Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 106

  • CHRONIQUES DE POURPRE 231 : KR'TNT 351 : BLACK LIPS / ERVIN TRAVIS / CRASHBIRDS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 351

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 12 / 2017

    JOHNNY HALLYDAY

    BLACK LIPS / ERVIN TRAVIS  

    CRASHBIRDS FLYERS

    KR'TNT ! ¤ 03

    ROCK'N'ROLL CLANDDESTZINE FLYER / N° 3 / 05 / 11 / 2009

    A ROCK-LIT PRODUCTION

     

    SOUVENIRS, SOUVENIRS

    JOHNNY EN 58*

     

    C'est en 1956 que j'ai découvert le rock'n'roll grâce au Tutti Frutti de Little Richard, Rock around the clock de Bill Haley et les cinq premiers 45 tours d'Elvis Presley. J'avais dix ans. Je préférais les américains aux européens et dans les années suivantes j'aimais bien mieux les noirs aux visages pâles, plus ou moins bons imitateurs. C'est plus tard, à quinze piges, que je découvrais le blues à l'origine du rock comme du jazz.

    Nez en moins, comme écrivait San Antonio dont je dévorais les bouquins, deux ans après, en 1958, j'ai apprécié ce blanc-bec de Johnny qui débarquait face au pantouflard Richard Anthony... J'avais donc douze ans et avec un ami du même âge, Pierre Alleaume, nous sortions pour la première fois sans nos parents... Nos mères respectives étant amies et voisines, au square Groze-Magnan où je jouais au foot dans la rue avec les enfants de Ben Barek, un grand joueur de l'O. M.

    Je ne sais si ce concert à l'Alcazar de Marseille était le tout premier de Johnny mais c'était sûrement un des premiers ( Souvenirs, Souvenirs  n'était même pas sorti ). C'était un vieux théâtre en bois ( hélas aujourd'hui rasé pour construire la Bibliothèque de Marseille ) où mon marseillais de père allait régulièrement à l'entre-deux guerres pour des cafés-concerts à une époque où les chanteurs chantaient sans micro, comme il aimait me le rappeler...

    En première partie, donnait de la voix une chanteuse de négro-spirituals ( comme l'on disait avant que l'on confonde racisme et sens des mots, tout comme le doigt avec la lune qu'il désigne...) C'était June Richmond dont je n'ai jamais trouvé de disques alors même que je connaissais déjà bien le Gospel grâce aux émissions dominicales de radio ( à l'ORTF ) de Sim Copans.

    Quand le rideau s'est levé et que Johnny est entré en chantant un inédit ( Je cherche une fille ) on s'est aperçu qu'un grand voile séparait le chanteur de son orchestre dont on ne distinguait que des silhouettes... Il était vêtu de noir, pantalon de cuir et chemise à trous. Puis il chanta son premier tube : T'aimer follement, version française édulcorée de Making Love...

    On a tous cru que le vieux théâtre allait s'effondrer sous le martèlement des pieds des jeunes gens entassés de l'orchestre aux balcons. Encore pire qu'en Mai 68 au théâtre de l'Odéon à Paris...

    Bien sûr, c'était une époque où les français ne savaient pas taper dans leurs mains en mesure ( dans les temps faibles ce qui entraîne un rythme déhanché et syncopé ) ce qui m'énervait beaucoup puisque pour moi la musique c'était le rythme ( pour les paroles il y a les livres... ). Ainsi je m'évertuais à frapper des mains le plus fort possible en cadence. J'étais particulièrement excité en écoutant le morceau que je préférais :

    « J'suis mordu pour un p'tit oiseau bleu,

    tellement mordu que j'en deviens gâteux ! »

    Quand nous sommes sortis, avec mon copain abasourdi, nos paumes de mains rougies chauffaient un max ! Et nos cœurs battaient à rompre grâce à cette musique de révolte, celle des blousons noirs et des rebelles de l'époque.

    Daniel Giraud.

    ( L'on ne présente plus Daniel Giraud, poëte, essayiste, sinologue, alchimiste, astrologue, philosophe, amateur de l'O.M. et autres joyeusetés du même acabit. Un de ces indiens aux mille tribus, inclassable et solitaire, que l'on retrouve beaucoup plus souvent sur le sentier des guerres perdues d'avance qu'en train de fumer le calumet des compromissions contemporaines.

    Daniel Giraud détient en outre le fabuleux record d'être depuis trente ans le seul authentique chanteur de blues ariégeois ( deep rural south ). Mais cette fois-ci il a troqué guitare et harmonica contre sa machine à écrire pour consigner à notre demande ses souvenirs de french mineau rock'n'roll, il y a exactement plus de quarante ans... )

    * Johnny a chanté à l'Alcazar de Marseille les 11, 12, 13 Novembre 1960.

    Lips electronic - Part two

    z2842dessinlips.gif

    Pour parler sans ambages, le nouvel album des Black Lips faillit à ses devoirs. Tout au moins au premier abord. Non seulement il porte pourtant un joli nom - comme Saturne - Satan’s Graffiti Or Is It God’s Art ?, mais c’est aussi un double album, une distance difficile, même pour un groupe aussi expérimenté que les Black Lips. Jared Swilley et Cole Alexander sont les deux derniers survivants d’une formule qui fit les beaux jours des amateurs de garage.

    Z2887SATANGRAFFITIS.jpg

    Oh, ils sont encore capables d’énormités, tiens, comme par exemple ce «Squatting In Heaven» qu’on trouve en B, pur jus de Black Lips Sound System. Jared le chante à la frénétique, comme au temps du Star Club de Hambourg. Cole se tape une pure énormité en C avec «We Know». Il reprend les rênes du vieux silver-stormer, on a là une vraie merveille, nappée d’orgue par Saul l’imprononçable (transfuge de Fat White Family) et traversée par la sitar guitar de Sean Lennon. Drôle de mélange, direz-vous, mais c’est peut-être ce qui fait au fond le charme de cet album difficile à cerner. «We Know» est certainement l’un des piliers de cet album indéfiniment controversable. Cole l’enflamme, en vieux pro délavé par les tempêtes. L’autre énormité de ce disque est une espèce de pastiche survolté des Beatles, «It Won’t Be Long». Le miracle est qu’ils renouent avec l’énergie des Beatles à Hambourg. Quel coup de maître ! Seuls les Blacks Lips sont capables d’un tel exploit. Dans «Wayne», ils se foutent de la gueule de Wayne. Toute la bande chante à l’unisson du saucisson sec - Wayne you never feel the pain/ Wayne you never feel the rain/ Wayne you never were the same - Mais ils ont aussi des cuts qui déroutent les cargos, comme cet «In My Mind» qui sonne comme du Van Der Graff Generator, et ce n’est pas peu dire. Ils se fendent aussi d’un beau hit pop sixties, «Crystal Night». On se régalera aussi de «Rebel Intuition», une belle pièce de pop attack servie par une foison instrumentale réellement bienfaisante. On sent que ce groupe arrive à maturité et qu’il travaille des ambiances en studio, tout en conservant des vieux réflexes inflammatoires.

    z2843guitar.jpg

    Mais sur scène, ils ne travaillent pas les ambiances, il les schtroumphent. S’il fallait résumer le set des Black Lips par un seul mot, ce serait : Pow ! Ils proposent une collection de classiques tirés des vieux albums et petite cerise sur le gâteau, Ian Saint Pe retrouve sa place à droite de Jared, comme au bon vieux temps du concert mythique au Gambetta. Sur scène, les Black Lips fonctionnent comme une machine inexorable, ils enchaînent leurs vingt titres comme autant de hits de juke.

    z2890lips.jpg

    C’est la fête au village, les rouleaux de papier-cul remplacent les confettis, il pleut des dizaines de longues banderoles de papier rose sur la foule agitée. On n’avait plus assisté à une telle fête depuis belle lurette. Dans son coin, Cole tripote sa boîte d’effets, chante dans deux micros et libère à ses pieds des petits nuages de fumigènes. Il est moins sauvage qu’avant, il ne se roule plus par terre et ne crache plus en l’air pour jouer à récupérer ses molards. Il s’applique à chanter derrière son micro, comme si pour la première fois de sa vie, il se résignait à rester sage sur scène. Il porte un chapeau de cowboy et un jean clair marbré de crasse. Il est assez marrant, car il avance sur des jambes terriblement courtes et arquées. Impossible de le prendre au sérieux, son côté Lucky Luke le dédouane définitivement. Le voir chanter «Dirty Hands» - Won’t you take my dirty hand - en hommage au «Wanna Hold Your Hands» des Beatles vaut tout l’or du monde.

    z2847deuxguitars.jpg

    Jared occupe toujours le centre de la scène. Dès qu’il arrive pour régler le son de sa basse Hofner, on voit qu’il s’est bien piqué la ruche. Il travaille toujours son look biker gay, en portant une casquette en cuir - identique à celle que porte Kid Congo - un T-shirt blanc aux manches roulées sur les épaules, un jean noir ultra-moulant qui met en valeur sa taille de guêpe et des pompes de basket blanches qui complètent bien la panoplie. Il porte toujours sa moustache de sapeur et veille bien sûr à ne pas se raser de frais. Malgré son état d’allumage avancé, Jared va assurer comme un pro, aussi bien au chant que sur sa petite basse violon. Ce mec fait partie des grands bassmen modernes, énergiques et précis. Il vient en droite ligne de McCartney, ce qui le dédouane lui aussi définitivement. Force est d’admettre que le bassmatic de McCartney relève de l’irréprochabilité des choses. Quand ado on apprenait à jouer de la basse, trois modèles s’imposaient : Jack Casady, George Alexander et McCartney.

    z2846guitardanse.jpg

    Jared chante tout à l’énergie. Il fonce, comme s’il était au front. On sent bien que ce mec ne vit que pour ça. La scène et le rock lippu. Et Ian Saint Pe veille au grain d’origine, il semble en retrait, mais c’est lui qui trame les complots dans l’ouragan, il mêle une technique de killer flasher à une attitude d’archange boticellien. Il fait lui aussi le spectacle, il ne flagorne pas comme Jared, il joue le rôle du pivot dans le chaos environnant. Quelque chose d’incroyablement pacifique émane de lui.

    z2845bassiste.jpg

    Ils attaquent leur set avec «Sea Of Blasphemy», vieille pépite de garage dévoyé tirée de Let It Bloom, leur troisième album. Jared chante ça avec un entrain confondant. Il nous claque là l’hymne des délinquants du monde entier. Ils ressortent aussi «Fairy Stories» de cet album paru il y a plus de dix ans sur In The Red, ainsi que l’étrange «Hippie Hippie Hoorah» pour le rappel. Mais Cole a l’air d’y tenir. Décoré de guirlandes de papier cul, il chante ça avec un tel aplomb qu’il reçoit l’absolution du public. Ils tirent aussi quatre cuts d’un album plus récent, Arabia Mountain : «Family Tree», «New Directions», «Knockahoma» et «Raw Meat». Tous ces cuts de pop mériteraient de finir dans des jukes, tellement ils sont bien foutus. Ces branleurs d’Atlanta finiraient bien par sonner comme des Anglais. «New Direction» évoque en effet les Buzzcocks. Ou comme des Irlandais : avec «Raw Meat», ils réussissent l’exploit de sonner comme les Undertones. Tirés de Good Bad Not Evil, «Cold Hands», «Lean» et «O Katrina» semblent bourrés de ce vieux génie foutraque qui les caractérisait si bien voici dix ans. Les Black Lips finissent par pervertir la symbolique du garage tout en la sublimant. La chose n’est pas facile à expliquer, mais en tous les cas, c’est ce qu’on ressent clairement quand on les voit jouer. Vous ne trouverez pas une seule seconde de temps morts dans un set de Black Lips. Ils tirent «Drive By Buddy» et «Funny» de leur avant dernier album, Underneath The Rainbow. «Drive By Buddy» sonne comme un hit des Monkees, mais avec un drive plus locace, et la petite pop persistante de «Funny» s’impose à la force du poignet. Ils ne tirent qu’un seul cut du dernier album satanique, «Cant Hold On» et vers la fin du set, ils rendent un bel hommage au pauvre Fred Cole qui vient de disparaître avec une reprise de «You Must Be A Witch», qui date du temps de Lillipop Shoppe. C’est-à-dire 1968, au siècle dernier.

    z2848photomauve.jpg

    Signé : Cazengler, Black lope

    Black Lips. Le 106. Rouen (76). 15 novembre 2017

    Black Lips. Satan’s Graffiti Or Is It God’s Art ? Vice Music 2017

    ERVIN TRAVIS

    z2841yeuxlevés.JPG

    Ervin Travis est malade. Depuis deux inquiétantes années les nouvelles se font rares, ce n'est pas une raison pour que son souvenir s'estompe, quoi de plus naturel que de se mettre à l'écoute de son oeuvre ? Nombreuses sont les vidéos de ses concerts sur YouTube, mais dans cette chronique nous tenons avant tout à nous intéresser à ses deux premiers albums enregistrés chez Big Beat Records, en 2001 et 2002.

     

    Combien de fois n'avons-nous pas râlé en étudiant les pochettes des rockers français, pillaient sans regret ni honte la discographie, des rockers américains pour la première génération, des groupes anglais pour la deuxième... Pouvaient pas faire comme les plus grands et créer par eux-mêmes ? Les écailles nous sont tombés des yeux peu à peu, au fur et à mesure que nos connaissances progressaient, déjà les vieux bluesmen si respectables du delta se fauchaient les morceaux sans vergogne se contentant au mieux d'en changer le titre et le texte, les Rolling Stones ne se mirent à composer leurs morceaux qu'une fois qu'ils prirent conscience qu'ils gagnaient davantage sur les droits d'auteur qu'en tant qu'interprètes, ne parlons pas de Led Zeppelin qui furent carottés la main dans le sac aux pépites pour avoir emprunté à Muddy Waters, sans permission, cela va sans dire, le riff de Whole Lotta Love, leur morceau emblématique...

    Quant aux pionniers... il vaudrait mieux ne point trop s'étendre pour garder nos naïves âmes encore enrobées de notre native candeur, si l'on ne devait en prendre qu'un... par exemple, pas tout à fait au hasard, Gene Vincent... Justement ce serait parfait, puisque ces deux CD d'Ervin Travis ne présentent comme des reprises de Gene Vincent. En plus l'aggrave son cas, Ervin, non pas des adaptations censées redéfinir l'épure structurale des titres, osons les mots qui fâchent, des imitations à l'identique.

    Avant de nous pencher directement sur le pourquoi et le comment d'une telle entreprise, un détour s'impose. L'est temps de remonter aux calendes grecques. Lorsque Aristote reprend dans son sa Poétique le thème de la Mimesis, il ne fait que s'engager dans un débat corrosif qui déchire depuis trois générations sophistes et philosophes. L'imitation est au centre du débat. Ne s'agit pas de porter un jugement moral sur ce que les Grecs ne considéraient pas comme un plagiat mais comme un état de fait. Si personne ne trouvait à redire à la coutume - somme toute assez agréable – par laquelle les animaux et la race humaine se reproduisaient, la façon dont on fabriquait un objet et la manière dont l'on se devait d'adopter des comportements, sinon héroïques, au moins dignes d'un citoyen qui avait à cœur de concourir à la préservation de sa Cité, étaient longuement discutés... L'air de rien, c'était aborder des sujets fondamentaux tels que les rapports cognitifs relatifs à l'appréhension technique de la matière, l'enseignement, et la politique... Aristote qui n'était pas un néophyte dans la maîtrise de ses problématiques, y rajouta sa pincée de sel abrasif, toute une réflexion sur la nature de l'art dramatique qui selon certaines opinions n'est sous couvert de création qu'un copiage plus ou moins fidèle de la nature... Rassurez-vous, nous ne nous lancerons pas ici dans un commentaire de la Poétique d'Aristote. Ce simple rappel pour adopter une attitude d'humilité vis-à-vis de cette pratique rock'n'rollienne de la reprise. Ce qui n'empêche pas de garder notre esprit aussi acéré qu'un sabre de cavalerie. Un tout dernier rappel avant de quitter le maître d'Alexandre le Grand : le drame grec était accompagné de musique.

     

    A une admiratrice qui lui demandait pourquoi il se cantonnait à reprendre Gene et non à créer des titres personnels, Ervin avait répondu en souriant qu'il préférait conduire une formule 1 qu'une deux-chevaux. Réponse de toute modestie qui ne tient pas compte de l'impact qu'eurent les pionniers sur les premières générations rock. L'apport était si nouveau qu'ils paraissaient extraordinaires. Surtout par chez nous, où ils débarquèrent sans avertissement préalable dépourvus de toute traçabilité généalogique possible. Les pionniers donnèrent l'impression d'une escouade de vaisseaux spatiaux venus d'une autre galaxie qui se seraient posés sans crier gare au bout de la rue. Trop beaux, trop neufs, trop forts. Une avance technologique dont on avait du mal à mesurer l'ampleur. N'y avait qu'à imiter. Tout en restant persuadés que l'on n'égalerait jamais ces nouveaux maîtres indiscutables. Il ne s'agissait pas de copier mais de calquer. Petits garçons qui imitent sciemment l'attitude du père étant intimement persuadés qu'il est impossible de faire mieux autrement. En France cette attitude fut d'autant plus naturelle que la musique – au contraire de l'Angleterre par exemple – ne jouissait d'aucune implantation culturelle populaire. Elvis, Gene, Eddie, Bill, Chuck, Little, Bo, Buddy, étaient des Dieux surgis de nulle par. Le traumatisme fut si fort que Mitchell, Hallyday, et Rivers, bénéficient encore de cette aura indéfectible...

    Gene Vincent eut le privillège d'une réception particulière en notre pays. L'apportait une dramaturgie proximale que les autres n'avaient pas. Sentait le soufre avant d'avoir même ouvert la bouche. Avec lui, le rock était davantage qu'une musique, un art de vivre, loin des flamboyances attitudinales d'un James Dean. Rebelle sans une once de frime. L'avait un profil de bête traquée. Un loup sur ses gardes qui n'en égorge pas moins les troupeaux de moutons pour la simple et bonne raison qu'il est un loup et rien d'autre. Pas un chien de salon. L'était comme tout un chacun. N'avait pas un centimètre carré d'espace de libre, lui était impossible de tricher, habitait trop son personnage pour pouvoir jouer. Un épileptique aux abois. Savaient que les fusils de l'existence étaient braqués sur lui, mais il les regardait sans crainte et refusait de baisser les yeux. Une bête sauvage, méfiante. Prête à mordre la main qui voulait lui venir en aide. Un insoumis naturel. Sans autre idéologie que la survie à court terme. Sa proximité êtrale avec les plus grands poëtes m'est toujours paru évidente.

    Quand vous êtes touché, c'est fini. J'entends encore Ervin raconter comment il enregistrait sur une K7 de quatre-vingt-dix minutes autant de fois que possible le même morceau de Gene qu'il écoutait en boucle, partout, toujours. Transfusion charnelle. Obsession spirituelle. Ne pas être Gene, mais arriver à ces rares instants de communion hommagiale. Ne pas être soi pour devenir plus grand que soi. Vertige du dépassement. Certains parleront de folie assimilatrice, les mêmes qui font attention à ne ressembler à personne alors qu'ils passent inconsciemment leur temps à s'identifier à tout le monde. J'opterais plutôt pour une connaissance d'un genre particulier, une espèce de gnose individuelle qui n'appartient qu'à soi. Qui ne regarde que soi mais qui par le seul fait d'être expérimentée dans le monde extérieur des vivants se donne en spectacle. Nous avons tous de semblables comportements dans notre cinéma intérieur, mais nous refermons bien vite le couvercle dessus, faut un sacré courage pour s'échapper de soi-même. Mais cela ne suffit pas. Il est facile de devenir un clone pathétique, un histrion véridique de soi-même disait Mallarmé, il est nécessaire de savoir faire la différence entre le rêveur et le clown. Une sacré rigueur mentale. Pour que le numéro soit réussi, l'identification doit être distanciation. Brèche bretchienne dans le processus. Alors vous pouvez être vous et un autre. L'autre de vous, assurait Arthur Rimbaud. Si j'étais vous, quand j'étais vous. Un exercice littéraire. De lecture. Surtout pas un pastiche. Le but pour Ervin n'est pas d'être Gene Vincent – mission impossible - mais de nous le restituer. De nous en offrir une possibilité. Une évocation.

    D'où ces disques qui ne seront pas mieux que ceux de Vincent. Mais autres. En signe de la fidélité que l'on se porte d'abord avant tout à soi-même.

     

    FROM TIDEWATER TO DALLAS

    ERVIN TRAVIS

    & HIS VIRGINIAN

     

    BIG BEAT RECORDS / BBR 000 77.

     

    Ervin Travis : vocal, guitars / Philippe Fessard : lead guitar / Patrick Verbeke : lead guitar on Vincent's blues / Alain Neau : piano, clavier, backing vocal / Romain Decoret : Bass / Arnaud Brulé : drums, backing vocals.

    z2830travisdisque1.jpg

    Deux beaux textes de présentation. Jean-William Thoury brosse à grands traits le parcours d'Ervin Travis. Comment depuis le sud-ouest profond ses premières interprétations de Gene captent l'oreille des amateurs parisiens, la formation des Virginians, ses concerts qui attirent jusqu'à plusieurs milliers de spectateurs enthousiastes. Philippe Fessard évoque rapidement les différentes formations des Blue Caps, mettant particulièrement l'accent sur le successeur - ne s'agit pas d'un remplaçant mais d'une dynastie – de Cliff Gallup, Johnny Meeks ( dont la fille nous apprit le décès le 30 juillet 2015 ). Guitariste acéré qui électrisa encore plus le rock'n'roll de Gene Vincent, l'a rassemblé les découpes structurales des morceaux de Cliff héritées du jazz. A première vue le style de Cliff est plus original, plus surprenant, c'est oublier un peu vite que Johnny Meeks établissait une manière de jouer qui fit tellement d'adeptes et qui se perpétua si longtemps qu'aujourd'hui elle semble presque commune alors qu'en son temps elle contribua à faire des Blue Caps le premier groupe de rock de son époque dégagé des influences country, swing et jazzistiques.

     

    Le titre peut paraître mystérieux : désigne simplement l'ère géographique, originaire, d'envol et de repos des Blue Caps.

    z2833dosdepochette1.jpg

    Dance to the bop : bluffant, n'y a que la batterie trop lourde qui ne parvient pas à maîtriser ce mouvement de reptation si caractéristique de Dickie Harrell qui donne l'impression de décomposer chaque frappe en deux temps, alors qu'elle n'en vaut qu'un. L'on ne retrouve ce genre d'étirement temporel que dans certaines prosodies grecques. La voix d'Ervin épouse parfaitement la scansion de Gene. Yes, I love you baby : un de ces petits trots enlevés qui seyaient si bien à Gene Vincent. Ervin reprennent ce petit joyau à merveille, avec peut-être chez Ervin une pointe d'accent nasillard du sud des USA qui n'apparaît pas chez Vincent !Right now : ce coup-ci Gene ondule de la voix tel un serpent qui avance en avant en tirant une bordée sur la gauche et une autre correctrice sur la droite. Ervin s'extirpe comme un chef de la difficulté, la prolifération des allitérations du phonème ''on'' qui doit systématiquement retomber sur une frappe creuse de batterie nécessite une agilité démoniaque. Beautiful brown eyes : un mid-tempo avec des volutes vieillottes de piano quelques fils de guitares colorées, cela sent la vieille Amérique du temps des lampes à pétrole. Philippe Fessard se met en avant sur le solo qui claque comme un lustre dont le soudain allumage dans une pièce semi-obscure vous dessille les yeux, si Ervin marche dans les pas de Gene, le band derrière ne peut s'empêcher de décoller. Over the rainbow : une des chansons du répertoire de Gene préférée d'Eddie Cochran. L'est vrai que Vincent en donne une version intemporelle terriblement émouvante. Ervin s'attaque à un monument. A compris qu'il n'y fallait rien rajouter, aucune emphase, aucun trémolo, l'a la bonne idée de donner une inflexion quelque peu enfantine à sa voix pour en assurer l'innocence émerveillante.

    z2837posemicro.jpg

    Dance in the street : un peu d'exercice après tant d'émotion ne peut pas faire de mal, les Virginians embrayent sec avec un démarrage de moto en intro, et c'est parti pour un sérieux fandango, Ervin se joue des récifs – essayez de piquer du premier coup une centaine de mygales en goguette sur la table de la cuisine avec un cure-dents – et tout le monde fonce sans regret, l'est sûr qu'en France l'on danse plus vite qu'à Los Angeles. Rollin' Danny : le genre de truc vicelard en diable, ça paraît tout simple mais vous avez intérêt à attacher la voix à votre respiration car l'ensemble tient de l'exercice yogique, Ervin a décidé de passer en force et derrière la guitare de Phillipe Fessard carrillone comme la voiture des pompiers qui vient ramasser les morceaux. Should I ever love again : un slow comme l'époque les aimait bien, une orchestration à la Platters, et Vincent qui moanise en dessous pour vous faire comprendre que toute tristesse vient du blues. Ervin a compris l'astuce. L'aboie comme le chien abandonné à la pleine lune, et puis vous refile la caresse du maître qui recueille la pauvre bête abandonnée, et les Virginians appuient tellement fort que pour un peu vous en pleureriez. Somebody help me : Vincent vous enregistre cela comme un coup de vent qui entre par la fenêtre ouverte et vous arrache les rideaux, style opération commando surprise. Ervin et son gang de virginiens vous refont le même trip. Vous surprennent tout de même alors que vous vous y attendiez. Comme quoi rapidité et célérité valent mieux qu'escargots et lémuriens. Rock'n'roll Heaven : pas d'erreur le son de Gene Vincent, la voix de Gene Vincent, le style de Gene Vincent, mais c'est du Décoret tout pur, et Ervin plus vrai que nature, de la ballade mélancolique au rythme débridé tout y passe. Un bel hommage à Gene. Et à Eddie par la même occasion. Vincent's blues : un blues caractéristique. Rien à redire sur le balancement chaloupé. Ne lisez pas les paroles seules, elles vous paraîtront d'une pauvreté affligeante mais lorsque Gene les martèle et les ponctue de cris, l'ensemble vous prend aux tripes. Les Virginians parviennent à jouer plus bleu que les Blue Caps, et Ervin vous pousse de ses bramements sauvages à amadouer les baleines.

    z2839posegenesauvage.jpg

    My heart : une sucrerie, écrite par Johnny Burnette mais cela vous a des résonances à la Buddy Holly, Gene vous y prend une voix de petite fille qui joue à la poupée qui lui va à ravir. Un régal pour Ervin, vous l'interprète en rose bonbon, tandis que derrière les Virginians batifolent et s'adonnent aux cabrioles. Un truc hautement pervers. Pour amuser les enfants, l'on a rajouté une espèce de jingle radio à la Walt Disney, le genre de facétie dont raffolait Eddie Cochran. You are the one for me : un tempo qui traîne et Gene qui fait le joli coeur. Pour adolescente romantique qui vient d'être abandonnée par son boyfriend. Ervin y rajoute un peu d'angoisse mélodramatique et le piano pleure un peu plus fort. I got to get to you yet : les Beatles ont dû gravement l'écouter, z'ont dû y puiser une certaine manière de faire sonner une guitare. En tout cas n'atteindront jamais la légèreté de la voix de Gene sur aucun de leurs enregistrements. Ervin y réussit parfaitement. Que dire de plus ? Lavender blue : l'on quitte the Capitol Tower pour les enregistrements londoniens. L'est sûr que de tous les morceaux de cette période c'est celui – nonobstant l'intrusion de l'orgue qui se rapproche le plus des ballades de Gene made in America. Ervin suit Gene pas à pas, mot à mot, et comme pour l'orchestration l'orgue est en sourdine et louche un peu du d'Over the Rainbow, l'on n'est pas loin de préférer Ervin. Et puis cette idée géniale de rajouter le sifflement final, fait pencher le jugement en sa faveur.

     

    Une belle réussite. Tant au niveau vocal qu'instrumental. Le traitement des clappers boys est remarquable.

     

    SHADES OF BLUE IN PARIS

    ERVIN TRAVIS

    And The Virginians

     

    Même méthode que celle employée pour le CD précédent. D'abord une rapide évocation de l'interprétation de Gene, ensuite l'apport d'Ervin.

     

    BIG BEAT RECORDS / BBR 000 87 / 2004

     

    Ervin Travis : vocal / Philippe Fessard : lead guitar / Alain Neau : keyboards, acoustic guitar, backing vocals / Romain Decoret : electric bass / Arnaud Brulé : drums, backing vocals

    z2832travisdisque2.jpg

    Lotta lovin : une perfection irradiante. Surface chatoyante d'une pierre précieuse. Autant l'entrée du morceau semble un peu chaotique, autant très vite tout rentre dans l'ordre et offre l'aspect d'un bijou de lave volcanique polie durant des siècles par la mer. Attention nous sommes dans un enregistrement public, ce qui change tout. Certains fans d'Ervin pensent que son chant atteignait une ressemblance avec celle de Gene encore plus remarquable sur scène que sur disque. Dance in the street : ce morceau semble le confirmer, mais très vite l'affaire s'emballe et Ervin presse la cadence, tout autre que lui en perdrait les pédales mais il vous surfe sur la vague avec une élégance à laquelle vous souscrivez sans réserve. Blue eyes crying in the rain : première reprise du LP Crazy Times enregistré en 1959 avec Joe Merrit à la lead. L'occasion pour Philippe Fessard de démontrer qu'il assure sans problème, piano et guitare se taillent la part du lion, pour Ervin c'est peut-être plus facile, ce morceau d'allure un peu country est celui qui au niveau vocal s'écarte le moins des enregistrements 57 – 58 d'une facture plus originelle si on les compare avec ce parti pris d'un son nouveau – crépitant et étincelant – pris lors des séances d'enregistrement du disque.

    z2840posesconcerts++.JPG

    You win again : un morceau d'Hank Williams, Gene en donna sur scène ( Town Hall Party, 1958 ) une version très proche des enregistrements country des années cinquante, les Virginians électrifient quelque peu le topo ce qui permet à la voix d'Ervin une plus grande amplitude. Sexy ways : un peu de sexe n'a jamais fait de mal, Ervin Travis se cale sur la version que Vincent en a donné sur la RAI sans oublier la fabuleuse reprise sur I'm Back and Proud, un morceau qui envoie, parfait pour la scène, Ervin se donne à fond. En filigrane l'on repense à la version de Gene avec Eddie... Who slapped John ? : l'occasion à Philippe Fessard de montrer qu'il ne dédaigne pas de s'attaquer à Cliff Gallup. Dommage que derrière la rythmique ne soit pas au top, Ervin sauve la mise sur ce morceau qui demande que l'on déchire sa voix sur les fils barbelés du rock. Flea brain : encore une de ces petites merveilles de Gene, z'avez intérêt à avoir la vélocité élastique qui bondit comme un cabri qui se serait aventuré sur des plaques chauffées à blanc, Ervin raffole de ce genre d'exercice aux figures imposées. Dommage que la basse s'immisce un peu trop par devant.

    z2836posegene.jpg

    Frankie & Johnnie : un must de Gene, vous y prend une voix creuse qui vous transforme ce drame de très commune jalousie conjugale en une tragédie grecque. Destin rampant. Ervin ne s'en tire pas mal mais l'appuie un tantinet trop, nous désigne du doigt le reptile de la mort qui s'avance traîtreusement. In my dreams : une sucrerie pour les jolis cœurs, que ne ferait-on pas pour arriver à ses faims sexuelles. Vincent en parfait hypocrite. Remarquons que le dénommé Travis n'est pas en reste non plus pour phagocyter sa future victime, l'ajoute même un miaulement totalement pernicieux auquel Vincent n'avait pas pensé. Comédie humaine, comédie rock. I'm goin' home : un titre mythique de Gene, une démarque de Bo Diddley. Parfois les transcriptions sont plus parlantes que les originaux. Ervin épouse la position du sprinter dans la dernière ligne droite. L'on sent que le public exulte, Phillipe Fessard se dépasse, on le remet sept fois de suite. On a de la chance, font durer le morceau. Beau solo de batterie d'Arnaud Brulé qui nous montre de quel bois il se chauffe. Rip it up : L'enchaîne sa volée de bois vert sur Rip It Up, Ervin prend le relais et vous fracasse les abattis d'une voix à vous rendre marteau. Grand capharnaüm final rock'n'roll. Un des plus forts moments du disque. Une pensée pour Little Richard sur son fauteuil roulant. Say Mama : pas de temps à perdre, une version catapultée à la fronde, Davyd Johnson se surpasse au saxophone. Ervin Travis emporte tout.

    z2834billybop.jpg

    You are my sunshine : un extrait – la chanson la plus reprise au monde dit-on – de Shakin Up A Storm, Ervin Travis a l'avantage de bénéficier de la pêche melba qu'apporte la scène. Le sax déménage et Ervin vous remplit la camionnette en moins de deux. Ne vaudrait mieux pas qu'il prenne le volant, trop tard l'est déjà aux manettes. Tant mieux. Right here on earth : Gene en pervers malicieux avec les clappers boys qui applaudissent avec une fouge de castagnettes atteintes de la danse de saint-Gui. Le genre de bichonnerie dans lequel Ervin excelle. Gymnastique vocale, et trampoline palatal. Se joue des difficultés. Et derrière lui, l'on ne chôme pas. Someday : celle-là tout le monde l'a reprise, même Jerry Lou le sauvage, Gene marche sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller le rêve qu'il est en train de faire. L'on approche de la fin du concert et Ervin se permet une dernière ballade comme un conte de fée que l'on raconte aux enfants pour les endormir. Non, pour qu'ils reprennent des forces avant la furieuse bataille de polochons qui se prépare. Baby blue : Patrick Verbeke se joint à Philippe Fessard pour ce morceau fondateur du heavy-metal, titre phare de la discographie de Gene Vincent dont on regrettera qu'il n'ai pas poussé plus loin ses investigations dans cette direction, Ervin nous en donne une version qui suit à la lettre son modèle, l'on déplore qu'il n'ait pas profité de l'adjonction de son deuxième guitariste pour s'adonner à une orgie sonore dont beaucoup ne se privent pas en concert, le plus n'est pas toujours l'ennemi du bien. Rocky road blues : impeccable reprise du vieux classique de Bill Monroe, Ervin ne s'écarte pas de la piste tracée par l'adaptation de Gene, sa voix est comme l'aigle qui de son aile altière survole la barre des montagnes rocheuses. Be bop a Lula 2002 : une version encore plus rapide que celle de Gene de 62. Verbeke et Fessard se font plaisir. Ervin leur laisse le champ libre. De sa voix trépidante il met en valeur les éclatements des guitares. The day the world turned blue : ( unplugged bonus track ) une des dernières chansons de Gene sur l'album du même nom. Ervin seul à l'acoustique. Miracle de la voix qui restitue à la perfection ces titres crépusculaires – parmi les plus beaux de Gene – du guerrier qui sait que le combat s'achève. Geese : ( unplugged bonus track ) et qui sait déjà que l'oiseau de l'âme s'apprête à la partance pour un autre voyage. Une interprétation qui démontre que nous ne sommes pas en présence d'une vulgaire imitation, mais à une osmose spirituelle entre deux individus reliés par des résolutions communes qui n'appartiennent qu'à eux. N'oubliez pas Alfred de Vigny dans les Destinées, seul le silence est grand.

    z2838dosdvd2.jpg

    Merci à Ervin Travis pour ces deux tributes à Gene Vincent. Certes il n'est pas le seul à avoir tenté l'expérience sur scène ou sur disque. Mais sa voix est empreinte d'une telle transparence avec celle de Gene que parfois l'on s'y tromperait. Leurs deux parcours parallèles obligent à penser à l'amitié qui unissait Castor l'Immortel à Pollux de fragilité toute humaine. Et comment l'un a su insuffler la vie à l'autre.

    z2835posegene.jpg

    Damie Chad.

    *

    UNE INCROYABLE DECOUVERTE !

     

    Damius Chadius : oui, c'est bien une découverte importante. Peut-être la plus précieuse de toutes. Certes nous possédons beaucoup de renseignement sur ces époques lointaines que nous appelons les Âges Obscurs. Mais cette fois nous sommes entrés en possession d'un ensemble de documents qui remettent en question bien des certitudes sur ce vingt-et-unième siècle duquel nous sommes séparés par plus de trois millénaires.

    Journaliste : cher professeur, comment se présente cette trouvaille ?

    Damius Chadius : il s'agit d'une centaine d'images colorées, grosso modo de dix centimètres sur quatorze, donc pas très grandes, mais qui semblent avoir eu une grande importance pour les peuplades arriérées de ces temps très anciens. Nous les avons retrouvées sur le site de construction du nouvel soucoupodrome de Notre-Dame-des-Landes.

    Journaliste : mais que signifient-elles ? Que nous racontent-elles ? Que nous permettent-elles de savoir de la mentalité de nos ancêtres quasiment préhistoriques ?

    Damius Claudius : l'interprétation est difficile. Par exemple nous n'avons pu déterminer si ce sont les pages arrachées de ces étranges objets que ces peuplades primitives appelaient livres ou si ce sont des artefacts séparés qu'un collecteur anonyme aurait réunis selon un mobile qui nous échappe encore.

    Journaliste : que de mystères !

    Damius Chadius : hélas oui ! Toutefois ces images sont accompagnées de signes qui nous apparaissent comme des graphèmes d'une langue qui nous est inconnue.

    Journaliste : donc, nous ne savons rien !

    Damius Chadius : nous avons tout de même un peu de chance, certains graphèmes sont systématiquement répétés, à tel point que nous pouvons nous hasarder à quelques hypothèses.

    Mais le mieux serait peut-être que nous regardions et commentons tout de suite quelques unes de ces énigmatiques images.

    Journaliste : par laquelle commençons-nous et pourquoi ?

    z2865lapharmacie.jpg

    Damius Chadius : par celle-ci, la plus anthropomorphique de toutes. Deux individus, le mâle et la femelle. Remarquez la position assise de l'homo-non-sapiens, la femme par contre debout et inclinée, nous sommes en des époques ou la sujétion féminine est totale. La servante fait révérence devant le maître. S'apprête à s'agenouiller nous indique le fléchissement des jambes. Dix pour cent de nos images représentent ces individus, nous en concluons que le mâle est vraisemblablement l'artiste qui s'est représenté, sur son trône, en pleine gloire, son esclave s'apprêtant vraisemblablement à mélanger avec cet instrument des plus bizarres les pigments nécessaire à la confection de nos artefacts.

    Journaliste : l'artiste serait donc l'homme ?

    Damius Chadius : oui, sans aucun doute et nous lui avons donné un surnom pour le désigner plus facilement : comme nous sommes proches de l'âge de pierre, nous l'avons surnommé Pierre. Mais passons à la reproduction Numéro 2.

    z2861latavernedethor.jpg

    Journaliste : étrange ! Cher maître nous avons besoin de vos lumières !

    Damius Chadius : encore plus mystérieux que vous ne le croyiez. Deux oiseaux. Ce cartouche volatile se répète sur tous nos documents. Nous sommes vraisemblablement en face à un motif religieux. Certainement un rite d'adoration ornithologique. Admirez la richesse du cadre, la présentation blasonnée et la formule rituelle cui-cui rock'n'roll, sans doute un mot de passe sacramental que les fidèles devaient psalmodier en chœur.

    Journaliste : Nous aimerions en savoir davantage sur ces rites ornithologiques !

    Damius Chadius : Examinez avec soin les deux images suivantes ! ( 2885 et 2884 )

    z2885lechampcommun.jpg

    z2884l'albatros.jpg

    La première à connotation campagnarde, la seconde maritime. Cela désigne des lieux précis et dissemblables. En fait les adorateurs des oiseaux devaient les suivre, partout, où qu'ils soient. Sans doute là où les bestioles se posaient était-il organisé des cérémonies sacrées, l'on devait y chanter et y danser. Nous ignorons tout de l'objet sur lesquels ils sont posés, nous subodorons un nichoir spécialement conçu pour eux. Mais l'on n'hésitait pas à les suivre sur la mer s'il leur prenait la fantaisie de s'envoler vers d'autres cieux.

    Journaliste : étrange ces nichoirs, comment savaient-ils qu'ils allaient s'y poser dessus ?

    Damius Chadius : c'étaient des objets évolués. En voici trois modèles. Apparemment les oiseaux aimaient les formes rondes, certains collègues s'aventurent à proposer que ces rotondités permettaient de les déplacer facilement, sans doute des hordes de fanatiques les suivaient et déposaient ces sortes de perchoirs en des lieux appropriés lorsqu'ils devaient manifester quelques signes de fatigue.

    z2884oiseaujaune.jpg

    z2883motos.jpg

    z2878place desmotards.jpg

    Journaliste : quelles coutumes extravagantes ! D'après-vous quels étaient les endroits privilégiés de ces animaux ?

    Damius Chadius : nous l'ignorons. Toutefois nous avons remarqué que certaines inscriptions changent. Si nos ordinateurs arrivent à déchiffrer des graphèmes comme Le rat qui pète ou La Bohême nous en saurons sûrement davantage.

    z2863auratquipète.jpg

    z2862labohême.jpg

    Journaliste : et il n'y a point d'autres animaux !

    Damius Chadius : les piafs sont toujours présents, mais regardez, les voici en compagnie d'ours,  d'un chat, ici d'un sanglier et là d'un loup, nous sommes formels, ces cultes ornithologiques devaient s'accompagner de résurgences chamaniques encore plus lointaines.

    z2876deuxours.jpg

    z2859chatquilouchr.jpg

    z2872le freyrsanglier.jpg

    z2871blackwolfes.jpg

    D'après certains confrères le cartouche cui-cui rock'n'roll doit être un stigmate chthonien en relation avec d'ancestrales religions barbares et infernales, cette image nous semble assez explicite.

    z2876hell'sbar.jpg

    Damius Chadius : parfaitement, à l'exception du couple de la première image qui revient de temps en temps. L'honnêteté intellectuelle et l'état de nos connaissances actuelles n'empêchent pas de penser que les cultes ornithologiques ne sont que des séquences adjacentes de l'antique culte néolithique de la Grande Déesse. Cette hypothèse nous oblige alors à réinterpréter cette première image, Pierre serait alors assis en signe de soumission, et celle que nous avons nommée la servante, serait la grande prêtresse saisie du délire prophétique. C'est pour cela que nous l'avons appelée, en résonance avec la Pythie de Delphes, Delphine. Pour appuyer cette lecture, l'image suivante s'avère intéressante. Regardez bien, la femelle semble armée, et le mâle ne semble pas très vindicatif. Serions-nous encore en des temps de profonde inculture, plus cruels et primitifs que nous le pensions jusqu'à maintenant ?

     

    z2881neptune.jpg

    Toutefois j'opterais plutôt pour un culte solaire, avouez que cette roue et ses multiples rayons semblent confirmer mon intuition.

    z2865lapetiterecyckerie.jpg

     

    Journaliste : des animaux, des hommes mais pas de femme ?

    Damius Chadius : parfaitement, à l'exception du couple de la première image qui revient de temps en temps. L'honnêteté intellectuelle et l'état de nos connaissances actuelles n'empêchent pas de penser que les cultes ornithologiques ne sont que des séquences adjacentes de l'antique culte néolithique de la Grande Déesse. Cette hypothèse nous oblige alors à réinterpréter cette première image, Pierre serait alors assis en signe de soumission, et celle que nous avons nommée la servante, serait la grande prêtresse saisie du délire prophétique. C'est pour cela que nous l'avons appelée, en résonance avec la Pythie de Delphes, Delphine.Pour appuyer cette lecture, l'image suivante s'avère intéressante. Regardez bien, la femelle semble armée, et le mâle ne semble pas très vindicatif. Serions-nous encore en des temps de profonde inculture, plus cruels et primitifs que nous le pensions jusqu'à maintenant ?

    z2865voituresaméricaines.jpg

    Journaliste : quel est le mot qui revient le plus souvent sur ces images ? Et à quoi servaient-elles ?

    Damius Chadius : en grosses lettres, sur toutes CRASHBIRDS, le nom des oiselets peut-être, sûrement celui de la Divinité adorée. Ces images devaient servir aux fidèles, peut-être des signes de distinction, d'appartenance ou de ralliement. L'on ne sait pas. Plusieurs années seront nécessaires quant à leur élucidation. Ce qui est certain, c'est qu'il y a plus de trois mille ans CRASHBIRDS devait être une entité phénoménale ou un concept primordial.

    Journaliste : Cher professeur Damius Chadius nous vous remercions d'avoir répondu avec de patience et d'intelligence à nos questions d'ignorants. Soyez assuré de notre gratitude d'avoir pu interroger un des esprits des plus brillants et plus savants de notre quatrième millénaire.

    Damius Chadius : que la science soit avec vous !

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 230 : KR'TNT 350 : CHARLES BRADLEY / SLAP DOOWAP / GARAGELAND / MUSIQUES NOIRES / F.J. OSSANG

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 350

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    30 / 11 / 2017

    CHARLES BRADLEY / SLAP DOOWAP

    GARAGELAND / MUSIQUES NOIRES

    F.J. OSSANG

     

    Bradley d’honneur

     

    z2808dessinbard.gif

    Le pauvre Charles Bradley est parti rejoindre ses ancêtres au paradis des damnés de la terre. Ce qui frappait le plus chez Charles, hormis sa voix, c’est sa tête d’esclave. Une tête à grimacer sous les coups de fouet du patron blanc. Une tête à vivre dans la peur du lynchage. Une tête à travailler comme une bête de somme, de l’aube jusqu’à la tombée du jour. Une tête à attendre la mort comme une délivrance.

    Ses trois albums sont des classiques de la Soul, au même titre que ceux de Lee Fields, de Sam Cooke ou de James Brown. Si on se demande pourquoi un vieux Soul brother comme Charles Bradley n’a enregistré que trois albums, la réponse est dans le film Soul Of America : le Charles Bradley qu’on connaît aujourd’hui n’a démarré sa carrière qu’en 2011 - I ask myself why it’s been so long ! - Le film raconte l’enregistrement du premier album No Time For Dreaming et donc le lancement de sa «carrière». Avant, il s’appelait Black Velvet et imitait James Brown dans des petits clubs.

    z2813dvd.jpg

    Il ne roule pas sur l’or, loin de là. Il vit dans les Projects de Brooklyn avec un perroquet. Les Projects sont ce que nous appelons les HLM. Ceux de Brooklyn n’ont rien à envier à ceux de la Courneuve. Quand il ne peut plus supporter le trash qui y règne, Charles va dormir chez sa mère, au sous-sol.

    On le voit enregistrer avec les petits blancs d’un label new-yorkais. C’est tout de même dingue que ce soient des blancs qui l’accompagnent. Moyenne d’âge trente ans. Ils sont appliqués et ne bougent pas. On sent un léger manque d’effervescence dans le studio. Ils enregistrent «No Time For Dreaming», le morceau titre du premier album. Charles ne chante que la pure Soul des sixties. Gabriel Roth, boss de Daptone, explique qu’un jour on a sonné à la porte : c’était Charles. Take it as it come. Dans cette histoire, Gabriel Roth est le personnage clé : il a lancé la carrière de Sharon Jones et il va sortir Charles de sa misère. Roth fait son Chess. L’histoire se répète.

    Pour passer de Black Velvet à Charles Bradley, Charles va chez le coiffeur. Il doit se réinventer. Puis Daptone le fait tourner avec Sharon Jones. Comme il a fait le James Brown Junior toute sa vie, Charles est parfaitement à l’aise sur scène. Il sait mener la revue. Il screame et il danse, il outche le funk de Soul comme un vieux pro. Il porte un jump-suit largement ouvert sur la poitrine. Le gang qui l’accompagne est celui du studio, seules les deux choristes sont des blackettes. Puis on voit Charles et Sharon signer des autographes à la fin du concert. Ah la magie du truc ! Charles devient rapidement un héros pour lequel on éprouve une réelle affection. On espère de tout cœur qu’il va s’en sortir. C’est exactement l’histoire que raconte le film de Poull Brien, celle d’une réussite. Mais pas la réussite à la mormoille des temps modernes : la réussite d’un artiste.

    Dans une scène déchirante, Charles avoue aimer tout le monde - I love everybody. I don’t want noboby no harm - et il se met à chialer. On se retrouve tout à coup au cœur de la Soul. Dans ce qu’elle peut susciter de plus bouleversant, de plus humain. La même chose dite par un blanc, même un blanc pauvre, n’aurait pas la même portée. D’un point de vue occidental, le nègre est depuis l’origine des temps victime de son apparence. Il est par essence condamné d’avance et donc innocent.

    Charles réagit comme un gosse quand Tommy l’appelle pour lui annoncer qu’il est dans le Post. Il va acheter le journal. Un vrai gosse. Il embrasse les gens dans la rue. Les blackos du quartier n’en reviennent pas - He’s in the paper ! - Il se marre aussi comme une baleine quand il se voit dans le clip de «The World (Is Going Up In Flames)». La scène le montre assis devant un petit ordi portable. Il explose de rire enfantin. Lord have mercy ! Le côté modeste du plan en fait la force prodigieuse. C’est construit comme une toile de Millet. Poull Brien ne cherche pas forcément à émouvoir. Il se contente juste de filmer la réalité. Si on va jusqu’au bout du film, on voit surgir dans le générique quelques ultimes plans rapides : ce sont les premiers signes de confort matériel, Charles fait la fête avec des amis blacks et porte des fringues un peu plus chic. Comme s’il avait enfin du blé. Du vrai blé.

    z2809notime.jpg

    Son premier album bat pas mal de records d’intensité. No Time For Dreaming compte parmi les très grands disques de Soul. C’est aussi le disque d’un vétéran de la Soul accompagné par des blanc-becs attentionnés. On note l’ultra-présence de la basse dans «The World (Is Going Up In Flames)». Avec «Golden Rule», ce démon de Charles rappelle que le monde est mal foutu, comme si nous ne le savions pas - They still keep building more prisons/ To take your kids away - Comme il n’en peut plus de toute cette misère, il explose de chagrin. En vrai. Charles est aussi le roi des ambiances, il faut l’entendre ramoner le ciel de «I Believe In Your Love». Il explose tous les carcans à coups de scream symphonique. Il instaure des climats qui n’existaient pas. Il faut le voir hanter cette Soul atmosphérique, il se déplace avec l’aisance silencieuse d’un fantôme shakespearien. Tiens, encore de la tension extravagante sur «Lovin’ You Baby», il bouffe sa Soul toute crue, crouch crouch, et avec «How Long», il l’aplatit d’un seul coup, puis il s’en va screamer dans la chaleur de la nuit. «In You (I Found A Love)» sonne comme un classique, mais le problème c’est que tous les cuts de cet album sonnent comme des classiques. On frôle l’overdose à chaque instant. Charles nous gâte trop. Il fait partie des Soul brothers qu’il faut mériter. Puis il s’épuise à essayer de comprendre pourquoi c’est tellement difficile de réussir in America, Il termine cet album faramineux avec «Heartaches And Pain», un veux coup de Soul déliquescente. Charles Bradley aura essayé de rétablir la Soul sur son trône. Mais la Soul n’intéresse plus autant de monde qu’avant. Nous avons changé d’époque et ça fout un peu la trouille.

    z2810victim.jpg

    En débarquant chez Daptone, il accède à la mondialisation, comme Sharon Jones avant lui. Paru en 2013, Victim Of Love sonne comme une bombe de Soul atomique. Deux coups de génie, là-dessus : «Confusion» et «Hurricane». Le premier sonne comme un shoot de r’n’b monté sur une basse fuzz et soudain, alors qu’on ne s’y attend pas, un killer solo prend le contrôle de la situation. Avec un coup pareil, on change de planète. Voilà ce que les spécialistes appellent du spaced-out r’n’b. On n’avait encore jamais entendu ça, même chez Marshall Chess, au temps de Concept. C’est un peu comme si des robots dansaient le screamy jive sur la planète Uranus des Pink Fairies. Quant à «Hurricane», c’est encore autre chose. Charles y pulse un heavy groove noyé de chœurs féminins, il fait du people à la Wonder sur un heavy groove de basse. Et tout le reste de l’album navigue à ce niveau : avec «Through The Storm» il la remercie de l’avoir aidé à traverser la tempête. Charles rebondit sur le beat du Soul System avec une effarante présence. Il enflamme littéralement sa Soul et c’est encore pire avec «Cryin In The Chapel», ce vieux cut de Standard oil : il l’explose dès l’intro. Il avalé tellement de couleuvres qu’il peut avaler le monde, oh mind, et il repart de plus belle à la chapel baby, on est au pinacle du froti-frotah, dans ce qu’il y a de plus électriquement gluant. «Strickly Reserved For You» sonne comme un shoot de hard Soul. Il chante à la pure fêlure, comme James Brown, et même au fêlé feutré chaud devant. Charles sait poser une voix. «You Put The Flame On It» sonne comme l’un de ces vieux hits Motown, sans doute à cause des chœurs. Il reste dans la vieille Soul ardente avec «Let Love Stand A Chance». Charles danse avec le loup, il fricote avec les âmes, sa Soul gluante résonne dans l’écho du temps, on éprouvait jadis exactement la même chose en écoutant James Brown feuler «It’s A Man’s Man’s World». Charles vise la même grandeur apoplectique, il couvre la planète Soul d’une ombre ondoyante, la sienne. On voit bien qu’avec «Victim of Love», il enfonce lentement ses clous, il screame dans le groove, il laboure son champ comme jadis les esclaves labouraient le champ du patron blanc. Mais il s’arrache de sa condition en screamant comme un diable hirsute. Pour un peu, il laverait presque les péchés des blancs en sauvant sa dignité.

    z2811changes.jpg

    Il revient en 2016 avec énorme album : Changes. Un album sourd, profond, chargé de mystère, luxuriant, à l’image de la forêt africaine dont il provient. C’est là qu’on trouve le fameux «God Bless America» qui prête tellement à confusion. En écoutant ça, la première réaction est de traiter Charles de fayot. Comment peut-il rendre hommage à un pays aussi raciste que le sien ? Heureusement, il passe au heavy funk avec «Good To Be Back Home». Il sonne comme Lee Fields, so good, et travaille son funk sous le boisseau. Il poisse le groove, il motive sa force motrice, il ravale la façade du funk, il nivelle la groove par le bas du sillon. Son dicton pourrait être : heavy as hell. S’ensuit un «Nobody But You» aussi fruité qu’un vieux hit Stax. Charles gueule dans son micro, au milieu des coups de trompettes, il hurle comme un goret qui voit approcher le boucher, il semble même battre tous les records de scream. Pour ça, il devrait figurer dans le Guinness Book. Il nous sert une nouvelle séquence de heavy Soul avec «Ain’t Gonna Give It Up». Grâce à lui, la Soul n’a jamais été aussi vivace. Il s’arrache la glotte dans «Changes». Il chante au râpé de devenir intensif et offre le spectacle de somptueuses descentes chromatiques - I’m going through changes - Il continue de raconter son histoire et il screame à n’en plus finir. Encore un hit de funky r’n’b avec «Ain’t It A Sin» hanté par des chœurs épars et complètement dépareillés. En pur génie de la Soul, Charles arrondit les angles du riff cabossé, ça claque des mains ici et là et bien sûr, c’est beaucoup trop beau pour être vrai, alors on y revient aussitôt, histoire de vérifier qu’il ne s’agissait pas d’un rêve. Il charge bien sa barque avec «Crazy For Your Love». Charles est un mec qui fonce, il ne réfléchit pas, il reste dans l’action du groove, il entre dans la légende comme jadis les généraux entraient dans Rome, au retour des campagnes victorieuses aux frontières de l’Empire. Il rend hommage à Otis avec un «You Think I Don’t Know» monté sur un pur beat popotin et derrière, les filles font des chœurs indécents de splendeur morose. Charles chante tout à la pire arrache et n’en finit plus de restituer à cette vieille Soul sa grandeur originelle.

    Signé : Cazengler, Bradley écrémé

    Charles Bradley. Disparu le 23 septembre 2017

    Charles Bradley. No Time For Dreaming. Dunham 2011

    Charles Bradley. Victim Of Love. Daptone Records 2013

    Charles Bradley. Changes. Daptone Records 2016

    Poull Brien. Charles Bradley. Soul Of America. DVD 2012

     

    *

    J'ai terrassé le Dragon. Tel Siegfried dans l'Opéra de Wagner. J'ai donc enfin la possibilité d'entendre le chant des oiseaux. La vérité historique m'oblige à préciser que le monstre qui s'est lâchement attaqué à mon héroïque personne était d'un gabarit un tout peu petit moins volumineux que le mastodonte de Siegfried, un de ces animaux sauvages communément appelé microbe. Mais tenace et virulent, m'a maintenu tout fébrile à la maison et m'a privé de Crazy Cavan à Thoury. Mais j'ai fini par en venir à bout après maintes ingurgitations de médecinales lampées de moonshine. Bref ce soir la Teuf-Teuf avale la chaussée d'un pneu glorieux en direction de

     

    TROYES / 25 – 11 – 2017

    3 B

    SLAP DOOWAP

    z2829affiche.jpg

    Froid pré-polaire sur la bonne ville de Troyes. Le réconfort du rocker qui s'engouffre dans le 3 B ne tarde guère. Slap DooWap entame sa balance. Sont tout beaux dans leur uniforme bicolore qui les fait ressembler à des fourmis rouges. Celles qui piquent. Se calent sur Folsom Prison, un régal, Fab est aux manettes et nous l'on est toute oreilles, pêchu et prometteur. En attendant que le bar se remplisse vous me permettrez un rapide

    MEMENTO ORTHOGRAPHIQUE

    Ecrivez bien Slap DooWap. Tout en gardant à l'esprit que le combo est beaucoup plus Slap que DooWap, d'où l'erreur funeste à éviter, ce n'est pas DouxVap, mais DooWap. Pas avec deux eaux. Dormantes. Mais avec un double zéro, chevrotine meurtrière. Le V initial, se double, ne se vaporise pas en crachin ténu, ne se vapote pas en fumée légère, W comme Warrior, Wargame, ça se wattise autour de vingt-cinq mille ampères vampiriques, impossible de rester assis sur cette chaise. Electrique. Voyez, un simple rappel orthographique, et déjà vous entrevoyez le style de musique.

    SLAP DOOWAP

    charles bradley,f.j. ossang,musiques noires,slap doowap,garageland

    Avant de les entendre vous les voyez. Sont jeunes. Tous les quatre. Le sang neuf est un élément assez rare dans le rockabilly hexagonal. Est nécessaire pour la survie et la continuation de cette musique. Rien de pire que la codification muséale. L'est bon de maltraiter les vieux meubles. Sans ménagement. Les décaper et si nécessaire en reléguer quelques uns au placard Maintenant écoutez nos quatre fous en liberté. Vous remplissent les écoutilles et les mirettes. L'annoncent sans ambages dès la longue introduction instrumentale I'm Gonna Win That Race, le genre de conduite qui déplaît fortement à la municipalité parisienne, les voies sur berges à fond sans limite de vitesse, sont pourtant encore très smarts dans leurs tuniques noires à liserets rouges. Chics but choc ! D'abord un son, inhabituel. Nous provient d'un instrument généralement plus discret. La rythmique de Boo Lee.

    charles bradley,f.j. ossang,musiques noires,slap doowap,garageland

    Une takamine d'or. Qui ne dort pas. Devrait accompagner, soutenir les autres, et la voici devant, mélodique et enlevée, en proie aux expertes mains baladeuses de Boo Lee le bolide, sous sa casquette plate, sourire facétieux et joie de vivre. Voudrait bien faire la course en tête, pas de chance, MyMy le Kid est sur ses talons, lui mord les jarrets. Contrebasse noire comme la nuit, et lui - aussi sous sa casquette plate – le soleil éblouissant qui bouscule les ténèbres. L'a la basse jappante, insistante et redondante, le chien courant qui n'arrête pas de vous cingler de sa voix rien que pour le plaisir de vous empêcher de goûter à la sérénité de vivre. Lucky Wild au micro, sa Gretsch canarde à l'orange, crâneuse et cochranesque, ricoche et décoche des sticks de riffs dont les flèches inquisitrices vous traversent la moelle et les tripes, l'a la gouaille du medecine show man qui vous vend son eau lustrale au venin de crotale au prix exact du montant de votre paye, nous traite de troyens de pacotille, nous titille et nous destroye le timbre vocal car l'on s'égosille pour lui prouver le contraire. La colonne de mercure se hisse en trois minutes tout en haut du thermomètre. Et c'est là qu'ils sortent le grand jeu. Theâtral. Représentation rockabilly.

    charles bradley,f.j. ossang,musiques noires,slap doowap,garageland

    Les deux casquettes sont incapables de rester en place plus d'une demi-seconde avec leur instrument stabilisé. Boo Lee se livre à des exercices de barre-fixe sur le manche de son acoustique, l'astique salement, la penche vers la terre et vous avez l'impression qu'il dévale une pente enneigée sur sa luge, s'arrête brutalement au bord du précipice et se précipite dans l'autre sens, remonte la côte comme un film rembobiné à l'envers, n'oublie pas son plus beau sourire pour le public et un autre en catimini à MyMy Kid. Parlons-en de Mimique Kid. Joue davantage avec son visage qu'avec ses doigts. Ce n'est pas qu'il s'emmêle les dents et le nez dans le cordier, c'est que ses expressions traduisent les subtilités du scénario. Un comix mouvementé, toutes les attitudes rockab défilent sur sa figure, un dessin animé démantibulé, l'œil fringuant qui vous attire les filles aussi sûrement que du papier tue-mouches, le ricanement exacerbé du type qui exhibe ses gencives pour une marque de dentifrice, et surtout cet air ahuri du faraud qui n'en croit pas ses yeux, vous ouvre la bouche en rond à vous avaler sans sourciller, et sans triche, un œuf d'autruche, le blanc, le jaune et la coquille, d'un seul coup. C'est parti dans le délire, les phalanges cliquètent dans les cordes, solo en montagnes russes, un coup j'étire la note, un coup je l'étrille pile comme l'on épile un scottish. Par pitié arrêtez cet élastique ! Alors Lucky Wild dépose sa Gretsch, passe derrière notre épileptique et tourne dans son dos la manivelle imaginaire qui commande les synapses du cerveau. Un peu rouillé, pousse et ahane comme un équipage de goélette au guindeau, mais ses efforts sont récompensés, quelques soubresauts, quelques ratés, quelques emballements pléthoriques et voici notre Grand-Ma qui bourdonne enfin selon les codifications les plus strictes du rockabilly à l'usage des gentlemen bien élevés.

    z2828cochran.jpg

    Lecteurs kr'tnteurs, je ne vous fais plus attendre, je sais que dès que traîne une Gretsh dans un coin, vous lui adressez des persillades d'œillades impatientes, des yeux de Chimène et de merlans frits, vous mourrez d'envie de l'entendre sonner, je ne veux point avoir votre mort sur la conscience, je m'exécute. Donc dans les mains d'un sauvage chanceux. Slap DooWap nous régale ce soir d'un répertoire de classiques. Possèdent des morceaux à eux, n'attirent point trop l'attention sur leurs bébés, préfèrent qu'ils passent comme une lettre à la poste entre deux vaches sacrées. Sont en train d'enregistrer leur premier album, montrent un peu mais ne dévoilent pas tout. A la manière des jupes fendues qui fulgurent le galbe idéen d'une jambe de fille mutine, le temps d'un éclair qui vous laisse chocolat. Pas le plus facile pour une lead guitar. L'autoroute est ouverte et hyper-fréquentée, depuis soixante dix piges des guitaros qui font leur sprint sur C'mon Everybody vous en avez trois centaines dans votre mémoire surencombrée. Faut avoir son jeu à soi. Ce n'est pas la quinte flush qui vous ouvre la victoire de la renommée au poker, mais la manière avec laquelle vous l'étalez, ce geste de la main qui n'appartient qu'à vous, qui vous surclasse, vous met en exergue, vous retranche de la foule des tâcherons du vil négoce. Certains veulent la monnaie, et de très rares aristocrates misent sur l'élégance de l'originalité.

    charles bradley,f.j. ossang,musiques noires,slap doowap,garageland

    Je qualifierai le jeu de Lucky Wild comme étant d'impromptue précision. Vous azimute la pauvre Miss Molly en deux minutes réglementaires. Vous marque le good goal Golly entre les poteaux, depuis le milieu du terrain. Net, sans bavure. Circulez, c'est déjà fini, plus rien à voir. Coup franc au fond du filet. Mais sur le Cochran, vous êtes bercés par le balancement métronomique du train, et pffutt ! tout s'arrête, un halètement de bigsby qui vous dégonfle les rails, les autres ne sont plus là, liste des abonnés absents, à peine si Mi Fly consent à signaler sa présence d'un tapotement évasif, vous êtes descendus sur la voix. Zioup ! la loco-lead repart encore plus rapidement qu'elle ne s'était arrêtée. El les autres se ruent à sa suite sans se faire attendre.

    Z2827CONTREBASSE.jpg

    Lucky Wild est chanceux - pères de famille soyez attentifs, ne s'était pas jeté sur le micro qu'un vol de jeunes filles s'est illico porté sur le devant de la scène – l'a la niaque, une voix solide, en béton précontraint dont la solidité est accrue par l'élasticité, l'a dû naître sans poumons car je ne l'ai jamais vu marquer signe d'essoufflement. Sait jouer de sa voix, dessine avec ses cordes vocales, fabuleux sur les Stray Cats, si vous l'entendiez vous ne pourriez jamais plus admirer un chat batifoler sur les toits. Nous en a donné une version vertigineuse. Matou qui miaule sur la tuile cassée et qui se rattrape par un poil de sa moustache à la gouttière. Boo Lee lui a davantage que six cordes sur sa guitare, chante aussi, pas assez, et souffle dans son harmonica, le porte à la manière de Bob Dylan, puis se déleste de son support, vous l'enfourne dans sa bouche en vieux bluesman affamé et bonjour le boogie shuffle d'enfer dans les grandes plaines des territoires cheyennes. MyMy Kid en profite pour faire de la patinette autour de la Mère-Grand, s'adonne à des étirements de jambes en tous sens, démonstration de savate d'apaches parisiens, essaie de grimper dessus, mais l'est trop grand, sa tête cogne au plafond, alors redescend et se couche sur le flanc de la Old Lady et gigote de ses quatre pattes en l'air, tel un scarabée renversé sur le dos qui essaie de retrouver son équilibre...

    charles bradley,f.j. ossang,musiques noires,slap doowap,garageland

    Slap DooWasp adore les chevauchées, vous rifflent le riff au poney express. Il y a longtemps qu'ils ont délaissé leurs uniformes. Sauf Mi Fly obstrué par les silhouettes dégingandées de ses camarades, a droit tout de même à ses deux quarts d'heure de gloire. Deux soli de batterie grandeur nature, lui tout seul au turbin et à la turbine, les autres fair-play sur le côté pour qu'il soit visible. Ne s'en tamponne pas le coquillard, ne vous expédie pas le pensum en pension, ne découpe pas les temps, les roule en continu comme le tonnerre de Zeus, orage sec et foudre en poudre, l'a les baguettes qui volent et qui se posent avec la lourdeur d'un bombardier qui apponte un porte-avion, repart d'un vol lourd de coléoptère ivre de pollen, et vous distribue les bombes comme le Père Noël ses cadeaux. Vous ouvrez le paquet, ça explose, c'est si bon que vous guettez le suivant. Sinon l'a la tape mercenaire, les bras près du corps les avants-bras au-dessus des toms, bosse et brosse à attraper une thrombose pour les trois autres, les paillettes de la gloire ruissellent sur eux et lui saigne et marne dans l'ombre, ravi des broussailles de nos rugissements enthousiastes qui l'accompagnent.

    charles bradley,f.j. ossang,musiques noires,slap doowap,garageland

    Trois sets, un tout long, un tout court, et un dernier demandé par Dame Béatrice, parce qu'au 3 B la clientèle raffole du rock'n'roll. Des enfants gâtés, vous leur donnez la main, vous bouffent le reste du corps. Si ça n'avait tenu qu'à nous, on n'aurait même pas retrouvé un os. Slap DooWap nous a comblés. On a même failli voir Dieu par deux fois, à la fin des deux derniers sets, nous retiendrons la première, une version acoustique de I Saw the Light tous en chœur, face au comptoir, les anges sont descendus et se sont mis à clignoter sur les étagères derrière Béatrice, mais non ce n'étaient que les bouteilles de Jack et de Ballantines... Là-haut Hank William a dû apprécier l'ambiance...

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Fabien Hubert / Béatrice Berlot )

     

    GARAGELAND

    NICOLAS UNGEMUTH

    ( HOËBEKE / Avril 2009 )

    z2814garageland.jpg

    J'ai tiqué deux fois. Sur Ungemuth d'abord. Me méfie de lui. Le genre de mec à faire plutôt Uzi-Uzi que Guili-Guili avec les artistes. Cartonne dur. L'est un peu du genre je tire d'abord, je vérifie après si c'est bien le bon que j'ai eu. Entendez, s'il était aussi mauvais que je le pensais. Remarquez que par les temps qui courent, au tir instinctif vous avez davantage de chance de tirer sur un tocard que sur un mec respectable. D'ailleurs quand il les attend au tournant, ça fait mal. Par exemple quand il jette au rencart la ménagerie de Fauve ( en papier mâché ) on ne peut qu'applaudir. Pas moi qui irai pleurer sur les toits quand il exécute à bout portant Daft Punk. Tous les dégoûts sont dans la nature. S'en est fait une spécialité, dans Rock & Folk il s'amuse à dégommer les vieilles statues. Le boy aime bien se faire haïr. Même pas du masochisme. De la jouissance. Se délecte de porter le trouble dans les certitudes. Un jeu marrant, mais attention entre semer le doute et jouer le rôle de Socrate à la petite semaine l'existe une marge, un abîme. J'ai pas apprécié quand il a décrété que les écrits de Jim Morrison c'est du caca de vache en poudre. Aussi quand je vois son nom, je me méfie. Un peu étonné de ce livre consacré au Garage, mais enfin nul n'est parfait.

    z2816ungemuth.jpeg

    Ensuite sur le nom du gars qui a écrit la préface. Andrew Loog Oldham. Un pedigree à vous faire pâlir d'envie. L'on voyait son nom sur les quarante-cinq tours des Stones qui l'ont viré en 67. Les mauvais esprits disent que tout ce que les Stones ont produit de bon, c'était sous sa houlette. Ils exagèrent. Mais l'était là dans le bon timing. Vous pensez bien que je n'ai rien contre Andrew, sinon une dette de reconnaissance. Sais aussi que sur son label Immediate Record de 65 à 70 il a donné le micro à quelques lingots d'or : Rod Stewart, Chris Farlowe, Humble Pie et bien d'autres... Clapton, Page et Beck ont assuré de multiples sessions dans ses séances studio alors que je n'ai jamais pu les avoir dans mon salon. Ne serait-ce que pour prendre le thé. Je ne suis pas jaloux mais enfin si je reconnais à Mister Loog Oldham un rôle non négligeable dans le rock anglais post-Beatles, sa contribution au rock Garage me semble moins évidente.

    Encore faudrait-il s'entendre sur la définition de rock garage. Pour moi j'entrevois ces adolescents boutonneux – c'est comme pour les soldats de Napoléon, ne doit pas manquer un bouton, même de guêtre, à leur costume - de la petite middle-class blanche qui dans le garage de la maison s'adonnaient aux turbulentes joies du rock'n'roll. Palliaient leurs insuffisances musicales en tapant dur, en grattant vite, en gueulant dans le micro. Beaucoup de déchets, et peu d'élus. Evidemment la scène se passe dans la grande Amérique. Au début des années soixante. On les a redécouverts en même temps que se déployait le punk. On a extendu le domaine de la lutte garage depuis : en gros tout ce qui fait du bruit, tout ce qui est inconnu, tout ce qui est culte, est garage. Remarquez comme il n'est pas facile de rester inconnu quand on est devenu culte – et il va de soi que ces trois conditions valent pour toutes les latitudes terrestres. En théorie il se pourrait qu'il existât du garage Péruvien ou Ivoirien. Même si je n'en ai jamais entendu. Petit exercice pratique : d'après vous, a-ton le droit d'accoler l'étiquette garage au groupe français Extraballe ? Ne répondez pas, vous avez déjà fait tilt !

    z2817yarbirds.jpg

    Bref quand j'ai ouvert le bouquin m'attendais à une révélation à chaque page. De fait ce sera une toutes les deux pages, car celle de droite est dévolue à la reproduction couleur d'une ( voire de la ) pochette qui correspond au combo présenté sur à gauche. Si pour vous c'est l'inverse, c'est que vous tenez le livre à l'envers. J'ai tout lu patiemment, de A à Y – les groupes sont classés par ordre alphabétique. Si je ne sais suis pas allé jusqu'à la fin de l'alphabet c'est de la faute à Nicolas Ungemuth, n'a pas voulu pour des raisons que j'ignore chroniquer les Zombies.

    z2816louielouie.jpg

    Je vous devine, cruels lecteurs, écroulés de rire, ce pauvre Damie Chad il classe les Zombies parmi le Garage, l'est en burn out, faut l'interner tout de suite ! Si vous voulez, mais alors Procol Harum, The Remains, Barry Ryan, Sandie Shaw, Small Faces, The Smokes, The Sorrows, Spencer Davis Group, Dusty Springfield, Cat Stevens, Rod Stewart, Them, Tomorrow, The Troggs, Geno Washington, Yarbirds, vous les rangez sur quelle étagère ? Dans le rock anglais, in the sixties, our poor very tired Damie ! Z'oui, moi z'auzi ! Le malheur c'est que l'Ungemuth, il les expédie dans le land du garage, et je vous épargne la liste entière. Sûr qu'il y a quelques américains qui méritent leur logo garage comme The Kingsmen, The Trashmen, ou Sam the Sham & Pharaohs, mais c'est rempli d'anglais qui ont fait avec plus ou moins de succès les beaux jours du Swinging London! Tenez par exemple Cilla Black, les Kings, quant aux Amerloques du genre The Bee Gees... Ô Maître Chad vénéré, excuse nos rires stupides, passe-nous ce livre étrange afin que nos cervelles soient encore édifiées par la justesse et la finesse de tes analyses !

    Dix minutes plus tard. Ô Immense Maître Chad Vénéré, du haut de ta puissance intellectuelle et de ta sérénité magnanime daigneras-tu porter ton regard aigu sur les lettres rouges de la couverture : Mod, Freakbeat, R&B et Pop 1964 – 1968 : la naissance du cool. Certes disciples attentifs et pointilleux, je n'avais point vu, ceci explique toute une partie de mes reproches. Les englishes qui écoutent du Rhythm and Blues, qui se transforment en Mod, et leur musique Freakbeat qui flirte avec ce qui deviendra le Psyché, cela se tient, mais alors que viennent faire les Ricains et pourquoi appeler ce book garageland car en quoi le garage est-il cool ? Méfiez-vous disciples bien-aimés, l'on n'attrape pas le rock sauvage avec des cigarettes mentholées. Ce Nicolas Ungemuth n'est pas franc du collier ! D'autant plus dangereux qu'il écrit bien et que l'on ne s'ennuie pas en lisant ces petites chros. Sont même parfois instructives. Mais n'en disons pas davantage de bien. Cela pourrait lui monter à la tête.

    Damie Chad.

    LA MEMOIRE DU PEUPLE NOIR

    CLAUDE FLEOUTER

    ( Rock & Folk / Albin Michel / 1979 )

    z2818fleouter.jpg

    En chroniquant le bouquin de Claude Fléouter sur Johnny, voici quinze jours, m'étais aperçu qu'il avait publié un book sur la musique noire dans la légendaire collection de Rock'n'Folk, dirigée par Jacques Vassal. Vassal tenait la rubrique Folk dans le canard qui cancanait de si agréable façon en ces heureux temps. Je n'étais pas un aficionado forcené de sa folkleuse rubrique – Vassal n'était pas le suzerain de mes préférences - mais Stones, Led Zeppelin, Doors et autres sucettes pimentées figuraient aux catalogues de ce partenariat éditorial d'un genre nouveau pour l'époque. Un livre que je n'ai pas ! me désolais-je - chaque artefact rock que vous ne possédez pas est un coup de couteau planté au plein milieu du cœur du rocker. Et voici que descendu au garage – c'est là où commence et finit le rock – que parcourant d'un regard distrait, néanmoins inquisiteur, mes surplus bouquiniers, le nom de Cléouter s'en vînt à scintiller sur ma rétine surprise.

    Et bingo ! La Mémoire du Peuple Noir ! Il n'est de pire être humain que le riche qui se croit pauvre !

    Un max de pages de garde remplies de blanc, des marges extra-larges, des photographies grand format, une police pour non-voyants, une épaisseur maigrichonne, à première vue cela sent le vite-fait, mal-fait. Après lecture, je reviens sur mon jugement, intéressant et instructif, en réalité le livre est une transcription de quatre documentaires télévisés réalisés par Claude Fléouter, ce qui explique que brutalement le personnage que l'on suivait disparaisse sans préavis, l'on a simplement changé de séquence filmique, la scène terminée l'on passe à une autre sans avertissement ce qui n'est pas sans produire une sensation des plus décousues... Un prologue qui nous plonge dans le triangle maudit, pas celui des Bermudes, l'autre plus commercial qui nous mène de Nantes aux Etats-Unis en passant prendre cargaison de bois d'ébène en Afrique... Les quatre parties suivantes nous baladent aux Etats-Unis, en Jamaïque, au Nigeria, au Brésil, il est bon de ne pas oublier que le livre s'achève à la fin des années soixante-dix.

    USA / BLUES

    z2819bigjoe.jpg

    Tout de suite en pays de connaissance avec deux légendes du Delta, John Lee Hooker et Big Joe Williams. L'on s'attarde sur le gros Joe. Vit encore dans une caravane. John Lee a réussi, beau costumes et jolies femmes, Big Joe est un vieillard qui pète la forme, n'éprouve aucun remords, aucun regret de cette existence difficile, y puise énergie farouche et en tire folle fierté. Le blues lui colle toujours à la peau. En joue tous les soirs. Sur sa guitare à neuf cordes. L' a rajouté la neuvième parce que certains guitaristes parvenaient à se dépatouiller avec huit. C'est cela le blues, on se respecte, mais dans la surenchère. Parfois un pistolet au fond de la poche s'avère plus utile qu'un dollar... A appris le métier avec une troupe de Medecine Show, a couru le Delta avec Sony Boy Williamson, le I , celui qui fut assassiné en 1948 avec un pic à glace par une froide nuit d'hiver de Chicago, l'a tâté du pénitencier aux côtés de Leadbelly, l'a été l'ami de Furry Lewis, une jambe en moins et une guitare offerte par W. C. Handy, l'a connu la dèche à Saint Louis avec Leroy Carr, l'a connu tout le monde. Jusqu'à cette rencontre insolite à Chicago avec un autre monde : Bob Dylan. Etait-ce en 1957 ou en 1963, Dylan avait-il six ans ( ? ) ou seize ans ? Les historiens se déchirent et proposent d'autres dates, toujours est-il qu'il reste des enregistrements, et une mention de Dylan dans ses Chroniques qui en certifie l'authenticité.

    z2819bobdylan.jpg

    Rapide évocation de Johnnie Lewis qui dans sa jeunesse a bouffé de la vache enragée en compagnie de Big Joe Williams, Furry Lewis et Brownie McGhee, est passé de Memphis à Chicago ce qui ne l'a guère enrichi puisque à plus de soixante-dix balais il monte encore les échelles, survit grâce à sa petite entreprise de peinture... une vie exemplaire qui part du Delta et migre vers Chicago, le peuple noir s'extirpe de la boue noire de l'esclavage et trouve un travail mieux rémunéré plus au nord...

    Changement de lieu, nous voici à New York, la population noire s'entasse dans les chambres de Harlem, loyers exorbitants – les pièces sont louées par tranches de huit heures – mais entre 1910 et 1941 ( entrée en guerre des USA ) le quartier vit son âge d'or et d'art, nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises dans KR'TNT ! le mouvement de la Renaissance Littéraire, mais c'est aussi en ces années heureuses ( tout est relatif ) que la musique s'infléchit, le blues est peu à peu supplanté par le jazz. Du Cotton Club à Broadway, l'on s'amuse, l'on chante, l'on danse, Count Basie emmené par John Hammond marque les esprits...

    Mais Harlem devient la victime de son propre succès. De plus en plus de monde afflue dès la fin de la guerre dans les villes à la recherche d'une meilleure situation. L'on veut du travail, on récolte le chômage, l'insatisfaction gagne la jeunesse. Dans les élites noires des voix dissonantes se font entendre : Elijah Muhammad qui plaide pour une séparation, Malcom X de plus en plus radical, Luther King qui finira assassiné et Jesse Jakson qui pense que les noirs doivent s'inscrire dans l'économie américaine. Notre révérend est le représentant par excellence de cette bourgeoisie noire qui prend son essor et qui en oublie ses frères dans la misère. Les noirs ne sont pas exempts des contradictions de classe... Les colères s'exacerbent, le trafic de drogue engendre la structuration des gangs, l'avenir s'annonce plus noir que jamais. Chicago reste la dernière forteresse du blues, mais le public s'en détourne... Seuls les blancs s'en viennent visiter ces ruines mémorables.

    JAMAÏQUE

    z2821culture.jpg

    La séquence s'ouvre sur Joseph Hill et Culture, un des groupes essentiels du reggae mais très vite la connaissance des faits historiques nécessaires à la compréhension de la germination de cette musique prend le dessus. Les noirs furent emmenés par les Espagnols qui possédaient l'île. Quand les anglais les en chassent ils libèrent les esclaves qui se réfugient dans le centre montagneux. Ils se regroupent, prennent le nom de Maroons, se groupent en villages libres et mènent une guérilla longtemps victorieuse à l'encontre des Anglais. Il faudra plus d'un siècle aux sujets de sa très gracieuse Majesté pour en venir à bout... Treize mille blancs imposeront leur suprématie malgré de nombreuses révoltes à 200 000 esclaves. L'esclavage sera aboli en 1834 mais pas la misère. La religion servira de palliatif. Ajoutez-y l'usage immodéré de la ganjha et vous comprendrez pourquoi Marx la surnommait l'opium du peuple. Les missionnaires ne réussirent qu'à moitié à imposer le dieu très chrétien. Les souvenirs africains furent considérés comme des éléments intellectuels de révolte politico-messianique. Marcus Garvey fut le théoricien de ce retour phantasmatique à l'Ethiopie Biblique associé à la figure historique du Roi Sélassié...

    Claude Fléouter nous entraîne en des cérémonies des plus pittoresques : Dinkimini, Kumina, Pocomania : danses, transes, évocation du Dieu-Araignée, traditions religieuses issues de plusieurs ethnies africaines... Lorsque la réalité est décevante, vivez le rêve...

    NIGERIA

    z2822felakuti.jpg

    Plongée en plein coeur de Lagos, tumultueuse capitale du Nigeria où l'on ne prend même pas le temps de dégager des chaussées les cadavres des piétons écrasés par les voitures. Sont réduits en charpie par le passage incessant des pneus en quatre jours. Le pays est riche, bizarrement l'argent ne suit pas les saintes lois libérales du ruissellement, par on ne sait quel inexplicable phénomène les milliards générés par les gisements pétrolifères se retrouvent dans les coffres des multinationales et des banques suisses. Cette étrange dérivation financière continue aujourd'hui encore, quarante ans après la parution du livre.

    Cette partie est surtout consacrée à Fela Anikulapo Kuti. Enfin à la première partie de sa vie. Ce qui est dommage car la seconde s'inscrit dans la suite logique de la première. Fils de la bourgeoisie locale parti faire ses études de médecine à Londres, il tourne mal. Se met au jazz. Ce qui vous en conviendrez n'augure rien de bon pour son avenir. Peu de succès, mais lors d'un voyage aux USA il rencontre une militante des Black Panthers qui l'initie à la réflexion politique. Comprend si bien la leçon que rentré au Nigéria il se fait très vite détester par les militaires au pouvoir. Passons sur la zike, une espèce de tourbillonnement tapageur et cuivré very funky, par contre les paroles qui dénoncent les fauteurs de misère ne passent pas. La police l'arrête, le tabasse, le torture. Ce genre de facéties ne le rebutent point. Il persévère dans son erreur. L'a fondé autour de sa maison, la Kalakutta Republik, un endroit charmant, l'on y chante; l'on y fume, l'on s'y câline à en-veux-tu-en-voilà – lui-même s'est marié avec les vingt-sept femmes de sa suite orchestrale... Vous conviendrez aisément que les mesures de salubrité publique que le gouvernement dut prendre s'avéraient nécessaires. La maison fut détruite, l'on en profita par jeter par la fenêtre sa mère âgée de près de quatre-vingt ans. N'était-elle pas responsable au premier chef de la naissance de ce trublion ? Exilé, emprisonné, maltraité, il finira par mourir d'épuisement en 1997. Les militaires sont des gens sympathiques et peu rancuniers, décrètent quatre jours de deuil national... Depuis sa mort, les choses ne se sont pas améliorées au Nigeria... même la France s'intéresse à ce pays de cocagne. Pardon aux ressources nigériennes...

    BRESIL

    Ne reste plus que dix pages pour le Brésil. Colonisé par le Portugal. Trop maigre pour un tel mastodonte géographique. Les esclaves s'échappent et forment des mocambos, de simples villages libres. Seront réduits, mais si la religion chrétienne parvient à museler cet esprit de révolte, elle subit en contre-partie une forte teinture syncrétique. Des danses, des chants, des rituels peu catholiques fleurissent : Maracutu, Embolada, Copoeira, Candomblé... résurgences africaines qui mêlent animisme et sport de combat... C'est à la fin du dix-neuvième siècle qu'apparaît la samba... elle suit la migration des pauvres de Bahia vers l'Eldorado de Rio de Janeiro... Une institution populaire érigée en culture nationale. La soupape de sécurité des favelas...

     

    Au total quand on y réfléchit : peu de musique, beaucoup de misère. Noire.

    Damie Chad.

     

    MERCURE INSOLENT

    F.J. OSSANG

    ( Coll : La Fabrique du Sens

    / ARMAND COLIN / 2013 )

    Z2823MERCURE.jpg

    Nous sommes loin de Generation Néant ( voir KR'TNT ! 340 du 21 / 09 2017 ), ce n'est pas le chanteur de MKB ( Fraction Provisoire ) qui prend la plume ici mais le cinéaste de L'Affaire des Divisions Morituri, pas le poëte non plus, mais l'artiste méditant. Un fait divers ( sur les continents cernés ) est à l'origine de cette introspection extropective, une brève informative que la plupart des rockers n'auront pas relevée. D'ici une dizaine d'années les pistes des enregistrements dolby-stéréo se seront d'elles-mêmes effacées. Des milliers de films renvoyés à l'âge glorieux du Muet par l'usure des choses. De quoi inquiéter les cinéastes. Le ministère de la Culture n'a qu'un conseil à proposer pour pallier le désastre annoncé : avant que la catastrophe ne soit effective transposer un exemplaire de chaque œuvre en argentique.

    Z2824OSSANG.jpg

    De quoi faire rigoler F. J. Ossang, guerrier émérite de l'argentique et du blanc et noir. La nouvelle ne le porte pas à rire. Malgré le titre qui fait appel à l'insolence de Mercure, c'est plutôt la lourde tristesse de Saturne qui accable Ossang. Se lance dans une sombre méditation sur l'état du monde. Qui va mal. Mais cela vous ne l'ignorez pas. Ce n'est pas le plus grave. Que notre société se casse la figure serait plutôt une bonne nouvelle. Mais le drame réside que ce dérèglement absolu influe sur notre mental. Le monde court à sa perte et la vie de l'artiste dans cette période agonique n'a plus de sens. Ossang reprend la vieille question d'Hölderlin, pourquoi des poëtes en ces temps de détresse, en l'adaptant à sa spécificité de cinéaste. Position critique : la vidéo, le numérique, les réseaux sociaux fournissent chaque jour pléthore d'images insignifiantes, la quantité recouvre les derniers chemins cinématographiques qui tentent de faire sens. Tout s'égalise. L'uniformité individuelle submerge toute tentative de mise en images réflexive. Le livre n'est pas gai. Au travers de courts paragraphes l'auteur fait part de ses difficultés à trouver des financements nécessaires pour son prochain film. Ses créations exigeantes n'attirent point le public. Les circuits de distributions et d'attribution d'avances sont aux mains de petits soldats du libéralisme à l'esprit obtus et tordu, soumis aux rigueurs du profit à court terme. Il y a longtemps que perso j'en ai tiré la conclusion qu'un minimum relatif d'autonomie absolue quant à la diffusion d'une réalisation quelconque est nécessaire. Impérative, sans quoi vous êtes pieds et mains liés, dépendants des autres, la pire chose qui puisse vous arriver. Sinon prenez garde, le soleil noir de la mélancolie vous guette.

    Z2825CONTINENTS CERN2S.png

    Do it yourself. Diy or Dye ! La lucidité ne suffit pas. Les sables marécageux du découragement vous avaleront volontiers. Et ce livre n'y échappe pas. Montée du nihilisme et désespoir. L'on y sent un Ossang désabusé et émoussé. Moment de crise. Effondrement de l'enthousiasme. Malgré le titre, les Dieux ont déserté. Et l'homme d'os friable et de sang séché se souvient qu'il n'est qu'un homme. Quand vous doutez de vos mythologies intérieures, vous avez beau appeler vos écrivains préférés à la rescousse, ils ne se révèlent guère efficaces. Rien ne sert de se vouer à Dieu ou au diable. Faut toujours avoir deux ( et même plusieurs ) sorties à son terrier. Les niches écologiques de survie sont aléatoires. Toujours un plan B dans sa sacoche. En tant que cinéaste F. J. Ossang doit pouvoir nous concocter une telle ligne de fuite. Dégagement et percée. Défixation d'abcès. Pour mieux rebondir dans son propre univers.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 229 : KR'TNT 349 : PETER PERRETT / LED ZEPPELIN / HOBSBAWM JAZZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    LIVRAISON 349

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    23 / 11 / 2017

    PETER PERRETT / LED ZEPPELIN /

    HOBSBAWM JAZZ

    Perrett et le pot au lait

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Il serait illusoire de vouloir entrer dans l’univers de Peter Perrett sans passer par Nina Antonia et son livre-tabernacle, The One & Only qui fut réédité et augmenté en 2015. Comme dans la grande majorité des cas, l’œuvre et la vie de l’artiste sont indissociables. On sait que Peter Perrett aime les drogues, mais on ne sait pas à quel point. On sait qu’il aime les femmes, mais on ne sait pas non plus à quel point. Peter Perrett est l’homme de tous les excès : junk, femmes, fringues, fast cars, rock, antiquités. Il ne fréquente pas n’importe qui. Des gens comme Keith Richards, Johnny Thunders et Nick Kent entrent dans son orbite. Les chansons qu’il compose pour les Only Ones sont à l’image de l’homme : vouées à ce néant fascinant qu’on appelle le dandysme, et par conséquent, les Only Ones valent cent fois mieux que toute cette fucking new wave amputée du cerveau, de la même façon que les chansons de Syd Barrett valent cent fois mieux que celles de ses anciens collègues.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Le livre de Nina Antonia fonctionnerait presque comme un polar, car il y règne une certaine tension. Peter Perrett fut ce que la volaille appelle une grosse poissecaille, c’est-à-dire un gros dealer. Pourquoi travailler quand on peut se faire des montagnes de blé dans le deal ? - L’un des mes amis italiens revint de Bolivie avec un kilo de coke. C’était la première fois, on testait pour voir. On faisait cinquante cinquante, ce qui nous permettait de ré-investir. On avait un seul revendeur et on lui fourguait l’once au prix de 400 livres. On faisait un profit d’environ 700% - Peter raconte que jusqu’en 1975, il ne fumait que du hash. Il avait testé la coke, mais ça ne lui faisait pas assez d’effet. Puis il commença à consommer celle qu’il importait avec les Italiens. Elle était pure à 100% - Quand tu prends beaucoup de coke, tu bois de plus en plus et tu ne dors plus. Je buvais donc comme un trou. Puis je pris de l’héro une fois par mois, puis une fois la semaine - Peter redouble de prudence, mais la brigade des stups le harcèle. Le récit de Nina Antonia fourmille d’incidents policiers, de portes explosées au petit matin, de séances de tribunal et de nuits au trou avec ces fameuses couvertures qui sentent le vomi et qui sont bien sûr destinées à faire craquer les gens qu’on oblige à dormir avec.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    C’est avec le deal qu’il finance son premier groupe, England’s Glory. Il baptise son groupe du nom de marque qui figure sur la boîte d’allumettes qu’il utilise pour allumer ses spliffs. Un petit label anglais réédita l’album dans les années 2000 et bien sûr, Nina Antonia signait le petit livret d’accompagnement. L’intéressant de cette affaire est qu’on voyait déjà apparaître ce qui allait caractériser le style des Only Ones, disons une certaine forme de décadentisme, notamment dans «Flowers Die», un vieux balladif fané qui, comme son nom l’indique, nous parle de dead flowers, un thème déjà bien exploré par les Stones ou encore les Saints. Avec «Weekend», Peter se rapprochait nettement de Lou Reed. On y entendait les accords de «Rock’n’Roll». Le cut ployait sous le poids des influences. «Shattered Illusions» se montrait digne des Only Ones à venir, poppy, baroque, inusité. On avait là un petit objet de curiosité finement travaillé, sans autre originalité que celle de sa propre existence. Avec «All In White», on entrait dans la décadence, le decaying side of it all chargé de toute la quintessence de fourrure mitée, de mascara périmé et de foulards en soie aux couleurs passées. Par contre, avec «In Betweens», on voyait que ça tournait un peu en rond et que ça puait la vieille ficelle de caleçon. Il fallait attendre «So Divine» pour frémir une dernière fois. Peter Pan et ses amis repompaient goulûment les accords du rigoletto nocturne de «Walk On The Wild Side», trempant leur doom de street urchin et de Jack the Lad dans une sauce indienne.

    Pour entériner l’affaire, Nina Antonia cite Timothy Leary : «Trois catégories de gens vont amener une profonde transformation dans le new age. They are the dope dealers, the rock musicians and the Underground artists and writers.» Amusée par cet éclairage prophétique, Nina ajoute : Avec Peter, on en a deux pour le prix d’un.

    C’est encore avec le deal que Peter finance le lancement des Only Ones dont personne ne veut à l’époque. Ils sont inclassables et donc invendables. Peter vient de rencontrer John Perry, Alan Mair et surtout Mike Kellie. Alan Mair ne touche pas à la dope, mais John Perry adore ça - La première année, je fréquentais Peter assidûment. We just got phenomenally stoned. The main activity at that point was coke - Ce groupe se présente comme une sorte de crème de la crème. Vu que l’argent coule à flots, Peter peut financer les heures de studio et le matériel. À cette époque, Peter dit adorer Dylan et le Velvet - Probably three quarters of the music I listened to was American - Et au plan personnel, il partage sa vie entre plusieurs muses : l’héro, Zena, Lucinda et les copines de Lucinda - Il roula un billet de cent dollars, sniffa une ligne de poudre blanche puis une ligne de poudre brune. Les lèvres de Lucinda suçaient son pénis et la langue de Jill explorait son anus. Jill qui était l’amie de Lucinda était aussi son cadeau d’anniversaire.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    La femme de sa vie s’appelle Zena, issue d’une famille d’immigré grecs. Mais Peter aime aussi les autres femmes, et comme le lui dira plus tard Johnny Thunders, il a beaucoup de chance d’avoir rencontré Zena. Elle reste quarante ans avec lui, ça veut dire qu’elle partage les énormes risques du deal. Elle lui donne aussi deux fils, Peter Junior et Jamie, et quand les Services Sociaux britanniques lui retirent le deuxième, elle sombre elle aussi dans l’héro. Dans cette ambiance de chaos permanent, elle réussit à manager les Only Ones et dessine des fringues que copie Vivienne Westwood. Vivienne et Malcolm apprécient les «risqué designs» de Zena. Elle essaie de vendre Peter à McLaren qui cherche à monter un groupe à sensation, des «raunchy Bay City Rollers» - He wanted the Rollers, but he still wanted someone debauched looking like the New Yok Dolls, but not fucked up on drugs - Mais Peter se méfie du côté manipulateur de McLaren.

    Zena pourrait bien être le personnage central de cette wild saga, car c’est elle qui rend tout possible en acceptant l’extravagance de Peter. Cette forme d’acceptation est un modèle du genre, celui dont rêvent tous les hommes qui n’ont pas la chance de côtoyer une telle femme - Si tu aimes quelqu’un, tu ne l’obliges pas à devenir ce que tu veux qu’il devienne. Peter ne m’appartient pas. Il me disait ceci : ‘Ce n’est pas que je ne t’aime pas, au contraire, je t’aime, mais j’aime aussi une autre femme.’ Il me disait aussi qu’il aimait passer du temps avec d’autres filles. Qui étais-je pour prétendre que j’étais la seule à pouvoir le satisfaire ? Ça venait peut-être de mon éducation, mais je ne voyais rien de mal à penser qu’on pouvait aimer quelqu’un d’autre. J’étais amoureuse de Peter, mais je faisais semblant de ne pas l’être. Je ne voyais pas comment faire autrement - Une prodigieuse intelligence filtre à travers cette confession. Zena retourne le principe d’amoralité comme une peau de lapin pour en faire un précepte d’une rare puissance. Il porte un nom : la générosité.

    Danny Eccleston rend aussi hommage à Zena (qu’il appelle Xena) à sa façon : «Peter Perrett is friendly, funny, frank and guileless, but it’s his fears for Xena that make your heart most go out to him. He owes her everything.» (Peter est chaleureux, drôle, franc et naïf, mais c’est sa façon de se préoccuper de Zena qui le rend attachant. Il lui doit absolument tout).

    La première fois qu’il prend de l’héro, c’est avec Lucinda - It was the best feeling in the world. We were like naughty kids together. Zena allait se coucher et on restait au salon - C’est l’époque où ils font ménage à trois - La première fois que tu prends de l’héro, ça rend le sexe mille fois meilleur et tu crois devenir très émotionnel - Peter ne se pique pas. Il chasse le dragon, c’est-à-dire qu’il inhale la fumée d’héro qu’il chauffe sur un papier alu - J’ai toujours fait les choses à l’extrême. The way I approached drugs was by taking as much as I possibly could - si je prenais des drogues c’était à l’excès. Quand tu fumes l’héro, tu mets un quart de gramme sur un papier alu et ça met 10 à 15 minutes à monter. C’est plus lent qu’un shoot, mais on overdose plus facilement avec un shoot - Mais il finit par se piquer lors d’une tournée américaine. Une fille l’embarque chez elle à Atlanta pour un shoot et Peter chope une hépatite. Mais Peter étant Peter, ses pairs lui reconnaissent des qualités, par exemple Nick Kent : «As a drug addict, Peter was a really nice guy and that’s very rare.»

    Plus tard, Johnny emmène Peter dans le Lower East Side pour lui montrer ce qu’est le deal on wheels - Très peu de taxis acceptaient d’aller dans ce coin. Ceux qui acceptaient savaient pourquoi tu t’y rendais. Le taxi ralentissait, mais ne s’arrêtait pas, car c’était trop dangereux. Alors, des mecs arrivaient, ils couraient à côté du taxi, ils te montraient ce qu’ils avaient, et dès que tu avais filé le blé, le taxi repartait en trombe - Dans l’interview qu’on trouve à la fin du livre de Nina, Peter retrace nonchalamment son parcours : «Dans ma vie, j’ai eu 100% de réussite dans tout ce que j’ai entrepris. J’ai réussi dans le rock, et quand j’ai arrêté le rock et que je suis devenu un vrai drug addict, j’ai aussi réussi. J’ai toujours eu les meilleures drogues, je n’en ai jamais manqué, j’ai toujours été très organisé, je n’étais pas obligé d’aller chercher des doses dans la rue. I was a very privileged junkie.»

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    C’est Zena qui négocie le contrat des Only Ones avec CBS : 70,000 livres, avec 250,000 livres à venir pour dix albums. Sur le premier album des Only Ones, on trouvera une belle énormité : «The Beast». Monté sur un joli groove envoûtant, le cut s’emplit de son et lâche des vagues de pop ondoyante. C’est même joué jusqu’à la dernière goutte de son. Les Only Ones vont faire de ce genre de final éblouissant une vraie spécialité. L’autre gros cut de l’album s’appelle «City Of Fun», Mike Kellie y retrouve ses marques et muscle bien le beat. Mais les autres cuts de l’album sont très particuliers, on sent une tendance à la pop sophistiquée, une sorte de dandysme underground. Avec «Creature Of Doom», ils vont plus sur l’épique, mais c’est trop théâtral et trop valorisé par les excès de langage. Trop de mélange de genres et on finit par y perdre son latin. Un cut comme «Language Problem» semble âprement combattu, arraché de force à l’inertie, oui, ils font une sorte de pop informelle et peu décidée à en découdre. Dans Sounds, un journaliste compare Peter à Syd Barrett et à Kevin Ayers - Both parties write almost narrative lyrics that don’t follow the conventionally accepted styles.

    Malgré le contrat mirobolant, les Only Ones ne roulent pas sur l’or. Mike Kellie est habitué à la dèche - La seule indépendance économique qu’on avait était celle qu’on ramenait avec nous. Je n’ai rien récupéré de Spooky Tooth and never had two pennies to rub together - Mike explique qu’il ont touché 500 livres chacun. Le reste du blé est parti dans l’équipement. Comme il n’a pas une thune, Mike vit chez à l’époque chez les Perrett. «Je croyais dans ce groupe. Je ne pleure pas sur mon sort, mais je me souviens d’avoir vécu cette histoire comme une frustration. It wasn’t terribly fair, but life isn’t fair. You want fairness, go to hell. If you want justice, become a Christian.»

    On a jamais compris ce que venaient faire les Only Ones dans la vague punk de Londres. John Perry poussait la logique encore plus loin : il trouvait que l’anachronisme, c’était le punk-rock et non les Only Ones - We are a perfect expression of late ‘70 English rocn’n’roll and it was punk that was the oddity.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Even Serpents Shine sort un an plus tard et s’ouvre sur un cut purement wildien, «From Here To Eternity». Peter Perrett s’y livre à son exercice favori, celui d’une délicieuse déliquescence vocale. Puis il passe à la petite pop allègre avec «Flaming Torch» et tout le reste de l’A s’enfonce dans le non-événement. Le groupe se réveille en B avec l’excellent «Curtains For You», groove psychédélique dans la veine du «Cowboy Movie» de Croz. En ramenant son talent de batteur dans les Only Ones, Mike Kellie fait bien le lien entre les sixties et les seventies. Il appartient à la génération des Knox et des Chris Spedding qui ont su mettre un peu de plomb dans la cervelle du mouvement punk. Et dans «Someone Who Cares», Peter Perrett sonne comme un Lou Reed alangui. Selon Nina, cet album «has a certain baroque feel in common with the Doors at their most mesmerizing.» Quel drôle de compliment ! Pour Mike Kellie, l’album est un mélange de satisfaction et de déception. Selon lui, la pochette fut un cauchemar pour la maison de disques - A marketing man’s nightmare !

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Et puis voilà le troisième et dernier album studio des Only Ones : Baby’s Got A Gun. Ils attaquent avec «The Happy Pilgrim» qui sonnerait presque comme une rumba, tellement le beat se veux joyeux et enlevé. Ils tapent dans le Diddley beat pour «Me And My Shadow». C’est de bonne guerre, après tout. On a encore de la petite pop indicatrice des penchants des Only Ones avec «Strange Mouth». Ils cherchent tellement à sophistiquer qu’ils en oublient de sceller le destin des chansons. On ne peut pas courir deux lièvres à la fois. Il semble que le laid-back soit leur vrai terrain de chasse, car «The Big Sleep» éclate au grand jour, plein de décadence mortifère. En B, on tombe sur une petite merveille intitulée «Re-Union», dotée du meilleur son psyché et joliment martelée par Mike Kellie. Le heavy doom leur sied à merveille. En matière de laid-back, ils frisent la perfection. On a là le meilleur cut des Only Ones, léger et délié, joué avec un âcre raffinement. Par contre, «My Way Out Of Here» sonne comme du Buddy Holly. Mike Kellie bat ça à la petite cavalcade d’Hopalong dans les vastes plaines du Far-West. Ils sont marrants, à vouloir faire du Buddy Holly. Mais globalement, l’album manque de punch. Alan Mair : «Je pense que les chansons de Peter devenaient trop druggy. Elles étaient trop lentes, just too drug oriented.» Comme le rappelle si bien Nina, il faut bien dire que le riche mélange de séduction, de destruction et d’addiction que proposaient les Only Ones ne pouvait pas cadrer avec les aspirations superficielles du public des années quatre-vingt. Dans la presse, on se moquait de Peter : «The last survivor of the make-up and fake leopard skin wars.»

    Alan Mair finit par ne plus pouvoir supporter le ballet funeste de Peter. Le groupe débarque à Amsterdam pour une tournée et plutôt que de préparer le concert, Peter et John Perry disparaissent pour aller faire leurs courses. Alan prévient que si Peter continue de monter sur scène complètement défoncé, il va quitter le groupe - He had been a magical bloke but that aura had gone - Pourtant, Peter tente de réagir : «Je n’aime pas que les gens nous fassent passer pour un groupe de drogués. Ça ne plait pas à ma mère. Elle m’inspecte les bras. C’est aussi très mauvais pour Alan qui ne boit même pas. Ce serait terrible qu’on se retrouve affublés de la réputation de Keith Richards, une réputation de junkie célèbre.» Mais comme l’ajoute Nina, c’est déjà trop tard.

    Les Only Ones se séparent à l’issue de leur deuxième tournée américaine. Dans le show-business, on s’est bien moqué d’eux : pendant des années, dans les séminaires, les gens de CBS citaient les Only Ones as an exemple of how no to make it in the music industry - L’art de rater une carrière. Danny Eccleston en rajoute une couche : «The band who rewrote the rules on how not to get ahead in the music business, and a singer who earned more money selling drugs than making records.»

    Pour leur quatrième album, les Only Ones avaient proposé à CBS un album de covers : «My Way Of Giving» des Small Faces (qu’on retrouve sur Remains), «Mamma You’ve Been On My Mind» de Dylan, «Gantanamera», «You Can’t Hurry Love» des Supremes, et «The Girl From Ipanema» d’Antonio Carlos Jobim. Dommage.

    John Perry revient longuement sur la personnalité de Peter : «Dans son genre, Peter était un mec unique. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à bosser avec lui. De toute évidence, sa voix n’allait pas plaire à tout le monde. It was a specialist taste. Tout en lui était unique : son look, le son de sa voix et les chansons qu’il écrivait.» Pour mieux situer le personnage de Peter, Nina cite Edmund White : «Le dandy remplace les traditionnelles hiérarchies de valeurs morales par des règles esthétiques qui lui sont propres.» John Perry voit chez Peter un mélange désarmant de timidité et de candeur, il voit aussi un esprit très calculateur contrebalancé par une extraordinaire naïveté - You have to look in terms of paradoxes. Mais la meilleure définition du dandysme, qui d’autre qu’un dandy comme Peter Perrett pourrait la donner : «I like to stand out, so I was fortunate at that time (1977). I like not fitting in - That’s what gives me great pleasure.» (J’aime me distinguer des autres. À cette époque (1977), j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir le faire. Me distinguer des autres est ce qui me donne du plaisir).

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Et pour corser encore un peu le chapitre charme discret, Peter ne fréquente pas n’importe qui. Nick Kent confie que Johnny Thunders voulait Peter comme guitariste dans son groupe - Can you imagine ? For him to abnegate his ego to that point, which shows you how much Johnny respected Peter - Oh c’est vrai, l’admiration que portait Johnny à Peter surpassait celle qu’il avait pour lui-même. Ça montre à quel point il le respectait. Peter joua dans The Living Dead, mais ce n’était pas un groupe très officiel. Et Nick Kent ajoute : «They were a good pair, but Johnny let the lifestyle corrupt him, whereas Peter didn’t. Je ne l’ai jamais vu tenter d’arnaquer quiconque, mais la dope commençait à le ralentir.» Nick Kent raconte qu’il est allé en studio avec Peter au temps des Subterraneans. Il y avait aussi Mike Kellie et Tony James de Gen X. On trouve ça sur le fameux Punk From The Underground édité par Skydog. L’amitié de Peter et de Johnny remonte au temps des Heartbreakers, évidemment. Les Only Ones et les Heartbreakers n’avaient rien de commun avec la vague punk. Comme les Stones et les Who, les Only Ones et les Heartbreakers avaient un sens des dynamiques de r&b que n’ont jamais eu les groupes de punk-rock. Leur relation d’amitié reposait sur un goût commun pour la dope, bien sûr, mais aussi sur un «mutual level of respect, attraction and affection that was unusual for either of them.» Et ce n’est pas un hasard si Peter et Mike Kellie se retrouvent sur So Alone, le premier album solo de Johnny.

    Tiens puisqu’on parle des Stones et des Who : les Only Ones seront invités à jouer en première partie des Who sur une tournée américaine, mais comme Daltrey ne peut pas les schmoquer, ils sont virés après cinq soirées au LA Sports Arena, «for failing to bond with the main band.» Quant à Keef, c’est une autre histoire. Il se disait intéressé par les Only Ones et voulait les produire - Keef was too stoned to roll. With his heavy lidded eyes, ruined teeth and Eucharist pallor, Richards had become the patron saint of white, middle-class junkies - Les Only Ones allèrent le rencontrer dans la maison qu’il louait à Donald Suntherland sur Old Church Street, à Chelsea - It was just before the Toronto bust and he was in the depth of his addiction. There was a great deal of fog to penetrate - Le projet échoua justement grâce au Toronto bust.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Pas mal de belles choses sur Remains paru en 1984, à commencer par la fameuse reprise des Small Faces, «My Way Of Giving». Idéal pour une rock star aussi anglaise que Peter Perrett. On a aussi «Flower Die» qui date d’England’s Glory, un cut salement atmosphérique, sans doute l’une de leurs meilleures exactions, et Mike Kellie double en fin de cut, alors ça décolle merveilleusement, d’autant que John Perry devient loquace. On a aussi un final flamboyant dans «My Rejection». Ces gens-là savent exploser une fin de cut, et c’est là où la présence d’un vétéran de toutes les guerres comme Mike Kellie se révèle déterminante.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Curieusement, c’est sur les albums live comme The Big Sleep enregistré en 1980, ou encore les Peel Sessions, que les Only Ones deviennent géniaux. The Big Sleep est un album absolument extraordinaire, bourré de son et de dynamiques jusque-là inconnues. «As My Wife Says» sonne tout de suite comme un classique de pop anglaise, bien claqué aux accords clairs de John Perry. En fait c’est lui, John Perry, qui fait le son du groupe, avec sa manie de faire tournoyer le son. L’«Oh Lucinda» live n’a plus rien à voir avec celui de l’album studio, c’est même le jour et la nuit, car claqué d’intro aux accords de Stonesy et bien emmené, bien dynamique et fruité à l’excès, même si Peter Perrett chante avec de la mélasse plein la bouche. Même chose avec «Language Problem», toxique et trituré par John Perry et Mike Kellie multiplie les effets de style. Sur l’album, tout est très joué, très enlevé, très touffu, très chanté. On a cette impression de densité qui n’existe pas sur leurs trois premiers albums. C’est encore plus frappant avec «The Beast», chef-d’œuvre de pop décadente et sacrément latente. C’est extraordinairement ambiancier, aux limites de l’imparable. Même l’«Another Girl» qui suit n’a rien à voir avec la version originale, tellement c’est joué vite, avec un punch terrible. Sur scène, ce groupe devient un véritable buisson ardent. C’est dingue ce qu’ils sont bons ! Ils tapent chaque fois un final éblouissant. Extraordinaire «City Of Fun», joué à l’énergie concomitante, Mike Kellie s’en donne enfin à cœur joie, il tape dans tous les coins. Tout le jus des Only Ones est là.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Si on aime bien les Only Ones, il faut aussi écouter Darkness & Light, la compile des BBC sessions. C’est l’un des disques qu’on emmènera sur l’île déserte, avec The Big Sleep. Quasiment tous les cuts sonnent comme des énormités cavalantes et bien sûr, toute la décadence du rock anglais rapplique au rendez-vous. On tombe très vite sur une version d’«Another Girl Another Planet» claquée au riff salace par ce dingue de John Perry. Même chose avec «The Beast» : on sent ramper le souffle nauséeux dès l’intro. C’est aussi profond et jouissif qu’un hit des Doors. Les Only Ones flirtent avec la démence. On a là l’apocalyptic side of it all, avec un final démentoïde. Voilà les Only Ones qu’il faut écouter. «Langage Problem» déborde aussi d’énergie, ils jouent ça à fond de train, emmenés par Mike la loco, ce Kellie killer de beurre. Tout aussi incroyablement tonique, voici «Miles From Nowhere», surchargé de basslines cavaleuses, chanté à la junky motion et pulsé par ce dingue de Mike Kellie. On a là l’une des meilleures équipes de popsters d’Angleterre. Ce groupe maîtrisait l’art des dynamiques fulgurantes et curieusement, on ne les retrouve sur aucun des trois albums studio. John Perry amène «From Here To Enternity» au pinacle, et ça continue comme ça avec «Prisoners», véritable slab de good time music à l’Anglaise, mais là, ça prend des couleurs et du volume ! Quelle incroyable vitalité du son, my son. John Perry boucle tous les cuts à coups de violentes dégelées impavides. Dans «The Happy Pilgrim», on l’entend mettre en valeur le chant accidenté de Peter Pan. Et Mike Kellie se bat comme un dieu affûté. Tout dégouline de jus et de son. On plonge à la suite dans «The Big Sleep» infesté de requins, avec un Perry qui bien sûr part en vrille. Le seul conseil qu’on puisse vous donner à ce stade d’effusion est d’écouter «Why Don’t You Kill Yourself». Ils y explosent le carabinage. C’est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Ce diable d’Alan Mair fait des prodiges sur son manche de basse. Alors bien sûr, on retrouve plusieurs fois les mêmes cuts, car les sessions se succèdent les unes aux autres, mais à aucun moment on ne décroche, car dès le retour de «The Beast», on sent l’embardée, on sent l’aura de l’empereur romain, on sent la fin de règne et l’écroulement des illusions. On ne trouvera jamais ça ailleurs. Tiens, encore un coup d’Another Girl, histoire que vérifier que cette jungle sonique est toujours aussi épaisse. Alan Mair charbonne comme un dingue sur sa basse et Mike Kellie tape dans tous les coins. Il aurait fallu les enfermer, à l’époque. On a aussi un «She Says» complètement explosé du cortex. Enfin bref, ce double album est une nécessité. John Perry : «I particularly like the Peel Sessions because they reveal what the band was best at, which was playing more or less live. They were very concise, ordered sessions, recorded in an afternoon and mixed in an evening.» Nina Antonia parle de «far greater depth of emotion both vocally and musically», et même de «much more of a Perrett melodrama, complete with pushy bass runs, knock-out drums and crackling guitars.»

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    En 1996, Peter Perrett enregistrait un excellent album solo, Woke Up Sticky. On avait avec le morceau titre un merveilleux spécimen de Beautiful Song, un chef-d’œuvre mélodique qui tombait comme une bruine de lumière sur la terre. Il enchaînait avec «Nothing Worth Doing», une fantastique explosion de power-pop balayée par des vents de guitares. Aucun cut des Only Ones n’avait jamais sonné comme ça. Il poussait encore le bouchon de l’excellence avec «Falling», une sorte de descente aux enfers de la pop. Peter Pan peut devenir monstrueux si on lui donne de bonnes chansons. C’est ici le cas. Il semblait qu’avec cet album, il atteignait enfin les cimes. Il avait derrière lui un fabuleux guitariste nommé Jay Price. Il tapait aussi dans les Kinks avec «I’m Not Like Everybody Else», d’une façon tellement impeccable qu’on avait l’impression que Ray Davies avait écrit ce hit spécialement pour lui. Derrière, un bassmatic nommé Richard Vernon jouait à l’outrance de la prestance. Il nous pulsait ça au bottom line et Peter Pan réanimait la magie des sixties. On s’affolait d’entendre un disque de rock anglais aussi parfait, car tout y était : la classe, la stature, l’allure, le port et le maintien. Et ça continuait avec «Sirens», joué à l’excellence du gospel according to Peter. On avait là un cut solide, bardé de dynamiques jugulaires nappées en couches superposées, oui, un cut chargé de son et d’élan à ras la gueule du mousqueton. Oh et puis, il fallait aussi écouter attentivement «Land Of The Free». Peter y jouait le Dominatrix kinda thing, avec une décadence qui suintait par tous les pores d’attache de sa légende. Il psalmoldiait dans la pénombre, les yeux couverts de khôl.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Quand Danny Eccleston rencontre Peter Perrett pour parler du nouvel album, il lui demande sur quoi portent les chansons et Peter lui répond en souriant : «Mostly about death». Et il ajoute : «Seriously, the one thing that is new on the horizon is the proximity of mortality. When I was young, I was indestructible. Now I think about what it would be if my wife died.»

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Et pouf, son nouvel album solo vient de paraître. Il s’appelle How The West Was Won et vaut son pesant d’or. Peter Pan l’attaque avec le morceau titre, une sorte de groovy cut à la Lou Reed et refait l’histoire du Far West avec les Indiens et les Mexicains qui en prennent plein la gueule, qui feel the rope, the blade, the gatling, puis c’est au tour des buffalos de passer à la casserole. Tout au long de cette infernale diatribe, Peter soigne son style de dandy décati. Avec «An Epic Story», il propose tout simplement une Beautiful Song, c’est-à-dire un grand balladif élancé. C’est sûr Sam, c’est un smash - It’s too late for repentance of sin/ Don’t worry babe - et il lance son message fatal - I’ll always be your man/ No one could love me the way you can/ If I could live my whole life again/ I’d choose you every time - Cette façon qu’il a de tartiner son every taïme ! Eh bien, avec «An Epic Story», on se retrouve une fois de plus gros Jean comme devant avec un hit planétaire sur les bras. C’est aussi beau et puissant que «L’Inaccessible Étoile» de Jacques Brel - Aimer jusqu’à la déchrirrrrure/ Aimer même bien même mal - ou «L’Hymne À L’Amour» d’Edith Piaf - Que m’importe si tu m’aimes/ Je me fous du monde entier - Peter ajoute : «Quand tu es avec quelqu’un, tu peux rire de tout et même des choses les plus cruelles de la vie. Le monde fait très peur, mais quand on est deux, c’est moins dur. Comme le dit Dylan dans Brownsville Girl, Strange how people who suffer together have stronger connections than people who are most content.» Il revient à la femme de sa vie dans «Troika» - I’ll always be a part of you - Si on veut savoir à quoi ressemble le romantisme à l’Anglaise, c’est là. Love is the drug. Mais la B est encore plus spectaculaire, car «Man Of Extremes» est un véritable coup de génie. On a là une belle pop d’action directe immédiatement accessible, classique en diable, ultra chantée, mais la distanciation du dandy - It’s a sick so-caï-ty/ Thre is no place left to hide to be free - Franchement, c’est digne du Dylan de 1966. Et ça continue avec «Sweet Endavour», une pop typique des Only Ones, très épique et secouée de belles dynamiques internes. Il nous fait ensuite la grâce de chanter un balladif intitulé «C-Voyeurger». Cet indubitable romantique n’en finit plus de bercer nos cœurs de langueurs monotones - Can’t live without the girl I love/ There’s no point living in this world when she’s gone - Et ça repart de plus belle avec «Something In My Brain», fantastique groove perrettien amené sous le boisseau - Now rock and roll is back in me/ Oh yeah - et il en profite pour glisser des petites insinuations autobiographiques : il se compare à un rat de laboratoire qui préfère le crack à la vie - He could choose life/ Or he could choose crack - Cet album fantastique se termine avec «Take Me Home», joué aux grandes eaux de la power-pop - I wish I could daïe in a hail of bullets some taïme - Avec sa diction dépravée, Peter Perrett restera l’un des plus grands chanteurs d’Angleterre. Danny Eccleston confirme tout ça à sa manière : «The headline news : Peter Perrett is back from the dead and has made an album that’s worthy of his legend.»

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Dans Uncut, Alastair McKay dit à Peter que son nouvel album ne sonne pas comme un discours d’adieu et Peter confirme. C’est pour lui la possibilité de faire de la musique, which not many people of my age are privileged enough to expérience. Et quand McKay lui demande si c’était facile de retrouver la santé, Peter lui répond que ça revenait juste à prendre une décision - But once I make a decision, I find it very easy. Et il ajoute que lors d’un séjour récent à Berlin, il avait commandé une bière sans alcool, and my tolerance is so low, I got drunk on that. That shows how clean I am. Peter appelle son humour the gallows humour (If you’re on the gallows and the trap door is about to open then your best friend is gallows humour - c’est-à-dire l’humour du pendu, quand on a la corde au cou et que la trappe sous les pieds va s’ouvrir).

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Il fut un temps où on ramassait encore les DVD. Le concert filmé à Shepherds Bush en 2007 valait vraiment le détour, car on y voyait apparaître un Peter Perrett arbitre des élégances, lunettes noires, grand manteau d’épouvantail, chemise à motif floral et pantalon flottant. Il attaquait un drôle de set d’une voix perçante au timbre frelaté - I’m always in the wrong place/ In the wrong time - John Perry y jouait sa dentelle et Alan Mair labourait les terres en profondeur. Ils reprenaient le «Flowers Die» qui date du temps d’England’s Glory, sur les accords de «Wild Horses». La dynamique des Only Ones se mettait alors en route et ils concluaient sur un final éblouissant. Ce concert filmé permettait de confirmer cette vieille théorie : sur scène, les Only Ones avaient le génie pop-rocky des dynamiques internes et externes. Peter enlevait son manteau et annonçait : «This is a new song, it’s called Dreamt She Could Fly». Bien sûr, le set souffrait de certaines longueurs, comme d’ailleurs les albums studio, certains cuts semblaient traîner en longueur, mais John Perry n’en finissait plus de les enluminer. Il était intéressant de noter que Peter Perrett avait alors exactement la même morphologie que Keith Richards, avec un visage taillé à la serpe, construit comme un dégradé de frange puis de nez en surplomb d’un menton sec, et ses joues étaient celles d’un crâne de catacombe. On reconnaissait le gratté d’accords d’Another Girl dès l’intro et John Perry l’ornait de son vieux phrasé glorieux. Et tout le Shepherds Bush Empire dansait. «The Beast» sonnait aussi comme au bon vieux temps, avec ses fantastiques descentes dans les soutes du blues-rock de facture classique et John Perry piquait une merveilleuse crise de solotage. Rien qu’avec ça, on pouvait considérer les Only Ones comme des Beasts de finitude, ils explosaient leur vieux boogie à la cantonade, ils montaient ça en grosse apothéose shepherdienne de Bush bash. On sentait bien sûr le puissant Spooky Tooth derrière tout ça. Eh oui, Killer Kellie n’est pas né de la dernière pluie ! On voyait même Peter gratter comme un con, il fouettait sa pauvre Télé comme s’il se fût agi du cul rebondi de Justine dans Les Infortunes De La Vertu.

    En guise d’exergue à l’épilogue du livre, Peter déclare : «Don’t believe everything you read - ne croyez pas tout ce que vous lisez.» Et il s’en explique ainsi : «À l’âge de 24 ans, je pris la décision de ne plus lire. Je voulais que toutes mes idées soient les miennes.»

    Et quand il aborde le chapitre Mike Kellie qui vient de mourir, Peter n’y va pas par quatre chemins : «Kellie was the one person who you didn’t expect to die. He used to walk up mountains and stuff, he’d go hiking.»

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Aujourd’hui, le problème de Peter est de pouvoir respirer, comme il le confie à Hugh Gurland : «I used to smoke thirty or forty joints a day and skunk tends to be quite strong. I was still pretty useless up until I stopped smoking cigarettes and joints, which was April 8th 2011(...) I try and make the best use of my lungs that I possibly can.» Alors forcément, quand on se rend au Point Éphémère pour assister à son concert, on s’attend à le voir diminué, comme ce fut le cas pour Johnny Winter qui ne tenait plus debout, ou Andre Williams qui peinait à retrouver du souffle au deuxième cut. Va-t-il chanter assis dans une chaise roulante, avec un masque à oxygène ?

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    En réalité, cet enfoiré se porte comme un charme. Il arrive sur scène serré dans un petit costard à rayures. Il porte beau, lunettes noires, le cheveu brun et un beau sourire cadavérique aux lèvres. Il passe la bandoulière de sa Strato noire et hop, c’est parti pour une heure trente de show incroyablement intensif. Franchement c’est à ne pas croire, de voir ce mec qui se disait mourant mener le bal comme il le fit voici quarante ans. Sans même transpirer, ou si peu. Et avec une classe qui laisse rêveur. On n’avait pas revu ça depuis Ronnie Lane. Très peu de gens se pointent sur scène avec autant de grâce rock’n’roll. Il est l’une des plus brillantes incarnations du dandysme rock. Le moindre geste est une merveille d’élégance, sa voix est intacte et les chansons parfaites. Il tape dans tout et les cuts du dernier album tapent dans le mille, surtout «Something In My Brain» qui fait pas mal de ravages dans les imaginaires des fans agglutinés au pied de la petite scène. «How The West Was Won» passe comme une lettre à la poste et sa diction est telle qu’on refait l’histoire en direct avec lui. Il tire aussi «Living In My Head», «C Voyeurger» et «Take Me Home» du dernier album.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Sur scène, les nouveaux cuts prennent un relief particulier. Son fils Jamie joue lead et deux petites poules ramènent du Yin dans le Yan perettien. Il tape dans «The Big Sleep» et même l’excellent «Woke Up Stick». Il faut toute une vie de rock pour produire un phénomène aussi spectaculaire que Peter Perrett. C’est en le voyant qu’on comprend que tous les excès mènent à Rome. Ça va si loin qu’on ne peut même pas le plaindre, puisqu’il n’est même pas abîmé. Il enterre déjà tous les vieux punks qui vieillissent si mal.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Quand arrive le riff d’intro d’Another Girl lors du premier rappel, le public explose, c’est de bonne guerre. Pour entendre cette exaltante merveille qu’est «Troika», il faut attendre le second rappel, et là, franchement, on se sent au bord des larmes, car Peter pulvérise absolument tous les records de grandiloquence sentimentale classieuse. C’est là qu’on prend l’I’ll always be a part of you en pleine gueule, c’est encore autre chose que d’écouter un disque à la maison. Voilà sa force, voilà sa grandeur, voilà sa vraie nature. Sur scène, cet homme revenu de tout a l’air vraiment heureux. Il ne parvient même plus à maîtriser son sourire.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Signé : Cazengler, Only Âne

    Peter Perrett. Le Point Éphémère. Paris Xe. 14 novembre 2017

    England’s Glory. The First And Last. Diesel Motor Records 2005

    Only Ones. The Only Ones. CBS 1978

    Only Ones. Even Serpents Shine. CBS 1979

    Only Ones. Baby’s Got A Gun. CBS 1980

    Only Ones. Remains. Closer Records 1984

    Only Ones. The Big Sleep. Live In Europe 1980. Jungle Records 1993

    Only Ones. Darkness & Light. The Complete BBC Recordings. BBC 1996

    Peter Perrett. Woke Up Sticky. Demon Records 1996

    Peter Perrett. How The West Was Won. Domino 2017

    Nina Antonia. The One & Only Peter Perret, Homme Fatale. Thin Man Press 2015

    Danny Eccleston : Ballad Of A Thin Man. Mojo #284 - July 2017

    Hugh Gulland : Once Upon A Time In The West. Vive le Rock #46 - 2017

    Alastair McKay : How The West Was Won. Uncut #243 - August 2017

    Only Ones. Live At Shepherds Bush - 9th June 2007. DVD 2008

     

    CABALA

    LED ZEPPELIN OCCULTE

    PACÔME THIELLEMENT

    ( HOËBEKE / Octobre 2009 )

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Dès sa préface Philippe Manoeuvre vous invite à poser vos grosses valises rock'n'roll dans le vestibule. Oui John Bonham savait vous battre les oeufs en neige mieux que quiconque, OK John Paul Jones était un arrangeur hors-norme, yes Jimmy Page était un sacré guitaro, ya Robert Plant savait feuler comme un puma agonisant, mais il ne s'agit pas de cet aspect-là des choses dont il est traité en cet opus. Le Cat Zengler le rappelait la semaine dernière dans sa chronique sur les Stooges, que pour être une espèce de showman un tantinet destroy l'Iguane, déjà à cette époque, n'était pas un abruti. L'était pourvu d'intelligence et de flair. Savait où il allait et ne partait pas à la conquête du monde avec la tête creuse.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Tout le monde n'est pas Sid Vicious. Encore qu'être Sid Vicious n'est pas donné à tout le monde. L'est un principe de base qui préside à l'écriture de ce livre, les gars qui ont fomenté le projet Led Zeppelin ne se sont pas lancés à l'aventure les yeux fermé. De fabuleux musiciens certes – ça aide – mais la tête pleine d'idées, même si c'est avec des instruments que l'on fait de la musique. Pacôme Thiellement part du principe que les membres de Led Zeppelin ne manquaient pas de culture. Culture rock, cela va sans dire, la liste de tous ceux qu'ils ont pillés dans le blues trahit une compétence acérée. Mais aussi, tout un acquis de connaissances, de lectures, d'observations et de réflexions diverses qui ont orienté leurs choix autant stratégiques que philosophiques. Les interviewes de Jimmy Page et de Robert Plant ne laissent planer aucun doute quant à cela. Même si à partir d'un certain point d'investigation par trop précise, ils éludent les questions et bottent rapidement en touche...

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Vu de l'extérieur Zeppelin était une grosse machine à cash. Ramassait les liasses de billets par ballots. Mais le groupe ne mégotait pas sur la quantité et la qualité. Concerts extraordinaires, enregistrements historiaux. Une pompe à phynances qui aurait ravi le Père Ubu. Toutefois ce sont vos ennemis qui révèlent le mieux vos points faibles. Portent toujours l'attaque, là où ça fait le plus mal. Très vite pour le Led, les campagnes de déstabilisation n'ont pas manqué. Le sexe – n'avaient pas fait vœu de chasteté – les drogues – y ont succombé sans se cacher – et le rock'n'roll – particulièrement tonitruant, clinquant et déchiré chez eux, s'en vantaient, en étaient particulièrement fiers. Petite bière que tout cela, autant reprocher à un alcoolique de boire de l'alcool. S'ils s'étaient contentés de ces trois vices rédhibitoires, on leur aurait presque pardonné. Mais non, z'étaient comme Socrate, mais en pire, corrompaient la jeunesse, ébranlaient l'édifice moral de la société, mais aggravaient leur cas, attention lecteurs kr'tnteurs, retenez votre souffle – les ligues de vertu sont toutes d'accord sur ce point : z'étaient z'avant tout des zuppôts de Zatan ! L'on s'en inquiéta publiquement jusque dans les plus hautes sphères de la Maison Blanche. Arrêtez vos rires gras et de vous taper sur les cuisses. La vérité c'est que c'est la vérité vraie. Et Pacôme Thiellement prend à cœur de nous l'expliquer de long en large. Avec tout de même ce bémol d'importance, c'est que la vérité tout comme le mensonge possède plusieurs facettes, plus ou moins attrayantes, à tel point d'ailleurs qu'il peut vous arriver de les confondre...

    CIA. Non, ce n'est point un début d'accusation contre la célèbre agence américaine, pour une fois, elle n'y est pour rien. Ou alors elle l'a bien caché. C pour Celte - désolé les rockers ce n'est pas pour country, I pour India je reconnais une légère influence hippie, A pour Arabe, pas spécialement des terroristes. Simplement les influences musicales revendiquées par le Zeppe. De Bron-Y-Aur à Kashmir pour ceux qui ont la disco dans la tête. Mais pas que. Chaque musique véhicule sa culture. C'est là que les non-initiés vont décrocher. Car le savoir officiel, Le Zep il s'en moque, s'intéresse à la connaissance sacrée, à l'ésotérisme, à la gnose.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Thiellement aussi. C'est son dada. On le lui a beaucoup reproché lorsque le livre est paru. Il est étrange de voir combien les gens se fâchent quand on leur tend un miroir dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Parfois je me dis que s'ils avaient lu par exemple Oscar Vladislas de Lubicz Milosz ils ne se cabreraient pas autant devant l'image de leurs ignorances. C'est sûr que Jimmy Page ne fait rien pour arrondir les angles. S'est toujours revendiqué d'Aleister Crowley. Vous ne trouverez pas plus charlatan que lui. Nous avons déjà évoqué sa figure dans KR'TNT ! Mais s'en référer à Crowley en public, c'est comme si vous improvisiez une conférence sur les bienfaits de la prostitution sacrée dans une assemblée de féministes. Les enseignements de Crowley sont incompatibles avec la raison raisonnante qui gouverne notre monde ( qui se porte si bien ). Fut un adepte de la magie ( rouge dirait Philippe Pissier ), pratiqua entre autres des rituels d'invisibilité, diaboliques et sexuels. Vous n'êtes pas obligés d'y croire. Mais dans la vie, il ne faut pas croire. Il faut savoir. Sinon, vous vous taisez. Derrière Crowley se profile en notre vieille Old England tout un monde intellectuel de haut niveau, de Lewis Carroll à Yeats, de Shelley à John Dee. Des gens qui professent des théories sociales et comportementales que Nietzsche définissait par delà le bien et le mal. C'est qu'au bout d'un certain moment, que le dieu ou le diable soient votre support cela importe peu si vous pensez chevaucher le tigre.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    N'y a pas que les anglais, la littérature française est aussi à l'honneur, Raymond Abellio et sa Structure Absolue, et une sentence comminatoire à méditer de Jean Parvulesco. Les Italiens se taillent la part du lion avec Marsile Ficin, en profitent pour s'infiltrer à la suite du protégé des Medicis, les soufis et toutes les théories déviantes de l'Islam, la légende du douzième Iman et toute la théologie transgressive des Fidèles d'Amour, je vous fais grâce des classifications tantriques d'Inde... L'étude des textes du Dirigeable réserve bien des surprises. Page et Plant en connaissent bien plus qu'ils ne l'admettent. Ne sont pas fous, ne vous écrivent pas ce qu'ils pensent noir sur blanc. Faut savoir lire les indices. Ne faites pas comme Thiellement qui ne vous dit pas tout. Cherchez plus à fond. Par exemple penchez-vous sur le Led Zeppelin III, ne serait-ce que l'étrange roue à symbole de sa pochette ( procurez-vous un 33 tours d'époque ), Thiellement insiste beaucoup sur le IV, le disque sans nom, revient sans cesse sur cette Dame qui achète – mettez en relation avec la machine à cash – un escalator électrique pour le paradis et attendez-la lorsqu'elle redescend. Relisez en attendant, par exemple, El Desdichado de Nerval, Cela ne peut pas vous faire de mal. Que sont ces maisons sacrées de Houses of the Holly – voilà une question qu'elle est bonne – et de quels fils ( prononcez de deux manières ) est tramé le cachemire du tapis volant de Kashmir, et pourquoi Achilles Last Stands sur Presence ? Thiellement ne répond pas à toutes les questions mais il apporte des questions éclairantes. L'ouvre des portes, à vous de les franchir...

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Cabala, ce n'est pas la Kabbale juive, mais le caballum que l'on charge de tous les acquis que l'on a ramassés ou glanés tout au long de sa vie. Nietzsche employait le terme de chameau pour désigner cet animal de bât intellectuel. C'est au lion ensuite de mettre de l'ordre, de déchiqueter de ses dents et de ses griffes tout ce qui est inutile. Peut-être alors deviendrez-cous comme les enfants blonds sur la chaussée des géants de Houses of the Holly. Mais personne ne vous oblige à grandir. Assumez vos choix. N'oubliez pas que tout maître fût-il aussi prestigieux que Led Zeppelin se doit de périr de la main de celui qui a cru en lui.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Ce qui est prodigieux dans Led Zeppelin – en dehors de sa musique – et nous ne sommes pas ici pour savoir si sa qualité intrinsèque dépend ou non de sa mise en situation – c'est la manière dont le groupe en tant qu'entité rock'n'roll a été pensé. Ce qui fait la différence dans le rock ce sont les quatre-vingt dix-neufs pour cent d'énergie qui doit impérativement le constituer. Mais le mystérieux un pour cent restant est tout aussi important. Un sacré multiplicateur, tout dans le dosage, manipulation commerciale, ou manipulation mentale ? Vous fait-on cracher au bassinet, ou accéder à un nouvel état de conscience ? Généralement les pourceaux d'Epicure de la consommation auditive n'entrevoient même pas la possibilité de la question. Ce livre de Pacôme Thiellement est parfait pour mettre les groins en chemin vers des nourritures d'un autre genre.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Esthétiquement le livre est une réussite. Intellectuellement il heurtera les sensibilités cartésiennes qui sont convaincues que deux droites de savoirs parallèles ne se croisent jamais. L'exige une faculté à s'étonner. Pourquoi par exemple, l'auteur traite-t-il en si peu de lignes L'Objekt qui prolifère sur la pochette de Presence - la jaquette de Hollydays in the Sun des Sex Pistols en est une délicieuse et imbécile parodie – alors qu'il revient systématiquement en pleine page à chaque nouveau chapitre ? Répondez en quinze pages. Vous n'êtes pas obligés. Faites ce que vous voulez.

    Damie Chad.

     

    COLLECTION ROCK & FOLK N° 4

    LED ZEPPELIN

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Les menées souterraines du hasard ? A peine venais-je de terminer l'article précédent que dans le kiosque à journaux sur le présentoir, deux chevelures rapprochées, l'une noir corbeau, l'autre de toute blondeur léonine, m'arrachent la vue. Pas encore lu le titre que j'énonce à la grande joie du tabagiste qui en fait tinter d'aise son tiroir caisse avant même que je ne lui aie tendu l'objekt de tous les délices, une maxime définitive ''Led Zeppelin, je prends d'office !''

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Ne se sont pas beaucoup fatigués chez Rock & Folk, n'ont pas pris la peine de pousser la rédaction à carburer sur de nouveaux articles définitifs, l'annoncent en toute honnêteté et sans honte au bas de la couve, En collaboration avec Uncut. Ont adopté un principe simple : premièrement : traduction des articles d'Uncut présentant dans l'ordre chronologique les dix disques du Zeppe, deuxièmement : les chroniques d'époque du Melody Maker qui ont précédé ou suivi la sortie des galettes à effets catatoniques, troisièmement : les interviewes principalement de Jimmy Page et de Robert Plant relatives à chacune des étapes foudroyantes du Dirigeable, quatrièmement : visite commentée de l'épave du Dirigeable foudroyé avec suivi des aventures personnelles de chacun de nos héros. Loi du boomerang, ce sont les Titans qui forgèrent la foudre de Zeus qui en furent les victimes désignées. Terrible, vous ne pouvez pas évoquer Led Zeppelin sans que les Dieux de l'Olympe ne s'en viennent sonner à la porte.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Apparemment les journalistes d'Uncut ne sont pas des membres clandestins de l'Ordre Trismégiste de l'Aube Dorée Reconstituée, ne s'en tiennent qu'aux faits – lieux, dates, personnes - et leurs jugements même quand ils sont des plus subjectifs quant à la valeur de tel ou tel opus ne s'écartent jamais de données purement objectivales, ne se laissent jamais tenter par des méditations erratiques dans le genre de Pacôme Thiellement. Signe que la musique du vaisseau amiral de la flotte du rock'n'roll est assez riche pour susciter de nombreuses approches. L'on peut ergoter sur l'originalité et la créativité du numéro mais pas sur son amplitude. Six heures de lecture assurée. Plus les photographies à admirer avec recueillement et attention. Un ouvrage idéal pour les jeunes générations, les Doors et Led Zeppelin restent les groupes historiaux encore écoutés et respectés par les lycéens qui connaissent tant soit peu leur musique mais point par le menu la monstrueuse saga du plus grand des dinosaurocks ayant vécu sur notre planète.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Lorsque Edward Gibbon intitula sa grande fresque Histoire de la Décadence et de la Chute de l'Empire Romain, il rassura par deux fois ses lecteurs. Certes l'Imperium s'était écroulé, mais cela avait pris du temps. Deux siècles avant la syncope finale, les élites s'interrogeaient sur la survie de ce pachyderme qui dépassait les mille ans d'existence. Désormais il n'y avait pas plus à s'interroger sur l'inéluctabilité future des catastrophes que sur l'imminence proximale de leur survenue. Pour le Led Zeppelin, ce fut terminé en six semaines. En vrai à la mort de John Bonham, étranglé dans son vomi – les éléments sordides sont typiquement rock and roll – les carottes étaient cuites. Ne fallut qu'un mois et demi aux trois survivants pour rédiger le communiqué final signifiant au monde entier la mort de l'aventure.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    L'est une autre manière d'analyser les ferments décadentistes. A peine l'homme a-t-il atteint l'âge de sept ans – les biologistes l'assurent – nous ne progressons plus, nous nous renouvelons, nous nous étoffons, nous grandissons, mais les ferments mortuaires nous inclinent déjà vers notre tombe, même si les transformations de l'âge adolescent et l'éclat de notre jeunesse nous donnent l'illusion que nous suivons une voix royale de floraison infinie... qui inexorablement nous conduit au cimetière. Envisagé sous un angle similaire la trajectoire de Led Zeppelin est des plus inquiétantes. Le groupe est formé en 1968, il livre dès 1969 deux albums époustouflants, le I récapitule toute l'histoire du blues anglais en cinq morceaux, efflorescence absolue, épanouissement total. Le II fonde le heavy metal, ce n'est pas qu'il n'y a pas eu des précurseurs, un peu partout et autour d'eux, c'est qu'ils le propulsent avec une puissance inimaginable en leur temps. Le passé du blues et le futur du rock en deux disques. Personne n'avait fait ça avant eux. Et chose plus grave, personne n'est capable de le refaire. Rajoutez des tournées américaines époustouflantes, et dites-vous qu'en deux ans le Led a réalisé en ving-quatre mois ce que la plupart des bands ne réaliseront pas en vingt longues années d'approximations incertaines.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Déjà avec le III les choses se gâtent. Perso, je le préfère aux deux précédents. Ce n'est pas parce qu'il est meilleur, c'est parce qu'il est différent. Passons sur les fans désorientés par son côté folk. Le Led se suicide. Tout seul. Généralement les artistes subissent des contraintes, des pressions de la maison de disques, de leurs staffs à l'affût des schémas prévisionnels de vente à un accès très grand public, mais le Zeppe a fignolé ses contrats, ont imposé la liberté artistique totale, et d'eux-mêmes ils coupent court à la surenchère sonique que l'on attendait d'eux, font de la dentelle au marteau-pilon, bref ils interrompent d'eux-mêmes le processus de sur-rajeunissement phonique pléthorique incessant qu'ils avaient eux-même initié.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Avec le IV nous font le coup du chemin heideggerien qui s'infléchit brutalement dans la direction opposée à celle qu'il suivait. En même temps nous font remarquer que le chemin qui monte ( Black Dog ) est aussi celui qui descend ( Stairway to Heaven ) – étrange comme le paradis se trouve à la place habituelle de l'Enfer - bref le Wild and the Mild entrent en de curieuses concomitances. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et hop, nous resservent avec le V le coup du III. S'en vont habiter d'étrange maison. Houses of The Holly. Rien à voir avec la Fun House des Stooges. Z'ont mis des housses sur les canapés, vous avez peur de les salir si vous vous y allongez dessus avec votre petite amie. Une ambiance perverse et pernicieuse. Ça embaume les trafics illicites, les trucs louches, du rock'n'roll trafiqué, de la pop dégriffée, du la symbiose douteuse, du bio négatif. A peine y avez-vous goûté que vous y retournez. Poison mortel. Irrésistible.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Vous commencez à comprendre comment le Zeppelin fonctionne. Gonflent le ballon explosif à bloc. Puis le vident de son hydrogène, le voici tout flasque, du dur au mou, de l'érection à la débandade. Et chaque fois l'état atteint est délicieux. Evidemment le Physical Graffiti est très physique. Bodybuilding appuyé. Muscles d'acier. Pectoraux chromés. N'empêche qu'à y réfléchir la saga du Zeppelin se déroule selon un rythme déroutant. Un coup trampoline éblouissant, un coup matelas pneumatique crevé. Ne donnent jamais dans la demi-mesure. Les médecins vous déconseillent ce genre de vie. Qui cherche le bâton de chaise finit par se faire battre. Vous connaissez l'apologue de la mort lente et de la vie vive qui se battent dans un duel à mort. Donc vous savez comment cela finira.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Lorsque paraît en 1979 In Throught the Out Door, Bonham est rongé par l'alcool, Page par l'héroïne, Plant anesthésié par la mort subite de son fils de cinq ans, et le disque tient davantage du génie de la bricole – mais de ces étudiants doués qui vous fabriquent une bombe atomique sur leur gazinière – extrêmement prometteur, mais la disparition de Bonham stoppe tout développement ultérieur.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Presence paru en 1976 est le dernier véritable disque de Led Zeppelin. The Last True Record. A sa sortie le couperet est déjà tombé. Robert Plant se remet difficilement de son accident de voiture. Mon disque mascotte de Zeppelin, celui que j'emporterais sur l'île déserte du Cat Zengler. Je dois être le seul fan du combo à émettre un seul choix. L'est celui du retour aux origines. Non pas au blues, mais au rock. Le Led a déplacé le curseur du noir au blanc. Ce basculement d'intérêt n'est pas étranger aux fortes réticences de Robert Plant à la reformation du groupe. Un désaccord musical fondamental l'oppose à Jimmy Page responsable de cette évolution. Ne s'agit pas de position idéologique inébranlable, si l'on suit de près les itinéraires des deux complices, l'on voit que leurs intérêts ne cessent de se croiser, l'un se dirigeant vers la source sombre quand l'autre s'en vient s'abreuver à la pâlichonne, et vice-versa. Le dernier tiers de la revue qui se penche sur l'après Led Zeppelin de chacun des deux principaux protagonistes du Zeppe aide à une telle lecture.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Les réticences de Page et Plant devant l'émergence du punk sont éloquentes. Ne peuvent pas être contre, mais ne sont pas pour. Le punk est une solution trop simple. Certes, il a ringardisé leur image de super-groupe, ne sont plus à la une de l'avenir du rock, la mode a changé, le vent a tourné, mais leur condamnation est aussi le signe de leurs propres interrogations quant à la poursuite de l'évolution du rock. Led Zeppelin a épuisé une forme. L'a mené le riff à son accomplissement terminal. Ont épuisé le style. Ont développé toutes les possibilités formelles et esthétisantes de cette manière d'appréhender le rock'n'roll. Et après ?

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Plant s'essaie à toutes les fusions ethniques. Page se replie sur le groupe. Elabore et échantillonne avec un soin scrupuleux les rééditions, une manière pour lui de préserver l'héritage et peut-être aussi de conférer un sens à sa vie et une intensité existentielle similaire à celle ressentie lors de la carrière du groupe. J'émettrais l'hypothèse que dans ses tiroirs doit traîner des bandes d'espèces de suites symphoniques guitaristiques des plus novatrices que pour de mystérieuses raisons il garde par-devers lui. L'est capable de les emmener avec lui lorsque viendra son heure de grimper les marches du staiway to heaven.

    Damie Chad.

    REBELLION

    LA RESISTANCES DES GENS ORDINAIRES

    ERIC HOBSBAWM

    ( Editions Aden )

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Un gros livre. Cinq cent trente pages auxquelles viennent s'ajouter une trentaine de notes. L'ensemble se présente comme une suite de vingt-six articles dans leur très grande majorité déjà publiés, dans des journaux américains ou britanniques, ce qui n'est en rien d'extraordinaire puisque l'auteur, décédé en 2012, résidait en Grande-Bretagne. Marxiste convaincu, membre du Parti Communiste, il fut un écrivain engagé qui s'intéressa à l'histoire du mouvement ouvrier. Fut de toujours attiré par les marginaux, les outlaws, les déclassés, les pauvres. Sujets passionnants mais qui ne recoupent que partiellement le champ principal d'exploration kr'ntique. A part que dans ce volume pas moins de sept chapitres sont dévolus à des figures charismatiques de l'histoire du jazz ou à l'analyse de la réception de cette musique. Eric Hobsbawm n'est pas un musicologue mais ses réflexions sur le jazz envisagé sous un angle d'attaque original valent le détour. Cerise rouge sur le gâteau, nous sommes parfois en pays de connaissance puisque la France n'est pas absente de ces études.

     

    SIDNEY BECHET

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Décapant. A quoi tient la gloire et à la célébrité ? Peut-être pas à pas grand-chose mais sûrement à un jeu de circonstances dont les bénéficiaires ne sont pas spécialement les promoteurs. Nous présente Bechet comme un personnage antipathique au possible. Rejeté d'Angleterre pour une sombre histoire de viol, mêlé à un règlement de compte avec armes à feu à Paris, doué d'une personnalité peu amène, égocentrique, radin, têtu et peu généreux. Oui mais un sacré musicien, rétorquerez vous ! Oui, un peu. Non, beaucoup. Il est indéniable que tout jeune sa virtuosité instrumentale éblouit. Armstrong et Ellington en furent témoins et nous faisons confiance à leurs jugements. Très vite Sidney quitte l'Amérique, voyage en Europe et pénètre en Russie dans les premiers temps de la Révolution. En profite pour courir les concerts de musique classique. Ce qui laisse entrevoir une certaine ouverture d'esprit. Lorsqu'il rentre aux States, n'a en rien perdu sa virtuosité, par contre en dix années le jazz a évolué. L'on se dirige vers les grandes formations savantes, les petits groupes au coin des rues ou dans les bars miteux, c'est de l'histoire ancienne. A tel point que ne trouvant pas de boulot – son sale caractère décourageant les rares admirateurs qui apprécient son jeu – il abandonne la musique pour successivement ouvrir une friperie et un garage. Mauvais gestionnaire il revient au jazz par la force des choses. Foutu, fini, radié des listes. Plus personne ne pense à lui. N'y a pas un nègre prêt à miser un dollar sur lui. Normalement l'histoire devrait s'arrêter là. Ne devraient rester que le souvenir de la demi-douzaine de faces enregistrées au tout début. Mais aux States, au dernier moment, vous avez le Septième de cavalerie qui vient vous sauver des indiens. Pas un cheval à l'horizon, mais beaucoup mieux que cela, la mauvaise conscience des intellos blancs. Ceux du cru ( qui souvent tournent autour du Parti Communiste ) et Européens, notamment, cocorico ! les français dont Hugues Panassié reste la figure emblématique... Problème pour nos intellectuels qui se convertissent au jazz davantage en tant qu'idéologues qu'en amateurs éclairés. Sont horrifiés, les grands orchestres de jazz sont en vogue, gagnent de l'argent, commencent à être connus en Europe, ces satanés noirs sont en train de s'embourgeoiser, de devenir des Oncles Tom. De quoi désespérer des pauvres qui ne pensent qu'à s'enrichir ! C'est dans leurs têtes que s'élaborent le mythe du jazz perdu, qui aurait conservé sa pureté initiale, mais où le trouver ? La réponse ne tarde pas à émerger, ni à New York, ni à Boston, ni à Philadelphie, ni à Chicago, tout simplement à l'endroit où il est né. A la New Orleans ! On se met à courir les bouges où remuent les derniers hasbeen, tout ceux qui ont conservé des relents old style sont les bienvenus. Ne sont pas de merveilleux musiciens, mais Sidney se fait connaître. Il sauve la mise de ce jazz New Orleans ossifié qui se répand comme la sclérose en plaque, aux Etats-Unis, en Europe et si bien en France qu'il ne tarde pas à s'y installer et à y jouir d'une notoriété et d'une ferveur qui ne se démentiront jamais. Un merveilleux musicien mais pas un créateur... L'article pourrait s'arrêter là mais Eric Hobsbawm ne résiste pas à une dernière méchanceté idéologique, les racines créoles de Sidney en font l'un des descendants de cette bourgeoisie semi-blanche qui s'est un temps formée dans la ville des bayous... L'on n'échappe pas à son destin de classe, on porte en soi le sang de la trahison. Expression inconsciente d'une espèce de racisme biologique à rebours qu'il ne cesse de condamner dans son article ! N'empêche que l'analyse donne à réfléchir et dénoue bien des contradictions.

    COUNT BASIE

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Le ton change du tout au tout avec Count Basie. Un homme modeste à qui le hasard de la chance sourit. Un petit pianiste noir du New Jersey, agile de ses mains mais pas un grand musicien, qui se retrouve en carafe un jour de déveine à Kansas City. Court les boîtes, les bars et les filles. N'en demande pas plus. Mais l'est tombé dans la bonne ruche. En pleine récession il est tombé dans l'oasis. Ne mythifions pas, gagne juste tous les soirs – l'on travaille au chapeau – ce qui lui permet de survivre jusqu'au lendemain midi. Un détail qui ne trompe pas, au début de la ''célébrité'' de son ''grand'' orchestre il porte encore sans fausse honte des pantalons rapiécés. Ne soyons pas idéaliste, émerveillons-nous plutôt sur cet étrange fait que de Kansas naquirent et la populaire musique de danse et l'aventurisme musical novateur de Charlie Parker... Count sera à l'origine du premier filon. N'est pas le premier musicien de son band, donne le rythme sur son piano et sait avec un extraordinaire instinct introduire chacun de ses musiciens au moment opportun, le laisser s'exprimer et lui signifier d'arrêter juste avant qu'il ne commence à se répéter. Ne sait pas lire la musique, n'a que des bouts d'idées novatrices, mais autour de lui tout le monde, ses propres musiciens mais aussi des personnalités des formations voisines, s'empresse pour les conforter et les mettre au point. Des musiciens solidaires, et cette union se ressent dans les parties communes lorsque l'orchestre en son entier reprend un riff et lui donne un allant extraordinaire qui bouleverse et emporte le public. C'est ce dernier issu des ghettos qui imposa un répertoire imbibé des patterns blues, qu'à son arrivée à Kansas Count Basie maîtrisait mal... Deuxième as de cœur dans son jeu, c'est John Hammond qui en 1935 l'entendit dans sa voiture à la radio et qui subjugué par le jeu de son orchestre lui permit d'accéder à une audience nationale. Count Basie permit à des pointures comme Lester Young et Jimmy Rushing – un des plus grands blues shouters – d'atteindre un même niveau de célébrité.

     

    DU BLANC AU NOIR

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Nous sommes dans les grands orchestres. De jazz noir. Toutefois une constatation s'impose, ce sont les blancs qui ont eu l'idée de ce genre de formation. C'est à San Francisco que Art G. Hickman élargit aux alentours de 1915 son sextet en rajoutant une grosse section de cuivres qui le transforma en l'un des tout premiers Big Bands de jazz, puisque spécialisé dans les musiques populaires de danse et empruntant pour cela pas mal d'éléments aux musiques noires. Paul Whiteman, qui avec Ferde Grofé, travailla à l'orchestration de Rhapsodie in Blue de Gershwin, s'essaya avec son orchestre au jazz symphonique ce qui lui apporta notoriété et reconnaissance de la part de musiciens noirs comme Miles Davis. Pour sa part Ferde Grofé reste connu dans l'histoire de la musique classique américaine pour avoir composé des suites symphoniques comme Niagara Falls, Mississippi, Grand Canyon... Cette rencontre entre sourciers noirs et défricheurs blancs éclaire l'intérêt qu'artistes d'avant-garde et musiciens classiques européens comme Cocteau et Stravinsky portèrent dès les années 20 au jazz.

    THE DUKE

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Cet état de fait entrevu en son aspect généalogique explique les prétentions de Duke Ellington à se définir en tant que compositeur et pas en simple chef d'orchestre. Eric Hobsbawm insiste sur sa situation de fils de bonne bourgeoisie noire, le décrit comme un enfant gâté, dilettante paresseux en son oisive jeunesse, qui la trentaine advenue décida d'embrasser une carrière de musicien qui lui semblait peu accaparatrice. Nous trace un profil psychologique similaire à celui de Sidney Bechet, directif, sec, dépourvu de tact tant avec les femmes qu'avec les hommes, vindicatifs et égoïste. En contre partie il exerce un fort attrait sur tous ceux qui le croisent où sont amenés à le côtoyer tant sur le plan professionnel qu'humain. Emprunta beaucoup quant à la direction d'orchestre à Fletcher Henderson un des pionniers du big band noir et à Paul Whiteman dont les partitions symphoniques le confortaient dans l'idée que lui, the Ducke, n'était pas spécialement un musicien de jazz mais un grand musicien tout court, à inscrire dans la lignée des Beethoven... Le problème c'est que question composition c'était à chaque musicien de développer ses propres improvisations sur les simples quatre premières mesures indiquées au piano par le Maître... Savait presser le citron de ses solistes et des ses pupitres, en extrayait le jus le meilleur, les poussait jusqu'aux limites des dissonances les plus aventureuses, qui n'étaient pas sans évoquer les avancées de la musique sérieuse européenne. S'arrangeait aussi pour que les créations de ses solistes ne s'écartent point trop de la coloration de son thème initial... Reste à ne pas oublier après ce réquisitoire implacable que le grand chef est-ce celui qui fait tout tout seul, ou celui qui est capable de déléguer à ses subordonnés ! Dans ce second cas, le mythe du créateur solitaire, de l'Artiste avec un grand A majuscule souligné au feutre rouge, en prend tout de même un sacré coup... Dans les dernières pages de son article Eric Hobsbawm effectue un rétropédalage notoire, en les conditions sociales, temporelles, et économiques de sa création – Ellington n'est tout compte fait que le patron d'un big band dont le premier objectif est de ne pas ennuyer son public – il n'a pu, et même n'aurait pu, faire mieux. Le Duke, dont il s'avoue un grand admirateur, a réalisé une oeuvre populaire et collective – en tant que communiste, on le devine sensible à cet aspect – de grande qualité artistique et de forte densité culturelle.

    LE JAZZ ARRIVE EN EUROPE

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Contrairement à ce qui viendrait à l'esprit de prime abord ce n'est ni la radio ni l'invention du disque qui facilitèrent l'arrivée du jazz en Europe mais les transatlantiques qui permirent de traverser l'océan en quelques jours. La revue musicale The Origine of the Cakewalk est visible la même année à New York et à Londres, en 1898 ! Le fox-trot arrive en Belgique en 1915 ! En 1917 des formations de jazz prennent pied sur le territoire européen. Qu'une musique populaire noire se soit infiltrée jusque dans les couches bourgeoises et intellectuelles de la société reste étonnante. A part Toulouse-Lautrec et ses représentations de danseuses du French-Cancan – musique née aux alentours de 1830 en tant qu'opposition, crypto-païenne et anti-chrétienne affirmée, à la morale officielle ré-instituée par la réaction blanche de la Restauration royaliste de 1815 – les sociétés européennes tempérées n'étaient point habituées à un tel phénomène. Il y eut des signes précurseurs, la danse de salon codifiée perdit dès la fin du dix-neuvième siècle les rigueurs de ses codifications, signe que sa pratique rituelle en tant que convention d'accès au monde aristocratique était en déclin. La fin de la grande guerre enregistra cette émergence proto-démocratique. Dès 1927, le jazz avait à Paris pignon sur rue, prôné par de larges couches de la jeunesse et de minorités intellectuelles. Le blues bénéficia aussi, surtout en Angleterre, d'un tel accueil. L'éclosion du rock'n'roll en ce pays lui en est en partie grandement redevable. De l'accueil de l'Original Dixieland Jazz Band à l'apparition des Rolling Stones au tout début des années soixante, le fil pour être invisible n'en est pas moins présent et solide. Le Melody Maker – qui fut un organe important de diffusion de la culture rocck – était dès l'année de sa création en 1926 acquis au jazz. En ces mêmes années, l'auteur estime que les amateurs de jazz ne dépassaient pas cent mille individus. Ce que l'on appelle les minorités actives. Ironie des choses le trad-jazz d'Angleterre permit par sa permanence l'éclosion du rock qui raya le jazz de la carte du monde. Cette dernière expression est bien de Hobsbawm.

    LE SWING DU PEUPLE

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Chapitre peu musical centré sur la personnalité de John Hammond. Fils de la grande bourgeoisie blanche américaine farouchement convaincu de l'égalité des races qui par son entremise permit à de nombreux artistes noirs – Ella Fitzgerald par exemple – d'atteindre à une notoriété nationale et internationale. Mais l'on força quelque peu la main du public. La mise en œuvre du New Deala resserra les liens entre les jeunes, les noirs, les communistes, les étudiants d'extrême-gauche et les milieux folk. Les Big Bands et leur corollaire le swing furent systématiquement mis sur le devant de la scène. Le swing devint la danse populaire par excellence. Même si toute une majorité silencieuse du public aurait préféré entendre de la chanson sentimentale... Après la guerre – le fait est totalement avéré dès 1948 – les big bands sont au chômage, le public se tourne vers la country music ou la variété. Franck Sinatra est l'exemple parfait de cette nouvelle donne, il passe des grandes formations jazz à l'enregistrement de belles mélopées amoureuses. C'est le commencement de la fin pour le jazz, les big bands sans public débauchent, et les musiciens de Be Bop trop convaincus de jouer une musique élitiste entament une démarche qui mènera vingt ans plus tard sur les sentiers d'une musique savante et ennuyeuse dans laquelle la jeunesse ne se reconnaît pas. John Hammond finira sa carrière de producteur en ouvrant les portes à Bob Dylan... qui cinq ans plus tard électrifiera sa musique. Page définitivement tournée.

    LE JAZZ DEPUIS 1960

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Jusqu'aux début des années 90. Constat sans appel, dès 1963, le rock'n'roll domine le monde musical. Les Beatles sont cités, mais en tant qu'intellectuel de haut niveau, notre auteur fait total impasse sur la première génération des rockers. Lâche du bout des lèvres Bill Haley, Chuck Berry et Elvis mais il n'est manifestement pas inscrit dans la société des Sunophiles ! Le jazz ne représente plus que 1,3 % des ventes de disques. Un peu de sa faute, la façon dont les amateurs de jazz ont insulté le rock'n'roll ( voir le méprisable exemple de Boris Vian par chez nous ) n'était pas une bonne stratégie de coexistence pacifique, les avancées du Free Jazz et de la New Thing dans l'atonalité ont découragé les auditeurs, les prises politiques souvent extrémistes de ses leaders n'a guère aidé à leurs diffusions sur les ondes institutionnelles, mais plus grave, les innovations technologiques, enregistrements et amplifications sont l'œuvre du rock'n'roll et non des jazzmen... Hobsmawm se console, une petite renaissance autour des années 80 lui donne quelque espoir, mais il reconnaît que cela ne va pas bien loin, beaucoup de musiciens qui se la jouent au lieu de jouer, un bon marché de réédition, et cette constatation de la jeunesse noire détachée du blues, qui s'adonne au rap... Un seul espoir, le jazz est une musique qui a connu tellement de mutations que peut-être bientôt, incessamment sous peu, Anne ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ?...

    BILLIE HOLLIDAY

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Courte notice nécrologique rédigée en 1959 à la mort de Billie Holyday. Un récapitulatif des plus réalistes de la vie de celle qu'il considère comme une artiste suprême. Le plus bel hommage se trouve dans les quelques lignes d'introduction de l'article. Il vient de John Hammond sur son lit de mort, vieil ami de l'auteur qui lui demande – il n'est jamais trop tard pour bien faire – le nom du chanteur ou du musicien qui, parmi tous ceux qu'il a lancés vers la gloire, lui est le plus cher. La réponse ne se fait pas attendre. Billie Holliday !

    Choix des plus émérites et judicieux !

    Damie Chad.