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  • CHRONIQUES DE POURPRE 485 : KR'TNT ! 485 : ESP-Disk / PRETTY THINGS / CRASHBIRDS / BORDERLINES / JUSTIN LAVASH / ROCKAMBOLESQUES VIII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 485

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    19/ 11 / 2020

     

    ESP-Disk / PRETTY THINGS

    CRASHBIRDS / BORDERLINES + MANUEL MARTINEZ

    JUSTIN LAVASH / ROCKAMBOLESQUES 8

     

    Yes I need ESP - Part One

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    C’est grâce à Jason Weiss qu’on peut enfin lire de nos yeux lire la fantastique non-histoire d’ESP-Disk, l’un des labels les plus mythiques de l’histoire du rock américain. Le titre du book ronfle comme un gros buveur : Always In Trouble - An Oral History Of ESP-Disk, The Most Outrageous Record Label In America. Weiss a bien fait les choses : il a non seulement réussi à recueillir les propos d’un Bernard Stollman pas très loquace, mais il a en plus rassemblé les témoignages d’une multitude d’artistes liés à l’histoire d’ESP-Disk. Attention, l’ouvrage se distingue par sa densité. Il faut donc s’aménager une large portion de temps pour espérer en venir à bout.

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    ESP-Disk ? Un label bien connu des fans de free jazz, notamment ceux d’Albert Ayler, de Pharoah Sanders et de Sun Ra. Le free est la grande passion de Stollman, fondateur du label et avocat de formation. Les fans d’un certain rock connaissent aussi le label pour quatre raisons, et pas des moindres : Pearls Before Swine, les Fugs, les Godz et bien évidemment les Holy Modal Rounders. Disons pour simplifier qu’ESP-Disk fut le grand label d’avant-garde new-yorkais, et qu’en plus, les Godz et les Fugs redorent à eux seuls le mighty blason du proto-punk américain. On irait même jusqu’à dire que ces deux groupes l’ont mythifié.

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    L’histoire d’ESP-Disk se situe à l’opposé de celle des gros labels indépendants américains, comme Atlantic, Elektra ou même Stax. C’est l’histoire d’un one-man-operation un brin kamikaze, car les artistes qu’il signe sont tellement avant-gardistes qu’ils n’ont aucune chance de percer commercialement. Mais c’est le truc de Stollman. Et il s’y tient. C’est ce qui va le transformer à son tour en statue de sel. Sans Stollman, pas d’Ayler, pas de Godz ni de Fugs. Pas de Rapp ni de Rounders. ESP-Disk devient dans les early sixties l’équivalent des grands labels underground britanniques de type Dandelion. Plus c’est obscur et plus ça fait mal aux oreilles, plus c’est culte. Dans l’interview qu’il accorde à Jason Weiss, Stollman explique qu’ESP-Disk doit tout à sa mère qui pour l’aider lui verse une somme correspondant à deux ans de salaire d’un young executive. Il n’avait pas d’autre source de revenus. Et quand Weiss lui demande d’où lui vient cette passion pour l’improvisation et le free, Stollman explique que son père adorait improviser et harmoniser. Quand la famille Stollman partait en virée, le père chantait en conduisant et la mère harmonisait avec lui. Puis Stollman fait vite la différence entre art et divertissement. D’où cette passion du free qui pour lui est de l’art. Ses parents s’intéressent à ses activités, car ils vont assister à des concerts et hébergent parfois des musiciens, comme Tom Rapp et Pearls Before Swine qui, précise-t-il, ont dormi dans leur salon, in spleeping bags. Quand Stollman fait écouter à sa mère - a woman of very few words, c’est-à-dire une taiseuse - le Spiritual Unity d’Albert Ayler, il la voit sourire. Elle est fière de son fils. Stollman voit l’industrie musicale comme l’ennemi du processus créatif. Alors il met au point un nouveau type de contrat, sous forme d’une collaboration : l’artiste conserve le contrôle total du processus créatif. Stollman se fend même d’un slogan : «L’artiste seul décide de ce que vous entendrez sur son ESP-Disk.» Au lieu des contrats habituels de 36 ou 45 pages, Stollman propose un contrat de 2 pages valable pour un seul album. ESP devient copropriétaire de l’album pour l’éternité. C’est un partenariat. ESP gère les droits.

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    Stollman veille aussi à ce qu’ESP-Disk ne devienne pas ce qu’il appelle un label niche. Pour lui l’art est avant tout anarchique et s’il devient prévisible, il perd tout son impact. Stollman voulait surtout que son label soit un instantané de la culture new-yorkaise à une époque précise. Il n’ambitionnait rien d’autre que de capter l’audio art de son époque, comme le ferait un documentariste. Il avoue au passage qu’il n’était pas à la hauteur, ni au plan créatif, ni au plan business, mais en même temps il ne voit pas son activité comme un business. Il va plus loin en considérant qu’il est difficile d’avoir les deux casquettes, business et créa. C’est vrai qu’on ne croise pas des tonnes de double-casquettes dans l’histoire du rock, à part Uncle Sam ou Art Rupe. Stollman pense que l’un ou l’autre prédomine, soit le biz, soit le créa. Alors il préfère se contenter d’écouter ce qui se passe autour de lui. Il ne se demande jamais si ça va se vendre, car pour lui ça n’a pas de sens de vouloir faire du business en voyant les choses sous l’angle du business. Il faut nous dit-il voir les choses autrement, comme une vocation ou une obsession. La faillite d’ESP-Disk ? Stollman sait qu’il n’a pas commis d’erreur, il dit juste s’être contenté de planter des graines et pensait pouvoir moissonner 10, 20 ou 30 ans plus tard. Il n’avait pas de famille donc pas de charges ni de responsabilités. Ça devait donc fonctionner. Alors pourquoi ça s’est cassé la gueule ?

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    C’est le gouvernement qui a coulé ESP-Disk en 1968, dit-il, à cause de son engagement contre la guerre du Vietnam. Il avait quatre personnes avec lui dans le bureau d’ESP-Disk : ses collaborateurs étaient tout simplement les Godz. Les albums des Fugs et de Pearls Before Swine se vendaient relativement bien. Puis un jour les téléphones ont cessé de sonner. Stollman raconte qu’il est allé à l’usine de Philadephie qui pressait ses disques pour découvrir qu’elle ne pressait plus ses disques, mais des bootlegs des Fugs et des Pearls pour le compte de la Mafia. Il comprit alors qu’ESP-Disk était foutu. Mais dit Weiss, existait-il un recours ? Pfffffffffffff... Stollman aurait pu traîner l’usine en justice, mais à l’époque il n’existait aucune loi fédérale contre le bootlegging. L’administration Johnson avait trouvé le moyen de faire taire ESP-Disk en coulant son business. Les lois anti-bootlegging ne furent votées qu’en 1974. Il était trop tard pour ESP-Disk. Stollman rappelle qu’il a vendu 20 000 à 30 000 Pearls et lors d’un concert, Tom Rapp annonçait au public que son album s’était vendu à 200 000 exemplaires : la différence, ce sont les bootlegs, dit Stollman. Il ajoute aussi qu’un agent de la CIA avait coaché Ed Sanders et Tom Rapp chez Warner Bros. Records et qu’il avait empoché les 70 000 $ d’avance avant de disparaître. Une fois dans les pattes des majors, les Fugs et Tom Rapp furent définitivement muselés. No more protest songs against the Vietnam war. Stollman ajoute en conclusion que le gouvernement américain utilise deux façons de faire taire les opposants : la première est dirty, et l’autre consiste à les acheter en leur donnant une rondelette somme d’argent. Shut the fuck up.

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    Le dernier témoin à intervenir dans le book est le petit frère de Bernard, Steve Stollman. Comme il a bossé un peu pour son frère, il profite de l’interview pour remettre quelques pendules à l’heure, rappelant qu’ESP-Disk a permis à pas mal d’artistes de commencer à exister, et pour ça, son frère mérite la reconnaissance éternelle. Bernard Stollman se contentait de lancer les gens, il ne souhaitait pas être impliqué dans la suite, the dirty work. Le petit frère rappelle aussi que les parents Stollman s’occupaient des entrées à l’Astor Place Playhouse où se produisaient les Fugs et Sun Ra. Steve Stollman indique que ses parents s’étaient endurcis. Ils avaient su échapper aux nazis et rien ne pouvait plus les atteindre ni les choquer, pas même les Fugs ou Sun Ra. Il est très bien le petit frère car il rappelle encore un élément déterminant : les frères Stollman ont reçu une éducation intéressante. En effet, leurs parents leur ont surtout appris à ne pas devenir matérialistes. C’est la raison pour laquelle Steve pense que la démarche de son frère à travers ESP-Disk avait quelque chose de noble. Pour lui, c’était courageux de critiquer la CIA et la guerre du Vietnam - Je suis très content que Bernard ait ainsi agi. Il tient ça de nos parents, de simples paysans juifs qui réussirent à rester miraculeusement en vie puis à fuir en Amérique pour y réussir. Leur grand mérite fut de savoir apprécier la vie de tous les jours et transmettre le simple bonheur d’être en vie à leurs enfants - Le book s’arrête là-dessus.

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    C’est bien que le petit frère intervienne car les témoignages, pour la plupart, épinglent l’avarice de Bernard Stollman, c’est même quasiment systématique. Le batteur Sunny Murray se souvient d’un contrat fifty-fifty avec Stollman, mais dit-il, je n’ai jamais vu mon fifty. Ils ne sont que deux ou trois à prendre la défense de Stollman, comme le batteur Milford Graves : «Je ne supporte pas qu’on dise du mal de Bernard. Je ne sais qu’une seule chose : personne à part ESP ne nous enregistrait dans les années 60. Et le blé qu’il ne te filait pas, tu aurais de toute façon dû le sortir pour payer les honoraires d’un attaché de presse.» Le batteur Warren Smith dit à peu près la même chose : «La raison pour laquelle Bernard et moi sommes restés amis est dû au fait que je ne lui ai jamais mis la pression. Je me foutais de savoir s’il avait le blé ou pas. J’étais heureux et ma famille aussi. Mais il est bien évident qu’on ne pense pas tous la même chose quand on ne dépend que de sa musique pour manger.» L’ingé-son Richard Alderson se plaint que Stollman n’ait pas tenu ses promesses, après le redémarrage du label. Le bassiste Alan Silva dit aussi avoir reçu que dalle de Stollman - I never received anything from Bernard actually - Et il poursuit de façon extrêmement intéressante : «Tout le monde accuse Bernard. Je ne marche pas dans cette combine. Il est comme il est. Des tas de gens affirment s’être fait rouler. M’a-t-il donné des disques ? Des royalties ? Si tu me poses la question, la réponse est non.» Et il continue un peu plus loin : «Je crois que Bernard est un idéaliste. On était à une black disk jockey convention et Bernard essayait de vendre ses disques. À Atlanta, en Georgie ! Sun Ra, man, who the fuck is that guy ?». Alan Silva travaillait avec Stollman et un jour, en 1967, Stollman lui demande de téléphoner dans tous les record shops d’Amérique pour vendre Sun Ra : «All these record shops. Wisconsin, you know about Sun Ra ? Voilà à quoi était confronté Bernard. Il ne disposait pas d’un budget d’un million de dollars pour vendre Albert Ayler. Il se débattait pour survivre. Tous les labels indépendants se débattaient pour survivre.»

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    Le pianiste Burton Greene pense lui aussi que Bernard était cinglé, aussi cinglé que les musiciens qu’il enregistrait. Personne, dit-il, ne comptait faire de blé avec ce genre de disque. Leo Feigin qui fondit Leo Records en 1979 déclare qu’il faudrait même ériger un monument en l’honneur de Stollman : «Des rumeurs disaient que Stollman ne payait pas les musiciens pour leurs enregistrements. Il mériterait qu’on lui élève une statue. C’était compliqué de vendre ces disques parce que personne n’en voulait. Bernard Stollman investissait et perdait de l’argent avec son label. Rien que pour ça, il mérite une certaine reconnaissance.» Le bassiste Sirone dit en gros la même chose : «On peut dire ce qu’on veut de Bernard, mais il a aidé pas mal de gens à se faire connaître. Il n’y avait pas de blé chez ESP, mais le label s’est fait connaître pour son côté innovant et les artistes incroyables qu’il proposait.» C’est l’extraordinaire Marc Albert-Levin qui tranche définitivement en faveur du pauvre Bernard : «Il n’avait jamais rien existé de semblable auparavant. Comme le disait le slogan de Bernard, c’était une musique entièrement nouvelle - the music was unheard of - et il dépensait le blé que lui donnait sa famille. Il ne faisait aucun profit. Le fait qu’on puisse dire qu’il ait fait du profit sur le dos des musiciens est une plaisanterie. Ce n’est pas juste de dire une chose pareille. Il s’est ruiné. Il a dû reprendre une activité d’avocat pour vivre.»

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    Marc Albert-Levin est un personnage complètement exotique. Ce poète journaliste dadaïste français s’installe à New York dans les années 60 et publie un book sur les Fugs, Tour De Farce. Quand il arrive à New York, c’est en tant que correspondant pour Les Lettres Françaises, une prestigieuse revue alors dirigée par Louis Aragon. Il rencontre l’electronic genius Richard Alderson, puis le saxophoniste et ethnomusicologue Marion Brown qui le met en contact avec Pharoah Sanders et Sun Ra. Albert-Levin a 25 ans et il est éberlué. Qui ne le serait pas ? Il s’émoustille tant qu’il écrit un deuxième roman, Un Printemps À New York. Puis comme il a besoin de croûter, il fait des petits boulots et devient le cuistot le Miles Davis. Comment s’y prend-on pour devenir le cuistot de Miles Davis ? C’est simple, il suffit d’avoir une copine qui est copine avec Sheilah, la copine de Miles Davis. Et comme Sheilah dit à Miles qu’elle ne fera ni le ménage ni la cuisine, Miles lui dit d’engager quelqu’un. Voilà comment Marc Albert-Levin récupère le tuyau. Il se pointe à l’adresse. Drrrring ! Miles qui le reçoit en robe de chambre. Albert-Levin se dit frappé par le magnétisme du regard de Miles, un Miles qui l’observe et qui lui balance de sa voix d’outre-tombe : «You’re a short motherfucker, aren’t you ?». En bon dadaïste, Albert-Levin prend ça pour un compliment, jauge un Miles qui est aussi petit que lui et lui rétorque du tac au tac : «Vous aussi !». Ça brise la glace. Miles lui répond «Go ahead Indian !», et il le fait entrer. Mais Albert-Levin explique qu’en fait il va cuisiner pour des prunes car Miles ne mange rien - Il était dans une période où il ne se nourrissait que de bière Heineken.

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    Alors bien sûr Sun Ra. Stollman lui consacre un portrait dans le chapitre intitulé On Individual Artists. Sun Ra, dit-il, a enregistré plus de 75 disques sur son label El Saturn dans les années 50 et 60, des disques qu’il vendait lors des concerts. Il n’avait pas de distributeur. Sun Ra raconta aussi à Stollman comment il fut bloqué à la frontière égyptienne par un douanier qui fut choqué de lire le nom de Sun Ra sur son passeport. Dans la religion égyptienne, Sun Ra est le nom d’un dieu. On ne plaisante pas avec les dieux dans ce pays. Il refusait de faire entrer Sun Ra et ses musiciens en Égypte. Alors Sun Ra lui demanda d’appeler le conservateur d’un musée égyptien qui accepta de venir rencontrer Sun Ra à l’aéroport. Ils discutèrent ensemble d’Égyptologie. Ra avait étudié les Rosicruciens, il était féru dans ce domaine. Le conservateur dit alors au douanier : «Il est qui il prétend être. Laissez-le entrer.» Le conservateur invita Ra à une émission de télé égyptienne. Le groupe alla aussi visiter les pyramides. Une équipe de cinéma allemande qui se trouvait sur place filma Ra qui envoya ensuite quelqu’un confisquer le film. Richard Alderson fut aussi fasciné par Sun Ra lorsqu’il enregistra l’Arkestra pour ESP : «Pas évident d’enregistrer la musique de Sun Ra, parce qu’ils étaient très disciplinés et très au point. Ils jouaient des arrangement très précis et très soignés jusqu’au moment où Sun Ra déclenchait le free blowing section. Je veux dire que Sun Ra, c’est Duke Ellington sous acide.»

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    Rien que pour la présence de Marc Albert-Levin et de Sun Ra, on est content de faire ce petit bout de chemin avec Stollman. Ra brille et réchauffe ce monde flapi. Stollman fait aussi un portrait des Godz qui furent ses employés : Jay Dillon était directeur artistique d’ESP, Larry Kessler manager des ventes, Paul Thornton et Jim McCarthy s’occupaient des envois (shipping clerks). Stollman : «Faire la promo des Godz était impossible. Ils essayaient de jouer ensemble, mais ils finissaient toujours par se battre. C’était le chaos. Je leur ai loué une salle de concert sur Times Square, mais personne n’est venu les voir jouer. Larry Kessler et Jim McCarthy se crêpaient le chignon. ‘Je suis le leader !’, ‘Non, c’est moi !’. Ce genre de conneries.» Plus loin Paul Thornton intervient à son tour. Il aime raconter l’histoire de cette chanson des Godz qui s’appelle «White Cat Heat», où il jouent n’importe quoi en miaulant. Mais c’est justement ce qui a plu à Stollman qui en les entendant miauler voulut les signer immédiatement sur ESP. Cette merveille de pur jus dada se trouve sur le premier album des Godz, l’inénarrable Contact High With The Godz. Thornton rappelle aussi que Jay Dillon et Larry Kessler ne savaient jouer d’aucun instrument, du coup il se dit étonné d’avoir vu paraître ces trois albums sur ESP. Et il ajoute : «Quand notre premier album est sorti, Bernard disait qu’il s’agissait d’organic tribal body rock. Sa définition ne nous plaisait pas, alors on est rentrés chez nous pour chercher une autre définition de notre musique. Vers 3 h du matin, je regardais dans the Late Late Show un film avec James Cagney, 13 Rue Madeleine. Sam Jaffe était le chef du French underground et je me suis dit, wow underground, underground music. Ça sonne mieux que le tribal body music de Bernard !»

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    ( JIMI HENDRIX & MIKE JEFFERY )

    Dans la galerie de portraits, vous trouverez aussi Jimi Hendrix. Ça n’a rien de surprenant. Stollman : «En août 1966, par un bel après-midi ensoleillé, je trotinnais allègrement sur MacDougal Street quand soudain j’entendis le son d’une guitare électrique. Il sortait d’un sous-sol. Je n’aimais pas trop le son des guitares électriques mais celui que j’entendais me plaisait bien. Alors j’ai descendu les marches et suis entré dans le Café Wha?. La porte n’était pas fermée et le club était vide. Au fond, un musicien jouait de la guitare, debout, avec un petit ampli près de lui. Je me suis approché et quand il s’est arrêté de jouer, le lui ai dit : ‘Ce que vous jouez est très beau. J’ai un label. J’aimerais beaucoup vous enregistrer. Êtes-vous libre ?’ Je lui ai précisé le nom du label. Il m’a répondu : ‘J’aime bien l’idée. Mais on vient de me donner un billet d’avion pour Londres. À mon retour, j’aimerais bien en discuter avec vous.’ Il était très ouvert. Et il s’est rappelé de notre rencontre.’ Et voici la suite de cette histoire fascinante. En 1968, Stollman est à Londres, alors qu’il est en route pour le MIDEM, et dans un magasin de disques, il entend un son qui lui plaît. Il demande ce que c’est et le mec lui répond : «Quoi ? Mais c’est Jimi Hendrix, vous ne le saviez pas ?». Stollman ne lâche pas l’affaire. L’année suivante, il réussit à obtenir un rendez-vous avec le manager de Jimi, Mike Jeffery. Dans la salle d’attente, il tombe sur Jimi qui lui dit qu’il aime bien ce qu’il fait avec ESP-Disk. Bon c’est l’heure du rendez-vous, Stollman entre dans le bureau de Jeffery. Assis derrière son gros bureau, Jeffery ne le salue même pas. Il ne lève pas non plus les yeux. Stollman vient pour vendre l’idée d’une association avec ESP, arguant que Jimi bénéficierait beaucoup d’être associé avec les artistes de pointe qui enregistrent sur son label. Sans même lever les yeux, Jeffery balance un «Not interested» sec comme un jour sans rhum. Chou blanc. En sortant, Stollman espère retrouver Jimi. Deuxième chou blanc : Jimi s’est volatilisé.

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    Tom Rapp fait aussi partie des témoins privilégiés. Il rappelle que pour le premier album de Pearls, ils sont arrivés à New York sans un rond et ont dormi chez les parents de Stollman at 90th and Riverside : «Ils avaient un appartement d’au moins dix pièces, un chandelier et un piano à queue. L’appartement donnait sur le parc, the whole deal. On a enregistré notre album à Impact Sound, là où enregistraient les Fugs et les Holy Modal Rounders. Richard Alderson était l’ingé-son.» Rapp indique aussi qu’il n’a jamais reçu d’argent de Stollman - The one big problem was we never got any money from ESP - Alors Weiss lui raconte l’histoire de la mafia (pour les bootlegs) et de la CIA qui ont coulé ESP - Oui, j’ai entendu cette histoire. Je pense plutôt que Bernard a été enlevé par des extraterrestres qui lui ont lavé le cerveau et donc il ne se souvenait plus où se trouvait l’argent. Mais c’est vrai que les histoires de mafia et de CIA sont plus crédibles. Au fond et en dépit du fait qu’on n’a jamais été payés, je trouve que Bernard mérite une certaine reconnaissance pour avoir sorti ces albums, surtout les albums de free et d’expérimental. Ce qui est arrivé aux gens qui ont enregistré ces disques, c’est une autre histoire - Rapp dit aussi qu’il n’aurait jamais existé en tant que Rapp sans Bernard. Avec le temps, il a fini par lui pardonner. Il dit en matière de conclusion qu’il aimerait bien voir un jour arriver un chèque pour les 200 000 albums vendus, you know what I mean ? That would be nice.

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    Richard Alderson indique que l’enregistrement du premier Fugs en 1966 fut the most creative thing I had done for anyone. Quant aux Holy Modal Rounders, c’est encore une autre histoire. Peter Stampfel raconte que son collègue Weber refusa de composer des chansons à partir du moment où il comprit que le groupe commençait à percer commercialement. No way. Steve Weber témoigne lui aussi, à propos du docu tourné sur les Holy Modal Rounders, Bound To Lose : «Au début, je croyais que c’était un projet universitaire. J’ai demandé aux réalisateurs quelles étaient leurs intentions, et ils m’ont dit qu’ils voulaient commercialiser le film. Alors j’ai demandé à voir un contrat qui m’assurait du contrôle artistique et d’un pourcentage des recettes. Ils ont dit ok, mais j’attendais toujours de voir le contrat. Alors ils m’ont dit : ‘Vous n’aurez pas d’argent. Nous allons vous rendre célèbre.’ Alors j’ai dit stop, on ne me filme plus. J’ai même dû annuler le concert annuel de Portland. Quand le film a été fini, j’ai demandé à voir une copie. C’est là que la relation s’est dégradée, ils n’étaient plus mes amis. Finalement leur avocat m’a envoyé une copie et quand j’ai vu ce film, ça m’a rendu malade. C’était complètement hors contexte. Ça n’a rien à voir avec les Rounders. Aujourd’hui encore ça me rend malade. C’est à cause de ce film que j’ai arrêté les Holy Modal Rounders. Les autres ont décidé de continuer. J’étais celui qu’on roulait dans la boue. J’en ai dit assez.» (Big sigh). Silence.

    Signé : Cazengler, nanard Stollmerde

     

    Jason Weiss. Always In Trouble. An Oral History Of ESP Disk. Wesleyan University Press 2012

     

    Oh you Pretty Things - Part Eight

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    Sort ces temps-ci un album posthume des Pretty Things, Bare As Bone Bright As Blood. Posthume, c’est bien là le problème. Ça fait cinquante ans qu’on les regarde de traviole, les posthumes. Pourquoi ? Parce qu’ils engraissent les charognards. C’est un business bien établi. Plus le nom est gros, plus il y a de posthumes. C’est mathématique. On appelle même les posthumes de Jimi Hendrix les Dead Hendrix. Quand tu vas sur un salon, tu vois des mecs demander aux marchands des Dead Hendrix. On a aussi des articles dans les fanzines américains sur les Dead Hendrix, car au fond de leurs labos réfrigérés, les prêtres du culte n’en finissent plus de trifouiller dans les viscères des enregistrements. Masqués et gantés, ils ne craignent rien, alors ils en profitent, ils jonglent avec leurs scalpels et leurs tubes de colle pour rajouter des instruments et des voix sur des prises intermédiaires. C’est la technique qu’ils utilisent pour remplir des albums doubles qu’ils vont ensuite vendre la peau des fesses à des collectionneurs d’armoires normandes qui n’écoutent jamais les disques qu’ils y entassent, car ça ne sert à rien de les écouter, ce qui est important c’est de les posséder. On rigolait de tout ça récemment avec un bon pote qui est dans le circuit du disque. Il trouvait étrange que le monde du disque de rock soit à la fois un monde magique et un monde peuplé d’une faune de gens atteints de pathologies junkoïdales souvent très graves, mais ajoutait-il, «après tout, pourquoi pas ?». C’est vrai que si on y réfléchit un instant, le rock est avant toute chose une passion, et chacun sait que sous l’empire de la passion, la raison peut aller se faire cuire un œuf. Chacun sait aussi que la cervelle est faible. Ce petit organe spongieux et rose n’est pas fait pour encaisser cinquante années de chocs de rock à répétition et les millions de références qui vont avec. C’est normal que ça finisse par mal tourner. Un fan de rock ne finit pas comme un retraité du Crédit agricole. Le plus difficile dans cette sombre affaire est de savoir assumer son destin. Ce n’est pas à la portée de tous. Ceci expliquant cela.

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    Maintenant que le décor des posthumes est dressé, on peut annoncer la mauvaise nouvelle : cet album des Pretties qui vient de paraître ne va pas bien du tout. Phil May et Dick Taylor ont tenté le diable en enregistrant un album de Delta blues, mais ça ne marche pas. Il faut se souvenir que sur scène Phil May s’autorisait deux classiques de blues pour reprendre son souffle, accompagné du vieux Dick Taylor à l’acou, mais on avait hâte que ça se termine, car nous n’étions pas là pour ça. Nous étions là pour les Pretties de SF Sorrow et de LSD. Ce break d’acou renvoyait à des mauvais souvenirs d’MTV unplugged et à toutes ces conneries que le business a tenté de nous faire avaler.

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    Alors comme tous les fans des Pretties, on rapatrie l’album pour l’écouter en priant Dieu que tous nous veuille absoudre. Mais c’est mal barré, car déjà la pochette n’est pas belle. On trouve à l’intérieur l’inévitable laïus de Mark St John et franchement le titre n’est pas jojo non plus. Un a-priori défavorable peut parfois rendre une surprise plus jouissive, tous ceux qui l’ont expérimenté dans le jeu des rencontres amoureuses le savent. Ça peut aussi marcher dans le cadre d’une écoute mal barrée. Et hop, vous partez à l’aventure, pour un heure de rootsy drive qui s’ouvre sur le vieux «Can’t Be Satisfied» de Muddy Waters. Autant que vous le sachiez tout de suite, ça n’a aucun intérêt, sauf que Phil May chante de l’intérieur du menton avec une sorte d’inspiration divine. Il fait des petits effets de glotte et sauve in extremis son satisfiah. Le seul moyen d’apprécier cet album bancal en forme d’exercice de style, c’est de se concentrer sur la voix de Phil May. Mais ça n’a plus rien à voir avec les Pretties. On est dans autre chose. On attend d’eux des turpitudes, on voudrait voir la cabane branlante s’écrouler, ils pourraient nous balancer un shoot de raw to the bone comme le font Charlie Musselwhite et Elvin Bishop sur leur dernier album, mais Phil & Dick prennent leur mission au sérieux et on s’emmerde choronniquement comme des rats morts. «Come Into My Kitchen» tourne à la tragi-comédie. Ça ne peut pas marcher. Peut-être parce qu’ils sont blancs. Il faut s’appeler John Hammond pour oser chanter le Delta Blues. Leur «Ain’t No Grave» ne vaut pas un clou. Et du coup, on se fout en pétard. Car c’est le charisme des Pretties qui en prend un grand coup dans la gueule. Ça serait bien la première fois qu’ils ratent un album. Il faut quand même bien faire attention à ne pas accepter n’importe quoi. D’un autre côté, ce genre d’exercice de style risque de plaire aux gens qui ont des guitares en open tuning et qui les grattent au coin de feu, mais bon, cet album pue l’arnaque. Avec «Redemption Day», ils s’enfoncent dans un monde de rédemption en carton-pâte et ça frise le Nick Cave. Quelle déconvenue et quelle tristesse ! Une si belle voix !

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    Ça fait parfois de bien de parler d’un album qui déçoit. On parle trop des albums qui montent au cerveau. Et ça finit par devenir une routine. Avec cet album, le cerveau ne risque absolument rien. Entendre Phil May faire du Nick Cave c’est tout simplement hors de portée d’une compréhension ordinaire, pour ne pas dire intolérable. Ça empire encore avec «The Devil Had A Hold On Me». Oui, ça empire comme une maladie, ça tombe bien, c’est d’actualité. On ne parle plus que de ça. Les Pretties se retrouvent bien malgré eux dans l’air du temps. Écouter ce disk, c’est à la fois souffrir dans sa chair et assister à l’écroulement de l’empire dans un nuage de soufre. Il n’existe aucun lien entre ce Devil à la mormoille et le Baron Saturday. Le problème c’est que le pauvre Phil chante son truc jusqu’au bout et personne ne lui dit que ça ne va pas. Oh, ils sont dans leur truc, il ne faut pas les embêter, il vaut mieux les laisser tranquilles. Inutiles d’ajouter des commentaires, les dés sont jetés, de toute façon. On note toutefois un petit regain d’intérêt avec le vieux «Love In Vain» de Fred McDowell, jadis repris par les Stones. Mais bon ce n’est plus l’heure, Phil arrive après la bataille. Dommage car il ramène infiniment plus de feeling que n’en ramena jamais Jag, il passe le train came in the station à sa sauce et il redresse brutalement la situation avec le fameux I looked her in her eyes. Mais c’est avec le «Black Girl» de Lead Belly qu’il sauve cet album atrocement austère. Phil May rentre enfin dans la gueule de la mythologie, in the pines where the sun never shines. Voilà enfin l’éclair de génie tant attendu. Phil May rejoint au panthéon des dieux Kurt Cobain et Lanegan qui surent en leur temps rendre hommage au génie tentaculaire du grand Lead Belly.

    Signé : Cazengler, Pity Thing

    Pretty Things. Bare As Bone Bright As Blood. Madfish 2020

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    Kr'tntreaders votre blogue avait trois ans d'avance ! En effet c'est dans notre livraison 351 du O1 / 12 / 2017, dans l'article intitulé Une incroyable découverte, répertorié dans notre catalogue raisonné sous l'appellation Crashbirds Flyers, que nous tendions notre micro au grand professeur Damius Chadius qui pour la première fois au monde se livrait devant la Communauté Scientifique Internationale ébahie de tant de connaissances accumulées dans le cerveau d'un seul chercheur, à une analyse sémiotique des plus pointues sur une des plus grandes énigmes picturales de l'humanité.

    Et voici que maintenant un certain Pierre Lehoulier ayant compris l'importance des aperçus fulgurants et prophétiques des travaux du grand Damius Chadius publie sur le même sujet un ouvrage dont nous ne saurions que vous recommander la lecture.

     

    AFFICHES CRASHBIRDS

    2010 – 2020

    ARTWORK de pierre lehoulier

     

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    Words and music, indispensables au rock'n'roll. Mais cela ne suffit pas. Il faut davantage. Surtout si l'on exige que le rock'n'roll soit un art total. Peu de groupes y songent. Se contentent de penser que le visuel cosiste en ce que le spectateur voit alors qu'il réside en ce que l'on désire qu'il voie. Vu sous cet angle, le rock'n'roll est un art de manipulation mentale. Souvent les gros mastodontes vous en mettent plein la vue, fumées, feux d'artifices, pensez à la locomotive d'AC / DC, les éléphants d'Eddy Mitchell... Pour les petits groupes – cet adjectif n'est en rien péjoratif, nos premiers bluesmen n'avaient qu'une guitare à peu près pourrie – le challenge est plus difficile, faut davantage compter sur ses propres talents que sur des moyens surajoutés qui vous entraînent dans une surenchère artificielle.

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    Propos politique. Les riches ont toujours pensé que l'argent était à voler aux pauvres. Et les pauvres admiratifs payent pour regarder ce qu'on leur a confisqué avec des yeux comme des ronds de frites molles, ne s'apercevant même pas que sur quoi ils s'extasient vient de chez eux, leur appartenait en propre, que dans le miroir qu'on leur tend c'est leur propre image qu'ils admirent. Avec une plume dans le cul. Le choix n'est guère cornélien, ou vous dye de votre ( pas si ) belle mort ou you diy tout seuls comme des grands.

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    Malgré leur cervelle d'oiseaux, les Crashbirds l'ont compris. Soignent leurs images. Facile rétorquerez-vous quand on est doué en dessin comme Pierre Lehoulier. Sûr que ça aide. Mais Lehoulier serait-il le meilleur dessinateur du monde que cela ne suffirait pas. Comme tous les grands peuples, les cui-cui ont d'abord pris soin de créer leur mythologie. Une fois que vous êtes parvenu à ce stade il ne reste plus qu'à peindre les images qui vont avec. Certains les imaginent en chemin de croix, d'autres en icônes extatiques, mais chez les Crashbirds on n'est guère porté à s'en remettre au premier dieu ( ou prétendu tel ) qui passe, portent un regard lucide et sardonique sur notre monde.

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    Voici quelques mois nous chroniquions la première saga que Pierre Lehoulier avait dessinée en l'honneur plus grand des héros de nos temps modernes, le fameux Super Gros Con. Que vous connaissez tous. Car l'on a les gouvernants que l'on mérite. Cette fois, nous en rêvions, il l'a réalisé, un bouquin collecteur – elles n'y sont pas toutes, ce qui implique d'ores et déjà un deuxième tome – d'affiches d'annonce de leurs lives. Sont comme cela les Crashbirds on les prive de concerts, vous croyez qu'ils font du boudin dans leur coin, pas du tout, font la nique au destin, sont en train de préparer un clip, d'enregistrer un sixième album, tout ça chez eux, et ce livre qui vient de sortir. Petit à petit l'oiseau fait son nid. Mais les Crashbirds construisent des aires d'aigles libres.

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    Mais que contient ce livre. Stricto sensus soixante sept reproductions d'affiches de concerts de Crashbirds, rangées par ordre chronologique, du vendredi 10 novembre 2011 au 30 octobre 2020. C'est comme si vous visitiez une galerie du Musée du Louvre, sans gardien mais avec le droit de toucher avec les doigts, vous pouvez glander tout le temps que vous voulez devant chacune des œuvres. Nous y reviendrons dans quelques paragraphes. Les à-côtés valent le détour. Les passionnés de théâtres affirment que l'on voit de plus près les actrices dans les coulisses que sur la scène.

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    Un petit laïus de présentation, les douceurs automnales de la dédicace à son papa et à maman, Lehoulier tire sur la corde sensible de tout ce qui a disparu depuis dix ans, pour un peu vous hisseriez votre mouchoir hors de votre poche afin d'essuyer discrètement une larme. Boum, Pierre Lehoulier tout sourire vous fait le coup du cadeau de Pif Gadget, les affiches certes, mais une glace à la fraise empoisonnée avant l'estouffat des haricots au gigot d'affiches, une bande-dessinée, rien que pour vous. Ne vous réjouissez pas de sitôt, vous voici en plein attentat terroriste, un avion ( à peine ) non identifié vient de s'abattre sur le World Trade Center. Précipitons-nous, des blessés ont sûrement besoin de soins. Serions-nous en train de revivre le massacre des Twin Towers. Non ce n'est pas si grave que cela. Les pilotes sont bien vivants. Ont réussi on ne sait comment à s'extraire de la carlingue plantée dans le sol, z'ont un drôle d'air, l'on n'arrive pas à savoir s'ils sont contents d'eux-mêmes, ou bien marris de leur mésaventure. Faudrait être ornithologue pour répondre à coup sûr, vous les avez reconnus ce sont ces oiseaux de malheur, les fameux cui-cui, perchés sur l'arbre de la couverture comme le corbacée sur celui de La Fontaine. Ne tiennent pas en leur bec un fromage, mais un livre, qu'ils lancent à la tête de la petite fille innocente ( mais les petites filles sont-elles vraiment innocentes ) venue les secourir. La voici revenue chez elle, elle se lance dans la lecture de l'ouvrage que vous êtes en train de lire. Ah ! Ah ! C'est rigolo. Vous prenez les choses du bon côté, vous êtes des optimistes, et si c'était sérieux, si c'était un-je-ne-sais-pas-quoi moi, tiens un apologue anarchiste par exemple, un truc pour vous inciter à réfléchir.

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    Nous avons vu la coulisse ( on y prend son pied ) côté cour, portons-nous à son opposée, située à la fin du livre, coulisse côté jardin , y prend-on aussi son pied ( au cul ), une double page, très instructive comme disent les pédagogues, ville en flammes, style incendie de la Commune, foule en colère, mais prudente, ce ne sont pas des gilets jaunes, mais ils portent comme signe de reconnaissance des masques blancs. Z'ont des z'allures de z'ombies, peut-être parce que le mouvement social est mort tué par un virus. Je vous laisse à vos initiatives.

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    Dans les histoires de haine, c'est comme dans les histoires d'amour, faut toujours une tête d'affiche. Les Crashbirds ont les moyens. Z'en z'ont deux. Aussi inséparables que les Dupond et Dupont ( parfois ils arborent leur plumage jaune comme de frais pondus ) de Tintin, en beaucoup moins bêtes et en plus méchants. Vous les trouvez partout, posés sur la selle de leur cinquante cm3 aussi innocents que des blousons noirs méditant un mauvais coup, au volant d'une Simca mille la voiture des malfrats des early seventies, sur le camion des pompiers avec cette mine atterrée de pyromanes qui viennent considérer l'étendue de leur forfait, méditant sur le chapeau d'un pistolero mexicain ou d'un Capitaine pirate, sur le toit d'une voiture qu'ils ont précipitée sur un arbre, pas très fiers à plusieurs reprises sur l'avion qu'ils viennent de crasher, sur une moto-ski au pôle sud, ou alors ils ne reconnaissent personne sur leur Massey-Ferguson, peu pressés de prendre leur envol sur un rouleau-compresseur, jouant à Nomades du Nord en compagnie d'ours furieux, sur la carte de l'as de pique, sur l'écu du Chevalier noir, ( j'écris leurs noms ), veillant sur un campement de romanichels, faisant du grand-bi, jouant de la guitare, buvant de la bière, perso je les préfère, courant sus à l'anglois et tout autre peuple de la triste humanité, sur la grand-voile de leur brick pirate, prêts à déclarer la guerre au monde entier.

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    N'y a pas qu'eux sur ses affiches. D'abord il y a celui qui n'y est pas. Pierre Lehoulier. Le fauteur de troubles, l'instigateur. Ne se dessine jamais, mais c'est sa patte, pardon son aile, car il tient la plume et le feutre, que l'on retrouve partout. Des dessins figuratifs, mais derrière les objets représentés, c'est l'esprit Crashbirds et rock'n'roll que l'on retrouve. Pas saint du tout. Lehoulier joue avec les images toutes faites, une  inspiration un peu ( beaucoup, à la folie ) rebelle, mais qui met entre elle et le monde la transparence de l'humour, reprend les tubulures de cette mythologie sortie tout droit des rutilantes années soixante, époque où la société de consommation promettait de vous apporter le bonheur encore plus vite que la notion de progrès social. Une ère de prospérité sans précédent. Certes, mais sans futur. Examinez de près ces satanées affiches, le monde pue la déglingue, des objets rafistolés, des tas de détritus partout, des idéaux des justiciers des siècles passés ne subsistent que des images d'Epinal. Certes l'on rit, mais l'on devrait serrer les dents. Le pire n'est pas à venir, il est déjà là.

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    Ces affiches sont comme les grandes arcanes d'un jeu de tarot taré. Vicié à la base. Elles sont magnifiques, Pierre Lehoulier a d'abord le génie des fonds, des espèces de monochromes en accord parfait avec le sujet qu'il traite. Le papier apporte à ses dessins le glacé inaltérable de l'hyperréalisme. Une conformité-critique se dégage de ces images, tout semble vrai, respecté au moindre détail, et pourtant la réalité présentée bat de l'aile. Avec ces affiches Pierre Lehoulier en dit plus sur l'état de notre monde que bien des articles bourrés de statistiques et d'analyses pertinentes. Chaque page comme un coup de poing au-dessous de la ceinture et dessus de votre pensée. A croire qu'il s'amuse avec ses images immobiles au bouscule-tout, au bascule-moi-ça, au pim-pam-poum graphique. Ce n'est pas le portrait de nos gouvernants honnis qu'il a peints sur les boîtes de conserve avariées de ce casse-pipe coloré, mais nos représentations mentales du rock'n'roll. Un pinceau meurtrier qui ne respecte rien, ni ses propres goûts ni ses propres couleurs. Pierre Lehoulier use d'un stabilo déstabilisateur le seul moyen pour que le rock'n'roll ne devienne  ( version +++ ) pas, ne reste ( version - - - ) pas une marchandise comme une autre.

    Damie Chad.

    Un grand merci à Fred Herbert qui a beaucoup fait pour ces affiches. Et une bise à l'autre moitié ( la plus belle, et la non moins intransigeante ) de Crashbirds.

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    *

    Kr'tntreaders, je doute de vous. Je ne crois pas que vous vous réveilliez en pleine nuit pour vous demander si Henri Troyat s'est inspiré de Premier de Cordée de Frison-Roche pour rédiger La neige en deuil. Si je vous posais cette question je pense que vous m'enverriez bouler, que vous m'assèneriez froidement que ce problème ne vous taraude pas et que de toutes manières vous n'avez aucune envie de vous plonger dans la lecture de ce volume qui ne parle point de rock'n'roll. Je vous rassure moi aussi. Manuel Martinez – ne me dites pas que vous ne connaissez pas, à plusieurs reprises je vous ai emmenés soit à ses exposition, soit à vous pencher sur certains de ses tableaux - est comme nous. Mais lui, c'est différent.

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    Voici plus de vingt ans Manuel Martinez avait rédigé les Chroniques d'un Contempourri, peut-être que vous ne connaissez pas, mais vous vous reconnaîtriez sans peine dans le portrait déjanté qu'il trace de l'homo modernus. Deux minuscules plaquettes en blanc et noir, mêlant dessin et écriture, une espèce de bande-dessinée dans laquelle tracés et lettrages semblent s'engendrer mutuellement, à tel point que l'on ne sait si l'on doit d'abord regarder l'image, ou lire le texte, et que lorsque l'on tente l'opération conjointe, la difficulté n'en est pas résolue pour autant. Et ne voilà-t-il pas que l'année dernière le démon de la perversité cher à Edgar Poe l'a poussé à recommencer, en plus grand, en plus long, en plus complexe, en plus coloré.

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    A ses moments perdus, j'en ai été témoin, entre deux visiteurs venus s'extasier dans sa galerie. Une œuvre de longue haleine mais fragmentée en minutes grappillées de-ci, de-là. De ces heures de l'entre-d'eux, est sorti un livre, un seul, nommé :

     

    BORDERLINES

    MANUEL MARTINEZ

    ( Livre Unique )

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    L'a commencé comme les moines copistes du Moyen-Âge qui dans le coffre aux merveilles philosophiques de l'Antiquité prélevaient au hasard un parchemin, par exemple le traité du non-être de Gorgias, pour le recouvrir d'insipides et insignifiantes litanies christologiques, mais lui Martinez a œuvré en sens inverse. S'est saisi d'un exemplaire du roman d'un écrivain de seconde zone, La neige en deuil d'Henri Troyat, l'a choisi pour son format, son nombre de pages relativement restreint, et la qualité de son papier, afin de le transformer en objet unique. S'est muni de feutres, de crayons de couleurs et de tous ces ustensiles qui traînent dans tous les coins d'un atelier de peintre, je le soupçonne fort de s'être contenté de prendre l'outil le plus proche de lui à l'instant T. Puis il a rédigé et dessiné Bordelines. 128 pages.

    Vous aimeriez que l'on en vienne au fait, que je vous résume grosso-modo, le contenu de l'ouvrage. Nous y étions juste au début, avec notre fin de paragraphe précédent sur l'instant T. . Borderlines c'est comme une réécriture d' Une brève histoire du temps de Stephen Hawking, mais avec Manuel Martinez vous n'aurez pas besoin de faire semblant d'avoir compris. C'est beaucoup plus complexe. Vous met dès le début au pied de l'horloge temporelle, devant une expérience universelle à laquelle vous n'avez pas comme tout le monde échappé. Pour l'heure d'hiver faut-il avancer ou retarder le cadran de votre vie d'une heure. Oui, mais dans les deux cas que deviennent ces minutes perdues, où sont-elles ?

    Voilà vous êtes à l'entrée du labyrinthe, ne tremblez pas vous ne rencontrerez pas le minotaure, pour la simple et bonne raison que le labyrinthe est-lui-même le minotaure, vous ne me croyez pas pourtant le temps saturnien est bien connu pour dévorer les petits enfants mignons. Je vous laisse continuer la lecture, attention aux fausses pistes. Il y en a partout, les dessins et les ''bulles'' splashées de Martinez ne couvrent pas toujours tout le texte de Troyat, l'en reste des fragments que vous ne pouvez vous empêcher de lire à la recherche d'une indication quelconque, parfois le scriptor se moque de vous, il entoure certains mots qui ne sont pas sans écho avec ce qui est écrit et dessiné, faut-il les incorporer au sens du texte ou sont-ce de faux hasards, et qui nous dit que tel autre qui ne semble pas avoir plus de rapport avec le récit martinezien que le blanc du mur sur lequel un peintre réalise son tableau, n'ait pas été le départ d'une idée graphique, d'une inflexion de l'histoire, multiples sont les sentiers entrecroisés de la création.

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    Une chose rassurante, Manuel Martinez est aussi perdu que vous, mais lui ça le réveille, il se lève en pleine nuit, qui a dit qu'un peintre ne peut pas peindre dans le noir, surtout que ce sont les idées noires qui le guettent, qui surgissent, qui l'assaillent, pas besoin d'être détective privé ou commissaire chevronné pour trouver la coupable, la, car c'est bien sûr une fille, passons sur le rappel des scènes délicieuses et pénibles, au final l'on est toujours seul et empêtré dans de savants calculs, où sont passés ces 3600 secondes ( fatidiques ), l'artiste seul face à la résolution de son problème, inclusion d'une notice d'ordinateur, nous ne sommes plus aux temps ( pas si ) anciens où Ezra Pound recopiait dans ses Cantos les idéogrammes chinois des boîtes de thé, le peintre ne sait plus s'il doit recolorier sa vie ou tourner définitivement la page, apocalypse sur ses neurones, il a maintenant atteint une certaine maîtrise. Mais de quoi au juste. Peut-être de lui-même. Parfois il suffit de pousser les cloisons mentales pour mieux respirer. Mais tout recommence comme avant. Cette fois, cela ne se passera pas comme autrefois. Chut, ne le réveillez pas il s'est endormi. En fait c'était juste une heure de sommeil en plus. Pas de quoi faire tant de tralala. Morale de l'histoire : dehors dans le monde c'est comme dans la tête. A moins que ce ne soit l'inverse. C'est peut-être dans la tête que c'est comme dehors. C'est comme le sablier, il fonctionne dans les deux sens. Posez-le droit comme un i, ou tournez-le cul en haut, tête en bas, c'est la même heure qui s'écoulera.

    Je vous ai raconté ma version de l'histoire, dans un labyrinthe chacun trace son chemin. Nous l'avons lue. Nous allons maintenant la regarder. Ce qui compte ce n'est ni le dessin, ni les couleurs, c'est la façon dont l'ensemble fonctionne. Vous ne comprendrez rien au bouquin, si vous vous ne vous mettez pas dans la tête qu'ici il ne faut pas chercher à quoi ressemble le dessin, mais ce qu'il signifie. Une lecture qui s'apparente davantage au déchiffrage des hiéroglyphes toutankhamontesques, et mieux encore, à l'unité idéographique de tout élément d'une notion dessinée, nécessité de partir de la représentation de l'objet ( ou de la situation ) pour l'aborder en tant que son idéification abstraite. Comme si chaque dessin correspondait à un caractère sinomorphique d'un alphabet que l'on ne connaîtrait pas en son entier et que l'on s'efforcerait de déchiffrer malgré tout.

    Le livre est abracadabrantesque à parcourir, l'on tourne les pages, le bleu de la nuit vous saute aux yeux, mais aussi les chats, l'alcool, l'homme-singe, le sourire, le désir, le rouge-suicide, l'orange intellectuel, l'homme loup, le cheval fou, le bateau ivre, tout un bestiaire, des hectolitres d'hétéroclite, des traces de couleur comme si le peintre s'était torché les mains sur ses dessins afin de les métamorphoser en faux tableaux, s'il est un livre rock'n'roll, c'est bien celui-ci. Il contient nos rêves brisés et nos vains efforts pour les recoller. A l'image de notre monde.

    Le livre pose aussi la questions essentielle de la peinture : est-ce la forme qui détermine le sens, ou le sens qui détermine la forme. Posez la même question en changeant le mot forme par couleur et puis par geste. Dans les trois cas : la remplacez par : la peinture se lit-elle ou se regarde-t-elle ? A vous de tenter l'expérience.

    Damie Chad.

    ( Borderlines se feuillette de la première à la dernière page sur

    FB : Manuel Martinez ou FB : Kr'tnt Kr'tnt )

     

    LOCK ME DOWN !

    JUSTIN LAVASH

     

    Justin Lavash réside à Prague. Je n'ai jamais mis les pieds dans cette ville. Hormis les Histoires Pragoises de Rainer Maria Rilke – savoir que la race humaine ait pu engendrer un tel individu vous réconcilie avec notre espèce – et Le golem de Gustav Meyrink – comme les gens bizarres qui écrivent des choses tordues me sont sympathiques - je ne connais que peu de chose de cette cité renommée. J'ai toutefois fait connaissance avec deux pragois. Jiri Volf fantasque poëte mort de froid dans une église désaffectée de Toulouse et le dénommé Justin Lavash rencontré en des circonstances moins dramatiques sur le marché de Mirepoix. Je ne précise pas où se trouve cette bourgade éminemment touristique puisque personne dans le monde n'ignore qu'elle campe fièrement aux portes de l'Ariège.

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    Le lecteur pressé de faire sa connaissance se reportera à notre livraison 310 du 05 / 01 / 2017 dans laquelle je relatais notre rencontre et chroniquais son album : Programmed. Depuis Justin Lavash et sa guitare, le bourlingueur et Miss Bluezy, sont rentrés à Prague. Et voici que dans mon fil facebook apparaît sa face boucanière munie d'un bandeau de pirate sur l'œil droit. La situation doit être grave puisqu'il demande ( apparemment ) à être enfermé. S'il exige à ce qu'on le libère j'écouterais quand même, car entendez-vous il a une superbe voix de sirène rouillée.

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    Lock me down : vidéo clip sur You tube. Novenbre 2020. Réalisé par Scott C. De Castro. Un truc magnifique fait avec les moyens du bord. Attention le mec est doué, cela n'a l'air de rien, mais question angles de prise de vue, et apport kaleidoscopiques surnuméraires sur des images répétitives, vous ne trouverez pas dosage plus savant, ce gars quand il fait la cuisine il doit compter les grains de sel un par un. Mais que serait un film sans acteur ? L'a de la chance le Scott, l'en tient un, aussi ne le relâche-t-il pas. Ne fait pas grand-chose le Justin Lavash, mais oh la vache il a ces 99, 9999 pour cent que le reste de l'humanité n'a pas, la rock attitude. Faut le voir remuer derrière son micro. La grande classe, avec son bandeau à la Johnny Kidd, son félinique déhanchement d'iguane en chemise faussement hawaïenne et sa gueule de taulard au bord du transfert en cellule de crise capitonnée, l'est irrésistiblement résolument rock. Le mec qui craque tout en restant craquant pour toutes les filles sauvages que porte notre terre. Image en faux-blanc et gris de la grande époque. Mais ce n'est pas tout. Il y a le morceau, commence par un grattement de souris acoustique à qui l'on a rebouché le trou de sortie. Et puis c'est parti, le truc électrique méchamment balancé et la voix de Lavash, celle qui sort de votre gosier après trois nuits à traîner dans les quartiers chauds avec la pègre et les putes de Mexico. Une espèce de gimmick entraînant, je ne sais qui est aux guitares, Lavash peut-être, mais quel doigté et quelle imagination ! Mais ce n'est pas tout. N'y aurait-il que cela que ce ne serait rien. Car à écouter les paroles, l'on se rend compte que Lavash a écrit le premier hit, en d'autres termes le l'hymne définitif, sur le confinement, d'autant plus vicieux et insidieux qu'il n'en parle pas. Une réussite majeure.

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    The hardest thing ! : Vidéo-clip : octobre 2020 : Justin Lavash : guitar , vocals / Gejza Sendrei : keys / Simon Lavash . Trumpet / Pavel “Košík” Košumberský : percussion / Tonda Moravec - percussion / Cut-up clip réalisé avec une grande intelligence par Barbora Liska Karpiskova à partir de photos d'Anna Bastyrova. Z'ont pensé à un ensemble signifiant pour la mise en scène, notamment l'inscription des lyrics en tant que motif indétachable des images. Ce n'est pas un blues comme on n'en fait plus mais un blues comme on en fera demain, avec pour celui-ci cette saveur d'épice jamaïcaine reléguée au quatrième plan mais absolument présente grâce à cette moqueuse trompette de mariachi qui tire la langue à la mort. Surprise, pour une fois dans un blues contemporain les paroles conditionnent la musique. Peut-être Lavash est-il le parolier ( en anglais ) qui manque au blues européen. Morceau de confrontation de soi à soi. Post-déprimal. Un état des lieux sordides. La guitare vous entraîne sur des chemins de solitude. Un constat amer, définitif comme un procès-verbal d'autopsie. Et puis la chute vertigineuse. Une coupure de lame de guillotine. Est-il possible de changer de vie. Mille chemins fermés.

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    Guitar : Vidéo-Clip : septembre 2020 : Justin Lavash : guitar, Genja Sendrey : clavier. Etrange, le premier instrumental chanté, oui Lavash chante et gratte sur ce morceau mais Scott C. De Castro qui est aux manettes est un véritable sorcier, vous donne l'impression que ce sont les incrustations des quinze participants qui rythment le morceau. Mais Lavash ne fait pas que jouer. Il joue aussi. Occupe la première place. Le devant de l'écran est pour lui tout seul. Il gesticule, il mime, il interprète, à croire que ce diable d'homme a fait aussi un peu de théâtre dans sa jeunesse. L'est doué pour tout. Vous racole pour pour mieux vous coller à son jeu. Le morceau n'excède pas cinq minutes, mais vous avez toute l'histoire de la guitare racontée, la classique, la bluezy et tous les errements qui ont suivi. Un festival, une véritable déclaration d'amour à la six-cordes. Sûr que c'est un peu à l'attrape-œil et à l'attrape-oreille. Ces trois derniers morceaux de Lavash visent un public beaucoup plus large que les trois derniers passionnés de blues sur un marché de province française. Un autre plan de carrière semble s'annoncer. Un côté moins crade, moins roots, mais sur ses trois titres Lavash parvient à rester authentique. Authentiquement Lavash, et c'est cela la marque d'un grand artiste.

    Damie Chad.

     

    VIII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

     

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    30

    C'est vers dix heures du matin qu'une voiture du Corps Diplomatique du Guatemala s'arrêta freina brutalement devant le perron de l'Elysée. L'on se précipita pour nous ouvrir les portières. Nous suivîmes les huissiers qui nous menèrent diligemment au bureau du Président. D'un petit grognement Molossa intima l'ordre à Molossito de se tenir correctement, interdiction formelle de s'oublier sur la moquette. Le Chef avait décidé d'enclencher le protocole 27. Je rappelle au lecteur ignorant que ce fameux article 27 des Services Secrets permet à un responsable supérieur d'une branche du Service Action d'obtenir au plus vite un entretien avec le Chef de l'Etat s'il jugeait qu'un danger grave et imminent menaçait le pays. Le Président arborait une face glaciale.

      • Vous tombez bien, hurla-t-il, j'avais justement besoin de vous entretenir de la mort suspecte de six de nos agents, je...

      • Président, nous règlerons cette question subalterne à la fin de l'entretien, mais nous sommes venus pour un tout autre problème, celui de la boîte à sucre.

    Le Président pâlit. Du rouge cramoisi, il passa au blanc cadavérique. Déjà Molossa et Molossito avaient sauté sur le bureau et je déposai la boîte à sucre sur le bureau. J'allais commencer ma démonstration, le Président fit un geste pour m'arrêter et appuya sur un bouton, la porte s'ouvrit et deux individus entrèrent.

      • Messieurs je vous présente deux de nos plus grands mathématiciens, de la Faculté mathématique d'Orsay, de la cellule Action et Recherche Pythagore.

    Il était clair que nous étions attendus au-delà de nos espérances. Le Chef alluma un Coronado pendant que Molossa et Molossito secondaient de leurs aboiements le déroulement de mon raisonnement. Les deux scientifiques m'écoutaient avec attention, je remarquais que si l'un d'eux vérifiait le résultat des opérations sur une calculette électronique, le deuxième semblait plus attentif aux réactions des deux canidés. Ce fut d'ailleurs lui qui s'empara du trois-cent soixante-neuvième morceau de sucre, qu'il coupa en deux et il en offrit une moitié à chacun des deux chiens qui le croquèrent sans se faire prier :

      • Comme ces bestioles sont ravissantes, de véritable bêtes de cirque, Monsieur le Président, rien de neuf sous le soleil, le vieux paradoxe de la boîte à sucre connu de tous les étudiants de mathématique de première année, je crois que nous pouvons nous passer des services de ces montreurs d'animaux savants, certes divertissants mais franchement peut-on prêter attention à des amateurs de rock'n'roll, nous avons à vous entretenir de dossiers beaucoup plus sérieux.

    Comme le Chef allumait un second Coronado, il se tourna vers nous :

      • Quant à vous Messieurs nous ne vous retenons pas, vous avez certainement des choses plus intéressantes à accomplir que de voler des voitures du Corps Diplomatique du Guatemala et de faire perdre au Président un temps précieux dévolu aux affaires importantes de notre nation.

    La porte du bureau présidentiel se refermait sur nous, je me retournais, le visage du Président exprimait un soulagement ineffable.

    31

    Un sacré coup de pied dans la termitière avait dit le Chef, voilà pourquoi ce soir-là deux vélo-solex filaient à vive allure vers la banlieue Sud de Paris. Les évènements vont se précipiter avait-il ajouté. Molossito coincé sur ma poitrine et mon Perfecto dormait paisiblement. A l'arrière assise sur le porte-bagage Molossa méditait sur les vicissitudes de l'existence avec l'air détaché d'un bonze ayant atteint à plusieurs reprises l'illumination. Devant moi, sur sa monture pétaradante le Chef n'arrêtait pas de se retourner pour vérifier l'arrimage de la caisse à Coronados capitonnée qu'il avait emportée. Nous eûmes l'impression d'être suivis par un ballet de voitures discrètes, quelque sens interdits, quelques allées privées dont nous possédions les passes, nous permirent de nous défaire de ces gêneurs.

    Nous freinâmes devant la grille. Elle était ouverte. Diable, pensais-je, cela dépasse les bornes de la logique aristotélicienne ! Une petite loupiote au-dessus du perron éclairait chichement le jardin. C'était à croire que l'on nous attendait. La porte s'ouvrit. J'espérais Thérèse. C'était Alfred.

    Dans la cuisine, il nous avait préparé une petite collation, café, gâteaux, bouteilles de moonshine polonais, vastes cendriers pour les Coronados du Chef. Je tentais un regard vers la porte de la chambre.

      • Désolé Damie, Thérèse est partie, nous nous sommes séparés, elle a apparemment trouvé mieux que moi.

    Le Chef alluma un Coronado...

    32

    Durant deux jours nous ne bougeâmes pas de la villa. Restons prudents avait dit le Chef, les tueurs de l'Elysée sont à nos trousses. Nous ne nous ennuyâmes pas. Alfred fit coulisser un rayonnage de sa bibliothèque de la cave, apparut alors des centaines d'albums vinyles... pas grand-chose minauda-t-il mais assez pour se remplir les oreilles. Ce que nous fîmes à satiété.

    Ce matin-là, le Chef tournait en rond dans le jardin, Coronado au bec, toutes les cinq minutes il regardait sa montre. Alfred s'était absenté pour les courses de première nécessité. Je descendis à la cave, une question me taraudait quel album de Jerry Lou écouterai-je ? Il s'avéra que le pauvre Alfred ne possédait aucun disque de Jerry Lou ! Dépité j'attrapais au hasard un livre sur un rayonnage et m'assis sur un fauteuil. J'ouvris la première page et sursautais violemment ! Mémoires d'un GSH ! Je n'étais pas au bout de mes découvertes, je zieutais la couverture : L'homme à deux mains. Eddie Crescendo. Série Noire 2037 ! Je n'eus pas le temps de ne pas comprendre. Deux violents coups de klaxons résonnèrent dans toute la maison. Je sortis précipitamment dans le jardin. Un énorme camion s'était arrêté devant la grille. Le Chef était déjà en pourparlers avec le chauffeur devant la grille. Alfred arrivait avec son panier de commissions.

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      • Au boulot vite ! Je prends le commandement des opérations, agent Chad ouvrez la porte du camion, Alfred pressez-vous, dans cinq minutes je veux que tout soit déchargé !

    Il nous fallut trois bonnes heures d'allées et venues pour transborder les huit tonnes de Coronados que le Chef avait commandés à la Maffia italienne. Nous les entreposâmes dans les deux pièces vides du rez-de-chaussée. Lorsque tout fut fini le Chef exultait : Maintenant la guerre peut commencer ! déclara-t-il d'un ton comminatoirement jouissif. Puis il ajouta. Alfred s'il vous plaît préparez-nous un repas fortement calorique, la journée sera fatigante, agent Chad sortez les chiens, ils m'embêtent à batifoler dans le jardin, j'ai besoin de méditer dans le calme !

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    J'emmenais les bestioles canines dans un petit square situé à une centaine de mètres de la villa. J'avisai un banc, sortis de ma poche L'Homme à deux mains d'Eddie Crescendo, Série Noire 2037, mais déjà Molossito aboyait. Je me retournais. Une petite vieille qui tenait un Westie décrépit en laisse marchait dans l'allée. Elle s'arrêta à ma hauteur. C'était Thérèse !

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 469 : KR'TNT ! 469 : PRETTY THINGS / DAVID ROBKAB / UNDERTONES / VOLUTES / FELIX PAPPALARDI + CREATION

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 469

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    18 / 06 / 20

     

    PRETTY THINGS / DAVID ROBKAB

    UNDERTONES / VOLUTES

    FELIX PAPPALARDI + CREATION

     

    Oh You Pretty Things

    - Part Seven

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    Sans même savoir que les choses allaient prendre une tournure tragique, les Pretties décidèrent le 13 décembre 2018 de tirer leur révérence à Londres, comme ils l’avaient fait deux mois auparavant à la Maroquiqui (concert infiniment mémorable du 19 octobre 2018 qui fit l’objet d’un Part Three ici-même sur KR'TNT). Attaqué de l’intérieur par un féroce emphysème, Phil May savait qu’il ne pouvait plus compter sur ses poumons et tenir une scène pendant quatre-vingt dix minutes. Le rock a ses limites. On finit par se faire avoir, même au bout d’un demi siècle de rage before the beauty.

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    Histoire d’accompagner leur dernière révérence, les Pretties ont eu l’idée de proposer à tous ceux qui n’ont pu assister au Final Bow londonien un Final Bow en forme de livre-disque pas trop cher, disons 60 euros, une somme qu’il faut bien sûr comparer à l’univers pour admettre que finalement ce n’est pas grand chose. Le book propose l’intégralité du Final Bow sur deux CD audio, plus la même intégralité sur deux DVD (dont un qui ne sert à rien, petite arnaque), et comme d’usage dans ces cas-là, une multitude de photos de scène qui sont là pour nous rappeler que même vieux, les Pretties avaient une sacrée prestance. Tout le monde rêve d’avoir eu un grand-père comme Dick Taylor, qui, faut-il encore le rappeler, est l’un des guitaristes les plus flamboyants d’Angleterre, mais vous ne le trouverez pas dans les fucking Tops 100 des guitar players que publient régulièrement nos amis des magazines.

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    Justement, Dick Taylor se fend d’un très beau texte dans le Final Bow book. Au long de deux grandes pages extrêmement passionnantes, il raconte dans son vieil anglais concassé l’histoire de sa vie de Pretty Thing, remontant jusqu’aux années cinquante pour nous faire revivre la naissance d’une scène qui allait changer le monde aussi radicalement que le firent celles de Memphis et de la Nouvelle Orleans à la même époque. Le vieux Dick a la chance de grandir dans une maison où on joue de la musique et il rappelle qu’ado, il haïssait cordialement la guerre et les militaires. Il découvre tout en même temps, la musique, l’art et les livres - J’avais 15 ans et je possédais une édition du Howl d’Alan (sic) Ginsberg, je me demandais ce que certains vers signifiaient et je me le demande encore aujourd’hui - Il découvre aussi un truc de base : ce n’est pas la technique qui importe en matière d’art, mais ce qu’on veut faire de cet art. Ça s’applique bien sûr à la musique. Il rappelle ce que tout le monde sait, qu’il fit un peu de musique avec Jagger dans le back room, chez ses parents, puis il commença à bricoler des trucs avec Phil à l’Art school. Phil et lui apprennent très vite l’autre principe de base des Pretties : remettre en question l’autorité et les conventions. Quand on leur dit à l’école d’aller se faire couper les cheveux, ils se les laissent pousser. Quand les magazines de l’époque essayent de les transformer en pop group, les Pretties montrent les dents. Dick et Phil songeaient essentiellement à préserver leur intégrité artistique - Which really sums up the whole ethos of the band right up to today (ça résume simplement l’histoire des Pretties jusqu’à aujourd’hui) - Avec cette fantastique humilité qui le caractérise si bien quand on a la chance de le rencontrer, Dick ajoute que s’il joue cette musique, c’est uniquement parce qu’il aime ça (I certainly only play because I love doing it). Dans le même esprit, Dick évoque les nombreux changements de line-up dans les Pretties, à commencer par son départ à la suite du flop de SF Sorrow. Il explique que les nouveaux embauchés étaient invités à contribuer. Les gens sont entrés dans le groupe et l’ont quitté sans rancœur, précise Dick. L’autre raison de la longévité des Pretties tient au fait qu’en dehors des tournées et des sessions d’enregistrement, chacun vivait dans son coin. Dick se dit éberlué de voir passer toute cette histoire en un éclair : «J’ai l’impression que ce long voyage entre notre tout premier concert et le dernier à l’O2 Indigo est passé comme un flash, mais pour rien au monde je ne voudrais l’échanger. J’ai passé la plus grande partie de ma vie à faire ce que j’aimais, alors voyons la suite.» Merveilleux esprit.

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    Phil May se tape lui aussi deux grandes pages. Il rappelle qu’en 1963, au Sidcup School of Art, l’idée était de se lancer dans un roller-coaster. On leur accordait deux ans d’existence maximum, mais le roller-coaster a duré 55 ans ! Phil raconte dans le détail ses souvenirs de l’Art school qui ne sont pas nécessairement des bons souvenirs. Le système est assez brutal et il apprend très vite à ne pas se retrouver tout seul à l’arrêt de bus. Il porte déjà des cheveux longs et les yobs locaux lui pètent la gueule. Lors de la deuxième année, il fait des rencontres déterminantes : Dick Taylor et Keith Richards. Il voit ces mecs un peu plus âgés que lui jammer dans une salle du Art school et finit par demander s’il peut chanter un truc ou deux avec eux. Alors Dick lui tend le carnet où Jagger écrit ses paroles de chansons - Écrites religieusement in a Pitman short hand note pad - Phil s’extasie sur sa propre transformation, de l’élève timide qu’il était en 1960, en arrogant and ballsy lead singer of the Pretty Things en 1963. Pour rester à la hauteur de cette réputation ballsy, Phil indique qu’il commence à prendre pas mal de dope - Tout au long de ma vie dans le groupe, j’ai gardé puis perdu le contrôle à cause de tous ces stimulants. Ils ont joué un rôle capital dans le process créatif du groupe, mais aussi un rôle destructeur - Chaque disque les Pretties lui rappelle des souvenirs précis. Il cite SF Sorrow comme l’un des principaux landmarks, an incandescent acid-induced mountain peak. L’autre moment clé de l’histoire fut l’arrivée de Peter Tolson dans le groupe, a real musical love affair - Ce groupe eut la chance d’avoir deux grands guitaristes, Dick Taylor et Peter Tolson - Il évoque la période Swan Song qui pourtant débuta bien avec two very good albums mais qui se termina en eau de boudin avec l’abus de coke - A Columbian marching powder standoff - Phil évoque la mutinerie et le supplice de la planche que lui ont fait subir les autres qui rêvaient de succès. Alors qu’ils sont au plus bas dans les années 80, Phil et Dick voient arriver dans leurs vies le fameux Mark St. John. Et comme le rappelle Phil, les dernières mesures de «Loniest Person» n’était pas la fin du livre, mais le commencement d’un nouveau chapitre. Oui, car on s’en souvient, Phil avait annoncé qu’il arrêtait la scène pour des raisons de santé, mais qu’il envisageait l’enregistrement d’un nouvel album des Pretties.

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    Soit on commence par voir le film, soit on commence par écouter les deux CD audio. Le mieux est de commencer par l’écoute, car dès «Honey I Need», Phil May nous plonge dans le chaudron des sorcières de Macbeth. Impossible d’en sortir. Tout le vieux power des Pretties est intact. Phil May allume son vieux Honey I wish you love comme s’il avait 15 ans, avec de l’Emotion dans chaque syllabe. Ils redeviennent les rois du beginning avec «Don’t Bring Me Down» et donnent libre cours à leur sauvagerie à coups de laying down the ground, d’incursions intestines en formes de killer solos et de coups d’harmo. Phil May claque le beignet de son Bring Me Down en bon dude demented. Les Pretties balayent tout sur leur passage, ils l’ont fait depuis leurs débuts, mais pour le Final Bow, ils dépassent les bornes. Ils Buzzent leur Jerk au double solotage. Rien de plus pretty que cette rengaine de Big Mouth Shut. Hey Mama ! Le vieux Dick se paye des beaux dérapages contrôlés. Ce qu’ils font porte un nom : classical mayhem. C’est l’Hey Mama du dark British Underground, I said shut ! Ils ressortent aussi le vieux «Get The Picture», morceau titre de leur deuxième album, puis passent à la psychedelia avec «The Same Sun». Phil May irradie dans le son du vieux Dick. Aw my Taylor is so rich, il joue à l’extrême de la pertinence psychédélique et part en petite vrille d’extravaganza demented, welcome back to London 67. Ils font aussi un monstrueux package «Alexander/Defecting Grey» saturé de beat turgescent et de gras double. C’est à la fois explosif et jouissif, fondu comme beurre en broche dans le laughing at me avec un Dick on the run. Tu ne peux pas lutter. Le poids affectif des Pretties va t’écraser la poitrine. Bienvenue au cœur du mythe avec «Midnight To Six Man», Ce démon de Phil May l’articule comme au temps des caves, tell me some more, fantastique bash boom de London Beat avec le vieux Dick en guise d’entrailles. Fin d’une époque, mais boy, quelle époque ! C’est là que s’achève le premier set de la soirée, qui en comprend trois.

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    Ils attaquent le SF Sorrow set avec l’ancienne équipe de Sorrow, Wally Waller, Jon Povey et Skip Allan, histoire de nous rappeler qu’à cette époque, ils étaient l’un des meilleurs groupes anglais. Le son ! Du gâteau pour Psycho Dick ! Il adore jouer «SF Sorrow Is Born». Wally Waller ramène une fantastique bassline. Bon d’accord, ils sont vieux, mais ce sont les Pretties. On entend ce démon de Dick courir comme un lièvre dans la campagne orangée d’un beautiful acid trip. Fantastique pulsion du poumon Sorrow. David Gilmour les rejoint sur scène pour «She Says Good Morning». Il vaut mieux voir le film pour savoir qui joue, car ils sont maintenant quatre guitaristes sur scène : Pépère Dick, Gilmour, Frank Holland et George Woosey qui gratte une acou, puisque Wally reste à la basse. Trop de monde, on perd un peu le côté Pretties. D’autant qu’on se fout de Gilmour comme de l’an quarante. Espérons que les gens ne sont pas venus pour lui. Les deux points forts du SF Sorrow set sont «Baron Saturday» et «Cries From the Midnight Circus». Mieux vaut voir le film car c’est pépère Dick qui chante «Baron Saturday», avec Wally en relais. Skip Allan et Jack Greenwood font le bazar aux deux batteries, mais c’est avec «Cries From The Midnight Circus» que les Pretties vont assurer la suprématie définitive de l’underbelly. Phil May saute à la gorge du cut et ça groove autour de lui, avec un fantastique drive de basse de Wally Waller : il dégringole sa bassline, can you hear me, et ça s’énerve fabuleusement. On se fout du solo car Dick n’y était pas, au moment de Parachute. Can you hear me ! Comme on a pu adorer ça ! Wally fout les chocottes avec son drive des cavernes. C’est tellement incendiaire qu’on s’agenouille devant Dieu pour le remercier de ce miracle. Midnight Circus est l’une des septièmes merveilles du monde et grâce au film, on voit que c’est Frank Holland qui prend le solo furibard. Fuck, les gars, c’est la dernière fois qu’ils jouent ce monster sur scène.

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    Avant de passer au End Set, l’idéal est de revoir tout le début à l’écran. Our favourite band !, clame Mark St John qui va revenir quatre ou cinq fois dans la soirée et qui va dire en gros à chaque fois la même chose. Mais on passe vite aux choses sérieuses avec l’image du vieux pépère Dick Taylor. Les caméras ont bien compris qu’il était l’âme du groupe. Cette façon qu’il a de jouer, trapu et sautillant avec sa grosse guitare orange de vieux pépère séculaire. Il s’applique et passe des killer solo flash à l’ancienne, fugitif et si vaillant au soir de sa vie. On le voit enrouler le British beat dans sa farine avec un évident plaisir de jouer. Les Pretties font le show, mais le fait de jouer dans une trop grande salle disperse un peu leur impact. Wow ! Vieux pépère trapu et ramassé sur son riff de Buzz the Jerk et hop, killer kill kill the Buzz, Dick jerks it out ! On le voit tartiner le plus wild des solos de fondu enchaîné dans «Mama Keep Your Big Mouth Shut». Personne ne bat les Pretties à la course, le vieux Dick trame ses complots délinquants dans l’ombre de la Picture, c’est encore plus évident à l’écran. En guise de départs en solo, il fait du pâté de dégoulinure insalubre, un véritable shoot d’épitome de chèvre du dérapage contrôlé, il joue à l’exemplarité des choses du gaRage before the beauty. À ce petit jeu, les Pretties sont imbattables, même vieux. Mais quand le vieux Dick et l’aussi vieux Frank Holland croisent leurs tartouillages de bas de manche, ça monte directement au cerveau. Dick & Phil Big Bossent leur British Beat comme des vieux crack boom hu-hus. C’est dingue le jus que peut amener ce vieux crabe derrière ses lunettes. Parfait enchaînement d’accords pour «Midnight To Six Man», killer solo à la clé et bassmatic lâché dans la nuit comme un loup garou. Ça doit leur arracher le cœur de jouer ça pour la dernière fois. Moloch va avaler cette magie, comme tout le reste, d’ailleurs. Par contre, quand Gilmour arrive sur scène en plein SF Sorrow Set, les caméras n’ont plus d’yeux que pour lui. Ça gâche un peu le plaisir.

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    Back to the End Set, mais l’ambiance est différente. Van Morrison vient chanter «Baby Please Don’t Go» est là, nous ne sommes plus du tout dans les Pretties. C’est George Woosey, le cadet, qui joue le crade du riff sur la guitare orange de pépère Dick. Si on ne voit pas le film, on ne le sait pas. Van the Man drive son vieux cut à sa façon, la version est bonne. Elle pourrait presque justifier à elle seule le rapatriement des volontaires. Disons qu’on a là le hard drive des Them mêlé à la sauvagerie des Pretties, ça joue dans le volcan de Vulcain, mon tio quinquin. The heartbeat ! George Woosey reprend sa basse pour accompagner Van The Man sur «I Can Tell», you know I don’t love you no more, mais il manque le sel de la terre. Troisième shoot de Van avec «You Can’t Judge A Book By It’s Cover». Même chose : pour une raison X, ça reste en surface. Le son des Pretties n’appartient qu’aux Pretties. Retour aux choses sérieuses avec «Come See Me». Là t’es baisé. Big Bash boom avec un pépère Dick qui gratte des accords vieux de 55 ans, baby I’m your man, les Pretties n’en finiront pas de resplendir sur la vieille Angleterre. Ce concert raconte l’histoire spirituelle de ce pays. Les chœurs sont faibles, mais Phil May lance son look out alors pépère Dick part en destroy flash oh boy avec une sacrée banane. Ils vont se diriger tranquillement vers la fin avec un autre hommage à Bo Didley («Mona»), puis le pack «LSD/Old Man Going» noyé dans la psychedelia et rappel avec «Rosalyn», l’apanage du kick down. Pépère Dick joue ça pour la dernière fois, mais il le joue gutsy, fuck yeah ! Dernière wild ride pour wild old Dick. Ces mecs auront su rester brillants jusqu’au bout du bout des boots.

    Signé : Cazengler, Pity Thing

    Pretty Things. The Final Bow. Madfish 2019

     

    No come back for Roback

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    Soit on écoute Mazzy Star pour Hope Sandoval, soit on l’écoute pour David Roback. Bon, aujourd’hui on peut l’écouter pour David Roback, car voici le moment de saluer sa mémoire. Il vient en effet de casser sa pipe en bois, et on peut bien dire que ce mec avait du son et de la légende à revendre.

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    En fait c’est très compliqué de couper Mazzy Star en deux. L’un ne va pas sans l’autre, même si après la fin de Mazzy Star, Hope Sandoval a continué de faire des albums intéressants, notamment avec les Mary Chain ou les Warm Inventions. Il faut alors se contenter de saluer le génie sonique de David Roback et c’est vrai qu’à l’époque de She Hangs Brightly, le premier album de Mazzy Star, on dressait sacrément l’oreille. Ne serait-ce que parce qu’il y traînait des vieux relents du Velvet, notamment dans «Blue Flower». Rob jouait ça à la vieille arrache prométhéenne et sortait l’air de rien de vieux accords du Velvet. On retrouvait d’ailleurs cette influence du Velvet dans «Give You My Loving». Rob le grattait au petit arpège rampant, avec des notes dignes de celles de Lou Reed, un son à la «Pale Blue Eyes». Pur esprit. Sinon, l’ensemble des cuts est monté sur la voix d’Hope - Lynchian and nocturnal - On la voit s’amuser dans l’eau claire de «Ride On It» - Just like you used to do - Elle sait jouer avec l’arc-en-ciel de la beauté purpurine. S’ensuit un morceau titre visité par des vents de Rob plutôt jazzy, ses accords rôdent comme des fantômes dans le couloir glacé de la pochette. Le hit de l’album pourrait bien être «Taste Of Blood». Il faut cependant entrer dans leur jeu. Rob fait son cirque au gratté d’acou qu’il saupoudre de petits coups de slide en surface de re-re et cette chipie d’Hope en profite pour chanter dans un son que l’accordéon rend étrange. On note aussi sur cet album la présence indicible d’«I’m Sailin», un petit blues de cabane nubile, rien de transcendant, c’est juste du nubile de salle de bain, aussi typé que peut l’être «Be My Angel». Elle ramène un peu de gusto pour l’occasion dans une ambiance légèrement décadente. Les accords de «Ghost Highway» sont ceux de «You Really Got Me», c’est bon, violent et welcomed, bien balancé, en tous les cas. Rob joue sa carte en transfigurant la gueule du rock. Voilà de quoi cet homme est capable. Et voilà pourquoi il joue dans cette histoire un rôle si considérable.

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    Le charme de Rob ne s’arrête pas au son. Il plane autour de lui un joli parfum de mystère. Goeff Travis de Rough Trade disait de Rob et d’Hope qu’ils n’était pas des rock’n’roll people classiques et qu’ils vivaient dans un monde à part, plutôt éloigné du nôtre. Rob situe ses racines dans le Velvet et les Doors. Il affectionne aussi le son des Ricken et des Gretsch, et de fil en aiguille, il monte un premier groupe avec son frère Steven et trois autres cocos locaux : Rain Parade. En 1982, ils enregistrent Emergency Third Rail Power Trip. Cet album joliment titré figure parmi les classiques de la psychedelia californienne des années 80 qu’on a baptisé the Paisley Underground. Rob fut en quelque sorte le maître d’œuvre d’Emergency puisqu’il prit contact avec Bill Haines, le boss d’Enigma Records, et qu’il conçut la pochette à partir d’une image prise à Paris au début du XIXe et recoloriée. Rob avait en effet plusieurs cordes à son arc : guitare et beaux-arts. Le groupe répéta pendant un an et donna son premier concert en 1982 avec Green On Red. Emergency est un album qu’on peut écouter les yeux fermés, on ne risque rien. Mais attention, ce n’est pas non plus l’album du siècle, restons sérieux. «1 Hour 1/2 Ago» sonne comme un bon petit hit recouvert de très beaux layers de son. On finit par entrer dans cette forte teneur de musicalité. C’est un vrai cut de guitar dude. Rob savait déjà en boucher un coin. Avec «Saturday’s Asylum», les Rain Parade se prennent pour Pink Floyd, c’est assez marrant, mais assez beau en même temps et comme rattrapé au vol par un sens aigu du Calfornian hell à dominante pop. C’est servi sur un tapis d’arpèges acides et ils embarquent le client pour le pire et pour le meilleur. Joli coup de freakout. Ils terminent cet album relativement plaisant avec «Look Both Ways», un joli shake de garage californien. C’est joué dans les règles du lard local, ooh yeah, et ils se tapent une belle crise d’oh yeah yeah yeah yeah. Par contre, pas de quoi faire un plat avec le reste. Ils ont des cuts comme «This Can’t Be Today» qui sont encore plus psychés que le Roquefort. On les aime bien pour ça, pour cette manière de ne pas vouloir trop en dire tout en rajoutant du bon psychout pas psyché des vers. En fait, tout est joué à la grosse guitare acidulée, avec une disto sèche de mish-mash de mushroom. Il est certain que ça a dû plaire aux amateurs d’acidus cubitus. Emergency est un album qui sent bon la ricken. Steve Wynn qui les voyait sur scène à l’époque disait d’eux qu’ils étaient floating, gentle and trippy, comme Pink Floyd ou le Byrds. Et il ajoute : «Ça ne pouvait que plaire à tout le monde.» Après une première tournée à travers les États-Unis, Rob quitte le groupe qui décide de continuer sans lui. Pourquoi ce split ? Son frère Steven en parlait à mots couverts dans un vieux numéro d’Uncut, en 2010 : tension fatale entre les deux frères, comme souvent. Le guitariste Matt Piucci explique à sa façon que les choses tournent généralement assez mal quand on met 8 jeunes gens dans un van pour partir en tournée sans fric, mais avec de l’alcool et de gros egos.

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    Alors Rob monte un groupe nommé Clay Allison avec sa copine Kendra Smith qui joue aussi de la basse dans Dream Syndicate. Puis Clay Allison va devenir Opal. Il reste une trace d’Opal, et quelle trace : l’un des serpents du Loch Ness SST, le joliment titré Happy Nightmare Baby, paru en 1987. Un bel archétype de l’apanage robackien, serti d’une triplette de joyaux de la mad psychédélia, «Supernova», «Siamese Trap» et «Soul Giver». Trois cuts lestés de gratté de poux, joués dans les règles du lard de la matière, avec un beautiful big Rob on the run. Le plus bardé des trois est sans doute «Siamese Trap», car Rob le claque à la wah dévastatoire, son Trap dégueule d’inner view, Rob y voyage abondamment, il s’y enivre de gras double, il semble même réinventer la mad spychedelia, il joue dans le blur du blaire, il se faufile, il tisse des couches de wah féroce, il rebondit à chaque instant et lâche des hoquets conquérants. Petit conseil : en cas de manque, fais-toi un shoot d’Opal. Le «Soul Giver» de fin de parcours n’est pas en reste. C’est excellent, bien dosé, tapi dans l’ombre d’un barouf psyché bien tempérée, admirablement drivé dans le flesh du flush. Kendra Smith chante le vieux Giver, ils excellent tous les deux dans la décadence de la rue et Rob s’écoule tout seul. Le reste de l’album se laisse écouter. Rob gratte bien sa gratte dans «Rocket Machine», et ce «Magik Power» qui est joué à l’orgue têtu sonne comme de la mad psychedelia prévisible, même si un vieux relent tantrique rampe dans le son. On croit entendre officier un prêtre égyptien. Globalement, l’album est bourré de bon son. Rob fait le show. Il passe au heavy blues avec «Sue’s A Diamond», il ne s’embarrasse pas des protocoles et nous fait un peu le coup de l’album classique. Il excelle dans l’obsolescence psychotique déprogrammée

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    Steve Wynn se souvient aussi d’une gamine de 14 ans qui venait aux Dream Syndicate soundchecks en 1982 : Hope. Puis elle finit par rencontrer Rob qu’elle trouve timide et mystérieux. Ils sympathisent. Hope monte sur scène avec Opal. Elle prend le chant et participe à une tournée américaine des Mary Chain. Voilà la genèse de Mazzy Star, l’un des groupes les plus mystérieux qui soient, aussi bien par l’allure que par le son.

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    Le deuxième album de Mazzy Star, So Tonight That I Might See, est plus connu, notamment pour son morceau titre qui est encore un hommage sensible au Velvet. Car gratté au heavy riff avec du pur Velvet beat dans le background. Rien de plus velvetien que ce cut d’église qui va mal et qui va bien en même temps. Rob fait des merveilles dans «Wasted», qui sonne comme un heavy groove du Mississippi. Hope la nubile se perd dans l’ombre d’un big Rob occupé à fabriquer de l’onirisme sonique. «Wasted» est leur marque de fabrique. Rob s’en va se perdre dans des télescopages de son invention, il se fait à la fois rempart et falaise, puis on le voit ramer dans la vase jusqu’à l’épuisement. L’autre coup de Jarnac est une reprise de Love, qui est avec les Doors et le Velvet l’une des principales influences de Rob. «Five String Serenade» est la cover idéale, comme virginale à l’aube d’un jour très pur. Ces gens-là sont fascinés par Athur Lee, au moins autant que les Shack de Liverpool. «Blue Light» brille dans la nuit par sa fabuleuse présence latente. Le son devient palpable tellement il est épais. Rob plane derrière son mur du son comme un vampire. Il joue beaucoup de coups d’acou. Si on écoute «Fade Into You» à travers Rob, ça n’a plus rien à voir. On l’entend gratter sa rémona derrière la ouate d’Hope. Mais il existe une authentique osmose entre eux, au moins aussi évidente que celle de Ronnie & Phil Spector. Hope Sandoval nous filerait presque le mal de mer avec ses accents à la Vanessa Paradis.

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    Cette valorisation du nubilisme fait partie des dérives du monde moderne. Heureusement Rob veille au grain pour sécuriser le fond de la culotte du rock. Il peut aussi balancer des huge power-chords comme le montre «Bells Ring». Hope se fond dans le psychout so far out que fabrique Rob sur fond d’accords. C’est l’un des rois du re-re, il navigue au même niveau que William Reid. Puis on voit Hope chanter «Mary Of Silence» dans l’abnégation d’une nappe d’orgue bloquée. Ça vaut bien les niconneries de Nico, non ?

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    En 1996 paraît Among My Swan, avec un beau cygne sur la pochette. L’influence des Mary Chain s’y fait plus criante, notamment dans «Cry Cry», fabuleuse rengaine de non-recevoir, hit caché et poisseux qui se voudrait hymne tenace et ténébreux. Hope chante aussi «Happy» dans le mur du son de Rob. Ah quelle belle association, la juvénile et le conquérant, sur fond de pur jus de moisissures velvetiennes. Avec «Umbilical», ils vont plus sur le Pink Floyd de Syd Barrett, elle rôde dans le son, timide et résignée et ça donne un fantastique shoot de dérive adventiste, bien heavy sous le boisseau, une vraie infection arrosée d’acide. Ah il faut aussi aller se frotter à «Roseblood». Pendant que Rob gratte comme un dératé, elle garde son calme, comme le fait Mathilda dans Léon. Ce Roseblood est une petite merveille décadente, terrifiante d’anti-conformisme, la nubilité coule comme une crème de sexe sur la gueule de la société bien pensante, Rob a du répondant, il gratte certaines notes en vrai terminator de la décadence. Superbe exercice de style. Encore des relents de Velvet dans le «Disappear» d’ouverture de bal. Joli beat de deep tambourine et de swagger robackien. C’est une petite merveille intrusive dont on ne se lasserait pas, bien au contraire, aw my God, comme elle est bonne, cette petite havresse de paix bien baveuse, ce joli pot de miel bien riquiqui. C’est extrêmement porteur d’espoir, car beau et dirigé vers le ciel. Elle sait mener sa petite barque à la surface du lagon d’argent. On s’enfonce encore dans la nubilité avec «Flowers In December». C’est très relax, très dérivé du Gulf Stream, avec un peu de violon, histoire de. On reste dans le laid-back avec «Rhymes Of An Hour». Pas d’échappatoire. Chez Rob, c’est la règle, tout le monde doit aller sous le boisseau. Pas d’exception. Ça reste assez Velvet dans l’esprit, bien totémique, rien ne bouge dans l’espace glacé. Il ne faut rien en attendre de plus que ce qu’on y trouve. What you see is what you get, comme on disait alors chez Apple, au temps du fameux wysiwyg. On bâille un peu aux corneilles dans «Take Everything», jusqu’au moment où William Reid entre dans la danse avec un solo dégueulasse. Il éclate la fin du Take au slow-burning, incapable de se contenir plus longtemps. Tout est ramené au même niveau, comme on le voit avec «All Your Sister». La voix d’Hope éclot comme une rose dans le fond du son. Globalement, c’est assez glauque et ennuyeux, mais on écoute avec une ardeur non feinte. S’ensuit un «I’ve Been Let Down» bien gratté du bedon. Ce démon de Rob adore gratter mollement son shook au still coming round.

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    Leur dernier album s’appelle Seasons Of Your Day et baisse d’un ton. Il paraît 17 ans après le précédent. Ça reste du heavy Mazzy Star avec la voix d’Hope qui traîne dans les limbes de l’ombilic. Elle chante «In The Kingdom» dans la chaleur de la nuit et se montre une fois encore très impliquée, pendant que dans le background, Rob twiste ses notes altières sans ciller. Le cut qu’on peut retenir s’appelle «Common Burn», joué aux arpèges doublés de notes grasses. Elle chante ce cut lumineux à la pointe du gland et on pense naturellement à «Pale Blue Eyes». Tout est en suspension là-dedans, même l’harmo. Tout aussi impressionnant, voici «I’ve Gotta Stop». Rob traîne dans le fond de cette déchirure, car s’est son destin, yo ! Le voici condamné à errer pour l’éternité dans le fond de la cour d’école. Si on y réfléchit bien, ce ne doit pas être marrant de jouer dans Mazzy Star : ce vieux Rob semble condamné à gratter sa gratte derrière cette pauvre âme en perdition qu’est l’Hope. On s’ennuie, on écrit des vers de la prose, on pense à tout à rien en attendant le jour qui vient, comme le disait si bien Aragon. C’est vrai qu’ils éprouvent parfois des difficultés à créer la sensation. Pas facile de vouloir jouer la carte du duo kill kill. Ils prennent des risques énormes avec «Sparrow». Ça sonne comme du heavy Nico de couli-coula, avec des tambourins et des coups d’acou, du coup on perd tout le Velvet. L’indie rock rit jaune. Dents pourries. Nombreux sont les cuts qui ne marchent pas sur cet album livré au désespoir le plus profond.

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    L’autre grande idole de Rob n’est autre que Bert Jansch. Geoff Travis présente Bert aux deux Mazzy Stars. Travis sait que Rob l’admire, aussi propose-t-il à Bert d’ouvrir pour Rob à Londres, fin des années 90. Bert et Rob deviennent amis. On entend Bert jouer sur deux des cuts d’un album qu’Hope enregistre sous le nom d’Hope Sandoval & The Warm Inventions. En échange, Hope apparaît sur l’Edge Of A Dream de Bert et Rob joue sur le dernier album de Bert, The Black Swan. Rob et Hope viennent aussi jouer à l’annive de Bert en 2003, au Queen Elizabeth Hall de Londres.

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    L’ultime collaboration de Bert et Rob se trouve justement sur le dernier album de Mazzy Star, Seasons Of Your Day : ils s’enferment tous les deux dans «Spoon» et foutent le paquet avec du bottleneck de turtle neck, mais ça ne suffit pas à sauver un album en difficulté.

    L’Uncut de 2010 nous apprenait aussi que Rob s’était installé en Norvège et qu’il avait fait une apparition dans un film de Nick Nolte, Clean, en 2004.

    Signé : Cazengler, David Rosbeef

    David Roback. Disparu le 25 février 2020

    Rain Parade. Emergency Third Rail Power Trip. Enigma Records 1983

    Opal. Happy Nightmare Baby. SST Records 1987

    Mazzy Star. She Hangs Brightly. Rough Trade 1990

    Mazzy Star. So Tonight That I Might See. Capitol Records 1993

    Mazzy Star. Among My Swan. Capitol Records 1996

    Mazzy Star. Seasons Of Your Day. Rhymes Of An Hour Records 2013

     

    Les Undertones en font des tonnes

    - Part Two

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    Le premier dans le rang d’oignons, c’est Michael Bradley, bassiste juvénile et auteur du book dont on va parler. Derrière lui, se trouve Billy Doherty, le batteur juvénile. Puis Feargal Sharkey, singer juvénile, Damian O’Neill guitariste et benjamin du groupe, et enfin son frère John O’Neill, l’aîné de la ribambelle, guitariste rythmique et principal auteur des undertonneries qui vont les rendre tous les cinq célèbres dans le monde entier. Avec les Pistols et les Damned, les Undertones sont les cakes de ce big bac à sable qu’on appelait voici quarante ans le punk anglais.

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    Aucun groupe n’aurait pu rivaliser de génie juvénile avec les Undertones. C’est ce que montre sans vouloir le montrer Michael Bradley dans Teenage Kicks My Life As An Undertone. Il raconte l’histoire du groupe sans vraiment la raconter, avec une façon très particulière de ne pas se poser de questions, ou plutôt si, il se les pose mais se fout des réponses. Les réponses ne l’intéressent pas, et elles n’intéressent pas non plus ses quatre petits potos. Dès qu’on leur parle un peu, ils tournent la tête ou ils s’en vont. Ils n’ont rien de spécial à raconter. Les troubles ? Ils laissent ça aux gros durs de Belfast. D’ailleurs, ils ont la trouille d’aller à Belfast. La vie est moins dangereuse, là-haut, à Londonderry qu’on appelle aussi Derry.

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    Ils se retrouvent tous les cinq chez les O’Neill, au 22 Beachwood Avenue. Le front-room des O’Neill, c’est leur quartier général. C’est là qu’ils regardent la télé tous ensemble, qu’ils écoutent leurs disques, c’est-à-dire les Doors et le White Album, les Flying Burrito Brothers, les Bluesbreakers et Steely Dan. John O’Neill lit le NME chaque semaine et écoute pieusement John Peel à la radio. Il cultive son taste. Puis un jour, il décide avec Billy de monter un groupe. Mais comme ils n’ont pas de blé, il faut acheter le matos à crédit. Ils savent qu’à Donegal, juste de l’autre côté de la frontière, un marchand d’instruments accepte les ‘Provident cheques’, un mode de paiement basé sur un taux d’usure à 150 %. En remboursant 10 £ par semaine, ils peuvent acheter 500 £ de matériel : une basse avec un ampli Selmer, un ampli guitare Shin-ei et une batterie. Chaque vendredi, Billy, Michael, John, Damian et Feargal donnent chacun 2 £ à Monsieur O’Neill pour qu’il puisse rembourser le Provident man. Au moins Billy a sa batterie. Il saura en faire bon usage.

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    Bon, maintenant, il faut apprendre à jouer. Alors ils apprennent dans le front-room des O’Neill. Jouer quoi ? Des reprises ? Comme Damian sait jouer les accords de Chuck Berry, il peut donc jouer ceux de Keith Richards. Comme ils adorent Get Yer Ya-Yas Out, ils reprennent tous les vieux coucous de la Stonesy, «Carol», «Sympathy For The Devil» et «Jumping Jack Flash». Et puis un jour, ils font la connaissance d’un certain Domnhall McDermott qui possède des disques pour le moins exotiques : le premier album des Ramones, le deuxième Dolls, le Funhouse des Stooges, Nuggets et le premier Doctor Feelgood. Alors John O’Neill décide de taper dans cette caverne d’Ali Baba et le groupe apprend à jouer «TV Eye» et «Loose» des Stooges, le «Dirty Water» des Standells, le «Blitzkrieg Pop» des Ramones et le «Puss’n’Boots» des Dolls. Le groupe n’a pas encore de nom. Le cousin Aidan Barrett dit qu’il a une idée.

    — C’est quoi ?

    — Monkey Fuck !

    Personne ne répond. Et comme ils cassent un peu les oreilles des parents O’Neill avec leurs répètes dans le salon, ils cherchent un local à l’extérieur : Paddy Simms leur propose the Shed et c’est là qu’ils deviennent les Undertones. Puis John O’Neill décide de composer des chansons. Pourquoi ? Parce que c’est moins compliqué de jouer ses compos que d’apprendre celles des autres. Cette pirouette contient toute la philosophie des Undertones. Une philosophie que nourrit chaque semaine une bible qui s’appelle le NME et un maître à ne pas penser qui s’appelle John Peel. Quand John O’Neill arrive en répète avec une nouvelle chanson, par exemple «Teenage Kicks», les autres regardent où il met les doigts sur son manche et ils reproduisent les accords. John O’Neill : «Teenage Kicks, very simple, three chords, cliched lyrics.» Pas de bombes ni de violence dans leurs paroles, plutôt des filles et du chocolat.

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    Les filles ? Comme c’est la tradition en Irlande, ils seront tous mariés à vingt ans avec leurs girlfriends, sauf Damian qui opte pour le célibat. Pour l’instant, ils se concentrent sur la musique et les fringues. Ils ne portent pas des Levis mais des Wrangler. Et bien sûr des Dr Martens aux pieds. Pas question de porter les fringues de McLaren à Derry, c’est un coup à se faire péter la gueule, comme le rappelle Damian dans Mojo : «If you dressed weird on the street you got your head kicked in!»

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    Évidemment, chez les gens pauvres d’Irlande, il n’est pas question d’études. Tout le monde au boulot. Les familles O’Neill, Sharkey, Doherty et Bradley n’ont pas les moyens de payer des études à leurs gosses. Surtout chez les Bradley où il y a dix bouches à nourrir. Les Undertones finissent par jouer régulièrement dans un club de Derry, the Casbah, ce qui leur permet de tester sur scène les compos de John O’Neill. Puis ils arrivent à bricoler un accord avec Terri Hooley, le boss du record shop Good Vibrations à Belfast, pour enregistrer EP : quatre titres, dont «Teenage Kicks». C’est la première fois qu’ils vont à Belfast et sont assez contents car Terri Hooley ne s’occupe pas du tout de l’enregistrement. Il arrive juste le jour du mixage pour écouter le résultat. Bon, les Undertones ont réussi à enregistrer un disque, mais John O’Neill n’est pas sûr qu’il soit vraiment bon : «We didn’t think it sounded that great.»

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    Tout le monde connaît la suite de l’histoire : «Teenage Kicks» tombe dans les pattes de John Peel qui s’en éprend violemment et qui le passe deux fois de suite le premier soir, en prononçant ces paroles historiques : «I’ll tell you what, you know, I’ve not done this for ages but I think you ought to hear that again.» (Je vais vous dire une chose, je n’ai pas fait ça depuis longtemps, mais je crois vraiment que vous devriez réentendre ce truc-là). Alors évidemment, une fois que Peely a chanté les louanges des Undertones, le téléphone se met à sonner chez les O’Neill. Les requins arrivent ! Sire est le premier. Ça plaît beaucoup aux Undertones parce que c’est le label des Ramones. Peely et son producteur John Waters assistent au premier rendez-vous à Londres : ils conjurent les Undertones de ne pas signer le premier contrat qu’on leur soumet, alors qu’ils viennent précisément à Londres pour signer un contrat. Malgré les conjurations des deux Johns, Michael et Feargal vont chez Seymour Stein signer leur contrat. John, Billy et Damian ont déjà signé. Stein leur explique le principe des pourcentages. Avant que Michael et Feargal aient pu comprendre le principe des pourcentages, Stein aborde la question des options échelonnées sur la première, la deuxième et la troisième année. Michael n’y pige rien. Il sent qu’il n’est pas du tout à la hauteur de la situation. Stein :

    — Il vous revient huit points, moins une déduction de 10 points pour le packaging, sur 90 % des ventes, avec 75 % sur la vente de cassettes aux USA et 60 % pour le reste du monde.

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    Michael fait le calcul : il déduit 10 % des 8 % indiqués et multiplie le résultat par 90 %, ce qui lui donne -18, mais Stein aborde déjà la question du publishing, c’est-à-dire les droits d’auteur. Pendant que Michael fait des efforts désespérés de calcul mental, Feargal observe le New York mogul à travers la fumée de sa cigarette. Feargal ne peut pas dire grand chose non plus. Il n’a aucune notion juridique. Comment peut-il distinguer un bon d’un mauvais contrat ? Feargal, nous dit Michael, se contente d’observer Stein à travers la fumée de sa cigarette en se donnant l’air d’un mec qu’il ne faut pas prendre pour un con. Une sorte de Clint Eastwood. Bon, alors ? Ils signent. Stein charge alors Michael d’appeler les autres qui sont à Derry pour leur annoncer la bonne nouvelle. Michael fait le numéro des O’Neill sur le téléphone de Stein :

    — Ils nous offrent une avance de 8 000 £ et encore 10 000 une fois qu’on a fait le premier album !

    C’est Billy qui a décroché. Il répond à Michael :

    — Les Rich Kids ont eu 60 000 !

    Alors Michael se tourne vers Stein et lance :

    — Les Rich Kids ont eu 60 000 !

    Il y a un blanc. Stein réussit à garder son calme. Il se contente d’augmenter un peu l’avance qui passe à 10 000. Puis les Undertones découvrent par la suite que l’avance n’est pas un cadeau : c’est une avance sur les royalties. Sire se rembourse l’avance en récupérant 10 000 £ de royalties. S’il n’y a pas assez de royalties, ça devient une dette. Quant au publishing, c’est encore une belle arnaque. Personne n’a rien signé, mais c’est Bleu Disque, la filiale publishing de Sire qui empoche les royalties. Même montage que Chess et les autres. C’est comme si on leur arrachait leur bonbon des mains. Pour se remonter le moral en sortant de la réunion, Michael et Feargal vont s’offrir un big mac avec des frites et un coca.

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    Il n’empêche que les voilà lancés dans le showbiz, avec un contrat discographique, un manager et des tournées à honorer. C’est encore l’époque où il faut tourner pour vendre des disques. Quand ils passent à Londres, ils vont voir leur père spirituel John Peel travailler à la BBC. Ils s’entassent tous les cinq avec lui dans le petit studio et le regardent passer des disques, faire son petit commentaire et ranger les disques un par un dans les bonnes pochettes. Peely emmène toujours les Undertones manger un morceau avec lui, pour s’assurer qu’ils sont correctement nourris.

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    Sire décide que Roger Bechirian va produire le premier album. Billy aurait bien voulu John Lennon, mais Sire dit que c’est Bechirian, un nom qu’on voit au dos des pochettes de Costello. Et pour la pochette ? Sire envoie Michael et Damian en délégation chez un graphiste nommé Bush. Michael et Damian savent exactement ce qu’ils veulent :

    — Une photo en noir et blanc prise à Derry.

    — En noir et blanc ?

    — Oui, en noir et blanc, comme la pochette des Ramones !

    Bush a l’air soucieux. Pour lui, mettre une photo plein pot, ce n’est pas du boulot.

    — Mon job est de faire le design d’une pochette. Que diriez-vous si on vous demandait de chanter des berceuses plutôt que des chansons ?

    Michael et Damian tournent la tête. Ils ne savent pas quoi répondre. Bush se gratte longuement la tête :

    — Il faut que je trouve une idée. Il me faut un concept graphique...

    Michael et Damian écrasent leur banane. Ils ne veulent surtout pas le vexer. Surtout qu’il a une belle coiffure : une grosse afro anglaise. Michael en déduit que Bush vient de l’afro. Bush réfléchit. Il faut attendre que ça vienne. Michael et Damian scrutent le parquet. Soudain Bush saute en l’air :

    — Et si son déchirait le coin supérieur de l’image, qu’on la tournait ensuite de 45° et qu’on la laissait sur un fond blanc ?

    — Wouahhh ! Génial !

    — Et si on écrivait ‘The Undertones’ au dessus, dans une grosse typo verte outlined de noir ?

    — Wouahhh ! Fantastique !

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    En relatant cet épisode cocasse, Michael semble se marrer, mais en fait rien n’est moins sûr. Peut-être prend-il les choses au premier degré, comme lorsqu’on prend la connerie des gens pour argent comptant. Mais il faut aussi essayer de se mettre dans la tête d’un Irlandais, et là ça devient un vrai casse-tête. Cette distanciation pourrait bien n’être qu’une forme naturelle d’auto-protection. La distanciation n’a rien à voir avec la dérision. Seuls les gens des races blanches dites supérieures pratiquent naturellement la dérision : ils s’appuient à la fois sur un fort sentiment de supériorité et une solide culture. Ce qu’on prend pour de l’auto-dérision dans certaines pages du récit de Michael Bradley n’est en fait qu’une fantastique aptitude naturelle à la distanciation : jamais de jugement de valeur en bien ou en mal, c’est plutôt une façon de voir les êtres et les situations pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des éléments microscopiques, soit au regard de l’univers, soit au regard de l’éternité. Le sentiment de n’être rien, une certaine forme de sagesse non intellectuelle.

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    La musique des Undertones est une parfaite illustration de cette hypothèse. S’il fallait définir l’ambiance de leur premier album, on pourrait parler de fraîcheur de ton. Il faut entendre Billy battre «Family Entertainment» et Fergal faire son Irish punk. On a l’impression d’être dans le front-room des O’Neill. Pas de salamalecs. C’est stupéfiant de non-prétention. On peut même parler d’anti-Clash. Ils sont terriblement carrés et bien en place. Ils ne lâchent pas leur petit os. «Teenage Kicks» ne figure pas sur ce premier album, mais d’autres hits font dresser l’oreille : «Jump Boys», «Here Comes The Summer» et surtout «Jimmy Jimmy», amené par une belle attaque au chant et monté sur un riff vainqueur. Si on chope la réédition Castle parue en l’an 2000, on y trouve «Teenage Kicks», le hit parfait, avec les clap-hands dans le gras de la couenne du son et le brillant wanna hold you tight de Feargal. Et dans les bonus traînent quelques bombes comme ce «True Confessions» assez wild et copieusement riffé. Leur «Emergency Cases» sent bon les Stooges. En matière de délinquance juvénile, on ne fera jamais mieux que «Mars Bars», battu comme plâtre par Billy sur sa batterie de Donegal. C’est avec ce fantastique «Mars Bars» que Feargal devient le seigneur des annales. «You’ve Got My Number» est sans doute l’un de leurs plus gros pétards, ils sonnent comme les Heartbreakers, you know my name, Billy on the beat, tout est bon chez les kids de Derry et cette série de bonus terrifiants se termine avec une version explosive de «Let’s Talk About Girls». Les voilà chez les Chocolate, Feargal sonne les cloches de ce vieux classique, ces kids y croient dur comme fer, ça s’entend, il faut voir cette section rythmique, do-dah-doo, ils jouent tout ce qu’ils peuvent jouer dans leur bac à sable.

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    Il faut aussi écouter leur deuxième album, Hypnotised, qui s’ouvre sur un gros clin d’œil, «More Songs About Chocolate & Girls». Ils sont très potache, ils n’en font pas exprès, chez eux c’est naturel. Il suffit de voir la pochette, Michael et Billy à table avec des serviettes à motifs homard autour du cou. On est vite rattrapé par l’allégresse du morceau titre, un cut plein d’allant et de reviens-y. Feargal semble jeter tout son teenage angst dans la balance. Ils parviennent même à imposer un son avec des compos mi-figue mi-raisin comme «The Way Girls Talk» ou un «Hard Luck» monté sur Billy beat impeccable. Pur jus d’Irish pop libre et frais. Boum ! «My Perfect Cousin» fait sauter la B.

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    L’autre illustration de l’hypothèse de distanciation est le récit que fait Michael Bradley de leur tournée américaine. On leur propose de jouer en première partie d’une vaste tournée américaine des Clash. Michael Bradley trouve les Clash très chaleureux, très bienveillants et surtout très bien habillés. Il dit même qu’ils semblent sortir d’un film de Marlon Brando. Strummer and co en foutent plein la vue aux Irlandais qui, en comparaison, semblent sous-alimentés et affreusement mal coiffés (bad haircuts). Pendant la tournée, les deux groupes n’échangent pas beaucoup. Les Undertones n’ont rien d’intéressant à raconter aux héros de la scène punk anglaise. Et puis, il faut bien dire que le cirque des tournées ne les intéresse pas beaucoup. Ils aimeraient bien pouvoir causer un peu avec David Johansen ou Bo Diddley qui sont programmés en sandwich entre les Undertones et les Clash, mais ils n’ont rien de spécial à leur raconter. D’ailleurs, l’idée d’avoir du succès en Amérique ne leur chauffe même pas la tête. Breaking America ? L’ultime ambition de tous les groupes anglais ? Ce n’est pas celle des Undertones, en tous les cas. Ils s’en foutent. Ils ont surtout le mal du pays. Ils ne pensent qu’à rentrer à Derry et à retrouver leurs petites copines. Michael Bradley dit même à un moment qu’il est extrêmement fier de son manque d’ambition. C’est une valeur qu’ils partagent tous les cinq. Pour lui, le manque d’ambition est le cœur de l’éthique punk. Il n’aime pas beaucoup les groupes ambitieux, et Thin Lizzy en particulier : les futes en cuir, les horribles guitares, les plans de carrière. Bertk ! Mais en même temps, il s’en excuse, comme il s’excuse de ne pas aimer Stiff Little Fingers.

    Le désintérêt des Undertones va loin : lorsqu’ils entrent en réunion avec leur manager Andy Ferguson, il n’y en a que deux qui écoutent : John et Billy. Feargal cherche des idées, Michael balance des vannes et Damian s’endort au bout de dix minutes. Rien ne semble pouvoir les intéresser, ni les règles du showbiz, ni les tournées, ni l’alcool, ni les drogues. Et ils n’aiment pas beaucoup les gens des maisons de disques. C’est instinctif. Par contre tout ce qui les intéresse se trouve dans une vidéo filmée à Derry, au 22 Beechwood Avenue, là où sont installés les O’Neill, home of the Undertones : le foot, le bad dancing et tous leurs copains rassemblés dans le jardin. Leur univers, c’est Derry en 1980.

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    Et puis un jour, ils sont invités à jouer dans une émission de télé en même temps qu’un groupe de débutants, Duran Duran. Et Michael Bradley voit en Duran Duran l’avenir du rock, c’est-à-dire des gens prêts à tout pour réussir. Duran Duran, c’est l’antithèse des Undertones, ces petits branleurs d’Irlande du Nord qui ne s’intéressent à rien.

    Le premier qui va en avoir marre, c’est Feargal. Il demande une réunion et annonce aux autres qu’il veut arrêter tout ce cirque. Soulagement général ! Damian est content que ça s’arrête. John ne dit rien. Consterné, Billy regarde les autres. Il ne s’y attendait pas. La conversation s’achève là, en même temps que le groupe. Pas de commentaires. Il n’y a rien de plus à dire. Ils font deux ou trois concerts d’adieu. Pas de discours, pas de larmes, pas de couronnes de fleurs. Les Undertones font leurs funérailles tout seuls, comme des grands.

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    En 1989, pour le cinquantième anniversaire de John Peel, on a demandé aux Undertones de se reformer en secret et de lui faire la surprise de venir jouer dans son salon. Pas de problème, mais Feargal est arrivé à la répète avec un gros mal de gorge, donc il n’a pas pu chanter. Et la veille de l’annive, Louis O’Neill, le père de John et Damian, a cassé sa pipe en bois. Ce fut la fin du projet.

    Signé : Cazengler, Underpant

    Undertones. ST. Sire 1979

    Undertones. Hypnotised. Sire 1980

    Michael Bradley. Teenage Kicks. Omnibus Press 2016

    Lois Wilson : The Undertones Get Teenage Kicks. Mojo # 315 - February 2020

     

    *

    Rien de plus énervant que les volutes de fumée. Ne craignez rien je ne suis pas devenu écobobolo durant le confinement. Je n'éprouve aucun dégoût à l'encontre du fumet délicat d'une cigarette grésillante qui s'en vient chatouiller mes narines, j'irais jusqu'à dire que les bleuâtres nuages bleuâcres qui s'échappent à gros panaches d'un Coronado, ce délectable cigare des rois et des princes et des chefs, sont de la part des Dieux un don délicieux que dans leur grande magnanimité les Immortels nous ont octroyé pour nous consoler de la brièveté de nos existences.

    Mais il est d'autres fumées bien plus nauséabondes à humer. Toutefois comme le choc des images pèse plus lourd que le poids des mots, je vous invite à regarder le clip ci-dessous. L'est de Volutes, la semaine dernière nous avons zieuté leurs trois vidéo-intitulées : J'ai la rage...Tout un programme. Prenez place et n'en perdez pas une miette.

    SYRIANA / VOLUTES

    ( Clip : 25 / 09 / 2019 )

    Cela tombe bien, nos deux gaillards – le troisième doit être derrière la caméra - confortablement installés dans un splendide divan en cuir mauve de vachettes ( que les vegans n'ont pas réussi à sauver ) visionnent les informations. Quelle chaîne ? je l'appellerais l'envoi informatif de ses maîtres, je vous rassure, pour une fois tout va bien. Le résultat des opérations militaires tombe juste : tout est parfait. Les esprits sensibles feraient mieux de s'arrêter là. Pris d'une folie subite, voici nos deux amateurs de canapé qui s'emparent du poste et se mettent à le transporter dans les rues au rythme des vieux films tressautant de Charlot. Se dépêchent parce que le clip ne dure que deux minutes trente-trois secondes, qu'ils en ont déjà bouffé quinze et que le sujet qu'ils évoquent est des plus complexes. Sans doute est-ce pour cela qu'une mélodie orientale déferle brutalement sur vous et qu'ils vous fourguent les paroles à cent kilo-mot-mètres à l'heure.

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    Pour le décor, ils auraient pu faire un effort. La France ne manque pas de beaux paysages. Pins des Landes, rochers du Sidobre, glaciers altiers des Alpes, plages de sable méditerranéennes. Non, z'ont choisi a zone. La banlieue. Ses immeubles gris, ses tags bestialement colorés, ses ballasts glauques à rails monotones pour les bétaillères à travailleurs mal-payés, ses détritus de vies clandestines saccagées, et tout de suite – Balzac a théorisé cela en remarquant que la laideur des lieux influe négativement sur le caractère de leurs occupants - ils adoptent des manières de racaille. Ne pensent qu'à casser leur grand-écran, qu'ils projettent depuis le haut des ponts sur les voies de chemin de fer.

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    Du bon matos. Ce doit être du made in France. Pas de la camelote venue de Chine. Ça rebondit comme une balle de caoutchouc. Pas une éraflure. Pas une écorchure. Même que le poste continue à fonctionner. Aucun problème pour suivre la suite des infos. Ce ne sont pas les jeux idiots de deux zozos qui vont arrêter la marche du monde. C'est là que l'on retrouve les volutes de fumée que je n'apprécie guère. Non, ce n'est pas une émission sur les méfaits du tabac. Juste des images sur la situation en Syrie. Nous sommes en 2018. Bombardements tous azimuts. Explosions et boules de feu. Cumulus de fumée, flammes et poussières mêlées. Vous n'apprécierez guerre. Même si dans le commentaire introductif l'on vous a seriné que tout est parfait. Certes sur le clip ce n'est pas en continu, il y a des moments marrants avec ce poste de TV qui rebondit comme un ballon de basket.

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    Je pourrais arrêter sur cette image pas franchement idyllique mais souriante, or il y a un dernier problème. Ce sont les paroles du morceau. Faut s'accrocher et repasser le clip plusieurs fois. Le tube est tohu-bohuesque. C'est que Volutes, ils ne font pas dans la gentillette condamnation qui met tout le monde d'accord : ne disent pas que la guerre en Syrie ce n'est pas bien, qu'il faut l'arrêter tout de suite et qu'alors ce sera mieux.

    Z'avez l'impression d'un truc à l'emporte-pièce, d'un micmac inqualifiable, c'est que voyez-vous, quand on essaie de comprendre et que l'on tente de sérier les éléments, l'on s'aperçoit des vertiges de la mondialisation. Tout est imbriqué. Et la dialectique n'est pas toujours capable de casser les briques. Politique, argent, clauses secrètes, convergences idéologiques et intérêts divergents, terrorisme, matières premières, religion... il n'y a pas de tout bons d'un côté et de gros méchants de l'autre, que du mauvais partout. Pas d'information, uniquement des manipulations. D'où cette télé à casser. D'où la banlieue. Car nous habitons la banlieue de la guerre mondiale. Notre monde est un mikado. Qu'un papillon financier fronce une aile à l'autre bout du monde et une tempête se lèvera à des milliers de kilomètres de là.

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    En deux minutes Volutes vous met les idées au clair : nous habitons une poudrière. Sur ce bonne soirée.

    Damie Chad.

    Le lecteur friand de l'aspect musical de Syriana se jettera sur la chro consacrée à la recension de leur disque. Voir livraison 427 du 29 / 08 / 2020.

    Pour ceux qui veulent comprendre l'engrenage syrien la vision de Syriana film de Stephen Gaghan, paru en 2005, s'avèrera utile.

    Pour ceux qui veulent plonger au cœur du cauchemar regardez Pour Sama ( 2019 ) de Waad al-Kateab. Ce n'est pas un film, uniquement des vidéos tournées in-situ. Attention les morts sont de vrais morts et le sang qui coule du vrai sang. Sans aucun voyeurisme. Sans adoucissant. Sans chiqué. Vous risquez d'en ressortir choqués.

     

    FELIX PAPPALARDI

    BLUES CREATION

    & CREATION

    En ces temps d'après deuxième conflit mondial les jeunes japonais ne furent guère rancuniers. Douze années ne s'étaient pas écoulées depuis Hiroshima que Gene Vincent, fut reçu à bras ouverts. Au début des années soixante les Animals et les Rolling Stones imposèrent le goût du blues électrifié au pays du soleil levant. Par l'intermédiaire de ses bases militaires – appui logistique d'importance pour la guerre du Vietnam – the american rock'n'roll way of life fournit à une saine jeunesse avide de nouvelles connaissances tous les produits nécessaires à certaines expérimentations mentales...

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    Kazuo Takeda n'avait pas vingt ans qu'il participait déjà au nippon blues boom en tant que lead guitarist du groupe Blues Creation. Il avoue avec une trop grande modestie qu'il devait se concentrer un maximum sur ses cordes... leur premier album éponyme paru en 1969 était uniquement constitué de reprises de blues, Sonny '' Rice Miller '' Williamson, Willie Dixon, Muddy Waters... le deuxième fut enregistré avec la chanteuse folk Carmen Maki qui voulait tâter du rock, l'on y relève une version de Saint James Infirmary, dans cette même année 1971, ils enregistrèrent Demon and eleven children, peut-être le meilleur des albums du rock japonais de l'époque. en 72 le groupe splitta pour divergences musicales...

    DEMON AND ELEVEN CHILDREN

    Kazuo Takeda : guitare + compositions / Akiyoshi Higushi : batterie / Masashi Saeki : basse / Hiromi Osawa : vocals.

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    Atomic bomb away : pluie de bombes, guitares en piqués, rythmique lourde, la voix un peu maigrelette, mais l'orchestration s'y colle dessus et ne l'abandonne jamais même quand elle essaie de monter vers les nuages. Rempli de clichés mais de ceux qui font les bonnes photos. Partent du principe qu'il ne faut pas ennuyer l'auditeur, alors ils vous refilent sans arrêt de nouveaux plans. Une basse qui se souvient de Mountain, et un guitariste qui est un as du cha-no-yu sur table branlante. Missssippi mountain blues : un bon blues du piedmont avec harmonica, voix creuse et rythmique infatigable. Un peu trop attendu, la guitare qui se fait toute petite dans son coin même quand elle soloïse. Un blues qui ne vous invite pas au suicide est-il un bon blues ? Just I was born : c'est parti pour le galop du grand derby, la batterie répétitive et qui semble là pour assurer une présence discrète. C'est le vocal et la guitare qui portent le groupe. Ne jouent pas sur les coupes franches, z'avez l'impression que vous vous dirigez vers la fin du morceau mais la guitare embraye et le moulin à café tourne sans fin. Le client-roi retenu en captivité auditive doit en avoir pour son argent. Sorrow : essayent les vitesses une à une, à fond pour la guitare et tout doux lorsque la basse prend le relai. Vocal un peu gentillet, on ne peut pas leur en vouloir, ils ont du chagrin. Une guitare qui claptone un peu et qui prend son temps entrecoupée par des mélodies qui louchent du côté des Beatles. One summer day : le slow scorpionique, retirez les rideaux de vos fenêtres et pleurez à chaudes larmes votre amour perdu. Pourraient être un peu plus machos et partir du principe qu'une de perdue c'est dix riffs d'acier de gagnés. Brane baster : un minuscule soupçon d'acoustique, z'ensuite l'électrique joue au train qui s'éloigne à toute vitesse sur l'infini des rails. Dépasse difficilement les deux minutes, instrumental des plus agréables pour des oreilles rock. Sooner or later : moins hard, louchent un peu sur le british pop. Mélodie, écho souterrain dans la voix, cela n'a jamais tué personne, mais ça ne fait pas de mal non plus. Bonne partie de guitare finale. Demon & eleven children : le titre dure neuf minutes, ce qui est certain c'est qu'on ne s'ennuie pas en l'écoutant. Sont décidés à nous montrer tout ce qu'ils savent faire et ma foi ils peuvent vous réciter l'Encyclopédie Universalis à l'endroit et à l'envers. Si vous ne devez écouter qu'un unique morceau, ce sera celui-là. Une belle vitrine.

    Précision utile sur ce démon et ces onze enfants. Ce n'est en rien un concept-album qui raconterait un sombre conte No, une espèce de Petit Poucet à la sauce nippone. Le titre a été rajouté au dernier moment par la maison de disques pour inciter les clients à acheter... L'ogre démoniaque du marketing nous dévorera tous.

    Etrangement cet album de 1971 laisse présager ce que le suivant occulte totalement. Kazuo Takeda évoluera. Les mauvaises langues diront qu'il reniera sans état d'âme son passé de rocker et de hard rocker. Il se dirigera vers des musiques plus complexes, plus aventureuses, du prog à la la fusion pour finir par le jazz. Sachant cela, si vous écoutez cet album vous remarquerez que les structures des morceaux ne sont jamais fixes, que leur principal défaut, qui fonde aussi leur singulière qualité, est qu'elles reposent sciemment sur une instabilité généralisée.

    En 72 le groupe splitta pour divergences musicales... Kazuo Takeda ne se découragea pas le quatuor Blues Creation était mort, il partit humer l'air chaudement musical de Londres et revint au pays pour créer le power trio Creation. En 1973, les voici recrutés pour assurer la première partie de la tournée de Mountain au Japon. Le courant ne passe pas avec Leslie West et Corky Laing, toutefois une franche camaraderie se crée avec le couple Felix et Gail Pappalardi...

    En 1975 paraît le premier disque de Creation devenu quatuor :

    CREATION

    ( 1975 )

    Ne se sont pas foulés pour le titre de l'album. Par contre question pochette Hajime Sawatari frappa un grand coup. Je  pense que de nos jours un groupe ne se permettrait pas une telle couve. Sawatari est un photographe connu pour ses photos scandaleusement osées, peut-être a-t-il médité sur le poème de Baudelaire J'aime le souvenir de ces époques nues... Je n'ose pas dire que je vous laisse vous rincer l'œil.

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    Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.

    You better find out / A magic lady / Lonely night / Tobacco road / Fairy tale / Pretty Sue / Got to get together / Watch 'n' chain / Feelin Blue / Blues from the yellow /

    Rien à reprocher à ce disque, à part que tout le monde en a déjà entendu des centaines du même style. Le contenu ne vaut pas la couverture. Pour le deuxième opus de Creation, Kazuo Takeda qui a voulu remédier à la situation fait appel à Felix et Gail Pappalardi qui l'invitent chez eux à Nantucket pour l'écriture et le choix des morceaux. L'enregistrement aura lieu à New York.

    FELIX PAPPALARDI & CREATION

    ( 1976 )

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    Shigeru "Sugar" Matsumoto : bass / Felix Pappalardi : Bass, keyboards, vocals / Masayuki "Thunder" Higuchi : drums / Kazuo "Flash" Takeda : lead guitar / Yoshiaki "Daybreak" Iijima : rhythm guitar / Producer : Felix Pappalardi, Gail Collins.

    Prudemment A& M Records s'est chargé de la pochette !

    She's got me : c'est terrible. Pour les mettre en confiance, les deux premiers morceaux du disques sont repris sur le premier album des Creation. Vous avez vite fait d'entendre la différence. La guitare de Takeda qui filait dans tous les sens, Felix vous l'a domestiquée, n'est pas là pour faire la belle mais pour construire le morceau. Une chose est sûre on n'est plus dans Creation mais l'on n'est pas dans Mountain, non plus. Takeda dira que Pappalardi lui a ouvert les yeux et les oreilles. N'y a pas que le hard rock dans la vie. L'important c'est d'être soi-même. Méfions-nous des montagnes, elles font de l'ombre. Un sorcier est aux manettes et la batterie d'Higuchi a pris de l'ampleur. Pas question non plus d'épaissir le son à devenir sourd, tout est dans la justesse, l'équilibre des forces. Voyez comment l'harmonica de Paul Butterfield se fond dans les guitares. Dreams, I dream of you : rien qu'au titre l'on comprend que l'on change de registre, on vous a montré comment on équilibre le rock, maintenant c'est le moment d'accompagner la roucoulade. Felix nostalgise au vocal, entre slow sixties et mélodie à la Sinatra. Pas du tout sinistre. Green rock road : et l'on passe de la variétoche à la ballade américaine, une guitare qui countryse et tout le mystère réside dans l'art de poser le timbre vocal sur l'enveloppe instrumentale, mine de rien, mine d'or. Preacher's daughter : le moment de balancer la voix, les guitares suivent et Pappalardi se fait plaisir, au Japon l'album est sorti sous le titre Creation et Felix Pappalardi, les acheteurs ont dû être surpris. Une petite merveille, mais ni le bruit ni la fureur créationiste. Listen to the music : Felix ''maître zen de sagesse'' Pappalardi au vibraphone laisse tomber des gouttes de pluie dans la limpidité d'une vasque au bord de laquelle s'élèvent trois roseaux solitaires. La sérénité du jardin japonais. Tout un art de grande subtilité. Secret power : un petit rappel sur une paroi de haute montagne, les guitares plantent les pitons, ça glisse un peu sur la glace, mais c'est juste une démonstration, Pappalardi jette les bases mais ne dévoile pas pas le sommet. Superbe. Summer days : les amerloques adorent l'été, à les écouter il est rarement brûlant, l'est mélancolique à pleurer, ces jours n'échappent pas à la règle intangible des rêves brisés. Pappalardi se gargarise du masochiste plaisir du désespoir. Dark eyed lady of the night : légèrement plus pimenté que le précédent, mais juste un arôme furtif. Une guitare narquoise, tout en finesse, rien à voir avec La mort viendra et elle aura tes yeux le dernier recueil de Pavese. Ballad od a sad cafe : le temps se met au gris, les nuages s'approchent, magnifique, grandiloquent, un dernier éclat de guitare et la symphonie s'achève.

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    Répétons-le les amateurs de Creation et de Mountain risquent d'être déçus. Pappalardi entertainment pousse la chansonnette. Avec tout autre que lui ce serait mièvre et insupportable. Les quatre ultimes américanades sont de véritables pièces de musique, des compositions au sens classique du terme, mais traitées en rock, rien à voir avec les orchestrations de Bernstein, mais l'on est dans cette veine, Gail et Felix ont créé un étrange mix qui louche autant vers la comédie musicale, que vers le country. Quelle idée baroque de se servir d'un groupe japonais pour embrasser en filigrane une bonne partie du spectre de la musique populaire américaine !

    *

    TRAVELLIN' IN THE DARK

    LIVE... DENVER '76

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    Reste que l'on est curieux de savoir comment le disque studio sera retranscrit live. Même si le titre de cet album public est un énorme clin d'œil à Mountain, c'est bien Pappalardi qui mène la cordée, et qui a décidé de poursuivre la voie qu'il a explorée sur Climbing ! avec des compositions comme Theme for an imaginary western.

    Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.

    Preacher's daughter : c'est ici que l'on comprend le choix de Creation comme groupe d'accompagnement. Et pour ce premier morceau il semble que c'est plutôt le son de Blues Creation qui de fait a été sélectionné. Notamment la fluide guitare de Takeda, et si les tambours de Higushi sont renforcés, les grosses poutres riffiennes du premier disque de Creation ont été transformées en copeaux pour alimenter un feu soutenu et continu mais sans sursauts de hautes flammes. Pappalardi s'est réservé la part du lion, le chant, et il ne s'en prive pas. L'est le croupier qui mène le jeu, ramasse les jetons, et fait tourner la roulette. Russe. Prend manifestement son pied. Big boss. En fin de partie c'est lui qui rafle la banque. Secret power : c'est le morceau le plus montagneux du disque studio, Pappalardi calme le jeu, l'est aidé par la basse de Matusumo mixée tout devant qui ralentit les escalades et veille aux dégringolades. Un petit éboulement de quelques milliers de tonnes ne nous aurait pas déplu, mais Pappalardi ouvre son gosier et domine la situation comme l'aigle du haut de son aire maîtrise tout ce qui rampe sous lui. Dreams, I dream of you : le Felix est heureux comme un cat apprivoisé qui ronronne sur son coussin de soie rose. Vous étale la marmelade à larges louches, vous vous pourléchez les doigts à l'idée de penser qu'il englue ses tartines rien que vous faire plaisir. Vous y mordez dedans à pleines dents et vous en avez jusqu'aux oreilles. Derrière les Creation violonisent. Sucre candy. Travellin' in the dark : le titre comme vous ne l'avez jamais entendu, sous forme de berceuse pour enfants sages pour qu'ils n'aient jamais peur de dormir dans le noir. Le pire c'est que ce n'est pas mal du tout. Tout le charme pastel des illustrations de Gail. Reason to believe : ne l'oublions pas Pappalardi a débuté en tant que producteur de la scène folk new yorkaise. Une reprise gentillette de Tim Hardin. Nous l'interprète en militant apaisé.

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    Dark eyed lady of the night : une version montagnarde, le morceau idéal pour les musicos, que chacun ait son heure de gloire et les yeux de la lady s'éclairciront pendant que Felix chante son aubade. L'est sûr que les Creation ne sont pas des manchots déplumés sur un morceau de banquise fondante. As the year go passin' by : le sentiment du temps qui passe n'est pas joyeux et nous rappelle que la race humaine trépasse aussi, c'est parti pour une ballade bluesy grandiloquente à souhait, longue comme un jour de ppluie, le scorpion de la mélancolie plante son dard dans votre cervelle métamorphosée en fromage blanc, un must pour les instrumentistes, un peu comme un livre de Delly que vous lisez pour la soixantième fois mais que vous n'avouerez jamais aimer. Nantucket Sleighride : Mountain revisité, en plus nuancé, en plus triste, en plus morbide, les musicos se font discrets, c'est la voix de Pappalardi qui tient le morceau et l'emporte dans son antre pour le dévorer. L'ivresse des hauts sommets a gagné l'équipage. Nous la communiquent. A écouter. N'y a pas que Leslie qui sait se servir d'une guitare. Takeda au taquet. Une version démesurée de plus de vingt-et-une minutes. Ébouriffant. Plus belle que celle de Twin Peaks. Brodée d'un satin scintillant d'écume folle. High heel sneakers : que mettre à la suite d'un tel prodige. Un bon vieux rock des familles ! Le vieux hit de Tommy Tucker que Jerry Lou s'est complu à dynamiter. Miracle, Creation se souvient qu'ils sont aussi un groupe de hard-rock et ça s'entend. Une intro tonitruante suivie d'une version méchamment blues mais hélas écourtée.

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    Pappalardi tel qu'en lui-même. Je pressens quelques déceptions pour les fans de Mountain, mais une fois qu'ils auront écouter le Nantucket ils auront la honte de leur vie à penser qu'ils ne l'ont pas dans leur collection.

    *

    FELIX PAPPALARDI, CREATION

    LIVE AT BUDOKAN 1976

    Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.

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    Pretty sue : ce disque ne fait pas double emploi avec le précédent, beaucoup de titres sont issus du premier LP de Creation et ils y renouent avec leur gros son appuyé où ça fait mal, un beau ballet de basse de Matusumo qui imite Jack Bruce à la perfection. A moins que ce ne soit Felix, mais il ne faut pas prêter qu'aux riches. Lonely night – You better find out : certes le son n'est pas parfait mais sur ce medley règne un grand désordre bon enfant qui frise l'incohérence. Le public apprécie... A magic lady : Sur le moment il devait y avoir de l'ambiance, mais la magic lady n'est pas aussi magique que ses promesses. Tobacco road : débordement de batterie, guitares qui jouent aux marteaux-piqueurs. Chant à l'arrache. N'ai jamais vraiment apprécié ce morceau que j'ai toujours trouvé touffu. Mais là c'est la jungle, tellement serrée que vous ne pouvez y glisser le petit doigt du pied. Bourrinent à mort. Secret power : entrée de Felix Pappalardi, c'est incroyable comme un bon chanteur vous met de l'ordre dans la pétaudière, n'a qu'à ouvrir la bouche et le monde s'ordonne. Le Matusumo assume grave et l'on louche un peu vers Cream pour le son et vers Mountain pour les sous-bassements oedémiques lyriques. Dark eyed lady of the night : nettement plus en forme que sur le disque précédent. La donzelle a retrouvé son sex appeal, elle minaude et joue à la vierge effarouchée dans un poème d'André Chénier, les gars en sont tout émoustillés, font attention à ne pas commettre de grosses bavures avec leurs instruments. Ne s'agit pas de lui marcher sur les pieds. Quant à vous, vous êtes prêts à rester là toute la nuit à tenir la chandelle s'il le fallait. MC Blues : un bon blues n'a jamais tué personne, en voici un avec ses grappillons de guitares, sa chaloupe cadencée, et Felix qui vous propulse au cœur de la tristesse du monde par le glissement du timbre de sa voix. La guitare pleure, faudra un jour que l'on m'explique pourquoi ces marches funèbres vous filent un extraordinaire pêchon. En tout cas à celui-là il ne manque rien. Takeda au summum. Commando delta. Theme for an imaginary western : le cheval de bataille de Felix pour terminer le premier CD. L'on ne s'en lasse jamais, le côté verte prairie imaginaire qui défile sans fin. Les temps cruels de l'innocence perdue à jamais. Nantucket sleighride : l'on ne change pas une formule gagnante. Encore un must légendaire de Pappalardi. Une belle version qui ne vaut pas la précédente. Ne dure qu'une dizaine de minutes, la voix splendide, mais l'accompagnement un tantinet trop rapide au début, et plus tard trop lent, par rapport à la puissance déployée. Manque un peu de vent dans les voiles de Takeda qui n'est pas un oiseau ivre d'écume parmi les cieux... Preacher's daugther : le morceau bien envoyé au rebond de la balle. Le son trop souffreteux pour que l'on puisse apprécier à sa pleine mesure. Dommage ! Watch 'n' chain : un morceau de Creation, z'ont récaté le bazar du début, un quart d'heure quasi instrumental de montées graduelles, de grands feux de joie suivis de descentes en douceur, sur scène les spectateurs adorent ce genre de pattern, à froide écoute c'est moins exaltant. Tout ce qu'il faut servi sur un plateau, mais le manque d'originalité est flagrant. L'assistance panurgique ne manque pas de taper dans les mains. Longuet. MC : présentation des musiciens. Dreams, I dream of you : quatre minutes de rêve... Au bout desquelles on renoue avec les habitudes de Mountain, un solo de guitare de Takeda excellent, qui constitue l'ouverture de High heel sneakers en mode blues, à la suite duquel nous avons droit – tradition oblige - à un Roll over Beethoven qui nous rappelle de bien belles excursions en haute montagne. Soyons franc, Takeda n'est pas West, il se coule dans Chuck Berry mais ne se l'approprie pas.

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    *

    Creation est absent du disque suivant. L'on sait qu'en tant que producteur Felix Pappalardi n'a jamais hésité à mettre la main à la pâte, à se saisir d'un instrument, à écrire un morceau. L'on connaît sa participation à Mountain, beaucoup moins ses enregistrements avec Creation, mais Don't Worry, Ma est le seul record qu'il publia sous son propre nom. Sorti quelques années avant sa disparition, il se teinte d'une aura testamentaire qu'il n'avait pas évidemment lors de son enregistrement. Rappelons que Felix repose aux côtés de sa mère décédée en 1968.

    DON'T WORRY, MA

    ( 1979 )

    Nécessité de ne pas mythifier en écoutant, la liste des participants ( voir dessous ) nous en empêcherait. On ne peut pas dire qu'il était tout seul, une bonne trentaine de musiciens, presque un orchestre symphonique avec section de cuivres et pupitre de cordes. Ce n'est pas un disque de rock'n'roll. Pappalardi chante les morceaux qu'il aime. En point c'est tout. Oubliez le bassiste de Mountain.

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    Certes ce n'est pas une réunion de copains le soir au coin du feu mais parfois comme sur Railroad Angels ça y ressemble, l'on dirait que l'on a ménagé à tous ceux qui passaient par le studio une place dans la chanson. Tous un peu serrés mais heureux de se retrouver là. Une espèce de gospel à la bonne franquette où chacun s'en vient pousser la chansonnette. Deux traditionnels arrangés avec Gail, chacun symboliquement disposé en première piste des faces 1 et 2 : Bring it with you when you come et the Water is wide, qui vient de loin, d'Ecosse et du début du dix-septième siècle. Ce dernier morceau un peu engoncé dans une aura de respectabilité, traitée avec un tel maximum de précautions qu'il en devient fastidieux. De loin la version de Joan Baez, qui a travaillé avec Pappalardi, beaucoup plus simple s'avère mille fois plus belle. On attend le léopappardi au tournant pour Sunshine of your love, Felix ne change rien au traitement de la voix, par contre les guitares restent dans leurs étuis et une crème de cuivres se chargent de la participer à la partition. Pour vous donner une idée souvenez-vous du saxophone sur les dernières mesures de Walk on the wild side de Lou Reed, ben là c'est aussi beau, à part que ça dure un max et que vous en avez toute une section qui ne fait pas halte. Question cuivres étincelants jetez-vous sur White boy blues qui mériterait de s'appeler White boy rhythm'n'blues, assaisonné à la Memphis horns qui groovent la vie et un chœur de filles qui stuffent et staffent à mort. Le meilleur morceau à mon avis. Quoique à la réflexion Caught a fever vaut son pesant de bitcoins. Y a de tout là-dedans, au début vous parieriez votre fortune personnelle pour du pure blues, mais très vite chacun des participants désire apporter sa tonne et demie de gros sel iodé et vous ne savez plus ce que c'est. Pourtant c'est évident : c'est du Pappalardi qui vous emmène au paradis. Parce ce que si les trois dizaines de clampins amicaux qui l'entourent marnent à mort sur leurs instruments, le Felix il se contente de poser sa voix. Un maître organe. Doit se décider au dernier moment, tiens je pourrais le faire comme cela et dès qu'il ouvre la bouche une clarté apollinienne irradie le studio. Magnifique à chaque fois, ah ! sa version de As the tears passin' by – dans les deux disques précédents il vous la traitait en ballade aussi pompeuse et boursoufflée que les joues de Pompée défilant le jour de son triomphe sous la tribune des rostres - et ce coup-ci il la commence in blue, et puis toutes les couleurs de l'arc-en-ciel y passent et votre cœur se déchire en mille et un confetti. Vous reste encore High Heel sneakers et la Farmer's daughter pour vous remettre de vos émotions.

    M'étonnerait qu'avec les royalties il ait pu s'acheter une Cadillac agrémentée de l'option pare-chocs en or massif. Un caprice de gentleman. Un homme qui détruit sa légende et sa réputation. ( Elles sont comme les têtes de l'Hydre de Lerne qui repoussent aussitôt coupées. ) En toute connaissance de cause. Avec ce je-m'en-foutisme absolu de celui qui n'en fait qu'à sa tête. Une énorme leçon de liberté et de savoir-faire. Le génie de la simplicité, peut-être même la simplicité du génie.

     

    Felix Pappalardi :vocals / Bernard Purdie : drums, timpani, tambourine, producer / Eric Gale : guitar / Richard Tee : piano, organ / Chuck Rainey : bass / Pancho Morales : congas / Frank Wess : tenor saxophone, flute / David Tofani : tenor saxophone, flute / Edward Daniels : tenor saxophone, flute, clarinet / Wilmer Wise : tenor saxophone, clarinet / George Opalisky : alto saxophone, tenor saxophone, flute, soloist / Arthur Clark : flute, bass clarinet / Irvin Markowitz : trumpet, flugelhorn / Victor Paz : trumpet, flugelhorn / Burt Collins : trumpet / George Marge / oboe, piccolo / Peter Dimitriades : violin / Sanford Allen : violin / Kathryn Kienke : violin / Doreen Callender : violin / Norman Carr ; violin / Noel DaCosta : violin / Robert Tozek : violin / Gene Orloff : violin / Selwart Clarke : viola / Julien Barber : viola / Al Brown : viola / Kermit Moore : cello / Corky Hale : harp / Maeretha Stewart : backing vocals, leader / Hilda Harris : backing vocals / Ullanda McCullough : backing vocals / Horace Ott : arranger, conductor / Artwork : Gail Collins. On ne peut pas dire qu'elle se soit fatiguée. Le minimum syndical. Mais c'est le disque de Felix à lui tout seul. Les meilleurs cadeaux sont ceux que l'on s'offre soi-même.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE 370 : KR'TNT ! 390 : PRETTY THINGS / EMITT RHODES / SONS OF A BLEACH / COHAAGEN / LILY / POGO CAR CRASH CONTROL / WALTER'S CARABINE / WAITING FOR THE ROYALTIES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 390

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    25 / 10 / 2018

    PRETTY THINGS / EMITT RHODES

    SONS OF A BLEACH / COHAAGEN / LILY

    POGO CAR CRASH CONTROL / WALTER'S CARABINE

    WAITING FOR THE ROYALTIES

     

    Oh You Pretty Things - Part Three

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    Ce ne sont pas 400 personnes qui sont allées au final bow des Pretty Things l’autre soir, mais 800, si l’on considère qu’un homme averti en vaut deux. Eh oui, les Pretties avaient annoncé la couleur. Dernière tournée et ultime concert à Paris, une ville que Phil May dit adorer. Il s’agissait donc d’un moment extrêmement particulier, la fin d’un grand épisode, certainement l’épisode le plus brillant de l’histoire du rock anglais. Les Pretties font partie de cette caste de groupes qui surent veiller à ne jamais décevoir leur fans, attitude d’autant plus difficile à observer qu’ils démarrèrent comme les Cramps ou encore les Stooges, avec deux albums qui aujourd’hui encore font figure de modèles insurpassables. Les Pretties ont payé fort cher leur intégrité, puisqu’ils terminent leur parcours à la Maroquinnerie, salle relativement petite, alors que dans un monde normal, ils devraient jouer à guichets fermés à l’Élysée Montmartre, avec des files d’attente s’étirant jusqu’au métro Barbès. L’intégrité est ce qui donne sa réelle valeur à l’art, quel qu’il soit, l’histoire fourmille d’exemples de peintres et d’écrivains brillants morts dans la pauvreté pour s’être prêtés à l’exercice de cette impitoyable rigueur morale. Dans la vie, c’est la même chose, on se rapproche naturellement des gens dès lors qu’on flaire ce subtil parfum d’intégrité morale qu’on appelle aussi élégance intellectuelle. On voit avec une consternation non feinte l’empire du m’as-tu-vu s’étendre de jour en jour et rien dans ce monde en mutation n’est plus difficile que de maintenir un équilibre relationnel classique, à l’ancienne. Et c’est probablement encore plus difficile dans le showbiz. Voilà la raison pour laquelle les Pretties constituent une sorte d’éclatant symbole.

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    Has been, les Pretty Things ? Tu rigoles ? Quand ils rendent hommage à Bo Diddley, ils ressortent leur vieille niaque de cinquante ans d’âge et là... En 1965, aucun groupe ne pouvait rivaliser de sauvagerie avec eux, et même s’ils ont pris un coup de vieux, ils restent inégalables. Phil May chante toujours avec cette conscience du raw et cette science du dirty, cette prestance du Come see me et cette intelligence du British beat. Quant à Dick Taylor, il reste égal à lui-même, il se situe bien au-delà des légendes et de ce qu’on peut en dire, il joue le Britsish beat comme s’il avait encore vingt-cinq ans, avec une précision et une force motrice qui normalement devrait en boucher un coin à tous les guitaristes, car encore une fois, Dick Taylor ne joue JAMAIS deux fois la même chose, il croise le meilleur psychout d’Angleterre avec le Diddley beat le plus raw qui soit ici bas, et oui, de voir jouer cet homme, c’est une sacrée bouffée d’oxygène. Fantastique guitar-slinger, aussi présent dans le son que peut l’être Chris Spedding, il coule son bronze sonique en permanence, il arraisonne les oraisons et catapulte les cataplasmes, il drive sa drouille et draine allègrement le flux du son. Dick Taylor joue en quartier maître, il fend les flots, le nez au vent et rien dans sa personne ne laisse transparaître la moindre trace de frime. Dick Taylor restera jusqu’au bout le quartier maître de l’absolu dirty, le pourfendeur de Sargasses et le coup de Trafalgar à deux pattes.

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    Pour les gens qui n’ont pas grandi avec les Pretties, c’est peut-être moins évident. Dans les années 2000, le guitariste qui jouait dans notre tribute band avait dix ans de moins que nous et mettait un point d’honneur à détester les Stones, sous le prétexte qu’ils n’étaient pas de sa génération. Quand un soir après l’apéro, on l’invita à se joindre à nous pour aller voir les Pretties qui jouaient à la Traverse, il déclara que le rock de vieux ne l’intéressait pas. Cette cloche joignait l’ignorance à la suffisance et nous éprouvâmes à son égard quelque chose de l’ordre de l’infinie tristesse. Il n’était plus temps de lui expliquer qu’avant d’être un problème générationnel, le rock s’apparentait à cet universalisme qu’on appelle aussi l’art.

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    Le fait le plus marquant est que les Pretties sonnent toujours juste, là où les grands groupes de l’époque du British beat encore actifs sonnent moins juste, à commencer par les Stones et les Who, qui sont passés à une sorte de rock plus institutionnel. Le seul qui comme les Pretties réussit à se montrer encore aujourd’hui superbement créatif, c’est bien sûr Ray Davies, dont les deux volumes d’Americana (Americana et Our Country) n’en finissent plus de raviver en nous tout ce qu’on pouvait vénérer chez les Kinks.

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    L’arrivée de Phil May sur scène l’autre soir vers 22 heures nous plongea dans un tourbillon introspectif plutôt malvenu, car l’important était de n’en pas perdre une seule miette, mais de voir cet homme de 74 ans monter sur scène pour driver le set d’un groupe qui fut jadis le plus violent d’Angleterre, ça dégingande quelque peu le métabolisme cérébral, et encore, quand on a dit ça, on n’a rien dit. Moment extra-ordinairement émouvant, au moins autant que la dernière apparition de Jerry Lee à la Vilette, ça se charge automatiquement d’un épouvantable pathos, celui qui s’empresse de signifier la fin d’une époque, la nôtre, le sentiment que tout va s’arrêter avec ces mecs-là, mais c’est beaucoup plus qu’un sentiment, ça porte le joli nom de fin des haricots, comme le soir où on apprit la mort de Gainsbarre et que l’idée d’un lendemain semblait tellement inepte. On voit nettement que Phil May accuse le poids de son âge, il sourit encore, mais l’âge affaisse ses traits, ses yeux se plissent, ses cheveux tombent, son corps se tasse, il semble plus court qu’avant, l’énergie lui fait atrocement défaut, la fatigue l’accable, il perd même un peu de voix, mais diable, il faut le voir claquer son «Mama Keep Your Big Mouth Shut» à coups de maracas, hey mama, toute sa vie il n’a juré que par Bo et il continue de ne jurer que par Bo, Bo le botte, hey big bad Bo, on sent qu’il aimerait bien mourir sur scène comme Mick Farren,

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    la classe absolue, ce pourquoi tu es né, poussière tu redeviendras, oui mais poussière de la scène, baby, alors ouvre bien tes yeux car ce n’est pas SF Sorrow qui naît, c’est Phil May qui renaît, avec son «Bracelet Of Fingers» lancé, avec toute la bravado de sa jeunesse enfuie, comme une insulte à la figure de l’Angleterre bien pensante, et s’il monte sur scène c’est pour se battre pied à pied avec l’épouvantable réalité du vieillissement et du souffle court, Phil May ne lâche rien, il chante toutes les secondes de sa vie dans un ultime raout parisien et ça vaut l’or de tous les matins du monde, car rien n’est plus difficilement sublime que d’être le chanteur des Pretty Things, et tant pis pour ceux qui sont passés à côté. Tant mieux pour les avertis qui s’y trouvaient, l’ambiance était à la hauteur du set, il s’agissait d’un beau public de fans, avec une extraordinaire variété générationnelle, justement, pas mal de kids en quête de real deal. Car c’est bien de real deal dont il s’agit. Et rien d’autre.

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    Par contre, Dick Taylor ne semble pas accuser le poids des ans. Il conserve cette allure de pépère jovial qu’il affiche depuis vingt ans et n’en finit plus de scruter les premiers rangs par dessus ses lunettes. Et si la dynamique des Pretties reste intacte, c’est aussi et surtout grâce à l’arrivée en 2005 d’une section rythmique quasi-juvénile, George Woosey et Jack Greenwood, qui par leur sainte petite ardeur ramènent toute l’élasticité du beat dans l’os du raw, au point que lorsqu’on voit George Woosey chevaucher son wild walking drive de basse, on croit voir John Stax.

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    Même niaque des bas-fonds à base de longs cheveux gras et de trait grossiers noyés de sueur. Col roulé sous la chemise pour Stax, marcel sous la chemise pour Woosey. Veston et big boots. Dos courbé, le drive, rien que le drive, dumb boy. Le beat des Pretties sentait bon la brique et la crasse des slums. Ah il faut voir ces cinq mecs gonfler les voiles du far out so far d’«I See You», il faut les voir swinguer «Big Boss Man» au maximalisme de la maximatose et groover «Mona» à la rampante, dans le bourbier de la légende des siècles, dans cette lumière de fin du monde et ces vapeurs âcres qui brûlent les poumons, et si on peut jerker une dernière fois sur «Midnight To Six Man», on se dit que finalement la vie valait quand même le coup d’être vécue.

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    L’obsession de Phil May et Dick Taylor ? Monter sur scène pour jouer les chansons de leur idole Bo Diddley.

    Signé : Cazengler, pretty singe

    Pretty Things. La Maroquinerie. Paris XXe. 19 octobre 2018

     

    On the Rhodes again

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    Pour situer Emitt Rhodes, Paul Lester parle d’un petit prodige californien qui à l’âge de 19 ans devint un homme orchestre, before McCartney and Rundgren. Emitt devint une sorte de wizard en herbe au fond du garage de ses parents. Il installa une batterie, construisit un petit mur de briquettes légères pour isoler son magnéto en plastique et se mit à enregistrer ses compos. Quand il découvrit que Paul McCartney avait fait la même chose pour enregistrer son premier album solo, ça le conforta dans sa démarche. Quoi de plus naturel que d’enregistrer seul ?

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    Il est utile de préciser qu’Emitt n’était pas un bleu quand il commença à faire cavalier seul. Il avait déjà joué de la batterie dans The Palace Guard, puis chanté avec the Merry-Go-Round qui fut un temps le house-band du Hullabaloo sur Sunset Boulevard. C’est très intéressant d’écouter l’album des Merry-Go-Round paru en 1967 sur A&M : ils sonnent comme des clones des Beatles. C’est aussi avec ce genre d’album qu’on mesure l’impact pétrificateur qu’eurent les Beatles sur la jeunesse américaine. Tous les cuts de l’album sont frais comme des gardons de Liverpool, ça saute dans l’air immaculé et ça pullule de bonnes intentions. «Gonne Fight The War» pourrait très bien sortir de Rubber Soul, alors que «Had To Run Around» tape dans une veine plus américaine de type Byrds/Beau Brummels. Mais ils retombent aussi sec dans la Beatlemania avec «We’re In Love». Et ça continue en B, avec un «Where Have You Been All Of My Life» qui par son punch évoque confusément «Got To Get You Into My Life». On reste dans le bona fide beatlemaniaque avec «Low Down» qui pourrait sonner comme le Baby you can drive my car que l’on sait et on voit poindre le museau de la fuzz sur le dernier cut, «Gonna Leave Alone». Oh pas grand chose, nous ne sommes pas chez les Shadows Of Knight. Mais ce dernier petit hoquet fait figure de hit garage pop underground.

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    Son premier album solo, The American Dream, paru en 1970 - a classic of post-Beatles songcraft and proto-powerpop - est en fait le second album du Merry-Go-Round incomplet : le groupe splitte en 1969, Emitt fourbit le complément avec ses compos et met son nom en gros sur la pochette. Il entre en studio avec la crème de la crème du gratin dauphinois de Los Angeles. C’est la raison pour laquelle on lit les noms d’Hal Blaine, de Jim Gordon et de Larry Knetchel au dos de la pochette. L’album paraît sous deux pochettes différentes, la deuxième étant particulièrement laide : on y voit le jeune Emitt poser devant un mur arrosé de bleu blanc rouge.

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    Il n’a pas besoin de préciser que les Beatles sont ses chouchous : il suffit d’écouter «Textile Factory» pour comprendre à quel point il les vénère. Il recrée le punch de «Rocky Raccoon», avec la même chaleur intrinsèque. «Textile Factory» semble sortir tout droit du White Album. On trouve aussi deux beautiful songs là-dessus, à commencer par «Pardon Me», pur jus de magie lennonienne. Emitt s’en va chercher les échos de timbre du magicien de Liverpool. C’est un vrai cas d’osmose. On croirait vraiment entendre John Lennon. Le seul autre rocker américain capable d’une telle supercherie, c’est bien sûr Ty Segall. Emitt chante au cousu d’or, à l’extrême sensitif. L’autre beautiful song se niche au bout de la B : «Til The Day After». Emitt partage avec John Lennon le même sens du dévoiement mélodique. Effarant ! Toute la B baigne dans la beatlemania de bon aloi : «Holly Park» n’est rien d’autre que du pur jus de beatlemania. On y retrouve tout l’entrain de John Lennon, les trompettes, l’éclat pop, il ne manque plus que les lunettes cerclées d’argent. Emitt sonne si frais qu’il frise même le Ronnie Lane. Avec «May Will You Take My Hand», Emitt débarque sur Coconut Beach pour un petit coup d’exotica. Ça sent bon les marimbas et la tiédeur des alizés. Les crabes des cocotiers s’enfilent des moritos à l’ombre des parasols. Emitt y donne tout bêtement sa vison personnelle d’«Obladi Oblada». Et «The Man He Was» ? Alors si ce n’est pas du pur jus de Lennon, alors qu’est-ce ? Emitt reste prostré dans le giron de son idole et délivre des chansons d’une beauté transie en transit. C’est encore pire avec «In Days Of Old». On croit tellement entendre la voix de John lennon qu’on se pose la question. Serait-ce lui ? Même morgue de pop. Extraordinaire sens de l’accointance.

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    Et hop, c’est parti. Il enregistre dans la foulée Emitt Rhodes qu’il considère comme son premier album solo : «I just wrote the songs and recorded them, and it became an album because I kept going.» Il se fait photographier dans les ruines d’un incendie. Inutile de préciser que l’album navigue au niveau du White Album. «With My Face On The Floor» reste l’une de ses chansons préférées. Il y sonne comme Ronnie Lane. C’est tellement parfait qu’on s’en tape sur les genoux, en proie à une vague de bonheur immaculé. Emitt éclate au grand jour et de manière spectaculaire. Cet album va tout seul sur l’île déserte. «Somebody Made For Me» sonne comme «Honey Pie» et «She’s Such A Beauty» comme «Martha My Dear». Emitt chante avec autant d’entrain que les Fab Four à leur âge d’or. C’est totalement inespéré de la part d’un Américain. Et il nous fait le coup du «Why My Guitar Gently Weeps» avec «Long Time No See». Ça paraît inconcevable et pourtant, Emitt réussit ce prodige. Il démarre sa B sur une attaque en règle lennonienne avec «Live Till You Die». Il va même chercher l’exact croisement de Lennon et de Lane. Il chante «Promise I’ve Made» avec l’accent de Liverpool au coin de la bouche. Il colle au terrain et jongle avec les registres vocaux. Ce cut mériterait lui aussi sa place sur le White Album. Il sort de sa beatlemania pour la première attaque américaine de l’album : «You Take The Dark Out The Night». Même s’il chante avec un faux accent de Liverpool, il swingue sa viande avec de vieux relents de bluegrass. Mais la Beatlemania reprend vaillamment le dessus. Spectaculaire osmose, et on se retrouve en plein «Martha My Dear». On s’émerveillera aussi de ce «You Should Be Ashamed» plus mélancolique, mais si raffiné. Il va plus vers le Sergent Poivre. Emitt monte son mythe, Emitt émet des ondes, Emitt amasse des amis.

    Comme The American Dream et Emitt Rhodes sont parus la même année, Emitt se retrouve à l’âge de 20 ans avec deux albums en vente chez les disquaires. Mais comme le dit Paul Lester, it was too much too soon. Le label commença à mettre la pression. On demandait à Emitt d’enregistrer un nouvel album dans les six mois. Il pensait qu’il ne pouvait pas, car il avait mis neuf mois à sortir l’album précédent, en travaillant tous les jours. Mais en signant un contrat, il est tombé dans les griffes du business and I had a publisher, Eddie Shaw, who pretty much controlled me. L’horreur. Emitt ajoute qu’Eddie Shaw emplâtrait toutes les royalties.

    Alors c’est le burn-out. Emitt flippe car il se sait incapable se sortir un nouvel album en six mois. Comme ça ne vient pas, Dunhill lui colle un procès au cul. Pour sortir de ce piège à rats, Emitt n’a plus qu’une seule chose à faire : leur filer l’album qu’ils réclament - That solved the problem.

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    Mirror paraît en 1971 sur le label de Lou Adler. Le cœur battant de l’album s’appelle «My Love Is Strong». Ce coup de génie se situe dans la veine de «Glass Onion». Emitt chante ça au tortillon écœurant de feeling - My mouth will water/ And my blood run warm - On assiste à un fabuleux contre-balancement du beat. Avec le «Take You Far Away» du bout de la B, Emitt replonge dans sa chère beatlemania avec un fondu de voix digne de «Norwegian Wood». Il s’en va chercher une sorte de psyché d’acou superbe. Il joue à la corde sensible d’excellence far-out so far - Never see the sun/ Nenver know the moon - «Birthday Lady» s’inscrit dans la veine du White Album et «Better Side Of Life» pourrait très bien être signé Lennon, car ça vibre de joliesse mélodique. Emitt s’amuse aussi à rocker sec avec «Really Wanted You» - Billy got two teeth out/ Got five slitches in the chin - Pur jus de Beatles rock - I was sleepless till dawn/ With a heart breaking down - Avec «Bubblegum The Blues», il va plus sur le boogie-piano à la McCartney. Emitt ruisselle de feeling. Il place des solos rampants du meilleur effet. Il reste dans le jardin magique de la beatlemania pour «Love Will Stone You», mais il parvient à imposer son style. Ce cut impressionne par sa santé - Love will stone you/ But you will come down - Il a raison, les histoires d’amour finissent mal en général.

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    C’est dans le laps de temps qui sépare Mirror de l’album suivant que se tient le procès. En plus le label lui demande de partir en tournée, d’écrire des chansons et de sourire. Emitt n’y arrive pas - So things were falling apart and I was just doing my best to survive - Il parvient quand même à enregistrer Farewell To Paradise - But by the time I delivered Farewell To Paradise I was done - Il était ratatiné, cuit aux patates - The problem was, music had become work - C’est exactement ce que dit le titre de cet album. En effet, il est beaucoup moins immédiat que les deux précédents, même s’il démarre avec un joli groove d’Americana intitulé «Warm Self Sacrifice» - Oooh I need yoooo - Emitt compte parmi les dignitaires de la dignité, parmi les indigènes de l’ingénuité, parmi les maroufleurs du chou-fleur - Some kinda real voice - Son «See No Evil» n’est pas celui de Television, il s’agit plutôt d’un heavy groove à la Steely Dan, paisible et vaguement oblong. On sent des tentatives, de faibles parfums pernicieux, un goût pour l’indicible caribéen. Quelque chose s’y tapit. Et quand il gratte «Blue Horizon» au banjo du Wisconsin, on comprend qu’il ne vit que pour une seule chose : la grâce. Mais cette fois, sa pop ne veut plus faire d’histoires et l’A s’éteint doucement, comme le songe d’une nuit d’été. On trouve de l’autre côté un groove ondoyant à la Marvin, «Nigths Are Lonely». Emitt chante au doux d’une glotte satinée, avec un sens aigu de la mesure. Cet homme caresse le vent dans le sens du poil. Il adore les rondeurs de la lune et ne dit jamais non à la vertu. Son «In Desperate Need» sonne comme un groove de poing serré. Il termine cet album de fin de non recevoir avec le morceau titre. Il s’en va y chercher l’embrun psychédélique. Il s’en va même softer le son et ouater le ciel, comme Eugène Boudin à Honfleur. On le voit glisser doucement vers un léger exotisme.

    Après ce cauchemar, Emitt prit un job d’ingé son et de producteur chez Elektra. Il dit aussi qu’il a enregistré pas mal de trucs restés inédits. De qui faire baver pas mal de gens.

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    Après un confortable break de 43 ans, Emitt revient dans l’actualité avec un nouvel album, Rainbow Ends. Cette fois, les membres du groupe de Brian Wilson l’accompagnent.

    Avec le temps, Emitt semble être devenu un spécialiste des coups de génie. C’est en tous les cas ce que tendrait à prouver cet album. Il suffit d’écouter «If I Knew Then» pour s’en convaincre définitivement. Il y propose une pop étrange mais solide. On note l’immédiate qualité de sa présence et la fluidité de son swing - Abandon all hope/ All ye who enter here - Il embarque sa pop au paradis - If I knew then/ What I know now - C’est d’une rare puissance, il échappe à tous les cadres, il crée un monde d’énergie subliminale, un monde à lui. On s’abreuve à la source de son énergie. Nouveau coup du sort avec «This Wall Between Us». Si tu es romantique, ça va te démolir - The wall between us/ What does it hides - Il s’interroge dans le courant de l’énormité qui l’emporte vers le large - I don’t know what you’re thinking/ I can’t read your mind - C’est assez monstrueux - If I could look behind/ Wonder What I’d find - Non, il ne parviendra jamais à lire dans ses pensées. Encore une pièce de choix avec «I Can’t Tell My Heart», joli balladif pianoté au clair de la lune et soudain ça explose dans un pont transitif incroyablement mélodique. C’est une merveille absolutiste, les accents dramatiques reflètent l’esprit d’un homme génial. Emitt atteint des sommets dignes de Burt Bacharach. Sa pop est d’une puissance hors normes. Oh il faut aussi écouter le morceau titre, qui va plus sur le big atmospherix, au sens septentrional de la chose, il couvre le jargon des horizons. Comme il va loin, il entraîne la prod dans son sillage mais en même temps, il semble devancer les notions de temps et d’espace. C’est très particulier. En lui brûle une sorte de feu sacré, il cherche en permanence la chanson parfaite et son always chasing rainbows explose. C’est d’une beauté spectaculaire - Head up in the clouds/ Though my dreams would never end/ But my eyes they’re open now - Il faut entendre ça, cette façon de jeter quatre vers parfaits à la face de Dieu. Avant lui, peu de gens avaient osé. C’est un cut qu’on écoute et qu’on réécoute sans fin, on ne se lasse pas de cette montée ultime et sublime. En vérité, tous les cuts de cet album tapent dans le mille. «Dog On A Chain» prend de l’ampleur au second couplet et dégage énormément de souffle - Don’t be the only one to compromise - Il va tout de suite dans la haute volée, celle qu’on claque aux accords du paradis - I was led like a dog on my knees - De toute évidence, ce mec a salement morflé. Encore de la heavy pop avec «Someone Else». Emitt pourrait bien être le grand trésor caché d’Amérique. Il ne chante que des hits faramineux. Il y a même un côté Dr John chez lui, comme on le constate à l’écoute d’«It’s All Behind Us Now». Oh l’admirable groove de Dr Rhodes ! - Let’s forget those things we said - En plus tout est extrêmement bien écrit : du son et du texte, comme chez Lawrence d’Arabie. «What’s A Man To Do» éclate dans la beauté du jour. Il chante à la saturation de timbre. Ce mec est un éploré de la beauté angélique - No easy answer - Il descend dans la mousse des sous-bois, au plus profond de l’âme humaine - Lord what’s a man to do ! - Les arpèges crucifient la mélodie au Golgotha du sentimentalisme. La heavy pop de «Friday’s Love» s’écroule comme une falaise de marbre dans le lagon argenté. C’est tout simplement explosif de pop culture. Emitt se laisse emporter par les dérives contingentes qu’il secrète. Il est l’artiste complet dont on rêvait. Lou Adler et les autres ont bien failli réussir à le détruire.

    Signé : Cazengler, Emiteux

    The Merry-Go-Round. A&M Records 1967

    Emitt Rhodes. The American Dream. A&M Records 1970

    Emitt Rhodes. Emitt Rhodes. ABC/Dunhill Records 1970

    Emitt Rhodes. Mirror. ABC/Dunhill Records 1971

    Emitt Rhodes. Farewell To Paradise. Dunhill Records 1973

    Emitt Rhodes. Rainbow Ends. Omnivore Recordings 2016

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    Paul Lester : Hello Paradise ! Shindig #56 - May 2016

     

    FONTAINEBLEAU18 / 10 / 2018

    LE GLASGOW

    SONS OF THE BLEACH

     

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    Les jeudis du Glasgow commencent à devenir chauds de braise. Un bon bar et un bon orchestre de rock, c'est tout de même la formule idéale à opposer aux frisquettes soirées automnales... qui tardent à venir. Mieux vaut prévenir que guérir, l'adage séculaire nous conforte en nos préventions. Surtout que ce soir l'on nous promet le nirvana. Qui serait assez fou pour rater une telle occasion !

    Attention, cette soirée n'a pas tenu ses promesses. Nous nous en expliquerons plus loin. En plus comme l'entrée est gratuite, l'on ne peut même pas exiger le remboursement. L'on nous avait prévu du déplumé, de l'unplugged comme disent les ricains, bon, on n'a rien contre, mais le rock sans électricité c'est un peu comme la choucroute sans chou, certes vous cassez la croûte... Pas du n'importe quoi il est vrai, du pâté de roi, Sons of the Bleach est censé nous rejouer de la première à la dernière note le fameux MTV Unplugged in New York, un truc qui a branché pas mal de gens à l'époque et encore maintenant puisque il apparaîtra très vite que l'assistance connaît le répertoire par cœur. Un truc qui cloche cependant, alors que l'on attend le groupe, mais que font ces deux guitares électriques posées contre le pare-feu de la cheminée ?

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    SOAB # 1

    Ne dites pas que vous ne les connaissez pas. Nous les avons croisés maintes fois. Krostif Rip a laissé à la maison la contrebasse qu'il slape chez les Jallies, s'est emparé de la guitare lead et du micro, l'a chargé Tom Sawyer de tenir la basse, et derrière les fûts c'est Kristens Manni qui affûte sec. Nous demande si l'on connaît l'Unplugged, notre réponse a l'air de le satisfaire nous prévient toutefois de faire gaffe parce qu'après avoir joué l'Unplugged Kurt Cobain s'est tiré une balle dans la tête. Ne nous inquiétons pas pour notre avenir se hâte-t-il d'ajouter, ils possèdent le remède miracle contre les dépressions, un peu d'électricité n'a jamais fait de mal à personne. En attendant il lance la danse à haute volée. Fûts et raffut, tel est son programme. Frappe lourde et puissante. Unplugged n'a jamais signifié sonorité chétive et maigrelette. Là-dessus Tom vous creuse des lignes de basse qui descendent tout droit en enfer, vous entendrez hululer la masse lugubre des damnés tout le long de la soirée. Kross nous montre tout ce qu'il ne faut jamais faire à une guitare semi-acoustique l'a fait moduler salement, ne cessera de l'électrocuter, lui arrache de ces notes à vous faire hurler de frayeur, et là-dessus il vous balance sa voix comme les Romains semaient du sel sur le sol de Carthage afin que rien ne repousse jamais sur cette terre maudite. Un larynx froissé, une voix saupoudrée de rouille et infatigable. L'est le bélier qui bouscule tout sur son passage, enfonce les citadelles de votre esprit et emporte au loin les remparts de vos rêves les plus fous. Une machine de guerre, vous dégoisent tout l'album dans l'ordre. Dans le désordre plutôt parce que dans la salle ça commence à tanguer force sept. Et personne n'a envie de rentrer au port se mettre à l'abri. Parfois ils échangent leurs instruments, mais c'est pour mieux revenir nous percuter avec leur distribution originelle. Puisqu'il faut choisir, insistons sur le Jesus don't Want me for a Sunbeam, des Vaselines qui vous prend de ces teintes sombres à vous demander si ce n'est pas vous qui êtes cloué sur la poutre fatale, le The Man Who sold the World parviennent à faire ressortir dans cette purée noire et grasse qu'ils nous versent à foison le côté arty de Bowie, et le dernier Where Did You Sleep that Night de Leadbally, une de ces berceuses mortuaires et inégalables dont le blues a le secret. Entre parenthèses l'on reconnaît dans le traitement du morceau l'influence du Zeppelin sur Nirvana. C'est fini, c'est bon, allez vous coucher. Notre batteur sourit aux anges. L'est manifestement soulagé que ce soit terminé. Non, il n'a pas sommeil. Tient seulement avant de se quitter à nous offrir l'aubade de trois derniers petits morceaux. Trois monstruosités cliquetantes d'électricité, des monstres ressortis des profondeurs abyssales, des espèces d'énormes cachalots aux arrêtes extérieures et empoisonnées. Trois cadeaux d'adieu.

    SOAB # 2

    Ce n'était qu'un au-revoir. Le temps d'écluser quelques boissons fermentées. Ce coup-ci c'est du sérieux. Bye-bye l'unplugged. A manger de la volaille, autant l'avaler vivante, avec les pattes, le bec et les plumes. Nirvana n'a pas enregistré que ce maudit trente-tours sans graisse ajoutée, le Soab exhibe une play-list de plus de vingt morceaux, des extraits de Bleach, de Nevermind, et de in Utero, personne n'est contre mais jamais ils n'auraient dû s'attaquer à Lithium – le troisième sur leur liste – parce que là ça a dérapé grave. Le lithium est un métal rare, sert à tout mais pas à n'importe quoi, a provoquer les fissions nucléaires – y eut une scission dans Nirvana à cause de ce morceau – comme à servir d'euphorisant, la fin de Kurt nous autorise à penser qu'il n'a pas su l'utiliser en ce sens. En tout cas sur le Glasgow l'effet fut galvanisant. Avouons qu'ils l'avaient bien mis en place, à tel point que le public emballé se chargeait des chœurs, mais à partir de ce morceau le concert est rentré dans une vitesse supérieure. Changement de dimension. Dans l'ordre naturel de la petitesse vous avez le timbre-poste et tout de suite après c'est la salle de concert du Glasgow, mettez soixante personnes dans votre vestibule et retirez la pendule pour respirer, dans le Glasgow il n'y a pas d'horloge, alors la foule coagule, ça déambule dans la compression, ça s'articule sur place, ça s'accumule sur ondulation, ça craticule de la capsule, et dans cette pâte mouvante épaisse comme un suc de glucose, vous observez portée à ébullition, d'étranges phénomènes vibrionnants, des courants se forment, s'entremêlent, se poussent, se repoussent, confluent et refluent, c'est la danse extatique, vous sortez de vous même et vous marchez à côté de vos pompes, vous êtes vous et vous êtes un autre, vous êtes mû par un entassement collectif, une entité schizophrénique envahissante, vous n'êtes plus plus qu'une masse prise dans sa propre nasse. Pour les trois musicos c'est pareil, sont comme les trois têtes de Cerbère réunies sur un seul corps, dix fois fois, vingt fois, trente fois, ils vont à chaque nouveau titre se lancer dans l'esthétique abracadabrante du dernier morceau, démarrage à fond de train, Kross aboie à s'en péter les cordes vocales, Tom pédale sur ses boîtiers nous tourne le dos pour mieux ravitailler en plein vol ses riffs d'énergie noire et toutes les deux minutes sur ses caisses Kristens vous rejoue en technicolor le Crépuscule des Dieux et la fin du monde, vous met un point final au néant de votre existence. Vous pensez que c'est fini, que vous êtes mort et même que c'est ce qu'il y a de mieux de ce qui a pu vous arriver dans votre vie tellement le final a été grandiose. Point du tout, c'est reparti, vous repassent le film depuis le début, Kross qui crache le tonnerre, Tom qui torpille les licks et Kristens qui vous achève à la masse de forgeron. Terminé. Sinistre plaisanterie, vous remettent le couvert, vous refont la scène, et dans la foule chacun y met du sien, chacun essaie son dernier pogo, son ultime déhanchement, les bras s'élèvent comme si vous tentez d'escalader l'espace pour vous extraire de ce brasier qui vous enroule de ses langues de feu. Et c'est reparti pour une nouvelle fois. Nos trois héros rechargent les canons à mitraille jusqu'à la gueule. La garde meurt et ne se rend pas. La foule compacte leur interdit de partir, de toutes les manières ils n'en ont aucune envie. S'arrêtent brusquement, plus un bruit, et vlan le coup du lapin musical qui vous brise les cervicales et c'est reparti pour la bastonnade maison, celle qui défie la raison. Cette fois this is the end, se défont de leurs instruments, mais non ils en sont incapables, le devoir sacré les appelle, alors ils les ceignent encore une fois pour que ça saigne une ultimate fois. Et le combat cessa faute de combattants lorsqu'à l'attaque de la der des ders, Kross s'aperçoit qu'il est devenu aphone... tout le monde se précipite pour les remercier, mais les serveurs affolés ont ouvert la porte en grand et nous enjoignent de sortir, on a mordu largement sur l'heure légale...

    De l'unplugged de cet acabit, chez Kr'tnt l'on s'en fait livrer un trente-huit tonnes toutes les semaines.

    Damie Chad.

     

    LE MEE-SUR-SEINE19 / 10 / 2018

    LE CHAUDRON

    LILY / COHAAGEN

    POGO CAR CRASH CONTROL

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    C'est dans les vieilles marmites que l'on fait les meilleures daubes. Les Amplifiés l'ont bien compris. Z'ont choisi le Chaudron pour cette nouvelle représentation. Public de connaisseurs à l'esprit ouvert. Alors ce soir nous ont préparé un salmigondis un tantinet disparate aux trois saisons. Printemps, hiver, canicule. Du Vivaldi électrique. La meilleure des ratatouilles pour fins gourmets aux estomacs d'autruche. Bon appétit.

    LILY

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    Parfois dans la vie, les interrogations métaphysiques se jettent sur vous sans que vous n'ayez rien demandé. Post-folk, sur le flyer. Vous reconnaîtrez qu'il y a de quoi s'interroger. Vont tout de même pas offrir au public du PCCC, un truc de scout à la fleur bleue décolorée... Aussi dès que la première note retentit sans préavis, tout le monde se précipite dans les les escaliers, poussé par une saine curiosité. Le spectacle est étonnant.

    Marie-Lys Leroux est toute seule. Le lys dans la vallée aurait dit Honoré de Balzac. Ce n'est pas vrai, sont cinq en tout, mais l'on ne voit qu'elle. Toute grande, toute blanche, aux longs cheveux noirs. Et surtout la voix. Elle ne chante pas, elle module, haut et fort, une incantation, une mélodie infinie, d'une sublime beauté. Un oratorio. Non ce n'est pas une diva qui aurait confondu le Chaudron avec une salle de répétition de l'Opéra de Paris. Ce sont les quatre garçons qui nous le prouvent. C'est compact ce qu'ils déversent, mais rien à voir avec du récitatif lyrique.

    Un étrange mix, entre hardcore et poésie. ( Attention danger, éviter la chanson française ). Ce qu'il y a de sûr c'est que le public surpris a été très réceptif et les ont longuement applaudis. Apparemment l'originalité paye encore. Nous ont raconté une histoire en cinq mouvements. Cinq atmosphères. Cheminement d'adolescence. Passages de tendresse et récifs de colère. Les titres parlent d'eux-mêmes et permettent à chacun d'adapter et d'adopter le scénario. L'écorché Vif, Putur Froche, Danse, Mangolis, Le Mâle, ce dernier nous étant présenté comme un cauchemar...

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    Méfions-nous de Lucas Prieur, le batteur, dès qu'un instant de grâce s'éternise, il vous assène trois coups de bâton à assommer un troupeau de bœufs et tout chavire à l'instant dans la cacophonie la plus délicieuse. Et les autres ne se font pas prier pour casser les œufs. De dinosaures. Alphonse fonce sur sa basse, Nicolas Ramanantsoavina ravine sa guitare mais le plus inquiétant se révèlera être Grégoire Meneret. De temps en temps il joue, le reste du temps il expérimente, tourne les boutons de ses boîtiers, laisse son instrument vagir par terre, retrouve la vieille manière des premiers bluesmen à n'utiliser qu'une seule corde, qu'il parcourt de deux doigts, vous a des gestes ronds qui me fond penser à un joueur de violoncelle et me donne raison quand il prend une baguette de Lucas pour archet. Manières bizarres de jouer, pour set étrange. Lily chante, elle danse aussi. Longuement, tourne toute seule au milieu de la scène, tandis qu'une pluie de notes dégringolent sur nous. Un set inédit. Qui dévoile un univers qui n'appartient qu'au groupe. Nous entrouvre la porte, mais c'est à vous de vous immiscer à l'intérieur et d'y faire votre trou, comme la souris dans la roue de gruyère. Public convaincu.

    COHAAGEN

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    Une forteresse. Un bunker. Un blockhaus. Imprenable. Une sensation de puissance unifiée, un défi. Dès la première note vous comprenez que ces quatre gars n'ont pas besoin de vous. S'imposent d'eux-même. Impossible de les ignorer. De feindre que leur existence ne vous concerne en rien. La citadelle au sommet de la colline, que vous ne pouvez ne pas voir. Et craindre. Une musique refermée comme un poing mais aux arêtes tranchantes. Traces de sang de ceux qui se sont aventurés d'un peu trop près. Une menace. Un péril. Normal, Cohaagen n'est pas de notre monde. Personnage de science-fiction qui semble issu d'un roman de F. J. Ossang.

    Warzoo, Soubib, Sdb, Odin se sont peut-être donnés pour mission de transcrire en musique pour les pauvres et faibles terriens que nous sommes les aventures et surtout les rêves et les pensées d'un héros hors-norme. Nous font défiler de visu une bande-son post-apocalyptique de notre futur. Warzo au chant manifeste par son dos souvent tourné le mépris que notre minusculité ne peut que susciter. Puisque nous sommes les animaux immatures d'un passé lointain. Sdb à la basse, Odin aux drums et Soubib à la guitare, déroulent une musique sans concession, froide, batailleuse, hérissée d'agressivité gratuite, une fureur concentrée dont il est difficile de définir le rôle de chacun. Une œuvre collective, une espèce de grenade refermée sur elle-même, une espèce de rubik-cube explosif sur lequel personne n'ose apposer sa main.

    Une musique a-communicative, froide comme la mort, un ovni venu de demain, nos agilités mentales sont incapable d'appréhender son maniement, son utilité, d'où la fascination d'autant plus grande qu'elle exerce sur notre curiosité, qu'elle exige de nos imaginations. La musique de notre futur. Une espèce d'artefact d'intelligence pure coagulée qui s'oppose à nous en son mystère. Cohaagen est une zone limite. Une borne votive posée aux frontières de l'in-connaissance. Une énigme dont nous ne comprenons pas l'énoncé, mais qui devient d'autant plus obsédante, qu'elle focalise toute notre attraction, qui happe vers elle toute notre activité mentale, s'en empare et nous laisse désemparés tourner sans fin dans notre viduité. Nous a réduits à l'état de zombie stellaire et lorsque le set se termine nous applaudissons sans fin.

      Dessin : Sylvain Cnudde ( ne correspond pas à ce concert )

     

    POGO CAR CRASH CONTROL

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    En attendant les Pogos. Lumières éteintes, sampler de gouttes électriques - stalactites du néant de l'angoisse - qui tombent une à une du robinet du rock'n'roll, dont la cadence n'augmente pas mais dont l'amplification se grandiosifie à chaque fois. A peine si on les perçoit sous la clameur qui se lève, se revêtir de leurs instruments comme les prêtres des cultes antédiluviens ceignaient leur chasuble pour procéder à d'immondes sacrifices humains. Le poëte qui rate le premier vers de son sonnet est mal parti. C'est pareil pour les Pogos. Pour eux ce sont les premières cinq secondes qui sont cruciales. Ou ce sera réussi, ou ce sera raté. La mèche du bâton de dynamite qui s'éteint est de mauvais augure. Je n'ai jamais vu les Pogos rater le car. Perdent tout de suite le contrôle de la folie ordinaire des êtres humains. Avec eux c'est le crash assuré, à l'instant.

    Rage des paroles et outrage de la musique. Le P3C est une formule instable, volatile et explosive. Le tube de dentifrice ouvert qui explose et éparpille vos molaires dans la salle de bain pour finir par les incruster dans le miroir au-dessus du lavabo. Regardez-vous, rien de grave, vous souriez de toutes vos dents. Mais arrêtons de rêvasser. A sa batterie Louis donne le top départ du grabuge, ouvre la fabuleuse boîte de pandore des démons et merveilles. Mais c'est à Olivier de déchirer l'opercule, secoue le grésil tumultueux de sa chevelure, la mélange d'éructations inouïes tout en grattant furieusement sa guitare. Hay que tocar ! Hay que matar ! L'est comme ces toreros qui débutent la corrida en abattant tout de go le taureau au fusil à canon scié chargé de chevrotines. Une fois la mort rouge présente, la fête peut commencer.

    A ses côtés Simon lui donne de fameux coups de pieds, de ces ruades intempestives sur les cordes de sa guitare, s'en sert comme le fil à couper le beurre de votre cervelle, l'a fait de funestes progrès en quelques mois, il tonitrue à chaque trou qui se présente, vous le remplit de brisures de haine sur le champ, mais ce n'est pas le plus important, vous entremêle les riffs avec les siens propres, et occasionnellement avec ceux d'Olivier – cela demande savoir-faire et concentration – résultat vous avez des passages qui ne sont pas loin des foisonnements à la New York Dolls.

    pretty things,emittrhodes,sons of a bleach,cohaagen,pogo car crash control,walter's carabine,waiting for the royalties

    Lola Frichet joue en solitaire. L'a son espace sonique en elle. Evolue dedans. De la même manière que les sorciers qui ne sortent pas du cercle protectif de leurs invocations aux forces du mal. Mais pas vraiment seule. L'est perdue dans son décompte fabuleux. Au sens dhôtellien de ce terme qui signifie que le hasard peut être vaincu. Se tourne vers Louis et revient vers nous. Se livre du poing et de la tête intérieure à des décomptes qu'elle connaît par cœur, court après le temps comme d'autres après eux-mêmes, et sa basse ajoute quelques grains opiniâtres de folie douce, belle et blonde au tumulte infernal. Elle est la rosée du chaos.

    De trois-quarts profilé sur sa batterie, Louis luit de mille feux. Que serait le Pogo sans cette forge incandescente, il est la centrale atomique qui fournit à foison l'énergie nécessaire à l'opérativité alchimique du groupe qui se transcende en empruntant ce chemin de foudre qu'il trace tout droit sans jamais faiblir. Sans Louis, le secret de la condensation philosophale du rock'n'roll ne serait pas agrégé une nouvelle fois. Olivier rajoute à ce bouillon infernal les formules hymniques des textes pogoïques qui vous crachent à la gueule la frustration d'une jeunesse désespérément accablée par le monde qui l'entoure et dont elle n'est qu'un fragment autistique, incapable de se détacher et de devenir pleinement autonome.

    Mieux vaut ne pas décrire la salle. Cela vous ferait mal. L'obtiendra à corps et à cris un rappel. Un seul défaut aux sets du Pogo, sont trop courts, demandent trop d'énergie. Par contre c'est comme les explosions nucléaires, une fois les atomes cassés, les radiations s'insinuent à vous et continuent à vous perforer l'esprit.

    Damie Chad.

    ( Dessin : Sylvain Cnudde : ne correspond pas au concert )

    ( Photo : FB : Sarah Krimi Elue )

    PARIS20 / 10 / 2018

    BLACK STAR

    WAITING FOR THE ROYALTIES

    WALTER'S CARABINE

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    Juste à côté de La Mécanique Ondulatoire. La façade ne paye pas de mine. Zieutez l'étoile bowienne noire au-dessus de l'entrée. A l'intérieur, c'est tout beau, tout neuf, tout classe. Accueil sympathique et feutré. Grande salle, faux plafond piqueté de brillances rouges, Canapés confortables au fond, scène à l'opposé, sur le mur défilent des vidéos d'artwork. L'est sûr que l'on joue la carte underground chic. Parisien, mais pas parichien à punks. Le public sera au rendez-vous.

    WAITING FOR THE ROYALTIES

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    L'on connaissait le One Dollar Quartet, mais ceux-là ils courent après les royalties. Galopent bien d'ailleurs. Sont quatre, trois grands mecs, Virgile Lassale à la lead, Quentin Leclercq à la basse, Patrick Maillet à la batterie, et au chant Claude Brun, une fille au prénom androgyne qui s'accorde à son look, froufrou de tulle pour terminer la robe courte et casquette à visière qui ne laisse dépasser que quelques fines mèches, tout à l'heure lorsqu'elle s'en défera le temps d'un morceau, une belle chevelure noire tombera sur ses épaules, mais le plus remarquable restera le bleu aigu de ses yeux qui darde et transperce. Dès Datsit, le premier morceau, le ton est donné, magnifiquement mis en place, réglé au millimètre, et la demoiselle montre de quoi elle est capable. Pas évident car les guys tricotent sec. Pas de temps à perdre, les morceaux sont constitués de brèves séquences qui se suivent sans rémission. Pas un labyrinthe, une succession de cellules si rapides que si vous décrochez une seconde, vous êtes perdu dans le canevas. Claude n'est pas pataude, virevolte là-dedans comme la libellule se joue de la surface de l'étang. Vous donne vite l'impression que c'est elle qui commande et que les boys s'arrangent pour la suivre sans obliquer de temps en temps du mauvais côté. Mais c'est l'ensemble du groupe qui est au taquet. Une escadrille d'oiseaux qui virent et revirent tous à la même seconde, sans que vous parveniez à présager le capricieux parcours de leur vol, qui toutefois d'évidence repose sur une logique interne, ici syncopique, qui vous échappe mais dont la netteté du résultat s'impose. Ce sont les fins fulgurantes des morceaux vous laissent pantois. Claude vous expulse et vous claque la porte au nez et les garçons vous poussent les verrous. Ne vous laissent pas dehors très longtemps, vous ouvrent un autre portail et c'est reparti pour une autre visite, la voix de Claude joue à saute-moutons sur les oxers rythmiques, n'oublie pas de sourire pour vous montrer combien c'est facile. Parfois elle se saisit d'un tambourin dont elle se bat le flanc droit avec la méthodicité d'un tigre prêt à sauter sur sa proie et dont la queue qui balaie ses rayures trahit la jubilation interne. Et hop, d'un coup sec, pas vue pas prise, elle vous fouette de son cerceau de bois à clochettes les fesses de Virgile. Les félins ont tous les droits. Colle sa tête contre Virgile et Quentin, pour s'en éloigner aussitôt, mamours amicaux mais pas maman. Faut qu'ils bossent. Les titres se suivent, se ressemblent un peu mais vous séduisent tout autant. Un set sans faille, sans défaut, sans ficelle, du clair, du net, du précis, du brillant, le public s'est approché et fait les chœurs sur So Low. Z'ont gagné la partie avant qu'elle ne soit terminée. Depuis le début en fait. Terminent en flèche sur Miss Ketchup, Beware, et This is Only rock'n'roll. Rock'n'roll oui, mais surtout rock'n'pop.

    ( Dessin : Sylvain Cnudde )

    WALTER'S CARABINE

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    Release party pour la sortie de leur nouvel album. Chroniqué in Kr'tnt ! 381 du 05 / 07 / 2018. Devais les voir à la Comedia, mais la préfecture de police en a décidé autrement... Pas question de les rater cette fois-ci. J'ai fait main basse sur toute leur disco donc rendez-vous la semaine prochaine pour les nouvelles kros... Souvent sur leurs flyers ou leurs cartes de visite les groupes définissent leur style en quelques mots, mais avec leur leur formule magique opératoire : Brutal Blues Garage Trio, les Walter's Carabineont ont résolu la quadrature du cercle du Connais-toi toi même delphique. Savent exactement ce qu'ils sont, des adorateurs du serpent bleu de la démesure du rock'n'roll.

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    Trio. Joe Ilharreguy à la quincaillerie, Foucauld de Kergorlay aristocrate du manche à six cordes qui vous laisse des marques aussi terribles que le chat à sept queues, et Marius Duflot au cromi et à la basse. Garage, pas une once de pure pop. Vous refilent les morceaux de barbaque bleue périmée avec ecchymoses à foison. Brutal car sans concession aux ambiances astringentes. Vous mettent le feu avec Time to Ignition, la brûlure au corps, la flamme à l'intérieur de l'âme, mais pas que, au monde extérieur aussi, social pour employer les mots brûlants qui fâchent, lâchés comme des brûlots bazardés sur le vieux monde.

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    Nous ne sommes pas loin, d'une philosophie du rock à la MC 5, le pied dans la fourmilière et l'envie d'en précipiter un max aux ordures. La première partie du set démarre sur un tempo ultra-rapide, à la vitesse d'un incendie criminel qui se propage parmi l'herbe sèche. Joe sert les copains. L'a la frappe rampante qui s'insinue sous les guitares, ni vue ni connue, mais qui pousse à la roue comme pas une, c'est lui qui creuse la pente, la déclivité où les deux autres s'engouffrent à la manière de ces torrents de montagne qui dévalent et emportent tout en une course folle. Suis planté devant Foucauld et n'en crois pas mes yeux, ses doigts sur la guitare et sans arrêt le vibrato en main, le rythme en devient fuselé d'une légèreté extrême, fonce à toute allure, et puis la finesse du doigté, l'on dirait une onde prête à s'envoler. D'ailleurs à un moment la musique devient cosmique, un trip dans les étoiles mais aux morceaux suivants le groupe revient dans la réalité oppressante.

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    Leave Your Job, Workaholic, dénonciation sans faille, Marius hache les mots, vocal qui gratte et qui scande et qui s'attaque aux poutres maîtresses de nos prisons, ne peut pas non plus face à la virtuosité du fou Foucauld, dum-dumiser tranquillou sur sa basse, s'en sert donc comme d'une seconde lead guitare, plus grave, mais qui marque au plus profond les entailles et les entrailles rythmiques, sur I want a Riot, la musique devient cri musical, appel explicite à l'émeute, hélas l'on ne sortira pas dans la rue afin d'exalter nos colères et mettre en pratique nos révoltes  sans récoltes, alors le blues triomphe, s'en vient, surgit des guitares comme l'injustice, la faim et le désespoir s'abattent sur les pauvres, Marius à grands coups de pieds sur la scène l'appelle et le hèle, la guitare de Foucauld, pleure et gémit, et le serpent réveillé que l'on croyait mort et tronçonné à jamais, se cherche et recolle ses propres morceaux, dresse fièrement sa tête, et siffle, et trille les notes du refus de l'impuissance. Des cris fusent dans la salle, l'assistance retrouve d'instinct l'ambiance de B. B. King au Regal, émulations cordiques, émulsions d'émotions dans la voix de Marius, sur sa batterie Joe ahane le monde, Foucauld le transperce de mille éclats d'épingles diaboliques, puis vous écorche une famille de chats sur son harmonica rugissant, une ondée maléfique de bonheur tombe sur nous, appelez cela comme vous voulez, Call It a Feeling, call it rock'n'roll, call it brutal devil blues, but call it Walter's Carabine !

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    ( Dessin + image fond de scène : Sylvain Cnudde )

    ( Photo : FB : Pascale Ysebaert )

    RETOUR

    En chemin vers la teuf-teuf, la vieille dame à la rue qui pue la pisse et la solitude à qui l'on achète de quoi bouffer, des enfants aux grands yeux qui dorment sur les trottoirs. L'étoile de la réalité est plus sombre que noire. On n'a pas le temps d'attendre les royalties, Walter tu as raison de prendre ta carabine.

    Damie Chad.