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doum doum lovers

  • CHRONIQUES DE POURPRE 687 : KR'TNT ! 687 : DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM / TERRY MANNING / ISAAC HAYES / DARRELL BANKS / LITTLE RICHARD / TELESTERION / CONIFER BEARD

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 687

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 04 / 2025

     

    DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM

    TERRY MANNNING / ISAAC HAYES

    DARREL BANKS / LITTLE RICHARD  

     TELESTERION / CONIFER BEARD

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 687

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Doum Doum Doum Doum

    (Part Two)

             L’avenir du rock boit un coup au bar. Boule et Bill déboulent.

             — Ça va, avenir du frock ? T’as la trique ?

             — Da da !

             — Tu parles allemand, maintenant ? Tu sais bien qu’on peut pas schmoquer les boches... C’est pour nous provoquer, dis ?

             — Di di !

             — Dis-voir Boule... Franchement, t’as déjà vu un mec aussi con que l’avenir du toc ?

             Boule ricane un coup et lance :

             — Ah tu peux dire qu’y bat tous les r’cords, c’t’av’nir de mes deux... Sur la tête de ma mère, y a pas pire locdu ! C’est-y pas vrai, av’nir de mes couilles, qu’t’es un locdu ?

             Bill ajoute aussi sec :

             — Tiens j’te parie qu’y va t’répondre ‘du du’ !

             En plein dans le mille...

             — Du du !

             — Y nous prend vraiment pour des bidons !

             — Don don !

             — À part sortir ses petites conneries à la mormoille, y sait rien faire d’aut’ !

             — J’te parie qu’y va nous brancher sur les Dum Dum Boys et des Doum Doum Lovers... Tu vois pas qu’y prépare le terrain ?

             — Alors av’nir du kraut, t’en connais d’autres des Lovers machin ?

             — Everly Lovers !

     

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             Un an après un premier concert dans l’Eure, tu retrouves les Doum Doum Lovers sur scène dans la salle des fêtes du trou du cul du monde, quelque part dans l’Eure. T’en reviens pas de voir un groupe aussi bon se produire si loin de la civilisation. Et du coup, t’en conclus que c’est tant mieux. L’underground est sain et sauf, il respire le bon air de la campagne. T’es tout de suite frappé par l’énergie des Doum Doum. Non seulement elle est restée intacte, mais elle a prospéré. Kinou bat de plus en plus sec et net, et Jean-Jean rocke le boat comme Popeye the sailor. À deux, ils restituent l’extraordinaire exubérance du rock sixties - le temps de l’innocence - ils remettent du rose aux joues de cette vieille mythologie éculée par tant d’abus, ils redonnent du sens à la nostalgie, mais avec un punch qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. S’il fallait les résumer en deux mots, ce serait fraîcheur de ton et brio. Leur set passe comme une lettre à la poste : pas de temps morts, rien que du bon flux. Cette incroyable fluidité est un modèle du genre.

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             Alors attention, il y a une petite nouveauté : ils viennent d’enregistrer Doum Doum Covers/ Subtle Songs For Lovers qui, comme son nom l’indique, est un album de covers, et pas des moindres. Ils commencent par taper le «Primitive» des Groupies dans leur premier tiers de set, et ça prend aussitôt des proportions considérables, car Jean-Jean le travaille bien au corps, il en fait jaillir la moelle, il en écrase bien les syllabes, et pendant qu’il gratte ses poux, tu grattes tes puces, car ça sent bon le fond de la caverne et les Cramps. Te voilà sur orbite. Tu vas encore valdinguer avec une superbe cover du «Five Years Ahead Of My Time» des Third Bardo, un autre sommet du genre, repris entre autres par Monster Magnet, les

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    Nomads et bien sûr les early Cramps. La version des Doum Doum est assez monstrueuse, Jean-Jean ramène les basses du diable sur sa gratte, il donne au Five Years une profondeur de champ jusque-là inégalée et prend son pied à jouer le thème dans l’épaisseur du son. Sa version vaut largement les trois pré-citées. Il enchaîne avec un autre killer-track, le «Trip» de Kim Fowley, et là, pareil, il te laisse comme deux ronds de flan, car il rappe comme Kim, sur le plus monstrueux des beats sixties, il te stompe ça vite fait bien fait. Non seulement le choix de covers est imbattable, mais le rendu vaut tout l’Or du Rhin, il passe chaque fois en force sans forcer, c’est quasiment un tour de passe-passe. Du pur Houdinisme ! Rien n’est plus

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    génial qu’une reprise bien sentie. T’as le cut et l’argent du cut. À deux, parviennent à défoncer la rondelle des annales, avec cette incroyable fraîcheur de ton qui les caractérise. Ils tapent encore le «Do You Love Me» des Contours, produit à l’aube des temps par Berry Gordy, une petite furibarderie qu’on aurait tendance à confondre avec celles des Isley Brothers. Ce démon de Jean-Jean passe en mode heavy blues pour taper l’«How Long Blues» de Leroy Carr et sort pour l’occasion un son de basse sur la gratte qui rappelle le son qu’avait Dave Edmunds au temps d’«I Hear You Knocking», ce son bien sourd qui t’entre aussitôt sous la peau. Ils

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    continuent de taper dans l’haut de gamme avec la version française de «Bird Doggin’», celle de Noel Deschamps, «Pour Le Pied», rebaptisée ici «Pour Le Fun». Kinou l’attaque de front, sur un ton mal intentionné et redonne vie à ce vieux hit entré en fanfare dans la légende. 

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             Petit conseil d’ami : saute sur les Doum Doum Covers, Subtle Songs For Lovers. Cet album entre dans la caste des très grands albums de covers. Tu veux des noms ? Cliff Bennett & The Rebel Rousers et Got To Get You Into My Life, Master’s Apprentices et Apprenticeship In The Garage 1966, Milkshakes et 20 Rock’n’Roll Hits Of The 50’s & The 60’s, Lazy Cowgirls et Radio Cowgirls, Mono Men et 10 Cool Ones, Melvins et Everybody Loves Sausages, Liverbirds et From Merseyside To Hamburg, The Memphis Blues Cream et 706 Union Avenue, Raveonettes et Sing, Robyn Hitchcock et 1967 Vacation In The Past, Junior Parker et Love Ain’t Nothin But A Business Goin’ On, Headcoats et Brother Is Dead But Fly Is Gone, Dirty Deep et A Wheel In The Grave EP, pour n’en citer que quelque-uns. On ne parle même pas des grands adorateurs du Velvet (Galaxie 500, Feelies, Subsonics), de Dylan (William Loveday Intention, aka Wild Billy Childish) ou des Stooges (Union Carbide Production ou encore Sour Jazz). Voilà dans quoi sont entrés les Doum Doum Lovers avec Doum Doum Covers. Ils t’en donnent un avant-goût sur scène, mais sur disque c’est encore pire. T’es tanké dès l’«Her Big Man» des Brigands. Fabuleuse rockalama, ampleur immédiate. Le drive est un modèle du genre. Et ça continue comme ça sur 13 autres cuts triés sur le volet. Ils tapent tous les deux dans l’un des fleurons de la crème de la crème, «A Question Of Temperature» des Balloon Farm, Kinou attaque ça au jungle beat et le Balloon prend tout de suite une fière allure. Le son est plein comme un œuf. Il faut les voir se jeter dans la bataille de la Temperature ! T’es vite frappé par la profondeur insolite des basses. Jean-Jean chante son «Nobody Knows You» à la Kim Fowley, un Kim qu’on retrouve à la fin avec «The Trip», Jean-Jean taille bien sa route sur un heavy beat surchargé de testo, il pousse bien le Kim dans ses retranchements, t’assistes à une fantastique foire d’empoigne. L’album va plus loin que le set : qualité ahurissante de l’écho et des basses, et ça cuivre à outrance. On se croirait revenu au temps où Chris Bailey ramenait des cuivres dans les Saints, ça prend un relief hallucinant. Ce Doum Doum Covers est un vrai coffre de pirate chargé de trésors : Jean-Jean rocke le beat du vieux «How Long Blues» de Leroy Carr et Kinou attaque sa cover de «Bird Doggin’» avec une belle violence salutaire : elle passe par Noel Deschamps et c’est cuivré de frais. Ils jouent l’«I’m Going All The Way» des Squires à bout de souffle, c’est gratté et battu à la hussarde, avec une énergie considérable et un brouet d’acou, et soudain, Jean-Jean siffle. Il re-siffle sur l’«1-25» des Haunted et ça prend un volume extravagant. T’as un solo de sax dans le «Do You Love Me» des Contours et il tape le «Primitive» des Groupies au heavy groove de basse. Kinou ramène tout le ramdam des sixties dans «La Machine», un vieux hit de Dani, et ça repart en mode stoogy pour le «Why» des Dirty Wurds. Jean-Jean nous dira après le concert qu’il tire ses covers des Peebles. Et puis bien sûr, tu retrouves le puissant «Five Years Ahead Of My Time» qui reste le cut chouchou de tous les becs fins. Cui cui !

    Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

    Doum Doum Lovers. Saint-Léger-de-Rôtes (27). 6 avril 2025

    Doum Doum Covers. Subtle Songs For Lovers.

    L’avenir du rock - Doum Doum Doum Doum (Part Two)

     

    Wizards & True Stars

     - Wareham câline

     (Part One)

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             Non, Dean Wareham ne sort pas d’une (divine) chanson de Michel Polnareff, mais c’est tout comme. Dean Wareham fait partie des êtres visités par la grâce - Pour la vi-iie/ Ou peut-être plus/ Pour la vi-iie/ Ou peut-être moins - L’association Polna/Real Dean est assez automatique. Encore un titre de rubrique qu’il n’est au fond pas besoin de justifier.

             Dean Wareham est le real Dean. Et ce dès Galaxie 500, dès Luna et dès Dean & Britta. Galaxie 500, c’est une galaxie de 5 albums qui te font tourner la tête, car leur manège à toi c’est eux, et l’ouverture de ce Bal des Laze se fait avec l’aujourd’hui de toujours, Today.

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             Today éclot aussitôt avec «Flowers» et son attaque saignante de clairette transfigurée. Et t’as cette basse azimutée qui entre dans le son, c’est quelque chose ! De toute évidence, ils cultivent l’excellence, le Velvet Spirit, t’as aussitôt les dynamiques, c’est complètement extravagant de classe et de puissance. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Tugboat», un Tugboat fabuleusement monté en neige, ça ne pardonne pas. Le real Dean développe son petit biz, c’est un spécialiste de la montée en neige, et avec lui ça va vite, il te gratte tout ça en note à note inflammatoire et te fout l’Ararat en rut. Il développe encore son biz dans «King Of Spain», avec des syllabes élastiques et sa clairette doucereuse. Dans «Crazy», tu le vois cavaler ventre à terre à travers la plaine, en toute allégresse. Il peut se montrer très échevelé, et bien sûr, il joue la carte de la surenchère. Il gratte encore des poux divins dans «Pictures» et dans «Parking Lot», il y coule même une rivière de diamants. Il navigue au même niveau que Tom Verlaine, voilà, c’est pas compliqué. Le temps d’un cut comme «Don’t Let Your Youth Go To Waste», il devient le roi de la pop de velours et il entre au chant comme le ferait Nico. Il déverse encore des flots de clairette pure dans l’effarant «Temperature’s Rising», et ça monte comme la marée. Alors le real Dean s’en va jouer sa belle explosion finale. Il nous fait le coup quasiment à chaque fois.

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             L’idéal est de croiser les écoutes et les ré-écoutes avec la lecture d’une bien belle autobio, Black Postcards: A Memoir. Le real Dean s’y confesse avec un réel talent d’écrivain. L’homme est complet. On est en sécurité. T’as dans les pattes un Penguin book de 300 pages, composé en corps 10 mais bien interligné, ça va, tu ne t’esquintes pas trop les yeux. Le real Dean raconte essentiellement sa vie en tournée, et c’est passionnant, car il promène sur le monde un regard curieux et bien rock, il ne nous épargne rien des vans et des hôtels, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Et bien sûr, il rencontre tous les gens intéressants, depuis Kramer jusqu’à Sonic Boom, en passant par Dave Berman, le mec des Silver Jews.

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             Il a quatre ans quand il subit son premier choc esthétique avec le «Georgy Girls» des Seekers, qui en Nouvelle Zélande étaient aussi énormes que le Beatles. Il les compare à Chad & Jeremy et aux Mamas & The Papas - Si nous passons toute notre vie à essayer de retrouver la magie de l’enfance, alors j’ai passé la mienne à essayer de recréer ce que j’ai éprouvé à l’écoute de «Georgy Girl», un mélange de beauté, de tristesse et d’extase - Et là tu sens l’écrivain, car en trois mots, il définit l’art des Galax. Il se souvient aussi que son père avait ramené à la maison l’Here Comes The Sun de Nina Simone, où se trouve ce qui reste selon lui la meilleure version de «My Way». Petit, il avait aussi flashé sur le Cocker’s Happy de Joe Cocker, où se trouve la fameuse cover de «With A Little Help From My Friends» - which he did far better than the Beatles - Il salue aussi les «Elvis’s live performances from the 1970s as some of the greatest recordings of the era. Les critiques se moquaient du King bouffi, mais qui avait un meilleur groupe en 1973 ? David Bowie ? I don’t think so. Les Rolling Stones ? Ils étaient bons, mais Get Yer Ya-Ya’s Out ne vaut pas That’s The Way It Is, un album live d’Elvis enregistré à Vegas et Nashville.» La famille Wareham quitte la Nouvelle Zélande pour l’Australie, puis en 1977, part s’installer à New York. Le real Dean a 14 ans. Il va acheter ses disques chez King Karol Records, 85e rue et 3e avenue, où bosse Bryan Gregory from the Cramps. Puis il découvre via son frère Anthony les Modern Lovers, Magazine, puis les Feelies, dont il qualifie le Crazy Rhythms de perfect record. Au lycée, il se passionne pour la philo, et cite Platon, David Hume et Bertrand Russell. Puis en cours d’Allemand, il flashe sur Bertol Bretch et Erwin Piscator. Il prend quatre cours de guitare, assez, dit-il pour apprendre quelques gammes pentatoniques lui permettant le soloing. Il flashe aussi sur le Paisly Underground, et notamment le Sixteen Tambourines de The Salvation Army, The Days Of Wine & Roses du Dream Syndicate et le Third Rail Power Trip de Rain Parade, le groupe de David Roback. Le real Dean a de bonnes bases. 

             Un jour, il flashe sur a «beautiful old car - a Galaxie 500.» Et hop c’est parti.

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             Dans Mojo, Roy Wilkinson claque six pages galactiques. Il chapôte en qualifiant les Galax de «neo-psychedelic jewel of late ‘80s American indie rock», grands amateurs des «two-chord beatitudes of the Velvet Underground». Le real Dean se dit bien sûr fan du Velvet. Avec Luna, il a joué en première partie du Velvet lors de la tournée de reformation. Et selon Wilkinson, les Galax sont devenus l’«archetypal cult band».

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             Les Galax se sont rencontrés à l’école, on Manhattan’s Upper East Side. Damon Kurkowski & Naomi Yang sont des «grad students at Harvard.» Comme Damon, le real Dean voulait jouer dans les Clash. Naomi en pinçait elle aussi pour le British punk. Damon & Naomi étaient en couple et le sont encore. Naomi apprend à jouer de la basse en écoutant les basslines de Joy Division qu’elle trouve «beautiful, perfect». Première répète en mai 1987. Ils commencent par taper des covers, «Where Have All The Flowers Gone» de Peter Paul & Mary, «I Can See Clearly Now» de Johnny Nash, «Just My Imagination» des Temptations et «Knocking On Heaven’s Door» de Bob Dylan. Ils jouent leur premier gig chez Dean - It was the best gig of my life - Un gig de 20 minutes, «and it was just perfect.» Le real Dean adore la perfection. Il ne vit que pour ça.

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             Damon flashe sur un album d’Half Japanese, découvre que c’est produit par un certain Kramer. Il lui téléphone. Kramer a déjà bossé avec les Butthole Surfers et les Fugs, puis il va sortir Ween et Daniel Johnston sur son label Shimmy Discs. En plus, son Noise New York Studio est abordable. Il enregistre le premier single des Galax, «Tugboat/King Of Spain», Tugboat étant un hommage à Sterling Morrison devenu a «real life tugboat captain», c’est-à-dire capitaine d’un remorqueur. Kramer se dit encore plus fier de Today, le premier album des Galax : «A living dream, like reading William Blake for the first time.»   

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             C’est la collaboration avec Kramer qui va faire basculer les Galax dans la légende. Kramer est une figure de légende dans l’underground : il a joué dans Schockabilly, dans Bongwater et dans B.A.L.L. Kramer a installé son studio au quatrième étage du 247 West Broadway, «just a wooden floor and brick walls.» Il a un 16 pistes. Kramer est un mec très maigre, «the skinniest  man I ever met», nous dit le real Dean, «and he smoked weed vigourously.» Le real Dean ajoute qu’il est fier de sonner comme Galaxie 500, et non comme les groupes qu’ils admirent tous les trois à l’époque, «Modern Lovers, Big Star, The 13th Floor Elevators, Love, Joy Division, or the Feelies.» Ailleurs, il cite encore les Moderne Lovers et Young Marble Giants comme des héros.

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             Leur premier album leur coûte 750 $ - it is still my favorite Galaxie 500 album - Ils se chamaillent un peu sur les crédits, le real Dean estimant qu’il a composé pas mal de trucs - chords, melodies, lyrics - alors pourquoi tout partager en trois ? Mais Damon et Naomi veulent tout partager en trois. Ils menacent de quitter le groupe si le real Dean n’accepte pas le partage à trois, «and that I should find another backing band.» Premier petit bras de fer. Page suivante, le real Dean se dit fier de faire partie d’un groupe avec Damon & Naomi, mais cet épisode lui laisse un drôle de goût dans la bouche «a new taste in my mouth». Il ajoute qu’avec ce type d’incident, le friendship is dead - Your friendship had been poisoned. Kaput !

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    Kramer

             Kramer est un mec bizarre. Il profite que le real Dean ait le dos tourné pour essayer de se taper sa poule, Claudia - That was Kramer - Kramer trouve Claudia hot, alors il tente le coup, mais le real Dean se marre : «I should have punched Kramer in the nose, but I knew he didn’t stand a chance of stealing my girlfriend away from me.» Le real Dean a de la chance, il peut dormir sur ses deux oreilles.

             Quand le real Dean et Kramer acceptent de participer à un benefit acou pour un fanzine, Damon & Naomi protestent : le real Dean n’a pas le droit de jouer sans les Galax. Damon dit que les décisions doivent être prises à trois. Mais le real Dean va faire quand même le benefit. Quand les Galax sont en tournée, Kramer monte sur scène avec eux, et au bout d’un moment, Damon & Naomi ne veulent plus de lui sur scène. Il monte quand même sur scène à Glastonbury. C’est Kramer. Il n’en fait qu’à sa tête. Damon & Naomi sont livides. Ils ne lui adressent plus la parole. Ça amuse beaucoup le real Dean. Un real Dean qui n’aime pas trop les grands festivals - On a joué sur la même scène que Melissa Ethridge, but missed her show. On a aussi raté les shows de Lenny Kravitz, Midnight Oil and all kinds of other stupid shit - Puis arrive the meatball incident. Les Galax dînent au restau avec Kramer, et Naomi commande  des boulettes d’agneau. Kramer s’en offense. Il est végétarien. Il dit à Naomi : «Have you ever looked into the eyes of a little lamb?» - Naomi told him to go fuck himself - Mais bon, c’est Kramer qui fait le son des Galax.

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             Puis les Galax simili-prennent feu avec On Fire, et au chant t’as un real Dean qui sonne vraiment comme Nico, et c’est pas peu dire. Il cultive bien cette ambiguïté, il s’ancre résolument dans la banane du Velvet, et fait monter le relentless comme la marée. Il peut aussi chanter comme une folle préraphaélite («Tell Me»), mais il ne manque jamais de ramener la purée de gras double au sortir d’un cut. Il base la véracité de ses couplets sur le son des clairettes et la pureté des intentions, il rivalise d’ailleurs de pureté intentionnelle avec les Feelies. Et le voilà qui entre à la vipérine dans «When Will You Come Home», et se met à gratter comme un sale crack, un Lou Reed amphétaminé et il développe sa petite affaire avec un gras de clairette toxique qui fait de lui un véritable Wizard. Tout est juteux et organique, sur cet album. Naomi Yang prend l’«Another Day» au chant. Ça a l’air mou du genou, mais en vérité, c’est très puissant. Le real Dean la rejoint sur le tard et fout le feu à la plaine. Il s’implique toujours de façon extraordinaire. Il refait sa Nico dans «Leave The Planet». Tous ses cuts sont infestés, sa psyché est une merveille de mimétisme velvétien. Le real Deal devient de plus en plus blonde germanique avec «Plastic Bird» et toujours ce final apocalytique. Toute la fin d’album est remontée des bretelles. Les échappées sont géniales, avec derrière ce son de basse toujours indépendant, dans son rôle de contrefort mélodique. Voilà un album qu’il faut bien qualifier de princier. On a pu détester ce côté mou du genou à l’époque, mais à la revoyure, il apparaît que c’est du très grand art. Le real Dean est le roi des échappées somptueuses, le final d’«Isn’t It A Pity» est un modèle du genre, une vraie fin en soi, élégiaque et magistrale. 

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             Pour beaucoup, On Fire est le keystone des Galax. Dans la presse rock, on comparait le real Dean à Neil Young, ce qu’il réfute. Il préfère citer les influences de Jonathan Richman et des Feelies. C’est Kramer qui le pousse à forcer sa voix : «Kramer pushed me to double things in falsetto.» C’est après On Fire que les tensions sont apparues. Damon & Naomi vivent à Cambridge, Massachusetts et le real Dean à New York, et le «200-mile drive» l’exaspère. Damon sent que le son des Galax bascule, «from self-consciousness to decadence.»

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             L’année suivante, ils rééditent l’exploit d’On Fire avec This Is Our Music. On y retrouve les mêmes composantes : le mimétisme velvétien et les échappées belles. «Fourth Of July» sonne comme un cut du Velvet. Le real Dean reste dans cette ambiance, avec un bassmatic joliment libre, et puis il part en vrille de velvétude. Il refait sa Nico sur «Spook», à coups de nearly lost my mind sur les accords d’«All Tomorrow’s Parties». Il tape ensuite «Summertime» sur les accords d’«Heroin». Même son d’intro, c’est comme suspendu entre rêve et réalité, et t’as toujours l’explosion finale. C’est vraiment la marque de fabrique des Galax. Coup de génie encore avec «Listen The Snow Is Falling». Noami prend le chant et c’est beau car elle ramène de la chaleur féminine. «Listen The Snow Is Falling» est aussi pur que «Pale Blue Eyes», et bien sûr, t’as la fin de cut apocalyptique, c’est complètement dévastateur avec un real Dean qui explose comme une bombe atomique. Ils enchaînent ensuite deux autres bombes atomiques, «Sorry» et «Melt Away». C’est la bassline qui t’emporte la bouche sur Sorry, Naomi gratte une incroyable mélodie souterraine. Le son des Galax, c’est l’éther d’une voix, une jolie dentelle de clairette et un bassmatic mélodique. Ce bassmatic omniscient qu’on retrouve dans Melt, elle devient la jouvence de la Galaxie, un Melt où le real Dean file vers son final en forme de firmament psyché subliminal, il atteint l’osmose de la psychose, c’est absolument stupéfiant d’universalisme. Ils sont tout simplement faramineux, écœurants d’élégance, surtout Noami et son bassmatic ouaté et mélodique qui donne une profonde identité au son des Galax. Serait-elle la maîtresse d’œuvre ? Elle va chercher des notes de bas de manche qui donnent des couleurs aux joues du cut, elle lui donne vie, et comme si tout cela ne suffisait pas, t’as des trompettes de Jéricho.

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    Damon & Noami

             Le real Dean appelle Damon & Noami pour leur dire qu’il veut quitter le groupe. Mais il reste encore un peu, pour quelques concerts. Et ça va tourner à l’obsession. Il ne peut plus les supporter - I want to live my life without you in it - Il répète encore qu’il aimait «Damon’s fluid, jazzy style on the drums, and Naomi’s simple and melodic bass parts. I liked Damon’s poetry and Naomi’s miniature paintings. But they were driving me crazy.»  

             Des dates sont bookées au Japon et Damon appelle le real Dean pour le lui annoncer, mais il reçoit une fin de non-recevoir : le real Dean quitte les Galax. Damon & Naomi sont choqués.

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             Le quatrième et ultime album des Galax s’appelle Copenhagen. C’est une sorte de best live et fatalement on retrouve ces merveilles que sont «Fourth Of July» qu’ils jouent à cœur ouvert, sans cacher leurs sentiments, «Summertime» où on croit entendre Nico chanter, «Sorry», monté sur un bush de beurre et un bassmatic minimaliste, «When Will You Come Home» où le bassmatic crée encore de l’enchantement et bien sûr le real Dean part en vrille d’excelsior. Tu retrouves aussi le sublime «Listen The Snow Is Falling», très Pale Blue Eyes, pur ô so pur ! Et bien sûr ils tapent une cover du Velvet : «Here She Comes Now». Ils y vont doucement mais sûrement, ils en font un traitement d’une pureté sidérale, et le real Dean revient en plein Nico avec «Don’t Let Your Youth Go To Waste», tiré de Today, cut signé Jonathan Richman, c’est du pur gothic Velvet, ils récréent exactement les conditions du gothique new-yorkais, tas le Grand Jeu warholien et t’as la basse de Naomi Yang qui descend en travers dans le mood, alors la température monte et le real Dean déclenche une fois de plus son champignon atomique.

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             Les Galax sont eux aussi passés par les Peel Sessions. On y retrouve toutes ces merveilles velvétiennes que sont «When Will You Come Home», «Flowers» et «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean refait sa Nico et passe des grands solos de wah, avec une fébrilité délibérée, quel pâté de foi ! Ça flirte en permanence avec le voile de la Factory, et l’acid freakout de Lou Reed. Ils poussent même le bouchon jusqu’à sonner comme un power trio, et après le dernier couplet de «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean part en vrille délétère, en Velvétien accompli. On trouve aussi sur ces Peel Sessions une cover du «Submission» des Pistols, d’où l’intérêt des Peel Sessions. Cover dévastatrice, mais sans la voix, bien sûr. Ils tentent l’ampleur. L’autre coup de génie est ce «Blue Thunder» sorti de nulle part et d’une beauté purpurine, bien monté aux harmonies vocales et que ne manque pas d’exploser l’atomique real Dean.

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             Si tu veux aller au fond de la Galaxie, c’est avec Uncollected (Rareties) paru en 1996. C’est vraiment le fond de la Galaxie. Tu y retrouves toute cette mélasse compassionnelle et ces harmoniques de basse qui te plaisaient tant dans les albums. Tu y croises «Blue Thunder» et son fantastique relent velvétique, tu le sens dès les premières mesures, et la belle bassline de Naomi Yang vient te caresser l’intellect, ils chantent à deux et font éclater leur Sénégal avec un sax in tow, et puis bien sûr le real Dean claque un solo final en forme de débinade apoplectique. Le real Dean a toujours cette voix de nez, cette voix de Nico masculin, il est encore pointu sur «Song In 3», il fait son Perlimpinpin et te tire-bouchonne un final explosif. Il challenge encore le Velvet avec «I Can’t Believe It’s Me», il sort des entourloupes à la Lou, il devient tellement Velvetien que ça finit par te troubler. C’est Naomi qui chante «The Other Side». Elle est magnifique, dommage qu’elle ne chante pas plus souvent. Et bien sûr, ça se barre en crouille-marteau de Dean machine. Il collectionne toutes les variations extraordinaires, et la rose n’en finit plus d’éclore au matin. Et voilà le pot aux roses de Ronsard : une version live de «Rain/Don’t Let Your Youth Go To Waste». D’où l’intérêt d’aller chercher ces petites compiles de fonds de tiroirs, car c’est là que se trouvent les vraies pépites. Comme par exemple la version d’«Anarchy In The UK» sur l’album live de Wild Billy Childish & the Blackhands, ou encore la version live at the Roundhouse d’«On Parole» par Motörhead, sur The Boys From Ladbroke Grove. Le «Rain» du real Dean est un sommet du genre - The first time in New York, dit-il avant d’attaquer directement en mad psyché, I don’t mind, et il part en killer killah killoh de mad freakout surnaturel. Il révolutionne le genre, il surjoue l’excelsior, le real Dean est un géant des catacombes, le Golem de la Mad, puis il bascule dans son Youth et ça prend des tournures pourfendues, des allures pantelantes, ça moud les épithètes, c’est exponentiel de panache, t’en suffoques d’extase, et ils font ça à trois ! Et le real Dean se livre une fois encore à une lutte finale explosive. Il est véritablement l’un des génies soniques du XXe siècle, qu’on se le dise !

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             Et pour surenchérir sur le thème «fond de la Galaxie», vient de paraître le mighty Uncollected Noise New York ‘88-’90, qu’on pourrait presque qualifier de tribute au Velvet. On n’y trouve qu’une seule cover du Velvet, «Here She Comes Now», sur le disk 2, bien amenée à l’élan lysergique. Le real Dean est un inconditionnel, il soigne sa Velvetude, il épouse le Lou au chant, il recrée les dynamiques infernales et ça menace d’exploser sous la cendre. Le real Dean fait d’«Here She Comes Now» un monstre d’élégance gothique, un chef-d’œuvre d’intégrisme Velvetique, et Damon Kurkowski bim-bam-boome au beurre, il bat bien la coulpe du Velvet, et t’as en plus ce bassmatic éhonté de Naomi Yang derrière, et petite cerise sur le gâtö, le real Dean qui te gratte les poux du diable, il ressuscite les basses œuvres du Velvet, il tisonne le cœur du pâté de foi et ça prend feu sous tes yeux, c’est de la dévotion extrême qui bascule dans le surnaturel, dans une clameur de la chandeleur. Il n’y a que le real Dean (et Glenn Mercer) pour rendre ainsi hommage au Velvet. Sur le même disk, tu retrouves «Blue Thunder» qui pourrait très bien être un cut du Velvet. Les accords d’intro et la mélodie chant sont typiques du Lou, en plus c’est saxé dans l’âme. Le real Dean réussit son coup avec cette mélopée sublime et il passe un solo de dingoïde en fin de cut. T’entends encore le bassmatic génial de Naomi Yang dans «Fourth Of July». Toujours du très haut niveau, avec le final inflammatoire. Le real Dean se met en branle dans la stratosphère. Il refait encore sa Nico dans «Moonshot». Il retrouve tout l’éclat gothique de l’égérie warholienne. Ne manque plus que l’harmonium. Il te gave comme une oie. C’est d’une densité extraordinaire. Sur le disk 1, tu trouves pas mal d’inédits, tiens, par exemple de «See Through Glasses» qui tape en plein Velvet, gratté dans l’absolu, avec le feu sacré du final explosif. Pareil avec «On the Floor» : inédit et wild as fuck, avec son final apocalyptique. Tu crois entendre le Lou dans «Can’t Believe It’s Me». Lou y es-tu ? Le real Dean est en plein dedans. On retrouve aussi le «King Of Spain» du premier album, Today. Le real Dean refait son Lou d’accent pincé. Et plus loin, sur «Song In 3», il refait le coup double, c’est-à-dire sa Nico et le final de poux demented. Tu retrouves encore cette voix de Nico devenue folle dans «I Will Walk», un autre inédit. Il retombe en plein dans le Lou avec «Cold Night» et la Méricourt entre en lice comme d’habitude à la fin du cut. Et pour finir ce faramineux disk 1, le real Dean sort «Ceremony» de sa manche, la cover de Joy Division, mais ça se met en route exactement comme un hit du Lou, et le real Dean rajoute sa mélodie chant au sommet du mimétisme. Si ce n’est pas de l’art, alors qu’est-ce que c’est ?

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             Dans son book, le real Dean évoque des tas de gens intéressants, à commencer par Calvin Johnson, le mec des Beat Happening, «qu’on appelait the Andy Warhol of Olympia, Washington, an unrepentant punk rocker and leader of the International Pop Underground. Calvin’s punk did not mean wearing a leather jacket and playing loud and fast.» Il ajoute que Calvin avait «a magnetic stage presence and a unique rock voice and wrote great songs that were both innocent and rebellious, but not twee.» Le real Dean voit aussi à l’époque Pussy Galore, «with four guitarists and no bass player», et Bob Bert qui bat le beurre sur un réservoir d’essence. Mais ce qui frappe le plus notre cher real Dean, c’est la tension qui règne dans le groupe - comme s’ils ne supportaient pas d’être ensemble dans la même pièce. Depuis j’ai appris qu’il y avait de la tension dans tous les groupes - Il voit aussi GG Allin dans la rue - Certaines personnes le voyaient comme the essence of rock and roll, a true bad boy, the second coming of Hank Williams. But Hank Williams n’a jamais pris de laxatifs avant de monter sur scène, so he could strip naked and poop on the stage - Il rencontre aussi un journaliste du Melody Maker, Bob Stanley - He was in a band too. They were called St. Etienne - Quand le real Dean lui demande quel instrument il joue, PolyBob lui répond : «It’s hard to explain.»

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             Le real Dean qui a du goût rappelle que les Screaming Trees était son «favorite Seattle band» - They were far more melodic than their peers - Et pouf il embraye sur l’apologie de Lanegan qu’il compare à Jimbo - Like Morrison, Lanegan  was a handsome and charismatic drunk, with long brown hair - Il ajoute que Lanegan était déjà ivre au sound-check de 16 h, et il adorait la cover que faisait Luna du «Don’t Let Your Youth Go To Waste» de Jonathan Richman.

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             On croise dans le book un petit paragraphe sur le mythe du premier perfect album. Le real Dean cite deux exemples : l’Is This It? des Strokes et le Marquee Moon de Television. Et crack, il embraye aussi sec sur le Velvet qui, après le premier perfect album, en ont fait «three more perfect, yet different.»  Oh et puis Lee Hazlewood ! - J’ai rencontré Lee Hazlewood quelques années plus tard et lui ai demandé comment il obtenait his great vocal sound. He said you put echo on the reverb (or was it reverb on the echo?), instead of on the voice itself, so that the voice retains its presence while still having a huge echo sound... like the voice of God - Par contre, le real Dean n’aime pas 16 Horsepower, avec lesquels il joue en Suisse - I’d never heard of them, and I confess I didn’t like them. I mean, I didn’t know them personallly, and I didn’t like their music or their instruments or their porkpie hats - Avec lui, c’est vite réglé. Par contre, il adore Stereolab, avec lesquels il joue à Barcelone - Sterolab was one of the best live bands in the world, one of those bands that comes along once in a while and changes the whole music scene (...) They were derivative on the one hand, but also startingly original - Il rend hommage à Carol Kaye qu’on entend jouer de la basse sur tous les gros hits californiens d’antan, et plus loin à Sonic Boom qu’il rencontre à Cleveland - Sonic was one of the two brillant minds behind Spacemen 3 - et il ajoute ça qui vaut son pesant de pesos : «Sonic is definetively a hedgehog», c’est-à-dire un hérisson. Ils vont d’ailleurs enregistrer ensemble tous les trois avec Britta un EP de remixes de L’Avventura - Sonic said thaht L’Avventura was one of the all time great albums - On voit tout ça dans le Part Two.

             Le real Dean est aussi pote avec David Berman qui sort tout juste de rehab «for addiction to crack» - Berman told of his descent into crack hell, qui en fait s’est terminée au Vanderbilt Hotel, où il prit une suite, ingested large quantities of crack and Dilaudid and Xanax, and contemplated suicide.

             Et puis cette façon qu’il a de régler leur compte aux cons : «Assis dans mon lit, je regardais le documentaire sur Metallica, Some Kind Of Monster. It was painful to watch. Le film montre ce qu’il y a de pire dans un groupe : l’impossibilité de prendre des décisions, le vote permanent, les discussions, les réunions. Metallica écrit des lyrics en comité. C’est dur à regarder. James Hatfield et ses bandmates ne sont pas des gens très sympathiques.» Et plus loin, il ajoute que «Metallica and U2 and REM are far more than rock and roll bands. They are institutions, corporations. And corporations have lives of their own.»  

             On n’en finit plus de croiser l’écrivain Wareham dans Black Postcards: A Memoir. On reconnaît souvent les grands écrivains à cette façon qu’ils ont de nous faire revenir deux pages en arrière pour relire un passage intriguant. Si tu veux remettre le souvenir du passage au carré, il faut revenir sur l’exacte formulation. L’exacte formulation est l’apanage des grands écrivains. Et derrière sa modestie, se cache le grand écrivain Wareham. Ceci par exemple : «But I don’t know culture from counterculture. Questions like that confuse me, and they don’t help when writing songs. Let the rock ctitics read Adorno and Anthusser. I will study Pops Staples and the Chocolate Watchband.» T’es plus dans Rock&Folk, amigo, t’es dans les pages du book d’un real deal nommé real Dean. Ça change tout. Pour «parler» du rock, il faut une certaine distance, disons une certaine hauteur. Tu l’as non seulement dans les pages du real Dean, mais tu l’as en plus dans ses albums. Fascinant personnage.

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    Terry Tolkin

             Il évoque sa rencontre avec Terry Tolkin, l’A&R de Rough Trade aux États-Unis - I liked Terry instantly. We liked a lot of the same music - Wire, Joy Division, the Comsat Angels, New Order, Lydia Lunch and Sonic Youth - Monsieur le bec fin continue de faire feu de tout bois. Il a aussi la chance d’être invité à faire la première partie du Velvet reformé, et la façon dont il évoque cet épisode te fait autant rêver que ça l’a fait rêver : «Recevoir le coup de fil pour faire la première partie du Velvet Underground fut un moment étrange. Je croyais avoir rêvé. Mais quelques semaines plus tard, je me suis retrouvé dans un dressing room à l’Edimburg Playhouse, avec Lou Reed, John Cale, Moe Tucker et Sterling Morrison qui répétaient ‘Venus In Furs’.» C’est pour lui une façon d’exprimer un accomplissement. Il le couronne un peu plus loin d’un autre souvenir, cette fois à Berlin, où il passe la soirée avec Sterling Morrison : «Notre soundman Gordon nous avait trouvé de l’ecstasy, which made the night even more special. Je me souviendrai toujours de ce retour à l’hôtel en Mercedes taxicab, on écoutait un live Velvets bootleg on German radio, enjoying the strange confluence of events, et je savourais la chance que j’avais d’être sur cette tournée.» Voilà ce qu’est le véritable écrivain rock, il te fait monter avec lui dans le Mercedes taxicab pour écouter le Velvet dans la nuit berlinoise. Ce book n’est fait que de ça : de souvenirs triés sur le volet et écrits dans un anglais parfait. 

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             Pour les besoins d’une meilleure compréhension, le real Dean cite Isaiah Berlin et sa théorie sur la différence qui existe entre le renard et le hérisson : «Le renard sait beaucoup de choses, dit Berlin, mais le hérisson ne sait qu’une seule chose, one big thing.» Alors notre real Dean développe : «Certains artistes sont des renards, Aristote, Pouchkine, Goethe, Picasso, Paul McCartney, Beck, they can do all kinds of dazzling things. Mais d’autres artistes sont des hérissions : Hegel, Nietzsche, Dostoïevski, Jackson Pollock, and Keith Richards. They stick with one idea.»

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             Quand avec Luna, il enregistre son cinquième album, il sait que c’est pas très bon. Il sort alors la théorie du cinquième album : tous les groupes se vautrent, sauf les Beatles - We were not the Beatles. No we were not - Il ajoute que la plupart des groupes ont de la chance quand ils passent le cap des deux premiers albums, et il développe : «Vos albums ne peuvent pas tous être great. Si vous avez de la chance et du talent, vous pouvez sortir une série d’albums remarquables, comme l’ont fait Bob Dylan, les Rolling Stones ou Stereolab. But it can’t continue forever.» Il propose ici une expertise, et s’appuie sur les bons exemples. 

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    Peter Hook concert hommage à Joy Division

             Mais ce qui te rassure le plus, en fait, c’est son humour. Un humour très très très sharp. Il se souvient par exemple d’un des premiers concerts des Galax au 9:30 Club à D.C., et là, pas de pot, il casse une corde dès le premier cut. Il doit alors emprunter la Les Paul Junior de Dave Rick which sounded all wrong. «I had a revelation at that moment. I would buy a second guitar, to be used in the event that I broke a string. That’s what the pros do.» Et ça qui est encore plus hilarant : les Galax font une cover du «Ceremony» de Joy Division, et Peter Hook montre à Naomi «the correct way to play ‘Ceremony’. Then, he gave Kramer a ride back to the hotel in his Jaguar XII2. Apparemment, il avait reconduit Ian Curtis chez lui le soir de son suicide. I wondered if it was the same Jag.»

             Plus loin, il se fend bien la gueule avec le fameux Josuah Tree. U2 a dit-il a passé un an en studio à expérimenter des trucs avec Daniel Lanois, Eno et Steve Lillywhite. Pas de problème pour des millionnaires. Et puis il te balance ça, alors que tu ne t’y attends pas : «I have a theory : if you put four monkeys in the studio for a year with Lanois and Eno and Lillywhite, they would make a pretty good record, too.»

             Il évoque aussi le bordel des backstage passes et l’after-show, et des «stupid questions about what kind of distorsion pedals we use», et crack, il lâche le morceau : «Certains groupes confient à un crew member la mission d’aller distribuer des backstage passes aux filles les plus jolies, mais pour nous, se livrer à ce type de pratique était une façon de mordre le trait. We may have been dogs, but we were not pigs.» Il se souvient aussi des insultes dont sont capables les Anglais, en concert - There are always a couple of English blokes who want to lob funny insults at you : «Don’t let your midle age go to waste!».

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             L’encore plus idéal est de voir le real Dean sur scène. Coup de chance, il débarque à Paris ! Alors t’y cours. Sur scène, avec ses vêtements clairs, il a une petite allure de manager, mais un manager décontracté qui bosserait dans une agence de com, une sorte de Directeur Artistique. Looké mais sans en avoir l’air. Il porte des lunettes de vue et ses cheveux grisonnent. Une petite soixantaine. Mais il a toujours fière allure. Sa copine Britta ressemble toujours à une ado, avec son petit nez

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    minuscule et son corps parfait. Elle va passer l’heure à tenter d’imiter Noami Yang dont les basslines enchantèrent jadis nos oreilles, mais ce n’est pas exactement le même jeu. Noami Yang voyageait beaucoup plus sur son manche. Britta tape majoritairement ses lignes au bas du manche et joue avec une infinie délicatesse. Pour le real Dean, c’est extrêmement confortable. Il est comme Lou Reed et le gros Black : il a ses manies. Le Lou voulait Moe et le gros voulait Kim. Comme tout est joué en mélodie, les lignes se croisent. Le bel encorbellement des lignes mélodiques est leur fonds de commerce.

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    Alors, autant l’avouer maintenant : t’es là pour ton shoot de Velvet Sound. Et tu vas l’avoir avec «Friendly Advice», montré sur un riff de basse monolithique, et là tu renoues avec la magie du Velvet. T’as ta dose. Ta big dose ! And I guess that I just don’ know. C’est en plein dans le mille du gonna try for the kingdom. C’est même au-delà de la magie. Tu vis l’instant à mille pour cent. Les notes te roulent sur l’épiderme, tu remercies les dieux du rock de t’offrir un tel festin de frissons, le real Dean est de dernier mec au monde capable te d’offrir ce cadeau insensé : la recréation du Velvet Underground. And I feel like Jesus’ son. Et ça va loin, car au fond là-bas, t’as Matt Popieluch qui fait son Sterling Morrison. «Friendly Advice» tape en plein dans l’œil du cyclope. Comme par hasard, Sterling Morrison jouait sur

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     ce «Friendly Advice» tiré du Bewitched de Luna. On le sait maintenant, le real Dean ne fait jamais rien au hasard. Ce «Friendly Advice» niché au cœur du set restera gravé dans ta mémoire jusqu’à la fin des temps. Le real Dean tire aussi deux cuts du premier Galax, «Flowers», toujours aussi sidérant de classe, et en rappel, «Tugboat», toujours aussi imparable, avec ces montées en température dont le real Dean s’est fait une spécialité. Sur scène, ce sont des cuts qui ne pardonnent pas et qui foutent le feu à ton imaginaire. Ils tirent aussi trois cut d’On Fire, le mighty «Snowstorm», «When Will You Come» et en rappel «Strange». Le real Dean te charge si bien la barcasse que tu coules sans crier gare et t’es bien content. Tu glou-gloutes au paradis. Tu te retrouves un peu plus tard dans les rues du XIIIe ivre de Velvetude. T’en fais des bulles, tellement t’exultes.

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    Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean Wareham. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Galaxie 500. Today. Aurora Records 1988

    Galaxie 500. On Fire. Rough Trade 1989    

    Galaxie 500. This Is Our Music. Rough Trade 1990 

    Galaxie 500. Copenhagen. Rykodisc 1997

    Galaxie 500. Peel Sessions. BBC 1996

    Galaxie 500. Uncollected (Rareties). Rykodisc 1996

    Galaxie 500. Uncollected Noise New York ‘88-’90. Silver Current Records 2024

    Roy Wilkinson : Made of... Mojo # 371 - October 2024

    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

     

    Manning depression

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             Qui dit Ardent dit Terry Manning. Et comme Terry Manning vient de casser sa pipe en bois, allons faire un petit tour à Memphis pour lui rendre hommage.

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             Terry Manning arrivait d’El Paso où il avait joué dans le Bobby Fuller Four. Robert Gordon : «Son père était un pasteur qui déménageait souvent et Terry harcela ses parents pour qu’ils s’installassent à Memphis, ce qu’ils finirent par faire. Une semaine après leur installation, Terry se rendit chez Stax, frappa à la porte et dit : ‘Here I am’.»

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             Il va rester 20 ans chez Ardent, où bossa aussi Jim Dickinson. Terry travaille avec la crème de la crème de Stax, les Staple Singers, Booker T. & the MGs, Isaac Hayes. Il est le bras droit de John Fry qui sous-traite alors énormément pour le compte de Stax. John Fry indique que Dickinson cultivait un beau scepticisme envers le music business - which probably provided some guidance for a lot of people - Dans les pages d’It Came From Memphis, on trouve un bel hommage à Reggie Young, dont la façon de tirer les cordes de guitare aurait influencé George Harrison. À 20 ans, le jeune Young était déjà un vétéran. C’est lui qui jouait sur «Rocking Daddy» d’Eddie Bond, avant de jouer dans le Bill Black Combo et de mettre en place de son d’Hi Records. Justement, le Bill Black Combo tourna avec les Beatles et c’est là que le jeune George loucha sur la technique de Reggie.

             Robert Gordon rappelle que Terry Manning introduisit Chris Bell dans le microcosme Ardent de musiciens et de producteurs, tous jeunes, précise l’auteur, tous affamés d’avenir et de son.

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             Quand en 1968 Dickinson quitte Ardent, il prend le prétexte d’une mauvaise ambiance - a prevailing negativity - mais il ajoute que c’était entièrement de sa faute. Dickinson reviendra chez Ardent en 1972 pour finir son album Dixie Fried que John Fry va lui mixer à l’œil. Pour conclure sur sa période ingé-son chez Ardent, Dickinson affirme que John Fry est le meilleur ingé-son qu’il ait connu - He is a brillant tracking engineer and he’s the best mixer - Bon alors évidemment, après on a l’épisode Alex Chilton. Dickinson dit qu’à l’époque il n’a pas flashé sur les deux premiers albums de Big Star, mais il a fait Third en tête à tête - Head to head - avec Alex.

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             Dickinson ajoute qu’il connaît Chris Bell depuis qu’il est gosse. Un Bell qui comme Andy Hummel viendra commencer à traîner chez Ardent, mais après le départ de Dickinson. C’est la genèse de Big Star. Sur la compile Thank You Friends -The Ardent Records Story figure «Psychedelic Stuff» : Bell lui sonne les cloches, et comme tous les Ardent believers, il cherche des noises à la noise. On retrouve aussi Alex Chilton avec un «Free Again» noyé de bénédiction country, joué aux accords d’arc-en-ciel et claqué à la pedal steel aérienne. Terry Manning ramène là-dedans une dimension du son jusque-là inconnue : the Ardent thang. Justement on l’entend le Manning faire le méchant dans «Rocks». Il se met en colère avec sa petite voix anglaise, mais c’est avec «Guess Things Happen This Way» qu’il rafle la mise, car c’est complètement cisaillé du bulbique, Terry saute à l’assaut du rock, c’est shaké à coups d’accords anglais, il barde son cut de big barda, de huge bassmatic et de wild Memphis drive. Du coup, il devient l’un des géants du Memphis Beat.   

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             Terry Manning intervient assez longuement dans le booklet de Thank You Friends -The Ardent Records Story. Il rappelle qu’il est, comme Dickinson, un amateur de British Beat et raconte dans le détail la genèse d’Ardent, sur National Road. Il est d’ailleurs le premier salarié d’Ardent et il doit tout faire : ouvrir le matin, préparer les bandes, passer un coup de balai. La réceptionniste n’est autre que Mary Lindsay, la femme d’un Dickinson que Terry qualifie de director of entertainment. Il devait vraiment régner une belle ambiance là-dedans ! Tout le temps libre est utilisé pour expérimenter - That period was a lot fof fun. We had no rules, and did whatever we wanted, for better of for worse - John Fry laisse volontiers les clés. Il fait confiance à ses amis. Terry Manning apporte aussi un éclairage sur la transition Box Tops/Big Star : au temps des Box Tops, Alex souffrait de l’autorité de Chips Moman et de Dan Penn qui rejetaient systématiquement ses compos, alors Alex voulait un peu d’air, et cet air, il l’a trouvé chez Ardent, avec le copain Terry. Pour finir avec National 1960s, saluons l’immense Sid Selvige et son «Miss Eleana», car voilà un enjôleur de première catégorie. Comme le Penn, il sait tartiner un slowah.

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             En 1970, Terry Manning, enregistre Home Sweet Home sur son petit label Enterprise, qui dépend de Stax. Il démarre sur une grosse version du «Savoy Truffle» des Beatles, comme par hasard. Terry joue ses grosses lignes de basse comme un beau diable. Il joue tous les instruments, comme Todd Rundgren. Et puisqu’il bosse chez Ardent, il croise les pistes ardemment. Il rentre dans le chou des Beatles, mais il rallonge sa soupe à la truffe pendant de longues minutes, c’est dommage, car il ruine tous ses efforts. Chris Bell ramène son grain de sel dans «Guess Things Happen That Way» : technique somptueuse et originale. Chris Bell reste l’un des plus fervents interventionnistes de Memphis. Fabuleuse version du «Trashy Dog» qui sera repris par Alluring Strange, le groupe de Misty White. Big bassmatic. Ah comme c’est bon, joué ainsi à la rude énergie du beat. Terry attaque sa B avec une solide version de «Choo Choo Train». Il la prend plus punk, il la cisaille et la chante à l’énervée de comptoir. Il en fait une version têtue comme une bourrique. On tombe plus loin sur un «Sour Mash» instro assez puissant, et il boucle son bouclard avec un «Wanna Be Your Man» chanté à la force du poignet. Terry tente de créer l’événement. Pas facile. Il y a déjà beaucoup d’événements down there in Memphis.

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             Norton fit paraître en 2012 un truc plus ancien du Memphis boy : Terry Manning & The Wild Ones, Border Town Rock N’ Roll 1963. Bon, c’est du document d’archives et la plupart des cuts rassemblés par Norton ne ressemblent à rien. Le jeune Terry fait du garage en parpaing. Avec ce genre de disk, Norton se tire une belle balle dans le pied. Quand on écoute «You’re In Love», on se dit en rigolant que c’est l’une des pires mormoilles qui soit ici-bas. On se demande comme Billy Miller a pu sortir un disk aussi désastreux et le vendre quinze euros. Ça dépasse l’entendement, voyez-vous. Mais il faut cependant écouter ça jusqu’au bout, ne serait-ce que pour voir à quelle sauce ils nous servent «Sweet Little Sixteen». Arnaque parfaite. Si Billy a voulu prendre les gens pour des cons, c’est réussi. On reste dans l’agonie avec «Boney Maronie». Ça fait du bien de temps en temps d’écouter un disk bien pourri. On a là l’une des pires arnaques de tous les temps. Fuck it. On adore la mention : «All titles previoulsy unissued». Et pour cause.

    Signé : Cazengler, Terryne de campagne

    Terry Manning. Disparu le 25 mars 2025

    Terry Manning. Home Sweet Home. Enterprise 1970

    Terry Manning & The Wild Ones. Border Town Rock N’ Roll 1963. Norton Records 2012

    Thank You Friends. The Ardent Records Story. Big Beat Records 2008

    Robert Gordon. It Came From Memphis. Pocket Books 1995

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gousse d’Hayes

     (Part Three)

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             Après un Part One consacré à la mighty box The Spirit Of Memphis, puis un Part Two consacré à Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une compile Ace parue en 2022, Isaac le Prophète est de retour avec un Part Three de nouveau consacré à une compile Ace, Hot Buttered Singles 1969-1972.

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             Tony Rounce se charge des 16 pages du mini-booklet. Il n’a pas grand chose à raconter, hormis le fait que Jim Stewart ne voulait pas laisser Isaac le Prophète chanter, lui disant : «your voice is too pretty». Méchant connard ! Par contre, lorsque le DJ Alvertis Isbell, c’est-à-dire Al Bell, arrive au pouvoir chez Stax en 1968, ce sera un autre son de cloche. Al adore la voix d’Isaac le Prophète. Il voit même un market en lui. Lors d’une party bien arrosée et donc avec un gros coup dans la gueule, Isaac le Prophète, le père Crop, Duck Dunn et Al Jackson entrent en studio et enregistrent Presenting Isaac Hayes, qui n’est pas un album très commercial, loin s’en faut.

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             Après la rupture avec Atlantic et la perte de leur catalogue, Al Bell et Stax décident de repartir à zéro en 1969 avec 27 albums. Oui, 27 albums d’un coup. Allez hop tout le monde au boulot ! Al Bell demande bien sûr à Isaac le Prophète de participer à cette orgie de renaissance et Rounce se marre : «There was little expectation that his second album would change the face of black American music forever.» Eh oui, il évoque bien sûr Hot Buttered Soul, l’un des albums les plus révolutionnaires de l’histoire de la rock culture, avec Highway 61 Revisited, Electric Ladyland, The Velvet Underground & Nico et The White Album. Isaac le Prophète a carte blanche. Comme le studio Stax est over-booké, Isaac le Prophète va chez Ardent avec les Bar-Keys et le fils de Rufus Thomas, Marvell Thomas qui est pianiste. En quelques heures, ils mettent à plat Hot Buttered Soul. C’est là-dessus que tu croises la version longue du «By The Time I Get To Phoenix» de Jimmy Webb, dont une version courte figure que la compile Ace - I’m talking about the power of love, man - C’est un cut historique, c’mon c’mon c’mon, tu rentres dans la profondeur du Black Power, et t’es bien raccord avec la photo d’Isaac le Prophète enchaîné qui orne la pochette. Car c’est monté sur un lourd battement de cœur et un claquement hypnotique de cymbale, tu attends un peu et Isaac t’allume ça au chant, il injecte le power du Black Power dans le petit cul blanc de Jimmy Webb et ça devient mythique. Oui, tu plonges dans les tréfonds d’un paradis, et le Prophète te magnifie cette chanson parfaite à coups de call my name. Comme Phoenix fait un carton, Bell est obligé d’en sortir une version single de 7 minutes. Même chose pour «Walk On By» qui en fait 12 et qui redescend à 4 minutes pour le single. C’est d’ailleurs «Walk On By» qui ouvre le bal de cette compile prophétique. T’as l’immédiateté du Prophète - If you see me walking down the street - Il gronde son walk on by avec le pouvoir terrible d’un dieu de l’Antiquité.

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             Isaac le Prophète tape encore dans Burt avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself» et «The Look Of Love». Il emmène les cuts de Burt en mode Stax avec des chœurs de filles. Tout ici est extrêmement arrangé, très aventureux, Isaac attaque Burt à la sourde, histoire de challenger la mélodie. Il rivalise de génie vocal avec Dusty chérie, tu le vois remonter le courant de la mélodie à la force du poignet. Ses compos ne sont pas en reste, comme le montre «Winter Snow», qu’il module à merveille d’une voix profonde. Il vise la pop par dessus les toits. Il fait aussi un chef-d’œuvre de l’«I Stand Accused» des frères Butler de Chicago. Il prend bien «Never Can Say Goodbye» par en dessous, puis tu tombes nez à nez avec «Theme From Shaft».

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             Isaac le Prophète comptait bien décrocher un rôle dans le film de Gordon Parks, mais comme Parks a déjà confié le rôle à Richard Roundtree, il demande à Isaac de composer la B.O. Boom ! «Theme From Shaft», amené à la cymbale, comme Phoenix, et repris à la wah black. C’est du grand art. On connaît Shaft par cœur, mais le fouetté de cymbale fascine toujours plus, t’y peux rien. Damn right ! Il y va le Prophète, il te groove ça entre les reins et ça te bat la coulpe au right on ! Rounce parle d’une «truly iconic piece of music.» Il a raison, l’asticot. Le double album Shaft reste nous dit encore Rounce LE «Stax’s best-seller and one of the best-selling soundtrack albums ever.» Isaac le Prophète a sauvé Stax. Provisoirement. Les fucking banquiers blancs allaient finir par avoir la peau de ce vaillant label black.

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             Le «Do Your Thing» de la compile est encore une version tronquée, qui passe de 20 minutes à 3, Isaac le Prophète chante ça d’une voix de catacombe. On croise ensuite une cover instro du «Let’s Stay Together» d’Al Green. Isaac y joue du sax et mine de rien, il vise la grandeur totémique urbaine. Il prend ensuite «Soulsville» à la voix mâle. Rounce annonce bien sûr une suite. On piaffe d’impatience. Cui cui cui ! Ou coin coin coin, c’est comme tu veux.

    Signé : Cazengler, Isac à main

    Isaac Hayes. Hot Buttered Singles 1969-1972. Ace Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Compte en Banks

             Durrell n’avait rien à voir avec l’écrivain anglais du même nom, Lawrence Durrell. On lui posait chaque fois la question et il répondait d’un air mauvais, que non, il n’était pas l’écrivain machin, mais par contre, il se forçait à sourire pour ajouter qu’il a-do-rait Francis Carco, qu’il avait chez lui une pièce en-tièèèèèère consacrée à Francis Carco, entière, t’as bien entendu ?, en-tièèèèère !, et il poursuivait en racontant qu’il possédait des traductions de Carco dans toutes les langues, même en japonais, en arabe et en serbo-croate, ben oui, pomme de terre, me regarde pas comme ça, en serbo-croate !, ça t’épate, hein ?, et il donnait tous les détails de ses in-quarto décorés d’eaux fortes, il citait les noms d’obscurs illustrateurs de presse, il se vantait aussi de posséder des tirages de tête dédicacés par l’auteur, il gesticulait, levait les bras au ciel, baragouinait que Carco ceci et cela, et que si t’étais pas content c’était pareil, il se rapprochait de toi et t’attrapait par le col pour te grogner sous le nez d’une voix sourde : ah tu connais pas Carco ?, ben dis donc, on est pas sortis de l’auberge avec une patate comme toi, et il repartait de plus belle, te branchait sur le Lapin Agile, sur Dorgelès et Mac Orlan et paf, il t’expliquait la bohème dans le moindre détail, toute la bohème de Montmartre, et avec un mec comme Durrell, ça durait la nuit entière, on vidait les cubis et on clopait tous les paquets de clopes, plus Durrell buvait et plus il s’agitait, il ressemblait à un volcan équipé d’ailes de moulin, mais un volcan qui menaçait à chaque instant d’entrer en éruption, et soudain, il éruptait, les baies vitrées tremblaient, des flots jaillissaient de sa gueule grande ouverte, et pis t’as Guillaume Apollinaire qui chante son Pont Mirabeau au bout de la table et pis t’as Max Jacob qui réajuste son monocle entre deux crises de rire, et pis t’as Utrillo qui boit comme un trou, oui, comme un trou !, et pis t’as Pascin qui songe déjà à se pendre, mais qui donne la change, le change, oui mon gars, le change ! Et toi espèce de cloporte, sers-moi donc à boire ! ventrebleu, qu’est-ce que c’est qu’cette baraque où ya plus rien à boire !, et soudain, ivre de colère et de délire volcanique, il donna un coup de poing sur la table tellement violent que les verres et les bouteilles tombèrent, il se leva d’un bond, pareil à Poséidon, renversa la table, et décida d’aller boire un dernier verre en ville avant d’aller se coucher.

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             Vaut mieux avoir Darrell à sa table que Durrell.

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             Darrell Banks est l’un des princes de la Northen Soul, il est donc logique qu’il s’en vienne briller inside the goldmine. Dans ses liners pour Kent, Tony Rounce parle d’une «short but brillant career» : quatre ans, deux albums et une poignée de singles - Elle commença avec le succès de son premier single, «Open The Door To Your Heart», en juillet 1966, et s’acheva avec la balle d’un flic en civil en février 1970 - En fait Darrell se tapait une certaine Marjorie Bozeman que se tapait aussi le flicard. Un jour, Darrell se pointe chez Marjorie, le flicard est là, une petite shoote éclate, le flicard sort son calibre et bam bam, une balle dans le cou et une autre dans la poitrine. Rounce oublie de nous dire si le flicard est blanc. Par contre, il précise que le flicard n’ira pas au trou, ce qui laisse supposer qu’il est effectivement blanc.

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             Rounce ne tarit pas d’éloges sur le pauvre Darrell, il parle de «best Southern and Northern Soul ever found on tape», et qualifie Darrell d’«one of the hardest acts to follow in the entire history of popular music». Rounce ne mâche pas ses mots et comme c’est l’un des plus grands spécialistes de la Soul, on prend ses paroles pour argent comptant. Parmi les supposées influences de Darrell, Rounce cite les noms qui brûlent les lèvres, ceux d’Archie Brownlee et de Clarence Fountain, les lead singers respectifs des Five Blind Boys Of Mississippi et des Blind Boys Of Alabama.

             Basé sur la côte Est, Darrell commence par écumer la scène de Buffalo, dans l’état de New York, puis il ira enregistrer à Detroit pour le compte d’Atlantic/ATCO. Rounce revient sur «Open The Door To Your Heart» qui pour lui est le hit Soul parfait, un hit qui sera repris par Jackie Wilson, Freddie Scott et Tyrone Davis.

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             C’est d’ailleurs «Open The Door To Your Heart» qui ouvre le bal de B de Darrell Banks Is Here. Ce bel ATCO de 1967 se doit de figurer dans toute discothèque digne de ce nom. Sur les dix cuts de l’albums, tu as huit coups de génie, voilà, c’est aussi simple que ça. Boom dès «I’ve Got That Feeling», un heavy r’n’b, avec Darrell, ça ne traîne pas. FSB ! Fast Soul Brother ! Et ça repart de plus belle avec «Look Into The Eyes Of A Fool», il te claque là un groove d’entre-deux, et il se coule dans la pocket d’«Our Love Is In The Pocket», un wild r’n’b franc du collier. En B, boom dès l’«Open The Door To Your Heart», Tony Rounce a raison de s’exciter sur ce big heavy r’n’b tapé au Darrell Feel de much time for my baby. Véritable crash test, pur r’n’b genius, le Darrell y va au sweet to me. Toute la B rôtit en enfer, le vieux Darrell embarque son «Angel Baby (Don’t You Ever Leave Me)» au yeah yeah yeah. Darrell Banks est un démon. Son «Somebody (Somewhere Needs You)» est plus classique mais wham bam quand même, car quel fast r’n’b, Darrell fonce au triple galop. L’heavy Darrell est de retour avec «Baby Watcha Got (For Me)», il ronfle comme un gros moteur Stax, il développe la même énergie que Sam & Dave, avec le côté aristocratique en plus. Power absolu ! Ça se termine avec «You Better Go». Darrell est une fine lame. Il est même la prunelle des yeux du r’n’b. Il chante comme s’il était un empereur sur son char.

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             Pas la peine d’aller cavaler après Here To Stay, l’album de Banks qui vaut la peau des fesses, il se trouve sur une belle compile Kent, I’m The One Who Loves You - The Volt Recordings. Avec le nom qu’il porte, Darrell Banks est un artiste tout de suite crédible. Il travaille ses grooves au raw, comme le veut la tradition Stax de l’époque. Mais curieusement, il n’a pas de hits. Il s’aventure sur les traces du grand Percy en reprenant «When A Man Loves a Woman». Bon, il n’a pas le même genre de guts, pas du tout. Il reste dans les limites de la bonne interprétation, comme si le génie ne l’intéressait pas. Ça nous fait des vacances. On se repose. Ras le bol des immenses artistes et des creveurs d’écrans. Avec Banks, on est tranquille, comme avec le Crédit Agricole. Il est le bon sens de la Soul près de chez toi. Il faut attendre «Beautiful Feeling» pour le voir enfin monter là-haut, pas à Rio, mais sur l’Ararat. Sa heavy Soul peut devenir stupéfiante. Il y fait un Big Atmospherix violonné à outrance. Tout s’écroule sous le poids de la Soul. On finit par comprendre que Banks navigue à un très haut niveau. Les petits hits de juke ne l’intéressent pas. Dans «Never Alone», il est même dépassé par les Sisters. Les bonus valent le détour, notamment «I’m The One Who Love You», un heavy r’n’b viollonné dans l’axe de l’angle, et comme il ramène toute sa niaque de Soul Brother, ça devient excellent. Il fait un peu de funk avec «Mama Give Me Some Water», mais c’est un funk à la mode Jean Knight et King Floyd, le funk Malaco. Il tape à la porte de derrière avec «My Life Is Incomplete Without You», et il casse la baraque pour de vrai avec «Beautiful Feeling», orchestré dans l’âme de la Soul. 

    Signé : Cazengler, Banks postale

    Darrell Banks. Darrell Banks Is Here. Atco Records 1967  

    Darrell Banks. I’m The One Who Loves You. The Volt Recordings. Kent Soul 2013

     

    *

            En règle générale l’oiseau bâtit son nid là où il se pose. Certains affirmeront que ce lieu mythique se trouve près des eaux puissantes et boueuses puissantes du Mississippi et qu’il se nomme la terre du blues. Ils n’ont pas tort. C’est une belle contrée originaire. D’autres diront que la zone d’élection est plus vaste, qu’elle est partout et nulle part sur pratiquement la moitié d’un continent, ils parlent de country et de folk. Eux non plus n’ont pas tort. Ils désignent un pays mythique par excellence. Mais pour moi, je fais partie de cette génération de jeunes européens pour qui le domaine d’Arhneim d’Edgar Poe qui confine à l’absolu touche à cette terre impalpable et génitrice, surnommée les pionniers du rock.

             Ses frontières sont floues, l’on peut les traverser sans s’en rendre compte où l’on met les pieds. Peu à peu il disparaît des cartes géographiques musicales, les rois du rock ont vite perdu leurs royaumes, en moins de dix ans ils sont devenus des princes en exil. Mais souvent l’on ne sait jamais si l’on marche sur des cendres ou des semences. Toutefois si l’on explore les sables des mémoires ensevelies l’on ne tarde pas à retrouver des traces, des artefacts, et des témoignages des principaux saigneurs de cette époque de gloire tapageuse et fulgurante. Cette semaine ce sera :

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE SEA !

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE  SKY !

    LITTLE RICHARD !

             C’est une vidéo qui m’est tombée inopinément sous l’œil. Je ne l’avais jamais regardée. Je n’aime pas les blablas officiels, les récupérations posthumes, les votes pour élire le plus grand ceci, le plus grand cela… Soyons franc, une petite dent (de cachalot colérique) contre le Rock’n’roll Hall of Fame. Depuis les premières nominations de l’année 1986. Du beau monde : Elvis Presley, Chuck Berry, James Brown, Ray Charles, Sam Cooke, Fats Domino, The Everly Brothers, Buddy Holly, Jerry Lee Lewis, Little Richard. Je sais bien que Gene Vincent n’a pas bénéficié de la même aura auprès du public américain que du public européen… En plus il n’y a pas non plus Eddie Cochran… Erreur monumentale qui sera réparée l’année suivante, 1987, avec toute une floppée de pionniers, Eddie Cochran bien sûr, mais aussi Bill Haley, Bo Diddley, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison… Pour Gene Vincent faudra attendre… 1998 !

             Otis Redding sera intronisé en 1989, son introducteur sera Little Richard. J’aime beaucoup Otis Redding mais j’avoue que j’ai regardé pour Little Richard. Otis est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Des anglais. Certes l’on adorait les Rolling Stones, les Yardbirds, les Animals et tous les autres Britishs, mais ces englishes malgré leurs éminentes qualités possédaient une tare secrète. Ce n’était pas de leur faute, mais enfin le pays du rock’n’roll c’était quand même l’Amérique, aussi quand a déboulé Otis, ah, cette version de Satisfaction qui remettait la pendule des Stones à l’heure, mais aussi Wilson Pickett, Sam and Dave, Eddie Floyd, Arthur Conley et tous les autres, avec en prime champion toutes catégories James Brown, c’était bien le retour du rock’n’roll ! On l’appelait Rhythm’n’Blues mais ce n’était pas gênant, juste une question d’orchestration, priorité aux cuivres, rien  d’incompatible, ça groovait un max à faire s’effondrer la Tour de Babel sur ses bases… C’était bien parti pour un nouveau tour de piste, hélas tout a recommencé comme avant, un malheureux avion qui s’écrase, exit le rhythm’n’blues, la veine noire et palpitante du rock s’évanouit, ce sont les britains d’outre-manche qui colonisent les terres d’outre-atlantique…

             Que Little Richard soit l’introducteur d’Otis Redding au Hall of Fame tombe sous le sens. Tous deux sont originaires de Macon in Georgia. Le premier 45 tours d’Otis Fat Girl / Shout Bamalama sorti en 1961 est la preuve d’une filiation musicale indéniable…

             Juste quelques dates  qui ont de l’importance pour ce qui suit : Otis est né en 1941, il est mort en 1967. Little Richard est né en 1932. Otis Redding est intronisé en 1989, Little Richard a donc cinquante-six ans.

    LITTLE RICHARD INDUCTS OTIS REDDING

    INTO ROCK’N’ROLL HALL OF FAME

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             L’a de la gueule, de profil sur l’image arrêtée, chevelure bouclée, fine moustache, lunettes teintées, col de chemise noire, l’arrive sur scène sanglé dans une vaste veste de teinte sombre, verreries éparses clignotantes sous les projecteurs, tend la main à Jerry Wexler tous bras ouverts, accolade, le voici devant le pupitre sur lequel repose quelques feuilles de papier, il se penche vers les micros, c’est là que l’on s’aperçoit que les musicos entrevus en deux quarts de seconde ne sont pas là pour sonner de pharamineuses trompettes d’accueil, sans préavis Little Richard entonne I can’t turn you loose, quelle attaque, quelle voix, quel mordant, il n’a pas l’arrière-volupté du timbre d’Otis mais il vous transforme le titre  en un hymne de haute piraterie, s’appuie des deux mains sur le pupitre, et chante avec cette facilité déconcertante avec laquelle vous tournez votre petite cuillère chaque matin dans votre bol, les cuivres freinent à mort derrière comme quand vous faites une queue de poisson sur l’autoroute pour que le poids-lourd verse son chargement sur la voiture qui le suit, l’on sent que l’on va entrer dans le dur, déception, nous n’avons droit qu’au premier couplet ! Pas de panique nous n’allons pas perdre au change avec ce qui suit.

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             L’a terminé sur quatre ou cinq de ces pioulets – c’est ainsi qu’en Ariège que l’on surnomme le cri du poulet qu’un renard attrape par le col – qui firent sa célébrité, s’incline, l’a un de ces sourires de carnassier, oui mais attention c’est un nègre qui tient sa revanche – celle de tout un peuple longtemps soumis en esclavage – longtemps, trente ans qu’il n’avait chanté ainsi, et maintenant vous allez l’entendre pousser ces cris de femme blanche - le peu de public que l’on entrevoit est constitué de blancs – il rigole et la foule s’esclaffe, fermez-là, elles font oh ! et  les noires WHOU ! (comme les louves affamées a-t-on envie d’ajouter), il se sent bien, real dit-il, lui et Otis viennent du même endroit, et hop il enchaîne sur Sittin’ at the dock of the bay (la dernière chanson d’Otis sortie tout de suite après sa mort) je fais remarquer que tout en rigolant de la blancheur de ses dents colgate il a suggéré trois notions importantes, la sujétion, le sexe et la mort,  chante le hit avec le même désenchantement détaché qu’Otis, les lyrics ne sont pas joyeux, fait une drôle de gueule quand il l’interrompt, certains mo(r)ts portent plus que d’autres, alors il éclate de rire, rappelle qu’il n’a pas chanté depuis tant de temps, cite Tina Turner, fermez-la, et moi aussi je devrais chanter comme elle le fait si bien, vous devriez m’enregistrer, et je vis encore, je suis encore présentable, fermez-la, prenez-moi en photo, laissez l’homme noir, appuie sur le bouton que tu me voies tel que je suis, vous savez Otis et moi provenons de la même cité, il farfouille dans ses deux feuilles, non il ne lira rien, car il vient de là lui aussi, pourquoi riez-vous, j’ai été le premier gars de Georgie à devenir célèbre, parce que je suis le plus ancien, l’ancêtre et très jeune, James Brown je l’ai sorti de prison, maintenant il retourne dans le Sud, je pense que je devrais y aller avec lui – James Brown est alors en prison, condamné à six ans, il ressortira au bout de trois ans pour conduite en état d’ivresse et détention d’armes en feu – Vraiment je hais ce qu’ils ont fait à James, il est fantastique, il est le Godfather, si l’on me laissait pourrir autant de temps, il n’y aurait pas d’autre alternative, James doit se ressaisir, nous devons tous nous ressaisir. Vous savez Otis a commencé par Shout Lamabama, vous connaissez cette chanson, le rock’n’roll est all around the world, vous connaissez ma voix un peu haute, vous souvenez-vous, et il entonne I’ve been lovin’ you too long, mais il arrête trop vite, j’aime ses chansons, j’étais son idole, il aimait ces petits roulements dans ma voix, il en donne un exemple mais il ne peut s’empêcher de débloquer le turbo et se lance dans un whooooo ! à réveiller les derniers loups des Appalaches. Je me sens bien mais je n’ai que de l’eau sur ma table ! Rajoute quelques Wloo, celui-ci dédicacé à Phil Spector. Il enchaîne sur Fa-Fa-Fa-Fa…( Sad Song), l’on aimerait qu’il aille jusqu’au bout, mais il revient à Otis, son père était un preacher et lui aussi était un preacher, c’était un grand chanteur, je l’ai rencontré à New York, je ne l’ai pas rencontré à Macon, je lui ai donné cinquante dollars au Statler Hilton Hotel, je lui ai donné un autographe, et je lui ai filé une marque pour venir me voir dans ma chambre, je lui ai dit que j’avais besoin de parler, il m’a dit oui, mais il n’a pas voulu que je ferme la porte, Little Richard

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    explose de rire, je ne voulais rien faire juste l’entendre chanter, il a composé de grands morceaux, j’ai souhaité qu’il soit au Hall od Fame, mais il est parti, il a contribué à la musique du monde, et il est un pilier du rock’n’roll, quand je l’ai entendu interpréter Lucille ( 1964) j’ai cru que c’était moi, il se tourne vers l’orchestre, tiens un petit peu de Lucille, l’en fredonne un demi-couplet, il sonnait comme moi, j’ai cru que c’était moi, et quand j’ai su que c’était lui j’ai su que c’était un des plus grands chanteurs et un des plus grands compositeurs, dans lesquels je m’inclus, et aussi Jimi Hendricks, tous sont avec moi, James Brown, les Beatles, et Mick Jagger que je n’ai jamais rencontré, mais il était avec moi, te souviens-tu Mick que tu étais venu et que tu dormais sur le plancher car il n’y avait pas de lit pour lui, il ne peut pas oublier car c’était dur, il était dans la chambre de Bob Dill car la mienne était pleine comme un œuf, il s’esclaffe, l’était juste en train de faire son intéressant, il n’était pas si mort que ça, parfois il faut savoir s’arrêter, je ne suis pas en train de dire que le gagnant est méchant, ce soir le gagnant c’est Otis, nous tenons à remettre à Otis et à sa famille, elle doit être là, cette grande, grande récompense, et

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    je suis heureux d’être là et que c’est la première fois que j’ai chanté Lucille il y a trente ans et j’ai chanté le rock’n’roll depuis trente ans. Bonne nuit. Bon Dieu, une femme toute menue se glisse dans ses bras. Prenez-moi en photo avec cette lady, elle prend la parole dans quelques instants, tendez la main à ce monsieur, elle prend des mains la statue que Wexler lui remet, encore une photo avec la statuette, Zelma l’épouse d’Otis s’approche du micro, elle parle, pas très longtemps, mais l’on ressent son émotion et son chagrin encore présent si longtemps après la disparition d’Otis. Elle ne peut continuer, Little Richard l’accompagne doucement…

             Sans commentaire.

    Damie Chad.

     

    *

             590, 594, 617, voici un moment que nous suivons Telesterion. Vraisemblablement pas avec une attention soutenue puisque qu’au mois de septembre dernier nous avons laissé passer sa dernière production. Apparemment Demeter ne nous en a pas voulu. En effet Telesterion se donne pour but unique de chanter pour la déesse. Nous avons cru au début que Telesterion était un groupe grec, il s’agirait d’un seul individu qui serait américain. Voici donc, avec Thumos, deux groupes de la grande Amérique qui se consacreraient au legs de la Grèce Antique. Comme par hasard tous deux possèdent la même maison de disques…

    THEMESPHORIA

    TELESTERION

    (Snow Wolf Records / Septembre 2024)

             Les Themesphoria remonteraient-elles à près de mille ans avant notre ère sous forme de pratiques rituelles liées à l’agriculture dans le bassin méditerranéen… Ce qui est certain c’est que les Themestoria étaient des fêtes liées aux cérémonies des Mystères d’Eleusis. Il en reste encore des traces aujourd’hui dans nos sociétés modernes lorsque l’on explique à nos chérubins qui veulent tout savoir, on leur raconte que leur papa a planté une petite graine dans leur maman… Civilisation avancée nous entrevoyons le problème de la génération selon les progrès de nos médicales connaissances gynécologiques… les premiers peuples sédentaires s’inquiétaient davantage de leur survie alimentaire qui dépendait avant tout de la fertilité du blé… pour la problématique enfantine on aviserait plus tard…

             L’on a un peu tendance à rire jaune lorsque l’on prend connaissance des fameux mystères du sanctuaire sacré proche d’Athènes. Tant de bruit et de silence pour des évidences à la portée de nos élèves de CM1 ! Que la graine doive périr pour donner naissance à un épi de blé nous l’admettons, que cette force naturelle qui conduit la graine à périr pour renaître sous forme d’épi porteur de grains qui retombés en terre accepteront leur rôle de graines, la description de ce phénomène nous l’assimilons sans trop de peine, que le processus germinatif de la graine soit assimilé et associé à l’idée de force vitale propulsée par le phallus, nos lointains ancêtres, pas plus bêtes que nous, y ont souscrit sans difficulté. N’étaient point du genre à cacher ce témoin du désir turgescent.

             Tous ces processus nous ne les entrevoyons que sous leurs aspects platement réalistes.  La science nous a fait perdre le mystère des choses. Les grecs recouvraient de métaphysique la physique des choses. Humaines, trop humaines, les choses ne possédent que maigre valeur. La graine, symbolisée par Perséphone obligée de passer les mois d’automne et d’hiver sous la terre dans le royaume souterrain d’Hadès son mari, retrouvait le soleil durant  la majeure partie de l’année près de  sa mère, la déesse Déméter. Que trois Dieux soient mêlés au processus germinatif, voilà de quoi lui concéder une certaine majesté…

             Si vous avez du mal à sentir la présence des Dieux rôder autour des choses, consolez-vous, la plupart de vos concitoyens ne discernent point les idées platoniciennes au-dessus du moindre phénomène. Ne soyez pas désespérés, Aristote lui-même n’a jamais manifesté une grande créance aux théories de Platon.

             Si les Mystères d’Eleusis étaient ouverts aux femmes comme aux hommes, les femmes mariées (et peut-être de bonne famille) avaient seules le droit de participer aux Themesphoria. Est-ce à cause de cette suppression de la moitié des témoins que le secret de ces rites nous est mal connu, malgré leur réputation de cancanière à la langue affûtée, peut-être les femmes ont-elles su rester discrètes…

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             En règle générale les Themesphoria se déroulaient fin octobre et duraient trois jours. Certaines cités grecques optaient pour une période pouvant atteindre dix jours… Telesterion a opté pour quatre stases. Toutefois il rajoute cinq rites choisis parmi ceux que pratiquaient les prêtres chargés du culte. Nous y reviendrons.     

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             Différentes lectures de la signification des Themesphoria peuvent être proposées. Il en est une très rassurante :  ce seraient des cérémonies qui siéraient à la majesté des femmes mariées et à leur statut de génitrices. Dans la série ayons de beaux enfants forts et virils ils sont les garants de la survie future de la  Cité, les Grecs étaient très fortiches… Maintenant quand on touche au sexe des femmes une autre version transparaît. Lors de cérémonies liées aux cultes de la fécondité, par exemple durant les Lupercales  romaines, menées par les prêtres du dieu Faunus, les jeunes hommes s’armaient de lanières et se dispersaient dans la ville pour fouetter au hasard les femmes désireuses de tomber enceintes, nous ne sommes pas loin de jeux érotiques sado-érotiques… Pensons au scandale suscité par Jules César pour s’être introduit dans les cérémonies secrètes en l’ honneur de la Bonne Déesse ( = Fauna = Céres = Demeter) interdites aux hommes, durant lesquelles nos Dames de haute vertu s’adonnaient à de fortes libations alcoolisées et à certains jeux érotiques étrangement semblables à des orgies. Pour les curieux nous recommandons la lecture attentive du Dialogue des Courtisanes par Pierre Louÿs, nous ne donnerons pas ici la traduction de ce terme grec de ‘’Bobôn’’ désignant cet ustensile que ces péripapéticiennes utilisaient pour prendre un peu de plaisir dans cette vallée de larmes que serait notre séjour terrestre.

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             Nous pensons que nos lecteurs ont plus ou moins entendu parler de Perséphone fille de Déméter kidnappée par Hadès le Dieu des Enfers. Sa mère en larmes et désespérée s’en vint se plaindre à Zeus. Rappelons-nous que Perséphone est aussi la fille de son père : Zeus. Cette histoire est peu metooesque. Puisque sur les conseils de Zeus, malgré les ignobles épreuves à laquelle le dieu des Enders  soumit son cops innocent, Perséphone consentit à régner en compagnie de son mari sur le monde des morts. Phénomène d’emprise !  Comme quoi Eros et Thanatos…

             Il est toutefois un autre personnage lié de très près à cette histoire. Il s’agit d’une des plus vieilles déesses, Hécate, les rockers la connaissent car elle préside aux carrefours, endroit où toutes le mauvaises, mais aussi les bonnes rencontres peuvent se produire. C’est dans un carrefour que le diable in person apprit à Robert Johnson les adéquates positions des doigts sur les cordes d’une guitare. Dans notre modernité Hécate ne jouit pas d’une bonne réputation… c’est pourtant elle qui a  permis à bébé Zeus de ne pas être englouti dans le ventre de son père Kronos… C’est aussi elle qui servante de Déméter s’occupa du bébé Koré, signifiant jeune fille, premier nom que sa mère lui donna et qu’elle abandonna lorsqu’elle devint Perséphone, l’épouse d’Hadès.

             Lorsque Déméter désemparée ne savait plus quoi faire devant la mystérieuse disparition de sa fille, Hécate prit les choses en main, elle l’emmena chez Hélios le kronide  qui la dirigea vers Zeus… Mais avant que Zeus n’eût donné à Hadès l’ordre de libérer Perséphone, Déméter avait reçu accueil et assistance auprès de la reine Métaneiré à qui elle ordonna de faire bâtir dans la ville d’Eleusis un temple en son honneur. C’est de retour de son entrevue avec Zeus qu’elle initia le roi Kéléos et ses fils Triptolémos, Polyseinos, Eumolpos, Dioclès, aux rites secrets qui seront enseignés dans son temple à EleusisLeconte de Lisle dans ses traductions des Hymnes Homériques emploie le terme orgie pour désigner le contenu de ses rituels secrets…  Ce sont ces cinq rites dont Themesphoria nous indique qu’ils sont accomplis par les prêtresses de Déméter.        

             La couve de l’Ep dont nous n’avons pas réussi à découvrir la provenance nous semble moderne, empruntant autant à l’Art Moderne d’un Aubrey Beardsley  qu’à la bande dessinée, elle tranche avec celles des précédents artefacts de Telesterion.

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    Skira : qui en grec signifie ombre : cela pourrait s’intituler l’angoisse, la descente dans le noir des Enfers de Koré emportée par Hadès, des pas dans une galerie, quelqu’un qui porte un corps pesant, vision auditive toute hominienne, des chœurs incessants pour donner à cette interprétation la grandeur fastueuse de l’évènement en train de se dérouler, une espèce de contre-initiation charnelle, l’ouverture des grenades sanglantes du sexe percé de Perséphone, l’intuition qui lui est prodiguée de la signification de l’acte accompli, en dehors de toute limitation individuelle, la portée symbolique, de ce grain de grenade qu’elle a avalé qui l’a rendue immortelle puisqu’elle ne peut plus mourir, car même les Dieux immortels peuvent mourir s’ils ne peuvent plus se nourrir d’ambroisie et de nectar, nourriture sacrée des Dieux suscitée par les bienfaits de Déméter… Plus que l’épisode mythologique du rapt de Koré, l’ombre ici n’est qu’une des figures de la mort inéluctable. Anodos : joyeuses pincées de cordes et trot percussif, si skira désignait la descente de Perséphone dans la mort, anodos signifie montée, vers le soleil, le retour de Perséphone vers Déméter, le cycle de la vie qui se libère des liens du cycle de la mort, la fleur qui s’offre au soleil, la végétation qui renaît, l’éblouissance des forces de la nature, l’assurance du triomphe de la vie. Ce premier jour des Themesphoria donnait lieu à un défilé triomphal, sans doute y promenait-on les futures victimes animales  offertes à la déesse : chiens (pensez à Hécate et à Cerbère) et porcs (particulièrement utilisés dans des rites de fertilité dont Déméter et Koré  étaient de droit les principales bénéficiaires. Des morceaux de porcelets étaient enfouis dans des fossés creusés dans les champs, pour être récupérés plus tard et servaient alors d’offrandes sur les autels de la déesse afin qu’elle favorise les futures moissons. Tout parallèle avec le grain de blé transformé en épi s’impose naturellement.). Nesteia : rythme sans force. Musique grave et retenue. Ce deuxième épisode des Themesphoria surprend, il s’agit d’un jeûne propice au recueillement et à la réflexion. Toutefois il était conseillé de participer à cette cérémonie en ayant auparavant suivi durant trois journées une abstinence que l’on ne peut qualifier que d’ordre sexuel. Etait-ce pour ne pas se présenter à la cérémonie suivante le corps fatigué, les membres las, les chairs comblées… toujours est-il que l’on ne peut ne pas remarquer que le flux musical se charge d’une certaine tension, d’un tambourin insistant, d’une accumulation organique d’impatience comprimée. Kalligeneia : la troisième journée était vouée à fêter cette déesse censée vous aider à engendrer de beaux enfants, robustes et en pleine santé. S’agissait-il simplement d’offrandes de fleurs, de bijoux, de chevelures, dans l’espoir d’être exaucée ou d’une initiation sexuelle sous forme de mimes, ou de pratiques plus exhaustives. Nous n’en savons rien. Nous notons toutefois que ce morceau accumule séquences d’attente et moments de libération, certes l’ambiance n’est guère priapique et reste cantonnée dans un registre grave et contenu, il s’agit bien d’entrevoir cette initiation comme des instants sacrés et solennels qui confère à des gestes somme toute jouissifs une dimension énigmatique et mystérieuse que les non-initiées étaient censées ne pas connaître…

             Cet EP de Telesterion est d’un abord moins évident que les enregistrements précédents. Il demande quelques connaissances de base sans lesquelles il est difficile de pénétrer le sens ultime de cette musique qui reste celle de l’évocation de pratiques cultuelles de l’ancienne Grèce. Aujourd’hui le regard que nous portons sur ces cérémonies bâties à leur époque sur des observations archaïques les plus triviales, plongeant leurs racines dans la période néotlithique, nous les recevons après des siècles d’édification mythologiques d’une grande complexité car constituées de couches historiales diverses, elles-mêmes modulées par toutes ces réflexions raisonnantes léguées par la philosophie et la pensée sophistique du legs de la Grèce Antique.

    Damie Chad.

     

     *

             Sans être un linguiste réputé il y a des noms de groupe qui se traduisent facilement exemple : conifer beard = barbe de conifère.  Ce qui ne vous empêche pas de barjoter : les sapins étant des conifères voici votre barbe de conifère qui se transforme en barbe de sapin, par un subtil glissement vous obtenez barbe de sapeur. Du coup en gambergeant dans votre tête vous imaginez les sapeurs de la Grande Armée entrant dans l’eau froide de la Bérézina pour construire les ponts salvateurs, vous voici transporté en Russie, bingo ! justement le groupe qui porte le nom de Conifer Beard est de nationalité russe. Soyons précis : de Yelabouga (80 000 habitants) située sur un  affluent de la Volga à plus de neuf cents kilomètres de Moscou. Tout concorde, trois grands types costauds nantis d’une barbe, toutefois avouons-le  fièrement, plus modeste que celle des sapeurs de Napoléon, des adeptes de stoner rock. Des brutes épaisses sympathiques. Enfin presque. Sur leur Instagram vous avez une photo tous les trois debout devant une isba recouverte de neige accompagnée d’un texte écrit en Russe. Quand on pense que Tolstoï enfant parlait mieux le français que le russe, l’on se dit que l’on n’aurait pas besoin d’un traducteur pour comprendre. Or justement le texte traduit reste passablement compréhensible. Ce n’est pas que le traducteur soit mauvais, ce n’est pas que nos conifer men soient des analphabètes, c’est que nous sommes en présence d’un texte poétique. Bref des types qui méritent le détour, alors sans plus attendre l’on se penche sur :

    Странствий Сказ

    CONIFER BEARD

    (Février 2025)

             Oui nous les avons déjà rencontrés dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, et vous avez raison ce Странствий Сказ signifie bien RECIT DE VOYAGE. Nous sommes donc dans la grande tradition du récit de voyage russe dont le chef-d’œuvre reste  La Steppe (Histoire d’un voyage) d’Anton Tchekhov. Nous voici partis pour un étrange voyage.

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             Je ne suis pas un spécialiste de l’art graphique du vingt-et-unième siècle mais je ne crois pas m’avancer beaucoup en assurant que le 31 décembre 2299 la couve de ce disque ne sera pas élue comme une des dix images totémiques des cent dernières années qui se seront écoulées. Toutefois que signifie cette utilisation du blanc et noir alors que les productions précédentes de Conifer Beard ont toutes bénéficié d’une impression quadrichromique. Il ne faut point d’après moi expliciter que cette absence de couleur soit due à un manque de moyens pécuniers. Le groupe a voulu qu’il y ait une coalescence d’intention entre la pochette et le thème de l’album. Certes des centaines de verstes parcourues dans une sombre forêt recouverte de neige peut être facilement représentées en noir et blanc, mais il est deux sortes de voyages, ceux qui se déroulent en pleine nature et ceux intérieurs que l’âme effectue après le trépas. Le blanc du linceul et le noir funèbre s’imposent alors d’eux-mêmes.

    Artem Kornilov : guitar / Arsenil Kornilov : bass / Robert Nurunov : drums. Se partagent tous les trois le vocal.

    Зачин : Départ : apparemment nous sommes dans un avion, un vieux coucou, les vitres ouvertes, ou dans une voiture puisque l’on entend des cris d’oiseaux, un chœur lointain de femmes éplorées retentit, hurlements de loups, à moins que ce ne soit des chiens qui hurlent à la mort, des talonades de pas pressés, une cloche qui tinte rapidement, et bruits rassurants un combo de rock qui s’en vient tailler la route. Ясный Сокол : Faucon clair : vous avez une belle turbine rock de bon aloi, ça défile à mort, pas le temps de s’ennuyer, la batterie qui scande le rythme et les guitares qui brodent et surfilent à mort, vous êtes heureux, pourvu que ça dure jusqu’à la fin pensez-vous. Justement la voix, pas du tout ennuyeuse, elle se maintient sur la cime de la rythmique sans problème, mais si vous prêtez un tantinet attention à ce que cette voix un peu voilée vous suggère elle vous oblige à vous poser   une question, nous trouvons-nous au début ou à la fin, je sais c’est un peu le mystère de l’âme russe, et ce faucon qui vole vers le ciel et dont les ailes claires cachent la rougeur du soleil naissant, quel est ce dialogue qui s’instaure entre ce qui paraît être un chevalier médiéval et ce faucon de grande sagesse qui instruit l’âme – soyons réaliste avez-vous déjà vu des chevaliers à la pesante armure voler dans le ciel – qui s’envole dans le ciel après un dernier regard jeté vers le souvenir des siens aimés et chéris. Les guitares s’étirent  vers l’infini et le moteur de la vie s’emballe comme s’il savait que le voyage sera encore long. Pour ceux qui ont peur de se morfondre vous avez sur la vidéo un paysage de forêt enneigée qui se déroule sans fin. L’immensité de la taïga russe. С зарёй : L’aube heureuse : l’impression que la guitare joue au billard à trois boules avec la batterie, ne vous inquiétez pas pour savoir qui est la boule rouge, pour poser la question d’une autre manière si celui qui parle est un chevalier blessé qui chevauche à travers la forêt poursuivant un rêve perdu de fidélité, ou alors est-ce son âme en partance vers on ne sait trop quoi  qui se pense représentée en chevalier  cheminant vers le vide de la mort. Doit discuter ferme avec lui-même pour savoir s’il est encore vivant ou déjà mort, c’est que l’on ne peut représenter la mort qu’avec les mots et les images des vivants, ce qui, vous en conviendrez, aide à produire une certaine équivoque. ДухМакабра : L’esprit de mort : La chevauchée continue-t-elle de plus belle, si l’on en croit le rythme imperturbablement appuyé la galopade se poursuit mais le vocal comme légèrement reculé dans la musique, comme un intervenant, qui prend la parole sans se soucier de ceux qui sont en train de parler, tient un discours totalement identique mais pas tout à fait pareil, tiens cette cowbell qui résonne ne nous ordonne-t-elle pas de faire attention au temps qui passe, ne sommes-nous pas dans l’éternel présent d’un éternel retour qui revient incessamment sur lui-même. Mon cercueil n’est-il pas encore un jeune sapin  qui pousse dans la forêt enneigée, combien de fois n’ai-je pas serré la main de Dieu, je suis mort et la mort me suit, elle m’accompagne comme un serviteur fidèle, mais encore une fois voici l’heure fatidique, celle du retour. Пепел Станет Огнем : Feu de cendres : la guitare sonne comme les trompettes qui annoncent le retour du héros, l’est comme le phénix qui renaît de ses cendres, mais le rythme s’avère moins triomphal, comme si le retour n’était pas aussi certain, le retour n’est-il pas aussi le retour de la séparation, ce qui a été perdu une fois, est-il perdu pour toujours, est-ce pour cela que nous ne parvenons jamais à recoller les deux morceaux de la porcelaine la plus précieuse, le feu qui brûle le phénix n’a-t-il pas raison du phénix par le simple fait qu’il soit matière inflammable. Le morceau s’arrête brutalement, serait-ce pour ne pas répondre à la question. L’espoir fait-il vivre ou mourir.  Исход : Résultat : le vent se lève et souffle, quelqu’un aiguise une lame, chœur féminin, est-ce le chevalier qui se prépare au combat, sont-ce les derniers grésillements d’un feu qui finit de se consumer…

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             Nous n’en saurons pas plus. Le mystère du voyage reste ouvert ou fermé. Ce qui revient au même. Une culture russe nous aiderait peut-être à mieux comprendre, par exemple cette cabane sur pilotis est-elle une allusion à l’isba de Baba Yaha sur ses pattes de poulets… Existe-t-il une légende d’un chevalier russe entreprenant un tel périple…

             Ce qui est sûr c’est qu’avec cet EP Conifer Beard nous tient par la barbichette et nous file une tapette à démantibuler un ours.

    Damie Chad.

     

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 646 : KR'TNT 646 : MAX DECHARNE / DOUM DOUM LOVERS / BOBBY TENCH / PETER GALLAGHER / ZOMBIES / TEXABILLY ROCKETS / CONQUERORS OF THE EMBER MOON / ARCANIST / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 646

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 05 / 2024

     

    MAX DECHARNé / DOUM DOUM LOVERS

    BOBBY TENCH / PETER GALLAGHER

    ZOMBIES / TEXABILLY ROCKETS

     CONQUERORS OF THE EMBER MOON / ARCANIST

    ROCKAMBOLESQUES  

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 646

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Max le ferrailleur

     (Part One)

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             L’ex-Gallon Drunk et membre émérite des Flaming Stars Max Décharné publie son dixième book, Teddy Boys: Post-War Britain And The First Youth Revolution. Alors bien sûr, tous les fervents admirateurs d’A Rocket In My Pocket et de King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World se sont jetés sur le Teddy book. Pas question de rater ce nouvel épisode d’une saga ethno-sociologique qui nous tient particulièrement à cœur, celle de London town.

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             Contrairement à ce qu’indique son nom, Max Décharné n’est pas à l’article de la mort. Au contraire, il est certainement l’hipster londonien le plus productif de son temps. Il a un wiki qui doit faire baver d’envie Ginger Wildheart, l’un des pires productivistes de l’histoire du rock anglais. Mais Max le bat à la course. Et de loin. Il sait tout faire, surtout écrire. Bon, on ne va pas pomper le wiki, on laisse ça aux kikis. Contentons-nous de lire deux ou trois bons livres et d’écouter quelques bons albums des Flaming Stars.

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             Max Décharné est aussi un grand spécialiste du slang londonien et du cinéma noir. Chacun de ses ouvrages s’adresse donc à des spécialistes. Exemple : A Rocket In My Pocket s’adresse aux spécialistes du rockab (on y reviendra dans un Part Two). Autre exemple : King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World lui permet de fouiller dans l’histoire et de remonter jusqu’aux racines de la pop culture londonienne (on y reviendra dans un Part Three). Ses livres sont extraordinairement bien documentés. Son style pourrait bien être celui d’un hipster historien, d’un chercheur raffiné qui ne reculerait devant aucun excès pour mener à bien son investigation. Il cite à tours de bras. Max Décharné est une sorte de Rouletabille rock, d’hip Sherlock, de Jack the Rapper, il met au service de sa R&D une fantastique énergie de rocker underground, on sent battre le beat nocturne de Gallon Drunk dans sa prose. On parle ici d’une ambiance particulière faite d’élégance urbaine, de dandysme de trottoirs humides et de jazz-clubs informels. Ami lecteur, te voilà en de bonnes mains.

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             Alors attention, le Teddy Boys book n’est pas un rock book au sens où on l’entend généralement. Max Décharné n’évoque le rock qu’à titre indicatif. Il documente l’histoire d’un mouvement populaire typiquement londonien, à grands renforts de citations d’ouvrages déjà très documentés et de larges extraits puisés dans les quotidiens et les magazines de l’époque. C’est violemment documenté, à tous les sens du terme. Les Teddy Boys ont en leur temps alimenté les unes des journaux, comme le feront vingt ans après eux les punks. C’est exactement le même processus : les kids foutent la trouille, rien que par leur allure, alors les fouille-merde de la presse les collent à la une de leurs torchons. Max Décharné va aussi chercher des infos dans la littérature et le cinéma d’époque, c’est un vrai travail de bénédictin. Tu sors du book drôlement bien renseigné, même si les Teddy Boys ne représentent rien ou presque pour toi.

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             Mais il y a cette énergie dans le book. L’auteur fait bien la part des choses. Il évoque les Teddy Boys des années 50 qui étaient en fait des pionniers. Max campe bien le décor : le post-war est rude en Angleterre, pas d’eau courante, pas de confort, pas de rien. Et tout commence par le look, et là Max met le turbo, car c’est du vocabulaire choisi, il évoque les Teds comme s’il s’agissait d’une tribu - With their Edwardian drape jackets, velvet collars, elaborate waistcoats and drainpipe trousers, ils étaient non seulement l’un des mouvements de la jeunesse working-class la plus identifiable, mais ils étaient aussi les premiers - Bon alors les mots. Drapes, ça ne se traduit pas, ça reste drapes. On peut à la rigueur traduire ça par veste longue. Elle est généralement taillée dans un tissu bleu clair. Avec un col en velours noir. Les waistcoats sont les gilets, l’un des apanages du dandysme. Et les drainpipe trousers sont comme leur nom l’indique des futals moulants. Max Décharné reste dans la mode pour rappeler que dans That’ll Be The Day, Ringo est un Ted, et même un brillant Ted, et que McLaren vendait des drapes et des creepers à l’autre bout de King’s Road, une avenue que Max connaît bien. Avant de s’appeler Sex, le bouclard s’appelait Let It Rock. McLaren était un fan d’early rock’n’roll et de Billy Fury en particulier. Puis Max évoque les séquelles du mouvement Ted : Showaddywaddy, Mud, «and the finest of them all, Wizzard» - Wizzard avait réussi à combiner les cheveux longs et le maquillage with authentitc Ted gear et une fantastique musique d’inspiration fifties, comme turbo-charged avec le Wall of Sound de Phil Spector, de la même façon que les mecs de Roxy Music avaient réussi à intégrer des références fifties dans leurs chansons et leurs visuels, alors qu’ils semblaient évoluer dans le futur avec plusieurs décennies d’avance - Oui, il faut voir la dégaine de Roy Wood sur le pochette d’Eddie & The Falcons. À l’époque, on prenait tout ça très au sérieux. Mais il ne s’agissait que d’un revival.

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             Les drapes ne sont pas tombés du ciel. Max nous rappelle que leur origine remonte aux années 30, «a Savile Row fashion innovation» : «La veste tombait droit de larges épaules pour se resserrer à la taille, et les fameux zoot suit des années 40 allaient en exagérer la forme.» Et ces Teds que la presse et l’opinion publique vont transformer en loubards allaient chez des tailleurs pour s’habiller. Max nous cite l’exemple d’un jeune plombier originaire de Middlesbrough : en 1954, il a 18 ans et en allant chez le tailleur, il devient un «anti-social thug» - He ordered his own distinctly colourful version of a Teddy Boy suit: a red corduroy jacket with velvet patch pockets, powder blue drainpipe trousers, red corduroy shoes with twin buckles, white socks, two-tone brown and green shirt with a black shoelace tie - Même les punks ne sont pas allés aussi loin. Les fringues de McLaren coûtaient trop cher.

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             Les Teds s’appelaient au début The Edwardians, mais leurs girlfriends préféraient Teddy Boys. Et ça part vite - A dress code, some hairstyle tips, and a name for the new movement - Et pour bien fédérer tout ça, arrive en 1956 en Angleterre Blackboard Jungle. Ce vieux classique du ciné rock sert même de détonateur, car on y voit Bill Haley balancer «Rock Around The Clock». Ça n’a l’air de rien comme ça, mais en ce temps-là, on n’avait que «Rock Around The Clock» à se mettre sous la dent, même en France. Max situe la sortie du film en juin 1956. En mai de la même année, Elvis entre dans les UK charts avec «Heartbreak Hotel». Max parle d’un «double blow». Voilà donc l’origine d’une révolution, sans doute la plus importante des temps modernes : Bill Haley, Elvis et les Teds. Max cite aussi le schoolboy Keef qui a 12 ans au moment où le film sort en Angleterre. Pour lui c’est le point de départ. Max le cite : «La musique de Blackboard Jungle, ‘Rock Around The Clock’. Pas le movie, juste la musique. Les gens disaient : ‘Ah did you hear that music, man?’. En Angleterre on n’avait encore jamais rien entendu. Toujours la même chose : la BBC contrôle tout. Alors tout le monde s’est levé pour la musique. Je ne pensais pas à la jouer. Je voulais juste l’écouter. Il a fallu un ou deux ans en Angleterre avant que les gens ne se mettent à jouer cette musique.» Keef les voit, les Teds, dans les dance halls, il les craint, comme il le rappelle à Robert Greenfield en 1971 - I was just into Little Richard. Je me méfiais, je restais à distance des chaînes de moto et des rasoirs, dans ces dance halls. The English get crazy. Ils sont calmes, but they were really violent, those cats. Those suits cost them $150, which is a lot of money. Jackets down to here. Waistcoats. Leopardskin lapels... amazing. It was really ‘Don’t step on mah blue suede shoes.’ It was down to that - Keef résume bien les choses. Il sait imager son propos. Oui, car la violence est inhérente au mouvement Ted. Les Teds s’affrontent. Ils affûtent à la meule leurs chaînes de moto - a very nasty weapon - ils ont aussi des matraques lestées de plomb, des rasoirs et des poings américains. Max évoque les combats entre «East End and South London gangs, with mass fights in agreed locations.» Un mythe urbain que d’autres vont exploiter à gogo.

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             L’exploitation de la violence par la presse constitue le gros du book. Pas mal de Teds sont ramassés par les Bobbies, et se retrouvent au tribunal devant les perruqués. Max trouve aussi quelques cadavres dans la presse à scandale. Mais le plus dévastateur dans cette histoire, c’est son humour. Au détour de certaines pages, on se fend bien la gueule. Dans une double où il montre un élégant dandy Edwardien déambuler sur Savile Row, Max déclare : «The Edwardian high-fashion revival jouissait de ses dernières années de tranquillité, car les pantalons moulants, les cols en velours et les drapes allaient se trouver inextricablement liés à une autre clientèle.» Eh oui, les Teds allaient s’approprier ce phénomène de mode et le faire descendre de l’upper class jusqu’au working class. Et il ajoute deux pages plus loin ceci qui édifie les zygomatiques : «Il n’est pas surprenant que les commentateurs issus de backgrounds classiques aient pu voir les Teds et les Teddy Girls comme un alien phenomenon.» Plus loin, Max se régale de l’anecdote d’une Teddy Girl résistant à l’autorité : «Ayant tapé dans la gueule d’un deuxième flic et craché dans celle d’un troisième flic, elle menaça ensuite de se jeter hors du panier à salade qui l’emmenait au commissariat. Un officier de probation dit aux magistrats que sa cliente s’était déclarée a Teddy girl, puis elle fut envoyée chez un psychiatre.» Et là où Max se marre le plus, c’est quand il évoque le premier proto-Ted, Prince Philip, grand amateur de creepers : «A Royal Charity Premiere de Violent Playground fut donnée le 3 mars 1958 à l’Odeon de Marble Arch, et l’invité de prestige n’était autre que ce fameux aficionado de crêpe-soled creepers, Prince Philip, Duke of Edinburgh, mais il semble qu’il se soit abstenu de graver le bois de son siège avec un cran d’arrêt.»

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             En plus de Keef, Max, fait intervenir d’autres cakes, comme par exemple John Lennon et Ted Carroll. Il cite le biographe Hunter Davies : «Ils s’appelaient the Quarrymen, naturally enough. Ils portaient tous des fringues de Teddy Boys, et se coiffaient comme Elvis. John was the biggest Ted of all.» Ce que Max Décharné veut dire à travers tout ça, c’est que les Teds des early fifties étaient entrés en conflit avec la société, comme le feront 20 ans plus tard les punks. John Lennon était un rebelle notoire. À Dublin, le futur boss d’Ace Ted Carroll passe lui aussi dans le camp des Teds, et comme il se graisse les cheveux et qu’il a trafiqué son futal, on le surnomme Ted, alors qu’il s’appelle David - So that’s how I got the name Teddy boy, because I was a Ted for taking in my trousers.

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             Puis Max amorce le déclin du règne des Teds, à la fin des fifties. Ils passent de mode. Viendra 20 ans plus tard le temps des revivals, Max cite par exemple «the Buddy Holly Dance Contest en 1982 où Billy Fury fit une courte apparition et le sol trembla alors que plus d’un millier de Teds & de Teddy Girls jived and bopped to the sounds of Howlin’ Wolf’s 1962 stormer ‘You’ll Be Mine’.» Les Teds originaux nés pendant la Seconde Guerre Mondiale avaient pris un coup de vieux ou avaient disparu, et une dernière fois, Max resitue le contexte : «Ils ont grandi dans une époque de rationnement, quand peu de maisons avaient le chauffage central et dont la plupart des toilettes étaient à l’extérieur, la grande majorité des working class people n’avaient ni téléphone ni télévision. Les gosses qui n’avaient pas les moyens de financer une exemption devaient faire leur service militaire, la peine de mort existait encore et tout le monde devait se lever à la fin d’une projection de cinéma quand on jouait God Save The Queen. C’est à ça que ressemblait la société voici 70 ans. Les premiers Teddy boys and girls se sont dressés en réaction contre tout ça, et furent en même temps façonnés par tout ça. They will not pass this way again.» C’est la dernière phrase du book. Elle sonne comme une clameur.

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             On garde les meilleurs pour la fin ? Max Décharné rend deux hommages superbes, d’abord à Gene Vincent, qui débarque pour la énième fois en Angleterre, en 1969. Il est accueilli à Heathrow par une délégation de Teddy Boys in drapes and bootlace ties.

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    Puis Gene monte à bord d’une Rolls blanche et file vers Londres, accompagné d’une escorte de bikers. Et Max poursuit : «Deux de ses fans et ex-Teddy boys, John Lennon et George Harrison, vinrent assister à son packed London show au Speakeasy.»  

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             Mais la véritable star du Teddy book, c’est Bill Haley. Et là Max Décharché livre trois de ses plus belles pages. Le vieux Bill débarque en 1957 en Angleterre. C’est lui qui va inciter les kids britanniques à monter des groupes. Max rappelle qu’un canard anglais citait la tournée de Buddy Holly & The Cickets comme la première grande tournée déterminante - deux guitares/basse/batteries, compos originales, un message qu’allaient recevoir les groupes anglais, notamment les Beatles - mais pour lui, ce sont les Comets qui un an plus tôt ont ravagé l’Angleterre - They were unquestionably a rock band - one of the earliest and finest that ever hit the stage - Il a raison, le Max, Bill Haley & The Comets stormaient bien la baraque et swinguaient comme des démons. Ted Carroll les voit à Dublin. Il réussit à se payer un billet, au balcon. Sur le cul le Ted ! - Alors ils démarrent avec «Razzle Dazzle» : ‘on your marks, get set, ready’ et sur les deux ou trois premier accords, le rideau se lève doucement, on voyait leurs jambes sur scène and then ‘Ready steady go!’ up went the curtain, fuckin’ place erupted - C’est Ted Carroll qui dit ça, il sait de quoi il parle. Et il repart de plus belle, ah il faut lire ces pages de l’aube des temps du rock - It was amazing. You can imagine, because they were a fucking great band. Ils étaient fantastiques, si doués, ils avaient fière allure. Me souviens pas s’ils portaient leurs vestes en tartan et Bill Haley n’avait pas cette gueule de pépère. I mean, he was a great singer, had a big fuck-off guitar, he moved around. He wasn’t Elvis - nobody wanted Elvis - we wanted Bill Haley and the Comets who made the best rock’n’roll records which were great to dance to, the A and B sides were fantastic. The place went fucking wild - Il a même la trouille que le balcon ne s’écroule parce que tout le monde saute en l’air «and the excitment was just fuckin’ insane.» Ted ajoute que ça a continué dans la rue, après le concert. Pour lui, ce concert de Bill Haley reste un concert magique - I mean it was magical to be able to see that. J’étais tellement sonné que je ne suis pas allé à l’école le lendemain. J’ai vu le premier show des Beatles à Dublin, et puis les Stones, j’ai vu des concerts déments, Ike & Tina Turner au Royal Ballroom à Tottenham, mais celui de Bill Haley was just totally mind-blowing. J’avais 14 ans. You’d never seen anything lile it - Ce fantastique témoignage brille comme une perle noire au creux du bel écrin de ce Teddy book. 

             On se souvient d’avoir côtoyé des Teds au Rock On stall de Soho Market, dans les années 70. Tu venais acheter Wasa Wasa et à côté de toi, un Ted en veste bleue, jabot blanc, pompadour, doigts couverts de bagues et de tattoos, fouillait dans le bac des 45 tours et en sortait un single Sun en poussant un cri de victoire. C’est l’un des souvenirs les plus précis de cette époque. Les Teds formaient une petite bande et tu éprouvais une certaine fascination à les observer, car tu savais, au fond de toi, que tu ne serais jamais aussi rock’n’roll que ces mecs-là. Dangerous & exciting, comme le dit si bien Max Décharné. 

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             Pour rester dans le ton, sortons de l’étagère The Basement Bar At The Heartbreak Hotel, des Earls Of Suave. Album mystérieux, pochette mystérieuse, avec au chant un Marquis de Suave qui sonne comme Elvis sur «Stranger In My Own Home Town», et en B sur «Little Ole Wine Drinker Me». On croit rêver. Max Décharné sait aussi faire son Elvis, comme le montre «Really Gone This Time». Il a tout le doux et le rond du menton. Les Earls Of Suave sonnent aussi comme le Cramps sur «A Cheat» : en plein dans le boogaloo Crampsy/Gallon Drunk, mais aussi avec «She’s My Witch» bien chanté à la Lux. Le coup de génie de l’album est la reprise de l’«Ain’t That Lovin’ You Baby» de Jimmy Reed en ouverture de balda. Heavy groove de boogaloo de London town, très Elvis-proto-punk et chanté au grand méchant loup. Ils font aussi une cover du «Ring Of Fire» de Cash. 

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             On va retrouver la plupart des Earls Of Suave dans les Flaming Stars. On reviendra sur leur discographie magique dans un Part Two, mais pour donner un petit avant-goût, jetons un œil sur Sunset & Void, magnifique album paru en 2002. Magnifique oui car «Night Must Fall» que Max tape en chanteur de charme fou. Petit chef-d’œuvre de romantisme urbain. Et puis tu as ces deux cuts à l’entrée du balda, «A Little Bit Like You» et «Cash 22», solide rockalama travaillée sous le boisseau pour le premier, un brin Gun-Clubbish, et de faux accents à la Bowie era Heroes pour le deuxième. Même ampleur pop volontaire de classe supérieure. On entend un peu partout des échos de Gallon Drunk, c’est en gros la même ambiance. L’«House Of The Seting Sun» qui trône en B est écœurant de classe et de London Void. Dandysme et cut mélodiquement purs. L’exotica des Flaming Stars («Mexican Roulette») sonne comme un western en déliquescence et avec «The Waiting Game», ils visent l’urbain d’orbi. Saluons aussi l’ambiance pesante de «The Long Walk Home». Ils savent plomber la clavicule de Salomon.

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             En 2022, Max Décharné sortait New Shade Of Black, un choix de dix cuts composés jadis pour les Flaming Stars, enregistrés late at night sur un 4-track cassette-based recorder. Max explique qu’il enregistrait ainsi ses demos pour les présenter au groupe. Il ajoute qu’il chantait en sourdine pour ne pas réveiller ceux qui dormaient. Il est reparti des vieux 4-track surviving recordings et a refait les voix chez Ed Deegan, le mec qui enregistrait les Flaming Stars au temps de Toe Rag. A new album full of old songs. C’est un album à caractère intimiste. On y retrouve le très beau «3AM On The Bar Room Floor» tiré de Songs From The Bar Room Floor paru voici bientôt trente ans. C’est très beau, très mélancolique, très jusqu’au bout de la nuit. Max adore le bar room floor. Sur le «Maybe One Day» tiré de Pathway, il sonne comme le Lou d’«Heroin». Il joue de l’orgue et frise même le Nico dans une fantastique ambiance sépulcrale. Il re-capte la primeur de ses vieilles démos. «Lit Up Like A Christmas Tree» se trouve aussi sur Pathway. Cut lugubre et gorgé de réverb cadavérique, pas loin du Velvet, une pure Marychiennerie. «Cash 22» qu’on retrouve sur Sunset & Void est aussi très beau, dans sa forme originelle. Max sait capter l’attention. Il cultive le même sens mélodique que les Mary Chain. 

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. Teddy Boys. Profile Books Ltd. 2024

    Earls Of Suave. The Basement Bar At The Heartbreak Hotel. Vinyl Japan 1994

    Flaming Stars. Sunset & Void. Vinyl Japan 2002

    Max Décharné. New Shade Of Black. Dangerhouse Skylab 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Doum Doum Doum Doum

             Pour divertir ses amis, l’avenir du rock organise des soirées magiques. Il revêt son bel habit de Mandrake, il loue les services d’un blackos de Saint-Denis pour faire le Lothar, et dispose trois rangées de chaises dans son salon qui devient une sorte de mini-cabaret pour happy few. Le Lothar fait entrer l’avenir du rock dans un grand sarcophage vertical, prononce une formule magique, fait patienter le public quelques secondes, puis ouvre à nouveau le sarcophage... Oooh fait la petite assistance médusée, alors que sort du sarcophage un Lemmy plus vrai que nature, arborant de splendides verrues et brandissant sa Ricken ! Il approche du premier rang et se met soudain à gratter sa Ricken tout en éructant «It’s a Bambi ! It’s a Bambi !», et au comble de la stupéfaction générale, un Bambi sort d’une caisse que vient d’ouvrir le Lothar de service ! Oooh fait la petite assistance re-médusée, alors le Lemmy plus vrai que nature attrape une mitraillette Thompson en tous points semblable à celle qu’on voit sur la pochette du mini-album St. Valentine’s Day Massacre et tatatatata, il dégomme Bambi en hurlant «It’s a Bambi ! It’s a Bambi !». Alors le Lothar coiffé d’une perruque McLaren s’écrie : «Who killed Bambi ?». Poilade générale. Certains en tombent même de leur chaise. Le Lemmy retourne dans le sarcophage et après la rituelle formule magique, c’est un Jimi Hendrix qui en sort, avec un gros flingue à la main et sa Strato en bandoulière qui joue toute seule. Le Lothar l’interpelle : «Hey Avenir Joe where you going with that gun in your hand?», alors le Jimi dit qu’il s’en va buter sa old lady parce qu’il l’a vue traîner en ville avec un autre mec. Et comme l’avenir de rock n’a pas d’old lady, il en choisit une au hasard dans la petite assistance et lui colle une balle dans la tête. Hilarité générale, même si certains trouvent qu’il exagère un peu. Déjà deux cadavres, et la soirée ne fait que commencer... Il retourne dans son fucking sarcophage et après l’abracadabra de service, le voilà qui revient en John Lee Hooker. Pareil, avec sa gratte et un gros flingot. Il s’assoit sur une chaise, tape du pied, gratte les plus beaux accords de l’histoire du rock et grommelle : «Doom Doom Doom Doom/ Gonn’ shoot you right down !». Et il tire dans le tas, comme Sid Vicious à la télé.

             L’avenir du rock ne lésine jamais sur les moyens pour rendre hommage, surtout quand il s’agit des Doom Doum Lovers.

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             Des couples rock, t’en as vu des tonnes depuis vingt ans, les White Stripes, les Kills, les Blood Red Shoes et tous ces machins-là. Ils sont souvent au bord de la faillite, car l’exercice est périlleux. Si elle bat le beurre, il faut qu’elle batte bien, et s’il gratte ses poux, il a intérêt à en gratter pour dix, parce qu’il est tout seul, avec en plus le chant à charge. Gros boulot. Faut des épaules pour ça. Et une voix. Et du punch. Et des compos. Tu vois vite à travers quand ça manque de viande. Les modèles de couples rock restent les Courettes, et puis bien sûr Stereo Total. Chapeau bas. Flavia Courette gratte tout ce qu’il faut et Moby Dick bat pour dix. Françoise Cactus battait la Stereo comme une bête et Brezel Göring grattait sa Bo guitar comme un Bo blanc.

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             C’est cette énergie du diable qu’on retrouve chez Jean-Jean et Kinou, the fabulous Doum Doum Lovers. Et quand t’as dit fabulous, t’as rien dit. Ils renouent avec la grande époque des concerts foutraques de Stereo Total, t’as des paroles en français, du riff raff gaga, de l’énergie atomique, un mec qui se balade avec sa gratte dans le public, comme s’il marchait sur la lune, en poussant des ouh !, il gratte tous ses cuts avec une technique d’une extraordinaire sobriété, sans jamais produire le moindre effort, pendant un heure il crée son monde, il va de cut en cut comme un poisson dans l’eau, et tu flashes en permanence, car c’est incroyablement bon, incroyablement frais, incroyablement juste, tu ne t’attendais pas à ça, et la surprise n’en est que plus belle.

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    Alors tu comprends que tu as sous les yeux un real deal de l’underground. Il ne la ramène pas, au contraire, il simplifie au maximum, mais sans jamais tomber dans le panneau friendly. Non, son truc serait plutôt : «Tu veux du rock ? Tiens en voilà !», mais sans prétention. Tout repose sur la qualité du show, des compos, et là, tu te régales, car c’est du très haut de gamme. Il te donne exactement ce que tu attends d’un concert de rock en 2024 : une heure de set solide dont tu vas te souvenir. Et puis cette classe ! Rien n’est plus rare que la classe naturelle, celle que tu n’as pas besoin de montrer.

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    Jean-Jean n’a pas besoin de déguisement, ni de santiags, ni de tatouages, il a des chansons fantastiques, de l’humour et une présence indiscutable. Il a même une chanson gaga-Dada, «Nus Sur La Banquise», et tout le monde fait Ding Dong avec Kinou - Pas de tenue requise - Gros clin d’œil au «Deux Sur la Banquette» de Marie & Les Garçons.

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    Tu le vois marcher sur la lune en poussant des ouh ! Et sur la version studio, il part en solo de trashobilly d’envergure intersidérale. Que de son, my son ! Il te gratte ça au relentless, et le cut se termine en bouquet de chœurs d’artichauts bien chauds. L’autre big time-cut des Doum Doum s’appelle «Le Tunnel», le fameux cut avec les ouh ouh. Alors attention, tu as deux versions : celle de l’album sans titre et celle de la démo 3 titres. Sur l’album, c’est Kinou qui prend le chant, et lui, il mène le bal du ramalama, où est la sortie du tunnel, c’est wild as fuck ! Il faut les voir foncer dans la nuit.

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    Mais si l’occasion se présente, chope la démo trois titres parue en 2021, elle ne coûte que trois euros, mais tu vas tomber de ta chaise car la version du «Tunnel» qui est dessus est encore plus wild que l’autre. Ça démarre avec la voix d’Arletty - Atmosphère ? Atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? - Et bam !, ça part en trombe, ça fonce dans le tunnel, hot as hell, ça monte en neige pour atteindre à la démesure d’où est la sortie du tunnel, Kinou mène la danse, et derrière Jean-Jean recrée le chaos sonique du Velvet. Eh oui, l’animal flirte avec le spirit de «Sister Ray». À la suite, tu tombes sur la démo de «Face To Face», un heavy boogie down d’hey face to face, il sait monter son boogie en neige et il te plonge vite fait en enfer, il connaît toutes des recettes maléfiques du wild gaga et cette façon qu’il a de riffer à sec ! Il finit avec un «Looking For The Banshee» bien lesté de plomb, il te trashe ça vite fait au riff raff de caballero, ça sent bon les coups de bottleneck, il nage dans l’écho du temps, il brûle les ailes de sa Banshee, et ça bottomme dans l’ersatz de l’apanage, et là t’es tanké.

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             Tu as d’autres merveilles sur l’album sans titre des mighty Doum Doum. Tu retrouves la Banshee. Il sait rocker sa casbah, pas de problème. Tout est construit sur des architectures soniques qui te captent bien l’attention, il ramène sa fuzz et lance «don’t trust me», mais si. On te truste ! Belle architecture d’anymore encore dans cet «Hope Gives Live» lourd de conséquences, lancé au wild abus dangereux et bien tenu en laisse. Par contre, il lâche la laisse de «Garde Un Chien D’Ta Chienne» et là, l’album décolle. Kinou l’amène au gros tatapoum et bam, ça part en rockalama périgourdin. Kinou fait des chœurs gaga de rêve. Te voilà au pied de mur. Tu crois entendre des clameurs de Detroit Sound. Tu te pinces. Dans «Secret», il joue avec la notion de ground underground, the other way round, belle ambiance Dead Moon, il siffle dans la nuit et joue les basses sur ses cordes graves. C’est un enchantement. Et voilà qu’il tape dans le mille du pire gaga de l’univers avec «Hurry Up». Terrific ! Sur scène, il t’explose ça à coups de gros barrés. On retrouve aussi l’excellent «Face To Face», cet heavy groove de blues qui te tient par la barbichette, et encore une fois, il te sonne bien les cloches. Tout est tellement en place, la gratte, la voix, l’énergie, le beurre, et en plus, il te claque un solo de disto qui te fait baver. Ils tapent «Un Pas Sur La Lune» au yodell périgourdin et bouclent ce délicieux bouclard avec «Outside The Box». Cet album est un vrai panier garni, gorgé de compos variées, comme chez Stereo Total, même énergie, même intégrité, même créativité, même joie de vivre et même résonance underground.

    Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

    Doum Doum Lovers. Neuville-Sur-Authou (27). 9 mai 2024

    Doum Doum Lovers. Doum Doum Lovers. Some Produkt 2023

    Doum Doum Lovers. #1. Not On Label 2021

     

     

    Tench you very much

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             Curieux parcours que celui de Bobby Tench, un chanteur guitariste qu’on retrouve employé à bon escient dans le Jeff Beck Group, par exemple, et à mauvais escient dans les groupes de gens comme Van Morrison, Eric Burdon, Steve Ellis (Widowmaker), Stevie Marriott (Humble Pie) et Michael Chapman (Streetwalkers) qui ont déjà tout ce qui leur faut au niveau chant. Oui, le problème est que Bobby Tench chante prodigieusement bien, il peut parfois sonner comme Rod The Mod, alors évidemment, quand il se retrouve dans Humble Pie ou Widowmaker, il doit s’effacer et se contenter de gratter ses poux.

             Puisqu’il vient tout juste de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage et tenter de donner une idée du talent de cet immense artiste. La liste des projets auxquels il a participé est vertigineuse. Tu la trouveras sur wiki. Par contre, si tu veux l’entendre chanter, alors faut écoute les albums de Gass et d’Hummingbird.

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             Le premier album de Gass paraît en 1970. Tombé dans les pattes des spéculateurs, cet album est devenu intouchable. Pour l’écouter, tu devras soit te le faire prêter, soit le télécharger. Attention, c’est un album extraordinaire, un peu prog mais extrêmement énergique. Tout est joué au fantastique appareillage de shuffle d’orgue et dès «Kulu Se Mama», on comprend que cet album soit devenu culte. Bobby Tench peut chanter au plus haut niveau de prestance, comme le montre «Holy Woman». S’il tient si bien la rampe, ça ne s’explique que par son talent. Bobby Tench et ses amis visent l’admirabilité des choses en matière de prog, c’est vrai, mais c’est inspiré, et pour une fois, la prog gagne en respectabilité. Ce mec est l’un des grands Soul Brothers d’Angleterre, et ça joue au bon délié de guitare. Ils sortent un son plein comme un œuf, ça sur-joue dans les effluves de l’une des meilleures progs d’Angleterre. Avec «Yes I Can», Bobby Tench joue la carte du profil bas, bien soutenu par un beau bassmatic à la Jamerson. On se régale de l’extrême puissance du Yes I Can. Et tout va exploser en B avec «Juju». Peter Green participe au festin de son. Fantastique swagger ! Bobby Tench ramène tout le power flamboyant du Juju anglais. Peter Green plonge dans le gras double et Bobby vient le hanter au pire raw du Tenching. Ils ramènent tout le power de Junior Walker et des géants de la heavy Soul. Ils font même du Sly pur. Bobby Tench se montre effarant de verdeur dans ce balladif bienvenu qu’est «Black Velvet», puis il refait son Soul Brother dans «House For Sale». Il faut l’entendre swinguer sa prog, il est effarant de mainmise. Ces mecs sont beaucoup trop puissants pour un petit pays comme l’Angleterre. Voilà une autre énormité : «Cold Light Of Day», amené au violon et repris au heavy groove, the darkest of it all. Stupéfiante présence calorifuge, ponts joués au big foutraque de Bobby Tench, ce mec aime tellement le groove qu’il le swingue dans l’âme. On tient là l’un des très grands albums de 1970. Ils terminent avec «Cool Me Down», un fantastique shoot de speed prog. Ces mecs jouent où ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent, ils passent par les breaks de Cellar Block et Bobby envoie sa shit fluctuer dans les sillons du Cool me down. Ça se termine par un véritable festival de white riot percus.

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             Catch My Soul est une comédie musicale parue en 1971 sur laquelle on retrouve Bobby Tench & The Gass. P.J. Proby et P.P. Arnold font aussi partie de l’aventure. C’est là que Bobby Tench commence à partager le micro avec d’autres très grands chanteurs. Dans «Ballad Of Catch My Soul», un fameux shouter annonce : «My name is Le Gault and I’m the devil as well.» C’est très orchestré, très américain. P.J. Proby se tape «Drunk». Il éclate tout, help me ! Save me ! Aw ! Lance Le Gault revient chanter «Cannikins». On se demande pourquoi cet album est attribué à Gass. Bobby Tench ouvre le bal de la B avec «Put Out The Light». Ce mec est déjà extrêmement en place. Quel shouter ! On entend P.P. Arnold et Proby faire la fête dans «Seven Days And Nights». P.P. shoute tout ce qu’elle peut et P.J. l’accompagne dans ses ébats. On les retrouve tous les trois avec Bobby pour le final, «Black On White». Bobby n’a pas à rougir, il s’élève aussi haut que les deux autres. Il sait lui aussi shouter par dessus les toits. P.P. Arnold est complètement folle, elle chante au pinacle de la Méricourt. 

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             C’est avec le Jeff Beck Group que Bobby Tench se fait connaître. Après Truth et Beck Ola, Jeff Beck cherche un chanteur du calibre de Rod The Mod et il opte pour Bobby Tench. Il monte même une espèce de super-groupe avec Max Middleton et Cozy Powell pour enregistrer Rough And Ready en 1971. Dès «Got The Feeling», on sent le souffle d’une belle pop de Soul que swingue Bobby Tench. Middleton pianote entre deux eaux, comme Nicky Hopkins. C’est très intriguant. Et ce diable de Clive Chaman envoie virevolter ses triplettes de bassmatic. Alors oui, c’est admirable. Avec «Situation», Jeff Beck va plus sur une ambiance jazz-rock. Il groove au long cours et Bobby file sous la bise. Il ramène tout son feeling dans la course folle. Mais c’est avec «Short Business» que Jeff Beck retrouve l’esprit flamboyant de Beck Ola. Il fait de la haute voltige et il traverse les rues de ses gammes sans regarder ni à droite ni à gauche. De l’autre côté, Bobby Tench se met vraiment à sonner comme Rod The Mod dans «I’ve Been Used». De toute évidence, Jeff Beck garde une nostalgie profonde de Beck Ola, car il parvient à générer le même genre d’ampleur catégorielle, au grand vent d’Ouest, avec des notes qui filent dans l’écho du temps. Puis on le voit casser les reins de l’envol dans «New Ways/Train Train». Bobby Tench lui prête main forte. C’est absolument régalatoire, surtout quand ils reviennent au train-train avec Train Train. Ces mecs tendent la musicalité jusqu’à la rompre. Jeff Beck glougloute de ci de là. C’est dingue comme il est polymorphe. Puis on voit Bobby Tench partir en roue livre avec «Jody», alors oui, quel chanteur !

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             L’année suivante, le groupe enregistre un deuxième album, le sobrement titré Jeff Beck Group. Après la pomme de Beck Ola, Jeff Beck propose une orange. Détail capital : c’est Steve Cropper qui produit cet album enregistré à Memphis. Ça se met à swinguer dès «Ice Cream Cakes». Clive Chaman joue une excellente bassline et Bobby Tench fait son Rod The Mod. C’est un excellent traîneur de syllabes. Jeff Beck rôde dans le groove et se fend de quelques prodiges. Il continue de travailler son obsession de Beck Ola. Toutes les conditions sont rassemblées pour que l’album sorte de l’ordinaire, mais quelques cuts restent en surface, comme cette reprise de Bob Dylan, «Tonight I’ll Be Staying Here With You». Steve Cropper co-signe «Sugar Cane» avec Jeff Beck - I/ I love you like/ Sugar cane - C’est du petit funk blanc que Bobby Tench chante d’une voix éteinte d’étain blanc. Superbe ! Jeff Beck boucle l’A en faisant du Ronno mélodique dans «I Can’t Give Back The Love I Feel For You». Ronno et Jeff Beck restent bel et bien les deux guitaristes les plus brillants de leur génération. C’est en B que se joue le destin de l’album avec cette version de «Going Down» si bien pianotée par Max Middleton. Jeff Beck accourt à la rescousse, c’est joué dans les règles de l’art supérieur. Bobby Tench traîne son down dans la poussière. Ils poussent si bien le bouchon qu’ils parviennent à renouer avec l’urgence de Beck Ola. Ils jouent ça à la tension maximaliste de Max la Menace. Bobby n’en finit plus descendre down down down. Wow, quel shouter ! Puis Jeff Beck s’en va jazzer dans l’angle l’«I Got To Have A Song» de Stevie Wonder. Il le concasse et Bobby fait des miracles au chant. Très haut niveau d’interprétation. Tout est parfait sur cet album, on sent le super-groupe au mieux de sa condition. Même un balladif comme «Highways» se contrebalance au petit bonheur la chance. Max jazze au gré d’un groove éparpillé. Très captivant.

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             Lorsqu’Humble Pie songe à se débarrasser de Steve Marriott, Shirley et Greg Ridley portent leur choix sur Bobby Tench, mais hélas pour eux, Bobby vient juste de monter Hummingbird et de signer un contrat. Il faut voir Hummingbird comme une suite au Jeff Beck Group. D’ailleurs, Jeff Beck viendra traîner en studio avec eux, mais rien ne se concrétise. Hummingbird va enregistrer trois albums, à commencer par le sobrement titré Hummingbird. C’est un excellent album plein de son et de chant. Bobby shake son tail feather avec «You Can Keep The Money», il chante avec les mêmes intonations que Rod The Mod, c’est dire s’il est bon. Linda Lewis duette avec lui sur «Such A Long Ways». Il semble qu’Hummingbird rencontre le même problème que Roogalator en Angleterre : trop brillant. Avec «I Don’t Know Why I Love You», Bobby propose un heavy blues de bonne facture. Bernie Holland y fait de belles étincelles sur sa guitare. Ils ouvrent le bal de la B avec «Maybe», un joli shout de rock de Soul. Les Hummingbird sont une équipe de surdoués. Ils proposent un beau mélange de Soul et de guitare fluide. Avec son bassmatic, Clive Chaman is the man sur «For The Children’s Sake». Globalement, c’est un excellent album.     

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             Avec We Can’t Go On Meeting Like This, Hummingbird jette l’ancre dans ce funk de Londres assez spécial, puisque tapé à la baguette magique par Bernard Purdie. Bobby le chante au carré du funk, comme on le voit dans «Fire & Brimstone» et Clive Chaman embobine le tout dans un bassmatic funky joué les deux doigts dans le nez. Encore une fois, ils sont trop brillants pour le public anglais. Pas de hits, mais du son, rien que du son. «Trouble Maker» vaut pour un fantastique shoot de funky motion. Bobby n’a de leçons à recevoir de personne, il dépote son ballot de funk avec une aisance qui vaut bien celle de George Clinton. Ils entrelardent la dinde de l’album avec des instros du jazz-rock de type «Scorpio», aussi ambitieux que le fut en son temps Lucien de Rubempré. On se croirait même parfois dans le Mahuvishnu Orchestra. Il faut bien dire que cet album sonne parfois comme une délectation. Ils démarrent leur B avec «The City Mouse», un bel instro des jours heureux. On les sent bien dans leur peau, Max Middleton pianote le plus suave des grooves de jazz-rock. Et Nanard tapote dans son coin en swinguant comme un démon. «A Friend Forever» sonne comme un hit de Stevie Wonder, Bobby le chante au chaud du ton et ils reviennent plus loin au heavy funk avec «Snake Snack». C’est tellement bien joué et bien battu qu’on dit amen et qu’on leur donne l’absolution. Vas-y, Bobby, jazze-nous jusqu’à l’oss de l’ass.

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             Le troisième et dernier album d’Hummingbird s’appelle Diamond Nights. Il paraît en 1977, mauvaise année pour tout ce qui n’est pas punk en Angleterre. Bobby préfère le funk comme le montre «Got My Led Boots On». Bernard Purdie bat un beurre saisonnier et Clive Chaman joue comme George Porter Jr des Meters. Max Middleton claque ses keys, tout est verrouillé à l’insolence prédestinée. Le «Spirit» qui suit vaut pour un slow groove d’excellence patentée. Bobby chante comme un dieu, alors ça devient très facile. Qui retrouve-t-on dans les backings ? Venetta Fields ! Eh oui ! On voit encore Bobby et ses amis regorger d’aisance dans «She Is My Lady». Ils rivalisent avec les géants de la Soul. En B on se régalera de «Madatcha», un heavy groove solide aussi indispensable à l’oreille que peut l’être l’air pur à la narine palpitante. Ils reviennent au solide swamp de funk avec «Losing Yoy (Ain’t No Doubt About It)». Il semblent s’enfermer dans les affres d’une Soul émerveillée.

             C’est Stevie Marriott qui fera appel à Bobby pour venir rembourrer un Humble Pie mal en point. En 1980, ils ne sont plus que deux, Shirley et Stevie. Anthony Sooty Jones vient compléter les effectifs à la basse pour enregistrer On To Victory.

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             Retourne la pochette d’On To Victory et tu verras Stevie prêt à en découdre, la clope au bec, le cheveu taillé court, le jean remonté aux bretelles comme chez les skins de l’East End.

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    Bobby Tench et Anthony Jones remplacent Clem et Greg Ridley. Ça démarre avec un «Fool For A Pretty Face» qui continue de faire toute la différence. Stevie vire de plus en plus cockney, comme si Dickens avait inventé de boogie rock. Stevie rayonne dans son personnage d’Artful Dodger. On reste dans le big heavy sound avec «Infatuation». Stevie scande bien son besoin de love et un beau solo de sax vient envenimer les choses. La fête continue avec «Take It From Here» encore plus heavy et même assez mystérieux. L’album se révèle admirable de heavyness. On croit même entendre la accords du «Number One Common Lowest Denominator» de Todd Rundgren. En B, Stevie propose l’un des hot takes de Soul blanche dont il a le secret avec «Baby Don’t You Do It». On se régale du bassmatic d’Anthony Jones, c’est joué dans les règles du lard fumant. Humble Pie ne faiblit pas. La voix, le son, les cuts sont là. C’est un album solide. Encore une merveille de Marriott swagger avec «Further Down The Road». Il faut le voir scander son gimme love gimme love

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             Il ne faut pas non plus prendre Go For The Throat à la légère, même si la pochette est complètement foireuse. On y retrouve l’équipe Bobby Tench/Anthony Jones/Jerry Shirley et ils tapent du big time d’«All Shook Up» ou de «Tin Soldier». Avec l’All Shook Up, ils tentent de singer le  Jeff Beck Group. Le «Tin Soldier» est bien noyé d’orgue, comme au bon vieux temps. Impressionnant aussi ce «Driver» blasté à l’harmo. On trouve en B un «Restless Blood» surchauffé. Marriott grimpe sur les barricades, il harangue le rock, il shoote tout ce qu’il peut. C’est un héros des temps modernes. Il nous sert aussi une version stupéfiante de «Lottie & The Charcoal Queen». Il y devient héroïque. Il chante sa Lottie à pleine puissance, c’est un hit énorme, un paradigme de l’heavyness. Il est le roi de toutes les insistances. Pour terminer, il fonce jusqu’au bout du bout avec «Chip Away», il ne relâche jamais son rumble, Marriott est un jusqu’au-boutiste faramineux, il chante comme un seigneur des annales, un screamer victorieux. Et Bobby Tench dans tout ça ? Oh il gratte ses poux, complètement éclipsé par ce démon de Steve Marriott.

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             Bobby Tench finit par remplacer Marriott sur Back On Track, enregistré en 2002, soit onze ans après sa mort. Du Pie d’origine ne restent que Jerry Shirley et Greg Ridley. C’est déjà pas mal. Big sound, c’est sûr, mais la gouaille d’Artful Dodger a disparu. «Dignified» et «The Red Thing» sonnent pourtant comme des cuts énormes. C’est Greg Ridley qui décroche la timbale en chantant «Still Got A Story To Tell». Il chante ça à la vieille arrache. On sent le vétéran d’Immediate. Ridley a tout vu. Il fait ses lignes de coke avec un Bowie knife planqué dans sa botte. Il reste au lead pour «All I Ever Need», un heavy groove d’excelsior. Zoot Money vient chanter «This Time». Zoot fout son nez dans les affaires du shuffle, il a bien raison. Magnifique association de légendes. Zoot can beat it ! Il en devient extravagant. Bobby revient chanter les vertus de la planche à pain avec «Flatbusted» et l’expédie droit en enfer. Ce mec chante comme un dieu, on le sait depuis longtemps, mais un album d’Humble Pie sans Stevie, c’est très bizarre. Greg Ridley reprend le lead sur «Ain’t No Big Thing». On laisse le mot de la fin à l’excellent Bobby Tench qui fait un carton avec «Stay On More Night». Il est parfaitement apte à faire la Pie.

    Signé : Cazengler, Bobby Tanche

    Bobby Tench. Disparu le 19 février 2024

    Gass. St. Polydor 1970

    Gass. Catch My Soul. Polydor 1971

    Jeff Beck Group. Rough And Ready. Epic 1971

    Jeff Beck Group. ST. Epic 1972

    Hummingbird. ST. A&M Records 1975        

    Hummingbird. We Can’t Go On Meeting Like This. A&M Records 1976

    Hummingbird. Diamond Nights. A&M Records 1977

    Widowmaker. Widowmaker. Jet 1976      

    Humble Pie. On To Victory. Atco Records 1980

    Humble Pie. Go For The Throat. Atco Records 1981

    Humble Pie. Back On Track. A&M 2002

     

     

    Inside the goldmine

     - Gallagher des boutons

             Un gamin dans le corps d’un vieil homme. C’était une façon de situer Galopin. Il incarnait en effet ce curieux mélange de naufrage (la vieillesse) et de candeur. En tant que vieil homme, il accumulait tous les travers du genre : radin, malveillant, auto-centré, radoteur, incapable d’écouter les autres, hygiène douteuse, il portait des fringues usées jusqu’à la corde et conduisait une bagnole qui était un danger public. Il préférait la bière quand on la lui offrait et cultivait une étrange obsession : ne jamais rentrer chez lui sans ramener des petites choses glanées ici ou là. Il vivait dans une baraque à son image. On ne se posait d’ailleurs pas la question de savoir dans quel état était l’intérieur puisqu’il n’invitait jamais personne à y entrer. Il devait être parvenu à ce qu’on appelle le point zéro de l’existence, lorsqu’on fait cette espèce de constat : à quoi sert de continuer à vivre ? À rien. Puisque rien n’a plus de sens, ni l’image qu’on a encore de soi, ni les raisons d’améliorer le quotidien, puisque ces raisons n’existent plus. Pour qui le ferait-on ? Pour soi ? Absurde. Le point zéro de l’existence distille des poisons qui tournent en circuit fermé dans la cervelle : pour les plus faibles, ce sera de l’auto-compassion, pour les plus résistants, ce sera une haine totale de soi. Alors évidemment, dans un tel contexte, les liens sociaux ne tiennent pas le choc. Les seuls qui approchent encore Galopin sont ceux qui ont perçu le gamin en lui. Lorsqu’on sait orienter une conversation, le gamin réapparaît miraculeusement et tout le reste disparaît. Galopin semble alors libéré d’un poids immense et ses yeux noirs brillent d’un bel éclat. On le voit presque revivre, ça ne dure que le temps de la conversation, mais ce temps vaut tout l’or du monde. Il retrouve une belle volubilité et alimente l’échange en puisant dans son érudition. Il faut alors le soigner et rester précautionneux, comme lorsqu’on arrose une plante qu’on croyait morte.

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             Ramener Galopin à la vie, c’est exactement la même chose que d’arracher Gallagher au néant. Dans un cas comme dans l’autre, ça ne tient qu’à un fil. Ce Gallagher n’est ni le Rory, ni le Noel, ni le Liam, il s’agit d’un Peter. D’où sort-il ? D’une compile, l’excellent Wrap it Up qu’Ace consacra en 2022 au prophète Isaac. Le cut d’Isaac s’appelle «I’ve Got To Love Somebody’s Baby». Cut qu’on retrouve sur le bien nommé 7 Days In Memphis, un album paru en 2005. Gallagher, qui est acteur à Hollywood, a une bonne bouille, un faux air de Tony Joe White juvénile. Il a joué dans une myriade de films qui ne sont pas forcément des chefs-d’œuvre. Il n’a pas la chance de Johnny Depp.

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             7 Days In Memphis est un album qui vaut le détour pour un tas de bonnes raisons, la première étant bien entendu l’«I’ve Got To Love Somebody’s Baby» épinglé juste au-dessus. Gallagher qui est un artiste consciencieux montre tout le respect possible au prophète Isaac. Il tape ça en mode heavy blues sensible, et c’est pianoté à la Méricourt. Il opte pour le full power et aw, ça devient spectaculaire, il le monte fantastiquement en neige, c’est du très haut niveau de full bloom. Tu sais que tiens là un album énorme, il enveloppe Isaac dans ses bras, il te claque son cut au sommet du lard, c’est un véritable coup de génie. Impossible d’échapper à cette emprise, à cette puissance noyée de pianotis. Il tape aussi dans Dan Penn avec «Don’t Give Up On Me». Il soigne le coulé de Dan Penn, il en fait une version pointue, il chante avec esprit, et le shuffle chauffe cette white Soul à feu doux. Quelle classe ! Il attaque l’album avec la reprise d’un «Still I Long For Your Kiss» signé Lucinda Williams. Gallag est assez hot sur ce coup-là. Steve Cropper est de la partie. Gallag retape dans Isaac avec «When Something Is Wrong With My Baby». Même chose qu’avec l’«I’ve Got To Love Somebody’s Baby», on sent le respect total pour l’œuvre du prophète, même si, d’une certaine façon, le petit cul blanc n’a guère d’épaisseur humaine, étant donné qu’il n’a jamais cueilli de coton sous les coups de fouet. Disons que ce genre d’album permet de régler des comptes. Car on a toujours pas fini de régler les comptes. Le pauvre Gallag se plie aux règle du groove avec un «Still Got The Blues» signé Gary Moore, mais sa voix manque cruellement de profondeur. Il bénéficie heureusement d’une énorme orchestration et finit par devenir intéressant, et même attachant. Il tape ensuite dans le «Then You Can Tell Me Goodbye» de John D. Loudermilk, un solide shoot de pop Soul extrêmement bien balancé. Le choix des covers est magistral, Gallag est un bec fin. Il tape aussi l’«Everytime It Rains» de Randy Newman, et tu t’y sens aussitôt en sécurité, comme si un real deal de blanc chantait une solide white Soul. Gallag revient encore à Isaac avec «When You Move You Lose». La petite gonzesse qu’on entend s’appelle Teressa James, une blanche un peu poussive. Gallag aurait tout de même pu choisir une blackette. Elle est même un peu ridicule, encore une folle qui se prend pour la reine du rodéo. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : une cover d’«A Song For You» de Tonton Leon. Forcément, avec Tonton Leon, on atteint des cimes extravagantes. Cette cover est d’une rare puissance, Gallag en fait un chef-d’œuvre, forcément, c’est une chanson parfaite, au plan mélodique, mais Gallag l’interprète au plus haut niveau, il la chante à la déroute sentimentale extrême.

    Signé : Cazengler, Gallagare Saint-Lazare

    Peter Gallagher. 7 Days In Memphis. Epic 2005

     

     

    I walked with the Zombies last night

     - Part Two

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             Pas compliqué : les Zombies, tu y vas les yeux fermés. Ils n’ont pas des gueules de zombies, mais d’une certaine façon, ils ont atteint comme les Beatles un réel niveau de perfection pop.  Aux yeux des amateurs éclairés, les Zombies sont une sorte de petit miracle à dix pattes. Ils disposent de toutes les mamelles du destin : le chanteur parfait, les compos parfaites, le son parfait. Leur seul défaut serait d’être trop sages dans la vie privée. Pas d’overdoses, pas de voitures de sport et pas de grosses putes maquillées dans les parages.

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             Leur premier album Begin Here, paru en 1965, est ce qu’on appelle un album parfait. Il s’appelle Begin Here en Angleterre et The Zombies aux États-Unis : pochettes différentes et track-lists différents, comme c’est l’usage à l’époque.

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    Le Begin Here anglais est plus joli. 14 titres et pas de déchets. Ils démarrent sur un hommage à Bo Diddley, vroom vroom, «Road Runner» et enquillent aussi sec sur le «Summertime» de Gershwin. Blunst chante déjà comme un dieu, ce que va encore confirmer «I Can’t Make Up My Mind», poppy as hell, gorgé de que-de-son-my-son, and she wants me back, et Blunst fait de la pop de punk. Il est aussi bon que Paul Jones. Rien qu’avec ces trois cuts, te voilà tanké. Il continue de faire l’ange avec «The Way I Feel Inside», une vraie merveille de délicatesse, Blunst la porte à bouts de bras. On navigue rarement dans un balda aussi intensément bon. Ils enchaînent avec un wild instro assez monstrueux, «Work ‘N’ Play». Saturé d’harp et explosif en sous-jacence. Les Zombies sont des punks ! Puis il tapent une cover magique du hit de Smokey, «You’ve Really Got A Hold On Me». Pur jus de Motown Zombies, Blunst l’éclate au bring it back home/ Bring it home back to me. Ils terminent ce faramineux balda avec «She’s Not There» et là tu t’assois pour te recueillir, car les Zombies t’emmènent au cœur d’un mythe urbain, le Swinging London. Ils bourrent leur dinde avec du développé de shuffle d’orgue et de bassmatic. De toute évidence, les Zombies étaient en avance sur leur temps. Et ça repart de plus belle en B avec le pur British Beat de «Stick & Stones», suivi de «Can’t Nobody Love You». Tout est beau dans cette B des anges, tout est ultra-chanté, orchestré, inspiré, poignant. «I Remember When I Loved Her» incarne l’excelsior de la viande polymorphique, le cha cha féerique, le mambo du fandango. Avec «What More Can I Do», ils proposent le wild r’n’b de Soho. Extraordinaire santé des artères, c’est un shuffle d’orgue à se damner pour l’éternité, les départs en solo relèvent du vieux proto-punk. Pur sonic genius ! Ils terminent cet album imbattable avec un clin d’œil à Muddy : «I Got My Mojo Working», mais les Zombies le démolissent. Ils sont encore pire que les Pretties. Wild as fuck !

             Quand Repertoire a réédité cet album magique, ils n’y sont pas allés de main morte : 15 bonus. Alors forcément, quand on l’a vu chez Gibert, on s’est jeté dessus. Parce que «Tell Her No» (samba des Zombies, ils brillent comme le Brill), «She’s Coming Home» (ils battent le Brill à la course), «Kind Of Girl» (admirable de candeur pop), «Sometimes» (punch de pop, putsch de pop, ils prennent le pouvoir), «Whenever You’re Ready» (haut niveau d’escalade avec un solo de piano en syncope), «Is This The Dream» (pur Motown), «Don’t Go Away» et «Remember You» (pure Beatlemania), et puis voilà «Just Out Of Reach» et sa fabuleuse attaque, Blunst prend ça au plein chant, poussé dans le dos par un shuffle d’orgue, tu n’en finis plus de t’extasier, et «Indication» arrive un peu comme le coup du lapin. Quoi qu’ils fassent, c’est puissant, ils tapent dans le mille à chaque fois, avec des bouquets d’harmonies vocales extravagantes. Ça se termine avec «I’m Going Home», celui qu’Alvin Lee a consacré. Ils sont dans le même délire, mais Alvin est allé plus loin.   

             La scène se déroule en 1969, dans la cour du lycée :

             — Wouah, Yves, tu connais Odissey & Miracle ?

             — Quouahh ?

             — Le concept-alboum des Zombis ! Odissey & Miracle !

             Le pote Yves se fend bien la gueule :

             — Achète-toi une paire de binocles !

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             Intrigué, on rentre au bercail et on relit la pochette. L’avait raison l’Yves. Faut lire Odessey & Oracle. C’est pas la même chose. Ce genre de truc arrive souvent. On mémorise une image photographique de mots qu’on oublie parfois de lire attentivement. Le meilleur exemple est celui de Sanford Clark qu’on a pendant quarante ans prononcé et écrit ‘Sandford Clark’, jusqu’au jour ou un ange de miséricorde nommé Damie Chad releva l’erreur et la corrigea. Un autre exemple est celui de Specialty que les copains de lycée prononçaient Speciality. C’est pas la même chose.

             L’Odessey est un cas particulier : album culte, mais pas aussi ravageur que le Begin Here. Oh bien sûr, on tombe sous le charme dès «Care Of Cell 44», pur jus de Beatlemania, mais avec un caoutchouc onirique en plus, c’est même assez stupéfiant de qualité, une sorte de perfe montée en neige avec un Blunst déchirant de sincérité. Ah il faut entendre ce son de basse délicieux, ponctué dans l’azur. Puis ils entrent dans un monde de pop descriptive, assez fairy-tale et c’est avec «Brief Candles» que se mesure la hauteur des Zombies. Blunst emmène cette belle pop d’éclat surnaturel. Ils terminent leur balda avec un autre coup de génie pop, «Hang Up On A Dream». Blunst l’attaque de biais et ça vire magic trip, oui, ça décolle comme un zeppelin britannique dans un ciel d’azur marmoréen. Là, ils donnent tout ce qu’ils ont dans la culotte, tu goûtes à l’excelsior des Zombies. En B, tu vois le Blunst se glisser dans le groove d’«I Want Her She Wants Me». C’est, comme disent les gens qui ne savent plus quoi dire, d’un niveau à peine croyable, comme si on pouvait croire un niveau. Les Zombies tapent dans une efficacité doublée de simplicité, et ils empruntent les pah pah pah de Brian Wilson. On retrouve cette fantastique présence de la simplicité dans les mah mah mah de «This Will Be Our Year». Avec «Friends Of Mine», ils passent à la pop d’entente cordiale, le pop d’it feels so good to be/ So in love. Pour des Zombies, c’est d’une vitalité remarquable. Ils terminent avec un copy-cat de «She’s Not There», «Time Of The Season». Même ambiance. Alors, comment ne pas adhérer au parti ?

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             Repertoire fit en 2001 le même coup qu’avec Begin Here : une red avec 15 bonus faramineux, et qui éclipsent complètement l’Odissey, pardon, l’Odessey. Ça part en trombe avec l’extrême power pop magique de «I’ll Call You Mine». Les Zombies ont le power. On est effaré par la qualité des cuts stockés dans les vaults d’or. Par la qualité des compos. Par la qualité du punch. Par la qualité du chant de Blunst le héros, qui t’éclate encore le Sénégal avec «She Loves The Way They Love Her». Zombi Zombah ! C’est d’un niveau qu’on peine à mesurer. C’est réellement du niveau des Beatles. Avec «Imagine The Swan», tu rentres de plain-pied dans l’extraordinaire power du jus. C’est extravagant de classe et d’élégance. Même power que celui des Beatles à leur apogée, voix montées, mélodies imbattables, son d’en haut. Tu ravales ta bave car c’est pas fini. Ils restent dans la Beatlemania avec «If I Don’t Work Out», effarant d’I don’t know et le Blunst finit en mode Monkees de Clarksville. Big power encore avec «I Know She Will» et fast Beatlemania avec «Don’t Cry For Me». Blunst sait faire son Lennon énervé. Ces mecs se brûlent les ailes à voler si haut («Walking In The Sun»). C’est à ne pas croire. Tiens voilà «Conversation Off Floral Street», un très bel instro chargé de mystère et de shuffle. Merci Rod ! Encore de la heavy pop avec «Gotta Get A Hold Of Myself». Rien ne peut résister à cette équipe de Zombies, ils n’en finissent plus de taper dans le haut du panier. C’est un peu comme si on écoutait les bonus du White Album. C’est exactement du même acabit. Et tu as «Goin’ Out Of My Head» qui t’explose au nez et à la barbe, avec des coups d’harp extravagants, c’est bien meilleur qu’Odissey, pardon, Odessey, ils rivalisent de génie sonique avec Totor, ce «Goin’ Out Of My Head» est le cut le plus spectorien d’Angleterre. Fulgurant ! Alors après, dès que tu repères des reds des Zombies avec des bonus, tu y vas les yeux fermés. 

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             Bon, on va essayer de se calmer un peu. Pas facile avec ces mecs-là. Five Live Zombies - The BBC Sessions 1965-1967 ne fait que confirmer la réputation des BBC Sessions : rien que du nec plus ultra. C’est en place dès «Tell Her No». On voit le Blunst monter au créneau très vite et faire du fast Blunst sur «What More Can I Do». Un chef-d’œuvre de shuffle d’orgue. Si tu veux battre ces mecs-là à la course, tu devras te lever de bonne heure. Et tu as le solo de Paul Atkinson, il gratte sec et net. Motown débarque in London town avec «This Old Heart Of Mine». Ils le font pour de vrai, c’est du tout cru, du dur comme fer, ils parviennent à sublimer Motown. Il faut noter l’excellent jazz-bassmatic de Chris White sur «For You My Love», et on retrouve plus loin l’infernal «Goin’ Out Of My Head», avec son sens aigu d’un Brill spectorisé. C’est tout bêtement exceptionnel. Le Blunst tire tout ça vers le haut, over you ! Ils rendent deux hommages à Curtis Mayfield («You Must Believe Me» et «It’s Alright»), mais c’est avec «Soulsville» qu’il fracassent la baraque du wild r’n’b. Avec eux, c’est vite torché, et même quasi-protopunk. Ils savent groover sous la ceinture. Aw c’mon ! Le Blunst peut se monter agressif. Et ça se termine avec le fast rumble d’«I’m Goin’ Home», battu sec et net par Hugh Grundy

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             On trouve une sacrée beigne de génie sur The Return Of The Zombies, cet RCA paru en 1990 (et qui s’appelle aussi New World, sur Big Beat) : une cover d’un très beau hit de Paddy McAlloon, «When Love Breaks Down». Hey yesssss ! Ça se développe, Blunst part dans le Sprout, c’est gorgé de magie pop, il y va à la Paddy éperdue. Blunst colle bien au Paddy way. Heureusement qu’on a cette merveille, parce que le reste de l’album pue un peu la new wave. Le clavioteur qui remplace le Rod s’appelle Sebastian Santa Maria et c’est lui qui fout le souk dans la médina. Pourtant les compos de Chris White («Lula Lula»), ne demandent qu’à éclore comme la rose de Ronsard. Santa Maria y va de son petit coup de shuffle dans «Time Of The Season», un cut signé du Rod, mais le son est trop new wave. «Moonday Morning Dance» sonne comme une déclaration de guerre : les Zombies basculent dans la putasserie. Ils sonnent comme U2 sur «Blue». Santa Maria entraîne les Zombies dans une impasse, cette pop ne mène nulle part. Ils n’ont pas de compos. Horrible destin, pour un groupe qui fut jadis tellement brillant. Blunst essaye d’embarquer les Zombies pour Cythère avec «Losing You», mais ça ne marche pas. Si tu veux bâiller aux corneilles, écoute The Return Of The Zombies.

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             R.I.P. est le fameux Lost Album des Zombies. Et quel Lost Album ! Il s’agit là de leur meilleur album. Tu y entres par la grande porte, c’est-à-dire «She Loves The Way They Love Her», une clameur de pop digne de celle des Beatles avec des développés de voix à la Curt Boettcher et un entrain d’une rare qualité. Te voilà encore plus conquis que l’Asie Mineure. Et ça continue avec «Imagine The Swan», une somptueuse coulée de pop descendante, ça s’impose sur la lune, ça t’allume la tirelire. Tu entends un fantastique solo de piano du Rod dans «I Could Spend The Day» et le balda s’achève sur l’instro du diable, c’est-à-dire «Conversation Off Floral Street» qu’on retrouve dans les bonus de la red de Begin Here, un swing d’instro sous la pression des surdoués. Quatre bombes en B : «If It Don’t Work Out» est complètement Beatlemaniaque, bien dirigé vers la lumière, stupéfiant de don’t work out, suivi d’«I’ll Call You Mine», encore un shoot de pop hallucinante de qualité, irrévocable et magique, les superlatifs n’en peuvent plus. Ils tirent la langue. Et ça continue avec «I’ll Keep Trying», personne ne bat ça à la course, tu as encore le power intrinsèque d’une pop parfaite, bien calée dans l’angle de la Beatlemania, et enluminée d’un glacis d’harmonies vocales. La quatrième bombe s’appelle «I Know She Will», c’est travaillé à la beauté poignante d’une samba poppy. Te voilà au cœur de la Zombiemania.

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              Retour aux affaires en 2004 avec As Far As I Can See. Blunst et le Rod semblent rayonner de bonheur sur la pochette. On retrouve le grand shuffle d’orgue du Rod dès «In My Mind A Miracle». Ça te saute à la gorge. Nos deux compères refracassent la baraque du rock anglais, ils disposent sans le moindre doute des plus grosses ressources naturelles d’Angleterre. C’est puissant, fumant, et racé. Leur «Memphis» n’a rien à voir avec le «Memphis» de Chucky Chuckah. C’est du monté en neige extraordinaire - You know tonight/ Hey kiss in Memphis/ And trace the writing on the wall - Tout sur cet album se juche au plus haut niveau de l’expression. C’est de la grande pop anglaise pianotée par le Rod et ultra-orchestrée. Coup de génie encore avec «Time To Move», un wild r’n’b à l’anglaise. On se croirait chez Stax, avec un bassmatic demented - It’s time to roll - Il y a du feu dans les éclats de voix du Blunster. Il est capable d’allumer autant que Little Richard. Dans «I Don’t Believe In Miracles,» Blunst demande à sa poule de rentrer à la maison, mais il ne croit pas aux miracles. Colin Blunstone forever ! Encore une fabuleuse présence de let it shine dans «As far As I Can See» - There’s a slow train coming/ From the distance coming - Pure magie. Et ça continue avec «With You Not Here», Blunst lance sa pop là-bas au loin, il a cette générosité du geste, il aménage des espaces comme savait le faire Elvis - You’re gone away - Il chante son magnifique désespoir et ça part en mode boogie magique digne de Brian Wilson, alors t’as qu’à voir. Blunst refait son chanteur de charme dans la big rumba de «Together», et ça évolue très vite vers la grande pop qui embrasse l’univers. Blunst et le Rod bouclent cet album puissant avec «Look For A Better Way», énergie énorme à la Thunderclap Newman, le Blunster monte là-haut sur la montagne et balance une pop lourde de sens et de better way. C’est un peu comme s’il tartinait le firmament, il a le même genre d’ampleur que les Super Furry Animals et Mercury Rev, sa pop est une pop d’espace certain et ultime, te voilà grâce à lui au sommet des apanages.

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             Alors attention, voilà encore une grosse poisscaille : Breathe Out Breathe In. Ça date de 2011. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, t’es tanké par la magnifique attaque zombique du grand Blunst - And here let the story begin - Tu as Blunst & Rod again dans l’excellence miraculeuse. Et c’est rien de le dire. Même quand ils font des petits balladifs classiques et ultra-chantés («Any Other Way»), ils te stupéfient, surtout Tom Toomey lorsqu’il se met à gratter ses espagnolades. Gros clin d’œil aux Beatles d’«Hey Bulldog» avec «Play It For Real». C’est la même intro ! Exactement le même punch. Blunst fait sonner ses eeel - When you feel/ How you feel/ There’s no deal to reveal/ You just play for real - Et on assiste effaré à une nouvelle éclosion du génie zombique avec «Shine On Sunshine». Ce mix de pureté purpurine, de profondeur indicible et d’éclat marmoréen te bourre ta dinde. S’ensuit un «Show Me The Way» qui n’est heureusement pas celui de l’autre pomme de terre. Ouf, on l’a échappé belle ! Retour à l’heavy pop des Zombahs avec un «Another Day» un peu épique, mais bien colégram. Et on replonge dans l’enfer du paradis avec «I Do Believe» et une fantastique communion des vocalises, couronnée par un solo d’orgue du Rod. Pur pop genius, ils atteignent à une ferveur pop quasi spirituelle. Ça nous dépasse. Sur «Let It Go», le Rod joue de l’orgue d’église, c’est faramineux de classe de d’alluring allure.

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             Et puis tu as ce brave petit Still Got The Hunger quasiment passé inaperçu en 2015. Eh oui, qui va aller écouter un groupe de vieux crabes comme les Zombies ? C’est justement ces mecs-là qu’il faut écouter, pour peu qu’on soit encore à la recherche d’une certaine qualité. On se demande même parfois si aujourd’hui la qualité intéresse encore les gens. Enfin bref, revenons aux choses sérieuses avec «Moving On» - Aw one two three ! - Blunst t’explose le rock anglais. Il est bon de rappeler que le Blunster est un vieux punk. Il a toutes les mamelles du destin : le souffle, l’ampleur, la voix, le son, la légende. Les Zombies sont toujours à part. L’autre coup de génie de l’album se trouve vers la fin : «Now I Know I’ll Get Over You». Les carillons du souriant Tom Tooney fracassent le son, il rayonne dans une solace particulièrement prégnante. Le lard des Zombies repose sur un joli tapis de braises. Le Blunster chante encore comme un dieu, il n’a fait que ça toute sa vie, et le Rod passe l’un de ces wild solos de piano dont il a le secret. Il placarde dans les escaliers. Quelle vélocité ! Dans «Maybe Tomorrow», on retrouve tout l’entrain de «Lady Madonna». Le Rod pianote comme un démon d’Uriage et Blunst chante avec le gusto de John Lennon. On se régale encore d’«Edge Of The Rainbow», fabuleux, inventif, ambitieux, monté là-haut par le Blunster, véritable Sisyphe du rock anglais. Il pousse son rainbow à la force du poignet. «New York» ? Chant plein de plain-chant de pop pleine de plain-pied, c’est-à-dire de la pop énorme. Il faut le voir monter sur la crête de «Want You Back Again». Il te vrille ça en hauteur, un peu comme Ian Gillian au temps de «Child In Time». Encore de la belle pop d’unisson du saucisson avec «And We Were Young Again». On sent les influences de Paddy McAlloon et de Steely Dan. Cette belle aventure s’achève avec l’incroyable poids de la démesure de «Beyond The Border Line». Ça te tombe littéralement dessus. Ces mecs n’ont jamais renoncé à la grandeur.     

             Après le split des Zombies en 1969, le Rod monte Argent. L’occasion est trop belle d’aller voir ce qui se passe sous les jupes d’Argent, car le Rod est forcément un mec intéressant. Par contre, il ne se casse pas trop la nénette pour trouver le nom du groupe :

             — Tiens, les gars, Argent, c’est pas mal comme nom, non ?

             — Ah ouais, Rod !

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             Leur premier album sans titre sort en 1969. Bon, alors, l’Argent ne casse pas des briques. Ils proposent un peu de boogie down très m’as-tu-vu/tu veux ma photo ?, mais si tu veux casser trois pattes à un canard, il faudra repasser un autre jour. Comme le Rod aime bien l’orgue, il ne mégote pas sur le shuffle d’orgue pour embarquer la petite pop sans avenir de «Be Free». On n’est pas chez les Zombies. Pas de Blunst, pas de chocolat. Ils tentent de recycler le climax des Zombies avec «Schoolgirl». S’ensuit un «Dance In The Smoke» classique et relativement beau, mais pas renversant. Le Rod essaye de maintenir un niveau puissant et raffiné, il essaye de rester dans la veine des Zombies. Franchement, on aurait fait des économies en n’achetant pas cet album à l’époque. Le seul cut qui emporte la bouche se trouve là-bas vers le fond de la B : «Freefall». Le Rod tente le diable avec une Soul pop agréable et on sent enfin le fluide magique, le gros solo d’orgue est excellent. Comme quoi, ça vaut parfois la peine d’attendre.

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             On va dire que leur meilleur album est le Ring Of Hands, un Epic de 1970. Pourquoi ? Parce que «Rejoice», un joli balladif au charme beatlemaniaque certain, très White Album dans l’esprit. Avec cette pure merveille, le Rod approche de la vérité. Autre surprise : «Sleep Won’t Help Me». Là, tu finis par les prendre très au sérieux, car on croit entendre chanter Jack Bruce dans Disraeli. Même ambiance, avec en plus un solo de piano magique. Et coincé entre les deux, tu as «Pleasure», un petit coup de génie car cette fois le Rod fait de l’early Sparks et explose en bouquet d’harmonies vocales géniales, avec du shuffle d’orgue à tort et à travers. Le Rod prend ses grands airs. On l’ovationne. Tu as aussi le «Sweet Mary» qui vire gospel batch avec des tas de blackettes derrière. Comme le Rod est un fabuleux shuffler, il sauve l’heavy prog de «Cast Your Spell Uranus». Bon, c’est vrai qu’on est en plein dans les seventies, donc c’est logique qu’on tombe sur Uranus, mais on préfère l’Uranus des Pink Fairies. Encore de la prog musclée avec «Lothorian», c’est d’un haut niveau liturgique, bien calé sur ses fondations. Le Rod continue d’impressionner avec «Chained», une pop un brin bluesy et tu as une disto dans l’oreille droite. Ses grooves de bonne essence finissent par porter leurs fruits. Le Rod est un mec balèze.  

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             L’All Together Now paru en 1972 est nettement moins dense que son prédécesseur. Tu ne te régales que de «Be My Love And Be My Friend», un fantastique heavy groove. Le reste de l’album est un peu trop proggy pour être honnête, avec de temps en temps, des petits éclairs de boogie qui ne servent à rien («Keep On Rolling», «He’s A Dynamo»). Le Rod termine l’album avec un «Pure Love» en quatre parties. On se croirait chez Keith Emerson. On fuyait tous ces mecs-là à l’époque et on les fuit encore.  

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             Le Rod remonte bien le niveau d’In Deep, paru l’année suivante. Il a recours à une belle énormité, un «It’s Only Money» en deux parties. C’est du bon vieux heavy rock, bien pulsé en interne au shuffle d’orgue. Là, oui, tu as de la viande. Ils en font même un hit. Encore plus impressionnant, voilà le solide et tentaculaire «Losing Hold». Le Rod tape dans l’océanique. Il fait de l’Argent en acier chromé. Puis il va proposer un day of Jesus intitulé «Christmas For The Free», très bealtlemaniaque dans l’esprit. On croit entendre chanter John Lennon.

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             Nexus serre aussi en son sein une belle énormité : «Thunder & Lightning». Wow, ça rocke à l’anglaise déterminée, un vrai paquet de viande avec du tonnerre et des éclairs. Le Rod sait rocker sa chique. Le reste de l’album est assez proggy, et même proggy as hell : shuffle d’orgue et structure tordue. Ça devient vite insupportable, l’«Infinite Wanderer» est conçu comme une bacchanale, et ça part dans le nowhere land, on se demande ce qu’on fout là. Le Rod règne sans partage sur son petit univers proggy. Quand c’est pas ta came, c’est pas ta came. Aussi décision est prise d’en rester là.

    Signé : Cazengler, zombite

    Zombies. Begin Here. Decca 1965

    Zombies. Odessey & Oracle. Repertoire records 2001

    Zombies. Five Live Zombies. The BBC Sessions 1965-1967. Razor Records 1989

    Zombies. The Return Of The Zombies. RCA 1990  

    Zombies. R.I.P.  Varese Vintage 2015

    Zombies. As Far As I Can See. Go! Entertainment 2004

    Zombies. Breathe Out Breathe In. Red House Records 2011

    Zombies. Still Got The Hunger. Cherry Red 2015

    Argent. Argent. CBS 1969

    Argent. Ring Of Hands. Epic 1970

    Argent. All Together Now. Epic 1972

    Argent. In Deep. Epic 1973

    Argent. Nexus. Epic 1974

     

    *

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    Routes of Rock. Elles passent obligatoirement par la bonne ville de Troyes. Ne me demandez pas pourquoi. Parce que c’est comme ça, parce que le 3 B, parce que Béatrice la patronne. Remarquez ce soir, le 3 B n’est plus un bar, s’est transformé en une ère de lancements de fusées spatiales. Ne m’accusez pas d’avoir trop bu, je ne suis pas un zébu, j’ai même rencontré un équipage de cosmonautes, des portugais. Un jour cette soirée légendaire sera connue comme celle de la charge de l’abrigado légère. Enfin c’était plutôt de la cavalerie lourde.

    TROYES - 17 / 05 / 2024

    3B 

    TEXABILLY ROCKETS

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    Z’ont relégué Vincent tout au fond, c’est un peu le rôle des batteurs, mais là devant la porte de la cuisine faut tordre le cou pour l’apercevoir. Ne le plaignez pas, le Duarte ce n’est pas genre de gars à se laisser oublier. Les trois autres sont en ligne, n’ont pas laissé un interstice par lequel on pourrait tenter d’avoir la chance de l’apercevoir. Z’ont bien manigancé, le plus maigre au milieu et les deux serre-livres sur les côtés, un à droite, l’autre à gauche. Le Wildcat, le chat sauvage, au centre tout efflanqué, ils l’ont appuyé sur la big mama, tout de suite sa masse volumineuse a été multipliée par deux, puis ils ont fignolé, une casquette sur la tête et un micro posé devant lui, car on ne sait jamais. A bâbord Ruben attire les regards, avec la visière de sa casquette qui lui mange ses lunettes rondes, et ses larges anneaux de tringle à rideau qui  pendent de ses oreilles l’a un look improbable de boucanier qu’il réhausse de sa guitare qu’il tient très haut, pratiquement au ras du cou, mais le manche levé vers le ciel comme s’il visait les albatros baudelairiens qui se jouent des nuées. A tribord, Oscar Gomes, pas pour rien que dans sa vie civile il est un tatoueur chevronné, il sait accorder les couleurs, ainsi sa chemise hawaïenne à dominante bleue il l’a assortie à sa complémentaire, à l’orange cockranesque de sa Grestch. Jusqu’à l’avoir rencontré je croyais qu’il n’y avait que Lucky Luke qui tirait plus vite que son ombre.

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    Je vous aurais avertis. Ne venez pas vous plaindre si vous courez les voir en concert. Le Gomez quand il met la gomme, il ne chôme pas, sur trente morceaux, il a fait trente fois le coup, il tire plus vite que lui-même, vous le guettez et à chaque fois qu’il va envoyer le riff, le riff est déjà dans vos oreilles, vous savez ces gars qui passent leur tête dans le nœud coulant afin de savoir l’effet que ça fait d’être pendu haut et fort comme dans les westerns et plouf la chaise sur laquelle ils sont montés s’effondre et les voici pendus pour de bon. C’est bête pour eux, mais pour nous c’est très bon car quand le riff d’Oscar court sur vous, le monde se métamorphose en rutilante folie contagieuse.

    Premiers contaminés ses acolytes. Gomez a une électrique et Ruben une gratte. N’entend pas se laisser distancer, el Ruben, il gratte pour lui, il gratte pour vous.  Vous  soulève la guitara comme si elle l’était une danseuse étoile, lui plante les jambes dans les nuages puis lui triture sa tignasse cordique comme s’il voulait la scalper.

    L’on se demande pourquoi le Wildcat s’encombre de sa big mama. Il s’en fout et contrefout. De tous les trois sets il ne lui a pas jeté un seul coup d’œil. Mais il doit l’aimer. Car il la châtie bien. D’une main tout en haut il lui malaxe spasmodiquement la gorge, un peu comme s’il était en train d’étrangler un boa constrictor, sans perdre de temps de sa seconde menotte spasmodiquement il frappe sur son abdomen toujours sans lui prêter la moindre attention.  Ne le traitez pas de chat fainéant, si le Wifdcat ne se préoccupe pas de son instrument mastodontique c’est qu’il est concentré sur le vocal. Les amateurs de rockab commencent à comprendre, le riff, le tchac-tchac de la gratte suivi un quart de seconde plus tard du tchac-tchac de la contrebasse – c’est leur manière à eux de reproduire la reverbe de Sam Phillps – plus le vocal-mitraillette, vous croyez tout comprendre, vous vous dites même qu’à leur place vous auriez carrément remisé l’inutile batterie dans la cuisine en prenant soin de refermer la porte à double tour.

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    Le problème c’est que Vincent tient à se faire entendre. Il existe deux types de batteurs en ce bas monde, les rythmiques tout en subtile finesse et les grabugeurs qui tueraient sans regret père et mère pour que leurs parents en un dernier spasme auditif  se délectassent des tonitruances de leur rejeton préféré… Bref le Vincent, dans les Texabilly Rockets il joue le rôle des tuyères dispensatrices d’énergie. L’est le moteur rugissant qui précipite non seulement la vitesse mais aussi l’enivrante sensation de vitesse.

    Répétons-le les Texasbilly ne viennent pas du Texas mais du Portugal, n’empêche qu’Alain, à qui vous devez l’existence de ce blogue, avait une théorie sur les guitaristes texans, qu’ils soient rock ou blues, ils tapent plus fort que tous les autres ricains sur leurs guitares affirmait-il, toujours est-il que nos Rocketsbilly semblent souscrire à cette règle alinienne, sur les trois premiers titres ils ont fait la différence, d’abord ils vous tuent sans rémission, ensuite ils tirent des bastos à effraction mentale. N'avaient pas commencé depuis trente secondes que les regards pétillants échangés entre connaisseurs en disaient long, l’alligator vorace du rawckabilly était parmi nous.  

    Le Wildcat ne mâche pas son vocal, prononce peut-être l’anglais avec un accent portugais mais qu’est-ce qu’il le cause bien, vous détache les mots un à un comme s’il prenait un malin plaisir à distribuer des paires de gifles, vous claque salement le beignet et illico vous tendez l’autre joue, il accentue les angles et ne freine pas dans les courbes, course de crêtes en tête, montées et descentes à vitesse constante, pour les inflexions étrangement c’est la guitare d’Oscar qui s’en charge.  Plante le riff dans les nuées orageuses, un tonnerre jupitérien continu, Zeus tonne, lorsque vous vous y attendez le moins, c’est la grêle, des grêlons qui vous cisaillent la carrosserie et le visage, subito une dégelée de notes grêles vous transpercent le corps comme des flèches de Comanche sortis de leur réserve pour un raid meurtrier.

    Le rockab a aussi des racines noires. Ruben dépose sa guitare et sort son harmonica. Ruben El Pavoni souffle comme le paon déploie sa roue parsemée des cent yeux inquisiteurs d’Argus, il ne souffle pas, il siffle d’interminables piallements déchirants de locomotives à vapeur qui intiment aux bisons l’ordre d’aller pâturer hors des rails, les trois autres le rejoignent et l’on entend le vieux shuffle du blues, écailles rythmiques arrachées à la cuirasse  des crocos tapis dans les profondeurs troubles des bayous…  Parfois le rockab virevoltant trahit l’originelle noirceur prédatrice de nos âmes.

    Plus que tous les autres batteurs vus sur scène j’ai envie de dire que Vincent joue des pieds et des mains, l’a une extraordinaire manière de piaffer du talon tel un étalon colérique, pour perturber sa charleston, la secoue comme un prunier, la maltraite avec une énergie rancunière, avec lui c’est Brando dans Missouri Breaks à tout instant.

    Je n’insiste pas, si vous n’êtes pas totalement idiot vous avez compris que les Rockets nous ont précipité par trois fois en orbite haute autour du soleil. Trois sets de rêve, trois ouragans destructeurs dont personne n’est ressorti indemne. Les filles qui dansent, les gars qui s’accrochent au bar pour ne pas être emportés par la tourmente, les amateurs scotchés sur le groupe comme un poulpe sur son rocher. Une des grandes soirées du 3B, profitons de l’occasion pur faire coucou à Duduche, Billy, Christophe, Jean-François… et remercier encore une fois pour cette soirée explosive.

    Damie Chad.

     ( Deux images live empruntées à des vidéos de Rocka Billy )

    *

    Je viens d’apprendre quelque chose, moi qui croyais tout savoir, en anglais ‘’ember’’ ne signifie pas ‘’ambre’’ mais braise. Soyons franc, au moment où je m’en suis aperçu, braise ou ambre je n’en avais rien à faire, mon esprit était ailleurs subjugué par la pochette du deuxième EP du groupe  Conquerors of the Ember Moon à tel point que je me suis dépêché de regarder la couve de leur premier EP, qui n’avait rien à voir avec la seconde, étrange, très étrange, cela méritait enquête approfondie.

    Déjà, je dois signaler une erreur dans le paragraphe initial : Conquerors of the Ember Moon n’est pas le nom du groupe. Pour faire simple nos Conquérants (tout de suite l’on pense à José-Maria de Heredia et à son sublimissime recueil Les Trophées) sont une plateforme de musiciens, qui se regroupent ou pas, selon affinités, pour enregistrer une œuvre précise. Ne sont pas très diserts nos aventuriers musicaux, ne donnent aucun détail, ni leurs noms, ni leur origine. Se contentent de spécifier que de tous leurs enregistrements, si particuliers soient-ils, se dégagera une sinistre intensité. Brr ! On s’en doomtait !

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    CONQUERORS OF THE EMBER MOON

    (Album numériqueBandcamp / Novembre 2023)

    Les titres ne nous aideront guère à cerner le projet, scrutons avec attention la pochette. Un paysage. Pas  une vallée verdoyante. Au dix-neuvième siècle l’on employait le mot ‘’romantique’’ pour désigner des paysages de montagne désolés.  Par la suite l’adjectif a été appliqué aux poëtes tourmentés… Une forêt de sapins dans  la tempête, des tronc brisés, des branches décharnées, un épais tapis de neige sur le sol, rien de bien avenant. L’on remarquera  la lettre gothique B estampillée dans un cercle dont la blancheur se confond avec la neige.

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    Intro : Le vent souffle, il emporte vos oreilles, c’est à peine si à certains instants l’on discerne d’incertains fracas d’arbres abattus, peut-être sont-ils seulement psychologiquement suggérés par le fond symphonique mélodramatique qui accompagne sans jamais se laisser ensevelir par le souffle tempétueux, l’on a envie de dire que cette modulation traumatique  nous fait entendre la plainte habituellement  inaudible de la nature qui souffre sans gémir sous les coups de bélier des éléments. I : discordance sonique à la première note de ce morceau, vos oreilles grincent, heureusement que la touffeur de la batterie s’en vient enrober cette nuisance, le vent souffle toujours mais nous ne sommes plus comme à l’abri  sous le souffle du vent mais au cœur de la tempête, nous chevauchons les chevaux de l’ouragan,  des chœurs de marins embrasent la violence, la batterie frappe sans arrêt, cataclysmismique le son reflue sur vous et vous enveloppe, des guerriers perdus dans l’hurricane chantent, les scaldes scandent le refus de l’acceptance, il faut faire front, le souffle des voix se mêle aux monstrueuses rafales apocalyptiques, le monde est devenu une infernale course cahotante, jusqu’au bout d’on ne sait trop quoi, vous ne vaincrez la tempête que si vous-même vous devenez tempête, mais le vent souffle encore plus fort, plus un bruit, si ce n’est cette pompe refoulante de l’air fou qui vous submerge et vous condamne au silence. II : encore plus fort, plus violent, plus d’espoir si ce n’est l’indomptable courage de vouloir survivre à tous prix, vous ne tenez plus debout, vous glissez, vous n’avancez pas, vous êtes poussé, ne sont-ce pas les voix des arbres qui hurlent pour se donner du courage, pour se soutenir, pour relever la tête, malgré tout, malgré rien, front contre front, deux taureaux qui se font face, l’élément intérieur qui ne veut pas céder et l’élément extérieur qui désire vous briser, vous pénétrer, en finir avec vous, avec tout, comme une rémission, un raidissement, et puis l’affaissement, le vent seul qui souffle et vous qui vous taisez, sans fin, parce que n’avez plus rien à dire. Le vent hennit sa victoire sur les crêtes des montagnes. III : tumulte de l’inéluctable, la bête grogne, la batterie avance imperturbablement, les ennemis vont s’affronter, tout se précipite, presque un rythme de danse, ça tohu-bohute, ça se catapulte l’un contre l’autre, combat de titans, l’un doit céder, mais si l’extérieur entre dans l’intérieur il deviendra lui-aussi intérieur, vision glissante de cauchemar comme des hordes d’avions bombardiers dans le ciel, c’est le split final, celui qui ne finira jamais, la guerre n’est que la continuation de la paix sous une autre forme, ça tangue dur, mais si l’intérieur sort de lui-même il sera métamorphosé en extérieur, quelle cacophonie, inutile de psalmodier la prière des morts devant les tombes qu’elles soient ouvertes ou fermées, vides ou pleines à ras-bord, tout ce qui est inutile est utile et vice-versa, le vent encore le vent, il siffle pareillement dans les oreilles des morts et des vivants, il est des symphonies qui sont des linceuls qui vous enveloppent plus chaleureusement que le sang chaud qui gicle de vos blessures, le vent ne souffle plus, la symphonie bruit, elle persiste, a-t-elle gagné contre le bruit, le vent ne souffle plus, il reprend son souffle, rien ne semble aller de soi à soi-même, il ne reste que des éclisses d’arbres, des décombres ou des semences, nous ne savons pas, nous ne savons rien, ce morceau n’en finit pas, certainement parce qu’il n’y a pas de fin possible à ce qui est et à ce qui n’est pas. A ce qui n’est plus.

             Superbe. Ils ont traduit une image en musique. Ils ont  expliqué comment le rêve d’une chose peut devenir le cauchemar d’une autre.

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    CONQUERORS OF THE EMBER MOON

    (Album numériqueBandcamp / Novembre 2023)

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    Enfin la couve qui a suscité mon intérêt pour ces conquérants de la lune  de braise.  Une  glauque reprise sous forme d’un monochrome vert de L’apparition fameux tableau de Gustave Moreau (1826 - 1898) illustrant une des scènes les plus érotanathiques des Evangiles, Salomé fille d’Hérodiade l’épouse du roi Hérode danse nue devant son beau-père, en récompense elle demande la tête de (Saint) Jean Baptiste qui a insulté sa mère… Les picturales rêveries érotiques de Gustave Moreau se sont vraisemblablement abreuvées à la scène d’Hérodiade, poème majeur de Stéphane Mallarmé.

    Encore pratiquement invisible, la pochette offre une lettre gothique encerclée, cette fois un ‘’ S’’. La signification de ces monogrammes me pose question. Seraient-ce les initiales de Bismuth et Stibine noms des minéraux mercuriels et alchimiques...

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    I : facture sonore totalement différente de l’EP précédent qui pourrait être qualifié de symphonique, sur celui-ci nous sommes en présence d’une structure heavy metallique sans complexe :  sans doute vaut-il mieux se rapporter au tableau de Moreau que de se fier à l’interprétation de la pochette qui ne rend pas justice au sentiment de malaise hiératique que provoque la vision d’une telle image, l’introduction monumentale est à la hauteur écrasante de l’architecture prodigieuse dans laquelle se déroule l’apparition.  Il importe de prendre mesure de l’évènement, nous ne sommes pas dans un riche palais aux écrasantes dorures, mais ailleurs dans une image fantasmagorique de nos représentations les plus orgiaques, non pas dans un château royal, qui serait d’une aune par trop humaine, mais dans une demeure mythologique digne de l’Atlantide ou des Dieux. Qui n’a jamais habité ( comme moi ) dans une ville dont la vie était rythmée par le bruit assourdissant d’un marteau-pilon  qui vous baignait sans arrêt, jour et nuit,  dans l’assourdissance écrasante de sa palpitation outrancière, ne pourra jamais se faire une idée de la lourde et lente marche des géants qui peuplaient la terre il y a très longtemps, avant que Zeus ne les frappât de sa foudre et n’arrêtât l’inéluctable, d’ailleurs ce ne sont pas des paroles humaines que l’on entend mais des cris de chouettes prophétiques et des hurlements sans fin de foules anonymes écrasées sous des pieds géants, jusqu’à ce tintement des cordes de la joueuse de luth qui accompagne la danse d’Hérodiade et ce chuchotement des âmes exacerbées par la beauté de la nudité de la danseuse parée de joyaux opalins incapables de rivaliser avec la splendeur candide de sa peau… II : grincements, poulies, filins, musique en sourdine, il ne se passe plus rien, ou si peu, le corps de la danseuse boit et absorbe les regards qui se posent sur les dunes, sur les lunes, sur les runes,  sur les mouvances de son corps, l’on parle à mi-voix comme  l’on rêve les yeux à demi-fermés pour profiter et de la clarté de la beauté épandue dans le monde et de la pénombre inavouable des songes prédateurs. III : orage tumultueux au grand jour, hurlements de terreur, tout se mélange, non pas une apparition mais deux, celle de la beauté de la ballerine, et celle de cette tête sur le mur, l’une est soleil et l’autre est la lune, la lune désigne l’autre, regardez ceci est mon sang, non pas celui enfermé dans les canaux secrets de mes chairs, et l’autre urgescent, dégoulinant, giclant d’une façon dégoûtante, malgré cette voix de prêtre pontifiant qui essaie de retenir le scandale du monde, maintenant ici tout n’est que luxe, vacarme et volupté turgescente coupée au ras du col, la marche des géants reprend, une guitare se souvient qu’elle est dans un groupe de rock, chacun fait ce qu’il peut pour tenter de trouver une attitude qui soit conforme à cette projection intérieure du soleil du désir sur le mur de roches cyclopéennes, la bête est sortie de son antre, la vierge projette ses émois sur la paroi, l’insoutenable se résorbe dans les résonnances cordiques du luth, un temps en suspension, entre ce qui était celé et qui maintenant est révélé, la voix devient spasme aquatique des profondeurs conscientes, la musique se précipite, joue-t-elle au maçon qui essaie de recouvrir de sa truelle de mortier honteuse la face sanglante, la découpe du chef sur le mur, d’ailleurs qui parle et qu’elle est cette langue, celle de la mise à mort, ou celle bestiale qui s’affiche au vu et au su de tout le monde, tandis que la petite musicienne envoie quelques arpèges de son luth.

             L’ensemble est magnifique. Une page blanche ouverte à tous les verbiages bonimenteux de l’imaginaire.

             Ces conquérants m’ont conquis. Pleine lune !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Ça sentait l’avoine. Depuis que je suis tout petit j’adore cette céréale. Exactement depuis le jour où j’ai découvert le mot avenière dans le vieux Larousse familial. C’est un mot que je qualifierais de verlainien. Vous le prononcez, il ouvre les portes du rêve. En plus une nouveauté recommandée par Mister Doom 666, avec lui vous ne savez jamais où vous mettez les pieds, souvent là où vous n’auriez jamais eu l’idée de les poser car ça grouille d’alligators affamés, en dédommagement et en règle générale vous n’êtes jamais au bout de vos surprises.

    AVEROIGNE

    ARCANIST

    (Yuggoth Records / Mai 2024)

    J’ai commis une erreur : j’ai cru qu’ils étaient américains puisqu’ils se réclamaient de Providence in Rhode Island. Mais non, c’est leur maison de disques qui niche là-bas dans cette cité providentielle qui abrita Edgar Poe et Lovecraft. Difficile de faire mieux. Difficile de faire pire. Selon vos appréhensions personnelles barrez la mention  qui ne vous convient pas. Par contre ils sont français, soyons fraternel écoutons-les. Toutefois ne nous embarquons point sans biscuits.

    Arcanist. Tout de suite l’on pense à Oscar Vladislas de Lubicz Milosz et à son recueil Les Arcanes. Arcaniste fleure bon l’ésotérisme et même l’alchimie. Plus exactement la pratique alchimiste. L’arcaniste est le personnage qui se tient entre le spagyriste paracelsique et le souffleur de verre, entre Bernard de Palissy et le raccommodeur de porcelaine, deux arts du feu, dont l’ignition soutenue et contenue, condense ou vaporise les divers états de la matière élémentale. L’arcaniste connaissait les secrets de la délicate cuisson des porcelaines, et d’autres encore, mais ceci est une autre histoire. Un opérateur. Pour employer un autre mot qui étymologiquement colle tout aussi bien à chef-d’œuvre qu’à grand-œuvre.

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             Averoigne, un mot qui avoisine l’avoine et l’Auvergne, bingo il s’agit du titre d’un livre Averoigne & Autres mondes, publié en 2019 dans la collection Helios des Editions Mnémos, éditeur d’imaginaires depuis 1996, spécialisé en SF, Fantasy, et Lovecraft.  Quel hasard démoniaque ! Serions-nous sur la Dagonale du fou ! d’autant plus que le nom de l’auteur Clark Ashton Smith (1893 – 1961) n’est pas inconnu chez les sectateurs de Cthulhu, il fut un proche du Maître de Providence. Smith était un admirateur de Baudelaire, qu’il traduisit, et d’Edgar Allan Poe.  Tout de suite ce goût pour la beauté de l’horreur vous classe parmi les individus supérieurs. Je dis cela uniquement parce que Baudelaire et Edgar Allan Poe sont pour moi de véritables phares émetteurs d’une lumière noire inaltérable.  Autodidacte, il se fait remarquer par un style luxuriant et coruscant, il fait partie de ces solitaires qui vivent à côté du monde marécageux, en ses limites extrêmes où rêve et réalité se confondent… Son imaginaire le transporte très loin dans l’espace et le temps. Les contes d’Averoigne se déroulent dans une Auvergne médiévale du douzième siècle, je recopie sans vergogne la présentation de l’éditeur que je vous invite à visiter : ‘’ Clark Ashton Smith imagine une contrée mystérieuse où monastères et cités aux murs crénelés ont émergé des antiques ruines romaines, où des légendes préchrétiennes prennent corps dans la vaste forêt centrale, où la cathédrale impressionnante de la cité de Vyones domine les esprits et où une famille noble voit ses pouvoirs disparaître, entre corruption et magie noire.’’.

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             Non ce n’est pas fini, les gloutons ne se jettent pas uniquement sur les gâteaux. Les galutres n’oublient jamais de dévorer l’emballage du paquet. Cette fois, nous sommes gâtés, à tel point que j’ai longuement hésité, allais-je consacrer cette kronic au disque d’Arcanist ou à l’œuvre de Matthew Jaffe. Quelle couve et quel artiste, la visite de son instagram est obligatoire. Cette couve ne se regarde pas, elle se médite. N’ouvrez pas vos yeux, ils sont vides. La force n’est pas en vous. C’est elle qui vous regarde. Sans vous voir.

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    Rendez-vous en Averoigne : chants d’oiseau, c’est pour l’ambiance, des gouttes d’eau de synthé tombent une à une bientôt relayées par d’amples froufrous mélodiques, ces notes décharnées introduisent-elles le soupçon d’une inquiétude, le ciel se voile, la brume mugit dans sa corne, le vent se lève, une voix commence à lire l’histoire d’Averoigne ‘’ c’était un endroit vide de toute vie et absolument désolé où les charognes auraient conté fleurette au démon, les cieux tant tristes gris que les cadavres semblaient n’avoir jamais connu le soleil’’, le récit n’ira pas plus avant, ce serait inutile, la musique se voile d’une infinie tristesse, de grandes orgues héroïques retentissent, l’on ne sait rien de ceux qui viennent, mais il n’est pas besoin de messager pour nous demander de nous écarter, il est des choses qui se comprennent avant de les savoir, la musique s’achève lentement comme ces linceuls que l’on ne finit pas de plier et replier sur eux-mêmes. The holliness of Azederac : les titres sont ceux de certaines des histoires qui forment le livre Averoigne. L’histoire d’un saint homme. Enfin c’est ce que l’on raconte. Dans son passé il n’a pas toujours suivi de près les enseignements des  Evangiles, ne médisons pas, quand est-ce que les choses ressemblent vraiment à ce qu’elles sont, le mensonge n’est-il pas un marqueur de vérité, je vous laisse réfléchir, concentrons-nous sur la musique. En tout cas, le carillon pétille de joie, l’on a envie de danser la bourrée, elle est bien auvergnate mais le rythme guilleret ne serait pas conciliable, accélération tintinnabulesque, la joie nous envahit, attention il se passe quelque chose, est-ce que la fantaisiste carmagnole tournerait au vinaigre, une ombre passe, serait-elle l’aile de l’Ange Déchu, tiens une éclaircie mais l’on a perdu de l’allant, quel est ce pas lourd et claudiquant qui résonne seul dans l’espace sonore, l’on se croirait à la fin de Don Juan de Molière, ce glas qui sonne vous transperce l’âme, pas de panique il s’égrène en notes apaisantes, l’on s'imaginerait au pied de sa dame à lui chanter des doux vers à la Tristan et Yseult, que voulez-vous l’amour n’est jamais simple, à croire que la fin est déjà programmée à peine débute-t-il, profitons de l’instant qui passe et trépasse en incertains échos de chanterelle et chantefable. A night in Mauneant : ce récit ne fait pas partie du recueil d’Averoigne mais Clark Ashton Smith l’a rédigé dans les jours qui ont suivi l’écriture de End of the Story.  Un bruit qui vient de loin, peut-être du néant à moins que ce ne soit le néant qui provienne du bruit, il faut bien remplir le vide d’une manière ou d’une autre, l’est sûr que l’on nous raconte une histoire qui est déjà terminée et dont on ne saura rien, torsades de faux-violons, et clavier non tempéré, l’on a cru à un crescendo infini, ce n’est pas tout à fait cela, l’on arrive après la bataille qui n’a jamais eu lieu. Des notes comme des hoquets de pianos assortis de sortilèges quasi orientaux, l’on meuble le silence d’une pièce vide, peut-on remplir le vide, n’est-il pas comme un trou noir qui dévore le monde non pas jusqu’au trognon mais jusqu’à la pensée du monde. La musique serait-elle un divertissement pascalien qui s’effiloche en longues notes qui ne veulent pas mourir, qui s’enlacent longuement à vous pour que vous les reteniez au minimum pour l’éternité. Une voix s’élève, est-ce celle de la statue de sel devant Sodome et Gomorrhe.

    End of the story : écoutez l’histoire sans fin qui a une fin, un beau conte de facture classique, celle de la tentation, par la plus belle des femmes qui tient somptueuse demeure dans les ruines d’un château maudit, on l’a prévenu, on l’a supplié, on l’a sauvé une fois, mais il est reparti, on ne l’a plus jamais revu. Mais que n’aurait-il pas fait pour retrouver la femme serpent, car la femme qui a été tentée par le serpent était le serpent lui-même. Ne pas confondre lamie et l’amie. L’histoire est cousue de fil noir, comme quelques notes d’un luth caressé par mégarde. Même pas quatre minutes. Cela ne vaut guère davantage. Chaque homme dans sa nuit, se dirige vers sa propre lumière. Souvent éteinte. Toute lumière n’est-elle pas aveuglante. The Colossus of Ylourgne : (Part I) : 1 : The flight and the Necromancer / 2 :The gathering of the dead  / 3 : The testimony of the monks  / 4 : The going forth of Gaspard du Nord : une musique venue d’ailleurs, aux relents sombres, sourire de flûtes, est-il nécessaire d’en rajouter, l’histoire du Nécromant se suffit à elle-même, voici les chœurs, les dies irae et les tentures noires de  l’orgue, c’est un maître, ses élèves se pressent autour de lui, que leur apprend-il, que retiennent-ils… oui il œuvre à sa survie, car tout homme est mortel, d’ailleurs le cimetière est rempli de morts, pourquoi certains d’entre eux font-ils éclater de l’intérieur le bois de leur cercueil, quelle force terrible les anime, quelle étrange énergie les habite, d’habitude les morts ne bougent pas, la musique ne les berce-t-elle pas, elle sait se faire si douce, les moines de l’abbaye voisine ont suivi le Nécromant et ses disciples, ils sont maintenant tous réunis dans la forteresse démantelée d’Ylourgne… l’élève préféré Gaspard du Nord n’a pas suivi le Maître, il subodore, au travers d’un miroir magique il essaie d’entrer dans les pensées du Maître, le visage du Maître apparaît mais demeure impénétrable. La musique éclate, le drame se précise. The Colossus of Ylourgne : (Part II) : 5 : The horror of Ylourgne  / 6 : The vaults of Ylourgne  / 7 : The coming of the Colossus / 8 : The lying of the Colossus : étranges bruits qui recouvrent de troubles affairements, non ils ne s’affairent pas à de vils agissements d’ordre inférieurs, les tâches subalternes ne sont pas pour eux, ils ne pétrissent pas un corps avec de la terre, ce genre de besogne trop facile ils la laissent à Dieu, eux ils se servent de matière vivante, avec la chair des morts qu’ils arrachent aux cadavres ils constituent un nouveau corps… Gaspard du Nord aimerait bien s’interposer, il accourt, tant pis pour lui, il sera enfermé en un sombre cachot, il l’explorera, il désespèrera mais finira par trouver une issue, la voix du conteur que l’on n’avait plus entendue depuis le premier morceau reprend la parole, il avertit quelque chose va survenir, plus terrible que la peste… la chose est là monstrueuse, un monstre, un colosse, aussi haut qu’une tour, une force qui va, une force qui écrase, pour le moment il ne prend pas garde aux humains qui fuient devant lui, l’en écrase deux sur un mur  sans trop penser à mal, la musique prend une ampleur insoupçonnable, que veut-il, et qui pourrait l’arrêter. La foule affolée se précipite dans la cathédrale, l’être satanique ne supporte pas la demeure de Dieu, il la détruira, l’édifice et les misérables chrétiens réfugiés à l’intérieur, qui l’arrêtera sinon Gaspard, il est monté tout en haut du clocher et quand le géant s’approche il lui jette au visage une poudre alchimique, la même qui a permis de lui donner vie et qui maintenant lui donnera la mort. Le colosse titube, il ne sait plus que faire, les cimetières sont trop petits pour lui, il finira par creuser sa propre tombe, s’y coucher et se couvrir lui-même de terre.

             Dark ambient, certes mais la musique est beaucoup plus ambient que dark. L’on imagine la rutilance de  l’orchestration qu’un groupe de heavy metal se serait permise sur une telle légende. L’électro synthétique est à mon goût un peu trop monocorde, trop monotone pour avoir droit à l’épithète  de prog. Dark metal si vous voulez, mais je qualifierais l’ensemble, tout de délicatesse et de nuance, de folk, ce qui ne saurait être un contresens puisque la musique transforme cette longue nouvelle en un conte merveilleux.

             Le lecteur aura remarqué dans Le Colosse d’Ylourgue des éléments empruntés au Frankenstein de Mary Shelley et au roman Le golem de Gustav Meyrink. Deux œuvres proches de l’univers de Matthew Jaffe. Son Instagram   sans faute !

             Peu de renseignements sur les membres d’Arcanist. Leur Instagram est bien chiche, le duo semble constitué d’une fille et d’un garçon. Ouf ! ils ont respecté la parité !

    Damie Chad

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    L’écran était parcouru de vives couleurs, pour le moment l’on ne discernait rien de précis mais au bout de deux minutes il apparut clairement que les couleurs se regroupaient en certaines zones en des taches de grandeurs variables, bientôt il devint évident qu’elles s’affinaient, qu’elles épousaient des formes encore peu reconnaissables, quelques minutes plus tard, il apparut que des silhouettes humaines commençaient à se dessiner, le plus étonnant c’était  qu’elles occupaient toute la surface disponible, pas un seul espace de vide, ne serait-ce que quelques centimètres carrés, les individus n’arrêtaient pas de bouger, de changer de place, sans s’interpénétrer, sans se bousculer !

    John Deere prit la parole :

             _ Cet appareil n’est qu’un prototype, dans quelques semaines nos laboratoires nous procureront  une machine qui fonctionnera en trois dimensions, celle-ci n’est pas plus performante qu’une simple feuille de dessin qui n’aurait pas encore appris les règles de la perspective. Ce ne sont pas des individus serrés comme des sardines dans leur boîte que nous voyons, mais une grande place remplie d’une foule immense.

    Le Chef alluma longuement un Coronado avant de déclarer :

             _ Je ne pense pas que vous nous ayez fait venir pour admirer un mauvais écran de télévision, à priori la vision d’une foule sur une place publique ne doit pas inquiéter une institution comme la CIA, d’autant plus que ces gens-là n’ont pas l’air de manifester, de demander la démission du Président des Etats-Unis, voire de brûler des drapeaux américains.

             _ Nous préfèrerions, au moins nous saurions comment réagir !

    Jim Ferguson avait l’air d’avoir vieilli de plus de dix ans.

             _ Au bas mot, selon nos spécialistes il doit y avoir là au moins cent mille personnes. Ce phénomène d’attroupement est assez courant dans nos sociétés modernes, le problème n’est pas là. Cet écran photonique est multi fonctionnel, il est capable de nous donner, à la façon d’un GPS, mais d’une manière ultraprécise, les coordonnées du lieu où se déroule ce rassemblement. Savez-vous où s'articule le spectacle que nous observons ?

    Ferguson ne nous laissa pas le temps de répondre :

             _ Dans une cloison de cette maison devant laquelle nous avons dû secourir l’agent Chad !

    84

    Le Chef avait pris la tête du groupe d’intervention, Molossa et Molossito devant, dûment chapitrés, truffes au vent, flairant l’air de toutes leurs forces, les deux courageuses bêtes étaient suivies par Doriane et Loriane, sous notre garde rapprochée, Jim Ferguson et John Deere nous talonnaient chacun d’eux commandant une file d’agents, rien qu’à les voir, l’on sentait des gars aguerris prêts à tuer leur mère pour gagner un demi-dollar.

    La pièce centrale était plongée dans le noir. Nuit sans lune, ciel nuageux sans étoiles, les équipes de la Cia étaient intervenues, tous les lampadaires de la rue étaient éteints. Le Chef appuya sur un interrupteur. Nous nous postâmes devant le plus grand des murs. Il n’y avait rien à voir. Molossito grogna faiblement.

    Nous attendîmes près d’un quart d’heure avant de percevoir un bruit très faible. D’abord des frôlements incessants, peu à peu ils se transformèrent en un léger tambourinement, il devint bientôt évident que des milliers de personnes étaient en train de marcher. Au centre du mur une tâche noire se forma. Lentement elle ne cessait de grandir.

    Maintenant elle recouvrait le mur, bientôt nous pûmes discerner les individus, visages inexpressifs, disposés en lignes, marchant à grand pas vers nous.

    Le Chef alluma un Coronado :

             _ Manifestement ces cocos ne viennent pas pour nous souhaiter la bonne année, pour ceux qui n’auraient pas compris, nous ne sommes pas en train de regarder un film, ils viennent pour nous tuer, que personne ne tire avant que je n’aie relâché un panache de fumée blanche !

    J’ignore comment le Chef s’y prit, mais une demi-heure plus tard, un large triangle blanc s’échappa du Coronado, il ressemblait à la calotte blanche des neiges éternelles qui coiffent le sommet du Kilimandjaro.

    Le premier rang était tout près de nous, quatre à cinq mètres, nous fîmes feu sans hésiter, ils tombèrent sous nos balles, phénomène étrange ils s’affalaient à terre et disparaissaient aussitôt remplacés par un nouveau rang, leurs corps s’évanouissaient oui, mais pas leur sang qui coulait sur le plancher de notre salle. Au bout d’une heure nous pataugions dans des ruisseaux de sang, Molossa et Molossito s’étaient régalés à laper ce sang frais et chaud, sans doute leur âme entrait-elle en communion avec le passé préhistorique des meutes de loups qui mordaient à pleines dents dans les chairs du dinosaure qu’ils avaient réussi à tuer… Sommes-nous aussi porteurs dans nos gènes de la mémoire de nos luttes archéolithiques que notre espèce avaient dû mener pour anéantir les araignées géantes dont nous étions les proies préférées…

    Faut avouer que question armement les ricains assuraient. Nos rafalos n’avaient pas le temps de devenir brûlants que déjà une unité logistique les remplaçait et nous fournissait munitions à foison. Par contre ils n’avaient pas pensé à tout, le sang nous montait aux genoux, des bottes fourrées nous auraient été fort utiles, Doriane et Loriane qui au début avaient pris les choses du bon côté, elles s’amusaient  à tremper leurs doigts dans le sang pour souligner d’un rouge à lèvre écarlate leurs lèvres pulpeuses, commençaient à fatiguer.

    Le combat ne cessa pas faute de combattant, le torrent de sang devint si haut et si puissant que nous dûmes refluer devant son écoulement…

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    Nous avions regagné le local. Doriane et Loriane exténuées par les émotions s’étaient endormies tenant Molossito et Molosa entre leurs bras. Le Chef avait allumé un Coronado, on aurait dit qu’il rêvassait. Moi qui le connaissais bien savait qu’il n’en était rien, je ne fus pas surpris lorsqu’il m’interpella vivement :

             _ Agent Chad nous n’avons jamais connu une situation aussi dramatique !

             _ Chef, que vient faire la CIA dans cette affaire ?

             _ Quelle affaire, Agent Chad ?

             _ Celle qui nous préoccupe !

             _ Laquelle ?

    Sur le moment je crus le Chef victime d’un coup de fatigue mais avant de répondre j’eus le bon réflexe, le Chef est infatigable sans quoi il ne serait pas le Chef, je tournai donc sept fois mon intelligence dans mon cerveau, je recommande d’ailleurs à nos lecteurs qui jugeraient cet épisode de nos aventures totalement loufoque d’agir de même, à condition qu’ils soient en possession des deux ingrédients nécessaires à cette opération, en effet la population terrestre ne se partage-t-elle en deux grands groupes majoritaires ceux qui possèdent une intelligence mais pas de cerveau et ceux qui ont un cerveau mais pas d’intelligence. Seule une minuscule minorité peut se vanter d’être pourvue de ces deux outils indispensables à toute réflexion… mais ne nous égarons pas, nous poursuivrons cette réflexion philosophique sur l’état mental de nos concitoyens une autre fois…

             _ Ainsi Chef vous pensez comme moi, vous pensez que nous courons pour parler comme Jean de La Fontaine, deux lièvres à la fois…

             _ Une évidence Agent Chad, je m’attendais à davantage de pertinence de votre part. Bien sûr d’un côté nos passeurs de murailles qui traversent les murs sans trop savoir pourquoi, si ce n’est pour se livrer à quelques cambriolages de haut-vol qu’ils n’ont même pas eu le temps d’entreprendre… nous les avons probablement tous éradiqués, leurs hommes de main et cette Cheffe que Loriane a prestement et proprement abattue. Comme si une femme pouvait accéder au grade de Chef !

    Le Chef haussa les épaules et alluma un Coronado :

             _ Non Agent Chad, vous connaissez mon instinct, il ne me trompe jamais, Jim Ferguson est certainement très sympathique mais j’ai l’impression qu’il essaie de nous mettre sur le dos l’affaire de cette étrange maison, plus j’y réfléchis, lorsque vous avez été happé par une force inconnue devant la grille d’entrée, tout votre chemin était coordonné par la CIA, le croc-en-jambe, les enfants de l’école et tout le reste n’a été qu’une manipulation de bout en bout, ils nous attendaient, une mise en scène pour nous refiler le bébé de la maison entre les pattes, Agent Chad, cette affaire sent mauvais, je ne présage rien de bon pour les jours qui viennent.

    Evidemment le Chef avait raison. L’avenir nous le prouva.

    A suivre…