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  • CHRONIQUES DE POURPRE 580 : KR'TNT 580 : BILL GRAHAM / HARLEM GOSPEL CHOIR / SEX PISTOLS / GUIDED BY VOICES / BABY WASHINGTON / ROCKABILLY GENERATION NEWS 24 / HOT CHICKENS / OSE / CARACARA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 580

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 12 / 2022

             BILL GRAHAM / HARLEM GOSPEL CHOIR

    SEX PISTOLS / GUIDED BY VOICES  

    BABY WASHINGTON

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HOT CHICKENS / OSE / CARACARA

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 580

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Pas de gras chez Graham

     

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             Grand organisateur de concerts devant l’éternel, Bill Graham reste aux yeux de tous l’un des personnages clés de la grande saga du rock. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit simplement de lire son autobio, un puissant book de 500 pages, Bill Graham Presents: My Life Inside Rock And Out. Puissant car publié sous forme d’oral history, donc vibrant, et la voix de Graham, c’est pas de la gnognote, amigo. Graham est un sacré gueulard, un déplaceur de montages, un rescapé de la mort, un authentique admirateur de grands artistes, un homme à idées, un homme clé, il est toujours là quand il faut, même s’il n’organise pas : Woodstock, Monterey, il s’y rend, pour voir, mais c’est lui qui fait The Last Waltz, qui fait le Live Aid, qui fait les Pistols au Winterland, et bien sûr tous les concerts légendaires aux deux Fillmore, l’East et le West, et quand on dit légendaires, ça veut dire Jimi Hendrix, Sly & The Family Stone, Miles Davis, plus toute la scène de San Francisco dont il est l’un des accoucheurs, et par la suite, il va emmener les Stones et Dylan en tournée. Le book est passionnant, Graham apporte des éclairages fantastiques sur pas mal d’artistes et d’événements, et à aucun moment, il n’envisage de lâcher la rampe, même s’il finit par fermer ses deux Fillmore. Pourquoi ? Parce qu’il ne supporte pas de voir changer les mentalités de ses interlocuteurs. Dans les années 80, le biz commençait en effet à évoluer, mais pas dans le bon sens.

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             On trouvera le vrai Bill dans les pages où il relate lui-même des incidents. Tiens on va en prendre un au hasard pour commencer. Première tournée américaine de Cream en 1967. Bill les fait jouer cinq soirs de suite au Fillmore West avec le Paul Butterfield Blues Band en tête d’affiche. Puis il met Cream en tête d’affiche six soirs de suite avec l’Electric Flag et Gary Burton. Six mois plus tard, il les refait jouer au Fillmore avec James Cotton et Blood Sweat & Tears. Le problème, c’est leur manager, Stigwood. Sur le côté de la scène, Bill a fait installer six chaises pour ses frangines et leurs maris. Stigwood se pointe entouré de deux gardes du corps et demande pour qui sont prévues ces chaises et on lui répond «Pour la famille de Monsieur Graham.» Alors un émissaire de Stigwood vient trouver Bill et lui dit : «Excusez-moi Bill, vous voyez, là-bas, c’est Robert Stigwood, the manager of the Cream. Il aimerait s’asseoir sur ces chaises. Je sais qu’elles sont prévues pour vos sœurs, mais vous pourriez peut-être trouver un autre arrangement ?». Alors Bill lui répond : «Pouvez-vous trouver un autre arrangement pour Monsieur Stigwood ?». L’émissaire le reprend : «No no no, il aimerait que ce soit VOUS qui trouviez un autre arrangement pour votre famille.» Alors Bill qui en a vu d’autres lui balance : «Dites-lui que ce n’est pas possible. Le show va commencer.» L’émissaire fait plusieurs allers et retours et finit par dire à Bill que Monsieur Stigwood se sent insulté - Savez-vous qui il est ? - Bill lui répond que oui, il sait qui il est. «Je suppose qu’il sait aussi qui je suis. Donc il doit savoir qui sont mes sœurs. Voulez-vous aller lui dire que mes sœurs ne bougeront pas de leurs chaises ?». Alors l’émissaire revient voir Bill et lui annonce que le groupe ne jouera que si son patron récupère ces chaises. Alors Bill installe ses sœurs sur les chaises, récupère quatre mecs de la sécurité et va trouver Stigwood pour se présenter : «I’d like to introduce myself.» Stigwood lui répond : «Yes, je sais qui vous êtes, Bill.» Alors le grand Bill abat son jeu : «Good. Soyons-en sûrs. Je suis Bill Graham. Vous êtes Robert Stigwood. C’est votre groupe. Ces trois dames sur scène, sont mes sœurs. Vous ne pouvez pas insulter mes sœurs de cette façon. Maintenant vous devez prendre une décision. Soit vous quittez cette salle tout seul, soit je vous fais sortir de force.» Et pouf, il le fait sortir de la salle, accompagné par deux de ses gros bras. Bill va ensuite trouver les trois Cream dans la loge pour leur expliquer ce qui vient de se passer et Ginger Baker résume la scène en une seule phrase : «Really? That’s marvellous. That IS marvellous.»

             Bill règle tous les problèmes d’homme à homme et le book grouille de problèmes, alors Bill monte au front et affronte les cons et puis aussi les connes, ça grouille sur la planète, tu n’as pas idée, et le book devient vite fascinant, rien que de voir cet homme à l’œuvre. On croit tous que le rock, c’est une amusette, un truc sympa, des guitares, des belles fringues et de la jolie musique, mais en fait, c’est un extraordinaire foutoir et il faut des gens de la trempe de Bill pour tout débloquer, tout orchestrer et épargner aux gens le spectacle du foutoir généré par les cons. C’est la raison pour laquelle il a besoin de ces 500 pages pour en parler. Comme le disait si justement Léon Bloy : «Il y a trop d’imbéciles, on ne peut pas tous les rosser.»   

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             Un autre épisode : Bill vient de lancer le Fillmore Eat à New York et il fait le tour du pâté de maisons pour voir si tout va bien. Il repère quatre kids de 10-12 ans qui donnent des coups de talon dans l’une des portes de secours du Fillmore. Bill leur dit d’arrêter de taper, et il poursuit son chemin. Quand il repasse devant eux, l’un des kids tape encore. T’as entendu ce que j’ai dit ? Et le kid lui répond «Fuck you !». Et il se remet à taper du talon dans la porte. Bill vient se camper devant lui : «Hey !» Le kid arrête et répond : «Yeah ?». Alors Bill lui dit qu’il vient d’acheter le bâtiment et qu’il s’appelle Bill. «What’s your name ?» «Rusty.» Alors il lui parle d’homme à homme : «Rusty, mettons les choses au clair. Je ne veux pas de cette merde ici.» Puis il leur demande à tous les quatre s’ils vivent dans le quartier. Et pouf c’est parti. Bill a établi le contact. Il leur propose aussitôt un petit job, surveiller la rue où on décharge les camions. Vous voulez voir les shows ? Vous entrez dans le bureau et vous y allez. Ici on fait gaffe aux camions et au bâtiment. Ça vous dit de surveiller ? Et pendant trois ans , les kids vont surveiller la rue pour Bill. Ils vont donner un coup de main à décharger pour quatre bucks an hour et vont voir presque tous les shows. «Je n’ai plus jamais eu de problèmes avec eux.» Voilà Bill. C’est ce genre de mec. 

             Ahmet Ertegun l’admire énormément : «Bill Graham n’avait peur de rien. De rien. Comme un guerrier invincible, il affrontait n’importe quelle situation, il passait à travers tout. Syndicats, gros durs, tout. Je le considère comme l’une des vraies légendes du rock’n’roll, parce qu’il disposait d’une incroyable vitalité et d’une forte personnalité. Bill Graham était un immigrant qui vint aux États-Unis avec des idées et des espoirs, et qui trouva une niche extraordinaire. Il s’est construit un monde.» Difficile d’imaginer plus bel hommage, surtout de la part d’un homme qui comme Bill vient de loin. Turquie pour l’un, Allemagne pour l’autre.

             Quand Ahmet dit que Bill ne craint personne, il s’appuie sur des faits réels. Quand Bill s’installe à New York, les Hell’s Angels ont un QG dans le même secteur. Bill programme un concert du Dead, et les Angels veulent entrer gratuitement. Chez Bill, tout le monde paye sa place. C’est la règle. Les Angels gueulent : «Open the fucking doors !». Et Bill leur dit non. Il fait face à une énorme meute. Il reçoit soudain une chaîne en pleine gueule. Il sent le sang couler. Mais il ne bronche pas. Il s’essuie le visage de la main et continue de les fixer du regard, sans rien dire. Rien ne se passe, alors que ça pouvait dégénérer. Silence. Alors ils s’en vont. «À partir de cet instant, nous dit Bill, je n’ai jamais plus eu de problèmes avec les Angels à New York. Comme j’avais tenu bon, ils sont allés tenter leur chance ailleurs.» Il a aussi de sérieux problèmes avec un gang anarchiste qui s’appelle The Motherfuckers. Comme il réclament un droit à s’exprimer, Bill leur file un bureau à l’intérieur du Fillmore, à l’étage. Ils font une feuille ronéotypée qu’ils distribuent dans les concerts. Et puis un jour, Bill tombe sur un texte qui ne lui plaît pas du tout : «On a entendu dire que Bill Graham a perdu ses parents dans un camp de concentration pendant la guerre. C’est une honte qu’il ne soit pas allé avec eux.» Alors Bill les vire du Fillmore à coups de pieds au cul.

             Oui, car Bill est un juif allemand rescapé de la Seconde Guerre Mondiale. Il fit partie d’un petit groupe d’enfants juifs envoyés en France, quand c’était encore possible. Le groupe gagnera ensuite l’Espagne puis l’Afrique du Nord. C’est à partir de Dakar qu’il rejoindra les États-Unis, à bord d’un navire. Il sera l’un des onze survivants du petit groupe d’enfants juifs. Il donne tous les détails. Il faut lire ça.

             Un autre incident captive bien l’attention : une équipe est en train de tourner Last Days At The Fillmore et Mike Wilhelm vient demander à Bill de mettre les Charlatans à l’affiche du dernier concert prévu au Fillmore. Wilhelm est habillé en biker, avec la casquette en cuir et les clous. Bill lui dit qu’il n’y a plus de place. No room. Ils échangent quelques mots et Bill lui dit qu’il préfère mettre au programme des groupes qu’il a déjà vus et qu’il aime bien, et donc les gens les aimeront bien aussi. Le problème c’est qu’il n’a jamais vu les Charlatans. Pas de chance. Alors, dépité, Wilhelm lui répond : «Yeah, well, well, I’d just like to say ‘Fuck you and thanks for the memories, man’, you know?» Bill raccompagne Wilhelm à la porte et lui dit : «La prochaine fois que tu me dis ‘Fuck you’, j’espère qu’il n’y aura pas de caméras dans les parages. Je te péterai les dents et te les enfoncerai dans les trous de nez, fucking animal !». Et Wilhelm lui dit : «Mais je ne te hais pas !». Bill enrage : GET OUTTA HERE! Sors d’ici immédiatement ! Viré le biker. Bill déteste qu’on lui manque de respect.

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             Last Days At The Fillmore vaut le coup d’œil, presque deux heures qui te font regretter d’avoir raté tous ces concerts, car c’est du haut niveau de San Francisco. Le film est sur YouTube,  on ne perd pas son temps à le visionner. Surtout qu’on voit Bill superstar régler ses problèmes au téléphone avec des gens qui ne respectent pas leurs engagements. Fuck yourself ! Tous les plans scéniques sont passionnants, ça commence avec Cold Bood et cette blonde qui y va, une vraie Soul scorcheuse, big bassman derrière, section de cuivres, c’est du solide. Même chose pour Boz Scaggs, l’ex-Steve Miller Band, il joue un immense balladif de big American rock avec un feeling inexorable, il chante à l’accent tranchant - get up make my life shine - il passe un solo magistral et c’est cuivré de frais. Avec The Elvin Bishop Band, il est la révélation du movie. On comprend que Bill ait craqué pour ces gens-là. Cold Blood, Boz et Elvin Bishop, c’est déjà énorme. On passe aux stars avec Hot Tuna. Bill les présente, Papa John Creech, Jack the crack sur sa basse Guild et «the sex symbol of Sandinavia, Jorma Kaukonen». Une sous-Janis avec des gros seins arrive sur scène : c’est Lamb, puis tu as Quicksilver, l’aristocratie psychédélique de San Francisco. Et bien sûr on s’ennuie comme un rat mort pendant It’s A Beautiful Day et le Grateful Dead. La tête d’affiche n’est autre que Santana. Carlos et son gang sont, avec le Dead, les grands chouchous de Bill. Et entre deux plans scéniques, Bill rappelle qu’il fit partie d’un groupe de 60 Jewish kids exfiltrés d’Allemagne quand c’était encore possible et seulement 11 sont arrivés vivants à New York. 

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             Après être entré aux États-Unis en 1941, Bill change de nom et grandit à New York. Il trouve le nom de Graham dans le bottin téléphonique. Comme il s’appelle Wolfgang Grajonca, les gens le charrient, «Hey junkie !». Il cherche un nom approchant en Graj ou en Grak et pouf, il tombe sur Graham - Je voulais un nom simple. Mais je le vis mal depuis, car je n’aime pas ce nom. Je l’ai jamais aimé. Je préférais Grajonca. Mais je n’aimais pas ce que les gens en faisaient - Toute la première partie du book est passionnante, car il entre bien dans tous les détails. Sa première passion est la musique latino, et un club, The Palladium, «at Fifty-five and Broadway, it cost a buck-fifty to get in.» Il raconte qu’il allait au Brooklyn College puis rentrait à Manhattan. «Go to the Palladium, throw my books into the checkroom and dance for hours on end. Till three or four in the morning.» Il ajoute qu’il lui arrivait d’aller directement au collège le lendemain matin. Nuits blanches au Palladium ! C’est extrêmement bien raconté, on se croirait chez Mezz Mezzrow. Il est dingue de Machito, de Tito Puente, de Tito Rodriguez - Everybody dancing and dancing and the entire ballroom would get off. We weren’t all making love at once but we were in the eye of this wonderful storm. Dancing inside this great groove. Time out, world - Et il continue : «Au milieu d’une chanson l’orchestre s’arrêtait, sauf le bassiste. Mais tout le monde continuait à danser. On claquait des mains pour garder le tempo et tout le monde succombait au charme de cette musique, des milliers de gens. On gardait le tempo pendant le solo de basse et l’orchestre revenait. Des milliers de gens. Tout le monde se sentait bien. Everybody felt so good.» Ce passage est capital, car il éclaire le destin de Bill : avec ses Fillmore, il va tenter de recréer ce qu’il vivait au Palladium : l’everybody felt good. Bill ne pense qu’aux milliers de gens dans la salle. «The Palladium a transformé ma vie.»

             D’où le Fillmore. Il commence par organiser ce qu’il appelle des benefits pour The Mime Troupe. Le Fillmore Auditorium appartient alors à un black, Charles Sullivan et Bill va le lui louer pour organiser ses premiers concerts, de décembre 1965 à juin 1968. C’est l’aube de la Scène de San Francisco. Pour son second benefit, il a Grace Slick and Darby Slick and the Great Society, the Mystery Trend avec Ron Nagle, et Frank Zappa le second soir. La grande spécialité de Bill va être de constituer des affiches hétéroclites. Quand il se sépare de Ronny Davis et de la Mime Troupe, il continue tout seul au Fillmore Auditorium. Pour le concert de fermeture, il a Creedence, Steppenwolf et It’s A beautiful Day. Le lendemain, il ouvre le Carousel qu’il rebaptise le Fillmore West, avec à l’affiche le Paul Butterfield Blues Band et Ten Years After. Il peut faire entrer 28 000 personnes dans son Fillmore. C’est Bill qui invente les light-shows et les posters, en plus du reste. Il est à lui tout seul une petite révolution culturelle. Quand il ouvre le Fillmore East à New York, il ambitionne de créer un Apollo pour les blancs - À l’Apollo on disait aux musiciens : «Tu as un truc à dire ? Monte sur scène et dis-le !». Quand tu montais sur scène au Fillmore East, tu savais ce que ça voulait dire. Sound, lights, special effects, light show. You want to show the world your stuff? Do it here. Le Fillmore East est devenu ce que j’espérais. Mais le prix à payer était trop élevé.

             Bill fait même du Fillmore une profession de foi, il est incroyablement déterminé : «À cette époque j’avais 35 ans. Ma génération avait été une génération passive. Mais sur les campus et in the Haight, les peintres et les musiciens s’agitaient, ils voulaient quelque chose de différent, ils ne voulaient pas suivre le modèle de la génération précédente. J’étais là à cette époque de ma vie, l’enjeu était beaucoup plus important que de réussir dans la vie. J’avais sous les yeux de théâtre de la vie. It was a living theater. Everybody was REAL.» Cette notion d’everybody est fondamentale. Bill ne se situe que par rapport à l’everybody. Le collectif, the people, c’est tout ce qui compte. Quand dans Last Days At The Fillmore, on le voit marcher à travers la foule qui fait la queue pour entrer au Fillmore, la caméra est sur son épaule et franchement, tu as l’impression de suivre le Christ, c’est une scène très particulière, les gens savent qui est Bill et lui montrent un immense respect.

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             Comme Totor, Bill est un fervent admirateur de Lenny Bruce. Quand il réussit à le faire jouer au Fillmore, c’est peu de temps avant la fin : «Je ne peux pas dire qu’il ait été bon sur scène. The performances were like eulogies to himself. Les gens n’ont vu qu’un artiste diminué par le harcèlement (a person who had been fucked with for a very long time). It was the living death of a genius (Un génie en train de mourir sur scène). Il s’est attaqué à la loi et il a perdu.» Bill ajoute que les Mothers Of Invention ont sauvé la soirée. «Lenny Bruce était nu sur scène, et vaincu. Six semaines plus tard, il était mort.»

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             À la demande de l’Airplane, Bill devient leur manager. Mais la relation est houleuse car comme le dit Bill Thompson, Bill ne les comprend pas - They had horrible fights - Pour Thompson, Bill était celui qui a rendu possible l’éclosion de la scène de San Francisco, «sans lui, rien n’aurait pu exister, mais il ne les comprenait pas». L’Airplane ne veut pas signer de contrat avec Bill. No way. Paul Kantner dit aussi que Bill ne comprenait rien au fonctionnement de l’Airplane qui était basé sur l’acceptation réciproque de tous les travers - Bill avait ses manies et nous avions les nôtres. Parfois, on s’entendait bien, parfois on ne s’entendait pas - En 1966, tous les groupes déboulent à San Francisco. Dave Rubinson rappelle que les meilleurs étaient Moby Grape et Steve Miller - Big Brother was terrible, c’est-à-dire pas terrible. The Airplane was terrible. The Warlocks who then became Grateful Dead were terrible. All these people, they were horrible - C’est aussi ce que dit Sly Stone qui est à cette époque producteur : il ne supporte pas d’entendre les Warlocks et les autres hippies. Il les considère comme des amateurs. Le seul groupe qui trouve grâce à ses yeux, c’est The Beau Brummels. Rubinson dit aussi que tous ces groupes jouaient du blues mais qu’ils ne savaient pas le jouer. En plus de Moby Grape et de Steve Miller, il salue aussi Sons Of Champlin.

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             Quand Bill programme Otis au Fillmore en décembre 1966, il tombe à genoux : «By far, Otis Redding was the single most extraordinary talent I had ever seen. There was no comparison. Then or now.» Bill raconte Otis sur scène, avec 18 musiciens, «the black Adonis, en costard vert, chemise noire, cravate jaune, he moved like a serpent. A panther stalking his prey. Knowing he was the ruler of the universe. Beautiful and shining, black, sweaty, sensuous, and passionate.» Bill n’en peut plus, c’est à longueur de page, et il ajoute : «C’est en voyant Jimi Hendrix que j’ai réalisé qu’Otis était là avant lui. Jimi fut le premier à avoir un public de blanches qui le désiraient ouvertement. Mais Otis was the predecessor.» Bill se souvient de ses trois soirs au Fillmore : «That was the best gig I ever put on in my entire life. Je le savais alors. Aucun doute là-dessus. Otis pour trois soirées au Fillmore. C’était aussi bon qu’une bonne partie de cul avec une femme qu’on aime vraiment. So was that.»

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             Bill fait aussi découvrir les Staple Singers aux Frisco kids - Mavis Staples for me was the same class as Aretha. They worked with Rahsaan Roland Kirk and Love - Il programme aussi Howlin’ Wolf - It was amazing - Bill récupère les numéros de téléphone de tous ces géants qui ne bossent pas avec des agences. Wolf lui refile par exemple le numéro de Big Joe Williams. Bill explique aussi qu’en 1966, les kids de 17 ans ne savaient pas qui étaient Chuck Berry, B.B. King ou Albert King. Mike Bloomfield et Jorma Kaukonen n’en finissent plus d’insister auprès le Bill : «Chuck Berry doit jouer au Fillmore !». Mais Chucky Chuckah ne veut pas venir jouer. «The Fillmore, man ? I don’t know.» Alors Bill prend l’avion et va le trouver chez lui à Wentzville, dans le Missouri. Chucky Chuckah accepte de venir jouer à trois conditions : tu fournis l’orchestre, tu fournis the Showman Amp et tu fournis la Cadillac à l’aéroport. Bill parvient aussi à faire venir Muddy Waters au Fillmore, à l’affiche avec Butterfield et l’Airplane - Tous les musiciens voulaient voir Otis, mais ils voulaient aussi tous jouer avec Muddy Waters. Otis Spann l’accompagnait et ils ont joué «Hoochie Coochie man» et «I’m A man», I spell M-A-N. Muddy was awsome - Et dans sa lancée, il ajoute : «Muddy was a lot like John Walker. He was older. He had that regal presence. He had lived throught a lot of shit but he didn’t make the world pay for it. Butterfield revered him. Il y a deux ou trois noms dans le business qui figurent on the top ten list of every musician I know. Muddy was one of those people.»    

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             C’est Bill qui lance Janis au Fillmore. Il la compare à Piaf - Au début, il n’y avait pas de stars. Les groupes jouaient, c’est tout. Puis ça a commencé. On la considérait comme une déesse. Ça a dû avoir un effet sur elle. Elle n’avait pas le choix, de toute façon. Elle est devenue star malgré elle. Les filles s’habillaient et se coiffaient comme elle. Ce n’était pas la même chose que Judy Garland ou Billie Holiday qui chantaient dans des clubs. Janis chantait dans toutes ces grosses salles qui sont apparues pendant les sixties. Le résultat est qu’une blanche originaire de Port Arthur, au Texas, est devenue une reine sociologique internationale. Mais elle était restée telle qu’elle était avant la starisation - Chet Helm, le boss de l’Avalon qui avait fait revenir Janis à San Francisco, pense que the Albert Grossman organization qui avait mis le grappin sur elle voulait en faire «the white Billie Holiday, the Blues singer. Down and out and junked out.»

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             Même plan avec Jimbo. Bill se dit big fan - De toute évidence, la gloire l’a affecté au point qu’il ne pouvait plus la supporter. À l’origine, Jim voulait être réalisateur, écrivain et poète. Mais soudain, le monde entier l’idolâtrait. Il fut le premier male sex symbol in rock. He and Hendrix -  Lors d’un concert à Cleveland, Jim dit qu’il vient de réaliser que toutes les femmes présentes dans la salle voulaient baiser avec lui. Même problème avec Jimi Hendrix, le premier artiste noir désiré massivement par des femmes blanches - They wanted to fuck him as a unit. After Otis, he was the first black sex symbol in White America - Quand Otis et Jimi ont disparu prématurément, ça a dû arranger pas mal de gens. On reste dans les monstres sacrés avec Miles Davis que Bill fait jouer au Fillmore West avec Stone the Crows et le Dead. L’idée de Bill était de faire découvrir la musique de Miles aux fans du Dead, mais l’idée ne plaisait pas à Miles. Alors Bill doit aller le voir pour le convaincre - Aller voir Miles, c’est comme d’aller voir le Dalai Lama. Obtenir un rendez-vous, ça peut prendre quatorze ans et demi. Tournez à gauche deux rues plus loin. Trouvez une cabine et appelez. On vous dira où aller. Mais rien de sûr. Il est peut-être là. Il devrait être là. J’ai fini par le rencontrer sur 127th Street and Lennox Avenue, à Harlem - Bill parvient à le convaincre car il lui parle de ses premières amours, Tito Punente, Celia Cruz et Dizzy Gillespie.

             Puis Bill fait jouer Roland Kirk - He destroyed me. La première fois, ce fut au Fillmore Auditorium en 1967. Comme j’avais aussi l’Airplane qui remplissait systématiquement, je pouvais programmer qui je voulais - Alors il programme the Afro-Haitian Ballet et en ouverture, Roland Kirk - Il arriva dans l’après-midi. Forte personnalité. Aveugle de naissance, je crois. Il portait des lunettes noires très bizarres, une robe africaine et une casquette tribale. Il parlait énormément, à propos des injustices, du racisme, de la fraternité et de l’égalité. Mais il était en colère. Comme Nina Simone - Jonathan Kaplan ajoute que Roland Kirk fut le meilleur concert qu’il ait vu au Fillmore - He could play anything.

             Après la fermeture des deux Fillmore, Bill et son équipe vont faire tourner les plus grands artistes de l’époque à travers les États-Unis : Dylan, CSN&Y, puis George Harrison.  

             Bien sûr, Bill ne touche pas aux drogues. Il ne boit que des trucs qu’il décapsule lui-même, il sait que les gens versent de l’acide dans les verres. Jerry Garcia : «La première fois que j’ai vu Bill, c’était à l’Acid Test de Longshorsemen’s Hall. Tu vois ce mec cavaler partout avec un clipboard, au milieu d’une total insanity, I mean total, wall-to-wall, gonzo lunacy. Tout le monde était défoncé sauf Bill. And I was having the greatest time in the world.» Bill qui est curieux va quand même tester les drogues : «Acid is heavy stuff. Je sais que j’ai une forte constitution, aussi pouvais-je gérer ça. J’ai fini par découvrir que je pouvais prendre certaines drogues, comme la mescaline, que j’aimais beaucoup. C’était parfait quand j’avais un peu de temps libre. Je mangeais un magic cookie et me sentais bien, pas d’effets secondaires and no bif to-do. Je me sentais vraiment bien pendant quelques heures. Mais je n’avais pas beaucoup de temps libre.»

             Un autre gros pathos tourne autour de The Last Waltz et de l’ego de Robbie Robertson. Selon Bill, Robertson a un énorme problème d’ego. Le projet part d’une idée de Robertson : concert d’adieu du Band après 16 ans on the road, avec des invités de prestige. Comme c’est organisé au Winterland, c’est Bill qui fait tout le boulot, et bien sûr, ça n’apparaît pas du tout dans ce film que «produit» Roberson et que tourne Scorsese. Un peu après le concert, on dit à Bill que Robertson veut lui parler au téléphone. Bill dit ok, alors qu’il appelle. Roberston finit par appeler et la conversation dégénère. Bill perd patience et lui balance ses quatre vérités. Toute la tirade qui suit est en capitales dans le book, ça veut dire que Bill gueule dans le téléphone : «You forgot to say Thank you, you Motherfucker! On a tous bossé comme des nègres pour toi et tu saluais la foule parce que tu es l’entertainer et tu as eu le culot de quitter le building sans dire merci à personne ? On t’a tout donné à l’œil ! Tout ! T Et tu n’as même pas été foutu de dire merci !» Bill lui raccroche au nez, «and that was it. It was the last time I ever talked to him.» Bon débarras.

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             Alors il faut voir The Last Waltz, même si on n’est pas trop fan de The Band. Des grandes stars de l’époque sont au programme : Doctor John qui a invité Bobby Charles (mais on ne le voit pas, le pauvre Bobby), Paul Butterfield, Muddy Waters, Clapton, Neil Young, Joni Mitchell, Neil Diamond et Van Morrison. Bill se dit très impressionné par Van the man - If you catch him on a good night, there is nobody like him - Il est aussi frappé par le talent des autres - La veille, lors des répétitions, I heard some of the greatest performances of all time. Muddy Waters, Doctor John and Joni were awsome - Pour Bill, The Last Waltz n’était pas un concert, «it was a night to remember. Robbie missed it. Scorsese missed it. J’ai essayé de leur expliquer cette nuit-là, Mais c’était comme de parler à un mur. Bon j’arrête de m’énerver avec ce truc-là.»

             Le film est très pénible. The Band est une épouvantable bande de frimeurs. Nombreux sont les gens par ici qui n’ont pas compris qu’un groupe aussi passe-partout ait pu avoir une telle renommée. Et puis quand on voit Robertson sur scène, on comprend que Bill n’ait pas pu le schmoker. Quel frimeur ! Enfin bref, ils font venir sur scène le vieux Ronnie Hawkins qui les fit démarrer comme backing band, c’est du sans surprise, avec «Who Do You Love». On est presque dans une caricature du rock américain. Ce ballet aseptisé de célébrités est tout ce qu’on déteste. Tu vas voir défiler les pires : Clapton, Ron Wood, et même Neil Young ne passe pas. Par contre, tu en as quelques uns qui parviennent à sauver l’honneur, enfin leur honneur, dans ce piège à cons, le premier étant Doctor John, en nœud pap rose et coiffé d’un béret, fantastique présence, il pianote comme Fess et ramène le jive de la Nouvelle Orleans dans cette foire à la saucisse. On voit hélas trop brièvement les Staple Singers et Pops chante un couplet qui fait oublier pendant une minute toute la frime des petits culs blancs. Van the Man tire aussi très bien son épingle du jeu, à l’époque, il est encore jeune et massif. On voit encore trois géants, Neil Diamond qui ramène tout le prestige du Brill, Joni Mitchell qui swingue incroyablement dans sa robe longue de belle hippie, et Butter qui ramène ses vieux coups d’harp de Chicago. Mais le héros de la soirée, c’est Muddy qui n’en finit plus de rocker l’«I Am Man» à coups d’I’m a mannish boy, d’I’m a hoochie-coochie man et d’I’m a rolling stone, comme si à lui seul il résumait toute l’histoire du rock américain. Et puis tu as aussi Dylan sous un chapeau blanc, pas sa meilleure époque, sur scène il traficote des petits dialogues complices avec les frimeurs et ça devient assez insupportable. Le concert se termine avec tout le monde en cœur autour de Bob pour une version d’«I Shall Be Released». Même Doctor John et Neil Diamond participent à cette foutaise. 

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             Bill a des ennuis avec Led Zep, surtout avec Peter Grant et ses méthodes de gangster - A lot of male agression came along with their shows - Bill raconte comment Peter Grant vient tabasser l’un de ses collaborateurs. C’est d’une incroyable violence. Au point que Bill craint pour la vie de son collaborateur. On est en plein Orange mécanique. D’ailleurs, Bonham s’habille en Droog. Et pouf Bill organise le concert des Pistols au Winterland de San Francisco. Bill aime bien leur son - They were the kings of punk hill. I liked the rawness, I liked some of their songs. They really kicked ass - Mais il doit se farcir McLaren. Même plan qu’avec Stigwood, l’Anglais prend Bill de haut et c’est une grave erreur. La scène que décrit Bill se déroule dans le backstage, où il rencontre McLaren qui insiste pour le voir - A short Peter Asher. Des taches de rousseur plein la gueule, comme dans une bande dessinée. Il porte un béret et brandit une canne. Assez brillant et bien branché. Il savait dans quelle époque il vivait. «Vous êtes Monsieur McLaren?», et il me répond : «Comment allez-vous ? You’re the Yank ?». Alors je lui dis : «Faites-moi une faveur. Ne m’appelez pas Yank. Call me Bill. Monsieur Graham. Appelez-moi comme vous voulez. Mais pas Yank - Puis Bill en vient directement au problème, car il y a un problème - McLaren dit : «On veut que Negative Trend joue avant nous.» I said : «J’ai entendu dire que vous envisagiez de ne pas jouer si Negative Trend ne jouait pas, c’est bien ça ?». Il répond : «Well, je suis sûr qu’on va trouver une solution» - Bill qui ne supporte pas le chantage va lui baiser la gueule en beauté. Il met Negative Trend au programme après les Pistols, et à la fin du set des Pistols, il dit à son régisseur d’envoyer la musique de «Greensleeves». À San Francisco, chacun sait en entendant «Greensleeves» qu’il faut évacuer la salle, alors la salle se vide complètement, et quand Negative Trend monte sur scène, la salle est vide. Celui qui va baiser la gueule à Bill n’est pas encore né.

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             Bon, il reste les Stones. Le plus gros morceau. Les Stones confient à Bill la tournée américaine de 1981. Bill : «We were dancing with Big Bertha. I mean, this was the Rolling Stones.» La tournée de 1981 est une méga tournée, an all-stadium tour, avec 35 semi-remorques. Bill assiste aux répétitions, à Longview Farm, dans le Massachusetts - J’entrais dans la grange où ils étaient installés and there was that sound. They worked very hard. Ils répétaient pendant des heures et des heures. Je savais alors que j’allais vivre une expérience similaire à celle que j’avais vécue avec Dylan en 1974. Je savais que si le groupe restait en bonne condition et qu’on éliminait tout le bullshit on the road, que s’il n’y avait pas de bras de fer ni d’engueulades, ça allait être énorme - Bien lancé, il continue : «Comprenez-bien ceci : Bill Wyman et Keith Richards n’étaient pas des gens normaux. Ils étaient des Rolling Stones. Ils appartenaient à la royauté depuis vingt ans.» Bill en prend plein la vue avec ces mecs-là. «Tous les deux jours, j’allais courir avec Mick. C’était une expérience nouvelle pour moi, car je travaillais avec un grand artiste aussi bien sur le plan créatif que conceptuel. Mais ils gardaient tout le contrôle. Ils pouvaient opposer leur veto à ce que je proposais. Tout se passait en tête à tête. Il n’y avait pas d’intermédiaire. C’est un peu comme s’ils peignaient. Je pouvais leur dire ce que je pensais des peintures. Et ils me donnaient leur avis.» C’est Bill qui choisit les premières parties. Pour un concert à Rockford, dans l’Illinois, il fait jouer les Go-Gos. Il fait aussi jouer Etta James et les Neville Brothers. Pour une date au Texas, Bill se tape une nouvelle embrouille, cette fois avec Bill Hamm, le manager de ZZ Top. Hamm ne veut qu’un seul Texas band à l’affiche du concert des Stones, et ce sera ZZ Top. Bill est donc obligé de virer Molly Hatchet, alors que les places sont vendues et les T-shirts imprimés. Il les remplace par The Fabulous Thunderbirds - L’émissaire d’Hamm rappelle. Désolé de vous dire ça, mais voici le message. Direct from Bill Hamm. ZZ Top ne joue pas si les Fabulous Thunderbirds jouent. Alors je lui dis : ça ne me pose aucun problème si ZZ Top ne joue pas. Si la presse me pose des question, je leur dirai la vérité sur ce qui s’est passé. Résultat : ZZ Top a joué toutes les dates. Mais comme je l’avais défié, Bill Hamm n’a jamais autorisé ZZ Top à rejouer pour moi. Quand ils jouent à San Francisco, ils bossent avec un autre promoteur - Bill sait tenir tête aux tyrans : «À mes yeux, des gens comme ZZ Top, mais surtout Bill Hamm, incarnent les abus de pouvoir qui sont monnaie courante dans les hautes sphères du rock’n’roll. Et ça continue encore aujourd’hui.» Bill a compris autre chose en faisant tourner les Stones : «Tous les groupes qui ont joué en première partie des Stones ont connu le succès. Ça leur a ouvert le marché. Ce fut le cas pour Stevie Wonder en 1972, pour Muddy Waters, B.B. King et Ike & Turner en 1969, pour les Neville Brothers et Tina en 1981.» Bill fait jouer Iggy Pop en première partie des Stones au Silverdome de Pontiac, dans le Michigan - He was a favourite of Keith’s. Il est arrivé en mini-jupe de cuir et en bas résille - Pour Bill, emmener les Stones en tournée dans le monde entier fut la consécration de sa carrière.

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             Il organise aussi le fameux Amnesty Tour, mais il en sort écœuré. «Aucun projet ne m’a autant attristé et épuisé que celui-là. Rien que de voir ce qui est arrivé à des gens confrontés au big ball game. Il fallait voir la façon dont ils se comportaient et dont ils parlaient aux autres gens. Je ne veux pas passer mon temps à gueuler pour expliquer aux gens qu’ils ont tort et que j’ai raison, mais dans ce cas-là, tellement de gens avaient tort. Les abus de pouvoir à très haut niveau ont battu tous les records.» C’est là que Bill entre en dépression. Il fait un bilan : «Mes problèmes relationnels et la culpabilité que j’éprouve à ne pas pouvoir préserver une relation sentimentale, l’incendie de mes bureaux à San Francisco, le Live Aid en 1985, l’Amnesty U.S.A en 1986, le concert en Russie en 1987, tout cela m’a enfoncé financièrement, mais tous ces événements n’avaient rien à voir avec le profit. Je cherchais une échappatoire.» La cerise sur la gâtö, c’est la rupture de sa relation professionnelle avec les Stones qu’il avait pourtant déjà emmenés en tournée aux États-Unis. Les Stones vont travailler avec une autre organisation et ils n’osent pas le lui dire en face - Ma force reposait sur la confiance que j’avais en moi et sur la foi que j’avais dans mes capacités. Mais cette fois, je me sentais privé de force - Quand il comprend qu’il a perdu la tournée américaine des Stones, Bill dit qu’il pense au suicide. «Pour la première fois de ma vie, ça apparaissait comme un choix. J’ai soudain compris que j’avais passé toute ma vie à ignorer les sérieux problèmes issus de mon enfance. Je me sentais coupable d’avoir survécu alors que d’autres étaient morts.» Bon, il finit par se reprendre, juste avant d’aller casser sa pipe en bois dans un accident d’hélicoptère. Vers la fin du book, il fait en effet un comeback extraordinaire : «My mind is back. J’ai les idées claires. J’ai retrouvé de l’énergie. Mais perdre les Stones, c’était comme de voir ma fiancée préférée devenir une pute.» 

    Signé : Cazengler, Bill gras double

    Bill Graham Presents: My Life Inside Rock And Out. Doubleday 1992

    Martin Scorsese. The Last Waltz. 1978

    Richard T. Heffron& Eli F. Bleich. Last Days At The Fillmore. 1972

     

     

    Besoin de personne en Harlem Davidson

     

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             Chaque fois qu’un Gospel Choir traîne dans les parages, ça recommence : on voit se pointer des solistes capables de rivaliser avec les plus belles stars de l’histoire de la Soul. Le Harlem Gospel Choir est nettement moins puissant que le Mississippi Mass Choir, mais les solistes, hommes comme femmes, sont de véritables bêtes de Gévaudan.

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    Quand ils viennent s’installer au-devant de la scène pour taper un cut en solo, c’est un véritable festival. On ne connaît pas leurs noms. Mais le gros black aux cheveux teints en rouge vaut largement Solomon Burke.

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    La petite black vaut largement Martha Reeves, elle chante avec toute la niaque d'Harlem, celle qui vient faire «Oh Happy Day» envoie l’Happy Day valdinguer dans les étoiles, et puis une grosse black lady vient taper un «Amazing Grace» qui bat tous les autres à la course.

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    Tu as aussi un petit barbu qui fait son Marvin Gaye l’air de rien, et le troisième mec du Choir tape des trucs plus reggae. Alors ça ne rigole plus. Ces gens sont invraisemblables, ils chantent tous et toutes dans des styles différents, et tu te retrouves avec un concert de Soul extravagant. Comme ils rendent hommage à Nina Simone, une big black lady vient taper «Ne Me Quitte Pas» et ça passe comme une lettre à la poste. Ils et elles font tous le show, tous les neuf, et comme ce sont tous des surdoués et qu’ils chantent des énormes classiques, ça monte droit au cerveau. Quand on parle de dimension artistique, il faut savoir de quoi on parle. Tout est là. Tu as d’un côté les vieux groupes français de la soirée New Rose et de l’autre l’Harlem Gospel Choir.

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    C’est malheureux à dire, mais choisis ton camp, camarade. Quand les blacks chantent, ils chantent, ils ne font jamais semblant, on le sait depuis soixante ans et ça se vérifie encore tous les jours, surtout quand on s’immerge dans un océan de grands albums de Soul, de blues, de funk, de gospel et de r’n’b. Sans parler de Sly Stone, de Jimi Hendrix et de Funkadelic. Tous ces gens te remplissent facilement une vie. Tu as de quoi t’occuper quand tu rentres dans la discographie de James Brown ou de George Clinton, quand tu repasses Motown au peigne fin, et puis Stax et Malaco et Hi et Ichiban, tu n’en finis plus de t’extasier, les possibilités sont infinies, et derrière tout ça, tu as un diable nommé Ace qui t’envoie des piqûres de rappel sous la forme de compiles fabriquées par des fans de la vingt-cinquième heures pour les fans de la première heure, et tous les habitués d’Ace le savent, chaque fois ça clique !

             Pour un artiste black, la question du niveau artistique ne se pose jamais : elle est innée. Il fut un temps où c’était pour eux une question de marche ou crève. Tu avais intérêt à être bon pour que les patrons blancs qui possédaient les labels te reçoivent dans leur studio et te payent pour quelques enregistrements. L’histoire de Skip James est l’une des plus parlantes : une bouteille de whisky pour une poignée de cuts qui allaient devenir des classiques du blues. Aujourd’hui, on vit dans un monde où les blancs n’ont même plus besoin de savoir chanter pour devenir riches et célèbres. On ne va pas citer de noms, mais vous les connaissez tous. Le mainstream grouille de gens ineptes. On doit vivre avec ça. De toute façon, on ne peut rien y changer. Le biz fait son biz et nivelle par le bas : télé, musique, tout part à la baisse, mais c’est une baisse qui dépasse toutes les expectitudes. Parce ce que ça correspond à la demande. Ça ressemble étrangement à la décadence de l’empire romain. Toujours le même refrain. Bon on va s’arrêter là, pas la peine d’aller se mettre la rate au court-bouillon.

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             L’Harlem Gospel Choir est accompagné par un beurrreman et un pianiste. À la sortie du concert, tu peux acheter un CD. Aucune information, tu n’y trouveras pas les noms des gens qui chantent. Ni les covers de Nina Simone. C’est encore autre chose. Tu y retrouves l’«Oh Happy Day», avec une bonne approche, mais ce n’est pas la merveilleuse approche scénique. L’«Oh Happy Day» passe un peu à la trappe. Aucune commune mesure avec ce qui se passe sur scène.  La version de «Souled Out» qu’on trouve sur ce CD vaut n’importe quel grand classique de Soul.   Ils prennent le prétexte du Lawd pour groover l’église en bois. Les filles font bien le Souled out, one more time ! I’m souled out ! Dommage qu’on ne trouve pas les noms des solistes. Aucune info non plus sur le site du Choir. La version d’«Amazing Grace» qu’on trouve sur l’album n’est pas non plus aussi brillante que la version live, mais elle lui tord quand même le cou.

    Signé : Cazengler, grosse pelle couard

    Harlem Gospel Choir. La Traverse (76). 30 novembre 2022

    Harlem Gospel Choir. CD Harlemgospelchoir.com

     

     

    Wizards & True Stars

     - Sex pactole (Part Three)

     

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             Ces derniers mois, Luke Haines et John Lydon, les deux plus belles bêtes de Gévaudan du rock anglais, se sont farci la même victime : Pistol, le fameux biopic TV consacré aux Sex Pistols. Crouch crouch ! Dévoré tout cru.

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             On a vu quelques images extraites de ce biopic dans la presse anglaise. Quelle poilade ! C’est d’un ridicule qui dépasse l’imagination. Les faux Pistols de la série TV n’ont strictement rien à voir avec les vrais. C’est tellement choquant qu’on comprend la Haine de Lydon et le souverain mépris d’Haines. Ce dernier consacre d’ailleurs sa chro du mois d’August aux biopics et attaque au «Hail hail the rock’n’roll biopic». Haines commence par dire qu’il y en a un sur cent de bon, et il ne comprend pas qu’avec un taux de réussite aussi bas, des réalisateurs risquent la faillite dans ce genre d’entreprise - I mean, vous avez intérêt à aimer Queen a bit too much to stump up for the horror that is Bohemian Rhapsody - Rassure-toi, Luke, on n’aime pas Queen. Puis il avoue avoir vu le premier épisode de Pistol, «Boyle’s disastrous TV-cation of Steve Jones’ Pistol memoir». Son TV-cation sonne étrangement comme defecation. Sans doute fait exprès, connaissant les pratiques de la main froide. Et il développe : «Voilà qu’arrivent les posh actor kids avec leur double-barrelled names, far too corn-fed and gym-friendly to believely mimic 70s herberts Cook and Jones.» C’est une langue extrêmement riche, comme le fut celle de Léon Bloy au temps où il pourfendait à la hache les prétentieux butors de la scène littéraire, ceux qu’il appelle les Belluaires et Porchers. Pour devenir le roi des pamphlétaires comme le fut Bloy en son temps, il faut une langue magnifique et terrible à la fois, et Luke l’a. Il décrit ensuite un Johnny Rotten «qui ne fait pas peur», la Nancy Steppin Stone et le pire du tout -worst of all - here are the 1976 mohicans. «Comme tous les fools, sauf Danny Boyle, le savent, the mohawk atop an English punk rocker was not seen until at last 1980.» Pas d’iroquoise au temps des Sex Pistols, tout le monde le sait, alors ?

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             Plutôt que d’écouter Nevermind The Bollocks, les gens vont aller voir cette prodigieuse supercherie. Dans Record Collector, John Lydon ne décolère pas. Il est encore plus enragé qu’au temps de «God Save The Queen» et du fascist regiiiime. Six pages d’interview, il commence par voler dans les plumes de Pandemic et des petites arnaques collatérales, celle des masques obligatoires et des vaccins - I like dilemmas, I like issues, I like problems - c’est dans sa nature, c’est grâce aux fucking problems qu’il écrit des chansons. Et puis Johnny Sharp le branche sur le récent combat judiciaire qu’il a mené contre la série TV Pistols et ses anciens collèges Jones, Cook et... Matlock, qui étaient tous les trois favorables à la diffusion de cette fucking TV-cation. Lydon n’y va pas par quatre chemins puisqu’il parle de very perverse, greedy situation. Évidemment, les trois autres font ça pour le blé - Ils sont allés devant un tribunal pour m’empêcher de donner mon avis - Il ajoute qu’il n’a jamais vu aucun script de la série, il ne savait pas non plus qui allait incarner son rôle à l’écran. Il a fini par découvrir sur Internet une image de lui et Nora, sa femme, incarnés par des gens qu’il ne connaît pas. C’est le bouquet ! Il insiste, on ne m’a jamais rien dit de ce projet - That’s fucking evil - Sharp insinue que des gens prétendent lui avoir parlé du projet. Indigné, Lydon se lève. C’est faux ! They did not. Coup d’épée dans l’eau, cause toujours mon bonhomme. On le prévient 4 jours avant la parution officielle alors que le projet est lancé depuis deux ans ! Deux ans que les acteurs ont été engagés et le tournage planifié - How come you left the main man while using his image all over the place? Fucking cunt liar. Et tout ça avec the corrupting influence of Disney’s Money.

             Ce que John Lydon dénonce, c’est à la fois la cupidité de ses anciens collègues et la scandaleuse récupération commerciale du phénomène sociologique que furent les Sex Pistols, la pire forme de récupération qui soit : l’américaine. Les Sex Pistols furent un groupe important pour pas mal de gens, non seulement parce qu’ils avaient du génie, mais aussi parce que Johnny Rotten incarnait parfaitement l’anarchie, qui par définition, est incorruptible. Elle en est même le symbole. Les médias américains se payent une belle tranche d’anarchie à bon compte. Le principe est révoltant. Mais on vit dans ce monde. Il ne faut plus s’étonner de rien. Le seul intérêt que présente ce nouvel épisode du nivellement par le bas est de pouvoir entendre hurler dans les causses notre bête de Gévaudan préférée.

             Le journaliste Sharp qui se prend pour un habile provocateur indique à Lydon qu’il a déjà vu deux épisodes de la TV-cation et, pour enfoncer son petit dard, il ajoute que l’acteur fait une bonne version du Rotten. Ça fout Lydon en rogne d’entendre ça : «Tu parles d’une «version» de moi ? Si tu veux faire ma connaissance, talk to me. Simple as that.» Plutôt que d’écharper Sharp, Lydon réussit miraculeusement à se calmer, et dit avoir chopé le trailer sur YouTube. Ça l’a bien fait marrer - On dirait une bande de middle-class kids in the student union bar (et il prend un accent maniéré) ‘Oh yaaaas, we’ve gawt to offer the kids chaos’, or some crap-arse line like that. It’s absurd! God almighty! - Et là Lydon explose, son poing tombe sur la table et toutes les bouteilles de San Pellegrino s’en vont valdinguer. Il a raison d’exploser, à sa place, on en ferait tous autant, God almighty!, il rappelle qu’il a mené seul un premier combat judiciaire contre McLaren pour réclamer les royalties qui étaient dues au groupe et il a gagné ce combat - I won the case - Mais ça ne s’arrête pas là : il a partagé en quatre, alors qu’il n’était pas obligé - I gave them equal rights as the end result - et bien sûr il ne comprend pas qu’aujourd’hui, les trois autres magouillent dans son dos pour l’écarter du projet de TV-cation. C’est dingue ce que les gens peuvent être retors. C’est dingue comme la nature humaine peut être pourrie. 

             Voyant John Lydon retrouver son calme, Sharp s’éponge le front et retitille la bête. Il fait l’hypocrite et s’inquiète : est-ce que cette sombre histoire de TV-cation ne va pas ternir la réputation des Sex Pistols ? Lydon hésite un moment à lui sauter dessus pour lui broyer la gorge. Il se retient et justesse et lui répond sèchement : «No. Ça va les ternir eux.» Voilà : la sentence est tombée. Les trois autres Pistols sont discrédités à perpétuité. Magnanime, Lydon ajoute que le projet aurait pu être intéressant s’ils l’avaient monté tous les quatre. Mais les trois fourbasses ont préféré agir en douce. Pour Lydon, ses anciens collègues sont «les rats qui coulent le navire». Tant pis pour eux. Lydon était la seule caution amorale du groupe. Plus important encore, il rappelle à Sharp que ces gens-là n’ont jamais été ses amis. Son seul ami fut Sid Vicious. Les autres formaient une petite clique avec McLaren. Ils étaient tous jaloux de la popularité de Johnny Rotten, forcément, c’est lui qu’on voyait en couve du NME et qu’on entendait chanter Anarchy, God Save et les dix autres hits intemporels. Des hits dont il a écrit les paroles. Lydon choisit d’ailleurs le fameux Great Rock’n’Roll Swindle comme exemple pour illustrer son propos : le film a été tourné sans lui. Raison pour laquelle c’est un tas de merde. Ça va loin, cette histoire, car il passe aux révélations : même au cœur de l’action, c’est-à-dire à l’apogée du mayhem, McLaren complotait dans l’ombre pour le remplacer. Pour lui, John Lydon, c’était une épreuve quotidienne que de faire partie des Sex Pistols - I managed to endure it. But as I said, just smile in the face of adversity - Et ça continue, ce sont les mêmes qui dégradent le mythe des Sex Pistols pour en tirer du blé facile, c’est exactement ce qu’ils ont fait avec The Great Rock’n’Roll Swindle. Soudain John Lydon lève les bras en l’air, il redevient le temps d’une tirade le rocker le plus pur d’Angleterre : pour lui, les Sex Pistols étaient un phénomène extraordinaire - It was something ferocious, Society-changing, Culturally significant, historical. And it has now become a silly little TV production - Alors comme le fit Léon Bloy en son temps, John Lydon pourfend les médiocres : «Ils étaient jaloux du fait que je pouvais aligner deux phrases ensemble - il prend alors une voix plus grave - ‘Duh, the trouble with John is he thinks too munch’. Ha ha ha ! Si tu veux connaître le point de vue de Steve Jones, c’est tout ce que tu peux espérer.» Complètement inconscient du danger, Sharp fout de l’huile sur le feu en ramenant le nom de Matlock dans la conversation : «Glen (Matlock) pensait que votre ego got out of control et que vous pensiez être à vous seul les Sex Pistols.» Lydon fume de rage. Au fond de ses yeux noirs brille un éclat meurtrier : «C’est un homme qui au tribunal a déclaré : ‘I just want the money.’ Voilà ce qu’il a dit au tribunal. Et maintenant il tente de s’excuser d’avoir dit ça.» On n’aimerait pas être à la place du pauvre Matlock, car c’est un déshonneur. Mais au point où on en est, ça n’a plus d’importance. Seul compte le point de vue de John Lydon. Il compte autant aujourd’hui qu’en 1977, quand on entendit pour la première fois «Anarchy In The UK».

             Intrigué par l’histoire du «remplacement» qu’évoquait Lydon, Sharp y revient. «Pensaient-ils à quelqu’un en particulier pour vous remplacer ?» Et Lydon répond, sec et net : «Yes! Malcolm.» Boom. Ça tombe comme une sentence. Lydon se marre, il rappelle, entre deux crises de larmes, que McLaren voulait aussi être maire de Londres.

    Signé : Cazengler, Johnny Roti

    Johnny Sharp : I’m alive by the skin of my teeth. Record Collector # 532 - June 2022

    Luke Haines : In the biopic of it. Record Collector # 534 - August 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Le Guided spirituel

     

             Invité au bal costumé du Bœuf sur le Toit, l’avenir du rock s’y rend déguisé en Jeanne d’Arc. Il n’a pas froid aux yeux. Il sait que des gros malins vont essayer de le faire cramer, alors il accroche un extincteur en bandoulière. En marchant, il fait un raffut de tous les diables - rrrang cling clang clong - car il porte une vraie amure, complète jusqu’aux gantelets et aux solerets d’acier. Sans compter l’extincteur qui cling-clongue sur l’acier, au dos du plastron. Pour renforcer l’impact mystique du personnage qu’il a choisi, il s’est maquillé comme une pute. Il ressemble à Riquita, le trave qui chantait Piaf chez Michou. Il entre, rrrang cling clang clong, et tombe aussitôt sur Hemingway déguisé en espadon. Tiens, voilà Cendrars déguisé en cul-de-jatte à la Buñuel ! Il lui reste encore un bras pour se mouvoir à l’aide du fameux fer à repasser emprunté à Man Ray. Blaise en bave. Pas simple, avec tous ces clous collés sur la semelle du fer. Cocteau est là, bien sûr, déguisé en planche à dessin et Raymond Radiguet tourne en orbite de rut, déguisé en spoutnik. Fargue déguisé en promeneur des Deux Rives converse avec Prévert déguisé en inventaire. Rrrang cling clang clong, l’avenir du rock va au buffet se servir une assiette de crudités et un verre de pif bien mérité. À côté de lui, Breton déguisé en Staline remplit ses poches de cuisses de poulet froid, sous l’œil amusé d’Igor Stravinsky, déguisé en printemps. Sur la petite scène, Arthur Rubinstein déguisé en Khali joue un air de jazz à six mains. Attiré par ses très jolis seins, l’avenir du rock se rapproche, rrang cling clang clong, de Joséphine Baker déguisée en carte postale érotique. Mais comme elle se fait draguer par Simenon, il retourne au buffet se servir un autre verre de pif. Un trave absolument délicieux vient trinquer avec lui.

             — Ravi de te trouver là, avenir du rock ! J’ai bien failli ne pas te reconnaître...

             — Permets-moi de te retourner le compliment, Marcel. Tu es ravissante.

             — Oh c’est une idée de Man Ray. On a fait quelques photos. Appelle-moi Rrose Sélavy, si tu veux bien.

             — Ravi de faire votre connaissance ma chère Rrose... Comme vous sentez bon, votre parfum me fait tourner la tête !

             — Ce parfum s’appelle Eau De Voilette. Mais dis-moi, avenir du rock, pourquoi as-tu choisi cet accoutrement ridicule ?

             — Voyons Marcel, c’est enfantin. Jeanne quitta Domrémy guidée par des voix. C’est dans tous les livres d’histoire !

             — Ah, Guided By Voices ! Alors là bravo, tu m’en bouches un coin coin d’esquimau aux mots exquis.

     

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             En fait, la vraie Jeanne d’Arc du rock, c’est Robert Pollard. Il entend lui aussi des voix. S’il a nommé son groupe Guided By Voices, ce n’est donc pas par hasard. Il se pourrait fort bien que Guided By Voices soit le groupe le plus mystique d’Amérique. Il faut bien sûr entendre mystique au sens où l’entendait Dreyer.   

             Guided By Voices est maintenant devenu une vieille habitude. Un album paraît ? Allez hop, rapatriement automatique. Ça fait trente ans que ça dure. Le groupe de Robert Pollard est probablement l’une des rares résurgences de l’American Dada, même si l’on sait que Dada est improbable aux États-Unis. C’est dirons-nous une façon de les situer sans vraiment les situer sur l’échiquier des relations internationales. Le groupe sort en moyenne deux albums par an et chaque album propose en moyenne trois ou quatre petites merveilles insolites. Les Guided fonctionnent de manière semble-t-il artisanale, ils enregistrent dans la cuisine, Robert Pollard fournit les textes et les prétextes, il colle sur ses pochettes des découpages à la Max Ernst et donne des titres libres comme l’air à ses albums. Il s’inscrit donc dans un process créatif permanent et cette constance lui vaut le respect d’un petit paquet de gens à travers le monde. Malgré ses cheveux blancs, Robert Pollard assure mieux que personne l’avenir du rock.

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             Dans Shindig!, Camilla Aisa dit la même chose, mais avec d’autres mots : «On a découvert que le lo-fi abruptness and fine melody flair, surrealistic lyrics and beer-fuelled garage sketches étaient non seulement compatibles mais aussi une combinaison explosive.» Elle en déduit qu’Uncle Bob, comme elle l’appelle, et ses amis Guided, sont devenus des cult heroes. Elle est très fière d’ajouter qu’Uncle Bob lui a accordé l’une de ses très rares interviews.

             Plutôt que de titrer ‘Wild flyer’s dulcet glue’, elle pense qu’elle aurait dû opter pour ‘Zen and the Art of Life According to The Four P’s’, les quatre P étant Pop, Psychedelic, Punk and Prog. Le résultat est the titanic discography de l’un des songwriters les plus prolifiques et elle rappelle qu’autour des Guided gravitent d’autres pollarderies : Circus Devils, Boston Spaceships, Cash Rivers & The Sinners et bien sûr tous les albums solo.

             Et hop voilà que commence la valse des références. Uncle Bob démarre comme tous les petits rockers américains par les Beatles on a TV screen puis il cite en vrac «Wire 154, the cover of In The Court Of The Crimson King, The Monkees, AC/DC et Cheap Trick. Too many to continue. REM’s Murmur, Selling England By The Pound, Carole King and Jimmy Webb.» Mais surtout la pop anglaise des sixties, il continue de fouiner à la recherche de new old music (the more obscure, the better), et parmi ses récentes découvertes, il cite Stray, T2, Janus et... Crushed Butler.

             En 2020, les Guided ont augmenté la cadence pour sortir trois albums, au lieu des deux habituels : Mirrored Aztec, Surrender You Poppy Field et Styles We’ve Paid For.

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             Avec Mirrored Aztec, ils ont opté pour la pochette psychédélique, osant même le gatefold, mais à l’intérieur on tombe sur un très beau collage d’Uncle Bob. Il produit un tel choc esthétique qu’on sait se trouver face à une œuvre d’art. Depuis le début, tout est étrange chez Uncle Bob et principalement la musique, comme le montre ce «Math Rock» en fin de balda - designed to drive Doug crazy - Doug étant Doug Dillard, le guitar hero des Guided. C’est une private joke, mais dans les pattes des Guided, ça prend une fière-très-fière allure. Encore du Dada pur en B avec «A Whale Is Top Notch» - I got pigeons and bees/ C’mon - Uncle Bob s’en donne à cœur joie et si on est amateur de liberté de ton et éventuellement lecteur de Jésus-Christ Rastaquouère, alors on se régale. Les Guided font aussi partie des meilleurs power-popsters d’Amérique, comme le montre «Bunco Men», pièce courte et ludique, bien lestée de power chords, so come on down. Chaque cut est sculpté comme un objet d’art, charmant et chantant, concis et ramassé - but I’m easier/ So get easier («Easier Not Charming») - «Lip Curlers» n’est en fait qu’un prétexte pour chanter et puis on tombe en B sur deux énormités, «Haircut Sphinx» - Haircut sphinx/ Drink and drink, qu’il termine avec l’énigmatique everywhere you blow the winds of change, comme s’il s’agissait d’un hommage à Dylan - et «The Party Rages On», l’un de ces cuts de rock surnaturels, typiques du Pollard total - Speaker was blown out/ Judah was thrown out.

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             On sent une belle petite baisse de régime sur Surrender You Poppy Field. On passe à travers toute l’A et en B, on devra se contenter d’une petit shoot ramollo de power-pop («Physician») et d’un simili regain de verdeur («Man Called Blunder»). Mais pour le reste, ceinture. Même la pochette est ratée. Uncle Bob en fait trop, ça serait marrant si tous les albums étaient bons, mais là il exagère. C’est un billet de vingt gaspillé pour des prunes, comme dirait Gide.

             Uncle Bob insiste pour dire qu’il n’y a pas de filler sur ses albums. Si certains semblent plus solides que d’autres c’est parce qu’il s’y trouve a larger number of great songs. Il tient à préciser que les Guided sont un song band et un album band - Un album band parce qu’il semble toujours exister un lien conceptuel entre la musique et l’imagerie - Il dit aussi qu’il existe des grands groupes qui ne sont pas nécessairement des album bands, ils ont des hits mais leurs albums ne sont pas forcément intéressants. Par contre, il sait que les Guided n’ont pas de hits - Good songs but no hits, so we’d better be an album band - Il revient aussi sur sa passion du collage, pour dire que les chansons sont comme ses collages, des montages qui finissent par fonctionner, du moins à ses yeux. Ça donne un wild playground with no closing time - I don’t know what I’m talking about most of the time. La signification vient un peu plus tard. So it’s a game we play together. A jigsaw puzzle - Uncle Bob revient sur l’art pour dire qu’il préfère l’art qui n’a pas de sens - I think art is far more interesting when it doesn’t make sense - Et bien sûr il cite Max Ernst et la fameuse «rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table d’opération».   

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             Styles We’ve Paid For arbore l’un de ces collages qui font la grandeur du Pollard total. Graphiquement parfait, comme l’est «In Calculus Stratagem» en B, un mélopic magique de deux minutes. L’autre énormité de l’album s’appelle «Mr Child», sévèrement riffé à la Guided motion, l’étendard de la pop claque au vent, crois-le bien. Ils ramènent aussi la cocote Guided pour «Megaphone Riley» et sortent du garage les bongos et les congas de Congo Square pour «They Don’t Play The Drums Anymore». On attend chaque fois des miracles d’Uncle Bob et il ne nous déçoit pas souvent. Ce qui frappe le plus dans les albums des Guided, c’est l’omniprésence de l’intelligence. C’est important de le signaler car une grande majorité des albums qui circulent sur le marché en manque tragiquement. Oh on ne va citer de noms, tu les connais bien, les toquards. Uncle Bob fait encore de la grande pop ensorcelante avec «Stops». Chaque cut se montre à la fois intéressant et original, même si on se dit chaque fois qu’on a déjà entendu ça dans un autre album des Guided. Le jeu consiste tout simplement à vivre dans le présent des Guided. Ils se tapent aussi une partie de samba Guided avec «Crash At Lake Placebo». Le titre à lui tout seul est tout un programme.

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             Et pouf, deux albums en 2021, It’s Not Them It Couldn’t Be Them It Is Them et Earth Man Blues. La pochette du premier s’orne d’un zozo ramonesque, clope au bec et mousse en main, avec en plus au dos un peu de poésie urbaine : une citerne marquée ‘Acid ranch’. «Dance Of Gurus» est l’un de ces coups de génie dont on sait Uncle Bob prodigue. Il crée un microcosme poppy avec une vraie histoire and the homeless man says/ Yeah headed home - Magie pure. Même chose en B avec «Cherub And The Great Child Actor». Cette fois, les Guided sonnent comme Bevis Frond, avec à la clé le surréalisme lyrique des lyrics. C’est un album riche en teneur, et ce dès «Spanish Coin», mid-tempo visité par des espagnolades et l’indicible mélancolie d’Uncle Bob, il termine avec des trompettes et c’est magnifique. Il allume ensuite «High In The Rain» aux lampions de la big power-pop. Tout est solide ici et savamment orchestré. Il faut entendre la basse naviguer dans «Flying Without A License» et en B, «I Wanna Monkey» effare dans la nuit - And quickly burning/ Like a New York cigarette - Quel punch ! Ces mecs s’y connaissent en matière d’heavy rock. «Black and White Eyes In A Prism» sonne comme une suite à l’infernal Cherub. Uncle Bob maîtrise aussi l’art de monter un balladif sur des heavy chords, comme le montre une fois encore «The Bell Gets Out Of The Way». L’album s’achève sur l’excellent «My (Limited) Engagement» - I need a slogan to cling to just a ringer for my engagement.

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             Earth Man Blues est donc le dernier album en date des Guided. Au premier coup d’œil, la pochette paraît ratée, mais il faut bien la regarder. Le petit garçon en costume bleu réapparaît à l’intérieur du liflet. Tu veux du Dada ? Tu as du Dada en B avec «Ant Repellent» - Ant repellant/ Ant repel ant - Ils délirent bien. Il font même un brin de glam avec «Sunshine Girl hello», encore une idée qui sert de prétexte à jouer. On est récompensé d’aller jusqu’au bout avec «How Can A Plumb Be Perfected?», car Uncle Bob y a glissé un refrain magique - How in a crowd could I blend in - «The Disconnected Citizen» bénéficie d’une belle ambiance tragique, soutenue aux violons et comme toujours, monsieur le cut est servi par un texte superbe - I’m taking you down here/ I’ll show you around there - C’est une authentique Beautiful Song. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Lights Out In Memphis (Egypt)». Encore l’occasion pour Uncle Bob de placer un refrain magique - Lights out in Memphis/ Isn’t any physical difference/ In Europe - et cette façon qu’il a de retomber sur Aluminium can Siberia. Il chante ces trois mots avec une gourmandise qui en dit long sur ses mensurations. Signalons aussi qu’il chante «The Batman Sees The Ball» d’une voix éreintée, dans un style unique en Amérique. Pour finir, nous dirons que les Guided sont les grands spécialistes de la fast pop («Dirty Kid School» et «Trust Them Now»), cette fast pop bien foutue qui rôde sous les remparts de Varsovie.

    Signé : Cazengler, Guided By The Vice

    Guided By Voices. Mirrored Aztec. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. Surrender You Poppy Field. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. Styles We’ve Paid For. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. It’s Not Them It Couldn’t Be Them It Is Them. Guided By Voices Inc. 2021

    Guided By Voices. Earth Man Blues. Guided By Voices Inc. 2021

    Camilla Aisa. Wild flyer’s dulcet glue. Shindig! # 97 - November 2019

     

     

    Inside the goldmine

     - Baby please don’t go

     

             Le voyant dessiner à longueur de temps, ses amis finirent par le mettre au défi :

             — Serais-tu capable de dessiner notre portrait ?

             Il accepta de relever le défi et passa ses soirées à croquer les trognes de ses amis. Les premiers portraits furent laborieux et la ressemblance laissait à désirer. Taquins, ses amis le surnommaient Picasso. Puis il parvint à maîtriser l’art de croquer un visage en appliquant une méthode intuitive : il commençait par dessiner l’ovale du visage, puis il y positionnait le dessin des yeux. Il savait qu’une fois le dessin des yeux abouti, il touchait au but. Le dessin d’un regard est la clé d’un portrait. Il se mit à travailler fiévreusement l’expression des regards, dont l’intensité variait en fonction de l’inflexion d’une courbe, aussi minime fût-elle. Il travaillait au trait et tentait de restituer au mieux le feu d’un regard. Un soir, l’un des amis de la bande ramena avec lui un homme plus âgé. Il devait avoisiner la quarantaine, il arborait un visage taillé à la serpe, un regard d’un bleu si clair qu’il en paraissait transparent et une mèche de cheveux couleur paille retombait lourdement sur son front. Il portait un marcel blanc et des tatouages de la légion sur les bras. Et quels bras ! De toute évidence, l’homme avait passé sa vie à se battre. Pas la moindre trace de complaisance chez cet aventurier. En entrant dans la pièce, il en vidait l’air. L’ami qui l’avait amené précisa qu’il s’appelait Wilfried et qu’il était allemand. Wilfried prit la parole :

             — Jai souhaiteraizz envoyezz ein portraizz de moi à ma fiancézz. Jai peux payézzz, si tu veux.

             — Un pack de bières, ça suffira. Comptez une petite heure pour la pose.

             Il prit la pose. Il avait une sacrée gueule.

             — Vous pouvez parler, si vous le souhaitez, mais continuez à me regarder, ne bougez pas trop la tête.

             Wilfried se mit à raconter ses souvenirs d’adolescent, l’école des SS à Prague, les uniformes noirs qui faisaient la fierté de tous les jeunes Allemands, la dague SS qu’on leur offrait comme un diplôme, et à mesure qu’il parlait, son regard s’enflammait. Sa voix se fit plus profonde, il semblait gronder en racontant la visite du Fürher venu féliciter l’élite de la Waffen SS, ach comme on étaizzz fierzz !, et au moment où il se mit à chantonner l’hymne SS, ses yeux se révulsèrent. Ce n’est que quarante plus tard, au moment où il se remémorait la scène pour l’écrire qu’il comprit que ce soir-là, sous l’apparence de Wilfried, le diable avait posé pour lui.

     

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             Il aurait aussi très bien pu dessiner le portrait qui orne la pochette du deuxième album de Baby Washington, Only Those In Love, paru sur Sue en 1965 : c’est en gros la même ambiance, ce dessin au trait qu’on utilise pour portraitiser, souvent par manque de moyens. On peut dessiner au crayon sur de simples feuilles de papier. Par contre, pour peindre, il faut des châssis, des brosses et des couleurs, c’est un autre investissement.

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             Baby Washington fait partie des early Soul Sisters. Elle ne vient ni de Detroit ni de Memphis, elle officie à New York. Only Those In Love est un bel album d’early Soul, dont le hit se planque au bout de la B, «Run My Heart», digne de ce qui se fait alors chez Motown. Elle ramène toute la Soul dans sa voix, elle a le gospel au ventre («Careless Hands»), elle tartine vaillamment cette Soul de l’aube des temps, c’est solide, bien chanté, bien orchestré, pas loin de ce que fait Mary Wells. Dans «Hey Lonely», elle se bat pied à pied avec l’oh yes you are. Baby Washington impose un style un peu rigide, elle chante toujours d’une voix ferme, elle envoie «The Clock» au tic toc et avec «It’ll Never Be Over For Me», elle finit par t’envoûter et te prendre dans ses bras de Soul Sister. On se régale aussi du charme désuet d’«I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face», un peu cha cha cha dans l’esprit, mais chanté avec fermeté.

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             Son premier album paraît aussi sur Sue et s’appelle That’s How Heartaches Are Made. Comme il paraît en 1963, on est dans l’early Soul new-yorkaise pas très sexy. C’est une Soul trop orchestrée. Le «Doodlin» qu’on trouve en A sonne comme un classique de bonne chique qui ne décolle pas. Elle frise souvent la calypso («Hush Heart»). Elle voudrait bien danser, mais il faudra attendre un peu.

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             Belle pochette que celle de With You In Mind paru en 1968. L’album sent bon la Soul classique, surtout lorsqu’on voit Baby Washington au dos, vêtue d’un petit ensemble à rayures qui semble sortir de Carnaby Street. Et ça explose aussi sec avec «All Around The World», cover de Little Willie John produite par Henry Glover. Baby Washington est une sorte de Wilson Pickett au féminin, elle fait une merveille de ce vieux hit. Nouveau coup de Jarnac avec «I’m Calling You Baby», c’est digne de Junior Walker, l’incendie ronfle comme dans Shotgun. Ça swingue dans la ville en flammes ! Elle reprend en B le «People Sure Act Funny» d’Arthur Conley, elle le chante à la haletante de gros popotin new-yorkais. Baby Washington chante d’une voix étrangement mûre. Elle domine bien la situation. Elle ne met pas de sucre dans sa Soul, elle chante d’une voix plus grave, on sent sa poigne. Fantastique allure que celle d’«It’s A Hang Up Baby», big shuffle new-yorkais emmené par le big band brass.

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             Paru en 1971, The One And Only est assez décevant : mélange de calypso et de rock’n’roll, on perd la Soul. Baby Washington a des capacités mais on ne lui donne pas les bons morceaux. Elle tape son «Medecine Man» sur le mode de «Fever». C’est exactement la même ambiance. Elle termine avec l’excellent «Move On» - Move on baby/ Police are in the back - Voilà le hit, avec son solo de sax.

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             Si on aime les grands duos, alors il faut écouter l’album que Baby Washington & Don Gardner ont enregistré ensemble, Lay A Little Lovin’ On Me. On tombe aussitôt sous le charme du morceau titre qui ouvre le balda. Elle tape dans le dur et Don aussi. On a tout : la Soul de 1973, New York et les violons sur le toit. Don Gardner a un côté Barry White qui passe comme une lettre à la poste. Plus loin, Don vole le show avec «Just Stand By Me», un groove d’homme et Baby Washington revient ensuite à l’assaut avec «Baby Let Me Get Close To You». Elle dispose d’une énergie considérable. Mais c’est en B qu’elle va casser la baraque avec «Carefree». Quelle tranche de Soul ! Ils duettent sur «I Just Want To Be Near To You», c’est gorgé de Soul et d’Oooh baby. Dan revole le show avec «We’re Gonna Make It Big», il embrasse la Soul, il la serre dans ses gros bras poilus, fantastique Don Gardner ! C’est à Baby Washington que revient l’honneur de refermer la marche avec «Can’t Get Over Losing You». Elle ne parvient pas à surmonter son chagrin. Elle souffre en beauté.

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             Paru en 1968 I Wanna Dance est une compile qui présente deux avantages : un, le beau portrait de Baby Washington en robe de soirée. Elle est magnifique. Deux, l’occasion de réécouter ce coup de génie, «Carefree», tiré de l’album précédent. C’est la Soul des jours heureux, Baby Love l’emmène par-dessus les toits, elle pousse de toutes ses forces son carefree love. On se régale aussi d’«I Wanna Dance Pt1» et d’«I Wanna Dance Pt2», c’est très diskö, mais en mode slow groove et dans les pattes d’une Soul Sister comme Baby Washington, c’est quelque chose ! En B, on retrouve cette Soul solide qu’est «Just A Matter Of Time». Elle chante tout à gogo et nous rend gaga.

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             Ace frappe encore un grand coup en 1996 en compilant The Sue Singles de notre Baby Washington préférée. On en croise pas mal sur les deux premiers albums, mais chez Ace, le son n’est jamais le même. Il faut attendre «Standing On The Pier» pour frétiller, c’est du heavy standing, yes I am, qu’elle tape au heavy blues. On croise pas mal de cuts tatasses, un peu de cha cha cha, le tic toc de «The Clock», quelques hits ringards comme «Hey Lonely» et pouf on tombe sur «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face», le hit signé Jerry Ragovoy et Chip Taylor, que reprendra aussi Dusty chérie. Baby Wash y négocie une belle Soul de bossa nova. Comme Dionne la lionne, elle évolue dans le temps et voilà qu’arrive l’excellent «It’ll Never Be Over For Me», puis elle se montre encore plus entreprenante avec «Run My Heart». Elle est l’une des reines du jive. Son domaine, ce sont les jukes. En plus, elle a du Wall of Sound derrière elle. Encore un hit de juke avec «Doodlin’», elle croasse bien son doodlin’, ehhh ehhh. Elle fait du pur Motown avec un «You Are What You Are» et elle chante si bien qu’elle rivalise avec Aretha. Baby Wash explose «I Know» et elle se fend d’une belle «White Christmas» song. Elle la groove à la racine du genre.

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             Attention à cette compile Ace de Baby Washington And The Hearts parue en 2006 : The J&S Years. C’est une bombe atomique ! Après si tu te retrouves à l’hosto, tant pis pour toi, on t’aura prévenu. Mets ton casque ! On n’imaginait pas qu’il pût exister des singles aussi sauvages. La seule qui fait référence au power de Baby Washington & the Hearts, c’est Genya Ravan dans son autobio. Départ en trombe avec «You Needn’t Tell Me I Know», un heavy jump déchaîné, chanté dans la caisse avec une énergie du diable. Terrific ! Les blackettes ont le feu au cul et un sax vient envenimer les choses. Il n’existe pas de pire bombe sexuelle. Cinq titres s’enchaînent comme une rafale. «I Want Your Love Tonight» éclate dans un blast de juke. Ces filles sont complètement dingues. Et voilà qu’arrive un solo punk joué au note à note des bas-fonds du Bronx, ça tourne à l’apocalypse avec un piano incroyablement mélodique, elles sont possédées par le diable. Ça continue avec «Congratulations Honey». Baby Wash y va franco de port. Elle est la reine du massacre, elle chante avec une niaque de sale pute, avec le génie fragmenté des street chicks, Baby Wash t’explose ta pauvre compile et derrière tu as un sax qui gicle comme une bite au printemps. Ça continue avec «If I Had Known». Même le doo wop s’enflamme, ces gonzesses sont folles à lier, elle te déchirent le doo wop avec une violence jusque-là inconnue. Il y a 25 cuts sur cette compile et on peut bien dire qu’ils sont tous bons. Elles écrasent encore leur champignon avec «You Weren’t Home», elles font du punk de chicks avant la lettre, laisse tomber les Slits, elles chante à la dégueulade sévère, c’est du Bronx punk. Elles enchaînent hit de juke après hit de juke, elle réinventent le heavy blues avec «There Is No Love At All» et gavent leur groove de ruckus avec «There Must Be A Reason». C’est à tomber tellement c’est bon. Tout est bardé de son là-dedans, les murs de la ville tremblent avec le walking jump de «You Say You Love Me» et cette folle de Baby Wash allume tous les jukes du New Jersey avec «Every Day». Elle bouffe tout cru le heavy blues d’«I Hate To See You Go». Elle attaque «I Couldn’t Let You See Me Crying» de plein fouet, elle chante ça avec une candeur napoléonienne, elle surpasse tout, son power n’en finit plus d’ébahir. Elles tapent encore dans le dur avec «There Are So Many Ways», elles chantent au sucre de rentre dedans et là, tu as la Soul du paradis. Elles bronxent up «My Love Has Gone», c’est encore du pur genius, ça gueule dans le Bronx. «So Long Baby» arrive comme une vague et elle te cueille. Les Hearts sont le meilleur girl-group de l’époque, avec les Cookies et les Velvelettes. Elles montent chaque cut au chant de folles, c’est un délire permanent et Baby Wash revient au long cours du so long. Et la violence du beat sur «You Or Me Have To Go» ! Qui saura la dire ? C’est d’une extrême violence. Pur New York City Sound. Ces filles ont un truc, elles n’ont jamais lâché les rênes. Elles sont les reines des jukes. Dans les liners, Mick Patrick nous explique qu’entre 1955 et 1970, vingt blackettes sont passées dans les Hearts, la plus connue étant bien sûr Justine Baby Washington. On la surnomme Baby parce qu’elle est la plus jeune au moment où elle rejoint les Hearts. Baby Wash raconte qu’on l’a virée du groupe le jour où elle demandait une augmentation. Les autres lead vocalists s’appellent Lezli Valentine, Betty Harris, Hartsy Maye et Zell Sanders supervisait tout ce bordel.

    Signé : Cazengler, Washingtorve

    Baby Washington. That’s How Heartaches Are Made. Sue Records 1963

    Baby Washington. Only Those In Love. Sue Records 1965

    Baby Washington. With You In Mind. Veep 1968

    Baby Washington. The One And Only. Trip 1971

    Baby Washington & Don Gardner. Lay A Little Lovin’ On Me. Master Five 1973

    Baby Washington. I Wanna Dance. AVI Records 1978

    Baby Washington. The Sue Singles. Kent Soul 1996     

    Baby Washington And The Hearts. The J&S Years. Ace 2006

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 24

    JANVIER - FEVRIER – MARS

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    Cadeau de Noël dans la boîte aux lettres. Non ce ne sont pas les huit pages supplémentaires que le magazine nous offre, même pas pour un euro de plus, ne faisons pas les fines-gueules, ce n’est pas mal du tout, ça donne de l’épaisseur à votre millefeuille de papier préféré, mais le véritable cadeau c’est plus loin, page 29 pour ceux qui veulent tout savoir, une interview d’Ervin Travis. Le retour ! Ervin Travis pendant des semaines notre premier article lui a été consacré, puis nous avons arrêté, son calvaire semblait n’avoir jamais de fin, et au bout de plusieurs mois cela devenait pratiquement indécent, c’est que la maladie de Lyme ne pardonne pas, une sacrée saloperie qui vous crève à petits feux et qui ne vous laisse plus le goût de vivre. Nous avons chroniqué  disques et concerts d’Ervin Travis, un chanteur de rock’n’roll un peu à part, subjugué dès l’âge de treize ans par Gene Vincent, de la cover diront certains avec condescendance, très bien faite ajouteront les autres, mais c’est tout autre chose, c’est vrai que sa voix si proche des intonations de Vincent est bluffante et que ses prestations scéniques sonnent juste, mais chez Ervin cela va au-devant de l’hommage, c’est une espèce de transplantation d’âme, de mimesis platonicienne, rien à voir avec une vulgaire imitation, à comprendre comme l’établissement d’un lien direct avec ce qui a été pour le faire réapparaître sous forme d’image active idéelle. Bref Ervin va mieux – rien n’est définitivement gagné – mais il a reformé un groupe, les  Wild Blue Caps, et redonne des concerts. Courage et dignité sont les maîtres-mots de cette renaissance.

    Dans notre livraison 558 du  09 / 06 / 22, nous chroniquions le CD Super Tare du Rock’n’roll de Didier Bourlon. Au mois de Septembre 2022 Didier Bourlon devait être avec Charles Gustave sur la scène du festival Teddy Boys Riot Boppin de Commines avec Dan Cash. Très émouvante présentation de cette renaissance du festival par Virginia Marquelly dédié à sa mère décédée à soixante ans. La camarde ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, Dan Cash est décédé. Très beau papier de Mark Twang évoquant la personnalité de Dan Cash, pas un contemporain d’ici et maintenant mais un gitan de partout et de toujours. L’a suivi son chemin à son gré, beaucoup à sa place auraient agi autrement mais Dan a toujours payé sa liberté Cash. Un homme que j’aurais aimé rencontrer.

    Belle photo de Jerry Lou en page 2, mais pas la rubrique habituelle de Greg Matthew dédiée au dernier des grands pionniers – elle suivra prochainement – par contre Sergio Kazh rend un bel hommage à Robert Gordon. Si l’on ajoute la rubrique Racines de Julien  Bollinger consacrée aux Delmore Brothers, notre subconscient nous induit à penser que le rockabilly est un cimetière rempli de gens vraiment irremplaçables. D’où l’intérêt de la parole donnée à Louie & The Hurricanes tout jeune groupe, une génération qui n’a pas pu voir les grands anciens sur scène et consciente que dans sa quasi-majorité les jeunes de leur âge (la vingtaine) sont à mille lieues de cette musique qu’ils ne connaissent pas, mais qui accrochent à leurs concerts, posent avec discernement le problème de la survie et de la reconstitution d’un public rockabilly, car il faut l’avouer le vivier actuel ne se renouvelle guère.

    L’est vrai que la longue interview de Salvatore Lissandrello leader de Strike groupe italien déjà sur la route depuis quatorze années semblent issu d’une période où la vie heureuse était plus facile, moins problématique…

    Sinon, revue des festival de l’été l’ Hangar Rockin’ en Suisse, La Forêt Fouesnant ( 29 ), et Rock’n’Roll in Pleugueness, de quoi nous réchauffer le cœur, preuve que le rock’n’roll is still alive ! Merci à Sergio Kazh de continuer le combat !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,50 Euros + 4,00 de frais de port soit 9,50 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros (Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! Surtout que les numéros 1, 2, et 3 ne seront plus réédités, il en reste une vingtaine d’exemplaires, qu’on se le dise ! Avis aux amateurs !

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( N° 2 )

            C’est le Cat Zengler qui a décrété qu’il ne faut jamais perdre le de vue et d’oreille le rockabilly, d’où cette nouvelle rubrique hebdomadaire. L’on a commencé la semaine dernière avec Alis Lesley, nous continuons avec un groupe d’aujourd’hui (et de demain), par la suite nous oscillerons entre les débuts de cette funeste et festive – entourez en rouge l’adjectif que vous préférez - nuisance et ses avatars actuels. Rockabilly Rules, O. K. toutefois n’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    IT’S TIME TO ROCK AGAIN

    HOT CHICKENS

    ( Rock Paradise Records / RPRCD55 / Septembre 2022 )

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    Hervé Loison : chant, basse, contrebasse, harmonica / Christophe Gillet : guitare et chœurs / Thierry Sellier : Batterie.

    Nouvel album des Hot Chickens, attention l’on retrouve les trois membres des Poulets Torrides sur d’autres opus par exemple en compagnie d’autres musiciens sur Jake Calypso and his Red Hod  dans deux ou trois siècles ceux qui tenteront de produire une discographie intégrale de ces trois lascars risqueront d’y perdre leur latin qu’ils n’auront jamais appris. L’on ne présente plus les Hot Chickens, disons simplement qu’ils sont un des trios les plus démentiels du rockabilly européen. 

             Sont beaux tous les trois dans leurs chemises imitation jaguar, le nec le plus ultra du vêtement rockabilly, vous regardent d’un air faussement méchants – z’ont dû s’amuser lors de la séance de pose – Hervé et Thierry désignent quelque chose hors-champ, ne se moqueraient-ils pas un peu de nous ! – l’on s’en moque car notre œil est fixé sur le logo – que voulez-vous quand on ne peut pas parader dans une pink thunderbird d’époque l’on s’offre un logo, c’est moins cher et celui-ci, cette crête de coq, mi-coiffe de guerrier Indien, mi-symbole menaçant du woodoo, est des mieux réussies. Félicitations à Helen Shadow, vous la retrouverez sur la pochette de Boogie in the Shack des Nut Jumpers.

    It surely ain’t the Rolling Stones : attention à la dégelée dans les oreilles, normal c’est l’album du dégel post-covid, alors les Chickens sortent leurs ergots, ne vous envoient pas la confiture de framboise à l’arsenic à la petite cuillère, superbement mis en place, une machine pour serial killer, ça chicore à pléthore, Hervé y va de son petit solo d’harmo, mais ce qui est fabuleux c’est qu’à chaque reprise, vous avez l’impression d’une gifle monstrueusement sèche, un peu garage, un peu sixties, totalement rock’n’roll. Good movies & rock ‘n’ roll : un mid-tempo pour reprendre les esprits si c’est possible car Thierry Sellier vous assourdit la trompe d’Eustache droite sans pitié tout en vous fragmentant la gauche en petits morceaux, juste le temps à Christophe Gillet de piquer un de ses petits solos qui n’a l’air de rien mais qui a tout pour vous faire pâlir d’envie, quant à Loison c’est du prodige, le rythme n’est pas extrêmement rapide mais il vous débite les lyrics plus vite que vous ne les lisez, tout en respectant la cadence chaloupée du morceau. Du grand art. L’hymne à l’amour : surprise, une reprise d’Edith Piaf, vous l’expédient à la manière des premiers groupes de rock français des années soixante, Sellier vous mène la cavalcade au galop de charge et Loison s’envole vers le septième ciel, est-ce du faux-toc ou du faux-maladroit, nos poulets rôtis peuvent tout se permettre, élevés en plein air ils sont à louer. We are a rock ‘n’roll trio : les Chickens sont très bon en rock’n’roll mais très faiblards en mathématiques, après la fameuse quadrature du cercle nous voici confrontés à la quadrature du trio, un truc difficilement défendable et pourtant ils remportent la victoire, trichent un peu puisqu’ils ont un deuxième guitariste Didier Bourlon qui fut pendant huit ans le premier guitariste des Hot Chickens, si vous n’aimez pas le rock’n’roll électrique des familles déjantées vous sautez la piste, sinon sautez dedans à pieds joints, le Bourlon déboulonne les riffs comme un fou furieux, magnifique ! Surfin bird : peut-être la meilleure monstruosité du disque, Christophe Gillet ne se retient plus et Hervé se lâche, vous ressuscitent le vieux hit des Trashmen, ce qui est d’autant plus remarquable qu’il n’est jamais mort. Puisqu’ils ont par deux fois évoqué les Stones nous dirons que ce n’est pas l’harmonie bien léchée des Beach Boys. Les Chickens ne sont pas des poules mouillées, ils pratiquent le surf uniquement dans les zones infestées de requins. It’s time to rock again ! : bougez-vous bande de blaireaux à canapés le temps du rock’n’roll est arrivé, Hervé vous chante les couplets à l’arrache Jerry Lou, sombres abrutis Thierry vous le martèle clairement sur sa caisse et vous réécoutez le morceau douze fois pour comprendre ce que Christophe et sa guitare fermentent activement à peu près au milieu du titre. Sorcellerie ! Take on me : a-ah, vous ne connaissez pas l’original, vous savez en alchimie on fait de l’or pur à partir de vil plomb, nos cocottes reprennent un tube des eighties pour s’amuser. Perso je dirai que quand la foudre tombe sur un bossu elle le foudroie, mais elle ne le fout pas droit pour autant.  Rocking at the Oxford bar : une petite rythmique blues pour commencer, l’incendie ne couve pas longtemps, sûr que l’on n’est pas à la cafétéria de l’Université d’Oxford mais à Béthune où l’Oxford café a pris la mauvaise habitude de recevoir les Chickens en concert, alors sont comme chez eux, débridés et sans gêne, même que Loison est tellement bien qu’il en oublie de chanter. Tout compte fait la vie des rockers est agréable. A vivre ou à écouter.  F**K you : un peu de haine aiguise la vie, l’est plus que bon de régler ses comptes avec les faux amis et les cloportes en tous genres, ça balance fort, pas le temps de s’ennuyer. A écouter pour taper sur son punching ball ou sur votre percepteur. Excellent. Parfait. Superbe. Repose Beethoven : le retour de Bourlon sur un des meilleurs titres ( 1964 ) du grand Schmoll, autant dire que ça balance terrible, défonce mortelle. Let’s go on : nous avons eu la haine, voici l’amour et l’amitié, un violon (merci Franny Lee) champêtre pour un rythme country, l’autre racine du rock’n’roll. Les Chickens remercient les fans qui les suivent depuis vingt-trois ans. Et qui ne lâcheront pas leur enthousiasme d’ici vingt-trois autres années. Unchained melody : certains trouveront cela iconoclaste, c’est vrai qu’ils débrident l’ensemble des chevaux-vapeurs, maintenant si l’on se souvient de la version originale de Todd Duncan, les Chickens qui cocoriquent à fond ne sont pas loin de l’esprit original, de cette outrance sentimentale exprimée si naïvement que l’on se sent induits à rire de ce qui devrait nous faire pleurer.

    Foutrement et foutraquement rock’n’roll ! Pépite rock.

    Dam Chad.

     

    *

    Si vous allez sur le Bandcamp d’OSE, question renseignements vous risquez d’être déçu, une seule indication ‘’France’’, les lecteurs de KR’TNT ! en savent davantage, nous avons déjà chroniqué plusieurs livres d’Hervé Picart. Par exemple son roman Aspergio Oscuro dans notre livraison 197 du 10 / 07 / 2014. Rappelons que Hervé Picart faisait partie de l’équipe de rédaction de la revue Best qui réunissait des pointures comme Michel Embareck et qu’il a enfiévré par ses articles sur le hard-rock et le prog l’imagination de bien de jeunes lecteurs… A la fin des années 70 il passe de la théorie à la pratique en fondant Ose. Le premier album Adonia paraît en 1978, on y retrouve Richard Pinhas dont le groupe Heldon suscita moulte controverses dans le public rock, une nouvelle voie s’ouvrait, post-Magma, post-King Crimson, musiques industrielle, électronique, noise, drone, prenaient leur envol…

    En 1982 s’acheva l’aventure OSE. C’est en 2021 qu’un nouveau chapitre commence à s’écrire, ceux qui veulent tout savoir materont la chaîne YT Ose Music Factory.

    L’album que nous présentons a été précédé au mois de mars de cette année de (Soundtrack for) H. P. lovecraft’s Nemesis. Plus que tentant, mais comment résister à Edgar Poe…

    (SOUNDTRACK FOR)

    EDGAR ALLAN POE’ S CITY IN THE SEA

    OSE

    (Novembre 2022 / A. N. / Bandcamp)

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    Opus synesthétique, évoquer par la musique seule un poème évidemment écrit avec des mots. Déjà difficile en soi-même. Mais Ose osa. Sûr que lorsque l’on s’attaque à un poème d’Edgar Poe, l’on met la barre très haut. Les poésies d’Edgar Poe sont un des grands chefs-d’œuvre de la poésie du dix-neuvième siècle. Pas très prisées en leur pays d’origine où Edgar Poe est tenu pour un auteur mineur, ne crions pas haro sur les amerloques, beaucoup par chez nous font la fine bouche devant le mince recueil qui les contient. Baudelaire et Mallarmé furent apparemment moins difficiles que nos contemporains, puisqu’ils s’essayèrent avec dévotion à les traduire. Il est vrai que dans ces poèmes l’auteur du Corbeau ne fit aucune concession, imaginez une bouteille d’alcool pur – pourquoi d’après vous Apollinaire titra-t-il son recueil Alcool - sans un milligramme d’eau. Une boisson peu propice à ravir les papilles de vos invités à l’apéritif du samedi soir.  Les poèmes d’Edgar Poe sont à lire comme des évocations, des visions, émanant des abysses intérieurs les plus profonds, là où les fantômes de nos rêves et de nos peurs ont perdu leur éclat fantomatique et se révèlent être tissés de la même matière que nous-mêmes. Ils agissent – toute grande poésie est opératoire - comme des trous noirs de dévoration où l’intérieur de nous-mêmes communique et engouffre l’extériorité du monde.

    The city on the sea est un poème à mettre en relation avec Le palais hanté qu’Edgar Poe inclut dans un de ses contes les plus célèbres – l’on ne compte pas les groupes de rock qui ont tenté de le mettre en musique – La chute de la Maison Usher

    Pas de paroles donc, toutefois, sur Bandcamp, chacun des douze morceaux est mis en relation avec quelques vers extraits des six strophes du poème.

    Far down the dim west :  la mort a choisi d’élever  son trône dans une cité sise à l’ouest dans la mer, imaginons une île à la Arnold Böcklin mais beaucoup plus monumentale, l’on attend une musique de diamant noir mais c’est un cristal de roche de gouttes d’eau qui tombent, chacune créant des vaguelettes concentriques, une vague de notes plus graves survient mais rien d’attentatoire à notre sérénité, telle une allée d’ifs taillés dans la roche de l’immobilité mais dont les cimes montent plus haut, une berceuse pour un sommeil éternel, et cet insecte dont les ailes tournoient sans jamais pouvoir s’évader, pourtant tout repos n’est-il pas éternel. Time-eaten towers : étrangeté de ce qui ne nous ressemble pas, ce monde éternel bouge beaucoup plus qu’on ne le croirait, presque comique quand on y pense de savoir que l’usure temps ronge même la ville de la mort. Notes obsédantes qui se jouent de nous et de tout. La danse macabre ne touche pas les morts mais les choses. Joyeusetés. Melancoly waters : les orgues de la mélancolie déploient leurs moires fastueuses, de doux ruissellement démentent cette vue de l’esprit, des notes s’éparpillent telles des fragmences de mensonges, rien ne passe, rien ne s’écoule, tout coule en un immense naufrage. From out the lurid sea : il est une lumière noire sous la mer qui ne vient pas des hauteurs sacrées, de quelle sombre inconnaissance est-elle constituée, elle rampe et se déploie lentement, elle s’agrippe aux pierres des tours, n’est-elle pas aussi immarcescible que la lueur dorée sacrée qui ne perce pas les ténèbres, ne serait-ce pas un combat de titans inaccessible aux yeux des humains, une lèpre contagieuse qui s’étend depuis le monde des profondeurs et qui dans l’ombre monte à l’assaut. Up domes, up spires, up fanes : magnificence de l’architecture, splendide cité, arpèges luxuriants comme des rivières de diamants, échos enchâssés et amoncelés, toute une érection de murs et de tours, étincelles musicales, la ville s’exhausse de toute son assourdissante beauté silencieuse. Shrine : tapotements désertiques, des orgues sérielles au loin, luxueuse est la cité, grandiose est cette ville, qu’aucun bruit n’altère, majestueuse est la mort qui depuis la plus haute tour étend son regard sur son domaine. Diamond eye : musique plus sombre, un peu de batterie électronique, mais rien de décisif, les tombes sont vides, on a envie de dire que la musique n’exprime rien, elle reste froide et insensible pour la bonne raison qu’il n’y a rien qui puisse faire l’objet d’une présence, situation terriblement ambigüe entre ce qui est sans être et les yeux vides des idoles. Wilderness of glass : comme des plaintes de violoncelles, chant du désert, notes en bulles de savon qui retournent au néant dès leur apparition, y a-t-il jamais eu quelque chose ici et autre part, le monde semble volatilisé et n’être plus que sa propre absence, désolation totale, plus rien ne bouge et n’a jamais bougé ailleurs. Etrangement l’auditeur ressent la densité du néant. No ripples, no heavings : étonnament ce morceau évoque les mêmes vers que le précédent, moins de romantisme et davantage de mélodrame, ici ce n’est pas la chose même, cette mer sans rides, sans clapotis, que l’on représente mais les sargasses de l’angoisse que l’objet du non-désir infuse dans les esprits. Tout est figé. A stir in the air : enfin quelque chose bouge et remue, l’eau musicale clapote gentiment, pas la grande joie, ni de forte liesse mais le sourire d’Aristote accueillant le mouvement, en un long crescendo transcendant ! Avec un peu de bonne volonté l’on se croirait au paradis.  Le vent se lève ! Wawes have now a redder glow : pas d’inquiétude, il n’y aura pas de happy end, les vagues qui se soulèvent ont une couleur rouge qui ne présage rien de bon. L’enthousiasme n’était-il pas une folie, ce qui arrive n’est pas de bon augure, la musique se lâche et enfle, elle tourne en rond sur elle-même, elle submerge le monde entier, quelle nouvelle apporte-telle si fièrement ? Hell rising : reprise en mineur, l’heure n’est pas à la délivrance, lorsque la cité dans la mer dominera le monde, l’Enfer la reconnaîtra comme sa souveraine, car il y a pire que la souffrance et les supplices, la mort, simplement la mort. L’opus se termine sur un rythme allègre, une espèce de gigue macabre totalement désincarnée, les plis d’un linceul qui vous enveloppe dans son suaire d’ennui pour l’éternité. De petits tournicotis-tournicotons électroniques s’en viennent grimacer dans le tourbillon final. L’on vous a bien eu. Tant pis pour vous.

    L’album ne se livre pas facilement. Il est à réécouter plusieurs fois pour en saisir les subtilités. Il faut dire que cette musique électronique n’atteint pas l’épaisseur d’un grand orchestre classique, ou la puissance d’un combo de rock ou de metal. Autre particularité, il ne semble pas que la visée initiale ait été de suivre le déroulement du poème d’Edgar Poe mais d’évoquer précisément certains mots, expressions ou passages, d’essayer de donner un équivalent sonore des gluances phoniques de la langue de Poe.  Les amateurs d’Edgar Poe apprécieront.

    Damie Chad.

     

    *

    Serait-ce que Villiers de L’Isle Adam nommait un intersigne. Pour cette deuxième chronique nous ne quittons ni H. P. Lovecraft, ni Edgar Allan Poe. Ce n’est pas de ma faute. Un corbeau m’a fait signe. Du moins je l’ai cru. Une image voluptueuse, un corbeau déchirant un cerveau humain. J’ai cliqué sur l’image suivante. Rien à dire (pour le moment). Je clique sur la troisième, pas vraiment indispensable. Je file sur le FB correspondant, une annonce de concert pour le 5 octobre 2022, rien d’original pour un groupe de rock’n’roll, oui mais big clic le nom de la ville : Providence ! La ville où Lovecraft naquit et mourut. Sur sa tombe ses admirateurs ont fait graver une de ses formules choc : ‘’ Je suis Providence’’, fabuleux jeu de mot qui joue avec l’importance géographique que la capitale de l’état de Rhodes Island occupe dans son univers et la critique radicale du christianisme que l’on ne manquera pas de relever dans cette déclaration d’un homme qui dans son œuvre créa la présence mythologique des Grands Anciens – dieux antérieurs à toutes mythologies biblique ou grecque - pour se moquer de la fragilité de la présomption humaine à être le centre de l’attention divine

    Dans notre livraison 292 du 01 / 09 / 2016 nous présentions les lettres d’amour d’Edgar Allan Poe à Sarah Helen Whitman, une idylle qui se déroula à Providence… Rappelons pour boucler la boucle que Sarah Whitman fut en relation avec Stéphane Mallarmé, le lecteur curieux trouvera dans Dagon de Lovecraft un étrange conte dont la structure ressemble à s’y méprendre à l’Igitur.  Les similitudes sont d’autant plus remarquables qu’Igitur fut publié à titre posthume en 1925 et que Dagon parut en 1919 dans la revue Vagrant.

    Est-ce par un hasard aboli que l’album se nomme :

    VAGRANT WITNESS CANTOS

    CARACARA

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    Mes connaissances ornithologiques étant extrêmement limitées, il y a de très fortes chances que mon corbeau soit un caracara, oiseau d’Amérique du Sud et du Sud des USA, grands rapace prédateur et nécrophage ( tout pour plaire ) de la famille des falconidés se déplaçant à terre sans difficulté ce qui coïncide au mieux avec le nom du groupe. Cantos – l’on ne peut s’empêcher de penser à Ezra Pound – les chants du témoin vagabond, de celui qui assiste et qui passe. ‘’ Etranger. Qui passait.’’ écrit Saint-John Perse dans la chanson liminaire d’Anabase.

    Ed Jamieson : guitars / Matthew Meehan : vocals / Christopher Colbath : bass / Matt Johnson : Drums, artwork.

    Au and nihl : ce n’est pas rien, c’est de l’or, une batterie qui chancelle le monde, une basse qui swingue et une guitare qui vous plante des poignards dans le dos chaque fois que vous le désirez secrètement sans oser le dire, et la voix se pose là-dessus comme un aigle dépose ses œufs sur les roches tutélaires du domaine d’Arnheim de Magritte, ensuite une cavalcade instrumentale sans précédent, tous ensemble mais chacun poursuit son jeu en toute indépendance, l’ensemble sonne méchamment juste, un enchevêtrement qui se donne à écouter comme un fil électrique torsadé que nulle cisaille ne saurait rompre, et Matheew Meehan qui vous mène le bal du masque rouge de la mort, vous ne savez plus où vous êtes mais vous suivez le rythme de cette marche de zombies partis l’on ne sait où ni pourquoi, mais il est évident que vous êtes à l’endroit où il faut être, quelque part dans une geste épique à l’assaut du néant, peut-être vers la maison maudite des cauchemars des helminthes qui rongent les cadavres au fond des cimetières, une morceau qui vous dépasse, qui joue plus vite que vous ne pouvez l’écouter, une rythmique infernale, une guitare qui froisse les riffs comme du papier argenté au cyanure et la basse qui court à sa perte dans un marécage sonique, vous aimeriez que ça ne se termine jamais et ça ne se termine jamais car maintenant votre sang coulera dans vos veines sur ce même rythme, jusqu’à la fin de votre vie, la basse finale écrase tout. Prodigieux. Preference : un grondement, une monstruosité qui vient de loin, le monstre s’approche et vous savez que rien ne l’arrêtera, la guitare klaxonne sans fin une alarme inutile et Meehan chante, tel Orphée pour endormir les monstres , la rythmique s’assouplit, la basse devient mélodique, des éclats de bronze résonnent, vous aimez cette ampleur sans précédent, la guitare chante à son tour, mais elle se tait devant la lourdeur des pas rapides de celui qui s’avance, qui écrase les arbres sur ses pieds tels des fétu de paille, un tsunami sonique vous balaie de la surface de la terre, des sons rauques de trompes d’animaux antédiluviens vous rompent la tête, ce morceau est une folie noire, vous transbahute dans des univers de violence inconnue,  des bruits d’eau serait-ce Dagon qui nage, qui sort des abysses pour prendre possession de son royaume, est-ce un moment de fête ou un catastrophe incommensurable, tout dépend de quel côté vous préférez regarder la chose innommable. Encore un morceau qui ne s’achève pas, qui hantera vos jours et vos nuits. Je suis une force qui va a dit Victor Hugo. C’est de ce niveau-là. The first : un début presque souriant, du déjà entendu, mais très vite cela devient inquiétant ce bourdonnement de mouche multi-géante qui vient de l’espace et dont l’ombre qui passe éteint la lumière du jour de la terre, la batterie bouscule cette narcolepsie brinquebalante, ce qui passe c’est le regard de celui qui passe et qui se contente de regarder, vous préfèreriez l’horreur mais vous êtes confrontés à l’insensible, à ce qui est au-delà de vous pour qui vous n’êtes rien, vous ne comptez pas, l’indifférence totale de ce qui vous dépasse, vous surpasse et qui s’éloigne sans se préoccuper de vous, criez, hurlez, agitez-vous, vous n’êtes qu’un tourbillon d’atomes inutiles promis à une dispersion dont personne ne s’apercevra. Morceau piège. Morceau traître. Vous pouvez en ressortir mort ou vivant. Cela n’affectera en rien la phénoménalisation du monde.  Zeno’s Meter : sonorités apaisante, il est nécessaire de vous concentrer si vous avez désiré de mesurer le monde avec le mètre de Zénon celui qui à chaque manutention vous éloigne de la moitié de la distance du point dont vous vouliez vous rapprocher, situation difficile le monde se carapate de vous au fur et à mesure que vous souhaitez vous  diriger vers lui, ne vous étonnez pas si la masse sonique vous paraît instable, elle glisse toujours du côté que vous n’espériez pas, reprenez souffle, ahanez, calculez, soupesez, discutez, bataillez, plus vous chercherez midi à quatorze heures davantage votre montre retardera, il y a pire que la violence, l’ironie qui se contente de sourire en vous regardant vous agiter, vous exaspérer, de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit jamais vous ne vous rendrez maître, rire barbelé de guitare, cacophonie de basse et tintamarre drummique, jamais vous ne sortirez de la quadrature du cercle qui vous enferme en vous-même. Sardonique.      

    Quatre morceaux, sur le modèle des tétralogies antiques, trois drames pour commencer et une comédie pour finir. Tous doivent traiter du même thème.

    Les amateurs de doom, de stoner, de fuzz, de psyché adoreront, les autres aussi, premier opus tentaculaire, une pieuvre qui plonge ses bras dans toutes les directions et qui ramène une témérité novatrice. Un groupe qui promet. Une véritable providence pour les amateurs de rock .

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 10 ( exclusif ) :

    54

    LE PARISIEN LIBERE

    EXTRAORDINAIRES REBONDISSEMENTS

    LES MYSTERES D’ALICE  

    L’article intitulé Les mystères d’Alice de nos reporters Olivier Lamart et Martin Sureau relatif à leur incroyable aventure au cimetière de Savigny a déclenché de multiples réactions parmi nos lecteurs. Le journal a reçu un abondant courrier. L’affaire est tellement étrange qu’elle paraît une parodie de roman gothique. Hélas il n’en est rien. Olivier Lamart et Martin Sureau journalistes et chroniqueurs politiques jouissent d’une flatteuse réputation dans les milieux journalistiques et politiques. Eux-mêmes parlent d’une soirée de folie, mais leurs dires ont été corroborés par les membres des services de la gendarmerie et hospitaliers ainsi que par le Maire et les employés municipaux présents sur les lieux. Les faits étaient si extraordinaires que tous n’étaient pas loin de penser qu’ils avaient été victimes d’une hallucination collective. Pour cette raison l’ensemble des médias n’en a pratiquement pas parlé. Nos deux courageux collaborateurs n’ont pas tardé à se lancer dans de nouvelles investigations. Nous publions donc leurs effarantes révélations. Nous avertissons nos lecteurs que leurs propos risquent de les choquer dans leurs convictions les plus profondes, que les esprits fragiles s’abstiennent de les lire.

    La Rédaction. 

    Olivier Lamart :  Cette histoire était si invraisemblable que nous avons décidé de nous lancer dans une enquête méthodique. Nous avions rendez-vous à l’Elysée pour mettre au point l’interview que Monsieur Le Président de la République devrait nous accorder la semaine prochaine sur son projet d’allongement de départ de la retraite jusqu’à 77 ans. En fin d’entrevue nous avons évoqué nos mésaventures de la nuit précédente et profitant de l’occasion nous avons suggéré que si nous pouvions visiter la maison des parents d’Alice Grandjean, sise face à la grille du cimetière de Savigny, en compagnie d’un haut gradé de la gendarmerie nationale nous en serions très heureux.

    Martin Sureau : trois heures plus tard Octave Rimont Commandant en Chef de la Gendarmerie de Seine & Marne nous ouvrait la porte de la maison des époux Grandjean. La visite s’avérait décevante, une maison proprette d’une famille sans histoire, nous étions dans la chambre d’Alice et nous expliquions pour la troisième fois comment nous avions vu de loin en pleine nuit depuis notre voiture trois points lumineux et que nous avons pensé à des chats ou des chiens qui traversaient la route :

    • Pourquoi pas en effet sourit Octave Rimont, mais une bête à trois yeux ça n’existe pas et à penser qu’il y en avait deux mais que l’une d’elles était borgne, je n’en mettrai pas main au feu !

    Cette déclaration nous étonna, nous n’avions pas considéré ces trois yeux rouges d’une manière si froidement objective. Octave Rimont s’était tu et semblait perdu dans ses pensées, puis il fit lentement le tour de la chambre d’Alice. S’arrêtant devant le poster sur le mur :

    • Qui est cette personne ?
    • Voyons M. le Commandant en Chef, c’est Elvis Presley, le roi du rock’n’roll !
    • Ah, cette musique de sauvages, je n’ai jamais compris pourquoi notre jeunesse… mais oui j’y suis, suis-je bête, c’est enfantin, il n’y a qu’une seule personne qui corresponde à cela sur toute la région parisienne !
    • Quoi, un individu à trois yeux !
    • Ne dites pas de stupidité, je suis sûr qu’il y avait un chien et un homme !
    • Avec un seul œil !
    • Mais non avec un cigare, je peux même préciser qu’il fumait un Coronado !

    A peine croyable, nous avions pensé que Sherlock Holmes était devant nous mais il nous détrompa :

    • C’est le Chef du Service Secret du Rock’n’roll ! Nous avons souvent affaire avec lui, facile à reconnaître, il a toujours un Coronado dans le bec et est la plupart du temps suivi comme son ombre par l’agent Chad et ses deux chiens. Attention, le gouvernement ne les aime pas beaucoup, ils outrepassent souvent leurs prérogatives et ont la gâchette facile. Nous avons essayé à plusieurs reprises de les coincer, ce sont des retors, ils aiment tremper dans des affaires pas très claires, mais ils sont indispensables, Ce sont eux qui rédigent les notices nécrologiques des artistes de rock américains et anglais qui meurent, faut reconnaître qu’ils s’y connaissent et qu’aucun des conseillers du Président n’est capable de faire aussi bien. Bon donnant-donnant, je vous refile leur adresse et tenez-moi au courant des avancées de votre enquête.

    Olivier Lamart : les contacter a été facile. Ils nous ont reçu fort civilement. Pour nous mettre leurs molosses dans la poche nous leur avons offert un bocal de fraises Tagada. Bref le soir, nous arrêtons en leur compagnie notre voiture devant la grille du cimetière de Savigny. Simple visite de reconnaissance avait dit le Chef, il ne faut oublier aucun détail.

    55

    Martin Sureau : hasard ou intuition ? Nous nous dirigions vers la tombe de la famille Grandjean, du fond de l’allée nous aperçûmes une silhouette assise sur la pierre tombale. Elle se leva, courut vers nous, se jeta au cou de l’agent Chad qui à notre grande stupéfaction l’embrassa longuement. Ils se connaissaient ! Etions-nous victime d’une mystification ? Le Chef interrompit cette étreinte :

    • Alice, nous vous avons emmené deux journalistes du Parisien Libéré qui voudraient vous poser quelques questions.
    • Un journal de tocards ! super, j’ai plein de choses à déclarer, et ce n’est pas tous les jours que l’on donne la parole aux morts, messieurs je vous écoute !
    • Hum ? Excusez notre franchise, êtes-vous vraiment morte ?
    • Bien sûr, si vous ouvrez le caveau vous trouverez mon corps en voie de putréfaction avancée, tenez, touchez ma main !

    Elle était froide et dégageait une étrange odeur de pomme surie, je me demandai comment l’agent Chad pouvait l’embrasser à pleine bouche sans dégoût…

    • D’abord permettez-nous de vous présenter nos condoléances pour vos deux parents tués dans l’accident qui…
    • Ce n’était pas un accident !
    • Le maire a parlé d’un accident d’automobile et…
    • Ce n’était pas un accident, c’était un crime !
    • Un crime ? Qui soupçonnez-vous ?
    • Je ne soupçonne personne, je connais l’assassin.
    • Pourriez-vous nous donner son nom ?
    • Oui facilement, c’était moi !
    • Vous ? Comment vous avez saboté les freins et…
    • Pas du tout, un poids-lourd arrivait en face, j’ai donné un coup sur le volant que tenait mon père !
    • Mais c’est horrible !
    • Non c’est bête, j’ai sous-estimé la vitesse du camion, je pensais que mes deux parents seraient tués mais que je m’en sortirai indemne, une erreur fatale…
    • C’est horrible !
    • Hélas oui, je suis morte !
    • Et vos deux parents, vous n’avez pas de regret ?
    • Non aucun, c’étaient des vieux cons ! C’est bien fait pour leur gueule !
    • Excusez-nous, nous supposons une histoire d’inceste, votre père a abusé de vous et votre mère ne vous a pas crue !
    • Non, ce n’est pas ça, c’est pire !
    • Mais que peut-il y avoir de pire !
    • Ils ont cassé tous mes disques de rock ‘n’roll, même le premier Black Sabbath, celui que je préférais, je ne le leur pardonnerai jamais !
    • Mais vous êtes folle, vos parents qui vous ont donné la vie, c’est impensable !

    A ce moment le Chef a interrompu notre conversation :

    • Elle a raison, moi je suis prêt à tuer la moitié de l’humanité, si quelqu’un s’avise à écorner la moindre pochette d’un de mes disques !

    Sur ce l’Agent Chad a ajouté :

    • Moi de même, je tuerai l’autre moitié.

    Et le Chef alluma un Coronado.

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE 372 : KR'TNT ! 392 : BITERS / RADIO BIRDMAN / HOT CHICKENS / BRIAN JONES / ROMAIN SLOCOMBE / ROCKAMBOLESQUES (6 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 392

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    08 / 11 / 2018

     

    BITERS / RADIO BIRDMAN / HOT CHICKENS

    BRIAN JONES / ROMAIN SLOCOMBE

    ROCKAMBOLESQUES ( 6 )

     

    Biters, please

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    Les Biters d’Atlanta posent un petit problème : ils sont trop beaux pour être vrais. Comme lorsqu’on dit ‘trop polis pour être honnêtes’. Sortez le poster inséré dans la pochette de leur premier album, Electric Blood : vous y verrez quatre créatures de rêve, tatouées, avec des bracelets, des perfectos, de vraies tignasses et même des croix de fer. Ils reprennent le flambeau du look rock’n’roll là où des groupes comme les Hellacopters et les Wildhearts l’avaient laissé.

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    Les Biters semblent remplis de cette arrogance que peut générer le sentiment d’avoir un look parfait. Alors, on écoute l’album, et c’est le commencement de la déconfiture. Dès «Low Lives In Hi-Definition», on sent le vieux cousu amidonné, le mille fois déjà entendu, le coup de Biter dans l’eau. Même s’ils amènent «Heart Fulla Rock ‘N’ Roll» au gros stomp, ils se ridiculisent avec le solo. Ils auraient une fâcheuse tendance à vouloir sonner comme Queen. On sent nettement des influences suspectes, un brin symphoniques, un peu troubles. Pour ne pas dire putassières. On s’apprête à glisser l’album dans sa pochette et à chercher qui va bien être assez con pour vouloir le racheter, mais par acquis de conscience, on écoute le début de la B, car le cut s’appelle «The Kids Ain’t Alright», ce qui vaut pour un clin d’œil aux Who. Et pouf ! Voilà que ça se met à sonner comme un hit ! Ces mecs sont tout de même incroyables : ils démarrent avec une A imbuvable et se réveillent en B avec un hit, alors qu’on venait de sceller le destin de l’album. Du coup, regain d’intérêt ! S’ensuit «Space Age Wasteland» qui sonne carrément glam. Pour un peu, on croirait entendre Bowie chanter - So c’mon - Ils y vont franco de port ! Et ça continue de monter en puissance avec «Loose From The Noose», amené au vieux riff de type Bad Co. Ils recyclent toutes les vieilles ficelles de caleçon, mais voilà un excellent coup de glam-rock arrogant, ça sonne, c’est malaxé et bien ponctué d’oh yeah. Tuk Smith pose bien le Loose et le Noose, des consonances auxquelles on est resté sensible depuis «Born To Lose». Encore une pièce remarquable avec «Time To Bleed», emmené par un riffing infernal qui est bien sûr celui de «Biff Bang Pow». Incroyable ! Quelle séquence ! L’ensemble vire un peu melodic rock mais les retours du rush des Creation sont spectaculaires. Tasty move, Tuk !

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    Dans son numéro 236 de juin 2017, Classic Rock consacre une belle double aux Biters dans sa rubrique Live ! Les Biters sont présentés comme les bastard offspring de Cheap Trick and Joan Jett. Ils boivent du Cloven Hoof spiced rum. Mais pour Tuk Smith la vie est dure : «Rock’n’roll is harder than it’s ever been. I’m making zero money on this tour. I’m on five bucks per diem. And I’ve never splept less in my life than on this tour.» Il ajoute que le manque de sommeil le rend irritable. Il raconte aussi qu’il a arrêté les narcotics voici dix ans, le matin où il s’est réveillé à côté du cadavre de Travis Criscola, guitariste des Cute Lepers, qui venait de faire une petite overdose - I don’t think that whole lifestyle is glamourous now - Tuk Smith ne supporte plus les clichés rock’n’roll. Par contre, il avoue adorer le glam des seventies et pouf, il cite Sweet, Slade, T. Rex. Il porte un badge d’Hector, un obscur dutchband qu’on trouve sur les très bonnes compiles glam - I want to bring the old grooves back - L’intention est louable - Having an image is fine, but I want to be known for killer tunes - Dave Everley qui les voit jouer sur scène au London Roundhouse dit qu’ils sound terrific et qu’ils look great. Et avec Smith, they have the most charismatic frontman out there right now. Mais il a beau être charismatique, Tuk a du mal à groover le public anglais. C’est sans doute pour ça qu’il pense que ça devient très dur de vouloir faire du rock’n’roll.

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    Oh, alors un petit conseil en passant : si vous aimez la bonne power-pop musculeuse et sensée, chopez donc le 5 titres sorti sur Pop The Balloon : on y voit nos quatre Biters en noir sur un fond blanc. Les cinq titres sont spectaculairement bons. Dès «Ain’t No Dreamer», on décolle comme si on se trouvait à bord d’un avion supersonique : extraordinaire pulsation d’exaction partisane. Ces quatre Atlantais développent l’un des plus puissants couples moteurs d’Amérique. Et si ne n’est pas un hit, alors qu’est-ce donc ? Et ça continue avec «So Cheap So Deadly», plus glam encore. Ils disposent d’une fantastique hauteur de vue - You got a hold on me - Et voilà «Anymore», l’absalon du power-poppisme, ces mecs sont les teenages operators d’envolée maximaliste, ils ne vivent que pour lâcher des bombes. C’est tellement bien foutu qu’on se retrouve le bec dans l’eau, comme s’il n’y avait rien à dire. Les Biters se débrouillent très bien tout seuls, ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson. Et jusqu’au bout du bout.

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    Pop the Balloon fit paraître en 2010 un autre single des Atlantais, le fameux «Hang Around». Pourquoi fameux, direz-vous. Parce qu’il est chouette, Owl. On a là une heavy pop de belle teneur et joliment enlevée. De l’autre côté, «Beat Me Up» sonne comme du grand Cheap Trick - Kiss me bailleby - C’est admirablement balancé dans le mille et frais comme un gardon d’Atlanta. Si tant est que.

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    Leur dernier album vient de paraître. Tout amateur de glam se doit de sauter sur The Future Ain’t What It Used To Be. On n’y compte pas moins de quatre classiques glam, à commencer par l’implacable «Stone Cold Love». Pur jus T. Rexien. Ils sont en plein dedans, ils pompent, c’est sûr, mais ils ont raison. Les Biters se montrent terrifiants d’ubiquité. On reste dans l’excellence glammy avec «Callin’ You Home», joué à la petite pétaudière de sinécure. C’est fou comme les Atlantais savent river le clou du glam. Ils jouent ça au beat de la sature saturnienne et balancent des why did you go qui résonnent autant que l’antique Hellraiser. Voilà du glam d’or pur. Ça continue avec «Gypsy Rose», monté sur un drumbeat de glam définitif. Les Biters effarent. Les voilà hantés par Marc Bolan. Le son ! Le satin ! Les platform boots ! Et un solo d’une énergie fondamentale les élève largement au dessus de la moyenne. «No Stranger To Heartache» reste dans la même veine inespérée. Cette fois ils tapent dans le stomp et vont même jusqu’à l’exploser aux accords de gras de glam double, comme s’ils tapaient dans une réserve de ressources inexplorées et qu’ils redoublaient d’audace. Tout est joué dans une absolue frénésie. On trouve sur cet excellent album des choses plus classiques comme «Hollywood». Ils vont musarder sur l’Hollywood Boulevard de Ray Davies et y développent leur business. Si bien que leur Hollywood prend une tournure grandiose. Leur album regorge de son et de good moves. Le «Let It Roll» d’ouverture de bal vaut aussi le détour. Il est tellement chargé de son que tout vibre. Ils tapent là dans la démesure du m’as-tu-vu de la cisaille de power-pop explosive. La confiture dégouline de partout. Ils s’énervent tellement qu’ils démultiplient les c’mon. «Don’t Turn This Good Heart Bad» sonne comme un cut d’action directe des seventies, un hit de juke saturé de power-pop. Les Biters sonnent comme de puissants seigneurs. Ils incendient «Vulture City» d’entrée de jeu. Le cut tourbillonne dans de violentes envolées de son. Les Biters ne plaisantent pas avec la marchandise. Qu’on se le dise.

    Signé : Cazengler, Biter San Pellegringo

    Biters. Hang Around With. Pop The Balloon 2010

    Biter. Biters. Pop The Balloon 2012

    Biters. Electric Blood. Earache Records 2015

    Biters. The Future Ain’t What It Used To Be. Earache Records 2017

    Classic Rock # 236 - Rubrique Live. June 2017

     

    Ça chauffe sur Radio Birdman - Part Two

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    Retour en force des Australiens en Normandie, yes the Birdmen flew au grand complet, pareils à une équipe de vétérans de toutes les guerres, jeu serré, big aussie beat, over under sideways down, mâchoires carrées, mines sombres, big drops de sueur, auss and boots, le rock en découd, ça lamine et ça harponne, enfin bref, les Birdmen ne sont pas là pour rigoler. Ils n’en finissent plus de jouer leur carte du mieux disant, il rockent la rockalama comme au temps de leur jeunesse aussi enfuie que Mesrine d’un QHS, ils tarpouinent le mur du son à coups redoublés, blow sur blow, ils enfilent leurs no-hits comme des perles, à défaut d’enfiler la voisine, mais c’est vrai qu’à cinq, ce n’est pas facile. Rock de vieux ? Ha ha ha, comme dit l’apôtre de Clochemerle. Non rock de Birdmen, tout bêtement, sans concession, bien rentre-dedans, bien plaqué d’accords crispés, bien rond sur la crête de sa bassline, ça joue à l’amputée et au moignon, ça bombaste à l’aussie whapalaboom et les kids adorent ça, il faut voir comme ils adorent ça, ils ont toujours adoré ça, et tant que les Birdmen voleront, les kids et les vieux adoreront les voir voler. Ça remonte le moral de les voir adorer ça. Du coup on adore ça encore plus. Jusqu’à l’ivresse. Birdman sur scène, ça veut dire concert idéal. Pas le Graal, comme Jason Pierce ou les Pretties, mais shoot assuré, ‘ah oui monsieur, shoot garanti 100%’ comme dirait le vendeur badgé à l’œil torve, pas de problème, ces vieux renards du bush australien tiennent l’heure de set comme on tient un bastion, ils blasticotent leur blast en caoutchouc, ils kickent leur cake à la crème, ils tournicotent leur tournicoton avec la force qu’enseigne l’expérience, et what an Experience, Jimi, puisqu’elle s’étend sur presque cinquante ans. Si les grognards rescapés de la retraite de Russie avaient monté un groupe à leur retour en ville, ils auraient sonné exactement comme les Birdmen.

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    Quand ils arrivent sur scène, les Birdmen semblent sortir ratacuits du four du Darfour, comme s’ils venaient d’échapper de justesse aux féroces guerriers du Mahdi. Ils pourraient aussi sortir épuisés des marais de Floride, comme le fameux Captain Wyatt que traquaient les Séminoles. Rob Younger et ses amis incarnent l’héroïsme d’un rock qui survit à toutes les avanies et framboises, c’est-à-dire les mamelles du destin : les traversées du désert, les stratégies de marketing et leurs fruits bâtardisés qu’on appelle poliment les changements de modes, les pannes d’inspiration qui sont encore plus détestables que les pannes d’essence, ils ont survécu à tout ça miraculeusement, qui aurait dit en 1974 que ce groupe allait jouer en Normandie en 2018, plus de quarante ans après ? Personne, excepté les gens doués de voyance extra-lucide. Et pourtant, si on réfléchit une seconde, une seule seconde, on voit apparaître le commencement d’un début de logique : si les Birdmen existent encore, sans doute est-ce parce qu’ils plongent leurs racines dans les Stooges et c’est d’ailleurs avec «TV Eye» qu’ils tirent leur révérence avant de souhaiter bonne nuit à la compagnie. Et quelle version, my God ! Tek qui n’est pas du toc joue le riff avec une niaque de pilote qui ne craint pas la mort, il joue au plus près de la niaque ashetonienne, l’une des plus révolutionnaires de l’histoire du rock électrique, celle que dont jadis Eve Sweet Punk Adrien chantait les louanges, on ne refait pas un monde qui est déjà fait, la légende retourne à la légende comme le serpent se mord la queue, tant il est vrai que le grand tourbillon d’énergie cosmique qui tourne autour de la terre s’appelle les Stooges, et tant qu’il y aura les Stooges, il y aura de la vie, ainsi vont les fleuves et les temps, ainsi coule la lave dans les Lys de la vallée et Felix Tek ashetonne de l’une à l’autre, d’Henriette de Mortsauve-qui-peut à Lady Dudley Moore and Moore,

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    Rob râle du see that cat comme s’il en pleuvait, Rob rote du Down on her back à la glotte insalubre, Rob ramène du rab, Rob rame dans l’enfer rouge de nos nuits blanches, Rob rolls down the line, Rob rocks it hard, Rob rôde dans la stoogerie comme un requin en maraude, Rob roule le raw dans la farine, Rob rides it easy, pendant trois minutes, il shake le meilleur shook de tous les temps, Rob rime avec zob, Rob risque ses périls, Rob règne au ras des pâquerettes, Rob rend l’âme, Rob rue dans les rencards, Rob rit jaune caus’ she got a TV Eye on me, on en finirait plus avec Rob et les Stooges, il faut faire gaffe, pendant trois minutes, ils nous font croire que tout peut recommencer, que rien n’a changé depuis 1970, attention, méfiance, ne cédez pas au chant des sirènes, attachez-vous au mât. Quand retombent les cendres sur la morne plaine, on constate que les Birdmen ont redoré le blason de la crédibilité, et cette flèche tirée dans l’œil du cyclone TV leur vaut en plus de l’adoration une sorte d’admiration de bouche bée, médaille beaucoup plus difficile à décerner.

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    Plus en amont, on les vit taper dans les Doors, et ça, c’est réservé à une élite qui n’existe pas. À part les Doors, personne ne peut jouer les hits des Doors. Personne sauf les Birdmen, run with me, toute la tension magique de «Not To Touch The Earth» renaît elle aussi de ses cendres, les Birdmen plongent dans le maelstrom kurt-weillien d’incantation du wake up girl, c’est vrai que de Jim Morrison aux Stooges, il n’y a qu’un pas qui se franchit avec une allégresse qu’on tient pour païenne. Comme celles des Stooges, les chansons des Doors se consument, elles brûlent vives, léchées par les mêmes flammes infamantes et se caramélisent jusqu’à la dernière goutte de son, oui, l’évidence crève les yeux, les mêmes démons hantent Jim Morrison et les Stooges, ils cultivent tous le même jusqu’au-boutisme, celui qui traverse les siècles en laissant des traces vives dans la mémoire des hommes. Rien qu’avec cette paire d’hommages, Radio Birdman décroche son ticket to ride, mais comme Rob reste d’une modestie à faire pâlir d’envie George Brummell, le groupe retournera down under retrouver son nid en Australie, dans le confort un peu humide de l’underground.

    Autour des Stooges et des Doors, les Birdmen tartinent les contreforts avec des vieux no-hits à eux de type «Hand Of Law», «Zeno Beach» ou encore ce brand «New Race». Ils créent encore la sensation avec une cover du grand et beau «Shot By Both Sides». Mais dans tous les cas, Rob Younger se veut plus Younger que jamais, il nie sa réalité de vieux pépère et passe directement à l’action, avec une énergie qui en impose, au moins à tous ceux qui se confrontent au même problème : rock et limite d’âge. Quand faut-il sauter du train ? Pas question pour Rob de sauter du train. Il avoisine les 70 mais il avoine la gueule du rock, pas comme un bas du front, mais comme un gentil mec profondément convaincu de la faisabilité des choses. On appelle ça l’intelligence du rock. Tu tiens debout, tu aimes ça, alors chante le rock électrique, mon gars. Rien n’est plus vital aujourd’hui que de voir Rob Younger danser sur scène.

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    Jonathan Sequeira vient de réaliser Descent Into The Maelstrom, un brillant docu sur l’histoire des Birdmen. Et là tout s’éclaire. Le maelström n’est pas ce qu’on imagine, une spirale de sex, drugs and rock’n’roll, non ce qui a détruit le groupe, c’est l’ego de Deniz Tek. Voilà ce que révèle ce docu extrêmement poignant, d’une honnêteté qui fait honneur à tous les témoins de cette pénible histoire. Dommage, car ils partaient du bon pied, Rob Younger se maquillait et travaillait un look à la Neal Smith (le batteur d’Alice Cooper), Pip Hoyle portait un béret comme Eno, Warwick Gilbert dessinait le logo et de très belles affiches, et Ron Keeley battait admirablement le beurre. Quant à Deniz Tek, Michigan boy fraîchement débarqué en Australie pour finir ses études de médecine, il composait des no-hits. Premier faux pas des Birdmen : une petite médisance sur les Saints, qui eux composaient des hits. Tek ne les apprécie pas «sur le plan personnel», et le malheureux Pip ose dire : «Nos capacités et aspirations musicales étaient au dessus de ce que faisaient les Saints», et là, on sent que se pose un gros problème, car s’il est bien un groupe auquel personne n’oserait se comparer, c’est précisément les Saints. Le malaise s’accroît encore lorsqu’apparaît la track-list du premier album des Birdmen : on lit ‘D. Tek’ à toutes les lignes, comme on lisait le nom de Don Nix partout sur l’album de Moloch, ce qui faisait bien rigoler les gens de Memphis. Craaak... Une première crevasse apparaît dans ce groupe qui se prenait pour une famille : d’un côté Rob et Tek, de l’autre, the brotherhood : Ron Keeley, Warwick Gilbert et Chris Masuak. Ces trois-là ne sont jamais consultés, on ne leur demande pas leur avis. Comme dans Blondie, quand Stein et Debbie Harry mettaient les autres devant le fait accompli. Puis un autre Stein, le Seymour de Sire, vient en Australie signer les Saints, mais il flashe sur Birdman et les envoie tourner en Angleterre. Se croyant malin, le manager du groupe détériore encore l’ambiance en tentant de pousser Rob et Tek devant, laissant les autres dans l’ombre. Il fait exactement ce que fit qu’Andrew Loog Oldham avec les Stones, en poussant Jagger & Richards en avant. Du coup l’ambiance se délite. Bon prince, Ron Keeley déclare : «That wasn’t a clever management.» Conditions de tournée habituelles : le van, pas un rond, la fatigue et l’impossibilité de se parler - It just kind of fell apart - Ça tourne en eau de boudin. Ils vont à Monmouth chez Dave Edmunds enregistrer leur deuxième album, Living Eyes, que Chris Masuak appelle Living Ass. Ron, Warwick et lui se plaignent d’être exclus du process créatif. Tek écrit tout, Tek produit tout, Tek gère tout, Tek par ci, Tek par là. On imagine aisément ce que ces pauvres gens ont dû endurer. Warwick : «I think Living Eyes is all shit. C’est le truc de Tek.» C’est vrai que l’album paru beaucoup plus tard est d’une spectaculaire médiocrité. Le groupe se sépare. Personne ne se dit au revoir.

    Et pouf, vingt ans plus tard, en 1996, on leur fait un pont d’or pour se reformer, and all the shit starts again, nous dit Warwick en rigolant, Tek veut tout diriger, tout composer, tout produire. Warwick n’en peut plus, il dit à Ron qu’il arrête les frais, Ron I’m out of it ! C’est là que Jim Dickson, le bassman des New Christs, entre dans Birdman. Puis après un mauvais show, Ron Keeley est viré comme un chien. Devant la caméra, Rob déclare : «Non, c’est pas moi qui l’ai viré...» et il ajoute, très embarrassé : «But I was part of the decision.» Big, very big malaise. Comment ose-t-on se comporter ainsi avec un vieil ami ? Alors Ron reprend la parole : «Je me tenais au bord de la falaise et on m’a poussé dans le dos.» Il ajoute que cet épisode atroce continue de le hanter. Sur sa lancée, Tek continue d’épurer les rangs en éradiquant le brotherhood : il envoie un mail à Chris Masuak pour lui indiquer qu’il est viré. UN MAIL ! Oui, de nos jours, on vire les gens par mail. Chris prend ça avec une certaine forme de philosophie : «Je suis plutôt content de ne plus jouer dans ce groupe avec ces gens. They just don’t play good enough for me.» C’est à Ron Keeley que revient le mot de la fin. Il indique que Tek a battu tous les records, dans le domaine. Puis, avec sa touchante bonhomie, Ron précise qu’il ne lui adressera plus jamais la parole.

    Signé : Cazengler, rabiot beurre-man

    Radio Birdman. Le 106. Rouen (76). 20 octobre 2018

    Jonathan Sequeira. Descent Into The Maelstrom. DVD 2018

    TROYES – 02 / 11 / 2018

    LE 3 B

    HOT CHICKENS

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    L'on se retrouve à une dizaine pour pousser la porte du 3 B. Ça n'en finira pas d'arriver, un flot ininterrompu, le carré des habitués et une flopée de nouveaux. Quelques uns un peu par hasard mais la majorité poussée par le qu'en dira-t-on, la rumeur d'un certain Jake Calypso le mois dernier à la Chapelle Argence, qui aurait averti qu'il serait au 3 B le premier vendredi de novembre. Ce soir c'est la patronne Béatrice Berlot qui offre une fricassée de poulets brûlants, ne poussez pas il y en aura pour tout le monde. Trois services, trois sévices rock'n'roll, propagés dans de la porcelaine de prix. Cassée. Pour ceux qui ne le sauraient pas Jake Calypso et Hot Chickens, ne sont que deux fragments identiques, et donc différents, d'un même miroir magique. Une fois que vous vous êtes miré dans l'un vous n'avez plus qu'une envie vous admirer dans l'autre.

    HOT CHICKENS

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    Hervé Loison tire sa Paint it Black sur le plancher. La grosse dondon toute noire, se laisse faire. Résignée, encore une promise à une glorieuse mort sur le champ d'honneur du rock'n'roll... Christophe Gillet s'installe sur un des tabourets du bar, un arbre qui a traversé la route lui a fragilisé la cheville, n'ayez crainte les doigts sont indemnes...

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    Thierry Sellier compte du regard les éléments de sa batterie, cinq pas un de plus, amplement suffisants pour déclencher les orages. L'est un peu sorcier indien Thierry, avec trois fois rien il vous emmène au cœur de l'apocalypse. Le gars qui vous arrête une division blindée avec un fusil à fléchettes. Devrait être nommé ministre de l'économie. Vous lui refileriez le déficit, il vous enrichirait le peuple à alimenter la chaudière du chauffage central avec des billets de cinq cent euros. Sans effet de manche, sans aucune forfanterie, sans une once de stress, sans la moindre théâtrale grandiloquence – méfions-nous toutefois ce petit sourire mi-goguenard, mi-méphistophélique qui erre sur ces lèvres – il abat une ou deux baguettes sur un ou deux de ces fûts, du genre puisque c'est à mon tour de jouer, faisons-le à la cool sans me prendre la tête. Le problème c'est qu'il explose la vôtre.

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    Un vicieux, pas un adepte du coup qui assomme le bœuf, il sait le faire, mais c'est un pervers, l'a une prédilection pour le dérapage infini, à la grêle il préfère le grésil, à la franchise nette la glissade fracturale. L'a l'art du bop. Vous ne savez jamais par quel trou le renard sortira de son terrier, vous matez désespérément les orifices, par un malheureux contretemps incongru et incompréhensible l'est déjà en train de saigner la volaille dans le poulailler. Evidemment vous vous en doutez il y a un autre larron dans la foire. Le profil du sage. L'air attentif. Y a de quoi.

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    Devant lui le Loison piaille sans vergogne, et derrière lui le Thierry ondule le carton, alors par la force des choses le Christophe se charge du grand écart, vous réunit les flots divergents du même courant, l'est le maître des eaux du déluge. Ne se contente pas de construire un pont entre les deux rives. Ce serait-là du boulot de mauvais ouvrier qui colmate les voies d'eau à l'aide de planches trouées agencées avec du chewing-gum usagé. Use d'une autre méthode. Personnelle. Sur le qui-vive perpétuel. Prend la barre et ne la lâche pas d'une seconde. Navigue au plus près de la tempête loisonesque, un truc à y perdre ses plumes et ses voiles, mais non, vire lof sur lof, prêt à toutes les éventualités, veille au grain qui va éclater et quand le voilier est prêt du mou il déclenche de nouvelles ardences. A tribord surveille de près Hervé, mais à bâbord il lui faut veiller sur Thierry qui est comme le lait sur le feu. Prêt à déborder au moment où l'on s'y attend le moins. Dans ce cas-là le Gillet de sauvetage vous largue de ses tonitruances à vous en fendre les tympans, tire au canon, des deux bordées, de la proue à la poupe, mais quand les deux autres bretteurs filent tout droit, il laisse aller le navire sur son aire, à toute vitesse, dans les cas extrêmes, avant les grandes dérives et déchirures éruptives, pour ahaner le suspense et le rythme Christophe fouette de ses cordes le dos de la chiourme, tout le monde comprend que l'on s'approche des récifs rugissants, et à l'instant fatidique où la coque va se briser sur les dents de pierre de l'océan, il vous abat un ouragan à vous démâter les cerveaux en perdition.

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    Pour ceux qui ne supporteraient pas le mal de mer, nous emploierons une métaphore d'un autre genre culinaire. Imaginez l'eau bouillonnante portée à cent degrés dans la marmite de Tante Agathe. Cette espèce de chaos liquide tumultueux, qui obéit à de subtiles architectures secrètes, correspond au tohu-bohu ordonné de Thierry Sellier et Christophe Gillet, contrairement à ce que prescrivent les recettes traditionnelles, ce n'est pas l'instant idéal d'y faire fondre avec douceur, patience et consomption un bouillon cube déshydraté. Tout le contraire, plongez-y un animal vivant, style cachalot colérique, on n'en a pas toujours un sous la main, donc n'importe quel volatile fera l'affaire, de préférence toutefois nous vous encourageons à prendre un Loison sauvage survitaminé, de l'ordre des Hervédés énervés. Les filles, je vous en prie, cessez vos jérémiades hypocrites, et évitez de traiter les rockers de brutes au cœur d'assassin. Je peux témoigner, vous n'avez pas cessé une seconde de toute la soirée de vous trémousser comme des dératées, et je me refuse  à évoquer vos yeux de merlans frits énamourés braqués sur le trio convulsif. Je me permets de vous rappeler qu'il ne faut pas moins de trois cuissons – en terme idoine on emploie le mot set – pour venir à bout d'une telle bestiole, et surtout que le Loisonus Hervibus – ainsi disent les savants – est réputé pour être increvable. A la fin de la préparation, certes il n'est pas frais comme gardon, mais chaud comme la poule qui sort du pot. Vous comprenez ainsi pourquoi les américains nomment ce plat Hot Chickens.

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    Bref le Loison plongé dans l'eau à ébullition est aussi à l'aise dans cette atmosphère incandescente qu'un rocker devant une chope de bière fraîche un jour de canicule, même qu'au début Thierry et Christophe la mettent en sourdine pour l'écouter chanter, car il module, il roucoule doucement telle une palombe sur la plus haute branche de l'arbre, puis il minaude, joue la diva, vous trille les notes en vocalise, et patatras, d'un seul coup le monde s'écroule, l'est pris d'un délirium tremens prononcé, se roule sur sa big mama, lui tire une corde, cruellement à croire qu'il veut arracher les cheveux de sa copine dans la cour de récréation. Un grand partageur, pas un égoïste, nous invite à l'imiter, et c'est le jeu question réponse du holler-blues revisité en version joyeusement participative. Le numéro du perroquet, le maître se met devant vous et vous répétez après lui, un vieux réflexe qui marche à tous les coups, derrière Christophe fait semblant de marcher à pas de loup sur des élastiques et Thierry passe du coton hydrophile sur sa caisse claire, genre tireur d'élite qui graisse soigneusement son fusil à lunette avant de l'épauler et de vous mettre en joue, vous connaissez la fin, sans préavis ils se jettent sur vous et vous croquent comme le petit Chaperon Rouge.

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    Z'ont aussi des produits de plus haut standing. Hervé s'amuse à l'écrivain qui se cite lui-même, interprète du Jake Calypso, nous aurons droit à un Memphis Downtown épique, Gillet aux choeurs spasmodiques, le downtown frappé à la manière de ces pièces de monnaie qui sonnent lugubrement dans les entrailles sans âme des machines à sous. Les pionniers seront particulièrement mis à l'honneur, un Rave On ravageur une véritable bataille d'oreillers au lit, du Little Richard dégoisé à l'infini, le combo rock dans toute sa splendeur, un Keep-A-Knockin' brillant de mille feux tel l'embrasement du temple d'Ephèse pour annoncer au monde antique effrayé la naissance d'Alexandre le Grand, et puis surtout ils ont boppé like they play Gene. Une espèce de descente d'organes irrémédiable sur la batterie de Thierry, une succession de pontages coronariens sur la guitare de Christophe, tous deux chirurgiens diaboliques, et Loison glissant le bistouri de sa voix dans les tripes congestionnées du rock'n'roll. Des fulgurances de tremblés de guitare sur l'anatole étoilée de Baby Blue, et une rapidité de frappe d'une exactitude extraordinaire sur Say Mama que tout le monde reprend à tue-tête. Une espèce de transe chamanique avec Hervé qui relance du charbon dans la locomotive folle. L'on ne change pas une équipe qui change. La dream team de notre trio rock'n'roll passe aussitôt au Rock'n'roll Trio de Johnny Burnette dont elle interprète sans faillir trois – n'oubliez pas que nous sommes à Troyes - tempêtes souveraines, notamment un All By Myself digne de l'Anthologie Palatine. Remarquez que Fabien à la sono leur a concocté une réverbe digne du studio Sun, pour le rockabilly sauvages de nos poulets frits, c'est une aubaine qui ne se rate pas.

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    A ce moment-là, le délire règne en maître depuis longtemps dans la salle, Hervé à remisé sa big mama dans un coin, trop de monde autour des musiciens, l'a échangé contre sa basse électrique, n'empêche que l'espace que l'assistance lui concède est bien trop étroit pour se livrer à sa gymnastique habituelle, puisque l'horizontalité terrestre lui est interdite, il s'élèvera selon l'altitude ouranienne. Pour le troisième set Christophe survolté joue debout, Hervé s'empare du tabouret, se juge dessus en équilibre précaire, micro et basse en main, il aimerait aller encore plus haut, mais ses cheveux touchent au plafond, alors il cogne sa tête sur les lattes plastiques transversales, les déforme quelque peu, pris d'une rage de berserker il saute à terre se roule sur le plancher et cogne à plusieurs reprises sa tête sur le sol, s'écroule sur la batterie, imperturbable Thierry continue à battre l'infatigable tic-tac de la fin du monde...

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    Sont trempés, mouillés, éreintés, cassés comme des Héros revenant de la guerre de Troyes, embrassés, caressés, palpés, papouillés, remerciés, comme des Dieux qui ont permis la victoire. Dehors l'on n'en finit pas d'épiloguer... Une soirée dont on reparlera longtemps dans les chaumières. Merci à Béatrice la patronne !

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Eric Duchene )

    BRIAN JONES

    TRAGEDIE DU FONDATEUR DES ROLLING STONES

    JEREMY REED

    ( Talents Publishing / 2008 )

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    Brian Jones. Le brillant jaune. L'on ne voyait que lui sur les pochettes des Stones. Arborait une moue dédaigneuse, une mine mystérieuse, du genre, circulez il n'y a rien à voir, vous ne m'intéressez nullement. Oui mais les Stones, alors les EP's on se les passait et se les repassait, les boys on les reluquait un par un, et il faut le dire, je ne citerai pas de noms, il y en avait deux qui étaient franchement laids, les deux autres normaux, même que Jagger avait ce sourire idiot qui plaît aux filles – oui, on était jaloux – mais les quatre mousquetaires pouvaient se rhabiller dès que l'on dévisageait les photos, avec ses cheveux blonds, Brian était le mouton noir du lot, celui que l'on zieute en premier, les autre zigotos éclipsés, lui la face illuminante de la lune, les autres le côté même pas sombre, dont on ignore jusqu'à l'existence. On se demandait même ce qu'il faisait dans le groupe. Le gars inclassable, on sentait que l'on ne pouvait pas le reléguer au poste ridicule de guitariste rythmique derrière ce grand riffeur de Keith, d'instinct on comprenait que le rôle de second couteau n'était pas pour lui. C'est au fur et à mesure que les disques se succédaient que l'on a compris qu'il était comme ces troupes d'élite trop précieuses pour être stupidement exposées, que l'on n'engage au combat que lorsque leur présence est indispensable pour créer la victoire. Le spécialiste, celui que l'on appelait en dernier ressort ou plutôt qui se pointait sans préavis pour vous déballer la dernière invention dont personne n'avait jamais encore entendu parler. C'est quoi ce son ? C'est rien, c'est le dulcimer de Brian Jones, et celui-là qui fait mal aux oreilles ? Mais tu n'y connais rien, c'est le sitar de Brian Jones.

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    On en avait conclu que le Brian Jones c'était le couteau suisse des Rolling. Le voisin du dessus à qui vous téléphonez quand vous avez le robinet qui fuit. Au début, on ne savait même pas que c'était lui qui avait créé les Stones. D'emblée on avait décidé que c'était le Jagg, avec sa large bouche, c'était lui le patron. Devait savoir ouvrir sa grande gueule. Le Brian, même pas l'éminence grise, la jaune si vous voulez. Manque de chance, quand on a commencé à tout piger, d'étranges bruits ne cessaient de circuler, le Brian assommé par les drogues, un zombie qui n'arrivait même plus à se saper. Le dernier des journalistes rock qui se pointait à Londres ne manquait pas de raconter qu'il avait croisé Brian Jones complètement stoned, dans un état comateux, guirlandé comme un arbre de Noël... en plus le mec pas malin, Keith et Mick arrêtés par surprise par les flics, un scandale, l'on avait envie de prendre un fusil et de descendre dans la rue, mais quand deux jours plus tard, les pigs sont allés chez Brian, l'abruti, l'aurait pu s'en douter, l'aurait pu évacuer la came, un enfant de trois ans aurait compris... Quand les Stones l'ont débarqué du groupe, l'on n'était pas franchement contents, un peu comme quand le dentiste vous arrache une dent de sagesse, l'on y tenait tout de même à ce chicot pourrave, et aussi un sentiment d'innocence perdue, la sensation d'agissements pas très propres dans les coulisses, et puis une very big question primait : qui le remplacera ?

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    Jeremy Reed ne mange pas de ce pain-là. Certes dans la traduction française l'éditeur s'est débrouillé pour glisser dans le sous-titre la formule magique ( Rolling Stones ) celle qui fait vendre, mais le titre anglais est autrement évocateur, Brian Jones, The Last Decadent. Certes dans la bibliographie reedienne vous trouvez des ouvrages sur Scott Walker, Lou Reed, et le Brian Jones, mais c'est avant tout un littéraire. L'est arrivé au rock'n'roll par la poésie, l'a emprunté le chemin des similitudes, l'a tout de suite saisi le rapport entre le rock'n'roll et des gabarits comme Arthur Rimbaud, Lautréamont ou Jean Genet, tous les rockers ne sont pas obligatoirement dans un groupe de rock. Même qu'il y en avait déjà depuis des siècles que le rock n'existait pas encore.

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    Ceux qui s'attendent à tout savoir sur l'apport musical de Brian Jones aux Rolling Stones seront déçus. Jeremy Reed nous parle de Brian Jones, mais pas du tout expressément des Stones – de toutes les façons vous connaissez la saga dans ses moindres détails depuis longtemps – certes sans les Stones, Brian Jones n'existerait pas, mais il faut comprendre que le succès des Stones a agi comme un démultiplicateur sur l'âme de Brian. Le livre n'est pas à strictement parler une biographie de Brian Jones mais une étude de sa psyché. Que le lecteur ne s'étonne pas que dans le premier chapitre Jeremy s'attarde sur la personnalité de quelques empereurs romains, Héliogabale, Caligula, Néron. Le pouvoir absolu qu'ils détenaient leur a permis de vivre leurs phantasmes à fond. En pleine conscience. Z'ont joui sans entraves. L'ont payé cher, sous le couteau de leur propre garde, par exemple. Il est inutile de les condamner, ces figures historiques sont des loupes grossissantes qui nous permettent d'entrevoir ce que nous ferions placés en une même situation. Car ne nous faisons aucune illusion, nous ne sommes ni pires, ni meilleurs qu'eux. La gloire, l'adulation, l'argent ont permis à Brian Jones de vivre selon sa nature profonde. Certes l'idole d'or n'était pas un empereur romain, mais elle a eu l'opportunité de réaliser ses rêves et ses cauchemars selon un niveau très supérieur au péquin de base.

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    Un père rigoureux, un enfant rebelle. Vif, charmant, intelligent, doué, en ses débuts mais à l'adolescence tout part en vrille. Brian rejette tout en bloc. Il fera ce qu'il voudra. Tant pis si cela ne plaît pas aux autres. Des autres d'ailleurs, il s'en fout et contrefout. Turlupine à seize ans une copine enceinte, mais n'envisage point de réparer. Ce ne sera pas la dernière. Consomme et jette. Que la mijaurée se console comme elle veut et torche les fesses du bambino. Ce sera sa ligne de conduite. Affaire ancienne qui ne m'intéresse pas. J'ai autre chose à m'occuper. Pas joli-joli ? C'est ainsi, le grand jaunâtre fonctionne de cette manière, c'est du narcissisme pur, même pas pervers. L'est un Artiste, priorité absolue à son œuvre. Mon entourage humain relégué au dix-septième plan. Ses parents ne le supporteront plus, trouvera la porte fermée et ses valises devant.

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    Une terrible blessure narcissique qui ne fait que confirmer ce qu'il avait pressenti depuis toujours. L'était un cygne blanc engendré par des canards boiteux. Ne finira pas SDF, mais Rolling Stones. L'a l'arrogance naturelle. Supérieur ( pas du tout inconnu ) à tout le monde. L'a obligatoirement toujours raison. Au début c'est parfait, sa personnalité colle comme un gant à la morgue affichée par le groupe. Qu'on se le dise les Stones ne sont pas de gentils garçons. Le problème c'est Andrew Loog Oldham, Jagger et Richards, les trois zigotos aux dents longues voient plus loin, ne veulent pas répéter sempiternellement le blues tutélaire, veulent toucher un public encore plus vaste. Plus pop, plus rock. Brian met la main à la pâte mais suit en traînant la patte. Se sent dépossédé de la machine qu'il a créée.

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    L'alcool, la drogue l'aident à tenir, l'isolent aussi dans sa tour d'ivoire. L'a d'autres problèmes. Par exemple, n'a jamais aimé  la cohue des concerts, trop de violence, trop de vulgarité. Possède une sensibilité d'esthète. Un pur artiste baudelairien qui rêve de luxe, de calme, et de tranquillité. Sur scène ses tenues épousent la chatoyance du costume des toreros mais il éprouve l'impression très désagréable d'être le taureau promis à la mort... Et puis les filles surtout. Les consomme en grand nombre. Je te baise, je te jette. A part que plus le temps passe, plus ça dérape, les excitants modèrent ses envies, l'impuissance le guette. Mais c'est encore plus compliqué. Dans une fille il recherche son double, faut qu'elle soit blonde comme lui, mais peut-on se baiser soi-même, n'est-ce pas une sorte d'inceste métaphysique, n'est-ce pas s'abîmer soi-même lorsque l'on porte sexuellement atteinte à ce corps qui vous ressemble ? Brian se débat avec le mythe de l'androgynie. Jeremy Reed pousse l'analyse un peu plus loin. Brian baise les filles pour ne pas s'avouer son homosexualité, parfois il passe le gué, peut-être même avec Jagger, parfois non. Tout cela se passe dans la tête de Brian, mais dehors ce n'est guère mieux.

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    Les tenues vestimentaires de Brian sont extravagantes. Assortit les couleurs sauvagement. Sur scène, et dans la vie. Brian se met en danger, ce ne sont pas seulement des recherches costumières hors du commun, une tendance profonde saute aux yeux de ceux qui le croisent. Brian ne recherche pas l'excentricité, il se déguise pour s'habiller en fille. Une dizaine d'années plus tard Bowie jouera avec cette ambiguïté, mais au milieu des années soixante, les esprits frustes ne se gênent pour déclarer que Brian est un sale pédé, une tapette. Pour le moment il vit dans un milieu protégé...

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    Les amantes de Brian racontent qu'en fin de compte il ne se passe grand-chose dans les moments de tendresse. Donc peu de sexe, et absence de cerise sur le gâteau à pâte molle, aucune compensation : pas du tout de tendresse. Brian est trop prisonnier de lui-même pour entrer en communication avec autrui... La seule qu'il ait aimée s'avèrera être Anita Pallenberg. Emploient leur temps à se crier dessus. Crise perpétuelle. Elle finira par se maquer avec Keith... Le couple androgynique se rompt en deux et la moitié indispensable se détache de lui, non sans une cruelle perversité.

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    Pour Brian rien ne va plus. Se sent trahi par Keith et pas besoin d'être devin pour prévoir l'éjection finale. Sera viré en mars 1969 exactement. Pas de chance, c'est sur lui que les policiers s'acharnent puisque c'est le plus fragile. Les perquisitions n'arrêtent pas. Vit dans l'angoisse perpétuelle, tout se délite autour de lui. Perd toute confiance en lui-même, n'osait plus depuis longtemps présenter les morceaux qu'il composait...

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    Finit par arrêter les produits par peur de se retrouver en prison, se rattrape sur les sédatifs et l'alcool, mais l'est prêt à renaître, une super-groupe Jones-Lennon-Hendrix est envisagé... Le monde lui fait peur. Ne demanderait qu'à rester calfeutré chez lui, mais il n'est plus chez lui, des ouvriers se sont installés à demeure soi-disant pour quelques travaux qui n'en finissent plus, se fait voler, moquer et insulter, cela se termine mal, il est retrouvé mort dans sa piscine. Jeremy Reed assure et démontre que cette noyade est un assassinat. Témoignages des amis et déclarations des témoins et des acteurs de cette soirée funeste ne sont pas pris en compte par les policiers. Un bon Stone est un Stone mort. Avertissement sans frais à la jeunesse occidentale très remuante  en ces années de tumulte soixante-huitard. Un autre monde n'est pas possible.

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    Des effets de Brian tout a disparu. La maison a été pillée, ses collections d'antiquités envolées, ses vêtements ont été brûlés, ses instruments démolis, les bandes magnétiques probablement détruites car un demi-siècle plus tard aucun disque, aucun enregistrement sous tout autre support n'est encore réapparu. La mort de Brian n'a pas suffi, l'on a cherché à effacer ses traces, à détruire tout ce qu'il aimait, tout ce qu'il était. Une haine sans égale. Y aurait-il eu des commanditaires ? Jeremy Reed ne pose pas la question. La suggère. Sans aucune envie de s'y arrêter.

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    Reed ne se contente pas de l'aride exposé des faits. Elève le personnage de Brian Jones à la hauteur du mythe. Le compare souvent, citations à l'appui, à Oscar Wilde, ceux qui essaient de vivre loin du troupeau encourent la vindicte de leurs contemporains. Si Brian Jones ne s'est pratiquement exprimé que par la musique, Wilde avait les mots acerbes pour décrire le processus de destruction opérée par la société à l'encontre des personnalités rétives. Notre auteur puise d'autres exemples dans la littérature, évoque la théorie du bouc émissaire, et n'hésite pas à transformer le calvaire de Brian Jones en destin d'Orphée déchiré par les Ménades, peint son assassinat opéré par de frustes brutes affolées par le doute que l'homosexualité désignatoire de Brian soit à l'image de leurs propres désirs les plus profonds, comme une castration symbolique, rendant de ce fait le phantasme de l'androgynie définitivement irréalisable. La perfection n'est pas de ce monde.

    Un beau livre. Très littéraire. Une analyse de la notion de décadence qui ouvre des perspectives peu connues – pour nous les petits froggies - sur la littérature anglaise.

    Damie Chad.

    L'INFANTE DU ROCK

    ROMAIN SLOCOMBE

    ( Parigramme / Octobre 2009 )

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    Slocombe, c'est le genre de mec qui mâche des concombres en marchant sur les décombres de notre société. Déjà très jeune il tirait au Bazooka aux côtés de Kiki Picasso et de Philippe Manoeuvre. L'a des passe-temps agréables, il capture les jeunes japonaises au lasso, vous les ficelle à la manière des saucissons auvergnats et les prend en photo. Certains prétendent qu'il bande des cinés, et qu'il écrit des livres comme l'on va à confesse – vous noterez combien ce mot censé vous emmener à la contrition chrétienne contient les deux raies encastrables des deux plus ignominieux péchés de la chair - juste pour y jeter la gourme de son siècle. Bizarrement la première fois que j'ai lu un livre de Slocombe c'était un livre d'enfant de ma fille. Preuve qu'il doit rester une parcelle d'innocence dans son âme aussi noire que notre monde.

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    L'infante ( du rock ) c'est un peu l'arlésienne du récit. On ne la voit guère. L'encombre surtout le labyrinthe phantasmatique des désirs et des regrets du dénommé Glucose, le héros du livre. N'est pas au mieux lorsque le bouquin débute. Idem pour le terminus. All the good is gone et sa grande présence au monde est derrière lui. Depuis longtemps. Depuis vingt ans. L'a essayé une fois de renaître à lui-même, l'est parti au Japon, l'est revenu, peut-être que l'on ne vit qu'une fois après tout. Ensuite, juste une question de survie. Habite à Paris, publie des bouquins. Connaît encore du beau monde, mais l'on sent qu'il est un pré-hasbeen. Les heures de gloire et les années folles sont passées. L'a été le parolier des Mona Toys, dans les années quatre-vingts – perso je dirais que c'est un mélange de Lilli Drop, Taxi Girl, Rita Mitsouko, même si les Jouets de Mona paraissent plus sauvages – évidemment l'histoire se termine mal, drugs, rock and split... en plus Mona est retrouvée en très mauvais état. Assassinée. N'y a pas qu'une fille dans le roman, Glucose possède aussi un ami, Takao, un japonais qui l'initie aux combines du blanchiment d'argent. Un jeu dangereux.

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    Slocombe vous raconte tout ça. Déteste la ligne droite. Le chemin le plus court n'est pas le plus agréable. Le livre fonctionne à coups de flashbacks, un véritable dédale. Parfois il est écrit à la première personne, parfois à la troisième. Glucose court après sa jeunesse, et Mona dont il se murmure qu'elle est encore vivante. Dont il a été aussi l'amoureux transi. Peut-être aurait-il mieux fait de ne pas réveiller tous ses vieux souvenirs, à moins que ce soit le passé qui revienne demander des comptes...

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    Ce qui est sûr c'est qu'une fois que vous avez feuilleté le chapter one, vous tueriez votre mère pour savoir la fin. Salement bien combinée. Vous oblige à reconsidérer l'histoire depuis le début, ce n'est pas qu'un détail vous aurait échappé, c'est qu'il faut s'interroger sur la signification du bouquin. L'est un peu exigeant le Slocombe, en échange L'Infante du Rock vous fournit tout ce dont vous avez besoin pour vous pourlécher les babines : scènes choc, visions arty, des morts, du sexe, du sang, du fric, des silhouettes célèbres du tout-eighties-Paris-Rock, de la folie, du gore, de la littérature interlope, une dose de mélancolie, de la déprime, de la peur, du suspense...

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    Les critiques disent que c'est un roman policier, sous prétexte qu'il est publié dans la collection Noir 7.5. Romain Slocombe donne surtout l'impression d'avoir voulu écrire non pas sa biographie mais sa létagraphie. S'est aperçu que la relation de notre effacement du monde est le seul aspect de notre vie dont nous laissons, de gré ou de force, les autres se charger. Elle nous échappe, Slocombe a voulu remédier à cet état de fait. L'aurait pu se tirer une balle dans la tête, mais c'est une solution de facilité. S'est épargné aussi la vulgarité du testament, s'est comporté en grand seigneur, s'est construit un magnifique tombeau, le roman de sa vie rêvée, le relevé de tous les petits jolis cailloux qu'il a semés tout le long du chemin de ses opportunités existentielles, mais surtout l'orchestration magistrale de ce sentiment d'incomplétude qui nous poursuit depuis le premier jour où nous avons pris conscience que notre naissance au monde était aussi un cadeau mortel.

    Très beau roman. Très rock'n'roll. Un rockman gris.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

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    EPISODE 6 : SUR LA PISTE DU RENARD

    ( Splendido amoroso ) )

    Nous sommes entrés dans la cuisine. Le spectacle n'était guère ragoûtant. Cruchette expliqua :

      • J'allais plonger les frites dans la bassine, lorsque j'ai entendu du bruit du côté du vide-ordures, j'ai cru que c'était des rats qui remontaient le conduit, j'ai soulevé le couvercle, quelle horreur quand je l'ai aperçu, je n'ai même pas réfléchi, je lui ai versé l'huile bouillante sur la tête et maintenant il est mort, quelle calamité ! Dire que j'ai tué un homme !

    Sûr qu'il était bien mort, en un dernier effort le gars avait tenté de sortir du vide-ordures, mais la grande faucheuse l'en avait empêché, son torse dépassait, ses deux mains étaient crispées sur le rebord, l'était pas beau à voir, une atroce grimace de douleur dessinait un rictus démoniaque sur son visage, le plus hideux c'était ses yeux bleus grand-ouverts qui vous regardaient d'un air absent, tranchaient véritablement sur la peau de son visage rougie et desquamée par le liquide brûlant. Le Chef le repoussa dédaigneusement d'un grand coup de pied, l'on entendit son corps qui glissa durant quinze secondes dans le tuyau et très distinctement le splash terminal lorsqu'il s'écrasa tout en bas dans le local poubelle.

      • Pas de panique, ni de regret Cruchette, je l'ai reconnu, l'était de garde devant le bureau du Président lorsque j'ai été convoqué à l'Elysée pour la reformation du SSR, venait manifestement nous espionner, non seulement vous l'avez éliminé froidement, si j'ose dire, mais vous avez commis un véritable crime éthique, regardez, c'est écrit sur le bidon que vous avez versé dans la friteuse ''Pure huile d'olive vierge / Commerce Bio Ethique''.

      • Je me sens mieux, j'ai même une petite faim au fond de l'estomac, moi qui avais tellement envie de de manger des frites, tant pis, nous ouvrirons une boîte de conserve !

      • Que non Cruchette, vous avez besoin d'un petit remontant après de telles émotions, je vous invite au restaurant, vous et Molossa, je ne vois pas pourquoi cet innocent animal serait privé de ses trois habituels bifteks du soir sous prétexte que son maître doit se mettre immédiatement au boulot et nous présenter au retour un plan de récupération de la troisième cassette. Exécution immédiate !

      • Chef, vous êtes chou !

    UNE SOIREE BIEN REMPLIE

    La porte se referma et je restai seul. Pas pour très longtemps. Dix-sept secondes ne s'étaient pas écoulées lorsque le téléphone sonna.

      • Allo, je suis contente d'entendre votre voix Damie, c'est Claudine, je me suis rappelé d'un détail sûrement important pour votre enquête, la troisième copine son nom et son prénom m'échappent encore, pour la simple et bonne raison qu'elle se faisait appeler Darky. Mais ce n'est pas pour cela que je vous téléphone... Damie, depuis que je vous ai vu je ne peux plus dormir, je pense constamment à vous, vous n'imaginerez jamais ce que je fais le soir entre mes draps, je...

      • Les détails sont inutiles charmante Claudine, je connais tout cela, j'avoue humblement que toutes les filles que je rencontre subissent l'étrange attirance de mon magnétisme et...

      • Je m'en doute Damie, mais moi c'est différent, si vous le permettez je saute dans ma voiture, j'aimerais en discuter avec vous, ce soir même, Provins-Paris en une heure je peux être auprès de vous...

      • Excellente initiative Claudine, je me sens un peu délaissé ce soir, jusqu'à ma petite chienne qui est partie au restaurant et...

      • Damie, j'arrive, cette nuit I wana be your dog !

      • Je vous attends, Claudine.

    La soirée s'annonçait sous les meilleurs auspices. Ne me restait plus qu'à mettre au point le plan d'accès à la troisième cassette. Je ne doutais pas que mon intelligence phénoménale ne me trouvât en soixante minutes la solution. Je commençai par m'installer au bureau à la place du Chef, en la position du cowboy nonchalant communément surnommée les-pieds-sur-la-table, je poussai le vice jusqu'à puiser dans la réserve du Chef, rien à dire un Coronado au bec vous file un merveilleux portrait d'aventurier, restait maintenant à amorcer le fonctionnement de ma matière grise. Quels sont les faits bruts indubitables en notre possession, passons-les en revue, ce surnom de Darky, noir en langue bien de chez nous, procédons avec ordre et méthode, par association d'idées, nous sommes en France, à quels éléments pourrions-nous associer ce mot noir dans le rock français, qui sautent aux neurones immédiatement... je n'en vois que deux, le Noir c'est Noir de Johnny Hallyday, et Les Papillons Noirs de Bijou. J'exhalais paresseusement une bouffée de fumée de mon Coronado, passons au deuxième élément, Crocodile tuée un couteau plantée entre les omoplates, quand je pense que si elle avait survécu elle aussi aurait succombé à mon charme... ne nous égarons pas, Claudine en vie grâce à notre décisive intervention, j'aspirai la brûlante fumée de Coronado, si nous n'étions pas intervenus, elle serait morte, on l'aurait retrouvée le long poignard de l'ostrogoth planté entre ses épaules, épinglée comme un... papillon, non de Dieu tout s'éclaire, enfin une piste ! Le Chef lui-même n'a pas été capable d'un tel rapprochement déductif !

    C'est à ce moment-là que l'on frappa impatiemment à la porte. C'était Claudine, toute belle dans sa mini-jupe, j'admirai l'air ingénu avec lequel elle tenait sa petite culotte rose à la main.

      • Charmante parmi les charmantes, un aigle se lève dans mon cœur, remettez votre culotte, effacez cette moue de déception de votre mignon minois, ce soir je vous offre ce dont vous n'avez jamais osé rêver Claudine, rien de moins que la grande aventure !

      • Damie, je suis prête, je vous suivrai jusqu'au bout du monde !

    Elle ne croyait pas si bien bien dire.

    L'AVENTURE

      • Ecoutez-moi bien Claudine, nous allons jouer à un jeu rigolo, la chasse au renard. Tout à l'heure nous avons trouvé un espion dans le vide-ordures. Il est sûr qu'ils nous observent. Votre arrivée est une aubaine inestimable. S'ils ne nous voient pas ressortir, ils penseront à une partie de jambes en l'air. Nous laisserons la lumière allumée et nous descendrons les escaliers dans le noir. Au troisième étage nous emprunterons un deuxième escalier de service qui descend tout droit dans le sous-sol. J'ai repéré un passage pour les câbles électriques qui nous emmènera de l'autre côté de la rue dans l'immeuble d'en face. Nous aviserons alors.

    Cette première partie du plan s'est déroulée comme sur des roulettes. Plutôt agréable, le corps tremblant d'émotion de Claudine ventousé contre le mien. En chemin je ne vous cache pas que nous avons tendrement échangé quelques secrets que nous n'avions encore jamais révélés à quiconque :

      • Oh, ça sent mauvais ici !

      • Normal, nous traversons le local poubelle, chut !

      • Pouah ! C'est dégoûtant, j'ai marché sur un truc tout mou et gluant, un yaourt périmé je crois !

      • Mais non Claudine, c'est juste un cadavre !

      • Ah ! je préfère, je ne sais pas si vous êtes comme moi mais j'ai horreur des yoglourts bulgares avariés !

      • Moi aussi Claudine, ça me coupe l'appétit !

    Lorsque nous sommes parvenus dans le hall de l'immeuble d'en face, la chance nous a souri. Du monde entrait et sortait sans arrêt. Qui aurait pu se méfier de ce couple d'amoureux tendrement enlacés qui longeait le trottoir en direction de la teuf-teuf ! Le fidèle véhicule nous attendait sagement. Mais elle n'était pas seule. Deux grosses berlines noires l'encadraient. Derrière les vitres teintées l'on devinait dans chacune d'elle quatre gros malabars... L'on est tranquillement passés à côté en se bécotant à qui mieux-mieux. Par chance Claudine n'avait pas trouvé une place de stationnement dans la rue du SSR. S'était tapée un bon kilomètre de marche à pieds pour me rendre visite. On a récupéré son véhicule et l'on est allé se garer discrètement derrière une camionnette. De là nous apercevions les deux grosses limousines noires. Deux heures s'écoulèrent dans une attente interminable. Soudain, les deux voitures noires s'ébranlèrent. Devaient être convaincus que nous passerions la nuit au lit. La chasse au renard commençait...

    Les suivre n'était guère difficile. Elles roulaient assez lentement, nous faisions attention à ce que d'autre véhicules vinssent s'intercaler entre elles et nous. Très vite nous acquîmes la conviction qu'elles empruntaient les rues un peu à hasard, un coup à droite, un coup à gauche, un coup à droite, un coup à gauche, sans fin...

      • Damie tu es sûr qu'ils ne nous ont pas repérés ?

      • Non si c'était le cas, elles se seraient débrouillées pour nous encadrer, une devant, une derrière, c'est leur tactique

      • Mais enfin Damie, on dirait qu'ils ne s'éloignent pas trop de là où ils sont, je n'y comprends rien.

      • Vous êtes une fine observatrice Claudinette, vous avez parfaitement raison, ils restent toujours dans les mêmes parages.

      • Mais pourquoi mon Damissou chéri ?

      • Ils attendent le feu vert.

      • Damie ne dis pas n'importe quoi, il n'y a pratiquement pas de feux dans cette zone !

      • Vous vous méprenez Claudine, ils attendent qu'on leur communique le top départ de leur intervention.

      • Damie la vie avec toi est vraiment palpitante ! Mais je me demande vers quel endroit ils se dirigent.

      • Ça c'est facile, j'y parierai un million de dollars contre votre petite culotte, !

      • Damie, ne me fais pas languir, voici ma petite culotte, dis-moi où ils vont !

      • A Montreuil.

      • Pourquoi à Montreuil, comment le sais-tu ?

      • Une évidence Claudine, Montreuil, la cité rock'n'roll !

    Quelques minutes plus tard nous tournions dans le dédale des ruelles du bas-Montreuil, nous redoublâmes de précaution, après la zone pavillonnaire, nous abordâmes un no man's land, ambiance glauque et morbide... ils roulaient si lentement que nous dûmes abandonner la voiture. Nous les suivions de loin, nous coupions au travers de terrains en friches pour ne pas les perdre. Nous étions derrière une palissade lorsque les portes de voitures claquèrent. Par le trou d'une planche pourrie je glissai un œil dans le gouffre d'ombre devant nous.

      • Que vois-tu Damie ? me susurra Claudine dans le creux de l'oreille

      • Sont tous les huit, en groupe, au bout de la rue, j'aperçois la devanture d'un hôtel borgne, tout près, il y une espèce de mendiant enroulé dans des couvertures, avec un chien, ils passent devant lui, il y en a un qui lui lance quelque chose, une pièce sans doute, le mendigot leur fait un signe, ils rentrent dans l'hôtel. Claudine, c'est l'occasion idéale, vous restez sagement ici, je vais m'approcher, dans un premier temps j'élimine le mendiant, c'est le guetteur, dans un second je les piège dans leurs terrier !

      • Damie, tu es un héros !

    Je n'étais plus qu'une ombre dans la nuit. Sans bruit je m'avançais vers la sentinelle. L'idiot relâchait sa surveillance, il regardait du côté de la porte par où était entré le commando. Le chien dormait. J'étais assez prêt pour apercevoir ses longues oreilles de bâtard pustulées. Je n'étais plus qu'à cinq mètres, j'assurais mon poignard dans la main, je me répétais la scène mentalement, un coup de dague sur le cabot et dans le quart de seconde qui suit saisir le gars par derrière et lui trancher la carotide d'un coup sec, un, deux, trois, je bondis tel un tigre sur mes proies, mais je n'eus pas le temps de réaliser mon exploit, alors que tel l'aigle qui s'abat du haut du ciel sur la marmotte innocente...

      • Agent Chad, il vous en a fallu du temps pour arriver !

    Dans le même moment Molossa remua la queue et se débarrassa de ses longues oreilles de carton.

    ( à suivre )

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 215 = KR'TNT ! 334 : BRIAN JONES / GODFATHERS / IRMINSUL / OCEAN + DIABOLO / HOT CHICKENS / NATCHEZ / BLOUSONS NOIRS / JOE HILL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 334

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    22 / 06 / 2017

    BRIAN JONES / GODFATHERS

    IRMINSUL / OCEAN + DIABOLO

    HOT CHICKENS / NATCHEZ

    BLOUSONS NOIRS / JOE HILL

     Morrocan Roll

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    En feuilletant le numéro de mai d’Uncut, on tombe à un moment sur une double fantastique : un certain Peter Watts titre son article «The Marrakesh Express» et publie en vis-vis une photo de Brian Jones et d’Anita Pallenberg prise sur un toit marocain par Cecil Beaton. Il n’en faut pas davantage pour sombrer aussi sec corps et biens dans un délicieux gouffre mythologique.

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    Marrakech, ville magique entre toutes, et son Grand Hôtel Tazi situé à l’entrée de la médina, un lieu hors du temps où rôdent des parfums de coriandre et les derniers globe-trotters décadents, tout ça dans une fabuleuse ambiance de palace d’avant-guerre délibérément non entretenu. On trouvait au premier étage de cet hôtel extravagant une piscine décatie et bien sûr, dans les chambres, la robinetterie ne fonctionnait pas. Pour s’endormir, il fallait soit fumer du kif, soit siffler le bourbon d’un flasque qu’on avait planqué dans la trousse à pharmacie. Soit les deux. Dans ces chambres immenses, il faisait une chaleur à crever. C’est là que j’entrepris de réécouter Exile On Main Street. Je n’avais emmené qu’une seule cassette, celle-là. Je voulais donner une dernière chance à cet album que je n’aimais pas, sans doute parce que Brian Jones n’y jouait pas. Et le meilleur endroit pour écouter cet album ne pouvait être que Marrakech.

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    En découvrant cette ville fantastique, je crus me rapprocher de Brian Jones qui fut lui aussi fasciné par ce pays, par cette lumière, par cet art de vivre et par les sourires des Marocains. Brian Jones n’allait pas au Maroc pour les mêmes raisons qu’André Gide ou Truman Capote. La première fois qu’il mit les pieds à Tanger, il comprit qu’il entrait dans un monde inconnu. C’est exactement ce qu’on ressent quand on débarque au Maroc pour la première fois, à condition bien sûr d’éviter soigneusement les circuits touristiques. Brian Jones alla donc s’enivrer de cette culture marocaine dont on n’imagine pas la richesse. Elle le fascina tant qu’il finit par demander au designer Christopher Gibbs de transformer son intérieur londonien en palais marocain, avec des objets achetés dans le souk.
    Graham Nash visita le Maroc en 1966, comme il le raconte dans son recueil de mémoires, Wild Tales - A Rock & Roll Life. Il arriva à Casablanca et prit un tain pour Marrakech. L’ambiance à bord du train l’enthousiasma tant et si bien qu’il composa une chanson qui allait être le premier d’une longue série de hits pour Crosby Stills & Nash, oui, le fameux «Marrakesh Express». Mais qu’allait faire un citoyen de Manchester au Maroc ? Il avait tout simplement découvert que les American Beats y avaient écrit des poèmes en fumant des tonnes de dope : ce sont les racines du mythe de Tanger, ville cosmopolite où séjournèrent des années durant des gens comme William Burroughs, Allen Ginsberg et bien sûr l’écrivain/compositeur Paul Bowles dont l’effarant The Sheltering Sky (plus connu sous le titre français Un Thé Au Sahara) fit autant de ravages dans les imaginaires du début des années soixante que le mythique On The Road de Jack Kerouac, un récit qui m’obséda tant qu’un jour je finis par en faire une bande dessinée de plusieurs centaines de pages. Les extravagants clients du Grand Hôtel Tazi semblaient sortir tout droit de ce chef-d’œuvre de l’errance qu’est le roman de Paul Bowles. J’en étais quasiment convaincu, ces clients - dont je faisais partie - échouaient au Maroc en quête d’on ne sait quoi et déambulaient sans but précis, comme perdus dans un décors de rêve. Je compris confusément qu’il s’agissait d’un mode de vie. Dans ce pays, on vit très bien avec très peu d’argent, il faut le savoir. L’aliénation sous le soleil du Maroc me paraissait même plus acceptable que l’aliénation sociale distillée par nos chers modèles urbains d’Occident. C’est en tous les cas ce qu’avait compris Paul Bowles, et ce qu’était probablement en passe de comprendre Brian Jones.
    Dans ses mémoires, Marianne Faithfull évoque aussi cette passion pour le Maroc et les fêtes de la Getty House, où tout le monde se dopait goulûment à la coke et à l’opium. De la même manière qu’Ike Turner, le milliardaire américain savait combler ses convives. Dans l’histoire des Stones, le Maroc joue un rôle crucial, car c’est là que se produisit la fracture entre Keith Richards et Brian Jones. Comme Anita ne supportait plus les crises de violence de Brian, elle mit les voiles avec Keith. Un an plus tard, pour les besoins du film de Donald Cammell, Performance, Anita se retrouvait à poil avec Jagger dans un grand lit ramené du Maroc, et pendant que Keith sombrait à son tour dans les affres du ressentiment, Brian retournait au Maroc se réfugier dans les montagnes du Rif, célèbres pour avoir abrité Abdelkrim, l’un des derniers grands résistants marocains, ceux qui rejetèrent toute espèce de colonialisme, que ce soit celui des Espagnols où du protectorat larvaire des Français. Grâce à ce voyage dans le Rif, Brian allait entrer dans SA postérité, en y enregistrant the Master Musicians of Joujouka, un enregistrement qui allait par la suite fasciner des gens comme Ornette Coleman et Timothy Leary. Il fut accompagné dans ce raid par Brion Gysin, l’American Beat ami de William Burroughs. Marianne qui dans ses mémoires évoque le souvenir de Brian Jones en des termes admirables nous explique que Brian cherchait alors désespérément à combler le vide béant généré par la fin des Stones, SON groupe. Joujouka représentait à ses yeux une belle équivalence, au moins au plan spirituel. Marianne clôt le chapitre en affirmant que Joujouka est l’un des disques les plus intéressants de cette époque. C’est vrai, ce disque était infiniment plus beau que ceux du Grateful Dead dont tout le monde raffolait à l’époque. L’album parut après la mort de Brian. William Burroughs qualifia the Masters Musicians of Joujouka de plus vieux rock’n’roll band du monde. Il est bon de rappeler que cette musique date de 4.000 ans. Ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, le North Mississippi Hill Country Blues de Junior Kimbrough et les Fife & Drums d’Otha Turner qui eux aussi remontent à 4.000 ans.
    Strong stuff, disent les Anglais quand ils parlent de la musique et des drogues marocaines. On voit encore des Anglais dans le haut Atlas, en été, notamment au camp de base du Toubkal qui est le point culminant de la chaîne. Une fois qu’on est arrivé au camp de base, l’ascension se fait dans la journée, à condition de partir juste avant le lever du jour. Les gens viennent du monde entier pour ça. Ces grimpeurs de fortune ne sont pas déguisés comme ceux qu’on voit dans les films d’aventures en haute montagne : ceux-là parlent anglais, ils portent des shorts et des vieux T-shirt dévorés par ces bestioles qui pullulent dans l’eau des cascades. Le haut Atlas est l’une des régions montagneuses les plus difficiles au monde. Strong stuff. Les dénivelés sont tellement violents qu’ils vous ruinent les genoux en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Et les villageois qui font partie des gens les plus pauvres du monde vous reçoivent comme des princes. Si vous voyagez dans ce coin-là, recrutez un guide au Grand Hôtel Tazi, car il vous faut un montagnard berbère si vous voulez vraiment entrer dans la magie de l’Atlas. Avec un peu de chance, vous tomberez sur un guide qui est aussi musicien, et qui, si vous avez vraiment beaucoup de chance, deviendra votre ami. Et chaque soir, au bivouac, ce guide et son cuisinier vous apprendront des chansons berbères en s’accompagnant au tambour, ce tambour qui ressemble à une grande boîte à camembert et qu’on tient à la verticale par le pouce de la main droite et qu’on frappe du plat de la paume de la main gauche. Essayez d’en jouer, vous verrez, ce n’est pas facile. Strong stuff. Mais on découvre une chose faramineuse : plus besoin de guitares électriques ni de micros pour faire de la musique rythmée. Trois tambours berbères suffisent à mettre un public en transe. C’est ce qu’avait découvert Brian Jones, et avant lui Paul Bowles, qui fut le premier à enregistrer les musiciens berbères. C’est que je découvris bien plus tard dans le haut Atlas. C’est ce que montre Tony Gatlif dans son film Exils : la transe. Le mystérieux secret de la transe. Strong stuff. Cette hypno que pratiquait aussi Jaki Leibevitz, le batteur de Can aujourd’hui disparu. Dans certains villages de l’Atlas, on peut assister à des fêtes qui durent des heures, avec non seulement les tambours berbères mais on voit surtout des musiciens jouer sur des instruments à cordes venus du fond des âges et ça tourne au psychédélisme primitif, oh pas celui de «Kashmir», quelque chose de beaucoup plus violent et ancien. Un son qu’on retrouve sur l’album Diwân de Rachid Taha, the unbelievable loud hypnotic sound of it all. John Bonham et Jimmy Page peuvent retourner au vestiaire. Quand on se retrouve face à des musiciens berbères du haut Atlas, on ne s’embarrasse plus de gadgets. En plus, ces gens-là jouent POUR vous et c’est gratuit.
    Sex and drugs and rock’n’roll ? Il semble que le Maroc ait été le pays pionnier en la matière, puisque des homosexuels occidentaux célèbres comme Joe Orton et William Burroughs s’y fournissaient en viande fraîche, au vu et au su de tout le monde. Quant aux drogues, attention, plus rien à voir avec cette misérable barrette qu’on achète à Jo la casquette, au coin de la rue Myrha. Fumer du kif et s’engouffrer dans la médina de Marrakech, c’est une façon d’entrer au paradis. Où mieux encore, avaler du majoun et traverser les jardins d’Allah, entre Ouarzazate et la frontière algérienne, c’est une façon d’aller se balader sur une planète inconnue. Tout y est poussé à l’extrême, la lumière, les parfums, c’est une expérience purement rimbaldienne, au sens du bouleversement, évidemment. On ne rêve plus que d’une chose quand on rentre en France : y retourner.
    Si les Stones débarquèrent au Maroc en 1967, ce n’était pas uniquement par curiosité intellectuelle. Après la descente de police chez Keith Richards à Redlands, on leur conseilla de prendre le large pendant quelques temps. Jagger, Robert Fraser, le photographe Michael Cooper et Marianne prirent l’avion, pendant que Keef, Brian et Anita traversaient la France et l’Espagne en Bentley. Pendant le voyage, Brian chopa une pneumonie et dut quitter l’expédition le temps de se faire soigner, laissant Keef et Anita seuls. Fatale erreur. Après un séjour à Tanger, Keef et Anita s’installèrent à Marrakech, où Brian les rejoignit. Il faut dire qu’Anita savait se montrer irrésistible. Marianne pense que Keef était depuis longtemps amoureux d’elle. C’est à Marrakech qu’Anita demanda au preux chevalier Keef de la protéger du méchant Brian et de ses crises de violence, scellant par là le destin des Stones. Les histoires de cul occasionnent des dégâts irréparables dans les groupes. Pendant ce temps, Jagger posait pour des photographes au bord des piscines. Aux yeux de Cecil Beaton qui s’intéressait de près à la jet set, Jagger paraissait complètement asexué. La même année, John Lennon débarqua à Marrakech pour le réveillon du jour de l’an, invité par Paul et Talitha Getty. Le couple de milliardaires donnait une fête dans sa résidence princière qui était décorée comme un palais marocain. Comme tout le monde était défoncé, peu de gens parlaient. John Lennon passa le réveillon au sol, sur le dos, incapable de se relever. Strong stuff. Le règne du Getty palace prit fin en 1971 avec la mort de Talitha Getty, des suites d’une overdose, cela va de soi.
    Chez les excentriques, la cote du Maroc chuta d’un coup. L’Afghanistan devint la nouvelle destination de rêve, offrant un cocktail de mystère, d’exotisme et de décadence légèrement différent.


    Signé : Cazengler, marrakoche


    Uncut #240 - May 2017. Peter Watts : The Marrakesh Express

     

    Ça cogne avec les frères Coyne - Part Three

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    Il est rare que Peter Coyne, le dernier Godfather du milieu londonien, accorde une interview. Les veinards de Vive le Rock viennent d’obtenir son accord et Eugene Butcher confie la délicate mission d’aller interviewer l’éminent personnage à James Sharples, l’un de ses meilleurs limiers.

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    Pour entrer dans l’immeuble, James doit montrer patte blanche. Il subit une première fouille dans le hall d’entrée et un gorille l’escorte jusqu’au premier étage. Arrivé à la porte du bureau de Peter Coyne, un autre gorille palpe soigneusement les doublures des vêtements de James, s’excuse de lui tâter l’entre-jambe, lui fait ouvrir la bouche pour l’inspecter avec une petite lampe torche. Il vérifie son calepin et son crayon, puis il frappe trois coups bien secs à la porte et le fait entrer :
    — Il est réglo, patlon !
    Une lumière argentée entre à flots dans l’immense pièce. Installé derrière un bureau empire, Peter Coyne tend la main pour désigner un siège en vis-à-vis. Il reste de marbre. Cet homme ne sourit jamais. Le gorille referme soigneusement la porte derrière James qui traverse la pièce jusqu’au siège. L’épaisse moquette absorbe le bruit de ses pas. Il ne se sent pas très à l’aise dans ce silence de mort, face à cet homme qui l’examine, les yeux mi-clos. Au moins, se dit-il, Don Corleone était plus convivial. Il savait accueillir les journalistes.
    James se racle la gorge et bredouille :
    — Merci de m’accorder un peu de votre temps, Don Coyne.
    Peter Coyne ne répond pas. D’un geste, il lui fait signe de poursuivre. James sort son calepin et un crayon gras. Il mouille la mine et pose sa première question :
    — Comment avez-vous démarré votre carrière ?
    — Pour être tout à fait honnête avec toi, je suppose que j’ai dû voir les Beatles à la télé quand j’étais môme. J’ai dû aussi écouter leurs disques sur un vieux crin-crin. Les Beatles n’étaient pas seulement un groupe, ils faisaient partie de la famille, tu me suis ? Ils savaient tout faire, du rock, du psyché, du folk, des balades, de l’expérimental, tout, absolument tout. Je les adore. Ils étaient magiques. J’étais dingue de «Ticket To Ride», dingue, mec ! T’entendais ça à la radio et ta frangine te ramenait le disque à la maison. On les voyait tout le temps à la télé.
    — Qu’est-ce que ce métier représente pour vous ?
    — Je me sens vivant. J’adore ce métier. Depuis le début, je pousse mon équipe. C’est notre raison d’être, on fabrique notre propre magie. Je suis assez fier de ce qu’on a accompli, on a commencé comme une équipe de vrais durs, il n’y en avait pas des tonnes à l’époque, en Angleterre. On a toujours su montrer notre vrai visage. C’est très important si tu veux rester fidèle à tes idéaux, mec !
    — Comment fonctionne le groupe ?
    — Pour être tout à fait honnête avec toi, j’y connais rien. Dans l’équipe, t’as toujours quelqu’un qui t’amène une idée. Ça part comme ça et j’écris des paroles. Voilà, c’est comme ça qu’on fonctionne dans l’équipe. J’ai toujours eu un faible pour le psyché et voilà pourquoi on a fait «When Am I Coming Down». J’adore le psyché depuis que je suis môme. Mais on reste carrés, car après, il faut partir en tournée, et ton psyché, il a intérêt à tenir la route, mec !
    — Comment savez-vous que ce que vous faites est bien ?
    — Quand un truc est carré, on le sent. Si un truc n’est pas carré, on le remet au carré vite fait. Ça fait partie du business, tu piges ?
    — Avez-vous le sentiment d’évoluer ?
    — Absolument. J’ai commencé comme toi, pigiste pour Record Mirror et ZigZag, et je n’étais jamais monté au créneau. Pour être tout à fait honnête avec toi, je suis un mec très timide. Mais devant un public, t’as intérêt à assurer. C’est ça qui t’oblige à évoluer. Si je ne souris jamais devant un public, c’est parce que je me concentre. C’est un business sérieux, pas de la rigolade. Je reste concentré à 100%. Voilà, c’est facile à comprendre. Les gens disent : «Fucking hell, ce mec a une gueule de tueur !». Ça me va, d’autant plus qu’on s’appelle les Godfathers, mec !
    — Est-ce que votre façon d’écrire évolue ?
    — Je vais te donner un exemple : un journaliste m’a demandé de lui décrire le son des Godfathers. Je lui ai répondu : a big bad beautiful noise. Quand j’ai lu l’interview dans le canard, cette expression que j’avais utilisée spontanément m’a sauté à la gueule. Je la trouvais excellente. Je devais donc l’utiliser, en faire un titre. C’est parti de là, j’ai eu l’air en tête, c’est devenu un cut de cat qui parle de désordre social et de rébellion. Là-dedans, je dis : «Started shooting the politicians round about quarter to nine», ce qui veut dire que j’ai commencé à buter ces bibards de politicards vers neuf heures moins le quart, et je peux te dire en prime que certains politicards méritent de se faire fumer et c’est pas moi qui irai chialer sur leurs tombes, tu peux en être sûr ! Voilà, c’est un exemple. Comme je lis des tas de canards, j’ai des tas d’idées. J’écoute aussi ce que les gens racontent. En plus, je suis un teevee junkie, je vois des caisses et des caisses d’infos télévisées. Il y a toujours une info qui va te sauter à la gueule. Tiens comme ces titres dans la presse : «Un million de mères de familles sont accro au valium», ou encore «Une génération entière élevée dans la pauvreté», ou tiens, cette pure merveille : «Nous vivons tous dans un système économique truqué». J’ai récupéré tous ces titres pour en faire des textes. J’ai injecté tous ces titres dans les Godfathers ! Ah tu parles d’un shoot, mec !
    — Est-ce important pour vous de continuer à évoluer ?
    — Oui. Je suis fier de notre passé, mais je ne veux pas qu’on s’endorme sur nos lauriers. L’album le plus important des Godfathers est toujours le prochain. On ne s’intéresse qu’à ce qui se passe autour de nous. On peut toujours faire plus, et mieux. C’est ma conviction. Dans l’équipe, j’ai maintenant Steve et Mauro aux guitares, Tim au beurre et Birchy au bassmatic. On crache des flammes. C’est ça que tu entends sur Big Bad Beautiful Noise, et sur scène, on crache le feu tous les soirs. On voulait faire un truc qui casse la baraque, alors on l’a fait. On ne veut pas faire une resucée de More Songs About Love And Hate. On veut faite une truc aussi bon, mais différent, tu me suis ? Pour moi, chaque album est une aventure sonique et on veut embarquer les gens dans cette aventure. Tous les cuts de Big Bad Beautiful Noise sont bons ! - All killer and no filler ! - C’est notre meilleur coup, kid ! J’en suis extrêmement fier ! On est tellement contents de faire la tournée des grands ducs avec ce truc. L’année prochaine, on envisage de ne jouer que les cuts de Big Bad Beautiful Noise en première partie, puis faire un break d’une demi-heure, le temps de passer une chemise fraîche et remonter sur scène pour jouer les autres cuts.

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    Miraculeusement, les Godfathers jouent au Havre par ce joli soir de mars. Les paroles de Peter Coyne résonnent encore dans les oreilles de James qu’on a envoyé en mission pour couvrir l’événement. Ce petit bar paumé dans une zone industrielle est l’endroit idéal pour le concert d’un groupe aussi mal famé que les Godfathers. Et bien sûr, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, Peter Coyne et son équipe transforment la petite salle en étuve. C’est même stupide d’écrire une telle chose, car comment pourrait-il en être autrement ?

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    Avant même que Peter Coyne n’ait ouvert le bec, on sait que va s’abattre sur la salle un déluge de son, on sait qu’une tornade va tout balayer, on sait que le cœur du rock va battre la chamade, car enfin, il n’existe pas beaucoup de groupes d’un tel niveau, d’une telle intensité, d’un classicisme aussi déterminant. C’est justement ce classicisme qui fait la force des Godfathers. Ils se comportent ni plus ni moins comme les gardiens du temple, mais pas n’importe quel temple, celui du rock anglais.

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    Alors ils continuent, envers et contre tout, et c’est précisément cette détermination qui fait leur grandeur. Un set des Godfathers reste captivant de bout en bout, Peter Coyne n’en finit plus de rappeler que le rock anglais est un serious business et derrière lui, l’implacable Tim Jones enfonce ses clous et rive son beat à longueur de set. Sur scène, ça gigote dans tous les coins.

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    On sent le Heartbreaker chez ce diable de Mauro Venegas qui n’en finit plus de voler le show. Birchy a remplacé Chris, le frère de Peter Coyne, c’est un peu dommage, mais finalement, le groupe y retrouve son compte, niveau stature.

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    Leur nouvel album A Big Bad Beautiful Noise fait partie de ce qu’on entendra de mieux cette année, à condition bien sûr de savoir apprécier le rock à guitares. Le morceau titre sonne comme une énormité rampante, c’est excellent, amené au push around no more, c’est même un véritable chef-d’œuvre de menace urbaine. Voilà un cut extrêmement tendu et bardé de climats terribles. Peter Coyne et son gang restent dans l’énormité pour «Till My Heart Stops Beating», un cut doté d’une belle attaque frontale, clamée à la clameur d’un riff. Le pouls du rock anglais bat ici très fort. Franchement, c’est digne des grands hits anglais des seventies. Ils tapent «Miss America» aux wooo-wooo énervés - Oh Miss America, you came down on me - et ils enchaînent avec un bash-boomer intitulé «Defibrillator», une nouvelle abomination transpercée de part en part par un solo dévastateur. On assiste là à la résurgence de la jouvence. Peter Coyne connaît tous les secrets du rock anglais. Et puis on tombe plus loin sur «Feedbacking» claqué aux pires accords de Rule Britania. Comme Jim Jones, Peter Coyne continue de faire son truc, envers et contre tout. Voilà encore un hit underground claqué à la cloche de bois, une pure merveille stompique. Ils redoublent de puissance pour un «Let’s Get Higher» monté sur un beat qu’il faut bien qualifier de démentoïde et ravagé par des laves de solotage. Ils se situent une fois de plus en dehors du commun des mortels et un vent mauvais balaye leur blast. On se régalera aussi de «Poor Boy’s Son», Peter Coyne y fait son glamster sur un riff d’une rare violence. N’oublions pas qu’ils reprenaient «Cold Turkey». Ils se payent même le luxe d’un balladif sixties avec «One Good Reason». Peter Coyne s’y érige en gardien du temple et les deux grands guitaristes qui l’accompagnent s’en donnent à cœur joie : wha-wha et zyvaterie. Ils terminent cet excellent album avec «You And Me Against The World» et nous plongent dans une fantastique ambiance ambiancière. Ces gens-là créent la sensation et redonnent au rock anglais son caractère excitant. Rien d’aussi mightyque que les mighty Godfathers.

    Signé : Cazengler, Godmiché


    Godfathers. L’Escale. Le Havre (76). 9 mars 2017
    Godfathers. A Big Bad Beautiful Noise. Godfathers Recordings 2017
    Come Together, interview de Peter Coyne. Vive Le Rock #42

     

    16 / 06 / 2017LA DAME DE CANTON
    IRMINSOUL / OCEAN

    La voix d'Hubert Bonnard au téléphone, impérative qui me charge d'une double mission – apparemment le sort de l'humanité en dépend – cliquer J'aime sur l'annonce du concert d'Océan, et me porter volontaire pour le concert d'Océan. Je connais l'Atlantique et le Pacifique mais même au fin-fond des mémorielles profondeurs abyssales de mon cerveau, aucun souvenir de ce groupe irremplaçable, Hubert me file les élémentaires informations de base, créé en 1974, quatre albums, première partie d'AC / DC et d'Iron Maiden, dissous et dernièrement reformé, le combo qui dans sa jeunesse l'a rattaché au continent rock, et j'oserais ne pas être là, inadmissible ! Bref ce vendredi soir je monte à l'abordage de la Dame de Canton mince jonque noire amarrée au quai de la Seine, tout près du ministère des finances publiques, destinées à alimenter à flots continus les caisses des entreprises privées...
    N'oncques donc à donf mon oncle sur la jonque, un peu étroite, resto à gogo pour bobos à fond de cale, scène peu ou prou resserrée à la proue de l'entrepont, l'est temps que l'on largue les amarres grand largue, cap rock'n'roll !

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    Avec son look de pirate de haute-mer
    Du rideau noir à moitié recouvert
    A chacun des deux groupes, Hubert
    Se fendra d'une présentation en vers !

    IRMINSUL

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    Irminsul, le frêne sacré, aux ramures ygdrasillèennes, pousse encore ses païennes racines dans l'imaginaire culturel du hard-rock... Power trio classique. Avons eu le plaisir d'assister au réglage de la sono, pas mal du tout, mais rien à voir avec ce qu'ils nous présentent maintenant, se sont retenus, les bougres. L'on ne voit de lui que ses cheveux longs qui pendent de son foulard de forban qui lui couvre la tête mais c'est lui Guillaume Chedeville qui catapulte la machine.

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    Une frappe punchy de roulements incessants, en voici un qui ne laisse ni un fût ni une cymbale inactives, pas une seconde de répit, il pousse sans arrêt, à croire qu'il fait la course avec ses deux acolytes pour être toujours devant. L'on a l'impression qu'il cherche à les déborder, à les recouvrir, à les submerger, à les rouler dans l'écume impétueuse de sa frappe de forgeron. Le problème – en fait c'est la solution - c'est que les deux autres ne se laissent pas faire.

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    Il paraît que Pascal Borniche est à la basse. Même qu'il répond au fonctionnel surnom qualificatif de Bassman, pieux mensonge, ne le croyez pas. Monstrueux – non damoiselles je n'évoque point son physique – mais son soi-disant jeu de basse. En use, en abuse, comme d'une lead guitar, derrière Chefdeville peut chauffer le métal à blanc dans la fournaise de sa batterie, Borniche se charge de le découper au chalumeau, vous dessine des formes inattendues, vous sculpte la matière brute, lui donne sens, vous la malmène sans pitié, n'a vraisemblablement jamais entendu parler d'accompagnement rythmique, lui il crée, il insuffle, il délimite, il dessine, il trace des géométries abracadabrantes dans l'espace sonore, vous prend le son, le féconde, et donne vie à la matière noire drumique.

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    S'appelle aussi Guillaume. Coulon. Avec ses longs cheveux blonds et sa guitare verdâtre l'est beau comme un chef viking qui mène l'abordage à l'avant de son drakkar. De l'allure, de la prestance, du charisme, un sourire ravageur à faire fondre la banquise, une voix claire et puissante, officie au chant et à la rifferie. Un sacré ciseleur. Vous chrome les riffs, les ruisselle d'or et d'argent, se charge des cannelures de bronze et des motifs d'airain, opère à chaud, directement sur le magma liquide que lui servent sans retenue les deux autres bersekers. Encore un qui a tout compris. C'est le troisième dans le groupe. S'appuient sur le hard des années soixante-dix et réalisent un subtil alliage qui va de Led Zeppelin à Metallica, à part qu'ils ont bien intuité qu'entre inspiration créatrice et copie servile, l'existe un monde. Z'ont fait le bon choix.

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    Détail. De ceux qui permettent de confondre l'assassin ou de débusquer l'alien qui se cache sous l'apparence humaine. Guillaume chante en français, vous plie l'idiome national à sa fantaisie, le fait sonner et klaxonner sans complexe. Un set qui aurait pu être bien plus long. Seulement huit morceaux, huit épées imparables forgées par Wotan, de celles infaillibles qui servent à terrasser les dragons maléfiques qui squattent les antres les plus obscurs de votre âme périmée, aux titres talismans comme Les Oubliés des Dieux, Rumeurs, Divine ( porte bien son nom )... Finissent sur J'en reste là. Le seul défaut du set. Auraient dû continuer.

    OCEAN

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    Un peu à l'étroit tout de même. Difficile de faire rentrer quatre gaillards et l'Océan en entier dans la minuscule fiole de cette scène. Surtout dommage pour Steph el cantaor dont le jeu de scène aurait mérité quelques mètres carrés supplémentaires. Mais ne nous plaignons pas. Difficile de rester debout devant l'estrade, les fans ont répondu en masse, jamais vu autant d'appareils photos, de portables et de caméras devant un groupe... Mais sans doute avez-vous envie d'entendre le moutonnement infini des vagues qui viennent se briser sur le rivage.

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    Très simple. Quand vous avez la Gibson, vous avez le son. Or Georges Bodossian possède une Gibson. Avec quelques centaines de milliers d'autres dans le monde. Mais lui l'a compris le mode d'emploi sans avoir besoin de le lire. D'instinct. Facile, solo du début à la fin, en mode continu, ne pas s'intéresser aux camarades, suivront comme un seul homme. La guitare est une torche vivante, porte le feu partout où elle passe, suffit de se maintenir dans son sillage pour être au coeur du carnage. Qui saurait résister à une telle invitation ! Georges Bodossian, c'est à lui tout seul l'armée d'Alexandre incendiant les palais somptueux de Persépolis, just for fun, bonnes âmes ne criez pas au crime, le rock'n'roll est une musique dévastatrice, c'est sa nature profonde, son pédigrée ontologique aurait dit Diogène le Cynique.

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    N'est pas tout seul non plus. Les malandrins se regroupent facilement par bandes. Derrière lui Alain Gouillard multiplie les pulsations de ses fûts. Avec le train d'enfer qu'inflige Bodossian, n'a pas le temps de bayer aux corneilles, combien de battements d'ailes sont-ils nécessaires au pétrel pour traverser l'océan tempétueux, hélas nous n'avons pas la réponse car nous n'avons pas eu le temps de les compter, vous assène à tout bout de houle de ces suites de cliquètements intempestifs exacerbés qui vous soufflètent l'esprit à satiété.
    Noël Albérol s'occupe de la basse, l'a l'air particulièrement aimé par les fans de la première heure qui n'arrêtent pas de l'appeler ou d'essayer de le toucher. L'aurait mérité que sa basse soit plus forte, l'est un peu trop mangée par les friselis de Bodossian, mais il donne l'assise terrestre nécessaire à tout déploiement océanique.

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    C'est à Steph Reb qu'échoit la redoutable tâche de chanteur. Je n'ai pas dit screamer, nous sommes dans un hard originaire qui martèle et détache plus qu'il ne hache les syllabes. En français, dans le texte. Ce qui est sûr c'est qu'il n'est pas le seul, la plus grande partie du public le suit, connaît les textes par coeur et sait très bien où il faut appuyer pour que cela fasse mal. Paroles sans ambiguïtés qui fleurent bon la révolte anarchisante des seventies, Aristo, A force de gueuler, Instinct Animal, Attention Contrôle, pas besoin d'une étude linguistique en douze points pour entendre le message, rajoutez-y une pointe rentre-dedans de machisme rock'n'rollienne avec des morceaux comme Qu'est-ce que tu dis ? Et Je Crois que tu Aimes ça... plus dans le rappel l'irruption de la camarde avec C'est la Fin et La Mort Rôde, un véritable bouquet de Sex, Death and Rtock'n'roll. Chaude ambiance, première fois que je vois cela en concert, Hubert qui se faufile dans la cohue les deux poignes pleines de glaçons qu'il offre en guise de rafraîchissement.

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    Ne vous lâcherait point sans avoir braqué le projecteur sur Steph, la classe du dandy populaire, lunette noire dans l'échancrure du T-shirt, veste en jeans délavé plus chemise à damier nouée à la taille ( comme l'on fait dans les colonies de vacances ), lame de rasoir en pendentif autour du cou, fine moustache acérée, un look improbable et une présence indiscutable, les filles ne cessent de le photographier, et lui il fait le beau, poses rock au micro avantageuses et surtout cette jouissance communicative d'être là, de prendre son pied, de transmettre du plaisir à la foule trépidante qui n'en peut plus. Le rocker français dans toute sa plénitude zénithale, le gars qui vous achoppe et qui vous dope, l'invite Diabolo – harmoniciste d'Higelin - à le rejoindre pour deux morceaux, le groupe bastonne si fort qu'il devra se contenter de quelques jappements qu'il parvient à glisser on ne sait comment dans le capharnaüm sonore, ce n'est qu'au rappel qu'il démontrera ce qu'il sait faire en précipitant un solo dès les ridelles de l'introduction, l'a un beau sourire Diabolo, qui respire la bienveillance et la sympathie, pas du tout diabolique. C'est Steph qui se charge du rôle de Méphisto.

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    Encore une fois, un set trop court, l'on n'atteindra pas les quinze morceaux, faudrait que la Dame de Canton mette un peu plus de riz dans les bols. Nous ouvre l'appétit mais ne le satisfait pas. Océan a cartonné, ne peuvent même pas traverser la salle pour se rendre au bar, les fans les assaillent, les caressent, les embrassent, les papouillent...

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Bill Bocquet )



    16 / 06 / 2017 / DORMANS
    HOT CHICKENS / NATCHEZ

     

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    Ne vous plaignez pas, ce coup-ci je ne vous emmène pas dans un bouge improbable au cœur des ténèbres conradiennes d'une banlieue labyrinthique, vous offre carrément la vie de château. Ce n'est pas l'Amazone, mais faut parcourir plus de soixante-dix kilomètres désertiques de nature verdoyante, quelques villages assoupis, collines, coteaux, champs, bois, routes sinueuses et enfin, récompense suprême, Dormans. Un château, un vrai, façade royale, deux grosses tours rondes, massives, puissantes, mais ce n'est pas tout. Un parc de quarante cinq hectares, planté de platanes monstrueux, et au fond sur une hauteur, le Mémorial des deux batailles de la Marne. De loin, ça ressemble au Sacré-coeur de Paris, ce crachat de pierre blanche élevé à la gloire des Versaillais qui fusillèrent le Paris rouge et noir de la Commune, mais non, l'édifice est d'une sobriété exemplaire, ce qui n'empêche que des centaines de milliers de soldats sont morts sur ces terres pour les bénéfices des marchands de canons. Ironie de l'Histoire, un siècle après, les gouvernements successifs de notre pays se complaisent dans le rôle subordinatif de paillasson de l'Allemagne libérale le pays, aux huit millions de pauvres payés à moins de cinq euros / heure, paradis du capitalisme financier...

    HOT CHICKENS

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    Je hâte le pas. C'est la voix d'Hervé qui résonne sous les frondaisons majestueuses du parc. Etrange effet d'ouïe, l'on dirait qu'il est accompagné par un quatuor à cordes ! Je me glisse au plus vite au premier rang. Quel hasard Balthazar, en plein milieu d'une escouade du 3 B, les mêmes causes produisent les mêmes effets nous ont avertis les philosophes. Arrêtons de méditer et écarquillons yeux et z'oreilles.

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    Thierry Crazy Beat Sellier est au centre. Vous ne pouvez ne pas le voir, revêtu d'une chemise blanche immaculée, éblouissante, incandescente, pour un peu vous la confondriez avec une toge romaine cicéronienne. Pour que vous ne commettiez point cette lamentable horreur historiale, l'a rehaussée d'une royale cravate - de celles que l'on offre à la fête des pères – aussi large que la piste d'envol d'un porte-avions l'est comme ces seigneurs du grand-siècle qui mettaient un point d'honneur à ne se rendre sur le champ de bataille qu'en grande tenue de parade – et justement la bataille s'annonce rude, puisque Maître Loison annonce une séquence Gene Vincent. Genre de difficulté qui n'impressionne guère notre drummer émérite. Avant de l'entendre taper, faut le voir. Cette manière de hisser bien haut sa baguette gauche tout lentement – alors que les deux autres acolytes cavalent comme des chevaux à qui vous avez enflammé queues et crinières – sans se presser comme s'il avait une heure à perdre sur le quai de la gare – d'attendre placidement que deux ou trois rapides passent à toute vitesse – et puis plashoum ! vous abat la bombe atomique et le tintamarre juste sur le temps, petit sourire de satisfaction, léger déhanché du bras droit et c'est reparti à la manière des canons turcs qui gardaient et interdisaient le défilé des Dardanelles.

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    Christophe Gallopin' Gillet est à la fête – d'ailleurs c'est son anniversaire – quoi de plus intéressant pour un guitariste que de revisiter Cliff Gallup. L'a décidé de bouter le feu au navire. Vous le découpe à la hache d'abordage. Les éclisses volent de partout, notes embrasées s'envolent, tels des papillons de bois enflammés qui s'élancent et retombent en pluies d'étincelles acérées. Sourire jouissif du pré-hominien qui heurte pour la première fois deux silex entre eux et qui comprend qu'il détient la foudre entre ses mains. Guitare frelon et nid de guêpes. Christophe Gillet réussit à enflammer le rock'n'roll. Vous rôtit le poulet que Sellier vient de knock outer d'un coup de Trafalgar.

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    Avant qu'il ne soit estourbi, Hervé Loison l'a scalpé tout vivant, lui a arraché les plumes à pleines mains. A pleine voix. Tue la poule mais garde le grain de la folie. Pour le moment l'est fiché sur sa contrebasse, l'a l'air d'un échassier au milieu de la mangrove, solitaire, emmitouflé dans le plumage redondant de sa veste qu'il s'obstinera à garder pendant la plus grande partie du set malgré la chaleur accablante, vous psalmodie les lyrics comme des déclarations d'intention malfaisantes, la big mama fuse jusqu'au plafond, la rattrape, la replante bien droit et s'essaie à quelques numéros de barre transversale comme les danseuses d'opéra à l'entraînement, des entrechats, entre cats pour faire monter la pression. L'on traverse le torrent furieux du rock'n'roll en sautant de rocker en rocker, Eddie Cochran, Buddy Holly, Johnny Burnette, et attention, sévère dérive, tangente qui déjante, une pépite de Mystery Train, le genre de crampitude exacerbée qui vous émoustille salement les écoutilles et la pastille.

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    Tant pis pour vous, puisque vous avez continué votre lecture, c'est l'instant sacré de la transe, le scorpion noir du blues s'en vient piquer le rock'n'roll snake, Hervé rejette sa contrebasse comme une vieille chaussette, elle gît inanimée tel le cadavre délabré d'un brontosaure, extrait de sa poche un minuscule harmonica et c'est de cette maigreur d'instrumentalité dérisoire que se déploie le rituel vaudouïque. Double boulot pour Thierry et Christophe, non seulement il faut jouer – aucune difficulté, laissez les faire, l'on n'a pas besoin de vos conseils, ils savent – mais il faut suivre le patron. Et là c'est du grand art, nous n'en retiendrons que quelques flashs, le flip-flap arrière de Loison qui se termine en poirier adossé sur la grosse caisse, le rire interrogateur de Christophe essayant de traduire en éclats électriques le prurit vocal d'Hervé face contre terre, grommelant de mystérieuses et incompréhensibles imprécations ponctuées de grognements délétères qui semblent indiquer un retour à l'état primal, une régression bestiale définitive, l'air impassible de Thierry reprenant inlassablement plus de soixante fois d'affilée le même rythme, comme un quarante cinq tours usés, manière d'accumuler impatience et énergie libératoire, Hervé n'attendant que le break salvateur, comme le tigre assoiffé de sang tapi dans l'ombre qui espère encore et encore le moment où le soigneur ouvrira la porte... miam-miam, rien à dire le rock c'est encore meilleur quand il est arrosé au concentré de rock'n'roll !
    Tous trois sont généreusement félicités et remerciés par le public fervent qui se presse autour d'eux... Reprendront vite la route, nouveau concert le soir même à vingt-trois heures à Dijon. Rien que de penser que je n'y serai pas la moutarde me monte au nez.

    NATCHEZ

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    Le soleil est tombé mais la chaleur stagne encore, rien comparé à la fournaise de l'après-midi. La foule grignote sur les pelouses mais à l'appel de Babac'h une grande partie se lève et s'agglutine devant la scène, ai-je besoin de préciser qu'au premier rang l'on retrouve l'escadron volant du 3 B ? Natchez c'est aussi beau à voir que bon à entendre. Un look pas possible. Le trio de la mort devant, deux interminables escogriffes de noir vêtu à la dégaine de desperados sortis tout droit des déserts du Nouveau-Mexique, cheveux bouclés poudrés d'argent, figure mangée par un bouc semi-broussailleux, chapeau plat de cow-boy qui leur donne un air d'échappés de la bande à Quantrill, tous deux séparés – une plume d'aigle des Rocheuses pend au manche de sa basse – par DD au visage impassible de chef indien. Derrière Ben officie aux fûts, l'est comme le servant de la mitrailleuse dans les westerns caché dans les flancs d'un débonnaire véhicule d'intendance, ici occulté par les triples silhouettes effilées de ses complices, mais il ne cessera de vous tirer de ces rafales de balles drum-drum qui vous traversent le corps sans vous demander la permission. Vous l'avez compris, vous êtes partis pour une chevauchée dangereuse sur les terres les plus arides du Southern Sound.

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    Précision d'importance avant de monter le son. Les deux outlaws se sont partagés les rôles, tout deux une guitare, Manu sur votre droite leade et chorise si besoin, Babac'h sur votre ------- ( remplissez les tirets, c'est pour voir si vous suivez ) chante, introduit les morceaux, et contrepuncte sur son cordier, DD ne fait rien, seul parfois un fin sourire sardonique point sur sa face, ressemble alors à un chef Cheyenne immobile sur une crête qui voit au loin dans la grande plaine qui poudroie s'avancer un convoi de charriots mal escorté dont les essieux plient sous le poids de caisses de winchesters...

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    Quand je dis qu'il ne fait rien, je m'explique, donne l'illusion de, mais d'un doigt précis – un seul - il tire sur une des cordes de la basse et le trait s'envole lentement, tel un vol lourd de corbeaux menaçants qui s'en vient planer autour de votre tête pour vous prévenir que la flèche va se ficher dans quelques secondes en plein dans votre cœur. Tactique de guerrier indienne, prévenir avant de tuer. En plein dans la cible à tous les coups.

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    Manu est à la guitare, non la guitare est à Manu. Entrevoyez la différence. N'en joue pas, se joue d'elle. Sous ses mains expertes l'est comme la chatte câline qui s'en vient frétiller sous vos doigts agiles, tour à tour elle miaule, elle moane, elle roucoule, elle ondule, se tend et se précipite, foutrejus ! Manu ne la laisse jamais reposer, l'est une grande plainte joyeuse et soyeuse qui n'en finit pas de s'étirer et de se déployer à l'infini. Un doigté à charmer les crotales, parfois il bottlenecke et bottlenique sans répit, sonorités texanes qui vous emportent sur des nuages d'ouragan et de rêve...
    Babarc'h est au chant.

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    Beaucoup de compositions originales en français Je Marcherai Droit, Canicule, Hautes Plaines, Tais-toi, Fils à Papa, Coude sur le Bar, l'on goûte l'humour des paroles et cette traînante vélocité de la voix qui les met si bien en scène qu'elles supportent sans réprimande la comparaison avec des reprises comme le Take It Easy des Eagles ou les hymnes légendaires de La Grange de ZZ Top ou de Sweet Home Alabama de Lyny Skynhyrd. AC/ DC, Stones, Creedence sont aussi de la fête. Que du beau monde. De la belle ouvrage, voix et guitares mélangent harmonies et vitriol, langueurs laguniennes et fureurs foldingues.

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    L'on ne s'en lasserait jamais, nous d'écouter et eux de jouer. Sont comme ces abeilles infatigables de l'Hymette qui sans fin venaient butiner le miel des paroles de Platon. Entassent les rappels. Font durer les morceaux, ah ces soli de guitare qui fondent et rissolent aux petits oignons comme mottes de beurre à feux doux sous la poêle et puis qui crépitent comme gobelets de poudre noire jetés sur braises ardentes.

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    Ils ont un secret. Très mal gardé. L'ont écrit en gosses lettres sur la grosse caisse, NATCHEZ 1987 – 2017, trente ans qu'ils cavalent sur les pistes les plus chaudes du rock'n'roll. Devraient être éreintés, fourbus, laminés, foutus. Mais z'ont gardé la hargne et la fraîcheur, l'impétuosité, la générosité, et la jactance de la jeunesse.
    Ont du mal à descendre les cinq marches de la scène tant la foule se presse au haut de l'escalier pour les féliciter et se rue sur les disques. Que voulez-vous, ce n'est pas tous les jours que vous avez droit d'un trait sans une seconde de relâche à deux heures de pur bonheur.

    Photos : FB : Béatrice Berlot / Natchez

    ( Dessin : Deff Delzen )


    Damie Chad.

    BLOUSONS NOIRS
    LES REBELLES SANS CAUSE

    CHRISTOPHE WEBER ( 2015 )

    ( Redifusion FR3 : 22 / 06 / 2017 / 23 H 30 )

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    Vous qui lisez cette page ce mercredi 21juin, jour de sa publication, il en sera de même pratiquement toute la journée de jeudi 22, vous allez la juger comme un adorable pense-bête qui vous empêchera de rater la rediffusion de l'émission TV, Blousons noirs, les rebelles sans cause. Si par hasard vous ne portez vos yeux sur cette brève chronique que le vendredi, inutile de vous suicider, l'émission circule sur le net depuis pas mal de temps, faites-vous confiance vous la retrouverez en trois clics.
    Les documents sur les Blousons noirs ne sont guère abondants. Attention nous parlons des «  vrais » qui sont apparus entre 1959 - 1963. Pas des bandes des années 70. Quelques archives INA, une courte séquence de Cinq colonnes à la Une, un site de compilation des journaux d'époque – je ne sais s'il existe encore, mais à mon avis l'ensemble le plus intéressant que je n'ai jamais rencontré - deux ou trois livres de sociologues un peu abrutis par leur origine de classe, et quelques bouquins que nous avons chroniqués sur KR'TNT. Dont le très beau Quand j'étais un Blouson Noir de Jean-Paul Bourre que nous retrouvons dans le documentaire, revient sur ses propres traces à Issoire lorsqu'il faisait partie de la bande des Croix Blanches...
    Ce qu'il y a de troublant avec les blousons noirs, c'est qu'ils ont disparu, se sont dissous comme le sel dans l'eau. Pas d'amicale, pas de rave-parties de nostalgiques, pas de revival. Ont été engloutis. Si la chance vous sourit vous pouvez en rencontrer un, un survivant, en règle générale ne s'étendent guère si vous les interrogez, ressortent deux ou trois clichés et se dépêchent d'enterrer le sujet. On était jeunes... Sont passés à autre chose. La vie s'est-elle chargée de les reformater ? Peut-être préfèrent-ils ne pas revenir sur ce sentiment d'avoir sans le savoir frôlé le désir d'un absolu existentiel dont il leur déplaît de remuer les cendres froides d'où émane une forte senteur de rêve brisé...
    Alors ce sont les chercheurs qui parlent à leur place. Vous campent la période historique, le blabla habituel, l'après-guerre, la reconstruction, la mutation économique, la société de consommation qui se profile, la jeunesse à l'avenir incertain, un peu de guerre d'Algérie mais pas trop non plus... Ne rabâchent pas que des stupidités nos universitaires, n'ont pas tout à fait tort, mais n'ont jamais raison.
    Car le véritable enjeu n'est pas là. Certains morceaux de votre vie peuvent bien rentrer dans les cases déterminées par les sociologues, mais à mon avis la question n'est pas de cet ordre, ces catégories ne prennent pas en compte l'imaginaire des protagonistes concernés. L'individu est davantage acté par sa représentation phantasmatique de son implantation sociale et poétique que par sa définition paramétrique.
    Sans doute faut-il aller plus loin et s'appuyant sur la dernière phénoménologie husserlienne hasarder le concept d'imaginaire collectif que vous modelez autant qu'il vous module. En ce sens ce documentaire n'est pas mal fait. Vous refile toutes les pièces du puzzle mais pas l'image qu'il est censé représenter, ce ne sont des fragments abstraits que chacun se doit d'assembler non pas à sa guise – le premier imbécile venu se satisfait très facilement de réaliser l'effet miroir dans lequel il se reconnaît – mais de telle manière que la combinaison obtenue se signifie d'elle-même comme signifiance ultime. Le jeu des perles de verre d'Hermann Hesse. Avec une difficulté supplémentaire. Les perles ne sont point transparentes et se refusent à toute polarisation arc-en-ciélique. Vous n'y voyez que du noir. Pas une arnaque à la Pierre Soulages qui irradie ses toiles de nuances diverses. Non, simplement du noir blouson. Le plus opaque d'entre tous.
    Cet aspect des choses présente un avantage, elle explicite la coupure qui s'est opérée dans la transmission générationnelle du rock'n'roll en France. Qui a emprunté beaucoup plus les canaux familiaux que les errements individuels. C'est ici que vous insèrerez les méditations situationnistes. Mais nous sortons là du sujet thématique traité par cette émission que vous regarderez avec profit. Nous en rediscuterons une autre fois.


    Damie Chad.


    JOE HILL
    BREAD, ROSES AND SONGS

    FRANKLIN ROSEMONT
    ( Editions CNT – RP )

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    Presque six cent pages ! En soi rien d'extraordinaire, juste un détail : tout ce que nous savons sur Joe Hill tient sur deux pages. Pas grand-chose, heureusement qu'il a été injustement condamné à mort et proprement exécuté en novembre 1915, sans quoi l'on n'aurait jamais entendu parler de lui. J'exagère, l'a laissé ses chansons. Attention n'existe aucun enregistrement de sa voix, mais elles ont survécu, dans les années soixante Dave Van Ronk, Joan Baez et tout le milieu folk new-yorkais ont contribué à perpétuer la flamme de son souvenir.
    N'était pas tout à fait un inconnu de son vivant non plus, l'était le militant le plus célèbre de l'IWW. Ses chansons étaient sur toutes les lèvres, sur tous les piquets de grève. IWW, les trois lettres magiques, Industrial Workers of the World, Franklin Rosemont part du principe que le militant ne saurait cacher le syndicat. Au-delà de la personne de Joe Hill, c'est toute l'action des IWW qui est révélée.

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    L'IWW fut créée en 1905, dix années après notre CGT, l'originelle, d'obédience anarcho-syndicaliste de Fernand Pelloutier. Cela a son importance car l'IWW s'inspira des méthodes de lutte prônées par la centrale française. Le rêve de l'IWW était de réaliser the One Big Union, un syndicat unique, non corporatiste, qui défendrait l'ensemble des travailleurs, sans distinction de nationalité et de couleur, en d'autres termes et en pratique les IWW organisèrent les luttes des précaires, des intermittents, des saisonniers, elle fut par excellence l'organisation qui regroupa les hobos. Elle préconisa l'action directe qu'elle ne substituait pas à l'emploi de la violence révolutionnaire. Les IWW étaient des radicaux. Z'avaient lu Marx et pratiquaient la lutte de classes. Ne voulaient pas abolir le salariat mais anéantir l'esclavage salarial. Nuance de poids ! Marxiste mais pas communiste. Dès le tout début des années vingt, l'IWW critique les déviations de la bureaucratie soviétique... Elle fut la bête noire de la police et de la justice ( la première étant partout et la seconde nulle part ). Son discours frontal anticapitaliste envoya des milliers de ses adhérents en prison. L'on ne compte plus ses membres arrêtés, tabassés, torturés, assassinés... L'organisation implosa d'elle-même minée par ses courants intérieurs qui se déchiraient sur la conduite à tenir face à la répression... La montée de la puissance organisationnelle du Parti Communiste américain et sa théorie d'accumulation pacifique des forces lui porta aussi grand ombrage...
    Joe Hill n'était en rien un responsable des IWW, un simple militant de base, un taiseux avant tout qui ne révélait rien de son existence à ceux qui l'ont croisé ou côtoyé, mais un engagé pur et dur, n'a pas hésité à prendre le fusil pour soutenir la révolution mexicaine, ne reste que peu de traces de lui, les témoignages les plus précis sont très brefs et se comptent sur les doigts d'une main, mais au-travers des rares informations qu'il a colligées Franklin Rosemont se livre à une radiographies des plus éloquentes des IWW.

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    Ne le mythifie en rien. Joe Hill n'était ni un grand compositeur – se contentait très souvent de reprendre un air populaire pour y plaquer ses paroles – ni un grand poète, même s'il a su trouver quelques formules percutantes. Utilisaient des mots simples et une grammaire basique mais ses chansons étaient les plus souvent reprises par les militants des IWW. Car c'était une spécificité des IWW de mêler actions sociales, agitations publiques, réunions décisionnelles et chansons. La brochure la plus célèbre du mouvement reste son Red Book, recueil de chansons, très régulièrement réédité et mis à jour. Ce serait une erreur de croire que cette pratique assidue du choral proviendrait du substrat christologique des USA, gospels noirs ou cantiques blancs. Les IWW n'étaient guère religieux, penchaient largement vers l'athéisme. Puisaient à une autre source, celle du romantisme anglais, Burns,Wordworth, Keats, Shelley, Byron, Swinburne étaient leurs poëtes favoris, vous y rajouterez entre autres Whitman et Poe...
    Rosemont analyse finement comment la fréquentation de cette veine poétique ultra-romantique s'est combinée aux thématiques marxistes et a empêché tout dérapage dont furent victimes les organisations communistes qui accédèrent au pouvoir et qui en vinrent à réglementer toute création littéraire et artistique en l'enfermant dans les carcans intransigeants d'une littérature soumises à des diktats idéologiques qui se révélèrent être une censure impitoyable... Notons que de nos jours encore la gauche responsable de gouvernement ne cesse de dénoncer les mouvances anarchisantes comme des ramassis d'exaltés romantiques attardés, comme quoi il s'agit bien d'une ligne de fracture des plus prégnantes... Rosemont va plus loin encore lorsqu'il institue une ligne de démarcation qui induirait le communisme selon une préférence pour le roman et l'anarchisme selon une orientation poésiale...

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    L'Histoire – fût-elle poétique – est écrite par les vainqueurs. Des milliers de poèmes publiés par les IWW ne surnage que le nom de Joe Hill, mais Rosemont en présente quelques uns comme Ralph Chaplin – à qui la CNT emprunta le chat noir de son logo – Arturo Giovannitti, Laura Tanne qui n'est pas encore identifiée et dont il ne subsiste que quelques poèmes, Covington Hall, T-Bone Slim... des noms qui ne parleront guère au public français mais qui sont autant d'étapes vers la beat-generation, en quelque sorte des ancêtres de ce mouvement continu de contre-culture qui fut irrigué par le rock'n'roll.
    William S. Burroughs et Jack Kerouac furent en leurs débuts très influencés par la geste des IWW. Si l'on met souvent en relation le roman Sur la Route ( On The Road ) avec les pérégrinations des hobos qui brûlaient le dur, l'on passe sous silence l'arrière-fond politique des revendications forcenées menées par les itinérants du rail en quête de travail... Il convient aussi de relire les oeuvres de Jack London et de John Dos Passos à cette même lumière. Pour les lecteurs de KR'TNT nous préciserons encore que Joe Hill rencontra Claude McKay l'auteur de Banjo que nous avons chroniqué dans notre livraison 325 du 20 / 04 / 2017... Les liens avec les mouvances littéraires et politiques des communautés noires s'en trouvent ainsi d'autant mieux symboliquement soulignés.

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    Tous ceux qui entrevoient le rock'n'roll comme l'un des vecteurs d'expression des révoltes contre-culturelles et populaires liront ce livre qui fourmille de mille informations avec intérêt. Les IWW ne possèdent plus l'aura et l'importance qu'ils eurent dans les vingt premières années du siècle précédent. Toutefois le syndicat n'est pas mort, c'est les IWW qui organisèrent les grèves qui voici quelques années firent plier la direction des Starbucks Café... La lutte contre l'hydre capitalistique continue.


    Damie Chad.