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CHRONIQUES DE POURPRE N° 48

 

CHRONIQUES

DE POURPRE

UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES

Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires

/ N° 048 / FEVRIER 2017

LUMIERE DE LUC-OLIVIER D'ALGANGE ( I )

COUP DE PROJECTEUR

Il est des saisons où les Dieux sont facétieux. Deux livres de Luc-Olivier d’Algange coup sur coup sur les étals des librairies en ces mois printaniers de l’année 2006. Rassurons nos contemporains, ce ne sont que deux modestes volumes parus chez de petits éditeurs. Hélas, le revers toute médaille magnifie malgré tout en son avers une inscription triomphale !

D’abord il n’existe plus en France de petits éditeurs. Il y a longtemps qu’ils ont été rachetés par les quelques gros groupes concentrationnaires des producteurs de livres qui monopolisent le marché libéral de la crétinisation rampante. Mais sur la mer de l’indifférence généralisée un oeil exercé ne manquera pas l’apparition parfois fugace mais si significative de dizaines de voiles blanches surmontée de l’étamine noire de l’intelligence hauturière. A bien y réfléchir, il n’est pas étonnant que Luc-Olivier d’Algange se retrouve dans les équipages de ces corsaires littéraires. Pour sûr la plupart de ces structures légères d’édition littéraire périront corps et biens en d’obscurs combats ignorés de tous, mais au moins auront-elles sombré pavillon haut, et sauvé l’honneur de la Littérature. Saluons donc Les Deux Océans et ces Alexipharmaque Editions qui se lancent dans la guerre de course et sourire et dents de cachalot aux lèvres vous dégainent dès leur première salve un Luc-Olivier d’Algange.

L’on trouve sur le net national et international plus de trois cent textes de Luc-Olivier d’Algange, les amateurs de revues sont à même de collationner près de cinq cents articles de notre auteur sans se livrer à d’exhaustives recherches. Face à ce déferlement d’intérêt le silence sans faille des gros éditeurs est un aveu de malfaisance. Dans L’ombre de Venise Luc-Olivier d’Algange évoque à demi-mot et comme par négligence ces listes de proscriptions littéraires qui circulent chez les libraires. L’on dit même que cela n’a rien à voir avec l’ordre alphabétique si son nom arrive si souvent en tête.

Luc-Olivier d’Algange fait partie de cette génération de jeunes gens qui émargèrent à la vie littéraire en plein milieu des années soixante-dix. Epoque des plus coruscantes si on la compare à celles qui suivirent, mais il planait déjà un certain goût pseudo-contestataire de l’écriture débraillée qui allait mener tout droit, dès le début de la huitième décennie, au conformisme philosophique le plus affligeant. La mode était alors au structuralisme, à la psychanalyse, au marxisme… Face à ces grands dogmatismes, certains se trouvèrent d’instinct en porte-à-faux. Ce n’était pas qu’ils étaient farouchement opposés à ces courants majeurs de leur immédiateté temporelle, c’est que d’origine, par l’intime logique de leurs parcours personnels, ils se trouvaient objectivement décalés des intérêts générationnels de leurs condisciples.

Peut-être faudrait-il ici développer la théorie des interstices qui supplée sur un plan intellectuel à la théorie mathématique des catastrophes quant à la description des aberrations évolutives d’un système donné. Pourquoi se crée-t-il des nodosités dynamiques de complexification quand la simple logique de reproduction d’une systémique maîtrisée se devrait d’engendrer une réduplication du même ? La sagacité de nos lecteur n’aura pas été prise en défaut : nous sommes en effet beaucoup plus proche de Nietzsche que de la thermodynamique. Nietzsche à qui L’Ombre de Venise consacre de longs développements.

Mais revenons à nos jeunes gens, issus de ces dernières générations à qui fut dispensé sur les bancs du collège et du lycée, malgré pour certains une scolarité chaotique, un enseignement littéraire de qualité. Entendez par là, que l’accès aux grands auteurs était direct et sans artifice narratologique. La méthode était d’une simplicité extrême : l’on se contentait de lire les textes et d’en éclairer le sens par des commentaires qui se référaient expressément aux intentions de leur créateur.

Il y eut donc quelques attardés mentaux qui ne se relevèrent jamais de la lecture de Baudelaire ou d’Alfred de Vigny. Alors qu’il était de bon ton de s’enthousiasmer pour Camus, Sartre ou Boris Vian, d’hagards retardataires firent leur régal de Villiers de l’Isle-Adam ou de Barbey d’Aurevilly. A une époque où il était nécessaire de collectionner la petite collection Maspero, un Luc-Olivier d’Algange relisait Henri de Régnier ou Eschyle.

N’importe quel diplômé es sciences humaines vous le confirmera : l’adolescence mène à l’âge adulte à condition d’en sortir, et d’accepter le collier de la commune mesure. Le problème avec Luc-Olivier d’Algange fut qu’il ne renonça jamais à ses penchants prononcés pour les marges littéraires. De la kabbale juive aux préraphaélites, des gnostiques du quatrième siècle aux érudits de la Renaissance, des soufis aux romantiques allemands, en quelques années Luc-Olivier d’Algange lut tout ce que deux siècles de rationalités cartésiennes avaient rejeté aux gémonies des superstitions nauséabondes…

Certes il ne fut pas le seul. Mais dès ses premiers articles il eut le mauvais goût de se faire remarquer par l’éblouissance de son style. Il eut aussi la maladresse d’écrire quelques textes autobiographiques qui lui valurent maints témoignages d’admiration d’aînés prestigieux. Un murmure d’approbation unanime sourdait même des milieux les plus éloignés des préoccupations d’algangiennes. Des titres comme Les Médiances du Prince Horoscopal ou Agathe au Démon témoignaient bien d’une mauvaise volonté évidente, mais l’on pensait qu’il tirait d’autant plus sur la corde qu’il désirait négocier son ralliement à l’establishment intellectuel au prix le plus fort.

Mais aux fausses pièces de la reconnaissance publique D’Algange préféra la patiente recherche de l’or philosophal. Du fin fond de sa province, Luc-Olivier d’Algange se livra à une herméneutique généralisée des savoirs les plus secrets des traditions occidentales et orientales. Primordiales, pour le dire en un seul vocable, avec notre « s » qui fleure bon son hérétisme d’algangien. Son indifférence, somme toute assez compréhensible pour la foire aux vanités de notre modernité, fut ressentie comme un camouflet et un mépris ostentatoire. L’ingénuité est un crime qui se paie au centuple.

Voici donc vingt ans que d’Algange rembourse sa dette à la société littéraire. La conjurations du silence et des médisants n’a jamais faibli. Qui dira un jour les jalousies rentrées des comités de lecture et le ressentiment des porte-plumes de plomb de l’underground ? Quoi qu’il en soit, le rideau des obscurcissements s’effiloche. Il n’est qu’à regarder l’intérêt du public pour L’étincelle d’or et L’Ombre de Venise pour recouvrer le sourire. L’œuvre d’Algangienne commence à rayonner. Et nous ne sommes encore qu’à la première heure du frémissement du voile.

André Murcie

 

L’OMBRE DE VENISE.

LUC-OLIVIER D’ALGANGE.

Collection / Les Reflexives;

119 p. Deuxième Trimestre 2006. ALEXIPHARMAQUE.

ALEXIPHARMAQUE. BP 60 141. BILLERE CEDEX.

alexipharmaque@alexipharmaque

 

Ce texte est à lire comme un bréviaire théologique. Je sais bien qu’avec ce genre de phrase l’on réveille tous les renards de la suspicion qui ne dorment jamais que d’un œil. Je me hâte d’ajouter que la théologie de d’Algange est mille fois plus anarchisante avec son dieu et ses maîtres que l’a-théologie d’un Michel Onfray. C’est que l’athéisme d’un Michel Onfray n’est qu’une barrière dérisoire dressée à l’encontre du monothéisme. Michel Onfray a simplement oublié que le zéro n’est pas l’opposé du Un. Le zéro n’est que la traduction mathématique du concept de l’autre. Les Grecs y prêtèrent si peu d’attention qu’ils omirent d’inventer cette absence de chiffre. L’opposé du Un s’appelle le Multiple.

Pendant que le lecteur consulte ses fiches sur les présocratiques, afin de faire avancer le débat nous rappellerons que le grand débat de l’Antiquité fut celui qui opposa le monothéisme au paganisme. Nous ne disons pas polythéisme car le terme paganisme inclut toute une dimension politique et révolutionnaire à laquelle Michel Onfray ne fait jamais appel alors qu’il se réclame au nom de son athéisme et à longueur de tribunes radiophoniques, d’une mouvance post-révolutionnaire, dont les prolégomènes reposent de fait sur les vieux et vicieux principes du respect d’autrui tels que le christianisme les a catéchisés depuis des siècles.

Bien plus malin, honni soit qui verrait une quelconque allusion diabolique en cet adjectif, Luc-Olivier d’Algange a bâti sa cause, non pas sur rien, mais sur le rien du rien. Autrement dit sa théologie est une a-a-théologie. Le chaat daalgaangien retombe toujours sur ses paattes. Vous êtes vous jamais demandé le pourquoi du redoublement de la lettre A dans le nom de notre auteur ?

C’est que toute théologie qui ne soit pas basée sur la négation de sa négation n’est qu’un catalogue de bonnes intentions qui tourne vite à l’intégrisme le plus stupide. La pensée théologique de D’Algange ne se donne pas pour la croyance qu’elle n’est pas, voire l’incroyance qu’elle n’est pas non plus. Le dieu de d’Algange n’est pas étroitement chrétien, il virevolte avec les mystiques musulmans, pète le feu avec Zeus, s’amuse aux scrabble avec Adonaïs, écoute les cd de Nirvana avec les bonzes gangiens, joue au lancer de trident avec Poseïdon, se remplit du vide de Lao-Tseu… Par contre il refuse de s’acoquiner avec l’être suprême voltairien.

Pour un homme qui se réclame de Platon, d’Algange n’est pas pour la désincarnation conceptuelle. Pour lui, il est autant d’incarnations divines qu’il existe de cultures métaphysiques humaines. A l’égalité toute théorique des droits de l’homme D’Algange substitue la présence du devoir-être des civilisations.

Les maîtres de d’Algange ne sont pas les princes de ce monde. Il les élit chez ses pairs, les poëtes, les musiciens, les peintres, les artistes, les écrivains, les philosophes, les penseurs, les sages, etc.. L’oeuvre dalgangienne s’inscrit dans une tradition spirituelle qui embrasse l’essentiel des cultures du monde entier. Lorsque seront éditées les œuvres de Luc-Olivier d’Algange je plains les pauvres étudiants qui seront chargés des recensions des noms propres dans l’inépuisable corpus encore en parturience mais qui doit déjà atteindre les vingt mille pages…

Ne nous égarons pas dans les abîmes de l’érudition   : L’ombre de Venise est aussi un traité de pragmatique théologique. Comment les idées transparaissent-elles dans le vécu d’un auteur ? Par exemple Michel Onfray ouvre le parapluie de l’athéisme pour mieux abriter sa revendication hédoniste qui le dispense de tout engagement révolutionnaire. Pour avoir écrit Le traité du Rebelle on n’en tient pas moins à sa sérénité existentielle.

A Olivier Germain Thomas qui s’enthousiasmait, lors d’un entretien radiophonique, sur l’intransigeance de sa pensée métaphysique D’Algange répondit en développant, non sans une certaine ironie, l’idée de radicalité tranquille. Les premières pages de l’essai s’ouvrent sur le concept de dandysme littéraire. A la chemise blanche notre auteur substituera quelques heures de lecture à la terrasse ensoleillée d’un café. Entre l’apparence et l’approfondissement il n’est point d’hésitation.

Certes il fut un temps, voici plus de trente ans, où vers les dix-sept heures, dans deux ou trois librairies du quartier étudiant de Toulouse, des habitués prenaient plaisir à attendre ce jeune homme inconnu, un tant soit peu esthétisant, qui s’en venait soulever quelques paradoxes étincelants sur les grands auteurs passés ou les mœurs de ses contemporains. C’est ainsi que se créent les légendes ; et puis pour tout dire Luc-Olivier d’Algange a toujours été fasciné par le verbe inspiré de Villiers de l’Isle-Adam. Le lecteur studieux aura déjà remarqué les nombreuses occurrences du connétable du Rêve et des Lettres dans L’Ombre de Venise.

Le dandysme algangien est avant tout intérieur. Mais si ce motif s’insinue dès la première page du prologue c’est que L’Ombre de Venise suit assez bien l’itinéraire de la pensée d’algangienne de ses débuts à ces dernières années. Les habitués de l’œuvre reconnaîtront les différentes étapes de cette montée hélicoïdale de la pensée qui gagne à chaque nouvelle étape ampleur, épaisseur et hauteur de vue.

Nous n’aborderons pas ici tous les thèmes répertoriés et entrelacés par l’essai. Nous ne toucherons pas à la critique du monde moderne. Celle-ci est devenue un lieu commun que l’on se doit d’exposer en long, en large et en travers, dans les dîners en ville. Elle fut pourtant très mal reçue au milieu des années quatre-vingt. L’intelligentsia venait de jeter aux orties les habits rouges du président Mao et s’apprêtait à se reconvertir dans le consensus mou de la social-démocratie. Les arguments de d’Algange firent d’autant plus mouche qu’ils ne devaient rien aux sempiternelles volitions idéologiques du gauchisme. Ils plongeaient leurs racines dans le terreau de la lyrique française empruntant aussi bien aux proses de Baudelaire qu’aux écrits théoriques de Mallarmé, aux sarcasmes de Villiers qu’aux exécrations d’un Léon Bloy. L’on aurait pardonné une douteuse nostalgie romantico-symbolisto-décadente mais ce fifrelin qui s’en venait dénier à nos élites le droit de fonder la morale sur les sacro-saints principes de l’utilitarisme bourgeois dépassait les bornes de la mansuétude libérale. Passons sur la levée de boucliers occasionnée par ce trublion qui exigeait la poésie comme préalable à tout déploiement éthique !

Imperturbable D’Algange laissa les pourceaux sans Epicure couiner avec les cochons des sous-préfectures de l’intelligence. Il avait mieux à faire. Après une conférence qui fit date sur la pensée heideggerienne la théologie d’algangienne se retrouva au pied du mur, devant l’Himalayen massif nietzschéen. Moment de vérité en quelque sorte.

L’on ne s’attaque pas frontalement à Nietzsche, l’on se retrouve si facilement à terre qu’il vaut mieux ne pas s’y risquer. D’Algange y apprit à mieux appréhender les attendus de ses propres parti-pris. Une lecture attentive lui permit de connaître toutes les ravines, tous les à-pics, toutes les parois, tous les promontoires, tous les abysses, tous les névés et tous les glaciers du géant. Je doute qu’il y ait à l’heure actuelle, en France un chercheur qui ait une connaissance plus accomplie de l’auteur de Par-delà le bien et le mal.

Pour Nietzsche la pensée dalgangienne s’est faite englobante. Il ne s’agissait pas de réduire Nietzsche mais de s’augmenter de sa puissance. Comme un lierre qui s’accrocherait à un chêne, non pour le parasiter, mais pour le tirer vers le haut. Car les lectures de Nietzsche effectuées par les décennies précédentes ont eu davantage tendance à rapetisser l’œuvre et à raboter l’homme qu’à comprendre le sens de cette forge tumultueuse.

Nos modernes déconstructeurs, entrés dans l’atelier par la minuscule porte de la mort de l’homme ( c’est à la proie ramenée que l’on juge le chasseur ) pensent s’être emparés dans le noir de leur ignorance du marteau de Thor abandonné par le maître alors qu’ils ont mis la main sur une bien piètre lime à ongles. D’Algange préfère s’en prendre au concept de la mort de dieu. Nietzsche n’a jamais dit qu’il n’y avait pas de dieu. Il s’est contenté d’annoncer son décès. Pire que le cheval à huit pattes d’Odin : là où il passe la théologie ne repousse pas.

Nietzsche ne dit pas que le Christ n’a jamais existé. Il se contente de constater que le christianisme est mort. Peut-être le jour même où les romains l’ont cloué sur sa croix, mais ceci est une vision spécifiquement murcienne de la chose. D’Algange a flairé ( vertu typique du solitaire d’Engadine ) le piège. L’on ne peut pas être contre Nietzsche. La théologie devra désormais faire avec. D’Algange sauve la théologie en la réduisant à ne plus être que volonté de théologie. Elle n’est plus donnée. Elle n’est plus un don de dieu. Elle est une volonté de dieu. Une volonté humaine de dieu. Adieu la révélation.

Le Christ d’Algangien est venu dire qu’il n’y avait plus de péché. Pour une fois qu’un dieu prononce des paroles intelligentes nous n’allons pas faire la fine bouche, mais enfin un dieu qui vient dire qu’il n’est pas un dieu, ça nous explique pour le moins pourquoi Jésus n’en a pas voulu à Pierre de son triple reniement. L’Eglise s’est bien bâtie sur le reniement de dieu. C’est ce qu’en Amérique du Sud ils doivent appeler la théologie négative de la libération !

Nous aimons beaucoup d’Algange, nous le tenons pour un des plus grands écrivains de notre époque, nous vous encourageons à lire ses livres, vous aurez l’impression de devenir intelligents. Mais cela ne nous empêche pas de penser que sa démonstration théologique est une victoire à la Pyrrhus. S’il faut tuer dieu pour que vive la théologie, le prix en vaut-il la chandelle ? Souvent l’assassin vit dans l’illusion de son crime. Ne viendra-t-il pas un jour où quelques déistes exacerbés feront pencher les deux plateaux de la balance en sens inverse : Luc-Olivier d’Algange ne sera-t-il pas accusé d’avoir tué dieu pour sauver la théologie ?

Métaphysiquement parlant nous nous en soucions autant que des premières chaussettes de Ponce Pilate. Que les hommes de peu de foi se débrouillent entre eux. Pour nous nous n’en possédons pas une once de milligramme. Par contre littérairement parlant, cette hypothèse d’école, pour parler comme les jésuites, nous enchante. La littérature, en général et la littérature d’algangienne en particulier, est une hérésie perpétuelle de l’esprit. Humain ou divin. Cochez la case de votre choix.

André Murcie.

Terminé ? Non encore une question, au fond à gauche ! Vous voulez que l’on vous explique le titre ? Pour Venise, vous n’avez qu’à acheter le bouquin. C’est commenté à l’intérieur. 15 Euros + 2, 50 pour frais de port. L’Ombre, c’est déjà plus sérieux comme interrogation. Parler à soi-même c’est un peu comme si l’on parlait à son chien ou à son ombre. Nous sommes ici en présence de l’unique dialogue platonicien au monde qui mette en scène un seul interlocuteur. Métonymiquement parlant c’est un dialogue oximorique. Pour l’Ombre, cette métaphore idéenne du même, nous allons vous donner une piste qui n’est pas indiquée dans le livre. Procurez-vous le dernier roman, inachevé d’Henri Bosco, Une Ombre

 

AINSI XENOPHON – PHON – PHON

 

L'HIPPARQUE

ou LE COMMANDANT DE CAVALERIE.

XENOPHON.

Traduction de PIERRE CHAMBRY.

In CLASSIQUES GARNIER. 530 pp.1932.

 

De la théorie à la pratique il se creuse parfois un immense fossé. Mais ici nous sommes confrontés à l'inverse. De la pratique à la théorie il n'existe qu'un pas que Xénophon franchit avec une telle allégresse que l'on se refuserait à porter foi à ses propos, s'ils n'étaient justement pas de Xénophon.

C'est bien le chef de l'arrière-garde des Dix-Mille qui vient nous conseiller. Nous sommes loin du néophyte inexpérimenté ou du hâbleur d'arrière-salle de bistrots mal-famés. L'homme a fait ses preuves indiscutables. Personne dans l'Antiquité n'a osé mettre ses connaissances et son savoir-faire équestres en doute. Dans son introduction Pierre Chambry en rajoute une couche et rappelle que l'auteur de la Cyropédie a aussi servi sous Agésilas qui n'était pas né de la dernière pluie en la matière.

Bref un maître d'équitation qui nous parle. Dix mille fois mieux encore, un conseiller militaire qui pond un rapport sur l'état de la cavalerie de son pays et des progrès à accomplir pour la mettre à un niveau d'opérativité internationale.

Eh bien moi qui n'ai que très rarement, très prudemment posé mon cul sur le dos d'un cheval ait été très longtemps déçu par l'opuscule ! J'ai longtemps gardé de cette lecture la pénible impression d'une enfilade de lieux communs et de vérités de la Palice toutes faites indignes d'un grand écuyer.

Je le savais déjà avant de le lire : il vaut mieux avoir un bon cheval bien nourri et obéissant qu'une carne efflanquée au regard vicieux, que si l'on voulait surprendre l'ennemi il fallait avant tout se bien cacher, et une foultitudes d'autres conseils du même tonneau. Si ma modestie légendaire ne m'en avait empêché j'aurais à l'intention du Sénat athénien rédigé une petite bafouille de candidature à un poste de phylarque, séance tenante.

Emile Chambry lui-même se tire de la situation en s'interrogeant sur le nombre d'officiers de cavalerie de Napoléon qui auraient eu la curiosité d'ouvrir ce traité d'hippologie militaire dans l'espoir d'y apprendre quelque chose. Et la certitude de son raisonnement ne laisse pas entrevoir grand-monde puisqu'elle s'interrompt juste au-dessus de l'initiale unité !

Ce qui nous laisse rêveur quant à l'irréductibilité de la lecture des textes antiques. Comme quoi tout se perd en ce bas-monde. Même l'art de l'équitation xénophienne. Reste qu'à me replonger dans ce traité une bonne dizaine de fois, pour essayer de saisir l'irritant mystère de ses si déconcertantes évidences qu'elles en deviennent mystérieuses, il m'est finalement apparu l'explication d'une telle insipide ductilité de la pensée.

Ce traité n'est pas destiné aux honnêtes gens que nous sommes. Il est écrit pour des professionnels qui connaissent leur métier sur le bout des doigts. C'est juste une liste, un agenda des faits et gestes à opérer en telle ou telle opération. Dans la série cela va sans dire mais c'est tout de même mieux de l'énoncer une fois de plus pour que nous soyons tous d'accord, L'Hipparque n'est qu'un cahier des charges exigibles et incontournables.

André Murcie.

 

DE L'EQUITATION.

XENOPHON.

Traduction EMILE CHAMBRY.

 

Ce n'est pas vraiment la suite du précédent même si Xénophon l'a écrit dans la foulée. Tous ceux qui traînent de temps en temps leurs guêtres dans les clubs hippiques se sentent tout de suite chez eux. En vingt-cinq siècles les chevaux et l'équitation ont changé, mais l'approche de l'animal est restée la même.

Nombreuses sont les capacités de l'homme : il peut veiller à l'amélioration de la race chevaline et au perfectionnement technique des ustensiles nécessaires à la pratique de l'équitation, mais à lire Xénophon l'on s'aperçoit qu'il n'a jamais réussi en plus de deux millénaires à s'améliorer et à se perfectionner lui-même. Aussi insensé que cela puisse paraître nous sommes toujours aussi bêtes vis-à-vis de notre plus noble conquête.

Notre naturel n'a pas besoin de revenir au galop, il nous est indécrottinable. Si Xénophon se montre en un de ses écrits l'élève de Socrate c'est bien en ce traité d'équitation, dans lequel il nous réduit à notre plus simple nudité hominienne en nous mesurant à l'étalon de notre permanence.

Hormis le lancer de javelot sur cible humaine que nous ne pratiquons plus que rarement – mais les joueurs de horse-ball ont tout intérêt à écouter les conseils de base prodigués à l'occasion – le texte semble avoir été écrit la semaine dernière. Du cavalier émérite à l'enfant qui cavalcade autour des plots de pony-games, chacun trouvera son bien dans ce mince recueil de conseils éternels.

Avec peut-être cette différence essentielle, les anciens grecs usaient beaucoup moins que nous d'objets transactionnels envers leurs montures. La main nue suppléait à de nos nombreuses petites béquilles relationnelles. Si souvent nous sommes sans torts envers nos chevaux, les grecs préféraient être centaure. Eux et le cheval. Rien de plus. Rien de trop. Usage delphique.

André Murcie.

 

 

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