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thousand watt burn

  • CHRONIQUES DE POURPRE 245 : KR'TNT ! 365 : DENISE LASALLE / THOUSAND WATT BURN / OSCIL / SPUNYBOYS / KING BISCUIT TIME

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 365

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    15 / 03 / 2018

    DENISE LASALLE

    THOUSAND WATT BURN / OSCIL

    SPUNYBOYS / KING BISCUIT TIME

     

    Oh Denise doo be do I’m in love with you

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    Plutôt que de chanter les louanges de Denis, Deborah Harry aurait dû chanter celles de Denise. Deborah devait forcément connaître Denise LaSalle, cette Soul Sister aussi puissante qu’Aretha. Oui, c’est exactement la même : génie vocal, histoire de vie, longévité, capacités compositales, elles ont énormément de points communs. Si vous allez chercher les infos dans votre wiki préféré, vous verrez qu’elle est née dans le Deep South comme Aretha et que sa famille a émigré vers le Nord, comme celle d’Aretha. Detroit pour Ree, et Chicago pour Den. Et pouf, Chess, mais Denise, comme Fontella Bass, refuse de se faire plumer par Leonard. Elle préfère enregistrer sur Westbound, un petit label de Detroit plus discret mais moins rapace. Non seulement Denise a du génie, mais elle a aussi du caractère, et ça la rend infiniment sympathique. Et les vingt-cinq albums qui illustrent sa carrière n’en finissent plus de renforcer cette impression.

    Denise LaSalle vient de casser sa pipe. On ne le verra pas en couverture des magazines pour m’as-tu-vus, car elle n’est pas très connue en Europe. Et comme l’élégance ne fait plus recette, elle n’avait de toute façon aucune chance de plaire. L’occasion est par conséquent trop belle de remédier à ce fâcheux constat en rendant un hommage panoramique à cette femme qui fut, comme le disent si bien les Anglo-saxons, larger than life.

    Longévité veut aussi dire discographie à rallonges. Comme tous les grands artistes noirs de sa génération, Denise LaSalle est passée d’un label à l’autre, au fil des modes : première époque raw r’n’b sur Westbound, puis avec l’âge d’or de la diskö, elle passe chez ABC et MCA, avant de revenir en 1983 dans le giron du Saint des Saints, c’est-à-dire Malaco, pour y enregistrer une dizaine d’albums absolument somptueux. Attention, ces époques sont toutes les trois affreusement consistantes. Un mauvais disque chez Denise ? Ha ha ha ha, comme disent ceux qui se croient malins en riant bêtement, mais c’est tout simplement inimaginable.

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    Si on tape dans la période Westbound, autant taper dans le dur. Il s’appelle A Good Thing Better. The Complete Westbound Singles 1970-1976 et comme son nom l’indique c’est sorti sur Westbound, via Ace Records. C’est à la fois de la dynamite et l’une des meilleures compiles de Soul de tous les temps, richement documentée par Tony Bounce, Ace-man de choc. Ce disk de ding-a-dong propose 24 cuts, c’est-à-dire les 12 singles qu’enregistra Denise avant son premier album. Ça fourmille littéralement de coups de génie, tiens, par exemple ce slowah atmosphérique intitulé «What Am I Doing Wrong». C’est joué et orchestré à outrance, on a là une merveille absolutiste. Ou encore «Good Goody Getter», extraordinaire shuffle de petit popotin, tu danses au coin du juke, elle prend sa petite voix Motown et fait sa coquine avec du getter de rêve, c’mon ! À ce stade des opérations, on peut se demander pourquoi Aretha et pas Denise ? La réponse est évidente : Aretha avait Wexler, c’est aussi simple que ça. Westbound ne pouvait pas rivaliser avec Atlantic. Et pourtant, Denise défonce la rondelle des annales avec «Hung Up Strung Up», c’est aussi hot que du Stax, on a là un classique pur embarqué au pire drive de bassmatic qui se puisse imaginer ici bas. Encore un slab de heavy r’n’b avec «Keep It Coming», une véritable bénédiction de juke, bassmatic devant toutes, solo de trompette. Elle enfile les hits comme des perles, «Now Run And Tell That» sonne comme une révélation, elle saupoudre ses petits hey mr playboy d’oh yeah bien sentis. Nouveau monster hit avec «Man Sized Job», embarqué au rumble de shuffle no more. Hit de juke admirablement cadencé, aussi puissant que du early Ike & Tina. On reste dans l’effarance de la latence avec «What It Takes To Get A Good Woman», même aplomb et même assise qu’Aretha, même popotin de tous les diables, elle a vraiment largement de quoi rendre un homme heureux. Elle tape dans les Detroit Emerald avec «Do Me Right». On nage en plein rêve. Cette compile de singles tue les mouches. Une fois encore, c’est pulsé à l’énergie black et les cuivres jouent le thème, alors Denise y va franco de port et elle couine ses syllabes. Tout est très spectaculaire, ici, on se croirait à la Piste aux Étoiles. Avec «Get Up Off My Mind», on entre dans la période Muscle Shoals. David Hood claque le groove de bassmatic, c’est atrocement bon et Roger Hawkins bat le beat tribal africain. Encore un hit hallucinant de classe, bardé de renvois de chœurs à la Aretha, c’est la fête au village. Avec «The Best Thing I Ever Had», elle passe au slowah d’émancipation, elle règne sur la terre comme au ciel. Elle passe au r’n’b moderne avec «My Brand On You» et rameute tout le génie de Muscle Shoals pour «Any Time Is The Right Time», hanté par des chœurs géniaux. Avec «Here I Am Again», elle passe à la diskö, mais pas n’importe laquelle, celle de Barry White. Il fallait bien qu’elle bouffe. Bien sûr, les gens lui ont craché dessus, mais Denise est une reine. Elle chante comme si elle éclairait le monde. Elle shoote toute l’énergie de la Soul dans la diskö, comme le fit Aretha à la même époque. Elle chante à la vie à la mort. C’est sa force. À la fin de cette compile somptueuse, on entend des pubs radio : «The body & Soul of the Miss LaSalle ! The exciting sound of the Miss LaSalle !»

    Ado, Denise veut écrire des romans. Pas facile. Alors elle se met à écrire des chansons. Elle trouve le nom de LaSalle dans un magazine et pouf, c’est parti mon kiki. Elle travaille dans un bar de Chicago et rencontre Billy The Kid Emerson. Impressionné par sa voix, Emerson la branche sur Chess. Chess la trouve bonne, oui, mais pas encore assez bonne.

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    Denise comprend qu’elle doit redescendre dans le Sud pour s’épanouir artistiquement. Elle ne choisit pas n’importe qui : Papa Willie. Ouvrez la pochette de son premier album Trapped By A Thing Called Love et vous tomberez sur un texte magnifique signé Denise : «J’ai écrit beaucoup de chansons dans ma vie, mais les paroles n’ont aucun intérêt si la musique n’est pas bonne. Je suis arrivée à Memphis avec quelques paroles et des lignes mélodiques, mais ce génie nommé Willie Mitchell (Papa Willie I call him) a donné vie à mes paroles. Willie a tous ses arrangements en tête, il n’écrit rien, et la façon dont il communique avec ses musiciens est fantastique. Ils l’aiment et le respectent. Ils essaient de jouer le mieux possible - everyone tries hard to get the music down just right - Je dois tout mon succès à Papa Willie qui l’a rendu possible.» Et elle finit en dédiant cet album à Papa Willie et à Gene Bow-legs Miller. Sur l’album, on retrouve un paquet de singles, évidemment, ces énormités que sont «Now Run And Tell That», «Good Goody Getter» et «Do Me Right», purs shoots de jerk de gros popotin, Denise swingue le booty comme Ree, elle chante sous le boisseau de Papa Willie, c’est puissant des reins et parsemé de cris de folle, avec un son admirable d’entrain et de subtilité cuivrée. On retrouve aussi l’immense «Heartbreaker Of The Year» et «Hung Up Strung Out». Elle fait aussi une cover du «If You Should Loose Me» de Barbara Lynn. Force est d’admirer sa classe, elle claque sa Soul aux gémonies, c’est nappé d’orgue et digne de Fame. Elle termine cet album passionnant avec une compo de Carole King, «It’s Too Late». Ça sonne comme un hit, ce qui semble logique.

    C’est le DJ Al Perkins qui l’a mise en contact avec Armen Boladian, boss de Westbound Records, l’un des grands labels de Detroit sur lequel on retrouve les Ohio Players, les Detroit Emeralds et Funkadelic.

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    Elle embraye sur On The Loose. Un fantastique portrait d’elle cadré serré orne la pochette. Ses yeux noisette se plantent dans les vôtres et deux petites rides encadrent une bouche rieuse. Une autre photo d’elle orne le verso de la pochette, mais en pied. Denise a de l’embonpoint, comme Ree à la même époque, mais à part Laura Lee et Madeline Bell, a-t-on déjà vu une Soul Sister maigre comme un clou ? Non, évidemment. Cet album tient lui aussi par la force des singles qu’on y retrouve, à commencer par «A Man Size Job», énorme groove popotin. Denise ne rigole pas avec le popotin, c’est son truc. Elle sait manier le beat. Elle passe au funk avec «What It Takes To Get A Good Woman» et nous plonge dans l’heavy Memphis Sound, c’est digne de Stax et claqué aux riffs de fonk. Avec «Harper Valley PTA», un hit de Jeannie C. Riley signé Tom T. Hall, Denise passe à la country pop de Soul, et elle manie ça en experte, elle tient bien la distance, un peu à la manière de Dylan. Franchement, elle excelle dans tous les genres, comme on le voit avec «What Am I Doing Wrong», grosse compo d’elle qui sonne comme du pathos anglais et qu’elle reprend en retour de manivelle wha-wah. Elle injecte un gros shoot de gospel batch dans «Breaking Up Somebody’s Home». Elle chouchoute sa Soul à outrance et n’en finit plus de rivaliser de grandeur pulmonaire avec Ree. On trouve d’autres merveilles en B, notamment ce «Your Man And Your Best Friend» qui groove joliment sous le boisseau et «I’m Over You», sublime slowah sevré de gospel choir experience, qu’elle prend aux accents de féminité chaleureuse. Elle finit avec un nouvel archétype du heavy groove de Memphis Sound, «I’m Satisfied». Les gens d’Hi savent sortir un son : accents funky, guitares subtiles, oui, Mabon Hodges joue comme un dieu.

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    Dernier album sur Westbound : Here I Am Again. Belle photo de pochette. Celle qui orne la pochette de la compile Westbound pré-citée provient de la même session : Denise est tout simplement radieuse, superbement coiffée. Elle porte une robe rouge très décolletée et croise les bras, comme si elle se sentait nue. Le morceau titre sonne un peu diskö de charme, mais Denise règne sur la terre comme au ciel. Elle fait tout simplement de la Southern Diskö, comme en font de leur côté Millie Jackson et Candi Staton. Et puis elle revient à sa chère démesure avec «Share Your Man With Me», monté sur un beat bien épais, et joué comme dans un rêve. C’est du Aretha, mais estampillé Deep South. Denise chante ça à la retenue, et God, c’est épouvantablement bon ! Elle reste dans la Soul de r’n’b à la Aretha avec «I Wanna Do What’s On Your Mind». Elle tartine sa Soul avec un persévérance qui en dit long sur sa soif de vivre. En B, elle explose tout avec «My Brand On You», elle chante ça à la Denise Westbound, et croyez-moi, ça ne court pas les rues. C’est un hit de juke à l’état le plus pur. Et elle entame sa carrière de rappeuse avec l’excellent «Anytime Is The Right Time» - Some folks say/ The night time is the night time - Mais Denise affirme que c’est tout le temps le right time. Le right time de quoi ? Mais de baiser, bien sûr. Au cas où on ne l’aurait pas encore compris Denise est du cul, c’est-à-dire dans la vie. Elle soutient sa thèse avec une puissance hallucinante. Les mecs qui lui tombaient dans les bras avaient intérêt à assurer. Elle finit avec l’excellent jump d’«Hit And Run». Elle finit souvent ses albums en beauté. Ahhh Denise...

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    On entre avec Second Breath dans la période ABC/MCA. Il ne faut surtout pas cracher dessus, car même marqués par l’époque, ces albums tiennent sacrément bien la route. Aretha et d’autres grandes Soul Sisters sont aussi passées par là, et elles ont réussi l’exploit de rester dignes, grâce à leur génie vocal. Le ton des pochettes change aussi, Denise devient une sorte une reine de la nuit, plantureuse et sexy, mais jamais vulgaire. Elle chante essentiellement le cul et la drague, c’est-à-dire la vraie vie. Elle compose quasiment tout ce qu’elle chante et n’en finit plus d’accumuler des hits. Tiens, par exemple, «Freedom To Express Yourself» : elle y rappe son diskö beat. En tant que grande dame, elle peut se permettre toutes les fantaisies. Shake your booty, alors oui, mais avec elle. Elle enchaîne avec un hit de r’n’b intitulé «Get Your Lie Straight». C’est admirable de puissance charnue. Elle chante ça à pleine voix et ne supporte pas les mensonges. Elle revient toujours à son fantastique appétit de r’n’b, comme si elle voulait se montrer invaincue sur ce terrain. Dans «Sweet Soul», elle le prévient, get ready, caus’ I’m comin’ through you. Et voilà qu’elle repart sur un groove violonneux à la Marvin Gaye, «I’m Back To Collect» ferait bander un mort, elle shoote des harmoniques de What’s Goin’ On dans sa diskö de charme. C’est une fois encore admirable de tenue, joué et chanté au maximum de toutes les possibilités du genre. Elle démarre sa B en force avec «I Get What I Want», un extraordinaire shoot de r’n’b heureux de vivre, élégant et libre, un r’n’b qui circule dans les rues d’une ville lumière à l’âge d’or de la vie. Avec le morceau titre, elle prévient son mec qu’elle a trouvé le second souffle - I’ve got a brand new style/ Oooh I’m brand new baby - Elle est fantastique. Dans «Hell Fire Loving», elle affirme qu’elle peut réveiller un mort et pomper un jeune garçon a sec. Elle est tellement investie dans son art qu’on la croit sur parole. La voilà épuisée dans «Sit Down And Hurt Awhile». Elle n’a plus de forces - Let me sit down/ I just don’t believe I can make it baby - Elle souffre trop. C’est vrai, on devient dingue quand on souffre trop. Et elle termine cet album effarant avec une country-song de Soul fabuleusement inspirée, «Two Empty Arms».

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    La voilà au bord de sa piscine pour The Bitch Is Bad. Cet album vaut le détour, ne serait-ce que pour les quatre vénérables énormités qui s’y prélassent. Tiens, on commence avec «Fool Me Good», un groove à la Marvin - Aw sugar/ Just fool me good - Elle règne sans partage sur l’empire du groove de pool. Et en B, elle enchaîne trois super-monsters : «Move Your Body», «A Love Magician» et «One Life To Live». Avec le premier, elle tape dans le meilleur diskö-funk de l’époque. Elle fait de chacun de ses albums un véritable événement, c’est bourré de son et de classe black. Quel cut de fonk, rien ne peut la freiner ! Love Magician est du big ball sound à la Aretha - Aah he works magic/ Magic with my body - Et le troisième vaut pour un slowah séculaire, elle s’y élève comme Aratha, à la seul force de sa glotte d’acier. Et puis elle revient au pur sexe dégoulinant avec «Love Me Right». Elle y prend son pied, mmmmm.

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    Under The Influence paraît sous une pochette de satin mauve. Cette fois, elle enregistre chez Ardent, à Memphis. Elle démarre l’A en trombe avec «Party», gros shoot de diskö-funk. Denise gère ça bien, elle pousse des cris de relance et derrière, les Hot Buttered Soul font des chœurs de rêve - Hey ! - Elle n’en finit plus de relancer, elle épuiserait un régiment de hussards. Quelle énergie ! Avec «Let’s Stay This Way», elle passe au slowah de séduction suprême. Elle propose à son mec de ne rien changer, c’est vrai elle a raison, quand tout va bien, il ne faut toucher à rien. Elle chante comme une femme comblée. Ce n’est pas une vue de l’esprit, ça s’entend. Elle démarre sa B avec «Workin’ Overtime», un groove universaliste balayé par un puissant souffle d’Americana. Elle y aménage de sacrés paysages - You ain’t got nothing left - Son mec travaille tard le soir, il ne bande plus et elle trouva ça bizarre - The same old shit - Peut-on faire confiance à un mec ? Jamais.

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    La pochette d’Unwrapped présente les défauts de l’époque. Les graphistes manquaient alors d’imagination. On voit une main arracher une peau de zèbre rose et Denise apparaît souriant dans l’ouverture. Le «Think About It» d’ouverture de bal d’A donne le ton : diskö-funk, mais bien rebondi. On y entend d’ailleurs le drive de basse de «Miss You». Il n’y a pas de petits profits dans l’art du pompage. Elle sauve l’A avec l’excellent «Too Little In Common To Be Lovers», un slowah océanique. Elle gère ça aussi bien qu’Aretha, à coups de goodbye baby bien sentis. Elle tape en B une reprise de «Do Ya Think I’m Sexy» sur laquelle on passera, pour cause de mauvais souvenirs et elle termine avec un medley superbe de trois slow-grooves languides. Aw, Denise, que deviendrait-on sans toi ?

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    La voilà en reine de Broadway sur la pochette d’I’m So Hot. L’album vaut le détour pour une raison principale : le gospel batch de «May The Funk Be With You». En fait, elle fait du gospel batch diskoïdal, aussi puissant que celui de Candi Staton. On trouve aussi deux hits diskö sur l’album, «Try My Love» et «Tear For Fear». Denise se situe au cœur de son époque, et le pire, c’est qu’elle est bonne. En pure cerbère, elle grogne en rythme sur le diskö beat. «Tear For Fear» sonne comme un hit alerte et vivifiant. Impossible de calmer Denise, elle saute sur dance-floor et bouge son cul comme Aretha dans son restaurant. On trouve aussi en B un slowah d’une rare sensualité intitulé «Sometime». C’est incroyablement bien chanté. Elle vire à l’universalisme des I de baby, comme toutes les grandes Soul Sisters de sa génération.

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    Fin de l’époque MCA avec Guaranteed. Denise n’est pas à son avantage sur la pochette. Comme Aretha, elle est tombée dans les pattes d’une coiffeur qui ne l’a pas arrangée. On trouve un peu de diskö en A, mais comme chante avec une classe renversante, alors on danse avec elle. C’est la moindre des choses. C’est en B que se joue le destin de l’album, et ce dès «Got Myself A Handyman», tapé au bon vieux heavy groove. La voilà de retour sur son vieux terrain de prédilection. Denise adore le beat lorsqu’il est heavy, c’est-à-dire bien gros. Elle enchaîne avec une invitation lubrique, «Make Love To Me One More Time», à laquelle il est difficile de résister. Pas besoin de faire un dessin. On a là un groove bien balancé des reins, admirablement orchestré et soutenu par des chœurs de rêve. C’est d’autant plus torride qu’elle soupire d’aise - Darlinnng... - Voilà encore un cut d’une rare sensualité. Et elle passe sans prévenir au diskö-funk des enfers avec «ERA (Equal Rights Amendment)». Elle fait tout simplement du heavy Funkadelic. Attention, ce n’est pas fini : voilà «I’ll Get You Some Help», une merveille incroyablement dansante, elle y fait un festival, c’est l’un des r’n’b les plus dansants de l’histoire. Elle dégage tellement d’énergie qu’on pourrait qualifier sa Soul d’éruptive, elle s’y montre joyeuse, c’est infernalement bon, dansé jusqu’à l’os du beat, et c’est rien, comparé aux faits réels.

    Comme d’autres géants de la Soul, Denise rejoint Malaco en 1983. Bobby Blue Bland, ZZ Hill, Latimore et Johnnie Taylor font partie de ces géants. Malaco incarne un autre âge d’or de la Soul du Deep South, à la suite de Fame, de Stax et d’Hi.

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    Son premier shoot de Malaco s’appelle A Lady In The Street. Sur la pochette, Denise téléphone. Avec le morceau titre, on entre de plein fouet dans le big Malaco Sound System, soft groove élégant bien équilibré et richement orchestré. On s’en pourlèche les babines. Denise chante comme une vraie pro. Et puis avec «Don’t Mess With My Man», elle avertit la poufiasse qui louche sur son mec - I got news for you babe/ You better check this out - Denise ne plaisante pas avec ce truc-là - I tell you mama/ I can make you all understand - En B, elle tape un «Down Home Blues» au heavy blues de Malaco, coco. Il y met tout son poids, c’est idéal et grandiose. Et avec «Come To Bed», elle propose une invitation au voyage. C’est admirable de deniserie, mais avec de la classe, du satin noir et un parfum discret. Pour attirer le mâle, elle fait sa Marvin.

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    Elle retrouve sa parure de Diskö Queen pour la pochette de Right Place Right Time. Elle duette avec Latimore sur le morceau titre. Ils se situent dans la veine des duos mythiques de Motown, pas de doute. Avec «He’s Not Avaliable», elle passe au heavy funk des enfers. Admirable fonkah boot de Malaco. Quel son ! Et les filles derrières font : «He’s on the telephone !» Denise n’a pas de pot, elle tombe toujours sur des mecs qui lui bourrent le mou. En B, elle revient au heavy blues avec «Your Husband Is Cheating On Us». Encore une histoire de cul qui tourne mal. Denise s’intéresse beaucoup à la psychologie des hommes - He’s lying/ He’s a cheater - Elle n’est pas tendre avec l’husband - He’s not a good man - Et puis avec «Keep Your Pants On», elle tape dans Sam Dees, mais sur un beat à la Proud Mary très typé Tina. C’est excellent, on a là un joli shoot de rock de Soul cuivré et bardé de chœurs du Deep South, les meilleurs du monde. Elle prend ensuite le heavy groove de «Bump And Grind» au timbre fêlé, avec une diction à la Millie Jackson. Ah, on peut dire qu’elle chauffe sa petite affaire avec un art consommé.

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    Joli portait de Denise pour la pochette de Love Talkin’. La ressemblance avec l’Aretha d’une certaine époque est frappante. C’est probablement l’un de ses meilleurs albums, avec une B littéralement explosive : elle l’attaque avec le morceau titre, une sorte de groove de rêve éperdu, puissant et lascif, liquide et gorgé de suc - For life honey/ You and me - Elle passe plus loin au heavy stomp de Soul avec «Too Many Lovers», signé George Jackson. Elle nous drive ça à la poigne de fer. Que deviendrait-on sans elle ? Aretha et elle sont nos mères nourricières, ne l’oublions pas. Denise se fond littéralement dans le génie sonique de Malaco. Elle boucle avec «My Tu-Tu», un hit cajun comme pas deux, admirable d’exotisme louisianais et monté sur un beat salvateur. Oh, il faut aussi écouter le «Talkin’ In Your Sleep» qui ouvre le bal de l’A, car c’est un chef-d’œuvre de heavy funk diskoïdal, avec Jimmy Johnson dans les parages. Rien qu’avec cette supercherie, Denise sauve l’honneur des années quatre-vingt. Elle nous propose tout simplement le beat de fer dans un gant de velours, un son dont on n’ose même pas rêver. Elle passe ensuite au heavy Mississippi blues avec «Someone Else Is Steppin’ In», incroyable slab de steppin’ out. Elle reconnaît qu’elle était folle - I was a fool - Il fallait voir de quelle façon il la traitait. Sur cet album, hormis la voix de Denise, il n’y a que du son. Rien que du son.

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    Pochette plus graphique pour Rain & Fire qui, une fois encore, se présente comme un album classique digne des grandes discothèques. Rien de tel qu’un Southern boogie emmené à tire-d’aile comme «I’m Sho’ Gonna Mess With Yo Man» pour se mettre en appétit. David Hood embarque ça sur un drive de bassmatic élastique et ça vire au festival Muscle Shoals. Au dos, Denise se coiffe comme une lionne, un peu à la Tina. Elle continue de taper dans les compos du légendaire George Jackson avec «What’s Going On In My House». C’est l’avantage d’enregistrer chez Malaco : on y paye George pour composer. Quel fabuleux groove de charme ! Il faut bien dire que TOUTES les compos de George Jackson tapent dans le mille. L’Association Denise/George se situe exactement au même niveau que d’autres associations mythiques du genre Burt/Dionne ou encore Jimmy Webb/Thelma Houston. On est dans le nec plus ultra de l’excellence. Elle récidive en B avec «Dip Bam Thank You Mam», fabuleux groove jacksonien cuivré de frais. Denise l’attaque à l’Aretha et Jimmy Johnson nous barde ça de tortillettes incisives. Elle boucle le bouclard avec «Is He Lovin’ Someone Else Tonight», un slowah magnifico de Malaco coco, joué au petit bonheur la chance du Southerner. Denise nous le distille savamment, au gré du vent chaud qui caresse les fucking champs de coton.

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    Alors attention, It’s Lying Time Again et Holding Hands With The Blues proposent exactement les mêmes morceaux, et pourtant, c’est sorti sous deux pochettes Malaco différentes. Malaco nous prend pour des gogos ? Hélas oui.

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    Notre géante adorée tape «It’s Lying Time Again» au heavy shuffle de groove. Elle chante ça comme Albert King ou Aretha, avec du raunch plein la bouche. Elle entre dans la caste des imparables. Back to the heavy blues avec «It Makes Me So Mad». Denise n’a aucun souci avec le blues. Elle y va franco de port. Mais ça la rend folle, chaque fois qu’elle le voit dans les parages. Encore du haut de gamme avec «You’ll Never Get Your Hooks On My Man». Tout est bon chez Denise, miam miam. En B, elle tape dans Joe Tex avec «Hold On» et revient à la pop de Soul avec «Love Break». Cette femme nous épuise.

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    Attention, voilà un album énorme : Hitting Where It Hurts. «Don’t Cry No More» donne le ton : joyeux et quasi-calypso. On note la belle santé du beat raffiné. C’est tout simplement un fantastique hit de r’n’b monté sur un riff hypnotique. Elle rend un hommage somptueux à Sam Cooke avec une version musclée de «Bring It On Home To me». Elle fait le choix audacieux d’un beat grrovy et ce n’est pas la dernière fois qu’elle nous fait le coup. En B, elle revient à George avec «Eee Tee», comme si elle voulait passer aux choses sérieuses. C’est joyeux, solide et bon comme le pain chaud du petit matin - My man loves me/ He loves me from his heart/ Yes he does - C’est un énorme standard de r’n’b. Encore un fantastique hit de r’n’b avec «If You Don’t Do Me Right», joliment dansant et ultra-orchestré. Denise a du pot, elle a derrière elle tous les cocos de Malaco. Le «See Saw» qui suit n’est pas le hit connu, mais une pop atmosphérique si bien chantée qu’on dit amen. Elle revient à George avec «You Gotta Pay To Play» : solide, en place, chœurs de rêve, nous voilà au faite du Deep Southern Soul System.

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    La pochette de Still Trapped est un peu difficile. Denise n’y est pas à son avantage. Comme Aretha, elle est passée chez un coiffeur de traves. Mais l’album est superbe. On y retrouve toute l’équipe de Muscle Shoals, David Hood, Jimmy Johnson et Roger Hawkins, avec George Jackson qui fait des backings sur «Wet Match». Franchement, que peut-on espérer de mieux ? Avec «Trapped 1990», on glisse dans le plus admirable des slow-grooves. Dorothy Moore chante derrière. On a là une fantastique épopée sensorielle. Denise fait ce qu’elle veut des lapins blancs, de toute façon. Elle les emmène avec «Paper Thin» dans le meilleur beat de slowah de Malaco et rallume les lampions pour un coup de jerk intitulé «Chain Letter». Elle nous rappe ça au talking blues et part en funk de Soul avec toute la puissance des Temptations. Fascinant ! En B, dans «I’m Loved», elle s’extasie sur le fait d’être aimée, et elle a raison, car ça sonne juste. «Kiss It» est beaucoup plus diskoïdal, mais elle fait des folies de son corps. C’est une femme libérée, une extraordinaire rosace effervescente. Et soudain, voilà qu’elle tape dans Al Green avec «Love And Happiness». Cette merveilleuse pêcheresse greene bien son groove, elle en fait un groove de rêve écarlate joué sous le boisseau ardent du dieu des blancs qui n’a rien compris aux blacks. C’est battu au beat d’Al, une merveille d’équilibre et d’intelligence humaine et cette diablesse se fond dans un océan de crème au chocolat.

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    Sur Love Me Right, on trouve une nouvelle énormité signée Jackson : «Fast Hands And Dirty Mind». Encore un fabuleux groove de r’n’b emmené à fière allure. Tout aussi jouissif, voilà «Don’t Jump My Pony». Elle montre une fois encore qu’elle sait driver un beat dans le bon sens. Il ne faut pas lui raconter d’histoires, Denise n’est pas née de la dernière pluie. Les cocos de Muscle Shoals sont encore là, garants du meilleur son local. Un son si parfait qu’il est impossible de s’en lasser. Et Denise continue de chanter comme l’une des plus grandes Soul Sisters d’Amérique. Elle revient à son cher George avec «Don’t Pick It Up». Qui saura dire la classe des cuts de George Jackson ? Hein qui ? C’est d’une élégance qui bat tous les records. Une élégance pulpeuse, pulsée des reins, good timey - If you can’t carry it babe - «Ahhhh comme elle bonne !» (dit avec l’emphase crapuleuse de Jean-Pierre Marielle dans Les Galettes de Pont-Aven, cette fabuleuse ode à la vraie vie). Avec «Love Me Right», il est clair que Denise sort sa meilleure compo pour honorer les dieux de la Soul. Oui, il existe forcément des dieux de la Soul, sinon comment pourrait-on expliquer l’existence d’une femme aussi douée que Denise LaSalle ? En B, elle revient à George avec l’excellent «Too Many Hungry Mouths Around The Table», un heavy grrove d’une importance considérable. Elle maintient le cap du très grand album avec «You Can’t Get Nothin’ Straight Between Us». C’est très impressionnant. Trop de qualité ? Il faut juste se contenter d’écouter et surtout ne pas se poser de questions ou ramener des formules dont raffolent les cons, du genre «trop de qualité tue la qualité».

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    Avec Trapped, on entre dans ce que les disquaires appellent les tardifs. Denise approche de la soixantaine, mais elle ne faiblit pas. Elle retape dans son vieux hit «Trapped By A Thing Called Love», dans une ambiance à la Bobby Bland. Elle tape ça au talking blues et les gens applaudissent. Sacré public ! Les gens l’adorent. Elle fait sa Millie Jackson. Alors elle chauffe la salle et les gens exultent. Avec «I Was Telling Him About You», elle renoue avec l’excellence du groove, mais au-delà de toute espérance. Elle retape dans le vieux «Hold On» de Joe Tex en mode gospel batch et revient au heavy groove de génie avec «You Gotta Pay To Play». Hit signé George Jackson, alors no problemo. C’est immensément bon, claqué au dessus de la surface du r’n’b, subtil mélange de fonk, de Soul et de heavy groove bien monté en température. Elle accepte tout, le cash, American Express & co. Elle tape dans Sam Cooke avec «Bring It On Home To Me» en mode funky. Étonnant parti-pris. Elle rend hommage au père fondateur à sa façon. Elle revient à George avec «Too Many Lovers» et elle l’arrache du sol d’entrée de jeu. Avec George, on ne rigole plus. Voilà un hit de r’n’b assez fondamental. Denise le charge au maximum des possibilités, elle y va au guttural de chef de guerre, elle croit en George, alors ça se transforme en hit séculaire.

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    Dernier coup de Malaco avec Smokin’ In Bed. Denise est dans son lit. Attention, c’est chaudard ! À commencer par «Never Been Touched Like This». Elle rappe. Elle mah-mahte sur fond de groove technologique. Le pire, c’est que ça marche, ça accroche comme un hameçon dans la gorge d’une carpe qui ne demandait rien à personne. Ce groove ensorcelle - I love what you do baby - L’autre énormité nichée sur cet album s’appelle «The Night He Called It A Day», slab de pop rock de juke à la Dionne Warwick. Denise est une aubaine pour l’humanité, mais visiblement, l’humanité n’est pas au courant. Elle chante à la seule force de sa féminité talentueuse. Dès qu’elle tape dans les grosses compos, elle s’élève merveilleusement. Le morceau titre reste du pur jus de Malaco. Derrière Denise, les filles envoient la purée habituelle. Ça groove sec à Jackson, Mississippi - My man is smoking in bed - Tout un programme. Pas question de rater ça. Retour à George avec «Blues Party Tonight» - Tell BB King don’t forget to bring new kicks/ It’s gonna be alrite tonite/ At the blues party tonite - Elle cite aussi Johnnie Taylor et Bobby Rush, wow ! Et Little Walter ! Elle revient au gospel batch avec «Goin’ Through Changes». Elle se sert du gospel pour laver tous ses péchés. C’est de bonne guerre. Au temps de Corneille, on se battait pour moins que ça. Et puis il faut l’entendre éclater «Why Am I Missing You» au firmament des slowahs. Elle travaille bien son groove au corps et cette diablesse tape dans le mille à chaque fois. On dirait qu’elle a fait ça toute sa vie.

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    Beau portait de Denise sur la pochette de Still The Queen. Denise pourrait se contenter d’avoir du charme, mais elle continue de chanter comme une Soul Sister de très haut rang, et ce dès le morceau titre d’ouverture de bal. Fabuleux shoot de funk ! Elle écrase tout sur son passage, impérieuse, the queen is back ! Well give it up baby ! Elle n’a pas besoin de réclamer sa couronne. Elle enchaîne avec un slowah enchanté, «Dirty Freaky Man». Il semble parfois que dans les carrières des grands artistes black, les tardifs soient les meilleurs. En tous les cas, ça se vérifie avec Gladys Knight, Aretha et Denise. Back to the hot r’n’b avec «You Should Have Kept It In The Bedroom». Il y a là de quoi réveiller tous les morts du Chemin des Dames et que quoi recoller le bras coupé de Blaise Cendrars. Fantastique énergie, Blaise et Denise même combat ! C’est rythmé aux clap-hands. Quel festin ! Elle rejoue la carte fatale du heavy blues avec «What Kind Of Man Is This». Elle chante à outrance. Tiens, encore un violent slab de slut de r’n’b : «Funky Blues Kind Of Mood». Effarant de grandeur apoplectique, on est dans la cour des grands de Memphis, man ! Elle nous roule ça dans sa farine, la meilleure du comté. Elle chauffe à coups répétés de guttural et attaque tous ses couplets à la syllabe vibrée. Elle est admirable de A à Z et quand on écoute «Who Needs You», on se dit : «Ah comme les choristes sont bonnes !». Elles réchauffent bien le cœur de Denise. Elle chante comme une reine éternelle. Retour à George avec «In A Midnight Mood In The Middle Of The Day». Heavy groove d’ooh baby. Il plane sur ce cut un sacré parfum de légende. Denise semble surfer sur une vague d’argent et c’est pouetté au bassmatic. Elle termine avec le gospel de la séparation, «There’s No Separation». Elle s’engage politiquement - There’s no separation of church and the state - Diable, comme les Américains peuvent être vieux jeu.

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    Il semble que Pay Before You Pump soit le dernier album qu’elle ait enregistré. Pochette un peu vulgaire, mais les chansons elles ne le sont pas. On est tout de suite effaré par la puissance du beat. On la voit avaler le beat d’«It’s Goin’ Down» et passer à la pire heavyness avec «I Need A Working Man». Heavy as hell ! Elle est tout simplement démente, elle crée une fournaise sous le boisseau et semble réinventer la heavy Soul, elle drive le beat, c’est admirable de démesure, elle chauffe son cut avec toute la puissance d’une reine antique, tout à la poigne de fer. S’ensuit un fantastique schloof de boogie blues, «Mississippi Woman». Elle rend hommage au dieu Hooky, c’est joué au boogie blast d’accord traînard. Et voilà un cut idéal pour les apéros qui dégénèrent : «Hell Sent Me You». Ça glisse vers le dance-floor, La reine a pris un coup de vieux, mais elle reste géniale. Elle explose même le dance-floor. C’est d’une santé insolente, avec un groove orchestré aux marimbas. Elle revient au heavy blues avec «Walking On Beale Street And Crying», elle walk up and down looking after BB King et revient danser avec «I’m Hanging On». Cette diablesse bat absolument tous les records de cordialité, elle nous sort là un coup de pop joyeuse et elle pousse des cris. Elle fait sa mère maquerelle de club avec «I Tried» et il faut se dépêcher d’en profiter, car après c’est fini. Il ne reste plus que les asticots.

    Signé : Cazengler, Denis le sale

    Denise LeSalle. Disparue le 8 janvier 2018.

    Denise LaSalle. Trapped By A Thing Called Love. Westbound Records 1972

    Denise LaSalle. On The Loose. Westbound Records 1972

    Denise LaSalle. Here I Am Again. Westbound Records 1975

    Denise LaSalle. Second Breath. ABC Records 1976

    Denise LaSalle. The Bitch Is Bad. ABC Records 1977

    Denise LaSalle. Under The Influence. ABC Records 1978

    Denise LaSalle. Unwrapped. MCA Records 1979

    Denise LaSalle. I’m So Hot. MCA Records 1980

    Denise LaSalle & Satisfaction. Guaranteed. MCA Records 1981

    Denise LaSalle. A Lady In The Street. Malaco Records 1983

    Denise LaSalle. Right Place Right Time. Malaco Records 1984

    Denise LaSalle. Love Talkin’. Malaco Records 1985 (= My Toot Toot)

    Denise LaSalle. Rain & Fire. Malaco Records 1986

    Denise LaSalle. It’s Lying Time Again. Malaco Records 1987

    Denise LaSalle. Holding Hands With The Blues. Malaco Records 1987

    Denise LaSalle. Hitting Where It Hurts. Malaco Records 1988

    Denise LaSalle. Still Trapped. Malaco Records 1990

    Denise LaSalle. Love Me Right. Malaco Records 1992

    Denise LaSalle. Trapped. 601 Music 1997

    Denise LaSalle. Smokin’ In Bed. Malaco Records 1997

    Denise LaSalle. Still The Queen. Ecko Records 2002

    Denise LaSalle. Pay Before You Pump. Ecko Records 2007

    Denise LaSalle. A Good Thing Better. The Complete Westbound Singles 1970-1976. Westbound 2013

     

    PARIS / 06 – 03 – 2018

    LE QUARTIER GENERAL

    THOUSAND WATT BURN

    OSCIL

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    Sur le sentier de la guerre rock il ne faut pas s'étonner si l'on se retrouve au Quartier Général, ameublement spartiate, peu de chaises, quelques tables, de rares banquettes, par contre luxe suprême en temps de grand froid, un fumoir à l'étage inférieur, peu commode pour écouter les groupes, public nombreux pour un lundi soir, massé devant la scène. Trois combos de mecs avec à chaque fois, une fille en tête de file. Vous n'en verrez que deux, la brune et la blonde.

    THOUSAND WATT BURN

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    Suis venu pour eux, et me voici en pleine crise d'angoisse, si jeune et déjà rattrapé par le syndrome d'Alzheimer, j'aurais juré qu'ils étaient trois comme les Mousquetaires, j'ai beau compté sur mes doigts et me frotter les yeux, les voici quatre comme les Cavaliers de l'Apocalypse. J'ai trouvé l'intrus, je livre son nom aux services de renseignements, Will, et je complète la fiche : bassiste de son état. Voici donc notre trio transformé en quatuor, depuis à peine un mois, puis-je révéler. Mais taisez-vous, la cérémonie peut commencer.

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    Elle – la grande prêtresse noire – effleure d'un geste lent son bol tibétain, la batterie émet quelques râles à croire qu'elle entre en agonie, et derrière un froissement majestueux de guitare prend son jeu. Surviennent les notes noires et profondes de la basse et la musique gonfle comme un cobra royal qui se dresse de toute sa hauteur. Une vibration tellurique emplit la salle et se déploie tel un cauchemar maléfique.

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    Immobile, debout devant le micro, en une pose hiératique, sorcière dans une ample robe de bure noire, sa longue chevelure noire qui fait office de lourde écharpe, et ses lunettes aux grands verres aussi larges que deux pleines lunes de nuit de sabbat goethéen. Et la nuit tombe sur le monde. Elle hurle et les monstres froids et gluants de la démence et des terreurs folles quittent leurs sombres cavernes originelles. Viols de vampires, strettes de strénogoïs et vols erratiques de ptérodactyles efflanqués dans les aubes livides.

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    Un chant d'opéra, qui porte en lui décors d'effrois, rideaux de peur et coulisses de terreur. Plus qu'un chant, de longs spasmes doomiques, qu'elle extirpe du fond de sa gorge, qu'elle libère d'on ne sait quels cachots souterrains, elle n'est déjà plus elle, elle tape du pied, d'un mouvement pratiquement instinctif, une espèce de défense auto-réflexive du corps qui se défait, expulse et exile de telles horreurs innommables. Une attitude qui sans en être une copie n'est pas sans rappeler la tenue de Janis Joplin sur scène. Mais les temps ne sont pas les mêmes, régnait alors une atmosphère de fête libératrice... notre époque ressemble davantage aux âges noirs du Kali Yuga dans lequel l'éternité n'a plus de futur.

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    Lorsqu'elle s'arrête – vous savez ces profondes inspirations toute pantelantes entre deux vomissements – l'on prête attention à l'orchestre qui tisse écrins de somptueux requiems, brocarts de noirceurs, linceuls d'agonie, et suaires de goules sanglantes. Musique lourde moins striée des stridences de la guitare car funébrélisée des rondeurs de la basse. Atmosphère de châteaux en ruines ensevelis sous les frondaisons de chênes multi-séculaires aux branches tordus comme des corps de suppliciés. Et la voix reprend comme immenses et vastes lames de larmes qui se brisent sur de désastreux récifs. Une houle immense qui s'avance, emporte tout, détruit tout. Sans rémission.

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    Thousand Watt Burn, brûle tout sur son passage, un feu glacé, une fournaise froide comme l'enfer de vos meilleures intentions. Neige carbonique. Mais notre prophétesse s'accroche au micro pour lancer les imprécations ultimes, vingt fois elle reprend le combat, comme possédée d'une étrange transe envoûtante.

    Et le rituel sacré s'achève. Quelque part une pierre de la pyramide du monde se lézarde... le public qui acclame et félicite ne le sait pas encore. Il vaut mieux pour lui.

    ( Photos : Sabrina Nana Nuptian Cutter )

    OSCIL

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    Elle porte un perfecto et une robe pied-de-poule flashy-chic, quand je suis arrivé et que je l'ai aperçue je n'ai pas deviné qu'elle était dans un groupe, trop classe avec ses cheveux mi-longs qui encadrait ses yeux bleus – légendaire flair de rocker en faillite – mais quand elle a quitté son perfecto et gardé sa robe – hélas, pas l'inverse - pour se poster devant le micro l'a bien fallu me rendre à l'évidence. J'avoue que j'ai lamentablement séché sur le premier morceau, incapable de dire de quoi il s'agissait, pas vraiment du rock, pas vraiment autre chose, le deuxième était un plus net. Les trois zigotos à ses côtés commençaient à s'en prendre à leur instrument de belle manière, des pointures à leurs façons. Remarquez que sur le moment, j'ai éprouvé un énorme regret, celui de ne pas avoir les pleins pouvoirs divins et de disposer une section de cuivres autour d'Ingrid. Elle a de la voix, l'en fait un peu ce qu'elle veut, la flexibilise, la pirouettise, l'attise, la jazzise et la rytm'n'bluise, à sa guise. Oscil oscillerait-il entre plusieurs genres ?

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    Ben non, z'ont fini par trouver leur voie. Z'avaient dèjà la voix alors se sont resserrés sur elle, les musicos ont tissé un back-ground aussi touffu que la jungle de Bornéo, se sont amusés à un jeu cruel dangereux, une note de trop et le tigre de la batterie lui tomberait dessus comme un python qui se laisse couler de la cime d'un baobab sur sa victime, un demi-bémol erratique et la guitare-tigre lui arracherait une jambes ou un bras, un fa-dièse en moins et la basse orang-dégoûtant s'apprêterait à lui-faire subir les derniers outrages, vous ne pouviez que prendre en pitié et pleurer sur le sort funeste réservée à cette petite-fille confrontée à de tels défis, sans droit à l'erreur, perdue à tout jamais.

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    Deuxième erreur de la soirée. Ingrid aussi à l'aise au milieu de cette bande de malappris que sur sa chaise-longue au bord de la piscine, ah ! les méchantes bébêtes voulaient s'amuser, elle allait leur montrer qu'elle était la plus futée de la futaie. On croyait l'avoir entendue chanter, ce n'était qu'une illusion, disons qu'elle chantonnait, qu'elle fredonnait, qu'elle flûtait ( une demi-baguette ) et brusquement de sa petite robe à motifs émotifs gris et blanc, elle a sorti son organe, une voix de lionne à qui vous venez de tuer son petit, z'avez intérêt à courir vite et à ne pas vous retourner, et les trois musicos ont compris que leur vie en dépendait, vous auriez vu le concours de vitesse, Flo qui drumait sur sa batterie comme s'il descendait les pentes vertigineuses de l'Anapurna en ski, l'on ne voyait que ses bâtons qui tournoyaient autour de ses bras, Vince, sa barbe emmêlée dans les cordes de sa guitare, vous dégoupillait les riffs à la manière d'un ouvreur d'huîtres un soir de Noël, trente quatre notes à la seconde, et Aubry qui malaxait sa basse tel un catcheur en train de jeter sur le public les boyaux de son adversaire qu'il vient d'étriper vivant sur le ring. Un sauve-qui-peut généralisé, mais en un ordre parfait, se talonnaient certes, mais jamais sans se marcher dessus. Un ballet sonore réglé au centième de millimètre, et Ingrid qui n'arrête pas de clamer toute sa féminine hargne, qui vous claque de sa voix de bronze et vous barbaque la chabraque de son gosier d'airain. Le public suit en hurlant et en applaudissant.

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    Z'ont bien tenu une heure à ce rythme-là. Z'ont aligné des syncopes d'un funk-rock-jungle du meilleur bois précieux dont ils se chauffent, et puis se sont arrêtés, tout sourires, Ingrid aussi fraîche qu'un gardon dans les eaux froides d'un torrent de montagne, nous a remerciés d'une voix toute fine, est descendue de la scène pour se saisir de son perfecto. Le style.

    ( Photos : Sasha Ivanovic )

    FIN IMPROMPTUE

    Il y a bien un troisième groupe sur l'affiche. Crash Mighty, se sont dépêchés d'investir la scène dès le set des Oscils achevé. Mais je n'en parlerai pas. Ce n'est pas que je les hais, ce n'est pas que je les ai déjà chroniqués dans la livraison 357 du 18 / 01 / 2018, simplement que j'ai détalé au plus vite comme un caribou à bout d'abus, c'est que voyez-vous les Rockers sont de dangereux oiseaux de proie qui partent en chasse dès que la noirceur de la nuit s'étend sur le monde, peut-être un jour vous raconterais-je, si vous êtes sages, la suite de mes nyctalopiques errances fastueuses dans les ténèbres du Mal, en attendant remettez-vous Thousand Watt Burn, pour calmer vos impatiences.

    Damie Chad

    THOUSAND WATT BURN

    Attention artefact. Objectif objet réalisé. Avis à la tribu des collectionneurs collectant les collectors, existe en deux teintes, pourtour de la pochette en bistre ou en bleu. Aucune indication de noms, de lieu, de titres, de dates hormis l'image. Rond blanc, comme masque funéraire cambodgien, cerclé de noir, avers du disque d'un noir de cercueil, là aussi, nulle inscription.

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    Je ne résiste pas à vous le re-chroniquer ( voir la livraison 358 du 25 / 01 / 2018 ), mêmes titres non indiqués. My Darling : transportés en trois coups de batterie dans une autre dimension, une guitare cathédrale et une voix de voûte grégorienne qui vous prend à la gorge avant de se mettre à marouler comme un chat abandonné sur un toit brûlant, plus tard elle feule et râle et même quand elle murmure vous avez la chair de poule. Eblouissance terminale, avec une pression orchestrale énorme qui annonce le train suivant. Come to me : lancé à toute vitesse, fait la course avec le Dirigeable, la guitare fonce mais c'est la voix qui emporte le convoi. Un beau cyclone de cymbales pour accompagner le roulement. Ah ! ce your mind miaulé à mort, mais qu'est-ce qu'elle veut, lui bouffer l'âme toute crue ? She loves a girl : ( moi aussi, mais ce n'est pas pareil, toutefois pas plus naturel quand on y pense ) Bon pas le temps de philosopher, c'est reparti comme en quatorze, z'ont apparemment une tranchée à prendre, arrêt brutal, plus personne à tuer. C'est dommage. Listen : un vieux fond de blues kramé au kérosène, musique au lance-flamme et voix en tapis de bombes. N'oublient même pas la fumée qui sourd des ruines, pour la fin vous avez l'impression qu'un troupeau de mille éléphants s'avance sur vous dans la manifeste intention de vous écrabouiller et de vous réduire en huile de palme pour la confection des pots de nutella. Les enfants adoreront. C'est comme cela que l'on fabrique les asociaux, les inadaptés, et les légions de révoltés.

    Damie Chad.

    *

    * *

    Journée de la femme, leitmotiv peu wagnérien en boucle sur les média, si les dieux du rock existent, ils vont nous balayer toutes ces simagrées institutionnelles en un tour de main, nous passer le torchon et la serpillère javellisée sur toutes ces rodomontades hypocrites... Bien sûr que du haut de leur Olympe ils veillent au grain, et rétablissent l'équilibre paritaire, la nouvelle tombe sur les téléscripteurs en plein après-midi, ils nous envoient ce soir :

    08 – 03 – 2018

    ,à FONTAINEBLEAU, au GLASGOW,

    THE SPUNYBOYS

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    trois des gars des plus juteux et des plus gouteux du rock'n'roll. Marteau sur l'enclume, c'est la vingtième fois qu'ils viennent semer l'orage et la foudre dans le pub bellifontain, est-il nécessaire de préciser que le public a répondu en masse à l'appel sauvage, the Call of the wild pour parler comme Jack London. Dans le fond à gauche, si vous vous penchez bien, vous reconnaîtrez les silhouettes de Sergio Kahz et de Maryse Lecoultre en mission secrète pour Rockabilly Generation News, à ses côtés ce blouson rouge appartient à Bryan Kazh, jeune pousse du rockabilly dont nous reparlerons bientôt.

     

    Sont là, Rémy arborant sa monstrueuse banane – monument capillaire qui devrait être classé par l'Unesco en tant qu'insigne culturel d'exception - et son sourire charmeur, Guillaume le visage cisaillé de ses favoris angulaires qui sont de véritables accroche-coeurs féminins, et Eddie. Qui nous la joue rock and roll star. Absent. Et la foule, tassée comme grains de sucre dans un stick, qui scande son nom sur l'air des lampions, surexcitée. Le voici enfin qui descend négligemment les escaliers, grand seigneur qui rejoint ses gens - valetaille adorante, damoiselles émoustillées, et piqueurs rockers impatients de courir après le gibier de la grande chasse que tout le monde pressent royale.

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    Ecouter les Spunyboys vous renvoie à votre incomplétude humaine. Il vous manque une oreille. Car ils sont trois et vous n'en possédez que deux. Que voulez-vous nul n'est parfait. Prenons un exemple au hasard : les Spunyboys, justement ils sont là devant nous. Ne sont pas comme les autres groupes de rockab. Chez eux il n'y a pas d'espace. Même pas courbe comme chez Einstein. Sont du genre, premier atome d'hydrogène avant le big band. Concentrés à l'extrême. Chant, contrebasse, batterie, guitare, ne forment qu'un. La sphère parménidienne par excellence. Vous n'y rentreriez pas un grain de poussière. Alors avec vos deux pavillons éléphantesques ( éléphantasques si vous préférez, barrez la mention inutile ) vous repasserez. Les autres groupes, reste toujours un interstice, une fissure à lézard, un trou de souris, une niche à chien, une grotte à ours, une balzacienne rue du chat-qui-pêche, que sais-je ! bref assez d'espace pour que vos deux tympans puissent se promener à l'aise dans toutes les directions et isoler les instruments un à un, suivre celui-ci, vous obnubiler sur celui-là, vous détourner de ce dernier, mais avec les Spuny, vous pouvez prêter l'ouïe tant que vous voulez, ils ne vous la rendront pas. Mélange homogène.

    Inutile de vous lamenter car écouter les Spuny c'est accéder à une plénitude musicale extatique. Pas de quoi glisser un feuillet à cigarettes ( ou à autre chose ) mais en contrepartie, vous les entendez tous les quatre. Sont trois mais comme dans les grandes surfaces vous en achetez trois – profitez-en ce soir l'entrée est libre – et vous en avez un quatrième gratis. Des malins, des vicieux. Même quand ils donnent toute la gomme, tous ensemble, ils se ménagent une place de stationnement à usage exclusif. Pas grand-chose, même pas trois secondes, ici c'est Guillaume qui rattelle sa batterie, z'avez l'impression qu'il jette trois cadavres dans une fosse commune ( et vous aimez cela ), là c'est Eddie qui vous électrifie les parties génitale à la gégenne vincent, maintenant c'est Rémi qui vous frictionne l'épiderme avec la pommade empoisonnée de sa voix, et le voici encore qui arrête si brusquement de tirer sur les cordes de sa contrebasse que vous sentez votre cœur s'arrêter. Ad vitam quasi aeternam !

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    Et pas besoin d'être un amateur chevronné de rockabilly pour ressentir cela. Le public du Glassgow est à majorité festive. De la bonne musique qui envoie, ne demande pas plus. Ne dissèque pas son plaisir. Les boys savent y faire. Vous renvoient la pression à cent à l'heure. Quelques mots suffisent à Rémi pour créer la grande connivence des grands soirs. N'a pas un grand espace pour faire tourner sa contrebasse comme les ailes des moulins de Don Quichotte, n'en fait pas pour autant le cachotier, y grimpe dessus, matelot de vigie hissant l'étendard sémaphorique de son corps, la pose du Christ mis en croix qui se démène de bien peu pieuse manière, la foule se referme sur lui lorsqu'il s'allonge de tout son long sur les éclisses, tout en continuant à jouer avec autant de justesse que le premier violon du Berliner Orkestra. Quoiqu'il nous faille reconnaître qu'il y met davantage de fougue délirante que de grave componction.

    Eddie fait l'unanimité. Contre sa chemise. Personne n'échangerait la sienne avec son chiffon blanc. Par contre, il vous fait de telles sérénades – flor de cuchillo – disait Federico Lorca en su cancion del jinete, que votre petite soeur adorerait qu'il vienne nous donner aubade tous les soirs sous son balcon, pour la discrétion, ne pas compter sur lui, vous délivre de ces giclées spermatoïzidales de notes à faire rougir un archevêque. Guillaume ne reste pas en reste. Le plus grand cogneur de grosse caisse de toute l'Europe. Vous fricasse un boom-boom en introduction comme s'il bazardait deux bombes atomiques sur la maison d'un voisin qu'il n'aime pas, suivies de ce bruit qui ne ressemble à rien mais reconnaissable entre mille, cette espèce de brève rumination métallique de cloche de vache dont vous entrechoquez les cornes pour en tirer des étincelles.

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    Deux sets. Le premier de folie. Le second de furieux. Les gens qui dansent partout, des sommets éblouissants, Teddy Boy Rock'n'roll l'hymne ted par excellence, le I'm down d'Esquerita – comment oublier l'envolée little richardienne de Rémi - plié pile à la démesure du phrasé syncopalement ultra rapide des Spuny, un véritable travail d'artiste. Un Important Words de Gene Vincent dynamité de fond en comble sans rien perdre de l'authentique tristesse originelle, et plus tard cette série de jumpin'countries, cowboys, saloons et winchesters crépitantes...

    Quittons les spuny acclamés comme des héros, entourés de filles extatiques, rock'n'roll quoi !

    Damie Chad.

    ( Photos : Sergio Kazh / Rockabilly Generation News )

    10 / 03 / 2018

    COUILLY-PONT-AUX-DAMES

    LOCAL METALLIC MACHINEs

    KING BISCUIT TIME

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    Toujours m'esbaudit le body de courir à Couilly-Pont-Aux-Dames, à ma connaissance il n'est pas une autre localité hexagonale qui ait réussi à exprimer en sa brève appellation l'attrait sexuel qui aimante l'hominidé mâle à s'irrésistiblement porter vers l'hominienne femelle. J'arrête mes salades salaces, toutefois quoi de plus naturel que je givre de jive grivois quand arrive le temps de tremper son biscuit dans l'origine du monde bleu.

    KING BISCUIT TIME

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    Cuite et recuite à la sauce au bleu, la plus vieille émission hebdomadaire de blues du monde. Première gigue en direct sur les ondes de KFFA à Helena en 1941, dans l'Arkansas pas très loin de Memphis ( Tennessee ). King Biscuit Time diffusée à l'heure des repas fut un instrument idéal de propagation du blues dans l'Amérique noire. Et par contre-coup blanche. King Biscuit Time fut un marqueur privilégié de la transition du blues rural du Delta au blues électrique de Chicago.

    Quatre-vingt ans plus tard, le nom d'un groupe Seine & Marnais qui s'inscrit dans le vecteur du blues électrique cousin incestueux du rock'n'roll. Pas des débutants, ont déjà roulé leur bosse, certains, notamment Sébastien Bizière et Bruno Lombard, dans les Spykers, groupe orienté rockabilly qui, sans surprise, ménageait quelques interludes bleus dans leur répertoire, ce que nous avions chroniqué en notre livraison 164 du 21 / 11 / 2013 lors de leur passage en première partie de Marcos Sendarrubias.

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    Premier concert pour le King Biscuit Time, ne sais comment ils ont trastégé mais le local des Metallic Machines est rempli à ras-bord – l'est sûr que l'accueil est super-sympa – et le public ne décollera pas de devant le combo une seule seconde de tous les deux sets. Vu les applaudissements chacun à dû trouver les gâteaux succulents. Que voulez-vous les chocolatines avec deux barres de chocolat, c'est obligatoirement meilleur. King Biscuit Time applique cette double recette. Possèdent deux guitaristes solistes, avec Bruno Lombard à l'harmonica cela en fait trois. Ne croyez pas que les deux autres pointent au chomdu.

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    Automatic pour lancer la machine bleue. C'est du spongieux à souhait, à chaque pas que vous faîtes z'avez un alligator qui pointe son museau à fleur d'eau, pas très rassurant, mais l'on garde le cap sans faillir. L'on gagne très vite la terre ferme avec It's Hot, c'est vrai que c'est chaud, brûlant même. Faut maintenant détailler. S'est installé à la meilleure place, vue montante sur les rotondités avenantes et charnues de Miss Metallica collée au mur. Une véritable invitation au voyage, qui doit l'inspirer. Un homme discret Marc Rodeschini, souvent caché par la haute silhouette de Bruno Lombard, mais l'on n'est pas prêt de l'oublier. L'a le son bleu, idéal. Une basse puissante, flexible, chaloupée, prenante et souple, rien à voir avec le bruit de fond qui vous embrume la tête, au contraire, cinglante comme un fouet et onctueuse comme une caresse. Vous enveloppe sans vous oppresser, relève du courrier à toute heure, de jour et de nuit, avec une telle assurance-vie rythmique, les copains sont certains qu'ils peuvent prendre tous les risques. A ses côtés Sébastien Bizière, Sébas bastonne à la batterie. L'est l'homme du premier et du dernier recours. Le phare durant la tempête, avant et après aussi. On l'interroge du regard, on lui fait signe du bras et tout de suite il lance la foudre ou vous ralentit la voiture à volonté. File la mesure de trois coups de baguette et accompagne les copains dans la démesure. L'a fort à faire car les autres briscard ne sont pas venus pour mâcher des chamallows. Déjà deux solistes – qui parfois poussent le vice à soleliser en même temps, genre le fil barbelé qui s'en vient s'enrouler autour de la ronce, en prenant soin de ne pas arracher les pétales de la rose bleue. Chacun leur style. D'abord Thierry Leroux, casquette New York sur la tête, l'a un truc, ne se sert que d'un tiers de sa guitare. Le bas de caisse et le haut du manche, de temps en temps un petit tour juste pour vérifier s'ils sont encore là. Son endroit de prédilection c'est au plus bas des frettes et sur le dernier micro. Deux solutions, quand il est sur le bas du manche, il vous poinçonne de ces petites notes à la B. B. King, des espèces de plaintes répétitives qui vous vrillent les tympans, les soutient un quart de seconde de moins que B. B. car il a une préférence pour les dégelées ultra-rapide, descend sa main droite de dix centimètres et vous ne voyez plus ses doigts qui vous envoient de ces grésils enflammés et suffocants qui mettent l'auditoire en joie. Au tour de Patrice Corbière. Une dégaine incroyable avec sa casquette visière sur la nuque, il s'approche du micro et dès qu'il a plaqué deux accords toute la solitude du blues vous tombe dessus. Attention, il est inutile de vous suicider de désespoir, suffit de suivre ses agiles pognes sur le manche pour être à la fête. Un style à l'opposé de la manière de Thierry. Vous avez eu le feu. Voici l'eau. Pas celle qui éteint les incendies. Elle coule mais pas du tout innocemment. Elle grouille de piranhas et de barracudas, au moment où vous vous y attendiez le moins, leurs têtes surgissent du flot bleu et vous arrachent un morceau de chair. Parfois elles s'obstinent, reviennent incessamment à l'assaut et vous bouffent par morceaux jusqu'au squelette. Et le public crie de joie.

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    La guitare blues c'est excellent mais avec l'harmonica c'est comme si vous rajoutez une vipère dans votre lit. Un sacré instrument. Vous tient dans la paume de Bruno Lombard, l'en a une collection pour toutes les tonalités dans l'énorme valise jaune posée sur le devant de la scène, un jouet d'enfant, et en quelques secondes il obtient des stridences d'enfer à rendre Satan jaloux. Pas étonnant que le blues ait été surnommé la musique du diable, Bruno Lombard y perfore dedans ses orgues à bouche à pleines dents, des fournaises riffiques vous tombent dessus, certes l'a du coffre et du souffle mais au paroxysme de l'action il vous semble qu'il va expirer, rendre son âme, là sur le champ tout de suite, mais non, le retire de ses lèvres pour se jeter sans tarder sur le micro et lancer imprécations vindicatives, déclarations de guerre au monde entier, et admonestations sexuelles à la gent féminine, I wanna Be Your Man, Devil Woman, She's Dangerous, I want to be Loved, Scratch my back, le blues ne fait jamais dans la dentelle, même quand il se plaint Help Me, Baby Please don't Go, Time to Cry, cette musique est emplie d'une séminale énergie frustre et sans équivoque. La voix puissante de Bruno Lombard martèle les mots, vous crache le blues en pleine figure, vous ensaigne la cruelle désillusion assumée de la vie.

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    Le King Biscuit Time est généreux, à eux cinq z'ont de quoi remplir les bocaux, les morceaux sont entrelardés de solos de guitare, d'harmo et de chant jusqu'à la gueule, n'en jetez plus, il en reste encore, pas le temps de s'ennuyer, deux sets menés à train d'enfer, des charges héroïques de Sonny Boy Williamson ( Rice Miller ) aux virevoltes folles de Little Walter. Premier concert et déjà – ce qui est le plus important - un son à eux. Le groupe s'impose. Vous tire la moelle des os, vous emmène jusqu'au bout nervalien des nuits blanches et des petits matins noirs.

    Terminent sous une nuée d'applaudissements frénétiques et un orage de clameurs appréciatives. Dans la boîte à gâteaux ne reste plus rien, l'on a tout raflé jusqu'aux miettes. Le roi des biscuits nous a refilé des biscuits de rois. Take a good time, babe !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Metallic Machines )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 237 : KR'TNT ! 357 : PINK FARIES / CLUB BOMBARDIER / THOUSAND WATT BURN / CRASH MIGHTY / AMERICAN DOG / ROGER KASPARIAN / HUGUES PANNASIé

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 357

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    18 / 01 / 2018

     

    PINK FAIRIES / CLUB BOMBARDIER

    THOUSAND WATT BURN / CRASH MIGHTY

    AMERICAN DOG / ROGER KASPARIAN

    HUGUES PANASSIé

     

    Fairies tale

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    Comme leur nom l’indique, les Pink Fairies sont un conte de fées. Ils incarnent depuis plus de quarante ans la perfection du rock anglais, ce mélange de wasted elegance et de trash-power unique au monde. Avec les Hammersmith Gorillas, l’Edgar Broughton Band et les Pretties, il n’existe pas de groupe plus mythique en Angleterre.

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    Ce fantastique auteur qu’est Luke Haines résume bien les choses : «The Pink Fairies were born out of chaos : The Pink Fairies Motorcycle Gang And Drinking Club was in 1969 the worst fun you could have (...) Duncan Sunderson, Russell Hunter et Paul Rudolph sont bientôt rejoints par the former Tyrannosaurus Rex lunatic Steve Peregrin Took et l’ex-Tomorrow drummer and professional loose cannon Twink.» Ça sonne comme la description d’une lignée royale, pas vrai ? Quand Haines veut qualifier le Fairy style, il sort ses plus beaux effets : anarchy, smells and badass-as-fuck rock’n’roll. Les Fairies saisissent très vite l’importance vitale d’une double batterie : Russell Hunter et Twink jouent les locos. Pour Haines, «Do It» is stupendoulsly punk rock six years before time. On est en plein dans le proto-punk, les gars.

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    Ce groupe de vétérans qu’on croyait anéanti par les excès en tous genres est toujours alive and well, comme le révèle Naked Radio, un album/DVD qui vient tout juste de paraître. Dès «Golden Bid», on sent que ça va chauffer. Eh oui, c’est carrément joué aux accords de 1969 all across the USA, une vraie stoogerie. Le secret de leur vitalité, c’est la double batterie, c’est-à-dire Russell Hunter et George Butler. Larry Wallis ne fait plus partie de l’aventure, car il a perdu l’usage de ses mains. Le leadership revient à l’ancien bras droit de Mick Farren, Andy Colqhoun, qui chante et joue de la guitare. On trouve plus loin une autre stoogerie intitulée «Runnin’ Outa Road», montée sur une rythmique de rêve. On sent battre le cœur d’acier des Fairies. Ils tapent aussi dans le vieux jumping blues de Ladbroke Grove avec «The Hills Are Burning». Andy s’y comporte en vieux desperado et il a derrière lui la meilleure rythmique d’Angleterre. Andy sonne bien les cloches d’«I Walk Away», encore un cut battu comme plâtre - Freedom is mine/As I walk away/ In the sunshine - Et ils renouent avec le groove interlope de l’underground londonien dans «You Lied To Me». Duncan Sanderson y joue son dub des bas-fonds. Tiens, encore un cut bardé de son, «Midnite Crisis», véritable groove d’anticipation. Andy se met à jouer comme un diable et il enchaîne avec un autre heavy groove de Grove, «Stopped At The Border». Franchement, les Fairies s’amusent bien à déconner avec les vieux concepts. Andy joue le killer flash-man, il tire ses notes dans des éclairs de sonic attack. N’oublions pas que leur fonds de commerce est le boogie, aussi ne faut-il pas s’étonner de les voir s’embarquer dans «Down To The Wire», mais ils le font avec une extraordinaire énergie. C’est cousu de fil blanc mais joué jusqu’au bout de la nuit. Voilà ce que les Anglais appellent le kiss-ass boogie. Les Fairies rendent aussi hommage à Mick Farren avec «Skeleton Army» - The Ace of Spades is the marching song - On sent immédiatement la morsure de l’énormité à l’anglaise. C’est du stomp - The skeleton army is you and me - Et pouf Andy part en goguette sonique. Puis ils rendent un hommage définitif à Mick Farren dans «Mick» - A white Panther at the NME/ And the message is set us free/ Got a deviant strategy/ Poetry and anarchy/ On the side of you and me/ Old Bailey let us be/ Calling out hypocrisy/ In a world of LSD - Et Dieu créa non pas la femme mais Mick Farren. Pur jus fumant de mythologie.

    Quant au DVD qui accompagne l’album, c’est une merveille. On retrouve les Fairies en répétition. Russell Hunter brille par son absence. George Butler bat ça seul. Andy mène le jeu et Sandy grisonne à peine. On voit aussi une promo-vidéo de «Golden Bid», cette fois avec les deux batteurs et Jaki Windmill qui fait désormais partie du groupe. On la voit s’énerver un peu. Le DVD propose aussi des interviews de Sandy, de Jaki et d’Andy. Pour Sandy, les choses n’ont pas changé : c’est toujours sex & drugs & rock’n’roll, the old shamanic hippie void. On retrouve le groupe sur scène au 100 Club pour un concert de rêve. Russel Hunter chante sur le premier cut, mais il revient heureusement derrière son kit pour une fulgurante version de «The Snake». Il semble toujours au bord de l’évanouissement. Les Fairies font une version exemplaire de «Do It» que Sandy prend au chant. Il chante aussi le vieux «Uncle Harry Last Freakout», histoire de boucler ce set magique. Quel drive fantastique ! Les Fairies soukent toujours aussi bien la médina.

    La discographie des Fairies n’est pas très volumineuse, mais tout est très intéressant, notamment les trois premiers albums qui fondent leur dimension mythologique.

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    Never Never Land paraît en 1971 sous une pochette onirique certainement inspirée par l’univers de Tolkien : quatre lutins assis et peints de dos observent le ciel en fumant des spliffs. On a là la formation originale, Sandy, Russell Hunter, Paul Rudolph et Twink. Album infiniment attachant pour deux raisons : «Say You Love Me» et «Teenage Rebel». Paul attaque Say au big riffing de Grove, c’est un allumeur de furnace, un boogieman entreprenant. Les Fairies sortent un son idéal, le gros rock d’Angleterre et certainement le meilleur beat du temps d’avant. C’est sûr qu’en écoutant ça à l’époque, on devenait irrémédiablement élitiste. On appelait ça le London beat. «Teenage Rebel» préfigure aussi tout le rock anglais à venir, Paul y joue la carte du gras double et le London beat étend son empire sur les cervelles. On trouve aussi sur cet album les deux hits des Fairies : «Dot It» (que Sandy chante dans le concert du 100 Club, indétrônable, embarqué par les deux batteries) et «Uncle Harry’s Last Freakout», chanté au petit guttural de Grove, oh yeah. C’est en fait une belle virée de cosmic rock inside off, l’un de ces morceaux longs faits pour tripper. Paul Rudolph y tisse sa trame inter-galactique alors que sourd en des couches subterreanniques le beat de double stand. Voilà un son unique au monde, véritablement booglarized dans l’essence de la prescience. Pourtant, l’album fait flop. Sandy : «As a live act, we were the business, but as a studio act we were shit... no, not shit... we weren’t used to the studio.»

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    Puis Twink quitte le groupe. Les Fairies flippent : comment va-t-on écrire des chansons ? Ils vont appliquer la vieille théorie scientifique du chaos : du chaos naît la vie. Et Luke Haines ajoute : «What A Bunch Of Sweeties is either a sludged-out clueless Mandrax disaster, or a glorious rock’n’roll mess, the sound of three morons freaking out in a cosmic bin. I’d go for the latter.» (Sweeties est soit un désastre bourbeux occasionné par un bel abus de Mandrax, soit une glorieuse purée de rock enregistrée par trois freaks enfermés dans une poubelle cosmique. Je pencherais pour la glorieuse purée). What A Bunch Of Sweeties paraît l’année suivante avec sa pochette mythique : on y voit un tas de badges, de pilules et de petits objets : pipe à herbe, spliff, carte à jouer, étoile de shérif, etc. On note la présence de Trevor Burton des Move sur l’album (sur «Right On Fight On» et «Portobello Shuffle») (Rich Deakin indique que Burton avait deux problèmes : son ego et l’héro. Il voulait briller sur scène, ce qui ne plaisait pas aux autres et il dut rentrer chez lui à Birmingham - His heroin habit precipitated an early return to his native Birmingham out of concern for his health). Le «Right On Fight On» d’ouverture du bal sonne comme un coup de génie invétéré - Drriiinng ! Drriinng ! I want the Pink Fairies for a gig on Uranus ! - Et le Fairy répond : No way man ! Paul Rudolph embraye avec toute la heavyness du monde, il riffe comme un démon et va placer un peu plus loin l’un de ces solos de glougloutage en raid éclair dont il a le secret. Ils enchaînent avec le heavy shuffle d’un «Portobello Shuffle» violemment troussé au trash de Grove. Et Paul s’en va gicler sur la ligne de crête. Hallucinant spectacle ! Ils restent dans le sans-faute avec «Marylin» - Oh Marylin, won’t you carry in - riffé à la Rudolph et flingué par un solo de batterie. On leur pardonne difficilement ce suicide commercial, même si Paul fait un retour en force au sortir du fucking solo de batterie. On ne peut pas se lasser d’un tel riffeur. La B sonne aussi comme un rêve, et ce dès «Walk Don’t Run/ Middle Run». Paul roule sur un thème cousu de fil blanc, mais il l’enfarine, il ne se refuse aucune extravagance sonique, il bat les accords qu’on retrouvera dans le «Naked Girl» des Cramps et il finit par exploser son cosmos pour nous embarquer dans un spectaculaire délire de mad psyché. Russell Hunter relance indéfiniment, et ils vont droit à la déflagration finale. S’ensuit un «I Went Up I Went Down» digne du White Album, c’est du psychout so far-out d’obédience princière et chanté au gargouillis d’étranglement hallucinatoire, une véritable performance organique. Il y a du génie dans le glorious mess des Fairies, non seulement ça craque bien sous la dent, mais ça monte directement au cerveau. L’apanage des bonnes substances, dirons-nous. Paul revient au heavy riffing pour «X-Ray» et ils terminent l’album avec «I Saw Her Standing There», un fantastique coup de chapeau aux Beatles, version proto-punkoïde qui va rester pour beaucoup de musiciens anglais un véritable modèle. On note l’extraordinaire aisance de la prestance, nous voilà grâce aux Fairies au royaume des cieux, c’est là très exactement que se joue le destin du rock anglais. Il lui faut du gras et de la dégaine, du bordel et de l’intentionnalité, et de quoi altérer les sens qui n’attendent que ça. Ramené de Londres en 1972, What A Bunch Of Sweeties est resté l’un de mes all times favorites.

    Paul Rudolph quitte le groupe et Larry Wallis arrive. Tout le monde connaît l’anecdote : Larry demande aux deux autres :

    — Alors les gars, on enregistre quoi ?

    Les deux autres lui répondent qu’ils n’ont pas de chansons. Et ils ajoutent :

    — T’as qu’à en composer !

    Larry panique :

    — Mais je n’ai jamais composé de chansons !

    — Do it !

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    Alors il do it et ça donne un nouvel album quasi-mythique : Kings Of Oblivion. Le titre est tiré de «The Bewlay Brothers» qu’on trouve sur Hunky Dory. Selon Luke Haines, tous les cuts de Larry Wallis sont punk as fuck - The Lazza-Russ ‘n’ Sandy Fairies line-up was a power trio supreme - Oui, c’est exactement ça, un power-trio suprême, c’est ce qu’on vit au Marquee à l’époque. Après ça, il n’était plus possible de s’intéresser aux groupes français. Les Fairies incarnaient l’essence même du rock. «City Kids» sonne comme un classique entre les classiques, monté sur l’extraordinaire bat russellien, heavy à souhait, bardé de relances, il joue comme une loco, il fonce à travers la nuit. À la limite, c’est lui Russell Hunter qui fait le show. Il double-gutte d’undergut. Alors Larry Wallis peut partir en solo. Ah qui dira la grandeur décadente de Rusell Hunter qu’on voit - sur le triptyque glissé dans la pochette - sous perfusion de bénédictine, avec un visage peint en vert. Cette photo en fit alors fantasmer plus d’un. Encore un hit avec «I Wish I Was A Girl». Cette fois, Sandy fait le show sur son manche de basse, il voyage en mélodie dans la trame d’un cut bâti pour durer. Ils partent à trois comme s’ils partaient à l’aventure et le Wallis part en Futana de solo gargouille. En B, les cuts auraient tendance à retomber comme des soufflés et il faut attendre «Chambermaid» pour renouer avec le cosmic boogie, et «Street Urchin’» pour renouer avec le classicisme. On retrouve l’esprit de «City Kids», le beat avantageux et la clarté du glam. Fantastique ! Ils sonnent comme d’admirables glamsters de baraque foraine. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on les vénère.

    Mick Farren admirait Larry Wallis pour son côté trash : «Larry avait des pythons, des cobras et même un rattlesnake dans des gros aquariums, tout ça dans un appart minuscule. Il élevait des rats pour nourrir ses serpents. C’était un fucking nightmare. Quand il était rôti, il jouait avec ses serpents et on était sûrs qu’il allait crever.»

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    Le Live At The Roundhouse 1975 paru en 1982 est l’un des meilleurs albums live de tous les temps. Double batterie, Twink et Russell Hunter, Sandy sur Rickenbacker et deux killer flash-masters devant, Paul Rudolph et Larry Wallis. En fait, c’est la dernière fois que Paul Rudolph joue dans les Fairies. Et comme Larry Wallis commençait à jouer avec Motörhead, ça sentait la fin des haricots - If the Fairies were going to bow out, they were planning to do it in style (Oui ils comptaient finir en beauté) - Ils roulèrent des centaines de spliffs pour les jeter à la foule. Larry rappelle aussi dans une interview que Sandy, Russell et lui se sont goinfrés de pefedrine avant de monter sur scène - It makes you go mad. So Sandy, Russell and I took as much of that as we could get our hands on (la pefedrine rend fou aussi en ont-ils avalé autant qu’ils ont pu) - Quant à Paul Rudolph, il était arrivé à la Roundhouse en vélo avec une thermos de thé. Ce live saute à la gueule dès «City Kids» que Larry avait composé pour Kings Of Oblivion. Hello alright ? Si on aime le rock anglais, c’est là que ça se passe. Tu prends tout le proto-punk en pleine poire. Tu as là tout l’underground délinquant de Londres. Larry chante et Sandy fait du scooter sur son manche de basse. Ils enchaînent avec une version de «Waiting For The Man» de la pire espèce, claquée par les deux meilleurs trash-punksters d’Angleterre, Larry et Paul. Ils rendent un hommage dément au Velvet. Les Fairies développent une énergie qui leur est propre. Ils sont de toute évidence complètement défoncés. C’est la preuve par neuf qu’il faut jouer défoncé, c’est la clé du rock. S’ils étaient à jeun, ils ne développeraient pas une telle puissance. Ils jouent leur Velvet à outrance, ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est saturé de son, au-delà du descriptible. Ils bouclent avec une reprise du «Going Down» de Don Nix, et en font une version heavy qui dépasse toute la démesure du monde. Ça prend des proportions terribles.

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    Comme Larry Wallis partageait son temps entre la reformation des Fairies et Motörhead, il se gavait d’amphètes : «I think the longest I ever stayed awake in my life was eleven days at Rockfield, and when you think about it now... God !» Onze jours sans dormir à Rockfield ! Et comme il ne mangeait pas, il avait un sacré look - I looked fantastic, my mother nearly had a nervous breakdown when she got to see me - En le voyant si joliment émacié, sa mère faillit bien s’évanouir. N’oublions pas que Larry est l’un des mecs les plus drôles d’Angleterre. Give The Anarchist A Cigarette grouille d’anecdotes hilarantes.

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    Big Beat fit paraître en 1984 l’excellent Previously Unreleased, une série de cuts inédits enregistrés par Larry, Sandy et George Butler. On retrouve la niaque épouvantable des Fairies dès «As Long As The Price Is Right». Pas de pire powerhouse que celle-ci. Larry vrille comme un beau diable. Ils restent dans le drive des enfers avec «Waiting For The Lightning To Strike». Ils jouent comme des démons. On ne peut pas faire l’impasse sur cet album. Ils restent dans la puissance des ténèbres pour «No Second Chance», encore un cut battu sans vergogne, battu si fort que les coups rebondissent. C’est extraordinairement bien mixé. Quand on écoute «Talk Of The Devil», on les sait capables de miracles.

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    Côté singles, il est chaudement recommandé d’écouter «Screwed Up» de Mick Farren, car Larry y screwe le beat à sa façon et le précipite dans le gouffre béant du néant psychédélique. Autre petite merveille fatidique : «Spoiling For A Fight», véritable furiosa del sol, c’est la b-side du single «Between The Lines». On a là du pur jus de combativité boogie. Wow, les Faires cherchent la cogne - Fight ! - Et Larry part en killer solo flash !

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    On a longtemps pris Kill ‘Em and Eat ‘Em paru en 1987 pour un mauvais album, et chaque fois qu’on le réécoute, ça reste un mauvais album. On y retrouve pourtant la fine fleur de la fine équipe : Larry, Andy, Sandy, Russell et Twink. Sur la pochette, Larry fait le con avec un masque de singe barbu et sa strato rouge. Dans les notes de pochette, Mick Farren raconte qu’un matin de gueule de bois, il est réveillé par un coup de fil qui lui annonce la reformation des Fairies. Oui c’est ça, et Attila revient avec les Huns, hein ? - Yeah and Attila is getting his Huns back together, répond-il - You gotta be kidding - Tu plaisantes, j’espère - And then I remembered, in rock’n’roll, anything is possible - Oui, Mick avait bien raison de dire que tout est possible dans le monde du rock. Et pouf, ils démarrent avec «Broken Statue», un vieux boogie composé par Mick. Larry le joue à la folie et c’est battu comme plâtre par la doublette mythique de Ladbroke Grove. Toute la niaque des Fairies re-surgit de l’eau du lac comme l’épée d’Excalibur. Mais sur cet album, les cuts restent bien ancrés dans le boogie. Larry fait pas mal de ravages, mais il manque l’étincelle qui met le feu aux poudres. «Undercover Of Confusion» sonne comme de la viande de reformation. Pur boogie aussi que ce «Taking LSD». On croirait entendre les Status Quo, ou pire encore, les Dire Straits. Pas plus putassier que ce boogie-ci. Ils font même un «White Girls On Amphetamines» insupportable de médiocrité et de non-présence. On croirait entendre les mauvais groupes français. Larry tente de sauver l’album avec «Seing Double». Il ressort des grosses ficelles, mais au fond, on ne lui demande pas de réinventer la poudre. Il faut rendre à Cesar Wallis ce qui appartient à Cesar Wallis. «Seing Double» est à peu près le seul cut sérieux de cet album.

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    N’oublions pas que la presse anglaise qualifiait les Fairies de groupe le plus bruyant, le plus chevelu et le plus drogué d’Angleterre. Rich Deakin revient longuement sur le druggy side. Il relate une vieille histoire datant du temps des Deviants : «Il était 6 h 30 du matin et on s’est tous retrouvés à Ladbroke Grove. On est montés dans le van. Il y avait un jukebox à l’intérieur du van. Tout le monde était là, Boss (le père spirituel des Fairies), les Deviants, les copines et toutes les drogues inimaginables. On commençait à rouler et deux flics nous arrêtèrent. Le premier demanda à Tony Wigens de lui présenter son permis et le deuxième alla vers l’arrière du van et ouvrit la portière. Il jeta un coup d’œil à l’intérieur, referma la porte et dit à son collègue : «Come on let’s go. I don’t want to do this !» Rich ajoute que the sight so many freaks freaked the poor copper out. Oh il existe aussi une histoire marrante à base de LSD. Dans son autobio, Mick Farren rappelle qu’au festival de Weeley en 1971, toute la bande avait pris une dose de particulary strong green liquid LSD, fournie par le légendaire dealer John the Bog. Paul Rudolph confirme qu’il a joué tout le set au sol, sur le dos, because the acid was so strong.

    C’est un roadie de Canned Heat qui initie les Fairies au crystal meth : «You want some ?» Sandy se souvient qu’après avoir testé la meth, il n’a pas dormi pendant trois jours. Il rappelle aussi qu’à l’époque les roadies faisaient énormément de trafic de dope, sans que les groupes fussent au courant. C’est un miracle qu’un groupe comme les Fairies n’ait pas fini au trou. Rich Deakin indique que dans les années soixante-dix, on consommait énormément de Mandrax à Ladbroke Grove. Les mandies étaient plus accessibles que l’héro, mais pouvaient se révéler dangereux mélangé à de l’alcool (Billy Murcia). Et puis bien sûr l’héro. Russell partagea un appartement avec Took - Took would do awful things in the bathroom, take smack and get pretty disgusting - Dans une interview, Russell Hunter indique qu’il ne put aller au premier festival de Mont-de-Marsan en 1976 à cause d’une infection au genou - The hazard of the junkie profession - et il réussit à décrocher en 1981, grâce à sa girlfriend qui venait de mourir d’une petite overdose.

    Dans une interview accordée à John Robb, Captain Sensible rend l’hommage définitif : «They were the only raunchy British act. They were rough and ready, punk as anything at the time.» (Ils furent le seul grand groupe trash anglais, bien plus punk que ne le furent les punks). C’est vrai que les Fairies n’étaient pas du genre à vouloir se calmer. Lors d’une tournée allemande en 1981, ils s’ennuyaient tellement sur les autoroutes qu’ils buvaient comme des trous - Breakfast on the road consisted of Bloody Marys, lunch was apple schnapps and on their day off the band visited the Munich Beer Festival (Bloody Mary au réveil, Schnapps aux repas et fête de la bière pour la journée de relâche) - Et pour rester dans le chaos, la presse anglaise annonçait en 1989 que les ex-membres des Fairies allaient remonter chacun dans leur coin des moutures des Pink Fairies : Twink, Paul Rudoph, Larry Wallis et de leur côté le duo Russell/Sandy. Twink et Paul Rudolph n’allèrent nulle part et c’est bien sûr le duo Russell/Sandy qui continue aujourd’hui de sévir.

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    Le mot de la fin revient nécessairement à Mick Farren qui écrit, dans la préface de Keep It Together : «Un vers de Bob Dylan décrit cette aventure à la perfection (mais existe-t-il une seule ligne de Dylan qui ne décrive pas tout à la perfection ?) : ‘There was music in the cafés at night and revolution on the stairs.’ Dans un style plus direct, Larry Wallis disait à peu près la même chose : ‘Sleeping single, drinking double’ (dormir seul et boire deux fois plus).» Et comme toujours, la dernière phrase d’un texte de Mick Farren s’en va résonner pour l’éternité dans l’écho du temps : «Comme je l’ai dit, l’histoire que vous allez lire n’est ni celle d’un triomphe ni celle d’une tragédie. Elle s’efforce de raconter ce qui se passe quand on tente de rester dans le réel alors tout devient équivoque. Si on y réfléchit bien et qu’on va vraiment au fond de sa pensée, il devient évident que cet état d’esprit est l’essence même du rock - Which deep down, where the spirit survives, is what the hardest core of rock’n’roll is all about.»

    Signé : Cazengler, pink féru

    Pink Fairies. Never Never Land. Polydor 1971

    Pink Fairies. What A Bunch Of Sweeties. Polydor 1972

    Pink Fairies. Kings Of Oblivion. Polydor 1973

    Pink Fairies. Live At The Roundhouse 1975. Big Beat 1982

    Pink Fairies. Previously Unreleased. Big Beat 1984

    Pink Fairies. Kill ‘Em and Eat ‘Em. Demon 1987

    Pink Fairies. Naked Radio. Gonzo Music 2017

    Rich Deakin. Keep It Together. Cosmic Boogie With The Deviants & The Pink Fairies. Headpress 2007

    Luke Haines. I’m Mandies, fly me. Record Collector #456 - August 2016

    De gauche à droite sur l’illusse : Paul, Twink, Russell & Sandy

    MONTREUIL-SOUS-BOIS / 13 - 01 - 2018

    LA COMEDIA

    CLUB BOMBARDIER / THOUSAND WATT BURN

    CRASH MIGTHTY

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    Je ne suis pas méchant, pouvez même marcher sur mes chaussures de daim bleu sans que j'éprouve le besoin de sortir ma bate de base-ball de sous le siège de la Teuf-teuf. Mais là, le gars y a mis du vice. L'avait quatre-vingt kilomètres rien que pour lui. Le choix absolu. De l'autoroute, des quatre voies, des aires de stationnements à n'en plus finir, des bateaux à garer des porte-avions... L'a fait exprès de tomber en panne juste sur les vingt mètres où la chaussée se rétrécit. Un vicieux. Une demi-heure d'attente, des centaines de voitures s'efforçant de le contourner sans l'effleurer, et lui pas gêné, ne lui serait même pas venu à l'idée de tenter l'impossible, gesticulait autour de sa chiotte comme si c'était la huitième merveille du monde, l'aurait pu avoir honte, bouter de dépit le feu à sa tire, renoncer à vivre et se suicider en un dernier sursaut d'honneur, je ne sais pas moi, mais au moins tenter de nous faire comprendre qu'il était désolé, qu'il regrettait, qu'il implorait notre pardon, qu'il ne recommencerait jamais, mais non, s'est même lâchement écarté lorsque pour l'aider un peu j'ai essayé de l'écraser sous les roues de la teuf-teuf, rien que pour lui apprendre à vivre et lui montrer que je déteste arriver en retard à un concert. Total quand je suis rentré dans la Comedia, c'était une tragédia, le Club Bombardier avait déjà pris son envol. Pas depuis longtemps certes, mais si vous tronçonnez un bout du reptile, si vous subtilisez la sonnette au serpent, que lui reste-t-il d'intégrité ?

     

    CLUB BOMBARDIER

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    Sont en plein voyage. Ça bourdonne grave. Vitesse de croisière. Volent tous feux éteints. A basse altitude. Ça ronronne comme une menace. Silence de mort dans la salle. Ecoute aux aguets. Tri-réacteur : basse, batterie, guitare. Du lourd, du doom, son sans altérité, rayon spectral paralysateur. Toile de fond. Décor noir. Tentures feutrées. Plus un chanteur. A la voix hiératique. Evolue sur scène. Bouge avec aisance. En pure perte. Car l'on ne suit que les modulations. Gorge profonde, organe rugissant. Pas de cri. Une lame de fond, issue des profondeurs sous-marines d'une sensibilité exacerbée. La puissance et l'onde de choc. Paralysante. Vous capte et ne vous relâche plus. Vous garde prisionnier-volontaire. Sous le charme. Sous le choc. Lenteur fascinante. Récitatifs infinis. Mais l'avion vire de l'aile. S'extrait de l'engluement nuageux. Mission terminée. Lumière dans la salle. Trois secondes s'écoulent, le temps de passer le sas du retour à la réalité. Les lambeaux pays du rêve s'estompent sous le crépitement des applaudissements. Je n'ai assisté qu'aux quinze dernières minutes d'un set aux confins des ouates stellaires.

     

    THOUSAND WATT BURN

    , PINK FAIRIES, CLUB BOMBARDIER, THOUSAND WATT BURN, CRASH MIGHTY, AMERICAN DOG, ROBERT KASPARIAN, HUGUES PANASSIé,

    Il y en une qui a tout compris, laisse bosser les boys. Ne sont que deux, les pauvres. Mais au fur et à mesure qu'ils assurent cela devient inquiétant. Le devant de la scène ressemble au tableau de bord d'un vaisseau interplanétaire, des boîtiers de toutes les couleurs et un entremêlement de fils électriques à ligoter un brontosaure, tout ça pour une guitare ! Mais ce n'est rien comparé à l'installation de la batterie, des cymbales comme s'il en pleuvait et un mélange hétéroclite d'objets qui se représente l'évolution technologique des trois derniers millénaires, de l'antique gong himalayen des temples perdus sur les pentes neigeuses escarpées à une espèce de couvercle de boîte à chaussures rouge et plat comme une limande rectangulaire, qui s'obstinera durant dix minutes à se murer dans un silence hostile chaque fois qu'on essaie de le mener à la baguette, et qui enfin condescendra à se transformer en une espèce de vibraphone émetteur d'ondes sonores chargées de vous froisser la membrane tympanique de vos oreilles étonnées. Mais ravies.

    Elle nous apprend la patience. Le genre de fille sympathique sans qu'elle ait besoin d'ouvrir la bouche. Une présence. Qui en impose. Tranquille, une madone bienfaisante drapée en toute simplicité dans son ample robe noire. Le fait que le micro ne réponde pas à sa voix ne l'émeut guère. Elle tourne un bouton. La petite lumière verte devient bleue. C'est joli, mais très inefficace. A sa place vous attraperiez une crise de nerf, elle non. Reste plénitude zen. Nous rassure en nous faisant une démonstration de bol tibétin. Pas longtemps. Côté sono, l'on possède une solution pour chaque problème, l'on ouvre des valises de câbles électriques et hop l'on sort la rallonge miracle... N'ont pas encore joué une note, tout le monde est agglutiné autour d'eux, personne ne leur en veut, aucune impatience, à croire que le happening de l'attente fait partie du spectacle, une préparation mentale, un exercice spirituel.

    Non, ce ne sont pas les derniers hippies de la mort de retour de Katmandou, la guitare déchire trop. Jamais bien longtemps, vous décortique un riff dynamite, genre attaque au couteau avec égorgement garanti, le temps de laisser la place à l'émulsion drumienne. Brutale. Le chat rit varie la mort des souris qui ne dansent plus même quand il n'est pas là. A eux deux, ils vous installent une ambiance, style Néron faisant rajouter des meubles de bois rares incrustés de gemmes précieuses dans l'incendie de la maison afin de doper le jeu des acteurs, mais il faut l'avouer sans elle ils ne seraient rien. Elle a fait un pas en arrière, elle a porté le micro à ses lèvres et la beauté envoûtante du chant apparaît. Un son bouffé de déformations hertziennes, un organe truffé d'électronique échoïfiante, mais il n'y a plus qu'elle, réverbérante, une voix de prêtresse apocalyptique, elle peut vous annoncer la fin du monde dans les douze secondes qui suivent qu'il vous semble que jamais message de paix aussi suave ne vous fût un jour délivré. Elle vous capte l'esprit. Une époustouflante et détonnante voix d'ulysséenne sirène, alors les deux gars jaloux comme des poux font l'usine. Le drumer balance l'orage, l'ouragan, l'aquilon et le cyclone, le guitar-hero vous scie et vous lamine de dards venimeux de porc-épic psychédélique, font tout ce qu'ils peuvent et même davantage, mais non, c'est elle la Diva, la Callas électrique, la walk-(on the wild side)-yrie wagnerienne de nos rêves les plus fous. N'ont pas dit leurs derniers mots les matelots, profitent d'un instant de calme, le batteur appuie sur une touche et hop retentit une invocation au Prince des Ténèbres, qui vous débite la kyrielle de tous les noms du Diable, de Shitane le bien-aimé à Asmodée le maudit, mais la voix puissante de la prêtresse kashmirique chevauche la tempête, et nous emporte au fin-fond des enfers brûlants. Là où elle ira nous irons, là où elle voudra nous voudrons, là où elle sera nous serons.

    , PINK FAIRIES, CLUB BOMBARDIER, THOUSAND WATT BURN, CRASH MIGHTY, AMERICAN DOG, ROBERT KASPARIAN, HUGUES PANASSIé,

    On n'en est pas encore revenus. Terminent sous une ovation. Nous ont subjugués. L'on se presse autour d'Elle. Eux ils ont trois tonnes de matériel à dégager. L'on aimerait rapporter de cette goethéenne vision walpurgienne une petite amulette démoniaque, voire un objet d'adoration des plus sulpicéennes, mais non ils n'ont rien à proposer, ni un vinyle, ni un CD, ni un single, ni un maxi à emporter bien au chaud serré sur notre cœur. Juste un quatre titres à écouter sur internet !

     

    CRASH MIGHTY

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    Douche froide. Changement climatique brutal. Les rocks se suivent et ne se ressemblent pas. A première oreille le Crash Mighty n'opère pas dans la subtilité. Genre de plantigrade mal dégrossi qui ne gêne pas pour laisser des traces partout où il passe. Et fait mal. Droit devant, pas un seul regard en arrière. Trio de base, plus chanteuse. Un peu maigrichonne, pas plantureuse pour un gramme. L'air méchant et peu commode. Aboie dans le micro, à croire qu'elle est la première de la meute à courir après la harde des sangliers. Une tenace. S'accroche au vocal comme la cerise au bocal de moonshine. Les trois guys derrière ne valent guère mieux. Une section rythmique genre peloton d'exécution. Ne prennent même pas le temps de vous attacher au poteau. Vous tirent dessus à bout portant et une fois que vous êtes mort ils vérifient si les fusils étaient chargés. Guillaume est à la basse. Un conquérant. L'a résolu la problématique de la section rythmique. Joue en lead. Avec progression logarythmique. A chaque morceau, plus vite, plus fort, plus compliqué. Spécialisé dans les motifs difficiles. Broderie en 3 D. Vous refile le nom du comparse sur les caisses – genre clouteur de cercueil sans état d'âme – Fred Talbat, le mec qui talbasse les calebasses sérieux, s'amuse à compliquer la donne, vous bâtit des cathédrales sonores avec des clochers de dentelles pierreuses juste pour que Guillaume y entremêle ses guirlandes barbelées, vous vous dites qu'à trois ils font assez de bruit pour réveiller les sept Dormants d'Ephèse, mais non, z'ont un joker, le fameux Framy JB à la lead, trouve sans cesse un coin pour enfoncer un riff à l'endroit où vous n'auriez pas pensé. Crash Mighty, une mécanique implacable. Les brodequins d'acier du destin qui vous piétinent avec méthode, Crash ne recule jamais et Mighty avance toujours. Inéluctable. Sans surprise. Mais au bout de cinq morceaux vous êtes en manque, au bout de dix vous êtes addict, au dernier vous ressentez l'imminente cessation des hostilités comme une insulte personnelle, une injustice démocratique, un affront au genre humain, une décision gouvernementale insupportable, manquerait plus que l'univers cessât d'exister sans préavis, alors exceptionnellement pour que la soirée ne se termine pas en émeute, ils auront droit à un rappel. Et Dinny Sandret reprend le micro et nous azimute ses derniers aboiements sanguinaires de louve sauvage et derrière elle les trois chasseurs de scalps déterrent une fois de plus la hache de guerre du rock'n'roll !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes )

     

    *

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    • Wouahh ! T'as rentré du métal ! Tiens, American Dog, ai-je dit, tu connais ?

    • Pas écouté, un lot de plus de quatre cents CD's ! Sont partis vite, il y avait même des truc de Metallica dont j'ignorais l'existence, un collectionneur, un gars méthodique, du tout neuf, enregistrait systématiquement sur bandes pour ne pas abîmer l'objet.

    • Et le gus s'est débarrassé de sa collection, du jour au lendemain !

    • Non, il est mort. C'est un de ses amis qui m'a apporté le tout.

    • Ah, bon... parfois les mots en disent moins que ce que vous ressentez...

       

    J'ai pris le chien américain, un peu comme vous recueillez un chat perdu en vous disant que le maître désolé serait heureux de le savoir à l'abri, au chaud, sur votre canapé. Je l'ai écouté avec cette étrange impression de réceptionner un témoin tendu par la main d'une ombre indistincte là-bas, depuis l'autre rive du fleuve...

     

    SCARS-N-BARS

    AMERICAN DOG

    ( Outlaws Records / 2005 )

     

    Keith Pickens : batterie, choeurs / Steve Theado : guitare, choeurs / Mickael Hannon : chant, basse.

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    Workin' man : n'ont pas inventé la poudre mais savent s'en servit. Une voix burnée et la musique qui va avec. Un hors d'oeuvre pour présenter les éléments de base. Que du bio, du nature, du hard rock de l'ancien temps comme l'on n'en fait plus. Pardon comme eux en ont gardé la recette. Faded : doivent être pressés de travailler car ils enchaînent comme des forçats. Pour des gars crevés supportent mieux que bien les cicatrices et les blessures de guerre, y rajoutent même comme en filigrane un parfum de mélodie comme pour vous démontrer qu'en mieux ce serait moins bien. Revendication charpentée du maso qui n'échangerait sa place pour rien au monde. Conviction : le genre de morceau qui emporte votre conviction dès la première seconde, une course à la trompe-la-mort comme une harde de mammouths en colère qui vous foncent dessus avec la ferme intention de vous réduire en flaque de sang, une guitare effrénée, un vocal incitateur, une basse pesante et une batterie qui vous emballe le tout avec le rictus démoniaque du boucher qui vous découpe en morceaux. Lucky 13 : bluesy, une guitare qui ratelle les feuilles mortes de votre blues et c'est parti pour la voiture balai, celle qui vous emmène à la décharge municipale. Une voix insidieuse, une guitare qui strille les oreilles, vous vous obstinez sur le 13, vous êtes courageux ! Vous en remettent une couche instrumentale de béton armé pour être sûr que vous ne changerez pas d'avis. Got You by a chain : solo de guitare pour débuter, le genre de poignard qui s'enfonce dans votre cœur lentement. D'accord, vous n'êtes pas pressé mais ça s'accélère méchant, à croire que le gars qui tient le micro est poursuivi par son percepteur, et ensuite c'est la course éperdue. Z'ont vraiment l'habitude de remettre le couvert deux fois. Vous croyez que c'était terminé, mais non ce n'était que le lever du rideau. Another lost weekend : le weekend est sûrement foutu puisqu'ils l'annoncent mais le morceau lui il est drôlement appétissant. Pourvu que mon prochain vendredi soir dégage une même ardeur, ah ces coups de basse qui vous ratiboise l'hypo(po)thalamus, le genre de distraction que vous ne manquerez rien pour rien. She ain't real pretty ( but she's all I've got ) : un riff d'une perfection absolue, minaude à la manière d'une silhouette de gerce qui danse sur fond de soleil couchant. Ça tressaute de tous les côtés, vous trouverez plus fort, plus méchant, plus efficace, plus tout ce que vous voulez, davantage hard, mais pas mieux. La légèreté de l'être. Burnin yesterday : passons aux choses sérieuses. Les pompiers font les meilleurs incendiaires. Une guitare qui file droit, un drumin' qui assomme les piétons sur le bord de la route pour leur éviter de se faire écraser, une basse qui plisse le goudron, et le délire continue sans fin, z'auraient pu marteler durant deux jours entiers que l'on ne s'en serait pas aperçu. Epoustouflant. Sunday buzz : une guitare dont la caisse traîne dans le delta, la voix qui moanise dans le lointain, méfiez-vous même lorsqu'ils se tortillent gentiment devant vous, l'on ne caresse pas le mignonitou petit crotale, la guitare vous pique de ces petits suçons qui se traduisent par des cloques rouges inquiétantes, un harmonica vient de temps en temps mettre le feu au marécage, juste pour vous montrer que le pire est toujours certain. Little Girl : cymbales feutrées et cordes déchirantes. Les filles ont toujours rendu les rockers mauvais – on n'a jamais compris mais dès qu'il y en a une qui pointe le bout de son nez les boys se sentent obligés de faire les cacous - celle-là elle doit avoir du chien, car nos cabots américains lui font le coup des rois de la jungle, la voix pisse sur tous les lampadaires qui passent, et tous trois remuent la queue d'une façon convaincante. Ten til two : cavalcade finale. Devaient avoir un rendez-vous après la prise car ils y vont fort et vite. Bien fait. Ne s'agit pas de salopéger le travail si bien commencé. Juste un petit festival de ce qu'ils savent faire. Ils en rajoutent à la fin, simplement pour vous prouver que les CD devraient avoir deux faces. Comme dans les films d'aventure, ils ont gardé la scène de l'apocalypse pour la fin de la bobine.

     

    Non, ils n'ont pas inventé la poudre mais s'il vous plaît passez-moi la cartouchière. Les chiens américains savent mordre. Autant que ceux de l'enfer. Merci au rocker inconnu.

    Damie Chad.

     

     

    ROGER KASPARIAN

    ARCHIVES INEDITES D’UN

    PHOTOGRAPHE DES SIXTIES

    ( Introduction : PHILIPPE MANŒUVRE )

    ( Editions GRÜND / Septembre 2014 )

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    Déjà sorti depuis plus de trois ans. C’est le copain du Gibus qui me le refile sur son camion itinérant. L’a récupéré chez le soldeur - depuis belle lurette les éditeurs ne s’embêtent plus avec les stocks, la rotation rapide de la marchandise favorise la consommation, un des avatars les moins visibles de l’obsolescence programmée, la face obscure de ce qui nous est présenté comme le développement durable par les thuriféraires du marché… Me le faut qu’il m’assure, je le prends pour lui faire plaisir, je ne suis pas un amateur de photographies, je préfère les images. Kasparian, je connais depuis longtemps, c’était une de ses photos qui ornait le super 45 tours français des Animals avec les reprises de Boom-Boom de John Lee Hooker et de Roadrunner de Bo Diddley, une de mes portes d’entrée dans le rock ‘n’ roll à l’époque. In the sixties.

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    Bref le genre de bouquin qui ne fait pas plaisir. Facile de comprendre pourquoi : suffit de zieuter le portrait de Pete Townshend page 82, cette fragilité, cette gracilité de moineau des rues, le genre de gamin qui prend les jambes à son cou si vous froncez les sourcils dès que vous le voyez tourner autour de votre petite sœur. Remarquez qu’à l’époque j’aurais peut-être couru plus vite. C’est cela qui fait mal, car le Townshend aujourd’hui sur les clichés il a la tronche d’un grand-père. Alors vous vous dites que vous devez lui ressembler un peu…

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    Mais revenons à Kasparian, l’avait disparu des radars depuis belle lurette. L’a refait surface inopinément sur Rock & Folk voici trois années, un bel article, une expo photos à Paris, et la parution du book, en rafales. Philippe Manœuvre est au guindeau, c’est à lui que la copine d’un stagiaire à la revue montre sur son portable des photos inédites des Rolling Stones. Tout de suite c’est le branle-bas de combat, ça fuse dans la cambuse, ça barde dans la sainte-barbe. D’où les trois bordées des canons. Et une quatrième, Manœuvre devant le coffre au trésor du matelot Kasparian, n’en peut plus, se prend pour Howard Carter qui découvrit la tombe de Toutankhamon. L’en écrit une préface de vingt pages, et met son nom en premier sur la couverture du livre modestement titré en grosses lettres blanches éblouissantes : Philippe Manœuvre - Roger Kasparian.

    Faut être juste, le prologue est assez bien mené, colle parfaitement au boulot entrepris par Kasparian durant la décennie prodigieuse, le rock et le yé-yé, les deux mamelles du rock français. Qui ne s’est jamais remis de cette tare congénitale. Muddy Waters qui s’y connaissait déclara que le bâtard du blues s’appelait rock ‘n’ roll, cet adorable fils de pute ne se priva pas pour engendrer à son tour un avorton national qui est autant notre calamité que notre fierté. Simple question de reconnaissance putative.

    Kasparian est né en 1938. Sera photographe puisque son père l’est déjà. Possède une boutique à Montreuil. Faudra qu’il reprenne la suite en 1970, finie la folle jeunesse, faut nourrir la femme et le gosse, passera son temps à tirer des portraits de famille et les photos de mariage. Une autre vie. Pas celle de Rimbaud.

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    Portrait de l’artiste en jeune chien pressé ? Kasparian ne se présente pas en free lance mais en pigiste. Essaie d‘être sur un maximum de coups, suggère, propose, travaille à la commande, l’est connu dans le milieu, mitraille à tous vents, vend quelques clichés, garde le reste chez lui. Plus de dix mille conservés à la maison, entassés dans des boîtes en carton. Un défaut dans l’absence de cuirasse. Un unique sujet de prédilection : le rock ‘n’ roll. Une stratégie foireuse. Il eût fallu s’adjuger une place importante dans une revue de rock ‘n’ roll. N’y en avait pas des centaines. Pas plus de trois, et plutôt moins que plus. Disco-Revue, jeep de combat pour les purs et les durs, Salut Les Copains limousine grand public, Rock & Folk qui cherche ses marques et qui sera l’indétrônable Rolls Royce des seventies. Chacune possédant ses photographes attitrés peu disposés à laisser échapper leur pitance. Kasparian place ses photos un peu partout, certaines sont même retenues pour des pochettes de disques. Mais au total, au moment de franchir l’étroit goulot qui sépare le statut de l’amateur éclairé de celui du professionnel, l’ensemble de ses publications doit sonner un peu dispersé. L’a bien une opportunité. Qu’il refuse. Ne sera pas le photographe officiel de Claude François. Les rockers ricanent dans son dos et lui donnent raison.

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    Il est vrai que lorsque l’on a photographié les Beatles, les Rolling Stones et Gene Vincent, le recyclage doit s’avérer difficile. Mais la problématique est mal posée. N’importe quel pékin est aujourd’hui capable de tirer, vite fait, mal fait, n’importe quelle star qui passe à portée de son portable. Oui mais ce sont des stars. A l’époque de simples vedettes. Et celles qui ne l’étaient pas en 1960 sont devenues des légendes. L’on retrouve dans les courts commentaires de Kasparian qui présentent ses clichés, les mêmes réflexions que tiennent les participants de l’aventure de Salut Les Copains ( voir KR’TNT 355 du 04 / 01 / 2018 ) : la facilité d’aborder les artistes directement sans passer par le barrage des attachés de presse. Suffit d’aller les cueillir à leur descente du train ou de les attendre dans le hall de l’aéroport. Sont enchantés de rencontrer quelqu’un et acceptent souvent de se laisser piloter dans Paris. Kasparian n’a pas de mal à obtenir des photos de groupe et des portraits individuels. Idem pour les concerts, peut même sans encombre monter sur scène. Wanda Jackson est aux anges, elle pose devant les monuments, elle pourra prouver à ses amis américains qu’elle est bien venue en France…

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    Kasparian photographie du lourd : Jerry Lee Lewis, Chuck Berry, The Shirelles, Who, Kinks, Yardbirds, Animals, Them, Manfred Mann et tous les autres… L’a perdu les clichés de Vince Taylor, le guignon du rock ‘n’ roll a dû s’attacher à la personne de Vince dès le premier jour de sa naissance. Une photo de plus ou de moins ne changera pas le monde, elle peut par contre saisir l’image d’un état d’esprit. Dans l’intimité les visages des Beatles trahissent une franche naïveté, sont en demande du photographe, sur scène le groupe a un peu l’aspect de plantes vertes tout heureuses de se trouver là. Quand on pense que ces quatre gugusses vont dans quelques mois devenir à un niveau planétaire les gourous musicaux d’une génération, l’on a du mal à y croire. Les Stones eux quand ils posent devant l’objectif vous prennent l’air condescendant d’un poing fermé, rien que par sa manière de tenir sa cigarette Keith vous apprend l’arrogance, et les photos de Jagger au micro, Jim Morrison a dû chamaniquement s’en imprégner.

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    Passons rapidement sur les estrangers. Sautez la photo de Dion en cravate de commis-voyageur et celle de Little Eva, cela vous évitera de tomber amoureux. Pour les Yardbirds il manque le son. Manfred Mann à l’aise sur leurs solex. Déboulons sur les frenchies. Tout un chapitre sur Gainsbourg en 1963, laid comme un poux, intelligent comme une tique. Photos de Johnny, Kazparian est fan, avec Joey Greco et Bobbie Clarke ( une seule grosse caisse devant lui ), belle photo de la foule lors d’un concert gratuit à Robinson Village en 1966. Plus les autres, Danyel Gérad submergé par des gosses, un max de photos de Sylvie Vartan ( c’est fou le nombre de photographes qui ont été séduits par cette jeune fille ), un Chris Long comme un jour sans pain, Françoise Hardy qui fait la belle, Moustique très beau, Eddy Mitchell pas en sa meilleure période, Ronnie Bird prêt pour l’envol… plein d’autres, notamment les tableaux vivants savamment mis en scène par Hector et ses Médiators.

    A dévorer sans fin. Attention la nostalgie est masturbatoire. Mais à quoi d’autre pourraient servir de belles photos ?

    Damie Chad.

     

     

    DOUZE ANNEES DE JAZZ

    ( 1927 - 1938 )

    HUGUES PANASSIé

    ( Editions Corrêa / 1946 )

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    L’introduction du rock en notre douce France n’a pas été facile. Celle du jazz ( et du blues ) qui la précéda encore moins. Hugues Panassié n’en fut pas le pionnier, mais l’un des principaux protagonistes. Son nom fut souvent traîné dans la boue, sur la fin de sa vie l’on ricanait sourdement derrière son dos. L’avait eu le tort de proclamer qu’il n’aimait pas le Be-Bop, crime impardonnable pour ceux qui arrivaient après la bataille… Une de mes copines de fac l’avait bien connu. Elle avait habité près de chez lui. Et ce grand monsieur - c’est ainsi qu’elle l’appelait - lui avait ouvert bien des horizons, lui avait fait lire Proust alors qu’elle n’avait que treize ans. C’est ainsi que l’on grandit plus vite dans sa tête…

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    C’est en 1927 que tout jeune Hugues Panassié contracta le jazz. N’explique pas comment le microbe s’inocula dans ses veines. Par la petite porte. Celle du jazz blanc de Jack Hilton, l’orchestre à la mode. Une foucade d’adolescent dont il aurait dû se remettre facilement, mais il s’obstina à tel point que lors de ses seize ans son père dut se résoudre à lui offrir un saxophone. Un deuxième microbe celui de la poliomyélyte lui ayant tordu la jambe, la pratique de l’instrument et l’écoute assidue de disques étaient devenues les rares distractions envisageables. Avoir un saxophone c’est bien. En jouer, c’est mieux. Mais plus difficile. Le besoin d’un professeur s’avéra nécessaire. Son père ne mégota pas et dégota un des meilleurs saxophonistes français Dick Wagner. Lui refile les rudiments de base, lui fait connaître l’existence de Fletcher Henderson dont il se procure deux disques ( = quatre morceaux ). Le jeune Panassié est tout heureux, ne jure plus que par la supériorité saxophonéenne de Bix et de l’orchestre de Red Nichols. Les années suivantes le jeune Panassié fréquente les boîtes parisiennes qui présentent la crème des musiciens français, Philippe Brun, Maurice Chaillou, Ray Ventura… les plus aventureux jazzmen français ont entendu deux ou trois disques de Louis Armstrong, sans plus, car tout le monde sait que les meilleurs musiciens de jazz sont blancs.

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    En 1929, les Chicagoans passent à L’Ermitage Moscovite, pas question de rater ce qui apparaît à Panassié comme le nec le plus ultra du jazz américain. Tous des blancs, bien entendu puisqu’ils sont les meilleurs. Le jeune frenchie ne tarde pas à sympathiser avec un des saxophonistes Milton Mesirow… qui accepte de lui donner quelques leçons de saxophone. Un peu une cause perdue, mais Milton transmet quelque chose de bien plus important qu’une dextérité instrumentale au jeune impétrant impatient, lui permet de mieux comprendre le jazz. Mesirow surnommé Mezz Mezzrow - le lecteur de KR’TNT se rapportera à la livraison 106 du 12 / 07 / 2012 - ne doute pas que le jazz est avant tout une musique noire, il a participé à la naissance du jazz aux Etats-Unis et fut le premier blanc à se joindre aux formations noires, l’a même joué avec Louis Armstrong… Mesirow lui apprend à écouter le jazz, à séparer le bon grain de l’ivraie, se contente d’une moue dubitative silencieuse pour indiquer les mauvais disques, mais cela suffit pour que Panassié en tire les bonnes conclusions : le jazz blanc n’est qu’un ersatz, la hot music est noire.

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    Panassié pataugera encore quelque temps à entendre du jazz édulcoré, mais il s’affranchit à grand pas des préventions de son milieu. Aiguise son oreille en commandant des disques directement aux USA, ne rate plus aucune des formations noires qui passent par Paris, entre en amitié avec le trompettiste Muggsy Spanier et le violoniste Eddie South. Sait qu’il ne sera jamais un grand ( et même très moyen ) saxophoniste et que sa plume lui sera plus utile pour défendre bec et ongles ses artistes préférés. Du travail en perspective, André Suarès, Lucien Rebatet, Pierre Bost, traitent de très haut ces nègres discordants qui vous écorchent les oreilles. En juin 1930, Stéphane Mougin lance Jazz - Tango dont durant longtemps Panassié sera un des piliers. L’est devenu un connaisseur reconnu, les musiciens américains se refilent son adresse, l’a des entrées dans tous les établissements, ne rate jamais une répétition… Les rencontres se succèdent, Fats Waller, Duke Ellington, Louis Armstrong. Des pages éblouissantes et étonnantes. Scènes cocasses et émouvantes. Panassié entre dans l’intimité des grands hommes. N’oublie pas de les photographier, l’iconographie du bouquin est étonnante, tous les musiciens en costume impeccable, prenant la pose, flattés en leur fort intérieur de cette considération hommagiale que leur accorde les petits blancs. Pas tous, Hugues Panassié tire à boulets rouges sur Canetti qui s’est improvisé manager de la tournée européenne d’Armstrong et qui pense davantage à se remplir les poches qu’à la santé de sa vedette… Des passes virulentes s’en suivront entre le Melody Maker où Canetti, qui vient aussi de s’emparer de Jazz-Tango a ses entrées, et la nouvelle revue de Panassié, Jazz-Hot dont le premier numéro est paru en mars 1935.

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    C’est qu’entre temps en 1932 Hugues Panassié reçoit la visite de jeunes gens qui avaient fondé à Saint-Cloud le Jazz-Club Universitaire quelque peu déficitaire quant à son rayonnement… Le fragile cercle d’amateurs qui regroupe une douzaine de membres sera transformé en Hot-Club de France. Institution qui bénéficie aujourd’hui d’une aura prestigieuse mais qui ne prit son essor que lentement. Les antennes projetées en province ne dépassèrent jamais la dizaine de membres et il fallut plusieurs mois pour que le club atteignît Le chiffre symbolique de cent adhérents. Il était nécessaire de se lancer dans l‘action directe. Ce fut d‘abord une émission hebdomadaire sur Radio L. L. dont les retombées ne furent pas pharamineuses. L’étape suivante - celle de l’organisation de concerts s’imposait. Ce ne fut pas une sinécure, si le premier dans le sous-sol d’un magasin de disques s’avéra être un succès, la suite fut capricieuse. Le Hot Club présentait des artistes français et américains. Les seconds étaient bien meilleurs mais leurs horaires de travail dans les boîtes mordaient sur les heures de programmation. Devaient partir au plus tôt… ou n’arrivaient que très tard. Au bout de deux ans, ces soirées devinrent courues et il n’y eut plus besoin de jongler avec les heures de passage.

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    C’est au Boudon que Panassié entendit pour la première fois Django Reinhardt. Le Hot Club entra en ébullition. Enfin un jazzman français de la trempe des noirs américains. L’on ne pouvait rêver mieux ! Fallait organiser un concert – comprenez : pas une apparition dans un dancing - avec un public assis en situation d’écoute et non en train de danser - ce qui donnerait à Django une assise d’estime et de sérieux qui lui ouvrirait les portes d’un studio d’enregistrement. Le concert eu lieu le 2 décembre 1934 - comme par hasard la formation, avec Grapelly ( orthographe panassienne ) au violon, prit le nom de Quintette du Hot-Club de France - et Ultraphone enregistra quelques faces de Django. C’est en cette occasion que Django grava Dinah. Une première expérience studio qui intéressa vivement Hugues Panassié. Son influence grandissait. La parution de son livre Le Jazz Hot n’y était pas pour rien. Les critiques français lui reprochèrent d’avoir osé qualifier Armstrong de génie. Tout le monde sait qu’un nègre peut certes plus ou moins bien jouer de la trompette mais qu’il lui est ontologiquement impossible d’être génial puisqu’il est noir. En Amérique le livre traduit fut accueilli avec stupéfaction, comment était-il possible que le premier livre écrit sur le jazz l'ait été en France par un français !

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    Ironie de l’Histoire : lorsqu’ à la fin des années vingt Panassié s’initie au jazz hot déjà en Amérique le terme hot est remplacé par swing… Très logiquement le terme Swing s’imposera pour le nom de la marque de disques que Panassié décide de fonder. Car Panassié a finement négocié avec Ultraphone qui enregistrera dix-huit titres de Django, plus quatre autres pour Swing.

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    Hugues décrit quasiment titre par titre toutes les sessions d’enregistrement de Swing. Des ingénieurs du son peu motivés et les tâtonnements expérimentaux pour disposer les micros de telle façon que certains instruments ne couvrent pas les autres et que tous soient audibles. En fait on essaie de tirer les enseignements des ratés précédents… qui n’apparaissent vraiment qu’à la sortie du disque dans le commerce. Les musiciens se mettent rapidement d’accord et l’on enregistre la première cire. Parfois elle se révèlera être la meilleure. Mais si on veut l’écouter, l’exemplaire est totalement saccagé, il faut donc une nouvelle prise. Qui souvent n’est pas aussi bonne. Mais la première étant irrécupérable… Les musiciens improvisent en direct leurs chorus et souvent la fraîcheur du premier jet est supérieure. Une improvisation répétée est une véritable gageure. Pour éviter ce genre de désagrément Panassié prend l’habitude de demander aux musiciens de se lancer dans un blues, ils connaissent d’instinct si parfaitement le terreau de leur musique que souvent il n’est pas besoin de vérifier la qualité de la prise. De grands noms s’inscrivent au catalogue Swing, Coleman Hawkins, Dickie Wells, Sam Allen et bien sûr Django que tous les américains veulent sur leurs disques… Amener Django au studio à huit heures relève de la mission impossible. Le guitariste se couche généralement sur les six heures, le réveiller à sept exige un maximum de délicatesse, si l’on s’y prend en douceur, si le petit crème que l’on va chercher au plus proche café est assez crémeux ( et les croissants croustillants à souhait ) vous tenez le bon bout. Vous êtes à peu près sûr de ramener Django pour dix heures…

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    Le livre ne s’arrête pas le premier octobre 1938 par hasard. Les menaces de guerre dissuadent de nombreux jazzmen de visiter notre capitale. Puisque la montagne du jazz ne vient plus à lui, Panassié franchit la passerelle du paquebot qui l’emmènera à New York…

    Livre passionnant. Deux cent quatre-vingts pages en petits caractères. Chaque folio fourmille de renseignements, pas le temps de s’ennuyer, Hugues Panassié use d’un style alerte qui nous entraîne sur les sentiers oubliés de l’implantation de la musique populaire américaine par chez nous. Pourfend sans vergogne les intellectuels qui à la fin des années trente, venue de la revue du Cotton Club lors de l’exposition Universelle de 1937 aidant, s’emparent du jazz pour l’expliciter en oubliant de le vivre…

    Finissons sur une curiosité du 12 novembre 1937, une lecture du poète Pierre Reverdy avec Bill Coleman, Stéphane Grapelly et Joseph Reinhardt en accompagnement… une conjonction jazz-littérature qui se révèlera inaudible. Dommage. Mais qui confirme les littéraires recommandations d’Hugues Panassié quant à Marcel Proust …

    Damie Chad.