Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

max décharné

  • CHRONIQUES DE POURPRE 649 : KR'TNT 649 : JOHN CALE / PINK FAIRIES / MT JONES / ROSCO GORDON / MAX DéCHARNé / PETER SCARTABELLO / PRESSE ROCK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 649

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 06 / 2024

     

     

    JOHN CALE / PINK FAIRIES

    MT JONES / ROSCO GORDON

    MAX DECHARNé / PETER SCARTABELLO

    PRESSE ROCK / ROCKAMBOLESQUES

     

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 649

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

     - Cale aurifère

     (Part One)

    z243560johncale.gif

             Entrer dans l’univers de John Cale, c’est aussi entrer dans une foire aux superlatifs. John Cale fait partie des gros cultes, et sa réputation n’est pas usurpée, car bâtie, comme chacun sait, sur l’une des racines du rock moderne, le Velvet Underground. À le lire dans son autobio, il porterait même en grande partie la responsabilité de cette racine, mais comme ses collègues visionnaires Syd Barrett et Brian Jones, il fut débarqué à la même époque sur une île déserte (1967 pour John Cale, 1968 pour les deux zautres).

             C’est en 1999 que John Cale nous fit la grâce de publier What’s Welsh for Zen, une autobio qu’on peut bien qualifier d’incandescente. Objet superbe, puisqu’objet d’art, ce qui de la part d’un mec comme Cale ne surprit personne à l’époque. Cale art total. On le savait en écoutant «Venus In Furs». L’objet le confirme : grand format, couve en carton alvéolé massicotée à ras la tranche, quasiment 300 pages rythmées comme un album du Velvet dans une sulfureuse alternance de pages noires avec un texte en défonce, et de pages blanches avec un texte au noir intense, des photos travaillées jusqu’au délire et des jeux typo qui viennent danser la carmagnole sous tes yeux ronds de stupeur, oui, car ce périlleux exercice est parfaitement réussi. Le designer s’appelle Dave McKean. En page de garde, tu peux lire : «This book is dedicated to Sterling Morrison». What’s Welsh ! What’s Welsh ! Ça sonne comme Sister Ray. Et hop c’est parti ! McKean t’arrondit les justifs, il sort des phrases pour les mettre en scène, comme au théâtre d’avant-garde, il ramène les images d’archives dans la modernité, il noircit des pages pour intensifier le contexte littéraire et falsifie les ciels du pays de Galles pour en glorifier la mélancolie. Chaque double te réserve une surprise à la fois visuelle et contextuelle, c’est un spectacle permanent. McKean réussit même à t’ahurir : il fait le lien entre le book et l’esthétique du cinéma d’avant-garde d’Andy Warhol. Il boucle la boucle. Tu n’avais encore jamais vu ça. Et lorsque John Cale quitte l’Angleterre pour s’installer à New York, God McKean bascule dans le dadaïsme pur. Les photo-montages à base de claviers et de piano, de masques et de bottines sont des objets graphiques de Dada pur et dur. Il rejoint Picabia et Tristan Tzara au cœur battant du mythe le plus moderne de tous les temps. Tu n’en reviens pas d’avoir dans les pattes un authentique Dada book. Ta lecture passe du stade ronron à celui de super-nova. Ce book te dilate la cervelle, il t’arrache à tes manies et à tes routines. Il fait le lien entre tous tes phares dans la nuit, Dada, Warhol, le Velvet, le rock, le ric, le rac et les rutabagas. Et pour couronner le tout, page après page, John Cale revêt la stature d’un fan-tas-tique écrivain. Oui tu as bien lu le mot écrivain.    

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Il fait partie des auteurs dont la moindre phrase revêt une certaine importance. Cioran, Debord, du pareil au même. C’est comme ça, tu n’y peux rien. Tout ce qu’il écrit te semble lourd de sens. Dans les premières pages, il évoque son enfance à Garnant, au Pays de Galles, et son éducation musicale. Quand il écrit : «I realized that playing music gave me a stronger sense of who I was. In the event, it defined who I was», tu relis la phrase une fois, deux fois et soudain, tu te l’appropries. John Cale a raison, c’est la musique qui te définit. Alors tu t’identifies à lui à travers la musique qui te définit. Te voilà encore plus défini que tu ne le fus jamais. A stronger sense of who I was. La résonance est profonde. Dans la même page, l’enfant Cale évoque sa rencontre avec les drogues qui vont jouer un rôle considérable dans sa vie d’avant-gardiste, et donc dans la vie de l’avant-garde tout court : il a du mal à respirer, et un toubib lui fait prendre un sirop à base d’opium. «The notorious Dr. Brown’s». C’est le B-A BA de tous les kids d’alors : le sirop pour la toux qui te fait tourner la tête, et que tu bois au goulot, et la bouteille d’éther dans l’armoire à pharmacie que tu sniffes et qui te fait encore plus tourner la tête. Le kid Cale établit grâce au «cough syrup» une relation «between music and drugs» et se décrit «lying in bed as I hallucinated myself to sleep.» Il voit les fleurs du papier peint de sa chambre s’ouvrir et respirer. À l’école, le kid Cale est vite repéré par des gens de BBC Wales qui lui demandent de leur jouer quelque chose au piano : le kid Cale leur pianote une version rock’n’roll du Sacre Du Printemps de Stravinsky. Allez hop c’est parti ! En voiture, Simone Cale !

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Au départ, le kid Cale n’est pas vraiment rock. Il en pince pour Stravinsky et Anton Webern. Mais il découvre Rock Around The Clock au ciné local et voit les kids du village danser dans les allées et devant l’écran, avec le taulier du ciné. Alors le kid Cale se met de la brillantine et porte une petite cravate pour devenir teddy boy. Quand il évoque ses parents, c’est d’une manière forcément elliptique : «À une époque de leur vie, mon père devint sourd et ma mère perdit l’usage de sa voix. Ils semblaient être parvenus à une sorte d’accord, vu qu’ils n’avaient plus vraiment besoin de communiquer entre eux.» Le kid Cale a aussi une petite amie, Eileen - a warm, endearing creature - Elle avait elle aussi vécu une enfance difficile. Qui n’en a pas vécu ? Donald Duck ? Comme les miens, ses parents n’étaient pas toujours on speaking terms

              Il décroche une bourse pour aller étudier à Londres. Il y vit de 1960 à 1963 et y rencontre un prof qui lui propose d’explorer «the possibilities inherent in Dadaist ideas for blurring the boundaries of the separate art». Exploser les frontières ! C’est ce que le kid Cale devenu grand fera toute sa vie. Il rencontre aussi le «neo-Dadaist» George Maciuna et assiste à son mariage : George porte la robe de mariée et son épouse le costume du marié. John Cale indique en outre que la correspondance de George se trouve dans les archives de Fluxus. Bingo, man !

             À l’école de musique, le kid Cale en bave : «Les responsables du département m’avaient élu ‘most hateful student’. J’avais en effet négligé mon étude de Webern et l’histoire de la Messe Polyphonique, mais je me voyais devenir plus un compositeur vivant qu’un ‘cataloguer of the dead’. Les responsables du département ne savaient pas quoi faire de moi. Ils étaient effarés par mon absentéisme et par leur incapacité à y remédier.» Le kid Cale s’affirme très jeune. Il prépare le Velvet et prépare en même temps une nouvelle idée de la modernité pour des milliers de kids à travers le monde.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Il décroche une bourse pour aller étudier à Tanglewood, Massachusetts. Accueilli par Aaron Copeland, il est ensuite confié aux bons soins de Yannis Xenakis, qui avant de devenir le compositeur célèbre que l’on sait, fut architecte et l’assistant de Le Corbusier à Paris. Le kid Cale admire Xenakis, qui, devenu compositeur, a pondu «the most ferocious pieces of Stockhausen-style piano.» John Cale t’explique à la suite pourquoi Xenakis est tellement novateur : «Il n’y avait pas d’émotion, c’était une gymnastique, très difficile à jouer, et ça n’était pas aussi excitant qu’une partition orchestrale. Tout était basé sur les mathématiques.» Puis le kid Cale avoue que ses propres compos étaient «trop violentes» pour les gens de Tanglewood. Quand il les joue en public, des gens sortent de la salle. D’autres viennent le voir en pleurs après sa prestation - J’ai eu toutes les réactions. C’était l’élément de surprise et j’espère l’avoir gardé dans mon travail ultérieur. Pour moi, c’est très important de garder les gens sur mon chemin et soudain de tourner, BOING ! - Puis il débarque à New York, «a city that never slept», et il découvre son futur royaume : «As I was with the hidden, unseen things that were to be my milieu for years to come - The underground.»

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             On entre dans le saint des saints de la fin des fins : 1963-1965, la genèse. Et il commence par saluer Duchamp : «Another of my idols was Marcel Duchamp, parce qu’il a quitté l’art pour jouer aux échecs. He was somebody who knew when to stop. Tout ce qu’il faisait était très réfléchi, très impressionnant, et ça m’attirait bien plus que de devenir un Schoenberg ou un Webern.» Et il enchaîne aussitôt sur son autre mentor, La Monte Young, «the second major influence on me».  John Cale va rencontrer La Monte Young et sa femme Marion Zazeela dans leur loft et découvrir leur univers de tortues, de yogourts et de Middle Eastern cooking, ils se complémentent, partagent même leurs phrases. La Monte propose à John Cale d’entrer dans son Theatre Of Eternal Music : ils sont cinq : La Monte, Marion, Tony Conrad, Terry Riley and myself, avec en plus, par moments, Angus MacLise et le mathématicien Dennis Johnson - On créait une musique que personne d’autre au monde n’avait créée et que personne n’avait jamais entendue auparavant - Billy Name célèbre lui aussi la mémoire de La Monte Young, un Mormon qui portait des robes. Chez lui, tout est posé au sol, «pas de chaises, and always sex and great dope and great music.» Billy Name pense que La Monte tirait ses revenus du deal de dope - At this time he was the highest-quality dope dealer in the avant-garde movement - Il vend de la marijuana. John Cale fait connaissance avec la marijuana - Tout le monde fumait. La première partie de ma relation avec La Monte était amusante, tout le monde rigolait, les têtes tournaient, personne ne me comprenait à cause de mon accent gallois, alors pas de sexe. Mais quand j’ai commencé à fumer, ça allait mieux. Je rigolais aussi. But we were dead serious about our work.    

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Puis il rencontre Lou Reed en 1965, en début d’année. Lou est un petit compositeur de 22 ans, et Cale un musicien d’avant-garde de 22 ans. C’est un mec de Picwick, Terry Phillips qui présente Cale au Lou, «parce qu’il pensait que j’étais un ‘pop musician’ à cause de mes cheveux longs.» L’idée de Phillips est de monter un groupe autour du Lou avec Tony Conrad, Walter de Maria & Cale, et de l’appeler The Primitives. Phillips pense qu’une compo du Lou, «The Ostrich», peut devenir un hit. Puis Cale et le Lou sympathisent. Le Lou montre à Cale d’autres compos, «Heroin» et «Waiting For My Man», que Cale déteste au premier abord, car il pense que ce sont des folk songs et Cale hait le folk. Alors le Lou lui demande de lire les paroles de ses cuts, et là, Cale pige tout. Personne n’a jamais traité de tels sujets dans des chansons. Cale trouve même ces cuts très littéraires, «which fascinated me». Comme il n’a aucune notion de rock, à l’époque, il se concentre sur les textes - Mes premières impressions de Lou étaient celles d’un kid nerveux, intelligent et fragile, en col roulé, jean délavé et mocassins - Le Lou qui voit déjà un psychiatre, tourne au Placidyl. Dans le métro, le Lou se défonce au Placidyl mélangé à de la bière. Puis ça passe très vite à l’héro, qui est au cœur du Velvet. L’héro artistique. C’est le Lou qui pique Cale la première fois, en faisant gaffe, car Cale n’aime pas trop les aiguilles - It was an intimate experience - Cale dit découvrir une sorte de paradis - You feel comfortable and friendly - Ça a ouvert un passage entre nous et forgé notre us-against-them attitude qui allait devenir le leitmotiv de notre groupe. Au début on s’appelait The Falling Spikes. On a aussi chopé une hépatite - Ils plongent dans les hard drugs, «pas vraiment par goût des drogues, mais par goût pour la mentalité que les drogues impliquent. On pensait que mal se conduire, doing evil, valait mieux que doing nothing.» John Cale se met à orchestrer les chansons du Lou. Puis après avoir commencé à partager les needles, ils partagent les gonzesses, par exemple Daryl, une nympho.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             John Cale préfère les cuts slow and sexy. Quand ils mettent «Venus In Furs» au carré, il est persuadé qu’ils ont trouvé leur style, «unique and nasty. Very nasty.» Puis ils cherchent un guitariste et un batteur. Les Falling Spikes deviennent les Warlocks. Sterling que connaît Lou arrive en avril 1965. Angus MacLise bat un peu de beurre avec les Warlocks. À l’été 1965, le groupe devient The Velvet Underground et donne son premier concert - On est devenus l’un des trois groupes émergeants du Lower East Side, avec les Fugs et les Holy Modal Rounders - Quand Angus quitte le groupe, le Lou fait venir la sœur d’un copain, Moe Tucker. Elle possède une batterie. Elle s’adapte vite aux cuts du Velvet et ancre le son avec un african beat influencé nous dit Cale par le batteur virtuose nigérian Babatunde Olatrunji - Moe was good at being basic so she was brought in - Le Lou dira plus tard qu’elle ne savait pas jouer. Il dira la même chose de Sterling. Cale joue de la basse - Je jouais de la basse, sauf sur les cuts avec du violon alto. J’adorais jouer de la basse. It was a real driving king of thing - On comprend ce qu’il veut dire quand on l’entend partir en vrille de bassmatic à la fin de «Waiting For The Man». Et ils se mettent à provoquer les gens en jouant très fort sur scène. Les gens gueulent et se barrent. Ça plait beaucoup à Andy Warhol qui propose de les manager, moyennant 25 % des gains. Il propose en outre d’acheter du matériel, de booker des dates, de trouver un contrat d’enregistrement et d’ouvrir un compte commun, Walvel, dans lequel irait tout le blé, et après avoir récupéré ses 25 %, Andy payerait les quatre Velvets. Petite cerise sur le gâtö : il offre en outre une liberté artistique totale. Il fait jouer le Velvet à la Factory, on West 47th Street. Il leur fait en plus une belle surprise, «a diva named Nico who had just come over from London» - au bras de Brian Jones, serait-on tenté d’ajouter - Elle avait enregistré un single avec Andrew Loog Oldham, et Dylan lui a offert une chanson, «I’ll Keep It With Mine», précise Cale - Nico was a knockout, but so was Andy’s proposal. He wanted Nico in front the band! - C’était donc ça, le plan d’Andy. Il voulait un backing-band pour sa nouvelle superstar. Au début, elle devait tout chanter. Pas question, pour le Lou et Cale, donc elle ne chantera que deux cuts. Andy qui est le roi des diplomates, accepte le compromis. Sur les cuts qu’elle ne chante pas, Nico doit rester sur scène et faire la gueule (looking unenthusiastic) en jouant du tambourin - She had the same aura Andy had - On voit bien au ton de ses phrases que John Cale est prodigieusement excité par la tournure que prennent les événements. C’est un cas unique dans l’histoire du rock : trois visionnaires, John Cale, Lou Reed et Andy Warhol, qui se mettent d’accord sur un concept, qui pour l’époque, est complètement révolutionnaire. John Cale redit à quel point il est persuadé d’avoir créé avec ses trois amis un groupe unique - something very valuable, a style of our own that we had created ourselves - Il leur faut un an pour préparer le premier album, le premier Vévette, comme on disait au lycée. Ils répètent tous les jours à la Factory - Il y avait ce gigantesque portrait d’Elvis au mur, et sur un autre mur, on projetait un film. Andy traînait dans les parages. Quand la Princesse Radziwill arrivait, toute activité stoppait. Andy recevait Dennis Hopper, Peter Fonda, Donovan, Mick Jagger et d’autres gens. La Factory semblait être the hub of the universe - Andy peaufine le show : il projette deux films en noir et blanc sur un mur et demande au Velvet de jouer devant, aussi fort que possible. C’est du Dada rock. Nico chante ses trois chansons et Lou le reste. Et devant dansent Gerard Malanga et Edie Sedgwick.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Arrive le moment où John Cale doit questionner le concept - Lou se méfiait beaucoup d’Andy, mais en même temps, il était fasciné par lui. La musique n’intéressait pas Andy. Il s’intéressait aux gens, et Lou, venait d’un autre coin de New York qu’il ne connaissait pas, an example of a Long Island punk. Lou était complètement mystifié par un mec comme Andy qui n’avait absolument rien de méchant en lui, mais qui pouvait se conduire comme un chacal avec ses proches. Alors que le mode opératoire de Lou était de capter l’attention des gens en les blessant - Et il ajoute, ceci qui est encore plus déterminant et qui permet de mieux comprendre l’alchimie si particulière du Velvet : «Il m’a fallu un an pour comprendre ce qui motivait Andy. Je fus d’abord vraiment frappé by the outrageous side, mais j’avais des soupçons sur la nature intellectuelle de son art. Un art qui faisait pâle figure comparé à la downtown avant-garde scene. La Monte ne prenait pas les toiles d’Andy au sérieux, le dollar bill, les Elvis et les boîtes de soupe. Alors que La Monte travaillait une vision de l’art sur la durée, Andy optait pour la répétition. On avait l’impression que des gens comme Andy recyclaient et appauvrissaient des idées très fortes. Mais j’ai appris à connaître Andy et j’ai compris. C’était autre chose que ce que suggérait son image. Il utilisait les images de manière très joyeuse et élégante, avec un sens de l’humour que l’appréciais énormément. C’était scatologique et hilarant. Andy était un mec très calme, espiègle, un manipulateur, mais le plus bénin manipulateur qui ait existé. Il assemblait des éléments très disparates, ce que j’appréciais, car c’est que j’essayais de faire en composant. Je regardais faire Andy.»

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Billy Name brosse un portrait superbe de John Cale - He had the quiet presence, very black and elegant. John was special. John had the same beauty as Nico, and he was even quieter. Nico sometimes would become outsopken. John and Nico were so beautiful together, because John had this spirit in him that was so hautingly primitive - et il ajoute plus loin : «He was a real treasure, and Andy really liked John.» Ce que Cale apprécie le plus chez Andy, c’est la complicité - Andy was the guy supporting it and telling us not to forget about it. He was definitely a co-conspirator in all of it - Andy, Lou et John Cale sont les trois punks new-yorkais originaux. John Cale se tape Edie Sedgwick. Il se dit fasciné par son rôle dans la Factory. Elle et lui prennent des tonnes de drogues - I was fooling myself - Billy Name décrit le couple merveilleusement - That’s the caveman’s thing. She has to have a mate. They have to fuck and they have to be beautiful - Mais rien de sérieux, rien de suivi, just fuck - It’s primitive and natural and you do it - De son côté, Lou tombe amoureux de Nico et vient vivre chez elle. C’est pour elle qu’il écrit «Femme Fatale», «I’ll Be Your Mirror» et «All Tomorrow’s Parties» - She was the ice-blonde dominating policewoman - Nico et Andy s’entendent bien - they were kind of european - Alors que Lou «was full of himself and faggy in those days. We called him Lulu, I was Black Jack, Nico was Nico.» John Cale explique à la suite que le Lou avait réponse à tout, et la Factory grouillait de queens qui avaient la langue bien pendue. Mais Nico «balançait des trucs à Lou qui lui clouaient le bec.» Leur histoire d’amour dura moins de deux mois, nous dit John Cale. Un matin, le groupe se réunit à la Factory pour répéter - Nico arriva en retard comme d’habitude et Lou lui dit bonjour d’un ton très froid. Elle ne répondit pas. Elle attendait le moment opportun pour le faire. Plus tard, alors qu’on ne s’y attendait pas, elle lança : ‘I cannot make love to Jews any more.’ - Fin de la romance. Lou mit un temps fou à se calmer - Il alla trouver un toubib à midi et s’enfila un flacon entier de Placidyl et une bouteille de codeine. Le soir, à 9 h, il était complètement paralysé - Et de son côté, Edie Sedgwick disparaît dans l’entourage de Dylan. Billy Name revient caler un autre portrait stupéfiant de John Cale, tout de noir vêtu, «with a rhinestone snake around his neck», et qui sur scène tourne le dos au public, et le premier morceau qu’il joue, c’est au violon électrique, «which immediately gave everyone a shock», le violon qui n’est pas «the obvious instrument for a rock and roller» - John had the perfect face for it, he looked perfect holding that thing, absolutely menacing-looking - Cale fait de l’art, pas du rock, c’est ce qu’il faut comprendre. De la même façon qu’Andy, le rock ne l’intéresse pas en tant que tel. L’idée est de concevoir une œuvre d’art. Une œuvre d’art qu’on incarne physiquement. Avec les trois albums du Velvet, nous n’avons que les miettes de cette œuvre. Le Velvet, ça se passait sur scène ou à la Factory.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Cale rapporte les menus détails de l’œuvre d’art. Pour jouer, le Velvet devait attendre que Nico allume une chandelle sur scène - It was a little ritual - et ça excédait le Lou. Elle avait aussi pour particularité d’attaquer on the wrong beat, et Lou lui lançait à travers la scène : «We know what we’re doing Nico.» Cale explique ensuite que Nico avait un tympan crevé - This made for very interesting times - Et là, il lâche encore le morceau de l’art : «Les gens croyaient qu’on improvisait et qu’on faisait du bruit sur scène, mais tout ce qu’on faisait était maîtrisé et intentionnel. Everything was deeper, too. On jouait en ré une chanson composée en mi. Maureen n’avait pas de cymbales. I had a viola (un alto) (NOT the higher violin), et Lou avait this big drone guitar we called an ‘ostrich’ guitar. It made an horrendous noise, and that’s the sound on ‘All Tomorrow’s Parties’, for instance. All this made our sound entirely unique.» Plus loin, il éclaire encore un peu plus cette vision de l’art qui le hante : «L’idée qui nous poussait à continuer de considérer le rock and roll comme the medium of choice était de combiner the sonic backdrop from La Monte et le subconscient vénéneux de Lou. It was an attempt to control the unconcious with the hypnotic.» Cale dit encore qu’il a trouvé la bonne personne pour travailler une approche du rock and roll liée à l’avant-garde.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Et le fin du fin de l’art, c’est bien sûr Andy, sans qui les miettes de l’art du Velvet ne seraient pas des miettes : «Andy était beaucoup plus fort, après l’attentat qui a failli lui coûter la vie, en 1968. His presence was everything.» Les paroles de Cale pèsent de tout leur poids. «On a beaucoup plaisanté sur l’Andy producteur de l’album, mais il l’a produit au sens où il insistait pour qu’on  garde le son qu’on avait sur scène. Et personne ne pouvait aller contre sa volonté. Il nous a protégés, ce qui nous a permis de graver le son du Velvet pour la postérité.» Cale redit sa fierté d’avoir bossé avec Andy, il cite comme exemple le concert au dom, où cette collaboration a atteint son pic, «et a changé le rock and roll for ever from being a performance on stage to being a multimedia event.»

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Puis c’est la tournée en Californie. Ils arrivent à l’aéroport de Los Angeles et se disent agressés par le «Monday Monday» des Mamas & The Papas. Cale déteste l’ambiance pop californienne - Our attitude was one of hate and derision - Cale et le Lou haïssent les hippies, et c’est réciproque. Ils se fritent avec Bill Graham. Et tu vois ces photos de ce groupe parfait, habillés en noir, avec des lunettes noires et Nico habillée en blanc. Et sais à l’intrinsèque pur que tout est là, tout le punk du monde, dans la dégaine de Cale, du Lou et de Sterling. Même Maureen a un côté punk. Cale et le Lou se shootent ensemble. Ils partagent leurs aiguilles. Ils chopent des hépatites. I guess I just don’t know. Un certain Paul Katz indique que Cale connaissait des choses que Lou ne connaissait pas, comme le contrepoint - which contributed to the sound of the Velvet Underground - Il dit en outre que «John wasn’t only close to musical genius, he was also well versed in many forms of music.»

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Puis le Lou vire Andy. Il le remplace par Sesnick que Cale qualifie de «real snake». Et c’est là que le Velvet commence à pourrir - Soudain, Lou nous appelait «son groupe», et Sesnick le poussait à démarrer une carrière solo - Cale croit que sa relation avec le Lou est indestructible, parce qu’ils ont vécu ensemble ce qu’il appelle l’«intellectual puberty». Et voilà que le Lou commence à se comporter comme un despote, vous faites comme je vous dis de faire. Et au passage, Cale indique qu’il existe une version live de «Sister Ray» que personne n’a jamais enregistrée («Sister Ray Part 3»). En septembre 1967, ils enregistrent leur deuxième album, White Light White Heat - We always played loud music in order to get the symphonic sound, but the loudness was supposed to bring clarity, and that wasn’t true of the second album - Il indique que l’album est très improvisé, que «Sister Ray» was one piece. C’est un album enregistré live en studio. Ils utilisent le même volume sonore que sur scène, pour garder l’animalism. Au mixage, ils découvrent que la basse a disparu. Où est-elle passée ? L’enregistrement dure cinq jours, avec a grat deal of chemicals - On «Stephanie Says» there was heroin involved - Et Cale affirme glorieusement : «White Light White Heat was the most abrasive and powerful Velvet Underground album. Il reflétait les tensions internes, alors qu’on commençait à s’entre-déchirer.» En même temps, ils confirment leur statut de losers, car comme le dit Cale, «les groupes qui ont joué pour nous en première partie, the Nazz, the Mothers, Buffalo Springfield, sont tous devenus énormes.» Le Velvet est devenu énorme d’une autre façon.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             La relation/complicité entre Cale et le Lou connaît un dénouement douloureux - Alors qu’on bossait bien ensemble, il ne trouvait plus la qualité de ce qu’on faisait suffisante pour continuer. Mon concept est que l’art demande à être créé. J’étais là en tant que facilitateur - Quand le Lou vire Cale, il commet selon Katz une monumentale erreur - They couldn’t do without him instrumentally - Cale a cette réaction extraordinaire : «Je pensais alors (et le pense toujours) qu’on aurait pu faire des choses énormes ensemble. Je ne crache pas sur le passé. I honestly think the best is unrealized. I also think I can find it by myself.» Pour virer Cale, le Lou a convoqué Sterling et Moe dans un restaurant à Sheridan Square pour leur dire : «C’est lui ou moi.» Et bien sûr, Sterling fut chargé d’apporter la bonne nouvelle à Cale.

             Ce qu’il faut retenir de ces cinquante pages incandescentes : John Cale est autant le Velvet que le Lou, sinon plus. Ça veut dire en clair : sans John Cale (et sans Andy), pas de Velvet tel que nous le connaissons. À l’âge de 25 ans et avec seulement deux albums, John Cale est entré dans la légende. Nombreux seront ceux qui le suivront à la trace dans les décennies suivantes.

              Dans un Part Two, on verra l’après Velvet. Penchons-nous en attendant sur le dernier album de John Cale, histoire de vérifier sa prédiction : «I honestly think the best is unrealized. I also think I can find it by myself.»

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Mercy, c’est John Cale tout craché. John Cale, c’est Calimero. Le «Mercy» de Mercy sonne comme une grosse arnaque. Calimero n’en est pas à son coup d’essai. Il est capable de faire du gros n’importe quoi, à partir de rien. Ce que les gens n’ont pas compris : Cale n’est pas un sous-Lou Reed. C’est Lou Reed qui fonde le mythe. Cale est trop gallois pour fonder un mythe, mais il y contribue à 50 %. Cale fait du son. «Marylin Monroe’s Legs» n’est que du son. Cale se croit perdu dans l’espace, et comme il perd toute notion de mélodie, il lance l’idée d’une daube de noise invertie. Sa voix chevrote dans les amplis. C’est atrocement inutile. Il a perdu son pâté de foi. Il a perdu Paris 1919. Il a tout perdu. Mais en même temps, il récupère des tas de billets de vingt, car il vend des albums à la pelle. Les gens achètent toujours du Cale. Quoi qu’il fasse. En attendant Godot. Cale fait voyager des voix de femmes dans ses machines. Il a encore du monde sur «Noise Of You», nouvel anti-cut de n’importe quoi. Il est le dernier héritier du Velvet, mais ça ne l’empêche pas de faire n’importe quoi. Cette daube d’heavy noise finit tout de même par éveiller l’attention. C’est Weyses Blood qui chante sur «Story Of Blood». Le Cale est de retour, avec un son très profond, quasi-impénétrable, construit sur des accords de piano obliques, vite écartés sur le côté, et là, ça devient génial, Weyes Blood claque un contre-chant tiré de l’Antiquité, avec des échos du temple, seul Cale peut te caler ça, il hausse le ton et la terre tremble, il vise l’osmose de la comatose, il bourre l’espace temps de purée, jusqu’à la fin, il congestionne le son à fond de cale. Fasciné par le temps, Cale enchaîne avec «Time Stands Still». Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il bâtit un temple sur les ruines du temple précédent. Une fois que tu as compris ça, tu pénètres dans le cut, et Cale t’accueille comme le font les prêtres. Il psalmodie. Il défend son idée du discours sacré. Il te refait Paris 1919. Il a toujours en lui cette vieille litote désuète, sa mélodie de Paris. Puis il s’en va rendre hommage à Nico avec «Moonstruck (Nico’s Song)». C’est puissant, ça vibre de partout, ça pue le cramé tellement c’est génial. Il reprend pied dans sa légende - Junkie lady - Ça devient monstrueux, il cale ça aux miles & miles to go, à grands renforts de souffle et de rappels, comme dans un temple mythique. S’il rend hommage, c’est forcément mythique. Comment pourrait-il en être autrement ? Là tu entres dans la démesure du grand prêtre Calimero. Il continue d’élever des temples avec autorité, il te plombe une chape vite fait avec «Everlasting Days», il est capable d’une extrême profondeur, ça tape du tambour derrière lui, il y va au night of confusion, le voilà de retour dans les grosses compos, when we turn to walk away, au début tu résistes, et tu finis par céder, car cette musique t’emporte comme la marée. Il devient encore plus fascinant avec l’heavy funk de «Night Crawling». Il rappelle qu’il a toujours haï les conventions. Cale, c’est l’avant-garde, le sang chaud du Velvet. Il t’en met plein la barbe. Il fait encore de l’avant-garde à 80 balais. Is it the end of the world, demande-t-il dans «Not The End Of The World». Ses temples prennent des allures d’univers sonores, bien rêches, qui chevrotent aux portes du Desert Shore de Marble Index. C’est la raison pour laquelle Calimero importe, il transporte en lui des univers mouvementés qui clapotent entre deux icebergs. Il reste à la fois peu avenant et fascinant. Très end of the world. Anti-commercial. Un génie pur. Il invite les Fat White Family sur «The Legal Status Of Ice», un heavy groove tribal noyé de wild Abyssinia, il s’y perd, car le mélange n’est pas bon, juste du bruit pour du bruit. Il revient à la pop avec «I Know You’re Happy», il tape dans la bouse de vache et éclabousse les murs. Il sait très bien ce qu’il fait, il draine de la mélodie dans le prurit du son, un jus s’écoule du temple, odorant, du pur Cale, une sorte de Paris 1919 atteint d’un cancer, il perd toute pudeur, il jette ses miasmes à la face du monde, les colonnes du temple vibrent dans l’air putride, il adore l’avant-garde altérée, les fèves pourries et tout ce qui va avec, cette mare devient une mer, ça flic-floque dans les coins, il te sert une bouillasse infecte et crée le plus singulier des émerveillements. Il boucle cet album quasi-posthume avec «Out Your Window», il plonge dans le drame, please don’t go, il sonne comme un poète défroqué de l’ère élisabéthaine.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Dans la presse anglaise, on se bouscule au portillon pour saluer le grand retour du prêtre Calimero. C’est à Tom Pincock que revient l’honneur de saluer Mercy dans Uncut. Pincock salue the veteran experimentalist. Le fantastique portait du Cale au collier de perles illumine la double d’ouverture. Pour Pincock, la parution de Mercy est un événement qui se situe au niveau de celles du Rough & Rowdy Ways de Dylan et du Darkstar de Bowie. Il cite aussi les derniers albums de Leonard Cohen, de Mavis Staples et de McCartney - When an album may be your last, there’s no reason to not go quietly into that good night - La formulation est superbe. Il dit en gros : alors autant en profiter, puisque ça risque d’être le dernier. Surtout que Mercy paraît après dix ans de silence. Puis Pincok salue le Gallois débarqué à New York qui amena much of the pioneering squall in the Velvet Underground and changed rock music. Oui, c’est aussi simple que ça. Calimero et le grand méchant Lou ont réinventé le rock. Et puis tu as les productions, Nico, les Stooges, Patti Smith et les Happy Mondays. Pour Pincock, Mercy is the most out-there work Cale has made in some time. Il parle d’hallucinogenic journey et trouve que Weyes Blood sonne comme Nico dans «Story Of Blood». Il qualifie l’hommage à Nico («Moonstruck (Nico’s Song)») d’hyperpop ballad. Oui, le Pincock est extrêmement élégiaque, il termine avec une bien belle formule : «Uncompromising thoroughly modern trip into the twilight, to places were even his collaborators and acolytes would ear to tread. Rage, rage.» Il fait bien sûr allusion au Rage before the dying of the light de Dylan Thomas.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Dans sa column mensuelle, Luke la main froide salue lui aussi le génie de Calimero. Il titre ‘Cale’n’arty’. Et il attaque ainsi : «It is the time for a gonzo appreciation of Wales’ finest man from Wales, John Cale.» Il dit aimer John Cale «more than Lou Reed these days». Acerbic, il ajoute : «Everyone loves Paris 1919, don’t they?». Il salue bien bas les trois albums Island - The paranoid masterpiece that is Fear. The histrionic even-more-paranoid Helen Of Troy (...) and Slow Dazzle - Il cite plus loin un autre trio d’albums - possibly the greatest trio of experimental music ever recorded - il parle bien sûr des trois albums de Nico dont il est le producteur, The End, The Marble Index et Desertshore. La main froide ajoute : «Cale fut probablement la seule personne à comprendre où Nico allait avec this new kind of ‘European Classical Music’ (Cale’s words).» Puis il se fend encore d’une louange en qualifiant Shifty Adventures In Nookie Wood de «some of the greatest music of his career.»

    Signé : Cazengler, fond de cale

    John Cale. Mercy. Double Six 2023

    John Cale. What’s Welsh for Zen?: The Autobiography Of John Cale. Bloomsbury Publishing Plc 1998

    Luke Haines : Cale’n’arty. Record Collector # 542 - March 2023

    Tom Pincock : John Cale. Mercy. Album of the month. Uncut # 309 - Februeary 2023

     

     

    Fairies tales

     - Part Two

    z24352pinkfaries.gif

             En décembre 2023, Russell Hunter, membre historique des Pink Fairies, cassait sa pipe en bois, après que Duncan Sanderson et Larry Wallis, aient cassé les leurs en 2019. D’ailleurs, tous ceux qui ont vu les Pink Fairies sur scène à la grande époque doivent se demander comment Russell Hunter a pu tenir jusqu’à 77 ans. Dans son merveilleux et fondamental Keep It together!: Cosmic Boogie With The Deviants And The Pink Fairies, Rich Deakin explique que les Fairies consommaient à eux trois plus de drogues que tout les Ladbroke Grovers réunis. Ils avalaient et s’injectaient TOUT ce qu’on leur proposait.

             On croit que la page est tournée, comme celle des Ramones ou du MC5, mais non, Paul Rudloph est toujours là, même s’il va droit sur ses 80 balais. Mais comme il était passionné de cyclisme, il est sans doute plus résistant que les autres, va-t-en savoir. Toujours est-il qu’il est encore là, et tant qu’il sera là, les Pink Fairies continueront de faire l’actu.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Vient de paraître Screwed Up, avec un magnifique pig/King of oblivion sur la pochette : même équipe que sur Resident Reptiles, l’album précédent : Lucas Fox au beurre, Alan Davey au bassmatic et Paul Rudolph aux commandes. Alors là, ouch, quel album ! Ils reprennent le vieux proto-punker le Mick Farren, ce «Screwed Up» qui fut, t’en souvient-il, le meilleur single punk de 1977, et te le bam-balamment entre les deux yeux. C’est atrocement féroce. Les vieux Fairies jouent à la vie à la mort, et Davey fait un véritable festival de bassmatic dévorant. Oh le power de Paul Rudolph ! Comme si rien n’avait changé depuis le temps du What A Bunch Of Sweeties. Si tu veux entendre du real deal de power trio, c’est là. Rudolph gratte encore sa disto de gras double sur «Whatchagonnado», et Davey n’en finit plus de voyager à tort et à travers dans le cut, ah il faut le voir partir dans l’autre sens, c’est même une virée historique, il joue des gammes dans le fleuve en crue qui l’emporte ! Ils tapent ensuite un vieux «Hassan I Sahba» jadis écrit avec Robert Calvert. C’est saturé de légendarité, avec un Davey qui une fois de plus dévore le foie du cut encore vivant. L’«Hassan I Sahba» te tombe littéralement sur le râble ! En fait, c’est Davey qui fait le show sur cet album. Il gratte «Punky» à la basse fuzz. Il faut voir le cirque qu’il fait ! Il pousse encore derrière «We Can’t Get Any Closer». Il pousse au cul du cut. Pression demented, il balaye tout, il est dix fois pire que Lemmy, cent fois pire ! Mille fois pire ! Il explose l’apanage du power trio, on l’entend même ramer à la basse sourde dans le break. Leur «Wayward Son» est très Hawk dans l’esprit, c’est du fast jive de rock anglais serti du gros solo baveux d’un géant nommé Paul Rudolph - Run run/ Where’s that gun - Mirifique ! Davey est un bassman qui joue par paquets de notes alertes et en mouvement constant, il déverse une purée fumante et animée, il s’implique violemment dans les embrouilles tectoniques.

             C’est tout de même drôle que les Pink Fairies et Hawkwind fassent encore l’actu du rock anglais, certainement la seule qui vaille tripette. 

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             En 2018, on retrouvait ces rescapés du Pink Fairies Motorcyle Club sur Resident Reptiles. Il faut se souvenir que Paul Rudoph est au moins aussi féroce que Larry Wallis. En tous les cas, c’est lui qu’on entend sur les deux premiers albums des Fairies. Ils ont pris tous les trois un coup de vieux, comme on le voit au dos de la pochette, mais pas leur son. Quelle énergie ! Ça pulse dès le morceau titre d’ouverture de balda. Ça reste de l’hyper-rock fairy joué au maximum overdrive et dans la meilleure tradition de l’underground britannique. Paul Rudolph n’a rien perdu de sa crédibilité. Il tape dans un «Old Enuff To Know Better» signé Wallis et emmène son mid-tempo au long cours comme jadis au temps du Bunch Of Sweeties. Admirable dégoulinade ! Et voilà «Your Cover Is Blown», un heavy mid-tempo bardé de son, un vrai shoot de power-trio. Ces trois mecs constituent une sorte de trésor caché de la couronne d’Angleterre. Ça repart de plus belle en B avec «Lone Wolf». Paul rocke comme au temps des Sweeties, c’est un monster caballero, un impavide pourvoyeur de sonic punches, et en background ronfle un incendie, comme au temps de Fast Eddie. S’ensuit un «Whipping Boy» solidement rocké - I don’t wanna be your whipping boy - Le vieux Paul y va, c’est un battant, un refuseur de tourner en rond, c’est monté sur un vieux riff de Mathusalem. Rien de plus parfait que les Mathusalem Fairies.

    Signé : Cazengler, Pink Féru

    Russell Hunter. Disparu le 19 décembre 2023

    Pink Fairies. Screwed Up. Cleopatra 2024

    Pink Fairies. Resident Reptiles. Purple Pyramid Records 2018

     

     

    L’avenir du rock

     - Aimes-tu MTi ?

             Finalement, l’avenir du rock a décidé de rendre hommage à Jack Kerouac en traversant les États-Unis d’Est en Ouest. Il appelle ça une «décision honorifique». Comme il arrive au Colorado, il se dit qu’avec un peu de chance, il chopera Johnny Strike et William Burroughs à l’université de Boulder. Pèlerinage littéraire ? Pas du tout : l’avenir du rock cultive simplement ses racines. Pour bien profiter des paysages et éviter les highways de cartes postales, il voyage à cheval, à l’ancienne. Le voilà dans les montagnes du Colorado, au cœur de l’hiver. Tout est blanc. Le silence règne, à peine troublé par des cris d’oiseaux. Soudain, il entend de la musique. Oh pas grand-chose, juste un filet. Il décide d’aller y voir de plus près et s’enfonce dans un bois en dressant l’oreille. Il avance au pas et débouche au bout d’une heure sur une clairière. Tiens une cabane de rondins ! La musique vient de là. Il descend de cheval et l’attache. Sur la poutre au-dessus de la porte criblée de flèches est écrit au crayon gras de charpentier le nom de Jeremiah Johnson. Comme par hasard ! L’avenir du rock frappe à la porte. Toc toc toc.

             — C’est pour quoi ? J’ai besoin de rien !, gueule Jeremiah d’une voix bourrue.

             — Chuis pas représentant ! Chuis l’avenir du rock !

             — Rien à branler. Dégage, pauv’ con !

             — Mais vous écoutez du rock, non ?

             — Oui, je r’garde U2 à la télé, et alors ?

             — C’est pas une riche idée, Jeremiah, vous allez devenir encore plus con que vous ne l’êtes déjà.

             — T’y connais rien, avenir du rock de mes deux ! MTiVi c’est ‘achement bien !

             — Pouah ! Je préfère MTi Jones ! 

    z243561mtjones.gif

             On fait MTi pour les besoins du scénario, mais en réalité, il s’appelle MT Jones. Comme il joue en première partie de Jalen Ngonda, MT Jones réédite l’exploit que réalisa Jalen en avril 2023, en première partie de Thee Sacred Souls : créer la surprise seul sur scène avec une guitare électrique.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

    Jalen Ngonda et MT Jones ont d’autres points communs : des chansons parfaites et des voix de superstars, mais de vraies superstars, pas celles qu’on voit dans Telerama ou à la télé, dans les émissions destinées aux grosses rombières réactionnaires. Ces deux petits mecs échappent aux griffes du mainstream grâce à l’éclat d’une authentique dimension artistique.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

    La meilleure illustration est cette reprise du «Tell Like It Is» d’Aaron Neville qu’ils tapèrent tous les deux ce soir-là derrière un micro. Jalen et MT sont potes, ça s’entend et ça nous ravit.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             MT Jones est un petit mec de Liverpool. Apparemment, il n’est pas encore signé. Au merch, tu peux ramasser son mini-album et crois-le bien, tu vas te régaler. Oh pas grand-chose, six cuts, ceux qu’il chante sur scène avec une effarante modestie. En gros, c’est le même délire que ceux de PM Warson et James Hunter. Il battrait presque Nick Waterhouse à la course, avec «I’d Be Lying». Sur son disk, il a des chœurs et des orchestrations. Il est assez fabuleux de white-niggahrism. Il cultive encore la groovytude de Liverpool avec «In My Arms». Il se déplace dans les nuages comme Marvin et Jalen. Il a même des violons. Ses chansons sont assez miraculeuses de qualité. Sur scène, il les chante d’une voix forte qui impressionnerait le plus blasé d’entre nous. Il fusionne Liverpool avec la Southern Soul. Il a la voix qui va. Le petit MTi est une superstar en devenir, à n’en pas douter. Tout est immensément bon, en place à chanter à l’éclate du Sénégal. Il va chercher son «Feeling Lonely» assez loin, il est réellement dedicated, il est même convaincu comme pas deux. Il termine ce premier round avec un joli «Made Up Your Mind» bien bombardé au sommet de la hiérarchie de la Soul par un bassmatic éléphantesque. Quel power ! Voilà le Soul Brother qui sort du bois ! Il tape dans l’apanage de l’irréversible, il va le chercher là-bas, dans l’extrême bonheur de l’hot Soul, mais si, messie, il y va comme peu de blancs ont osé avant lui, à la pure et dure, et la basse lui bouffe la motte, c’est une révélation organique. 

    Signé : Cazengler, Mti con

    MT Jones. Le 106. Roun (76). 25 mars 2024

    MT Jones. MT Jones. Not On Label

     

     

    Inside the goldmine

     - Rosco et ses frères

              On ne choisit pas ses meilleurs amis. Ce sont les circonstances qui vous les servent généralement sur un plateau d’argent. Rascal est arrivé par le biais d’une famille d’accueil, le genre d’environnement qui se recrée autour de toi quand tu as tout perdu. Il faut avoir vécu ça au moins une fois dans sa vie, car on y apprend tout ce qu’il est important de savoir, en termes d’humanité. Rascal appartenait au premier cercle de cette famille d’accueil. Pour le situer rapidement, il était militant d’extrême gauche et photographe de métier. Un photographe prodigieusement doué, qui travaillait essentiellement au Leica. Il shootait surtout les gens. La relation «familiale» évolua avec le temps sur une relation plus professionnelle. Avec ce noyau d’anciens militants et de pigistes à l’Huma, nous montâmes une structure spécialisée en com interne et ressources humaines. Pour un journaliste d’investigation, faire de la com interne est un jeu d’enfant. Il utilise les mêmes techniques de collecte d’informations, le but étant de tirer les vers du nez des managers pour défaire les blocages, rendre les relations fluides entre le middle management et la base ouvrière, tout cela saupoudré d’une généreuse pincée de valorisation des métiers. Non seulement c’est passionnant, mais ça rapporte pas mal de blé, car évidemment, les grosses boîtes sont les seules à pouvoir débloquer des budgets conséquents de com interne. À cette époque, on rencontrait encore des DRH soucieux du bien-être du personnel dont ils avaient la charge. C’est avec ces gens-là qu’on bossait. Alors, nous commençâmes à bourlinguer sérieusement, avec Rascal, d’abord dans toute la France, puis dans toute l’Europe, car les multinationales ont des sites de production un peu partout. Et nous sommes ainsi entrés dans des usines de toutes sortes, pour enregistrer les paroles des gens et les photographier, pour y monter ensuite des expos et y créer des événements. Nous menions ces missions avec passion, car nous avions le sentiment très clair de leur importance. Un jour que nous approchions d’un site industriel situé au Pirée, près d’Athènes, nous fûmes pris sous le feu d’un commando indépendantiste. Le chauffeur qui était aussi le directeur de l’usine s’en sortit indemne, car il portait un gilet pare-balles. Il se savait menacé. Par contre, Rascal avait salement morflé. Plusieurs balles dans le buffet. Le seul moyen de le ranimer était de lui chanter «Debout les damnés de la terre !», mais rien n’y fit. Ce meilleur ami du temps d’avant repartit comme il était venu, sur son plateau d’argent.

    z24353rosco.gif

             Rascal et Rosco ont deux points communs, ce qui explique sans la justifier la présence de l’infortuné Rascal. D’un côté le talent, Rosco et Rascal excellaient dans leurs domaines respectifs, et d’un autre côté, le destin tragique : Rascal aurait pu devenir le Cartier-Bresson des temps modernes, et Rosco un rocking Soul brother de calibre supérieur. 

             Deux façons de retrouver Rosco Gordon : par l’histoire de l’early Memphis scene, ou par New York City Blues, le brillant book de Larry Simon préfacé par John Broven. Rosco Gordon appartient en effet aux deux scènes. Comme ça ne marchait plus pour lui à Memphis dans les early sixties, il est parti s’installer à New York et travailler dans un pressing. Il avait gagné le blé pour acheter ce pressing au poker.

     

             Dans son book New York City Blues, Larry Simon rappelle que Rosco fut aussi important à Memphis que l’étaient Johnny Ace, Bobby Bland, Junior Parker et B.B. King. Comme sa carrière a capoté, il s’est réinstallé dans le Queens en 1962. Il y a monté un label et a continué de se produire sur scène. Puis il évoque sa boutique de pressing - Yeah I was in the dry cleaning business for seventeen years. I made a good living. I was home with my family every night. That meant more to me than all the money in the world and the fame. My family - Le fleuron de l’interview, c’est Butch, le fameux chicken qu’on voit d’ailleurs dans Rock Baby Rock, un superbe rock’n’roll movie de 1957 - That’s the original Butch - Le poulet est resté un an et demi avec Rosco. Il pense que c’est le scotch qui l’a tué. Chaque soir sur scène, Rosco lui donnait un peu de scotch à boire et les gens disaient : «Here comes Rosco and his drunk chicken.» Simon le branche aussi sur Beale Street et boom, Rosco part bille en tête sur les Beale Streeters - all of us, you know, all the Memphis musicians, B.B. King, Bobby Bland, Johnny Ace, Earl Forest and myself. We were supposed to be the Beale Streeters - Mais c’est un coup monté par Don Robey, Rosco avoue n’avoir bossé qu’avec Bobby Bland - Je n’avais pas de bagnole et Bobby Bland nous conduisait au concert. Bobby chantait au volant et assis à l’arrière je me disais que j’aurais dû être son chauffeur et non l’inverse.

             L’autre épisode fondamental de l’histoire de Rosco est son retour à Memphis pour recevoir les honneurs, au soir de sa vie. Dans le Road To Memphis de Richard Pearce, on voit Rosco coiffé de sa casquette de cuir noir entrer chez un disquaire de Memphis et chercher à la lettre G : pas de Rosco Gordon ! Rien. No nothing ! Il va casser sa vieille pipe en bois six semaines après avoir reçu les honneurs sur scène, sous les caméras de Richard Pearce, aux W.C. Handy Awards de Memphis.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Très belle pochette que celle de Rosco Rocks Again. C’est un album live que Rosco Gordon  attaque avec «The Chicken», son vieux coucou qui date du temps de Memphis, lorsqu’il posait Butch sur son piano droit. C’est du big jump - I wanna do/ I wanna do/ The chicken walk - Barrelhouse de Beale Street : incomparable ! Pareil, il fait un carton avec «Kansas City». Le gratteur s’appelle Wayne Bennett. Il était le gratteur de Bobby Blue Bland. Le coup de génie de Rosco se planque en B : «Darling I Really Love You». Fantastique croon de crack qu’il tape à l’accent fêlé. C’est du meilleur effet. Wayne Bennett fait des merveilles au coulé de jazz.   

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             No Dark In America est un album posthume, puisque paru deux ans après son cassage de pipe en bois. Ça démarre sur le wild boogie du morceau titre, puis il passe en vitesse de croisière avec son classic jive de jump («Cheese & Crackers»). Il tape ensuite l’heavy boogie blues de just a country boy avec «Early In The Morning». Excellent, même si cousu de fil blanc. Puis il passe à l’exotica avec «A Night In Rio», c’est quasi-ska et même excellent. Rosco est comme un poisson dans l’eau. Son album sonne ensuite comme un épatant chemin de croix, avec des cuts plus ambitieux comme «I Am The One», très New Orleans, ça sonne comme du Fatsy bien balancé, il sait charger une barcasse. On l’entend pianoter sur «Love On Top Of Love», il a un jeu très affirmé, très rustique, il tente le coup du heavy blues de bastringue. Encore un sacré heavy blues avec «Takes A Lot Of Loving», il y juxtapose un monde à lui, un piano blues très franc du collier, très intense. Rosco est un fantastique shouter. Il va creuser sa tombe de voix dans «Are You Mine», puis il te prend dans ses bras avec «When My Baby Comes Home», heavily pianoté et saxé jusqu’à l’oss de l’ass, c’est très puissant, très envoûtant, très Rosco. Il t’ensorcelle encore avec «One More Time» et cet album mystérieusement mirifique s’achève avec «Now You’re Gone» - So many dreams/ I miss your kisses even more - Don’t forget Rosco.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Let’s Get It On n’est pas l’album du siècle. Rosco y propose un groove classique, bien contenu et très soigné. Du solid Rosco. Avec «Early In The Morning» il repropose son heavy blues de just a country boy. Il reste bien dans la ligne du parti. Pas d’excès et surtout pas de révolution. Il n’est pas surprenant qu’il soit tombé dans l’oubli, c’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute de «Tell Me I’m The One». Et pourtant, ce n’est pas si mauvais que ça. Il redémarre sa B avec un r’n’b très fin, «If That’s The Way You Feel». Joli bassmatic, son très soigné. Finesse : c’est le mot qui caractérise le mieux le vieux Rosco. Une certaine Eunice Newkirk duette avec lui sur «One Man Woman». Rosco reste un superbe chanteur. Il ne lâche pas sa vieille rampe. On met en temps fou à entrer dans son jeu, et puis on finit par adorer sa finesse de ton. Il chante d’un timbre particulier, un peu sourd, un timbre d’étain blanc qui le distingue du troupeau bêlant des moutons de Panurge.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Dans les années 80, Ace excellait déjà dans son domaine de re-découvreur. On put ainsi mettre le grapin sur deux volumes du mighty Rosco, The Best Of Rosco Gordon Volume One et deux ans plus tard, Volume 2. The Memphis Sessions. Alors attention, c’est du Sun Sound. N’oublions jamais qu’Uncle Sam a commencé par flasher sur le Boot de Rosco, et ça donne «Booted», un heavy jive de jump. On est là aux origines du Memphis Beat. Rosco est à la fois fin et suave. Uncle Sam l’avait bien compris. Avec «Two Kinds Of Women», il fait du heavy blues à l’accent de fer blanc. On sent dans tout ça de la joie et de la bonne humeur. La viande se trouve en B, avec notamment «Don’t Have To Worry ‘Bout You No More», un fantastique heavy groove d’about you - bah bah, babah - Il dit adieu. C’est Rosco le cake. Il enchaîne avec «Just In From Texas», un fantastique swing de jump. Ça groove sous l’hip-shake ! Et voilà la cerise sur le gâtö : «Lucille (Looking For My Baby)», un fantastique shoot de Memphis Beat, stupéfiant de facilité. Rosco est l’un des dandys de Memphis.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Sur la pochette du Best Of Volume 2, on peut voir Butch, le poulet de Rosco, sur le piano. Ce Best Of est une belle pétaudière. Chez Uncle Sam, ça sonne exactement comme chez Cosimo, à la Nouvelle Orleans. C’est en tous les cas ce qu’indique «That Gal Of Mine». Bouclage du balda avec un instro wild as fuck, «Kickin’ The Boogie». Pur jus de Sun Sound. Tout ça est enregistré entre 1951 et 1952 chez Uncle Sam, alors t’as qu’à voir ! Trois ans avant Elvis. Pur jus de Memphis Beat encore avec «A New Remedy For Love» et un sax savamment incisif. 

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             C’est encore à Ace qu’on doit Bootin’. The Best Of The RPM Years. John Broven signe les liners et nous livre de larges extraits d’interviews de Rosco. Fascinant ! Rosco bouffait à tous les râteliers : Uncle Sam l’enregistrait pour Chess et si les Bihari Brothers lui proposaient un billet de $600, alors il enregistrait les mêmes cuts pour Modern et RPM. En 1952, Rosco était une énorme star - I was so hot! Every time I looked around I had a new record out. At 18 or 19 I had the best of everything, big Cadillac, the sharpest clothes, $200 shoes, girls, I had so much fun. I tell you - Rosco y va au til the day I die dès «No More Doggin’», l’heavy jump de la désaille. Rosco est le punk du jump. Il écrase sa diction dans le cendrier du jump et en prime, tu as un solo de sax on fire. Oh comme ça gueule ! Son «Booted» sonne très New Orleans et «Maria» va plus sur la Jamaïque. Son fonds de commerce reste le jumpy jumpah très tressauté («New Orleans Wimmen»), Rosco y va au franco de port avec un solo de sax brûlant et explosif. Joli cut encore que ce «Two Kinds Of Woman» savamment pianoté. Il fait de l’heavy Rosco avec «Dream Baby». Il gueule dans son micro et ne laisse aucune chance au hasard. Rosco est un killer, bien avant Jerry Lee. Tout est sérieux sur cette compile. Tu as un solo de sax demented dans chaque cut. Son «Lucille (Looking For My Baby)» est quasi rockab tellement c’est bien foutu. Il fait aussi du heavy jive de big band avec «Just In From Texas». Il n’en finit plus de se jeter dans le vent du jump, tu as là le real deal du Black Power. Il est impayable ! Il passe au booze jump avec «We’re All Loaded (Whiskey Made Me Drunk)», c’est bien vu, bien enlevé, il dit qu’il aime ça, I lose my mind, avec en prime un solo de jazz liquide. Il boucle avec un fantastique «Throwin’ My Money Away». Black Power all over !

    Signé : Cazengler, Roscoco Bel-œil

    Rosco Gordon. Rosco Rocks Again. JSP Records 1983   

    Rosco Gordon. No Dark In America. Dualtone 2004   

    Rosco Gordon. Let’s Get It On. Studio One

    Rosco Gordon. The Best Of Rosco Gordon Volume One. Ace Records 1980 

    Rosco Gordon. Volume 2. The Memphis Sessions. Ace Records 1982

    Rosco Gordon. Bootin’. The Best Of The RPM Years. Ace Records 1998

     

     

    Max le ferrailleur

    - Part Four

     

    z24349décharné.jpg

             Si tu veux entrer par la grande porte dans le palais royal des Flaming Stars, commence par  Songs From The Bar Room Floor. Impossible de dire que cet album paru en 1996 est le meilleur, car tous les albums de Flaming Stars sont exceptionnels, et les compiles qu’on va croiser à la fin de ce petit panoramique sont par conséquent explosives.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

    Ce premier album est dédié à Sterling Morrison et Charlie Rich. L’album grouille de puces et on retrouve Max par terre dès «The Face On The Bar Room Floor», et tu entends les deux sonic genius du groupe, Nick Hosking et Johnny Johnson. Comme quasiment tous les albums du groupe, celui-ci est enregistré chez Toe Rag - Well say hello from the bar room floor - C’est tout de même incroyable que les Flaming Stars n’aient pas explosé la gueule des charts anglais. L’autre surdoué de la bande, c’est Joe Whitney, il faut l’entendre battre le beurre sur «Dowhill Without Brakes», il est le roi du rool over. Les deux guitar slingers font encore un carton épouvantable dans «You Can’t Lie». Oh l’incroyable vélocité des dynamiques et ce killer solo flash incendiaire ! C’est même une stoogerie ! Ils savent aussi sonner comme le Velvet. La preuve ? «Kiss Tomorrow Goodbye». C’est vraiment pas loin d’All Tomorrow’s Parties. Bravo Max ! Les Flaming Stars sont avec les Spacemen 3 et les Mary Chain le seul groupe anglais à s’être approchés d’aussi près de l’esprit sacré du Velvet. Et maintenant, place aux coups de génie : «Bring Me The Rest Of Alfredo Garcia» pour commencer, assez demented, drivé par le killer tantalizing et des nappes d’orgue insidieuses. Oh et ce solo d’instance de la résistance ! Killer comme pas deux ! Sonic genius encore avec un «Back Of My Mind» furax et même wild as fuck, fusillé par les deux slingers de service. À couper le souffle. Tu ahanes encore quand tu arrives aux pieds d’«I Like Trash». Max te pianote ça à la Jerry Lee. Quelle flambée de Flaming ! C’est le summum de la frénésie, le vrai jive de London town, et ils bouclent cet album faramineux avec un «3am On The Bar Room Floor» fantastiquement étalé sur le plancher.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Tu prends les mêmes et tu recommences avec Pathway. Comme son nom l’indique, ils enregistre au studio Pathway, là où fut enregistré «New Rose», et non chez Toe Rag. Liam Watson produit deux trois cuts. L’album est dédié à Charlie Feathers et à Danny Ocean «whos’s gone with the summer wind». Hommage au Velvet avec «Maybe One Day». Ils sont exactement dans la veine de «Pale Blue Eyes». Instro de choc avec «Sing Sing» : groove de jazz. Eh oui, ils ont ces moyens-là. Ils te jazzent le Sing Sing dans la couenne du lard. Tu veux du killer solo flash ? Alors écoute «Running Out The Fire», qui est bien amené sous le boisseau et qui explose ! Killer solo demented, ah laisse tomber Clapton ! Avec les Flaming Stars, ça se bouscule au portillon du firmament. Et voilà encore cinq raisons de rapatrier cet album faramineux, à commencer par «Breaking Down». Wild très wild, c’est du Gun Club balayé par des grattes devenues folles et des nappes d’orgue crépusculaires. Sombre et glorieux à la fois. Dans la foulée arrive «Only Tonight» et sa fantastique intro. Cet album va vite te dépasser, fais gaffe, d’autant que Joe Whitney te bat ça à la vie à la mort. Plus loin, tu prends «Lit Up Like A Christmas Tree» en pleine poire, ça te percute littéralement de plein fouet, comme du Gallon Drunk d’haleine chaude, et tu as ce balancement définitif et ce fou d’Hosking qui part et qui repart ! Quel carnage ! Swing et shuffle, tu as toutes les mamelles du destin dans le Christmas Tree. «Eight Miles Down» t’attend au virage, encore un cut plein comme un œuf et traversé d’éclairs de wild guitar power. Ces deux mecs grattent comme des démons. Et pour finir ton indigestion, voilà encore un bel écrasé du champignon, ce «Just How It Feels» tellement dense qu’il t’amène au bord de l’overdose.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Comme t’es un gros malin, tu te dis que tu vas pouvoir souffler avec The Six John Peel Sessions. Grave erreur, amigo. C’est exactement le contraire. Ce sont les cuts des deux albums précédents, en pire. Comme si c’était possible. Joe Whitney est encore plus dingue sur «Downhill Without Brakes», il bat pas le beurre mais le jungle punk. Le killer solo sur «Back Of My Mind» est encore plus killer qu’avant, «Kiss Tomorrow Goodbye» encore plus génial qu’avant, «The Face On The Bar Room Floor» encore plus in the face qu’avant, ils te foutent vraiment la gueule sur le parquet, et le solo est encore plus illuminé qu’avant. Pure romantica punk de London town. «Like Trash» est encore plus trash qu’avant, le solo vampire plane dans la nuit londonienne, John Peel devient encore plus fou que Joe Whitney ! Et Joe bat encore plus le nave qu’avant avec «Forget My Name, et un killer solo vient se coincer en travers de ta gorge. Arghhhh ! John Peel qui a pourtant vu défiler tous les cakes à Maida Vale n’avait encore jamais vu ça ! The Flaming Stars ! Et si c’était le plus grand groupe de rock d’Angleterre ? Va-t-en savoir. En attendant, «Bury My Heart At Pier 13» est encore plus attaqué qu’avant, c’est littéralement gorgé de riffalama scintillante. On n’avait encore jamais un truc pareil. Pire encore avec «Just Too Bad» : Max chante comme un Lou punk ! Les Flaming Stars sont à la fois dans Gallon Drunk et le Gun Club. Et sur le disk 2 sur quoi tu tombes ? Tu ne devineras jamais... Une cover ahurissante du «What Do I Get» des Buzzcocks. Inespéré. Mais attends, c’est pas fini ! Ils sonnent encore plus comme le Velvet qu’avant avec «Running Out Of Time», et puis ils sortent de leur manche cette Beautiful merveille qu’est «Only Tonight». Max fait son Lou quand ça lui chante avec «The Street That Never Loses», il embarque ça au just don’t know, comme le Lou dans «Heroin». Et puis avec «Breaking Down», ils poussent la densité dans ses retranchements, avec encore une fois un killer solo trash d’une férocité à peine croyable. Quand tu sors de là, t’es rincé. Tu vas coucher au panier. Ouaf ouaf.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Et tu crois qu’en vieillissant les Flaming Stars vont s’assagir ? Ah ah ah comme font les imbéciles qui se croient drôles. Paru en l’an 2000, A Walk On The Wired Side montre au contraire que l’état des Flaming Stars s’aggrave. Surtout l’état de Joe Whitney. Écoute «The Villains» et tu comprendras. Il ne bat pas le beurre, il bat la wildmania. Max fait encore son Lou dans «Leaving Town». On se croirait sur Berlin. Ils tapent «You Don’t Always Want What You Get» sur les accords du «Mongoloid» de Devo et ça vire vite Flaming Stars avec des rasades de solos stoogiens. Ils font encore du wild extrêmement underground avec «Action Crime & Vision», c’est l’anticipation à la puissance 1000 et toujours ce wild killer solo flash en plein cœur du cut, l’Hosking claque des solos d’une rare violence. Il rivalise de génie sonique avec Wayne Kramer. Ils grattent l’«Over & Done» à coups d’acou dans la chaleur de la nuit londonienne et soudain, tu ne sais pas pourquoi, ça bascule dans l’apocalypse. C’est la grande spécialité de Flaming Stars, avec un riff d’orgue entêtant de tip tip tip et un solo de Nosferatu Hosking. Et voilà «Sleepless Nights» tapé au supremo d’excelsior, explosé de poux du diable et de basse pouet pouet. Que de tempêtes, my son ! Quelle violence ! Ça gargouille dans les entrailles de Saturne ! T’es encore balayé par une tempête de dégelée tentaculaire avec «More Than Enough», ils se jettent tous ensemble dans la balance, l’orgue, le Whitney, les wild killer solos flash et tout s’écroule dans le lagon d’argent avec les falaises de marbre. Tu te dis qu’ils exagèrent et que tu vas porter plainte.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Ils attaquent Named And Shamed avec «She’s Gone», une heavy romantica qui résonne au fond du cœur, mais avec un killer solo en intraveineuse. Et puis comme si ça ne suffisait pas, ils basculent dans les Stooges avec «Where The Beautiful People Go». Ils n’ont jamais été aussi énervés. Surtout le Whitney. Lui, il faudrait le faire enfermer et l’Hosking ne vaut pas mieux, avec ses riffs des Stooges. Tu rêvais d’une soirée tranquille, te voilà baisé, une fois de plus. Ils font du heavy stomp de London town avec un «Spilled Your Pint» digne de Carter & The Unstoppable Sex Machine. Du coup, cet album devient complètement wild, et ça s’aggrave encore avec «Another Dial» gratté au gaga demented. Là ils dépassent les bornes. T’es complètement ahuri par le contraste qui existe entre le croon tempéré de Max et les blasts de poux derrière qui valent n’importe quelle pétaudière de Detroit. Les deux slingers allument comme des possédés. Les Flaming Stars jouent sur les deux tableaux à la fois : le cool du froid et l’hot as hell. Effet garanti. Pire encore, voilà «Stranger On The Fifth Floor» et toujours ce contraste chant cool/Méricourt sonique, ces successions de flamboyants killer solos trash sont uniques dans l’histoire du rock anglais. L’Hosking te cisaille encore «If You Give’Em A Chance». Ce sont véritablement les poux les plus furax d’Angleterre depuis le temps de la chopper guitar de Terry Stamp. Tout est cisaillé dans la couenne. Ils font du Third World War sans même s’en rendre compte ! Ils attaquent «The 39 Steps» comme les Damned, à la frenzy des suburbs infestée de poux. 

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Born Under A Bad Neon Sign est dédié à Nikki Sudden. L’album est un petit peu moins dense que ses prédécesseurs, disons qu’il est plus tenu en laisse, mais attention, ça mord ! Holly Golightly vient duetter avec Max sur le morceau titre, l’ambiance générale est très tendue, très battue, le Whitney fait encore des siennes sur «Should’ve Happened Before» et sur «It’s So Fine». Sur chaque album des Flaming Stars, il se passe des choses extraordinaires. Les grattes n’en finissent plus de plonger dans les entrailles des cuts encore vivants. Ils se tapent une wild ride avec «All This (And So Much More)». Ils adorent partir à l’aventure. Ces mecs sont musclés, beaucoup trop musclés. Retour au Velvet avec «Keine Ahnung», superbe balladif intimiste inspiré. Et tout explose avec «All The Same To Me», Joe Whitney bat le beurre du fou, toujours ce contraste entre cette énergie contenue et le fou qui bat derrière, et tu assistes à un développement spectaculaire, Whitney tape à la dent creuse et les poux prennent feu. Huck Whitney et Mark Hosking jouent vraiment dans la cour des grands. Peu de groupes sont capables de telles pertes de contrôle.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             Et puis on finit par entrer dans l’ère de ce qu’il faut bien appeler des compiles apocalyptiques avec Bring Me The Rest Of Alfredo Garcia (Singles 1995-1996) et London After Midnight (Singles Rarities And Bar Room Floor Fillers 1995-2005). Ces deux compiles font partie des meilleurs disques jamais parus en Angleterre. Elles condensent du déjà dense, alors si tu as les nerfs fragiles, passe ton chemin. Ce sont les compiles du non-retour. Sur Bring Me The Rest Of Alfredo Garcia, tu retrouves dans le morceau titre le pire killer solo d’Angleterre. Il semble que ce soit Johnny Johnson qui le passe. Tu retrouves aussi ces gros clins d’yeux au Velvet, «Ten Feet Tall», «A Hell Of A Woman» et «Eart Your Heart Out», avec la fabuleuse clameur new-yorkaise, le swagger du diable, «A Hell Of A Woman», c’est Lou Reed avec de l’orgue, et ils ramènent même du Totor dans l’équation d’«Eat Your Heart Out». Tu retrouves aussi «Like Trash», avec le Whitney qui t’explose la combine, dans un délire de fuzz et de notes de piano. Tu as là tout ce que tu aimes dans le rock, le great fast & furious. Et bien sûr, il pleut des coups de génie comme vache qui pisse, à commencer par ce vieux «Face On The Bar Room Floor» qui date du premier album, pourri d’écho, wild et complètement ravagé, c’est Memphis in London. Et puis tu as ce «Broken Heart» cavalé sous le boisseau de Camden, assez pur,  presque rockab et éclairé par des éclairs de grattes. Que de power my Gawd encore avec «Kiss Tomorrow Goodbye», et ça grouille d’instros grandioses comme «Spaghetti Junction», «Davy Jones Locker» ou encore l’effarant «Get Carter». Oui effarant. Pas d’autre mot possible ici.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

             London After Midnight (Singles Rarities And Bar Room Floor Fillers 1995-2005) est encore pire, car c’est un double CD. T’es pas sorti de l’auberge ! Tu retrouves les coups de génie d’Alfredo Garcia, «Kiss Tomorrow Goodbye», «The Face On The Bar Room Floor», suivis de l’imparable «Money To Burn». Tu rôtis déjà en enfer. Bienvenue dans l’underground d’after midnight. Tu te noies dans cette pop éperdue et incroyablement tendue. Tu vois des cuts faramineux se noyer dans des nappes d’orgue («Ten Feet Tall»), d’autres grattés à la folie («Bury My Heart At Pier 13»), d’autres descendre au barbu de London town («New Hope For The Dead»), d’autres sabrés au killer solo flash de destruction massive («Sweet Smell Of Success»), d’autres qui atteignent la grandeur inexorable («Only Tonight»), d’autres qui singent le Mongoloid («You Don’t Alway Want What You Get»), d’autres qui sont claqués du beignet d’entrée de jeu («Stranger On The Fifth Floor», et tu y vois un killer solo devenir fou, c’est unique dans l’histoire du rock anglais),  d’autres qui prolifèrent dans le grain du son («Eight Miles Down»), d’autres qui virent samba du diable («Running Out Of Time», avec Mark Hosking qui vient de s’échapper de l’asile de fous), d’autres qui allument les lampions de l’underground («Where The Beautiful People Go»), d’autres qui battent tous les records de tout ce que tu veux («The Man Who Would Be King» et «Action Crime & Vision»), d’autres qui jouent les dandys londoniens («Right Face Right Time»), d’autres qui défoncent la rondelle des annales stoogiennes («Back Of My Mind»), d’autres qui te fendent le cœur («Days Like This»), d’autres qui te marquent à vie («Never Missed You Tonight»), d’autres qui t’envoient au tapis («Like Trash», avec ce fou d’Hosking qui se balade dans le son au tremblé de note explosif). Enfin bref.

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Flaming Stars. Songs From The Bar Room Floor. Vinyl Japan 1996

    Flaming Stars. Pathway. Vinyl Japan 1999

    Flaming Stars. The Six John Peel Sessions. Vinyl Japan 2000

    Flaming Stars. A Walk On The Wired Side. Vinyl Japan 2000

    Flaming Stars. Named And Shamed. Vinyl Japan 2004

    Flaming Stars. Born Under A Bad Neon Sign. Big Beat Records 2006

    Flaming Stars. Bring Me The Rest Of Alfredo Garcia (Singles 1995-1996). Vinyl Japan 1997

    Flaming Stars. London After Midnight (Singles Rarities And Bar Room Floor Fillers 1995-2005). Big Beat Records 2006

     

    *

    L’on ne sait jamais où l’on met les pieds, j’aurais dû m’en douter, l’on ne s’écoute pas, l’on se croit plus fort que la mort. Bien sûr ce n’est pas de ma faute, lors de ma recension (voir notre livraison 646 du23 / 05 / 2024) d’Averoigne d’Arcanist, j’avais été frappé par le nom de leur maison de disque : Yuggoth Records, s’en échappe une exhalaison lovecraftienne, normal puisque son implantation terrestre ou symbolique se situe à Rhode Island.

    Beaucoup de gens appellent leur chat Minou, esprit rationnellement tourmenté Lovecraft a décidé de baptiser la planète naine Pluton du  nom de Yuggoth, la description que l’auteur de Dagon en donne n’incite guère à l’optimisme.  Lisez Ceux qui chuchotaient dans les ténèbres pour vous en convaincre.

    Quand vous trouvez un caillou qui vous semble bizarre, ne le ramassez pas, vous ne savez pas ce qu’il cache. Facile d’identifier la pierre qui a attiré mon attention le nom est écrit juste au-dessous de Yuggoth Records : Peter Scartabello.

    Qui est-ce ? Je vais vite savoir, l’a un album sur le catalogue Yuggoth ! Puisque c’est à ses actes que l’on connaît un homme, écoutons.

    CAST

    PETER SCARTABELLO

    (Yuggoth Records / Bancamp  / 17 – 01 - 2000)

    Une belle couve. Lorsque vous la regardez pour la première fois vous ne voyez que la moitié d’elle. La moitié inférieure. Le profil d’un bel et gracile adolescent, ou d’un jeune homme, micro en main en train de chanter. Derrière lui, le squelette d’une  cage thoracique, vous vous croyez en pays conquis, vous ne voyez pas, vous entendez le déluge metallique, vous savez déjà ce qui vous attend, un opus de death metal, d’ailleurs ce fond de  couleur bois vernis de cercueil vous conforte dans votre opinion, de toutes les façons avant même de regarder  vous l’aviez deviné, un label qui se pare du nom de Yuggoth ce n’est pas pour vous proposer la bande-son de Petit Ours Brun va à la plage,  les plus blasés s’écrieront encore un truc tordu à la Damie Chad je passe à la chronique suivante, jetez tout de même un coup d’œil à la partie supérieure de la couve. Tiens le même gars, l’a l’air un peu fatigué, un peu flappi tel une pomme d’api oubliée depuis trois mois sous le tapis, vous ne savez pas pourquoi vous pensez : diable avec ce squelette thoracique derrière lui ce n’est pas La Jeune Fille et la Mort de Schubert mais le jeune homme et la mort de  Peter Scartabello. Vous êtes fier de votre trait d’humour, vous sursautez, non de Zeus ce n’est pas une cage thoracique, c’est… c’est… c’est quoi au juste… vous zieutez de plus près, un bas-relief sur une cloche géante ou le bas d’un large tronc d’arbre qui représenterait un musicien jouant sur une espèce de violoncelle à forme thoracique… Le problème c’est que plus vous essayez de comprendre la juxtaposition intricatoire de ces deux bandes, la supérieure et l’inférieure, moins vous intuitez, car si au premier abord la composition paraît simple vous vous trouvez face à une structure d’une grande complexité, elle fonctionne à la manière de ces glissements sémantiques flappi-api-tapis qui jouent sur les sonorités, mais là se pose une question cruciale : celle que vous ne parvenez pas à formuler.

    L’artwork n’est pas signé.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

    Une fausse note. Peter Scartabello n’est pas crédité parmi la liste des musiciens.  Conclusion : c’est un compositeur. L’a notamment composé des musiques de films d’horreur. Jusque-là tout baigne : horreur-Yuggoth-Lovecraft. Non pas du tout ! L’écoute de Cast m’a ôté d’un doute provoqué par la lecture de la liste de ses musiciens. Cast n’est pas un disque de Death Metal mais la première œuvre de musique classique composée par Scartabello.  Pas étonnant, le Metal est une musique multiple. Une pieuvre aux mille bras qui étend ses tentacules dans de nombreuses directions. Nous vivons une époque où les genres se rencontrent tels de monstrueux icebergs à la dérive qui s’entrechoquent… Je réprouve le terme de fusion, je préfère évoquer des formes idéennes intangibles qui s’interpénètrent en un incessant combat tellurique, un peu comme si par effraction aléatoirement logosique  vous vous retrouviez dans une dimension temporelle qui n’est pas la vôtre. 

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

    Si j’ai bien compris les rares images et commentaires de son instagram – je n’ai jamais vu autant de photos de pizzas – Peter Scartabello a suivi une formation classique. Ce qui ne l’a pas empêché de s’intéresser à d’autres universs. Outre les couves de King Crimson et de quelques autres groupes, parmi ses quatre mille posts je retiendrai d’abord : une photo du dernier texte écrit par Rainer-Maria Rilke, le poëte par excellence de la notion d’Ouvert... Mais surtout aussi son admiration de Schubert.

    Je me suis un bon moment demandé comment traduire le titre de cet album. Phonétiquement j’avais envie de proposer Cash, ensuite à l’aide du traducteur qui donnait comme terme de base le verbe ‘’jeter’’ j’ai opté pour jonchée, l’idée de quelque chose de précieux que l’on jette à terre ou que l’on dépose comme une gerbe de fleurs sur une tombe, car  de quel objet plus intime que la vie pourrions-nous nous débarrasser… En fait Cast est un terme musical qui désigne un quart de ton.  Pas de quoi chercher de minuit à deux heures du matin les fantômes de la nuit…

    The Signal : musicien : Ben Moran : guitare classique / bandes :  le morceau est précédé de l’indication : pose ta paume sur mon front et murmure : « le signal devient plus fort. »… à mon oreille. (1994) : pointez l’oreille vers le son, roulement de cordes dont les harmoniques s’amplifient en une progression qui baisse d’un ton, cascade de notes esseulées, gouttes de pluie fine et grave qui surgissent et se noient dans un verre rempli d’eau, long silence, la structure se répète sous une forme différente, davantage rapide, davantage de notes qui bientôt s’espacent puis se cristallisent comme de frêles stalactites de glace qui se brisent de par leur  propre fragilité, sifflements, il semblerait que Moran el chileno ait perdu sa dextérité, tel un gitan de flamenc qui ne parviendrait plus à les  bazarder par floppées, secoue une dernière fois sa guitare pour faire tomber les dernières gouttes, un bruit de corde qui casse et un silence encore plus long que le précédent, quels sont ces tapotements, l’on se croirait transporté dans le finale d’une tragédie de Racine, une corde désespérée incapable de jouer, artiste maudit, qui se ferait brutalement harakiri, puis des larmes et du silence, des efforts elle rampe sur le plancher, le drame serait-il que notre modernité ne pourrait plus entendre un instrument sans désirer un couac, révolte la guitare se relève pour laisser éclater son chant de cygne à l’agonie, non à la dissonance, la beauté avant tout jusqu’aux portes de la mort, le son se morcèle, du bruit, du noise, de la folie, les doigts frôlent les cordes comme si Hendrix frottait son instrument sur son ampli, chaos partout, sonnerie, amplitude sonique, découpe-t-on la caisse à la scie égoïne. Silence. Serait-ce le bruit de la mort ? De la musique ? La musique serait-elle la jeune fille qui meurt… Cast I : rappelons que l’œuvre de Schubert a été écrite pour un quatuor à cordes. Or les trois mouvements de Cast forment le String Quartet N° 1 interprété par le Charleston String Quartet : Charles Sherba : violon – Lois Finkel : violon – Consuelo Sherba : alto – Daniel Harp : violoncelle : des cordes qui viennent de loin, qui s’arrêtent, qui repartent sur un ton plus grave, le violoncelle s’accapare de tout l’espace mental, il subjugue le trio, il cogne, mais une plainte pure lui succède, une tristesse s’hystérise, Peter Scartabello sous-entend-il que la musique ne pourrait jamais se déployer longuement sans qu’elle ne soit victime d’étranges crises cardiaques qui lui interdisent toute sérénité, comme si une note ne pouvait suivre la précédente sans être soumise à une tension catatonique ou à une pliure de boursoufflure, dans les deux cas qui l’empêchent d’être dans la fugace sérénité de sa présence, or ne voici pas qu’elle réussit son envol, le quartet prend de l’altitude, mais une ratée survient, l’oiseau une flèche fichée dans son aile perd de l’altitude et tombe.  Cast II : majestuoso, élégique, mais la plénitude sonore ne dure pas longtemps, coupures, résonnances, lourdeurs, affinements, entre l’anéantissement et la fureur de vivre, une plainte au ras du sol, une envolée qui rampe et se perd dans le silence, il est indéniable que le silence chez Scartabello est constitutif de la musique, l’eau qui s’évapore n’en reste-t-elle pas moins de l’eau… pointillés sonores qui parfois prennent une importance démesurée pour mieux se dégonfler ou éclater tels des ballons de baudruche qui ne fêteront jamais l’anniversaire de l’infante défunte. Pavane. Cast III : quelle énergie, en point de fuite qu’elle tient à conserver malgré tout, joignent leurs efforts du plus aigu transperçant au tabassage du plus grave, un premier silence infime pour mieux reprendre force mais ce n’est plus pareil, grandes orgues funèbre du violoncelle, les violons gémissent, entend-on le bruissement des roses que le vent de la mort balaie les nuits de longue froidure, si oui il doit ressembler à cette agonie qui maintenant psalmodie, survivront-ils jusqu’ à l’aube, à l’image de la chèvre de Monsieur Seguin qui attend l’apparition du soleil pour finir dans l’illumination de sa propre beauté, de son propre courage, de sa victoire… Electro-Magma I : Dehydration : Michiyo Suzuki : clarinette basse / bandes : avec un tel titre l’on attend un tohu-bohu tonitruant, pas du tout, une respiration rauque et profonde, sur des cliquetis de clochettes animales, Michiyo pousse sa suzuki, une 125, pas une 1000, il tente de faire rugir son moteur, l’a des montées profondes, mais ce n’est pas facile, parfois il zigjazze sur le macadam, et patatrac la mécanique casse et coule une bielle avec un bruit d’anneaux de plastique sur une tringle à rideau, mais ce n’est pas fini, la moto est en rade mais maintenant c’est le combat de la musique contre les redondances du bruit tuméfiant, la clarinette expire, c’est donc qu’elle vit encore ! Electro-Magma II : Liquefaction :la suite tout de suite et pas au prochain numéro, ça transbahute, l’on se croit plongé dans le combat des géants du poème d’Henri Michaux, la bande-son produit tous les bruits qu’elle peut, un avion qui vole juste au-dessus de votre maison, Michiyo se défend tel un beau diable, vous fait le coup de la sirène du paquebot qui entre au port, ou alors il vous pousse des barrissements d’éléphants, hélas la bande-son est plus forte que lui, ne cherchez pas la noise au noise, plus noise que lui tu meurs, tu voulais un bateau, tiens voici le bruit des vagues, ô combien de capitaines ont péri de façon certaine sur les mers lointaines, qu’importe réfugié sur une île Michiyo continue de jouer pour lui. Se rend-il compte que personne ne l’entend et que le bruit de la mer recouvre sa clari(-de-moins-en-moins)nette et de plus en plus basse…

             Magnifique !

    Damie Chad.

     

    *

                    Denis, mon bouquiniste préféré m’a tendu le livre. Que j’ai pris. Dans les deux minutes qui ont suivi j’ai décidé que je ne le lirai pas. J’avais cherché dans la table des matières, de prime abord les têtes de chapitre paraissaient assez énigmatiques, alors je me suis guidé sur les dates, où et comment le gonze avait-il parlé des fanzines ‘’ pionniers du rock ‘’ créés par les fans entre 1966 et 1968 ? Un bon point : n’en avait pas dit du mal. Un très mauvais, un truc à lui refiler dans les pattes la célèbre marque noire des pirates : n’en souffle pas un seul mot.

             Hier soir, suis arrivé à la maison un peu fatigué, pas l’envie d’écrire, le livre était sur le bureau, je l’ai ouvert à la première page. Je viens de le refermer à la dernière.

    UNE HISTOIRE DE LA

    PRESSE ROCK

    EN FRANCE

    GREGORY VIEAU

    (Le Mot et le Reste / Juillet 2023)

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

    Les Editions Le Mot et le Reste ont à leur actif près de quatre cents livres consacrés à la musique, toutes les musiques certes mais beaucoup qui se rapportent au rock’n’roll. Un tour sur leur site ne vous décevra pas… A ma grande honte j’avoue que je ne connaissais pas Gregory Vieau . Enfin peut-être si. L’écrit dans New Noise et j’aime à feuilleter cette revue. Journaliste freelance il travaille beaucoup pour Arte écrit aussi dans Vice et Kiblind, vous le retrouverez sur le net  dans Brain Magazine, Le Drone, Mowno. Il ne fournit aucun détail intime mais ses implications professionnelles permettent de mieux cerner le personnage.

    L’aurait quand même pu parler de l’angoisse kierkegaardienne qui étreignait les fans de rock dans ces années-là, y avait bien Salut les Copains que je lisais chez les copines de ma sœur mais à peine si les articles effleuraient le sujet, j’ai réussi à dégotter un numéro de Rock’n’roll Actuallity, c’est là où pour la première fois j’ai rencontré le ‘’reggae’’, mais après l’a fallu attendre la sortie de Rock ‘n’ Folk, j’ai eu le numéro Un dans les mains, je l’ai épluché dans le coin-presse du bureau de tabac – mais pas acheté car complètement fauché comme le chantaient Ray Charles repris par Eddy Mitchell, les patrons étaient sympas, sinon je m’étais procuré le Dictionnaire du Jazz, faute de grives l’on se contente merles, paru chez Larousse, une seule colonne pour le rock’n’roll, mettaient B.B. King dans la liste des huit principaux pionniers du rock,  cela m’étonnait… par contre pas mal d’entrées pour le blues… Au fin-fond de l’Ariège la principale source d’information c’était la radio, Europe 1 et Salut Les Copains principalement, Grégory cite aussi Spécial Blue-Jeans sur Radio Andorre mais omet La Radio des Vallées dont l’émission spécialisée possédait l’immense avantage de débuter à seize heures…

    Le book débute par un beau portrait du pionnier de la presse-rock en France, Jean-Claude Berthon le créateur dès septembre 1961 de Disco-Revue. Il serait facile de le qualifier, avec une moue dédaigneuse, de puriste, c’est vrai qu’il aimait les pionniers, Sylvie Vartan aussi, mais la revue a su évoluer, Elvis Presley, Gene Vincent, Chuck Berry certes, mais très vite les Stones, les Beatles, les Animals, Disco-Revue avait repéré le filon d’or pur… Une revue de fortune (teller) bricolée à partir de rien qui tire jusqu’à 40 000 exemplaires, de quoi aiguiser les appétits. Disco-Revue se fera doubler sur sa droite par Daniel Filipacchi et Frank Ténot, z’ont un as de pique imparable dans la manche, leur émission de radio qui compte des centaines de milliers d’auditeurs, la revue Salut Les Copains dépassera le million d’exemplaires… Berthon serre les dents, sent venir le coup fourré, les yéyés contre le rock’n’roll, bye bye Disco Revue, il tente le tout pour le tout, en 1967 il lance Les Rockers, qui s’éteindra au bout de sept mois, qui renaîtra en un dernier baroud d’honneur en Rock’n’roll Actuality, une douzaine de pages mal ronéotypées agrafées sur le côté, un véritable samizdat rock…

    Contrairement à ce que l’on pourrait accroire Rock’n’Folk ne provient pas d’un milieu rock mais du jazz. De Jazz Hot, revue tournée vers le free jazz, en rupture avec les amateurs de ‘’vrai jazz’’, comprendre trad, swing, et à la limite le be-bop de Charlie Parker… Une rédaction aux idées larges, parfois révolutionnaire, ainsi l’on retrouvera l’un de ses membres éminents Michel Lebris  directeur du journal maoïste La Cause du Peuple, ces fans de jazz sentent bien qu’à côté du Free, il y a autre chose, le folk aussi politique et revendicatif que le free associé à cette honteuse musique électrique qui séduit les jeunes… Ils couperont la poire en deux, pas question de rendre compte de ces étranges épiphénomènes dans les colonnes de leur magazine, mais un numéro spécial, titré Rock’n’Folk, style on vous en parle parce que ça existe et que nous nous devons de vous tenir informés… ne cherchez pas, dans la série ne mélangeons pas les torchons avec les serviettes la mention Hot Jazz n’apparaît pas sur la couve. 30 000 ventes escomptées.  15 000 effectives. Parfois l’échec vous rend plus fort. L’on connaît la suite…

    Un cas parmi d’autres. Jacques Barsamian, que nous aimons bien, l’a commencé à écrire dans Disco-Revue. On le retrouve dans Rock & Folk. Nous l’on possède quelques un de ces livres sur les rayons de notre bibliothèque. Il faut vivre, quand on a mordu à l’hameçon de l’écriture ceux qui accueillent vos articles deviennent vos nouveaux compagnons de route... Berthon est d’une autre trempe. Il ne mange pas de ce pain-là. On lui a volé le gâteau qu’il portait à sa bouche, il se retire dans sa tour d’ivoire. C’est un pur. Ce n’est pas l’envie qui lui manque. Ça le démange, la preuve lorsqu’une partie de la rédaction des Rochers passe chez Best, il ne pipe mot. Mais il sera au début de l’aventure d’Extra, une espèce de sous-clone de Best, qui finira mal.

    Pas de moraline, il n’y a pas de bon Berthon, finira sa vie à Nancy dans sa ville natale, dans l’anonymat en tant que disquaire. A sa mort dans R&F Patrick Eudeline lui rendra un bel hommage… il n’y a pas non plus les mauvais méchants. Frank Ténot, Daniel Filipacchi et Philippe Koechlin premier directeur de R&F, ont investi leurs économies, pari risqué, pour le lancement de leur magazine respectif.  Tout le monde ne sait pas saisir les opportunités. La vie est profondément injuste, le hasard fait mal les choses. Elle se font avec vous ou sans vous. Mais elles se font. Tel est pris qui croyait prendre. N’attendez rien des autres. De vous non plus. L’on agit toujours à son propre insu. L’on n’est jamais trahi que par soi-même. Instant Karma  à la Plastic Ono Band, nous préférons le vouloir vivre de Schopenhauer, soyons précis, plutôt le vouloir que la vie.

    Les aventures   relatées dans les quatre-vingt premières pages du bouquin sont symboliques de tout ce qui va suivre. Jusqu’à grosso modo 2015. D’un côté les amateurs de rock, les esprits curieux et ouverts, sans eux il n’y aurait rien eu. De l’autre côté le manque d’argent. Le trou qui attire les investisseurs. Ils ont le fric. Ils vous promettent une liberté totale. Parfois ils tiennent parole. Parfois comme chez Best vous passez sous la coupe d’esprit fantasque ou dictatorial. Oui mais quand ils perdent de l’argent. Alors ils reprennent leurs œufs et s’en vont les placer dans un autre panier. Dans tous les cas vous faites des compromissions. Voyez les soi-disant Inrockuptibles, des amoureux de bonne musique et leur petit fanzine qui se vend bien, de crise financière en crise financière, ils tombent sous la coupe d’in banquier, pas tout à fait un pignouf, simplement Pigasse, finiront en magazine culturel à la solde du Parti Socialiste

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

    Le pire c’est que parfois ce sont les aventuriers eux-mêmes qui vieillissent… Le rock’n’roll, musique rebelle, musique urgente, all right men, le cas de Rock & Folk est sidérant, sont comme tout le monde, le staff vieillit mal, le punk leur passe sous le nez, ces jeunes malotrus, cette resucée stupide des blousons noirs, pfff ! c’est Best qui a récupéré le ballon, en même temps que celui du reggae, que voulez-vous le rock c’est anglais ou américain… La revue ne récupèrera pas le temps perdu. Heureusement le public vieillit aussi, l’aime bien les idoles de sa jeunesse, le zine survit sur son glorieux passé…

    Les générations se renouvellent et ne se ressemblent pas, elles n’ont pas les mêmes besoins. Actuel cornaqué par Bizot, il apporte les idées neuves et l’argent, sera le chantre des années gauchistes, pas des idéologues, ceux qui veulent vivre cool, s’éclater, dope, bande dessinée américaine, sexe, communautés, refus du système, philosophies douces, musiques diverses, j’ai toujours adoré leurs mises en page multicolores, les temps changent, Actuel sent que le vent tourne et se paie le luxe d’un harakiri victorieux après avoir gagné leurs batailles genre sachet de thé qui infuse toute la bouilloire sociétale… Ils reviennent, avec une nouvelle idéologie, celle des années quatre-vingt, le fric, la gagne, la modernité libérale…  Bullshit !

    Comment expliquez cela ? C’est que l’on est passé du rock ‘n’roll à la notion de culture populaire, et de celle-ci à celle de Culture avec un C majuscule, autrement dit du prolétariat à la petite-bourgeoisie, de la radicalité a l’acceptation, le cas de Libération est à étudier, ses chroniques BD, littérature (notamment la partie poésie), musique, totalement libres et fertiles, ont disparu peu à peu au fur et à mesure qu’il a fallu augmenter le Capital ( encore un C majestueux) pour que le journal (comprendre la direction) puisse vivre au mieux. Parcours sans faute, comment passer de l’utopie au bon côté du manche de la matraque idéologique. 

    La suite du livre est effrayante, oui des mecs ont des idées nouvelles, oui ils se débrouillent tant bien que mal pour fonder une revue, oui puisque ça a l’air de marcher, dans la foulée des imitateurs se proposent de réaliser un projet similaire, très vite l’on est obligé de déposer le bilan, ou de faire alliance avec les concurrents pour ne pas mourir. L’on meurt tout de même. L’on ne s’en aperçoit pas, les années défilent, aucun mouvement musical n’échappe à cette règle, ni le punk, ni le hard, ni le metal. Bientôt encombrements. Application de la loi de la sélection naturelle par la suite. Voir la tétralogie gothique très instructive :  Elegy, Obsküre, Noise, New Noise.

    john cale,pink fairies,mt jones,rosco gordon,max décharné,peter scartabello,presse rock,rockambolesques

    Petit problème de base : de moins en moins de lecteurs. Grosse problématique de masse : de plus en plus de sites web consacrés à la musique. Des tentatives originales, biscornues, courageuses : Magic !, Tsugi, VoxPop, Punk Rawk, toutes condamnées à plus ou moins brève échéance, même si de temps en temps la tête coupée renaît une ou plusieurs fois.

    La conclusion n’est pas très optimiste. Voilà, c’est fini.

    Pas du tout, c’est là où le livre s’arrête à la quatre-cent cinquante-quatrième page, c’est là où il devrait commencer. Questions essentielles, qu’est-ce qu’une écriture rock’n’roll, une expression passe-partout, un mythe, une chimère… Comment cette écriture rock’n’roll s’est-elle transformée en soixante ans… La musique a évolué, l’écriture a-t-elle suivi le même chemin… Ce genre de réflexions est surtout abordé lorsque Grégory Vieau aborde le saut qualitatif d’écriture opérée par Rock & Folk, cite les noms mais n’explique pas en quoi ce changement réside. Il est vrai que nous sommes dans une simple historiographie de la presse rock en France et pas dans une analyse stylistique pratiquée en université. Pour ma part je dirais que cette maturité d’écriture est peut-être liée à la nouveauté des phénomènes décrits et la nécessité de convaincre les lecteurs… J’ajouterai qu’à mon avis le seul véritable écrivain de Rock & Folk est sans conteste Yves ‘’ Orphan’’ Adrien et sa Novö/Vision, écriture qui au fur et à mesure que le temps avance, et que notre civilisation décline, se révèle de plus en plus prophétique.

    Après avoir lu ce livre qui donne à réfléchir, je me dis que notre blogue ultra-rudimentaire dans sa conception esthétique renouant ainsi avec l’élan primitif des tout premiers fanzines rock’n’roll bénéficie apparemment d’une liberté à toute épreuve. Pas de banquier, pas de comité de rédaction, pas de compte sonnant et trébuchant à rendre. Pas de triomphalisme, nous savons bien qu’à tout moment notre hébergeur peut nous rayer de la carte d’un simple clic. Nous ne nous faisons aucune illusion, toute présence sur le net est aléatoirement politique et financière. Un hébergeur peut changer de stratégie éditoriale, revendre de plein gré ses avoirs ou se faire racheter par plus gros que lui… Dans notre société toute liberté est sursitaire.  Le rock’n’roll n’est pas une marchandise, juste une énergie kaotique qui ne doit pas s’éteindre. Sans quoi, pourquoi s’obstinerait-il à survivre…

    Damie Chad

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    86

    Le Chef soupira profondément, je me versais une bonne pinte de moonshine manière de lui tenir compagnie pendant le long silence qui suivit. Le Chef l’interrompit brutalement :

             _ Agent Chad il se fait tard, il est temps de rendre visite à nos jeunes amies, toutefois si vous m’accordez un dernier Coronado avant de nous coucher, j’avoue si cela ne vous dérange point, que je savourerais avec plaisir ce suprême moment d’extase à nul autre pareil…

    Le Chef joignit le geste à sa parole et alluma son ultime Coronado. Sirotant une deuxième rasade de moonshine je suivais sans penser à rien les ronds de fumée qui s’élevaient vers le plafond… Il est des instants où le monde semble s’arrêter, une impression de calme et de paix descend sur vous, elle vous enveloppe dans une sensation de quiétude absolue, plus rien n’a d’importance, vous aimeriez que ce moment durât une éternité…

    Il n’en fut rien, une sonnerie déchira le silence, le téléphone rouge, la ligne directe avec l’Elysée, carrément le Président en personne, je reconnus sa voix  très énervée dès que le Chef eut décroché :

             _ Vous foutez quoi encore avec vos conneries - lorsque les situations s’avèrent urgentes l’attitude des dirigeants n’est pas aussi compassée et faussement joviale que lors de leurs présentations des vœux pour la nouvelle année – une fois que vous aurez arrêté votre bordel  je vous fais fusiller, tout le service, vous et vos deux chiens !

    Nous ne pûmes même pas répondre. Le Président avait raccroché sur un dernier juron que je n’ose même pas retranscrire.

             _ Chef, qu’avons-nous encore fait, il était furax. Que…

    Je n’eus pas le temps de formuler ma question, le téléphone sonna, ouf c’était le noir ! Le Chef le décrocha avec un sourire de soulagement :

             _ Ici John Deere, l’on arrive dans deux minutes !

    Nous nous regardâmes avec surprise, que nous voulait donc la CIA ?

    _ Nous n’allons pas tarder à le savoir, question boulot, malgré nos

     préventions,  ces gars-là sont réglo !

    87

    En effet une minute cinquante huit secondes plus tard ils arrivèrent. Pas tout à fait comme nous les attendions, il y eut un bruit terrible dans la rue, crissements de freins, chocs divers et longues rafales de mitraillettes. Rafalos en main nous descendîmes nos quinze étages à toute vitesse, pas assez vite, une voiture, portières ouvertes était arrêtée au milieu de la chaussée sur laquelle gisaient deux corps que nous reconnûmes immédiatement : John Deere et Jim Ferguson, ce dernier n’était pas encore tout à fait mort, le me penchai sur son visage, il fit un terrible effort et murmura avant d’expirer : ‘’ Ils arrivent !’’.

             _ Agent Chad, volez-nous une autre voiture celle-ci est inutilisable, je reviens avec les filles, les chiens, tous les chargeurs de Rafalos, n’ayez crainte, je prends en premier ma réserve de Coronados !

    88

    Je fonçais en avant. Derrière moi les chiens aboyaient et les filles ravies que l’aventure ne cessât jamais ne cessaient de rire, je ne savais où aller, le Chef se contentait de fumer paisiblement un Coronado, il ne m’avait indiqué aucune direction, j’en profitais pour m’amuser à tourner un peu au hasard à toute vitesse autour des pâtés de maisons négociant les virages perpendiculairement  sur deux roues. Je n’y avais pas, tout occupé à mon gymkhana, fait attention, je ne m’en aperçus que lorsque le Chef remarqua :

             _ Je trouve étrange qu’à trois heures trente du matin il y ait autant de monde sur les trottoirs.

    C’était vrai. Des gens changeaient de trottoir sans prévenir, ils traversaient la route sans regarder, heureusement que mes réflexes sont bons, maintenant il y avait tant de monde que je dus ralentir malgré moi. Que se passait-il ? Loriane eut une idée de génie :

    _ Il n’y a qu’à écouter la radio !

    J’enclenchai le bouton au bon moment :

    ‘’ Flash Spécial : Le Président de la République vient d’être évacué de l’Elysée, deux hélicoptères de l’armée viennent de quitter la cour du palais pour une direction inconnue’’

    Nous n’eûmes même pas le temps de réagir à cette étonnante nouvelle, la voix de Gilbert Durant, le célèbre présentateur du journal de 19 heures se fit entendre :

    ‘’ Chers auditeurs à cette heure inaccoutumée, appelé par la rédaction de France-Radio je prends  le micro, chers auditeurs cette nuit est pleine de surprises, pour des raisons inconnues des centaines de parisiens ont commencé à quitter sans raison apparente leur domicile vers les trois heures du matin, de plus en plus nombreux, selon les témoignages recoupés de nos informateurs répartis sur l’ensemble du territoire, ils seraient maintenant plusieurs milliers, des hommes, des femmes, des enfants, certains accompagnés de leurs animaux domestiques – Molossito et Molossa aboyèrent avec conviction - le plus extraordinaire c’est que personne ne parle, tous refusent de répondre au micro que je leur tends, j’essaie encore une fois : Monsieur, Monsieur, s’il vous plaît pourriez-vous me di…’’

    Il y eut une espèce de gargouillement, puis plus rien. Nous essayâmes d’autres radios, toutes avaient fini d’émettre.

    • C’est extraordinaire s’écria Doriane !
    • La fin du monde surenchérit Loriane !

    89

    Le Chef se contenta d’allumer un Coronado !

             _ Demoiselles un agent du Service Secret du Rock ‘n’ roll se doit de garder la tête froide. La situation est peut-être plus terrible que vous ne l’imaginiez, ne prenez la parole qu’à bon escient, tout comme Molossito et Molossa tout à l’heure ont aboyé juste pour manifester leur sympathie à leurs congénères, essayons de raisonner logiquement. Quelle raison d’après vous peut pousser les gens à quitter leur appartement en pleine nuit. Ne répondez pas réfléchissez, je vous donne la parole dans trois minutes le temps d’un court entretien avec l’agent Chad.

    Toute modestie mise à part, mes neurones travaillant plus vite que la majorité de la population terrestre, je me doutais du sujet dont voulait m’entretenir le Chef, aussi me permis-je de prendre la parole :

             _ Chef j’ai peur que nous ayons mal interprété la bordée d’injures que nous a adressées ce matin le Président.

             _ Agent Chad je partage votre crainte, à notre décharge nous soulignons qu’il est souvent…

             _ Toujours, Chef !

             _ En colère, ne m’interrompez pas Agent Chad chaque fois que je me sers d’une litote, espèce de tête de linote, le Président n’aime pas le rock’n’roll, c’est un terrible manquement à son humanité, soyons démocrate, c’est son droit, rappelons aussi que dans une précédente aventure nous avons occis par mégarde son prédécesseur, il nous craint et pourtant cette nuit il décroche son téléphone, non pour nous injurier, mais un sous-fifre quelconque a dû lui confirmer au moment même où il prenait en main son combiné une très mauvaise nouvelle, l’a dû perdre la tête, une forte contrariété aura motivé cette bordée d’insultes à notre encontre.

             _  Chef , vous auriez dû exercer la noble profession de psychologue.

             _  Agent Chad, j’aurais pu exercer tous les métiers que J’exècre, le plus noble de tous étant la défense du rock’n’roll, je l’ai donc choisi.

             _ Vous avez eu raison Chef, je suppute que vous pensez que le Président nous a appelés à l’aide car il avait peur !

    Des cris de joie éclatèrent sur le siège arrière, Loriane et Doriane exultaient, leurs voix se mêlèrent :

             _ Comme nous ! ils ont trouvé comme nous. Le Président avait peur comme toutes ces personnes qui ont quitté leurs maisons, elles sont parties de chez elles parce qu’elles avaient peur de quelque chose !

    Le Chef les félicita. Il en profita pour allumer un nouvel Coronado, il exhala longuement un nuage de fumée aussi épaisse et opaque que ces brumes soudaines qui au dix-neuvième siècle causèrent tant de naufrages. Tendez l’oreille, vous entendrez le bruit de ces coques de bois, coquilles de noix, s’écrasant sur de sournois et cruels récifs…

             _ Maintenant demoiselles, j’attends une réponse immédiate : de quoi donc tous ces gens ont-ils peur !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 648 : KR'TNT 648 : RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET /MAX DECHARNE / WAYNE KRAMER / GEORGE SOULE / GHOST HIGHWAY / DOOM DRAGON RISING / ORPHEAN PASSAGE / THUMOS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 648

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 06 / 2024 

     

    RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET

    MAX DECHARNé / WAYNE KRAMER

    GEORGE SOULE /  GHOST HIGHWAY

     DOOM DRAGON RISING /  ORPHEAN PASSAGE

      THUMOS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 648

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russ the Boss 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il existe deux boss dans l’histoire du rock et des wizards : Ross the Boss des Dictators, et Russ the Boss de Lord Rochester, mais aussi d’une palanquée d’autres groupes dont on va causer dans la foulée. Depuis cinquante ans, Russ the Boss Wilkins est l’une des têtes de gondole proéminentes de l’underground britannique, au même titre que Wild Billy Childish, Graham Day, Bruce Brand, Mickey Hampshire, Hipbone Slim, Dan Melchior et Sexton Ming. On retrouve la trace du Russ dans les Pop Rivets, les Milkshakes, le Len Bright Combo, les Delmonas, les Wildebeests, Lord Rochester et dans une multitude d’autres projets. Chaque fois, les disks sont bons, c’est important de le signaler. Les ceusses qui le savent y vont les yeux fermés.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Son anti-carrière remonte à 1979. Il était déjà dans la big rock action avec Wild Billy Childish et les Pop Rivets, et un tonitruant premier album baptisé Greatest Hits. Bruce Brand fait aussi ses débuts de légende vivante, car il y bat le beurre, il faut l’entendre battre la chamade de «Fun In The UK». Te voilà au parfum. On entend le Billy s’étrangler de rage dans «Bacon». Il fait du punk primitif, si mal dégrossi qu’on dirait du Dada. Ah quel joli développé de Méricourt ! On sent bien les racines du British beat dans leur punkitude affichée. S’ensuit un gorgeous clin d’œil aux Mods avec «Lambrettavespascoota», gratté à l’hard ska de Brixton, il est complètement fou le Billy, complètement fracassé de la ciboulette. Il s’énerve encore plus avec «Kray Twins», il chante comme une petite fiotte enragée, il est à la fois marrant et impressionnant. À l’aube des temps, les Pop Rivets sont superbes, Billy the kid part bien en vrille sur le bassmatic de Russ the Boss. Avec «Commercial», ils sonnent comme les Buzzcocks, avec la même énergie et le même bassmatic cavaleur. C’est Russ the Boss qui tape le «Disco Fever» en mode «Death Party». Quelle dégelée ! Les Pop Rivets sont effarants de grandeur tutélaire. Billy fait encore sa sale teigne sur «To Start - To Hesitate - To Stop» et Russ the Boss roule sa poule au bassmatic délirant. On entend parfois Billy crier comme un condamné, et ils bouclent cette brillante affaire avec le wild gaga punk de «Pins & Needles». Ils sortent le grand jeu, c’est-à-dire le fast stomp. Merveilleuse énergie des maillots de corps et des peaux adolescentes.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             On trouve trois covers diaboliques sur l’Empty Sounds From Anarchy Ranch des Pop Rivets : «You Really Got Me», «Wild Thing» et «What’cha Gonna Do About It». Ça chauffe pour de vrai, c’est trashé jusqu’à l’oss de l’ass, il tapent les Small Faces, les Kinks et les Troggs à l’arrache-pied et sur le What’cha, on entend la bassline voyageuse de Russ the Boss. Le reste de l’album va plus sur la grosse dégelée de Medway Punk’s Not Dead, et «Skip Off School» est un real deal de real slab. Heureusement tout n’est pas si bon, ça permet de reposer les oreilles. Avec «Anarchy Ranch», ils font de la wild Americana de Medway. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Le Live In Germany ‘79 est un bel Hangman de 1990. Tu éprouves une certaine fierté à le posséder, comme d’ailleurs tous les Hangman. Ce Live est plus un document sociologique qu’un album live, au sens où on l’entend généralement. Ce n’est ni le Band Of Gyspsys ni le Rockin’ The Fillmore, c’est un doc live un peu âpre, enregistré avec les moyens du bord à Hambourg et à Dusseldorf, en septembre 1979. Les Pop Rivets sont quatre, Wild Billy Childish chante, Bruce Brand gratte ses poux, Big Russ bassmatique, et Little Russ bat le beurre. Au dos, Jack Ketch déclare que ce Live «is an important document in the history of medways premier punk group». Alors ils foncent dans le tas et aussitôt après un «Hippy Shake» mal dégrossi, ils tapent un «Kray Twins» punk as hell. On entend Big Russ monter au front avec son bassmatic sur le ska d’«Hipocrite» et Billy pique sa crise avec la cover du «Watcha Gonna Do» des Small Faces. En B, ils sortent leur vieux «Fun In The UK», le fast punk de «Beatle Boot» vite torché à la torchère, et ils enchaînent avec l’«ATVM Ferry»» d’Alternative TV de Part Time Punks, puis «Steppin’ Sone», cover idéale pour des sales punks. Ils se vautrent ensuite en reprenant le «Jet Boy» de Plastic Bertrand. Ce sera la seule faute de goût dans les immenses carrières de Wild Billy Childish et de Big Russ Wilkins. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En 1982 Russ the Boss se retrouve dans les Milkshakes, une sorte de super-groupe avant la lettre. Pardonnez du peu : Wild Billy Childish, Bruce Brand, Mickey Hampshire et Russ the Boss. Si ce n’est pas un super-groupe, alors qu’est-ce que c’est ? Ils vont enregistrer une petite palanquée d’albums, avec en moyenne trois pépites sur chacun d’eux, ce qui reste une moyenne honorable. Fourteen Rhythm & Beat Greats est un Big Beat de 1982. Belle pochette classique, beau son classique, beau choix de cuts classiques. On en retiendra trois : «Seven Days», «No One Else» et «Red Monkey». «Seven Days», oui, car monté sur les accords des early Kinks, Milky Power avec l’aw qui annonce se solo de la désaille définitive, du pur Mickey Hampshire. Exploit qu’il réédite avec un «Exactly Like You» bien bombé du torse. «No One Else», oui, car bombasté dès l’intro par Big Russ, le demolition man. Fantastique pulsateur devant l’éternel ! Et «Red Monkey», oui, car clin d’œil à Link Wray avec un son de basse délibérément outrageous. Du Wray de Wray.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En gros, les Milkshakes sonnent comme les early Beatles et les early Kinks. C’est à la fois leur crédo et leur seuil de référence. Sur After School Sessions, «Shimmy Shake» sonne exactement comme du l’early shimmy des Beatles. Fantastique mimétisme ! Même chose avec «You Can Only Lose» en B, pur early shimmy shake de Beatlemania. Avec «Tell Me Child», ils font le dirty gaga Kinky, Mickey Hampshire gratte les poux de Dave Davies. C’est tellement ultra-dirty que ça mord sur les Pretties. Le reste est plus classique, plus Milkshaky. On entend bien le bassmatic de Russ the Boss dans «I Can Tell», ils diversifient énormément, et Bruce Brand sublime l’instro cavaleur «El Salvador». Ils terminent avec un «Cadillac» plein de jus, battu sec, taillé au cordeau, fourvoyé, mais un peu prévisible. On leur pardonne. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Retour aux Kinks sur The Milkshakes In Germany avec «I’ll Find Another». Pure Kinky motion ‘65 et killer solo trash à la Dave Davies. Merci Mickey ! Retour aussi à l’early Beatlemania échevelée avec «She’s The Kind Of Girl». C’est exactement la même énergie. Ils bouclent leur balda avec «Comes Along Midnight», plus stompy, plus dirty, pas loin des Pretties, mais des Pretties en colère, sonné des cloches au scream et transpercé d’un killer solo trash de Mickey Hampshire ! Si on écoute cet album, c’est uniquement pour rester en bonne compagnie. Ils font encore des étincelles en B avec «I Need Lovin’», un heavy groove milkshaky hanté par un solo de traînasse. Même au ralenti, ils sont éclatants de punkitude sixties. Ils bouclent ce teutonique Germany avec un «Sometimes I Wantcha (For Your Money)» très beatlemaniaque dans l’idée, mais avec une pincée de wild gaga punk. Billy the kid chante vraiment comme John Lennon.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Encore une belle pochette classique pour ce 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s, un Big Beat de 1984 qui te frétille entre les doigts. Il fait même honneur à ton étagère. Big Russ et toute la bande commencent par rendre hommage aux Beatles avec une version en plein dans le mille d’«Hippy Hippy Shake». S’il est un groupe qui a bien pigé le génie des Beatles, c’est eux. Ils trient leurs covers sur le volet et enchaînent avec le «Rip It Up» de Little Richard, mais sans la voix. C’est du tout cuit pour cette bête de Gévaudan qu’est Bruce Brand. Sur cet album, tout est drivé sec par Russ et battu net par Bruce. Ils rendent hommage à Gene Vincent avec une cover claironnante de «Say Mama», et plus loin de «Jezebel», et restent dans le giron des génies de l’humanité avec Buddy Holly et une version de «Peggy Sue» qui leur va comme un gant. Numéro dément de Bruce au beurre. Si tu veux entendre un grand batteur anglais, c’est là. Ils tapent aussi l’imbattable «Jaguar & The Thunderbird» de Chucky Chuckah et en dépotent une version ahurissante d’ampleur et d’élan. T’es vraiment content d’être là, devant ta petite platine de branleur. En B, ils claquent un «Something Else» bien senti, looka here ! C’est gratté dans le sens du poil, tu peux leur faire confiance. Leur «Who Do You Love» est un peu trop bordélique, mal lancé. Ils perdent en route le Bo du Bo. Par contre, ils transforment l’«Hidden Charms» de Wolf en wild protozozo, et ils bouclent la boucle avec une version complètement allumée d’un cut déjà allumé, «I Wanna Be Your Man», qui, t’en souvient-t-il, fut le premier single des Stones, cadeau de John & Paul.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Belle pochette que celle de Nothing Can Stop These Men, paru en 1984. Si tu veux voir un vrai super-groupe en photo, c’est là que ça se passe. Attaque de plein fouet avec «You Got Me Girl», heavy gaga britannique, terriblement dirty, traîne-savate et mal intentionné. Bruce Brand vole le show dans «She’s No Good To Me», ce big shoot de gaga buté et bas du front, mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec «The Grim Reaper», un instro digne des Cramps. Puis ils rendent hommage à Johnny Kidd avec «Everywhere I Look». On y entend aussi des échos du «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Puis ils renouent avec la Beatlemania dans «I’m The One For You», poppy en diable, chanté à l’accent clinquant couronné d’harmonies vocales et de claqué de Ricken. Pur magie ! «You’ve Been Lyin’» sent aussi très bon le «Brand New Cadillac» - You’ve been lyin’/ Lyin’ to me - Hard Nut ! 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sous-titré The Legendary Missing 9th album, The Milkshakes’ Revenge paraît en 1987. La bande fut volée au soir de l’enregistrement, nous dit Hasty Bananas au dos de la pochette. Et elle réapparut tout aussi mystérieusement. Tant mieux pour nous, car on peut écouter ce smash d’heavy rumble qu’est «Let Me Love You», une espèce de coup de génie à la Johnny Kidd. Ils enchaînent avec une belle cover d’«I Want You», l’immémorial hit des Troggs, et en B, ils tapent une autre prestigieuse cover, «Pipeline», mais elle n’est pas aussi flamboyante que celle de Johnny Thunders sur So Alone. Wild Billy Childish pique sa crise de gaga-punk des Batignolles avec «She Tells Me She Loves Me», et puis avec «Every Girl I Meet», les Milkshakes font une petite tentative   de putsch rockab. Ils bouclent avec une cover du «Baby What’s Wrong» de Jimmy Reed, qui dans les pattes des Milkshakes devient un heavy stomp gaga mené de main de maître.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Wild Billy Childish et Big Russ se retrouvent sur Laughing Gravy, un 25 cm paru en 1987. Pochette bois gravé, sortie des ateliers du graveur Childish. Il n’existe rien de plus underground que ce type d’album. Même à l’époque, il fallait sortir un billet pour l’avoir. Ils attaquent avec une cover du «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed. Ils tapent tout l’album aux poux très secs. Ça sonne comme s’ils se désaccordaient en jouant. Leur volonté d’anti-m’as-tu-vu n’en finit plus de s’afficher, cut après cut. Ils tapent le «Black Girl» de Leadbelly à la corne de brume, ou à l’orgue de barbarie, c’est comme tu veux. Ils sont marrants, tous les deux, on les voit sautiller derrière «Little Bettina», ils grattent comme des sagouins. Pas question d’être numéro un au hit-parade ! Fuck it ! En B, ces deux cats du Kent tapent un heavy boogie downhome de Rochester, «I Need Lovin’». Fabuleuse clameur.

             Ce sont les Milkshakes qui accompagnent les Delmonas sur leurs quatre albums. On y reviendra dans un chapitre à part entière.

             Ce n’est pas un hasard, Balthasar, si on retrouve Russ the Boss dans les deux albums du Len Bright Combo, Len Bright Combo By The Len Bright Combo, et Combo Time, parus tous les deux en 1986 sur le mythique label Ambassador.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Magnifique album que ce Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Trio en forme de formule magique : Wreckless Eric, Russ the Boss et Bruce Brand. On y trouve deux clins d’yeux à Syd Barrett : «Selina Through The Windshield» et «Lureland». Pour Selina, l’Eric ramène un brillant panache de psyché, et il place un gros solo trash de dérive abdominale. C’est éclatant, pur jus de Piper, il explose The Gates Of Dawn. Fantastique résurgence ! «Lureland» est aussi très Barrett, même complètement barré de la Barrett. Le coup de génie est le cut d’ouverture de balda : «You’re Gonna Screw My Head Off». Très British, éclatant, développé, surprenant, imparable. Une solace de psychout so far out. En B, on tombe sur «Sophie (The Dream Of Edmund Hirondelle Barnes)». Il faut leur reconnaître une certaine grandeur, une belle affirmation, une volonté réelle d’éclater le Sénégal d’Angleterre. Que de son, my son ! «The Del Barnes Sound», nous dit-on au dos de la pochette. Tout aussi puissant, voici «The Golden Hour Of Farry Secombe», un cut qui va se fracasser dans le mur du son. Et ce magnifique album s’achève avec «Shirt Without A Heart», un power de tous les instants monté sur une pure structure pop, l’Eric bâtit son petit Wall of Sound avec une troublante efficacité. Il monte son cut en neige prodigieuse.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Le deuxième Len Bright Combo sort la même année, en 1986 et s’appelle Combo Time.  Il s’ouvre sur l’assez puissant «Comedy Time». L’Eric charge bien sa barcasse de comedy time. Son «Pleasant Valley Wednesday» n’a rien à voir avec les Monkees, mais ça dérape dans la Méricourt de Big Russ. Comme on l’a vu sur le premier Combo, l’Eric sait créer les conditions du foutoir psychédélique, c’est en tous les cas ce que montre une fois de plus «Swimming Against The Tide Of Reason». Il dispose d’une pente naturelle à l’esbrouffe, il sait finir en beauté. Il dispose bien sûr du personnel idéal pour ça. «The House Burned Down» sonne comme un petit boogie décidé à en découdre. Alors il en découd. Une fois encore, nous trois amis chargent bien la barcasse et ça grimpe très vite en température. C’est vraiment excellent, toujours inspiré, soutenu aux chœurs de lads. Comme si Syd avait mangé des épinards. En B, ils partent en monde «Lust For Life» pour «The Awakening Of Edmund Hirondelle Barnes». Assez gonflé. Pur Russ power ! Bruce Brand vole le show avec «Club 18-30», un petit ramshakle original et l’album se termine en beauté avec «Ticking In My Corner», un heavy country blues de Medway, c’est brillant, joué au bord du fleuve. On exulte en écoutant le bright downhome blues du Combo. Méchante allure ! L’Eric est un crack, un vrai boum-hue-hue. Il explose le country blues, il en fait une montagne de pâté de foi, et il y jette toute sa petite niaque.   

             En 1996, Russ the Boss monte les Wildebeests avec John Gibbs (qui a joué avec Hipbone Slim et les Masonics) et Lenny Helsing au beurre.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Dimbo Party sort sur le label d’Hipbone Slim, Alopecia Records, en 1997. Donc gage de qualité. Russ the Boss annonce la couleur dès «Trust In Me», heavy shoot de gaga-punk britannique, juteux, frais comme un gardon et lourd de sens. On sent que ces trois mecs prennent du plaisir à shaker le shook. Avec «Come On now», ils passent au classic Beatles jive de l’aube des temps, puis ils claquent «Hey Cassandra» au swing de Gévaudan, Big Russ fout le feu à la ville pendant que Gibbs claque un bassmatic monumental. Wild Wildebeests jive ! Ils attaquent leur B de plein fouet avec «You Were Wrong», c’est du Chucky à l’anglaise, claqué au riff hésitant, typique des Pretties, et Gibbs perpétue le grand art du bassmatic à la John Stax. Diable, comme ces trois mecs vénèrent les Pretties ! Ils swingent encore comme des démons sur «Mind Blender» et «BMC», et bouclent cet album qu’il faut bien qualifier de chaud-devant avec «Bubblegum Fuzz». Ils s’y entendent en dégelées royales. Joli shoot de wild as Beests !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Pas étonnant que Go Wilde In The Countrye soit paru sur Sympathy For The Record Industry. C’est un wild album qui grouille de puces, une sorte d’apanage du power trio underground pur, et ça claque derrière les oreilles dès «I Need You» en mode Trogglodynamite, c’est-à-dire bouillon de culture gaga-punk. Ils embarquent «Frogboy» au one two three, au fast on the run. Comme ils chantent en anglais, on s’exprime en anglais, pour essayer d’être un peu cohérent. Dans la vie, un peu de cohérence ne fait jamais de mal. Russ et ses sbires vont vite en besogne et te remontent la sauce avec des chœurs de Dolls. Plus loin, ils attaquent «Standing Alone» en Kinky motion, bel hommage au génie punk de Dave Davies, Russ et ses Beests ont le power, ils claquent le Kinky KO. Ils regrattent les accords des Kinks de 65 dans «This Is My Year» et Russ the Boss passe un violent killer solo. Ils tapent une très violente cover de «Parchman Farm». C’est complètement punked-out, ils gèrent bien le calme avant la tempête. Ils sont les Wildebeests de Gévaudan. Pour couronner le tout, voilà une belle dégelée psyché, «Couldn’t You Say You Were Wrong», avec une incroyable profondeur de champ, ils font du Syd Barrett sous amphètes, ça spurge dans la stratosphère, ils explosent tout, c’est un violent shoot de Mad Psyché évangélique, ça traverse les siècles et le blindage des coffres, ça t’explose la bulbosphère, et le Russ n’en finit plus de charger la barcasse du diable.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il est possible que le perruqué qui orne la pochette d’Annie Get Your Gnu soit le mec des Snobs, un combo britannique des sixties qu’on croise sur les meilleures compiles Mods, notamment Searching In The Wilderness. Annie Get Your Gnu est ce qu’on appelle un album endiablé. Boom dès «Your Mind». Boom car explosif ! Quasi protozoaire, affreusement claqué du beignet par Russ the Boss. Killer solo, bien sûr. Une fois de plus, les Beests de Gévaudan dévorent les abscisses et les ordonnées du rock anglais. Le petit stomp d’«I Can’t Change» sonne très Beatles au Star Club de Hambourg et puis avec «No No No», ils font du simili 13th Floor Elevators, avec une cruche électrique. Bel hommage ! Retour en fanfare à Dave Davies avec «Til Sun Up». En plein dans le mille du Really Got Me. Russ the Boss n’en finit plus d’être fasciné par ce son, comme au temps des Milkshakes. Retour au Really Got Me en B avec «Lucinda», ce sont exactement les mêmes accords, aw Lucinda/ Luncinda/ Why don’t you set me free - Russ passe un killer solo flash aussi beau et définitif que celui de Dave Davies. Plus loin, ils tapent une cover inexpected, l’«I Did You No Wrong» des Pistols. Bien sûr, ils n’ont pas la voix, mais le feu sacré est là, et bien là. Ils finissent en beauté avec «Who’s Sorry Now», un superbe shoot de gaga jeté par dessus la jambe, avec les chœurs des Who, c’est brillant, braillé au who’s sorry now.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’une des spécialités des Wildebeests est de démarrer les albums avec le dirty punk le plus sale et le plus méchant. The Gnus Of Gnavarone n’échappe pas à la règle. Russ the Boss explose «You Lied To Me» avec un wild killer solo trash. Dans le genre, il est aussi bon que Mickey Hamshire. Le hard boogie de «Nothing’s Gonna Change Me» est encore un pur coup de génie bestial. «Face» est encore bien chargé du bulbique et chanté au raw gut de just to see your face. Tout le reste de la viande est parqué en B, boom dès «Why Don’t You Come Home», attaqué en mode Pretties, aussi wild que «Don’t Bring Me Down», c’est exactement la même niaque de morve délinquante et le même fondu de killer killah. Ils tapent chaque fois en plein dans le mille, comme le montre encore la belle pop psyché de «That Man». Tout est brillant, chez ces mecs-là. «Save My Soul» sonne comme un hit des Creation. Ils ont ce profil d’ultra-freakbeat. Russ the Boss boucle avec «You Can Get Together Again», monté sur un heavy stomp de base et de rigueur, et noyé de killer killah  à la Big Russ, c’est une aubaine pour les oreilles.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Comme son père spirituel Nuggets, Gnuggets est un double album, et même un sacré double album, le genre de double album auquel personne ne peut résister. Russ the Boss et ses deux amis ont rassemblé tous les singles des Wildebeests, et ça rock the boat ! Douze bombes sur les 4 faces, dont d’incroyables covers, comme le «Gorilla Got Me» de Jesse Hector, le «She Lives In A Time Of Her Own» du 13th Floor, le «Mongoloid» de Devo que Big Russ gratte à la cisaille, le «Public Image» de PIL attaqué à la basse de Jah, Hallo ! Hallo!, le «Down In The Bottom» de Big Dix avec les fantastiques descentes au barbu de John Gibbs, l’«I Feel Alright» des Stooges tapé au bassmatic des Trogglodynamics, le «Just Like Me» de Paul Revere & The Raiders qu’ils font sonner comme du Dave Davies, l’«I’m Rowed Out» des Eyes, classic gaga-punk de l’âge d’or gratté encore une fois à la Dave Davies, le «Mellow Down Easy» et l’«Hidden Charms» de Big Dix, groové en profondeur pour le premier et transpercé par un killer solo flash pour le second, et puis tu as encore le «Please Go Home» des Stones, l’«All Aboard» de Chucky Chuckah, le «Don’t Gimme No Lip» de Dave Berry, quasi protozoaire, joué à la main lourde de l’heavy stomp. Tu vas aussi retrouver l’effarant «Parchman Farm» proto-punkish de Mose Allison, l’«I Wanna Be Loved» des Heartbreakers, suprême hommage, le «Commanche» de Link Wray, «You Lie», un hit obscur des Lynx, digne des Downliners, et en fin de D, on tombe sur des compos à eux, comme «One + One», heavy slab de gaga sauvage, «1996», solide et wild, gratté à la vie à la mort, et «Pointless» pur jus de Stonesy, pas loin de l’«Under-Assistant West Coast Promotion Man». 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En 1987, Russ the Boss s’associe avec Sexton Ming pour monter les Mindreaders. Boom direct avec Ban The Mindreaders. C’est l’un des grands albums inconnus de l’Underground Britannique. Ils démarrent avec un «We’re Gonna Have» wild as fuck, qui est une cover du «We’re Gonna Have A Real Good Time Together». C’est claqué si sec ! En B, ils restent dans les parages du Velvet avec une cover du «She Cracked» des Modern Lovers. Nouvel hommage de taille avec le «Love Comes In Spurts» de Richard Hell. Explosif ! Sur «Anna», Russ the Boss passe un solo à deux notes, comme Pete Shelley le fit dans «Boredom», au temps  béni de Spiral Scratch. Ces trois mecs sont supérieurs en tout. Même niaque que celle des Cheater Slicks. Encore un terrific gaga blaster avec «Girl I Kill You». Tu as là la disto la plus sale d’Angleterre. Pure giclée de protozoaire ! Puis il tapent dans le saint des saints avec l’«Are You Experienced» de l’ami Jimi. Alors, aussi incroyable que celui puisse paraître, ils l’explosent ! Ils osent exploser l’hendrixité des choses ! Russ the Boss est coutumier de ce genre d’exploit. C’est à lui qu’on doit la grandeur du premier album de Len Bright Combo. Il faut aussi saluer l’«I Don’t Care» planqué en B et pulsé aux chœurs de fiottes. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Un deuxième album des Mindreaders a fait surface récemment sur Spinout Nuggets. Il s’appelle Continuation et bénéficie d’une belle pochette voodoo. Apparemment, le trio a survécu, comme l’indique Vic Templar au dos de la pochette. Tant mieux pour nous, pauvres pêcheurs, car voilà (encore) un album béni des dieux du rock anglais, et ça te saute à la gueule dès l’hard gaga boueux bien cracra d’«It’s Bagtime», c’est même carrément Beefheartien, un vrai coup de génie underground. Tu t’en remets difficilement. Plus loin, ils passent à l’experiment avec «Fractures Of Your Face», un cut processionnaire qui ondule sous la lune, mais ils opèrent un retour aux brutalités avec «Take You Slow», ça chante à la meute de chasse avec le sax d’X Ray Spex. Incroyable power de la modernité ! Ça paraît logique avec des gens comme Sexton Ming et Russ the Boss. En B, tu as un beau câdö qui t’attend : une triplette de Belleville avec «I’m Alright Jack», «She’s My Sausage Girl» et «M2 Bridge 67». Alors, punk rawk d’Edimburg avec le Jack, rawk beefheartien avec la Sausage Girl, c’est même pire que du Beefheart, complètement demented, excédé, avide de confrontation, et puis voilà l’M2, un fascinant balladif monté en neige. Ils basculent dans l’excellence ambiancière. On n’en attendait pas moins d’eux. 

    Signé : Cazengler, Russtique

    Pop Rivets. Greatest Hits. Hipocrite Music 1979

    Pop Rivets. Empty Sounds From Anarchy Ranch. Hipocrite Music 1979

    Pop Rivets. Live In Germany ‘79. Hangman Records 1990

    Milkshakes. Fourteen Rhythm & Beat Greats. Big Beat Records 1982

    Milkshakes. After School Sessions. Upright Records 1982

    Milkshakes. The Milkshakes In Germany. Upright Records 1983

    Milkshakes. 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s. Big Beat Records 1984

    Milkshakes. Nothing Can Stop These Men. Milkshake Records 1984

    Milkshakes. The Milksakes Revenge. Hangman Records 1987

    Wild Billy Childish + Big Russ Wilkins. Laughing Gravy. Empire Records 1987

    Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Empire Records 1986

    Len Bright Combo. Combo Time. Ambassador 1986

    The Wildebeests. Dimbo Party. Alopecia Records 1997

    The Wildebeests. Go Wilde In The Countrye. Sympathy For The Record Industry 1997

    The Wildebeests. Annie Get Your Gnu. Screaming Apple 2006

    The Wildebeests. The Gnus Of Gnavarone. Dirty Water Records 2009

    The Wildebeests. Gnuggets. Dirty Water Records 2010

    Mindreaders. Ban The Mindreaders. Empire Records 1987

    Mindreaders. Continuation. Spinout Nuggets 2021

     

     

    L’avenir du rock

     - Quartet gagnant

             S’il est un reproche que l’avenir du rock ne supporte pas, c’est qu’on le traite de positiviste. Il éprouve pour le positivisme une profonde aversion. Ça le fait gerber, rien que d’y penser. Pire que le mal de mer. Pire que de voir une grosse rombière réactionnaire déguster des biscottes de foie gras dans un fucking réveillon. Des exemples comme celui-là, il en a d’autres, ça pullule, chaque fois que l’avenir du rock s’approche de secteurs comme la politique, la religion ou les médias, il frise l’overdose de gerbe rien que d’y penser. Alors il s’en éloigne rapidement. Par contre, si tu le branches sur le négativisme, alors tu vas voir sa bobine s’illuminer. Rien de tel que le négativisme ! Sa tournure préférée reste le fameux No Future, l’hymne des jours pas heureux, ceux qu’il préfère. C’est justement le paradoxe du No Future qui fascine tant l’avenir du rock. Pourquoi ? Parce qu’avec sa formule, Johnny Rotten renoue avec la véracité véracitaire de l’utopie anarchiste. Des cakes comme Zo d’Axa clamaient au XIXe siècle qu’elle était l’avenir du genre humain. Johnny et Zo font bicher l’avenir du rock. Il adore aussi la formule No Way Out, elle dit tout ce qu’il y a à savoir d’une impasse. Rien de tel qu’une bonne impasse pour te retrouver au pied du mur. Pour te sentir bien baisé. Que tu t’en sortes ou pas n’est pas le problème, de toute façon, ta vie est un no way out, il ne faut jamais perdre ça de vue. L’avenir du rock éprouve encore un faible pour le No Sell Out, c’est-à-dire la caste des groupes qui ne vendent pas leur cul. En son temps, le NME avait publié un spécial No Sell Out dont la tête de gondole était Fugazi, et dont la meilleure incarnation reste Wild Billy Childish. Quand l’avenir du rock observe la voûte étoilée, il se régale du spectacle de cette belle constellation : Zo d’Axa, Johnny Rotten et Wild Billy Childish, auxquels il ne manque pas d’ajouter les mighty No Jazz Quartet, nouveaux tenants de l’aboutissant.    

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Toujours un bonheur que de retrouver sur scène l’ex-Holy Curse et ex-Keith Richards Overdose, Sonic Polo. On l’a vu en 2015 au Havre avec l’excellente Overdose (dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser), et des tas de fois au temps où les Holy Curse ouvraient pour tous les groupes gaga anglo-américains qui déboulaient à Paris. Jamais en tête d’affiche, alors ça finissait par devenir scandaleux, car les Holy Curse battaient pas mal de têtes d’affiches à la course. Les mighty Holy Curse avaient deux armes secrètes : Sonic Polo sur sa Tele bleue, et au chant, un brillant gaillard qui aurait pu remplacer Chris Bailey dans les Saints, pas de problème. Dans ce monde idéal dont on parle souvent, les Holy Curse auraient dû exploser.  

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sonic Polo reprend tout à zéro avec No Jazz Quartet, alors on va les voir sur scène.  C’est le genre de résurrection sur laquelle on ne crache pas. On en attend même des miracles. Le décorum de la Boule Noire s’y prête bien, puisqu’ils apparaissent dans la fumée. Le Quartet émerge du fog, deux grattes à l’avant et James McClellan tape tout de suite dans le dur en faisant son Captain Beefheart, ou son Tex Perkins, si tu préfères, il growle son «Lost Trail» à s’en esquinter la glotte et nous voilà partis à l’aventure, dans la meilleure des compagnies. Le Quartet joue en formation serrée, les deux grattes croisent le fer en permanence, Sonic Polo et Captain James nouent des accords bilatéraux dilapidés sur le champ, ils développent des combinaisons toxiques, ils trafiquent d’atroces sortilèges, ils tissent des trames insidieuses et plongent la pauvre vieille Boule Noire dans un ténébreux chaos de no way out, mais sans en rajouter des caisses, ce qui est admirable. Comme s’ils parvenaient à tenir leur chaos en laisse. Ils cultivent les Fleurs du Mal d’un rock à la fois ancien et moderne, on revoit ce qu’on a déjà vu cent fois, et en même temps, ils shakent l’orgone accumulator comme des cracks. Tu revois Sonic Polo sur scène et t’es dans la machine à remonter le temps, mais tu le vois mettre le grappin sur le matérialisme dialectique du rock, sa façon de dire : «c’est là, maintenant !». Quand il est bon, le rock te fait vivre l’instant présent mieux que toute autre forme d’art. Ce sont tous les instants présents ajoutés les uns aux autres qui constituent l’avenir du rock. Cut après cut, le Quartet bâtit sa version de l’avenir du rock. Tu peux y aller les yeux fermés.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sonic Polo prend le chant sur «Thermondynamic Love», un cut qui cavale à travers la plaine. Hot as hell. On sent le punk en lui et bien sûr ça explose en plein vol. Ils adorent tramer leurs complots dans l’ombre, comme le montre «The Flower On The Wall». Mais toujours pas de hit. Ce n’est pas leur propos. Le vent noir souffle sur «The Dark Wind», alors ils duettent dans les vapeurs de l’enfer du boulevard, ils se payent des petites crises de hurlette de Hurlevent et claquent des accords mort-nés. Sonic Polo annonce un cut du prochain album, «Ramshackle», puis Captain James revient s’arracher la glotte sur «The Last Man On Earth». Ils n’en finissent plus de chercher des noises à la noise, ils repartent de plus belle avec «And Then I Saw The Bird» enchaîné avec «Three Kinds Of Snakes», heavy boogie et heavy sludge, il y va de bon cœur le Captain James. Full blow ! Ils atteignent le sommet du bottom, ils noient cette merveille dans le son des grattes. «Three Kinds Of Snakes» est le tenant de l’aboutissant. Sonic Polo glisse un tournevis dans ses cordes pour attaquer «Good Riddance». Ça sonne un peu comme du Horsepower, mais avec du doom en plus. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’occasion est trop belle de plonger à nouveau dans Holy Curse. Tu devrais commencer toutes affaires cessantes par Take It As It Comes, un mighty Turborock de 2011. En plus ce fut un cadeau, lors d’une convention, au Havre. Quel album !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Ça t’emporte la bouche dès «Johnny’s Day (It Wasn’t)». D’habitude, c’est bardé de barda, mais là, c’est saturé de barda. Mad Eric pose son chant sur la marmite, c’est bien Detroit dans l’esprit, avec les solos en intraveineuse. Ça joue à ras-bord, t’as un solo compressé, enragé et ballonné et tu vois l’Eric remonter sur le dragon. Demented ! Le «Died Ugly» qui suit est encore plus saturé, ça bascule en plein dans les Saints. T’es pas sorti de l’auberge avec ces mecs-là ! Ils héritent de toute la grandeur de l’heavy sound et des ponts flottants de l’invasion barbare. Sonic Polo te tombe sur le râble en permanence. Sa fournaise est ambulatoire. Il devrait faire école. Pur sonic genius, ses notes flottent dans la fournaise. Il invente le sonic trash flottant. Puis sa gratte devient une gratte vampire dans «Man With The Heavy Hand». Il plane sur le cut. Oh l’incroyable qualité de la menace ! Il entre par la fenêtre et joue le jeu de l’heavy load. Mad Eric re-vole ensuite le show avec «The Bellbirds Song», une espèce de rentre-dedans digne des Saints : tu y croises du take me down et un killer solo trash.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Paru en 1999, Hereafter vaut sacrément le détour. Tu y retrouves tout ce que tu aimes : le riff raff bien posé à plat et la voix d’autorité. Ils sont déjà les rois de la dégelée. Avec eux, t’auras jamais froid en hiver. Ils rendent très vite hommage aux Saints avec «Recurrence». Après des petits arpèges de brouillage de piste, ils repartent à l’harsh fondamental, ils n’en finissent plus d’étaler leur miel brûlant sur la tartine, ils partent en mode Saints à coups de giclées de dégelée. Plus loin, ils vont encore sonner comme les Saints dans «Dehumanized» (sic) et «Insane Alive», ils y vont à coups d’and the world is going wild, primal Sainty blow, ils te claquent ça au non retour de no way out. «Dehumanized» est chargé de tout le pathos d’Eternally Yours. Quant à «Insane Alive», ça te renvoie en cœur de «Nights In Venice», dans cette culmination de l’enfer sur la terre, les poux s’en donnent à cœur joie, ça gratte à la folie, t’en vois pas tous les jours des poux aussi tentaculaires, aussi profite-zen, et les Curse n’en finissent plus de relancer leur banco, ça bascule dans une fournaise qui doit autant aux Saints qu’aux Stooges. Tout l’album est bourré à craquer, notamment ce «Terra Incognita» qui plonge Moctezuma dans le pire climax qui se puise imaginer, et dans «Days Like Minutes», ils te font le coup de l’invasion des killer solos flash. Deux dans le même cut ! C’est une bénédiction. Et puis voilà le coup de génie qui arrive sans prévenir : «It’s In My Nature», avec sa belle entrée en lice d’I need you to love me, alors ça gratte à la cocote sévère, ça monte en neige et ça bascule dans une ahurissante stoogerie, avec un final soloté à la vie à la mort. Sonic Polo ne joue pas encore dans Holy Curse. Il arrive sur l’album suivant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ils enregistrent Bluer Than Red chez Lucas Trouble. C’est le bim bam boom garanti. L’album est noyé d’ultra-sound et l’Eric pose bien son chant sur la pétaudière de deux grattes. Dans «(Give Yourself Up To) Rock’n’Roll», ça tortille d’un côté et ça cisaille de l’autre, ça ondule en permanence a bord du gouffre de la stoogerie. Il y est question de save your soul. Mais le kick some ass with rock’n’roll n’est pas du meilleur goût. Ils reviennent dans le giron des Saints avec «Long Gone». Il y va l’Eric Bailey, il tape en plein dans le mille du mythe brisbanais, il remonte le courant comme un saumon de Brisbane. Sur «Las Vegas On Sea», il pose bien les éléments, yeah yeah, et sous lui, ça bouillonne dans la marmite du Kaiser. Mad Etic chante comme le Seigneur des Annales au-dessus du fleuve de lave. Ils plongent l’«Enough» vivant dans la friteuse, c’est un cut qui va craquer sous la dent et le Kaiser pousse bien la sature dans les orties. «I Feel Free» te tombe dessus comme une grosse tarte à la crème. Ils inventent le concept du pathos saturé de sature. Ils battent tous les records, même ceux d’In The Red. Si tu écoutes ça sous le casque, t’as les oreilles en chou-fleur et c’est très bien. Ça continue de monter en température avec «Rivers Of Blood», look out mama ! On entend à peine Mad Eric dans la fournaise. Les attaques de double chorus sont uniques au monde. Ils battent les Stooges à la course. Mais le pire est à venir et il s’appelle «Superfortress». Ça sent bon l’enfer sur la terre, t’es dans Rosemary’s Baby avec le son de Motörhead. Le cut rôtit littéralement en broche, et toi avec, et qui tourne la broche ? Satan Polo et ses tiguilis. Et soudain, ça bascule dans le neuvième cercle du so messed up I want to be, oui, ils sont cette capacité d’exploser le face to face de «Wanna Be Your Dog», quel hommage et quel tenant tenace de l’aboutissant, aw c’mon, ça devient une fournaise exemplaire et ça part en vrille de wah absolutiste, now I’m ready to close my mind, il est devenu fou le Mad Eric, il est ready to feel the pain, ils font tout simplement une cover géniale de l’un des plus gros hits de tous les temps. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’autre Turborock s’appelle Feed The Dogs et date de 2007. Trois prods différentes : une du Kaiser sur deux cuts, une en Australie sur deux cut aussi, et le reste chez Jim Diamond au Ghetto Recorders de Detroit. Maintenant, Polo est tout seul, mais il joue comme dix. Il est enragé sur «Bye Bye Preacherman», il transperce le blindage du preacherman. Puis il passe «Cash Machine» au vitriol. Les Curse bouclent leur balda avec un heavy «Shit Happens» noyé d’oh shit happens. Suite de la viande en B avec «The Music & The Noise», ils renouent cette fois avec leur chère apocalypse, c’est un hommage claironnant au power - Set the stage on fire/ I say power ! - Mad Eric s’en étrangle. Mais le pire est à venir avec «Universal Children», encore plus magnifique d’heavyness et traversé d’incursions méphistophéliques. Sonic Polo est le plus sonic de tous. Ici, il perce un tunnel sous le Mont-Blanc, il faut le voir entrer en quinconce dans cette couenne fumante, épaulé par Gary Ratmunsen on «psychedelic guitar».  

             Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio de Sonic Polo, Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. Un récit sans prétention, qu’on pourrait presque qualifier de candide, parfaitement à l’image de l’auteur qu’on sent extrêmement timide, au point qu’il faut tendre l’oreille pour capter ce qu’il dit. Il l’écrit d’ailleurs dans son book : «Sitôt que le nombre de mes interlocuteurs dépasse le nombre de deux ou trois, ma voix ne porte plus s’éteignant comme une petite flamme.»

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ce récit couvre un parcours qui va d’une ZUP d’Aix-en-Provence jusqu’à la scène alternative parisienne et le ‘Pari Bar Rock’ des années 80, récit drivé par une passion dévorante pour le punk-rock, notamment les Ruts et Stiff Little Fingers. Son groupe s’appelait Spoiler. Le book s’avale d’un trait, Polo écrit comme s’il te racontait l’histoire. Il restitue à sa façon la nostalgie des jours heureux, il restitue admirablement bien le contexte ZUP de ses origines modestes, et rend hommage à tous ses potos, ceux du groupe et les autres. Il écrit dans un style alerte - L’après-midi arrivait enfin et nous filions plein ouest, la poignée dans le coin, à travers les champs et les vignes de la route de Galice - Et comme il est à la fois motard et rocker, il se fend de cette petite chute : «Je lâchai le guidon de la Suzuki pour le manche de la Rickenbacker.» Ça passe comme une lettre à la poste. Il prend un soin particulier à évoquer le parcours initiatique qui est celui de la création d’un premier groupe de rock. C’est dans une vie un moment aussi vital que celui que tu partages avec ta première gonzesse.

             Oh et puis cet humour ravageur ! Quand il attaque un chapitre «road-trip» dans les basses Alpes, il dit au lecteur que s’il n’aime ni les road-trips ni la montagne, il peut sauter le chapitre. Ce serait dommage de le sauter, car on y trouve l’épisode du saucisson qui est hilarant. Ils roulent en moto et campent la nuit. Et crack, «je ne sais plus lequel d’entre-nous avait eu la brillante idée d’acheter un saucisson, mais toujours est-il que personne n’avait de couteau.» Et il explique à la suite qu’ils passèrent la soirée à charcuter le saucisson avec «un tournevis cruciforme». On voit la gueule du saucisson d’ici. Encore plus drôle : ça se passe avant Spoiler, Polo roule en vélo et va chez un copain de classe nanti, à Puyricard, au nord d’Aix. Ses parents viennent de lui payer trois albums, un vrai luxe intérieur ! Le copain commence par faire écouter à Polo Never Mind The Bollocks, il lui fait écouter trente secondes d’«Holidays In The Sun», puis un bout de «Bodies», et «déclarait que ouais, c’est pas mal mais bof, ça cassait pas trois pattes à un canard, y avait même pas de solos...» Ce mec qui est son «meilleur copain de classe» lui annonce ensuite qu’il va lui faire écouter «le blues le plus abominable et le plus nul qu’il ait jamais entendu», et ajoute «que ce groupe atroce avait même osé, ô sacrilège, baptiser son blues ‘L.A. Blues’». C’est bien sûr Fun House des Stooges. Bravo le meilleur copain de classe ! Mais Polo a tendu l’oreille. Il rentre chez lui sur son «vélo à double-plateau», «chargé du feu stoogien».

             Quand il devient punk avec ses amis, il raconte comment lui et sa petite bande débarquent sur le cours Mirabeau, «la plus belle avenue du monde», en perfecto, «jeans noirs feu au plancher, soquettes blanches et creepers rouges, bracelets de force comme ce con de Sid Vicious.» Le «con de Sid Vicious» revient souvent dans le récit. Polo n’aime pas les cons et il a raison. Plus tard à Paris, il joue dans un bar avec un groupe qui s’appelle The Satanic Majesties. Mais ces mec-là n’adressent pas la parole aux Spoilers. Polo n’en revient pas, «même pas bonjour, pas un regard, nada.» Bien fringués, à la mode. Du coup, à la page suivante, Polo les re-qualifie de «majestés sataniques ta mère». Par contre, il rend hommage à Little Bob et à Dominique Laboubée. 

             Il rend aussi deux très beaux hommages, le premier à Marc Zermati, qui entre un jour dans son bouclard Sonic Machine pour lui proposer des disques. Pour rigoler, Polo dit prendre le risque de perdre «la moitié de ses lecteurs» en citant Marc Z et Philippe Debris, boss de Closer, tous deux «sujets à controverse», mais non seulement il cite, mais il salue bien bas : «Deux caractères bien trempés». Il termine le court paragraphe Marc Z en disant être resté en bons termes avec lui. Hommage encore aux Cowboys From Outerspace et à Michel Basly «grand, mince, genre dandy, gominé, sapé comme un lord, le regard inquisiteur, les oreilles légèrement décollées, le nez aquilin.» - Les fantastiques Cowboys From Outerspace que tout l’univers nous envie, eh oui, quoi de plus vrai. Les Cowboys sont avec les Dum Dum Boys, Weird Omen et Holy Curse ce qui est arrivé de mieux à la France des vingt dernières années. Polo raconte aussi comment il est allé acheter sa Ricken 480 à Marseille. Épisode capital de son parcours initiatique. Il raconte aussi le désastre des studios français et des ingés-son qui ne pigent rien et qui lissent le son des groupes. Pour sa première expérience, Polo raconte que les Spoiler entrent en studio avec Stiff Little Finger en tête et ressortent gros-Jean-comme-devant «lisses comme les Spandau Ballet du quartier Mazarin.» Il dit avoir été dégoûté «pour de longues années.» Tous ceux qui ont fait des groupes en France ont été confrontés au même problème : tu tombes sur un mec qui n’écoute pas les mêmes disques que les tiens, alors t’es baisé. Il trafique ton son. Tu te fais baiser, une fois, deux fois, parfois trois fois. Alors tu finis par piger : le jeu consiste à trouver LE mec qui écoute les mêmes disques. Ça peut être Lucas Trouble ou Lo’Spider.

             À la fin de son récit, Polo monte à Paris en moto et débarque au Parking 2000, à Crimée, dont le quatrième sous-sol est aménagé en studios de répète. 200 ou 300 groupes y répètent. Pour dormir, Polo et son pote louent une piaule miteuse dans un hôtel de passe de la rue Rambuteau. Les autres ont trouvé une piaule rue Ordener. On se croirait dans Les Illusions Perdues ! Polo de Rubempré monte à Paris. Mais Polo est bien plus balèze que Lucien : il n’est pas dévoré par l’ambition et il ne lui viendrait jamais à l’idée de frimer. Alors on attend la suite avec impatience.    

             Signé : Cazengler, Quartête de veau

    No Jazz Quartet. La Boule Noire. Paris XVIIIe. 12 mai 2024

    No Jazz Quartet. You’re Gonna Leave The Building Soon. Closer Records 2023

    Holy Curse. Hereafter. Whiz Recordings 1999

    Holy Curse. Bluer Than Red. Nova Express 2004

    Holy Curse. Feed The Dogs. Turborock Records 2007

    Holy Curse. Take It As It Comes. Turborock Records 2011

    Paul Milhaud. Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. The Melmac 2024

     

     

    Max le ferrailleur

     - Part Three

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             À la suite d’A Rocket In My Pocket et de Teddy Boys, l’idéal serait de lire King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Paru en 2005 et tout juste réédité, King’s Road constitue le troisième volet de ce qu’on pourrait appeler la trilogie rock de Max Décharné. Alors attention, ce n’est pas un rock book à proprement parler. Comme dans Teddy Boys, Max le ferrailleur brasse large, il documente à outrance, se prête aux fièvres citatoires, il creuse profondément pour aller explorer les racines du thème, il fait la R&D du rock, c’est-à-dire qu’il en examine scientifiquement le contexte socio-culturel, il se livre à un authentique travail de recherche, comme le fit en son temps Mick Farren avec son Black Leather Jacket book et son Speed Speed Speedfreak book. La parenté crève les yeux. Mais Max le ferrailleur pousse son bouchon encore plus loin. C’est d’une certaine façon l’hommage d’un géant à un autre géant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Pour le fan de rock ordinaire, King’s Road en 1976, ça voulait dire sortir du métro à Sloane Square et remonter jusqu’au 430 pour voir Sex, le bouclard de McLaren. Pour Max le ferrailleur, King’s Road ne commence pas avec Sloane Square, mais avec Charles II, un roi d’Angleterre, qui au XVIIe siècle, fit aménager l’artère pour son usage personnel, d’où le nom. Puis ça va passer par la mode, le théâtre, la littérature et le cinéma, Max fait tout avancer en même temps, et pour donner du poids à ses investigations, il fait intervenir des témoins de choc : Mick Farren, John Peel, Ted Carroll, Wreckless Eric et quelques autres. Il est essentiel à ce stade des opérations de savoir que King’s Road n’est pas un book uniquement consacré aux Sex Pistols. Mary Quant, John Osborne et Andrew Loog Oldham y volent le show.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu t’engages dans un book dense : 350 pages composées dans un corps de texte minimaliste, du 9 ou du 10, justifié serré, quasi impénétrable, t’as intérêt à ajuster tes binocles, il règne dès l’intro une tension terrible, Max te transmet sa passion dévorante, comme s’il te contaminait. Pour gérer ce prodigieux fleuve de connaissances, il avance chronologiquement, année par année. Il est obligé, sinon ce serait le chaos. Il épluche tous les canards d’époque, les quotidiens, les revues, les magazines, tout, absolument tout, il relit toutes les critiques de cinéma, de théâtre et de littérature, ça grouille d’infos, c’est Fantasia et ses balais, pas chez les ploucs mais chez les punks, il va chercher le Bazaar de Mary Quant dans la presse spécialisée, il situe le top départ de la modernité anglaise à la fin de 1954, lorsqu’arrivent «le rock’n’roll, la télé commerciale, Look Back In Anger et l’ouverture de Bazaar au 138a» - The revolution starts here - Et en 1955, apparaissent les premiers Teds - These people looked seriously sharp. Ce n’est pas pour rien que l’un des premiers surnoms d’Elvis était The Memphis Flash - Les Teds sont là bien avant le rock’n’roll, mais les médias s’intéressent à eux lorsqu’éclate la révolution, c’est-à-dire le rock’n’roll. Max profite de son détour chez les Teds pour rappeler qu’en 1971, au moment où McLaren ouvre sa boutique Let It Rock sur King’s Road, ils sont allés accueillir Gene Vinvent à Heathrow. Autour de Mary Quant traîne aussi Andrew Loog Oldham. S’il veut bosser pour elle, c’est tout bonnement parce qu’elle incarne à ses yeux la pop qui fait le lien entre le rock’n’roll des années 50 et le rock des Beatles - He wanted to be where the action was, and as far as he was concerned, in 1960 that meant Bazaar, 138a King’s Road - Quand au bout de six mois il démissionne, c’est pour aller un peu plus tard manager les Rolling Stones.

             Un certain John Stephens vient aussi loucher sur la vitrine de Bazaar. Il va transformer un peu plus tard une back alley nommée Carnaby Street en phénomène de mode à portée encore plus internationale, ce que Max appelle a worldwide brand. Ces choses-là sonnent toujours mieux en anglais.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sur King’s Road déboule tout le gratin dauphinois de l’époque, ceux que Max appelle «les acteurs du changement in popular music, film, fashion, photography, drama and art of the day» - people like Stanley Kubrick, David Hockney, Marianne Faithfull, Michael Caine, Syd Barrett, Twiggy, David Bowie, Julie Christie, Samuel Beckett, Francis Bacon, Keith Richards, Siouxie Sioux, John Lennon, David Hemmings, Billie Holiday, Quentin Crisp, Jimi Hendrix and John Lydon - Dick Bogarde et James Fox descendent King’s Road jusqu’à Royal Avenue, où Joseph Losey tourne The Servant. Fondamentalement, King’s Road est l’endroit où les Stones et les Pistols ont démarré, où les mini-jupes sont apparues et où, nous dit Max, traînent encore les fantômes de John Osborne, Mary Quant, Brian Jones, Marc Bolan et Sid Vicious - People are still looking for them and their kind down the King’s Road.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             King’s Road voit aussi passer les modes. À la fin des sixties, Mick Farren n’ose plus mettre ses fringues de guérillero, power-to-the-people, c’est terminé - Everybody got a bit bored with Che Guevara, you know? - car voilà qu’arrivent l’année suivante Marc Bolan et le glam. Puis Alex et ses Droogs déboulent, suivi de Jack Carter, celui de Get Carter. Bolan s’habille chez Granny Takes A Trip, au 488 King’s Road, ou chez Alkasura, au 304 de la même rue. Flash clothes. On en trouvait aussi au Kensington Market. En 1975, Nils Stevenson, futur tour manager des Pistols, vend des fringues de Teds à Beaufort Market, à deux pas de King’s Road, et devient pote avec McLaren et Vivienne Westwood - Punk rock was a high-speed collision just waiting to happen - Et puis voilà qu’arrive 1976, un chapitre qu’introduit brillamment Max le ferrailleur : «Nineteen seventy-six, like 1956 and 1966 fut l’année qui remit the King’s Road à la une de tous les journaux. Vingt ans auparavant, la cause de tout ce fuss était the Angry Young Men, la fois d’après, il s’agissait de Mary Quant, Granny’s et tout la mythologie du Swinging London. Cette fois, il s’agissait d’Anarchy In The UK.» Et Max titre son chapitre : ‘It’s the buzz, cock.’ Johnny Rotten parade dans les canards avec ce gros titre : «Don’t look over your shoulder, but the Sex Pistols are coming.» Fantastique ! Wild as fuck. L’effet est bien plus radical qu’au temps des Rolling Stones. Les Pistols foutent vraiment la trouille à l’Anglais moyen. Et ça atteint l’apothéose avec la fameuse formule : «Actually, we’re not into music, we’re into chaos.» L’essence même du rock.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Quand tu te ballades dans Chelsea, tu as l’impression que les rues sont lisses et qu’elles n’ont pas vraiment d’histoire, à la différence des rues de Paris dont tous les quartiers te renvoient à des épisodes de l’histoire littéraire, politique ou artistique. Max t’ouvre les yeux. Dans les années 70, les kids français n’ont qu’une idée partielle de l’histoire des rues de Londres. Ça se limite à quelques endroits comme Portobello, Chelsea, Wardour Street, South Kensington ou Camden, car c’est directement lié aux clubs et aux disquaires. Max te rappelle qu’à deux pas de King’s Road se trouve Edith Grove où ont vécu les early Stones en 1962, et à deux pas de Gunter Grove où John Lydon s’est acheté une baraque au temps de P.I.L. Fait historique encore : Max rappelle que Dan Treacy et Ed Ball des Television Personalities ont enregistré «Where’s Bill Grundy Now» au 355 King’s Road, à deux pas du bouclard de McLaren qui s’appelle alors Seditionaries.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ah il en parle de McLaren ! Avant Sex et Seditionaries, McLaren débaptise son bouclard Let It Rock et le rebaptise Too Fast To Live Too Young To Die en hommage à James Dean. Avant de s’appeler McLaren, il s’appelait encore Malcolm Edwards et fut comme des tas d’autres kids anglais fasciné par le show des Crickets au Finsbury Park Astoria en 1958. Max rappelle encore qu’en Angleterre, Gene Vincent was God et Billy Fury venait aussitôt après - something like the second coming - De la même manière que Luke la Main Froide, Max le ferrailleur est fasciné par Gene Vincent, qu’il qualifie d’«one of the greatest of them all», un Gene qui débarque en Angleterre en 1959 avec «a killer double-sided rock single called «Wild Cat/Right Here On Earth» et qui s’acoquine avec Jack Good, le producteur d’Oh Boy et de Six-Five Special. C’est Good qui conseille à Gene de porter du cuir noir de la tête aux pieds pour apparaître dans son nouveau show, Boy Meets Girls. Voilà le genre de détail dont grouille le Max book.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ted Carroll vend des rockab singles dans son Rock On market stall, qui va devenir un vrai lieu de pèlerinage. C’est lui nous dit Max qui alimente McLaren en singles rares. On entre chez Sex pour acheter des fringues mais aussi pour écouter les singles qui se trouvent dans le juke-box. Puis quand les Pistols explosent en Angleterre, McLaren louche plus sur Andrew Loog Oldham, le Colonel Parker et Larry Parnes que sur Sam Phillips : il veut des gros moyens, pas d’artisanat mythique à la mormoille. Pas question de faire du Sun Records. Alors que dans leur grande majorité, les groupes punk optent pour l’artisanat. Simple question d’éthique. C’est toute la différence entre les Buzzcocks et les Clash, entre les Damned et les Jam. Moyens du bord d’un côté pour Spiral Scratch et «New Rose», gros billets de l’autre pour des résultats nettement moins percutants. L’exception reste bien sûr Nevermind The Bollocks, l’un des albums parfaits de l’histoire du rock anglais. McLaren achève sa trajectoire avec The Great Rock’n’Roll Swindle, réussissant l’exploit de raconter l’histoire des Pistols sans jamais montrer John Lydon, ce qui à l’époque en a éberlué plus d’un, à commencer par Max. Selon lui, McLaren ne voyait aucun intérêt dans les Pistols, le film chante plutôt les louanges de sa stratégie médiatique, alors que «John Lydon was one of the most charismatic and gueninely inspired frontmen in the history of popular music». De toute évidence, Max pèse ses mots.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Oh et puis cet humour ravageur. Il évoque le Blow Up d’Antonioni, sorti en 1967 et le soupçonne d’avoir cassé la baraque non pas à cause des Yardbirds ou de l’intrigue policière, mais grâce au cul de Jane Birkin - It was the first mainstream film in Britain to show a glimpse of pubic hair - C’est plutôt ça qui attirait les foules, comme d’ailleurs le big pubic hair de Stacia dans les concerts d’Hawkwind. Les kids venaient d’abord pour se rincer l’œil. Max rapporte une autre anecdote hilarante : Johnny Rotten et Sid Vicious se firent virer de leur appart à Chelsea parce que McLaren avait «oublié» de payer le loyer - No one said the revolution would be easy.   

             Au fil des pages, Max fait quelques recommandations, notamment l’Introducing Eddie & The Falcons de Wizzard, mais aussi The Diary Of A Rock’n’Roll Star de Ian Hunter (One of the most entertaining insider accounts of the business), mais le gros du troupeau des recommandations se trouve bien sûr dans A Rocket In My Pocket.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Dans Ugly Things, Mike Stax a tellement adoré lire King’s Road qu’il propose une interview fleuve de quatre pages de Max le ferrailleur. Ugly Things est taillé pour ça, pour faire la route.  T’es prié de croire qu’avec Stax, c’est toujours passionnant. Et bien sûr Stax demande à Max : Why the King’s Road ? Alors Max dit à Stax qu’au début des années 80, il vivait à Battersea, de l’autre côté du pont de Chelsea, dont l’artère principale est King’s Road, alors il s’y baladait, et comme il n’avait pas de blé - on the dole - il léchait les vitrines. L’idée du book lui est venue en 2004 quand il a réalisé que «two of the best bands from England - the Stones and the Pistols - both started their careers down at the tatty end of the King’s Road.» Puis il explique qu’il s’est appuyé sur les tonnes de stuff accumulées pendant des années. La première édition de King’s Road date de 2005 - celle dont on parle plus haut - et depuis, il l’a updatée pour en faire un gros patapouf - It’s now useful for a hand-to-hand combat: si tu balances the new 520-page sur la tête d’un mec, il y a peu de chance pour qu’il se relève - Max le ferrailleur adore rigoler. Il adore aussi les bibles. Il ne fait pas dans la dentelle, ce qui semble logique pour un ferrailleur. 520 pages ! Bon courage, les gars ! Max revient à ses recherches et explique qu’il est entré en contact avec des tas de gens, à l’époque, et qu’il a lu TOUS les canards, d’OZ à Zigzag en passant par le NME et tout le saint-frusquin, mais ça ne s’arrête pas là : il a hanté les bibliothèques à Londres et à Berlin et a lu TOUT, Time, Newsweek, tous les canards des ‘50s, ‘60s and ‘70s, TOUT, TOUT, TOUT et le reste, comme on disait autrefois dans Salut Les Copains. Il a traqué tout ce qui évoquait Chelsea & the King’s Road, et en plus il a écouté tous les disques et vu tous les films - Le book aurait pu être cinq fois plus gros, mais je serais encore en train de l’écrire - On savait son humour ravageur, mais là, il bat tous les records. Il est fier d’avoir pu interviewer Mary Quant, avec laquelle il a fini par sympathiser. Max dit à Stax avoir reçu une lettre manuscrite d’elle après la parution du book, lui avouant qu’elle en avait apprécié la lecture, «which made my day».

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’épisode John Peel est hilarant : Peely invite Max chez lui, à Peel Acres, à la campagne. Peely vient récupérer Max à la gare. Il conduit une «strange experimental car», dont le tableau de bord ressemble à celui d’un vaisseau spatial, et dont les boutons et les clignotants restent un mystère aussi bien pour Max que pour Peely. Alors Peely lui explique qu’on lui a prêté cette «strange experimental car» pour quelques semaines, ce qui l’amuse beaucoup. Il en existe quelques une et Stong paraît-il en conduit aussi une. Après manger, Peely emmène Max dans sa pièce à disques et lui fait écouter une démo des Misunderstood enregistrée au Gold Star dans les sixties, et comme chacun sait, Peely avait flashé sur eux alors qu’il séjournait aux États-Unis et leur avait proposé de s’installer à Londres, pour six mois, chez sa mère, qui ajoute-t-il, ne lui a jamais pardonné - Five big Californian lads in a small flat in Notting Hill - Peely rivalise d’humour ravageur avec Max. Un Max qui rencontre aussi Christopher Lee, qui, dit-il, est encore plus grand que lui qui fait déjà quasiment deux mètres de haut. Christopher Lee indique à Max qu’à l’époque où il s’est installé dans le coin de King’s Road, Boris Karloff habitait sur le même square.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Max revient sur les racines du punk-rock à Londres : Dr. Feelgood (1975, first band I ever saw live) et le premier album des Ramones en 1976. Il cite aussi les racines glam, avec Slade, T Rex et Mott, tous ces groupes qu’écoutaient les punk-rockers quand ils avaient 12 ans, puis Iggy & The Stooges qui vivaient just off the King’s Road while recording Raw Power in London. Il cite aussi les Dolls at Biba’s. Max flashe aussi sur le concert des Ramones au jour de l’an 1977, avec Generation X et les Rezillos à la même affiche. Mais quand la semaine suivante, il achète le NME avec les Ramones à la une, il est écœuré par l’article de Tony Parsons qui ose descendre les Ramones. Alors le NME perd tout crédit à ses yeux. Comment ont-ils osé ? 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La fin de King’s Road est un peu tristounette. On arrive au bout du book comme on arrivait jadis au bout de King’s Road pour découvrir qu’il n’y avait plus rien à voir. World’s End. Alors pour se remonter le moral, on va se taper avec un Part Four un petit panorama des Flaming Stars, un groupe que Philippe encensait en 1996, et il était bien le seul à le faire en France. Ça se passait dans le N°8 de Dig It!. Il interviewait Max le ferrailleur. Lequel rend hommage à ses deux guitaristes, l’ex-Sting-Rays Mark Hosking et l’ex-Headcoats Johnny Johnson. Max évoque aussi sa passion pour les films Hammer et les acteurs comme Christopher Lee ou Peter Cushing, ainsi que sa passion pour les romans noirs des années 30 et 40 et «les affiches de films peintes par des gens comme Tom Chantrell». D’où les pochettes d’albums des Flaming Stars. Les deux stars citées dans l’interview sont David Allen Coe et Guy Clark. Pas mal, non ? Philippe termine sa double avec une belle apologie du real deal, sa façon de dire : choisis ton camp, camarade.

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Weidenfeld & Nicolson  2005

    Philippe Migrenne. The Flaming Stars. Dig It! # 8 - Hiver 1996

    Mike Stax : An interview with Max Décharné. Ugly Things # 64 - Winter 2023

     

     

    Kramer tune

     (Part Four)

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Et voilà qu’une page d’histoire se tourne : Dennis ‘Machine Gun’ Thompson vient de casser sa pipe en bois, refermant ainsi le chapitre MC5. Finito. MC5 ? Kapout. Est-ce une coïncidence, toujours est-il qu’au même moment, dans le numéro de mai de Mojo, Bob Mehr consacrait huit pages au MC5. Une sorte de dernier spasme, avec en double d’ouverture, la fameuse photo bien connue d’un Five dégoulinant de sueur, prise dans un backstage quelconque. C’est de cette séance que sort l’image qui orne la pochette de Back In The USA.  Ils sont à la fois superbes et très laids.

             Mehr va se baser sur l’autobio de Wyane Kramer (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) et opter pour un angle un peu bizarre : la rédemption qui suit la résurrection du guitariste, dans les années 90. C’est vrai que cette histoire est troublante et qu’elle vaut bien 8 pages.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Mehr fait tout simplement de Wayne Kramer un héros, un homme profondément soucieux des autres et qui croit aux nouveaux départs. C’est assez con à dire, mais ça s’entend dans sa façon de jouer. Kramer est un mec franc du collier. Il croit en l’intégrité. Avec de l’intégrité, on peut tout faire. Mehr cite John Sinclair : «Wayne was just a beautiful cat.» Tout est dit. Don Was ajoute qu’on pouvait tout savoir de Kramer en jouant simplement avec lui.

             Puis Mehr revient sur la formation du typical Midwest garage outfit MC5, «with matching hairdos and suits», vite propulsés par ce qu’il appelle «the twin influences of mind-expanding drugs and avant-jazz.» Car c’est bien là que se niche le génie du MC5, dans cette façon d’aller explorer les frontières. Kramer cherche tout de suite à se différencier. Chuck Berry fast and loud ? En disto ? Et je vais où après ? - And when I heard John Coltrane and Sun Ra and Albert Ayler, I said, Oh, that’s where you go frome there. You leave the key and the beat behind and go into a kinetic, more purely sonic dimension, where you’re trying to reproduce human emotion in sound - Ce que font couramment les crack du free : reproduire l’émotion dans leur son. Comme l’a fait Jeffrey Lee Pierce avec «(The Creator Has A) Masterplan» de Pharoah Sanders.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             John Sinclair file un sacré coup de main dans cette évolution. Sinclair flashe surtout sur «Black To Comm», le dernier cut que claque le Five sur scène. Sinclair devient leur manager. Le MC5 veut alors devenir le plus grande groupe de rock américain. Sinclair : «They were better than  any band I’ve ever seen.» Un autre cake flashe sur eux : Danny Fields, qui bosse pour le compte de Jac Holzman, boss d’Elektra. Comme Jac fait du blé avec les Doors, il cherche d’autres groupes de rock et Danny lui ramène le MC5 ET les Stooges. Danny n’en revient pas de voir Wayne Kramer danser sur scène, au Grande Ballroom de Detroit : «He was a real guitar dancer - like Fred & Ginger, him and his guitar.» Et Kramer lui recommande bien sûr les Stooges, ce qui émeut profondément Danny - In every way he was a classy guy - Et cette façon ajoute Danny qu’il avait de sourire quand tu lui adressais la parole et d’être curieux des gens. Les témoignages sont tous confondants. Ils jettent une sacrée lumière sur l’autobio. John Sinclair, Bob Mehr et Danny Fields font de Wayne Kramer un être lumineux et explorateur de frontières. Ça ne te rappelle rien ? Elvis 54, bien sûr.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La suite de l’histoire du MC5, on la connaît par cœur. Kick Out The Jams Motherfuckers retiré des ventes suite au «Fuck Hudson» que publie le Five dans la presse, Danny Fields et le Five virés d’Elektra, le Five qui se retrouve sur Atlantic mais dans les pattes de John Laudau, un Landau qui veut transformer le Five en machine à fric et donc virer le «political shit and the avant-garde shit», alors comme John Sinclair veut maintenir le lien entre le Five et son White Panther Party, il est viré. Et c’est la fin des haricots. Back In The USA et High Time ne se vendent pas. Glou glou. Michael David et Dennis Thompson quittent le navire. Wayne Kramer tente de sauver le groupe, il monte un nouveau line-up, mais en même temps, il a le museau dans la dope. Il s’écroule comme un château de cartes - J’ai alors perdu le moyen de gagner ma vie. J’ai perdu mes amis, mon statut social, mon avenir. Je ne savais pas quoi faire pour survivre. Alors ça m’a semblé plus facile de me défoncer - Il sombre dans la délinquance, «into a mafia-backed drug operation» et atterrit au ballon - In a way, I was destined to prison - C’était son destin, yo ! Cinq piges. Ça va, c’est pas trop violent. Ça se fait sur une jambe, comme on dit.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Et c’est au ballon que sa vie va basculer, au bon sens du terme, avec une rencontre, celle de Red Rodney, un trompettiste blanc qui avait accompagné Charlie Parker. Wayne se reconstruit grâce à Red, il retrouve une identité - I was the white boy with the wah-wah - C’est le cœur battant de l’autobio. Wayne n’est plus un gangster, mais un mec dont les taulaurds apprécient la musique. Au même moment, le punk-rock explose en Angleterre. Wayne est considéré comme godfather du punk-rock, au même titre qu’Iggy. Libéré, il se retrouve embarqué dans l’épisode Gang War avec Johnny Thunders, mais il sait que ça ne peut pas marcher - You can’t be in business with active addicts, they have other priorities - Dommage. Il fait ensuite équipe avec Don Was dans Was (Not Was). Il joue sur leur premier album. On en reparle.

             Pour vivre, Wayne devient charpentier, il s’installe en Floride, puis à Nashville. Lorsque Rob Tyner casse sa pipe en bois en 1991, Wayne se réveille en sursaut. Il réunit les autres Five  pour jouer un tribute à Rob à Detroit. Puis deux ans après, Fred Sonic Smith casse lui aussi sa pipe en bois. C’est le déclic : Wayne se dit qu’il lui reste 20 ou 30 ans à vivre, alors «I better get to work making music». Et boom, il se réinstalle à Los Angeles et enregistre The Hard Stuff. Il entame sa résurrection.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Puis il va se consacrer à la postérité du MC5 - I started the band, et même si je n’ai pas su le contrôler, it was my baby - En 2002 sort un docu (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) qui disparaît aussi sec, suite à une embrouille entre Wayne et les réalisateurs. Pas grave, Wayne reprend son bâton de pèlerin : il débarque à Londres au 100 Club et invite sur scène la crème de la crème du gratin dauphinois : Lemmy, Dave Vanian, Ian Astbury. Puis c’est la tournée de DTK/MC5, c’est-à-dire Davis/Thomson/Kramer, les trois survivants, avec Mark Arm au chant. Arm est fasciné par Wayne : «Wayne was great at getting people who were sympathetic.» Et il cite les noms de Lisa Kekaula et Dick Manitoba. Mais il y a des tensions parmi les survivants, ce qui attriste Wayne. Et puis voilà que Michael Davis casse sa pipe en bois en 2012. Fin du DTK. Alors Wayne monte Jail Guitar Doors USA, une association destinée à aider les taulards à s’en sortir via la guitare. Wayne fournit les grattes et les cours. Il visite des centaines de taules. Le voilà en mission. Et ça monte encore d’un cran dans la résurrection avec la naissance de son fils Francis en 2013. Il a 65 balais. Il sait maintenant pourquoi il ne s’est pas auto-détruit. Et en 2018, il sort l’autobio que salue son vieux mentor John Sinclair : «His autobiography was a tremendous work of art.» Pour les 50 ans du MC5, il monte le MC50 qu’on a pu voir à Paris, à l’Élysée, avec le mec de Zen Guerilla au chant. Puis il remonte un nouveau MC5 avec Brad Brooks (chant), Winston Watson (beurre) et Vicki Randle (bassmatic), pour enregistrer le quatrième album du MC5, cinquante ans après High Time. Il doit - ou devait - s’appeler Heavy Lifting. Mehr ne dit pas s’il va sortir un jour. C’est Bob Ezrin qui devait le produire. On y entend aussi paraît-il Vernon Reid de Living Colour, Dennis Thompson, Tom Morello et Don Was. Wayne nous dit Ezrin tentait avec cet album de re-capturer le spirit du Five. Alors on va se gratter l’os du genou en attendant des nouvelles d’Heavy Lifting. Était prévu avec la sortie d’Heavy Lifting une tournée mondiale et un nouveau book sur le Five, sous forme d’oral history. Pareil, on attend Godot. Wayne commençait à faire la promo dans la presse quand un petit cancer du pancréas l’a envoyé au tapis. Comme la vie, le MC5 ne tient qu’à un fil.

    Signé : Cazengler, MCFayot

    Dennis Thompson. Disparu le 9 mai 2024

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Bob Mehr : It wasn’t enough to play Kick Out The Jams, you had to live it. Mojo # 366 - May 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - George Soul

             Il portait le même nom qu’un célèbre tableur, Excel, l’outil préféré des esprits calculateurs et des forts en thème. Excel n’était pas calculateur, ni fort en thème, il avait d’autres défauts mais aussi des qualités. On pouvait par exemple lui faire confiance. Sauf si un disque rare traînait dans les parages. Posséder, telle était son obsession. La seule vue d’un gros cartonné US le rendait malade. Vraiment malade. Il transpirait et peinait à calmer sa respiration. Il subissait une sorte de pulsion libidinale. Chez certains hommes, la vue d’une belle paire de seins ou d’une toison ardente peut provoquer de violents troubles comportementaux : mains moites, grosse érection, passage à l’état bestial. Mais rares sont ceux qui perdent la tête à la seule vue d’une pochette de disque. De ce point de vue, Excel était un spécimen très rare, une véritable aubaine pour les scientifiques qui travaillent sur les pulsions et les dangers afférents. Alors bien sûr, nous ne trouvâmes rien de mieux pour nous distraire que de jouer à le mettre en transe. Le jeu consistait à sortir d’un sac quelques beaux cartonnés US et à les montrer rapidement. Ce jour-là, on exhiba sous ses yeux ronds comme des soucoupes quelques petites merveilles : Bettye Swann sur Capitol, l’Open Mind, Birtha, les Godz sur ESP. Excel demanda d’une voix blanche quel était leur prix. Bien sûr, ils n’étaient pas à vendre. Comme il approchait les mains, on l’acheva d’une seule phrase : «Bas les pattes ! On ne touche qu’avec les yeux !». On aurait dit que la foudre l’avait frappé et qu’un filet de fumée s’échappait de ses oreilles. Il réfléchissait comme on réfléchit dans les moments de panique pour trouver une solution, et avant qu’il n’ait pu dire un seul mot, les disques disparurent au fond du sac, anéantissant définitivement tout espoir en lui. Comme il était incapable de renoncer, il sortit son porte-monnaie et le fouilla fébrilement. Bien sûr, Excel n’avait pas un rond, à peine quelques pièces. Le spectacle fut si désolant qu’un des disques ressortit du sac. «Tiens, cadeau !». Il tenait le Birtha dans ses mains tremblantes et pleurait toutes les larmes de son corps. On n’avait encore jamais vu un homme chialer comme ça.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Les albums de George Soule n’auraient eu aucun effet sur Excel, car ce sont des CDs. Même pas la peine de lui dire à quel point George Soule est un bon, qu’il fait partie du noyau atomique de Malaco et qu’il groove comme un cake, à partir du moment où Take A Ride n’est pas un gros cartonné US, ça ne l’intéresse pas. Ah comme les gens peuvent être parfois bizarres !

             George Soule a trois cuts sur la petite compile Soulscape, Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule - Malaco Soul Brothers, dont bien sûr le fameux «Talkin’ About Love» révélatoire qui figure en bonne place dans la box Malaco. Il y tape le heavy romp de Malaco. Avec «That’s Why I’m A Man», il y va, c’est du sérieux. Comme Nino Ferrer, il voudrait être noir, il cherche la blackitude, avec une certaine réussite. 

             George Soule est l’artiste complet : il compose, bat le beurre et produit. Il a bossé pendant quarante ans avec d’énormes pointures comme Mavis Staples, Z.Z. Hill, Bobby Womack et Candi Staton. Il vit à Nashville, mais il se réinstalle à Jackson au moment où Wolf Stevenson et Tommy Couche démarrent Malaco. On pourrait presque le comparer à Dan Penn : même genre d’envergure, même qualité des compos et même passion pour la musique noire. Il a 8 ans quand son père lui offre un drum kit, puis il prend des cours de piano. Ado, il flashe sur Ray Charles et Etta James. Puis il flashe sur l’Otis Blue d’Otis. Plus tard il aura la chance de faire des backing pour Etta James, grâce à Jerry Wexler. C’est Jimmy Johnson à Muscle Shoals qui présente George à Jerry Wexler, en 1969. Wexler cherche des démos pour Judy Clay et ça tombe bien, George en a plein. Wexler les écoute. Des gens comme Wilson Pickett, Esther Phillips et Percy Sledge vont taper ses compos. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La compile Let Me Be A Man sort sur Soulscape, un bon équivalent de Kent/Ace. Dans ses liners, John Ridley n’y va pas de main morte : «George Soule, the essence of Country Soul.» Toutes ces démos sont enregistrées à Muscle Shoals, on retrouve le fat thumping de Muscle Shoals dès «Walking On Water Over Our Heads», heavy r’n’b de Southern punch, George est un vrai white nigger, un authentique imparable. On réalise très vite qu’il est aussi est un compositeur de génie, «So Glad You Happened To Me» sonne comme un hit interplanétaire, il atteint les couches supérieures du lard fumant. «You Can’t Stop A Man In Love» bat tous les records d’énergie compositale, c’est extravagant de puissance, il atteint des sommets insoupçonnés. Wilson Pickett adorait ce Can’t Stop, mais bon, il a enregistré autre chose. George chante «Better Make Use Of What You Got» à la glotte tracassée et il lâche ensuite une bombe : «Catch Me I’m Falling», qui sera un hit pour Esther Phillips. Encore du solide groove d’excelsior avec «Let It Come Naturally». Tout est extrêmement balèze sur cette compile. Jeune, George ressemble à un jeune black. Il reste très intense dans sa façon de chanter, très déjeté de l’épaule, si black d’esprit, si dévoué à la Soul. Comme les Tempts, il entre avec «Sitting On Top Of The World» dans le territoire sacré de la Soul. «It’s Just A Matter Of Time» est exceptionnel de grandeur. Il pulse sa good time music au firmament. Il sonne comme une superstar. Il compose «Shoes» avec Don Convay pour Brook Benton. «I Can’t Stop It» est solide sur ses pattes, un vrai hit de r’n’b, même chose avec «24 Hours A Day», derrière George, ça joue énormément. Et pour finir, voilà «Poor Boy Blue», un heavy groove d’excelsior. George est un bon. Sa Soul est pure. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il enregistre Take A Ride en 2006. Dans ses liners, Nial Briggs le compare à Dan Penn, Spooner Oldham, Bobby Womack et George Jackson. En studio, on retrouve Greg Cartwright. Inutile de dire qu’avec ce Take A Ride, tu te retrouves une fois de plus avec un big album entre les pattes. Et ça ne traîne pas, George fait son white niggah d’entrée de jeu avec «Something Went Right», il va chercher le smooth de Malaco, c’est une véritable bombe de Soul et de spirit. George chante une Soul de crack, son «I’ll Be Your Everything» est un deepy deep d’extrême onction, il est just perfect, en plein dans l’œil de Coco Bel-œil le cyclone. Greg Cartwright gratte bien ses poux dans le morceau titre. C’est claqué tellement sec que ce take a ride entre dans la légende de l’apanage, le groove de Malaco te groove les mots, il y va le George, c’est du solide, et ce démon de Cartwright gratte à tire-larigot. George tape bien sûr son vieux «Shoes», co-écrit jadis avec Don Covay. Ce mec a tout bon, c’est bien saqué du raw, bien monté au smooth de groove. Mooove with the grooove, n’oublie jamais ça. Le Cartwright passe à la wah sur «Find The Time» qui sonne comme un groove gluant de Leon Ware. George fait encore son white niggah dans «My World Tumbles Down», il vise en permanence l’excelsior du Soul System. Son «Bent Over Backwards» sonne comme du James Carr, et dans «Come On Over», les chœurs font come on over / there’s a party going on. Cet album superbe gagne la sortie avec «A Man Can’t Be A Man». George a du son jusqu’au bout des ongles.

             Il est aussi mêlé à une sombre histoire : les compiles Casual. Sombre parce que complètement underground. On en connaît trois : Country Got Soul, volumes One & Two et le Testifying de The Country Soul Revue. Dans les trois cas, tu peux y aller les yeux fermés, car George y côtoie la crème de la crème du gratin dauphinois, Donnie Fritts, Dan Penn, Bobbie Gentry, Eddie Hinton, Tony Joe White, Jim Ford, Bonnie Bramlett et des tas d’autres luminaries. C’est de toute évidence le moyen le plus sûr de situer le niveau de George Soule : parmi les géants.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il n’a qu’un seul cut sur Country Got Soul (Volume One) : «Get Involved». Il est à l’aise, black jusqu’au bout de la nuit, avec du heavy R&B. Sinon, cette compile grouille de puces. Avec des lascars comme Dan Penn et Donnie Fritts, c’est pas étonnant. Le Penn, tu le retrouves avec «If Love Was Money». Il sort le grand big badaboum et la voix d’ange blanc, c’est explosif de Soul, le Penn se coule dans toutes les couches de température, il pose ses couplets à plat et choisit l’éruption pour signifier sa passion de la Soul, c’est ultra-cuivré, il joue avec tes nerfs, Dan te dame le pion. Il ne Penn pas à jouir. Eddie Hinton te sonne les cloches avec «Come Running Back To You», et Donnie Fritts te groove l’oss de l’ass avec «Short End Of The Stick». C’est de la heavy frite de Fritts - They let me know/ I was at the short end of the stick/ yeah - On reste chez les poids lourds avec Tony Joe White et «Did Somebody Make A Fool Out Of You», bien gratté sous le boisseau vermoulu, et avec Travis Wammack et «You Better Move On», joli shoot de Memphis Soul-pop. Big one encore avec Delaney & Bonnie et «We Can Love», summum de la Soul blanche, et quand Bonnie entre dans la danse, alors ça groove au-delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. Coup de génie encore avec Razzy Bailey et «I Hate Hate». Il fait tout simplement «Tighteen Up». Oh et puis voilà Jim Ford avec «I’m Gonna Make You Love Me». Tu ne peux pas résister à un tel battage. C’est lui le cake de service. Oh et puis ce démon de Bobby Hatfield sonne comme un black avec «The Feeling Is Right». Fantastique swinger !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu prends les mêmes et tu recommences avec Country Got Soul (Volume Two). Même si George Soule n’y est pas, tu l’écoutes quand même. Parce que Dan Penn & Chuck Prophet avec «Heavy Duty» (haut de gamme imputrescible, heavy groove d’Alabama avec un Prophet in tow qui gratte ses poux de Tele). Parce que Bonnie Bramlett et «Your Kind Of Kindness» (la reine du rodéo, la vraie, chant d’Ikette blanche). Parce que Bobbie Gentry et «Fancy» (l’autre reine du rodéo). Parce que Donnie Fritts et «Muscle Shoals» (il fait la vraie country Soul et en tombe à la renverse - There must be something in the air down there/ To make ‘em play like that - hommage sidérant aux Swampers). Parce que Jim Ford et Harlan County» (c’est lui la superstar. Power immédiat). Parce que Sandra Rhodes et «Sewed Love And Reaped The Heartache» (elle est bien dans l’esprit du Casual, la petite Sandra, elle est bien cuivrée et soutenue par des chœurs astucieux). Parce que Larry Jon Wilson et «Ohoopee River Bottomland» (il fait du Tony Joe avec une voix plus grave, c’est assez magique). Parce qu’Eric Quincy Tate et «Stonehead Blues» (les Dixie Flyers jouent sur ce cut demented tiré de leur premier album sur Cotillon).

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu reprends les mêmes et tu recommences avec The Country Soul Revue et Testifying. George y fait trois apparitions, d’abord avec «Jaguar Man» (fantastique groove de white nigger), «I’m Only Human» (encore une échappée de Soul merveilleusement belle) et «It’s Over». On recroise aussi l’excellent Larry Jon Wilson avec «Friday Night Fight At Al’s» (il va chercher le baryton qui claque). Dan Penn a deux cuts : «Chicago Afterwhile» et «Best Of My Life» (tu sais tout de suite que ça va te couler dans la manche. Dan est un doux). Deux cuts aussi pour Donnie Fritts, «Adios Amigo’s» (il fait honneur aux apanages) et «Sumpin’ Funkin’ Goin’ On» (funky booty de la frite, il groove comme un cake). Deux cuts aussi pour Tony Joe White, «Who You Gonna Hoo Doo Now», imparable, et «Drifter», qui sauve bien l’honneur des blancs du Deep South. La palme revient à Bonnie Bramlett avec «Where’s Eddie». Bonnie est aux ladies d’Amérique ce que Lanegan est aux lads : la plus grande shouteuse. Elle explose la country Soul et l’Amérique toute entière. Elle s’en va swinguer au sommet de son Ararat de power pur. Wow Lady Bonnina, lying on the bed/ Listen to the music playing in your head !

    Signé : Cazengler, tu nous soûles

    George Soule. Let Me Be A Man. Soulscape Records 2011 

    George Soule. Take A Ride. Zane Productions 2006

    Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

    Country Got Soul (Volume One). Casual Records 2003

    Country Got Soul (Volume Two). Casual Records 2003

    The Country Soul Revue. Testifying. Casual Records 2004

     

    *

    Attention le retour de Ghost Highway ! Pas un groupe comme les autres pour notre blogue. Et pour beaucoup de fans de la première heure. Dès notre  première livraison du  01 / 05 / 2009 consacrée à Old School et Burning Dust, Jull et Zio qui furent le noyau initial de Ghost Highway étaient présents…   Avec Alain nous assistâmes à un des tout premiers concerts de Ghost Highway au Saint-Sauveur de Ballainvilliers ( livraison 26 du 11 / 11 / 2010) formation initiale, Zio, Jull , Arno, Phil… Epoque lointaine, le rockab français est en train de vivre un second âge d’or, Ghost Highway va incarner cette renaissance, il y a le groupe certes, mais aussi la constitution d’un groupe de followers qui suit la formation dans toutes ses pérégrinations rock’n’rollesques, peu de formations en notre pays peuvent se vanter d’avoir suscité un tel mouvement, l’on suit Ghost Highway avec ferveur, car intuitivement l’on comprend que c’est une chance inespérée de survie pour le rock’n’roll en notre pays…

    Les groupes de rock sont souvent des formations cristallisatoires évaporatrices, la vie ne fait pas de cadeau, après de nombreux concerts dont un à l’Olympia en première partie d’Imelda May et deux albums le rêve s’effilochera et se terminera… laissant un goût amer dans l’âme des fans… et l’espoir insensé d’une reformation… Ces deux dernières années il y eut des rumeurs diverses, des envies, des rencontres… jusqu’à cette reformation en laquelle personne ne croyait mais que tout le monde espérait, notons l’amicale contribution de Rockabilly Generation  l’ indispensable magazine de Sergio Kazh … A la vieille garde Arno, Jull and Phil s’est ajoutée la contrebasse de Brayan

    Pour Noël, nous trouverons au pied du sapin un nouvel album de Ghost Highway, c’est bien mais c’est loin. Devant la demande pressante et l’impatience généralisée, le groupe a improvisé  une session acoustique que nous nous empressons de découvrir.

    ACOUSTIC SESSION

    GHOST HIGHWAY

    (ASO1 / 1Records Production Ghost HighwayMai 2024)

    Arno : vocal, rhythm guitar / Phil : drums / Brayan : double bass / Jull : vocal, lead guitar.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

                    Seulement sept titres. Des reprises, les surprises novatrices seront sur l’album, retour vers le passé, dans une ère que l’on pourrait nommer le proto-rock’n’roll, tous les ingrédients du rock’n’roll  sont là, en ordre dispersé,  la génération des pionniers ne tardera pas à surgir pour se saisir de toutes ces racines et les rassembler…

    Blackberry wine : j’en connais une version par Big Sandy and his Fly-rite boys, une espèce de hillbilly-jazz peu convaincant,  lorsque était paru le premier numéro de Rockabilly Generation avec Big Sandy, ne te force pas avait décrété Alain, comme je te connais Damie jamais tu n’aimeras Big Sandy, par contre là ça claque sec, l’on est projeté en une fraction de seconde en une autre dimension, les Ghosts délimitent l’espace mental de la giboulée hillbillyenne, faut avoir l’oreille partout, trois pincées d’une guitare grêle, le vocal déboule, puis s’amuse au cheval à bascule, l’est pas tout seul, toutes dix les secondes retombe la pincée de grêle, ne vous laissez pas distraire, la basse trottine comme les sabots d’un zèbre têtu, le drummin tombe pile atomique, et tous ces moments délicieux dans lesquels les guitares se lancent dans des djangleries époustouflantes, de temps en temps ricochent des cartouches de chœurs, et le morceau défile si vite que vous êtes obligé de réécouter pour comprendre les tours fulgurants de pase-passe. Cherokee boogie :  en règle générale la prudence vous conseille de vous abstenir quand vous n’avez pas Moon Mullican dans le studio pour assurer le piano - vous l’excuserez, l’avait une bonne excuse pour ne pas être présent, lui qui est né en 1909 est mort en 1967, ce morceau est sorti en 1951, sachez que Jerry Lee Lewis a toujours revendiqué ce toqueur fou aux confluences hillbilly-country-boogie comme l’une de ses principales inspirations - oui mais ils s’appellent Ghost Highway et rien ne leur fait peur, au tout début vous avez un subtil frottis vaginal de big mama et c’est parti pour la danse de Saint Guy, vous refilent cette douce quiétude, cet impressionnant sentiment de sécurité qui vous saisit alors que votre chauffeur s’est endormi au volant et que vous lui faites confiance, rien ne pourra vous arriver, les Ghosts assurent sans problème, z’ont dû capter l’âme du Mullican pour jouer avec tant de tact rythmique, le bateau tangue rapide mais tout  en douceur, tout est en place, rien de trop, rien de moins, l’univers est en ordre, un vocal qui ressemble à l’arôme qui s’élève tel un rêve de votre tasse de café au petit matin… Motus et perfecto comme disent les rockers qui n’aiment pas être dérangés lorsqu’ils ont atteint le nirvana. Burning love : combien de fois n’ai-je pas été victime de cette fièvre ardente lorsque sur scène Ghost Highway reprenait  cet hymne al amor caliente d’Elvis, oui mais là ils n’ont pas pensé à régler la douloureuse d’EDF, du coup ils le font à l’énergie écologique,  se débrouillent mieux que mieux, un vocal très preleysien qui emporte le morceau comme le chien se saisit du gigot en laissant l’os pour les invités, alors on se régale à écouter les accoups de guitares, ces sursauts de flammes hautes qui se greffent sur les tamponnements imperturbables de Phil et Brayan, méfiez-vous de ces deux-là si vous les suivez ils vous mèneront jusqu’au bout du monde, pour aller ça ira, mais retrouverez-vous le chemin pour revenir… Ne restera de vous que des cendres. Big river : Johnny Cash avec Luther Perkins et Marshall Grant dans la Mecque créatrice du rock’n’roll le Studio Sun de Memphis, les Ghosts faites gaffe, ne s’agit pas de frapper fort mais de frapper juste, que Brayan ne débraye jamais et que le Phil file au métronome, pour les fioritures de guitare confiance à Jull, quant à Arno voix de croquemort N° 4, walkez the line du début à la fin, sinon l’on vous enferme à Folsom à perpète ! Inutile de vous cotiser pour leur apporter des oranges, je confirme s’en tirent comme des chefs indiens devant Custer, sont libres même qu’ils n’ont pas eu une caution à fournir, tellement c’est bon.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Good rockin’ tonight : tiens un second Presley, l’on ne prête qu’aux riches, s’il vous plaît une piécette d’argent pour Roy Brown qui écrivit et enregistra le morceau et une autre d’or pur  pour Wynonie Harris qui le magnifia, ma pauvre Dame comment ces nègres dégénérés ont-ils pu produire de tels chef d’œuvres, que voulez-vous mon bon Monsieur, tout le monde peut faire des erreurs, même notre Seigneur, l’on était chez Sun au morceau précédent mais l’on a encore un pied dans le studio de Sam Phillips pour cette interprétation, les Ghost jouent banco bronco, se la donnent à cœur joie, chacun nous montre ce qu’il sait faire dans son coin et ils y prennent un sacré plaisir, festival instrumental dans les interstices du vocal. Cold cold heart : une voix qui tire-bouchonne mais chaque fois qu’il ouvre la bouteille de son vocal Hank Williams vous loge une balle en plein cœur, un chanteur de country, une vie de rock’n’roll star, les Ghosts ne s’y sont pas trompés le plus dur ce n’est pas l’accompagnement, mais la voix, s’y mettent en chœur, n’ont pas le chevrotement inimitable de l’agneau pris dans les barbelés mais en s’entraidant ils parviennent sans problème à apitoyer les jeunes filles au cœur tendre. Gone Gone Gone : Carl Perkins le puriste du rockabilly, en bon américain sorti de sa cambrouse il vous donne l’impression de chanter en mâchouillant son chewing gum, jamais vous n’arriverez à prononcer gone gone gone avec ce ton de chaton perdu qui miaule, oui mais à la fin il vous met le feu à la grange et la ferme brûle, les Ghosts vous le prennent un peu plus haut, un peu à la Good Rockin’ , mettent la gomme gomme gomme sur le gone, gone, gone, y vont à l’arrache-rock, question zigmuc vous avez de petites broderies guitariques  au caramel salé qui valent le détour. Vous le déclinent en octogone.

             A déguster sans modération. Sept petites merveilles, sept pépites sonores pour nous rappeler rockabilly for ever !

    Damie Chad.

     

    *

    Fujiyama Mama, vous connaissez ? Bien sûr Damie, de Wanda Jakson. Très bien, vous savez au moins un mot de japonais, je peux donc vous emmener au pays du Soleil Levant  et de La Fureur du Dragon ! Heu, Damie, Bruce Lee n’était pas particulièrement japonais. Essayez d’intuiter un peu les gars, ce n’est pas Bruce Lee qui nous intéresse mais le dragon !

    DOOM DRAGON RISING

    (Split / Doom Fujiyama / Mai 2004)

    Doom Fuliyama est un label japonais. Z’ont déjà sorti quatre albums anthologiques, sobrement intitulés Doom Fujiyiama  Volumes 1, 2, 3, 4, ornés de pochettes en noir et blanc, style manga économique produit à la chaîne qui ne vous incite guère à vous porter acheteur de la marchandise. Au bout de deux ans le staff s’est réuni et a décidé de changer son sabre de samouraï d’épaule, l’album dix titres est remplacé par un EP quatre titres, mais une pochette qui pète le feu et qui en jette un maximum, ce n’est pas le Réveil de Godzilla mais l’Eveil du Dragon du Doom, tout de suite vous sentez interpelé par les forces du mal :

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Attention, trois groupes, par ordre alphabétique : Abiuro, Green Tripe et Heteropsy.

    GREEN TRIPE  ouvre le bal avec : Bong surfing : bruits de voitures, voix off filigranée et la sorcière aux dents vertes vous sourit de toutes les dents de ses guitares, la basse en écho à la lead, le titre n’est pas mal choisi, l’est vrai que l’on est dans une espèce de surfin’ doom assez inédit, et puis y a le dégueulis du vocal qui vous saute au visage et vous embourbe les oreilles, une coulée diarrhétique qui vous empuante les tympans mais que c’est bon, et boumg plus personne, seule la basse vous fait une espèce de salto arrière assez incongru, mais le gars au micro se recolle à sa parole pourrie et c’est reparti pour une longue giclée d’imprécations purulentes, le mec dégueule toutes ses tripes sur vos pieds et vous pataugez là-dedans avec la joie d’un canard heureux de retrouver sa mare natale, les rêves ne durent qu’un temps, basse et batterie se taillent une petite bavette entre eux, cela vous permet de vous rendre compte de tout ce qui vous manque sans ce vocal, maintenant ils se concoctent un petit solo à trois, puis ils arrêtent. Pourquoi continueraient-ils à vivre puisque la voix  s’est tue ? ABIURO s’adjuge la part du dragon, deux titres. Masaki Ikuta : guitare, vocal / Yuki Tanaka : basse / Yap : drums.  Inherited : Encore une fois, tout dans la voix, serait-ce un truc typiquement japonais, en tout cas on n’écoute qu’elle, un bon accompagnement, mais lorsque vous ouvrez une huitre c’est la perle qui est dedans qui vous intéresse, mais là aussi vous avez la basse qui vient faire son numéro de trapèze volant, qui ne dure pas trop longtemps car la voix revient en grondant. Ce n’est pas de sa faute, le gars vient de se faire buter et son âme s’envole comme un papillon. Du typique qui pique cent pour cent nippon. Miasma : une facture heavy-metal davantage classique, la voix baisse d’un ton, sludge en berne, la guitare la recouvre quelque peu, des paroles un peu plus philosophiques, dans ce monde de stupre et de vices  la luminosité d’une âme trop pure rend la nuit encore plus noire, la batterie s’abat comme si l’innocence était un moucheron qu’il faut à tout prix écraser, imaginez la gentille petite âme animaliste qui souffre beaucoup. N’ayez pas peur, son chagrin est évacué en moins de trente secondes. HETEROPSY : Old friends : les cymbales giclent, la batterie tonitrue et le vocal hurle à mort, la réunion des vieux amis n’a pas l’air de se dérouler fraternellement, la guitare grince, la chasse d’eau des WC glougloute fort méchamment, la voix imite l’ogre des contes d’enfants sages, ce n’est pas tout à fait le chaos, disons le bordel pour rester poli, l’on dirait que les musicos jouent à se démarquer l’un de l’autre, et clac changement de film, ce n’est le slow de l’été mais celui de l’automne avec ses arpèges larmoyants qui vous rappellent que tout finit un jour ou l’autre, tiens le climat change encore ce coup-ci c’est le général hiver qui lance un ouragan dévastateur, portez vos mains à vos oreilles pour les protéger du méchant loup qui vous les arracherait avec plaisir. Il a réussi le bruit que votre cerveau perçoit c’est le torrent du sang qui coule de vos oreilles à gros flocons. Vous ne sentez plus rien, normal vous êtes mort. Ce n’est pas grave, le morceau est fini.

             La couleur du heavy-metal, le bruit du heavy-metal, avec cette petite différence anthropologique qui change la donne : la texture de l’élocution japonaise, même quand ils chantent en anglais, sonne différemment, z’ont au fond de leur gorge un gravier gargouilleux qui n’appartient qu’à eux, un truc atrocement suave qui l’emporte sur bien des tortures auditives occidentales. Si Octave Mirbeau était encore en vie il n’aurait pas hésité à l’inclure dans une version augmentée de son Jardin des Supplices. Ce qui est étrange c’est qu’ils semblent davantage rechercher une singularité instrumentale qu’une cohésion d’ensemble.

             Quand le dragon s’éveillera, le soleil deviendra rouge…

    Damie Chad.

     

    *

    Orphée est un des tout premiers héros grecs, mais là où la plupart d’entre eux s’honorèrent par leur vaillance physique et leurs exploits guerriers, ses seules armes furent la poésie et la musique. Son chant lui permit d’entrouvrir les portes d’ivoire et de corne de la mort et du rêve… Qu’un groupe de dark metal se soit paré de son nom ne pouvait me laisser indifférent, écoutons donc ces cadences funéraires…

    APART

    ORPHEAN PASSAGE

    (Album Digital / Bandcamp / 30- 04 -2024)

    Groupe originaire de Cape Town, Le Cap, capitale de l’Afrique du Sud. Plusieurs de ses membres font aussi partie d’autres groupes dark metal.

    Julien Bedford : basse / François Meyer : drums / Malcolm McArb : guitars / Patrick Davidson : guitars / Nicole Potgieter : claviers / Ryan Higgo : chant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Belle couve : paysage d’eau et de brume, éléments inconsistants, que vous ne pouvez saisir ou retenir dans votre main, de même structure que les rêves et la mort… Seraient-ce les rives désolées du Styx, dans beaucoup de mythologies, notamment arthurienne, il suffit de traverser une étendue d’eau pour entrer dans le royaume immémorial de la mort…

    Prelude : ne passez pas rapidement sur cette ouverture, elle donne le la, le ton, d’une infinie tristesse, d’une langueur souveraine, d’une procession funéraire, non pas celle que l’on fait en suivant un cercueil ou en allumant un bûcher, celle que l’on parcourt à l’intérieur de soi, car la mort réside aussi bien dans les corps inanimés des cadavres que dans les pensées des vivants. A tout instant, demandez-vous si vous êtes celui qui regarde le miroir ou celui qui est dans le miroir. Adomed in midnight : souvenez-vous du titre de l’album, qui est à part, qui est séparé, cette voix bourrue, refermée sur elle-même, vous doutiez-vous avant d’être parvenu au bout du morceau que c’était elle toute seule qui prendrait en charge le muet dialogue des amants qui ne se parlent pas, mais qui parlent à l’autre depuis l’intérieur de l’autre, car le fait d’être dans l’autre est la preuve irrémédiable de cette séparation éternelle, éternelle en le sens où depuis le minuit lugubre où des lèvres se sont posées de chaque côté du miroir, tous deux ne font que reculer sans fin dans la présent de la présence de leur absence, à tel point qu’il se tait pour nous prouver que la musique continue toute seule dans une solitude effroyablement insupportable, alors il reprend la parole car il vaut mieux dire l’absence que laisser l’absence triompher. Le chant qui tue la mort n’est-il pas aussi criminel que la mort. Situation bloquée, fardeau de la culpabilité. Une dernière noté étranglée, point final qui ne veut pas finir, sur le clavier silencieux de cet oratorio magnifique.  Bereft in requiem : il est question d’inspiration, celle qui vient des Dieux, celle qui transforme la fiancée crépusculaire en un long mensonge, la musique grogne, le riff se boursouffle et il grogne comme un loup que la colère de son impuissance énerve, guitares  en piqué qui tombent, rasent et arrasent la cime des arbres, maintenant il dit ce qu’il ne faut pas dire que la mort n’est rien, que le temps est tout, car la mort peut mourir mais le temps perdu est semblable au temps gagné, tous deux sont sas repos, car le temps qui s’arrête dure encore. Ashen veil : voile de cendres, de rêves, de souvenirs emmêlés, un chemin, un long chemin de vie dans un passé qui ne veut pas mourir, qui les a conduits dans la mort, celle de l’un et celle de l’autre, car celui qui meurt tue aussi l’autre, marche crépusculaire, la batterie écrase les mottes de terre, celles du chemin et celles de la tombe, la voix se fait profonde, plus profonde qu’une fosse mortuaire, car si elle ne contient qu’un cadavre elle s’est refermée sur deux corps vivants.  The scarlet mirror : attention puisque je ne peux te donner la vie tu peux me donner la mort, il suffit de briser le miroir, qu’il devienne écarlate, cramoisi de mon sang, en saisir un éclat et se taillader les veines, l’échange du premier sang sur tes lèvres exsangues comme un premier baiser charnel, mais le miroir aux eaux glacées  retient les vols du cygne qui ne fuiront pas, il ne chantera pas son chant le plus beau au moment de mourir puisqu’il est déjà mort, le chant empli de ressentiment est aussi beau que le texte, le morceau se termine sur une musique qui s’éloigne aussi funeste que le finale de Lohengrin. Eclipse : ce n’est pas Lohengrin qui s’éloigne, c’est le rêve qui ne veut pas mourir, il suffit de s’attendre, jusqu’à la fin des temps, jusqu’à la fin des Dieux, jusqu’à la fin de la mort, car si la mort est la fin de tout elle est aussi sa propre fin, la musique le susurre longtemps jusqu’à ce que le chant s’élève, elle a préparé un tapis rouge pour accueillir le Poème afin qu’il s’unisse à la Poésie, ce n’est pas l’éclipse du soleil noir mais celle du temps effacé par l’atemporalité du Rêve, keyboard en marche nuptiale.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Wreaths for the wretched : retour à la réalité, pitié pour les misérables condamnés à vivre, le tempo adopte une ampleur inégalée, face à la réalité seule la révolte, inutile et perverse, est nécessaire, si l’homme est mortel qu’il devienne un Dieu, qu’il redonne vie à l’enfant dans le corps qui l’a porté, tout est excusable, tout est permis, puisque ceux qui sont sur les tombes sont aussi malheureux que ceux qui sont dessous. Tous coupables puisque tous innocents. Her wounds can’t be seen : dessus comme dessous, à l’intérieur comme à l’extérieur, gratter la terre du souvenir et gratter celle de la tombe jusqu’à pénétrer en ses souvenirs, jusqu’à savoir et comprendre les fragiles barrières opposées à la mort, souvenir du vivre et remembrances mortelles sont de même indissoluble matière, une même structure entrelacées dans les aitres de laquelle chacun se ménage ses minuscules refuges, ses petits mensonges, toute cette pacotille de déréliction pour faire semblant de contrecarrer l’inéluctable irréparable. La rage aux cœurs l’affrontement est inévitable. Keket : elle est la Perséphone égyptienne, celle qui permet de mesurer l’immensité de l’éternité lorsque le cadran solaire privé de soleil ne peut plus indiquer  la course du retour de l’astre solaire, si tu ne peux pas tuer la mort, il reste encore une possibilité, celle d’être la mort elle-même, se joindre à elle pour être elle, ne plus être séparé, que les chairs séparées comme celles déchirées de l’enfant Dionysos qui lui ont permis d’accéder à l’immortalité, ne dites pas que c’est impossible, puisque une fois que vous êtes mort vous ne pouvez plus mourir. Pourquoi ce clavier ou cette guitare sonnent-ils comme un tocsin, un glas funèbre et joyeux qui annonce que la mort est morte.

             L’on ne peut être qu’émerveillé par une telle réussite. Un groupe qui dès son premier enregistrement accouche d’un tel chef-d’œuvre est promis à un grand avenir. Tout est parfait dans ce disque, un lamento musical redondant qui n’est jamais répétitif mais qui vous englobe dans une espèce de suaire protecteur, un chanteur qui ne cherche jamais l’emphase et ne tente à aucun moment d’attirer l’attention sur sa voix, omniprésent mais d’une humilité évocatoire dont seuls sont capables les plus grands, de somptueux lyrics et une pochette ouverte aux aléas des rêves de ceux qui la regarderont, plus l’ombre lumineuse de la mort… Si vous trouvez mieux, prévenez-moi.

    Damie Chad.

             En attendant leur chaîne YT offre nombreuses vidéos de ce premier album enregistrées en public…

     

    *

    Le hasard fait bien les choses  mais peut-être vaudrait-il mieux incriminer les Dieux de l’ancienne Hellade. Nous venions d’achever notre chronique précédente lorsque dans le courrier je remarque, avec quelque retard, un envoi de Bandcamp signalant sur une compilation Metal la présence d’un morceau inédit de Thumos destiné à la face B De leur prochain album. Donc après le précédent Passage d’Orphée nous  voici en présence d’un dialogue de Platon relatif à la nature de la poésie.

    ION

    THUMOS

    ( Mind Over Metal VOL 1

    Cave Dweller Metal / Mai 2024)

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Goethe, le grand Goethe, mettait en doute l’attribution d’Ion, dialogue qualifié de jeunesse, à Platon. Il est inutile de nous lancer dans une polémique stérile, qu’il soit ou pas de Platon, ce dialogue consacré à l’essence de la Poésie, évoque évidemment le personnage d’Orphée même s’il est loin d’en être la référence principale.

    Notons que Thumos prévient qu’il a déjà donné en exclusivité à une précédente anthologie de Cave Dweller Metal, un précédent morceau de cette face B de leur prochain opus, Lachès que nous avons chroniqué dans notre livraison 636 du 14 / 03 / 2024. Sans vouloir préjuger du contenu du futur disque nous rappelons que Lachès est un dialogue de Platon mené par Socrate qui discute avec deux généraux athéniens d’éducation, de courage, et de guerre…  Mais il est temps de nous pencher sur l’œuvre ionique pour tenter de comprendre la lecture musicale que Thumos opère de cet ouvrage.

    Une première constatation sur laquelle je ne m’étendrai pas, dans   Platon. Œuvres Complètes de l’édition (de référence pour la France) dirigée par Luc Brisson, parue chez Flammarion en 2008 Ion est séparé de Lachès par l’ensemble des treize Lettres d’authenticité douteuse, preuve que le travail que Thumos effectue sur Platon est animé d’une certaine logique. Et même d’une logique certaine. Logos en grec.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Dans ION Socrate interpelle Ion le rhapsode, qui se vante d’être le meilleur de tous les rhapsodes spécialisés dans la récitation des poèmes d’Homère et le meilleur de tous les commentateurs de l’illustre aède… Il déclare qu’il ne sait pas pourquoi cette supériorité ne vient pas de sa propre personne mais de la Muse, comprendre de la Divinité qui a inspiré Homère. Socrate explique que l’inspiration agit comme un aimant qui transmet  son aimantation à un anneau de fer (Homère) qui à son tour la communique à un autre anneau de fer (Ion) qui à son tour la confère à un autre anneau de fer que représente le public subjugué par la beauté du texte homérique… Ion ne peut que remercier Socrate de son explication qui fait de lui un réceptacle et un transmetteur du souffle divin.

    Je me permets de vous adresser un petit conseil, si par hasard vous rencontriez Socrate, avec ce diable d’homme l’on ne sait jamais, et qu’il reconnaît en vous d’inestimables qualités, méfiez-vous, il ne va pas tarder à reprendre de l’hémisphère gauche de son cerveau ce dont son hémisphère droit vous a gratifié. Certes les récitations de notre rhapsode sont empreintes de beauté, mais sont-elles justes ? D’ailleurs les Lettres sont précédées d’un minuscule dialogue qui n’est manifestement pas de Platon, même s’il lui a été attribué, intitulé Sur le Juste

    Ainsi si Ion récite un passage dans lequel Homère parle de course de char, qui sera le plus à même de juger de la justesse de ce passage : un guerrier meneur de char ou Ion lui-même ? Le malheureux est obligé de répondre que les critiques ou les éloges d’un cocher professionnel seront supérieures à ses propres jugements. Socrate s’amuse à plusieurs reprises à faire admettre à Ion qu’il laissera systématiquement l’avantage à un ‘’spécialiste’’ suite à l’examen de plusieurs situation décrites par Homère. Une manière pour Socrate de sous-entendre que si déjà Homère a commis quelques erreurs dans ses descriptions, notre poëte et à fortiori un rhapsode qui récite ses textes, n’ont qu’imparfaitement retransmis l’inspiration divine. 

    Socrate laisse une petite chance à Ion : y aurait-il seulement un sujet sur lequel il serait  à même de posséder une compétence qui le mettrait à égalité avec les ‘’ spécialistes’’ de la question. A la grande surprise des lecteurs Ion revendique une totale adéquation entre son jugement des choses militaires et le savoir des plus grands stratèges. Se reportant aux  évocations des nombreux combats et multiples batailles qu’Homère décrit dans l’Illiade et l’Odyssée, Socrate se demande pourquoi Ion n’a pas été choisi par la cité athénienne pour diriger ses troupes lors des guerres qu’elle a l’habitude de mener…   Quand Ion se rend ridicule en décrétant que l’art du Rhapsode est égal à l’art du Stratège, Socrate enfonce le clou en affirmant que si Ion ne veut pas être un menteur, il vaut mieux  le considérer comme un homme divin  puisqu’il transmet par son art les poèmes d’Homère qui fut un homme divin puisque inspiré par la Muse…

    Certes le lecteur moderne goûtera le sel de l’ironie socratique mais il pourra aussi s’interroger sur l’étrange proximité établie par Ion (et Platon) de la poésie avec la guerre.  Comme si le schème de l’aimantation des anneaux de fer pouvait se résumer ainsi : les Dieux / la Poésie / la Guerre / les Hommes… Une juste vision très agonique (et nietzschéenne) de la Grèce Antique…

    ION : le morceau ne dépasse pas les quatre minutes, une orchestration que je qualifierais de serrée, un peu comme quand vous fermez avec force votre bouche pour réfréner une envie de rire incoercible, un rythme joyeux, nous sommes loin de cette idée de gravité et de sérieux que suscite communément le nom de Platon, peut-être faut-il discerner, trahie par la basse et les roulements de la batterie, l’indication que ce qui est en jeu dans ce recueil serait beaucoup plus sérieux que ne le laisserait accroire cette sensation de légèreté dégagée par la première moitié de ce titre, ne survient-il pas d’ailleurs une accélération drummique comme pour rappeler que l’on parle des Dieux, mais que signifie cette disparition sonore au profit d’un bourdonnement de mouche dont on ne sait si elle monte vers les demeures olympiennes ou descend vers l’incohérence théorique des êtres humains. Brutale amplification instrumentale, le rythme ralentit pour reprendre aussitôt, une effusion lyrique transparaît sans doute pour nous mettre en mémoire que le rire est aussi l’apanage des Immortels. Une espèce de coup de gong final, la plaisanterie humaine aurait-elle duré trop longtemps ?

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 647 : KR'TNT 647 : MAX DECHARNé /CODEX SERAFINI / WALTER JACKSON / ORVILLE PECK / EVIE SANDS / AZIMIT / AXION9

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 647

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 05 / 2024

     

    MAX DECHARNé / CODEX SERAFINI

    WALTER JACKSON / ORVILLE PECK

    EVIE SANDS / AZIMUT / AXIOM9

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 647

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Max le ferrailleur

     - Part Two

    z24225maxdécharné.jpg

             Quand tu vois écrit sur la couverture The Hipster’s Guide To Rockabilly Music, tu sors ton billet de vingt. Puis quand tu vois écrit en dessous A Rocket In My Pocket, tu sens une petite érection, et quand enfin tu lis le nom de Max Décharné en bas de cette même couverture, tu embrasses la petite gonzesse à la caisse. Tu ressors de chez Smith avec le book parfait entre les pattes. D’autant plus parfait que t’as en plus Elvis 54 sur la couve. 300 pages d’intense perfection, un book atrocement bien documenté, infesté de singles rares, et dédié à Nikki Sudden - For Nikki Sudden, who sang the Teenage Boogie on a Saturday night, and was telling me nearly twenty-five years ago to write something about Charlie Feathers. Rest in peace, old friend - Impossible d’imaginer meilleur auspice.

    z24232book.jpg

             Rien qu’à lire le sommaire, tu sens ta bave dégouliner. Les titres des chapitres swinguent tout seuls, ‘Hillbillies on speed’, ‘The King of the Western Bop’ (Elvis, bien sûr), ‘Get with it’ (Charlie Feathers bien sûr), ‘Rockin’ Up at Sam’s place’ (Uncle Sam bien sûr), des chapitres consacrés aux roots, aux labels, aux filles, au cinéma rockab, aux clubs, aux radios, au revival et aux héritiers. Max n’a rien oublié. Rien ! T’es dans une Bible. La Bible. Tu peux même le lire si tu ne comprends pas l’anglais. Pour tout fan de rockab, c’est le point de départ, le passage obligé, avec les trois Guralnick (Deux Elvis et un Uncle Sam), le Billy Poore (RockABilly: A Forty Year Journey) et le Craig Morrison (Go Cat Go! Rockabilly Music And Its Makers). De la même façon que l’It Came From Memphis de Robert Gordon, tu es quasi-obligé de relire le Rocket tellement ce book grouille d’informations. Overdose garantie, à condition bien sûr que tu aimes les overdoses.

    z24264vincent.jpg

             Dans l’intro, tu commences par tomber sur un portrait de Gene Vincent en 1956. Max a 19 ans quand il découvre l’existence du mot rockabilly dans le «Roll Away The Stone» de Mott The Hoople. Puis il chope Introducing Eddie & The Falcons de Wizzard. Il lit dans la foulée le ‘Junkyard Angels’ hebdomadaire de Roy Carr dans un NME de l’époque. Carr ne comprend pas qu’RCA n’ait pas rassemblé les Sun tracks d’Elvis sur un album - After all, these are perhaps the most important rock records ever made - C’est pas perhaps, Roy, c’est sûr. Tout vient des singles Sun d’Elvis. Puis Max rappelle que Ted Carroll lance Chiswick en 1975 avec la réédition du «Brand New Cadillac» de Vince Taylor, puis il passe à Ace avec des bombes du genre «Tennessee Rock» d’Hoyt Scoggins & The Saturday Nite Jamboree Boys et le «Jitterbop Baby» d’Hal Harris. Comme Ted Carroll, Max fout le doigt dans l’engrenage : il est baisé. Le rockab sera sa passion. À l’échelle d’une vie.

    z24265elvis.jpg

             Ce qui fait la force des singles rockab, c’est qu’ils ont gardé leur fraîcheur - Trente ans plus tard, the music still comes tearing out of those original Sun 45s like they were cut yesterday - Un peu plus loin, Max donne sa définition du rockab : «A mutant blend of uptempo country and hillbilly sounds combined with the backbeat of jump R&B.» C’est bien sûr Elvis qui définit le genre en mai 1954, lorsqu’il enregistre «That’s All Right/Blue Moon Of Kentucky» chez Uncle Sam - he defined pure rockabilly for all time -  Mais comme le rappelle Max, juste avant Elvis, tu as Arthur Big Boy Crudup. En 1962, Bobby Robinson le retrouve pour le faire enregistrer sur son label Fire Records. Max nous dit qu’en 1962, Big Boy cueille des fruits pour vivre. Les succès d’Elvis ne l’ont pas enrichi - Des gens décrochent des hits et tout le blé qui va avec, d’autres ont composé des hits mondiaux et bossent dans des stations-services. Il n’y a aucune justice ni aucune logique là-dedans. Comme le disait Jim Dickinson : «Les hits sont dans le baseball, les singles dans les bars et tes royalties vivent dans un château en Europe.» - Quand Max cite, il cite. Il ne pouvait pas citer mieux.

    z24232biscoversoundtrack.jpg

             Il illumine son chapter Elvis avec une belle image d’Evis & Scotty & Bill Black, le power trio originel - The wrote the rockabilly rules from scratch - Max rappelle qu’en plus de Guralnick, Greil Marcus a examiné cet épisode fondateur dans son fameux Mystery Train. Un Elvis qu’on surnomme à l’époque The Hillbilly Cat, ou encore The Memphis Flash. Max se régale de ces mots qui swinguent sous ses doigts alors qu’il les tape. Oh et puis voilà Uncle Sam ! Max cite Robert Gordon qui cite Uncle Sam : «Producing? I don’t know anything about producing records. But if you want to make son rock’n’roll music, I can reach down and pull it out of your asshole.» C’est le messie qui parle, mais si. Sur la compile Ace qui accompagne le Rocket Book, A Rocket In My Pocket - The Soundtrack To Hipster’s Guide To Rockabilly Music, tu as le «Mystery Train» d’Elvis, Scotty & Bill - Train arrives ! - La base de tout.

    z24266feathers.jpg

             Max embraye sur Charlie Feathers, comme s’il tirait l’overdrive de sa TR4, vroarrrr ! Il voit Charlie à Fulham en 1990. C’est l’ultime show londonien de Charlie. Max parle d’une révélation - It remains the finest pure rockabilly I’ve ever witnessed - Charlie gratte une acou, Bubba une gratte électrique et deux mecs des Firebirds «on the sparest backing from double bass and one snare». Quand tu lis ces mots, tu as l’impression de re-rentrer dans le Saint des Saints, juste après le bouclard d’Uncle Sam. Max ajoute que cet ultime show «was the real deal», 35 ans après l’âge d’or et les «killer rockabilly singles» sur King et Meteor - One of the most perfect examples of double-sided rockabilly statement you’re ever likely to hear - Et Max y va : «Il y eut certainement pas mal de chanteurs à l’époque qui ont été mieux payés que Charlie Feathers pour leur boulot, mais peu pouvaient égaler la qualité de ses enregistrements.» Ce sont des évidences, mais quand il s’agit de Charlie Feathers, on les accueille toujours à bras ouverts. Il ajoute que les cuts que Charlie enregistre en 1968 ou 1978 auraient pu l’être en 1955 : the purest ! Il cite encore l’exemple de «Get With It», Charlie dit au guitariste de lancer le cut et au stand-up man de commencer à slapper pour lancer le beat, de sorte que Charlie puisse entrer en rythmique and cut loose. «Tu veux jouer du rockabilly ? Just follow the instructions.»

             Ça tombe bien, «Get With It» se trouve sur la compile. Charlie with Jody & Jerry. Oh le chant pur du rockab parfait. C’est claqué du beignet, mais à la revoyure.

    z24258johyburnette.jpg

             Max reste à Memphis pour évoquer l’autre équipe de choc, Johnny Burnette & The Rock’n’roll trio qui ont enregistré  «some of the purest examples of flat-out, life-enhancing rockabilly ever recorded.» «The Train Kept A Rolling» figure aussi sur la compile. Ce trois-là sont des fous. Perfect madness. Max n’en finit plus de s’extasier. On a dans les pattes le book d’un fan, alors il ne faut guère s’étonner de ces montées de fièvre. Tous les kids du monde ont fait et font encore la même chose. La petite différence, c’est que Max écrit comme un cake.

    z24267burgess.jpg

             Il cite ensuite Sonny Burgess «and some of the wildest rockabilly ever recorded at Sun», puis Carl Perskins et Cash, et voilà que débarque en 1956 Jerry Lee et son père Elmo. Quand les mecs de Bear publient  la Box Classic Jerry Lee Lewis en 1989, ils déterrent pas moins de 246 cuts dans les archives. Puis arrivent Billy Lee Riley et Roy Orbison, Max les passe tous au peigne fin. Quand en 1960, Uncle Sam en a marre, il quitte Union Avenue et s’installe au 639 Madison.

    z24268meteor.jpg

             Tiens voilà un Bihari ! C’est Lester qui s’installe à Memphis pour monter Meteor sur Chelsea Avenue, en 1956. Il récupère les déchets d’Uncle Sam, Charlie Feathers, Bill Bowen, Junior Thompson et Brad Suggs. Le problème c’est que les singles Meteor sont «impossibly rare». Max explique qu’il se casse les dents à les chercher. Il existe une compile Meteor providentielle sur Ace (The Complete Meteo Rockabilly & Hillbilly Recordings). Max cite Steve Carl qui se souvient de la chambre d’écho de Lester, qui était en fait la salle de bains infestée de serpents. Lester plie bagage en 1957 et retourne bosser avec ses frangins. Pour illustrer l’épisode Meteor, Max a choisi Junior Thompson et «Mama’s Little Baby», un classic jive de r’n’b drivé au bop de slap.

    z24269eddiebond.jpg

             Au fil des pages, Max cite des tonnes de singles, il pleut du bersek guitar solo et du bass-slapping comme vache qui pisse. C’est une vraie foire à la saucisse bop. On voit qu’il a bien écumé les bacs des disquaires anglais spécialisés. Si tu veux te monter une collection de singles rockab, tu as le mode d’emploi. Hipster’s guide ! Max écrème les labels d’époque, Starday, Mercury et toute la bande à Bonnard, aussi plutôt que de te mettre sur la paille en partant à la chasse aux singles rares (prix minimum par tête : 50 euros), chope plutôt les quarante volumes de That’ll Flat Git It parus chez Bear. Tout y est. Tout ! Max qualifie Curtis Gordon de full-blown rockabilly wildman («Draggin’») et le «Slip Slip Slippin’ In» d’Eddie Bond & The Stompers d’«even wilder bass-driven monster.» Puis c’est Decca avec le rockabilly jackpot «Three Alley Cats» de Roy Hall, et pouf arrivent à la suite Jackie Lee Cochran, le Texas wildman Johnny Carroll. Arrête Max, on n’en peut plus ! Mais l’animal repart de plus belle. Il a tout exploré, tout écouté, il jongle avec la dynamite des singles rockab et boom, Roy Haydock & The Boppers avec «99 Chick». Pour chaque bombe, il a son mot à dire. Il arrive sur Columbia avec Sid King & The Five Strings, puis Ronnie Self qui atteint «the true rockabilly immortality» avec «Bop-a-Lena». Rien de plus frantic que ce truc-là, nous dit Max effaré. La preuve ? Elle est sur la compile : «Bop-a-Lena» ! Mais Ronnie est trop énervé. Il est incontrôlable. Son scoobidoo go cat go ne vaut pas les hiccups de Charlie Feathers.

    z24270phamtom.jpg

             Puis c’est le «stone-cold masterpiece of rockabilly mayhem» du «Love Me» de Jerry Lott, aka the Phantom, rendu célèbre bien sûr par les Cramps. Max illustre la page avec la pochette du single Dot, et de là, il passe directement à l’autre wildman de service, Hasil Adkins et ses «home-recorded blasts of rockabilly mayhem». Dans la foulée voilà qu’arrive Gene Maltais et son «primal, front-room rockabilly that jumps right out of the groove». Max parle bien sûr du double-sided monster «The Raging Sea/Gangwar». Ça tombe bien, le monster est sur la compile. Il est bien sec, le Maltais, mais plus rock’n’roll que rockab.

    z24271sandford.jpg

             Gros clin d’œil à un autre pionnier, Lee Hazlewood qui lance Sanford Clark et le mythique «The Fool» en 1956. Comme Uncle Sam, Lee étudie l’écho et achète 200 $ un vieux silo à grain et l’installe sur le parking de son studio pour produire «the correct echo». Max rend aussi hommage à Cordell Jackson et à son label Moon Records, dont Allen Page & The Deltones étaient les têtes de gondole («Dateless Night»). Et la surprise arrive avec le «Black Cadillac» de Joyce Green que Max compare au «Love Me» du Phantom. Il évoque un radio show en 1958 - One of the wildest performances of them all - «Black Cadillac» est l’unique single de Joyce Green, «but, quite honestly, how do you follow something like that?». Introuvable et pas sur la compile. Te voilà gros-Jean comme devant.

    z24272morningstar.jpg

             Après avoir épluché les superstars du rockab, Max plonge dans l’underground rockab, celui qu’il a exploré et qu’il partage avec nous. Il cite encore l’exemple du «Rocking In The Graveyard» de Jackie Morningstar, «replete with demonic howls and killer guitar». Pareil que Joyce Green : un single et puis plus rien. Max parle encore de «rockabilly immortality». Par chance, le «Rocking In The Graveyard» est sur la compile. Mais comme pour le Maltais, Morningstar est trop rock’n’roll.

             Max cite encore une compile Ace historique, Rockabilly Party, parue en 1978, sur laquelle se trouvent les blasters d’Hal Harris, «Jitterbop Baby» et «I Don’t Know When». Il indique aussi que les Cramps ont tapé dans le «deranged, heavy-breathing beat of a song» «Save It», de Mel Robbins. Ouf, il est sur la compile ! Mel est un furax. Quelle voix !

    z24273allen.jpg

             Max reprend le fil des rockabilly hymns avec le «Please Give Me Something» de Bill Allen & The Back Beats, qui date de 1958, «a primal howl of a song dans laquelle le narrateur cherche autre chose qu’un simple bisou sur la joue.» Un «Please Give Me Something» que reprit Tav Falco. Max cite encore des modèles comme Huelyn Duvall («Three Months To Kill») et Tooter Boatman & The Chaparrals («The Will Of Love», a driving powerhouse of a tune backed by some of the finest rockabilly drumming of the era). Il sort encore de l’underground Nervous Norvus et son «blood-happy danngerous driving ‘Transfusion’», «a megahit which came out of nowhere.» Puis Dale Vaughn et «How Can You Be Mean To Me» qui sort aussi de nowhere, avec un «world-class slice of rockabilly brillance» et une «guitar storm» «which anticipates the likes of the Stooges by over a decade». Un seul single qu’on retrouve par chance sur la compile. C’est Dale qui ouvre le bal de comp à la violente attaque. Il chante du nez. La pulsion rockab est là, entre tes reins. Qu’existe-t-il de plus wild ? Rien. Mais Max ne sait rien du mystérieux Dale Vaughn. Disparu sans laisser de traces ! Underground power at the Max.

    z24274honky.jpg

             Infatigable, il rentre ensuite dans le chou de l’Honky-tonk avec Johnny Horton, qui épousa la veuve d’Hank Williams aussitôt après qu’Hank ait cassé sa pipe en bois, et pour illustrer l’anecdote, Max te sort cette phrase de David Allen Coe : «If that ain’t country, I’ll kiss your ass.» Max raconte aussi que Johnny est allé voir Elvis à Memphis et lui demander s’il pouvait lui emprunter Bill Black pour enregistrer «Honky Tonk Man» chez Owen Bradley à Nashville. Puis, poursuit Max, Johnny emprunte encore Bill Black pour enregistrer le driving, powerfull «I’m Coming Home» joué sur un seul accord. Ce book bat tous les records, car il grouille de détails fascinants. Max cite les hits rockab, connus ou pas, et orne son texte d’une myriade d’anecdotes superbes. On reste dans les géants avec Thumper Jones, c’est-à-dire George Jones, qui sort en 1956 «How Come It/Rock It», l’une des perles rares du rockab. Max cite aussi sa version de «White Lightning», compo du Big Bopper, dont Eddie Cochran et Gene Vincent vont taper des covers un peu plus tard. Max reste chez les Hillbillies avec Jimmie Logsdon qui se rebaptise Jimmy Lloyd, et «You’re Gone Baby», avec en B-side l’even better «I Got A Rocket On My Pocket» - A rockabilly hymn to the joys of unbridled lust - C’est d’ailleurs l’«I Got A Rocket On My Pocket» qui referme la marche de la compile : oh la classe du dandy rockab !

    z24275thefgirls.jpg

             Max consacre des chapitres bien dodus aux juke joints, aux radio shows et aux TV shows, puis il débarque à Hollywood et passe tout le ciné rockab au peigne fin. Alors on fait des listes de trucs à voir en priorité. Il chante les louanges de The Girl Can’t Help It, avec Gene Vincent & The Blue Caps in full flight, il parle même d’un «impossibly high standard for filmed rock’n’roll», à cause justement d’«honest-to-goodness rockabilly wildmen like Vincent and Cochran». Sort en même temps une daube, Love Me Tender, avec «the most incendiary live perfomer on the planet», Elvis, auquel on fait chanter n’importe quoi, alors Max se met à rêver : «Imagine qu’on l’ait autorisé à chanter ‘Mystery Train’ in his own hepcat threads, in full colour?’». Max parle d’un artistic disaster. Elvis allait pouvoir se rattraper avec Jailhouse Rock et King Creole, mais le Colonel était déterminé à faire de lui un «family entertainment», alors Elvis allait entamer un chemin de croix qui allait le conduire jusqu’à Stay Away Joe, où il dut chanter cette daube qu’il haïssait, «Dominic The Impotent Bull». Merci Colonel d’avoir flingué le King. Max chante encore les louanges de Jamboree, d’High School Confidential et d’Untamed Youth, où Eddie Cochran joue le rôle de Bong, et où Mamie Van Doren chante en petite tenue. Oh et puis Hot Rod Gang, «staring one of the wildest rockers», Gene Vincent. Dans Carnival Rock, tu peux voir Bob Luman et James Burton, et dans Rock Baby Rock It, tu as Johnny Carroll. Max indique que Rock Baby Rock It mériterait d’être la pierre de touche de toute collection de DVD digne de ce nom.

    z24276hepcat.jpg

             En marge de tout ce bouillonnement, Max récupère en plus Charlie Gracie et Marvin Rainwater. Puis il bombarde Jerry Lee au grade de «wildest rockabilly of them all». Le temps va passer et certains feront comme si rien n’avait changé. Le meilleur exemple est celui de Charlie Feathers, déjà cité. En 1978, il se croit encore en 1955. L’autre exemple n’est autre que Larry Terry avec «a howling monster of a record», «Hep Cat» - Throat-shredding, savage-guitar screamer - Un seul single paru en 1961. Introuvable, bien sûr. Billy Miller réussira à retrouver la trace de Larry Terry. Dans le même genre, Max sort «Okie’s In The Pokie» de Jimmy Patton. Pour Max, c’est une façon de te dire, cher lecteur : «Ton tour est venu de partir à la chasse.»

    z24277carroll.jpg

             Injonction d’autant plus pertinente que la compile grouille de puces. Il y ceux que tu connais déjà comme Allen Page («She’s The One That’s Got It», heavy rockab bardé de réverb, c’est la Mer Rouge qui s’ouvre sous tes yeux), Carl Perkins («Put Your Cat Clothes On», hey he put it, sans doute le meilleur de tous), Wanda Jackson («Mean Mean Man», un rêve de délinquance juvénile), Hal Harris («Jitterbop Baby», Hal te boppe ça vite fait au lose my blues), Ric Cartey («Scratching On My Screen», slappé à la folie, l’un des sommets du genre), et puis il y a tous ceux que tu ne connais pas, et grâce à Max, tu te goinfres. Bob Doss, pour commencer, avec «Don’t Be Gone Long», pur jus de slap avec un solo de jazz dans la pulsion. Oh et puis le slap des Echo Valley Boys dans «Wash Machine Boogie», un vrai tenant de l’aboutissant pour l’amateur de real deal. Nouvelle révélation avec The Rhythm Rockets et «The Slide», le mec chante au génie délinquant, à la voyoucratie d’oh oh oh et en plus tu as l’épaisseur du son. La fête continue avec Jimmy Carroll et «Big Green Car», il te plonge en enfer à coups d’I saw my babe/ In a big green car - Aw merci Max ! Tiens, encore un wild cat tombé du ciel : Benny Ingram avec «Jello Sal», un shout de wild rockab tapé par la bande. Un chef-d’œuvre ! Révélation encore avec Freddie Franks et «Somebody’s Tryin’ To Be My Babe» : back to the primitive bop ! Ce mec te yodelle le bop ! Encore du pur et dur avec Don Willis et «Boppin’ High School Baby» : tu assistes ici à un fantastique développé de boppin’, suivi de Don Cole avec «Snake Eyed Mama». Il faut voir comme ça boppe ! La qualité de tous ces singles te tient en haleine.

    z24278bones.jpg

             Max continue de traverser les décennies et nous voilà à Londres avec Ted Carroll et Ace, puis en Allemagne avec Richard Weize et Bear. Voilà qu’arrivent the 1980s avec les Cramps - They probably had the finest taste in navigating the wilder extremes of America’s rockin’ past than just about anyone - Max qui a la chance de les rencontrer dit en plus qu’ils sont des «gueninely decent people». Côté covers, ils tapent dans le dur : «Rocking Bones» (Ronnie Dawson), «Uranium Rock» (Warren Smith), «Can’t Hardly Stand It» (Charlie) et bien sûr «A Rocket In My Pocket». Plus le Napa Hospital qui «puts to shame pretty much every other live video ever recorded.» Superbe hommage aux Cramps. Puis Max relate le désastre de leur tournée avec les fucking Police, un plan aussi foireux que celui nous dit Max de Jimi Hendrix en première partie des Monkees. Il évoque aussi le premier album des Cramps enregistré chez Uncle Sam à Memphis avec Alex Chilton. Et bien sûr, qui dit Chilton dit Tav Falco’s Panther Burns. Ces pages sur les Cramps valent vraiment le détour.

    z24279suave.jpg

             Puis voilà les Stray Cats et le rockab anglais. En 1985, Max voit les Sting-Rays en première partie des Cramps. Il flashe sur le chanteur, Bal Croce qui allait devenir celui des Earls Of Suave cinq ans plus tard, groupe dans lequel allait aussi se retrouver Max, avec la moitié des Sting-Rays, et bien sûr, les Earls Of Suave allaient jouer en première partie des Cramps. Une façon comme une autre de boucler la boucle.

    z24280décharné.jpg

    ( Version française)

             Dans son dernier chapitre, ‘Still a lot of rhythm in these Rockin’ Bones’, Max rend hommage à Billy Miller qui a retrouvé la trace du Phantom, puis qui a pris Hasil Adkins en charge, après avoir monté son label Norton Records en 1986. À Londres, Liam Waltson monte Toe Rag, a vintage recording studio en 1991. Liam nous dit Max a deux héros : Uncle Sam et surtout Joe Meek. C’est là que Ronnie Dawson vient enregistrer son come-back album Monkey Beat, sur le label de Barney Koumis, No Hit. Puis en 1995, Koumis nous dit Max ouvre ‘The Sound That Swings record shop’ in Camden Town, qui va devenir la Mecque des amateurs de «new and used rockin’ vinyl». C’est l’époque où Max joue dans deux groupes à la fois, les Earls Of Suave et Gallon Drunk. Ils rappelle que les Earls tapaient dans le dur avec «A Cheat» de Sanford Clark et «Who Will The Next Fool Be» de Charlie Rich : un premier single enregistré chez Toe Rag ! Max bat le beurre dans Gallon Drunk et keyboarde dans les Earls. Le premier single des Gallon Drunk est une cover de «Please Give Me Something», mais ils ne cherchent pas à sonner spécialement rockab - There was just as much of Machito, Bo Diddley, early Stooges or Suicide going on in the mixture - Max finit en apothéose avec la série des cinq concerts des Cramps à Londres en 1991 au Town & Country Club, avec des groupes différents chaque soir en première partie : Billy Childish’s band Thee Headcoats, Dave Vanian’s Phantom Chords, Ronnie Dawson, avec juste avant les Earls Of Suave, et le soir suivant, Gallon Drunk juste avant les Cramps - So I had two shots of the event, which remains one of the most enjoyable I’ve ever been involved with - Le deuxième soir était celui d’Halloween. Lux sortit d’un cercueil portant nous dit Max un crâne. Que peux-tu espérer voir de mieux dans la vie ?

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. A Rocket In My Pocket - The Hipster’s Guide To Rockabilly Music. Serpent’s Tail 2012

    A Rocket In My Pocket - The Soundtrack To Hipster’s Guide To Rockabilly Music. Ace Records 2010

     

     

    Serafini c’est pas fini

    z24227codexserafini.gif

             Tout amateur de mystère devrait aller voir jouer Codex Serafini. Ce groupe anglais basé à Brighton tire son nom du fameux Codex Seraphinianus, un ouvrage signé Luigi Serafini et publié dans les années 80 par l’éditeur d’art Franco Maria Ricci. Il s’agit, nous dit wiki, de l’encyclopédie d’un monde imaginaire, une sorte de Necronomicon, mais à l’endroit. Ce gros délire est apparemment devenu un ouvrage de référence. Il se pourrait bien que Codex Serafini devienne un jour un groupe de référence, car ce qu’ils proposent tient admirablement bien la route.

    z24229tous.jpg

             Tout ce qu’on apprendra d’eux, c’est qu’ils viennent de Brighton. Pour le reste tintin. Codex Serafini est un groupe mystérieux. Normalement ils sont cinq, mais ce soir ils ne seront que quatre, deux mecs, deux gonzesses. Manque le guitariste, apparemment. Comme c’est un groupe mystérieux, ils arrivent sur scène drapés dans de longues robes rouges et masqués de noir. Comme tu as vu un brin de sound-check, tu as repéré la batteuse. Elle fait coup double : elle vole le show et fait la loco. Fantastique. Une vraie reine du beurre. Tout repose sur elle. Tout, ici, ça veut dire un délire psyché directement inspiré d’Hawkwind. Le mec au sax, c’est Nik Turner, même sens inflammatoire, le mec sur la basse fuzz, c’est un pur Dave Brock croisé avec Lemmy, et la petite chanteuse est la Stacia de service, sauf qu’elle n’est pas à poil. Ce qu’ils bombardent tous les quatre sur scène, c’est du pur motörpsycho d’Hawkwind et ça fonctionne au-delà de toute espérance du cap de Bonne Espérance. Il fallait y penser, et en même temps, réinventer Hawkwind n’est pas à la portée de n’importe qui. Leur set décolle très vite. Les deux mecs ondulent bien dans le chaos du groove, portés par l’implacabilité psychotropique du beurre, et la petite chanteuse passe pas mal de temps accroupie, comme si elle se recueillait devant l’autel d’un temple antique.

    z24231chanteuseagenouillée.jpg

    Mise en scène impeccable, l’organique du son se mêle à l’organique de la plastique, et vraiment, ça te monte bien au cerveau, surtout si t’as déjà trois ou quatre pintes de Chouffe dans la gueule. Ça devient même très vite une sorte de concert idéal, et tu peux onduler comme le font les fantastiques clones de Nik Turner et Dave Brock, rien ne peut plus les arrêter, leurs chevelures volent dans le bombardement stroboscopique,

    z24230tous---.jpg

    la transe monte, ça s’en va culminer à des hauteurs qui te donnent le torticolis, ça va et ça vient entre les reins de l’or du Rhin ou de l’or du temps, tu ne sais plus et tu t’en fous, tu restes en mode ondulatoire et tu pries secrètement pour que ce délire ne s’arrête jamais, car te voilà soudain propulsé dans l’instant présent, celui que tu préfères, tu re-goûtes une fois de plus à l’instant rimbaldien, c’est-à-dire le bouleversement de tous les sens, te voilà codexé, harponné, serafiné, conquis, putréfié de bonheur, ratatiné, revendu, ravaudé, bon à rien, tu lâches tes prises, tu cèdes tes parts, tu niques ta rate, tu plies bagage, tu mets les bouts, tu casses ta croûte, tu cries au loup, tu croques ton crack, tu clones ta cuite, tu crées ta clique, tu claques ton cul, tu cuis ta croupe, tu craques tes craintes, tu clos ton bail, tu clames ta joie, tu cliques tes claques, tu cours tes risques, tu craches ta chique, tu cloues ta paume, tout est permis, c’est à l’infini, te voilà membre du grand Ordre International du Délire Serafinique. Rien de plus vrai : Codex Serafini, c’est pas fini. Que les dieux du rock veillent sur eux.  

    z24234imprecationanima.jpg

             Au merch, tu trouves leur troisième album, The Imprecation Of Anima. C’est déjà pas mal. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est bon de préciser qu’il vaut mieux écouter l’album après le concert. Si tu l’écoutes à jeun, ça risque d’être compliqué. L’album est tout de même bien barré, très liturgique, un peu Rosemary’s Baby, bien saxé dans l’oss, et tu l’écoutes plus facilement quand tu sais ce qu’ils valent sur scène. «Manzareck’s Secret» est bien un hommage au mec des Doors, et on y retrouve la frappe sèche et ordonnée de cette batteuse qui impressionne tant. Beurre bien dense et toujours intense. Globalement, l’album est plus space-outé que le set, beaucoup plus spirituel, plus informel, bien lâché dans le néant, le mec te le saxe dans la couenne du groove et la petite chanteuse sonne comme une prêtresse de l’Antiquité, ils sont dans cette dimension d’entre-deux, à cheval sur le cul entre deux chaises, entre l’Antique et le space-out, tout ça se joue en fait dans la même région du cerveau, dans la même animalité, mais au fond il ne s’agit que de puissance en devenir, puisque c’est frappé jusqu’au bout de la nuit de «Mujer Espiritu (Part 1)». Ils attaquent d’ailleurs la B avec le Pt 2 de Mujer, qui est aussi le cut d’ouverture de bal sur scène. Le Pt2 est plus déterminé à vaincre, bien acharné, bien riffé. S’ensuit «I Am Sorrow I Am Lust» qu’on retrouve en fin de set, cut plus exotique, tapé à rebrousse poil et toujours ce beurre bien dynamique et bien monté dans l’axe du mix. Ils terminent avec «Animus In Decay». Ils savent couler une dalle de cut, pas de problème, c’est d’un haut niveau underground, ténébreux à souhait, irrévocablement condamné aux souterrains et aux toiles d’araignées, mais au fond des orbites vides du Codex Serafini brille une lueur surnaturelle. La petite chanteuse mystérieuse sonne comme si elle officiait dans un temple d’Apollon, le son est lourd de conséquences, bien détaché des convenances, on a là quelque chose d’antique et de psyché à la fois, un peu oriental, très lourd, vraiment organique, relancé sur le tard par l’énorme batteuse, puis chauffé à blanc par le sax devenu fou et voilà le travail.  

    Signé : Cazengler, Codex Séfini

    Codex Serafini. Le Trois Pièces. Rouen (76). 10 avril 2024

    Codex Serafini. The Imprecation Of Anima. Riot Season 2023

     

     

    Wizards & True Stars

     - Walter d’asile

    z24226walterjohnson.gif

             Tony Rounce dit que Walter Jackson te rend fier d’avoir des oreilles - What you are on about to hear will make truly glad you’ve got ears - Et il surenchérit en s’exclamant : «Here is the very personification of vocal greatness.» Rien de plus vrai. L’incarnation de la grandeur vocale.

             Avec Walter Jackson, on entre dans le jardin magique de Carl Davis et de la Soul de Chicago. Dans son recueil de mémoires, Carl Davis précise que de tous les géants de la Soul, Walter Jackson reste son favori.

    z24263okeh.jpg

             Il n’est pas le seul à s’extasier. Dans les liners d’une des deux compiles Westside (Feeling The Song), David Cole chante aussi ses louages, mettant l’accent sur les deux mamelles de l’ultra-soulful Walter Jackson : la chaleur et la profondeur de sa voix, des qualités que les autres n’ont pas forcément. Cole rappelle aussi que Walter s’est chopé la polio à l’âge de 17 ans, et non durant son enfance, comme on le raconte ailleurs. Et c’est en 1962 que Carl Davis le voit chanter dans un club de Detroit et qu’il détecte en lui the star quality. Carl Davis lui fait enregistrer trois singles sur Columbia qui ne donnent rien, alors il met le turbo, le passe sur OKeh et demande à Curtis Mayfield de pondre un hit, cot cot, Curtis pond «That’s What Mama Said». Quand Walter Jackson évoque ses modèles, il cite les noms de Roy Hamilton et Sam Cooke, mais aussi Beethoven et Tchaikovsky, «Moonlight In Vermont» et «My Funny Valentine». Carl Davis pense qu’il faut aller sur des hits plus sexy et pouf, il tape dans Chip Taylor («Welcome Home»), et là, boom ! Badaboom ! Cole a l’air d’insinuer qu’on a un peu forcé Walter Jackson à enregistrer des cuts plus commerciaux. Cole indique aussi que des cuts enregistrés pour Cotillon à Muscle Shoals sont restés ‘scandaleusement’ inédits.

    z24235allover.jpg

             En 1965, Walter Jackson démarre en fanfare sur OKeh avec It’s All Over. Trois cuts l’établissent comme Soul Brother prépondérant : «There Goes That Story Again», «What Would You Do» et «Funny (Not Much)». Il groove le premier au swing de jazz. C’est le niveau auquel évolue cet immense crooner. Il défend ensuite son «What Would You Do» pied à pied. Walter Jackson est un géant impétueux. Encore un shoot de power pur avec «Funny (Not Much)» : très haut niveau de round midnite. Globalement, on est dans l’heavy Soul de Chicago, une Soul bienvenue et si parfaite. Sur la red Kent, les bonus valent le détour, surtout «Tell The World», heavy Soul de rang princier, «The Heartbeat Song», le hit tic toc de Walter, et l’heavy round midnite d’«It’s Hard To Believe». Diable, comme on s’attache à cet homme !

             Dans le booklet de la red, Tony Rounce nous dit tout ce qu’il faut savoir sur ce vieil OKeh. Il parle de «some of the greatest and most powerful recordings of Soul’s golden era». Il a bien raison, le bougre. Plane sur ce booklet l’ombre tutélaire de Carl Davis. Mick rappelle aussi que les grands compositeurs se bousculent au portillon : Chip Taylor, Van McCoy, Curtis Mayfield, Burt, Mann & Weil. En quête d’une vie meilleure, la famille de Walter a quitté la Floride pour s’installer à Detroit. Walter a commencé à chanter dans les Velvetones, des doo-wopers influencés par Nolan Strong & The Diablos. Le groupe splitte en 1959 et Carl Davis qui vient d’être nommé A&R à Chicago pour le compte de Columbia repère Walter en 1961. Carl Davis a pour mission de relancer OKeh, the largely dormant R&B subsidiary de Columbia. Pour accomplir sa mission, il monte ce qu’on appelle un roster et avec Walter, il lance Major Lance, Billy Butler & the Four Enchanters et d’autres combos locaux. Il a pour assistant Curtis Mayfield, une poule aux œufs d’or qui compose aussi pour des tas de poulains.      

    z24236manymoods.jpg

             Le deuxième OKeh de Walter s’appelle Welcome Home The Many Moods Of Walter Jackson. Il date de 1965. C’est un album de groove de charme, très grand public, puisqu’il reprend le fameux «Let It Be Me» de Gilbert Bécaud, et se croit sur Broadway avec «My Funny Valentine» et «Moonlight In Vermont». Il explose le «Welcome Home My Baby» de Chip Taylor et monte au firmament avec un hommage à Audrey Hepburn, «Moon River». Il remonte le courant  à coup d’Huckleberry Friend. Puis il tape dans Dylan avec une cover de «Blowin’ In The Wind» qu’il prend au swing de Broadway. C’est sans doute la cover le plus culottée de Blowin’ ! Ça jazze dans le wind à coups d’answer my friend. Il atteint des sommets avec une cover magique de «Fly Me To The Moon». Il te crève le cœur tellement il chante bien. C’est une merveille de croon swingué, et ça slappe à l’endroit et à l’envers, le mec y va des deux côtés. Il bat encore des records de présence avec «Still At The Mercy Of Your Love», un hit signé Van McCoy. De la même façon qu’avec l’album précédent, Kent propose une red gorgée de bonus du diable, alors quand il s’agit d’une superstar comme Walter Jackson, on y va sans réfléchir et on va de surprise en surprise. Premier choc avec «Deep In The Heart Of Harlem» et sa puissante orchestration at the crack of dawn, power extraordinaire, il monte encore comme la marée avec «A Cold Cold Winter» - Summer’s gone/ And I’m without you/ It’s gonna be a cold cold winter - Il explose «That’s When I Come To You» en plein vol et ce démon explose à la suite «One Heart Lonely», puis «The Folks Who Live On The Hill». Il te laisse comme deux ronds de flan. Cette fois, c’est Tony Rounce qui se colle à la rédaction des liners. Il appelle Walter «the late and truly great Walter Jackson». Ça veut bien dire ce que ça veut dire. Ce n’est pas non plus un hasard si on croise Walter dans les compiles Ace consacrées à Chip Taylor et à Bob Crewe.  

    z24237speakhername.jpg

             C’est avec Speak Her Name, un OKeh de 1967, qu’on réalise un fait essentiel : Walter Jackson est un chanteur très puissant. Il a comme on dit le chant chaud. Et pourtant il n’est pas favorisé par la pochette car on l’y voit crayonné avec ses béquilles. Mais il suffit d’écouter «After You There Can Be Nothing» pour tomber de sa chaise : il fait les Righteous Brothers à lui tout seul. Un vrai morceau de bravoure ! Deux autres merveilles se planquent en B : «A Corner In The Sun», où il développe le même power que celui de Bill Medley, et plus loin, «I’ll Keep On Trying», un shoot de power-dancing Soul d’une prestance inégalable. Pur jus de Chicago Soul ! C’est d’ailleurs le seul cut de l’album produit par Carl Davis. Power à tous les étages en montant chez Walter.

    z24238feelinggood.jpg

             Carl Davis va continuer de produire cet  immense Soul Brother dans les années 70. Feeling Good est un big album de Chicago Soul. Walter va chercher sa Soul très haut dès «Play In The Band». C’est une Soul d’une invraisemblable sophistication. Il tape ensuite le «Welcome Home My Baby» de Chip Taylor, avec la même attaque que celle de Bill Medley. Désespérément beau ! Il boucle son balda avec «Love Is Lovier», fantastiquement bien amené, I’m dancing to be happy, et fantastiquement bien développé. En B, il tape «Words» au Broadway swing, il porte ça avec une aisance irréelle, il enchaîne avec un heavy groove de Leon Ware, «I’ve Got It Bad Feeling Good» et conclut avec un shoot d’heavy Soul de haute tenue, «Someone Saved My Life Today». Plus Black Power, même si le cut est signé Elton John/Bernie Taupin. Sur la pochette, tu vois Walter avec ses béquilles. Walter et Doc Pomus même combat.  

    z24239comeback.jpg

             Carl Davis produit encore l’excellent I Want To Come Back As A Song. Le balda grouille littéralement de coups de génie, aussitôt «Baby I Love Your Way». Énorme présence vocale, Walter est stupéfiant de classe, il incarne la Soul suprême de Chicago, orchestrée ad nauseum. Il enchaîne avec «Everything Must Change» qu’il chante au gravitas subliminal de Barry White et de Solomon Burke. C’est d’une tenue exemplaire. Il monte au «Gotta Find Me An Angel» comme Marvin, avec une voix plus grave et arrosée de sax. Retour au Black Power en B avec «Stay A While With Me». Tout est dans le poids de la Soul, dans le cœur de la Soul. Et il remporte encore tous les suffrages avec «What Would You Do», un heavy groove d’une puissance inexorable. Walter Jackson est l’un des Soul Brothers les plus puissants de son temps. 

    z24240goodtoseeyou.jpg

             Good To See You est certainement l’un de ses meilleurs albums. Il attaque avec une triplette de Belleville, «I Wont Ever Remember Loving You», «If I Had My Way» et «We Could Fly», trois authentiques coups de génie black, exceptionnels de chaleur humaine, fantastiquement chantés et orchestrés par Carl Davis. Walter va chercher les sommets de la beauté fatale. Il se frotte chaque fois à la Soul avec une classe éblouissante, il rivalise de grandeur groovy avec Marvin dans «If I Had My Way», il te swingue ça à la renversante, c’est gorgé de jazz, de violons et de Marvin, c’est littéralement bourré d’all over. Il peut chanter à la sensiblerie et soudain éclore au Sénégal. Immense talent ! Il peut devenir océanique et chanter par vagues. Walter est un géant, un Soul Brother fondamental, il chauffe sa Soul d’une voix pleine et colorée, c’est un artiste considérable, jamais avare ni de power, ni de sensibilité. Ils redémarre sa B avec une autre triplette de Belleville, le morceau titre, «Open Up Your Heart» et «Forgetting Someone». Le morceau titre vire plus diskö funk, mais en mode Chicago, c’est forcément bien intentionné, chaleureux, long et finalement énorme. Avec «Open Up Your Heart», il groove la Soul à la puissance pure et il t’amène au bord de l’émotion suprême avec «Forgetting Someone». Soudain, il déchire le ciel et fait jaillir la lumière.  

    z24241clowns.jpg

             Paru en 1979, Send In The Clowns est encore un album mirifique, toujours produit par Carl Davis, et réédité par Westside, un label très pointu, et surtout très fondu de Walter Jackson, puisqu’ils ont tout réédité, et dans ses liners pour Clowns, Dennis Lyons recommande chaudement d’aller se jeter sur les compiles Westside de Walter. Un Walter qui dans Clowns t’étreint par la seule beauté de sa clameur («And If I Had») - I need somebody/ To love me - Toute la sainte chaleur de la Soul est là. Il chante tous ses cuts au charme chaud. Dommage que tous les cuts ne soient pas à sa hauteur. Ses balladifs ne sont pas du Burt. Et puis voilà le morceau titre, une belle Soul progressiste, très ambitieuse. Il fait parfois des cuts plus dansants, mais il est plus à l’aise sur  le satin jaune. «The Meeting» est infernal, avec les violons dans le ciel, il te groove son Meeting avec une classe infernale, il atteint des sommets par le seul power de sa nature. Ce Meeting est faramineux de balance et d’équilibre, il te monte ça là haut, tu en chopes le torticolis. Walter Jackson est l’un des Soul Brothers les plus brillants de sa génération. On entend des éclats de clameur boréale dans sa voix. Il boucle avec un «Golden Rays» bercé de langueurs monotones et donc digne de Burt. Enfin !

    z24242whereithurrts.jpg

             Son dernier album s’appelle Tell Me Where It Hurts, et atteint de nouveaux sommets. Il s’impose d’entrée de jeu, avec le morceau titre. Peu de gens sont aussi grandioses dès la mise en bouche et tu le vois monter là-haut faire danser son chant avec une classe épouvantable. Walter Jackson est un géant, un artiste extraordinaire, show me !, il va chercher le nec plus ultra de l’ultraïque. Te voilà au sommet de l’art. Au dessus, il n’y a rien. L’autre smash de l’album se planque en B : «If It’s Magic», un heavy groove de round midnite, avec, là-bas, dans les fumées bleues, la présence rassurante de la stand-up. Le Walter y va au jazz, il a tout Broadway derrière lui, le Broadway de Chicago, celui de Carl Davis, un Carl Davis qui n’en finit plus de veiller sur ce chef-d’œuvre de jive de jazz. L’autre cut magique s’appelle «At Last». Walter Jackson appartient à l’autre dimension, celle du big American songbook. Il swingue l’At Last à la démesure du croon de Broadway, c’est le summum absolu d’un groove à taille humaine. Il va encore se noyer dans la cour des grands avec «Living Without You», il y va au hello my dear, il l’alpague d’entrée de jeu, au but it’s nice that you find the time to see me, il chante au cabaret d’uptown. Puis il intériorise à outrance «Come To Me», et les filles font Call me tonite.

             Les deux belles compiles Westside permettent de réviser les leçons. Tony Rounce se tape les liners de Touching The Soul, qui brasse la période Brunswick/Chi Sound, et qui va de 1973 à 1983. Rounce y va au «smoky baritone», au «unbelievably brillant» et cite l’équipe de Carl Davis en termes d’«ultra-talented pool of Chi-Sound tunesmiths». D’ailleurs, il met un trait d’union dans Chi Sound (Chi-Sound) alors que David Cole colle les deux mots (Chisound). Chacun sa manière.

    z24243thesoul.jpg

             On replonge dans les sargasses de la beauté jacksonienne avec «It’s Cool», il part à la dérive océanique dans un élan surnaturel, il chante «Love Wake Me Up This Morning» en déplaçant les masses, il fait ripper un morning qui pèse des tonnes, il sonne comme les Tempts sur «Let Me Come Back» et s’élève dans les orchestrations de «The Meeting», il chante de toute évidence avec délectation, il est l’une des plus parfaites incarnations du génie vocal, il tape son «Tell Me Where It Hurrs» au life can be sad, il remonte le fil mélodique et il s’en va exploser le show me au sommet de la courbe, il se bat pied à pied avec son do it baby/ Tell where it hurts/ let me put my love upon your pain oooh ouiii, on le voit aussi atteindre le sommet de l’Everest de la Soul au deuxième couplet de «(Gotta Find Me An) Angel», une compo de Carolyn Franklin dont sa sister Ree fit un hit, et puis voilà encore l’ultime Soul Brother à l’œuvre avec «It Doesn’t Take Much», et ça explose de manière surnaturelle avec le «Welcome Home» de Chip Taylor, Walter Jackson se jette tout entier dans la balance avec ses béquilles et son génie universaliste, il chante aux abois extraordinaires, plus loin, il chante encore «Come To Me» à outrance, come to me tonite baby, et monte en neige ce heavy r’n’b qu’est «Open Your Heart».

    z24244feelingsong.jpg

             Feeling The Song brasse la période post-Okeh et la période de fin. C’est avec un plaisir indescriptible qu’on retrouve «Baby I Love Your Way», ce fantastique groove de good time music, alors on tombe dans ses bras, il tient la dragée haute et dérape dans les virages. Pur genius. Même chose avec «I Want To Come Back As A Song» et «At Last», il chante à la pire des perfes, il est effarant de nonchalance. Avec «Easy Evil», il lance un superbe assaut assumé, et c’est un bonheur que de plonger dans sa cover d’«Unchained Melody». Walter Jackson tartine à n’en plus finir, il chauffe ses accents en permanence, il groove sa chaudière, il chante au sommet de la Soul, avec un accent unique. Il est un peu comme Johnny Adams, il atteint une sorte d’universalisme, il croone à la surface de la terre. Il traque la mélodie pour mieux la magnifier. C’est un fantastique équilibriste de la Soul, il crée des ambiances exceptionnelles, comme le fait aussi Freddie Scott, il prend la Soul par les hanches et la fait danser («Sounds Like A Love Song»). Il chante «Everything Must Change» au chaud de l’humanisme et de tout ce qui relève de la beauté du monde.

    Signé : Cazengler, Walter closet

    Walter Jackson. It’s All Over. OKeh 1965   

    Walter Jackson. Welcome Home The Many Moods Of Walter Jackson. OKeh 1965 

    Walter Jackson. Speak Her Name. OKeh 1967 

    Walter Jackson. Feeling Good. Chi Sound Records 1976  

    Walter Jackson. I Want To Come Back As A Song. Chi Sound Records 1977  

    Walter Jackson. Good To See You. Chi Sound Records 1978 

    Walter Jackson. Send In The Clowns. Chi Sound Records 1979 

    Walter Jackson. Tell Me Where It Hurts. Westside 2000

    Walter Jackson. Touching The Soul. Westside 1999

    Walter Jackson. Feeling The Song. Westside 1999

     

     

    L’avenir du rock

    - Orville tombe à Peck

             Si l’avenir du rock avait dû choisir d’exercer un métier, il aurait sans la moindre hésitation choisi le métier de magicien. Avant même d’apprendre ses tours de magie, il se serait allé chez son tailleur du Faubourg Poissonnière se faire coudre un costume de Mandrake, avec bien sûr la cape noire doublée sur l’intérieur de soie rouge. Il aurait ensuite acheté chez Drouot un luxueux haut de forme lustré et une canne à pommeau d’or. Afin de compléter sa panoplie, il aurait passé dans la Chasseur Français une annonce sibylline pour recruter l’indispensable Lothar, et dont voici le texte : «Célèbre magicien recherche valet africain musclé, le plus fort du monde et invulnérable à toute arme de fabrication humaine, ainsi qu’à la magie.» Il aurait à la suite dévalisé les meilleurs bouquinistes du Quartier Latin et regroupé chez lui tous les grands classiques enseignant l’art des tours de magie, depuis l’escamotage jusqu’à l’hypnose, en passant par les caisses truquées et les subterfuges en trompe-l’œil. Il se serait abreuvé des astuces orientales, subtiles et cruelles à la fois, et des frasques américaines d’une efficacité tonitruante. Une fois ses tours de magie bien rôdés et son valet africain bien dressé, une fois ses cages de colombes et de lapins blancs bien fournies, une fois ses lames de sabres bien affûtées et ses foulards bien repassés, il se serait jeté sur son téléphone pour composer les numéros des cabarets parisiens les plus en vue et leur proposer ses services. C’est ainsi qu’il se serait trouvé un soir sur la scène du plus grand cabaret parisien, tenant en haleine un parterre d’aristocrates et de banquiers, réclamant leur attention d’une voix grave. Il aurait ôté son haut de forme pour le tenir renversé d’une main, puis tapoter du bout de sa canne sur le rebord, et après une interminable minute de silence, il aurait ânonné d’une voix grave :

             — Mesdames et messieurs, Am stram gram, et peck et peck et colégram, et bour et bour et ratatam... Voici Orville Peck !

    z24228orvillepeck.gif

             En fait, Orville Peck n’est pas sorti du chapeau de Mandrake, mais de celui de Tonton Leon. C’est en effet sur le tribute à Leon Russell (A Song For Leon) qu’on a découvert l’Orville. Il y tape une cover de «This Masquerade», et on a flashé aussi sec sur sa voix. Vraie voix, profonde et sonore à la fois. Timbre de star. Orville est impeck. Alors on a creusé et découvert que l’Orville est un jeune cowboy masqué, ce que les Américains appellent un rhinestone cowboy. Le plus connu est David Allen Coe. Le masque renvoie aussi au Phatom, dont le «Love Me» hanta les nuits agitées de Lux Interior. Nous voilà donc de retour dans un territoire qu’on apprécie tout particulièrement : la mythologie. Orville l’impeck sera-t-il à la hauteur des attentes ? Seuls le diable et les albums le savent.

    z24245pony.jpg

             Bon départ avec Pony, un Sub Pop de 2019. Eh oui, quel singer ! Il maraude dans son lagon d’argent comme un beau requin masqué. Il descend dans le gras de son baryton pour «Turn To Hate» et ça devient génial. Il passe par un «Buffalo Run» très exacerbé, s’égare dans un «Queen Of The Rodeo» et revient en grâce avec «Kansas (Remember Me Now)». Il ressort sa meilleure voix pour caresser le Kansas dans le sens du poil. C’est beau et même décadent. Il passe par quelques bluettes country et revient enfin au sommet de son lard avec «Take You Back (The Iron Hoof Castle Call)», fast country strut monté sur un bassmatic de rêve. Il chante comme Elvis, et attaque à la sifflote. Il faut le voir emballer son Take you back. Comme on est sur Sub Pop, on a du son. Superbe allure.

    z24246bronco.jpg

             Paru l’an passé, Bronco est un fougueux double album qui hennit bien. L’Orville s’avère être un beautiful crooner, comme le montre «The Curse Of The Blackened Eye». Il sait faire résonner sa voix dans l’écho du temps. Il yodelle merveilleusement. Il s’appuie sur un balladif pour développer une voix extraordinairement colorée - Nothing to lose/ Wouldn’t miss it anyhow - On pourrait qualifier l’ambiance de Bronco de power western pur. L’Orville fait du John Ford des temps modernes. Il ferait presque passer Cash pour en enfant de chœur. Encore un heavy balladif d’exception avec «Outta Time» - Baby I’m outta time/ Drag me to the party/ Guess I got nowhere to go - et il te balance ça, qui est extraordinaire : «She tells me she don’t like Elvis/ I say I want a little less conversation, please.» Il attaque sa B avec «C’mon Baby Cry», un big balladif d’envergure, il y va au call me up anytime/ C’mon baby cry. Power de Peck-rock all over the c’mon baby ! Il tape plus loin un «Kalahari Down» plus sombre, avec un still tumbling down qu’il prononce ‘tumbeling down’, c’est excellent, il a le power d’Elvis, and I still hear the sound and come up. Il reste dans la fantastique énergie avec le morceau titre qu’il chante à bout de souffle - And oooh see the cowboy sing ! Tout au long des faces, on est frappé par la réelle ampleur du chant. Il repart à la fantastique allure en C avec «Blush», et y va au red sky at morning. Il propose la nouvelle Cosmic Americana - Saddle up and ride on down - Superbe artiste.

    Signé : Cazengler, Orville Pic (dans la caisse)

    Orville Peck. Pony. Sub Pop 2019

    Orville Peck. Bronco. Columbia 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Ce n’est pas l’Evie qui manque

             Sa petite tête ronde couronnée de cheveux rouges pouvait laisser perplexe. Lady Eva ne passait pas inaperçue, ce qui, dans tous les cas de figure, constitue un avantage. Elle traînait dans les concerts et semblait s’intéresser en particulier aux artistes à la peau noire. Le contact se fit le plus naturellement du monde, le petit blah-blah classique d’après concert, suivi d’une invitation à aller boire un verre en ville. Elle ne se fit pas prier, ce qui la rendit encore plus sympathique. Nous nous installâmes dans un endroit confortable, propice aux confessions. Comme elle ne crachait pas sur les verres de vin blanc, la conversation prit un certain volume. Elle commença à glisser ici et là quelques allusions à sa vie sexuelle, réduite à néant par quelques décennies de mariage. Elle savait mettre les sens d’un interlocuteur en alerte. Avait-elle une idée derrière la tête ? Ça semblait évident. Mais l’envie de mieux la connaître prédominait. Elle avoua qu’elle avait travaillée dans une DRH, ce qui ne fit qu’empirer les choses. Plutôt que d’entremêler nos salives, nous entremêlâmes nos expériences respectives, décisionnaire d’un côté, prestataire de l’autre. Ce fut une sorte d’osmose, non pas organique, mais spirituelle, enfin, si on considère les ressources humaines comme une forme de spiritualité contemporaine, disons la spiritualité du pauvre, pour faire court. L’atmosphère s’épaississait à mesure que s’égrenaient les heures et il devint évident que tout cela risquait de se terminer au fond d’un lit, ce qui aurait tout gâché. Comment la réfréner ? Il se dégageait d’elle un curieux mélange de mystère et de sensualité. Cette femme d’un certain âge abritait deux très beaux yeux derrière une paire de lunettes à fines montures. Ses lèvres peintes luisaient dans la lumière tamisée et semblaient n’attendre qu’une seule chose : qu’une autre paire de lèvres vienne s’y poser comme un papillon. Le sentiment de vivre l’instant parfait s’étirait tant qu’il atteignait les confins de l’irréalité. Il suffisait juste de tendre la main pour constater que Lady Eva n’avait jamais existé.

    z24224erviesand.gif

             Comme toujours dans cette rubrique, le nom d’une personne rencontrée dans la vraie vie fait écho au nom de l’artiste qu’on choisit de présenter brièvement. Evie fait écho à Eva et inversement. L’une éclaire l’autre, dans une espèce de partie de ping-pong mémoriel. Evie comme Eva sortent du néant, font trois petits tours et puis s’en vont. Il s’en passe des choses au fond de la Goldmine !  

    Z24255POLLYWALLY.jpg

             Alors, c’est pas compliqué : tu vas chez Born Bad, tu chopes une compile qui te paraît sympa, Polly Wally, tu rentres chez toi, tu te sers une bonne rasade, tu poses ton cul dans ton fauteuil et tu écoutes Polly Wally. Bon pas mal, Big Maybelle, Tyrone Davis, et puis plein d’obscurs géniaux, et soudain boom badaboom : tu tombes sur «Run Home To Your Mama», l’heavy stomp d’Evie Sands ! Evie qui ? C’est qui celle-là ? D’où qu’elle sort ? Une blanche ? Pas possible !

    Z24261CAMEO.jpg

             Tu prends ta pelle et tu creuses. Un premier hit, «Take Me For A Little While», barboté par Jackie Ross, chez Chess. Un deuxième hit, «Angel In The Morning», signé Chip Taylor et sorti sur Cameo au moment où Cameo se casse la gueule. Chips Moman refile «Angel In The Morning» à Merrilee Rush et rafle la mise. Evie en bave. Heureusement, Chip Taylor ne lâche pas l’affaire. Il en pince pour la voix de cette jeune New-Yorkaise qui est l’une des chanteuses préférées de Dusty chérie. Chip lui donne une troisième chance avec un hit qu’il a déjà filé aux Troggs, «Any Way That You Want Me». Chip enregistre Evie à New York, avec une terrifique section rythmique, et Eddie Hinton from Muscle Shoals on guitar. Evie explose le hit des Troggs, elle te l’explose au plus haut niveau. Personne ne sait qu’en 1970, Evie est la Reine de Saba.

    z24247youwantme.jpg

             Alors, tu as l’album du même nom, Any Way That You Want Me qui sort en 1970. On comprend que cet album soit devenu culte, malgré sa pochette plan-plan : Evie fait du vélo sur le chemin des écoliers. Mais tu fermes vite ta boîte à camembert car «Crazy Annie» te saute à la gueule : explosif et génial. Et ça continue avec le power maximal de «But You Know I Love You». la prod de Chip Taylor & Al Gorgoni est un modèle du genre. Elle attaque «I’ll Never Be Alone Again» à la descendante de Whiter Shade Of Pale et remonte de façon inespérée. Là tu t’agenouilles devant ta reine. Elle fait sa Soul Sister avec «Close Your Eyes Cross Your Fingers». Elle est blanche, mais comme elle est bonne ! C’est produit à outrance. Elle a la voix, la vraie voix. Elle cultive la pure beauté intrinsèque, comme son admiratrice, Dusty chérie. Encore une Beautiful Song avec «Shadow Of The Evening», elle en fait un groove magique. On croise rarement des albums d’une telle qualité. On croise aussi le fameux «Take Me For A Little While», avec un background Motown. Petite pop anglaise deviendra grande : «I’ll Hold Out My Hand», encore un cut prodigieusement monté en neige par la prod de la Gorgone Gorgoni. Evie gueule à la fabulette de magie pure. Elle termine avec un «One Fine Summer Morning» gorgé de gorgeous. Elle illumine ses cuts de l’intérieur. Les fans se sont jetés sur la red Rev-Ola parue en 2005 car Rev-Ola est un label phare, managé par Joe Foster et spécialisé dans la réédition d’albums cultes. On trouve sur la red Rev un bonus track demented, «Maybe Tomorrow», le cut du paradis, chanté à l’ubiquité transversale et violonné à l’aune de l’aube transcendentale. Terrific !  

    z24248estatemind.jpg

             Alors comme tu as envie d’Evie, tu prends ton bâton de pèlerin et tu la suis à la trace. Quatre ans plus tard, elle enregistre Estate of Mind qui n’est hélas pas ce qu’on appelle un big album, mais il peut laisser deux bons souvenirs : «Call Me Home Again» et «Take It Or Leave It». Ses balladifs sont des chefs-d’œuvre d’intensité crépitante. On accueille son take it à bras ouverts, mais c’est surtout «Call Me Home Again» qui flatte l’intellect, car voilà ce qu’on appelle une Beautiful Song. Elle dispose d’une vraie voix et d’une stand-up de round midnite. Encore de très belles choses en B, avec notamment «I Love Makin’ Love To You», belle présence vocale, elle est partout dans ses chansons. Sa pop est comme illuminée de l’intérieur. Elle termine en slow motion avec «Am I Crazy Cause I Believe», elle est très attentive à la qualité de sa présence.

    z24249animation.jpg

             Il ne faut hélas pas attendre monts et merveilles de Suspended Animation, paru en 1979. Pochette bizarre : Evie semble danser toute seule dans la rue. Elle tente de se ré-imposer avec «Lady Of The Night», mais c’est difficile. Il lui manque l’autorité de Chip Taylor. Ce n’est plus le même son. Désolé Evie, c’est pas bon. Elle fait une sorte de pop FM à la Moon Martin, c’est atroce. Elle sauve son balda avec un balladif, «As We Fall In Love Once More». Elle a tout de suite une meilleure mine. Elle tient bien sa voix. Elle ramène du power en altitude. Mais la B retombe comme un soufflé, et ce dès «Get Up», heavy rock US ultra-produit.

    z24250prison.jpg

             Bel album que ce Women In Prison, mais aussi belle pochette. On voit Evie gratter ses poux avec un sourire complice aux lèvres. Evie est dans le boogie, mais pas n’importe quel boogie : le boogie d’Evie. Heavy as hell, mais l’hell d’Evie. Elle taille sa route, la route d’Evie. Ça n’engage qu’elle. Elle monte son «Cool Blues Shoes» sur un beau Diddley Beat et duette avec Lucinda Williams. On sent très vite qu’on est sur un big album. Evie a deux mamelles : le répondant et la hauteur de vue, il faut la voir parader dans «While I Look At You» - Oh oh/ I love to look at you - Et soudain le ciel s’illumine : «Angel In Your Eyes», une Beautiful Song, c’est-à-dire une merveille de délicatesse ultime. Elle en propose une autre un peu plus loin : «I Want Your Hands». Elle est à la fois magnifique et inexorable, Evie tombe littéralement du ciel. La beauté est son terrain de prédilection - I want your lips/ To kiss everything - Elle veut les mains et les lèvres. Sans doute le reste aussi. Elle groove pas mal, dans «Brooklyn Blues», et dans «Fingerprint Me Baby», où elle se fait passer pour une bad bad girl. Elle sait groover le swing. On la voit régler ses comptes dans «I Hate You Today», elle mène bien sa barcasse et elle termine à l’espagnolade. L’album s’achève avec «Little Girls Cryin’». Elle reste délicate et précise sur le toucher du beautiful, c’est sa came, alors y va au sweet daddy. Cut idéal pour une petite poule comme Evie qui navigue en solitaire, loin des modes, avec une vraie voix et une stature légendaire qu’elle doit à Chip.

    z24251shineforme.jpg

             Paru en 2017, Shine For Me est ce qu’on appelle un mini-album. Elle compose et produit tout. Elle développe bien son «Rodeo». On note l’indeniability d’Evie, Evie fait envie. Elle reste une artiste importante qu’il faut découvrir. Elle chante d’une voix ferme et définitive, une voix au timbre rare et jamais oblitéré. Elle fait une soft pop sans histoire, elle n’invente rien avec «Full Dose Of Love». Elle chante ses petites compos, elle les trousse avec une belle petite ferveur, à la hussarde. Elle attaque sa B avec le morceau titre, un mélopif d’envergure. Elle rejoint les champions du genre, avec un petit côté Procol dans le protocole. Elle vise l’ampleur de la clameur d’Elseneur, c’est dire si elle est bonne. On croit vraiment entendre le piano de Gary Brooker. Et puis voilà la merveille tant espérée : «Without You» - When I kook for you/ You’re not very far - Elle sait entrer dans un lagon d’argent, à la voix de gorge chaude. Son génie vocal évoque celui de Maria Muldaur. C’est une Beautiful Song. 

    z24257getout.jpg

             Et puis voilà le petit dernier, Get Out Of Our Way, paru en 2020. On y retrouve une Beautiful Song, «If You Give Up» - If you give up/ There’s nothing more I can do - Elle s’implique dans sa mélodie, elle s’y colle de toutes ses forces, elle en devient poignante et belle, incroyablement belle, surtout lorsqu’elle va chercher son chat perché. La pochette est belle, elle aussi, Evie pose avec des ailes, comme Ginger Baker sur la couve de son autobio. L’autre joli cut de l’album est le «Truth Is In Disguise» qui fait l’ouverture du balda. Pop de pop, d’accord, mais vraie voix. Elle s’affirme. D’autant plus qu’Earle Mankey mastérise. Evie compose et produit, comme toujours. Elle reste sur la brèche. Elle tente de renouer avec l’âge d’or de Chip et d’Any Way That You Want Me, mais ce n’est pas si simple. Alors on l’encourage. Vazy Evie ! Vazy Evie ! Vazy ! Elle démarre «My Darkest Hour» comme Nina Simone dans Ain’t got no father, ain’t got no mother, ain’t got no brother, ain’t got no life. Et comme le montre «Don’t Hold Back», Evie ne veut plus rien réinventer, elle veut juste jouer son brave petit rock. Elle s’en retourne en B allumer «Another Night» avec de la joie et de la bonne humeur. Elle fait plaisir à voir. Bon, ce n’est pas l’album du siècle, mais on note une belle présence. C’est drôle comme on passe sa vie à attendre des miracles des gens qu’on aime bien. 

    Signé : Cazengler, Evie pressante

    Evie Sands. Any Way That You Want Me. A&M Records 1970 

    Evie Sands. Estate of Mind. Capitol Records 1974 

    Evie Sands. Suspended Animation. RCA Victor 1979

    Evie Sands. Women In Prison. Train Wreck Records 1998

    Evie Sands. Shine For Me. R-Spot Records 2017

    Evie Sands. Get Out Of Our Way. R-Spot Records 2020

     

    *

    Série noire. Post-metal. Post tout ce que vous voulez. Post-apocalyptic. Un truc tordu comme je les aime. A la base un label nommé Robustfellow que je qualifierais d’underground, particularités géographico-historiales par les temps qui courent, notre robuste camarade est installé depuis une dizaine d’années à Kiev, il regroupe des artistes de toute l’Ukraine.

    NUN

    AZIMUT

    (Bandcamp / RBF 039 / Mai 2024)

    Azimut est un trio composé de : Nazari Mykhalilick / Petro Krul / Andri Buchynsky. Pour cet opus nous devons noter la participation de : OleksaO et de Yuri Dubrowwskii. Tous deux participent à plusieurs autres groupes que nous qualifierons aussi d’underground.

    z24253nuncouve.jpg

    A première vue je dirais que la pochette représenterait un dieu assyrien, lequel je l’ignore, attention nous entrons dans une zone d’incertitudes. Le plus simple serait de lui donner le nom écrit sur la couve : Nun. Les partisans de Lovecraft vont lever la tête. Nun est avant tout la lettre N de l’alphabet phénicien, à l’origine le signe zigzaguant serait une représentation schématique de l’eau qui coule, certains l’interprètent comme un Serpent, mais il semble avéré qu’en langue phénicienne ce serait le Poisson, au fond de l’abîme, certains feront l’analogie avec le Christ que les premiers chrétiens représentaient justement par le dessin d’un  poisson, je pense qu’ils n’ont pas tort sans avoir tout à fait raison, il est des approximations porteuses de sens. Ainsi  les titres des trois morceaux nous orientent non pas vers le christianisme actuel qu’il soit d’obédience catholique, protestante, ou orthodoxe mais vers la gnose non pas hermétique mais chrétienne, un ensemble de regroupements hétérogènes qui selon des proportions diverses ont amalgamé, en un prodigieux melting pot de rêveries métaphysiques survivalistes, des connaissances et des croyances chrétiennes, platoniciennes, plotiniennes, juives, perses et manichéennes…

    Est-ce pour cela que dans un court texte de présentation le groupe nous dit que les trois morceaux de l’opus sont à considérer, non pas seulement comme des chansons mais comme un oratorio qui mêlerait paroles, théâtre et peinture. Sans doute faut-il interpréter cette déclaration non pas comme la tentation d’un art total wagnérien mais comme la mise en action de fragments évocatoires d’un rituel religieux. 

    Chacun des titres demande un commentaire. Monomyth pose problème : sommes-nous dans la mythologie ou dans l’affirmation qu’il n’existerait qu’un seul Dieu. A proprement parler, la notion de monomythe induit l’idée que malgré l’énorme diversité des mythes éparpillés à la surface de notre globe tous raconteraient malgré leurs particularités ethnographiques et civilisationnelles une seule et même histoire. L’on retrouverait ainsi un récit originel commun à tous. A moins que ce ne soit l’inverse : que cette structure commune que l’on discerne dans tous ces récits soit le résultat de multiples expériences existentielles séparées les unes des autres, sans lien entre elles, bref que cette structuration identique ne soit pas la cause de l’existence des mythes mais la conséquence de leurs existences.

    Nous ne cherchons pas à savoir qui de la poule ou de l’œuf est apparu en premier. Mais comment expliquer que pour un unique phénomène il soit possible qu’il y ait deux origines distinctes possibles. Nous sommes ici au cœur du déploiement de la connaissance gnostique.  

    z24254nungroupe.jpg

    Monomyth : vous entendez ce petit grincement horripilant qui dans les films vous avertit que le cerveau du héros branché sur la machine n’est plus très loin de la mort cérébrale, s’y joint bientôt un baume sonore consolateur qui n’efface pas cette stridence mortelle mais agit presque comme une consolation, les esprits lyriques le décriront comme le chant de l’âme, c’est alors que s’élève la voix qui dispense l’enseignement fatidique, est-ce un dieu ou la récitation d’un prêtre, il révèle le secret du don de la connaissance faite aux hommes qui n’ont pas su quoi en faire dans leur vie néantifère, le crissement angoissant reprend bientôt remplacé par une espèce d’inquiétant halètement, est-ce le dernier pas avant le trépas, ou la manifestation du souffle originel, des notes de lourde solitude éclatent, rien n'est perdu, la voix lourde et sépulcrale reprend son récit, certains se sont séparés, ils se sont retirés en des endroits perdus, désertiques, stériles, peuplés de pensées carnivores, mais dans ce monde vide en leur esprit a germé une graine qui a retenu le bras de la mort armée de sa faux meurtrière. Logos : entrée fracassante, grandiose mais en même temps révélatrice, ce n’est plus un prêtre qui enseigne mais la bouche d’ombre qui profère l’exécrable litanie des révélations ultimes et originelles, le souvenir de la scène qui ouvre les Immémoriaux de Victor Segalen s’inscrit en filigrane dans notre esprit, la récitation des noms des Dieux qui se sont succédés, des inférieurs détenteurs d’une parcelle sublime,  brusquement le rythme s’accélère, la voix s’écrase, elle conte l’impossible, la coexistence du néant et de la vie, du vide et d’une autre chose qui normalement ne pourrait être, mais qui est, une invraisemblance existentielle, la voix se déchire, elle se tord, la bouche d’ombre s’orne-t-elle d’un écume blanche épileptique, elle crache des vomissures insensées, l’histoire de cette présence au travers de l’inexistence du néant… passé ce moment de terrible convulsion la musique s’alourdit, elle se ralentit alors qu’elle est traversée par le vol d’éclairs qui ne sont que le signe d’une manifestation du Nun originel, de la connaissance du logos sacré de la Présence là où il lui est impossible d’être.  Kenoma : un lieu terrible, celui qui est échu à l’homme, Kenoma est le lieu vide de la matière créée par le Démiurge, le mauvais Dieu, en opposition à la plénitude du  Plérôme, intangible, inaccessible aux humains, peuplé d’entités mystérieuses, un grondement noir qui s’amplifie, des espèces de bruits obstinés de castagnettes miniaturisées comme des vols d’ insectes qui se heurtent incessamment en de dérisoires efforts à une paroi vitrée infranchissable, le récitant reprend, il n’est pas possible  aux éons primordiaux de régner dans Kénoma, ce lieu leur est fermé, inaccessible, la musique se teinte d’une tristesse infinie elle se traîne sépulcralement jusqu’à ce que retentissent quelques notes claires et légères sur un rythme enjoué, nous sommes maintenant dans la cuve démiurgique, le chant se creuse et se couvre d’épines, quelque chose vient de tomber parmi vous, mais c’est à vous de faire l’effort de votre libération, de ranimer cette étincelle qui dort dans vos âmes mortes, de nouveau le son s’assombrit et la voix devient comminatoire, les hommes confondent l’amour et le sexe, qu’ils ne viennent pas se plaindre, ils ne savent pas saisir leur chance, la machine musicale se met en marche, l’on entend des cris, à croire que la cuve démiurgique s’est transformée en enfer, le rythme s’appesantit évoquant des coups de fouets sur le dos des suppliciés. A moins que ce ne soit celui du Christ fixé sur sa croix qui demande à Dieu pourquoi il l’a abandonné.

             Je ressors de cette écoute l’esprit mitigé. Peut-être mon traducteur nettique a-t-il eu du mal avec la  langue ukrainienne, j’ai l’impression que la distribution des pronoms personnels ne coïncide pas trop avec celle de notre langue. Tout de même je reste sceptique. La gnose est vaste, mais là je présuppose que dans celle privilégiée par Azimut la proportion christique soit des plus importantes. Ici la pensée philosophique de Plotin est totalement squattée par une vision du christianisme très proche des convictions châtimentaires  au plus près des positions de  l’Eglise officielle qui parviendra à juguler les sectes gnostiques déviantes qui n’attendent rien de Dieu mais qui pensent que l’homme détient de par sa seule nature humaine la capacité de devenir un dieu par lui-même sans le moindre secours divin. Quant à ce Nun est-il juste une préfiguration christique ou une abomination plus inquiétante… Musicalement vous l’écouterez avec plaisir, idéologiquement mon cœur de païen fidèle aux Dieux de la Grèce et de Rome ne souscrit pas à cette vue trop christophilesque.

    Damie Chad.

     

    *

    Leur musique ne m’a pas attiré, ni leur couve, ni le titre de l’album, c’est autre chose, les quelques lignes par lesquelles ils se définissent.  La pochette n’est pas mal du tout, cet antédiluvien crocodile abyssal a de la gueule, heureusement qu’il n’est pas répertorié parmi les espèces terrestres, sans quoi au moindre têtard retrouvé au fond de votre baignoire vous vous enfuiriez tout nu hors de votre salle de bain en poussant des hurlements de terreur. En plus ils ont de l’humour, nous refilent un avertissement : aucun claviériste ou animal à fourrure n’a été blessé pendant l’enregistrement. Seul renseignement disponible : ils sont de Madrid. La phrase précédente doit être de l’humour espagnol.

    INTERGALACTIC LEVIATHANS

    AXIOM9

    (Album numérique / Bandcamp / Mai 2024)

    Ana Marin : 5 string Fretless and fretted Basses and sound FX / Joan Herrera : drums and crazy rythm ideas. / David Blas : doom guitar and sound FX  /German Fafian : 7 and 8 string guitars and sound FX.

             Cette fonction de X vous étonne, s’agit simplement d’un logiciel open source (téléchargeable sur le net) en accès libre qui fortifie votre son et qui peut vous servir d’équaliseur.

                Mais il est temps que je vous dise ce qui m’a attiré chez eux. Je le recopie in extenso :

    00001 - L'obscurité est la clé mais l'ombre ne peut exister sans la lumière

    00010 - Défiez vos limites et vos idées musicales.

    00011 - Si un groove semble durer trop longtemps, faites-le durer plus longtemps.

    00100 - Permettez à la musique de prendre la direction qu'elle souhaite prendre.

    00101 - Faites la musique que vous aimez pour que les autres puissent aimer la musique que vous faites.

    Ce n’est pas le contenu explicite de ces conseils qui m’aurait intrigué ou ébloui. Pas le moins du monde. La pensée philosophique du vingtième siècle a été non pas dominée mais actée par deux énormes têtes pensantes Heidegger et Wittgenstein, le premier étant l’incarnation parfaite de la pensée circulante, disons littéraire, qui se referme sur elle-même comme un serpent qui, pour se mieux retrouver, se love en rond sur lui-même, je considère le second  comme le pinacle de la pensée mathématique puisque son Tractatus Logico-Philosophicus se déduit logiquement et conséquentiellement d’un premier axiome. La pensée wiitgensteinienne  fait comme le serpent qui se couche et se raidit de tout son long auprès d’une proie envisagée pour savoir si elle n’est pas trop grande pour contenir dans son tube digestif. S’il s’avère qu’il est trop petit pour l’engloutir, il la dédaigne et s’en va chercher ailleurs… Une attitude très wittgensteinienne qui ordonne de ne pas penser ce que la pensée est incapable de penser. Heidegger nous dit que la pensée se pense elle-même, que ce faisant elle a toujours un après (méta) à penser, et Wittgenstein que la pensée ne peut penser qu’une partie du monde (de la physis). Vous me direz que l’enseignement final de nos deux penseurs est totalement tautologique, comme le dernier commandement 00101 d’Axiom9, oui mais le groupe a adopté le mode d’écriture déducto-logique numératif dont Wittgenstein a usé pour la rédaction de son fameux Tractacus.

             Avant d’écouter le quarante-et-unième (oui 41) opus du groupe, une dernière remarque : ils ont donné à cet écrit de quelques lignes le titre étendard de Manifesto, preuve qu’ils y tiennent, et serait-on tenté d’ajouter qu’ils s’y tiennent, car il est nécessaire d’admettre que leurs compositions musicales ne sont que des applications de leur philosophie.

    z24255couveintergalatic.jpg

    Intergalactic leviathans : un seul morceau, instrumental, de plus d’une heure, nous sommes bien en présence d’un monstre léviathanique. Rappelons que selon Hobbes, il n’existe qu’un seul léviathan : l’Etat. Si l’on risque d’en croiser d’autres aussi coercitifs dans les espaces intergalactiques, méfions-nous. Une guitare qui s’étire à l’infini, pas prog du tout, un son rugueux que la basse conforte, que la batterie accompagne sourdement. Prennent leur temps, c’est la quatrième fois que j’écoute et je saisis les subtilités, ne sont pas paresseux, stratègent sans arrêt des variations qui viennent  recouvrir les précédentes, l’on ne peut pas dénoncer une répétition riffique, un allongement, se ménagent des espaces où les guitares peuvent s’exprimer, une stratégie pas tout à fait jazzique où les copains se mettent en sourdine pour donner la place au soliste, jouent tous ensemble se repassent le ballon sans se presser, imaginez un match de rugby au ralenti, maintenant font ce que je disais qu’ils ne commettaient pas, la mettent en veilleuse pour laisser la basse pratiquement tout seule autant dire que chacun s’empresse de rajouter un petit chouïa de son cru, surtout la batterie qui prend de plus en plus d’importance,  ils étirent de plus en plus l’élastique de la pâte sonore, trempez-y un doigt d’oreille, ce n’est pas du tout ennuyant, le guitariste se paie un petit quatre-vingt-dix à l’heure sur l’autoroute, c’est pépère, mais il n’arrête de changer de voie de façon abrupte sans mettre son clignotant pour prévenir, la deuxième guitare se lance à sa poursuite, sans tenter de le dépasser, mais il se rapproche dangereusement à lui toucher le parechoc arrière, les deux moteurs ronronnent salement, z’ont toute la vie et tout le bitume devant eux, alors inutile de gazer comme une ambulance premier secours, ils taillent la route en toute désinvolture, tiens l’on est sur une fin de morceau, enfin sur une queue de comète qui avance lentement, le son s’éteint mais perdure. Une semi seconde de silence, vaille que vaille la basse bourdonne, des cordes chuintent, un semblant de riff hésitant se profile sur les cymbales, un peu comme quand les musiciens se concertent tout en faisant croire qu’ils savent ce qu’ils von jouer, là manifestement s’ils savent ils feignent à merveille de l’ignorer et l’on repart sur un rythme prégnant, le genre de tapotement qui marche à tous les coups, sont partis, n’ont pas la fleur au fusil, n'ont pas de fusil non plus, la mauvaise troupe traîne ses pieds-plats, mais enfin l’enjambée initiale reprend de l’influx dans le jarret, toutefois il y aurait bien besoin d’une gueulante d’adjudant pour accélérer le train, sur un terrain de foot l’on dirait qu’ils jouent la montre, elle n’est pas arrêtée mais les secondes sont longues, se garent vraisemblablement sur la place de stationnement réservée au bassiste, n’est pas un génie de la manoeuvre, heureusement qu’une guitare le guide et le drummer augmente – non ce n’est pas l’inflation – le rythme, ça repart, la loco y va mollo pour tirer ses wagons, ce doit être une montée, un faux-plat ou alors le mécano est en train de taper un SMS long comme un chapitre de  La recherche du temps perdu à sa copine,  remarquer ça lui émulse les chairs car il accélère brutalement à tout berzingue, confond un peu les courbes de sa meuf avec celle des rails, maintenant ça filoche dur, plus question de s’arrêter ou de flâner, le gazier fonce droit devant et les copains y mettent du leur, sont décidés à ne pas le laisser en manque, ils s’énervent, leurs instrus crient qu’ils ne vont pas assez vite, la batterie claudique un peu, veut-elle nous signifier que l’on arrive à un endroit du trajet dangereux, arrêt brutal. L’on ne saura jamais le nom de la gare, mais Anna pousse quelques piaillements, elle a dû apercevoir une araignée sur un tom, Joan ne doit pas les aimer non plus, il tente de l’écraser de quelques coups de baguettes magistraux, il réussit ! l’ambiance change, le calme revient, Anna réconciliée avec la vie se lance dans un magnifique passage empli de gratitude et sérénité, on se la joue un peu à la Santana, moins éthéré certes, mais l’on se sent bien sur notre transat face au Pacifique qui nous offre coucher de soleil et brise nocturne y una tequila magica, pour un peu on s’endormirait, la guitare moutonne comme les vagues à l’infini, existe-t-il des endroits intergalactiques calmes, tranquilles et voluptueux ô mon âme ô ma sœur, ce Léviathan est un gros chat paresseux qui ronronne sur vos genoux, vous ne trouverez pas mieux à cent mille millions de lieues de la banlieue terrestre, la guitare miaule une dernière fois, l’on croit que l’on va s’endormir sur la voie lactée, méprisable erreur, maintenant ils se la jouent metal-psyké, la drummerie est aux abois et l’on s’enfonce dans un marécage spongieux de guitare, aurait-on oublié l’heure de la marée haute, ça déferle mais moins abruptement qu’on le redoutait, notre Léviathan n’est pas Moby Dick, le morceau s’efface doucement… une interjection, que dit-il au juste ‘’la scancia ?’’, en tout cas je peux certifier que c’est de l’espagnol, nous n’avons pas trop dérivé, la batterie se paie un petit solo bien saccadé, les autres embrayent et nous voici jeté au milieu d’un funk ( pas du tout Grand Railroad) mais ils s’amusent à secouer les cocotiers, j’arrête un peu d’écrire le temps de respirer, et puis le funk il n’y a pas de problème, vous pouvez toujours monter en marche dans un wagon, vous n’êtes jamais perdu, vous mettez les pieds dans une trace, ensuite l’on se laisse entraîner sans problème, les deux guitares entremêlent leurs cordes, pas d’affolement, elles se démêleront toutes seules, d’ailleurs il y en une qui se détache et qui sonne l’halali, l’on se demande bien pourquoi, pour une fois que l’on avait envie de ne tuer personne, mais eux se sont laissé prendre au jeu, se bagarrent un peu, échauffourée dans les fourrés de la forêt, pas vraiment méchant mais ils mettent tout leur cœur, s’ils continuent ils finiront par se crêper le chignon, y en pas un pour calmer le jeu, s’entendraient comme des larrons en foire, tant pis c’est foiré, on se quitte mauvais amis, chacun au volant de sa voiture… Les moteurs ronronnent pour ouvrir le dernier morceau, ce ne sont pas les pétarades de Roadrunner de Bo Diddley, se tirent toutefois joliment la bourre, avec démarrage en côte dans les descentes et descentes-tobogan moteur arrêté pour profiter au maximum de la force d’inertie, je suis incapable de vous dire celui qui a passé la ligne en trombe, je les déclare tous les quatre vainqueurs, toutefois je ne ferais la bise qu’à Anna.

             Si vous n’aimez pas vous risquez de vous ennuyer, si vous aimez vous adorerez. Ce sera exactement pareil avec le Tratacus logico-philosophicus de Wittgenstein.

             Je reviens à la couve, à cette jeune fille perdue sur une grève intergalactique dans une banlieue déserte de l’univers, allo docteur Freud, par quel monstrueux rêve subliminal est-elle hantée…

    Damie Chad