau titre, Dr Smith pulse le bassmatic au clavier et Jimmy Ponder gratte des poux de jazz. Tout est sidérant de qualité ! Johnny passe au heavy croon de round midnite avec «Baby Won’t You Cry». Tu n’en réchapperas pas. Gros délire d’orgue Hammond et bien sûr, ça explose. Retour au groove de big banditisme avec «Roadblock» et back to Broadway avec «Angel Eyes». Il termine en mode round midnite avec «I Know What I’ve Got». C’est sa came. Il y excelle, titillé par le groove du sax bouché.
Signé : Cazengler, Adam carié
Johnny Adams. Release Me: The SSS & Pacemaker Sides 1966-1973. Payback Records 2023
Johnny Adams. The Great Johnny Adams Blues Album. Rounder Records 2005
Johnny Adams. Only Want To Be With You. Sunset Blvd Records 2022
Johnny Adams. Greatest Performance. Ace Records 1993
Johnny Adams. The Verdict. Rounder Records 1995
Johnny Adams. One Foot In The Blues. Rounder Records 1996
Judy Adams. The Johnny Adams Story. Ingram Content Group Australia Pty Ltd 2008
Inside the goldmine
- Naked Lynch
On le surnommait Œil de lynx. Il avait les yeux jaunes. Il voyait tout. Les moindres détails. Les moindres défauts. Il lisait dans les regards. On le soupçonnait même de lire dans les pensées, car il anticipait les actes et les paroles avec une facilité désarmante. Il troublait les mecs, mais c’était encore pire avec les gonzesses. Œil de lynx semblait voir les corps à travers les vêtements, il souriait ou grimaçait, ses petites moues ne laissaient guère de doute sur l’objet de ses appréciations. On prêtait peut-être à Œil de lynx des pouvoirs qu’il n’avait pas, comme c’est souvent le cas, lorsqu’on transfère ses fantasmes sur un être qui nous paraît sortir de l’ordinaire. Certains dans notre petit groupe de coupe-jarrets le voyaient comme un prédicateur, car il pouvait prédire le montant du butin, la marge de receleur, il indiquait l’endroit où traverser la frontière pour aller prendre l’avion, mais il parlait surtout de tout ce qu’on ne voyait pas, les lambeaux de ciel turquoise, les silhouettes d’animaux étranges à l’orée d’un bois, la mosaïque ondulante au fond d’une piscine, le visage cuivré d’un paysan bolivien à bord d’un autocar, le clocher d’une ancienne église blanchie à la chaux, un couple d’octogénaires diaphanes à la terrasse d’un café de Tanger, l’ombre biscornue d’un infirme sur un trottoir blanc de Los Angeles, Œil de lynx évoquait toutes ces images après coup, comme des souvenirs, nous demandant si nous les avions vues, ce qui bien sûr n’était pas le cas, alors il n’insistait pas. Il n’exprimait ni mépris ni tristesse. Chacun voit ce qu’il peut voir, lâchait-il d’un ton désabusé. Et puis un jour, sur un braquo, il s’est fait descendre. Bizarrement, il n’avait pas vu arriver la balle. On l’a poussé dans la bagnole et on a mis les bouts. Il a rendu l’âme alors qu’on traversait la frontière. Avant de balancer son corps dans le Rhin, on lui a fait les poches. Dans celle de son gilet, on a trouvé une fiole de LSD.
Œil de lynx et Kenny Lynch n’ont pas que la consonance du nom en commun. Ils ont aussi une vision en commun. Par contre, Kenny Lynch est bien connu des amateurs de Northern Soul, pas Œil de lynx. Kenny Lynch fait partie des grands dignitaires de la confrérie, et son «Movin’ Away» en a fait jerker plus d’un au Wigan Casino.
Ce petit surdoué légendaire est à l’origine un chanteur de jazz, il se produit dans les clubs de Soho qui à l’époque est encore un village, et c’est Shirley Bassey qui lui conseille d’enregistrer. Il démarre avec «Mountain of Love». En 1962, son manager lui trouve un agent de presse qui n’est autre qu’Andrew Loog Oldham. Un jour, John Lennon lui fait écouter une chanson qu’il a composée pour Helen Shapiro, «Misery», mais Helen dit qu’elle ne peut pas chanter ça, alors Kenny saute dessus. Son «Misery» va sortir une semaine avant celui des Beatles. Mais en 1963, le public n’est pas encore prêt.
À l’époque où Doc Pomus est malade, Mort Shuman cherche un nouveau coéquipier et il choisit Kenny. Ensemble, ils composent quelques bricoles dont l’excellent «Come On Come On», et surtout le fameux «Sha La La La Lee» qui va lancer les Small Faces. Selon Kieron Tyler, Don Arden voulait un cut qui sonne comme «Doo Wah Diddy», alors Mort et Kenny ont composé «Sha La La La Lee» en 5 minutes, on the spot. Mais Mort ne voulait pas qu’on le crédite, don’t put my name on that piece of shit. Kenny aime bien son Sha la la la, il fait même les chœurs en studio derrière les Small Faces. Ils vont aussi enregistrer deux autres compos de Kenny sur leur premier album : «Sorry She’s Mine» et «You Better Believe It», co-écrit avec Jerry Ragovoy. D’autres superstars vont taper dans les compos de Kenny : Cilla Black et Dusty chérie. Comme ses singles ne se vendent pas, Kenny cesse d’enregistrer et bosse pour les autres, notamment Tony Hicks des Hollies.
Sur Singin’ And Swingin’, Kenny est accompagné par Johnnie Spence & His Orchestra. Dès «Turn The Lights Dow Low», tu sens le swing de Kenny. Ce crooner est tellement à l’aise dans le Swinging London ! Il croone comme un prince. Encore un vieux swing de croon avec «Hard Hearted Hannah», il fait du Broadway in London town. Il groove avec autorité. Il termine son balda avec l’«Up On The Roof» de Goffin & King, une belle petite pop ultra-violonnée. Encore quatre merveilles en B, à commencer par «When In Rome», un fast swing de when in Rome/ I’ll do as the Romans do. Il swingue ensuite «In Love For The Very First Time» au deep slap. Il flirte avec le groove de jazz et chante à la revoyure. C’est un très bel album, Kenny le monte au sommet du genre. Il attaque «Could I Count On You» à la Sinatra, avec le même genre d’allure et de prestance, il y va au Tell me/ Tell me. Il boucle ce fantastique album avec deux shoots de Burt, «Wives & Lovers» et «Make It Easy On Yourself». Il se fond merveilleusement dans le Burt, avec joie et bonne humeur. Il trouve avec Burt une belle chaussure à son pied et chante le Make It Easy au heartbreaking, il tape dans tous ses registres, du grave à l’alto d’altitude. Il est fantastico !
Sur la pochette d’Half The Day’s Gone And We Haven’t Earne’d A Penny, Kenny se trouve au bord d’une piscine en galante compagnie. Il propose avec cet album son soft groove habituel. La vie est belle, baby. Mais il est un peu suave et on s’ennuie. Il a un sens aigu du groove exotique, il chante à l’accent florentin d’une grande élégance, mais il faut attendre la B pour trouver la viande. «Built To Last» sonne comme un groove d’anticipation, bien profilé sous le vent. S’il fallait résumer Kenny Lynch d’un seul mot, ce serait ‘élégance’. On s’attache encore un peu plus à lui avec le cut suivant, «Name Your Game». Belle nonchalance. Il passe à la Soul des jours heureux avec «Locked Into Love». Il n’en finit plus d’étendre son empire. Restons sur nos gardes car il peut faire de la magie.
Un petit coup d’RPM pour finir avec in Best Of de Kenny Lynch, Nothing But The Real Thing. L’essentiel est de savoir qu’Ivor Raymonde traîne dans les parages. Kenny fait de la petite pop de Swinging London. Avec ses trompettes à l’horizon et ses chœurs demented, «Movin’ Away» ne laisse pas indifférent. Il faut dire que sa fast pop est idéale pour les night-clubbers. Mais il flirte aussi avec la variette dans la ribambelle de cuts suivants qui du coup restent un peu coincés en travers de la gorge. On n’est pas là pour ça. Mais Kenny aime bien le poppy popette. Il tape même un «Come On Come On» signé Mort Shuman. Même si «Up On The Roof» est signé Goffin & King, ça ne passe pas non plus. Il est trop entre deux eaux, il ne fait pas de Soul, il fait une espèce de sous-Broadway in London town. Il entre dans le rockalama avec un «Harlem Library», qui sonne comme «Maybelline». Il fait de la petite Beatlemania avec une cover de «Misery» et revient dans les bras du Brill avec un «It Would Take A Miracle» signé Goffin & King. Il tape «The Drifter» à la voix de blanc et ça commence enfin à chauffer avec «Sweet Situation», un heavy r’n’b. La compile se termine en fanfare avec deux belles bombes : «I Just Wanna Love You», allumé aux chœurs, et un terrific «Mister Moonlight». On quitte Kenny sur une bonne note.
Signé : Cazengler, Kenny louche
Kenny Lynch. Singin’ And Swingin’. One-Up 1978
Kenny Lynch. Half The Day’s Gone And We Haven’t Earne’d A Penny. Satrii 1983
Kenny Lynch. Nothing But The Real Thing. RPM Records 2004
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Ce matin, je beurre mes biscotes, un aigle s’est levé dans mon cœur, tout de suite suivi d’un autre. Le premier brillait et se dirigeait droit vers le soleil, prêt à s’y poser dessus et depuis ce perchoir triomphal improvisé prêt à jeter un regard victorieux et dédaigneux sur le monde minuscule tout en bas. Le deuxième était noir. Il n’a pris son envol que pour préparer son attaque se laisser tomber sur ses ennemis afin de les déchirer de son bec et de ses serres.
FREE LEONARD PELTIER !
Combien de fois n’ai-je pas crié ce slogan, mais ce matin c’est fait Leonard Peltier est libre. Libéré de sa prison. Cinquante ans derrière les barreaux pour un crime qu’il n’a jamais revendiqué. Le coupable idéal, un activiste indien, membre de l’AIM, (American Indian Movement) organisation particulièrement active lors de l’occupation de Wounded Knee en 1973…
Je suis heureux pour Leonard, un guerrier qui n’a jamais transigé, qui a su survivre un demi-siècle en de terribles conditions d’internement et faire preuve d’une dignité sans égale. Résistance indienne.
Ce premier instant instinctif de joie ne dure pas. Déjà les serres de l’aigle de la colère et de la haine lacèrent mon cœur.
Léonard Peltier n’est pas libre. Certes il a été autorisé à rentrer chez lui, mais sous le régime de la liberté surveillée…cet oxymore, pour ne pas écrire oxymort, signifie qu’il n’est pas libre…
Ma colère pourrait s’arrêter-là mais les conditions de sa ‘’libération’’ ont éveillé en moi les brandons de la haine. L’a été libéré dans les tous derniers instants de la présidence de Joe Biden, une dernière peau de banane symbolique pour son successeur. Qui n’a même pas dû s’en apercevoir. Peltier en profite, mais quelle honte pour Biden de ne pas l’avoir libéré lors de sa prise de fonction. Quatre ans plus tôt.
Le pire c’est que Biden s’inscrit dans une longue liste de présidents démocrates. Comprenez libéraux. L’élection d’Obama, homme de couleur avait soulevé de nombreux espoirs parmi les associations indiennes et l’AIM. Interpellé à plusieurs reprises Barack, manifestement pas assez baraqué pour avoir ce courage, s’est toujours refusé à ce geste de clémence…
Bill Clinton, moins faux-jeton, mais davantage menteur, avait fait la promesse de le libérer. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Tant pis pour les Indiens qui avaient voté pour lui. N’avaient qu’à rester dans leur réserve. Peltier n’a pas été libéré…
Précédemment Jimmy Carter, le grand idéologue, le grand idéaliste, le grand démocrate, n’a pas fait de quartier. Il s’est totalement désintéressé de Leonard Peltier.
Leonard Peltier, Leonard Crow Dog, guerrier Lakota, son nom est déjà inscrit à côté de Crazy Horse.
Damie Chad.
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Griffonnons encore quelques mots sur Griffon, leur précédent opus ne porte-il pas sur une problématique qui en tant que grand admirateur de Julien nous intéresse au plus haut point.
ὸ θεὀς ὸ βασιλεὐς
GRIFFON
L’artwork est d’Adam Burke, cherhez Nightjar Art – ou Illustration – of Adam Burke, nous l’avons déjà rencontré dans une autre kronic, l’image se décrypte facilement, dans la cella du bas la statue d’une déité païenne décapitée, dans la supérieure, moult églises furent construits sur des sites antiques, parfois néolithiques, habitent trois traits de feu vivants, sont-ils les symboles de la trinité chrétienne ou de la fulmination intempestive de l’Eternel… dans les deux cas ils sont le signe de la victoire de l’Unique Elohim, appellation grammaticalement incorrecte, nous en convenons.
Sinaï : guitars, vocals / Kryos : drums / Aharon : vocals / Antoine : guitar / Léo : bass.
Damaskos : ça commence mal, ou bien, tout dépend de vos opinions. De vos croyances. Le morceau traite d’un évènement fondateur du christianisme, la fulgurante conversion de Paul sur le chemin de Damas… Episode mille fois évoqué dans nombre d’écrits thuriféraires consacrés à celui que l’on surnomma l’apôtre des Gentils, Griffon s’en sort très bien, il vaut mieux parler à Dieu qu’à ses saints dit le proverbe, Griffon ne suit pas la sentence populaire tant soit peu goguenarde, il préfère donner la parole à Dieu lui-même, le vocal est superbe, l’imite à merveille la voix du Pantocrator, et la musique par-dessus en rajoute, l’on est par moment proche du noise, une véritable stéréo, le pécheur perdu en sa propre déréliction et la fureur implacable du Maître de la Création qui guide son peuple. Un sentiment de grandeur ineffable vous saisit. Magnifique ouverture, nous mettrons un bémol pour cette âme sensible de violon terminal qui nous renvoie à notre condition humaine, trop humaine, heureusement un dernier crachat de haine divine vous rappelle combien Il est grand. Chanté en grec, n’oubliez pas que les Evangiles furent écrites en la langue d’Aristote… L’Ost Capétien : nous franchissons (mirez la justesse de ce verbe quant au sujet abordé), les siècles, nous voici en France, de Clovis roi des Francs à Hugues Capet, la lignée royale capétienne fera de l’Eglise de France la fille Aînée de l’Eglise et ses armées veilleront à l’intégrité du Royaume pour ainsi dire sacré… Des siècles de guerre et d’emprise religieuse sur le territoire, violence et chant de triomphe, fureur des heurts, et toujours la chance sourit aux combattants de l’Ost Capétien, le morceau illustre à merveille par ses grondements tumultueux et ses exultatifs recueillements méditatifs quant à la portée historiales des combats gagnés. Régicide : un morceau complexe, contradictoire, qui n’en poursuit pas moins son chemin sinueux pour parvenir à son but initial. Nous partons de la décapitation de Louis XVI, méritée car en s’enfuyant le Roi a trahi la Constitution, il semblerait que des républicains de bonne volonté se soient efforcés de continuer le projet politique des Rois, mais petit à petit les chemins se sont écartés entre l’ancien régime au peuple réuni par la foi et la nouvelle Nation divisée en ses courants de pensée et écartelée par les contradiction d’une société qui privilégia l’égoïsme des uns à la misère des autres, selon Griffon il eût été plus sage de remettre un descendant royal sur le trône… Cornes de brumes, batteries solennelles, les heures sont graves et lourdes, Griffon se débrouille bien pour naviguer entre les instants de fureur populaires, les citations lues des protagonistes de cette période agitée, la longue péroraison funèbre de Chateaubriand, pour exploser enfin après un passage teintée de nostalgie impuissante en une dernière et vindicative exécration de haine condamnatrice devant l’irréparable accompli. Les Plaies du Trône : retour sur le passé, si le Royaume est tombé il n’était pas sans reproche. Trop de querelles, trop d’idées dangereuses engendrées par le protestantisme, les ennemis déchaînés n’ont pas laissé passer l’occasion… le Royaume décapité c’est la foi qui s’est délitée… les révolutionnaires ont ouvert la porte aux utopies matérialistes et athées qui depuis dominent le monde. Le vocal est beaucoup plus appuyé, convaincu de la justesse de ses analyses il se veut une véritable démonstration de force, même les passages de déshérence instrumentales d’une violence retenue sur la fin acharnée aident à prendre la mesure des catastrophes dénoncées. Tristesse terminale infinie. Abomination : (texte en anglais et en latin) l’on semble retourner dans le temps, au moment où le peuple hébreu se détourne du Dieu qui l’a mené au travers du désert durant quarante ans, il est devenu idolâtre et a adoré le Veau d’Or… Malheur le crime abject sera puni. Le temple sera détruit. (Par Titus, d’où l’emploi de la langue de Cicéron : ceci est une interprétation toute personnelle). Piano triste à la hauteur de la désolation, mais les rugissements de haine et la rythmique au marteau-pilon ne laissent aucun doute sur l’ardent désir de vengeance du Dieu biblique, exultation battériale, chœurs condamnatifs, la voix d’un prophète nous rappelle que le châtiment sera terrible, les vociférations alternent, nous sommes sûrs que nous ne l’emporterons pas au paradis. Une belle tourmente. My Soul is Among the Lions : à la lecture du titre nous sommes tombés dans le panneau, Griffon est subtil, ils ne nous précipitent pas dans les arènes romaines, les lions sont partout, le peuple de Dieu, qu’il soit juif ou chrétien, n’est pas étranger à sa punition, mais Dieu le relèvera… discordances sonores, hachoirs impitoyables, l’espoir renaît même chez ceux qui expirent l’espérance est tenace, Dieu tiendra ses promesses, le morceau se transforme en hymne de gratitude. … Et Praetera Nihil : et rien d’autre, instrumental de toute beauté, un offertoire offert et présenté en tant qu’action de grâce à la puissance divine. Il n’existe aucune autre solution que la contrition, que sa protection . Sublime. Apotheosis : cheminement des âmes, celle des païens, celle des chrétiens. Je vous laisse trouver celle qui atteindra la félicité selon Griffon. Pour ma part j’irai rejoindre les âmes des grands héros mythologiques qui sur l’Île des Bienheureux forgent les armes. Du retour des Dieux antiques. A chacun son péché mignon. Que cela ne nous empêche point de goûter la lente procession mortuaire vers notre destinée finale. On s’y croirait, Griffon n’est pas ridicule dans son évocation. L’opus se termine en beauté épurée, pas tout à fait puisqu’il ranime la séparation entre païens et chrétiens, de toutes les subalternes scories humanoïdes… Toutefois nous remarquons dans le texte quelques fragment d’hérésie gnostique… Ce qu’il y a d’embêtant avec le christianisme c’est que la théologie historialement entée sur la philosophie grecque fleure toujours le logos, disons souvent, animés que nous sommes d’une pure charité et d’une fraternelle commisération chrétiennes, le soufre…
Ce deuxième album de Griffon est bien meilleur que le troisième trop disparate que nous avons chroniqué dans notre livraison 674 qui nous avait déçu tant musicalement qu’au niveau de ses paroles. C’est pourtant la même idéologie, nous ne la partageons pas est-il utile de le préciser, qui s’exprime dans les deux. Comparé à De Republica que nous jugeons contorsionné tant il est obligé de se tordre et se détordre pour unir des concepts ontologiquement divisibles pour employer un terme à consonance républicaine, celui-ci est d’une nature davantage intransigeante, passionnée et combattive. Le Seigneur réprouve les tièdes !
Damie Chad.
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Les Dieux ne sont jamais loin, il suffit de les voir. Leur demeure favorite se nomme poésie, ils hantent aussi la musique. Ils sont surtout dans nos têtes, sous forme de concepts opératoires. Voici une kronique en l’honneur du Kronide.
WAWES OF ETERNITY
HAZY SEA
(Bandcamp / 01 / 01 / 2025)
Mer Vague, ainsi traduisons-nous par ce pseudo jeu de mots le nom de ce groupe. Des Grecs, bien sûr. La Grèce fut la patrie des Dieux. Le groupe, un trio, provient de la cité de Kavala, elle fut conquise par Phillipe de Macédoine, s’inscrivant ainsi dans la grande geste de fureur aventureuse de l’anabase conquérante d’Alexandre.
Le groupe dont les identités ne sont pas révélées s’est formé en 2015. Il me semble que Stonila et Stone Age Mammoth (voir Bandcamp) seraient deux déclinaisons de Hazy Sea. En beaucoup plus heavy que hazy.
L’album que nous écoutons est le treizième opus de leur production. Tous consacrés au monde marin. Kavala est située en bout de promontoire, la mer permit aux grecs de voyager et d’amasser des connaissances de toutes sortes, ce que l’on surnomme le miracle grec consista en ce prodigieux effort de pensée qui s’obstina à analyser, à ordonner, à unifier toutes ses données disparates et cosmopolites en une méthode de recueillement qu’ils identifièrent en tant que logos, pensée raisonnante perpétuellement en action et en renouvellement…
Nous ne connaissions rien de l’existence de Hazy Sea, mais la représentation de Poseidon sur la couve de ce dernier album nous attira. Les Dieux ne se dévoilent pas à nous de leur propre chef, ce sont les hommes qui en les regardant puis et en détournant les yeux vers d’autres aspects du monde, puis revenant à leur figuration… se donnent l’illusion qu’ils leur adressent par cette espèce de clignotement heideggerien un signe… Cette semblance recouvre notre finitude d’une démesure insensée.
Poseidon a de toujours été pour moi un Dieu redoutable et attirant, un peu comme un récif qui appelle le navire afin qu’il se fracasse sur lui et périsse en un atroce naufrage. La puissance de Poseidon permet de longues rêveries. Est-ce pour cela que cet album de plus de deux heures comporte vingt-cinq titres. Ô mer changeante, mouvante à l’infini, semblable à notre pensée insatiable qui rêve d’avaler le monde…
Ces vingt-cinq-titres sont un choix opéré parmi l’ensemble des douze o opus précédents, ce qui explique pourquoi la nomination de certains titres peut paraître étrange, il ne nous reste plus qu’à monter à bord et à larguer les amarres en partance vers cette contrée lointaine où la mer écumante de la pensée aborde les rivages incertains des sables du rêve…
Wawes of Eternity : guitare, basse, batterie, la formule est simple, rock stoner, psyché avec un zeste de groupes instrumentaux sixties, savent jouer ensemble, chacun le contrefort des deux autres, puissant mais contenu, on a envie de se laisser porter par cette vague infinie, encore faut-il se rappeler qu’aucune vague n’est infinie, elle n’est qu’une chevauchée mouvante qui finira par mourir sur un rivage de cocotiers ou sur le béton d’un déversoir orduriel… dans les deux cas aucune vague ne dure éternellement, d’ailleurs l’on est déçu lorsque le morceau se termine au bout de cinq minutes, nous ne nous plaignons pas, surtout pas de cette cascade folle de notes sur la fin, serait-ce Neptune qui agiterait son trident, ce qui est sûr c’est que le dieu n’est pas éternel, il possède seulement la puissance élémentale dont il est la personnification conceptuelle. Moitié chose, moitié idée.
Coast of the Iimmortals : tout comme le précédent ce morceau est extrait de l’album éponyme de dix titres paru en mars 2020 : nous nous interrogions sur la notion d’immortalité, nous voici en vue de la côte des Immortels, pratiquement la suite du précédent, le rythme est plus lent, moins ample, toutefois comme des vagues de fond, menaçantes mais qui ne se mettent pas en colère, mon maître Pham Cong Thien disait que la lenteur était la vitesse des Dieux, une puissance en acte qui ne se départirait point de sa plénitude.
Heart of fire : ce cœur de feu est issu d’un album sept titres paru en avril 2018 : Cargo Incognito : changement de cap, nous ne sommes plus chez les Immortals mais chez les Hommes, l’on se croirait dans un roman de t’Serstevens, les animalcules humains ont la stérile habitude de s’agiter sans fin, de poursuivre des désirs virulents, qu’ils n’assouvissent qu’en se jetant dans l’infinitude de leur mort… la guitare file quinze nœuds et embarque sans faillir de violents paquets de mer, nous aimerions savoir la suite de cette aventure. The Mexican : la voici du même cargo : qui est ce mystérieux Mexicain, avec sa navaja qui ne quitte jamais sa main et sa démarche souple de panthère ( point peinte en rose), la fente illisible de ses yeux invisibles, la guitare tire-bouchonne et imite sa démarche, elle prévient : cet individu est dangereux, elle laisse planer le soupçon, elle minaude l’air de ne rien savoir, mais l’on se tient sur ses gardes, si j’étais le Capitaine sur la dunette je vérifierai mon revolver, la mer est brumeuse et l’avenir incertain… Hometown : c’est lors de l’escale dans sa ville natale que le mexicain est monté à bord, sont-ce racontars d’équipage : il n’y a pas de corde sur un navire à voiles mais celles de la guitare résonnent trop fort pour nous rassurer, maintenant elles miaulent comme un chaton qui veut son lait, mais nous qu’attendons-nous, et si la ville natale n’était qu’une halte mortelle, la peur et le désir ne sont-ils pas un même sentiment.
Mud : extrait de l’album dix titres The Journey Collection paru en 2020 : ça glisse comme de la boue, deux merveilleuses minutes de slide lascive comme un serpent de mer qui veut à tout prix vous faire l’amour. Jetez-moi le guitariste à fond de cale, il aurait dû nous régaler durant deux jours
Samothraski : extrait de Death Trip album paru en juin 2018, vous reconnaissez le bateau d’Ulysse sur la couve : l’île est bombée comme un bouclier, depuis son sommet Poseidon se plaisait à mirer les affrontements entre grecs et troyens, est-ce pour cela que la guit sonne si fort, qu’il semble qu’elle verse des larmes de sang, qu’elle s’épuise et gémit dans la mêlée des combattants, qu’elle traduit les râles funèbres des guerriers à terre, qu’elle développe une longue sarabande de bronze et de sang, et agonise sans fin… Qu’importe la victoire depuis Samothrace.
New land : extrait de l’album huit titres l’Astrolabe paru en mai 2017 : nouvelle terre, l’usage de l’astrolabe permit de s’aventurer loin des côtes, la guitare est victorieuse mais sans ostentation, faut savoir s’en servir, en contrepartie vous avez un succédané de ce que peut faire une guitare, naviguer sur des cordes est aussi difficile que sur mer, pas de panique le pilote n’est pas un novice, manœuvre à la perfection. Light House : le phare nous guide, c’est le moment de peaufiner son jeu, de jouer au virtuose, de laisser tout le monde pantois comme suspendu en haut du cacatois. L’on barre sous le vent, l’on côtoie les écueils, on décrit mille figures acrobatiques et régatiennes sur l’eau salée… The Journey : bruit de vagues, la proue se dresse face à la mer, cris d’oiseaux, gerbes d’écume, l’on prend le vent et l’on file sur la mer grosse comme une six-cordes aux tempétueuses chevauchées, la nostalgie pointe un peu sa figure triste, mais une bourrasque guitarique vous remet les gars au travail et les cœurs à l’ouvrage. Sur la mer lointaine l’on n’est plus qu’un point perdu dans l’immensité nautique, au seul souci d’un beau voyage raconteront plus tard les poëtes.
September : paru en single en mars 2020 : mer calme, étendue radieuse, une guitare unique bientôt rejointe par la rythmique pour un doux clapotement… certes ils font le boulot, un petit solo de derrière les fagots, lorsque la colère de Poseidon ne se fait plus sentir, l’on s’ennuie un peu… The Sailor : un extrait d’Astrolabe : le vent fraîchit, l’on a envoyé les gabiers se promener sur les vergues, sans matelot qui mate l’eau, tout là-haut l’on ne saurait pas tout à fait tranquille, sans que la barre ne varie… And Heaven Cried the Rain : à pleurer, l’on n’avance plus, un fade désespoir vous envahit, nous sommes en plaine sargassienne, sont-ce les herbes qui nous retiennent ou nos âmes qui s’attardent dans la nostalgie des jours perdus, ô mer fertile, ô mer inutile !
Atlantis : issu de l’album The Journey Collection : Poseidon l’Ebranleur des Continents n’a pas usurpé son titre, si Atlantis a disparu c’est grâce à lui, soyez prudent n’utilisez jamais l’expression c’est de la faute d’un Dieu, il pourrait vous en cuire, l’a frappé les flots de son trident, les vagues gigantesques se sont jetées sur les murailles de la cité mythique, a-t-elle sombré au fond des eaux, a-t-elle été submergée, qu’importe la manière, elle s’est évanouie de la surface des eaux corps et bien, ne soyez donc pas étonnés de la violence de ce morceau, les riffs ressemblent aux chevaux du tableau Neptune de Walter Crane se ruant sur l’orgueilleuse Cité, genre de morceau que l’on se doit de ne pas traiter à la légère, faut se surpasser, faut être à la hauteur – ou la profondeur de cet évènement historialement mythique - alors Hazy Sea vous sort la partie de slide la plus extravagante que vous n’ayez jamais entendue. Evidemment les flots déferlent au début et à la fin du titre. (Rien à voir avec le titre éponyme des Shadows évocation rieuse, riante, nostalgique…). Enigma : extrait de l’album Cargo Incognito : mais ici l’énigme prend toute sa signification. Celle d’une méditation platonicienne chargée d’obscurité et d’angoisse, la guitare s’acharne, attention ce n’est pas un morceau de toute sérénité, il est des pensées qui sont tempêtes conceptuelles, écoutez bien vous entendrez la glace des icebergs idéens se briser, les voici telles des épaves qui reposent dans les grandes fosses sceptiques des suspensions philosophiques et les latrines excrémentielles de l’ignorance. Aviator : (de l’album Death Trip) : Que vient faire cet aviator sur notre Mer, est-il tombé dans un trou de l’espace-temps, il nous plaît d’y voir les déités au haut de l’Empyrée qui se rient des hasardeuses questions humaines, trop de joie, trop de rythme, le rire des Dieux tombe en cascatelles… Black Seagull : extrait de l’album Coast of Immortals : cette proximité immortelle conforte notre hypothèse précédente : la mouette est blanche, de la même couleur que ses onze compagnes qui se pressent vers l’Olympe, elles tiennent dans leur bec le rameau sacré qui permet aux Dieux chaque année de renouveler leur provision d’ambroisie, la nourriture d’immortalité, elles volent de toutes force, la guitare dans leur sillage, mais la douzième est dite noire car le Destin l’a choisie comme victime propitiatoire, elle sera écrasée par les monstrueux rocher mouvants de Charybde, fille de Poseidon, et Scylla qui s’opposent au passage des douze oiseaux. Comme toute chose l’Immortalité se paye. Sonorités mélodramatiques. L’on en comprend la raison. Dolphin on the Fly : de l’album Death Trip : animaux totem d’Apollon et d’Orphée, à l’origine des hommes changés en dauphins par Poseidon... le rythme s’alentit, curieusement la batterie l’alourdit comme si elle voulait drosser le morceau sur des écueils, les dauphins étaient censés batifoler joyeusement dans les eaux qui entouraient les murailles d’Atlantis, certes les dauphins vivent en paix avec les hommes, mais leur père Poseidon n’en détruira pas moins la Cité Ineffable.
Storm in my Head : de l’album Electric Abbys, paru en 2017 : le vent souffle en tempête, la mer se creuse, mais c’est dans votre tête que tout se passe, croyez-vous que votre esprit pourrait penser l’Immortalité des Dieux en toute sérénité, il est des pensées qui vous entraînent très loin dans des domaines qui ne sont plus humains, guitare chaotique, elle crie, elle glapit, elle s’affole, et si Atlantis résidait en vous, votre esprit ne serait-il pas submergé. Ghost Rider : lui aussi d’Electric Abbys : votre esprit sombre en des profondeurs inimaginables, vous n’êtes plus qu’un cadavre qui descend à toute vitesse en des gouffres inouïs, chevauchée sans fin, vous avez voulu penser les Dieux, maintenant vous voici confronté à la pensée de votre mort. Beaucoup de bruit et de fureur. Le morceau le plus long. Vous avez connu la totalité, vous faites l’expérience du néant. Les extrêmes vous attirent.
Overland : de l’EP deux titres Overland (juin 2022) : peut-être est-il nécessaire que vous acquerrez la sagesse, ni celle de la mort, ni celle des Dieux, n’oubliez pas que vous n’êtes qu’un animal (très bête) terrestre. Contentez-vous d’être ce que vous êtes, c’est peu peut-être, mais à votre mesure c’est beaucoup, la guitare tresse des anneaux d’or de toute beauté comme si elle voulait vous montrer la richesse de votre lieu de vie, ô mon âme épuise le champ du possible mais n’aspire pas à l’Immortalité, a chanté Pindare. Nothing is Done Until is Over : de l’album Death Trip : l’on retrouve le riff d’entrée de Wawes of Eternity, la même auto-suffisance guitarique, l’album n’est pas terminé, c’est comme s’il n’existait pas puisqu’il n’est pas fini, la guit brille de mille feux, étincelle de mille flammes ardentes, penser l’éternité, penser l’Immortalité n’est-ce pas déjà vivre dans l’éblouissance de l’Eternité et de l’Immortalité puisque aucune des deux n’est encore close sur elle-même, le voyage de la pensée serait-il celui qui nous rapproche le plus des Dieux.
Flight of the Pegasus : single paru en mars 2020 : puisque nous pensons les Dieux nous volons en quelque sorte en leur compagnie, Pégase le cheval ailé n’est-il pas le fils de Poseidon, sur son dos nous traversons l’azur du monde poétique, les notes rutilent et fusent, toujours au plus haut, nous glissons dans les abysses supérieurs de la poésie que nous avons déjà définie comme le domaine des Dieux, d’Arhneim ainsi que le nommera Edgar Poe… Run Run Run : de l’album Electric Abbys : et la course continue infinie, Pégase au franc galop parcourt les pâturages d’herbe bleue sans fin, une cavalcade triomphale, la guitare l’imite à la perfection, certes les Grecs l’ont nettement institué ce qui est infini n’est pas fini, or seul ce qui est fini est absolu. Il nous faudrait clore les champs de l’Eternité philosophique, le logos qui court sans fin dans les prairies de l’Immortalité, pour terminer cette tâche qui ne nous est pas impartie. Under the Mountain : de l’album Electric Abbys : la course folle continue, excitante, enivrante, certes nous nous rapprochons du sommet, nous entendons les mots prononcés par les Dieux, personne n’a jamais été aussi près des Dieux, toutefois nous resterons toujours au bas de l’Olympe, nous les écoutons, ils nous intiment l’ordre de ne pas nous aventurer plus loin que les premières pentes. Nous ne saurions franchir les vapeurs de l’Ether élémental. Déjà notre monture renâcle. Nous remercions Poseidon de nous avoir donné la possibilité d’épuiser les champs du possible…
Nous vous avons offert notre interprétation de ces deux heures d’opéra sans parole. Juste un avertissement, si vous vous y risquez sachez que vous resterez prisonnier de cette musique, cette guitare est comme le bourdonnement sacré de ces abeilles de l’Hymette qui venaient butiner les lèvres, source du logos philosophique, de Platon endormi.
Evidemment ce sont des grecs. Tous les trois. Je me suis focalisé sur le guitariste mais ses deux camarades le suivent au plus près, sans leur apport le son ne serait pas aussi majestueux.
Damie Chad.
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Retour vers le côté obscur de la force. Les choses de l’ombre nous attirent…
DEMO MMXXIV
MENTAL FUNERAL
(Bandcamp / Janvier 2025)
Viennent de Pologne. De Poznan. Leur nom nous semble une référence à Autopsy un des groupes américains pionnier du Death Metal. La couve de l’opus épouse la forme d’une K7, un de ces scurts - ne cherchez pas le sens de ce mot : scurt est l’anagramme palindromique de truc, emprunté à la langue ibisique des oiseaux – qui restent l’objet transactionnel sonore par excellence de l’underground musical cryptique.
Spirit Crushing Practise : les amateurs de doom ne s’y tromperont pas, il s’agit d’une descente dans les antres les plus obscurs de la psyché humaine, le riff pesant comme un éléphant noir qui prend votre cervelle comme coussin, expérience de dissociation, entre le corps et l’esprit, c’est la chair qui s’arroge les commandes, le désir compressé se réfugie dans le bout de votre bite ( pour ainsi dire d’amarrage) vous voici revenu à un état pré-paléothique, comme ce dinosaure gigantesque extrêmement maladroit puisque la moitié de son cerveau se trouvait dans sa tête et l’autre nichant tout au bout de son appendice caudal, vous êtes comme lui, incapable d’avancer ou de reculer, mais à un niveau pour ainsi dire (pure fatuité humaine) sur un plan impurement mental. Toute possession n’est-elle pas le résultat d’un désir de statut phimosique. Vile Presence : sortir de soi, n’est-ce pas ressentir la présence de l’étrangeté en soi. Ne confondons pas étrangeté et altérité. L’altérité n’es que notre envers, l’altérité n’est que l’autre face, l’autre phase, de notre présence au monde, la plus obscure mais l’étrangeté est autre chose bien plus grave, un continent noir, dont nous sommes exclus mais qui élit domicile en nous sans que nous l’ayons invité, quoique, quand on y pense, ou que l’on n’y pense le moins du monde, il faut bien que ce monde trouve un endroit à sa convenance, il lui est impossible de rentrer dans la tour de notre mental que nous avons cadenassée et rendu imperméable à tout élément extérieur, entendez-vous la batterie qui frappe à la porte condamnée. Ce faisant nous avons délaissé notre corps à l’étrange qui rôde autour de nous, il est lui-même devenu l’étrange, il est l’étrange, nous l’avons toujours su, il ne nous obéit plus, il cesse de fonctionner, les injonctions vitales se volatilisent, depuis que nous en avons délaissé les commandes, il ne se préoccupe plus de nous. Primitive : pas encore mort, étrangement notre corps tarde à crever, le riff encore plus oppressif, plus lent comme un corps qui se refroidit à l’approche de la mort, le cœur battérial se singularise en tâtonnant, le grognement agonique, un ours blanc sur sa banquise qui meurt de froid, qui n’a pas envie de résister mais il grogne et grommelle car la torpeur finale met du temps à s’installer, chute sans grandeur, je me vide par le fondement, je chie du sang, mon corps se purifie pour rejoindre l’étrangeté du vide, car le vide n’est que l’autre face, l’autre phase du plein, du trop-plein de moi que je suis, mais alors l’étrange se révèlerait-il être tout bonnement l’autre aspect de mon altérité, c’est ce que l’on appelle ne pas avoir de cul dans sa vie, la tour d’ivoire de mon égo est-elle en train de s’effondrer, la mort serait-elle l’état primitif de la vie. Le riff se transforme en un sifflement terminatif. Sont-ce les mêmes qu’entendit Igitur dans son tombeau lorsqu’il remua les dés… Je meurs donc je suis, le vain plumage de Dieu relégué dans les catacombes de l’oubli. Mais le cerveau dopé à la dopamine turbine, il fonctionne à toute vitesse, s’arrêtera-t-il ou continuera-t-il à tourner sans fin sur lui-même indépendamment de tout ce qui peut être ou ne pas être… Le seul objet funéral qui se déposera de lui-même sur ma tombe. Bibelot aboli d’inanité mentale.
Serions-nous donc si mal armé, si mal larmé, dans notre vie, comme dans notre inexistence.
Cet EP est une véritable tuerie.
Damie Chad.
Nota Bene : la ville de Poznan possède une université : L’Université Adam Mickiewicz. Profitons-en pour adresser un salut à Adam Mickiewicz, grand poëte romantique polonais trop ignoré de par chez nous alors qu’il passa plusieurs années d’exil à Paris.