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johnny adams

  • CHRONIQUES DE POURPRE 675 : KR'TNT ! 675 : ROSA CRUX / ELDER JACK WARD / JOHNNY ADAMS / SUGAR PIE DESANTOS / KENNY LYNCH / LEONARD PELTIER / GRIFFON / HAZY SEA / MENTAL FUNERAL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 675

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 01 / 2025 

     

    ROSA CRUX / ELDER JACK WARD

    SUGAR PIE DESANTOS /  JOHNNY ADAMS

    KENNY LYNCH / LEONARD PELTIER  /

    GRIFFON  / HAZY SEA  / MENTAL FUNERAL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 675

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

      

    Qui l’eût Crux ?

     

             Dans certaines circonstances, il arrive que la réalité du monde et la compréhension qu’on en tire ne correspondent plus. Les événements relatés à la suite se déroulèrent au soir du 31 décembre de l’an de disgrâce 2024.

             Il posa le pied sur le goudron du parking, au sortir de son automobile, ainsi nommée en référence au riding along in my automobile de Chucky Chuckah, apôtre de la modernité et vieille connaissance. Il posait ce pied comme il l’aurait posé deux ou trois siècles plus tôt, au sortir d’une calèche. Il eût préféré poser le pied sur le goudron de Fontaine-blow, en l’honneur d’Edgeworth de Firmont, c’est-à-dire Eve Sweet Punk Adrien, mais la réalité voulut que ce fût à Darnétal, à deux pas de l’église Saint-Ouen de Longpaon, terre maudite. Il s’enfonça dans un misérable dédale de ruelles et longea un moment un petit ruisseau d’apparence joyeuse, mais bordé tout du long de mornes bâtisses dans lesquelles personne n’aurait voulu vivre. L’eau et les bâtisses semblaient se vouer mutuellement une haine ancestrale. Il pressa le pas, traversa un petit pont et arriva à l’adresse indiquée sur le message. Une gigantesque bâtisse de briques sales et haute de plusieurs étages se dressait devant lui. Les larges fenêtres donnant sur la rue en étaient comme sauvagement murées. Il franchit un portail qui semblait lui aussi abandonné de Dieu et se dirigea vers la seule porte éclairée. Il gravit une volée de marches vaincues par le temps et pénétra dans une salle d’accueil étrangement décorée : alignés sur des étagères, des crânes et des ossements étaient exposés à la vente. Il vit même des dents jaunies enchâssées dans de petits cadres en bois, comme autant de macabres souvenirs. Une jeune femme vêtue d’une soutane noire se trouvait dans une guérite faiblement éclairée. Elle y échangeait les euros contre des Lux, de grands écus en carton argenté, permettant d’aller consommer au bar. Il se rendit ensuite dans la salle voisine. En découvrant la Crypte, il passa brutalement de l’état de circonspection à celui de l’ahurissement.

             Le maître des lieux avait reconstitué la nef d’une église gothique, toute de pierres taillées. Une imposante clé de voûte couronnait ce prodigieux édifice. Bâti de grandes pierres blanches, le sol de la nef inspirait un capiteux mélange de pureté, d’ancienneté et de froideur. On descendait à la nef par une volée de larges marches sur lesquelles étaient installés quelques rustiques bancs d’église. Dans un recoin, une rosace de pierre taillée renvoyait à celle de Saint-Sulpice, où œuvra jadis le sonneur Carhaix. Derrière cette rosace d’environ deux mètres de diamètre coulaient à la fois des filets lumineux et une résurgence du ruisseau d’apparence joyeuse qu’il avait longé en venant. Une magistrale reconstitution des catacombes occupait le mur du fond : une ribambelle de crânes surmontait un empilement de fémurs, et cinq authentiques squelettes attendaient qu’on leur fit signe pour battre les tambours qu’on avait installés devant eux. Il fut tellement ému de ce spectacle qu’il alla au bar commander une bière pour se déparcheminer le gosier. Ce fulminant mélange de flamboyance gothique et de réalisme macabre lui parut infiniment littéraire. Huysmans en aurait eu le souffle coupé.

             Il but sa bière à petites gorgées et tenta d’ajuster son regard à cette nouvelle dimension de la réalité, mais il comprit très vite qu’elle allait le dépasser. Car pour en goûter le suc, il faut être initié. C’est ce que Huysmans martelait à longueur de pages dans ses romans.

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             L’affiche annonçait un concert de Rosa Crux dans la Crypte, mais en raison des circonstances, il lui fallut abandonner l’idée qu’il assistait à un simple concert de rock. Il savait très peu de choses de Rosa Crux. Un ami disquaire lui confia du temps de son vivant que Rosa Crux bénéficiait d’une réputation de groupe culte, que les albums valaient disait-il «un billet», car ils suscitaient un immense intérêt, mais, avait-il conclu avec un sourire étrange, «ça n’est pas ta came».   

             Pas d’amplis, pas de batterie. Des squelettes. Deux groupes se produisirent en première partie de soirée. Un public composé de très belles jeunes femmes et de jeunes gens costumés remplissait la salle. Certaines d’entre elles portaient des cornes de cerfs arrimées sur leurs coiffes, et certains jeunes gens exubérants, tout en jabots et effets de manches, semblaient sortir des gradins de la Convention, telle que la reconstitua en son temps Abel Gance. Quelques spectateurs prirent place sur les bancs d’église disposés sur les marches conduisant à la nef, où se produisaient les musiciens.

             Quant à lui, il réussit à s’encastrer dans un coin d’ombre, juste derrière un piano d’église, tellement massif et ancien qu’il semblait échapper à tout espoir de datation. Quand vint le tour de Rosa Crux, on alluma des chandelles fichées sur un grand râtelier, juste au pied du maître des lieux. Deux personnes constituaient Rosa Crux, la jeune femme aperçue dans la salle d’accueil, et le maître des lieux, un homme plutôt petit, coiffé de longs cheveux noir corbeau et lui aussi vêtu d’habits noirs et d’un autre âge. Il brandissait une authentique Rickenbacker. La jeune femme l’accompagnait au piano et aux carillons de cloches.

             Comme il était coincé derrière le piano, il ne put voir jouer la jeune femme, mais il l’entendait distinctement. Elle jouait des contrepoints divins, ses trilles de piano ornaient d’or fin un son outrageusement épique, qui semblait n’appartenir à nulle autre époque que celle de Rosa Crux.

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             Il monta de plusieurs crans dans l’émotion, tellement l’âcre modernité du concept l’effarait. Le maître des lieux chantait en latin et créait des clameurs moyenâgeuses qu’attisait jusqu’au délire la monstrueuse cloche d’un tocsin que sonnait un comparse accroupi derrière les squelettes. Ce flot musical hors du temps semblait raviver toute la mémoire des massacres, des épidémies et des incendies des siècles passés, ce flot emportait tout, embrasait l’imaginaire, emportait les barrages de la raison avec une sidérante violence, rétablissait le règne du niveau zéro de la conscience, c’est-à-dire les deux notions élémentaires, la vie et la mort. Rien d’autre. Bien pire : la mort étendait inexorablement son empire alors que la vie ne tenait plus qu’à un fil. Pire encore, la vie célébrait la mort. Le flot jetait la vie dans le noir tourbillon de la mort, comme on jette des pelletées de charbon dans la gueule ouverte d’une chaudière. Pareil à ces bas-reliefs qui ornent les murailles des catacombes, ce flot illustrait à merveille l’atroce destinée du genre humain. La jeune femme quittait parfois le piano massif pour aller sonner à l’aide d’un clavier artisanal des volées de cloches accrochées à une poutre. Chacune d’elles, disait-on, portait le nom d’un démon. Le flot s’engouffrait dans la nef avec la violence d’une tempête au Cap Horn et emportait le moindre espoir de miséricorde.

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             Il pensa soudain à son ami Damie qui, féru de sciences étranges, eût été à son aise dans cette démesure de l’impossible, démesure d’autant plus hallucinante que les squelettes martelaient leurs gros tambours en rythme. Oui l’ami Damie eût savouré chaque goutte de ce sombre suc, en aurait compris chacune des formules latines, se serait émerveillé de l’éblouissante cohérence de ce spectacle. Ne manquaient plus que les noirs remugles du chanoine Docre. À leur place, des fumées blanches montaient du sol. Des images projetées sur un écran attisaient encore l’embrasement des imaginaires. Alors que les squelettes pilonnaient ces rythmes plus anciens que l’Église, des images de momies défilaient sur l’écran, toutes plus génialement macabres les unes que les autres, des vestiges de chevelures tombaient du haut de crânes jaunis par les siècles, des momies d’archevêques y côtoyaient celles de señoritas de la noblesse espagnole coiffées de dentelles mangées aux mites. Puis des rats envahirent l’écran pour s’entre-dévorer avec une horrible violence. Il ne s’agissait pas des gentils rats de Murnau accompagnant le Comte Orlock à bord de l’Empusa, mais de rats cannibales, comme le furent les hommes en des temps reculés.

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             Le spectacle sembla durer une éternité et atteindre des sommets. Il se sentit atteint au plus profond, tisonné par des fers rougis au feu, il ne ressentait pas de douleur, mais il s’abandonnait, ce fracas interminable lui rabattait les abbatiales, les litanies le liturgeaient, ce chaos issu du fond des âges réduisait en cendres ses derniers vestiges de cartésianisme, le livrait corps et âme à des tourments qui lui étaient inconnus, il lui était impossible de résister, il en ressentait à la fois un profond malaise et une libération qu’il se refusait d’avouer. Sa cervelle endommagée sombra dans une sorte de léthargie. Il attendit minuit, trinqua car il fallait trinquer, puis il prit la fuite. Il franchit à nouveau l’étrange portail et longea le ruisseau joyeux. Il s’arrêta un moment sur le pont et reprit sa course. Il se jeta dans la nuit qui l’avala vivant.

    Signé : Cazengler, Rosa Cruche

    Rosa Crux. La Crypte. Darnétal (76). 31 décembre 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Ward scenes inside the goldmine

             Grand amateur de batraciens et de symbolisme, l’avenir du rock va souvent traîner la nuit dans les marécages. Il y croise parfois Monsieur Quintron a quatre pattes dans les roseaux, occupé à enregistrer les chants des crapauds. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, les marécages vivent la nuit. Mieux : ils palpitent de vie nocturne. Comme c’est une nuit de pleine lune, l’avenir du rock y voit clair. Il aperçoit soudain trois gros batraciens assis peinards au bord de l’eau. Trois batraciens couronnés, au propre comme au figuré : Jean Lorrain, immense grenouille aux yeux fardés et aux paupières gélatineuses, ses deux pieds palmés trempant dans l’eau. En bon roi des Décadents, il Bougrelone. Puis l’Iguane, resplendissant de primitivisme, luisant de toutes ses écailles, son immense queue trempant elle aussi dans l’eau croupie, psalmodiant d’une voix sourde l’I’ve been dirt but I don’t care des Stooges. Et puis le Roi Lézard, hallucinant de grâce dionysiaque, coiffé d’une couronne trop lourde et trop antique, le poitrail nu offert à la lune, lost in a Roman wilderness of pain, sublime incarnation du symbolisme rock, et qui, voyant arriver l’intrus, le met en garde :

             —  Ride the snake, ride the snake !

             L’avenir du rock hausse les épaules. Quel snake ?

             — He’s old and his skin is cold...

             — C’est bon, Jimbo, on connaît la chanson. Ça fait 50 ans que tu nous bassines avec ton End et ton complexe d’Œdipe. Au début c’était marrant, mais tu finis par devenir pénible. Essaye de penser à l’avenir !

             Outragé, le Roi Lézard lève les bras au ciel, et scande le plus mystérieux de tous ses décasyllabes :

             — Weird scenes inside the goldmine...

             — Non, Jimbo, Ward scenes inside the goldmine !

     

             Si au détour d’une parabole marécageuse, l’avenir du rock ne cite pas le nom d’Elder Jack Ward, qui le fera ?

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             Les deux albums d’Elder Jack Ward sont sortis sur Bible & Tire Recording Co, gage de qualité, le premier (Already Made) en 2021, et l’autre l’an passé (The Storm). Dans les deux cas, passage obligé, car l’Elder propose un savant mélange de gospel, de Soul et de funk.

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             Et de blues. Surtout sur Already Made. «Lord I’m In Your Care» pourrait être un classique de l’heavy blues, tellement c’est puissant. T’as là cette incalculable véracité du gospel blues, un gospel blues qui tombe littéralement sous le sens. Encore du pur jus de batch avec un «God’s Love» qui dégouline de God’s love, ah elles y vont les radieuses ! C’est énorme de batching. Tu batches à la folie avec Elder Jack ! Tu retrouves Elizabeth King sur «The Way Is Already Made». Terrific ! Pur gospel power ! Il swingue encore son «He’s Got Great Things» au God’s got great things for waiting you. Il te swingue tout ça à la hussarde du Mississippi. C’est un album de pulsions primitives. Autant le rockab est le beat des reins blancs, autant le gospel est le beat des reins blacks. Retour au gospel blues avec «Without The Lord». Infernal et nappé d’orgue. Surchargé de chœurs. Gospel classique mais classieux - I don’t know how I would do without the Lord ! - Puis l’album se perd dans les sables immémoriaux du gospel traditionnel. On ne sera pas très nombreux à aller écouter ça, juste une poignée de dedicated followers of the fashion Bible & Tire.

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             C’est Bruce Watson qui produit The Storm. Alors attention aux yeux. Car l’Elder attaque avec un heavy gospel boogaloo de Memphis, «When This Life Is Over». Il reste dans l’heavy boogaloo avec le morceau titre. Il groove bien sa chique - Go down on my knees - Là t’as encore une révélation comme avec les Dedicated Men Of Zion ou The Sensational Barnes Brothers. L’Elder passe au gospel pur avec «Be Ready» - Jesus is coming - L’Elder te recommande d’être prêt - Jesus is coming your way/ You better get ready - Il insiste lourdement - Will you be ready? - Comme c’est un fabuleux shouter, il prend le gospel d’«I Have Decided To Follow Jesus» à l’heavy Soul. Pur Black Power de won’t turn around. Puis il s’en va naviguer dans le gospel moderne avec «The Time Is Now» avant de revenir au Memphis beat avec «Payday After While». Fantastique ! Featuring Johnny Ward, sans doute le guitariste exacerbé qu’on entend. Globalement, Elder Jack Ward a la classe de Robert Finley : même genre de vieux blackos fin et classieux. Il termine en mode heavy groove de Memphis beat avec «Lord You’d Be Good To Me». C’est «Memphis Tennessee» dans l’église en bois. Ça boppe dans la chaire - Thank you/ Thank you Jesus ! 

    Signé : Cazengler, Older Jack Weird

    Elder Jack Ward. Already Made. Bible & Tire Recording Co. 2021

    Elder Jack Ward. The Storm. Bible & Tire Recording Co. 2023

     

     

    Sugar Pie bavarde

     

             — Comment tu t’appelles ?

             — Peylia Balinton !

             —Non, ça ne va pas... Tu vas t’appeler Sugar Pie DeSanto !

             Johnny Otis avait le génie des noms. Il avait fait le même coup à la copine de Sugar Pie qui s’appelait Jamesetta :

             — Comment tu t’appelles ?

             — Jamesetta Hawkins !

             — Non ça ne va pas... Tu vas t’appeler Etta James !

             Non seulement Johnny Otis découvrait des talents en Californie, mais il les rebaptisait pour la postérité et lançait leurs carrières. Shorty Long et Little Esther, c’est aussi lui. Pas mal, n’est-ce pas ?

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             La minuscule Sugar Pie se maria avec le guitariste Pee Wee Kingsley et ils eurent un premier hit avec « I Want To Know » sur un petit label. Comme Leonard Chess la voulait absolument sur Chess, il racheta son contrat - They wanted me real bad cos I was hot - Et hop ! 10 000 dollars in the pocket ! Sugar Pie était lancée et elle prit la route. À l’Apollo, Sugar Pie passait en première partie de James Brown. Oh, Mister Dynamite avait les mains baladeuses ! Elle l’envoya promener aussi sec : « No hanky panky ! Keep your hands to yourself ! ». Même chose lors de la tournée du American Folk Blues Festival en 1964. Les vieux boucs nègres lui faisaient la cour, la bouche en cœur et des fleurs à la main - I dont’ like old men. Never have. Everyone was trying to hit on me, trying to buy me flowers and take me to dinner. I refused all them old goats ! - Pas de vieux boucs dans mon lit !

             Mais Sugar Pie n’a pas de chance, car elle disparaît pendant trop longtemps et on la perd de vue. L’apothéose de sa carrière en dents de scie, ce fut l’incendie qui ravagea son appartement en 2006 et dans lequel son mari Jesse Davis perdit la vie en la sauvant - He was the love of my life.

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             Bel album que ce Sugar Is Salty paru en 1993. Le disque date de 25 ans et sur la pochette, Sugar Pie ressemble à une mémère, mais quelle mémère ! Elle démarre avec du rap, « Boom Boom Song ». Sugar Pie a toujours de l’énergie à revendre ! Elle passe au heavy groove de Pie avec « Super Fool » - Super fool that’s what they say I am - avec un son qui défie toute concurrence. Sugar Pie connaît le circuit de l’heavy blues de Chicago. Grosse présence. Cœur de Pie. Avec « Close The Door », elle tape dans le charme fatal. Elle groove encore avec « Enemy » - I’m my worst enemy - On assiste à la fantastique expansion du talent de Sugar Pie. Elle revient plus loin au groove de charme avec un « See The Light » monté sur un beat fonky. Comme Barbara Lynn, elle est dessus et ne lâche rien. Retour au blues avec « Hello San Francisco » - Hello hello San Francisco ! - Ça prend des proportions fantastiques. Oh so special. Elle chante pointu sur un beat métallique très violent. Ça déroute les cargos.

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             Et puis de loin en loin, Sugar Pie sort de sacrés petits albums qui valent le détour. Classic Sugar Pie sort en 1997. Sur la pochette, on voit qu’elle a pris un coup de vieux, mais attention, la voix est toujours là ! Tout est bon sur cet album. Elle attaque avec « Bread And Butter », un coup de street-funk. Wow, les blacks du coin tartinent le funk on your finger. Elle entre là-dedans comme dans du beurre, all day long et les chœurs font working baddddd ! Elle chante avec des accents terribles ! Elle passe au r’n’b avec « Jump In My Chest », un mid-tempo bien orchestré et tapé au beat étrange. La fête continue avec « I Don’t Want To Fuss », elle fait du très hot r’n’b, du pur jus de Chicago, elle le pulse à gogo. Wow, quel jus de jive ! Retour à l’heavy blues avec « Use What You Got ». Beware ! Sugar Pie les prévient. Comme sa copine Etta, elle adore la dégoulinade d’heavy blues. R’n’b encore avec « Don’t Worry About Me ». Elle est dessus, c’est son monde. Elle le swingue et sa couronne de reine de Chicago tintinnabule à la nanarde. Quel son ! Avec « Never Say Die », tu vas danser la Saint-Guy devant le juke. Pure énormité, elle chante au timbre fêlé avec une sorte d’antique voracité. Sugar Pie est une géante de la Soul sauvage.

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             Deux ans plus tard, elle revient avec A Slice Of Pie. Encore un album faramineux. Elle entre dans « Shoppin’ Cart Blues » avec une voix de totem africain. Elle fait des ah ! et tape dans l’heavy blues avec tact, suivie par des Soul Sisters qui font les chœurs d’artiche. Elle tient ça comme la mère maquerelle tenait son bobinard, avec une poigne de fer. On retrouve le fabuleux « Hello San Francisco », bardé de ride on ride on et Sugar Pie réanime la réalité de l’heavy blues de Chicago. Elle est hallucinante de puissance viscérale. Elle lève des tempêtes de frissons. Elle passe au funk avec un « Git Back » ultra joué par le bassman Harley White. Elle rentre dans le lard du pathos avec « Face The Hard Times ». Elle a su garder sa voix de Soul Sister, alors ça roule tout seul. Il faut écouter cette femme chanter « Goodbye » car elle tient le taureau par les cornes. En plus, elle sait tartiner dans la durée. Exceptionnel ! Sugar Pie, c’est la petite reine de cœur, la Chess mate d’ébène qui gagne à tous les coups. Elle annonce qu’elle doit se tirer vite fait dans « Blues Express » - I’ve got to get away from this mess - Elle annonce ça d’une voix sûre. Les chœurs la rappellent à l’ordre avec le poids des Temptations. Il faut la suivre à la trace.

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             Six ans plus tard, elle revient avec Refined Sugar, encore un album atomique. Elle tape dans la jute de funk avec « Matter of Time ». Pour l’amateur de funk, c’est le paradis. Puis elle fait du blues de Chicago à gogo avec « Blues Hall Of Fame ». Elle chevrote dans « Life Goes On » et règle ses comptes dans « Nobody’s Here » - This is a message to all my friends who played me cheap until the end - Il faut attendre « Darkness To The Light » pour retrouver l’immense artiste. Elle fait exploser le genre, elle travaille son slowah au corps, from the darkness to the light, voilà l’hit de Supar Pie - You rejoice and you touch the sky - Elle finit avec un petit chef-d’œuvre de good time music, « Odds ». Elle y déborde d’énergie et donne à savourer une immense classe.

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             Grâce aux gens d’Ace, on a une superbe compile de singles Chess : Go Go Power - The Complete Chess Singles 1961-1966. Les premiers titres sont des purs slabs de r’n’b, comme ce « Souful Dress ». On sent que la petite en veut. Elle y va au guttural, le pire qui soit. Elle va même chercher des crises à la Jerry Lee - Put on your high heel - Elle reste dans l’hot guttural pour « I Don’t Wanna fuss ». Comme on le voyait dans le film de l’American Folk Blues festival de 1964, c’est une sacrée petite teigneuse. Elle tape l’« In The Basement Pt1 » avec sa cousine Etta James. Elles jerkent la Soul de Chess comme des folles. Avec « Witch For A Night », elle se bat bec et ongles. Elle traverse ensuite une mauvaise époque de variette et on retouche la terre ferme avec « Crazy Lovin’ », l’un des froti-frotah les plus torrides de l’histoire du froti-frotah. Elle en fait de la charpie de magie. On tombe plus loin sur une vieux r’n’b bien tapé qui s’appelle « There’s Gonna Be Trouble ». Et là, les gars, Sugar Pie casse la baraque ! Il suffit parfois d’un seul cut pour bâtir une légende, comme c’est ici le cas. 

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             Avec un peu de chance, en fouinant dans le carton d’un particulier qui vend ses disques dans une convention, on tombera sur la compile intitulée Lovin’ Touch. La pochette s’orne d’un très beau portait de Sugar Pie. On y retrouve « (That) Lovin’ Touch » (merveilleux rock de juke, une sorte de perle du temps passé, dotée du son de la Revue d’Ike Turner), « Slip In Mules » (qui est une version d’« High Heel Sneakers » - Baby my red dress is in the cleaner/ But my shift will steal the show), « Go Go Power » (qui sonne comme du Ray Charles, superbement orchestré et elle nous chauffe ça à blanc), « Crazy Lovin’ » (dont les harmonies vocales renvoient aux Mamas And The Papas) et « Do The Woopie » (un hit de juke du temps d’alors, elle est dessus - ah ouuuuh let’s do the woopie  - et elle gueule comme James Brown, c’est franchement énorme).

             Sugar Pie DeSanto était une petite femme qui dansait de façon extravagante. Elle vient de casser sa pipe en bois, aussi nous sommes-nous réunis autour de sa tombe virtuelle pour lui rendre un dernier hommage.

    Signé : Cazengler, Sugar Pire que tout

    Sugar Pie DeSanto. Disparue le 20 décembre 2024

    Sugar Pie DeSanto. Sugar Is Salty. Jasman Records 1993  

    Sugar Pie DeSanto. Classic Sugar Pie. Jasman Records 1997

    Sugar Pie DeSanto. A Slice Of Pie. Jasman Records 1999

    Sugar Pie DeSanto. Refined Sugar. Jasman Records 2005

    Sugar Pie DeSanto. Go Go Power - The Complete Chess Singles 1961-1966. Kent Records 2009

    Sugar Pie DeSanto. Lovin’ Touch. Diving Ducks Records 1987

     

     

    Wizards & True Stars

     - Pomme d’Adams

     (Part Two)

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             Curieusement, il n’existe quasiment pas de littérature autour de Johnny Adams. Tout ce que tu pourras te mettre sous la dent, c’est The Johnny Adams Story, un petit book publié à compte d’auteur en Australie par Judy, la veuve de Johnny. Deux cents pauvres pages composées en Typewriter corps 14 ou 15 et en fer à gauche, comme si elles sortaient tout droit d’une antique machine à écrire. Autant dire que ça s’avale d’un trait. T’y passes pas l’année.

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             On n’y apprend pas grand-chose, mais peut-être n’y a-t-il pas grand-chose à apprendre. Judy Adams rappelle vite fait que Johnny a grandi à Hollygrove, un quartier de la Nouvelle Orleans, dans une famille de 10 enfants. Elle donne tous les détails, le père Shorty qui a déjà 5 gosses et qui se remarie avec the Voodoo woman pour lui refaire 5 autres gosses.

             À l’école, le petit Johnny est victime des bullies qui le canardent à coups de pierres. Paf, il en prend une en pleine gueule et il perd un œil. C’est pour ça qu’il porte des verres teintés. Les gosses vont redoubler de cruauté et le surnommer «Bean Pole», «One Lamp» ou encore «Oyster Eye». Mais Johnny continue de chanter. Il ne vit que pour ça. Chanter.

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             Quand il a 20 ans, il intègre un gospel group, Bessie Griffin & The Consolators. Johnny s’entraîne au chant dans sa salle de bain, et Dorothy LaBostrie, qui occupe l’appartement au-dessus, l’entend. What ? Elle sait reconnaître un talent, la Dorothy ! C’est elle qui a retapé «Tutti Frutti» pour Little Richard. Elle descend voir Johnny et réussit à le convaincre d’entrer en studio pour enregistrer une chanson à elle, «Oh Why», qui sera rebaptisée «I Won’t Cry», et que va produire un jeune coq blanc de 18 ans, Mac Rebennack. «I Won’t Cry» sort sur Ric en 1959, et c’est là le problème.

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    (Acetate pour Ric)

              Le boss de Ric s’appelle Joe Ruffino. Johnny signe un contrat et le voilà baisé. Ruffino bloque toute forme de diffusion nationale et menace de poursuivre en justice les labels qui auraient l’idée saugrenue de vouloir aider Johnny à se faire connaître ailleurs dans le pays. Judy évoque le fameux épisode de la délégation New Orleans montée à Detroit pour rencontrer Motown. Évidemment, Berry Gordy veut signer Johnny, mais quand Ruffino entend parler de ça, il menace de poursuivre Gordy qui lâche aussitôt l’affaire. Judy précise qu’il ne s’agissait pas uniquement de contraintes contractuelles. Elle révèle que Johnny était suivi et menacé par ce quelle appelle les small-time labels, ou encore the mafia-like local labels. Johnny n’avait apparemment pas trop le droit de s’éloigner de la Nouvelle Orleans. Méthodes italiennes. Quand Ruffino casse sa pipe en bois en 1963, Johnny est enfin libre. Mais il commet la même erreur : il re-signe sur le petit label local de Shelby Singleton, SSS.

             Globalement, Judy Adams dénonce surtout une grave injustice, celle d’un homme qui a vendu des millions de disques et qui a passé sa vie dans une relative pauvreté, c’est-à-dire qu’il n’est jamais devenu riche. Quand en 1983, il signe un contrat pour 9 albums avec Rounder, il croit que sa situation va enfin s’améliorer. Mais les mecs de Rounder n’autorisent pas Johnny à faire venir son avocat lors de la signature, et Judy ajoute que they paid him almost nothing.

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             Le seul rayon de soleil dans ces ténèbres, c’est l’évocation du fidèle guitariste de Johnny, l’excellent Walter Wolfman Washington dont on dira prochainement le plus grand bien inside the goldmine. Johnny et Wolfman s’entendaient comme des frères, et Johnny lui prêtait certains de ses costards. Il est donc logique que Wolfman soit devenu à son tour un dandy.

             Judy met aussi les choses au clair sur l’aspect sex & drugs & rock’n’roll : Johnny ne touchait à rien. Ni dope, ni alcool, il se faisait charrier pour son love of Coca-Cola. Johnny disait qu’il n’avait pas besoin de dope, «I’m not sick! Drugs are for sick people.» Johnny et Judy réussissent enfin à s’acheter une maison, après avoir économisé every penny, puis Johnny se paye la bagnole de ses rêves, une Nissan Maxima, couleur forest green. Johnny et Judy auront aussi une petite fille ensemble, Alitalia.

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             Puis Johnny va choper un petit cancer et tous les cracks du boom-hue de la Nouvelle Orleans vont se pointer à son chevet, à commencer par Aaron Neville (qui d’ailleurs duette avec Johnny dans «Never Alone», sur Man Of My Word), puis Walter Wolfman Washington, bien sûr, et d’autres comme Duke Robillard, Lonnie Smith, Dr. John, puis d’autres qu’on en connaît pas, et que cite Judy, David Torkanovsky, Ruth Brown et Houston Person.

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             C’est un DJ local de la Nouvelle Orleans nommé Groovy Gus Lewis qui avait baptisé Johnny Adams ‘The Tan Canary’. Judy précise dans son book que le DJ Billy Delle baptisa lui aussi Johnny ‘The Tan Canary’, plus à cause de son beautiful whistling qu’à cause de sa voix.

             Johnny est l’un des rares dandys de la Nouvelle Orleans, qualifié de sharp & smooth. Judy Adams rappelle que Johnny se changeait trois ou quatre fois par jour, ce qui rendait sa mère folle. L’ado Marc Bolan faisait exactement la même chose. Il se changeait plusieurs fois par jour pour aller parader dans son quartier. Johnny portait des costumes italiens et des cravates en soie. Il pouvait aller jusqu’à New York ou en Californie pour s’acheter a good pair of shoes. Quand il rencontra Judy, Johnny portait un costard blanc. 

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             Johnny Adams est très certainement l’un des plus beaux artistes issus d’un sérail extrêmement abondant. En tous les cas, les ceusses qui le suivent depuis la nuit des temps ne jurent que par lui et le voient au même niveau que Walter Jackson, Marvin Gaye ou Sam Cooke. Pour situer la grandeur de Johnny, Judy le compare à David Ruffin et à Billy Eckstine. Elle cite le Washington Post : «Adams combines the forcefulness of David Ruffin with the elegance of Billy Eckstine.» 

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             Si tu veux entrer dans le monde magique de Johnny Adams, l’idéal est de commencer par Only Want To Be With You, un double CD qui rassemble des sessions enregistrées entre 1975 et 1981 au Sea-Saint Studio de Marshall Sehorn, et produites pas la crème de la crème du coin, c’est-à-dire Senator Jones, Wardell Quezergue et Allen Toussaint. Quatre photos du black dandy décorent le digi. Tantôt il fume, tantôt il ne fume pas, il porte toujours des lunettes noires et un costard chic. Tu ne te lasses pas de l’observer. L’objet grouille bien sûr de puces et de ce que Bill Dahl appelle des «intriguing covers», comme par exemple «Nothing Takes The Place Of You» de Toussaint McCall ou encore l’«I Don’t Want To Cry» de Chuck Jackson. On entend Johnny monter dans ses octaves. Il ne se refuse aucun luxe. Il te balaye toute la Soul d’un geste large, oh no ! Autre cover de choc : «Spanish Harlem». Là, il tombe dans la marmite du bonheur. Il donne même des ailes à la marmite. Il prend le deuxième couplet au falsetto du diable et fait passer Spanish Harlem par toutes les couleurs. Il attaque le disk 1 avec le «Chasing Rainbows» de Teddy Royal et le chante à pleine glotte. Il lisse les aspérités du funk. Il enchaîne avec une autre énormité, «It’s Been So Long» et l’arrache littéralement du sol. Tu as là la Soul et l’esprit de la Soul. C’est stupéfiant de high time. Il est encore plus flamboyant sur «Think About You», un soft groove gratté en quinconce de la Nouvelle Orleans, t’as pas idée. On le voit descendre au barbu des cuivres dans «Gimme Me A Chance». C’est d’un niveau tellement supérieur que tu dis amen. La mise en place est toujours impeccable. On le voit entrer dans le groove de «Night People» comme un dieu. C’est un peu comme s’il tartinait le firmament. Il troue encore le cul de la Soul avec «Your Love Is All I Need» - Baby/ Baby/ Here I stand - Johnny est un immense shouter, il chante à outrance («She’s Only A Baby Herself»), et quand il tape un heavy blues, ça donne «Slefish» - Selfish/ Call me selfish - Il tient tous ses slowahs par la barbichette, Johnny ne lâche jamais rien. Plus tu avances dans cet album et plus t’es fasciné par cet homme. Il sonne comme Wilson Picket sur le «Baby I Love You» d’Aretha - Ah-ah I need your loving/ Early in the morning - Il attaque le disk 2 avec l’hard funk de «Feel The Beat Feel The Heat» et te swingue à la suite le «Stand By Me» de Ben E. King, il y va au sit down & wonder et revient par la bande à l’oh baby. Si tu en pinces pour la country Soul, alors écoute «It Only Rains On Me». Énorme classique. Il tape plus loin l’«After All The Good Is Gone» de Conway Twitty, il y déchire le ciel à l’accent tranchant. Il tape encore le «Who Will The Next Fool Be» de Charlie Rich et l’enrichit considérablement. On peut parler de classe intercontinentale. Il tape plus loin la supplique surnaturelle de «Memories». Il faut le voir poser sa voix. Il est comme Walter Jackson, il pose sa voix pour chanter. Johnny Adams règne sans partage sur son empire d’heavy Soul ultra-chantée. Encore du génie vocal à l’état pur avec «Stay With Me & Stay In Love». Ça te tombe littéralement dessus. Pure magnificence. Johnny Adams te tartine la Soul de tes rêves, et les chœurs de sucre candy font «Set me free & stay in love». Son «Lost Mind» est saturé de stand-up de round midnite, et pour finir, il jazze «I Cover The Waterfront» en mode super-shouter, porté par la stand-up du diable.  

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             Sans doute l’une des plus belles compiles de Soul qui ne soit pas sur Ace : Release Me: The SSS & Pacemaker Sides 1966-1973 : 13 bombes sur 26 cuts. T’en as pour ton billet. Ça démarre sur trois coups de génie intemporels : «Release Me» qu’il couine au niveau ultime de Tan Canary, gospel Soul de la Nouvelle Orleans de fantastique allure, puis «Reconsider Me» - After the road I’ve done/ I guess you’re surprised to see me - il te yodelle ça comme un dingue, et «I Can’t Be All Bad», une Soul qu’il explose au coin du bois. Ah cette façon qu’il a de déraper dans les virages ! Johnny Adams développe le power de la force tranquille. Il chante son «(Sometimes) A Man Will Shed A Few Tears» de toutes ses forces, de toute son âme, puis il chauffe à blanc l’hard Soul d’«If I Could See You One More Time». Johnny Adams est le cœur battant de la Southern Soul, il est le plus brûlant de tous, il y va à coups d’I’m gonna love you. Encore un coup de génie faramineux avec «You Made A New Man Out Of Me». On se croirait chez Hi. La palette de Johnny s’étend à l’infini, il sait tout faire, avec un bonheur égal. Il survole la Soul de «Living On Your Love» comme un vampire, et il devient de plus en plus rocking Soul avec «Proud Woman» qui finit en apothéose géniale. Il devient un crack de l’heavy Soul. «I Won’t Cry» ? Quel croon ! Johnny Adams est un épouvantable crack du croon. Il prend tout un couplet à la pointe extrême de la glotte. Cette compile du diable se termine avec une quadruplette de Belleville : «South Side Of Soul Street» (incroyable modernité du son et riffs en acier bleu), «I Don’t Worry Myself» (hard raw de r’n’b, incroyable power !), «Something Worth Leaving For» (il t’explose le give me something à la Little Richard) et «Kiss The Hurt Away» qu’il prend à la glotte folle. Tan Canary for ever ! Dans ses liners, Jeff Hannusch s’extasie sur Johnny Adams qu’il qualifie d’«one of the greatest vocalists to ever come out of New Orleans. His soulfulness and versitality compares him to the likes of Arthur Alexander, Solomon Burke, Joe Tex, Sam Cooke and Joe Simon.» C’est Dorothy LaBostrie qui convainc Johnny de passer une audition chez Ric avec l’une de ses compos, «I Won’t Cry». Ça sort en 1959. Ric et Ron sont les deux labels de Joe Ruffino, un disquaire sur New Rampart Street. Il va sortir 11 singles de Johnny, qu’on retrouve dans cette fabuleuse compile Ace de 2015, I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964 (explorée en long et en large dans un Part One, inside the goldmine). Quand Ruffino et Ric et Ron disparaissent, Johnny Adams se retrouve le bec dans l’eau et pour vivre, il chante dans les clubs - I’d go to play all the little hole-in-the-wall joints for next to nothing. But it was steady - Puis Huey P. Meaux signe Johnny sur Pacemaker. Meaux avait pas mal bossé avec Cosimo à la Nouvelle Orleans, mais un falling out éclata en 1964 entre Meaux et Cosimo, et Johnny dut enregistrer à Houston. C’est pourquoi on retrouve ce son très électrique sur certains cuts. Après trois singles avec Meaux, Johnny se carapate. Il passe sur le label Watch d’Henry Hildebrand qui, pour être sûr de taper dans le mille, fait appel à Wardell Quezergue. «Release Me», c’est du Quezergue. Puis Shelby Singleton entre dans la danse et signe Johnny on his SSS international imprit. Il rachète le contrat de Johnny et boom !, «Release Me» devient un national hit. Singleton amène Johnny au studio Music City - It was there that Adams waxed one of the quintessential country-soul records of all time, «Reconsider Me», composé par Margaret Lewis et Myra Smith - Hannusch considère que «Reconsider Me» est son «biggest hit ever». Dans la foulée sort cet album faramineux qu’est Heart & Soul. Johnny aurait dû devenir riche et célèbre, mais Singleton vient de racheter Sun, alors il se désintéresse des blackos. Johnny dit qu’il a gagné un peu de blé pendant la période SSS - I bought a new car in 1970, bat that’s about all I got. I went back to my same old routine here - Il se dit aussi très déçu par Singleton qui ne l’a même prévenu quand il a fermé SSS.

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             Il existe une autre belle compile de Johnny Adams : The Great Johnny Adams Blues Album. Pour au moins quatre raisons, dont le première est cet Heartbreaking Blues qui s’appelle «Danger Zone» : round midnite, classe extrême. King of croon ! Le «Garbage Man» qu’on croise plus loin n’est pas celui des Cramps. C’est Johnny qui joue lead sur cet heavy blues. Johnny est un artiste complet. Il tape plus loin un «Room With A View» signé Lowell Fulsom/Billy Vera. Mac Rebennack pianote en prime. C’est le summum du boogaloo. Walter Wolfman Washington gratte une rythmique infernale, il se colle au bassmatic et gratte des accords sombres. On retrouve Walter Wolfman Washington sur «Scarred Knees», fabuleux slinger, génie de l’heavy blues, et Johnny y va au I’ve got scars on my knees/ I’ve been pryaing for so long. Encore un fabuleux Heartbreaking Blues : «This Time I’ve Gone For Good», avec George Porter Jr des Meters au bassmatic, et Walter Wolfman Washington aux poux. Grâce à Johnny, t’as découvert un pot aux roses qui s’appelle Walter Wolfman Washington. Merci Johnny.

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             Greatest Performance est sorti sur Ace Records, mais c’est l’Ace de Jackson, Mississippi, c’est-à-dire Johnny Vincent. Le Tan Canary fait ce qu’il veut de sa voix, surtout de la haute voltige. Il chante deux vers de «Performance» à la glotte folle. Puis il tape ce hit intercontinental qu’est «Feeling» (écrit au singulier, ici), une compo du Brésilien Morris Albert et tapé par Nina Simone et d’autres cracks du boom-hue. Johnny Adams en fait un chef-d’œuvre organique. Il faut ensuite attendre «Baby I Want You» pour goûter le bonheur à l’état pur. Il passe au funk avec «Feel The Beat» - You gotta feel the beat/ You gotta feel the heat/ Can you see the city is the city - Tu ne résistes pas à un truc pareil. Le «Stairway To Heaven» n’est pas celui de Led Zep. Joli tapis d’orgue, here we go ! Une vraie merveille inexorable. Il chauffe tout ce qu’il peut. Chaque cut est passionnant, Johnny façonne sa Soul à la main, comme Rodin, un autre puissant seigneur. Johnny te drive encore «Think About You» à l’aise. Il sait groover une histoire sentimentale. T’as le vertige, tellement c’est puissant. Tout est dans la stature de la statue. Encore un coup de génie avec ce «Turning Point» qu’il attaque au yeah-eh-eh. Il tape la Soul-funk à sa façon, sous sa casquette de dude. Sur le classic stuff, il reste imbattable. Puissant Soul Brother ! «The Greatest Love» est un cut de dandy. C’est Wardell Quezergue qui arrange la cover de «Love Me Tender» et Johnny l’éclaire de l’intérieur. Il chante comme un dieu, voilà ce qu’il faut retenir du Tan Canary.   

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             Comme son nom ne l’indique pas, The Verdict est l’album de round midnite, c’est-à-dire de piano blues dans la fumée bleue. Johnny y va de bon cœur avec le morceau titre - I know I love you/ I must confess/ What is your verdict/ Is it no/ Is it yes - Rien à voir avec une cour d’assises. On s’effare une fois de plus de l’incroyable profondeur de champ de l’is it no/ Is it yes. Il groove le round midnite avec «Down That Lonely Lonely Road» et il te malaxe l’«I Cover The Waterfront» entre ses dents, mais au smooth. Il passe au swing de jazz avec «Love For Sale». Jazzy, Michel ! Et il te retourne à la suite «You Always Knew Me Better» comme une crêpe. Quel fabuleux tour de force ! Avec ce Rounder paru en 1995, on est sur ce qu’on appelle les tardifs, et Johnny n’a jamais été aussi bon. On a des saxes de willow weep dans «Willow Weep For Me». Johnny Adams est un creator with a master plan, comme le montre l’heavy blues de «Come Home To Me» et il termine avec un fameux coup de génie, «D Jam Blues», pur spirit de black slap.  

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             Tu vois le dandy en costard rouge sur la pochette de One Foot In The Blues. Il essaye d’enfiler un godillot de poor black, emblème suprême de la pauvreté abjecte. Il a Dr Lonnie Smith à l’orgue Hammond, alors ça swingue (rien à voir avec Lonnie Liston Smith). C’est d’ailleurs un album de swing comme le montre «Won’t I Pass Me By». Tu retrouves ce swing Nouvelle Orleans dans «Cooking In Style». C’est le big-band swing des démons. Sur le morceau titre, Dr Smith pulse le bassmatic au clavier et Jimmy Ponder gratte des poux de jazz. Tout est sidérant de qualité ! Johnny passe au heavy croon de round midnite avec «Baby Won’t You Cry». Tu n’en réchapperas pas. Gros délire d’orgue Hammond et bien sûr, ça explose. Retour au groove de big banditisme avec «Roadblock» et back to Broadway avec «Angel Eyes». Il termine en mode round midnite avec «I Know What I’ve Got». C’est sa came. Il y excelle, titillé par le groove du sax bouché.

    Signé : Cazengler, Adam carié

    Johnny Adams. Release Me: The SSS & Pacemaker Sides 1966-1973. Payback Records 2023

    Johnny Adams. The Great Johnny Adams Blues Album. Rounder Records 2005 

    Johnny Adams. Only Want To Be With You. Sunset Blvd Records 2022

    Johnny Adams. Greatest Performance. Ace Records 1993   

    Johnny Adams. The Verdict. Rounder Records 1995

    Johnny Adams. One Foot In The Blues. Rounder Records 1996

    Judy Adams. The Johnny Adams Story. Ingram Content Group Australia Pty Ltd 2008

     

     

    Inside the goldmine

    - Naked Lynch

             On le surnommait Œil de lynx. Il avait les yeux jaunes. Il voyait tout. Les moindres détails. Les moindres défauts. Il lisait dans les regards. On le soupçonnait même de lire dans les pensées, car il anticipait les actes et les paroles avec une facilité désarmante. Il troublait les mecs, mais c’était encore pire avec les gonzesses. Œil de lynx semblait voir les corps à travers les vêtements, il souriait ou grimaçait, ses petites moues ne laissaient guère de doute sur l’objet de ses appréciations. On prêtait peut-être à Œil de lynx des pouvoirs qu’il n’avait pas, comme c’est souvent le cas, lorsqu’on transfère ses fantasmes sur un être qui nous paraît sortir de l’ordinaire. Certains dans notre petit groupe de coupe-jarrets le voyaient comme un prédicateur, car il pouvait prédire le montant du butin, la marge de receleur, il indiquait l’endroit où traverser la frontière pour aller prendre l’avion, mais il parlait surtout de tout ce qu’on ne voyait pas, les lambeaux de ciel turquoise, les silhouettes d’animaux étranges à l’orée d’un bois, la mosaïque ondulante au fond d’une piscine, le visage cuivré d’un paysan bolivien à bord d’un autocar, le clocher d’une ancienne église blanchie à la chaux, un couple d’octogénaires diaphanes à la terrasse d’un café de Tanger, l’ombre biscornue d’un infirme sur un trottoir blanc de Los Angeles, Œil de lynx évoquait toutes ces images après coup, comme des souvenirs, nous demandant si nous les avions vues, ce qui bien sûr n’était pas le cas, alors il n’insistait pas. Il n’exprimait ni mépris ni tristesse. Chacun voit ce qu’il peut voir, lâchait-il d’un ton désabusé. Et puis un jour, sur un braquo, il s’est fait descendre. Bizarrement, il n’avait pas vu arriver la balle. On l’a poussé dans la bagnole et on a mis les bouts. Il a rendu l’âme alors qu’on traversait la frontière. Avant de balancer son corps dans le Rhin, on lui a fait les poches. Dans celle de son gilet, on a trouvé une fiole de LSD.

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             Œil de lynx et Kenny Lynch n’ont pas que la consonance du nom en commun. Ils ont aussi une vision en commun. Par contre, Kenny Lynch est bien connu des amateurs de Northern Soul, pas Œil de lynx. Kenny Lynch fait partie des grands dignitaires de la confrérie, et son «Movin’ Away» en a fait jerker plus d’un au Wigan Casino.

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             Ce petit surdoué légendaire est à l’origine un chanteur de jazz, il se produit dans les clubs de Soho qui à l’époque est encore un village, et c’est Shirley Bassey qui lui conseille d’enregistrer. Il démarre avec «Mountain of Love». En 1962, son manager lui trouve un agent de presse qui n’est autre qu’Andrew Loog Oldham. Un jour, John Lennon lui fait écouter une chanson qu’il a composée pour Helen Shapiro, «Misery», mais Helen dit qu’elle ne peut pas chanter ça, alors Kenny saute dessus. Son «Misery» va sortir une semaine avant celui des Beatles. Mais en 1963, le public n’est pas encore prêt.

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             À l’époque où Doc Pomus est malade, Mort Shuman cherche un nouveau coéquipier et il choisit Kenny. Ensemble, ils composent quelques bricoles dont l’excellent «Come On Come On», et surtout le fameux «Sha La La La Lee» qui va lancer les Small Faces. Selon Kieron Tyler, Don Arden voulait un cut qui sonne comme «Doo Wah Diddy», alors Mort et Kenny ont composé «Sha La La La Lee» en 5 minutes, on the spot. Mais Mort ne voulait pas qu’on le crédite, don’t put my name on that piece of shit. Kenny aime bien son Sha la la la, il fait même les chœurs en studio derrière les Small Faces. Ils vont aussi enregistrer deux autres compos de Kenny sur leur premier album : «Sorry She’s Mine» et «You Better Believe It», co-écrit avec Jerry Ragovoy. D’autres superstars vont taper dans les compos de Kenny : Cilla Black et Dusty chérie. Comme ses singles ne se vendent pas, Kenny cesse d’enregistrer et bosse pour les autres, notamment Tony Hicks des Hollies.   

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             Sur Singin’ And Swingin’, Kenny est accompagné par Johnnie Spence & His Orchestra. Dès «Turn The Lights Dow Low», tu sens le swing de Kenny. Ce crooner est tellement à l’aise dans le Swinging London ! Il croone comme un prince. Encore un vieux swing de croon avec «Hard Hearted Hannah», il fait du Broadway in London town. Il groove avec autorité. Il termine son balda avec l’«Up On The Roof» de Goffin & King, une belle petite pop ultra-violonnée. Encore quatre merveilles en B, à commencer par «When In Rome», un fast swing de when in Rome/ I’ll do as the Romans do. Il swingue ensuite «In Love For The Very First Time» au deep slap. Il flirte avec le groove de jazz et chante à la revoyure. C’est un très bel album, Kenny le monte au sommet du genre. Il attaque «Could I Count On You» à la Sinatra, avec le même genre d’allure et de prestance, il y va au Tell me/ Tell me. Il boucle ce fantastique album avec deux shoots de Burt, «Wives & Lovers» et «Make It Easy On Yourself». Il se fond merveilleusement dans le Burt, avec joie et bonne humeur. Il trouve avec Burt une belle chaussure à son pied et chante le Make It Easy au heartbreaking, il tape dans tous ses registres, du grave à l’alto d’altitude. Il est fantastico ! 

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             Sur la pochette d’Half The Day’s Gone And We Haven’t Earne’d A Penny, Kenny se trouve au bord d’une piscine en galante compagnie. Il propose avec cet album son soft groove habituel. La vie est belle, baby. Mais il est un peu suave et on s’ennuie. Il a un sens aigu du groove exotique, il chante à l’accent florentin d’une grande élégance, mais il faut attendre la B pour trouver la viande. «Built To Last» sonne comme un groove d’anticipation, bien profilé sous le vent. S’il fallait résumer Kenny Lynch d’un seul mot, ce serait ‘élégance’. On s’attache encore un peu plus à lui avec le cut suivant, «Name Your Game». Belle nonchalance. Il passe à la Soul des jours heureux avec «Locked Into Love». Il n’en finit plus d’étendre son empire. Restons sur nos gardes car il peut faire de la magie.

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             Un petit coup d’RPM pour finir avec in Best Of de Kenny Lynch, Nothing But The Real Thing. L’essentiel est de savoir qu’Ivor Raymonde traîne dans les parages. Kenny fait de la petite pop de Swinging London. Avec ses trompettes à l’horizon et ses chœurs demented, «Movin’ Away» ne laisse pas indifférent. Il faut dire que sa fast pop est idéale pour les night-clubbers. Mais il flirte aussi avec la variette dans la ribambelle de cuts suivants qui du coup restent un peu coincés en travers de la gorge. On n’est pas là pour ça. Mais Kenny aime bien le poppy popette. Il tape même un «Come On Come On» signé Mort Shuman. Même si «Up On The Roof» est signé Goffin & King, ça ne passe pas non plus. Il est trop entre deux eaux, il ne fait pas de Soul, il fait une espèce de sous-Broadway in London town. Il entre dans le rockalama avec un «Harlem Library», qui sonne comme «Maybelline». Il fait de la petite Beatlemania avec une cover de «Misery» et revient dans les bras du Brill avec un «It Would Take A Miracle» signé Goffin & King. Il tape «The Drifter» à la voix de blanc et ça commence enfin à chauffer avec «Sweet Situation», un heavy r’n’b. La compile se termine en fanfare avec deux belles bombes : «I Just Wanna Love You», allumé aux chœurs, et un terrific «Mister Moonlight». On quitte Kenny sur une bonne note.

    Signé : Cazengler, Kenny louche

    Kenny Lynch. Singin’ And Swingin’. One-Up 1978

    Kenny Lynch. Half The Day’s Gone And We Haven’t Earne’d A Penny. Satrii 1983

    Kenny Lynch. Nothing But The Real Thing. RPM Records 2004

     

    *

    Ce matin, je beurre mes biscotes, un aigle s’est levé dans mon cœur, tout de suite suivi d’un autre. Le premier brillait et se dirigeait droit vers le soleil, prêt à s’y poser dessus et depuis ce perchoir triomphal improvisé prêt à jeter un regard victorieux et dédaigneux sur le monde minuscule tout en bas. Le deuxième était noir. Il n’a pris son envol que pour préparer son attaque se laisser tomber sur ses ennemis  afin de les déchirer de son bec et de ses serres.

    FREE LEONARD PELTIER !

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            Combien de fois n’ai-je pas crié ce slogan, mais ce matin c’est fait Leonard Peltier est libre. Libéré de sa prison. Cinquante ans derrière les barreaux pour un crime qu’il n’a jamais revendiqué. Le coupable idéal, un activiste indien, membre de  l’AIM, (American Indian Movement) organisation  particulièrement active lors de l’occupation de Wounded Knee en 1973…

             Je suis  heureux pour Leonard, un guerrier qui n’a jamais transigé, qui a su survivre un demi-siècle en de terribles conditions d’internement et faire preuve d’une dignité sans égale. Résistance indienne.

             Ce premier instant instinctif de joie ne dure pas. Déjà les serres de l’aigle de la colère et de la haine lacèrent mon cœur.

             Léonard Peltier n’est pas libre. Certes il a été autorisé à rentrer chez lui, mais sous le régime de la liberté surveillée…cet oxymore, pour ne pas écrire oxymort, signifie qu’il n’est pas libre…

             Ma colère pourrait s’arrêter-là mais les conditions de sa ‘’libération’’ ont éveillé en moi les brandons de la haine. L’a été libéré dans les tous derniers instants de la présidence de Joe Biden, une dernière peau de banane symbolique pour son successeur. Qui n’a même pas dû s’en apercevoir. Peltier en profite, mais quelle honte pour Biden de ne pas l’avoir libéré lors de sa prise de fonction. Quatre ans plus tôt.

             Le pire c’est que Biden s’inscrit dans une longue liste de présidents démocrates. Comprenez libéraux. L’élection d’Obama, homme de couleur avait soulevé de nombreux espoirs parmi les associations indiennes et l’AIM. Interpellé à plusieurs reprises Barack, manifestement pas assez baraqué pour avoir ce courage, s’est toujours refusé à ce geste de clémence…

             Bill Clinton, moins faux-jeton, mais davantage menteur, avait fait la promesse de le libérer. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Tant pis pour les Indiens qui avaient voté pour lui. N’avaient qu’à rester dans leur réserve. Peltier n’a pas été libéré…

             Précédemment Jimmy Carter, le grand idéologue, le grand idéaliste, le grand démocrate, n’a pas fait de quartier. Il s’est totalement désintéressé de Leonard Peltier.

             Leonard Peltier, Leonard Crow Dog, guerrier Lakota, son nom est déjà inscrit à côté de Crazy Horse.

    Damie Chad.

            

    *

             Griffonnons encore quelques mots sur Griffon, leur précédent opus ne porte-il pas sur une problématique qui en tant que grand admirateur de Julien nous intéresse au plus haut point.

    ὸ θεὀς ὸ βασιλεὐς

    GRIFFON

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             L’artwork est d’Adam Burke, cherhez Nightjar Art – ou Illustration – of Adam Burke, nous l’avons déjà rencontré dans une autre kronic, l’image se décrypte facilement, dans la cella du bas la statue d’une déité païenne décapitée, dans la supérieure, moult églises furent construits sur des sites antiques, parfois néolithiques, habitent trois traits de feu vivants, sont-ils les symboles de la trinité chrétienne ou de la fulmination intempestive de l’Eternel… dans les deux cas ils sont le signe de la victoire de l’Unique Elohim, appellation grammaticalement incorrecte, nous en convenons.

    Sinaï : guitars, vocals / Kryos : drums / Aharon : vocals / Antoine : guitar / Léo : bass.

    Damaskos : ça commence mal, ou bien, tout dépend de vos opinions. De vos croyances. Le morceau traite d’un évènement fondateur du christianisme, la fulgurante conversion de Paul sur le chemin de Damas… Episode mille fois évoqué dans nombre d’écrits thuriféraires consacrés à celui que l’on surnomma l’apôtre des Gentils, Griffon s’en sort très bien, il vaut mieux parler à Dieu qu’à ses saints dit le proverbe, Griffon ne  suit pas la sentence populaire tant soit peu goguenarde, il préfère donner la parole à Dieu lui-même, le vocal est superbe, l’imite à merveille la voix du Pantocrator, et la musique par-dessus en rajoute, l’on est par moment proche du noise, une véritable stéréo, le pécheur perdu en sa propre déréliction et la fureur implacable du Maître de la Création qui guide son peuple. Un sentiment de grandeur ineffable vous saisit. Magnifique ouverture, nous mettrons un bémol pour cette âme sensible de violon terminal qui nous renvoie à notre condition humaine, trop humaine, heureusement un dernier crachat de haine divine vous rappelle combien Il est grand. Chanté en grec, n’oubliez pas que les Evangiles furent écrites en la langue d’Aristote… L’Ost Capétien :  nous franchissons (mirez la justesse de ce verbe quant au sujet abordé), les siècles, nous voici en France, de Clovis roi des Francs à Hugues Capet, la lignée royale capétienne fera de l’Eglise de France la fille Aînée de l’Eglise et ses armées veilleront à l’intégrité du Royaume pour ainsi dire sacré… Des siècles de guerre et d’emprise religieuse sur le territoire, violence et chant de triomphe, fureur des heurts, et toujours la chance sourit aux combattants de l’Ost Capétien, le morceau illustre à merveille par ses grondements tumultueux et ses exultatifs recueillements méditatifs quant à la portée historiales des combats gagnés. Régicide : un morceau complexe, contradictoire, qui n’en poursuit pas moins son chemin sinueux pour parvenir à son but initial. Nous partons de la décapitation de Louis XVI, méritée car en s’enfuyant le Roi a trahi la Constitution, il semblerait que des républicains de bonne volonté se soient efforcés de continuer le projet politique des Rois, mais petit à petit les chemins se sont écartés entre l’ancien régime au peuple réuni par la foi et la nouvelle Nation divisée en ses courants de pensée et écartelée par les contradiction d’une société qui privilégia l’égoïsme des uns à la misère des autres, selon Griffon il eût été plus sage de remettre un descendant royal sur le trône… Cornes de brumes, batteries solennelles, les heures sont graves et lourdes, Griffon se débrouille bien pour naviguer entre les instants de fureur populaires, les citations lues des protagonistes de cette période agitée, la longue péroraison funèbre de Chateaubriand, pour exploser enfin après un passage teintée de nostalgie impuissante en une dernière et vindicative exécration de haine condamnatrice devant l’irréparable accompli. Les Plaies du Trône : retour sur le passé, si le Royaume est tombé il n’était pas sans reproche. Trop de querelles, trop d’idées dangereuses engendrées par le protestantisme, les ennemis déchaînés n’ont pas laissé passer l’occasion… le Royaume décapité c’est la foi qui s’est délitée… les révolutionnaires ont ouvert la porte aux utopies matérialistes et athées qui depuis dominent le monde. Le vocal est beaucoup plus appuyé, convaincu de la justesse de ses analyses il se veut une véritable démonstration de force, même les passages de déshérence instrumentales d’une violence retenue sur la fin acharnée aident à prendre la mesure des catastrophes dénoncées. Tristesse terminale infinie. Abomination : (texte en anglais et en latin) l’on semble retourner dans le temps, au moment où le peuple hébreu se détourne du Dieu qui l’a mené au travers du désert durant quarante ans, il est devenu idolâtre et a adoré le Veau d’Or… Malheur le crime abject sera puni.  Le temple sera détruit. (Par Titus, d’où l’emploi de la langue de Cicéron : ceci est une interprétation toute personnelle). Piano triste à la hauteur de la désolation, mais les rugissements de haine et la rythmique au marteau-pilon ne laissent aucun doute sur l’ardent désir de vengeance du Dieu biblique, exultation battériale, chœurs condamnatifs, la voix d’un prophète nous rappelle que le châtiment sera terrible, les vociférations alternent, nous sommes sûrs que nous ne l’emporterons pas au paradis. Une belle tourmente. My Soul is Among the Lions :  à la lecture du titre nous sommes tombés dans le panneau, Griffon est subtil, ils ne nous précipitent pas dans les arènes romaines, les lions sont partout, le peuple de Dieu, qu’il soit juif ou chrétien, n’est pas étranger à sa punition, mais Dieu le relèvera… discordances sonores, hachoirs impitoyables, l’espoir renaît même chez ceux qui expirent l’espérance est tenace, Dieu tiendra ses promesses, le morceau se transforme en hymne de gratitude. … Et Praetera Nihil : et rien d’autre, instrumental de toute beauté, un offertoire offert et présenté en tant qu’action de grâce à la puissance divine. Il n’existe aucune autre solution que la contrition, que sa protection . Sublime. Apotheosis : cheminement des âmes, celle des païens, celle des chrétiens. Je vous laisse trouver celle qui atteindra la félicité selon Griffon. Pour ma part j’irai rejoindre les âmes des grands héros mythologiques qui sur l’Île des Bienheureux forgent les armes. Du retour des Dieux antiques. A chacun son péché mignon. Que cela ne nous empêche point de goûter la lente procession mortuaire vers notre destinée finale. On s’y croirait, Griffon n’est pas ridicule dans son évocation. L’opus se termine en beauté épurée, pas tout à fait puisqu’il ranime la séparation entre païens et chrétiens, de toutes les subalternes scories humanoïdes… Toutefois nous remarquons dans le texte quelques fragment d’hérésie gnostique… Ce qu’il y a d’embêtant avec le christianisme c’est que la théologie historialement  entée sur la philosophie grecque fleure toujours le logos, disons souvent, animés que nous sommes d’une pure charité et d’une fraternelle commisération chrétiennes, le soufre…

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             Ce deuxième album de Griffon est bien meilleur que le troisième trop disparate que nous avons chroniqué dans notre livraison 674 qui nous avait déçu tant musicalement qu’au niveau de ses paroles. C’est pourtant la même idéologie, nous ne la partageons pas est-il utile de le préciser, qui s’exprime dans les deux. Comparé à De Republica que nous jugeons contorsionné tant il est obligé de se tordre et se détordre pour unir des concepts ontologiquement divisibles pour employer un terme à consonance républicaine, celui-ci est d’une nature davantage intransigeante, passionnée et combattive. Le Seigneur réprouve les tièdes !

    Damie Chad.

     

    *

             Les Dieux ne sont jamais loin, il suffit de les voir.  Leur demeure favorite se nomme poésie, ils hantent aussi la musique. Ils sont surtout dans nos têtes, sous forme de concepts opératoires. Voici une kronique en l’honneur du Kronide.

    WAWES OF ETERNITY

    HAZY SEA

    (Bandcamp / 01 / 01 / 2025)

    Mer Vague, ainsi traduisons-nous par ce pseudo jeu de mots le nom de ce groupe. Des Grecs, bien sûr. La Grèce fut la patrie des Dieux. Le groupe, un trio, provient de la cité de Kavala, elle fut conquise par Phillipe de Macédoine, s’inscrivant ainsi dans la grande geste de fureur aventureuse  de l’anabase conquérante d’Alexandre.

    Le groupe dont les identités ne sont pas révélées s’est formé en 2015. Il me semble que Stonila et Stone Age Mammoth (voir Bandcamp) seraient  deux déclinaisons de Hazy Sea. En beaucoup plus heavy que hazy.

    L’album que nous écoutons est le treizième opus de leur production. Tous consacrés au monde marin. Kavala est située en bout de promontoire, la mer permit aux grecs de voyager et d’amasser des connaissances de toutes sortes, ce que l’on surnomme le miracle grec consista en ce prodigieux effort de pensée qui s’obstina à analyser, à ordonner, à unifier toutes ses données disparates et cosmopolites en une  méthode de recueillement qu’ils identifièrent en tant que logos, pensée raisonnante perpétuellement en action et en renouvellement…

             Nous ne connaissions rien de l’existence de Hazy Sea, mais la représentation de Poseidon sur la couve de ce dernier album nous attira. Les Dieux ne se dévoilent pas à nous de leur propre chef, ce sont les hommes qui en les regardant puis et en détournant les yeux vers d’autres aspects du monde, puis revenant à leur figuration… se donnent l’illusion qu’ils leur adressent par cette espèce de  clignotement heideggerien un signe… Cette semblance recouvre notre finitude d’une démesure insensée.

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             Poseidon a de toujours été pour moi un Dieu redoutable et attirant, un peu comme un récif qui appelle le navire afin qu’il se fracasse sur lui et périsse en un atroce naufrage. La puissance de Poseidon permet de longues rêveries. Est-ce pour cela que cet album  de plus de deux heures comporte vingt-cinq titres. Ô mer changeante, mouvante à l’infini, semblable à notre pensée insatiable qui rêve d’avaler le monde… 

             Ces vingt-cinq-titres sont un choix opéré parmi l’ensemble des douze o opus précédents, ce qui explique pourquoi la nomination de certains titres  peut paraître étrange, il ne nous reste plus qu’à monter à bord et à larguer les amarres en partance vers cette contrée lointaine où la mer écumante de la pensée aborde les rivages incertains des sables du rêve… 

    Wawes of Eternity : guitare, basse, batterie, la formule est simple, rock stoner, psyché avec un zeste de groupes instrumentaux sixties, savent jouer ensemble, chacun le contrefort des deux autres, puissant mais contenu, on a envie de se laisser porter par cette vague infinie, encore faut-il se rappeler qu’aucune vague n’est infinie, elle n’est qu’une chevauchée mouvante qui finira par mourir sur un rivage de cocotiers ou sur le béton d’un déversoir orduriel… dans les deux cas aucune vague ne dure éternellement, d’ailleurs l’on est déçu lorsque le morceau se termine au bout de cinq minutes, nous ne nous plaignons pas, surtout pas de cette cascade folle de notes sur la fin, serait-ce Neptune qui agiterait son trident, ce qui est sûr c’est que le dieu n’est pas éternel, il possède seulement la puissance élémentale dont il est la personnification conceptuelle. Moitié chose, moitié idée.

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    Coast of the Iimmortals : tout comme le précédent ce morceau est extrait de l’album éponyme de dix titres paru en mars 2020 : nous nous interrogions sur la notion d’immortalité, nous voici en vue de la côte des Immortels, pratiquement la suite du précédent, le rythme est plus lent, moins ample, toutefois comme des vagues de fond, menaçantes mais qui ne se mettent pas en colère, mon maître Pham Cong Thien disait que la lenteur était la vitesse des Dieux, une puissance en acte qui ne se départirait point de sa plénitude.

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    Heart of fire : ce cœur de feu est issu d’un album sept titres paru en avril 2018 : Cargo Incognito :  changement de cap, nous ne sommes plus chez les Immortals mais chez les Hommes, l’on se croirait dans un roman de t’Serstevens, les animalcules humains ont la stérile habitude de s’agiter sans fin, de poursuivre des désirs virulents, qu’ils n’assouvissent qu’en se jetant dans l’infinitude de leur mort… la guitare file quinze nœuds et embarque sans faillir de violents paquets de mer, nous aimerions savoir la suite de cette aventure. The Mexican : la voici du même cargo : qui est ce mystérieux Mexicain, avec sa navaja qui ne quitte jamais sa main et sa démarche souple de panthère ( point peinte en rose), la fente illisible de ses yeux invisibles, la guitare tire-bouchonne et imite sa démarche, elle prévient : cet individu est dangereux, elle laisse planer le soupçon, elle minaude l’air de ne rien savoir, mais l’on se tient sur ses gardes, si j’étais le Capitaine sur la dunette je vérifierai mon revolver, la mer est brumeuse et l’avenir incertain… Hometown : c’est lors de l’escale dans sa ville natale que le mexicain est monté à bord, sont-ce racontars d’équipage : il n’y a pas  de corde sur un navire à voiles mais celles de la guitare résonnent trop fort pour nous rassurer, maintenant elles miaulent comme un chaton qui veut son lait, mais nous qu’attendons-nous, et si la ville natale n’était qu’une halte mortelle, la peur et le désir ne sont-ils pas un même sentiment.

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    Mud : extrait de l’album dix titres The Journey Collection paru en 2020 : ça glisse comme de la boue, deux merveilleuses minutes de slide lascive comme un serpent de mer qui veut à tout prix vous faire l’amour. Jetez-moi le guitariste à fond de cale, il aurait dû nous régaler durant deux jours

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    Samothraski : extrait de Death Trip album paru en juin 2018, vous reconnaissez le bateau d’Ulysse sur la couve : l’île est bombée comme un bouclier, depuis son sommet Poseidon se plaisait à mirer les affrontements entre grecs et troyens, est-ce pour cela que la guit sonne si fort, qu’il semble qu’elle verse des larmes de sang, qu’elle s’épuise et gémit dans la mêlée des combattants, qu’elle traduit les râles funèbres des guerriers à terre, qu’elle développe une longue sarabande de bronze et de sang, et agonise sans fin… Qu’importe la victoire depuis Samothrace.

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    New land : extrait de l’album huit titres l’Astrolabe paru en mai 2017 : nouvelle terre, l’usage de l’astrolabe permit de s’aventurer loin des côtes, la guitare est victorieuse mais sans ostentation, faut savoir s’en servir, en contrepartie vous avez un succédané de ce que peut faire une guitare, naviguer sur des cordes est aussi difficile que sur mer, pas de panique le pilote n’est pas un novice, manœuvre à la perfection. Light House : le phare nous guide, c’est le moment de peaufiner son jeu, de jouer au virtuose, de laisser tout le monde pantois comme suspendu en haut du cacatois. L’on barre sous le vent, l’on côtoie les écueils, on décrit mille figures acrobatiques et régatiennes sur l’eau salée… The Journey : bruit de vagues, la proue se dresse face à la mer, cris d’oiseaux, gerbes d’écume, l’on prend le vent et l’on file sur la mer grosse comme une six-cordes aux tempétueuses chevauchées, la nostalgie pointe un peu sa figure triste, mais une bourrasque guitarique vous remet les gars au travail et les cœurs à l’ouvrage. Sur la mer lointaine l’on n’est plus qu’un point perdu dans l’immensité nautique, au seul souci d’un beau voyage raconteront plus tard les poëtes.

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    September : paru en single en mars  2020 : mer calme, étendue radieuse, une guitare unique bientôt rejointe par la rythmique pour un doux clapotement… certes ils font le boulot, un petit solo de derrière les fagots, lorsque la colère de Poseidon ne se fait plus sentir, l’on s’ennuie un peu… The Sailor : un extrait d’Astrolabe : le vent fraîchit, l’on a envoyé les gabiers se promener sur les vergues, sans matelot qui mate l’eau, tout là-haut l’on ne saurait pas tout à fait tranquille, sans que la barre ne varie… And Heaven Cried the Rain : à pleurer, l’on n’avance plus, un fade désespoir vous envahit, nous sommes en plaine sargassienne, sont-ce les herbes qui nous retiennent ou nos âmes qui s’attardent dans la nostalgie des jours perdus, ô mer fertile, ô mer inutile !

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    Atlantis : issu de l’album The Journey Collection : Poseidon l’Ebranleur des Continents n’a pas usurpé son titre, si Atlantis a disparu c’est grâce à lui, soyez prudent n’utilisez jamais l’expression c’est de la faute d’un Dieu, il pourrait vous en cuire, l’a frappé les flots de son trident, les vagues gigantesques se sont jetées sur les murailles de la cité mythique, a-t-elle sombré au fond des eaux, a-t-elle été submergée, qu’importe la manière, elle s’est évanouie de la surface des eaux corps et bien, ne soyez donc pas étonnés de la violence de ce morceau, les riffs ressemblent aux chevaux du tableau  Neptune de Walter Crane se ruant sur l’orgueilleuse Cité, genre de morceau que l’on se doit de ne pas traiter à la légère, faut se surpasser, faut être à la hauteur – ou la profondeur de cet évènement historialement mythique - alors Hazy Sea vous sort la partie de slide la plus extravagante que vous n’ayez jamais entendue. Evidemment les flots déferlent au début et à la fin du titre. (Rien à voir avec le titre éponyme des Shadows évocation rieuse, riante, nostalgique…). Enigma : extrait de l’album Cargo Incognito : mais ici l’énigme prend toute sa signification. Celle d’une méditation platonicienne chargée d’obscurité et d’angoisse, la guitare s’acharne, attention ce n’est pas un morceau de toute sérénité, il est des pensées qui sont tempêtes conceptuelles, écoutez bien vous entendrez la glace des icebergs idéens se briser, les voici telles des épaves qui reposent dans les grandes fosses sceptiques des suspensions philosophiques et les latrines excrémentielles de l’ignorance.  Aviator : (de l’album Death Trip) : Que vient faire cet aviator sur notre Mer, est-il tombé dans un trou de l’espace-temps, il nous plaît d’y voir les déités au haut de l’Empyrée qui se rient des hasardeuses questions humaines, trop de joie, trop de rythme, le rire des Dieux tombe en cascatelles… Black Seagull : extrait de l’album Coast of Immortals : cette proximité immortelle conforte notre hypothèse précédente : la mouette est blanche, de la même couleur que ses onze compagnes qui se pressent vers l’Olympe, elles tiennent dans leur bec le rameau sacré qui permet aux Dieux chaque année de renouveler leur provision d’ambroisie, la nourriture d’immortalité, elles volent de toutes force, la guitare dans leur sillage, mais la douzième est dite noire car le Destin l’a choisie comme victime propitiatoire, elle sera écrasée par les monstrueux rocher mouvants de Charybde, fille de Poseidon, et Scylla qui s’opposent au passage des douze oiseaux. Comme toute chose l’Immortalité se paye. Sonorités mélodramatiques. L’on en comprend la raison.  Dolphin on the Fly : de l’album Death Trip : animaux totem d’Apollon et d’Orphée, à l’origine des hommes changés en dauphins par Poseidon... le rythme s’alentit, curieusement la batterie l’alourdit comme si elle voulait drosser le morceau sur des écueils, les dauphins étaient censés batifoler joyeusement dans les eaux qui entouraient les murailles d’Atlantis, certes les dauphins vivent en paix avec les hommes, mais leur père Poseidon n’en détruira pas moins la Cité Ineffable.

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    Storm in my Head : de l’album Electric Abbys, paru en 2017 : le vent souffle en tempête, la mer se creuse, mais c’est dans votre tête que tout se passe, croyez-vous que votre esprit pourrait penser l’Immortalité des Dieux en toute sérénité, il est des pensées qui vous entraînent très loin dans des domaines qui ne sont plus humains, guitare chaotique, elle crie, elle glapit, elle s’affole, et si Atlantis résidait en vous, votre esprit ne serait-il pas submergé. Ghost Rider : lui aussi d’Electric Abbys : votre esprit sombre en des profondeurs inimaginables, vous n’êtes plus qu’un cadavre qui descend à toute vitesse en des gouffres inouïs, chevauchée sans fin, vous avez voulu penser les Dieux, maintenant vous voici confronté à la pensée de votre mort. Beaucoup de bruit et de fureur. Le morceau le plus long. Vous avez connu la totalité, vous faites l’expérience du néant. Les extrêmes vous attirent.

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    Overland : de l’EP  deux titres Overland (juin 2022) : peut-être est-il nécessaire que vous acquerrez la sagesse, ni celle de la mort, ni celle des Dieux, n’oubliez pas que vous n’êtes qu’un animal (très bête) terrestre. Contentez-vous d’être ce que vous êtes, c’est peu peut-être, mais à votre mesure c’est beaucoup, la guitare tresse des anneaux d’or de toute beauté comme si elle voulait vous montrer la richesse de votre lieu de vie, ô mon âme épuise le champ du possible mais n’aspire pas à l’Immortalité, a chanté Pindare. Nothing is Done Until is Over : de l’album Death Trip : l’on retrouve le riff d’entrée de Wawes of Eternity, la même auto-suffisance guitarique, l’album n’est pas terminé, c’est comme s’il n’existait pas puisqu’il n’est pas fini, la guit brille de mille feux, étincelle de mille flammes ardentes, penser l’éternité, penser l’Immortalité n’est-ce pas déjà vivre dans l’éblouissance de l’Eternité et de l’Immortalité puisque aucune des deux n’est encore close sur elle-même, le voyage de la pensée serait-il celui qui nous rapproche le plus des Dieux.

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    Flight of the Pegasus : single paru en mars 2020 : puisque nous pensons les Dieux nous volons en quelque sorte en leur compagnie, Pégase le cheval ailé n’est-il pas le fils de Poseidon, sur son dos nous traversons l’azur du monde poétique, les notes rutilent et fusent, toujours au plus haut, nous glissons dans les abysses supérieurs de la poésie que nous avons déjà définie comme le domaine des Dieux, d’Arhneim ainsi que le nommera Edgar Poe… Run Run Run : de l’album Electric Abbys : et la course continue infinie, Pégase au franc galop parcourt les pâturages d’herbe bleue sans fin, une cavalcade triomphale, la guitare l’imite à la perfection, certes les Grecs l’ont nettement institué ce qui est infini n’est pas fini, or seul ce qui est fini est absolu. Il nous faudrait clore les champs de l’Eternité philosophique, le logos qui court sans fin dans les prairies de l’Immortalité, pour terminer cette tâche qui ne nous est pas impartie. Under the Mountain : de l’album Electric Abbys : la course folle continue, excitante, enivrante, certes nous nous rapprochons du sommet, nous entendons les mots prononcés par les Dieux, personne n’a jamais été aussi près des Dieux, toutefois nous resterons toujours au bas de l’Olympe, nous les écoutons, ils nous intiment l’ordre de ne pas nous aventurer plus loin que les premières pentes. Nous ne saurions franchir les vapeurs de l’Ether élémental. Déjà notre monture renâcle. Nous remercions Poseidon de nous avoir donné la possibilité d’épuiser les champs du possible…

             Nous vous avons offert notre interprétation de ces deux heures d’opéra  sans parole. Juste un avertissement, si vous vous y risquez sachez que vous resterez prisonnier de cette musique, cette guitare est comme le bourdonnement sacré de ces abeilles de l’Hymette qui venaient butiner les lèvres, source du logos philosophique, de Platon endormi.

             Evidemment ce sont des grecs. Tous les trois. Je me suis focalisé sur le guitariste mais ses deux camarades le suivent au plus près, sans leur apport le son ne serait pas aussi majestueux.

    Damie Chad.

     

    *

             Retour vers le côté obscur de la force. Les choses de l’ombre nous attirent…

    DEMO MMXXIV

    MENTAL FUNERAL

    (Bandcamp / Janvier 2025)

    Viennent de Pologne. De Poznan. Leur nom nous semble une référence à Autopsy un des groupes américains pionnier du Death Metal. La couve de l’opus épouse la forme d’une K7, un de ces scurts - ne cherchez pas le sens de ce mot : scurt est l’anagramme palindromique de truc, emprunté à la langue ibisique des oiseaux – qui restent l’objet transactionnel sonore par excellence de l’underground musical cryptique.

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    Spirit Crushing Practise : les amateurs de doom ne s’y tromperont pas, il s’agit d’une descente dans les antres les plus obscurs de la psyché humaine, le riff pesant comme un éléphant noir qui prend votre cervelle comme coussin, expérience de dissociation, entre le corps et l’esprit, c’est la chair qui s’arroge les commandes, le désir compressé se réfugie dans le bout de votre bite ( pour ainsi dire d’amarrage) vous voici revenu à un état pré-paléothique, comme ce dinosaure gigantesque extrêmement maladroit puisque la moitié de son cerveau se trouvait dans sa tête et l’autre nichant tout au bout de son appendice caudal, vous êtes comme lui, incapable d’avancer ou de reculer, mais à un niveau pour ainsi dire (pure fatuité humaine)  sur un plan impurement mental. Toute possession n’est-elle pas le résultat d’un désir de statut phimosique. Vile Presence : sortir de soi, n’est-ce pas ressentir la présence de l’étrangeté en soi. Ne confondons pas étrangeté et altérité. L’altérité n’es que notre envers, l’altérité n’est que l’autre face, l’autre phase, de notre présence au monde, la plus obscure mais l’étrangeté est autre chose bien plus grave, un continent noir, dont nous sommes exclus mais qui élit domicile en nous sans que nous l’ayons invité, quoique, quand on y pense, ou que l’on n’y pense le moins du monde, il faut bien que ce monde trouve un endroit à sa convenance, il lui est impossible de rentrer dans la tour de notre mental que nous avons cadenassée et rendu imperméable à tout élément extérieur, entendez-vous la batterie qui frappe à la porte condamnée. Ce faisant nous avons délaissé notre corps à l’étrange qui rôde autour de nous, il est lui-même devenu l’étrange, il est l’étrange, nous l’avons toujours su, il ne nous obéit plus, il cesse de fonctionner, les injonctions vitales se volatilisent, depuis que nous en avons délaissé les commandes, il  ne se préoccupe plus de nous. Primitive : pas encore mort, étrangement notre corps tarde à crever, le riff encore plus oppressif, plus lent comme un corps qui se refroidit à l’approche de la mort, le cœur battérial se singularise en tâtonnant, le grognement agonique, un ours blanc sur sa banquise qui meurt de froid, qui n’a pas envie de résister mais il grogne et grommelle car la torpeur finale met du temps à s’installer, chute sans grandeur, je me vide par le fondement, je chie du sang, mon corps se purifie pour rejoindre l’étrangeté du vide, car le vide n’est que l’autre face, l’autre phase du plein, du trop-plein de moi que je suis, mais alors l’étrange se révèlerait-il être tout bonnement l’autre aspect de mon altérité, c’est ce que l’on appelle ne pas avoir de cul dans sa vie, la tour d’ivoire de mon égo est-elle en train de s’effondrer, la mort serait-elle l’état primitif de la vie. Le riff se transforme en un sifflement terminatif. Sont-ce les mêmes qu’entendit Igitur dans son tombeau lorsqu’il remua les dés… Je meurs donc je suis, le vain plumage de Dieu relégué dans les catacombes de l’oubli. Mais le cerveau dopé à la dopamine turbine, il fonctionne à toute vitesse, s’arrêtera-t-il ou continuera-t-il à tourner sans fin sur lui-même indépendamment de tout ce qui peut être ou ne pas être… Le seul objet funéral qui se déposera de lui-même sur ma tombe. Bibelot aboli d’inanité mentale.

             Serions-nous donc si mal armé, si mal larmé, dans notre vie, comme dans notre inexistence.

             Cet EP est une véritable tuerie.

    Damie Chad.

    Nota Bene : la ville de Poznan possède une université : L’Université Adam Mickiewicz. Profitons-en pour adresser un salut à Adam Mickiewicz, grand poëte romantique polonais trop ignoré de par chez nous alors qu’il passa plusieurs années d’exil à Paris.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 631: KR'TNT 631 : WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY / LARRY COLLINS / MARK LANEGAN / JOHNNY ADAMS / BILL CRANE / OAK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 631

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 02 / 2024

     

    WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY

    LARRY COLLINS / MARK LANEGAN

    JOHNNY ADAMS / BILL CRANE

    OAK / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 631

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Kramer tune

    (Part Three)

     

    , wayne kramer, robert finley, larry collins,  mark lanegan, johnny adams, bill crane, oak, rockambolesques,

             Stupéfiante nouvelle : Wayne Kramer vient tout juste de casser sa pipe en bois. Stupéfiant, parce que dans Mojo, il annonçait le grand retour du MC5 avec un album et une tournée. Il venait de composer 15 cuts et de monter un nouveau MC5 avec le chanteur Brad Brooks, le bassman Vicki Randle, le guitariste Stevie Salas et le beurreman Winston Watson Jr. - We’re gonna go everywhere. The MC5 is a show band, always was. We’re playing with matches - I want to go out there and burn some stages down - Le pauvre Wayne ne va rien cramer du tout.

             Pour honorer sa mémoire, nous allons désarchiver un texte jadis confié à Gildas pour Dig It!. Ce prétentieux panorama couvrait un vaste territoire : une autobio, la dernière apparition de Wayne Kramer sur scène à Paris en 2018 et quelques films lumineux.

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             À l’âge canonique de soixante-dix balais, Wayne Kramer opère un grand retour dans l’actualité : tournée mondiale d’un MC50 cm3 constitué pour célébrer le cinquantenaire de l’enregistrement du premier album du MC5, parution d’une pulpeuse autobio et tapis rouge dans Mojo avec ce fameux Mojo Interview habituellement réservé aux têtes de gondoles. Certains objecteront que le MC5 est aussi une tête de gondole, oui, mais une tête gondole underground, c’est-à-dire à la cave, avec tous les autres seigneurs des ténèbres. Ceux qu’on préfère. Et de loin.

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             Au temps jadis, personne ne pouvait rivaliser de ramalama fafafa avec le MC5. Wayne Kramer était en outre l’idole de Johnny Thunders et de pas mal de kids à travers le monde. Leur premier album avait pour double particularité de n’être pas double (comme l’étaient quasiment tous les albums live de l’époque, Doors, Cream, Steppenwolf and co) et de ne pas nous pomper l’air avec un solo de batterie. Il reste en outre, avec le Live At The Star-Club de Jerry Lee et No Sleep Till Hammersmith de Motörhead, l’un des plus grands disques live de tous les temps. Par grand, il faut entendre explosif. Le seul mec capable de réinventer une telle pétaudière aujourd’hui s’appelle Pat, l’inénarrable zébulon des Schizophonics. Tous les admirateurs de champignons atomiques connaissent Kick Out The Jams par cœur et se prosternent jusqu’à terre devant le zozo des Schizos, parce qu’il a su reprendre le flambeau avec brio. 

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             On piaffe tous d’impatience de revoir Wayne Kramer sur scène. C’est un peu comme de voir Ron Asheton en chair et en os, l’air de rien, ça redonne un peu de sens à la vie. Pour tromper l’attente, on peut lire le Mojo Interview. La double s’ouvre sur un fantastique portrait de Wayne Kramer : souriant, quasi-iconique, le regard pointé vers le ciel, le cheveu court, la barbe taillée, il offre l’image d’un homme bien dans sa peau, pas trop esquinté. Si on s’écoutait, on lui donnerait une petite cinquantaine. Une autre image le montre assis, tenant dans ses bras la fameuse Strato stars & stripes. Il semble rayonner. Ce mec n’a pas fini de nous surprendre. Il rayonne d’autant plus qu’il vient de se faire retaper : «On m’a installé un corset en uranium sur la colonne vertébrale, des implants dentaires et une prothèse auditive.» Refait à neuf - I’m like the bionic man over here - Brother Wayne vit à Hollywood, ça aide. Il nous explique tranquillement que l’absence du père créa dans sa vie un tel manque affectif qu’il ne réussit à le combler que d’une seule façon : en travaillant dur pour monter sur scène et faire en sorte que les mille personnes présentes dans la salle l’aiment. Il revient rapidement sur son adolescence de fauche et de fight, sur son goût prononcé pour la petite délinquance et sur sa colère qu’il ne contrôlait qu’avec de la dope - It was easier to get loaded than let my anger out - Et tout ça le conduit naturellement à Little Richard. Si Lee Allen fascinait tant Lou Reed, Brother Wayne en pinçait pour le beat d’Earl Palmer et pour la sheer exuberance de Little Richard. Il en pinçait aussi pour la vélocité guitaristique de chikah Chuck. Il enchaîne avec le TAMI show - James Brown and the Rolling Stones were something else - Il savait qu’il ne pourrait jamais devenir un James Brown, mais les Stones, oh yeah, c’était largement à sa portée. Tout cela le conduit naturellement aux rencontres : Rob & Fred. Brother Wayne explique là un truc capital : Rob & Fred étaient les seuls mecs qu’il pouvait fréquenter. On a tous connu ça dans la cour du lycée, l’époque des chapelles de Clochemerle, quand tout le monde se pointait avec des albums de Deep Purple et du Pink Floyd sous le bras. Jamais ceux des Stooges ou du MC5. Communication breakdown. En plus, Rob Tyner est un gosse intelligent et cultivé. Il dessine ses fringues et il sait chanter - Always a step ahead - Il n’y a pas de hasard, Balthazard. Pouf, c’est parti ! Brother Wayne forme Fred à la guitare. Tu joues la rythmique et moi la mélodie, rrright ? Ils bossent sur chickah Chuck comme tous les guitaristes le faisaient à l’époque, les fameux accords rock’n’roll qu’on joue en barré avec le petit doigt alternatif. Pas de guerre d’egos entre Wayne et Fred. Ils bossent leur Detroit Sound en toute impunité. Et comme la clairvoyance leur fait comprendre qu’ils ne sont pas des grands musiciens, ils en arrivent à la conclusion suivante : nous devons inventer quelque chose - That’s where the showmanship of the MC5 came from - Ils inventent le ramalama, c’est-à-dire une bombe atomique, mais une bombe atomique de rêve, celle qui ne ferait pas de mal à une mouche. Et quand cette bombe nous est tombée sur la gueule, on a vraiment a-do-ré ça.

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             D’ailleurs Brother Wayne se montre un peu chatouilleux sur la question de la reconnaissance. Quand un mec qui se croit malin le félicite pour son three-chords rock, ça ne passe pas. Le blast du MC5 va bien plus loin que ce qu’en disent les rois de l’étiquette : il suffit d’écouter la fin de «Starship» pour entendre l’importance du côté expérimental, voire insurrectionnel, the boundary-pushing side, comme l’appelle Wayne, la possibilité d’une île, oui, c’est exactement ce qu’on pouvait ressentir à l’époque, ce groupe ne souffrait pas d’être trop serré dans son jean, il savait s’exploser la braguette à coups de rafales de free. Kick Out The Jams sonnait comme une immense clameur de liberté, de la même façon que Fun House sonnait comme l’endroit qu’on rêvait d’habiter. 

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             Les Beatles et les Stones ? Okay, mais Brother Wayne n’y trouve pas son compte. Le coup du hit pop band ne le branche pas. Grâce à tous ces groupes anglais, il découvre qu’on peut écrire ses propres chansons et donner des concerts, plutôt que de jouer dans des clubs, comme c’est l’usage aux États-Unis. Mais à ses yeux, il manque dans ce phénomène de mode deux dimensions fondamentales : l’artistique et la politique. Il se sentait dans une impasse, à jouer les solos de chickah Chuck et à pousser son ampli dans les orties. C’est là qu’il découvre Sun Ra, Trane et Albert Ayler. Soudain tout s’éclaire. Brother Wayne entre alors dans un kinetic cosmic trip, il donne une forme sonique à ses pulsions politico-artistiques. Merci Brother John ! John Sinclair vient d’entrer dans la danse. Un Sinclair plus âgé et plus cultivé qui, comme Captain Beefheart le fit avec son Magic Band, entreprend de rééduquer ses ouailles, aux plans justement artistique et politique. Tout est dans son livre, le fameux Guitar Army. On peut d’ailleurs définir le Detroit Sound comme un rock d’avant-garde doté d’une conscience politique. Alors que la plupart des groupes étaient managés par des affairistes le plus souvent dénués de tout scrupule, le MC5 eut la chance d’être piloté par John Sinclair. Dans l’interview, Brother Wayne se dit fier d’avoir appartenu à cette génération qui s’est battue contre la guerre du Vietnam et pour les droits civiques du grand peuple noir. Par contre, il se dit inquiet pour l’avenir de son pays, car l’expression ‘conscience politique’ semble avoir disparu du dictionnaire, au profit d’on sait quoi. On ne va pas vous faire un dessin.

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             Mais quand on remet le nez dans les sermons politiques de John Sinclair, on bâille vite aux corneilles. S’il est une chose qui vieillit mal, c’est bien le discours politique enragé des années soixante-dix. Par contre, les actes restent, notamment ceux des branches armées des mouvements d’extrême gauche. Sinclair prônait justement la lutte armée, en fondant le White Panther Party, et il voulait que le MC5 soit la voix de cette révolution urbaine qu’il appelait de tous ses vœux. D’où sa vision d’une guitar army - a raggedy horde of holy barbarians marching into the future, pushed forward by a powerful blast of sound (une horde de barbares célestes entrant dans le futur, propulsée par un gros son) - Si le FBI n’était pas intervenu, nul doute que Sinclair aurait terminé sa carrière à la Maison Blanche. Dans le chapitre Roots qui introduit Guitar Army, Sinclair raconte comment ado il découvrit sa vocation via «Maybelline» et «Tutti Frutti» - There had never been any music like that on earth before - Tous ceux qui ont vécu ça à l’époque le savent : du jour au lendemain, ne comptait plus que le rock’n’roll. Excité comme un pou, Sinclair poursuit : «Tout à coup, on avait Screamin’ Jay Hawkins, Fidel Castro, Billy Riley and his Little Green men spreading the spectrum of possibilities all the way over», des gens qui ouvraient un nouveau champ du possible, un peu comme si Moïse était revenu ouvrir la Mer Rouge pour que tous les kids du monde échappent au joug des pharaons, c’est-à-dire les beaufs - Rock’n’roll was just that, a possibility, a whole new way to go and we jumped into it like there was nothing else for us to do - Oui, ça traçait bien la route - Daddio ! You dig ? We got Bill Haley & the Comets kickin’ out the jams and that’s all we need ! - Sinclair ajoute en outre qu’il ne pouvait y avoir aucun problème avec tous ces blackos de génie - Chuck, Fatsy, Bo Diddley et tous les autres - contrairement à ce que laissait entendre la société blanche bien-pensante qui puait la médisance et l’eau de Cologne - These black singers and magic music-makers were the real freedom riders of Amerika - Il y a de l’ironie dans le propos de Sinclair qui transforme les fils d’esclaves en chevaliers de la liberté. Grâce à John Sinclair, le MC5 entre alors dans la vraie mythologie du black power qui est celle de Trane et des géants du free.

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             Le MC5 devient vite intouchable. Aucun groupe américain ne peut rivaliser avec eux - There was no one that could touch us - Aucun groupe, qu’il soit de Frisco ou de New York, ne veut partager l’affiche avec le MC5 - ‘Cos we would kill them - Brother Wayne rappelle que les Stooges se sont développés dans l’ombre du MC5. Les deux groupes partageaient tout, les disques, les copines, les spliffs, les repas, les jams, absolument tout. Les Stooges sont le baby brother band. Wayne rappelle qu’Iggy avait alors une vision très claire de ce qu’il voulait faire, et les Stooges veillaient à rester strictement anti-intello. Chacun son territoire. Space is the Place pour le MC5, I’ve been dirt but I don’t care pour les Stooges.

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             Et puis tout s’écroule après les trois albums. Brother Wayne perd ce qu’il a de plus cher au monde : son groupe, c’est-à-dire la prunelle de ses yeux. Alors pour survivre, il se plonge corps et âme dans la dope - Just get loaded - Réflexe terriblement classique. Mais plutôt que de devenir un pauvre camé à la ramasse, Brother Wayne décide de devenir une star dans le milieu, un mix d’Arsène Lupin et de big dealer. Il en veut à la terre entière, au music-business, il voit le monde interlope des voyous comme le vrai monde. Il crache sur l’ancien, celui des gens normaux - What was good was for suckers - Il leur laisse leur fucking normalité et entre en clandestinité. Il développe même un cynisme à toute épreuve et trouve toutes les raisons de se féliciter quand il vide un appart ou un magasin. Kick out the jams motherfuckers ! Il ne croyait pas si bien dire, à l’époque où il gueulait ça sur scène, en chœur avec Brother Rob. Et petite cerise sur le gâteau, il se sent mille fois mieux depuis qu’il est passé à l’héro. Moins fatiguant que de monter un groupe et de répéter ! C’est d’ailleurs le problème de cette fucking dope - You can feel better automatically - Et quand il se fait poirer pour trafic de coke, on lui annonce le tarif : quinze piges. Fin de la rigolade. Mais comme il a oublié d’être con, il prend ça avec philosophie. Il sait qu’il a tout fait pour que ça finisse mal. Tu joues tu perds. C’est la règle. 

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             Rassurez-vous, il ne va tirer que deux piges. Au ballon, il feuillette des canards et voit des photos des Ramones. Ça le fait marrer, car les Ramones ressemblent tous les quatre à Fred Sonic Smith. Il retrouve la liberté en 1978 et décide de ne plus toucher aux drogues. Une bonne résolution qui ne tient pas longtemps, car la première chose qu’il fait est de monter Gang War avec Johnny Thunders. Il vient aussi jouer à Londres, invité par ses frères de la côte Mick Farren et Boss Goodman.

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             Après dix ans d’errance et de petits boulots, la mort de Brother Rob en 1991 le réveille brutalement. Brother Wayne se dit qu’il lui reste encore 20 ou 30 piges à vivre et qu’il vaut mieux essayer d’en faire quelque chose. Des disques, par exemple. Et en 1995, il démarre grâce à Brett Gurrewitz d’Epitaph l’enregistrement d’une série d’albums exceptionnels. Brother Wayne se sent en forme et il pense qu’il doit l’excellence de sa condition au fait d’être resté pauvre pendant vingt ans - Imagine que le MC5 ait continué et soit devenu le premier groupe de rock américain : il est certain qu’aujourd’hui je serais mort - Dans ce monde-là, le blé veut dire la dope. Mais quand Bob Mehr lui demande pourquoi il n’a pas choisi un mode de vie plus calme, Brother Wayne lui répond qu’il ne peut pas raisonner ainsi - That’s speculating on a level I can’t get to - C’est comme de demander à l’âne Aliboron ce qu’il pense du bleu de Prusse. Ou à Jésus ce qu’il pense des clous. Vous obtiendrez la réponse que vous méritez.

             Brother Wayne indique aussi que la reformation du DTK/MC5 avec Michael Davis et Dennis Machine Gun Thompson ne s’est pas bien passée, car de vieilles tensions sont remontées à la surface. Brother Wayne ajoute que grâce au web, le MC5 n’a jamais été aussi populaire. Incroyable ! Il est le premier à s’en émerveiller. Qui aurait pu penser ça en 1973, quand le groupe a explosé en plein vol ? Brother Wayne se réjouit de penser que les gens dans le monde entier vont venir le voir rejouer sur scène un album de cinquante ans d’âge.

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             L’autobio de Brother Wayne parue cet été ressemble à un passage obligé, un de plus. Comme dans le cas du Nolan book de Curt Weiss, on pourrait penser que la messe est dite depuis un bon bail, mais non, rien n’est jamais aussi déterminant que la parole des principaux intéressés. Ceux qui ont lu Total Chaos ont pu le remarquer : ce big fat book n’a de sens que parce qu’Iggy raconte lui-même son histoire. Les histoires des mecs fascinants sont comme chacun sait forcément fascinantes.

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             La première chose qu’on remarque, c’est le titre : The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibililites. Pas mal, non ? Dans le Mojo Interview, Brother Wayne explique qu’avec son livre, il veut étendre le propos, sortir du rock, revenir à l’humain - a more human path - pour fuir les clichés et surtout transmettre quelque chose qui soit utile. Il laisse les clichés à ceux qui manquent tragiquement de moyens - I wanted to write a book that was broader than rock music - Mais rien n’est plus difficile que de revenir à l’humain. Pour ça, il faut s’appeler Houellebecq ou Cioran, et non Kramer. Le pauvre Brother Wayne confond l’humain avec son nombril. C’est dramatique, et tellement américain, en même temps. Il consacre deux bons tiers de son récit à raconter ses démêlés avec l’addiction. On se croirait dans le cabinet d’un psy. La detox ? J’y arrive ! Oh zut j’y arrive pas ! Mais pourquoi ? Pas de père ? Ah ça c’est embêtant ! Brother Wayne nous raconte dans le détail sa conso d’héro, de vodka, de coke, de malabars et de carambars. Un tout petit peu de sexe, mais pas trop, allons allons, nous ne sommes pas chez Steve Jones. Avec cette marée tourbillonnaire de regrets éternels, Brother Wayne nous emmène aux antipodes de la révolution et de John Coltrane. On espérait une sorte de grandeur, un souffle révolutionnaire et on tombe sur de l’humain, oui, mais pas n’importe lequel : du trop humain. Le PMU de la rue Saint-Hilaire grouille de Brothers Wayne. Et curieusement, c’est peut-être ce qui nous rapproche d’un brave mec comme lui. Le fait qu’il ne sache rien faire d’autre que de parler de lui. Et comme toujours, c’est lorsqu’il évoque les autres qu’il devient intéressant et qu’on commence à l’écouter attentivement. Le cœur de l’autobio, et probablement de sa vie, est sa rencontre avec un certain Red Rodney, derrière les barreaux du Club Med de Lexington, dans le Kentucky.

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             Brother Wayne prend soin de préciser qu’on enfermait essentiellement à Lexington les gens qui trempaient dans la dope, utilisateurs comme dealers. Il sait que de nombreux géants du jazz ont séjourné à Lexington, car il a vu des partitions écrites sur les murs de la petite pièce qui jouxte la scène, dans la salle de spectacle. Ses collègues lui annoncent un jour qu’un certain Red Rodney va arriver - The legendary jazz trumpeter Red Rodney - Qui ? Mickey Rooney ? Non Red Rodney, you dumb fuck ! Brother Wayne apprend que le Red en question a joué avec Benny Goodman, Gene Krupa, Woody Herman et des tas d’autres gens qu’on ne connaît pas. Red remplaça même Miles Davis dans le Charlie Parker Quintet. Brother Wayne s’attend donc à voir arriver un grand black charismatique aux bras couverts de trous de seringues, mais non, Red est un petit cul blanc, la cinquantaine, assez corpulent, presque rose, surmonté d’une touffe de cheveux rouges - Danish jew, he told me later - Brother Wayne a du mal à gagner sa confiance, même s’il se présente à lui comme guitariste. Red garde ses distances, en vieux renard du ballon. Alors Brother Wayne le prend pour un snob. Et puis un jour Red vient le trouver avec sa trompette sous le bras et un cahier à la main. Il lui demande :

             — Tu sais lire la musique ?

             — Euh oui...

             Red ouvre son cahier. Ce sont des partitions.

             — Okay then, let’s play this one. A one ! A two ! A three !

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    ( Charlie Parker _ Red Rodney )

             Brother Wayne accompagne Red en grattant les accords de la partoche. Il en bave des ronds de chapeau - The changes came fast and furious - Quatre accords dans la mesure, tempo enlevé, et Red joue la mélodie. Quand c’est fini, Red dit : «Good, you can play.» Brother Wayne est fier d’avoir réussi son examen. C’est là que débute leur amitié. Ils deviennent copains comme cochons. Alors Red commence à se confier et à raconter ses aventures de trompettiste de jazz à New York dans les années quarante et cinquante, les tournées avec Charlie Parker sur le fameux Chitlin’ Circuit. Bird le surnommait alors Chood et l’obligeait à chanter un blues chaque soir - And I ain’t no singer - Clint Eastwood demanda conseil à Red lors du tournage de Bird et lui demanda même de participer à l’enregistrement de la bande originale du film. Brother Wayne découvre que Red est une sorte de mémoire vivante de l’histoire culturelle et musicale américaine - He was hipper than hip, cooler than cool - Brother Wayne se met à l’admirer intensément, au point de lui consacrer un chapitre entier de son autobio. C’est le cœur battant du livre. Red refait l’éducation musicale de Brother Wayne, lui inculque des notions d’harmonie et de composition. Retour à l’école, mais cette fois avec un vrai maître. Ils montent un jazzband et jouent chaque dimanche à Lexington. Ils sont même autorisés à jouer à l’extérieur. Évidemment, la dope coule à flots à Lexington, comme dans toutes les taules du monde et un jour Red demande à Brother Wayne de l’aider à se shooter, car il n’a plus de veines - Red had no veins left - Comme la grande majorité des jazzmen, Red has a lifetime of shooting up. Eh oui, il a fait ça toute sa vie. Et quand Brother Wayne lui demande pourquoi il est revenu à Lexington, alors Red doit remonter dans le temps...

             Il vivait peinard au Danemark, marié à la responsable du Danish library system. Il recevait sa méthadone chez lui par courrier. La belle vie. Au début des années 70, George Wein les engagea lui et Dexter Gordon pour une tournée américaine. Pour être à l’aise et ne pas être obligé de se ravitailler en tournée, Red acheta deux kilos de raw morphine base à un copain qui était à la fois fan de jazz et gros dealer de la mafia. Red mit le paquet dans sa valise et en arrivant à JFK, les chiens le reniflèrent. Red était repéré. Filature. La brigade des stup défonça la porte de sa chambre d’hôtel au moment où il prenait son premier shoot new-yorkais. Son avocat plaida l’usage et non le deal, alors le juge compatit et colla trois piges dans la barbe de Red, alors qu’il risquait beaucoup plus gros. Mais pour Red, retourner au trou était au-dessus de ses forces. Comme il était libre sous caution, il prit l’avion et se tira vite fait au Danemark. Pendant quelques années, le gouvernement américain demanda son extradition, mais comme Red était danois, pas question. En plus il faut savoir que dans ce pays merveilleux qu’est le Danemark, on ne considère pas l’usage de dope comme un délit. Un jour que Red se trouvait tout seul chez lui, on sonna à la porte. Deux gorilles de l’ambassade américaine lui expliquèrent qu’une nouvelle loi venait de passer, qu’il n’était plus poursuivi et qu’il devait signer un document. Red flaira l’embrouille et demanda à aller chercher ses lunettes. En voulant s’enfuir par la porte de derrière, il tomba sur un troisième gorille qui le braquait avec un 9 mm.

             — Alors, mon gros, tu voulais te faire la belle ?

             Cette ordure tira deux fois, bahm, bahm, une balle dans chaque cuisse. Ils jetèrent Red dans un van et l’emmenèrent à l’American Air Force base. Puis un avion le transporta directement à New York. Ça s’appelle un enlèvement. Red baisse son pantalon et montre à Brother Wayne les deux grosses marques rouges sur ses cuisses : les trous de balles. Arrivé au Bellevue Hospital, Red dut attendre neuf heures avant de voir un médecin. Dans l’aile du Bellevue où il était enfermé, il vit des gens salement amochés, tous kidnappés par les agents du DEA partout dans le monde. Quand il repassa devant le juge, il prit six mois de plus pour délit de fuite. Mais son avocat Edward Bennett Williams se leva lentement et prit soin d’informer le juge que le gouvernement américain avait blessé et kidnappé un citoyen danois vivant au Danemark, en violation de toutes les lois internationales. Juridiquement, il s’agissait d’un cas indéfendable. Maître Edward Bennett Williams demanda donc au nom de son client Red dix millions de dollars de dommages et intérêts. Voilà toute l’histoire du retour à Lexington. Le procès intenté par Red et son avocat contre le gouvernement suivait alors son cours.

             Un an plus tard, alors qu’ils se promènent dans la cour, Red annonce à Brother Wayne qu’on lui propose la liberté immédiate s’il renonce à ses poursuites.

             — Qu’en penses-tu, Wayne ?

             — Appelle ton avocat.

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             Évidemment, l’avocat conseille la fermeté : tiens bon Red ! Six mois plus tard, Brother Wayne sort du trou. Puis il apprend que Red a été libéré un peu après lui. Installé à Manhattan, Brother Wayne appelle son vieux poto pour prendre de ses nouvelles - He was doin’ pretty well ! - En effet, Red s’était acheté un bateau, une maison en Floride et une autre dans le New Jersey. Il avait obtenu trois millions de dollars cash du gouvernement pour boucler le dossier et fermer sa gueule. Red pouvait donc rejouer du jazz, quand il voulait et avec qui il voulait. Red va mourir en 1994, d’un cancer du poumon, à l’âge de 66 ans - He was my mentor and a father figure for me. Le père que Brother Wayne n’a jamais eu. Il rend aussi hommage à Red dans «The Red Arrow», un fantastique blaster qu’on trouve sur l’album Adult World paru en 2002. Écoutez-le et vous verrez trente-six chandelles.

             Ce qui est extraordinaire, dans ce chapitre, comme d’ailleurs dans le reste du récit, c’est qu’on croit entendre cette voix qui nous est familière, si on connaît ses excellents albums solo : débit oral très longiligne, avec un timbre assez doux, presque le ton de la confidence. Des grandes chansons autobiographiques comme «Snatched Deafeat (From The Jaws Of Victory)» ou politiques comme «Something Broken In The Promised Land» font de Brother Wayne un conteur né, mais il semble plus doué à l’oral qu’à l’écrit. Il semble nettement plus à l’aise dans le format sec et net d’un couplet que dans l’enfilade au long cours d’un livre de 300 pages. La distance du livre lui permet toutefois de rappeler ses grandes passions, high-powered drag racing machines (les dragsters) and loud music, le nom du MC5 choisi parce qu’il sonnait comme le nom d’une pièce détachée (Gimme a 4-56 rear end, four shock absorbers and an MC5), le fameux TAMI Show qu’il va revoir plusieurs soirs de suite dans un drive-in et où il découvre les Stones et James Brown, Bobby Babbit, l’un des grands guitaristes de Motown auquel il achète sa première vraie guitare (une sunburst Gibson ES-335), Michael Davis qui l’initie aux drogues (He had lived in New York for a couple of years and knew all about drugs), l’Hendrix d’Are You Experienced, John Sinclair, bien sûr, avant la brouille, Danny Fields, qui soutient le MC5 au moment de la shoote avec Elektra et qui se fait virer comme un chien pour ça, et puis bien sûr les drogues dont il raffole et qu’on croise à toutes les pages, jusqu’au methadon maintenance program qui lui permet de quitter ce parcours du combattant qu’est la vie de junkie - Sick of needles, sick of being broke, sick of lying and hustling - Il ne supportait plus les seringues, la dèche permanente, le mensonge et l’arnaque. Il préfère les opiates du bon docteur. Brother Wayne revient aussi le temps d’un chapitre sur le second désastre de sa carrière (après celui du MC5), Gang War, pour rappeler que cet épisode n’avait pas de sens et que la musique was not much of a consideration. Il aime bien Johnny, mais bon, ce n’est pas si simple - Johnny was not an evil guy but he was also just not the kind of guy who was going to get clean and join a gym (oui, Johnny n’était pas le mauvais bougre, mais il n’était pas non plus du genre à se remettre en état pour aller faire du sport) - Un soir, Johnny choure la caisse d’un club où doit jouer Gang War. Comme le convict Kambes/Kramer sort du ballon et qu’il est encore sous contrôle judiciaire, il ne veut pas y retourner à cause des conneries de Johnny. Il ordonne donc à Johnny de rendre le blé avant que le patron n’appelle les flics. Fin de l’épisode Gang War. Brother Wayne arrête les frais. Dommage, on aurait pu avoir de très beaux albums dans nos étagères. Il faut se contenter de l’existant, qui est sorti sur Skydog. Ce n’est déjà pas si mal.

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             Ce livre grouille d’infos intéressantes sur le MC5, bien sûr, comme l’épisode du renommage. À l’instar de Captain Beefheart, Ricky Derminer rebaptisa tout le groupe, à commencer par lui : il devint Rob Tyner, en l’honneur de McCoy Tyner. Wayne Kambes devint Wayne Kramer, Fred Smith devint Fred Bartholomew Smith (Fred se rebaptisera Sonic plus tard), Dennis Toumich devint Dennis Machine Gun Thompson et Michael Davis Mick Davies, mais pour une minute.

             Entre sa sortie de Lexington et son retour aux affaires, Brother Wayne va rester une bonne dizaine d’années sans jouer. Il s’installe en Floride, puis à Nashville et devient charpentier. Il se marie avec une nommée Gloria et Mick Farren assiste à la cérémonie. Mais au fond, il n’est pas très heureux à construire des maisons pour ceux qu’il appelle des rich motherfuckers. Alors il boit comme un trou. En plus, il voit sur MTV tous ces groupes incroyablement inférieurs au MC5 et qui se goinfrent comme des porcs - The MC5 could have eaten them for breakfast - Et puis le jour où il apprend la mort de Rob Tyner, c’est le déclic. La mort de Rob, c’est la mort de son rêve de jeunesse, auquel il avait consacré la meilleure partie de sa vie. Il le croyait encore possible - Someday it will all turn right - Un jour viendra... Voilà enfin le grand Wayne Kramer, le kid de Detroit à vocation prophétique : «The MC5 would all be great friends again, and we’d rock this MTV generation into a new sonic dimension with the most advanced, hardest-rocking, most soulful music ever heard. We’d usher in a new movement of high-energy music, art, and politics that would break all the old restrictions and power us into the future. (Alors on serait à nouveaux des vrais potes dans le MC5 et on enverrait la génération MTV valser dans une nouvelle dimension avec le rock le plus inspiré et le plus insurrectionnel jamais imaginé, une nouvelle dimension faite de rock, d’art et de politique high-energy qui défoncerait tous les barrages moraux et qui nous projetterait tous dans le futur).» La vision de Brother Wayne fait bien sûr écho à celle de John Sinclair, mais on sent nettement la force de son désespoir : rien n’est pire que la mort d’un rêve. Alors Brother Wayne se reprend, et dans un éclair de lucidité, il comprend qu’on meurt deux fois : la seconde mort est la vraie, celle qui nous attend tous à un moment donné. La première mort est celle de sa jeunesse. Il accepte d’enterrer ses rêves et monte un plan : quitter Nashville pour s’installer à Los Angeles et redémarrer sa vie de rocker. Pourquoi Los Angeles ? C’est là que se fait le business. Brother Wayne veut faire ce pourquoi il est né : kicker les jams. Les albums Epitaph, tous sans exception, sont chaudement recommandés. C’est donc le retour du fils prodigue, qui comme Johnny Thunders et Iggy se voit régulièrement traiter de godfather of punk. Aujourd’hui, on devrait plutôt l’appeler the papy of punk, histoire de le charrier gentiment. Oh, il le prendra bien. Brother Wayne est un homme qui connaît la vie.

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             Pour cette gigantesque tournée mondiale (70 dates), Brother Wayne s’entoure de vétérans et pour ça, il tape dans le dur, c’est-à-dire le batteur de Fugazi, le guitariste de Soundgarden, le bassman de Faith No More et le chanteur de Zen Guerilla. Il nous rassure en affirmant que les musiciens qu’il sollicite pour cette tournée ont des accointances sérieuses avec le MC5. Arrive le grand soir. Il surgit pile à l’heure sur la scène d’un Élysée Montmartre pas très plein, sa guitare stars & stripes en main, sobrement vêtu d’une chemise bleu marine, d’un jean et de petites bottines noires. On sent surtout chez lui une grosse envie de jouer et c’est parti ! Son enthousiasme est non seulement resté intact, mais il se révèle contagieux. Les roadies lui ont aménagé un passage au long de la scène entre la fosse et les retours et il vient y cavaler de temps en temps. Un vrai gosse ! Il ramone son vieux «Ramblin’ Rose» à la glotte rauque et enchaîne avec un Kick Out qui ne fait pas un pli. Quelle vitalité pour un homme de 70 balais ! Il saute dans tous les coins. Mais le mec qui force encore plus l’admiration, c’est Marcus Durant. Cet extraordinaire chanteur de blues se jette à terre pour l’immense burning down de «Motor City’s Burning». Il frappe les planches du plat de la main pour en accentuer le pathos. Lui et Brother Wayne font bien la paire. La vieille énergie du MC5 réchauffe les cœurs flétris. Dans les premiers rangs, la moyenne d’âge est élevée, ce qui paraît logique. Et comme au concert de Martha Reeves, on voit des gens céder à l’émotion. Brother Wayne et ses amis jouent tout le premier album et complètent avec des choses tirées des deux autres albums, du style «Shaking Street» et «Call Me Animal». Évidemment, «Tonight» fait basculer le vieil Élysée dans le chaos et avant de souhaiter bonne nuit aux vieux pépères parisiens, ils leur balancent en pleine gueule la huitième merveille du monde, «Looking At You».

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             Pour les ceusses qui souhaiteraient pousser le bouchon, il existe une documentation très bien foutue sur le Grande Ballroom qui est le berceau du MC5 et du Detroit Sound : un petit livre de Leo Early intitulé The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace et son pendant filmique, Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. Richement illustré, le petit livre de Leo Early fourmille aussi d’énergie informative. L’Early est allé loin chercher ses infos, jusque dans l’histoire du grand-banditisme juif du Detroit des années vingt. Le mec qui est à l’origine du Grande s’appelle Weitzman. L’Early affirme qu’en comparaison de Weitzman et de son Purple Gang, Capone et son organisation n’étaient que des branleurs. Weitzman possédait déjà le Grande Riviera, d’où le nom du Grande Ballroom. Il aurait approché les architectes à succès d’alors, Agree, Strata et Davis pour la construction d’un ballroom qu’il voulait le plus grand du midwest. À cette époque, le business du divertissement était extrêmement juteux. Le Fox Theater de Detroit proposait 5.000 places assises. Faites le compte : 5.000 places à 1 euro tous les soirs. On parle même de building frenzy dans les années vingt. En 1929, la ville de Detroit ne comptait pas moins de 2.000 salles de cinéma, soit 200.000 places. La famille Weitzman lâcha le Grande en 1964 et un certain Gabriel Glantz le reprit. Mais c’est Russ Gibbs qui va en faire le berceau du Detroit Sound. Comme Sam Phillips, Gibbs commence par travailler à la radio, puis il s’intéresse à l’organisation des concerts. C’est sa came. Quand en 1966 il rencontre Bill Graham à San Francisco, il est fasciné par le savoir-faire du Californien et décide de reproduire le modèle du Fillmore à Detroit - I want to bring music to Detroit in the San Francisco style - Gibbs a surtout flashé sur le stroboscope qu’il ne connaissait pas. Il loue le Grande pour 700 $ par mois à Glantz et commence par recruter les groupes locaux, dont bien sûr le MC5. Mais comme il n’a pas un rond, Gibbs demande au MC5 de jouer à l’œil dans un premier temps. Le groupe installe donc son matériel au Grande et en fait sa salle de répète. Et c’est là que naît la fameuse scène de Detroit qui va révolutionner le monde. Eh oui, les groupes se forment pour venir jouer au Grande : les Chosen Few (avec Scott Richardson, James Williamson et Ron Asheton - après le split, ça donnera SRC et les Stooges), les Prime Movers (avec Ron Asheton à la basse et Iggy on drums), les Bossmen (avec Dick Wagner et Mark Farner - après le split, ça donnera Frost et Grand Funk), mais aussi SRC, les mighty Rationals de Scott Morgan et les Up des frères Rasmussen, trois groupes qui ont bien failli devenir énormes. N’oublions pas les plus connus, les Amboy Dukes, Frost et bien sûr les Psychedelic Stooges. C’est au Grande qu’Iggy invente le stage dive et le stage invasion. Oui, tout ça grâce à Russ Gibbs. L’Early revient aussi sur les fameuses émeutes de 1967 - Motor City’s burning baby - et raconte que Tim Buckley programmé au Grande était coincé à Detroit. La ville était tombée aux mains des émeutiers. En revenant dans le quartier, Gibbs fut épaté de voir qu’on avait épargné le Grande. Il vit passer un gang de kids et leur demanda pourquoi ils n’avaient pas fait cramer le Grande. Ils répondirent : «You got the music here man !» Même histoire que le studio Stax qui sera lui aussi épargné en 68 par les émeutiers après l’attentat qui va coûter la vie à Martin Luther King. Puis Gibbs monte d’un cran et vise les pointures anglaises de l’époque, du style Cream, Jeff Beck Group, Who et Bluesbreakers. Il passe un contrat avec un agent new-yorkais indépendant nommé Frank Barsalona. C’est lui qui organise les tournées des têtes de gondoles anglaises, Beatles, Stones, Who, Yardbirds. Barsalona travaille avec Bill Graham à Frisco et Don Law à Boston. Comme il ne dépend pas des maisons de disques, les profits générés par les tournées vont directement aux groupes. Barsalona ne prend que 10%. Russ Gibbs vient donc le rencontrer à New York et en entrant dans son bureau, il croit se retrouver dans une scène du Goodfellas de Scorsese - Barsalona was a heavy Italian dude - Il appartenait en effet au milieu mafieux new-yorkais qu’on appelle the mob. Russ Gibbs : «Oh yeah, that was the mob !» C’est à Don Was que revient le mot de la fin. Il parle du MC5 et des Stooges - Raw as it was, it always had a groove - Rien à voir avec les autres groupes de l’époque, ajoute-t-il - This stuff was always funky, always had an R&B undertone, number one, and number two, it was, it was always about the feel and not about the technique - Not about the perfection of the delivery - Don Was rappelle que les Stooges et le MC5 ne recherchaient pas la perfection, mais le feeling - It was always, always raw, but it always felt good - Et, conclut-il, «si tu avais ces deux choses, le groove et le feeling, tu étais sûr de ne pas te faire jeter. Si tu entends tellement de mauvais rock aujourd’hui, c’est parce qu’il manque soit le feeling, soit le groove.» 

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             Dans son docu consacré au Grande, Tony D’Annunzio raconte sensiblement la même histoire, mais comme toujours, les témoignages réactualisent le passé plus facilement. Russ Gibbs qui est devenu un vieux monsieur redit sa fascination pour l’endroit - The greatest hard-wood dancefloor in the country - et Brother Wayne rappelle qu’à Detroit, la musique était à l’image de la ville, a rough industrial city in the midwest - What you get is very honest - Et crac, on voit le MC5 sur scène et tout le monde se dit fasciné, Lemmy, Mark Farner. On voit aussi témoigner les autres géants, Dick Wagner, Ted Nugent, Alice Cooper, tout le gratin de la Detroit scene. Il y avait tellement de bons groupes que la barre était placée très haut, rappelle Dick Wagner. Les groupes qui perçaient à Detroit pouvaient partir à la conquête du monde sans aucun problème. Dans l’un des bouts d’interviews, Brother Wayne se souvient d’avoir flashé sur les Who - They had it ! - et il évoque la fantastique débauche qui régnait au Grande - An unbelievable amount of sex at the Grande - Brother Wayne et ses copains avaient installé deux matelas, un sous la scène, et un autre dans un grenier, au-dessus de la scène. Ils baisaient comme des lapins. Ce docu attachant se termine avec un dernier hommage au héros du Grande, Russ Gibbs, free spirit, generous guy.

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             Pas de MC5 non plus sans Danny Fields, évidemment. Tout aussi recommandable, le film de Brendan Toller, Danny Says, raconte l’histoire d’un mec fasciné par les crazy people. Danny a la chance de fréquenter la Factory à la grande époque et d’assister aux débuts du Velvet. Quand on commence comme ça, en général, on est foutu - Nico, Edie Sedgwick, Warhol, le Cafe Bizarre - Jac Holzman crée the publicity department chez Elektra pour Danny et le charge de s’occuper de Jim Morrison. Les fans des Doors trouveront des détails croustillants dans ce docu. Puis Danny découvre David Peel et réussit à convaincre Holzman de sortir l’album. Quand on s’intéresse au Velvet, on finit forcément par s’intéresser au MC5. Danny les voit à Detroit et les veut aussitôt. Brother Wayne lui dit qu’il existe un baby brother band, les Stooges. Danny les voit et les veut aussi. Alors il passe un coup de fil à son boss Jac.

             — Jac, j’ai deux groupes déments ! Le MC5, assez connu et les Stooges, pas encore connus ! Que dis-tu de ça ?

             — Okay, propose 20.000 $ au MC5 et 5.000 $ aux Stooges.

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             Tout est bouclé en 24 heures, les sous et les contrats. John Sinclair se retrouve avec 25.000 $, de quoi payer les dettes et acheter du matériel. On connaît la fin de l’histoire : le MC5 viré d’Elektra, puis les Stooges un peu plus tard. Danny se fait aussi virer d’Elektra. Il devient alors l’assistant de Steve Paul. C’est l’époque de Johnny & Edgar Winter. Comme on le considère comme un découvreur, on le branche aussi sur un groupe de Boston, Aerosmith, oui, bof, ben euh, pfffff... Il laisse ça à d’autres. Danny préfère - et de très très loin - les Modern Lovers.

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    Un peu plus tard, Lisa Robinson lui dit d’aller voir un groupe marrant au CBGB. Ils s’appellent les Ramones. Danny les voit et les veut aussitôt. C’est le coup de foudre. Il leur saute dessus dès qu’ils sortent de scène :

             — Je suis Danny Fields ! Voulez-vous de moi comme manager ?

             — One two three four, okay ! Mais tu nous files 3.000 $, okay ?

             Comme il n’a pas de blé, Danny descend voir sa mère en Floride pour lui emprunter les 3.000 $ et tout le monde connaît la suite de l’histoire - Danny says we gotta go/ Gotta go to Idaho.

    Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

    Wayne Kramer. Disparu le 2 février 2024

    MC50. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 14 novembre 2018

    John Sinclair. Guitar Army. Process 2007

    Wayne Kramer. The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities. Faber & Faber 2018

    Leo Early. The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace. History Press 2016

    Tony D’Annunzio. Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. DVD 2015

    Brendan Toller. Danny Says. DVD 2017

    Bob Mehr : The Mojo Interview. Mojo #297 - August 2018

    Ian Harrison : Brother Wayne reconvenes the MC5. Mojo # 363 - February 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Finley le finaud

     (Part Two)

     

             Cette semaine, l’avenir du rock se penche sur un étrange paradoxe en forme de fleuve : le fleuve des connaissances. Ce fleuve traverse sa vie. Paradoxal, car comme tous les fleuves, celui-ci le nourrit et emporte tout. Conscience paradoxale d’autant plus aiguë que l’avenir du rock se sait conceptuel, donc surexposé. Autant l’avouer tout de suite : il se réserve la métaphore du fleuve pour les bons jours. Les mauvais jours, il se sent moins à l’aise avec l’idée d’être traversé, et se voit plutôt comme un tube digestif, avec toutes les séquelles habituelles : la brioche, l’anus en chou-fleur, la goutte au nez, le double menton et les poches sous les yeux. Comme il se sait conçu pour être traversé, il engloutit inconsidérément et passe du statut de chroniqueur à celui de coliqueur, du statut de concept à celui de conchieur, du statut de prout-prout cadet à celui d’à Dada-sur-le bidet. Le fleuve des connaissances charrie tellement de charivari que le traversé finit par en perdre la moitié de vue. Un exemple parmi tant d’autres : il visionne un docu sur Little Richard, une certaine Valerie June vient claquer sur scène le sublime standard de Sister Rosetta Tharpe, «Strange Things Happening Every Day» et interloqué, l’avenir du rock se demande d’où sort cette black prodigieuse, alors qu’il chantait ses louages dix ans auparavant sur tous les toits. Il s’oblitère à force d’engloutir, il s’annihile à force de pomper, sa boulimie détache le con du cept, il se raccroche désespérément au cept d’Ottokar, ce croyant raffiné, mais le con l’emporte jusqu’au fond des intestins et il va y stagner en compagnie des connaissances putréfiées qui s’accumulent avant l’expulsion bruyante et odorante. Car tout finit par s’expulser, surtout les fleuves de connaissances. Alors grisé par l’auto-défécation subliminale, l’avenir du rock quitte la position accroupie pour s’envoler comme Nosfératu par-dessus les rivages et jurer par tous les dieux qu’il chantera cent fois les louanges de Robert Finley pour enfin endiguer le fleuve de connaissances.

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             Robert Finley est de retour en ville. Dépêche-toi d’en profiter, car tu ne reverras pas un tel géant de sitôt. C’est même une sorte de responsabilité que d’entreprendre un petit bricolo sur un géant de cet acabit. Le soir du concert, tu vis tellement ça en direct que tu ne sais pas comment tu vas pouvoir t’en montrer digne.

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    Tu as devant toi un vieux black qui frise les 70 balais et qui te donne tout ce qu’il a, sans rien demander en échange. Il te le redit, comme il l’avait fait en 2020, I can feel your pain, et il y a un tel accent de sincérité dans le ton de sa voix que tu le crois sur parole. Mais il y a pire. Tu le vois groover sur scène avec une telle indécence qu’il sort non seulement du cadre de ton petit objectif, mais aussi du cadre de tes conceptions. Il y a du Gargantua en Robert Finley, il y a du Saturne et du Golem en lui... Mais non, c’est trop facile ! Les descendants d’esclaves n’ont même pas ces références, puisqu’on leur a tout pris, alors ils ont dû inventer leurs géants, leur culture et leur grandeur. C’est ainsi que Robert Finley prend la suite de Wolf, de Sly, de Miles, de Muddy, d’Hound Dog et d’Hooky, de Bo et de Chucky Chuckah, il est l’un des géants de cette terre et il crève littéralement l’écran.

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    À soixante-dix balais, il dégouline encore de sexe voodoo, il ondule des hanches et baise les déesses africaines de la fertilité, il collectionne les girlfriends et te régale d’histoires de gators dans les étangs, il te ramène toute la grandeur de la Louisiane dans ton époque numérique appauvrie et facebookée en peau-de-chagrin, my Gawd, si tu n’as pas vu Robert Finley sur scène, ça peut vouloir dire que t’as pas vu grand_chose. Mais tu le verras certainement, car comme les géants, il est invulnérable. Il nous survivra tous.

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             Il tourne son dernier album, Black Bayou. La grosse caisse est d’ailleurs décorée d’un visuel Black Bayou. Il y a un tel buzz autour de lui qu’il se retrouve sur la grande scène. Voilà qu’il rameute les foules ! Comme en 2022, sa fille Christy le guide sur scène et chante deux cuts, pas de problème, comme en 2022, l’«I’d Rather Go Blind» d’Etta James et le «Clean Up Woman» de Betty Wright, elle est fabuleusement douée. Comme on dit par ici, les quins font pas des quas. Robert Finley attaque au «Sharecropper’s Son» et embraye aussi sec sur l’infernal «Miss Kitty», pur jus de black power. Tu le vois s’approcher de toi et boucher tout ton champ de vision, il te remplit l’imaginaire à ras bord, tu as sous les yeux ce que le rock, la Soul et le blues combinés peuvent te proposer de mieux.

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    Il y a du Screamin’ Jay Hawkins en Robert Finley, du raw gut d’undergut, de l’Attila black, du griot aux yeux rouges et du sorcier voodoo aux dents branlantes, de l’Hooky et du look out, il rivalise de raunch pyromaniaque avec The Family Stone, il fout le feu au Black Bayou de la même façon que le MC5 foutait le feu à Motor City, Robert Finley ne descend jamais de cheval, car il n’y a pas de cheval chez les esclaves, juste de l’instinct de survie et la peur du patron blanc, il ne faut jamais perdre de vue ce truc-là : avant d’être la patrie du blues et des riches demeures de Gone With The Wind, le Deep South était pour le peuple noir l’enfer sur la terre. Ils ont réussi à transformer cet enfer en paradis pour les amateurs de musique. Mais à quel prix ! Et le vieux Robert enfile ses hits comme des perles en bois, «What Goes Around (Comes Around)», «Nobody Wants To Be Lonely» où il évoque les nursing homes et le commencement de ses problèmes d’old man, «Sneaking Around», et c’est là qu’il te broie le cœur avec «I Can Feel Your Pain». Il va finir avec le pur sexe d’«You Got It (And I Need It)» et «Get It While You Can» avant de revenir en rappel avec «Alligator Bait» et «Make Me Feel Alright». Prodigieux ! Robert Finley atteint le sommet du lard.

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             Cinq étoiles dans Mojo ! Les Anglais qui ont bon goût ne se sont pas trompés : le Black Bayou de Robert Finley est l’un des grands albums de l’an de grâce 2023.

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    Produit par l’Auerbach, mais on s’en fout, Robert Finley n’a jamais été aussi bon, aussi réel. C’est Kenny Brown, le fils (blanc) adoptif de R.L. Burnside qui joue sur l’album. Et il joue dans tous les coins. On se retrouve en plein cœur du Black Power avec un «Sneakin’ Around» explosif de Staxitude. Le vieux Robert chante son raw r’n’b à l’arrache. Encore énormément de son sur «Miss Kitty». Il chauffe tous ses cuts un par un. Robert Finley est un killah ! Encore du power all over avec «Waste of Time» - Standing on the corner/ Trying to lose my mind - Ça joue heavy derrière lui. Et on passe au demented avec «Nobody Wants To Be Lonely». Il chante ça à l’heavy arrache louisianaise, et ça fond dans les chœurs. Il monte encore d’un cran avec un «What Goes Around (Comes Around)» complètement génial de wait a minute, il faut le voir monter son goes around, il travaille sa Soul-rock au corps. Te voilà de nouveau confronté à l’impact d’une météorite légendaire. Robert Finley est un prodigieux artiste, un pur crack du Goes Around, il y va au what goes up, il est partout dans le son. Tu croises très peu d’albums de ce niveau, très peu de Soul Brothers de cet acabit. Encore un coup de génie avec «You Got It (And I Need It)», heavy groove de choc - And you need what I got - Il faut le voir poser son baby et monter au chat perché. Quel festival ! Tous ces mecs se baladent. Down in the bayou avec «Alligator Bait», il y va au we go for a ride, il sort sa meilleure voix d’alligator, il enfonce tous les vieux crabes, il chante au raw des marécages. 

             Oui, 5 étoiles dans Mojo, c’est rarissime. David Hutcheon emmène son lecteur down the 1-20 jusqu’à Monroe. Il dit qu’on peut y pêcher et y canoter, mais attention aux alligators - A lotta kids got ate that way - Hutcheon sort cette phrase macabre d’«Alligator Bait». Puis il s’en va se vautrer en citant les noms de Tom Waits et de Flannery O’Connor. Il tombe encore dans le panneau avec le fameux Southern Gothic. Robert Finley n’a strictement rien à voir avec le Southern Gothic qui est un truc de blancs tourmentés par la culpabilité et la frustration sexuelle, ravagés par les maladies mentales et vénériennes. Hutcheon essaye de nous faire croire que Black Bayou est du «Southern Gothic expressed through soul music.» Alors après s’être vautré dans son analyse, il ramène l’Auerbach. C’est devenu inévitable. Aussi inévitable que les terrines de Bono et de Costello dans les docus musicaux. Ces mecs-là ne se rendent plus compte qu’à force de citer les mauvais noms, ils gomment celui du principal intéressé. Entendu hier soir au moins vingt fois le nom d’Auerbach dans les conversations. Avant on parlait vaguement du mec des Black Keys. Maintenant, tout le monde connaît son nom. Il finira en couverture de Telerama, ça ne saurait tarder. Lorsqu’on cite trop son nom, le diable finit par paraître. Même chose en politique. Tout le monde cite les noms qui devraient être tus, ça rend les mauvais noms très populaires, et ça devient dangereux. Voilà que se pose un gros problème : on finirait par vouloir nous faire croire que sans l’Auerbach, pas de Robert Finley. Si tu crois ça, tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Robert est sur scène et il n’a besoin de personne, surtout pas d’Auerbach, en Harley Davidson. Le géant, c’est-à-dire la superstar, c’est Robert Finley, pas l’autre asticot. Mais l’autre asticot a tellement d’ego qu’il ramène sa fraise partout. En 2022, en papotant au bar avec Robert, il fut bien sûr question de l’Auerbach. Lui disant qu’il y avait trop de guitares électriques dans le yellow album Sharecropper’s Son, il hocha la tête - son premier album Age Don’t Mean A Thing était beaucoup plus intéressant, plus Soul, plus Legal Mess. Cette Soul si particulière qui est celle de la Louisiane. Hutcheon cite aussi Tony Joe White, Booker T & The MGs, et Creedence, connu pour son Born On The Bayou. Dans le petit interview qui suit, Robert dit encore que «Nobody Wants To Be Lonely» est dédié aux vieux qu’on oublie dans les nursery homes, qu’on appelle ici les EHPAD.

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             Dans Soul Bag, le vieux Robert est à l’honneur. Images superbes, avec un portrait d’ouverture en noir et blanc qu’on dirait fait au Leica, ou mieux encore, signé Avedon. Quand on lui demande comment il voit choses quand il chante pour un public qui ne comprend pas les paroles, Robert Finley  dit que c’est une question d’énergie. Ça passe. En plus, il danse, il passe un bon moment, c’est l’essence de son message. Puis il finit par confier qu’il est fier de mettre le même chapeau chaque matin et de constater que malgré le succès, sa tête n’a pas grossi. Il essaye de rester aussi normal que possible. En ville, les gens l’appellent Slim - C’est juste ce bon vieux Slim - Il dit aussi construire un studio chez lui pour offrir aux gens du Nord de la Louisiane une chance de percer. Tim Duffy rappelle dans un petit encart comment il a découvert Robert Finley en 2015, alors qu’il jouait dans les rues d’Helena, en Arkansas. Mine de rien, c’est l’encart qui fait mouche, car Duffy a présenté Robert à Bruce Watson, le patron de Big Legal Mess et de Fat Possum, deux labels ultra-légendaires, et bien sûr Watson a tout de suite mis Jimbo Mathus sur le coup, et là, tu as le real deal : le premier album de Robert, Age Don’t Mean A Thing. La différence avec l’Auerbach, c’est que ni Jimbo Mathus ni Bruce Waltson ne la ramènent. Dans un autre encart, le fils adoptif de RL Burnside Kenny Brown avoue être à peu près du même âge que Robert et que comme lui, il était charpentier. Le mot de la fin revient à Christy Johnson, la fille de Robert, celle qui veille sur lui en tournée et qui n’aime pas trop le voir s’approcher du bord de la scène. Quand on lui demande si elle compte enregistrer un album, elle dit oui, bien sûr, mais pour l’instant, c’est impossible car elle veille sur son père qui vit son rêve, et c’est «beaucoup de travail». Oui, Robert Finley superstar.

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 27 janvier 2024

    Robert Finley. Black Bayou. Easy Eye Sound 2023

    Frederic Adrian. Bayou de jouvence. Soul Bag N°252 - Octobre Novembre Décembre 2023

    David Hutcheon : Later Alligator. Mojo # 361 - December 2023

     

     

     Rockabilly boogie

     - La raie de Larry

    (Part Two)

     

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             L’ancien marsupilami Larry Collins vient tout juste de casser sa pipe en bois. Il y a tout juste dix ans de cela, KRTNT lui rendait hommage en décrivant, autant que faire se peut, ses bonds sur scène au Town Hall Party. Il en existe trois volumes sur DVD, et certainement autant sur YouTube. Ça vaut vraiment le coup d’aller jeter un œil. Sous ses faux airs de Rusty (celui de Rintintin), ce petit délinquant en herbe passait des solos punk bien avant les punks. Larry Collins était à dix ans une superstar, il grattait comme un con et sautait partout. Un vrai modèle de jeu de jambe et il doublait son mad duck walk d’une ding-a-ling digne de Chucky Chuckah. Il ne fallait pas faire l’erreur de prendre son set pour un numéro de cirque. Larry Collins y croyait dur comme fer et déployait l’une des plus belles énergies rock de l’histoire du rock. À l’époque, on n’avait encore jamais vu ça. En l’examinant, on s’apercevait qu’il avait deux raies, une de chaque côté. Il n’arrêtait JAMAIS de sauter. Il était l’haricot mexicain du rock’n’roll. Il enfilait les duck walks et wild killer solos flash comme des perles. Quand il grattait sa double, il était le roi de la délinquance juvénile.   

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             On ne perd pas non plus son temps à écouter les albums des Collins Kids. Tiens, par exemple ce Town Hall Party paru en 1977. L’album vaut tous les Pistols et tous les Damned d’Angleterre, rien qu’avec l’«Hey Hey» d’ouverture de balda, wild as young fuck ! Ils y vont au til the day I die. Et ils enchaînent avec l’imparable «Whistle Bait», du pur proto-punk juvénile. Rien de plus sauvage en dessous de la ceinture. Avec «Beetle-Bug-Bop», ils font un duo d’enfer, au sens le plus noble de l’expression. Ils boppent comme des diables, avec la classe de Shirley & Lee. Plus loin, tu tombes sur «(Let’s Have A) Party» monté sur un beat rockab. Ils sont merveilleusement frais, ça dégouline de candeur juvénile, puis ils passent à la rockab madness avec «Hop Skip & Jump». Personne ne bat Larry Collins à la course. On aurait tendance à vouloir prendre les Collins Kids pour un gadget. C’est au contraire une affaire très sérieuse.

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             Bear Family fit paraître dans les années 80 deux volumes de Collins Craze, Rockin’ Rollin’ Collins Kids et Vol. 2. Ils devraient trôner dans toute discothèque digne de ce nom, car c’est là qu’éclate au grand jour le génie du teenage Larrry Collins. Tu veux du mad rockab juvénile ? Alors écoute «The Cuckoo Rock» et le «Beetle-Bug-Bop» pré-cité. Ça pulse, c’est frais comme un gardon rockab. Avec «Go Away Don’t Bother Me», ils tapent une grosse ambiance country, et le marsupilami allume sur sa double. Il allume autant que James Burton ! La viande est en B, dès «Shortin’ Bread Rock», un rock’n’roll tapé en mode rockab, c’est assez fulgurant, avec une fantastique pulsion du beat, et un slap qui règne sans partage. Encore du wild cat strut avec «Just Because», propulsé par le slap du diable, c’est même une vraie tourmente de delirium, le slap cavale ventre à terre et Larry te finger-pick tout ça vite fait. On t’aura prévenu : c’est un démon. Suite du festival de wild cat strut avec «Holy Hoy» et «Hot Rod». Ils n’en finissent plus de casser la baraque. Larry te gratte ça au heavy mood, à la Cochran. Pur genius.

             Au dos de la pochette, Larry indique que sa sœur Lorrie et lui sont originaires de Tulsa, Oklahoma - I played a double-necked guitar and they called it «rock-a-billy» - Il ajoute qu’Elvis  l’appelait «his little cat» et qu’Eddie Cochran était son ami - Joe Maphis was «king of the strings» and back-stage, I learned to finger-pick watching Merle Travis. Tex Ritter taught me about life and «Rye-whiskey». Johnny Bond inspired us to be real on stage and off - Il dit qu’à l’époque il avait 8 ans et Lorrie 10. Ça s’appelle une vie de rêve.

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             On retrouve le «Whistle Bait» en ouverture de balda du Vol. 2, cet incroyable chef-d’œuvre de protozozo juvénile. Larry fait sa petite bête de Gévaudan. En B, on retrouve aussi l’excellent «Hop Skip & Jump» slappé de frais et transpercé en plein cœur par un solo dément du démon. Il renoue avec deep rockab beat dans «Move A Little Closer». On l’a remarqué, Larry adore la country et sa version de «Walking The Floor Over You» laisse pantois. C’est gorgé de fraîcheur et de joie de vivre.

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             Pour compléter ce petit panorama, on peut aller écouter sans risque le Television Party paru en 1989. Au dos de la pochette, on voit Larry gratter la double de Joe Maphis. On l’entend faire un festival dans «Chicken Reel». C’est un virtuose, il gratte au hard picking. Il éclate le bluegrass au Sénégal avec «I Was Looking Back To See» et on retrouve à la suite l’infernal «Hot Rod» d’attaque frontale, toujours aussi wild as fuck. Larry fait tout ce qu’il veut, on l’entend gratter comme un démon derrière Lorrie dans «The Wildcat». En B, il s’en va swinguer le vieux «Shake Rattle & Roll». Son toucher de note est exceptionnel. Il drive «Kokomo» au wild guitar slinging et il allume la gueule du «Catfish Boogie» de Tennessee Ernie Ford au heavy rockab strut, une fois de plus. Larry monte sur tous les coups.

    Signé : Cazengler, Larry pot de collins

    Larry Collins. Disparu le 5 janvier 2024

    Collins Kids. Town Hall Party. Country Classics Library 1977

    Collins Kids. Rockin’ Rollin’ Collins Kids. Bear Family 1981

    Collins Kids. Vol. 2. Bear Family 1983

    Collins Kids. Television Party. TV Records 1989

     

     

    Lanegan à tous les coups

     - Part Seven

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             On avait cru pouvoir faire l’impasse sur les deux albums que Lanegan enregistra jadis avec les Soulsavers, un petit duo britannique traficoteur d’electro-gospel-rock, comme disent les étiqueteurs en mal d’étiquettes. Au fond, on se fout de ce que ces deux petits mecs traficotent. C’est Lanegan qui nous intéresse et voilà pourquoi.

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             Parce qu’il reste, même après son cassage de pipe en bois, le plus grand chanteur de rock américain. Tu en as 8 preuves irréfutables dans Broken, un Soulsavers de 2009. T’es sonné aussitôt «Death Bells». Lanegan fait battre le cœur du beat. On appelle ça du génie pulsatif. Lanegan y sonne le tocsin des enfers, il fout le feu et n’en finit plus de le rallumer. Il pleut du plomb sur l’or du Rhin. Lanegan passe au heavy groove de cimetière avec «Unbalanced Pieces», il chante avec l’éclat de la mort, avec l’impondérable. Il est déjà mort, semble-t-il, quand il chante ça, car c’est criant de véracité funèbre. C’est un éclat que tu ne peux comprendre que si tu es déjà mort. Avec «You Will Miss Me When I Burn», il arrive sur toi comme un suaire. La couverture de la mort, tu connais ? Il vibre dans les fibres de ton corps défait. Depuis Baudelaire, nul artiste n’est allé aussi loin dans l’art de la décomposition. Lanegan rend l’hommage suprême à Geno avec une cover de «Some Misunderstanding». Te voilà rendu au maximum de ce que peut t’offrir le rock, une star qui rend hommage à une autre star, et ça splasche all over, et ça repart dans la Méricourt avec la gratte de Rick Warren, cette combinaison des génies te fait suffoquer de bonheur, Lanegan sait ce qu’il fait en choisissant Geno parmi tant d’autres. Cette fois, au lieu de t’emmener au cimetière, il t’emmène dans la stratosphère. Et puis voilà «All The Way Down» qui restera certainement l’un des plus gros hits de Lanegan. Alors qu’il brûle en enfer, il chante la rédemption. Il grave encore un hit dans le marbre, il chante avec les dents dehors, il avance dans la nuit comme le loup des steppes, et ce n’est pas fini, car voilà «Shadows Fall», une nouvelle oraison, il travaille sa maille au corps, Lanegan est un homme du tonneau, il pèse son poids et chante à la voix de poitrine, il reste un fabuleux implicateur d’imprécations, il fond sur le cut comme l’aigle sur Tsi-Na-Pah, il screame son shadow moribond, il s’agit de Lanegan, after all, un homme capable de miracles sépulcraux. Cet album sonne comme une alarme, et pendant que tu te diriges vers la sortie, Lanegan rassemble ses shadows comme des stalactites, my love. Il se fond ensuite sous le boisseau ferroviaire de «Can’t Catch The Train». Il se plie à une évidence laneganienne : can’t catch the train, alors il envenime le groove. Lanegan est un atroce sorcier, il plonge ses mains dans les entrailles du groove, sa victime, et te lit les oracles. Aucun chanteur n’est allé aussi loin dans l’exploitation de la beauté formelle. «Rolling Sky» sonne comme le dernier souffle, aérien et moderne, le cut avance à pas d’éléphant, plus free, une chanteuse s’élance dans le grand foutoir carbonisé, c’est heavy as hell, Hell je ne veux qu’Hell, alors évidemment, Lanegan ramène sa morgue de corps bleu et sa voix vibre dans la mort.     

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             Il a enregistré un autre album avec les petits mecs de Soulsavers, l’inestimable It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. Inestimable parce que «Ghosts Of You And Me». C’est lui qui fait danser le squelette, dans une ambiance glacée de vents technoïdes. Ah il faut le voir descendre au barbu du cut, en poussant de sourds ouhm ouhm ouhm. Il groove ensuite la messe de «Paper Momey» dans la cathédrale de la mort. Encore un cut épais et sans espoir. Ça explose en gerbes de sang impur, comme dans la chanson de Rouget de Lisle. Lanegan fait de la littérature, alors qu’on le croit chanteur de rock. Il crée encore l’événement littéraire de la rentrée avec «Spititual». Les deux petits mecs de l’electro-gospel machin lui fournissent tous les effets. La voix règne en maître sur cette terre désolée - Jesus Oh Jesus/ I don’t wanna die anymore - Puis il attaque «Kindom Of Rain» au croack de crocodile, il vibre jusque dans les profondeurs de tes chairs. Et il revient au suprême sommet du lard avec «Through My Sails». Il vient même te le chanter au creux du cou. Sa voix dans le bois de Boulogne... On sent encore son odeur dans «Jesus Of Nothing», il rôde dans l’ombre expressionniste d’entre chien et loup, il miaule d’une voix de génie poitrinaire. Il ne demandera jamais pardon pour ses péchés, ce qui fait sa grandeur. C’est tout ce qu’on aime dans le rock, le poids de la mort qui rôde, comme une évidence, alors autant en faire de l’art. Lanegan swingue le beat des squelettes, avec les faux airs malsains de Rosemary’s Baby, il chante d’une voix de Prince des Ténèbres, il est plus vrai que vrai dans ce rôle tant convoité, il reste l’homme au teint blafard qu’on admire encore plus depuis qu’il s’est vidé de son sang, depuis qu’il est enfin un vrai cadavre. Il termine cet album en forme de convoi funéraire avec «No Expectations», take me to the station, Lanegan répand sa magie comme un poison dans tes veines.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Soulsavers. It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. V2 2007

    Soulsavers. Broken. V2 2009

     

     

    Inside the goldmine –

    Pomme d’Adams

    (Part One)

             Au début, on ne comprenait pas bien ce qu’il cherchait. Il disait s’appeler Adam et se disait originaire du Mali, issu d’une grande famille. Cet homme haut et sec au regard très noir et aux cheveux blancs dégageait une réelle prestance. Le seul hic, c’est qu’il portait la tenue de travail des balayeurs des rues, ce qu’il était effectivement, comme la plupart des Maliens établis à Paris. Il bossait du côté de Belleville et de Ménilmontant. Il disait apprécier notre revue d’art et proposait d’y contribuer. Nous lui offrîmes une bière qu’il refusa. Il voulait juste un accord. Il revint le lendemain avec un dossier de photos. Il étala quelques images sur la grande table. Adam ne disait rien. Les images montraient des fresques peintes sur d’immenses façades et des statues africaines monumentales. Un ensemble stupéfiant. Nous lui demandâmes s’il était l’auteur de toutes ces œuvres et il hocha la tête en signe d’approbation. Mais où se trouvent ces œuvres ? Il retournait les images. Il avait inscrit au dos quelques informations sommaires, un lieu, une date. Là où n’importe quel artiste aurait assommé son auditoire avec des commentaires à n’en plus finir, Adam ne disait absolument rien. On commençait à voir en lui une sorte de griot, ou d’être extrêmement exotique doté de pouvoirs surnaturels. Il gardait ses distances. Il voulait juste savoir si on acceptait de publier ses photos.

             — Mais Adam, il faut qu’on fasse une interview, on ne peut pas passer les photos telles quelles !

             Il fit non de la tête. Il pointa du doigt les légendes sommaires au dos.

             — Ça suffira.

             Il demanda ensuite une feuille de papier et y écrivit laborieusement une adresse au Mali. Il voulait juste qu’on envoie un numéro de la revue à cette adresse pour que sa famille soit informée de son art. Et quand on lui demanda comment titrer les pages qu’on lui consacrait, il répondit :

             — Adam, premier homme.

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             Il y a du Adam chez Johnny Adams : même stature, même mystère, même classe. On pourrait même ajouter ‘même voix’. La meilleure introduction à l’œuvre de Johnny Adams est une belle compile Ace parue en 2015, I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964.

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             Tony Rounce n’est pas avare de compliments sur Johnny Adams. Il parle d’une carrière de 40 ans, ce qui n’est pas rien, et d’un «vocal range that spanned several octaves», ce qui n’est pas rien non plus. Johnny Adams est un petit black né à la Nouvelle Orleans au début des années trente, et l’aîné de dix enfants, ce qui n’est pas rien non plus. Et puis un jour, Dorothy La Bostrie sonne à sa porte. Elle passait dans la rue et a entendu le petit Johnny chanter. Comme elle cherche quelqu’un pour chanter les démos qu’elle doit présenter à Joe Ruffino, le boss et Ric & Ron Records, elle demande au petit Johnny s’il veut bien lui faire l’honneur de les chanter, ce qui n’est vraiment pas rien du tout. Le petit Johnny hésite, car il s’est voué à God et n’approche pas la secular music, alors Dorothy use de ses charmes pour le convaincre, et il enregistre la démo d’«I Won’t Cry». Quand il entend ça, Joe Ruffino craque et cale une session d’enregistrement chez devinez qui ? Cosimo, bien entendu. L’A&R Edgard Blanchard supervise la session. C’est l’«I Won’t Cry» qui ouvre le bal de la compile Ric & Ron et «the near 40-year solo carreer of the ‘Tan Canary’». Quand on écoute «I Won’t Cry», on est aussitôt frappé par la présence vocale de l’early Johnny, il chante du drain, il est surnaturel de volonté. Avec chaque cut, il veille à peser de tout son poids. Il propose un early r’n’b, mais avec une réelle ampleur.

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             Les singles sont bons, mais ne sont pas des hits nationaux. Peu importe, Ruffino y croit dur comme fer. Il envoie Johnny en studio tous les trois mois pour enregistrer un nouveau single. Go Johnny go ! Mac Rebennack entre dans la danse en tant qu’A&R pour Ruffino et co-écrit «Come On», le deuxième single de Johnny, un early r’n’b d’une réelle ampleur. C’est aussi le premier single de Johnny qui paraît en Angleterre, en 1959. Mac Rebennack compose «The Bells Are Ringing», le troisième single de Johnny, qui cette fois est supervisé par Harold Battiste. Nous voilà au cœur du mythe de la Nouvelle Orleans.   

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              Il faut attendre «Someone For Me» pour voir Johnny grimper des échelons. Il chante à outrance et tape un magnifique heavy groove. Il joue de sa voix comme d’un instrument. «You Can Make It If You Try» sonne comme un slowah océanique. Gene Vincent et Sly Stone l’ont tapé, y compris les Stones sur leur premier LP. Johnny y va au make it et accompagne tout ça au awww. Il renoue enfin avec le swing de la Nouvelle Orleans dans «Life Is Just A Struggle», un hit signé Chris Kenner, brièvement signé sur Ric & Ron, mais surtout connu comme compositeur de choc («I Like It Like That» et «Land Of 1000 Dances»). Superbe, rond et concassé, gras et jouissif. Johnny passe au heavy blues avec «Losing Battle», signé Mac Rebennack, un vrai heavy blues d’you know it’s hard, the most adventured record, nous dit Rounce.  Johnny est un scorcher hors compétition. Ruffino investit dans la promo du Losing Battle qui devient enfin un hit national. Mais le conte de fées s’arrête brutalement : en 1962, Joe Ruffino casse sa pipe en bois. Son cœur lâche. Ses fils Ric et Ron tentent de prendre la relève, mais ils n’ont pas le pâté de foi de leur père. Les deux labels vont vite couler à pic. Johnny se retrouve le bec dans l’eau : plus de label.

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             «Tra-La-La» est donc un single posthume. Johnny a des filles qui font tra-la-la, alors ça devient un petit chef d’œuvre de good time music. En 1963, un nommé Joe Assunto tente de ressusciter Ric & Ron, avec la série Ric 900. Johnny enregistre chez Cosimo, et Wardell Quezergue supervise. Alors voilà le coup de Jarnac : «Lonely Drifter» ! Il attaque ça au I’m drifting dans un climat d’excelsior demented, il explose dans la chaleur du four, il s’en va te screamer ça au plafond, le voilà englué dans une énorme purée de son et il n’en finit plus de screamer dans l’allégresse, c’est un hit supersonique, il creuse sa différence. Cette excellente brochette de hits inconnus s’achève avec «Walking The Floor Over You», une belle version primitive, très sauvage - Tell me one thing - ponctuée par un gratté de plonk plonk plonk.

             Après tout ça, Johnny partira à l’aventure, d’abord à Houston, enregistrer pour Huey P. Meaux. Puis il va vivre d’autres aventures palpitantes, en signant chez Atlantic, qui l’envoie enregistrer chez Malaco sous la direction d’un vieux copain, Wardell Quezergue, puis direction Miami où il enregistre au Criteria avec devinez qui ? Les Dixie Flyers. Et ce démon de Tony Rounce balance l’info fatale : «50% of the masters remain inissued.»

     

    Signé : Cazengler, Johnny Œdème

    Johnny Adams. I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964. Ace Records 2015

     

    *

    L’éloignement fait-il du bien aux créateurs ? Pensons à Victor Hugo exilé sur l’île de Guernesey qui écrivit sur ce rocher (pas si lointain) quelques-uns des recueils les plus vertigineux de la grande lyrique française. Aucun gouvernement n’a envoyé Bill Crane en résidence surveillée en Thaïlande. Je ne sais si comme l’auteur de Solitudines Coeli il s’adonne aux tables tournantes et si la nuit noire par la fenêtre de son appartement il aperçoit la dame blanche se promener dans son jardin. Je m’en tiendrai aux faits : dans notre livraison 627 du 11 / 01 / 2024 je chroniquais : son album : Baby call my name. La semaine suivante le 18 / 01 / 2024 dans notre livraison 628, Love in vain un EP trois titres. Bill Crane s’est sans doute souvenu des anciens 45 tours français aux mirifiques pochettes colorées qui offraient quatre titres, je viens de m’apercevoir qu’il en a donc rajouté un quatrième à son brelan d’as le transformant ainsi en ce que je m’amuse à surnommer, non pas un four of a kind, mais un four of a king :

    GIMME BACK MY LOVE

    (Extrait de l’EP : LOVE IN VAIN)

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    Nostalgie du son et nostalgie de l’amour, l’on ne sait laquelle des deux l’emporte sur l’autre, longues lampées de guitare sixties, juste une vague lentement suivie par une autre, un mouvement qui nous semble infini tant notre désir aimerait que cela ne se termine jamais, en contrepartie le raffut de la machine rythmique qui marque le temps imperturbable qui s’écoule emportant tout sur son passage, et puis la voix d’une singulière pureté, d’autant plus étrange qu’elle s’adresse à un homme, sans beaucoup d’imagination l’on se croit dans un morceau de gospel, une prière qui s’élèverait vers un Dieu charnel. N’oublions pas, le gospel est une des racines du rock’n’roll. Lorsque l’on vise l’essence d’une chose on touche à ses origines car rien ne vient de rien. Ce morceau ajoute une touche abstraite à cet EP, qui agit sur nous comme une épine empoisonnée qui s’enfoncerait dans les existentielles représentations culturelles de la construction mentale de nos souvenances. 

    *

    L’enfer est décidément pavé de bonnes réalisations puisque, ce prolifique mois de janvier billcranien n’était pas terminé que déjà paraissait un deuxième album :

    HELL IS HERE

    (YT / Janvier 2024)

             Le rock’n’roll est une pâte molle, il se modèle à volonté. L’auditeur n’en est pas obligatoirement conscient, car on ne lui montre l’objet qu’une fois terminé, cuit, émaillé, sorti du four électrique et revêtu des riches couleurs dont on l’a doté. En jouant sur le titre de cet album l’on pourrait réunir les deux opus précédents sous l’appellation : Hell was here, même si le passé est si fortement implanté en nous qu’il résonne toujours. Un peu à la manière de ces moulins à prière tibétains qu’un mélancolique vent mauvais et verlainien met en mouvement.

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    You got it : si par maladresse vous avez enlevé le son et que vous ayez laissé défiler les paroles, vous êtes dans la continuité de ce qui précède, selon un aspect du rock’n’roll jusqu’ à lors occulté, celui de la joie du corps, de la dépense physique, de la danse très around the clock, shake it baby. Vous serrez les meubles du salon et vous poussez le son. Changement de ton. Première surprise, le rythme ne boppe pas, un peu pesant, même si le vocal vous donne l’illusion d’un certain entrain, faut dire que la musique vous englobe si bien que vous vous laissez porter par elle, les yeux fermés dans une boîte vous dansez dans la pénombre. Êtes-vous encore vous-même, qui êtes-vous, vous-même, votre propre ectoplasme, votre fantôme et où êtes-vous, il y a tant de morceaux de rock hot rails to hell, peut-être que cette fois-ci, vous êtes vraiment arrivés à destination… Vous aurez du mal à quitter les sombres tonalités de ce titre. Sans doute parce qu’elles émanent de vous. Monstrueux.

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    Do U love me : l’image qui accompagnait le titre précédent était rassurante, une fille qui danse, elle me rappelle un peu la pochette de Rock’n’roll animal de Lou Reed, celle-ci est des plus simples, un cercle, une ronde, around the clock, ou le schéma d’une tête dans laquelle les pensées tournent en rond, notes sombres qui résonnent, et la voix qui interroge, celle de l’adolescent éternel qui n’est jamais sûr d’être aimé pour lui-même ou pour son perfecto. Ce qui est sûr : dès que l’on tente de s’accrocher au monde extérieur l’on prend pied dans le monde des incertitudes. A peine plus de deux minutes, malgré la force maléfique de ce morceau ensorcelant vous êtes soulagés quand il s’arrête. Vous y revenez bien sûr. Comment s’évade-t-on d’un cercle ? 

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    Up & down : vous donne la réponse. Une rythmique, vous savez la même qu’utilisent les combos en concert pour faire durer le titre sur lequel le public a accroché, faisons l’impasse sur ses sonorités venues de nulle part et envoûtantes, ce coup-ci, suffit de suivre le mouvement, vous êtes sûr de votre coup, elle ne pourra pas vous échapper, la poiscaille est ferrée, sifflements d’admiration quand vous sortez pour votre petite affaire, dans la vie il y a des hauts et des bas, aujourd’hui c’est vous qui êtes sur le point culminant.

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    So funky : tout va bien, nous avons fait le tour du cercle, nous repartons donc pour un tour, elle sur la photo, les taches de couleur sur son corps ne sont que les projections de notre désir, la guitare résonne dur, elle imite le danseur perroquet qui prononce sans arrêt so funky, dans la série enfonce-toi bien ça dans la tête, vous ne pourrez faire mieux, le rythme est lancinant, obsédant, angoissant si l’on veut être franc.

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    Go dancing : paysage suggestif, l’a ce qu’il veut, tout dépend de la danse à laquelle on pense, tourner sans fin autour de la pendule ne suffit plus, les résonances explorent le terrain vierge, si vous vous voulez, durant l’orgasme il pousse des cris maniérés à la David Bowie, bientôt la musique prend toute la place, z’ont mieux à faire. 

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    Cool death : l’a pris une image noire pour illustrer cette musique clinquante qui fuse d’un peu partout, dont les points d’entrée délimitent un espace noir, mort fraîche, mort froide, mort molle, mort dure, dans ces résonances abstruses et funèbres, l’on ne danse plus, le rythme est trop lent, épars, des bruits de nulle part, la mort n’est-elle pas le dernier rendez-vous, celui que l’on ne peut éviter, une guitare mugit, une vache que l’on mène à l’abattoir. Long est le chemin. Avec soi-même.

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    Dark street blues : instrumental : ce n’est plus un titre, un totem que les légions romaines promenaient durant batailles et pérégrinations, derrière lequel le rock aime à se protéger, un blues plus profond que la mort, à la hauteur érigée de l’image impudique, l’alliance sans cesse renouvelée d’Eros et Thanatos, au fond de la rue tu n’iras jamais plus loin que la mort de ta chair ou de la chair de ta mort. 

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    My sweet machine : la demoiselle a l’aspect d’un lémure, shake, shake, shake, autant de fois que vous voulez, mais le tempo n’y incite guère, trop lent, peuplé de grincements peu affriolants, douce est la machine, puisqu’il le dit, nous ne le croyons pas, une mécanique qui n’en finit pas de tourner sur elle-même, peu avenante, inquiétante, don’t save for me the last dance baby !

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    The hell : enfin on y arrive, il y a longtemps que l’on y était, ce n’est pas grave, l’on nous distribue une image abstraite et écarlate comme ticket d’entrée, la guitare ne se retient plus, elle fuse, elle metallise à mort, Bill crâne à mort avec sa voix de profundis, danse funèbre, brrre !!! La barbaque est froide, l’on connaît déjà.

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    Waht’s that ? !!! : un peu couronne mortuaire, c’est un peu comme si vous bouffez les fleurs par la racine depuis dessous votre pierre tombale, tiens il y a du monde, y en a même un qui tousse, le cat Bill s’amuse à imiter les agonies et le cri des âmes torturées dans les feux de l’enfer. Les rockers ne peuvent jamais prendre les choses au sérieux. Rock parodie !

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    Rock-cola Cafe : dans les morceaux de blues l’on se réveille généralement le matin, dans les morceaux de rock aussi ( un tantinet plus tard) l’est temps d’enfiler son jean, l’est comme neuf, oublions cette meurtrissure, dans le dos, juste à la place du cœur, est-ce vraiment si important depuis qu’elle est morte comme une poupée gonflable, comme toutes les autres, ça résonne comme si l’on entendait la réverbe occasionnée par une voûte, tiens au niveau paroles c’est un peu comme un remake de The End, attention, il pousse la porte.

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    The walking dead : instrumental : dehors, on respire, la main aux ongles rouges est encore crispée mais la musique est alerte, que cela fait du bien de trouver de l’air frais. Sur la fin la guitare sonne sixties, ah ces jours heureux du rock, ce temps de l’innocence qui ne reviendra jamais. Puisqu’il est toujours là. Serial killer en quelque sorte.

             L’on ne s’y attendait pas. Bill Crane nous a offert un opéra rock, moins optimiste que le Tommy des Who, plus inquiétant que le Berlin de Lou Reed. Ecoutez-le et modelez le scénario à votre guise. Bill Crane a laissé des interstices. Exactement les mêmes qui séparent la vie de la mort.

             Une curiosité. Morbide ajouteront ceux qui n’aiment rien. Surtout pas le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

    *

             L’opus est sorti depuis un an, je n’ai tilté ni sur la pochette, elle n’est pas mal du tout, ni sur le sound pour la raison nécessaire et suffisante que je ne l’avais pas encore écouté, simplement sur le temps. Pas le soleil, ni la pluie, ni la neige, non les 44 minutes 38 secondes du morceau. Bonjour le cachalot ! L’on n’en pêche pas un de cet acabit tous les matins dans sa baignoire.

    DISINTEGRATE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2023)

    Avant d’écouter o monstro, ces deux derniers mots ne sont pas victimes d’une malencontreuse faute de frappe ils sont issus de la langue portugaise, oui ils sont du pays de Camoens l’immortel auteur des Lusiades, livrons-nous à quelques travaux d’approche.

    Ne sont que deux à avoir commis cette abomination temporelle : Guilherme Henriques : vocals, guitars / Pedro Soares : drums.  Pas de frais metalleux du matin, présentent un pedigree groupique long comme le bras, sont membre du groupe Gaerea, c’est d’ailleurs Lucas Ferrand de Gaerea qui est venu tenir la basse.

    La couve est de Belial NecroArts, de Lisbonne, une visite de son FB s’impose pour tous les amateurs de Back Art, pour les autres aussi. J’ai failli ne pas écrire cette chronique, tant j’ai passé de temps à regarder ses œuvres. Beaucoup de noir (et de blanc) mais je me suis surtout attardé sur ses œuvres moins nombreuses qui usent aussi de la couleur. Disintegrate est peut-être la plus colorée. En le sens où la couleur engendre la forme et non pas la forme qui exige telle couleur. Que représente-t-elle, un trou noir, d’autant plus noir qu’il est une effulgence de feu orange, le gouffre que nous portons en nous, le bout du tunnel que l’on est censé traverser lors de la mort, le feu élémental héraclitéen, une revisitation du mythe de Phaéton, que chacun l’interprète à sa guise. Contrairement à ce j’ai dit, les artworks de Belial NecroArts ne sont pas à regarder, fonctionnent un peu à la façon d’arcanes du tarot ou de sigils, ces sceaux qui agissent sur vous, et de par vous sur le monde, dans la mesure ou la démesure, que vous sachiez y lire les chapitres de votre destin que vous y inscrivez.

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    Disintegrate : entendre une œuvre musicale demande peu d’efforts, savoir écouter avant même de tourner le bouton ou de libérer le bras de votre chaîne exige une tout autre préparation mentale. L’on n’écoute pas un opus musical comme l’on promène son chien, d’ailleurs le plus souvent c’est le chien qui commande son maître, preuve que l’on est davantage agi que nous n’ agissions. Le motif de Disintegrate, est bien le récit d’une désintégration, non pas l’effarante surprise d’un missile qui en quelques secondes disloque et détruit l’objet de sa cible, mais une lente dissolution consciente, car le phénomène qui n’est pas pensé ne saurait avoir été vécu. Disintegrate se situe davantage du côté de Platon que d’Aristote, plus près de la contemplation que de l’énergie. Un frais amateur de Metal pourra être surpris, il s’attend à des périodes d’accalmie espacées de-ci de-là, dans le seul but de rendre les grandes bourrasques phoniques encore plus tumultueuses, il n’en est rien. Juste un cheminement, une fonte solaire de l’être, l’esprit qui survit avant de s’atomiser encore quelques temps, des souvenirs épars comme ces épaves sans but qui flottent sur la mer, soumises aux caprices des courants, alors que la coque gît déjà au fond de l’abysse. Un cycle s’achève. Un autre commence, mais ceci est une autre histoire. Une note qui se répète, qui se prolonge selon ses harmoniques, la batterie qui a l’air de se noyer dans chacun de ses battements, l’on attend, l’on ne sait quoi, mais l’on attend, jusqu’au hurlement du loup, non pas le hululement de la bête vers la lune, la musique atteint le plus haut pied de son étiage, voici la voix humaine  déployée d’octaves, qui ploie sous le poids de son passé et de sa présence au monde, une gorge abyssale, peut-être ce larynx en flamme qu’illustre la pochette de Belial, une profondeur sans fin, le monde se dissout, survit le mirage de cette voix grandiose qui recouvre le monde, le background se met à sa hauteur, le feu tombe sur vous, il ne cause aucune souffrance, c’est l’âme intérieure qui brûle et se recroqueville tel un parchemin dont on veut se débarrasser.

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    L’escargot n'habite plus sa coquille, la batterie s’acharne sur ce mollusque visqueux qui refuse de mourir avant d’avoir transmis oralement au néant qui s’approche son ultime message, bouteille au feu que les flammes fondent et foudroient dans le cristal de son impuissance, cri primal de la fin, de la terminaison, de la clôture, ne subsistent plus que des fragments translucides que l’air brûlant disperse… juste quelques notes, ce n’est pas la fin, disparêtre n’est pas facile, n’être plus que des bouts de soi, sur lesquels la batterie tombe à bras raccourcis, ferraillent contre eux aussi les cymbales, tout doit disparaître, il est impossible que quelques brins d’un passé révolu survolent, notes agonisantes d’un requiem éternel, serait-ce l’apaisement, non l’on ne saurait se satisfaire de l’œuvre que l’on a à accomplir, le repos, le recueillement en soi-même ne saurait être une solution, déchaînement total, l’on ergotait sur la possibilité, toute la meute tournoie, babines retroussées, elle passe et repasse sur le disque usé de votre mémoire, elle piétine, elle mord à pleines gueules, la passion de la destruction n’est pas une création, seulement une autodestruction, sans passé, sans présent, sans futur, sans rien, que la brutale et cruelle évanescence de ce que l’on a été de ce  que l’on n’est déjà plus, mais une rythmique entame une folie mortifère, rafales battériales, il ne crie plus, il parle, il dicte l’ultime prophétie qui est en train de se réaliser au fur et à mesure qu’il l’énonce. Tout se précipite, l’on arrive à la dernière scène du dernier acte, le rideau est prêt à s’affaler et à emporter le théâtre de l’existence avec lui, résonances de gong, la matière musicale se plisse comme la croûte terrestre lors des tremblements de terre, fêtes et fastes, je rugis comme un lion, moi qui ai participé au festin des quatre empereurs, moi qui ai été Dieu, ô le souvenir de cette puissance infinie, de cette force qui ébranlait aussi bien les racines du ciel que de la terre, je dois abdiquer, me résoudre à délaisser ce sceptre que j’ai abandonné depuis si longtemps, final grandiose, l’on ne se surpasse jamais, l’on atteint jamais la dernière marche de l’escalier absent, qui apparaîtra une fois que l’on ne sera plus, ma dernière vision sera celle de ma pierre tombale, désespoir total, drame métaphysique, je ne suis plus que mon propre non-être. Superbement éprouvant. La musique se calme, il semblerait qu’elle ricane. Terrible.

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    Disintegrate I : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de 4 minutes : Enrique au chant et à la guitare, Pedro au beurre, pour reprendre une expression cazanglerienne, peu d’intérêt si ce n’est de les voir jouer alors que tombe la neige… / Disintegrate II : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de sept minutes et demie :  regardez celle-ci, ambiance beaucoup plus metal, ils ont remplacé la neige par des bougies, et un faisceau de torches. Les photos qui illustrent notre chronique en sont extraites.

    LONE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2019)

             Grande envie m’a donné Disintegrate d’aller fouiner du côté de leur premier album.

    Pour la couve je me suis fait avoir comme un bleu, me suis demandé quel peintre romantique, voire symboliste aurait pu peindre cette toile, non un contemporain, Paolo Girardi, né en 1974, une vie dure, l’a commencé par la pratique de la lutte libre, athlète professionnel, puis l’est passé à la peinture. L’a appliqué la même méthode que pour la lutte : s’entraîner sans fin. Toile et huile de térébenthine. Je ne sais d’où il tire son inspiration, je ne le connais pas mais je l’entends me dire : ‘’ De moi-même. Je suis un lutteur et un rêveur.’’ Allez voir sur son FB, section photos, entre autres, les 286 Music Covers, un résumé de l’imagerie metal, par un grand peintre. Colossal !

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    Sculptures : le disque met en scène un géant, vous le découvrez sur la couve, qui est-il, on ne le saura pas, écoutez, l’on entend ses pas, ils n’ébranlent pas le monde, il le fracasse mais son empreinte sur la terre reste superficielle, peut-être n’est-il qu’une image de notre infatuation de nous-mêmes, certes il piétine les forêts qu’il traverse comme des fétus de paille, elles sont à l’intérieur de lui, il hurle comme King Kong, mais ce sont ces pensées que vous entendez, il s’apprête à descendre l’interminable escalier qui mène au tréfonds de lui-même, chacun de ses pas intérieurs est comme une chiquenaude qu’un sculpteur infligerait à la masse informe d’une glaise à qui il doit donner forme. La musique s’adoucit, sans doute caresse-t-il quelque rondeur qu’il a décelé au fond de son âme. Au tréfonds de lui une eau froide dans laquelle il se laisse glisser. Il flotte, il descend jusqu’au fond, l’empreinte de ses pas sur la silice vaseuse sculpte châteaux de sable et de rêve. La guitare chante et lisse, la batterie tapote, la voix triomphe, aucune victoire, seulement le contentement d’avoir donné la forme qu’il voulait à son âme. Il se tait, face à lui-même dans le silence il contemple sa réalisation, son œuvre qu’il a façonnée à partir de lui-même. Recueillement. L’artiste n’est-il pas l’œil limpide d’un univers qui ne le mérite pas. L’existe une vidéo Live at Stone Studio de l’interprétation de ce morceau. Idéale pour voir comment avec un minimum de moyen l’on peut produire un maximum d’effets. Mirror : même douceur, regarder le monde n’est-ce pas se regarder soi-même, méditation sans fin qui renvoie sans cesse de l’un à l’autre, notes égrenées, il suffit de traverser le miroir pour sortir de soi, tombe la pluie, sur moi, ou à l’intérieur de moi, les pas du géant s’alourdissent sous le faix des cymbales, introspection ou extrospection, où suis-je dans la nature ou dans les souvenirs qui inondent ma tête, perdu en soi, perdu dans le monde, gosier glaireux, il trimballe tant de débris, ne se trouve-t-il pas juste à la jointure de l’intérieur et de l’extérieur qui façonne l’autre, qui construit l’un, la batterie coupe des branches d’arbres celles qui dépassent, qui entrent dans ma tête, celles qui sortent et s’épanouissent dans le monde, moments de grandes incertitudes, le monde décline, mes forces aussi, mes démarches, la physique et la psychique deviennent moins affirmées, maintenant je me tiens aux arbres pour avancer, est-ce la fin, déjà s’élève le générique que j’ai préparé pour cet instant suprême et décisif, au sortir de ma tanière je veux hurler comme l’ours qui jaillit de sa grotte et pousse un grognement de soudard en guise de salutation au soleil, les rayons de l’astre se figent et le monde devient grisâtre, même couleur ma matière grise, voilé de brume comme s’il s’estompait de lui-même, les évènements se précipitent, c’est le moment de la séparation, mon cadavre d’un côté, mes rêves de l’autre. Fêlure séparative à la surface du miroir. 

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    Abomination : le mot est fort, l’intro fracassante, la bête est là, debout, elle hurle, elle n’y peut rien l’abomination monte comme l’eau au fond du puits. De plus en plus vite, rien ne l’arrêtera, elle noiera bientôt la terre émergée des années heureuses, de l’Arcadie première, d’où vient-elle, est-elle issue de la noirceur de mes cauchemars de ces processus d’affaiblissement insidieux, de ce désir de mort rampant qui grignote mes forces vives, suis-je programmé pour mourir et peut-être pire pour anéantir le monde après moi. Maze : je cours de tous les côtés, sans fin je me heurte au parois des galeries, je suis au-dedans de moi-même, enfermé depuis toujours, pour toujours, autant dire éternellement, mort ou vivant c’est la même chose, j’ai beau piquer des crises de folie, me démener, hurler, rien n’y fait, je suis une capsule éternelle de pensée, le dehors n’existe pas, je me projette le solipsisme de ma présence, en couleurs, sur grand écran, j’y crois, je n’y crois pas, j’invente tous les scénarios que je veux, il n’y a pas de dehors juste un cauchemar que j’entretiens pour ne pas me morfondre au-dedans de moi-même, je suis mon propre être et mon propre non-être, les deux à la fois, le monde est une projection et le projectionniste n’est pas dupe de cette fausse réalité. Pourquoi y a-t-il une chose qui pense et pas rien ? La musique s’autodévore.

             Splendeur métaphysique.

    Damie Chad.

    Nous reviendrons sur OAK, ils viennent de mettre en ligne un troisième album.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    22

             Lorsque je poussai la porte du local, Molossa ferma ostensiblement les yeux et se coucha en rond comme un chat, je sentis comme un reproche dans son attitude réprobatrice.  Malebranche, mort en 1715, aurait-il donc tort en théorisant que les animaux, cartésiennes machines vivantes dépourvues d’âme, sont sans l’intervention directe de Dieu dans l’incapacité totale de faire semblant de simuler des sentiments. Nous devrions paisiblement discuter de cette proposition malebranchienne, hélas le temps nous manque ! Je me contenterai de spécifier que le Chef pourvu d’une âme et d’un Coronado m’adressa un franc sourire :

             _ Agent Chad, je sens que vous avez passé une bonne nuit, à votre mine détendue je subodore que vous avez lâchement abusé d’une veuve et de ses orphelins.

             _ Hélas non, Jean Thorieux a tenté de nous attendrir en évoquant sa femme et ses mioches…

             _ Agent Chad, n’oubliez jamais que la pitié est l’arme des faibles !

             _ C’est sa sœur Gisèle qui m’a reçu, elle m’a décrit son frère comme un individu un peu paumé qui depuis quelques semaines lui racontait des balivernes : à savoir qu’il était possible de traverser les murs.

             _ Or, cadavre en main si je peux employer cette métaphore, nous savons qu’il avait acquis cette curieuse faculté !

             _ Nous possédons même mieux Chef. Ce matin alors que Gisèle très éprouvée par les élucubrations de son frère a enfin trouvé le sommeil. J’en ai profité pour visiter l’appartement voisin de son frère. Pas grand-chose à voir. Une table, un lit, une télé, pas mal de bouteilles de bière et une collection complète du numéro 1 au numéro 297 de la revue Science et Paranormal. C’est tout.

             _ Parfait agent Chad, vous savez ce que vous avez à faire. Pour moi, je reste ici, fumer quelques Coronados m’aidera à réfléchir à cette affaire. Emmenez vos chiens avec vous, vous ne serez pas trop de trois, fiez-vous à mon intuition, nous sommes sur une sale embrouille !

    23

             Lunettes, blouson de daim, pantalons de tergal, et serviettes bourrées de documents, j’avais pris mon air de professeur d’université. La bibliothèque du quartier était déserte, à son bureau, l’hôtesse d’accueil m’accueillit avec empressement :

             _ Que puis-je pour vous Monsieur ?

             _ Est-ce que je pourrais consulter, si vous l’avez, la revue Science et Paranormal ?

             _ Bien sûr Monsieur, quel numéro voudriez-vous, vous trouverez le dernier le 297 sur le présentoir.

             _ J’aurais besoin de la collection entière depuis le numéro 1 ?

             _ La collection entière ?

             _ Oui, j’ai besoin de vérifier un point de détail, j’ai oublié de noter le numéro dans mes notes, c’est urgent, je pars dans trois jours pour un symposium à Chicago, je m’excuse de vous donner un tel travail mais…

             _ Asseyez-vous Monsieur, prenez place je m’occupe de vous.

    Je me suis retrouvé avec d’impressionnantes piles de magazines que Josiane, nous avions eu le temps de faire connaissance, m’apportait par paquets de vingt. Dans un premier temps je décidai d’éplucher le sommaire de chacun d’entre eux. Ce n’était pas aussi rapide que je le souhaitais, parfois il était vers le début, parfois vers la fin, toujours perdu au milieu de pages publicitaires. Un détail me troubla, contrairement aux us et coutumes, les sommaires étaient composés en lettres minuscules. Je m’efforçais donc de les éplucher avec attention. La salle se remplissait sans que j’y prenne vraiment garde.

             _ Pardon Monsieur, est-ce que par hasard vous auriez déjà regardé le dernier numéro, le 297 qui est sorti ce lundi matin ?

    Je relevai la tête, le gars avait une allure sympathique, aux nombreuses rides qui sillonnaient son visage il devait avoir autour de quatre-vingt ans. Je le lui tendis et n’eus aucun besoin d’engager la conversation :

    • C’est que voyez-vous j’adore lire ces élucubrations, bien entendu je n’en crois pas un mot, entre les extra-terrestres qui vivent parmi nous et les gens qui sont capables de mettre en mouvement par la pensée un train de quarante wagons, pensez-donc plus de trois mille tonnes ! En plus ces derniers mois, ils ont engagé un nouveau journaliste, un certain Jean Thorieux, le gars doit être frappé de la cafetière il vous propose des expériences de traversée des murs, il vous propose même de vous inscrire au Club des Briseurs de Murailles. Cela m’a semblé si stupide que j’ai rempli la semaine dernière le bon d’inscription, le pire ce matin en partant pour la bibliothèque, j’ai vérifié le courrier dans ma boîte à lettres, ils m’ont répondu, je n’ai pas ouvert, encore un truc pour vous soutirer de l’argent ! Mais j’arrête de radoter des balivernes ! Vous avez du travail à ce que je vois.

    Je m’apprêtais à me plonger dans la lecture des articles de ce Jean Thorieux, je n’en eus pas le temps, Josiane se dressa devant moi :

    • C’est marrant Damie, vous êtes le premier lecteur qui enlève ses lunettes pour lire !
    • Je les mets juste pour attirer l’attention des jolies filles Josiane, elles sont magiques, ce sont seulement les plus belles qui le remarquent !
    • En tout cas ce que je trouve magique, c’est votre serviette qui bouge toute seule !

    Je n’eus même pas le temps d'improvider une explication, la tête toute ébouriffée de Molissito qui avait réussi à bouger la fermeture éclair apparut !

             _ Oh ! mais il est ravissant, oh, un deuxième ! ils sont beaux tous les deux, vous les transportez tout le temps dans votre cartable, vous possédez une étrange personnalité Damie, j’adore les garçons drôles comme vous, si j’osais je vous inviterais au déjeuner, j’ai deux heures de pose !

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    C’était une excellente suggestion. Josiane me guida vers un petit restaurant qui se révéla excellent. Comme il y avait un petit hôtel tout près, et tout prêt à nous accueillir nous y fîmes une petite halte, après quoi nous revînmes à la bibliothèque. Josiane me photocopia les dix-sept articles que Jean Thorrieux avait rédigés ce qui prit pas mal de temps.

    C’est avec fierté que je poussai la porte du local. Le chef fumait un Coronado. Le cendrier était plein, le Chef avait dû longuement méditer.

             _ Agent Chad, enfin vous voici, j’e vous attendais avec impatience, j’espère que vous rapportez un début de piste prometteur !

             _ Plus qu’un début de piste Chef, un dossier, regardez il est assez épais une centaine de pages, j’ajoute pour les finances du service que grâce à mon entregent je n’ai eu aucun centime à verser.

             _ Votre souci économique vous honore agent Chad, si vous saviez ce que nous coûte un seul Coronado, vous seriez effaré, figurez-vous, vous n’en croirez pas vos oreilles, le ministère, il vient de me téléphoner, envisage de mettre une taxe carbone sur chacun des cigares que je fume ! Permettez-moi d’étudier ces documents, nous en reparlons dès ma lecture achevée.

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    Le Chef alluma un Coronada :

    • Agent Chad, à part le fait que ce fatras d’imbécillités soit signé de Jean Thorieux, le même nom que le zigue pâteux que nous avons retiré de sa gangue de béton dans le mur de notre appartement, ces documents ne présentent qu’un très modeste intérêt. Non n’intervenez pas, je sais bien que le Club des Briseurs de Murailles dont ces articles sont censés rendre compte des progrès de ses activités, ce Jean Thorieux journaliste ne nous renseigne en rien sur le Jean Thorieux que nous avons expédié ad patres. Par contre savez-vous la différence entre un ours blanc, un ours brun, un ours noir ?
    • Euh ! ce sont tous des plantigrades …
    • C’est bien cela, vous vous plantez magnifiquement, et votre fierté d’enquêteur va en prendre pour son grade ! En toute occasion il ne faut jamais se précipiter. Un cas particulier, le mien : après avoir fumé sept ou huit Coronados, j’ai effectué une rapide recherche sur le Net. En trois clics j’ai débouché sur le nom du propriétaire de Science et Paranormal, je me corrige aussitôt, de sa propriétaire, elle possède un nom charmant qui risque de vous dire quelque chose : Jeanne Thorieux.

    Je n’écoutais pas un mot de plus. Déjà je dévalais les escaliers mes chiens sur les talons, mon Rafalos en main.

    A suivre…