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hot chickens

  • CHRONIQUES DE POURPRE 700 : KR'TNT ! 700 : HOLLYWOOD BRATS / GLIMMER / HOOVERIII / TERRY REID / COATHANGERS / HOT CHICKENS / THE CORALS / MICHEL LANCELOT / GENE VINCENT+ JOHNNY MEEKS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 700

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 08 / 2025

     

     

    HOLLYWOOD BRATS / GLIMMER

    HOOVERIII / TERRY REID / COATHANGERS

    HOT CHICKENS / THE CORALS 

     MICHEL LANCELOT   

    GENE VINCENT + JOHNNY MEECKS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 700

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/ 

    Wizards & True Stars

    Wizards & True Stars

    - Hollywood Boulevard

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             Le 1er juin dernier, Andrew Matheson a cassé sa pipe en bois. C’est un nom qui parle à pas grand monde, sauf aux fans des Hollywood Brats. C’est grâce à Lo’Spider, dans l’After Chez Eddy (sur Canal Sud) qu’on a appris la triste nouvelle, en juillet dernier. Pour rendre un dernier hommage à Andrew Matheson avant que l’oubli ne l’avale tout à fait, nous allons ressortir du bocal de formol un texte jadis confié aux bons soins de Gildas (Hello darkness, my old friend) et publié dans Dig It!.

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             Allez ! Tiens, on va dire que l’histoire des Hollywood Brats que raconte Andrew Matheson dans Sick On You est le meilleur rock book de l’histoire des rock books. Meilleur que The Dark Stuff de Nick Kent ? Meilleur que le Gene Vincent de Mick Farren, que l’All The Rage de Ian McLagan, que Stoned et 2Stoned d’Andrew Loog Oldham ? Meilleur que l’Hellfire de Nick Tosches, que No Irish No Blacks No Dogs de John Lydon ? Et on pourrait encore en citer d’autres comme ceux-là, tiens, par exemple les classiques de Mick Wall ou encore ceux de Carole Clerk, et pire encore, toutes les bios de David Ritz. Pourquoi meilleur ? Un, parce que ce livre n’a aucune chance (trop underground) et deux, parce qu’il est écrit par un mec qui est non seulement brillant et drôle, mais qui est aussi un vrai punk, du genre de ceux qu’on aurait adoré fréquenter. Mais attention, on ne parle pas ici des punks du dimanche après-midi : Matheson portait en 1974 les cheveux longs, du rouge à lèvres, du mascara, des fringues de fille et un brassard nazi. Comme Lemmy et Ron Asheton, Matheson adorait choquer le bourgeois. Ron Asheton avait même trouvé un nom pour ça : confrontation tactics.

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             Pour des raisons qu’Andrew Matheson explique très bien dans son recueil de souvenirs, les Hollywood Brats sont passés complètement à la trappe, alors qu’ils auraient dû devenir énormes, au moins en Angleterre. On avait repéré leur nom dans ces rares articles du NME qui évoquaient le fameux proto-punk britannique, et dont les figures de proue étaient bien sûr les Social Deviants de Mick Farren, l’Edgar Broughton Band, les Pink Fairies et les Pretty Things, mais aussi d’autres personnalités moins connues comme Terry Stamp & Mick Avery (Third World War), Jesse Hector (Helter Skelter et Crushed Butler, à cette époque) et les Hollywood Brats dont le mystérieux album paru en 1975 en Norvège demeura inaccessible, jusqu’à sa réédition sur CD dans les années 90. Et là, on comprit immédiatement les raisons du buzz. Cet album intitulé Sick On You est une pure merveille de ramalama, l’un des meilleurs albums de rock jamais enregistrés en Angleterre, tous mots bien pesés.

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    Casino Steel

             Les seuls qui surent détecter l’énorme potentiel des Brats furent Ken Mewis et son ancien patron chez Immediate, Andrew Loog Oldham. Mais ni l’un ni l’autre ne réussirent à décrocher un contrat discographique pour les Brats en Angleterre. Les gens des maisons de disques jugeaient les Brats trop vulgaires - Sick On You - et trop agressifs. Casino Steel qui était d’origine norvégienne et qui jouait des claviers dans les Brats réussit l’exploit de convaincre un mec de Mercury en Norvège, mais il n’y eut aucune promotion et l’album des Brats disparut sans laisser de traces.

             Andrew Matheson ne vivait que pour ça : jouer dans un groupe, enregistrer des disques et vivre de sa musique. Il était tellement convaincu de la grandeur des Brats que l’échec du groupe faillit bien le ratatiner. Il consacre 300 pages à cette histoire fabuleuse qui ne dura que quatre ans : de 1971 à 1974.

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             Cette histoire des Brats est avant tout celle d’une amitié entre deux kids de 20 ans, Andrew débarqué à Londres avec sa guitare pour devenir rock star, et Casino Steel, qu’Andrew appelle son blood brother - a one-off, a classic, the real thing - Ils composent ensemble tous les cuts qu’on retrouve sur leur album, et fonctionnent par télépathie. Quand par exemple un impresario véreux fait glisser sur la table une enveloppe contenant 2000 livres, Andrew la repousse en disant que les Hollywood Brats valent mieux que ça. Il sait d’instinct que Casino assis à côté de lui est d’accord. C’est d’autant plus héroïque qu’une partie des Brats, c’est-à-dire Andrew, le batteur Lou Sparks et le guitariste Brady, vivent dans des taudis et des squats, sans un rond. Pour manger, ils doivent voler, et pour fumer, Lou Sparks ramasse les mégots. Pas un rond. Ceux qui ont vécu ça savent très bien ce que ça veut dire. Avant d’être l’histoire d’un groupe, celle des Brats est aussi une épouvantable histoire de misère noire, de rats et de morbacks, ils se font pas mal d’ennemis dans des pubs et doivent souvent la vie à leurs jambes. Andrew raconte les matins où ils se réveillent frigorifiés, les sachets de thé plusieurs fois ré-utilisés, les crampes à l’estomac quand il est vide et les raids éclairs dans les petits commerces du quartier pour piquer de quoi calmer la faim. Mais l’avantage de vivre dans un squat, c’est qu’on peut y répéter tous les jours. Et les Brats répètent ! Ils savent qu’ils sont bons. Ils ont cette énergie que donne l’arrogance quand elle relève de l’évidence. Johnny Thunders et les Dolls fonctionnaient exactement de la même façon. Tiens, puisqu’on parle des Dolls... Un jour, Casino passe à Andrew un numéro du NME ouvert sur une page précise. Oh no ! Un article sur un nouveau groupe américain qui s’appelle les New York Dolls. On est en 1972. Andrew stupéfait découvre que les Dolls font exactement la même chose que les Brats ! Pire encore, ils donnent pas mal de concerts et ont déjà un contrat chez Mercury ! Et pire encore, ils arrivent en Angleterre ! - My stomach sinks into my boots - Andrew sent l’estomac lui tomber dans les godasses. Un peu plus loin dans le livre, Andrew revient sur les Dolls, au moment de la parution du premier album, en 1973. Les Brats se rassemblent pour examiner la pochette. Ils se fendent la gueule. Ils trouvent que les Dolls ont l’air parfaitement ridicules - They just look plain ridiculous - alors que sur les autres photos, ils avaient plutôt fière allure. Dans son langage extrêmement imagé et musical, Andrew dit qu’ils ont l’air de se retrouver de la neuvième à la treizième place du Hottest Transsexual Contest d’Amérique. Il insiste en expliquant que le chanteur qui ressemblait au début à Jagger ressemble maintenant à la vieille tante de Jagger installée à Palm Springs, et qu’il a eu une permanente - He’s got a perm, a perm, for Christ’s sake - Non, ce n’est pas possible ! Puis les Brats écoutent l’album, avec un mauvais a-priori, car ils n’aiment pas Rundgren. Le verdict tombe sans appel : bon groupe, chansons faibles, production merdique - Good band, weak songs, horrible production - Voilà les Brats dans tout l’éclat de leur splendeur.  

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             Matheson ne fait de cadeaux à personne dans ce livre. Il a le courage de ses opinions plutôt tranchées, et c’est réellement cohérent avec le son du groupe : carré et brillant. Il salue Slade dont il entend «Get Down And Get Down With It» dans une boîte qui s’appelle le New Penny - The best thing I’ve heard for months - Il démolit Alice Cooper qui en 1972 fait sensation - Ils peuvent rocker, mais il y a toujours un côté comédie. C’est parfois drôle. Voilà le problème - Et il ajoute : They drink Budweiser, for Christ’s sake ! - Il salue aussi Michael Des Barres et Silverhead qu’il voit sur scène. Au premier abord, il trouve le petit marquis excellent - Des Barres is the real thing in terms of a front man - mais ça se gâte dès le deuxième cut, car Des Barres transpire abondamment et ruine sa coiffure. Le verdict tombe sans appel : un chanteur pas mauvais mais qui transpire, un groupe ordinaire et des chansons pourries - A not bad, if sweaty, front man, an ordinary band and naff songs. Dreck - Dreck, c’est le bruit du marteau. Quand il rencontre Tony McPhee dans le bureau de Ken Mewis, il remarque une grosse veine qui descend de son never-ending front et donc il le rebaptise Tony McVein. Et quand il voit une photo d’Ozzy Osbourne portant sa veste blanche à franges, il ricane et annonce que le chubby Sabbath singer a l’air de porter ce que Martha ou une autre Vandella mettrait pour aller dîner au Kentucky Fried Chicken

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             Mais le plus drôle est à venir. En 1974, the Hollywood Brats are dead, écrit Andrew, c’est la fin des haricots, la mort de tous ses rêves. Lou Sparks et Brady ont déjà quitté le groupe. Il ne reste plus qu’Andrew et Casino. Un jour deux mecs viennent taper à la porte du squat. Casino descend et leur dit de dégager vite fait. Les deux mecs reviennent le lendemain, et ils insistent. Toc toc toc ! Casino passe la tête par la fenêtre pour leur redire de dégager, mais les deux sangsues brandissent un petit écriteau où est écrit : PLEASE ? Andrew dit à Casino de les faire monter. Ils arrivent déguisés en Hollywood Brats, avec des cheveux longs, du rouge à lèvres, du vernis sur les ongles, du mascara, des bijoux et des foulards. Ils se présentent : Mick Jones et Tony James et ils expliquent qu’un certain Malcolm McLaren veut manager les Hollywood Brats. McLaren... Ce nom rappelle quelque chose à Andrew... Ah oui, le mec qui a managé des New York Dolls assez mal en point et qui les a conduits droit au cercueil. Ah oui, ce mec qui, avec l’aide de l’horrible Vivisect Westwood a réussi l’exploit de transformer les Dolls en Muppet Show. Andrew n’en revient pas. Il demande qu’on le réveille quand c’est fini - Wake me shake me when it’s over - Mais par curiosité, Andrew et Casino décident d’aller voir ce McLaren. Ils passent leurs brassards nazis et débarquent à Demnark Street pour rencontrer le schpountz. Ils entrent et tombent d’abord sur quatre gamins aux allures d’apprentis comptables, assis dans un canapé et dont les yeux s’exorbitent à l’apparition des deux Brats maquillés en brassards. Les quatre arpètes sont les futurs Pistols. Et puis Mick Jones commet l’irréparable. Il ramasse une guitare et lance à Andrew : «Let’s jam man !» Casino et Andrew font déjà demi-tour pour se tirer vite fait quand arrive dans l’escalier un autre asticot : il a le look exact d’une caricature de savant fou, des yeux globuleux et des cheveux rouges bouclés (les cheveux dont personne de voudrait, précise l’impitoyable Andrew). C’est McLaren ! Le stroumpf  leur dit de venir - Come come ! - Eye contact minimal and a handshake like an half-opend tin of sardines - Pas le moindre contact visuel et une poignée de main comme une boîte de sardines à moitié ouverte. C’est mal parti ! Malcolm leur annonce qu’il va aller droit au but : il veut manager les Hollywood Brats. Andrew répond que ça pue dans la pièce. Surpris, McLaren fait : Oh is it ? Et il se lève pour aller ouvrir la fenêtre.

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    Vivisect Westwood

             Andrew et Casino reverront McLaren dans un pub. Cette fois, il est accompagné par sa compagne qu’Andrew surnomme Vivisect Westwood. Et là, l’impitoyable Andrew nous brosse un portrait atrocement drôle de cette femme : «Elle était pâle comme un cadavre et portait un truc en soie orange sur lequel avait dû passer plusieurs fois une tondeuse à gazon. Installée au sommet de sa coiffure se trouvait une toque décorée sur le devant d’une moustiquaire. Elle avait cet air renfrogné qu’ont les gens condamnés à bouffer des chardons jusqu’à la fin de leurs jours. Elle attrapa le crayon bleu qu’elle avait sur l’oreille et d’un air ennuyé, elle se mit à dessiner des robes sur la nappe. Malcolm m’expliqua en regardant à un mètre au-dessus de ma tête que ses honoraires allaient nous coûter cher car il fallait financer les fringues que Vivisect allait designer pour nous. Je lui répondis que je préférais mes fringues, alors Vivisect renifla bruyamment et tourna la tête pour exprimer clairement son dégoût. Paniqué, Malcolm l’implora : Dis-leur ce que tu m’as dit ! Soupirant bruyamment avec l’air de dire que chaque mot qu’elle allait m’adresser était pour elle une colossale perte de temps (ce qui en fait était vrai), elle expliqua que l’avenir de la mode appartenait aux T-shirts et que si on acceptait le programme, on pourrait avoir tous les T-shirts qu’on voulait. Et McLaren ajouta : Ouais, boys, les T-shirts et Sick On You ! C’est l’avenir, boys ! Nous vidâmes nos verres et partîmes avant qu’elle ne nous poignarde d’un coup d’épingle à cheveux.»

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    London SS

             En fait, ce qu’Andrew raconte en 1974, c’est la formation des fameux London SS. Mick Jones et Tony James reviendront chercher Andrew et Casino pour les emmener dans un endroit à Maida Vale où répète déjà l’embryon de cette scène punk : un Norvégien nommé Geir Waade, batterie, Mick Jones, guitare, Tony James, basse, et un certain Matt Dangerfield, guitare (qu’on retrouvera un peu plus tard avec Casino dans les Boys). Ils veulent absolument jouer avec Andrew et Casino. Andrew acceptera de faire un bout d’essai et ne sera un London SS que l’espace de quatorze minutes, le temps de massacrer le «Bad Boy» de Larry Williams : «Ce n’était pas un groupe, mais une insulte aux instruments». Andrew ajoute que le bassiste et le batteur semblaient se haïr et Mick Jones croyait savoir jouer dans l’illusion du volume, mais il jouait comme s’il avait des jambons à la place des doigts. Perfide, Andrew ajoute qu’en fait, il n’avait pas tort de jouer comme ça puisqu’il allait réussir à en faire un fonds de commerce - It was that bad - that hopeless - C’était sans espoir. Andrew Matheson avait une idée tellement haute et pure du rock qu’il ne supportait pas la médiocrité. Il termine l’épisode Mick Jones dans le chapitre de fin qui s’intitule «Que sont-ils devenus ?» : «Il forma les Clash et eut un gros succès commercial, à l’apogée duquel il stupéfia les fans et les critiques en enregistrant cette hilarante comédie qui s’appelle Sandinista. Dans les années quatre-vingt, Mick continua de défrayer la chronique et devenant parfaitement chauve.»

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             Mais ce qui fait le charme toxique de ce livre, ce sont les épisodes franchement hilarants et certains méritent qu’on s’y attarde. Par exemple, lors d’une répète, le guitariste Brady s’électrocute en jouant : «Il y a un gros bang, un éclair et on voit le guitariste décoller du sol puis aller s’écraser contre le mur de briques. Il gît sur le sol, tout tremblant, le visage rouge comme une tomate, les bras blancs et ses doigts encore plus noirs que d’habitude. La Gibson Firebird est en flammes, avec des flammes d’un mètre de haut. Nous explosons tous de rire. On se tortille, en le montrant du doigt et en se tapant dans le dos. Littéralement vidés par cette crise de fou-rire, on finit par se calmer et on se penche sur Brady pour voir s’il respire encore. Pauvre Brady ! Il lui faut un temps fou pour réaliser la chance qu’il a d’avoir pu nous offrir un spectacle aussi tordant - This hilarious slice of entertainment - Il passera la nuit à l’hosto et ses cheveux ne seront plus jamais pareils qu’avant. Il a eu plus de chance que Les Harvey de Stone the Crows. Ce poor fucker a grillé vif sur scène, il y a de cela deux ans.»

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    Leslie Harvey

             Un peu plus tard dans le récit des aventures des Brats, Andrew nous raconte que pour rompre la monotonie de leur vie de squatters, ils décident de louer un bateau pour naviguer sur un canal. Ils embarquent tous les cinq. Une demi-heure plus tard, ils sont tous soûls comme des Polonais - all of us are blind drunk - Et encore une demi-heure après, Casino passe par dessus bord. Plouf ! Alors c’est à nouveau l’hilarité générale. Andrew : «C’est un fait scientifiquement avéré, il est impossible de sortir de l’eau un Norvégien tout habillé et qui panique quand on est pris de fou-rire. On essaie chacun notre tour de l’aider à sortir de l’eau, et on allait vraiment abandonner, histoire de satisfaire le souhait de Casino qui (comme dans les Dolls) voulait un mort dans le groupe. Mais d’un sursaut désespéré, il réussit à se hisser sur le pont et comme un gros thon à l’agonie, il cherchait à retrouver sa respiration.»

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    The Kray Twins ( de sinistre mémoire)

             On atteint des sommets lorsqu’Andrew et Casino sont conviés dans les bureaux de Worldwide Artists, l’agence dont ils dépendent contractuellement, et pour laquelle travaille Ken Mewis, leur manager. Andrew et Casino commencent par découvrir que Worldwide est une agence artistique qui gère des carrières, et non une maison de disques. Et ils ne sont pas au bout de leurs surprises, car ils découvrent ensuite que l’agence est affiliée à la mafia londonienne et aux Kray twins qui, même s’ils sont au placard de sa gracieuse majesté, n’en continuent pas moins de tirer leurs ficelles. Les autres artistes signés par Worldwide sont assez connus : les Groundhogs, Black Sabbath et Stray. Dans la hiérarchie de Worldwide, Ken Mewis dépend d’un truand nommé Wilf Pine, un dur aux mains tatouées : les mots Love et Hate, comme Robert Mitchum. Wilf explique aux deux Brats qu’il faut un single pour négocier avec les maisons de disques - Why can’t you write a fucking single, eh ? - Andrew répond que «Sick On You» est le single parfait. Wilf s’énerve : Cette chanson est dégoûtante ! Joue pas au con avec moi, Andrew, ou je vais t’arracher les tripes. Cette chanson est fucking obscène ! Andrew laisse passer l’orage et répond tranquillement que «Sick On You» est la meilleure chanson des Brats, puis il ajoute que de toute façon, les Brats ne font pas de singles, que c’est même un anathème que de faire des singles. Ana what ? rétorque Wilf qui devient rouge comme une tomate. Ana fucking what ? Et là il se met en pétard pour de bon, fuck you et fuck tes fucking words, espèce de petite merde - you little poofter shite - On veut vous envoyer à Top Of The Pops et il nous faut le single dans deux semaines, t’as compris, branleur ? Et bien sûr Andrew lui répond que les Brats détestent Top Of The Pops. À ce moment névralgique de la conversation, Casino ajoute : We’re like Pan’s People ! Ce que confirme Andrew en ajoutant : True ! Et là, ils voient une grosse veine apparaître sur la figure de Wilf, qui leur rappelle celle de Tony McVein. 

             Pendant un temps, Andrew crut qu’il allait finir avec une balle dans la tête. D’ailleurs, à la fin de ce livre tordant, il remercie Wilf Pine de ne pas l’avoir fait descendre.

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             D’autres épisodes tout aussi hilarants guettent le lecteur imprudent, comme cette cocktail-party chez Cliff Richard, ou encore cette nuit passée au poste après avoir été embarqué par les poulets. Andrew est sous acide et sa tête dodeline. Le flicard lui demande de vider ses poches, portefeuille, clés, the lot. Andrew vide ses poches : une pièce de deux pence et un tube de rouge à lèvres. C’est tout ce qu’il possède. Le flicard est sidéré, il examine les deux objets et ça dure plus de temps qu’il n’en faut. Au bout de ce temps interminable, il lève la tête et demande à Andrew : You cannot be fucking serious ? Andrew dodeline. En dodelinant, il comprend qu’il fait une énorme connerie, car le flic s’énerve, je te pose une question, branleur et tu dodelines ? Andrew s’excuse et dit que c’est tout ce qu’il a dans ses poches. Le flic se lève et s’approche de lui pour lui demander le nom de cette maladie qui le fait dodeliner comme un fucking bird. Andrew répond no no no, alors le flic lui demande pourquoi sa tête dodeline comme un nancy boy in a cubicle in Piccafuckingdilly Circus. Il s’énerve tout seul et Andrew voit arriver le moment où il va prendre des coups, alors qu’il est menotté dans le dos. Alors ce sadique de flicard lui dit : Tu ne vas pas du tout aimer ce qui va t’arriver... Andrew exulte ! Oui oui, monsieur l’officier, dites-moi donc pourquoi je ne serais pas content de me retrouver défoncé sous acide et menotté dans un commissariat à cinq heures du matin ! Par miracle, cet abruti de flicard se calme et se rassoit pour remplir le formulaire. «Je vais parler à voix haute et tu me dis si je me trompe. Premier objet. Nous avons là une pièce de deux pence, c’est exact ?» «Yes !» Puis il examine le tube de rouge à lèvres et d’une voix chargée de mépris, il dit : «Deuxième objet, un tube de lipstick ‘Cherry-Blaze Outdoor Girl, c’est exact ?» «Yes» répond Andrew, et cette ordure ajoute : «You disgust me !» Tout ce qu’Andrew trouve à dire, c’est yes ! C’est tellement bien écrit qu’on se croirait assis à côté, menotté au radiateur.

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             En fait, Andrew raconte qu’une nuit, Lou Sparks et lui ont forcé la serrure d’une épicerie pour voler quelques bouteilles de coca. On les a dénoncés, d’où l’arrestation à l’aube avec la violence policière habituelle et les chiens. Comme c’est un délit, ils doivent passer au tribunal et là, on assiste encore une fois à un épisode digne des Brats. Ils voient arriver dans la salle un juge perruqué qui affiche ostensiblement son dégoût. Andrew n’en revient pas de voir ce qu’il appelle the overkill at work : les témoins qui défilent au prétoire les enfoncent, le flic et puis le propriétaire de l’épicerie qu’il n’a jamais vu. Andrew se tourne vers Lou qui est aussi abasourdi que lui. Andrew demande aux flics qui sont derrière lui : pourquoi on n’a pas d’avocat ? L’un d’eux lui rétorque d’un air mauvais : Shut your fucking cakehole ! Le verdict tombe sans appel : une prune de 25 £ ou un mois au placard, au choix. Évidemment, ils n’ont pas les 25 £ et ne sont pas près de les avoir. Ils sont officiellement condamnés pour avoir privé le propriétaire de la jouissance de trois bouteilles de Coca-Cola - Permanently depriving the landlord of three bottles of Coca-Cola - Le lendemain, en se baladant dans le quartier, Andrew tombe sur la une d’un journal qui titre : Costly Coke, qui veut dire des Cokes qui coûtent cher. Le texte en dessous décrit dans le détail l’exploit hilarant de deux pauvres crétins qui ont au cœur de la nuit forcé la serrure d’un fish’n’chips fermé pour cause de faillite, à seule fin de voler trois bouteilles de Coca-Cola. Puis il tombe sur les noms des deux crétins.

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             Eh oui, la vie d’un groupe ne se résume pas aux disques et aux concerts. Avant d’être des légendes du proto-punk londonien, les Hollywood Brats multipliaient des exploits dignes des Pieds Nickelés, et c’est précisément ce qui les rend attachants. Ils sont tout ce qu’on aime dans le rock, des gros branleurs qui ne pensent qu’à déconner, mais dès qu’ils entrent dans un studio ou qu’ils montent sur scène, ils savent passer aux choses sérieuses. Pour en avoir le cœur net, il suffit simplement d’écouter leur album. Heureuse coïncidence, Cherry Red vient tout juste de le rééditer avec en prime un disque complet de bonus. 15 bonus des Hollywood Brats, croyez-moi, ça vaut tout l’or du monde. Dans cette foire à la saucisse, on tombe sur une version démentoïde d’«I Need You» des Kinks, montée sur une basse dévastatrice et chantée par ce dingue d’Andrew. Leur approche des Kinks est exactement la même que celle des Hammersmith Gorillas, ils tâtent de l’exaction parabolique. Comme le disait Keith Moon le soir de leur concert au Speakeasy : les Brats sont le meilleur groupe d’Angleterre ! Dans «Borgia Street», on entend un solo nasty de Brady qui est toujours en vie. Oui, si vous feuilletez le livret qui accompagne la réédition, vous verrez une photo récente des Brats. Ils traversent la rue, Casino marche devant avec ses cheveux blancs et ses lunettes noires, suivi de Brady coiffé d’un petit chapeau, puis d’un mec nommé Mick Groome, et Andrew, referme la marche, sobrement vêtu d’un petit costard et portant lui aussi des lunettes noires. Dire qu’on est content de les voir en vie serait un euphémisme. Parmi les bonus se trouve une violente version d’«Hootchie Coochie Man», du hot shivering bliss, comme le dit lui-même Andrew, on sent le shuffle du slum, et on voit la basse traverser le cut, ah quelle rigolade ! Leur version de «St Louis Blues» sonne comme un cut des Dolls. Ces mecs vont très vite en besogne, too much too soon. Le parallélisme entre les deux groupes est flagrant. Et puis, il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie l’effarant «Suckin’ On Suzie» pour se faire une idée de la puissance des Brats. Andrew éclate même de rire au chant tellement il sent le pouvoir du rock en lui. C’est embarqué au meilleur beat d’Angleterre et par un chanteur qu’il faut bien qualifier de génial. L’ambition d’Andrew Matheson : un groupe bien habillé qui joue vite et sale - a great looking band dressing sharp, playing fast and nasty - Rien qu’avec ces quelques mots, il résume le phénomène Hollywood Brats. Quand il passe une annonce une annonce dans le Melody Maker pour trouver un guitariste, il écrit : Guitarist wanted/ Great looking/ Drunk on scotch and Keith Richards. N’oublions pas qu’en 1971, le roi d’Angleterre s’appelle pour beaucoup de gens Keith Richards. Poor Brian is dead. Ah encore un détail intéressant : avant de s’appeler les Hollywood Brats, ils s’appelaient the Queen, rêvant de grands titres dans la presse du genre The Queen pukes on arrival in Heathrow, la Reine dégueule en arrivant à Heathrow (ce que ne manquera pas de faire Johnny Thunders). Mais à la même époque un autre groupe s’appelle Queen et un soir au bar du Marquee, Freddy Mercury vient agresser Andrew qui se voit contraint de lui coller son poing dans la gueule. Mercury est à terre, et bon prince, Andrew lui abandonne ce nom de groupe auquel il n’était pas vraiment attaché - Keep the name Queen. You can have it - Andrew tirera le nom des Hollywood Brats d’une chanson de Ray Davies qu’il chantonnait un jour en rentrant de Watford - You can see all the stars as you walk along Hollywood Boulevard - C’est l’occasion de réécouter cette pure merveille qu’est «Celluloid Heroes». 

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             L album des Hollywood Brats donne une idée de ce qui devait se passer sur scène. Andrew voulait ce Slum Kitchen Sound, ce son des taudis dans lesquels ils répétaient - We want control - Ils l’ont, grâce à Ken Mewis, et ça s’entend avec «Chez Maximes». Tout est là, c’est le son des Dolls mais avec en plus la violence des kids anglais. Andrew chante comme un diable trop maquillé. On entend des jolis chœurs de slum et une basse dévorante qui croise dans le lagon comme un requin blanc - Chez Maximes you make your dreams come true - Avec «Nightmare», ils passent au stomp de cave joué à la cloche de bois, c’est noyé de son, mais le côté canaille du chant domine bien la situation. C’est admirable, tout est là ! Ces mecs n’ont pas seulement le sens du son, mais aussi celui de l’Empire romain et de la poigne de fer, celle d’un César qui jette ses légions comme s’il lâchait des rapaces sur la moitié du monde. Avec «Courtesan», ils passent à l’heavy boogie et sonnent comme des Dolls de l’East End - She’s the darling of the Chelsea nights - C’mon, ça ramone salement le bulbe rachidien. Et si on sait apprécier le Slum Kitchen Sound, alors on est grassement servi. Leur coup de génie, c’est sans doute la reprise magistrale de «Then He Kissed Me», car ils la tapent à la sur-puissance catégorielle, ils poussent les pressions jugulaires au maximum des possibilités et ça édifie les édifices. On trouve aussi deux hits que reprendront les Boys un peu plus tard, «Tumble With Me» et le fameux «Sick On You». Tumble, c’est la modernité du rock anglais. Voilà un cut totalement inespéré, l’un des premiers chefs-d’œuvre de ce qu’on appellera plus tard le glam-punk. Les seuls qui savent jouer ça, ce sont les Brats, les Gorillas et les Derellas. Avec Tumble, les Brats tapent dans la fantastique ampleur. We’ve got the action, dit Andrew quand il évoque le souvenir du set des Brats au Speakeasy. Quant à Sick, on a là un fabuleux shoot de pop-rock noyé de fuzz. Ce shoot de folie pure tourne à l’hypnotisme. Et quand on écoute «Zurich 17», on comprend que ce genre de cut infectueux anticipe toute une vague à venir. Les Brats sont beaucoup trop en avance sur leur temps. Ils inventent sans le savoir le far-out bubblegum des bas-fonds de nowhereland. Et puis on ne se lassera jamais de ce «Southern Belles» qui sonne encore une fois comme un hit des Dolls, mais avec quelque chose de terriblement britannique dans le ton. C’mon darling !  

             Et comme l’ont dit Jerry Lee et les Brats à ceux qui osaient monter sur scène après eux : Follow that, pussies !

    Épilogue 1

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             En 1979, Andew enregistra Monterey Shoes, un album de soft rock un peu déroutant. Il semble avoir renoncé au fracas des guitares pour aller sur un son plus soft, mais il est trahi par une absence de production, et ses compos qui se voulaient ambitieuses retombent comme des soufflés. Le seul lien qui rattache cet album à la légende des Brats, c’est Gered Mankowitz. Pour les Brats, Andrew voulait le photographe des early Stones, celui de Between The Buttons. C’est donc lui qui signe la pochette de Monterey Shoes. On y voit Andrew dressé dans le crépuscule, avec le Starfish Cafe et un personnage en sailor suit en contrebas. L’image illustre «St Catherine Wheel», un balladif attachant mais atrocement mal produit, car la voix d’Andrew manque désespérément de profondeur. Dommage, car on le sent influencé par Ray Davies, et c’est criant lorsqu’on écoute «Debbie». Il revient à un tempo plus enlevé avec «Eyes Of Harlem» et retrouve un peu de sa superbe. Il s’y montre même très convainquant. Il fait plus appel aux cuivres qu’aux guitares et on note de légers accents d’«It’s All Over Now Baby Blue» dans son refrain. Une autre compo ambitieuse se niche en B avec un «Johnny Let’s Run» traversé par un solo de sax et «It Only Hurts When I Cry» pourrait presque sonner comme un hit, mais encore une fois, la prod dessert les ambitions du pauvre Andrew qui apparemment s’est fait baiser une fois de plus. 

    Épilogue 2

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             Pas facile de mettre le grappin sur The Night Of The Bastard Moon, l’album solo d’Andrew Matheson paru en 1994. Les rares heureux propriétaires qui le possèdent le vendent très cher. On y trouve deux merveilles dignes de l’âge d’or des Hollywood Brats, «Three Dead Mexicans» et «Postcards From Hollywood». Avec ses Dead Mexicans, Andrew fait du Sympathy For The Devil avec des percus exacerbées. Il renoue avec le gutsy et sonne comme les Stones à l’aube du rock - Shut it up c’mon - C’est fabuleusement drivé aux percus, comme dans Sympathy. Pur génie ambulatoire ! On a même des virées de basse et des yeah yeah yeah qui se perdent dans l’écho du temps. Ça tourne au demented are go. Andrew y renoue avec le génie des Brats. S’il fallait une preuve de sa grandeur, elle est là, dans les Dead Mexicans. Plus loin, il monte son «Poscard From Hollywood» sur le riff de «Jean Genie». Il repart sur les traces de Bowie en mode heavy glam. On peut aussi se pencher sur «Call It A Storm» bien enveloppé, bien touillé, mais ça frise parfois le Springsteen, ce qui ne vaut pas pour un compliment. Le pauvre Andrew y perd un peu de sa superbe. Il nous fait encore du Springsteen avec un «Love Is Stupid» atroce et prétentieux. On assiste à l’écroulement d’un mythe. On peut parler ici de prod cordiale, avec un solo de chais-pas-quoi. Andrew s’installe dans son cloaque springsteenien avec «Red Shoes In Italy». Cette prod cordiale cause bien des ravages. C’est même une malédiction. On voit le pauvre Andrew essayer de faire décoller sa pauvre daube. Quelle horrible tragédie !

    Signé : Cazengler, Hollywood Bric (et Broc)

    Andrew Matheson. Disparu le 1er juin 2025

    Hollywood Brats. Sick On You. The Classic Debut Expanded. Cherry Red Records 2016

    Andrew Matheson. Monterey Shoes. Ariola 1979

    Andrew Matheson. Sick On You. The Disastrous Story Of Britain’s Great Lost Punk Band. Ebury Press 2015

    Andrew Matheson. Night Of The Bastard Moon. MCA Records 1994

     

     

    L’avenir du rock

     - Glimmer twins 

             Chaque année, l’avenir du rock loue un stand au Salon des Désespérés qui se tient au Parc des Expositions de la Porte de Versailles. Les visiteurs s’y rendent par centaines de milliers, en quête d’une lueur d’espoir. Certains exposants proposent des petits discours de réconfort, des tisanes pour arrondir les angles, des onguents pour colmater les fissures, des flacons d’eau bénite pour laver les péchés, des promesses de félicité sur abonnement. Chaque année, l’avenir du rock se régale de tout ce tintouin chamarré. Les visiteurs errent dans les allées comme des âmes en peine et s’arrêtent ici et là. Les exposants rivalisent d’idées saugrenues. Oh, en voici un qui bêle, assis dans la paille de Bethléem, comme l’indique le panneau accroché au-dessus de sa tête. En voici un autre qui s’ouvre les veines au-dessus d’un verre et qui dit au curieux qui s’arrête : «Bois, ceci est mon sang.» Mais la spiritualité à l’ancienne ne fait plus recette. Une autre forme de spiritualité attire le gros des visiteurs : le populisme. Des harangueurs aux trognes porcines proposent la paix de l’âme en échange d’une adhésion à leur parti. On s’attroupe à leur stand. Ils promettent l’éradication de tous les problèmes. «Plus de pluie ! Un ciel bleu au-dessus du pays !» Ils haranguent à tire-larigot : «La fin des angoisses existentielles !» «Le paradis des souches !» Ils promettent encore l’éradication des impôts et la gratuité des transports. Alors les visiteurs se bousculent pour accéder au guichet. Ils veulent tous prendre une carte pour avoir accès au paradis des souches ! Ah le paradis des souches ! Quelle belle fin en soi ! Le spectacle de cet attroupement laisse l’avenir du rock circonspect. Ce n’est pas qu’il mette en doute la véracité éthique de ce que proposent les harangueurs aux trognes porcines, non, d’ailleurs il ne se mêle pas de politique. Il ne sent pas concerné. Par contre, il sait qu’il propose sur son stand une authentique lueur d’espoir, au sens propre comme au figuré : Glimmer.

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             Si tu demandes à Jaye Moore, le drummer blond de Glimmer, ce qu’il écoute, il va te répondre My Bloody Valentine et ça va te mettre sur une mauvaise piste. Ces quatre petits mecs sont des New-Yorkais et ils ne peuvent pas sonner comme My Bloody Valentine, c’est impossible.  Sur scène, Glimmer est pris en sandwich entre deux Jaguars et on peut dire que ça gicle. Ils ont quelques morceaux lents, mais dès

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     qu’ils mettent leur ramshackle en toute, t’as tout le New York City Sound des bas-fonds qui redevient d’actualité. On apprendra plus tard que le simili-Woody Allen aux bras couverts de tatouages s’appelle Jeff et qu’il est le frère de Jaye. Alors attention : Jeff Moore est une rockstar en devenir. Bien évidemment, il ne finira pas à la télé comme tous les rois de la fucking mormoille, mais il va rôder, du moins on l’espère, dans les imaginaires des happy few qui auront le privilège de le voir jouer

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    sur scène. Car oui, Jeff Moore a tout : les good looks, la stature, l’incroyable présence, les compos, la voix, le guitarring, il pue le big bad rock à dix kilomètres à la ronde. Tu ne trouveras pas une rockstar comme celle-là sous le sabot d’un cheval. Non, il faut aller le chercher au fond d’une cave, un jour de chaos urbain, car le fucking Tour de France passe en ville et des tas de rues sont barrées. La ville est paralysée. Mais ils ont réussi à passer avec leur van. Ouf !

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             Tu vois ces quatre New-Yorkais jouer dans la cave et t’en reviens pas de tout ce répondant, de toute cette constance de la prestance, de ces rocking blast intermittents, t’en reviens pas de les voir clouer leur chouette à la porte de la Sonic Church, t’en reviens pas de les voir régner pendant une heure sur l’underground. T’es une fois de plus convaincu que les vrais groupes descendent dans les caves pour honorer le vieux Dionysos, dieu du rock et des pires excès. Derrière ses lunettes, Jeff Moore rocke le boat de la cave comme un Achab qui n’aurait pas basculé dans la folie, il garde les yeux rivés sur l’horizon du prochain cut, il ajuste sa voix grave en permanence et claque des dégelées de power-chords new-yorkais, pendant que de l’autre côté de la scène, son copain fourbit les dissonances. Et quand il ne fourbit ses licks, il passe son temps à se ré-accorder, ce qui finit par devenir agaçant. Surtout qu’on est tout près de lui et qu’on voit sur l’accordeur qu’il n’est pas désaccordé. Sans doute est-il mal à l’aise.

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             À part un flexi («Self Destroyed», deuxième cut du set), ils n’ont rien à proposer au merch. Tu le ramasses. «Self Destroyed» accroche immédiatement, avec sa belle mélodie chant digne d’Adorable. Et t’as des clameurs de rêve. Tu baves d’avance. L’album devrait être énorme, à l’image du set.

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             Leur premier album sortira en october, nous dit Jeff Moore, vraiment ravi de sa soirée à la cave. Miraculeusement, il y avait un peu de monde. Ouf! 

    Signé : Cazengler, Glimmère de tous les vices

    Glimmer. Le Trois Pièces. Rouen (76). 8 juillet 2025

    Glimmer. Self Destroyed. Flexi High Voltage 2023

    Concert Braincrushing

     

     

    L’avenir du rock

     - Hoover sur le monde

             Comme tout le monde, l’avenir du rock a besoin de sous pour manger et payer son loyer. Alors il postule pour un emploi. Un patron obèse, chauve et lunetté le reçoit dans son bureau. Il jette un coup d’œil sur le CV.

             — Vous vous appelez avenir du rock, c’est bien ça ?

             — C’est écrit dessus, comme sur le Port-Salut.

             — Ce n’est pas courant comme nom... Bon, dites-moi, monsieur avenir du rock, quelles sont les limites élastiques de votre flexibilité ?

             — Je sais rester Hoover à toute proposition....

             — Vous venez de gagner un bon point... Résumez-moi en deux mots votre capacité à fédérer...

             — Hoover Ticalité !

             — Encore un bon point pour votre sagacité ! Comment inter-agissez-vous dans un contexte managérial alambiqué ?

             — Très simple : par l’Hoover ture des écoutilles ! Gestion des flux, si vous préférez !

             — Votre aisance à pacifier les contextes m’interpelle, croyez-le bien, aussi vais-je vous demander de quelle façon vous pragmatisez l’approche participative, comprenez-moi bien, je parle ici de l’extension du domaine de l’extraversion, laquelle, j’en suis maintenant persuadé, n’a aucun secret pour vous...

             — C’est très simple : Hooveriii.

             — Pardon ?

             — Hooveriii ! Hoo comme Hoo la la, ver comme vert émeraude, et iii comme iiiiiiii !!! Ou iii comme three, les trois petits cochons, si vous préférez.

     

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             Tu les prononces comme tu veux : Hoover three, Hoover 3, Hoover free, Hoover frit, Hoover III ou Hooveriii, chacun fait comme il veut. Par contre, lui, il s’appelle Bert Hoover, aka Bert le Grand Pied, co-sauveur de festival binicole avec les Bad Bangs. Bert Hoover sait exactement ce qu’il veut. On lit une extrême détermination dans le regard qu’il porte sur le public sinistré agglutiné à ses (grands) pieds. Il porte

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    le regard d’un empereur psyché déterminé à sauver Binic. Alors il sauve Binic avec sa petite Gibson Les Paul Junior. Bert devient le temps d’un show Ali-Bébert au Pays des Merveilles, il fait le Père Noël et arrache des milliers de personnes au désespoir le plus noir. Grâce à Santa Claus Hoover, on échappe au cauchemar du rap blanc australien dont on ne connaissait pas l’existence avant que la dérive programmatoire binicole ne nous l’impose. Soudain, Bert redonne du sens à ce vieux

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    cadre, et là pas besoin de pogo, toute l’énergie reste prodigieusement intrinsèque. Ouf, on échappe enfin à la mainmise australienne et Binic retombe miraculeusement sur ses pattes. T’es là en principe pour découvrir des gros trucs et en voilà un.  Bert au Grand Pied te donne une leçon de modernité psyché, il est extrêmement bien entouré, ses collègues hooveriens hooverisent comme des cracks, et te voilà ENFIN avec un show sous le nez. Ces mecs te rockent des cuts que tu ne connais ni d’Eve ni d’Adam, mais ces cuts te parlent et te montent droit au cerveau. La Californie arrive

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     comme le Septième de Cavalerie, juste au moment où les Mescaleros australiens allaient avoir ta peau. Hoover forever ! Du coup t’es content, ça te fait un slogan pour ta petite rubrique à la mormoille. Tu plains sincèrement tous ceux qui ne sont pas venus se faire piéger dans l’enfer binicole. T’es toujours content de te faire piéger, à condition bien sûr d’être sauvé in extremis par le Septième de Cavalerie de Bert au Grand Pied. Aw comme ce mec est bon, comme il en pince pour le real deal, il joue de toute sa pesanteur en apesanteur, il te rocke la boute, il te rocke la rate, ces cuts t’éclatent au Sénégal avec ta copine de cheval, pas de problème, t’y retrouves tout ton latin, t’y retrouves tous tes fucking repères et toutes les raisons de continuer à vivre cette vie qui ne t’intéresse plus du tout, mais tu te dis que ça valait le coup de tenir jusque-là, Hoover, c’est aussi simple que ça, tu prends au sérieux tout ce que

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    Bert te dit, tu le vois jouer et tu fais : «Ah oui !», t’es content de faire «ah oui !», c’est seulement la deuxième fois en trois jours, et après avoir vu une vingtaine de groupes qui n’ont strictement aucun intérêt. Bon la vie est ainsi faite, personne ne peut lutter contre ce genre de postulat, mais heureusement, t’as Bert qui déboule comme un dénominateur et qui dit halte là au numérateur binicole. Et ça marche, le numérateur ferme sa gueule. Pendant une heure, Bert règne sans partage. Un Américain dirait de Bert qu’il est fucking great. Un Anglais dira de Bert qu’il est fooking great. Un Français dira de Bert qu’il est le grand pied. Chacun fait comme il peut avec ses petits bras et ses petites jambes. En attendant, nous voilà avec un nouveau héros sur les bras.

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             Et là, t’y vas ! Ta soif de connaissance ne connaît plus de limites. T’attaques par leur dernier album, Manhunter. Tu y retrouves les hits du set binicole, notamment «Westside Pavillon Of Dreams» et ses belles dynamiques. On sent les pros. C’est même explosif. Ils décrochent le gros lot avec ce hit, c’est délié et puissant à la fois, et t’as ce refrain magique tapé à la traînasse lennonienne. «The Fly» s’offre un départ grandiose. Ils sont terrifiants d’inventivité. Tu te régales à l’écoute de cet album bourré de dynamiques. T’es encore frappé par la modernité d’«Heaven At The Gates», ses belles crises de frénésie, et ses ravissants petits éclairs de génie. C’est aussi dégourdi qu’un hit des Pixies. Malgré un départ rédhibitoire, Bert Hoover claque un fieffé killer solo sur «Tarentula Eyes». Quelle envolée ! Bert Hoover adore le firmament et les killer solos. Et puis au bout de la B, il fait de la pure Beatlemania avec «Stage», un cut puissant et languide.

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             Toujours émoustillé par ce petit choc révélatoire binicole, tu poursuis tes investigations et tu tombes sur Pointe. Comme t’attends des miracles de ce bon Bert Hoover, tu te dis qu’il va répondre à tes attentes, vu qu’il a du répondant. C’est logique. Alors tu le vois se lancer dans la fast pop de «The Tall Grass» avec une voix de canari impavide. On le voit ensuite chercher sa voie avec «This Rock», son art reste incertain. Pas de psyché là-dedans mais des accents lennoniens. Tu reprends espoir avec la grosse attaque de «Can’t You Hear Me Cathy». Alors tu vois Bert Hoover tordre le cou du cut, il le prend pour une volaille, mais la magie brille par son absence. Ni psyché, ni mélodie. Il ramène un brin de funk dans «The Game», mais ça n’a ni queue ni tête. Ce bon Bert fait n’importe quoi. Alors que tu allais jeter l’éponge, il allume son cut et tu l’entends gratter les poux du diable. Mais c’est limite. Car tu sens bien que ces Californiens font leur truc dans leur coin, sans se préoccuper du besoin de magie qu’on a tous. C’est une bonne raison de leur en vouloir. Comme Beckett qui attend Godot, on attend des miracles de Bert Hoover. Il vaut mieux en attendre de Smokey Robinson. Et puis voilà le cut sauveur d’album : «The Ship That I Sail». T’es encore là à te demander ce que tu fous sous ce casque et soudain le cut se réveille en sursaut, avec un riff dévastateur. Et ça vire coup de génie sur la seule foi de ce riff. La bête que sommeille en Bert Hoover s’éveille et ça prend des proportions considérables, tu prends aussitôt ta carte au parti, t’abjures toutes tes religions pour ne garder que l’Hoover, tu t’aplatis devant ce Ship, tu te sens rudement fier d’être un ver de terre inféodé, chouette, te dis-tu, ce mec Bert est capable de petits coups d’éclat. Dommage que la fin de cut soit si longue et si inutile.  

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             Quand tu envisages de rapatrier Water For The Frogs, tu te poses la question : c’est-y aussi bon que Manhunter ou c’est-y pas ? La pochette commence par te poser un problème, ce graphisme renvoie trop aux seventies. Mais bon, comme d’usage, la curiosité l’emporte sur les a-prioris et le voilà qui débarque chez toi, fier comme un général d’opérette. Il ne te reste plus qu’une seule chose à faire : l’écouter. Bert Hoover proposait déjà en 2021 du classic stuff, mais avec une belle insistance. On sent chez lui une volonté clairement affichée d’arracher son stuff du sol. Cut après cut, l’album s’installe confortablement dans l’inconscient collectif. Il ne casse pas la baraque, mais tu comprends vite que ce n’est pas sa vocation. Water For The Frogs fait son petit bonhomme de chemin. C’est un album pépère. C’est avec «Hang Em’ High» qu’il renoue un petit peu avec la modernité. Disons pour rester magnanime que c’est une belle atteinte à l’intégrité du schéma de pensée conventionnel. Bert au grand pied en profite pour passer un beau solo liquide. Quel fieffé bretteur ! Sa présence et la qualité de ses idées sont indéniables. En B, tu sens nettement une volonté d’en découdre affleurer dans «Erasure», mais c’est dommage, car ça n’aboutit pas. Belle énergie, mais rien de déterminant. Avec «Gone», Bert et ses amis visent l’envolée belle, alors ils s’y collent et ça leur va comme un gant. Voilà, c’est fini. Tu ranges l’LP dans sa pochette et tu te poses la question : au jour d’aujourd’hui, qui va aller investir un billet de trente dans ce type d’album ? Personne, excepté ceux qui ont vu Bert Hoover sauver Binic du naufrage.  

    Signé : Cazengler, Hoover de terre

    Hooveriii. Binic Folk Blues Festival (22). 27  juillet 2025

    Hooveriii. Water For The Frogs. The Reverberation Appreciation Society 2021 

    Hooveriii. Pointe. The Reverberation Appreciation Society 2023     

    Hooveriii. Manhunter. The Reverberation Appreciation Society 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - La terrine à Terry

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             Dans une brève, Shindig! annonçait le grand retour de Terry Reid : une tournée anglaise. Mais elle n’aura pas lieu, car la grande faucheuse l’a fauché dans son élan. Et comme l’extraordinaire Terry Reid ne fera pas la une des magazines, nous allons ici même lui réserver la place d’honneur qui lui revient. 

             C’est vrai qu’il a une bonne bouille. Au fil des ans, la terrine de Terry est restée celle d’un gamin attachant. Quand on examine son visage sur les pochettes de ses albums successifs, on ne voit que de la candeur. L’arrondi de ses arcades et son léger sourire en coin révèlent une sorte de douceur naturelle et un goût pour le calme, ce qui n’est pas très courant chez les superstars.

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             Superstar ? Mais oui, Terry Reid l’était déjà à seize ans, en 1966, année où il participa - avec les Jaywalkers - à la fameuse tournée anglaise des Stones et d’Ike & Tina Turner. Très vite, il fut happé par le tourbillon. Il n’avait que 19 ans quand Mickie Most lui mit le grappin dessus. Il voulait faire de Terry the Next Big Thing aux États-Unis - avec une reprise de Long John Baldry, «Better By Far». En 1968, Terry fit la première partie de la tournée américaine Get Yer Yas Yas Out des Stones. Il joua aussi en première partie de Cream, pendant leur tournée d’adieux de novembre 68 aux États-Unis. Il participa au festival de Glastonbury en 1971. Il faillit aussi se retrouver dans la seconde mouture de Deep Purple. Graham Nash qui était encore dans les Hollies voyait un génie en lui, et Terry n’avait pas vingt ans.

             Il fut donc plongé très jeune dans le chaudron du rock  biz, mais apparemment, il en est ressorti indemne. On imagine qu’il devait avoir assez de maturité pour ne pas céder au chant des sirènes, particulièrement actives à cette époque, dans l’entourage des Stones.

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             Et puis il y a la fameuse histoire de la fondation de Led Zep que tout le monde connaît et qui est rabâchée chaque fois qu’un article sur Led Zep sort dans la presse, c’est-à-dire deux ou trois fois par an. Jimmy Page voulait Terry comme chanteur. Mais Terry avait d’autres engagements. Il indiqua à Jimmy les noms de Robert Plant et de John Bonham, deux mecs qui jouaient dans Band Of Joy, un petit groupe sans avenir. L’embêtant, c’est qu’on ne connaît Terry Reid que pour cette histoire, pas pour ses albums. Tout le monde savait qu’il avait repoussé l’offre de Jimmy Page. Wow, quel prestige ! Et pendant ce temps, ses disques passaient à la trappe.

             On se retrouve confronté exactement au même paradoxe qu’avec Jackie Lomax. Ils sont réputés tous les deux, mais pour des raisons purement anecdotiques. Par contre, quand on connaît leurs albums, on sait qu’ils font partie des personnages les plus prestigieux et les plus doués de l’histoire du rock anglais.

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             Dès Bang Bang You’re Terry Reid, on sent un tempérament inventif et une soif de liberté absolue. Terry a le rock dans la peau. Il tente de moderniser «Bang Bang», le vieux hit de Sonny Bono. Il va chercher le prog à coups d’envolées jazzy et de tintements de cymbales intempestifs. On est aussitôt frappé par la qualité de la voix plaintive de ce jeune coq. Il s’échauffe au second couplet. L’orchestre bascule dans la samba et ça devient bizarre. Terry mène sa barque : on le sent essentiellement préoccupé par le feeling et surtout par les lointaines dérives du feeling. «Tinker Tailor» est monté sur un joli thème de gratte. Dans cet album, on va de surprise de taille en surprise de taille. Par exemple, ce petit mambo sympathique, «Without Expression» (qu’ont bien failli reprendre Crosby Stills & Nash sur leur premier album). Terry va chercher des choses très haut perchées. Il produit des ambiances extrêmement lumineuses. Il donne une ampleur extraordinaire à ses cuts, comme s’il était une sorte de Van Morrison heureux de vivre. «Sweater» préfigure le Led Zep acoustique, et «Something’s Gotten Hold Of My Heart» - compo de Gene Pitney - préfigure les errances mélopiques de Robert Plant. On trouve en B une cover du «Season Of The Witch» de Donovan. Pas mal de versions courent les rues, mais celle de Terry bat tous les records. Il va très haut chercher la déchirure palpitante. Il nous gave de grands passages inspirés. Ces dix minutes échappent définitivement à l’ordinaire. «Writing On The Wall» et «When You Get Home» renvoient directement à Tim Buckley. C’est du très haut de gamme.

             Ce premier album est un coup de maître, mais trop en avance sur son temps, parce que trop aventureux. C’est grâce à ce premier album - uniquement sorti aux États-Unis - que Terry va fidéliser ses admirateurs.

             Le single «Superlungs My Supergirl» nous rendra tous définitivement accros. Pochette superbe. Terry en sépia plaquant l’accord sur le manche de sa Gibson. L’incarnation du rock’n’roll animal, comme l’étaient à l’époque Jeff Beck ou même le Clapton de Cream en pantalon rouge. Superlungs est l’un des plus beaux hits des sixties, ruisselant de feeling, ambitieux et tendu à se rompre. Cinquante-cinq ans après, ce hit monumental fout toujours le frisson. N’oublions pas que «Superlungs My Supergirl» est une compo de Donovan.

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             On retrouve la superbe photo sépia de Terry sur la pochette de son deuxième album, Move Over For... Terry Reid. Il riffe «Marking Time» jusqu’à l’os et le gorge de feeling cramoisi. Terry sait créer l’événement. Il est vocalement beaucoup plus doué, plus chaleureux et coloré que Robert Plant. Ce chanteur puissant screame savamment au détour des montées de gammes. Tour repose sur la richesse de son chant. Il n’existe pas d’équivalent dans ce registre. Il tape aussi une solide reprise d’«Highway 61 Revisited», montée sur une grosse bassline. Il couple ça avec «Friends», et nous embarque dans une jam informelle, dans l’esprit des jams mythiques d’Electric Ladyland. On se régalera aussi de «Speak Now Or Forever Hold Your Peace», un bel heavy rock à l’anglaise, astucieux en diable et bien tempéré. Avec ce chant chaud, Terry irradie le bonheur dans la fraîcheur d’un petit matin d’Essex. Ses éclats de voix rappellent parfois ceux de Noddy Holder. Ambiance admirable teintée d’éclairs glam et nappée de shuffle. Cet album reste l’une des pièces les plus colorées de l’histoire du rock anglais. Et de très loin. Sa version du mythique «Stay With Me Babe» de Lorraine Ellison rivalise de grandeur épique avec celle de Sharon Tandy. Terry en fait quelque chose d’assez explosif, capable de frapper durablement les imaginations.

             Terry n’a que 23 ans et il veut échapper aux griffes de Mickie Most qui l’oblige à enregistrer des tubes romantiques. Le malheureux Terry a signé un contrat pour cinq albums. Il dit à Mickie d’aller se faire voir chez les Grecs. Mickie est d’autant plus fâché que la veille, Donovan lui a dit la même chose. À cause de cet imbroglio juridique, Terry va rester bloqué pendant trois ans. Impossible d’enregistrer à cause de ce fucking contrat. De quoi foutre une carrière en l’air. C’est Ahmet Ertegun, boss d’Atlantic, qui va tirer Terry de ce guêpier. Il débarque chez Mickie Most et lui dit : «Maintenant, ça suffit !»

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             Terry émigre en Californie. Il se retrouve évidemment sur Atlantic. Il enregistre son troisième album, River, considéré comme un album culte. On range généralement River à côté de John Barleycorn Must Die (Traffic), d’Astral Weeks et de Moondance (Van Morrison), d’Happy Sad et de Blue Afternoon (Tim Buckley). Malheureusement, River est un album assez mou du genou et on s’y ennuie comme un rat mort pendant au moins toute une face. On se réveille un peu aux accents bossa-nova du morceau titre. On retrouve le Terry qu’on aime bien, celui qui va chercher le mélopif très loin. «Dream» et «Milestones» ressemblent à des morceaux à la dérive, à de vieux radeaux paumés sur lesquels agonisent les derniers compagnons d’Aguirre.

             Dans un texte à caractère confessionnel, Terry avoue qu’il adore passer ses journées à observer le cours du fleuve. Il y trouve son inspiration. Il est entré dans une phase contemplative et sa musique s’en ressent. Il est arrivé la même chose à Van Morrison.

             Les délires contemplatifs font généralement des ravages chez les artistes ambitieux. On essaye de les suivre tant qu’on peut, et puis au bout d’un moment, ça devient compliqué. La spiritualité et le rock n’ont jamais fait bon ménage. D’ailleurs, Atlantic s’est vite débarrassé de lui. 

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             En 1976, il enregistre Seed Of Memory. Comme on sort un peu échaudé de l’épisode River, on se méfie. Dès le premier cut («Faith To Arise»), on voit que Terry est passé à la good time music de bord de mer. Il sonne un peu comme Little Feat. C’est le genre de disque qu’on écoute lorsqu’on passe une soirée romantique avec une poule qu’on aime bien. Cette espèce de soft-rock attise quelques vieux réflexes libidineux et on se laisse aller à éprouver une sorte de bien-être existentiel à la noix de coco. «Seed Of Memory» est un morceau lent et flûté. Terry chante comme Crosby & Nash, avec une certaine amertume. D’ailleurs, Nash fait les chœurs. «Brave Awakening» est un country-rock très lent. Terry sait tirer sur ses cordes vocales pour provoquer l’humeur d’un émoi. Quelque chose d’humide suinte de son essence. En dix ans, Terry a beaucoup changé. Il est passé à des choses très soft et adroitement sophistiquées, comme «Ooh Baby», qui va plus sur le Steely Dan. Mais il sait aussi revenir à des sons plus musclés, comme par exemple avec «The Way You Walk». De gros paquets d’accords tombent du ciel et la basse fait le pied de grue sous le déluge. Terry renoue avec l’heavy rock de sa jeunesse flamboyante. On retrouve là l’ampleur avantageuse de son allant d’antan. Avec «The Frame», on a du pur Crosby & Nash, avec les mêmes repères sur l’échelle des valeurs. Tel un géant en fuite, ce disque laisse derrière lui une traînée de suie. 

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             Rogue Waves est un album mille fois plus spectaculaire. D’abord par sa pochette : on y voit Terry le magnifique claquer un accord sur une Gibson SG blanche, la même que celle de Sister Rosetta Tharpe. Sur cet album, il fait deux covers de Totor : «Baby I Love You» et «Then I Kissed Her». Il fait de «Baby I Love You» un heavy slow de carrure planétaire, repris au thème par une guitare bien née. C’est là que se tapit le grand Terry. Il peut allumer autant que Rod Stewart à ses grandes heures. Il a cette science infuse de la beauté formelle. Avec «Then I Kissed Her», il fait son Vanilla Fudge et retapisse un classique intouchable, révélant une nouvelle fois au monde entier l’ampleur de son génie défenestrateur. C’est une véritable bénédiction ! Il fait exploser «Then I Kissed Her» au sommet du riff, comme un champignon atomique multicolore. On retrouve les fulgurantes dynamiques guitare-chant du Jeff Beck Group de Beck Ola et de Truth. Rogue Waves est du pur Terry, une chanson océanique qui s’étend à l’infini et qui scintille à la lumière de la lune. Il règne là-dedans une forte impression de désespérance et de démesure. Terry se plaît à repousser les limites. C’est un pieux rocker, il n’hésite pas à hurler et à égrener les arpèges pour suivre l’infini méandre de sa vision. Belle reprise aussi du «Walk Away Rene(e)» de The Left Banke. Terry en fait une vraie perle de rock têtue comme une bourrique. Il sort aussi de son chapeau un «Believe In The Magic» digne du «Season Of The Witch» qu’on trouve sur la B des fameuses Supersessions de Stephen Stills, Mike Bloomfield et Al Kooper. Admirable de groovitude et plutôt somptueux, il faut bien l’admettre. La chose t’enveloppe, comme le bras d’une fiancée amoureuse. Comme c’est doucement violonné, on sent l’influence du grand Marvin Gaye. Dernière grosse surprise de cet album fabuleux : «Bowang», un morceau digne des Faces. Magistral. Même hérésie de glotte fouillée. Même puissance de feu guitaristique largement sustainée. Terry concurrence directement le Jeff Beck Group. Même enfer et même classe cavalante. Même heaviness lévitative de haut rang.

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             Mais ce sera le dernier grand éclat de Terry Reid. L’album suivant, The Driver, est très beau, mais il manque de relief. Avec «Fith Of July», Terry nous embarque dans un balladif très beau dont se régaleront les âmes sentimentales. Toute ironie mise à part, «Fifth Of July» est un morceau chaudement recommandé aux amateurs de belles chansons. Mais sur les autres cuts, on retrouve le son pompeux des années quatre-vingt-dix, celui des succès commerciaux de Michael Jackson, de U2 et du Rod Stewart californien qui nous faisaient tant hennir quand ça passait à la radio.

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             Apparemment, Terry est toujours en forme. Il donnait un concert au Ronnie Scott Club de Londres en 2010 et un petit malin a eu l’idée d’en faire un double album : Live In London. Terry parle beaucoup avec les gens, il raconte des histoires drôles et plonge dans ses vieux grooves de triangle des Bermudes. On retrouve des versions actualisées de «The Frame» et de «Faith To Arise» qu’il illumine d’envolées de guitare acoustique et qu’il transforme en joyaux de cosmic americana. Absolument parfait, parce que très inspiré. C’est la marque de Terry Reid. Il tisse des mélodies incomparables. Toutes les notes de guitare s’allument comme des étoiles dans le ciel, au-dessus du bivouac. Il cultive la beauté de la frontière, il charme les cactus, un fluctue les sierras, c’est un fabuleux maître chanteur. Terry et les mecs qui l’accompagnent deviennent fous avec leurs guitares. «Too Many People» est un vieux hit prévalent, impartial et directif. C’est un truc radical qui dicte sa loi, rien que par son atonalité. Il nous raréfie l’oxygène dans le cerveau, il est limpide et désarmant de pureté mélodique. On a les yeux qui piquent.

             Sur l’autre disque, il chante «Wee Small Hours» comme Nina Simone. Il fait monter «Night Of The Raging Storm» d’une voix qu’il n’a plus. Il s’écorche la glotte. C’est affreux. Il renoue avec son passé de géant aux pieds palmés. Il nous refait le coup de la superstar à l’anglaise qui s’élève dans la stratosphère et il provoque un véritable délire bienfaisant, il crie yah-yah-yah, un spasme de phase terminale. Il fait le tour du propriétaire et continue de s’écorcher la glotte au sang. Mais comment fait-il pour s’infliger de telles blessures ? Pendant ce temps, nos oreilles se pâment. Il nous balance même un doom psyché labyrinthique des temps anciens, «Rich Kid Blues». On y sent le souffle de Spooky Tooth. Grosse jam informelle et captivante. Il sait plonger la tête d’un cut dans la friteuse.    

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             L’idéal pour entrer dans le monde magique de Terry Reid est de choper une rétrospective bien foutue, Superlungs, parue en 2004, sur laquelle figurent ses deux premiers albums et les morceaux qu’il enregistra avec les Jaywalkers en 1967. Avec la belle pop sucrée d’«It’s Gonna Be Morning», on voit que Terry a le même feeling que Steve Marriott. On croirait même entendre Sam Cooke. Il montre déjà une classe effarante avec un morceau comme «Funny How Time Slips Away», parce qu’il sonne exactement comme Smokey Robinson. Il monte sans cesse d’un cran. Il a déjà du génie à revendre. Les Jaywalkers sonnent comme des géants du jazz. Terry n’en finit plus de pousser son bouchon. Il nous fait le coup du r’n’b hot as hell avec «Just Walk In My Shoes». Il s’y montre monstrueux d’exaction. Il dégage autant d’air autant que Rod The Mod ou Chris Farlowe. Puis les choses se corsent. On lui demande de participer à la foire à la saucisse du Swinging London. Terry ne sait pas ce qui l’attend. Il fait confiance. On le fait entrer dans un studio pour enregistrer

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     «The Hand Don’t Fit The Glove». Catastrophe ! Quand on a un chanteur de cet acabit dans les parages, il vaut mieux lui donner de bonnes chansons. Sur la B-side du single, on trouve une chanson à lui, «This Time». C’est un morceau lent, mais Terry l’interprète comme un crack.

             À l’écoute de ces premiers morceaux, on comprend mieux pourquoi les Stones ont invité Terry a faire les premières parties de leurs tournées. À part le single raté, tout est vraiment excellent. On entre ensuite dans la période Mickie Most, avec un premier single, «Better By Far». C’est Graham Nash qui a mis Mickie Most, producteur de Donovan et des Animals, sur la piste de Terry. Mickie Most cherchait le tube comme d’autres cherchent le Graal. Il était complètement obsédé. Il ne pensait qu’à ça. Il fit sonner «Better By Far» comme un hit de Phil Spector. Il voulait faire de Terry un tombeur de demoiselles. Pas très malin. 

    Signé : Cazengler, Reid dingue de Reid

    Terry Reid. Disparu le 4 août 2025

    Terry Reid. Bang Bang You’re Terry Reid. Epic 1968

    Terry Reid. Move Over For... Terry Reid. Epic 1969

    Terry Reid. River. Atlantic Records 1973

    Terry Reid. Seed Of Memory. ABC Records 1976

    Terry Reid. Rogue Waves. EMI Records 1978

    Terry Reid. The Driver. Warner Brothers Records 1991

    Terry Reid. Live In London. House Of Dreams Music 2012

    Terry Reid. Superlungs (Bang Bang + Terry Reid + bonus). EMI 2004

     

     

     

    Inside the goldmine

     - Coathang on Sloppy

            Introduire Marie Coton dans l’équipe, ce fut la meilleure façon d’introduire le loup dans la bergerie. Avec son allure de petite sainte, douce et docile comme l’agnelle de service, elle inspirait la confiance. Elle posait son regard bleu sur toi et déversait toute l’innocence dont elle était capable. Tu n’attendais qu’une chose, qu’elle te demande un service ou de l’aide. Elle t’inspirait les sentiments les plus nobles, du type de ceux qui animèrent jadis ces abrutis de chevaliers servants. Elle était de petite taille, elle portait les cheveux longs et des robes longues. Elle semblait totalement asexuée, ce qui la rendait encore plus atypique. Tu ne pouvais même pas la soupçonner de jouer un rôle. Elle désamorçait le moindre soupçon. Elle ne dégageait aucune odeur, elle ne semblait cultiver aucune sorte d’arrière-pensée, elle participait aux réunions sans exprimer le moindre sentiment, elle prenait peu de notes, ne posait pas de questions, elle semblait même tout comprendre. On l’observait du coin de l’œil. Quelle part de mystère recelait cette présence insolite ? Quand on lui demandait si elle avait des questions à poser sur la mission qu’on lui confiait, elle répondait «non» avec un sourire en demi-teinte. Elle ne baissait pas les yeux, attendant que son interlocuteur détourne les siens. Elle était capable de fixité, et ça pouvait devenir dérangeant. Au fil des mois, elle ne modifia rien à son comportement. Elle remplissait ses missions avec succès. Elle allait en clientèle et les retours qu’on nous faisait étaient tous singulièrement positifs. Nos clients la qualifiaient de «charmante», d’«attentive», de «sérieuse» et même de «créative». Les événements qui suivirent montrèrent à quel point on s’était tous plantés. La consultante qui faisait équipe avec elle se tua au volant de sa voiture, sur le boulevard circulaire de la Défense. Puis son assistante ne trouva rien de mieux à faire que de se jeter du huitième étage de l’immeuble où elle vivait, à Puteaux. Nous n’étions que douze dans la structure, et bientôt nous ne fûmes plus que deux, Marie Coton et moi. Les autres avaient disparu lors des deux derniers mois, dont plusieurs sans laisser de traces. Ce matin-là, lorsqu’elle entra, ponctuelle, à 9 h dans l’atelier, je fus pris d’un accès de fièvre superstitieuse : et si elle était le diable ? Il était grand temps de la virer.

     

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             Pendant que la Coton fait des ravages, les Coathang en font aussi, mais ce sont des ravages beaucoup plus intéressants. C’est un copain qui te dit : «Tu devrais écouter les Coathangers», alors tu écoutes les Coathangers, parce que d’une part, c’est un bon copain, et d’autre part, le nom du groupe te plaît.  Les cintres. Plus qu’un pied-de-nez : apparemment, c’est une allusion à l’avortement sauvage. Comme le montrent leurs albums, ces trois petites gonzesses d’Atlanta flirtent pas mal avec le post-punk, et ce depuis vingt ans. Autre détail croustillant : la batteuse Rusty Coathanger est couverte de tattoos.

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             Si tu attaques par Scramble, tu risques d’être vite dérouté par leur côté Riottt-Girls, avec une voix rauque pas terrible. Mais elles corrigent vite le tir avec un «Stop Stop Stompin’» plus post-punk et plus sucré. Elles tapent un peu dans le crabe craze à la Fall. Tout espoir de girl-grouping s’évanouit. C’est la modernité qui prend le dessus avec «Bury Me», «Dreamboat» et «Arthritis Six». Elles y vont dare-dare au Bury Me, avec un sucre bien candy et presque un beat de Magic Band, elles te grattent le Dreamboat dans la solace du sucre fondu et l’Arthritis t’envoie une belle giclée de modernité dans l’œil. Dans «Gettin’ Mad & Pumpin’ Iron», le bassmatic se confronte à une cisaille barbare, et posé là-dessus, t’as un chant de sauve-qui-peut-les-rats, mais globalement, ça tient la route. Elles deviennent de plus en plus incoercibles avec «Killdozer», alors que «143» est plus sautillé : elles sont fraîches comme des saucisses de Strasbourg. Elles proposent une grande variété de styles et on sent chez les Coathang une fantastique énergie des idées. Donc on décide de les suivre à la trace.

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             Elles restent dans la Post avec Larceny & Old Lace. C’est Gildas qui appelait le post-punk la Post. Il n’aimait pas ça. Mais cette Post est excellente, comme le montre «Huricane», elles y vont au pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette. C’est frais, carré, plein de jus, concassé, exacerbé. Elles voient les choses comme ça, alors il faut s’y faire. Ça re-concasse de plus belle avec «Sicker», ça concasse même du sucre sur le dos de la Post, avec un petit brin d’hypnotisme. Elles sont vraiment à vif («Call To Nothing») et elles se prennent pour Joy Division avec «Jaybird» qui vire hypno. Ça bassmatique dans les règles du lard fumant. C’est la Coathanguette tatouée qui lance «Johnny» au beurre salé. Quelle énergie ! Elle drive bien son beat. C’est mille fois mieux que les Slits.

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             Avec Suck My Shirt, les petites Coathanguettes explorent la profondeur de champ de la Post («Follow Me») avec une énergie phénoménale et un bassmatic en liberté. Encore plus terrific et mieux troussé, voilà que déboule «Springfield Cannonball». Elles regorgent littéralement d’élan vital. Encore de la Post exacerbée avec ce «Dead Battery» en alerte suspensive, monté sur une carcasse âpre et vinaigrée. Elles en pincent pour le sans-pitié-pour-les-canards-boiteux. Ça gratte au riff aigre et tanné. On salue aussi bien bas la Post de «Merry Go Round». La Coathanguette tatouée qui bat le beurre fait des étincelles dans «Love Em & Leave Em». Elles te grattent vite fait le «Derek’s Song». Elles ne font pas dans la dentelle, c’est du fast on the run, il pleut de la Post comme vache qui pisse. Ça explose au final avec «Drive», une véritable merveille de fraîcheur expiatrice, ça jaillit et ça dégouline de joie translucide.

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             Sur la pochette de Nosebleed Weekend, elles ont des allures de superstars. Crook Kid Coathanger a même le pif en sang. Avec «Dumb Baby», elles développent une belle énergie gaga-girly. Ça file bien sous le vent. Elles ne sont jamais loin de leur post-punk chéri. Elles trafiquent de belles ambiances d’étrangeté congénitale («Excuse Me»), mais c’est avec «Burn Me» qu’elles raflent la mise, car c’est bien sabré du goulot et fouetté au bassmatic. Elles savent très bien balancer des hanches («I Don’t Think So», qu’elles éclairent au hello hello), et elles finissent en ramenant un sucre de «Copy Cat» tendancieux. Ce n’est pas leur meilleur album.

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             The Devil You Know est encore un album très post-punk. «5 Farms» bénéficie d’un petit son bien serré. Mais très vite, tu t’aperçois que certains cuts laissent à désirer. «Hey Buddy» est mal chanté, par contre, elles ramènent du sucre dans «Step Back». Tu cèdes à leur charme, ça ne mange pas de pain. En fait, il y a deux chanteuses, la bonne et la mauvaise, la rauque et la candy. Elles sauvent l’album avec le joli post-punk hystérique de «Stasher», et voilà le travail.

    Signé : Cazengler, Coat Coat Codec

    Coathangers. Scramble. Suicide Squeeze 2009

    Coathangers. Larceny & Old Lace. Suicide Squeeze 2011

    Coathangers. Suck My Shirt. Suicide Squeeze 2014

    Coathangers. Nosebleed Weekend. Suicide Squeeze 2016

    Coathangers. The Devil You Know. Suicide Squeeze 2019

     

    *

    Dans notre dernière livraison nous avons eu Jake Calypso en concert, cette fois-ci nous avons Hervé Loison – ne cherchez pas l’erreur, les activistes rock ont parfois plusieurs identités - avec les Hot Chickens. Les poulets torrides sont un groupe essentiel du rock’n’roll dont ils ont su par chez nous, en un quart de siècle, perpétuer et refonder la légende.

    ROCK’N’ROLL VENDETTA

    HOT CHICKENS

    (AroundThe Shack Records / Mai 2025)

    Beau titre pour un album rock, le rock’n’roll n’est-il pas une vendetta métaphysique menée contre le monde entier, l’attaque n’est-elle pas la meilleure des défenses, est-ce pour cela que nos trois rebelles se camouflent derrière leur tricot d’hiver à la mode dans les années 60 et le masque des anonymous, les nouvelles peintures de guerre modernes.

    Hervé Loison : chant, basse harmonica / Christophe Gillet : guitares, chœurs  / Thierry Sellier : batterie, chœurs.

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    See See Rider : existe-t-il un meilleur chemin pour pousser la porte du rock’n’roll qu’un vieux blues de Ma Rainey, j’entrevois des sourcils qui se froncent, ne serait-ce pas un peu trop moaning pour une intro, peut-être mais il en existe une autre version, parmi des centaines, explosive, celle des Animals, c’est vers celle-là que s’orientent nos trois pistoleros,  oui mais faut avoir une sévère réserve de poudre pour s’y aventurer, autant monter l’Annapurna en pantoufles, ne sont pas des perdreaux de l’année, savent que le ridicule peut tuer, alors ils s’y livrent à fond, z’ont des arguments, la guitare de Christophe Gillet qui vous escalade à mains nues les précipices, les baguettes de Thierry Sellier vous entrechoquent les glaçons des parois les plus abruptes, quant à Loison, sa voix survole et se plie à toutes les dépressions exaltantes. Elle burdonne très fort. Magnifique reprise. Mister Jack : un original, yes but what is it, un truc inidentifiable, soyons honnête, un morceau de rock’n’roll vachement bien mis en place, qui swingue un max,  qui sonne et qui résonne comme il faut, avec en plus un vocal magistral de Mister Loison, mais une fois que vous dit tout cela, c’est là où commence la difficulté, à la réflexion ne serait-ce pas un blues déguisé en rock’n’roll, à moins que ce ne soit un rock’n’roll qui se fasse passer pour un blues, vous savez ça chaloupe en rythme mais ça tinte bizarre, l’est vrai que les cachalots se cachent dans l’eau, mais là nous avons affaire à un drôle de mélange, la basse qui bosse de dromadaire, la guitare sans cafard  jamais en retard et le Thierry pas du tout atterré qui vous envoie valser les moustiques qui voudraient se poser sur ses tambours de guerre. Until we die : ce troisième morceau est beaucoup plus franc du collier, sans tergiverser, un rock, un vrai, un authentique, ces trois zigotos finiront par crever s’ils mettent tant de cœur à l’ouvrage, sont partis pour ne jamais s’arrêter, mon passage préféré quand Loison minaude son vocal comme une princesse au petit pois, z’ont la frite et une pêche d’enfer pour le dessert, hélas vous n’aurez pas le temps d’apprécier le café, ils arrêtent les frais trop brutalement. Un bijou ciselé au marteau piqueur de précision. Mortel. In my way : tiens-tiens me suis-je dit après trois overdoses électrique, ils nous font le coup de la ballade à la Gene Vincent, quand Loison pépie du bec si doucement on lui donnerait la confession sans le bon Dieu, mais non dès le premier coup de guitare après l’intro, j’ai reconnu mon erreur et ma honte, non c’est pas Vincent, c’est Presley, j’aurais dû reconnaître c’est dans un de ses films que je préfère, vous y filent une dose d’amphétamine par rapport à l’original, Hervé ne renie pas ses préférences. Fait partie de cette génération que la mort du King a propulsé dans le rock’n’roll. Je ne  laisse pas tomber : l’est vrai que la langue monosyllabique de l’anglais est beaucoup plus flexible que le français qui ne possède que très peu d’accents toniques, bref le rock français est souvent chanté en langue shakespearienne, Hervé casse la soupière des interdits, met les choses au poing, nos poules au pot nationales chanteront désormais en français, quand elles en auront envie, un rock échevelé, un peu dans le style Je suis juste un rock ’n’roller (Sais-tu ce que cela veut dire) des Variations, en plus il s’amuse d’écraser les mots en fin de couplets à la manière d’Eddy Mitchell. Une révolution qui fera jaser en douce France. Goodbye rockin’ Mama : pour ceux qui auraient eu envie de se suicider après la déclaration d’intention précédente, un truc en anglais un peu passe partout, avec un vocabulaire limité que tout le monde peut comprendre. Cadeau de consolation un solo de derrière les fagots de Christophe Gillet.  Rock’n’roll vendetta : cette fois dans rock’n’roll dans le pur style Hot Chickens, sans surprise et terriblement efficace, Gillet démarre en trombe pour écraser le chat qui traverse la rue, et tout le groupe suit, une véritable boucherie, du sang partout sur le pavé glissant, aussi puissant qu’une nouvelle de Prosper Mérimée. J’écoute Eddy : quand on enfonce un clou, faut l’enfoncer jusqu’au bout. Oui les Hot Chickens qui ont rendu hommage à Little Richard, à Gene Vincent, au Rock’n’roll Trio, tressent une couronne de lauriers à Eddy Mitchell. Pas spécialement au rocker, plutôt au crooner, pas l’Eddy que je préfère, mais c’est bien qu’un gars comme Loison remette un peu les pendules du rock français à l’heure. Old black Joe : une bonne version, mais l'interprétation de Jerry Lou sur le même tempo avec en arrière-plan son piano dévastateur occulte toutes les autres que j’ai entendues. L’intro a capella, Loison nasal, est réussie mais la rythmique qui suit manque de légèreté. Ce dernier terme devrait être remplacée par tristesse, lassitude, fatigue, nostalgie… Hard workin’ man : un rock à cuisson lente ce qui n’empêche pas la mixture de monter à haute température, ce pauvre homme vous le laisseriez bosser toute la nuit rien que pour entendre la cadence du marteau  de Thierry Sellier marquer le rythme orphique, tout est parfait dans ce titre, une intrication parfaite entre les chœurs et la guitare de Christophe Gillet, la voix de Loison mène la danse du sabbat. Made in France : le titre est en anglais mais les lyrics sont en français. L’on pourrait supposer que le morceau s’inscrit dans la thématique de l’album, mais il n’en n’est rien et il en est tout. L’album est dédié à la mémoire de DIDIER BOURLON qui fut le guitariste des Hot Chickens de 1999 à 2007. Ce sont d’ailleurs ses lyrics, sa voix et sa guitare que l’on écoute que les Hot ont prélevé dans le titre éponyme du dernier album de Didier Bourlon duquel nous avions chroniqué son passage au 3 B à Troyes. Les Hot ont simplement serti la voix et la guitare de Didier dans leur background. Ecoutez les paroles, c’est un rocker, c’est un être libre qui s’exprime. Respect. Blues letter : nous approchons de la fin, c’est donc le blues qui revient, l’était-là à votre naissance, sera encore là lorsque vous passerez sur l’autre rive, la seule berceuse qui vous éveille à la vie et vous endort à la mort. Les Chickens nous font un merveilleux cadeau d’adieu. A credit et en stéréo : le Loison, l’a de la suite dans les idées, termine l’album sur un morceau de Chuck Berry, officiellement oui, car dans la version (en français) qu’en a donné Eddy Mitchell dans son album Rockin’ in Nashville. Reprend l’ironique phrasé du grand Schmall mais y rajoute le violon d’Ayako Tanaka qui se marie à merveille avec la guitare de Christophe Gillet.

             Un album décisif, dans la réhabilitation du french rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

     

    *

             J’avons ramené du concert de Jake Calypso à Troyes le cd:

    THE COMPLETE RECORDINGS  

    THE CORALS

    (ATSR / CD 003)

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     Le premier groupe dans lequel officia Hervé Loison, au total 31 morceaux. Dans cette première kronic nous ne nous occuperons que des morceaux liés aux deux opus du groupe. Dans notre prochaine livraison nous nous pencherons sur les titres enregistrés pour un deuxième album qui  fut  jamais finalisé.

    CRAZY GUITAR

    THE CORALS

    (Mac 121 / 1983)

             Un groupe qui vient de loin. Z’ont trouvé le nom en 1975 dans un train Corail ! Moins original, ils viennent d’Annequin un patelin du nord de la France. Le nord – à cheval sur la France  et la Belgique -   a toujours, historiquement parlant, été une terre rock. Après quelques changements le groupe se stabilisera autour de :

    Pierre Picque : lead guitar / Hervé Loison : bass guitar / Michel Francomme : rhythm guitar / Hubert Letombe : drums.

    Naissance de nos héros dans un mouchoir de poche, 1964 – 1965, juste à  la fin de la période d’éclosion du rock’n’roll français. Certes en 1980 le premier album des Stray Cats déboule en France (et ailleurs) mais eux semblent davantage branchés sur les groupes instrumentaux de par chez nous qui surgirent en 1962 et disparurent en 1965 que par la renaissance rockabilly initiée par nos trois américains. L’est sûr que l’on peut avec passion et patience s’escrimer sur un instrument, par contre l’on ne s’improvise pas chanteur du jour au lendemain… Et puis, raison nécessaire et suffisante Mac Bouvrie patron du label Mac Records recherche un groupe instrumental…

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    Crazy Guitar : certes ils sont au point, mais peu originaux comparés à leurs aînés (j’en écoute beaucoup ces temps-ci) des années soixante. Un gros défaut, le titre ne tient pas ses promesses, il manque la folie annoncée. Un point essentiel, c’est bien un groupe qui joue cohésif, et non pas trois guitares d’un côté et une batterie surnuméraire que l’on intègre tant bien que mal comme un invité surprise que l’on ne sait pas où placer autour de la table.  Coral Rock : c’est d’ailleurs elle qui lance le morceau, les guitares lui emboîtent le pas et s’amusent illico à faire le grand écart autour de la piste, ça poinçonne de tous les côtés et surprise au milieu du morceau vous avez droit à une rafale force 10, elle se calme un peu trop vite, mais elle revient vous claquer la porte au nez sur le final. Perso je pense que  cette face B aurait mérité de s’appeler Crazy Guitar !

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    Seront en cette séance du mois de juillet 82 mis en boite deux autres morceaux qui resteront inédits durant 38 ans :

    Mac’s Boogie : un peu trop la même facture que  Crazy Guitar, mais entre les deux prises ils ont dû  avaler un steak de cheval de course, z’appuient à mort sur leurs instruments et ça s’entend. L’a sans doute été écarté car trop bref. Coral’s Jump : des quatre mousquetaires c’est lui qui mérite le nom de d’Artagnan, chacun à droit à son quart de minutes de célébrité, aucun ne se défile, ça file droit au but, sont au niveau de leurs glorieux aînés. 

    ROCK ! CORALS ROCK !

    (MAC 009 / 1984)

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    Rollin’ Corals Reefs : prennent leur temps, intro battériale, un rythme de stroll et c’est parti, c’est du mignon au point d’Alençon, prenez-en une leçon, l’on secoue la salade doucement, guitare et batterie. Sans sucre ni sel ajouté. Fire for sale : de la guitare comme s’ill en pleuvait. Un peu acoustique, un peu électrique. L’ensemble sonne un peu country. Américain. Ce dernier mot est un compliment. Three steps to rock : le titre n’est pas sans évoquer le Three steps to  heaven d’Eddie Cochran, fausse route le son est assez plaisant, rien de funéraire, dans cette trille maigrelette à l’entrée, pour la suite, ambiance sixties-surf, vacances assurées. L’on ne s’ennuie pas, le groupe vous mène par le bout du nez et vous tient par la barbichette. Southern memories : guitare sombre, changement d’ambiance, un peu de gravité, un soupçon de nostalgie, ces souvenirs se révèlent vite obsédants, ils tourneront longtemps dans votre tête. Devil Coral Blues : le blues s’en vient ronchonner à votre porte, l’heure est grave ? pourtant z’avez aussi une guitare qui ricane ironiquement, le matou bleu a beau faire le gros dos, c’est ce hennissement insidieux de petite souris moqueuse qui clôt le morceau. King of strings : ce coup-ci ils sortent le grand jeu, sont les rois de la gâchette, n’y a pas que les cordes, un orchestre western qui vous dessine une tragédie à OK Corals. Rock ! Corals Rock ! : batterie et basse échangent quelques gifles, ça ne peut pas faire du mal et comme survient une guitare qui jette du sel sur les égratignures, vous ne vous plaignez pas de la tonicité de cette morsure, enfin ces piaillements de garçons vachers pour vous avertir que notre groupe instrumental se lancerait bien dans les vocalises. Question d’envergure, il y a de la toile dans la voilure. Rattling boogie : quand ça ne shake pas, quand ça ne rolle pas ce n’est pas grave puisque c’est obligé que ça rattle un max, depuis quelques titres ils prennent de plus en plus d’assurance, de la vieille musique certes mais entre de jeunes doigts qui ne restent pas inactifs. Walking guitar : des walking deads, à pas feutrés, en chaussettes caoutchoutées, ils ne font pas peur, sont tout mignons, ils vous mèneront en enfer. Et vous penserez : c’est ici qu’on est le mieux.  Spring time rock : rythmique printanière hors de sa tanière, se balade dans la nature que nous qualifierons d’américaine, au début ce sont des sentiers verdoyants mais bientôt c’est presque un entrecroisement d’autoroutes suburbaines. 47Annequion stomp : retour à la maison, une bonne galopade pour revenir chez soi, ils ont un truc à eux, une marque de fabrique, ça leur appartient, on les reconnaît, z’ont le son que les autres n’ont pas. Singulier ! Diamonds Reefs : le meilleur pour la fin, trafiquaient le corail des récifs, désormais ils vous vendent des diamants, bruts ou ciselés, n’y en a pas pour tout le monde, juste pour les plus riches. Parce que les rockers sont tous riches.

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             Ces Corals nous étonnent, vingt ans après, ils ne font pas dans la revoyure, ni dans la copiure. Ils ne cherchent pas, ils trouvent : d’abord jouer ensemble, ensuite rechercher la précision, enfin être eux-mêmes. A suivre.

    Damie Chad.

     

    *

             Si le hasard est improbable, son improbabilité n’est-elle pas probable ? Dans notre livraison 310 du 05 / 01 / 2017 je chroniquais Le Jeune lion dort avec ses dents (1974) de Michel Lancelot, à peine avais-je fini que dans une notule je rajoutais que je venais de trouver un deuxième ouvrage de Michel Lancelot intitulé : Je veux regarder Dieu en face : vie, mort et résurrection des hippies, (1968). Quel splendide hasard m’écriais-je ! Dans les longs jours qui suivirent j’eus le temps de le lire et d’ajouter cette chro à la suite de la précédente.

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             Michel Lancelot (1938- 1984) anima sur Europe 1, l’émission Campus elle commença, juste à temps, le 15 avril 1968 et se termina le 8 septembre 1972, jeunes gens et étudiants perdus dans leurs provinces se hâtèrent d’écouter, Lancelot parlait d’abondance de phénomènes dont les radios n’avaient pas l’habitude de nous entretenir, la contre-culture américaine, la beat generation, le shit, le LSD, les hippies, sans éluder le problème de la non-obéissance, de la révolte, de la violence, et de son corollaire : la non-violence, Lancelot n’était pas un émule de la Bande à Bonnot. Il fut cependant en cette époque un passeur essentiel. Certains soirs l’émission dépassait le million d’auditeurs…

             Voici deux jours, feuilletant l’éphéméride des publications de votre site préféré je tombais par hasard en arrêt sur le nom de Lancelot et les titres de ces deux livres chroniqués, tiens me dis-je si mes souvenirs sont bons il  y  en avait un troisième. Au matin suivant, farfouillant dans une boite à livres je dénichais, quel hasard ce troisième volume ! Je me hâtais de le lire et de le chroniquer :

    JULIEN DES FAUVES

    MICHEL LANCELOT

    (Albin Michel / 1979)

             Si les deux précédents ouvrages relevaient de l’essai, du documentaire, du témoignage, rédigés au cœur de la tourmente tempétueuse qui agitait les esprits en ces années, celui-ci est très différent : un roman que l’on serait tenté de qualifier de politique et de science-fiction s’il n’était pas tout simplement étonnant. Pour ne pas dire déstabilisant.

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    Une nouvelle notule qui a son importance, ce roman n’est pas le troisième ouvrage de Michel Lancelot consacré à ces années tumultueuses. Entre les deux ouvrages susnommés est paru chez Albin Michel en 1971 : Campus : violence ou non-violence. Que je n’ai pas lu mais dont le titre à lui tout seul aide à comprendre la problématique qui structure Julien des Fauves.

    Le roman débute après les évènements de mai 68. Dix ans, vingt ans, cinquante ans après ? Plus ? Moins ? Aucune précision ne permet de désigner une date précise. Ce que l’on comprend, c’est que le grand rêve hippie est terminé. Comme disait Nougaro, une fois la fête terminée ‘’ chacun est rentré dans son automobile’’.

    La secousse a été terrible. L’establishment a été ébranlé en profondeur politique. Nous rappelons que le livre a été publié en 1979, ceci pour démonter la prescience de son auteur. La vieille social-démocratie a été renvoyée par les électeurs qui ont donné le pouvoir aux porteurs de l’idéologie économico-libérale.  S’ouvre une période de pseudo-prospérité qui donne aux populations européennes l’illusion d’un progrès social, les élites ne sont pas convaincues que le calme durera toujours, petit à petit sous couvert de sécurité et de précautions à prendre pour préserver la liberté, s’instaure un ordre des plus coercitifs.

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    Hélas, Mai 68 va renaître de ses cendres. En quelques jours éclate le mouvement des Immatures. De jeunes adolescents, entre treize et dix-sept ans dont le but revendiqué est de détruire la société qu’ils rejettent. Fini les colliers de fleurs, ils sont armés, ils tirent sur tout ce qui s’oppose à leurs mouvements. Ils massacrent allègrement. Faudra l’armée pour les réduire et une longue traque des meneurs qui seront jugés et pendus. Sans pitié. Ces jeunes révoltés ne se revendiquent d’aucune idéologie, si ce n’est bizarrement des premiers chrétiens d’avant la constitution de l’Eglise. L’on se demande alors pourquoi, plus personne en Europe ne se revendique du catholicisme, et les religions sont passés de mode… Le nouveau président de la communauté européenne qui sera porté au pouvoir s’emparera de tous les rouages, il a l’art et la manière d’établir et de maintenir un ordre hégémonique  mais nécessaire, au nom des plus beaux principes et des valeurs de haute culture qui ont permis à la civilisation européenne de dominer du monde… Polices serviles et services secrets ne reculent devant aucun crime : toute tête qui pense différemment est supprimée… Vous saupoudrez le tout d’un taux chômage élevé et tout citoyen sensé n’ose revendiquer une quelconque amélioration… Evidemment l’on désigne un ennemi. Ce seront les Arabes, n’auraient-ils pas les velléités d’augmenter le prix du pétrole. L’on fait semblant de négocier, l’on prépare une bonne guerre…

    Lancelot n’a pas tout inventé, sans doute s’est-il inspiré pour la révolte des Immatures, du film If sorti en 1968, des Khmers rouges cambodgiens (1975) et sur le plan international du premier choc pétrolier de 1973 causé par les pays Arabes. Toutefois toute ressemblance avec notre actualité serait-elle due au hasard ?

    A ce stade-là le roman se trouve dans l’impasse. Question espoir nous sommes en plein vide, dans le No Future des punks. Mais en pire, le mouvement hippie possédait une roue de secours : le christianisme, les hippies ne prônaient-ils pas l’amour universel ? En se réclamant du christianisme les Immatures ont brûlé les vaisseaux de secours de l’idéologie de la non-violence…

    Ne vous inquiétez pas pour le roman. Le héros arrive. Oui, il s’appelle Julien, les lecteurs de Kr’tnt sont perspicaces. C’est surtout Michel Lancelot qui doit se dépatouiller de l’équation qu’il s’est imposée à lui-même. Celle de l’intellectuel qui comprend la nécessité d’un changement violent et qui n’a plus à sa portée théorique le cache-sexe de la non-violence pour se défiler.

    Aujourd’hui Julien se servirait des réseaux sociaux pour toucher la population. Dans les années 70, le média de masse incontournable était la télévision. Julien, le parfait inconnu y accèdera. Grâce à un ami journaliste. Avec la permission, il ne le sait pas, du président dictatorial. Il prononce un discours. Un appel à chacun. Il n’énonce aucune grande vérité.  Que chacun refuse de coopérer avec le Système en place, et s’investisse de sa propre autorité pour ne plus obéir, pour agir selon ce qui lui semble juste. Un peu l’An O1 de Gébé, film de 1973.

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    Oui mais Julien a un truc en plus. Il n’est pas une figure charismatique. Une stature de géant mal-équarrie, un visage sans beauté, pour ne pas dire laid. Oui, mais il dégage. Quoi ? Une certaine force tranquille. D’où provient-elle ? Il n’en comprendra l’origine que trop tard. L’habite un trou perdu. L’a regroupé deux personnes autour de lui. Entre eux, aucune relation de maître à disciple, par hasard se joint à eux une des dernières immatures recherchée par la police. Après son passage à la télévision, du monde arrive, une dizaine, une centaine, mille, cinq mille… Les autorités s’inquiètent. On lui offre une participation à l’émission reine qui attire des millions de spectateurs. C’est un piège. Ses contradicteurs, jouant de son honnêteté intellectuelle, l’acculent non pas dans ses derniers retranchements, mais révèlent qu’il n’a rien de vraiment sensationnel à dire. Flop intégral. La dernière fois où l’on aperçoit il est totalement seul devant l’immeuble de la télévision…

             Et ensuite ? Rien. Lancelot se fout un peu de nous, le méchant-président n’est pas si méchant que cela, il ne déclarera pas la guerre aux Arabes. Tout est bien qui finit aussi mal que l’intrigue avait commencé. Voilà, c’est tout. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Si ! entre temps l’on a compris, Julien a pris conscience qu’il est capable d’entrer en contact avec les forces germinatives de la nature. Cette nouvelle intelligence le retranche de son premier message. Voilà, c’est tout. Vous êtes insatisfait. Vous venez de lire 498 pages, et vous vous retrouvez le bec dans l’eau. Vous vous dites que vous aimeriez savoir ce qu’il va faire de son étrange compréhension des forces de la nature. Lancelot, n’en a pas la moindre idée non plus.  Comme le livre compte exactement cinq cents pages, ne lui en reste que deux pour apporter une solution.

    Lancelot jette sa dernière carte. Ce n’est pas le valet de pique. C’est la dame de cœur. Pas de méprise, la demoiselle de cœur, la petite fille d’une des premières révolucides ainsi se nomment les cinq mille personnes qui se sont regroupées autour de lui. Une petite fille avec laquelle il a noué une étrange relation. Pas du tout pédophilique. Nous la retrouvons dans les deux dernières pages. Seule, au milieu du désert, elle gît sur la terre et elle attend. Peut-être est-elle morte, peut-être la mort et la vie ne sont-elles que des variations dues aux agencements de nos éléments constitutifs. Elle n’est plus une petite fille, elle est un mythe, elle est la Femme.

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    Michel Lancelot n’ajoute aucune explication. A chacun d’interpréter à sa guise. Veut-il nous dire avec Aragon que la Femme est l’avenir de l’Homme, perso je ne souscris guère à cette hypothèse. Je ne crois pas plus aux miracles du Christ qu’à ceux de Marie-Madeleine…

    Si l’analyse de la contre-culture américaine initiée dans les deux premiers volumes doit se résoudre dans cette fable aux forts relents christianophiles… il me paraît inutile de s’appesantir davantage.  Par contre la description des modalités du déploiement du pouvoir politique s’avère des plus fines. Prophétiques même, surtout si l’on pense au ralliement inconditionnel à l’idéologie libérale des élites politiques européennes au début des années quatre-vingts.

    Damie Chad.

    S’il fallait  comparer Julien des fauves de Michel Lancelot avec un autre roman ce serait avec L’Evangile du Serpent de Pierre Bordage paru en 2001.

     

    *

    Johnny Meeks, un des guitaristes mythiques des Blue Caps, parle.  Il aurait tant à dire ! Pour ceux qui veulent en savoir davantage, je conseille de lire les pages que lui consacre Tony Marlow dans Rock’n’Roll Guitare Heros  Hors-Série Trimestriel N° 37 d’avril 2017 de Jukebox Magazine. A la lecture de cet ouvrage indispensable vous comprendrez ainsi que Johnny Meeks ne se vante guère, qu’il occulte toute une partie de son travail auprès de Gene Vincent et reste très succinct quant à sa propre carrière…

             Nous sommes plongés dans ce que nous pourrions appeler une Convention de Disques, nous supposons de rock’n’roll, davantage d’animation que dans les vidéos précédentes, peut-être pas l’endroit idéal pour la concentration qu’exigerait une interview de fond, mais lorsqu’un témoin de première importance prend la parole, il convient d’écouter avec attention. Johnny Meeks nous a quittés voici dix ans, le 30 juillet 2015.

    The Gene Vincent Files #5: The Blue Caps guitarist Johnny Meeks in a rare interview.

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     Johnny est en train de signer sur une brochure intitulée JOHNNY un autographe à un admirateur et répond semble-t-il à une question que l’on n’entend pas : un jour j’ai adoré, c’était le rythme des ados, tu sais c’était la nouveauté et j’ai adoré, et c’est ce que j’ai commencé à jouer, avant ça je jouais des chansons de Hank Williams et puis

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    le beat a frappé le tube rock’n’roll et je suis rentré au rez-de-chaussée du Sullivan Show un de mes amis était à Washington DC, ainsi va la vie, il marchait dans la rue, il a vu Gene Vincent, il s’est approché de lui et lui a dit ‘’ N’es-tu pas Gene Vincent’’, il a répondu’’ Oui, je suis à la recherche d’un guitariste rythmique’’ et Paul Peek (il sera guitariste puis clapper boy chez les Blue Caps) a dit ‘’Eh bien je joue de la guitare rythmique’’ , Gene a répondu ‘’ Tu veux un travail de guitariste rythmique ?’’ et Paul l’a rejoint, pour moi ça a bien commencé environ deux jours plus tard. Gene a dit maintenant nous avons besoin d’un guitariste solo, et Paul a répondu : J’en connais un à Greenville en Caroline du Sud, il joue dans un groupe là-bas et ils sont venus de Portsmouth en Virginie à Greenville pour me voir, je jouais sans doute un vendredi soir dans un truc style lycée, ils sont venus me voir et m’ont embauché sur place, alors je suis retourné à Portsmouth en Virginie, nous avons répété un peu et nous sommes partis sur la route. A cette époque je jouais d’une guitare à trois manches, il n’y en avait qu’une de plus dans le monde entier et j’avais la deuxième guitare à

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    trois manches dans le monde et Bubba (surnom de Tommy Facenda lui aussi clapper boy)  a raconté que c’est à cause de cette rareté que Gene m’a embauché et non pour mon jeu. Gene voulait cette guitare à trois manches dans son groupe, je l’ai finalement vendue à Gene et il m’a acheté une toute nouvelle Gretsch pour jouer et je lui ai vendu la guitare à trois manches donc il est devenu le seul propriétaire d’une guitare à trois manches donc c’est comme ça que selon Bubba je suis devenu l’un des Blue Caps. Gene était très généreux, il n’était pas une star du genre Primadonna, il était très terre à terre, mais il avait, j’avais l’impression qu’il était toujours mal, il avait eu un accident de moto et s’était cassé la jambe très gravement, elle n’a jamais guéri correctement, et j’ai l’impression qu’il avait mal, énormément, énormément, pour quelqu’un qui devait avoir mal 24 heures sur 24, j’ai l’impression qu’il s’est plutôt bien débrouillé. Oui, j’ai fait les premiers Blue Caps. Je comprends qu’ils 

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    voulaient  rester à la maison, ils avaient des femmes, des enfants, des boulots et ils n’aimaient pas la route. J’ai adoré parce que ça m’a fait sortir de Greenville, en Caroline du Sud, et nous allions partout dans le monde. Je veux dire, un petit gars en Caroline du Sud, un jour on est à New York, le lendemain à Chicago, le surlendemain à Dallas, le jour suivant dans le Dakota du Nord, c’était très excitant pour moi. Sûr je ne l’aurais échangé pour rien au monde. Mais Roy Orbison, Johnny Cash, Carl Perkins, Jerry Lee Lewis, tous les grands noms de l’époque, c’était en  57, vers Mars ou Avril, en 57, c’était une grande tournée en tête d’affiche, ils appelaient ça des packages shows, il y avait peut-être sept, huit ou dix artistes dans le même show.

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    Celui qui avait le plus gros succès à l’époque était la tête d’affiche du show. Vous savez, Gene avait à peu près le plus gros succès donc nous avons toujours clôturé le show. Gene et les Blue Caps. et  il était difficile de passer après Jerry Lee. Ils lui ont fait ouvrir le spectacle et tous les autres médiocres le suivaient, ça n’a pas vraiment marché, après une semaine ils ont dû réorganiser le modèle et arriver à disons à Furland H ou Sonny James pour ouvrir le spectacle, vous savez et Jerry Lee a dû venir à peu près jusqu’à la fin parce qu’il était si dynamique, vous savez, et puis nous suivions Jerry Lee parce que nous étions un peu plus dynamiques que lui, mais Jerry Lee, peut, oh oui ! jamais, nulle part  il ne sera un second couteau ! Il sait où se trouve sa place. Ainsi en Australie, nous avons joué là-bas pendant deux semaines avec Little Richard, inutile de dire qu’il a dû clôturer le spectacle, vous ne pouvez pas passer après Little Richard, ça s’appelait Send me some Lovin et ça a dû atteindre le numéro 10, ça n’a jamais été aussi gros que Be Bop A Lula, ça a atteint le numéro 10 et c’est comme ça, j’en suis fier et je signe mes autographes et tout ça, si c’est pour

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    une femme, je signe ‘’ beaucoup de semaines d’amour, Johnny’’ maintenant, je ne fais pas nécessairement cela pour les gars, vous savez, mais je suis fier de ça, beaucoup d’amour était le premier disque sur lequel j’ai joué et c’était un gros succès, et j’étais vraiment content de ça. Hollywood Capitol Tower, Hollywood, où je pense que Be Bop A Lula a été gravé, je suis presque sûr que ça a été gravé à Nashville, mais après ça tout a été enregistré à la Capitol Tower, Gene a eu un gros

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    succès grâce à une chanson intitulée Say Mama et j’en ai écrit la moitié moi et un gars nommé Country Earl, nous nous sommes réunis et avons écrit la chanson ensemble, je l’ai jouée pour Gene et nous l’avons enregistrée et elle se vend toujours à ce jour, c’était en 1958 et je reçois toujours dix ou quinze cents tous les six mois, vous savez donc c’est pour ça que je me dis que ça dure une seconde pour être… Quant à  Be Bop A Lula c’est l’un de ses plus gros succès, environ quatre albums et peut-être environ 15 singles, je joue sur la plupart de ses morceaux après Be Bop A Lula. Ils ont gravé Be Bop A Lula puis je pense deux albums, un ou deux albums là-bas, dans une période d’environ cinq mois. Les deux premiers des albums et Be Bop A Lula était la première formation des Blue Caps, c’était Cliff Gallup qui jouait la guitare leader, après ça j’ai joué ( l’on voit Meeks accompagné d’une jeune fille marcher dans

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    les allées) sur presque toute cette période de Gene sur Capitol. Tout le groupe se séparait, tout le monde voulait rentrer à la maison, ce n’était plus tout à fait le même groupe, Dicky le batteur est revenu et est parti et est revenu et est reparti, Bubba et Paul ont fait la même chose, ils sont revenus pour le film, puis sont repartis, ce n’était pas le même groupe, le même lien, ils envoyaient quelqu’un d’autre et il restait un moment et il partait. Donc c’est devenu fatiguant que tout le monde veuille arrêter et rentrer à la maison, et bla-bla-bla, nous étions à Hollywood, il n’y avait aucun moyen que je quitte Hollywood pour retourner à Lauren en Caroline du Sud, donc je suis resté à Hollywood et on m’a proposé un travail avant le jour où nous allions nous séparer, nous enregistrions à Capitol et tout le monde allait finir ça, et rentrer à la maison, donc nous avons terminé l’enregistrement et je suis resté à Hollywood, je n’étais pas prêt de retourner à la maison. Vous savez donc j’ai juste

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    continué à partir de là j’avais un travail que j’ai joué, puis j’ai joué un autre boulot, j’ai joué un autre, joué un autre, puis un autre, j’ai rejoint les Champs, quitté les Champs, et suis allé quelque part, bla-bla-bla, ça dure depuis cinquante ans ce jeu et je n’ai pas encore eu à demander pour un boulot… Gene était programmé en Angleterre, Eddie était programmé en Angleterre, et Gene voulait que j’aille avec eux, sur cette tournée qui a tué Eddie, j’aurais pu être dans le même taxi avec lui, mais j’ai refusé, je n’y suis pas allé, alors Gene a demandé à Eddie de le soutenir sur scène, tu sais maintenant Eddie n’a pas fait tous les anciens morceaux et tout ce qu’on avait fait mais il jouait bien de la guitare, donc il soutenait bien Gene sur Be Bop A Lula et des trucs comme ca, moi j’étais avec les Champs à ce moment-là, des gars qui avaient créé Tequila, je jouais avec les Champs, on était dans un bus, en direction de Cleveland je crois, et ils m’ont réveillé pour me dire que Gene Vincent et Eddie Cochran venaient d’avoir un accident de voiture en Angleterre, ils avaient entendu la nouvelle  à la radio. Ils m’ont réveillé pour me dire de me réveiller, pour me dire sur Gene Vincent et qu’ Eddie Cochran vient d’être tué dans un accident de voiture en Angleterre. Je me suis dit, oh mon Dieu c’est la même tournée que j’aurais pu faire. Lorsqu’il  était à Los Angeles, il a essayé de m’embaucher ou de partir en tournée avec lui, ou quelque chose comme ça. Et je… il n’y était pour rien. je ne voulais tout simplement pas le faire. Je faisais, d’autres choses vous savez et ça n’aurait pas été pareil en aucun cas sans les autres Blue Caps, Vous savez comme je l’ai dit, nous avions un lien particulier qui n’a jamais pu être brisé… L’incrédulité, vous savez quoi ? Gene est mort et j’ai dû entrer dans les détails. Il était revenu d’Angleterre.

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    L’ironie de la chose c’est que j’étais à environ deux ou trois miles. Il était à environ deux ou trois miles de moi, quand il s’est effondré. Je jouais dans une boîte de nuit et il vivait environ à trois ou quatre miles de là. Je jouais dans cette boîte de nuit et il était environ à quatre miles de là mourant d’un ulcère hémorragique. Il ne savait pas que j’étais là et je ne savais pas. Il était là, on était proche pour ainsi dire jusqu’à la toute fin, dans le sens où c’est arrivé en Californie et c’était le lendemain ou quelque chose comme ça avant que ça ne sorte dans le journal, avant que je ne le sache, je ne le savais pas et c’est sorti dans le journal et je dis  qu’à ses funérailles j’étais un Paul Bearer (porteur de cercueil), et c’était triste, très triste, Gene. J’ai vu beaucoup de documentaires et toutes ces choses sur le rock and roll, et ils ne mentionnent que très rarement, voire jamais, Gene. Gene était une grande star à cette époque et ils ne le mentionnent presque jamais, il n’est presque pas reconnu comme je l‘ai dit, et les Blue Caps sont très populaires en Angleterre, mais aux Etats Unis, ici il est très difficile de trouver quoi que ce soit sur Gene Vincent et les Blue Caps, ils mentionnent Jerry Lee, Elvis, Sam Cooke, Jackie Wilson, et Little Richard et jamais Gene, et nous étions tous là, dans le même sac, et j’ai joué comme je l’ai dit dans une centaine de groupes et aucun d’entre eux n’a été aussi proche pour moi. J’ai encore des souvenirs des Blue Caps   ce ne sera jamais pareil, ça ne sortira jamais de ma tête, et je n’ai pas forcément un tel lien avec d’autres groupes, tu sais les Blue Caps étaient uniques en leur genre,

    Say Mama, can I go out tonight?
    Say Mama, will it be alright?
    They got a rockin' party goin' down the street
    Say Mama, can't you hear that beat?

     Dis-moi, maman, je peux sortir ce soir ? Dis-moi, maman, est-ce que ça va aller ? Il y a une super fête dans la rue. Dis-moi, maman, tu n'entends pas ce rythme ?

    Damie Chad.

    Notes :

    Sonny James (1928 – 1983), chanteur de country dont le titre de gloire reste  Young Love paru en 1957.

    Ferland H : vraisemblablement Ferlin Huskin (1925-2011) en contrat avec Capitol Records, son simple Gone paru en 1957 fut classé quatrième au Billboard Top 100.

    Toutes ces vidéos consacrées à Gene Vincent sont à voir   sur la chaîne FB : VanShots - Rocknroll Videos.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 580 : KR'TNT 580 : BILL GRAHAM / HARLEM GOSPEL CHOIR / SEX PISTOLS / GUIDED BY VOICES / BABY WASHINGTON / ROCKABILLY GENERATION NEWS 24 / HOT CHICKENS / OSE / CARACARA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 580

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 12 / 2022

             BILL GRAHAM / HARLEM GOSPEL CHOIR

    SEX PISTOLS / GUIDED BY VOICES  

    BABY WASHINGTON

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HOT CHICKENS / OSE / CARACARA

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 580

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Pas de gras chez Graham

     

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             Grand organisateur de concerts devant l’éternel, Bill Graham reste aux yeux de tous l’un des personnages clés de la grande saga du rock. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit simplement de lire son autobio, un puissant book de 500 pages, Bill Graham Presents: My Life Inside Rock And Out. Puissant car publié sous forme d’oral history, donc vibrant, et la voix de Graham, c’est pas de la gnognote, amigo. Graham est un sacré gueulard, un déplaceur de montages, un rescapé de la mort, un authentique admirateur de grands artistes, un homme à idées, un homme clé, il est toujours là quand il faut, même s’il n’organise pas : Woodstock, Monterey, il s’y rend, pour voir, mais c’est lui qui fait The Last Waltz, qui fait le Live Aid, qui fait les Pistols au Winterland, et bien sûr tous les concerts légendaires aux deux Fillmore, l’East et le West, et quand on dit légendaires, ça veut dire Jimi Hendrix, Sly & The Family Stone, Miles Davis, plus toute la scène de San Francisco dont il est l’un des accoucheurs, et par la suite, il va emmener les Stones et Dylan en tournée. Le book est passionnant, Graham apporte des éclairages fantastiques sur pas mal d’artistes et d’événements, et à aucun moment, il n’envisage de lâcher la rampe, même s’il finit par fermer ses deux Fillmore. Pourquoi ? Parce qu’il ne supporte pas de voir changer les mentalités de ses interlocuteurs. Dans les années 80, le biz commençait en effet à évoluer, mais pas dans le bon sens.

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             On trouvera le vrai Bill dans les pages où il relate lui-même des incidents. Tiens on va en prendre un au hasard pour commencer. Première tournée américaine de Cream en 1967. Bill les fait jouer cinq soirs de suite au Fillmore West avec le Paul Butterfield Blues Band en tête d’affiche. Puis il met Cream en tête d’affiche six soirs de suite avec l’Electric Flag et Gary Burton. Six mois plus tard, il les refait jouer au Fillmore avec James Cotton et Blood Sweat & Tears. Le problème, c’est leur manager, Stigwood. Sur le côté de la scène, Bill a fait installer six chaises pour ses frangines et leurs maris. Stigwood se pointe entouré de deux gardes du corps et demande pour qui sont prévues ces chaises et on lui répond «Pour la famille de Monsieur Graham.» Alors un émissaire de Stigwood vient trouver Bill et lui dit : «Excusez-moi Bill, vous voyez, là-bas, c’est Robert Stigwood, the manager of the Cream. Il aimerait s’asseoir sur ces chaises. Je sais qu’elles sont prévues pour vos sœurs, mais vous pourriez peut-être trouver un autre arrangement ?». Alors Bill lui répond : «Pouvez-vous trouver un autre arrangement pour Monsieur Stigwood ?». L’émissaire le reprend : «No no no, il aimerait que ce soit VOUS qui trouviez un autre arrangement pour votre famille.» Alors Bill qui en a vu d’autres lui balance : «Dites-lui que ce n’est pas possible. Le show va commencer.» L’émissaire fait plusieurs allers et retours et finit par dire à Bill que Monsieur Stigwood se sent insulté - Savez-vous qui il est ? - Bill lui répond que oui, il sait qui il est. «Je suppose qu’il sait aussi qui je suis. Donc il doit savoir qui sont mes sœurs. Voulez-vous aller lui dire que mes sœurs ne bougeront pas de leurs chaises ?». Alors l’émissaire revient voir Bill et lui annonce que le groupe ne jouera que si son patron récupère ces chaises. Alors Bill installe ses sœurs sur les chaises, récupère quatre mecs de la sécurité et va trouver Stigwood pour se présenter : «I’d like to introduce myself.» Stigwood lui répond : «Yes, je sais qui vous êtes, Bill.» Alors le grand Bill abat son jeu : «Good. Soyons-en sûrs. Je suis Bill Graham. Vous êtes Robert Stigwood. C’est votre groupe. Ces trois dames sur scène, sont mes sœurs. Vous ne pouvez pas insulter mes sœurs de cette façon. Maintenant vous devez prendre une décision. Soit vous quittez cette salle tout seul, soit je vous fais sortir de force.» Et pouf, il le fait sortir de la salle, accompagné par deux de ses gros bras. Bill va ensuite trouver les trois Cream dans la loge pour leur expliquer ce qui vient de se passer et Ginger Baker résume la scène en une seule phrase : «Really? That’s marvellous. That IS marvellous.»

             Bill règle tous les problèmes d’homme à homme et le book grouille de problèmes, alors Bill monte au front et affronte les cons et puis aussi les connes, ça grouille sur la planète, tu n’as pas idée, et le book devient vite fascinant, rien que de voir cet homme à l’œuvre. On croit tous que le rock, c’est une amusette, un truc sympa, des guitares, des belles fringues et de la jolie musique, mais en fait, c’est un extraordinaire foutoir et il faut des gens de la trempe de Bill pour tout débloquer, tout orchestrer et épargner aux gens le spectacle du foutoir généré par les cons. C’est la raison pour laquelle il a besoin de ces 500 pages pour en parler. Comme le disait si justement Léon Bloy : «Il y a trop d’imbéciles, on ne peut pas tous les rosser.»   

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             Un autre épisode : Bill vient de lancer le Fillmore Eat à New York et il fait le tour du pâté de maisons pour voir si tout va bien. Il repère quatre kids de 10-12 ans qui donnent des coups de talon dans l’une des portes de secours du Fillmore. Bill leur dit d’arrêter de taper, et il poursuit son chemin. Quand il repasse devant eux, l’un des kids tape encore. T’as entendu ce que j’ai dit ? Et le kid lui répond «Fuck you !». Et il se remet à taper du talon dans la porte. Bill vient se camper devant lui : «Hey !» Le kid arrête et répond : «Yeah ?». Alors Bill lui dit qu’il vient d’acheter le bâtiment et qu’il s’appelle Bill. «What’s your name ?» «Rusty.» Alors il lui parle d’homme à homme : «Rusty, mettons les choses au clair. Je ne veux pas de cette merde ici.» Puis il leur demande à tous les quatre s’ils vivent dans le quartier. Et pouf c’est parti. Bill a établi le contact. Il leur propose aussitôt un petit job, surveiller la rue où on décharge les camions. Vous voulez voir les shows ? Vous entrez dans le bureau et vous y allez. Ici on fait gaffe aux camions et au bâtiment. Ça vous dit de surveiller ? Et pendant trois ans , les kids vont surveiller la rue pour Bill. Ils vont donner un coup de main à décharger pour quatre bucks an hour et vont voir presque tous les shows. «Je n’ai plus jamais eu de problèmes avec eux.» Voilà Bill. C’est ce genre de mec. 

             Ahmet Ertegun l’admire énormément : «Bill Graham n’avait peur de rien. De rien. Comme un guerrier invincible, il affrontait n’importe quelle situation, il passait à travers tout. Syndicats, gros durs, tout. Je le considère comme l’une des vraies légendes du rock’n’roll, parce qu’il disposait d’une incroyable vitalité et d’une forte personnalité. Bill Graham était un immigrant qui vint aux États-Unis avec des idées et des espoirs, et qui trouva une niche extraordinaire. Il s’est construit un monde.» Difficile d’imaginer plus bel hommage, surtout de la part d’un homme qui comme Bill vient de loin. Turquie pour l’un, Allemagne pour l’autre.

             Quand Ahmet dit que Bill ne craint personne, il s’appuie sur des faits réels. Quand Bill s’installe à New York, les Hell’s Angels ont un QG dans le même secteur. Bill programme un concert du Dead, et les Angels veulent entrer gratuitement. Chez Bill, tout le monde paye sa place. C’est la règle. Les Angels gueulent : «Open the fucking doors !». Et Bill leur dit non. Il fait face à une énorme meute. Il reçoit soudain une chaîne en pleine gueule. Il sent le sang couler. Mais il ne bronche pas. Il s’essuie le visage de la main et continue de les fixer du regard, sans rien dire. Rien ne se passe, alors que ça pouvait dégénérer. Silence. Alors ils s’en vont. «À partir de cet instant, nous dit Bill, je n’ai jamais plus eu de problèmes avec les Angels à New York. Comme j’avais tenu bon, ils sont allés tenter leur chance ailleurs.» Il a aussi de sérieux problèmes avec un gang anarchiste qui s’appelle The Motherfuckers. Comme il réclament un droit à s’exprimer, Bill leur file un bureau à l’intérieur du Fillmore, à l’étage. Ils font une feuille ronéotypée qu’ils distribuent dans les concerts. Et puis un jour, Bill tombe sur un texte qui ne lui plaît pas du tout : «On a entendu dire que Bill Graham a perdu ses parents dans un camp de concentration pendant la guerre. C’est une honte qu’il ne soit pas allé avec eux.» Alors Bill les vire du Fillmore à coups de pieds au cul.

             Oui, car Bill est un juif allemand rescapé de la Seconde Guerre Mondiale. Il fit partie d’un petit groupe d’enfants juifs envoyés en France, quand c’était encore possible. Le groupe gagnera ensuite l’Espagne puis l’Afrique du Nord. C’est à partir de Dakar qu’il rejoindra les États-Unis, à bord d’un navire. Il sera l’un des onze survivants du petit groupe d’enfants juifs. Il donne tous les détails. Il faut lire ça.

             Un autre incident captive bien l’attention : une équipe est en train de tourner Last Days At The Fillmore et Mike Wilhelm vient demander à Bill de mettre les Charlatans à l’affiche du dernier concert prévu au Fillmore. Wilhelm est habillé en biker, avec la casquette en cuir et les clous. Bill lui dit qu’il n’y a plus de place. No room. Ils échangent quelques mots et Bill lui dit qu’il préfère mettre au programme des groupes qu’il a déjà vus et qu’il aime bien, et donc les gens les aimeront bien aussi. Le problème c’est qu’il n’a jamais vu les Charlatans. Pas de chance. Alors, dépité, Wilhelm lui répond : «Yeah, well, well, I’d just like to say ‘Fuck you and thanks for the memories, man’, you know?» Bill raccompagne Wilhelm à la porte et lui dit : «La prochaine fois que tu me dis ‘Fuck you’, j’espère qu’il n’y aura pas de caméras dans les parages. Je te péterai les dents et te les enfoncerai dans les trous de nez, fucking animal !». Et Wilhelm lui dit : «Mais je ne te hais pas !». Bill enrage : GET OUTTA HERE! Sors d’ici immédiatement ! Viré le biker. Bill déteste qu’on lui manque de respect.

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             Last Days At The Fillmore vaut le coup d’œil, presque deux heures qui te font regretter d’avoir raté tous ces concerts, car c’est du haut niveau de San Francisco. Le film est sur YouTube,  on ne perd pas son temps à le visionner. Surtout qu’on voit Bill superstar régler ses problèmes au téléphone avec des gens qui ne respectent pas leurs engagements. Fuck yourself ! Tous les plans scéniques sont passionnants, ça commence avec Cold Bood et cette blonde qui y va, une vraie Soul scorcheuse, big bassman derrière, section de cuivres, c’est du solide. Même chose pour Boz Scaggs, l’ex-Steve Miller Band, il joue un immense balladif de big American rock avec un feeling inexorable, il chante à l’accent tranchant - get up make my life shine - il passe un solo magistral et c’est cuivré de frais. Avec The Elvin Bishop Band, il est la révélation du movie. On comprend que Bill ait craqué pour ces gens-là. Cold Blood, Boz et Elvin Bishop, c’est déjà énorme. On passe aux stars avec Hot Tuna. Bill les présente, Papa John Creech, Jack the crack sur sa basse Guild et «the sex symbol of Sandinavia, Jorma Kaukonen». Une sous-Janis avec des gros seins arrive sur scène : c’est Lamb, puis tu as Quicksilver, l’aristocratie psychédélique de San Francisco. Et bien sûr on s’ennuie comme un rat mort pendant It’s A Beautiful Day et le Grateful Dead. La tête d’affiche n’est autre que Santana. Carlos et son gang sont, avec le Dead, les grands chouchous de Bill. Et entre deux plans scéniques, Bill rappelle qu’il fit partie d’un groupe de 60 Jewish kids exfiltrés d’Allemagne quand c’était encore possible et seulement 11 sont arrivés vivants à New York. 

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             Après être entré aux États-Unis en 1941, Bill change de nom et grandit à New York. Il trouve le nom de Graham dans le bottin téléphonique. Comme il s’appelle Wolfgang Grajonca, les gens le charrient, «Hey junkie !». Il cherche un nom approchant en Graj ou en Grak et pouf, il tombe sur Graham - Je voulais un nom simple. Mais je le vis mal depuis, car je n’aime pas ce nom. Je l’ai jamais aimé. Je préférais Grajonca. Mais je n’aimais pas ce que les gens en faisaient - Toute la première partie du book est passionnante, car il entre bien dans tous les détails. Sa première passion est la musique latino, et un club, The Palladium, «at Fifty-five and Broadway, it cost a buck-fifty to get in.» Il raconte qu’il allait au Brooklyn College puis rentrait à Manhattan. «Go to the Palladium, throw my books into the checkroom and dance for hours on end. Till three or four in the morning.» Il ajoute qu’il lui arrivait d’aller directement au collège le lendemain matin. Nuits blanches au Palladium ! C’est extrêmement bien raconté, on se croirait chez Mezz Mezzrow. Il est dingue de Machito, de Tito Puente, de Tito Rodriguez - Everybody dancing and dancing and the entire ballroom would get off. We weren’t all making love at once but we were in the eye of this wonderful storm. Dancing inside this great groove. Time out, world - Et il continue : «Au milieu d’une chanson l’orchestre s’arrêtait, sauf le bassiste. Mais tout le monde continuait à danser. On claquait des mains pour garder le tempo et tout le monde succombait au charme de cette musique, des milliers de gens. On gardait le tempo pendant le solo de basse et l’orchestre revenait. Des milliers de gens. Tout le monde se sentait bien. Everybody felt so good.» Ce passage est capital, car il éclaire le destin de Bill : avec ses Fillmore, il va tenter de recréer ce qu’il vivait au Palladium : l’everybody felt good. Bill ne pense qu’aux milliers de gens dans la salle. «The Palladium a transformé ma vie.»

             D’où le Fillmore. Il commence par organiser ce qu’il appelle des benefits pour The Mime Troupe. Le Fillmore Auditorium appartient alors à un black, Charles Sullivan et Bill va le lui louer pour organiser ses premiers concerts, de décembre 1965 à juin 1968. C’est l’aube de la Scène de San Francisco. Pour son second benefit, il a Grace Slick and Darby Slick and the Great Society, the Mystery Trend avec Ron Nagle, et Frank Zappa le second soir. La grande spécialité de Bill va être de constituer des affiches hétéroclites. Quand il se sépare de Ronny Davis et de la Mime Troupe, il continue tout seul au Fillmore Auditorium. Pour le concert de fermeture, il a Creedence, Steppenwolf et It’s A beautiful Day. Le lendemain, il ouvre le Carousel qu’il rebaptise le Fillmore West, avec à l’affiche le Paul Butterfield Blues Band et Ten Years After. Il peut faire entrer 28 000 personnes dans son Fillmore. C’est Bill qui invente les light-shows et les posters, en plus du reste. Il est à lui tout seul une petite révolution culturelle. Quand il ouvre le Fillmore East à New York, il ambitionne de créer un Apollo pour les blancs - À l’Apollo on disait aux musiciens : «Tu as un truc à dire ? Monte sur scène et dis-le !». Quand tu montais sur scène au Fillmore East, tu savais ce que ça voulait dire. Sound, lights, special effects, light show. You want to show the world your stuff? Do it here. Le Fillmore East est devenu ce que j’espérais. Mais le prix à payer était trop élevé.

             Bill fait même du Fillmore une profession de foi, il est incroyablement déterminé : «À cette époque j’avais 35 ans. Ma génération avait été une génération passive. Mais sur les campus et in the Haight, les peintres et les musiciens s’agitaient, ils voulaient quelque chose de différent, ils ne voulaient pas suivre le modèle de la génération précédente. J’étais là à cette époque de ma vie, l’enjeu était beaucoup plus important que de réussir dans la vie. J’avais sous les yeux de théâtre de la vie. It was a living theater. Everybody was REAL.» Cette notion d’everybody est fondamentale. Bill ne se situe que par rapport à l’everybody. Le collectif, the people, c’est tout ce qui compte. Quand dans Last Days At The Fillmore, on le voit marcher à travers la foule qui fait la queue pour entrer au Fillmore, la caméra est sur son épaule et franchement, tu as l’impression de suivre le Christ, c’est une scène très particulière, les gens savent qui est Bill et lui montrent un immense respect.

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             Comme Totor, Bill est un fervent admirateur de Lenny Bruce. Quand il réussit à le faire jouer au Fillmore, c’est peu de temps avant la fin : «Je ne peux pas dire qu’il ait été bon sur scène. The performances were like eulogies to himself. Les gens n’ont vu qu’un artiste diminué par le harcèlement (a person who had been fucked with for a very long time). It was the living death of a genius (Un génie en train de mourir sur scène). Il s’est attaqué à la loi et il a perdu.» Bill ajoute que les Mothers Of Invention ont sauvé la soirée. «Lenny Bruce était nu sur scène, et vaincu. Six semaines plus tard, il était mort.»

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             À la demande de l’Airplane, Bill devient leur manager. Mais la relation est houleuse car comme le dit Bill Thompson, Bill ne les comprend pas - They had horrible fights - Pour Thompson, Bill était celui qui a rendu possible l’éclosion de la scène de San Francisco, «sans lui, rien n’aurait pu exister, mais il ne les comprenait pas». L’Airplane ne veut pas signer de contrat avec Bill. No way. Paul Kantner dit aussi que Bill ne comprenait rien au fonctionnement de l’Airplane qui était basé sur l’acceptation réciproque de tous les travers - Bill avait ses manies et nous avions les nôtres. Parfois, on s’entendait bien, parfois on ne s’entendait pas - En 1966, tous les groupes déboulent à San Francisco. Dave Rubinson rappelle que les meilleurs étaient Moby Grape et Steve Miller - Big Brother was terrible, c’est-à-dire pas terrible. The Airplane was terrible. The Warlocks who then became Grateful Dead were terrible. All these people, they were horrible - C’est aussi ce que dit Sly Stone qui est à cette époque producteur : il ne supporte pas d’entendre les Warlocks et les autres hippies. Il les considère comme des amateurs. Le seul groupe qui trouve grâce à ses yeux, c’est The Beau Brummels. Rubinson dit aussi que tous ces groupes jouaient du blues mais qu’ils ne savaient pas le jouer. En plus de Moby Grape et de Steve Miller, il salue aussi Sons Of Champlin.

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             Quand Bill programme Otis au Fillmore en décembre 1966, il tombe à genoux : «By far, Otis Redding was the single most extraordinary talent I had ever seen. There was no comparison. Then or now.» Bill raconte Otis sur scène, avec 18 musiciens, «the black Adonis, en costard vert, chemise noire, cravate jaune, he moved like a serpent. A panther stalking his prey. Knowing he was the ruler of the universe. Beautiful and shining, black, sweaty, sensuous, and passionate.» Bill n’en peut plus, c’est à longueur de page, et il ajoute : «C’est en voyant Jimi Hendrix que j’ai réalisé qu’Otis était là avant lui. Jimi fut le premier à avoir un public de blanches qui le désiraient ouvertement. Mais Otis was the predecessor.» Bill se souvient de ses trois soirs au Fillmore : «That was the best gig I ever put on in my entire life. Je le savais alors. Aucun doute là-dessus. Otis pour trois soirées au Fillmore. C’était aussi bon qu’une bonne partie de cul avec une femme qu’on aime vraiment. So was that.»

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             Bill fait aussi découvrir les Staple Singers aux Frisco kids - Mavis Staples for me was the same class as Aretha. They worked with Rahsaan Roland Kirk and Love - Il programme aussi Howlin’ Wolf - It was amazing - Bill récupère les numéros de téléphone de tous ces géants qui ne bossent pas avec des agences. Wolf lui refile par exemple le numéro de Big Joe Williams. Bill explique aussi qu’en 1966, les kids de 17 ans ne savaient pas qui étaient Chuck Berry, B.B. King ou Albert King. Mike Bloomfield et Jorma Kaukonen n’en finissent plus d’insister auprès le Bill : «Chuck Berry doit jouer au Fillmore !». Mais Chucky Chuckah ne veut pas venir jouer. «The Fillmore, man ? I don’t know.» Alors Bill prend l’avion et va le trouver chez lui à Wentzville, dans le Missouri. Chucky Chuckah accepte de venir jouer à trois conditions : tu fournis l’orchestre, tu fournis the Showman Amp et tu fournis la Cadillac à l’aéroport. Bill parvient aussi à faire venir Muddy Waters au Fillmore, à l’affiche avec Butterfield et l’Airplane - Tous les musiciens voulaient voir Otis, mais ils voulaient aussi tous jouer avec Muddy Waters. Otis Spann l’accompagnait et ils ont joué «Hoochie Coochie man» et «I’m A man», I spell M-A-N. Muddy was awsome - Et dans sa lancée, il ajoute : «Muddy was a lot like John Walker. He was older. He had that regal presence. He had lived throught a lot of shit but he didn’t make the world pay for it. Butterfield revered him. Il y a deux ou trois noms dans le business qui figurent on the top ten list of every musician I know. Muddy was one of those people.»    

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             C’est Bill qui lance Janis au Fillmore. Il la compare à Piaf - Au début, il n’y avait pas de stars. Les groupes jouaient, c’est tout. Puis ça a commencé. On la considérait comme une déesse. Ça a dû avoir un effet sur elle. Elle n’avait pas le choix, de toute façon. Elle est devenue star malgré elle. Les filles s’habillaient et se coiffaient comme elle. Ce n’était pas la même chose que Judy Garland ou Billie Holiday qui chantaient dans des clubs. Janis chantait dans toutes ces grosses salles qui sont apparues pendant les sixties. Le résultat est qu’une blanche originaire de Port Arthur, au Texas, est devenue une reine sociologique internationale. Mais elle était restée telle qu’elle était avant la starisation - Chet Helm, le boss de l’Avalon qui avait fait revenir Janis à San Francisco, pense que the Albert Grossman organization qui avait mis le grappin sur elle voulait en faire «the white Billie Holiday, the Blues singer. Down and out and junked out.»

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             Même plan avec Jimbo. Bill se dit big fan - De toute évidence, la gloire l’a affecté au point qu’il ne pouvait plus la supporter. À l’origine, Jim voulait être réalisateur, écrivain et poète. Mais soudain, le monde entier l’idolâtrait. Il fut le premier male sex symbol in rock. He and Hendrix -  Lors d’un concert à Cleveland, Jim dit qu’il vient de réaliser que toutes les femmes présentes dans la salle voulaient baiser avec lui. Même problème avec Jimi Hendrix, le premier artiste noir désiré massivement par des femmes blanches - They wanted to fuck him as a unit. After Otis, he was the first black sex symbol in White America - Quand Otis et Jimi ont disparu prématurément, ça a dû arranger pas mal de gens. On reste dans les monstres sacrés avec Miles Davis que Bill fait jouer au Fillmore West avec Stone the Crows et le Dead. L’idée de Bill était de faire découvrir la musique de Miles aux fans du Dead, mais l’idée ne plaisait pas à Miles. Alors Bill doit aller le voir pour le convaincre - Aller voir Miles, c’est comme d’aller voir le Dalai Lama. Obtenir un rendez-vous, ça peut prendre quatorze ans et demi. Tournez à gauche deux rues plus loin. Trouvez une cabine et appelez. On vous dira où aller. Mais rien de sûr. Il est peut-être là. Il devrait être là. J’ai fini par le rencontrer sur 127th Street and Lennox Avenue, à Harlem - Bill parvient à le convaincre car il lui parle de ses premières amours, Tito Punente, Celia Cruz et Dizzy Gillespie.

             Puis Bill fait jouer Roland Kirk - He destroyed me. La première fois, ce fut au Fillmore Auditorium en 1967. Comme j’avais aussi l’Airplane qui remplissait systématiquement, je pouvais programmer qui je voulais - Alors il programme the Afro-Haitian Ballet et en ouverture, Roland Kirk - Il arriva dans l’après-midi. Forte personnalité. Aveugle de naissance, je crois. Il portait des lunettes noires très bizarres, une robe africaine et une casquette tribale. Il parlait énormément, à propos des injustices, du racisme, de la fraternité et de l’égalité. Mais il était en colère. Comme Nina Simone - Jonathan Kaplan ajoute que Roland Kirk fut le meilleur concert qu’il ait vu au Fillmore - He could play anything.

             Après la fermeture des deux Fillmore, Bill et son équipe vont faire tourner les plus grands artistes de l’époque à travers les États-Unis : Dylan, CSN&Y, puis George Harrison.  

             Bien sûr, Bill ne touche pas aux drogues. Il ne boit que des trucs qu’il décapsule lui-même, il sait que les gens versent de l’acide dans les verres. Jerry Garcia : «La première fois que j’ai vu Bill, c’était à l’Acid Test de Longshorsemen’s Hall. Tu vois ce mec cavaler partout avec un clipboard, au milieu d’une total insanity, I mean total, wall-to-wall, gonzo lunacy. Tout le monde était défoncé sauf Bill. And I was having the greatest time in the world.» Bill qui est curieux va quand même tester les drogues : «Acid is heavy stuff. Je sais que j’ai une forte constitution, aussi pouvais-je gérer ça. J’ai fini par découvrir que je pouvais prendre certaines drogues, comme la mescaline, que j’aimais beaucoup. C’était parfait quand j’avais un peu de temps libre. Je mangeais un magic cookie et me sentais bien, pas d’effets secondaires and no bif to-do. Je me sentais vraiment bien pendant quelques heures. Mais je n’avais pas beaucoup de temps libre.»

             Un autre gros pathos tourne autour de The Last Waltz et de l’ego de Robbie Robertson. Selon Bill, Robertson a un énorme problème d’ego. Le projet part d’une idée de Robertson : concert d’adieu du Band après 16 ans on the road, avec des invités de prestige. Comme c’est organisé au Winterland, c’est Bill qui fait tout le boulot, et bien sûr, ça n’apparaît pas du tout dans ce film que «produit» Roberson et que tourne Scorsese. Un peu après le concert, on dit à Bill que Robertson veut lui parler au téléphone. Bill dit ok, alors qu’il appelle. Roberston finit par appeler et la conversation dégénère. Bill perd patience et lui balance ses quatre vérités. Toute la tirade qui suit est en capitales dans le book, ça veut dire que Bill gueule dans le téléphone : «You forgot to say Thank you, you Motherfucker! On a tous bossé comme des nègres pour toi et tu saluais la foule parce que tu es l’entertainer et tu as eu le culot de quitter le building sans dire merci à personne ? On t’a tout donné à l’œil ! Tout ! T Et tu n’as même pas été foutu de dire merci !» Bill lui raccroche au nez, «and that was it. It was the last time I ever talked to him.» Bon débarras.

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             Alors il faut voir The Last Waltz, même si on n’est pas trop fan de The Band. Des grandes stars de l’époque sont au programme : Doctor John qui a invité Bobby Charles (mais on ne le voit pas, le pauvre Bobby), Paul Butterfield, Muddy Waters, Clapton, Neil Young, Joni Mitchell, Neil Diamond et Van Morrison. Bill se dit très impressionné par Van the man - If you catch him on a good night, there is nobody like him - Il est aussi frappé par le talent des autres - La veille, lors des répétitions, I heard some of the greatest performances of all time. Muddy Waters, Doctor John and Joni were awsome - Pour Bill, The Last Waltz n’était pas un concert, «it was a night to remember. Robbie missed it. Scorsese missed it. J’ai essayé de leur expliquer cette nuit-là, Mais c’était comme de parler à un mur. Bon j’arrête de m’énerver avec ce truc-là.»

             Le film est très pénible. The Band est une épouvantable bande de frimeurs. Nombreux sont les gens par ici qui n’ont pas compris qu’un groupe aussi passe-partout ait pu avoir une telle renommée. Et puis quand on voit Robertson sur scène, on comprend que Bill n’ait pas pu le schmoker. Quel frimeur ! Enfin bref, ils font venir sur scène le vieux Ronnie Hawkins qui les fit démarrer comme backing band, c’est du sans surprise, avec «Who Do You Love». On est presque dans une caricature du rock américain. Ce ballet aseptisé de célébrités est tout ce qu’on déteste. Tu vas voir défiler les pires : Clapton, Ron Wood, et même Neil Young ne passe pas. Par contre, tu en as quelques uns qui parviennent à sauver l’honneur, enfin leur honneur, dans ce piège à cons, le premier étant Doctor John, en nœud pap rose et coiffé d’un béret, fantastique présence, il pianote comme Fess et ramène le jive de la Nouvelle Orleans dans cette foire à la saucisse. On voit hélas trop brièvement les Staple Singers et Pops chante un couplet qui fait oublier pendant une minute toute la frime des petits culs blancs. Van the Man tire aussi très bien son épingle du jeu, à l’époque, il est encore jeune et massif. On voit encore trois géants, Neil Diamond qui ramène tout le prestige du Brill, Joni Mitchell qui swingue incroyablement dans sa robe longue de belle hippie, et Butter qui ramène ses vieux coups d’harp de Chicago. Mais le héros de la soirée, c’est Muddy qui n’en finit plus de rocker l’«I Am Man» à coups d’I’m a mannish boy, d’I’m a hoochie-coochie man et d’I’m a rolling stone, comme si à lui seul il résumait toute l’histoire du rock américain. Et puis tu as aussi Dylan sous un chapeau blanc, pas sa meilleure époque, sur scène il traficote des petits dialogues complices avec les frimeurs et ça devient assez insupportable. Le concert se termine avec tout le monde en cœur autour de Bob pour une version d’«I Shall Be Released». Même Doctor John et Neil Diamond participent à cette foutaise. 

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             Bill a des ennuis avec Led Zep, surtout avec Peter Grant et ses méthodes de gangster - A lot of male agression came along with their shows - Bill raconte comment Peter Grant vient tabasser l’un de ses collaborateurs. C’est d’une incroyable violence. Au point que Bill craint pour la vie de son collaborateur. On est en plein Orange mécanique. D’ailleurs, Bonham s’habille en Droog. Et pouf Bill organise le concert des Pistols au Winterland de San Francisco. Bill aime bien leur son - They were the kings of punk hill. I liked the rawness, I liked some of their songs. They really kicked ass - Mais il doit se farcir McLaren. Même plan qu’avec Stigwood, l’Anglais prend Bill de haut et c’est une grave erreur. La scène que décrit Bill se déroule dans le backstage, où il rencontre McLaren qui insiste pour le voir - A short Peter Asher. Des taches de rousseur plein la gueule, comme dans une bande dessinée. Il porte un béret et brandit une canne. Assez brillant et bien branché. Il savait dans quelle époque il vivait. «Vous êtes Monsieur McLaren?», et il me répond : «Comment allez-vous ? You’re the Yank ?». Alors je lui dis : «Faites-moi une faveur. Ne m’appelez pas Yank. Call me Bill. Monsieur Graham. Appelez-moi comme vous voulez. Mais pas Yank - Puis Bill en vient directement au problème, car il y a un problème - McLaren dit : «On veut que Negative Trend joue avant nous.» I said : «J’ai entendu dire que vous envisagiez de ne pas jouer si Negative Trend ne jouait pas, c’est bien ça ?». Il répond : «Well, je suis sûr qu’on va trouver une solution» - Bill qui ne supporte pas le chantage va lui baiser la gueule en beauté. Il met Negative Trend au programme après les Pistols, et à la fin du set des Pistols, il dit à son régisseur d’envoyer la musique de «Greensleeves». À San Francisco, chacun sait en entendant «Greensleeves» qu’il faut évacuer la salle, alors la salle se vide complètement, et quand Negative Trend monte sur scène, la salle est vide. Celui qui va baiser la gueule à Bill n’est pas encore né.

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             Bon, il reste les Stones. Le plus gros morceau. Les Stones confient à Bill la tournée américaine de 1981. Bill : «We were dancing with Big Bertha. I mean, this was the Rolling Stones.» La tournée de 1981 est une méga tournée, an all-stadium tour, avec 35 semi-remorques. Bill assiste aux répétitions, à Longview Farm, dans le Massachusetts - J’entrais dans la grange où ils étaient installés and there was that sound. They worked very hard. Ils répétaient pendant des heures et des heures. Je savais alors que j’allais vivre une expérience similaire à celle que j’avais vécue avec Dylan en 1974. Je savais que si le groupe restait en bonne condition et qu’on éliminait tout le bullshit on the road, que s’il n’y avait pas de bras de fer ni d’engueulades, ça allait être énorme - Bien lancé, il continue : «Comprenez-bien ceci : Bill Wyman et Keith Richards n’étaient pas des gens normaux. Ils étaient des Rolling Stones. Ils appartenaient à la royauté depuis vingt ans.» Bill en prend plein la vue avec ces mecs-là. «Tous les deux jours, j’allais courir avec Mick. C’était une expérience nouvelle pour moi, car je travaillais avec un grand artiste aussi bien sur le plan créatif que conceptuel. Mais ils gardaient tout le contrôle. Ils pouvaient opposer leur veto à ce que je proposais. Tout se passait en tête à tête. Il n’y avait pas d’intermédiaire. C’est un peu comme s’ils peignaient. Je pouvais leur dire ce que je pensais des peintures. Et ils me donnaient leur avis.» C’est Bill qui choisit les premières parties. Pour un concert à Rockford, dans l’Illinois, il fait jouer les Go-Gos. Il fait aussi jouer Etta James et les Neville Brothers. Pour une date au Texas, Bill se tape une nouvelle embrouille, cette fois avec Bill Hamm, le manager de ZZ Top. Hamm ne veut qu’un seul Texas band à l’affiche du concert des Stones, et ce sera ZZ Top. Bill est donc obligé de virer Molly Hatchet, alors que les places sont vendues et les T-shirts imprimés. Il les remplace par The Fabulous Thunderbirds - L’émissaire d’Hamm rappelle. Désolé de vous dire ça, mais voici le message. Direct from Bill Hamm. ZZ Top ne joue pas si les Fabulous Thunderbirds jouent. Alors je lui dis : ça ne me pose aucun problème si ZZ Top ne joue pas. Si la presse me pose des question, je leur dirai la vérité sur ce qui s’est passé. Résultat : ZZ Top a joué toutes les dates. Mais comme je l’avais défié, Bill Hamm n’a jamais autorisé ZZ Top à rejouer pour moi. Quand ils jouent à San Francisco, ils bossent avec un autre promoteur - Bill sait tenir tête aux tyrans : «À mes yeux, des gens comme ZZ Top, mais surtout Bill Hamm, incarnent les abus de pouvoir qui sont monnaie courante dans les hautes sphères du rock’n’roll. Et ça continue encore aujourd’hui.» Bill a compris autre chose en faisant tourner les Stones : «Tous les groupes qui ont joué en première partie des Stones ont connu le succès. Ça leur a ouvert le marché. Ce fut le cas pour Stevie Wonder en 1972, pour Muddy Waters, B.B. King et Ike & Turner en 1969, pour les Neville Brothers et Tina en 1981.» Bill fait jouer Iggy Pop en première partie des Stones au Silverdome de Pontiac, dans le Michigan - He was a favourite of Keith’s. Il est arrivé en mini-jupe de cuir et en bas résille - Pour Bill, emmener les Stones en tournée dans le monde entier fut la consécration de sa carrière.

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             Il organise aussi le fameux Amnesty Tour, mais il en sort écœuré. «Aucun projet ne m’a autant attristé et épuisé que celui-là. Rien que de voir ce qui est arrivé à des gens confrontés au big ball game. Il fallait voir la façon dont ils se comportaient et dont ils parlaient aux autres gens. Je ne veux pas passer mon temps à gueuler pour expliquer aux gens qu’ils ont tort et que j’ai raison, mais dans ce cas-là, tellement de gens avaient tort. Les abus de pouvoir à très haut niveau ont battu tous les records.» C’est là que Bill entre en dépression. Il fait un bilan : «Mes problèmes relationnels et la culpabilité que j’éprouve à ne pas pouvoir préserver une relation sentimentale, l’incendie de mes bureaux à San Francisco, le Live Aid en 1985, l’Amnesty U.S.A en 1986, le concert en Russie en 1987, tout cela m’a enfoncé financièrement, mais tous ces événements n’avaient rien à voir avec le profit. Je cherchais une échappatoire.» La cerise sur la gâtö, c’est la rupture de sa relation professionnelle avec les Stones qu’il avait pourtant déjà emmenés en tournée aux États-Unis. Les Stones vont travailler avec une autre organisation et ils n’osent pas le lui dire en face - Ma force reposait sur la confiance que j’avais en moi et sur la foi que j’avais dans mes capacités. Mais cette fois, je me sentais privé de force - Quand il comprend qu’il a perdu la tournée américaine des Stones, Bill dit qu’il pense au suicide. «Pour la première fois de ma vie, ça apparaissait comme un choix. J’ai soudain compris que j’avais passé toute ma vie à ignorer les sérieux problèmes issus de mon enfance. Je me sentais coupable d’avoir survécu alors que d’autres étaient morts.» Bon, il finit par se reprendre, juste avant d’aller casser sa pipe en bois dans un accident d’hélicoptère. Vers la fin du book, il fait en effet un comeback extraordinaire : «My mind is back. J’ai les idées claires. J’ai retrouvé de l’énergie. Mais perdre les Stones, c’était comme de voir ma fiancée préférée devenir une pute.» 

    Signé : Cazengler, Bill gras double

    Bill Graham Presents: My Life Inside Rock And Out. Doubleday 1992

    Martin Scorsese. The Last Waltz. 1978

    Richard T. Heffron& Eli F. Bleich. Last Days At The Fillmore. 1972

     

     

    Besoin de personne en Harlem Davidson

     

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             Chaque fois qu’un Gospel Choir traîne dans les parages, ça recommence : on voit se pointer des solistes capables de rivaliser avec les plus belles stars de l’histoire de la Soul. Le Harlem Gospel Choir est nettement moins puissant que le Mississippi Mass Choir, mais les solistes, hommes comme femmes, sont de véritables bêtes de Gévaudan.

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    Quand ils viennent s’installer au-devant de la scène pour taper un cut en solo, c’est un véritable festival. On ne connaît pas leurs noms. Mais le gros black aux cheveux teints en rouge vaut largement Solomon Burke.

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    La petite black vaut largement Martha Reeves, elle chante avec toute la niaque d'Harlem, celle qui vient faire «Oh Happy Day» envoie l’Happy Day valdinguer dans les étoiles, et puis une grosse black lady vient taper un «Amazing Grace» qui bat tous les autres à la course.

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    Tu as aussi un petit barbu qui fait son Marvin Gaye l’air de rien, et le troisième mec du Choir tape des trucs plus reggae. Alors ça ne rigole plus. Ces gens sont invraisemblables, ils chantent tous et toutes dans des styles différents, et tu te retrouves avec un concert de Soul extravagant. Comme ils rendent hommage à Nina Simone, une big black lady vient taper «Ne Me Quitte Pas» et ça passe comme une lettre à la poste. Ils et elles font tous le show, tous les neuf, et comme ce sont tous des surdoués et qu’ils chantent des énormes classiques, ça monte droit au cerveau. Quand on parle de dimension artistique, il faut savoir de quoi on parle. Tout est là. Tu as d’un côté les vieux groupes français de la soirée New Rose et de l’autre l’Harlem Gospel Choir.

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    C’est malheureux à dire, mais choisis ton camp, camarade. Quand les blacks chantent, ils chantent, ils ne font jamais semblant, on le sait depuis soixante ans et ça se vérifie encore tous les jours, surtout quand on s’immerge dans un océan de grands albums de Soul, de blues, de funk, de gospel et de r’n’b. Sans parler de Sly Stone, de Jimi Hendrix et de Funkadelic. Tous ces gens te remplissent facilement une vie. Tu as de quoi t’occuper quand tu rentres dans la discographie de James Brown ou de George Clinton, quand tu repasses Motown au peigne fin, et puis Stax et Malaco et Hi et Ichiban, tu n’en finis plus de t’extasier, les possibilités sont infinies, et derrière tout ça, tu as un diable nommé Ace qui t’envoie des piqûres de rappel sous la forme de compiles fabriquées par des fans de la vingt-cinquième heures pour les fans de la première heure, et tous les habitués d’Ace le savent, chaque fois ça clique !

             Pour un artiste black, la question du niveau artistique ne se pose jamais : elle est innée. Il fut un temps où c’était pour eux une question de marche ou crève. Tu avais intérêt à être bon pour que les patrons blancs qui possédaient les labels te reçoivent dans leur studio et te payent pour quelques enregistrements. L’histoire de Skip James est l’une des plus parlantes : une bouteille de whisky pour une poignée de cuts qui allaient devenir des classiques du blues. Aujourd’hui, on vit dans un monde où les blancs n’ont même plus besoin de savoir chanter pour devenir riches et célèbres. On ne va pas citer de noms, mais vous les connaissez tous. Le mainstream grouille de gens ineptes. On doit vivre avec ça. De toute façon, on ne peut rien y changer. Le biz fait son biz et nivelle par le bas : télé, musique, tout part à la baisse, mais c’est une baisse qui dépasse toutes les expectitudes. Parce ce que ça correspond à la demande. Ça ressemble étrangement à la décadence de l’empire romain. Toujours le même refrain. Bon on va s’arrêter là, pas la peine d’aller se mettre la rate au court-bouillon.

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             L’Harlem Gospel Choir est accompagné par un beurrreman et un pianiste. À la sortie du concert, tu peux acheter un CD. Aucune information, tu n’y trouveras pas les noms des gens qui chantent. Ni les covers de Nina Simone. C’est encore autre chose. Tu y retrouves l’«Oh Happy Day», avec une bonne approche, mais ce n’est pas la merveilleuse approche scénique. L’«Oh Happy Day» passe un peu à la trappe. Aucune commune mesure avec ce qui se passe sur scène.  La version de «Souled Out» qu’on trouve sur ce CD vaut n’importe quel grand classique de Soul.   Ils prennent le prétexte du Lawd pour groover l’église en bois. Les filles font bien le Souled out, one more time ! I’m souled out ! Dommage qu’on ne trouve pas les noms des solistes. Aucune info non plus sur le site du Choir. La version d’«Amazing Grace» qu’on trouve sur l’album n’est pas non plus aussi brillante que la version live, mais elle lui tord quand même le cou.

    Signé : Cazengler, grosse pelle couard

    Harlem Gospel Choir. La Traverse (76). 30 novembre 2022

    Harlem Gospel Choir. CD Harlemgospelchoir.com

     

     

    Wizards & True Stars

     - Sex pactole (Part Three)

     

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             Ces derniers mois, Luke Haines et John Lydon, les deux plus belles bêtes de Gévaudan du rock anglais, se sont farci la même victime : Pistol, le fameux biopic TV consacré aux Sex Pistols. Crouch crouch ! Dévoré tout cru.

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             On a vu quelques images extraites de ce biopic dans la presse anglaise. Quelle poilade ! C’est d’un ridicule qui dépasse l’imagination. Les faux Pistols de la série TV n’ont strictement rien à voir avec les vrais. C’est tellement choquant qu’on comprend la Haine de Lydon et le souverain mépris d’Haines. Ce dernier consacre d’ailleurs sa chro du mois d’August aux biopics et attaque au «Hail hail the rock’n’roll biopic». Haines commence par dire qu’il y en a un sur cent de bon, et il ne comprend pas qu’avec un taux de réussite aussi bas, des réalisateurs risquent la faillite dans ce genre d’entreprise - I mean, vous avez intérêt à aimer Queen a bit too much to stump up for the horror that is Bohemian Rhapsody - Rassure-toi, Luke, on n’aime pas Queen. Puis il avoue avoir vu le premier épisode de Pistol, «Boyle’s disastrous TV-cation of Steve Jones’ Pistol memoir». Son TV-cation sonne étrangement comme defecation. Sans doute fait exprès, connaissant les pratiques de la main froide. Et il développe : «Voilà qu’arrivent les posh actor kids avec leur double-barrelled names, far too corn-fed and gym-friendly to believely mimic 70s herberts Cook and Jones.» C’est une langue extrêmement riche, comme le fut celle de Léon Bloy au temps où il pourfendait à la hache les prétentieux butors de la scène littéraire, ceux qu’il appelle les Belluaires et Porchers. Pour devenir le roi des pamphlétaires comme le fut Bloy en son temps, il faut une langue magnifique et terrible à la fois, et Luke l’a. Il décrit ensuite un Johnny Rotten «qui ne fait pas peur», la Nancy Steppin Stone et le pire du tout -worst of all - here are the 1976 mohicans. «Comme tous les fools, sauf Danny Boyle, le savent, the mohawk atop an English punk rocker was not seen until at last 1980.» Pas d’iroquoise au temps des Sex Pistols, tout le monde le sait, alors ?

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             Plutôt que d’écouter Nevermind The Bollocks, les gens vont aller voir cette prodigieuse supercherie. Dans Record Collector, John Lydon ne décolère pas. Il est encore plus enragé qu’au temps de «God Save The Queen» et du fascist regiiiime. Six pages d’interview, il commence par voler dans les plumes de Pandemic et des petites arnaques collatérales, celle des masques obligatoires et des vaccins - I like dilemmas, I like issues, I like problems - c’est dans sa nature, c’est grâce aux fucking problems qu’il écrit des chansons. Et puis Johnny Sharp le branche sur le récent combat judiciaire qu’il a mené contre la série TV Pistols et ses anciens collèges Jones, Cook et... Matlock, qui étaient tous les trois favorables à la diffusion de cette fucking TV-cation. Lydon n’y va pas par quatre chemins puisqu’il parle de very perverse, greedy situation. Évidemment, les trois autres font ça pour le blé - Ils sont allés devant un tribunal pour m’empêcher de donner mon avis - Il ajoute qu’il n’a jamais vu aucun script de la série, il ne savait pas non plus qui allait incarner son rôle à l’écran. Il a fini par découvrir sur Internet une image de lui et Nora, sa femme, incarnés par des gens qu’il ne connaît pas. C’est le bouquet ! Il insiste, on ne m’a jamais rien dit de ce projet - That’s fucking evil - Sharp insinue que des gens prétendent lui avoir parlé du projet. Indigné, Lydon se lève. C’est faux ! They did not. Coup d’épée dans l’eau, cause toujours mon bonhomme. On le prévient 4 jours avant la parution officielle alors que le projet est lancé depuis deux ans ! Deux ans que les acteurs ont été engagés et le tournage planifié - How come you left the main man while using his image all over the place? Fucking cunt liar. Et tout ça avec the corrupting influence of Disney’s Money.

             Ce que John Lydon dénonce, c’est à la fois la cupidité de ses anciens collègues et la scandaleuse récupération commerciale du phénomène sociologique que furent les Sex Pistols, la pire forme de récupération qui soit : l’américaine. Les Sex Pistols furent un groupe important pour pas mal de gens, non seulement parce qu’ils avaient du génie, mais aussi parce que Johnny Rotten incarnait parfaitement l’anarchie, qui par définition, est incorruptible. Elle en est même le symbole. Les médias américains se payent une belle tranche d’anarchie à bon compte. Le principe est révoltant. Mais on vit dans ce monde. Il ne faut plus s’étonner de rien. Le seul intérêt que présente ce nouvel épisode du nivellement par le bas est de pouvoir entendre hurler dans les causses notre bête de Gévaudan préférée.

             Le journaliste Sharp qui se prend pour un habile provocateur indique à Lydon qu’il a déjà vu deux épisodes de la TV-cation et, pour enfoncer son petit dard, il ajoute que l’acteur fait une bonne version du Rotten. Ça fout Lydon en rogne d’entendre ça : «Tu parles d’une «version» de moi ? Si tu veux faire ma connaissance, talk to me. Simple as that.» Plutôt que d’écharper Sharp, Lydon réussit miraculeusement à se calmer, et dit avoir chopé le trailer sur YouTube. Ça l’a bien fait marrer - On dirait une bande de middle-class kids in the student union bar (et il prend un accent maniéré) ‘Oh yaaaas, we’ve gawt to offer the kids chaos’, or some crap-arse line like that. It’s absurd! God almighty! - Et là Lydon explose, son poing tombe sur la table et toutes les bouteilles de San Pellegrino s’en vont valdinguer. Il a raison d’exploser, à sa place, on en ferait tous autant, God almighty!, il rappelle qu’il a mené seul un premier combat judiciaire contre McLaren pour réclamer les royalties qui étaient dues au groupe et il a gagné ce combat - I won the case - Mais ça ne s’arrête pas là : il a partagé en quatre, alors qu’il n’était pas obligé - I gave them equal rights as the end result - et bien sûr il ne comprend pas qu’aujourd’hui, les trois autres magouillent dans son dos pour l’écarter du projet de TV-cation. C’est dingue ce que les gens peuvent être retors. C’est dingue comme la nature humaine peut être pourrie. 

             Voyant John Lydon retrouver son calme, Sharp s’éponge le front et retitille la bête. Il fait l’hypocrite et s’inquiète : est-ce que cette sombre histoire de TV-cation ne va pas ternir la réputation des Sex Pistols ? Lydon hésite un moment à lui sauter dessus pour lui broyer la gorge. Il se retient et justesse et lui répond sèchement : «No. Ça va les ternir eux.» Voilà : la sentence est tombée. Les trois autres Pistols sont discrédités à perpétuité. Magnanime, Lydon ajoute que le projet aurait pu être intéressant s’ils l’avaient monté tous les quatre. Mais les trois fourbasses ont préféré agir en douce. Pour Lydon, ses anciens collègues sont «les rats qui coulent le navire». Tant pis pour eux. Lydon était la seule caution amorale du groupe. Plus important encore, il rappelle à Sharp que ces gens-là n’ont jamais été ses amis. Son seul ami fut Sid Vicious. Les autres formaient une petite clique avec McLaren. Ils étaient tous jaloux de la popularité de Johnny Rotten, forcément, c’est lui qu’on voyait en couve du NME et qu’on entendait chanter Anarchy, God Save et les dix autres hits intemporels. Des hits dont il a écrit les paroles. Lydon choisit d’ailleurs le fameux Great Rock’n’Roll Swindle comme exemple pour illustrer son propos : le film a été tourné sans lui. Raison pour laquelle c’est un tas de merde. Ça va loin, cette histoire, car il passe aux révélations : même au cœur de l’action, c’est-à-dire à l’apogée du mayhem, McLaren complotait dans l’ombre pour le remplacer. Pour lui, John Lydon, c’était une épreuve quotidienne que de faire partie des Sex Pistols - I managed to endure it. But as I said, just smile in the face of adversity - Et ça continue, ce sont les mêmes qui dégradent le mythe des Sex Pistols pour en tirer du blé facile, c’est exactement ce qu’ils ont fait avec The Great Rock’n’Roll Swindle. Soudain John Lydon lève les bras en l’air, il redevient le temps d’une tirade le rocker le plus pur d’Angleterre : pour lui, les Sex Pistols étaient un phénomène extraordinaire - It was something ferocious, Society-changing, Culturally significant, historical. And it has now become a silly little TV production - Alors comme le fit Léon Bloy en son temps, John Lydon pourfend les médiocres : «Ils étaient jaloux du fait que je pouvais aligner deux phrases ensemble - il prend alors une voix plus grave - ‘Duh, the trouble with John is he thinks too munch’. Ha ha ha ! Si tu veux connaître le point de vue de Steve Jones, c’est tout ce que tu peux espérer.» Complètement inconscient du danger, Sharp fout de l’huile sur le feu en ramenant le nom de Matlock dans la conversation : «Glen (Matlock) pensait que votre ego got out of control et que vous pensiez être à vous seul les Sex Pistols.» Lydon fume de rage. Au fond de ses yeux noirs brille un éclat meurtrier : «C’est un homme qui au tribunal a déclaré : ‘I just want the money.’ Voilà ce qu’il a dit au tribunal. Et maintenant il tente de s’excuser d’avoir dit ça.» On n’aimerait pas être à la place du pauvre Matlock, car c’est un déshonneur. Mais au point où on en est, ça n’a plus d’importance. Seul compte le point de vue de John Lydon. Il compte autant aujourd’hui qu’en 1977, quand on entendit pour la première fois «Anarchy In The UK».

             Intrigué par l’histoire du «remplacement» qu’évoquait Lydon, Sharp y revient. «Pensaient-ils à quelqu’un en particulier pour vous remplacer ?» Et Lydon répond, sec et net : «Yes! Malcolm.» Boom. Ça tombe comme une sentence. Lydon se marre, il rappelle, entre deux crises de larmes, que McLaren voulait aussi être maire de Londres.

    Signé : Cazengler, Johnny Roti

    Johnny Sharp : I’m alive by the skin of my teeth. Record Collector # 532 - June 2022

    Luke Haines : In the biopic of it. Record Collector # 534 - August 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Le Guided spirituel

     

             Invité au bal costumé du Bœuf sur le Toit, l’avenir du rock s’y rend déguisé en Jeanne d’Arc. Il n’a pas froid aux yeux. Il sait que des gros malins vont essayer de le faire cramer, alors il accroche un extincteur en bandoulière. En marchant, il fait un raffut de tous les diables - rrrang cling clang clong - car il porte une vraie amure, complète jusqu’aux gantelets et aux solerets d’acier. Sans compter l’extincteur qui cling-clongue sur l’acier, au dos du plastron. Pour renforcer l’impact mystique du personnage qu’il a choisi, il s’est maquillé comme une pute. Il ressemble à Riquita, le trave qui chantait Piaf chez Michou. Il entre, rrrang cling clang clong, et tombe aussitôt sur Hemingway déguisé en espadon. Tiens, voilà Cendrars déguisé en cul-de-jatte à la Buñuel ! Il lui reste encore un bras pour se mouvoir à l’aide du fameux fer à repasser emprunté à Man Ray. Blaise en bave. Pas simple, avec tous ces clous collés sur la semelle du fer. Cocteau est là, bien sûr, déguisé en planche à dessin et Raymond Radiguet tourne en orbite de rut, déguisé en spoutnik. Fargue déguisé en promeneur des Deux Rives converse avec Prévert déguisé en inventaire. Rrrang cling clang clong, l’avenir du rock va au buffet se servir une assiette de crudités et un verre de pif bien mérité. À côté de lui, Breton déguisé en Staline remplit ses poches de cuisses de poulet froid, sous l’œil amusé d’Igor Stravinsky, déguisé en printemps. Sur la petite scène, Arthur Rubinstein déguisé en Khali joue un air de jazz à six mains. Attiré par ses très jolis seins, l’avenir du rock se rapproche, rrang cling clang clong, de Joséphine Baker déguisée en carte postale érotique. Mais comme elle se fait draguer par Simenon, il retourne au buffet se servir un autre verre de pif. Un trave absolument délicieux vient trinquer avec lui.

             — Ravi de te trouver là, avenir du rock ! J’ai bien failli ne pas te reconnaître...

             — Permets-moi de te retourner le compliment, Marcel. Tu es ravissante.

             — Oh c’est une idée de Man Ray. On a fait quelques photos. Appelle-moi Rrose Sélavy, si tu veux bien.

             — Ravi de faire votre connaissance ma chère Rrose... Comme vous sentez bon, votre parfum me fait tourner la tête !

             — Ce parfum s’appelle Eau De Voilette. Mais dis-moi, avenir du rock, pourquoi as-tu choisi cet accoutrement ridicule ?

             — Voyons Marcel, c’est enfantin. Jeanne quitta Domrémy guidée par des voix. C’est dans tous les livres d’histoire !

             — Ah, Guided By Voices ! Alors là bravo, tu m’en bouches un coin coin d’esquimau aux mots exquis.

     

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             En fait, la vraie Jeanne d’Arc du rock, c’est Robert Pollard. Il entend lui aussi des voix. S’il a nommé son groupe Guided By Voices, ce n’est donc pas par hasard. Il se pourrait fort bien que Guided By Voices soit le groupe le plus mystique d’Amérique. Il faut bien sûr entendre mystique au sens où l’entendait Dreyer.   

             Guided By Voices est maintenant devenu une vieille habitude. Un album paraît ? Allez hop, rapatriement automatique. Ça fait trente ans que ça dure. Le groupe de Robert Pollard est probablement l’une des rares résurgences de l’American Dada, même si l’on sait que Dada est improbable aux États-Unis. C’est dirons-nous une façon de les situer sans vraiment les situer sur l’échiquier des relations internationales. Le groupe sort en moyenne deux albums par an et chaque album propose en moyenne trois ou quatre petites merveilles insolites. Les Guided fonctionnent de manière semble-t-il artisanale, ils enregistrent dans la cuisine, Robert Pollard fournit les textes et les prétextes, il colle sur ses pochettes des découpages à la Max Ernst et donne des titres libres comme l’air à ses albums. Il s’inscrit donc dans un process créatif permanent et cette constance lui vaut le respect d’un petit paquet de gens à travers le monde. Malgré ses cheveux blancs, Robert Pollard assure mieux que personne l’avenir du rock.

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             Dans Shindig!, Camilla Aisa dit la même chose, mais avec d’autres mots : «On a découvert que le lo-fi abruptness and fine melody flair, surrealistic lyrics and beer-fuelled garage sketches étaient non seulement compatibles mais aussi une combinaison explosive.» Elle en déduit qu’Uncle Bob, comme elle l’appelle, et ses amis Guided, sont devenus des cult heroes. Elle est très fière d’ajouter qu’Uncle Bob lui a accordé l’une de ses très rares interviews.

             Plutôt que de titrer ‘Wild flyer’s dulcet glue’, elle pense qu’elle aurait dû opter pour ‘Zen and the Art of Life According to The Four P’s’, les quatre P étant Pop, Psychedelic, Punk and Prog. Le résultat est the titanic discography de l’un des songwriters les plus prolifiques et elle rappelle qu’autour des Guided gravitent d’autres pollarderies : Circus Devils, Boston Spaceships, Cash Rivers & The Sinners et bien sûr tous les albums solo.

             Et hop voilà que commence la valse des références. Uncle Bob démarre comme tous les petits rockers américains par les Beatles on a TV screen puis il cite en vrac «Wire 154, the cover of In The Court Of The Crimson King, The Monkees, AC/DC et Cheap Trick. Too many to continue. REM’s Murmur, Selling England By The Pound, Carole King and Jimmy Webb.» Mais surtout la pop anglaise des sixties, il continue de fouiner à la recherche de new old music (the more obscure, the better), et parmi ses récentes découvertes, il cite Stray, T2, Janus et... Crushed Butler.

             En 2020, les Guided ont augmenté la cadence pour sortir trois albums, au lieu des deux habituels : Mirrored Aztec, Surrender You Poppy Field et Styles We’ve Paid For.

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             Avec Mirrored Aztec, ils ont opté pour la pochette psychédélique, osant même le gatefold, mais à l’intérieur on tombe sur un très beau collage d’Uncle Bob. Il produit un tel choc esthétique qu’on sait se trouver face à une œuvre d’art. Depuis le début, tout est étrange chez Uncle Bob et principalement la musique, comme le montre ce «Math Rock» en fin de balda - designed to drive Doug crazy - Doug étant Doug Dillard, le guitar hero des Guided. C’est une private joke, mais dans les pattes des Guided, ça prend une fière-très-fière allure. Encore du Dada pur en B avec «A Whale Is Top Notch» - I got pigeons and bees/ C’mon - Uncle Bob s’en donne à cœur joie et si on est amateur de liberté de ton et éventuellement lecteur de Jésus-Christ Rastaquouère, alors on se régale. Les Guided font aussi partie des meilleurs power-popsters d’Amérique, comme le montre «Bunco Men», pièce courte et ludique, bien lestée de power chords, so come on down. Chaque cut est sculpté comme un objet d’art, charmant et chantant, concis et ramassé - but I’m easier/ So get easier («Easier Not Charming») - «Lip Curlers» n’est en fait qu’un prétexte pour chanter et puis on tombe en B sur deux énormités, «Haircut Sphinx» - Haircut sphinx/ Drink and drink, qu’il termine avec l’énigmatique everywhere you blow the winds of change, comme s’il s’agissait d’un hommage à Dylan - et «The Party Rages On», l’un de ces cuts de rock surnaturels, typiques du Pollard total - Speaker was blown out/ Judah was thrown out.

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             On sent une belle petite baisse de régime sur Surrender You Poppy Field. On passe à travers toute l’A et en B, on devra se contenter d’une petit shoot ramollo de power-pop («Physician») et d’un simili regain de verdeur («Man Called Blunder»). Mais pour le reste, ceinture. Même la pochette est ratée. Uncle Bob en fait trop, ça serait marrant si tous les albums étaient bons, mais là il exagère. C’est un billet de vingt gaspillé pour des prunes, comme dirait Gide.

             Uncle Bob insiste pour dire qu’il n’y a pas de filler sur ses albums. Si certains semblent plus solides que d’autres c’est parce qu’il s’y trouve a larger number of great songs. Il tient à préciser que les Guided sont un song band et un album band - Un album band parce qu’il semble toujours exister un lien conceptuel entre la musique et l’imagerie - Il dit aussi qu’il existe des grands groupes qui ne sont pas nécessairement des album bands, ils ont des hits mais leurs albums ne sont pas forcément intéressants. Par contre, il sait que les Guided n’ont pas de hits - Good songs but no hits, so we’d better be an album band - Il revient aussi sur sa passion du collage, pour dire que les chansons sont comme ses collages, des montages qui finissent par fonctionner, du moins à ses yeux. Ça donne un wild playground with no closing time - I don’t know what I’m talking about most of the time. La signification vient un peu plus tard. So it’s a game we play together. A jigsaw puzzle - Uncle Bob revient sur l’art pour dire qu’il préfère l’art qui n’a pas de sens - I think art is far more interesting when it doesn’t make sense - Et bien sûr il cite Max Ernst et la fameuse «rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table d’opération».   

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             Styles We’ve Paid For arbore l’un de ces collages qui font la grandeur du Pollard total. Graphiquement parfait, comme l’est «In Calculus Stratagem» en B, un mélopic magique de deux minutes. L’autre énormité de l’album s’appelle «Mr Child», sévèrement riffé à la Guided motion, l’étendard de la pop claque au vent, crois-le bien. Ils ramènent aussi la cocote Guided pour «Megaphone Riley» et sortent du garage les bongos et les congas de Congo Square pour «They Don’t Play The Drums Anymore». On attend chaque fois des miracles d’Uncle Bob et il ne nous déçoit pas souvent. Ce qui frappe le plus dans les albums des Guided, c’est l’omniprésence de l’intelligence. C’est important de le signaler car une grande majorité des albums qui circulent sur le marché en manque tragiquement. Oh on ne va citer de noms, tu les connais bien, les toquards. Uncle Bob fait encore de la grande pop ensorcelante avec «Stops». Chaque cut se montre à la fois intéressant et original, même si on se dit chaque fois qu’on a déjà entendu ça dans un autre album des Guided. Le jeu consiste tout simplement à vivre dans le présent des Guided. Ils se tapent aussi une partie de samba Guided avec «Crash At Lake Placebo». Le titre à lui tout seul est tout un programme.

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             Et pouf, deux albums en 2021, It’s Not Them It Couldn’t Be Them It Is Them et Earth Man Blues. La pochette du premier s’orne d’un zozo ramonesque, clope au bec et mousse en main, avec en plus au dos un peu de poésie urbaine : une citerne marquée ‘Acid ranch’. «Dance Of Gurus» est l’un de ces coups de génie dont on sait Uncle Bob prodigue. Il crée un microcosme poppy avec une vraie histoire and the homeless man says/ Yeah headed home - Magie pure. Même chose en B avec «Cherub And The Great Child Actor». Cette fois, les Guided sonnent comme Bevis Frond, avec à la clé le surréalisme lyrique des lyrics. C’est un album riche en teneur, et ce dès «Spanish Coin», mid-tempo visité par des espagnolades et l’indicible mélancolie d’Uncle Bob, il termine avec des trompettes et c’est magnifique. Il allume ensuite «High In The Rain» aux lampions de la big power-pop. Tout est solide ici et savamment orchestré. Il faut entendre la basse naviguer dans «Flying Without A License» et en B, «I Wanna Monkey» effare dans la nuit - And quickly burning/ Like a New York cigarette - Quel punch ! Ces mecs s’y connaissent en matière d’heavy rock. «Black and White Eyes In A Prism» sonne comme une suite à l’infernal Cherub. Uncle Bob maîtrise aussi l’art de monter un balladif sur des heavy chords, comme le montre une fois encore «The Bell Gets Out Of The Way». L’album s’achève sur l’excellent «My (Limited) Engagement» - I need a slogan to cling to just a ringer for my engagement.

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             Earth Man Blues est donc le dernier album en date des Guided. Au premier coup d’œil, la pochette paraît ratée, mais il faut bien la regarder. Le petit garçon en costume bleu réapparaît à l’intérieur du liflet. Tu veux du Dada ? Tu as du Dada en B avec «Ant Repellent» - Ant repellant/ Ant repel ant - Ils délirent bien. Il font même un brin de glam avec «Sunshine Girl hello», encore une idée qui sert de prétexte à jouer. On est récompensé d’aller jusqu’au bout avec «How Can A Plumb Be Perfected?», car Uncle Bob y a glissé un refrain magique - How in a crowd could I blend in - «The Disconnected Citizen» bénéficie d’une belle ambiance tragique, soutenue aux violons et comme toujours, monsieur le cut est servi par un texte superbe - I’m taking you down here/ I’ll show you around there - C’est une authentique Beautiful Song. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Lights Out In Memphis (Egypt)». Encore l’occasion pour Uncle Bob de placer un refrain magique - Lights out in Memphis/ Isn’t any physical difference/ In Europe - et cette façon qu’il a de retomber sur Aluminium can Siberia. Il chante ces trois mots avec une gourmandise qui en dit long sur ses mensurations. Signalons aussi qu’il chante «The Batman Sees The Ball» d’une voix éreintée, dans un style unique en Amérique. Pour finir, nous dirons que les Guided sont les grands spécialistes de la fast pop («Dirty Kid School» et «Trust Them Now»), cette fast pop bien foutue qui rôde sous les remparts de Varsovie.

    Signé : Cazengler, Guided By The Vice

    Guided By Voices. Mirrored Aztec. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. Surrender You Poppy Field. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. Styles We’ve Paid For. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. It’s Not Them It Couldn’t Be Them It Is Them. Guided By Voices Inc. 2021

    Guided By Voices. Earth Man Blues. Guided By Voices Inc. 2021

    Camilla Aisa. Wild flyer’s dulcet glue. Shindig! # 97 - November 2019

     

     

    Inside the goldmine

     - Baby please don’t go

     

             Le voyant dessiner à longueur de temps, ses amis finirent par le mettre au défi :

             — Serais-tu capable de dessiner notre portrait ?

             Il accepta de relever le défi et passa ses soirées à croquer les trognes de ses amis. Les premiers portraits furent laborieux et la ressemblance laissait à désirer. Taquins, ses amis le surnommaient Picasso. Puis il parvint à maîtriser l’art de croquer un visage en appliquant une méthode intuitive : il commençait par dessiner l’ovale du visage, puis il y positionnait le dessin des yeux. Il savait qu’une fois le dessin des yeux abouti, il touchait au but. Le dessin d’un regard est la clé d’un portrait. Il se mit à travailler fiévreusement l’expression des regards, dont l’intensité variait en fonction de l’inflexion d’une courbe, aussi minime fût-elle. Il travaillait au trait et tentait de restituer au mieux le feu d’un regard. Un soir, l’un des amis de la bande ramena avec lui un homme plus âgé. Il devait avoisiner la quarantaine, il arborait un visage taillé à la serpe, un regard d’un bleu si clair qu’il en paraissait transparent et une mèche de cheveux couleur paille retombait lourdement sur son front. Il portait un marcel blanc et des tatouages de la légion sur les bras. Et quels bras ! De toute évidence, l’homme avait passé sa vie à se battre. Pas la moindre trace de complaisance chez cet aventurier. En entrant dans la pièce, il en vidait l’air. L’ami qui l’avait amené précisa qu’il s’appelait Wilfried et qu’il était allemand. Wilfried prit la parole :

             — Jai souhaiteraizz envoyezz ein portraizz de moi à ma fiancézz. Jai peux payézzz, si tu veux.

             — Un pack de bières, ça suffira. Comptez une petite heure pour la pose.

             Il prit la pose. Il avait une sacrée gueule.

             — Vous pouvez parler, si vous le souhaitez, mais continuez à me regarder, ne bougez pas trop la tête.

             Wilfried se mit à raconter ses souvenirs d’adolescent, l’école des SS à Prague, les uniformes noirs qui faisaient la fierté de tous les jeunes Allemands, la dague SS qu’on leur offrait comme un diplôme, et à mesure qu’il parlait, son regard s’enflammait. Sa voix se fit plus profonde, il semblait gronder en racontant la visite du Fürher venu féliciter l’élite de la Waffen SS, ach comme on étaizzz fierzz !, et au moment où il se mit à chantonner l’hymne SS, ses yeux se révulsèrent. Ce n’est que quarante plus tard, au moment où il se remémorait la scène pour l’écrire qu’il comprit que ce soir-là, sous l’apparence de Wilfried, le diable avait posé pour lui.

     

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             Il aurait aussi très bien pu dessiner le portrait qui orne la pochette du deuxième album de Baby Washington, Only Those In Love, paru sur Sue en 1965 : c’est en gros la même ambiance, ce dessin au trait qu’on utilise pour portraitiser, souvent par manque de moyens. On peut dessiner au crayon sur de simples feuilles de papier. Par contre, pour peindre, il faut des châssis, des brosses et des couleurs, c’est un autre investissement.

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             Baby Washington fait partie des early Soul Sisters. Elle ne vient ni de Detroit ni de Memphis, elle officie à New York. Only Those In Love est un bel album d’early Soul, dont le hit se planque au bout de la B, «Run My Heart», digne de ce qui se fait alors chez Motown. Elle ramène toute la Soul dans sa voix, elle a le gospel au ventre («Careless Hands»), elle tartine vaillamment cette Soul de l’aube des temps, c’est solide, bien chanté, bien orchestré, pas loin de ce que fait Mary Wells. Dans «Hey Lonely», elle se bat pied à pied avec l’oh yes you are. Baby Washington impose un style un peu rigide, elle chante toujours d’une voix ferme, elle envoie «The Clock» au tic toc et avec «It’ll Never Be Over For Me», elle finit par t’envoûter et te prendre dans ses bras de Soul Sister. On se régale aussi du charme désuet d’«I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face», un peu cha cha cha dans l’esprit, mais chanté avec fermeté.

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             Son premier album paraît aussi sur Sue et s’appelle That’s How Heartaches Are Made. Comme il paraît en 1963, on est dans l’early Soul new-yorkaise pas très sexy. C’est une Soul trop orchestrée. Le «Doodlin» qu’on trouve en A sonne comme un classique de bonne chique qui ne décolle pas. Elle frise souvent la calypso («Hush Heart»). Elle voudrait bien danser, mais il faudra attendre un peu.

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             Belle pochette que celle de With You In Mind paru en 1968. L’album sent bon la Soul classique, surtout lorsqu’on voit Baby Washington au dos, vêtue d’un petit ensemble à rayures qui semble sortir de Carnaby Street. Et ça explose aussi sec avec «All Around The World», cover de Little Willie John produite par Henry Glover. Baby Washington est une sorte de Wilson Pickett au féminin, elle fait une merveille de ce vieux hit. Nouveau coup de Jarnac avec «I’m Calling You Baby», c’est digne de Junior Walker, l’incendie ronfle comme dans Shotgun. Ça swingue dans la ville en flammes ! Elle reprend en B le «People Sure Act Funny» d’Arthur Conley, elle le chante à la haletante de gros popotin new-yorkais. Baby Washington chante d’une voix étrangement mûre. Elle domine bien la situation. Elle ne met pas de sucre dans sa Soul, elle chante d’une voix plus grave, on sent sa poigne. Fantastique allure que celle d’«It’s A Hang Up Baby», big shuffle new-yorkais emmené par le big band brass.

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             Paru en 1971, The One And Only est assez décevant : mélange de calypso et de rock’n’roll, on perd la Soul. Baby Washington a des capacités mais on ne lui donne pas les bons morceaux. Elle tape son «Medecine Man» sur le mode de «Fever». C’est exactement la même ambiance. Elle termine avec l’excellent «Move On» - Move on baby/ Police are in the back - Voilà le hit, avec son solo de sax.

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             Si on aime les grands duos, alors il faut écouter l’album que Baby Washington & Don Gardner ont enregistré ensemble, Lay A Little Lovin’ On Me. On tombe aussitôt sous le charme du morceau titre qui ouvre le balda. Elle tape dans le dur et Don aussi. On a tout : la Soul de 1973, New York et les violons sur le toit. Don Gardner a un côté Barry White qui passe comme une lettre à la poste. Plus loin, Don vole le show avec «Just Stand By Me», un groove d’homme et Baby Washington revient ensuite à l’assaut avec «Baby Let Me Get Close To You». Elle dispose d’une énergie considérable. Mais c’est en B qu’elle va casser la baraque avec «Carefree». Quelle tranche de Soul ! Ils duettent sur «I Just Want To Be Near To You», c’est gorgé de Soul et d’Oooh baby. Dan revole le show avec «We’re Gonna Make It Big», il embrasse la Soul, il la serre dans ses gros bras poilus, fantastique Don Gardner ! C’est à Baby Washington que revient l’honneur de refermer la marche avec «Can’t Get Over Losing You». Elle ne parvient pas à surmonter son chagrin. Elle souffre en beauté.

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             Paru en 1968 I Wanna Dance est une compile qui présente deux avantages : un, le beau portrait de Baby Washington en robe de soirée. Elle est magnifique. Deux, l’occasion de réécouter ce coup de génie, «Carefree», tiré de l’album précédent. C’est la Soul des jours heureux, Baby Love l’emmène par-dessus les toits, elle pousse de toutes ses forces son carefree love. On se régale aussi d’«I Wanna Dance Pt1» et d’«I Wanna Dance Pt2», c’est très diskö, mais en mode slow groove et dans les pattes d’une Soul Sister comme Baby Washington, c’est quelque chose ! En B, on retrouve cette Soul solide qu’est «Just A Matter Of Time». Elle chante tout à gogo et nous rend gaga.

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             Ace frappe encore un grand coup en 1996 en compilant The Sue Singles de notre Baby Washington préférée. On en croise pas mal sur les deux premiers albums, mais chez Ace, le son n’est jamais le même. Il faut attendre «Standing On The Pier» pour frétiller, c’est du heavy standing, yes I am, qu’elle tape au heavy blues. On croise pas mal de cuts tatasses, un peu de cha cha cha, le tic toc de «The Clock», quelques hits ringards comme «Hey Lonely» et pouf on tombe sur «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face», le hit signé Jerry Ragovoy et Chip Taylor, que reprendra aussi Dusty chérie. Baby Wash y négocie une belle Soul de bossa nova. Comme Dionne la lionne, elle évolue dans le temps et voilà qu’arrive l’excellent «It’ll Never Be Over For Me», puis elle se montre encore plus entreprenante avec «Run My Heart». Elle est l’une des reines du jive. Son domaine, ce sont les jukes. En plus, elle a du Wall of Sound derrière elle. Encore un hit de juke avec «Doodlin’», elle croasse bien son doodlin’, ehhh ehhh. Elle fait du pur Motown avec un «You Are What You Are» et elle chante si bien qu’elle rivalise avec Aretha. Baby Wash explose «I Know» et elle se fend d’une belle «White Christmas» song. Elle la groove à la racine du genre.

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             Attention à cette compile Ace de Baby Washington And The Hearts parue en 2006 : The J&S Years. C’est une bombe atomique ! Après si tu te retrouves à l’hosto, tant pis pour toi, on t’aura prévenu. Mets ton casque ! On n’imaginait pas qu’il pût exister des singles aussi sauvages. La seule qui fait référence au power de Baby Washington & the Hearts, c’est Genya Ravan dans son autobio. Départ en trombe avec «You Needn’t Tell Me I Know», un heavy jump déchaîné, chanté dans la caisse avec une énergie du diable. Terrific ! Les blackettes ont le feu au cul et un sax vient envenimer les choses. Il n’existe pas de pire bombe sexuelle. Cinq titres s’enchaînent comme une rafale. «I Want Your Love Tonight» éclate dans un blast de juke. Ces filles sont complètement dingues. Et voilà qu’arrive un solo punk joué au note à note des bas-fonds du Bronx, ça tourne à l’apocalypse avec un piano incroyablement mélodique, elles sont possédées par le diable. Ça continue avec «Congratulations Honey». Baby Wash y va franco de port. Elle est la reine du massacre, elle chante avec une niaque de sale pute, avec le génie fragmenté des street chicks, Baby Wash t’explose ta pauvre compile et derrière tu as un sax qui gicle comme une bite au printemps. Ça continue avec «If I Had Known». Même le doo wop s’enflamme, ces gonzesses sont folles à lier, elle te déchirent le doo wop avec une violence jusque-là inconnue. Il y a 25 cuts sur cette compile et on peut bien dire qu’ils sont tous bons. Elles écrasent encore leur champignon avec «You Weren’t Home», elles font du punk de chicks avant la lettre, laisse tomber les Slits, elles chante à la dégueulade sévère, c’est du Bronx punk. Elles enchaînent hit de juke après hit de juke, elle réinventent le heavy blues avec «There Is No Love At All» et gavent leur groove de ruckus avec «There Must Be A Reason». C’est à tomber tellement c’est bon. Tout est bardé de son là-dedans, les murs de la ville tremblent avec le walking jump de «You Say You Love Me» et cette folle de Baby Wash allume tous les jukes du New Jersey avec «Every Day». Elle bouffe tout cru le heavy blues d’«I Hate To See You Go». Elle attaque «I Couldn’t Let You See Me Crying» de plein fouet, elle chante ça avec une candeur napoléonienne, elle surpasse tout, son power n’en finit plus d’ébahir. Elles tapent encore dans le dur avec «There Are So Many Ways», elles chantent au sucre de rentre dedans et là, tu as la Soul du paradis. Elles bronxent up «My Love Has Gone», c’est encore du pur genius, ça gueule dans le Bronx. «So Long Baby» arrive comme une vague et elle te cueille. Les Hearts sont le meilleur girl-group de l’époque, avec les Cookies et les Velvelettes. Elles montent chaque cut au chant de folles, c’est un délire permanent et Baby Wash revient au long cours du so long. Et la violence du beat sur «You Or Me Have To Go» ! Qui saura la dire ? C’est d’une extrême violence. Pur New York City Sound. Ces filles ont un truc, elles n’ont jamais lâché les rênes. Elles sont les reines des jukes. Dans les liners, Mick Patrick nous explique qu’entre 1955 et 1970, vingt blackettes sont passées dans les Hearts, la plus connue étant bien sûr Justine Baby Washington. On la surnomme Baby parce qu’elle est la plus jeune au moment où elle rejoint les Hearts. Baby Wash raconte qu’on l’a virée du groupe le jour où elle demandait une augmentation. Les autres lead vocalists s’appellent Lezli Valentine, Betty Harris, Hartsy Maye et Zell Sanders supervisait tout ce bordel.

    Signé : Cazengler, Washingtorve

    Baby Washington. That’s How Heartaches Are Made. Sue Records 1963

    Baby Washington. Only Those In Love. Sue Records 1965

    Baby Washington. With You In Mind. Veep 1968

    Baby Washington. The One And Only. Trip 1971

    Baby Washington & Don Gardner. Lay A Little Lovin’ On Me. Master Five 1973

    Baby Washington. I Wanna Dance. AVI Records 1978

    Baby Washington. The Sue Singles. Kent Soul 1996     

    Baby Washington And The Hearts. The J&S Years. Ace 2006

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 24

    JANVIER - FEVRIER – MARS

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    Cadeau de Noël dans la boîte aux lettres. Non ce ne sont pas les huit pages supplémentaires que le magazine nous offre, même pas pour un euro de plus, ne faisons pas les fines-gueules, ce n’est pas mal du tout, ça donne de l’épaisseur à votre millefeuille de papier préféré, mais le véritable cadeau c’est plus loin, page 29 pour ceux qui veulent tout savoir, une interview d’Ervin Travis. Le retour ! Ervin Travis pendant des semaines notre premier article lui a été consacré, puis nous avons arrêté, son calvaire semblait n’avoir jamais de fin, et au bout de plusieurs mois cela devenait pratiquement indécent, c’est que la maladie de Lyme ne pardonne pas, une sacrée saloperie qui vous crève à petits feux et qui ne vous laisse plus le goût de vivre. Nous avons chroniqué  disques et concerts d’Ervin Travis, un chanteur de rock’n’roll un peu à part, subjugué dès l’âge de treize ans par Gene Vincent, de la cover diront certains avec condescendance, très bien faite ajouteront les autres, mais c’est tout autre chose, c’est vrai que sa voix si proche des intonations de Vincent est bluffante et que ses prestations scéniques sonnent juste, mais chez Ervin cela va au-devant de l’hommage, c’est une espèce de transplantation d’âme, de mimesis platonicienne, rien à voir avec une vulgaire imitation, à comprendre comme l’établissement d’un lien direct avec ce qui a été pour le faire réapparaître sous forme d’image active idéelle. Bref Ervin va mieux – rien n’est définitivement gagné – mais il a reformé un groupe, les  Wild Blue Caps, et redonne des concerts. Courage et dignité sont les maîtres-mots de cette renaissance.

    Dans notre livraison 558 du  09 / 06 / 22, nous chroniquions le CD Super Tare du Rock’n’roll de Didier Bourlon. Au mois de Septembre 2022 Didier Bourlon devait être avec Charles Gustave sur la scène du festival Teddy Boys Riot Boppin de Commines avec Dan Cash. Très émouvante présentation de cette renaissance du festival par Virginia Marquelly dédié à sa mère décédée à soixante ans. La camarde ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, Dan Cash est décédé. Très beau papier de Mark Twang évoquant la personnalité de Dan Cash, pas un contemporain d’ici et maintenant mais un gitan de partout et de toujours. L’a suivi son chemin à son gré, beaucoup à sa place auraient agi autrement mais Dan a toujours payé sa liberté Cash. Un homme que j’aurais aimé rencontrer.

    Belle photo de Jerry Lou en page 2, mais pas la rubrique habituelle de Greg Matthew dédiée au dernier des grands pionniers – elle suivra prochainement – par contre Sergio Kazh rend un bel hommage à Robert Gordon. Si l’on ajoute la rubrique Racines de Julien  Bollinger consacrée aux Delmore Brothers, notre subconscient nous induit à penser que le rockabilly est un cimetière rempli de gens vraiment irremplaçables. D’où l’intérêt de la parole donnée à Louie & The Hurricanes tout jeune groupe, une génération qui n’a pas pu voir les grands anciens sur scène et consciente que dans sa quasi-majorité les jeunes de leur âge (la vingtaine) sont à mille lieues de cette musique qu’ils ne connaissent pas, mais qui accrochent à leurs concerts, posent avec discernement le problème de la survie et de la reconstitution d’un public rockabilly, car il faut l’avouer le vivier actuel ne se renouvelle guère.

    L’est vrai que la longue interview de Salvatore Lissandrello leader de Strike groupe italien déjà sur la route depuis quatorze années semblent issu d’une période où la vie heureuse était plus facile, moins problématique…

    Sinon, revue des festival de l’été l’ Hangar Rockin’ en Suisse, La Forêt Fouesnant ( 29 ), et Rock’n’Roll in Pleugueness, de quoi nous réchauffer le cœur, preuve que le rock’n’roll is still alive ! Merci à Sergio Kazh de continuer le combat !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,50 Euros + 4,00 de frais de port soit 9,50 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros (Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! Surtout que les numéros 1, 2, et 3 ne seront plus réédités, il en reste une vingtaine d’exemplaires, qu’on se le dise ! Avis aux amateurs !

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( N° 2 )

            C’est le Cat Zengler qui a décrété qu’il ne faut jamais perdre le de vue et d’oreille le rockabilly, d’où cette nouvelle rubrique hebdomadaire. L’on a commencé la semaine dernière avec Alis Lesley, nous continuons avec un groupe d’aujourd’hui (et de demain), par la suite nous oscillerons entre les débuts de cette funeste et festive – entourez en rouge l’adjectif que vous préférez - nuisance et ses avatars actuels. Rockabilly Rules, O. K. toutefois n’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    IT’S TIME TO ROCK AGAIN

    HOT CHICKENS

    ( Rock Paradise Records / RPRCD55 / Septembre 2022 )

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    Hervé Loison : chant, basse, contrebasse, harmonica / Christophe Gillet : guitare et chœurs / Thierry Sellier : Batterie.

    Nouvel album des Hot Chickens, attention l’on retrouve les trois membres des Poulets Torrides sur d’autres opus par exemple en compagnie d’autres musiciens sur Jake Calypso and his Red Hod  dans deux ou trois siècles ceux qui tenteront de produire une discographie intégrale de ces trois lascars risqueront d’y perdre leur latin qu’ils n’auront jamais appris. L’on ne présente plus les Hot Chickens, disons simplement qu’ils sont un des trios les plus démentiels du rockabilly européen. 

             Sont beaux tous les trois dans leurs chemises imitation jaguar, le nec le plus ultra du vêtement rockabilly, vous regardent d’un air faussement méchants – z’ont dû s’amuser lors de la séance de pose – Hervé et Thierry désignent quelque chose hors-champ, ne se moqueraient-ils pas un peu de nous ! – l’on s’en moque car notre œil est fixé sur le logo – que voulez-vous quand on ne peut pas parader dans une pink thunderbird d’époque l’on s’offre un logo, c’est moins cher et celui-ci, cette crête de coq, mi-coiffe de guerrier Indien, mi-symbole menaçant du woodoo, est des mieux réussies. Félicitations à Helen Shadow, vous la retrouverez sur la pochette de Boogie in the Shack des Nut Jumpers.

    It surely ain’t the Rolling Stones : attention à la dégelée dans les oreilles, normal c’est l’album du dégel post-covid, alors les Chickens sortent leurs ergots, ne vous envoient pas la confiture de framboise à l’arsenic à la petite cuillère, superbement mis en place, une machine pour serial killer, ça chicore à pléthore, Hervé y va de son petit solo d’harmo, mais ce qui est fabuleux c’est qu’à chaque reprise, vous avez l’impression d’une gifle monstrueusement sèche, un peu garage, un peu sixties, totalement rock’n’roll. Good movies & rock ‘n’ roll : un mid-tempo pour reprendre les esprits si c’est possible car Thierry Sellier vous assourdit la trompe d’Eustache droite sans pitié tout en vous fragmentant la gauche en petits morceaux, juste le temps à Christophe Gillet de piquer un de ses petits solos qui n’a l’air de rien mais qui a tout pour vous faire pâlir d’envie, quant à Loison c’est du prodige, le rythme n’est pas extrêmement rapide mais il vous débite les lyrics plus vite que vous ne les lisez, tout en respectant la cadence chaloupée du morceau. Du grand art. L’hymne à l’amour : surprise, une reprise d’Edith Piaf, vous l’expédient à la manière des premiers groupes de rock français des années soixante, Sellier vous mène la cavalcade au galop de charge et Loison s’envole vers le septième ciel, est-ce du faux-toc ou du faux-maladroit, nos poulets rôtis peuvent tout se permettre, élevés en plein air ils sont à louer. We are a rock ‘n’roll trio : les Chickens sont très bon en rock’n’roll mais très faiblards en mathématiques, après la fameuse quadrature du cercle nous voici confrontés à la quadrature du trio, un truc difficilement défendable et pourtant ils remportent la victoire, trichent un peu puisqu’ils ont un deuxième guitariste Didier Bourlon qui fut pendant huit ans le premier guitariste des Hot Chickens, si vous n’aimez pas le rock’n’roll électrique des familles déjantées vous sautez la piste, sinon sautez dedans à pieds joints, le Bourlon déboulonne les riffs comme un fou furieux, magnifique ! Surfin bird : peut-être la meilleure monstruosité du disque, Christophe Gillet ne se retient plus et Hervé se lâche, vous ressuscitent le vieux hit des Trashmen, ce qui est d’autant plus remarquable qu’il n’est jamais mort. Puisqu’ils ont par deux fois évoqué les Stones nous dirons que ce n’est pas l’harmonie bien léchée des Beach Boys. Les Chickens ne sont pas des poules mouillées, ils pratiquent le surf uniquement dans les zones infestées de requins. It’s time to rock again ! : bougez-vous bande de blaireaux à canapés le temps du rock’n’roll est arrivé, Hervé vous chante les couplets à l’arrache Jerry Lou, sombres abrutis Thierry vous le martèle clairement sur sa caisse et vous réécoutez le morceau douze fois pour comprendre ce que Christophe et sa guitare fermentent activement à peu près au milieu du titre. Sorcellerie ! Take on me : a-ah, vous ne connaissez pas l’original, vous savez en alchimie on fait de l’or pur à partir de vil plomb, nos cocottes reprennent un tube des eighties pour s’amuser. Perso je dirai que quand la foudre tombe sur un bossu elle le foudroie, mais elle ne le fout pas droit pour autant.  Rocking at the Oxford bar : une petite rythmique blues pour commencer, l’incendie ne couve pas longtemps, sûr que l’on n’est pas à la cafétéria de l’Université d’Oxford mais à Béthune où l’Oxford café a pris la mauvaise habitude de recevoir les Chickens en concert, alors sont comme chez eux, débridés et sans gêne, même que Loison est tellement bien qu’il en oublie de chanter. Tout compte fait la vie des rockers est agréable. A vivre ou à écouter.  F**K you : un peu de haine aiguise la vie, l’est plus que bon de régler ses comptes avec les faux amis et les cloportes en tous genres, ça balance fort, pas le temps de s’ennuyer. A écouter pour taper sur son punching ball ou sur votre percepteur. Excellent. Parfait. Superbe. Repose Beethoven : le retour de Bourlon sur un des meilleurs titres ( 1964 ) du grand Schmoll, autant dire que ça balance terrible, défonce mortelle. Let’s go on : nous avons eu la haine, voici l’amour et l’amitié, un violon (merci Franny Lee) champêtre pour un rythme country, l’autre racine du rock’n’roll. Les Chickens remercient les fans qui les suivent depuis vingt-trois ans. Et qui ne lâcheront pas leur enthousiasme d’ici vingt-trois autres années. Unchained melody : certains trouveront cela iconoclaste, c’est vrai qu’ils débrident l’ensemble des chevaux-vapeurs, maintenant si l’on se souvient de la version originale de Todd Duncan, les Chickens qui cocoriquent à fond ne sont pas loin de l’esprit original, de cette outrance sentimentale exprimée si naïvement que l’on se sent induits à rire de ce qui devrait nous faire pleurer.

    Foutrement et foutraquement rock’n’roll ! Pépite rock.

    Dam Chad.

     

    *

    Si vous allez sur le Bandcamp d’OSE, question renseignements vous risquez d’être déçu, une seule indication ‘’France’’, les lecteurs de KR’TNT ! en savent davantage, nous avons déjà chroniqué plusieurs livres d’Hervé Picart. Par exemple son roman Aspergio Oscuro dans notre livraison 197 du 10 / 07 / 2014. Rappelons que Hervé Picart faisait partie de l’équipe de rédaction de la revue Best qui réunissait des pointures comme Michel Embareck et qu’il a enfiévré par ses articles sur le hard-rock et le prog l’imagination de bien de jeunes lecteurs… A la fin des années 70 il passe de la théorie à la pratique en fondant Ose. Le premier album Adonia paraît en 1978, on y retrouve Richard Pinhas dont le groupe Heldon suscita moulte controverses dans le public rock, une nouvelle voie s’ouvrait, post-Magma, post-King Crimson, musiques industrielle, électronique, noise, drone, prenaient leur envol…

    En 1982 s’acheva l’aventure OSE. C’est en 2021 qu’un nouveau chapitre commence à s’écrire, ceux qui veulent tout savoir materont la chaîne YT Ose Music Factory.

    L’album que nous présentons a été précédé au mois de mars de cette année de (Soundtrack for) H. P. lovecraft’s Nemesis. Plus que tentant, mais comment résister à Edgar Poe…

    (SOUNDTRACK FOR)

    EDGAR ALLAN POE’ S CITY IN THE SEA

    OSE

    (Novembre 2022 / A. N. / Bandcamp)

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    Opus synesthétique, évoquer par la musique seule un poème évidemment écrit avec des mots. Déjà difficile en soi-même. Mais Ose osa. Sûr que lorsque l’on s’attaque à un poème d’Edgar Poe, l’on met la barre très haut. Les poésies d’Edgar Poe sont un des grands chefs-d’œuvre de la poésie du dix-neuvième siècle. Pas très prisées en leur pays d’origine où Edgar Poe est tenu pour un auteur mineur, ne crions pas haro sur les amerloques, beaucoup par chez nous font la fine bouche devant le mince recueil qui les contient. Baudelaire et Mallarmé furent apparemment moins difficiles que nos contemporains, puisqu’ils s’essayèrent avec dévotion à les traduire. Il est vrai que dans ces poèmes l’auteur du Corbeau ne fit aucune concession, imaginez une bouteille d’alcool pur – pourquoi d’après vous Apollinaire titra-t-il son recueil Alcool - sans un milligramme d’eau. Une boisson peu propice à ravir les papilles de vos invités à l’apéritif du samedi soir.  Les poèmes d’Edgar Poe sont à lire comme des évocations, des visions, émanant des abysses intérieurs les plus profonds, là où les fantômes de nos rêves et de nos peurs ont perdu leur éclat fantomatique et se révèlent être tissés de la même matière que nous-mêmes. Ils agissent – toute grande poésie est opératoire - comme des trous noirs de dévoration où l’intérieur de nous-mêmes communique et engouffre l’extériorité du monde.

    The city on the sea est un poème à mettre en relation avec Le palais hanté qu’Edgar Poe inclut dans un de ses contes les plus célèbres – l’on ne compte pas les groupes de rock qui ont tenté de le mettre en musique – La chute de la Maison Usher

    Pas de paroles donc, toutefois, sur Bandcamp, chacun des douze morceaux est mis en relation avec quelques vers extraits des six strophes du poème.

    Far down the dim west :  la mort a choisi d’élever  son trône dans une cité sise à l’ouest dans la mer, imaginons une île à la Arnold Böcklin mais beaucoup plus monumentale, l’on attend une musique de diamant noir mais c’est un cristal de roche de gouttes d’eau qui tombent, chacune créant des vaguelettes concentriques, une vague de notes plus graves survient mais rien d’attentatoire à notre sérénité, telle une allée d’ifs taillés dans la roche de l’immobilité mais dont les cimes montent plus haut, une berceuse pour un sommeil éternel, et cet insecte dont les ailes tournoient sans jamais pouvoir s’évader, pourtant tout repos n’est-il pas éternel. Time-eaten towers : étrangeté de ce qui ne nous ressemble pas, ce monde éternel bouge beaucoup plus qu’on ne le croirait, presque comique quand on y pense de savoir que l’usure temps ronge même la ville de la mort. Notes obsédantes qui se jouent de nous et de tout. La danse macabre ne touche pas les morts mais les choses. Joyeusetés. Melancoly waters : les orgues de la mélancolie déploient leurs moires fastueuses, de doux ruissellement démentent cette vue de l’esprit, des notes s’éparpillent telles des fragmences de mensonges, rien ne passe, rien ne s’écoule, tout coule en un immense naufrage. From out the lurid sea : il est une lumière noire sous la mer qui ne vient pas des hauteurs sacrées, de quelle sombre inconnaissance est-elle constituée, elle rampe et se déploie lentement, elle s’agrippe aux pierres des tours, n’est-elle pas aussi immarcescible que la lueur dorée sacrée qui ne perce pas les ténèbres, ne serait-ce pas un combat de titans inaccessible aux yeux des humains, une lèpre contagieuse qui s’étend depuis le monde des profondeurs et qui dans l’ombre monte à l’assaut. Up domes, up spires, up fanes : magnificence de l’architecture, splendide cité, arpèges luxuriants comme des rivières de diamants, échos enchâssés et amoncelés, toute une érection de murs et de tours, étincelles musicales, la ville s’exhausse de toute son assourdissante beauté silencieuse. Shrine : tapotements désertiques, des orgues sérielles au loin, luxueuse est la cité, grandiose est cette ville, qu’aucun bruit n’altère, majestueuse est la mort qui depuis la plus haute tour étend son regard sur son domaine. Diamond eye : musique plus sombre, un peu de batterie électronique, mais rien de décisif, les tombes sont vides, on a envie de dire que la musique n’exprime rien, elle reste froide et insensible pour la bonne raison qu’il n’y a rien qui puisse faire l’objet d’une présence, situation terriblement ambigüe entre ce qui est sans être et les yeux vides des idoles. Wilderness of glass : comme des plaintes de violoncelles, chant du désert, notes en bulles de savon qui retournent au néant dès leur apparition, y a-t-il jamais eu quelque chose ici et autre part, le monde semble volatilisé et n’être plus que sa propre absence, désolation totale, plus rien ne bouge et n’a jamais bougé ailleurs. Etrangement l’auditeur ressent la densité du néant. No ripples, no heavings : étonnament ce morceau évoque les mêmes vers que le précédent, moins de romantisme et davantage de mélodrame, ici ce n’est pas la chose même, cette mer sans rides, sans clapotis, que l’on représente mais les sargasses de l’angoisse que l’objet du non-désir infuse dans les esprits. Tout est figé. A stir in the air : enfin quelque chose bouge et remue, l’eau musicale clapote gentiment, pas la grande joie, ni de forte liesse mais le sourire d’Aristote accueillant le mouvement, en un long crescendo transcendant ! Avec un peu de bonne volonté l’on se croirait au paradis.  Le vent se lève ! Wawes have now a redder glow : pas d’inquiétude, il n’y aura pas de happy end, les vagues qui se soulèvent ont une couleur rouge qui ne présage rien de bon. L’enthousiasme n’était-il pas une folie, ce qui arrive n’est pas de bon augure, la musique se lâche et enfle, elle tourne en rond sur elle-même, elle submerge le monde entier, quelle nouvelle apporte-telle si fièrement ? Hell rising : reprise en mineur, l’heure n’est pas à la délivrance, lorsque la cité dans la mer dominera le monde, l’Enfer la reconnaîtra comme sa souveraine, car il y a pire que la souffrance et les supplices, la mort, simplement la mort. L’opus se termine sur un rythme allègre, une espèce de gigue macabre totalement désincarnée, les plis d’un linceul qui vous enveloppe dans son suaire d’ennui pour l’éternité. De petits tournicotis-tournicotons électroniques s’en viennent grimacer dans le tourbillon final. L’on vous a bien eu. Tant pis pour vous.

    L’album ne se livre pas facilement. Il est à réécouter plusieurs fois pour en saisir les subtilités. Il faut dire que cette musique électronique n’atteint pas l’épaisseur d’un grand orchestre classique, ou la puissance d’un combo de rock ou de metal. Autre particularité, il ne semble pas que la visée initiale ait été de suivre le déroulement du poème d’Edgar Poe mais d’évoquer précisément certains mots, expressions ou passages, d’essayer de donner un équivalent sonore des gluances phoniques de la langue de Poe.  Les amateurs d’Edgar Poe apprécieront.

    Damie Chad.

     

    *

    Serait-ce que Villiers de L’Isle Adam nommait un intersigne. Pour cette deuxième chronique nous ne quittons ni H. P. Lovecraft, ni Edgar Allan Poe. Ce n’est pas de ma faute. Un corbeau m’a fait signe. Du moins je l’ai cru. Une image voluptueuse, un corbeau déchirant un cerveau humain. J’ai cliqué sur l’image suivante. Rien à dire (pour le moment). Je clique sur la troisième, pas vraiment indispensable. Je file sur le FB correspondant, une annonce de concert pour le 5 octobre 2022, rien d’original pour un groupe de rock’n’roll, oui mais big clic le nom de la ville : Providence ! La ville où Lovecraft naquit et mourut. Sur sa tombe ses admirateurs ont fait graver une de ses formules choc : ‘’ Je suis Providence’’, fabuleux jeu de mot qui joue avec l’importance géographique que la capitale de l’état de Rhodes Island occupe dans son univers et la critique radicale du christianisme que l’on ne manquera pas de relever dans cette déclaration d’un homme qui dans son œuvre créa la présence mythologique des Grands Anciens – dieux antérieurs à toutes mythologies biblique ou grecque - pour se moquer de la fragilité de la présomption humaine à être le centre de l’attention divine

    Dans notre livraison 292 du 01 / 09 / 2016 nous présentions les lettres d’amour d’Edgar Allan Poe à Sarah Helen Whitman, une idylle qui se déroula à Providence… Rappelons pour boucler la boucle que Sarah Whitman fut en relation avec Stéphane Mallarmé, le lecteur curieux trouvera dans Dagon de Lovecraft un étrange conte dont la structure ressemble à s’y méprendre à l’Igitur.  Les similitudes sont d’autant plus remarquables qu’Igitur fut publié à titre posthume en 1925 et que Dagon parut en 1919 dans la revue Vagrant.

    Est-ce par un hasard aboli que l’album se nomme :

    VAGRANT WITNESS CANTOS

    CARACARA

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    Mes connaissances ornithologiques étant extrêmement limitées, il y a de très fortes chances que mon corbeau soit un caracara, oiseau d’Amérique du Sud et du Sud des USA, grands rapace prédateur et nécrophage ( tout pour plaire ) de la famille des falconidés se déplaçant à terre sans difficulté ce qui coïncide au mieux avec le nom du groupe. Cantos – l’on ne peut s’empêcher de penser à Ezra Pound – les chants du témoin vagabond, de celui qui assiste et qui passe. ‘’ Etranger. Qui passait.’’ écrit Saint-John Perse dans la chanson liminaire d’Anabase.

    Ed Jamieson : guitars / Matthew Meehan : vocals / Christopher Colbath : bass / Matt Johnson : Drums, artwork.

    Au and nihl : ce n’est pas rien, c’est de l’or, une batterie qui chancelle le monde, une basse qui swingue et une guitare qui vous plante des poignards dans le dos chaque fois que vous le désirez secrètement sans oser le dire, et la voix se pose là-dessus comme un aigle dépose ses œufs sur les roches tutélaires du domaine d’Arnheim de Magritte, ensuite une cavalcade instrumentale sans précédent, tous ensemble mais chacun poursuit son jeu en toute indépendance, l’ensemble sonne méchamment juste, un enchevêtrement qui se donne à écouter comme un fil électrique torsadé que nulle cisaille ne saurait rompre, et Matheew Meehan qui vous mène le bal du masque rouge de la mort, vous ne savez plus où vous êtes mais vous suivez le rythme de cette marche de zombies partis l’on ne sait où ni pourquoi, mais il est évident que vous êtes à l’endroit où il faut être, quelque part dans une geste épique à l’assaut du néant, peut-être vers la maison maudite des cauchemars des helminthes qui rongent les cadavres au fond des cimetières, une morceau qui vous dépasse, qui joue plus vite que vous ne pouvez l’écouter, une rythmique infernale, une guitare qui froisse les riffs comme du papier argenté au cyanure et la basse qui court à sa perte dans un marécage sonique, vous aimeriez que ça ne se termine jamais et ça ne se termine jamais car maintenant votre sang coulera dans vos veines sur ce même rythme, jusqu’à la fin de votre vie, la basse finale écrase tout. Prodigieux. Preference : un grondement, une monstruosité qui vient de loin, le monstre s’approche et vous savez que rien ne l’arrêtera, la guitare klaxonne sans fin une alarme inutile et Meehan chante, tel Orphée pour endormir les monstres , la rythmique s’assouplit, la basse devient mélodique, des éclats de bronze résonnent, vous aimez cette ampleur sans précédent, la guitare chante à son tour, mais elle se tait devant la lourdeur des pas rapides de celui qui s’avance, qui écrase les arbres sur ses pieds tels des fétu de paille, un tsunami sonique vous balaie de la surface de la terre, des sons rauques de trompes d’animaux antédiluviens vous rompent la tête, ce morceau est une folie noire, vous transbahute dans des univers de violence inconnue,  des bruits d’eau serait-ce Dagon qui nage, qui sort des abysses pour prendre possession de son royaume, est-ce un moment de fête ou un catastrophe incommensurable, tout dépend de quel côté vous préférez regarder la chose innommable. Encore un morceau qui ne s’achève pas, qui hantera vos jours et vos nuits. Je suis une force qui va a dit Victor Hugo. C’est de ce niveau-là. The first : un début presque souriant, du déjà entendu, mais très vite cela devient inquiétant ce bourdonnement de mouche multi-géante qui vient de l’espace et dont l’ombre qui passe éteint la lumière du jour de la terre, la batterie bouscule cette narcolepsie brinquebalante, ce qui passe c’est le regard de celui qui passe et qui se contente de regarder, vous préfèreriez l’horreur mais vous êtes confrontés à l’insensible, à ce qui est au-delà de vous pour qui vous n’êtes rien, vous ne comptez pas, l’indifférence totale de ce qui vous dépasse, vous surpasse et qui s’éloigne sans se préoccuper de vous, criez, hurlez, agitez-vous, vous n’êtes qu’un tourbillon d’atomes inutiles promis à une dispersion dont personne ne s’apercevra. Morceau piège. Morceau traître. Vous pouvez en ressortir mort ou vivant. Cela n’affectera en rien la phénoménalisation du monde.  Zeno’s Meter : sonorités apaisante, il est nécessaire de vous concentrer si vous avez désiré de mesurer le monde avec le mètre de Zénon celui qui à chaque manutention vous éloigne de la moitié de la distance du point dont vous vouliez vous rapprocher, situation difficile le monde se carapate de vous au fur et à mesure que vous souhaitez vous  diriger vers lui, ne vous étonnez pas si la masse sonique vous paraît instable, elle glisse toujours du côté que vous n’espériez pas, reprenez souffle, ahanez, calculez, soupesez, discutez, bataillez, plus vous chercherez midi à quatorze heures davantage votre montre retardera, il y a pire que la violence, l’ironie qui se contente de sourire en vous regardant vous agiter, vous exaspérer, de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit jamais vous ne vous rendrez maître, rire barbelé de guitare, cacophonie de basse et tintamarre drummique, jamais vous ne sortirez de la quadrature du cercle qui vous enferme en vous-même. Sardonique.      

    Quatre morceaux, sur le modèle des tétralogies antiques, trois drames pour commencer et une comédie pour finir. Tous doivent traiter du même thème.

    Les amateurs de doom, de stoner, de fuzz, de psyché adoreront, les autres aussi, premier opus tentaculaire, une pieuvre qui plonge ses bras dans toutes les directions et qui ramène une témérité novatrice. Un groupe qui promet. Une véritable providence pour les amateurs de rock .

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    bill graham,harlem gospel choir,sex pistols,guided by voices,baby washington,rockabilly generation news 24,hot chickens,ose,caracara,rokambolesques

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 10 ( exclusif ) :

    54

    LE PARISIEN LIBERE

    EXTRAORDINAIRES REBONDISSEMENTS

    LES MYSTERES D’ALICE  

    L’article intitulé Les mystères d’Alice de nos reporters Olivier Lamart et Martin Sureau relatif à leur incroyable aventure au cimetière de Savigny a déclenché de multiples réactions parmi nos lecteurs. Le journal a reçu un abondant courrier. L’affaire est tellement étrange qu’elle paraît une parodie de roman gothique. Hélas il n’en est rien. Olivier Lamart et Martin Sureau journalistes et chroniqueurs politiques jouissent d’une flatteuse réputation dans les milieux journalistiques et politiques. Eux-mêmes parlent d’une soirée de folie, mais leurs dires ont été corroborés par les membres des services de la gendarmerie et hospitaliers ainsi que par le Maire et les employés municipaux présents sur les lieux. Les faits étaient si extraordinaires que tous n’étaient pas loin de penser qu’ils avaient été victimes d’une hallucination collective. Pour cette raison l’ensemble des médias n’en a pratiquement pas parlé. Nos deux courageux collaborateurs n’ont pas tardé à se lancer dans de nouvelles investigations. Nous publions donc leurs effarantes révélations. Nous avertissons nos lecteurs que leurs propos risquent de les choquer dans leurs convictions les plus profondes, que les esprits fragiles s’abstiennent de les lire.

    La Rédaction. 

    Olivier Lamart :  Cette histoire était si invraisemblable que nous avons décidé de nous lancer dans une enquête méthodique. Nous avions rendez-vous à l’Elysée pour mettre au point l’interview que Monsieur Le Président de la République devrait nous accorder la semaine prochaine sur son projet d’allongement de départ de la retraite jusqu’à 77 ans. En fin d’entrevue nous avons évoqué nos mésaventures de la nuit précédente et profitant de l’occasion nous avons suggéré que si nous pouvions visiter la maison des parents d’Alice Grandjean, sise face à la grille du cimetière de Savigny, en compagnie d’un haut gradé de la gendarmerie nationale nous en serions très heureux.

    Martin Sureau : trois heures plus tard Octave Rimont Commandant en Chef de la Gendarmerie de Seine & Marne nous ouvrait la porte de la maison des époux Grandjean. La visite s’avérait décevante, une maison proprette d’une famille sans histoire, nous étions dans la chambre d’Alice et nous expliquions pour la troisième fois comment nous avions vu de loin en pleine nuit depuis notre voiture trois points lumineux et que nous avons pensé à des chats ou des chiens qui traversaient la route :

    • Pourquoi pas en effet sourit Octave Rimont, mais une bête à trois yeux ça n’existe pas et à penser qu’il y en avait deux mais que l’une d’elles était borgne, je n’en mettrai pas main au feu !

    Cette déclaration nous étonna, nous n’avions pas considéré ces trois yeux rouges d’une manière si froidement objective. Octave Rimont s’était tu et semblait perdu dans ses pensées, puis il fit lentement le tour de la chambre d’Alice. S’arrêtant devant le poster sur le mur :

    • Qui est cette personne ?
    • Voyons M. le Commandant en Chef, c’est Elvis Presley, le roi du rock’n’roll !
    • Ah, cette musique de sauvages, je n’ai jamais compris pourquoi notre jeunesse… mais oui j’y suis, suis-je bête, c’est enfantin, il n’y a qu’une seule personne qui corresponde à cela sur toute la région parisienne !
    • Quoi, un individu à trois yeux !
    • Ne dites pas de stupidité, je suis sûr qu’il y avait un chien et un homme !
    • Avec un seul œil !
    • Mais non avec un cigare, je peux même préciser qu’il fumait un Coronado !

    A peine croyable, nous avions pensé que Sherlock Holmes était devant nous mais il nous détrompa :

    • C’est le Chef du Service Secret du Rock’n’roll ! Nous avons souvent affaire avec lui, facile à reconnaître, il a toujours un Coronado dans le bec et est la plupart du temps suivi comme son ombre par l’agent Chad et ses deux chiens. Attention, le gouvernement ne les aime pas beaucoup, ils outrepassent souvent leurs prérogatives et ont la gâchette facile. Nous avons essayé à plusieurs reprises de les coincer, ce sont des retors, ils aiment tremper dans des affaires pas très claires, mais ils sont indispensables, Ce sont eux qui rédigent les notices nécrologiques des artistes de rock américains et anglais qui meurent, faut reconnaître qu’ils s’y connaissent et qu’aucun des conseillers du Président n’est capable de faire aussi bien. Bon donnant-donnant, je vous refile leur adresse et tenez-moi au courant des avancées de votre enquête.

    Olivier Lamart : les contacter a été facile. Ils nous ont reçu fort civilement. Pour nous mettre leurs molosses dans la poche nous leur avons offert un bocal de fraises Tagada. Bref le soir, nous arrêtons en leur compagnie notre voiture devant la grille du cimetière de Savigny. Simple visite de reconnaissance avait dit le Chef, il ne faut oublier aucun détail.

    55

    Martin Sureau : hasard ou intuition ? Nous nous dirigions vers la tombe de la famille Grandjean, du fond de l’allée nous aperçûmes une silhouette assise sur la pierre tombale. Elle se leva, courut vers nous, se jeta au cou de l’agent Chad qui à notre grande stupéfaction l’embrassa longuement. Ils se connaissaient ! Etions-nous victime d’une mystification ? Le Chef interrompit cette étreinte :

    • Alice, nous vous avons emmené deux journalistes du Parisien Libéré qui voudraient vous poser quelques questions.
    • Un journal de tocards ! super, j’ai plein de choses à déclarer, et ce n’est pas tous les jours que l’on donne la parole aux morts, messieurs je vous écoute !
    • Hum ? Excusez notre franchise, êtes-vous vraiment morte ?
    • Bien sûr, si vous ouvrez le caveau vous trouverez mon corps en voie de putréfaction avancée, tenez, touchez ma main !

    Elle était froide et dégageait une étrange odeur de pomme surie, je me demandai comment l’agent Chad pouvait l’embrasser à pleine bouche sans dégoût…

    • D’abord permettez-nous de vous présenter nos condoléances pour vos deux parents tués dans l’accident qui…
    • Ce n’était pas un accident !
    • Le maire a parlé d’un accident d’automobile et…
    • Ce n’était pas un accident, c’était un crime !
    • Un crime ? Qui soupçonnez-vous ?
    • Je ne soupçonne personne, je connais l’assassin.
    • Pourriez-vous nous donner son nom ?
    • Oui facilement, c’était moi !
    • Vous ? Comment vous avez saboté les freins et…
    • Pas du tout, un poids-lourd arrivait en face, j’ai donné un coup sur le volant que tenait mon père !
    • Mais c’est horrible !
    • Non c’est bête, j’ai sous-estimé la vitesse du camion, je pensais que mes deux parents seraient tués mais que je m’en sortirai indemne, une erreur fatale…
    • C’est horrible !
    • Hélas oui, je suis morte !
    • Et vos deux parents, vous n’avez pas de regret ?
    • Non aucun, c’étaient des vieux cons ! C’est bien fait pour leur gueule !
    • Excusez-nous, nous supposons une histoire d’inceste, votre père a abusé de vous et votre mère ne vous a pas crue !
    • Non, ce n’est pas ça, c’est pire !
    • Mais que peut-il y avoir de pire !
    • Ils ont cassé tous mes disques de rock ‘n’roll, même le premier Black Sabbath, celui que je préférais, je ne le leur pardonnerai jamais !
    • Mais vous êtes folle, vos parents qui vous ont donné la vie, c’est impensable !

    A ce moment le Chef a interrompu notre conversation :

    • Elle a raison, moi je suis prêt à tuer la moitié de l’humanité, si quelqu’un s’avise à écorner la moindre pochette d’un de mes disques !

    Sur ce l’Agent Chad a ajouté :

    • Moi de même, je tuerai l’autre moitié.

    Et le Chef alluma un Coronado.

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE 372 : KR'TNT ! 392 : BITERS / RADIO BIRDMAN / HOT CHICKENS / BRIAN JONES / ROMAIN SLOCOMBE / ROCKAMBOLESQUES (6 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 392

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    08 / 11 / 2018

     

    BITERS / RADIO BIRDMAN / HOT CHICKENS

    BRIAN JONES / ROMAIN SLOCOMBE

    ROCKAMBOLESQUES ( 6 )

     

    Biters, please

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    Les Biters d’Atlanta posent un petit problème : ils sont trop beaux pour être vrais. Comme lorsqu’on dit ‘trop polis pour être honnêtes’. Sortez le poster inséré dans la pochette de leur premier album, Electric Blood : vous y verrez quatre créatures de rêve, tatouées, avec des bracelets, des perfectos, de vraies tignasses et même des croix de fer. Ils reprennent le flambeau du look rock’n’roll là où des groupes comme les Hellacopters et les Wildhearts l’avaient laissé.

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    Les Biters semblent remplis de cette arrogance que peut générer le sentiment d’avoir un look parfait. Alors, on écoute l’album, et c’est le commencement de la déconfiture. Dès «Low Lives In Hi-Definition», on sent le vieux cousu amidonné, le mille fois déjà entendu, le coup de Biter dans l’eau. Même s’ils amènent «Heart Fulla Rock ‘N’ Roll» au gros stomp, ils se ridiculisent avec le solo. Ils auraient une fâcheuse tendance à vouloir sonner comme Queen. On sent nettement des influences suspectes, un brin symphoniques, un peu troubles. Pour ne pas dire putassières. On s’apprête à glisser l’album dans sa pochette et à chercher qui va bien être assez con pour vouloir le racheter, mais par acquis de conscience, on écoute le début de la B, car le cut s’appelle «The Kids Ain’t Alright», ce qui vaut pour un clin d’œil aux Who. Et pouf ! Voilà que ça se met à sonner comme un hit ! Ces mecs sont tout de même incroyables : ils démarrent avec une A imbuvable et se réveillent en B avec un hit, alors qu’on venait de sceller le destin de l’album. Du coup, regain d’intérêt ! S’ensuit «Space Age Wasteland» qui sonne carrément glam. Pour un peu, on croirait entendre Bowie chanter - So c’mon - Ils y vont franco de port ! Et ça continue de monter en puissance avec «Loose From The Noose», amené au vieux riff de type Bad Co. Ils recyclent toutes les vieilles ficelles de caleçon, mais voilà un excellent coup de glam-rock arrogant, ça sonne, c’est malaxé et bien ponctué d’oh yeah. Tuk Smith pose bien le Loose et le Noose, des consonances auxquelles on est resté sensible depuis «Born To Lose». Encore une pièce remarquable avec «Time To Bleed», emmené par un riffing infernal qui est bien sûr celui de «Biff Bang Pow». Incroyable ! Quelle séquence ! L’ensemble vire un peu melodic rock mais les retours du rush des Creation sont spectaculaires. Tasty move, Tuk !

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    Dans son numéro 236 de juin 2017, Classic Rock consacre une belle double aux Biters dans sa rubrique Live ! Les Biters sont présentés comme les bastard offspring de Cheap Trick and Joan Jett. Ils boivent du Cloven Hoof spiced rum. Mais pour Tuk Smith la vie est dure : «Rock’n’roll is harder than it’s ever been. I’m making zero money on this tour. I’m on five bucks per diem. And I’ve never splept less in my life than on this tour.» Il ajoute que le manque de sommeil le rend irritable. Il raconte aussi qu’il a arrêté les narcotics voici dix ans, le matin où il s’est réveillé à côté du cadavre de Travis Criscola, guitariste des Cute Lepers, qui venait de faire une petite overdose - I don’t think that whole lifestyle is glamourous now - Tuk Smith ne supporte plus les clichés rock’n’roll. Par contre, il avoue adorer le glam des seventies et pouf, il cite Sweet, Slade, T. Rex. Il porte un badge d’Hector, un obscur dutchband qu’on trouve sur les très bonnes compiles glam - I want to bring the old grooves back - L’intention est louable - Having an image is fine, but I want to be known for killer tunes - Dave Everley qui les voit jouer sur scène au London Roundhouse dit qu’ils sound terrific et qu’ils look great. Et avec Smith, they have the most charismatic frontman out there right now. Mais il a beau être charismatique, Tuk a du mal à groover le public anglais. C’est sans doute pour ça qu’il pense que ça devient très dur de vouloir faire du rock’n’roll.

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    Oh, alors un petit conseil en passant : si vous aimez la bonne power-pop musculeuse et sensée, chopez donc le 5 titres sorti sur Pop The Balloon : on y voit nos quatre Biters en noir sur un fond blanc. Les cinq titres sont spectaculairement bons. Dès «Ain’t No Dreamer», on décolle comme si on se trouvait à bord d’un avion supersonique : extraordinaire pulsation d’exaction partisane. Ces quatre Atlantais développent l’un des plus puissants couples moteurs d’Amérique. Et si ne n’est pas un hit, alors qu’est-ce donc ? Et ça continue avec «So Cheap So Deadly», plus glam encore. Ils disposent d’une fantastique hauteur de vue - You got a hold on me - Et voilà «Anymore», l’absalon du power-poppisme, ces mecs sont les teenages operators d’envolée maximaliste, ils ne vivent que pour lâcher des bombes. C’est tellement bien foutu qu’on se retrouve le bec dans l’eau, comme s’il n’y avait rien à dire. Les Biters se débrouillent très bien tout seuls, ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson. Et jusqu’au bout du bout.

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    Pop the Balloon fit paraître en 2010 un autre single des Atlantais, le fameux «Hang Around». Pourquoi fameux, direz-vous. Parce qu’il est chouette, Owl. On a là une heavy pop de belle teneur et joliment enlevée. De l’autre côté, «Beat Me Up» sonne comme du grand Cheap Trick - Kiss me bailleby - C’est admirablement balancé dans le mille et frais comme un gardon d’Atlanta. Si tant est que.

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    Leur dernier album vient de paraître. Tout amateur de glam se doit de sauter sur The Future Ain’t What It Used To Be. On n’y compte pas moins de quatre classiques glam, à commencer par l’implacable «Stone Cold Love». Pur jus T. Rexien. Ils sont en plein dedans, ils pompent, c’est sûr, mais ils ont raison. Les Biters se montrent terrifiants d’ubiquité. On reste dans l’excellence glammy avec «Callin’ You Home», joué à la petite pétaudière de sinécure. C’est fou comme les Atlantais savent river le clou du glam. Ils jouent ça au beat de la sature saturnienne et balancent des why did you go qui résonnent autant que l’antique Hellraiser. Voilà du glam d’or pur. Ça continue avec «Gypsy Rose», monté sur un drumbeat de glam définitif. Les Biters effarent. Les voilà hantés par Marc Bolan. Le son ! Le satin ! Les platform boots ! Et un solo d’une énergie fondamentale les élève largement au dessus de la moyenne. «No Stranger To Heartache» reste dans la même veine inespérée. Cette fois ils tapent dans le stomp et vont même jusqu’à l’exploser aux accords de gras de glam double, comme s’ils tapaient dans une réserve de ressources inexplorées et qu’ils redoublaient d’audace. Tout est joué dans une absolue frénésie. On trouve sur cet excellent album des choses plus classiques comme «Hollywood». Ils vont musarder sur l’Hollywood Boulevard de Ray Davies et y développent leur business. Si bien que leur Hollywood prend une tournure grandiose. Leur album regorge de son et de good moves. Le «Let It Roll» d’ouverture de bal vaut aussi le détour. Il est tellement chargé de son que tout vibre. Ils tapent là dans la démesure du m’as-tu-vu de la cisaille de power-pop explosive. La confiture dégouline de partout. Ils s’énervent tellement qu’ils démultiplient les c’mon. «Don’t Turn This Good Heart Bad» sonne comme un cut d’action directe des seventies, un hit de juke saturé de power-pop. Les Biters sonnent comme de puissants seigneurs. Ils incendient «Vulture City» d’entrée de jeu. Le cut tourbillonne dans de violentes envolées de son. Les Biters ne plaisantent pas avec la marchandise. Qu’on se le dise.

    Signé : Cazengler, Biter San Pellegringo

    Biters. Hang Around With. Pop The Balloon 2010

    Biter. Biters. Pop The Balloon 2012

    Biters. Electric Blood. Earache Records 2015

    Biters. The Future Ain’t What It Used To Be. Earache Records 2017

    Classic Rock # 236 - Rubrique Live. June 2017

     

    Ça chauffe sur Radio Birdman - Part Two

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    Retour en force des Australiens en Normandie, yes the Birdmen flew au grand complet, pareils à une équipe de vétérans de toutes les guerres, jeu serré, big aussie beat, over under sideways down, mâchoires carrées, mines sombres, big drops de sueur, auss and boots, le rock en découd, ça lamine et ça harponne, enfin bref, les Birdmen ne sont pas là pour rigoler. Ils n’en finissent plus de jouer leur carte du mieux disant, il rockent la rockalama comme au temps de leur jeunesse aussi enfuie que Mesrine d’un QHS, ils tarpouinent le mur du son à coups redoublés, blow sur blow, ils enfilent leurs no-hits comme des perles, à défaut d’enfiler la voisine, mais c’est vrai qu’à cinq, ce n’est pas facile. Rock de vieux ? Ha ha ha, comme dit l’apôtre de Clochemerle. Non rock de Birdmen, tout bêtement, sans concession, bien rentre-dedans, bien plaqué d’accords crispés, bien rond sur la crête de sa bassline, ça joue à l’amputée et au moignon, ça bombaste à l’aussie whapalaboom et les kids adorent ça, il faut voir comme ils adorent ça, ils ont toujours adoré ça, et tant que les Birdmen voleront, les kids et les vieux adoreront les voir voler. Ça remonte le moral de les voir adorer ça. Du coup on adore ça encore plus. Jusqu’à l’ivresse. Birdman sur scène, ça veut dire concert idéal. Pas le Graal, comme Jason Pierce ou les Pretties, mais shoot assuré, ‘ah oui monsieur, shoot garanti 100%’ comme dirait le vendeur badgé à l’œil torve, pas de problème, ces vieux renards du bush australien tiennent l’heure de set comme on tient un bastion, ils blasticotent leur blast en caoutchouc, ils kickent leur cake à la crème, ils tournicotent leur tournicoton avec la force qu’enseigne l’expérience, et what an Experience, Jimi, puisqu’elle s’étend sur presque cinquante ans. Si les grognards rescapés de la retraite de Russie avaient monté un groupe à leur retour en ville, ils auraient sonné exactement comme les Birdmen.

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    Quand ils arrivent sur scène, les Birdmen semblent sortir ratacuits du four du Darfour, comme s’ils venaient d’échapper de justesse aux féroces guerriers du Mahdi. Ils pourraient aussi sortir épuisés des marais de Floride, comme le fameux Captain Wyatt que traquaient les Séminoles. Rob Younger et ses amis incarnent l’héroïsme d’un rock qui survit à toutes les avanies et framboises, c’est-à-dire les mamelles du destin : les traversées du désert, les stratégies de marketing et leurs fruits bâtardisés qu’on appelle poliment les changements de modes, les pannes d’inspiration qui sont encore plus détestables que les pannes d’essence, ils ont survécu à tout ça miraculeusement, qui aurait dit en 1974 que ce groupe allait jouer en Normandie en 2018, plus de quarante ans après ? Personne, excepté les gens doués de voyance extra-lucide. Et pourtant, si on réfléchit une seconde, une seule seconde, on voit apparaître le commencement d’un début de logique : si les Birdmen existent encore, sans doute est-ce parce qu’ils plongent leurs racines dans les Stooges et c’est d’ailleurs avec «TV Eye» qu’ils tirent leur révérence avant de souhaiter bonne nuit à la compagnie. Et quelle version, my God ! Tek qui n’est pas du toc joue le riff avec une niaque de pilote qui ne craint pas la mort, il joue au plus près de la niaque ashetonienne, l’une des plus révolutionnaires de l’histoire du rock électrique, celle que dont jadis Eve Sweet Punk Adrien chantait les louanges, on ne refait pas un monde qui est déjà fait, la légende retourne à la légende comme le serpent se mord la queue, tant il est vrai que le grand tourbillon d’énergie cosmique qui tourne autour de la terre s’appelle les Stooges, et tant qu’il y aura les Stooges, il y aura de la vie, ainsi vont les fleuves et les temps, ainsi coule la lave dans les Lys de la vallée et Felix Tek ashetonne de l’une à l’autre, d’Henriette de Mortsauve-qui-peut à Lady Dudley Moore and Moore,

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    Rob râle du see that cat comme s’il en pleuvait, Rob rote du Down on her back à la glotte insalubre, Rob ramène du rab, Rob rame dans l’enfer rouge de nos nuits blanches, Rob rolls down the line, Rob rocks it hard, Rob rôde dans la stoogerie comme un requin en maraude, Rob roule le raw dans la farine, Rob rides it easy, pendant trois minutes, il shake le meilleur shook de tous les temps, Rob rime avec zob, Rob risque ses périls, Rob règne au ras des pâquerettes, Rob rend l’âme, Rob rue dans les rencards, Rob rit jaune caus’ she got a TV Eye on me, on en finirait plus avec Rob et les Stooges, il faut faire gaffe, pendant trois minutes, ils nous font croire que tout peut recommencer, que rien n’a changé depuis 1970, attention, méfiance, ne cédez pas au chant des sirènes, attachez-vous au mât. Quand retombent les cendres sur la morne plaine, on constate que les Birdmen ont redoré le blason de la crédibilité, et cette flèche tirée dans l’œil du cyclone TV leur vaut en plus de l’adoration une sorte d’admiration de bouche bée, médaille beaucoup plus difficile à décerner.

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    Plus en amont, on les vit taper dans les Doors, et ça, c’est réservé à une élite qui n’existe pas. À part les Doors, personne ne peut jouer les hits des Doors. Personne sauf les Birdmen, run with me, toute la tension magique de «Not To Touch The Earth» renaît elle aussi de ses cendres, les Birdmen plongent dans le maelstrom kurt-weillien d’incantation du wake up girl, c’est vrai que de Jim Morrison aux Stooges, il n’y a qu’un pas qui se franchit avec une allégresse qu’on tient pour païenne. Comme celles des Stooges, les chansons des Doors se consument, elles brûlent vives, léchées par les mêmes flammes infamantes et se caramélisent jusqu’à la dernière goutte de son, oui, l’évidence crève les yeux, les mêmes démons hantent Jim Morrison et les Stooges, ils cultivent tous le même jusqu’au-boutisme, celui qui traverse les siècles en laissant des traces vives dans la mémoire des hommes. Rien qu’avec cette paire d’hommages, Radio Birdman décroche son ticket to ride, mais comme Rob reste d’une modestie à faire pâlir d’envie George Brummell, le groupe retournera down under retrouver son nid en Australie, dans le confort un peu humide de l’underground.

    Autour des Stooges et des Doors, les Birdmen tartinent les contreforts avec des vieux no-hits à eux de type «Hand Of Law», «Zeno Beach» ou encore ce brand «New Race». Ils créent encore la sensation avec une cover du grand et beau «Shot By Both Sides». Mais dans tous les cas, Rob Younger se veut plus Younger que jamais, il nie sa réalité de vieux pépère et passe directement à l’action, avec une énergie qui en impose, au moins à tous ceux qui se confrontent au même problème : rock et limite d’âge. Quand faut-il sauter du train ? Pas question pour Rob de sauter du train. Il avoisine les 70 mais il avoine la gueule du rock, pas comme un bas du front, mais comme un gentil mec profondément convaincu de la faisabilité des choses. On appelle ça l’intelligence du rock. Tu tiens debout, tu aimes ça, alors chante le rock électrique, mon gars. Rien n’est plus vital aujourd’hui que de voir Rob Younger danser sur scène.

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    Jonathan Sequeira vient de réaliser Descent Into The Maelstrom, un brillant docu sur l’histoire des Birdmen. Et là tout s’éclaire. Le maelström n’est pas ce qu’on imagine, une spirale de sex, drugs and rock’n’roll, non ce qui a détruit le groupe, c’est l’ego de Deniz Tek. Voilà ce que révèle ce docu extrêmement poignant, d’une honnêteté qui fait honneur à tous les témoins de cette pénible histoire. Dommage, car ils partaient du bon pied, Rob Younger se maquillait et travaillait un look à la Neal Smith (le batteur d’Alice Cooper), Pip Hoyle portait un béret comme Eno, Warwick Gilbert dessinait le logo et de très belles affiches, et Ron Keeley battait admirablement le beurre. Quant à Deniz Tek, Michigan boy fraîchement débarqué en Australie pour finir ses études de médecine, il composait des no-hits. Premier faux pas des Birdmen : une petite médisance sur les Saints, qui eux composaient des hits. Tek ne les apprécie pas «sur le plan personnel», et le malheureux Pip ose dire : «Nos capacités et aspirations musicales étaient au dessus de ce que faisaient les Saints», et là, on sent que se pose un gros problème, car s’il est bien un groupe auquel personne n’oserait se comparer, c’est précisément les Saints. Le malaise s’accroît encore lorsqu’apparaît la track-list du premier album des Birdmen : on lit ‘D. Tek’ à toutes les lignes, comme on lisait le nom de Don Nix partout sur l’album de Moloch, ce qui faisait bien rigoler les gens de Memphis. Craaak... Une première crevasse apparaît dans ce groupe qui se prenait pour une famille : d’un côté Rob et Tek, de l’autre, the brotherhood : Ron Keeley, Warwick Gilbert et Chris Masuak. Ces trois-là ne sont jamais consultés, on ne leur demande pas leur avis. Comme dans Blondie, quand Stein et Debbie Harry mettaient les autres devant le fait accompli. Puis un autre Stein, le Seymour de Sire, vient en Australie signer les Saints, mais il flashe sur Birdman et les envoie tourner en Angleterre. Se croyant malin, le manager du groupe détériore encore l’ambiance en tentant de pousser Rob et Tek devant, laissant les autres dans l’ombre. Il fait exactement ce que fit qu’Andrew Loog Oldham avec les Stones, en poussant Jagger & Richards en avant. Du coup l’ambiance se délite. Bon prince, Ron Keeley déclare : «That wasn’t a clever management.» Conditions de tournée habituelles : le van, pas un rond, la fatigue et l’impossibilité de se parler - It just kind of fell apart - Ça tourne en eau de boudin. Ils vont à Monmouth chez Dave Edmunds enregistrer leur deuxième album, Living Eyes, que Chris Masuak appelle Living Ass. Ron, Warwick et lui se plaignent d’être exclus du process créatif. Tek écrit tout, Tek produit tout, Tek gère tout, Tek par ci, Tek par là. On imagine aisément ce que ces pauvres gens ont dû endurer. Warwick : «I think Living Eyes is all shit. C’est le truc de Tek.» C’est vrai que l’album paru beaucoup plus tard est d’une spectaculaire médiocrité. Le groupe se sépare. Personne ne se dit au revoir.

    Et pouf, vingt ans plus tard, en 1996, on leur fait un pont d’or pour se reformer, and all the shit starts again, nous dit Warwick en rigolant, Tek veut tout diriger, tout composer, tout produire. Warwick n’en peut plus, il dit à Ron qu’il arrête les frais, Ron I’m out of it ! C’est là que Jim Dickson, le bassman des New Christs, entre dans Birdman. Puis après un mauvais show, Ron Keeley est viré comme un chien. Devant la caméra, Rob déclare : «Non, c’est pas moi qui l’ai viré...» et il ajoute, très embarrassé : «But I was part of the decision.» Big, very big malaise. Comment ose-t-on se comporter ainsi avec un vieil ami ? Alors Ron reprend la parole : «Je me tenais au bord de la falaise et on m’a poussé dans le dos.» Il ajoute que cet épisode atroce continue de le hanter. Sur sa lancée, Tek continue d’épurer les rangs en éradiquant le brotherhood : il envoie un mail à Chris Masuak pour lui indiquer qu’il est viré. UN MAIL ! Oui, de nos jours, on vire les gens par mail. Chris prend ça avec une certaine forme de philosophie : «Je suis plutôt content de ne plus jouer dans ce groupe avec ces gens. They just don’t play good enough for me.» C’est à Ron Keeley que revient le mot de la fin. Il indique que Tek a battu tous les records, dans le domaine. Puis, avec sa touchante bonhomie, Ron précise qu’il ne lui adressera plus jamais la parole.

    Signé : Cazengler, rabiot beurre-man

    Radio Birdman. Le 106. Rouen (76). 20 octobre 2018

    Jonathan Sequeira. Descent Into The Maelstrom. DVD 2018

    TROYES – 02 / 11 / 2018

    LE 3 B

    HOT CHICKENS

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    L'on se retrouve à une dizaine pour pousser la porte du 3 B. Ça n'en finira pas d'arriver, un flot ininterrompu, le carré des habitués et une flopée de nouveaux. Quelques uns un peu par hasard mais la majorité poussée par le qu'en dira-t-on, la rumeur d'un certain Jake Calypso le mois dernier à la Chapelle Argence, qui aurait averti qu'il serait au 3 B le premier vendredi de novembre. Ce soir c'est la patronne Béatrice Berlot qui offre une fricassée de poulets brûlants, ne poussez pas il y en aura pour tout le monde. Trois services, trois sévices rock'n'roll, propagés dans de la porcelaine de prix. Cassée. Pour ceux qui ne le sauraient pas Jake Calypso et Hot Chickens, ne sont que deux fragments identiques, et donc différents, d'un même miroir magique. Une fois que vous vous êtes miré dans l'un vous n'avez plus qu'une envie vous admirer dans l'autre.

    HOT CHICKENS

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    Hervé Loison tire sa Paint it Black sur le plancher. La grosse dondon toute noire, se laisse faire. Résignée, encore une promise à une glorieuse mort sur le champ d'honneur du rock'n'roll... Christophe Gillet s'installe sur un des tabourets du bar, un arbre qui a traversé la route lui a fragilisé la cheville, n'ayez crainte les doigts sont indemnes...

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    Thierry Sellier compte du regard les éléments de sa batterie, cinq pas un de plus, amplement suffisants pour déclencher les orages. L'est un peu sorcier indien Thierry, avec trois fois rien il vous emmène au cœur de l'apocalypse. Le gars qui vous arrête une division blindée avec un fusil à fléchettes. Devrait être nommé ministre de l'économie. Vous lui refileriez le déficit, il vous enrichirait le peuple à alimenter la chaudière du chauffage central avec des billets de cinq cent euros. Sans effet de manche, sans aucune forfanterie, sans une once de stress, sans la moindre théâtrale grandiloquence – méfions-nous toutefois ce petit sourire mi-goguenard, mi-méphistophélique qui erre sur ces lèvres – il abat une ou deux baguettes sur un ou deux de ces fûts, du genre puisque c'est à mon tour de jouer, faisons-le à la cool sans me prendre la tête. Le problème c'est qu'il explose la vôtre.

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    Un vicieux, pas un adepte du coup qui assomme le bœuf, il sait le faire, mais c'est un pervers, l'a une prédilection pour le dérapage infini, à la grêle il préfère le grésil, à la franchise nette la glissade fracturale. L'a l'art du bop. Vous ne savez jamais par quel trou le renard sortira de son terrier, vous matez désespérément les orifices, par un malheureux contretemps incongru et incompréhensible l'est déjà en train de saigner la volaille dans le poulailler. Evidemment vous vous en doutez il y a un autre larron dans la foire. Le profil du sage. L'air attentif. Y a de quoi.

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    Devant lui le Loison piaille sans vergogne, et derrière lui le Thierry ondule le carton, alors par la force des choses le Christophe se charge du grand écart, vous réunit les flots divergents du même courant, l'est le maître des eaux du déluge. Ne se contente pas de construire un pont entre les deux rives. Ce serait-là du boulot de mauvais ouvrier qui colmate les voies d'eau à l'aide de planches trouées agencées avec du chewing-gum usagé. Use d'une autre méthode. Personnelle. Sur le qui-vive perpétuel. Prend la barre et ne la lâche pas d'une seconde. Navigue au plus près de la tempête loisonesque, un truc à y perdre ses plumes et ses voiles, mais non, vire lof sur lof, prêt à toutes les éventualités, veille au grain qui va éclater et quand le voilier est prêt du mou il déclenche de nouvelles ardences. A tribord surveille de près Hervé, mais à bâbord il lui faut veiller sur Thierry qui est comme le lait sur le feu. Prêt à déborder au moment où l'on s'y attend le moins. Dans ce cas-là le Gillet de sauvetage vous largue de ses tonitruances à vous en fendre les tympans, tire au canon, des deux bordées, de la proue à la poupe, mais quand les deux autres bretteurs filent tout droit, il laisse aller le navire sur son aire, à toute vitesse, dans les cas extrêmes, avant les grandes dérives et déchirures éruptives, pour ahaner le suspense et le rythme Christophe fouette de ses cordes le dos de la chiourme, tout le monde comprend que l'on s'approche des récifs rugissants, et à l'instant fatidique où la coque va se briser sur les dents de pierre de l'océan, il vous abat un ouragan à vous démâter les cerveaux en perdition.

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    Pour ceux qui ne supporteraient pas le mal de mer, nous emploierons une métaphore d'un autre genre culinaire. Imaginez l'eau bouillonnante portée à cent degrés dans la marmite de Tante Agathe. Cette espèce de chaos liquide tumultueux, qui obéit à de subtiles architectures secrètes, correspond au tohu-bohu ordonné de Thierry Sellier et Christophe Gillet, contrairement à ce que prescrivent les recettes traditionnelles, ce n'est pas l'instant idéal d'y faire fondre avec douceur, patience et consomption un bouillon cube déshydraté. Tout le contraire, plongez-y un animal vivant, style cachalot colérique, on n'en a pas toujours un sous la main, donc n'importe quel volatile fera l'affaire, de préférence toutefois nous vous encourageons à prendre un Loison sauvage survitaminé, de l'ordre des Hervédés énervés. Les filles, je vous en prie, cessez vos jérémiades hypocrites, et évitez de traiter les rockers de brutes au cœur d'assassin. Je peux témoigner, vous n'avez pas cessé une seconde de toute la soirée de vous trémousser comme des dératées, et je me refuse  à évoquer vos yeux de merlans frits énamourés braqués sur le trio convulsif. Je me permets de vous rappeler qu'il ne faut pas moins de trois cuissons – en terme idoine on emploie le mot set – pour venir à bout d'une telle bestiole, et surtout que le Loisonus Hervibus – ainsi disent les savants – est réputé pour être increvable. A la fin de la préparation, certes il n'est pas frais comme gardon, mais chaud comme la poule qui sort du pot. Vous comprenez ainsi pourquoi les américains nomment ce plat Hot Chickens.

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    Bref le Loison plongé dans l'eau à ébullition est aussi à l'aise dans cette atmosphère incandescente qu'un rocker devant une chope de bière fraîche un jour de canicule, même qu'au début Thierry et Christophe la mettent en sourdine pour l'écouter chanter, car il module, il roucoule doucement telle une palombe sur la plus haute branche de l'arbre, puis il minaude, joue la diva, vous trille les notes en vocalise, et patatras, d'un seul coup le monde s'écroule, l'est pris d'un délirium tremens prononcé, se roule sur sa big mama, lui tire une corde, cruellement à croire qu'il veut arracher les cheveux de sa copine dans la cour de récréation. Un grand partageur, pas un égoïste, nous invite à l'imiter, et c'est le jeu question réponse du holler-blues revisité en version joyeusement participative. Le numéro du perroquet, le maître se met devant vous et vous répétez après lui, un vieux réflexe qui marche à tous les coups, derrière Christophe fait semblant de marcher à pas de loup sur des élastiques et Thierry passe du coton hydrophile sur sa caisse claire, genre tireur d'élite qui graisse soigneusement son fusil à lunette avant de l'épauler et de vous mettre en joue, vous connaissez la fin, sans préavis ils se jettent sur vous et vous croquent comme le petit Chaperon Rouge.

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    Z'ont aussi des produits de plus haut standing. Hervé s'amuse à l'écrivain qui se cite lui-même, interprète du Jake Calypso, nous aurons droit à un Memphis Downtown épique, Gillet aux choeurs spasmodiques, le downtown frappé à la manière de ces pièces de monnaie qui sonnent lugubrement dans les entrailles sans âme des machines à sous. Les pionniers seront particulièrement mis à l'honneur, un Rave On ravageur une véritable bataille d'oreillers au lit, du Little Richard dégoisé à l'infini, le combo rock dans toute sa splendeur, un Keep-A-Knockin' brillant de mille feux tel l'embrasement du temple d'Ephèse pour annoncer au monde antique effrayé la naissance d'Alexandre le Grand, et puis surtout ils ont boppé like they play Gene. Une espèce de descente d'organes irrémédiable sur la batterie de Thierry, une succession de pontages coronariens sur la guitare de Christophe, tous deux chirurgiens diaboliques, et Loison glissant le bistouri de sa voix dans les tripes congestionnées du rock'n'roll. Des fulgurances de tremblés de guitare sur l'anatole étoilée de Baby Blue, et une rapidité de frappe d'une exactitude extraordinaire sur Say Mama que tout le monde reprend à tue-tête. Une espèce de transe chamanique avec Hervé qui relance du charbon dans la locomotive folle. L'on ne change pas une équipe qui change. La dream team de notre trio rock'n'roll passe aussitôt au Rock'n'roll Trio de Johnny Burnette dont elle interprète sans faillir trois – n'oubliez pas que nous sommes à Troyes - tempêtes souveraines, notamment un All By Myself digne de l'Anthologie Palatine. Remarquez que Fabien à la sono leur a concocté une réverbe digne du studio Sun, pour le rockabilly sauvages de nos poulets frits, c'est une aubaine qui ne se rate pas.

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    A ce moment-là, le délire règne en maître depuis longtemps dans la salle, Hervé à remisé sa big mama dans un coin, trop de monde autour des musiciens, l'a échangé contre sa basse électrique, n'empêche que l'espace que l'assistance lui concède est bien trop étroit pour se livrer à sa gymnastique habituelle, puisque l'horizontalité terrestre lui est interdite, il s'élèvera selon l'altitude ouranienne. Pour le troisième set Christophe survolté joue debout, Hervé s'empare du tabouret, se juge dessus en équilibre précaire, micro et basse en main, il aimerait aller encore plus haut, mais ses cheveux touchent au plafond, alors il cogne sa tête sur les lattes plastiques transversales, les déforme quelque peu, pris d'une rage de berserker il saute à terre se roule sur le plancher et cogne à plusieurs reprises sa tête sur le sol, s'écroule sur la batterie, imperturbable Thierry continue à battre l'infatigable tic-tac de la fin du monde...

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    Sont trempés, mouillés, éreintés, cassés comme des Héros revenant de la guerre de Troyes, embrassés, caressés, palpés, papouillés, remerciés, comme des Dieux qui ont permis la victoire. Dehors l'on n'en finit pas d'épiloguer... Une soirée dont on reparlera longtemps dans les chaumières. Merci à Béatrice la patronne !

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Eric Duchene )

    BRIAN JONES

    TRAGEDIE DU FONDATEUR DES ROLLING STONES

    JEREMY REED

    ( Talents Publishing / 2008 )

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    Brian Jones. Le brillant jaune. L'on ne voyait que lui sur les pochettes des Stones. Arborait une moue dédaigneuse, une mine mystérieuse, du genre, circulez il n'y a rien à voir, vous ne m'intéressez nullement. Oui mais les Stones, alors les EP's on se les passait et se les repassait, les boys on les reluquait un par un, et il faut le dire, je ne citerai pas de noms, il y en avait deux qui étaient franchement laids, les deux autres normaux, même que Jagger avait ce sourire idiot qui plaît aux filles – oui, on était jaloux – mais les quatre mousquetaires pouvaient se rhabiller dès que l'on dévisageait les photos, avec ses cheveux blonds, Brian était le mouton noir du lot, celui que l'on zieute en premier, les autre zigotos éclipsés, lui la face illuminante de la lune, les autres le côté même pas sombre, dont on ignore jusqu'à l'existence. On se demandait même ce qu'il faisait dans le groupe. Le gars inclassable, on sentait que l'on ne pouvait pas le reléguer au poste ridicule de guitariste rythmique derrière ce grand riffeur de Keith, d'instinct on comprenait que le rôle de second couteau n'était pas pour lui. C'est au fur et à mesure que les disques se succédaient que l'on a compris qu'il était comme ces troupes d'élite trop précieuses pour être stupidement exposées, que l'on n'engage au combat que lorsque leur présence est indispensable pour créer la victoire. Le spécialiste, celui que l'on appelait en dernier ressort ou plutôt qui se pointait sans préavis pour vous déballer la dernière invention dont personne n'avait jamais encore entendu parler. C'est quoi ce son ? C'est rien, c'est le dulcimer de Brian Jones, et celui-là qui fait mal aux oreilles ? Mais tu n'y connais rien, c'est le sitar de Brian Jones.

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    On en avait conclu que le Brian Jones c'était le couteau suisse des Rolling. Le voisin du dessus à qui vous téléphonez quand vous avez le robinet qui fuit. Au début, on ne savait même pas que c'était lui qui avait créé les Stones. D'emblée on avait décidé que c'était le Jagg, avec sa large bouche, c'était lui le patron. Devait savoir ouvrir sa grande gueule. Le Brian, même pas l'éminence grise, la jaune si vous voulez. Manque de chance, quand on a commencé à tout piger, d'étranges bruits ne cessaient de circuler, le Brian assommé par les drogues, un zombie qui n'arrivait même plus à se saper. Le dernier des journalistes rock qui se pointait à Londres ne manquait pas de raconter qu'il avait croisé Brian Jones complètement stoned, dans un état comateux, guirlandé comme un arbre de Noël... en plus le mec pas malin, Keith et Mick arrêtés par surprise par les flics, un scandale, l'on avait envie de prendre un fusil et de descendre dans la rue, mais quand deux jours plus tard, les pigs sont allés chez Brian, l'abruti, l'aurait pu s'en douter, l'aurait pu évacuer la came, un enfant de trois ans aurait compris... Quand les Stones l'ont débarqué du groupe, l'on n'était pas franchement contents, un peu comme quand le dentiste vous arrache une dent de sagesse, l'on y tenait tout de même à ce chicot pourrave, et aussi un sentiment d'innocence perdue, la sensation d'agissements pas très propres dans les coulisses, et puis une very big question primait : qui le remplacera ?

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    Jeremy Reed ne mange pas de ce pain-là. Certes dans la traduction française l'éditeur s'est débrouillé pour glisser dans le sous-titre la formule magique ( Rolling Stones ) celle qui fait vendre, mais le titre anglais est autrement évocateur, Brian Jones, The Last Decadent. Certes dans la bibliographie reedienne vous trouvez des ouvrages sur Scott Walker, Lou Reed, et le Brian Jones, mais c'est avant tout un littéraire. L'est arrivé au rock'n'roll par la poésie, l'a emprunté le chemin des similitudes, l'a tout de suite saisi le rapport entre le rock'n'roll et des gabarits comme Arthur Rimbaud, Lautréamont ou Jean Genet, tous les rockers ne sont pas obligatoirement dans un groupe de rock. Même qu'il y en avait déjà depuis des siècles que le rock n'existait pas encore.

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    Ceux qui s'attendent à tout savoir sur l'apport musical de Brian Jones aux Rolling Stones seront déçus. Jeremy Reed nous parle de Brian Jones, mais pas du tout expressément des Stones – de toutes les façons vous connaissez la saga dans ses moindres détails depuis longtemps – certes sans les Stones, Brian Jones n'existerait pas, mais il faut comprendre que le succès des Stones a agi comme un démultiplicateur sur l'âme de Brian. Le livre n'est pas à strictement parler une biographie de Brian Jones mais une étude de sa psyché. Que le lecteur ne s'étonne pas que dans le premier chapitre Jeremy s'attarde sur la personnalité de quelques empereurs romains, Héliogabale, Caligula, Néron. Le pouvoir absolu qu'ils détenaient leur a permis de vivre leurs phantasmes à fond. En pleine conscience. Z'ont joui sans entraves. L'ont payé cher, sous le couteau de leur propre garde, par exemple. Il est inutile de les condamner, ces figures historiques sont des loupes grossissantes qui nous permettent d'entrevoir ce que nous ferions placés en une même situation. Car ne nous faisons aucune illusion, nous ne sommes ni pires, ni meilleurs qu'eux. La gloire, l'adulation, l'argent ont permis à Brian Jones de vivre selon sa nature profonde. Certes l'idole d'or n'était pas un empereur romain, mais elle a eu l'opportunité de réaliser ses rêves et ses cauchemars selon un niveau très supérieur au péquin de base.

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    Un père rigoureux, un enfant rebelle. Vif, charmant, intelligent, doué, en ses débuts mais à l'adolescence tout part en vrille. Brian rejette tout en bloc. Il fera ce qu'il voudra. Tant pis si cela ne plaît pas aux autres. Des autres d'ailleurs, il s'en fout et contrefout. Turlupine à seize ans une copine enceinte, mais n'envisage point de réparer. Ce ne sera pas la dernière. Consomme et jette. Que la mijaurée se console comme elle veut et torche les fesses du bambino. Ce sera sa ligne de conduite. Affaire ancienne qui ne m'intéresse pas. J'ai autre chose à m'occuper. Pas joli-joli ? C'est ainsi, le grand jaunâtre fonctionne de cette manière, c'est du narcissisme pur, même pas pervers. L'est un Artiste, priorité absolue à son œuvre. Mon entourage humain relégué au dix-septième plan. Ses parents ne le supporteront plus, trouvera la porte fermée et ses valises devant.

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    Une terrible blessure narcissique qui ne fait que confirmer ce qu'il avait pressenti depuis toujours. L'était un cygne blanc engendré par des canards boiteux. Ne finira pas SDF, mais Rolling Stones. L'a l'arrogance naturelle. Supérieur ( pas du tout inconnu ) à tout le monde. L'a obligatoirement toujours raison. Au début c'est parfait, sa personnalité colle comme un gant à la morgue affichée par le groupe. Qu'on se le dise les Stones ne sont pas de gentils garçons. Le problème c'est Andrew Loog Oldham, Jagger et Richards, les trois zigotos aux dents longues voient plus loin, ne veulent pas répéter sempiternellement le blues tutélaire, veulent toucher un public encore plus vaste. Plus pop, plus rock. Brian met la main à la pâte mais suit en traînant la patte. Se sent dépossédé de la machine qu'il a créée.

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    L'alcool, la drogue l'aident à tenir, l'isolent aussi dans sa tour d'ivoire. L'a d'autres problèmes. Par exemple, n'a jamais aimé  la cohue des concerts, trop de violence, trop de vulgarité. Possède une sensibilité d'esthète. Un pur artiste baudelairien qui rêve de luxe, de calme, et de tranquillité. Sur scène ses tenues épousent la chatoyance du costume des toreros mais il éprouve l'impression très désagréable d'être le taureau promis à la mort... Et puis les filles surtout. Les consomme en grand nombre. Je te baise, je te jette. A part que plus le temps passe, plus ça dérape, les excitants modèrent ses envies, l'impuissance le guette. Mais c'est encore plus compliqué. Dans une fille il recherche son double, faut qu'elle soit blonde comme lui, mais peut-on se baiser soi-même, n'est-ce pas une sorte d'inceste métaphysique, n'est-ce pas s'abîmer soi-même lorsque l'on porte sexuellement atteinte à ce corps qui vous ressemble ? Brian se débat avec le mythe de l'androgynie. Jeremy Reed pousse l'analyse un peu plus loin. Brian baise les filles pour ne pas s'avouer son homosexualité, parfois il passe le gué, peut-être même avec Jagger, parfois non. Tout cela se passe dans la tête de Brian, mais dehors ce n'est guère mieux.

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    Les tenues vestimentaires de Brian sont extravagantes. Assortit les couleurs sauvagement. Sur scène, et dans la vie. Brian se met en danger, ce ne sont pas seulement des recherches costumières hors du commun, une tendance profonde saute aux yeux de ceux qui le croisent. Brian ne recherche pas l'excentricité, il se déguise pour s'habiller en fille. Une dizaine d'années plus tard Bowie jouera avec cette ambiguïté, mais au milieu des années soixante, les esprits frustes ne se gênent pour déclarer que Brian est un sale pédé, une tapette. Pour le moment il vit dans un milieu protégé...

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    Les amantes de Brian racontent qu'en fin de compte il ne se passe grand-chose dans les moments de tendresse. Donc peu de sexe, et absence de cerise sur le gâteau à pâte molle, aucune compensation : pas du tout de tendresse. Brian est trop prisonnier de lui-même pour entrer en communication avec autrui... La seule qu'il ait aimée s'avèrera être Anita Pallenberg. Emploient leur temps à se crier dessus. Crise perpétuelle. Elle finira par se maquer avec Keith... Le couple androgynique se rompt en deux et la moitié indispensable se détache de lui, non sans une cruelle perversité.

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    Pour Brian rien ne va plus. Se sent trahi par Keith et pas besoin d'être devin pour prévoir l'éjection finale. Sera viré en mars 1969 exactement. Pas de chance, c'est sur lui que les policiers s'acharnent puisque c'est le plus fragile. Les perquisitions n'arrêtent pas. Vit dans l'angoisse perpétuelle, tout se délite autour de lui. Perd toute confiance en lui-même, n'osait plus depuis longtemps présenter les morceaux qu'il composait...

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    Finit par arrêter les produits par peur de se retrouver en prison, se rattrape sur les sédatifs et l'alcool, mais l'est prêt à renaître, une super-groupe Jones-Lennon-Hendrix est envisagé... Le monde lui fait peur. Ne demanderait qu'à rester calfeutré chez lui, mais il n'est plus chez lui, des ouvriers se sont installés à demeure soi-disant pour quelques travaux qui n'en finissent plus, se fait voler, moquer et insulter, cela se termine mal, il est retrouvé mort dans sa piscine. Jeremy Reed assure et démontre que cette noyade est un assassinat. Témoignages des amis et déclarations des témoins et des acteurs de cette soirée funeste ne sont pas pris en compte par les policiers. Un bon Stone est un Stone mort. Avertissement sans frais à la jeunesse occidentale très remuante  en ces années de tumulte soixante-huitard. Un autre monde n'est pas possible.

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    Des effets de Brian tout a disparu. La maison a été pillée, ses collections d'antiquités envolées, ses vêtements ont été brûlés, ses instruments démolis, les bandes magnétiques probablement détruites car un demi-siècle plus tard aucun disque, aucun enregistrement sous tout autre support n'est encore réapparu. La mort de Brian n'a pas suffi, l'on a cherché à effacer ses traces, à détruire tout ce qu'il aimait, tout ce qu'il était. Une haine sans égale. Y aurait-il eu des commanditaires ? Jeremy Reed ne pose pas la question. La suggère. Sans aucune envie de s'y arrêter.

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    Reed ne se contente pas de l'aride exposé des faits. Elève le personnage de Brian Jones à la hauteur du mythe. Le compare souvent, citations à l'appui, à Oscar Wilde, ceux qui essaient de vivre loin du troupeau encourent la vindicte de leurs contemporains. Si Brian Jones ne s'est pratiquement exprimé que par la musique, Wilde avait les mots acerbes pour décrire le processus de destruction opérée par la société à l'encontre des personnalités rétives. Notre auteur puise d'autres exemples dans la littérature, évoque la théorie du bouc émissaire, et n'hésite pas à transformer le calvaire de Brian Jones en destin d'Orphée déchiré par les Ménades, peint son assassinat opéré par de frustes brutes affolées par le doute que l'homosexualité désignatoire de Brian soit à l'image de leurs propres désirs les plus profonds, comme une castration symbolique, rendant de ce fait le phantasme de l'androgynie définitivement irréalisable. La perfection n'est pas de ce monde.

    Un beau livre. Très littéraire. Une analyse de la notion de décadence qui ouvre des perspectives peu connues – pour nous les petits froggies - sur la littérature anglaise.

    Damie Chad.

    L'INFANTE DU ROCK

    ROMAIN SLOCOMBE

    ( Parigramme / Octobre 2009 )

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    Slocombe, c'est le genre de mec qui mâche des concombres en marchant sur les décombres de notre société. Déjà très jeune il tirait au Bazooka aux côtés de Kiki Picasso et de Philippe Manoeuvre. L'a des passe-temps agréables, il capture les jeunes japonaises au lasso, vous les ficelle à la manière des saucissons auvergnats et les prend en photo. Certains prétendent qu'il bande des cinés, et qu'il écrit des livres comme l'on va à confesse – vous noterez combien ce mot censé vous emmener à la contrition chrétienne contient les deux raies encastrables des deux plus ignominieux péchés de la chair - juste pour y jeter la gourme de son siècle. Bizarrement la première fois que j'ai lu un livre de Slocombe c'était un livre d'enfant de ma fille. Preuve qu'il doit rester une parcelle d'innocence dans son âme aussi noire que notre monde.

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    L'infante ( du rock ) c'est un peu l'arlésienne du récit. On ne la voit guère. L'encombre surtout le labyrinthe phantasmatique des désirs et des regrets du dénommé Glucose, le héros du livre. N'est pas au mieux lorsque le bouquin débute. Idem pour le terminus. All the good is gone et sa grande présence au monde est derrière lui. Depuis longtemps. Depuis vingt ans. L'a essayé une fois de renaître à lui-même, l'est parti au Japon, l'est revenu, peut-être que l'on ne vit qu'une fois après tout. Ensuite, juste une question de survie. Habite à Paris, publie des bouquins. Connaît encore du beau monde, mais l'on sent qu'il est un pré-hasbeen. Les heures de gloire et les années folles sont passées. L'a été le parolier des Mona Toys, dans les années quatre-vingts – perso je dirais que c'est un mélange de Lilli Drop, Taxi Girl, Rita Mitsouko, même si les Jouets de Mona paraissent plus sauvages – évidemment l'histoire se termine mal, drugs, rock and split... en plus Mona est retrouvée en très mauvais état. Assassinée. N'y a pas qu'une fille dans le roman, Glucose possède aussi un ami, Takao, un japonais qui l'initie aux combines du blanchiment d'argent. Un jeu dangereux.

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    Slocombe vous raconte tout ça. Déteste la ligne droite. Le chemin le plus court n'est pas le plus agréable. Le livre fonctionne à coups de flashbacks, un véritable dédale. Parfois il est écrit à la première personne, parfois à la troisième. Glucose court après sa jeunesse, et Mona dont il se murmure qu'elle est encore vivante. Dont il a été aussi l'amoureux transi. Peut-être aurait-il mieux fait de ne pas réveiller tous ses vieux souvenirs, à moins que ce soit le passé qui revienne demander des comptes...

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    Ce qui est sûr c'est qu'une fois que vous avez feuilleté le chapter one, vous tueriez votre mère pour savoir la fin. Salement bien combinée. Vous oblige à reconsidérer l'histoire depuis le début, ce n'est pas qu'un détail vous aurait échappé, c'est qu'il faut s'interroger sur la signification du bouquin. L'est un peu exigeant le Slocombe, en échange L'Infante du Rock vous fournit tout ce dont vous avez besoin pour vous pourlécher les babines : scènes choc, visions arty, des morts, du sexe, du sang, du fric, des silhouettes célèbres du tout-eighties-Paris-Rock, de la folie, du gore, de la littérature interlope, une dose de mélancolie, de la déprime, de la peur, du suspense...

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    Les critiques disent que c'est un roman policier, sous prétexte qu'il est publié dans la collection Noir 7.5. Romain Slocombe donne surtout l'impression d'avoir voulu écrire non pas sa biographie mais sa létagraphie. S'est aperçu que la relation de notre effacement du monde est le seul aspect de notre vie dont nous laissons, de gré ou de force, les autres se charger. Elle nous échappe, Slocombe a voulu remédier à cet état de fait. L'aurait pu se tirer une balle dans la tête, mais c'est une solution de facilité. S'est épargné aussi la vulgarité du testament, s'est comporté en grand seigneur, s'est construit un magnifique tombeau, le roman de sa vie rêvée, le relevé de tous les petits jolis cailloux qu'il a semés tout le long du chemin de ses opportunités existentielles, mais surtout l'orchestration magistrale de ce sentiment d'incomplétude qui nous poursuit depuis le premier jour où nous avons pris conscience que notre naissance au monde était aussi un cadeau mortel.

    Très beau roman. Très rock'n'roll. Un rockman gris.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

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    EPISODE 6 : SUR LA PISTE DU RENARD

    ( Splendido amoroso ) )

    Nous sommes entrés dans la cuisine. Le spectacle n'était guère ragoûtant. Cruchette expliqua :

      • J'allais plonger les frites dans la bassine, lorsque j'ai entendu du bruit du côté du vide-ordures, j'ai cru que c'était des rats qui remontaient le conduit, j'ai soulevé le couvercle, quelle horreur quand je l'ai aperçu, je n'ai même pas réfléchi, je lui ai versé l'huile bouillante sur la tête et maintenant il est mort, quelle calamité ! Dire que j'ai tué un homme !

    Sûr qu'il était bien mort, en un dernier effort le gars avait tenté de sortir du vide-ordures, mais la grande faucheuse l'en avait empêché, son torse dépassait, ses deux mains étaient crispées sur le rebord, l'était pas beau à voir, une atroce grimace de douleur dessinait un rictus démoniaque sur son visage, le plus hideux c'était ses yeux bleus grand-ouverts qui vous regardaient d'un air absent, tranchaient véritablement sur la peau de son visage rougie et desquamée par le liquide brûlant. Le Chef le repoussa dédaigneusement d'un grand coup de pied, l'on entendit son corps qui glissa durant quinze secondes dans le tuyau et très distinctement le splash terminal lorsqu'il s'écrasa tout en bas dans le local poubelle.

      • Pas de panique, ni de regret Cruchette, je l'ai reconnu, l'était de garde devant le bureau du Président lorsque j'ai été convoqué à l'Elysée pour la reformation du SSR, venait manifestement nous espionner, non seulement vous l'avez éliminé froidement, si j'ose dire, mais vous avez commis un véritable crime éthique, regardez, c'est écrit sur le bidon que vous avez versé dans la friteuse ''Pure huile d'olive vierge / Commerce Bio Ethique''.

      • Je me sens mieux, j'ai même une petite faim au fond de l'estomac, moi qui avais tellement envie de de manger des frites, tant pis, nous ouvrirons une boîte de conserve !

      • Que non Cruchette, vous avez besoin d'un petit remontant après de telles émotions, je vous invite au restaurant, vous et Molossa, je ne vois pas pourquoi cet innocent animal serait privé de ses trois habituels bifteks du soir sous prétexte que son maître doit se mettre immédiatement au boulot et nous présenter au retour un plan de récupération de la troisième cassette. Exécution immédiate !

      • Chef, vous êtes chou !

    UNE SOIREE BIEN REMPLIE

    La porte se referma et je restai seul. Pas pour très longtemps. Dix-sept secondes ne s'étaient pas écoulées lorsque le téléphone sonna.

      • Allo, je suis contente d'entendre votre voix Damie, c'est Claudine, je me suis rappelé d'un détail sûrement important pour votre enquête, la troisième copine son nom et son prénom m'échappent encore, pour la simple et bonne raison qu'elle se faisait appeler Darky. Mais ce n'est pas pour cela que je vous téléphone... Damie, depuis que je vous ai vu je ne peux plus dormir, je pense constamment à vous, vous n'imaginerez jamais ce que je fais le soir entre mes draps, je...

      • Les détails sont inutiles charmante Claudine, je connais tout cela, j'avoue humblement que toutes les filles que je rencontre subissent l'étrange attirance de mon magnétisme et...

      • Je m'en doute Damie, mais moi c'est différent, si vous le permettez je saute dans ma voiture, j'aimerais en discuter avec vous, ce soir même, Provins-Paris en une heure je peux être auprès de vous...

      • Excellente initiative Claudine, je me sens un peu délaissé ce soir, jusqu'à ma petite chienne qui est partie au restaurant et...

      • Damie, j'arrive, cette nuit I wana be your dog !

      • Je vous attends, Claudine.

    La soirée s'annonçait sous les meilleurs auspices. Ne me restait plus qu'à mettre au point le plan d'accès à la troisième cassette. Je ne doutais pas que mon intelligence phénoménale ne me trouvât en soixante minutes la solution. Je commençai par m'installer au bureau à la place du Chef, en la position du cowboy nonchalant communément surnommée les-pieds-sur-la-table, je poussai le vice jusqu'à puiser dans la réserve du Chef, rien à dire un Coronado au bec vous file un merveilleux portrait d'aventurier, restait maintenant à amorcer le fonctionnement de ma matière grise. Quels sont les faits bruts indubitables en notre possession, passons-les en revue, ce surnom de Darky, noir en langue bien de chez nous, procédons avec ordre et méthode, par association d'idées, nous sommes en France, à quels éléments pourrions-nous associer ce mot noir dans le rock français, qui sautent aux neurones immédiatement... je n'en vois que deux, le Noir c'est Noir de Johnny Hallyday, et Les Papillons Noirs de Bijou. J'exhalais paresseusement une bouffée de fumée de mon Coronado, passons au deuxième élément, Crocodile tuée un couteau plantée entre les omoplates, quand je pense que si elle avait survécu elle aussi aurait succombé à mon charme... ne nous égarons pas, Claudine en vie grâce à notre décisive intervention, j'aspirai la brûlante fumée de Coronado, si nous n'étions pas intervenus, elle serait morte, on l'aurait retrouvée le long poignard de l'ostrogoth planté entre ses épaules, épinglée comme un... papillon, non de Dieu tout s'éclaire, enfin une piste ! Le Chef lui-même n'a pas été capable d'un tel rapprochement déductif !

    C'est à ce moment-là que l'on frappa impatiemment à la porte. C'était Claudine, toute belle dans sa mini-jupe, j'admirai l'air ingénu avec lequel elle tenait sa petite culotte rose à la main.

      • Charmante parmi les charmantes, un aigle se lève dans mon cœur, remettez votre culotte, effacez cette moue de déception de votre mignon minois, ce soir je vous offre ce dont vous n'avez jamais osé rêver Claudine, rien de moins que la grande aventure !

      • Damie, je suis prête, je vous suivrai jusqu'au bout du monde !

    Elle ne croyait pas si bien bien dire.

    L'AVENTURE

      • Ecoutez-moi bien Claudine, nous allons jouer à un jeu rigolo, la chasse au renard. Tout à l'heure nous avons trouvé un espion dans le vide-ordures. Il est sûr qu'ils nous observent. Votre arrivée est une aubaine inestimable. S'ils ne nous voient pas ressortir, ils penseront à une partie de jambes en l'air. Nous laisserons la lumière allumée et nous descendrons les escaliers dans le noir. Au troisième étage nous emprunterons un deuxième escalier de service qui descend tout droit dans le sous-sol. J'ai repéré un passage pour les câbles électriques qui nous emmènera de l'autre côté de la rue dans l'immeuble d'en face. Nous aviserons alors.

    Cette première partie du plan s'est déroulée comme sur des roulettes. Plutôt agréable, le corps tremblant d'émotion de Claudine ventousé contre le mien. En chemin je ne vous cache pas que nous avons tendrement échangé quelques secrets que nous n'avions encore jamais révélés à quiconque :

      • Oh, ça sent mauvais ici !

      • Normal, nous traversons le local poubelle, chut !

      • Pouah ! C'est dégoûtant, j'ai marché sur un truc tout mou et gluant, un yaourt périmé je crois !

      • Mais non Claudine, c'est juste un cadavre !

      • Ah ! je préfère, je ne sais pas si vous êtes comme moi mais j'ai horreur des yoglourts bulgares avariés !

      • Moi aussi Claudine, ça me coupe l'appétit !

    Lorsque nous sommes parvenus dans le hall de l'immeuble d'en face, la chance nous a souri. Du monde entrait et sortait sans arrêt. Qui aurait pu se méfier de ce couple d'amoureux tendrement enlacés qui longeait le trottoir en direction de la teuf-teuf ! Le fidèle véhicule nous attendait sagement. Mais elle n'était pas seule. Deux grosses berlines noires l'encadraient. Derrière les vitres teintées l'on devinait dans chacune d'elle quatre gros malabars... L'on est tranquillement passés à côté en se bécotant à qui mieux-mieux. Par chance Claudine n'avait pas trouvé une place de stationnement dans la rue du SSR. S'était tapée un bon kilomètre de marche à pieds pour me rendre visite. On a récupéré son véhicule et l'on est allé se garer discrètement derrière une camionnette. De là nous apercevions les deux grosses limousines noires. Deux heures s'écoulèrent dans une attente interminable. Soudain, les deux voitures noires s'ébranlèrent. Devaient être convaincus que nous passerions la nuit au lit. La chasse au renard commençait...

    Les suivre n'était guère difficile. Elles roulaient assez lentement, nous faisions attention à ce que d'autre véhicules vinssent s'intercaler entre elles et nous. Très vite nous acquîmes la conviction qu'elles empruntaient les rues un peu à hasard, un coup à droite, un coup à gauche, un coup à droite, un coup à gauche, sans fin...

      • Damie tu es sûr qu'ils ne nous ont pas repérés ?

      • Non si c'était le cas, elles se seraient débrouillées pour nous encadrer, une devant, une derrière, c'est leur tactique

      • Mais enfin Damie, on dirait qu'ils ne s'éloignent pas trop de là où ils sont, je n'y comprends rien.

      • Vous êtes une fine observatrice Claudinette, vous avez parfaitement raison, ils restent toujours dans les mêmes parages.

      • Mais pourquoi mon Damissou chéri ?

      • Ils attendent le feu vert.

      • Damie ne dis pas n'importe quoi, il n'y a pratiquement pas de feux dans cette zone !

      • Vous vous méprenez Claudine, ils attendent qu'on leur communique le top départ de leur intervention.

      • Damie la vie avec toi est vraiment palpitante ! Mais je me demande vers quel endroit ils se dirigent.

      • Ça c'est facile, j'y parierai un million de dollars contre votre petite culotte, !

      • Damie, ne me fais pas languir, voici ma petite culotte, dis-moi où ils vont !

      • A Montreuil.

      • Pourquoi à Montreuil, comment le sais-tu ?

      • Une évidence Claudine, Montreuil, la cité rock'n'roll !

    Quelques minutes plus tard nous tournions dans le dédale des ruelles du bas-Montreuil, nous redoublâmes de précaution, après la zone pavillonnaire, nous abordâmes un no man's land, ambiance glauque et morbide... ils roulaient si lentement que nous dûmes abandonner la voiture. Nous les suivions de loin, nous coupions au travers de terrains en friches pour ne pas les perdre. Nous étions derrière une palissade lorsque les portes de voitures claquèrent. Par le trou d'une planche pourrie je glissai un œil dans le gouffre d'ombre devant nous.

      • Que vois-tu Damie ? me susurra Claudine dans le creux de l'oreille

      • Sont tous les huit, en groupe, au bout de la rue, j'aperçois la devanture d'un hôtel borgne, tout près, il y une espèce de mendiant enroulé dans des couvertures, avec un chien, ils passent devant lui, il y en a un qui lui lance quelque chose, une pièce sans doute, le mendigot leur fait un signe, ils rentrent dans l'hôtel. Claudine, c'est l'occasion idéale, vous restez sagement ici, je vais m'approcher, dans un premier temps j'élimine le mendiant, c'est le guetteur, dans un second je les piège dans leurs terrier !

      • Damie, tu es un héros !

    Je n'étais plus qu'une ombre dans la nuit. Sans bruit je m'avançais vers la sentinelle. L'idiot relâchait sa surveillance, il regardait du côté de la porte par où était entré le commando. Le chien dormait. J'étais assez prêt pour apercevoir ses longues oreilles de bâtard pustulées. Je n'étais plus qu'à cinq mètres, j'assurais mon poignard dans la main, je me répétais la scène mentalement, un coup de dague sur le cabot et dans le quart de seconde qui suit saisir le gars par derrière et lui trancher la carotide d'un coup sec, un, deux, trois, je bondis tel un tigre sur mes proies, mais je n'eus pas le temps de réaliser mon exploit, alors que tel l'aigle qui s'abat du haut du ciel sur la marmotte innocente...

      • Agent Chad, il vous en a fallu du temps pour arriver !

    Dans le même moment Molossa remua la queue et se débarrassa de ses longues oreilles de carton.

    ( à suivre )