KR’TNT !
KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME
LIVRAISON 608
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR’TNT KR’TNT
06 / 07 / 2023
THIN LIZZY / PM WARSON
THE REVEREND PEYTON’S BIG DAMN BAND
O.C. TOLBERT / LOU REED
ROCKABILLY GENERATION NEWS
ALAIN COURAUD / GENE VINCENT / DEMONIO
MELT / MY DEATH BELONGS TO YOU
AMER’THUNE / ROCKAMBOLESQUES
Sur ce site : livraisons 318 – 608
Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :
IRREMPLACABLES ADMIRATRICES
&
FOLDINGUES ADMIRATEURS
NE CROYEZ SURTOUT PAS
QUE NOUS PRENONS DES VACANCES,
PAS DU TOUT
NOUS PASSERONS CET ETE
PENCHES SUR NOS GRIMOIRES ABSTRUS
AFIN QUE LE 31 AOÛT 2023
VOUS PUISSIEZ ENFIN VOUS REPAÎTRE
DE CES CHRONIQUES SANS LESQUELLES
VOTRE VIE MANQUERAIT
D’UNE INJECTION HEBDOMADAIRE
DE ROCK’N’ROLL !
Tête de Lynott
- Part Two
Chacun de nous a eu sa dose, et même son overdose, de Lizzy, surtout les ceusses qui dévorent la presse anglaise, une presse toujours aussi friande du rise and fall of the Lizzy King, Phil Lynott. On voit même encore paraître des numéros spéciaux de Classic Rock consacrés à Lizzy. Oui, Lizzy fait vendre, mais pour de bonnes raisons, ce qui est rare, alors autant le signaler.
Phil Lynott reste un cas unique dans l’histoire du rock anglais. Black, il n’avait aucune chance. De la même façon que Jimi Hendrix, il doit tout à son immense talent. Sur les 13 albums de Lizzy, tu vas trouver une série de hits qui comptent parmi les joyaux de la couronne. On considérait jadis les albums de Lizzy comme des huîtres, tu les ouvrais et tu pouvais trouver une perle, parfois deux. Et pas des petites perles, ces grosses perles noires qui embrasent ton imagination.
Il existe une petite bio du Lizzy King, signée Mark Putterford : Phil Lynott: The Rocker. Putterford n’est pas Nick Kent. Il propose néanmoins un bon book, un book sans prétention, dont la discographie constitue l’épine dorsale. Putterford ne s’est pas cassé la tête, il avance par petites étapes, comme un pèlerin sur le chemin de Compostelle, et s’arrête à chaque album pour s’extasier et sombrer dans une sorte de béatification. Quand on connaît la qualité des albums, on sait qu’il n’y a rien de choquant dans cette posture.
Dans son intro, Putterford met le doigt sur ceux faits essentiels : Lizzy est «the first internationally successful Irish rock band», et Phil est devenu «the biggest rock star since Jimi Hendrix». Putterford cite aussi son «astonishing capacity for drinks and drugs». Il a raison de chanter les louanges de Phil qu’il qualifie de first real Irish rock star - A musician, a poet, a performer, a leader, a Lothario, a Casanova, a fighter, a charmer, a gambler, a gyspsy, a rogue, a cowboy, a renegade, a hellraiser, a hero... he was unique in every way - Pas mal comme hommage, non ? Il le qualifie plus bas d’Hollywood Romeo avec son œil caché et sa fine moustache, ses longues jambes gainées de cuir noir, style and charisma, Putterford n’en finit plus de s’extasier, et il a raison. Phil est un très beau mec. Il cite encore son cheeky grin, son sourire assassin. Et ça continue avec le côté proud, «the proud man, l’homme fier de sa mère, Philomena, et de ses deux filles, fier de sa couleur de peau et fier de sa patrie, l’Irlande.» Réciproquement, Dublin est une ville qui se montre toujours fière de lui. L’Irlande, nous dit Putterford, c’est aussi «James Joyce, Oscar Wilde, George Bernard Shaw, W.B. Yeats, Sir Thomas Moore, Brendan Behan, Oliver Goldsmith, Jonathan Swift and more.»
Smiley Bolger rappelle tout de même qu’avant Phil, il y avait Van Morrison - But he was a more cool-headed kind of guy - et Rory Gallagher - Tout ce qu’il voulait c’était rester en 65, still playing the guitar - Phillip was different. He was the party man. He was into the grace of a black man, the cool dude - Et il ajoute : «He had the looks. He had the style. He had the ideas. He used to say, ‘Give me half an idea and I’m away.’» Bolger le voit comme a natural rock-star. Phil qualifiait sa facette rock star de ‘me act’. Parfois, il admettait qu’il était «sick of himself». Phil devenait trop Phil. Geldorf ajoute que Phil fut the only true Irish rock star : «Van Morrison ne fut jamais considéré comme une rock star, parce qu’il ne ressemblait pas à une rock star, d’une part, et d’autre part, il ne voulait surtout pas ressembler à une rock star.» Phil va vivre the mythical rock star existence jusqu’au bout, et selon Geldorf, ce qui causera sa perte.
Au début, Phil est fan de Jimi Hendrix. Il se passionne aussi pour Astral Weeks et Beck-Ola. Il flashe en plus sur l’Hang Me Dang Me d’Heads Hands And Feet, et notamment sur le bassman Chas Hodges, qu’on retrouve dans Chas & Dave - One of his main bass playing influences - Phil flashe aussi sur There’s A Riot Goin’ On de Sly & the Family Stone, et of course, sur le White Album. Wow ! On comprend mieux d’où sort de génie de Phil Lynott. Il adore aussi Humble Pie.
L’homme clé dans le destin de Lizzy n’est autre que Ted Carroll, le futur Ace man. Il s’occupe d’eux quand le groupe s’appelle encore the Black Eagles. Phil et Brian Downey tapent des covers des Yardbirds et des Small Faces. Puis Phil chante dans Skid Row, avec Brush Shiels, and a kid from Belfast called Gary Moore. Mais Shiels vire Phil qui est pourtant son meilleur ami. En dédommagement, il lui apprend à jouer de la basse. Skid Row va continuer de son côté et fera une petite carrière riquiqui. C’est Phil qui va percer.
Il apprend vite. Il montre une détermination à toute épreuve. Il monte Orphanage avec son copain d’école Brian Downey, puis rencontre Eric Bell, qui jouait alors dans John Farrell & The Dreams. Bell propose de monter un groupe. Phil pose ses deux conditions : jouer ses compos et jouer de la basse. Bell : «Well let’s give it a go.» Par sa détermination, Phil impressionne Bell Bell Bell et Brian Downey - he worked hard to achieve that distinctive Lizzy sound - C’est Bell Bell Bell qui trouve le nom du groupe dans un comics nommé Dandy : un personnage robot nommé Tin Lizzy, «the Mecanichal Maid», qu’ils transforment en Thin Lizzy. Et pouf c’est parti ! Ted Carroll les co-manage. Ils jouent en Angleterre avec notamment les Flirtations, ou encore l’Edgar Broughton Band.
Frank Rogers signe l’early Lizzy à Dublin et les envoie enregistrer leur premier album sans titre au studio Decca de West Hampstead, à Londres, là où les Stones et Mayall ont enregistré. Dès Thin Lizzy, Phil montre les prédispositions d’une superstar. La qualité des compos ne trompe pas, surtout quand il s’agit d’«Honesty Is No Excuse». Il est là, épique épique et colegram, troubadour d’afro Irish roots, précoce expert du big fat deepy deep mélodique. Il met un certain temps à poser les éléments, accompagné par Bell Bell Bell le bien nommé, et soudain le Phil à la patte déploie ses ailes immenses - And now I know/ I see the light/ And honesty was my only excuse - On tombe plus loin sur un «Ray Gun» quasi hendrixien que nous wahte le Bell Bell Bell comme le jour. Il faut entendre Phil chanter «Look What The Wind Blew In» à l’éclat de la revoyure. Il se situe déjà à l’extrême pointe du progrès. On le sent intimement déterminé à vaincre. Il dubline tout sur son passage. Il ramène déjà la notion de Dublin Cowboys, l’Americana irlandaise selon le Phil en aiguille. Une autre perle noire se niche en B : «Return Of The Farmer’s Son», fabuleux shake d’heavy jam. C’est le pinacle du power trio, avec le Brian qui bat son beurre et le Phil qui rôde dans ses basses œuvres. Le voilà lancé, rien ne l’arrêtera plus. Il termine ce très bel album avec «Remembering» qu’il attaque à l’éplorée, mais avec une réelle assise. Il bâtira son vaste empire sur cette assise. Lizzy se barre en mode jam power, c’est leur petit apanage, Phil adore taquiner la bête, et il redémarre au keep remembering !
Tout aussi impressionnant, Shades Of A Blue Orphanage paraît l’année suivante. Le titre s’inspire des deux formations précédentes : le Shades of Blue de Bell Bell Bell et l’Orphanage de Phil & Brian Downey. Tu as trois perles noires dans cette huître : «Buffalo Gal», «Chanting Today» et le morceau titre. Phil y fait son retour de mélodiste magique, il affabule sa Buffalo Gal dans le vestibule, c’est un homme fin et doux, et derrière, Bell Bell Bell le bien nommé joue liquide. Lizzy, c’est déjà une affaire sérieuse. Ils vont tourner pendant dix ans avec une moyenne de trois perles par huître. Avec Chanting, Phil pose sa tension mélodique en appui sur les espagnolades de Bell Bell Bell. Phil chante à la merveilleuse arrache. Il y a du Lord Byron en lui, une sorte d’élan naturel vers l’absolu marmoréen. Et puis il peuple son morceau titre de personnages, the clever con, the good Samaritan, the ras claut man, the loaded gun, the charlatan et plus loin, the laughing cavaliero, the wise old commanchero, the desperate desperado, the gigolo from Glasgow, the good looking Randolph Valentino & the female Buffalo. Comme Dylan, il pose les fondations de sa mythologie.
Pendant l’enregistrement de Shades Of A Blue Orphanage, Blackmore fait de l’œil à Phil. Il essaye de le débaucher pour monter un super-groupe nommé Baby Face avec Ian Paice et Paul Rogers. Quelques répètes, mais Phil préfère rester avec Lizzy plutôt que de tenter l’aventure avec le big name Blackmore. Fin de Baby Face. Blackmore rentre à la maison, chez Purple.
C’est l’époque de la fameuse tournée avec Slade et Suzi Quatro, et Lizzy en première partie. À Liverpool, Lizzy se fait jeter au bout de deux cuts à coups de canettes. Mais c’est en voyant Noddy Holder driver son public que Phil pige tout. Il apprend littéralement son métier de performer lors de cette tournée. Chas Chandler vient même trouver Lizzy dans la loge : «Soit vous faites un effort, soit vous dégagez de la tournée. Vous êtes là pour chauffer le public, pas pour l’endormir !» Chas s’énerve, il a raison, «Sort yourselves out!». Ce sera la grande leçon. Mais le public anglais est féroce. Un mec lance à Phil : «Get off yer black arse - get back to Africa!». Phil garde son calme et répond : «Look pal, just give us a chance, eh?». Putterford restitue bien le style vocal de Phil, ce slang irlandais aux tonalités descendantes - Gigantic pair of legs and thick Irish accent.
Troisième et dernier album de l’époque Bell Bell Bell, Vagabonds Of The Western World. L’huître propose trois nouvelles perles noires : «Whisky In The Jar», «The Rocker» et «Song For While I’m Away». Le Whisky est sans doute le hit le plus connu de Lizzy, Phil le prend à la bonne arrache. Ils sont tous les trois parfaitement à l’aise dans leur bel univers mélodique. C’est monté au petit beurre du brillant Brian. Bell Bell Bell te claque la grosse intro de «The Rocker». L’énergie est purement hendrixienne - I’m a rocker/ I’m a roller too baby ! - Saluons aussi le heavy boogie blues de «Mama Nature Said» en B. Phil grimpe directement au sommet de son chat perché, il est toujours très héroïque, très élancé, très brillant et derrière, Bell Bell Bell te claque des riffs au bottleneck. Comme on l’a vu dans l’hommage qu’on lui rendait ici même en 2019, Eric Bell est un fiévreux virtuoso, un tisseur de toiles faméliques. Le clou du spectacle est bien sûr «A Song For While I’m Away», qui donnera son titre au docu consacré à Phil - You are my life/ You are my everything/ You are all I have - Fantastique orchestration, bien nappée de violons, c’est une merveille intimidante, Phil chante un fondu de tendresse chaude. Impossible de se lasser de ce mec. L’autre grande particularité de l’album est sa pochette. C’est la première que dessine Jim Fitzpatrick pour Lizzy. Comme Petagno avec Motörhead, Fitzpatrick va signer quasiment toutes les pochettes de Lizzy.
Bell Bell Bell craque. Il ne tient pas la pression - I was losing my mind and I couldn’t handle it - Pour finir la tournée, Phil fait appel à Gary Moore qu’il connaît depuis le temps de Skid Row. Phil aimerait bien continuer Lizzy avec Gary Moore, mais Moore est incontrôlable. En quelques mois, il fait un burn-out. Et il y a une petite rivalité entre Phil et lui. Moore capte l’attention et ça ne plaît pas trop à Phil. Moore se barre. De toute façon, il n’allait pas tenir. Phil teste ensuite John Du Cann pour une tournée en Allemagne, mais ça se passe mal entre Phil et lui. Du Cann se prend pour Blackmore. Encore des problèmes d’ego - He expected to be treated like a superstar - Frank Murray raconte qu’en arrivant en Allemagne, Du Cann a posé sa valise par terre, attendant que quelqu’un la porte, et Murray lui dit : «Look pal, in this band you carry your own fucking case!». Fin des haricots.
Puis Phil remonte le groupe avec deux guitaristes. Il entre dans une ère nouvelle, celle du twin guitar attack de Scott Gorham/Brian Robertson. Gorham est un Californien installé à Londres, et Robbo vient d’Écosse. C’est à ce moment-là que Ted Carroll arrête de manager Lizzy pour se consacrer à son Rock On stall. Il va ensuite monter Chiswick Records et signer Motörhead.
Premier album du quatuor flambant neuf : Nightlife. Lizzy décroche une belle avance de Phonogram et Fitzpatrick dessine la pochette. Par contre, la relation avec le producteur Nevison tourne au cauchemar. Phil compose à bras raccourcis, toujours au sommet du lard. Ah il faut l’entendre groover son morceau titre sur sa basse, c’est d’une classe invraisemblable, un vrai tour de force melodico-bassmatique. En B, tu tombes sur «Philomena», c’est-à-dire sa mère. Cut mélodiquement pur, monté sur un brave petit mid-tempo. Pas trop de twin guitar attack sur cet album, sauf ici, à la fin du solo de «Philomena». Phil renoue avec l’Hendrixité des choses sur «Sha La La». Gorham et Robbo jouent au puissant délié de twin guitar, avec le buzz buzz de Phil. Brian Downey se tape la part du lion, c’est lui qui claque le beignet du cut. L’album s’achève avec «Dear Heart», une nouvelle merveille d’harmonie mélodique, doucement violonnée. Le bassmatic de Phil transparaît bien dans le mix, on ne le perd jamais de vue. Globalement, Nightlife est un album élégant. Ce «Dear Heart» te va droit au cœur.
Ils jouent les gros durs des Batignolles sur la pochette de Fighting. Ils sont marrants, car pas crédibles. Il y eut même, nous dit Putterford, une photo de Lizzy avec les pifs sanguinolents, mais le label l’a refusée. Comme Nevison a laissé un très mauvais souvenir, Lizzy s’auto-produit. Le «Rosalie» d’ouverture de balda tape dans la Stonesy. C’est quasiment «Happy», même sens de l’envol et de l’insistance. L’album est très classique, très boogie rock. Phil y va au ya ya ya sur «Suicide» et on retrouve le twin guitar attack en contrefort de «Wild One». On les voit essayer d’exprimer la violence dans «Fighting My Way Back», en exacerbant le riff et le beurre. C’est assez marrant. Ça pourrait presque marcher. On se régale aussi du «King’s Vengeance» en B. Il y a toujours du flourish et du blooming dans l’univers musical du grand Phil à la patte. Les morceaux pauvres de l’album sont ceux des autres (Robbo signe «Silver Dollar»). Retour au vrai son de Lizzy avec «Freedom Song» qui préfigure «Boys Are Back In Town».
Phil flashe pas mal sur l’Amérique, comme le rappelle Putterford, «un pays où les hommes sont des cats et les femmes des chicks, la police des cops, et les barmen des bartenders, les autoroutes des highways et les trottoirs des sidewalks.» Il est fasciné par la culture américaine, par cette loi de la jungle qu’on retrouve bien sûr dans ses lyrics.
On parlait du loup, le voilà : «The Boys Are Back In Town» ouvre de bal de B de Jailbreak, un Vertigo sorti en pleine aube punk, en 1976. C’est le hit définitif de Lizzy. Tout le town est là, merveilleusement là. C’est balancé, chaloupé au bassmatic. Retour du Dublin Cowboy dans «Cowboy Song», Phil y ramène son Buffalo et son Romeo. Le morceau titre de l’album est bien gratté, mais il peine à jouir. Par contre, «Running Back» ne paye pas de mine au premier abord, mais ça devient du pur Lizzy. C’est avec cet album que le twin guitar attack entre en full bloom. Gorham avoue que Wishbone Ash l’utilisait déjà avant eux, mais en moins agressif. Le twin va devenir «the Lizzy sound». Après la catastrophe graphique de Fighting, Fitzpatrick est de retour.
Pendant qu’il est à l’hosto pour une petite hépatite, Phil compose les cuts de l’album suivant, Johnny The Fox. Tu vas y trouver deux inexorables Beautiful Songs : «Borderline» et «Old Flame». Phil épouse la mélodie de Borderline, une véritable merveille d’élégance. On retrouvera cette qualité mélodique chez Midlake. Et en B, «Old Flame» sonne comme l’idéal Lizzy : chant mélodique enduit de Twin. C’est un son unique dans l’histoire du rock anglais. Dans «Johnny The Fox Meets Johnny The Weed», Phil travaille à l’insidieuse, avec un riff têtu comme une mule. Et avec «Massacre», il revient à ses chers Buffalos. C’est une obsession. On entend une belle mélasse de twin dans «Rocky». Ces mecs savent s’entremettre. Phil chante son «Fools Gold» sous l’alizé d’un twin douceâtre et il boucle cet album avec un «Boogie Woogie Dance» percé en plein cœur par un solo liquide. Lizzy reste sur des charbons ardents jusqu’au bout du Fox. Pour l’anecdote, il faut savoir qu’on a demandé à Fitzpatrick de dessiner la pochette de l’album alors que Lizzy n’avait pas encore choisi le titre. Il insiste auprès de Phil, «Just think of any title», alors Phil répond : «Ah call it Johnny The Fox, that’ll do.»
Mais Phil a des problèmes avec Robbo, qui est incontrôlable. Robbo cogne. Phil demande à Gary Moore de partir en tournée américaine avec Lizzy. Robbo sait que Moore ne va pas rester avec Lizzy, il n’est pas trop inquiet.
Bad Reputation restera dans l’histoire du rock pour «Southbound», un chef-d’œuvre de ghost town mélodique, sucré au twin de rêve. Phil est dans son élément, c’est une merveille de contrôle des mesures, il sait driver une extra-balle de southbound. On retrouve ici le magicien, le fantastique pourvoyeur de chansons parfaites. Alors évidement, les autres cuts ont du mal à rester au même niveau. On trouve du twin bien moelleux, et même délicieux, dans «Soldier Of Fortune», et dans le morceau titre, joué nettement plus sous le boisseau. Scott Gorham joue tous les shoots de twin tout seul. Phil boucle avec un «Dear Lord» qu’il prend à l’éplorée, comme il sait si bien le faire, bien lubrifié par une lampée de twin. Pas de Robbo sur la pochette. Lizzy a voulu lui donner une leçon. Pas de Fitzpatrick non plus.
Pendant la tournée américaine, Phil sniffe des tonnes de coke et prends des downers pour essayer de dormir un peu, mais il faut se réveiller de bonne heure pour monter dans le bus en partance pour la prochaine ville, alors Phil est de mauvaise humeur. Il cherche la bagarre.
Puis Robbo revient dans Lizzy. Gorham est content, même si Robbo «is a fucking nutcase». Phil le tient à distance. Terrie Doherty : «Le problème de Robbo est qu’il était trop agressif. Il était toujours prêt à se battre avec quelqu’un, il m’a même menacé de me casser la gueule.» Dans les bars, Robbo, «completely out of it», cherche tout le temps la cogne. Quand on essaye de le calmer, il s’énerve encore plus. Alors Phil le chope et lui demande de s’excuser, ce qu’il ne fait pas. Robbo finit par être viré pour de bon - I was really just out of control, a complete asshole - Il boit comme un trou et prend du speed, ce qui n’arrange rien. Il se sent en permanence comme un bâton de dynamite, prêt à exploser. Il dit siffler à cette époque deux bouteilles de Johnny Walker Black Label par jour : «une demi-bouteille au soundcheck, une demi-bouteille juste avant de monter sur scène et une autre bouteille pendant le gig.» Maintenant, il sait qu’il s’est comporté comme un con - I now know what a prat I was. And we all know what a prat Phil was, parce qu’il n’est plus avec nous aujourd’hui - Pas mal, le Robbo. Il conclut ainsi : «Mais tu ne vois tes erreurs qu’une fois commises. Et alors, c’est trop tard.» Gary Moore le remplace. C’est son troisième stage en temps que «full time member» dans Lizzy en quatre ans.
C’est l’année suivante que paraît Live And Dangerous, considéré avec No Sleep Till Hammersmith comme l’un des meilleurs albums live de l’histoire du rock anglais. Facile pour Phil : il n’a que des hits. Comme Lemmy, d’ailleurs. Le balda est irrésistible. La marée commence à monter avec un «Emerald» gorgé de twin, et ils enchaînent avec «Southbound». Ah il faut le voir, le Phil, entrer dans son lagon d’’argent, suivi du twin le plus mélodique du monde. S’ensuit un medley «Rosalie/Cowgirl’s Song», heavy boogie de Bob Seger, idéal pour des blasters comme Lizzy. Avec les deux cocottes, ils ramènent tout le sel de la terre. La brutalité du riffing restera dans les anales. La B retombe complètement à plat et il faut attendre «The Boys Are Back In Town» en C pour reprendre de l’altitude. C’est le hit, pas de problème. On peut en dire autant de «Don’t Believe A Word». L’exercice du pouvoir doublé au twin, voilà le grand art de Lizzy, voilà sur quoi repose leur extrême crédibilité. Putterford rapporte une anecdote délicieuse. Chris O’Donnell évoque avec Bernie Rhodes la possibilité d’une double affiche Lizzy/Clash at the Roundhouse et Rhodes lui dit : «We don’t just do gigs, we make political statements. Everything has to be dangerous, do you understand?». Ça fait bien marrer O’Donnell qui appelle Phil pour lui suggérer un titre pour ce double album live : «How about Live and Dangerous?».
Lizzy est l’un des rares groupes qui a su échapper à la purge punk. Phil a su garder sa street credibilty. Lizzy ne fait pas partie de ce qu’on appelle alors les dinosaurs. Phil est fin, il a tout compris : keep in the move. Il reçoit les punks chez lui. Sid & Nancy in the toilet - That fucking Sid he comes round here shooting up, il pose la seringue par terre, la ramasse et vlahhh straight back in his arm, it’s fucking terrible - Même si Phil en a vu d’autre, le Sid & Nancy in the toilet, c’est quelque chose ! Chez Phil, c’est porte ouverte et table ouverte - He was an open house, 24 hours a day - Phil est bien pote avec les London punks. Il monte une première mouture des Greedy Bastards avec Steve Jones, Paul Cook, Gary Moore, Scott Gorham, Brian Downey et Chris Spedding. Vient jouer qui veut. Les voilà sur scène à l’Electric Ballroom, «a few Lizzy songs, a few Pistols songs, le «Morotbiking» de Chris Spedding, le «My Way» de Sid Vicious and whatever.» Cette année-là, Phil joue aussi sur le So Alone de Johnny Thunders.
L’année suivante, Lizzy enregistre Black Rose à Paris avec Tony Visconti. Un Visconti qui sa plaint du Phil trop méticuleux : il peut passer en effet six ou sept heures sur un cut avant qu’il ne soit content de sa partie chant. Il a raison le Phil à la patte d’être méticuleux : ça engendre des coups de génie. Tu as deux perles dans l’huître : «Do Anything You Want To» et «Waiting For An Alibi». Gary Moore remplace Robbo. Le twin guitar attack est encore plus virulent qu’avant, et Phil y va à coups de compromise you, c’est plein de vagues de twin, Lizzy est au sommet du lard. Encore une chanson parfaite de Phil Lynott. «Waiting For An Alibi» sonne bien les cloches, avec la fantastique résonance de l’Alabaï dans les ponts de basse. Phil drive sa pop rock comme s’il drivait l’attelage d’une diligence et c’est couronné de fabuleux shoots de virtuosité signés Gary Moore et Scott Gorham. Leurs tours de twin donnent le tournis. «Toughest Street In Town» est plus poppy, mais Phil crée quand même l’événement, il produit du blossom et du blooming anthemic en permanence. Ses chansons sonnent pour la plupart comme des hits immémoriaux. On s’extasie encore à l’écoute de «Get Out Of Here», en B, car c’est chanté à la clameur sur de belles brisures de rythme et des relances mélodiques extraordinaires. Fitzpatrick se dit fier d’avoir dessiné les quatre Lizzy, surtout Phil : «Je lui ai mis les cheveux sur l’œil pour lui donner un petit air de Max la Menace, et un petit air de Little Richard avec la fine moustache (un look que va pomper Prince plus tard).»
C’est pendant le séjour parisien que l’héro fait son entrée dans Lizzy, même si Gorham en prenait déjà quand il vivait encore en Californie. À partir de ce moment, ça ne s’arrêtera plus. Gorham : «It was always right there on the table, right in front of his face, all the time.» Mais Lizzy ne tape pas que l’hero, Lizzy tape tout - It was the real downfall of Thin Lizzy - Gorham ajoute : «We were living the image of the rock’n’roll band to the full, and it has to be said that we loved every minute of it.»
Bob Geldorf rapporte une anecdote pas très glorieuse pour Phil. Geldorf vit alors avec une certaine Paula Yates. Un soir, Phil débarque chez eux et propose un rail à Bob qui sniffe sans savoir que c’est de l’hero. Il se retrouve aussitôt aux gogues en train de vomir ses tripes, et pendant ce temps, Phil file dans la piaule pour aller baiser Paula qui est couchée. Phil sort sa bite et dit à Paula : «This is my biggest gun, darling» !», ce qui ne la fait pas rire : «For fuck’s sake, don’t be so ridiculous, Phillip!». Geldorf : «Pour aller tirer ma poule, il m’a fait un rail d’hero qui m’a presque tué.» Mais au fond, il n’arrive pas à en vouloir à Phil. «Il tentait le coup, c’est tout. Comme il l’avait toujours fait. C’était pour rire. Et tu finis par en rire aussi.» Ces mecs-là ont un sacré savoir-vivre.
Phil est donc un curieux mélange «de diamond geezer et de complete bastard, d’easy-going drinking pal et de moody ogre, the joker, the sulker», Putterford voit clair dans le jeu de cette superstar, «ce simple Irish boy qui regarde la télé avec sa grand-mère, et qui est aussi the international Playboy raging around the world in a chemically-induced frenzy.» C’est vraiment très bien senti et très bien écrit.
Chris O’Donnell rappelle que la vie de rock star est essentiellement constituée d’attente : avant les concerts, pendant les sessions d’enregistrement, d’où les drogues. Et puis après le rush d’adrénaline du concert, aller au lit ? Impossible ! Drugs !
Mais ça reste tendu entre Phil et Gary Moore. Sur scène, ils s’insultent. Fuck you ! Pire encore : Don Arden fait de l’œil à Gary Moore. Il aimerait bien le signer en tant qu’artiste solo sur son label, Jet Records. En plus, sa girlfriend lui dit qu’il est trop bon pour Lizzy et qu’il devrait entamer une carrière solo. C’est à San Francisco que l’orage éclate entre Phil et Gary Moore. Scott Gorham doit jouer seul sur scène. Lizzy redevient brièvement un trio. C’est là que le manager Chris Morrison fait appel à Midge Ure pour rejoindre Lizzy en tournée. Ure joue dans Ultravox et accepte de dépanner Lizzy. Il prend l’avion pour l’Amérique. Phil compare Ure à Steve Marriott.
Puis Phil embauche Snowy White, un mec réputé qui a joué avec «Peter Green, Linda Lewis, Al Stewart, Cockney Rebel et d’autres», nous dit Putterford.
Chinatown pourrait bien être le meilleur album de Lizzy. En B, tu as une nouvelle preuve du génie mélodique de Phil Lynott : «Don’t I». Il ramène de la mélodie dans le twin, et là, il atteint des sommets. Ce merveilleux artiste utilise le balladif pour prolonger sa vision. Cet homme est un ardent perfectionniste, un amoureux inconditionnel de la beauté. Il a su mettre le pouvoir mirifique du twin au service de la mélodie. Lizzy attaque «We Will Be Strong» au full twin guitar attack. Phil arrive à point nommé pour poser avec aplomb son will be strong. Le morceau titre sonne encore comme une fantastique machine, Brian Downey bat le beurre affreusement bien, il tape au beat rebondi. Cette fois, le twin se compose de Scott Gorham et Snowy White. Encore du classic Lizzy avec «Sweetheart». Phil a toujours un peu la même attaque au chant, son Sweetheart est beau comme un cœur, on ne se lasse pas de ce son gorgé de chœurs de lads et de twin. On se goinfre aussi de «Killer On The Loose» et de sa fantastique tension. Tu as là tout l’Irish power. L’«Having A Good Time» qui ouvre le bal de la B est encore une rock song à thème mélodique suspensif, l’une des grandes spécialités compositales du Phil à la patte. Pour l’anecdote, Fitzpatrick raconte que pour la première fois, on lui a donné un bon délai et un titre d’album - Je ne comprenais pas ce qui déconnait, car pour la première fois Lizzy semblait well-organized - Mais finalement ça finit par déconner pour de bon, car Lizzy a choisi le mauvais visuel pour le recto et le bon pour le verso. Mais Phil, qui se savait déjà iconique, préférait laisser planer le mystère sur la pochette, ce qui, de sa part, était extrêmement avisé.
Sur scène, Snowy White n’est ni Robbo et encore moins Gary Moore. Il ne bouge pas. Bill Cayley, qui fait partie de l’équipe de tournée, raconte que les mecs du road crew se planquaient derrière le rideau avec des manches à balais pour le titiller et l’inciter à bouger sur scène.
Snowy White est encore là pour Renegade, paru en 1981, l’année de l’élection de François Mitterrand. Les perles sont en B : «No One Told Him» sonne comme un hit intemporel, un de plus à l’actif du grand Phil Lynott. Il sonne comme le roi du without you baby. Nouvelle rock-song parfaite, enveloppée au chaud dans la magnifique interprétation du Phil à la patte. Il termine Renegade en prenant son envol avec «It’s Getting Dangerous» - When we were young - C’est encore une fois du très grand art, du big Phil out, il développe sa mélodie, lui donne de l’air et des moyens, c’est assez fascinant de le voir à l’œuvre, de le voir s’élever dans son espace mélodique, il le fait en douceur, sans jamais forcer, when we were small, pur genius. Phil Lynott est le tenant de l’aboutissement. Snowy White est fier d’avoir joué sur cet album. Il estime que Lizzy «was a lot more song-oriented than most heavy bands.» Mais l’album connaît un retentissant échec commercial. Lizzy perd de la puissance. Lizzy runs out of steam.
Snowy White se désintéresse de Lizzy. Il a pourtant adoré la première année de tournées, mais l’ambiance se dégrade, «Lizzy being Lizzy, repeating the same things over and over, c’est le problème de tous les groupes à succès, liés à une certaine image, à certaines chansons et à une façon de jouer sur scène.» Et puis Phil tient mal la pression du succès. Il picole et prend de l’hero - L’hero lui a permis de se relaxer avec l’idée de se retrouver au sommet - Même Chris O’Donnell en a marre de voir Phil et Lizzy se détériorer sous ses yeux - A once brillant band was turning into a pile of crap before my very eyes - Fin des haricots. Même Scott Gorham en a marre. Il dit à Phil qu’il se barre mais Phil réussit à le convaincre de faire encore un album et une tournée.
Phil embauche John Sykes pour enregistrer le dernier album de Lizzy, Thunder And Lightning. Malgré son titre prometteur, l’album retombe comme un soufflé. Le morceau titre est un peu metal. On sent une légère dérive. On perd complètement le Phil à la patte. Même les solos sont bizarres. On perd aussi le twin. On perd tout. En fait, lorsqu’on lit les crédits, on s’aperçoit que ça ne marche pas, lorsque Phil co-signe. Il retrouve sa veine avec «The Holy War», mais c’est trop tard, l’album est plombé. En B, ils sonnent comme un mauvais groupe de metal avec «Cold Sweat», et «Baby Please Don’t Go», qu’on trouve plus loin, est tout de suite plus lumineux, car signé Phil. Plus vivant, plus élégant, plus awsome, plus select. L’album et la carrière de Lizzy s’achèvent brutalement avec «Heart Attack». Adios amigos, thanks for the ride.
Lizzy a gagné beaucoup de blé, nous dit Putterford, Jailbreak s’est vendu à 1,5 million d’exemplaires, mais tout a été dépensé : Phil voulait des avions et des limousines, pour les tournées américaines, il voulait des hôtels de luxe - He would insist on the rock star lifestyle - Chris Morrison lui dit que ça coûte cher, mais Phil s’en fout. Il indique que Lizzy coûtait à l’époque £500,000 a year, Phil veut que toute l’équipe soit salariée. Morrison ajoute qu’aujourd’hui, un groupe coûte £50,000 par an, alors on voit la différence. À la fin, il ne reste pas un rond.
Le split de Lizzy est insupportable pour Phil. Il commence à déprimer, ce qui ne lui arrivait jamais. Fitzpatrick le voit prendre du poids, ce qui pour Phil est terrible, car il était très fier de son apparence. Rien n’empêche la dérive, tout part à vau-l’eau, son mariage, le groupe - Phil was so popular. Coke, speed, joints, champagne, anything you wanted, you could have it, dit Mark Stanway. Comme Phil ne supporte pas d’être seul, des tas de gens zonent chez lui, at the Ken Road house, jour et nuit. Porte ouverte, table ouverte, des gens dorment là pendant des mois. Robbo débarque en pleine nuit, John Sykes a sa chambre à l’étage, nous dit Sue Peters.
Juste avant Thunder And Lightning, Phil enregistrait The Phil Lynott Album. Le problème c’est qu’on y entend de la diskö. Il rend hommage à sa fille Cathleen avec «Cathleen», a beautiful Irish girl, et il faut attendre «Ode To Liberty» en B pour renouer avec la bonne vieille heavy pop. C’est excellent. Il montre qu’il peut encore composer des hits. Il termine avec «Don’t Talk About Me Baby», un beau hit qui te réchauffe le cœur.
On retrouve Phil inanimé chez lui le jour de Noël 1985. Il casse sa pipe en bois à l’hosto une semaine plus tard. On dit que c’est le «prolonged drug abuse» qui a eu sa peau. 36 ans, ça fait quand même un peu jeune. «Philip could eat and drink and do everything more than everyone else. He liked it like that», indique Smiley Bolger. Il était paraît-il solide comme un bœuf.
Signé : Cazengler, Phil Gnognote
Thin Lizzy. Thin Lizzy. Decca 1971
Thin Lizzy. Shades Of A Blue Orphanage. Decca 1972
Thin Lizzy. Vagabonds Of The Western World. Decca 1973
Thin Lizzy. Nightlife. Vertigo 1974
Thin Lizzy. Fighting. Vertigo 1975
Thin Lizzy. Jailbreak. Vertigo 1976
Thin Lizzy. Johnny The Fox. Vertigo 1976
Thin Lizzy. Bad Reputation. Vertigo 1977
Thin Lizzy. Live And Dangerous. Vertigo 1978
Thin Lizzy. Black Rose. Vertigo 1979
Thin Lizzy. Chinatown. Vertigo 1980
Thin Lizzy. Renegade. Vertigo 1981
Thin Lizzy. Thunder And Lightning. Vertigo 1983
Phil Lynott. The Phil Lynott Album. Vertigo 1982
Mark Putterford. Phil Lynott: The Rocker. Omnibus Press 2002
PM at six p.m.
Il régnait sur ce parc d’attraction un tenace parfum d’ennui, qu’amollissait en le réchauffant un soleil ardent. Les esprits dylanesques appellent ça the Desolation Row caniculaire. On se souvient que Mark E. Smith haïssait l’été et préférait rester chez lui au frais - J’adore l’été, parce qu’en été je ne sors pas. Quand arrive le mois d’avril, les gens sortent comme des chiens, aussi je reste chez moi. Summer is hell - L’organisation du festival avait réussi l’exploit de dresser une petite scène en plein cagnard, ce qui semblait convenir parfaitement aux festivaliers appâtés par la gratuité de l’événement. Cette période de l’année marque l’apogée du fameux pantacourt, une coquetterie à laquelle le caveman moyen ne se prête guère.
Histoire de varier les plaisirs, la prog cultivait l’éclectisme. Trois groupes étalés sur l’après-midi. Nous n’étions pas là pour les fruits de l’éclectisme, mais plutôt pour un certain PM Warson. Il devait être six p.m. lorsque PM est monté sur scène. 18 h en français.
Pour être tout à fait franc, PM en plein cagnard, ce n’était vraiment pas idéal. Ce jeune groover de London town propose une Soul-jazz très sophistiquée, qui conviendrait plutôt à un club de style round midnite, certainement pas au contexte décrit plus haut. En comme un cours d’eau longeait le parc, on entendait en plus glouglouter les petits flots bleus et quelques rires d’enfants occupés à s’éclabousser. Mélangez ça aux odeurs que dégageait le camion à pizza garé tout près et vous aurez une idée du malaise que dut éprouver PM sur scène. Pour corser l’affaire, il dut jouer devant une assistance réduite à portion congrue, le gros des festivaliers ayant préféré rester à bonne distance, à l’ombre des jeunes filles en fleur et des tamariniers. Par miracle, PM est un artiste passionnant, ce qui nous permit de tolérer des conditions aussi peu propices à l’éclosion de l’art. Alors il enfila ses perles, une par une, il joua softy-softah, accompagné d’une petite gonzesse à l’orgue, d’un excellent beurreman et d’un bassman jazzy qui groovait tout au doigt sur sa bonne vieille Fender. PM portait un chapeau de mover-shaker du jazz world et des lunettes noires. Il semblait sortir tout droit de Mo’ Better Blues, le chef-d’œuvre de Spike Lee. Et pour compléter ce tableau presque idyllique, PM sonnait exactement comme Nick Waterhouse. Il évoluait dans ce son, cet élégant groove de Soul Jazz que promotionne Eddie Piller sur son label Acid Jazz. Profitons de l’occasion qui nous est donnée pour rappeler qu’Acid Jazz et Daptone sont devenus les deux pôles de la modernité, et donc arbitres des élégances. Leur enfant caché s’appelle Colemine.
Donc pas de problème. PM jouait sa carte avec brio. Il claqua une belle cover d’«I Don’t Need No Doctor». Il tapa même un bref instro de surf. Sur la plupart de ses cuts, il passait des solos flash extrêmement bien ficelés. Il boucla son set avec une autre cover, «The Letter», qu’il groova admirablement. Ce ravissant clin d’œil aux Box Tops fit danser la maigre assistance. On était vraiment ravi de l’avoir vu jouer, même dans ces conditions exotiques. Comme la scène était ouverte aux quatre vents, le groupe dut en plus surmonter le handicap d’une extrême déperdition du son. Quelques mots échangés après coup avec PM permirent de découvrir un personnage éminemment sympathique, comme éclairé de l’intérieur par un regard d’un bleu très vif. À tout hasard, on lui demanda s’il connaissait James Hunter. Pouf ! En plein pot aux roses : c’est son idole. Pas surprenant, quand on y réfléchit. Tous ces artistes fantastiques, James Hunter, Nick Waterhouse et PM Warson ont un sacré point commun : l’avenir leur appartient.
PM a déjà enregistrés deux albums. Coup de pot, ils sont au merch. Le premier date de 2021 et s’appelle True Story. On y retrouve la cover d’«I Don’t Need No Doctor». Il en fait une cover qu’il faut bien qualifier d’évolutive. Le hit de l’album est une merveille nichée au bout de la B, «(Just) Call My Name», c’est un groove magique, qui se faufile comme une couleuvre de printemps, PM chante ça au coin du menton, à l’accent sinueux des nuits chaudes de Soho. Par contre, le «Losing & Winning» d’ouverture de balda va plus sur une ambiance à la «Fever», c’est un heavy groove de London town joué à pas feutrés dans la chaleur de la nuit. PM joue à fond sa carte de dark groover blanc, exactement comme le fait Nick Waterhouse. Avec «In Conversation», il force un peu la main du groove, il vise la fournaise sous le boisseau. Il fait du Waterhouse à l’Anglaise, et au fil des cuts, lui et ses musiciens semblent avoir de plus en plus de son. PM est un mec très fin, c’est l’image qu’on retient, celle d’un groover qui se faufile et qui place des petits solos bien ciblés.
Dig Deep Repeat date de l’an passé. On y trouve une nouvelle cover évolutive en deux parties, le fameux «Leaving Here» signé HDH, qu’enregistra en son temps Eddie Holland, puis repris par les Birds de Ron Wood et aussi - et surtout - Motörhead. PM tape sa version au wild groove de jazz et c’est excellent, comme réinventé. Il y revient pour un Pt 2 travaillé au shuffle d’orgue et au sax. C’est incroyable comme il le groove bien - Caught the right train/ Found the right place - C’est du pur London jive, tu ne saurais espérer plus jivy. Ce deuxième album est un festin de groove, et ce dès «Insider», pur jus de Waterhouse, c’est le même déballonnage de déballage, et des filles couinent «insider» derrière. C’est smoothé à l’orgue, très fin, très Mod Jazz. Jean-Yves aurait adoré cet album. PM retrouve son terrain de prédilection avec «Game Of Change», il tape ça de plein fouet avec une réelle élégance. Il se glisse encore partout avec «Never In Doubt», il est le gendre parfait, celui auquel on souhaite la bienvenue avec sincérité. Tout est bien lisse et bien foutu, pas d’histoire, ça coule de source. Voici son petit shoot de surf, «Dig Deep», puis retour au groove avec «Out Of Mind», puissant car bien balancé des reins, il joue un peu en crabe, il a des chœurs épisodiques qui entrent quand il faut, sa structure semble dessinée par Le Corbusier, un peu oblique, mais solide. Il s’enfonce dans l’excellence à la Waterhouse avec «Nowhere To Go». Ça finit par devenir envahissant. Disons que c’est le petit privilège du groove : il finit toujours par conquérir l’Asie mineure.
Signé : Cazengler, PM enrayé
PM Warson. Festival Rush. Union B. Malaunay (76). 25 juin 2023
PM Warson. True Story. Légère Recordings 2021
PM Warson. Dig Deep Repeat. Légère Recordings 2022
L’avenir du rock
Peyton c’est du beyton
(Part One)
Quand on demande à l’avenir du rock s’il va à l’église, il hausse les épaules. Mais il ne s’en va pas. Ça l’intrigue qu’on puisse lui poser une telle question. Oh ce n’est pas le fait qu’elle soit indiscrète, il s’inquiète plutôt de savoir pourquoi c’est resté un critère de jugement. À une autre époque, oui, mais aujourd’hui ? Les Révolutions sont passées par là, et les bouffeurs de curés ont dératisé les villes et les campagnes, en exterminant cette faune ecclésiastique qui pendant des siècles avait réussi à maintenir les populations dans la peur la plus abjecte. Comme tous les gens qui réfléchissent un peu, l’avenir du rock sait que la spiritualité ne se trouve pas dans le sein de l’église catholique. Elle se trouve dans chaque être, comme le voulait, à l’aube des temps, la gnose. Connais-toi toi-même. Si l’avenir du rock admire tant Tommy Hall, c’est justement parce qu’il professait la gnose à son petit auditoire de freaks psychédéliques. C’est la raison pour laquelle la musique du Thirteen Floor est tellement spirituelle, tellement révélatrice. Depuis, d’autres saints sont venus prêcher la bonne parole gnostique parmi nous. L’avenir du rock s’agenouille volontiers devant le Reverend Horton Heat qui professe à coups de Gretsch les principes gnostiques du rockab sauvage. Chacun trouve sa voie, le Reverend Horton Heat indique la direction. Viens par là, mon gars. 400 Bucks ! Tu y vas en courant. Un autre saint homme montre aussi la voie, le Reverend Beat-Man, plus austère parce que suisse, mais diablement œcuménique, il bat sa coulpe en mode binaire et parcourt le monde avec sa gratte et son big bass drum. Les adeptes du Reverend Beat-Man se comptent désormais par centaines, dit-on, dans les campagnes. C’est ce que les Catholiques n’ont jamais compris : si les curés avaient pensé à jouer du rockab, les églises seraient pleines à craquer. Au moins, les afro-américains sont moins cons, car ils savent rocker leurs églises en bois avec du gospel batch. L’avenir du rock est tombé en adoration pour un autre saint homme, le Reverend Peyton. Avec ses grattes et des doigts en or, il t’engnose dès le premier coup de bottleneck, et offre à chacun de ses adeptes d’un petit paradis personnel.
Si tu as la chance d’assister au soundcheck du Reverend Peyton’s Big Damn Band, tu sais que la soirée va être torride. Hot as hell. Car le Reverend est une bête de Gévaudan, mais pas le Gévaudan d’ici, le Gévaudan de l’Indiana. Son fury blues sort des bois les plus sauvages d’Amérique. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Son expertise du roots punk-blues dépasse l’entendement. Il s’enracine dans Charlie Patton et Bukka White, mais joue avec le gusto d’un hard punkster. On cherche à le comparer, mais il est incomparable. Le seul qui s’en rapproche est sans doute Fred «Joe» Evans IV, le slinger fou de Left Lane Cruiser, mais force est de constater que le Reverend sort du lot.
L’homme est assez massif, large d’épaules, une sorte de gros dur des Batignolles de l’Indiana, il porte une barbe noire et une casquette de marlou, des beaux tatouages sur les épaules, un marcel blanc dans la journée, un noir dans la soirée, et une vraie salopette de farmer des backwoods. Son éthique est la même que celle d’Hasil Adkins, Sur scène il utilise sept guitares, bien rangées près de lui, des instruments chargés d’histoire, il se branche sur un petit rack de ricks et sort sur un ampli Silvertone. C’est l’enfer qui sort de son ampli. Il vise le loud. Il carillonne des quatre doigts et joue les basses à l’onglet du pouce. Cet homme a les allures d’une superstar, au bon sens du terme. Jamais le blues électrique ne s’est aussi bien porté.
Le voir à l’œuvre te permet de réaliser à quel point ce son reste essentiel. Tout vient de là et du gospel, et tout repart de là. Il attaque le set avec «My Old Man Boogie», tiré d’un album assez ancien, Big Damn Nation, mais c’est «Ways And Means» qu’on attend au virage, car c’est le cut qu’il sound-checkait, et là, mon gars, tu as l’un des hits du siècle, dans le genre descente au barbu, t’as pas mieux, il carillonne ses accords dans un délire de slide et joue un petit motif de basse à l’onglet de pouce. C’est un peu la même dynamique que le «Milk Cow Blues» des North Mississippi Allstars, mais en plus Peyton, c’est-à-dire ravageur. D’ailleurs, il annonce le cut en précisant qu’il en est très fier - Wayssss ‘n means, pour que tout le monde comprenne bien - Il lève tout simplement un véritable vent de folie.
Sa femme Washboard Breezy l’accompagne au washboard, un washboard qu’elle porte accroché autour du cou, et qu’elle gratte avec des gants rouges équipés de griffes d’acier. Et pour compléter cette piste aux étoiles, tu as un mec au beurre derrière qui bat son ass off, il est très spectaculaire et s’appelle Max Senteney. Beurreman américain, diabolique d’efficacité, qui ne ménage pas ses efforts. Il va souvent battre son beurre au bord de la Méricourt.
Comment peux-tu faire autrement, quand tu accompagnes le Tornado Peyton, l’un des plus grands guitaristes d’Amérique ? Il faut le voir balayer son manche de gestes larges et lâcher de véritables rafales d’accords, c’est à la fois violent et magnifique.
Le show est explosif. Bim bam boom du début à la fin. Ils tapent aussi le morceau titre de Poor Till Today et font bien le train avec l’imparable «Train Song». Rien à jeter chez le Reverend Peyton, il est bel et bien l’aw my Gawd du blues moderne.
Tu plonges dans l’œuvre du Rev comme dans un lagon d’argent : chacun de ses albums sonne comme une bénédiction. Tiens, prends Big Damn Nation, au hasard. Six coups de génie. Tu découvres en plus que c’est produit par Jimbo Mathus. Le Rev attaque avec «My Old Man Boogie» qu’il reprenait sur scène. Il ramène tout le flux et tout l’influx du peuple noir. C’est chargé à ras-bord. Il gratte des frivolités dans l’enfer du beat. C’est puissant et sans pitié pour les canards boiteux. Le Rev joue le boogie des bois. Autre splendeur tentaculaire : «Worrying Kind». Il se fond avec ça dans un prodigieux heavy groove de black blues. Et ça continue avec «Left Hand George». Fatal ! Fantastiquement inspiré ! Il porte son chant à la force du poignet. Avec «Long Gone», il sonne encore plus black que les blacks, il joue à la syncope des trois notes. Tout est somptueux sur cet album. Il s’immerge dans l’excellence du big damn blues, le Rev est fou de black genius, comme le montre encore «Mud». «Plainfield Blues» sonne comme le blues le plus lumineux du fleuve. Il finit par échapper à toutes les catégories. Le Rev détient le power du fleuve. Il y a dans «Plainfield Blues» une énergie fondamentale. Il te repeint tout Dockery. Il ramène du punk dans le blues.
Chaque album du Rev sonne comme un passage obligé. The Wages n’échappe pas à la règle. Beau visuel, qu’on dirait peint par Wes Freed, le mec qui faisait les pochettes des Drive-By Truckers. Mais non, ce n’est pas Wes Freed, il s’agit d’un certain Shelby Kelley. Le coup de génie de l’album s’appelle «Clap Your Hands», qu’il reprend sur scène. C’est avec ça qu’il chauffe la salle. Il veut le clap your hands et le stomp your feet. Il peut déclencher l’enfer sur la terre. Il propose trois shoots d’Americana, à commencer par «Born Bred Corn Fed», qu’il prend au wild bottleneck. Toute l’Amérique résonne en lui. On dira la même chose de «Sugar Creek» - Take my baby back/ To Sugar Creek - C’est une Americana bien wild, bien poilue. Il ramène son immense talent dans «Just Getting By». Il fait l’une des meilleures Americanas de son temps, bien drivée et fluide. Son «Two Bottles Of Wine» est wild as superfuck, et puis avec «Train Song», il fait le train. C’est en plein dans le mille. Il redevient le white nigger de rêve. Il module toutes les substances, tous les jus informels. Le Rev est si bon que tu finis par écouter tous les cuts de tous ses albums mécaniquement. Ce mec te balaye tout, même le devant de ta porte.
So Delicious reste dans la même lignée : ça grouille de son et de génie révérentiel. Il attaque en mode colonne infernale avec «Let’s Jump A Train». La niaque est là, dès la première mesure. Il gratte sa National, et derrière, ça bat le tribal des sous-bois. Il shoote du punk dans son hard-blues rural. Quelle barbarie et quelle bravado ! Il enchaîne avec l’aussi énorme «Pot Roast & Kisses». Il tient la dragée haute à l’Americana. Il claque un thème ambivalent et s’appuie sur le hard beat. Que de musicalité ! Il amène un gratté de poux ardent et coloré, unique en son genre, un gratté multi-facettes. Un enchantement. Il joue encore son «Dirt» dans d’effroyables règles du lard. Il n’en finit plus d’enfoncer son clou dans la paume du blues messianique. Avec «Raise Hell», il fait exactement ce qu’il annonce : il raise hell. Il joue le punk-blues des origines de l’humanité, bien wild as cro-magnon. Plus loin, «Front Porch Trained» sonne comme un fantastique jump d’Indiana gratté au washboard et au bottleneck délibéré, il ramène toute l’énergie white trash et toute la Méricourt des bois. Il devient le white nigger le plus pur avec «Pickin’ Pawpaws». Il ne fournit aucun effort. Tu vas encore tomber de ta chaise avec «We Live Dangerous», il drive ça vite fait, fast and wild. Il mène sa barque en enfer. Il est all over the place, jusqu’au bout de la nuit, et il finit en beauté avec le mirifique «Music & Friends.
Comme le montre encore Front Porch Sessions, le Rev crée sa mythologie tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il n’en finit plus de défoncer la rondelle des annales. C’est un vieux bouc. Il ne rencontre aucune résistance. Avec «We Deserve A Happy Ending», il rentre dans les annales comme dans du beurre. Il profite de «When My Baby Left Me» pour faire son heavy white nigger, c’est puissant, ouvert sur l’univers, la force du Rev est d’ouvrir de nouvelles portes. Il tape «What You Did To The Boy Ain’t Right» au stomp des backwoods. Power du diable ! Il gueule dans sa cabane, c’est du pulsatif primitif, avec un écho terrifique, le Rev t’aplatit tout ça vite fait. Il couvre tous les domaines du genre, avec le souffle de sa voix chaude. Le solo de slide qu’il passe dans «One Bad Shoe» est une merveille apocalyptique. Tu suivrais le Rev jusqu’en enfer. Il fait encore tournoyer son bottleneck ad nauseum dans «It’s All Night Long». C’est la Méricourt du rodéo. Le Rev est un effarant virtuose. Puis il s’en va te shaker le gospel blanc de «Let Your Light Shine» au stomp du fleuve. Il gueule tout du fond du cut, le Rev est une bête, sans doute la meilleure bête du monde. Il repart à l’aventure avec «Cornbread & Butterbeans», accompagné de Breezy au washboard. Il reste égal à lui-même, c’est-à-dire effarant de wild présence, saturé de sous-bois. Il t’explose l’Americana en plein vol. Il porte tous ses atouts au sommet du lard. Il est à la fois un éminent spécialiste de l’Americana et un gratteur de poux hors normes. Il va bien au-delà de toutes les expectitudes.
Quand on les voit tous les trois sur la pochette de Poor Until Payday, on comprend bien que ça va chauffer. Et c’est exactement ce qui se passe. Boom dès «Dirty Swerve», slab de wild boogie blues. Embarqué sur le beat du diable. Le Rev secoue toutes les parties molles des cuts. Pendant que Breezy fait des chœurs sataniques, le Rev descend au barbu avec des doigts crochus. Te voilà transporté dans un Conte d’Andersen, dans l’âtre du diable, c’est l’apothéose de tous les apanages. Le Rev conduit le bal des vampires. Et ça continue avec «So Good», il va chercher le meilleur wild punk blues, c’est à la fois explosif et contenu, ça vaut tout le JSBX, avec toute l’énergie du genre, mais magnifiée. Comme le montre encore «Church Clothes», il surmonte tous ses cuts au chant pur. Le Rev est intrinsèquement black, l’éclat de sa voix ne trompe pas. Encore un coup de génie avec «Get The Family Together», c’est tout simplement l’heavy enfer sur la terre, le Rev cultive les menaces définitives, il intra-utérine les intérims, il ramène toute l’urgence du beat black, il fait du wild as Rev. Diable, comme sa pulsion est pure ! Sa barbarie l’est encore plus. Il harangue encore les harengs avec «I Suffer I Get Together», c’est l’Apollinaire du punk-blues, avec une barbe. Il termine cet album superbe avec «It Is Or It Ain’t». Tu retrouves tout le gaga du monde dans le boogie du Rev. Il finit par t’assommer à coups d’heavy slide. Il parvient toujours à ses fins. Ce saint homme est un démon.
Voilà encore un album qu’il faut bien qualifier de génial : Dance Songs For Hard Times. Il date de 2021, le dernier en date. C’est là que tu retrouves le cut magique joué sur scène, «Ways & Means», monté sur un riff obsédant, ces quatre notes grattées à l’onglet du pouce. Le Rev maintient une pression hors normes, il maîtrise l’excellence du hot rod blues, il faut le voir riffer à blanc, avec le thème qui revient. Il devient à moitié fou avec «Rattle Can», comme s’il chantait au dessus de ses moyens, puis il retourne écumer les archipels avec «Dirty Hustlin’». Oh le Rev est un pirate ! Il coule tous les vaisseaux qu’il croise. Que dire d’une abomination comme «I’ll Pick You Up» ? C’est sa façon de te tomber dessus avec une barbarie indescriptible. Tous ses cuts sont des idées géniales, tout est bourré d’énergie, chanté à pleins poumons et mené à train d’enfer. Que demande le peuple ? Ce Rev de rêve peut même taper un cut en mode fast jazz, comme le montre «Too Cool To Dance». Quel que soit le format, le Rev est à l’aise. Comme il t’aime bien, il te groove le jazz vite fait. Puis on le voit tenir «Sad Songs» par les cornes. Le Rev est le roi du hard punk-blues. Tu as là tout ce que pu peux désirer en la matière : c’est d’une rare puissance et chanté d’en haut. Le Rev condescend. Il relance et Breezy fait les chœurs. Un petit coup de stomp d’Indiana avec «Crime To Be Poor», et il repart en mode heavy blues avec «Til We Die». Le Rev reste un fervent cognoscente, et son chant une merveille d’authenticité. On le sent concerné à la vie à la mort. Il boucle avec un «Come Down Angels» des enfers, tu as le big Rev, le washboard et le fou au beurre - Come down angels/ Please come down - Il arrose tous ses cuts de prodigieuses giclées de blues électrique. Tout ce qu’il entreprend est visité par la grâce du power pur. Si tu aimes l’action, alors écoute le Rev, l’ultimate punk des bois.
Signé : Cazengler, Reverend Péteux
The Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Backstage. Montrouge (92). 22 juin 2023
The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Big Damn Nation. Family Owned Records 2006
The Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Wages. SideOneDummy Records 2010
The Reverend Peyton’s Big Damn Band. So Delicious. Shanachie 2015
The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Front Porch Sessions. Family Owned Records 2017
The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Poor Until Payday. Family Owned Records 2018
The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Dance Songs For hard Times. Family Owned Records 2021
Inside the goldmine
Tolbert nique
Nous formions en ce temps là un joyeux conglomérat. Tous un peu paumés, un peu peintres, un peu poètes. Si un mec comme Talbin faisait partie de cette fine équipe, c’est uniquement parce qu’il savait conduire une machine offset. Et l’offset constituait le cœur de notre activité. Sans cette bécane et son conducteur, nous n’existions pas. La revue tournait bien, on tirait à 5 000, on diffusait sur abonnements et on parvenait à assurer les équilibres vitaux, c’est-à-dire la croûte, les encres et le papier. On tirait en A3+ et on façonnait à la sortie : assemblage, pliage, piqure deux points, massicotage et routage. Talbin était beaucoup plus âgé que nous. Il portait en permanence une veste à carreaux. Physiquement, il se tenait encore bien. Il avait encore ses cheveux qu’il peignait soigneusement, les traits du visage assez fins, toujours rasé de frais, avec un léger soupçon de malice dans le regard. Une sorte de vieux beau. Talbin avait dû beaucoup plaire aux femmes. Il restait très solennel dans ses propos et n’aimait pas les questions trop personnelles. Alors évidemment, on passait notre temps à l’asticoter. Il s’arrangeait toujours pour paraître plus con qu’il ne l’était. C’était son système de défense. Il ne risquait pas de se voir entraîné dans une conversation sérieuse. Il savait aussi que les petites vannes s’arrêtaient d’elles-mêmes. Chacun sait que les charrieurs n’ont guère d’imagination. Talbin se contentait de charger ses rames, de monter ses plaques et de préparer ses encres. Lorsqu’il préparait ses couleurs Pantone, il utilisait une petite balance pour peser ses mélanges et ça nous épatait de le voir faire, car on croyait vraiment qu’il faisait n’importe quoi. Il participait à toutes les fêtes, notamment les fêtes de parution, car ça faisait partie des usages. Il aurait préféré rentrer chez lui s’occuper de son chat, mais il savait qu’il devait rester parmi nous. Ces fêtes étaient toujours des moments d’extrême dissolution. Nous avions initié Talbin aux agapes d’alcool, d’herbe et d’acides. Ce soir-là, nos moyens nous permirent de tester le speedball. Confiant et même jovial, Talbin inhala en singeant les autres, et comme il avait coutume de le faire, il se leva pour déclarer que la dope ne produisait aucun effet. Soudain il s’écroula à la renverse. Son crâne heurta le carrelage de l’atelier. Il venait de faire sa première overdose.
Il n’existe bien sûr aucun lien de parenté entre Talbin et Tolbert, mais on se demandait à une époque s’il existait un lien entre Colbert et Tolbert. Des fouilles approfondies permettraient certainement d’y voir plus clair, mais en attendant, contentons-nous d’affirmer que Tolbert en impose, à la différence de Colbert qui imposait le peuple de France. Mieux vaut en imposer que d’imposer, comme chacun sait.
Dans le booklet de la compile Black Diamond, Andy Croasdell rappelle qu’O.C. Tolbert n’a pas fait long feu : cassage de pipe en bois à 52 ans. C’est grâce aux gens d’Ace qui ont racheté les archives du producteur Dave Hamilton qu’on peut découvrir cet immense Soul Brother qu’est O.C. Tolbert. Parcours classique : fils de pasteur en Alabama. Bambin, l’O.C. chante à l’église. Comme les prêches ne rapportent pas gros, le père d’O.C. doit conduire le tracteur et cueillir du coton pour arrondir les fins de mois. L’O.C. cueille donc le coton. Quand Daddy Tolbert casse sa pipe en bois en 1966, l’O.C. monte dans le Nord et s’installe avec sa femme à Detroit. Il tape à la porte d’un gros label black qui lui dit de revenir dans un an. Vexé, l’O.C. se met à haïr les gros labels. C’est là qu’il se maque avec Dave Hamilton. L’histoire d’O.C. est classique, mais Croasdell la raconte très bien. Son récit est passionnant. Puis un certain Fat Man Jack Taylor entre dans le circuit avec son label Rojac. Sur son label, il a Big Maybelle. Croasdell insinue que Big Maybelle ne dépend pas de Jack Taylor que pour les royalties. Il parle bien sûr de dope. Comme Jack Taylor opère à New York, l’O.C. s’y installe, laissant sa femme Velma et ses deux fils à Detroit. Et comme Velma finit par en avoir marre de Detroit et de la violence urbaine, elle retourne s’installer à Selma, Alabama. Le couple tient le choc. L’O.C. descend régulièrement passer du temps en famille. À un moment, Croasdell insinue qu’O.C. fut garde du corps de Jack Taylor, ce que Velma réfute catégoriquement, arguant qu’O.C. était un homme bien élevé.
Black Diamond grouille littéralement de coups de génie, tiens, on va en prendre un au hasard : «Fix It». L’O.C. y va au hard drive de hard funk liquide, c’est dire si l’O.C. est bon, si l’O.C. a la niaque ! Il y va au scream de fix it, il prend feu, c’est exceptionnel de sauvagerie et derrière, ça joue à contretemps. Ah il faut entendre l’O.C. hurler ! Il t’invite plus loin à monter à bord du Gopsel Train dans «Ride The Gospel Train», c’mon get on board, il chante à la silicose de pur genius. Et pris en sandwich entre ces deux hits de rêve, tu as deux autres énormités, «Everybody Wants To Do Their Own Thing» et «Along Came A Woman». Derrière lui, ça joue à la folie, les petites guitares funky fuient dans la brousse, l’O.C. est un dur à cuire, il chante tout à la grosse arrache, il fait mal, tellement il martyrise sa glotte, il chante son gloomy r’n’b dans des lueurs de néon. Là, tu as une Soul hors du commun. Autre énormité digne de ce nom : «Hard Times» - Since my baby’s been gone - Il en bave, avec du woke up this morning. Ah comme il est raw ! Il gère le heavy groove comme on gère l’amour physique : avec un tact purement organique. Pas la peine de faire un dessin. Il tombe toujours sur le râble de son r’n’b avec une extrême violence. Avec «That’s Enough», il ramène le groove en enfer. Il y va l’O.C., c’est un vrai black de combat, il s’arrache encore la glotte sur «You Gotta Hold On Me». Ne commets pas l’erreur de prendre l’O.C. pour un branleur. Il passe par tous les états de la grande Soul de son temps, «You Got Me Turn Around» sonne comme un hit de r’n’b, et quand il rend hommage aux blackettes dans «Message To The Black Woman», il le fait avec une réelle profondeur d’intention. Fantastique Soul Brother ! Il t’en met encore plein la vue avec «Goodness», il fond sa niaque dans le groove, l’O.C. est un géant, Hello Goodness ! La séance d’électrochocs révélatoires se poursuit avec «Message To Mankind». L’O.C. est un scorcher extraordinaire. Tiens, encore une merveille avec «Rough Side Of The Montain», monté sur un heavy bassmatic. Si tu aimes la Soul, te voilà au paradis, amigo. Comme elle n’est pas rentrée cette nuit, l’O.C. lui demande : «Where Were You?». Il revient au gospel batch de son enfance avec «Somebody Is Here With Me», un mood vertueux de presbytérien dédié à Jésus. Il finit avec «All I Want Is You», du heavy O.C. de diamond ring qu’il tartine au baby baby baby ! Il remonte le courant à coups d’all I want is you, les cuivres pouettent comme des fanfarons à une table de banquet, pouet pouet, et l’O.C. navigue, comme on dit, dans la semoule, il avance, vaille que vaille, oh babe !
Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Dave Hamilton est un ancien guitariste de session pour Motown. De là à aller choper Dave Hamilton’s Detroit Funk (Rare And Unreleased Twisted Funk 1967-1975), il n’y a qu’un pas qu’on franchit allègrement. Car oui, quelle compile ! On y retrouve bien sûr l’O.C. avec «The Grown Folk Thing», shoot de hard funk, et «Message To Mankind», gros paté de pathos. On se prosterne devant les Barrino Brothers et «Just A Mistake», un fantastique shoot de r’n’b soufflé à l’énergie pure. Ils sont sur Invictus. Belle presta aussi de The Future Kind avec «The Devil Is Gonna Get You», un drive à la Screamin’ Jay. Mais le crack de la compile s’appelle Billy Garner, avec quatre bombes, à commencer par «Brand New Girl Part 1», un shoot de funk à la James Brown, il y va à la tête cognée, il t’emmène au cœur de la fournaise, c’est le hard funk de Detroit. Même topo avec «You’re Wasting My Time», Billy Garner rivalise directement avec James Brown - You make me so mad/ You’re wasting my time - Il y revient avec un Part 2, il y va le Billy, il charge la barcasse du relentless. Et puis voilà «I Got Some Part 1», suivi du Part 2, montés tous les deux sur un real deal de riff de funk. Dave Hamilton est un sacré point de repère.
Signé : Cazengler, Tolbec dans l’eau
O.C. Tolbert. Black Diamond. Kent Soul 2011
Dave Hamilton’s Detroit Funk (Rare And Unreleased Twisted Funk 1967-1975). BGP Records 2006
Wizards & True Stars
- Le grand méchant Lou
(Part One)
Mick Wall s’est bien amusé à épingler le côté tordu du grand méchant Lou. Le petit book qu’il lui consacre (Lou Reed The Life) est un véritable précis de décomposition, comme dirait Cioran, un mode d’emploi à l’usage des anti-carriéristes et des amateurs de néant, une ode à l’amer, une exégèse des pieux communs, un vrai Necronomicon. Eh oui, Mick Wall a très bien compris que Lou Reed ne supportait pas les cons, c’est-à-dire ceux qui ne comprennent rien. Comme Léon Bloy en son temps, il rêvait de les anéantir.
Lou Reed en a bavé. Pas facile d’être un artiste visionnaire incompris - A complete one-off, utterly misunderstood in his lifetime, poorly treated and ignorantly underevalued - Le mépris qu’affichait la critique rock pour Lou Reed ne date pas d’hier, elle remonte au temps du Velvet. Ne va pas croire que le Velvet était un groupe célèbre aux États-Unis, oh la la la, pas du tout. Lou Reed a créé un monde que le grand public ne comprenait pas, ne pouvait pas comprendre - La vérité, c’est que Lou Reed commence là où le rock s’arrête. Avant lui, le rock était de l’entertainment, avec lui, le rock devenait littéraire, dark, disturbing et incroyablement honnête. Son œuvre a plus à voir avec William S. Burroughs, Hubert Selby Jr., Andy Warhol et le brillant Delmore Schwartz, son mentor, qu’avec les Beatles et les Stones - Et Mick Wall conclut son introduction avec l’une de ces chutes spectaculaires dont il s’est fait une spécialité : «Voici donc mon hommage, sincère, écrit au speed, taché de sang, torché d’une façon que Lou, qui avait enregistré le premier album du Velvet Underground en quatre jours, aurait appréciée.»
Et pouf, il attaque violemment - A jew. A fag. A junkie - Avec Mick Wall, on n’en finit plus de se marrer. Juif, pédé, junkie - À 17 ans, il avait atteint deux de ces objectifs, et ses parents l’envoyèrent subir des séances d’électrochocs, une thérapie en vogue dans l’Amérique des années 50, utilisée pour soigner les délinquants en herbe. Grâce à cette thérapie, Lou Reed allait rapidement atteindre le troisième objectif, junkie - C’est merveilleusement bien amené. Mick Wall le fait mieux qu’on ne le fera jamais.
Un peu plus tard, quand Lou compose à la chaîne pour le compte de l’éditeur musical Pickwick, il se sent tellement frustré qu’il propose un jour «The Ostrich», a new dance-craze tune. Pour jouer, ça, nous dit Wally, Lou accorde ses six cordes sur la même note. Il s’en explique : «J’ai fait ça parce que j’ai vu un mec qui s’appelle Jerry Vance le faire. Il n’était pas vraiment un artiste d’avant-garde. Il bricolait. Il ne se doutait pas qu’il avait un truc, mais je l’ai vu.» Lou fait une parodie des cuts dansants de l’époque, «The Twist», «It’s Pony Time», mais il y fout son grain de sel - Take a step forward/ Step on your face - et, nous dit Wally, il remplace le refrain par un hurlement terrifiant. Ça va loin cette histoire, car Lou Reed se servira de ce modèle pour «Sister Ray». Avec «The Ostrich», il ouvre une porte. Deux ans plus tard, il joue de l’Ostrich guitar sur le premier album du Velvet. Pour Lou, ce n’est pas le son qui compte, c’est l’idée de la subversion. C’est la raison pour laquelle il va bien s’entendre avec John Cale, «jumeau intellectuel et provocateur d’instinct». Tous les deux, ils allaient créer «something new and possibly even dangerous.»
Il faut bien comprendre que Lou Reed & John Cale, au même titre que les Stooges et Bob Dylan - et avant eux Elvis, Little Richard, Jerry Lee et Chucky Chuckah - sont les pionniers sans lesquels rien de ce qu’on aime aujourd’hui n’aurait pu exister.
Mick Wall consacre pas moins de la moitié de son petit book au Velvet. Lou Reed & John Cale, oui, mais aussi Andy et Nico. C’est un tourbillon de légendes qui n’a rien perdu de sa fraîcheur, depuis l’époque de la découverte, via un article d’Actuel. Le Velvet de Lou Reed & John Cale s’appelle d’abord, comme chacun sait, The Primitives. Quand John Cale revient d’un voyage à Londres avec une pile de 45 tours des Who, des Small Faces et des Kinks, il demande à Lou Reed de laisser tomber son Dylan twang et d’évoluer sur un autre son, c’est-à-dire le sien, «ostinato piano and droning repetitive-to-the-point-of-screaming viola.» L’impulsion de John Cale est fondamentale. John Cale vient de l’avant-garde, et Lou Reed du rock. Lorsqu’elle est bien racontée, on se délecte chaque fois de la genèse du Velvet qu’on croit bêtement connaître par cœur. Mick Wall ramène son énergie dans ce qui est déjà une énergie. Il faut en effet comparer la genèse du Velvet à celle de Dada à Paris en 1919, lorsque Tristan Tzara vient retrouver Picabia qui vit alors chez Germaine Everling. C’est exactement le même Krakatoa de créativité, l’invention du fameux something new. Comme Tzara et Picabia en leur temps, John Cale & Lou Reed créent un monde. Mick Wall charge bien sa chaudière, ça y est, le Velvet avance, Sterling Morrison : «The path suddenly became clear. We could work on music that was different from ordinary rock’n’roll.» Le Velvet commence à jouer à la Cinémathèque, lors de la projection du Scorpio Rising de Kenneth Anger et là, Wally se régale : «Scorpio Rising mixait des thèmes occultes avec l’imagerie des bikers, le catholicisme, le nazisme et tout ce que les spectateurs camés à outrance pouvaient y lire.» Et boom, il fait entrer en scène Al Aronowitz, un hip American rock writer qui traînait en 1965 avec Brian Jones et qui manageait un groupe nommé The Mydle Class. Aronowitz propose 75 $ au Velvet pour jouer dans un lycée du New Jersey. Puis ils recrutent Moe Tucker qui ne touche pas aux drogues, une Moe qui bat debout, sans cymbales ni charley ni caisse claire, boom boom, metronomic, sur le tom bass, un son qui va devenir la signature du Velvet avec le crazed viola de John Cale et la deadpan voice de Lou Reed. Lou déclare en 2003 : «I think Maureen Tucker is a genius drummer.» Il dit même qu’elle a inventé cette façon de jouer. Toujours en 1965, le Velvet joue au Café Bizarre sur Bleeker Street. John Cale se marre, il rappelle que les seules personnes qui restaient pour les écouter jouer étaient ceux «qui étaient too drunk to leave.» Pas grave, on avance. S’ils sont pas contents, qu’ils se cassent. «Black Angel’s Death Song» est fait pour ça, pour que les gens se cassent, surtout que John Cale l’arrose d’un «distordant sonic hailstorm of manic electric viola.» Quand le patron du Café Bizarre chope Sterling pour lui dire que s’ils rejouent encore une fois ce «Black Angel’s Death Song», le groupe est viré. Pouf, ils le rejouent immédiatement, deux fois plus long et beaucoup plus fort. Virés ! Mais Barbara Rubin les a vus jouer au Café Bizarre et elle parle d’eux à Andy. Elle insiste. Viens les voir ! Bon d’accord. Andy rapplique avec elle et Gerard Malanga. Andy flashe !
Andy, c’est déjà un monde magique, le monde que chante Bowie sur Hunky Dory. La Factory, les portraits, et puis les personnages que cite Wally, Edie Sedgwick («le plus beau papillon dont on allait bientôt arracher les ailes»), Brigid Polk, et puis les drag queens venues de la rue comme Jackie Curtis et Candy Darling, et puis aussi la transgenre Holly Woodlawn. Et puis les superstars d’Andy, Ultra Violet et Baby Jane Holzer, et bien sûr d’autres superstars se pointent à la Factory, Wally les cite, Dylan, Jimbo, Leonard Cohen. Quand Lou voit Andy rappliquer au café Bizarre, il flashe. Et c’est réciproque. Lou ne sait pas qui est ce mec, mais il sait qu’il est one of us - And so smart with charisma to spare - Lou ajoute une remarque fondamentale : «But really so smart, and a, quote, ‘passive’ guy, he took over everything. He was the leader.» Lou sait tout de suite que ça va fonctionner, c’est hallucinant comme il le sent bien : «Bingo. Interest? The same. Vision? Equivalent. Un monde différent et il nous a intégrés. It was mazing. I mean, if you think in retrospect how does something like that happens? C’est incroyable. J’étais avec Delmore Schwartz qui m’a appris à écrire, et me voilà avec Andy where you get all the rest of it.» Mais Andy va encore plus loin que Lou Reed : il veut le remplacer au chant par Nico. L’idée est d’avoir sur scène «something beautiful» pour «contrebalancer the screeching ugliness they were trying to sell.»
Nico ? Elle arrive en 1965 à la Factory au bras de qui ? Brian Jones, bien sûr. L’érudit Wall fait feu de tous bois : «Nico qui avait pris des cours chez Lee Straberg apparaissait sur la pochette de Moon Beams de Bill Evans paru en 1962 et avait joué deux ans plus tôt dans un film de Jean Poitrenaud, Strip-Tease, dont elle chantait le morceau titre composé par Serge Gainsbourg.» Andy demande deux choses à Lou : composer des chansons pour elle, et la laisser chanter sur scène. Lou est scié, Quoi ? «Comment aurait réagi John Lennon si Brian Epstein lui avait demandé de céder sa place au chant à Cilla Black ?» Wally se paye un petit délire avec ce comparatif, mais c’est exactement ça. Lou est le boss du Velvet et il s’offusque, mais il compose quand même «Femme Fatale» et «I’ll Be Your Mirror» pour Nico. Il lui file aussi «All Tomorrow’s Parties», «another post Ostrich wig-out». Nico ramène sur scène ce que Wally appelle le «monochrome European avant-gardism.» Et hop, on avance ! Andy invente le concept du show multimédia, «plus spectaculaire, plus innovant, more of a real art happening» que celui de Piero Heliczer, le show s’appelle Andy Warhol Uptight, qui va devenir The Exploding Plastic Inevitable.
C’est encore Andy qui pilote l’enregistrement de ce qu’on appelle tous «le premier Velvet». Quatre jour au Scepter Studio sur West 54th Street. Andy co-finance avec Columbia, mais à l’écoute des bandes, Columbia rejette le projet. Pareil pour ceux que Wally appelle «the A&R geniuses at Atlantic Records and Elektra Records» : ils n’en veulent pas. Berk. Andy réussit à passer un deal avec Verve qui fait partie d’MGM. Verve vient de signer les Mothers Of Invention. Andy négocie avec Tom Wilson qui a produit cinq albums de Dylan et le Freak Out des Mothers. Andy produit tout l’album sauf «Sunday Morning» que produit Tom Wilson. Ouf, le Velvet est entre de bonnes mains. Comme quoi ! Ça tient parfois à peu de choses. Lou reconnaît qu’Andy est leur protecteur - We were nothing. Qui pouvait nous critiquer ? Personne ne nous avait entendus. Comme ils ne pouvaient pas nous critiquer, ils ont critiqué Andy. C’était le cadet de ses soucis - Et il ajoute, au sommet de son dégoût pour la critique rock : «(Ils disaient :) comment peut-il produire un album ? Il n’est pas musicien.» Et Wally opte une fois encore pour une chute fantastique : «People were stupid. How many times did Lou have to tell ‘em?».
Le Velvet va jouer sur la côte Ouest, mais leur son ne passe pas - These Velvet Underground motherfuckers looked like a bunch of junkies and fags - Lou Reed en a autant à leur service : «Well, we were also really, really smart and the (West Coast hippy) stuff was really, really stupid.» Et il croasse pour conclure : «It was purely a matter of brains.» Par contre, Jimbo flashe sur le Velvet, et notamment la danse du fouet de Gerard Malanga, dont il va s’inspirer pour sa danse shamanique. Il va aussi récupérer Nico. Et puis, «The End» s’inscrit comme chacun sait dans le prolongement d’«Heroin».
Le Velvet est lancé, mais Lou envisage de se débarrasser d’Andy, de Nico et du «seemingly more calm, self-assured John Cale.» Le grand méchant Lou veut rester le seul maître à bord du Velvet. Rupture avec Andy. C’est la raison pour laquelle il n’existe pas de sérigraphie de Lou Reed. Rupture avec Nico qui enregistre en 1967 Chelsea Girls avec Tom Wilson. En juillet de cette année-là, elle se pointe au Monterey Pop Festival au bras de qui ? De Brian Jones.
Le Velvet enregistre son deuxième album au Mayfair avec Tom Wilson. Boom, «White Light/White Heat» ! Boom, «I Heard Her Call My Name» - another methedrine-spike of feedback and hollow backing vocals - Boom ! Wally consacre une page - UNE PAGE - à «Sister Ray» - an unheard of confluence of the male and the female - et Wally tire l’overdrive, c’est pour ça qu’on est là, pour le voir injecter son énergie dans l’high enegy du Velvet, et là ça devient de la littérature, tu comprends, tu n’es plus dans R&F - to its woozy, falling-out-of-your-seat fairground ride of crunching, whinning guitars, brutal, face-slapping drums and truly nightmarish pantom-of-the-opera keyboards, supplied by Cale by running the organ through a distorted guitar amp, c’est une étrange et terrifiante nouvelle forme de rock, dont personne ne soupçonnait l’existence, et que personne n’avait essayé d’explorer - Et là Wally délire complètement, la page est sublime, tout fan du Velvet devrait la lire et s’en repaître, car il parvient à dire avec des mots ce qu’on éprouve quand on écoute «Sister Ray», même cinquante ans après sa découverte.
Le plus gros morceau reste à évacuer : John Cale. Cale sent bien venir le truc, il résiste. Il se bat pour préserver «the very soul of the Velvet Underground». Lou se bat pour «son rêve de rock stardom, pure and simple.» Alors Lou convoque Sterling et Moe dans une réunion pour leur annoncer que John est viré. Ils acceptent, mais nous dit Wally, Sterling n’a jamais pardonné à Lou. D’autant plus qu’il est chargé s’aller porter la bonne nouvelle à John Cale qui est écœuré par ce coup fourré. Il crie à la trahison. Pour aggraver les choses, le manager Sesnick publie un communiqué de presse annonçant le départ de John Cale, dans lequel Lou déclare : «Espérons qu’un jour John sera reconnu comme the Beethoven of his day.» C’est du pur grand méchant Lou, son cynisme dépasse les bornes. Mais Lou ne vit que pour ça : dépasser les bornes. C’est l’essence même du Velvet. Alors il ne faut s’étonner de rien.
Le Velvet enregistre son troisième album sans titre. Et là, tu as «Pale Blue Eyes». Le Velvet perd son avant-gardisme et gagne en pureté pop. Puis c’est Loaded. Comme les mecs d’Atlantic voulaient que l’album soit «loaded with hits», Lou le baptise Loaded. Il se sent enfin libre - Free to sit down and actually write a song called «Rock And Roll». Free at last to be a star, goddammit, motherfucker - Lou engage Doug Yule et là, on commence à laisser tomber, parce que le Velvet n’a plus d’intérêt. Sterling se barre en 1971 et retourne enseigner à la fac. Pour le remplacer, Yule embauche en CDD Willie Alexander. Le problème, c’est que Yule se prend pour Lou. Il finira par le bouffer tout cru, et Lou quittera le groupe. Mort du Velvet et naissance d’un mythe. Voilà le genre d’épisode qui nous occupe la cervelle depuis cinquante ans : vie et mort du Velvet, vie et mort de Brian Jones, vie et mort de Jimi Hendrix, vie et mort d’Elvis et de Gene Vincent. Et tous les autres, ceux dont on parle ici. On a de quoi s’occuper.
S’ensuit un sérieux passage à vide. Lou rentre chez ses parents et prend un job de typist. Puis, sous l’impulsion de Richard Robinson, il entame une carrière solo. Autant le dire tout de suite : le Lou Reed solo doit tout à David Bowie. C’est Robinson qui négocie un deal chez RCA pour Lou. Wally s’empresse de préciser que sans l’intervention de David Bowie, il est certain que Lou Reed n’aurait jamais pu poursuivre sa carrière solo, à la suite du two-album deal chez RCA, signé en 1971. Bowie est alors dans sa phase «Lauren Bacall», c’est-à-dire Hunky Dory. À ce moment-là, Lou Reed ressemble à un plombier. Il porte du denim et une coupe de l’armée - His air cut almost army short - En 1972, Lou va travailler un nouveau look et «s’habiller chez Hernando, sur Christopher Street, là où Andy Warhol achetait ses cuirs.» Il va se farder le visage de blanc et se barbouiller les yeux de mascara, comme on le voit sur la pochette de Transformer. 1972 ? Mais oui, le glam ! Lou a toujours vécu dans l’ombre de mentors : Delmore Schwartz, Andy, maintenant, c’est Bowie, le sauveur d’idoles en danger. Il vient de sauver Mott The Hoople, il va sauver Iggy, et maintenant, il propose de sauver Lou Reed. Mais il faut agit vite, car son calendrier est chargé. Si tu veux emmener Lou en studio, mon gars, c’est maintenant ! Early 1972. Direction le Trident, à Londres, le studio où Bowie a enregistré Hunky Dory et Ziggy Stardust, avec bien sûr Ken Scott qui a produit les deux albums. Ronno fait des arrangements qui stupéfient Lou. Un Lou qui se goinfre de downers et que Ronno trouve «laid-back». Il le voit s’asseoir et gratter sa gratte, oublieux du fait qu’il «was way out of tune». Ostrich guitar ? Paul Trynka ajoute que Lou «was extremely messed up. Like a parody of a drug fiend.» Mais bon, on avance. Bowie est de la partie, alors c’est comme avec Andy, il faut que ça avance. No time to lose. Trois backing tracks dans la journée, Ronno et Bowie font des chœurs déments. Bowie explose «Stallite Of Love», un vieux leftover du Velvet. De toute façon, Transformer grouille de hits. On n’avait encore jamais vu un album de cette qualité - The whole album was a hit from start to finish - Wally n’en finit plus de s’extasier. C’est bien qu’un mec comme lui s’extasie : «The songs were simply so good.» Il cite «Walk On The Wild Side» et «Perfect Day» comme faisant partie des meilleures qu’il ait jamais écrites. Ça crève les yeux. Et pouf, comme il l’a fait avec «Sister Ray», il part en délire sur le walking upright bass d’Herbie Flowers, les doo-doo-doo des Thunderhighs, les violons de Ronno lifted up, comme suspendus dans le ciel, et puis alors que le cake n’en pouvait plus de toute cette crème, nous dit Wally en proie à la pire extase, on fait entrer le sax de Ronnie Ross, le vieux prof de sax de Bowie, comme une sorte d’apothéose de la mort lente. Au dos de la pochette, on voit un mec avec une trique énorme. C’est Ernie Thormahlem, un pote à Lou, un Lou qui ajoute, goguenard : «We just put a banana down there.»
Mais Lou étant Lou, il ne supporte pas longtemps d’être le protégé de Bowie. Il va tout faire pour saborder le succès de Transformer, et à la première occasion, il va agresser violemment Bowie, auquel il doit tout, mais Lou étant Lou, il ne veut rien devoir à personne. Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre ?
Pendant quelques années, Lou vit avec Rachel. Wally marche sur des œufs : «Rachel était-il un transsexuel ? Probablement pas. La rumeur disait que Rachel haïssait sa bite, mais rien n’indique qu’il s’est fait opérer. Lou adorait la bite de Rachel. Et alors ? Ça ne regarde personne. C’était le New York des années 70. Lou se battait tout le temps avec tout le monde.» Et Wally te refait le coup de la chute du siècle : «L’essentiel est de savoir que Rachel a rendu Lou heureux à cette période de sa vie, alors que le bonheur était devenu un concept inventé par les beaufs pour écarter les gens comme Lou et Rachel d’un monde auquel ils ne souhaitaient d’ailleurs pas participer.» Avant Rachel, Lou avait épousé Bettye, puis avait divorcé. Après Rachel, il épousera Sylvia, puis Laurie Anderson. Et puis, il reste les albums qui vont faire l’objet d’un Part Two. Un vrai continent. Saluons encore une fois l’extraordinaire écrivain rock qu’est Mick Wall, avec cette perle chopée dans l’huître : «Like, hey man, a cat like Don Cherry ain’t gonna put up with no fag junkie shit, better getcha ass up there and wail, bro. Which, pleasingly, is exactly what Lou Reed now did.»
Signé : Cazengler, Lou Ridé
Mick Wall. Lou Reed: The Life. Orion 2014
Talking ‘Bout My Generation –
Part Seven
Alors tu ouvres le nouveau numéro de Rockabilly Generation et pouf, patapouf, aussitôt après le dossier Cash salué bien bas par Damie Chad la semaine dernière, sur qui tombes-tu ? Wild ! Pas le wild as fuck qu’on croise ici à tous les coins de rue, mais Wild tout court, le label rockab de Reb Kennedy, basé en Californie.
Pour tous les fans de rockab, Wild est devenu en vingt ans the function at the juction, le real deal du ding-a-ding, le Rockamadour du Rockab, le phare dans la nuit, comme le fut In The Red Recordings au temps béni du raw gara-punk. Mis à part les singles, Wild ne sort pas trop de vinyles, essentiellement des CDs, des petits objets vendus au compte-gouttes par quelques disquaires TRÈS spécialisés. Quand tu arrivais sur le stand de ton disquaire préféré à Béthune, la petite box Wild était déjà dévalisée. Rentré à Paris, tu en trouvais quelques-uns chez Born Bad, mais c’était la croix et la bannière. Le mieux était encore le merch des groupes, quand par bonheur Béthune Rétro en programmait.
Rockabilly Generation consacre onze pages au Wildest Weekender qui s’est tenu en Hollade au mois de mars, avec vingt groupes. C’est à la fois un vrai festin d’images et une machine à remonter le temps, car on retrouve de vieilles connaissances, à commencer par Little Victor qu’on eut le privilège de voir stormer le Vintage Weekender de Roubaix en 2016. Little Victor porte toujours son fez. Il reste assez souple pour son âge, car une photo nous le montre à genoux avec sa gratte. Comme on a déjà salué en 2018 son excellent album, Deluxe Lo-fi, on ne va pas le re-saluer, mais on peut en profiter pour rappeler que cet album est un passage obligé pour tout fan de rockab averti. Signalons aussi les deux albums demented qu’il a mis en boîte avec Louisiana Red sur Ruf. Pareil, on a épluché tout ça en 2016, après que ce démon de Little Victor nous eût sonné les cloches au Weekender roubelaisien. Depuis, il n’a rien enregistré et c’est dommage. Le fait qu’il soit invité au Wildest Weekender préfigure peut-être l’imminence d’une actualité discographique. Little Victor de retour sur Wild ? On peut toujours rêver, ça ne coûte rien, comme dirait Jo-le-pingre.
Au rayon des vieilles connaissances, voilà Roy Dee & The Spitfires, un groupe qu’on avait découvert au Rétro 2017. Ils venaient tout juste de signer sur Wild, mais leur album ne parut que l’année suivante. Sur scène, Roy Dee et ses Portugais cassaient bien la baraque, ils portaient des casquettes de Gavroches et d’immenses anneaux de pirates aux oreilles. Leur look de gouapes des faubourgs tenait sacrément bien la route. À droite de Roy Dee, le slappeur fou volait le show. On savait en les voyant qu’ils allaient devenir énormes. En tous les cas, ils faisaient bien la différence, en 2017, dans une affiche extrêmement chargée. Ils étaient à l’exact opposé du rockab professoral qu’on devait parfois subir.
On retrouve aussi les Desperados, qui furent la révélation du Rétro 2015, quatre Chicanos toqués de rockab sauvage comme on l’aime. Diable comme ils étaient bons ! Ces Chicanos shootaient une grosse bouffée d’air frais dans le vieux rockab et lui redonnaient une nouvelle jeunesse. On avait salué bien bas leur album Won’t Be Broken. Wild, c’est d’abord un son, les fans ne s’y trompent pas. On devient accro et on finit par guetter tout ce qui sort sur Wild. Tiens, voilà Gizelle, qui fut tête d’affiche du Rétro 2013, mais ce n’était pas du rockab. Autre chose. Il faudrait peut-être réécouter, voir ce que c’est devenu.
Ce n’est pas fini ! Voilà Barny & The Rhythm All Stars, qu’on avait chopé au Rétro 2017, la même année que Wildfire Willie qui porte bien son nom, mais qui n’est pas sur Wild. Ils avaient un album sur Lenox, le légendaire disquaire de la rue Legendre. Par contre, Barny l’est, sur Wild, comme le fut son père Carl, sans doute le meilleur rockab français, un pionnier, puisqu’après avoir démarré sur Sfax, il est allé enregistrer trois fan-tas-tiques albums sur Wild, et là, mon gars, si tu veux entendre du real deal, c’est lui. Drunk But Thirsty ? Pochette démente, album dément, on a salué tout ça plus bas que terre ici-même en 2013. On avait vu Carl sur scène à Crépy et ce fut la révélation. C’est assez rare de voir un rockab français piquer une vraie crise d’épilepsie et se rouler par terre avec sa gratte et la bave rockab aux lèvres. Il vendait à l’époque de la main à la main son single Wild, «I’m Gone» qui est du même niveau que les classiques de Charlie Feathers. Wild as fucking fuck ! Carl reste un héros du rockab, et son fils Barny a pris la relève, avec la même formation. Pour une fois qu’on a une lignée digne de ce nom, profitons-en. D’ailleurs, l’une des deux photos de Barny dans le dossier Wild nous le montre à terre avec sa gratte. En 2017, on a aussi salué le premier album de Barny sur Wild, Young And Wild. Tous les albums évoqués ici sont des classiques du genre, tu peux y aller les yeux fermés. Surtout Carl.
Pas mal de nouveaux noms dans les pages Wild, donc des découvertes en perspective. Miam Miam. Par contre, les anciennes têtes de gondole semblent avoir disparu : pas de Delta Bombers, ni de Stompin’ Riffraffs, ni de Pat Capocci, ni de Luis & The Wildfires, ni d’Omar Romero.
Alors l’occasion est trop belle : on va sortir l’Hog Wild d’Omar pour dire à quel point Wild est un label révolutionnaire. L’Hog Wild est l’un des albums les plus sauvages de l’Ouest. Pareil que pour Carl : pochette démente, album dément. Sur la pochette de l’édition spéciale, Omar les cheveux dans les yeux ! Et le sooooooon ! C’est du hard Wild ! On comprend que des mecs se fassent tatouer le logo Wild sur le bras. Pas de plus belle allégeance. Kaboom dès le morceau titre, Omar ramène l’énergie punk dans le rockab, c’est d’une beauté ultraïque, du magnifico de Chicano, coulent dans les veines d’Omar tout le génie de Charlie Feathers et tout le ramdam du proto-punk, il te claque le beignet de la praline, il violente le cul rose du slap, il pète et il clique en montant chez Kate. T’es sonné en deux minutes, dès le premier round. Mais tu y retournes. Le deuxième punch-up s’appelle «Step Back Baby», monté sur un riff fatal de Johnny Kidd, c’est quasi-Please Don’t Touch délinquant avec dans la glissade le super killer solo flash. Dire qu’il y a des gens qui croient que le rockab est un truc de vieux. Vazy Archibald prends ta gratte et essaye de sonner comme ça. À la fin du deuxième cut, on espère sincèrement qu’Omar va se calmer. Mais derrière lui joue un démon nommé Santiago Bermudez qui va clouer «You May Run» comme une chouette à la porte de l’église. Pire que ça : il te carillonne tout le beffroi d’effroi de pâté de foi. Chez Wild, les chicanos font la loi. Si tu es guitariste, écoute ce que fait Santiago Bermudez. Un autre Chicano accompagne Omar sur «That’s Fine». Il s’appelle Danny Angelo, il est fin et puissant, précis et présent. Avec «I’m Gone», Omar fait du Wild as chicano fuck. Big brawl ! Tout est bien sur cet album, le truc d’Omar, c’est le pur jus d’unstoppable. Il remet la pression plus loin avec «Gypsy Woman», il te carbonise ça vite fait à la calamine chicanotte et au put a spell on me ! Il repart sur des charbons ardents avec «Gonna Find You». C’est complètement ravagé de la façade et en prime, tu as un killer solo flash d’Angelo.
Comme c’est une limited edition, tu as un deuxième CD d’outtakes et de démos, alors on ne va pas cracher dessus, d’autant qu’il attaque avec un «My Baby Don’t Breathe» tapé au déboîté de slap sans clignotant. Pure madness, la craze de la craze. Omar est un bon. Il est le meilleur indicateur de Wild, avec Carl. Plus loin, «Rock To It To My Baby» va t’envoyer au tapis, fais gaffe. Encore un vieux relent de Johnny Kidd dans «Put The Blame On Me» et nouveau coup de génie avec une démo d’«Everybody’s Trying To Be My Baby», tapé au pur slap, avec une gratte au fond du son. Omar devant, tout seul avec le slap, c’est quelque chose !
Alors merci Rockabilly Generation pour des onze pages en forme de bouffée d’air frais.
Signé : Cazengler, wild as phoque
Omar Romero. Hog Wild. Wild Records 2007
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Non ce n’est pas pour rien que j’ai mis la chro du Cat Zengler sur la présentation du label Wild dans Rockabilly Generation News ( 26 ) et que je l’ai faite suivre par une autre consacrée à Gene Vincent, c’est pour glisser entre les deux la photo d’Alain, il aurait préféré un papier sur Eddie Cochran, mais entre Wild et Gene Vincent, je sais qu’il se sent bien.
Alain Couraud
nous a quittés ce 02 juillet 2023
( Si vous lisez KR’TNT ! c’est grâce à lui ! )
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Vendredi 30 juin, aux alentours de 10 heures, je rentre les chiens dans la voiture, je démarre et roule la galère, la radio se met en route, sur France Inter, facile à deviner, Provins étant dans un trou, seules quelques grandes stations peuvent être écoutées, pour une fois le hasard fait bien les choses, Bruce Springteen cause dans le poste, dernière émission de l’année, Rebecca Manzoni qui présente Totemic livre en best-of de courtes séquences, lorsque Bruce Springteen a fini de parler résonnent les premières notes de
BE BOP A LULA
GENE VINCENT
C’est Hervé Guibert qui parle, je connais un peu, voici quelques années j’ai chroniqué dans le mensuel Alexandre le premier tome de Le Photographe qui raconte les aventures du photographe Didier Lefèvre en Afghanistan… aucun rapport avec Gene Vincent mais Hervé Guibert raconte que ses parents possédaient le disque acheté à sa parution, c’est à l’âge de huit / neuf ans qu’il l’entend pour la première fois. Commotion immédiate il a l’impression d’entendre la voix d’un enfant comme lui, débordant de désirs comprimés et de vitalité débordante. Cela n’est pas étonnant, lorsque en 1967, dans sa séquence rock de 23 heures du Pop Club de José Arthur, Pierre Latttès interviewe Gene Vincent, je constate à ma grande surprise que Gene, le rocker sauvage, possède un timbre de jeune fille… les années passent mais Hervé Guibert n’en a pas fini avec Gene Vincent, il grandit, il entre au collège, il doit être en troisième lorsqu’ en français il étudie le mouvement poétique de La Pléiade cornaqué par Du Bellay et Ronsard. S’impose à lui comme une évidence que les vers du célèbre poème de Ronsard Mignonne, allons voir si la rose présentent la même facture octosyllabique que les lyrics de Gene Vincent… je vous laisse juge de cette assertion versificatrice, toujours est-il qu’il interprètera avec ses premiers groupes de rock cette littéraire adaptation. Preuve à l’appui il se lance en direct dans un frénétique Be Bop Lula ronsardien, ce n’est pas mal du tout et il reçoit les applaudissements du public.
Nous l’en remercions, d’autant plus chaleureusement que Rock’n’Roll et Poésie sont les deux mamelles auxquelles nous nous abreuvons.
Damie Chad.
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Etrange comme les choses sont faites, en règle générale ceux qui proclament rechercher la lumière sont le plus souvent attirés par l’obscurité, un peu comme nos lecteurs vous leur montrez en premier plan un cimetière ils ne regardent que le corps nu de la jeune femme relégué sur le côté, au moins avec Demonio vous êtes tranquilles, affichent leur objet de prédilection, le côté obscur de la force, dès leur dénomination, leur démonination suis-je tenté de dire, de surcroît je rassure les curieux, nous écoutons leur quatrième opus, les pochettes de leurs deux premiers parutions sont fémininement très suggestives.
SEARCHING FOR THE LIGHT
DEMONIO
( Piste numérique Bandcamp / Juin 2023)
Viennent d’Italie. Sont trois : Anthony : stratocasters, vocals / Paolo : drums / Matteo : bass, production.
La pochette est de ZZ Corpse, son Instagram est fort instructif quant à ses zones érogènes, elles se réduisent pratiquement à deux, éros et thanatos, il n’est pas le seul en ce bas monde, mais avec une force expressive attachante. A son actif : nombreuses pochettes, t-shirts, posters… Il est aussi membre du groupe argentin The Black Furs, appellation très évocatrice.
Heavy dose : généralement dans les notes des pochettes les guitaristes sont annoncés comme des joueurs de guitars, parfois sans ‘’S’’ terminal, plus rares sont ceux qui se revendiquent d’une marque ou d’un modèle précis, pas pour rien qu’Anthony mentionne qu’il joue sur stratocaster, la strato il en use et en abuse pour notre plus grand plaisir, rien de plus râlant que le tigre dans sa cage qui ne pousse pas un seul rugissement et dédaigne de feuler, ici la strato gronde de la première à la dernière note de l’opus. Anthony n’a pas trop le temps de faire autre chose, or comme c’est lui qui se charge des lyrics, il évite les longues tirades, petits ruisseaux, entre sept et douze lignes. De l’éloquence spartiate, c’est un avantage, vous recevez le message en une seule dose, effet remède de cheval administré avec le coup de sabot qui va avec. A vous de vous débrouiller avec les effets secondaires qui ne sont pas répertoriés sur la boîte. Y-a-t-il une intro dans ce morceau ? Non vous êtes projeté dans un fleuve torrentueux qui vous emporte sans préavis, c’est sûr que tous les trois assurent le job sans discontinuer. Une basse trémoussante qui se niche dans le creux de votre oreille et qui ne le quitte plus sinon de temps en temps pour d’étranges circonvolutions dans votre conduit auditif, Paolo joue deux rôles en même temps, il fuse ses fûts comme l’on roulait les tonneaux de poudre et de rhum sur les bateaux pirates, comment fait-il pour ne pas oublier un millième de seconde de frapper ses cymbales qui claquent comme le vent dans la voile de misaine et gonflent le clin-foc à l’arracher. Anthony ne joue pas de la guitare, il la fait parler, courir, sonner, raisonner, frétiller, tirebouchonner, je crois qu’il y a douze mille verbes dans la langue française, vous comprenez que je ne vais pas vous recopier la liste, surtout que parfois elle se laisse aller à d’étranges sonorités venues de nulle part et d’ailleurs qui vous éblouissent et vous inquiètent… Question vocal, l’est fondu dans la masse sonore, se marie avec et ne se fait pas trop remarquer. Une ruse démoniaque, le démon vous parle tout bas pour que vous ouvriez tout grand vos oreilles, et hop il en profite pour s’introduire dans votre esprit. Ne vous étonnez pas si vos amis disent de vous que vous êtes habité par le démon. Fire guru : davantage bruissant, c’est le mystère des incarnations stonériennes, parfois vous écoutez et vous restez à l’extérieur, et parfois vous êtes dans la musique, elle s’installe en vous et vous êtes prisonnier de cette chaîne répétitive qui ne se répète jamais, c’est illogique certes mais c’est ainsi et la strato d’Anthony vous imite le vol du papillon qui s’envole plus haut que le ciel et qui déclenche en vous un tsunami d’émotions extatiques que vous ne pouvez contenir, un peu comme si vous étiez noyé dans votre propre sperme. Par-dessus le marché alors que vous vous prenez pour le roi tout puissant de l’univers, Demonio vous fait le coup du morceau-baisser-de-rideau-terminal, avec coup de frein brutal, chuintement instrumental et coup de baguette magique. I’m free : attention le morceau de la toute puissance, pire que l’anarchiste déclaration stirnérienne du Moi absolu, se moquent de vous, la strato dans un simili groove qui vous perce l’ouïe, la basse qui poinçonne les billets du concert commencé avant l’heure à toute vitesse, Paolo qui court à fond les caisses, relax max, je suis libre donc j’y vais tout doux, pas tout à fait un rythme d’enterrement, juste de belles sonorités planantes qui vous coupent en deux à la manière des chars à faux de Darius à Gaugamèles. Et ça s’arrête, pourquoi continueraient-ils puisqu’ils vous ont découpé en tranches de saucisson pour accompagner les apéritif-cubes. Shiva’s dance : vous devriez arrêter les substances illicites, vous devenez totalement fou, avec la rythmique vous êtes Nyarlathotep le dieu du chaos rampant qui agonise sur le sable du désert parmi les étrons des serpents, et de l’autre la strato vous ouvre les cercles divins et vous dansez le jerk avec Shiva la croqueuse d’hommes, et vous remuez vos jambes jusqu’à ce qu’elles soient usées, vous êtes devenu un cul-de-jatte, ce n’est pas grave la voix d’Anthony vous dévoile les secrets de l’univers et vous n’êtes plus qu’un tourbillon de sarabandes, de vous maintenant ne reste plus que votre tête, aussi le rythme diminue-t-il un peu, la strato hallucinante vous poignarde les yeux, elle vous emporte en un délire hendrixien vers la planère Mars rouge de votre sang. Death trip : trop beau, ça ne pouvait que bien finir, psychez-moi le camp de cette vie d’ici, ça roule et ça rolle plein rock avec ces strates de stratos que vous suivriez les yeux fermés de l’autre côté juste pour l’entendre vagir dans le désert, Matteo passe le rouleau compresseur de sa basse sur les herbes du sentier du Paradis, mais la Strato nous fait le coup de la trompette de Jéricho qui vous réveillerait un mort, reprenez votre esprit. Reaching for the ligth : c’est le réveil, vous recouvrez vos esprits, l’est sûr que vous avez avalez la maxi-dose ce qui n’empêche pas cette diablesse de strato et ses deux gardes du corps de foncer à la vitesse interplanétaire, descente sur le parachute ventral, ce qui souffle à Anthony l’envie de se taper un petit solo d’anthologie, juste pour montrer qu’il sait le faire, alors qu’il joue comme s’il baisait les étoiles, d’ailleurs les deux autres adoptent le background de croisière pour qu’on puisse admirer comment il s’envole haut très haut… quand il a dépassé les limites de l’univers on ne l’a plus entendu.
On ne lutte pas contre un démon. Socrate se vantait d’en avoir un. Moi aussi, je peux vous donner son nom Demonio. Je vous le prête, n’oubliez pas de me le rendre.
Damie Chad.
A BAND CALLED MELT
Ils sont trois et ils s’appellent Melt, ce qui m’a attiré c’est leur façon de titrer leur FB, c’est tout simple, tout bête, une formule à la Just Call Me Blue Berry, suffisant pour retenir l’attention. Z’et puis dans la courte définition du premier single qu’ils ont sorti ce mois de juin 2023ils se revendiquent de Led Zeppelin, pourquoi pas, Gérard de Nerval ne prétendait-il pas qu’il descendait de l’empereur romain Nerva…
MELT
PROBLEM CHILD
( Juin 2023 )
Proviennent de Pittsburgh en Pennsylvanie, cité qui s’enorgueillit de posséder le plus grand musée américain consacré à un seul artiste, les fans de Lou Reed ne manqueront pas de le visiter puisqu’il s’agit d’Andy Warhol.Joey Troupe : guitar / James May : bass, vocals / J. J. Young : drums, vocals.
La pochette pose tout de suite problème, elle est signée d’Emily Woodell, apparemment l’enfant a grandi, l’est devenu adulte, l’est au cœur de cible de quatre cercles colorés, s’affiche sur un fond cosmologique noir, l’est assez inquiétant avec ses lunettes noires. Une entrée classique, un groove s’installe, il peut mériter l’épithète zéplinesque. Dès qu’arrive le vocal ce n’est pas Robert Plant, mais le gars a la prudence de se cantonner dans le cercle de ses possibilités, question accompagnement manque un peu la pesanteur, la force de gravitation, du Dirigeable, ce sont les lyrics qui emportent le morceau, émanent d’eux un attrait mystérieux qui vous donne envie de comprendre l’incompréhensible. L’ensemble reste problématique. N’est-ce pas la preuve qu’ils sont parvenus à leurs fins ?
DIVINER
( Juin 2023 )
Le problème s’éclaircit avec un deuxième single sorti quelques jours après le précédent. Une pochette moins inquiétante mais tout aussi curieuse. Cette fois ils sont deux, enfin un seul en duplicata dupliqué, toujours ses lunettes noires, une barbe plus fournie, toujours sces mêmes insignes sur son sweat-shirt blanc, à moins que ce ne soit un uniforme, l’est comme le Dieu Janus regarde des deux côtés, mais une des faces de Janus donnait l’impression de voir le passé du monde et l’autre son avenir, ici notre enfant problématique semble s’interroger sur sa propre situation en notre monde. Bye-bye Led Zeppelin, du moins fuzz en pédale douce, une nonchalance rythmique typiquement américaine, sur laquelle se pose la voix, ça se corse bientôt, c’est que la situation est grave, au début le gars faisant semblant d’être comme tout le monde, arborait le visage souriant de l’américain moyen plein de bonne volonté. Dans sa tête il barjote méchamment, l’est un enfant des étoiles, abandonné sur la terre on ne sait dans quel but, l’aurait bien besoin d’un devin pour connaître son avenir, le chant et l’accompagnement imposent, la guitare ne fuzze plus elle fuse comme un engin interplanétaire… Splendide.
Pour nous aider à comprendre ils ont sorti an official video : Nos extra-terrestres sont des terrestres extra, des maris reconstruits pour les féministes – l’on ne dira jamais assez de mal de nos philosophes déconstructivistes – ils nettoient le parquet et ils repassent le linge, en ce bas-monde rien n’étant parfait il y a un résistant, une forte tête qui bouquine une canette à la main, un chien se repose sur le canapé et brusquement tout change, des zébrures colorées parcourent l’écran, c’est la fête dans l’appartement, z’ont organisé une party dans l’appartement avec un mec déjanté déguisé en chat, rassurez-vous, les filles sont là et éclusent en rigolant les boissons, y a juste un gars dans ce charivari qui n’est pas à place, l’est protégé de l’ambiance collective par une ouate de solitude qui lui embrume le cerveau et le met hors-circuit, une copine compatissante mélanges quelques cristaux dans un verre et en offre à l’assistance, le chat de la maison devient fou, transe collective bientôt tout un chacun vomit une espèce de mousse verdâtre et gluante, nos trois compères sortent dans nuit et portent leur regard vers le ciel noir, sont tous les trois tout seuls et eux aussi commencent à vomir. Je vous laisse apprécier l’avant-dernière image, par contre la toute dernière est essentielle, c’est la couve de leur nouvel album à paraître le 07 / 07 / 2023 : Replica Man dont les trois derniers singles viennent de sortir.
SIGHT TO SEE
( Mai 2023 )
Evidemment on écoute illico, le lecteur intelligent les remettra dans l’ordre vinylique. Couve toujours d’Emily Woodell. Gros plan sur le bustier de notre problème maintenant enfantin, l’on voit entièrement le emblèmes qui ornent sa combinaison spatiale, Astronaut est-il écrit dessus. Vient juste d’arriver, déjà les curieux le photographient. Rires bruyants, intro élastique, la basse de James May est à la fête, la guitare de Joey Troupz s’attroupe autour de ces grondements bassmatiques, la batterie de J.J. Young les précipite dans leurs retranchements, ainsi se permettent-ils d’expliciter le pourquoi du comment de cet ‘’enfant’’ beaucoup plus perdu que l’homme qui tombait des étoiles de Bowie, ne comprend rien à rien, ni aux questions qu’on lui pose, font entendre un bruit d’engin spatial qui décolle et s’évanouit dans l’espace. On s’y croirait, on monterait dedans si ce n’était ce magnifique vocal désespéré qui pour un peu nous tirerait des larmes de crocodile. L’histoire complète de cet E. T. adulte est-elle une métaphore pour décrire notre extra moderne solitude, la lecture de la phrase d’introduction sur le FB de Melt apporte une réponse glaçante : ‘’ a future we desserve’’ : le futur que nous méritons.
Damie Chad.
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THE WORLD SEEMS TO BE FADINGMY
DEATH BELONGS TO YOU
( Funere / Octobre 2020)
Drôle de nom pour un groupe, vous n’avez pas tort ce n’est pas un groupe mais un homme seul. Enfin pas si seul que cela, l’a ses propres hétéronymes comme Pessoa le poëte portugais à la différence près que ces hétéronymes ne sont pas des personnages poétiques mais des effulgences musicales. Chacun de ses opus correspond à un état d’âme particulier, ou à une expérience dirigée, une espèce de rassemblement de forces élémentales en vue d’explorer des aspects du monde dont le commun des mortels préfère se détourner. C’est que beaucoup de gens sont davantage à l’aise pour explorer leur part communautaire que mortelle.
Bornyhake Ormenos, disons que c’est son nom d’artiste, mène de front plusieurs projets depuis 2010 à aujourd’hui, ainsi Ancient Moon, Astral Silence, Borgne, Décomposition, Diurnal, Enoid, Excreta, Lypectomy, Moisissure, Nivatakanachas, Pure, Porifice, Serpens Lumini, Snorre, de lui jusqu’à ce soir je n’avais croisé que The Two Boys Sandwich Club croyant avoir affaire à un groupe de rockabilly, aux premières notes je m’étais aperçu de mon erreur et n’avais pas poursuivi… Le lecteur aura remarqué que notre multiplex one man band emploie beaucoup de vocables français, une explication toute logique : Bornyhake est suisse. Attention en plus de ces hétéronymes il utilise aussi certains pseudonymes. N’entrevoyez aucune ironie dans l’adage suivant : pourquoi faire simple quand on sait faire compliqué. Le monde est vraisemblablement beaucoup plus complexe qu’on ne le suppute, alors pourquoi ne pas diversifier les moyens d’approche. Sur certains projets, Bornyhake peut être accompagné par d’autres musiciens.
Toujours est-il que la phrase My death belongs to you a attiré mon attention, j’ai d’abord cru que c’était le titre d’un morceau, mais non, c’est celui du groupe, groupe réduit à une seule unité : celle de Bornyhake.
Avant même d’écouter l’on peut s’interroger sur la manière d’interpréter le nom du ‘’groupe’’. Si l’on tient compte de l’image qui l’accompagne, elle est d’Ekahyn Rob, on peut facilement la comprendre comme une modulation ultra-romantique, selon laquelle l’on est prêt à mourir pour quelqu’un d’autre, peut-être déjà mort, peut-être vivant. Les esprits plus pondérés ou moins exaltés diront que tout un chacun fait ou fera la même expérience de la mort que quiconque. En ce cas la mort ne peut être mienne, elle est interchangeable avec toutes les autres, déjà réalisées ou à venir.
Quant au titre, le monde semble s’affadir, signifie-t-il que le monde perd de son intérêt car la seule existence de la mort qui nous attend en atténue violemment les saveurs, ou au contraire que c’est l’attrait de la mort qui pourvoie le monde d’une fadeur décevante. Dans la première postulation la mort gâche le plaisir de vivre, selon la seconde la mort nous procure l’infini et suprême plaisir de mourir, auprès duquel la vivacité mondéenne perd tout éclat.
Une courte note nous apprend que le projet My death belongs to you commence à 2013, sept longues années seront nécessaires à l’élaboration de l’opus composé à partir de nombreuses bandes enregistrées qui laissèrent à Bornyhake un goût amer de profonde insatisfaction… Il lui aura fallu retirer tous les éléments dont elles regorgeaient et les réorganiser d’une telle manière qu’ils deviennent significatifs. Si la mort lui paraissait obscure c’est parce que l’obscurité par laquelle il l’appréhendait n’était pas en elle mais en lui. La mort se brûle elle-même et se réduit en cendres blanches et volatiles – il ne donne aucune explication – et Bornyhake la considérait comme une œuvre au noir.
The morning after death : funèbre combien de fois devrai-je répéter cet adjectif pour qualifier cette musique auprès de laquelle le Requiem de Mozart manque de densité, coups de butoirs, une frayeur insondable, celle de l’inéluctable, déjà réalisé dont les pas lourds ébranlent les fondations de la raison humaine, une voix sourde parle, le sens des mots est inutile, ils éclatent comme des bulles de non-savoir et de piètre consolation, tumulte grumeleux, après la catastrophe la catastrophe est encore là, elle ne s’achèvera jamais, elle ne marche pas, elle n’avance pas, elle piétine, tout se délite, se fragmente, se désosse, terrible fatigue, hurlements de loups dans les tuyaux des grandes orgues sépulchrales, il faudrait que cela s’arrête, l’on ne stoppe pas la mort, elle est immobile, elle occupe le monde et le transforme en le monde de la mort. Tout est consumé. Tomorrow is the last day : notes aigrelettes, demain ne sera pas un autre jour, la musique revient encore plus violente, encore plus écrasante, le jour d’après est semblable au jour d’avant, il n’y en aura pas d’autres car il n’est plus possible qu’il existe d’autres jours, le son s’amplifie, il s’accroît et accapare tous les espaces temporel s du monde, la mort souffle dans sa trompette et lance sa malédiction aux hommes effondrés de son pouvoir unilatéral. Rien ne saurait résister, une grande fatigue encore une fois celle de l’assaut de ces vagues géantes et grondeuses qui envahissent le monde. Le jour d’après est pire que le jour d’avant, il est parti pour durer une éternité. Ce qui est répété deux fois procure un plaisir doublement victorieux. Des feuilles se détachent de l’arbre du monde. Mon tombeau : retour à soi-même, l’art du tombeau est un art total qui apporte une certaine autosatisfaction non négligeable, il est un cri de triomphe, un hululement grandiose qui perturbe les assises du monde, car ce qui croît, s’élève et se dresse est ce qui est le plus prêt de tomber, si je suis tombeau, le monde est mon tombeau et je suis le monde, le monde mort ou le monde vif, le son déborde et s’empare de l’entièreté de la terre. Un dernier fracas, juste avant de reprendre la route, ton beau tombeau si beau. Tourne autour afin de… Your dark embrace : est-ce toi, est-ce le noir, toujours la même lourdeur, où que tu ailles le pas de la mort m’accompagnera, une plainte, un hurlement, ce qui entre ou ce qui jaillit, le bruit devient assourdissant, est-ce normal que la mort reprenne encore des forces, elle semble détruire ce qui déjà n’existe plus, très grand excitation destructrice, noce de ce qui existe encore avec ce qui n’existe plus, folie submergeante, tout est arasé, réduit en pierres, en cendres, en poussières, rien ne saurait résister à cette étreinte sauvage, beuglements de bête ardente et du sacrificateur , tout dérape, tout s’emmêle, s’entrechoque, s’entredéchire, j’égrène les égrégores, de plus en plus gores. Tout est consommé. The world seems to be fading : résonnances de notes calmitudes, la marche reprend, un peu moins forte, est-ce ainsi que le monde s’érode, à moins que ce ne soit la mort qui brille maintenant de mille éclats de joie, dans ma poitrine, sur le monde, partout et ailleurs, des degrés d’intensité en moins, la bête deviendrait-elle civilisée, est-ce seulement une impression, quelque chose a-t-il voulu avoir lieu, un soupçon de fatigue, serait-ce le signe de la vieillesse du monde, pourquoi pas de la vieillesse de la mort, si vieille que l’on commence à s’y habituer, que rien n’est commencé, n'a commencé pour décréter un changement quelconque dans l’ordre immuable de l’apparence des choses. De celles qui sont vivantes. De celles qui sont mortes. Une cloche sonne. Sont-ce les marteaux désormais qui donnent l’heure. L’on ne pire qu’ils veulent nous réveiller. Peut-être juste nous dire au revoir. Une sonate d’adieu éternel.
Lugubre. Magnifique.
Damie Chad.
LA MONNAIE DE LEURS PIECES AMER’THUNE
( Autoproduit / 2012 )
Sébastien Fournier, Mathieu Relin et Mickaël Denis
Ce qui frappe l’auditeur au premier abord, dès la première écoute, c’est l’humanisme, l’humanité des trois artistes.
Tout au long des sept titres de cet album se déploie le cri de révolte contre un monde qui cherche à faire passer les profits des puissants avant l’existence des hommes. Il ne s’agit pas là d’une indignation à bon compte, pour se donner bonne conscience, mais bien d’une condamnation sans appel de la destruction de ce qui est au cœur de l’existence humaine, de l’esprit humain. La recherche des profits pour leur accumulation et non pour permettre à la vie de se déployer dans toutes ses dimensions, la recherche des profits comme fin et non comme moyen est la négation même de ce qu’est, de ce que doit être la vie d’êtres de chair.
L’argent, non celui qui, fruit du travail, est nécessaire pour vivre, mais celui qui s’accumule dans les poches boursouflées de quelques uns, peut rendre amer, mais cette amertume est de celles qui font ressortir la richesse des saveurs du monde. Elle permet de lutter contre les tentatives d’adoucir les volontés de révolte, d’édulcorer les pensées, autrement dit elle est l’instrument qui appelle au réveil face aux discours mielleux et lénifiants dont nous sommes abondamment abreuvés, dans lesquels d’aucuns voudraient bien que l’on se noie avec la complicité de ceux qui devraient au contraire sonner le réveil. Le titre, La Monnaie de leurs pièces, montre bien que nous sommes plongés dans une lutte entre deux classes, deux visions de la société, deux conceptions du monde.
Les compositions des trois compères permettent de mettre en valeur les mots de Mathieu Relin tout en laissant toute sa place à la musique. Cette recherche de l’équilibre entre ces deux pôles de la chanson contribue à donner plus de poids à cet engagement dont la présentation des trois membres du groupe, que l’on découvre à l’intérieur de la pochette, témoigne de manière exemplaire. Avec cette mesure au service de l’humanité, nous voyons encore la dénonciation de la démesure financière, de l’hybris de ceux qui veulent dépouiller le peuple de son pouvoir.
Cet album est un appel à se souvenir que notre liberté ne se négocie pas, que l’Histoire de France est avant tout une histoire de lutte, lutte pour la liberté, lutte pour l’humanité, lutte pour l’humanité libre !
Philippe Guérin (28/06/2023)
ROCKAMBOLESQUES
LES DOSSIERS SECRETS DU SSR
(Services secrets du rock 'n' roll)
Death, Sex and Rock’n’roll !
EPISODE 32 ( Exterminatif ) :
179
Le père d’Alice s’approche de nous. Il m’adresse un regard haineux, je comprends qu’il n’a pas aimé mon entrée fracassante dans son bureau.
_ C’est Alice qui a tenu à ce que ce livre vous soit remis, parce que vous étiez beau m’a-t-elle avoué – en moi-même je me dis que cette jeune Alice a du goût, un véritable sens esthétique développé – comme toujours depuis que sa mère est morte je cède à toutes ses lubies, j’ai retrouvé ce volume dernièrement dans ses affaires de jeune fille que ma femme avait remisées dans une vieille valise au fond d’un placard, je ne savais même pas qu’il existait, il était dans une enveloppe sur laquelle elle avait tracé quelques mots : A remettre à celui qui viendra le chercher. Alice a décidé que c’était vous, je lui obéis, si ça ne tenait qu’à moi vous auriez été la dernière personne à qui j’aurais permis de le lire.
Le directeur de la Bibliothèque Nationale attrape la main de sa fille et l’entraîne à grands pas. Ils n’ont pas fait vingt mètres qu’Alice lui échappe et court vers nous en criant :
_ Papa, attends-moi, je fais un bisou aux chiens et on s’en va !
Elle est déjà à genoux devant Molossa et Molossito qui l’accueillent en sautant de joie. Elles les caresse, elle ne nous regarde pas, mais entre deux ‘’ braves toutous’’ elle glisse à voix basse : ‘’ c’est moi qui l’ai mis dans la valise, maman me l’a donné la dernière fois que je l’ai vue à l’hôpital’’, elle rejoint son père excédé qui l’attendait : ‘’ Dépêche-toi papa, on va à Disney !’’. Tous deux s’éloignent main dans la main.
180
Carlos nous ramène au local. Il paraît soucieux. Comme il arrête la voiture pour nous permettre de descendre :
_ Je suis peut-être un peu curieux mais qui de vous deux lira le livre en premier ?
Le Chef qui a déjà entrouvert sa portière, allume un Coronado avant de répondre :
_ Aucun des deux Carlos, seul l’Agent Chad le lira, c’est à lui qu’Alice l’a tendu, ce n’est pas un cadeau pour faire plaisir ou être gentil, c’est une transmission, quelque chose d’important, de sacré, d’une morte à un vivant.
_ Chef, songez à ce livre que vous étiez en train de lire lorsque j’ai pénétré en rêve dans votre mental, je ne suis peut-être que l’un des maillons de la chaîne.
_ Agent Chad s’il en était ainsi vous vous en apercevrez et vous me le ramènerez demain matin, laissez-moi avec Carlos nous trouverons bien un bon resto où nous pourrons inviter sa nouvelle Alice, rentrez chez vous Agent Chad et plongez-vous dans cette lecture que je pressens fort instructive.
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Ils m’ont laissé avec les deux chiens. Ils passèrent une excellente soirée. L’Alice avait eu l’excellente idée d’amener avec elle une de ses amies, oui chers lecteurs, vous commencez à comprendre, elle se prénommait aussi Alice…
Rentrés à Provins, après le repas Molossito et Molossa s’installèrent sur le sofa et fermèrent les yeux. J’ouvris une bouteille de Moonshine, m’installai à ma table de travail et me saisis du livre.
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Je m’appelle Ecila, je suis née dans un pays de vastes forêts, c’est tout ce que je sais de moi, je suis incapable d’en savoir plus. Mon enfance fut solitaire, mes premiers souvenirs résident des courses vagabondes sous les cimes majestueuses d’arbres centenaires… Je me suis enfoncé avec Ecila sous le dôme majestueux de ces épaisses frondaisons, j’ai essayé de la suivre dans ces errements, plus j’ai avancé dans ma lecture plus je l’ai perdue de vue. Au bout d’une vingtaine de pages Ecila avait disparu, certes elle disait toujours ‘’je’’, c’était bien elle qui racontait son histoire, mais elle n’était plus là. Il était indubitable que c’était elle qui errait dans une vaste sylve, mais elle n’existait plus. Etrange sensation de lecture, la narratrice n’est plus là mais elle continue son récit.
A la fin de ce premier chapitre, j’ai décidé une pause réflexive, je me suis versé deux grandes rasades de moonshine, peut-être la suite me permettrait de mieux comprendre. J’ai sursauté aux premières lignes du deuxième chapitre : Je m’appelle Ecila, je suis née dans un pays de vastes forêts, c’est tout ce que je sais de moi, je suis incapable d’en savoir plus… Je n’en croyais pas mes yeux le deuxième chapitre se révéla du début à la fin identique au premier.
Je n’étais pas au bout de mes surprises, après trois rasades de moonshine j’attaquai le troisième chapitre qui était la simple répétition du premier et du deuxième. Peut-être d’infimes variations me permettraient-elles de comprendre, j’ai comparé minutieusement les trois textes, c’étaient bien les mêmes, je me suis même amusé de mesurer le blanc qui séparaient les mots, non les trois versions étaient identiques.
Je le reconnais, oui j’ai bu quatre rasades de moonshine avant d’aborder le quatrième chapitre, cinq avant le cinquième, six pour le sixième. Je vous rassure il n’y avait pas de septième chapitre. Quel intérêt de recopier six fois la même chose ?
Etais-je bête, pas besoin de recopier, il suffit d’imprimer six cahiers identiques et de les relier, mais dans quel but ?
A cinq heures du matin, je me suis endormi entre mes deux chiens…
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Le Chef fumait un Coronado lorsque j’ouvris la porte du local. A son regard interrogatif j’ai compris qu’il avait dû se lever tôt pressé de recueillir mes impressions de lecture. Je lui ai tout de suite résumé le satané bouquin :
_ C’est simple Chef, c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt ensuite c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, après c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, c’est encore une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, puis c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, enfin c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt.
_ Agent Chad je vous remercie pour ce résumé qui m’a si bien tenu en haleine que j’ai laissé s’éteindre ce Coronado, un roman passionnant, vous avez dû passer une soirée fertile en émotions, quand je pense qu’avec Carlos nous nous sommes contentés d’un bon repas qui s’est terminé par une petite sauterie avec sa nouvelle copine qui d’ailleurs avait emmené une de ses copines à elle. De la roupie de sansonnet si je compare à votre soirée.
_ Chef permettez-moi de modérer vos ardeurs, lire vingt pages qui n’apportent rien à notre enquête s’avère un peu décevant, mais les lire six fois de suite c’est carrément ennuyeux…
_ Agent Chad, je vous connais, vous avez dû agrémenter votre lecture de trois ou quatre bouteilles de moonshine, votre esprit trop embrumé n’a pas été capable de saisir le sens de ce roman aussi évident qu’un troupeau de pachydermes dans un couloir.
_ Chef, à part de dire que le livre raconte six fois la même histoire, je ne vois point poindre le moindre éléphant significatif !
_ Agent Chad pas d’éléphant je le concède puisqu’il s’agit d’un éléphant femelle, une éléphante si vous préférez !
_ Chef, je ne comprends rien à vos chinoiseries !
_ Agent Chad je vous trouve un tantinet obtus ce matin, laissez-moi éclairer votre lanterne.
Le Chef allume un Coronado. Il prend son temps je le soupçonne de faire durer le plaisir :
_ Agent Chad, je n’ai pas lu le livre, mais vous l’avez si bien résumé que j’ai tout compris. Il faudra aussi que vous fassiez un stage de perfectionnement CP pour que vous appreniez au moins à compter jusqu’à dix ! Voyez-vous Chad…
Le Chef écrase son Coronado dans le cendrier, il en choisit un autre dans le tiroir de son bureau, le soupèse délicatement, le repose, en saisit un autre, ce doit être le bon puisqu’il l’allume :
_ Non Chad, il n’y a pas six fois la même histoire dans ce livre, vous avez mal compris, il y a six Ecila !
Je reçois une décharge électrique de six mille volts, mon cerveau tourne six fois sur lui-même dans ma boîte crânienne, illumination transcendantale, je viens de comprendre :
_ Chef vous voulez dire que dans ce livre on ne voit que des filles qui s’appellent Ecila comme dans notre vie toutes celles que l’on rencontre s’appellent Alice !
_ Bravo Chad vous progressez, toutefois dans votre bouquin vous avez trouvé six Ecila, rajoutez celle du titre vous en avez sept…
_ Chef, votre lecture nous ouvre des perspectives infinies, serions-nous sur une application physique de la théorie de alephs de Cantor !
_ Au fait Chad, sur le chemin du resto, j’ai passé quelques coups de téléphone, savez-vous que la mère de notre jeune Alice s’appelait Ecila ?
A suivre…