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  • CHRONIQUES DE POURPRE 607: KR'TNT 607 : DOC POMUS / CHICKEN DIAMOND / PHILL LYNOTT /ANN PEEBLES / YVONNE FAIR / MUSTANG / SWAMPDUKES / DOOMOCRACY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 607

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 06 / 2023

     

    DOC POMUS / CHICKEN DIAMOND

    PHIL LYNOTT / ANN PEEBLES

    YVONNE FAIR / MUSTANG

     SWAMP DUKES / DOOMOCRACY

     ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 607

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Le jeu de Pomus

     - Part Two

     

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             Comme chacun sait, l’histoire musicale des Amériques grouille de personnages légendaires et Doc Pomus, qui n’est pas le plus connu, compte parmi les plus attachants. Il fut hélas associé à Mort Shuman qui ne l’est pas. Voici presque 20 ans, Alex Halberstadt lui consacra un ouvrage assez haut de gamme, Lonely Avenue: The Unlikely Life And Times Of Doc Pomus. On l’avait ramassé à l’époque chez Smith. Ace qui démarrait alors sa fameuse Songwriter Series, avec Leiber & Stoller, déclencha une soudaine soif de Brill.

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             Doc, c’est d’abord Big Joe Turner, dont il est dingue. Dingue au point de vouloir chanter le blues, alors qu’il se déplace avec des béquilles. Frappé petit par la polio, il a perdu l’usage de ses guibolles. Puis c’est le Brill, et même le brillant Brill. Il fréquente Leiber & Stoller, Otis Blackwell, Donnie Kirshner, Totor, toute cette bande d’épouvantables surdoués. Et quand le temps du Brill passe, il recrée un autre cercle de surdoués, avec Doctor John, Willy DeVille et Lou Reed. Doc fascine, alors les gens viennent à lui. Halberstadt réussit à recréer l’ambiance bizarre des fameuses chambres d’hôtel de Manhattan où Doc a vécu la plus grande partie de sa vie, même si à une époque, il était marié et père de famille. Il rentrait chez lui à la campagne le week-end. En semaine, il restait en ville pour le biz.

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             Pour bien situer les choses, Halberstadt commence par nous montrer le jeune Doc en route pour Brooklyn avec ses béquilles. Il voyage en subway et se rend chez George’s, un club de blues. Il a décidé qu’il serait chanteur de blues. Il ne connaît qu’une seule chanson, le «Piney Brown» de son idole Joe Turner. Il sait aussi qu’il doit changer de nom. Jerome Felder, c’est pas très hip. Alors ce sera Doc Pomus. Un black vient le trouver à sa table : «Wadda they call you, anyway?», et Jerome répond à voix haute, pour que tout le monde l’entende : «My name is Doc Pomus and I’m here to sing the blues.» Une telle détermination en rappelle d’autres, notamment celle d’Ahmet Ertegun qui, ado, faisait lui aussi le mur pour aller écouter de la musique noire dans les clubs de blacks. Ses parents ne savent pas que Doc va dans les clubs de blacks.

             Halberstadt nous relate un autre épisode superbe : un jour de 1951, Big Joe Turner se trouve dans le bureau d’Ahmet, chez Atlantic et lui parle d’un handicapé qui avait chanté comme un dingue la veille au Harlem Baby Grand, et juste à ce moment-là, Doc qui connaît bien Ahmet, passe la tête par la porte du bureau. Turner saute en l’air ! «C’est lui !». Doc serra la pogne de son idole qui lui demande de lui écrire quelques chansons. Doc n’en revient pas ! Il prend la demande à cœur et pendant les années suivantes, il réserve ses meilleures compos pour Big Joe. Là tu es dans la vraie histoire du rock, celle d’artistes monumentaux qui s’admirent et qui se respectent. 

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             Un peu plus tard, Big Joe est à l’affiche d’un petit club de Newark, et en arrivant sur scène, il voit tout de suite Doc assis au premier rang : «Hiya Cuz!». C’est en écoutant Big Joe chanter ce soir-là, que Willi, l’épouse de Doc, comprit enfin la musique de son mari. Vers la fin de sa vie, Big Joe est à la ramasse, financièrement, et ça fout Doc en pétard. Il découvre que les chèques de royalties ont été postés chez une ex-épouse, alors il passe des coups de fils, agite quelques menaces et finit par récupérer 25 000 $ de royalties pour Big Joe. Puis il décide de le remettre en selle et organise une session avec le boss de Muse, un petit label de jazz new-yorkais. Big Joe est accompagné par Room Full Of Blues, un groupe de Rhode Island que Doc a produit avec Joel Dorn. Doc bosse à l’œil et finance l’enregistrement. Okay pas de problème. Il aurait payé dix fois plus, nous dit Halberstadt, pour pouvoir travailler une fois encore avec Big Joe. Ils répètent chez Doc et tapent le «Blues Train» co-écrit avec Mac. Ils répètent avec le pianiste Stuart Hemmingway qui est aveugle. Halberstadt se régale de la scène, il parle d’un «Fellini-esque trio». Comme Big Joe ne sait pas lire, Doc lui souffle les paroles à l’oreille. L’épisode est l’un des passages les plus fantastiques du book, Halberstadt nous décrit le retour de Big Joe à l’hôtel, après les répètes, dans le van de Doc, «his gargutuan voice booming inside the van.»

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             L’album de Big Joe Turner & Roomful Of Blues s’appelle justement Blues Train. Il date de 1983. Devant, tu as Big Joe en costard vert entouré du Roomful, et au dos, tu retrouves Doc dans son fauteuil roulant. C’est un big album de jump, sans surprise. Big Joe attaque en force avec «Crawdad Hole», il tape tout de suite dans le dur. Mac est là, lui aussi, en tant que special guest. Tu as un gros solo de sax à l’ancienne. Tout cela se tient très bien. Les deux mamelles de Big Joe sont le jump et le heavy blues, alors il passe ensuite au heavy blues de round midnite avec «Red Sails In The Sunset». Big Joe est un homme qui sait poser sa voix. Mac pianote comme un crack. Et puis ça repart comme on s’en doute en mode big jump de big band, propulsé par le bassmatic de Preston Hubbard. Dans tous les jumps, tu as des solos de sax, ils sont trois : un alto, un baryton et un tenor. C’est un régal que d’entendre le Roomfull dans le feu de l’action. Ce sont des blancs, étonnamment. Le «Blues Train» de Doc ouvre le bal de la B. C’est un jump de juju juice, Big Joe y va de bon cœur. Il dégouline de mâle assurance. Le guitariste qu’on entend faire des siennes dans «I Know You Love Me» s’appelle Ronnie Earl Hovarth. Ça maximalise de partout, l’intensité des nappes de cuivres, l’éclat de la voix, le backing. Ils font aussi une cover du «Last Night» des Mar-Keys et Big Joe conclut avec «I Love The Way (My Baby Sings The Blues)», encore un heavy jump. Big Joe ne sait faire que ça : ruer dans les brancards du jump. C’est une force de la nature, un bull ringer.   

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             L’autre grand pote black de Doc, c’est Otis Blackwell, qu’on surnomme The Preacher. Quand Doc le croise au Brill, il lui lance : «What’s good, Otie?». Otie bosse au huitième étage du Brill, pour Hill & Range, et devient riche, parce qu’il compose pour Elvis («All Shook Up» et «Don’t Be Cruel»). Otis a aussi composé «Fever» pour Little Willie John, puis «Great Balls Of Fire» et l’excellent «Breathless» pour Jerry Lee. Lorsqu’il traîne à Harlem, Doc rencontre Billie Holiday, et chez Cookie’s Caravan, à Newark, il voit Big Maybelle, «dont la voix allait du highest treble to the lowest bass.» Elle pouvait chanter nous dit Halberstadt «a complicated jazz ballad or a low-down blues, and everything in between.» Aux yeux de Doc, le plus grand chanteur d’Amérique, «si l’on excepte Big Joe Turner et B.B. King», c’est Andrew Tibbs - His records failed to capture his genius - Ça se passait mal en studio, mais sur scène chez Cookie’s Caravan, «Tibbs held an almost supernatural sway over the audience.» Halberstadt charge la chaudière : «Tibbs était petit, maigre et avait un visage angélique barré sur la joue par la cicatrice d’un coup de couteau, il avait l’air d’un enfant de cœur qui aurait mal tourné. Cette stature de good-evil, plus une voix qui avait une note de pure mayhem in the middle plongeait les femmes, et quelques hommes, into Pentecostal hysterics.»

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             On trouve sur le marché une petite compile d’Andrew Tibbs, The Chronological Andrew Tibbs 1947-1951, qui permet de se faire une idée. On a là un autre savant mélange de jump et de blues. Le «Bilbo Is Dead» d’ouverture de bal est un heavy blues de down in Texas sans aucun espoir de résurrection. Le son est très primitif, on entend même des craquements. Ça sent bon le 78 tours. «Toothless Woman Blues» craque aussi dans le cornet du gramophone. Quand il passe au heavy jump, ça donne «Drinking Ink Splink», avec le solo de sax brûlant. Il ne faut pas en attendre plus que ce qu’on sait déjà. Comme tous ses collègues des années 40, Tibbs tape dans le jump de big band. «Same Old Story» va plus sur le jump de jazz. On comprend que Doc ait flashé sur Big Joe et Andrew Tibbs : ce sont des bêtes de jump. Dans «Big Time Baby», Tibbs démonte bien la gueule du beat, et c’est claqué du beignet par un solo de wild sax, le mec sonne comme un cargo. S’il faut emmener un cut de Tibbs sur l’île déserte, ce sera «In A Travelin’ Mood», car c’est d’un primitivisme à toute épreuve. Andrew Tibbs excelle dans le heavy blues, comme le montre encore «I Know». Il fait vibrer sa glotte duveteuse. Tout cela nous renvoie au Harlem des années 30, il chante d’une voix perçante. Son «Achin’ Heart» est très persuasif. Ah comme son cœur lui fait mal ! «Rock Savoy Rock» sonne comme un rock d’avant le rock. Les musiciens qui l’accompagnent sont extraordinaires, tu as un guitariste liquide qui swingue le jazz. Tibbs termine avec un «Mother’s Letter» funéraire. Harlem, Desolation row. Joué au cœur de la matière. Puissant. Solo de sax, bien sûr.  

             Parce qu’il est pauvre, Doc commence par vivre dans des hôtels miteux. Il y fréquente une faune particulière «d’acteurs de théâtre ratés, de divorcées retraitées et de solitaires, d’étudiants fauchés et de tarés notoires.» Doc passe ses nuits dans les clubs à boire du café, du bourbon et à fumer de la marijuana. Il passait pour un «broke, glamourous white Negro». Lorsqu’il se produit sur scène au Club Musicale, il est accompagné par Mickey Baker et King Curtis, pardonnez du peu. Ça fait douze ans qu’il mène cette vie de patachon. En 1956, il réside au Broadway Central et c’est là qu’il rencontre Willi qui va devenir sa femme. Cette année-là, il constate que le r’n’b a franchi les frontières raciales. Le public blanc dresse enfin l’oreille. Par contre, il n’aime pas ce qu’il entend du rock’n’roll, Bill Haley ou Little Richard, il trouve que c’est «une forme lobotomisée» de la musique qu’il aime, «hot jazz, jump, rhythm and blues.» 

             Avant de fréquenter Ahmet Ertegun, Doc est pote avec Herb Abramson, qui co-dirige Atlantic avec Ahmet. Herb a produit Big Joe Turner, alors Doc l’aime bien. Mais en 1953, Herb est appelé sous les drapeaux et Ahmet embauche Jerry Wexler, «un turbulent Juif du Bronx avec une voix de chauffeur de taxi and a ten-dollar vocabulary.» Doc essaye d’enregistrer un disk chez Atlantic, mais Herb et Ahmet lui demandent plutôt de composer des chansons. C’est surtout Big Joe Turner, comme on l’a vu plus haut, qui va réussir à le convaincre de devenir auteur-compositeur. En 1955, Doc rencontre Mort Shuman. Il lui demande de surveiller sa bière pendant qu’il est sur scène au Club Musicale, avec Mickey Baker et King Curtis qui cassent la baraque.

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             Pour se tenir au courant de l’actualité, Doc met des pièces dans le juke-box. Pouf, il entend le «Mystery Train» de Junior Parker, mais ce n’est pas la voix de Parker, «it sounded like something that came out of the swamps.» Un mec lui dit que le chanteur est un blanc. «His name read just as backwoods», oui, son nom semblait lui aussi sortir des bois, Elvis Presley. «Doc had never heard anything like it.» Le contact avec Elvis va se faire via Leiber & Stoller qui bossent déjà pour Hill & Range, c’est-à-dire the Aberbach brothers, qui ont un «exclusive publishing pipeline to Elvis». Doc sait qu’il va devoir creuser de ce côté-là. Il compose «Young Blood» et le file à Mike Stoller. C’est un hit pour les Coasters. Là, on est au 1619 Broadway, c’est-à-dire au Brill. En 1957, Doc s’y rend chaque jour, accompagné de Willi et Mort. Ils font du porte-à-porte pour essayer de vendre des compos aux publishers. Ils ne sont pas les seuls. Ils commencent au 11e étage et descendent les étages pour aller frapper à des portes de moins en moins prestigieuses. Halberstadt nous décrit ça dans le détail, ah il faut lire ces pages, on s’en pourlèche les babines à voir ces trois pieds nickelés hanter les couloirs du Brill : Doc, massif, avec ses béquilles et sa grosse voix, Willi blonde platine, et Mort, encore adolescent, avec se petite gueule de fouine. C’est le trio fellinien par excellence. On se croirait dans Ginger & Fred. La cour des miracles débarque au Brill ! Quand on ne les envoie pas sur les roses, ils récupèrent 25 ou 50 $, et quand ils commencent à déprimer pour de bon, alors ils reprennent la vieille Chevy de Doc pour aller chez Atlantic, au 234 West Fifty-six, où ils sont - enfin - accueillis comme des amis. Doc finit par monter une boîte, R&B Records, au 1650 Broadway, le Brill du pauvre, deux blocs plus bas, au coin de la 51e Rue. Il essaye de lancer The Crowns, qui vont devenir les Drifters. Mais la boîte va aller valser vite fait dans le décor. Doc n’a pas les reins assez solides pour ça. 

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             Paul Case qui bosse pour Hill & Range lui met le pied à l’étrier. Il sait que Doc est talentueux, donc il le prend avec Mort sous contrat. Doc va bosser avec un petit mec du Bronx, Walden Robert Cassotto, mieux connu sous le nom de Bobby Darin, un Darin qui rêve de devenir Frank Sinatra. Pas de pot, Darin est petit et il porte déjà une perruque. Il vient trouver Doc & Mort qui lui pondent «Plain Jane», cot cot, et Doc lui file son «I Ain’t Sharin’ Sharon». Darin est pote avec Donnie Kirshner qui commence à grenouiller au Brill. Kirshner essaie de composer et quand il montre ses compos à Doc, celui-ci lui conseille plutôt de devenir publisher, ce que va faire Donnie. II commence par s’associer avec Leiber & Stoller. Il réussit à s’installer au sixième étage du Brill, deux étages en dessous d’Hill & Range, et fonde Aldon Music, l’une des publishing companies les plus importantes du Brill, concurrent direct d’Hill & Range. Le premier team d’auteurs-compositeurs d’Aldon sera Sedaka & Greenfield. Doc pond «Teenager In Love» pour Dion DiMucci qui lui rêve de devenir Hank Willams. Halberstadt qualifie le style de Dion d’«Alabama-by-way-of-the-Bronx twang.». Belle formule.

             Paul Case fait aussi bosser Doc & Mort pour Frankie Avalon et Bobby Rydell. Quand on les envoie faire de la promo à Londres, Doc & Mort sont étonnés de l’accueil qu’on leur fait. Eh oui, à New York on les considère comme des hacks, c’est-à-dire des moins que rien, des écrivaillons de teenage dance tunes, mais à Londres, ils sont reçus comme de grands artistes.

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             Doc retrouvera les Drifters plus tard, à l’apogée du Brill, lorsqu’avec des gens comme Burt & Hal David, il compose du sur-mesure pour Ben E. King. Halberstadt nous explique un truc fondamental : lorsqu’il propose ses démos aux Drifters, Doc les chante, et comme il a toujours été parfaitement à l’aise avec les blackos, ça devient un moment magique - Même dans le New York’s music business, très peu de blancs se sentaient parfaitement comfortable around blacks, and Doc’s ease put the group at ease - Le premier hit de Doc pour les Drifters est «This Magic Moment». Puis c’est l’irrésistible «Save The Last Dance For Me». Doc est lancé. Les Drifters sont alors plus célèbres qu’Elvis.

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             Elvis enregistre une première compo de Doc à son retour le l’armée : «A Mess Of Blues». Il en redemande. Doc pond «Surrender». Cot cot. Doc & Mort deviennent des chouchous d’Elvis qui redevient vite fait le chanteur le plus célèbre du monde. Co cot, Doc pond «(Marie’s The Name) His Latest Flame», puis «Little Sister» pour Elvis. En 1961, nous dit Halberstadt, Doc & Mort sont devenus «les songwiters les plus commercially successful du monde». Pour Doc, c’est la fin de la pauvreté et de la vie de patachon. Il achète une baraque à la campagne pour Willi et les enfants. Chaque week-end, on s’y bouscule au portillon - Doc’s Brill Building friends, Paul Case, Phil Spector, Dion, Leiber & Stoller, Ahmet Ertegun, Otis Blackwell, Snuff Garrett, Neil Sedaka and of couse Mortie - Ah comme on aurait bien aimé être là !

             Doc prend du poids, Willi s’inquiète. Ils s’engueulent. Il ne tient plus sur ses béquilles. Il est bon pour le fauteuil roulant. Willi insiste pour qu’il arrête de boire et de fumer. Doc lui dit sèchement de s’occuper de ses fesses. Il passe ses journées au lit, au Forest, et passe des coups de fil. La nuit il laisse sa porte ouverte. Esther Phillips loge aussi au Forest, et Doc lui a dit qu’elle pouvait venir quand elle voulait, alors elle vient la nuit, en petite tenue, complètement stoned, «Hiya Doc baby». Elle grimpe sur le lit et s’installe sur le gros bide de Doc avant de s’évanouir.

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             La relation avec Willi se dégrade. Avec Mort, itou. Mort a osé baiser la petite gouvernante française de Doc & Willi, et ça ne passe pas. Pendant que Doc est à l’hosto, Mort et Willi dînent ensemble. C’est pour ça qu’on ne m’aime pas le Mort. Dès le lendemain, il annonce à Doc qu’il met fin à leur collaboration puisqu’il quitte le pays pour s’installer en Europe. Le même jour, Willi demande le divorce. Doc est ratatiné de douleur, trahi par les deux personnes qu’il croyait les plus proches. Un petit peu plus tard, quand Hill & Range le vire, Doc sent clairement la terre s’ouvrir sous ses pieds - Tout ce qu’il tenait pour acquis, une famille, une maison et un job, l’argent, le respect et même la possibilité de se déplacer avec des béquilles, tout cela avait disparu d’un seul coup - De toute façon, l’ère du Brill s’achève, Doc l’a bien vu. «Le rock’n’roll est mort et tous ces grands artistes, les Shirelles, les Drifters, les Ronettes, Connie Franis, Fabian et Elvis ont été emportés», nous dit Halberstadt. Dylan déclare dans la presse : «Tin Pan Alley is dead. I put an end to it.» Kirshner a des ennuis lorsqu’il est viré à cause des Monkees, et personne ne sait plus quoi faire du gros barbu dans son fauteuil roulant. Doc essaye de remonter un team avec Neil Sedaka, mais les séances de travail sont bizarres, nous dit Halberstadt. Sedaka commence par jouer tous ses vieux succès au piano et lorsqu’il lève enfin la tête pour regarder Doc, celui-ci s’est assoupi. Halberstadt résume en quelques phrases la fin d’une époque, le temps de Doc : «Le Broadway Central Hotel s’écroula au mois d’août, recouvrant lower Broadwy de débris et de poussière, Damon Runyon Jr. se jeta dans le Potomac. Big Maybelle, âgée de 42 ans, alla mourir des suites du diabète et d’abus de dope chez sa mère à Cleveland. Et lors d’une nuit glaciale, Johnny Jungletree ivre mort tituba dans une cave et s’y endormit. On ne retrouva son corps qu’au printemps.»

             Pour survivre, Doc va jouer au poker. Il se retrouve chaque nuit autour d’une table avec des tricheurs et des gangsters. Halberstadt relate quelques épisodes gratinés. On se croirait dans Scorsese. Quand Elvis casse sa pipe en bois en 1977, Doc redevient riche à cause des royalties. Dead Elvis vendait encore plus de disques. Alors Doc arrête le poker et sort dans les clubs new-yorkais chaque nuit, il s’habille comme un gros cow-boy d’opérette et porte toutes ses bagues en or. Il adore aller au Lone Star Café sur la Cinquième Avenue pour écouter chanter Charlie Rich, Roy Orbison ou Delbert McClinton. Puis son van l’emmène au Kenny’s Castaway sur Bleeker, et il traverse ensuite la rue pour aller voir son pote Mac finir son show au Village Gate.

              Dans ce tourbillon de personnages célèbres qui gravitent en orbite autour de Doc, le plus important est sans nul doute Totor. Doc vient de s’installer au Forest Hotel, à deux pas du Brill et du Madison Square Garden. Doc est fasciné par le salon de l’hôtel, car il y retrouve la faune habituelle «de gens esquintés, solitaires et étranges». Quand il n’est pas dans son bureau d’Hill & Range, Doc reçoit au Forest - Son visiteur le plus fréquent est un petit Jewish boy de Los Angeles au cheveu rare, qui parle d’une voix douce, et qui trimballe une mallette contant un carnet de chansons, une miche de pain et un salami. Paul Case a présenté Phil Spector à Doc en lui disant qu’il allait devenir une big, big star in the business - Totor n’a pas un rond. Il dort dans le bureau de Leiber & Stoller au septième étage du Brill. Il s’est déjà infiltré chez Atlantic. Il idolâtre Sam Phillips. Totor veut composer, mais aussi produire, faire du publishing et monter un label. Doc qui est alors marié rentre le week-end chez lui à la campagne, à Lynbrock, retrouver Willi et les enfants. Totor s’invite et dort sur le canapé du salon. Il adore les tartes que cuisine Willi. La relation d’amitié entre Totor et Doc résistera à toutes les avanies. Au Forest, Doc fait écouter à Totor ses disques préférés. Totor est fasciné par «A Cottage For Sale», un vieux hit des Revelers popularisé par Sinatra, il redemande sans cesse à Doc de le passer pour chanter dessus. Dans les années 70, Doc traîne encore la nuit dans les clubs, souvent en compagnie de Totor. Halberstadt pense que Totor voit en Doc le père qu’il n’a pas vraiment connu, car suicidé trop tôt. Doc lui a appris les ficelles du métier et la meilleure chose qui leur soit arrivée à tous les deux et de n’avoir pas fait de biz ensemble. Doc a toujours envoyé des cadeaux d’anniversaire aux enfants de Totor et quand plus tard, Totor apprend que Doc est fauché, il lui envoie aussitôt un chèque en blanc. Doc l’encaisse pour 4 000 $, nous dit Halberstadt.

             De passage en Californie, Doc rend visite à Totor dans sa forteresse de Los Angeles, mais ça ne se passe pas très bien. Totor commence à perdre la boule, et il soûle Doc avec un monologue dans lequel il brasse «Dalene Love, son enfance, la mort brutale de JFK, Paul Case, River Deep Mountain High, Sonny Bono et Lenny Bruce.» Ça dure toute la nuit et Doc en a marre, Totor continue de bavacher, et il boit le pinard au goulot. Puis il sort son flingue et fait le con avec, alors Doc s’énerve : «Phillip, cut this shit out. Now!». Totor lui répond : «Aw Doc baby! I’m just kidding around.» Mais ils se séparent en bons termes, les gardes du corps de Totor emmènent Doc dans le van et Totor dit à Doc combien il l’aime. 

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             En 1973, Doc rencontre John Lennon dans une cérémonie officielle à New York, le repas BMI. Lennon et Doc causent ensemble toute la nuit. Lennon évoque Totor qui a produit ses albums et raconte que McCartney a pompé la mélodie de «Save The Last Dance For Me» pour «Hey Jude». Lennon veut absolument collaborer avec Doc. Il vient d’ailleurs de s’installer au Dakota, sur la 72e Rue, et donc, ils sont voisins. Il dit aussi à Doc que la première chanson que les Beatles ont joué en répète était «Lonely Avenue».

             Dylan lui fait le même coup. Il lui dit au téléphone qu’il veut absolument le voir. Doc est intimidé, Dylan est tout de même le mec qui a démoli le Brill. La rencontre a lieu dans le salon de l’hôtel. Dylan est ponctuel, il arrive à l’heure, accompagné de son fils Sam - Dylan était à la fois sérieux, modeste et intensely likeable - Dylan propose une collaboration à Doc. Il veut composer des chansons avec lui. Il lui laisse une cassette avec des riffs et lui demande d’écrire des paroles. Après son départ, Doc se demande s’il a halluciné. 

             C’est Joel Dorn qui présente Doc à Doctor John, lors d’une visite chez Atlantic. Dorn présente Mac comme «un genius et le meilleur session man du monde». Mac porte une veste en peau de serpent, des sandales bibliques et brandit une grosse canne en bois sculpté. Il emploie une langue bizarre - a mix of Creole, street and sheer insanity, en comparaison duquel le Brooklyn jive de Doc est une amusette. Mac est en plus une encyclopédie vivante qui sait tout d’Eddie Bo et de la Louisiane, un expert en matière de cooking, de gris-gris, de religions, d’extraterrestres et de drogues. Doc liked him immediately - Coup de foudre ! Ils commencent à bosser ensemble dans la piaule de Doc, au Forest. Ils grignotent des petits plats cubains, boivent du thé glacé, fument des joints et pianotent sur le petit orgue.

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             Si on voulait citer un album qui incarne l’élégance, on pourrait fixer son choix sur City Lights. On y trouve des morceaux de Mac co-écrits avec Doc, alors forcément, ça fait tout de suite monter les enchères. Il suffit par exemple d’écouter «Dance The Night Away With You» pour réaliser à quel point ces deux vétérans bouffent l’écran. Brillante ambiance et refrain ensorcelant. Ils font un cut à la fois lourd de sens et léger comme une aventure alcoolisée. Mac chante «Street Side» avec une fabuleuse diction mouillée. Il chante à l’ancienne mode du Quartier Français de la Nouvelle Orleans. Il évoque la dangerosité des bas-fonds qu’il connaît bien. Quelle fantastique élégance de vieux chansonnier voodoo ! «Rain» est un balladif de fin de nuit chanté d’une voix d’accents aigus et joliment tendus. Il a derrière lui une merveilleuse mélasse de mélancolie orchestrée. Mac miaule un croon d’aube pâle, le coude sur le coin du piano et le col ouvert. Dans «Snakes Eyes», il raconte une partie de cartes entre voyous. Il propose là un fantastique conte moral digne d’un La Fontaine des bas-fonds - Better heed the tale of the snake eye’s trail - Puis il revient au piano bar avec «Sonata/He’s A Hero», co-écrit par Doc. On ne fera jamais mieux. Mac raconte l’histoire d’un héros de bar - He’s a big spender, a no interest lender/ For the local bar scene - Il finit l’album dans l’excellence suprême du balladif de fin de nuit, «City Lights», et nous enchante autant qu’à l’époque de Gris Gris - Too many midnights make me die for some everyday - Et là, on réalise subitement que Dr John fait partie des très grands artistes américains.

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             Merveilleux album que ce Tango Palace paru en 1979. Mac y joue le groove funky de la Nouvelle Orleans et donne ce qu’on appelait autrefois une leçon de choses avec «Keep The Music Simple». S’ensuit une belle profession de foi avec «Renegade». Il affirma sa différence - Well I’m a runner in the jungle/ Renegade from the law - Il se considère comme un hors-la-loi. Pas de pitié pour le conformisme. Puis il livre une pièce de fonk pur, «Fonky Side», magnifique autobiographie - My mama beat me for not going to school/ Don’t end up like your daddy/ An uneducated fool ! - Sa mère ne voulait pas que Mac finisse comme son père, un pauvre hère inculte. Il chante «Bon Temps Rouler» en cajun et c’est un régal - Laisse le bon temps rouler/ Vive la bonne foie/ J’me sens bien oh la la - Cet album est incroyablement inspiré. Puis il rend un fantastique hommage à la Nouvelle Orleans avec «I Thought I Heard New Orleans Say» - Red beans pinball machines/ Chickory coffee & hoodoo queens/ File gumbo & pralines/ Everything’s hot down in New Orleans - C’est le meilleur groove du monde et Mac le chante avec une gourmandise terrible. Il co-écrit «Tango Palace» avec Doc et chante ça avec une voix d’alligator des marais. Il partage d’ailleurs avec Tav Falco une véritable fascination pour le tango. Et il boucle cet album édifiant avec «Louisiana Lullabye» qu’il chante avec une diction de rêve - Fe dodo mon petit bébé/ Crabe dans cat a lou/ Maman li court la rivière/ Fe dodo mon petit bébé - Mac mâche ses syllabes avec une délectation surnaturelle.

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             Surnommé the Tan Canary à cause de sa voix, Johnny Adams est lui aussi un fan inconditionnel de Doc. Après avoir rendu hommage à Percy Mayfield, Johnny Adams passe à Doc avec Johnny Adams Sings Doc Pomus. Véritable coup de génie que sa version de «Blinded By Love». Quel merveilleux crooner ! Il te croone ça dans l’oss de l’ass, tu as le vrai truc, le charme à l’état pur, Johnny éclate son Love au croon de superstar. Tout aussi impressionnant, voilà «I Underestismated You», amené à la petite dégelée de Duke Robillard et là, amigo, tu as du son et la fabuleuse présence de Johnny Adams. Il y va au deepy deep, au heavy groove de blues en mode New Orleans, le Robillard t’en fout plein les mirettes. Et Johnny Adams finit par s’excuser. Encore un groove légendaire avec «She’s Everything To Me», tapé au shuffle d’orgue. Tout aussi exceptionnel, voilà «Prisoner Of Love», chanté au doux du groove, avec ce coquin de Robillard dans l’angle. La voix de Johnny le Premier Homme accroche l’esprit de la Soul. 

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             L’autre grand pote de Doc, c’est Willy De Ville. Pas surprenant au fond, Doc et lui sont des artistes atypiques. Cabretta et Le Chat Bleu sont des albums atypiques. Alors que Mac bosse plus dans une palette blues and funk, Willy est beaucoup plus éclectique, plus proche de l’esthétique Spanish Harlem. Ils composent ensemble «Just To Walk That Little Girl Home», qu’on retrouve sur Le Chat Bleu, ainsi que deux autre deux cuts, «That World Outside» et «You Just Keep Holding On». Le premier te fait tout de suite rêver, un sax suit la mélodie chant. Doc veille au grain de Willy. Dans le deuxième, on retrouve les castagnettes de Totor. On est en plein Brill. Willy navigue avec Doc. C’est du tout cuit. On ne peut pas rêver plus new-yorkais et légendaire à la fois. Les cuts de Willy sont captivants, il faut bien l’avouer, à commencer par «Slow Drain», c’est un groove de black. Avec «Lipstick Traces», il va plus sur le big heavy boogie rock, et puis avec «Bad Boy», Willy tape un heavy blues de black cat et redevient le white nigger que l’on sait. Il fait aussi de l’Americana avec «Mazurka», un groove Cajun. Willy De Ville a des éclairs de génie. Pour Halberstadt, «Willy had realized his fantasy of a new, completely contemporary Brill Building record.»

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             Et puis voilà Lou Reed qui habite deux blocks plus bas. Ils vient voir Doc dans sa piaule à l’hôtel. Ensemble, ils regardent des vieux combats de boxe, ou alors ils écoutent Big Joe Turner et Jimmy Scott. En présence de Doc, le Lou devient un gentil mec, vous dit Halberstadt. En 1992, le Lou enregistre Magic & Loss, un album qu’il dédie à Doc. On y entend des cuts extraordinaires, à commencer par «Power & Glory» où chante justement Little Jimmy Scott. Il y a un Part II de «Power & Glory» que le Lou chante en mode Velvet, c’est noyé de guitares et stupéfiant de grandeur totémique. Avec «Magician» il ramène sa présence inexorable - I want some magic to sweep me away - puis il atteint le cœur du dark avec «Dreamin’» - If I close my eyes I see your face - Il monte «Gassed & Stoked» au sommet du lard, il est probable que ce soit dédié à Doc - This is no longer a working number, baby - le Lou parle de cendres dispersées sur la mer - You had your ashes scattered at sea - et puis bien sûr le morceau titre, le Lou y va. Lou y es-tu ?

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             Il existe dans le commerce un tribute à Doc qui sonne comme un passage obligé : Till The Night Is Gone: A Tribute To Doc Pomus. Un festin ! Tous ses amis sont là : Mac, le Lou, Dylan, Dion, B.B. King, c’est un tribute de rêve. Les compos sont balèzes et les interprètes à la hauteur. Los Lobos ouvrent le bal avec «Lonely Avenue». Que peux-tu espérer de mieux ? Rien. Los Lobos jouent ça au gras double, au because of you/ I could cry, c’est du raw mythe pur, Los Lobos surpassent Ray Charles dans le now I need somebody/ Cause I live on a lonely avenue, et là tu as le true spirit d’Amérique. Encore un coup de génie avec le «Blinded By Love» de B.B. King, un Bibi qui caresse le Doc dans le sens du poil, il amène du volume au chant et du bon gratté de poux, alors ça bascule dans le power pur. Pire encore, le «Turn Me Lose» de Dion. Il y va au heavy boogie, tu as là le meilleur claqué de son du New York City. Comme Big Joe et B.B. King, Dion est un mec qui sait poser sa voix, alors c’est un pur régal. John Hyatt fait un carton avec «A Mess Of Blues» qui fut un hit pour Elvis. Fantastiques dynamiques d’oouh ouuh ! Toute l’énergie de Doc est magnifiée. Hyatt tape ça au stomp. Le Lou choisit «This Magic Moment» que Doc composa jadis pour les Drifters. Dans les pattes du Lou, c’est extrêmement balèze. Il jette tout le New York City Sound dans la balance de Doc. Fucking grrrreat ! Dylan ne s’embête pas, il reprend «Boogie Woogie Country Girl» au nez pincé. Irma Thomas tape dans «There Must Be A Better World Somewhere» et Rosanne Cash fait des merveilles avec «I Count The Tears». Elle a une petite voix d’humidité intime. On garde les meilleurs pour la fin. Mac tape dans «I’m On A Roll», il tape ça au slang. Avec Mac, c’est vite la rivière sans retour. Solomon Burke débarque à la suite avec «Still In Love», big, very big voice, c’est impressionnant de voir ce géant rendre hommage à un autre géant. Brian Wilson reprend «Sweets For My Sweet» repris en France par Frank Alamo. Bizarre que Brian Wilson se prête à cette petite mascarade sucrée comme un macaron. Et puis voilà, on monte directement au paradis avec le plus beau de tous les anges, Aaron Neville, qui transforme «Save The Last Dance For Me» en magie pure. Aaron est faramineux, et dans ce contexte, ça prend des proportions qu’il faut bien qualifier d’historiques. Il expurge la pulpe de la mélodie pour la faire vibrer dans la lumière du ciel. Ah il faut le voir monter dans des trémolos demented.

             Doc finit par choper un petit cancer. Il se retrouve à l’hosto pour la phase finale. Tous ses amis se manifestent, nous dit Halberstadt : «Ray Charles lui envoie une cassette. Totor traverse l’Amérique pour se rendre à son chevet. Lou Reed lui amène une chanson qu’il a composée pour lui, «What’s Good», et il propose à Doc de remplacer la télé en noir et blanc par une télé couleur, à quoi Doc répond : «Lou, this isn’t the time for long-terms investments.» Mac vient le voir pour qu’ils finissent ensemble l’«I’m On A Roll» qu’ils ont composé pour B.B. King. Doc lui dit : «Make it sound like an old Louie Jordan thing. And don’t fuck it up.» Ses enfants viennent aussi le voir, Sharin passe une cassette de Big Joe Turner et Doc lui demande de l’arrêter. Il veut juste passer un dernier moment en tête à tête avec chacun d’eux. Halberstadt nous dit que Doc ouvrit les yeux à 3 h du matin, jeta un dernier coup d’œil autour de lui et dit «Thank you» avant de casser sa pipe en bois. Et là, tu es comme un con au bas de cette page et tu vas chialer toutes les larmes de ton corps. Pourquoi ? Parce que tu es incroyablement attaché à cet homme. Alors merci Monsieur Halberstadt.

             À l’enterrement, ils sont tous là : Ahmet Ertegun, Lou Reed, Totor, Mac, rien que des héros, c’est pas mal, non ? Dernière chose : l’extraordinaire Philosophy Of Modern Song de Bob Dylan est dédié à Doc.

    Signé : Cazengler, Doc Paumé

    Johnny Adams. Sings Doc Pomus. The Real Me. Zensor 1991 

    Dr John. City Lights. Horizon Records & Tapes 1978

    Dr John. Tango Palace. Horizon Records & Tapes 1979

    Mink DeVille. Le Chat Bleu. Capitol Records 1979

    Till The Night Is Gone: A Tribute To Doc Pomus. Forward 1995

    Big Joe Turner & Roomful Of Blues. Blues Train. Muse Records 1983

    Andrew Tibbs. The Chronological Andrew Tibbs 1947-1951. Classics 2002

    Lou Reed. Magic And Loss. Sire Records 1992

    Alex Halberstadt. Lonely Avenue: The Unlikely Life And Times Of Doc Pomus. Da Capo Press 2007

     

     

    Chicken Diamond is the girls’ best friend

    - Part Two

     

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             On est content de retrouver Chicken Diamond dans ce restau rock de Montrouge. Chicken fait partie de ceux qui savent laisser de bons souvenirs, en matière de concerts comme de disques. En plus, c’est un mec éminemment sympathique. L’un de ceux qui écoutent les bons disques. Ceci expliquant cela. Alors le voilà assis sur son tabouret de batteur, avec sous le pied droit une sorte de pédale électronique qui simule la grosse caisse, et sous le pied gauche, une pédale de grosse caisse qui claque le beignet d’une cymbale.

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    Il a mis énormément de disto sur sa belle guitare rouge. Son truc c’est la purée. Chicken Diamond fait le métier difficile de one-man band. Difficile, car on s’en lasse rapidement, sauf quand il s’agit du Reverend Beat-Man et, justement, de Chicken Diamond, qui a lui aussi le petit truc en plus qui fait la différence. Le seul problème, c’est qu’il passe en première partie d’un super-crack, le Reverend Peyton, dont on va reparler. Chicken l’a entendu lui aussi au soundcheck et il sait qu’il part en position nettement défavorable. Le Reverend a un son américain, le vrai son. Mais bon, Chicken va faire le show. Tout repose sur son énergie. Deux problèmes cependant : Chicken force trop sa voix, et pendant qu’il joue, les gens bouffent et discutent. Il n’a pas la présence nécessaire pour capter l’attention d’un public qui n’est pas forcément un public rock. Alors il s’égosille, cloué sur sa chaise, et d’une certaine façon, il doit mettre les bouchées doubles.

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    C’est une sorte de combat désespéré pour capter l’attention, mais les gens mangent. Chicken devient une sorte d’attraction, un jouet mécanique censé distraire les tablées. Il gueule tellement qu’il en devient presque aphone, il sautille sur sa chaise, pas facile de jouer du blues rock et de la transe hypno inspirée du North Mississipi Hill Country Blues dans un restau parisien. C’est même complètement suicidaire. Il termine avec une version bien énervée de «Proud Mary», il s’égosille à coups de rolling, rolling/ Rolling on the river. Pas mal comme coup d’hallali.   

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             Juste un petit conseil comme ça, vite fait en passant : ne fais pas l’impasse sur les albums de Chicken Diamond, car ils grouillent de très bonnes surprises. Dans un Part One quelque part en 2016, on en avait salué quatre, et voilà le cinquième, Skeletton Coast, toujours sur Beast. Very big album, comme on dit de l’autre côté de la Manche. Dès qu’il ne force pas sa voix, Chicken devient génial. La preuve ? «A Little Hell Of My Own». Fabuleusement envoyé, il chante à la déconnade, il sort une espèce de gusto décadent et l’arrose de disto. Et ça vire hypno. Ah il faut le voir chanter à la petite avanie dans un fleuve de son. C’est là qu’on le prend très au sérieux. Il repart ensuite en mode heavy Chicken avec «Under The Ground». Dès qu’il chante normalement, il devient fascinant, il prélasse sa voix dans la mélasse d’un heavy gratté de poux, il y va doucement et c’est fabuleusement inspiré. Il propose aussi deux covers de choc : le «Cracked Actor» de Bowie, et un «Down In The Street» qu’on ne présente plus. Il est excellent sur le crack baby crack, il noie le glam dans sa disto, il sature le son à gogo. Il enchaîne ça avec la stoogerie de choc, no wall no wall ! Il en a les moyens, tu es content d’assister à ça, là il force sa voix, il en devient presque comique, ne fait pas l’Ig qui veut, alors il rajoute des layers de son, il joue sur lui, son «Down In The Street» très impressionnant. On pourrait même parler d’un «Down In The Street» artisanal, fait main. L’autre grosse énormité de l’album s’appelle «Deep Black Hole», il ramène de l’écho dans son Black Hole, le son passe, mais pas la voix de mineur silicosé, il n’empêche que l’album est passionnant car on voit ce mec se battre pied à pied avec ses compos, écoute Deep Black Hole et tu vas dire oh yeah. Ambiance extraordinaire. Parfois, il donne l’impression d’être un gosse qui veut jouer les gros bras. Il chante au dessus de ses moyens, mais il s’impose en doublant son gut d’undergut («12AX7»). Sur tous les premiers cuts de l’album, il chante à la silicose. Il doit se faire mal à la glotte. Comme Nino Ferrer, il voudrait être noir. Avec le morceau titre, il continue de traverser dans les clous, avec plus de disto et moins de silicose. C’est sans doute sa façon de rester dans la ligne du parti.

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             Bad Man date de 2020. Quand on connaît l’oiseau, Bad Man est un peu déplacé. T-Model Ford pouvait se le permettre, Chicken pas vraiment. Alors il s’agit sans doute d’un clin d’œil. Dès «Jerry Roll», il sonne comme un hard punker, il répercute tous les vieux clichés du genre. À ceux qui pourraient le lui reprocher, on dira : «En attendant, prends une guitare et chante, on verra si tu fais mieux.» Il devient héroïque avec «Coming Back Home», il gratte ça à l’hypno, il chante comme un mineur silicosé, mais il n’a pas la tête de l’emploi. Il se coule dans un tunnel de violence sonique. Plus il force sa voix, plus il s’enfonce dans l’erreur. Mais il a plein d’idées, il sonne presque comme Jeffrey Lee Pierce avec «Don’t Get Me Wrong», il fait penser à un gamin lâché dans un magasin de friandises. Dès qu’il laisse sa silicose au vestiaire, il devient excellent. Le morceau titre est une cover des Oblivians, mais Chicken se prend pour Lanegan. Il faudrait que quelqu’un lui explique qu’il n’est pas Lanegan. Il mord le trait. Ça devient compliqué. Toute la viande se trouve au fond de l’album, à commencer par un «No Escape» qui n’est pas celui des Seeds, mais une petite stoogerie. Les accords prennent feu. Chicken est capable de s’énerver tout seul et de sombrer dans la stoogerie. Dommage qu’il force sa voix. Il reprend le chemin de l’hypno avec «To The Woods». Dès qu’il chante sans forcer sa voix, il est bon, mais il refait son Lanegan et esquinte son cut. Ça ne tient que par l’excellence de l’hypno, Chicken maîtrise bien le flux. C’est même un virtuose dans le genre. Il flirte une fois de plus avec le génie. Toute sa culture North Mississippi Hill Country Blues remonte à la surface. Il enchaîne avec «Indian Summer» et une nouvelle attaque stoogy. Il renoue avec l’esprit Down In The Street, mais il ramène sa petite silicose, dommage. Son gratté reste authentique, sa grosse cocote ne pardonne pas. Chicken a de la rémona à revendre. Il est funny avec sa grande casquette, mais investi. C’est le genre de mec qu’il faut suivre à la trace. Il y croit dur comme fer. Bon, pas bon, ce n’est pas le problème, il y croit, c’est ce qui compte. Il joue et ça vaut tout l’or du monde. Débouler dans un restau rock avec sa gratte et son cymbalum, c’est tout de même gonflé. Il offre en plus sur un plateau d’argent tout un pan de la culture rock américaine, certainement difficile à transmettre car beaucoup plus underground que le Chicago Blues. Bravo Chicken.

    Signé : Cazengler, chiqueur

    Chicken Diamond. The Backstage. Montrouge (92). 22 juin 2023

    Chicken Diamond. Skeletton Coast. Beast Records 2018

    Chicken Diamond. Bad Man. Beast Records 2020

     

     

    Wizards & True Stars

    - Tête de Lynott

    (Part One)

     

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             Le lien qui nous lie à Lizzy ne date pas d’hier. Ça fait cinquante ans qu’on admire Phil Lynott. Depuis le premier album sans titre, paru en 1971. Chopé la même année que le Toe Fat, le Parachute des Pretties et le Last Puff des Spooky, chez un disquaire local. Quatre big albums sur les pattes, il fallait savoir gérer ce gros tas-là. On en pinçait particulièrement pour Phil Lynott, car il apparaissait dans les pages du Melody Maker, oh pas grand-chose, de tout petits articles, mais on en pinçait pour son look hendrixien. Depuis, on ne l’a jamais perdu de vue. En 1977, on écoutait «The Boys Are Back In Town». Le single avait autant de punch que le «New Rose» des Damned ou le «Cincinatti Fatback» de Roogoolator. Et puis après, tu as tout le bordel du twin guitar attack et les fabuleuses compos de Phil Lynott. On peut même parler d’un quasi parcours sans faute. On en reparle dans un Part Two à venir.

             L’amusant, avec Lizzy, est que les disquaires français classaient le groupe dans le rayon hard-rock, alors que Lizzy n’a jamais enregistré de hard. Motörhead et les Wildhearts étaient eux aussi victimes de cette tragique erreur d’aiguillage. Avec le temps, ça a fini par prendre une dimension anecdotique.

             Pour une fois l’actu fait bien les choses : paraît ces jours-ci une mini-box qui va faire le bonheur des fans de Lizzy : The Boys Are Back In Town/Songs For While I’m Away. Une aubaine d’inespérette sous forme de trois CDs : deux pour le Live At The Sydney Opera House October 1978 (audio et DVD) et le troisième pour le docu qui raconte l’histoire de Phil Lynott, Songs For While I’m Away. C’est ce qu’on appelle un fix. Te voilà fixé.

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             Ça commence mal : impossible de choisir entre le concert et le docu. Si tu essayes de raisonner comme un adulte, tu vas conclure que le docu ne t’apprendra rien, et le concert non plus. Alors vaut mieux raisonner comme un vieux branleur et attaquer par le concert, d’autant plus que sur la pochette, tu vois Phil danser sur scène avec sa basse. L’image est fantastique. Elle dit tout le rock anglais. Quatre mecs sur scène devant une mer de têtes. Et tu vois arriver cette immense star sur scène, veste blanche et baskets bleus, pouf, «Jailbreak», back to the seventies, ça reste d’une fraîcheur extraordinaire. À droite de Phil, sur l’image, tu as Scott Gorham en chemise blanche et boots blanches, avec la plus longue chevelure du monde, et de l’autre côté, Gary Moore qui croise la fer avec les descentes de gamme de Phil. Ces mecs jouent en flux tendu, killer solo sur killer solo, ils lancent leurs premières twin attacks et boom «Bad Reputation», ce ne sont que des hits, gonflés de power mélodique. Phil s’habille comme un punk, il a des clous partout, au poignet, sur le ceinturon, sur la bandoulière, il propose un mélange assez rare et plutôt réussi de tough guy et de super mélodiste, c’est toujours un régal que de voir ce mec-là sur scène, il est la rockstar parfaite, aussi charismatique que Jimi Hendrix ou Arthur Lee - Any cowboy out there ? - Il annonce son «Cowboy Song» et ça repart au twin, c’est le son de Lizzy propulsé par un hard beat. Bizarrement, le beurreman n’est pas Brian Downey, c’est un New-Yorkais, l’excellent Mark Nauseeef. Gorham et Moore concoctent un fantastique brouet de Les Pauls, une concorde de twin, pendant que Phil tape son Romeo et boom ! - Guess who just got back today/ Them wild-eyed boys that had been away - Phil entre dans le vif de la légende avec ses «Boys Are Back In Town» et ses chœurs de rappel, et son twin, toujours le twin, one more twin, gimme twin, Lizzy passe en mode full blown. Overdrive ! En voyant ça, on comprend qu’ils étaient l’un des fleurons du real deal, des géants du rock anglais. Phil chante les genoux fléchis, incroyablement concentré sur son Boys, il trousse des syncopes d’accords à contre-courant du twin again, encore une fois, c’est du très grand art, un cocktail explosif de power et de mélodie chant, cocktail que surent aussi servir John Lennon et les Small faces - Are you ready to rock ? - Ils amènent «Are You Ready» à la grosse cocotte et quand Phil présente ses collègues, Gary Moore lâche un torrent furibard. Dans les bonus, tu as d’autres extraits de ce concert devenu légendaire, notamment «Warriors» - a song written for Jimi Hendrix, nous dit Phil - Power encore avec «Don’t Believe A Word», les notes tombent sur Sydney comme une pluie d’or. Tu sors de là réconcilié avec la vie.

             Le docu ne t’apprend rien mais tu t’en goinfres, car Phil est un régal permanent pour l’œil. On aurait dû le surnommer Coco-bel œil, car il ne voit que d’un œil, l’autre reste planqué sous la mèche crépue. On le traite de «talented beyond belief», d’«one of the greatest songwriters of all time», d’homme sincère. Ceux qui le connaissent depuis le début indiquent qu’il était the only black kid in Ireland at that time. Problèmes à l’école, bien sûr. Two fights and that was the end of it. Avec Phil, tout est vite réglé. Tu veux ma photo ? Et pif et paf ! Direct au tapis. Sa mère s’appelle Philomena, ça ne s’invente pas. Des témoins racontent les débuts de Phil sur la scène locale irlandaise, c’est l’époque des showbands, c’est-à-dire de groupes de reprises qui se produisent dans les ballrooms, no alcohol and no sex. Brian Downey est un copain d’école. Et Gary Moore débarque dans les Black Eagles de Phil à l’âge de 16 ans. C’est le témoignage d’Eric Bell qui rafle la mise. Il voit les Black Eagles sur scène à Dublin et comme il cherche à monter un groupe - This is where it happens, folks - Toc toc. Bell entre dans la loge et leur propose de monter un groupe. Alors Phil lui répond :

             — On fait un groupe avec toi, Eric, on two conditions : I wanna play the bass.

             — Can you play the bass ?

             — I get lessons from Bruce Shiels.

             — Oh ! And ?

             — I wanna do some of my own songs.

             Oui, Phil sort à peine de l’adolescence et il écrit déjà des poèmes et des chansons. Il est obsédé par les cowboys, par le mystical as well as the mythical, the Lone Ranger, Beano. Il met aussi les gens qu’il connaît dans ses chansons. Il a ce qu’on appelle une imagination délirante.

             Bon, Dublin, c’est bien gentil, mais il faut aller à Londres. Pas facile pour des Irish boys de percer à Londres. Thin who ? Very difficult. On voit encore sur certaines portes de magasins le fameux écriteau «No Irish, no dogs, no blacks». Lizzy se retrouve en tournée avec Slade et Suzi Quatro. Mais le public de Slade les siffle - We want Slade ! We want Slade - Alors Phil s’approche du micro et lance avec son gros accent irlandais : «For fuck’s sake, give us a chance, will you ?». Le moral baisse chez Lizzy et Chas Chandler qui conduit la tournée menace de les virer s’ils ne se reprennent pas. C’est là que Phil reprend la situation en main. Il observe Noddy Holder chaque soir sur scène et s’en inspire. Le son de Lizzy se durcit. Phil devient une bête de scène - He was born to be on stage - Il passe soudain du statut de sensitive poet à celui de rock star. Lizzy se retrouve à Top Of The Pops avec «Whisky In The Jar». Hit énorme qui leur ouvre toutes les portes. Tournées incessantes. Eric Bell craque et jette sa gratte en l’air - End of me and Lizzy - Phil redémarre avec Scott Gorham et Brian Robertson. Ils inventent le twin guitar attack par hasard, lors d’une répète - Feedback in harmony - On ne voit plus que Phil dans la presse -  You never saw a bad photo of Phil Lynott - Et un mec ajoute : «On en oubliait presque à quel point il était bon.» 

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             C’est «Boys Are Back In Town» qui les catapulte au sommet des charts. The ultimate lads anthem, qualifié aussi de «most fabulous song ever» par un témoin de l’époque - A bona fide hit record in America - Alors Phil se jette dans l’Amérique des girls in bikini, des flash cars et des drogues. Le premier American Tour est écourté à cause d’une petite hépatite. Lizzy aura toujours la poisse avec les tournées américaines. Aucune d’elles ne se déroulera bien. Lizzy met le turbo : 3 albums en 14 mois : Jailbreak, Bad Boys et Johnny The Fox. Une pluie de hits. Un mec s’extasie et lance : «It’s the best rock band I’ve ever seen in my life !». Et pouf on qualifie Live And Dangerous d’one of the great albums of all time. C’est un peu la foire à la saucisse dans ce docu, mais il faut bien reconnaître que les albums sont bons. Alors, ça favorise la surenchère. Phil devient le héros du jour, prolific and creative. Commence alors le ballet des guitaristes, après le départ de Brian Robertson - Gary was in Gary was out - Puis arrivent Snowy White, John Sykes et puis Midge Ure.

             Phil semble trouver enfin un équilibre en se mariant. Il devient le daddy de deux filles, Sarah et Cathleen. Et puis comme dans toutes ces histoires-là, l’énergie baisse, les compos s’appauvrissent et Scott Gorham annonce qu’il veut arrêter, alors Phil lui demande one last world tour, so we can say goodby to the fans. S’ensuit le cassage de pipe en bois, comme chacun sait.

    Signé : Cazengler, Phil Linoléum

    Thin Lizzy. The Boys Are Back In Town/Songs For While I’m Away. DVD Universal 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Power to the Peebles

    (Part One)

             L’avenir du rock adore les vrais militants politiques. Il a toujours été intimement convaincu que l’engagement politique et le rock marchaient de pair, et la meilleure illustration de cette intuition est bien sûr Third World War. Mais les Hammersmith Gerilleros ne sont pas les seuls à lever le poing, tu as aussi les Armitage Shanks avec «Right To Work» et Bo Diddley avec «Working Man». Ah c’est autre chose que les défilés des petits protestataires du dimanche matin. Même Robert Wyatt s’y est mis avec «Foreign Accent». L’avenir du rock n’a jamais caché son faible pour le vieux Robert qui milita au Parti Communiste britannique avant de rendre sa carte, effaré par le néant qu’était devenu ce groupuscule. D’autres énervés encore, comme les Drive-By Truckers avec leur «Putting People On The Moon» et «21st Century USA», sans oublier les Stiff Little Fingers avec «Nobody’s Hero». Oh et puis l’appel à l’insurrection des Caesars avec «Burn The City Down», des Caesars mille fois plus crédibles que ne l’ont jamais été les Clash. Pour la cause des Noirs, tu as Mavis Staples avec «No Time For Crying», elle a raison la petite Mavis, c’est pas le moment de pleurnicher, il y a encore du boulot, et l’avenir du rock est bien d’accord avec elle. Avec Mavis, tu as aussi Andre Williams qui dans «Mississippi & Joliet» s’en prend aux indécrottables rednecks racistes, comme l’avait fait avant lui J.B. Lenoir avec «Alabama». À tous ces troubadours de la cause des Noirs, il faut maintenant ajouter Delgres avec «Respecte Nou» et «Ramene Mwen». Et puis Sharon Jones avec «This Land Is Your Land», et puis n’oublie pas les Impressions avec «Stop The War», Sam Dees avec «Heritage Of A Black Man», ou encore Lloyd Price avec «Bad Conditions», autant de superstars de la contestation et de la demande de réparation. Il y en a des centaines et c’est tant mieux. Le rock doit aussi servir à ça. Des blancs comme Phil Ochs et Dylan ont aussi chanté la cause des opprimés, même Bobby Charles s’y est mis avec «Cowboys & Indians». L’avenir du rock adorait aussi les Fugs pour le déterminisme de «CIA Man» qui leur valut bien des déboires avec le pouvoir américain. Même chose pour le MC5. Si on le ne retenait pas, l’avenir du rock irait même marcher en tête de cortège ! Non pour brailler «CGT vaincra !», mais plutôt «Power to the Peebles !»

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             C’est à David Less (is more) qu’on doit ce petit digi paru sur Memphis International Records : Ann Peebles & The Hi Rhythm Section. Live In Memphis. Même s’il est paru cette année, l’album n’est pas vraiment une nouveauté, car ce concert fut enregistré en 1992, au Peabody Hotel. Autour d’Ann Peebles, on retrouve deux des frères Hodges, Leroy (bass) et Charles (keys) plus Howard Grimes (beurre) et Thomas Bingham (guitar). David Less est un petit gros qu’on aime bien, car il fait un peu le même boulot que Robert Gordon, il se consacre corps et âme à la légende de Memphis. On a salué voici peu la parution de son book, Memphis Mayhem: A Story Of The Music That Shook Up The World. Dans un très court texte imprimé à l’intérieur du digi, David Less raconte les circonstances qui l’ont amené à produire cet album : il avait monté en 1991 sa boîte de booker pour, dit-il, promouvoir des artistes locaux. Un jour il se jette à l’eau avec une sacrée affiche : Otis Clay et Ann Peebles, et il baptise le spectacle «An Evening of Classic Soul». Mais le même soir, à Memphis, un certain Michael Bolton attire 18 000 personnes au Pyramid Arena. Il a donc très peu de monde pour sa soirée. Alors il perd de l’argent, une fois qu’il a payé tout le monde - But I learned the first rule of music promotion : Sometimes you eat the bear. Sometimes the bear eats you - Cette fois, le bear l’a mangé. Mais David Less est fier de son enregistrement, c’est dit-il le seul live recording d’Ann avec the Hi Rhythm Section. Il ne peut pas non plus s’empêcher de rappeler qu’Ann était l’une des chanteuses préférées de John Lennon. Alors, en moraliste avisé, il conclut ainsi : «Si vous devez choisir entre cet album et un album de Michael Bolton, faites le bon choix (choose wisely).»

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             L’album tient bien la route, c’est sûr, mais il ne fait pas de vagues non plus. Il reste dans la moyenne des bons albums à fort parfum légendaire. Hello Memphis ! C’est inespéré d’entendre Ann Peebles sur scène. Elle ramène très vite le Memphis Beat avec «Part Time Love» - I gotta find a part time love - Elle a une diction impeccable. N’oublions pas que Willie Mitchell demanda à Don Bryant de la prendre dans un coin et de lui apprendre à soigner sa diction. Du coup, Ann devint l’une des stars de Memphis et épousa Don Bryant. On se régale de l’écouter chanter «Didn’t We Do It» - When I go down the memory lane/ I don’t regret nothing/ I can look back at the good times - Fabuleuse Soul Sister ! Puis elle passe au heavy groove, la spécialité d’Hi, avec «I Feel Like Breaking Up Somebody’s Home». Wow, ça joue sous le boisseau d’Hi, ces mecs sont des spécialistes, Willie Mitchell les a formés pour ça. Sur ce groove du diable, Ann est terrifique ! Et ça continue de groover avec «I’m Gonna Tear Your Playhouse Down», pur jus d’Hi, joué en lousdé de Memphis, elle se coule dans le groove comme une délicieuse couleuvre, elle est superbe de contorsionnisme. Rappelons que le groove d’Hi est le plus beau d’Amérique. On le trouve aussi chez Al Green, Otis Clay, Syl Johnson et O.V. Wright, ce qui pourrait sembler logique, puisque ce sont les mêmes musiciens qui accompagnent tous ces gens-là. Ann revient au groove d’Hi avec «I Didn’t Take Your Man», Howard Grimes bat ça doux et Leroy Hodges drive son bassmatic en profondeur - What did you expect, demande Ann à celle qui l’accuse de lui avoir piqué son mec. Elle lui sort ses quatre vérités : «I didn’t take your man/ You gave him to me !». Elle cultive le smooth depuis trente ans avec le même art. Son «(You Keep Me) Hanging On» flirte avec le gospel. Et puis ça claque des mains sur «Let Your Love Light Shine», ça claque au shine shine shine et derrière, Howard fouette sa charley. Big Memphis beat ! Ces mecs se mettent en quatre pour groover comme des bêtes. Mais la prod manque un tout petit peu d’épaisseur, c’est très bizarre. Ann termine avec l’«I Can’t Stand The Rain» qui l’a rendue célèbre et qui a tant plu à John Lennon. Don Bryant en est l’un des co-auteurs. C’est un hit séculaire, même sécularité qu’Anita Ward avec son «Ring My Bell». Ann fait le show, c’est facile, avec un hit pareil. Elle le charge à la barcasse de la rascasse - I can’t stand the rain/ Against my window/ Ain’t got nothing to see - Logique pure.

    Signé : Cazengler, âne tout court    

    Ann Peebles & The Hi Rhythm Section. Live In Memphis. Memphis International Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Yvonne est très Fair play

             Pourquoi Baby Bonne ? Parce qu’elle est bonne. On pourrait croire que l’expression sort tout droit du vestiaire d’une équipe de rugby, ou d’une salle de garde à l’hôpital. Oh pas du tout. On dit parfois d’une femme qu’elle est bonne comme on le dit du pain, au sens propre, mais il s’agit surtout d’un trait de caractère qu’on aime à découvrir chez autrui et qu’on nomme la bonté. C’est un trait qu’on recherche inlassablement et quand on le trouve, on se sent devenir riche, beaucoup plus riche qu’après avoir trouvé de l’or. Baby Bonne se montrait tellement prodigue de bonté que ça finissait par devenir troublant. Elle partageait tout sans la moindre retenue, ses souvenirs enchantés d’adolescente à Casablanca, ses photos de famille, son corps bien sûr qui était d’une perfection totale, celui d’une femme blonde d’un certain âge parfaitement conservé, et bientôt une maison dont elle était propriétaire et qu’elle s’apprêtait à récupérer au terme prochain d’un bail locatif. Elle montrait des photos de cette résidence campagnarde qui ressemblait à un petit paradis : tout y était peint en blanc, et comme on voyait des végétations luxuriantes à travers les fenêtres, l’illusion était complète. Elle adorait préparer le dîner chez elle et ouvrait toujours l’une de ces excellentes bouteilles de Bourgogne qu’elle se faisait livrer par un caviste réputé. Elle se comportait littéralement comme une épouse aimante, veillant à ce que tout soit parfaitement délicieux. Elle offrait systématiquement des petits cadeaux, des livres, des bijoux, du parfum, des gants, elle ne savait plus quoi inventer pour saturer cette relation de plaisir, on se serait cru au XIXe siècle dans un roman de Balzac, lorsque par exemple Coralie couvre de cadeaux son cher Lucien de Rubempré. Sa bonté confinait au dévouement, et même si elle veillait à conserver scrupuleusement ses équilibres naturels, il lui arrivait de mordre légèrement le trait. Non pas qu’elle s’oubliât lors des ébats, mais son obsession de la perfection pouvait la rendre dangereusement carnivore. La chambre se trouvait à l’étage. Le matin, elle préparait le petit déjeuner dans sa cuisine et revenait dans le salon pour le servir. Elle portait toujours ce déshabillé transparent qui la rendait désespérément désirable. C’est ce matin-là qu’un détail capta son attention : il réalisa que les murs du salon n’étaient pas décorés. Le seul objet décoratif se trouvait juste au-dessus de la banquette où il était assis : l’objet sculpté qui devait mesurer vingt centimètres de large représentait trois petites têtes de diables cornus, dans l’esprit de gargouilles miniatures. Il les observa un moment et son sang ne fit qu’un tour : les yeux des figurines venaient soudain de bouger pour le fixer. Il comprit qu’il devait fuir.

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             James Brown a peut-être dit d’Yvonne qu’elle était bonne, peut-être l’a-t-il surnommé Baby Vonne au temps où elle bossait pour lui dans sa Revue. Oh c’est une lointaine époque, il faut remonter aux années soixante. Comme toutes celles qui ont fait partie de la fameuse James Brown Revue, Vicki Anderson, Marva Whitney et Lyn Collins, Yvonne Fair était prédisposée au hard funk. Puis dans les années soixante-dix, elle s’est rapprochée de Motown. Elle y a ramené sa prédisposition. Autre point de repère important : elle fut aussi l’épouse de Sam Strain, membre de Little Anthony & The Imperials qu’on retrouvera par la suite dans les mighty O’Jays, en remplacement du pauvre William Powell décédé en 1977.

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             C’est grâce à Norman Whitfield qu’on connaît Yvonne Fair. Il n’a hélas produit qu’un seul album d’Yvonne, l’excellent The Bitch Is Back, sur Motown, en 1975. On imagine le ramdam qu’elle aurait pu causer avec d’autres albums. Yvonne descend dans le snakepit avec le petit chien de sa chienne et une niaque considérable. Elle commence par niaquer le «Funky Music Sho Nuff Turns Me On», et comme elle est dure en affaires, elle se jette sur «It Sould Have Been Me», une compo signée Norman Whitfield et Mickey Stevenson. Comme toujours avec ces deux-là, c’est du très haut niveau composital. C’est d’ailleurs le cut qu’a choisi Ace pour la compile Psychedelic Soul (Produced By Norman Whitfield). Puis on Yvonne voit se battre pied à pied avec la fin de son balda, elle va même jusqu’à rugir comme une lionne dans le désert, mais c’est en B qu’elle ramène sa viande avec notamment «Love Ain’t No Toy», un extravagant slab de hard funk. C’est là qu’elle met les bouchées doubles et Norman l’encourage derrière la vitre : «Vazy Yvonne ! Vazy Yvonne !». C’est incroyablement puissant, tous les cakes de Motown sont là : James Jamerson, Eddie Bongo Brown, et puis on voit Dennis Coffey et Melvin Wah Wah Ragin avec leurs guitares. Elle reste dans le power smash avec «Walk Out The Door If You Wanna». Motown sort de ses gonds, Norman Whitfield ramène les descentes de beat dont il s’est fait une spécialité avec les Tempts. Elle termine cet album faramineux avec «You Can’t Judge A Book By Its Cover», claqué une fois de plus au hard funk. C’est la folie dans le snakepit, quelle ambiance ! Et cette folle jette encore de l’huile sur le feu. Non mais t’as vu ça ? 

    Signé : Cazengler, Fair à repasser (et clous) (Pas un cadeau)

    Yvonne Fair. The Bitch Is Back. Motown 1975

     

    *

    Toujours eu un faible pour les groupes qui s’appellent Mustang, la France en a connu deux, un instrumental des early sixties, un autre formé en 2005 à Clermont-Ferrand dont les fruits à mon goût n’ont pas tenu leurs promesses, mais celui-ci nous vient de Grèce, d’Athènes, un pays au climat sec peu propice à l’élevage des chevaux certes, mais comme j’ai un faible pour les mustangs et l’antiquité grecque, je chronique d’office.

    READY ? ACTION !

    MUSTANG

    ( Piste Numérique : YT / Bandcamp / Juin 2023)

    Se sont formés durant l’épisode covidique, un parfait antidote puisqu’apparemment ils ont survécu, preuve que le rock‘n’roll est indestructible. Sont cinq : Hans Millingen : vocal / Thanos Sar & Thanos Koursaris : guitares & Backing Vocals / Grigoris Serelis : basse / Marios Konidoris : batterie et percussions.

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    Premier opus, pour la pochette, ils ne se sont pas trop fatigués, on aurait préféré un peu plus d’imagination et d’originalité. Ne doivent pas avoir de copains qui font les beaux-arts. Ce n’est qu’une démo, sans doute l’amélioreont-ils.

    Ready Action : un bon rock heavy, bien en place, sans surprise ni invention, un chanteur qui emporte le gras et un solo de guitare qui broie les os, tout tombe pile-poil au quart de tour. Question paroles ce n’est pas Aristote, plutôt Anacréon, remis au goût du jour, manifestement ils préfèrent les rapports physiques à la métaphysique. Il est sûr que parfois il vaut mieux se livrer à un corps à corps qu’user de subtilités inopérantes. Ridin’ on the fast line : On attend une chevauchée fantastique, on n’est pas déçu, une grosse cylindrée c’est souvent moins problématique qu’une fragile ossature, alors ils foncent comme des madurles avec des courbes de guitares en épingles à cheveux, et la rythmique qui tumulte sans faillir, attention la mort assise sur le siège arrière vous bande les yeux, féroce et thanatos, on remet le titre sept ou huit fois, vivre vite est nécessaire. Sharp dressed lady : l’aurait dû rester sur sa machine au lieu d’essayer encore une fois avec cet animal nuisible, remarquez l’on ne perd pas au change car ça s’entrechoque méchant dans sa tête,  et le groupe illustre magnifiquement ce sentiment destructif que Nietzsche appelait le ressentiment, quand vous avez envie de détruire le monde entier et que vous finissez par vous faire du mal à vous-même, z’arrivent sans se départir d’une certaine harmonie à traduire le chaos de l’âme humaine. City depression : le blues comme on l’aime, torride, incandescent, quand il se transforme en tempête et roule sur vous à la vitesse d’un tsunami, une voix sans concession, aussi tranchante qu’un cran d’arrêt et une batterie qui martèle vos gencives comme un poing américain, les guitares  jouent les pétroleuses et la basse est partie pour un voyage au bout de la nuit, je ne pensais pas qu’ils pouvaient jouer plus vite que sur Ridin’on the fast line, lourde erreur de ma part, d’autant plus que les lyrics sont au niveau de cette modernité qui broie les êtres humains de l’intérieur. Same mistakes : un tapis magique de guitares vous emporte loin, au plus profond des conduites auto-punitives et revendicatrices des comportements individuels qui tournent vers elles le couteau de leur introspection, l’impression que chaque morceau est à chaque fois supérieur plus violent que le précédent. Avec en plus ce petit terminal tirement de langue d’une guitare ironique qui n’est pas dupe de ses limites. Mais seuls les borderlines sont prêts à passer la ligne. C’est ici que l’on se dit que le titre de l’opus n’est pas mal choisi, l’on a l’impression d’être dans un scénario captivant. Total damage : l’on se dirige vers la scène finale de seul est l’indompté, la voix davantage devant, les instruments pour souligner ce qui se joue vraiment, superbes backing vocals, tempête dialoguée dans une cervelle humaine, une guitare déroule un étendard vibrionnant, soleil couchant sur le struggle of life.

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             Superbe extended play. Ce Mustang m’a l’air taillé pour participer à de prochaines anabases tumultueuses. Faut le tenir à l’œil. A tout ce qu’il faut pour prétendre à mener la charge en tête de la horde.

    Damie Chad.

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    Chaussons nos bottes de caoutchouc, nous avions promis de retourner patauger dans les marais, c’était dans notre livraison 596 du 13 ( on aurait dû se méfier ) / 04 / 2023, deux courtes promenades éprouvantes, le temps d’explorer les deux premiers singles de Swamp Dukes, l’extended play qu’ils annonçaient vient de paraître. Vu la couve, nous pronostiquons que l’exploration risque de ne pas être une partie de plaisir.

    LIVING NIGHTMARE

    SWAMP DUKES

    ( Album Digital / YT / Bandcamp)

    Viennent de Serbie. J’espère que les autorités touristiques serbes ne commettront pas l’erreur d’user de la couve pour attirer les touristes, n’en viendra pas un seul. Peu engageant, rien d’attirant, ni le paysage ni le personnage, Louisiane, un de ces endroits reculés que même les autochtones ne fréquentent pas, au cœur des marais de la Nouvelle Orléans, si vous apercevez un alligator faites-lui une bise sur les deux joues, bien moins dangereux que cette infâme créature, tremblez ce n’est pas un animal mais un homme, l’espèce la plus nuisible de notre planète, il s’est si bien acclimaté que la végétation a pris racine sur le terreau de sa peau, de ses yeux phosphorescents il guette, il cherche, il chasse, les intrus comme nous qui veulent toujours tout savoir sont la cible de son diabolique tromblon. Il n’est plus temps de reculer, écoutons.

    Ne sont que trois, normal ne sont pas légions ceux qui hantent ces lieux désespérés :Bora Jovanovic : guitars / Stevan Fujto : bass / Ilija Stevanovic : vocals and harmonica.

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    Southern cross : bonjour l’ambiance, elle s’attaque directement à votre moelle épinière,  une cloche solitaire qui sonne lugubrement, des pas qui s’avancent l’on discerne  un clapotis peu engageant, une grosse corde, celle qui sert à se pendre, de guitare résonne, une voix même pas humaine, rehaussée d’un écho funèbre, beaux tracés d’harmonicas qui vous écorchent la peau, chant éraillé, chœurs bêlants, la batterie en chaines de prisonnier, vitres brisées, le riff survient lourd et dérapant, incrusté de voix venues d’ailleurs. Inutile de faire un signe de croix, il ne vous protégerait en rien. L’on aimerait être ailleurs, il est des circonstances selon lesquelles il est impossible de reculer. Death House rescue : vous êtes avertis, vous êtes dans la maison de la mort et du meurtre. Le pire c’est qu’ils vous refilent une efficace énergie, vous vous y sentez bien, le riff vous emporte sur un tapis volant, certes il rase les eaux saumâtres de la peur et du désarroi, le danger est partout mais la batterie est survoltée, la basse plus sombre que la mort, les pistes de guitare tellement entraînantes que vous vous laissez  mener par le bout du nez comme un enfant qui ne comprend pas qu’il est dans un film d’horreur, le vocal étrangement filtré vous raconte des horreurs sans nom, mais vous le suivriez jusqu’au bout du monde. Dig deeper : le genre de chausse-trappe dont on ne réchappe pas. Vous font le coup du tandem démonstration basse-batterie, tout rocker se sent en pays connu , hélas cette sensation de terre ferme ne dure pas, point de rupture franche, aucun avertissement, vous êtes dans la continuité rythmique initiale, mais ça déraille sous vos pieds, la voix coule de travers, elle fait comme si elle ne s’en apercevait pas mais elle vous entraîne sur un sentier glissant, idem pour tout l’accompagnement solide comme un roc qui roule dans la mauvaise direction, et qui part en vrille d’eaux stagnantes, terrible maintenant vous pédalez dans la choucroute, mais les Swamp Dukes ne sont pas là pour aider les petits frères des pauvres. N’ont rien à faire de vos errements, leur musique n’est guère résiliente. The Devil in the details : quand on le cherche on finit par le trouver, il suffit d’ouvrir grand les yeux, ce serpent visqueux qui rampe n’est-ce pas le bout de sa queue, Ilia n’arrête pas de vous avertir, vous répète mille fois la même mise en garde, le même conseil, jusqu’à ce que le background s’arrête pour mieux reprendre aussitôt, c’est dans ce genre d’interstice dans lequel il vaut mieux ne pas glisser les doigts, sans quoi vous serez happés et digérés, paraissent fatigués de réitérer mille et mille fois leur conseil de prudence, tant pis pour vous ils continuent jusqu’au bout du seuil, à ne pas franchir. The house of void : fréquence plus basse, est-ce la dernière hésitation, maintenant ils iront jusqu’au bout, la maison est vide mais leur musique est pleine, elle ne forme plus qu’un tout indissociable, des éclats de symboles, cette voix sortie d’un mégaphone, ce riff sans cesse martelé et ce solo de guitare.  Vous attendez la suite. Reprenez vos esprits.  C’est fini et bien fini.  Vous espériez de l’horrible, une scène de cannibalisme, du cri, du sang, un monstre, que sais-je encore, dans la maison du vide vous ne trouvez que du vide, même pas rien, juste du vide qui n’est même pas une absence de quelque chose. Le morceau s’arrête car si l’on peut marcher sur l’abîme, le vide est par nature infranchissable. Vous ne pouvez même pas y tomber dedans, vous êtes comme dans la mort. Elle ne se pénètre pas, elle ne se continue pas. Ne croyez pas que les plus beaux marais du monde sont à la Nouvelle Orléans. C’est ce que racontent et montrent les nouvellistes et les dessinateurs. Le monde est un immense marécage. A chaque pas votre pied oscille entre le plein de sa réalité et le vide de son irréalité. Swamp Dukes vous conseille de ne pas mettre vos pompes n’importe où… Sans quoi, elles sont souvent funèbres.

             Un disque de derrière les fagots, là où l’on cache les bouteilles de moonshine, et de là où l’on jette un voile pudique sur la réalité mouvante des choses. A écouter et à méditer.

    Damie Chad.

     

    *

    Le titre de l’album et le nom du groupe m’ont plu, autre élément important : important ils viennent de Grèce, d’Héraklion, cité de Crète, voisine du fameux palais de Knossos, lieu fondateur de la Grèce où les amours tumultueuses de Pasiphaé avec le taureau blanc offert par Poseidon au roi Minos engendrèrent le Minotaure que vint tuer Thésée avec l’aide d’Ariane et de Dédale, je ne déroulerai pas loin la pelote mythologique… Un autre détail beaucoup plus contemporain, sur leur FB, m’a interpellé, viennent en octobre ( 2023 ) faire une tournée par chez nous avec un groupe ami, Barabbas dont nous avons présenté et beaucoup aimé Messe pour un chien et La mort appelle tous les vivants.  

    UNORTHODOX

    DOOMOCRACY

    ( Vinyl / CD / Novembre 2022 )

    Doomocracy un beau jeu de mot pour un groupe doom grec,  s’est formé en 2011, leur premier album The end is written est paru en 2014, le deuxième : Visions & creatures of imagination en 2017.

    Michael Stavarakakis : vocal / Angelo  Tzanis & Harris Dikos : guitars / Manolis Shizakis : bass / Minas Vasilakis : drums

    Etrangement la pochette n’est pas sans rappeler celle de Other People ( voir livraison 606 du 15 / 06 / 2023 °) que nous présentions la semaine dernière, ce rapprochement deviendra davantage signifiant lorsque l’on saura que dans leur très brève présentation de leur opus Doomocracy emploie l’expression people lost… L’artwork est de Marius Lewendowski : peintre surréaliste polonais né en 1960, décédé en 2022 quelques mois avant la sortie du disque. Discogs présente une trentaine de pochettes réalisées pour de nombreux groupes, celle de Unorthodox est la plus sombre de toutes, très souvent illuminées de couleurs chatoyantes. Vous pouvez aussi regarder son Instagram. Une visite s’impose.

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    Aeons of winter : orage et musique sérielle venus d’ailleurs, trente secondes pour vous mettre en condition, ici l’on donne dans le grandiose pour ne pas dire dans le grandieuse, rappelons que l’éon est ce par quoi se manifeste la puissance avatarienne de l’Un chez Plotin… z’ont rajouté une courte note pour palier le manque de lyrics. Attention c’est du tordu de chez tordu, faut-il comprendre que l’éon de l’hiver n’est autre que la mort, ce moment de glaciation intellectuelle, où l’on essaie de garder en soi le souvenir de nos actions passés. Eternally lost : attention ici le riff qui survient n’est en rien salvateur, il s’adoucit très vite en une douce rythmique, une voix caresse les mots, une flûte court comme de l’eau de mort que l’on verse en cascades sur certaines tombes, l’exquis vocal de Stavarakis monte haut, au-dessus du riff en sourdine, comment peut-on être perdu et en même temps éternel, la mort est une immobilisation en sa propre vie que l’on se remémore, que l’on se remet mort, sans fin, désormais dans la closerie solitaire de l’esprit jeunesse et échecs demeurent éternels. Prelude to the Apocalypse : imaginez le serpent de mer d’un riff grondeur nageant dans les vagues d’une musique religieuse, chœur de moines et voix perchée au pinacle pour être au plus près du souffle de la révélation, essoufflements, grondements, gélatines guitariques, où sommes-nous à l’intérieur d’une âme humaine entrant en hibernation ou en dehors de ce microcosme égotique dans le macrocosme du monde extérieur victime d’un hiver mental, l’annonce prophétique de celui que Jean dans le quatrième évangile nommait l’Antechrist, qui aujourd’hui délègue son fils pour semer la déroute spirituelle. Que l’on n’avait pas vu s’avancer. Mais que les signes désignent. The hidden gospel : le cantique hideux déploie ses moires maléfiques, quelques notes de piano la lecture de quelques versets, sans aucune grandiloquence, juste l’énonciation de ce qui adviendra, l’avenir est tracé, une route de sang pour ceux qui suivront l’imposteur qui se seront laissé berner… The spiritualist : hymne triomphal, le nouveau christ est arrivé, les guitares vous ont d’étonnants éclats de trompettes, et la batterie effectue un apparat de cavalcade, des chœurs saluent le renouveau spirituel qu’il apporte, ceux qui le suivront seront plus forts et plus libres, ils ne craindront plus la mort, c’est si ressemblant au message christique qu’il en devient parodique. Sans doute sommes-nous trop mécréants pour croire à ses promesses. D’ailleurs qui est-il ce nouvel éon gnostique trop marqué de christianisme à notre goût. Novum dogma : attention, il va parler, il se présente, musique en même temps emphatique et allègre, les guitares sonnent comme des cloches pascales, la voix monte, il monte il promet  la vie éternelle, il semble apporter le même message que le messie précédent, sa voix fuse plus haut, elle touche le ciel, non il ne porte pas de croix, il n’est pas de dieu sauveur, c’est à vous de vous faire dieu de devenir votre propre Dieu, ce n’est peut-être pas la voie la plus facile mais c’est le seul chemin qui vous mènera à l’immortalité, car même mort vous serez toujours en vous-même un dieu, le seul dieu qui compte. Death a taste of mind : le moment de l’incertitude, lequel des deux choisir, le timbre de Stavarakis acquiert une certitude indépassable, la mort n’est-elle vraiment qu’un état de l’esprit, ne serait-ce pas une tromperie, la musique semble se perdre, un réservoir qui coule finira par être vidé. Ne disent-ils pas tous deux la même chose, l’un promet la vie sans la mort et l’autre la vie dans la mort, quel est l’avis le meilleur. La vie la meilleure. Our will be done : rien n’est plus près du doute que la certitude, la musique papillonne tel un coléoptère qui bat frénétiquement des ailes pour s’éloigner dans la flamme claire et consumer le baiser de feu de notre volonté, notes de pianos en mineur, guitares grondantes en majeur, en fin de compte c’est nous qui décidons, pensez à l’archange enfermé qui sera libéré et alors il faudra pour une bonne foi choisir.  October 14 th 1582 : jusqu’ici, il faut l’avouer l’on ne comprend pas trop où veut nous mener cette histoire d’un second Jésus entée sur les Evangiles et une vision qui emprunte autant au néo-plotinisme qu’aux doctrines gnostiques, avec ce titre nous touchons enfin à quelque chose de stable, d’identifiable et même d’historique. Le morceau en lui-même, s’il est très court n’en n’est pas moins explicite, une proclamation papale vindicative et emplie de haine, imaginons-la proclamée sur le parvis de la basilique Saint Pierre du Vatican, l’on entend bruits de foule et clameurs de fond, s’élève une voix hargneuse ponctuée de coups de feu lorsque l’on tombe la menace de mort pour ceux qui ne se plieraient pas à l’ordonnance papale... Lorsque j’ai lu la date j’ai pensé à la Saint Barthélémy, mais non vérification faite c’était en 1572. Le 14 octobre 1582 s’est déroulé un évènement dont nous vivons ou subissons, tous les jours de notre vie et même de notre mort, les conséquences. Ce jour-là le pape Grégoire range dans le grenier des vieilleries dépassées l’ancien calendrier Julien qui au fil des siècles avait pris quelques jours de retard par rapport au positionnement des planètes. Dix jours passent ainsi à l’as, ainsi l’on se couche au soir du 4 octobre pour se réveiller au matin du 15… Pas de quoi fouetter le chat de la Mère Michel objecteront la plupart de nos lecteurs, à l’époque cette mesure unilatérale ne passa pas comme une lettre à la poste, la Grèce fut le dernier des pays catholiques à s’y rallier, il y eut disputes, révoltes, insurrection populaires… Vous avez maintenant toutes les clefs ( ni de sol ni de Saint Pierre ) pour assembler les pièces du puzzle. Unorthdox : comprendre le mot ‘’orthodoxe’’ en son acceptation contemporaine. Aujourd’hui elle désigne l’Eglise Orthodoxe qui se sépara, tant pour des raisons théologiques que politiques, de l’église romaine catholique en 1504.  Le mot unorthodoxe désigne ici le personnage imaginaire de l’opus, The Spiritualist, cette espèce de nouveau christ plus ou moins gnostique qui aurait pris la tête de la révolte contre l’annulation du calendrier Julien ( dans la série rendons à César ce qui appartient à Jules ). Celui qui est par rapport à l’Eglise romaine contre la règle droite (orthodoxe en grec ) catholique. Sans doute voulez vous savoir la fin de l’histoire. Guitares grondeuses, l’Eglise est sans pitié pour les hérétiques, elle appelle à le tuer, pas trop vite, il faut qu’il souffre longtemps, qu’on lui brise les membres sur une roue, d’infortune, qu’on l’enferme dans un taureau d’airain sous lequel on aura allumé un brasier pour qu’il ait un avant-goût des flammes de l’Enfer, qu’on le fouette et mille autres joyeusetés ordonne une voix vindicatrice, mais sous la torture le supplicié ne se renie pas, il refuse d’abjurer, il revendique tous ses actes, sa voix est douce peut-être parce que sa souffrances est grande. Malgré les cris de ses fidèles il est conduit au bûcher… les guitares flamboient et des notes s’éparpillent telles des cendres que le vent emporte au loin… Catharsis : un titre ô combien aristotélicien, mais selon une interprétation chrétienne. Si pour Aristote la catharsis par son exemplarité dramatique doit nous déprendre de nos passions, la passion chrétienne entendue en son sens étymologique de souffrance n’est pas là pour aguerrir l’âme mais pour déchirer le corps. Les cendres du morceau précédent ne sont pas encore totalement dispersées, il est temps d’en tirer la leçon morale, les religions espèrent mais n’entendent rien, le mieux serait de s’en débarrasser au plus vite de les mettre au rancart, n’oubliez pas que vous êtes divins… Du haut de son bûcher le supplicié jette ses derniers enseignements, la souffrance ne le fait pas taire, la lumière est en l’homme, pas dehors, pas dans les religions, il tonne d’une voix angélique, son discours ne provoque que la colère chez ses bourreaux, on ordonne, on l’enferme dans une grotte, il est nécessaire qu’il soit oublié, que l’on s’en prenne aussi à ses disciples, qu’ils soient pourchassés, qu’ils connaissent le châtiment suprême, rien ne doit subsister. Ils n’ont plus qu’à reconnaître leur défaite, tout est perdu, tout sera oublié, jusqu’au nom de ce nouveau prophète qui était venu nous libérer de la foi dogmatique. Une dernière imprécation en langue latine et ecclésiale.

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              L’ensemble est d’autant plus fort qu’il est construit comme un requiem, une suite symphonique rock, qu’il s’est coulé dans un schéma de musique religieuse chrétienne. Un peu comme une messe qui serait dédié aux cathares. La partie chantée n’est pas facile, tout l’opus repose sur les subtilités de la voix de Constantin Stavarakakis, une partition qui exige du souffle et une solide maîtrise vocale. Unorthodox peut s’écouter sans prêter beaucoup d’attention aux paroles, il suffit de se laisser emporter par le déroulement des séquences. C’est du doom, c’est du metal, mais sans effet de grosse caisse, pas de soli dévastateurs, toute l’instrumentation participe d’une économie esthétique épurée.

             Une parfaite réussite. Qui exige attention et réflexion.

    Damie Chad

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    EPISODE 31 ( Récapitulatif  ) :

    175

              Carlos s’est réinstallé au volant de son 4/4. A ses côtés le Chef fume paisiblement un Coronado. Sur la banquette arrière Molossa et Molossito blottis tout contre moi dorment paisiblement. Je ne quitte pas des yeux le rétro central qui me permet de voir les véhicules qui nous suivent. Et qui nous dépassent en klaxonnant bruyamment. C’est que Carlos ne dépasse pas les quinze kilomètres à l’heure. Le Chef a été formel :

             _ Quand on ne sait pas où aller, il faut attendre que l’ennemi vienne à notre rencontre. Je parie que je n’aurais pas fumé trois Coronados, qu’il aura montré le bout de son nez. Carlos cessez de martyriser cet accélérateur, suivons les enseignements de Sun Tzu tels que le sage chinois les a rédigés dans son livre De la Guerre.

              Mon œil scrutateur ne tarde pas à entrevoir une voiture d’apparence banale qui depuis une demi-heure fait tout ce qu’elle peut pour rester obstinément à cinq véhicules de nous, se laisse doubler mais ne nous perd pas de vue, j’ai beau écarquiller les mirettes, je n’arrive pas à apercevoir les occupants, le pare-brise n’a pas vu une éponge depuis plusieurs semaines, j’ai même du mal à voir si le conducteur est seul ou accompagné. Je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué. Carlos explose :

              _ Je n’aime pas les fleuristes, mais l’intellectuel qui conduit la sixième bagnole qui nous suit s’il continue à rester derrière nous il ne va pas tarder à avoir des nouvelles de mon Rafalos, ce gars nous suit et retarde la file qui le suit, il se croit où ce zigoto !

                 Le Chef allume un Coronado :

              _ Carlos vous avez bien dit un intellectuel ?

              _ Oui et je vais le renvoyer d’ici peu à ses chères études !

              _ N’en faites rien Carlos, gardez-le bien au chaud derrière nous, je le répète pas plus de quinze kilomètres heure, cette allure doit lui laisser le temps de réfléchir, vous savez Carlos, les intellectuels ne sont pas des hommes d’action comme nous, ils ont besoin de calme et de quiétude, c’est une espèce fragile sur laquelle il nous faut veiller attentivement.

              Je préfère ne pas rapporter la réponse de Carlos relative à l’admiration qu’il porte aux intellectuels. J’ai peur que le secrétariat de la langue française de l’Académie Française ne nous envoie un message d’avertissement quant à la verdeur de ses propos. Je ne quitte plus du regard cette voiture grise, elle m’intrigue de plus en plus. OK pour le conducteur, mais à côté ce truc informe qui n’arrête pas de bouger. What is it ? Ne serait-ce pas un chien !

               _ Chef, j’ai bien peur que l’intellectuel de Carlos n’ait un chien avec lui.

               _ Agent Chad, un intellectuel qui prend un chien, j’opterais plutôt pour un chien qui ait pris un humain – Molossa et Molossito poussent un ouaf d’approbation – et si vous voulez toute ma pensée, personnellement j’ai bien peur que cet intellectuel soit davantage à vous qu’à Carlos. Tiens je crois qu’il faut que j’allume un Coronado.

    La réponse du Chef m’intrique mais je remets à mon poste d’observation.

    176

    Ça ne s’arrange pas dans la sixième voiture. Même le conducteur s’agite, il lâche le volant des deux mains et fait de grands gestes. L’ouvre la bouche comme un cachalot qui s’apprête à avaler un baleinier. Dommage qu’il n’y ait pas le son, le mec doit agonir son insupportable cabot d’injures, il doit le maudire jusqu’à sa trente-septième génération…

    • Carlos après le feu, vous prendrez sans avertir la troisième rue à droite, attention c’est un sens interdit, au bout à gauche, puis à droite, puis à gauche et l’on débouche sur le périphérique, l’on va voir comment va réagir notre intellectuel !

    Soyons fair play. Pas trop mal. Alors que les cinq premières voitures continuent tout droit, notre intello n’hésite pas une seconde pour s’emmancher sans l’ombre d’un remords dans le sens interdit.

               _ Chef, il nous suit et il accélère, ce gazier n’est pas là au hasard

               _ Pfft ! c’est un intello, il a oublié ses lunettes, il ne s’aperçoit même pas qu’il est en sens interdit !

               _ Carlos, pas d’a priori – il est le seul de la file à nous nous avoir emboîter la roue, je l’avais prévu, quand on ne va pas à l’affaire c’est l’affaire qui vient à nous, je jubile, tiens j’allume un Coronado, Agent Chad continuez vos observations, Carlos on est sur le périph, passez sur la file de gauche  à fond la caisse et plus vite que ça !

    Carlos est tout heureux, il nous annonce qu’il va emprunter la diagonale du fou, aussi sec il traverse les quatre voies, il exécute plutôt une perpendiculaire, klaxons, carambolage, bruits de tôles froissées, derrière nous, le moteur de Carlos rugit de contentement tel un tigre qui vient de trancher le cou du dompteur qui avait introduit sa tête dans sa gueule. Derrière nous, plus une seule voiture, si en voici une, évidemment c’est notre intello !

               _ Ah ! Ah ! Monsieur veut tâter de mon Rafalos, à l’avance je me fais un plaisir de lui prêter ma baballe !

                _ Carlos je vous préfère quand la part d’humanité prend le dessus en vous, n’accélérez pas trop, je pense pas que la torpédo de notre suiveur puisse dépasser les cent-soixante, maintenez-le à bonne distance, j’aimerais savoir jusqu’où et jusqu’à quand il va nous suivre.

    177

    Un accord tacite s’est établi entre nos deux voitures. Le gars reste à plus de cinquante mètres de nous, pas trop loin mais pas trop près, quand la distance grandit Carlos ralentit, le zigue pâteux se rapproche mais il respecte le no man’s road entre nos deux voitures.

    Le Chef allume un Coronado :

    • Carlos, nous nous éloignons de Paris, prenez la A4, si vous êtes sages je vous offrirais un tour de manège au Parc Disney.

    Seuls Molossito et Molossa remuent la queue de contentement. Carlos et moi ne sommes pas enthousiasmés par le tour de manège, par contre dans la voiture suiveuse, dès que nous avons dépassé le panneau annonçant la proximité de Disney le chien qui avait dû s’endormir bercé par la vitesse semble tout excité. Il bondit de tous les côtés, son maître semble l’admonester, mais cela n’a pas l’air de le calmer. Brusquement je n’en crois pas mes yeux, la vitre passager a été ouverte, et quelque chose s’agite frénétiquement. Impossible de me tromper non ce n’est pas le museau d’un chien, je ne peux que reconnaître une main humaine. S’apprête-t-elle à nous tirer dessus. Non elle est grand-ouverte, sans être grande pourtant, une main d’enfant !

    Le Chef n’a pas l’air d’être étonné :

              _ Agent Chad, ne vous excitez pas, je ne vois pas pourquoi un intellectuel n’aurait pas un enfant, rien ne s’oppose à ce genre de phénomène.

               _ Enfin Chef, s’il amenait son gamin à Disney pourquoi nous a-t-il suivi lorsque nous roulions à 15 km / H dans Paris au lieu de dépasser pour arriver au plus vite ?

              _ Agent Chad c’est moi qui ai décidé de nous diriger vers Disney, je n’ai pas cru une minute à votre chien, cela ne cadrait pas avec le début de notre aventure. Carlos, ralentissez, prenez la direction Gare de Chessy et montez vous garer tout en haut du parking.  Il n’y a pratiquement jamais personne, je suis sûr que du monde va venir à notre rencontre. 

    178

    Nous sommes adossés contre le 4 / 4, la voiture suiveuse s’est arrêtée à l’autre bout du parking. On ne peut pas la voir, nous avons entendu les portières claquer, des pas se dirigent vers nous, deux silhouettes se découpent sur le ciel : un homme et une toute jeune fille. Ils s’arrêtent assez loin de nous. L’homme n’avance plus, la jeune fille semble hésiter. Elle se dirige vers nous. Elle n’a pas peur, Carlos et le Chef font disparaître discrètement leurs Rafalos. Elle s’approche de moi, les yeux tournés vers Molossa et Molossito, elle se baisse pour les caresser. Ils se laissent faire avec plaisir. Elle se redresse et me regarde dans les yeux. C’est alors que je la reconnais. 

             _ Alice !

             _ J’ai un cadeau pour vous, je l’ai trouvé dans le bureau de mon père, tenez.

    Elle me le tend. C’est un petit livre, j’ai juste le temps de lire le titre : ECILA.

    A suivre… 

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 606: KR'TNT 606 : CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE / DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ORDER OF THE BLACK JACKET / HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

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    LIVRAISON 606

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 06 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE

    DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    ORDER OF THE BLACK JACKET

     HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 606

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    Le Moman clé

    - Part Four

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    Chips aime bien Ronnie Milsap. D’ailleurs, il le reçoit chez American et Dan Penn produit son premier album sobrement titré Ronnie Milsap. Ça sort sur Warner Bros.

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    En 1971, sous une belle pochette. Ronnie y apparaît solarisé en gros plan. L’outstanding cut se trouve en B et s’appelle «Crying». Ronnie s’aventure sur les terres de Big O et rivalise d’excellence de chat perché avec lui. On note aussi l’excellence du «Sunday Rain» signé Mark James. Ronnie le prend en charge sans ciller. Ce mec chante comme un dieu et Dan orchestre à outrance. Vas-y Dan, tartine-nous ça ! Ronnie tape dans Dan et Spooner avec «Blue Skies Of Montana». Ça frise la carte postale, car Ronnie nous traite ça à l’épique du Tennessee. On note aussi la présence en B d’une belle compo de Jim Dickinson intitulée «Sanctified». Chez American, on ne mégote pas sur la marchandise.

             Dans le tas de grands artistes venus enregistrer chez Chips, on trouve aussi Petula Clark et Brenda Lee. Elles sont venues toutes les deux faire leur Memphis album. Le Memphis de Petula sort en 1970. En Europe, Petula traîne surtout une réputation d’artiste de variété, mais chez Chips, elle a tout de suite du son. Tous les copains sont là pour s’amuser avec elle, Reggie, Bobby et Gene.

             — Que fais-tu là Petula, si loin de l’Angleterre ?

             — Mais tu le chais Chips, j’enregistre my Memphis ellepie !

             — Ah oui, sorry j’étais dans la lune ! Que dirais-tu de reprendre «Neon Rainbow» ?

             — Chic idée, Chips !

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             Cette diablesse de Petula transforme la pop de Memphis en pop anglaise. Elle sait elle aussi gueuler par dessus les toits. Elle se montre aussi pétulante avec «Goodnight Sweet Dreams». Elle se jette admirablement bien dans la bataille. Il faut aussi entendre le délire psyché que bricole Reggie Young derrière elle dans «Right On». C’est d’ailleurs le seul intérêt du cut. Chips refourgue aussi à Petula une compo de Mark James, «When The World Was Round», on ne sait jamais, des fois que ça devienne un tube. Mais ce n’est quand même pas du Paddy McAloon. Elle termine avec un bel hommage à Curtis Mayfield en reprenant «People Get Ready», mais on peut en rester là.

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             Encore un coup dur pour Chips. L’album Blue Lady qu’il enregistre en 1975 avec Petula Clark ne sort pas. Le label ABC Records boude. Il finira par sortir vingt ans plus tard sous le titre Blue Lady - The Nashville Sessions. Bizarrement, Petula se vautre sur Burt («Don’t Make Me Over»), elle le chante au petit sucre d’Angleterre et pour Burt, elle est trop poppy, trop criarde. C’est avec «Pickin Berries» signé Toni Wine & Chips qu’elle explose les Nashville Sessions. Elle tape en plein cœur de l’excellence, elle amène ça au petit popping de cueillette et ça bascule dans la grosse énormité de pop américaine. C’est le nec plus ultra de la grande pop US et c’est l’occasion de rappeler que Chips avait du génie. C’est tartiné dans les grandes largeurs. L’autre coup de maître du producteur Chips, c’est le morceau titre. Il nous fait le coup de Bernard Hermann à Nashville, c’est-à-dire le coup du groove urbain, et Petula excelle dans la mélancolie bleue. Chips lui orchestre ça aux petits oignons. Elle chante magnifiquement «You’re The Last Love» et c’est la raison pour laquelle Chips la chouchoute. Elle se fond bien dans Chips avec «Charlie My Boy», elle truffe la compo de Chips de magic stuff, car elle chante d’une voix de rêve. Encore une panacée de Petula avec «If You Think You Know How To Love Me», elle en fait une petite énormité vite fait bien fait. Le reste n’est pas très bon, dommage.

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             L’album que Brenda Lee enregistre chez Chips l’année suivante est nettement plus passionnant. Il s’appelle Memphis Portrait. Elle démarre avec une reprise un peu ratée des frères Gibb, «Give A Hand Take A Hand» et s’en va ensuite musarder chez John Denver avec «Leaving On A Jet Plane». Elle très nasale. Chips lui propose le «Games People Play» de Joe South et on entre en terrain de connaissance. Oui, ce hit du vieux Joe est connu comme le loup blanc. Elle revient à Joe en B avec «Walk A Mile In My Shoes» qui vire très vite white Soul de qualité supérieure. Elle est extrêmement pugnace, comme Lulu, même genre de tempérament, vraiment far out. Avec «Too Heavy To Carry», elle tape dans l’extrême Memphis Soul, avec Mike Leech on bass. Quel son ! Les mecs d’American n’ont rien à envier aux MGs. Chips glisse à Brenda un balladif signé Reggie : «Hello Love». Bien vu, Chips ! Brenda fait aussi une cover irréprochable de «Proud Mary». Comme s’il n’y avait rien à en dire. Puis elle tape dans le saint des saints avec le fameux «Do Right Woman Do Right Man» que Chips et Dan Penn composèrent jadis pour Aretha. Cette fière shouteuse de Brenda finit bien sûr par l’exploser.  

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             Avec Bobby Womack, on entre dans la zone protégée des albums culte, à commencer par Fly Me To The Moon, paru sur Minit en 1968. C’est l’époque où Bobby vient traîner à Memphis et Chips l’adopte. Bobby intègre les Memphis Boys et profite des installations pour enregistrer deux albums. Le morceau titre de ce premier album est unE merveille tentaculaire. On a le big American Sound avec Bobby Emmons à l’orgue et Reggie sur sa gratte derrière Bobby. «Fly Me To The Moon» est un fantastique cut de Soul vertigineuse. Bobby screams his ass off et Reggie entre dans la Soul avec une patte de velours. C’est aussi sur cet album qu’on trouve l’imparable «I’m A Midnight Mover». Bobby y fait son wicked Pickett qui d’ailleurs est le co-auteur de ce hit de Deep Soul bien bassmatisqué par Mike Leech. Wow ! Bobby screams it off. Encore une combinaison gagnante : un Soul Brother avec le gratin dauphinois de Memphis. Ce dingue de Bobby chante aussi «What Is This» avec toute sa niaque et derrière les Memphis Boys chargent merveilleusement la barque du Memphis Sound. Les dynamiques sont superbes. Quel bel achèvement ! Cet album est si bon qu’il donne envie de se replonger dans tout Bobby. Il sait embarquer ses cuts dans les hautes sphères de l’exaction maximaliste. Tous les cuts flirtent avec l’énormité. En B, Bobby tape dans l’«I’m In Love» de wicked Pickett. Il chante ça à la pire arrache qui se puisse concevoir. Il monte tellement dans les tours de scream qu’il bat wicked Pickett à son propre jeu. Il groove ensuite de «California Dreamin’» de John Phillips. Quel beau numéro de Soul Brother ! Reggie brode de la dentelle de Calais dans la couenne du son et le groove progresse dans la chaleur de la nuit. Toute cette aventure se termine avec «Lillie Mae» et l’admirable rumble des Memphis Boys in full bloom. C’est heavily good, ils jouent ça à la merveilleuse évidence de la mouvance. C’est à la fois percutant et perfusant, perméable et perpétuel, plerclus de classe et pertinent, pervertisseur et perfecto.

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             Bobby enregistre My Prescription dans la foulée. L’album grouille de coups de génie, à commencer par «How I Missed You» qui sonne comme un hit de country Soul. Just perfect. Bobby chante avec la rigueur d’un Soul Brother débarqué à Memphis. Idéal pour les amateurs de mythes. C’est si bien nappé d’orgue qu’on en bave de plaisir. Et Gene Chrisman bat ça au nec plus ultra. Encore un coup de génie avec «I Left My Heart In San Francisco». Les Memphis Boys jouent ça au groove pressé de semi-acou paradisiaque. Voilà le genre de miracle dont sont capables Chips et ses chaps. Pur jus de Memphis Soul typecast, avec un Bobby qui part en goguette et qui screame sa crème. Encore un slow groove de Soul avec «More Than I Can Stand». Chips l’orchestre à gogo, il envoie des vagues de cuivres et de violons à l’assaut du ciel et Reggie Young brode sa dentelle de Calais dans un coin. En B, on retrouve l’inébranlable «Fly Me To The Moon». À la réécoute, ça sonne encore plus légendaire, faites l’expérience, vous verrez. Bobby a du génie, un sens aigu du hit qui fait mouche. Il screame à bon escient. On trouve deux autres merveilles productivistes en B, «Don’t Look Back» et «Tried And Convicted». Le premier vaut pour un beau brin de groove de Soul aérienne, bien vu, bien senti, ultra joué, orchestré avec goût, et doté de ces fantastiques descentes de bassmatic qui font la réputation d’American. On peut dire la même chose de «Tried And Convicted», violonné à la revoyure, c’est de la haute voltige. Chips voyait grand pour Bobby.

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             Elvis doit une sacrée fière chandelle à Chips, c’est en tous les cas ce que montre  Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. Ce double CD est bourré de cuts miraculeux, à commencer le morceau titre. Pur Memphis Sound, big symbole, bien battu en brèche, avec le fantastique bassmatic d’American. Ici, Chips a tout bon, il fournit le beurre et l’argent du beurre à Elvis, le son et la compo. Il faut entendre ce redémarrage de bass/drums dément ! Autre coup de génie productiviste avec «Anyday Now», Chips envoie des chœurs superbes. Elvis entre dans le groove du fleuve avec «Stranger In My Own Town». On est au cœur du Memphis Beat. Puis avec «Without Love (There Is Nothin)», il vire gospel et donne libre cours à son génie vocal. Tout dans ces sessions est produit de main de maître. Elvis a tout ce qu’il peut désirer : l’orgue, les filles, Chips, il fait de la Soul avec «Only The Strong Survive». On assiste ici à un festin de son. Quand il tape un mélopif comme «I’ll Hold You In My Heart», il fait le show, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Retour à l’église en bois pour «Long Black Limousine». Il recrée le gospel power à la seule voix et ça devient énorme. Il n’a pas besoin des Edwin Hawkins Singers. Il chante même sa country comme un dieu, au vibré de glotte royale. Petit clin d’œil à Johnny Horton avec «I’m Moving On». Il chante ça au lowdown de Memphis et quand arrive «Gentle On My Mind», on tombe de sa chaise tellement c’est pur. Encore une équipe gagnante dans l’histoire des teams de rêve : Chips + Elvis. Quand on entend «After Loving You», on comprend que Reigning Sound soit allé chercher ce son-là. «In The Ghetto» sonne comme l’aboutissement de Chips. Encore un chef-d’œuvre absolu : «You’ll Think Of Me», balladif généreusement orchestré et les cuivres arrivent dans la folie des chœurs de gospel perchés dans le ciel. Sur le disk 2 se trouvent rassemblés les alternates. On n’apprendra rien de plus. Ça ne s’écoute que par pur plaisir. Elvis est le chanteur parfait et les mecs d’American le backing parfait. Les montées en température dans «I’m Moving On» sont des modèles du genre, surtout le bassmatic en folie. Pur merveille que ce «Power Of Love» joué au heavy Memphis groove. Elvis réussirait presque à nous faire oublier le Colonel. On trouve vers la fin une version d’«Hey Jude» extrêmement chantée, superbement orchestrée, cuivres, violons, chœurs, piano, il ne manque rien. Encore un coup de prod avec «Rubberneckin’» et des chœurs de rêve. On retrouve aussi un alternate de «Suspicious Minds» vers la fin - It’s the last take Chips ! - Magie pure, Reggie Young on fire, Gene Chrisman on the beat, Mike Leech on bass, ça s’écoute religieusement.

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             Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Les bivouacs dans les montagnes ont éculé ses fringues. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes ont déjà vécu neuf vies. Assis sur un banc, il scrute l’horizon. C’est la pochette de Prone To Learn, paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache. Il attaque avec un shoot d’’Alabama rock finement cuivré, «Three Hundred Pounds Of Hongry». Jimmy Johnson, Eddie Hinton, David Hood et Roger Hawkins font partie du gang, donc ca donne la fritte à Fritts. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler, Kris Kristofferson. Grosse ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent la patte du Penn. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal. Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Tony Joe joue lead sur ce boogie funk vermoulu. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano. Le morceau titre est un cut de Kris Kristofferson, un folk-rock typique de Muscle Shoals. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

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             Album très impressionnant que ce Memphis Underground d’Herbie Mann paru sur Atlantic en 1969 et enregistré chez Chips. Au dos, on voit les musiciens enregistrer chez American : dans un coin, les deux guitaristes, Sonny Sharrock et Larry Coryel. On voit aussi Reggie Young et sa Tele avec la section rythmique, et dans un box, Herbie Mann torse nu avec sa flûte. C’est photographié de l’étage. Dès le morceau titre d’ouverture de bal d’A, on est en plein cœur du Memphis beat. Gene Chrisman bat le beurre de roule ma poule et Tommy Cogbill nous bassmatique tout ça au quart de poil. Ils tapent en fin de B une cover d’«Hold On I’m Coming». Miroslav Vitous prend la basse. Il sort un drive plus jazzy et c’est embarqué au shuffle d’American. Herbie Mann flotte à la surface du shuffle. Ces géants se payent une tranche sur le dos de Sam & Dave. Excellent ! Ils attaquent la B avec une cover de «Chain Of Fools». C’est encore un groove ventru, plein de son, avec Larry et Sonny qui croisent le fer avec le bassmatic demented de Tommy Cogbill. Et cette belle aventure se termine avec «Battle Hymn Of The Republic», fantastique numéro de shuffle de flûte, Herbie Mann n’est pas manchot, il joue très organique, il swingue le thème mélodique et ça ensorcelle les vermicelles.

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             Avec Neil Diamond, Chips applique les mêmes recettes qu’avec B.J. Thomas : a big handful of big covers. On en trouve quatre sur Touching You Touching Me paru en 1969, année érotique, à commencer par l’imparable «Everybody’s Talking» de Fred Neil, avec un petit coup d’up-tempo et un banjo. The Memphis way ! Neil Diamond le chante d’un ton ferme, sous l’horizon. Il enchaîne avec le fantastique «Mr Bojangles» de Jerry Jeff Walker, il le bouffe même tout cru, crouch crouch. Il est excellent dans ce rôle d’artiste American. Il déclenche de sacrées vagues de frissons. En B, il tape l’excellent «Both Sides Now» de Joni Mitchell, il descend dans la magie de Joni comme dans un lagon, il jette tout son poids de Diamond dans la balance de cristal pour honorer cette mélodie lumineuse. Il termine avec un superbe hommage à Buffy et cette reprise d’«Until It’s Time For You To Go», prodigieusement orchestrée, du pur jus d’American.

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             Grâce à Ace, on peut écouter les fameuses long lost 70 sessions de Carla Thomas enregistrées par Chips chez American : Sweet Sweetheart - The American Studio Sessions And More. Ce lost album devait s’appeler Sweet Sweetheart. C’est Al Bell qui a l’idée d’envoyer Carla chez Chips, en 1970. Ah c’est autre chose que ces albums Stax un peu soporifiques. Avec Chips, Carla fait de la country Soul et ça explose dès le «Country Road» de James Taylor. Quel répondant ! C’est une merveille. Merchi Chips ! Grâce à lui, Carla s’affirme. Elle fait aussi de la petite pop («I’m Getting Closer To You»), pas de problème, Carla fait tout ce qu’on lui demande. Elle est fabuleusement accompagnée. Elle ramène son sucre («Heaven Help The Non-Believer»). Elle adore plonger dans le sweet sweet («Sweet Sweetheart», signé Goffin & King), elle détache bien ses syllabes, elle se débat dans des cuts de romantica, mais sa voix est pure. Chips transforme ses cuts en œuvres d’art. Elle fait du gospel batch avec «Everything Is Beautiful». Mais l’album va rester coincé sur une étagère pendant quarante ans, jusqu’au moment où Roger Armstrong le découvrira. S’ensuit une série de cuts Stax enregistré entre 1964 et 1968, à commencer par l’imparable «B-A-B-Y» (take 1), bombardé au bassmatic. Tony Rounce qui fournit les liner notes se demande pourquoi Al Bell et Jim Stewart ont bloqué toutes ces merveilles. En voilà encore une avec «Love Sure Is Hard Sometimes», monté sur un groove de walking bass et un pianotis de prescience. Back to the Memphis beat avec «Don’t Feel Rained On», elle chante la main devant les yeux, yes I feel new. La fête se poursuit avec «He Picked Me», pur jus de Memphis r’n’b, sec et net.

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             Chips cède à son péché mignon, la country, en enregistrant le Cactus And A Rose de Gary Stewart. Attention, ce n’est pas de la gnognotte puisque ça sort sur RCA Victor en 1980. Mais l’album est trop country pour les gueules à fioul. Dommage, car Chips a ramené du beau monde en studio : Bonnie Bramlett et Gregg Allman. On entend aussi beaucoup Toni Wine, qui est alors la poule de Chips. «Staring Each Other Down» est un heavy balladif country lourdement orchestré, l’orgue ne faiblit pas et Toni chante dans l’écho du temps de Chips. Si on aime la heavy country de Nashville, alors on se régalera de «Ghost Train», ce démon de Gary Stewart chante ça au raw du guttural. Bonnie entre dans la danse en B sur «Roarin’». Ah ils savent enfoncer des clous, les Nashvillais. Ça se termine avec un «We Just Couldn’t Make It As Friends» signé Chips qui sonne comme un hit. Fantastique allure. En fait, Chips a ramené en studio ses copains de Memphis, mais le son n’est décidément pas le même. C’est un son cousin.

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             L’un des gros coups de Chips, c’est Highwayman, le super-groupe country, avec Kristofferson, Waylon Jennings, Willie Nelson et Cash. Un album sans titre paraît en 1984. C’est de la country classique et sans surprise. Chips adore ça. Les quatre vieux crabes se relayent au micro. On note une belle dominante de Cash, toujours plus profond que les autres. On sauvera «Big River», festival de Western swing, avec Reggie Young à la gratte et Gene Chrisman au tatapoum. Fantastique énergie ! Chips remet tout le paquet avec son house-band. Reggie régit tout. Les quatre vieux crabes tapent aussi une version de «Desperados Waiting For A Train», le chef-d’œuvre de Guy Clark, mais ça retombe comme un soufflé. La version de Jerry McGill est bien plus balèze. Et quand on écoute «Welfare Line», on s’effare de la qualité de la prod. On le sait, Chips ne mégote pas.

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             C’est lui qui monte l’opération Class Of ‘55, Memphis Rock & Roll Homecoming avec Carl Perkins, Jerry Lee, Roy Orbison et Cash. Il voyait ça comme un gros coup, mais ça n’a pas marché. Pourquoi ? Il suffit d’écouter l’album. Carl Perkins ouvre le bal avec «Birth Of Rock’n’Roll», il sait de quoi il parle, mais le solo country est parfait, trop parfait pour être honnête. Heureusement, Jerry Lee chope le mic pour chanter «Sixteen Candles» et il sauve les meubles. C’est lui le king du Memphis Beat. Il ne fait pas planer le doute, mais le génie. Dès qu’il arrive, tout reprend du sens. Ils tapent un peu plus loin une grosse claque de country groove intitulée «Waymore’s Blues» et chantent à tour de rôle : Cash, Orbison, Jerr et Carl. C’est assez hot. Avec «Coming Home», Roy Orbison taille sa petite bavette bien baveuse. Avec Roy, c’est toujours baveux, mais puissamment baveux. «Rock And Roll (Fais Do Do)» n’a strictement aucun intérêt, Chips s’égare et Jerr ramène le Class Of ‘55 dans le droit chemin avec «Keep My Motor Runnin’». Il est le sel de la terre. Memphis, c’est Jerry Lee. La ville de Memphis n’acceptera pas cet album en forme de pétard mouillé et cassera le contrat avec Chips.

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             L’un des derniers albums que Chips produit est le Womagic de son ami Bobby qui sort en 1986. Pas de hit sur cet album, mais de l’excellent slow groove de Memphis («When The Weekend Comes»). Bizarrement, l’album vire un peu diskö, comme le montrent «Can’ Cha Hear The Children Calling» ou encore cet «It Ain’t Me» embarqué à la basse funk et perturbé par des cassures rythmiques insolites. 

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Ronnie Milsap. Ronnie Milsap. Warner Bros. Records 1971

    Petula Clark. Memphis. Warner Bros. Records 1970

    Petula Clark. Blue Lady. The Nashville Sessions. Varèse Sarabande 1996

    Brenda Lee. Memphis Portrait. Decca 1971

    Bobby Womack. Fly Me To The Moon. Minit 1968

    Bobby Womack. My Prescription. Minit 1970

    Elvis Presley. Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. RCA 1999

    Donnie Fritts. Prone To Lean. Atlantic 1974

    Herbie Mann. Memphis Underground. Atlantic 1969

    Neil Diamond. Touching You Touching Me. UNI Records 1969

    Carla Thomas. Sweet Sweetheart. The American Studio Sessions And More. Ace Records 2013

    Gary Stewart. Cactus And A Rose. RCA Victor 1980

    Highwayman. Highwayman. Columbia 1984

    Carl Perkins/Jerry Lee Lewis/Roy Orbison/Johnny Cash. Class of ‘55. America Records 1986

    Bobby Womack. Womagic. MCA Records 1986

     

     

    Bettye n'est pas une lavette

     

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             Comme beaucoup d’énormes stars de la Soul (Martha Reeves, Little Willie John et sa sœur Mable, Sir Mack Rice, Joe et Levi Stubbs et combien d’autres !), Bettye LaVette est originaire de Detroit. Elle a aussi un point commun avec les Pretty Things : une poisse terrible. Bettye aura passé sa vie à attendre de pouvoir enregistrer un album.

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             Elle raconte son histoire (en collaboration avec David Ritz, le biographe de toutes les stars de la Soul) dans un petit livre passionnant : A Woman Like Me - A Memoir. Il s’agit là d’une contribution majeure à l’histoire de la Soul. Ce petit ouvrage se lit d’un trait, d’autant plus facilement que Bettye fréquente toutes les stars de l’âge d’or, à commencer par Jerry Wexler, Andre Williams, Otis, Aretha et sa sœur Erma, Esther Williams, Marvin, bien sûr, George Clinton, Jackie Wilson avec lequel elle passe une nuit, Dr John, Solomon Burke et combien d’autres ? C’est probablement l’un des meilleurs éclairages sur la scène de Detroit.

             Bettye a deux passions dans la vie : le sexe et chanter - We were essentially groupies who sang - Bettye baise avec des tas de mecs et principalement des macs - Those pimps loved to watch girls have sex - Ces macs aimaient bien voir des filles baiser ensemble. Elle affirme qu’elle a plus appris de ces gens-là que des prêtres - I’ve learned a helluva lot more from pimps than preachers - Bettye n’est pas avare de détails, elle a toujours aimé le cul et elle avoue qu’arrivée à la soixantaine, elle n’est plus aussi athlétique au lit.

             Son histoire démarre très fort, puisque ses parents sont alcooliques professionnels. Ils vendent de l’alcool et des sandwiches - I was born in a heavy-drinking family. Early on I became - and remain - a serious drinker - Et elle fréquente très jeune le Black Bottom, le quartier chaud de Detroit où les souteneurs en costards de soie vert pistache et en spit-polished alligator shoes la fascinent. Elle y croise Otis Williams et David Ruffin qui allaient former les Tempts, Smokey aux yeux verts et Mary Wells qui chantait les chansons de Smokey.

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             Bettye a seize ans lorsqu’elle enregistre « My Man ». Jerry Wexler repère le single et la veut sur Atlantic. Elle commence à tourner et baise avec Otis et Ben E King qui ont déjà pas mal de gonzesses dans leurs vies respectives. Bettye snobe Motown, fière d’être signée sur Atlantic, le label de Ray Charles, de Solomon Burke et des Drifters. Elle fréquente aussi Andre Williams qui a dix ans de plus qu’elle, et Ted White, le mari d’Aretha qui se dit pimp. Bettye affirme qu’Aretha est devenue une superstar grâce à Ted, et elle trace un parallèle avec Ike Turner - Without Ike, there would not be no Tina - Sans Ike, pas de Tina possible. Bettye raconte qu’elle passe l’après-midi à sniffer de la coke avec Ted et Aretha dans une suite d’hôtel - For years Aretha’s baby sister, Carolyn, and brother Cecil shared the same drug dealer with me - Elle et Carolyn s’approvisionnent chez le même dealer. Tout va bien pour Bettye jusqu’au jour où son manager Robert West se tire une balle dans la tête. Catastrophe ! La voilà obligée de tout reprendre à zéro.

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             C’est là qu’elle fait la connerie de sa vie : elle part s’installer à New York. Elle va trouver Wexler et pose ses conditions : elle veut travailler avec Leiber & Stoller, mais Wexler lui dit qu’ils ne sont plus chez Atlantic. En échange, il lui propose Burt Bacharach qui composait alors pour Dionne Warwick. Bettye fait la deuxième connerie de sa vie : elle refuse - I need gutsier writers like Leiber & Stoller - Elle voulait des gens plus dynamiques que Burt. Alors elle quitte Atlantic. Sans manager et sans label, t’es foutue, lui dit Wexler. Comme elle veut être libre, elle demande à Wexler de déchirer son contrat. Ce qu’il fait devant elle. Puis il lui file un chèque de 500 dollars - For what ? Demande-t-elle - Just because you’re going to need it - Wexler la prévient qu’elle va en baver.

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             Elle dit beaucoup de mal de James Brown qu’elle considère comme un être inculte - I saw him as an especially ignorant man - et de Doris Troy - She was bad - Et elle finit l’épisode new-yorkais à moitié à poil dans la rue, après qu’un mac ait menacé de la jeter du vingtième étage d’un immeuble. Retour à Detroit, où elle fréquente les gens de Motown. Bettye couche avec Clarence Paul, l’un des producteurs Motown qui n’est hélas pas dans les petits papiers de Berry Gordy. Elle raconte comment un soir sur scène, George Clinton commença à prendre de l’acide - If Jimi Hendrix could kiss the sky and burn up his guitar on stage, George wasn’t going to be left behind - Oui, il n’était pas question pour Clinton de prendre du retard sur Jimi Hendrix. Et elle fait bien sûr le parallèle avec ce qui se passait alors en Californie autour de Sly Stone. Et puis en 1972, Leland Roger, boss de Silver Fox Records, propose à Bettye d’aller enregistrer à Memphis - You heard of Jim Dickinson ? - C’est l’épisode du fameux album Child Of The Seventies jamais sorti. Bettye s’amuse bien avec Jim et les autres - These white boys liked popping the speed pills used by truck drivers. Weed was plentiful - Elle voit ces petits blancs prendre des amphètes de camionneurs et fumer de l’herbe à la pelle. Il fut ensuite question d’une tournée, Bettye reçut même ses billets d’avion et puis, sans aucune raison, un mec d’Atlantic l’appelle pour lui dire que tout est annulé, y compris l’album, et qu’elle doit renvoyer les billets. Elle fut tellement anéantie qu’elle passa des journées entières sous une table avec des bouteilles de vin - Muthafucka, comme dit Bettye en guise de chute à chaque chapitre.

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             On trouve sur cet album ressuscité un gospel rock d’envergure maximaliste, « All The Black And White Children ». Elle attaque ça au communautarisme ambivalent, bien soutenu par les violons du paradis. Mais le reste de l’album n’est pas très bon. Elle fait une reprise Soul d’« It Ain’t Easy » et fait de « Fortune Teller » un balladif invertébré. Sur « Soul Tambourine », elle sonne comme Mireille Mathieu. Elle finit par s’énerver sur « Ain’t Nothing Gonna Change Me », elle y arrache le shake du raunch. C’est Rhino qui a réédité ce disque raté en 2006. Par contre, on y trouve des bonus qui sont nettement meilleurs que les cuts de l’album original, à commencer par « Livin’ Life On A Shoestring », un vrai funk de fièvre mortelle des années soixante-dix. Bettye s’y fait reine du funk insidieux et elle chante au sucré d’allure. Elle vit bien sa vie sur le shoestring. Elle tape dans le « Heart Of Gold » de Neil Young puis dans « You’ll Wake Up Wiser », une belle pièce de groove raffiné qu’elle chante d’une voix de sucre aigu. Elle chante aussi « Here I Am » du haut de sa juvénilité cossue. Sacrée Bettye, elle sait chanter à pleine voix et se montrer attachante.

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             Comme Rhino, Sundazed fit en 2006 œuvre de charité en compilant les singles Silver Fox sur l’album Do Your Duty. Les Dixie Flyers accompagnent Bettye sur certains morceaux comme « Do Your Duty », un r’n’b de classe infernale, le r’n’b à l’état le plus pur, quasiment staxé. Normal, on est dans le Memphis sound. Bettye n’en finit plus de ruer dans les brancards. Elle tire son Soul train avec une belle opiniâtreté. C’est une battante. Elle ne lâche pas sa proie. Les Dixie sont aussi derrière elle pour « He Made A Woman Out Of Me ». Bettye sonne carrément comme Aretha. Même attaque, même classe. C’est encore une fois superbe de grandeur Soul et de maintien africain. Elle va plus sur la voix de nez mais elle bouillonne de feeling. Bettye est une féroce, une hot chick. Sur « My Train’s Coming In », elle feule, elle embarque son r’n’b avec une niaque des bas-fonds. On a là une véritable perle de juke. On découvre en elle une Soul Queen, au même titre qu’Aretha et Martha Reeves. Encore une bien belle énormité avec « At The Mercy Of A Man », pièce fumante de hot soul qu’elle travaille au corps. Rien que pour ces quatre hits, il faut se jeter sur l’album. Bettye s’y montre fabuleusement douée. 

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             Quand Motown se réinstalla à Los Angeles, Clarence Paul fit signe à Bettye. Elle vint y enregistrer au Bolic Sounds Studio d’Ike, et elle y fit la connaissance du real gangster of love, Johnny Guitar Watson - Like Ike, Johnny could snort more blow than a brand-new Hoover - Elle raconte qu’Ike et Johnny sniffaient la coke comme des aspirateurs. Elle tombe aussi dans les bras de Solomon Burke que Jerry Wexler considérait comme le plus grand chanteur de soul - with a borrowed rhythm section - Et quand la cousine Margaret demandait à Bettye comment on pouvait baiser avec un homme aussi énorme que Solomon, elle répondait - Simple. You sit on him - Tu t’assois dessus, répondait-elle. Elle se retrouve aussi au lit avec son idole Bobby Bland - We blow so much that we forgot about sex - Mis ils étaient trop défoncés pour penser à baiser. Et puis un beau jour de 1982, Lee Young de Motown passe un coup de fil à Bettye : « Motown needs a mature female vocalist and you’re it ! » Motown veut une chanteuse mûre.

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             On l’envoie enregistrer à Nashville. Tell Me A Lie est un disque étrange. On sent que Bettye résiste comme elle peut à la pression commerciale qui la pousse vers cette fucking disco qui se vend bien. « Right In The Middle » sonne comme une belle Soul de caractère. Bettye chante d’une voix d’accent tranchant, mais on sent la menace disco juste derrière. Ce son m’as-tu-vu a ruiné des quantités d’albums. On commence à écouter « You Seen One You Seen Em All » monté sur un petit beat pop de la Motown softy softah des clopinettes de la bézette des années 80 et on s’écroule en faisant Ach !, comme le fantassin de la Wermarth frappé en pleine poitrine par une roquette anti-char. Bettye sauve l’album avec une reprise magistrale d’« I Heard Throught The Grapevine ». Elle tape là dans l’immensité de l’immense classique de son copain Marvin, dans le cantique des cantiques de la Soul orthodoxe, dans le saint des saints du groove Tamla. Bettye tient bien la rampe d’un beat Soul qui soûle. Le seul morceau intéressant de la B, c’est « I Like It Like That », plus groovy et chanté à contre-courant d’un beau développé d’élégance de satin rouge. Elle s’y frotte avec une classe certaine. Mais quand l’album paraît et qu’elle voit la pochette, elle pousse un hurlement : ces connards de Tamla ont mis une blanche sur la pochette ! Et comme Motown ne fait aucune promotion, l’album fait un flop. C’est la deuxième fois que ses espoirs sont anéantis. Muthafuckas.

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             Puis un Anglais nommé Ian Levine vient s’installer à Detroit avec l’intention de redémarrer Motown. Il récupère tous les seconds couteaux que les Anglais amateurs de Northern Soul adorent, Bobby Taylor, Marv Johnson, Kim Weston, Dennis Edwards, Eddie Kendricks, Brenda Holloway, les Contours, les Marvelettes, les Four Tops, les Velvelettes et bien sûr Bettye, et il fonde le label Motorcity. Ian Levine avait du fric et il payait bien - He probably paid many of the old-time Motowners more than Berry Gordy ever had - mais l’album Not Gonna Happen Twice paru en 1991 sur Motorcity n’alla nulle part. Difficile à dénicher, mais on est bien récompensé quand on le chope. Elle attaque avec la diskö du morceau titre et la swingue avec un incroyable chat perché de Soul Sister qui a tout vécu. Elle frise l’Esther Phillips tellement elle est bonne. Elle fait jaillir cette énergie du diskö Soul de Detroit qui rend dingue. Elle chante avec des accents fêlés extravagants. Comme Rufus Thomas, elle sait tenir la rampe pendant huit minutes. Betty chante à la base du beat, elle suce le feeling du totemic, elle tripote sa diskö Soul jusqu’à l’aube. Puis avec « Have A Heart », elle laisse la diskö pour revenir au groove. Elle repart en maraude pour six minutes. Elle ramène tout son répondant. Elle règne sur la Nubie quand elle veut. Elle chante à la vie à la mort de la mortadelle. « Right Out Of Time » paraît plus plan-plan mais les filles ramènent de la chaleur. C’est une fois de plus bardé de génie diskö. Derrière Bettye, les filles sont folles, elles soulèvent leurs jupes pour évacuer la chaleur. Elle braillent comme des folles et elles basculent les jambes en l’air dans les descentes de groove. C’est hallucinant. Bettye revient à sa chère heavy Soul avec « Let Me Down Easy » et une niaque unique au monde. « Good Luck » est monté sur un violent diskö beat, Bettye saute au paf directement. Elle rivalise une fois de plus de classe avec Esther Phillips. Elle fait une version diskö de « Jimmy Mack ». Comment ose-t-elle ? Touche pas à ça malheureuse ! Mais Bettye chante comme Martha, elle respecte l’intégrité du son, elle retrouve le secret de la niaque des origines. Elle revient à la grande Soul de Detroit avec « Time Won’t Change This Love ». Elle l’explose avec tout le chien de sa chienne dont elle est capable. Pur génie Soul. Elle attaque « Danger Heartbreak Dead Ahead » à la manière d’Aretha. Attention, c’est très puissant, aussi capiteux qu’un grand hit d’Aretha. Fascinant ! C’est plein de jus inconnu. Bettye LaVette ramène toute la folie dans le Detoit Sound.

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             Grâce à un admirateur nommé Dennis Walker, elle parvient à enregistrer un nouvel album en 2003. Les LaVettistes voient A Woman Like Me comme l’album du redémarrage. Mais Bettye va donner libre cours à son gros défaut et compromettre sa crédibilité de Soul Sister : elle se prend un peu trop pour Tina, comme c’est le cas avec « Right Next Door ». Trop d’affectation et trop de maniérisme, trop d’accents de lionne blessée qui tournent au cliché et qui renvoient au cauchemar des années 80. Aux yeux de certains, ce côté Tina peut passer pour une force, mais aux yeux des autres, ça devient vite insupportable. Elle revient au blues avec « When The Blues Catch Up To You », une belle pièce de blues velouté et cousu de fil blanc. Mais elle retombe dans le maniérisme avec « Thinkin’ Bout You » et là elle tape carrément dans la surenchère de simagrées. Elle joue du fêlé de son timbre, mais Bettye n’est pas Tina et ça tourne vite au chichiteux. Elle se rattrape avec le morceau titre qu’elle embarque grâce à la science de la connaissance. C’est le hit de l’album et c’est sacrément joué à la guitare. Puis elle nous jazze « It Ain’t Worth It After A While » dans la fumée des clubs de Harlem. On se croirait dans un movie de Spike Lee. L’atmosphère se veut superbement languide et Bettye joue les jolies cavaleuses d’exaction morose du Comte de Lautréamont. Elle verse une larme d’opale qui roule dans la mystérieuse échancrure de la vallée du Nil. Elle revient ensuite au fier r’n’b avec « When A Woman’s Had Enough », doté de l’épine dorsale du beat de base et joué à la basse funk pouet-pouet. Quelle belle pièce sous le couvert ! C’est fin et audacieux, pulsé par le pouet-pouet empathique. C’est même captivant. On a là un cocktail explosif : Bettye, la basse et l’ambiance. Mais l’album ne marche pas - Another one of these triumphant debacles that characterize my career. The music was great but no one really heard it - Elle qualifie sa poisse de triomphante débâcle. Elle fait de bons disques que personne n’écoute.

             Puis elle finit par être repérée et lancée par un certain Mike Kappus, boss de l’agence de booking Rosebud. Elle tourne en Europe avec Etta James et Bobby Bland. La voilà sauvée, au plan matériel.

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             Mais elle ne parvient pas à corriger son gros défaut pour enregistrer l’album suivant, I’ve Got My Own Hell To Raise, un album de reprises de chansons écrites uniquement par des femmes. Dans « Do Not Wait What I Haven’t Got », elle se prend encore pour Tina et ça sent la dérive des vieilles blacks alcoolisées. Encore une fois, ça plaira à certains mais pour les autres, ce sera insupportable. Une reprise de Lucinda Williams, « Joy », passe aussi à la casserole, mais l’atmosphère du morceau sort vraiment de l’ordinaire. Elle tape dans Joan Armatrading avec « Down To Zero » puis dans Rosanna Cash avec « On The Surface » qu’elle transforme en heavy groove bien foutu - On the surface everything seems alright - Puis elle attaque une fantastique reprise de « Little Sparrow », signé Dolly Parton. C’est monté sur un énorme groove de basse. Elle fait sa Tina gospel et noie sa version dans la basse. Voilà ce qu’il faut bien appeler une monstrueuse approche du petit moineau. Le royaume de Bettye, c’est le groove, comme le prouve « How Am I Different ». On se retrouve là dans le son de la Nouvelle Orleans, dans ces grooves insidieux pleins de nuances expertes. Au fil des morceaux, cet album devient réellement extraordinaire et on monte encore d’un cran dans la stupéfaction avec « Only Time Will Tell Me » qu’elle tortille dans un groove paranormal, à la fois perverti et funky, et ça devient fabuleux. Bettye sait gérer l’éclat de l’excellence. Derrière, les autres jouent comme des diables. Elle termine avec une reprise de Fiona Apple, « Sleep To Dream », et elle bénéficie une fois de plus du climat de mystère entretenu par les bêtes de groove qui l’accompagnent. Ça devient énorme - I’ve got my own hell to raise - et Bettye redevient l’énorme Soul Sister de l’époque Silver Fox. 

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             The Scene Of The Crime pourrait bien être l’album mythique de Bettye, car les Drive-By Truckers l’accompagnent. Patterson Hood commence par lui proposer 60 chansons qu’elle rejette. Puis Bettye débarque à Muscle Shoals - I didn’t feel respected. Drive-By Truckers had written no arrangements. Nothing had been planned. They wanted to wing it. I wanted to kill them - Elle ne se sentait pas respectée, rien n’avait été préparé. Elle voulait les tuer. Elle ajoute qu’elle préfère enregistrer dans le Nord plutôt que dans le Sud. Cet album qui s’annonçait mal réserve d’énormes surprises. Il démarre en trombe avec « I Still Want To Be Your Baby ». Patterson Hood et ses copains veillent au grain, alors ça prend tout de suite très fière allure. Ils sortent un son extraordinaire d’extravagance et on se retrouve avec une sorte de morceau idéal : la voix frippée de Bettye et le son du meilleur groupe underground d’Amérique. Il faut voir comme ils savent faire monter la sauce. Le gimmick est joué dans l’écho des sous-bois de l’Alabama hantés par les fantômes des soldats confédérés. Mais Bettye revient faire son numéro de feuleuse et ruine le cut suivant. Mavis Staples ne serait jamais tombée dans un tel panneau. Ça recommence à chauffer avec « You Don’t Know Me At All », car les Drive balancent un groove énorme. Alors Bettye renaît de ses cendres. Derrière, ils jouent comme des vautours. Évidemment, avec Patterson dans les parages, ça prend une tournure énorme. Voilà donc un groove puissant et relancé au solo de guitare. Les Drive salent et poivrent à outrance. On reste dans la grosse ambiance avec « They Call It Love ». Bettye allume avec des effets de voix humide frappés par l’orage, mais elle frôle vite le ridicule. On croit que « The Last Time » est une reprise des Stones, mais non, c’est un groove à la Creedence. Pièce excellente, moite et digne du bayou. Patterson fait chauffer la lessiveuse. Il touille le brasier sous la cuve. Au moins, comme ça, le linge sera blanc.  

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             L’album suivant qui s’appelle Interpretations - The British Rock Songbook pose un sacré problème aux LaVettistes : comment une Soul Sister originaire de Detroit a-t-elle pu aller se fourrer dans un tel guêpier ? On sait que les Supremes et Aretha ont tapé dans les chansons de Lennon et McCartney, mais elles ont su s’en tirer avec les honneurs, car les mélodies tenaient la route. Bettye tape dans une chanson moins connue de Lennon/McCartney, « The Word », et ça ne marche pas. Elle refait sa Tina dans « No Time To Live » de Traffic et c’est horriblement prétentieux. « Don’t Let Me Be Misunderstood » lui va un peu mieux, mais elle refait sa Tina dans « Wish You Were Here » du Pink Floyd et elle réussit à massacrer le très beau « Baby I’m Amazed » de McCartney. Elle se prend cette fois pour Nina Simone, mais elle n’est pas Nina Simone. On ne retrouve même pas le fil mélodique de la chanson, pourtant si pur. Puis elle tape dans les Stones avec « Salt Of The Earth », mais ça ne marche pas non plus. Rien à faire. Il ne se passe rien dans sa version de « Nights In White Satin » et on retrouve enfin la Soul Sister dans « Why Does Love Got To Be So Bad » (Clapton) qui démarre comme le « Cannonball » des Breeders. Et là, elle swingue, et ça devient fabuleux, funky jusqu’à l’os du genou et transpercé par un solo fatal. La grande Bettye est enfin de retour. Ouf ! Il était temps.   

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             Tous les LaVettistes se sont prosternés devant Thankful N’ Thoughful paru en 2012. Pourtant, dans Soul Bag elle explique que c’est encore une idée des producteurs, pas la sienne - Je n’ai pas été associée à leur démarche - Et elle est directe : ce n’est pas son disque préféré ! En effet, l’album commençait mal, car dans « Everything Is Broken », elle refaisait sa Tina.

             — Bon dieu, Bettye, arrête de singer cette vieille mémère de Tina qui est devenue vraiment pénible !

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             Mais on lui a dit de singer Tina. Les mecs du business pensent que ça fait vendre. Alors la pauvre Bettye fait sa Tina en veillant à ne pas tomber dans la tinette, mais c’est tout juste. Elle redevient pénible de singerie. Dommage. Puis elle trafique « Dirty Old Town » et c’est atrocement mauvais. Les mecs du business ont réussi à faire de Bettye une vieille chanteuse à la mode. En plus, elle s’y croit. Elle traîne ses mots dans l’affectation et fait sa gospel queen de radiateur. Il faut attendre « I’m Tired » pour la voir enfin renaître. Elle se fâche pour de bon et elle accouche d’un vrai hit. Elle fait sa fêlée. Elle sort un pur jus de rock à Billy bop de cabane de bayou. Ça sonne comme un hit, elle emmène son truc à la voix chauffée, pulsée par un riff fatal. Wow Bettye ! Avec le morceau titre, elle tape dans le heartbeat du r’n’b et renoue avec la Soul magique. Bettye dégage le passage. Ne vous mettez pas en travers de son chemin - Thoughtful ! I’m thoughtful - C’est plombé à l’arpège dément. Elle mord dans son truc comme dans la pomme du diable - le son ! le son ! - Envoûtement garanti. Elle redevient la Bettye fascinante qu’on adore. Et elle y revient sans cesse, elle mord et remord au truc. Dans « Time Will Do The Talking », elle prend le taureau du groove par les cornes. Elle se libère enfin de ses chaînes. Elle attaque le groove dans la pente. Elle devient spectaculaire. Plus aucune affectation. Elle chante sous l’emprise du feeling et on retombe sur la réalité d’une star énorme. Elle plonge dans son cut avec gourmandise, elle en fait un truc puissant et inspiré. Elle chevauche son groove à l’ancienne, sans selle. Elle chante comme la reine de Nubie - Time ! Time ! - et elle finit par donner le vertige.

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             On trouve les deux premiers enregistrements de Bettye sur une compile intitulée The Original Sound Of Detroit, parue en 1967. Attention, c’est un très gros disque, puisqu’autour d’elle on trouve les noms des Corvells, des Falcons, de Mack Rice et de Joe Stubbs, qui était le frère de Levi Stubbs, l’un des quatre Four Tops. Sir Mack Rice fait un carton avec « My Baby » et son r’n’b popotin noyé de chœurs et de cuivres. Bettye a déjà une envergure de Soul Sister. Avec « Witchcraft In The Air », elle pulse comme une vétérante des guerres napoléoniennes. Mais le roi, c’est bien Sir Mack Rice qui revient à la charge avec « Baby I’m Coming Home ». Il sait trousser un hit et le rendre sympathique en le chargeant de clap-hands et de chœurs torrides. Le « Has It Happened To You Yet » des Falcons est une perle de juke d’un très haut niveau de groove de Soul, dentelé à la vocalise et chanté comme du Marvin, mais en plus élégiaque. Pure magie vocale.  

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             Worthy paraît en 2015 sur Cherry Red, un label anglais. Dans Soul Bag, Bettye se dit déçue par les Américains, et notamment par Don Was et Jack White - des gens de Detroit comme moi - qui ont des petits labels et qui ne s’intéressent pas à elle. Worthy est un bon disque. On y trouve une belle pièce de stonesy intitulée « Complicated ». Sa cover tient la route. Bettye sait jiver les Stones et elle fait de ce hit mineur des Stones un hit majeur - It’s kind of complicated aouuuhhh - Elle le groove sans pitié. Elle fait aussi une cover de Dylan, « Unbelievable ». Elle essaye d’y conserver son identité de vieille dame indigne, mais ce n’est pas facile car elle vire trop Tina. Elle fait tout à la glotte fêlée. Elle frime tellement qu’on finit par aller boire une bière au bar. Dommage que son chant soit si maniéré. Elle ne sait même plus de quelle école elle sort et sa reprise du « Bless Us All » de Mickey Newbury est un peu ratée. Elle reprend aussi un cut de Lucinda Williams, «Undamned», sa chouchoute - Quand nous nous voyons, nous nous asseyons pas terre pour boire du vin - Elle revient à ses chers Beatles avec une reprise de « Wait » et en fait une version sauveuse d’album.

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             Nouvelle apparition en 2018 avec un album de reprises de Dylan, Things Have Changed. Elle y cultive encore ce son de glotte fêlée à la Tina, comme si elle voulait revenir aux racines du mythe Ike & Tina. Elle tape dans les gros classiques de Bob comme « It Ain’t Me Babe » (traité au sweet heavy groove) et « The Times They Are A Changin’ », tapé au heavy sound. Elle sait travailler le Dylanex et emploie une curieuse méthode consistant à en transformer l’ambiance. Dylan sert de merveilleux prétexte, en fait. Elle le fait basculer dans la Soul et c’est admirable. Nouvel essai avec un « What Was It You Wanted » extrêmement groové. Elle fait autorité sur Dylan. Du coup, cette façon de groover en profondeur change tout. Elle en profite pour déballer tout son art de Soul Sister sur le retour. Quelle belle présence intensive ! Elle tape « Go Right To Me Baby (Go Unto Others) » au heavy romp et derrière, ça cocotte sec comme dans Led Zep. De grosses guitares volent à son secours, c’est édifiant. Quelle shouteuse ! Elle touille sa sauce de manière providentielle et occasionne une réelle délectation. Elle retraite « Going Going Gone » à sa sauce et ça finit par donner un grand disque de Soul très porteur, très stratosphérique. Elle remonte le courant de sa Soul comme un saumon d’Écosse, elle splashe des giclées argentées dans les rayons d’un soleil ardent, elle ramène des tonnes de pathos du fond de son ventre de Soul Sister. On entend Keef jouer un killer solo de gras anglais dans « Political World ». Il renoue avec l’éclair de génie du solo de « Sympathy For The Devil ». Avec ce cut, on perd une fois encore tout le Dylanex au profit d’un Bettysme très ambitieux. Elle tape un « Seeing The Real You At Last » plus musculeux. Un nommé Pino Palladino signe ce bassmatic qui roule bien sous la peau du groove. Elle transforme le Dylanex une fois de plus et le sublime en ramenant des tonnes de feeling dans son groove. En fait, elle annexe le Dylanex.

             À la fin de son livre, Bettye reçoit un trophée au Heroes and Legends Banquet de Berverly Hills. Elle monte sur scène et aperçoit les pontes de Motown dans l’assistance, dont Berry Gordy. L’occasion est trop belle de l’allumer : « And if I’m a legend at all, it’s because I know people in Detroit who Berry Gordy still owes fifty dollars to, from when they worked with him on the Chrysler line - Oui, Gordy doit encore du fric à des ouvriers de Chrysler, et elle ajoute, histoire de bien leur mettre le museau dans leur caca - I’d like to say that people in this room could help me to get me where I am, but they didn’t - Oui, aucune des personnes présentes dans cette salle ne l’a aidée. Et comme Lemmy, elle affirme qu’elle fumera de l’herbe et qu’elle picolera jusqu’à ce que le toubib lui dise qu’elle est foutue - And even then, I may well continue smoking marijuana and drinking champagne - Et même à l’article de la mort, elle continuera de fumer de l’herbe et de siffler du champagne.

    Signé : Cazengler, Lavette

    Bettye LaVette. Tell Me A Lie. Motown 1982

    Bettye LaVette. Not Gonna Happen Twice. Motorcity Records 1991

    Bettye LaVette. A Woman Like Me. Blues Express 2004

    Bettye LaVette. I’ve Got My Own Hell To Raise. Anti- 2005

    Bettye LaVette. Do Your Duty. Sundazed Music 2006

    Bettye LaVette. Child Of The Seventies. Rhino Handmade 2006

    Bettye LaVette. The Scene Of The Crime. Anti- 2007

    Bettye LaVette. Interpretations - The British Rock Songbook. Anti- 2010

    Bettye LaVette. Thankful N’ Thoughful. Anti- 2012

    The Original Sound Of Detroit. Speciality/Ember Records 1967

    Bettye LaVette. Worthy. Cherry Red Records 2015

    Bettye LaVette. Things Have Changed. Verve Records 2018

    Bettye LaVette. The 1972 Muscle Shoals Sessions. Run Out Groove 2018

    Bettye LaVette & David Ritz. A Woman Like Me - A Memoir. Plume Printing 2013

    Bettye LaVette. Reprise à Haute Tension. Soul Bag n°218. Avril-mai-juin 2015

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le jeu de Pomus

     

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             La seule True Star en béquilles pourrait bien être Doc Pomus. Vieille école ? Autre époque ? Susurreur suranné ? Huberlu révolu ? Dévolu d’Honolulu ? Alibi d’hallali ? Non, Doc, c’est le Brill, au même titre que Totor et Ellie Greenwich, au même titre que Leiber & Stoller et Donnie Kirshner. Ce Brill qui fit briller la pop américaine au firmament, jusqu’au moment où sont arrivés les Beatles, en 1964.

             Petit, Doc s’est chopé la polio. Il a marché toute sa vie avec des béquilles, puis il est passé au fauteuil roulant quand il a pris trop de poids. Alors bien sûr, il reste associé à Mort Shuman, un mec qu’on n’aime pas trop, par ici, mais bon, faut faire avec. Ils constituaient un team, au même titre que Mann & Weil, Barry & Greenwich, Goffin & King, Boyce & Hart, Sedaka & Greenfield. Situé au 1619 Broadway, à Manhattan, le Brill était un immeuble transformé en usine à tubes. Kirshner et d’autres payaient les teams installés dans des bureaux pour pondre des hits chaque jour. Cot cot ! Ça pondait sec ! Des Anglais comme Don Arden, Mickie Most ou Andrew Loog Oldham venaient faire leurs courses au Brill. Combien la douzaine ? Cot cot ! Quand Elvis s’est lancé dans son aventure hollywoodienne, il a fallu augmenter la cadence, car à raison de quatre bandes originales de films par an, il fallait pondre à bras raccourcis et en continu. Cot cot cot cot ! Au début ça amusait Doc, car il s’en foutait plein les poches, mais au bout d’un moment, il a dit stop, car c’était n’importe quoi. Doc est un artiste, pas une poule en batterie.

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             On peut entrer dans sa vie par l’excellent book d’Alex Halberstadt, Lonely Avenue - The Unlikely Life And Times Of Doc Pomus, ou alors, par une compile Ace, The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967) parue en 2007. L’Ace est idéale car on a la musique. Le book est tout aussi idéal, car Halberstadt réussit l’exploit de nous faire entrer dans la mystérieuse chambre d’hôtel où il a vécu pratiquement toute sa vie et de restituer la dimension gargantuesque de cet infirme génial. Doc est un homme qu’on aurait adoré connaître. On y revient la semaine prochaine.

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             L’Ace réussit un autre exploit : présenter le parcours de Doc comme un fantastique résumé de la grande pop américaine, depuis Ray Charles jusqu’à Elvis, en passant par les Drifters de Ben E. King et LaVern Baker. Que cet homme soit associé à autant de très grands artistes est en soi une sorte de petit miracle. Doc est moins glamour que Mann & Weil, Goffin & King ou Barry & Greenwich, mais il occupe exactement le même rang. Il faut entendre Ray Charles chanter son «Lonely Avenue», qui d’ailleurs donne son titre au book d’Halberstadt. C’est du mythe à l’état pur, du mythe hanté d’oooh yes sir et Ray t’explose ça au feel so sad avec des chœurs de cathédrale. «Lonely Avenue» est d’autant plus mythique qu’il s’agit de la chanson autobiographique d’un infirme interprétée par un autre infirme. Ahmet Ertegun apprécie beaucoup Doc et lui demande de composer pour ses artistes, alors Doc y va : Clyde McPhatter, LaVern Baker, les Coasters, Bobby Darin, Mickey Baker, et Ruth Brown, rien que du gratin dauphinois. On croise plus loin l’«Hey Memphis» de LaVern Baker, adaptation de «Little Sister», fantastique rumble d’Hey Memphis won’t you, c’est même d’une rare violence. Il faut aussi saluer le «(Wake Up) Miss Rip Van Winkle» des Tibbs Brothers explosé au sax par King Curtis. Il est bon se rappeler que King Curtis et Mickey Baker font partie des session men favoris de Doc. Quand naît sa fille Sharon, Doc compose «I Ain’t Sharin’ Sharon» qu’on entend ici interprété par Bobby Darin.

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             Libéré de l’armée, Elvis enregistre «A Mess Of Blues» et Doc devient, nous dit Mick Patrick, l’un des compositeurs préférés du King. Eh oui, ses versions de «(Marie’s The Name) His Latest Flame» et «Little Sister» sont des hits demented. Sur l’Ace, Elvis nous chante «Double Trouble». On sent immédiatement la différence. Elvis a une façon unique de rentrer dans le chou du lard. Il va enregistrer 16 compos de Doc, et d’autres que Doc a pondues avec Leiber & Stoller. Mick Patrick indique qu’«His Lastest Flame» et «Little Sisters» étaient destinés à Bobby Vee qui n’en voulait pas ! Par contre, il chante un «All You Gotta Do Is Touch Me» au mieux de ses possibilités. Vee vit ça bien. Il sonne comme un lookalike de Buddy qui n’a jamais pu surmonter la catastrophe du plane crash. Sur l’Ace, c’est Del Shannon qui se tape «His Lastest Flame», mais Del n’a pas la voix, même si dans les early sixties, on le considère comme une star. Par contre, les deux qui ont des voix sont Marty Wilde et Fabian. Marty tape «It’s Been Nice» et ça bascule dans le génie interprétatif. Pareil pour Fabian avec «Turn Me Loose», fabuleux shake de pop US qu’il chante à l’exacerbée. Avec «Save The Last Dance For Me», les Drifters nous ramènent au cœur du New York City Sound. Dion & the Belmonts aussi, avec «A Teenager In Love», même si c’est plus sucré. On croise aussi Barrett Strong avec «Seven Sins», un petit bordel de juke parfaitement inutile. Doc est mêlé à pas mal d’horreurs, comme Ral Donner («So Close To Heaven») ou Andy Williams («Can’t Get Used To Losing You»). Par contre, Ben E. King tartine bien son «First Taste Of Love». Il bénéficie du traitement de choc orchestral. C’est Terry Stafford qui tape le «Suspicion» écarté par Elvis. Vraie voix. Admirable ! Gary US Bond tape le «Seven Day Weekend» que reprendront les Dolls. Ça permet tout de suite de situer le niveau. Rappelons aussi au passage que Doc était pote avec Lou Reed et Mac, c’est-à-dire Doctor John. On garde les meilleurs pour la fin ? Voilà Irma Thomas avec «I’m Gonna Cry Till My Tears Run Dry». Irma rentre dans la Soul de Doc au heavy groove de New Orleans. Elle va pleureur jusqu’à la dernière larme. Arrive aussitôt après elle l’immense Howard Tate avec «Stop». Il t’allume ça à n’en plus finir au stop it baby. Et pour refermer la marche, les McCoys embarquent «Say Those Magic Words» au mieux des possibilités de la pop explosive. Pur psyché de New York juke ! 

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             Avant de devenir auteur de renom, Doc chantait le blues dans les bars de New York. Son idole n’était autre que Big Joe Turner. En 2006, Rev-Ola eut l’extrême intelligence de faire paraître Blues In The Red. On y entend Doc chanter le blues dans les années 40 à Greenwich Village. Doc est un peu obligé de changer de nom, car il ne veut pas que ses parents sache qu’il chante le blues dans les clubs - White kids just didn’t sing blues with Negroes in the 1940s - Attention aux yeux, car le «Doc’s Boogie» d’ouverture de bal est du pur proto-punk. Doc devient une sorte de Mezz Mezzrow du out of it. Il nous ramène dans les racines du New York jive, les racines du blues urbain, qui est, à l’image de cette ville, bourré d’énergie. Tout sur cet album est joué à l’arrache. Doc arrive avec ses béquilles dans le jive de «Send For The Doctor» et l’explose. Le solo de sax fout le feu. On entend rarement un tel jive de jump. Son hit le plus connu est dans doute «Alley Alley Blues». Docky Doc est blanc, mais il reste dans la veine de Big Joe Turner. Il tape «My Good Pott» au big band brawl. On s’amuse bien avec Doc, il fonce dans le tas, comme Louis Jordan - I love my good pott/ All the time ! - Quelle énergie ! Il tape le heavy blues de «Traveling Doc» au come back no more et revient au heavy rumble de jump avec «Naggin’ Wife Blues». Doc est un dingue du r’n’b, il a récupéré tout le génie du genre : le power et la diction. Tout est cuivré de frais, cuit dans son jus, craquant comme un 78 tours. Il faut le voir se jeter avec ses béquilles dans le «Give It Up». Ça joue à Brooklyn ! Là, tu as les vrais mecs, il y va au give it up/ I’m real down. «Heartlessly» sonne comme un hit. Il adore le vieux groove de cœur brisé. On entend Mickey Baker dans «Bye Baby Bye» et Doc termine bien sûr avec un «Joe Turner Medley» en forme de heavy romp de fast rock’n’roll.

    Signé : Cazengler, Doc Paumé

    The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967). Ace Records 2007

    Doc Pomus. Blues In The Red. Rev-Ola 2006

     

     

    L’avenir du rock

    - Pas de pépètes pour Los Pepes

     

             Ce matin-là, l’avenir du rock promenait son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais plus prosaïquement sur le Pont des Arts. Il vit arriver à sa rencontre un homme qui pleurait.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             Il faut savoir que l’avenir du rock a un talon d’achille : le spectacle du chagrin lui broie généralement le cœur. Il s’arrêta à hauteur de l’homme et s’enquit des raisons de son malheur.

             — Que vous arrive-t-il, mon pauvre ami ? Comment puis-je vous aider ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             L’homme sembla redoubler de chagrin.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Eh bien, eh bien, calmons-nous... Venez donc prendre un petit café arrosé, je vous l’offre...

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Ah oui, je comprends, il vous faut quelque chose de plus corsé. Venez avec moi dans ce bar là-bas, nous irons ensemble aux toilettes et je vous ferai un petit rail de speed, vous allez retrouver le sourire, croyez-moi !

              — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Bon, il semble que votre désespoir exige une thérapie plus radicale. Alors accompagnez-moi jusqu’au bas de la rue Saint-Denis, je connais une pute ravissante qui vous mettra du baume au cœur, je vous l’offre pour une heure, une nommée Pépète...

             L’homme s’arrêta de sangloter. Il fixa un instant l’avenir du rock et marmonna :

             — Pépète ?

             — Ben oui, Pépète ! Et alors ? C’est quoi le problème ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Pas de pépètes pour Los Pepes !   

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             Pas de première partie. Pas grand monde, allez, une bonne dizaine de personnes. En langage clair, ça veut dire que Los Pepes vont jouer pour des clopinettes. Mais comme ils sont pro, ils vont jouer quand même. Face à ce type de Bérézina, l’avenir du rock préfère coubertiner : l’essentiel est de participer dans Lactel.

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             Ultime réglage, monte la voix, up !, up !, et soudain boom, le ciel te tombe sur la tête : Los Pepes are on fire ! Depuis Motörhead, on n’avait plus entendu ce genre de blast. C’est même du double concentré de blast.

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    Deux guitares, deux Marshalls et boom kaboom badaboom, tu sais que tes oreilles vont siffler pendant trois jours. Quelle merveille que de voir ces quatre mecs jouer à la vie à la mort une espèce de hardcore gaga-punk complètement ancré dans le passé, mais cette musique reste vivante, ô combien ! Ils te font du pur wild as fuck de tight team, pulsé au beurre par une machine humaine, une vraie locomotive aux bras tatoués.

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    Dans Vive Le Rock, le seul canard à chroniquer Los Pepes, le mec disait qu’ils étaient the loudest band on earth. Rien de plus vrai. Louder, ça n’existe pas. Louder et beau, même si les rares instants mélodiques sont emportés par le déluge de feu.

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    Le mec qui bassmatique au centre de la scène est un Japonais à gueule de rock star, il joue en fluidité continue sur une basse en plexiglas et reste extrêmement concentré, il volerait presque le show. Il s’appelle Seisuke Nakagawa. Le mec au beurre derrière lui est un Polak, Kris Kowalski, il fait partie des batteurs inexorables, il monte sur tous les coups, il relance en permanence, son cœur balance entre la dynamique et la dynamite, rien qu’avec lui et son ami japonais, Los Pepes dispose de l’une des sections rythmiques les plus explosives dans le genre. On reste dans l’international avec le guitariste qui joue à droite. Il s’appelle Gui Rujao et vient du Brésil. Et puis voilà Ben Perrier, qui gratte ses poux sur une Mosrite et que les amateurs de gaga-punk britannique connaissent bien, car il fit des étincelles dans les années 2000 avec son duo gratte/beurre, Winnegabo Deal. Ben Perrier a lui aussi des allures de rock star, il joue un peu à l’ancienne, jambes écartées et voix perchée, mais quelle présence !

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             Deux albums de Los Pepes traînaient au merch, Positive Negative qui date de 2019, et The Happiness Program. Le premier est un strong album de tatapoum power-poppy, bourré à craquer de drives inflammatoires.

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    Ben Perrier reste fidèle à l’esthétique du blast des années 2000, une fournaise dans laquelle se fondent les influences de Fast Eddie Clarke, des Ramones et des groupes australiens de type New Christs. Notez bien qu’après le set, Ben Perrier portait un T-shirt Eternally Yours, l’un des plus beaux albums de blast seigneurial jamais enregistrés. On appelle ça une preuve de goût. Le morceau titre du Positive Negative est totalement dévoué à la cause, ils font du pas de pitié pour les canards boiteux, ils tapent dans l’esthétique d’Attila & the Huns, ça sent bon le roussi des vieilles équipes comme les Backyard Babies et les Hellacopters. Globalement le son est plein comme un œuf et le bassmatic rôde en permanence sous la surface. On ne s’ennuie pas un seul instant. Ils savent pousser à la roue, pas de problème. Ils ne rechignent pas à la dépense. Ces mecs savent jeter tout leur dévolu dans la balance. Leurs power-chords sont d’une générosité à toute épreuve. Ils savent caresser la clameur dans le sens du poil. Un seul hic, dans ce grandiose panégyrique : qui ira aller acheter les albums de Los Pepes ? Ceux qui les voient sur scène et quelques lecteurs de Vive Le Rock ? Los Pepes n’inventent rien. Ils se contentent d’exister, et c’est tout ce qui compte. En B, tu vas trouver des jolies choses : «Medication» et «Think Back», deux belles prouesses power-pop qu’on dirait illuminées de l’intérieur, et dignes de celles des géants du genre, Gigolo Aunts et Velvet Crush, pour n’en citer que deux. De cut en cut, le power se fait de plus en plus intact et compact.    

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             Leur dernier album qui s’appelle The Happiness Program est encore meilleur. Une vraie mine d’or pour l’amateur de power-pop. Ils jouent en formation serrée, il y a quelque chose de massif dans leur son, on retrouve aussitôt l’énergie de l’ouverture de set, cette espèce de bim bam boom immédiat qui met les sens en alerte. Ils sont massifs à l’ancienne, ils jouent vite et bien. Les coups de vrilles sont de purs hommages à Johnny Thunders. Et soudain, avec «Let Them Talk», ils se mettent à sonner comme les Buzzcocks. C’est extrêmement réussi. Ils semblent même avoir maîtrisé leur pétaudière, «Sick And Bored» sonne comme un hit power-poppy en diabolo. Ben Perrier emmène sa fière équipe à l’assaut du lard fumant. En B, tu tombes sur une autre merveille : «Anecdotes», une power-pop bien moulée dans sa gaine noire. Le bassmatic ramène des frissons sous la peau. Encore de l’énergie à gogo dans «I Remember You», superbe brouet d’éminente éloquence, ces mecs n’en finissent plus de battre la campagne, alors oui, on peut les suivre. Ils terminent en mode heavy classic rock avec «Born Into This». Ils tapent un rock franc du collier, un rock de meilleur ami. Avec eux, tu ne crains plus rien. Ils te grattent tout simplement le rock que tu as toujours aimé.

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             Les albums de Winnebago Deal sont excellents. Sur la pochette du deuxième Deal, tu vas trouver un tyrannosaure. Dead Gone est un fier album, un autel dressé au dieu Blast, et ça blaste dès «Breakdown», au drive de craze et de step aside. Ils bâtissent une fournaise à deux. Jack Endino veille au grain du son. Pendant que Ben Perrier turbine sa ramalama, l’autre Ben bat son beurre et n’arrête jamais. Avec «Cobra», ils se transforment en charge de Chevaliers Teutoniques sur le lac gelé. Aucun rempart ne peut résister à une telle charge. Ben Perrier allume ses racines, il exagère l’exercice de sa fonction. On a l’impression qu’il tente chaque fois le tout pour le tout, notamment dans «LS Fiction». Nouvel exercice de blast définitif avec «Did It Done It Doing It Again». Ils ne vivent que pour ça : allumer à la Méricourt. Encore du déballonné des enfers avec «Knife Chase». C’est même de l’hyper-bast. Ils battraient presque Motörhead à la course. Ben Perrier est fou, il joue comme Fast Eddie Clarke. Il va toujours plus loin dans l’extrémisme, comme le montre «Shank Fight». Il screame comme un dingue et gratte ses poux. La médecine ne peut rien pour lui. Pauvre Ben. Mais ça ne l’empêche pas d’exploser «Cargo Bull»  d’entrée de jeu. Pas de retour possible. Ce n’est pas le genre de mec à traîner en chemin. Il vise plutôt l’apoplexie. Tout chez lui se résume à une seule chose : renter dans le chou du gusto. Avec le morceau titre, Ben bombarde le front à coups d’orgues de Staline. C’est l’impression que laisse son riffing et l’ampleur du son, une vraie apocalypse sonique, un parti-pris de rougeoyance. Et tout s’écroule dans l’apocalypse du beurre des fous avec «NWO», le drive du Ben embarque l’autre Ben, ils bombardent Dresde à deux.

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             Attention à Flight Of The Raven : c’est du Jack Endino, donc du blast bien conditionné. Et boom badaboom dès «With Friends Like These». Ben Perrier est l’un des grands fous de l’histoire de la psychiatrie gaga-punk. On croit que c’est du blast, mais non, c’est du blast définitif. Ben & Ben te blastent dans le mur, ils te blastent over the rainbow, ils te dégagent du passage, ils sont incontrôlables, au-dessus de ce blast, il n’y a plus rien. Alors les voilà partis pour une série de 15 brûlots, dont le pire est dans doute le dernier, «Revenge», mais aussi «You Let Me Down», ils te plombent la soirée, ça te tombe sur la tête. C’est digne de Motörhead, mais en réalité, c’est du pur Ben Perrier. Ou encore «Target», les deux Ben se superposent dans le vent du blast, Ben & Ben sont les rois du pétrole, ils jouent aux charbons ardents et portent leur blast aux nues, c’est du très grand art, car ils ne sont que deux. Et puis tu as encore «Spider Bite», pur jus de no way out, Ben le cueille à la cocote sèche, ça t’explose en pleine poire, c’mon Ben ! Le coup de génie de l’album s’appelle «Going Home», ils créent l’événement, Ben & Ben n’arrêtent jamais, ils vont jusqu’au bout de leur délire, Ben délie son délire et Ben bat le beurre du diable. Avec «Fresco», ils plongent tous les deux dans l’insanité, c’est du hardcore punk anglais qui avance à marche forcée. Tout ce qui intéresse Ben & Ben, c’est l’enfer sur la terre. Ils jouent aussi avec l’incendiaire maximaliste dans «Venomized», le chant brille toujours dans la clameur des combats, il ramonent littéralement le no way out. Ils chargent la barque de l’ultimate.

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             Leur dernier album s’appelle Career Suicide. Il est du même niveau que le précédent, c’est du blast forever dès «Heart Attack In My Head», Ben & Ben y vont au débotté, ils font Motörhead à deux. Ben est dingue ! Enfermez-le ! Si tu aimes le blast, t’es servi comme un roi : «Nobody’s Fault But Mine» et «You Don’t Exist» te courent sur l’haricot, Ben Perrier te claque du JSBX des enfers, tu en prends plein la terrine, il est l’un des rois de la power pop inflammatoire. Il adore gratter ses poux dans la fournaise. C’est son vice et sa vertu. Diable comme ce mec est bon, il crée chaque fois les conditions du blast définitif. Ben & Ben abattent du chemin, énormément de chemin, comme le montre encore «I Want Your Blood». Tu entends rarement des mecs aussi énervés («Poison»). «Ain’t No Salvation» est trop punk’s not dead. Trop fast. Trop Deal. Trop Ben. Ce que les gens n’ont pas compris l’autre soir, c’est que Ben Perrier est une star du wild underground. Retour à l’insanité avec «Frost Biter», fast Méricourt, il devient fou devant toi. Et comme sur l’album précédent, le coup de génie se planque à la fin : «Can’t See Don’t Care Don’t Know». Terrific ! Il drive ça à la high energy, il hurle dans les nuages. Ben Perrier est un dieu inconnu.

    Signé : Cazengler, Los pépère

    Los Pepes. Le Trois Pièces. Rouen (76). 31 Mais 2023

    Los Pepes. Positive Negative. Wanda Records 2019

    Los Pepes. The Happiness Program. Snap!! Records 2022

    Winnebago Deal. Dead Gone. Double Dragon Music 2004

    Winnebago Deal. Flight Of The Raven. Fierce Panda 2006

    Winnebago Deal. Career Suicide. We Deliver The Guts 2010

     

     

    Inside the goldmine

    - Stokes option

     

             Stic ? Oh, il se voulait d’un abord facile, mais en réalité, il veillait à rester extrêmement impénétrable. On croise souvent ce type de comportement chez les enfants des familles recomposées, une façon passive de dire non à la nouvelle union. Il émanait de Stic ce curieux mélange de gentillesse et de froideur qui caractérise généralement les gosses extrêmement intelligents. Il savait plonger son regard dans celui des autres et personne n’aurait jamais pu dire ce qu’il pouvait ressentir. Dans une vie antérieure, il avait dû être empereur romain, ou peut-être éminence grise d’un parrain de la mafia. Par contre, sa sœur, férue d’au-delà et en contact avec les esprits, se savait la réincarnation d’un pilote de chasse allemand de la Première Guerre Mondiale. Stic veillait à ne pas créer de malaise, mais il jetait malgré tout un froid, lorsqu’il participait aux réunions de famille recomposée. Il fallut vite en tirer les conséquences, à savoir qu’il était inutile de vouloir tisser quelque lien que ce fût avec lui. Au moins les choses avaient le mérite d’être claires. On appelle ça un statu quo. Il fallait surtout veiller à rester sur le qui-vive et à bien réagir lorsque Stic envoyait une pique. Vous l’aurez sans doute remarqué, les piques des gens intelligents sont toujours bien acceptées. L’idéal est de pouvoir proposer une répartie, mais il faut en avoir le niveau. Stic en faisait un jeu. Ferraillait qui pouvait, mais ce qui pouvait passer pour une petite altercation était en fait pour lui un jeu d’esprit. À partir de là, on commençait à comprendre. Eh oui, on ne pouvait pas jauger Stic selon nos critères. Il fallait plutôt imaginer les siens. Alors ça devenait simple. Bien sûr, c’est une approche qui vaut pour tout type de relation, mais dans ce cas particulier, ce fut une révélation. Stic ne s’investissait pas vraiment dans les modes de relations traditionnelles, il s’intéressait surtout au théâtre d’avant-garde, il avait monté une petite troupe dans le but d’engager à la fois une pratique et une réflexion sur l’avant-garde. Barba ? Kantor ? Oui bien sûr, mais il aimait par-dessus tout tendre un filin très haut et y faire le funambule au péril de sa vie. Seul le plateau de départ était éclairé et le filin s’enfonçait dans les ténèbres. Ce soir-là, il s’est enfoncé dans l’inconnu les yeux bandés, et pendant un temps qui sembla durer une éternité, nous l’entendîmes clamer «L’homme avance !», jusqu’à ce que sa voix s’éteignît.

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             Stokes, c’est un peu la même chose que Stic : il avance en funambule dans les ténèbres et frappe les imaginations d’une manière extrêmement particulière. Pour Matthew Sweet, Simon Stokes est un phénomène. Sweet parle de Post-LSD Swamp Rock Vibrations et met Stokes au même niveau que Little Richard, le White Panther Party, Blue Cheer, les Groovies et Chuck Berry with a psychedelic lightshow. Sweet qualifie le style de Stokes de raving, screaming, funky, anti-social, il va même jusqu’à lâcher le mot-clé : rock’n’roll insanity. Stokes est un mec du Massachusets. Fan de Jack Kerouac, il s’est mis à drifter across the USA. C’est comme ça qu’il échoue fin des années 50 à Hollywood. Kim Fowley le rencontre entre 1959 et 1961 : «He was dressed in leather like Gene Vincent, half Jim Morrison, half John Fogerty, before the Doors or CCR existed. A wonderful guy. Smart, cynical, a forerunner of all that Louisiana swamp stuff. In the time of Bobby Vee, Simon Stokes was the most dangerous guy in Hollywood.» Pour Sweet, Stokes s’adresse aux fans de Captain Beefheart, de Kim Fowley, du Sensational Alex Harvey Band, des Deviants et de l’Edgar Broughton Band. Sweet cite aussi The Hampton Grease Band. Ride on brother !

             Un jour, Stokes et son copain guitariste Randall Keith vont trouver David Anderle, l’A&R d’Elektra à Hollywood. Anderle avait fait savoir qu’il était prêt à rencontrer tous ceux qui le souhaitaient. Stokes et Keith ressortent de son bureau avec un contrat de songwriters. Lonnie Mack tape l’une de leurs compos, «Too Much Trouble» sur Glad I’m In The Band.  

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             Stokes bricole pendant dix ans avant de pouvoir enregistrer en 1970 son premier album, l’extraordinaire Simon Stokes & The Nighthawks paru en 1970. Les guitaristes s’appellent Butch Senneville et Randall Keith, le beurreman Joe Yuele Jr. et le bassman Robert Ledger. Michael Lloyd produit, et Don Galluci qui enregistre Fun House au même moment fait les arrangements. Bienvenue au royaume du proto-punk. Deux classiques du genre : «Big City Blues» et «Sugar Ann». Absolute destroy oh boy, tu ne peux pas espérer mieux, Stokes va chercher l’ultra-gut d’undergut, il est extrême, il chante à la dégueulade d’envergure, tu as là toute la folie du monde, avec une guitare aigrelette jetée en pâture aux vautours. Il y a du Mac Rebennack, du Screamin’ Jay, du Bruce Joyner dans Stokes. Il s’en va screamer son swamp push à la lune. Il chante son «Sugar Ann» à la pure arrache de hot’n’greasy, il vise l’excès d’excellence, fantastique pulsatif, ce mec a le répondant de Stackwaddy, il y va au raunch de weahhhh, il est le screamer parfait. Coup de chapeau à Hank Williams avec une énorme version de «Jambalaya» et il tape «Which Way» au chant d’overdrive à la Screamin’ Jay. Il dispose du même pouvoir d’intensité dramatique. Il nous refait le coup du bayou en B avec «Voodoo Woman», real deal de swamp rock vibrations, story-telling de conte fantastique, puis il passe à la heavyness avec un «Rhode Island Red» joué dans les règles du lard fumant. C’est en gros l’ambiance de «Motor City’s Burning», avec le scream et le feu à la guitare. On le voit s’arc-bouter sur «Cajun Lil» et taper une terrible cover du «Down In Mexico» de Leiber & Stoller. C’est d’une rare violence, un véritable apanage du proto-punk. Il termine cet album faraminé de calamine avec un coup de génie intitulé «Ride On Angel», digne de Bo, mais en plus bas-fonds. Stokes a un don particulier pour rôder dans l’ombre. L’élan est très pur et la guitare plane au-dessus du son comme un vampire. Stokes groove en profondeur. Superbe walking bass ! 

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             Si tu en pinces pour le proto-punk, alors saute vite fait sur Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band et plus particulièrement «Hot Simmer’s Night In The City». C’est l’histoire d’un baston entre les Thunderbirds et les Rebels, deux gangs ennemis - In the concrete jungle/ You live in fear/ Life is never certain/ Death always near - Il sait créer un climat de violence. Il fait aussi du pur Rebennack avec «She’s Got Voodoo». Il est bon pour le swamp rock hoodoo. Le morceau titre est aussi du gros boogaloo cousu de fil blanc - Did you hear the news girl ? - Il nous explique qu’il porte du black leather et il tape ça au heavy boogie de bastringue avec l’excellent Butch Senneville on guitar. On note aussi que Joe Petagno dessine le dos de la pochette. Stokes nous ressort l’excellent «Ride On Angel» de l’album précédent - Crank your bike/ Ride on/ Angel/ Ride on - Il nous raconte l’histoire d’une bagarre dans un bar et Angel finit sur la chaise électrique - The Bible says thou shall not kill - Il fait encore un heavy balladif tragique en B avec «Waltz For Jadded Lovers». il adore les ponts atmosphériques à la stood like a rock/ Tried not to talk/ Know life goes on.

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             Par contre, The Buzzard Of Love paru en 1977 n’est pas un très bon album. Stokes fait pas mal de story-telling. Il reste dans sa veine heavy boogaloo avec «I’ve Been Possessed» - Got that voodoo lovin’/ Got me cryin’ out for more - Le guitariste derrière Stokes s’appelle Peter Maunu. Stokes nous ressert son vieux «Big City Blues» en B et fait une belle cover d’«Endless Sleep», le vieux classique de Jody Reynolds. Stokes adore les climats lourds à la Screamin’ Jay, le voodoo de Mac et le Fire of Love de Jody. Hommage à Bolan avec «Chrome Rock» - Everybody’s doing the chrome rock baby - C’est excellent et Stokes refait son Screamin’ Jay avec «Air Conditioned Nightmare». Pur boogaloo - Death walked in the room/ And he wanted to dance with me.

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             Right To Fly et LSD sont le même album. Stokes y duette avec Timothy Leary, le pape de l’underground halluciné. C’est encore un very big album. Stokes l’attaque avec «No Regrets», un fantastique balladif d’élan suprême. Le coup de génie de l’album s’appelle «Drive-By Love», amené à l’urgence du heavy riffing. C’est même assez défenestrateur. Stokes aime bien le cocotage qui scie les tibias. Bienvenue dans les soubassements du heavy Stokes, drive it in/ drive it out, il sort ses meilleurs accents stoogiens et ça part en vrille de fuck out. Son «Seeing-Eye Man» est noyé de son, et du meilleur. Leary prend le premier couplet et cite Kerouac. Stokes hurle derrière. On patauge dans le wild genius. Stokes hurle tout ce qu’il peut, I’m the one that can ! «Slice It Dice It» se passe au ballon et Stokes renoue avec le génie sonique dans «Ripped Van Winkle», le gras double des guitares renvoie aux Stooges - There’s a killer loose outside my door - Pendant les ponts, Stokes rôde dans l’ombre, comme Iggy. Il harangue au heavy so I’m sittin’ here. Il ne vise qu’une chose avec «Rock’n’Roll Hollywood» : la pubescence de l’incendie - Old Happy doin’ the best he can/ He did two tours in Vietnam - Et on rebascule dans la génie Stokish avec une hallucinante drug-song, «100 Naked Kangaroos In Blue Canoes».

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    Stokes, c’est exactement la même chose que Third World War : une bombe à retardement. Il va chercher des noises au boogie avec son copain Timothy, un Timothy qui affirme qu’il a vu 100 naked kangaroos in blue canoes, too happy can’t sing these blues/ Much too happy can’t sing this blues. Encore du très écrit avec «Morality’s Ugly Head», le copain Timothy vient faire le refrain, il est marrant. Stokes arrache, mais Timothy chante à la diction du LSD. Quel album ! Ce démon de Stokes tape encore dans le rock tonite avec «Fugu Fish» et dans le rap avec «Psychorelic Rap». Il y fait du rap de blanc, il a des munitions et il bourre sa dinde de sitar. Il attaque «Global Village» à la Lou Reed. Ce mec a tous les pouvoirs. Il fait son grand méchant Lou au ditch the switch. Et tu as en prime le solo de rêve, c’est invraisemblable de rock quality, ces mecs sur-jouent jusqu’à la folie. S’il en est un sur cette terre qui sait enfoncer un clou, c’est bien Stokes.

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             Dans Ugly Things, Gray Newell nous rappelle qu’au moment de sa rencontre avec Stokes, Leary est dévoré par un cancer. L’album paraîtra quelques mois après sa mort. Newell ne s’arrête pas en si bon chemin : il évoque les super-fans de Stokes qui sont à l’époque Jello Biafra et Jeff Clayton d’Antiseen. Atteint par le virus Stokes, Clayton monte un Stokes tribute-band, Conquerer Worm. Bilan : deux albums. Un split avec Cocknoose et Ride On.

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             Le split date de 1993. On a un grand portrait de Stokes sur la pochette : barbe, lunettes noires et chapeau noir. Jeff Clayton s’arrache bien la glotte sur «Should Have Married Peggy Sue». Ils brûlent encore de fièvre sur «Ride On Angel», mais c’est avec «Good Times They Come» qu’ils montent en température et provoquent un gigantesque incendie. Ah quel hommage ! De l’autre côté, Cooknose fait du punk-rock solide et bien soutenu. Pas d’hommage à Stokes mais une reprise de G.G. Allin, «Dog Shit». Ils vont vite en besogne.

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             Ride On est plus sérieux. Quand tu ouvres la boiboîte, tu tombes sur la photo des trois Conquerers. Jeff Clayton ressemble à Dickie Peterson, le bassman Phil Irwin à un Hell’s Angel et Mike Schuppe à Mike Schuppe. C’est Clayton qui chante et ça démarre en trombe avec «Ride On Angel». Dans le petit texte d’accompagnement, Phil Irwin s’adresse à Stokes pour lui dire qu’ils n’ont pas réussi à le joindre pour l’informer de ce tribute. Ils ont pourtant contacté tout le monde : Cub Koda, Kim Fowley, Jello Biafra, Billy Miller, mais personne ne savait où se planquait Stokes. Avec le guttural de Clayton, les cuts de Stokes prennent une autre allure. Il chante «Hot Summet Night» à l’arrache maximale et Mike Schuppe ramène dans le son un solo liquide à la Blue Cheer. Ils sont merveilleux sur «Captain Howdy», Clayton éclate de rire, ah ah ah, et «Good Times They Come/Waltz For Jaded Lovers» titube au coin du bois. Ils savent rallumer le brasier de Stokes, pas de problème, ils déroulent même un sacré développement et ça devient du pur génie interprétatif, tout est dans les climats et les solos, alors chapeau bas ! Encore un bel hommage à Stokes avec «Voodoo Woman», ils en respectent merveilleusement l’esprit. Leur version d’«I Should Have Married Peggy Sue» est assez demented are go, et avec «Mama Tried», ils font du Motörhead, du fast punk de Worm. Avant d’aller coucher au panier, ils terminent avec un «Southern Girls» plein d’allant et de son, gras et heavy as hell. On ne saurait imaginer meilleur tribute à Simon Stokes. 

             Autre info de poids : Newell nous révèle que Stokes et Sky Saxon sont entrés ensemble en studio. Visiblement, les enregistrements moisissent dans un placard depuis que Sky a cassé sa pipe en bois en 2009. Il faudra sans doute poireauter un moment avant de voir l’album sortir.

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             Wayne Kramer joue sur quelques cuts d’Honky, paru en 2002, notamment sur «Jungle Music» - Oh oh let’s go to the Congo - Kramer joue dans la profondeur du mythe et Stokes chante à l’exaction définitive. Joli départ avec «Amazons & Coyotes», monté sur un heavy bassmatic. Stokes tombe sur son cut comme un gros vampire. Puissant et invulnérable. Encore du pur proto-punk et Kramer joue le lead. On retrouve Texas Terri et Lisa Kekaula dans les backings de «Laughter In The Sky». C’est incroyable que Stokes ait de si bons amis. Il passe à la country avec «Pissin’ In The Wind» et bien sûr Texas Terri chante faux. C’est même une insulte aux lois de l’harmonie. Stokes ressort son vieux «Ride On Angel» et tape dans le heavy slowah avec «Sleeping With The Enemy». Lisa Kekaula y fait des étincelles.

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             Stokes s’est écrit le mot Head sur le front pour la pochette de Head. Il attaque l’album avec le morceau titre, au fast barrelhouse cajun. Stokes pique des crises, il chante à la colérique et retombe dans le heavy trash de boogaloo avec «No One’s Goin’ Nowhere». Le cut s’enfonce dans le marécage, alors Stokes rampe. Il allume chaque cut avec son dirty raunch. Il rend hommage à Woody Guthrie avec une cover d’«Hard Travellin’». Il chante ça d’une voix de mineur silicosé. Ce mec est incapable de se calmer. Hello my name is Bob ! Il lance «Bob» à l’avanie, Bi-O-Bi, il tape cette fois dans le dada d’instro outrancier, Hellooooo ! Stokes demande : «Have you seen Bob ?» et les chœurs font «Bob !». Stokes revient à ses chères swamp vibrations avec «Long Black Veil». Un mec joue de l’accordéon dans le fond du studio, puis Stokes gratte son «Junior» à coups d’acou. Il est aussi âprement bon que Johnny Dowd. On retrouve la même profondeur de champ chez ces deux outsiders. Stokes gratte son «Apocalypse Girl» au wondering, il développe une sorte d’atroce démesure, il gratte dans l’underworld, dans un climat extrêmement tendu. Magnifique artiste, il éclate de round & round & round dans «Spin Your Wheels», puis il te souhaite le bonsoir avec «Goodnight Motherfuckers» et l’album s’achève sur un «Live Head», une belle flambée de Stokes qui file droit sous les étoiles en carton d’une cabane moisie du swamp. Sploush sploush.  

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             En 2012 est paru l’album de Simon Stokes & the Heathen Angels. Boom dès «Hey You», stomp d’hey you in the face. Absolute stormer ! Et surprise, il tape son vieux «Miniskirt Blues» repris par les Cramps, puis par El Cramped. Il en fait une version musclée, avec le gaga, le mojo et le riff de basse. Il fait pas mal de country avec le fiddle de barrelhouse («Infected») et du dark boogaloo avec «Down For Death». Il frise parfois le Tom Waits («Stranger Than Fiction»). Son wild country blues sonne parfois comme celui des Faces («The Boa Constrictor Ate My Wife Last Night») et «Hanging Out With Cretins» sonne comme un heavy balladif de raw Stokes option. Il sait aussi chanter le heavy blues à pleine gueule, comme le montre le «Moth And The Flame» des Seeds. Il peut égaler les géant du heavy oh so heavy. Mais son cœur penche pour la Nouvelle Orleans, comme le montre le heavy groove Bartholomien de «One Night Of Sin». Stokes sait aussi réchauffer une soupe, «Honky» tombe à pic pour nous le rappeler - Ready up man ! - Il chante sur des charbons ardents - You’re honky - et les chœurs font honk ! honk ! Stokes dévore le stax de rebop, il le bouffe à l’interne, you’re honky ! Honk ! Honk ! C’est la fête au village !

    Signé : Cazengler, Simmonde tout court

    Simon Stokes & The Nighthawks. MGM Records 1970

    Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band. Spindizzy Records 1973

    Simon Stokes. The Buzzard Of Love. United Artists Records 1977

    Simon Stokes. Right To Fly. Psychedelic Records  1996

    Simon Stokes. Honky. Upper Cut Records 2002

    Simon Stokes. LSD. Leary Stokes Duets 2005

    Simon Stokes. Head. Simon Stokes 2008

    Simon Stokes & The Heathen Angels. Simon Stokes 2012

    Conquerer Worm/Cocknoose. Tear It Up Records 1993

    Conquerer Worm. Ride-On. Baloney Shrapnel 1996

    Gray Newell : Ride on ! The long strange trip of Simon Stokes. Ugly Things #46 - Winter 2017

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 26

    JUILLET – AOÛT – SEPTEMBRE ( 2023 )

     

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    Le mois de Juin n’est pas terminé que déjà le numéro d’été de Rockabilly Generation News squatte la boîte aux lettres. Nous n’appellerons pas à l’application de la nouvelle loi anti-squatteurs qui vient d’être votée. Cette revue est toujours bien reçue par chez nous.

             Surtout qu’elle débute par huit pages de Greg et Sandy Cattez sur Johnny Cash, essayez par vous-même de résumer la vie de Cash en si peu de folios, surtout que les photographies occupent les 50 %, il et elle s’en tirent de main de maître ( et de maîtresse ). Je ne ferai pas à nos lecteurs l’affront de leur rappeler la bio de Cash, pour une fois je m’attarderai sur les photographies. Y a un truc hormis ses enregistrements qui m’a toujours fasciné chez Cash, ce sont ses yeux. Ce sont toujours les mêmes, amusez-vous à parcourir l’éventail des clichés, du tout jeune gamin au vieux Cash que vous  présente RGN, un étrange regard, même lorsqu’il est dans une attitude la plus sympathique et qu’il sourit gentiment Johnny Cash vous a un air inquiétant, celui d’un serial killer qui ne voit le monde qu’au travers de son obsession criminelle. C’est peut-être celle-ci qu’il a transcendée dans l’interprétation de ses morceaux, et sa voix de croque-mort qui lit une dernière prière au bord de votre tombe. Je comprends que June Carter n’ait pas pu résister.

             Un autre pionnier en fin de magazine. Encore vivant, tout près de ses quatre-vingt piges, pas un français, un voisin du pays de Verhaeren, relisez sa trilogie noire c’est encore plus fort et plus fou que Jim Morrison, bref un Belge. Cet été encore, chez un broc, non je ne vous donnerai pas l’adresse, écumant le rayon rock ‘n’roll français je suis resté abasourdi du nombre pharamineux de ses Volumes 1,2, 3… il me semble avoir tenu en main, le 24, consacrés aux classiques du rock… l’a fait beaucoup pour la propagation du rock en notre pays, l’a joué au Golf Drouot, accompagné Vince Taylor et Gene Vincent, Burt nous raconte sa vie, l’a commencé par la lettre A comme accordéon, puis G comme guitare, S comme Saxophone, l’est devenu entre autre musiciens de studio, a été truandé par son impresario ( je vous laisse découvrir son nom ) l’a remonté la pente, continue encore…

             Encore un pionnier présenté par Julien Bollinger, pas n’importe lequel, le représentant par excellence du country blues, à la base de tout, un précurseur né en 1893, mort à 36 ans comme Gene Vincent. Blind Lemon Jefferson reste pour les rockers le créateur de Matchbox Blues

             Place aux jeunes ! Sergio Kazh réussit un véritable toure de force en présentant, le 2023 Wild Weekender ( 2 ) qui s’est déroulé en Hollande, Wild  n’est pas un adjectif, mais le nom du label américain spécialisé dans le rockabilly sauvage. Sergio nous présente, textes et photos, les prestations scéniques des vingt groupes qui participent à ces deux longues nuitées rock’n’roll. Vingt groupes et pas une seconde de lassitude, ceux que l’on connaît et ceux dont on ignore l’existence, à chaque fois il nous donne l’envie d’écouter et d’approfondir.

    Suit un long article de Sergio Kazh sur l’étoile montante du rockabilly Dylan Kirk et ses deux groupes les Killers et les Starlights. Si Killers évoque pour vous un certain Jerry Lee Lewis, vous avez raison, très tôt Dylan est devenu un fan de rock’n’roll, s’est mis à la guitare mais une fois qu’il a entendu Crazy Arms par Jerry Lou l’est devenu fou, l’est devenu feu de cet instrument diabolique. Les Starlights composés de Bryan, Danny et Nico ouvrent le festival Rock ‘n’Roll in Pleugeuneuc avec Dylan Kirk et son piano maléfique, une seule répétition, ils font un tabac… Une légende en train de s’écrire… Un mec bien, sur la couve il fume un Coronado !

    Encore un festival, Blue Jean Bop Party à la Chapelle Serval où l’on retrouve deux groupes phares du french rockabilly : The King Baker’s Combo et Jim & The Beans, High Stepers, Johnny Bach And The Moonshine Boozers (Angleterre) et au final Dylan Kirk With The Starligths.

    Au cas où vous auriez deux trois millions de dollars en trop sur votre compte bancaire aux Iles Caïmans, et que vous aimiez Jerry Lee Lewis (ce dont nous ne doutons pas), rejoignez l’Association The Lewis Ranch, la demeure du Killer pour le préserver en le transformant en attraction touristique digne de qu’est devenu le Graceland d’Elvis Presley.

    Encore un numéro gagnant !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !  

     

    *

    Si vous voulez me rendre heureux prononcez des mots qui me font rêver, par exemple au hasard Grèce ou Rock’n’roll. Ou du même acabit. Or mes yeux ne viennent-ils pas d’apercevoir deux groupes de mots appartenant au même champ sémantique réunis sur une pochette de disque, jugez-en par vous-mêmes, Order Of The Black Jacket et Hellenic Black Metal. Tout de suite je chronique !

    ORDER OF THE BLACK JACKET

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    Ordre de la veste noire, presque aussi beau que l’Ordre de la Toison d’Or, tout de suite l’on pense à Charles le Téméraire retrouvé mort après la bataille de Nancy le visage mangé par les loups…  Un destin très howlin’ wolf !

    Konstantinos Dedes : musique, lyrics, vocal / Lambis : guitare, production / Lerotheos Tampakos: drums, percussion / Panais Moustakas: basse.

    ICONOCLASM

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp 2019 )

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    Très belle couve qui peut faire peur. La querelle des icones qui court du huitième au neuvième siècle durant l’Empire Byzantin risque de ne pas passionner les rockers.

    Historiquement il s’agit d’une querelle religieuse et politique qui consistait à bannir (interdire, détruire, abattre, brûler) les représentations imagées dans les églises et les chapelles de l’empire. Les raisons en sont multiples : n’était-ce pas une survivance larvée du paganisme dont les temples étaient ornés de statues et de fresques, vénérer une image ne serait-il pas un signe d’idolâtrie, n’est-ce pas une prétention démoniaque de vouloir représenter la nature de Dieu et des Saints par essence supérieure à notre simple humanité… C’était aussi un moyen pour les empereurs de détourner l’inquiétude et la colère du peuple apeuré du grignotage incessant des terres de l’empire par les conquêtes Arabes… Passionnant certes, avec davantage de corrélation avec notre époque qu’il n’y paraît.

    L’image est d’une violence inouïe, ce personnage auréolé, Empereur Saint, imaginons Dieu lui-même, voire l’Antechrist, qui tient dans sa main gauche un sabre crénelé et présente de sa dextre un livre dont les illustrations ont été effacées vous glace le sang… Toutefois l’icône est terriblement ambigüe, comment peut-on représenter par une image une figuration de l’’iconoclasme inspirée soi-disant par la vraie foi orthodoxale en pleine action alors que l’on dénonce le pouvoir malfaisant de toute représentation ayant trait au divin ? Quel nœud de contradictions ! L’Art se doit d’être plurivoque.

    Rockers dont les murs de vos chambres sont ornés de moult posters de vos idoles, ne craignez rien, cet album n’exige pas de vous que vous les déchiriez, il faut l’interpréter métaphoriquement, il s’agit pour Order of The Black Jacket, d’insuffler en votre esprit l’idée qu’il faut se battre contre toute ordonnance sociétale coercitive.

    L’artwok est de Gina Libe, voir son Instagram et son site au nom de Gina Liberiou. Peu d’œuvres exposées mais de styles très différents. Du dessin animalier à des effulgences abstraites, l’on aimerait en voir davantage, ce qui est sûr c’est que cette pochette est remarquable.

    Black Jacket Order :  l’on pourrait accroire à un hymne dévolu à un gang de bikers, peut-être serait-il plus facile de rester dans cette illusion, disons que c’est un Born to be wild, solitaire et intérieur, run, run, run, morrisonien,  le rocher catapulté suit sa trajectoire, violent et toutefois mélodique, avec des ruptures sonores presque beatlesiennes, malgré un rythme soutenu qui ne faiblit pas. Outtamanhead : batterie fragmenteuse, il s’agit de découper le puzzle des apparences, voix incisive et moqueuse, de désagréger à grands coups, de déchirer en confetti, jusqu’à ce que le voile de la réalité se dévoile et laisse surgir la noirceur universelle, se rendre compte que les morts sont les cariatides qui portent et soutiennent le monde sur leurs têtes. My way : toujours le même ramdam mélodique, avec cet hearbeat en sourdine percussif qui bientôt se déploie en un superbe volume guitarique, ces hauts et ces bas d’intensités sonores, une espèce de blues en le sens que dans le blues c’est le vocal qui mène l’attelage, les mêmes couplets interchangeables, c’est la violence phonique qui pulse le tout, se termine en une espèce de scalp sioux festif   qui se jette dans un delta acoustique mélodique. La mort n’est-elle pas un long fleuve tranquille. Rage to awake : rien de plus vivant et de plus tapageur qu’un mort, ne sommes pas nous tous morts à plusieurs reprises, guitares chamboule-tout, vocal de forcené qui soulève la terre des écorces mortes et des écailles anciennes dont il lui faut émerger pour renaître à sa vie, pour se mesurer une fois de plus à son destin, un trépan de guitare qui défore l’existence et rejette le cône excrémentiel de ses rêves dépassés. La vie est toujours devant. Il est nécessaire de savoir ouvrir les yeux.

    Du son et du sens. L’on a envie de dire : peu de moyens phoniques mais judicieusement et fougueusement utilisés. Un EP qui remue. Comme les vers dans le corps des morts.

    SPIRIT ROCK

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp Janvier 2023 )

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    La couve interroge quand on la compare à la précédente. A l’oriflamme orangée succède une pochette grisâtre. Une silhouette stylisée de femme sans visage, est-ce pour cela que sur scène l’un des membres du groupe porte un masque blanc ? Reproduction d’une statue qui répond au nom de Morana de l’artiste serbe Jovan Petronijevic aussi Rod. Morana est la déesse slave de la mort. Petronijevic s’est beaucoup intéressé aux mythologies serbes. Je n’ai pas été capable de trouver sur le net des œuvres représentatives de cette partie de sa démarche. Ce qui m’a été accessible relève d’un travail lyrico-conceptuel qui ne m’agrée point mais de qualité. Je pense que le choix du public doit préférer cet aspect descriptif du chaos de notre modernité.

    Revenons à Morana puisqu’en fin de compte l’on revient toujours à la mort. Etrange, c’est-là qu’il convient de noter la continuité qui relie les deux pochettes, au premier abord, les seins et le ventre spiralés de Morana m’ont fait penser à la perpétuité de la vie engendrée au cours des générations par le corps des femmes, je ne savais pas alors ce que représentait Morana, l’ayant découvert j’en ai conclu que ces trois spirales étaient le symbole de l’infinitude de la mort, je me suis alors souvenu que le logo que Gina Liberiou a mis en tête de son Instagram et de son FB était… une spirale ! Quelle synchronicité ! Créativité de l’Art, créativité de la Femme et créativité de la Mort = même combat. Pour la Vie ou pour la Mort ?

    Affirmer que Spirit Rock est le nouvel opus d’ Qrder The Black Jacket ne me semble guère judicieux. De toute évidence c’est la suite du précédent. Pas le tome II d’un roman, même pas le deuxième chapitre d’un livre. Imaginez plutôt que vous avez arrêté la lecture d’un récit à la fin du deuxième paragraphe de la page quarante-quatre car interrompu par la visite impromptue d’un voisin, celui-ci parti vous reprenez la lecture au début du troisième paragraphe de la page quarante-quatre. Suite immédiate donc.

    Attention c’est un groupe grec. Ce n’est pas une indication géographique. Prenons un Grec au hasard, le fils de Laerte, Ulysse, il a beaucoup voyagé aux quatre coins de la Méditerranée, inutile de chercher un atlas, il est aussi descendu aux Enfers. C’est pour cela qu’à la fin de l’Odyssée Homère ne nous raconte pas sa mort. Ce serait redondant, une répétition oiseuse. La mort obsède les grecs, Dionysos et Perséphone sont des divinités fondatrices de la pensée grecque, relisez Virgile et Rilke pour vous en persuader. C’est dans ce sillon funéraire ( fun, fun, fun, sourions avec les Beach Boys ) que s’inscrit Order Of The Back Jacket.

    Digging deeper ( For Grace ) : sur You Tube la vidéo est agrémentée de l’effigie d’une mystérieuse jeune fille, morceau hommagial à une jeune morte. Une ballade enlevée qui met en valeur la voix de Constantinos, les instruments rassemblés comme un bouquet de fleurs mortuaires. Le texte est à creuser. Où sont les amants sur cette terre, une dessous et l’autre dessus, à moins que ce ne soit le contraire, ou peut-être tous les deux réunis dans la même tombe, à moins que tout ne se passe dans la tête de l’un ou de l’autre, ou dans les deux. Qui était mort à la fin du disque précédent. Est-ce vraiment si important. Un mort n’est-il pas toujours vivant tant que l’on pense à lui, à moins que ce soit nous qui sommes en vie tant qu’un mort pense encore à nous. Ce morceau est splendide. Blackgaze : regard noir sur le riff de de Sunshine of your love, c’est ce qui s’appelle avoir de de l’humour noir, basse et guitare s’en donnent à cœur-joie.  Nos amants continuent leur colloque sentimental. Ils se disputent aussi, celui ou celle qui est partie n’a-t-il pas n’a-t-elle pas trahi l’autre, à moins que ce ne soit quelque chose de plus charnel, car les vivants et les morts ne se désirent-ils et ne déchirent-ils pas autant que les vivants et les vivants et que les morts avec les morts. La réponse est aussi évidente que les questions. Wind : si le titre des Cream explose par un grand chambardement  c’est le vent qui souffle de toutes ses forces qui fait office du creamique  éclatement riffique terminal, autant en emporte le vent, et il souffle très fort dans ce troisième morceau, tout ne finira-t-il pas un jour, n’y aura-t-il pas un jour où les morts et les vivants ne seront plus différenciés, où tout sera égalisé, où rien n’aura plus d’importance, d’ailleurs où est la nuit et où est la lumière, la guitare claironne un nihilisme joyeux et la batterie accélère la ronde comme si elle voulait savoir la fin de l’histoire avant tous les autres. Skyblood : la ronde infernale continue, elle aimerait rompre le cercle répétitif, elle cherche à s’élever, lorsqu’il ne reste plus rien, reste encore le rien de la douleur qui retombe en pluie de sang mental sur celui qui devient le centre égotiste de l’univers, que tout le monde se réveille pour accéder à ce baptême sanglant, il est un point de l’univers où le haut et le bas s’égalisent où le rien devient tout. Danse endiablée. Même folie et raison ne sont qu’une seule et même chose. Never over : c’est un peu comme si depuis quatre titres c’était toujours le même morceau qu’ils rejoueraient, la différence ne résidant que dans les paroles, ici sans équivoque, ce ne sera jamais terminé, les contraires ne s’attirent que pour mieux se refouler, la basse vous trace de ces points de suspension qui en disent long sur ce never ending tour de danse macabre infinie. Au plus proche l’on est aussi au plus loin. Le savoir est le seul soulagement possible. Alone : une solution pour rompre le sortilège, couper la poire en deux et n’en garder qu’un, choisir la solitude du solipsisme, la voix se mélodramatise et l’instrumentation atteint une vitesse prodigieuse, la solitude de l’Unique métamorphose l’univers élémental l’eau devient pierre, étrange alchimie en quelque sorte négative, puisque l’un changeant de nature devient l’autre. Faithseeker : une voix forte mais mourante pour nous annoncer qu’il a perdu la foi, la musique s’épaissit, Constantinos crache les mots un par un comme l’on jette des fléchettes dans les yeux de ses proches, rupture, bourdonnements aumniques, déploiement musical étincelant, une montée certaine vers une fin grandiose, le guerrier est au faite de da décision. Tombé ou tombeau de rideau. Le chant tire la langue. Il a perdu la foi, d’accord, mais en quoi, en la mort ou en la vie, et que recherche-t-il la vie ou la mort. Ce dernier morceau d’une amplitude beaucoup plus orchestrale.

    Il s’agit d’une œuvre longuement méditée. Une espèce d’oratorio total en le sens wagnérien, la preuve nous en est apportée par une vidéo vieille de huit années intitulée Act qui regroupe trois morceaux : Rage to awake : Act I : Yamashiro ( sabre ) / Act II : Kisuke (personnage du manga bleach = eau de javel, allusion aux cheveux blonds du héros ?  / Faithseeker :  Act III : The burden = le fardeau. La musique est agrémentée de peintures et de dessins dus à Antonis Siganakis (voir son Instagram Antony Siganakis, style manga et portraits de filles). A découvrir. L’artwork effectué pour ces trois actes est remarquable. 

    De même nous invitons à regarder la mimic vidéo Never ever. Un personnage masqué, visage impossible, qui s’exprime par des gestes qu’il ne joint pas aux paroles qu’il ne prononce pas, la piste du morceau le fait pour lui. Surprenant mais pas convaincant. L’on se souvient que David Bowie a débuté par le mime.

    Cet essai nous conforte dans nos conclusions, idéologiquement parlant Order Of The Black Jacket n’a rien à voir avec un groupe comme Black Rebel Motorcycle Club, The Black Jacket s’inscrit dans une démarche diantrement plus artistique et métaphysique. Un projet longuement réfléchi et mûri. Le détour s’impose.

    Vous reste à méditer sur le titre de l’album : Esprit Rock !

    Damie Chad.

     

    *

    Beaucoup de groupes européens à balles doom-doom tirés au fond des déserts stonériens ces derniers temps sur le blogue, en voici un des USA, de la côte-est, plus exactement de Philadelphie, étymologiquement la cité fraternelle, bien que leur vue du monde contemporain semble s’écarter de l’idéal des fondateurs de cette vieille cité.

    OTHER PEOPLE

    HEX ENGINE

    Bob Malosky : drums / Drew Campbell : guitar, backing vocal / Christian johnson : bass / Ron Aton : lyrics, vocals.

    La couverture est explicite, des gens séparés les uns des autres par leur propre solitude, enfermés dans un désert de glace paranoïaque, ne cherchez pas les autres gens, vous les reconnaîtrez trop vite, ils vous ressemblent comme des gouttes gelées sur une vitre translucide, ce n’est pas qu’ils sont comme vous, c’est que vous êtes comme eux.

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    Monster : notes bousculées pressées les unes contre les autres, depuis Steppenwolf le monstre a changé de nature, ce n’est plus un système coercitif qui vous dépasse,  auquel vous participez à votre corps défendant, Aton hurle personne n’oserait l’accuser d’être atonique, vous crache les mots au visage pour être sûr que vous les entendez, un long pont de guitares glissantes et heavy, comme celui d’Avignon qui a précipité les beaux messieurs les belles dames interchangeables que nous étions dans les eaux glacées de l’individualisme atonal, vous êtes devenus des clones d’humanoïdes, des semblants d’humanité qui ne tiennent debout que par le miracle hypnotique d’un mensonge idéologique partagé. HEAVY les guitares, à croire qu’elles veulent acquérir la force persuasive du vieux cryptogramme du Dieu vengeur. Ce n’est plus une critique mais une malédiction sonore jetée à la face de la modernité. Mines de rien (mais à retardement direct) car les mots attendus ne sont pas employés et cet aspect de la problématique n’est jamais abordé, le propos est essentiellement politique. Parasites : Et religieux. Un petit côté antipathy for les

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    représentants sociétaux de Dieu sur cette terre, les guitares grondent, le drummin’ tabasse et Aton perche sa voix au-dessus de tous les clochers ecclésiaux. Message compris, on se concentre sur la musique, des guitares concassent cette manière très persuasive d’empiler des notes sur des notes comme des jeux de cubes, et arrive l’instant où la pile vacille, et le tout s’écroule en un grand bruit de haine assouvie, comme ils ne souviennent pas que Dieu est mort ils veulent l’ensevelir sous la tour de Babel de toutes ses hypocrisies, éboulements hendrixiens. Rat fink : ondées de basse menaçantes, un drummin éclatant et méthodique n’est pas là pour vous dire que tout va bien se passer, l’Aton passe à l’atomique, ne vous l’envoie pas dire, dit les choses comme il le pense, détache les syllabes pour vous décapsuler les tympans, les guitares balancent des ondées rythmiques, ah ! ces passages musicaux où le son prend le commandement, Aton reprend la parole comme l’on tire la nappe du banquet pour gâcher le repas des convives gorgés de l’hypocras des hypocrites. Arrêt brutal, heureusement qu’ils n’ont pas continué car on se demande ce qui aurait pu arriver. Excuses, excuses : générique de film de catastrophe, des pas de géants se rapprochent, attention le morceau dure près de dix minutes, l’on devine que la guerre ne fait que commencer, une voix dans le lointain, pour une fois Aton se laisse recouvrir par la marche militaire de l’accompagnement, de temps en temps des éclairs aigus brillent comme des lames de sabres qui dans la mêlée réfléchissent le soleil, pas besoin de hurler, l’emploie l’ironie, cette enclume cisaillante qui vous coupe en deux, c’est maintenant qu’il crie, profère des avertissements sans appel, les guitares en tremblent de peur, il n’y aura pas d’excuse, le châtiment se rapproche, ça cogne dru et ça tape dur, il existe une jouissance de la violence puisque l’on adore, pas de concession, pas de prisonnier, pas de pardon, tout doit disparaître même les rayons, la fin fabuleuse, l’impression d’une chose innommable qui rampe à terre, monte à hauteur de vos genoux et vous emporte dans un monde merveilleux. Meet your maker : vous croyiez qu’après la mort même les méchants iraient au paradis, c’était une blague, un faux et fol espoir, cette fois-ci c’est Dieu en personne qui se déplace, non il ne tonne ni ne crache, pas furieux pour un euro, l’avance doucement, un rythme appuyé et lent, une formule apaisante pour un batteur, attention ça se précise, un solo de six cordes grince un peu trop pour être honnête, vous Le pensiez juste, lamentable erreur, c’est un sadique, vient pour vous poignarder et enfiler le couteau avec lenteur pour que vous sentiez votre douleur, Aton vous imite à la perfection les cris de Dieu qui prend un plaisir à vous saigner comme un porc. Une véritable boucherie, les cymbales tintent comme l’heure du crime, ça se termine en apothéose, une catharsis dirait Aristote, l’orgasme du serial killer qui s’écoule en un flot de sperme tempétueux préciserait Damie Chad. Omens : reprenons nos esprits, est-ce Dieu qui parle ou un gars comme vous et moi dont les rêves ont pété plus haut que leur cul, à moins que ce ne soit la victime ou le couteau, un joyeux baltringue dans la tête du zigue, les instrus se bousculent au portillon, Aton leur monte dessus et sur cet escabeau volcanique il vitupère tout fort à ameuter l’univers. L’on ne sait pas s’il répond mais le groupe s’en donne à cœur joie, le sang excite les combattants c’est bien connu, d’ailleurs ce tranchant de guitare qui ressemble à un couperet de guillotine vous file les jetons, et pour terminer en beauté Aton vous crie à bâton rompu que quelque chose de terrible ne va pas tarder à nous tomber sur le coin du museau. Au moins la fin du monde. Something’s burning : je suis désolé mais ce vent mauvais qui souffle, cette guitare qui pue le mélodrame à plein nez, cette espèce de riff qui n’en finit pas, la situation est grave, Aton nous la joue à Ezéchiel, tous les malheurs du monde vont nous tomber dessus, courez, foutez-vous à l’abri, une espèce de rouleau compresseur vous confirme qu’il n’y a pas d’issue possible, quand je pense que certains répondent qu’ils feront crac-crac avec leur petite amie tranquillou chez eux quand l’apocalypse s’approchera, ils ne partagent pas la vision d’Hex Engine, un affolement général, la machine à axe hexagonal est en route et personne ne l’arrêtera, un bordel inimaginable, une folie envahissante, une catastrophe ambulante qui s’installe dans votre deux pièces cuisine et partout ailleurs, dans ce fatras d’immondices phoniques je me hâte de rassurer nos lecteurs, ce morceau est particulièrement beau, agréable et chatoyant pour des oreilles de rockers. Déjà’sku : Aton se tait, deux minutes d’interlude pour que vous puissiez prendre la mesure de ce qui vous attend. Pas la peine de pleurer sur vous-même et de regretter comme semble l’indiquer le début de court morceau car tout de suite ça s’accélère et ça devient ultra-violent, même Aton qui avait promis de se taire ne peut plus se retenir et vous pousse le même hurlement que lorsque l’armoire normande de Tante Noémie vous était tombée sur le pied. Fear the future : grondement lointain qui s’amplifie, ce coup-ci c’est sûr, ils arrivent, quelle cacophonie, qui sont-ils, vous craignez le pire, la musique n’imite-t-elle pas le bruit des anges de la destruction qui descendent sur terre, à moins que ce soit des extraterrestres pas du tout extra, n’oubliez jamais que si le pire est toujours certain, il ne ressemble pas à ce que l’on imaginait, les voici, on s’attendait à tout sauf à eux, Aton ne vous fait pas languir, il vous refile la solution, ces gros méchants qui viennent sont les… riches. L’a un peu pris son temps pour vous le dire, maintenant  vous savez qu’ils vont vous exterminer, qu’il n’ y aura pas de survivants parmi les pauvres et les esprits timorés qui ont toujours écouté et fait sagement tout ce que l’on leur disait, Bob Malowski qui n’a pas fini de vous malaxer depuis le début vous tire dessus à la kalachnikov, Drew Campbell embourbe un solo dantesque dans une échoïfication  démesurée, la basse de Christian Johnson bass-cule dans un trou de fond de fosse funéraire  et c’est parti pour la grande fête finale, l’apothéose de la bêtise et de la cruauté humaine, ça tourne comme le Boléro de Ravel et ça se transforme en locomotive asthmatique, gargouillement terminal. Tout est terminé. Ite.

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             Quel groupe ! Quels musiciens ! Question rock les ricains vous en bouchent toujours un coin.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 30 ( Naïf  ) :

    172

    Carlos s’est arrêté si vite que je n’ai pas eu le temps de visualiser la marque de son nouveau 4/4, l’avait l’air si pressé qu’il n’a même pas pris le temps de nous saluer, l’est resté rivé sur sa conduite comme si nous n’existions pas. Le Chef qui avait pris place à ses côtés en profita pour allumer un Coronado, au bout de quelques instants il entreprit d’engager la conversation :

              _ Seriez-vous fâché contre nous Carlos ?

              _ Non, contre ma nouvelle copine.

              _ Vous n’êtes donc plus avec Alice ?

              _ Terminé, de l’histoire ancienne, les filles c’est comme les cigarettes, ça se fume et ça se jette !

              _ Vous devriez-vous mettre au Coronado, vous connaîtrez l’extase et non les petites saveurs à date de péremption rapide, mais dites-moi, comment se prénomme la nouvelle venue ?

             _ Alice !

    Sur la banquette arrière Molossa et Molossito me regardent d’un air entendu. Je ne dis rien, je ne suis pas loin de penser comme eux, dans cette histoire il est tout de même étrange de voir que toutes les filles s’appellent Alice. J’aimerais bien méditer sur ces étranges coïncidences, l’explosion de la voix vindicative de Carlos ne m’en laisse pas le temps :

              _ Wow, l’est pas content cet abruti !!!

    Entre nous soit dit l’abruti en question n’a pas tout à fait tort, Carlos fonce comme un sauvage, il double une file de voitures stupidement arrêtées à un feu rouge, en roulant à toute blinde sur le trottoir. Le pauvre gars a juste le temps pour ne pas être écrasé de remonter dans sa camionnette stationnée les deux roues dans la rigole, s’il croit s’être tiré d’affaire, il se trompe, coup de frein brutal, le 4/4 recule jusqu’à ce que Carlos soit juste en face de la cabine. Le gars esquisse une bordée d’injures, il n’a pas le temps, une balle de Rafalos lui explose la tête.

              _ Quel crétin, en plus zieutez son panonceau, c’est un fleuriste, je hais les fleuristes !

               _ Cher ami je ne savais pas que la paisible race des fleuristes suscitait tant d’acrimonies de votre part, personnellement il m’est arrivé à plusieurs reprises d’abattre sans sommation quelques individus indésirables qui n’avaient manifestement jamais fumé un Coronado de toute leur vie. Juste pour leur apprendre à vivre dignement !

               _ Voyez-vous Chef, le gars n’y était pour rien, tout cela c’est à cause de ma nouvelle Alice.

    J’essayai de me glisser dans la conversation, les études à la Balzac sur la psychologie contemporaine m’ont toujours passionné :

              _ Votre Alice déteste les fleuristes, après tout il y a tant de gens qui détestent les araignées qu’une fille qui abhorre les fleuristes est sûrement un cas d’espèce intéressant.

              _ Damie tu fais fausse route, je pense qu’Alice tout comme moi n’éprouve aucune antipathie contre les fleuristes. Mais c’est tout de même un peu de leurs fautes.

    Le Chef nous fit signe de nous taire. Il profita du silence de l’habitacle pour procéder à l’allumage, geste d’une haute hiératie, d’un Coronado.

    _ Cher Carlos vous connaissant j’en ai tout de suite conclu que la mise à mort d’un fleuriste d’apparence innocent doit avoir quelque intérêt. Expliquez-vous, prenez votre temps, je vous en prie.

    _ Ben voilà, hier soir j’avais donné rendez-vous à vingt-et-une heures dans un restaurant à ma nouvelle Alice. En chemin, l’envie me vient d’entrer dans le resto avec une immense corbeille de roses que je déposerai sur la table devant elle, les filles aiment ce genre de simagrées, elles s’imaginent que nous sommes leurs chevaliers-servants, j’ai fait au moins dix fleuristes, tous étaient fermés. Bon ce n’était pas grave, les greluches aiment aussi les mauvais garçons, je me suis arrangé pour qu’elle aperçoive la crosse de mon rafalos, bref in the pocket comme disent les anglishes…

    Molossito pousse un ouaf interrogatif. Quelque chose lui échappe. A nous aussi. Mais Carlos a compris que Molossito n’a pas compris.

             _Ecoute-moi bien Molossito, quand on est un homme, c’est pareil pour un chien, il ne faut jamais renoncer à ses idées. Nous nous sommes séparés très tôt ce matin Alice et moi. Quand nous nous sommes quittés l’envie de lui offrir des roses pour l’entrevue de ce soir m’est revenue. Pas de chance, les fleuristes qui étaient fermés à neuf heures du soir, n’étaient pas plus ouverts à six heures du matin.

    Molossito vient de comprendre, il pousse un ouah ! exclamatif, Carlos se tait, il n’a pas besoin de poursuivre. La queue de Molossito frétille d’impatience. Le Chef allume un Coronado :

             _ Continuez Carlos, nous roulons comme des escargots depuis que nous sommes montés dans ce véhicule ! Plein gaz, nous allons arriver en retard.

    173

    Crissements de freins. Evidemment c’est encore trop tôt mais les camionnettes d’entreprise et les fourgons sont légion. Nous rentrons sans que personne ne nous jette un regard.

    _ Suivez-moi !

    Carlos nous guide, il avance à grandes enjambées dès que nous arrivons dans un coin paisible il démarre au sprint. Molossa et Molossito tout guillerets nous accompagnent. Ils se retiennent d’aboyer, ils savent que nous sommes en mission, sur le sentier de la guerre. Carlos lève la main, nous arrêtons et il désigne l’endroit. Le Chef prend la parole :

              _ Rendez-vous sur l’objectif, je le rallierai en venant du Sud, Carlos de l’Est, Agent Chad de l’Ouest, Molossa et Molossito du Nord. A la moindre présence ennemie, les chiens attaquent et nous, nous sortons les Rafalos.

    Nous nous sommes éloignés les uns des autres. Maintenant à chaque pas que nous faisons nous nous rapprochons. Encore une dizaine de mètres et nous parvenons à notre point de chute. Carlos passe le canon de son Rafalos dans sa ceinture :

              _ C’était déjà dans cet état quand je suis venu sur les six heures et demie, les fleuristes étaient fermés, j’ai réalisé que nous avions dormi dans un hôtel tout près du Père Lachaise, je m’étais dit que je trouverais des fleurs dans le cimetière, j’en ai récupéré une bonne brassée, avant de partir l’idée m’est venue de jeter un coup d’œil sur la tombe d’Ecila. En m’approchant j’ai entendu des bruits j’ai couru, je n’ai vu que l’arrière d’un gros fourgon bleu qui s’éloignait vers la sortie, il m’a vite semé, mais je suis prêt à parier que les grilles lui ont été ouvertes en grand car il n’a pas cessé d’accélérer.

    La dalle gisait sur le côté. Pas très loin du cercueil. Je soulevai le couvercle simplement posé par-dessus. Aucun corps n’y reposait. Ecila avait disparu. Il y eut un instant de silence. Le Chef alluma un Coronado

              _ Carlos, je suppose que le bleu du fourgon était un bleu soutenu ?

              _ Oui c’est bien cela, un bleu pas sombre mais voyant, comment dire un bleu, euh…

              _ Cobalt, ne cherchez plus, le bleu de la gendarmerie, la dimension nationale de notre aventure se confirme, nous ne savons pas à quoi notre président s’amuse ces derniers temps mais il fricote de drôles de manigances.

    174

    Molossa posa sa tête sur mon jarret. Je fermai les yeux. Le Chef et Carlos tenaient déjà leur rafalos en main. Des graviers crissaient sur ma gauche. Ils étaient là autour de nous. Nous leur tournions le dos. Le Chef donna des ordres à demi voix :

    • Attention il y aura plusieurs vagues d’assaut, ne pas se déconcentrer, chacun s’occupe de sa direction, moi le Sud, Carlos l’Est, Agent Chad l’Ouest, les moins à craindre seront ceux qui viendront du Nord, ils seront les moins dangereux, personne face à eux, ils ne se doutent pas que les chiens s’occuperont d’eux, à mon commandement, genou à terre feu !

    Pas très futés les malabars, croyaient nous surprendre. Ils furent courageux. Ils s’obstinèrent. Pas moins de quatre vagues d’assaut, au final je dénombrais seize cadavres. Les nordistes avaient rigolé quand ils avaient vu les deux chiens leur mordre les jambes. Une somptueuse rafale du Chef leur coupa définitivement l’envie de rire.

    L’algarade ne dura que quelques secondes. Vite fait, bien fait. Full metal jacket.

    Carlos désigna deux corps tombés sur une tombe :

    • Je les connais, je les ai déjà vu dans la Légion, quand ils ont été libérés ils ont trouvé du boulot dans la Maffia russe.

              _ Enchanté de l’apprendre, dit le Chef, Les pièces éparses du puzzle se mettent doucement en place, les unes à côté des autres.

    Et il alluma un Coronado.

    A suivre…

     

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    LIVRAISON 605

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 06 / 2023

     

    TONY McPHEE / BUFFALO KILLERS

    JOHN PEEL / TODD RUNDGREN

    DARROW FLETCHER / LUCKY 757

     HIGHSANITY / CAROLE EPINETTE  

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 605

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     McPhee-ling

     

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             Tous les fans de blues électrique vont devoir sortir leur mouchoir : Tony McPhee vient de casser sa vieille pipe en bois. S’il faut emmener un solo de guitare sur l’île déserte, c’est-à-dire au paradis, ce sera celui que prend McPhee sur «Split #2». Laisse tomber Clapton, c’est McPhee qu’il te faut.

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             Comme bon nombre de ses contemporains, Tony McPhee eut la chance de côtoyer et d’accompagner sur scène l’une de ses idoles, John Lee Hooker. Hooky débarqua seul en Angleterre pour une tournée et il fallut lui trouver un backing-band. Cela se passait en 1964. Don Arden organisait cette tournée. Il demanda  à John Mayall d’accompagner Hooky. Mais ça coinçait au niveau son, car Mayall avait un organiste dans son groupe. Scandalisé, Tony McPhee n’admettait pas qu’on pût transformer l’un des grands puristes du blues en artiste de r’n’b. Par chance, Mayall fit faux bond à Hooky peu avant la fin de la tournée. Don Arden chercha donc un groupe pour le remplacer. Il le voulait bien sûr le moins cher possible. Les Groundhogs firent une offre de service à ras des pâquerettes. Tope-là, mon gars ! Idéal en plus, car le nom du groupe était tiré d’un classique d’Hooky, « Groundhog Blues », qui se trouve sur l’album House Of The Blues. En prime, Tony connaissait des morceaux qu’Hooky avait oubliés, alors ça créait des liens. Et la cerise sur le gâtö, c’est que les Groundhogs connaissaient si bien les morceaux d’Hooky qu’ils étaient capables de le suivre dans toutes ses cassures de rythme. Ils étaient le backing-band idéal pour Hooky qui finit par devenir pote avec eux. Au point de refuser la voiture avec chauffeur que proposait Don Arden. Hooky préférait voyager avec ses potes les petites marmottes, dans leur van pourri.

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             Tony était tellement subjugué par son idole qu’il se mit à jouer comme lui, sans médiator, avec la bandoulière passée sur l’épaule droite. Tournée de rêve, comme on l’imagine. Tony vit qu’Hooky était illettré et très embêté quand on lui demandait de signer un autographe. Alors il lui apprit à signer son nom. Comme ils voyageaient ensemble dans le même van, ils devinrent très proches. Tony et ses amis durent s’habituer à voir Hooky alors âgé de 47 ans cracher partout pour s’éclaircir la voix, draguer toutes les petites poules blanches qui traînaient dans les parages et pisser contre des murs, à l’intérieur comme à l’extérieur.

             Puis on entre dans les années fastes du British Blues. Mayall se pointe chez Tony et lui propose quarante livres par semaine pour remplacer Clapton qui vient de quitter les Bluesbreakers. Tony a du pif, il se méfie de Mayall. Il décline l’offre. Alors Mayall embauche Peter Green qu’il vire aussitôt que Clapton veut réintégrer son poste dans les Bluesbreakers. Tony avait eu raison de se méfier du vieux crabe.

             Avec une série d’albums remarquables, les Groundhogs sont entrés dans la cour des grands du rock anglais. On ne leur trouvait qu’un seul défaut : les noms imprononçables des deux sidemen de Tony : Peter Cruickshank et Ken Pustelnik. Ce n’était pas du tout la même chose que Clapton, un nom dont tout le monde se souvenait, et que tout le monde citait avec un air de connaisseur. Par contre, Cruickshank et Pustelnik, c’était foutu d’avance. Pour simplifier, on se contentait de dire du trucs du genre : « T’as vu les lignes de basse de Pete dans Natchez ? ». Les conversations dans la cour du lycée étaient à 90 % consacrées aux disques de rock et au British Blues. Les 10 % restant devaient concerner les filles.

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             Leur premier album Scratching The Surface sort en 1968, année pré-érotique. L’harmoniciste Steve Rye complète le line-up. Andrew Lauder qui dirige United Artist a une idée géniale pour la pochette : il leur propose de poser dans un étang, histoire d’illustrer le titre de l’album qui parle de surface. Alors d’accord, ils vont à la campagne et le photographe leur trouve un étang avec de l’eau bien froide. Tony, Ken, Pete et leur copain harmo font de gros efforts pour ne pas claquer des dents. Au dos de la pochette, on les voit tous les quatre repartir à pieds avec leur pantalon à la main.

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    On démarre avec « Rocking Chair » qui sonne comme du Cream, ou pire, comme du jump-blues à la Mayall. Aucun intérêt. Ce ne sont pas les petits jump-blues qui font les grandes rivières, n’est-il pas vrai ? Et puis il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie. Par contre, « Early In The Morning » dégouline de bon heavy blues admirablement bien balancé et doté de tous les atours du swing émérite - Go cut go ! Énorme dextérité et son acide bien distinct, on sent venir le grand Tony. Le blues à la Muddy Waters fait son apparition dans « Married Man », solide et affreusement classique, pour ne pas dire conventionnel. Tony joue les efflanqués. On voit nos pauvres marmottes s’enliser dans l’ornière du blues. La production n’arrange rien, puisque le son de basse semble lointain et la batterie sonne comme une casserole. D’ailleurs, tous les batteurs s’ennuient quand ils jouent le blues, sauf John Bonham qui frappe tellement ses peaux qu’il joue sans micros. Tony pourrait casser la baraque, mais il est encore dans sa période inféodée. Les Groundhogs frisent la catastrophe avec deux ou trois cuts. Tony joue avec un style hésitant, Pete est tellement mal à l’aise qu’il joue en retrait, et Ken s’évertue à tenir le beat, mais il est complètement ridicule. Avec « Man Trouble », on a un beau brin de stomp à la Muddy doublé d’harmonica et Tony part en solo carnivore, déchiquetant toutes ses notes avec une violence indescriptible, puis il se replie dans la chaleur de la nuit. Mais l’album laissera un mauvais souvenir aux amateurs.

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             Ils se remonteront le moral avec l’album suivant, Blues Obituary, dans lequel se nichent deux ou trois merveilles. Par exemple, cette reprise de Wolf, « Natchez Burning », qui relate un exploit du Klu Klux Klan venu brûler une église à Natchez, Mississippi, le fief d’Elmo Williams et d’Hezekiah Early. Belle poudrière, classique épouvantable. Tony est dessus, il croise bien ses lignes avec celles de Ken. Ils ont un son bien désossé qui tient admirablement la route. Autre exemple flagrant : « Daze Of The Week », une approche du blues lestée d’un grand sens insulaire, Tony joue les myriades de notes, il se perd dans des dédales, il piaffe dans l’azur des arcanes, il va loin, aussi loin que le portent ses ailes, c’est un expert de l’évasion évanescente, un prêtre du prêche pêchu. Et c’est là qu’on découvre le géant Tony TS McPhee, merveilleux guitariste d’une incroyable modernité. « Times » a une jolie couleur de blues stompé, croisement de beat cherokee et d’anglicisme averti, excellente pièce ingénue d’une fraîcheur convaincante. Tony se montre riche comme Crésus, non pas d’argent, mais de ressources stompiques et de petites giclées bluesy. On reste dans cette veine avec « Mistreated » et là, Tony fait son Hooky. Il va chercher son chant dans la noirceur du blackisme, mais il décolle à sa façon. Le son de sa guitare en impose terriblement. Il monte par paliers et il atteint un niveau mélodique extraordinaire. Il fait ça quasiment seul, il joue au premier plan. C’est exceptionnellement puissant. Il revient coudre la fin de cut avec un solo d’une finesse exquise.

             Avec cet album, Tony et ses amis ont enterré le blues. Ils vont alors passer aux choses sérieuses avec Thank Christ For The Bomb, un album considéré à juste raison comme l’un des grands classiques du rock anglais.

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             Sur cet album se niche l’un des hits du groupe, « Eccentric Man », qui à l’époque nous transforma tous en dévots des Groundhogs. On chantait ça dans la cour du lycée - Call me an eccentric man/ I don’t believe I am - On ne jurait que par Tony le géant, le roi de la pétaudière, l’exploseur en tous genres, le monteur de température, le pourvoyeur de frissons, le manipulateur des tensions, l’artificier hargneux, la sale teigne du rock, l’accrocheur mortifère. Son riff nous prenait la trachée artère en enfilade, on sentait l’eccentric man naviguer dans l’ombilic des limbes, avec sa voix de cochon mouillé - Call me an eccentric man/ I don’t believe I am - et Tony la ramenait, il grattait le sol comme un taureau provoqué, et il chargeait en dégommant tout, c’était un choc abdominal, un véritable passe-droit, planté dans la poitrine du rock comme une flèche apache, et il balançait un solo mortel, aussi mortel qu’un black mamba de Tarentino, violent comme un éclair, Tony titillait ses petites cordes avec ses petits doigts pour aller chercher des petits effets hendrixiens nappés de spasmes, il allumait la chaudière des enfers, il jouait comme un soudard dessoudé à la moustache mouillée, mais quel fretin ! Captain Sensible explique quelque part qu’il ne comprend pas comment Tony s’y prenait pour ne pas casser ses cordes en jouant, tellement il leur tapait dessus. Il est bon de noter aussi que Jimi Hendrix eut sur lui le même genre d’influence qu’Hooky. Comme Hendrix, Tony cherchait un son qui s’enracinait dans le blues, mais qui tendait à la sauvagerie et à la transe shamanique, pour partir dans plusieurs directions à la fois.

             Bien sûr, on trouve d’autres morceaux intéressants sur Thank Christ For The Bomb, comme par exemple « Strange Town », un solide romp bien arqué sur ses rotules. On découvre en Tony un véritable génie vitriolique. Il introduit le morceau titre à la guitare acoustique, puis il éclate d’un grand rire sardonique et tout au long des sept minutes que dure le cut, on va le voir se mettre en transe et tenter de provoquer le chaos. Oh, il va presque y parvenir.

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             Split qui sort un an après est un album encore plus spectaculaire. Toujours enraciné dans le blues, bien sûr, mais bourré de titres fabuleux comme les quatre Split de l’A. Avec « Split Part One », on sent un Tony très inspiré et bien remonté. Que voulez-vous, c’est un battant, un winner du blues au doigt. Il part en vrille et Ken le suit. On se régale de ce son idéal où l’on entend bien distinctement tous les instruments, tout en ayant une très forte impression d’ensemble. Amazing, comme dirait le Prince de Galles. Tony revient au thème de Part One comme un petit chien, au pied de son maître, un bon coup de wha-wha par là-dessus et voilà le travail. « Split Part Two » est un vrai coup de génie. Après une belle entrée en matière, Tony part dans le thème. C’est le hit universel par excellence. Couplet fabuleux - I leap from bed in the middle of night/ Run up the stairs for three or four flights/ Run in a room turn on the light/ The dark is too dark but the light is too bright - Tony se réveille en pleine nuit et descend les marches quatre à quatre, il allume la lumière mais elle est trop vive, alors on attend le second couplet pour savoir ce qui va se passer - Reality is hard to find/ Like finding the moon if I was blind/ It’s there so stark so undefined/ I must get help before I lose my mind - Tony n’accepte pas la réalité, les choses le dépassent et il sent qu’il va devoir trouver de l’aide, sinon il va devenir fou, et là, les amis, il part en solo, il dégringole dans l’enfer de la fournaise, il s’en va au fond du studio et revient faire le con devant. Il redescend dans les tréfonds d’une éblouissante crise de génie guitaristique, il tire, il tire et il tient la note. C’est l’un des moments les plus excitants de l’histoire du rock anglais. Peu de guitaristes ont su atteindre ce niveau suprême de frénésie soloïque.

             Tony monte son « Split Part Four » sur les bases saines du boogie-blues à l’Anglaise. Il s’y connaît mieux que personne, dans ce domaine. Il va chercher des contre-chants mélodiques à la confrontation. Son boogie-blues est toujours passionnant, car derrière, ses amis Ken et Pete swinguent comme des diables de fête foraine. On trouve d’autres puissantes supercheries sur la B, comme ce « Cherry Red » favori des Anglais, un hit frappé sec dès l’intro. Ils ne perdent pas de temps. Ce sont de violents déterministes. On a là une vraie perle de rock cherry red. Tony chante ça d’une voix patraque de chat perché et part en solo comme un prince de la nuit, il va où il veut, il règne sur ce disque comme il règne sur la terre et la mer, il file comme un feu follet impénitent. Il revient à son petit riff et mine de rien, il installe un classique sur son piédestal. Il faut savoir le faire, comme ça, sans fournir le moindre effort. Ça en bouche un coin. On comprend que Captain Sensible se soit prosterné aux pieds de Tony PcPhee. Ils terminent ce disque éprouvant avec le « Groundhog » des origines, une cover si inspirée qu’on en pleurerait, sometimes.

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             Pas mal de bonnes choses sur Who Will Save The World. Avec « Earth Is Not Room Enough », on retrouve les belles compos étranges et graillées à l’arrière du son dont Tony s’est fait une spécialité. Il met toujours sa voix ingrate et bien décidée à l’avant. Comme dans tous les morceaux du groupe, quelque chose de déterminant se déroule. En écoutant Tony McPhee, on sent clairement l’artisan qui fabrique patiemment son univers tout seul, pièce à pièce. Et ça marche. « Wages Of Peace » est la parfaite illustration de cette théorie oiseuse. TS sonne comme le facteur Cheval du rock anglais, comme le Douanier Rousseau du British Blues, il fabrique une à une ses petites chansons incongrues et inclassables. C’est à la fois farfelu, classique, tendre et pointu, et toujours traversé par une espèce de solo admirable. Il ne faut surtout pas perdre ce mec de vue. C’est un aventurier moderne à l’ancienne. Il bricole des chansons dans son coin et fait le bonheur de ses fans depuis quarante ans. Il est à la fois très fort et très faible. « Body In Mind » est une petite compo à rebrousse-poil avec des tendances jazzy. Un solo intriguant entre dans l’espace comme un ludion écervelé qui va se tortiller au mieux, admirable de fantaisie. Tout est artistement élevé et frais chez Tony. Retour au couplet chant à rebrousse-poil avec une souplesse rutilante. Résultat : on se retrouve avec une chanson imbattable, judicieuse et allègre. « Death Of The Sun » est une pièce extrêmement ouvragée et enrichie au clavecin. Il balance aussi une version surprenante d’« Amazing Grace » qu’il traite avec une sorte de rage hendrixienne croisée à la cornemuse expérimentale. Ce mec a du génie car il arrache la barbe de dieu. Et voilà la vrai blues rock méchant des Groundhogs : « The Grey Maze ». Ils entrent sur le sentier de la guerre. C’est digne de « Split ». Véritable exploit de power trio. Et fabuleuse sortie de fin de cut. On retrouve le génie expurgé et démentoïde de Tony McPhee. Il titille son truc et ça part. Ça coule dans tous les coins, il fait gicler ses notes à la folie cavalière. Force est de constater qu’il appartient à la caste des géants du rock anglais. Il ne lâche pas sa carne. Il ré-attaque avec férocité. Un fauve, vous dis-je !

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             Hogwash est un album moins spectaculaire. « I Love Miss Ogyny » s’annonce en prog, mais la formule évolue, comme d’ailleurs toutes les formules. Et les choses prennent une sacrée tournure. Il faut attendre « 3744 James Road » (adresse d’un ami DJ Jon Scott à Memphis) pour renouer avec du beat primaire. La structure simplifiée à l’extrême plaide pour une bénédiction. Alors Tony sort la wah pour vomir son atavisme. Ken et Pete pulsent le thème avec une remarquable indécence. On se régale du bon heavy blues de « Sad Is The Hunter » et d’un joli solo fondu dans la masse. Mais pas la moindre trace de hit à l’horizon. Étonnant cut que ce « S’one Song » monté sur un riff spoutnik. Tony surprend toujours ses admirateurs. Il ne cherche pas le tube, mais plutôt le bon morceau inspiré. On a soudain un pont et un solo s’assoit sur une paire de cisailles, ce qui donne en gros un morceau encastré dans un autre morceau. Mais ce solo est limpide comme de l’eau de roche. Just perfect. Tony reste le guitar hero numéro un d’Angleterre. Élu parmi les élus. Le dernier morceau de cet album contrasté est un hommage superbe à Hooky : « Mr Hooker Sir John », qui sonne comme une raison d’être et c’est réellement terrifiant de véracité rampante.

             Cet album est mitigé, mais partout où il ira, Tony sera bien accueilli.

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             En 1973, il sort un premier album solo, The Two Sides Of. Ça ne lui réussit pas. Le disque est raté. Et dire qu’aujourd’hui des gens se l’arrachent à prix d’or, pour avoir le fameux gatefold poinçonné !

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             Avec Solid, on referme le chapitre de l’âge d’or des Groundhogs. Très bon album. Dès le premier cut, « Light My Light », on retrouve l’ongle du vieil artisan acerbe. C’est un mec qui sait travailler la note de l’accord, il sait aussi usiner le groove à la Hooky. Sa voix rauque ne fait que conforter le fan dans son choix. Tony travaille son blues-rock à l’ancienne, avec des outils qu’il façonne lui-même. Il taille des figures de style incroyables. Quel maître ! Évidemment, on l’attend au virage du solo. Va-t-il le traiter fleuve ? Oui, toujours bien fleuve et même fleuve furibard. Il met un point d’honneur à se distinguer en jouant avec les doigts ses solos dévastateurs. Tony n’utilise pas de médiator. « Free From All Alarm » est une belle pièce de boogie-blues. Il va dessus avec son ardeur habituelle. « Sins Of The Father » est monté sur une bassline voyageuse. Étonnant et terrible. Bourré d’énergie. Ça échappe à toutes les règles. Il finit par nous donner le vertige. Voilà encore un morceau superbe et élancé. Il place un solo infernal dans « Sad Go Round », un solo qui effare, bien marqué, unique. Encore une grosse compo avec « Plea Sing Plea Song ». On sent l’intelligence supérieure du songwriter préoccupé de chansons intéressantes. Il secoue les vagues de sa chanson. Il semble se battre contre les éléments tout en apportant une coloration simpliste, avec des attaques bluesy qui l’honorent. Tony McPhee est tellement frénétique dans son approche des choses qu’il ne suscite que de la passion. Il syncope à sa manière, au rythme du ressac et il continue de claquer des solos de fin admirables. Un bon conseil : écoutez les albums de Tony McPhee. Vous l’entendrez secouer un corbillard (« Snowstorm »), taper sur la tête d’un cut (« Joker’s Grave ») ou allumer une fournaise avec un simple battement d’accords (« Over Blue »).      

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             Tony McPhee s’entoure d’une nouvelle équipe et sort deux albums en 1976. L’époque du trio mythique TS-Ken-Pete est révolue. Black Diamond reste un album correct. On constate dès « Body Talk » qu’il se passe toujours quelque chose chez Tony. Il faut voir avec quelle rage il claque ses accords. Captain Sensible n’en revenait pas de le voir aussi énervé, sur scène. Avec « Country Blues », Tony revient aux sources. Il est dans son élément, avec ce joli boogie blues qu’il chante à la rude. Il se savate au rock. Tony est un dur. Puis il revient au calme pour balancer le solo tellement convoité. B très riche avec tout d’abord « Your Love Keeps me Alive » - I never needed another woman - Solo gratifiant pour l’humanité, il le joue contre toute attente. On a là une authentique merveille évanescente - Suspended in the air - puis il explose la fin de cut avec un solo digne de Poséidon. Il revient à la vieille technique des Groundhogs pour jouer « Friendzy ». C’est extraordinairement vivant, d’une rare diversité musicale. Sacré Tony ! Toujours sur la brèche. La texture du morceau est complexe, mais on garde l’oreille rivée aux enceintes. Le morceau titre de l’album est un solo romp à la TS et il balance un solo de fin de cut prodigieux.

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             Crosscut Saw est encore un très bon album. Il prend le morceau titre au guttural. Nouvelle pièce étrange avec « Promiscuity ». On ne voit pas bien l’intérêt du cut et soudain, il prend un solo d’une rare sauvagerie. Il joue avec une opiniâtreté unique en Angleterre. Il ne lâche pas sa viande. Évidemment, on ne trouvera jamais Tony McPhee dans le classement des 100 meilleurs guitaristes de rock. Il replace un solo infernal dans le cut suivant, « Boogie Withus ». C’est un fabuleux placeur de solos. Il les travaille dans la durée, il en explore les possibilités, il va chercher l’infinitude et le beau, il lie sa sauce au beat et il revient, admirable de présence. Tony McPhee est l’un des grands héros du rock anglais, il faut le dire et le redire. Il vient en droite ligne de John Lee Hooker. Il a su créer son monde. La B est renversante. « Live A Little Lady » est stompé d’intro. Il fait son petit numéro de virtuose lunaire en douceur. On sent la patte du maître. « Three Way Split » est amené comme un heavy romp joliment bâti, bien suivi au chant et doublé d’éclatantes décorations de thèmes aigus. Tout reste solide. Ouverture hendrixienne pour « Eleventh Hour ». Joli clin d’œil à l’ami Jimi qui le fascinait tant. Alors on plonge avec Poséidon dans l’extraordinaire aventure d’un groove hendrixien digne d’Electric Ladyland, avec des vagues très perceptibles et de la belle eau. Il repart en solo dans l’extrême pureté d’une aube perdue au beau milieu de nulle part. Les notes prennent de l’élan et le beat suit infailliblement. Tony McPhee redevient l’espace de quelques minutes le maître des océans et du rock anglais. Il tire son solo loin, si loin qu’on le voit disparaître dans le poudroiement azuréen d’abyssinies abyssales à la Turner, là-bas, par delà l’horizon.  

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             Nouvel album terrible en 1985 avec Razors Edge. TS devient fou sur le morceau titre. Son rock rougit, comme atteint d’apoplexie. L’animal ne respecte rien. Tony, c’est un sale punk. Il cultive la violence du concassage. Il en rajoute autant qu’il peut. Ça déborde. Ses virtuosités se croisent dans un ciel étoilé. Dans « I Confess », on retrouve la puissance rénale du beat. C’est un type très violent. Attention à « Born To Be With You ». Il le fracasse dès le riff d’intro. Quel démon ! Il tape dans tout ce qui bouge. Il joue le boogie du diable. Il explose tout à coups de riffs. Good Lord ! Écoutez Tony McPhee. C’est lui le vrai punk anglais. Puis il pond un solo de rêve. Il part loin, dans une purée de brouillard qu’il transperce et qu’il enflamme. C’est fulminant. Tony a du génie à revendre. Il revient dans le thème au prix de prouesses inadmissibles. Et la curée se poursuit avec « One More Chance » et du riff concassé. Tony dégage tous les obstacles. Son boogie blues explose la gueule des frontières du réel. C’est hargneux, au-delà du descriptible. Il joue le riff dans la graisse du jeu de gratte. Il fait la pluie et le beau temps, il pulvérise la pulvérulence. Et il envoie filer un solo de fou. Il tire ses notes, ah quelle ordure ! Quel killer solo ! Ses notes pleurent des larmes de sang. Il repart pour mieux nous terrasser les oreilles. Ce mec est increvable. Aucun soliste anglais ne peut rivaliser de démesure sublime avec Tony McPhee. Il faut se méfier avec ce genre de mec, car on finit toujours par entendre un solo génial. Toujours l’enfer avec « The Projector ». Il embarque son beat et l’arrose d’arpèges en feu. Il n’est pas avare de figures de proue. Nouveau solo de rêve, killer solo exterminator. Fluide carnassier. Il est effarant de grandeur. Personne ne peut lui arriver à la cheville. Même pas la peine d’essayer. « Superseded » devient rapidement une horreur. Il fait monter sa sauce. Il titille ses notes au petit doigt et son solo entre dans le cut comme un coup d’épée, il plonge son arme avec toute la bienveillance de la chrétienté et explose la panse du rock infidèle. C’est pas fini. Il reste encore deux horreurs sur cet album : « Moving Fast Standing Still » renoue avec le génie de « Split #2 ». Tony ressort ses vieilles ficelles. Il chevauche une walking bass infernale. Tony est le Seigneur des Annales et il lâche le bouillon d’un solo merveilleusement liquide. Il faut laisser jouer Tony McPhee ! C’est une question de survie pour l’intellect de l’Occident. Il finit avec un blues fantastique, « I Want You To Love Me », et il sort de son chapeau le plus gros son de l’histoire du rock anglais. Son solo s’élève comme un modèle définitif. Ses notes coulent comme la lave, du haut des flancs éventrés d’un Krakatoa. Tony ramone sa purée sans qu’on lui ait rien demandé.

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             Back Against The Wall semble bien être le dernier album en date des mighty Groundhogs. Et quel album ! A hell of a blast ! Rien qu’avec le morceau titre, la partie est gagnée. Tony est affolant de présence. Pire encore, « No To Submission », accroché aux croches, furieux car riffé et joué tout à la fois. C’est de la très haute industrie lourde et Tony balance son solo périphérique d’essence blafarde. On n’en finirait plus d’épiloguer sur la modernité de son jeu de guitare, sur son sens de l’attaque, sur la grandiloquence rustique de son son. Il saura toujours ficeler un cut intéressant. Il saura toujours se rendre indispensable. Il n’est pas concevable de vivre sa vie sans écouter les disques de Tony McPhee. Sans les Groundhogs, la vie aurait-elle un sens ? Bonne question, pas vrai ? On va encore s’extasier sur « Waiting In The Shadows », à cause de son attaque en crabe très particulière et de l’angle de sa vision. On parle ici de l’angle de la terre des Angles du grand Tony tout déplumé. Quel powerman versus Lola ! Il plastroque comme une bête de Gévaudan des Midlands. On ne saura jamais si c’est elle qui est allée faire un tour à Whitechapel, car enfin, la finesse des enquêteurs a ses limites. Il fait un festival de wah épouvantable sur la bassline de Dave Anderson. Tony ? Mais c’est le diable en personne ! On adore l’écouter. C’est toujours une fête. Il fait son truc pour de vrai. Avec lui, on ne connaîtra jamais l’avanie d’Annie. Pourvu qu’il vive encore longtemps ! Aux dernières nouvelles, il ne serait pas très frais. Il nous joue ensuite « Ain’t No Saver », un petit boogie blues et on se prosternera devant « In The Meantime », pure abstraction mélodique amenée à la guitare. Il met son Meantime en route et crée l’enchantement d’une voix éteinte. Pas mal. Il fallait y penser.

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             Tous les admirateurs de Tony ont chopé Hooker & The Hogs réédité en 1996. Pas de surprise, c’est du Hooky pur jus, et comme le dit Tony dans les liners, ce disque est la preuve qu’Hooky voulait enregistrer avec ses amis les marmottes. On retrouve Peter Cruikshank à la basse et Dave Boorman au beurre. Tony passe ses petits solos l’air de rien. Il ne la ramène pas. Belle version de « Little Dreamer » lancée par Tony. On sent bien à l’écoute de ce bel album qu’Hooky est au sommet de sa forme. Bonne voix, bonne prestance. Et il a la chance d’avoir un excellent backing. Tony joue bien sec. On voit qu’il est déjà à l’époque un guitariste accompli. Fantastique version d’« It’s A Crazy Mixed Up World ». Il faut entendre l’attaque du grand John Lee Hooker. Tony joue la bride bien tenue. Il réussit à placer un petit killer solo en note à note rudimentaire que vient croiser Hooky. 

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             Avec Hogs In Wolf Clothing, les marmottes se déguisent en loups. Tony McPhee s’attaque à l’Anapurna, c’est-à-dire à Wolf. Il se lance dans un album entier de reprises de Wolf, l’inconscient, 15 classiques imprenables. Personne avant lui n’a osé une telle expédition. Il faut s’appeler McPhee pour oser un tel exploit. Mais ce n’est pas sans risques. En écoutant « Smokestack Lightnin’ », on sent bien que c’est foutu d’avance. Tony va hurler à la lune, mais il n’a pas le raw de Wolf. Il n’a pas la viande au chant. Tout ce qu’il peut apporter, c’est le solotage. Il s’éloigne encore plus de l’esprit wolfien avec « Commit A Crime ». Il force son guttural, mais heureusement, il joue une partie de guitare dingoïde, toute en riffage de gimmickage et c’est stupéfiant. Il entre dans le lard du cut avec un sacré solo, il tartine sa partie dans le groove et ça redevient le grand TS qu’on admire, le TS du trapèze de haute voltige. « Fourty Four » est l’idéal pour lui, c’est le prototype du coupe-gorge guitaristique. Puis il plonge dans « No Place To Go » et le pulse à la pointe de l’épée, comme Zorro. Tony McPhee est l’un des meilleurs allumeurs de brasiers d’Angleterre, ne l’oublions pas. Dès qu’il repart en solo, les choses prennent une tournure exceptionnelle. Va-t-il battre Jeff Beck avec sa version d’« Ain’t Superstitious » ? Il attaque seul, sans l’aide de Rod The Mod. Il est gonflé. Sa version est moins colorée que celle du Jeff Beck Group, mais elle devient épique dès qu’il part en solo. Il attaque « Evil » à la note grasse, il joue dans le flanc, mais il manque de jus d’Evil, il sonne comme un petit foie blanc. Alors il compense par un solo de dingue, une pure saloperie visqueuse et pleine de pus. Il prend « My Life » au heavy blues de l’accord tombé et en fait une tambouille à la ouuuh-ouuuuh. Mais il ne remonte pas dans l’excellence du râcleux de Wolf. Pourquoi ? Parce que c’est impossible. « Sittin’ On Top Of The World » est le blues de la perfection et Tony l’exploite comme il peut. Il claque ses notes de solo et retrouve l’éclat de son génie. Il éclate ensuite le boogie de « Wang Dang Doodle » au gimmickage puis il jazze joliment « How Many More Years ». Il prend un solo limpide et bienheureux comme Alexandre, et ça vire et ça valse.

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             Tony McPhee revient au blues traditionnel avec deux albums, Me And The Devil et I Asked For Water réédités ensemble par BGO en 1998. On y entend Tony gratter dans sa cabane de jardin. Mais il lui manque l’essentiel : la rive du Mississippi. Il va chercher les vieux trucs de gratte bien joués à la sèche, ces vieux trucs qui épatent les copines autour du feu de camp. Mais comme on le voit avec « Death Letter », il est trop dans le trad. Il devient même inquiétant de traditionnalisme. Ça ne peut pas marcher. Pourquoi ? Parce qu’il a la peau blanche. Il continue à ramener les images d’Épinal avec « Make Me A Pallat », un piano blues sur lequel chante Jo-Ann Kelly. Sur « Heartstruck Sorrow », Tony fait claquer le nylon de ses cordes à l’ongle. Pour « You Better Mind », il sort toute sa maestria et vire bourrée des Appalaches. Atroce. On se croirait sur le bivouac d’une mine de cuivre des Appalaches, alors qu’on est en Angleterre. C’est affreux. Du coup, Tony risque de passer pour un prétentieux, et pourtant, ça n’a pas l’air d’être son genre. Dans « Hard Times Killing Floor Blues », ça se corse encore, car Tony se croit aux abattoirs de Chicago. Mais il ne connaît rien au cauchemar des abattoirs de Chicago, surtout ceux de l’époque dont parle Wolf dans sa chanson. Tony, tu devrais t’occuper de tes fesses ! Jo-Ann Kelly revient avec sa grosse voix de rombière de l’Alabama pousser une gueulante dans « Same Thing On My Head » et là tout à coup, on se retrouve dans une église pentecotiste du Deep South, en plein gospel choir.

             L’autre album est nettement plus inspiré. On sent moins les cartes postales. Avec « Factory Blues », Tony revient au stomp des origines. « Crazy With The Blues » est magnifique d’enthousiasme corporatif. Tous les instruments explosent vraiment autour du feu de camp. Avec « Gasoline », Tony se prend pour Wolf, et il essaie de faire déraper sa voix. Sa version de « Love In Vain » vaut largement celle des Stones. Tony se retrouve tout seul à la station avec la suitcase à la main. Il gratte péniblement son vieux truc et ressort du placard un vieux fond de hargne. Puis Jo-Ann Kelly et lui balancent une version monstrueuse de « Dust My Blues » et Tony revient à la puissance du swing avec « Built My Hopes Too High », mais il en altère judicieusement la structure en la jouant à l’envers.

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             Sur Foolish Pride, Tony revient aux sources et joue le blues à l’échappée belle. Sur le morceau titre, il joue comme le démon que l’on sait. C’est un meneur de ronde de nuit, comme dirait Rembrandt. Il y va de bon cœur. C’est même un festival. Si on n’a pas encore compris que Tony McPhee est avec Jeff Beck et Peter Green le plus grand guitariste d’Angleterre, alors on n’a rien compris. Il faut le voir repartir à contre-courant du thème. Il effare par sa vélocité acariâtre. Il peut même partir dans tous les sens, ça ne le gêne pas. Il va bien au-delà de ce qu’on peut encaisser. Il est beaucoup trop libre, beaucoup trop fort. Dès le démarrage d’« Every Minute », la guitare entre dans le lard du cut. Et le son qu’on a sur « Devil You Know » ! Toujours le son. Rien que le son. Il éclate tout du bout des doigts. Il sort vainqueur de tous les combats. Il fait couler des phrasés de guitare insalubres et il tripote le gras du son. « Time After Time » est un autre blues-rock angloïde. On y retrouve la vieille problématique des Groundhogs et on se sent le cul entre deux chaises : hit ou pas hit ? On va de surprise en surprise jusqu’à un merveilleux walking blues intitulé « Wathever It Takes ». Ça coule tout seul et derrière ça swingue. Il repart comme si de rien n’était avec « Been There Done That ». Il sait bien au fond que des gens vont l’écouter et apprécier ce dernier spasme. 

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             Bleachin’ The Blues est un disque de blues acoustique. Il gratte tout à l’ongle sec. C’est un fou. Il part en bon boogie sur « All You Women » et il se met à claquer ses notes. Il tape dans le limon du delta prosaïque. Sacré Tony, il parvient toujours à trouver des passages inconnus. Mais il faut voir avec quelle violence il claque ses notes dans « Many Times (I’ve Heard It Mentionned) ». Pauvre guitare. Tony est un tortionnaire, un affreux jojo. Avec « All Last Night (And The Night Before) », c’est de pire en pire. La pauvre guitare ne se plaint pas. Elle sait que c’est son destin et qu’il faut arriver à l’accepter. Mais quelle violence ! Dans « When You’re Walkin’ Down The Street », Tony se prend pour un vieux nègre du coin de Beale Street. Dommage qu’il morde le trait. Il fait ensuite tomber les accords de « Bleechin’ The Blues » et dessine un belle perspective historique. Comme il se sait héros, il explose la gueule du blues. Il lève alors une tempête de grattage intempestif. Plus loin, il tape dans le gros classique de Mississippi Fred McDowel, « Love In Vain ». Tony est courageux et ça paie. Sa version est dévastatrice. Il la gratte avec une rage qu’on ne lui connaissait pas et il place mille et une petites transitions fluides. On peut dire qu’il nous en aura fait voir de toutes les couleurs, l’animal. Il finit par vraiment s’énerver et il claque ses solos dans la fumée âcre de l’exacerbation maximale. C’est un épisode stupéfiant, je vous le garantis. Il termine cet album assez extraordinaire avec deux autres classiques énormes. D’abord « Terraplane Blues », l’un des plus gros classiques de tous les temps, il fait ses eh-iiiihhh comme il faut. Il en sort une version terrassante. C’est même le hit de l’album. Il faut voir comme il terrasse son Terraplane. Et puis il continue de rendre hommage à Wolf avec une version sensible de « Litlle Red Rooster ». Franchement, on ne pouvait pas rêver meilleur final.

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             Tony enregistre Blue And Lonesome en 2007 avec Billy Boy Arnold. Sur cet album sauvage, le boogie est roi. Ils démarrent avec « Dirty Mother F... », magnifique de violence énergétique. On sent immédiatement le très gros disque. On entend bien Tony gratter ses flashes éclairs. Il part comme à son habitude en solo sans prévenir. Il peut tout se permettre, surtout quand il joue le blues, baby. « 1-2-99 » est une étrange pièce de blues en résonance, une sorte de blues pop progressif entreprenant très bien épaulée par les épauleurs et finement sertie d’un pur solo McPheelien. Billy Boy Arnold est un chanteur extraordinaire. Il cloue toutes ses fins de phrases. Il faut l’entendre lancer « Christmas Tree » en chantant le riff - tatatata la la - et une grosse ambiance s’installe. Billy Boy tire tous les morceaux à l’énergie. Bien sûr, la plupart des carcasses sont connues comme le loup blanc des steppes, mais on se régale de l’interprétation. « Mary Bernice » est un chef-d’œuvre de niaque. Billy Boy attaque de plein fouet et descend dans ses intonations, aussitôt relayé par un solo faramineux de Tony. Encore de la niaque avec « Just A Dream ». Billy Boy sonne comme le chanteur idéal. Il sait très bien faire l’exacerbé incontrôlable. Le dernier morceau de cet album tonitruant n’est autre que « Catfish ». On  retrouve le vieux mythe de Muddy. Derrière, c’est battu sec par le Père Fouettard et Tony gratte comme un dingue. C’est l’un des très gros disques de boogie enregistrés sur le sol d’Angleterre.

    Signé : Cazengler, Tony McFiotte

    Tony McPhee. Disparu le 6 juin 2023

    Groundhogs. Scratching The Surface. Liberty Records 1968

    Groundhogs. Blues Obituary. Liberty Records 1969

    Groundhogs. Thank Christ For The Bomb. Liberty Records 1970

    Groundhogs. Split. Liberty Records 1971

    Groundhogs. Who Will Save The World. United Artists 1972

    Groundhogs. Hogwash. United Artists 1972

    Tony McPhee. Two Sides Of. Wa Wa Records 1973

    Groundhogs. Solid. Vertigo 1974

    Groundhogs. Crosscut Saw. United Artists 1976

    Groundhogs. Black Diamond. United Artists 1976

    Groundhogs. Razors Edge. Landslide Records 1985

    Groundhogs. Back Against The Wall. Demi Monde 1986

    Tony McPhee. Foolish Pride. Blue Glue 1993

    Groundhogs. Hooker & The Hogs. Indigo Recordings 1996

    Groundhogs. Hogs In Wolf Clothing. HDT Records 1998

    Tony McPhee & Friends. Me And The Devil/I Asked For Water. BGO records 1998

    Tony McPhee. Bleachin’ The Blues. HTD Records 1997

    Billy Boy Arnold & Tony PcPhee & The Groundhogs. Blue And Lonesome. Music Avenue 2007

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    Record Collector # 424. February 2014. « Groundhog Days » par Paul Freestone.

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    Martyn Hanson. Hoggin’ The Page. Groundhogs - The Classic Years. Northdown Publishing

     

     

    L’avenir du rock

    - Buffalo bile

     (Part One)

     

             N’allez surtout pas croire que l’avenir du rock soit l’un de ces élitistes réfugiés dans une tour d’ivoire. Au contraire, il adore se fondre dans la masse, en regardant par exemple les jeux télévisés. Huit candidats sont à l’écran pour le super-banco, tourné en direct devant des millions de téléspectateurs. Après le gong, l’animateur redresse son nœud pap et ânonne d’une voix solennelle :

             — Connaissez-vous le nom du groupe de rock américain des frères Gabbard ? La question étant un peu difficile, je vous donne trois indices qui j’en suis sûr vous mettront sur la piste : cornes, plaine, winchester. Bon, je vois à votre plumage que c’est le grand ramage, alors je vais vous aider : le nom que je vous demande est en deux mots, ça commence par BU et ça tagadate.

             Une grosse dame d’allure réactionnaire lève son gros bras :

             — Buralistes Couleur !

             — C’est pas mal, Madame Bignolle, mais ce n’est pas ça...

             — Burineurs Caleux !

             — Vous n’avez droit qu’à une seule réponse Madame Bignolle, vous enfreignez le règlement !

             — M’en fous de vot’ règlement, j’ai besoin des dix millions pour refaire ma salle de bains ! Alors le nom du groupe, c’est Burito Kilos !

             — Je vous en prie, Madame Bignolle, vous empêchez les autres candidats de tenter leur chance. Faites au moins preuve de civisme, si vous n’êtes pas capable de...

             — Ho, commence pas à m’insulter, sinon mon époux va v’nir te péter la gueule !

             Dans le public, un mec assez grand se lève, la caméra le cadre :

             — Bucolimilimilimilimilimilimili... blic !

             L’animateur se tourne alors vers la caméra :

             — Allo Cognac-Jay, nous avons un problème technique, je vous rends l’antenne ! 

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             L’avenir du rock éteint la télé. De voir des gens aussi cons le rend triste. Et ça le rend encore plus triste de n’avoir pas participé au jeu, car bien sûr il connaissait la réponse. Buffalo Killers. Il ne connaît pratiquement qu’eux. Attention aux frères Gabbard ! Ils font partie des ces hippies américains basés dans l’Ohio et capables de rivaliser avec les Beatles.

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             Leur premier album Buffalo Killers sort sur Alive Records en 2006, et dès «San Martine Des Morelles», ils sortent une heavyness de beatlemania digne du Lennon de «Cold Turkey». C’est admirable car bardé de son et sensé, orienté grand public de qualité. Les Killers tapent dans l’overdrive de défonce concomitante. Les accords sont ceux de «The Ballad Of John And Yoko», et ça joue fabuleusement bien. On a même un solo digne du roi George, mais avec le poids d’une certaine Amérique en plus. On retrouve le son des Beatles dans «Something Real», le dernier cut de l’album. Les Killers sont probablement le meilleur heavy band beatlemaniaque du monde. Ce cut est zébré d’éclairs de John et de George. Ils écrasent littéralement «Fit To Breathe» dans l’œuf du serpent. C’est chanté au guttural du midwest, et piqué au grain mauvais de distorse acariâtre. Quoi qu’ils jouent, quoi qu’ils disent, quoi qu’ils caguent, ils sont bons. Dans la fuzz du son, on croise le fantôme de John Lennon. Les Killers battent pas mal de records de heavyness avec ce bel album. Ils tapent «SS Nowhere» au heavy retardataire, c’est un bon choix. Admirable car bardé de tout ce qu’on aime dans le son, ce psyché allumé aux riffs de basse, et pour corser l’affaire, Andrew Gabbard passe un solo cool de cat à la clé qui vire acide sur l’after. On reste dans le modèle beatlemaniaque avec «Heavens You Are». Ils ont un si joli son qu’ils semblent jouer au-dessus de leurs moyens. Andrew Gabbart chante comme un con et ça retombe comme un soufflé. Avec «River Water», ils se positionnent dans une certaine ampleur de rock américain. Ils sortent un son chatoyant classique, on dirait du Little Feat assis sur des braises ardentes. On sent qu’ils cherchent à créer l’événement, comme par exemple avec «With Love», joué au bouquet d’harmonies soniques. C’est drôle, car on attend des miracles de ces mecs-là. On a raison d’attendre, car arrivent «Children Of War», tapé au heavy-rock et fondu dans une mélasse de rêve, puis l’excellent «Down In The Blue», pur jus d’heavynesess de Cincinnati, ils le grattent délicieusement en écrasent les syllabes comme des cafards. Oh yeah, un Killer sinon rien.

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             Deux ans plus tard paraît Let It Ride. Dès «Get Together Now Today», les frères Gabbard sortent un admirable son de heavyness télescopique. C’est littéralement bardé de son et d’idées de son. Ils captent immédiatement l’attention. Ils dérouillent la fine fleur du rock seventies au muddy bass sound et aux claqués de mains épisodiques - But hey everybody’s wrong/ Let’s get together now today - Ça s’amplifie encore avec le morceau titre, brouet de son d’une indescriptible prescience, digne du «Little Red Lights» de Todd Rundgren. Terrifiante coulée de bronze. Et ça joue au solo trompette. Andrew Cabbard chante à la petite arrache Blue-Cheery. Fabuleux brouet de trompette de solo fuzz et de chœurs de magie noire. Ça sonne comme un sortilège moyenâgeux, le solo éléphant charge les chasseurs dans la savane, ils ont le pouvoir de Cactus, il bousculent tout dans le fossé du temps. Les chœurs fondent comme du gruyère sur le croque. Demento ! Alors évidemment, après un coup pareil, on dresse l’oreille. «Leave The Sun Behind» sonne plus classique, mais hardi et bardé d’excellence. On se retrouve au cœur d’un son seventies, mais avec une modernité de ton providentielle. Des tas de groupes tentent d’y revenir, mais les Killers ont pigé le truc. Ils jouent à la jouissance gourmande du sucré, c’est le rock du Passage Démogé. Voilà «If I Get Myself Anywhere» tapé à la petite heavyness psyché classique. C’est travaillé dans la matière - I don’t care about the world/ Get my jelly roll honey/ Turn the lights low - Oui, il se fout du monde, c’est un groover, que de virtuosité dans son make you feel good, quelle incroyable vélocité psychédélique ! Ces mecs sont aussi bons que NRBQ. Avec «On The Prowl», ils sortent le même son et les pointes de vitesse stupéfient. Dans «It’s A Shame», leurs accords s’écroulent comme des falaises de marbre dans le lagon du Mordor. Ils tapent dans un registre infesté de requins. Ils naviguent à vue comme des fonctionnaires de la vieille école et tarabiscotent un peu trop. Ils sortent un petit groove intimidant avec «Heart In Your Hand» - Breaking my back for you darling - Étonnant et solide. S’ensuit un «Take Me Back Here» tapé à la petite énerverie patentée. Ils jouent la carte du funk foncier et s’amusent à pulser le push du puke, avec une très joli son de shuffle et un solo bien gras. Admirables Killers.

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             Ils renouent avec leur passion pour les Beatles dans 3 avec un cut intitulé «Time Was Shaping». On se croirait sur le White Album. Sans blague ! C’est le son de «Sexie Sadie», l’esprit, en tous les cas. Ils tapent leur psyché à la bonne franquette et ça devient fascinant. Andrew et Zach ont du répondant, ils nous claquent des harmonies vocales dans le fracas des armes. Les changements de beat resplendissent dans l’éclat du jour. On les soupçonnerait presque d’être plus anglais que les Beatles. Ils enchaînent ça avec «Move On», du psyché  de belle allonge. C’est bardé de bon son et chanté à la revoyure, avec en plus un solo dément. Ils vont ensuite sur une belle pop de grands connaisseurs avec «Everyone Knows It But You». Ils revisitent toute l’histoire de l’appropriation par les Américains du rock anglais. Ils terminent cet album fantastique avec «Could Never Be», bel exergue démergitus joué au pire groove de l’univers. Ils rendent aussi un fantastique hommage à Balzac avec «Lily Of The Valley». C’est bucolique en diable, ils fonctionnent vraiment comme les Beatles, avec une idée de son et une mélodie. Voilà encore un cut envoûtant, chanté en toute simplicité. Les frères Gabbard tapent vraiment dans le top des hits de pop. Avec «Jon Jacobs», ils reviennent au psyché d’avalanche magnifique, ils sonnent comme les meilleurs spécialistes du far-out d’Angleterre, ils jouent heavy et dégagent des radiations. Voilà le maître mot des Killers : la prescience psychédélique. Heavyness des radiations. Ils remontent en selle pour un «Take Your Place» noyé de son, c’est épais comme un bon aligot de bougnat d’à côté. Tout bouge. C’est l’apanage du psyché : tout bouge en même temps. Les deux cuts d’ouverture sonnent aussi comme des passages obligés, à commencer par «Huma Bird». Ils claquent ça aux cloches de la big mama du heavy rock. Ils se montrent très persuasifs, très entreprenants. Ils détiennent le pouvoir de l’universalisme confédérateur. Ils sonnent avec tout le poids de la concorde d’Amérique, ils se situent à l’échelle du continent. Et puis il y a ce «Circle Day» joué au beau fondu d’élégance nuptiale. Quelque chose règne sans partage sur cette musique. De l’ordre du goût de vivre à plein temps. Andrew Cabbard chante en rase-motte par dessus les toits d’Amérique. Il sonne comme un Verlaine psychédélique. Fabuleux barbu.

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             Encore un très bel album avec Dig. Sow. Love. Grow. qui date de 2012. Le cut beatlemaniaque de l’album s’appelle «Moon Daisy» et referme la marche. On se croirait à Liverpool, tellement ça sonne bien. Leur son rappelle aussi les Boo Radleys. Il se répand comme une rivière de miel dans la vallée des plaisirs. Le fantôme de John Lennon réapparaît. Quelle belle heavyness ! On pourrait appeler ça une fantastique échappée belle. C’est heavy et beau, chargé jusqu’à la gueule, comme un canon impérial. «These Days» sonne comme un hit de Big Star. Même sens de la harangue boutonneuse jouée dans une sorte de chaos philharmonique, ce serait presque du Big Star extraverti. Les frères Gabbard ne se refusent aucune descente au barbu. On y retrouve aussi le son de basse de «The Ballad Of John & Yoko». Ils sont aussi bons que les Beatles. Andrew Gabbard prend «Get It» d’une belle voix de glotte pincée, glissée à l’insidieuse dans le gras du tatapoum. Ils sont aussi très forts en matière d’insidious. Andrew passe un solo à la titube, dans la meilleure des traditions traditionnelles, claqué à la note persistante. Ses solos régalent toujours la compagnie. Ils plantent encore leurs crocs dans les Beatles avec «Hey Girl». Andrew y passe un solo magistral, les notes rebondissent dans l’air de la plaine. Les albums des Killers fonctionnent tous comme des voyages extraordinaires au pays des possibilités soniques. «Rolling Wheel» se veut plus sibyllin, toujours dans la veine beatlemaniaque, chanté à la harangue et fluet, joué dans les règles du plus bel art de power pop éclose au soleil d’été radieux. Andrew joue encore une fois des notes de titube à la George Harrison. Sa classe se bat pour la cause. «I Am Always Here» éclate à l’éventail des possibilités de l’arpège catégorique. Suprême velouté de poireaux psycho. Andrew Gabbard joue des arpèges des grands canyons et se fond dans l’écume des jours. Les Killers jouent la meilleure des cartes, celle du gras fatal. On n’en finit plus d’admirer ces Beatles des Amériques. Ils sont l’un des groupes contemporains le plus passionnants. Ils tapent «My Sin» aux gros accords de la concorde. Une sorte de Convention règne sur la pop des Killers. Robespierre serait très fier d’eux.

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             Les Killers quittent Alive le temps d’un album, Heavy Reverie. On y trouve un cut encore meilleur que les grands cuts des Beatles de l’âge d’or : «Grape Peel (How I Feel)». C’est le barrage conte le Pacifique de Revolver avec des pulsions motrices d’unisson. Pur jus de beatlemania ! Même le solo vaut tous les George du monde, ces mecs jivent leur Lennon à la vie à la mort. Souvenez-vous : pas de pire rockalama que Lennon en denim avec sa Gibson blanche. Ils touillent leur bleatlemania avec un son de rêve. Cet album décolle dès «Poisonberry Tide». Pas de pire heavyness de son, c’est le heavy rumble du sourd. Quel fabuleux juggernaut d’allant forcené ! Tout est combiné d’avance, là-dedans, à coups de pyché californien et de beat des enfers. Ils nous chantent cette splendide apocalypse au clair de lune américain, c’est bardé de toute l’énergie sonique dont on peut rêver. Pew ! So perwerful ! «Dig On In» reste dans l’invraisemblable déconfiture d’absalon. Ils tapent vraiment dans le dur du son, comme si les Beatles jouaient du hardcore de Liverpool salué à la guitare fuzz. Aw, let’s dig on in. S’ensuit un autre fabuleux shoot de power-pop avec «This Girl Has Grown». Tout est ramoné à la perfection, bardé de son, ultraïque et particulièrement beau. Andrew Cabbard claque un solo d’éclat majeur à la clé et ça relance au puissant shuffle de Buffalo. Ce groupe est l’un des plus importants de notre époque, soyons clairs là-dessus. La fête se poursuit avec un «Cousin Todd» bardé d’harmonies vocales et de big sound. Ils semblent recycler toutes les vieilles énergies du rock. Ils nous stompent «Sandbook» à la suite. Encore un cut absolument déterminant. Quoi qu’ils fassent, les Killers kill kill kill - Your body excites me - On sent des velléités de heavy drudgery psychout. Aucune rémission possible. Tiens, encore une extraordinaire tartine de heavyness avec «Louder Than Your Lips», joué à l’extrême jonction de l’extrême onction du heavy sound de nez pincé, à coups de sunday morning got together. Ils y vont à coup de boutoir, cette histoire est purement sexuelle. Quel beau spectacle. Ils finissent avec deux cuts à la Chilton, «Shake» et «January», ça sent bon le back of your car, mais ils ne peuvent s’empêcher de shooter un gros fix d’Americana dans ce petit balladif insouciant. On croit entendre les Boo Radleys. Ils se prennent pour des mecs de Liverpool, ma poule.

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             Leur dernier album est un live, Alive And Well In Ohio. On y retrouve toutes les accointances avec les Beatles, notamment dans «So Close In Your Mind». Sur scène, les Killers semblent encore plus spectaculaires qu’en studio. «Death Magic Cookie» s’impose en tant qu’heavy balladif chargé d’influences. C’est joué au mieux des possibilités et chanté au mieux du mieux. C’est tout simplement somptueux, fondu dans l’harmonie céleste. Andrew Gabbard chante comme un dieu. On peut dire exactement la même chose de «What A Waste», tellement ce balladif s’étend à l’infini. Le «Parachute» qui suit n’est pas celui des Pretties, mais Andrew Gabbard le chante à l’intoxication supérieure. Il prend ça au gras de glotte et se fond dans une source de psyché d’une puissance purement américaine. Les Killers échappent à toute l’actuelle vague figée. Ils sentent bon l’air frais. Le solo d’Andrew Gabbard entre là-dedans comme un démon baveux. «Eastern Tiger» aurait pu figurer sur le White Album, voilà pourquoi il faut prendre ces gens-là au sérieux. Encore plus virulent, voilà «Need A Changin’», joué à la bonne augure des seventies. Les Killers inspirent une sorte de confiance instinctive, d’autant que ça riffe dans le gras double et qu’un solo vient percuter l’occiput du cut. «Evil Thoughts» sonne comme une sorte de groove des jours heureux, celui qu’on passe sa vie entière à rechercher. C’est d’une amplitude sans précédent. Leur talent règne sur la terre comme au ciel. On retrouve encore le son des Beatles dans «Outta This Hotel», pur jus de White Album. Ils ont ce talent traînard, très présent et même omniprésent. Leur boogie-rock peut aussi frapper par sa classe, comme on le constate à l’écoute de «Rad Day»,  un cut shooté aux accents de country juteuse. Et voilà une pièce d’Americana définitive : «Applehead Creek». Ils vont loin dans l’au-delà du son et de la pop, ils jouent la carte de l’animal esprit. Leur cut voyage dans le temps. Les Killers sont le groupe américain qu’il faut suive à la trace. Ils se situent au-delà de toute expectative. Ils font même du proto-punk à la Edgar Broughton avec «On Out». C’est un album parfait qui peut faire partie du voyage sur l’île déserte.

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             Les frères Gabbard relancent leur petit business avec The Gabbard Brothers. Le portrait peint sur la pochette est signé Shannon, de Shannon & The Clams. On va trouver quatre belles énormités sur cet album, à commencer par «Yer A Rockstar», bel hommage à Dylan, nappé d’orgue Hammond, c’est très pur, hey babe, c’est même complètement allumé, driving in your car. Du son encore sur «Feel Better Love Better», ils tapent ça à deux voix, ça file vers l’horizon avec une fuzz au cul du cut. «Pockets Of Your Mind» est plus country, mais joué fast à travers la plaine, c’est excellent, ces mecs savent nourrir une portée. Les frères Gabbard ont une facilité à pondre des soft rocks orientés vers l’avenir. Ils sont encore très purs avec «Hazard Ky Bluegrass Grandma», le Hazard Kentucky chanté au petit sucre d’Americana supérieure, ils te déroulent le tapis rouge d’une Americana renouvelée avec un heavy gratté de poux. Ils ressortent encore des harmonies vocales magiques dans «Early Pages». Bienvenue au paradis ! On les voit tous les deux à l’intérieur du digi avec leurs barbes et leurs guitares, chacun dans un coin du studio. Ils font encore de la pop obsédante avec «Lovin’ Arms». Ça ne chôme pas chez les frères Gabbard. Ils jouent avec la heavyness dans «Gimme Some Of That» - Get out of my way - et sonnent comme les grands groupes californiens des années 80 dans «Easter’s Child». C’est plein d’une certaine allure, avec un soupçon de country rock in the fold.

                 Signé : Cazengler, Buffalo du lac 

    Buffalo Killers. Buffalo Killers. Alive Records 2006

    Buffalo Killers. Let It Ride. Alive Records 2008

    Buffalo Killers. 3. Alive Records 2011

    Buffalo Killers. Dig. Sow. Love. Grow. Alive Records 2012

    Buffalo Killers. Heavy Reverie. Sun Pedal Recordings 2014

    Buffalo Killers. Alive And Well In Ohio. Alive Records 2017

    The Gabbard Brothers. The Gabbard Brothers. Karma Chief Records 2022

     

    Wizards & True Stars

    - Peel ou face

    (Part One)

     

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             Plus qu’aucun autre modeleur, John Peel a façonné nos vies. Il n’était qu’une voix dans un poste de radio. Sans vraiment le connaître, on sentait qu’on pouvait se fier à lui. Après, pour le connaître, tu as des livres, dont la bio de Mick Wall qui s’appelle tout bêtement John Peel, et l’autobio, Margrave Of The Marshes. Mais à l’époque, il fallait se contenter d’écouter son émission sur BBC Radio One, qu’on chopait sur les ondes moyennes, du lundi au jeudi. L’arbitre des élégances, le maître du jeu, le maître étalon, le maître de Marguerite, le grand sachem, le Raymond la Science de l’underground, le guide spirituel, le Sartre du rock, le grand satrape du Cymbalum définitif, ce fut John Peel et son inimitable marmonnement. Quand il démarrait son émission, tu avais l’impression d’atteindre la terre ferme. Il existe encore quelque part dans les cartons un cahier dans lequel on notait religieusement chaque track-listing du John Peel Show, car ils faisaient référence. John Peel dessinait la vraie carte du rock. Il explorait pour nous les territoires inexplorés et nous formait à l’esprit de découverte. Il nous incitait à devenir curieux. C’est la force des bonnes émissions de radio : le mec vante son truc en trois mots et tu as tout de suite la preuve de ses racontars. Gildas opérait exactement de la même façon sur le Dig It! Radio Show : il ne programmait qu’à coup sûr. Il donnait peu d’infos, et préférait donner la priorité aux cuts. Du pur John Peel. Une façon de dire : «Tiens, écoute ça mon gars». Gildas et Peely avaient en commun cette fiabilité du goût et cette réserve naturelle, qui sont les deux mamelles de l’élégance. À aucun moment, il ne leur serait venu à l’idée de parler d’eux pour se faire mousser. Pas de moi-je chez ces mecs-là. De la musique avant toute chose, comme le disait jadis si joliment Paul Verlaine.

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             Pour faire connaissance avec l’homme que fut John Peel, le book idéal est celui de Mick Wall cité plus haut. Comme la plupart d’entre-nous, Wally est entré dans l’univers radiophonique de John Peel comme on entre en religion. Ce remarquable écrivain a réussi à brosser un portrait extrêmement sobre de Peely. Il commence par saluer le découvreur qui fut le premier à passer dans son radio show des gens aussi considérables que Country Joe & The Fish, P.J. Harvey, T.Rex et les Smiths. Wally insiste aussi beaucoup sur la notion de proximité qui est essentielle : «À la différence des autres DJs qui gueulaient dans leur micro, Peely donnait l’impression d’être avec toi dans la pièce.» D’où cette impression d’ami intime et fiable, incapable de te faire avaler une couleuvre. Impression renforcée par ses fréquents aveux en forme d’auto-dérision, surtout quand il qualifie son style professionnel de «simple dévouement au service public radiophonique, ou de manque d’ambition très choquant.» Il ajoute : «C’est un mélange des deux. Je ne fais jamais d’erreurs stupides. Seulement des erreurs very clever.» Ceux qui connaissaient Gildas le reconnaîtront aussi dans cette déclaration d’intention teintée d’humour anglais.

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             Mick Wall se souvient d’avoir flashé sur le radio show en découvrant le «Mandoline Wind» de Rod Stewart - Peely déclarait après la chanson : «Possibly the finest song I think young Roderick has ever witten.» Je me souviens qu’il sa soupiré profondément après avoir dit ça. Je pensais exactement la même chose. C’est là que j’ai craqué pour lui. This Peel bloke seemed to know what he was talking about - Peely fut aussi le premier à passer «les Ramones, les Damned, Clash, Jam et les Pistols singles», et aux yeux de Mick Wall, «the most marvellous of all, the first Television album, Marquee Moon.» Mais cette réputation de découvreur agaçait un peu Peely : «Just been doing my job. Des gens comme Captain Beefheart, David Bowie, les Smiths, New Order, Pulp et les White Stripes se sont découverts eux-mêmes.» L’un de ses exploits les plus connus est bien sûr la diffusion du home-produced «Teenage Kicks» des Undertones, qu’il passe deux fois de duite. Le groupe est signé par Sire dans la foulée. Et bien sûr, on retrouve «Teenage Kicks» en numéro deux de son All Time (Millenium) hit-parade, juste après «Atmosphere» de Joy Division. Peely adore tellement «Teenage Kicks» qu’il aimerait bien qu’on grave the opening line - Teenage dreams/ So hard to beat - sur sa pierre tombale. Feargal Sharkley : «I owe my life to John Peel.» Nous aussi d’une certaine façon. Sans John Peel, on ne sait pas ce qu’on serait devenu.

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             Très tôt, Peely affiche son anti-conformisme. Au lycée, il est déjà excentrique, il cultive déjà un goût «pour les disques inaudibles» et se plaît à écrire «des essais facétieux et interminables». Comme il affiche clairement son manque d’ambition, son père qui est homme d’affaires le présente comme l’idiot de la famille. Quand Peely lui dit qu’il rêve de devenir DJ à la BBC, son père lui répond que c’est impossible, «à moins d’être catholique ou homosexuel, ou les deux.» Peely ajoute, à propose de son père : «He had a rather distorded view of life, I think. Nice chap but funny views.» Dommage que Wally ne fasse pas référence à Dada, car on est en plein dedans. Son père envoie Peely au Texas pour étudier le marché du coton. Peely va rester sept ans aux États-Unis et rentrer à Londres auréolé de légende : il est devenu l’Englishman qui a conquis la radio américaine, c’est du jamais vu. Il ramène en outre une collection de disques rares, un accent étrange, et une épouse texane de 17 ans dont il aura du mal à se débarrasser. Il démarre à Radio London et John Ravenscroft devient John Peel. Puis il entre à BBC Radio One et y restera 37 ans. Comme il mise tout sur l’anticonformisme, il s’attend constamment à se faire virer, mais il tient bon. Pas question de vendre son cul. C’est pour ça qu’on le vénère. C’est aussi pour ça qu’il va devenir une institution. Sa première émission s’appelle The Perfumed Garden, puis il lance Top Gear, et programme la crème de la crème de l’underground, «King Crimson, Bolan, Bowie, Family, Fairport Convention, Jimi Hendrix, Arthur Brown, Soft Machine et Country Joe & The fish.» Il insiste pour passer les albums sans interruption, «avec un commentaire tordu mais savant». Il fait parfois des gags : «And tonight the Flying Creamshots in session», un nom qu’il a trouvé dans un «Dutch porn mag». Il reconnaît que son radio show est devenu fashionable dans les années 70 et en disant ça, il s’en excuse : «Je n’ai pas trop aimé cette expérience.» Pas de frivolité chez Peely. Seule compte la musique - He was an anomality: a music radio DJ preoccupied chiefly with, uh, music - Il est aussi connu pour sa dévotion envers certains groupes, comme bien sûr the Fall : 23 Peel Sessions avec The Fall, «one of the unloveliest, if unique, British bands in history.» Il adore aussi saisir le groupe à ses débuts, parce qu’une fois célèbres, la plupart des gens deviennent bizarres. Il se souvient particulièrement de son ami Marc Bolan, transformé par la célébrité, avec lequel il s’est fâché.

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             Peely est aussi connu pour écouter tout ce qu’on lui envoie, enfin jusqu’au moment où il n’y arrive plus : en 20 ans, il reçoit plus de 100 000 disques et cassettes, alors ce n’est plus possible. Quand il se marie avec Sheila, il achète une baraque à la campagne, près de Stowmarket, dans le Suffolk. C’est un petit domaine avec une piscine, un court de tennis, et un potager, domaine qu’il baptise Peel Acres. Mais il doit aller à Londres chaque jour pour son émission. Ça tombe bien, il adore conduire. Il adore surtout Sheila, qu’il surnomme the pig, à cause de sa façon de rigoler - Snorting laugh, which he heard often as, remarkably, Sheila always seemed to find John’s jokes even funnier than he did - Mais aussi pour, dit-il, sa façon «de dormir enlacée à lui, même lors des nuits les plus chaudes.»

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             Charles Shaar Murray dit que rencontrer Peely was a delight - He was just cool, wise, sardonic and self-depreciating, toujours de bonne humeur même quand mon chat non-castré lui a pissé sur les pieds - Peely bosse avec son boss John Walters, ils préparent les émissions ensemble dans leur bureau de la BBC qui est minuscule et envahi de disques et de cassettes. Peely se marre : «Notre relation est celle du joueur d’orgue de barbarie et de son singe. Chacun de nous croit que l’autre est le singe.» Une autre fois, il décrit leur relation comme celle d’un homme avec son chien «et chacun croit que l’autre est le chien.» Ouaf ouaf ! Quand Bernard Summer de Joy Division et New Order rencontre Peely pour la première fois, il se dit nerveux - We were nervous. We had to have a couple of drinks. Mais John Peel était aussi nerveux que nous, ce qui nous a stupéfaits - Peely est tellement fasciné par l’underground et les groupes obscurs qu’il a créé incidemment the «Norwich scene» en 1983, qui comprenait The Higsons, The Farmer’s Boys et Serious Drinking. Et il refuse les groupes à succès. Par question d’offrir des BBC Sessions à Police, U2 et Dire Straits. Non merci. Il aimait aussi les groupes purement orignaux qui n’avaient aucune attache avec ce qui était connu. Il citait Roxy Music comme exemple. Et les Smiths - You couldn’t tell what the Smiths were listening to.

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             La musique, toujours la musique, rien que la musique. Pour lui comme pour beaucoup d’entre nous, ça commence avec Elvis, «and two weeks later, Little Richard.» - I stared open-mouthed. Je n’avais jamais rien entendu d’aussi raw, d’aussi elemental. After which, my life changed, it really did. I don’t think I was quite the same person again. Tout a changé quand j’ai entendu Elvis. Là où il n’y avait rien, soudain il y avait quelque chose - À la découverte de Little Richard, il se décrit comme «Saul on the road to Damascus». Il découvre aussi Lonny Donegan, «celui qui irritait tant mon père que celui-ci tentait de m’irriter à mon tour en l’appelant ‘Lollie Dolligan’». Puis il voit des tas de gens sur scène, «Clyde McPhatter, Duane Eddy, Eddie Cochran and best of all, his beloved leather-clad Gene Vincent.»

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             En 1967, The Perfumed Garden est une émission d’avant-garde. Peely est le premier à passer Captain Beefheart et Zappa en Angleterre. Il passe aussi Hendrix et les Beatles, «or anyone else you’d dare to name». Il est aussi le premier à diffuser du glam, Bowie, Bolan, mais surtout le Roxy Music des deux premiers albums, que Peely voit comme «new and exciting». Et 1976, boom, avec «New Rose» des Damned qui, nous dit Wally, «lui redonne exactement the same feeling as the first time he ever heard Little Richard.» Eh oui, on a vécu exactement la même chose, à l’époque. Et donc en 1976, Peely fait glisser sa play-list «du Steve Miller Band vers Siouxie & The Banshees». Wally cite aussi les Pistols, Clash et il s’attarde un peu sur les Damned pour indiquer que la mère de Rat Scabies, qui s’appelle dans le civil Chris Miller, écrivit à Peely «a lovely letter, le remerciant sincèrement for ‘helping Christopher with his career.’»

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             Peely voulait faire une Peel Session avec les Pistols, mais son boss John Walters ne voulait pas. Peely ne va pas rester les mains dans les poches : il défie la censure imposée par la BBC en passant «God Save The Queen» dans son Radio Show. Pas mal pour un mec, nous dit Wally, qui fut menacé par Sid Vicious dans une salle de concert. Peely adore les singles punk, car il préfère de loin la musique de ceux qu’il appelle «the primitive artists, like the early Elvis and Gene Vincent.» Dans son Radio Show, il continue de croiser les genres, the Fall avec J.J. Cale ou Peter Hammill, Wire et Roy Harper, du reggae, Vivian Stanshall, Ivor Cutler, «a regular guest on the programme» - a sort of proto-punk storyteller, poet, surrealist, songsmith and comic raconteur - Deux de ses «top ten favourite sessions of all time» sont celles des Slits en 1977 et 1978, ainsi qu’une session de Pulp, et puis il y a aussi les 23 Peel Sessions de the Fall, comme déjà dit, mais on le redit. Voilà les noms qui reviennent dans le Radio Show : «Joy Division, the Cure, Orange Juice, the Teardrop Explodes and later, the Smiths et Madchester avec les Happy Mondays.» Au début des années 80, il passe Swell Maps, the Quads, the Jam, Philip Goodhand-Tait, XTC, Misty In Roots et une session de the Cure. Quand il reçoit le nouvel album de the Fall, il le passe entièrement. Par contre, la Britpop ne l’intéresse pas - because it didn’t sound as good as the stuff they were replicating - Pas d’Oasis en Peel Session. Il flashe plutôt sur Cornershop et Gorky’s Zygotic Mynci, puis plus tard sur les Strokes et les White Stripes.

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             L’un des fleurons de son environnement relationnel n’est autre que Captain Beefheart. En 1969, Peely fut son chauffeur pendant une tournée en Angleterre - At one point, the good Captain ordered him to stop the car. ‘John I want to hug a tree!’, he annonced. John duly obliged - Le bon Captain ne demandait pas à s’arrêter dans les bois pour faire caca, mais pour serrer un arbre dans ses bras. C’est toute la différence avec nous autres, pauvres pêcheurs. Captain Beefheart nous dit Wally allait rester en contact avec Peely, l’appelant au téléphone une fois par an, quelques semaines avant son anniversaire. Peely : «J’ai toujours la trouille quand il m’appelle, car je ne sais jamais quoi lui dire.» L’autre fleuron de son environnement relationnel est bien sûr Mark E. Smith : «J’ai seulement rencontré Mark E. Smith une fois ou deux, donc je ne pas dire qu’on soit amis. Quand je le rencontre, je ne sais pas non plus quoi lui dire, alors on se donne un petit coup de poing viril dans l’épaule et on repart chacun de son côté.»

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             En 1969, Peely et son business manager Clive Selwood démarrent un label underground, Dandelion, qu’ils veulent l’équivalent britannique d’Elektra. Peely s’intéresse bien sûr aux artistes invendables, Clifford T. Ward, Bridget St John, Tractor, Mike Hart et un down-at-heel Gene Vincent qui est sur les talons et qui n’a plus de contrat. C’est sur Dandelion que sort l’excellent I’m Back And I’m Proud. Mais les fleurons du label sont Stackwaddy et Medecine Head. «Stackwaddy were punks before there were punks», dit Peely. Il ajoute que le chanteur était un déserteur de l’armée américaine et quand le groupe est parti tourner aux États-Unis, le chanteur portait une perruque : «Lors du premier concert, il était tellement ivre qu’il se mit à pisser sur les gens du premier rang. Il fut arrêté et la tournée fut annulée.» Comme Peely n’a pas le droit de passer ses poulains dans son émission, le label fait vite faillite et disparaît en 1972. Dommage, car il envisageait de monter le projet des 101 Sharons, comprenant 101 chanteuses nommées Sharon. Il abandonna le projet au bout de 40 Sharons. 

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             Et puis, il y a le mythe du Festive Fifty, an annual tradition, qui commence 1976 et qui se termine en 2004. Wally les donne à lire en fin d’ouvrage. C’est une vraie cartographie de l’histoire du rock, filtrée par un esprit averti. En tête du Festive Fifty de 1976 : Led Zep avec «Stairway To Heaven». Mais en 1978, 1979, 1980, 1982, ce sont les Pistols qui caracolent en tête avec «Anarchy In The UK». Et en 2004, The Fall avec «Theme From Sparta FC Part 2». Dans l’All Time (Millenium), les Pistols sont #4 après deux Joy («Atmosphere» et «Love Will Tear Us Apart») et les Undertones.

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             Et puis, il y a la fameuse collection. Peely reçoit environ 2 000 CDs chaque semaine, plus une centaine de singles. Sa philosophie reste la même : «Peut-être y a-t-il something là-dedans qui va se révéler quite wonderful.» Pour le savoir, il faut écouter. C’est le job du découvreur. ll est obligé de faire construire des extensions dans son domaine pour stocker tout ça : une extension en bois pour abriter l’énorme collection de twelve-inch singles, c’est-à-dire les maxis. Une autre pour abriter la collection de seven-inch singles, et encore un autre pour la collection de LPs, estimée à 30 000 exemplaires. Il passe 6 à 8 heures par jour à écouter tous ces disques. Il tient à jour un index à l’ancienne qui date des sixties. Il sait nous dit Wally qu’il devrait transférer toutes ces données sur ordi, mais c’est beaucoup trop de boulot, «ça me prendrait tout le restant de mes jours.» Après sa disparition, on a estimé sa collection à 26 000 LPs, 40 000 CDs et 40 000 singles. On y trouve notamment des singles signés par les Stones et les Beatles. Un délire. Une vie de travail. L’empire de la passion.  

             En 2004, Peely part en vacances au Pérou avec Sheila et il casse sa pipe en bois en faisant une petite crise cardiaque. Drame national. On a tous gardé le numéro spécial du NME avec Peely en couverture. En guise d’oraison funèbre, Tim Wheeler d’Ash a déclaré : «No more Festive Fifties, no more Peel Sessions, no more records played at the wrong speed.»

    Signé : Cazengler, pile ou fesse

    Mick Wall. John Peel. Orion 2004

     

     

                                           Todd of the pop - Part Three

     

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             Et puis on finit par s’enfoncer dans l’univers extrêmement dense de cet artiste immense, qui prend soin d’enregistrer quasiment chaque année un nouvel album. 2nd Wind paraît en 1991, et sur la pochette se dresse une curieuse figurine : celle d’un moine au crâne défoncé par une hache. Pourquoi va-t-on écouter cet album ?

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    Pour «Who’s Sorry Now», nouveau shoot de pop mélodramatique bâtie sur des descentes de chant vertigineuses. Todd vieillit bien, il chante sa pop de Soul au mieux des possibilités du genre. Quel power et quel souffle ! - Who’s sorry now/ Sorrow spoken here/ Please take a bow - Ça se termine sur un final rundgrenien complètement explosif. L’autre gros coup de l’album s’appelle «Public Servant». Derrière, Prairie Prince bat le beat de la plaine. Todd ressort pour l’occasion son big heavy sound - Public servant/ Public slave - Il sait encore rocker la couenne d’un cut. Bel album, une fois de plus. Todd reste dans son monde de pop scintillante, il a des choses à dire, alors il les dit. Nous n’apprendrons rien de plus que ce qu’on sait déjà. Il faut juste savoir rester en éveil. Todd peut proposer du petit funk blanc, comme le montre «Love Science» et y amener des idées de son. Il peut aussi aller chercher les sommets de la grandiloquence et travailler sa matière au corps comme le fit Jacques Brel, c’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«If I Love To Be Alone», joué à l’extrême des possibilités du système Rundgrenien. On sent bien qu’il bâtit une œuvre. Todd Rundgren est un mégalomane de génie. Il dispose de toutes les ambitions de Nabuchodonosor, c’est très dirigé, très orchestré, très chanté, très collet monté. Il termine avec un morceau titre embarqué au petit beat d’exotica. Todd prend son temps alors que le beat l’incite à foncer. Main non. C’est un vieux renard. Il chante maintenant d’une voix plus ferme, comme s’il avait perdu sa candeur, mais il ne perd rien de sa superbe, heureusement. Tout est joué au petit pulsé de percus. Il pose sa mélodie chant sur cet enfer pulsatif et dose bien ses efforts. Cet homme a déjà beaucoup navigué. 

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             Paru en 1993, No World Order n’est pas son meilleur album, loin de là, mais il s’y niche un coup de génie intitulé «World Made Flesh», une sorte de heavy rock olympique, avec du son par-dessus le son et il ramène dans cette histoire toute la niaque de Nazz. Il explose le rock et tout le reste quand il veut. Todd nous amène au bout d’un album qui ne provoque aucun émoi et soudain, il éclate «World Made Flesh» au Sénégal avec sa copine de cheval. Il monte des couches par-dessus les couches, c’est babylonien, une tornade enchantée. Quand il éclate, il éclate. Et le reste de l’album ? C’est une autre histoire. Disons par charité qu’on ne l’écoute que parce que c’est Todd. Il fait une sorte de mélange de rap et d’electro et alors qu’on ne s’y attend pas, il revient à la pop avec «Worldwide Epiphany». Il redevient l’espace d’une chanson le pop king of the world. Il fait aussi de l’expressionnisme avec «Day Job» et y illustre le cauchemar industriel, puis il revient à la raison pop avec «Property» qui sonne comme un soulagement. Mais on le voit ensuite bouffer à tous les râteliers et il perd un peu de son panache, surtout avec le rap. Laisse ça aux blackos, mon gars.  

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             On trouve deux belles énormités sur The Individualist : «Espresso (All Jacked Up)» et «Cast The First Stone». Espresso montre que Todd peut encore provoquer des commotions. Il tape ça au funk des temps modernes et navigue en surface. Chez lui, tout est toujours très physique, surtout les images qu’il suscite. Il entend les tendances du son et pige immédiatement. Voilà encore un cut bourré à craquer de son, comme s’il voulait exploser les carcans. Il groove son exotica avec une niaque qui remonte au temps de Nazz. Quel artiste ! Follow the leader ! Il nous emmène en enfer avec Cast et puis voilà qu’avec le morceau titre, il part en mode hip-hop. En fait, il fait de la Soul. C’est un cut exemplaire. Les chœurs font «You’re The Individualist» et Todd répond avec candeur «Yes I am». Il swingue son Yes I am, il ramène tous les clichés du genre, sur un beau drive de basse. Il sublime les effets de Yes I am, il les flûte à la flûte. Ça groove à n’en plus finir. Il démarre aussi cet album en mode deep drive d’electro-shock avec «Tables Will Turn». Il sait très bien ce qu’il fait, il navigue en père peinard sur la grand mare du Philly Soul, il passe où il veut, quand il veut. Alors on entre ou on n’entre pas. Mieux vaut entrer. On trouve aussi de la littérature dans cette pop. Le livret est bourré à craquer de littérature. Todd embarque son monde chez lui. Il n’a rien perdu de son sens aigu du drive. Il va secouer les colonnes d’un nouveau temple, celui du hip-hop et de l’electro, il fait ce qu’il a toujours fait : il visite de nouveaux territoires. Il va sur une pop de prog avec «Family Values» et conserve tous les vieux réflexes. Comment swinguer un cut dans le raw ? Il ramène des chœurs d’une intense modernité. Il travaille sa pop comme de l’argile, il en fait des archétypes intéressants et reste profondément convaincu de son art. Encore du big Todd avec «Temporary Sanity», mais il faut attendre un peu pour que ça paraisse. Il chante à l’unisson du saucisson Todd, c’est battu à la diable et ça monte comme un orgasme. Il termine avec un «Woman’s World» qui sonne comme une aventure, même quand on croit connaître la méthode Todd par cœur. Il développe une pop ultra puissante qui se déverse jusqu’au bout, et Todd boucle ça à coups d’accords garage. Quel démon !  

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             Attention, Up Against It est une comédie musicale, un rock opera, au meilleur sens du terme. Même le côté comedy act y est puissant. On éprouve d’ailleurs les pires difficultés à entrer dans cet album qui apparemment n’est paru qu’au Japon. Un peu âpres au premier abord, les cuts finissent par convaincre. Todd joue un jeu très dangereux et soudain, voilà que ça explose avec le morceau titre. Il revient aux basics, il chevauche son dragon et c’est excellent, power & beat, tout est over the rainbow, il va vite en besogne, il chante à la folie des dieux, il redevient le magicien que l’on sait. C’est complètement bouleversant d’explosivité, il chante à la va-vite, mais il y a une constante sous-tendue. Il revient ensuite au comedy act, ce qui nous permet de souffler un peu, car il faut bien dire que les coups de génie de Todd donnent le tournis. Il tente de nous refaire le coup du Zen Archer avec «Parallel Lines», et même si trop de power tue le power, il passe avec sa belle pop évadée dans l’avenir. On a parfois l’impression que Todd Rundgren cherche à sauver le monde avec de la beauté. Et de cut en cut, tout s’anime comme ce «Lili’s Address», un stupéfiant bouquet de chorale galactique. Todd y fait courir le furet, son rock opera rivalise de grandeur géniale avec celui des Who. Et ça continue de monter au cerveau avec «Love In Disguise». Ce mec est un cas à part. Qui à part lui ose se lancer dans ce type d’aventure ? Comme tous les grands compositeurs, il atteint des sommets connus de lui seul. C’est très tartiné, chanté à plusieurs voix d’opéra. Il va chercher des ambiances extrêmes comme le montre «Maybe I’m Better Off». Ça rend l’album fascinant. Todd tartine son comedy act d’élans de génie. Son «Maybe I’m Better Off» est une merveille de non-chaleur contagieuse. Il combine l’extrapolation avec le génie pop, c’est énorme et difficile à suivre. Trop avancé. Il sur-chante en permanence son comedy. Il crée l’événement à chaque cut, il jongle avec les ambiances de cabaret et fait sonner son synthé comme un accordéon. Il va chercher des logarythmes baroques, ceux des Cockney Rebels, c’est très weird, très toddy et son «We Understand Each Other» vire jazz band galactique, alors éclate à nouveau le génie productiviste de Todd Rundgren. Ça éclate si joliment. Personne ne mène les expéditions aussi loin. Il vire exotica de Broadway avec «Entropy» qu’il amène au sommet de tout comme un Phil Spector éperdu de beauté mirifique.

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             Dans With A Twist paru en 1997, Todd relance son vieux «I Saw The Light» en mode Brazil. Pas de problème - Cause I saw the light in your eyes - Ça n’a pas bougé et c’est même peut-être encore plus magique. Sacré parti-pris, mais en attendant, quel paradis ! Autre tranche de paradis : «It Wouldn’t Have Made Any Difference». Il se plonge dans un gratté de belles notes allégoriques, sur des couches de chœurs superbes, tout est construit là-dessus. Il fait la différence rien qu’avec la fraîcheur des chœurs. Retour au Brazil avec «I Want You». Il se prend pour les Étoiles, il fait de la Bossa Nova de chaleur intense, il va droit sur le Brazil et irradie, il développe une énergie exotique qu’on ne lui connaissait pas. Il devient Tox Rundgren. Il joue aussi «Influenza» au groove des alizés. Ses notes de guitare flottent dans le vent tiède. Fabuleuse énergie du paradis ! Il reste dans la Bossa Nova avec «Can We Still Be Friends» et en donne une vision idéale. Il est dedans, et un sax taille une croupière au groove des îles. Todd réinvente la relaxation. Il renoue incidemment avec le Zen Archer. Il continue de tailler sa route avec «Love Is The Answer». Il chante avec du sable dans le pantalon. C’est assez intense, rien à voir avec les coups de soleil. Et quand on écoute «Fidelity», on réalise à quel point Todd est un prince, car il reçoit les gens chez lui. Il revient encore au temps de Nazz avec «Hello It’s Me». Il s’en sort avec les honneurs. De la même façon que David Bowie, Todd Rundgren est un magicien.  

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             En l’an 2000 paraît One Long Year sous une pochette électronique. Mais qu’on ne se méprenne pas : Todd veille au grain de l’énormité et ce dès «I Hate My Frickin’ I.S.P.», une heavy pop carillonnée d’arpèges qui va dans le ciel toute seule. Ça carillonne comme au temps béni des Beatles. Todd nous refait le coup de l’énormité du quinconce avec cette belle dégelée de super-power pop. Décidément, ce mec n’en démord pas. Il sonne toujours aussi bien. L’autre coup de Jarnac de l’album s’appelle «Love Of The Common Man», une tranche de pop à la Runt. Todd gère ça de main de maître avec des éclats de voix désinvoltes et les pianotis d’un dandy de Dead End Street. Extraordinaire brassage de sons et de genres, il ramène de la Soul dans cette espèce de pot aux roses. Petite merveille aussi que ce «When Does The Time Go». En pur Philly guy, Todd se fend d’un nouveau shoot de pop de Soul. Il revient toujours à sa vieille magie intrinsèque d’antan, il enchante l’enchantement, il remonte les bretelles de la Philly Soul. Il la travaille toujours à la perfection. Il passe au rumble de fouillis electro avec «Jerk», c’est bien accueilli même si ça sonne très exotique. Mais Todd s’arrange toujours pour passer en force. C’est un forgeron, il travaille son rock à l’enclume. Sacrée partie de babaloo ! Il amène «Yer Fast (And I Feel Like)» au rock opera avec des climax incertains et si dodus. C’est terriblement fouetté de son. Il crée des mondes à n’en plus finir, le voilà livré aux apanages du hardcore move de beat fatal. Il termine avec «The Surf Talks», histoire de libérer des forces extraordinaires. Todd Rundgren agit en Terminator de la pop de rock tribal. Il ressort sa plus belle niaque pour l’occasion et relance à gogo. Ce mec dispose d’une énergie hors normes.       

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             Belle pochette que celle de Liars. Todd y porte des oreilles et un museau de lapin. Alors attention, car c’est un big album, pour des tas de raisons. «Sweet», par exemple, qui sonne comme une échappée belle - Sing & shout it/ Tell the world about it - Il prêche dans le désert, car les gens se moquent de la vérité. Todd ramène tout son bon dee bee doo, il navigue au sweet & true like my love for you. C’est digne de Marvin Gaye, les clameurs croisent celles de «What’s Going On», les chœurs sont ceux de Marvin et les retombées à l’octave aussi. Il passe au mambo de jerk avec «Soul Brother» - They mixed it at about but then they/ Forget to add a pinch of Soul - Todd jazze son groove à la Georgie Fame. Il adore faire le Soul Brother. C’est un expert en la matière. Retour au rêve de pop avec «Past» - I was so surprised/ When the teardrop came - Ce mec est capable de moments magiques. Il explique pourquoi il vit dans le Past. Les fans de Todd Rundgren le suivront jusqu’en enfer et ils auront raison. Car il se montre digne des Flamingos et des meilleurs groupes de doo-wop. Les rasades de chœurs sont terrifiantes de véracité divinatoire. Encore plus immense, voilà «Living», une power-pop stupéfiante de puissance. Il met tous les power-chords du monde à son service. «Godsaid» vaut pour un coup de génie, save me ! Save me ! C’est de la heavy psychedelia, et le morceau titre, c’est tout simplement Babylone, tellement ça devient apocalyptique. Il est encore capable de stupéfier, sa power-pop court sous l’horizon. On salue aussi «Truth», monté sur un beat lectro et animé de descentes d’organes vertigineuses. Force est d’admettre l’extrême puissance du Rundgren Sound System. Même avec de l’electro, il parvient à passer en force. C’est très impressionnant. Cette énergie n’appartient qu’à lui et à lui seul. Power ! L’absolu power d’Absalon ! Sweet bird of truth come to me ! Chaque nouvel album de Todd sonne comme une aventure épique. Il redevient heavy as hell avec «Mammon» - Your God is Mammon ! - C’est du big Todd avec un couplet final explosif. Il fait aussi de la Soul en montant chez Kate à tous étages avec «Wondering» et revient à un groove de pop electrotte avec «Flaw». Pas de danger qu’on s’ennuie chez Todd Rundgren. Il travaille toujours son heavy groove de motherfucker au  corps. Tiens encore une belle énormité : «Afterlife». il revient pour l’occasion à sa pop éthérée. Ce diable de Todd Rundgren nous balade chaque fois pendant une heure. On finit par s’habituer aux richesses de son palais.             

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             Encore un album génial avec Arena paru en 2008. Dès «Mad», Tod explose sa pop avec l’ardeur d’un white shooter de r’n’b - Now I’m mad/ This is more than upset - He means it ! Fabuleux Todd, fabuleuse montée en puissance, il n’en finit plus de fracasser la tirelire de son cut, il n’a aucun problème de punch, il chante au somment de son art qui est celui du heavy rock rundgrenien. Il accumule les coups de génie sur cet album, avec des choses comme «Gun» ou «Courage». Il sort un solide boogie rock de Gun - I like the noise and I like the smell - Todd Rundgren est un pur rock’n’roller - Hell I got a gun - Il y va - I pop my gun - Il embarque son «Courage» au vent d’Ouest, il crée de la magie en permanence - When I lost courage of my convictions/ And I live in a constant fear/ That I’ll never have you here - C’est encore une fois du big Todd. Il fond sa pop dans l’ardeur suprême. On peut dire la même chose de «Weakness». Il étend l’empire de son groove suspensif. Ça se barre en Soul de pop - The sun that shines a light on my soul - C’est du niveau d’A Wizard A True Star - Ahh my weakness/ You are my kryphonite - S’ensuit un «Strike» violent, riff dans l’os, bordé de son, hurlé dans le combat. Todd claque ça si sec. Ça dégouline de génie. Tout sur cette album dégouline de génie fumant. Avec «Pissin», il craouète le boogie sur du son rebondi. Il se permet n’importe quelle fantaisie et ça dégénère assez vite. Il nous bat ça en brèche, il revient au I think by now we know better gratté sec et ça prend de l’ampleur - We all recall with special zeit/ We saw a solo pissin constest - on aurait presque envie d’entendre Todd Rundgren chanter ad vitam eternam. Le heavy balladif de «Bardo» sonne si bien, c’est quasiment du heavy psych. Et puis avec «Mountaintop», il passe au glam bop - Well the old man called me on his dying bed - Il fait du glam explosif. Alors il emmène le vieux sur la montagne. C’est invraisemblable. il joue les accords de Marc Bolan, mais à la new-yorkaise, et ça illumine tout l’univers - One step higher - Pur jus - One step higher - Il boucle avec un «Manup» bien riffé et chante comme un chef de guerre. Todd est un roi barbare civilisé. On accueille aussi la heavyness d’«Afraid» à bras ouverts. Il n’existe rien d’aussi définitif dans l’esprit du son. Il va chercher ici le big atmosphérix et le son chevrote au passage. Avec chaque album de Todd Rundgren, il faut prendre le temps de bien s’installer, comme dans une salle de cinéma et s’attendre à éprouver des émotions fortes. Todd Rundgren ne laisse pas beaucoup de place aux autres.       

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               Pas facile à dénicher, ce brave Todd Rundgren’s Johnson qui date de 2011. Notre héros inter-galactique y revisite Robert Johnson. Dès «Dust My Broom», il y va. Inutile d’attendre de la pitié de cet homme qui believe ainsi son dust my blues, il fait couler l’or du blues, personne ne peut égaler cette façon de couler l’or, il est le grand couleur de coulis devant l’éternel. Ce qu’il fait de ce vieux standard relève du génie absolu. Il en rajoute des couches. Et ça continue avec «Stop Breaking Down», sur le mode coulée de heavy Todd. Il explore tout ce qu’il veut, la pop, le rock, la Soul, le blues, l’opéra, l’electro, tout, alors aplatissez-vous mes frères car voilà l’empereur de toutes les Asies, l’effarant Todd Rundgren qui shunte son blues au sommet de l’harmonie vocale et en plus, il l’électrocute vivante, il est de toute évidence le pire fucker de blues qui soit ici bas, il multiplie les killer solos flash et en plus, il chante. Il dicte sa loi au blues. Il faut dire que les boogie blues de Todd ne sont pas ceux de Chicago, il y a un petit quelque chose en plus. Il amène «Walking Blues» au heavy boogie, il taille sa route dans une jungle de son. Il ramène le suitcase in my hand de «Love In Vain», mais ce n’est pas celui des Stones. Il fait autre chose. Il continue de charger sa mule avec «Last Fair Deal Gone Sour». Il noie tout de gras double, pas compliqué. Il en rajoute tellement que ça devient beau. Il réinvente la heavyness. Même chose avec «Sweet Home Chicago». C’est même assez demented, il sait appuyer sur le champignon. Encore du big heavy Todd avec «They’re Red Hot». Il ne se refuse aucun luxe et passe des solos foudroyants. Tout sur cet album est gorgé du meilleur son. Il va chaque fois chercher le paradigme électrique pour exprimer ce qu’est le blues, comme dirait l’autre. Il fait un «Hellbound On My Trail» fantastique, et même fantasmagorique. Pour ça, il élève une sorte de mur du son, le cut est classique, mais dans les pattes de Todd ça devient quelque chose de baroque : les jardins suspendus du blues de Balylone. Il ramène tout son fourbi dans la fournaise. Il conquiert des empires à coups de licks obliques. Il va continuer de tartiner sa mélasse épouvantable jusqu’au bout, avec un «Travelling Riverside Blues» râblé, bas sur pattes et gorgé de fouillis d’apoplexie. Il ne laisse aucune chance au hasard, il multiplie les virulences, il se veut taillé pour la route éternelle. Fan-tas-tique artiste ! 

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             (re)Production fait aussi partie des albums indispensables de Todd. Pourquoi ? Parce qu’il y revisite tous les groupes qu’il a produits. Tiens commençons par les Dolls. Il tape dans «Personality Crisis» au heavy doom. Il aurait dû s’abstenir. Puis dans Hall & Oates avec «Is It A Star».Il revient à ses protégés avec une drôle d’abnégation. Il ne devrait pas toucher à ça. Mais comme il peut l’exploser, alors il l’explose. Il explose tout ce qu’il veut et transforme ce vieux cut en coup de génie. Un de plus. Il fait aussi un malheur avec le «Dancing Barefoot» de Patti Smith. On le sait depuis longtemps, il est capable de faire un hit avec des machines. Son Barefoot sonne comme un hit electro, mais ça reste du Rundgren, avant d’être du Patti Smith. C’est même tellement intéressant que ça devient inclassable. Il mise tout sur le power du beat electro. Todd en a compris les avantages. Il transforme aussi «Two Out Of Three Ain’t Bad» de Meat Loaf en hit diskö. Tout ce qu’il trafique fonctionne. Le voilà dans la pop diskoïde de charme infectueux. Il finit par devenir assommant. Même le «Prime Time» des Tubes se montre affolant de supériorité. C’est une horreur montée sur un gros beat electro, un remix dévasté de la pampa. Il envoie sa purée, ça bruisse aux oreilles. Il fruite le cut des Tubes aux synthés mais chante dans l’épaisseur du beat. On finit par écouter cet album de plus en plus attentivement. «Chasing Your Ghost» est un cut d’un groupe nommé What Is This. Il le tape à l’electro d’heavy metal kid. En fait il chante comme il a toujours chanté. Il revient à la pop magique de Runt pour le «Tell Me Your Dreams» de Jill Sobule. Merveille absolue, battue au dream demented. Et puis tiens, voilà Badfinger dont il reprend «Take It All». Il reste chez les géants de la pop avec une reprise du brillant «I Can’t Take It» de Cheap Trick. Il en fait du hot Todd, une power-pop de synthé, comme seul Todd Rundgren peut en faire. Il va aussi chercher le groove extrême pour tailler une croupière au «Dear God» d’Andy Partridge. C’est bien secoué de la paillasse, joué dans la profondeur, and the devil too. Pur jus de Todd - Cant believe it.../ Don’t believe it... - Il explose l’«Everything» de Rick Derringer, il en sort une version puissante et imparable, même avec de l’electro, c’est bon, sa voix passe partout. Et voilà enfin Grand Funk avec «Walk Like A Man», cette fois, Todd passe en mode electro-funk. Il vibre le son à l’extrême. N’oublions pas qu’il a produit tous ces géants. Il en fait l’un des pires cuts de glam de l’histoire du glam. Il n’en finira donc plus de régner ? Dans ses liners, Todd explique qu’il a vu ce projet comme une opportunité de revenir à une musique qui n’a pas été prise au sérieux en son temps mais qui présente l’avantage d’être bien meilleure que ce qu’on propose aujourd’hui.      

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             Paru en 2013, State vaut le détour pour deux bonnes raisons : «Imagination» et «Sir Reality». Todd attaque son Imagination dans les dimensions supérieures du Zen Archer - Everyday’s the same old day/ Go along and get along - Sa manière de traiter le same old situation est assez passionnante. Il sait rester très puissant et ramener de la modernité dans sa heavyness, comme il l’a toujours fait, mais cette fois, il le fait avec un petit côté Mercury Rev. Il garde ses réflexes de vieux rocker dans sa façon de remonter le courant du chant - Just a problem I can’t solve - Il faut le voir monter sur son same old situation, il en fait un spanish castle de cristal vibrant de power sound, il gronde comme un diable et joue sur sa SG ses vieux dégueulis congénitaux. Les réflexes sont intacts, il fait de son Imagination une énormité mouvante. Il devient prophète avec «Sir Reality» - No one ever lies/ No one really dies/ Money gives you joy/ Girls are girls and boys are boys - Il dit que la réalité peut déplaire, so you can call me Sir Reality. Il explose ça in the old Todd way. C’est un seigneur. Avec «Serious», il fait du diskö beat colérique, il mène ça d’une poigne de vieux rocker new-yorkais. Il utilise «Ping Me» pour aller dans une sorte de heavy pop pinguy - So ping me - Il envoie ses légions, une masse incessante, une apocalypse guerrière extraordinaire. Todd Rundgren bâtit encore des cathédrales de son. Avec lui, tu en as pour ton argent. Ne viens pas te plaindre. Sur cet album, il fait pas mal de diskö electro. Tout n’est pas bon, heureusement. Il lui arrive de faire n’importe quoi. On lui fait confiance, et puis voilà qu’il nous fait le coup des deux ronds de flanc avec «Party Liquor».    

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             Le coup de Jarnac de Global s’appelle «Earth Mother». Il retrouve son sens aigu du heavy  groove de r’n’b avec un brin de machines. Des chœurs de filles l’épaulent et Todd nous fait le coup du r’n’b des temps modernes. Quelle puissante abomination rundgrenienne ! Avec «Blind», il tape son heavy doom d’excellence patrimoniale. Il sait toujours chanter son gut off. Derrière, Bobby Strickland mène le bal au sax. Todd met son «Blind» au service de l’écologie. Pour le reste, il met le paquet sur l’electro. «Everybody» vire transe d’acid freakout, Todd charge bien sa barque. Il bâtit toujours des architectures technoïdes assez originales, il fait chanter des robots et demande à la foule de claquer des mains. Et ça continue avec «Flesh & Blood», nouvelle rasade de techno diskoïdale. Il bâtit son empire tout seul dans son coin et prend quelques risques en inventant des sons. Il continue d’explorer de nouvelles possibilités avec «Rise». Il sait qu’il doit évoluer, alors il évolue sous nos yeux globuleux. Il doit évoluer coûte que coûte - If we don’t rise then we will fall - Il sent que le temps passe et que la mort approche. «Holyland» sonne comme le début d’Aguirre, mais au lieu de descendre dans la jungle, on va danser sur la plage. Todd rend hommage à la terre, grass & sand. Dans «Terra Firma», il commence par saluer cette brute de Christophe Colomb et passe en mode diskö-electro. On ne l’écoute que parce qu’il est Todd et qu’il croit en la terre ferme. Il dit aussi dans «Fate» que tout est cuit aux patates - Our future is/ No longer ours - Il a raison. Si on continue de l’écouter, c’est parce qu’on attend des miracles. Mais soyons honnête : ils commencent à se faire rares.    

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             Enregistré avec Emil Nikolaisen et Hans-Peter Lindstrom, Runddans se présente comme un objet d’art collaboratif. On craint un délire de type Utopia et finalement l’album se révèle passionnant. Todd nous emmène dans un monde qui ne doit plus rien à celui de Nazz. Il fait de l’experiment lunaire. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu Todd. «Opad Over Skyene» s’annonce comme une nappe de son éthéré, et Todd chante entre deux eaux. Il atteint le sommet du planétarium. Il chante comme s’il venait d’être abandonné sur une planète inconnue. Il chante juste, en plus. Et puis soudain, son génie se réveille avec «Put Your Arms Around Me». Il fait de la pop de synthèse. Il propose tout bêtement du LSD. Inutile d’aller acheter une dose. Le son devient vite énorme. Todd réactive brillamment le mythe de la mad psychedelia. Il barde ensuite son «Altar Of Kausian Six String» du pire son jamais envisagé. Il explose l’audimat psychédélique et passe sans transition à l’écho du temps avec «Out Of Our Head». Avec un mec comme Todd dans les parages, il faut rester sur ses gardes. Il fait tomber des gouttes de son dans l’éternité. Il roule dans «Rundt Rundt Rundt» à la suite. Rien de ce qui se passe sur cet album n’est étranger à la folie. Il charge tout de son comme au temps béni du Zen Archer. Les voix se perdent dans une dimension robotique, tout est dirigé vers la sortie. Il nous sort les grands accords de Genève avec «Wave Of Heavy Red», une sorte de concorde philharmonique, ambiance idéale pour un visionnaire comme lui, il sort du son à la folie, ça devient incommensurable. Avec Todd Rungren, ça peut aller très loin, il ne faut jamais l’oublier. Il plonge avec «The Golden Triangle» dans des profondeurs soniques insoupçonnées. Il redevient indispensable. Il nous refait le coup du bop urbain avec «Ravende Gal» et la pression monte très vite. On a du son à gogo et même des relents d’expérimentation, les violons deviennent fous et le beat horrible, quel shoot de son ! Il crée de l’apothéose, il nous emmène aux confins du génie humain, au-delà de toute mesure. Il propose un nouveau monde. Laisse tomber tes petites notions moites de garage et de pop, Todd Rundgren t’emmène ailleurs. On ne l’avait pas très bien compris au début : Todd Rundgren est un sculpteur. Il est le Rodin du rock, il se bat au corps à corps avec l’argile du son. Il la façonne à sa pogne, jusque dans l’espace. C’est ce que révèle «Ohr Um Am Amen».

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             Paru en 2017, White Knight est un album collaboratif qui tarde à se révéler. Mais comme toujours chez Todd Rundgren, ça se révèle gigantesque. Il fait «Tin Foil Hat» avec Donald Fagen et donc les voilà partis tous les deux en mode groove urbain comme au temps de Steely Dan. Superbe, bien monté au bassmatic. Todd refait son caméléon. Il revient à la heavy pop des origines avec «Let’s Do This» - I’ve got my mad skills honed/ And I’m ready to roll - Joe Walsh vient gratter sa gratte dans «Sleep» et Todd parvient à expurger sa pop de chat perché par-dessus les toits. Il renoue avec sa chère pop ambitieuse et montre qu’il n’a rien perdu de son allant. Il duette avec Bettye LaVette sur «Naked & Afraid», et cette diablesse de Bettye entre dans le lard du groove indus et le fracasse. C’est une géante et on la voit revenir encore une fois exploser le pauvre Naked de Todd. Il embarque ensuite Satriani et Prairie Prince dans «This Is Not A Drill» et ça devient vite dévastateur. Prairie bat ça sec et ça devient du killer tune dingoïde. Il bat à la vie à la mort, alors Todd explose. Buy my T ! Le début de l’album est moins spectaculaire, même si «I Got You Back» pique la curiosité avec ses gouttes de son. Todd n’a plus la même voix mais son ambition reste intacte. Il va chercher des vents qui n’existent pas sur cette terre. Il fait son Eole, il monte très haut, come with me. Il chante ses visions avec une puissance inquiétante, Todd the Wizard est un vieil homme qui peut imposer le respect d’un seul coup de marteau. Son come with me impressionne durablement. Il duette avec Darryl Hall sur «Chance For Us». Il faut faire confiance au vieux Todd tout ridé, car il chante avec abnégation. Lui et Hall font bien la paire. 

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    Todd Rundgren. 2nd Wind. Warner Bros Records 1991  

    Todd Rundgren. No World Order. Rhino records 1993  

    Todd Rundgren. The Individualist. Digital Entertainment 1995  

    Todd Rundgren. Up Against It. Pony Canyon 1997

    Todd Rundgren. With A Twist. Gardian Records 1997 

    Todd Rundgren. One Long Year. Artemis 2000         

    Todd Rundgren. Liars. Sanctuary 2004               

    Todd Rundgren. Arena. Cooking Vinyl 2008        

    Todd Rundgren. Todd Rundgren’s Johnson. MPCA 2011

    Todd Rundgren. (re)Production. MRI 2011          

    Todd Rundgren. State. Esoteric Recordings 2013   

    Todd Rundgren. Global. Esoteric Antenna 2015    

    Todd Rundgren. Runddans. Smalltown Supersound 2015

    Todd Rundgren. White Knight. Cleopatra 2017

    Lois Wilson : Drugs worked for me. Record Collector # 491 - April 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Très cher Fletcher

     

             Haut comme trois pommes, il portait des baskets à semelles compensées. Il parlait d’une voix extrêmement grave et, pour un gars du Nord, il n’avait pas trop d’accent. Son visage semblait porter les stigmates d’une vie d’aventurier, joues creuses, rides profondes, dents abîmées, teint très pâle. Personne n’aurait pu dire de quelle couleur étaient ses yeux, il portait des lunettes noires en permanence, le jour comme la nuit. Ses cheveux s’écoulaient en longues cascades blondes sur ses épaules. Il portait toujours la même veste de cuir fauve. En gros, il avait l’allure d’un hippie, mais il naviguait à un niveau beaucoup intéressant. Notre rencontre remontait à plusieurs mois. Je sortais d’un studio de répète quand soudain, j’entendis à travers la porte du studio voisin le solo que joue James Gurley en intro de «Summertime», oui, la version de Janis. Magique, à la note près ! J’entrebâillai la porte pour voir qui était l’auteur de ce prodige. Fetch bien sûr. Il répétait en trio avec un bassiste et un batteur. Leur version de «Summertime» tenait bien la route. Puis Fetch attaqua le «Tush» des ZiZi Top. Enfin bref, ils tapaient un répertoire de belles covers. Nous engageâmes la conversation à la fin de la répète et Fetch me demanda si je savais jouer de la basse. Oui. Ça tombait bien, car son bassiste partait à l’armée. Nous prîmes nos habitudes. Fetch baptisa le trio Some Sweet Days. La set-list comprenait pas mal de blues, donc l’excellent «Fool For Your Stockings» des ZiZi, le «Summertime» déjà cité, une version heavy d’«I’m A King Bee» et pas mal de stormers/shakers comme «Around & Around», le «Baby Please Don’t Go» des Amboys Dukes et une reprise sauvage de «Blue Suede Shoes». Fetch vénérait Gene Vincent. Et puis un jour de répète, on attendit Fetch en vain. Une heure, deux heures. Ça n’était pas dans ses habitudes. Dan qui battait le beurre lâcha ceci, qui n’était pas de bonne augure : «Bon là, on a un gros problème.» Pour éclairer ma lanterne, Dan m’expliqua que Fetch était connu dans le milieu. On l’appelait le violoniste. Il trimballait un pistolet mitrailleur dans son étui et attaquait les banques en solitaire. Effectivement, le lendemain, Fetch fit la une des journaux. Il s’était fait descendre à la sortie de l’agence qu’il venait de braquer. 

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             Pendant que Fetch agonisait sous les balles des condés, Fletch fléchait son parcours à Detroit. Darrow Fletcher ? Celui qu’on pourrait appeler the King Of Rare Soul est originaire de Detroit, mais il a grandi à Chicago. Ady Croasdell rappelle que Fletch est un petit prodige : à l’adolescence, il chante déjà comme un cake, il bat le beurre et sait gratter une gratte. Il n’a que 14 ans quand il enregistre son premier hit «The Pain Gets A Little Deeper» sur l’un des petits labels de George Goldner. Beaucoup plus tard, c’est l’A&R de Ray Charles qui repère Fletch dans un club et qui le recommande au vieux Ray. Coup de flash pour Fletch ! Ray finance l’enregistrement d’«Hope For Love» à Los Angeles. Du coup, Fletch part en flèche et signe avec Crossover, le label de Ray, et s’installe à Los Angeles. Elle est pas belle la vie ? Le pauvre Fletch enregistre un album pour Crossover qui n’est jamais sorti. Heureusement, Kent/Ace veille au grain. En deux compiles, Kent a réussi à reconstituer l’ensemble de la carrière de Fletch. Alors qu’est-ce qu’on dit ? Merci Tonton Kent !

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             Dans le booklet de The Pain Gets A Little Deeper - The Complete Early Years 1965-1971, Robert Pruter commence par rappeler que si la culture Soul est restée vivante, c’est essentiellement grâce aux collectionneurs britanniques. Cette première compile concerne la période Chicago, alors que la deuxième concerne la période Los Angeles. Pruter ne se contente pas de remettre les pendules à l’heure, il nous raconte surtout une histoire extraordinaire : Fletch est encore à l’école et son beau-père Johnny Haygood, qui vient juste d’épouser sa mère, lui demande ce qu’il veut faire plus tard. Fletch lui répond : «Music !». Le beau-père qui est un type bien lui répond qu’il va lui trouver quelque chose - Find something he did - Eh oui, le beau-père Johnny Haygood lâche son boulot de vendeur de bagnoles pour monter une petite boîte de prod à Chicago, avec des vétérans de la scène doo-wop. Et comme Fletch est incroyablement doué, qu’il chante bien, qu’il joue de la guitare et de la batterie, et qu’il compose, hop ils enregistrent deux de ses meilleures chansons, «The Pain Gets A Little Deeper» et «Sitting There That Night». C’est justement Deeper qui ouvre le bal de cette compile de tous les diables. Fletch sonne comme un Little Stevie Wonder en plus dynamique, juvénile avec une voix de mineur affamé, il peut feuler entre deux eaux, on n’avait encore jamais vu un truc pareil ! Avec «Sitting There That Night», il tape dans le balladif de big inspi, il est crédible, bien au-delà du seuil de tolérance. Cette histoire ressemble donc à un conte de fées. Puis Johnny Haygood emmène Fletch faire la tournée des labels et Deeper sort en 1965 sur Groovy, l’un des labels de George Goldner, qui est alors le pape de la pop américaine sur la côte Est. Comme Deeper marche bien, Fletch part en tournée : Apollo de Harlem, Uptown à Philadephie, puis au Regal à Chicago, en 1966, «où il se retrouve à l’affiche avec B.B. King, les Elgins, Stevie Wonder, les Capitols, Lee Dorsey, Jimmy Ruffin, les Swan Silvertones, plus les Sharpees (Hello Jean-Yves) et Jo-Ann Garrett.» Pruter exulte, car c’est une affiche de rêve. On ne pourrait plus imaginer un tel événement aujourd’hui. Puis Fletch enregistre «My Young Misery», nouveau chef-d’œuvre de heavy Soul. Pour son troisième single Groovy, Fletch pond «Gotta Draw The Line», un énorme r’n’b, il rivalise de classe avec le Motown Sound des Supremes, on oserait presque dire qu’il les surpasse. C’est enregistré à Detroit par Ed Wingate qui justement fait appel à des musiciens de Motown. Pour le quatrième et dernier single Groovy, Fletch enregistre le wild r’n’b «That Certain Little Something» et le transverse «My Judgement Day». Johnny Haygood arrête les frais avec Groovy car il voit bien que les comptes ne sont pas bons, surtout que Deeper a été number one ici et là. Alors, où est le blé ? Il décide alors de changer de crémerie. Il fonde son label, Jacklyn, à partir du nom de l’une de ses filles et il vend ses disques dans son record shop, au 2200 East 75th Street, dans le South Side, nous dit Pruter. Fletch ré-enregistre «Sitting There That Night» pour sonner comme Curtis Mayfiled qu’il admire. Puis il sort «Infatuation». Fantastique présence ! On peut comparer Fletch à Shuggie Otis, en plus hard, oui, il faut le voir tortiller sa Soul, il a du répondant et de l’aboutissant. Sur «Little Girl», Fletch est déchirant de juvénilité, perçant de véracité. Le conte de fées se poursuit : un vétéran de toutes les guerres, Don Mancha, prend un jour sa bagnole et quitte Detroit pour aller à Chicago bosser avec Fletch. Johnny Haygood ne sait rien de lui, mais quand Mancha sort de sa manche «What Good Am I Without You», Haygoog percute ! Fletch en fait une mouture ultra-dévastatrice, ultra-chantée et ultra-orchestrée. Les dynamiques sont infernales ! L’Homme de la Mancha est arrivé ! Mais le petit label de Johnny Haygood en bave, pas de promo, ça floppe. Sans staff et sans blé, un petit label ne peut pas survivre. Alors Fletch signe chez MCA qui chapeaute des petits labels comme Revue, Congress et Uni. Le boss d’MCA Russ Regan veut des Soul Brothers de Chicago, alors il récupère Fletch et les Chi-Lites. Fletch fout le feu dans les charts en 1970 avec «When Love Calls», il devient vertigineux, même dans le heavy balladif, il groove dans le move - I know it’s gonna call - Il ne vit que pour la démesure. Encore un hit avec «Changing By The Minute», il est tellement bon qu’il s’essouffle en permanence. L’Homme de la Mancha refait surface avec «Dolly Baby», un heavy groove de génie pur, Fletch rentre dans le chou à la crème du lard, c’est un fantastique groover, pulsé par des chœurs d’oouh ooouh oouh. Pruter dit que Fletch sang his ass off. Mais MCA ne renouvelle pas le contrat et Johnny Haygood remonte un label, Genna, pour sortir ce coup de génie qu’est «Now Is The Time For Love», amené à la flûte bucolique, Fletch y fait son Marvin au yeah yeah yeah, c’est du seigneurial de time for love. Sur la compile, tu vas aussi croiser «What Is This», un autre coup de génie - Tell me what it is - Il fait danser la Soul. On se régale aussi de l’attaque de «What Have I Got Now», toutes ses attaques sont parfaites. Encore de l’approche fruitée avec «I’ve Gotta Know Why», ce big r’n’b emmené au chant d’exception. Tout est bow chez Darrow.    

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             Ady Croasdell et Dave Box se tapent le livret de la deuxième compile, Crossover Records 1975-79 Soul Sessions. Après l’intense période de ses débuts, Fletch connaît des années de vaches maigres. Il doit bosser pour bouffer. Il a cependant un contact avec Jerry Butler, via son copain d’enfance Zane Grey. Mais c’est l’A&R de Ray Charles Pat Bush qui relance Fletch. Elle le voit chanter au Regal et lui demande s’il a des bandes. Elle les fait écouter à Ray qui flashe. Il  propose à Fletch un contrat de 5 ans, (1974-1979) et envisage de le produire. Ray lui demande aussi de monter sur scène avec lui pour chanter «This Time (I’ll Be The Fool)», une Soul très sensible qui ne tient qu’à un fil. Fletch est fier d’être accompagné par Ray au piano. Son premier single pour Crossover est l’excellent «Try Something New», une Soul de heavy popotin caramel d’une incroyable modernité, là tu as tout, l’accordéon et le ouhh de bienvenue. Et comme la mode est aux albums, Ray envisage de sortir un album de Fletch. Son titre ? Why Don’t We Try Something Brand New. Pour des raisons mystérieuses, l’album n’est jamais sorti. Dommage, car Ray avait pondu une belle présentation, il voyait Fletch comme l’avenir de la Soul - In the future to be one of the stars in the industry - Qu’on se rassure, tous les cuts de l’album inédit sont sur la compile. Le cut d’ouverture de balda devait être «We Got To Get An Understanding», un hard-funk de r’n’b, et le hit prévu était «(Love Is My) Secret Weapon», un cut de Soul moderne d’une fantastique énergie, avec Fletch qui court sur l’haricot du groove. On le voit aussi se battre pied à pied avec la Soul d’«(And A) Love Song». Il redevient le seigneur que l’on sait avec «(What Are We Gonna Do About) This Mess», il shake son groove de what-we-gonna do en profondeur, il enfonce bien son clou. Croasdell évoque même l’éventualité d’un deuxième album, mais Crossover coule en 1976. Ray continue de veiller sur Fletch qui n’a encore que 25 ans. Fletch finit son ère Crossover avec deux covers de classiques, «Fever» et «Sunny». C’est tout de même incroyable qu’une flashing flèche comme Fletch ne soit pas devenu une star.  

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             Paru en 2020, My Young Misery est une espèce de petit Best Of bien tempéré qui démarre sur les deux vieux coups de génie, «The Pain Gets A Little Deeper» et «What Good Am I Without You». Le Deeper reste ce raw R&B enfantin fabuleusement troussé à la hussarde. Fletch sait maintenir la tension d’un beat rampant. Il ne fait que du real deal. Son What Good est un vrai modèle de rentre-dedans, plus orchestré, plus pressant, plus puissant, plus pinçant, quasi-Tempts. Il attaque sa B avec «Infatuation», encore un solide R&B sévèrement bassmatiqué qu’il chante avec des accents féminins. Il roule son infaaa/ tuation dans le caramel. S’ensuit la reine des énormités, «I’ve Gotta Know Why», il tape en plein cœur de l’excellence de son époque. Voilà un cut produit par Ted Daniel en 1966 alors que dit-on ? On dit «woow la classe !». Et puis voilà qu’avec «Gotta Draw The Line», il se rapproche dangereusement de l’élite Motown. C’est du très grand R&B de 1966. On voit ensuite le son évoluer avec «Now Is The Time For Love Pt1» et «Hope For Love», on est en 1970, c’est une Soul nettement plus ambitieuse, plus orchestrée et Fletch évolue comme un petit crack.

    Signé : Cazengler, vraiment pas une flèche

    Darrow Fletcher. The Pain Gets A Little Deeper. The Complete Early Years 1965-1971. Kent Soul 2013

    Darrow Fletcher. Crossover Records 1975-79 Soul Sessions. Kent Soul 2012

    Darrow Fletcher. My Young Misery.  Kent Soul 2020

     

    *

    Sur la pochette de leur dernier album, je concède que vous puissiez avoir un doute si vous n’avez jamais vu une couve des 33 tours Capitol de Gene Vincent, pour l’EP précédent intitulé Tribute To Gene Vincent and Eddie Cochran, si cela ne vous dit rien, je vous raye ad vitam aeternam de la liste de mes connaissances, les lecteurs fidèles comprennent que dès qu’il existe un soupçon d’influence Vincentale quelque part, je me penche sur la piste comme un entomologiste qui découvre un ciron sur son citron.

    ROCKABILLY REVIVAL

    LUCKY 7.5.7.

    ( Album Numérique / Janvier 2023 / Bandcamp) 

    Non le jeune homme chanceux qui vous sourit de toutes ses dents ne s’appelle pas Lucky, ne commettez pas non plus l’erreur de croire qu’il est un tueur en série adepte du Magnum 747, non Lucky n’est pas son nom mais celui du groupe. S’appelle comme son père : Dan Spivey : rythm guitar, bv / qui prénomma son fils : Cory ( Spivey ) : lead vocal & lead guitar / ils ont débuté à deux mais ont été rejoints par : Angel Lopez : drums , bv / Sam Haga : bass, bv.

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    Ne nous attardons pas sur la pochette voici celle du deuxième 33 tours de Gene Vincent and The Blue Caps paru en 1957. Il suffit de la regarder et de comparer.

    757, non ils n’ont pas été sponsorisés par Boeing, 757 n’est pas un modèle d’avion mais c’est ce que l’on appelle aux Etats-Unis l’Area Code autrement dit l’indicatif téléphonique régional de l’état de Virginie. Une manière de revendiquer leur appartenance géographique et leurs racines rock’n’roll, sont originaires de Portsmouth en Virginie, cela ne vous dit pas grand-chose, il est une autre manière de vous situer, cette cité portuaire se trouve juste en face de Norfolk, ville natale de… Gene Vincent !

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    Let’s get ready : z’avez intérêt à être prêts car le début ressemble à une départ de tremplin glacé de saut à ski, le rocker se sent comme chez lui avec ce morceau dédié à Gene et Eddie ( clin d’œil aux Stray cats ), auréolés d’une foultitude de titres de classiques et zébrés d’éclairs de guitare les plus attendus mais assénés avec un savoir faire jupitérien, la section rythmique vous a l’impassibilité d’une Pacific qui a décidé de ne respecter aucun arrêt dans les gares… Crazy legs : quand on parle du loup le petit chaperon rouge ne tarde pas à le rencontrer, le morceau idéal pour se souvenir de ce bop borderline et méphitique qui restera le grand apport original et originel de Dickie Harrel au rock’n’roll, le battement  d’Angel vous a des rondeurs angéliques de chat qui fait le gros dos et se frotte contre vos jambes pour vous rappeler qu’il est temps d’ouvrir une boîte. Se débrouillent bien, bel hommage au wild cat. Completely sweet : ici c’est le petit chaperon qui va se faire léchouiller comme un bonbon, une cover respectueuse mais novatrice, une guitare plus clinquante, une voix moins embrumée, ce n’est peut-être pas complètement rockabilly mais totalement sweet, oh, oui !  Memphis cats : du pur de chez pur, avec une batterie qui jappe doucement mais assez fort les guitares qui boppent par intermittence, la basse qui frétille et étincelle sous les eaux et Corey qui vous le sort du timbre du chanteur de country qui a beaucoup vécu mais qui a l’intention de vivre encore longtemps. Broken heart : depuis le Heartbreak hotel d’Elvis (  même avant mais il ne faut pas le dire ) les rockers adorent avoir le cœur brisé, en tout cas un des plus beaux morceaux de l’opus, le chanteur de country tout à l’heure vous a acquis une de ses pêches, melba à la guitare et au sirop velouté de voix teintée de cette ironie qui n’est pas loin des sous-entendus inflexifs de Bob Dylan. Glad all over : un vieux morceau de country blues repris par Carl Perkins, que Corey survole, une très belle interprétation, une leçon de chant pour les amateurs, les autres boys un tantinet en sourdine pour que l’on en prenne de la graine. L’aurait pu rajouter deux ou trois couplets pour notre satisfaction. It’s time I win : on continue dans le même style, une voix traînante beaucoup plus country et contrite que hoqueteuse, n’ayez pas peur la guitare et la base rythmique vous pulsent un peu l’impression désabusée du gars qui a déjà tout perdu. Johnny’s rockabilly boogie : le genre de catastrophe du Rock’n’roll Trio qui vous rend les burnes nettes, vous en homaginent une espèce de démarquage qui exige une étude minutieuse pour établir la proportion entre mixité de techniques guitariques rockab et surf rock, attention mélange instable et explosif, ne vous trompez pas dans les proportions. Hot diddley bop : encore un hommage à un pionnier, c’est trop bo ! Si vous croyez croiser des tigres sanguinaires dans la jungle, vous la font du côté hominien du temps où nos ancêtres sautaient sur leurs pattes-arrières pour voir devant eux, et hop, et bop, un exercice très agréable. I’m gonna miss her : avec l’entrain avec lequel il clame son malheur l’on comprend qu’elle ne va pas lui faire la miss-ère. Le morceau dégouline dans votre gosier comme une crêpe à la confiture de fraise, vite avalée, vite oubliée, oui mais il y a ce petit pic de clic de guitare qui se fichera dans votre cervelle comme une fléchette empoisonnée. Don’t know where I’ll end up : des guitares qui tintent et le gars qui vous interpelle pour vous rappeler ses faux malheurs, une attitude country pour par la suite vous faire frétiller un régal de cordes, du note à note, et des changements de tons qui font le bonheur des amateurs. You can’t always win : un peu le même style que le précédent, une voix qui joue à saute-moutons et des guitares qui festivalisent, une basse qui ricoche une batterie pile au rancart, le petit solo obligatoire réussi, peut-être un peu trop parfait. True love is hard to find : pour une fois les backing vocals passent devant et n’oublient pas de revenir pour relancer le dialogue, un petit côté gospel non négligeable, le solo de guitare se charge de l’aspect sacré du prêche pour vous mieux persuader. B-B-B-Baby : une petite perle rockab, de celles précieuses que l’on aime enfiler, avec une basse qui imite un saxophone à moins que ce ne soit le contraire, un chant un peu à la Hervé Loison, mille détails qui vous rendront heureux.

    Je ne sais pas si le titre Rockabilly Revival est bien choisi, peut-être country bop revival aurait mieux exprimé le sens de la démarche. Ce qui est sûr c’est qu’ils sont doués et que le disque ravira les fans, toutefois j’aimerais bien savoir ce qu’ils donnent sur scène, sur leur site ou sur YT vous trouverez des petites merveilles, j’en ai choisi deux :

    LIVE AT THE GOODE THEATRE

    Vous trouvez l’intégralité du concert sur le live (même titre) paru en septembre 2020, qui regroupe 21 morceaux.

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    Run with me : on les voit quitter le backstage sur une musique grandiloquente parfaite pour un péplum, le Google Theatre possède la taille d’un cinéma, elle n’est pas totalement remplie, si vous regardez la vidéo de fin de concert vous verrez que l’ambiance est chaude. Lunettes noire et cheveux mi-longs, pas la coiffure habituelle du rocker de base pour Cory, souriant et totalement à l’aise. Il est indubitable que le groupe a l’habitude de la scène. Zut, retour case départ, avec mini-déclarations et l’installation sur scène passée en accélérée à la manière des vieux films de Charlot, sympa mais pas primordial, les petits détails, les réglages, Dan parle de son fils, Angel se chauffe à la batterie, Sam tripote sa basse, les voici assis autour d’une table répétant en acoustique Run with me et les revoici sur scène. Angel debout botte le train de sa caisse claire. Retour aux interviews. Une vidéo parfaite pour présenter le groupe mais pas indispensable.

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    Mar Agitado – Link Wray Way : les passionnés de surf rock seront aux anges avec cette mer agitée, cette joie de jouer, de s’amuser sourire aux lèvres, cette complicité de vieux routiers qui s’attendent aux croisements pour mieux brûler les feux rouges ensemble. Un must. All Ineed is you : belle voix le Corey, vous aménagez deux pistes à vos deux oreilles, le son est si clair que l’on entend parfaitement les quatre instruments, le Sam à la basse vous envoie une présence inimitable, Dan tout fier de son fils se marre. Tired of runnin’after you : belles images, je vous refile les noms derrière les caméras Will Clarke et Shana Nichole car ils le méritent, ce qu’il y a de plus admirable c’est leur manque apparent de difficulté, ça coule de source, ils ouvrent le robinet et l’americana jaillit en flots limpides. Seek higher ground : là ça coule aussi naturellement que du Creedence Clearwater Revival, rien ne semble hasardeux, vous vous dîtes que si vous rajoutiez ou enleviez un quart de note ce serait totalement raté, le grand art donner l’illusion que tout ce que vous faites est nécessaire et suffisant. Link Wray Way :  le chaînon manquant, bel hommage, un vous attendez la guitare devant, non c’est la voix acclamative, la six-corde n’est là qu’en contrepoint, vous n’attendez qu’elle, mais elle se cache à peine est-elle apparue, le vaisseau spatial qui vous file un coup de klaxon alors que vous roulez à fond sur l’autoroute car ses occupants tiennent à vous signaler que les extra-terrestres existent vraiment mais que leurs apparitions sont aussi rares que les extra-guitaristes. Miserlou : vous vouliez de la guitare, en voici, le morceau fétiche, on regarde, on écoute, on se tait, on n’écrit pas non plus. C’est inutile. Splendeur boréale. Red Hot : rockabilly chaud bouillant de Billy Lee Riley, entrecoupé d’images de pompiers de Norfolk, normal le Goode Theatre est en feu. Ebouriffant.

    Rien à dire, sur ce coup-là on a été chanceux.

    Damie Chad.

     

    *

    Etrange depuis quelques semaines chaque fois qu’un artefact musical ou visuel m’accroche l’oreille ou l’œil, dès que je m’enquiers de la provenance du phénomène la réponse est souvent la même : de Pologne. Pur hasard ou se passe-t-il vraiment quelque chose d’important en l’ancien royaume du Père Ubu. Peut-être suis-je atteint d’un syndrome polonais philinoïaque, la folie me guette-t-elle, mais avec ce groupe-ci je ne m’inquiète pas, il possède un nom rassurant, HighSanity je vous le traduis tout de suite HauteSantéMentale. Quoique… le titre est tout de même un peu étrange : Half, seraient-ils à moitié malades.

    HALF

    HIGHSANITY

    ( Interstellar Smoke Records / Avril 2023)

    Janek Ostrowski : vocals / Maciej Zajac : guitar / Sebastian Maciaszkiewicz :  bass / Roch Gablankowski : bass, vocals / Jakub Bizon : guitar.

    Sur l’Instagram d’ ISR, je retrouve comme par hasard la couve du dernier album de Moonstone paru sur un label ami ( Voir notre livraison 601 du 18 / 05 / 2023 ), la pochette de HighSanity est d’un tout autre genre. 

    Vous la retrouverez sur l’Instagram de Lou Kidd, il possède un autre nom d’artiste Lukasz Maciaszkiewicz est-ce le frère ou un autre hétéronyme du bassiste du groupe ? Je l’ignore. Cette pochette - étincelles sur le bâton de dynamite chaque morceau de l’album est pourvue de son illustration – m’a séduit par sa simplicité qu’il faudrait qualifier comme toutes les autres productions de Lou Kidd d’expressionisme algébrique abstrait. Ce n’est rien, quelques stries sur un fond noir, pourtant déjà l’on peut se faire une idée de la musique qu’elles évoquent, des barrières psychologiques flottantes, un malaise existentiel incertain, une vision assez floue de la place que l’individu se doit de s’adjuger dans un monde borderline.

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    Shades : courte introduction, bruissements, bruits de conversations lointaines, des voix masculines imitent le bourdonnement d’une mouche. Serait-ce pour insinuer que la vie humaine tourne en rond ? Last whispers off the day : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kesek : batterie pépère se dirigeant vers une supérette, plein d’attaques de guitares par-dessous, arrivent sans prévenir, des voix qui se voudraient harmoniques comme les Byrds mais un jour de grosses faignasseries et les guitares qui reviennent secouer le panier à salade de la vie, un peu trop insipide et menteuse, l’on espère la nuit peut-être parce qu’elle est plus cruelle, l’on y va à pas chaloupés et puis l’on glisse subrepticement vers une espèce kaos mélodique, une guitare s’étire comme un élastique qui cherche la cassure irréfutable, un éclat de rire désabusé mais heureux de l’être puisque la marche du monde lui donne raison. Deeply wrong : voix fatiguée, profondément dépressive, l’on y court tout doucement, pas besoin de se presser l’on sait déjà où l’on va et ce que l’on va rencontrer, un monde dépourvu d’embûches, les guitares bourdonnent un coup en haut, un coup en bas – entre nous l’on se dit que le monde n’est pas si mauvais cela puisqu’il nous offre un très beau solo – bizarrement cet ostrogoth d’Otrowski semble être le premier à ne pas s’en apercevoir, préfère rester enfermé dans sa cage mentale, serait-ce un titre d’inspiration sartrienne ? Ghosts : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kezek : au fond du trou, le mec n’est pas près de s’en sortir, vous êtes enfermé en un dôme de résonnances neurasthéniques, elles vous prennent la tête d’une façon agréable, mais pas celle de notre héros au quinzième sous-sol, la batterie se démène pour le réveiller de sa torpeur, z’avez envie de le secouer ce n’est pas que sa comprenette est emplie de fantômes c’est qu’il est lui-même le fantôme, l’auditeur ne ressent aucune angoisse. Love & disease : une espèce de tourniquet asthmatique sur deux notes, serait-celui de la folie, déjà que les philosophes nous ont appris que l’amour était une erreur et la vie une maladie, le gars n’est pas encore sorti de l’auberge de lui-même et des autres, nous l’on est tout ouïe, c’est si doux que l’on espère qu’il ne s’en sortira pas de sitôt. On a de la chance dans son malheur, fait tous ses efforts pour rester du mauvais côté de la vitre. Solitude : basse fréquence des arpèges de la solitude, le gars n’a plus rien à dire alors il se répète, le disque du cerveau s’est enrayé, surtout la piste de la voix parce que les instruments en profitent pour prendre le commandement et montrer tout ce qu’ils savent dans les paliers ascensionnels et désagrégatifs. Terminent un peu comme dans les morceaux antiques par une apocalypse sonore. Insomnia : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kezek : le titre ne présage rien de bon, mais il démarre sur les chapeaux de roue, insomnie chaotique donc, avec ses vents de guitares l’on serait presque tenté de dire karocktique, jusqu’à ce que notre naufragé reprenne la direction du bateau échoué, le plongeur remonte vers la surface et aperçoit les premières lueurs violentes du jour, n’est pas encore sorti de l’abysse mais l’est poussé en avant, hissé vers le haut par l’instrumentation, chants de triomphe lointains pour l’encourager, il passe les paliers de décompression, un par un, il sait que peut-être là-haut on l’attend. The very end of night (Prelude) : featuring Eliza Ratuznick : la voix du mec qui a vu l’horreur sur  deux guitares acoustiques, va vers la vie, certes mais lle timbrea voix reste valétudinaire, il a tout compris, vous pouvez rencontrer des tas de gens et passer de bons moments mais à la toute fin vous vous retrouvez seul pour mourir. Ce prélude est un peu comme celui de Tristanet Ysolde de Wagner que les enregistrements font souvent immédiatement suivre de La mort d’Yseult…

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    Non ce n’est pas vraiment gai, mais l’instrumentation, toute simple, que l’on pourrait en même temps qualifier de symphonique pour ses subtilités signifiantes, est géniale. Un superbe effort pour que la dichotomie lyrics-musique forme un tout organique rarement atteint par d’autres groupes.

    Damie Chad.

     

    *

    Sur le marché Denis m’a tendu un livre, sous emballage plastifié, c’est pour toi Damie, alors je l’ai pris, en grosses lettres rouges sur la couve c’est écrit ROCK, que voulez-vous quand on a une réputation de rocker il faut l’assurer.

    ROCK FICTIONS

    CAROLE EPINETTE

    ( Cherche Midi / 2018 )

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    A première vue (expression malheureuse) je ne la connais pas, pourtant la demoiselle porte le prénom féminin le plus rock’n’roll du monde Carole, Oh Carol don’t let him steal your heart away, après ça se gâte, Epinette : plouf ce mot sent la tisane et la vielle à roue en bois d’épinette du renouveau folk des french seventies. Remarquez ça lui correspond assez bien, côté cour elle court le monde et les backstages pour assurer son boulot de photographe, côté jardin, en Dordogne, chez elle, près des arbres, adepte des thérapies douces, elle aime à sarcler les plates-bandes, pratique l’hypnose et la Méditation… rockeuse et hippie, face claire, pile sombre, une riche personnalité.

    La plupart de nos lecteurs ont déjà vu ses photos, dans de multiples revues : Hard N’ Heavy, Rage, Best, Metal  Hammer, Rock Sound ( j’ai adoré ce zine), Guitar Part, Rolling Stone, Rock & Folk, Libération. En 2015, à la suite d’une exposition intitulée Rock is Dead, elle a réuni quelques-uns de ses clichés dans un livre à qui elle a donné le même titre. Entre parenthèses le contenu est la preuve absolue que non seulement le rock n’est pas mort mais qu’il est encore vivant. La photographie de la couve qui reprend celle de l’affiche de l’expo, un portrait iconique de Lemmy Kilmister, est devenue virale.

    Ce n’est pas qu’elle aurait été insatisfaite du bouquin, les photos c’est bien, toutefois elles souffrent d’un gros défaut, elles ne parlent pas. Oh bien sûr une bonne photo peut vous en dire davantage que la plus merveilleuse des chroniques, mais la puissance irradiante des mots n’est pas à négliger. Pour remédier à cet état de fait, elle prépare toute seule, comme une grande, grâce à une cagnotte Ulule (un truc chouette), le projet Rock Fictions. Sur le papier le principe est assez simple, demander à vingt et un adeptes du maniement de la plume d’oie ou du clavier d’ordinateur d’écrire un texte, d’émettre une vibration, de mettre en mots une résonnance scripturale à un de ses clichés qu’ils auront choisi.

    Pour les photos pas de problème, que des gros poissons, je ne vous donne que la liste des cinq premiers groupes même si parfois le texte ne s’adresse qu’à un seul de ses membres : Pixies, System of a Down, Jack White, The Pogues, Robert Smith… de toutes les manières nos concasseurs de vocables s’inspirent d’un des titres des artistes.

    Pour nos raconteurs l’on n’est pas au même niveau de célébrité, à part Amélie Nothomb qui se contente d’un texte sans relief de dix lignes, l’est nécessaire de chercher un minimum de renseignements sur le net pour en appréhender leur profil littéraire.

    L’exercice n’est pas facile. Premier écueil ne pas rester collé sur la photo, tous évitent l’obstacle descriptifs, ne tombent pas dans le piège. Deuxième étoc ne pas trop s’en éloigner, la photo n’est pas un prétexte. Déjà plus difficile, prenons le cas de Jérôme Attal, auteur confirmé, parolier et chanteur, l’a tout ce qu’il faut dans sa panoplie, il va nous parler de Pete Doherty, en fait il écrit une nouvelle, peut-être la meilleure de toutes, ce n’est pas qu’il n’évoque pas la fragilité de Peter Doherty, c’est qu’il cause d’un phénomène de société qui l’intéresse, qu’il a vraisemblablement expérimenté par lui-même, mais l’on se dit qu’il aurait pu choisir une photographie d’un autre artiste et qu’il aurait pu écrire un texte similaire aussi brillant avec une autre figure aussi pathétique. Se met en scène tout autant et même mieux que le leader des Libertines, dans son texte il perd la partie, il ne rafle pas la mise, il gagne notre sympathie.

    Je ne sais pas comment a été choisi l’ordre des textes, étrangement c’est le premier de Gilles Marchand qui nous semble coller le mieux à l’essence du projet. L’est le seul qui s’inspire de la photo, Frank Black des Pixies, lunettes noires levées vers un soleil intérieur, accroché au manche de sa basse aussi long qu’un cou de girafe. Ne nous dit rien de lui, ni des Pixies. Se contente de la poser sur une des marches de l’escalier d’un petit immeuble.  De banlieue, parisien, de province, de n’importe où. De temps en temps le gigantesque inconnu laisse échapper quelques mots sibyllins sans queue ni tête De fait c’est le gars de la photo qui se tient debout sur la marche, mais aucun des locataires et encore moins le narrateur ne sait qui il est. C’est un peu comme le monolithe de 2001 Odyssée de l’Espace, il ne bouge pas, mais sa présence n’est pas sans effet sur les messieurs-et-mesdames-tout-le-monde qui ont l’air de se civiliser chaque jour davantage… Très belle métaphore des effets malfaisants et bienfaisants de l’apparition du rock ‘n’ roll dans l’apathie générale.

    Certains se raccrochent aux petites branches. N’ont pas opté pour tel artiste au hasard. Ils connaissent. Ils ont même des choses à dire. Exercice périlleux à tout vouloir expliciter l’on devient ennuyeux et pire encore, pédagogique. Celui qui s’en sort le mieux dans ce genre d’exercice c’est Olivier Rogez, grand reporter, romancier le gars a roulé sa bosse notamment en Afrique. S’ attaque à un monument. James Brown. Dès la première phrase du narrateur l’on sait où l’on se trouve et l’on devine qu’à la fin il rencontrera James Brown. Facile peut-être mais il nous dit tout ce que James Brown a pu représenter pour des millions de noirs américains. Un soleil noir qui brillait et illuminait leur quotidien.

    La maquette est à mon goût un peu trop attrape l’œil, le volume se lit vite, et les photos sont belles. C’était juste pour vous donner envie de voir et de lire.

    Damie Chad.

     

    *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 30 ( Restif  ) :

    169

    Le président est pâle comme un mort. Le Chef lui offre un cigare :

    _ Cher président, prenez donc un Coronado, je vous conseille un Electrochoco, trois bouffées et vous vous remettez de vos émotions en trente secondes, fortement déconseillé aux enfants de moins de treize ans, réellement efficace, je vous l’assure.

    Le président titube, son conseiller se précipite pour glisser une chaise sous son postérieur avant qu’il ne s’effondre terre, il tente de le rassurer

              _ Président ce n’est rien, nous ferons disparaître cet amoncellement de cadavres durant cette nuit. Au petit matin ils seront oubliés. N’oubliez pas que nous sommes les manitous de la presse, qu’elle soit écrite, radiodiffusée ou télévisée et que nous savons de main de maître orienter les réseaux sociaux.

              _ Crétinoïde de Conseiller, arrêtez de m’embêter avec des détails mineurs, ce qui m’inquiète c’est autre chose !

              _ Ce ne serait pas moi par hasard ?

    Nous avons tous entendu. Le président et son conseiller roulent des yeux effrayés, le Chef en profite pour allumer un Coronado. Saisi d’un doute je cherche des yeux Molossa et Molossito. Lecteurs, ne m’accusez point d’anthropomorphisme, mes chiens sont doués mais je ne les crois point capables de prendre la parole comme vous et moi. Par contre j’ai confiance en leur flair. Pour le moment ils sont en arrêt à peu près au milieu de la pièce, à leur attitude frémissante je déduis qu’ils grognent sans bruit comme s’ils ne voulaient pas qu’on fasse attention à eux. Je comprends qu’ils ont peur, mais ils restent stoïquement immobiles. Bientôt tous les yeux sont fixés sur eux. Il semble que l’air bouge, étrange sensation alors que la porte et les fenêtres sont fermées, l’espace devient pour ainsi dire plus dense, vaporeux en ses débuts, il s’obscurcit lentement, une silhouette se dessine, d’autant plus facilement que la fumée du Coronado du Chef se love autour d’elle tel un boa qui s’apprête à étouffer sa proie

              _ Oui c’est moi, si je ne m’abuse !

              _ rhrhré !

    Le président pousse un cri, un peu comme quand vous marchez sur la queue d’un cobra et que l’inoffensive bestiole pousse un râle de douleur

              _ Asseyez-vous Madame je vous en prie, Agent Chad laissez votre chaise à notre visiteuse, une amie chère qui nous fait le plaisir de nous rendre visite.

               _ Pas du tout cher Chef, ce n’est pas avec vous que je viens causer mais à ces deux ostrogoths que voilà !

    Les deux ostrogoths n’ont pas l’air ravis. Assise sur sa chaise, la Mort a sa tête des mauvais jours, sa main décharnée est crispée sur la hampe de sa faulx avec tant de cruelle majesté qu’elle ressemble à Ramses II sur son trône dans le palais de Louxor. Elle ne tarde pas à les apostropher durement :

              _ Helminthes élyséens si je me souviens bien vous avez signé un pacte avec moi !

    Tétanisés, les maîtres de la France, n’osent même pas répondre.

             _ Le contrat était simple, pour ma part je m’étais engagée à vous débarrasser en premier lieu de Monsieur Lechef et de cette tête mal faite d’Agent Chad, ensuite de mettre à mort tous les rockers de ce pays, à condition que vous acceptiez ma demande de rien du tout, une petite faribole de peu de prix !

    170

    Le conseiller prend courageusement la parole :

              _ Nous avons essayé, hélas ils n’ont pas voulu, nous n’avons pas réussi à les convaincre, malgré tous nos efforts…

              _ On ne se moque pas impunément de moi, tout comme la mauvaise fée des contes d’enfants j’ai envoyé d’un coup de baguette magique paître dans les champs d’asphodèles l’inutile escouade de vos sbires stationnée dans l’escalier pour vous prouver qu’aucune protection ne s’avèrera efficace contre moi.

               _ Malgré tous nos efforts nous…

              _ Regardez-moi, j’ai tenu mes premières promesses pour que vous soyez sûrs de mon engagement, premièrement alors que Monsieur Lechef s’était endormi en fumant un Coronado, je n’ai pas hésité à lui baiser le bout incandescent de son cigare, encore plus horrible que le bisou baveux du lépreux, pour lui insuffler dans ses pensées la menace de la mort du rock’n’roll, depuis ces deux imbéciles n’en finissent pas d’errer dans les cimetières à la recherche de ce dont ils ne savent rien… Quant à notre rédacteur des Mémoires d’un GSH, j’ai froidement abattu cette petite pécore stupide marchande de journaux dont il était stupidement amoureux. 

    Il y a beaucoup d’Alices en ce bas monde, mais pour moi il n’y en avait et il n’y en aura toujours qu’Une. Sans réfléchir je sors mon Rafalos de ma poche et je balance un chargeur entier sur la grande dame qui n’en paraît pas affectée. Elle ricane et balance sa faulx effilée vers moi, instinctivement je recule, la lame aiguisée est passée à moins d’un centimètre de ma gorge, je sais que la deuxième fois j’aurai moins de chance, mais je suis pas le seul à avoir aimé mon Alice, Molossa et Molossito n’ont jamais oublié les bocaux de carambars et de chamallows (surtout ceux à la pistache) qu’elle leur ouvrait… Eux aussi veulent venger Alice qui les adorait, n’écoutant que leur courage ils s’accrochent au long manteau de la Mort et tirent de toutes leurs forces, elle essaie de les étriper d’un coup de faulx, mais tenant en leurs gueule les pans de l’ignoble défroque les chiens agiles tournent autour d’elles à toute vitesse, le vieux tissu ne supporte pas leur rage, il se déchire brusquement d’un grand coup, la nudité squelettique de la reine des ombres apparaît, elle pousse un cri d’horreur  de jeune vierge effarouchée, d’un bras elle cache l’absence de ses seins, et de l’autre elle essaie de voiler le renflement charnel inexistant de son sexe. Je savais que le Chef était un grand fumeur de Coronado, après cette scène il m’apprit qu’il participait chaque année à La Havane au lancer de Coronado sur cible, le fait qu’il ait remporté à plusieurs reprises le premier prix de cette discipline ne m’étonne pas, vu qu’éberlué j’ai été j’ai été témoin du trait de feu qui traversa subitement la pièce, il y eut un cri d’horreur une espèce de hululement de vieille chouette déplumée lorsque subitement le crâne de La Mort s’illumina, durant quelques secondes elle eut l’aspect d’une rousse incendiaire, une broussaille flamboyante eut raison des quelques cheveux blancs qui restaient encore par miracle accrochés à son occiput. Courageusement elle prit la poudre d’escampette et disparut dans les escaliers. Intrépidement le président et son valet la suivirent.  

    171

    Il y eut encore un peu de bruit dans les escaliers durant quelques minutes, le temps que les services de l’Etat, vivement appelés, nous supposons par le Président, fassent le ménage, z’en ont rempli fissa plusieurs camions bennes munis d’un toit de toile qui démarraient à toute trombe emportant on ne sait vers quelle décharge publique leur chargement de héros morts pour défendre la patrie.

    Dès que ce fut finit le Chef alluma un nouveau Coronado :

    • Enfin pouvoir fumer dans le calme, ce monde moderne me rend fou, Agent Chad cette nuit agitée a été fort instructive.
    • Nous avons appris qu’aux origines de cette affaire nous retrouvons les plus hautes autorités de l’Etat, ce qui n’est guère étonnant, nous les avons souvent rencontrées sur notre chemin dans nos précédentes aventures. Ils ont déjà essayé de se débarrasser de nous.
    • Agent Chad cette fois, ils ont conclu un pacte héréditaire avec l’ennemie N° 1 de l’espèce humaine, pour une raison que nous ignorons encore, nous devons la trouver dans les heures qui suivent !
    • La tâche risque d’être ardue, je ne vois pas comment procéder !
    • Agent Chad, ne soyez pas défaitiste, laissez-moi allumer un Coronado et tout s’éclaircira.

    J’avoue que j’ai douté, la même faute que Moïse devant Canaan, je ne veux pas insinuer que le Chef est Dieu, toujours est-il que la sonnerie du téléphone retentit à peine le Chef eut-il soufflé sur son allumette.

              _ Décrochez, Agent Chad, vous voyez bien que je suis occupé !

    Je me saisis du combiné :

    • Allo Damie, c’est moi c’est Carlos, il y a du nouveau, j’arrive dans cinq minutes, attendez-moi au coin de la rue !

    Damie Chad.