Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 598: KR'TNT 598 : CHIPS MOMAN / MIDLAKE / TODD RUNDGREN / JALEN NGONDA / QUESTION MARK & THE MYSTERIANS / LES FINGERS / ARGWAAN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    LIVRAISON 598

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 04 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / MIDLAKE

    TODD RUNDGREN / JALEN NGONDA

    QUESTION MARK & THE MYSTERIANS

    LES FINGERS / ARGWAAN

     ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 598

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    ATTENTION !

    CETTE LIVRAISON 598 SORT AVEC TROIS JOURS D’AVANCE, PARCE QUE NOUS SOMMES DES PHILANTHROCKPES !

    TOUTEFOIS QUE LES ESPRITS DISTRAITS

    N’OUBLIENT PAS LA LIVRAISON 597 !

     

     

    Le Moman clé - Part Three

     

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Quasiment tout le détail des sessions d’enregistrement menées par Chips Moman dans son studio American se trouve dans l’immensément brillant Memphis Boys de Roben Jones. En fin d’ouvrage, elle fait quelques recommandations discographiques. C’est un peu comme celles de Robert Gordon, ça peut vite devenir une véritable caverne d’Ali Baba, car Roben et Robert citent des albums pas très connus en Europe et qu’on n’aurait pas forcément l’idée d’écouter, et qui finalement se révèlent être pour la plupart de sacrées bonnes pioches. 

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             On tombe par exemple sur l’album solo de Mark James, l’un des songwriters maison d’American. Belle pochette classique dans les tons sépia. Bon, tout est bien foutu sur l’album, mais rien ne va percer le plafond de verre. Bel artiste néanmoins. Il vise cette Americana qui n’est pas aussi cosmique qu’on voudrait le croire. Mark James enregistre cet album à New York avec une belle brochette d’inconnus. Il tape son «Keep The Faith» au groove de feeling pur pour en faire un message d’espoir vibrant - Faith is the key, yeah, it holds the destiny - Il prône ça avec un certain talent latent. Avec «Blue Water», c’est un peu comme s’il visait la beauté juste - Girl take my hand and tell me that you understand/ Cause we don’t need to stand in blue water - Voilà ce qui s’appelle s’imposer. La pop-rock de «Roller Coaster» passe comme une lettre à la poste et en B, il s’en va groover «Flyin’ Into Memphis» à la Tony Joe White, mais avec une voix plus pincée.

             Avant d’entrer dans le détail des albums produits par Chips, il est conseillé d’écouter trois compiles Ace qui offrent un panorama assez complet de ce qu’il faut bien appeler une œuvre. Deux sont consacrées au house-band d’American, les Memphis Boys (Memphis Boys. The Story Of American Studio parue en 2012 et The Soul Of The Memphis Boys parue en 2020). La troisième vient tout juste de paraître : Back To The Basics. The Chips Moman Songbook.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             On a déjà épluché la première (Memphis Boys. The Story Of American Studio) lors de l’hommage rendu à Reggie Young. On en disait bien sûr le plus grand bien, allant même jusqu’à la traiter de compile du diable. «Memphis Soul Stew» ! King Curtis commence par réclamer a little bit of beiss, a big fat drum and some Memphis guitar. Arrivent ensuite l’organ and the horns. Now a big wail ! : King Curtis fait son Junior Walker ! Suivi par Dusty chérie avec «Son Of A Preacher Man». Tommy Cogbill y vole le show avec son bassmatic. Plus loin, James & Bobby Purify font leur Wicked Pickett dans «Shake A Tail Feather», avec un Tommy Cogbill qui re-vole le show. Au rayon coups de génie, on retrouve  l’immense «I’m In Love» de Wicked Pickett, la démo du «Suspicious Minds» de Mark James, le «Skinny Legs And All» de Joe Tex et le «More Than I Can Stand» de Bobby Womack, fils adoptif d’American. Chips envoie les violons dans la Soul. En queue de compile, on trouve les Soul Brothers que Chips produisait pour Goldwax et notamment l’excellent Spencer Wiggins avec «Power Of A Woman». C’est à Elvis que revient l’honneur de conclure avec «I’m Movin’ On». Dommage qu’il n’ait pas continué à bosser avec Chips. Ils étaient faits l’un pour l’autre. On trouve aussi l’excellent «Born A Woman» de Sandy Posey, Joe Simon, Merrilee Rush et B.J. Thomas, le fringant «Funky Street» d’Arthur Conley, Solomon Burke et les Soul Brothers plus obscurs comme L.C. Cooke ou Clay Hammond. Outch, n’en jetez plus, comme on disait au temps des barricades.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Le problème c’est qu’Ace en jette encore avec The Soul Of The Memphis Boys. Rebelotte avec James & Bobby Purify et «Don’t Want To Have To Wait» et cette incroyable qualité du son et cette extrême purée de cuivres, ah ça ira ça ira ça ira, les aristocrates à la lanterne et l’autre, là, l’Oscar Toney JR ! Tu crois qu’il va calmer le jeu avec son «Ain’t That True Love» ? Macache ! C’est encore du typical Memphis beat, l’Oscar est un bon. Ça monte encore d’un cran avec Bobby Womack et «Broadway Walk», il taille sa route à la Wilson Pickett. On croise aussi Jerry Lee et James Carr, puis l’inexpugnable «Cry Like A Baby» des Box Tops. Encore un bassmatic historique ! D’autres blacks de rêve arrivent à la queue-leu-leu, Arthur Conley, Solomon Burke, Joe Tex, Ben E. King, tous ces géants de la Soul viennent enregistrer chez Chips, et puis voilà le «Comin’ To Bring You Some Soul» de Sam Baker, une bombe, suivi d’une autre bombe humaine, Roscoe Robinson avec «How Many Times», un vrai shouter de must I knock d’oh yeah. Et puis voilà la révélation : Ella Washington avec «He Called Me Baby». Fantastique artiste, aussi énorme qu’Aretha. Forcément, Dusty chérie casse bien la baraque avec «So Much Love». On se prosterne jusqu’à terre devant une telle chanteuse. Elle sait grimper plus haut que toutes les autres. Roy Hamilton chante d’une voix de rêve, Elvis aussi, il claque sa chique de «Kentucky Train», les Blossoms explosent «Don’t Take Your Love» et Arthur Alexander referme la marche avec «Rainbow Road», le vieux coucou de Dan Penn - Then one day my chance came along - C’est du mythe pur, Arthur cogne ça dur, avec toute sa dignité de fils d’esclave.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Troisième compile hommage à l’American studio avec Back To The Basics - The Chips Moman Songbook. Elle paraît au moment où James L. Dickerson publie sa monographie, Chips Moman. Comme c’est un songbook, Ace met l’accent sur les compos de Chips et non sur ses productions. Les deux grandes surprise de cette compile sont les reprises de «Dark End Of The Street» par les Flying Burrito Brothers et de «Last Night» par Georgie Fame. En ce qui concerne Georgie, pas de surprise, c’est le meilleur shuffle d’Angleterre. Quant à la reprise des Burritos, elle est assez mythique, Gram Parsons chante avec les guitares country dans le creux des reins. Ces mecs ont du son. Comme on va le voir au fil des 24 cuts, la country est une dominante chez Chips. Waylon Jennings qui ouvre le bal avec «Luckenbach Texas (Back To The Basics Of Love)». On tombe plus loin sur la country superstar Kenny Rogers qui fait de «Lying Again» une soupe suprême, puis BJ Thomas avec «Another Somebody Done Somebody Wrong Song», Tammy Wynette («He’s Rolling Over And Over») et ça se termine avec le vieux crabe Willie Nelson («Old Fords And A Natural Stone»). L’autre péché mignon de Chips est bien sûr la Soul. Barbara Stephens ramène du raw r’n’b avec «If She Should Ever Break Your Heart», William Bell ramène son fantastique power («Somebody Mentioned Your Name»), l’immense Barbara Lynn tape dans «You’re Gonna See A Lot More (Of My Leaving)», ah il faut la voir claquer son sweetheart ! Cher fait une version superbe de «Do Right Woman Do Right Man» (ce sont les mecs qui ont accompagné Aretha qui l’accompagnent), Carla Thomas ramène sa romantica («Promises») et Helen Henry ramène aussi sa fraise avec «Every Little Bits Helps» qui date de 62, quand Chips est encore chez Stax. On trouve aussi des choses étonnantes comme cette version de «For You» par Gizelle qui est sur Wild, le fringuant label rockab basé en Californie. Incroyable que les gens d’Ace soient allés taper chez Wild. Il n’empêche qu’on a vu Gizelle au Béthune Retro et ce n’était pas si bon. Merrilee Rush est là aussi avec «Sandcastle». Grâce à Tony Rounce, on apprend que c’est Mark Lindsay qui la recommanda à Chips.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             L’un des albums dont les Memphis Boys se disent vraiment fiers est le Stoned Age Man de Joseph, sorti sur Scepter Records en 1970. Chips a des connections avec Florence Greenberg, la boss de Scepter qui lui envoie aussi Dionne Warwick et B.J. Thomas. Joseph s’appelle en réalité Joseph Longeria, mais Scepter trouve que Joseph est plus vendeur. Joseph Longeria chante comme cro-magnon, il a cette capacité de faire peur à Tounga et même à Zembla le Rock qui en a pourtant vu des vertes et des pas mûres. «Trick Bag» sonne comme un joli slab de rock seventies, ce qui semble logique, vu la date de parution de l’album. On est en plein dedans. Le problème est qu’on passe facilement à travers les cuts de cet album pourtant considéré comme culte. C’est vrai que le culte a bon dos, surtout quand il l’a dans le cul. On accordera cependant un coup de satisfecit au morceau titre qui boucle l’A, car notre cro-magnon chante son rock des cavernes avec l’énergie du désespoir, mais pas n’importe quel désespoir, le désespoir Williams. Ou si vous préférez, référons-nous aux morceaux en forme de poire d’Erik Satie. C’est adroitement ouvragé. On comprend que ça puisse allumer des convoitises. Chips a dû bien s’amuser à produire ce beau brin de guttural - Like a wild child, yeahhhh - En B, on tombe inopinément sur une belle cover nerveuse de «The House Of The Rising Sun». On sent les barbus de la bande à Joseph invaincus et peu enclins à courber l’échine. «Gotta Get Away» est un cut de Greg Allman monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’», un riff qui, comme chacun sait, est têtu comme une bourrique. Globalement, on a là un album solide, bien enraciné dans le heavy rock des seventies. On peut dire que Chips a le chic pour choper le chop.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Roben Jones nous rappelle que Chips avait embauché Wayne Carson et Mark James comme compositeurs maison. En 1972, Wayne Carson enregistre l’excellent Life Lines, l’un de ces albums du grand songbook américain qu’on ne peut que recommander, pas seulement parce qu’on y retrouve «The Letter», ce vieux hit qu’il a composé pour les Box Tops, mais pour d’autres chansons beaucoup plus spectaculaires, à commencer par «Laurel Canyon». Il parvient à s’élever dans le chant à la force du feeling - I’m so alone - Du coup, on dresse l’oreille. Avec «All Night Feeling», il joue un coup de boogie sous le boisseau et n’en finit plus de se montrer crédible. On a là une belle pièce de Southern rock cuivrée de frais. Ce mec sait composer, pas de doute, «Tulsa» vient encore renforcer ce sentiment. Les chansons de Wayne Carson accrochent autant que celles de Jimmy Webb, avec le même sens aigu d’une belle Americana. En B, il reprend le «Neon Rainbow» qu’il a aussi composé pour les Box Tops. C’est assez pop, pas loin du Raindrops de Burt, doté de beaux développements mélodiques, très violonné. Dès que Wayne Carson s’élève dans les octaves, ça devient beau. Notons que Fred Forster, boss de Monument, produit l’album. Avec «Just As Gone», Wayne Carson se montre l’égal de Mickey Newbury. Il revient au Southern groove avec l’excellent « A Table For Two For One». Il fait sa Bobbie Gentry, avec une voix de mâle. C’est dingue comme ses compos accrochent bien. Ce mec aurait très bien pu devenir une star, à l’instar de Jimmy Webb et de Mickey Newbury.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             C’est avec le Keep On Dancing des Gentrys paru sur MGM Records en 1965 que Chips a pu financer le lancement d’American. C’est donc un album historique, très typique d’une époque où tous les kids d’Amérique entendent les Beach Boys à la radio. Et donc ça déteint. On retrouve dans le morceau titre d’ouverture de balda la même petite ferveur bronzée. Ils proposent aussi de la petite pop inoffensive, mais quand ils tapent dans «Hang On Sloopy», c’est avec le Memphis beat d’American. On a là une version groovy chantée à l’insistance caractérielle. Le «Brown Paper Sack» du bout d’A est plus jerky. On est à Memphis et ça s’entend - You better run away girl ! - En B, on tombe sur un joli clin d’œil à Bo avec «Hand Jive», chanté avec le plus bel accent de Memphis.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Sur Gentry Time, le deuxième album des Gentrys, on trouve du pur Memphis Sound : «Giving Love». Jimmy Hart chante son Why don’t you share it with me à la belle exacerbée. Et il ajoute, sûr de lui : «Why don’t you try to relax and come and go with me !» Chips donne au «I’m Gonna Look Straight Through You» un vrai caractère garage. On est dans le heavy beat et c’est chanté bien raunchy. Mais l’A se gâte très vite. Difficile de faire un album solide en 1966, pour ça il faut s’appeler les Beatles. Les Gentrys pataugent dans la petite pop inepte et finissent l’A avec la pop bien rebondie d’«A Little Bit Of Love». L’autre cut intéressant se trouve en B et s’appelle «Sunshine Girl». On y sent toute la joie et la bonne humeur de ces kids de Memphis qui déambulent on the sunny side of the road, comme aimait à le dire Gildas. Ils terminent avec un shoot de petite pop infectieuse à la Zombies intitulé «I Didn’t Think You Had It». C’est un joli coup, doté d’une vraie musicalité et d’une assise consistante.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Le troisième album des Gentrys sobrement intitulé The Gentrys paraît sur Sun en 1970. C’est donc produit par Knox pour le compte du nouveau boss Shelby Singleton. On a là un album extrêmement solide, une sorte de gosse pop de Memphis dynamisée par un bassmatic énergétique. C’est enregistré au Sam Phillips Recording Studio (le tout neuf), on est donc en plein cœur de la mythologie. Les Gentrys se montrent à la hauteur avec notamment une reprise du «Stroll On» des Yardbirds. Ils sont sur le heartbeat, et Jimmy Tarbutton solote comme un poisson dans l’eau. Encore pire : «I Need You», où Jimmy Hart crie qu’il est un lover et pas un fighter. En B, ils amènent un fabuleux «Southbound Train». Ils jouent à la big energy, c’est bien nappé d’orgue et pulsé au bassmatic sévère de Steve Speer. On ne peut que se prosterner devant Knox, car il nous sort là un sacré son. Tout l’album tient en haleine. On est à Memphis et ça se sent, la pop se veut plus coriace, elle rocke le beat. Ils finissent leur «Help Me» avec un final qui sonne comme celui de «Sympathy For The Devil», pas moins. «Can’t You See When Somebody Loves You» vaut pour une belle pop d’élan martial, cuivrée à gogo.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

    Il se passe toujours quelque chose à Memphis. Belle reprise aussi de «Cinnamon Girl». Ces mecs ont tout pigé. Ils savent travailler la couenne de la psychedelia avec tact, mais en gardant tout le punch du Memphis beat. Ils font aussi une excellente cover du «Rollin’ And Tumblin’» de Muddy et passent avec «He’ll Never Love You» à la pop de grande envergure. Jimmy Hart monte se mêler aux harmonies vocales supérieures, alors que ça cuivre hardiment dans les parages. Quel festin de son ! 

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Chips vénérait James & Bobby Purify. Ça s’entend sur The Pure Sound Of The Purifys paru sur Bell Records en 1967. Dès «I Take What I Want», on sent la sauvagerie. Ça swingue dans l’âme du Memphis beat, baby. Big bad fun ! L’autre gros hit de l’album s’appelle «Let Love Come Between Us», embarqué au fantastique entrain purifié. On a là une grosse emblématique de very big pop Purify. On B, on se prosterne devant «Sooth Me», délicat et délié, beautiful cut de Soul aux pieds ailés. Nos admirables Purifycateurs tapent aussi avec «You Don’t Love Me» un fantastique shoot de Soul bien troussée au classic brunch. On se croirait parfois sur un album de Sam Cooke, tellement les étoffes sont fines. «I Don’t Want To Have To Wait» vaut pour un joli shoot de Deep Southern Soul superbe et éperdu. Ils proposent aussi une reprise de «Shake A Tail Feather» bien remontée, solide et sharpy, pas très loin de ce que font Sam & Dave, avec de belles montées en température - Ahhhhh, push me/ Shake it shake it - Ils sont dans le high energy, le very high high high d’ouille ouille ouille.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Paru la même année, James & Bobby Purify est enregistré par contre à Muscle Shoals avec l’équipe habituelle, David Hood/Roger Hawkins/Jimmy Johnson. James & Bobby démarrent avec un «Wish You Didn’t Have To Go» signé Dan Penn/Spooner Oldham, mais ils se vautrent en voulant reprendre «Knock On Wood». On ne touche pas à Eddie Floyd. Ils reviennent en B à la magie de Dan Penn avec «I’m Your Puppet», mais le son est trop Muscly Shoals. Ils en feront une version nettement supérieure dix ans plus tard sur leur dernier album. Ils restent chez Dan Penn avec «You Let The Water Running» qui sonne comme un hit des sixties avec son sock it to me. Ils rendent un bel hommage à Sam Cooke avec «A Change Is Gonna Come» et bouclent leur petit bouclard avec «You Can’t Keep A Good Man Down», une merveille qui sonne comme du Dan Penn, mais non, c’est du Papa Don, producteur/protecteur/manager des frères Purify, le fameux Papa Don Schroeder qui se vantait d’avoir Ellie Greenwich dans les chœurs et qui justement ramena les frères Purify chez Chips.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Si on en pince pour les Purify, il faut écouter leur dernier album paru en 1977, Purify Bros, sachant que Ben Moore a remplacé Bobby Purify qui avait des problèmes de santé. Ils enregistrent l’album à Nashville, mais leurs vieux amis Reggie Young et Tommy Cogbill les accompagnent. Ils tapent dans la Philly Soul de Gamble & Huff avec «Hope That We Can Be Together Soon» et Ben Moore chante au falsetto miraculeux. Ils tentent d’allumer plus loin le «Get Close» de Seals & Croft, mais ce n’est pas aussi réussi. Par contre, ils ouvrent leur bal de B avec «I’m Your Puppet» et là ils s’en vont briller au firmament, grâce à une jolie progression harmonique. Ils flirtent avec le génie dans «Morning Glory», c’est violonné à gogo et d’une puissance terrible. On note encore l’excellence de leur prestance dans «Turning Back The Pages». Ces mecs n’en finissent plus de redorer le blason de la Southern Soul. Tout est admirablement balancé, sur cette B, précieux faux frères, ils chantent leur «What’s Better Than Love» avec un rare entrain, un prodigieux élan. Ils terminent avec une version de «When A Man Loves A Woman», beaucoup moins perçante que celle de Percy Sledge, ce qui semble logique : personne n’est plus perçant que Percy.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             En 1972, Dionne Warwick débarque chez Chips pour enregistrer Soulful. Chips lui a préparé un petit lot de covers triées sur le volet, à commencer par «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Pas de problème, Dionne la lionne peut gérer ça, elle peut même le grimper très haut. Elle gère bien son groove de lionne, lovely like you used to dooo. Comme on est chez Chips, elle tape deux Dan Penn, «I’m Your Puppet» (typical Memphis) et «Do Right Woman Do Right Man» dont elle fait la plus Soulful des versions. Elle l’explose comme Aretha l’a explosée avant elle. Elle tape aussi dans le «People Got To Be Free» des Rascals. Chips l’orchestre à outrance et il rend encore plus vainqueuse une lionne déjà vainqueuse. Elle termine son balda avec un clin d’œil aux Beatles et un «We Can’t Work It Out» qu’elle transforme en Soul power. Le bassmatic de Tommy Cogbill rentre dans le lard de la Beatlemania. Ce bassmatic est une œuvre d’art. Ils récidivent en B avec un «Hard Day’s Night» moins réussi et bouclent la B avec un «Hey Jude» que Dionne la lionne chante au feeling de lionne, avec un tremblé de glotte subliminal. Chips fout le paquet, il orchestre à gogo et la marée des violons monte, so let it out and let it in, elle file vite là-haut sur la montagne claquer son nah nah nah, mais elle contourne l’obstacle car elle ne peut pas screamer comme McCartney.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             On retrouve l’ensemble des cuts enregistrés à Memphis avec Chips sur le double album From Within qui date aussi de 1972. Le Lovin’ Feelin’ et le We Can Work It Out sont en C, mais il y a d’autres cuts qui ne figurent pas sur Soulful, comme cette reprise de «The Weight», fausse Soul blanche, ou encore «Someday We’ll Be Together». En D trône «If You Let Me Love You». Cette Soul Sister de rêve tient sa Soul par la barbichette, et Chips revient à l’équation fondamentale : Memphis beat + voix suprême. Elle tape plus loin dans l’énorme classique de Joe South, «Games People Play» dans une ambiance superbe. Il faut la voir développer son filet de Soul. Elle termine la D avec un clin d’œil à Sly, «Everyday People». Solid as fuck. Par contre, elle propose du gospel en A, elle chante son «Grace» à la perfe, dommage que les chœurs soient si loin derrière. Encore un classique du gospel batch avec «Jesus Will» et elle enchaîne avec une version léonine de «Summertime» - So hush little baby/ Don’t you cry - En B, elle fait une petite tentative de medley avec «MacArthur Park». Dionne la lionne est faite pour la beauté - Catch me looking at the sky - Elle est dans une Soul de you still be the one, elle chante en retenue avec le pire feeling du monde. S’ensuit un hommage à Nina Simone («To Be Young Gifted And Black») et elle boucle sa B avec le «People Got To Be Free» enregistré chez Chips, une splendeur.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Chips et ses Memphis Boys étaient encore plus impressionnés par Joe Simon qui enregistre No Sad Songs en 1968 chez American. L’album sort sur le label de Joe Foster, Monument Records. On y trouve deux bien belles énormités, à commencer par «Long Hot Summer», monté sur le big Memphis beat, battu sec et bardé de tortillettes acidulées. Il faut entendre la violence du claqué de notes, c’est du pur Reggie Young, stupéfiant de nervosité et de virtuosité. Les cuivres se jettent dans la mêlée avec un bonheur que n’existe qu’à Memphis. Encore une énormité avec «Traveling Man» qui déboîte sans clignotant pour foncer dans la nuit. Ces mecs jouent la belle embellie. On voit bien que Joe Simon peut rocker le shit de choc. Il tape aussi dans une merveille signé Dan Penn : «In The Same Old Way». Pur jus de Deep Southern Soul, Joe descend dans son meilleur baryton pour faire honneur au Penn. Il chante aussi le «Nine Pound Steel» de Dan Penn, mais c’est le côté gospel batch bien ponctué à l’enclume. Étrange parti-pris de heartbeat. Avec «Put Your Trust In Me», Joe passe au raw r’n’b avec une surprenante vitalité. Les Memphis Boys jouent leur va-tout, comme chez Stax, mais avec quelque chose de plus fouillé dans le son. On retrouve l’énergie Stax dans le «Come On And Get It» de clôture. Ce diable de Joe joue les Saint-Simon du raw, c’est admirable de droiture morale.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Joe Simon n’a pas enregistré Better Than Ever chez Chips, mais on peut l’intégrer au déroulé du Moman clé car on y trouve le «Rainbow Road» de Dan Penn, et donc retour à Memphis. Cet album paru en 1969 est d’ailleurs produit par Scotty Moore. Joe chante son «Rainbow Road» au feeling saint-simonien, donc ce n’est pas Arthur Alexander. Une mandoline vient d’ailleurs gratter les puces du pont, alors ça peut gêner au peu aux entournures. D’autant que Joe chante d’une voix de blanc, un peu comme Freddie North. Il sort aussi sa voix de blanc sur «Straight Down To Heaven» et il faut attendre «San Francisco Is A Lonely Town» pour renouer avec la Soul de Soul Brother. C’est une existence difficile, il faut se lever tôt pour décrocher un hit, quand on est Soul Bother. Joe Simon cherche la Deep Soul dans les rues de San Francisco. On le voit aussi faire une version bien straight d’«In The Ghetto». Il tente le coup de la Soul avec «I Got A Whole Lot Of Lovin’», mais sa Soul reste un peu lisse, sans excès, un peu à la Freddie North. On ne trouve pas le petit truc en plus qui fait sortir l’appelé du rang. Le hit de l’album pourrait bien être le «Time And Space» qui clôt l’A, car Joe chante sa pop de Soul avec doigté. Il en groove l’âme. C’est aussi désespérément beau que du Fred Neil. Admirable de mélancolie simonienne.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Quand Billy, le fils de Dorsey Burnette, décide de revenir s’installer à Memphis, Chips qui a joué de la guitare avec son père et son oncle Johnny lui donne une chance. Billy enregistre son album Billy Burnette chez American en 1972. Il attaque avec un balladif à la Dan Penn intitulé «Always Wondering Bout You Babe» et sacrément captateur. Billy y développe une grosse mélancolie et montre une belle capacité vocale. Il lance ensuite «Going To A Party» sur le beat de «Mrs Robinson» et ça sonne forcément comme le beat des jours heureux. Mais bon après, ça se délite. L’album retombe comme un soufflé. Chips avait raison de penser que les compos de Billy ne tenaient pas vraiment la route. En fin de B, le pauvre Billy tape dans le Southern soft rock avec «I’m Getting Wasted Doing Nothing», c’est coloré et chargé d’une musicalité qu’il faut mettre sur le dos du American house-band. Il termine avec «Twenty Years Ago Today», un heavy psych de Southern motion aussi puissant qu’un cut de Croz sur If I Could Only Ony Remember My Name.

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Back To The Basics. The Chips Moman Songbook. Ace Records 2021

    The Soul Of The Memphis Boys. Ace Records 2020

    Memphis Boys. The Story Of American Studio. Ace Records 2012

    Joseph. Stoned Age Man. Scepter Records 1970

    Mark James. ST. Bell Records 1973

    Wayne Carson. Life Lines. Monument Records 1972

    Gentrys. Keep On Dancing. MGM Records 1965

    Gentrys. Gentry Time. MGM Records 1966

    Gentrys. The Gentrys. Sun 1970

    James & Bobby Purify. The Pure Sound Of The Purifys. James & Bobby. Bell Records 1967

    James & Bobby Purify. James & Bobby Purify. Bell Records 1967

    James & Bobby Purify. Purify Bros. Mercury 1977

    Dionne Warwick. Soulful. Scepter Records 1969

    Dionne Warwick. From Within. Scepter Records 1972

    Joe Simon. No Sad Songs. Monument Records 1968

    Joe Simon. Better Than Ever. Monument Records 1969

    Billy Burnette. Billy Burnette. Entrance 1972

     

     

    Le feu au Midlake

     

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Quand est tombé du ciel Van Occupanther, on s’est dit chouette, la cosmic Americana est enfin de retour. Tu ne sais pas qui est Van Occupanther ? C’est l’homme à tête de panthère qu’on voit assis dans le sous-bois de la pochette du deuxième album de Midlake, The Trials Of Van Occupanther. Disons qu’il s’agit d’un album de dimension mythique.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

    Midlake est un groupe texan dont l’âme s’appelle Tim Smith. Il chante et compose. Dès «Roscoe», on sent la pureté du groove tim-smithien qui flirte avec l’up-tempo mais pas trop - Just change a thing or two - La cosmic Americana arrive avec «Head Home». Ils reprennent les choses là où les Byrds les avaient laissées après leur quatrième album, Tim Smith et ses Midlakers sont dans le genius à l’état pur, une vraie mine d’or, avec des dynamiques de basse et de chant psyché all over, voilà l’up-tempo miraculeux. Et ça continue avec «Young Bride», le son vient de l’Ouest. Il va chercher sa young bride au bord du chemin, c’est tendu et extrêmement historique. Ils sont dans l’Ouest de l’Americana et ses rafales de winter extraordinaires. Ce fondu de son est unique dans l’histoire du rock. The Trials Of Van Occupanther pourrait bien être l’un des meilleurs albums cosmiques de tous les temps. Qui peut rivaliser de grâce sidérale avec «Head Home» ? On reste dans le genius midlakien avec «In This Camp», c’est le son de la frontière, avec des vents énormes. Encore de belle pop rock de wild mountain men avec «It Covers The Hillsides», monté sur une bassline digne de celles de Skip Battin.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Deux ans avant paraissait Bamnan And Slivercork. Tim Smith prend son «Balloon Maker» au chant de légende et se livre à un petit exercice de Beatlemania. On se croirait à Abbey Road. En bon mage texan, il fait pleuvoir la magie par-dessus les toits. Puis il claque la chique de «Kingfish Pie». Sa tarte balaye tout le reste. Oui, Tim Smith a du génie. Disons qu’il groove sous la surface du génie, comme le montre «I Guess I’ll Take Care» - I want you all the time - C’est de la prescience. Il crée les conditions de son génie. Il t’embarque où il veut. Il chante à la ramasse du Midlake, «Some Of Them Were Superstitious» est une pure merveille, il explose sa pop en la chantant sous le menton. Nouveau coup de Jarnac avec «The Jungler». Il préfigure l’Americana de Van Occupanther. Il chante par la bande avec des accents toxiques. Il va se confronter aux grands vents de la Cosmic Americana jusqu’au bout de l’album, avec «He Tried To Escape» et «Mopper’s Medley», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. «No One Knew Were We Were» est complètement paumé, comme l’indique le titre, mais on se régale de l’entrain d’orgue et de beurre, avec la voix de Tim Smith quelque part au milieu. Il a la même présence que John Lennon. Il est aussi doué, avec ce don de chant et la musicologie afférente. Il peut tirer sur son classique, ça reste beau et bien foutu. Alors si on lui dit ça, il tire, vas-y, Tim, tire sur ton élastique.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Le troisième et dernier album qu’il enregistre avec Midlake s’appelle The Courage Of Others. L’album est beaucoup moins dense que les deux précédents. Dommage, car la pochette mystérieuse met bien l’eau à la bouche. Les deux énormités se trouvent au cœur de l’album : «Rulers Ruling All Things» et «Children Of The Grounds». C’est du country folk et on perd la cosmic Americana. Mais ça reste assez puissant, notamment au moment du refrain - I only want to be left my own ways - Avec «Children Of The Grounds», Tim Smith s’envole - I’m gone from here - Disons que tout est complètement largué sur cet album, et en même temps des cuts comme «In The Ground» se raccrochent à des arpèges. Tim Smith continue de taper ses mélodies au contre-chant et se dissout dans l’excellence. On le voit encore tirer son énergie de l’Americana des pionniers dans «Acts Of Man» et il conduit le convoi de chariots de «Winter Dies» - I’d hear the sound of creatures upon the earth - C’est vrai qu’on perd le flying jingle jangle des Byrds, mais on a autre chose.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Paru en 2013, Antiphon est donc le premier album post-Tim Smith. À l’époque on s’est dit : «Testons, nous verrons bien.» Test positif car le son est là dès le morceau titre d’ouverture de bal. Pas la même voix, mais ils cherchent à rester dans le même son. C’est une volonté clairement affichée. Et même fucking bien affichée, puisqu’ils outrepassent Tim Smith, ils groovent la magie pure et c’est monté en neige au sommet de Midlake. Inespéré ! On les croyait condamnés. Ils dépassent le syndrome de Stockholm. Ils font du Midlake invétéré. Et ça continue avec «Provider». La magie est là, juste en dessous des glaires de voix, ils développent leur cosmic Texarcana, ils surmontent bien la perte de Tim Smith, ils prélassent le chant dans l’infini du Midlake sound. «Provider» est comme balayé par des vents de son, ils surplomblent la Texarcana, diable comme c’est beau ! Ils sont en plein dans Van Occupanther. On dira la même chose d’«Ages». Ils attaquent «The Old And The Young» au boogie texan. Vas-y mon gars, essaye de sonner comme eux, tu verras que c’est impossible. Ils cultivent l’efficacité de l’excellence. Cet album est l’une des surprises du siècle. On les croyait paumés, mais on les retrouve plus décidés à vaincre que jamais. Et leur pop de cosmic Texarcana n’a jamais été aussi lumineuse. Ils font là encore un big country rock de la frontière, c’est fabuleusement bien joué et remanié à l’extrême. «Vale» est plus atmosphérique, comme balayé par les vagues géantes d’une tourmente. Ces mecs se donnent les moyens de leur délire. Tu peux y aller les yeux fermés.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Pour la promo de leur nouvel album, For The Sake Of Bethel Woods, Duncan Fletcher papote avec le nouvel homme fort de la situation, Eric Pulido. Après Antiphon, il croyait le groupe fini. Et comme ils sont coincés par Pandemic dans la même baraque et qu’ils n’ont pas grand-chose à foutre, ils décident de faire des chansons pour un nouvel album - Let’s try out some of these ideas - Alors ils refont leur vieux mélange de psyché, de folk et de prog, et choisissent Bethel Woods en souvenir de Woodstock et de ce que cet événement a pu représenter au plan symbolique. Bien sûr, pas un mot sur Tim Smith et ils n’ont pas grand-chose à ajouter. 

             Avec For The Sake Of Bethel Woods, les Texans ont su conserver leur mystique psychédélique. Finalement, le départ de Tim Smith ne change pas grand-chose. Ils groovent sous la mousse des bois, «Bethel Woods» reste dans l’axe du fast Texas rock, mais sans magie. Le hit de l’album s’appelle «Gone». Il semble ramené des profondeurs. Ça swingue on the top of the beat. On sent chez eux un goût pour le smooth («Glistening») et dans «Feast Of Carrion», on entend des éclats de Van Occupanther. On sent bien qu’ils vivent des vieux restes de Tim Smith. L’album se réveille avec «Noble». Soit ils y sont, soit ils n’y sont pas. Cette fois ils y sont. Eric Pulido chante d’une voix de foie blanc. «Meanwhile» n’est plus du Midlake, mais ils essayent de nous ramener vers Midlake. Ils finissent par y parvenir, c’est du Midlake, mais sans la magie. Difficile à expliquer. «The End» sonne aussi comme du post-Midlake. Ils gèrent leur biz au mieux, et s’efforcent de conserver un goût pour les profondeurs. Il faut dire que ce culte de la pop est assez rare chez les Texans. Ils font carrément de la pop anglaise, mais avec de bons réflexes. C’est assez troublant, alors il faut écouter attentivement. Ils ramènent des tonnes de son, ils s’efforcent d’allumer, mais sans Tim, le casque vibre, c’est bien les gars, ils tentent de surmonter le traumatisme du départ de Tim, c’est très courageux de leur part, on ne peut que les admirer pour cette sortie en fanfare.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Comme Shindig!, Uncut fait aussi ses choux gras du nouvel album, à partir des mêmes infos : la pochette représente le père de Jesse Chandler, alors âgé de 16 ans, assis dans la foule de Woodstock au moment où John B Sebastian est sur scène. Le portrait est une interprétation graphique d’une photo tirée du film. Uncut cite quelques références : Eric Matthews, CS&N et Vashti Bunyan. Pour bien cerner le mystère Midlake, Uncut fait ronfler les belles formules, prog-folk melancholia et mystical tunes, mais bizarrement ne fait jamais référence à l’Americana, which Midlake is all about.    

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Bon alors attention : il existe une compile extraordinaire nommée LateNightTales centrée sur Midlake. Les compileurs ont réussi à rassembler des gens qui sonnent dans l’esprit du fondu de Midlake, les plus connus étant Fairtport Convention, avec «Genesis Hall». Elle est imbattable, la Sandy, avec sa voix de rêve. On la retrouve plus loin avec Harry Robinson dans «Carnival» : the Voice of England, c’est elle. Ce qui frappe le plus sur cette compile, c’est la qualité des choix. On trouve par exemple un cut de Twice As Much & Vashti, «Coldest Night Of The Year» : pur London Midlake sound, ils sont en plein dans Tim Smith, c’est excellent et purifié, heavy soft pop de Twice. Parmi les plus connus, voici encore Sixto Rodriguez avec «Crucify Your Mind». Il gratte sa folk magique. C’est tout de même incroyable de retrouver ce héros ici. C’est lui le boss, avec ses accents dylanesques. Nico est là aussi, avec «These Days», et ça devient forcément légendaire. Nico est l’une des authentiques superstars. The Band fait aussi du Midlake avec «Whispering Pines». Bien vu, exactement le même son. Les compileurs sont des cracks. Scott Walker n’est pas en reste avec son «Copenhagen». The Voice et ambiance garantie ! Et puis voilà Midlake avec «Am I Going Insane», un cover de Sabbath, prodigieux sens de la mélasse, ils jettent tout leur poids de mélasse dans la balance. Parmi les rois de l’Americana, voilà les Flying Burrito Brothers avec «Christine’s Tune» et sa belle énergie de devil in disguise, big bluegrass energy. Jan Duindam sonne comme Tim Smith dans «Happiness & Tears». Même énergie de deep Americana. Incroyable comme ça colle bien. Et puis il y a les révélations. Elles sont au nombre de trois : Beach House, Lazarus et Espers. D’abord «Beach House» avec «Silver Soul». C’est digne de Mercury Rev, belle approche intrusive. La chanteuse est la nièce de Michel Legrand. Puis voici Lazarus avec «Warmth Of Your Eyes», joli folk anglais et son d’une stupéfiante qualité. Alors on y va ! Et pour finir, Epsers avec «Caroline», belle plongée dans l’épaisseur du folk anglais, une pure merveille, ambiance géniale.

    Signé : Cazengler, Midnable

    Midlake. Bamnan And Slivercork. Bella Union 2004

    Midlake. The Trials Of Van Occupanther. Bella Union 2006

    Midlake. The Courage Of Others. Bella Union 2009

    Midlake. LateNightTales. LateNightTales 2011

    Midlake. Antiphon. Bella Union 2013

    Midlake. For The Sake Of Bethel Woods. ATO Records 2022

    Duncan Fletcher : Songs from the woods. Shindig! # 124 - February 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Todd of the pop (Part One)

     

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             À tout seigneur tout honneur : Todd Rundgren donne son nom à cette rubrique que nous consacrons aux géants de cette terre. Quelques-uns s’en souviennent, A Wizard A True Star fut annoncé dans Creem comme le messie. Creem ne se trompait pas. À peine paru, cet album était déjà culte. Todd Rundgren s’y montrait l’égal de Brian Wilson, et ce dès l’«International Feel», monté comme un hit baroque à l’interstellar appeal. Il faut le voir tordre son feel dans les arcanes !

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

    Sur cet album, tout s’enchaîne avec une parfaite fluidité. On glisse dans «Never Never Land» avec délectation. Il va de merveille en merveille, il tic tic tique dans «Tic Tic Tic», et se coule naturellement dans le «Rock’n’Roll Pussy». Et puis voilà la huitième merveille du monde, «Zen Archer» - Pretty bird closes his eyes/ Pretty mind dies/ Another pretty thing dead on the end of the shaft/ Of the Zen Archer - Osmose lysergique avec un solo de sax qui déchire le ciel. Cet album donne le tournis. Tiens encore une énormité avec «When The Shit Hits The Fan», bien pulsé au beat de fond, avec des pointes de gratte sur la crête du coq. Ça vire à la beatlemania magique des late sixties. Il boucle l’A avec «Le Feel International», pur génie mélodique. C’est là qu’il monte son chant au sommet de l’Olympe avec un coup de forcing en dernière extrémité. De l’autre côté, on reste dans l’enchantement avec «Sometimes I Don’t Know What To Feel», qu’il allume avec des relents d’Oh Happy Day. Fantastique architecture tectonique ! L’un des temps forts de cet album est le medley de Philly Soul, «I’m So Proud/ Ooh Baby Baby/ La La Means I Love You/ Cool Jerk» qu’il chante d’une voix d’ange de miséricorde. Il tape son Cool Jerk au freakout rundgrenien. Cet album va rester l’un des sommets de l’art pop.

             Un brin d’actu sur Todd Rundgren, ça ne fait jamais de mal : une compile Ace, un tribute, dépêchons-nous, car Todd est arrivé dans la zone à risques des 70-80 ans. Ne perds pas de vue qu’il a démarré en 1968 avec Nazz et qu’il continue de faire des miracles. Avec Frank Black, Jon Spencer, John Reis, Steve Wynn, Robert Pollard et Mark Lanegan, Rundgren fait partie de ces Américains prodigues qui alignent des discographies à rallonges truffées d’albums devenus des classiques du rock. C’est en 1970 que Rundgren est devenu «the young whiz kid who could do anything in the studio». Devenu riche en manageant Peter Paul & Mary et Bob Dylan, Albert Grossman venait tout juste de construire son studio Bearsville, à Bearsville, près de Woodstock. Il prit le jeune Rundgren sous son aile pour en faire l’un des first star producers d’Amérique.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Quand Grossman comprend qu’il vient de mettre la main sur une nouvelle poule aux œufs d’or, il met Rundgren sur les coups les plus juteux. C’est l’objet de cette nouvelle compile Ace : The Studio Wizardry Of Todd Rundgren. Cette compile est une sorte de résumé de l’histoire du rock, et d’une certaine façon, de l’histoire de la crème de la crème du rock. Ils sont venus, ils sont tous là, depuis Nazz jusqu’aux Dolls en passant par tous les autres. On en boit jusqu’à plus-soif, et même saturé, on en boit encore. On croyait connaître par cœur l’«Open My Eyes» des Nazz. Eh bien, dans ce contexte, l’«Open My Eyes» prend une toute autre ampleur. Personne ne peut battre le génie de Nazz à la course. Ils cumulent le frantic des Beatles avec le power d’Amérique, c’est un mix unique, une alchimie définitive, jamais égalée depuis. Jamais personne n’a pu égaler le Nazz power, excepté Todd Rundgren. Que dire du power des Dolls ? C’est Rundgren qui fixe le son des seventies avec «Jet Boy». Les Dolls doivent tout à Rundgren. C’est encore le temps où les guitares flambaient et Rundgren les charmait comme on charme les serpents. Mais en même temps, Rundgren dit avoir eu du mal avec eux : «Trying to get everyone on the same page long enough to get a take was like herding cats», ce qui veut dire mission impossible. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             La fête se poursuit avec Cheap Trick («Heaven’s Falling», plus power pop, mais avec du son, propulsé dans le cyber space). Il est essentiel de savoir que Rick Nielson rencontra Rundgren pour la première fois à Londres en 1969. Nazz venait de splitter, et Nielsen embaucha Thom Mooney et Stewkey Antoni dans son groupe Fuse qui allait devenir Cheap Trick un peu plus tard, avec l’arrivée de Robin Zander et de Bun E Carlos. Puis tu as le Patti Smith Group («Frederick», trop marketé dans son époque, vieillit atrocement mal). Et puis tu as XTC avec un «Dear God» qui ne marche pas, même chanté par un petit gnard, avec Partridge qui rapplique. Non, ce n’est pas bon, trop prétentieux. Par contre, la brochette qui suit absout Ace de tous ses péchés : Darryl Hall & John Oates, Grand Funk Railroad, Felix Cavaliere et Badfinger. Hall & Oates, c’est forcément bon. On sait que Rundgren adore la Soul, alors pas de problème avec les princes incontestables de la Soul blanche. Le War Babies qu’il produit est un immense album classique, même si Atlantic n’était pas du même avis. Le «We’re An American Band» de Grand Funk tombe bien dans les cordes de Rundgren, heavy rock tapé à la cloche de bois, c’est incroyablement bien maîtrisé, on est au sommet du lard des seventies. Rundgren est arrivé au moment où Grand Funk se décourageait : ventes en baisse et surtout haine grandissante des rock critics à leur égard. Rundgren éprouve de la sympathie pour ces trois mecs et les emmène au Criteria de Miami enregistrer l’album de leur renaissance, We’re An American Band. C’est là que Rundgren établit sa réputation de sauveur. Il va d’ailleurs voler au secours du chat Felix, dont le premier album solo manque, selon Mo Austin, de hits. Alors on fait appel à Rundgren pour sauver l’album. Il bricole l’album en douce et remplace les pistes de basse, batterie et keyboards par les siennes. On imagine la tête qu’a dû faire le chat Felix qui est comme chacun sait l’un des grands chanteurs de l’époque. Et pourtant, Rundgren lui fait une prod de rêve sur «Long Times Gone».

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Quant à Badfinger, ils amenaient autant de jus que Nazz avec leur «Baby Blue». C’est un son immédiat, fantastique ambiance de heavy pop liverpuldienne ! Pour la petite histoire, Rundgren fut envoyé à Londres pour sauver l’album de Badfinger qui s’engluait depuis un an dans des problèmes de production : Geoff Emerick puis George Harrison avaient abandonné le projet en cours. On connaît le versant Badfinger de cette collaboration, telle que la rapporte Joey Molland dans ses mémoires. Il ne supportait pas les «strong-arms tactics» de Rundgren. Burke a raison de dire que le problème de Rundgren était de faire autorité sur des gens qui avaient déjà des idées très précises de ce qu’ils voulaient faire, d’où les parties de bras de fer. Mais comme le dit si bien Burke, «the proof of the pudding is in the eating», eh oui, le son est là, alors les autres peuvent toujours aller se plaindre, but the job is done ! On dit même que Straight Up est le meilleur album de Badfinger.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             On croise plus loin deux autres grosses poissecailles : Janis et The Pursuit Of Happiness. Grossman signe Janis en 1970 et il envoie aussi sec Rundgren la produire à San Francisco, avec bien sûr comme backing band The Paul Butterfield Blues Band, un autre groupe sous contrat avec Grossman. La première chose que voit Rundgren en arrivant, ce sont les drogues. So many drugs ! Janis chauffe admirablement sa Soul de pop avec «One Night Stand», un cut qui ne figure même pas sur les albums officiels. Elle se veut très intrusive, Rundgren la sent bien. L’orchestre s’arrête en gare de Janis, tu as tout le tremblement, les cuivres, l’harp, le slinger, l’orgue ! Dans le booklet, Dave Burke nous explique que la session s’est arrêtée pour une pause et qu’elle n’a jamais repris. Janis préférait nettement la scène au studio.

             Inconnus au bataillon, voici le princes obscurs de la power pop, The Pursuit Of Happiness avec «She’s So Young». Stupéfiante qualité ! Content de revoir Fanny avec «Long Road Home», mais les gens d’Ace se sont vautrés. Ils auraient dû choisir «Hey Bulldog». C’est en 1972 que Rundgren quitte les Hollywood Hills après un tremblement de terre pour installer son Secret Sound studio on West 24th Street, à New York. Il commence par enregistrer A Wizard A True Star, puis le Mother’s Pride de Fanny. Encore un mauvais choix avec le «Fa Fa Fa Lee» de Sparks/Halfnelson. Hey les gars, c’est «Fletcher Honorama» qu’il fallait choisir ! C’est la copine de Rundgren à l’époque, Christine Erka des GTOs (Girls Together Outrageously) qui branche Rundgren sur les frères Mael. Ils sont étudiants à l’UCLA et ont un groupe avec les frères Mankey. Ils auditionnent pour Grossman qui les signe sur le champ et qui les envoie en studio avec Rundgren. On connaît la suite de l’histoire, le succès en Angleterre. Mais le plus intéressant est sans doute le propos de Russell Mael que rapporte Burke - Russell Mael has said they owe the whole thing to Rundgren - mais le plus drôle, c’est qu’aussitôt après les sessions, le même Russell Mael a barboté Christine Erka à Rundgren.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Tiens, justement, allons voir ce qu’il y a sous les jupes de The Pursuit Of Happiness. She’s So Young est un album de big power-pop, plein de jus de juice, les guitares coulent dans les ravines, c’est grandiose, bien monté en neige par le Wizard Todd. «Hard To Laugh» et «Ten Fingers» sont de belles énormités, les Pursuit ont une puissance de feu suffisamment rare pour qu’elle soit notée dans les registres. Encore de la belle pop de zyva avec «She’s So Young», c’est bien foutu et on ne doute pas un seul instant que cette majesté soit l’œuvre du Wizard Todd. C’est vraiment plein d’à-valoir, de voulu-tu-l’as-eu, c’est de la pop goulue. Encore un chef-d’œuvre de power pop bien pondérée in the face avec «Conciousness Raising As A Social Tool» : wild action ! Le Wizard Todd a dû bien s’amuser avec cette fine équipe. Ils ont du son, des idées et de l’allure. Les cuts suivants restent bien dans le ton, chez Moe Berg, tout est puissant, surtout «Looking For Girls». Il sait trancher dans le vif. Et le Wizard Todd ne manque pas d’enflammer tout ça.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Encore un autre grand espoir ruiné faute de hits : The Tubes. Ils auraient dû exploser à la face du monde. Mais ils n’avaient pas les compos. Rundgren ne pouvait pas sauver «Piece By Piece», c’est mauvais, on croirait entendre du Kiss. Rick Derringer a lui aussi essayé de devenir une rock star, mais il n’avait pas non plus les compos. Tout le monde n’est pas David Bowie ni Brian Wilson. Et comme le dit si bien le proverbe austro-hongrois, on ne trouve pas les hits sous le sabot d’un cheval. Par contre le heavy folk-pop des Bourgeois Tagg est bien plus intéressant. «I Don’t Mind At All» est extrêmement fin, on ne sait pas d’où sortent ces mecs, mais ils sont versés dans la pop d’intrication supérieure. Les voies de Todd Rundgren sont décidément impénétrables. D’où l’autel qu’on lui dresse. On arrive à la fin avec le «Goodbye» des Psychedelic Furs, pas de quoi se relever la nuit, par contre, la bonne surprise, c’est «Love Is The Answer» d’Utopia, un groupe qu’on fuyait jadis comme la peste à cause de sa mauvaise réputation proggy. Du coup, on décide de repartir à la chasse, car «Love Is The Answer» est un véritable joyau de pop surnatuelle et ça marche. Rundgren finit en pur genius de scream de gospel demented. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Ah Utopia ! Trop prog, disait-on. Mais à la réécoute, les albums tiennent sacrément bien la route, à commencer par Another Live, paru en 1975. Todd y casse la baraque avec une version hallucinante d’«Heavy Metal Kids», retour aux heavy sources des chutes du Niagara, the perfect heavy rock américain, l’expression la plus poussée du génie sonique de Todd Rundgren, il y va de bon cœur, il nous ressert tout Nazz sur un plateau d’argent, il combine les splendeurs mélodiques aux bassesses de l’hyper-heaviness, ain’t no time to forget, c’mon yeah ! Et il passe sans transition à «Do Ya» pour un tremendous hommage aux Move et au roi Roy, Todd est encore plus puissant que Roy Wood, do ya do ya want my love ! Après le déluge, il ramène la belle pop de «Just One Victory», il retrouve le chemin des harmonies vocales. L’autre big hit de l’album est «The Wheel», une belle pop de calme plat entraînée par une trompette. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             L’année suivante paraît le Ra d’Utopia. Todd et ses collègues chargent bien la chaudière de la pyramide. Avec «Jealousy», il flirte avec la heavyness de «Little Red Lights», c’est dingue comme il reproduit bien ses vieux schémas, et cette façon de partir en solo flash de feu follet n’appartient qu’à lui. Avec «Sunburst Finish», il propose une belle émulsion de prog montée en neige.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             On ne perd pas non plus son temps à écouter Oops! Wrong Planet, un album en forme de melting pot de big pop bien farcie de solos flash. Avec «Love In Action», il renoue avec sa veine power Todd, il adore enfoncer son clou avec le marteau de Thor - You can’t stop love in action - Telle est la morale de cette histoire. Il ramène du stomp dans «Back On The Street», il n’a rien perdu de ses vieux réflexes et il va chercher le poivre des harmonies vocales. En B, il croise le fer avec un solo de sax dans «Abandon City», c’est un combat captivant et il en arrive à «Gangrene», qui est le haut-lieu de l’Oops, il traite sa gangrène à l’insidieuse du heavy rock rundgrenien. Comme toujours, c’est effarant de présence.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio parue en 2018, The Individualist: Digressions Dreams and Dissertations. Ouvrage fascinant à bien des égards, Edgard. La couve reprend le visuel de pochette de l’album du même nom paru en 2011 et sur lequel on reviendra dans un Part Two. La première approche du book laisse une impression désagréable, car il est imprimé sur un couché brillant et pèse donc une tonne. Puis on découvre la structure du contenu, et là, c’est l’inverse, on tombe en extase. Rundgren a choisi de raconter sa vie d’une manière extrêmement originale : 180 textes courts (une page chacun) en forme de contes moraux psychédéliques, chacun d’eux assorti d’une chute qui donne à réfléchir. Le tout suivi de 50 pages de photos à la fois rock et personnelles, la plus importante étant la dernière qui montre Todd, sa femme Michele et leurs quatre gosses. Ils sont photographiés au paradis, c’est-à-dire à Kauai, une île de l’archipel d’Hawaï, où Todd a décidé d’installer sa famille. On comprend à la lecture de cet ouvrage remarquable que Todd Rundgren est un homme qui a réussi sa vie, à la fois sur le plan personnel et sur le plan artistique. Les messages qu’il transmet valent bien ceux du Dylan de Chronicles. Le Wizard A True Star qu’il nous proposait en 1973 prend ici toute sa résonance. Ça valait le coup d’attendre 50 ans.

             Les 180 contes moraux psychédéliques sont pris en sandwich entre deux textes alarmants de véracité littéraire : ‘a note about form’ et ‘epilog’. Dans sa façon d’appréhender cet exercice consistant à raconter la vie, il rivalise d’acuité janséniste avec ces champions de l’introspection que sont Georges Perros, Cioran et Paul Valéry. Rundgren attaque ainsi : «On m’a demandé d’écrire mon autobiographie, et j’ai pris cette demande en considération quand j’ai réalisé que si je ne le faisais pas, quelqu’un d’autre l’aurait fait à ma place et le résultat ne m’aurait pas convenu. En réfléchissant à ce projet, je me suis dit que cet exercice pourrait être divertissant, et comme ça ne remettait rien en cause, je me suis mis au travail, j’ai commencé à rassembler des souvenirs et à écrire ce qui m’était arrivé. J’ai très vite compris que je ne pouvais pas organiser ce fatras sans un minimum de discipline. Apprends à te connaître.» Et dans l’épilogue, il apporte un autre éclairage fondamental : «J’essayais toujours de trouver un équilibre entre ce que je voulais dire et les révélations qu’on attendait de moi.»

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Les textes consacrés aux grands artistes qu’il a côtoyés sont bien sûr fantastiques, mais plus fantastiques encore sont ceux qu’il consacre à ses souvenirs de globe-trotter en Asie, notamment aux Indes. Cet auteur extraordinaire récrée à sa façon le mystère terrible qui plombe La Route des Indes, ce film de David Lean tiré d’un roman d’E.M. Forster. Rundgren voyage en deux roues et séjourne dans les grandes villes, Delhi, Gaia, et Calcutta : «Je réalise que ne fais qu’effleurer la surface de ce grand mystère qu’est l’Inde. Deux semaines après mon retour du Népal, je suis fasciné et épuisé. Mon cerveau ne peut en absorber davantage. J’étais fou de croire que je pouvais trouver une aiguille spirituelle dans une meule de foin aussi gigantesque.» En quatre ligne, il donne sa version du mystère de l’Inde. Plus loin, il nous refait le même coup avec le Japon. Quatre lignes : «Le Japon est comme le Japon. Aucun endroit au monde ne ressemble au Japon. Tous les événements étranges qui lui sont arrivés en ont fait un pays unique au monde. L’isolation, l’incroyable confluence de beauté naturelle, la cohésion culturelle... et les bombes qu’on leur a balancées. On ne pourrait imaginer un pays plus parfait.»

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Ce sont aussi les chutes des textes qui font le charme ensorcelant de l’ensemble. Rundgren réédite l’exploit 180 fois. Et chaque fois, c’est pertinent. À une époque, il fait partie pendant trois mois du All Stars Band de Ringo avec Joe Walsh, Dave Edmunds et Nils Lofgren. Voilà donc la chute de ‘Vegas’ : «Chaque musicien professionnel a une dette karmique envers les Beatles. Sans eux, la plupart d’entre-nous ne seraient pas devenus musiciens. J’ai payé ma dette pendant ces trois mois, ce qui me met en tête de 99% des musiciens encore en vie depuis 1964. Ça ne veut pas dire que j’irai brûler un cierge en souvenir des Beatles. Ça veut juste dire que je me suis débarrassé de ce gros scarabée (Beatle) qui était sur mon dos.» Dans un texte assez fulgurant sur l’écriture, ‘Writing’, Rundgren chute ainsi : «On est des choses qui font des choses. (...) On fait des choses. On les fait apparaître. On pourrait croire que l’univers voudrait nous en empêcher. Pas vraiment. La stupidité des autres est une balise sur le rocher du désastre. La connaissance circule en dépit de l’ignorance du messager. L’école pue massivement et pourtant j’ai appris à écrire, grâce à mon caractère vindicatif.» Rundgren peut parfois paraître un peu hermétique, mais quand on relit, on découvre une sorte de sens caché. En bon moraliste psychédélique, il demande une attention particulière. Sa musique est d’un abord plus direct. Mais dans les deux cas, on sent la présence d’une vive intelligence. C’est pour ça qu’on là, pour boire à la source.

             Il relate son enfance et évoque ses parents dans une première série de textes. Rundgren prend très jeune sa liberté. Il quitte la maison familiale en banlieue de Philadelphie pour s’installer en ville et y mener la vie de bohème. Il rappelle au passage que Philadelphie a toujours été a music town, grâce au label Cameo-Parkway et à Chubby Checker. Avec ses copains Randy et Collie, il monte un premier groupe. Ils bossent sur Rubber Soul et Shapes of Things qui viennent de paraître. Right time in the right place - And the Stones had the first fuzz-tone driven #1 record with Satisfaction and every thing began to change - Puis Rundgren rencontre le batteur Joe DiCario. Quand Woody’s Truckstop propose à Joe de battre le beurre, il accepte à condition que Todd soit aussi intégré comme guitariste. C’est ainsi qu’il entame son voyage au pays magique du rock. Le bassman du Truckstop n’est autre que Carson Van Osten. Todd et lui vont devenir potes, partager le même appart et monter Nazz - Lucky for me, Carson Van Osten, my first roommate, was really a saint - Quand ils débarquent à New York, ils se rendent au Paramount Theater pour assister au Murray The K show. Todd flashe sur Cream et les Who - Voir deux de vos plus grosses influences sur scène à l’adolescence est une expérience stupéfiante. Cream se pointait sur scène avec des afros - Le show est frustrant car Cream ne joue que deux cuts, et avec les Who, Todd en prend plein la vue, car chacun des quatre Who est un spectacle à part entière, il ne sait pas lequel il faut regarder - And they essentially destroyed themselves onstage (several times a day!) - Personne ne pouvait jouer après eux. C’est là où Todd diverge avec le Truckstop qui louchait sur la West Coast. Todd louchait sur les Anglais - I did not want to be a hippy - Je voulais être Anglais. L’ironie de l’histoire, c’est que j’ai plus appris du rock et de la façon dont on le joue avec les Who, en 5 minutes, que des autres musiciens blancs qui pillaient généralement la musique noire. This I could do - Il pousse son anglophilie jusqu’à aller s’habiller chez Granny’s à Londres. Il rencontre ensuite le batteur Tom Mooney et Stewkey. Le groupe s’appelle The Nazz en hommage aux Yardbirds (B-side du single «Happenings Ten Years Time Ago») et ils tapent un son que Todd situe entre les Who et les Beatles - All harmonies and windmills - Nazz explose très vite et Columbia Screen Gems les signe. Ça embête Todd de se retrouver sur le même label que les Monkees, mais il est ravi d’apprendre que Screen Gems a un deal de distribution avec Atlantic, «ce qui offrait l’opportunité  de rencontrer et de travailler avec Ahmet Ertegun, a real legend.» Ils enregistrent leur premier album à Los Angeles. Todd flashe sur le Sunset Strip, «a glowing snaking river of hair and glitter, music and sex and drugs, which we had no problem acclimating to.» La Californie commence à exercer une réelle fascination sur lui : «Je n’avais aucune référence en tête quand j’ai découvert la West Coast. J’ai été facilement intoxiqué. West was warm, East was cold. West was new, East was old. West was easy, East was hard. Ce n’est pas comme si j’avais perdu ma passion pour les racines anglo-saxones de la culture de la côte Est, dont les groupes anglais étaient le pinacle.» Puis les choses se dégradent au sein de Nazz. Lors de l’enregistrement du deuxième album, Todd impose ses chansons et ça ne plaît pas autres. Carson quitte le groupe et devient graphiste. Puis Todd s’aperçoit que le manager Kurkland manipule les deux factions. Alors il quitte le groupe. On reviendra sur Nazz et les trois extraordinaires albums dans un Part Two.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             À l’époque de Nazz, Rundgren est déjà sous l’influence de Laura Nyro. Il lui rend un fiévreux hommage dans un texte qu’il intitule ‘Laura’. Il dit qu’à l’écoute d’Eli & The 13th Confession, il est tombé sur le cul - I was knocked completely on my ass. I fell in love with the record, I fell in love with her - Il se met à composer au piano. Il réussit même à la rencontrer au Dakota - l’immeuble où vivra plus tard John Lennon - et se dit surpris qu’elle ne corresponde pas à l’image romantique qu’il avait d’elle - Elle était assez massive, avec des sourcils très noirs, fringuée comme une gitane et elle parlait d’une voix lente, quasi-inaudible. Elle avait les ongles trop longs qui se courbaient et qui cliquetaient sur les touches quand elle jouait du piano - Un jour, elle propose à Rundgren le job de bandleader, mais il doit refuser par loyauté pour Nazz dont il fait encore partie au moment de cette rencontre. Et voici la chute, extraordinaire comme toutes les autres : «Laura Nyro et moi n’étions pas faits pour être ensemble. Elle devint mère, féministe, lesbienne, artiste marginalisée, recluse et finalement victime d’une maladie. Cependant, jusqu’à aujourd’hui, ma première approche de sa puissante expression musicale demeure aussi vive qu’une récente épiphanie.» Cette page consacrée à Laura Nyro, un amour artistique de jeunesse, est l’une des plus belles apologies de la nostalgie. Chez Rundgren, une page peut suffire. Pour exprimer sa mélancolie nostalgique, il faut à Stendhal la distance d’un petit roman. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Laura Nyro refait surface un peu plus loin. Elle contacte Todd pour lui demander de produire un album. Ils commencent par bosser sur «To A Child». Mais Todd trouve que l’ambiance dans le groupe de Laura n’est pas bonne - Vitesse de l’escargot et indécision - aussi quitte-t-il le projet. Il réalise à quel point Laura et lui sont devenus différents. Il voit la passion de Laura refroidir alors que lui voit la sienne grandir, il voit l’univers musical de Laura se ratatiner, alors que lui devient un soul-singer et qu’il se décomplexe. C’est extrêmement fin, extrêmement juste dans la formulation. Ses mots sonnent comme ses notes, juteux et capiteux. Ah il faut le voir conclure le texte consacré au Max’s : «Tout historien objectif devrait pouvoir affirmer que les années 70 ont détrôné les autres décades. Il y avait tout : war, sex, drugs, prog rock and disco, stacks of Marshals and Max’s Kansas City. Il est probable que chaque époque et chaque ville proposait un lieu de prédilection pour l’intelligentsia, l’artiste, le voyeur et l’exhibitionniste, il existait peut-être un équivalent du Max’s dans chaque showbiz town, dans les années 70, but this is after all New York Fucking City.» Il rend aussi hommage à Hunt et Tony Sales qui joueront avec lui sur ses premiers albums solo et qui par la suite rejoindront Bowie dans Tin Machine. C’est dans un club de la 46e Rue, Steve Paul’s The Scene, que Todd rencontre Hunt & Tony Sales, «sons of Soupy» - Je n’ai jamais su me lier avec les gens austères. Ils n’ont jamais compris que je ne prenais quasiment rien au sérieux. Ce qui m’attirait le plus chez les Sales brothers, indépendamment de leur talent de musiciens, c’était leur sens de l’humour, hérité de leur père - Il leur propose le projet Utopia : a space-age concept band avec des space-suits et des cheveux colorés.

             Les drogues ? Parlons-en ! Il évoque avec gourmandise le souvenir d’une boîte à chaussures remplie de boutons de peyotl - That (hint hint) would make an ideal birthday gift even now - Todd ne jure que par le peyotl - I was deliciously mescalinated - Plus loin, il finit par réaliser que le peyotl est une drogue sacrée et un outil d’élévation de la conscience. Il conclut ’Candy’ ainsi : «Les drogues, c’est une boîte de chocolats. Vous avez l’idée. Vous pouvez décider de ne manger que les arachides enrobées de chocolat et jeter le reste de la boîte. Alors votre vie ne tourne plus qu’autour des arachides enrobées. Rien d’autre ne vous intéresse.» Par contre, il n’apprécie pas la coke, dont il voit les effets sur les autres. Quand il enregistre Something/Anything, il tourne à la ritaline - L’album est devenu un double album dont le seul concept était la prolixité. J’ai vraiment dû m’obliger à stopper - Merci la ritaline !

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Il rend aussi hommage à Wolfman Jack, «the howling renegade of the airwaves». Quand il le rencontre, Todd dit se trouver en présence d’une légende. Il lui consacre d’ailleurs un cut en forme d’hommage sur Something/Anything. Il dit aussi préférer les Beatles aux Stones dont il aimait pourtant les premiers albums, mais qui selon lui, ont évolué comme des «naughty middle-aging schoolboys. Il revient aussi sur Badfinger et l’album qu’il est venu sauver, et comme il ne veut pas que ça continue de s’enliser, il dicte sa loi, ce qui ne plaît pas aux Anglais. Pourtant, l’album est un succès et dans l’histoire, Todd dit avoir gagné une nouvelle réputation : «The Fixer». Il fait claquer du fouet et dit faire gagner du blé au label - Might I on occasion abuse that authority? Probably - Todd Rundgren est bourré d’humour. Plus loin, il se dit ravi de sa rencontre avec Grand Funk Railroad, lorsqu’il est allé produire We’re An American Band dans le Michigan - Je fus agréablement surpris de voir à quel point ils étaient ouverts, mais aussi de voir à quel point ils avaient progressé en développant un style de compo plus performant - Il ne manque plus que les Dolls. Justement, les voilà. Ah cette façon qu’il a d’amener le sujet ! «On me proposa de produire un groupe qui s’appelait les New York Dolls et qui était la patate chaude du so-called punk movement, mais qui ne devait pas encore s’appeler punk. Comme on traînait tous au Max’s, on se connaissait de vue. Je n’étais pas très excité par ce qui ressemblait à un clin d’œil aux Stones in drag, mais ils étaient bien plus excitants que le reste des groupes in drags qui écumaient alors la scène locale.» C’est comme si on y était. En une seule page, Rundgren nous retapisse le mythe des Dolls. Il y va de bon cœur : «Johnny Thunders, le Keith Richards du groupe, devait préparer un doctorat en morosité qui a dû grandement contribuer à l’élaboration de son fameux style de guitare, mais c’est sa coupe de cheveux qui le représentait le mieux.» Quand l’album a été remixé et mastérisé alors que les Dolls faisaient le fête ailleurs, Rundgren dit que «personne à l’époque n’a réalisé que le son ne représentait qu’une moitié de leur total recorded output.»

             Voilà, c’est un minuscule aperçu. Les fans de Todd Rundgren se régaleront autant que les fans de Dylan avec Chronicles. C’est du même acabit. Sans doute l’un des ouvrages majeurs de la culture rock. Au dos du book, Todd porte toujours les cheveux longs, des lunettes noires et un pull noir à cocarde, probablement en souvenir des Who. A True Star

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    The Studio Wizardry Of Todd Rundgren. Ace Records 2022

    Todd Rundgren. A Wizard A True Star. Bearsville Records 1973

    Utopia. Another Live. Bearsville 1975

    Utopia. Ra. Bearsville 1976 

    Utopia. Oops! Wrong Planet. Bearsville 1977

    The Pursuit Of Happiness. She’s So Young. Chrysalis 1988

    Todd Rundgren. The Individualist: Digressions Dreams and Dissertations. Cleopatra 2018

     

     

    L’avenir du rock - Anagonda

     

             Chaque année, l’avenir du rock reçoit une invitation pour participer au Conclave des anges de miséricorde qui se tient dans une vaste crypte jadis creusée sous l’aide droite du Palais du Vatican. C’est une manifestation apocryphe dont les pontes se lavent les mains. Son seul but est de préserver ce que les théosophes appellent une sous-couche d’œcuménisme, qui prend la forme d’un courant d’idées adaptées à l’universalisme culturel. Chaque fois qu’il relit le manifeste du Conclave des anges de miséricorde, l’avenir du rock s’endort. Et pourtant, il accepte chaque année l’invitation, car c’est l’endroit rêvé pour sortir des sentiers battus et croiser l’impromptu. Il a chaque fois l’impression d’entrer dans le cabinet de curiosités du Docteur Moreau. Chaque intervenant vient en effet témoigner sous serment, du haut d’une antique tribune en bois sculpté, de la présence d’un ange sur cette terre. Au cours des années précédentes, Wim Wenders a révélé la présence d’un ange perché sur les toits berlinois, l’ange Damiel, et comme on lui demandait d’apporter la preuve de ses dires, il tourna Les Ailes Du Désir en caméra vérité. Abel Ferrara a surpris tout le monde en affirmant qu’il avait vu un ange sortir de la culotte d’Asia Argento, et comme on lui demandait d’apporter la preuve de ses dires hautement répréhensibles, il tourna New Rose Hotel. De son vivant, Pasolini était venu révéler qu’un ange nommé ‘le visiteur’ avait baisé toute une famille bourgeoise milanaise, du père à la mère, en passant par la bonne, les rejetons et le petit lévrier. Sommé d’apporter la preuve de ses dires sulfureux, Pasolini tourna Théorème et fit un beau scandale. Conforme à sa réputation d’extravagance, Ginger Baker vint déclarer qu’il était un ange. Sommé d’apporter la preuve de son outrecuidance, il publia son autobiographie : sur la couverture, il portait effectivement des ailes, et chacun referma son caquet. Kevin Smith vint révéler qu’il connaissait personnellement deux anges déchus cherchant à regagner le paradis. Sommé d’apporter la preuve de ses dires blasphématoires, il tourna Dogma. Quand l’avenir du rock est monté à la tribune révéler qu’il avait vu de ses yeux vu un ange noir, un immense brouhaha s’éleva de l’assistance.

             — Noir ? Vous êtes certain qu’il était noir ? Vous risquez l’excommunion !

             Alors l’avenir du rock leva les bras au ciel et fit descendre un petit ange noir équipé d’une guitare.

             — Messieurs les membres du tribunal ecclésiastique, permettez-moi de vous présenter l’ange Jalen Ngonda ! 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             L’avenir du rock ne raconte pas que des conneries. L’arrivée sur terre de Jalen Ngonda ressemble à peu près à ce qui s’est passé dans la crypte du Conclave des anges de miséricorde.

             Rouen, 2023. Tu le vois arriver sur scène et tu te dis :

             — Oh la la...

             — Oh la la quoi ?

             — Ben oh la la. C’est ce qu’on dit quand ça va pas, non ? Enfin regarde-le, il n’a aucune chance, petit black en T-shirt bordeaux et jean noir bien serré à la ceinture, fragile et presque nu, comme s’il débarquait d’un vaisseau négrier, il y a de cela deux ou trois siècles, ne comprenant rien aux ordres qu’aboient les blancs qui puent et qui fouettent et qui violent. Il tombe des nues en Normandie. Il entre sur scène et va chercher une guitare posée là-bas, près de l’ampli. Ah non, c’est pas vrai ! Une Rickenbacker, comme celle de Pete Townshend ! Il ne va quand même pas nous jouer «My Generation» ! On ne sait même pas comment il s’appelle. Il est tout seul, paumé au milieu de la scène, avec une petite bouteille d’eau. Il va se faire bouffer ! C’est pas possible, une telle fragilité ! Et puis il sourit et demande aux blancs si ça va bien. You’re okay ? Il aurait sans doute dit la même chose en débarquant du vaisseau, voici deux ou trois siècles. Waka donga ? Ça va bien ? Son seul bien est son sourire. Il a sans doute le plus beau sourire du monde. Et là il commence doucement à fasciner. Mais tout doucement. Seconde après seconde. Ce n’est pas une question d’être attiré par les hommes, non, ce n’est pas ça du tout. C’est le simple fait d’être le témoin d’un moment de grâce extrêmement fugitif et complètement inattendu. Mais ça, c’est que dalle par rapport à ce qui va suivre.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

    Il gratte sa clairette sur la Ricken, cling clong, et soudain, il se met à chanter. Il y a plus de grâce dans ce petit black qu’il n’y en eût dans toute ta Renaissance italienne et tous tes peintres, Horatio, tes Botticelli et tes Fra Angelico peuvent aller se rhabiller, car le prince du ciel, c’est ce petit black sorti de nulle part. Il joue en première partie de Thee Sacred Souls et on commence à trembler pour les pauvres Sacred Souls, car le mystérieux archange black tombé des nues est en train de leur voler le show. Il chante la Soul la plus pure qu’on ait entendue depuis l’âge d’or de Marvin, d’Al Green, de Curtis et d’Eddie Kendricks. Il chante en grattant sa clairette de Ricken et c’est un spectacle hallucinant. Il gratte des progressions d’accords et des transitions d’un raffinement qui te laisse comme un rond de flan, si tu connais un peu la gratte. Le public ne s’y trompe pas et l’applaudit à tout rompre, à la fin de chaque chanson.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

    C’est complètement inespéré d’avoir sur scène un jeune black aussi balèze, aussi pur et aussi nu. Il est à l’image de son bras droit, dénudé jusqu’à l’épaule : nu et gracieux. Il cumule les deux fonctions essentielles de la Soul : la pureté et le power. Lorsqu’il grimpe au chat perché, il le fait avec tout le black power dont il est capable. C’est extrêmement rare d’entendre ce mix, habituellement, les dieux de la Soul réservent ce privilège aux superstars. Alors peut-être que ce petit archange tombé des nues est une superstar inconnue. C’est dôle, on voit pas mal de superstars inconnues ces jours-ci en Normandie : l’autre jour on avait le gros Malcolm Cluzo, puis on a eu Thomas Gatling des Harlem Gospel Travelers, et maintenant voici le petit archange black, l’héritier direct de Marvin Gaye.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Il s’appelle Jalen Ngonda. Ou N’Gonda. C’est comme on veut. On retrouve son nom après coup sur la prog. On découvre dans la foulée qu’il a des singles auto-édités et un single sur Daptone. Fuck ! Gabe l’a repéré ! Il l’a de toute évidence trouvé sous le sabot d’un cheval, comme il avait trouvé Sharon Jones. Il vient de lancer sa nouvelle superstar ! Sur scène, tous les cuts de Jalen Ngonda sonnent comme des numéros de funambule. Il propose une dentelle de Soul d’une extravagante délicatesse, il va chercher des intonations séraphiques au fond de son imagination et semble cultiver le dodécaphonisme chromatique sur sa Ricken. Même en fouillant dans les milliers de souvenirs de concerts stockés dans cette éponge qui nous sert de cervelle, on ne se souvient pas d’avoir vu un artiste aussi outrageusement sophistiqué. Et donc on s’en émeut. Comme dirait Léon Ferré, on fait partie de la race ferroviaire qui regarde passer les trains. Meuhhh !, s’émeut-il. L’un des hommages que rend notre héros tombé des nues s’adresse à Etta James, avec une cover de «My Dearest Darling».

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Comme il n’a pas de merch, on déclenche dès le lendemain les opérations de rapatriement. Le single Daptone paraît sans pochette. L’A-side s’appelle «Just Like You Used To» et te voilà en plein Curtis Mayfield ! L’archange black chante d’une voix admirablement tranchante qui devient onctueuse dans les montées. C’est un géant en devenir, une vraie révélation, une suite de l’histoire, on entend même un solo de sax, Daptone le gâte ! Il est vraiment perçant, il a largement de quoi percer. La B-side s’appelle «What A Difference She Made». Avec un backing-band, c’est très différent de ce qu’on a vu sur scène, il a du beurre, du bassmatic et du keyboarding. Il se faufile dans le chant pur de la Soul, lubrifié par des chœurs doux de filles attentives. C’est encore du pur jus de Curtis Mayfield, de l’authentique inesperette d’Espolette. Tu n’en reviens pas d’entendre un mec aussi brillant. Non seulement il groove entre tes reins, mais il monte en puissance d’une façon extravagante. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             On trouve aussi sur le marché deux CD singles, un titre chacun, ce qu’on appelle des self-released, «Why I Try» et «I Guess That Makes Me A Loser». Vilaine déconvenue. On perd complètement le fantôme de Curtis. Le premier est un heavy groove de r’n’b qui donne une idée de ce que peut devenir le son du petit archange black, une fois qu’il aura perdu la pureté évangélique de sa nudité.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

    Les deux cuts sont très orchestrés, surtout «I Guess That Makes Me A Loser». L’orchestration outrancière tue la nudité dans l’œuf. Le petit archange black est recouvert de son. Du coup, il sonne comme un artiste à la mode.          

    Signé : Cazengler, ngondale à Venise

    Jalen Ngonda. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2023

    Jalen Ngonda. Just Like Tou Used To/What A Difference She Made. Daptone 2022

    Jalen N’gonda. Why I Try. (Jalen N’Gonda self-released) 2017

    Jalen N’gonda. I Guess That Makes Me A Loser. (Jalen N’Gonda self-released) 2018

     

    Inside the goldmine

    - A Question Mark of Temperature

     

             On l’appelait Marée-basse parce qu’il semblait toujours à plat. Sans énergie. Toujours à se gratter un front qu’il avait haut, sans doute à cause du cheveu rare. Un cheveu cependant très noir. Il ne souriait jamais. Il ne parlait que pour se lamenter. Il regardait ses interlocuteurs avec une sorte de moue distanciatrice, l’expression idéale pour tuer la convivialité dans l’œuf. On découvrit tout cela à l’usage. Marée-basse fut engagé comme messager. Il s’acquittait fort bien de sa mission, veillant à ne jamais prendre de risques. Il gagna petit à petit la confiance de l’équipage et fut d’une certaine façon intégré. Il tendait l’oreille lorsqu’on partageait des infos un peu sensibles, mais quand on se tournait vers lui, il mimait du doigt le «muet comme une tombe» pour nous rassurer. On s’est longtemps posé la question : que cherchait Marée-basse ? Pourquoi fréquentait-il des gueux comme nous ? Il ne participait jamais aux expéditions, mais il acceptait sans rechigner d’aller porter des sacs d’or espagnol aux espions qui nous renseignaient dans les ports. Nous ne savions rien ou presque de sa vie d’avant. Il parla vaguement un soir d’une épouse et d’un château quelque part sur la côte normande, mais rien de très précis. Les raisons pour lesquelles il avait comme nous tous largué les amarres lui appartenaient. Il allait probablement emporter son mystère dans sa tombe. Il ne participait pas aux libations. Il refusait d’aller taquiner la courtisane dans les tripots de l’île où nous faisions escale pour panser les blessés et regarnir l’équipage. Marée-basse restait sur la plage à contempler le ciel étoilé. Lorsque la Royal Navy entreprit de nettoyer les Caraïbes pour protéger le commerce maritime, ce fut la fin. Ceux qui n’avaient pas été envoyés par le fond durent contourner l’Afrique pour aller se réfugier dans l’île de Mada. C’est là qu’on revit Marée-basse. Il s’était installé dans un petit fortin avec des femmes indigènes. Il avait autour de lui sa progéniture, une cinquantaine de petits Marée-basse métissés qui, comme lui, portaient des lunettes de fortune. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Pendant que Marée-basse engrossait les femmes indigènes sous les tropiques, Rudi Martinez inventait le gaga sixties à Detroit. Ce n’est pas exactement le même destin, mais ils ont un petit quelque chose en commun : l’unicité. Marée-basse et Rudi Martinez, plus connu sous le nom de Question Mark, sont des êtres uniques et des mystères. D’où Question Mark & The Mysterians.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Dans Uncut, Jim Wirth se régale avec la mystérieuse histoire des Mysterians, «naive, sci-fi crazy, Mexican-American youngsters originaires d’un blue-collar backwater à deux heures de route de Detroit» et qui en 1966, ont sorti «96 Tears», le single qui s’est le plus vendu aux États-Unis, aussitôt après le «California Dreamin’» des Mamas & The Papas. Un million d’exemplaires. Cry Cry Cry. Wirth est un drôle d’oiseau car il clôt sa krô ainsi : «Read between the lines and you’ve got a novel». La mystérieuse histoire des Mysterians aurait dû intéresser Harold Bronson.

             Le mystérieux Vox Continenal wizard s’appelle Frankie Rodriguez et le mystérieux guitariste Bobby Balderrama. Il est toujours d’actualité, quasiment soixante ans après la bataille. Wirth lui tend le micro. Balderrama déballe tout. Il raconte que les mystérieux Mysterians ont démarré en trio avec Larry Borjas et Robert Martinez, le cousin de Question Mark. Ils jouaient des instros des Ventures et de Duane Eddy. Donc pas des manchots. Puis ils cherchent un chanteur et Roberto annonce que son frère chante. So we got Rudy in. Il ajoute : «He could dance like a gilr and do the splits.» C’est en voyant le Dave Clark Five à la téloche qu’ils décident d’ajouter un keyboard. So we got Frankie Rodriguez in. 14 ans. Le Vox Continenal wizard est encore au collège. Balderrama n’est pas beaucoup plus vieux : 15 ans. Ils enregistrent «96 Tears» et leur vie bascule. Mais ils ne parviennent à rééditer l’exploit, même s’ils ont du son sur leur deuxième album, Action. Et quel son ! Balderrama évoque aussi un troisième album des Mysterians enregistré sur Tangerine, le label de Ray Charles, et resté inédit. Et quand Wirth lui demande s’ils avaient des contacts avec les Stooges et le MC5, Balderrama dit que non, parce qu’ils sont de Detroit et que les Mysterians sont de Saginow.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Dans Shindig!, Fiona McQuarrie va encore plus loin : elle affirme que les Mysterians «lit the fuse beneath garage and punk-rock». Eh oui, ça saute aux yeux, les Mysterians sont les premiers punksters du Michigan. Dans Creem, Dave Marsh emploie pour la première fois le mot punk en évoquant les Mysterians. McQuarrie tend elle aussi son micro à Bobby Balderrama. Il répète son histoire. Le trio des débuts, the guitar stuff. In the garage. Quand Larry Borjas et Robert Martinez partent à l’armée, ils sont remplacés par Eddie Serrato (beurre) et Frank Lugo (basse). Balderrama indique que «96 Tears» naquit d’une jam, too many teardrops. Ils trouvent un joli titre : «69 Tears» qu’ils transforment en «96 Tears» pour éviter les problèmes, déjà qu’ils sont chicanos. Ils enregistrent «96 Tears» sur un quatre pistes chez un mec de Bay City et les DJs de Detroit commencent à le passer à la radio. Ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd : Neil Bogart qui bosse pour Cameo-Parkway rachète les droits, et boom ! Diffusion nationale ! Number one en 1966. Puis Bogart leur fout la pression, tente de les arnaquer et les Mysterians se fâchent avec lui. En représailles, ils sont virés de Cameo. C’est pourquoi ils vont à Los Angeles enregistrer le fameux troisième album qui n’est pas sorti. Alors ils se découragent. Split. 

             Tout le monde va reprendre «96 Tears», de Music Machine à Music Explosion, en passant par Ola & The Janglers, Jimmy Rudffin, Aretha, les Prisoners, Eddie & The Hot Rods et les Cramps qui y font allusion dans «Human Fly».    

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             On a tous possédé à l’époque le bel EP français à pochette blanche, avec «96 Tears» d’un côté et «I Need Somebody» de l’autre.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

    Il existe aussi un album du même nom, l’excellent 96 Tears paru sur Cameo en 1966. Même si on connaît tous ces hits par cœur, ça reste un plaisir que de sortir l’album de l’étagère et de se rincer l’oreille avec l’«I Need Somebody» d’ouverture de balda, car Hey ! I need somebody to work it out ! Tout est là, c’mon help me ! Ça n’a jamais pris une seule ride. La fraîcheur des Mysterians est l’un des plus beaux mystères du XXe siècle. «Ten O’Clock», «8 Teen» et «Don’t Tease Me» sonnent comme des classiques, ils n’en finissent plus de nous entourlouper avec leurs boucles d’orgue. Ils tapent un «Midnight Hour» à la ramasse de la traînasse et bouclent ce bel album avec le morceau titre, too many teardrops/ For one eye/ To be cried, l’absolute watch out now, le hit sixties par excellence, you’re gonna cry ninety six tears/ Cry cry cry now.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Leur deuxième album paraît en 1967 et porte le joli nom d’Action. Ça démarre sur le fantastique gaga d’orgue de «Girl (You Captivate Me)». On a là les fondaisons du soubassement de l’heavy gaga d’orgue, c’est bourré d’écho et de magie rudimentaire, mais boy, oh boy, quelles bouilles ils ont les chicanos ! On reste dans le génie gaga pur avec «Can’t Get Enough Of You Baby», monté sur la séquence d’orgue de «96 Tears», mais Gawd, comme c’est good. On retrouve les mêmes petits encorbellements d’insinuation interstellaires. Avec «Get To», on les voit aller chercher l’ersatz de placo à partir de petites séquences d’irrévérence, avec une absence totale de prétention. Ils sont vraiment les seuls au monde à sonner comme ça. Ils bouclent l’A avec le «Shout» des Isleys et ça donne au final un bon rendu de rechampi. Ils attaquent leur B avec «Hangin’ On A String». Oh la belle basse au-devant du mimix petite souris. On peut dire qu’ils savent sucrer un contrefort. Ils connaissent tous les secrets de la masse volumique. Tu ne battras jamais un cut comme «Smokes» à la course, I say hey ! Toutes ces compos d’allure certaine font un very big album, comme le montre encore «Don’t Hold it Against Me», cette soft pop de classe marky, superbe, fine et élégante.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             On retrouve tous les vieux coucous de Question Mark dans The Dallas Reunion Tapes - 96 Forever, un double album ROIR de 1985. Ils attaquent avec «Don’t Tease Me», classicus cubitus, tension maximale, Chicano fever forever ! Awite Dallas ! Rudi chauffe son «Ten O’Clock» à blanc et il attaque sa B avec «You’re Telling Me Lies» qui préfigure tout le gaga du monde. Ça monte comme le «19th Nervous Breakdown» des Stones - You put me down/ Stop make me cry - suivi du pur genius d’«I Need Somebody». Rudi fait les présentations : «Mr Bobby Balderrama on guitar !». Il continue en C et profite de «Midnight Hour» pour présenter son cousin : «Mr Robert Martinez on drums !». En D, il attaque «96 Tears» - Mr Frank Rodriguez on keyboards ! - le thème reste magique, il illustre l’essence même du rock, frais et juste, juteux et élégant - I’m gonna get there/ We’ll be together/ For a little while - Les Chicanos balancent fantastiquement. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             En 1998, Norton a eu l’intelligence de faire paraître un album live de Question Mark, l’indicible Do You Feel It. Rien qu’avec la pochette, tu es comblé. Visuel gaga pur, avec Rudi Martinez en pleine action. Ils attaquent avec l’excellent «Do You Feel It», ça swingue, et ils passent à «Smoke», ce gros shoot de gaga têtu tiré du deuxième album. Ça explose enfin avec «Can’t Get Enough Of You Baby», monté sur la boucle de «96 Tears». Il y a de la magie dans cette façon de sonner. Ils bouclent leur balda avec «I Need Somebody», la B-side du single magique «96 Tears». Back to 66, hey ! Awite, Rudi y va, c’est l’un des grands awiters de need somebody. Pur genius - I need somebody/ To work it out - En B, ils reviennent au heavy groove avec «Get To» et juste ce qu’il faut de chant. Encore du pur jus de gaga sixties avec «10 O’Clock», tiré du premier album, un peu de réverb pour faire bonne mesure, solo classique à la traînasse, c’est excellent, insidieux à souhait. Ils attaquent la C au «Don’t Tease Me», apanage du gaga beat d’orgue pur. Et pour bien monter en température, ils tapent dans «96 Tears», le classique définitif. Encore un autre classique définitif en D avec «‘8’ Teen», têtu est flamboyant. Voilà le real deal. Rudi Martinez fait encore la une de l’actu avec «Don’t Break This Heart Of Mine». Awite ! Il  est dessus. C’est violemment bon, extrêmement Marky, fast beat et nappes d’orgue rudimentaires. Tu as tout le son des sixties.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Quelle grave erreur ce serait de faire l’impasse sur ce More Action paru en 1999 ! Les petits Chicanos n’ont jamais été aussi bons que sur ce retour de manivelle. Ils démarrent d’ailleurs par une cover de DMZ, «Don’t Give It Up Now» qui balaye tout le reste du wild gaga, et Robert Lee Balderrama claque l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. S’ensuit un «Feel It» qui te pulse bien entre les reins. Ils fabriquent du mythe à l’état pur, toujours avec le même son, mais avec une énergie démesurée. Ils te donnent tout l’or du Rhin que tu peux espérer, alors te voilà riche. Tiens, voilà «96 Tears», comme par hasard sur le Pont des Arts, ils jouent ça à l’insistance fatidique, too many tear drops to carry on, hit fatal entre tous, l’énergie de l’Amérique, ces petits mecs ont fait danser le continent, all this cryin’, c’est aussi pur que Dylan, to carry on. Et Balderrama continue de bourrer sa dinde avec «Girl (You Captivate Me)», il fait son fuzz wiz, il arrose les c’mon de purée, trente ans plus tard, c’est toujours aussi explosif ! Ils ont cette profondeur de son ancrée dans le passé. Question mark & The Mysterians sont l’un des groupes américains les plus aboutis. Rudy Martinez chante admirablement bien son «Ain’t It A Shame», il met une pression terrible, poussé par Balderrama. Ils font même une cover de Suicide, «Cheeree». Là tu as tout ce que tu dois savoir sur les hommages. Rudy se prélasse dans le Suicide. Ces petits mecs sont incroyablement complets. Ils s’amusent encore comme des gamins avec le vieux groove d’«It’s Not Easy». On éprouve une réelle fierté à  les écouter. Ces petits mecs incarnent tout ce qu’on aime sur cette terre. Ils redéfinissent les frontières et tu as ce fou de Balderrama qui repart en maraude de wild carnassier. Les Mysterians sont tes meilleurs copains. Ils ne te décevront jamais, yeah yeah. Frank Rodriguez est toujours à l’orgue, Big Frank Lugo on bass et Bobby Martinez au beurre. Sur le disk 2, ils tapent une cover de «Sally Go Round The Roses», un cut signé Totor. Oh l’incroyable power des Chicanos ! Ils te swinguent ça vite fait. Ils ont tout le matos pour swinguer Totor, même la fuzz. Ces petits mecs sont habités par le diable Gaga, le pire de tous les diables. Ils perpétuent encore leur petite recette avec «Don’t Hold Against Me», ça groove et ça se lâche dans la clameur. Balderrama revient foutre le feu à «Do You Feel It», il joue en embuscade, ne frappe qu’à coup sûr et pouf, Rudy arrive comme Superman. Leur cover de «Satisfaction» vaut aussi le détour. Ils aiment bien les Stones, on voit qu’ils s’amusent, ils sont encore plus moites que Jag, c’est une belle cover, pure et dure. Balderrama fout encore le souk dans la médina avec sa grosse fuzz. Ils ramènent le riff de 96 Tears dans «Strollin’ With The Mysterians», une merveille d’instro avec le Balderrama en embuscade. Comme le Capitaine Conan, il frappe derrière les lignes, il joue là où on ne l’attend pas. Cet album étonnant s’achève avec la version Spanish de «96 Tears», c’est encore pire que la version originale, plus heavy, muchas lacrima, vive l’Espagne ! Avec un dernier sursaut d’espagnolade ! 

    Signé : Cazengler, Question Martini

    Question Mark & The Mysterians. 96 Tears. Cameo 1966

    Question Mark & The Mysterians. Action. Cameo 1967

    Question Mark & The Mysterians. The Dallas Reunion Tapes - 96 Forever. ROIR 1985

    Question Mark & The Mysterians. Do You Feel It. Norton Records 1998

    Question Mark & The Mysterians. More Action. Cavestomp! Records 1999

    Jim Wirth : ? & The Mysterians. Uncut # 301 - June 2022

    Fiona McQuarrie : Cry Cry Cry. Shindig # 127 - May 2022

     

    *

    En ces temps lointains, 1962, voici plus de soixante années, le rock français était en ses toutes premières années. L’on a estimé entre 1960 et 1963 entre trois et cinq mille le nombre de groupes créés, et disparus. Un feu de paille et une explosion sans pareille. Le service militaire et la guerre d’Algérie ont cassé bien des appétits de vivre et brisé bien des rêves de gloire et de réussite… De cette grande flambée il ne reste plus que des souvenirs dans des mémoires qui s’étiolent. Ceux qui ont survécu furent les chanteurs, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Dick Rivers…  Les groupes qui ne possédaient pas de chanteur ont été rayés de la carte. Je ne sous-entends pas qu’en règle générale les chanteurs n’étaient pas au top niveau. Non je parle de ce phénomène musical bien oublié : les groupes de rock instrumentaux. Plus qu’une mode ce fut un engouement.  

    Un phénomène étrange par chez nous, nous sommes dans un pays réputé pour ne pas avoir l’âme musicienne, oui mais il y avait Apache des Shadows qui suscita bien des vocations… Et puis ce nouveau son de la guitare électrique que les groupes de balloche commençaient à utiliser, qui intriguait beaucoup et qui caressait agréablement même les oreilles des adultes qui n’étaient en rien portés vers le rock’n’roll… Bref il y eut un appel d’air…

    Nous-mêmes, si ma mémoire ne nous trahit pas nous n’avons consacré qu’une seule chronique à un de ces groupes : les Mustangs. En voici une seconde dans laquelle nous nous intéresserons aux deux premières années (62-63) des Fingers.

     LES FINGERS

    Le mot Finguer sonne bien en français, on comprend qu’ils n’aient pas pas adopté sa traduction. Le choix du nom du groupe est assez clair : c’est avec les doigts que l’on joue de la guitare. Pour la petite histoire c’est Jean Greblin, leur directeur artistique chez Festival qui l’aurait proposé.

    Ils sont quatre : Jean-Claude Olivier ( guitare solo ), Marcel Bourdon ( guitare rythmique ), Yvon Rioland ( guitare basse ) et enfin le malheureux dont l’instrument n’est pas une guitare : Jean-Marie Hauser ( batterie ).

    Jean-Claude Olivier ( né en 1932 , pour mémoire Elvis en 1935) n’était pas inexpérimenté lorsqu’il a fondé les Fingers. Avait débuté dans la balloche, puis très vite dans les grands orchestres comme celui de George Jouvin, il finira par rentrer dans le cercle fermé des requins de studio. Amateur de jazz, la venue du rock ‘n’ roll qu’il définit comme une forme commerciale du Be-bop ne le surprend pas. Avec l’aide du pianiste et compositeur Jacques Arel il formera les Fingers, n’a-t-il pas déjà remplacé les guitaristes de groupes de rock en studio, sur le dernier disque des Chats Sauvages avec Dick Rivers par exemple. Par contre pour leur premier disque les Fingers ont eu besoin d’Armand Molinetti à la batterie qui avait joué avec les Chats Sauvages et les Aiglons…

    Le groupe a connu beaucoup de changements, Jean-Marie Hauser sera remplacés par Serge Blondie ; Yvon Rioland par Hermes Alesi ( ex Drivers ) puis par Hedi Kalafate ( ex Cyclone, ex Fantômes ) ; Marcel Bourdon cèdera la rythmique à Raymond Beau…

    Nous sommes dans un petit monde de musiciens aguerris qui se cooptent et se connaissent. Le groupe se séparera en 1965, Jean Greblin malade, Festival ne s’occupait plus d’eux. Ils resteront dans le métier, on les retrouvera derrière de nombreuses vedettes de Polnareff à Moustaki… Olivier fondera Robespierre son propre studio d’enregistrement à Montreuil, cité Rock. J’invite ceux qui veulent en savoir davantage à lire l’interview de Jean-Claude Olivier sur le site Guitares & Batteries dans lequel j’ai puisé sans vergogne.

    Premier EP (FY 2145) des Fingers, retournons la pochette et lisons : ‘’ Je crois avoir eu un véritable privilège pour une discophile. En effet j’ai été la première à écouter ces pages de la guitare que je viens ici vous présenter. Cet enregistrement remarquable m’a fait oublier le nombre trop grand de nouveaux groupes et m’a fait oublier que j’avais déjà écouté les Shadows. / Au nom de tous les jeunes, de tous les copains et copines qui aiment la qualité, je dis merci aux FINGUERS qui donnent enfin à la France ce qu’elle enviait tant à l’Angleterre : un groupe tel que les Shadows. Les FINGERS resteront certainement dans l’histoire du jazz français. Bravo. ’’. C’est signé Nicole Paquin. Un peu passée à l’as (de pique) Nicole Paquin aujourd’hui. Trop vite éclipsée par la vague yé-yé, n’y a pratiquement eu que le magazine JUKEBOX pour rappeler la saga de cette aventurière qui a essuyé les plâtres pour ceux et celles qu’elle avait précédées.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Le grand M… M (mystérieux) pour Madison, la danse qui au début de l’été 62 a tenté de supplanter le twist… le recto de la pochette fait la part belle à une danseuse montée sur scène en pleine exhibition madisonienne : surprenant pour un groupe instrumental cette voix féminine qui annonce le titre. Disons-le franchement, le Grand M est plutôt moyen, je me souviens très jeune avoir entendu un groupe de balloche interprétant une série de madisons beaucoup plus nerveux. L’on retiendra une belle sonorité de guitare et l’on fera semblant de ne pas avoir entendu la batterie un peu asthmatique. Pas de quoi sauter au plafond. Le chemin de la joie : beaucoup mieux, entraînant et beaucoup plus dansant. Faut tout de même réaliser une réadaptation auditive : le son des guitares est si aigrelet et cristallin qu’il faut oublier jusqu’à la possibilité de l’existence de la guitare fuzz. Pas cette chanson : une belle basse, mais je vous en prie écoutez plutôt la version chantée de Johnny Hallyday, ici la rythmique clapote un peu et la lead se prend pour un violon, larmoyant, on est loin de Ben E King, manquent l’influx et l’émotion. Les hommes joyeux : un peu twist, un peu western, dommage que la batterie charlestonne un peu au milieu, ce coup-ci la guitare se prend pour un banjo. Un peu disparate, mais agréable, donnent l’impression qu’ils sont sur la piste du rock ‘n’roll mais qu’ils ne parviennent pas à y mettre la guitare dessus. Cherchent la sonorité, alors qu’ils devraient trouver le son.

    Si vous n’avez pas ce microsillon dans votre collection inutile de vous suicider, mais si vous y mettez la main dessus dans une brockante, prenez-le.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Deuxième EP ( FY 2311). C’est la pochette que vous devez regarder pour voir une photo des Fingers, remarquez la modicité de la batterie, et les partitions posées sur les pupitres… pas de look frénétique, z’ont l’air de garçons sages…

    Finger print : l’on change d’étage, une compo de d’Olivier et d’Arel, ici l’on ne s’ennuie pas tout est bon, même si la deuxième partie est un peu répétitive. S’il manque quelque chose à ce morceau je suis certain que c’est une meilleure approche technique de l’enregistrement. L’idole des jeunes : du cousu main, ne se sortent pas mal de cette reprise instrumentale de Ricky Nelson, via Johnny Hallyday, n’ont pas l’air de donner un calque, affirment enfin une singularité, sonnent enfin comme les Fingers. Desafinado : une bossa qui fut reprise en 1962 par Stan Getz un des musiciens préférés de Jean-Claude Olivier. Autant dire que l’on est loin du rock… sympa mais ennuyeux. Hors contexte. Non je ne suis pas sectaire, je n’aime que le rock. Monsieur : une chansonnette pas très pétulante de Petula Clark. Inécoutable. Cette face B est une catastrophe.

    Troisième EP (FY 2317). A mon goût peut-être la plus belle pochette des french early sixties, parfaite pour un disque de country américain des années cinquante.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Telstar : l’on ne compte plus les reprises de Telstar, interprété à l’origine par The Tornados sous la houlette de Joe Meek le Phil Spector britannique : tout groupe instrumental se devait de se frotter à ces sonorités qui semblaient venir d’ailleurs : s’en sortent par le haut, emploient une vieille ruse apache, puisqu’ils ne peuvent pas rivaliser avec le sorcier de la console qu’était Joe Meek ils imitent les Shadows ( comme quoi le mot de Nicole Paquin au verso de la pochette de leur premier disque était prophétique ). Un bémol toutefois pour la batterie non-imaginative. Quant à la fusée qui décolle pour l’espace, elle n’a pas eu droit à sa fenêtre de tir. Un jour tu me reviendras : une rengaine certes mais l’épaisseur du son est là, même si le solo de Jean-Claude Olivier manque un peu de vitamine l’ensemble passe bien la rampe. Les cavaliers du ciel : une des plus belles réussites des Fingers, rien à redire, à la hauteur des Shadows sans aucune retenue. Ils ont l’imagination et le son. Que voulez-vous de plus. Loin : une reprise d’un morceau de Richard Anthony les Fingers nous restituent la mélodie de cette chanson mélancolique, le solo de Jean-Claude Olivier qui termine le morceau ne dépare en rien la beauté de la ligne mélodique.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Quatrième EP (FY 2338). Une belle pochette colorée qui attire l’œil. Si vous voulez voir à quoi ressemble la formation, mirez le verso.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Diamants : attention Diamonds a été composé par Jerry Lordan qui composa aussi Apache… sa version orchestrée n’est pas aussi belle et aussi pure que celle des Shadows, ressemble trop à un générique de western. Il en est de même de sa version de Diamonds pourtant enregistrée avec deux membres des Shadows : maintenant sont à l’aise dans leur propres son, une batterie qui survole, une guitare qui vous envoie le riff comme un boomerang qui vous revient dans la gueule. Les guitares de décembre : une compo de Jean-Claude Olivier et de Jacques Arel preuve évidente de la dextérité acquise en deux années. Un seul défaut : trop court. Ton ballon : une des chansons du disque que les Fingers ont enregistré avec Line Renaud. La piste instrumentale est mignonne mais après les deux morceaux précédents, elle ne fait pas le poids. How do you do it : une reprise de Gerry and The Pacemakers, un mauvais choix d’un morceau qui n’a rien d’exceptionnel, vraisemblablement une demande de la maison de disques, j’ose l’espérer.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Cinquième EP (S 2345). Special Bue-Jeans : ce morceau donna son titre à l’émission présentée par Jean  Bonis ( une voix inimitable ) sur Radio-Andorre ( ne pas confondre avec La radio des Vallées qui deviendra Sud-Radio ) chaque jour ouvrable de 16 h 30 à 18 H, après quoi l’on passait sur Europe 1 pour Salut les Copains : que dire, peut-être, sans doute, sûrement, le meilleur instrumental français des early sixties. Si vous ne devez écouter qu’un seul morceau des Fingers c’est celui-ci. Jacques Arel à la compo. Say wonderful words ( = Des mots pour nous deux ) : est-ce que vous avez besoin d’un slow après ce qui précède ? Non ? Moi non plus. D’ailleurs en Grèce, les Grecs depuis l’antiquité ont toujours eu du goût, il ne figure pas sur le 45 tours. Teenage trouble : cela vous troublera-t-il ? Top secret : pas si secret que cela, ici les Fingers ont trouvé leur formule, ils ont leur langage à eux, tous les trucs et tous les tics qui marchent, mais ils ne se surpassent pas.

             Il leur reste encore une année et demie avant de se séparer. Trois véritables 45 tours, quelques morceaux de qualité comme Fingers on the rythm, Surfin safari et Mister Chou Bang Lee mais le cœur n’y est plus. Il était temps pour eux de passer à autre chose. Leur a manqué, malgré leurs progrès indéniables, l’essentiel : ils ont fait de la musique, mais ils n’ont pas eu envie de s’inscrire dans la mythologie rock’n’rollienne en construction.

             Parfois l’on traverse des périodes de son existence qui vous dépassent sans savoir ce qu’elles signifient.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Des Pays-Bas. Est-ce pour cela qu’ils ont le moral au plus bas ? Définissent leur art en quatre mots : depressive, suicidal, black metal. Gardons une note optimiste, ils ne se réclament pas du death metal ! Autre avantage, leur musique est somptueuse.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Troisième opus d’Argwann, le groupe est composé de : Stilte : guitare, vocal et de  Smaad : guitare bass. Sneer s’est occupé de la batterie. Tous ces noms propres possèdent une signification : Angoisse, silence, calomnie, ricanement. La pochette représente sur un fond vert deux corps nus d’une blancheur quasi cadavérique allongés dans une végétation de longues tiges vertes. Seraient-ce des plans de Sorgho, mes connaissances botaniques ne me permettent pas d’en juger. Le titre de l’album n’incite guère à l’optimisme : Cher enfant, monde cruel !

    LIEF KIND, WREDE WERELD

    ARGWAAN

    (K7 / Bandcamp / 16 – 04 – 2023)

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Unease : grognements vocaux, musique violente, une espèce de vomissement de soi, un jugement implacable porté sur l’incapacité à vivre pleinement, à ressentir ses propres sentiments que l’on n’arrive pas à cristalliser au fond de soi, la musique tourne comme une immense broyeuse du vouloir vivre,  cris d’auto-égorgement, l’impuissance d’être heureux, crise existentialiste, dégoût de soi, de ne pas être en adéquation avec la beauté du monde, hurlements de haine emportés dans une intumescence lyrique hyper romantique. Une batterie folle auto-lacère la prise de conscience de sa propre impuissance. Une description peu engageante mais ce morceau est une splendeur. Hoffnungsvoil : une décharge battériale infinie, des vagues de guitares folles, naufrage de l’homme qui hurle au secours tout en sachant très bien que s’il parvenait à être comme les autres il perdrait son individualité, car c’est son malaise qui le détruit mais qui aussi le tient en vie, tout comme la mort dont on n’a conscience que tant que l’on est en vie, hurlements de désespoir, hachis de nos prétentions à ne pas vouloir être ce que l’on ne peut pas être. Notes terminales, gouttes de tristesse, constat amer. Goddeloss : ritournelle cordique, un son fêlé à l’image d’une âme dévastée, tristesse infinie de celui qui a tout perdu, un vent de fureur survient, reprise de l’expression du même malaise, mais ce coup-ci il faut faire sauter le bouchon de tous ce blocage existentiel, n’est-ce pas la honte d’avoir troué la bouée de sauvetage qui maintient la vie des autres à la surface de la mer, l’absence de Dieu. Âme dévastée.  Crumble under these weightless words : Ce n’est pas la cerise sur le gâteau mais le crumble de l’âme écrasé sous le poids des mots. Colère introspective, la voix devant, qui se confesse à elle-même, qui récite un poème, la musique derrière avant qu’elle ne revienne comme une vomissure car si le Seigneur recrache les tièdes il est nécessaire d’être brûlant, d’accuser, de maudire, de penser à l’extermination du vice et du péché tout en sachant que soi-même l’on n’est pas exempt de manquements, calme avant la tempête qui monte, cette rage est autant la fille du dégoût de l’humanité que de soi, de cette turpitude humaine qui mène les agneaux à se métamorphoser en tigre assoiffé de haine, ivres de fureur et d’autodestruction, tant de colère pour retomber en soi-même pour finir par s’écraser tout simplement dans sa propre solitude se cogner encore une fois au mur de la mort qui s’avance menaçant, mais qui est aussi le dernier rempart contre notre orgueil. Ein leitzter Moment der Freude : retour sur soi-même, récitation d’un poème, apaisement, tout ce qui a été perdu, mais lorsque l’on se regarde dans le miroir de l’existence l’on ne peut être qu’empli de dégoût pour ce que l’on n'a pas réussi à être, à s’accuser, à se vouer au suicide, des cris de haine et de pitié envers soi-même, et puis l’on finit par se retrouver dans l’image oubliée de l’enfance, à tout miser sur cet enfant perdu duquel il est nécessaire de se montrer digne, une lumière dans la noirceur du tunnel, la musique devient aussi violente que dans les moments les plus désespérés, l’espoir fait-il vivre ? Inner dissuasion : notes lourdes, reprise du poème hurlé jusqu’au débordement musical, enfermé en soi-même pour se parler à soi-même, mais aussi aux autres, première fois que notre prisonnier volontaire de soi-même s’adresse aux autres, une violence non contenue, un mélange d’objurgation et de prière, ne pas lui ressembler est le nouveau mot d’ordre, ne faites pas ce que j’ai fait, ne vous conduisez pas comme moi, la musique devient un torrent dévastateur qui emporte tout et qui en même temps nettoie et assainit, vocal catharsique, mettre en garde les autres n’est qu’une manière de proclamer son propre dégoût de soi, d’exprimer le masochisme du rejet de soi-même, de brûler ses propres scories en se reconnaissant dans les autres qui vous ressemblent. Attitude de ces prêcheurs fous qui au moment du schisme luthérien parcouraient les villages en promettant l’apocalypse… Verdrongen vreudge : ces notes ne sont pas joyeuses mais empreintes de nostalgie, au fond de soi, au fond du monde, sourd la lumière contenue d’une joie à laquelle l’on n’ose pas accéder encore, dans laquelle il est urgent de se précipiter, de ne plus hésiter, il est plus que temps de s’adonner à cette luxuriance de la vie, être nu dans les herbes ondoyantes d’un paradis retrouvé. La musique déboule sans fin pour nous obliger à entrer dans la joie de l’innocence, l’exaltation du plaisir de vivre doit nous envahir et se transformer en chant d’allégresse. Lief kind, wrede wereld : vent froid et ténébreux qui n’augure rien de bon, l’allégresse passée se transforme en marche funéraire, pas lourd des porteurs du cercueil de nos efforts, de nos prétentions à choisir la vie et Dieu. Liturgie d’église, le vent se lève, celui de l’impuissance à partager le rêve de la consolation, la batterie accentue son hachoir méthodique, le vocal est entré dans la musique, enfin il s’élève, il ne se cache plus, il clame l’impossibilité métaphysique d’un bonheur humain qui reposerait sur autre chose que lui-même, l’âme ne s’est pas évadée de sa prison mentale car le monde est la prison, les illusions sont déchirées, ce qui n’oblitère en rien le besoin de ce désir illusoire. L’on se retrouve dans la ronde de la déréliction humaine. Tristesse infinie de celui qui n’a pas atteint à l’exultation nietzschéenne de l’éternel retour.

             Opus étonnant. Une thématique dépassée, celle du désespoir existentiel qui éprouve la rassurante nostalgie du Dieu qui est mort, mais qu’au fond l’on regrette. Tout le long des quatre-vingt premières années du siècle précédent par chez nous L’Eglise a misé sur le désarroi humain pour faire revenir dans le troupeau communautaire les brebis égarées. Serait une marque de ce que l’on fustige sous le concept de retour du religieux ?

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 25 ( Subjonctif  ) :

    132

    Le Chef allume un Coronado :

              _ Agent Chad si vous ouvriez les yeux en conduisant, je préfèrerais !

              _ N’ayez crainte Chef, je connais la route de Provins par cœur, j’en profite pour me concentrer. Vous rêvez que je lis un livre dont le titre est Oecila, nous sortons du Père Lachaise où nous avons rencontré deux sympathiques ouvriers en train d’orthographier correctement le prénom Oecila sur une tombe, j’ai beau me creuser la cervelle, dans ma vie passée je n’ai jamais rencontré une fille qui portait ce prénom. 

    • Je veux bien vous croire Agent Chad, toutefois rappelez-vous que précédemment nous avions déduit qu’Ecila était le palindrome d’Alice, cette histoire de l’E dans l’O tombe à pic comme l’œuf du cul de la poule pour nous signifier qu’il ne faut pas lire écila mais bien prononcer oecila, je tiens à vous faire remarquer que depuis quelque temps dans votre vie sentimentale agitée l’on ne compte plus, tenez ne serait-ce qu’au cimetière de Savigny vers lequel nous nous dirigeons…

    133

    Je m’apprêtai à ralentir pour me garer devant la maison d’Alice, comme pour m’avertir sur le fauteuil arrière Molossa grogna. Au même instant le clignotant d’un véhicule qui nous précédait d’une centaine de mètres s’alluma et la voiture s’arrêta à la place que je comptais prendre. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous passâmes près d’elle, sur la portière avant s’étalait en grosses lettres le logo du Parisien Libéré. Deux hommes en descendaient.

              _ Je présuppose les remplaçants de Lamart et Sudreau, Agent Chad, je parie que nous allons bientôt faire la connaissance de ces étranges Ladreau et Sumart, j’avoue ma curiosité !

    Molossa grognait toujours. Un coup d’œil dans le rétro me révéla que la voiture quittait son stationnement et à la vitesse à laquelle elle se dirigeait vers nous, il était facile d’en déduire qu’elle tentait de nous rejoindre. Déjà le Chef sortait son Rafalos.

              _ Un peu de conduite sportive Chef, je leur réserve un chien de ma chienne – Ouah ! Ouah ! dit Molossito – puisque ces messieurs sont apparemment des amateurs de stockcar.

    Ladreau et Sumart se rapprochaient dangereusement. Ces malandrins voulaient manifestement nous pousser dans le décor. J’avisai un semi-remorque sur la voie de gauche que je me hâtais d’emprunter, nos poursuivants n’osèrent pas nous suivre mais se portèrent à notre hauteur. Le Chef avait descendu sa vitre, deux rafales de Rafalos eurent raison des pneus du camion qui éclatèrent. Je freinais à mort imité par le chauffeur du mastodonte. Emportés par leur élan nos poursuivants nous dépassèrent. Les malheureux imprudents s’encastrèrent dans la remorque du camion qui s’était déportée et qui maintenant barrait la route. Déjà nous vérifions l’état des malheureux prêts à les achever si par hasard ils auraient survécu à la violence du choc. Un souci inutile, leurs deux cadavres démantibulés en état de putréfaction avancée ne laissaient pas de doute sur la nature de nos deux séides. Des espèces de morts vivants que notre amie La Mort avait pris la précaution de nous envoyer pour nous réceptionner avec tous les honneurs.

    Dans sa cabine le chauffeur ne bougeait pas, s’était-il évanoui d’effroi, il restait immobile, nous n’avions pas le temps de vérifier, je redémarrai notre véhicule m’apprêtant à faire demi-tour, le Chef poussa un rugissement, Molossa et Molossito n’étaient pas sur la banquette arrière, tous les deux étaient restés à l’arrière du véhicule de nos deux zombies et aboyaient de toute leurs forces. D’une balle de son Rafalos le Chef débloqua la serrure. Une forme allongée gisait dans la malle. J’arrachai la couverture qui la recouvrait, Alice me souriait :

    _ Mes sauveurs merci ! Je ne doutais pas de votre intervention ! Je vous remercie !

    134

    Le reste de la soirée fut plus calme. Le Chef avait allumé un Coronado et décrété que nous n’avions plus besoin de retourner au cimetière. Par chance la route était déserte, en passant sur le bas-côté gauche pour éviter la remorque du poids-lourd je parvins à reprendre la direction de Provins. Deux heures plus tard tous les quatre – Alice avait insisté pour que nous invitions Carlos, par chance il se trouvait à Paris - nous prenions l’apéritif dans mon salon. Les cabotos se jetèrent sur les deux énormes gigots qu’Alice reconnaissante leur avait achetés à la boucherie la plus proche de mon domicile.

    Le Chef alluma un Coronado et résuma les derniers rebondissements de l’enquête puis se tournant vers Alice :

    • Et vous charmante enfant, comment en êtes-vous arrivée à être ligotée dans le coffre de la voiture de nos escogriffes, racontez-nous vos dernières mésaventures.
    • La mort de Lamart et Sudreau m’avait choquée, rappelez-vous l’état de décomposition avancée dans lequel nous les avions découverts dans leurs bureaux alors que je les avais vus précédemment en pleine forme dans la journée. Leur remplacement par Ladreau et Sumart m’avait estomaquée, et peut-être encre plus que cette espèce d’homonymie entre leurs noms et celui de leurs prédécesseurs ce furent les marques d’étonnement que leur présence ne provoqua point. Du Directeur au moindre commis pas un mot, pas un commentaire. Je n’ai rien dit mais j’ai ouvert l’œil, je me suis débrouillée pour leur porter dans leur bureau le courrier qui leur était destiné. J’ai ouvert certaines lettres, ai essayé de lire par transparences toutes les autres, passé au crible toutes les notes de service qu’ils recevaient ou qu’ils envoyaient, écouté par l’intermédiaire du standard téléphonique leurs conversations, mais rien, je n’ai rien remarqué à part le fait qu’ils allaient nettement moins souvent que leurs devanciers sur le terrain et je n’avais point l’impression qu’ils travaillaient beaucoup dans leur bureau… Hier soir lorsque je suis sorti du travail j’ai rejoint ma voiture sur le parking réservé au personnel. Je les ai salués, ils sortaient de leur véhicule, ils ne m’ont pas répondu, puis je n’ai aucun souvenir précis si ce n’est de sortir mes clefs de mon sac et puis plus rien, je me suis réveillée ligotée dans le coffre d’une voiture, vous connaissez la suite…
    • M’est avis charmante enfant, qu’ils allaient vous tuer et vous cacher dans un caveau du cimetière de Savigny…
    • Quel hasard que vous soyez arrivés au moment où ils allaient commettre leur horrible forfait !
    • Non ! Carlos, le Chef prit le temps d’allumer un Coronado avant de poursuivre, vous vous trompez, ces messieurs nous attendaient, ils savaient que nous étions en route, sans doute aurions-nous eu le plaisir de passer notre éternité aux côtés de notre douce Alice, c’eût été un rayon de bonheur dans notre malheur !

    Il y eut un instant de silence. J’en profitai après avoir versé une nouvelle rasade de Moonshine à tout le monde pour prendre la parole :

    • Une chose est sûre Chef, nous avions décidé de faire la tournée des cimetières liés à cette affaire, pour les deux premières visites, les évènements sont pour ainsi dire venus à notre rencontre, la première fois la Mort en personne en train de conduire une camionnette, la deu…
    • xième, si tu permets Damie me coupa Carlos, elle ne devait pas être loin puisque ses deux hommes de main étaient prévus pour envoyer au plus vite ad patres ! J’ignore si vous avez le nom d’un troisième cimetière inscrit sur votre liste, je suis sûr qu’elle vous y attend déjà ! Un conseil, plus vous progressez plus le danger grandit.

    Mon cœur se serra. Je m’étais interdit de penser au troisième. Depuis ma dernière visite je n’y étais même pas retourné pour amener un bouquet de fleurs sur la tombe d’Alice, de mon Alice à moi ! Là-bas sans doute se dénouerait le nœud de cette étrange affaire, au fond de moi j’avais peur d’être confronté à je ne sais quoi, à quelque chose qui nous concernait Alice et moi et que je ne voulais pas savoir, quelque chose qui nous séparerait pour toujours elle dans sa tombe, moi dans ma vie. Pour cacher les larmes qui montaient à mes yeux je me précipitais dans la cuisine soi-disant pour ramener deux bouteilles de Moonshine et des raviers de biscuits secs.

    Je sentis tous les regards fixés sur moi lorsque je revins. Il y eut un silence gêné. Carlos se râcla la gorge :

              _ Rrrrm, rrrum, Damie nous irons tous ensemble à ce cimetière demain après-midi, tu peux compter sur nous, le Chef propose une réunion de travail demain matin, à la première heure, ce soir nous ne nous coucherons pas trop tard, nous aurons besoin de toutes nos forces, par contre Alice qui est passée aujourd’hui si près des affres de Thanatos aurait besoin de connaître les douceurs de l’éros pour retrouver un parfait équilibre, si tu veux te joindre à nous…

    Le cœur n’y était peut-être pas tout à fait mais le corps a des prétentions que la raison connaît très bien, par pur esprit de camaraderie je me joignis à ces jeux innocents. Je ne le regrettais pas, Alice fut délicieuse. Son féminisme exacerbé nous prouva abondamment qu’une femme vaut bien trois hommes. Notre considération pour le genre féminin s’en accrut à proportion.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 597: KR'TNT 597 : STANDELLS / SARI CHORR / PIXIES / BUZZCOCKS / CHUCK JACKSON / MARLOW RIDER / WESTERN MACHINE / STONE OD DUNA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 597

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 04 / 2023

     

    STANDELLS / SARI SCHORR

    PIXIES / BUZZCOCKS / CHUCK JACKSON

     MARLOW RIDER / WESTERN MACHINE

    STONE OF DUNA / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 597

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Les standards des Standells

     

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             C’est dans Shindig! qu’on a chopé l’info : parution de l’autobio de Larry Tamblyn, le keyboardist des Standells. Comme toujours dans ces cas-là, on se frotte les mains. On se régale même d’avance. De tous les ténors du barreau gaga, les Standells étaient les plus percutants, donc les chouchous, comme l’étaient les Pretties en matière de British Beat, et Jerry Lee en matière de tout.

             Les Standells sont arrivés en France via Nuggets, cette redoutable compile Elektra qui a mis pas mal de kids sur la paille. Parce que forcément, quand tu entends «Dirty Water», tu as envie de choper les albums. Oh c’est pas compliqué ! Il te faut juste sortir un bon billet et aller sur l’auction list de Suzy Shaw, chez Bomp! et avec un peu de chance, si tu mises bien, tu peux récupérer les gros cartonnés US des Standells sur Tower. C’est comme ça que les quatre Tower des Standells sont arrivés ici. On les ressort périodiquement de l’étagère, histoire de se rassurer.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Eh oui, les Standells furent un groupe à hits, comme le furent tous les groupes gaga-punk sixties, certainement pas des groupes à albums, comme vont l’être un peu plus tard le Jimi Hendrix Experience et les Small Faces. Sur chaque album, les Standells tournent sur une moyenne de deux ou trois hits, mais ce sont des hits majeurs. Le reste n’est que du filler. Tiens, si tu commences par leur premier album, Dirty Water, tu as deux grosses cacahuètes à te mettre sous la dent : «Dirty Water», bien sûr, radical - Aw Boston you’re my home - et en B, «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» - But tell your moma and your popa that sometimes... - Sous des airs bravaches de balloche chicano, c’est le cut le plus punk de Los Angeles, bien épais, avec un Dodd bien raw to the bone. On se régale encore d’un «Little Sally Tease» plein de jus, harcelé par les interventions intestines de Tony Valentino et bercé par le shuffle d’orgue de Larry Tamblyn. Ils font aussi une belle cover du «19th Nervous Breakdown» des Stones avec lesquels ils sont partis en tournée. C’est l’une des plus belles intros des sixties - You gotta stop & look around - Ils piquent là une belle crise de Stonesy. Mais le reste de l’album n’est pas du tout au même niveau. Oh la la, pas du tout.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Alors après, voilà Why Pick On Me - Sometimes Good Guys Don’t Wear White, paru la même année, avec l’une des pochettes les plus iconiques de la culture gaga. C’est là que ça commence à carambouiller car on retrouve sur l’album le «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» de l’album précédent. Joli cut c’est sûr, mais à l’époque, le procédé ne nous plaisait pas. Et comme on va le voir, cette façon de refourguer les mêmes hits sur des albums différents n’est pas finie. Côté covers, ils retapent dans les Stones avec un shoot d’acier de «Paint It Black», ils ramènent énormément de power dans un cut qui au fond n’en nécessite pas plus que ça, et puis ils tapent dans Burt avec «My Little Red Book», déjà repris par Arthur Lee & Love, et là, oui, banco, car grosse énergie punk, les Standells sont dans l’excellence du big L.A. brawl, ils y vont à l’énergie d’aw no ! L’autre coup de Jarnac est le «Mainline» qui traîne vers le bout de la B des cochons, encore du pur jus d’L.A. punk, qu’infeste à outrance le wild slinger Tony Valentino. En trois étapes («Dirty Water», «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» et «Mainline») les Standells ont défini l’archétype du gaga-punk sixties.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Allez, on va dire que leur meilleur album est le Try It paru l’année suivante. Les deux coups de génie sont «Barracuda» et «Riot On Sunset Strip». Le Barracuda est le vrai hit des Standells - I’m a young barracuda/ Swimming in the deep blue sea - Wow, les fantastiques chœurs d’artichaut résonnent dans l’écho du temps. Ils finissent en mode hypno de c’mon c’mon c’mon. Planqué au fond de la B voilà l’excellent «Riot On Sunset Strip» - I’m going down/ To the Strip tonite - et ça va très vite avec le call for action. Vaillants Standells ! Dommage que le cut vire pop. Arrivent les sirènes de police, alors ça repart au wild as fuck avec le Tony en embuscade derrière les immeubles en flammes. Classic L.A. punk. Ils font aussi une cover bien standellienne de «St James Infirmary», gluante à souhait et chantée à outrance. Et puis bien sûr, tu as le morceau titre, belle invitation au c’mon girl. 

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Le quatrième Tower s’appelle The Hot Ones et c’est un album de reprises. On y retrouve le «19th Nervous Breakdown» des Stones et le punk genius de «Dirty Water». Le troisième standout de The Hot Ones est la version punkish de «Last Train To Clarksville». Tony Valentino et Dick Dodd jettent tout leur swagger dans la balance. Par contre, ils se vautrent sur «Wild Thing». Les Troggs font ça beaucoup mieux. Ils tapent aussi dans Donovan avec «Sunshine Superman». Ils ont la main lourde, ils ramènent un gros bassmatic sur le dos de Don, disons que c’est de bonne guerre. Ils enchaînent avec «Sunny Afternoon». Choix étrange de la part de punks angelinos. Nouveau choix étrange en B avec «Eleonor Rigby», et ils retrouvent enfin des couleurs avec une retake tape dur de «Black Is Black», encore un hit qui date de la belle époque, une fantastique machine à remonter le temps.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Dans son book, Larry Tamblyn se dit très fier du Live On Tour 1966 exhumé par Sundazed. On y trouve à boire et à manger. Ils attaquent avec un classic gaga pysch, «Mr Nobody», pas vraiment de son, ça joue sous le boisseau, dans les ténèbres de la légende. Ils enchaînent deux covers, «Sunny Afternoon» et «Gloria». C’est très mou du genou dans les deux cas, le Gloria est doux comme un agneau, ils en font même un comedy act. Ça se réchauffe en B avec «Why Pick On Me», une valse à trois temps qui préfigure les Doors. Ils flirtent aussi avec Paint It Black, mais ça bascule heureusement dans le punk de why pick on me baby. Puis ils osent taper dans James Brown avec «Please Please Please», wanna be your lover man baby, mais c’est imbuvable. Même leur «Midnight Hour» est mou du genou, complètement édulcoré, chanté en mode petit cul blanc. On est aux antipodes de Wicked Pickett. Ils finissent en mode Standells action avec «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» et «Dirty Water». C’est Dave Burke qui fait rouler la poule au bassmatic avec un son bien rond et de vaillantes transitions.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Pour tous les fans des Standells, le Tamblyn book est un passage obligé, même si globalement on y apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà. Début d’autobio classique avec tous les détails d’une enfance californienne et fin d’autobio classique avec tous les détails des règlements de comptes et des petites trahisons, le traître principal étant Dick Dodd.

             Bizarrement, Tamblyn reste en surface. Il relate. Il raconte sa vie très simplement. Comme si sa vie se résumait aux quatre hits déjà cités. Mais il n’entre pas dans la chimie du groupe comme le fait Kid Congo avec le Gun Club. À la lecture du Congo book, on comprend pourquoi le Gun Club est un groupe si important. Larry Tamblyn se limite aux faits. Si les Standells sont devenus un groupe tellement mythique, on ne saura jamais vraiment pourquoi, on devra donc se contenter de les écouter. On grapille néanmoins quelques petites infos complémentaires et on s’en régale, puisqu’il s’agit des Standells, after all. Larry Tamblyn commence par nous rappeler que le Sicilien Tony Valentino s’appelle en réalité Emiliano Bellissimo et qu’ils ont co-fondé tous les deux les Standells en 1962. L’autre principale caractéristique de Tony est qu’il passe sa vie à courir les jupons et à baiser comme un lapin. Alors pourquoi les Standells ? Tamblyn tire le nom du «standing around in booking agents’ offices», c’est-à-dire «faire le poireau chez bookers». Larry a un grand frère, le fameux Russ Tamblyn, de neuf ans son aîné, qui deviendra movie star. En 1958, Russ joue le rôle d’un détective dans High School Confidential, avec Mamie Van Doren. On y voit surtout Jerry Lee. Larry avoue que Jerry Lee est l’un de ses héros et c’est grâce à lui qu’il arrête la gratte pour passer aux keyboards - After seing the movie, my musical perspective changed forever - Ça s’appelle une vocation.

             Le deuxième line-up des Standells comprend en plus de Tony et de Larry, Gary McMillan (bass), rebaptisé Gary Lane, et Gary Leeds (beurre). Gary Leeds qui vient de voir The Village Of The Damned veut changer le nom du groupe pour l’appeler The Children, en référence au film, et il propose que tout le monde se teigne les cheveux en blond. Proposition refusée. Gary Leeds commence alors à voir le groupe de travers. Il ne va d’ailleurs pas tarder à le quitter pour rejoindre les Walker Brothers. On ne saura hélas rien de plus sur ce personnage clé de l’histoire du rock américain.

             En 1965, Larry abandonne le Farfisa pour un Vox Continental organ. C’est Dick Dodd qui remplace Gary Leeds, un mec «handsome and self-assured», «half Hispanic and half Irish». Larry lui trouve «a real punk attitude». Dodd dit aux autres qu’il a eu l’info par Jackie DeShannon qui savait que les Standells cherchaient un beurreman. Dodd dit aussi qu’il a joué un moment dans le groupe de Jackie. 

             C’est aussi en 1965 qu’ils rencontrent Greengrass Productions et Ed Cobb, un ex Four Preps. Les Standells signent avec eux, parce qu’ils ont un deal avec Tower Records. C’est Cobb qui pond «Dirty Water». Il suggère de laisser Dick Dodd chanter. Et Tony sort le riff qu’on connaît tous, le fameux dum-dum-dum dump-da-dum. C’est Dick Dodd qui a l’idée de l’intro d’I’m going to tell you a story - It’s about my town/ I’m going to tell you a big fat story baby/ It’s all about my town - C’est aussi lui qui ramène les petites transitions du genre «along with lovers muggers and thieves», et «aw but they’re cool people». Et pour bien enfoncer le clou, Larry révèle que «Dirty Water» fut enregistré dans un garage aménagé en studio à Westwood, sur un trois pistes. Wham bam thank you pas mam, mais Armin Steiner, l’ingé-son. Inutile de dire que la version enregistrée de «Dirty Water» n’a plus rien à voir avec la démo d’Ed Cobb, mais les Standells ne sont pas crédités.

             En 1966, un mec de Screen Gems appelle Larry pour lui proposer la botte dans les Monkees, mais comme les Standells commencent à décoller, il reste loyal au groupe. D’autant plus loyal qu’avec «Dirty Water», les Standells obtiennent a «national prominence». Soudain, Dick Dodd annonce qu’il quitte le groupe pour rejoindre les Ravens. Tony est furieux : «Dat fucking Mexican ruined my life». Tony parle encore un mauvais Anglais que Larry s’amuse à le citer dans le texte. En remplacement de Dodd, ils recrutent Dewey Martin qui bat le beurre dans Sir Raleigh & The Coupons, et qui le battra ensuite dans Buffalo Springfield. Comme Dodd, Dewey est un excellent beurreman et un excellent chanteur. Quand Dick Dodd revient, Dewey gicle. Soulagement général, car Dewey se baladait avec un ocelot dont tout le monde avait la trouille.

             Il est temps d’enregistrer le premier album et Ed Cobb emmène le groupe au Keaney Barton’s Audio Recording Studio, là où les Kingsmen, les Sonics et les Wailers ont créé le Northwest Sound. Et quand Gary Lane quitte le groupe, c’est l’excellent Dave Burke qui le remplace.

             L’épisode le plus important dans l’histoire des Standells est certainement leur tournée en première partie des Rolling Stones, en 1966. Rick Derringer et les McCoys font aussi partie de cette tournée devenue mythique. Le tour manager des Stones est Mike Gruber que Larry voit comme un «major asshole». Dans l’avion les drugs sont plentiful : pot, mais aussi l’amyl nitrate qu’on utilise nous dit Larry pour relancer le cœur des mourants. Hélas, Larry reste à la surface des choses. On trouve beaucoup d’infos sur cette tournée dans Love That Dirty Water: The Standells And The Improbable Red Sox Victory Anthem de Chuck Burgess & Bill Nowlin.

             Ils enregistrent leur deuxième album Why Pick On Me à Los Angeles. C’est Ed Cobb qui choisit tous les cuts. Larry ajoute qu’il impose aussi le titre à rallonge. La même année sort The Hot Ones. Cobb fout la pression commerciale. Comme ça se vend bien, il accélère la cadence. Biz biz biz. Puis Larry voit Cobb changer. Il devient despotique et bien sûr, bosser avec lui devient compliqué. Il se prend pour une superstar, comme Totor, il s’attribue le fulgurant succès des Standells. En studio, il fait venir deux blackos, Ethen McElroy et Don Bennett qui composent et qui arrangent, puis des musiciens black qui remplacent les Standells sur un cut. C’est la même arnaque qu’avec le Chocolate Watchband. Larry assiste à l’enregistrement des faux Standells et demande à Cobb pourquoi il ne laisse pas jouer les Standells. Cobb lui répond : «These guys sound more like the Standells than you do.» Merci Cobb ! Le cut dont il parle est «Can’t Help But Love You». Cobb rajoute aussi des cordes sur «Trip To Paradise». Heureusement, le reste de l’album est purement standellien. C’est Larry qui chante «St James Infirmary». Puis les choses se dégradent encore avec Cobb qui décide de mettre Dick Dodd en avant, avec les Standells comme sidemen - He had lost all respect for our artistic integrity.

             C’est John Fleck qui va remplacer Dave Burke. Fleck n’est pas n’importe qui, il a joué dans Love. C’est un mec brillant qui sait aussi composer. Les Standells enregistrent encore un single avec Cobb : «Animal Girl»/«Soul Drippin’», qui paraît en 1968, puis un cut de Graham Gouldman, «Schoolgirl», mais comme Tony n’arrive pas à le jouer, Gouldman pique sa crise de fiotte et quitte le studio en claquant la porte. Larry se dit surpris de voir réapparaître le cut plus tard sur une réédition CD de The Hot Ones, mais il ne reconnaît pas la voix de Dick Dodd. Il se pourrait dit-il que ce soit celle de Gouldman.

              1968 est pour Larry l’année de la fin des haricots. Le single «Animal Girl» floppe. Le gaga-punk des Standells et des Seeds cède la place à l’acid rock de San Francisco. Les riffs de Tony n’intéressent plus les gens. Les Standells en profitent pour virer Cobb. Ouf ! Dunhill Records louche sur les Standells. Une fois de plus, Dodd quitte le groupe pour entamer une carrière solo.  Il reproche aux trois autres d’avoir viré Cobb qu’il considère comme un père. Cobb reproche aussi aux Standells de l’avoir quitté après qu’il ait tout fait pour les lancer et les rendre célèbres. Larry pense le contraire : Cobb leur doit tout, ce sont les Standells qui ont fait le son de «Dirty Water», certainement pas Cobb. La meilleure preuve dit Larry c’est qu’après les Standells, Cobb n’aura plus jamais de hits. Dodd avouera aux trois autres qu’il avait été manipulé par Cobb, lui faisant croire qu’il était The voice et que les autres ne servaient à rien.

             Les Standells se reforment avec Daniel Edwards (lead guitar) et Willie Dee (beurre). Le groupe tourne essentiellement en Californie. Puis Lowell George monte à bord, mais avec lui, ça se termine en eau de boudin. S’ensuit un autre line-up avec Bill Daffern (beurre), Paul Drowning (gratte) et Tim Smyser (bass) et là, on commence à s’ennuyer comme un rat mort. Larry finit par en avoir marre de jouer dans les nightclubs. Il se dit «disillusioned with the entire rock group thing». Il jette l’éponge. Pour lui, les Standells sont morts et enterrés. Kaput.   

             Grave erreur ! Le groupe se reforme en 1983 avec Bruce Wallenstein et Eric Wallengren. Ils partagent un studio de répète avec Motley Crüe que Larry voit comme des singes - Pour eux, l’abus d’héro et des orgies sexuelles sont probablement un pré-requis pour jouer dans un groupe de rock - En 1984, les Standells originaux se reforment pour jouer dans un festival rétro : Dick Dodd et Gary Lane remontent à bord. Puis c’est au tour de Tony de mal tourner et de devenir a pain in the ass. Il veut jouer ses compos sur scène et le problème, c’est qu’elles ne sont pas bonnes.

             Puis ce sera le fameux Cavestomp à New York. Le grand Peter Stuart des Headless Horsemen accompagne Tony, Dick et Larry. Et en l’an 2000, ils participent au fameux Las Vegas Grind avec les Remains et les Lyres. Larry est ensuite contacté par un tourneur espagnol qui veut les Standells au Go Sinner Go Festival de Madrid, et pour une tournée espagnole grassement payée. Tony dit non, parce qu’il doit s’occuper de son restau. Quand Larry propose de le remplacer à la gratte pour la tournée, Tony réussit à convaincre en douce Dick et Gary de refuser. Larry se dit trahi par son vieil ami. Il atteint les tréfonds de l’acrimonie. Pour lui, c’est la fin des haricots définitive.

             Il se fourre encore une fois le doigt dans l’œil. En 2009, les Standells originaux jouent à Vegas, puis à Amoeba Records, le super-marché du disque de Los Angeles, pour la parution de la box Rhino Where The Action Is, sur laquelle «Riot On Sunset Strip» est le kick-off cut. Larry découvre ensuite que Dick Dodd a détourné à son profit les royalties du fameux Live On Tour 1966 de Sundazed, sans bien sûr le dire aux autres. Il avait signé «Dick Dood for the Standells». Comment a-t-il pu faire une chose pareille, se demande le pauvre Larry, effondré au spectacle de cette abominable trahison. En 2010, les Standells reformés tournent en Europe. Ils jouent enfin au Go Sinner Go Festival de Madrid, dix ans après que Tony ait comploté pour l’annuler. Comme Tony a été viré du groupe, il appelle Larry pour lui demander de le prendre pour la tournée et Larry l’envoie sur les roses. Il a déjà engagé un guitariste «much better musician than Tony». Et puis la vraie raison, c’est qu’il ne peut pas recommencer à travailler avec Tony. Impossible !

             Alors la guerre éclate entre Tony et Larry. Tony ouvre un site officiel des Standells sur lequel il traite Larry de menteur. Les Standells continuent cependant à tourner jusqu’en 2017 et le concert final a lieu au Palace Theater de Los Angeles. Quelle histoire !

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Dans Shindig!, Chaim O’Brien-Blumenthal re-raconte le book, comme le fait le cat Zengler, il reprend méthodiquement toute la chronologie et sort les anecdotes les plus croustillantes. O’machin sort par exemple l’anecdote du concert de Toronto, sur la tournée des Stones en 1966, lorsque les Ugly Dickings sont virés de la scène parce qu’ils tapent un cut des Stones. Ils ne savaient pas qu’ils jouaient en première partie des Stones et que, dans ce contexte, c’est interdit de jouer leurs cuts. Larry raconte aussi qu’un jour, il est invité à dîner chez les Stones, dans leur hôtel de Manhattan, et quand il demande du ketchup pour arroser son steak, le Jag le traite de «fucking yank». Larry raconte aussi que John Fleck fut débauché de Love, ce qui n’a pas plu à Arthur Lee. Pour se venger, le roi Arthur débranchera tous les amplis des Standells au moment où ils arrivent sur scène. C’est John Fleck nous dit Larry qui compose «Riot On Sunset Strip», et Tony ramène le riff, pour le film du même nom. O’Brien-Blumenthal cite bien sûr le garage revival des années 80 et le rôle crucial qu’a joué Rhino pour la renaissance des Standells. Et puis tout ça se termine bien sûr avec l’épisode du Red Sox Baseball team de Boston qui demande aux Standells de venir jouer «Dirty Water» dans leur stade en 2004 : c’est l’hymne du club. Et l’hymne des garagistes.

    Signé : Cazengler, Standouille

    Standells. Dirty Water. Tower 1966

    Standells. Why Pick On Me. Sometimes Good Guys Don’t Wear White. Tower 1966

    Standells. Try It. Tower 1967

    Standells. The Hot Ones. Tower 1967

    Standells. Live On Tour. - 1966. Sundazed Music 2015

    Chaim O’Brien-Blumenthal : I’m gonne tall you a story.  Shindig! # 135 - January 2023

    Larry Tamblyn. From Squeaky Clean To Dirty Water. BearManor Media 2022

     

     

    Sari jette un Schorr

     

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Si on est allé voir Sari Shorr sur scène, c’est sur les conseils de Mike Vernon, le vieux boss du British Blues et de Blue Horizon, qui dans une interview récente disait avoir craqué pour elle. Sari Schorr est une blanche qui chante avec Joe Louis Walker en tournée - She’s the most extraordinary singer, a big-voiced blues rocker - C’est d’autant plus troublant que le vieux Mike doit être blasé, d’avoir fréquenté toute la crème de la crème du gratin dauphinois, de Mayall à l’early Fleetwood Mac de Peter Green, en passant par le Chicken Shack de Stan Webb. Et combien d’autres ? Alors on fait confiance à Mike et on y va. D’un pas d’autant plus ferme quand on a pris la peine d’écouter A Force Of Nature, paru en 2016.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Elle y fait une cover du «Black Betty» de Leadbelly. Elle la gueule mais on voit bien qu’elle en veut, la petite Sari. Derrière, Innes Sibun fait un incroyable travail d’ascension vers les dieux du blues. Sari gueule mais elle est bonne. On le voit dès l’«Ain’t Got No Money» d’ouverture de bal, elle chante au registre haut, ce qui n’est généralement pas bon signe, mais Innes Sibun amène l’eau du blues à son moulin et ça finit par sonner juste. Sari allume bien ses cuts. Elle s’investit à fond, comme on dit dans les entreprises. C’est Oli Brown qui vient gratter ses poux dans «Damn The Reason». On perd le blues, elle se barre dans son truc. Mais quand Innes Sibun revient pour «Cat And Mouse», les affaires reprennent leur cours normal. La petite Sari chante comme une black et Innes Sibun fait merveille au solotage, il va dans le sens de la fluidité, il est parfait dans son rôle de guitar slinger en embuscade. Il monte vite à la note. L’autre invité de l’album n’est autre que Walter Trout («Work No More»). Le Trout ramène du blues électrique. Alors Sari chante son blues à la dure, comme les femmes le chantaient dans les années 70, Maggie Bell, par exemple, à la rauque, et le Trout en fait des tonnes, il n’en finit plus de jouer son blues, il tombe dans sa démesure et c’est pas mal. Elle chante un peu «Demolition Man» comme Nicoletta, elle chante du ventre, et Innes est là, juste derrière. Elle fait un peu sa Guesh Patti, on s’attend à voir se pointer Étienne. Il n’empêche que le son est plein comme un œuf et qu’on en savoure chaque seconde. Oli Brown revient jouer sur «Oklahoma» et il joue plus jazz. Il se croit malin, il a raison. Avec «Letting Go», on entre dans le registre de la main courante, avec un Innes éclatant au coin du bois de Boulogne. Oli Brown revient sur «Kiss Me» et lui entre dans le lard à la colère latente. Il gratte en concordance, mais il reste prudent, il a raison, car Sari est chaude - All I want you to do is to kiss me - C’est très sexuel, kiss me hey hey, ça sent bon la cuisse offerte et le ventre afférent, c’mon kiss me ! Elle tape aussi dans le vieux «Stop In The Name Of Love» des Supremes, elle passe bien, même avec des accents mâles. Elle en fait une version heavy et donc on perd le Motown. Elle écrase son Why don’t you stop comme un mégot et rate son effet.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Sur scène, c’est un peu du sans surprise. Les Anglais qualifient ce type de spectacle d’old-school. Sari Schorr ramène son public dans les seventies. Tous les poncifs accourent au rendez-vous, les gros solos d’orgue Hammond, les grattés de poux grimacés d’un petit mec affreusement doué qui s’appelle Ash Wilson, on a même le bassman black au crâne rasé qui descend du heavy bassmatic sur un manche de basse plus large que la moyenne, et bien sûr une Sari Schorr qui incarne toute la bravado du blues-rock des seventies avec cette petite veste à franges qui rappelle celle de l’early Ozzy Osbourne.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

    Sari Schorr est une très belle femme aux cheveux noirs, dotée d’une voix extrêmement puissante, mais diable, comme elle peut être prévisible. Ce qui n’enlève rien bien sûr à l’intensité de sa présence.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

    Pour ce set en Normandie, elle tape dans ses deux albums et on est ravi de la voir niaquer le «Black Betty» du vieux Leadbelly. Dès qu’elle tape dans le blues, elle est passionnante. Mais quand elle tape dans les balladifs à l’Aerosmith, alors là, c’est plus compliqué. On bâille aux corneilles. Elle établit avec le public un lien de très bonne qualité, on sent qu’elle est contente d’être sur scène, elle sait se montrer très chaleureuse, en tous les cas, ses mots sonnent juste. La petite ombre à ce tableau angélique, c’est que la salle n’est pas très pleine. 

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Il existe sur le marché un Live In Europe qui donne une idée précise de ce que donne Sari Schorr sur scène. On y retrouve son excellente retake du «Black Betty», elle le prend bien heavy et ça prend feu à force de craquer des allumettes. On y retrouve aussi «Back To LA», un balladif incendiaire porté par le pur power de sa voix, puis «Valentina», son cut de fin de set, juste avant les rappels. Des retrouvailles encore avec «Demilition Girl», heavy boogie élastique, mais avec de la voix, et «Ain’t Got No Money», un véritable shoot de hard boogie qu’elle éclate avec une force spectaculaire. Il faut la saluer, car elle génère énormément d’énergie. C’est une petite centrale à deux pattes. Elle pourrait alimenter une ville moyenne. Elle a joué aussi «Dame The Reason» à la Traverse, un cut de c’mon hanté par des fantastiques retombées d’excelsior, elle se fond dans le moule du bronze et n’en finit plus de battre de tous les records d’intensité énergétique. Elle peut se montrer très vindicative, avec une voix venue d’en haut, elle ramène des tonnes de power féminin. C’est dingue comme on s’attache à elle ! Elle fait une version superbe d’«I Just Want To Make Love To You», elle y déclenche une véritable émeute ses sens, elle s’y colle avec toute l’énergie dont elle est capable. Et puis elle ouvre son bal avec l’excellent big heavy boogie down de «The New Revolution», elle est vite dessus, beaucoup trop dessus. Trop de power, mais de ce trop-plein émane une forme de magie relative, c’est un hit, une vraie panacée, elle est splendide, elle épouse bien les développements, elle génère des petits phénomènes surnaturels. 

    Signé : Cazengler, Sari gole pas

    Sari Schorr. La Traverse. Cléon (76). 1er avril 2023

    Sari Schorr. A Force Of Nature. Marathon Records 2016

    Sari Schorr. Live In Europe. Marathon Records 2020

     

     

    Wizards & True Stars

    Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

     (Part Four)

     

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Se pourrait-il qu’après (bientôt) quarante ans de bons et loyaux services, les Pixies fassent encore les malins en enregistrant un album qu’il faut hélas qualifier de génial ? Se pourrait-il qu’après tant et tant d’années, le Pixass des Pixies, c’est-à-dire Frank Black, soit encore capable de puiser à la source même de son art, un art qu’il faut bien qualifier d’art total ? Se pourrait-il qu’au soir de sa vie, un petit homme à tête affreuse soit encore capable d’illuminer la terre, comme il a su le faire sa vie entière ? Se pourrait-il qu’après tant et tant d’albums extrêmement denses Frank Black soit encore apte à densifier la densité au point d’en troubler la nature profonde ? Se pourrait-il qu’un homme ayant exploré tous les recoins de la métaphysique du rock soit encore capable de pousser ses recherches pour éventuellement révéler au monde de nouvelles découvertes ? Se pourrait-il qu’une cervelle humaine, celle de Frank Black en l’occurrence, soit tellement rompue aux excès de l’intelligence qu’elle puisse s’auto-régénérer ? Se pourrait-il qu’un homme soit tellement amoureux de sa muse qu’il puisse envisager de l’épouser pour atteindre à l’immortalité ? Se pourrait-il qu’un homme soit tellement passionné par l’art magique de la composition qu’il puisse se croire autorisé à bousculer l’ordre des choses établies, au point d’éradiquer la notion même de déclin ? Se pourrait-il qu’un petit homme affreux du nom de Frank Black soit capable à lui seul de bouleverser le cours du temps ? Se pourrait-il que Doggerel soit le meilleur album des Pixies ? Se pourrait-il que cette hypothèse soit une vue de l’esprit ? Se pourrait-il que toute vue de l’esprit ne soit qu’une hypothèse ? Se pourrait-il que Doggerel soit en réalité un monstre sonique qui dévore vivantes toutes les hypothèses et toutes les vues de l’esprit ? Se pourrait-il que le morceau titre de Doggerel soit l’une des incarnations du mythe d’on a road to nowhere, c’est-à-dire le mythe du Graal ? Se pourrait-il que Frank Black fasse monter tout doucement la pression de ce morceau titre pour mieux nous convaincre de le suivre on the road to nowhere, c’est-à-dire vers le merveilleux néant ? Se pourrait-il que cet assaut - I’m a wonder Doggerel - soit le plus grand assaut de l’histoire du rock ? Se pourrait-il que sa scansion I’ll never wonder again/ I’ll never wonder again soit la scansion primale du rock, comme le fut en son temps l’Out Demons Out d’Edgar Broughton ? Se pourrait-il qu’il claque au passage un solo d’outer-space pour mieux nous convaincre de son extrême sincérité ? Se pourrait-il qu’il revienne inlassablement sur son never wonder again pour nous montrer la direction des nouvelles voies impénétrables ? Se pourrait-il que ce nerver wonder again soit the real wonder de l’histoire du rock ? Se pourrait-il que cet album incite les hommes à se prosterner ?

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Foin des interrogations. Il est temps de passer aux affirmations : Doggerel se joue en Technicolor. Tu es là pour ça, bien calé dans ton fauteuil de velours rouge, mais tu ne sais pas encore à quel point c’est du Technicolor. Le gros va t’en foutre plein la vue, et même certainement plus qu’avant, plus qu’au temps de Trompe le Monde, quand il injectait sous ta peau un torrent de frissons baptisé «Letter To Memphis». Dès «Nomatterday», Frank Black nous ramène sur son spot de prédilection, back to the edge of sound. Tu le verras gratter sa cocotte au bord du gouffre. Il oscille dangereusement mais il reste le maître du jeu, c’est-à-dire le maître du rock américain, autrement dit le maître des éléments et des tempêtes soniques - It’s Nomatterday/ Here we go again/ Necromancers bending to and from - Il retape dans son vieil art de la digression, d’autant plus librement qu’il n’a plus rien à prouver. Il vise encore l’apocalypse avec «Vault Of Heaven», mais il y va en fourbasse, en dessous du boisseau, là où rôdent les reptiles vénéneux et aveugles, il emprunte la voie humide de la pop, accompagné du son de basse qu’il affectionne particulièrement - Here in the vault of heaven/ Just trying to keep me straight/ But I ended up still in outer space - S’ensuit une extraordinaire descente aux enfers («Dregs of The Wine»), nouveau numéro de charme killer de sixty-six - And then it’s time to go/ It’s really time to go - définitivement wild as fuck, il le tire au cul en feu. Le shaman Pixass détient tous les pouvoirs du rock. Pire encore avec «Haunted House» ! On se croirait sur un album solo du gros, au temps béni des Catholics, il nous a tellement habitués à ce genre de fantasia, mais fais gaffe, car ça devient vite incontrôlable, il va te bouffer le foie vite fait. Cet artiste surnaturel est capable de descendre aux enfers avec le chant du paradis. Il re-Cariboute sous la voûte étoilée - Haunted house all full of ghosts/ I’m gonna pass that way - Ça reste à la fois d’un très haut niveau et inexorablement sublime - Whoa, whoa, whoa, whoa, whoa - Il reste au paradis pour enfoncer un suppositoire dans l’anus rose de l’Ange Gabriel : «Get Stimulated» - ah-ah ah-ah - il schtroumphe sa heavyness, la bourre comme une dinde et claque sa chique aux accords délétères - Let it be said I’m a little narcissist/ But my favorite rock and roll is sealed with a kiss - Bizarrement, on se croit toujours en territoire connu, alors qu’il entre dans des zones inexplorées. Au point où on en est, on pourrait même parler de zones inexplorables. Il chante à l’agonie et reste magnifiquement infectueux - Get simulated/ I really get me down now - Il joue de sa voix comme d’un instrument. C’est sa façon de courir sur l’haricot du rock. Il reste le plus gros géant d’Amérique, un géant semblable à ceux que Zeus combattit et qu’Héraklès acheva. La seule différence avec les géants de Thrace, c’est que le gros est invulnérable. Il domine le monde et gratte sa petite pop. C’est un enchantement que de l’entendre. Il se permet même le luxe de sonner comme Creedence avec «Pagan Man». Il te concocte encore tout le bonheur que tu peux espérer avec «Who’s Sorry Now» et «You’re Such A Sadducce». Pix me up, Frank ! 

    Signé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Doggerel. BMG 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Alors ça Buzz, cock ?

     (Part Two)

     

             L’avenir du rock prend souvent l’apéro à la terrasse du petit rade qui se trouve en face de la FNAC Saint-Lazare. Il se grise du spectacle d’une foule extrêmement dense, comme elle peut l’être aux abords de toutes les grandes gares parisiennes. Ce fleuve incessant charrie des êtres de toutes les couleurs et de toutes les tailles et semble les emporter vers leur destin. Quoi de plus vertigineux que le spectacle d’une foule en mouvement ? Un homme assis juste à côté engage la conversation :

             — Je vous connais. Suis certain de vous avoir vu à la télé, mais votre nom m’échappe...

             — Avenir du rock.

             — Vous rigolez ?

             — Pas du tout. Ai-je l’air de rigoler ?

             — Mais c’est pas un nom !

             — Et pourquoi ne serait-ce pas un nom ?

             — Excusez-moi de vous dire ça, mais ça sonne plutôt comme le titre d’un bouquin.

             — Non, je suis un concept, mais ce serait trop long à vous expliquer. Je préférerais que nous trinquions à l’arrivée du printemps, par exemple. Et puis dites-moi, à qui ai-je l’honneur ?

             — Je m’appelle Coq, comme un coq. 

             — Alors à la bonne vôtre, Coq.

             — À la bonne vôtre, Rock !

             Les tournées s’enchaînent, les visages s’empourprent et l’échange se fait plus cordial :

             — Pour un avenir, tu m’as l’air un peu fané, Rock.

             — On a l’âge de ses artères, Coq.

             — J’aimerais bien te tâter le bas, Rock.

             — Serais-tu bi, Coq ?

             — J’ai l’easy rut, Rock.

             — Là t’abuzz, Coq.

     

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Pendant que l’avenir du rock tente de s’extraire de ce guêpier, Steve Diggle reprend en main la destinée des Buzzcocks, l’un des très grands groupes anglais rescapés, comme les Damned, de la première vague punk. Pourtant frappé de plein fouet par le cassage de pipe de Pete Shelley, le groupe existe encore. C’est inespéré.

             Pendant quarante ans, Steve Diggle a vécu dans l’ombre du grand Pete Shelley et ça n’a pas dû être simple pour lui. Diggle est un ‘Chester cat extrêmement brillant, c’est en tous les cas ce que montre Sonics In The Soul, le nouvel album des Buzzcocks, et on pourrait même aller jusqu’à dire : le nouvel album génial des Buzzcocks. Oui car quelle claque !

             Tiens, ça tombe bien, il en parle à Gerry Ranson dans Vive Le Rock. Ranson rappelle qu’il s’agit pour Diggle et Shelley d’une amitié vieille de 40 ans. Quand il a pris la décision de continuer le groupe, Diggle a dû surmonter le fameux «there’s no Buzzcocks without Pete», mais apparemment, nous dit Diggle, les fans ont accepté l’idée d’une continuation sans Pete. Il évoque les deux ou trois gros concerts de reformation donnés à Londres et comme ça lui tirait sur la paillasse, il est allé se reposer dans sa maison près de Thessaloniki, en Grèce - just walking up and down by the sea and having a cool drink - C’est là qu’il écrit des chansons - I always take a notebook - Il ne faut jamais perdre de vue que Diggle est un ‘Chester cat de base, brillant mais de base, un mec très ordinaire, qu’on est toujours content de revoir sur scène. Il dit avoir flashé très jeune sur Little Richard, Chuck Berry et Elvis et, comme tout le monde, sur les Beatles, les Stones, les Who, les Kinks et Bob Dylan. Puis il est passé à ce qu’il appelle le ‘hippie stuff’, «Donovan’s «Hurdy Gurdy Man», all that psychedelic thing», alors il s’emballe, «it was exciting, then later I got into The Velvet Underground, The Stooges and the MC5... via Bowie, really. ‘Cos as soon as Bowie came out, I remember seing the Ziggy Stardust Tour.» Voilà ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale parfaite. Il a 16 ans quand il flashe sur Neu! et Can. C’est McLaren qui le présente à Pete Shelley au Lesser Free Trade, en 1976.

             Comme l’article s’étend sur 6 pages, Ranson retrace toute l’histoire des Buzzcocks, singles, albums, puis la première tournée américaine, et là, Diggle saute en l’air : «It was like Hammer Of The Gods!», il n’en revient toujours pas - Drink, drugs and girls every night. It was mental. But we always came out with the goods - Alors il développe, car c’est important : «Quand on est allés pour la première fois en Amérique, on a compris que tout était plus gros là-bas, alors on est montés d’un cran. Les Who pétaient leurs guitares et on a fait la même chose. Pas à cause des Who, mais à cause du public américain, the magic and the craziness of it!». Il raconte ensuite qu’à New York, les Ramones sont venus les voir en concert. Là, Diggle exulte : «Les Ramones nous adoraient et on leur a dit qu’on les adorait et qu’on avait été inspirés par leur premier album. Proper rock’n’roll times. But you have to live those times. That’s one of the reasons you get in a band: the excitement, the energy and... things!».

             Les Pistols choisissent les Buzzcocks pour jouer en première partie du Finsbury Park show en 1996. Là, Diggle devient sérieux : «That was the nucelus of 76. All the others came after. I always say, we wrote the fucking play, we wrote the script.» Diggle revient aussi sur la dernière tournée avec Pete, et un Pete fatigué qui vient le trouver chez lui pour lui dire qu’il songe à s’arrêter. Alors Diggle lui lance : «You’re not leaving it all with me! We’ve still got a lot to do!». Mais quelques jours plus tard, Pete casse sa pipe en bois.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Il est grand temps d’écouter Sonics In The Soul. Diggle attaque avec «Senses Out Of Control» et va se lover dans le giron de la légende. Quelle énergie ! Diggle crée de la bien bonne énormité, il insiste bien sur le control. S’ensuit un «Manchester Rain» vite torché. L’album s’annonce revigorant. Diggle est capable de ce genre de miracle, il t’explique comment on fonce à travers la plaine des Midlands, il te fait du pur jus. Il apparaît vite comme l’un des derniers géants de la grande époque du rock anglais, il tape en pleine power-pop avec «You’ve Changed Everything Now», il rue bien dans les brancards, Diggle dig it ! Le festival power-pop se poursuit avec «Nothingless World», ces mecs n’ont rien perdu de leur grandeur ancestrale. Diggle chante à la porte, mine de rien, il te sort un hit, il insiste et te colle au train. Il fait encore un prodigieux numéro de try it off avec «Don’t Mess With My Brain», il l’amène au heavy riffing de punch up, il chante à la menace à peine voilée, avec tout le poids de son héritage cocky, et ça prend de sacrées tournures, il rocke et il rolle à n’en plus finir, you betcha !, il transforme son mess en fookin’ legendary mess, you betcha, il n’en finit plus d’annoncer la couleur. Il illumine encore le rock anglais avec «Everything Wrong», il embarque ça au train d’enfer de Chester, il riffe avec une sorte d’incroyable facilité et une bassline croise sa route, ça sonne comme un hymne, tu as là du big Dig. Il te casse encore la digue vite fait avec «Experimental Farm», il te gratte ça à la vieille cocote. Diggle est l’un des mecs les plus attachants de l’histoire du rock anglais, mais aussi de la scène actuelle. Il gratte son énorme cocote en souriant, tellement il est heureux d’être là. Encore un coup de génie avec «Can You Hear Tomorrow», il claque ça au carillon, il pose bien ses conditions, il pousse le bouchon toujours plus loin, so far-out ! Il couronne son album à la dure de Chester.

             La chute de l’article de Ranson est magnifique. Diggle dit qu’après Devoto et Pete, c’est la troisième génération - We’re on the third generation now. You’ve been to the V&A and seen the Ming Dinasty? This is the Steve Diggle Dinasty, it’s my time now. Most people are on that journey now with us. Most people are saying ‘I’m glad you carried on, it’s nice to have Buzzcocks music in 2022’ - Magnifique artiste. Il devient chef de meute et trace la route vers l’avenir. Alors, on se prosterne jusqu’à terre.  

    Signé : Cazengler, la (triple) Buse

    Buzzcocks. Sonics In The Soul. Cherry Red 2022      

     

     

    Inside the goldmine

    - Un Chuck de choc

     (Part One)

     

             S’il fallait établir un hit parade des forces de la nature, nul doute que Jacques Somme trônerait au sommet. La notion d’obstacle ne l’a jamais effleuré une seule fois, tout au long de sa longue vie. Ne nous méprenons pas, Jacques Somme n’était pas un Hercule de foire. Il planquait ses biscotos sous un crâne garni de mèches blondes taillées à la serpe, comme celles de Jean-Paul Sartre, une autre force de la nature. Il était même courant, chez ceux qui goûtaient au privilège de sa fréquentation, de le comparer à Sartre, le strabisme divergeant en moins. Passionné de langues vivantes, Jacques Somme passait sa vie à les apprendre et à les enseigner. Il eut tôt fait d’apprendre le Russe et le Chinois et pour parfaire sa pratique, il y fit, comme Blaise Cendrars en son temps, des escapades sauvages. Plus tard, dans sa vie, lorsqu’il eût passé l’âge de sauter dans des trains en marche, il y organisa des voyages et créa un vaste réseau d’érudits et d’écrivains, dans les deux pays. Car bien sûr, la pente naturelle des polyglottes est la traduction. Il ne se contentait pas du Chinois officiel, il creusa un peu dans les régions et s’amouracha des dialectes locaux. Puis il entreprit à une époque où ce n’était encore courant d’apprendre TOUTES les langues des Balkans. Pour ce faire, il installait un magnétophone à cassettes sous son oreiller, et après avoir baisé ses deux maîtresses et son épouse qui partageaient sa couche chaque nuit, il s’endormait pour apprendre une nouvelle langue serbe ou croate. Il me confia un jour, en éclatant de ce rire rocailleux qui le caractérisait, qu’on apprend mieux en dormant. Il traduisait des auteurs qu’il connaissait personnellement pour le compte des fameuses POF, les Presses Orientales de France, et organisait des voyages culturels dans des pays très fermés comme la Corée du Nord et l’Albanie. Il nouait pour cela des contacts dans les ambassades et obtenait des autorisations que personne d’autre ne pouvait obtenir. Il commença au soir de sa vie à se pencher sur les dialectes d’Afrique de l’Ouest. Une nuit, son épouse et ses deux maîtresses furent réveillées par une atroce odeur de brûlé. Une fois la lumière allumée, elles hurlèrent en chœur : la tête de Jacques Somme était carbonisée. Sa cervelle en surchauffe avait pris feu. Ses lèvres bougeaient encore. Il semblait vouloir dire quelque chose. Son épouse se pencha. «Oua... ga... dou... gou...» Elle ne comprenait pas. «Oua... ga... dou... gou...»

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             Espérons que Chuck Jackson n’a pas connu une fin aussi atroce que celle de Jacques Somme. Enfin, atroce dans les apparences. C’est quand même pas mal de casser sa pipe en bois en apprenant une langue africaine. Chuck Jackson pratiquait une autre langue, la Soul. Il fut pendant 40 ans l’un des plus puissants Soul Brothers d’Amérique. Il ne connaissait qu’un seul rival, Wilson Pickett. Étant donné la nature tragique de l’événement, nous allons revêtir nos plus beaux habits noirs pour lui rendre un dernier hommage.

    , standells, sari chorr, pixies, buzzcocks, chuck jackson, marlow rider, western machine, stone of duna, rockambolesques,

             La meilleure introduction à l’œuvre de ce géant de la Soul est une belle compile Kent, Big New York Soul. Wand Records 1961-1966. Dans le booklet, c’est Ady Croasdell qui se charge des présentations. Il commence par rappeler que les Wand recordings du Chuck de choc sont considérés comme «some of the finest Soul tracks of their era». Entre 1961 et 1967, Chuck enregistre 30 singles et 10 albums pour Wand. Bien sûr, il est l’un des chouchous de la Northern Soul, sinon l’Ady ne serait pas là. Petite cerise sur le gâtö : les Kentomanes sont gâtés car l’Ady n’en finit plus de rappeler que cette compile grouille d’inédits découverts par les fureteurs d’Ace, lorsqu’ils ont récupéré les vaults d’or de Scepter/Wand, dans les années 80. Parmi les inédits, voilà «Things Just Ain’t Right», un heavy r’n’b gorgé de remona. Le Jackson boy y va au straight gut in the face. Chez lui, ça ne marche qu’à l’énergie du punch. Cette compile grouille littéralement de puces. Autre inédit : «All About You», cut dévorant dans une bruine de son. Chuck fait des étincelles, c’est raw, c’mon brother !, il y va au ah !’, il préfigure tout ce qui va suivre. Il t’aplatit l’All About You vite fait. Il allume aussi le «Why Why Why» à outrance. Upbeat and catchy, comme dit l’Ady. Il précise en outre que Doris Troy, Yvonne Fair et Maxine Brown chantent avec Chuck. Il fait un duo d’enfer avec Dionne la lionne sur «Anymore», qui date de 1963. Elle est jeune, presque fausse. C’est Chuck qui fait le show. Dionne vient se chauffer à la chaleur du Chuck. On peut dire de cet artiste extraordinaire qu’il chante d’une voix complète, cassée et cassante, une voix d’airain et d’étain, raw et polie à la fois. Il exerce une âcre fascination («Getting Ready For The Heartbreak»). Il est sur le pont dès l’aube de la Soul avec «In Between Tears». La série noire des coups de génie continue avec «Hand It Over», il te groove le hard du lard dans le creux de l’oreille, c’est de l’early Soul de génie, rien à voir avec la Soul plan-plan qu’on entend ailleurs. On plonge encore un peu plus au cœur du mythe Jackson avec «Big New York», le Chuck de choc rebondit dans le big heavy groove élastique. Voilà un mix idéal de groove et de big voice. Pour l’Ady, «Another Day» est une haunting performance. Chuck chante par dessus les toits. Avec «Why Some People Don’t Like Me», il passe au heavy blues. Il est dessus, mais au jazz bound. À chaque fois, il tape dans le mille. Il est énorme et plein, comme le montre encore «What You Gonna Say». Plein comme un plain singer. Dans «I’ve Got To Be Strong», il est juste derrière le groove. Chuck ne fait rien comme les autres. C’est un artiste unique, il groove son «Silencer» comme un cake. Il s’accroche encore à «This Broken Heart (That You Gave Me)», il s’y accroche de toutes ses forces, tu as sans doute là la meilleure Soul de l’époque, et donc du monde. Il faut le voir balancer des hanches sur «Forget About Me», il est d’une présence inexpugnable. Plus on progresse dans la compile et plus Chuck fascine par son talent et sa modernité de ton. Il est encore plus tranchant que Wilson Pickett. Un Part Two bien gras et dodu comme un sacristain viendra conforter cette idée.

    Signé : Cazengler, Chuck assomme

    Chuck Jackson. Disparu le 16 février 2023

    Chuck Jackson. Big New York Soul. Wand Records 1961-1966. Kent Soul 2017

     

     

    *

    Y a des gens cruels, vous n’y pouvez rien, c’est la nature humaine. Ici ils sont quatre, Tony Marlow, Amine Leroy, Fred Kolinski, à eux trois ils forment Marlow Rider, mais comme pour les trois mousquetaires, ii faut chercher le quatrième, un nom que l’on n’oublie pas, ce n’est pas le loup blanc, c’est Seb le Bison. On ne le voit pas, durant l’enregistrement du disque il était caché derrière la console et sur cette vidéo planqué derrière la caméra.

    Marlow Rider, l’on vous a présenté le premier opus ( 2021 ) du trio intitulé First Ride, l’on a doublé la mise, une fois le Cat Zengler, une fois votre serviteur, pour être sûrs que vous n’oublierez pas, un truc qui a foutu le sbeul partout où on l’a entendu. Gros succès, conséquence ils recommencent. La sortie de la deuxième rondelle vinylique est prévue pour ce début du joli mois 68, que dis-je, de mai !

    Pour le moment vous ne voyez rien à leur reprocher, pour un peu vous les traiteriez de bienfaiteurs de l’Humanité, vous avez tort, ils ont décidé de mettre le feu partout, des adeptes d’Héraclite qui pensait que le feu présidait au cycle éternel de la naissance et de la destruction du monde, leur nouvel album s’intitule CRYPTOGENESE, bref ils ne s’en cachent pas ils veulent nous brûler tout vifs comme Jeanne d’Arc. Les écologistes qui redoutent la sécheresse me font rire. En attendant, regardons et écoutons en avant-première :

    DE BRUIT ET DE FUREUR

    MARLOW RIDER

    ( Official Vidéo Bullit Records/ 05 – 05 – 2023 )

     

    Pas un bruit, sommes-nous dans un fond de banlieue là où commence ( presque ) la campagne, le Marlou étui de guitare en main, allure décidée, lorsqu’il passe devant une porte de garage, la caméra se focalise sur son visage, un quart de seconde pas plus, le Marlou vous regarde, votre sang se fige dans vos artères, maintenant vous comprenez pourquoi dans ses interviewes il n’oublie pas de spécifier qu’il est né en Corse, le pays des bandits d’honneur, très gentils mais il vaut mieux s’abstenir de leur marcher sur les pieds, même sur un seul, vous paniquez, pourvu qu’il ne m’ait pas vu, mais non il n’a rien contre vous, par contre dès l’image suivante il s’en prend à sa guitare.

    standells,sari chorr,pixies,buzzcocks,chuck jackson,marlow rider,western machine,stone of duna,rockambolesques

    Marlow envoie le riff, tout de suite lourdement ponctué par Fred à la main lourde, la contrebasse d’Amine vous pose des contreforts en béton précontraint, vous entrevoyez cinq minutes de volupté paradisiaque, déjà vous voyez venir la suite, riff + riff + riff + solo fulminant, puis retour riff + riff + riff + solo embrasement terminal, personne ne descend tout le monde totalement stoned, le Marlou vous réserve une surprise, une vipère froide comme la mort qu’il balance autour de votre cou, elle sort de sa bouche, une espèce de Ah ! de derrière le larynx, un feulement de lynx sauvage qui se laisse tomber du haut d’un arbre et enfonce les griffes de ses quatre pattes au travers de votre boîte crânienne pour le plaisir de labourer votre matière cervicale particulièrement spongieuse, le Marlou ne cessera de répéter  la déliquescence de son cri ante-primal tout le long du morceau, pour accentuer l’effet et l’effroi la caméra se bloque sur sa bouche ouverte et vous apercevez sa langue rouge comme la torche d’Erostrate avec laquelle il incendia le temple d’Artémis à Ephèse, sur l’autel duquel Héraclite avait déposé son livre, la même nuit où naquit Alexandre le Grand, vous voyez la conséquence que cette gutturalité spasmodique a produit sur ma modeste personne, mais ce n’est pas tout, puisqu’il a ouvert la bouche, Marlow parle, en français, comment il ose jouer de la guitare psykédélique et il chante en français, sachez-le Marlow n’a peur de rien, il sait imposer ses choix, l’image qui déjà n’était pas très stable se démultiplie, Marlow ressemble à l’Hydre de Lerne, il est impossible de compter ses têtes, Marlow partout, le reste du monde nulle part, z’êtes emportés dans un tourbillon stroboscopique, Fred vous plombe sa batterie, l’a tendu ses peaux sur des gouffres ce qui explique leurs résonnances, et Amine vous dénature sa big Mama, il vous décalamine le son en décalcomanie, le Marlou n’en continue pas moins à glapir tel le Renard du désert à la recherche du Petit Prince, à la fin sa guitare ondule comme une tête de cheval séparée de son corps, elle circonvolute avec la grâce et la maestria d’un évêque qui vous balance un encensoir autour d’un cercueil. La messe est dite. Ite. Sur l’image suivante, on retrouve le Marlou dans la rue tenant son étui à guitare d’une main et une jolie fille de l’autre. Normal c’est un rocker.

    standells,sari chorr,pixies,buzzcocks,chuck jackson,marlow rider,western machine,stone of duna,rockambolesques

    Damie Chad.

      

    *

    Je connais nos lecteurs, je n’ignore rien de nos lectrices, en lisant la chro précédente sur Tony Marlow, les premiers en lisant le nom de Seb le Bison ont rêvé à la légende indienne du bison blanc, les secondes ont cru qu’elles allaient enfin assister au retour de la femme Bison Blanc. Je crains de décevoir le lectorat, non Seb le Bison n’est pas un bison blanc, non il n’est pas une femme, l’est un homme comme tous les autres, avec quelques particularités, il est Directeur Artistique de Bullit Records, label Rock Indépendant basé à Montreuil City Rock. Enregistrent chez Bullit, Marlow Rider, Cooking with Elvis, Loolie & The Surfin Rogers, je cite ces trois en premiers car nous les avons déjà chroniqués, disques et concerts, mais aussi : Smash, Rikkha, Les Daltons, Nico Shona and the Freshtones, et Modern Delta. Enfin Western Machine dans lequel Seb le Bison officie à la guitare.

    SHORT CUTS

    WESTERN MACHINE

    ( Bullit Records 02 / 2021 )Jésus la Vidange : bass / Taga Adams : bass, vocals / François Jeannin : drums,  vocals / Fred le Bison : vocals, guitar, producteur / Matt le Rouge : saxophone / Andrew Crocker : trumpet.

    standells,sari chorr,pixies,buzzcocks,chuck jackson,marlow rider,western machine,stone of duna,rockambolesques

    Une pochette hommagiale, pas spécialement dédiée au western, pas mal au cinéma, pour le reste il n’est pas évident de reconnaître les effigies, ce qui est sûr c’est que les trois carrés blancs représentent les membres du groupe : Taga Adam, François Jeannin et Fred le Bison mais au cinéma. Faudra-t-il considérer chaque morceau comme une séquence de film.

    Going back to Hollywood : ne dites pas qu’à Hollywood les cowboys sont d’opérette car ça ramone sévère, si vous attendez une ballade country c’est raté, Jeannin s’obstine fatidiquement sur ses outils de travail, le Bison  meugle méchant, l’on intuite qu’il n’est pas dans un champ de pâquerettes en train de conter fleurette sous un soleil printanier, et pour finir Matt se fâche tout rouge sur son sax, déraille dans un long solo qui finit par se confondre avec des bruits de voitures. High shape woman : Jeannin balance la salière, et la horde cavale derrière, tous en chœur pour le refrain, à la manière dont il mord dans le vocal comme dans le fruit du péché il est sûr que Calamity a produit un effet bœuf sur notre Bison. Bison : Bison fait son autopromotion, sort de son étui une belle voix sombre à la Johnny Cash, sur le refrain les copains le soutiennent à mort, l’a encore une arme secrète, c’est Andrew qui dégaine sa trompette, illico l’on est transporté dans les grandioses paysages de la Sierra Nevada, hélas un coup de téléphone impromptu tire-bouchonne les illusions héroïques. Run run : galopade effrénée, tout se passe dans la tête, voix et contre voix, presque un instrumental serait-on tenté de dire, ce qui serait un mensonge éhonté, mais y mettent tant tout leur cœur que la coagulation rythmique des instruments emporte l’adhésion. Red horse : le cheval n’est pas rouge par hasard, c’est Matt qui mène le troupeau sauvage, se lance dans une espèce de solo vrillé qui tient autant du jazz-noise que du sixty-garage, à la toute fin il essaie de recracher le crotale de la fiole du moonshine qu’il avait avalé par inadvertance. Betty Jane : ce n’est pas Betty Jane Rose, plutôt Betty Jane blue, de toutes les manières rose ou bleue les filles sont toujours problématiques, n’y a qu’à se fier à la voix blanche qui raconte, en douce langue françoise, cette triste histoire, concentrons-nous plutôt sur le travail de François Jeannin que la valdinguerie de la guitare met en évidence. Down by law : voix implacable de la justice en intro, musique en cavale précipitée et voix hargneuse tout de suite après, nous n’avons pas encore parlé des chœurs masculins qui émaillent beaucoup de ces titres, ces soulignements lyriques ne sont pas à négliger, surtout dans ce titre où ils apportent stigmates du drame. I won’t back down : de Johnny Cash, rendons à César ce qui est appartient à Tom Petty et ses Heartbreakers, disons que Western Machine rajoute de la viande instrumentale autour de l’os Cashien, l’idée se défend mais parfois le dénuement squelettique est plus inquiétant. Diamond ring : une espèce de parodie westernique très bien faite, la scène du saloon avec le sax de Matt le Rouge qui se permet de danser la gigue sur les tables et les chœurs de cowboy qui rajoutent de l’ambiance. Moon phase : western interstellaire, avant tout un instrumental, Jeannin se démultiplie, le sax de Matt déraille et fouraille une fois de plus pour notre plus grand plaisir. Western dream : les westerns mexicains, ceux qui se passent au Mexique, de Vera Cruz à El Chuncho, sont-ils les plus beaux, la question mérite discussion, la trompette d’Andrew fait pencher la balance en leur faveur, pratiquement seule, elle surgit comme l’incarnation de l’âme d’un peuple sur un dialogue de film. Magnifique.

    Ne pas se focaliser sur le terme western, machinent un peu tous les styles, garage, rock, punk, ska, mélangent le tout et ressortent la mixture à leur sauce. Résultat : l’envie d’écouter le premier.

    FROM LAFAYETTE TO SIN CITY

    ( Bullit Records / 2016 )

    Olivier HSE : bass / Jésus la Vidange : bass, vocals / François François : drum, vocals / / Fred le Bison : vocals, guitar, / Matt le Rouge : saxophone.

    Big Zym s’est chargé de la chouette pochette, mélangeant mythologie western et modernité avec humour.

    Le titre désigne-t-il la ville de Lafayette située dans l’Indiana ou une autre, plusieurs bourgades des USA ont en effet pris le nom de notre célèbre marquis.  Quant à Sin City la difficulté de localisation est encore plus grande, certes c’est ainsi que l’on surnomme Las Vegas, toutefois nous partirons du principe suivant : il y a déjà une Sin City dans chaque ville où réside une lectrice ou un lecteur de notre blogue. Ailleurs aussi, mais la liste serait trop longue.

    standells,sari chorr,pixies,buzzcocks,chuck jackson,marlow rider,western machine,stone of duna,rockambolesques

    Hey Western Machine : est-ce en l’honneur de Bo Diddley l’homme à la guitare en fourrure que le titre démarre sur une cascade battériale, par la suite François s’amuse à nous servir le jungle sound en catimini, l’on change d’époque, guitare et basse écrasent tout sur leur passage, z’ont sorti la voiture de la pochette du garage et ça s’entend. Débutent leur disque par un instrumental, un peu comme les westerns qui s’ouvrent sur une tuerie.  Dead man : une guitare saignante, une basse grondante une batterie qui joue au tapis de bombes et une voix qui survole le tout comme un vol de vautours autour d’un cadavre, n’y vont pas de main morte, vous ratiboisent le secteur sous tous ses angles. Pour les amateurs de déglingue. I got a D : intro fanfaronnade, puis l’on prend les patins pour glisser sur le plancher sans rayer, avoir un D comme date, ça vous file de l’entrain, à la fille comme au boy, ne sentent plus, j’ignore le nombre de flacons pilules qu’ils ont avalés, mais ils sont en forme, une espèce de trombe joyeuse qui dévastera les adeptes de la sérénité zen. Failing down : après les deux giboulées précédentes, avec un tel titre on espérait un blues tempéré, totally raté, c’est encore pire, une folie furieuse vous emporte au vent mauvais, n’en finissent pas de jacter, à croire que le rendez-vous ne s’est pas passé comme on l’a cru, un jungle sound démentiel, une catastrophe auditive, les fauves sont lâchés sur les auditeurs innocents. Phénoménal.  Walking dead : pas de panique avec ce  que vous venez d’entendre vous pouvez croiser une horde de morts vivants affamés avec le sourire, un bon départ rock’n’roll, souplesse rythmique, la basse lourde comme un éléphant qui fait des claquettes, sur les refrains le morceau décolle comme un gros porteur, évitez les hélices elles vous décapiteront en un rien de temps, en fait c’est très métaphysique, notre mort-vivant ne retrouve personne, l’on comprend qu’il ait des poussées d’adrénaline, un drame de la solitude. Comme quoi même au milieu d’un vacarme l’on peut se sentir seul. You’re hot : vous ne résisterez pas à la féminine voix suave qui vous interpelle et encor moins à cette batterie aux abonnés présents, à cette basse épouvante et à ce riff éprouvant, hélas les meilleures choses sont les plus courtes. Deux minutes d’éjaculation précoce.  Lonesome hero : ne confondez pas avec Im a lonesome fugitive, décidément la ballade sentimentale ce n’est pas leur truc, le gars n’est pas abattu par la nostalgie, roule comme une pierre qui rolling stone, mais hargneuse, hérissée de rage et de fureur, le François se prend pour Rocky 2, et tout le reste à l’avenant, attention à l’avoinée qui vous tombe dessus. N’arrivent même pas à se calmer sur les trois dernières secondes. Des brutes épaisses. Adorable ! Come to me : n’écoutez pas ce morceau je vous en conjure allez sur YT visionner l’official video, et après vous ne reconnaîtrez plus personne, pas même une Harley Davidson. Very Hot. Pour ceux qui en veulent plus, Juliette Dragon officie aussi sur Sin City. Mustang : une chevauchée fantastique pleine de bruit et de fureur, du bitume et des motos, un shoot de basse à vous déchausser les dents, une cavalcade motorisée comme vous n’avez jamais osé, la poignée dans le rouge. Sin City : maintenant vous savez pourquoi ils étaient si pressés, la voix de Juliette Dragon incarne le péché à elle toute seule, le saxophone de Matt le rouge éclate comme un bulbe turgescent, il se dresse comme une tête de serpent en train de muer, le morceau chavire dans l’enfer du stupre et le gouffre de la dépravation, vous croyez avoir atteint le fond, vous n’avez pas tort, mais vous n’avez pas raison.  D blues : Blues urbain ou country blues. Epineuse question. Ces deux rails parallèles sont-ils fait pour se rencontrer. Pour ceux qui veulent comprendre une official video sur YT vous aidera. Entre délire et questionnement philosophique sur la nature de l’Homme cet animal bipolaire. Un morceau un peu à part, moins rentre dedans que les précédents, mais tout aussi bon.

    standells,sari chorr,pixies,buzzcocks,chuck jackson,marlow rider,western machine,stone of duna,rockambolesques

             Je pense que cet album est encore plus réussi que le précédent qui vaut son pesant de berlingots à la nitro. Sûrement plus tonitruant, pratiquement à chaque morceau vous auriez envie qu’ils nous en fassent une version instrumentale pour mieux en goûter la richesse. Power trio de choc. Luxuriant.

              D’une richesse extraordinaire.

    Damie Chad

     

    *

    STONE OF DUNA

    Des inconnus par chez nous. De Gothenbourg, deuxième ville de Suède située au sud-Ouest du pays, au bord de mer. Déjà un bon point, en règle générale les groupes Suédois raffolent de la violence, cela provient-il de leur ascendance viking, peut-être. En tout cas Stone of Duna ne semble pas déroger à cette règle. Ils ne donnent pas leur identité, mais les mots qu’ils emploient pour définir leur musique ne paraissent pas évoquer la douceur de vivre. Jugez-en par vous-mêmes : machine à riffs, doom, stoner, sludge, fuzz. Ne les traitez pas de grosses brutes épaisses sans peur et sans pitié. Sont comme la lune, z’ont une face cachée, sont aussi des amateurs et peut-être même des armateurs de musique progressive. Je reconnais que cette appellation recouvre le meilleur comme le pire, l’insipide ou la découvrance de terres inconnues. Se présentent comme des philosophes, pas dans le genre Kant rébarbatif, comme des adeptes de la pierre philosophale, ne l’appellent pas tout à fait comme cela, usent de l’expression de pierre de Duna, qu’ils cherchent à atteindre par la transmutation alchimique des éléments précités, voire précipités dans l’athanor de la recherche sonore. Quoi qu’ils en soient, en sont juste au début de leurs recherches, n’ont publié que deux singles, en mars et en avril de cette année.

    STYGIAN SLUMBER

    standells,sari chorr,pixies,buzzcocks,chuck jackson,marlow rider,western machine,stone of duna,rockambolesques

    La pochette n’est pas sans évoquer l’intérieur du Led Zeppelin IV, ce mystérieux vieillard encapuchonné perché sur le sommet d’un pic rocheux tenant en sa main gauche une lampe dont le halo lumineux paraît d’un diamètre bien trop réduit pour éclairer le monde. Sur la couve de Stygian Slumber, l’ermite est en marche, il n’est pas encore parvenu au point culminant de sa montée. Si tout comme sur le Led Zeppe il s’appuie sur un long bâton, il ne brandit aucune lanterne, le haut de sa silhouette s’inscrit dans l’orbe d’un astre satellitaire, il porte sur son dos un étrange appareil, entre appareillage de plongée et alambic portatif dans la transparence duquel s’agitent de verts linéaments. Une image aussi difficile à déchiffrer que celle du IV. A la bien regarder l’on pense intuitivement à la nuit du Walpurgis dans le Faust de Goethe.

    Etrange, étrange, étrange, oui trois fois étrange, une distribution parfaite, un tiers pour la musique, un tiers pour le vocal, un tiers pour les lyrics. ( Pour ces derniers si l’anglais vous pose des difficultés regardez sur YT la version Lyric Video ). C’est l’entrée du vocal qui est déstabilisante. L’intro mérite le logo classic doom sans discussion, une montée en puissance des cordes avec très vite le jeu de la batterie qui tient à jouer son rôle de jeune première, tout est parfait, quand l’on y revient l’on s’aperçoit que du premier coup on n’a pas fait attention au merveilleux équilibre sonore apporté à chaque instrument, tous traités à égalité, puissance équivalente, un peu plus tard la basse bénéficie d’une thérapie un peu spéciale, on la laisse grogner toute seule dans son coin à la manière d’un loup fourvoyé dans une cage, ce traitement de faveur n’est pas dû au hasard, l’est sans doute là pour attirer l’attention sur l’exhaussement des voix, pour qu’à l’instant où l’organe humain prend son envol l’auditeur en ressente la clarté absolue. En règle générale dans le doom l’obscurité de la musique assombrit la voix qui pour se mettre en diapason avec l’atmosphère morbide s’enkiste dans une raucité gutturale et le background instrumental pour ne former qu’une unique coulée de lave torrentielle, ici vocal el instrumentation font cavalier seul, aucun n’empiète dans le couloir de l’autre, ce n’est pas qu’ils s’ignorent, qu’ils essaient de tirer la couverture à eux, l’on pourrait parler de coexistence pacifique, si tu déchaînes ta puissance je libèrerai la mienne, tu as tout à y perdre autant que moi, alors ne joue pas avec le feu, tu te brûleras. En cherchant bien, un peu ce qu’avait réussi en 1970 Uriah Heep dans Gypsy sur Very ‘Eavy, Very ‘Umble. Toute constatation mérite explication. Elle réside dans les lyrics. Assez obscurs. Non pas l’histoire d’un cheminement extérieur plutôt celui d’un dévoilement intérieur, ces pensées par lesquelles survient la prise de conscience que la réalité qui s’offre à nous n’est qu’une croûte de mensonge, que sous la boue terrestre des chemins se cache la réalité d’un autre monde, que la fange alluvionnaire recouvre et cache une pierre à la dureté impérissable. Une fois que l’on a saisi c’est alors que commence le chemin, celui de la maîtrise opératoire, la première étape celle de l’œuvre au noir, par laquelle le compost de la matière première est réveillé, préparé, réactivé, cette épreuve exige habileté et réflexion, ce qui explique maintenant la construction de ce morceau dont les différents ingrédient sont portés à leur plus haut niveau d’intensité, la recherche du kairos dans le kaos, de l’instant précis où toutes les séquences ordonnées seront à même de subir l’épreuve de l’étape suivante. Les alternances, les phases, les déclinaisons instrumentales et chantées sont à écouter comme un processus rituelliques dont le but principal serait de reléguer le hasard dans le néant des inexistences parcellaires. L’on n’épuise pas ce morceau, il faut sans cesse le réécouter pour en signifier le déroulement.

    DEATHBRIGHT

    standells,sari chorr,pixies,buzzcocks,chuck jackson,marlow rider,western machine,stone of duna,rockambolesques

    L’on retrouve sur la couve le marcheur de la pochette de Stygian Slumber. Il semble (tout comme le vieillard du IV) parvenu au faîte du mont dont il n’abordait alors que les premières pentes. Il contemple le grandiose paysage qui s’étend devant lui. Des aiguilles pierreuses s’offrent à sa vue. L’artwork est manifestement inspiré du tableau Le voyageur de Caspar David Friedrich. Le lecteur aura remarqué de lui-même que si la première image reste dans une tonalité ombreuse, cette deuxième semble auréolée de couleurs beaucoup plus éclatantes.

    Musique plus vive, le vocal davantage dans le magma sonore, mais encore lumineux, nous voici dans l’instant du réveil, le maître a agi sur la matière noire, elle se rend compte qu’elle était morte puisqu’elle prend conscience qu’elle vit, le son se charge d’impétuosité, le morceau oscille, tantôt il penche du côté de la mort et tantôt de la vie. Si le maître a rendu la vie à la matière morte, que lui a donné en échange la matière morte, toute l’opération ne serait-elle pas un va-et-vient incessant entre les deux formes suprêmes de toute phénoménologisation, entre existence et inexistence. Entre couleurs et nuit, entre chaleur et froideur. Entre inertie et mouvement. Le deuxième menant immanquablement à l’autre. Nous n’avons parcouru qu’une partie du chemin. Nous attendons avec impatience la suite.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    standells,sari chorr,pixies,buzzcocks,chuck jackson,marlow rider,western machine,stone of duna,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 24 ( Black teeth  ) :

    129

    Je m’écroule sur la moquette. Evanoui. Ainsi la clef de cette mystérieuse et labyrinthique de cette affaire repose en moi. Le choc émotif a été trop fort ! Molossito me lèche le visage. Molossa me mord les pieds. Rien n’y fait. Lorsque les pompiers sont arrivés, ils sont à mes côtés et hurlent à la mort. Le toubib et les infirmiers du Samu, s’évertuent de longues minutes à pratiquer un massage cardiaque, en vain. Le docteur ne se décourage pas :

              _ La dernière chance, hier j’ai été appelé au zoo de Vincennes, l’éléphant ne se réveillait pas après la dose d’Angel Dust que le vétérinaire lui avait administrée, on lui a refilé cent soixante- dix-sept litres d’ammoniac dans le cœur sous forme de piqûres, l’était tout faiblard quand il s’est réveillé, n’est toujours pas en grande forme ce matin, avec trois mois de convalescence à l’isolement complet on estime qu’il a une chance sur cent pour retrouver la santé, il me reste une seringue dans le sac !

    Et hop il me plante l’aiguille dans la poitrine et m’instille direct un litre d’ammoniac dans le cœur. Je ne bouge pas, mon corps ne frémit même pas. Cinq minutes d’attente angoissée, le praticien se tourne vers le Chef :

             _ Monsieur, je suis désolé, la science ne peut plus rien pour votre collaborateur !

              _ Arrêtez vos jérémiades, d’abord sachez que les agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll, ne sont pas comme les autres humains, maintenez-lui la bouche ouverte, et vous là débouchez-moi la bouteille sur l’étagère là-bas !

    Le Chef ouvre le tiroir de son bureau et en tire un Supositario qu’il allume sans tarder, il aspire longuement une énorme bouffée et se penchant vers moi, il me souffle un épais nuage de fumée malodorante dans les bronches. Les deux pompiers qui m’écartent les mâchoires se détournent pour vomir leur quatre heure. J’ouvre les yeux et tousse un bon coup.

             _ Un miracle, je n’ai jamais vu ça, balbutie le Diafoirus

             _ Au lieu de dire n’importe quoi ingurgitez-lui une demi-bouteille de Moonshine dans le gosier, dans un quart d’heure il batifolera dans le bureau comme un poulain qui vient de naître !

    130

    Après cette longue journée nous avons dormi au local. Je me hâte de rétablir la vérité historique. Après le départ des secouristes je me suis allongé sur un divan, mes chiens serrés contre moi, à ma grande honte j’ai roupillé comme un loir. Le Chef est resté à son bureau toute la nuit, en fumant Coronado sur Coronado. Lorsque je me réveille il est train de vérifier avec soin une dizaine de Rafalos posés devant lui.

             _ Agent Chad, vous devriez dormir toutes les nuits au bureau, nous gagnerions ainsi un temps précieux !

             _ Pour quoi faire Chef, je ne sais plus par quel bout continuer cette enquête, je suis perdu !

             _ Agent Chad savez-vous la différence existant entre un dédale et un labyrinthe ?

             _ A peu près la même chose, je suppose

             _ Pas du tout un dédale possède plusieurs entrées et donc plusieurs sorties, à l’opposé un labyrinthe n’a qu’une seule entrée qui est aussi son unique sortie.

             _ Oui Chef mais où cela nous mène-t-il, je ne vois pas où…

            _ Elémentaire mon cher Chadson, nous savons que tout ce mystère repose sur vous, l’espèce de commotion psychique dont vous avez été saisi hier le prouve, pour résumer vous êtes l’entrée et la sortie de cet imbroglio, nous sommes en plein dedans, il suffit de trouver la sortie pour nous en tirer. Actuellement nous nageons un peu si vous me permettez cette expression, il suffit donc de remonter le courant pour nous extraire de ce guêpier.

             _ C’est-à-dire que nous allons procéder en quelque sorte à l’envers !

             _ Exactement Agent Chad, mais en procédant selon notre logique et non pas selon celle du labyrinthe. Je vous explique parce que votre mine me signifie que vous n’entravez que couic. N’oubliez pas que c’est vous Agent Chad qui avez défié la mort, vous avez même dit que vous vouliez tuer la mort. Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes, si vous réussissez, pensez à ces millions d’imbéciles qui nous entourent présentement et que nous devrions supporter durant des milliers d’années…

    • Présenté comme cela en effet il me semble…
    • Ce n’est pas le problème, dîtes-moi plutôt où l’on a la chance de rencontrer la mort ?
    • Dans les cimetières Chef !
    • Eh bien, nous allons revisiter les cimetières que nous avons traversés durant nos pérégrinations, mais en commençant par le dernier !
    • Si je comprends bien nous…
    • Allez plutôt me voler une grosse berline noire !

    131

    Nous avions pris l’air de promeneurs inoffensifs, des curieux, des touristes, nous avons tourné et retourné, ne pas attirer l’attention avait dit le Chef, personne n’aurait pu dire si au prochain croisement nous prendrions à droite ou à gauche tant notre promenade paraissait capricieuse et hasardeuse. Malgré cette nonchalance affichée, nos circonvolutions faussement aléatoires ont fini de nous rapprocher de notre but.

    • Nous sommes à moins de deux cents mètres, murmura le Chef, Agent Chad une main sur votre Rafalos, maintenant tout peut arriver !

    Le Chef croyait-il si bien dire ? Il ne nous restait plus qu’une soixantaine de pas pour arriver lorsque nous les vîmes. Ils étaient deux manifestement occupés à se livrer à une étrange tâche. Nous nous sommes rapprochés sans bruit. Ils ne nous ont pas entendu venir. En bleu de travail, ils avaient l’air de rassembler leur outillage. L’un s’est brutalement retourné :

    • Ah c’est vous ! Vous venez voir le travail, ça n’a pas été difficile ni trop long, j’espère que vous serez satisfaits
    • Non, non, nous sommes de simples visiteurs, nous nous demandions ce que vous faisiez
    • Excusez-moi, nous avons cru que vous étiez des membres de la famille. Nous sommes des marbriers, nous avons été chargés de terminer l’inscription sur la tombe, pour moi ce n’était pas difficile, juste rajouter 80 à l’année de naissance et 95 à l’année de sa mort, par contre pour le collègue ce n’était pas de la tarte.
    • Pensez donc Messieurs il a fallu rajouter une première lettre au nom et en plus l’attacher à la suivante, pas facile mais je ne suis pas mécontent de moi, pas mal l’artiste, qu’en pensez-vous ?

    Je m’extasiai :

             _ Sûr qu’accoupler le E initial avec un O qui prend sa place, il faut être sacrément habile, de la belle ouvrage !

            _ Par contre la personne qui est dessous est là depuis presque 30 ans, puisque nous sommes en 2023, et durant tout ce temps la famille n’a pas trouvé le temps de rajouter quatre misérables chiffres, des radins comme cela, ça ne devrait pas exister, une honte, il n’y a plus de respect dans cette société, même pour les morts, nous vivons dans un drôle de monde !

    Nous compatissons gravement. Un coup de klaxon rompt retentit.

              _ Ah ! le patron, doit y avoir un autre chantier, on prend le matos et l’on file, au revoir Messieurs !

               _ Bonne journée Messieurs et félicitation pour votre travail.

    Une camionnette s’arrête sans bruit un peu plus loin dans l’allée. Les deux gars ouvrent la porte arrière déposent leur matériel et s’engouffrent dedans… Le véhicule redémarre lentement :

    • Chef, le patron ne leur permet pas de monter avec lui dans la cabine, ce n’est pas sympa !

    Le Chef n’a pas le temps de répondre. La camionnette s’arrête et opère un demi-tour. Elle repasse devant nous. Le chauffeur ne nous jette pas un regard. Le Chef retient mon bras :

             _ Doucement Agent Chef, je l’ai reconnue moi aussi, notre vieille amie la Mort, malgré le col de sa veste remonté et la visière de sa casquette qui voile son visage.

             _ Chef sa camionnette fonctionne à l’électricité, elle ne doit pas aller bien vite, les engins de cette marque sont réputés pour ne pas battre des records, courons jusqu’à notre voiture et essayons de la rattraper !

             _ Pas d’affolement Agent Chad, inutile de nous faire remarquer, j’ai deviné où elle va !

             _ Où ça ?

             _ Sur une route que vous connaissez bien !

    J’arrête de marcher, mon esprit fonctionne à toute vitesse, tout s’éclaire soudainement.

             _ Chef avec la voiture que j’ai volée nous y serons avant elle, je vous le promets !

             _ Agent Chad je n’en doute pas, je vois que vous commencez à comprendre la différence entre un dédale et un labyrinthe !

    A suivre….

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 596: KR'TNT 596 : TELEVISION / HOUSE OF LOVE / IGGY POP / RUBY JOHNSON / THE FALL / DIVORCE FINANCE / VERITI RITUS / SWAMP DUKES / AMER'THUNE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 596

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 04 / 2023

    TELEVISION / HOUSE OF LOVE

    IGGY POP / RUBY JOHNSON

    THE FALL / DIVORCE FINANCE

    VERITI RITUS / SWAMP DUKES

    AMER’THUNE / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 596

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Television Personality

     - Part Two

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Après le flash planétaire de Marquee Moon, Television va rester allumé le temps de deux albums, Adventure en 1978, et un album sans titre, en 1992.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Tu vas trouver en ouverture du balda d’Adventure un «Glory» qui semble tout droit sorti de Marquee Moon, tellement c’est taillé sec dans le lard télévisuel, avec un chant de sale petit décadent. Verlaine en joue jusqu’à la nausée, ça fait partie du jeu, il revient au Marquee avec la même volonté de ne pas en découdre, même volonté de corrompre la formule. Il sait rester expressif et donc convainquant, Verlaine continue de faire son Rimbaud. On trouve encore tous les travers de Marquee Moon dans «Days», Verlaine continuer d’exploiter son petit filon de florentin malingre aux veines saillantes. Il joue les victimes désignées, il se sacrifie sur l’autel des dieux, pas besoin de prêtres. Tout l’album reste dans le même acabit, même balancement, même sens aigu de la mauvaise santé. Ce vieux Verlaine n’en démord pas, il campe dans sa déliquescence avec le chant qui sied. On sent bien que Verlaine se prend pour un poète dans «Carried Away», il a du répondant et fait l’effronté. Retour à Marquee Moon avec «Ain’t That Nothing», Verlaine ressort le riff de Johnny Jewel, il sent qu’il faut sauver les meubles, alors il tarpouine sa vieille recette et bascule dans l’«Happy» de Keef. Quel mélange ! Le voilà en plein Exile, avec une belle descente au barbu d’electrak. Au final ça donne un cut inexorable.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             On trouve encore deux ou trois belles choses sur l’album sans titre paru en 1992, à commencer par «In World», un beau funk blanc, c’est sec et net, et même intraitable, serti d’un solo hirsute de clairette maladive signé Richard Lloyd. C’est encore lui le petit Richard qui allume «Call Me Lee», son solo est un vrai festin d’entrailles, il joue à l’outrance carnassière. Avec «Beauty Trip», ils passent au wild TV groove d’Hoochie Coocha, Verlaine taille sa route au señor, il y va, c’est monté sur un bassmatic de Fred Smith, ils te groovent l’Empire State Building, et ça donne une merveille absolue. Verlaine fait le fanfaron sur «Shame She Wrote This». Il adore rebondir sur le vieux beat en bois poli. L’air de rien, avec son air fourbe, il passe son Television en douce. Il donne encore une suite à Marquee Moon avec «Rhyme». Tu peux considérer Verlaine comme un grand parnassien. De la même façon que Lou Reed, il a une vision très spéciale du rock, il voit le rock à travers les binoculaires de New York. Il déploie toujours les mêmes draps de satin âpre. Ça va te gratter le cul, mais derrière il y a beaucoup de travail aux guitares. Il tape «The Tube» à la réserve, sur des accords d’acier bleu. Tout reste acéré chez Verlaine, même la Television. Surtout la Television. Il touille sa salade avec des airs compassés de martyr, il est même assez rigolo dans son rôle d’archange déchu, il s’en sort avec un groove de baskets aux pieds, il swingue sa carcasse en fer blanc, Verlaine est un mec très débrouillard. Tous ses cuts sentent un peu la débrouille. Il crée en quelque sorte les conditions de sa perte, il adore s’écrouler dans les immeubles, alors il peut hurler comme un con, comme il le fait dans «Mars», il va même essayer de se faire passer pour un génie. On ne sait jamais, ça peut marcher.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Si tu veux entendre de belles guitares, écoute The Blow-Up, le fameux bootleg officialisé paru sur ROIR en 1982. On y trouve des belles versions à rallonges de «Little Johnny Jewel» et de «Marquee Moon». À force d’être solotées, ces versions finissent par te fendre le cœur. C’est monté en neiges du Kilimandjaro, elles bénéficient quasiment du même beat indolent. On retrouve dans ces enregistrements de fortune tout ce qui fait le charme malsain de Television : le chant à l’efflanquée et les molles torpeurs envenimées. Ils font aussi une très belle version de «Knockin’ On Heavens Door», ils prennent le temps d’y développer leurs conjonctions d’entrelacements congénitaux. Leur côté ambiancier reste décidément du meilleur goût.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Puisqu’on trempe dans les sources aléatoires, on peut écouter Arrow, un bootleg tombé des nues au son très convenable. Cool a fuck et hot as hell. C’est comme on s’y attend ultra-joué aux guitares et la version de 15 minutes de «Johnny Jewel» emporte bien la bouche. On sait exactement ce qui va se passer, mais on se régale de ce long solo excédé d’exemplarité symboliste. En B, «Prove It» tient en haleine, car Verlaine y passe un beau solo liquide d’une qualité irréprochable. Toute l’énergie riffique du groupe est de retour avec «Friction». Ces gens-là savaient honorer un contrat. Même la version de «Satisfaction» passe bien, car infestée de solos razor sharp. On a là une véritable dégoulinade de sonic hell excédé. Sur scène, Television reste un groupe fascinant.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Tom Verlaine attaque sa carrière solo avec un album sans titre paru sur Elektra en 1979.  Il fait bien sûr du Television. C’est tout ce qu’il sait faire. Oh, ce n’est pas un reproche, au contraire. «Red Leaves» est du pur jus de Television. Verlaine reste dans le même son, il tente de recréer l’excelsior. D’ailleurs, il a tout Television derrière lui, sauf le petit Richard. Encore du TV pop avec «Breakin’ In My Heart». On se croirait sur Marquee Moon. Même voix, même son. Il deviendrait presque une caricature du TV show, à tortiller ainsi son chant maladif. Il finit par sonner comme une superstar. Verlaine a vraiment inventé un style de rock, un rock excuriating de zombie exacerbé, repoussante créature parcourue de veines saillantes et dotée d’une voix d’asperge mal fleurie. Verlaine continue de faire son Television sans Rimbaud, il garde son lard dans sa poche, il gratte ses accords de 1977. Pour tous les fans de Television, cet album sonne comme le gendre idéal. Il repart en mode bien maladif avec «Kingdom Come». Il twiste ses guiboles de zombie et n’en finit plus de larmoyer. Franchement, a-t-on besoin d’une nouvelle «Venus De Milo» ? En attendant, Verlaine connaît sa Jaguar par cœur. 

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Son deuxième album solo s’appelle Dreamtime. Ça reste du big TV sound apoplectique. Rien n’a changé dans la culotte de Verlaine, ni les veines saillantes ni les vieux jus. Il abuse de sa vieille recette. Les deux gros cuts de l’album sont «Always» et «Mr Blur» : son de tape-dur et psaumes d’exacerbation, acid guitars et beat d’acier, tu es à New York, mon gars, c’est du rock-solid, admirable à bien des égards. Les accords de Mr Blur sont ceux du premier TV, ce gros gratté de poux infectueux, vite contaminé par un chant encore plus infectueux. So Mr Blur ! Verlaine moissonne le va-pas-bien. Il n’a jamais éteint sa télé. «Without A Word» sonne comme de l’early TV motion, Verlaine est encore plus décadent qu’au temps de Marquee Moon, il colle au papier comme un gros bonbon périmé, dans ses veines saillantes coule toute la décadence de l’avant-siècle, sa glotte vibre maladivement. Il y a du Des Esseintes dans Verlaine. Il revient encore à ses vieilles amours transies pour les fièvres avec «A Future In Noise», Verlaine sait piquer des crises d’apoplexie, il connaît le secret des veilles convulsions de la 42e Rue, il faut voir comme ça pulse dans l’ass du percuteur. Cet album est aussi balèze que Marquee Moon. Même poids dans la balance de l’imbalance. Verlaine secoue bien les circuits de son vieux récepteur. Il jette un regard tellement torve sur le rock qu’il frise en permanence la modernité.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Pour Words From The Front, son troisième album solo, Verlaine s’offre un beau portrait pour sa pochette. Il dégage une sorte de sainteté. Sur cet album, il renoue avec le beat tourmenté et les éclats de voix qui firent la réputation de Television. Il n’en finit plus de jeter l’ancre dans les eaux noires de la vieille psychose new-yorkaise. C’est en B que se trouve toute la viande, à commencer par un morceau titre très atmosphérique, faux récit de guerre un peu macabre, avec un John died last night/ he had no chance/ beneath the surgeon’s drunken hands, et on le voit même partir en solo de dérive abdominale. Ça se veut beau et ça l’est. Tom Verlaine s’inscrit dans le domaine de la mélancolie sinueuse. Encore mieux, voici «Coming Apart» où il dit se sentir mal, il part en morceaux, I’m coming apart, il ne sait pas ce que ça signifie, mais ça lui permet de renouer avec la fantastique pulsion new-yorkaise, celle des gens qui décidément n’iront jamais bien. Il termine avec l’excellent «Days Of The Mountain», joué au long cours d’un solo délicat et entreprenant. Verlaine finit toujours par emporter la partie.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Paru deux ans plus tard, Cover est un album qui laisse sur sa faim. Verlaine revient au funk télévisé avec «Travelling». Son vieux pote Fred Smith joue le drive de basse intermittent. Fred a l’habitude, Verlaine peut compter sur lui, c’est un brave mec. On retrouve aussi du TV Sound en B avec un «Miss Emily» chanté au when the sun goes down. Verlaine n’en finit plus de montrer qu’il maîtrise bien son art et qu’il sait créer des ambiances. Comme s’il n’avait fait que ça toute sa vie. Pire encore : comme s’il ne savait faire que ça. Il faut dire que ce mélange de grattes clairvoyantes et de voix aux abois est unique en Amérique. Si on garde un bon souvenir de «Little Johnny Jewel», alors «Rotation» passe comme une lettre à la poste. Oui, c’est le même son, exactement le même beat décharné et le même faux funk pas très franc du collier.     

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

            On trouve une belle énormité sur Flash Light. Elle s’intitule «Song». Verlaine chante sa Song de manière épique, avec une espèce de petite démesure à la clé de Sol, et ça devient beau très vite - When you wait/ It is not hours/ But forgotten sense of time - C’est bien déstructuré au chant et secondé par une gratte brillante. Mais c’est le texte qui force l’admiration - It’s very kind of all those powers/ To feature love without design - Cette merveille est d’une grande élégance littéraire. Par contre, si on va chercher l’«At 4 AM» en B, c’est la qualité du chant qui va emporter tous les suffrages. Verlaine est un prodigieux décadent - Rosie rosie/ The violets bloom - Fantastique hommage rendu à Rosie - At 4 am I’ll be back/ In San/ Antone - On tombe plus loin sur un «Annie’s Telling Me» monté sur le beat du vieux «Friction». C’est beau, une fois de plus - It’s like a factory/ Cranking out them part - Belle musicalité latente, hantée par des éclairs de virtuosité. On s’attache à Verlaine. On s’amourache.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Puis on va le voir commencer à tourner en rond avec The Wonder, qui paraît en 1990. On y sauve le «Kaleidescopin’» d’ouverture de balda. Verlaine y joue sa très vieille carte de TV funk blanc. C’est toujours le même son et Verlaine chante du fond d’un gosier parcheminé. Il tortille bien son astro-funk groovytal. Il refait le cirque de Johnny Jewel dans «August» qui n’a rien d’auguste. Il drive sa chique, mais loin du Quartier Latin et des Zutiques. Il n’en finit plus de reproduire son vieux modèle maladif. Le white funk d’«Ancient Egypt» finit par indisposer. Ce no-wave sound frise le Talking Heads. On perd le hard-talk de TV. Il n’empêche que derrière le rideau, les grattes sont voraces. Ça dégénère même en gratté de poux épileptique. Verlaine fait bien son biz. Mais il peut indisposer, il faut le savoir. De toute évidence, il n’entre pas dans l’histoire de la fameuse bataille avec «Stalingrad». Il y perd un peu de sa crédibilité. Mais on l’écoute car, d’une certaine façon, ça reste puissant. Verlaine finit par s’inscrire dans le heavy balladif, son «Pillow» est solide, on sent le vrai songwriter, il s’inscrit dans le marbre de la télé - A bluebird in a tree - Il travaille encore son «Storm» au corps à coups de love me up a storm, c’est-à-dire au heavy funk drop. Il reste dans son style et dans son beat. Peut-on parler d’une œuvre ? Pas vraiment. C’est juste un style, mais un style unique qui s’affirme, album après album, un style qui le sort du troupeau des moutons de Panurge. Ça l’arrange bien Verlaine d’avoir un style unique, ça lui permet de s’imposer comme un artiste. Il finit son album en mode petite pop avec «Cooleridge», il joue de ses charmes frelatés et sonne comme une vieille pute, puis «Payer», plus bossa nova à la mormoille, limite new wave. Il fait n’importe quoi pour remplir son album. C’est dur de voir un si bel altiste se griller en prenant les gens pour des cons.    

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             La belle ampoule qui éclaire la pochette de Warm And Cool est censée indiquer la présence d’idées. Tintin pour les idées ! C’est un album d’instros. Billy Fica bat toujours le beurre et un certain Patrick A Derivaz bassmatique. Si tu veux t’ennuyer, c’est l’album idéal. Zyva copain, elle t’attend ton idole des jeunes ! Verlaine se prend pour Peter Green dans «The Deep Dark Clouds», c’est agaçant. On perd vite patience avec ces mauvais tours de passe-passe. Pour «Saucer Crash», Verlaine y va au Saucer. On a envie de lui dire : «Laisse tomber poto, tu nous les tarabustes.» On attend de la viande et il ne nous ramène que le squelette. Mine de rien, il réussit presque à t’entraîner dans son délire. C’est tout de même incroyable qu’on en vienne à écouter des albums qui n’apportent rien. Méfie-toi des ampoules ! C’est souvent l’arbre qui cache la forêt. Quel gâchis cet «Harley Quinn». C’est pas beau. Tu as besoin de choses plus solides pour ton équilibre mental.      

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Rebelote avec Around. Encore un album d’instros paumés. Il faut boire le calice jusqu’à la lie, sinon, on ne sait pas. Disons que Verlaine expérimente. Il fait de l’exotica de gratte paumée. Alors tu suis ou tu suis pas. C’est ton problème, pas celui de Verlaine. Si tu es fan, on va dire inconditionnel, et que tu es curieux, tu suis. Tu marches sur des œufs. Verlaine flirte en permanence avec le discrédit. Et pourtant il semble continuer de créer son monde. Il a l’air sûr de lui. Il gratte pour des prunes, comme dirait Gide. Avec «Balcony», il revient à son vieux TV sound. Il ne fait que suggérer, c’est tout le propos de cet album. Mais il reste très directif. Sa gratte chante pour lui. Avec «Eighty Eights», il fait un cirque assez pur, presque mélodique, par contre, il devient malencontreux avec «Wheel Broke», un heavy boogie grossier, atrocement dérisoire. Il termine en mode prévisible avec «Rings», une vieille jam de fin de non-recevoir, bien travaillée dans la couenne du lard, du pur Verlaine.   

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

                 Et puis en 2006 tombe du ciel un album quasiment parfait : Songs And Other Things. Il renoue avec son funk d’agonisant dès «Heavenly Charm», en plein dans la veine de Johnny Jewel, et ce n’est pas une métaphore. Ça redevient bougrement captivant. Verlaine chante ses cuts dégueulasses avec une sorte de dégoût profond, on s’essuie les doigts tellement ça pue. On le voit éructer dans la valse des étrons de «Blue Light», il n’a plus aucun espoir. Back to New York City avec «From Her Fingers», Verlaine y va au fa fa fa, le côté diskö est inadmissible, c’est d’ailleurs cette tendance qui a coulé Blondie et les Talking Heads, leur attirance pour le dollar diskö, mais le fa fa fa de Verlaine passe comme une lettre à la poste. Rien de plus insidieux que le «Nice Actress» qui suit, Well I got you come, il cueille la rose à la bouche de la décadence. Et boom ! Les heavy chords de «The Earth In The Sky» éclatent, c’est très spectaculaire, ça se passe au meilleur niveau tremblant, tu as vraiment le Verlaine des temps modernes, il écrit des vers, de la prose, en attendant le jour qui vient, te voilà en pleine magie. Il développe ensuite des langueurs pas monotones, il se meut dans le groove frappé sec de «Lovebird Asylum Seeker» et travaille sa défaite dans le détail avec «Documentary». Ce genre de mecs n’aiment pas qu’on les embête quand ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Pour eux, c’est important de pouvoir creuser sa propre tombe. Le poète doit toujours se noyer dans le jus de sa déliquescence. Ce qui fait très bien Verlaine. Il gratte son «Singalong» dans le free d’un funk de no way out. C’est sa vision de la modernité. Il déconstruit le funk à la plaintive. Il provoque les savants. Il leur rit au nez. Il salomonte ses clavicules et force sa langue à danser le jerk. Verlaine te propose ici un album atrocement inventif, un album sans peur et sans reproche, il gratte fabuleusement dans la couenne du lard et se plaint en permanence. Il revient à son cher vieux TV rock avec «All Weirded Out», bien claqué au sommet du crâne, c’est effarant de much better, Verlaine n’a jamais fait couler autant de bave de rock, il est fabuleux d’éclat terni. Et puis voilà le coup de génie : «The Day On You», tu ne sais pas d’où ça sort et boom ! Ça tombe du ciel, là tu peux y aller, c’est solide, la pop scintille et le chant danse le mambo avec la muse, Verlaine te harponne comme si au fond tu n’étais rien d’autre qu’un vieux cachalot blanc.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Tom Verlaine n’est pas le seul ex-Television à mener une carrière solo. Richard Lloyd compte à son actif une petite ribambelle d’albums solo. Si on les écoute, c’est forcément par curiosité, d’autant que le premier est paru sur Elektra en 1979, alors que le label était encore en vogue. Mais hélas, Alchemy n’est pas ce qu’on pourrait appeler un bon album. Le pauvre Richard y joue une pop gentillette et toute la tension de Television a disparu. C’est le genre d’album qu’on va renvoyer dans le circuit aussitôt après l’avoir écouté. On s’y ennuie légèrement. La pop gentillette ne mène nulle part. Il paraît même bizarre que cet album si faible soit sorti sur Elektra. Le pauvre Richard n’a pas de voix. On retrouve ça et là des bribes de TV Sound, comme dans «Should Have Known Better», mais il manque l’essentiel, le côté tourmenté. Le jeune Richard est trop gentil. 

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Il se fâche un tout petit peu sur Field of Fire paru en 1985. On sent dès l’ouverture une belle détermination à vaincre. Le jeune Richard n’a toujours pas de voix, mais il tente quand même le coup. On le voit même beefer son son dans «Losin Anna». Du coup, il retrouve sa crédibilité de TV man. Mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec un «Pleading» joué sur les accords de «Friction». Le jeune Richard renoue enfin avec le TV Sound. Il ressort son vieux son Fender lancinant et tellement new-yorkais. Encore mieux : le morceau titre, paré d’une admirable ambiance. Comme son compère Verlaine, le jeune Richard peut jouer de très beaux solos entreprenants. Il vise lui aussi le firmament. Ce cut pourrait très bien figurer sur le premier album de Television, rien que par la lancinance du beat et la qualité des échappées belles.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Deux ans plus tard, le jeune Richard se fait peindre avec une guitare rouge pour la pochette de Real Time. C’est un album live qui démarre sur une cover assez médiocre de «Fire Engine», un vieux hit du 13th Floor. On note au fil des cuts une absence tragique de viande. On observe un petit sursaut avec «Lost Child», joli slab de rock insistant mais difficile à cerner dans l’océan de médiocrité qu’est hélas cet album. Le jeune Richard n’a définitivement pas de voix. Tout repose sur son passé de TV man. On n’écoute la B que par conscience professionnelle. Quelques relents de TV s’échappent de «The Only Feeling». On y retrouve en effet la froideur du beat et l’alchimie solotique, ces chapelets de notes cristallines égrenées dans la lumière des matins blêmes. Il tape plus loin dans le «Field Of Fire» de l’album précédent et on le voit visiter les couches supérieures des mondes aléatoires. Les luttes s’y font très intestines, le jeune Richard va vers la beauté, c’est indéniable. Il ressort aussi son beau «Pleading» et là, il remporte une sorte de petite victoire : il réussit à convaincre. Ce mec n’a pas de voix, mais il amène autre chose, une présence, un certain ton guitaristique, un parfum de pop-rock new-yorkaise, c’est très spécial et très communicatif. «Pleading» est un joli cut. 

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Sur la pochette de The Cover Doesn’t Matter, le jeune Richard s’emmitoufle. Il démarre sur une belle énormité nommée «The Knockdown». Oh le petit démon ! Il déballe un heavy sludge d’heavy as hell, il combine la grosse attaque et la folle énergie. Il a tout in tow. C’est pas compliqué : il te fait du real deal de wild as fuck. L’autre belle énormité s’appelle «Strange Strange», il chante ça au funk TV. Le jeune Richard est comme son pote Verlaine, un immense artiste. Il ne joue que des solos miraculeux. Il revient dans le giron du TV sound avec «Torn Shirt». C’est du pur NYC blues punk, un vrai pulsatif de bad funk. On reste dans le pur TV sound avec «Raising The Serpent», il fait de l’excelsior télévisuel, il osmose à outrance. Tu ne perds pas ton temps à écouter les albums de ce mec-là. Ses solos voltigent, il ne vit que pour le wild as fuck. Ça sent bon le Marquee Moon. Il passe au fast TV sound avec «Submarine». Il voyage dans son cut comme un fantôme du Bengale, de liane en liane, le jeune Richard perce bien ses boutons de pus, il incube de jolis éclats d’excelsior, tu n’en reviens pas d’entendre un mec aussi doué, il embobine tout avec ses solos, il cavale sur la crête du son comme un Hendrix blanc, il traverse le son de part en part. Le jeune Richard est un homme qui a du son, énormément de son. Sur «Ain’t It Time», il est capable de sonner comme les Byrds. «She Loves To Fly» est encore plein de son, plein d’accords, avec le killer solo flash à la clé. Les relances pop qu’il fait dans «I Thought» sont absolument somptueuses. Il finit sur une note intense avec «Cortege», comme le fait Gene Clark sur ses albums.  

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Allez, tiens, encore un superbe album du jeune Richard : The Radiant Monkey. Tu y trouves encore deux cuts dignes de Marquee Moon : «Only Friend» et «One For The Road». Il est dans le bain, il nappe sec, avec des accords crades, il fait du TV shot, il réinvente l’énergie maladive de son pote Verlaine et finit même par chanter comme lui - Yeah gimme one for the road ! - L’énormité de l’album s’appelle «Big Hole», il sort ses chops hendrixiens, il reste le fabuleux mover & shaker que l’on sait, il pulse son suppo dans la rondelle des annales, il fait du real deal inverti, il huile ça pour que ça coule dans les bas fonds, fabuleux Richard Cœur de Lion, il hendrixifie jusqu’au bout de la nuit célinienne. Le «Monkey» qu’il claque en ouverture de bal est heavy as hell. Il se sert du TV sound pour aller sucrer les fraises de sa heavyness. On se croirait chez Blue Cheer. Il arrache le foie du Monkey. Il frise l’«I’m a Monkey» de Jag. Il ramène les accords de Verlaine dans «Glurp» et va vite en besogne avec «Swipe It». Il vise naturellement le pandémonium. Il revient aux racines du TV set avec «Kalpa Tree» et on voit bien qu’avec «Amnesia», il ne baisse pas d’un seul cran. Chez lui, le TV sound devient une obsession. Le pire c’est que tout ce bordel est bon, au-delà de toute expectitude. Nouveau shoot d’heavy groove avec «Carousel» - C’mon girl/ Let’s go for a ride - Il s’énerve avec «Wicked Sun», il en a les moyens. Il bricole une sorte de fast heavy dumping, tu te régales, il pique une belle crise et échappe au TV Set à coups d’ooouh yeah.  

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Comme chacun sait, Richard Lloyd fréquentait Velvert Turner. Ils étaient très liés et partageaient la même fascination pour Jimi Hendrix, un Hendrix qui prit un temps le jeune Velvert sous son aile. Alors il faut écouter ce spectaculaire album nommé The Jamie Neverts Story, Jamie Neverts étant le pseudo inventé par Richard et Velvert pour parler de Jimi. C’est l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Jimi Hendrix. Dès «Purple Haze», tu es au paradis. Le jeune Richard joue la rockalama hendrixienne au power de spell on me, il groove entre tes reins, tu peux en être certain. C’est une révélation, comme le fut d’ailleurs le «Puple Haze» que joue Jeffrey Lee Pierce dans l’Hardtimes Killin’ Floor Blues d’Henri-Jean Debon. Sur cet album, le jeune Richard est accompagné par Keith Hartel (bass) et Chris Purdy (beurre). Dans les liners de l’album, le jeune Richard raconte l’histoire de son amitié avec Velvert qui allait chez Jimi on West 12th Street prendre des leçons d’Hendrixité et qui revenait chez Richard lui transmettre le précieux savoir. C’est en souvenir de cette amitié triangulaire que le jeune Richard a voulu enregistrer cet album - So here you hold in your hands the payment of my debt to Jimi and Velvert - Puis le jeune Richard tape «Ain’t No Telling» avec toute l’énergie de l’Hendrixité tentaculaire, tout le guitarring mythique est là, just around the corner. Stupéfiant ! Et ça repart de plus belle avec «Spanish Castle Magic», il se fond dans l’art supérieur du hang on my darling, il recrée tout le flush de l’Hendrixité, ça bombarde au Spanish Castel Magic, c’est effarant de véracité, look out ! Il est dessus, à la mesure près, le Castle vibre de toutes ses pierres caoutchouteuses. Il tape ensuite «I Don’t Live Today» au punk new-yorkais, il négocie bien l’accès au génie suprême, une note, I don’t/ note/ Live today, c’est tendu et boudu sauvé des eaux, no no no. Le jeune Richard joue comme un dieu, il attaque «Little Music Lover» à la dure et pique sa crise. Il fait ses choix. Ses choix lui appartiennent. Billy Fica bat le beurre. «Wait Until Tomorrow» n’est pas la plus évidente des Hendrixités, mais le jeune Richard en fait ses choux gras, until tomorrow/ Good night yeah. Il tape aussi «Bold As Love» et boucle avec «Are You Experienced», l’ultimate de l’Hendrixité, la vieille question qu’il te posait, petit branleur, en 1967 : Are you experienced ? Comme si toute ta vie se déroulait à partir de cette chanson. Richard la joue à la purée mortelle de la mortadelle.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Il ne faut surtout pas s’empêcher d’aller écouter Live New York 1979, car le jeune Richard y fait comme on s’en doute des étincelles. Tu veux entendre jouer l’un des meilleurs guitaristes américains ? Alors écoute «Pretend > Should Have Known Better». Pur TV power, saturé de heavy guitars : ils sont trois, James Maslon, Matthew Mackenzie et Richard, ça joue à la sature des saturnales, au perçant de heavy TV set, c’est le guitah cut par excellence, outrancier, sonique, impavide, le jeune Richard s’envole dans la démesure du gratté de poux. Avec «Number Nine», il sonne comme Verlaine. Il chante exactement avec la voix de son maître. Il est marrant et si powerful. C’est Fred Smith qui bassmatique. Avec «Misty Eyes», il lance la curée du curé de Camaret, il joue à la folie du crève-cœur, il tisse des toiles à l’infini, on sent bien la Television, il creuse un tunnel dans l’underground et la qualité de sa disto épate la sauce tomate. Il fuite en permanence. Avec «Alchemy», il se prend encore pour le TV set, il essaie de reconstituer l’ancienne magie de Marquee Moon. Du son, rien que du son et des grosses veines saillantes, le tout balayé par de violentes bourrasques d’accords.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Et puis voilà de quoi refermer le chapitre Richard Lloyd en beauté : The Countdown, paru en 2018. Très bel album, bien hendrixien dès le «Wind In The Rain» d’ouverture de bal. Il y propose un mix d’hendrixité et de TV. Ce mec est bon - C’mon little darling/ let me hold you close - Il est fabuleusement rock’n’roll, il a tous les réflexes du c’mon little darling et là tu te régales, car voilà un très beau shoot de heavy TV show. Il a des descentes de manche superbes, il va au contact, il t’hendrixifie les choses jusqu’à plus soif. Il reste dans son mélange toxique d’hendrixité et de TV, il devient d’une certaine façon the king of New York, un Christopher Walken sonique, il tape son heavy groove aux notes montantes, il swingue son manche - Just like smoke/ It tends to disappear/ That’s the way/ That it goes - Tu le prends encore plus au sérieux avec «So Sad», il coule son heavy TV sound dans le so sad, il te sature toutes les itérations, c’est un fabuleux guitariste d’adventisme killer-sharp. Il joue dans l’œuf du serpent. En fait, c’est lui l’infectueux dans Television. Plus loin, il opte pour la power pop avec «Something Remains» et c’est excellent, comme s’il tapait du poing sur la table. Il tricote une fantastique trame de notes sur ses couplets et il stoppe soudain le tempo pour mieux repartir. Effet superbe, puis il passe bien sûr un solo d’excelsior. Richard ne serait pas Richard sans ce type de solo de très haut niveau. Il passe au heavy down the drain avec «Down The Train». Retour fulgurant à l’hendrixité, cut parfaitement génial, doté d’un vrai pouls battant. Richard Lloyd est un géant, qu’on se le dise. Il a tellement de son qu’il balaye tout Verlaine et tout TV. Il termine cet album subjuguant avec le morceau titre, il y va même franco de port, c’est littéralement bardé de son. 

    Signé : Cazengler, télé pasteurisé

    Television. Adventure. Elektra 1978

    Television. The Blow-Up. ROIR 1982

    Television. Television. Capitol Records 1992

    Television. Arrow. Boot

    Tom Verlaine. Tom Verlaine. Elektra 1979

    Tom Verlaine. Dreamtime. Warner Bros. Records 1981

    Tom Verlaine. Words From The Front. Virgin 1982

    Tom Verlaine. Cover. Warner Bros. Records 1984                            

    Tom Verlaine. Flash Light. IRS Records 1987

    Tom Verlaine. The Wonder. Fontana 1990   

    Tom Verlaine. Warm And Cool. Rykodisc 1992        

    Tom Verlaine. Around. Thrill Jockey 2006                    

    Tom Verlaine. Songs And Other Things. Thrill Jockey 2006

    Richard Lloyd. Alchemy. Elektra 1979

    Richard Lloyd. Field of Fire. Mistlur 1985

    Richard Lloyd. Real Time. Celluloid 1987

    Richard Lloyd. The Cover Doesn’t Matter. Evangeline Recorded Works 2001 

    Richard Lloyd. The Radiant Monkey. Parasol Records 2009   

    Richard Lloyd. The Jamie Neverts Story. Parasol Records 2016  

    Richard Lloyd. Live New York 1979. Air Cuts 2017

    Richard Lloyd. The Countdown. Plowboy Records 2018

     

     

    House Of Love sort de sa housse

     

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Tous les fans de rock ses souviennent de Guy Chadwick et d’House Of Love, qui fit sensation dans l’Angleterre poppy/popette des années 80. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, House Of Love est le petit nom charmant du vagin féminin. Quand une dame accueille une grosse bite chez elle, elle lui dit : «Welcome in my house of love». Bizarrement, il n’y a rien de sexuel chez Guy Chadwick et ses collègues. Ils sont même un peu austères. On sent les Anglicans, et les vieux fonds de protestantisme et d’habits noirs.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Leur premier album sans titre n’avait pas laissé de grands souvenirs, même s’il paraissait sur Creation. Il s’agissait essentiellement de petite pop, mais ça restait décent, car House Of Love était ce qu’on appelait alors un groupe à guitares. Toute la réputation du groupe de Guy Chadwick repose sur deux cuts : «Christine» qui se trouve sur ce premier album, et «The Beatles And The Stones» qui se trouve sur le suivant, non rapatrié à l’époque, le premier House ayant été jugé trop faible en Conseil d’Administration. C’est vrai qu’à part «Christine», il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, sur le premier House. C’est encore pire à la réécoute. L’album fait partie de ceux qui vieillissent très mal. Ces albums englués dans les maniérismes d’un temps reculé. Sur «Christine», Guy Chadwick et Terry Bickers taillaient pourtant leur route aux accords d’essaim magique. C’est de la pop bien enfoncée du clou. Bickers était l’un des enfants prodiges de la pop anglaise, il naviguait un peu au même niveau que Johnny Marr. Puis après, ça commence à se déliter. On sent une certaine forme de carence compositale. Un manque d’appétence pour l’avenir. Un côté pop trop conventionnel. «Sulphur» est d’un ennui mortel. On décroche. «Man To Child» ne marche pas non plus. Un coup pour rien. Le pauvre Guy Chadwick essaye de récupérer des suffrages, en vain. C’est d’autant plus désespérant que le son est soigné. Sur «Love In A car», il sonne comme U2, ce qui d’une certaine façon sonne le glas. Il revient à de meilleurs sentiments avec «Happy», comme s’il voulait déplacer des montagnes. Et ça se termine en beauté relative avec «Touch Me», et une belle partie de wild guitars signée Bickers, et bien combinée aux ambiances poppy/poppah.

             En fait, on ressortait l’House de l’étagère pour préparer une réunion du Conseil d’Administration. Il s’agissait de mettre au vote le financement d’une place de concert : House Of Love à Rouen. Du moins la reformation d’House. Comme il n’y a qu’une personne au Conseil d’Administration, le oui l’a emporté à l’unanimité. Budget voté.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Voilà comme on se retrouve dans une salle de concert aux pieds de Guy Chadwick qui comme tout le monde a pris un sacré coup de vieux. 67 balais. Ça va encore. Il est encore plus austère qu’on ne l’imaginait, mais ça fait du bien de voir des Anglais sur scène. On dit toujours que le groupe anglais le moins bon sera toujours meilleur que le meilleur groupe français, ce qui n’est pas tout à fait vrai, ni tout à fait faux. Ça dépend de la façon dont on s’est réveillé le matin, et donc de la façon dont on est luné. Enfin bref, voilà des Anglais avec leur petit biz poppy/popette. Guy Chadwick et son guitariste, un certain Keith Osborne, jouent sur des fringantes demi-caisses, et aussitôt après le cut d’intro, ils tapent une fiévreuse mouture de «Christine». C’est incroyable comme la Christine tient bien la route, elle doit avoir une belle house of love sous sa jupe, car elle n’a rien perdu de sa verdeur carabinée. Puis après, il faudra attendre «The Beatles And The Stones» pour sentir un naseau frémir, car oui, quelle belle approche de la nostalgie - The Beatles and the Stones/ Made it good to be alone - Diable, comme on a pu adorer ce balladif en filigrane, comme on a pu s’identifier à cette dentelle de Calais faussement psychédélique et doucement caressante. Et puis l’autre hit d’House c’est le fameux «Shine On», mais le charme finit par s’évanouir, chassé par trop de chansons monotones.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Alors on reporte toute l’attention sur cet extraordinaire guitariste qu’est Keith Osborne, un petit homme d’un certain âge, aux joues dévorées par des belles rouflaquettes de rockab, et le mec joue avec une posture de main gauche superbe, au poignet cassé et au pouce avancé, il faut le voir gratter ses incursions sélectives, il amène dans l’House une science diffuse, il joue en retrait mais avec une connaissance parfaite des secrets de la persistance insidieuse, il joue des bribes de filets et parfois il part en blossom de freakout le temps d’un killer sharpy fulgurant, on réalise petit à petit qu’Osborne est un guitariste magnifique, l’un de ces petits soldats de l’ombre du rock anglais qui ramène sa science guitaristique pour recréer la magie évanouie d’un groupe qui connut son heure de pâle gloire voici trente ou quarante ans, on arrondit pour aller plus vite, il n’empêche que ce mec vole le show, il est dans tous les coups fourrés, il monte sur tous les bracos, il tinte ses sinusoïdes, il contourne ses filocheries, il tactile et il tisse, il trame ses tournicotis, il est fabuleusement industrieux sans l’être, c’est d’une certaine façon l’apanage des grands sbires. Tout le prestige de l’empire repose sur leurs épaules. Osborne, c’est exactement ça, la cheville ouvrière d’un son perdu dans les méandres du passé. Mais il le fait avec un brio qui force l’admiration. Et le diable sait si l’admiration aime à être forcée. Elle n’est jamais la dernière à monter son cul.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Signé : Cazengler, housse-toi de là !

    House Of Love. Le 106. Rouen (76). 22 mars 2023

    House Of Love. The House Of Love. Creation Records 1988

     

     

    L’avenir du rock - Pop art (Part Three)

     

             S’il est une chose que l’avenir du rock apprécie particulièrement, c’est bien d’aller flâner la nuit au bord du marécage. Il tient cette manie de son vieil ami Monsieur Quintron qui, comme chacun sait, allait la nuit enregistrer le chant des grenouilles. Son album Frog Tapes n’est jamais entré dans aucun hit-parade, mais il a fait le bonheur d’une poignée d’excentriques. L’avenir du rock se réjouit d’en faire partie. On a les tribus qu’on peut, pas vrai ? N’étant jamais en panne d’imagination, l’avenir du rock s’enfonce dans le swamp, rêvant d’y croiser le fantôme de Tony Joe White, ou peut-être un albinos échappé du Petit Arpent Du Bon Dieu d’Erskine Caldwell, ou encore les trois taulards psychédéliques évadés de l’O’Brother des frères Coen. Car oui, tout est là, dans ces petites mythologies marécageuses, si propices aux fièvres imaginaires. Aux yeux de l’avenir du rock, chaque œuf de têtard est un mythe en devenir, alors, il ouvre bien grand les yeux en avançant dans les ténèbres. Le marais vit la nuit. Les créatures sont de sortie, soit pour casser la croûte, soit pour tirer un coup, il en est ainsi depuis l’origine des temps. On fait tous exactement la même chose. On ne vit que pour béqueter et forniquer. La seule différence avec les créatures du marais, c’est qu’on dort la nuit. L’avenir du rock continue d’avancer, éclairé par la lune. Les créatures font un raffut terrible. Et puis soudain, trois silhouettes apparaissent, assises au bord d’une grande mare. L’avenir du rock se rapproche sans faire de bruit pour mieux les observer. Leur peau humide luit faiblement. Elles portent toutes les trois des bijoux très anciens. Au centre, se tient une créature hybride à corps de grenouille et à tête d’homme. L’avenir du rock se frotte les yeux. Il n’en revient pas. Il croit reconnaître ce visage outrageusement fardé et comme entraîné vers le bas par des paupières lourdes et une épaisse moustache roussâtre. Serait-ce Jean Lorrain qui dit-on vouait un culte séraphique aux grenouilles ? Pas de doute, c’est bien Monsieur de Phocas, consignateur des dégoûts et des vices que lui inspirèrent son époque ! À sa droite se tient une autre créature hybride, un lézard à tête d’homme. L’avenir du rock le reconnaît immédiatement : Jimbo, le Roi Lézard, beau comme un dieu, couvert d’écailles, les bras chargés de bracelets d’ivoire et d’or massif. Et bien sûr de l’autre côté, se tient l’Iguane, tout droit sorti de la pochette de Lust For Life, et dont la longue queue écaillée de camaïeu trempe dans l’eau noire.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Cette rencontre était assez prévisible. Iggy Pop et Jim Morrison ont su créer leurs légendes respectives et rejoindre l’immense Jean Lorrain dans sa vénération des créatures amphibiennes.

             On papotait l’autre soir après un concert. De choses et d’autres, comme toujours dans ces cas-là. Blih blih blah blah. Oh oui blah blah ! Blih blah ? Oh la la blih blih ! Il demande à un moment si j’ai écouté «le nouveau Iggy».

             — Patencore... Comment quilé ?

             — Mmmmhummmuhhggrrrhjjr...

             — Avec Iggy, faut jamais taffier aux premières zimpressions...

             — Ouhhuais mais mmmhhmmmuhhggrrrhjjr...

             Si un chipoteur comme ce mec-là réagissait ainsi, ça signifiait en clair que «le nouveau Iggy» ne pouvait être que bon. Ce que les gens n’ont jamais compris, c’est que chaque «nouveau Iggy» te donne un accès direct à Iggy qui est depuis nineteen and sixty nine baby ton meilleur ami. On ne peut pas avoir d’avis mitigé sur les «nouveaux albums» de son meilleur ami. Les gens ne se rendent pas compte à quel point ça doit être compliqué de rester génial pendant cinquante ans. Un autre incident du même type s’est produit lors de la parution d’Après, l’album sur lequel Iggy chante «La Javanese», «Syracuse» et d’autres merveilles du même acabit. Un autre mec, un ami qui avait encore alors pignon sur rue, pestait, il ne décolérait pas, il traitait «Jim» de tous les noms, parce qu’il avait «trahi» l’esprit des Stooges en voulant jouer les crooners et chanter en français. Il n’avait pas compris qu’Iggy est un crooner de choc et que son hommage à Gainsbarre est en soi un véritable coup de génie.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             «Le nouveau Iggy» s’appelle Every Loser. On avait bien raison de le supputer : c’est une bombe. La bombe d’un vieux schnoque de 76 balais. Boom dès «Frenzy». Si tu l’écoutes au casque, ton casque saute, tellement c’est saturé de son. Iggy opte cette fois pour le blast de frenzy, il y va comme au premier jour, il tape dans le ventre du wild punk as fuck, et au loin, tu as des mecs qui gueulent «frenzy !». Un shoot pareil, ça te tétanise un tétanos, il pleut des apo, des apo, oui mais des apocalypses, tu twistes sous un déluge de feu et Iggy sonne une fois de plus comme le cœur du problème. Il passe au deepy deep avec «Strung Out Johnny», Iggy t’enrobe, il t’emmène une fois de plus au paradis du Passenger, ça joue dans tous les coins, ça te sature les saturnales, Iggy sonne comme le roi de Babylone, il est le Nabuchodonosor du XXIe siècle, le puissant seigneur de la cité construite en briques émaillées. Puis il redevient le fantôme de feu que l’on sait avec «Modern Day Ripp-Off» attaqué au riff stoogy. Andrew Watt joue comme Ron Asheton, alors tu reviens à la source du big heavy Stoog-fuck off. Même pulsion. C’est noyé de son. Il faut ensuite attendre «All The Way Down» pour le voir renouer avec le heavy groove, son vieux fonds de commerce. Pure hell ! C’est plein d’esprit et de stoogerie. Come down ! Il repique aussi la veine du Passenger dans «Comments», avec une classe écœurante - Show my face to Hollywood - Il termine avec «The Regency». C’est Dave Navarro qui monte au brac sur ce coup-là. Iggy dérive au mieux de son baryton déviant. Impressionné par les tattoos du Navarin, Iggy vire hardcore, il fait son cirque, du haut de sa grandeur, fuck your regency, il a raison, il ampoule son propos, il cale son carré dans Cicéron et couaque des cliques dans des claques, tu es dans l’univers d’un artiste qui te dépasse depuis toujours, un artiste espiègle et profond à la fois, tu te prosternes à ses pieds, même s’il ne te le demande pas, fuck the regency, on espère seulement que ce ne sera pas le dernier «nouveau Iggy».  

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Dans la presse anglaise, Iggy est à l’honneur. Le voilà en couverture de Record Collector. C’est un événement considérable, une sorte de consécration. Iggy en couve d’un magazine, remember «Five Foot One» ? - And I wish life could be/ Swedish magazines - Il accorde une interview fleuve à Chris Roberts, 10 pages, de l’encore jamais vu ! Avec dans la double d’ouverture un shoot du vieux pépère de 76 balais. Une classe épouvantable. Peau fripée mais classe d’Iguane. Comme d’ailleurs la couve, où il sourit faiblement, cheveux filasses, barbichette blanchie et regard bleu d’eau. On comprend que des milliards de gonzesses à travers le monde soient encore folles de lui. On adore l’idée que des vieux crabes comme Croz et Iggy aient pu vieillir aussi dignement. Ils emblasonnent ce qui est pour nous le plus précieux : la légende du real deal.

             Roberts présente Iggy comme «the most intelligent, articulate rock star you could hope to meet.» Et il ajoute plus loin : «He has in abundance what Bowie called ‘the power to charm’.» Roberts fait d’Iggy la plus belle présentation qu’on ait vu dans la presse anglaise depuis celles de Nick Kent. Pas de révélations dans l’interview fleuve. Iggy répond aux questions pointues de Roberts en balançant quelques évidences, disant par exemple, quand il entre en studio pour enregistrer, «I want it to be really good», ou lorsque Roberts évoque la parution du «nouveau Iggy», «the classic rock albums usually have three ou four that rock out, then the rest tend to be a little more slow or... mirrored.» Il explique aussi qu’il a rencontré son nouveau producteur Andrew Wattt lorsque Morrisey l’a invité à venir chanter avec lui sur l’un des cuts d’un album à paraître (Bonfire Of Teenagers) - He’s mentioned me that his producer was extraordinary. So that’s how I became acquainted with Andrew - C’est vrai que Watt est bon, il suffit d’écouter «Frenzy». L’ig dit aussi qu’Andrew Watt est un grand chanteur. Il fait tous les backings sur Every Loser. Iggy dit pour rire qu’Andrew aurait pu chanter dans les Four Seasons - He’s that fabulous a singer - Iggy rappelle aussi qu’il connaît Duff McKagan (bassman sur Every Loser) depuis Brick By Brick, enregistré en 1990. Il avoue qu’ils ont fait les 400 coups ensemble - we’ve discussed Playboy models, done cocaine together, swilled vodka, chased a rainbow together, stolen a truck - Il raconte aussi le mal qu’il a eu à arrêter de fumer, dans sa petite maison de Miami. Il indique que le 3e jour est le jour clé. Quand il évoque l’époque de Kill City en 1977, il rappelle qu’il était all over the place - There was no fixed address. There was no income. There was no affiliation. There was no... sense. Nothing. And I was as stoned as possible at all times. And yet, the lyrics and the delivery are very orderly. I was still orderly. That’s the dream. For all musical artists - Ordonné ? C’est le moins qu’on puisse dire, car quel fantastique album, paru à l’époque sur Bomp!. Alors Roberts revient sur le dream et demande à Iggy ce qu’il entend par the dream. La réponse ne se fait pas attendre : «The dream is what’s important here is The Work. And my Art. And it should have life to it. It should have truth to it. Il devrait y avoir aussi une partie de moi là-dedans. Mais aussi une partie des gens, tu veux que les gens l’acceptent et y croient. Ils doivent y croire. Ces choses-là sont d’une importance capitale (of paramount importance).» Iggy revient aussi longuement sur l’extraordinaire Fuck The Regency qui clôt Every Loser : c’est une réponse à Bono qui lui reprochait de jeter sa couronne en se jetant dans le public. Iggy dit n’avoir pas très bien compris l’ensemble de cette «lettre ouverte», mais ça le fait marrer - Again, only an idiot would throw away his crown, ah-ah - Iggy et John Lydon même combat ? Eh oui ! Fuck The Regency ! Et quand Roberts lui demande s’il est encore le même mec que l’Ig de Raw Power, l’Ig répond sans ambiguïté : «C’est moi, mais c’est vrai que je suis aussi une autre personne aujourd’hui. I’m under a whole repertoire of constraints now, qui m’ont permis d’avancer dans la vie. Et de continuer à vivre. Given the limitations I work with, including the limitations of a talent which everybody has, you should have to do what you need to do.» Iggy dit aussi que son album de l’année 2022 et l’Everything Is Beautiful de Spiritualized. C’est l’info la plus importante de l’interview, clin d’œil d’un géant à un autre géant. Ça devient hilarant quand il indique qu’il se calme un peu sur scène et qu’il arrête par exemple de sauter dans la foule - I did 38 shows last year and I didn’t stage-dive at all. (...) I’m too rickety - Qui ira lui reprocher de ne pas sauter dans la foule à 76 balais ? Qu’il soit encore sur scène, c’est un miracle.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Dans Mojo, il papote avec Tom Doyle. Il raconte sa journée à Miami : réveil avec un triple expresso au lit, un coup de jacuzzi, puis la piscine, il se peigne ensuite sur la terrasse, joue un peu avec Biggy Pop le cacatoès, puis 20 minutes d’exercices respiratoires (Qigong), 20 génuflexions pour chasser le début d’«happiness belly», et un breakfast à base de yogourt, de pistaches et de macadamia (beurre de cacahuètes). Puis il s’en va nager à la plage, un endroit précise-t-il inconnu des touristes. Il prépare ensuite son émission pour BBC Radio 6 (Iggy Confidential) et hop, il est prêt pour l’interview. Mais l’interview n’est pas terrible, trop axée sur les clichés, les excès dont la fucking presse spécialisée a fait ses choux gras. Iggy continue à jouer le jeu, mais on est aux antipodes de l’échange qu’il a avec Roberts dans Record Collector. C’est dingue comme ça peut changer d’un support à l’autre. Quand on demande à Iggy quelles sont les qualités qu’il attend de ses collaborateurs, il répond : «They must be lifelike. That’s the number one condition.» Il ne veut ni des gens raides ni de ceux qui poussent à la roue - Try to avoid, like, full professionals. I don’t like them - Il cite en exemple les frères Asheton comme ses collaborateurs les plus importants, avec David Bowie («The greatest single collaborator»). The Ashetons number one and Bowie number two. L’Ig conclut le chapitre Bowie en saluant Dark Star - Woah it’s very very very strong music - Et puis il reparle de sa limite d’âge et du fait qu’il ne plonge plus dans le public, il redit qu’il est too rickety, mais il affirme qu’à ses concerts, le public est génial. Pour illustrer son propos, il raconte les quatre âges de Wanna Be Your Dog : «Vous savez, je chantais I Wanna Be Your Dog et les gens me regardaient horrifiés. Puis je chantais I Wanna Be You Dog et les gens se contentaient de boire leur bière et de me regarder d’un air amusé. Puis j’ai chanté I Wanna Be You Dog et les gens groovaient. Quand je le chante aujourd’hui, les gens connaissent toutes les paroles des couplets par cœur. So that’s a beautiful thing.» Il a raison d’être fier, Iggy. Pour le repas du soir, il a fait décanter une bouteille de Château Haut-Brion, un «highly expansive Grand Cru Bordeaux», comme l’écrit le pathétique qui l’interroge. Au programme de la soirée, manger et boire en contemplant la rivière, et en écoutant chanter les grenouilles.

    Signé : Cazengler, Guy Pot (de chambre)

    Iggy Pop. Every Loser. Atlantic 2023

    Tom Doyle : Lust never sleeps. Mojo # 351 - February 2023

    Chris Roberts interview : I can take a punch. Record Collector # 540 - January 2023

     

     

    Inside the goldmine - Ruby sur l’ongle

     

             Passe, passe le temps, t’en souvient-il de Baby Cam ? Passent les jours et passent les semaines, comme le scandait si bien Apollinaire, rien ne revient, ni le temps et encore moins les amours, car sous le Pont Mirabeau coule la Seine et elle coulera encore longtemps après que les poètes auront disparu. Baby Cam fut l’un de ces merveilleux amours de jeunesse, l’un de ces antiques amours junéviles qui se résumaient au simple bonheur d’être ensemble. Oh un tout petit peu de sexe, mais surtout une insatiable faim de la présence de l’autre. Un amour de cour d’école, où l’on se jure de ne jamais se quitter en se coupant les pouces pour sceller cette union dans le sang. Elle était haute et maigre, des cheveux noirs de jais extrêmement soyeux lui couvraient les épaules. Elle ressemblait de façon troublante à June Millington, la guitariste de Fanny. Elle compensait l’obstacle de sa maigreur par l’éclat de son sourire. Il y avait dans son attachement quelque chose qui relevait de l’appartenance, une qualité d’attachement qu’on passe sa vie à rechercher ensuite chez d’autres femmes, en vain. Elle vivait dans la grande banlieue de Lille et ce qui fascinait le plus chez elle, c’était cette impression qu’elle pouvait se donner au premier venu, tellement elle incarnait cette insoutenable légèreté de l’être si chère à Kundera. Lui tenir la main devenait alors une façon de l’arrimer à la vie, et surtout de ne pas la perdre. Un soir de réveillon du Jour de l’An, nous décidâmes de partir en stop à l’aventure en Belgique. Il neigeait. Nous découvrîmes ce que l’on appelait alors une boîte, et nous nous installâmes confortablement dans une grande banquette. Nous passâmes la nuit à boire et à écouter de la musique. À cette époque, les DJs passaient encore du rock et nous fûmes gâtés car nous entendîmes l’intégralité de Let It Bleed. Et bien d’autres choses. Ce fut notre plus beau Jour de l’An. La boîte ferma au lever du jour et nous nous retrouvâmes tous les deux frigorifiés sur une petite route de campagne. Évidemment il n’y avait personne. On claquait des dents et ça nous faisait rire. Soudain une bagnole apparut dans le brouillard. Le mec, un barbu, accepta de nous ramener en France. Nous n’habitions pas ensemble, le barbu me déposa d’abord à Roubaix, puis il proposa d’emmener Baby Cam jusqu’à Lille. Un peu plus tard, elle m’avoua que le barbu l’avait violée. Une chape s’abattit soudain sur le souvenir de cette nuit magique et notre histoire mourut sur le coup.       

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Plutôt que de monter dans la bagnole d’un barbu, Ruby Johnson est allée enregistrer chez Stax à la grande époque. Elle eut la chance de chanter du r’n’b accompagné par le team de choc : Isaac, Steve Cropper, Duck Dunn et Al Jackson. I’ll Run Your Heart Away est une compile qui rassemble ses singles Stax et Volt. Ruby Johnson ne fait pas partie des plus connues, mais elle vaut largement le détour. Lee Hildebrand qui signe les liners estime que cette compile équivaut à l’album jamais sorti de Ruby Johnson et qu’il rivalise directement ceux de Carla Thomas (Carla Thomas), d’Irma Thomas (Something Good/The Muscle Shoals Sessions), d’Etta James (Tell Mama), et des premiers albums de Candi Staton et d’Ann Peebles. Elle fut repérée dans un club de Washington DC par Never Duncan, le manager de Bobby Parker. Duncan produisit les premiers singles de Ruby sur son petit label, Nebs, et un disc-jokey local nommé Al Bell les passa sur une station locale nommée WLOK. Et quand Al Bell s’installa à Memphis pour co-diriger Stax avec Jim Stewart, il rapatria aussi sec Ruby. Malgré la présence d’Isaac et de David Porter, les singles de Ruby flippèrent et floppèrent.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Incompréhensible, car Ruby Johnson est, comme ses consœurs, capable de coups de génie, tiens comme ce «Weak Spot» de fin de compile, une énormité de Stax Sound. Avec «Come To Me My Darling», elle plonge dans le sexe pur d’I’m so lonely, elle souffre de la solitude du blues, elle fait de la Soul de need you. Avec «What More Can A Woman Do», elle tape dans le heavy slowah, wow, elle est bonne dans sa robe serrée, avec ses gouttes de sueur, elle chante au petit raw d’ultra proximité, elle fait l’Otis au féminin. Elle se donne encore les moyens du raw pour «I’d Rather Fight Than Switch», mais ce sont les moyens du bord, tu t’en doutes bien. Elle s’engage pour de vrai, alors il faut l’encourager. Ruby est une vraie bête de Stax du Gévaudan. Quand elle accompagne un cut, c’est au big raw, comme le montre encore «Won’t Be Long». Il y a quelque chose d’exemplaire en Ruby, elle crée très vite un réel attachement. Elle entre dans une sorte de clameur de gospel avec «Why Not Give Me A Choice», elle le fait avec une classe effarante, tout en douceur, c’est nappé d’orgue au why not, elle cueille la cerise du give me a chance. Elle est fine et tellement belle. Elle rentre dans le chou des cuts avec une facilité déconcertante. Hildebrand rappelle dans ses liners qu’elle surprenait tout le monde en studio et sur scène. Encore un vieux groove de Stax avec «It’s Better To Give Than Receive». Elle chante son r’n’b à l’accent cassé, comme une grande artiste. Nouveau coup de Jarnac avec «Keep On Keeping On», c’est énorme et elle est dessus. Elle chante le heavy blues de «Need Your Love So Bad» avec une niaque phénoménale. Elle monte sur tous les coups, avec un égal bonheur. Même en heavy blues de Stax, elle est géniale - I hope you need me too - Cropper nous gratte «I’d Better Check On Myself» à la réverb et on reste dans le heavy boom de Stax avec «No No No». Pur Stax genius. 

    Signé : Cazengler, Ruby à XV

    Ruby Johnson. I’ll Run Your Heart Away. Stax 1993

     

     

    Wizards & True Stars

    - Fall de toi (Part Five)

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             C’est en janvier 2018 que Mark E. Smith a cassé sa vieille pipe en bois. Dans la foulée de sa disparition est paru un étrange petit livre, Messing Up The Paintwork - The Wit And Wisdom Of Mark E. Smith. Ce Messing Up est un hommage (A celebration), un petit format qui s’avale d’un trait. Pas d’auteur. Messing Up propose une sélection d’extraits d’interviews, de petites histoires, d’hommages rendus par des fans et quelques photos. En couverture, on voit Mark E. Smith tirer sur sa clope. C’est l’une des plus belles images de cet inconditionnel du no sell-out. Ici, on adore les gens qui ne vendent pas leur cul.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Pour gagner du temps et de la place, on va faire comme les Anglais : on va appeler Mark E. Smith MES. MES ne nous parlait pas de rock mais d’art. Bon d’accord, on pouvait se contenter d’écouter les albums, mais les ceusses qui se sont aguerris en explorant l’histoire littéraire ont très vite compris que MES se situait à un autre niveau, celui des artistes visionnaires qui, consciemment ou pas, font de leur vie une œuvre d’art. Pour illustrer cette affabulation, traçons un parallèle entre la vie d’Arthur Rimbaud et celle de MES : ils surent tous les deux allier talent visionnaire et jusqu’au-boutisme. On pourrait aussi citer Oscar Wilde, bien que brisé, ou encore William Burroughs, magnifique spécimen de no sell-out. Ou encore Wyndham Lewis. Ou encore Van Gogh. Comme Van Gogh, MES n’est jamais content. Il vire les gens. Il leur tape dessus. Il boit comme un trou. Il travaille sans relâche. C’est à l’échelle d’une vie. On se demande comment il fait pour tenir aussi longtemps en buvant autant. Des pintes et des pintes et des shoots de Jameson, c’est ce que rapportent les interwievers. Et glou et glou. Stuart Maconie brosse en intro un portrait de trois pages du MES, et commence par rappeler que The Fall n’est jamais passé à Top Of The Pops et qu’aucun Fall cut n’est jamais grimpé dans aucun hit-parade. MES n’a jamais garé de Maserati devant une résidence à Knightbridge. Et boom, Maconie s’emballe : «MES était irascible, distant, drôle, belligérant, rebelle, fuyant, complexe et smart. Il était beaucoup plus qu’un personnage haut en couleurs. Ce esprit brillant a créé l’une des formes de British modern art : the music of the Fall.» Oui irascible, agressif, drôle, comme le fut Van Gogh, enfin, le Van Gogh que nous montre Maurice Pialat dans son film qui, faut-il vraiment le préciser ?, est extrêmement bien documenté. Pialat ne prend jamais aucune liberté avec la vérité. Alors quand on voit MES, on pense à Dutronc/Van Gogh qui tape sur son frère. Qui boit trop. Qui détruit ses toiles. Dans un extrait de son autobio Renegade, MES déclare : «Je suis incapable de regarder en arrière, comme le font les fans. I can’t get beyond the fact that most of it was shit.» MES détruit ses toiles comme Van Gogh détruit ses disques. MES voit l’avenir du rock comme Rimbaud voit des soleils bas tâchés d’horreurs mystiques.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Maconie trace lui aussi des parallèles, pas avec Van Gogh, Rimbaud ou Burroughs, mais avec le vorticiste Wyndham Lewis et Kafka - a bitter, diamond-hard Modernism, or Vonnegut and Phillip K. Dick, the amphetamine clarity of a hyperactive, restless mind - On n’imagine pas Rimbaud autrement que sous cet angle : «the amphetamine clarity of a hyperactive, restless mind.» C’est exactement ça, que ce soit dans les bras de Paul Verlaine, au long des fleuves impassibles ou sur les pistes d’Éthiopie. Là, nous sommes sur les pistes de Manchester, et plus précisément Prestwich, le Charleville working-class de ‘Chester. Ce démon de Maconie creuse encore, il va chercher le Dada en MES : «En fait MES était suprêmement convaincu que l’essence même du Modernisme consistait à choquer le bourgeois (giving offence to the comfortable) et que c’était un devoir pour l’artiste que de choquer le bourgeois. Il a développé un mépris total pour l’establishment, allant jusqu’à qualifier l’industrie du disque de middle-class executive business like the police force.» Et paf, l’industrie, prends ça dans ta gueule.

             Maconie raconte que pendant l’interview, MES a en permanence quatre pintes sur la table et qu’à la fin de la journée, l’addition est de £1000 - Pendant toute sa carrière, MES a eu une relation très compliquée avec la presse. Il pouvait être charmant ou explosif, mais le résultat était toujours fascinant - Un petit exemple : Dans Q en 2001, on demande à MES s’il vote aux élections : «Je vote toujours pour le nom de parti le plus stupide. Non, je n’ai pas voté pour Raving Loony - You don’t fucking get Raving Loony candidates in Salford. You get things like Orthodox Jews For More Pavements In The Area. Je vote toujours pour eux.» Pur Dada strut. Here we go !

             MES n’en finit plus de fasciner. On cueille des éclats ici et là, et chaque fois, on croit entendre sa voix. Écoute-le parler de musique - Si tu joues out of tune, alors joue out of tune properly - ou de The Fall - The Fall est la honte de ma vie et en même temps the best thing in it - Il détruit ses toiles, il a raison. MES est un homme libre, comme le fut Rimbaud. Rien ne pouvait le dominer, rien ne pouvait l’entraver, ni un groupe ni aucune de ses épouses successives. Il n’existe pas de liberté sans brutalité. Alors évidemment, la presse s’est régalée avec MES qui, sur scène, tapait sur ses collègues. Dans un docu de BBC4 datant de 2004 (The Wonderful And Frightening World Of Mark E. Smith), il déclare : «Mon grand-père attendait à la sortie des prisons et quand des gens sortaient, il leur disait ‘come and work for me’. Je fais un peu la même chose avec le groupe.» Alors effectivement, quand on lit les mémoires de Brix Smith (qui, comme Tina Turner et Pat Arnold, a conservé le nom du mari après le divorce), on ressent un certain malaise car cette Américaine n’est pas tendre avec son ex, et c’est d’autant plus choquant qu’elle ne lui arrive même pas à la cheville. Elle le voit comme «un sorcier, un psychic, un warlock» qui hypnotisait les membres du groupe. Ce que ces imbéciles n’avaient pas compris, c’est que la tension qui régnait à l’intérieur du groupe rendait le groupe plus fort. MES ne supportait pas de voir des musiciens de rock craquer et chialer à cause de la pression. Il avait compris très tôt que ça allait être dur, surtout les tournées américaines, et donc pour pouvoir tenir, il fallait s’endurcir. The Chester way. À coups de poings dans la gueule. Un nommé Dave Simpson voit MES comme un patron d’usine à l’ancienne : il recrute et vire les ouvriers. Il surveille leur rendement. Dans le Melody Maker, Dave Jennings va encore plus loin : il compare les méthodes de MES à celle de Thatcher qui virait les gens de son cabinet dès qu’ils avaient un peu trop de caractère. Heureusement, John Peel vole au secours de son chouchou MES en déclarant dans le docu BBC4 évoqué plus haut : «C’est devenu un sujet de plaisanterie, sauf bien sûr pour les gens concernés. En gros, les gens disparaissent sans laisser de traces. Peut-être qu’il les a tués, va-t’en savoir...» Humour anglais. Quasi Monty Python. C’est pas loin de la chorale du Golgotha, à la fin de La Vie De Brian - «Always Look On The Bright Side Of Life», chantent en chœur les crucifiés. Pied de nez suprême. Encore plus fort que l’«on est plus célèbres que le Christ» de John Lennon.

             Et puis, il y a ces sorties très poétiques dont on raffole depuis quarante ans, depuis qu’on lit ses interviews dans la presse anglaise : «J’adore l’été, parce qu’en été je ne sors pas. Quand arrive le mois d’avril, les gens sortent comme des chiens, aussi je reste chez moi. Summer is hell.» Quand il mord, il mord, c’est tout un art que de mordre. En 1998, un mec du NME lui demande ce qu’il pense du film Titanic : «Titanic ? What a load of crap. C’est comme de regarder une PlayStation. The fucking boat coule. I mean, you know how it ends, don’t you ?». De toute façon, MES ne supporte pas le passé. Quand c’est coulé, c’est coulé, à quoi bon bavacher ? Il ne voit que l’avenir. Dans le même canard, il déclarait en 1996 : «Maintenant tout est rétro, innit ? C’est pour ça qu’on a un canard comme Mojo. Je balance ça à la poubelle. Je m’en sers pour la litière du chat.» On l’interroge aussi pas mal sur la scène anglaise et MES n’est pas tendre. En 1993, dans Alternative Press, il scelle le destin de U2 : «Si Jésus avait vu U2, ça l’aurait rendu malade. Jésus aurait lancé des bouteilles à U2.»

             On interroge aussi l’auteur. MES est un parolier de génie. Et voilà comment il met les choses au point : «Qu’entends-tu par love ? Pour moi, love is the love of life. Tu vois the love chaque jour : un père avec son gosse, une mère avec le sien. La question est de savoir de quelle façon tu mets ça sur le papier.»

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

             Et puis tu peux aller au pub, grâce au DVD Perverted By Langage, c’est là que tu vas trouver MES adossé contre le mur, sssson ! Atroce papier peint et Brix assise à côté qui tire la gueule pour les besoins du post-punk de Wingsssshhh - Day by day/ The moon came towardsssh me/ By sssuch thingssshhh - British oh so Britissshhh et Brix annonce «Totally Wired», my favourite, obsédant, totally wiredssshh ! Avec des lignes de basse à la John Cale, I’m totally wiredsshhh/ Can’t you see?/ I’m totally wiredssshhh, et les chœurs décousus font totally wired, il sort ses quatre vérités - You don’t have to be weirdssh to be wiredsshhh/ You don’t have to be an American to be shhtrange/ You don’t have to be shhtrange to be strange-shhh/ You don’t have to be weirdshh to be weirdshhh - et les chœurs décousus font totally wired, c’est à la fois le Velvet, Captain Beefheart et il n’existe rien de plus British oh so Britissshhh que ce décousu des chœurs de société branlante, MES et ses deux batteurs cultivent l’art désuet de la déconstruction pentatonique-ssshhh.

             Pour finir, on va se régaler avec une petite histoire. Stuart Maconie vient de poser son small magnéto sur la table du pub pour l’interview, et MES lui demande : «Où t’as trouvé ça ? J’en cherche un comme celui-là. Suis allé dans un petit bouclard asiatique de Prestwich pour acheter un magnéto comme le tien. J’en avais besoin pour enregistrer mes idées. Le mec m’a dit : ‘Voilà ce qu’il vous faut, sir, a little mini cassette recorder, un dictaphone.’ Alors je lui ai dit, no, mate, j’en veux un qui prend les cassettes C60 ordinaires. Si je suis à Oslo, à Naples ou a Chicago, je veux pas être obligé de galérer pour trouver tes mini-cassettes. Alors il me dit : ‘Vous vivez dans le passé, sir. Tout le monde les utilise aujourd’hui. Et on trouve les mini-cassettes partout.’ Bon. Je lui dis, alors vas-y, file-moi l’un de tes recorders... Et avec ça, t’as intérêt à me filer une dizaine de tes mini-cassettes. Et tu sais pas ce qu’il m’a répondu ? Sorry sir, je ne vends pas de cassettes.»

    Signé : Cazengler, (a real) Mess

    Messing Up The Paintwork - The Wit And Wisdom Of Mark E. Smith. Ebury Digital 2018

    The Fall. Perverted By Language. DVD Cherry Red 1984

     

     

    *

    Un groupe anglais. De la région de Leeds. Z’ont eu quatre dates en France en ce début d’avril. Ne se contentent pas de faire de la musique. Essaient de réfléchir. Z’aimeraient avoir une vision du monde, mais celle-ci est floue. L’est vrai que la période actuelle bla-bla-bla… Ce n’est pas tout à fait cela. Ne jouent pas les stratèges métapolitiques en chambre, jettent simplement un coup d’œil sur la réalité qui les entoure. Un peu comme les Pistols à leur époque. En ces temps bénis, tout allait mal, on avait au moins des certitudes, on était convaincu qu’il n’y aurait pas de futur. Hélas nous y sommes en plein dedans.

    Divorce Finance, c’est leur nom, pour la petite histoire nous rappelons que ces deux mots qui sont si français appartiennent tout autant à la langue anglaise, pourraient signifier que notre groupe se désolidarise de cette financiérisation économique et libérale du monde qui nous accable, ils proviennent d’une conversation entendue par Mr Discipline dans un train, un chemineau ( non pas celui qui conduit une locomotive, ce terme désignait au temps de la jeunesse de Jean Giono, ceux que l’on appelle aujourd’hui les Sans Domicile Fixe ) et un jeune cadre de la city se racontaient leurs malheurs, vous imaginez très bien les difficultés rencontrées par notre nomade, le cadre aussi avait les siennes, en instance de divorce il parlait des déboires relatifs au financement de cette séparation…

    Finance Divorce évoque une toute autre sorte de divorce, qu’ils jugent beaucoup plus grave, ils estiment que les gens d’aujourd’hui sont séparés de la réalité, ils emploient le terme de déréalisation, ne vivent plus tout à fait dans leur époque, normal puisqu’ils passent leur existence dans un futur qui n’existe pas, où peuvent-ils donc être ? Dans la nostalgie du passé. Ce qui entraîne chez eux mal-être et frustration. Ils emploient un nouveau terme pour désigner cet état de fait : haunthology. Un mot valise formé à partir d’anthology, car à vivre dans le passé autant choisir les meilleurs moments, et haunted qui signifie être hanté. Nous serions donc comme des fantômes qui ne cessent dans leurs pensées, leurs affects, de vivre dans des représentations idéalisées du passé d’autant plus prégnantes que les jeunes générations n’ont pas connu les années de l’après-guerre. La deuxième. La période qu’en France l’on surnomme les trente glorieuses et les anglo-saxons la guerre froide.  

    DIVORCE FINANCE

     ( single numérique / Bandcamp / Juillet 2022  )

    Mr Discipline / Dr Fuck / Kylie Monoxide / Hugh Jass / Quick Lewinsky.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Django vous pensez à Reinhardt le gitan, vous avez raison, rajoutez-y le Django héros des westerns spaghetti de Sergio Corbucci, définissez le premier comme un grand artiste, et le second comme être violent assoiffé de justice vengeance, là n’est pas le problème, d’abord l’on ne vous demande pas votre avis… j’aurais pu classer ce titre ma rubrique Rockabilly Rules, disons que c’est une parfaite ballade country avec une guitare pro-rockabilly, un petit rythme tapoté – puisque l’on parlait de western italien allez écouter Addio a Cheyenne d’Ennio Morricone – ici les sifflets typiques del maestro  remplacés par les interventions d’une douce voix féminine qui contraste avec le timbre rêche de Mr Discipline aussi sec que la winchester sur la pochette…

    Django et Django sont bien des idoles de Mr Discipline, mais il faut se méfier les héros modernes ne sont souvent que des héros de papier, nul besoin de se réfugier derrière eux, ne vivez pas procuration, soyez vous-même, aussi complexe que le jeu de la Maccaferri de l’un et aussi définitif que le colt de l’autre.

    C’est en ce même mois caniculaire de juillet 2022 qu’enfermé dans un ancien abri atomique désaffecté que Divorce Finance a enregistré son premier EP : 

    LIVE FROM THE BUNKER

    ( EP numérique / Bandcamp / 01 – 04 - 2023  )

    Matt Heuck / Louisa McClure / Jacob Wardie / Benjamin Parry / George Chadwick.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Auto-communist dream girl : sur les premières notes vous retrouvez le même son de guitare que sur Django, surviennent des sifflements mal-appropriés pour des oreilles sensibles, sur le balancement de base vient se poser la voix de Mr Discipline, un peu comme s’il chantait dans un mégaphone, le rêve de la fille auto-communiste tourne au cauchemar, le morceau vire au noise, tout en respectant la cadence initiale, une espèce de voyage au bout de la nuit de l’utopie assez monstrueux, un cauchemar sonore que vous ne manquerez pas de revisiter, ne serait-ce que pour retrouver ces courts mirages rockabillyens de la voix éparpillés dans le morceau. Loneliest twink on the ranch : n’imaginez pas Elvis mais le Colonel haranguant la foule au porte-voix dans le brouhaha de l’entrée d’un cirque, un truc circulaire qui vous scie les neurones et vous éclate les synapses, un barnum innommable, voire inécoutable pour beaucoup, mais l’ouïe des rockers auront reconnu à la base de cette calamité le balancier tournant du roll and rock. Il ne leur en faut pas plus pour être heureux.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

     Director’s cut : (ci-dessus la couve du single paru en mars  2023 ) : beaux bruits de guitares country survitaminée, le réalisator parle, il s’énerve, il gueule, l’on sent qu’il a l’habitude de se faire obéir et qu’il n’est pas content, nous refont le coup de la ballade country explosée à la dynamite, vous avez des cordes à l’uranium enrichi, faut pas lésiner sur les moyens, le cinéma est le principal pourvoyeur de vos rêves héroïques, ici l’on vous montre l’envers du décor. 10 years with Lisa : le slow que vous attendiez tous, dépareillé, tortueux, interminable, Lisa Ann est une actrice célèbre, ce qu’elle a fait de mieux en tant qu’artiste, d’après moi c’est le titre de ses mémoires, Ce qui est arrivé de mieux à mon cul c’est qu’il soit resté derrière moi, ce qui tranche avec ses rôles sentimentaux à la noix de coco, z’oui mais lorsqu’il était gamin notre chanteur adorait… L’a dû par la suite comprendre que la vie ne suivait pas toujours les bons sentiments enseignés par la Bible, ce qui explique que le slow oscille entre moiteurs contenues et fureurs irréversibles. Bitchkrieg : démarrage battérial, encore le Colonel Parker au mégaphone, mais les chevaux galopent parmi les spectateurs enchantés, les tigres sont sortis de leurs cages et vous avalent le dompteur en moins de deux, la foule applaudit à tout rompre. Une trombe de deux minutes paillarde et jouissive. Cauchemardesque. 

             L’on pense aux Cramps, des Cramps davantage désespérés et qui n’y croient plus vraiment. Divorce Finance a ressorti le vieux rockab rouillé de l’ancien temps, l’ont trempé dans un bain de psychobilly pour lui refiler quelques couleurs, l’ont requinqué comme ils ont pu à leur manière, le résultat est là, exposé sur la place publique, tout cabossé et cisaillant. C’est aussi beau que de l’art contempourri. Cela pourrait s’intituler : La perte de l’innocence.

    Cet EP est un miroir aux alouettes, il attire, certains le décrieront et le traiteront de grotesque, beaucoup adoreront. Un opus qui ne laisse pas indifférent.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Il existe une vidéo sur YT : Anti-communist dream girl, Live at Wharf Chambers : sont tous les cinq sur scène : batteur, trois guitares, une basse, un beau son électrique, moderne dans lequel les racines rockab sont absentes, ce qui est un peu décevant. 

    Un groupe à suivre.

    Damie Chad.

     

     

    DEFIXIONES

    VERITI RITUS

    ( Bandcamp  / 29 - 03 - 2023 )

    Tout chaud. Tout beau. Comme renseignements je ne peux vous donner que les maigres éléments fournis par Bandcamp et leur FB n’est pas vieux. Sont de Silésie région du sud de la Pologne.

    Smyg : lead guitar / Aro : rhythm guitar / Tymon : drums / Sagittarius :  vocals, bass.

    Etrange couve qui tient des bustes antiques mais ici le chef est couronné d’une espèce d’engrenage métallique, un mécanisme d’horlogerie implacable, la roue de fer du destin.  L’on ne peut s’empêcher de penser aux auréoles qui entourent les têtes des saints et des empereurs des mosaïques et des icones byzantines. Evidemment ces Malédictions ( Defixiones ) ne font pas référence au même Dieu mais à une autre entité. Du côté sombre de la force pour employer une expression consacrée.

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Devotion to the entity : en plein dans la tempête, le sol tremble sous des milliers de sabots de milliers de chevaux, la voix du sagittaire lance la horde, le temps de reprendre ses esprits, il est trop tard, Veriti Ritus nous transporte ailleurs, peut-être faudra-t-il abattre nos montures pour apaiser la terrible entité vers laquelle nous nous dirigeons, déjà des flots de sang noirs se transforment en torrents, une force nous propulse vers un point fixe pivot immobile autour duquel le globe terrestre se met à tourner à une vitesse folle sur lui-même, nous ne savons plus rien, sinon que la terrible énergie qui se dégage de la chose enfouie est en train de prendre possession du monde devenu un immense tourbillon. Odpływam w nicość : (Je dérive vers le néant ) : vibrations de cordes, véritable baume sur les blessures auditives provoquées par le premier morceau, une batterie marque la marche, mais la voix du Sagittaire nous tire de notre bien-être, nous sommes au bout du monde, un pas de plus et nous tomberons dans l’abîme, intermède musical sous-tension, le rythme s’accélère trébuche sur lui-même, se catapulte sur ses propres contrepoints, peut-être ne saisissons-nous pas la portée du drame qui se joue, des notes s’espacent, un roulement de batterie lance le moteur du rotor retors qui nous ventile des atomes de néant sur le visage, comme des pierres qui effacent les contours des statues sur lesquelles elles rebondissent , la musique s’appesantit, nous courbe à même la terre, prend toute la place, envahit le vide au fur et à mesure qu’elle le crée… Levers : avez-vous déjà entendu des guitares rugir comme cela, une fusée interplanétaire s’envole vers l’espace.  Jak wygląda nic ? (Hallucination) : le Sagittaire récitent les litanies qui tétanisent les reptiles, la batterie roule d’un côté et de l’autre ralentit le rythme, des vibrations vibraphoniques  nous berceraient si ce sommeil ne traversait pas un mer écumeuse, Smyg nous réveille de sa guitare perçante, émotions, le Sagittaire nous réconcilie avec la vie, Tymon crée des merveilles roucoulantes, brusquement tout se précipite, nous sommes entre les branches d’un hachoir géant, tout le monde se presse, ceux qui passeront survivront, le morceau devient urgence démentielle, normalement il devrait se terminer au plus vite. Ce qu’il fait en accélérant.  ZWID :: ( à quoi ça ressemble ? ) : un temps de réflexion sur un tempo sans pitié, nous accédons enfin à la pensée pour poser les interrogations essentielles, sans doute notre cerveau ne raisonne pas assez vite, nous passons sous les fourches caudines du martèlement de notre impuissance. Court ? Certes ! mais une aire de repos bienvenue sur l’autoroute du désespoir. Noce : ( nuits ) : cristal de roches résonnantes dans les oreilles, coups de marteaux sur les enclumes de la pénombre, le Sagittaire hurle, l’est devenu un cauchemar ambulant, il avance lourdement, il crie, il met en garde, la musique mène l’attaque, vague irrésistible sous laquelle tout redevient poussière, violence déchaînée, concassage de l’esprit, tout doit être liquidé, rien ne doit subsister, le drumming s’acharne à arraser tout ce voudrait manifester une volonté de vivre, les guitares fauchent les espérances, n’espérez plus rien, même pas en l’espoir du désespoir, la monstruosité réveillée montre sa gueule nécronomiconencielle, un déluge de noirceur s’écroule sur vous. Apocalypse sonore. La comédie est terminée. Les plis du rideau qui tombe ensevelissent le monde. Blind and helpless : le vent souffle, Tymon mène le bal, feulements exclamatifs du Sagittaire, votre esprit n’est plus qu’une canne blanche titubante, vous avez voulu savoir, vous avez voulu voir, vous n’avez pas réfléchi aux dangers de l’Innommable, vous ne saurez jamais rien et vous ne voyez rien, tant pis pour vous, les oiseaux noirs du malheurs tournent sans fin dans la vacance de votre âme, une ronde incessante sur les ailes du néant, inutile de vous plaindre et d’exciter la pitié, la partie est jouée et vous avez perdu, définitivement jusqu’au plus profond de votre mort. Les prêtres entament l’hymne sacrificiel de remerciement. Tout est bien, qui finit mal.

    Magnifique. Si vous n’aimez ni le metal, ni le stonner, ni le doom, abstenez-vous.

    Damie Chad.

     

    SWAMP DUKES 

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Encore des inconnus. N’ont sorti que deux singles sur Bandcamp, en mars et avril de cette année décidément maudite. Il nous plaît de savoir que d’ici quelques mois ils seront réunis sur un EP intitulé Living Nightmares. Cueillir des fleurs vénéneuses à leur naissance n’est pas interdit, comment connaître le goût d’un prochain poison si l’on n’y goûte pas.

    Proviennent de deux groupes : Stevan Fujto de Concrete Sun, de Serbie, qui sortit en 2011 l’album Sky is High, Bora Jovanovic et Ilija Stevanovic  et Sangre Eterna dont on trouve sur Bandcamp une seule piste : Dead Man’s Tale, Les contes de l’homme mort, nous irons écouter prochainement car de ce titre se dégage un léger parfum d’Edgar Poe. Evidemment ce sont aussi des serbes.

    Une seule phrase suffit à Swamp Dukes pour définir son projet : ‘’ Des profondeurs des marais surgissent les Dukes pour vous lapider la cervelle dans une autre direction ‘’ Rien à redire d’un tel programme.

    DEATH HOUSE RESCUE

    ( Bandcamp / 09 – 03 – 2023)

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Kitch and chic, un dessin qui ne déparerait pas sur une couve des romans d’épouvante des années cinquante, tout comme Vince ‘’ L’Invincible’’ Rogers activiste rock niçois j’adore cet art populaire, ah ! ce vert excessif, et cette tête de mort prête à mordre la vie à pleines dents, à défaut de plonger la tête première dans le marais, écoutons ce premier opus :

    Une voix peu encourageante vous avertit, inutile d’avoir peur elle est vite remplacée par un superbe déferlement rock ‘n’roll, une tornade qui passe et qui ne repousse pas. Inutile, en deux minutes les songes miraculeux dont  votre âme se plaisaient à se bercer se sont évanouis, se sont enfoncés dans une vase qui glougloute sinistrement. 

    Percutant et définitif.

    DIG DEEPER

    ( Bandcamp / 01 – 04 – 2023)

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Une couve plus classique. Le noir est inquiétant. La verdeur du single précédent est horrifique. Ici nous sommes en paysage connu. Avec cette croix perdue au milieu des marécage et l’œil insistant de cette lune blanche, nous sommes en pays connu, presque une version semi-aquatique du crossroad de Robert Johnson, Nouvelle Orléans et vaudou. Presque chez nous.

    Un gros solo de basse pour vous mettre dans l’ambiance et le rock’n’roll des guitares décoiffe les décapotables, un vocal moins rapide, le rythme s’assouplit, pour mieux repartir par la suite, l’est sûr que Baron Samedi s’est assis à vos côtés, moins affriolant qu’une blonde pulpeuse, mais il s’amuse avec les vitesses d’une manière démentielle. Attention, freinez à temps si au prochain virage vous ne désirez pas virevolter dans le marais gluant.

    Le rock comme on l’aime !

    Vivement l’Ep !

    Damie Chad.

     

    *

    Un groupe français pour changer. De ceux que l’on classe ces temps-ci parmi les gaulois réfractaires. L’album date pourtant de 2012, ont beaucoup tourné, se sont ensuite un peu reposés, ont envie de reprendre le collier, l’époque s’y prête.  La couve du CD représente un porte-monnaie, vous comprendrez vite pourquoi.

    LA MONNAIE DE LEURS PIECES

    AMER’THUNE

    ( Auto-produit / 2012 )

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    Sébastien Fournier : compositeur, ( contre)bassiste, claviste / Mathieu Relin : auteur, compositeur, guitariste, chanteur / Mickael Denis : compositeur, batteur, percussionniste.

    Jusques là tout est normal, font suivre leur nom, non pas de leur plat préféré ou de leur émission télévisée favorite mais, ce qui est plus rare, de leurs délits commis : je vous livre un package global : incitation au mouvement insurrectionnel, conduite en état de stupéfaction, outrage au président, incitation à la rébellion, détournement de train, filouterie, refus d’obtempérer, abus d’état d’ignorance et de faiblesse, complot, dégradation volontaire des idées d’autrui… comme quoi ils ont plusieurs cordes à leur violon d’Ingres, une véritable instrumentation symphonique !

    Ce test (réussi) d’accréditation personnelle nous permet d’entrevoir un groupe de rock aux convictions solidement charpentées qui ne met pas son mouchoir, je vous laisse deviner la couleur, dans sa poche.

    Ludivine : étonnant au vu de leur passé je subodorais une diatribe politique, ben non une chanson d’amour, enfin de sexe, le gars enflammé qui ne s’occupe plus des affaires du monde, avec un son qui décolle, bon elle est un peu bizarre avec sa petite corne belzébutine, en tout cas ils lui tressent une de ces fanfares rutilantes avec leurs guitares, pas très malin de s’accrocher à la fille de Satan, son désir est si chaud qu’on lui pardonne. La crise secondaire : attention on change de registre, une basse presque mortuaire accompagnée de chœurs d’enterrement, le monde d’en bas, le monde d’en haut, ceux qui triment et  payent, ceux qui exploitent et se gavent, quelques notes de pianos toute claires et le titre bascule dans un tsunami de révolte, l’on désigne le coupable, en lettres capitales, l’on se calme l’on revient au monde des gagne-petit, à la vie étriquée, prisonniers de ces crises si fréquentes qu’elles en deviennent secondaires… Histoire de France : le genre de texte sans langue de bois, l’on ne risque pas de l’entendre sur les radios d’état, dommage car musicalement c’est aussi chaud et aussi rock qu’une barricade, c’est que parfois la démocratie est l’ennemie de l’insurrection, le système est à mettre à bas, le beau monde en prend pour son compte, certes le peuple a perdu le pouvoir, malmené par la droite, trahi par la gauche, cette histoire de France gronde comme une menace. Encore un effort companeros. Ravis au lit : le jeu de mot est connu, n’y a que les nouilles qui ne comprennent pas, dans la vie tout est question d’écriture, soit l’on file le KO, soit l’on file la métaphore, c’est ici que l’on s’aperçoit que les textes sont écrits, super chiadés même. Nous la font à l’espagnole avec l’entrée du torero dans l’arène, plus groove concassé, ne nous laissons pas prendre par l’ambiance, les comédies érotiques tournent souvent au vinaigre. En silence : au début l’on se croirait dans une déception amoureuse, mais non, n’en veulent pas à leur copine, mais à ce peuple avachi, endormi devant sa télé, apathique et dépité, qui n’y croit plus, qui refuse de prendre ses responsabilités, ce qui précède c’est pour l’idée générale, faut écouter c’est goupillé comme un chapelet de grenades, on lance, elles explosent, on attend un peu et on en relance, le tout appuyé sur une orchestration imaginative et colorée. Un bijou. Le héros de pixel : petits bruits électroniques, chic on va pouvoir jouer au jeu-vidéo, la basse jazotte et fait ses gammes, quand on ne se bat plus dans le monde extérieur l’on joue au héros sur l’écran, l’orchestration vous construit une bande-son triomphale, ça console, le pire c’est quand on prend conscience que l’on n’est pas un héros mais un zéro. Apocalypse : entre geste musicale et fable ironique, ce qui est sûr c’est que pendant l’apocalypse c’est comme la vente pendant les travaux, la lutte de classe continue, groove, valse, piano, bruits, lenteurs, clavier, voix, se succèdent, à chaque épisode sa partition, personne n’y a gagné, mais certains y ont perdu davantage. A méditer.

             Très original. Des textes, de la musique, de la révolte. Un petit côté chanson française dans l’écriture des textes. L’on a l’impression que la musique s’adapte au texte, les américains de Chuck Berry à Jim Morrison en passant par Dylan nous ont appris que texte et musique ne doivent former qu’un.  Une belle tentative.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    television,house of love,iggy pop,ruby johnson,divorce finance,veriti ritus,swamp dukes,amer'thune,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 23 ( Corn beef  ) :

    126

    Le Chef allume un Coronado pour mieux m’écouter :

              _ Oui Chef, deux indices de première importance. Je résume : je marche dans une forêt, une sensation étrange s’empare de moi, au bout d’un certain temps je réalise que je ne suis pas dans une forêt mais dans la description d’une forêt dans un livre que vous êtes en train de lire.

              _ Vous me décevez beaucoup agent Chad, je m’attendais à quelque chose de faramineux, d’obscur, de calamiteux, de je ne sais quoi comme si lire un livre était en soi le genre d’acte dont mon subconscient m’interdirait la connaissance, à quatre ans je lisais déjà l’Anabase de Xénophon, dans le texte grec bien sûr ! J’étais même capable de le réciter in extenso à mon institutrice de maternelle qui n’y comprenait rien. C’est tout ce que vous avez à me rapporter ?

              _ Non Chef, excusez cette question à brûle-pourpoint, elle est essentielle pour la compréhension de la suite, pourriez-vous me dire avec quoi se prépare une omelette ?

              _ Agent Chad, auriez-vous subi une lobotomie depuis hier soir ! Avec des œufs, non d’un Coronado abandonné sous la pluie !

              _ Non chef, c’est ainsi que s’annonce le titre du livre que vous étiez en train de lire.

              _ Par une omelette ! Agent Chad, sauf votre respect, vous commencez par me briser la coquille.

              _ Non Chef pas par une omelette, par la moitié d’un œuf !

    Le Chef éprouve le besoin impérieux d’allumer un Coronado :

              _ Oui Chef par la moitié d’un œuf, avec E dans l’O !   

              _ Comme Œuvres Complètes d’Honoré de Balzac par exemple si je ne m’abuse Agent Chad !

              _   Comme Oecila !  Maintenant nous savons que Ecila se prononce Eucila et non écila !

              _ Vous avez pu lire le récit ?

              _ Hélas non, le rêve s’est brutalement terminé par contre j’ai pu déchiffrer le nom de l’auteur. Vous êtes concerné en premier chef, Daniel Lechef !

              _ Vous plaisantez Agent Chad, si certains m’appellent Lechef parce qu’ils vous entendent m’appeler Chef, n’oubliez pas que je m’appelle Alexandre Legrand. Partez-moi plutôt à la recherche de ce satané bouquin. J’en veux au plus vite un exemplaire sur mon bureau !

    127

    J’ai saisi le paltoquet par le colbac et lui ai collé mon Rafalos sur la tempe. Je suis énervé, j’ai passé ma matinée à farfouiller sur internet et à courir les plus grandes librairies, les bouquineries et les marchands de livres anciens, personne n’a jamais lu, vu ni même entendu parler du roman Oecila et encore moins de Daniel Lechef, quand le clampin a refusé de m’emmener voir son directeur, je me suis fâché tout noir. Je préfère ne pas vous dire comment. Me mène tout droit sans broncher au septième étage de la Bibliothèque Nationale François Mitterrand. Sans même lui laisser le temps de frapper à la porte je l’ouvre et nous déboulons. Par politesse j’ai remis mon Rafalos dans la poche.

             _ Mon-Monsieur le Di-directeur, un client un peu particulier !

    Rien qu’à voir sa moue dépréciative qu’il jette sur mon perfecto, la haine m’envahit, je ressors illico mon Rafalos et lui tire un bastos juste au-dessus de sa tête.

              _ Ecoute moi bien, vermine, la prochaine fois je t’en tire une dans la bouche et l’autre dans le trou du cul  !

    L’est pas directeur pour rien, l’a vite compris la situation, l’est prêt à collaborer les yeux fermés.

    • C’est simple tu appliques les consignes d’évacuation du public, tu lances le plan alerte noire et tu donnes rendez-vous à ton personnel dans la grande salle de réunion.

    Pour une fois je suis fier de l’Administration Française. Quelle célérité ! Quelle efficacité ! En trois minutes des hordes de CRS déboulent de leurs véhicules d’intervention rapide, ils expulsent manu militari à coups de matraques lecteurs et chercheurs qui n’ont même pas le droit de prendre leurs affaires personnelles, les plus récalcitrants sont visés au LBD, et tout le monde se retrouve dehors chassés par des nuages de lacrymo. Sont sur le champ emmenés en garde à vue.

    Dans la grande salle tous les bibliothécaires écoutent religieusement le bref discours de leur Directeur :

              _ Mesdames, messieurs, vous me ramenez illico tous les exemplaires d’Oecila de Daniel Lechef, vérifiez tous les fichiers, explorez tous les rayonnages, n’oubliez pas les réserves, je compte sur vous. Vous avez compris, c’est grave et urgent.

    Ça court de tous les côtés, une   véritable fourmilière, les employés mettent du cœur aux ouvrages, l’on en voit passer en courant les bras surchargés de piles de bouquins, pendant que d’autres penchés sur leurs écrans consultent les fichiers des grandes bibliothèques internationales et des universités américaines.   

    Les heures passent, le Directeur essaie de faire bonne contenance en riant jaune citron (pourri), il est dix heures du soir lorsque des clameurs de triomphe montent des plus profondes réserves souterraines, des galopades surexcitées se dirigent vers la grande salle de réunion, le personnel enfin réuni entonne La Marseillaise d’une vois voix vibrante, d’un geste souverain le Directeur les arrête alors qu’ils s’apprêtent à continuer avec L’Internationale. Dans le silence une voix fluette glapit :

              _ C’est moi, c’est moi, je l’ai trouvé, dans la section mathématique, à la lettre L, mal rangé entre Lèche et L’échelle, c’est bien Daniel Lechef, le titre n’est pas sur la couverture mais sur la première page !

    Le Directeur sourit avec orgueil :

              _ C’est ma fille Alice, elle est venue faire son stage d’entreprise de classe de troisième ! Ma fille, je suis très fier de toi, tu marches dans les traces de ton père, un jour tu me remplaceras, je…

    Je ne l’écoute plus j’ai arraché le livre des mains d’Alice la jeune collégienne, je descends les escaliers en courant, saute dans ma voiture et je fonce vers le local.

    128

    Je pousse la porte. Molossa et Molossito sautent et hurlent de joie, le Chef est en train d’allumer un Coronado.

              _ Agent Chad, je souhaite que vous ayez fait bonne chasse, pour ma part…

    Je ne le laisse pas terminer, j’exhibe victorieusement mon livre que je dépose sur le bureau avec précaution :

              _ Tenez Chef, je ne l’ai pas ouvert, j’étais trop pressé de vous le ramener, pas facile d’y mettre la main dessus, le Directeur de la Bibliothèque Nationale a été très obligeant, le personnel a eu du mal à le trouver, il était mal classé, enfin on l’a, regardez Daniel Lechef est écrit en gros sur la couverture.

    Le Chef s’empare du bouquin, le soupèse et le repose avec une moue dubitative.

              _ Vous avez bien travaillé Agent Chad, toutefois je me demande si vous n’avez pas perdu votre temps. Examinons quand même l’objet, dans cette étrange affaire aucune piste ne doit être négligée.

    Le Chef ouvre le livre, tourne quelques pages sans prendre le temps de lire et le repousse d’un air dégoûté :

              _ Non Agent Chad, il vous faudrait apprendre la méticulosité, rien ne sert de s’emballer, oui sur la couverture il est bien écrit Daniel Lechef, pour le titre si je lis à haute voix je prononce bien Ecila mais si je lis avec mes yeux : Et Si Là, ce qui paraît bizarre pour un titre, tout s’éclaire lorsque je lis la page suivante : Pas Ailleurs. Je récapitule : Et Si Là Pas Ailleurs, ce qui à première vue semble un peu une lapalissade, quand je tourne les pages je tombe sur des colonnes de chiffres.

              _ Le texte est codé ?

              _ Pas du tout Agent Chad, nous sommes face à une vulgaire table de logarithmes, quant au titre, c’est une plaisanterie, si vous voulez calculer la longitude et la latitude d’un point précis sur la mer, vous avez besoin d’utiliser une table de logarithmes pour savoir que vous êtes là et pas ailleurs !

    Je suis mortifié. Echec sur toute la ligne. Je m’attends à ce que le Chef me sermonne grave. A mon grand étonnement il est tout sourire. Il m’offre même un Coronado avant d’en allumer un.

              _ Agent Chad, j’ai passé toute cette après-midi à penser au récit de votre rêve. J’avais l’intuition que quelque chose clochait. Après une douzaine de Coronados, une déchirure s’est produite en mon esprit. Maintenant je reconnais un de mes rêves, il vient me visiter assez souvent même si je n’en garde aucun souvenir au réveil. Votre récit a permis d’ouvrir une brèche dans mon subconscient, tout ce que vous avez raconté est juste mais votre interprétation est fausse. Vous avez cru que le lecteur c’était moi, par contre ce n’est pas vous qui cherchez en traversant le texte le titre et l’auteur du livre. C’est moi.

    Je commence à comprendre. C’est comme si j’avais confondu le négatif  blanc et noir d’une photo avec le résultat de son développement, j’ai inversé le blanc et le noir, quand j’ai cru reconnaître le Chef en train de lire, le lecteur n’était que Moi ! Ainsi cette mystérieuse Ecila n’a rien à voir avec le passé du Chef, c’est moi qui détiens la clef du mystère ! Enfouie au fond de moi !

    A suivre…