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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 105

  • CHRONIQUE DE POURPRE 265 : KR'TNT ! 385 : ROBERT GORDON / THAT'LL FLAT GIT IT / ANSIAX / BETTER OF DEAD / SABOTAJE / NUEVA GENERACION / ROBERT CRUMB / ROCKAMBOLESQUES 0

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 385

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    20 / 09 / 2018

     

     ROBERT GORDON / THAT'LL FLAT GIT IT

    ANSIAX / BETTER OFF DEAD / SABOTAJE

    NUEVA GENERACION / ROBERT CRUMB

    ROCKAMBOLESQUES ( 0 )

    Le Gordon ombilical

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    Les Anglais appellent ça keeping the flame alive. Porter le flambeau, alimenter la flamme, on peut traduire comme on veut, l’image seule importe. Il semble que keeper the flame alive soit la raison d’être de Robert Gordon. C’est en tous les cas ce qu’il indique à Mark McStea dans l’une de ses trop rares interviews. Rare, oui, car il semble que Robert Gordon soit prématurément tombé dans l’oubli.

    Il fit partie du fameux rockabilly revival et réussit à traverser les modes et les décades grâce à deux choses essentielles : sa voix et son authenticité. Il se voulait the real thing. À part lui, personne sur cette terre ne peut prétendre chanter comme Elvis. D’autant plus real thing qu’il s’acoquina un temps avec une autre légende à deux pattes, Link Wray. Puis avec Danny Gatton. Puis Chris Spedding.

    Il démarre dans les Tuff Darts, un groupe punk new-yorkais qu’on peut entendre sur le fameux Live At CBGB, mais il quitte rapidement le groupe car le punk-rock ne l’intéresse pas du tout - Negative type of thing, and the lyrics were stupid - Et il ajoute plus lion : «I wanted to sing real rock’n’roll.» Et c’est là que Link Wray entre dans la danse. Robert : «J’ai vu Link Wray sur scène pour la première fois en 1962, dans une patinoire à Washington DC. J’avais adoré ‘Rumble’. La férocité de son style m’avait bluffé. Quinze ans après, j’ai dit à mon producteur Richard Gottehrer que je voulais travailler avec Link. Richard l’a trouvé à San Francisco et lui a envoyé un billet d’avion pour New York. Je n’oublierai jamais les premières sessions à Plazza Sound. Link jouait si fort qu’on a dû l’isoler pour l’enregistrer.»

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    Ils enregistrent un premier album en 1977, année pas érotique. L’album s’appelle Robert Gordon With Link Wray. Belle pochette, avec un gros plan du jeune Robert, pure icône rockab. Il démarre sur des chapeaux de roues avec un «Red Hot» bien boppé et monté au slap comme au temps de Billy Lee Riley. Et ce diable de Link vient linker. Le temps d’un cut, Robert renoue avec l’énergie du rockab des origines. On a là un artefact d’une rare perfection. Richard Gottehrer produit, alors ça change du tout au tout. L’autre cut de choix se trouve en B : «Flyin’ Saucers Rock’n’roll», bardé de chœurs parfaits - rrrrrawkkk - et Link part en killer solo flash de flesh. Ses deux solos sont des modèles éponymes d’épitome de chèvre. Le reste de l’album est beaucoup moins spectaculaire. Robert respecte bien l’esprit d’Eddie dans «Summertime Blues». Il ramène sa petite fraise de marcel boy, mais le côté pop de la prod lisse un peu trop les choses. On perd l’aspect outcast et l’éraillé qui caractérisent le Cochran side. Dommage. Même problème avec «Boppin’ The Blues» : le bop n’est pas slappé, ça pue la Fender bass et la prod sape l’esprit de Seltz. Robert tape aussi dans Lee Hazlewood avec «The Fool», et Link nous claque ça sévèrement. Il le fait à l’insistance cabalistique. Personne ne doute de l’aplomb du grand Link Wray. On se souviendra de l’album pour l’impeccable retake de «Red Hot».

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    Ils récidivent avec Fresh Fish Special. On y trouve deux stupéfiantes covers : «The Way I Walk» et «Lonesome Train». La version de Walk compte parmi les versions définitives. Les Jordanaires veillent au grain du choo bee doo bee doo bee doo wahhh et Link cisalle bien la mortadelle. En B, «Lonesome Train» sonne comme le meilleur des hommages à Elvis. C’est une cover de choc, absolument parfaite. On note aussi la présence du trop parfait «Red Cadillac And A Black Moustache» et de «Sea Cruise», mais hélas, Robert ne fait pas le poids face à Frankie Ford. Il est trop posé, trop new-yorkais. Link vrille bien dans son coin, mais il nous manque l’essentiel : la folie et le son de la Nouvelle Orleans. Robert se taille la part du lion avec un «I Want To Be Free» admirablement bien chanté - I want to be free/ Like a bird in a tree - Pas de doute, il est l’un des très grands chanteurs américains. Et puis, on se goinfrera aussi de «Five Days Five Days», joli groove de doo-wop d’anticipation, véritable hit de juke du New Jersey.

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    Robert quitte alors le label de Blondie pour aller chez RCA Victor, le label de son père spirituel Elvis. Il se sépare aussi de Link Wray. Pourquoi ? «On sentait tous les deux qu’on ne pouvait pas aller plus loin. Link m’a dit qu’il avait adoré jouer avec moi, mais il voulait redevenir Link Wray. It was an amical split.»

    Dans l’interview, Robert Gordon balaie la rumeur d’une association avec les Stray Cats : «Faux ! Je n’ai jamais vraiment aimé les Stray Cats. Je les trouvais trop cartoonish, tu sais, une sorte de parodie du genre. Tu dois savoir que j’étais alors un puriste et à mon goût, ils sonnaient trop comme les Sha-Na-Na du rockabilly.» Robert précise toutefois qu’il a été amené à les rencontrer et qu’il les tient en haute estime.

    C’est là que Chris Spedding entre dans la danse.

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    Ils enregistrent Rock Billie Boogie, sans doute l’un des meilleurs albums de Robert. On le sent motivé dès le morceau titre qui ouvre le bal. C’est du classique Burnette bash boom et Spedding ramène toute sa niaque british. On reste chez les Burnette brothers avec «I Just Found Out», sacrément bien balancé et hanté par l’envoûtant Tahiti Sound de Chris Spedding. Ça dégouline de kitsch. Robert tape aussi dans Fatsy avec «All By Myself», mais il chante comme Elvis. Quelle lampée de jive ! Dommage qu’il manque le slap. Robert boucle l’A avec un fantastique hommage à Gene Vincent : «The Catman». Voilà enfin le slap tant attendu. Robert nous chante ça comme un dieu - Gene Vincent/ Sure I miss you - Il nous manque à nous aussi. Par contre, la B retombe comme un soufflé. On sauve «Am I Blue», car Chris Spedding y passe des solos effarants d’inventivité.

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    On trouve quelques belles choses sur Bad Boy. À commencer par «Sweet Love On My Mind», slappé et hanté par Spedding. Excellent car inspiré. Sur les cuts suivants, Robert chante avec une belle autorité. Il impose un style. Il est avec Elvis le grand stentor du rock’n’roll. Il recroise bien certains accents d’Elvis, notamment dans «A Picture Of You». Chris Spedding fait des merveilles dans «Torture» (qui reste le cut préféré de Robert) et on passe à la rockab madness avec «Crazy Man Crazy» de Bill Haley. That’ll slap git it oh boy ! Le son tient bien le pulsif de base. C’est joué dans les règles de l’art et Spedding fait son tahitien. Le «Born To Lose» qui ouvre le bal de la B pourrait sonner, mais la prod de Gottehrer le poppyse et ça devient insupportable. Même chose avec «Nervous», plus pop que bop.

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    Ça n’empêche pas Spedding de multiplier les interventions succédanées. Il surjoue franchement la qualité d’intervention et parvient à sauver les cuts. Quel guitariste fascinant ! On le revoit à l’œuvre dans «Is It Wrong (For Loving You)». En fait Spedding fait autant le show que Robert. Ils naviguent tous les deux au même niveau d’excellence.

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    Le duo se sépare juste avant l’enregistrement du cinquième album, Are You Gonna Be The One, qui paraît 1981, année de l’élection de François Mitterrand. Cette fois, Robert s’associe avec Danny Gatton, guitariste injustement méconnu - More of a cult figure than a mainstream name - L’album est très spécial : l’A est complètement foireuse, quasiment new wave, par contre, la B est une merveille. Un vroom de grosse bécane lance «Too Fast To Live Too Young To Die» et ça part en sur-tension de beat sévère, joliment travaillé au corps par Danny Gatton - Tight blue jeans/ Big black boots - et Robert fit son Elvis. Une vraie merveille ! La fête continue avec «Lover Boy», alerte et bien enlevé, chanté encore une fois à la Elvis, avec cette morgue suprême de stentor camionneur. Le slap arrive enfin dans «Drivin’ Wheel», mais c’est du très gros slap sourd et bien élastique. Terrific ! Absolument royal ! C’est le son d’une époque de rêve. On reste dans le son de slap de classe A pour «Take Me Back», tapé à la fantastique énergie du jive. Ce mec chante comme un dieu, il est bon de le répéter encore et encore. Quelle face d’album ! Et ça se termine avec «But But», qui sonne comme la fête au village. Robert bredouille bien son but but, il fait l’amoureux éconduit et s’infiltre dans la légende du New Jersey.

    Quand Mark McStea lui demande s’il conserve des enregistrements inédits avec tous ces grands guitaristes, Robert Gordon pousse un long soupir : «Dans les années 80 et 90, je me défonçais au crack. J’étais complètement démoli. Je stockais tous mes trucs dans un storage room, des master tapes, des choses inédites, des enregistrements live. Mais j’ai oublié de payer le loyer et au bout de quelques mois, ils ont vidé la pièce et tout mis à la benne. À l’époque, je m’en foutais, mais tu dois bien te douter qu’aujourd’hui je regrette. Il y avait des tas de trucs dans ce storage room, des enregistrements inédits. Il ne reste plus rien.»

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    Heureusement, certains enregistrements live ont survécu. Paru sur New Rose en 1991, Greetings From New York City est tout simplement de la dynamite. Boum dès «Heartful Of Soul», grâce à la fantastique présence de Sped. Il joue plus gras que d’usage et passe ici et là des solos de lightning flash. Robert Gordon et Sped sont parfaitement à l’aise dans ce vieux hit de Graham Gouldman. Ils tapent à la suite dans Big Dix avec «My Babe». Sped the crack accompagne l’un des grands stentors de l’histoire du rock. Avec «Undecided», ils tapent dans les Burnette Bros avec un fort parfum d’Elvis. Sped fait un festival de gammes grimpantes et une fois encore, Robert Gordon se montre d’une grandeur incommensurable. Sur l’album, on croise deux cuts où joue Dany Gatton, et ce n’est pas du tout la même présence, mais alors pas du tout. Robert Gordon annonce «A Wilson Pickett song for ya» et c’est parti pour un shoot de «Three Time Loser», un hit signé Don Covay. Robert Gordon fait son Soul Brother en marcel sur la moto. Ça lui va comme un gant. Puis avec «Love You So», il s’amuse avec les jukes du New Jersey. Il les fait twister dans les vagues de l’océan. Ce démon de Sped prend le cut à reculons, il sur-joue à la mandoline invétérée. Puis il monte «Linda Lu» à dada sur le riff de Susie Q, il le gratte à sec et se fond bien dans le move et soudain, le voilà parti en killer solo flash. Quel énergumène ! Il se passe toujours des choses extraordinaires quand Sped joue. On attaque ensuite un set encore plus explosif, le Live At The Lone Star qui démarre avec «The Way I Walk». Sped l’attaque à la bonne fortune incendiaire. Il joue ça à la fantastique déflagration orgasmique. Et ça continue avec «Train A Riding», gros bop de train arrive, Robert Gordon fait son Elvis et Sped joue comme un dingue, il fait le train comme les géants blacks du delta électrique. C’est absolument miraculeux. On a là l’un des disques les plus explosifs de l’histoire du rock, ce que vient encore prouver «Remember To Forget». Le duo Sped/Robert Gordon vaut largement les autres, Elvis/Scotty Moore, Bob Luman/James Burton, Burnette/Burlinson, ou encore Jagger/Richards. Sped joue ses ponts au traîne-savate de génie, en accords ramassés. Ils tapent «Rockabilly Boogie» à la fantastique énergie de rockab madness. Sped amène toute la folie du monde dans les pattes d’un Robert Gordon qui hiccuppe comme un coq en pâte, et ça part en vrille de combat aérien, Sped joue tout à l’énergie du désespoir. L’un dans l’autre, ça tourne au coup de génie. Joli take on Eddie avec «Twenty Flight Rock». Sped nous jazze ça dans le jive, il repart en vrille de Red Baron, dans ces vrilles innommables qui font la grandeur de l’art électrique. Il joue comme s’il avait carte blanche. On n’avait encore jamais entendu un tel ramdam. Il repart en vadrouille chez Johnny Cash avec «There You Go». Sped gratte le mechanic des Perkins, il le gratte à merveille et avec «Lonesome Train», on renoue avec l’âme du rockab, on est au cœur du real deal, au cœur du rockab craze. Sped devient dingue. Retour sur le territoire du géant Robert Gordon avec «It’s Only The Make Believe», mais Sped ne peut s’empêcher de venir incendier le Reichstag. Robert Gordon profite de «Black Slacks» pour piquer sa crise de mad rockab et derrière lui, Sped s’échine à devenir fou. Il part encore en vrille d’extermination. Sped King, comme dirait Ian Gillian. Et dans «Red Hot», il explose bien sûr en plein vol.

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    Quand McStea demande à Robert Gordon quel guitariste il aurait aimé voir jouer avec lui, la réponse est nette : Cliff Gallup. Il ajoute que ce fut une chance pour Gene Vincent d’avoir ce mec derrière lui. «After he left and Johnny Meek took over, it just wasn’t the same anymore.»

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    Le duo Robert Gordon/Sped fait encore des étincelles sur All For The Love Of Rock’N’Roll. Ces album restera dans les annales pour au moins trois cuts, à commencer par «I Need You Girl». Sped y taille un costard de son incroyablement tendu et précis. Il gratte dans l’ombre et part soudain en petite vrille d’apoplexie. Il claque son solo à la claquemure punkoïdale et Robert Gordon revient au mieux de son Elvis mood, avec des sixties roots de pure magie. Dans «Movin’ Too Slow», Sped fait un festival, il claque des accords qui fondent comme beurre en broche. Il explose le spirit du 56 Memphis Sound. Mais curieusement, Sped ne joue pas sur tous les cuts de l’album. Un nommé Jeff Salen joue sur «Attacked Sedduced & Abandonned», une affaire qui tourne mal, car ça sonne comme du heavy metal de MTV. L’étrange registre interloque l’humble loque. Il faut attendre «Prove It» et l’arrivée providentielle de Sped pour retrouver la terre ferme. On sent immédiatement la différence. On se demande pourquoi un génie comme Sped colle aux basques de Robert Gordon. La réponse est dans la question : Robert Gordon est un géant. Alors Sped lui déroule une sorte de tapis rouge. Et là, ça devient excellent. So powerful ! Sped taille un costard de son sur mesure pour Robert Gordon, ce géant qui chante comme Elvis et qui domine si bien la situation. «Prove It» est un chef-d’œuvre de conviction. Sped y crée un monde et on peut bien dire que Robert Gordon lui doit une fière chandelle. Sped revient jouer sur «Slash». Il gratte bien en tension et ouvre des horizons. Ça sonne presque glam. Puis il taille la route de «Beside You» forever.

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    Robert Gordon se paye une bonne illusse pour la pochette du Robert Gordon paru en 1997. Album extrêmement intéressant. Le guitariste s’appelle Quentin Jones, il joue sec et net, très fifty fifty, sans attraction, encore plus sharp que le Shark Sped. Et ce diable de Robert Gordon fait sacrément autorité. Il tape «Lonely Blue Boy» au kitschy kitschy petit bikini et va même le pousser dans les orties. Ça sonne comme un hit de juke du New Jersey. On tombe plus loin sur un «Ten Cats Down» swinguy en diable, pur jus de rockab. Pas vraiment de bop, mais un drumbeat exemplaire. Le beurreman s’appelle Aaron Walker, il frappe sec et net. Robert Gordon s’entoure toujours de musiciens extraordinaires. Ce cut restera forcément dans les annales. Comme l’indique le titre, «Season Of My Heart» dégouline de kitsch, d’autant que Quentin Jones joue au Tahiti mood et bat bien des records de Shark Sped. En matière de kitsch, Robert Gordon dépasse toujours les bornes. D’ailleurs avec «Hello Walls», il salue ses murs. La grandeur de Robert Gordon est de savoir chanter à la cantonade avec une pêche de Georgie parfaite. Il est the real stentor of it all. Il explose même le concept du stentorisme et vise l’intelligence suprême du rock. Il tape ensuite une version superbe de «Bertha Lou», l’hit de Johnny Burnette que reprenait aussi Tav Falco. La rockab madness roule sous le boisseau comme un muscle sous la peau, c’est joué dans une ambiance à la Johnny Kidd. Attention, les classiques revus et corrigés par Robert Gordon donnent souvent du cryptic effarant. Il chante son «Butterfly» au coin d’un juke du New Jersey. Pas de meilleur rocker du coin de la rue. Il termine avec le «Train Of Love» de Johnny Cash, ça joue au tagadac et il ramène toute la profondeur de son respect pour the man in black. Ah quel fantastique hommage !

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    Le guitariste qui joue sur Satisfied Mind s’appelle Eddie Angel. Une fois encore, Robert Gordon s’impose comme l’une des très grandes voix du rock. Il le fait superbement. L’une des trois raisons d’écouter cet album s’appelle «Ain’t Gonna Take It No More», solidement battu comme plâtre et emmené à l’énergie pulsatrice. C’est fouetté au cul du slap et même assez extravagant de pulsasivité. Le puissant seigneur Robert Gordon règne sur la terre comme au ciel. La deuxième raison s’appelle «When I Found You», joué on the rockab madness beat. Ça fonce comme une locomotive dans la nuit. Pur jus de big boss Gordon. Il a même l’air complètement paumé dans le vent de la madness. La troisième raison est une reprise de «These Boots Are Made For Walking». Robert Gordon tape dans Lee et chante ce vieux hit à merveille. Son baryton amène du cachet et magnifie ce cut déjà magnifié. Robert Gordon chante de toute son âme et franchement c’est un beau spectacle. On l’admire aussi dans «Little Boy Sad» qu’il croone comme une bête, avec une chaleur de ton incomparable. Il fuite son croon. Voilà ce qu’on appelle une vraie voix. Lui et Elvis, définitivement. Elvis et lui, comme dirait Jimmy Webb. Il passe au doo-wop avec «Sea Of Heartbreak», il tape ça au pompompom et chante haut les chœurs, il grimpe avec une aisance déconcertante dans les arcanes du pompompom du jardin d’Eden. Et dans «Turn Me Loose», un kiss le retourne comme une crêpe - This is the first time/ I felt this way - Cette confession vient d’un vrai mec, un roi du rock’n’roll. Doc Pomus signe ce bijou romantico. Robert Gordon enchaîne avec un «Queen Of The Hop» joué au vrai boogie de bopping bop. Il n’en finit plus d’étaler ses conquêtes au grand jour. Il chante aussi son «Do You Love Me» jusqu’à l’os. Pas de meilleur stentor que Robert Gordon pour taper dans ce registre.

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    Le gros avantage de Rocking The Paradiso est qu’on voit Robert Gordon & Chris Spedding jouer tout le concert. Le disk se double en effet d’un DVD, et quand on apprécie le jeu de Spedding, alors on se régale. C’est un guitariste qui intervient toujours à très bon escient. Quant à Robert Gordon, c’est du tout cuit. Gros pépère. Présence immédiate. Profondeur de champ à la Johnny Cash. En comparaison, Spedding fait plus affûté. Il joue sec et acéré. Comme s’il restait aux aguets, la lèvre inférieure en avant. Il ne joue que du sur-mesure. Il ne fait que doubler le chant de Robert Gordon. C’est un fabuleux oiseau de proie. Il est dessus, comme l’aigle sur la belette. Il fait le spectacle en mitoyen. Robert Gordon chante et Sped lui taille un costard sur mesure, the shape of things to come. Admirable duo de géants. Fascinant spectacle.

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    Robert Gordon & Chris Spedding enregistrent It’s Now Or Never en 2007. C’est l’un des très grands albums de l’histoire du rock, tous mots bien pesés. Il n’existe rien de plus jouissif que cette reprise du «Mess Of Blues» de Doc Pomus, emmenée par le roucouleur suprême. Lui & Elvis, Elvis & lui. Cet album impressionne car sur certains cuts, Robert Gordon chante vraiment comme Elvis. On retrouve toute la puissance du King dans «Don’t Leave Me Now», tartinée au miel des Jordanaires. Robert Gordon va chercher d’extraordinaires subtilités dans le fruité du chant. Il est sur Elvis comme l’aigle impérial sur l’Europe, don’t close your eyes. Il chante à l’Elvis pur. Il va en chercher la substantifique moelle dans «Peace In The Valley». Le voici rendu au cœur du Deep South spirit - There won’t be peace in the valley for me - Les Jordanaires y vont de leur plus beau pathos. C’est du gospel de blancs. Puis il tape dans «Don’t Be Cruel». Tous ces gens jouent avec le feu, mais ils le font magnifiquement. C’est de l’artefact. Les Jordanaires hoquettent, avec un Robert Gordon vibrillonnant. Il est dessus, mais de manière effarante. Sped et lui tapent «Lawdy Miss Clawdy» au ramshakle. Ils constituent tous les deux le plus gros équipage du rock moderne. Ils aplatissent tout sur leur passage. Sped s’y tape un fabuleux départ en solo et Robert Gordon joue avec le bye bye baby comme le chat avec la souris - Goodbye little darling - C’est bardé de son et de bye bye baby. Normalement, personne n’oserait toucher à «My Baby Left Me». Sauf Robert Gordon. Il claque les accents d’Elvis, never said a word, et lance Sped comme Elvis lançait Scotty. Même folie. Même magie. C’est d’une rare véracité. «Trying To Get To You» est le cut qui fascinait tant Frank Black. Sped joue ça merveilleusement, comme s’il entrait dans la légende. Robert Gordon fait son Elvis pendant que Sped joue à l’ultra-tendinite catapultive. Encore du Elvis shaking avec «(You’re So Sure) Baby I Don’t Care». Robert Gordon a les moyens d’Elvis, alors il joue son va-tout. Sped joue en sous-main et ça devient vite stupéfiant de jus et d’influx. Ces deux-là sont littéralement hantés par l’Elvis de 56. Sped gratte vraiment comme un con. Personne ne pourrait le calmer. Leur version du morceau titre est une infection, remuée par les vagues clapotantes des Jordanaires. C’est l’un des meilleurs hommages au King de tous les temps. On reste dans le pur jus avec «It Feels So Right», mais c’est joué avec un sens éhonté de l’énormité. Ça prend des proportions extravagantes. Voilà encore un album indispensable, dès lors qu’on se préoccupe de primauté.

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    Curieusement, l’I’m Coming Home paru en 2014 n’est pas très bon. Les guitaristes s’appellent Quentin Jones, Rob Stoner et Marshall Creenshaw. C’est sûrement de là que vient le problème. Robert Gordon démarre pourtant très fort avec une reprise du «Coming Home» de Johnny Horton. Sur «Walk Hard», Robert Gordon sort son meilleur baryton, mais ça ne suffit pas à sauver le cut. Le problème est qu’avec «Honky Tonk Man», les choses virent à la caricature. Dommage, car Robert Gordon reste un big sound cat. Il faut tout de même bien avouer que l’ensemble manque de Sped. Ça crève les yeux. Robert Gordon tente de sauver sa réputation, mais le son est trop pauvre. Et ça s’aggrave de cut en cut. On ne cherche même plus à savoir qui joue quoi. L’album s’enterre tout seul. Sans Sped, Robert Gordon est foutu. Ils réussissent même à massacrer «Lucille». Ce dernier album est un four.

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    Quand McStea lui demande s’il a des regrets, Robert hausse les épaules. «Jeune, j’étais plus cocky. Il ne fallait pas me raconter de conneries. Je n’ai jamais fait de compromis. J’aurais pu avoir plus de succès si j’avais été plus souple. Mais ce qui est passé appartient au passé. C’est comme ça.» Il ajoute qu’il a été content de retrouver Chris Spedding en 2005 pour une tournée européenne. Ce fut pour nous l’occasion de le revoir sur scène à la Traverse. Big fat show ! Il annonce aussi la parution de deux disques d’inédits avec Link Wray, The First Nationwide Tour et The Last Tour - I think a lot of people are going to enjoy this stuff. It’s really good - Repartir en tournée ? Pas impossible, la santé va mieux, Robert dit avoir perdu du poids depuis qu’il a quitté le drinking, comme il dit. Et McStea se met à rêver pour Robert d’une fin à la Johnny Cash, dans les pattes de l’affreux Rick Rubin.

    Signé : Cazengler, Gordonne-moi cent balles

    Robert Gordon With Link Wray. Private Stock 1977

    Robert Gordon With Link Wray. Fresh Fish Special. Private Stock 1978

    Robert Gordon. Rock Billie Boogie. RCA Victor 1978

    Robert Gordon. Bad Boy. RCA Victor 1980

    Robert Gordon. Are You Gonna Be The One. RCA Victor 1981

    Robert Gordon. Greetings From New York City. New Rose Records 1991

    Robert Gordon. All For The Love Of Rock’N’Roll. Viceroy Music 1994

    Robert Gordon. Robert Gordon. Llist Records 1997

    Robert Gordon. Satisfied Mind. Jungle Records 2004

    Robert Gordon & Chris Spedding. Rocking The Paradiso. Last Call Records 2006

    Robert Gordon & Chris Spedding. It’s Now Or Never. Rykodisc 2007

    Robert Gordon. I’m Coming Home. Lanark Records 2014

    Mark McStea : All for the love of rock’n’roll. Vive Le Rock # 53 - 2018

     

    Got the Git It ?

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    Bear Family continue de soigner ses petits poussins, c’est-à-dire les amateurs éclairés de rockab. Les volumes 28 et 29 de la légendaire série That’ll Flat Git It sont disponibles sur le marché. Oui on peut bien parler de légendarité dans le cas de cette série qui, souvenez-vous, s’annonça en 1993 avec un Vol. 1 tiré des Vaults de RCA et qui grouillait de Joe Cay, de Janis Martin et de Tommy Blake, pour n’en citer que trois. Il faut bien dire que ces compiles légendaires épuisent plus le mâle qu’une nympho experte. Avant d’entrer dans les Vaults de Warner, rappelons que l’expression qui donne son titre à la série vient du jiver suprême Dewey Phillips et qu’elle ne veut rien dire en particulier. Dewey Phillips swinguait ses harangues et envoyait rouler sur les ondes les meilleurs cuts de son temps, notamment ceux d’un débutant nommé Elvis Presley.

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    Les stars du That’ll Flat Git It. Vol. 28 sont Bob Luman et Johnny Carroll. Warner rivalisait de rockab madness avec les tenants du titre, Meteor et Sun. On tombe dans le panneau dès que Johnny Carroll apparaît avec «The Swing», fabuleux sloop John biz de groove infectueux. Il faut se souvenir que Johnny lost his mind sur ses premiers cuts. Il ne vivait que pour la rockab frenzy.

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    Mais c’est un autre Texas boy, Bob Luman, qui vole le show avec «Buttercup». On y entend l’admirable Roy Buchanan prendre un solo touchy. What a merveilleuse alliance ! Et quel chanteur ! On le retrouve aux commandes de «The Fool», vieux hit signé Lee Hazlewood. C’est extrêmement chanté, Bob travaille la couenne de ses cuts en douceur et en profondeur, il est l’un des très grands chanteurs du temps d’avant. Un coffret Bear en apporte la preuve, si par hasard on en doutait. On l’entend plus loin taper «Loretta» à la pure frénésie. Le gros intérêt des compiles Flat est qu’on y croise des big surprises. En voilà une de taille : «Monster Movie Ball» par Spike Jones & His Sicknicks. Un vrai petit chef-d’œuvre de sci-fi rock digne de Joe Meek, avec un chant en place et un swing infernal. En 1962, ces gens-là avaient du son, comme on le voit aussi avec le «Monster Twist» de Tyrone A Saurus & His Cro-Magnons. Mais c’est le vieux Bill Haley qui rafle la mise avec ses Comets et «Let The Good Times Roll». Il est au maximum des possibilités du swing. Il est au swing blanc ce qu’Erroll Garner est au swing black. Bill Haley reste l’un des héros méconnus des early sixties. Si vous écoutez la compile des classiques garage proposée par Rudi Protrudi, le fameux Songs We Taught The Fuzztones, vous verrez que le meilleur cut de ce double album est le «13 Women» de Bill Haley. Le meilleur, et de loin, même si l’album fourmille de big bad ones. On croise aussi Charlie Gracie sur le Vol. 28, mais il est trop putassier. Son «Cool Baby» se prend trop au sérieux. Par contre, Johnny Sardo réveillerait les morts au Chemin des Dames avec l’«I Wanna Rock». Ce mec a le diable dans le corps. C’est une horreur, un classique rockab ultime, tendu à se rompre, visité par un solo de sax, une pure merveille de crazyness. On recroise la piste de Johnny Carroll avec un «Sugar» assez psychédélique et atrocement hors de propos.

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    Il vaut mieux passer du temps en compagnie de Troyce Key et de sa version surchauffée de «Baby Please Don’t Go». Version d’autant plus hot qu’Eddie Cochran y joue la partie de wild slash boom bam. On le sait, les Everly Brothers peuvent parfois rocker et ils en administrent ici la preuve avec un fantastique coup de «Temptation». Ils rockent comme des diables à l’osmose des voix, c’est très spectaculaire. On sort de cette compile ravi, pour la vingt-huitième fois.

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    Avec son Vol. 29, That’ll Flat Git It tape dans les vaults de Crest, un label californien basé à Hollywood. C’est une scène moins sauvage que celles du Texas ou de Memphis, mais elle propose des gens du calibre d’Eddie Cochran qui comme par hasard ouvre le bal du Vol. 29 avec son fantastique «Skinny Jim», pur jus de romp rockab, chanté avec un gusto exemplaire, a bebop a lula skinny Jim. Eddie rocks it hard et sort un stupéfiant groovalong de singalong. À part Eddie, les autres figures de proue du label sont peu ou pas connus, ce qui permet une fois encore de partir à la pêche aux découvertes.

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    Par exemple Bo Davis avec son «Let’s Coast Awhile». Il y sort un son à la Bill Haley, mais avec un son de slap métallique. C’est extravagant d’allant pathogène. Bo est un wild cowboy rockab, n’en doutons pas. Plus loin, Tom Hall & His Tom Kats nous sortent avec «Stack-A-Records» un superbe shake de LA bop, avec une science incomparable du son. Les guitares y frappent comme des éclairs. Vers la fin du volume, ils reviennent avec l’excellent «Mary Jo», boppé au meilleur slap angelino. Que de son, my son ! Ils jouent avec une spectaculaire vitalité métabolique. Voilà, c’est tout le côté génial des compiles. Au temps d’avant le web, elles étaient le seul moyen de découvrir les grands artistes inconnus, notamment ces compiles rockab sur vinyle dont plus personne ne veut aujourd’hui dans les salons. Bo Davis et Tom Hall font donc partie de ces grands artistes inconnus. Par contre, Crest bouffe à tous râteliers, comme on le constate à l’écoute du «Do I» de Bill Great Dane with the Ragtime Rascals. C’est du jump qui n’a plus rien à voir avec le son des Flat. On bouffe aussi pas mal de country dans ce Vol. 29, avec par exemple Don Thompson ou Hank Sanders. On n’est pas là pour ça. Bill Skidmore III remet les pendules à l’heure avec «Date Bait», un hit digne des jukes du New Jersey, ça saxe dans tous les coins. Il revient plus loin avec un jump de blanc qu’il chante avec autorité.

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    La perle de ce volume est le «Bailin’ Keen» de Bobby and Terry Caraway, pur romp de solid rockab madness joué à la furiosa del sol, vraie plongée dans l’inferno du bopping hell. Franchement spectaculaire ! S’il faut emmener un cut de ce volume sur l’île déserte, c’est forcément «Bailin’ Keen». Tommy Law yeah-yeahte all over the place dans son «Cool Juice». C’est du rock’n’roll, mais d’époque et bien foutu. L’autre cut qu’on peut emmener sur l’île au trésor est le «Lovin’ Loren» de Glen Garrison & the Note Kings, un hit explosif tapé au jump hardcore. C’est d’une rare énergie, l’un des gros coups de Crest. On retrouve Glen Garrison en fin de compile avec l’extraordinaire «You’re My Darling». Quel chanteur ! On peut aussi emmener le «Can’t Walk» de Marty Cooper car c’est un bop à la Carl Perkins absolument parfait, un chef-d’œuvre inconnu chanté au pur jus d’excellence. On sent le vécu de la glotte - Blues on day/ Blues on night - On croise aussi pas mal de jump sur ce volume. Rappelons que le jump est l’une des spécialités de la scène de Los Angeles. Johnny Down & the Jazz Rockers jouent à la full blown energy, et plus loin, Buddy Lowe fait ses petits ravages avec «Ummm Kiss Me Goodnight». I like the way you rock’n’roll mais il préfère quand elle écarte les cuisses, car c’est là que ça se passe. Vas-y Bobby, baise-la bien. On l’entend même claquer ses bizous. Nouvelle révélation de fin de volume avec Dick Bills et sa hot patate rockab intitulée «Rockin’ And A Rollin’». C’est le raw du wild, un hallucinant réveil en fanfare, le hit caché du volume, gratté au sec avec esprit, véritable coup de génie rockab, arrosé de chœurs de yeah man. On sort du volume 29 à quatre pattes.

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    Mais ça ne sera hélas pas le cas avec le volume 31, qui passe en revue Colonial Records, un label basé à Chapell Hill, en Caroline du Nord. Le seul mec qui sort du lot colonial s’appelle E.C. Beaty, avec deux énormes cuts, «Ski King» et «The Great Society». Solide présence, le mec a du coffre, il sort là un fabuleux shoot de pink Cadillac. Son Great Society est bien jivé dans le dos. Daddio sait y faire. Beaty est une bête. Il tape aussi un «Let Her Go Daddieo» à la force du poignet. Avec sa grosse glotte grasse, il ramone plus que les Ramones. On trouve trois autres cuts de Beaty la bête sur le 31, «I’m A Lucky Man», «Ugh Ugh Ugh» et «Tarzan», mais c’est un peu moins spectaculaire.

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    L’autre star du label n’est autre que Johnny Dee, c’est-à-dire John D. Loudermilk, disparu il y a peu de temps et que personne n’a salué (ne pas confondre ce Johnny Dee avec le Johnny Dee anglais qui fut le road manager des Fairies et qui pondit «Don’t Bring Me Down» pour les Pretties). On entend donc le Johnny Dee américain swinguer son «Somebody Sweet» comme un démon. N’oublions pas que ce fabuleux sucreur de fraises a composé des hits pour des tas de gens connus, comme Eddie Cochran, les Everly Brothers et Johnny Cash. C’est à lui qu’on doit notamment «Tobacco Road». On l’entend aussi doo-wopper au western swing son fameux «Sitting In The Balcony», repris par Eddie Cochran. Mais avec ses autres singles, il sonne comme un moule à gaufres. Tout ça pour dire que chez Colonial on n’est pas très rockab. George Hamilton IV, Doug Harrell et Ebe Sneezer font du hillbilly à roulettes, Bill Craddock fait un «Birdoggin’» qui n’est pas celui de Gene, Allan & the Flames, les Franklin Brothers et Henry Wilson & the Bluenotes font du rock’n’roll cousu de fil blanc - il y a du son, pour sûr, mais aucune trace d’originalité - et les Bluenotes font de la petite variette à trois sous. L’excellent E.C. Beaty referme la cortège avec un solide «Ole Joe», très bop dans l’esprit. Ce mec était sur la piste du real deal. Il pouvait devenir génial, avec un bon coup de bop de slap derrière les oreilles. Ah si seulement on lui avait confié des bonnes chansons.

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    Quant au volume 30, il est coincé dans le tuyau à cause d’une histoire de copyright. Tant mieux, on a économisé un billet de vingt.

    Signé : Cazengler, That fat pig

    That’ll Flat Git It. Vol. 28. From The Vaults Of Warner Brothers & Reprise. Bear Family 2017

    That’ll Flat Git It. Vol. 29. From The Vaults Of Crest Records. Bear Family 2018

    That’ll Flat Git It. Vol. 31. From The Vaults Of Colonial Records. Bear Family 2018

     

    16 / 09 / 2018 _ MONTREUIL

    LA COMEDIA

    ANSIAX / BETTER OFF DEAD

    SABOTAJE  / NUEVA GENERACION 

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    Retour à la Comedia depuis la grande invasion mongole des autorités de police et autres services de pressurisation des citoyens, le 19 juin 2018 dernier. Décidément le pouvoir n'aime guère les ZAD fussent-elles musicales. La meilleure défense s'avérant être l'attaque, La Comedia n'a pas choisi de rentrer dans un trou de souris mais au contraire d'arborer fièrement sa différence. Elle affiche cette dernière dès la façade, recouverte d'une immense fresque – nous pensons aux archéologues des siècles futurs chargés de l'exhumer pour les futures journées du patrimoine – qui claironne haut et fort qu'ici nous sommes en territoire zombie de survivance, n'en déplaise au monde entier. Au cas où vous l'auriez oublié une fois réfugiés à l'intérieur l'antre de survie, un autre panneau charivaresque – a work in progress comme disait Joyce – s'est déjà accaparé un des murs... Il est à craindre que cette lèpre contagieuse ne s'étende un peu partout et ne colonisât de ses entremêlements vertigineux vos plus horribles – ceux que vous préférez – cauchemars lovecraftiens. Au cas où vous voudriez en sonoriser les images, La Comedia a de quoi alimenter votre bande-son. Rien que ce soir, quatre groupes dont deux venus du fond de l'Espagne, de Murcia pour les esprits pointilleux qui aiment les localisations précises, car la pieuvre punk – cette bête infâme - pousse ses tentacules sur l'ensemble du globe terrestre.

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    ANSIAX

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    Ils viennent de Paris, même si leurs textes se drapent dans la langue de Quevedo. Ne sont que trois. Batteur, basse, batterie. Esteban Mesa, drummer fou, crawle des bras à croire qu'il est poursuivi par un banc de squales affamés. Dresse des éboulements de cathédrales sonores en perpétuelle renaissance. Ivan Kaballero la basse et Esteban Mesa à la guitare, ne chôment pas non plus sur les toits de chaume. N'ont pas le temps. Sont des adeptes de la mèche courte. Un bon explosif n'est bon que s'il explose vite. On s'en aperçoit dès les trois premiers morceaux, Cultura Transgenica, Hipocrita Moral, vous prennent de court, se finissent que avez eu à peine le temps de vous rendre compte qu'ils ont commencé, quant à Miseria, ils tombent encore plus vite la misère ne se jette sur les pauvres. C'est dire s'ils sont pressés que ça change. C'est le bassiste qui vous expédie le tout à la fronde vocale, il crache comme une vipère énervée, mai ce n'est pas fini, les trois morceaux suivants se teintent de réflexion philosophique, disons hainosophique, Basura Humana, Indetenible Decadencia, Falsos Intereses, je ne vous traduis pas, vous vous y reconnaîtriez trop, vous les dégoupillent à la torpille, au vocal scalp. Du coup l'ampli Marshall n'en peut plus, fait un AVC, pas d'inquiétude quand il n'y en a plus y-a-en encore, les copains de Better Off Dead leur passent leur tête, et c'est reparti pour la guerre des étoiles. Filantes. Tema Nuevo, et Programados s'achèvent en feux d'artifices, encore plus vite, encore plus fort – ils ont du temps perdu à rattraper - malgré les supplications il n'y aura pas d'extraballe. C'était leur deuxième concert, certes on peut leur reprocher la trop grande monotonie des morceaux mais ils ont l'essentiel, l'énergie d'un feu de ni dieu ni maître. Nous ne sommes pas anxieux pour leur avenir.

    BETTER OFF DEAD

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    Du monde pour aider à débarrasser le matériel mais au final, ne sont plus qu'une. Il y a deux gars qui font du bon boulot à la basse et à la batterie, mais ils pourraient être mille que l'on ne s'en apercevrait pas. Car c'est une fille qui se colle à la lead guitar. On aura tout vu. L'aurait dû rester à la maison faire le ménage. Le problème c'est que le grand nettoyage elle va nous l'accomplir sur scène. Une guitare tonitruante en entrée ( en sortie aussi ) du genre à épousseter la poussière à la dynamite. Mais ce n'est pas le plus important. Son truc à elle, c'est le micro, une fois qu'elle s'y collée dessus, elle n'en bouge pas. Pas du genre à chanter un couplet et puis je respire un bon coup, un long moment, en faisant semblant de passer des riffs difficiles sur les cordes. Déjà elle joue d'une manière différente de tous les autres, ne bouge pratiquement pas les doigts, toute l'impulsion vient du poignet, c'est lui qui remue la main, dégomme et manivelle sec, vous crache de longues et serpentaires flammes riffiques et venimeuses qui balaient tout sur leur passage, mais revenons-en à son vocal, a peine a-t-elle ouvert la bouche que c'est parti pour ne pas s'arrêter, l'est aux lyrics et n'en sort plus, le texte devient incantation, se transforme en imprécation, se métamorphose en addiction, déboule comme une grande houle de tempête folle, un phrasé comminatoire qui vous fouaille les neurones et s'installe en vous comme les fibromes de la colère et du désespoir. Une Furie sous l'orange sanguine de sa chevelure, une Erynnie échappée de l'Île des Bienheureux où les dieux fourbissent leurs armes pour préparer le retour des grandes colères et des incendies monstrueux destinés à réduire notre monde déplorable en cendres fumeuses. Se surnomme Kroquette. Empoisonnée. La révélation subjuguante de la soirée. Elle porte le tatouage du corbeau noir sur son bras. Ceux qui ont lu Edgar Poe comprendront. Magnifique. Plus forte que la mort.

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    SABOTAJE

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    Encore une fille. Vanessa, à la batterie. Les filles sont partout, elles squattent le rock comme si elles étaient chez elles. En plus elles se défendent bien. Même que souvent elles attaquent. N'est pas toute seule, un garçon, Pau, avec elle, à la guitare. Ne sont pas là pour se chamailler mais pour faire du bruit. Une philosophie que tout le monde ne comprend pas. Il est pourtant facile d'entendre qu'il s'agit là d'une manière pas plus bête qu'une autre puisque les murailles du vieux monde ne se sont pas encore écroulées malgré des assauts de toutes sortes, alors pourquoi ne pas essayer avec les coups de boutoir des puissances sonores du rock and punk. Pau nous gave de clinquances électriques à faire sonner les oreilles et c'est dans ces plaques métalliques tintantes que Vanessa introduit la subtilité contrapuntique de sa frappe, à la technique du bélier qui fonce droit devant sans réfléchir elle préfère celle du levier qui s'introduit par-dessous, soulève et désarticule. Art du sabotage qui consiste à produire un maximum de nuisances avec des moyens minimaux. Dialoguent souvent des yeux, chantent tour à tour, Destruye, Infierno, Anarquia Circular, les titres s'enchaînent en une ronde infernale, il n'y a pas de point de fuite – No Hay Afuera – en ce bas monde, alors Vanessa tape sur ses toms comme vous vous frappez la tête contre les murs les jours de grande colère, cela fait mal mais cela soulage, et sur votre face contusionnée Pau passe la herse de sa guitare aux crocs de fer. Détruisez, détruisez, il en restera toujours quelque chose. Au moins un grand instant de plaisir.

    NUEVA GENERACION

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    Les mêmes que les précédents. Je parle de l'état d'esprit. En plus adultes. Un tout petit peu plus âgés. Mais l'expérience vous procure une solidité évidente. Des quatre groupes de la soirée, ce sont les plus au point. Une grande cohésion. N'essaient pas de se précipiter pour passer la porte en premier. Tous ensemble, jouent collectif, ce qui est mieux pour des anarchistes revendiqués. Une fille au milieu à la basse posée là comme l'œil de l'ouragan. Un batteur qui galope tout devant, passe les obstacles sans ralentir le train, dégage la route pour faciliter l'assaut des copains. Je les ai adorés durant le sound-check. Imaginez une guitare méchante sur votre gauche. Violente. Brutale. Un hachoir, un couperet de guillotine. Le gars qui déteste qu'on lui raconte des histoires. Se contente de placer les explosifs méthodiquement. L'est pour les mise à feu efficaces. De l'autre côté, c'est tout différent, un son d'une splendeur inouïe, l'est pour l'emphase sonore, la beauté du geste compte pour lui tout autant que l'efficacité pour son alter ego. L'énergie domestiquée et l'ouragan romantique. L'union des contraires, me suis pris à rêver à ces nappes de feu à la New York Dolls. Ben non, une fois le groupe lancé, ils n'ont pas su réaliser l'alchimie prodigieuse, l'utilitarisme énergétique a pris le dessus, sûr que ça carbure sec et sans anicroche, rendement économique maximum. Mais z'ont oublié la beauté du geste, le plus esthétique qui sépare l'hominien de la bête, nous ont livré une machine de guerre impeccable, avec un moteur à explosion hydrogénique irremplaçable, une horloge d'une précision folle, un système de mise à feu à retardements et avancées modulables, mais le résultat n'a pas été pour moi à la hauteur du rêve qu'ils m'avaient fait entrevoir... Le public a adoré. Moi aussi, mais cette fois j'avais décidé de faire le difficile et l'enfant gâté.

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    Damie Chad.

     

    HEROS DU BLUES

    DU JAZZ ET DE LA COUNTRY

    ROBERT CRUMB

     

    ( La Martinière / 2008 )

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    C'est dans le mensuel Actuel qu'au début des années soixante-dix toute une génération a découvert Robert Crumb. Il fut l'artiste de la Contre-Culture, qu'en France on préférait nommer Underground. Aujourd'hui par chez nous son œuvre la plus connue reste la pochette du premier disque de Janis Joplin avec Big Brother and the Holding Company, le fabuleux Cheap Thrills. Mais ce sont les aventures de la bande dessinée Fritz The Cat qui assirent en ces temps lointains sa renommée. Fit un peu comme La Fontaine : pour décrire les travers de l'homme il dessina des animaux. Mais il n'était pas un moraliste. Se contentait de décrire le milieu dans lequel il vivait : celui du mouvement hippie de San-Francisco, autant dire que l'univers du matou cynique était empli de sexe, de rock, et de drogue. Beaucoup de sexe, à tel point que les ligues féministes ne manquèrent pas de dénoncer à plusieurs reprises son idéologie disons cynico-utilitaristo-copulatoire de la gent femelle.

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    Le dessin n'est pas la seule passion de Robert Crumb. Il est un collectionneur émérite de disques. Pas n'importe lesquels. L'éprouve une passion inextinguible pour tout 78 tours des années vingt et trente, sa prédilection le porte vers le blues et les formations à cordes country. L'a même formé un orchestre dans le but de jouer old style en prenant soin que les instruments soient mal accordés... A l'origine les dessins réunis dans ce livre étaient destinés à être glissés dans les disques de Nick Perls qui s'était donné pour tache de rééditer des compilations de vieux disques de blues sur son label Yazou Records. Ils finirent par former trois séries de 36 Trading Carts vendues séparément, dédiées au blues, au jazz et à la country des commencements.

    Les voici réunies en ce volume. A droite la reproduction couleur de la carte, sur la page de gauche une courte présentation des musiciens. Notons que les commentaires de la série Blues de Stephen Calt sont des plus sommaires, ceux de David Jasen consacrés au jazz sont plus importants, mais les plus instructifs ( et de loin ) sont dus à Richard Nevins qui s'est chargé de la country.

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    Pour les dessins je vous laisse juger par vous-mêmes, la première chose qui me choqua ce furent les magnifiques cravates - de véritables plumages de cacatoès – dont il a affublé les bluesmen, l'a dessiné à partir de photographies et divers documents d'époque, cela leur donne un air de faux-riches qui ne parviennent en rien à donner le change, mais le pire ce sont nos countrymen, leurs costumes du dimanche, même pas élimés aux manches comme le conseille Eddy Mitchell, ne font que souligner leurs airs de péquenots pouilleux qui sentent le purin et la bouse de vache. Les jazzmen sont les seuls à porter beau. Des frimeurs de la ville. Trop propres sur eux, un brin bravaches et arborant cette jovialité sérieuse des macs qui veillent avant tout sur leurs respectabilité morale.

    Le livre est accompagné d'un CD qui est une véritable invitation à redécouvrir la musique des années vingt. Bientôt un siècle, cela ne nous rajeunit pas.

    LES HEROS DU BLUES

    MEMPHIS JUG BAND : On the road again : musique de danse, guitare, kazoo, mandoline et chants étonnamment très proches d'un phrasé rock'n'roll sur cette piste, sur un rythme entraînant, que l'on ne se trompe pas le MJB n'a rien d'un orchestre symphonique, les jugs, ces fameuses cruches de terre dans lesquelles on soufflait ne sont pas sans évoquer les essoufflements d'un duo de tubas, cette musique reste celle des rassemblements festifs, de la prostitution, du monde interlope des nuits chaudes de Memphis. Will Shade dirigera le MJB, le personnel variera mais proviendra systématiquement des cadors des nombreux groupes de jugs si nombreux entre 1925 et 1935.

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    BLIND WILLIE McTELL : Dark Night Blues : c'est du tout doux, la guitare à douze cordes chantonne, la voix enrouée comme un chaton transi de froid, de la ruralité mais élégante, malgré quelques marmonnements souterrains. Willie fut chanteur de rue, un insaisissable pérégrin monomaniaque du blues, il enregistra sous plusieurs noms, trente pas en dehors du delta, ce n'est pas un hasard si Dylan écrira un morceau qui porte son nom en son honneur. Si les espèces qui survivent sont celles qui offrent le plus grand nombre d'individus déviants, l'on comprend mieux les différentes métamorphoses du blues à partir d'artistes aussi versatiles que Mc Tell. CANNON'S JUG STOMPERS : Minglewood Blues : moins réputé que le Memphis Jug Band mais un chaînon essentiel de la musique populaire américaine, le banjo de Jim Cannon – diabolique égrenage de notes qui pourrait rivaliser avec une batterie – n'y est pas pour rien, la guitare de Ashley Thompson Lewis non plus, mais nous retiendrons surtout Noah Lewis dont le jeu fonde l'harmonica moderne, tous les souffleurs qui suivent lui doivent beaucoup même si certains ignorent jusqu'à son nom. Le banjo sonne à la manière des grêlons sur un toit de tôle, un harmonica résolument moderne, étonnamment rythmique et mélancolique à la fois. Enregistré en 1927. SKIP JAMES : Hard Time Killin' Flour Blues : encore un navigateur des chemins terrestres qui a eu Memphis pour centre de gravité. Des accords de guitare cristallins mais sombres comme la mort avec par-dessus une voix de tête bousculée des émotions et des affres de la vie. Il sera redécouvert au début des années soixante notamment par Henry Vestine de Canned Heat. Son influence sur le british blues sera importante, la reprise de I'm so Glad par Cream en témoigne. Le rythme est lent, le vocal comme un poignard qu'un ennemi enfonce lentement dans votre dos, pour que vous sachiez que solitude et désespoir sont vos seuls compagnons. Enregistré en 1931.

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    JAYBIRD COLEMAN : I'm Gonna Cross the River Jordan Some of these Days : natif d'Alabama, mobilisé dès 1914 il restera stationné sur une grande base militaire en Alabama, il s'y fait surtout remarquer par son indocilité. A l'armée il préfère l'harmonica qu'il pratique depuis l'âge de douze ans. Il touche à tout, aux chansons traditionnelles, au blues et au gospel, et passe deux ans au Rabbit's Foot Minstrels, chaîne de théâtres noirs qui proposait un mélange de genres et de numéros fortement entachés de variété – une pépinière qui servit de lancement à beaucoup de vedettes noires notamment la grande Ma Rainey - où il rencontre Big Joe Williams. Une entrée d'harmonica qui vous vrille les tympans et la voix qui articule sourdement comme un prêche de pasteur. C'est bien beau de louer Jah mais s'en aller taper à la porte du paradis n'a pas l'air marrant. Mélopée funèbre pour veillée des morts. Enregistrée en 1927. CHARLEY PATTON : High Water Everywhere : on ne le présente plus. Il est la première blues-star de la première génération des bluesmen du Delta. Il a tout synthétisé, il a tout inventé, cette manière d'user de la guitare et de la voix comme si elles n'étaient qu'un seul instrument. Un des plus grands artistes de l'ensemble de la musique populaire américaine. Tous styles confondus. Un vocal torrentueux qui emporte tout et une guitare qui reste insensible à tous les malheurs de la terre. Un cri cru de crue et de cruauté. FRANK STOKES : I Got Mine : serait-ce lui qui jouait le premier blues qu'entendit alors qu'il attendait le train et dont s'inspira W.C. Handy pour composer Memphis Blues, le premier blues dument composé, la légende serait trop belle... Ce n'est pas un hasard si son image a été choisie pour couverture du bouquin. Frank Stokes écume Memphis et ses alentours dès avant 1920. Il influença notamment Gus Cannon qui est lui-même considéré comme un précurseur. Certains le font naître en 1870, mais on ne prête qu'aux riches. C'est lui qui établit la synthèse des chants ruraux du Delta avec la charpente rythmique des ragtimes et les chants traditionnels des songsters. Dans les années 20 on le retrouve lors de medecine shows en compagnie de Jimmie Rogers, folksongs, blues et country proviennent des mêmes racines. Le vocal revendicatif plus coupant que la guitare doucereuse de l'ouate fabriquée avec le coton des plantations. Enregistré en 1928. L'a eu l'honneur de la couverture du bouquin.

    LES PIONNIERS DE LA COUNTRY

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    '' DOCK'' BOGGS : Sugar Baby : il s'agit ici d'un des morceaux fondateurs du country blues et de la musique folk, enregistré en 1928. Le banjo court comme des pattes d'araignée et Dock chante imperturbablement comme s'il s'était mis une pince à linge sur le nez. Définitivement plouc du Kentucky. Un intraitable qui ne pactise jamais. SHELOR FAMILY : Big Bend Gal : le groupe est composé des membres des familles Shelor et Blackard ce qui explique que les quatre uniques morceaux aient été enregistrés en 1927 sous le nom de Dad Blackard's Moonschiners. Ce titre joyeux influença autant la country music que le blue grass. Musique de bal et de fête dans lequel on se plaira à entendre les racines les plus blanches de la racine populaire américaine, une oreille attentive décèlera sous l'entrain du violon la structure du menuet de la musique savante européenne. HAYES SHEPHERD : The Peddles and his wife : thème typiquement country que ne renierait pas Johnny Cash qui nous relate une pendaison dans le Comté d'Harlan qui se trouve dans le Kentucky comme personne ne l'ignore. Le banjo crépite à la manière d'un feu de joie. La voix vous relate cela avec une joviale imperturbabilité qui fait froid dans le dos. Hayes a aussi enregistré avec Dock Booggs et Gene Autry. CROCKETT'S KENTUCKY MOUNTAINEERS : Little Rabbit : Dad Crockett et ses cinq enfants ( banjo, guitares, violon ) n'ont pas enregistré cela au Kentucky mais en Californie. Musique pour danser, sarabande de cordes, samedi soir sur la terre. N'en demandez pas plus, vous êtes dans l'antichambre du paradis. Peut-être est-ce le diable qui tient le violon. BURNETT & RUTHERFORD : All Night Long Blues : la pince à vélo toujours sur le nez, pas très bluesy, le violon de Leonard trop guilleret pour cela, même si la voix nous conte la mélancolie du pauvre gars éloigné de chez lui. Nos deux compères ont écumé les salles de bal durant près de trente-cinq ans.

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    EAST TEXAS SERENADERS : Mineola Rag : n'ont enregistré que 28 morceaux, orchestre à cordes avec violoncelle. Ambiance très western, irrésistiblement m'évoquent je ( ne ) sais pourquoi les premiers films de John Wayne. Un savant mélange de valse et de rag. Le succès fut au rendez-vous de nos cinq cowboys. Dans le genre Allons guincher Colinda nos Serenaders et leurs airs de péquenots endimanchés qui jettent les bases du western swing remportent la palme. Aisément. WEEMS STRING BAND : Greenback Dollars : on ne prend pas les mêmes mais on recommence, jouent légèrement plus rapidement que les précédents, le banjo rajoute une goutte de sang noirs chez nos gaziers du Tennessee. Eux aussi ont un violoncelle mais en prime vous avez cette voix qui lance la danse au début, modulée comme un aboiement de chien. Dommage qu'elle rejoigne sa niche et qu'elle n'en sorte plus.

    LES GRANDS DU JAZZ

    BENNIE MOTEN'S KANSAS CITY ORCHESTRA : Kater Street Rag : enregistré en 1930, un des tout premiers grands orchestres, alliance subtile entre la musique de cirque et le charleston, un beau solo de trombone et Bennie Motten qui prend la relève au piano. Idéal pour accompagner les vieux films d'époque sautillants. Bennie aida beaucoup à développer l'idée de structures riffiques même si cela n'apparaît pas dans ce morceau où est privilégié la succession des différents chapitres de l'orchestre tout en douceur. Un sacré arrangeur Bennie. KING OLIVER'S CREOLE JAZZ BAND avec Louis Armstrong, Johnny Dodds, Lil Hardin : Sobbin' Blues : enregistré en 1922 à Chicago, nous sommes au tout début du jazz, qui est une affaire de passage de témoins et de succession, C'est Kid Ory, fabuleux tromboniste – nous lui avons consacré la présentation de deux CD - qui donna sa chance à Oliver, qui lui-même embaucha un jeune cornettiste nommé Louis Armstrong lequel plus tard épousa Lil Hardin dont l'œuvre est à redécouvrir... le Creole Jazz Band explosa dès 1924 pour dissensions musicales... King Oliver cré alors les Dixie Syncopators avec Kid Ory et Johnny Dodds à la clarinette. Par rapport au morceau précédent l'on remarque comme un assagissement, les solos s'étendent plus langoureusement laissant aux solistes l'occasion de peaufiner une expression davantage personnelle en rupture avec une virtuosité gratuite. Toutefois l'ambiance festive New Orleans domine encore. PARHAM-PICKETT APOLLO SYNCOPATORS avec Tiny Parham & Junie C. Cobb : Mojo Strut : Tiny Parham a travaillé en ses débuts à Kansas City avec Jack Scott pianiste émérite de ragtime. L'on trouve dans ses turbulents Syncopators Edmond Duff à la clarinette, J.D. Gray aux drums, Charles Lawson au trombone, Leroy Pickett au violon et Booker Winfield, musique un peu tonitruante qui s'amuse avec les effets de rupture et en oublie quelque peu les nuances. Pas étonnant si plus tard Tiny et son piano se spécialiseront dans l'accompagnement des films et des pièces de théâtre. Recherche l'effet et le soulignage. Cette formation n'a enregistré que deux titres en 1926. FRANKIE FRANKO & HIS LOUISIANIANS : avec Ernest Punch Miller : Somedy Stole my Gal : Encore uniquement deux titres enregistrés en 1930 par ce combo de François Moseley le fameux Frankie batteur et chef de groupe avec Leon Washington et Fred Howard aux sax, Bill Helcoid au tuba, Charles du Gaston au banjo, Zinky Cohn au piano, Ed Burke au trombone et Ernest Punch Miller au vocal. Une imitation de Cab Calloway un peu bâtarde qui louche vers la variété, gros défaut que l'on oublie vite car les musicos cartonnent. CLARENCE WILLIAM'S BLUE FIVE : avec Sidney Bechett : Wild Cat Blues : attribuée à Clarence Williams présent sur 21 des 28 morceaux enregistrés. En fait il s'agit de sessions regroupant les meilleurs musiciens du moment, Louis Armstrong et Fletcher Henderson y participèrent, mais ici c'est Sidney Bechet qui est mis en évidence. Un peu trop gentillet à mon avis, des relents de fox-trot. Le chat miaule mollement. Enregistré le 30 juillet 1923.

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    JELLY ROLL MORTON'S RED HOT PEPPERS : Kansas City Stomps : le pianiste fastueux originaire de la Nouvelle Orleans que l'on ne présente plus. C'est surtout d'après nous le trombone de Kid Ory qui domine ici, Jelly Roll se contentant d'interventions pianistiques en retrait par rapport à tous les autres instruments qui se la donnent gaiement, pourtant la modestie n'était pas son fort.

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    JIMMY NOONE : King Joe : on retrouve ce clarinettiste du début du jazz partout, aux côtés de Johnny Dodds, de Sidney Bechet, de Freddie Keppard, de King Oliver, d'Earl Hines et de Kid Ory... il est ici accompagné par son Apex Club Orchestra, l'Apex était un club de Chicago qui reçut en 1930 la visite des agents fédéraux chargés de la lutte contre la prohibition... King Joe fut enregistré le 25 Août 1928. Trompettiste et cornettiste de génie on retrouve Jimmy Noone partout, aux côtés de Johnny Dodds, de Sidney Bechett, de Freddie Keppard, de King Oliver d'Earl Hines et de Kid Ory. Qui d'autre que lui aurait pu métamorphoser cette bluette en feu incendiaire couvant sur la cendre. Incidemment vous n'irez pas cherché plus loin d'où Charles Trenet a sorti son phrasé personnel. Serait-ce Joe Poston qui chante ? Autre titre de gloire de Jimmy Noone, c'est sur une de ses improvisations que Ravel composa son célèbre Boléro. Entre la musique populaire et la musique savante, le fossé est-il si grand que cela ?

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    PREAMBULE O

    ( Scherzo Moderato )

    robert gordon,that'll flat git it,ansiax,better off dead,sabotaje,nueva generacion,robert crumb,rockambolesques 0

    CHEZ POPOL

    Six heures du matin. Molossa trottine à mes côtés. Lecteurs ne soyez pas étonnés de cette heure matinale, les rockers ne dorment jamais. Je me dirige vers chez Popol, le seul café digne de ce nom sur Provins. Pensez que le verre de Jack est à deux euros et que Popol ne mégote pas sur la quantité, vous en verse des godets de 33 cl sans ciller. Vous connaissez mon désintéressement légendaire, je ne saurais m'attarder à de matérielles considérations si bassement économiques. D'ailleurs chez Popol, pour moi, tout est gratuit, ce serait insulter Popol que j'osasse lui tendre un centime.

    FLASHBACK

    Ce jour-là personne ne mouftait. Profil bas sur toutes les tables. Même Popol tirait une gueule d'enterrement. L'était sûr de son coup, l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes. Vous connaissez, cette arrogance du fonctionnaire qui sait qu'il a le droit et la loi de son côté, le médiocre resplendissant, qui ne se sent plus pisser, qui pérore à n'en plus finir afin de savourer son triomphe. Il a le verbe haut et péremptoire :

      • Monsieur Popol, si vous me permettez je passerai de l'autre côté du bar, juste pour vérifier les étiquettes de vos bouteilles, n'ayez crainte, je suis absolument certain que vous êtes un honnête commerçant, je vous rassure, ce n'est-là qu'un contrôle de routine, que je pressens inutile, si ça ne tenait qu'à moi je m'en abstiendrai, mais un petit fonctionnaire comme moi ne peut qu'obéir aux ordres venus d'en haut, pardon, excusez-moi...

    Silence de mort dans le bistrot. Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes est maintenant de l'autre côté du comptoir. Il s'extasie devant l'étagère des verres propres :

      • Félicitations, Monsieur Popol, si j'étais inspecteur de l'hygiène je ne pourrais que vous signer une attestation ad hoc. Quelle brillance ! Quelle limpidité ! Quelle transparence ! Plus que de la méticulosité, de l'amour, oui de l'amour, Monsieur Popol vous êtes un poète de l'essuyage, je vous félicite, je m'incline... ah mais j'oubliais, je suis venu pour le Jack, quelle étrange bouteille Monsieur Popol, et ces caractères étranges, je n'en ai jamais vu de pareils... mais si, suis-je distrait ! Pas plus tard que hier soir, sur l'autoroute, le camion arrêté avec sa cargaison de... attendez le chauffeur prétendait qu'il transportait du Moonshine Polonais, je suis désolé Monsieur Popol, mais je crois qu'il va falloir que vous fermiez votre café tout de suite et que vous me suiviez sans rémission.

    Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes jubile. Il aperçoit déjà sur son bureau le message de félicitation envoyé par le Ministre avec l'annonce de la promotion et celle de la médaille. Il a bien mérité de la patrie. Il est sur un petit nuage rose. Et sur un petit truc noirâtre qui dépasse de sous le comptoir. Molossa déteste que l'on marche sur son appendice caudal, ce n'est qu'une brave bête, un animal aux mœurs primitives et aux réflexes impulsifs, ses dents déchirent le mollet de Monsieur L'Inspecteur Divisionnaire des Douanes, elle en arrache la chair et ses dents cisaillent le faisceau veineux et artériel du fonctionnaire, le sang gicle comme d'un tuyau d'arrosage, le malheureux s'enfuit en hurlant, sous les rires, les huées et les applaudissements de la clientèle. Popol offre une tournée générale de Moonshine Polonais, Molossa est caressée, fêtée, félicitée, papouillée, embrassée...

    Au bout de la rue les pompiers ramassent le corps pantelant de Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes, on ne le reverra plus chez Popol, quand par erreur il passe devant l'établissement, malgré sa prothèse et sa canne il s'enfuit en courant. Ne le plaignez pas, il a été contacté par Handi-Sport pour participer aux Jeux Olympiques.

    RETOUR A LA TERRIBLE REALITE

    Ne suis pas assis depuis deux minutes sur la terrasse qu'un autre client arrive. Une cliente pour être précis. Toute jeune certes, mais pas vraiment une beauté incandescente. Le plus terrible c'est son visage qui transpire la bêtise. Que voulez-vous, certaines personnes ne sont pas aidées par la vie, le monde est parfois cruel. Choisit la place juste à côté de la mienne. Son visage s'éclaircit dès qu'elle aperçoit Molossa qui roupille à mes pieds.

      • Quel joli chien-chien ! Qu'il est mimi ! Puis-je le caresser Monsieur ?

      • Sans problème, mais c'est une chienne, elle s'appelle Molossa

      • Quel nom charmant ! Moi c'est Cunégonde Kruchet, mon Papa m'a toujours dit que ceux qui aiment les chiens ne sont jamais méchants !

      • Votre père a raison, vous lui transmettrez mon salut dès que vous le reverrez, dites-lui que je loue fort sa sagesse...

      • Hélas, Monsieur, Papa est mort, voici à peine huit jours...

      • Je vous prie de m'excuser Mademoiselle, vous devez avoir bien du chagrin, vous et votre mère qui...

      • Non Monsieur, ma mère est décédée quand j'avais cinq ans... Désormais je suis seule au monde, et je suis venue à la ville pour chercher du travail...

      • Mademoiselle – c'est Popol qui surgit fort à propos le plateau à la main – je vous apporte un café comme hier matin, je me suis permis d'ajouter un croissant de la veille que je vous offre.

    Et Popol s'éloigne sans attendre de remerciement. C'est un pudique Popol, l'a le cœur aussi gros que le calibre qu'il dissimule sous son tablier. Le visage de Cunégonde Kruchet s'éclaire d'un large sourire, mais déjà Molossa s'est assise tout près d'elle et darde sur la jeune fille son regard suppliant d'ange ( exterminateur ), je connais la suite de l'histoire, peux vous en résumer le scénario, la Cunégonde sa viennoiserie elle va lui passer sous le nez, dans trois minutes elle sera bien au chaud dans le gouffre insatiable qu'est l'estomac de Molossa. Mais non, ça ne se passe pas comme prévu. La Cunégonde a beau lui fourrer la pointe du croissant sous le museau, Molossa est devenue de marbre, les yeux mi-clos et la truffe au vent. L'imminence d'un événement invisible est certaine. Tous mes sens sont aguets, je le sens l'heure est grave, décisive même, mais, mais, mais, je connais cette odeur, Molossa aussi, sa queue frétille de gauche à droite, non d'un triple Jack, c'est la fragrance caractéristique d'un Coronado 45 !

    ON THE ROAD AGAIN

    Trois ans que nous ne nous étions pas revus. Depuis l'affaire des Chroniques Vulveuses, nous tombons dans les bras l'un de l'autre, mais le Chef n'est pas un sentimental :

      • Agent Chad, hum, en galante compagnie à ce que je vois, va falloir surseoir à ce genre d'agissements grivois, vous reprenez du service immédiatement. Le SSR a besoin de vous.

      • Chef arrêtez vos plaisanteries, vous savez bien que le Service Secret du Rock'n'Roll a été démantibulé définitivement en de tragiques circonstances, mais quel plaisir de vous revoir et de parler du bon vieux temps, asseyez-vous, je vous présente Cunégonde Kruchet qui justement s'apprêtait à partager son croissant avec Molossa !

    Le chef s'est assis et me regarde avec commisération. Il tire longuement sur son cigare, exhale lentement un nuage de fumée noire à la manière des antiques locomotives à vapeur, rien qu'à la manière dont il tapote son Coronado 45, je sais que les minutes qui vont suivre seront lourdes de conséquences :

      • Agent Chad, peut-être ne le savez-vous pas, mais depuis l'année dernière le pays a changé de Président. Le nouveau venu s'est étonné de l'absence d'un SSR – les Amerloques, les Anglais, et même les Russes en ont un, mais pas la France... Bref après d'infinies tractations le service est reconstitué, avec des moyens ridiculement bas, mais ce n'est qu'un début, c'est à nous de faire nos preuves.

      • Chef, c'est merveilleux et incroyable !

      • Agent Chad, vous ne serez jamais un stratège de la plus haute métapolitique, si seulement vous pouviez avoir le tiers du quart de la finesse de votre chien, certes c'est incroyable, mais c'est surtout inquiétant... Mais nous en reparlerons. Je sors de l'Elysée, j'ai récupéré la clef des nouveaux locaux, nous partons immédiatement en prendre possession, il est temps de reconstituer le service.

      • Pardon Monsieur le Chef – c'est la voix mal assurée de Cunégonde qui s'élève - je n'ai rien compris à votre conversation, il me semble que vous recrutez du personnel, cela tombe bien, je cherche du travail et...

      • Mademoiselle Cunégonde Kruchet je ne doute pas que nos Services n'auront qu'à se féliciter de votre collaboration, à partir de cette minute, considérez-vous comme un agent en action du SSR. En piste !

    LES NOUVEAUX LOCAUX

    Le chef m'étonnera toujours. Pourquoi avoir embauché cette pauvre gourde de Cunégonde dans un service secret ? D'autant plus que pendant que je conduis, le Chef est tout miel tout sourire, se désole de la disparition de ses parents, lui attribue l'affectueux surnom de Cruchette, et lui vante les mérites du Coronado 45, le seul que Napoléon consentait à fumer avant de livrer ses grandes batailles, et le fait historique qu'à la veille de Waterloo, l'intendance n'avait pu lui en fournir à cause du blocus de ces satanés anglais...

    Vous comprendrez que pour raison de sécurité je ne vous dévoile pas l'endroit exact des nouveaux locaux. L'immeuble situé dans un quartier périphérique parisien n'est guère reluisant. Pas d'ascenseur pour parvenir au dix-septième étage. A première vue il est inhabité. Quand nous poussons la porte du grand meublé ( cinq pièces exigües ) pour famille nombreuse , Cruchette ne peut retenir un cri de détresse :

      • Quelle horreur, trois centimètres de poussière, personne n'est rentrée ici depuis au moins dix ans, je passe illico un coup de balai et je fais la poussière sur le champ !

    Pendant que Cruchette s'affaire, le Chef et moi, improvisons un bureau avec la table de la cuisine. Le chef paraît méditatif, mais une fois qu'il a débarrassé le tiroir de ses couteaux et de ses fourchettes pour y ranger sa provision de Coronados, il retrouve son allant, sort de sa poche un petit boîtier rouge qu'il branche à la prise du téléphone – la liaison directe avec l'Elysée m'indique-t-il – le chef se frotte les mains, la première réunion de travail peut commencer, mais il n'a pas fini d'allumer un Coronado 45 que Cruchette l'interrompt dans cette tâche qui exige concentration et subtilité :

      • C'est sale, mais au moins nous n'aurons pas de moustiques. Les derniers locataires avaient mis des pastilles partout, regardez j'en ai retrouvé une bonne trentaine, elles ne sentent plus, il faut les jeter, elles ne valent plus rien.

      • Certainement Cruchette, débarrassez-vous en dans le vide-ordure sur le pallier – Cruchette toute fière se hâte de remplir cette nouvelle mission, le Chef se tourne vers moi - des micros ultra-sensibles, Agent Chad, l'affaire s'avère beaucoup plus dangereuse que je ne le pensais, je vous le certifie, la survie du rock'n'roll n'a jamais été aussi compromise en notre pays. Nous sommes au centre d'une machination infernale, il est temps que j'allume un nouveau Coronado.

         

    ( A suivre. Episode 1 : Allegro Mysterioso )

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 264 : KR'TNT 384 : KID CONGO / LUCKY BULLETS / HAYRIDERS / WISE GUIZ / CAT LEE KING & HIS COCKS / MARY SHELLEY / CRASH MIGHTY / DÄTCHA MANDALA / MONSIEUR VERTIGO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 384

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    13 / 09 / 2018

    KID CONGO / LUCKY BULLETS

    HAYRIDERS / WISE GUYZ

    CAT LEE KING & HIS COCKS

    MARY SHELLEY / CRASH MIGHTY

    DÄTCHA MANDALA / MONSIEUR VERTIGO

     

    Congo à gogo - Part Two

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    Sans doute ce jour-là Kid Congo avait-il décidé de régner sur la terre comme au ciel, car tel fut le cas. L’apparition se produisit à Binic en l’an de grâce 2018, un 29 août, pour être tout à fait précis. Kid Congo ne prit pas l’apparence d’une vierge translucide comme on serait tenté de le croire, mais celle d’un homme en froc noir et plastron blanc, perruqué de gris et le visage abondamment badigeonné de poudre de riz saumonée. Il en avait tant mis qu’elle barbouillait le blanc du plastron et le fil d’argent du nœud pap. Il s’était en outre généreusement charbonné le tour des yeux. Il semblait sortir d’un film fantastique de l’âge d’or du cinéma muet. Typiquement Lon Chaney dans Le Fantôme de l’Opéra. Nous en étions là. À vibrer de mille frissons. Glagla à gogo. Shaking in Brazzaville with the Congo beat. L’entourait la fière équipe habituelle des Pink Monkey Birds, Kiki on beiss, the tattoo beast Ron Miller on drums, et Marc Cisneros à la pure excellence guitaristique.

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    Lorsque se produit le schisme psychique d’une apparition surnaturelle, il faut un temps d’adaptation qu’on estime variable selon les cervelles. Il dure en moyenne le temps d’un cut, mais avec «Coyote Conundrum», la foule entière tomba comme un seul homme dans l’escarcelle congolaise - We’ll have a good time/ And we want it to be real - Alors évidemment, la partie était gagnée d’avance, d’autant que Kid Congo lâchait son manche de guitare pour danser le jerk des catacombes, les bras en télescope, la bouche ouverte et les yeux fixés sur le néant. Tout bascula aussitôt dans l’extraordinarité des choses, dans un univers dont personne ne soupçonnait l’existence. Kid Congo grimaçait en développant les chevaux vapeur d’une infernale machine à rocker, du type Cramps ou Gun Club, mais en plus congolais, voyez-vous, en plus surnaturel. Il mettait un joli point d’honneur à enfoncer les clous du beat dans l’inconscient collectif, mais personne n’éprouvait de la douleur sous les chocs, bien au contraire. Un vent de génie subliminal caressait cette houle de crânes qui clapotait au pied de la scène - We’ll have a fine time/ And we want to make you feel - Jamais plage ne vit d’aussi beau spectacle. Kid Congo malaxait le beat dans sa bouche immense - We got a comb bomb/ L’amour toujours l’amour - Oh mais quelle débauche de real good time ce fut-là ! On plaignait sincèrement les absents. Kid Congo embrasait tout à la fois, la plage, les mouettes, les crabes et les imaginaires. Il reprenait le Théâtre de la Cruauté là où Artaud, les Cramps et Tav Falco l’avaient laissé. Kid Congo avait compris comme Lux avant lui qu’il fallait viser l’absolu surnaturel. Et ses cuts qui semblaient si mécaniques sur ses albums solo prenaient soudain des proportions alarmantes de démesure, comme ce «Magic Machine», à la fois infernal et dansant, monté sur le plus binaire des riffs, mais I am drug today sonnait si bien les cloches et I am love today secouait si bien les paillasses qu’on en tombait littéralement en pâmoison. Que pouvait-on faire d’autre que de se pâmer devant un tel beat turgescent ? Rien. Absolument rien. Kiki introduisit «Ricky Ticky Tocky» dans la vulve offerte d’un beau dimanche estival. Ça palpita intensément, Kid Congo nous jouait le rock des reins, les bras en l’air et la bouche tordue, ouverte sur les abysses de ses profondeurs organiques. Qui aurait pu se lasser d’un tel spectacle ? Personne. Il allait encore crucifier quelques hits golgothiques comme «Chandelier» et déclencher des pogotages historiques. On vit même flotter à la surface de la houle de crânes des fauteuils roulants. Les apparitions se multipliaient. On se serait cru sur le radeau au moment où Aguirre croise le vaisseau échoué au sommet d’un très grand palétuvier. Mais tout ceci prit des proportions encore plus babyloniennes avec l’hommage tant attendu aux Cramps. Cette brute sublime nous fit le coup de la doublette fatale avec «New Kind Of Kick» et «Can’t Find My Mind». Tout explosa en mille morceaux, le ciel rougit et le souffle emporta tous les suffrages. Kick roula comme un fleuve en crue, charriant les veaux, les vaches et les cochons, les désirs et les aspirations, les notions de passé et de futur, le fleuve emportait tout, l’instant comme le temps, l’instinct comme l’autant, l’ara comme l’oracle, le fleuve de Kick emportait les barrages et les deltas du Mekong, oui, Marguerite aurait dansé à la barrière et stompé son Pacifique, et ce congolais juju-gulaire qui orchestrait cette prodigieuse avanie se permettait en plus de screamer ses fins de couplets avant de revenir dans sa clé de sol. Sans doute-était-il tellement ravagé par le génie qu’il ne s’en rendait même plus compte, son corps désarticulé par le jerk des catacombes appartenait alors aux astres qui plutôt que de s’aligner pour ramener la paix sur la terre, dansaient à cause de lui la plus sauvage des carmagnoles. Tous les crampologues présents sur la plage sentirent le vent froid du Pôle Nord s’infiltrer sous leur peau lorsque Kid Congo murmura : «I’ve got a black skin suit/ Alligator shoes.» Était-ce de l’ordre de l’inespéré ou de l’ordre de l’implacabilité des choses ? En tous les cas, il ratatina les dernières poches de résistance. Comme Bernadette avant lui, Kid Congo vit les foules se jeter à ses pieds.

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    Mais les foules ne se doutaient encore de rien, car après un petit interlude distractif, il ouvrit sa bouche immense pour minauder You look just like an Elvis from hell. À ce moment-là, on vit des crabes se faufiler entre nos jambes pour venir voir ce phénomène de près. On les vit même danser de guingois, dans une fantastique explosion généralisée, encore plus violente que celle déclenchée par Kick. À ce niveau d’extase intrinsèque, les mots sautaient de cheval et les pensées fuyaient par les oreilles en criant au feu, comme jadis dans les villages. D’énormes volutes de fumée noire s’échappaient de la bouche béante de Kid Congo - Gonna buy me a graveyard of my own - Il rejeta une monstrueuse bassine d’huile sur le feu du mythe et les crabes connus pour leur masochisme allèrent s’y jeter. Kid Congo fit basculer Binic et ses hics dans l’autre monde, là où virevolent les poissons jambus du Big Bosch man, là où grésillent encore les hérétiques aux sourires béats. Et puis vint le moment tant redouté, celui de l’adios aux amigos, que Bernadette Congo introduisit par la plus sibylline des sibyllades : «Before the internet, there was Sexbeat !», qui évidemment alla réjouir tous les cœurs présents, car enfin, existe-t-il meilleur moyen de conclure un set aussi atomique ?

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    Bien sûr que non. Du haut de la scène, l’œil rivé sur l’horizon, l’immense Kid Congo empoigna le monde d’un geste impérial en marmonnant son They’re stupid like I told ya, very stupid like ya saw, et il enfila le mythe d’un coup de rein fatal. Move !

    Signé : Cazengler, gros Con go !

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

    La sagesse des Wise Guyz - Part Two

    Gros shoot de blue jean bop au Béthune Rétro. Comme tous les ans. Une façon comme une autre de se ressourcer. Rien de tel qu’un bon groupe de rockab pour remettre les pendules à l’heure et les œufs dans le même panier. Mais la prog du festival devient un casse-tête épouvantable. Rendez-vous compte, le samedi soir à 11 h, trois groupes montaient sur scène en même temps : les Californiens Eddie & the Scorpions, les Hot Slap de Dédé et les Wise Guyz qui voici quatre ans firent tellement swinguer le vieux beffroi qu’ils basculèrent dans le cercle supérieur des grandes révélations. Mais cette année, ils n’eurent pas les honneurs de la grande scène. Ils durent se contenter d’une petite scène serrée entre deux baraques à frites.

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    Mais quelle petite scène ! C’est là que se joua le destin du Rétro 2018. En trois coups, bim, bam, boom, à commencer par les Lucky Bullets, venus des fjords de Norvège, férus de chansons de cowboys et animés des meilleures intentions. Ils attaquèrent leur set dans le milieu de l’après-midi, alors que flottaient les doux relents d’ultra fast-fooding. En voyant arriver sur scène ces quatre candidats au whoopalong, on comprit que ça aller jiver dans les bassines à friture. Le chanteur portait la casquette de Brando dans The Wild One et une belle collection de tatouages sur les bras. En vraie boule de nerfs qui se respecte, il sautilla son hillbilly rumble au maximum des possibilités du genre, épaulé par un guitarman à carrure de bûcheron. Ce géant jouait sur une très vieille Gretsch avec la redoutable efficacité des gens du Nord et sortait un son de rêve, bien mixé au devant du son, comme s’il bénéficiait de l’écho séculaire d’un fjord. Son phrasé puissant et méthodique régalait tous les amateurs de big Gretsch sound. Malgré deux ou trois cuts plus faibles en cœur de set, les Lucky Bullets réussirent à allumer la gueule du Rétro de façon déterminante, sans jamais recourir aux ficelles du rockab sauvage. Leur goût pour les chansons de cowboys et les talents expressionnistes du Brando de comedy act firent chavirer les cœurs. On applaudissait des deux mains. Par sa fraîcheur exacerbée et l’extravagante vitalité de son raw raout, le set des Lucky Bullets marqua pas mal de cervelles au fer rouge.

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    En début de soirée, on vit débarquer des Anglais sur scène. L’animateur fit baver le public en précisant que le CV de Hayriders était long comme un jour sans rhum. En détaillant les exploits de ces vétérans de toutes les guerres, il s’adressait bien sûr aux spécialistes. Effectivement, les Hayriders n’étaient plus de toute première jeunesse, mais ils réactualisaient magistralement le vieux proverbe : eh oui, c’est dans les vieilles marmites anglaises qu’on cuit les meilleurs soupes. Et quelle soupe ! Sapés tous les quatre comme des milords à la Piaf et cravatés de frais, ils entreprirent de nous sonner sérieusement les cloches. Le chanteur Neil Wright tenait bien son bop en laisse, par contre, le Stratoman installé à sa droite fit passer le concept du flash guitar dans une nouvelle dimension, celle des spoutniks polymorphes. Vêtu d’une chemise rouge et d’un pantalon dix fois trop grand, ce petit mec nommé Darren Lince pulvérisa dès le premier cut tous les records d’incursion frénétique. Il ressuscitait le vieux théorème de la preuve par neuf : sans flashman, un groupe ne peut pas briller au firmament. Il se mit à allumer tous les cuts un par un, avec un son extraordinairement incisif et une volubilité de rêve. Sa main gauche courait sur le manche comme une belette en rut, il ployait les genoux et on voyait à l’éclat de son œil qu’il restait insondablement concentré. On n’avait pas revu un guitariste aussi spectaculaire depuis Link Wray.

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    Darren Lince faisait littéralement la pluie et le beau temps. Il réussit même l’exploit de transcender Galloping Cliff Gallup dans une version de «Blue Jean Bop», eh oui, il allait encore plus loin que le vieux Cliff, comme si c’était possible. On le vit même jiver les deux solos de «Race With The Devil» de façon extrêmement indécente. Il surjouait à la nausée du génie galvanique. On le voyait touiller sa glaise sonique avec un petit sourire en coin. On avait sous les yeux une explosion à deux pattes, l’incarnation humaine d’une rivière de diamants en crue, un zébulon dégingandé complètement chorusmatique, une sorte de fils de Dieu qui aurait miraculeusement échappé aux clous des Romains, le modèle absolu en matière de sideman fulgurant. Darren Lince redora brillamment le blason du vieux rockab.

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    L’autre brillant redoreur de blason s’appelle Chris Bird, l’âme des Wise Guyz. Ce n’est plus un secret pour personne, les Wise Guyz sont devenus l’un des meilleurs gangs de rockab actuels, sinon le meilleur. S’il en est un qu’il ne faut pas rater sur scène, c’est bien celui-là. Il semble même que leur swing soit arrivé à maturité. Ils firent ce soir-là un set comme on n’ose plus les rêver, parfait, ni trop long ni trop court, secoué de jolies poussées de fièvre et fabuleusement fluidifié par la qualité constante du swing. Comme Brian Setzer avant eux, les Wise Guyz ont su évoluer du rockab vers le swing, qui se situe un cran nettement au-dessus, car réservé aux guitaristes de jazz.

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    Et Chris Bird fait partie de ces surdoués du jive, il faut le voir swinguer son bebop avec la jambe gauche à l’arrière. Il fait presque le spectacle à lui tout seul. Non seulement il crée du rythme en permanence, mais il sait placer sa voix. Il fait moins son Cochran qu’avant, il huile beaucoup plus son art, pour qu’il enfile bien l’écho du temps, et là, on peut difficilement rêver d’un meilleur son. Il pousse parfois des pointes à la Django et revient bercer nos cœurs d’un croon ukrainien absolument irrésistible. Difficile de le comparer à un autre chanteur, il chante vraiment comme Chris Bird, il s’affirme en tant qu’artiste complet et on peut considérer qu’il est entré de plein droit dans la cour des grands. Il n’a rien à envier ni à Brian Setzer, ni à Eddie Cochran, ni à Django Reinhardt. Il est même intolérable de ne pas encore le voir en couverture des magazines (mis à part Rockabilly Generation, bien représenté au Rétro, d’ailleurs).

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    Sur scène, les Wise Guyz jouaient un paquet de cuts de leur nouvel album, Midnight Cruise. Ça tombait bien, car ils le vendaient à la fin du set. Oh pas cher, un billet de seize ! Les gens faisaient la queue. Chris Bird signait à la chaîne, en vraie petite super star béthunière. On le vit aussi dans l’après-midi et le lendemain matin aller placer son nouvel album chez les disquaires du Rétro. Rappelons que les Wise Guyz ne roulent pas sur l’or et le moins que l’on puisse faire est de les aider en achetant leur nouvel album qui en plus est excellent.

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    On y trouve trois cuts de swing, à commencer par l’inénarrable «Nobody’s Business». Ce diable de boppin’ Bird y swingalong avec une science qui scie et on le voit filer en mode shark de sharp. Le pire est à venir en B avec «Sweet Loving», ça djangotte à gogo et ça chaloupe des hanches au delà du Cap de Bonne Espérance - shake your hips - Chris craque it up et boppe droit au but, il porte le fer au maximum des possibilités du rouge, non seulement son swing swanne comme un cygne, mais il épate à quatre pattes, son big swing bosse, man, c’est un swing qui bat tout à plate coutures, oh yeah, cette belle bête de Bird va au Sweet lovin’ comme d’autres vont aux putes sur les Maréchaux. Et attention au «Swing By C» qui referme la marche de cet album palpitant ! Bird swingue en Do et sonne comme Tchavolo Schmitt, oui, il en a le pouvoir, il peut swinguer la caravane comme dans le Swing de Tony Gatlif, l’un des plans les plus rock’n’roll qui ait jamais été filmé. Une façon de rappeler qu’avec le jazz manouche, on monte encore d’un cran dans la beauté du sauvage. Et si Chris Bird tape dans le pur rockab, ça donne le «Do It Bop» d’ouverture de bal d’A. Il y renoue avec la pulsation originelle du bop, avec la fantastique véracité du genre. Charlie Feathers disait : «Rockabilly is the beginning and the end of music.» Et il avait raison. Chris Bird chope tous les chops du bop, il fonce à tire d’aile et part en solo de classe A. Il faut aussi l’entendre faire son Cochran dans «Is It Love», il tape ça au pur jus de rock attack, il shake son shook comme un délinquant de banlieue, mais avec la classe d’un ange de miséricorde. Mélange explosif et assez unique au monde. Ce mec a tout ce qu’il faut pour rendre un public heureux et devenir une super star. Sur scène, les Wise Guyz jouaient aussi le morceau titre de l’album, mais la version studio est encore plus mirifique, à cause de la profondeur du son. Chris Bird chante ça avec une voix de mineur des Appalaches, le nez pincé et il descend des gammes de desperado. On s’épate de la fantastique pulsation rythmique derrière lui. Ces quatre kids d’Ukraine nous plongent dans une fausse Americana d’excellence parégorique que viendraient encore enrichir des éclats de jouvence foraine - I’m on a loose/ For a midnight cruise - Ces mecs sont devenus imbattables, et comme on l’a déjà dit dans le Part One, voici quatre ans, leurs quatre premiers albums sont eux aussi irréprochables. Et quand on tombe sur l’«Enough» qui ouvre le bal de la B, on sait tout de suite qu’on ne trouvera jamais ça ailleurs. Cette urgence du beat n’appartient qu’aux Wise Guyz. C’est un beat dressé en l’air et sauvage, du genre qui plie mais ne rompt pas, vous voyez le genre ? Rebel et Ozzy nous le troussent à la hussarde, en vraies séquelles de Cosaques. Ils constituent certainement l’une des plus belles sections rythmiques du XXIe siècle, ne craignons pas de faire ronfler le moulin des formules. Ces mecs méritent vraiment qu’on les adule, car ils sont brillants à un point qui dépasse le sens commun. Le plus marrant de toute cette histoire, c’est que sur scène, ils parlent le russe entre eux, et on croirait vraiment entendre des agents du KGB, surtout le batteur Ozzy. Il faut aussi entendre ce diable de Rebel slapper «Beware». Il joue au délié de pur jus. Et même quand ils tapent dans des cuts plus classiques comme «Jukebox Rock» et «Johnny Boy», les Wise Guyz battent tous les records de nonchalance. Tout le bien qu’on vous souhaiter est de les voir jouer sur scène.

    Signé : Cazengler, Wise gaz d’échappement

    Wise Guyz. Béthune Rétro. 25 & 26 août 2018

    Wise Guyz. Midnight Cruise. El Toro Records 2018

    TROYES - 07 / O9 / 2018

    LE 3B

    CAT LEE KING & HIS COCKS

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    La teuf-teuf file vers Troyes sans rémission. Attention, c'est la rentrée, pas celle des classes, celle du 3 B ! Nettement plus agréable mais snif ! snif ! l'on ira moins souvent au 3 B cette année, un concert par mois seulement, mais du meilleur, l'on commencera par une portion de poulet frit – marque Hot Chickens – début novembre, d'ailleurs ce soir il y a déjà du poulet au menu, une drôle de tambouille, importée directly from Germany, du coq au vin, plus du chat, ce qui change la donne, et donne un un goût particulier au ragoût, bref Cat Lee King & His Cocks sont au programme.

    CAT LEE KING AND HIS COCKS

    Cinq beaux jeunes gars. Coupes cheveux au cordeau, cravates voyantes, pantalons au pli, vestes boutonnées pour trois d'entre eux, propres sur eux, irréprochables. Autant annoncer la couleur, ce n'est pas un groupe de rockabilly, se définissent eux-mêmes comme un combo de rockin blues – terme un peu vague à multiples acceptions – ou de rhythm and blues, ce qui est déjà plus précis. Toutefois si vous espérez une section cuivrique à la Otis Redding, vous êtes dans l'erreur, reculez d'un cran, retour dans le passé. En fait le matou royal et ses gallinacés chassent dans le territoire du rock'n'roll mais du temps où le rock'n'roll n'existait pas. L'était en gestation, l'était déjà là mais on ne le savait pas. L'était partout et nulle part. De toutes les manières ce n'était que de la musique de danse, du sous-jazz dévalué, en plus la plupart du temps joué par des nègres – vous noterez la nuance péjorative contenue dans l'emploi de ce vocable - de l'amusement pour public facile qui ne demande qu'à batifoler, boire et danser jusqu'au bout de la nuit. Une sorte de genre intermédiaire tatônnant entre le swing et le rock'n'roll en devenir. Mais se souvenant de ses racines noires. Sous le clinquant de l'exubérance, le blues n'est jamais loin. Il suffit de tirer un peu par où ça gratte.

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    Cat Lee King s'assoit au piano, un synthé dans un appareillage en bois qui sent un peu la bricole, la section rythmique est en arrière, René Lieutenant à la batterie, Lucky Luciano – très beau profil de gangster dans son costume seyant – à la double bass, et Sydney Ramone à la rhythm guitar, Tommy Croole est à la guitare, une vieille Harmony sur laquelle tous les chats du quartier ont dû se faire les griffes depuis trois générations. L'est le personnage important du quintet Tommy, l'a un peu l'air du premier de la classe attentif et sérieux, le genre bon élève à qui le prof assis à son bureau fait toute confiance, mais le premier à lancer les boules puantes et les bombes à eau. N'a pas de cartable mais un vieil ampli Fender, pas très gros, mais qui crache et gratte grave. Un style inimitable, évolue entre deux marqueurs – dis-moi quels sont tes maîtres et je te dirai qui tu es – B. B. King et Chuck Berry. Le chemin le plus court, du point A de départ, planté dans le blues, au point B d'arrivée, le surgeon du rock'n'roll noir poussé dans les serres de la compagnie des frères Chess. Du Blue Boy l'a pris cette manière de détacher les notes, pas trop, trois ou cinq, vous les arrache pétale par pétale comme s'il effeuillait la marguerite, comme s'il jouait en pointillés, mais perçantes et vrillantes, des instruments de torture délicieuse qui vous pénètrent l'occiput sans rémission, et puis, c'est là où ça se corse comme disait Napoléon, il possède une technique particulière, vous les secoue comme la salade dans le panier, vous les balance à la Chuck Berry – attention privilégiez les enregistrements des années cinquante, pas les reprises plus tardives beaucoup plus sophistiquées, les originales au son plus grêle, comme poignées de cailloux lancées sur la vitre de la petite voisine afin qu'elle ouvre sa fenêtre pour que vous puissiez enfin vous livrer à vos turpitudes favorites. Que voulez-vous le rock ce n'est pas plus près de Dieu, mais plus près du sexe.

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    Ai-je besoin de le préciser, non votre étonnante perspicacité de lecteur passionné le subodorait, pendant ce temps le greffier ne roupille pas sur son clavier. L'a fort à faire, se colle au fourneau et sert en salle – version honnête travailleur – débouche le vin et le boit Drinkin Wine Spo-Dee -O-Dee – vision plus réaliste – assure le micro et pianote d'une manière excessive. L'a intérêt à ne pas s'endormir sur la choucroute, car avec Tommy Croole c'est le jeu de la question subite avec réponse immédiate exigée. C'est qu'ils aiment la difficulté, le pari fou, la gageure impossible, ainsi dès le deuxième morceau ils nous jouent Thirteen Women de Bill Haley - une fille c'est bien mais treize bonjour les dégâts - pour les roulements répétitivement hypnotiques, les éruptions ininterrompues du piano font magnifiquement l'affaire, mais l'aboiement frénétique du sax, où est-il ? comment s'en vont-ils s'en débrouiller ? les doigts de Croole y pourvoient d'une sidérante manière. C'est vrai qu'il est aidé, par-en-dessous, par les trois autres cadors, sont sages comme des images, pour un peu on les oublierait mais si là-haut sur la dunette les officiers font des ronds de jambe, en-bas la chiourme silencieuse souque ferme. Tiennent la rythmique comme d'autres la barre. Si l'esquif fend les flots avec élégance c'est grâce à leur boulot, leur ciboulot aussi, car aux aguets l'un de l'autre, une entente parfaite, à peine l'un a-t-il fait une point à l'endroit que l'autre le fait à l'envers et le dernier n'a plus qu'à laisser filer la maille, sont trois mais vous avez l'impression qu'il n'y en a qu'un, même s'ils émettent un bruit de fond pour quinze.

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    Les cinq doigts de la main mais avec deux pouces réversibles. Un véritable orchestre, se permettent des sauts trapéozidaléens à vous couper le souffle, attention il faut suivre, car ils œuvrent davantage dans la subtilité que dans le clinquant. Le Raminagrobis n'abuse pas de son instrument royal, ne le met pas systématiquement en avant – par contre quand il le pousse au maximum vous l'entendez, ça gronde comme un tremblement de terre, ne laisse pas passer son chorus, mais rendosse sans se faire prier son rôle d'accompagnateur dès que nécessaire. De prime l'a une belle voix rauque le Cat Lee King, celle du chat amoureux qui réclame ses croquettes à trois heures du matin auquel vous ne sauriez résister, nous offre ainsi un superbe I got a Woman à tel point que Duduche file dare dare s'adjoindre au micro, et tous deux improvisent un duo des mieux venus, le Cat qui miaule à la Ray Charles, et Duduche qui ronronne à la Presley.

    Nous font les trois sets obligatoires du 3B. Une courbe idéale, after-swing pour le premier, détour blues pour la deuxième et un pied dans le rock'n'roll pour la troisième. De 1945 à 1959, pour ceux qui aiment les repères fixes. De la belle ouvrage, très belles reprises de B.B. King Awoke this morning, à la blues shouter, mais en plus mélodramatique, accompagnement plus touffu et costaud que du country-blues, et puis du Brown Eyed Handsome Man de Chuck Berry, un pas de plus vers le rock'n'roll, un Rip It Up qui traîne un peu dans les encoignures, pas encore l'impact rock énergétique qui fait toute la différence, la gestation est terminée, la bête est prête à sortir, mais n'a pas encore mis le nez dehors. La frontière n'est pas encore franchie. Mais la version se tient et vous fait monter aux rideaux. Danseurs et applaudissements approbateurs. Se concertent pour le dernier morceau : n'ont pas le temps de choisir, c'est Jean-François qui impose le Great Balls of fire de Jerry Lou, tamponne du poing au hasard sur un bout de clavier et se lance dans un vocal épileptique. Le reprennent à leur façon, longuement, le Cat termine debout, les pieds sur le clavier dans un tonnerre d'applaudissements...

    Béatrice la patronne a encore frappé... Merci à Fabien for the sound !

    Damie Chad.

    ( Photos -scène et balance - : FB: Béatrice Berlot )

    MARY SHELLEY

    HAIFAA AL MANSOUR

    ( Film / Sortie 08 / 08 / 2018 )

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    Did you ever meet with Frankenstein ? demandaient les New York Dolls sur le dernier morceau de leur second et ultime opus. Comme nous l'enseigne Heidegger en toute chose pour bien comprendre quelque chose il est inutile de se perdre en des questions oiseuses et subsidiaires, il suffit de remonter à son origine. Je doute que la réalisatrice Haifaa Al Mansour ait été obnubilée par une quelconque méthodologie heideggerienne, de nationalité saoudienne il est évident que ce sont des considérations sur la liberté de la femme qui ont motivé sa démarche.

    Mary Shelley fut la femme de Percy Bysshe Shelley qui forma avec Lord Byron et John Keats le trio de choc de la poésie romantique anglaise. Mais c'est bien Mary qui est au centre du film et non Percy. Cela peut sembler naturel si l'on se rapporte au titre de pellicule, certes mais cela signifie aussi que le récit mis en scène dans le film occulte tout l'aspect politique de la vie mouvementée du couple Mary et Percy. A peine s'il est rappelé, pratiquement incidemment, la parution du pamphlet La Nécessité de l'Athéisme qui mit le feu aux poudres de la bonne conscience puritaine anglaise et auréola désormais tous les actes de Percy d'un fort parfum de scandale.

    Quoique consacré à Mary Shelley, le film ne retrace que la première partie de sa vie, il ne va même pas jusqu'à la mort de Shelley, et passe sous silence tout ce que Mary put vivre et écrire par la suite, après la parution de Frankenstein. Le film pose une question essentielle : comment une jeune fille de dix-huit ans a-t-elle pu rédiger un roman aussi puissant que Frankeinstein ? Il est temps d'avouer mes turpitudes, j'avais quinze ans lorsque je découvris l'éblouissante poésie de Shelley, ni une, ni deux, ne connaissant aucun élément biographique de Shelley, et encore moins de Mary, devant une telle splendeur, j'en déduisis que très gentiment Shelley avait mis le nom de sa femme sur la couverture du roman – que je n'avais pas lu – pour ne pas être accusé de s'adonner, à ses heures perdues, à de la sous-littérature, indigne de son génie.... Lorsque j'en eus terminé la lecture, la beauté et la profondeur du livre renforcèrent ma première opinion. Seul un génie comme Shelley avait pu écrire un tel ouvrage.

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    Entre temps je me suis rendu compte de mon erreur... Toute une partie pédagogique du film est faite pour chasser de tels malentendus. Qui dénotent une insupportable et stupide idéologie de mâle blanc ne manqueront pas de spécifier les éventuelles lectrices qui se seront aventurées dans ces lignes. De nombreuses scènes nous montrent la jeune Mary de seize ans totalement obnubilée par la littérature gothique fort à la mode en ces temps. Châteaux hantés, fantômes, esprits, brouillards et cimetières. D'ailleurs Mary s'en vient souvent se recueillir sur la tombe de sa mère morte après l'avoir mise au monde. Situation ô combien romantique ! Plus tard en compagnie de Shelley nous la voyons assister à des expériences scientifiques sur le galvanisme. Le coup de la grenouille décérébrée qui remue la jambe lorsqu'elle est soumise à l'électricité, un truc encore utilisé au par les professeurs de SVT pour susciter l'intérêt des collégiens. Peut-on ramener les morts à la vie ? Peut-on fabriquer du vivant à partir de la mort ?

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    Mary n'est pas née de la dernière pluie de l'ignorance. Ses géniteurs furent des intellectuels en avance sur leur temps pour employer une expression convenue quand on ne veut pas révéler l'étendue du scandale. Son père William Godwin passe encore pour un des premiers théoriciens de l'anarchie, sa mère Mary Wollstonecraft s'élève dans ses écrits contre la supposée domination naturelle des hommes sur les femmes, mais pire que cela elle s'attira la réprobation de la bonne société par ses liaisons amoureuses.

    Avec un tel bagage héréditaire il n'est pas étonnant qu'une conjonction s'établisse rapidement entre Shelley et Mary. Godwin est une des idoles intellectuelles de Shelley et Mary étouffe quelque peu entre sa belle-mère et son père qui la met en garde contre une vie trop libre et aventureuse qui attirèrent sur sa mère bien des critiques acerbes et nombre d'humiliations sociales. Qu'importe, nos tourtereaux sont jeunes, beaux, intelligents et prêts à tout affronter.

    Rien ne vaut le passage à l'acte. Mary en compagnie de sa demi-sœur Claire rejoint Shelley. Le monde n'a qu'à bien se tenir. Se contente de les laisser patauger dans la misère. mais c'est Shelley qui se tient mal. Remarquez pas plus mal que les Rolling Stones en leurs débuts. Mais les temps ne sont pas hélas très rock'n'roll. Shelley professe une vision et une objectivisation de l'amour emphatique. L'individu se doit d'être libre, de suivre ses goûts, ses couleurs, ses inclinations, ses désirs... Rien ne saurait l'entraver. Il est partisan de la liberté sexuelle, pour lui, et pour les autres, y compris Mary. Qu'il pousse dans les bras de ses amis. La chaste ( ? ) et innocente ( ? ) Mary s'y refuse. Du moins dans le film. Dans la vie je ne sais pas, je n'y étais pas, plus tard dans le film on la verra attirée, en tout bien tout honneur ( ? ), par Polidori, le secrétaire de Byron.

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    Car il a fallu fuir et quitter l'Angleterre, le manque d'argent, la mort de leur première fille, poussent les Shelley à accepter l'hospitalité de Lord Byron en Suisse. L'on s'ennuie quelque peu dans le château de Byron, le temps est pluvieux, tout le monde est obligé de rester confiné, à l'intérieur. Nos deux poëtes s'amusent comme des fous, discussions infinies, rires, cynisme, projets littéraires – notamment un concours de nouvelles fantastiques que seuls Mary et Polidori mèneront à bout - et fortes absorptions d'alcool... Ambiances rock'n'roll décadent... Pour les filles c'est moins cool, Claire la demi-soeur de Mary enceinte de Byron se voit signifier son congé et Mary non-remise de la disparition de son propre bébé entre dans une longue dépression...

    Toutes les souffrances, toutes les contradictions, et toutes les réflexions suscitées par le comportement de Shelley et de Byron se retrouveront dans le roman de Mary. Frankenstein est une longue exploration sans concession du cœur humain, un gouffre d'incompréhension égoïste sépare les êtres humains, l'on ne peut le franchir que par de précaires et chancelantes passerelles... Les monstres ne sont pas obligatoirement les moins avenants.

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    Frankenstein est un chef-d'oeuvre. Mais le plus difficile reste à faire. Les éditeurs refusent de le publier, sujet trop scabreux pour être crédité à la plume d'une jeune fille de dix-huit ans. Il ne verra la vitrine des libraires que sans nom d'auteur mais augmenté d'une préface de Percy Bysshe Shelley... Mary se sent dépossédée de son bien... Dans une dernière scène Shelley, devant un public littéraire attentionné, remet les pendules à l'heure, non il n'a pas écrit Frankenstein, la paternité, disons la maternité, en revient à sa seule créatrice Mary Shelley. Godwin se hâte d'en faire retirer une deuxième édition affichant en toutes lettres le nom de l'autrice...

    Un combat féministe gagné. Applaudissements approbateurs de rigueur. Le film est bien fait mais n'est pas un chef-d'œuvre. Pour moi ce n'est pas un problème, je me précipite automatiquement sur tout produit qui présente le nom de Shelley. Honnêtement réalisé, d'une facture classique, avec reconstitutions d'époque et menées psychologiques fouillées, mais il y manque ce brin de démesure shelleyienne que l'on retrouve par exemple lorsque Mick Jacker en jupette blanche lit à Hyde Park devant cinq cent mille personnes quelques vers d'Adonaïs, le poème de Percy dédié à John Keats, pour rendre hommage à Brian Jones.

    Mais au fait, avez-vous déjà rencontré Frankenstein ?

    Damie Chad.

    CRASH MIGHTY

    YOU DON'T KNOW ME

    ( Album numérique / Sortie 08 / 08 / 2018 )

     

    TINY : voice, tambourin / FRED : Drums / JB : Guitar / GEOM : bass

    Premier enregistrement du Crash Mighty au bout de deux ans d'existence, nous les avons déjà beaucoup appréciés en public à la Comedia...

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    You don't know me : l'on fait vite connaissance, ne se laisse pas marcher sur les pieds la demoiselle Tiny, pourtant les gars ne lui font pas de cadeau, z'ont mis le bulldozer en marche et ils le conduisent avec précision, vous entreprennent la danse du crocodile affamé autour de ses jambes, appuient fort sur les pédales et ils ébranlent la masse mértallifère dur. Tout autre que Tiny s'enfuirait. Elle non, elle les avertit, elle vitupère à la vipère en colère, elle invective à la vitesse des rotatives, elle nargue et argue les deux poings sur les hanches, ne se démonte pas d'un iota. Du coup la guitare freine à mort et le taureau d'acier vaincu chute lourdement à ses pieds. Dommage z'avaient de ses appuyés rythmiques remarquables et de ces klaxons pointus à vous, et cette guitare qui klaxonne sans fin en guise d'avertissement ! So what : c'était trop bon, ils recommencent, le magma musical encore plus lourd, plus fort, plus rapide, des accélérations fantômales, la Tiny impériale dans le fracas, aussi smart et tranquille que si elle passait un coup de téléphone pédagogique au receveur des impôts, le timbre haut et cinglant, les boys n'en croient pas leurs oreilles, se déchaînent donnent tout ce qu'ils peuvent, jouent les hercules de foire qui en font des tonnes. Peuvent soulever des magmas de ferrailles ils ont perdu la partie, tant pis pour eux. Clueless : le retour des vengeurs, qu'elle ne compte pas s'en tirer à si bon compte, arrivent dans un orage de foudre et de poussière ferrugineuses, une batterie qui emballe, une basse qui percute et se désagrège, une guitare qui criaille, sont déterminés à la prendre en chasse, mènent la traque longuement, lorsque l'un est fatigué un autre prend la relève, autant dire que le train est rapide, Tiny tire la langue mais ne la perd pas pour autant, elle a les mots qui ricochent, les étire parfois comme des élastiques à catapulte, n'en continue pas moins à proférer sa vindicte, et ne perd pas de terrain. Fin brutale. Boom : ce coup-ci elle prend les devants, c'est elle qui guide le troupeau des éléphants, elle barrit comme mille sirènes d'usine, condescend à leur adresser la parole n'ont plus qu'à l'accompagner, au pas soutenu, elle devant, et eux derrière, en strict accompagnateurs, condamnés à porter les parasols ombreux pour la protéger du soleil. Elle pourrait s'arrêter là, mais non la vengeance est un plat qui se mange brûlant, elle accélère le tempo et c'est parti pour un galop final époustouflant. Fantastique charivari. Sickness : de quoi être malade. De quoi au juste on ne le sait pas, mais c'est grave. Urgence absolue, courent à l'hôpital comme des dératés, les boys en accélération constante et la Tiny qui les affole en criant au feu. A l'air de calmer quelque peu le train, mais ce n'est que pour repartir plus vite. Ça s'arrête brutalement comme s'ils avaient traversé un mur de béton et l'on ne voit plus rien derrière. Fun : c'est la suite, la même tuerie, la même chiennerie, mais ce coup-ci ils trouvent la chose plus marrante. Nous aussi, la même dose en plus rapide, toujours cette tension, et la voix de Tiny qui fout le feu partout où elle passe. Pandémonium exacerbé. Money : reprenez vos esprits, cette fois c'est sérieux, l'argent est le moteur du monde, les boys vrombissent comme des hélices d'avions, et Tiny vaticine sur les décombres, tout va mal dans la tête des gens, sont-ce des appels au meurtre ou au suicide, ce qui importe c'est que le mal se précipite sur nous pour nous avaler. Dans la gueule du monstre. Serious : l'on vous avait prévenu, c'est sérieux, les guitares moulinent, la batterie enfonce les clous de votre cercueil mental, un bruit d'armada en déroute, même que Tiny se tait longuement pour prendre conscience du désastre. Puis elle en pousse des cris d'horreur. Et nous de bonheur. Ain't that easy : il n'est pas facile de vivre, la vie défile à la vitesse d'un rock'n'roll pris de folie, z'avez l'impression que du haut de la barricade Tiny tire la langue au monde entier. Vous pouvez tous crever, seuls les Crash Mighty survivront, pour la simple et bonne raison qu'ils sont trop bons. Le plus terrible c'est qu'ils vous en apportent la preuve définitive. City : Tiny City. Ressemble un peu trop à notre monde. Photographie exacte. Des trous dans les murs. Des éclats de violence et de bonheur pulvérisés dans les coins. Un monde et une musique sans appel. Impitoyables et encore une fois ça se finit en catastrophe, le silence souverain après la fission nucléaire.

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    Superbe. Pas une once de graisse. Pas de longueurs inutiles. Pas un seul instant de relâche, une rythmique haletante, une voix au hachoir, une guitare trucidante, le tout en une cohésion parfaite. Une fois que c'est parti vous n'avez plus qu'à laisser filer. Des cassures, des reprises, des rebonds, des lignes de fuite, des chasses à courre, aussi péremptoires que des aphorismes de Nietzsche. Et Tiny – la voix de la conscience rock qui vous fouaille les entrailles. Sans cesse. Plus que vous ne pourrez le supporter. Impact maximal. Trop violent pour vous. Trop convulsif. Trop insolent. Trop beau. Avant de vous le procurer demandez-vous si vous en êtes dignes.

    Damie Chad.

    ROKH

    DÄTCHA MANDALA

     

    Nicolas Sauvey : vocal, basse, guitAR acoustique, piano, charanga, mandoline / Jérémy Saigne : guitares, backin' vocals / Jean-Baptiste Mallet : drums & percussion, backin vocals.

    Enregistré par Clive Martin at Berduquet in Cénac. France. 2017.

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    Have you seen the light ? : rythmique lourde et lente, et puis la voix qui s'élève comme le serpent de la kundalini hausse sa tête vers les étoiles pour mieux prendre conscience de sa queue qui niche dans votre sexe. Un morceau construit comme un opéra démiurgique. Parfois le lézard se métamorphose en papillon et puis redevient dinosaure ébranlant la terre de ses pas pesants. Scènes et climats se succèdent comme autant d'anneaux fascinants. Cris déchirant le ciel de leurs éclairs de solitude, cascades de batterie, obscurité des basses, incendies cohésifs, si vous n'avez pas vu la lumière c'est que vous n'avez pas su ouvrir les yeux sur la beauté intérieure du monde. Ne regrettez rien, un dernier foufroiement de cordes vous renverra dans votre sommeil. Sachez accueillir le brontosaure du rêve. Da Blues : au ras du blues. La terre du désir est toujours bleue. Et stérile. Le tout est de savoir transformer les bijoux du désespoirs en joyaux immortels. Autant rajouter du sel sur les plaies, de l'eau dans le vin, et du poison dans l'eau. Une voix qui monte vers les aigus comme l'on s'accroche à la tige d'une fleur pour être sûr de rouler au fond de l'abîme alors que le nuage rose de la vie s'était arrimée sur la crête effilée de la cime. Autour de cela l'orchestration monte et descend, dispose le décorum et se plaît à changer la disposition des meubles. Le grand style. Misery : une histoire douce et dorée pour vous raconter la noirceur d'un récit. Tout n'est qu'illusion, c'est vous qui repeignez le décor à votre guise. Le monde est votre propre projection. Il est inutile de se plaindre. Musique sourdine plus la voix qui conte et dévoile, et toutes deux gonflent comme ballon de baudruche qui aurait avalé le monde. Il est des proférations étincelantes aussi pointues qu'un poignard avec lequel il convient de se percer le coeur. Drame. Emphase. A vous de comprendre le chuchotement intérieur. Qui chante à votre oreille. Anahata : la batterie cogne fort à l'égal du muscle cardiaque dans votre poitrine, c'est à vous de miser et de participer au jeu du monde. Ce n'est qu'un jeu, mais si vous vous y prenez bien, vous gagnerez à tous les coups. La joie déborde, la musique s'amplifie et votre coeur est un gong qui bat plus fort et ébranle l'univers. Uncommon Travel : ne pas rester replié sur soi, ne pas rester prisonnier de son égoïste chez soi. La rythmique pousse, le papillon doit ouvrir ses ailes, l'éléphant doit entreprendre sa migration, la route est le lieu, l'ego est l'araignée au centre de la toile qui vous dévorera, mais la rythmique vous pourchasse de pièce en pièce, le moteur gronde, il est temps de reprendre le chemin du soleil. Smiling man : rosée de choeurs féminins et parfum de dulcimer, l'abîme est profond, mais tout le monde est capable de s'envoler, il suffit de s'accrocher au chant d'un violon, à un regard qui passe et darde vers le soleil, belle ballade à consonnance hippie. Un moment de grâce. Human free : le temps du doute précède celui de la libération, enthousiasme de sitar qui pousse en avant, un beau vertige, les paroles se rattachent aux petites branches mais la festivité instrumentale déchire le voile de l'illusion. Loot : morceau terminal car question cruciale, que sommes-nous certains de laisser derrière nous, lorsque nous mourrons. Nos trésors ne sont-ils que des mensonges ? N'entassons-nous que des illusions ? Qui peut répondre ? A part les Dieux. Le texte est truffé de mantras. Le morceau ambitieux est une juxtaposition de climats.

     

    Un album qui pourra paraître déroutant à beaucoup. Les références à Led Zeppelin sont explicites, pas vraiment le côté heavy-j'écrase-tout du Dirigeable, mais l'aspect spirituel du message. L'ouverture à d'autres sons, d'autres cultures, d'autres lointains. Et pourtant cette référence zéplinesque n'est pas totalitaire, un point de départ, une rampe de lancement vers une autre voie, un autre chemin, l'oeuf du serpent. Rien à voir avec un tribute-band, Dätcha Mandala entame une route, nous ne savons où elle les mènera, mais nous la suivrons avec intérêt. Contrairement à de nombreux groupes actuels Dätcha Mandala prend son envol, tel l'oiseau Rokh mythique qui a donné son titre à l'album, d'une aire temporelle qui ignore le punk et le hardcore. Le monde appartient aux courageux.

    Damie Chad.

    MONSIEUR VERTIGO

    Je ne demandais rien, déambulai par 35 ° calorifériques dans les rues de Mirepoix, 09 bande d'ignares, plus exactement me dirigeai vers le Off du Festival des Marionnettes, sis à l'ombre sous l'allée des arbres, lorsqu'un son de guitare s'est infiltré dans mon oreille, la gauche. Passais devant une maison et en ai conclu que l'habitant au frais se passait un drôle de bon disque, n'ai pas pu identifier le guitariste, style cool, un peu à la J. J. Cale, un beau touché en tout cas. Et puis plus rien. Normal je ne m'étais pas arrêté pour coller mon esgourde contre le volet. L'anormal c'est que soixante mètres plus loin la satanée guitare s'est remise à chantonner, en douceur, dans la rue déserte. Personne à l'horizon, ni devant, ni derrière, voilà qui exigeait une enquête approfondie. N'ai pas tardé à trouver le coupable. S'était réfugié sous le porche en retrait de la piscine municipale. Facile à identifier, étui de guitare à terre avec de maigrelettes piécettes au fond et gratte électrique en bandoulière. Une gueule sympa en plus. S'est même mis à pousser la chansonnette. Pas tout à fait mon style préféré, mais l'ensemble sonnait juste, et les paroles collaient comme un gant empoisonné au personnage. J'ai pris son CD, une maquette, et avons échangé quelque peu. Le lendemain, je l'ai retrouvé, l'avais choisi un endroit stratégique sur la place centrale entre trois truckers à frites écologiques, plein de monde autour de lui – majorité de filles.

    J'ai fait marcher mon service de renseignements, s'appelle Anthony Philippe, vient de Marseille, célèbre dans la cité phocéenne, y donne régulièrement des concerts accompagné par un groupe avec flûtiste traversière, si je comprends bien l'a dû auparavant barouder aussi dans quelques groupes de rock... Monsieur Vertigo est ce que l'on appelle un projet, moitié chanson à textes, sur douceurs cuivrées de guitare rock, un mélange harmonieux et somme toute assez attrayant.

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    Mésalliance : Monsieur Vertigo ne chante pas le blues mais il en a le serpent bien recroquevillé au fond de l'estomac. Un poids lourd qui vous rend rend l'âme titubante. Rythme balancé et désillusions de la vie en fond de miroir. L'amour ne dure pas toujours, consolez-vous la solitude entrecroisée ne vous trahira jamais. Impasse à deux sorties en sens interdit. Larmes de guitares à éponger sans fin. Un solo qui porte bien son nom. Tribulations : guère plus heureux, toutes les belles histoires finissent mal surtout celles qui commencent bien. Côté pile c'est plutôt goûteux mais lorsque vous vous regardez en face, c'est bien plus craignos... Heureusement que l'espoir fait rire et mourir. Faux optimisme des paroles, juste tristesse des cordes de guitares. Vérité : parfois il vaudrait mieux ne pas trop chercher à tout savoir même si la musique vous a des effluves de Dire Straits. Inutile de croire que le parler-vrai amadouera l'oiselle et éliminera les difficultés. Soyez sûrs qu'au contraire il aiguisera vos faiblesses. Défilé : défilé de filles, le problème c'est que vous n'êtes pas avec le haut du panier, la vie vous refile les invendus, trop souvent. Se valent toutes et l'addition finale ne pèse pas bien lourd. Rêverie : bluesery plutôt, le plus terrible c'est quand les cauchemars ne font plus peur parce que vous n'y croyez plus. Il pleut sur vos rêves comme vous pissez sur vos désirs. L'oiseau bleu : pour une fois le texte n'est pas d'Anthony Philippe mais de Charles Bukowski. L'on s'attend au pire. Mais non, ironie de l'écriture, il s'agit de la chanson – récitée sous forme de poème – la moins désespérée du CD. Un peu comme quand on a atteint le fond et que l'on tire des plus amères expériences un semblant de sagesse qui vous sert de béquille d'amertume pour avancer.

    Six morceaux, une seule ambiance. Interdite aux dépressifs. En deviendraient addicts. Le monde désenchanté des losers métaphysiques de l'existence. Une réussite. Sur la pochette Monsieur Vertigo effeuille la rose de la vie aux verlainiens vents mauvais. Un charme fou. Un doux poison.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 263 : KR'TNT 383 : DANNY KIRVAN / LAZY LESTER / ROCKABILLY GENERATION / STEVE CLAYTON / KYLA BROX BAND / NICO WAYNE TOUSSAINT / TONY MARLOW

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 383

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    06/ 09 / 2018

    DANNY KIRWAN / LAZY LESTER

    ROCKABILLY GENERATION 6

    STEVE CLAYTON / KYLA BROX BAND

    NICO WAYNE TOUSSAINT / TONY MARLOW

    Danny Boy

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    En son temps, le pauvre petit Danny Kirwan avait beaucoup insisté pour entrer dans Fleetwood Mac. Revenons cinquante ans en arrière, en 1968. Le Mac rivalisait alors d’intégrité bluesy avec les ténors du barreau : le déjà vieux John Mayall d’une part, et d’autre part la sorcière Stan Webb qui ricanait dans l’ombre de Chicken Shack. Le Mac n’en finissait plus de rendre hommage à Elmore James à coups de «Dust My Blues». On en trouve pas moins de quatre moutures sur cet énorme album qu’est Mr. Wonderful. Si vous devez emmener un seul album de British Blues sur l’île déserte, c’est celui là.

    Le petit Danny Boy ne postulait pas chez Mayall. Non, il voulait entrer dans le Mac pour jouer avec son idole Peter Green. Comme il insistait, les autres ont fini par le laisser entrer dans le studio. Le petit Danny Boy avait cassé sa tirelire pour s’acheter une belle Les Paul. Il voulait absolument affronter Peter Green en duel de guitare.

    — Mais tu ne fais pas le poids, Danny Boy.

    — Allez, vas-y, joue un truc en la ! T’vas voir ta gueule à la récré !

    Mais le pauvre petit Danny Boy arrivait trop tard. Le Mac entrait alors dans son déclin. Eh oui, Peter Green commençait à lâcher la rampe. Pas seulement à cause des acides gobés à Munich. Le spectacle que lui offraient les porcs du showbiz ne lui convenait pas du tout. Le succès et la notoriété le mettaient mal à l’aise. Dans une interview accordée à Nick Logan pour le Melody Maker, il déclara s’intéresser au bouddhisme. Comme Syd Barrett, il faisait ce que les épistomologistes appellent un rejet épidermique. Peter ne pouvait plus supporter les trognes des porcs qui s’engraissaient sur le dos des musiciens, et encore moins les gens de la presse anglaise qui se permettaient de porter des jugements sans même se poser la question de leur incompétence et pire encore, de leur inconsistance. Peter adorait le blues pour une raison éthique et l’industrie musicale en était à ses yeux l’antithèse. Sentant ce mépris clairement affiché, les gens de la presse anglaise s’empressèrent de rouler Peter dans la boue médiatique. Ils firent de lui un taré, un malheureux au cerveau détruit par l’abus de LSD. En gros, la même histoire que celle qu’ils bricolèrent pour Syd Barrett. C’est dans cette ambiance mortifère que le pauvre petit Danny Boy fit ses premiers pas dans l’histoire du rock anglais.

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    Le résultat se trouve sur Then Play On, paru en 1969, et ultime album du Mac sur lequel joue Peter Green. C’est d’ailleurs lui qui sauve l’album en B avec «Rattlesnake Shake», joli slab de heavy blues-rock. Quelle fantastique attaque de shake the world ! Le shake dont il parle, c’est la branlette - His name is Mick/ Now he don’t care when he ain’t got no chick/ He do the shake - Il se moque gentiment de Mick Fleetwood, son vieux camarade batteur, qui a pour habitude de se branler quand il se retrouve seul au lit. Peter Green place dans son Shake un solo d’accords plaqués. Le reste de l’album est d’une grande faiblesse. Beaucoup plus influencé par le folk que par le blues, le petit Danny Boy y compose sept cuts, pas moins, dont deux sautent sur le pressage américain, allez savoir pourquoi. Dès «Coming Your Way», il est noyé dans la sauce. Avec «When You Say», il s’amuse à gratter des arpèges au coin du feu et on bâille à s’en décrocher la mâchoire. Il attaque la B avec «Although The Sun Is Shining» très kitschy kitschy petit bikini, c’est-à-dire très années vingt - You break my heart - et incidemment, il éveille la curiosité. On le retrouve dans «My Dream», un petit instro délicatement mélodique. Il joue à la note juste et perchée sur sa branche, comme un moineau. On sent une réelle sensibilité, mais on ne l’écoute que parce qu’il joue sur un album où figure le nom de Peter Green. Il y a des millions de guitaristes sensibles en Angleterre, et une vie ne suffirait pas à tous les écouter. Et à quoi cela servirait-il ? Il signe aussi «Like Crying», joli coup de British Blues tapé au boogie-blues, mais sans la moindre affectation, avec un naturel bien senti et un joli ton de gratté dauphinois. On note l’absence de Jeremy Spencer sur cet album : il voulait continuer à jouer du Elmore James, alors que Peter Green sentait qu’il fallait évoluer vers autre chose. Par contre, Peter Green quitte le groupe quelques mois plus tard.

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    Kiln House paraît un an plus tard. Christine McVie dessine cette pochette très bucolique qu’on aimait bien à l’époque. Le groupe est devenu un quatuor comprenant John McVie, Mick Fleetwood, le petit Danny Boy et un Jeremy Spencer qui a finalement accepté de laisser tomber Elmore James, mais qui continue de chanter son vieux rock’n’roll. Le petit Danny Boy compose pas mal de cuts pour Kiln. Christine McVie n’aime pas beaucoup le petit Danny Boy, elle le trouve really really neurotic, difficult to work with et pire encore : «il ne vous regarde jamais dans les yeux». Mal dans sa peau, le petit Danny Boy commence à boire comme un trou. Pour arranger les choses, il vit avec une poule nommée Claire qui est complètement cinglée. Peter Green précise que pour la calmer, le pauvre petit Danny Boy lui filait des coups de Les Paul dans la gueule. Mais on dit aussi que ce gamin qui n’avait alors que vingt ans ne vivait que pour la musique. Il était si intense qu’il pleurait lorsqu’il jouait sur sa guitare. Avec «Station Man», le petit Danny Boy saisit l’occasion de briller en société. C’est encore une fois très bien senti. Ils tapent dans le heavy groove de blues qui est le fonds de commerce du Mac. Mais Jeremy Spencer n’en finit plus de brouiller les pistes avec ses cuts de country et ses hommages à Buddy Holly qui n’ont strictement rien à faire sur cet album. Le pauvre petit Danny Boy essaie de sauver le meubles avec «Earl Gray», un instro qui malheureusement n’aura aucune incidence sur l’avenir du genre humain. C’est un peu comme si le pauvre Danny Boy n’avait rien à dire. On se retrouve du coup avec un album si paisible qu’il en devient quasiment transparent. On passe à travers. Il tente une fois de plus de sauver les meubles avec le délectable rave-up de «Tell Me All The Things You Do». On le sent convaincu de sa détermination. Il joue un peu à la Peter Green, il recherche l’effet d’émulation spongieuse qui caractérisait si bien le style de son mentor. Et la finesse de son blues-rock finit par sauver la mise du disk, car dans l’esprit, le petit Danny Boy finit par se rapprocher de Stan Webb.

    Puis Jeremy Spencer disparaît en pleine tournée américaine. Peter Green vole au secours du Mac, mais juste pour finir la tournée. Se sentant poursuivi par la poisse, le Mac rentre dans son QG de Benifold, à Headley, dans le Hampshire. Ils vont devoir trouver quelqu’un pour remplacer Jeremy Spencer. Ça tombe bien, car le guitariste californien Bob Welch qui est installé à Paris se retrouve tout à coup sans groupe. Un pote à lui établit un contact avec le Mac et Mick Fleetwood vient récupérer Bob à la gare. Il est engagé on the spot. Mais comme Christine, Bob a du mal avec le pauvre petit Danny Boy - He was very uncomfortable to be around - Il le voit aussi boire comme un trou pour masquer son mal-être.

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    Au dos de la pochette de Future Games paru en 1971, John McVie apparaît sous la forme d’un pingouin, c’est dire sa grande modernité. Dès «Woman Of 1000 Years», le pauvre Danny Boy se prend pour Peter Green, il vire à l’océanique de la meilleure espèce. Ils sont trois à se partager les compos sur ce bel album : Christine, la femme du pingouin, Danny Boy et la nouvelle recrue, Bob Welch. Christine Pingouin se fend d’un joli boogie-blues intitulé «Morning Rain» qui grâce au gras de la guitare vaut pour le hit du disk, oui, car c’est un peu le son des chorus de «Get Back» quand Jojo thought he was a loner. Bob Welch se fend du morceau titre, un balladif qui réclame énormément d’espace et qui semble indiquer la future direction du Mac vers une pop plus radicale - He was a prophet of what was to come - On a là un cut extrêmement beau, une sorte de stretched-out psychedelia, un cut purificateur, aussi diaphane que l’ange Gabriel dressé dans la lumière des cieux - I did a thing last night/ You know those future games - Et puis on tombe sur une très belle B et deux cuts signés Danny Boy, «Sands Of Time» et «Sometimes». Lui aussi vire sur la petite pop, il joue à l’ultra-touchy avec un sens aigu du vouloir plaire, mais noblement. C’est élégant, fruité et quasi-aérien. Les guitares sonnent comme dans un rêve. Danny Boy s’installe dans la délicatesse pour jouer «Sometimes». Il y sort un son bien intentionné, vert et frais, gratté à l’acou, bien suivi mélodiquement. On se passionne vite pour ces pop-songs pleines de jus. Régal garanti avec «Lay It All Down», doté d’un son élastique et bien rond et Christine Pingouin referme la marche avec un «Show Me A Smile» d’une infinie délicatesse. Future Games est l’album du Mac qui rompt avec leur passé de British-bluesers.

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    Encore plus spectaculaire, voici Bare Trees, paru l’année suivant. Le pauvre Danny Boy s’y fend de quelques petites merveille du style «Child Of Mine». On le sent à l’aise dans ce joli son sans histoires, il propose même des tortillettes et John Pingouin voyage énormément sur son manche. On voit clairement que le Mac est passé dans le camp du pauvre Danny Boy. Bob se fend d’un incroyable balladif éthéré intitulé «The Ghost», d’autant plus éthéré qu’il est flûté. Et ça tourne vite à l’enchantement. Puis vient le tour de Christine. Elle nous pond «Homeward Bound», mais sa voix ne passe pas. Elle chante sa compo d’une voix privée de caractère, mais derrière elle, ça joue énormément. Quand Danny Boy attaque son «Sunny Side Of Heaven», on sent immédiatement l’influence de Peter Green, dans le toucher de belle note furtive, dans la façon de viser l’horizon. Puis il attaque sa B avec le morceau titre et ça sonne aussitôt comme un hit. C’est une fois encore ultra-joué, le solo de fin halète et des cascades plongent le lapin blanc dans le bouillon. Danny Boy est un mec assez complet. Il avait besoin d’air et le départ de Peter Green lui a permis de respirer, c’est évident. Rien que par ses qualités intrinsèques, «Bare Trees» est un hit. Bob prend la suite avec «Sentimental Lady» et on se laisse embarquer sans résister. Le pauvre Danny Boy revient avec «Danny’s Chant», un instro simpliste mais joué en sous-main à la pire sous-jacence kirwanienne. Tout ce que fait ce mec finit par captiver. Christine Pingouin revient à la charge avec «Spare Me A Little Of Your Love». Sa voix ne passe pas, mais alors pas du tout. Elle chante d’un timbre neutre en étain, un timbre blanc comme un cierge, mais ça tient sacrément la route, car le Mac n’est rien d’autre qu’un groupe de surdoués, comme d’ailleurs Hawkwind et tous ces groupes atteints par la limite d’âge qui vont bientôt disparaître. Dans tous les cas de figure, le mieux est toujours de disparaître avant. Malgré toutes ses qualités, l’album ne marche pas plus que le précédent. Le Mac fait de la musique pour une fanbase de connaisseurs, pas pour le mainstream.

    Comme on le voit avec Bare Trees et Sentimental Journey, Bob a réussi à stabiliser le Mac après toutes ces avanies causées par les départs de Peter Green et Jeremy Spencer. Mais le pauvre Danny Boy commence à filer un mauvais coton. À l’époque, le public ne sait pas que les autres membres du groupe ne peuvent plus le supporter. Bob le traite de moody genius with no sense of humour. Alors comment ça se termine ? Un soir, avant de monter sur scène, Danny Boy et Bob se disputent. Danny Boy pique sa petite crise et jette sa guitare dans le mur. Il refuse de monter sur scène. Puis il va se mêler au public. Depuis la fosse, il voit Bob batailler pour jouer les cuts sur une seule guitare, alors que tout est construit sur deux guitares. La réaction du Mac ne se fait pas attendre. Après le concert, Mick Fleetwood, le seul qui lui adressait encore la parole, vient lui dire qu’il est viré. Le pauvre Danny Boy a enfreint la règle sacrée du Mac : on ne lâche les copains au moment de monter sur scène.

    Signé : Cazengler, Danny Kirame

    Danny Kirwan. Disparu le 8 juin 2018

    Fleetwood Mac. Then Play On. Reprise Records 1969

    Fleetwood Mac. Kiln House. Reprise Records 1970

    Fleetwood Mac. Future Games. Reprise Records 1971

    Fleetwood Mac. Bare Trees. Reprise Records 1972

    Lester a les pieds sous terre

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    Lazy Lester est avec Slim Harpo le grand héros du blues de la Louisiane. Ils ont tous les deux su développer un son et montrer aux petits rednecks dégénérés qu’ils avaient du génie. Grâce aux gens d’Ace, on peut écouter les gros hits inconnus de Lazy Lester dans les meilleures conditions et pour pas cher. Depuis toujours, les gens d’Ace se spécialisent dans le très haut de gamme et s’ils décident de consacrer deux volumes anthologiques à Lazy Lester, ce n’est pas par hasard, Balthasar.

    Comme ses copains Slim Harpo, Lightnin’ Slim et Lonesome Sundown, Lazy fut découvert par JD Miller, le boss du fameux studio de Crawley, en Louisiane.

    — Toi au moins tu sais souffler dans ton harmo ! Tu t’appelles comment, mon petit nègre ?

    — Leslie Johnson...

    — Mmmm... pas terrible... Tiens, tu vas t’appeler Lazy Lester !

    — Ooooh merci missié Miller !

    L’une des particularités de Lazy, c’est qu’il chante le blues de la patate chaude. Son timbre et sa diction sont uniques, comme ça l’est chez Slim Harpo.

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    Sur les 24 titres de l’antho à Toto I’m A Lover Not A Fighter, dix sont des énormités spectaculaires. C’est le genre de cuts qu’on croise dans le juke-box magique, qui ont un son unique au monde, sec et dense, comme celui d’« I’m A Lover Not A Fighter ». Lazy chante la bouche pleine et derrière lui un mec fait du grattage louisianais. C’est l’archétype du standard primitif qui détrônera tous ses successeurs jusqu’à la fin des temps. Ces blackos louisianais avaient déjà tout compris. Lazy posait sa voix dans un environnement exceptionnel. « Sugar Coated Love » est une douche de boogie graveleux, le gros boogie de Lazy, le boogie le plus sec du marais. C’est merveilleux d’architecture flamboyante. Pour chanter le heavy blues « I Told My Little Woman », il prend sa voix pleine d’eau. Et voilà encore un boogie blues intemporel : « Tell Me Pretty Baby ». Toujours gratté par derrière et devant, on a la patate chaude. Encore une prouesse sonique qui vaut le détour. On ne s’ennuie pas une seule seconde en compagnie de Lazy Lester. Il démarre tous ses cuts à sec. Ce mec là pouvait conquérir le monde, mais il ne l’a pas fait. Lazy, baby.

    « Whoa Now » est le vieux rocka-blues typique des bords du marais, solide et craquant, spongieux et odorant, le vrai boogie blues à la Lazy. JD Miller signe « I Hear You Knocking ». Voilà l’ancêtre du boogie salutaire. Fabuleux classique. Encore du JD Miller avec « Through The Goodness Of My Heart », un boogie qui fend le cœur, claqué des mains devant le micro. Encore une excellence de pur génie. La cime de Lazy sera sans doute « Late Late In The Evening », un solide romp de clap-hands et de chant retenu. Absolument superbe d’allure et d’approche. Lazy fait traîner sa voix tremblée comme un dieu. On a un petit aperçu des embrouilles louisianaises avec « Bloodstains On The Wall », que Lazy traite au heavy boogie-blues de base. Il chante « I Made Up My Mind » avec toute l’exaspérance d’un boogie-man louisianais. C’est à la fois exceptionnel et bien au-delà de toutes les attentes. Lazy est brillant dans l’approche du mystère des marécages. C’est un spectaculaire swamper de blues. Tiens, encore un coup de boogie fruité avec « You’re Gonna Ruin My Baby », il chante ça à la fantaisie et sucre son chant à la démesure cajune.

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    Si on préfère écouter les gros hits de Lazy Lester sur vinyle, il existe une belle compile Excello, True Blues. On y retrouve « I’m A Lover Not A Fighter » avec son fantastique son de dépouille un peu rockab, « I Hear You Knocking », bien tapé de la partie, « Sugar Coated Love », endiablé et chanté à l’édentée, « Lonesome Highway Blues », heavy blues de dépouille moisie et « I made Up My Mind », punk-blues de Louisiane avant la lettre. On peut y aller les yeux fermés.

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    Ace vient de rééditer Rides Again paru en Angleterre en 1987. On y retrouve les gros standards de Lazy comme « Sugar Coated Love », dans une version ronflante de toute l’énormité du groove. Lazy chante toujours à la patate chaude. On sent le souffle de son énergie. Il enfonce tous les clous du boogie. Il malaxe sa prose de roi fainéant. C’est une vraie merveille de swing de cabane, le boogie débraillé dont on a toujours rêvé. Stupéfiant. Mais tout l’album n’est hélas pas au même niveau d’excellence excellique d’Excello. On se régale de « Travelling Days », c’est sûr, une belle pièce de boogie blues vermoulu - oh yeah - qu’il attaque dans le gras, il bouffe son boogie tout cru - oh yeah - c’est un champion de la braille extrême, et lors d’une cassure de rythme, on réalise que ce mec a tous les dons du diable. Il peut chanter de très haut et dominer le monde sans qu’on s’en rende compte. D’où l’analogie avec le diable. Les autres morceaux sont un peu moins excitants. On retrouve du beau groove pianoté (« The Same They Could Happen To You ») et du heavy blues à la patate chaude (« Out On The Road ») et il faut attendre « Lester’s Shuffle » pour retrouver la chaleur des flammes de l’enfer. Il met tout le tact dont il est capable dans « St Louis Blues » et livre une pièce d’une faramineuse délicatesse. Il embarque « I Hear You Knocking » au riff salace et bien pète-sec, et rend hommage au diable avec un heavy blues de épais et humide, « Nothin’ But The Devil ».

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    En 1988 sortait sur Alligator l’excellentissime Harp & Soul. C’est un disque qui happe le voyageur égaré. Soyez prudent. Ouverture du bal des vampires avec un « I Done Got Over It » qui réveillerait les morts. Lazy rentre directement dans le lard du morceau. Splooofff ! On sent la patte du vétéran. C’est fourré aux hormones d’harmo de génie. Vous n’avez pas idée de la démesure de Lazy Lester. Derrière lui, ça joue et ça swingue comme dans le bon vieux temps du bluesing by the bayou. Retour au heavy blues des marécages avec « I’m A Man ». Nouvelle prestation du guerrier des marécages. On voit briller ses épaules dans la nuit. Lazy Lester continue de lever l’enfer sur la terre. Il sort un « I’m A Man » à la fois puissant et plombé. Encore un heavy blues avec « Patrol Wagon Blues », mais il y va plus doucement et le chante à la patate chaude. Tous ses morceaux intriguent. On s’arrête devant chacun d’eux systématiquement. Il nous laisse à la fois perplexe et fasciné. Il va derrière les fagots rechercher le vieux boogie avec « Bye Bye Bay » et donne une leçon de swing louisianais. Rien d’aussi extravagant que cette épouvantable machine rythmique. Sa musique fait penser à la clé du temple. Lazy rime si richement avec génie. Et il revient à son cher heavy blues avec « Bloodstains On The Wall ». Comme Slim Harpo, il a créé un style vocal unique au monde. C’est la Marque Jaune du blues, une figure d’ADN à l’état pur. Ce mec est absolument stupéfiant. S’ensuit une autre pièce hallucinante de niaque : « Alligator Shuffle ». Lazy souffle dans son harmo. Et il boucle son festival avec un autre heavy blues infernal « Five Long Years ». Il ne lâche pas prise. Il combattra jusqu’à la fin des haricots. Son heavy blues est l’un des meilleurs du monde, qu’on se le dise.

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    All Over You paru en 1998 vaut son pesant d’or. Pas de pire démon du boogie que Lazy Lester. Dès l’intro d’« I Need Money », c’est l’enfer sur la terre de Lester. Ce mec est un fou échappé d’une plantation en flammes. Il mouille toujours ses syllabes. Il extermine le boogie, il l’écrase du talon de sa botte comme on écrase les fourmis. Il pulse son beat avec un génie séculaire. Son art est aussi solide que celui de Charlie Musselwhite. Charlie et Lazy sont des héros qui traversent les époques. Pas de plus grand allumeur de brasier que Lazy lester. Il passe au heavy blues avec « The Sun Is Shining » et ce n’est plus la peine d’aller écouter les autres disques de blues, car on a tout ce qu’on peut désirer chez Lazy lester. Il sort ensuite un autre heavy blues marbré de crasse, « Strange Things Happen ». Il tape dans le gras du heavy blues, comme s’il plantait des clous de girofle dans la bite d’un marin espagnol capturé lors d’un abordage et qu’on fait cuire pour le repas du soir. « Quelle méchante énergie ! » s’exclame-t-on à l’écoute d’« If You Think I’ve Lost You » ! Lazy est dessus, tout de suite, à l’harmo. Il racle son classique. Il ne lâche rien. Il pulse comme un démon. On retrouve un peu plus loin cet incroyable punk-blues qu’est « Nothing But The Devil ». Il le ramone à l’extrême. C’est l’archétype du heavy trash-punk blues ultime. Personne ne pourra jamais sonner comme Lazy dans « I Made Up My Mind », car il chante à la mode ancienne des alligators et en plus, Lazy a du génie. C’est le plus killer de tous les boogie-men. Il chante tout à l’édentée de rêve. On grimpe encore d’un cran dans l’extraordinaire avec « Hello Mary Lee », carrément incendié à l’harmo, et derrière lui, ça joue tout seul. On croirait entendre un orchestre de fantômes. Il boucle ce disque infernal avec « Tell Me Pretty Baby », un gros boogie lazyque - My home is a prison - Et à un certain moment, l’orchestre continue tout seul. Tout ce que joue Lazy Lester percute l’occiput.

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    Lazy Lester vient de casser sa pipe en bois, mais il est resté actif jusqu’au bout, enregistrant des disques ici et là, en Norvège et en Espagne. Exemple : l’excellent One More Once, sorti en 2010 sur un petit label espagnol. Il attaque avec le vieux « Sugar Coated Love » de JD Miller. Il a derrière lui une bonne vieille stand-up. Lazy y va de bon cœur, on peut lui faire confiance. Il mâche sa diction en vrai dieu du boogah de la Louisiane. Puis il enchaîne avec l’insubmersible « I’m A Lover Not A Fighter ». On reste dans la pure magie édentée. Toujours du JD Miller avec « I Hear You Knocking », suivi de près par « Five Long Years », heavy blues qu’il prend à la patate chaude, comme il l’a toujours fait. On est gâtés puisqu’il nous balance ensuite « The Sun Is Shining » de Jimmy Reed. Il sait de quoi il parle. Sa version est parfaite. Retour au heavy blues des familles avec « Port Allen Jail ». Ce roi du heavy tempo sait raconter une histoire de taule. Lazy asticote ses fins de syllabes d’un habile coup de glotte. Puis il nous fait le slow du bal du 14 juillet, « Irene ». Tous les couples chaloupent sur un océan d’alcool. Il attaque « Been Walking By Myself » à la Lazy, comme il l’a fait toute sa vie. Il reste dans les parages des deux Slim, le Lightnin’ et l’Harpo. Ah que de bons souvenirs de rôtisserie, madame Pédauque ! Si on aime le son cajun, alors on se régalera de « Dream Club », monté sur un vrai beat cajun et chanté avec de la joie plein la bouche. C’est à la fois bien vu, inspiré, solide et entraînant. Comme toute l’œuvre de Lazy Lester. On appréciera le vermoulu du beat. C’est suivi d’un heavy rock extrêmement désinvolte, « That’s Alright ». Il chante à la Lazy et le backing tient sacrément bien la route. C’est le swing de Lazy, le rêve de sa vie. Diable, comme cet homme sait chanter le blues. Vous n’en croiserez pas beaucoup qui soient aussi investis de leur art.

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    You Better Listen est sorti sur un petit label norvégien. On y retrouve le swing et le swamp auxquels Lazy Lester nous habitue depuis des lustres. Il y a une grosse équipe derrière lui pour jouer le morceau titre de l’album. Quelle leçon de swing ! Tous les groupes modernes devraient écouter ça et prendre des notes. Lazy Lester n’a rien perdu de son charme vocal. Il suffit d’écouter « Ethel Mae » pour comprendre. Il fait une reprise ultra-honorable du « Scratch My Back » de son vieux copain Slim Harpo et bascule dans le gloom de doom avec « Courtroom Blues ». Fin de disque spectaculaire avec deux pièces de pur boogie cajun, « Blue Eyes Crying In The Rain » et « The Same Thing Will Happen To You ». Fantastique et joyeux, on se croirait au bal du 14 juillet à Baton Rouge. Lazy chante le cajun à fond de train. Il fait aussi une reprise de John Lee Hooker, « When My First Wife Left Me » qu’il barde de coups d’harmo. Il en fait même un festival. Et il finit sur une autre merveille cajun, « Paradise Stomp », explosif de bonne tempérence d’excellence. Lazy Lester fait partie de nos meilleurs amis, ne l’oublions pas.

    Signé : Cazengler, Lazy mineure

    Lazy Lester. True Blues. Excello 1967

    Lazy Lester. I’m A Lover Not A Fighter. Ace Records 2009

    Lazy Lester. Rides Again. Ace Records 2011

    Lazy Lester. Harp & Soul. Alligator Records 1988

    Lazy Lester. All Over You. Antone’s Records 1998

    Lazy Lester. One More Once. Nuba Records 2010

    Lazy Lester. You Better Listen. Bluestown Records 2011

    ROCKABILLY GENERATION N° 6

    ( Juillet / Août / Septembre / 2018 )

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    Le bébé n'arrête pas de grossir, quarante pages pour ce sixième numéro. Un beau barbu en couverture, pas n'importe qui, Chris Moinichen, des Delta Bombers un des groupes majeurs du renouveau du rockabilly américain, qui répond aux questions de Brayan Kazh, simplement sans grosse tête, nous retiendrons son ouverture d'esprit qui ne donne en rien dans le purisme rockabilesque. Mais en premières pages une remémoration d'un des grands pionniers par Greg Cattez. Johnny Burnette, peut-être trop sauvage en ses débuts pour plaire au plus grand nombre et trop doucereux sur sa fin de carrière pour le public rock... N'est pas Elvis qui veut, le talent ne suffit pas, la chance peut-être, et une fois la première place occupée il est difficile de s'en emparer... Les artistes sont nécessaires mais pas suffisants, que serait le rock sans ses labels mythiques et prestigieux ? Sergio Kazh nous présente Wild Records qui offre l'immense avantage de ne pas être une légende du passé mais une machine de guerre actuelle et activiste, comme par hasard elle produit Delta Bombers et Barny and The Rhythm All Stars... que nous retrouvons sur le festival Boogie Bop Show en mai dernier. Changement de programme avec Imano, une très jeune pousse – douze ans d'âge – qui exerce en dehors de ses temps d'école – l'enviable profession de Disc Jockey. Le plus jeune d'Europe. Pas un passeur de daube pour quadragénaires avachis. Absolument Rock'n'roll. Photographies de Sergio sur Attignat 2018, la Mecque des amateurs de Rockabilly, la Rock'n'roll Society née à Bourges en 1987 qui le 28 mai 2018 présenta un spectacle hommagial au King, le 68 Comeback Special Elvis 50 th Anniversary de Mel Bouvey, les photos sont bluffantes. Et c'est déjà la fin, les nouveautés disques, les prochains concerts et pour clore le feu d'artifice, une dernière gerbe de photos de Sergio, de derrière les fagots et les scènes de diverses manifestations passées. Ne ratez pas Rockabilly Generation, elle est le style de revue qui a cruellement fait défaut au mouvement rockabilly depuis trente ans.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 4 Euros + 3, 60 de frais de port pour 1 numéro, 5, 20 pour 2 numéros et 6, 80 pour 3 à 5, offre abonnement 4 numéros : 26, 40 Euros ( Port Compris ), chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Attention N° 1 et N° 2 et N° 3 épuisés.

    10 / 08 / 2018 - VICDESSOS ( 09 )

    17 # BLUES IN SEM

    STEVE ‘’BIG MAN’’ CLAYTON

    KYLA BROX BAND

    NICO WAYNE TOUSSAINT BIG BAND

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    On ne compte pas quand on Sem. Enième retour au festival de Blues de Sem, descendu pour la troisième année consécutive dans la vallée de Vicdessos, dans le hangar métallique - ce qui n’empêche pas une bonne acoustique - qui tient lieu de Halle au Marché du village. Coup de blues dès le premier coup d’œil. Que des vieux ! Le public du blues ne se renouvelle pas, a atteint l’âge de la ménopause et de la retraite, pas celle de Russie, celle qui se rapproche de la grille des cimetières. Y a bien quelques jeunes à l’entrée mais les dix-huit euros sésamiques leur sont prohibitifs. Un indice parmi tant d’autres de la paupérisation de toute une partie de la population du pays…

    STEVE ‘’ BIG MAN’’ CLAYTON

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    N’a pas volé son surnom. Derrière son piano l’a la rondeur proéminente de Fats Domino mais quand il descendra de scène la perspective se modifie, un véritable géant, genre séquoia sur pattes, n’en a pas pour autant démoli son instrument. A fait preuve de doigté, de pumpin’ palpations, car le Clayton, il boogise à mort, et n’hésite guère à empiéter sur le territoire du rock and roll. N’est pas seul, l’est soutenu - remarquablement - pat la French Blues Explosion. Pas un réseau étendu, ne sont que trois, deux hommes de main, basse et batterie, et Pascal Fouquet, un tireur d’élite, à la guitare. L’a tout compris de la vie le Clayton, quand on a un cador de ce niveau on ne l’oublie pas au fond du tiroir.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    La maison Clayton n’embauche pas de fainéants, lui laisse le sale boulot, un principe simple : un morceau équivaut au moins à un solo long. Et le Pascal Fouquet il ne chôme pas. Encore un qui en a dans les phalanges et dans le ciboulot, c’est qu’un solo de blues ça va, mais au troisième bonjour les dégâts, faut plus que de la dextérité, l’empilement méthodique des soli exige de l’imagination, notre guitar-heros met un point d’honneur à ne pas se répéter, vous épelle des notes tranchantes à vous saigner les oreilles, jamais la même série, vous a des permutations inédites, pas le moment de vous morfondre, à chaque fois une nouvelle randonnée, mortelle comme il se doit. Pendant ce temps le Clayton s’occupe de la clientèle, fait son numéro, vous écoutez Pascal, mais vous regardez le Steve, rien que sa mimique pour jauger le contenu de son verre de bière vous transporte de joie. Ne parle pas le français puisque c’est un anglais qui se respecte, mais ce n’est pas grave, utilise les trois mots british que tout le monde connaît à si bon escient que vous croyez entendre les idiotes réparties désopilantes de Falstaff dans Le Songe d’une Nuit d’Eté de Shakespeare. Ne tire pas la couverture à lui le maestro, Fred Douglas à la basse et Pascal Delmas à la drumerie auront eux aussi à plusieurs reprises l’honneur de montrer ce qu’ils savent faire - beaucoup - c’est que entre le Fouquet et le Big Man, doivent souvent se contenter d’assurer le fond de train parce que les deux autres ostrogoths caracolent souvent en tête.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Le géant débonnaire question blues, il n’est pas contre, mais il n’est pas vraiment pour non plus, il y aura un Without You avec des harmoniques vocales à la Ray Charles à tirer des larmes à tous les crocodiles de la planète, une plainte funèbre à vous fendre le cœur que vous n’avez pas. Pour le reste, ça déménage sec, très sec. Une main gauche qui assure un roulis à vous envoyer le Titanic par le fond sans avoir à rechercher un gros glaçon, et une main droite qui n’est pas satisfaite du clavier. Bien trop court pour elle. Alors elle se réfugie sur les deux dernières notes, à l’extrême-droite, Sur l’avant-dernière, cela vous fait de ces aigus comme si vous transperciez les yeux de votre chat avec une aiguille à tricoter, sur l’ultime touche, tout près du plat-bord, vous imite le bruit du sucre au petit-déjeuner qui tombe dans votre tasse à café vide, à part qu’il en décharge, un par un, un semi-remorque. N’avez même pas le temps de relire Proust, vous vide le camion en quinze secondes, ça gicle de partout, une profusion d’une précision extravagante et à peine a-t-il fini que ses menottes attrapent la tremblote du mouton fou et vous broutent le clavier en cinq coups de langues. La sienne - je dénomme ainsi son appendice lingual - il la tourne sept mille fois dans sa bouche, afin devous mettre le point sur les I avec You Know What I Mean, croyez que vous n’avez aucune envie de le contrarier, et quand il entonne Get Down on Your Knees & Pray z’avez l’impression que c’est Dieu en personne qui s’occupe de votre cas. Termine en beauté avec un Whole Lotta Shakin’ Goin’ On épileptique, et surprise atomique du chef, un zepplinesque Whole Lotta Love tempétueux, une espèce d’ovni venu d’ailleurs, le band hors-limite, la voix hurlante échoïfiée, qui vous propulse vers les étoiles. Sont obligés de revenir, et c’est le grand pied, le big thrill, un petit tour au paradis sur la colline aux blueberries. Un sans-faute. A true Big ‘’Boss’’ Man.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    CONSIDERATIONS METAPHYSIQUES

    Ne jugez jamais sur un premier morceau. Parce que là, c’était à vous tirer une balle dans la cervelle. Au secours, le blues et la variété douceâtre, ce n’est pas du tout la même chose. Pas plus de trois minutes, ce n’est qu’à la première note du deuxième morceau que j’ai compris que c’était juste pour chauffer les cordes vocales. Mais entre les deux elle s‘est mise à parler.

    KYLA BROX BAND

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    L’est des filles qui n’ont qu’à ouvrir la bouche pour vous mettre dans la poche. Et là, elle vous a subjugué le public ariégeois en trente secondes, cette jeune anglaise parle français ! Pas parfaitement mais avec cette modestie et ces hésitations charmantes qui provoquent surprise et sympathie !

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Toute de noir vêtue, des seins de louve, ainsi pointaient les proues farouches des trirèmes grecques éperonnant le flanc des galères perses dans le goulet de Salamine, une crinière de longs cheveux noirs léonins ondoyants tombant sur ses épaules, majestueuse, plantureuse, toute belle, toute simple, et puis la voix, un grand vent qui enfle, enfle, enfle, sans cesse, tour à tour tempête et ouragan. Ne sont que trois à ses côtés, un batteur derrière sa batterie rudimentaire à la frappe ample et puissante, un guitariste qui suit le mouvement jamais en avant, toujours sur la vague, et puis Danny à la basse, un sacré chatouilleur de galets qu’il entrechoque sans fin.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Kyla sur ces dentelles phoniques. Certes il faudrait une énorme section de cuivres derrière elle, une trombe de trombones, des charges de trompettes éléphantesques et des terreurs de sax ténors, mais non, rien que la voix, nue, profonde à la manière des abysses atlantidéens, furieuse telle des cyclones tropicaux, naufrage et hurricane, et lorsqu’elle semble être au paroxysme équinoxial de la puissance, qu’il semble impossible d’aller plus loin que cette ampleur envoûtante, plus haut, plus fort, ce décrochage, cet envol d’albatros dans la nuée des aigus, une fusée qui monte victorieusement vers le soleil.

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    Cantatrice rayonnante, entre deux morceaux, deux éclats miroitants d’âme, elle prend la parole, une femme sans apprêt qui présente Danny son mari, nous parle avec émotion tremblante et rieuse de ses deux enfants qui vendent les CD, et la diva nous emporte encore une fois sur les ailes du désir baudelairien d’un ailleurs inaccessible dont elle ouvre les portes en grand. Et soudain, il paraît facile de vivre. Waouh, our soul, jamais nous n'avons senti la vie aussi présente, aussi captive en notre enveloppe charnelle ! Elle est partie ! La salle orgasmique trépigne. Elle revient. Un dernier morceau, longtemps à capella, ses compagnons derrière n’intervenant que pour un très léger épisode, elle seule, une prière terrienne, une onction de grâce charnelle l’Hallelujah de Leonard Cohen, si magistralement repris par Jeff Buckley, qu’elle métamorphose en anneaux de feu. Une lente et infinie montée vers la beauté. Et puis elle sort de scène comme vous de vos rêves.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    NICO WAYNE TOUSSAINT BIG BAND

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Terrible réveil ! Qu’avons-nous fait pour mériter une telle punition. Nico Wayne Toussaint déboule sur scène. Au milieu de l’armada de ses musiciens, s’empare du micro et aussitôt le monde s’écroule. L’est des comparaisons implicites qui vous tuent. Quel est-ce batracien à la voix fêlée qui s’en vient coasser à nos oreilles ? En plus il secoue disgracieusement ses membres dans toutes les directions, une grenouille sur sa planchette de laboratoire parcourue de décharges inopinées d’électricité épileptique. Monsieur Loyal ne doute de rien, proclame de sa voix de fausset qu’avant lui les deux précédents combos c’était bien, mais désormais avec lui et son Big Bazar ce sera mieux. L’on se prend à rêver à ce que Kyla Brox aurait fait avec huit musicos derrière elle. Mais c’est à la rude réalité de cette quincaillerie clinquante qu’il faut se mesurer. Le pire c’est qu’il s’est entouré de soudards de haut vol, un guitariste hors-pair qui à tout instant vous rétablit la mayonnaise qu’un pianiste têtu s’acharne à noyer sous un flot d’huile ininterrompu qui recouvre tout et gomme toutes les nuances. L‘arrive même à passer par-dessus les trois cuivres qui s‘époumonent – hélas ! - en vain. D’ailleurs quand ils s’en iront, l’on ne verra pas trop la différence. Quand ils reviendront non plus. Soyons juste, Nico Wayne Toussaint ne s’agite pas en vain, l’arrive à faire remuer une cinquantaine de personnes devant la scène, le reste de la salle qui commence à se vider me paraît plus circonspect. Le show, nous assure NWT, sans que cela ne nous rassure, est censé être un hommage au grand harmoniciste de blues Clarence Gatemouth mais c’est la dimension féria New Orleans qui prédomine, pas de chance l’on est tombé sur celle arrangée pour les touristes. Toussaint se débrouille très bien à l’harmonica mais pourquoi ne se contente-il pas d’exceller en cet exercice, et pourquoi ne joint-il pas à son big band un chanteur digne de ce nom, avec un minimum d’harmoniques dans son timbre, un gars qui serait non pas le contraire d’un entertainer de colonie de vacances, ni un Gentil Organisateur pour club Trigano, mais un généreux ordonnateur apollinien qui transformerait ce grand bazar fuganesque en véritable formation ? Nous ne le saurons jamais.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Et le blues dans tout ça ? Une erreur de programmation ? Est-ce vraiment judicieux d’engager un artiste sous prétexte qu’il a fait un tabac au festival de jazz de Marciac en 2017, comme il est notifié sur le dépliant de présentation. Partout les subventions sont en baisse. Cette année pour la première fois, trois formations au lieu de quatre… A-t-on cherché à viser un public plus large ? L’avenir nous le dira.

    Damie Chad.

    ( Photos : en tête de chapitre : Pat Grand

    les autres : FB : Blues in Sem et Pascal Magnard )

    TONY MARLOW

    1978 – ANTHOLOGIE – 2018

    ( Rock Paradise Records / RCP 48 / 2018 )

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Quarante ans au service du rock'n'roll ! Et pire que cela du rock'n'roll français ! Une légende. Avec cet immense avantage d'être encore vivante, de donner des concerts, d'enregistrer des disques, d'écrire de superbes articles sur les plus grands guitaristes, Tony Marlow est un activiste rock total, reconnu dans le milieu, apprécié de tous. Un militant du rock'n'roll, un passionné, un esprit ouvert attentif aux nouvelles pousses – sa série Rockers Kulture parue chez Rock Paradise en témoigne – il fut et il est de tous les combats, un acteur essentiel de la (re)naissance du rockabilly en notre pays et par ricochet au retour de la première génération des pionniers américains bien oubliés par chez eux à la fin des seventies... Très riche idée que cette anthologie qui permet de retracer et de faire le point sur un parcours magistral, de donner à entendre un pan de l'histoire du rock'n'roll national, et de témoigner de cet enthousiasme inextinguible et de cette énergie addictive qui sont les deux grands ressorts du rock'n'roll.

    Un bel objet. Sobre et chic. Qui s'ouvre et se déplie telles des ailes rehaussées d'or d'un corbeau prophétique. Retirez du volet central le livret informatif : outre les photos des pochettes de disques originaux dont sont tirés les cinquante morceaux élus, vous êtes accueilli par la précise prose d'Alicia Fiorucci qui en deux pages d'une densité informative extraordinaire réussit le tour de force de vous raconter la saga Tony Marlow. To be continued, comme elle dit si bien.

     

    ROCKIN' REBELS : ils furent un des groupes les plus importants de l'éclosion rockabilly à la fin des années soixante-dix. Alors que la tornade punk envahissait les consciences d'une jeunesse aux abois, certains outlaws s'en détachaient et remontaient le courant vers des sons plus originels. Le rock n'avait peut-être plus de futur mais ce qui était sûr c'est qu'il avait un passé prestigieux et légendaire, et les Rockin' Rebels parcoururent à rebours la piste oubliée à la recherche de la mine d'or perdue... rapportèrent les premières pépites.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Western : le rockabilly ne supporte pas la médiocrité. Ou c'est bon, ou c'est raté. Faut savoir passer entre les balles des tueurs qui vous attendent au tournant dès la sortie du saloon. Fallait aussi avoir un sacré culot et une dose d'inconscience carabinée pour se risquer en 1978 dans ce genre d'exercice. Premier titre du premier 45 Tours. Ou vous mettez dans le mille ou vous ratez la cible. Eric Rice est au chant, attention vous cueille dès la première seconde telle une balle de Winchester en plein coeur. En rockab, si le chanteur est crédible, le combo emporte le morceau. La rythmique est derrière, Tony s'installe sur les cymbales, et c'est parti pour le bop de la mort ponctué des youpies des garçons au rodéo sur la croupe des mustangs sauvages. Parviennent à y rester aux alentours de 130 secondes, essayez de faire mieux au premier essai. Ravin' Sound : le deuxième morceau c'est comme le deuxième film ou le deuxième roman. Ne plus compter sur l'effet de surprise. Moment crucial selon lequel vous devez prouver que la chance n'a rien à voir avec votre précédente réussite, que vous avez définitivement aboli le hasard. Croisière au long court, c'est parti pour la danse, assez longtemps pour emballer les filles, s'y mettent tous en choeur, autant Western recyclait un peu les déchirements de thunderbird rose à la Gene Vincent, ici l'on s'inspire du gimmick de la grosse voix de Summertime Blues d'Eddie Cochran, manière de ponctuer les morceaux et d'entamer un dialogue entre chants et guitares chacune relançant l'autre à la fin de sa partie, Tony est à la fête, ce sont ses appuyés de baguettes qui relancent la sarabande et articulent les rebonds. Water Wheel : pas le moment de perdre son temps à faire des ronds dans l'eau, le combo atteint à cette maturité qui fait que désormais l'on a franchi un cap, que l'on a atteint une cohésion indubitable, les Rebels peuvent accrocher une étoile de sheriff sur leurs passe-montagnes. Dynamite : mèche courte. Explose sans rémission. C'est ainsi que l'on force au mieux les portes des corals. Z'ont décidé de se donner une soirée d'enfer avec des guitares qui dansent comme des froufrouteuses au grand coeur sur le comptoir, Tony vous défonce le billard à coups de hache consciencieuse, la voix de Jean-Marc Tomi domine le tumulte, pour s'amuser ils tirent entre les doigts du pianiste obligé de jouer à la Jerry Lou. Train hit the tracks : erreur funeste si vous espériez un moment de repos, z'ont trouvé la formule avec le morceau précédent, vous la reprennent en plus rapide, en plus long, en mieux, même que Jean-Claude Joannès se lance dans un solo de contrebasse d'anthologie à la fin duquel Tony vous rajoute un effritement de batterie à vous tasser les vertèbres et Jean-Marc Tomi mouline salement sur sa guitare. Un must. Gonna Rock Tonite : décidément c'est parti pour ne pas s'arrêter, vous balancent des classiques à chaque plage. Le genre de morceau auquel vous n'avez rien à reprocher, même en cherchant bien. Toujours cet allant, ce piano foldingue, cette big mama qui fait du saut à l'élastique, la batterie qui vous bourre le cul et le mou de bien belle façon, la guitare qui mord, et la voix qui vous rend chèvre.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Hey jump le blues : attention changement de programme. Certes l'on se rapproche du beatin' boogie de Bill Haley, mais la grande nouveauté c'est le chant en français. Condition sine qua non si l'on veut se rapprocher d'un public plus large. Attention Tony a abandonné sa drumerie car il se charge du lead vocal. S'en tire plutôt bien, l'exercice n'est pas évident, s'agit de plier la langueur monotone de la langue française sur les patterns du hachis amerloque. N'y va pas à l'emporte-pièce comme les premiers phrasés d'Hallyday chez Vogue, parvient à épouser l'inflexion nationale, à la plier aux expectorations américaines, en s'appuyant sur les glissades du saxophone de Ramon Rocces. Bleu comme Jean : le slow qui tue des surboums du début du siècle dernier. Qui commença pour la jeunesse française en 1960. La voix de Tony trop verte n'a pas encore ce velouté nécessaire à cet exercice. Mais quand on réfléchit au Daniela des Chaussettes Noires, la voix d'Eddy Mitchell bénéficie un maximum des choeurs faussement romantiques de ses acolytes. Branche le poste : quand on parle du loup il ne tarde pas à sortir de sa tanière, porte le nom prestigieux d'Aldo Martinez le bassiste des Chaussettes qui est aux manettes. Ce titre est le grand succès des Rockin' Rebels, la voix de Tony a gagné en intensité, et le combo l'encercle comme le châton d'or de la bague enserre la pierre précieuse. Un classique du rock français qui renoue à la grande geste des early french sixties.

    TONY MARLOW ET LES PRIVES : le groupe qui est peut-être venu trop tôt. S'inscrit dans une certaine continuité des Rockin' Rebel, de ce mouvement qui les emmena du jumpin-bop aux roulades des Comets, mais ici Tony effectue un saut-arrière temporel, du rock il remonte au swing. Alicia Fiorucci remarque fort pertinemment que Brian Seltzer des Stray Cats opèrera de même. Mais après Tony. Dix ans trop tard.

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    Frénésie : ce qui percute l'auditeur ce n'est pas que le rock soit aux abonnés absents, ce sont les progrès de la voix de Tony, elle atteint cette épaisseur et ce timbre définitif qui la rendent reconnaissable dès la première syllabe. N'en abuse pas, laisse le saxo, la trompette et le trombone mener longuement le bal. Mademoiselle voulez-vous ? : y avait encore des relents syncopés de phrasé rock dans le morceau précédent, mais ici Tony atteint à cette indolence typiquement américaine des swingers d'outre-atlantique, le grand style, cette manière de traîner longuement sur certaines syllabes tout en respectant le tempo rapide de la partition. Son passé de batteur a dû beaucoup l'aider pour lui permettre de s'attarder un max sur le quai de la gare, tout en se retrouvant pile-poil assis sur la banquette juste au moment où le train redémarre. Rater la correspondance serait un crime. Cliché Nocturne : un petit chef- oeuvre, inflexion rythmique jazz et harmoniques crooner pour la voix. Le chant s'insinue comme en sourdine dans le rythme et se colle à l'orchestration, du grand Marlow, et l'équipe de ses Privés se comporte comme des pros, des as de la gâchette sûre et facile. Et puis ce sifflement désinvolte qui se teinte de mélancolie moqueuse pour clôturer d'hypothétiques ébats nocturnes. Hello baby mademoiselle : retour à un rythme plus enlevé, l'insouciance de l'après-guerre, Tony doo-bee-doo-beeze un max, un seul regret le morceau aurait mérité une prolongation... Tony Marlow et Les Privés aussi. Zont venus mais zont partis trop tôt.

    BETTY AND THE BOPS : changement de décor. Tony abandonne le micro, le laisse à Miss Betty, que voulez-vous les filles ont aussi le droit d'être les reines du rock. Même si ce n'était pas aussi évident que cela en 1995. Tony n'est pas retourné à sa batterie. S'est trouvé une nouvelle maîtresse la guitare, mais très vite c'est lui qui en deviendra le maître.

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    Swimin' through the bayou : une maîtresse femme en tout cas la petite Betty, l'a la voix métallique de la commandante en chef, remarquez que pour traverser le bayou à la nage cela nécessite du cran, et derrière elle les musicos n'ont pas intérêt à se la couler douce sur un pédalo acoustique, c'est électrique à mort et tout le monde filoche sans demander son reste. Rockin Guitar Man : tous les morceaux sont de Tony mais sur celui-là le serpent du rock devait le démanger, le texte est émaillé de références rock et est surtout un prétexte à faire chanter la guitare qui n'en finit pas d'intervenir à bon escient. Un bijou. Crazy little Daddy : un équilibre parfait entre la voix de Betty et la guitare de Tony qui vous sert un solo épineux à souhait, un buisson ardent. Cuisson parfaite. Laisse les filles : un classique du rock français, remarquable non parce qu'il est le meilleur, mais parce qu'il est le premier. Betty le chante en français, et Tony le joue en américain. Dommage qu'il n'était pas parmi les musicos lorsque Johnny l'a enregistré. Mais à l'impossible temporel nul n'est tenu.

    TONY MARLOW : serait-on jamais mieux que tout seul !

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    Hot rod special : que disais-je précédemment ? Morceau instrumental, une démonstration de surfin' Marlow. Un truc de marlowtru à vous rendre malade de jalousie. Sacrédieu, comme je ferais le mariol si je jouais à moitié aussi fortiche que lui ! Hillbilly blues : l'en rajoute une pincée pour se faire haïr, ne vous parle pas de ces saltos arrière sur sa guitare, se permet en plus de chanter, et cette voix ventouse qui s'accroche aux entrelacs cordiques à la manière du banc de piranhas qui s'est collé dans votre entrejambe à la piscine. Du grand art.

    BETTY AND THE BOPS :

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    All I can do is cry : l'on retrouve Betty, nous assure qu'elle a envie de pleurer, l'on aurait envie de la prendre dans les bras pour la consoler, mais non elle a beau exciter notre pitié sur le refrain, l'on n'a d'oreille que pour la guitare de Tony qui pleure des larmes de crocodiles par-dessous. Elle vous a de ces frottis liquides et de ces pizacotis à ricochets à vous damner l'âme. The Memphis Train : Betty se venge, son vocal emporte tout, Tony n'en finit pas de tricoter et d'inventer des motifs inédits, rien n'y fait, Betty vous arrache le coeur et vous n'avez aucune envie qu'elle vous le rende.

    LES BANDITS MANCHO :

    Beyond the sea : les malfrats ont toujours eu la côte. Tony s'est accoquiné avec la pire des bandes. Se permettent tout, Tony le rocker chante Charles Trenet. On aura tout vu, et tout entendu ! Le pire c'est qu'à l'écoute ce n'est pas mauvais. Paris Boogie : du boogie parisien, Tony en profite mine de rien pour cartonner à la guitare, le saxophone de Gilles Ferré ronronne comme un chat roux sur le radiateur chauffé à blanc, le texte n'est pas impérissable mais quel prétexte pour donner au combo la possibilité de se défouler ! Au clair du blues : Tony nous la joue, fins de verres et dernier client perdu au comptoir dans un club de jazz. Le loser né dans toute sa décrépitude. Et la voix qui vous plonge au fond du trou.

    TONY MARLOW : attention inédit en CD !

    One week in Memphis : nous étions au bord du suicide, mais la guitare de Tony s'enroule autour de vous et vous ramène à la surface comme une feuille morte qui se retrouve par miracle sur la plus haute branche de l'arbre de vie du Paradis dont vous étiez tombé. En douceur soutenue, et en vitesse, avec en plus cette voix de tendresse qui vous prend les intonations du Kiing et vous emmène sur un nuage de rêve au pays d'Elvis.

    ROCKIN' REBELS :

    Rock-A-Like that : les Rockin'Rebels reviennent. Les mêmes mais avec un son ô combien moins grêle, nous sommes en 2006 et tout le monde arrive à maturité. La fougue est toujours là mais est soutenue par le doigté de l'expérience. Wild cat on the loose : une sonorité plus près des Rebels originaux car puisant aux rurales racines hillbilly du rockab. Moins d'électricité, prééminence des voix et des choeurs. Go thousand Feet : les Rockin dans leur style original, boppent à fond et éructent sans fin. Le rock dépouillé de ses bourrelets de chair. Les os du squelette qui s'entrechoquent pour notre plus grand plaisir. Crocodile swamp : cette autre dimension du rockabilly, l'humour dévastateur et insidieux, tout est dans la manière de sous-entendre ce que l'on veut dire par les seules intonations de la voix. Tony excelle en cet exercice.

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    Guitar man : ces trois derniers morceaux des Rebels sont issus de l'Album Elvis Calling dont la pochette est une réponse à celle du London Calling de Clash. Un des morceaux qui annoncèrent le retour du King. Les Rocking et Tony vous le reprennent avec précaution, z'auraient pu d'après moi y imposer plus fortement leur marque, mais ils ont préféré témoigné leur respect hommagial à Elvis. Gentle on my mind : je ne sais si cette version de cette bluette preylesienne a pu inspirer Jake Calypso pour son album dédié à Elvis, mais les Rockin' apportent la preuve que l'on peut reprendre les slows d'Elvis sans être ridicules. Encore une fois Tony se révèle être un précurseur. My Happiness : un cut fétiche des admitateurs d'Elvis, n'ai jamais trop compris pourquoi celui-là et pas un autre. L'interprétation de Tony nous fait comprendre la fragilité du bonheur.

    TONY MARLOW :

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    The missing link : sûr que ça manque à votre discothèque si vous ne le possédez pas sur vos rayonnages. Un de ces instrumentaus impériaux dont Tony a le secret. Un surfin' du haut de la vague. Celle qui vous permet de traverser l'Atlantique d'un seul tenant. Une merveille. En plus Tony se charge de tous les instruments, n'a laissé à Franck que le droit de jouer de sa contrebasse sur les deux morceaux suivants. Lonesome rider : le cavalier solitaire mais sur cheval d'acier, une des grandes passions de Tony. Que faut-il apprécier sur cette piste, la guitare ou la voix ? Le choix est cruel. Je vous laisse à vos atermoiements. The booze fighters : Troisième extrait de l'album Kustom Rock'n'roll : ce coup-ci vous choisirez la guitare. Ce n'est pas que Tony coasse faux : c'est un instumental, Tony pianote sur sa guitare à la manière dont Jerry Lou pumpine sur son piano. Un régal.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Devilish woman : quatre morceaux issus de l'album Knock Out à la pochette aggressive. Sur celui-ci Tony est particulièrement tendre envers cette fille diabolique. Le feu couve sous la cendre. Girl on the loose : un de ces rock-tsunami qui firent les bons jours des pionniers. Une tornade qui vous retourne de fond en comble et numérote vos abattis exsangues sur le parquet. Un vocal à la Jerry Lou qui arrache. Even rockers got the blues : le slow mid-tempo enlevé dont Elvis avait le secret. La guitare tressaute tandis que la voix de Tony adopte ce parfum de mélancolie qui apporte tout son charme au morceau. Une parfaite réussite.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    59 Club : Un des quatre extraits de l'album See You At The Ace, le mythique café des premiers rockers britaniques. Ce titre pour nous rappeler que Tony est affilié au légendaire club 59. De motards évidemment. Essayez de décrocher votre carte, ce n'est pas donné à tout le monde. La guitare vibrionne le paysage à toute vitesse, et dès qu'il y a un feu rouge Tony accélère à fond, l'ivresse de la vitesse vous emmènera jusqu'au bout du monde. Pourquoi serrez-vous les fesses à l'arrière de la selle ? Searchin' for you : Tony cherche une fille et vous espérez en douce qu'il ne la retrouvera jamais car c'est trop beau de parcourir le monde à sa suite, l'a la voix mouillée de larmes – mais non ce n'est que la pluie, les rockers ne pleurent jamais – la guitare ruisselle sur votre cervelle. L'homme à la moto : notre Born to Be Wild franchouillard ( attention c'est du Leiber et Stoller ). Vince Taylor l'a repris lui conférant le statut de classique authentique. Tony nous l'interprète en français, un sourire moqueur en bandoulière. Miss Brighton : une virée à Brighton, rien que le nom évoque les échaufourrées des rockers et des mods en 1965. Je vous rassure Tony ne chevauche pas une Vespa mais une Triumph à fond de train. A vous couper le souffle. A l'arrivée n'oubliez pas de faire la bise à la miss pour la remercier. Already gone : encore une descente infernale, moteur à fond, les freins oubliés à la maison, l'est sûr que l'on ne sera pas en retard à notre rendez-vous. Attention, vous risquez de vous le repasser jusqu'à ce que les voisins ulcérés entreprennent une pétition.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Le cuir et le baston : deux titres tiré de Rockabilly Troubadour. Celui-ci inspiré du livre de Maurice Legendre. Tony se penche sur la jeunesse de sa génération, une histoire ancienne, une page glorieuse du rock'n'roll de par chez nous. Une piste qui cogne et bastonne mais qui vous colle à la peau comme le cuir que vous dégrafez sur les seins de la copine. Laissez-moi dormir : comme par hasard souvenirs, souvenirs en tête de gondole. L'on aimerait bien qu'ils nous laissent tranquille mais on se plaît à les réveiller souvent. Tony tonitruant règle ses comptes avec ses tendres années.

    K'PTAIN KIDD : Tony Marlow accompagné de Gilles Tournon à la contrebasse et de Stéphane Mouflier ont consacré deux CD à revisiter l'oeuvre de Johnny Kidd, ce seul rocker anglais de la première génération que la vague Stones/ Beatles n'avait pas encore réussi à envoyer par le fond quand la camarde est venue le checher sur la route en ce funeste jour du 7 octobre 1966...

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Le diable en personne : reprise d'un des plus grands classiques du rock'n'roll le mirifique Shakin' All Over de Johnny Kidd. Un des riffs les plus ensorcelants de la guitare rock dû à la virtuosité de Joe Moretti. Repris des centaines de fois, notamment par un Vince Taylor inspiré, et en français par Les Fantômes, Dean Noton à la guitare que l'on retrouvera longtemps aux côtés d'Eddy Mitchell et Danny Maranne au chant. C'est cette version que Tony a choisi d'interpréter. Lucas Trouble est venu rajouter le gimmick moqueur et insistant de son orgue en contre-champ du jeu de guitare de Tony. Une version inattendue et qui se démarque de toute une floppée d'autres. So What : pas un des titres les plus connus du pirate, dommage car Morgan Jones au piano s'amuse comme un petit fou, hache les oignons à la folie et se permet durant six secondes une parodie beethovenienne d'anthologie, pas de Pleyel dans le trio de Tony, Tony a adapté sa partition pour guitare électrique, vous ébouriffe avec brio la moelle des os. Ces reprises corsaires de Tony sont des merveilles de feeling et d'intelligence. K'Ptain Kidd : un titre hommagial au Chevreau Magique, j'adore le refrain qui m'évoque le chant des pirates dans L'Île Au Trésor de Stevenson. Ne perdons pas de temps à rêver à la duplicité fascinante de Long John Silver, le jeu de Tony est tout aussi éblouissant.

    TONY MARLOW TRIO : featuring Gilles Tournon à la basse et Stéphane Moufflier à la batterie.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Rock'n'roll princess : extrait d'un single - étrangement le son me paraît meilleur que sur le vinyl originel – parfait pour ceux qui aiment le sexe et le rock brûlants - sorti pour fêter l'édition de l'album photos éponyme d'Eric Martin. En pleine actualité, ce samedi huit septembre à Paris ( 17 rue Esquirol, Studio Les Salauds ) de 17 H 30 à 21 H 30 vernissage de l'exposition Rock'n'roll Princesses de photos d'Eric Martin.

    TONY MARLOW : Gilles Tournon à la basse, Tony en homme orchestre à la guitare et à la batterie.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    R.D.V. Au Café Ace : le seul extrait de Surboum Guitar. Une chevauchée flamboyante, la guitare en grosse cylindrée. C'est la fin, Tony le cruel nous laisse seuls et s'éloigne vers de nouvelles aventures... Extrait de l'album Surboum Guitare.

    Danny Kirwan, Lazy Lester, Rockabilly generation 6, Steve Clayton, Kyla Brox Band, Nico Wayne Toussaint,, Tony Marlow,

    Quarante ans de carrière résumée en cinquante titres. Une vingtaine de disques revisités. La disco de Tony s'avère impressionnante. Mine de rien Tony Marlow a dû faire preuve de persévérance. La France n'aime guère les rockers. Surtout ceux qui ne transigent jamais sur leurs goûts. Ce n'était pas gagné d'avance, quand on pense à la minceur de l'oeuvre d'un Ronnie Bird et d'un Noël Deschamps, l'on se dit que nous sommes face à un véritable combattant. L'est sûr qu'il a aussi pu compter sur la complicité des labels Skydog et Rock Paradise de Marc Zermati et Patrick Renassia.

    Batteur, guitariste, chanteur, compositeur, parolier, showman, Tony excelle en tout, il ne lui reste plus qu'à composer son autobiographie, l'a rencontré beaucoup de monde, traversé beaucoup de milieux, l'aurait beaucoup à nous apprendre. Il est le trait d'union qui relie la génération des pionniers aux groupes les plus actuels. Cette Anthologie 1978 – 2018 parue chez Rock Paradise est un must.

    Opus majeur.

    Damie Chad.