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CHRONIQUES DE POURPRE 646 : KR'TNT 646 : MAX DECHARNE / DOUM DOUM LOVERS / BOBBY TENCH / PETER GALLAGHER / ZOMBIES / TEXABILLY ROCKETS / CONQUERORS OF THE EMBER MOON / ARCANIST / ROCKAMBOLESQUES

KR’TNT !

KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 646

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR’TNT KR’TNT

23 / 05 / 2024

 

MAX DECHARNé / DOUM DOUM LOVERS

BOBBY TENCH / PETER GALLAGHER

ZOMBIES / TEXABILLY ROCKETS

 CONQUERORS OF THE EMBER MOON / ARCANIST

ROCKAMBOLESQUES  

 

 

Sur ce site : livraisons 318 – 646

Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

http://krtnt.hautetfort.com/

 

 

Wizards & True Stars

 - Max le ferrailleur

 (Part One)

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         L’ex-Gallon Drunk et membre émérite des Flaming Stars Max Décharné publie son dixième book, Teddy Boys: Post-War Britain And The First Youth Revolution. Alors bien sûr, tous les fervents admirateurs d’A Rocket In My Pocket et de King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World se sont jetés sur le Teddy book. Pas question de rater ce nouvel épisode d’une saga ethno-sociologique qui nous tient particulièrement à cœur, celle de London town.

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         Contrairement à ce qu’indique son nom, Max Décharné n’est pas à l’article de la mort. Au contraire, il est certainement l’hipster londonien le plus productif de son temps. Il a un wiki qui doit faire baver d’envie Ginger Wildheart, l’un des pires productivistes de l’histoire du rock anglais. Mais Max le bat à la course. Et de loin. Il sait tout faire, surtout écrire. Bon, on ne va pas pomper le wiki, on laisse ça aux kikis. Contentons-nous de lire deux ou trois bons livres et d’écouter quelques bons albums des Flaming Stars.

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         Max Décharné est aussi un grand spécialiste du slang londonien et du cinéma noir. Chacun de ses ouvrages s’adresse donc à des spécialistes. Exemple : A Rocket In My Pocket s’adresse aux spécialistes du rockab (on y reviendra dans un Part Two). Autre exemple : King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World lui permet de fouiller dans l’histoire et de remonter jusqu’aux racines de la pop culture londonienne (on y reviendra dans un Part Three). Ses livres sont extraordinairement bien documentés. Son style pourrait bien être celui d’un hipster historien, d’un chercheur raffiné qui ne reculerait devant aucun excès pour mener à bien son investigation. Il cite à tours de bras. Max Décharné est une sorte de Rouletabille rock, d’hip Sherlock, de Jack the Rapper, il met au service de sa R&D une fantastique énergie de rocker underground, on sent battre le beat nocturne de Gallon Drunk dans sa prose. On parle ici d’une ambiance particulière faite d’élégance urbaine, de dandysme de trottoirs humides et de jazz-clubs informels. Ami lecteur, te voilà en de bonnes mains.

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         Alors attention, le Teddy Boys book n’est pas un rock book au sens où on l’entend généralement. Max Décharné n’évoque le rock qu’à titre indicatif. Il documente l’histoire d’un mouvement populaire typiquement londonien, à grands renforts de citations d’ouvrages déjà très documentés et de larges extraits puisés dans les quotidiens et les magazines de l’époque. C’est violemment documenté, à tous les sens du terme. Les Teddy Boys ont en leur temps alimenté les unes des journaux, comme le feront vingt ans après eux les punks. C’est exactement le même processus : les kids foutent la trouille, rien que par leur allure, alors les fouille-merde de la presse les collent à la une de leurs torchons. Max Décharné va aussi chercher des infos dans la littérature et le cinéma d’époque, c’est un vrai travail de bénédictin. Tu sors du book drôlement bien renseigné, même si les Teddy Boys ne représentent rien ou presque pour toi.

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         Mais il y a cette énergie dans le book. L’auteur fait bien la part des choses. Il évoque les Teddy Boys des années 50 qui étaient en fait des pionniers. Max campe bien le décor : le post-war est rude en Angleterre, pas d’eau courante, pas de confort, pas de rien. Et tout commence par le look, et là Max met le turbo, car c’est du vocabulaire choisi, il évoque les Teds comme s’il s’agissait d’une tribu - With their Edwardian drape jackets, velvet collars, elaborate waistcoats and drainpipe trousers, ils étaient non seulement l’un des mouvements de la jeunesse working-class la plus identifiable, mais ils étaient aussi les premiers - Bon alors les mots. Drapes, ça ne se traduit pas, ça reste drapes. On peut à la rigueur traduire ça par veste longue. Elle est généralement taillée dans un tissu bleu clair. Avec un col en velours noir. Les waistcoats sont les gilets, l’un des apanages du dandysme. Et les drainpipe trousers sont comme leur nom l’indique des futals moulants. Max Décharné reste dans la mode pour rappeler que dans That’ll Be The Day, Ringo est un Ted, et même un brillant Ted, et que McLaren vendait des drapes et des creepers à l’autre bout de King’s Road, une avenue que Max connaît bien. Avant de s’appeler Sex, le bouclard s’appelait Let It Rock. McLaren était un fan d’early rock’n’roll et de Billy Fury en particulier. Puis Max évoque les séquelles du mouvement Ted : Showaddywaddy, Mud, «and the finest of them all, Wizzard» - Wizzard avait réussi à combiner les cheveux longs et le maquillage with authentitc Ted gear et une fantastique musique d’inspiration fifties, comme turbo-charged avec le Wall of Sound de Phil Spector, de la même façon que les mecs de Roxy Music avaient réussi à intégrer des références fifties dans leurs chansons et leurs visuels, alors qu’ils semblaient évoluer dans le futur avec plusieurs décennies d’avance - Oui, il faut voir la dégaine de Roy Wood sur le pochette d’Eddie & The Falcons. À l’époque, on prenait tout ça très au sérieux. Mais il ne s’agissait que d’un revival.

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         Les drapes ne sont pas tombés du ciel. Max nous rappelle que leur origine remonte aux années 30, «a Savile Row fashion innovation» : «La veste tombait droit de larges épaules pour se resserrer à la taille, et les fameux zoot suit des années 40 allaient en exagérer la forme.» Et ces Teds que la presse et l’opinion publique vont transformer en loubards allaient chez des tailleurs pour s’habiller. Max nous cite l’exemple d’un jeune plombier originaire de Middlesbrough : en 1954, il a 18 ans et en allant chez le tailleur, il devient un «anti-social thug» - He ordered his own distinctly colourful version of a Teddy Boy suit: a red corduroy jacket with velvet patch pockets, powder blue drainpipe trousers, red corduroy shoes with twin buckles, white socks, two-tone brown and green shirt with a black shoelace tie - Même les punks ne sont pas allés aussi loin. Les fringues de McLaren coûtaient trop cher.

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         Les Teds s’appelaient au début The Edwardians, mais leurs girlfriends préféraient Teddy Boys. Et ça part vite - A dress code, some hairstyle tips, and a name for the new movement - Et pour bien fédérer tout ça, arrive en 1956 en Angleterre Blackboard Jungle. Ce vieux classique du ciné rock sert même de détonateur, car on y voit Bill Haley balancer «Rock Around The Clock». Ça n’a l’air de rien comme ça, mais en ce temps-là, on n’avait que «Rock Around The Clock» à se mettre sous la dent, même en France. Max situe la sortie du film en juin 1956. En mai de la même année, Elvis entre dans les UK charts avec «Heartbreak Hotel». Max parle d’un «double blow». Voilà donc l’origine d’une révolution, sans doute la plus importante des temps modernes : Bill Haley, Elvis et les Teds. Max cite aussi le schoolboy Keef qui a 12 ans au moment où le film sort en Angleterre. Pour lui c’est le point de départ. Max le cite : «La musique de Blackboard Jungle, ‘Rock Around The Clock’. Pas le movie, juste la musique. Les gens disaient : ‘Ah did you hear that music, man?’. En Angleterre on n’avait encore jamais rien entendu. Toujours la même chose : la BBC contrôle tout. Alors tout le monde s’est levé pour la musique. Je ne pensais pas à la jouer. Je voulais juste l’écouter. Il a fallu un ou deux ans en Angleterre avant que les gens ne se mettent à jouer cette musique.» Keef les voit, les Teds, dans les dance halls, il les craint, comme il le rappelle à Robert Greenfield en 1971 - I was just into Little Richard. Je me méfiais, je restais à distance des chaînes de moto et des rasoirs, dans ces dance halls. The English get crazy. Ils sont calmes, but they were really violent, those cats. Those suits cost them $150, which is a lot of money. Jackets down to here. Waistcoats. Leopardskin lapels... amazing. It was really ‘Don’t step on mah blue suede shoes.’ It was down to that - Keef résume bien les choses. Il sait imager son propos. Oui, car la violence est inhérente au mouvement Ted. Les Teds s’affrontent. Ils affûtent à la meule leurs chaînes de moto - a very nasty weapon - ils ont aussi des matraques lestées de plomb, des rasoirs et des poings américains. Max évoque les combats entre «East End and South London gangs, with mass fights in agreed locations.» Un mythe urbain que d’autres vont exploiter à gogo.

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         L’exploitation de la violence par la presse constitue le gros du book. Pas mal de Teds sont ramassés par les Bobbies, et se retrouvent au tribunal devant les perruqués. Max trouve aussi quelques cadavres dans la presse à scandale. Mais le plus dévastateur dans cette histoire, c’est son humour. Au détour de certaines pages, on se fend bien la gueule. Dans une double où il montre un élégant dandy Edwardien déambuler sur Savile Row, Max déclare : «The Edwardian high-fashion revival jouissait de ses dernières années de tranquillité, car les pantalons moulants, les cols en velours et les drapes allaient se trouver inextricablement liés à une autre clientèle.» Eh oui, les Teds allaient s’approprier ce phénomène de mode et le faire descendre de l’upper class jusqu’au working class. Et il ajoute deux pages plus loin ceci qui édifie les zygomatiques : «Il n’est pas surprenant que les commentateurs issus de backgrounds classiques aient pu voir les Teds et les Teddy Girls comme un alien phenomenon.» Plus loin, Max se régale de l’anecdote d’une Teddy Girl résistant à l’autorité : «Ayant tapé dans la gueule d’un deuxième flic et craché dans celle d’un troisième flic, elle menaça ensuite de se jeter hors du panier à salade qui l’emmenait au commissariat. Un officier de probation dit aux magistrats que sa cliente s’était déclarée a Teddy girl, puis elle fut envoyée chez un psychiatre.» Et là où Max se marre le plus, c’est quand il évoque le premier proto-Ted, Prince Philip, grand amateur de creepers : «A Royal Charity Premiere de Violent Playground fut donnée le 3 mars 1958 à l’Odeon de Marble Arch, et l’invité de prestige n’était autre que ce fameux aficionado de crêpe-soled creepers, Prince Philip, Duke of Edinburgh, mais il semble qu’il se soit abstenu de graver le bois de son siège avec un cran d’arrêt.»

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         En plus de Keef, Max, fait intervenir d’autres cakes, comme par exemple John Lennon et Ted Carroll. Il cite le biographe Hunter Davies : «Ils s’appelaient the Quarrymen, naturally enough. Ils portaient tous des fringues de Teddy Boys, et se coiffaient comme Elvis. John was the biggest Ted of all.» Ce que Max Décharné veut dire à travers tout ça, c’est que les Teds des early fifties étaient entrés en conflit avec la société, comme le feront 20 ans plus tard les punks. John Lennon était un rebelle notoire. À Dublin, le futur boss d’Ace Ted Carroll passe lui aussi dans le camp des Teds, et comme il se graisse les cheveux et qu’il a trafiqué son futal, on le surnomme Ted, alors qu’il s’appelle David - So that’s how I got the name Teddy boy, because I was a Ted for taking in my trousers.

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         Puis Max amorce le déclin du règne des Teds, à la fin des fifties. Ils passent de mode. Viendra 20 ans plus tard le temps des revivals, Max cite par exemple «the Buddy Holly Dance Contest en 1982 où Billy Fury fit une courte apparition et le sol trembla alors que plus d’un millier de Teds & de Teddy Girls jived and bopped to the sounds of Howlin’ Wolf’s 1962 stormer ‘You’ll Be Mine’.» Les Teds originaux nés pendant la Seconde Guerre Mondiale avaient pris un coup de vieux ou avaient disparu, et une dernière fois, Max resitue le contexte : «Ils ont grandi dans une époque de rationnement, quand peu de maisons avaient le chauffage central et dont la plupart des toilettes étaient à l’extérieur, la grande majorité des working class people n’avaient ni téléphone ni télévision. Les gosses qui n’avaient pas les moyens de financer une exemption devaient faire leur service militaire, la peine de mort existait encore et tout le monde devait se lever à la fin d’une projection de cinéma quand on jouait God Save The Queen. C’est à ça que ressemblait la société voici 70 ans. Les premiers Teddy boys and girls se sont dressés en réaction contre tout ça, et furent en même temps façonnés par tout ça. They will not pass this way again.» C’est la dernière phrase du book. Elle sonne comme une clameur.

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         On garde les meilleurs pour la fin ? Max Décharné rend deux hommages superbes, d’abord à Gene Vincent, qui débarque pour la énième fois en Angleterre, en 1969. Il est accueilli à Heathrow par une délégation de Teddy Boys in drapes and bootlace ties.

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Puis Gene monte à bord d’une Rolls blanche et file vers Londres, accompagné d’une escorte de bikers. Et Max poursuit : «Deux de ses fans et ex-Teddy boys, John Lennon et George Harrison, vinrent assister à son packed London show au Speakeasy.»  

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         Mais la véritable star du Teddy book, c’est Bill Haley. Et là Max Décharché livre trois de ses plus belles pages. Le vieux Bill débarque en 1957 en Angleterre. C’est lui qui va inciter les kids britanniques à monter des groupes. Max rappelle qu’un canard anglais citait la tournée de Buddy Holly & The Cickets comme la première grande tournée déterminante - deux guitares/basse/batteries, compos originales, un message qu’allaient recevoir les groupes anglais, notamment les Beatles - mais pour lui, ce sont les Comets qui un an plus tôt ont ravagé l’Angleterre - They were unquestionably a rock band - one of the earliest and finest that ever hit the stage - Il a raison, le Max, Bill Haley & The Comets stormaient bien la baraque et swinguaient comme des démons. Ted Carroll les voit à Dublin. Il réussit à se payer un billet, au balcon. Sur le cul le Ted ! - Alors ils démarrent avec «Razzle Dazzle» : ‘on your marks, get set, ready’ et sur les deux ou trois premier accords, le rideau se lève doucement, on voyait leurs jambes sur scène and then ‘Ready steady go!’ up went the curtain, fuckin’ place erupted - C’est Ted Carroll qui dit ça, il sait de quoi il parle. Et il repart de plus belle, ah il faut lire ces pages de l’aube des temps du rock - It was amazing. You can imagine, because they were a fucking great band. Ils étaient fantastiques, si doués, ils avaient fière allure. Me souviens pas s’ils portaient leurs vestes en tartan et Bill Haley n’avait pas cette gueule de pépère. I mean, he was a great singer, had a big fuck-off guitar, he moved around. He wasn’t Elvis - nobody wanted Elvis - we wanted Bill Haley and the Comets who made the best rock’n’roll records which were great to dance to, the A and B sides were fantastic. The place went fucking wild - Il a même la trouille que le balcon ne s’écroule parce que tout le monde saute en l’air «and the excitment was just fuckin’ insane.» Ted ajoute que ça a continué dans la rue, après le concert. Pour lui, ce concert de Bill Haley reste un concert magique - I mean it was magical to be able to see that. J’étais tellement sonné que je ne suis pas allé à l’école le lendemain. J’ai vu le premier show des Beatles à Dublin, et puis les Stones, j’ai vu des concerts déments, Ike & Tina Turner au Royal Ballroom à Tottenham, mais celui de Bill Haley was just totally mind-blowing. J’avais 14 ans. You’d never seen anything lile it - Ce fantastique témoignage brille comme une perle noire au creux du bel écrin de ce Teddy book. 

         On se souvient d’avoir côtoyé des Teds au Rock On stall de Soho Market, dans les années 70. Tu venais acheter Wasa Wasa et à côté de toi, un Ted en veste bleue, jabot blanc, pompadour, doigts couverts de bagues et de tattoos, fouillait dans le bac des 45 tours et en sortait un single Sun en poussant un cri de victoire. C’est l’un des souvenirs les plus précis de cette époque. Les Teds formaient une petite bande et tu éprouvais une certaine fascination à les observer, car tu savais, au fond de toi, que tu ne serais jamais aussi rock’n’roll que ces mecs-là. Dangerous & exciting, comme le dit si bien Max Décharné. 

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         Pour rester dans le ton, sortons de l’étagère The Basement Bar At The Heartbreak Hotel, des Earls Of Suave. Album mystérieux, pochette mystérieuse, avec au chant un Marquis de Suave qui sonne comme Elvis sur «Stranger In My Own Home Town», et en B sur «Little Ole Wine Drinker Me». On croit rêver. Max Décharné sait aussi faire son Elvis, comme le montre «Really Gone This Time». Il a tout le doux et le rond du menton. Les Earls Of Suave sonnent aussi comme le Cramps sur «A Cheat» : en plein dans le boogaloo Crampsy/Gallon Drunk, mais aussi avec «She’s My Witch» bien chanté à la Lux. Le coup de génie de l’album est la reprise de l’«Ain’t That Lovin’ You Baby» de Jimmy Reed en ouverture de balda. Heavy groove de boogaloo de London town, très Elvis-proto-punk et chanté au grand méchant loup. Ils font aussi une cover du «Ring Of Fire» de Cash. 

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         On va retrouver la plupart des Earls Of Suave dans les Flaming Stars. On reviendra sur leur discographie magique dans un Part Two, mais pour donner un petit avant-goût, jetons un œil sur Sunset & Void, magnifique album paru en 2002. Magnifique oui car «Night Must Fall» que Max tape en chanteur de charme fou. Petit chef-d’œuvre de romantisme urbain. Et puis tu as ces deux cuts à l’entrée du balda, «A Little Bit Like You» et «Cash 22», solide rockalama travaillée sous le boisseau pour le premier, un brin Gun-Clubbish, et de faux accents à la Bowie era Heroes pour le deuxième. Même ampleur pop volontaire de classe supérieure. On entend un peu partout des échos de Gallon Drunk, c’est en gros la même ambiance. L’«House Of The Seting Sun» qui trône en B est écœurant de classe et de London Void. Dandysme et cut mélodiquement purs. L’exotica des Flaming Stars («Mexican Roulette») sonne comme un western en déliquescence et avec «The Waiting Game», ils visent l’urbain d’orbi. Saluons aussi l’ambiance pesante de «The Long Walk Home». Ils savent plomber la clavicule de Salomon.

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         En 2022, Max Décharné sortait New Shade Of Black, un choix de dix cuts composés jadis pour les Flaming Stars, enregistrés late at night sur un 4-track cassette-based recorder. Max explique qu’il enregistrait ainsi ses demos pour les présenter au groupe. Il ajoute qu’il chantait en sourdine pour ne pas réveiller ceux qui dormaient. Il est reparti des vieux 4-track surviving recordings et a refait les voix chez Ed Deegan, le mec qui enregistrait les Flaming Stars au temps de Toe Rag. A new album full of old songs. C’est un album à caractère intimiste. On y retrouve le très beau «3AM On The Bar Room Floor» tiré de Songs From The Bar Room Floor paru voici bientôt trente ans. C’est très beau, très mélancolique, très jusqu’au bout de la nuit. Max adore le bar room floor. Sur le «Maybe One Day» tiré de Pathway, il sonne comme le Lou d’«Heroin». Il joue de l’orgue et frise même le Nico dans une fantastique ambiance sépulcrale. Il re-capte la primeur de ses vieilles démos. «Lit Up Like A Christmas Tree» se trouve aussi sur Pathway. Cut lugubre et gorgé de réverb cadavérique, pas loin du Velvet, une pure Marychiennerie. «Cash 22» qu’on retrouve sur Sunset & Void est aussi très beau, dans sa forme originelle. Max sait capter l’attention. Il cultive le même sens mélodique que les Mary Chain. 

Signé : Cazengler, Max la limace

Max Décharné. Teddy Boys. Profile Books Ltd. 2024

Earls Of Suave. The Basement Bar At The Heartbreak Hotel. Vinyl Japan 1994

Flaming Stars. Sunset & Void. Vinyl Japan 2002

Max Décharné. New Shade Of Black. Dangerhouse Skylab 2022

 

 

L’avenir du rock

- Doum Doum Doum Doum

         Pour divertir ses amis, l’avenir du rock organise des soirées magiques. Il revêt son bel habit de Mandrake, il loue les services d’un blackos de Saint-Denis pour faire le Lothar, et dispose trois rangées de chaises dans son salon qui devient une sorte de mini-cabaret pour happy few. Le Lothar fait entrer l’avenir du rock dans un grand sarcophage vertical, prononce une formule magique, fait patienter le public quelques secondes, puis ouvre à nouveau le sarcophage... Oooh fait la petite assistance médusée, alors que sort du sarcophage un Lemmy plus vrai que nature, arborant de splendides verrues et brandissant sa Ricken ! Il approche du premier rang et se met soudain à gratter sa Ricken tout en éructant «It’s a Bambi ! It’s a Bambi !», et au comble de la stupéfaction générale, un Bambi sort d’une caisse que vient d’ouvrir le Lothar de service ! Oooh fait la petite assistance re-médusée, alors le Lemmy plus vrai que nature attrape une mitraillette Thompson en tous points semblable à celle qu’on voit sur la pochette du mini-album St. Valentine’s Day Massacre et tatatatata, il dégomme Bambi en hurlant «It’s a Bambi ! It’s a Bambi !». Alors le Lothar coiffé d’une perruque McLaren s’écrie : «Who killed Bambi ?». Poilade générale. Certains en tombent même de leur chaise. Le Lemmy retourne dans le sarcophage et après la rituelle formule magique, c’est un Jimi Hendrix qui en sort, avec un gros flingue à la main et sa Strato en bandoulière qui joue toute seule. Le Lothar l’interpelle : «Hey Avenir Joe where you going with that gun in your hand?», alors le Jimi dit qu’il s’en va buter sa old lady parce qu’il l’a vue traîner en ville avec un autre mec. Et comme l’avenir de rock n’a pas d’old lady, il en choisit une au hasard dans la petite assistance et lui colle une balle dans la tête. Hilarité générale, même si certains trouvent qu’il exagère un peu. Déjà deux cadavres, et la soirée ne fait que commencer... Il retourne dans son fucking sarcophage et après l’abracadabra de service, le voilà qui revient en John Lee Hooker. Pareil, avec sa gratte et un gros flingot. Il s’assoit sur une chaise, tape du pied, gratte les plus beaux accords de l’histoire du rock et grommelle : «Doom Doom Doom Doom/ Gonn’ shoot you right down !». Et il tire dans le tas, comme Sid Vicious à la télé.

         L’avenir du rock ne lésine jamais sur les moyens pour rendre hommage, surtout quand il s’agit des Doom Doum Lovers.

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         Des couples rock, t’en as vu des tonnes depuis vingt ans, les White Stripes, les Kills, les Blood Red Shoes et tous ces machins-là. Ils sont souvent au bord de la faillite, car l’exercice est périlleux. Si elle bat le beurre, il faut qu’elle batte bien, et s’il gratte ses poux, il a intérêt à en gratter pour dix, parce qu’il est tout seul, avec en plus le chant à charge. Gros boulot. Faut des épaules pour ça. Et une voix. Et du punch. Et des compos. Tu vois vite à travers quand ça manque de viande. Les modèles de couples rock restent les Courettes, et puis bien sûr Stereo Total. Chapeau bas. Flavia Courette gratte tout ce qu’il faut et Moby Dick bat pour dix. Françoise Cactus battait la Stereo comme une bête et Brezel Göring grattait sa Bo guitar comme un Bo blanc.

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         C’est cette énergie du diable qu’on retrouve chez Jean-Jean et Kinou, the fabulous Doum Doum Lovers. Et quand t’as dit fabulous, t’as rien dit. Ils renouent avec la grande époque des concerts foutraques de Stereo Total, t’as des paroles en français, du riff raff gaga, de l’énergie atomique, un mec qui se balade avec sa gratte dans le public, comme s’il marchait sur la lune, en poussant des ouh !, il gratte tous ses cuts avec une technique d’une extraordinaire sobriété, sans jamais produire le moindre effort, pendant un heure il crée son monde, il va de cut en cut comme un poisson dans l’eau, et tu flashes en permanence, car c’est incroyablement bon, incroyablement frais, incroyablement juste, tu ne t’attendais pas à ça, et la surprise n’en est que plus belle.

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Alors tu comprends que tu as sous les yeux un real deal de l’underground. Il ne la ramène pas, au contraire, il simplifie au maximum, mais sans jamais tomber dans le panneau friendly. Non, son truc serait plutôt : «Tu veux du rock ? Tiens en voilà !», mais sans prétention. Tout repose sur la qualité du show, des compos, et là, tu te régales, car c’est du très haut de gamme. Il te donne exactement ce que tu attends d’un concert de rock en 2024 : une heure de set solide dont tu vas te souvenir. Et puis cette classe ! Rien n’est plus rare que la classe naturelle, celle que tu n’as pas besoin de montrer.

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Jean-Jean n’a pas besoin de déguisement, ni de santiags, ni de tatouages, il a des chansons fantastiques, de l’humour et une présence indiscutable. Il a même une chanson gaga-Dada, «Nus Sur La Banquise», et tout le monde fait Ding Dong avec Kinou - Pas de tenue requise - Gros clin d’œil au «Deux Sur la Banquette» de Marie & Les Garçons.

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Tu le vois marcher sur la lune en poussant des ouh ! Et sur la version studio, il part en solo de trashobilly d’envergure intersidérale. Que de son, my son ! Il te gratte ça au relentless, et le cut se termine en bouquet de chœurs d’artichauts bien chauds. L’autre big time-cut des Doum Doum s’appelle «Le Tunnel», le fameux cut avec les ouh ouh. Alors attention, tu as deux versions : celle de l’album sans titre et celle de la démo 3 titres. Sur l’album, c’est Kinou qui prend le chant, et lui, il mène le bal du ramalama, où est la sortie du tunnel, c’est wild as fuck ! Il faut les voir foncer dans la nuit.

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Mais si l’occasion se présente, chope la démo trois titres parue en 2021, elle ne coûte que trois euros, mais tu vas tomber de ta chaise car la version du «Tunnel» qui est dessus est encore plus wild que l’autre. Ça démarre avec la voix d’Arletty - Atmosphère ? Atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? - Et bam !, ça part en trombe, ça fonce dans le tunnel, hot as hell, ça monte en neige pour atteindre à la démesure d’où est la sortie du tunnel, Kinou mène la danse, et derrière Jean-Jean recrée le chaos sonique du Velvet. Eh oui, l’animal flirte avec le spirit de «Sister Ray». À la suite, tu tombes sur la démo de «Face To Face», un heavy boogie down d’hey face to face, il sait monter son boogie en neige et il te plonge vite fait en enfer, il connaît toutes des recettes maléfiques du wild gaga et cette façon qu’il a de riffer à sec ! Il finit avec un «Looking For The Banshee» bien lesté de plomb, il te trashe ça vite fait au riff raff de caballero, ça sent bon les coups de bottleneck, il nage dans l’écho du temps, il brûle les ailes de sa Banshee, et ça bottomme dans l’ersatz de l’apanage, et là t’es tanké.

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         Tu as d’autres merveilles sur l’album sans titre des mighty Doum Doum. Tu retrouves la Banshee. Il sait rocker sa casbah, pas de problème. Tout est construit sur des architectures soniques qui te captent bien l’attention, il ramène sa fuzz et lance «don’t trust me», mais si. On te truste ! Belle architecture d’anymore encore dans cet «Hope Gives Live» lourd de conséquences, lancé au wild abus dangereux et bien tenu en laisse. Par contre, il lâche la laisse de «Garde Un Chien D’Ta Chienne» et là, l’album décolle. Kinou l’amène au gros tatapoum et bam, ça part en rockalama périgourdin. Kinou fait des chœurs gaga de rêve. Te voilà au pied de mur. Tu crois entendre des clameurs de Detroit Sound. Tu te pinces. Dans «Secret», il joue avec la notion de ground underground, the other way round, belle ambiance Dead Moon, il siffle dans la nuit et joue les basses sur ses cordes graves. C’est un enchantement. Et voilà qu’il tape dans le mille du pire gaga de l’univers avec «Hurry Up». Terrific ! Sur scène, il t’explose ça à coups de gros barrés. On retrouve aussi l’excellent «Face To Face», cet heavy groove de blues qui te tient par la barbichette, et encore une fois, il te sonne bien les cloches. Tout est tellement en place, la gratte, la voix, l’énergie, le beurre, et en plus, il te claque un solo de disto qui te fait baver. Ils tapent «Un Pas Sur La Lune» au yodell périgourdin et bouclent ce délicieux bouclard avec «Outside The Box». Cet album est un vrai panier garni, gorgé de compos variées, comme chez Stereo Total, même énergie, même intégrité, même créativité, même joie de vivre et même résonance underground.

Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

Doum Doum Lovers. Neuville-Sur-Authou (27). 9 mai 2024

Doum Doum Lovers. Doum Doum Lovers. Some Produkt 2023

Doum Doum Lovers. #1. Not On Label 2021

 

 

Tench you very much

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         Curieux parcours que celui de Bobby Tench, un chanteur guitariste qu’on retrouve employé à bon escient dans le Jeff Beck Group, par exemple, et à mauvais escient dans les groupes de gens comme Van Morrison, Eric Burdon, Steve Ellis (Widowmaker), Stevie Marriott (Humble Pie) et Michael Chapman (Streetwalkers) qui ont déjà tout ce qui leur faut au niveau chant. Oui, le problème est que Bobby Tench chante prodigieusement bien, il peut parfois sonner comme Rod The Mod, alors évidemment, quand il se retrouve dans Humble Pie ou Widowmaker, il doit s’effacer et se contenter de gratter ses poux.

         Puisqu’il vient tout juste de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage et tenter de donner une idée du talent de cet immense artiste. La liste des projets auxquels il a participé est vertigineuse. Tu la trouveras sur wiki. Par contre, si tu veux l’entendre chanter, alors faut écoute les albums de Gass et d’Hummingbird.

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         Le premier album de Gass paraît en 1970. Tombé dans les pattes des spéculateurs, cet album est devenu intouchable. Pour l’écouter, tu devras soit te le faire prêter, soit le télécharger. Attention, c’est un album extraordinaire, un peu prog mais extrêmement énergique. Tout est joué au fantastique appareillage de shuffle d’orgue et dès «Kulu Se Mama», on comprend que cet album soit devenu culte. Bobby Tench peut chanter au plus haut niveau de prestance, comme le montre «Holy Woman». S’il tient si bien la rampe, ça ne s’explique que par son talent. Bobby Tench et ses amis visent l’admirabilité des choses en matière de prog, c’est vrai, mais c’est inspiré, et pour une fois, la prog gagne en respectabilité. Ce mec est l’un des grands Soul Brothers d’Angleterre, et ça joue au bon délié de guitare. Ils sortent un son plein comme un œuf, ça sur-joue dans les effluves de l’une des meilleures progs d’Angleterre. Avec «Yes I Can», Bobby Tench joue la carte du profil bas, bien soutenu par un beau bassmatic à la Jamerson. On se régale de l’extrême puissance du Yes I Can. Et tout va exploser en B avec «Juju». Peter Green participe au festin de son. Fantastique swagger ! Bobby Tench ramène tout le power flamboyant du Juju anglais. Peter Green plonge dans le gras double et Bobby vient le hanter au pire raw du Tenching. Ils ramènent tout le power de Junior Walker et des géants de la heavy Soul. Ils font même du Sly pur. Bobby Tench se montre effarant de verdeur dans ce balladif bienvenu qu’est «Black Velvet», puis il refait son Soul Brother dans «House For Sale». Il faut l’entendre swinguer sa prog, il est effarant de mainmise. Ces mecs sont beaucoup trop puissants pour un petit pays comme l’Angleterre. Voilà une autre énormité : «Cold Light Of Day», amené au violon et repris au heavy groove, the darkest of it all. Stupéfiante présence calorifuge, ponts joués au big foutraque de Bobby Tench, ce mec aime tellement le groove qu’il le swingue dans l’âme. On tient là l’un des très grands albums de 1970. Ils terminent avec «Cool Me Down», un fantastique shoot de speed prog. Ces mecs jouent où ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent, ils passent par les breaks de Cellar Block et Bobby envoie sa shit fluctuer dans les sillons du Cool me down. Ça se termine par un véritable festival de white riot percus.

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         Catch My Soul est une comédie musicale parue en 1971 sur laquelle on retrouve Bobby Tench & The Gass. P.J. Proby et P.P. Arnold font aussi partie de l’aventure. C’est là que Bobby Tench commence à partager le micro avec d’autres très grands chanteurs. Dans «Ballad Of Catch My Soul», un fameux shouter annonce : «My name is Le Gault and I’m the devil as well.» C’est très orchestré, très américain. P.J. Proby se tape «Drunk». Il éclate tout, help me ! Save me ! Aw ! Lance Le Gault revient chanter «Cannikins». On se demande pourquoi cet album est attribué à Gass. Bobby Tench ouvre le bal de la B avec «Put Out The Light». Ce mec est déjà extrêmement en place. Quel shouter ! On entend P.P. Arnold et Proby faire la fête dans «Seven Days And Nights». P.P. shoute tout ce qu’elle peut et P.J. l’accompagne dans ses ébats. On les retrouve tous les trois avec Bobby pour le final, «Black On White». Bobby n’a pas à rougir, il s’élève aussi haut que les deux autres. Il sait lui aussi shouter par dessus les toits. P.P. Arnold est complètement folle, elle chante au pinacle de la Méricourt. 

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         C’est avec le Jeff Beck Group que Bobby Tench se fait connaître. Après Truth et Beck Ola, Jeff Beck cherche un chanteur du calibre de Rod The Mod et il opte pour Bobby Tench. Il monte même une espèce de super-groupe avec Max Middleton et Cozy Powell pour enregistrer Rough And Ready en 1971. Dès «Got The Feeling», on sent le souffle d’une belle pop de Soul que swingue Bobby Tench. Middleton pianote entre deux eaux, comme Nicky Hopkins. C’est très intriguant. Et ce diable de Clive Chaman envoie virevolter ses triplettes de bassmatic. Alors oui, c’est admirable. Avec «Situation», Jeff Beck va plus sur une ambiance jazz-rock. Il groove au long cours et Bobby file sous la bise. Il ramène tout son feeling dans la course folle. Mais c’est avec «Short Business» que Jeff Beck retrouve l’esprit flamboyant de Beck Ola. Il fait de la haute voltige et il traverse les rues de ses gammes sans regarder ni à droite ni à gauche. De l’autre côté, Bobby Tench se met vraiment à sonner comme Rod The Mod dans «I’ve Been Used». De toute évidence, Jeff Beck garde une nostalgie profonde de Beck Ola, car il parvient à générer le même genre d’ampleur catégorielle, au grand vent d’Ouest, avec des notes qui filent dans l’écho du temps. Puis on le voit casser les reins de l’envol dans «New Ways/Train Train». Bobby Tench lui prête main forte. C’est absolument régalatoire, surtout quand ils reviennent au train-train avec Train Train. Ces mecs tendent la musicalité jusqu’à la rompre. Jeff Beck glougloute de ci de là. C’est dingue comme il est polymorphe. Puis on voit Bobby Tench partir en roue livre avec «Jody», alors oui, quel chanteur !

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         L’année suivante, le groupe enregistre un deuxième album, le sobrement titré Jeff Beck Group. Après la pomme de Beck Ola, Jeff Beck propose une orange. Détail capital : c’est Steve Cropper qui produit cet album enregistré à Memphis. Ça se met à swinguer dès «Ice Cream Cakes». Clive Chaman joue une excellente bassline et Bobby Tench fait son Rod The Mod. C’est un excellent traîneur de syllabes. Jeff Beck rôde dans le groove et se fend de quelques prodiges. Il continue de travailler son obsession de Beck Ola. Toutes les conditions sont rassemblées pour que l’album sorte de l’ordinaire, mais quelques cuts restent en surface, comme cette reprise de Bob Dylan, «Tonight I’ll Be Staying Here With You». Steve Cropper co-signe «Sugar Cane» avec Jeff Beck - I/ I love you like/ Sugar cane - C’est du petit funk blanc que Bobby Tench chante d’une voix éteinte d’étain blanc. Superbe ! Jeff Beck boucle l’A en faisant du Ronno mélodique dans «I Can’t Give Back The Love I Feel For You». Ronno et Jeff Beck restent bel et bien les deux guitaristes les plus brillants de leur génération. C’est en B que se joue le destin de l’album avec cette version de «Going Down» si bien pianotée par Max Middleton. Jeff Beck accourt à la rescousse, c’est joué dans les règles de l’art supérieur. Bobby Tench traîne son down dans la poussière. Ils poussent si bien le bouchon qu’ils parviennent à renouer avec l’urgence de Beck Ola. Ils jouent ça à la tension maximaliste de Max la Menace. Bobby n’en finit plus descendre down down down. Wow, quel shouter ! Puis Jeff Beck s’en va jazzer dans l’angle l’«I Got To Have A Song» de Stevie Wonder. Il le concasse et Bobby fait des miracles au chant. Très haut niveau d’interprétation. Tout est parfait sur cet album, on sent le super-groupe au mieux de sa condition. Même un balladif comme «Highways» se contrebalance au petit bonheur la chance. Max jazze au gré d’un groove éparpillé. Très captivant.

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         Lorsqu’Humble Pie songe à se débarrasser de Steve Marriott, Shirley et Greg Ridley portent leur choix sur Bobby Tench, mais hélas pour eux, Bobby vient juste de monter Hummingbird et de signer un contrat. Il faut voir Hummingbird comme une suite au Jeff Beck Group. D’ailleurs, Jeff Beck viendra traîner en studio avec eux, mais rien ne se concrétise. Hummingbird va enregistrer trois albums, à commencer par le sobrement titré Hummingbird. C’est un excellent album plein de son et de chant. Bobby shake son tail feather avec «You Can Keep The Money», il chante avec les mêmes intonations que Rod The Mod, c’est dire s’il est bon. Linda Lewis duette avec lui sur «Such A Long Ways». Il semble qu’Hummingbird rencontre le même problème que Roogalator en Angleterre : trop brillant. Avec «I Don’t Know Why I Love You», Bobby propose un heavy blues de bonne facture. Bernie Holland y fait de belles étincelles sur sa guitare. Ils ouvrent le bal de la B avec «Maybe», un joli shout de rock de Soul. Les Hummingbird sont une équipe de surdoués. Ils proposent un beau mélange de Soul et de guitare fluide. Avec son bassmatic, Clive Chaman is the man sur «For The Children’s Sake». Globalement, c’est un excellent album.     

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         Avec We Can’t Go On Meeting Like This, Hummingbird jette l’ancre dans ce funk de Londres assez spécial, puisque tapé à la baguette magique par Bernard Purdie. Bobby le chante au carré du funk, comme on le voit dans «Fire & Brimstone» et Clive Chaman embobine le tout dans un bassmatic funky joué les deux doigts dans le nez. Encore une fois, ils sont trop brillants pour le public anglais. Pas de hits, mais du son, rien que du son. «Trouble Maker» vaut pour un fantastique shoot de funky motion. Bobby n’a de leçons à recevoir de personne, il dépote son ballot de funk avec une aisance qui vaut bien celle de George Clinton. Ils entrelardent la dinde de l’album avec des instros du jazz-rock de type «Scorpio», aussi ambitieux que le fut en son temps Lucien de Rubempré. On se croirait même parfois dans le Mahuvishnu Orchestra. Il faut bien dire que cet album sonne parfois comme une délectation. Ils démarrent leur B avec «The City Mouse», un bel instro des jours heureux. On les sent bien dans leur peau, Max Middleton pianote le plus suave des grooves de jazz-rock. Et Nanard tapote dans son coin en swinguant comme un démon. «A Friend Forever» sonne comme un hit de Stevie Wonder, Bobby le chante au chaud du ton et ils reviennent plus loin au heavy funk avec «Snake Snack». C’est tellement bien joué et bien battu qu’on dit amen et qu’on leur donne l’absolution. Vas-y, Bobby, jazze-nous jusqu’à l’oss de l’ass.

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         Le troisième et dernier album d’Hummingbird s’appelle Diamond Nights. Il paraît en 1977, mauvaise année pour tout ce qui n’est pas punk en Angleterre. Bobby préfère le funk comme le montre «Got My Led Boots On». Bernard Purdie bat un beurre saisonnier et Clive Chaman joue comme George Porter Jr des Meters. Max Middleton claque ses keys, tout est verrouillé à l’insolence prédestinée. Le «Spirit» qui suit vaut pour un slow groove d’excellence patentée. Bobby chante comme un dieu, alors ça devient très facile. Qui retrouve-t-on dans les backings ? Venetta Fields ! Eh oui ! On voit encore Bobby et ses amis regorger d’aisance dans «She Is My Lady». Ils rivalisent avec les géants de la Soul. En B on se régalera de «Madatcha», un heavy groove solide aussi indispensable à l’oreille que peut l’être l’air pur à la narine palpitante. Ils reviennent au solide swamp de funk avec «Losing Yoy (Ain’t No Doubt About It)». Il semblent s’enfermer dans les affres d’une Soul émerveillée.

         C’est Stevie Marriott qui fera appel à Bobby pour venir rembourrer un Humble Pie mal en point. En 1980, ils ne sont plus que deux, Shirley et Stevie. Anthony Sooty Jones vient compléter les effectifs à la basse pour enregistrer On To Victory.

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         Retourne la pochette d’On To Victory et tu verras Stevie prêt à en découdre, la clope au bec, le cheveu taillé court, le jean remonté aux bretelles comme chez les skins de l’East End.

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Bobby Tench et Anthony Jones remplacent Clem et Greg Ridley. Ça démarre avec un «Fool For A Pretty Face» qui continue de faire toute la différence. Stevie vire de plus en plus cockney, comme si Dickens avait inventé de boogie rock. Stevie rayonne dans son personnage d’Artful Dodger. On reste dans le big heavy sound avec «Infatuation». Stevie scande bien son besoin de love et un beau solo de sax vient envenimer les choses. La fête continue avec «Take It From Here» encore plus heavy et même assez mystérieux. L’album se révèle admirable de heavyness. On croit même entendre la accords du «Number One Common Lowest Denominator» de Todd Rundgren. En B, Stevie propose l’un des hot takes de Soul blanche dont il a le secret avec «Baby Don’t You Do It». On se régale du bassmatic d’Anthony Jones, c’est joué dans les règles du lard fumant. Humble Pie ne faiblit pas. La voix, le son, les cuts sont là. C’est un album solide. Encore une merveille de Marriott swagger avec «Further Down The Road». Il faut le voir scander son gimme love gimme love

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         Il ne faut pas non plus prendre Go For The Throat à la légère, même si la pochette est complètement foireuse. On y retrouve l’équipe Bobby Tench/Anthony Jones/Jerry Shirley et ils tapent du big time d’«All Shook Up» ou de «Tin Soldier». Avec l’All Shook Up, ils tentent de singer le  Jeff Beck Group. Le «Tin Soldier» est bien noyé d’orgue, comme au bon vieux temps. Impressionnant aussi ce «Driver» blasté à l’harmo. On trouve en B un «Restless Blood» surchauffé. Marriott grimpe sur les barricades, il harangue le rock, il shoote tout ce qu’il peut. C’est un héros des temps modernes. Il nous sert aussi une version stupéfiante de «Lottie & The Charcoal Queen». Il y devient héroïque. Il chante sa Lottie à pleine puissance, c’est un hit énorme, un paradigme de l’heavyness. Il est le roi de toutes les insistances. Pour terminer, il fonce jusqu’au bout du bout avec «Chip Away», il ne relâche jamais son rumble, Marriott est un jusqu’au-boutiste faramineux, il chante comme un seigneur des annales, un screamer victorieux. Et Bobby Tench dans tout ça ? Oh il gratte ses poux, complètement éclipsé par ce démon de Steve Marriott.

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         Bobby Tench finit par remplacer Marriott sur Back On Track, enregistré en 2002, soit onze ans après sa mort. Du Pie d’origine ne restent que Jerry Shirley et Greg Ridley. C’est déjà pas mal. Big sound, c’est sûr, mais la gouaille d’Artful Dodger a disparu. «Dignified» et «The Red Thing» sonnent pourtant comme des cuts énormes. C’est Greg Ridley qui décroche la timbale en chantant «Still Got A Story To Tell». Il chante ça à la vieille arrache. On sent le vétéran d’Immediate. Ridley a tout vu. Il fait ses lignes de coke avec un Bowie knife planqué dans sa botte. Il reste au lead pour «All I Ever Need», un heavy groove d’excelsior. Zoot Money vient chanter «This Time». Zoot fout son nez dans les affaires du shuffle, il a bien raison. Magnifique association de légendes. Zoot can beat it ! Il en devient extravagant. Bobby revient chanter les vertus de la planche à pain avec «Flatbusted» et l’expédie droit en enfer. Ce mec chante comme un dieu, on le sait depuis longtemps, mais un album d’Humble Pie sans Stevie, c’est très bizarre. Greg Ridley reprend le lead sur «Ain’t No Big Thing». On laisse le mot de la fin à l’excellent Bobby Tench qui fait un carton avec «Stay On More Night». Il est parfaitement apte à faire la Pie.

Signé : Cazengler, Bobby Tanche

Bobby Tench. Disparu le 19 février 2024

Gass. St. Polydor 1970

Gass. Catch My Soul. Polydor 1971

Jeff Beck Group. Rough And Ready. Epic 1971

Jeff Beck Group. ST. Epic 1972

Hummingbird. ST. A&M Records 1975        

Hummingbird. We Can’t Go On Meeting Like This. A&M Records 1976

Hummingbird. Diamond Nights. A&M Records 1977

Widowmaker. Widowmaker. Jet 1976      

Humble Pie. On To Victory. Atco Records 1980

Humble Pie. Go For The Throat. Atco Records 1981

Humble Pie. Back On Track. A&M 2002

 

 

Inside the goldmine

 - Gallagher des boutons

         Un gamin dans le corps d’un vieil homme. C’était une façon de situer Galopin. Il incarnait en effet ce curieux mélange de naufrage (la vieillesse) et de candeur. En tant que vieil homme, il accumulait tous les travers du genre : radin, malveillant, auto-centré, radoteur, incapable d’écouter les autres, hygiène douteuse, il portait des fringues usées jusqu’à la corde et conduisait une bagnole qui était un danger public. Il préférait la bière quand on la lui offrait et cultivait une étrange obsession : ne jamais rentrer chez lui sans ramener des petites choses glanées ici ou là. Il vivait dans une baraque à son image. On ne se posait d’ailleurs pas la question de savoir dans quel état était l’intérieur puisqu’il n’invitait jamais personne à y entrer. Il devait être parvenu à ce qu’on appelle le point zéro de l’existence, lorsqu’on fait cette espèce de constat : à quoi sert de continuer à vivre ? À rien. Puisque rien n’a plus de sens, ni l’image qu’on a encore de soi, ni les raisons d’améliorer le quotidien, puisque ces raisons n’existent plus. Pour qui le ferait-on ? Pour soi ? Absurde. Le point zéro de l’existence distille des poisons qui tournent en circuit fermé dans la cervelle : pour les plus faibles, ce sera de l’auto-compassion, pour les plus résistants, ce sera une haine totale de soi. Alors évidemment, dans un tel contexte, les liens sociaux ne tiennent pas le choc. Les seuls qui approchent encore Galopin sont ceux qui ont perçu le gamin en lui. Lorsqu’on sait orienter une conversation, le gamin réapparaît miraculeusement et tout le reste disparaît. Galopin semble alors libéré d’un poids immense et ses yeux noirs brillent d’un bel éclat. On le voit presque revivre, ça ne dure que le temps de la conversation, mais ce temps vaut tout l’or du monde. Il retrouve une belle volubilité et alimente l’échange en puisant dans son érudition. Il faut alors le soigner et rester précautionneux, comme lorsqu’on arrose une plante qu’on croyait morte.

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         Ramener Galopin à la vie, c’est exactement la même chose que d’arracher Gallagher au néant. Dans un cas comme dans l’autre, ça ne tient qu’à un fil. Ce Gallagher n’est ni le Rory, ni le Noel, ni le Liam, il s’agit d’un Peter. D’où sort-il ? D’une compile, l’excellent Wrap it Up qu’Ace consacra en 2022 au prophète Isaac. Le cut d’Isaac s’appelle «I’ve Got To Love Somebody’s Baby». Cut qu’on retrouve sur le bien nommé 7 Days In Memphis, un album paru en 2005. Gallagher, qui est acteur à Hollywood, a une bonne bouille, un faux air de Tony Joe White juvénile. Il a joué dans une myriade de films qui ne sont pas forcément des chefs-d’œuvre. Il n’a pas la chance de Johnny Depp.

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         7 Days In Memphis est un album qui vaut le détour pour un tas de bonnes raisons, la première étant bien entendu l’«I’ve Got To Love Somebody’s Baby» épinglé juste au-dessus. Gallagher qui est un artiste consciencieux montre tout le respect possible au prophète Isaac. Il tape ça en mode heavy blues sensible, et c’est pianoté à la Méricourt. Il opte pour le full power et aw, ça devient spectaculaire, il le monte fantastiquement en neige, c’est du très haut niveau de full bloom. Tu sais que tiens là un album énorme, il enveloppe Isaac dans ses bras, il te claque son cut au sommet du lard, c’est un véritable coup de génie. Impossible d’échapper à cette emprise, à cette puissance noyée de pianotis. Il tape aussi dans Dan Penn avec «Don’t Give Up On Me». Il soigne le coulé de Dan Penn, il en fait une version pointue, il chante avec esprit, et le shuffle chauffe cette white Soul à feu doux. Quelle classe ! Il attaque l’album avec la reprise d’un «Still I Long For Your Kiss» signé Lucinda Williams. Gallag est assez hot sur ce coup-là. Steve Cropper est de la partie. Gallag retape dans Isaac avec «When Something Is Wrong With My Baby». Même chose qu’avec l’«I’ve Got To Love Somebody’s Baby», on sent le respect total pour l’œuvre du prophète, même si, d’une certaine façon, le petit cul blanc n’a guère d’épaisseur humaine, étant donné qu’il n’a jamais cueilli de coton sous les coups de fouet. Disons que ce genre d’album permet de régler des comptes. Car on a toujours pas fini de régler les comptes. Le pauvre Gallag se plie aux règle du groove avec un «Still Got The Blues» signé Gary Moore, mais sa voix manque cruellement de profondeur. Il bénéficie heureusement d’une énorme orchestration et finit par devenir intéressant, et même attachant. Il tape ensuite dans le «Then You Can Tell Me Goodbye» de John D. Loudermilk, un solide shoot de pop Soul extrêmement bien balancé. Le choix des covers est magistral, Gallag est un bec fin. Il tape aussi l’«Everytime It Rains» de Randy Newman, et tu t’y sens aussitôt en sécurité, comme si un real deal de blanc chantait une solide white Soul. Gallag revient encore à Isaac avec «When You Move You Lose». La petite gonzesse qu’on entend s’appelle Teressa James, une blanche un peu poussive. Gallag aurait tout de même pu choisir une blackette. Elle est même un peu ridicule, encore une folle qui se prend pour la reine du rodéo. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : une cover d’«A Song For You» de Tonton Leon. Forcément, avec Tonton Leon, on atteint des cimes extravagantes. Cette cover est d’une rare puissance, Gallag en fait un chef-d’œuvre, forcément, c’est une chanson parfaite, au plan mélodique, mais Gallag l’interprète au plus haut niveau, il la chante à la déroute sentimentale extrême.

Signé : Cazengler, Gallagare Saint-Lazare

Peter Gallagher. 7 Days In Memphis. Epic 2005

 

 

I walked with the Zombies last night

 - Part Two

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         Pas compliqué : les Zombies, tu y vas les yeux fermés. Ils n’ont pas des gueules de zombies, mais d’une certaine façon, ils ont atteint comme les Beatles un réel niveau de perfection pop.  Aux yeux des amateurs éclairés, les Zombies sont une sorte de petit miracle à dix pattes. Ils disposent de toutes les mamelles du destin : le chanteur parfait, les compos parfaites, le son parfait. Leur seul défaut serait d’être trop sages dans la vie privée. Pas d’overdoses, pas de voitures de sport et pas de grosses putes maquillées dans les parages.

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         Leur premier album Begin Here, paru en 1965, est ce qu’on appelle un album parfait. Il s’appelle Begin Here en Angleterre et The Zombies aux États-Unis : pochettes différentes et track-lists différents, comme c’est l’usage à l’époque.

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Le Begin Here anglais est plus joli. 14 titres et pas de déchets. Ils démarrent sur un hommage à Bo Diddley, vroom vroom, «Road Runner» et enquillent aussi sec sur le «Summertime» de Gershwin. Blunst chante déjà comme un dieu, ce que va encore confirmer «I Can’t Make Up My Mind», poppy as hell, gorgé de que-de-son-my-son, and she wants me back, et Blunst fait de la pop de punk. Il est aussi bon que Paul Jones. Rien qu’avec ces trois cuts, te voilà tanké. Il continue de faire l’ange avec «The Way I Feel Inside», une vraie merveille de délicatesse, Blunst la porte à bouts de bras. On navigue rarement dans un balda aussi intensément bon. Ils enchaînent avec un wild instro assez monstrueux, «Work ‘N’ Play». Saturé d’harp et explosif en sous-jacence. Les Zombies sont des punks ! Puis il tapent une cover magique du hit de Smokey, «You’ve Really Got A Hold On Me». Pur jus de Motown Zombies, Blunst l’éclate au bring it back home/ Bring it home back to me. Ils terminent ce faramineux balda avec «She’s Not There» et là tu t’assois pour te recueillir, car les Zombies t’emmènent au cœur d’un mythe urbain, le Swinging London. Ils bourrent leur dinde avec du développé de shuffle d’orgue et de bassmatic. De toute évidence, les Zombies étaient en avance sur leur temps. Et ça repart de plus belle en B avec le pur British Beat de «Stick & Stones», suivi de «Can’t Nobody Love You». Tout est beau dans cette B des anges, tout est ultra-chanté, orchestré, inspiré, poignant. «I Remember When I Loved Her» incarne l’excelsior de la viande polymorphique, le cha cha féerique, le mambo du fandango. Avec «What More Can I Do», ils proposent le wild r’n’b de Soho. Extraordinaire santé des artères, c’est un shuffle d’orgue à se damner pour l’éternité, les départs en solo relèvent du vieux proto-punk. Pur sonic genius ! Ils terminent cet album imbattable avec un clin d’œil à Muddy : «I Got My Mojo Working», mais les Zombies le démolissent. Ils sont encore pire que les Pretties. Wild as fuck !

         Quand Repertoire a réédité cet album magique, ils n’y sont pas allés de main morte : 15 bonus. Alors forcément, quand on l’a vu chez Gibert, on s’est jeté dessus. Parce que «Tell Her No» (samba des Zombies, ils brillent comme le Brill), «She’s Coming Home» (ils battent le Brill à la course), «Kind Of Girl» (admirable de candeur pop), «Sometimes» (punch de pop, putsch de pop, ils prennent le pouvoir), «Whenever You’re Ready» (haut niveau d’escalade avec un solo de piano en syncope), «Is This The Dream» (pur Motown), «Don’t Go Away» et «Remember You» (pure Beatlemania), et puis voilà «Just Out Of Reach» et sa fabuleuse attaque, Blunst prend ça au plein chant, poussé dans le dos par un shuffle d’orgue, tu n’en finis plus de t’extasier, et «Indication» arrive un peu comme le coup du lapin. Quoi qu’ils fassent, c’est puissant, ils tapent dans le mille à chaque fois, avec des bouquets d’harmonies vocales extravagantes. Ça se termine avec «I’m Going Home», celui qu’Alvin Lee a consacré. Ils sont dans le même délire, mais Alvin est allé plus loin.   

         La scène se déroule en 1969, dans la cour du lycée :

         — Wouah, Yves, tu connais Odissey & Miracle ?

         — Quouahh ?

         — Le concept-alboum des Zombis ! Odissey & Miracle !

         Le pote Yves se fend bien la gueule :

         — Achète-toi une paire de binocles !

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         Intrigué, on rentre au bercail et on relit la pochette. L’avait raison l’Yves. Faut lire Odessey & Oracle. C’est pas la même chose. Ce genre de truc arrive souvent. On mémorise une image photographique de mots qu’on oublie parfois de lire attentivement. Le meilleur exemple est celui de Sanford Clark qu’on a pendant quarante ans prononcé et écrit ‘Sandford Clark’, jusqu’au jour ou un ange de miséricorde nommé Damie Chad releva l’erreur et la corrigea. Un autre exemple est celui de Specialty que les copains de lycée prononçaient Speciality. C’est pas la même chose.

         L’Odessey est un cas particulier : album culte, mais pas aussi ravageur que le Begin Here. Oh bien sûr, on tombe sous le charme dès «Care Of Cell 44», pur jus de Beatlemania, mais avec un caoutchouc onirique en plus, c’est même assez stupéfiant de qualité, une sorte de perfe montée en neige avec un Blunst déchirant de sincérité. Ah il faut entendre ce son de basse délicieux, ponctué dans l’azur. Puis ils entrent dans un monde de pop descriptive, assez fairy-tale et c’est avec «Brief Candles» que se mesure la hauteur des Zombies. Blunst emmène cette belle pop d’éclat surnaturel. Ils terminent leur balda avec un autre coup de génie pop, «Hang Up On A Dream». Blunst l’attaque de biais et ça vire magic trip, oui, ça décolle comme un zeppelin britannique dans un ciel d’azur marmoréen. Là, ils donnent tout ce qu’ils ont dans la culotte, tu goûtes à l’excelsior des Zombies. En B, tu vois le Blunst se glisser dans le groove d’«I Want Her She Wants Me». C’est, comme disent les gens qui ne savent plus quoi dire, d’un niveau à peine croyable, comme si on pouvait croire un niveau. Les Zombies tapent dans une efficacité doublée de simplicité, et ils empruntent les pah pah pah de Brian Wilson. On retrouve cette fantastique présence de la simplicité dans les mah mah mah de «This Will Be Our Year». Avec «Friends Of Mine», ils passent à la pop d’entente cordiale, le pop d’it feels so good to be/ So in love. Pour des Zombies, c’est d’une vitalité remarquable. Ils terminent avec un copy-cat de «She’s Not There», «Time Of The Season». Même ambiance. Alors, comment ne pas adhérer au parti ?

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         Repertoire fit en 2001 le même coup qu’avec Begin Here : une red avec 15 bonus faramineux, et qui éclipsent complètement l’Odissey, pardon, l’Odessey. Ça part en trombe avec l’extrême power pop magique de «I’ll Call You Mine». Les Zombies ont le power. On est effaré par la qualité des cuts stockés dans les vaults d’or. Par la qualité des compos. Par la qualité du punch. Par la qualité du chant de Blunst le héros, qui t’éclate encore le Sénégal avec «She Loves The Way They Love Her». Zombi Zombah ! C’est d’un niveau qu’on peine à mesurer. C’est réellement du niveau des Beatles. Avec «Imagine The Swan», tu rentres de plain-pied dans l’extraordinaire power du jus. C’est extravagant de classe et d’élégance. Même power que celui des Beatles à leur apogée, voix montées, mélodies imbattables, son d’en haut. Tu ravales ta bave car c’est pas fini. Ils restent dans la Beatlemania avec «If I Don’t Work Out», effarant d’I don’t know et le Blunst finit en mode Monkees de Clarksville. Big power encore avec «I Know She Will» et fast Beatlemania avec «Don’t Cry For Me». Blunst sait faire son Lennon énervé. Ces mecs se brûlent les ailes à voler si haut («Walking In The Sun»). C’est à ne pas croire. Tiens voilà «Conversation Off Floral Street», un très bel instro chargé de mystère et de shuffle. Merci Rod ! Encore de la heavy pop avec «Gotta Get A Hold Of Myself». Rien ne peut résister à cette équipe de Zombies, ils n’en finissent plus de taper dans le haut du panier. C’est un peu comme si on écoutait les bonus du White Album. C’est exactement du même acabit. Et tu as «Goin’ Out Of My Head» qui t’explose au nez et à la barbe, avec des coups d’harp extravagants, c’est bien meilleur qu’Odissey, pardon, Odessey, ils rivalisent de génie sonique avec Totor, ce «Goin’ Out Of My Head» est le cut le plus spectorien d’Angleterre. Fulgurant ! Alors après, dès que tu repères des reds des Zombies avec des bonus, tu y vas les yeux fermés. 

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         Bon, on va essayer de se calmer un peu. Pas facile avec ces mecs-là. Five Live Zombies - The BBC Sessions 1965-1967 ne fait que confirmer la réputation des BBC Sessions : rien que du nec plus ultra. C’est en place dès «Tell Her No». On voit le Blunst monter au créneau très vite et faire du fast Blunst sur «What More Can I Do». Un chef-d’œuvre de shuffle d’orgue. Si tu veux battre ces mecs-là à la course, tu devras te lever de bonne heure. Et tu as le solo de Paul Atkinson, il gratte sec et net. Motown débarque in London town avec «This Old Heart Of Mine». Ils le font pour de vrai, c’est du tout cru, du dur comme fer, ils parviennent à sublimer Motown. Il faut noter l’excellent jazz-bassmatic de Chris White sur «For You My Love», et on retrouve plus loin l’infernal «Goin’ Out Of My Head», avec son sens aigu d’un Brill spectorisé. C’est tout bêtement exceptionnel. Le Blunst tire tout ça vers le haut, over you ! Ils rendent deux hommages à Curtis Mayfield («You Must Believe Me» et «It’s Alright»), mais c’est avec «Soulsville» qu’il fracassent la baraque du wild r’n’b. Avec eux, c’est vite torché, et même quasi-protopunk. Ils savent groover sous la ceinture. Aw c’mon ! Le Blunst peut se monter agressif. Et ça se termine avec le fast rumble d’«I’m Goin’ Home», battu sec et net par Hugh Grundy

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         On trouve une sacrée beigne de génie sur The Return Of The Zombies, cet RCA paru en 1990 (et qui s’appelle aussi New World, sur Big Beat) : une cover d’un très beau hit de Paddy McAlloon, «When Love Breaks Down». Hey yesssss ! Ça se développe, Blunst part dans le Sprout, c’est gorgé de magie pop, il y va à la Paddy éperdue. Blunst colle bien au Paddy way. Heureusement qu’on a cette merveille, parce que le reste de l’album pue un peu la new wave. Le clavioteur qui remplace le Rod s’appelle Sebastian Santa Maria et c’est lui qui fout le souk dans la médina. Pourtant les compos de Chris White («Lula Lula»), ne demandent qu’à éclore comme la rose de Ronsard. Santa Maria y va de son petit coup de shuffle dans «Time Of The Season», un cut signé du Rod, mais le son est trop new wave. «Moonday Morning Dance» sonne comme une déclaration de guerre : les Zombies basculent dans la putasserie. Ils sonnent comme U2 sur «Blue». Santa Maria entraîne les Zombies dans une impasse, cette pop ne mène nulle part. Ils n’ont pas de compos. Horrible destin, pour un groupe qui fut jadis tellement brillant. Blunst essaye d’embarquer les Zombies pour Cythère avec «Losing You», mais ça ne marche pas. Si tu veux bâiller aux corneilles, écoute The Return Of The Zombies.

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         R.I.P. est le fameux Lost Album des Zombies. Et quel Lost Album ! Il s’agit là de leur meilleur album. Tu y entres par la grande porte, c’est-à-dire «She Loves The Way They Love Her», une clameur de pop digne de celle des Beatles avec des développés de voix à la Curt Boettcher et un entrain d’une rare qualité. Te voilà encore plus conquis que l’Asie Mineure. Et ça continue avec «Imagine The Swan», une somptueuse coulée de pop descendante, ça s’impose sur la lune, ça t’allume la tirelire. Tu entends un fantastique solo de piano du Rod dans «I Could Spend The Day» et le balda s’achève sur l’instro du diable, c’est-à-dire «Conversation Off Floral Street» qu’on retrouve dans les bonus de la red de Begin Here, un swing d’instro sous la pression des surdoués. Quatre bombes en B : «If It Don’t Work Out» est complètement Beatlemaniaque, bien dirigé vers la lumière, stupéfiant de don’t work out, suivi d’«I’ll Call You Mine», encore un shoot de pop hallucinante de qualité, irrévocable et magique, les superlatifs n’en peuvent plus. Ils tirent la langue. Et ça continue avec «I’ll Keep Trying», personne ne bat ça à la course, tu as encore le power intrinsèque d’une pop parfaite, bien calée dans l’angle de la Beatlemania, et enluminée d’un glacis d’harmonies vocales. La quatrième bombe s’appelle «I Know She Will», c’est travaillé à la beauté poignante d’une samba poppy. Te voilà au cœur de la Zombiemania.

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          Retour aux affaires en 2004 avec As Far As I Can See. Blunst et le Rod semblent rayonner de bonheur sur la pochette. On retrouve le grand shuffle d’orgue du Rod dès «In My Mind A Miracle». Ça te saute à la gorge. Nos deux compères refracassent la baraque du rock anglais, ils disposent sans le moindre doute des plus grosses ressources naturelles d’Angleterre. C’est puissant, fumant, et racé. Leur «Memphis» n’a rien à voir avec le «Memphis» de Chucky Chuckah. C’est du monté en neige extraordinaire - You know tonight/ Hey kiss in Memphis/ And trace the writing on the wall - Tout sur cet album se juche au plus haut niveau de l’expression. C’est de la grande pop anglaise pianotée par le Rod et ultra-orchestrée. Coup de génie encore avec «Time To Move», un wild r’n’b à l’anglaise. On se croirait chez Stax, avec un bassmatic demented - It’s time to roll - Il y a du feu dans les éclats de voix du Blunster. Il est capable d’allumer autant que Little Richard. Dans «I Don’t Believe In Miracles,» Blunst demande à sa poule de rentrer à la maison, mais il ne croit pas aux miracles. Colin Blunstone forever ! Encore une fabuleuse présence de let it shine dans «As far As I Can See» - There’s a slow train coming/ From the distance coming - Pure magie. Et ça continue avec «With You Not Here», Blunst lance sa pop là-bas au loin, il a cette générosité du geste, il aménage des espaces comme savait le faire Elvis - You’re gone away - Il chante son magnifique désespoir et ça part en mode boogie magique digne de Brian Wilson, alors t’as qu’à voir. Blunst refait son chanteur de charme dans la big rumba de «Together», et ça évolue très vite vers la grande pop qui embrasse l’univers. Blunst et le Rod bouclent cet album puissant avec «Look For A Better Way», énergie énorme à la Thunderclap Newman, le Blunster monte là-haut sur la montagne et balance une pop lourde de sens et de better way. C’est un peu comme s’il tartinait le firmament, il a le même genre d’ampleur que les Super Furry Animals et Mercury Rev, sa pop est une pop d’espace certain et ultime, te voilà grâce à lui au sommet des apanages.

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         Alors attention, voilà encore une grosse poisscaille : Breathe Out Breathe In. Ça date de 2011. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, t’es tanké par la magnifique attaque zombique du grand Blunst - And here let the story begin - Tu as Blunst & Rod again dans l’excellence miraculeuse. Et c’est rien de le dire. Même quand ils font des petits balladifs classiques et ultra-chantés («Any Other Way»), ils te stupéfient, surtout Tom Toomey lorsqu’il se met à gratter ses espagnolades. Gros clin d’œil aux Beatles d’«Hey Bulldog» avec «Play It For Real». C’est la même intro ! Exactement le même punch. Blunst fait sonner ses eeel - When you feel/ How you feel/ There’s no deal to reveal/ You just play for real - Et on assiste effaré à une nouvelle éclosion du génie zombique avec «Shine On Sunshine». Ce mix de pureté purpurine, de profondeur indicible et d’éclat marmoréen te bourre ta dinde. S’ensuit un «Show Me The Way» qui n’est heureusement pas celui de l’autre pomme de terre. Ouf, on l’a échappé belle ! Retour à l’heavy pop des Zombahs avec un «Another Day» un peu épique, mais bien colégram. Et on replonge dans l’enfer du paradis avec «I Do Believe» et une fantastique communion des vocalises, couronnée par un solo d’orgue du Rod. Pur pop genius, ils atteignent à une ferveur pop quasi spirituelle. Ça nous dépasse. Sur «Let It Go», le Rod joue de l’orgue d’église, c’est faramineux de classe de d’alluring allure.

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         Et puis tu as ce brave petit Still Got The Hunger quasiment passé inaperçu en 2015. Eh oui, qui va aller écouter un groupe de vieux crabes comme les Zombies ? C’est justement ces mecs-là qu’il faut écouter, pour peu qu’on soit encore à la recherche d’une certaine qualité. On se demande même parfois si aujourd’hui la qualité intéresse encore les gens. Enfin bref, revenons aux choses sérieuses avec «Moving On» - Aw one two three ! - Blunst t’explose le rock anglais. Il est bon de rappeler que le Blunster est un vieux punk. Il a toutes les mamelles du destin : le souffle, l’ampleur, la voix, le son, la légende. Les Zombies sont toujours à part. L’autre coup de génie de l’album se trouve vers la fin : «Now I Know I’ll Get Over You». Les carillons du souriant Tom Tooney fracassent le son, il rayonne dans une solace particulièrement prégnante. Le lard des Zombies repose sur un joli tapis de braises. Le Blunster chante encore comme un dieu, il n’a fait que ça toute sa vie, et le Rod passe l’un de ces wild solos de piano dont il a le secret. Il placarde dans les escaliers. Quelle vélocité ! Dans «Maybe Tomorrow», on retrouve tout l’entrain de «Lady Madonna». Le Rod pianote comme un démon d’Uriage et Blunst chante avec le gusto de John Lennon. On se régale encore d’«Edge Of The Rainbow», fabuleux, inventif, ambitieux, monté là-haut par le Blunster, véritable Sisyphe du rock anglais. Il pousse son rainbow à la force du poignet. «New York» ? Chant plein de plain-chant de pop pleine de plain-pied, c’est-à-dire de la pop énorme. Il faut le voir monter sur la crête de «Want You Back Again». Il te vrille ça en hauteur, un peu comme Ian Gillian au temps de «Child In Time». Encore de la belle pop d’unisson du saucisson avec «And We Were Young Again». On sent les influences de Paddy McAlloon et de Steely Dan. Cette belle aventure s’achève avec l’incroyable poids de la démesure de «Beyond The Border Line». Ça te tombe littéralement dessus. Ces mecs n’ont jamais renoncé à la grandeur.     

         Après le split des Zombies en 1969, le Rod monte Argent. L’occasion est trop belle d’aller voir ce qui se passe sous les jupes d’Argent, car le Rod est forcément un mec intéressant. Par contre, il ne se casse pas trop la nénette pour trouver le nom du groupe :

         — Tiens, les gars, Argent, c’est pas mal comme nom, non ?

         — Ah ouais, Rod !

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         Leur premier album sans titre sort en 1969. Bon, alors, l’Argent ne casse pas des briques. Ils proposent un peu de boogie down très m’as-tu-vu/tu veux ma photo ?, mais si tu veux casser trois pattes à un canard, il faudra repasser un autre jour. Comme le Rod aime bien l’orgue, il ne mégote pas sur le shuffle d’orgue pour embarquer la petite pop sans avenir de «Be Free». On n’est pas chez les Zombies. Pas de Blunst, pas de chocolat. Ils tentent de recycler le climax des Zombies avec «Schoolgirl». S’ensuit un «Dance In The Smoke» classique et relativement beau, mais pas renversant. Le Rod essaye de maintenir un niveau puissant et raffiné, il essaye de rester dans la veine des Zombies. Franchement, on aurait fait des économies en n’achetant pas cet album à l’époque. Le seul cut qui emporte la bouche se trouve là-bas vers le fond de la B : «Freefall». Le Rod tente le diable avec une Soul pop agréable et on sent enfin le fluide magique, le gros solo d’orgue est excellent. Comme quoi, ça vaut parfois la peine d’attendre.

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         On va dire que leur meilleur album est le Ring Of Hands, un Epic de 1970. Pourquoi ? Parce que «Rejoice», un joli balladif au charme beatlemaniaque certain, très White Album dans l’esprit. Avec cette pure merveille, le Rod approche de la vérité. Autre surprise : «Sleep Won’t Help Me». Là, tu finis par les prendre très au sérieux, car on croit entendre chanter Jack Bruce dans Disraeli. Même ambiance, avec en plus un solo de piano magique. Et coincé entre les deux, tu as «Pleasure», un petit coup de génie car cette fois le Rod fait de l’early Sparks et explose en bouquet d’harmonies vocales géniales, avec du shuffle d’orgue à tort et à travers. Le Rod prend ses grands airs. On l’ovationne. Tu as aussi le «Sweet Mary» qui vire gospel batch avec des tas de blackettes derrière. Comme le Rod est un fabuleux shuffler, il sauve l’heavy prog de «Cast Your Spell Uranus». Bon, c’est vrai qu’on est en plein dans les seventies, donc c’est logique qu’on tombe sur Uranus, mais on préfère l’Uranus des Pink Fairies. Encore de la prog musclée avec «Lothorian», c’est d’un haut niveau liturgique, bien calé sur ses fondations. Le Rod continue d’impressionner avec «Chained», une pop un brin bluesy et tu as une disto dans l’oreille droite. Ses grooves de bonne essence finissent par porter leurs fruits. Le Rod est un mec balèze.  

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         L’All Together Now paru en 1972 est nettement moins dense que son prédécesseur. Tu ne te régales que de «Be My Love And Be My Friend», un fantastique heavy groove. Le reste de l’album est un peu trop proggy pour être honnête, avec de temps en temps, des petits éclairs de boogie qui ne servent à rien («Keep On Rolling», «He’s A Dynamo»). Le Rod termine l’album avec un «Pure Love» en quatre parties. On se croirait chez Keith Emerson. On fuyait tous ces mecs-là à l’époque et on les fuit encore.  

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         Le Rod remonte bien le niveau d’In Deep, paru l’année suivante. Il a recours à une belle énormité, un «It’s Only Money» en deux parties. C’est du bon vieux heavy rock, bien pulsé en interne au shuffle d’orgue. Là, oui, tu as de la viande. Ils en font même un hit. Encore plus impressionnant, voilà le solide et tentaculaire «Losing Hold». Le Rod tape dans l’océanique. Il fait de l’Argent en acier chromé. Puis il va proposer un day of Jesus intitulé «Christmas For The Free», très bealtlemaniaque dans l’esprit. On croit entendre chanter John Lennon.

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         Nexus serre aussi en son sein une belle énormité : «Thunder & Lightning». Wow, ça rocke à l’anglaise déterminée, un vrai paquet de viande avec du tonnerre et des éclairs. Le Rod sait rocker sa chique. Le reste de l’album est assez proggy, et même proggy as hell : shuffle d’orgue et structure tordue. Ça devient vite insupportable, l’«Infinite Wanderer» est conçu comme une bacchanale, et ça part dans le nowhere land, on se demande ce qu’on fout là. Le Rod règne sans partage sur son petit univers proggy. Quand c’est pas ta came, c’est pas ta came. Aussi décision est prise d’en rester là.

Signé : Cazengler, zombite

Zombies. Begin Here. Decca 1965

Zombies. Odessey & Oracle. Repertoire records 2001

Zombies. Five Live Zombies. The BBC Sessions 1965-1967. Razor Records 1989

Zombies. The Return Of The Zombies. RCA 1990  

Zombies. R.I.P.  Varese Vintage 2015

Zombies. As Far As I Can See. Go! Entertainment 2004

Zombies. Breathe Out Breathe In. Red House Records 2011

Zombies. Still Got The Hunger. Cherry Red 2015

Argent. Argent. CBS 1969

Argent. Ring Of Hands. Epic 1970

Argent. All Together Now. Epic 1972

Argent. In Deep. Epic 1973

Argent. Nexus. Epic 1974

 

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Routes of Rock. Elles passent obligatoirement par la bonne ville de Troyes. Ne me demandez pas pourquoi. Parce que c’est comme ça, parce que le 3 B, parce que Béatrice la patronne. Remarquez ce soir, le 3 B n’est plus un bar, s’est transformé en une ère de lancements de fusées spatiales. Ne m’accusez pas d’avoir trop bu, je ne suis pas un zébu, j’ai même rencontré un équipage de cosmonautes, des portugais. Un jour cette soirée légendaire sera connue comme celle de la charge de l’abrigado légère. Enfin c’était plutôt de la cavalerie lourde.

TROYES - 17 / 05 / 2024

3B 

TEXABILLY ROCKETS

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Z’ont relégué Vincent tout au fond, c’est un peu le rôle des batteurs, mais là devant la porte de la cuisine faut tordre le cou pour l’apercevoir. Ne le plaignez pas, le Duarte ce n’est pas genre de gars à se laisser oublier. Les trois autres sont en ligne, n’ont pas laissé un interstice par lequel on pourrait tenter d’avoir la chance de l’apercevoir. Z’ont bien manigancé, le plus maigre au milieu et les deux serre-livres sur les côtés, un à droite, l’autre à gauche. Le Wildcat, le chat sauvage, au centre tout efflanqué, ils l’ont appuyé sur la big mama, tout de suite sa masse volumineuse a été multipliée par deux, puis ils ont fignolé, une casquette sur la tête et un micro posé devant lui, car on ne sait jamais. A bâbord Ruben attire les regards, avec la visière de sa casquette qui lui mange ses lunettes rondes, et ses larges anneaux de tringle à rideau qui  pendent de ses oreilles l’a un look improbable de boucanier qu’il réhausse de sa guitare qu’il tient très haut, pratiquement au ras du cou, mais le manche levé vers le ciel comme s’il visait les albatros baudelairiens qui se jouent des nuées. A tribord, Oscar Gomes, pas pour rien que dans sa vie civile il est un tatoueur chevronné, il sait accorder les couleurs, ainsi sa chemise hawaïenne à dominante bleue il l’a assortie à sa complémentaire, à l’orange cockranesque de sa Grestch. Jusqu’à l’avoir rencontré je croyais qu’il n’y avait que Lucky Luke qui tirait plus vite que son ombre.

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Je vous aurais avertis. Ne venez pas vous plaindre si vous courez les voir en concert. Le Gomez quand il met la gomme, il ne chôme pas, sur trente morceaux, il a fait trente fois le coup, il tire plus vite que lui-même, vous le guettez et à chaque fois qu’il va envoyer le riff, le riff est déjà dans vos oreilles, vous savez ces gars qui passent leur tête dans le nœud coulant afin de savoir l’effet que ça fait d’être pendu haut et fort comme dans les westerns et plouf la chaise sur laquelle ils sont montés s’effondre et les voici pendus pour de bon. C’est bête pour eux, mais pour nous c’est très bon car quand le riff d’Oscar court sur vous, le monde se métamorphose en rutilante folie contagieuse.

Premiers contaminés ses acolytes. Gomez a une électrique et Ruben une gratte. N’entend pas se laisser distancer, el Ruben, il gratte pour lui, il gratte pour vous.  Vous  soulève la guitara comme si elle l’était une danseuse étoile, lui plante les jambes dans les nuages puis lui triture sa tignasse cordique comme s’il voulait la scalper.

L’on se demande pourquoi le Wildcat s’encombre de sa big mama. Il s’en fout et contrefout. De tous les trois sets il ne lui a pas jeté un seul coup d’œil. Mais il doit l’aimer. Car il la châtie bien. D’une main tout en haut il lui malaxe spasmodiquement la gorge, un peu comme s’il était en train d’étrangler un boa constrictor, sans perdre de temps de sa seconde menotte spasmodiquement il frappe sur son abdomen toujours sans lui prêter la moindre attention.  Ne le traitez pas de chat fainéant, si le Wifdcat ne se préoccupe pas de son instrument mastodontique c’est qu’il est concentré sur le vocal. Les amateurs de rockab commencent à comprendre, le riff, le tchac-tchac de la gratte suivi un quart de seconde plus tard du tchac-tchac de la contrebasse – c’est leur manière à eux de reproduire la reverbe de Sam Phillps – plus le vocal-mitraillette, vous croyez tout comprendre, vous vous dites même qu’à leur place vous auriez carrément remisé l’inutile batterie dans la cuisine en prenant soin de refermer la porte à double tour.

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Le problème c’est que Vincent tient à se faire entendre. Il existe deux types de batteurs en ce bas monde, les rythmiques tout en subtile finesse et les grabugeurs qui tueraient sans regret père et mère pour que leurs parents en un dernier spasme auditif  se délectassent des tonitruances de leur rejeton préféré… Bref le Vincent, dans les Texabilly Rockets il joue le rôle des tuyères dispensatrices d’énergie. L’est le moteur rugissant qui précipite non seulement la vitesse mais aussi l’enivrante sensation de vitesse.

Répétons-le les Texasbilly ne viennent pas du Texas mais du Portugal, n’empêche qu’Alain, à qui vous devez l’existence de ce blogue, avait une théorie sur les guitaristes texans, qu’ils soient rock ou blues, ils tapent plus fort que tous les autres ricains sur leurs guitares affirmait-il, toujours est-il que nos Rocketsbilly semblent souscrire à cette règle alinienne, sur les trois premiers titres ils ont fait la différence, d’abord ils vous tuent sans rémission, ensuite ils tirent des bastos à effraction mentale. N'avaient pas commencé depuis trente secondes que les regards pétillants échangés entre connaisseurs en disaient long, l’alligator vorace du rawckabilly était parmi nous.  

Le Wildcat ne mâche pas son vocal, prononce peut-être l’anglais avec un accent portugais mais qu’est-ce qu’il le cause bien, vous détache les mots un à un comme s’il prenait un malin plaisir à distribuer des paires de gifles, vous claque salement le beignet et illico vous tendez l’autre joue, il accentue les angles et ne freine pas dans les courbes, course de crêtes en tête, montées et descentes à vitesse constante, pour les inflexions étrangement c’est la guitare d’Oscar qui s’en charge.  Plante le riff dans les nuées orageuses, un tonnerre jupitérien continu, Zeus tonne, lorsque vous vous y attendez le moins, c’est la grêle, des grêlons qui vous cisaillent la carrosserie et le visage, subito une dégelée de notes grêles vous transpercent le corps comme des flèches de Comanche sortis de leur réserve pour un raid meurtrier.

Le rockab a aussi des racines noires. Ruben dépose sa guitare et sort son harmonica. Ruben El Pavoni souffle comme le paon déploie sa roue parsemée des cent yeux inquisiteurs d’Argus, il ne souffle pas, il siffle d’interminables piallements déchirants de locomotives à vapeur qui intiment aux bisons l’ordre d’aller pâturer hors des rails, les trois autres le rejoignent et l’on entend le vieux shuffle du blues, écailles rythmiques arrachées à la cuirasse  des crocos tapis dans les profondeurs troubles des bayous…  Parfois le rockab virevoltant trahit l’originelle noirceur prédatrice de nos âmes.

Plus que tous les autres batteurs vus sur scène j’ai envie de dire que Vincent joue des pieds et des mains, l’a une extraordinaire manière de piaffer du talon tel un étalon colérique, pour perturber sa charleston, la secoue comme un prunier, la maltraite avec une énergie rancunière, avec lui c’est Brando dans Missouri Breaks à tout instant.

Je n’insiste pas, si vous n’êtes pas totalement idiot vous avez compris que les Rockets nous ont précipité par trois fois en orbite haute autour du soleil. Trois sets de rêve, trois ouragans destructeurs dont personne n’est ressorti indemne. Les filles qui dansent, les gars qui s’accrochent au bar pour ne pas être emportés par la tourmente, les amateurs scotchés sur le groupe comme un poulpe sur son rocher. Une des grandes soirées du 3B, profitons de l’occasion pur faire coucou à Duduche, Billy, Christophe, Jean-François… et remercier encore une fois pour cette soirée explosive.

Damie Chad.

 ( Deux images live empruntées à des vidéos de Rocka Billy )

*

Je viens d’apprendre quelque chose, moi qui croyais tout savoir, en anglais ‘’ember’’ ne signifie pas ‘’ambre’’ mais braise. Soyons franc, au moment où je m’en suis aperçu, braise ou ambre je n’en avais rien à faire, mon esprit était ailleurs subjugué par la pochette du deuxième EP du groupe  Conquerors of the Ember Moon à tel point que je me suis dépêché de regarder la couve de leur premier EP, qui n’avait rien à voir avec la seconde, étrange, très étrange, cela méritait enquête approfondie.

Déjà, je dois signaler une erreur dans le paragraphe initial : Conquerors of the Ember Moon n’est pas le nom du groupe. Pour faire simple nos Conquérants (tout de suite l’on pense à José-Maria de Heredia et à son sublimissime recueil Les Trophées) sont une plateforme de musiciens, qui se regroupent ou pas, selon affinités, pour enregistrer une œuvre précise. Ne sont pas très diserts nos aventuriers musicaux, ne donnent aucun détail, ni leurs noms, ni leur origine. Se contentent de spécifier que de tous leurs enregistrements, si particuliers soient-ils, se dégagera une sinistre intensité. Brr ! On s’en doomtait !

1. 1

CONQUERORS OF THE EMBER MOON

(Album numériqueBandcamp / Novembre 2023)

Les titres ne nous aideront guère à cerner le projet, scrutons avec attention la pochette. Un paysage. Pas  une vallée verdoyante. Au dix-neuvième siècle l’on employait le mot ‘’romantique’’ pour désigner des paysages de montagne désolés.  Par la suite l’adjectif a été appliqué aux poëtes tourmentés… Une forêt de sapins dans  la tempête, des tronc brisés, des branches décharnées, un épais tapis de neige sur le sol, rien de bien avenant. L’on remarquera  la lettre gothique B estampillée dans un cercle dont la blancheur se confond avec la neige.

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Intro : Le vent souffle, il emporte vos oreilles, c’est à peine si à certains instants l’on discerne d’incertains fracas d’arbres abattus, peut-être sont-ils seulement psychologiquement suggérés par le fond symphonique mélodramatique qui accompagne sans jamais se laisser ensevelir par le souffle tempétueux, l’on a envie de dire que cette modulation traumatique  nous fait entendre la plainte habituellement  inaudible de la nature qui souffre sans gémir sous les coups de bélier des éléments. I : discordance sonique à la première note de ce morceau, vos oreilles grincent, heureusement que la touffeur de la batterie s’en vient enrober cette nuisance, le vent souffle toujours mais nous ne sommes plus comme à l’abri  sous le souffle du vent mais au cœur de la tempête, nous chevauchons les chevaux de l’ouragan,  des chœurs de marins embrasent la violence, la batterie frappe sans arrêt, cataclysmismique le son reflue sur vous et vous enveloppe, des guerriers perdus dans l’hurricane chantent, les scaldes scandent le refus de l’acceptance, il faut faire front, le souffle des voix se mêle aux monstrueuses rafales apocalyptiques, le monde est devenu une infernale course cahotante, jusqu’au bout d’on ne sait trop quoi, vous ne vaincrez la tempête que si vous-même vous devenez tempête, mais le vent souffle encore plus fort, plus un bruit, si ce n’est cette pompe refoulante de l’air fou qui vous submerge et vous condamne au silence. II : encore plus fort, plus violent, plus d’espoir si ce n’est l’indomptable courage de vouloir survivre à tous prix, vous ne tenez plus debout, vous glissez, vous n’avancez pas, vous êtes poussé, ne sont-ce pas les voix des arbres qui hurlent pour se donner du courage, pour se soutenir, pour relever la tête, malgré tout, malgré rien, front contre front, deux taureaux qui se font face, l’élément intérieur qui ne veut pas céder et l’élément extérieur qui désire vous briser, vous pénétrer, en finir avec vous, avec tout, comme une rémission, un raidissement, et puis l’affaissement, le vent seul qui souffle et vous qui vous taisez, sans fin, parce que n’avez plus rien à dire. Le vent hennit sa victoire sur les crêtes des montagnes. III : tumulte de l’inéluctable, la bête grogne, la batterie avance imperturbablement, les ennemis vont s’affronter, tout se précipite, presque un rythme de danse, ça tohu-bohute, ça se catapulte l’un contre l’autre, combat de titans, l’un doit céder, mais si l’extérieur entre dans l’intérieur il deviendra lui-aussi intérieur, vision glissante de cauchemar comme des hordes d’avions bombardiers dans le ciel, c’est le split final, celui qui ne finira jamais, la guerre n’est que la continuation de la paix sous une autre forme, ça tangue dur, mais si l’intérieur sort de lui-même il sera métamorphosé en extérieur, quelle cacophonie, inutile de psalmodier la prière des morts devant les tombes qu’elles soient ouvertes ou fermées, vides ou pleines à ras-bord, tout ce qui est inutile est utile et vice-versa, le vent encore le vent, il siffle pareillement dans les oreilles des morts et des vivants, il est des symphonies qui sont des linceuls qui vous enveloppent plus chaleureusement que le sang chaud qui gicle de vos blessures, le vent ne souffle plus, la symphonie bruit, elle persiste, a-t-elle gagné contre le bruit, le vent ne souffle plus, il reprend son souffle, rien ne semble aller de soi à soi-même, il ne reste que des éclisses d’arbres, des décombres ou des semences, nous ne savons pas, nous ne savons rien, ce morceau n’en finit pas, certainement parce qu’il n’y a pas de fin possible à ce qui est et à ce qui n’est pas. A ce qui n’est plus.

         Superbe. Ils ont traduit une image en musique. Ils ont  expliqué comment le rêve d’une chose peut devenir le cauchemar d’une autre.

2. 1

CONQUERORS OF THE EMBER MOON

(Album numériqueBandcamp / Novembre 2023)

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Enfin la couve qui a suscité mon intérêt pour ces conquérants de la lune  de braise.  Une  glauque reprise sous forme d’un monochrome vert de L’apparition fameux tableau de Gustave Moreau (1826 - 1898) illustrant une des scènes les plus érotanathiques des Evangiles, Salomé fille d’Hérodiade l’épouse du roi Hérode danse nue devant son beau-père, en récompense elle demande la tête de (Saint) Jean Baptiste qui a insulté sa mère… Les picturales rêveries érotiques de Gustave Moreau se sont vraisemblablement abreuvées à la scène d’Hérodiade, poème majeur de Stéphane Mallarmé.

Encore pratiquement invisible, la pochette offre une lettre gothique encerclée, cette fois un ‘’ S’’. La signification de ces monogrammes me pose question. Seraient-ce les initiales de Bismuth et Stibine noms des minéraux mercuriels et alchimiques...

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I : facture sonore totalement différente de l’EP précédent qui pourrait être qualifié de symphonique, sur celui-ci nous sommes en présence d’une structure heavy metallique sans complexe :  sans doute vaut-il mieux se rapporter au tableau de Moreau que de se fier à l’interprétation de la pochette qui ne rend pas justice au sentiment de malaise hiératique que provoque la vision d’une telle image, l’introduction monumentale est à la hauteur écrasante de l’architecture prodigieuse dans laquelle se déroule l’apparition.  Il importe de prendre mesure de l’évènement, nous ne sommes pas dans un riche palais aux écrasantes dorures, mais ailleurs dans une image fantasmagorique de nos représentations les plus orgiaques, non pas dans un château royal, qui serait d’une aune par trop humaine, mais dans une demeure mythologique digne de l’Atlantide ou des Dieux. Qui n’a jamais habité ( comme moi ) dans une ville dont la vie était rythmée par le bruit assourdissant d’un marteau-pilon  qui vous baignait sans arrêt, jour et nuit,  dans l’assourdissance écrasante de sa palpitation outrancière, ne pourra jamais se faire une idée de la lourde et lente marche des géants qui peuplaient la terre il y a très longtemps, avant que Zeus ne les frappât de sa foudre et n’arrêtât l’inéluctable, d’ailleurs ce ne sont pas des paroles humaines que l’on entend mais des cris de chouettes prophétiques et des hurlements sans fin de foules anonymes écrasées sous des pieds géants, jusqu’à ce tintement des cordes de la joueuse de luth qui accompagne la danse d’Hérodiade et ce chuchotement des âmes exacerbées par la beauté de la nudité de la danseuse parée de joyaux opalins incapables de rivaliser avec la splendeur candide de sa peau… II : grincements, poulies, filins, musique en sourdine, il ne se passe plus rien, ou si peu, le corps de la danseuse boit et absorbe les regards qui se posent sur les dunes, sur les lunes, sur les runes,  sur les mouvances de son corps, l’on parle à mi-voix comme  l’on rêve les yeux à demi-fermés pour profiter et de la clarté de la beauté épandue dans le monde et de la pénombre inavouable des songes prédateurs. III : orage tumultueux au grand jour, hurlements de terreur, tout se mélange, non pas une apparition mais deux, celle de la beauté de la ballerine, et celle de cette tête sur le mur, l’une est soleil et l’autre est la lune, la lune désigne l’autre, regardez ceci est mon sang, non pas celui enfermé dans les canaux secrets de mes chairs, et l’autre urgescent, dégoulinant, giclant d’une façon dégoûtante, malgré cette voix de prêtre pontifiant qui essaie de retenir le scandale du monde, maintenant ici tout n’est que luxe, vacarme et volupté turgescente coupée au ras du col, la marche des géants reprend, une guitare se souvient qu’elle est dans un groupe de rock, chacun fait ce qu’il peut pour tenter de trouver une attitude qui soit conforme à cette projection intérieure du soleil du désir sur le mur de roches cyclopéennes, la bête est sortie de son antre, la vierge projette ses émois sur la paroi, l’insoutenable se résorbe dans les résonnances cordiques du luth, un temps en suspension, entre ce qui était celé et qui maintenant est révélé, la voix devient spasme aquatique des profondeurs conscientes, la musique se précipite, joue-t-elle au maçon qui essaie de recouvrir de sa truelle de mortier honteuse la face sanglante, la découpe du chef sur le mur, d’ailleurs qui parle et qu’elle est cette langue, celle de la mise à mort, ou celle bestiale qui s’affiche au vu et au su de tout le monde, tandis que la petite musicienne envoie quelques arpèges de son luth.

         L’ensemble est magnifique. Une page blanche ouverte à tous les verbiages bonimenteux de l’imaginaire.

         Ces conquérants m’ont conquis. Pleine lune !

Damie Chad.

 

 

*

Ça sentait l’avoine. Depuis que je suis tout petit j’adore cette céréale. Exactement depuis le jour où j’ai découvert le mot avenière dans le vieux Larousse familial. C’est un mot que je qualifierais de verlainien. Vous le prononcez, il ouvre les portes du rêve. En plus une nouveauté recommandée par Mister Doom 666, avec lui vous ne savez jamais où vous mettez les pieds, souvent là où vous n’auriez jamais eu l’idée de les poser car ça grouille d’alligators affamés, en dédommagement et en règle générale vous n’êtes jamais au bout de vos surprises.

AVEROIGNE

ARCANIST

(Yuggoth Records / Mai 2024)

J’ai commis une erreur : j’ai cru qu’ils étaient américains puisqu’ils se réclamaient de Providence in Rhode Island. Mais non, c’est leur maison de disques qui niche là-bas dans cette cité providentielle qui abrita Edgar Poe et Lovecraft. Difficile de faire mieux. Difficile de faire pire. Selon vos appréhensions personnelles barrez la mention  qui ne vous convient pas. Par contre ils sont français, soyons fraternel écoutons-les. Toutefois ne nous embarquons point sans biscuits.

Arcanist. Tout de suite l’on pense à Oscar Vladislas de Lubicz Milosz et à son recueil Les Arcanes. Arcaniste fleure bon l’ésotérisme et même l’alchimie. Plus exactement la pratique alchimiste. L’arcaniste est le personnage qui se tient entre le spagyriste paracelsique et le souffleur de verre, entre Bernard de Palissy et le raccommodeur de porcelaine, deux arts du feu, dont l’ignition soutenue et contenue, condense ou vaporise les divers états de la matière élémentale. L’arcaniste connaissait les secrets de la délicate cuisson des porcelaines, et d’autres encore, mais ceci est une autre histoire. Un opérateur. Pour employer un autre mot qui étymologiquement colle tout aussi bien à chef-d’œuvre qu’à grand-œuvre.

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         Averoigne, un mot qui avoisine l’avoine et l’Auvergne, bingo il s’agit du titre d’un livre Averoigne & Autres mondes, publié en 2019 dans la collection Helios des Editions Mnémos, éditeur d’imaginaires depuis 1996, spécialisé en SF, Fantasy, et Lovecraft.  Quel hasard démoniaque ! Serions-nous sur la Dagonale du fou ! d’autant plus que le nom de l’auteur Clark Ashton Smith (1893 – 1961) n’est pas inconnu chez les sectateurs de Cthulhu, il fut un proche du Maître de Providence. Smith était un admirateur de Baudelaire, qu’il traduisit, et d’Edgar Allan Poe.  Tout de suite ce goût pour la beauté de l’horreur vous classe parmi les individus supérieurs. Je dis cela uniquement parce que Baudelaire et Edgar Allan Poe sont pour moi de véritables phares émetteurs d’une lumière noire inaltérable.  Autodidacte, il se fait remarquer par un style luxuriant et coruscant, il fait partie de ces solitaires qui vivent à côté du monde marécageux, en ses limites extrêmes où rêve et réalité se confondent… Son imaginaire le transporte très loin dans l’espace et le temps. Les contes d’Averoigne se déroulent dans une Auvergne médiévale du douzième siècle, je recopie sans vergogne la présentation de l’éditeur que je vous invite à visiter : ‘’ Clark Ashton Smith imagine une contrée mystérieuse où monastères et cités aux murs crénelés ont émergé des antiques ruines romaines, où des légendes préchrétiennes prennent corps dans la vaste forêt centrale, où la cathédrale impressionnante de la cité de Vyones domine les esprits et où une famille noble voit ses pouvoirs disparaître, entre corruption et magie noire.’’.

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         Non ce n’est pas fini, les gloutons ne se jettent pas uniquement sur les gâteaux. Les galutres n’oublient jamais de dévorer l’emballage du paquet. Cette fois, nous sommes gâtés, à tel point que j’ai longuement hésité, allais-je consacrer cette kronic au disque d’Arcanist ou à l’œuvre de Matthew Jaffe. Quelle couve et quel artiste, la visite de son instagram est obligatoire. Cette couve ne se regarde pas, elle se médite. N’ouvrez pas vos yeux, ils sont vides. La force n’est pas en vous. C’est elle qui vous regarde. Sans vous voir.

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Rendez-vous en Averoigne : chants d’oiseau, c’est pour l’ambiance, des gouttes d’eau de synthé tombent une à une bientôt relayées par d’amples froufrous mélodiques, ces notes décharnées introduisent-elles le soupçon d’une inquiétude, le ciel se voile, la brume mugit dans sa corne, le vent se lève, une voix commence à lire l’histoire d’Averoigne ‘’ c’était un endroit vide de toute vie et absolument désolé où les charognes auraient conté fleurette au démon, les cieux tant tristes gris que les cadavres semblaient n’avoir jamais connu le soleil’’, le récit n’ira pas plus avant, ce serait inutile, la musique se voile d’une infinie tristesse, de grandes orgues héroïques retentissent, l’on ne sait rien de ceux qui viennent, mais il n’est pas besoin de messager pour nous demander de nous écarter, il est des choses qui se comprennent avant de les savoir, la musique s’achève lentement comme ces linceuls que l’on ne finit pas de plier et replier sur eux-mêmes. The holliness of Azederac : les titres sont ceux de certaines des histoires qui forment le livre Averoigne. L’histoire d’un saint homme. Enfin c’est ce que l’on raconte. Dans son passé il n’a pas toujours suivi de près les enseignements des  Evangiles, ne médisons pas, quand est-ce que les choses ressemblent vraiment à ce qu’elles sont, le mensonge n’est-il pas un marqueur de vérité, je vous laisse réfléchir, concentrons-nous sur la musique. En tout cas, le carillon pétille de joie, l’on a envie de danser la bourrée, elle est bien auvergnate mais le rythme guilleret ne serait pas conciliable, accélération tintinnabulesque, la joie nous envahit, attention il se passe quelque chose, est-ce que la fantaisiste carmagnole tournerait au vinaigre, une ombre passe, serait-elle l’aile de l’Ange Déchu, tiens une éclaircie mais l’on a perdu de l’allant, quel est ce pas lourd et claudiquant qui résonne seul dans l’espace sonore, l’on se croirait à la fin de Don Juan de Molière, ce glas qui sonne vous transperce l’âme, pas de panique il s’égrène en notes apaisantes, l’on s'imaginerait au pied de sa dame à lui chanter des doux vers à la Tristan et Yseult, que voulez-vous l’amour n’est jamais simple, à croire que la fin est déjà programmée à peine débute-t-il, profitons de l’instant qui passe et trépasse en incertains échos de chanterelle et chantefable. A night in Mauneant : ce récit ne fait pas partie du recueil d’Averoigne mais Clark Ashton Smith l’a rédigé dans les jours qui ont suivi l’écriture de End of the Story.  Un bruit qui vient de loin, peut-être du néant à moins que ce ne soit le néant qui provienne du bruit, il faut bien remplir le vide d’une manière ou d’une autre, l’est sûr que l’on nous raconte une histoire qui est déjà terminée et dont on ne saura rien, torsades de faux-violons, et clavier non tempéré, l’on a cru à un crescendo infini, ce n’est pas tout à fait cela, l’on arrive après la bataille qui n’a jamais eu lieu. Des notes comme des hoquets de pianos assortis de sortilèges quasi orientaux, l’on meuble le silence d’une pièce vide, peut-on remplir le vide, n’est-il pas comme un trou noir qui dévore le monde non pas jusqu’au trognon mais jusqu’à la pensée du monde. La musique serait-elle un divertissement pascalien qui s’effiloche en longues notes qui ne veulent pas mourir, qui s’enlacent longuement à vous pour que vous les reteniez au minimum pour l’éternité. Une voix s’élève, est-ce celle de la statue de sel devant Sodome et Gomorrhe.

End of the story : écoutez l’histoire sans fin qui a une fin, un beau conte de facture classique, celle de la tentation, par la plus belle des femmes qui tient somptueuse demeure dans les ruines d’un château maudit, on l’a prévenu, on l’a supplié, on l’a sauvé une fois, mais il est reparti, on ne l’a plus jamais revu. Mais que n’aurait-il pas fait pour retrouver la femme serpent, car la femme qui a été tentée par le serpent était le serpent lui-même. Ne pas confondre lamie et l’amie. L’histoire est cousue de fil noir, comme quelques notes d’un luth caressé par mégarde. Même pas quatre minutes. Cela ne vaut guère davantage. Chaque homme dans sa nuit, se dirige vers sa propre lumière. Souvent éteinte. Toute lumière n’est-elle pas aveuglante. The Colossus of Ylourgne : (Part I) : 1 : The flight and the Necromancer / 2 :The gathering of the dead  / 3 : The testimony of the monks  / 4 : The going forth of Gaspard du Nord : une musique venue d’ailleurs, aux relents sombres, sourire de flûtes, est-il nécessaire d’en rajouter, l’histoire du Nécromant se suffit à elle-même, voici les chœurs, les dies irae et les tentures noires de  l’orgue, c’est un maître, ses élèves se pressent autour de lui, que leur apprend-il, que retiennent-ils… oui il œuvre à sa survie, car tout homme est mortel, d’ailleurs le cimetière est rempli de morts, pourquoi certains d’entre eux font-ils éclater de l’intérieur le bois de leur cercueil, quelle force terrible les anime, quelle étrange énergie les habite, d’habitude les morts ne bougent pas, la musique ne les berce-t-elle pas, elle sait se faire si douce, les moines de l’abbaye voisine ont suivi le Nécromant et ses disciples, ils sont maintenant tous réunis dans la forteresse démantelée d’Ylourgne… l’élève préféré Gaspard du Nord n’a pas suivi le Maître, il subodore, au travers d’un miroir magique il essaie d’entrer dans les pensées du Maître, le visage du Maître apparaît mais demeure impénétrable. La musique éclate, le drame se précise. The Colossus of Ylourgne : (Part II) : 5 : The horror of Ylourgne  / 6 : The vaults of Ylourgne  / 7 : The coming of the Colossus / 8 : The lying of the Colossus : étranges bruits qui recouvrent de troubles affairements, non ils ne s’affairent pas à de vils agissements d’ordre inférieurs, les tâches subalternes ne sont pas pour eux, ils ne pétrissent pas un corps avec de la terre, ce genre de besogne trop facile ils la laissent à Dieu, eux ils se servent de matière vivante, avec la chair des morts qu’ils arrachent aux cadavres ils constituent un nouveau corps… Gaspard du Nord aimerait bien s’interposer, il accourt, tant pis pour lui, il sera enfermé en un sombre cachot, il l’explorera, il désespèrera mais finira par trouver une issue, la voix du conteur que l’on n’avait plus entendue depuis le premier morceau reprend la parole, il avertit quelque chose va survenir, plus terrible que la peste… la chose est là monstrueuse, un monstre, un colosse, aussi haut qu’une tour, une force qui va, une force qui écrase, pour le moment il ne prend pas garde aux humains qui fuient devant lui, l’en écrase deux sur un mur  sans trop penser à mal, la musique prend une ampleur insoupçonnable, que veut-il, et qui pourrait l’arrêter. La foule affolée se précipite dans la cathédrale, l’être satanique ne supporte pas la demeure de Dieu, il la détruira, l’édifice et les misérables chrétiens réfugiés à l’intérieur, qui l’arrêtera sinon Gaspard, il est monté tout en haut du clocher et quand le géant s’approche il lui jette au visage une poudre alchimique, la même qui a permis de lui donner vie et qui maintenant lui donnera la mort. Le colosse titube, il ne sait plus que faire, les cimetières sont trop petits pour lui, il finira par creuser sa propre tombe, s’y coucher et se couvrir lui-même de terre.

         Dark ambient, certes mais la musique est beaucoup plus ambient que dark. L’on imagine la rutilance de  l’orchestration qu’un groupe de heavy metal se serait permise sur une telle légende. L’électro synthétique est à mon goût un peu trop monocorde, trop monotone pour avoir droit à l’épithète  de prog. Dark metal si vous voulez, mais je qualifierais l’ensemble, tout de délicatesse et de nuance, de folk, ce qui ne saurait être un contresens puisque la musique transforme cette longue nouvelle en un conte merveilleux.

         Le lecteur aura remarqué dans Le Colosse d’Ylourgue des éléments empruntés au Frankenstein de Mary Shelley et au roman Le golem de Gustav Meyrink. Deux œuvres proches de l’univers de Matthew Jaffe. Son Instagram   sans faute !

         Peu de renseignements sur les membres d’Arcanist. Leur Instagram est bien chiche, le duo semble constitué d’une fille et d’un garçon. Ouf ! ils ont respecté la parité !

Damie Chad

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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(Services secrets du rock 'n' roll)

Death, Sex and Rock’n’roll !

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L’écran était parcouru de vives couleurs, pour le moment l’on ne discernait rien de précis mais au bout de deux minutes il apparut clairement que les couleurs se regroupaient en certaines zones en des taches de grandeurs variables, bientôt il devint évident qu’elles s’affinaient, qu’elles épousaient des formes encore peu reconnaissables, quelques minutes plus tard, il apparut que des silhouettes humaines commençaient à se dessiner, le plus étonnant c’était  qu’elles occupaient toute la surface disponible, pas un seul espace de vide, ne serait-ce que quelques centimètres carrés, les individus n’arrêtaient pas de bouger, de changer de place, sans s’interpénétrer, sans se bousculer !

John Deere prit la parole :

         _ Cet appareil n’est qu’un prototype, dans quelques semaines nos laboratoires nous procureront  une machine qui fonctionnera en trois dimensions, celle-ci n’est pas plus performante qu’une simple feuille de dessin qui n’aurait pas encore appris les règles de la perspective. Ce ne sont pas des individus serrés comme des sardines dans leur boîte que nous voyons, mais une grande place remplie d’une foule immense.

Le Chef alluma longuement un Coronado avant de déclarer :

         _ Je ne pense pas que vous nous ayez fait venir pour admirer un mauvais écran de télévision, à priori la vision d’une foule sur une place publique ne doit pas inquiéter une institution comme la CIA, d’autant plus que ces gens-là n’ont pas l’air de manifester, de demander la démission du Président des Etats-Unis, voire de brûler des drapeaux américains.

         _ Nous préfèrerions, au moins nous saurions comment réagir !

Jim Ferguson avait l’air d’avoir vieilli de plus de dix ans.

         _ Au bas mot, selon nos spécialistes il doit y avoir là au moins cent mille personnes. Ce phénomène d’attroupement est assez courant dans nos sociétés modernes, le problème n’est pas là. Cet écran photonique est multi fonctionnel, il est capable de nous donner, à la façon d’un GPS, mais d’une manière ultraprécise, les coordonnées du lieu où se déroule ce rassemblement. Savez-vous où s'articule le spectacle que nous observons ?

Ferguson ne nous laissa pas le temps de répondre :

         _ Dans une cloison de cette maison devant laquelle nous avons dû secourir l’agent Chad !

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Le Chef avait pris la tête du groupe d’intervention, Molossa et Molossito devant, dûment chapitrés, truffes au vent, flairant l’air de toutes leurs forces, les deux courageuses bêtes étaient suivies par Doriane et Loriane, sous notre garde rapprochée, Jim Ferguson et John Deere nous talonnaient chacun d’eux commandant une file d’agents, rien qu’à les voir, l’on sentait des gars aguerris prêts à tuer leur mère pour gagner un demi-dollar.

La pièce centrale était plongée dans le noir. Nuit sans lune, ciel nuageux sans étoiles, les équipes de la Cia étaient intervenues, tous les lampadaires de la rue étaient éteints. Le Chef appuya sur un interrupteur. Nous nous postâmes devant le plus grand des murs. Il n’y avait rien à voir. Molossito grogna faiblement.

Nous attendîmes près d’un quart d’heure avant de percevoir un bruit très faible. D’abord des frôlements incessants, peu à peu ils se transformèrent en un léger tambourinement, il devint bientôt évident que des milliers de personnes étaient en train de marcher. Au centre du mur une tâche noire se forma. Lentement elle ne cessait de grandir.

Maintenant elle recouvrait le mur, bientôt nous pûmes discerner les individus, visages inexpressifs, disposés en lignes, marchant à grand pas vers nous.

Le Chef alluma un Coronado :

         _ Manifestement ces cocos ne viennent pas pour nous souhaiter la bonne année, pour ceux qui n’auraient pas compris, nous ne sommes pas en train de regarder un film, ils viennent pour nous tuer, que personne ne tire avant que je n’aie relâché un panache de fumée blanche !

J’ignore comment le Chef s’y prit, mais une demi-heure plus tard, un large triangle blanc s’échappa du Coronado, il ressemblait à la calotte blanche des neiges éternelles qui coiffent le sommet du Kilimandjaro.

Le premier rang était tout près de nous, quatre à cinq mètres, nous fîmes feu sans hésiter, ils tombèrent sous nos balles, phénomène étrange ils s’affalaient à terre et disparaissaient aussitôt remplacés par un nouveau rang, leurs corps s’évanouissaient oui, mais pas leur sang qui coulait sur le plancher de notre salle. Au bout d’une heure nous pataugions dans des ruisseaux de sang, Molossa et Molossito s’étaient régalés à laper ce sang frais et chaud, sans doute leur âme entrait-elle en communion avec le passé préhistorique des meutes de loups qui mordaient à pleines dents dans les chairs du dinosaure qu’ils avaient réussi à tuer… Sommes-nous aussi porteurs dans nos gènes de la mémoire de nos luttes archéolithiques que notre espèce avaient dû mener pour anéantir les araignées géantes dont nous étions les proies préférées…

Faut avouer que question armement les ricains assuraient. Nos rafalos n’avaient pas le temps de devenir brûlants que déjà une unité logistique les remplaçait et nous fournissait munitions à foison. Par contre ils n’avaient pas pensé à tout, le sang nous montait aux genoux, des bottes fourrées nous auraient été fort utiles, Doriane et Loriane qui au début avaient pris les choses du bon côté, elles s’amusaient  à tremper leurs doigts dans le sang pour souligner d’un rouge à lèvre écarlate leurs lèvres pulpeuses, commençaient à fatiguer.

Le combat ne cessa pas faute de combattant, le torrent de sang devint si haut et si puissant que nous dûmes refluer devant son écoulement…

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Nous avions regagné le local. Doriane et Loriane exténuées par les émotions s’étaient endormies tenant Molossito et Molosa entre leurs bras. Le Chef avait allumé un Coronado, on aurait dit qu’il rêvassait. Moi qui le connaissais bien savait qu’il n’en était rien, je ne fus pas surpris lorsqu’il m’interpella vivement :

         _ Agent Chad nous n’avons jamais connu une situation aussi dramatique !

         _ Chef, que vient faire la CIA dans cette affaire ?

         _ Quelle affaire, Agent Chad ?

         _ Celle qui nous préoccupe !

         _ Laquelle ?

Sur le moment je crus le Chef victime d’un coup de fatigue mais avant de répondre j’eus le bon réflexe, le Chef est infatigable sans quoi il ne serait pas le Chef, je tournai donc sept fois mon intelligence dans mon cerveau, je recommande d’ailleurs à nos lecteurs qui jugeraient cet épisode de nos aventures totalement loufoque d’agir de même, à condition qu’ils soient en possession des deux ingrédients nécessaires à cette opération, en effet la population terrestre ne se partage-t-elle en deux grands groupes majoritaires ceux qui possèdent une intelligence mais pas de cerveau et ceux qui ont un cerveau mais pas d’intelligence. Seule une minuscule minorité peut se vanter d’être pourvue de ces deux outils indispensables à toute réflexion… mais ne nous égarons pas, nous poursuivrons cette réflexion philosophique sur l’état mental de nos concitoyens une autre fois…

         _ Ainsi Chef vous pensez comme moi, vous pensez que nous courons pour parler comme Jean de La Fontaine, deux lièvres à la fois…

         _ Une évidence Agent Chad, je m’attendais à davantage de pertinence de votre part. Bien sûr d’un côté nos passeurs de murailles qui traversent les murs sans trop savoir pourquoi, si ce n’est pour se livrer à quelques cambriolages de haut-vol qu’ils n’ont même pas eu le temps d’entreprendre… nous les avons probablement tous éradiqués, leurs hommes de main et cette Cheffe que Loriane a prestement et proprement abattue. Comme si une femme pouvait accéder au grade de Chef !

Le Chef haussa les épaules et alluma un Coronado :

         _ Non Agent Chad, vous connaissez mon instinct, il ne me trompe jamais, Jim Ferguson est certainement très sympathique mais j’ai l’impression qu’il essaie de nous mettre sur le dos l’affaire de cette étrange maison, plus j’y réfléchis, lorsque vous avez été happé par une force inconnue devant la grille d’entrée, tout votre chemin était coordonné par la CIA, le croc-en-jambe, les enfants de l’école et tout le reste n’a été qu’une manipulation de bout en bout, ils nous attendaient, une mise en scène pour nous refiler le bébé de la maison entre les pattes, Agent Chad, cette affaire sent mauvais, je ne présage rien de bon pour les jours qui viennent.

Evidemment le Chef avait raison. L’avenir nous le prouva.

A suivre…

 

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