Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 128

  • CHRONIQUES DE POURPRE N° 50

    CHRONIQUES

    DE POURPRE

    UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES

    Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires

    / N° 050 / FEVRIER 2017

    LUMIERE DE LUC-OLIVIER D'ALGANGE ( II )

     

    L’ETINCELLE D’OR.

    LUC-OLIVIER D’ALGANGE.

    Notes sur la Science d’Hermès.

    Quatrième de couverture : JEAN BIES.

    82 p. 14 €. LES DEUX OCEANS. 2006.

    Les Deux Océans. 19 rue du Val de Grâce. 75 005. PARIS.

    www.lesdeuxoceans.fr contact@lesdeuxoceans.fr

    Tel : 01 46 33 68 19.

     

    Ombre et lumière, la dramaturgie d’algangienne se déploie selon des fantasmagories élémentales. Encore faudra-t-il entendre les deux derniers termes de cette première phrase en tant qu’icônes symboliques éloignées de toute idée de représentation. Mais s’il est vrai que nombre de traités alchimiques s’ornent de planches imagées, et que tout un chapitre de L’étincelle d’Or est consacrée à l’apprentissage de leur lecture, ces Notes sur la Science d’Hermès s’inscrivent avant tout dans l’entreprise d’herméneutique généralisée à laquelle l’on pourrait réduire la démarche d’algangienne si ce n’était que celle-ci vise avant tout à la surmultiplication des signifiances originelles.

    Le livre s’ouvre sur l’étrange rappel historiciste de la naissance de l’hermétisme littéraire sous le règne de Ptolémée Soter. Comme s’il était besoin d’un point d’encrage précis pour remémorer l’infini chatoiement de l’immémoriale alchimie. Les esprits distraits et primesautiers nous arrêteront pour nous poser cette question qui leur brûle les lèvres : « Mais en quoi l’alchimie peut-elle bien intéresser Luc-Olivier d’Algange ? »

    Il serait si facile de leur répondre que l’alchimie est à la Littérature ce que le nombre d’or est à la mathématique. Qui n’a de sa vie eu l’occasion de feuilleter, avec le sourire circonspect de rigueur, un traité d’alchimie ? Tout le monde. Et très vite chacun a laissé retomber d’un air découragé ou dégoûté la couverture sur le volume refermé à tout jamais !

    La pratique alchimique s’apparente à l’incessant labeur de Karon sur les flots tumultueux de l’Akeron. Sans arrêt il faut passer d’une rive à l’autre et reprendre aussitôt les rames pour continuer l’incessante opération. L’alchimie est une pratique de la littérature qui oblige à transgresser toute lecture par une expérimentation métaphysique. A peine a-t-on les yeux sur son livre, à peine s’est-on réfugié à l’intérieur idéogrammatique de soi-même qu’il faut s’en aller au-dehors de soi se confronter au réel du monde. Mais autant la métaphore karonienne vise la mort et s’apparenterait d’autant mieux aux destinales relectures horoscopales de notre hyperbolique trajectoire déclinante, autant le principe alchimique concourt à l’immortalisation de notre présence géique.

    L’étincelle est le résultat d’une conjonction. Le monde et l’individu s’entrechoquent et s’allument d’un reflet réciproque. Le titre de l’essai est emprunté au poëte qui théorisa l’alchimie du verbe. L’alchimie est dangereuse car elle dissocie l’antique logique aristotélicienne et dichotomique de la metaphysis en tant que corpus ou organon séparé de la physis. Rimbaud s’y brûla.

    L’alchimie s’apparente à la dissociation atomique de la matière. L’on retombe sur le vieil imbroglio des algangiennes contradictions évoqué dans l’article précédent. Pour échapper au nœud gorgien du néant d’Algange institue la notion de non-dualité qui permet d’évoquer le concept du monos sous la seule forme spectrale de sa non-appréhension. Ce n’est pas pour rien qu’un des tout premiers articles de Luc-Olivier d’Algange fut consacré au Colloque de Monos et Una d’Edgar Allan Poe !

    C’est que l’enjeu est d’importance : il faut à tout prix que l’alchimie ne soit pas une simple science naturelle, elle se doit de ne pas déroger de l’ordre surnaturel du monde. L’alchimie dalgangienne réfute toute inscription chronologique. Elle n’est pas l’ancêtre de notre chimie moderne. Au contraire elle est la transcendance de celle-ci, qu’elle exhausse en vision plus large. Ô ces fleurs aux corolles plus épanouies que nature de la Prose pour des Esseintes !

    Dans L’Ombre de Venise d’Algange a écarté la tutélaire figure du dieu très chrétien, selon notre ère civilisationnelle. Dans L’Etincelle d’Or il s’occupe de tordre la branche de l’autre plateau de la balance théologique. L’on ne se débarrasse pas si facilement d’un cadavre aussi embêtant. Même Nietzsche a eu du mal à rassembler la semence divine de Dionysos épandue aux quatre pôles de la terre par les titans têtus. Le panthéisme est la rançon de l’idée du meurtre. Notre père qui étiez aux cieux arrêtez de vous rouler dans la fange terrestre.

    Vision éthérée de la Science d’Hermès dénonceront certains. La pensée de Luc-Olivier d’Algange est une fille du feu nervalien, mais d’un feu plus subtil qui remonte jusqu’au cinquième élément. Cet éther flogistique sur lequel Einstein médita si longtemps avant d’énoncer ses lois de relativité restreinte et absolue. Comme une recette analogique à cette loi d’interdépendance universelle qui est au cœur de la contemplation alchimique.

    L’alchimie d’algangienne est le symbole littéraire qui réunit les absences théologiques du dieu et de la terre. De la quadrichromie heideggerienne d’Algange a éliminé deux couleurs majeures. Entre l’advenue de l’être et le retour des Dieux, il ne reste plus beaucoup d’espace conceptuel ! L’unité du Royaume est maintenue. Mais à quel prix !

    Il est dommage que ce soit à nous vieux briscards de l’Imperium Romanum qu’échoie le don de la plus grande pertinence des analyses de la pensée d’Algangienne. La pensée d’algangienne est héroïque. Elle tente de sauver les derniers espaces résiduels du divin qui restent encore à défendre. La tache métathéologique que s’est imparti notre penseur reste incompréhensible pour la plupart de nos contemporains. Beaucoup qui devraient lui tresser des couronnes de laurier n’ont même pas idée des prises de risque et des retombées métapolitiques d’une entreprise intellectuelle d’une telle ampleur. Pour en rester à un niveau purement métaphysique, et s’il nous fallait résumer en quelques mots le but et la visée de la démarche d’algangienne, nous nous contenterions de la stigmatiser de la lapidaire appellation cicéronienne de Contre le panthéisme. Mais que le lecteur se souvienne que le chemin d’algangien n’est en rien positiviste. Il est au contraire des plus prométhéens, mais d’un Prométhée qui s’acharnerait à voler et reprendre aux hommes l’étincelle d’or du feu primordial pour l’offrir au vautour dévorant du dieu qui ne brille plus que par son absence.

    Si ce qui est au ciel correspond à ce qui est sur terre il faut reprendre pied en la Jérusalem terrestre pour sauver la Jérusalem céleste. Le graal chevaleresque reste toujours à conquérir. Ainsi sera rédimé le Royaume. Cette simple, à notre gré, province d’Empire que Luc-Olivier d’Algange s’efforce d’instituer - par le glaive flamboyant de son écriture athanorique, athanothéologique - en tant que cœur sacré royaumal.

    Félicitons-nous de l’impulsion éditoriale qui ne manquera pas de suivre ces deux premières tentatives. La littérature française est en train d’accueillir et de découvrir, et l’un de ses plus grands stylistes, et l’un de ses plus fins métaphysiciens. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Nous espérons par cette modeste étude, tout en ayant exposé la signifiance extrême des enjeux dont elle est porteuse, avoir attiré l’attention de nos contemporains sur la gestique célébration et la beauté héroïsante de l’œuvre de Luc-Olivier d’Algange. Le combat est toujours le même : l’Empire contre le Royaume.

    André Murcie.

     

    LE SONGE DE PALLAS

    suivi de De la souveraineté et de

    Digression néoplatonicienne.

    LUC-OLIVIER D’ALGANGE.

    Essai. Editions Alexipharmaque. 150 p. 18 €.

    64 141 Billère Cedex.

     

    Deuxième volume de Luc-Olivier d’Algange aux éditions Alexipharmaque, pas besoin d’être grand thaumaturge pour prédire qu’il y en aura d’autres ! Nous ne pouvons qu’applaudir à ce dévoilement méthodique de l’Orphique projet d’Algangien d’une herméneutique généralisée du Style et du Sens de l’atemporalité littéraire.

     

    L’IDEELLE PATRIE

    Si nous devions résumer le contenu de ce livre il nous suffirait de trois mots : Homère, Platon, Plotin. Certes à chaque vocable nous énonçons un continent mais cela ne serait rien. Ce ne sont pas les textes sur ces trois figures majeures de la civilisation grecque qui font défaut, et Troie de plus ou Troie de moins, la face du monde n’en serait pas changée. Nous avons d’ailleurs une université ronronnante à souhait qui se charge à merveille d’entretenir sur la tombe des civilisations éteintes la flamme froide des stériles récapitulations.

    Notre modernité fleurit sans restriction les anniversaires du souvenir. Mais l’étude de la Grèce antique n’offre d’autre inutile intérêt que platement et pieusement exhumatoire, si l’on ne l’inscrit pas dans l’active réminiscence philosophique d’un combat actuel.

    Ne vous laissez pas endormir par le songe de Pallas sinon les yeux grand-ouverts de Méduse vous pétrifieront. Luc-Olivier d’Algange nous rappelle que l’impitoyable déesse de l’Intelligence noétique marche au combat couverte de l’égide frangée qu’elle brandit tel un miroir qui renverrait à l’ennemi la monstrueuse image de ses propres ténèbres intérieures.

    Pourquoi la Grèce et point une autre alma mater ? Luc-Olivier d’Algange institue de troublantes rencontres entre l’esprit français et l’âme grecque. D’habitude l’on rangerait plutôt la France sous les sombres arches indestructibles de la romanité, tissant de préférence de flexibles perméabilités entre le génie grec et les démonies germanique. Mais Nietzsche le plus altier des philosophes allemands, celui qui renouvela notre vision par trop classique de la philosophie grecque, se revendiquait sans cesse de cette docte humeur française, libertine et pétillante, caustique et insaisissable, plus encline aux virtuosités spirituelles qu’aux lourdes et confuses dévotions apodictiques rhénaniques. Le couteau de la langue française est toujours un peu taché de sang. Est-celui d’un Dieu qui aurait pris quelques mauvais coups en voulant rejouer dans un remake ossangien du combat contre l’ange, ou celui d’un bourgeois paisiblement égorgé au sortir d’une festive orgie intellectuelle ? Que Rimbaud ou Villon répondent pour nous.

    Donc la Grèce. Celle des Dieux et des poëtes. Celle triomphante, de la mosaïque d’Arbéles, Alexandre chargeant à la tête de la cavalerie macédonienne empli de cette fureur sacrée qui ne saurait être qualifiée d’hybris, car celui qui force les portes de corne et d’ivoire du songe des Dieux a franchi sans encombre l’ordalie éthérique de nos finitudes humaines.

     

    EROS

    Les tâcherons scolaires ont coupé le gâteau platonicien en deux tristes morceaux. Les mauvais élèves se partageront les gros gluaux farineux du pain des pauvres d’esprit, et les délicates cervelles humeront le fin fumet évanescent de l’idée de la galette, réduite à la portion congrue de son ombre platonique. Luc-Olivier d’Algange ne s’empiffre pas plus à s’étrangler de cette brioche-là qu’il n’avale sans la sentir passer la dragée eucharistique.

    L’eidos nous enjoint de redescendre de la transsubstantiation cognitive. Il faut revenir au corps du délit, de Délie et de l’idée. Glissement progressif vers le plaisir, l’acmé platonicienne est une montée érotique. L’on passe de forme en forme comme d’amante en amante. La connaissance n’est pas un saut en chute libre dans l’inconnue mais une avancée victorieuse dionysiaque et voluptueuse, apollinienne et maîtrisée.

    Car les Dieux sont toujours là, dans la présence des choses et du monde, dans le chemin du logos, et la langue qui parle est aussi celle qui embrasse et incendie les chairs offertes en même temps que conquises. Les fidèles d’amour sont avant tout des fidèles d’éros.

    Certes ces textes insistent surtout sur la contemplation théorique et théoriale du déploiement de l’être dans l’arborescence ensoleillée de l’étant. Etant dire que le monde brûle de mille feux invisibles. Mais il suffit de passer sa main à la surface des êtres et des choses pour ressentir l’inaltérable désir du monde et des Dieux.

    L’homme moderne habite la chambre froide de ses rêves éteints. Il ne consume plus le monde mais le consomme, faute de mieux, faute de Dieux. Cette relation incestueuse et pédophilique qui unit, en une jointure existentielle absolue, et sa finitude circonstancielle et son infinitude essentielle, l’homme moderne l’a oubliée. Tout au plus la marque-t-il encore d’une lointaine amnésie hystérique moralisatrice et auto-castratrice. L’ange à rogner ses ailes se délecte d’un bien masochiste plaisir ! Tout seul, comme un grand benêt, et ne s’en sentant pas plus bête pour cela, ayant perdu jusqu’au simple instinct de survie animale. Le moderne qui n’éprouve pas la nostalgie androgynique d’un monde partagé, n’est plus qu’une caricature de sa propre moitié. C’est alors que la femelle se mêle mal au mâle et que s’engendrent les valeurs moralisantes du puritanisme moderne.

     

    ARES

    Ce livre est bien une machine de guerre contre la modernité. Toutefois l’éternel retour du cycle perpétuel et empédocléen n’est pas totalement revisité. Eros et Arès ne construisent ni ne détruisent un même monde. C’est déjà en cela que Luc-Olivier d’Algange peut dire que l’éternel retour n’équivaut pas à l’éternel retour du même. A la conception monothéiste du retour du même coexiste la volonté polythéiste du monde.

    Nous sommes là au cœur de la contradiction d’algangienne qui accepte cette dualité gnostique alors qu’un André Murcie, par un exemple tout à fait inaléatoire n’hésite pas à sacrifier l’un au profit du multiple, puisque l’un ne résorbe dans la multiplicité. Mais Luc-Olivier d’Algange pose l’un et le multiple sans jamais trancher, à l’instar de Platon incapable de choisir entre l’un et l’autre, chacun des deux entrevus comme et contre le reflet monothéique de l’autre. Plus tard Plotin sauvera la mise platonicienne par un retournement dialectique de l’un et de l’autre unifiés dans la multiplicité séparante de leur double postulation.

    Ceci est d’une autre problématique mais il ne faut pas chercher plus loin que l’un, l’autre et le multiple, la divine apparition de la sainte trinité catholique. La gnose a poussé une hypostase dans le ventre mou du christianisme. Et le taureau mitraïque n’a jamais retiré sa corne d’abondance de la théologie chrétienne. La pensée d’algangienne se tient en cet instant précis, au-dessus du gouffre, sur le fil, lorsque le torero se relève et brandit son épée, gladiator valéryen, et poursuit le combat, le mufle du fauve, du verbe ou du dieu sur son épaule, et revient au centre de l’arène car jamais l’on n’interrompt le songe de la déesse.

    Le songe de la déesse comme l’image sanglante de la virginité littéraire accomplie, assumée en les noces odysséennes de l’esprit avec le fer de la langue. La beauté du style d’algangien provient de cette tension irréfragable, de cette lutte surhumaine à tenir à égale distance les trois redoutables crocs de l’assomption du divin. Car les Dieux viennent plus facilement au poëte que les hommes ne vont aux dieux.

    L’exemple homérique nous écarte de l’éros. Trop aimer les Dieux ne sert de rien. A l’éros préférons les héros. Luc-Olivier d’Algange bat le tambour de guerre des mentalités héroïques. Sur l’Île des Bienheureux il a été assez forgé d’armes. Il est temps d’opérer une sortie et d’accomplir les prémonitions prophétiques du songe de la Déesse.

    Les dieux nous sont une injonction au défi de notre existence. C’est parce que l’acceptation de la modernité est impossible que l’écriture d’algangienne renoue avec une ancestrale escrime paroxystique et herculéenne. Il faut savoir se détourner du divin pour mieux s’occuper des monstres qui nous assaillent par derrière. De la théorie contemplative l’on se doit de passer à la praxis.

    L’attaque est la meilleure des défenses. L’urgence des premiers assauts a toujours empêché Luc-Olivier d’Algange de céder aux sirènes du chant divin. Le mythe de la déesse a brisé le miroir spéculatif intérieur. Dire et répéter à satiété le récit sacré est la fonction de l’aède. Celui qui défend l’enceinte natale ne peut se contenter de pourparlers insipides avec ses propres forces. Les nuances réflexives d’une introspection infinie des formes rondes du jour et de la nuit ne sont pas la meilleure manière d’échapper aux doigts de rose de l’Aurore matutinale.

    La guerre à mener contre les dieux et le monde se solutionne souvent en un duel avec soi-même. Nous sommes à notre propre image, pieuse et comme notre propre photocopieuse. La ronde des soufis le laisse transparaître, la guerre sainte nous enferme dans la danse solitaire de notre tournoiement solaire.

    ERIS

    Au-delà de soi. Au-delà des Dieux. Au-delà du dieu, du verbe, de qui vous voulez et au-delà de l’au-delà. La démesure n’est pas l’hybris. Ce n’est parce qu’il avait quelques problèmes mal réglés avec son oedipe, comme le laisse entendre un film récent, qu’Alexandre s’est voulu Dieu. Il ne s’agissait pour lui ni de tuer le père ou pire de se substituer à lui sous la forme de dieu le père.

    Il arrive un moment où le logos doit se faire kaos. S’il ne veut pas s’abîmer dans l’auto-copulation narcissique du même avec le même lui-même. Il faut briser le miroir intérieur et déclarer la guerre à sa propre image. Il ne faudrait pas croire que l’éris soit constitutive de l’effondrement final nietzschéen. L’éris balaie le moi et le monde.

    Sans doute faudrait-il parler de la fonction sociale de l’éris. L’idée peut paraître baroque lorsque l’œuvre d’Algangienne s’est bâtie selon une éthique aristocratique – son premier livre au titre si évocateur de Médiances du Prince Horoscopal, voici presque trente ans – en tant que dénonciation en règle du démagogisme démocratique !

    Mais l’éris est au fondement de ce que ce fils de roi appelle le Royaume et que nous-même nommerions Imperium. Nous ne revenons sur cette différence métaphysique que pour souligner la logique de la pensée d’algangienne fidèle à ses propres prolégomènes idéens. Lorsque vous avez brisé le carcan de votre haïssable moi, ce moi insensé infatué de ses propres songes, vous retombez immanquablement dans le nombre illuminatif de ceux qui ne sont plus vos semblables. Animal politique Aristoteles dixit.

    Au pays des anarques, le roi est borgne. Celui qui ne rêve que d’un œil que faut-il en penser ? Comme l’eau du fleuve dans lequel on ne se baigne qu’une fois ? Et si le divin résidait en cette seule copule restrictive ? Serait-il logique de dire que le divin est une restriction grammaticale ? Se baigne-t-on deux fois dans le même verbe être ? Vertige du logos et verbiage du verbe. L’éris accède-telle à la logique du langage ?

    Ce que l’on ne peut pas dire vaudrait-il mieux le taire ? Qui peut le dire ? Puissance foisonnante du kaos ! En ces dernières lignes Luc-Olivier d’Algange invoque la sagesse de la fidélité au verbe. L’on pourrait trouver cela réducteur. Mais la réduction n’est-elle pas une restriction éristique ?

    Il suffit de remonter la chaîne aristétolicienne des causalités d’algangienne : le verbe n’est qu’une forme logique et idéelle du songe de Pallas. Encore qu’évidemment il ne faudrait pas entendre la concaténation d’Aristote comme un déterminisme matérialiste de bas-étage. Pas plus qu’on ne traverse deux fois vainqueur le même Achéron, l’on ne se jette deux fois de suite dans l’Etna.

     

    L’IDEELLE ECRITURE

    L’écriture d’algangienne est un brasier. L’éros comme baiser de feu, l’arès comme flaque de sang, l’éris comme tapis de pourpre. Toute lecture d’algangienne, dès qu’elle ne veut point se contenter du doux balancement des harmonieuses cadences d’une prose d’une limpidité exceptionnelle, se transforme vite en périple ordalique.

    Le Songe de Pallas est un livre de haute métaphysique. Mais qui s’attendrait à une promenade de tout repos dès que l’on se hisse sur les sommets olympiens ! Luc-Olivier d’Algange s’obstine à penser ce qui pour la majorité de nos contemporains relève de l’impalpable. Ayez en mémoire que son précédent livre s’intitulait L’Ombre de Venise. Entre l’ombre et le songe il semblerait que Luc-Olivier d’Algange se complaise en les voiles arachnéens les plus subtils !

    Le pire c’est que l’on ne songe jamais en le lisant qu’il lui arrive de lâcher la proie pour l’ombre. Terrible carnassier que Luc-Olivier d’Algange ! Il n’existe pas pour le moment de critique plus radicale de la modernité que ces deux ouvrages. Pour la seule raison qu’en platonicien qui se respecte Luc-Olivier d’Algange dédaigne les scories évènementielles de l’actualité pour s’attaquer à l’essence ipséenne de la modernité.

    La pensée grecque est au fondement même de la pensée occidentale qui s’est imposée au monde entier. Il ne manque pas de commentateurs ; radios, télévisions et vitrines des librairies débordent de beaux parleurs. Mais qui a encore la patience de ce retour à l’origine ?

    La modernité est pressée. Plus personne n’a le temps de cette longue constance, de ce long désir de compréhension. Cela fait presque trente ans qu’articles après articles, comme autant de bouteilles lancées à la mer, Luc-Olivier d’Algange a entrepris ce chemin de retour, à travers un legs immense et de plus en plus délaissé, vers les œuvres vives de la littérature universelle.

    Luc-Olivier d’Algange a accumulé une érudition sans pareille qui n’est encore rien si on la compare à la clairvoyance de sa pensée. Le lecteur sera peut-être surpris d’apprendre que ces deux livres éditées par Alexipharmaques ne sont qu’une part infime de l’œuvre écrite par notre écrivain, dispersée en près de deux cents revues. Des traductions sauvages en anglais, en espagnol apparaissent depuis quelques années sur Internet, mais en France couvercle et chape de plomb !

    L’ostracisme qui pèse sur cette œuvre essentielle est certes compréhensible quand l’on réfléchit à la violence de la critique d’algangienne. Mais il est aussi un des signes les plus inquiétants de la nouvelle barbarie libérale qui se met tout doucement en place. Nos contemporains ont perdu le goût et le souci de la beauté !

    Luc-Olivier d’Algange, de par son attachement indéfectible à l’admirable plasticité formelle de notre langue et de par son impeccable fidélité à nos plus séminales traditions littéraires, reste l’honneur de notre littérature.

    André Murcie.



    BALISE ARGOS

     

    ARGONAUTIQUES.

    APOLLONIOS DE RHODES.

    Chants I – II. 284 p. 1975.

    Chants III. 160 p. 1995.

    Chants IV. 284 p. 1996.

    Texte établi, commenté et traduit par

    EMILE DELAGE et FRANCIS VIAN.

    LES BELLES LETTRES.

     

    Avant L’Odyssée il y eut une autre épopée consacrée à Jason et sa fabuleuse geste argonautique. Il n’en reste rien mais les connaisseurs de la littérature grecque s’accordent sans trop de mal sur cette affirmation. Homère ne fut pas le premier, et nos origines littéraires reculeraient d’un demi-siècle ! L’on comprend que l’on n’aime guère s’attarder sur cet érudit assassinat du père qui bouscule quelque peu notre représentation de l’Hellade antique. L’Odyssée est certes une relation de voyage mais il est aussi un récit de fondation et donc de repli sur soi-même. Les routes du monde y convergent pour mieux forger le modèle idéal et héroïque de l’Homme grec. De par sa nature exploratrice une argonautique est obligatoirement une œuvre d’ouverture, propension et dispensation, qui ne peut se traduire que par une usure, une corruption inévitable du modèle civilisationnel grec. L’on ne frotte pas un silex contre la rugosité du monde sans en arrondir les angles.

    Il existe sans aucun doute une articulation dialectique des plus logiques entre la fin de l’anabase d’Alexandre le Grand et la reviviscence des mythes argoniques au début de la dynastie statuaires des Ptolémées sous la plume inspirée de Callimaque et d’Apollonios de Rhodes. Nous passerons rapidement en cette chronique sur le différent qui opposa le maître et le disciple. La querelle reste des plus obscures et la haine recuite des amitiés littéraires froissées n’est guère affriolante. L’on se doit de ne pas entrer en Littérature par les poternes dérobées réservées aux basses besognes de l’historiographie clochemerlesque…

    Les Argonautiques ont disparu de l’horizon obligé de l’honnête lecteur moderne. Voici une œuvre qui se trouve reléguée au quatrième plan de nos nécessités culturelles. On la range plus facilement dans la bibliothèque des introuvables que sur le rayon des incontournables. Virgile, Horace et Ovide ne renâclèrent point à s’y abreuver. Autant dire qu’elle est au fondement de la plus grande lyrique française et donc européenne.

    Reste que les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes pâtissent de l’implicite parallèle que l’on ne manque pas d’établir avec Homère. Les notes de notre édition – qui en volume dépassent le texte de l’œuvre – en témoignent à l’excès. Avec en plus une systématique confrontation avec les laisses de Pindare qui traitent de la même matière. Nous sommes pour une herméneutique généralisée des textes. Notre démarche, en nos chroniques de pourpre s’inspire d’une telle volition. Il n’est point d’explication littéraire, au sens scolaire et universitaire du terme, qui tienne la route de l’esprit. Les œuvres comme les mots mallarméens s’allument de reflets réciproques et dans la nuit orageuse de nos désirs d’une plus grand existence ce sont-là les seules lumières, les seules fugaces illuminations, qui peuvent tant soit peu éclairer notre chemin. Nous recommanderons donc au lecteur soucieux de goûter à la beauté du texte de ne parcourir les gloses attenantes que d’un œil distrait.

    Dépassant péniblement ses six mille vers l’apollinienne épopée nous semble contenir dans un mouchoir de poche. C’est vraisemblablement influencé par cette taille de poids-coq que Francis Vian ne cesse de comparer son action au déroulement d’une tragédie, allant jusqu’à établir d’hypothétiques ressemblances avec des textes perdus d’Eschyle et de Sophocle. Grossière erreur : une tragédie demande à défaut d’unité de lieu une unité d’action. Renvoyons le volant de Nausicaa à notre comparateur : s’il est une épopée qui se conforme au déroulement tragique ce serait bien l’Odyssée avec son action regroupée en le palais royal autour de l’attente désespérée de Pénélope. Les pérégrinations d’Ulysse dont l’intrigue est entrecoupée s’intègreraient pour le plus grand délassement du spectateur en des intermèdes lyriques, joués, chantés, dansés, par le chœur.

    Désolé de ne point être d’accord mais nous aurions plutôt tendance à créditer les Argonautiques d’Apollonios du titre de premier road-movie de l’Antiquité. Attention road-movie ne signifie pas western. Côté hémoglobine Apollonios n’en déverse même pas un quart de camion citerne : une malheureuse échauffourée dans le noir au premier chant – avec le soleil revenu l’on s’apercevra que l’on a occis ses propres amis – une bataille navale sans un seul bateau coulé, quelques coups de poignards dans le dos et toujours en pleine nuit, un malheureux qui marche sans le faire exprès sur la queue d’un serpent à la cruelle morsure définitive, plus un monstre qui s’attrape une espèce de malheureuse phlébite en soulevant un gros caillou au quatrième chant, même pas de quoi remplir une rangée de cimetière.

    Par contre l’on n’oubliera pas d’abandonner grand-mère Héraclès sur le bord de l’autoroute où l’on s’est arrêté pour boire un coup. Mauvais joueur le vénérable Hercule ne pardonnera pas à ses compagnons cette faute de préséance. Tout au long de leur périple les Argonautes retrouveront partout où ils s’arrêteront les traces de leur passager qui les a systématiquement précédés et qui en a profité pour accomplir à chaque fois l’un de ses douze travaux imposés. C’est à se demander si en cours de route Apollonios n’a pas regretté d’avoir mal choisi son sujet.

    C’est que face à la virilité du fils de Zeus Jason fait pâle figure. Entre un chasseur de lion vivant et un récupérateur d’une peau de bélier mort, il y a une sacrée différence. Ne levez pas le doigt pour préciser que la toison d’or est gardée par un horrible dragon. Jason n’a jamais assisté à un opéra de Wagner. N’est pas Siegfried qui veut ! Notre horrible lézard ronfle à griffes fermées, et fièrement enveloppé dans son larcin Jason ne le transpercera même pas de son épée.

    La parole est à la défense : bien sûr le cas Jason présente des circonstances exténuantes, il est amoureux et son alibi porte la prestigieuse appellation de Médée. Elle occupe le troisième acte à elle toute seule, c’est la star, la diva, et le poème explose avec elle. Virgile a dû beaucoup s’en inspirer pour introduire Didon dans son Enéide. Même scénario, le héros s’efface devant l’héroïne qui lui vole la grande scène centrale.

    Certes dans le quatrième chant la chaste, pure et trouble jeune fille de cœur se transforme en froide reine de pique, mais ne subsisterait-il que la troisième partie de l’œuvre qu’Apollonios de Rhodes serait tout de même à classer parmi les plus grands poètes de la Grèce antique et de l’humanité. Dommage que Freud ait lu Sophocle et non les Argonautiques, sa fascination oedipienne aurait été transformée en complexe de Médée et sans doute aurait-il eu l’occasion de gommer le côté rigide et par trop mécaniste de sa triste et désopilante théorie.

    In cauda venima ! La fin est surprenante. Argo n‘est pas encore arrivée à bon port que tout le monde descend. Circulez, il n’y a plus rien à voir ! Vous aimeriez bien savoir si Jason retrouvera son royaume, comment nos amoureux vont avoir de beaux enfants et comment ils vont être malheureux. Pas un mot. Pire que Stendhal qui bâcle les finitions rouges et noires de son célèbre roman.

    La nef est-elle à peine rentrée dans les eaux territoriales de la Grèce qu’Apollonios arrête les frais de tournage. L’épisode I que nos publicistes modernes auraient sobrement intitulé Jason chez les barbares se termine en queue de poisson. Ce qui reste dans l’ordre des choses pour une saga aquatique mais qui nous interdit d’écrire un couplet prometteur sur ce poème qui serait aussi et en même temps un roman d’initiation.

    De ses lointaines aventures Jason n’a rien appris. Grec il est parti, grec il est revenu. A l’époque où il écrivit Apollonios n’avait pas intégré les mutations contemporaines de l’hellénisme. La Grèce s’était considérablement agrandie mais selon Apollonios le monde n’avait pas changé. Sa clepsydre donne encore l’heure de la Grèce classique et ce n’est pas lui qui l’alignera sur le nouveau méridien d’Erathostène.

    Sans doute considère-t-il qu’il en avait à lui tout seul assez fait pour l’humanité puisqu’il venait d’ajouter un chef d’œuvre universel à la longue liste du patrimoine grec. Et nous ne pouvons que lui donner raison.

    André Murcie.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE N° 49

    CHRONIQUES

    DE POURPRE

    UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES

    Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires

    / N° 049 / FEVRIER 2017

    LA QUILLE ET LE BAUBON

     

    LES MIMES D’HERONDAS.

    PIERRE QUILLARD.

    Traduction littérale accompagnée de notes.

    148 p. 1900. MERCURE DE France.

     

    L’on ne parle plus guère de Pierre Quillard. C’est un peu de sa faute : voici un individu qui s’est au tournant des deux siècles précédents complu en des sodalités poétiques et politiques que notre modernité réprouve. Vous retrouverez de rares poèmes de Pierre Quillard dans les anthologies du Symbolisme et quelques courtes notules dans les archives du mouvement ouvrier.

    Etrangement les rares personnes qui aujourd’hui entretiennent encore son souvenir font partie de la mouvance arménienne. Pierre Quillard qui fut en 1897 professeur à Constantinople fut un des premiers qui s’éleva contre la répression systématique des arméniens qui devait quelques années plus tard déboucher sur les tristement célèbres évènements sanglants dont la très disputée qualification génocidaire empoisonne actuellement encore les rapports de la Turquie avec nombre de pays occidentaux…

    Symboliste, anarchiste, Pierre Quillard nous est des plus sympathiques qui théorisa l’exercice de la littérature comme une des formes de l’action directe de libération des corps et des âmes de l’emprise sociétale et capitalistique. Il fut notamment un des collaborateurs la Revue Blanche que l’on redécouvre, grâce à une exposition parisienne ( ô si tardive ! ), ces jours-ci.

    Né en 1864, décédé en 1912, Pierre Quillard fait partie de cette armée de l’ombre de la littérature de combat dont la gôche française en son ensemble convertie aux délices du libéralisme s’acharne depuis une trentaine d’années à effacer la mémoire. Il existe aussi de silencieux et rampants auto-génocides culturels qui en disent beaucoup plus long que bien des palinodies médiatiques…

    Tel n’était pas Pierre Quillard qui avait compris l’importance révolutionnaire de la transmission littéraire. Reprenant la grande tradition d’un Leconte de Lisle et d’un Louis Ménard il consacra toute une partie de son existence à traduire les textes rares de l’antique grécité : ses traductions de L’antre des nymphes de Porphyre et du Livre des Mystères de Jamblique font encore autorité.

    Après un tel préambule l’on comprend mieux les raisons qui le poussèrent à donner sa propre version des Mimes d’Hérondas qu’un papyrus découvert en 1889 venait miraculeusement d’exhumer d’un néant presque total. L’on distinguait à peine sa silhouette grâce à un bref fragment d’une lettre de Pline…

    Hérondas vécut au troisième siècle avant JC. Ne nous sont parvenus que sept poèmes en entier et quelques miettes peu étendues de huit autres de ses productions. Peu de choses, mais aux âmes bien nées la qualité ne se mesure point à la quantité. Nous ne pouvons nous empêcher de rapprocher ses Mimes d’Hérondas des Mimes des courtisanes de Lucien. Le lecteur curieux se rapportera à nos chroniques, en ce même site de Littera-Incitatus, des mois de septembre 2006 et août 2007 sur Pierre Louÿs, autre grand grécisant symboliste, s’il en fut !

    Certes dans les précis de littérature grecque l’on s’extasie sur le charme d’Hérondas et sa résurrection du petit peuple grec, qu’importe que ce soit celui d’Alexandrie ou de l’île de Cos, qui semble se livrer en direct devant nous à de délicieux dialogues qui contiennent sans nul doute beaucoup plus de vérité humaine que ceux de Platon. Le cordonnier en sa boutique, le maître d’école qui reçoit une mère de famille furibarde, les femmes allant sacrifier aux dieux ou se livrant à d’intimes conversations privées, tout cela relève bien d’un vérisme facétieux qui nous dévoile en quelques lignes souriantes peut-être beaucoup plus de la Grèce antique que l’ensemble des ouvrages d’érudition pointilleuse entassés depuis trois siècles par les glosateurs les plus intègres.

    Mais attention ces quelques vers d’Hérondas atteignent à une dimension bien plus subtile, ils touchent à l’essence même du paganisme. Non pas qu’il serait essentiel à la compréhension des rituels religieux de l’antique Hellade, mais parce qu’ils réagissent en véritables marqueurs civilisationnels. Il suffit de lire pour comprendre la faramineuse distance êtrale qui sépare nos tristes époques encore engoncées dans la gangue moralisatrice de notre fonds culturel judéo-chrétien de l’effulgence miroitante de ces temps bénis des Dieux qui n’avaient pas encore été flétris par le sentiment de honte et de repentance christique. Vivre est-il un péché, ou un plaisir ? Toute la différence entre l’hellénisme et le christianisme se résout en cette seule question.

    Les premières lignes de Pierre Quillard qui s’extasie que ces textes aient pu être écrit en les lieux-mêmes ou pas beaucoup plus tard anachorètes et moines s’isoleront et se regrouperont pour hurler leur haine de l’homme témoignent de notre sentiment. La lecture d’Hérondas est une merveilleuse machine de guerre contre la chrétienté. D’autant plus efficace qu’elle n’a pas été construite à cet usage.

    C’est que Hérondas n’y va pas par quatre chemin pour poser le cul sur la commode du salon et la queue sur le piano. Trash and gore, l’Hérondas qui fait le printemps de l’éros. De toujours l’amour a été cruel et ressenti comme une torture. Les personnages d’Hérondas s’aiment bien les uns les autres, mais l’on s’y livre sans retenue aux joies du fouet et du fer rouge. L’on remplace les hommes défaillants par de bien plus virils braquemards, l’on s’adonne aux complaisances du fétichisme et du viol sans réserve. Et les femmes ne sont pas les dernières à mener les jeux érotiques.

    Quand je pense qu’il est de bon ton depuis au moins un siècle de faire la moue devant la poésie alexandrinique sous prétexte de sa fadeur, de sa préciosité, de son esthétique par top artificielle et guindée, j’en reviens à épouser la notion toute mallarméenne des contemporains qui de tous temps ferment les yeux pour ne pas lire entre les lignes.

    Grattez quelque peu la bienséance des technicités littéraires et les Mimes d’Hérondas ne vous apparaîtront plus comme la pittoresque représentation de scènes populaires. Prêtez quelque peu l’oreille vous y entendrez les rhombes exaltés des prêtresses de Dionysos, le rut orgiaque des ménades échevelées que le poëte essaie de contenir dans les étroites limites de tableaux de genre. Le chœur profond de la Grèce y bat et palpite encore.

    André Murcie.

     

    PASTORALES

     

    LES BUCOLIQUES GRECS.

    THEOCRITE. MOSCHOS. BION.

    Traduction nouvelle avec notice et notes

    d’ EMILE CHAMBRY.

    248 p. 1931. CLASSIQUES GARNIER.

     

    Comme par hasard, pour faire le lien avec la chronique précédente sur les traductions des Mimes d’Hérondas par Pierre Quillard il nous faut signaler que ce dernier s’est fendu en en collaboration de Marcel Collière d’une Etude phonétique et morphologique sur la langue de Théocrite dans « Les Syracusaines » brrr ! ce n’est peut-être pas le chemin de lecture que nous indiquerions de prime abord au lecteur qui exprimerait le désir de rencontrer nos charmantes siciliennes.

    Mais Théocrite et ses condisciples n’ont point besoin de telles lettres de recommandation. L’abord de ces œuvres est aisé et n’offre que très peu de difficulté. L’on peut dire que l’alexandrinisme commence avec la poésie de Théocrite, non pas parce qu’il en serait le fondateur, mais parce qu’il en est la pierre d’angle.

    Si l’on voulait définir l’alexandrinisme autrement que par la connaissance applicative de ses strictes modalités d’écriture il faudrait rappeler les conditions de sa naissance. L’alexandrinisme est de fait la première école littéraire qui ait jamais existé en tant que telle. Nous pressentons la levée des boucliers. Nous ne nions pas l’existence des Physiciens, des Sophistes, de l’Académie, et d’autres groupes constitutifs de l’époque classique.

    Mais l’alexandrinisme naît en des circonstances historiques surdéterminées. L’apparition de ce mouvement poétique est totalement subordonnée à la mise en œuvre de la Bibliothèque d’Alexandrie. Pour la première fois va se produire dans l’Antiquité non pas un accroissement de la diffusion et de la libre circulation des œuvres mais un point originel de focalisation littéraire. C’est avec la mise en œuvre de la bibliothèque d’Alexandrie que se fixe enfin cette immémoriale pratique d’écriture qui plus tard prendra le nom de Littérature.

    Puisque nous ne saurions résister à un mauvais jeu de mots ( ce qui est la base même de la littérature ) nous dirons que la Bibliothèque d’Alexandrie est ce moment où les lettres se transforment en bêle-lettres. L’on prend le temps de scruter les mots tels qu’ils sont reproduits sur leurs supports, l’oralité du chant laisse place au champ de la lecture. L’oreille n’écoute plus l’esprit c’est celui-ci qui commande l’œil. D’où une réduction de l’amplitude hyperbolique du son en faveur d’une focalisation plus serrée du sens. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve ici les termes mêmes de Valéry ; la querelle de la poésie pure qui déchira les salons de l’entre-deux guerres n’est sans aucun doute que la resucée d’un des multiples avatars de l’alexandrinisme.

    L’on y perd. Entre L’Odyssée et Les Syracusaines existe le même ordre de grandeur qui illimite l’océan et emprisonne les étroites berges d’un paisible ruisseau agreste. Aujourd’hui Théocrite n’est plus qu’un nom sans importance. Les lecteurs cultivés qui ont eu la démarche de vouloir feuilleter un de ses poèmes dans une anthologie doivent se faire rare. Par contre Homère triomphe. Même si on ne le lit plus vraiment chaque année il se trouve un romancier plus ou moins à court d’imagination pour nous pondre une resucée de son œuvre…

    Mais attention aux illusions de perspective notre littérature française doit beaucoup plus à Théocrite qu’à Homère. Peut-être est-ce de la faute de notre aimable syracusain si nous n’avons jamais pu accoucher d’une véritable poème épique national. Sans parler des échecs répétés des siècles précédents les petites épopées de Victor Hugo n’engendreront que la syncope de La légende des siècles. Un chef-d’œuvre certes, mais un canevas d’instants surajoutés, une mosaïque de tesselles inaboutie.

    Le surtitre qui englobe nos trois poëtes alexandriniens reste à méditer. Bucoliques grecs nous sommes à l’opposé de l’anabase fondatrice de l’hellénisme. Virgile lui-même porte dans ses premiers poèmes la marque infamante de cette réduction. Et toute notre Pléiade s’abreuvera à cette préciosité minusculatoire. Vertige de l’imitation, carence de la reproduction toujours en deçà du modèle mythifié qu’elle se propose, l’épopée n’est plus à la mode, c’est le sonnet qui devient à la page.

    Toujours la même attention sous-multipliée à la puissance 14 qui devient la norme. Entre la fixation du texte opérée par les savants exégètes de la Bibliothèque d’Alexandrie et les exactes théorisations mallarméennes il existe une continuité germinative. Cette régression ad libitum est un désastre, ce n’est pas un hasard si Mallarmé emploie cette image si antiquisante du coup de dès pour la fixer.

    Pour filer la métaphore nous dirons que le coup de Vénus inscrit déjà les tours et détours de la carte de tendre. Tout cet entre-deux si français qui court en notre classicisme du seizième au dix-neuvième siècle, cette galanterie dans les mœurs épigrammatiques des très riches heures de notre noblesse ( mais la dernière pointe tue ) s’exhale de Théocrite.

    Rendons ici un discret hommage à André Chenier qui rouvrit les vannes de la poésie lyrique. Il prépara par des voies antiques l’explosion de la poésie moderne. Il a abondamment puisé dans le trésor de l’alexandrinisme, n’hésitant pas à pasticher pour mieux s’inspirer. Emile Chambry a raison dans sa savante introduction de ne pas suivre à la lettre les indications et les leçons des philologues. Il est de fortes chances pour que telle pièce soit d’une main étrangère, pour que tel morceau attribué à Moschos soit plutôt de Théocrite à moins que ce ne soit exactement le contraire.

    Broutilles que ces raisonnements alambiqués de clercs obscurs. L’important n’est point là. Il existe une petitesse pointilleuse de la littérature. En cela l’alexandrinisme est une calamité industrieuse qui a perverti bien de beaux esprits. Mais il est aussi ce moment de plénitude et triomphal où la lettre devient reine et splendeur.

    C’est pour cela, pour cette royauté exhaussé de l’esprit humain pour la première fois institutionnellement proclamée que nous nous devons de lire et relire nos bucoliques grecs. Notre civilisation occidentale s’est inscrite-là en cette étrange coutume de tendre un miroir de papier à la représentation de ses rêves. La victoire de l’hellénisme n’est ni plus ni moins que le triomphe de la poésie sur notre barbarie intérieure.

    André Murcie.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE N° 48

     

    CHRONIQUES

    DE POURPRE

    UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES

    Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires

    / N° 048 / FEVRIER 2017

    LUMIERE DE LUC-OLIVIER D'ALGANGE ( I )

    COUP DE PROJECTEUR

    Il est des saisons où les Dieux sont facétieux. Deux livres de Luc-Olivier d’Algange coup sur coup sur les étals des librairies en ces mois printaniers de l’année 2006. Rassurons nos contemporains, ce ne sont que deux modestes volumes parus chez de petits éditeurs. Hélas, le revers toute médaille magnifie malgré tout en son avers une inscription triomphale !

    D’abord il n’existe plus en France de petits éditeurs. Il y a longtemps qu’ils ont été rachetés par les quelques gros groupes concentrationnaires des producteurs de livres qui monopolisent le marché libéral de la crétinisation rampante. Mais sur la mer de l’indifférence généralisée un oeil exercé ne manquera pas l’apparition parfois fugace mais si significative de dizaines de voiles blanches surmontée de l’étamine noire de l’intelligence hauturière. A bien y réfléchir, il n’est pas étonnant que Luc-Olivier d’Algange se retrouve dans les équipages de ces corsaires littéraires. Pour sûr la plupart de ces structures légères d’édition littéraire périront corps et biens en d’obscurs combats ignorés de tous, mais au moins auront-elles sombré pavillon haut, et sauvé l’honneur de la Littérature. Saluons donc Les Deux Océans et ces Alexipharmaque Editions qui se lancent dans la guerre de course et sourire et dents de cachalot aux lèvres vous dégainent dès leur première salve un Luc-Olivier d’Algange.

    L’on trouve sur le net national et international plus de trois cent textes de Luc-Olivier d’Algange, les amateurs de revues sont à même de collationner près de cinq cents articles de notre auteur sans se livrer à d’exhaustives recherches. Face à ce déferlement d’intérêt le silence sans faille des gros éditeurs est un aveu de malfaisance. Dans L’ombre de Venise Luc-Olivier d’Algange évoque à demi-mot et comme par négligence ces listes de proscriptions littéraires qui circulent chez les libraires. L’on dit même que cela n’a rien à voir avec l’ordre alphabétique si son nom arrive si souvent en tête.

    Luc-Olivier d’Algange fait partie de cette génération de jeunes gens qui émargèrent à la vie littéraire en plein milieu des années soixante-dix. Epoque des plus coruscantes si on la compare à celles qui suivirent, mais il planait déjà un certain goût pseudo-contestataire de l’écriture débraillée qui allait mener tout droit, dès le début de la huitième décennie, au conformisme philosophique le plus affligeant. La mode était alors au structuralisme, à la psychanalyse, au marxisme… Face à ces grands dogmatismes, certains se trouvèrent d’instinct en porte-à-faux. Ce n’était pas qu’ils étaient farouchement opposés à ces courants majeurs de leur immédiateté temporelle, c’est que d’origine, par l’intime logique de leurs parcours personnels, ils se trouvaient objectivement décalés des intérêts générationnels de leurs condisciples.

    Peut-être faudrait-il ici développer la théorie des interstices qui supplée sur un plan intellectuel à la théorie mathématique des catastrophes quant à la description des aberrations évolutives d’un système donné. Pourquoi se crée-t-il des nodosités dynamiques de complexification quand la simple logique de reproduction d’une systémique maîtrisée se devrait d’engendrer une réduplication du même ? La sagacité de nos lecteur n’aura pas été prise en défaut : nous sommes en effet beaucoup plus proche de Nietzsche que de la thermodynamique. Nietzsche à qui L’Ombre de Venise consacre de longs développements.

    Mais revenons à nos jeunes gens, issus de ces dernières générations à qui fut dispensé sur les bancs du collège et du lycée, malgré pour certains une scolarité chaotique, un enseignement littéraire de qualité. Entendez par là, que l’accès aux grands auteurs était direct et sans artifice narratologique. La méthode était d’une simplicité extrême : l’on se contentait de lire les textes et d’en éclairer le sens par des commentaires qui se référaient expressément aux intentions de leur créateur.

    Il y eut donc quelques attardés mentaux qui ne se relevèrent jamais de la lecture de Baudelaire ou d’Alfred de Vigny. Alors qu’il était de bon ton de s’enthousiasmer pour Camus, Sartre ou Boris Vian, d’hagards retardataires firent leur régal de Villiers de l’Isle-Adam ou de Barbey d’Aurevilly. A une époque où il était nécessaire de collectionner la petite collection Maspero, un Luc-Olivier d’Algange relisait Henri de Régnier ou Eschyle.

    N’importe quel diplômé es sciences humaines vous le confirmera : l’adolescence mène à l’âge adulte à condition d’en sortir, et d’accepter le collier de la commune mesure. Le problème avec Luc-Olivier d’Algange fut qu’il ne renonça jamais à ses penchants prononcés pour les marges littéraires. De la kabbale juive aux préraphaélites, des gnostiques du quatrième siècle aux érudits de la Renaissance, des soufis aux romantiques allemands, en quelques années Luc-Olivier d’Algange lut tout ce que deux siècles de rationalités cartésiennes avaient rejeté aux gémonies des superstitions nauséabondes…

    Certes il ne fut pas le seul. Mais dès ses premiers articles il eut le mauvais goût de se faire remarquer par l’éblouissance de son style. Il eut aussi la maladresse d’écrire quelques textes autobiographiques qui lui valurent maints témoignages d’admiration d’aînés prestigieux. Un murmure d’approbation unanime sourdait même des milieux les plus éloignés des préoccupations d’algangiennes. Des titres comme Les Médiances du Prince Horoscopal ou Agathe au Démon témoignaient bien d’une mauvaise volonté évidente, mais l’on pensait qu’il tirait d’autant plus sur la corde qu’il désirait négocier son ralliement à l’establishment intellectuel au prix le plus fort.

    Mais aux fausses pièces de la reconnaissance publique D’Algange préféra la patiente recherche de l’or philosophal. Du fin fond de sa province, Luc-Olivier d’Algange se livra à une herméneutique généralisée des savoirs les plus secrets des traditions occidentales et orientales. Primordiales, pour le dire en un seul vocable, avec notre « s » qui fleure bon son hérétisme d’algangien. Son indifférence, somme toute assez compréhensible pour la foire aux vanités de notre modernité, fut ressentie comme un camouflet et un mépris ostentatoire. L’ingénuité est un crime qui se paie au centuple.

    Voici donc vingt ans que d’Algange rembourse sa dette à la société littéraire. La conjurations du silence et des médisants n’a jamais faibli. Qui dira un jour les jalousies rentrées des comités de lecture et le ressentiment des porte-plumes de plomb de l’underground ? Quoi qu’il en soit, le rideau des obscurcissements s’effiloche. Il n’est qu’à regarder l’intérêt du public pour L’étincelle d’or et L’Ombre de Venise pour recouvrer le sourire. L’œuvre d’Algangienne commence à rayonner. Et nous ne sommes encore qu’à la première heure du frémissement du voile.

    André Murcie

     

    L’OMBRE DE VENISE.

    LUC-OLIVIER D’ALGANGE.

    Collection / Les Reflexives;

    119 p. Deuxième Trimestre 2006. ALEXIPHARMAQUE.

    ALEXIPHARMAQUE. BP 60 141. BILLERE CEDEX.

    alexipharmaque@alexipharmaque

     

    Ce texte est à lire comme un bréviaire théologique. Je sais bien qu’avec ce genre de phrase l’on réveille tous les renards de la suspicion qui ne dorment jamais que d’un œil. Je me hâte d’ajouter que la théologie de d’Algange est mille fois plus anarchisante avec son dieu et ses maîtres que l’a-théologie d’un Michel Onfray. C’est que l’athéisme d’un Michel Onfray n’est qu’une barrière dérisoire dressée à l’encontre du monothéisme. Michel Onfray a simplement oublié que le zéro n’est pas l’opposé du Un. Le zéro n’est que la traduction mathématique du concept de l’autre. Les Grecs y prêtèrent si peu d’attention qu’ils omirent d’inventer cette absence de chiffre. L’opposé du Un s’appelle le Multiple.

    Pendant que le lecteur consulte ses fiches sur les présocratiques, afin de faire avancer le débat nous rappellerons que le grand débat de l’Antiquité fut celui qui opposa le monothéisme au paganisme. Nous ne disons pas polythéisme car le terme paganisme inclut toute une dimension politique et révolutionnaire à laquelle Michel Onfray ne fait jamais appel alors qu’il se réclame au nom de son athéisme et à longueur de tribunes radiophoniques, d’une mouvance post-révolutionnaire, dont les prolégomènes reposent de fait sur les vieux et vicieux principes du respect d’autrui tels que le christianisme les a catéchisés depuis des siècles.

    Bien plus malin, honni soit qui verrait une quelconque allusion diabolique en cet adjectif, Luc-Olivier d’Algange a bâti sa cause, non pas sur rien, mais sur le rien du rien. Autrement dit sa théologie est une a-a-théologie. Le chaat daalgaangien retombe toujours sur ses paattes. Vous êtes vous jamais demandé le pourquoi du redoublement de la lettre A dans le nom de notre auteur ?

    C’est que toute théologie qui ne soit pas basée sur la négation de sa négation n’est qu’un catalogue de bonnes intentions qui tourne vite à l’intégrisme le plus stupide. La pensée théologique de D’Algange ne se donne pas pour la croyance qu’elle n’est pas, voire l’incroyance qu’elle n’est pas non plus. Le dieu de d’Algange n’est pas étroitement chrétien, il virevolte avec les mystiques musulmans, pète le feu avec Zeus, s’amuse aux scrabble avec Adonaïs, écoute les cd de Nirvana avec les bonzes gangiens, joue au lancer de trident avec Poseïdon, se remplit du vide de Lao-Tseu… Par contre il refuse de s’acoquiner avec l’être suprême voltairien.

    Pour un homme qui se réclame de Platon, d’Algange n’est pas pour la désincarnation conceptuelle. Pour lui, il est autant d’incarnations divines qu’il existe de cultures métaphysiques humaines. A l’égalité toute théorique des droits de l’homme D’Algange substitue la présence du devoir-être des civilisations.

    Les maîtres de d’Algange ne sont pas les princes de ce monde. Il les élit chez ses pairs, les poëtes, les musiciens, les peintres, les artistes, les écrivains, les philosophes, les penseurs, les sages, etc.. L’oeuvre dalgangienne s’inscrit dans une tradition spirituelle qui embrasse l’essentiel des cultures du monde entier. Lorsque seront éditées les œuvres de Luc-Olivier d’Algange je plains les pauvres étudiants qui seront chargés des recensions des noms propres dans l’inépuisable corpus encore en parturience mais qui doit déjà atteindre les vingt mille pages…

    Ne nous égarons pas dans les abîmes de l’érudition   : L’ombre de Venise est aussi un traité de pragmatique théologique. Comment les idées transparaissent-elles dans le vécu d’un auteur ? Par exemple Michel Onfray ouvre le parapluie de l’athéisme pour mieux abriter sa revendication hédoniste qui le dispense de tout engagement révolutionnaire. Pour avoir écrit Le traité du Rebelle on n’en tient pas moins à sa sérénité existentielle.

    A Olivier Germain Thomas qui s’enthousiasmait, lors d’un entretien radiophonique, sur l’intransigeance de sa pensée métaphysique D’Algange répondit en développant, non sans une certaine ironie, l’idée de radicalité tranquille. Les premières pages de l’essai s’ouvrent sur le concept de dandysme littéraire. A la chemise blanche notre auteur substituera quelques heures de lecture à la terrasse ensoleillée d’un café. Entre l’apparence et l’approfondissement il n’est point d’hésitation.

    Certes il fut un temps, voici plus de trente ans, où vers les dix-sept heures, dans deux ou trois librairies du quartier étudiant de Toulouse, des habitués prenaient plaisir à attendre ce jeune homme inconnu, un tant soit peu esthétisant, qui s’en venait soulever quelques paradoxes étincelants sur les grands auteurs passés ou les mœurs de ses contemporains. C’est ainsi que se créent les légendes ; et puis pour tout dire Luc-Olivier d’Algange a toujours été fasciné par le verbe inspiré de Villiers de l’Isle-Adam. Le lecteur studieux aura déjà remarqué les nombreuses occurrences du connétable du Rêve et des Lettres dans L’Ombre de Venise.

    Le dandysme algangien est avant tout intérieur. Mais si ce motif s’insinue dès la première page du prologue c’est que L’Ombre de Venise suit assez bien l’itinéraire de la pensée d’algangienne de ses débuts à ces dernières années. Les habitués de l’œuvre reconnaîtront les différentes étapes de cette montée hélicoïdale de la pensée qui gagne à chaque nouvelle étape ampleur, épaisseur et hauteur de vue.

    Nous n’aborderons pas ici tous les thèmes répertoriés et entrelacés par l’essai. Nous ne toucherons pas à la critique du monde moderne. Celle-ci est devenue un lieu commun que l’on se doit d’exposer en long, en large et en travers, dans les dîners en ville. Elle fut pourtant très mal reçue au milieu des années quatre-vingt. L’intelligentsia venait de jeter aux orties les habits rouges du président Mao et s’apprêtait à se reconvertir dans le consensus mou de la social-démocratie. Les arguments de d’Algange firent d’autant plus mouche qu’ils ne devaient rien aux sempiternelles volitions idéologiques du gauchisme. Ils plongeaient leurs racines dans le terreau de la lyrique française empruntant aussi bien aux proses de Baudelaire qu’aux écrits théoriques de Mallarmé, aux sarcasmes de Villiers qu’aux exécrations d’un Léon Bloy. L’on aurait pardonné une douteuse nostalgie romantico-symbolisto-décadente mais ce fifrelin qui s’en venait dénier à nos élites le droit de fonder la morale sur les sacro-saints principes de l’utilitarisme bourgeois dépassait les bornes de la mansuétude libérale. Passons sur la levée de boucliers occasionnée par ce trublion qui exigeait la poésie comme préalable à tout déploiement éthique !

    Imperturbable D’Algange laissa les pourceaux sans Epicure couiner avec les cochons des sous-préfectures de l’intelligence. Il avait mieux à faire. Après une conférence qui fit date sur la pensée heideggerienne la théologie d’algangienne se retrouva au pied du mur, devant l’Himalayen massif nietzschéen. Moment de vérité en quelque sorte.

    L’on ne s’attaque pas frontalement à Nietzsche, l’on se retrouve si facilement à terre qu’il vaut mieux ne pas s’y risquer. D’Algange y apprit à mieux appréhender les attendus de ses propres parti-pris. Une lecture attentive lui permit de connaître toutes les ravines, tous les à-pics, toutes les parois, tous les promontoires, tous les abysses, tous les névés et tous les glaciers du géant. Je doute qu’il y ait à l’heure actuelle, en France un chercheur qui ait une connaissance plus accomplie de l’auteur de Par-delà le bien et le mal.

    Pour Nietzsche la pensée dalgangienne s’est faite englobante. Il ne s’agissait pas de réduire Nietzsche mais de s’augmenter de sa puissance. Comme un lierre qui s’accrocherait à un chêne, non pour le parasiter, mais pour le tirer vers le haut. Car les lectures de Nietzsche effectuées par les décennies précédentes ont eu davantage tendance à rapetisser l’œuvre et à raboter l’homme qu’à comprendre le sens de cette forge tumultueuse.

    Nos modernes déconstructeurs, entrés dans l’atelier par la minuscule porte de la mort de l’homme ( c’est à la proie ramenée que l’on juge le chasseur ) pensent s’être emparés dans le noir de leur ignorance du marteau de Thor abandonné par le maître alors qu’ils ont mis la main sur une bien piètre lime à ongles. D’Algange préfère s’en prendre au concept de la mort de dieu. Nietzsche n’a jamais dit qu’il n’y avait pas de dieu. Il s’est contenté d’annoncer son décès. Pire que le cheval à huit pattes d’Odin : là où il passe la théologie ne repousse pas.

    Nietzsche ne dit pas que le Christ n’a jamais existé. Il se contente de constater que le christianisme est mort. Peut-être le jour même où les romains l’ont cloué sur sa croix, mais ceci est une vision spécifiquement murcienne de la chose. D’Algange a flairé ( vertu typique du solitaire d’Engadine ) le piège. L’on ne peut pas être contre Nietzsche. La théologie devra désormais faire avec. D’Algange sauve la théologie en la réduisant à ne plus être que volonté de théologie. Elle n’est plus donnée. Elle n’est plus un don de dieu. Elle est une volonté de dieu. Une volonté humaine de dieu. Adieu la révélation.

    Le Christ d’Algangien est venu dire qu’il n’y avait plus de péché. Pour une fois qu’un dieu prononce des paroles intelligentes nous n’allons pas faire la fine bouche, mais enfin un dieu qui vient dire qu’il n’est pas un dieu, ça nous explique pour le moins pourquoi Jésus n’en a pas voulu à Pierre de son triple reniement. L’Eglise s’est bien bâtie sur le reniement de dieu. C’est ce qu’en Amérique du Sud ils doivent appeler la théologie négative de la libération !

    Nous aimons beaucoup d’Algange, nous le tenons pour un des plus grands écrivains de notre époque, nous vous encourageons à lire ses livres, vous aurez l’impression de devenir intelligents. Mais cela ne nous empêche pas de penser que sa démonstration théologique est une victoire à la Pyrrhus. S’il faut tuer dieu pour que vive la théologie, le prix en vaut-il la chandelle ? Souvent l’assassin vit dans l’illusion de son crime. Ne viendra-t-il pas un jour où quelques déistes exacerbés feront pencher les deux plateaux de la balance en sens inverse : Luc-Olivier d’Algange ne sera-t-il pas accusé d’avoir tué dieu pour sauver la théologie ?

    Métaphysiquement parlant nous nous en soucions autant que des premières chaussettes de Ponce Pilate. Que les hommes de peu de foi se débrouillent entre eux. Pour nous nous n’en possédons pas une once de milligramme. Par contre littérairement parlant, cette hypothèse d’école, pour parler comme les jésuites, nous enchante. La littérature, en général et la littérature d’algangienne en particulier, est une hérésie perpétuelle de l’esprit. Humain ou divin. Cochez la case de votre choix.

    André Murcie.

    Terminé ? Non encore une question, au fond à gauche ! Vous voulez que l’on vous explique le titre ? Pour Venise, vous n’avez qu’à acheter le bouquin. C’est commenté à l’intérieur. 15 Euros + 2, 50 pour frais de port. L’Ombre, c’est déjà plus sérieux comme interrogation. Parler à soi-même c’est un peu comme si l’on parlait à son chien ou à son ombre. Nous sommes ici en présence de l’unique dialogue platonicien au monde qui mette en scène un seul interlocuteur. Métonymiquement parlant c’est un dialogue oximorique. Pour l’Ombre, cette métaphore idéenne du même, nous allons vous donner une piste qui n’est pas indiquée dans le livre. Procurez-vous le dernier roman, inachevé d’Henri Bosco, Une Ombre

     

    AINSI XENOPHON – PHON – PHON

     

    L'HIPPARQUE

    ou LE COMMANDANT DE CAVALERIE.

    XENOPHON.

    Traduction de PIERRE CHAMBRY.

    In CLASSIQUES GARNIER. 530 pp.1932.

     

    De la théorie à la pratique il se creuse parfois un immense fossé. Mais ici nous sommes confrontés à l'inverse. De la pratique à la théorie il n'existe qu'un pas que Xénophon franchit avec une telle allégresse que l'on se refuserait à porter foi à ses propos, s'ils n'étaient justement pas de Xénophon.

    C'est bien le chef de l'arrière-garde des Dix-Mille qui vient nous conseiller. Nous sommes loin du néophyte inexpérimenté ou du hâbleur d'arrière-salle de bistrots mal-famés. L'homme a fait ses preuves indiscutables. Personne dans l'Antiquité n'a osé mettre ses connaissances et son savoir-faire équestres en doute. Dans son introduction Pierre Chambry en rajoute une couche et rappelle que l'auteur de la Cyropédie a aussi servi sous Agésilas qui n'était pas né de la dernière pluie en la matière.

    Bref un maître d'équitation qui nous parle. Dix mille fois mieux encore, un conseiller militaire qui pond un rapport sur l'état de la cavalerie de son pays et des progrès à accomplir pour la mettre à un niveau d'opérativité internationale.

    Eh bien moi qui n'ai que très rarement, très prudemment posé mon cul sur le dos d'un cheval ait été très longtemps déçu par l'opuscule ! J'ai longtemps gardé de cette lecture la pénible impression d'une enfilade de lieux communs et de vérités de la Palice toutes faites indignes d'un grand écuyer.

    Je le savais déjà avant de le lire : il vaut mieux avoir un bon cheval bien nourri et obéissant qu'une carne efflanquée au regard vicieux, que si l'on voulait surprendre l'ennemi il fallait avant tout se bien cacher, et une foultitudes d'autres conseils du même tonneau. Si ma modestie légendaire ne m'en avait empêché j'aurais à l'intention du Sénat athénien rédigé une petite bafouille de candidature à un poste de phylarque, séance tenante.

    Emile Chambry lui-même se tire de la situation en s'interrogeant sur le nombre d'officiers de cavalerie de Napoléon qui auraient eu la curiosité d'ouvrir ce traité d'hippologie militaire dans l'espoir d'y apprendre quelque chose. Et la certitude de son raisonnement ne laisse pas entrevoir grand-monde puisqu'elle s'interrompt juste au-dessus de l'initiale unité !

    Ce qui nous laisse rêveur quant à l'irréductibilité de la lecture des textes antiques. Comme quoi tout se perd en ce bas-monde. Même l'art de l'équitation xénophienne. Reste qu'à me replonger dans ce traité une bonne dizaine de fois, pour essayer de saisir l'irritant mystère de ses si déconcertantes évidences qu'elles en deviennent mystérieuses, il m'est finalement apparu l'explication d'une telle insipide ductilité de la pensée.

    Ce traité n'est pas destiné aux honnêtes gens que nous sommes. Il est écrit pour des professionnels qui connaissent leur métier sur le bout des doigts. C'est juste une liste, un agenda des faits et gestes à opérer en telle ou telle opération. Dans la série cela va sans dire mais c'est tout de même mieux de l'énoncer une fois de plus pour que nous soyons tous d'accord, L'Hipparque n'est qu'un cahier des charges exigibles et incontournables.

    André Murcie.

     

    DE L'EQUITATION.

    XENOPHON.

    Traduction EMILE CHAMBRY.

     

    Ce n'est pas vraiment la suite du précédent même si Xénophon l'a écrit dans la foulée. Tous ceux qui traînent de temps en temps leurs guêtres dans les clubs hippiques se sentent tout de suite chez eux. En vingt-cinq siècles les chevaux et l'équitation ont changé, mais l'approche de l'animal est restée la même.

    Nombreuses sont les capacités de l'homme : il peut veiller à l'amélioration de la race chevaline et au perfectionnement technique des ustensiles nécessaires à la pratique de l'équitation, mais à lire Xénophon l'on s'aperçoit qu'il n'a jamais réussi en plus de deux millénaires à s'améliorer et à se perfectionner lui-même. Aussi insensé que cela puisse paraître nous sommes toujours aussi bêtes vis-à-vis de notre plus noble conquête.

    Notre naturel n'a pas besoin de revenir au galop, il nous est indécrottinable. Si Xénophon se montre en un de ses écrits l'élève de Socrate c'est bien en ce traité d'équitation, dans lequel il nous réduit à notre plus simple nudité hominienne en nous mesurant à l'étalon de notre permanence.

    Hormis le lancer de javelot sur cible humaine que nous ne pratiquons plus que rarement – mais les joueurs de horse-ball ont tout intérêt à écouter les conseils de base prodigués à l'occasion – le texte semble avoir été écrit la semaine dernière. Du cavalier émérite à l'enfant qui cavalcade autour des plots de pony-games, chacun trouvera son bien dans ce mince recueil de conseils éternels.

    Avec peut-être cette différence essentielle, les anciens grecs usaient beaucoup moins que nous d'objets transactionnels envers leurs montures. La main nue suppléait à de nos nombreuses petites béquilles relationnelles. Si souvent nous sommes sans torts envers nos chevaux, les grecs préféraient être centaure. Eux et le cheval. Rien de plus. Rien de trop. Usage delphique.

    André Murcie.