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wilbert harrison

  • CHRONIQUES DE POURPRE 690 : KR'TNT ! 690 : BIG SEARCH / VIAGRA BOYS / DEAN WAREHAM / ELVIS PRESLEY / WILBERT HARRISON / MATRAQUE / PSYCHIC WARS / JUDAS CONSPIRACY THEORY / BANK MYNA

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 690

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 05 / 2025

     

    BIG SEARCH / VIAGRA BOYS

    DEAN WAREHAM / ELVIS PRESLEY

    WILBERT HARRISON

    MATRAQUE / PSYCHIC WARS  

    JUDAS CONSPIRACY THEORY

    BANK MYNA

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 690

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - In Big Search of space

             Que se passe-t-il quand un épouvantail rencontre un autre épouvantail ? Rien, bien sûr. Que pourrait-il se passer ? C’est presque un sujet pour le bac philo. C’est pourtant ce qui vient d’arriver à l’avenir du rock qui erre dans le désert depuis tellement longtemps qu’il ne compte plus les jours, ni les années d’ailleurs. Au point où il en est, ça ne sert plus à grand-chose. Il arrive au sommet d’une dune, et il aperçoit en bas un épouvantail à peu près dans le même état que lui. Desséché par le soleil, les vents de sable et la sous-alimentation. L’avenir du rock en est réduit à sucer ses dents qui tombent, mais il n’en reste plus beaucoup. Il les suce comme des bonbons, ça fait illusion. Comme il approche de l’autre épouvantail, il lui vient l’idée saugrenue d’aller lui mettre son poing dans la gueule et de récupérer ses dents pour se faire une petite réserve de bonbons. L’idée le galvanise. Un bon coup de poing dans la gueule et 32 bonbons d’un coup, de quoi tenir un sacré bout de temps. Alors il accélère le pas. Il se met à fantasmer sur les bonbons de la même façon qu’Henry Miller fantasmait sur les poulets rôtis au temps de Jours Tranquilles À Clichy. Alors que l’avenir du rock prend son élan, l’épouvantail ne bronche pas. Il reste complètement immobile. Il porte des lunettes noires. Un vent léger fouille ses mèches filasses de cheveux blonds. L’avenir du rock arrive droit sur lui et tente de lui coller son poing dans la gueule, mais l’épouvantail l’esquive adroitement et s’écrie :

             — What the fuck ?

             En représailles, l’épouvantail lui colle son poing en pleine gueule. Bing !

             L’avenir du rock perd ses dernières dents. Il s’agenouille péniblement pour les ramasser et les mettre dans sa poche.

             Embarrassé d’avoir été aussi con, il dit à l’épouvantail :

             — Bonbons à bibi !

             L’autre ne pige rien. Alors l’avenir du rock lui demande ce qu’il fout là, planté au milieu du désert.

             — Big Search.

             — Mitou, répond l’avenir du rock qui reprend sa marche, hébété.

     

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             L’épouvantail a un groupe qui s’appelle Big Search, et lui il s’appelle Matt Popieluch. Il ouvre en solo pour  Dean Wareham. Quand tu le vois arriver sur scène et hésiter, tu te dis que ça va être long. Il se plante en peu dans l’attaque de ses premiers cuts. Il s’excuse. Il faut peut-être mettre ça sur le compte du trac. Il est assez haut, plutôt maigre, pas coiffé, pas looké. L’anti-frime par excellence. Il gratte

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    une Strato et swingue d’un pied. Et puis il va tout doucement prendre le contrôle de ta cervelle, car ce Matt-là a tout simplement du génie. Il gratte de la pointe des doigts et sort un son de soft rock psychédélique absolument fabuleux, il tiguilite un space-out so far out qui te monte droit au cerveau, il fait tout simplement du Gene Clark avec un sens aigu du groove à la Croz. Te voilà complètement bluffé. Il joue les yeux fermés, avec le nez en l’air. Il s’absente totalement de la scène et voyage dans son monde. Tu vois les accords, tu les connais, et pourtant son jeu reste un mystère. Il sort un son de picking mais sans les onglets. Il propose de l’acid folk californien de très haut niveau qui n’est pas sans rappeler celui de F.J. McMahon. L’acid folk californien est le plus pur de tous, et ce mec Matt en propose la crème de la crème.

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             Le jeu va consister à retrouver cette magie sur ses albums. T’y vas sans grand espoir, car ce genre de performance n’a de sens et d’impact que sur scène. T’en ramasses deux au pif au merch, Role Reversal et Life Dollars. Tu compléteras un peu plus tard avec Slow Fascination.

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             Curieusement, Role Reversal a disparu de Discogs. Alors t’es bien content de l’avoir ramassé. Car tu y croises de sacrés cuts. Ce mec Matt propose une pop tendue à se rompre, tu n’y peux rien. Il vise la Cosmic Americana, avec des beaux arpèges et un sens aigu de la perdition. Et soudain, ça décolle avec «Distant Shore». Il fait du Midlake. Puissance atmosphérique extrême. Tu entres bien dans son jeu. Il devient étourdissant avec «Where Do You Room», il semble ivre de liberté et de vin mauvais, il fait de la pure Beatlemania, il joue avec le feu et sort un son d’une qualité étourdissante. Tu le prends au sérieux, t’es obligé. Il chante «Runaway» au doux du doux, sur des arpèges noyés d’écho, il se noie dans la beauté de sa pop. Ce mec Matt est très avancé dans l’extension du domaine de la lutte. Il termine cet album attachant avec «I’m Gonna Leave You», une grosse pop traînarde éclaboussée de lumière crépusculaire, une vraie bénédiction. Il cultive l’écrasée congénitale.

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             T’as au moins deux cuts qui renvoient sur Brian Wilson dans Life Dollars : «Distant Shore» de l’album précédent, et «I Feel Good». Là, oui, tu dis oui. La pop de Distant Shore fond comme beurre au soleil, avec des harmonies vocales démentes. Ce mec Matt a le sens des pointes extravagantes, t’en reviens pas de tomber sur un tel cut. Son Feel Good relève aussi de la pure beauté wilsonienne, il gratte ses arpèges dans l’embrasement d’un crépuscule californien. Il va aussi dans Croz. Il tire encore sa pop dans la lumière avec «Can’t Understand The News». Il propose de l’océanique californien. Tout est travaillé au big sound sur cet album révélatoire. Il revient à la pop de base avec «Don’t Change My Eyes». Il sait créer l’événement. Tu ne t’ennuies pas, même si tu ne cries pas au loup. Il y a du souffle dans cette pop de bon aloi. «Anna Don’t Go» est encore digne des Beatles et de Brian Wilson. Il bosse bien ses couches de son.

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             C’est sur Slow Fascination que tu vas retrouver le fabuleux slow groove psychédélique que gratouillait du bout des doigts le mec Matt l’autre soir au Petit Bain : fantastique pureté d’here we are never free at last. Il cultive la pureté extra-sensorielle avec une indicible grâce tactile. Il sort un son rare d’arpèges effleurés du bout des doigts. L’autre hit faramineux se planque en B et s’appelle «What To Say». C’est encore un balladif doucement désenchanté qu’il coule dans un mood de strange to meet someone I never knew. L’océanique est son truc. Avec «Till The Day Is Done», il se fond dans l’ouate de Smile. Il recrée à sa façon le smooth de Brian Wilson. Il va chercher du son sur tous ses cuts. Encore une belle dérive californienne en B avec «Windowpane» et il atteint encore le sommet du genre avec «Busy Getting Lost» - Time will come again when we meet as friends/ If I’m not scattered in the wind - Comme il l’a fait sur «What To Say», il chante encore «Good People Round» en lévitation. Le mec Matt adore chanter suspendu dans l’air. C’est un magicien.  

    Signé : Cazengler, Bonne Sœurch

    Matt Popieluch. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Big Search. Role Reversal. 2014

    Big Search. Life Dollars. 30th Century Records 2016

    Big Search. Slow Fascination 30th Century Records 2019

     

     

    Le beat dressé des Viagra Boys

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             C’est pas plein quand t’arrives mais c’est plein quand ils arrivent sur scène. En peu de temps, les Viagra Boys ont su créer un buzz turgescent. Il faut bien dire qu’aujourd’hui, la valeur artistique d’un groupe n’est plus le critère de remplissage d’un Zénith. Les réputations se font autrement. Si tu campes sur tes vieilles positions, tu n’iras plus voir beaucoup de concerts. Même tes exigences de qualité sont complètement périmées, à l’image de ta bobine de vieux schnoque.  Par contre, si t’es curieux de savoir ce que certains nouveaux groupes ont dans la culotte, tu peux tenter le coup ici et là. C’est toujours moins pire que de regarder des conneries à la télé. Enfin, pour les ceusses qui regardent encore la fucking télé.  

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             C’est forcément un grand moment que de voir les Viagra Boys arriver sur scène. T’en as deux qui déboulent torse nu et couverts de tatouages : le chanteur Sebastian Murphy et le bassman Henrik Höckert. Murphy ventripote un peu. On ne regarde même pas les trois ou quatre autres. Les deux tattoo boys vont focaliser l’attention. Alors attention, ces Suédois jouent un rock de destruction massive, bien

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    lourdingue, bien défenestrateur. Tout est monté sur d’implacables drives de basse. C’est leur fonds de commerce. Sur scène, ils sonnent comme sur les albums, mais en mille fois pire, en mille fois plus atomique. Ils saturent l’espace de son, et pourtant t’as pas mal aux oreilles. Te voilà plongé dans une sorte d’heavy messe païenne, et dès le troisième cut, les remous de la foule t’écrasent sur la barrière. T’as intérêt à avoir des bras d’acier pour te dégager et retrouver ta respiration. Tu ne t’attendais pas à ça : les Viagra Boys plongent le Zénith dans le chaos, certainement le pire qui soit, le chaos des compressions, orchestré par un beat sourd comme un pot. Tu entres dans la dimension du pire. Tous les crowd-surfers de Paris sont là. Les gros balèzes de la sécu sont vite débordés. La pression de la foule est telle que la barrière menace de céder. Ça frise l’hors-de-contrôle. Les gros durs de la sécu qui ont tous des bras énormes s’arc-boutent sur la barrière qui penche de leur côté. Te voilà pris en sandwich. Tu essayes de résister à la pression. Elle s’accentue de plus en plus. T’as des tonnes dans le dos. Tu ne cherches même plus à identifier les Viagra cuts. De

     

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     toute façon, ils tapent des cuts que tu ne connais pas, car leur nouvel album - ompf, un coup dans le dos - vient de sortir, alors - ampf, les pieds d’un crowd-surfer dans la nuque, fuck, ça fait mal - T’as vraiment envie de te barrer. Impossible. T’es baisé. Fait comme un rat. Encore pire qu’au concert des Mary Chain quand t’avais ces amputés du cerceau qui sautaient sur place juste à côté. T’as toujours des mecs qui ne sont pas là pour écouter, mais pour sauter sur place. Tu reconnais au passage - oumpffff ! - cette merveille de power beat qu’est «Ain’t Nice». La tempête de coups s’aggrave. Des gobelets volent. Tu vois des gonzesses tatouées qui adorent ce chaos. Toi t’adores pas trop. Pour sûr, la fête est réussie, mais pour clichetonner, tintin. Impossible. La foule pousse et t’écrase la gueule dans la barrière, ouuuummpf ! Les coups, ça fait mal, comme dirait Johnny. T’essayes encore de suivre le show. Fuck ! Faut abandonner l’idée. T’as des milliers de personnes qui dansent et qui pogotent au Cap Horn. Hâte-toi de confier ta cage thoracique et tes vertèbres aux bons soins du destin.

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             Tu profites du passage à vide d’avant rappel pour tenter la sortie. Tu te frayes péniblement un chemin pour regagner le pied des gradins. Ouf ! Tu vas pouvoir observer le chaos de dos. Il n’est pas jojo, le chaos de dos. Quand les Viagra Boys reviennent sur scène, tu vois des milliers d’écrans au-dessus des milliers de têtes. Tout le monde filme la scène. C’est irréel de non-sens. Les gens filment n’importe quoi, car à cette distance, t’as rien, à part des silhouettes et de la fumée. Mais bon, ça filme. Ça alimente le grand fleuve numérique planétaire. Le chaos de l’inutilité définitive. Une sorte de fin de tout. Ces milliards d’informations s’engouffrent dans un Vortex dont personne ne connaît ni la taille ni le sens. Observer le spectacle du spectacle, c’est fascinant. Le chaos de l’inutilité définitive engloutit celui des Viagra Boys. Pire encore : le Vortex et ses milliers de petites bouches voraces en forme de smartphones engloutit le sens des choses. Les cervelles sont déjà au service des petites bouches voraces du Vortex, il n’y a donc plus rien à faire. Plus rien à dire. Il est déjà trop tard. Tu ne vas plus au concert de rock. Tu vas au concert du numérique.

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             Tu te retrouves un peu plus tard sur l’Avenue Jean Jaurès et pour retrouver tes marques, tu te poses la question : faut-il écouter le nouvel album des Viagra Boys ? T’es pas très chaud. Entre bif, baf et bof, tu choisis le bif.

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             Grand bien te prend de l’écouter car c’est un bon album. Tu sauves cinq cuts alors t’es bien content de pas t’être fait emmancher une fois de plus. Deux énormités, pour commencer, «The Bog Body» et «Pyramid Of Health», deux cuts bien décidés à en découdre, deux cuts bien rockés du fa fa fa. Deux cuts puissants mais sans surprise. Disons que ça reste dans la typologie du groupe. Sur «Waterboy», on sent bien l’Américain, okay !, Sebastien machin lance bien le truc, son Waterboys ne sera jamais un hit, mais ils tapent bien dans l’œil du cyclope. Okay ! Awite ! Et tu vois le bassman remonter à la surface avec «You n33 Me». Big bass attack. Fabuleux ramshackle. «Dirty Boyz» est un brin hypno, c’est même puissant, tu ne peux pas dire le contraire. Et tu leur donnes l’absolution pour «Best In Show Pt IV», car ils te tapent ça aux clap-hands, t’as là un fabuleux story-telling dévalé à fond de train, il raconte sa vie extrême avec le final sax, c’est digne d’Iggy dans throw them to the lions !, ça bascule dans la stoogerie à coups d’I need all the help I can get man et ils renchérissent à coups d’I need access to heaven. L’album emporte la partie avec le bassmatic du diable et ce beat de tatoués. On a déjà entendu ça ailleurs, mais t’y retrouves ton compte.

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             Dans Mojo, Andrew Perry leur consacre une page, histoire de les qualifier de «scurrilous, disruptive and frequently misunderstood band on the rise», c’est-à-dire un groupe grossier, perturbateur et incompris dont la cote monte. Perry ajoute que le groupe a des racines dans la scène hardcore suédoise, ce qui nous fait une belle jambe. C’est donc le bassman Henrik Höckert qui a «forcé» le speed-freak Sebastien Murphy, fraîchement arrivé de Californie en Suède, à chanter dans les Viagra Boys. La commère du village ajoute que Murphy bosse dans le salon de tatouage où bosse la poule d’Höckert, d’où le contact. Et Murphy qui n’est pas avare de conneries, indique que pour écrire ses textes, il se goinfre du caca d’Internet. On vit dans cette époque. Le plus difficile est de s’habituer à l’idée qu’on doit vivre dans cette époque. Parfois on croit qu’on va y parvenir, et d’autres fois on comprend que ce n’est pas possible. Cette époque n’a décidément rien de sexy.    

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             Tu veux en avoir le cœur net, alors t’écoutes d’autres albums. Quand t’écoutes Cave World, t’es pas très content. C’est plein de machines. «Baby Criminal» sonne comme une dégelée, mais une dégelée de machines. Ces mecs ratissent tout. Purée de machines. T’as tout de même un bassmatic. T’as pas le temps de souffler et tu te fais choper par l’hard drive de «Troglodyte». C’est du relentless d’hard drive. Ils foncent dans leur tas qui n’est pas le tien. Mais alors pas du tout. Tu fais des efforts pour rester sous le casque et c’est pas bon signe. Tu ne vois pas bien l’intérêt de leur tas. Ils repartent à ta conquête avec «Punk Rock Loser» et tu baves car t’entends un killer solo trash, pas flash. Ils tentent le coup de l’apocalypse avec «Creedy Crawlers», mais ils ne sont pas les Killing Joke. Ils n’ont pas les moyens de ça. T’arrives au 6 et t’es loin d’être convaincu. Tes informateurs t’ont prévenu : «C’est un groupe de scène, pas un groupe de disk.» Trop de machines sur cet album. Retour à la tentative d’apocalypse avec «Ain’t No Thief». Stomp de machines. C’est de la techno. Avec du power, mais techno quand même. Bif baf bof. «Big Boy» est sans doute leur meilleur cut - I need a big/ Big girl/ To keep me real - Bien heavy. Ils cherchent encore des noises à la noise avec «Return To Monks». Là ça devient anthemic. Ils cherchent la confrontation. Ils flirtent avec le grand art de destruction massive des Bury. Ils lâchent les chiens. Là, t’as du paganisme technocratique, une vraie chienlit de techno power en caisse de résonance. 

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             Il vaut mieux écouter Welfare Jazz. T’es tout de suite cueilli au menton par «Ain’t Nice». Ils te percutent de plein fouet, c’est un cut de destruction massive, ils misent tout sur le stomp et font le banco. La basse vole le show sur «Toad» et ça devient vite demented. Le bassman Henrik Höckert lance encore le train fou d’«Into The Sun», un nouveau stomp humanoïde. Les Boys sont des bons. Tout est monté sur un heavy drive de basse. Les canards boiteux n’ont qu’à bien se tenir. Encore un drive de basse sur «Creatures». Et puis t’as ce «6 Shooter» gratté à la gratte d’intro et rattrapé par le bassman fou, et ça sonne comme un instro urbain du plus bel effet. Ils tapent tout en heavy stuff mais ils éprouvent parfois des difficultés à convaincre («I Feel Alive»). Ça repart en mode trash punk avec «Girls & Boys» et ça percute les cacatois avec un sax in tow. La gonzesse qui vient duetter sur «In Spite Of Ourselves» s’appelle Amy Taylor. Elle est bien trash, la bourrique.

    Signé : Cazengler, viagras du bide

    Viagra Boys. Le Zénith. Paris XIXe. 25 avril 2025

    Viagra Boys. Welfare Jazz. Year001 2021

    Viagra Boys. Cave World. Year001 2022

    Viagra Boys. Viagr Aboys. Shrimptech Enterprises 2025

    Andrew Perry : Mojo Rising. Mojo #379 - June 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Wareham câline

     (Part Four)

             — Alors, avenir du toc, on se pique toujours de dadaïsme ?

    Dûment interloqué, l’avenir du rock se retourna :

             — Ah quelle surprise ! Tristan Tzaralebol ! Toujours aussi guilleret ?

             — Guilleret du cul, cher ami ! Du cul, du cul, ha ha ha ha !

             Les trilles du rire cristallin de Tristan Tzaralebol ricochèrent jusqu’au ciel d’un bleu parfaitement Klein. Il ré-ajusta son monocle et reprit : 

             — Dites-voir, avenir du rocambole, je fermente un poutche, oui, ne me regardez pas ainsi, un poutche, vous dis-je !, contre qui ?, mais contre le tyran André Béton-Armé. Nous envisageons fermement de couler l’André Béton-Armé dans un bloc de béton armé et d’aller l’immerger au fond du Détroit des Dardanelles, de sorte qu’aucun steamer, à voile ou à vapeur, aussi puissant fût-il, ne puisse l’hisser à la surface. Vous n’applaudissez donc pas ? ,avenir du ric et du rac ?, seriez-vous devenu complètement impavide ?

             Baisé comme un bleu, l’avenir du rock se mit à applaudir flasquement.

             — Rejoindrez-vous les rangs des conjurés, avenir du rocamadour ? 

             L’avenir du rock poussa un soupir long comme un jour sans rhum.

             — Pfffffffffff. Si vous insistez lourdement...

             Tzaralebol exhuma alors un carnet Moleskine des profondeurs de son manteau en vison ainsi qu’un crayon dont il humecta la mine de la pointe d’une langue frétillante :

             — Ainsi donc, avenir du roquefort, le sort en est jeté ! J’inscris de ce pas votre blaze à la suite d’une longue liste de conjurés... Oh oh oh, je vois à l’étincelle de votre regard que vous brûlez de connaître leurs noms... J’en mettrais ma saucisse à frire !

             — Oh j’en connais les noms, figurez-vous ! Mais je ne savais pas les exclus revanchards ! Et je ne vois pas Desnos ni Artaud le Momo manier la truelle ! Votre blague n’est pas drôle, Tzaralebol. Vous déclinez !

             — Cher avenir du rococo, vous m’avez percé à jour et vous m’en voyez réjoui, oui oui. Dînons pour fêter ce grand jour ! Car qui dort Dean Wareham, n’est-il pas vrai ?

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             Il devrait être très fier, Dean Wareham, de se retrouver coincé dans ce genre d’épisode dadaïste. Tout le monde ne bénéficie pas des faveurs de Dada, croyez-le bien !

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             Le real Dean refait surface car il vient de faire paraître un nouvel album solo : That’s The Price Of Loving Me. Qualifions cet album de très magnifique, si vous le voulez bien. C’est vraiment le moins qu’on puisse faire. Le real Dean nous accueille dans son giron avec deux Beautiful Songs de rang princier, «You Were The Ones I Had To Betray» et «Dear Pretty Baby» qui est en fait une cover de Mayo Thompson, qui, t’en souvient-il, fut l’âme câline de Red Crayola. Tu retrouves dans ces deux merveilles la classe inhérente du real Dean. Il cultive l’héritage du Lou. Le cut Mayo sonne un peu comme l’«It’s All Over Now Baby Blue» de Dylan, tu savoures cette fabuleuse musicalité et bien sûr, tu nages en plein rêve. Le real Dean installe bien l’ambiance de «We’re Not Finshed Yet», comme il l’a fait toute sa vie. Il est encore très Lou sur ce coup-là. On sent la fascination dans le timbre de sa voix. «Bourgeois Manqué» sonne comme un heavy groove de petite vertu, il te gratte ça à la clairette et tu te régales du bassmatic aérien de Britta. Puis une sorte de miracle se produit : le real Dean met les mains sur les hanches de «Yesterday’s Hero» et fait danser cette belle pop gondolée. Il monte sa pop très haut dans l’expectative, avec une économie de moyens complètement invraisemblable. C’est une autre façon de résumer son art. Puis il dépasse encore les bornes avec le morceau titre. Le real Dean est beaucoup trop balèze : il groove le smooth. Eh oui, t’as pas beaucoup de gens capables de groover le smooth. Puis il retourne bien en dessous du boisseau pour chantouiller «The Cloud Is Coming». T’as là une pop bien underground, bien confidentielle et bien inspirée par le génie de Lou Reed.  

    Signé : Cazengler, Whare-âne

    Dean Wareham. That’s The Price Of Loving Me. Carpark Records 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Elvis & la vertu

    (Part Seven)

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             Comme Peter Guralnick, Robert Gordon s’est longuement penché sur Elvis. Avec Elvis : The King On The Road, il relate les débuts d’Elvis à sa manière, c’est-à-dire engageante.

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             Accompagné par les Starlite Wranglers (Scotty Moore et Bill Black), Elvis joue au Bon Air Club, on highway 70, à la sortie de la ville - Its clientele was tough, and on saturday night they were as friendly with Jack Daniels and Jim Beam as they were with Jesus on Sunday. Step outside and say that, mah frien’ - On les voit tous les trois en western shirts et grinning big et soudain, fini le look cowpokes. Le génie d’Elvis consiste à redevenir lui-même - And Elvis came out in the cool clothes that he had seen on the avenue of black Memphis culture, Beale Street - Arthur Crudup and Beale Street, voilà les racines du cool cat Elvis - Greasy hair and funny-fitting clothes - Sam Phillips contacte très vite The Grand Ole Opry, le show le plus populaire de tout le Deep South. En bon visionnaire, Uncle Sam y voyait le ‘national debut’ de son poulain. Ils prennent donc la bagnole d’Uncle Sam pour filer à Nashville et Bill attache sa stand-up sur le toit. Ils n’eurent le droit de jouer qu’une seule chanson dans l’‘Hank Snow segment’. Puis c’est le Louisiana Hayride, qui touche 28 états. Bob Luman voit Elvis débarquer sur scène en veston vert, pantalon rouge, chemise rose, and this sneer on his face. Le King claque un accord et casse deux cordes. Il n’a encore rien fait et les filles se mettent à hurler - And he started to move his hips real slow - C’est la naissance du rock’n’roll animal. Ce livre grand format est bardé d’images d’Elvis en double page, du noir et blanc trop beau pour être vrai, une sorte de double concentré de tomate du rock’n’roll, on entend la musique rien qu’en examinant méticuleusement les images, ce visage tellement parfait, ces cheveux grassement peignés, ces pompes et ces cravates blanches, tout ce rock’n’roll originel. L’une des images le montre en chemise et cravate blanches, les bras en croix, une petite ceinture dans des passants larges avec la boucle sur la droite, un détail qui n’a sans doute pas échappé à Mick Farren qui portait lui aussi sa boucle de ceinturon sur le côté. Les filles se jettent sur Elvis et lui arrachent les boutons de ses chemises comme s’il s’agissait de diamants. L’une d’elles passe même une annonce pour mettre un bouton de chemise en vente. Elle reçoit cent coups de fil et demande 600 dollars pour ce bouton qu’elle finit par conserver. Et quand il boucle son set avec «Hound Dog», Elvis déclenche systématiquement une émeute, au péril de sa vie. C’est fait pour.  Une fille raconte : «J’ai saisi sa main, il a souri et il m’a dit ‘Cut me loose’, alors je l’ai fait.» Elvis fait basculer des foules de 15 000 personnes dans l’hystérie. Une gamine de 16 ans parvient à grimper sur scène et se jette sur Elvis pendant qu’il chante «I Got A Woman». Elvis tombe en rigolant. Quand après on demande à la gamine pourquoi elle a fait ça , elle répond : «Je le veux, j’ai besoin de lui et je l’aime !». En 1956, Elvis fait rentrer vingt millions de dollars dans les caisses du Colonel. Sur les vingt, il en récupère trois. En 1957, il commence à porter son gold lame outfit, taillé par Nudie in Hollywood - Elvis was the proof of youth power - Grâce à lui, les jeunes devenaient les rois du monde, tout au moins d’un nouveau monde. En tournée, Scotty Moore et Bill Black touchent 200 dollars par semaine et ils reçoivent un bonus de 1 000 dollars à Noël. Ils trouvent que ça pue un peu l’arnaque, aussi envoient-ils tous les deux une lettre de démission. Elvis appelle Scotty pour lui demander de rester. Scotty demande alors une augmentation de 50 dollars plus 10 000 dollars cash pour payer ses dettes.

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             Et quand il revient de l’armée, Elvis est encore plus beau. Le bouquet bien sûr est le ‘68 Comeback. On comprend en voyant les images d’Elvis en 68 que Monsieur Jeffrey Evans ait choisi d’appeler son groupe ‘68 Comeback - Presley is one in a lifetime - Il redevient immédiatement le King - In rebellious black, a blood-red scarf and a guitar hanging around his neck - Les Anglais le veulent pour un show à Londres. Ils téléphonent au Colonel et lui proposent 28 000 dollars pour la semaine. Et que répond cette crapule ? «That’s fine for me. And now how much can you get for Elvis ?» C’est un fait : Elvis, c’est d’abord du business. Quand il accepte de jouer quatre semaines à Las Vegas, on prépare le merchandising : 150 000 photos couleur grand format dédicacées, 500 000 calendriers et 200 000 catalogues qui recensent les disques et les films d’Elvis. Les Sweet Inspirations l’accompagnent sur scène. Dans le public se trouvent Burt Bacharach et sa femme Angie Dickinson, Uncle Sam et ses fils Knox et Jerry qu’Elvis considère un peu comme des neveux. Vers la fin, Elvis déconnait bien sur scène : il s’en prenait à Glen Campbell, Tom Jones et à Engelbert Humperdinck. Il disait au public : «J’ai vendu plus de 200 millions de disques, j’ai 56 disques d’or. Je suis vraiment fier de tout ça. C’est plus que ce qu’ont fait les Beatles, les Stones et Tom Jones réunis, so pffft !» Belle façon de remettre les pendules à l’heure. Au-dessus d’Elvis, il n’y a plus rien.

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             The Presley Estate passe une deuxième commande à Robert Gordon : The Elvis Treasures, un grand format à l’italienne bourré de petits inserts et de répliques de reliques. Ce serait un gros gadget s’ils ne s’agissait pas d’Elvis. C’est quasiment du Graceland at home. Robert Gordon re-raconte certains épisodes qu’il raconte dans Elvis : The King On The Road, mais au lieu de soutenir son récit avec uniquement des photos en noir et blanc, il le fait cette fois avec des artefacts. On ouvre une petite enveloppe et on trouve un ticket pour le Slim Whitman Show en 1955, on ouvre une autre enveloppe et on trouve le fac-similé du contrat RCA adressé à Elvis et au Colonel, plus un reçu signé Elvis Presley pour la somme de 45 000 dollars, sur en-tête d’Hotel Peabody, à l’attention bien sûr du Colonel. Page après page, on voit se construire cette fascinante histoire qu’on connaît pourtant par cœur, mais qui ici prend un relief particulier. D’autres courriers RCA adressés à Elvis en 1956 suivent : signés Stephen H Sholes, ils recommandent des chansons à Elvis. On trouve plus loin une petite repro de l’affiche du film Jailhouse Rock et dans une enveloppe rouge se niche une belle carte postale : Elvis en uniforme souhaite des Holidays greetings to you all. Plus loin, c’est le fac-similé d’une longue lettre du Colonel adressée à Elvis, alors stationné à Badnauheim, Germany. Il ne l’appelle pas Elvis, mais Vernon. Plus loin, une très belle lettre d’Elvis à Anita Wood, à Memphis - My dearest darling little.

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             C’est en lisant sa prose qu’on réalise à quel point Robert Gordon adore Elvis. Il raconte par exemple qu’Elvis fit 31 prises d’«Hound Dog» au studio RCA de New York et qu’il sélectionna le dernière, the ferocious last one. Puis il revint à Memphis jouer au Baseball Park, performing as wildly as he liked et tenant à rappeler que s’il était devenu une star, c’était grâce aux gens de Memphis. En 1956, Elvis a déjà sept disques d’or et il débarque à Hollywood pour tourner son premier film. Et quand il part à l’armée, il voit ça comme un répit, confiant à un journaliste que l’armée ne peut pas être pire que le cirque qu’il vient de vivre pendant les deux dernières années.

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             En 1967, il enregistre How Great Thou Art, l’album de gospel swing dont il est le plus fier. Nouvel hommage à l’homme avec le ‘68 comeback : Robert Gordon indique qu’Elvis avait le trac, car il n’avait plus joué en public depuis des années, mais le show comme on le sait se déroula bien, et reste, nous dit Gordon, a high mark of Elvis’ warmth, humility and guenine talent as an entertainer. Oui, au fil des pages, Robert Gordon n’en finit plus de rappeler qu’Elvis est resté tout au long de sa vie un mec bien.

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             Redémarrage de carrière avec From Elvis In Memphis et «Suspiciuos Mind» enregistré à l’American Recordings de Memphis, chez Chips Moman, et retour sur scène à Vegas avec James Burton et les Sweet Inspirations. Back to the roots - In Vegas, he was a smash - C’est assez spectaculaire, nous dit Robert Gordon. Elvis savait que le public de Vegas pouvait être dur, mais il le mit sur le cul - He utterly wiped them out, the memories, the audience, everybody and everything - Elvis avait tout inventé et ça restait intact. Les boss de l’International Hotel devenaient dingues, tout ce succès, ils voulaient Elvis encore et encore - A million bucks a year !

    Signé : Cazengler, El tournevis

    Robert Gordon. The Elvis Treasures. Villard Books 2002

    Robert Gordon. Elvis : The King On The Road. Bounty Books 2005

     

     

    Inside the goldmine

    - Wilbert au grand pied

             Certains l’appelaient Bébert. Mais il préférait Robert. Il vendait des livres d’occasion à Bastille, du temps où il y avait encore un marché en fin de semaine et des concentrations de motos. Puis il alla faire les petits marchés de banlieue, vers le Kremlin-Bicêtre et Châtillon. Il réussit à maintenir sa camionnette en état de rouler assez longtemps. Il ouvrait une large fenêtre sur le côté et le rabat faisait office de comptoir. Il avait plus de gens venant le voir pour vendre que pour acheter. Et quelques habitués, qui parvenaient à se serrer la ceinture pour s’acheter le livre de poche d’occasion que leur conseillait Bébert. Il vendait ça une misère. Il parvenait néanmoins à vendre assez de bouquins pour payer l’essence et le loyer de son misérable cagibi, rue de Charenton. Comme il sautait souvent des repas, il maigrissait à vue d’œil, et à cet âge-là, la sous-alimentation ne pardonne pas. Il portait une casquette à carreaux très fatiguée et des lunettes de vue dont un verre était fêlé. Il avait bien sûr perdu toutes ses dents. Mais il continuait de lire, car il vivait dans la hantise de n’avoir rien à conseiller à ses habitués. C’est la seule chose qui le maintenait en vie. C’est pour eux qu’il descendait chaque week-end ses cartons, c’est pour eux qu’il chargeait sa camionnette. Il en bavait, car il n’était plus en état de porter des cartons de livres, même des petits cartons. Bébert était un sac d’os. Puis il lui fallait lancer le moteur et c’était un miracle quand il y parvenait, surtout en hiver. Il passait parfois une heure au volant, à essayer encore et encore. Il attendait entre chaque tentative, car il craignait de noyer le moteur. Mais lorsqu’il arrivait à son emplacement et qu’il payait le placier, il reprenait vie. Et puis un jour, l’emplacement resta vide. La semaine suivante aussi. Au bout de quelques semaines, on commença à s’inquiéter de ne plus voir Bébert et sa camionnette. L’un de ses habitués connaissait son adresse. Il s’y rendit. Il vit la camionnette garée devant le taudis. Personne au volant. La porte arrière n’était pas fermée à clé. L’habitué l’ouvrit et découvrit la momie de Bébert assise sur ses cartons, dans la posture d’un pharaon sur son trône, serrant contre sa poitrine un tue-mouche en guise de sceptre.  

     

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             Pendant que Bébert créait sa légende en se tuant à la tâche, Wilbert créait la sienne à la force du poignet. Dans un cas comme dans l’autre, les parcours furent assez rudes.

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             Kansas City, le premier album de Wilbert Harrison, date de 1965. Pas l’album du siècle, mais sa version de «Kansas City» rafle la mise, d’autant que Wild Jimmy Spruill rôde dans le lagon. L’autre coup de Jarnac est en B, c’est une cover de «CC Rider» grattée à la mandoline et jetée par-dessus la jambe. Normalement, si tu associes un féroce boogie man comme Wilbert avec Wild Jimmy Spruill, tu dois obtenir un bel album, ce qui est quasiment le cas. Wilbert au grand pied fait un bon choix de covers, comme le montre encore «Since I Fell For You», un classique de Buddy Johnson aussi repris par Laura Lee, Charlie Rich et Lenny Welsh. Wilbert tape un dance craze avec «The Horse» et y va au hey babe let’s do the horse right now.     

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             Sur Let’s Work Together, un Sue de 1969, Wilbert au grand pied tape l’heavy grrove du one-man band classique. Il a un son parfait sur le morceau titre. Ce sera sa marque de fabrique. Il passe à l’exotica avec «Tropical Shakedown», mais il est quasi-Velvet sur ce coup-là, on croit entendre les accords de «Sweet Jane». Il tape ensuite dans le «Blue Monday» de Fatsy. Wilbert a un style très pur, une bonne clarté dans sa démarche. Tout est solide sur cet album, et en même temps, il n’y a pas de quoi en faire un plat. Il tape plus loin dans le «What Am I Living For» de Chuck Willis. Bon, ça va bien cinq minutes. Il se frotte plus loin à «Stand By Me», et le conseil qu’on pourrait lui donner serait de laisser le Stand à Ben.

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             En 1971 paraît un album sans titre de Wilbert au grand pied. Ce Buddah sent bon la Nouvelle Orleans et grouille de bonnes puces, notamment deux covers de Fatsy, «Ain’t That A Shame» et «Blueberry Hill». Wilbert y met tout son cœur, mais il ne parvient pas à égaler Fatsy. En B, on se régale encore de «My Dream», un boogie blues classique. Allen Toussaint arrange les horns et Sehorn produit. On a donc un son très brut à la Sehorn. «Girls On Parade» est monté sur un Diddely beat et auréolé de voodoo, «Going To The River» plonge dans l’heavyness et la cover de «My Babe» est bien rockée au bassmatic.  

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             Sur Shoot You Full Of Love, Wilbert est tout seul. Il fait le one-man band. Il passe un fantastique solo déluré dans le morceau titre d’ouverture de balda. Encore une belle mouture délurée de «CC Rider», il la passe à la petite reverb d’alrite. Il passe des coups d’harp comme Dylan dans «Little Liza Jane» et ramène tout son rezonar dans «That’s All Right Baby», il dispose d’une reverb magnifique, il est en pleine modernité, en plein technicolor. En B, il gratte un peu de calypso («Down On The Corner») et tape une belle exotica des îles avec «Near To You». Il fouille dans les racines de sa psyché. Il termine avec un vieux clin d’œil à Guitar Slim («Things I Used To Do»), c’est bien appuyé, bien positionné dans l’écho du temps, il a même un orgue en contrepoint.

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             On retrouve Allen Toussaint sur l’excellent Soul Food Man. L’esprit règne sur l’heavy beat scintillant d’«I Really Love You». Le son n’est pas chargé, c’est même un peu spécial, comme désossé et enrichi avec tact. Pur jus d’Allen Toussaint. Avec «Mary Ann», Wilbert tape une belle calypso des îles, un mambo de hanches douces et parfumées. Il tape plus loin une belle cover du «Just Because» de Lloyd Price, puis il fait son affaire d’une compo à lui, «On Top Of Old Smokey». Quasi cajun ! En B, il passe au stomp de la Nouvelle Orleans avec «Coming Down With Love» et le titille au chat perché. C’est stupéfiant de qualité. Il fait encore un mélange heureux d’exotica, d’Africana et de Jimbalaya avec «Get It While You Can (Soul Food Man)», c’est magnifique de down on the bayou, tu as même un accordéon et des guitares Soukous. Il finit cet album de tous les saints avec «I’ll Never Trust Another Woman», un heavy blues bien soutenu au shuffle d’orgue. Allen Toussaint des saints ? Sans doute.

    Signé : Cazengler, Wilbert en berne

    Wilbert Harrison. Kansas City. Sphere Sound Records 1965   

    Wilbert Harrison. Let’s Work Together. Sue Records Inc. 1969  

    Wilbert Harrison. Wilbert Harrison. Buddah Records 1971  

    Wilbert Harrison. Shoot You Full Of Love. Juggernaut Records 1971

    Wilbert Harrison. Soul Food Man. Chelsea Records 1976

    *

             Se tromper n’est pas étonnant pour un éléphant Or je ne suis pas un éléphant. Pourtant je me suis trompé deux fois. Mais plus grave : j’ai commis, bis repetita non placent, exactement la même erreur que la semaine dernière. Tiens un groupe français, patriotique sursaut je chronique, ben non, y sont pas français. Un bon point : leur maison de disque est basée à  Vilnius en Lithuanie pays d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz si vous n’avez pas la chance de connaître ce zèbre de très haute lignée reportez-vous à notre livraison 689 de la semaine dernière, eux ils ne sont pas lithuaniens mais de Biélorussie. Historiquement les frontières de ces pays de l’Est de Europe ont subi de nombreuses variations. Quoi qu’il en soit, tout comme pour Aortes j’ai été victime d’un semblable coup de sang en entendant leur premier album :

    NATURE MORTE

    NATURE MORTE

    MATRAQUE

    ( K7, CD / Ashen Tree Records)

             L’artwork est de Marta Shcherbich. Elle réalise de très beaux portraits de jeunes gens, des vues que je dirais folkloriques de son pays, un pinceau tendre qui sait transcrire la beauté des choses et des êtres. Elle possède une veine plus sombre, certains visages sans corps sont porteurs d’étrangeté inquiétante et révélateurs de lourds mystères. Pour la couve elle a choisi une vanité, un crâne déposé sur le savoir poussiéreux de vieux libres, une guirlande de liserons, un papillon une timbale renversée d’où s’échappent des bracelets de corail rouge, sont-ce des gouttes de sang séché ou des perles de pierre philosophale s’effritant sous l’action des siècles.  Derrière, la roue éternelle du charriot temps immobile qui n’en finit pas de rouler sur elle-même.

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    Peu de renseignements sur ce groupe, essayez de deviner qui fait quoi : Vlad B. / Anton M / Evgeniy S. / Alexander G.

    Kola : (= roue) : une machine lourde et lente, impassible, vous ne pourrez pas l’arrêter, imaginez une locomotive traînant cent wagons derrière elle, parfois il vous semble qu’elle s’éloigne, c’est alors que vous réalisez que vous êtres dans un disque de noise-rock et vous entendez la bête immonde qui grogne, un ours géant et bientôt une voix communique avec vous, elle vous rappelle ces temps heureux où vous n’existiez pas où vous étiez bien au chaud comme dans un nid douillet, mais l’on vous a sorti de là pour vous jeter dans la vie, un lourd fardeau sur vos épaule, l’ours polaire gronde sur vos épaules, son haleine glacée vous souffle que ce n’est pas terminé que le poison de la vie vous sera à plusieurs reprises insufflé, et que ce venin finira par vous tuer, car la vie apporte la mort, tout compte fait cette angoisse vous permet d’atteindre lentement ( mais sûrement) le néant. Le rythme s’alentit car plus c’est long plus c’est insupportable. C’est presque le bonheur, des bribes de musique douce, des voix qui vous accuuillent, le bonheur du néant, vous avez rejoint l’œuf originel. Pustazelle : (= herbe) : vous êtes comme de l’herbe qui pousse dans les marais, qui naît, qui grandit, qui crève, qui pourrit, le processus prend son temps, le rythme ne s’accélère guère mais il devient davantage oppressant, les grognements sur vos talons, vous êtes dans un cycle vous n’y échapperez pas, bientôt tu renaîtras mais tu te désintègreras après cette efflorescence, la batterie te tape dessus à coups de cuillère à pot sur ta tête, sans doute existe-t-il une raison à ce processus continu, mais tu ne sauras jamais lequel au juste, tu n’as qu’attendre, attendre pour mourir, attendre pour naître, attendre pour attendre, vocal de folie ordinaire du lot de tout ce qui vit et retourne au néant. Une certaine amplitude sonore nous aide à comprendre que nous sommes les jouets d’un phénomène que nous ne pouvons intellectuellement cerner. Le train prend de la vitesse. Est-ce l’image du destin de l’humanité qui passe à la moulinette. Malimon : ( le mot existe en langues russe et biélorusse, mais aucun traducteur n’a voulu le traduire, un seul indice, peut-être faux, mali signifie petit.). Comme par hasard le morceau est très court, bruits divers, train, turbine, scie, avion qui vole, intermède noise, une espèce de rêve sonore est-ce la musique qui se prend pour du noise, ou le noise qui s’imagine être de la musique, sur la fin des grésillements électriques ou peut-être du papier déchiré. Perhaps, j’aime ce mot dont la terminaison vous happe, le bruit qu’entend un papillon lorsque ses ailes se brisent. Volya : (= volonté) : vous n’avez pas compris grand-chose alors on vous donne les explications, vocal hurlé et vomi, une véritable révélation, vous êtes comme une bille, une petite perle, arrêt brutal, l’on déverse un tiroir de millions de perles, l’une d’entre elles, souvenez-vous en, c’est vous, à vous de rouler dans le sens que vous voulez, prenez vos responsabilités, vous ne serez que ce que vous voulez être, il y a peut-être quelque chose qui vous enfile, pensez à l’image de la première Parque Atropos, ensuite c’est à vous à désobéir, à vous de rompre le fil et de vivre votre vie de perle libre, chacun se forge un chemin, un destin différent de tous les autres, la batterie cavale, barrez-vous, courez, personne ne vous rattrapera c’est vous qui inscrirez votre destin, qui lui ferez écrire ce que vous voulez, je ne dirais pas que la musique devient joyeuse mais qu’elle décrit votre propre inexorabilité, attention le rythme s’alentit, l’ours polaire de la mort vous rattrape-t-il ou alors peut-être que vous n’avez plus peur, que votre volition l’a transformé en chien fidèle qui galope à vos côtés, oui vous avez repris vos jambes à votre cou et vous courez vers vous-même… Crissements de freins Pry`py`nak : (= arrêt) : qui se poursuivent sur ce morceau. Comme ces trains qui marchent à deux kilomètres à l’heure et qui s’en vont – le temps vous paraît interminable, vous êtes pressé de descendre – s’arrêter tout doucement le long du quai. Encore un instant, le temps que les moteurs décroissent et stoppent enfin. Attention les portes sont ouvertes, mais tout redémarre à la vitesse d’une fusée, est-ce votre imagination qui cavale ou est-ce que c’est reparti pour un tour. Le saurez-vous seulement un jour. Et si le moment du départ et celui de l’arrivée n’en  formaient qu’un ?

             Certains vous diront que c’est beaucoup de bruit pour rien. C’est vrai que c’est noisy et que la vie ce n’est pas grand-chose, mais enfin en moins de trente-neuf minutes, Matraque et sa Nature Morte vous file un tour  gratuit sur l’interminable  grand-huit du  cycle de l’Eternel Retour. Vous ne trouverez pas mieux en moins de temps.

             Superbe.

    Damie Chad.

     

    *

            Certaines choses sont plus difficiles à comprendre que d’autres. Surtout que là il s’agit d’une conspiration. Vous imaginez le labyrinthe obscur qui se profile. Les comparses, le motif, le pourquoi et le comment. Mais-là c’est encore plus difficile, ce n’est pas à proprement parler une conspiration mais une théorie sur ladite conspiration. Preuve que jamais personne n’en a percé encore le sens puisque l’on propose une théorie. Pas de problème, quand l’on est  un fan de Dupin le détective en chambre d’Edgar  Allan Poe qui vous résout une énigme sans quitter son fauteuil, l’envie vous titille de vous pencher sur cette mystérieuse théorie au sujet d’une conspiration. Hélas, au troisième terme de ce mystère que vous supputiez insoluble vous haussez les épaules. Bullshit ! quoi la théorie de la conspiration de… Judas !

    Qu’en ai-je à faire, moi Damie le païen, que les chrétiens aillent se faire pendre où ils veulent, je vais illico sortir mes chiens, au moins j’aurais l’impression d’avoir agi pour le progrès de l’Humanité. J’allais envoyer   bouler lorsqu’un détail a retenu mon attention. Quoi, ce sont des Grecs, avec tous les Dieux qu’ils ont sur l’Olympe, faut qu’ils s’intéressent au dénommé Jean-Claude, cela demande réflexion. Qu’est-ce qu’ils nous disent au juste, ces bénis oui-oui, ces traîtres en puissance, ces renégats. Vous n’allez pas me croire : ils ne pipent pas un seul mot : vous servent un album instrumental. A vous de vous dépatouiller, en plus le titre de l’album n’est pas en grec mais en latin ! Font tout pour me décourager, ils vont voir de quel bois je me chauffe : du pin !

    AD SOLEM

    JUDAS CONSPIRACY THEORY

    (Bandcamp / Avril 2025)

    George Rouvalis & Thodoris Stefou : guitars / Thomas Kinopoulos-Wood : bass /  Andreas Karantoumanis : drums / George Rouvalis & Thodoris Stefou : Synths / George Rouvalis : Background Vocals on « Selenocentric ».

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    Premier indice : la couve, une véritable boule de cristal. Elle est d’Andreas Karatoumanis : je ne sais si toute sa manie est de se carapater, mais je n’ai trouvé aucun lien qui me conduisit  à Andreas. L’image peut paraître mystérieuse mais le titre Selenocentric nous aide à comprendre le blanc symbolique dans laquelle est présentée le phénomène astral de syzygie. Ici lunaire. Le cercle jaune représente le soleil, la masse ombreuse représente la terre.  La lune et la terre non parfaitement alignées avec la terre  sont selon leurs positions respectives en conjonction ou en opposition, déterminant ainsi les phases de pleine lune et de croissant de lune.

    Ritus Jani : Janus n’est pas le dieu romain le plus célèbre, il est pourtant l’un des plus importants. Les portes de son temple restaient ouvertes en temps de guerre. On ne les fermait que lorsque la paix survenait. Souvenez-vous de la Pax Romana, période de prospérité. Janus possède deux visages, l’un tourné vers l’avenir et l’autre vers le passé. Il est le dieu du temps conçu comme passage. Son culte est celui du commencement, il est célébré entre autres le premier jour des calendes qui est celui de la pleine lune. En effet la musique s’écoule paisiblement, telle l’eau clapotante du Tibre qui coulait pas loin du temple de Janus, parfois il semble que le nuage des guitares s’assombrit et que la ponctuation de la batterie se précipite, mais peu à peu les choses reprennent leur place et la sérénité revient, qu’est-ce que l’agitation humaine pour ce Dieu qui connaît toute l’histoire toute la provenance et tout le destin de l’humanité, ce ne sont pas quelques peccadilles politiques ou anicroches guerrières – les hommes appellent cela des bouleversements ou des calamités – qui seraient capables d’altérer la souveraineté de celui dont la grandeur égalait celle de Jupiter. Selenocentric : Notes grêles de synthé sympa, oui c’est Séléné la vestale, celle qui est amoureuse d’Endymion à qui Zeus a octroyé l’éternelle jeunesse et l’éternel sommeil, le rythme se précipite, la lune change de quartier voici Artémis à l’œil aussi aigu que ses flèches, impassible inatteignable, attention voici la dernière métamorphose, Hécate grinçante, la préférée des rockers, celle qui apporte le malheur, le danger et la mort, lune changeante, peu fiable au mystérieux sonore ironique, elle cligne de l’œil comme le dernier des hommes de Nietzsche, le morceau se finit en final éblouissant, aveuglant. Akatos : nous avons vu la lune sautillant, jouant à volte-faces, revoici exactement la même chose, la même rotation, mais pourquoi le son s’échoïfie-t-il et pourquoi cette sonorité mystérieuse, et pourquoi le morceau est-il si bref ? Quelle image davantage contrastée de l’éternité de son cycle immuable, inébranlable, akatoïque, qu’un court instant, qu’un fragment arraché à la totalité de la ronde des astres aurait-il été possible de donner pour figurer l’incommensurabilité infinie de la course des Dieux dont la régularité maintient l’ordre du cosmos hors de la béance du kaos… Syzygia : nous avons eu une courte vision de la divinité fondationnelle de l’ordre du monde, voici la même chose, entrevue non plus selon les Dieux, mais selon les faibles et friables créatures humaines, les astres influent sur les hommes, ils ne dirigent pas, ils inclinent, goûtez la lourdeur de ce mot sur votre nuque, leurs positions exceptionnelles sont les marques du destin, logiquement le morceau est assailli de sonorités menaçantes, bientôt davantage annonciatrices de sombres évènements, lorsque le son s’amplifie, qu’il tombe sur vous comme se lèvent les rideaux du théâtre du monde dont vous êtes parfois le héros heureux, souvent la victime. In transitu :encore un morceau très bref, comme des notes de piano qui résonnent dans l’immensité, le transit c’est le départ, l’arrachage, l’éloignement, la sublimation, l’on quitte la terre, l’on quitte la lune, ces déités inférieures ne nous retiennent plus, Platon vous expliquerait que votre âme part en voyage vers le royaume des Idées, Pleiades : sonorités cristallines, c’est le morceau le plus long, vous visitez la voûte céleste, tous les héros de la mythologie sont là, les Pléiades ne sont qu’une étape, une adieu symbolique, elles viennent à la fin des moissons, s’en vont et puis disparaissent, elles ne reviennent que lorsque vous devez labourez vos champs, vous abandonnez ce cycle sans cesse recommencé,  c’est alors que la musique se lève, une voile que le vent gonfle, un bref silence, puis pour signifier l’immensité du vide silencieux, les notes s’étirent preuve qu’elles ne peuvent occuper l’immensité de cette viduité et la remplir, vous êtes un point dans une vastitude que votre esprit ne saurait conceptualiser, la raison vous échappe, vous êtes dans un autre pays sans nom, sans frontière, sans fin, les guitares ahanent, seule la batterie s’entête pour raviver les énergies défaillantes et vous voici dans l’Aether : comme par hasard c’est le moment le plus rock’n’roll du disque, l’Ether est cet air plus pur, plus fin, un feu subtil qui embrase vos poumons, vous êtes dans la sphère des Dieux, la guitare klaxonne un peu comme les voitures dans les rues alors que votre pays vient de remporter la coupe du monde, évidemment c’est un état très supérieur, la lumière s’effrite autour de vous, vous êtes parvenu au plus près de l’orbe du soleil, beaucoup de bruit, presque cacophonique, vous n’êtes pas dans une contemplation mais dans une exultation sans chaîne. L’arrêt est brutal. Vous en avez déjà trop vu.

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             Voici la liste des mots que George Rouvalis est censé vous délivrer dans dès le deuxième morceau : Lumière, Etoile, Monde, Vie, Ether, Foi, Ciel, Arcane, apprenez-les comme un mantra, ou essayez de les transformer en casse-tête chinois en les emboîtant les uns dans les autres, ou alors relisez Le Jeu des Perles de Verre d’Hermann Hesse, faîtes-en tout ce que vous voulez, prenez des initiatives non de Zeus ! moi je m’en fous j’ai résolu le mystère de cette théorie de la conspiration de Judas. Nos grecs ont choisi leur nom par esprit de dérision. Qu’est-ce que cette théorie obligatoirement boiteuse de la conjuration de Judas comparée à l’instrument du dire mythologique de la Grèce Antique. Rien, un truc qui ne vaut même pas un pet de lapin.

             Un clin d’œil à Aristophane.

    Damie Chad.

     

    *

             Tout se passe se passe dans la tête ai-je l’habitude d’assurer. Dès que j’ai vu le nom du groupe, m’y suis jeté dessus tels ces pythons facétieux qui se laissent choir de la  plus haute des frondaisons sur l’innocent touriste qui hasarde un premier pas dans la forêt équatoriale. Cette technique à l’aveugle est dangereuse. Peut-être abusé par mes prédilections vais-je jouer le rôle de l’abruti de service qui va finir réduit en marmelade sanglante dans les anneaux du reptile. Tel est pris qui se croyait prédateur. Tant pis, fions-nous à l’instinct du rocker. Reconnaissons que le titre de l’album n’incite pas à l’optimisme.

    TAKERS

    PSYCHIC WARS

    (Bandcamp / Janvier 2025)

             Le groupe formé en 2021  a enregistré une dizaine de singles est basé à Collingswood. Modeste bourgade du New Jersey, état qui abrite toute une partie de la population de New York

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    La couve est de Jonathan Hodges. Je n’ai rien trouvé sur lui, par contre je peux vous certifier qu’il existe de par ce monde une pléthore de Jonathan Hodges. Parmi eux une inquiétante proportion, bien au-dessus de la moyenne, de frappés de la cafetière. Indices troublants qui ne préfigurent en rien de l’auteur de l’illustration. Cette main crispée sur une paroi infranchissable n’est pas sans rappeler la main qui a illustré la couverture de l’édition en Livre de Poche du roman Le Mur de Jean-Paul Sartre. Si vous êtes moi, si Sartre vous déplaît, je vous propose Le Mystère des Gants Verts d’Enid Blyton dans lequel la bande des mains vertes sortie tout droit de l’imagination d’un gamin loufoque ne tarde pas à se matérialiser…

    Une notule nous indique que les titres de cet EP sont inspirés du roman : Black Tongue Thief (Le voleur à la langue noire) de Christopher Buehlnam. Ce dernier, né en 1969, enfant adopté et surdoué s’est très vite passionné pour le Moyen-Âge. Il a créé une espèce de numéro de foire qu’il présente dans les festivals médiévistes. Il propose à un groupe de spectateurs de faire rôtir vivant un de leurs ennemis… Il a aussi écrit plusieurs romans dont l’un consacré au tragédien Christopher Marlowe. Sa pièce de théâtre Faust a marqué les esprits. S’il n’avait pas été tué lors d’une rixe quels autres chef-d’œuvre nous auraient-ils légués… son drame est digne de Shakespeare à tel point que certains ont imaginé que ces deux auteurs ne formaient qu’une seule et même personne.

    Ellei Johndro : vocals / Jon Hodges : guitar, vocals / Matt Hanemann : guitars / Derek Zglenski : bass / Travis Dewitt : drums, percussion

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    Takers : si vous n’avez pas lu le roman pas d’inquiétude, Psychic Wars vous propose une vidéo. Si elle est censée faire peur, c’est raté. Une ambiance carvanalesque qui vous donne envie de rire, tous les poncifs de l’horreur en carton-pâte accumulés en cascades. Un conseil, écoutez la version sans image, vous éviterez le lourd fabliau médiéval farcesque. D’ailleurs la musique n’est pas vraiment noire, la batterie joue un peu à la grosse caisse des fêtes foraines ce qui ne l’empêche d’abattre sa ration de besogne, les voix dédoublées ne sont pas tristes, seules les guitares se comportent comme un train fantôme qui fonce dans l’inconnu d’une nuit noire. Au beau final un beau remue-ménage entraînant. Disons que ça ressemble aux squelettes en sucre du jour des morts mexicains. Wandering thief : vaut mieux écouter en admirant la main essayant de griffer le béton du piège dans lequel vous êtes tombé, orchestralement c’est bien foutu avec ces cors que vous aimez entendre sonner le soir au fond des bois, les guitares crissent un peu, mais comme l’on vous raconte l’histoire du petit agneau innocent qui finit par se faire dévorer par le méchant loup, et que vous connaissez la récitation du Loup et de l’agneau de Jean de La Fontaine, vous entrevoyez très bien le massacre final, mais le drame ne vous fait plus peur, vous l’appréciez en esthète. Deadlegs : là c’est nettement plus sombre, les vocaux sonnent un peu Beatles mais comme les guitares hérissent leurs poils du dos à la manière cruelle d’un chat noir qui va croquer une souris blanche, la batterie  s’abat avec la lourdeur d’un couperet de guillotine,  vous comprenez que le chaudron de sorcière ne va pas tarder à bouillir et à déborder dévoilant d’infâmes condiments dignes des tribus cannibales, les paroles tournent au délire macabre, la veuve noire au haut de sa tour blanche, dévoile la tapisserie de la dame à la licorne égorgée et pour terminer le serpent au fond de la soupière suivant sa mauvaise habitude onaniste se mord la queue.  

             Très agréable à écouter un peu guignolesque, un peu guignolet sucré à la gaine acidulée, héroïc fantasy de bon aloi. Ces américains ont l’esprit anglais. Par contre les guerres psychiques ne sont plus ce qu’elles étaient. Je croyais découvrir les noirceurs de l’âme humaine et je me suis retrouvé en pleine fête foraine ! Pour ne pas dire en pleine joie de vivre.

    Damie Chad.

     

     

    *

             L’on n’est jamais trahi que par soi-même. J’en suis une preuve accablante. Suis en train de morigéner, suis en train de faire le tour des nouveautés, cherchant quelques tubulures qui sortent de l’ordinaire. Je ne trouve que du grandiose, le genre de carbure que dans ma tête dure de rocker je classe parmi les MCA. Rien à voir avec MCA (records) qui racheta Decca et plus tard Chess, laissons-cela, dans mes MCA  à moi, comprenez mon acronyme : Musique Classique Avortée, je range toutes ces formations issues du rock qui comme la grenouille de La Fontaine essaient de se faire plus grosses que la vache philharmonique. Bref ce soir, pas moyen de mettre la main sur le riff transcendantal  qui tue. Que des trucs emphatiques qui pètent plus haut que leur cul. Le mieux serait d’aller au dodo, je m’apprête à regagner ma couche royale quand  mon œil accroche un titre, tiens un ‘’océan de pensées’’, pas mal, ben non j’ai mal lu : ‘’pas’’ un océan de pensées, tiens ils n’ont pas tort, puisque d’après moi depuis Aristote notre triste Humanité a arrêté de penser. C’est qui ces zigotos ? avec un nom pareil, sûrement des anglais. Vérifions, zut des français. Jetons un coup d’œil, l’on ne peut laisser des compatriotes en rade toute la nuit. Bref c’est moi qui ai passé une nuit blanche. Et tout ça pour un trabuc que je classe parmi les MCA !

    EIMURIA

    BANK MYNA

    (Araki Records/ Avril 2025)

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    Un regard sur la couve : pas mal du tout. Ces visages à l’aspect de masques mortuaires, ces deux mains qui se saisissent de l’un d’entre eux comme pour l’extraire de sa couche de toiles goudronnées superposées et déchirées, à moins que le corps qui n’apparaît pas ait été enfermé dans le tronc cercueil d’un arbre évidé dont on viendrait de percer la couche des écorces protectrices… Quel étrange rituel ! Quel mystère profanateur dans ces manipulations modernistes d’exhumations de cadavres antiques retirés de la gangue des temps anciens qui avaient veillé à leur préservation. Quant aux trois autres masques sur le côté, seraient les chefs subalternes de domestiques sacrifiés pour accompagner leur maître au pays des lémures. Sont-ce des spectres que l’on serait en train d’éveiller dans le but qu’ils viennent hanter le monde des vivants, dans l’espoir de semer le trouble dans l’esprit des vivants dans le seul but de nous rappeler que les portes de corne et d’ivoire, chères à Gérard de Nerval, se peuvent emprunter dans les deux sens.

    L’étrangeté de cette couve nous pousse à visiter l’Instagram de sa créatrice. Ramona Zordini. D’Italie, autrement dit la coque politiquement organisationnelle  qui recouvre l’espace géographique originelle de l’antique romanité lémurienne. Ramona Zordini révolutionne la technique du cyanotype. Procédé inventé par John Frederick William Herschel (1792 – 1871). Un astronome qui braqua son intelligence sur les étoiles et n’oublia pas de regarder en arrière en offrant une traduction de l’Illiade d’Homère. Le cyanotype est un procédé photographique monochromique. Une espèce de cannibalisme. Posez sur une feuille de papier enduite de potassium une feuille d’arbre, après avoir soumis l’ensemble à un rayonnage ultraviolet, vous obtenez en blanc la forme de la feuille d’arbre reproduite sur  le fond désormais bleu ombreux de votre feuille de papier. Ramona Zordini joue sur les couleurs en adaptant à sa guise les temps d’exposition et différents produits chimiques. Nous invitons le lecteur à établir quelques analogies opératoires avec les procédés alchimiques. Une méditation adjacente sur le Traité des Couleurs de Goethe n’est pas interdite.

     ‘’Colorier’’ une feuille de papier ne suffit pas à Ramona Zordini. Elle cherche à atteindre la bi- et la tridimensionnalité cyanotypique. Par un jeu de superpositions de feuilles pré- ou post-découpées  elle recouvre la platitude initiale du cyanotype de diverses épaisseurs, à leur tour travaillées, dont les échancrures centrales donnent cette impression sarcophagique de relief protecteur et de de profondeur  béante si caractéristique de ses créations. Une œuvre artefactique qui contribue autant au voilement qu’au dévoilement. Merci Heidegger.

    Une heureuse surprise que cette découverte de Ramona Zorbini. Mais une forêt ne possède pas qu’un seul arbre. Deux lignes du court texte par lequel Bank Myna présente son album ‘’ spécialement inspiré par les vies et les productions artistiques de la poétesse Alejandra Pizarnik et de la sculptrice Camille Claudel’’  m’ont fait sursauter.

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    Résident à quinze kilomètres de Nogent-sur-Seine, charmante bourgade dans laquelle se déroule la première scène de L’éducation Sentimentale de Flaubert, de surcroît elle abrita la jeunesse de Paul Claudel et de sa sœur qu’il fit interner durant quarante ans avec interdiction de sculpter…, et aujourd’hui s’enorgueillit du Musée Camille Claudel, je ne peux ignorer ni la vie ni l’œuvre de  la sculptrice. Je me souviens notamment d’une manifestation nocturne pour imposer aux pouvoirs publics réticents en compagnie de plusieurs centaines d’habitants à l’édification de ce conservatoire…

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    Alejandra Pizarnik, le nom ne me disait rien de rien. Wikipedia me renseigne, poétesse argentine (1936-1972) trop jeune – ou pas assez - choisissez l’option qui vous convient, ne jouent que ceux qui ont dépassé trente-six ans et qui donc n’ont pas suivi son exemple en se suicidant. Tiens, elle a vécu à Paris entre 1960 et 1964 – ça sent le surréalisme – doit bien rester quelques traces. Elle y a rencontré André Pieyre de Mandiargues – voici des années que je me promets de chroniquer son roman La Motocyclette – il est vrai que ce poëte reste occulté par la noirceur de son propre soleil, Yves Bonnefoy, Antonin Artaud, Alejandra avait bon goût. Une vie écartelée entre mal-être, désirs d’une vie de décadence et exigence de solitude. Pratiquement toute son œuvre a été traduite en France. Notamment par Claude Esteban directeur de la revue Argile. C’est ainsi que je m’aperçois que je l’ai  obligatoirement lue puisque dans les seventies je me procurais cette belle revue de poésie, qui malheureusement ne prenait pas de risques, or la poésie sans risque… Je n’en ai aucun souvenir, pourtant les nombreux textes disponibles sur le net sont engageants.

    Constantin du Closel / Fabien Delmas / Maud Harribey / Daniel Machо́n.

             Phonétiquement le titre de l’album nous évoque les lémures, ne pas les voir en tant qu’apparitions, en tant que revenants, une espèce de reviviscence égrégorique de quelque ancienne présence, mais en tant que phénomène de désintégration de quelque chose qui palpite encore mais qui est en voie de désintégration. Selon le dictionnaire Eimuria désignerait un tison qui s’éteint doucement, une mort en quelque sorte illuminescente. 

    No ocean thougths : une porte que l’on referme dont les échos se répercutent sous une voûte d’ombre et s’évanouissent pour laisser place à la récitante, à la prêtresse qui chantonne en étirant les prophéties accomplies, car depuis le début des temps tout est déjà accompli depuis longtemps et les actes se répètent à l’infini puisqu’ils ont déjà été commis une fois, il n’est nul besoin d’y penser et d’y repenser mille fois, les pensées sont faites de mots et les mots ne sont que l’oubli des choses qui ont eu lieu, la musique se traîne en une majestueuse robe noire de mariée qui arrive en retard pour les noces déjà passées dont elle n’est plus que l’absence dépassée. Imaginez des fracas de violoncelles et des choses percussives qui tombent dans leur immobilité. Un majestueux prélude qui sonne tel un crépuscule. The shadowed body : quand il n’y a plus de pensée ou bien si peu qu’elle ne porte plus de signification, il reste encore à se livrer à l’occultation de son propre corps,  l’on pense à la manière radicale de cet enfant spartiate qui refusant son statut de prisonnier s’est fracassé la tête contre un mur pour périr en homme libre, mais ce n’est pas ici la solution envisagées, à la voie sèche de passation de pouvoir l’on a préféré la voie humide, plus longue et de grande patience, peut-être est-ce pour cela que malgré l’ambiance funèbre de base et les onze minutes du morceau, l’on ne s’ennuie pas, le trauma musical est empli de rebondissements, l’on négocie des courbes en progression constante, surtout pensons que la mort du corps est encore une geste érotique qui tourne à l’exaltation, à l’imprécation, à l’éjaculation orale dans le vide du non-être. Mortelle catharsis. The other faceless me : je serais tenté de proclamer que ce morceau serait intrinsèquement dédié à l’art cyanotypique de Ramona Sordini, ne serait-ce que par ce pinceau de lumière bleue sur l’écran noir de la vidéo qui bientôt irradie de sa pâleur bleuâtre le visage et le corps de la prêtresse qui danse. La caméra à bout pourtant sur des mains qui se croisent, combien sont-elles, une de deux, trois jusqu’à ce que le voile sombre s’entrouvre sur le corps de ballet, des sacrificatrices qui dansent et s’entrecroisent dans leur solitude, au loin une porte étroite permet de voir qu’au dehors que le monde est bleu mais pas du tout comme une orange, maintenant tout un peuple de présence danse, mais que cela signifie-t-il, une danse mortelle, certes mais surtout cette autre face de moi-même sans visage, ma sœur d’ombre que je porte en moi beaucoup plus qu’elle ne me soutient, et portant si séparée de tous les autres, de toutes les autres, une façon de nuptialité égotique de soi-même avec l’une des moitiés – oui mais laquelle – de soi-même, est-ce pour cela que maintenant elle est seule dans sa propre centralité, indifférente à cette surface adjacente du monde dans lequel elle se ait incapable d’évoluer, malgré ces gestes d’amour, ces étreintes, go indigo go !, l’absence de moi ne serait-il qu’une rupture de moi selon la moitié de moi manquante, un tournoiement spectral d’une pensée sans corps à moins que ce ne soit un  corps sans pensée… le lecteur qui aura eu la curiosité de lire quelques poèmes d’ Alejandra Pizarnik ne sera pas perdu dans cette évocation de ses thèmes poétiques prédilectifs. L’ensemble dure près de neuf minutes. Bank Myna se livre à une espèce d’art total qui allie : chant-musique, image-danse, et profération-poésie. Une espèce de mise en œuvre tridimensionnelle pour reprendre les volitions tridimensionnelles de Ramona Sordini. La mise en voix de Maud Harribi est exceptionnelle. La musique colle à elle comme la peau du serpent s’entrelace autour de votre chair. Burn at the edges :  nous parlons de la

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    peau du serpent, la voici dès la première seconde  de la vidéo. Orange aveuglant. Les peintres vous diront qu’il est la complémentaire du bleu. Tout comme l’éros et l’attrait de l’autre sont le complémentaire de la solitude de soi-même. L’on ira même jusqu’à employer le mot supplémentaire car si le supplément est souvent considéré comme un bon ajout, il peut être aussi dénigré comme un trop, qui peut altérer la plénitude du juste milieu, même si celui-ci est aussi l’autre côté de l’injuste moitié. N’importe, pour le moment le morceau est si jouissif, si joyeux, si éclatant, que l’on s’en réjouit, même si l’on n’ignore point  qu’en son centre se niche un abysse irréductible, une pointe de noir, une blessure aussi écarlate que le sang menstruel, ce soleil rougeoyant de la vie qui s’écoule dans la fosse noire creusée par Ulysse pour susciter la part morte des siens qui remontent des Enfers pour le mettre en garde de l’inéluctable qui l’attend. L’implorante : les cris intérieurs que Camille Claudel n’a peut-être pas poussés, peut-être parce qu’ils étaient la seule matière noire à sa secrète disposition qu’elle était capable de sculpter, cette plainte pathétique Bank Myna essaie de nous en offrir une équivalence musicale, d’ailleurs la musique, une variation du prélude, se taille un peu la part du lion, car ce qui ne peut se dire doit être tu, alors Maud reprend sa langue à deux mains et tire la lente et cruelle psalmodie que l’on imagine incessante et éternelle, mais que l’artiste attachée à sa survie, liée à son rouet muet file la parole infinie de sa plainte qu’elle garde au-dedans d’elle, comme son ultime richesse que personne ne pourra lui subtiliser.  Maud reprend l’antienne souterraine pour nous faire miroiter les souveraines sculptures qui n’ont pas fui de ses mains. Chuchotement invisible qu’elle reprend comme l’hymne à voix basse du désespoir de vivre privé de la moitié la plus importante de soi-même.

             Non, Bank Myna n’a pas trouvé le riff qui tue, mais leur Eimuria est tout aussi meurtrier.

    Damie Chad.