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  • CHRONIQUES DE POURPRE 598: KR'TNT 598 : CHIPS MOMAN / MIDLAKE / TODD RUNDGREN / JALEN NGONDA / QUESTION MARK & THE MYSTERIANS / LES FINGERS / ARGWAAN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    LIVRAISON 598

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 04 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / MIDLAKE

    TODD RUNDGREN / JALEN NGONDA

    QUESTION MARK & THE MYSTERIANS

    LES FINGERS / ARGWAAN

     ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 598

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    ATTENTION !

    CETTE LIVRAISON 598 SORT AVEC TROIS JOURS D’AVANCE, PARCE QUE NOUS SOMMES DES PHILANTHROCKPES !

    TOUTEFOIS QUE LES ESPRITS DISTRAITS

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    Le Moman clé - Part Three

     

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             Quasiment tout le détail des sessions d’enregistrement menées par Chips Moman dans son studio American se trouve dans l’immensément brillant Memphis Boys de Roben Jones. En fin d’ouvrage, elle fait quelques recommandations discographiques. C’est un peu comme celles de Robert Gordon, ça peut vite devenir une véritable caverne d’Ali Baba, car Roben et Robert citent des albums pas très connus en Europe et qu’on n’aurait pas forcément l’idée d’écouter, et qui finalement se révèlent être pour la plupart de sacrées bonnes pioches. 

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             On tombe par exemple sur l’album solo de Mark James, l’un des songwriters maison d’American. Belle pochette classique dans les tons sépia. Bon, tout est bien foutu sur l’album, mais rien ne va percer le plafond de verre. Bel artiste néanmoins. Il vise cette Americana qui n’est pas aussi cosmique qu’on voudrait le croire. Mark James enregistre cet album à New York avec une belle brochette d’inconnus. Il tape son «Keep The Faith» au groove de feeling pur pour en faire un message d’espoir vibrant - Faith is the key, yeah, it holds the destiny - Il prône ça avec un certain talent latent. Avec «Blue Water», c’est un peu comme s’il visait la beauté juste - Girl take my hand and tell me that you understand/ Cause we don’t need to stand in blue water - Voilà ce qui s’appelle s’imposer. La pop-rock de «Roller Coaster» passe comme une lettre à la poste et en B, il s’en va groover «Flyin’ Into Memphis» à la Tony Joe White, mais avec une voix plus pincée.

             Avant d’entrer dans le détail des albums produits par Chips, il est conseillé d’écouter trois compiles Ace qui offrent un panorama assez complet de ce qu’il faut bien appeler une œuvre. Deux sont consacrées au house-band d’American, les Memphis Boys (Memphis Boys. The Story Of American Studio parue en 2012 et The Soul Of The Memphis Boys parue en 2020). La troisième vient tout juste de paraître : Back To The Basics. The Chips Moman Songbook.

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             On a déjà épluché la première (Memphis Boys. The Story Of American Studio) lors de l’hommage rendu à Reggie Young. On en disait bien sûr le plus grand bien, allant même jusqu’à la traiter de compile du diable. «Memphis Soul Stew» ! King Curtis commence par réclamer a little bit of beiss, a big fat drum and some Memphis guitar. Arrivent ensuite l’organ and the horns. Now a big wail ! : King Curtis fait son Junior Walker ! Suivi par Dusty chérie avec «Son Of A Preacher Man». Tommy Cogbill y vole le show avec son bassmatic. Plus loin, James & Bobby Purify font leur Wicked Pickett dans «Shake A Tail Feather», avec un Tommy Cogbill qui re-vole le show. Au rayon coups de génie, on retrouve  l’immense «I’m In Love» de Wicked Pickett, la démo du «Suspicious Minds» de Mark James, le «Skinny Legs And All» de Joe Tex et le «More Than I Can Stand» de Bobby Womack, fils adoptif d’American. Chips envoie les violons dans la Soul. En queue de compile, on trouve les Soul Brothers que Chips produisait pour Goldwax et notamment l’excellent Spencer Wiggins avec «Power Of A Woman». C’est à Elvis que revient l’honneur de conclure avec «I’m Movin’ On». Dommage qu’il n’ait pas continué à bosser avec Chips. Ils étaient faits l’un pour l’autre. On trouve aussi l’excellent «Born A Woman» de Sandy Posey, Joe Simon, Merrilee Rush et B.J. Thomas, le fringant «Funky Street» d’Arthur Conley, Solomon Burke et les Soul Brothers plus obscurs comme L.C. Cooke ou Clay Hammond. Outch, n’en jetez plus, comme on disait au temps des barricades.

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             Le problème c’est qu’Ace en jette encore avec The Soul Of The Memphis Boys. Rebelotte avec James & Bobby Purify et «Don’t Want To Have To Wait» et cette incroyable qualité du son et cette extrême purée de cuivres, ah ça ira ça ira ça ira, les aristocrates à la lanterne et l’autre, là, l’Oscar Toney JR ! Tu crois qu’il va calmer le jeu avec son «Ain’t That True Love» ? Macache ! C’est encore du typical Memphis beat, l’Oscar est un bon. Ça monte encore d’un cran avec Bobby Womack et «Broadway Walk», il taille sa route à la Wilson Pickett. On croise aussi Jerry Lee et James Carr, puis l’inexpugnable «Cry Like A Baby» des Box Tops. Encore un bassmatic historique ! D’autres blacks de rêve arrivent à la queue-leu-leu, Arthur Conley, Solomon Burke, Joe Tex, Ben E. King, tous ces géants de la Soul viennent enregistrer chez Chips, et puis voilà le «Comin’ To Bring You Some Soul» de Sam Baker, une bombe, suivi d’une autre bombe humaine, Roscoe Robinson avec «How Many Times», un vrai shouter de must I knock d’oh yeah. Et puis voilà la révélation : Ella Washington avec «He Called Me Baby». Fantastique artiste, aussi énorme qu’Aretha. Forcément, Dusty chérie casse bien la baraque avec «So Much Love». On se prosterne jusqu’à terre devant une telle chanteuse. Elle sait grimper plus haut que toutes les autres. Roy Hamilton chante d’une voix de rêve, Elvis aussi, il claque sa chique de «Kentucky Train», les Blossoms explosent «Don’t Take Your Love» et Arthur Alexander referme la marche avec «Rainbow Road», le vieux coucou de Dan Penn - Then one day my chance came along - C’est du mythe pur, Arthur cogne ça dur, avec toute sa dignité de fils d’esclave.

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             Troisième compile hommage à l’American studio avec Back To The Basics - The Chips Moman Songbook. Elle paraît au moment où James L. Dickerson publie sa monographie, Chips Moman. Comme c’est un songbook, Ace met l’accent sur les compos de Chips et non sur ses productions. Les deux grandes surprise de cette compile sont les reprises de «Dark End Of The Street» par les Flying Burrito Brothers et de «Last Night» par Georgie Fame. En ce qui concerne Georgie, pas de surprise, c’est le meilleur shuffle d’Angleterre. Quant à la reprise des Burritos, elle est assez mythique, Gram Parsons chante avec les guitares country dans le creux des reins. Ces mecs ont du son. Comme on va le voir au fil des 24 cuts, la country est une dominante chez Chips. Waylon Jennings qui ouvre le bal avec «Luckenbach Texas (Back To The Basics Of Love)». On tombe plus loin sur la country superstar Kenny Rogers qui fait de «Lying Again» une soupe suprême, puis BJ Thomas avec «Another Somebody Done Somebody Wrong Song», Tammy Wynette («He’s Rolling Over And Over») et ça se termine avec le vieux crabe Willie Nelson («Old Fords And A Natural Stone»). L’autre péché mignon de Chips est bien sûr la Soul. Barbara Stephens ramène du raw r’n’b avec «If She Should Ever Break Your Heart», William Bell ramène son fantastique power («Somebody Mentioned Your Name»), l’immense Barbara Lynn tape dans «You’re Gonna See A Lot More (Of My Leaving)», ah il faut la voir claquer son sweetheart ! Cher fait une version superbe de «Do Right Woman Do Right Man» (ce sont les mecs qui ont accompagné Aretha qui l’accompagnent), Carla Thomas ramène sa romantica («Promises») et Helen Henry ramène aussi sa fraise avec «Every Little Bits Helps» qui date de 62, quand Chips est encore chez Stax. On trouve aussi des choses étonnantes comme cette version de «For You» par Gizelle qui est sur Wild, le fringuant label rockab basé en Californie. Incroyable que les gens d’Ace soient allés taper chez Wild. Il n’empêche qu’on a vu Gizelle au Béthune Retro et ce n’était pas si bon. Merrilee Rush est là aussi avec «Sandcastle». Grâce à Tony Rounce, on apprend que c’est Mark Lindsay qui la recommanda à Chips.

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             L’un des albums dont les Memphis Boys se disent vraiment fiers est le Stoned Age Man de Joseph, sorti sur Scepter Records en 1970. Chips a des connections avec Florence Greenberg, la boss de Scepter qui lui envoie aussi Dionne Warwick et B.J. Thomas. Joseph s’appelle en réalité Joseph Longeria, mais Scepter trouve que Joseph est plus vendeur. Joseph Longeria chante comme cro-magnon, il a cette capacité de faire peur à Tounga et même à Zembla le Rock qui en a pourtant vu des vertes et des pas mûres. «Trick Bag» sonne comme un joli slab de rock seventies, ce qui semble logique, vu la date de parution de l’album. On est en plein dedans. Le problème est qu’on passe facilement à travers les cuts de cet album pourtant considéré comme culte. C’est vrai que le culte a bon dos, surtout quand il l’a dans le cul. On accordera cependant un coup de satisfecit au morceau titre qui boucle l’A, car notre cro-magnon chante son rock des cavernes avec l’énergie du désespoir, mais pas n’importe quel désespoir, le désespoir Williams. Ou si vous préférez, référons-nous aux morceaux en forme de poire d’Erik Satie. C’est adroitement ouvragé. On comprend que ça puisse allumer des convoitises. Chips a dû bien s’amuser à produire ce beau brin de guttural - Like a wild child, yeahhhh - En B, on tombe inopinément sur une belle cover nerveuse de «The House Of The Rising Sun». On sent les barbus de la bande à Joseph invaincus et peu enclins à courber l’échine. «Gotta Get Away» est un cut de Greg Allman monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’», un riff qui, comme chacun sait, est têtu comme une bourrique. Globalement, on a là un album solide, bien enraciné dans le heavy rock des seventies. On peut dire que Chips a le chic pour choper le chop.

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             Roben Jones nous rappelle que Chips avait embauché Wayne Carson et Mark James comme compositeurs maison. En 1972, Wayne Carson enregistre l’excellent Life Lines, l’un de ces albums du grand songbook américain qu’on ne peut que recommander, pas seulement parce qu’on y retrouve «The Letter», ce vieux hit qu’il a composé pour les Box Tops, mais pour d’autres chansons beaucoup plus spectaculaires, à commencer par «Laurel Canyon». Il parvient à s’élever dans le chant à la force du feeling - I’m so alone - Du coup, on dresse l’oreille. Avec «All Night Feeling», il joue un coup de boogie sous le boisseau et n’en finit plus de se montrer crédible. On a là une belle pièce de Southern rock cuivrée de frais. Ce mec sait composer, pas de doute, «Tulsa» vient encore renforcer ce sentiment. Les chansons de Wayne Carson accrochent autant que celles de Jimmy Webb, avec le même sens aigu d’une belle Americana. En B, il reprend le «Neon Rainbow» qu’il a aussi composé pour les Box Tops. C’est assez pop, pas loin du Raindrops de Burt, doté de beaux développements mélodiques, très violonné. Dès que Wayne Carson s’élève dans les octaves, ça devient beau. Notons que Fred Forster, boss de Monument, produit l’album. Avec «Just As Gone», Wayne Carson se montre l’égal de Mickey Newbury. Il revient au Southern groove avec l’excellent « A Table For Two For One». Il fait sa Bobbie Gentry, avec une voix de mâle. C’est dingue comme ses compos accrochent bien. Ce mec aurait très bien pu devenir une star, à l’instar de Jimmy Webb et de Mickey Newbury.

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             C’est avec le Keep On Dancing des Gentrys paru sur MGM Records en 1965 que Chips a pu financer le lancement d’American. C’est donc un album historique, très typique d’une époque où tous les kids d’Amérique entendent les Beach Boys à la radio. Et donc ça déteint. On retrouve dans le morceau titre d’ouverture de balda la même petite ferveur bronzée. Ils proposent aussi de la petite pop inoffensive, mais quand ils tapent dans «Hang On Sloopy», c’est avec le Memphis beat d’American. On a là une version groovy chantée à l’insistance caractérielle. Le «Brown Paper Sack» du bout d’A est plus jerky. On est à Memphis et ça s’entend - You better run away girl ! - En B, on tombe sur un joli clin d’œil à Bo avec «Hand Jive», chanté avec le plus bel accent de Memphis.

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             Sur Gentry Time, le deuxième album des Gentrys, on trouve du pur Memphis Sound : «Giving Love». Jimmy Hart chante son Why don’t you share it with me à la belle exacerbée. Et il ajoute, sûr de lui : «Why don’t you try to relax and come and go with me !» Chips donne au «I’m Gonna Look Straight Through You» un vrai caractère garage. On est dans le heavy beat et c’est chanté bien raunchy. Mais l’A se gâte très vite. Difficile de faire un album solide en 1966, pour ça il faut s’appeler les Beatles. Les Gentrys pataugent dans la petite pop inepte et finissent l’A avec la pop bien rebondie d’«A Little Bit Of Love». L’autre cut intéressant se trouve en B et s’appelle «Sunshine Girl». On y sent toute la joie et la bonne humeur de ces kids de Memphis qui déambulent on the sunny side of the road, comme aimait à le dire Gildas. Ils terminent avec un shoot de petite pop infectieuse à la Zombies intitulé «I Didn’t Think You Had It». C’est un joli coup, doté d’une vraie musicalité et d’une assise consistante.

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             Le troisième album des Gentrys sobrement intitulé The Gentrys paraît sur Sun en 1970. C’est donc produit par Knox pour le compte du nouveau boss Shelby Singleton. On a là un album extrêmement solide, une sorte de gosse pop de Memphis dynamisée par un bassmatic énergétique. C’est enregistré au Sam Phillips Recording Studio (le tout neuf), on est donc en plein cœur de la mythologie. Les Gentrys se montrent à la hauteur avec notamment une reprise du «Stroll On» des Yardbirds. Ils sont sur le heartbeat, et Jimmy Tarbutton solote comme un poisson dans l’eau. Encore pire : «I Need You», où Jimmy Hart crie qu’il est un lover et pas un fighter. En B, ils amènent un fabuleux «Southbound Train». Ils jouent à la big energy, c’est bien nappé d’orgue et pulsé au bassmatic sévère de Steve Speer. On ne peut que se prosterner devant Knox, car il nous sort là un sacré son. Tout l’album tient en haleine. On est à Memphis et ça se sent, la pop se veut plus coriace, elle rocke le beat. Ils finissent leur «Help Me» avec un final qui sonne comme celui de «Sympathy For The Devil», pas moins. «Can’t You See When Somebody Loves You» vaut pour une belle pop d’élan martial, cuivrée à gogo.

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    Il se passe toujours quelque chose à Memphis. Belle reprise aussi de «Cinnamon Girl». Ces mecs ont tout pigé. Ils savent travailler la couenne de la psychedelia avec tact, mais en gardant tout le punch du Memphis beat. Ils font aussi une excellente cover du «Rollin’ And Tumblin’» de Muddy et passent avec «He’ll Never Love You» à la pop de grande envergure. Jimmy Hart monte se mêler aux harmonies vocales supérieures, alors que ça cuivre hardiment dans les parages. Quel festin de son ! 

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             Chips vénérait James & Bobby Purify. Ça s’entend sur The Pure Sound Of The Purifys paru sur Bell Records en 1967. Dès «I Take What I Want», on sent la sauvagerie. Ça swingue dans l’âme du Memphis beat, baby. Big bad fun ! L’autre gros hit de l’album s’appelle «Let Love Come Between Us», embarqué au fantastique entrain purifié. On a là une grosse emblématique de very big pop Purify. On B, on se prosterne devant «Sooth Me», délicat et délié, beautiful cut de Soul aux pieds ailés. Nos admirables Purifycateurs tapent aussi avec «You Don’t Love Me» un fantastique shoot de Soul bien troussée au classic brunch. On se croirait parfois sur un album de Sam Cooke, tellement les étoffes sont fines. «I Don’t Want To Have To Wait» vaut pour un joli shoot de Deep Southern Soul superbe et éperdu. Ils proposent aussi une reprise de «Shake A Tail Feather» bien remontée, solide et sharpy, pas très loin de ce que font Sam & Dave, avec de belles montées en température - Ahhhhh, push me/ Shake it shake it - Ils sont dans le high energy, le very high high high d’ouille ouille ouille.

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             Paru la même année, James & Bobby Purify est enregistré par contre à Muscle Shoals avec l’équipe habituelle, David Hood/Roger Hawkins/Jimmy Johnson. James & Bobby démarrent avec un «Wish You Didn’t Have To Go» signé Dan Penn/Spooner Oldham, mais ils se vautrent en voulant reprendre «Knock On Wood». On ne touche pas à Eddie Floyd. Ils reviennent en B à la magie de Dan Penn avec «I’m Your Puppet», mais le son est trop Muscly Shoals. Ils en feront une version nettement supérieure dix ans plus tard sur leur dernier album. Ils restent chez Dan Penn avec «You Let The Water Running» qui sonne comme un hit des sixties avec son sock it to me. Ils rendent un bel hommage à Sam Cooke avec «A Change Is Gonna Come» et bouclent leur petit bouclard avec «You Can’t Keep A Good Man Down», une merveille qui sonne comme du Dan Penn, mais non, c’est du Papa Don, producteur/protecteur/manager des frères Purify, le fameux Papa Don Schroeder qui se vantait d’avoir Ellie Greenwich dans les chœurs et qui justement ramena les frères Purify chez Chips.

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             Si on en pince pour les Purify, il faut écouter leur dernier album paru en 1977, Purify Bros, sachant que Ben Moore a remplacé Bobby Purify qui avait des problèmes de santé. Ils enregistrent l’album à Nashville, mais leurs vieux amis Reggie Young et Tommy Cogbill les accompagnent. Ils tapent dans la Philly Soul de Gamble & Huff avec «Hope That We Can Be Together Soon» et Ben Moore chante au falsetto miraculeux. Ils tentent d’allumer plus loin le «Get Close» de Seals & Croft, mais ce n’est pas aussi réussi. Par contre, ils ouvrent leur bal de B avec «I’m Your Puppet» et là ils s’en vont briller au firmament, grâce à une jolie progression harmonique. Ils flirtent avec le génie dans «Morning Glory», c’est violonné à gogo et d’une puissance terrible. On note encore l’excellence de leur prestance dans «Turning Back The Pages». Ces mecs n’en finissent plus de redorer le blason de la Southern Soul. Tout est admirablement balancé, sur cette B, précieux faux frères, ils chantent leur «What’s Better Than Love» avec un rare entrain, un prodigieux élan. Ils terminent avec une version de «When A Man Loves A Woman», beaucoup moins perçante que celle de Percy Sledge, ce qui semble logique : personne n’est plus perçant que Percy.

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             En 1972, Dionne Warwick débarque chez Chips pour enregistrer Soulful. Chips lui a préparé un petit lot de covers triées sur le volet, à commencer par «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Pas de problème, Dionne la lionne peut gérer ça, elle peut même le grimper très haut. Elle gère bien son groove de lionne, lovely like you used to dooo. Comme on est chez Chips, elle tape deux Dan Penn, «I’m Your Puppet» (typical Memphis) et «Do Right Woman Do Right Man» dont elle fait la plus Soulful des versions. Elle l’explose comme Aretha l’a explosée avant elle. Elle tape aussi dans le «People Got To Be Free» des Rascals. Chips l’orchestre à outrance et il rend encore plus vainqueuse une lionne déjà vainqueuse. Elle termine son balda avec un clin d’œil aux Beatles et un «We Can’t Work It Out» qu’elle transforme en Soul power. Le bassmatic de Tommy Cogbill rentre dans le lard de la Beatlemania. Ce bassmatic est une œuvre d’art. Ils récidivent en B avec un «Hard Day’s Night» moins réussi et bouclent la B avec un «Hey Jude» que Dionne la lionne chante au feeling de lionne, avec un tremblé de glotte subliminal. Chips fout le paquet, il orchestre à gogo et la marée des violons monte, so let it out and let it in, elle file vite là-haut sur la montagne claquer son nah nah nah, mais elle contourne l’obstacle car elle ne peut pas screamer comme McCartney.

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             On retrouve l’ensemble des cuts enregistrés à Memphis avec Chips sur le double album From Within qui date aussi de 1972. Le Lovin’ Feelin’ et le We Can Work It Out sont en C, mais il y a d’autres cuts qui ne figurent pas sur Soulful, comme cette reprise de «The Weight», fausse Soul blanche, ou encore «Someday We’ll Be Together». En D trône «If You Let Me Love You». Cette Soul Sister de rêve tient sa Soul par la barbichette, et Chips revient à l’équation fondamentale : Memphis beat + voix suprême. Elle tape plus loin dans l’énorme classique de Joe South, «Games People Play» dans une ambiance superbe. Il faut la voir développer son filet de Soul. Elle termine la D avec un clin d’œil à Sly, «Everyday People». Solid as fuck. Par contre, elle propose du gospel en A, elle chante son «Grace» à la perfe, dommage que les chœurs soient si loin derrière. Encore un classique du gospel batch avec «Jesus Will» et elle enchaîne avec une version léonine de «Summertime» - So hush little baby/ Don’t you cry - En B, elle fait une petite tentative de medley avec «MacArthur Park». Dionne la lionne est faite pour la beauté - Catch me looking at the sky - Elle est dans une Soul de you still be the one, elle chante en retenue avec le pire feeling du monde. S’ensuit un hommage à Nina Simone («To Be Young Gifted And Black») et elle boucle sa B avec le «People Got To Be Free» enregistré chez Chips, une splendeur.

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             Chips et ses Memphis Boys étaient encore plus impressionnés par Joe Simon qui enregistre No Sad Songs en 1968 chez American. L’album sort sur le label de Joe Foster, Monument Records. On y trouve deux bien belles énormités, à commencer par «Long Hot Summer», monté sur le big Memphis beat, battu sec et bardé de tortillettes acidulées. Il faut entendre la violence du claqué de notes, c’est du pur Reggie Young, stupéfiant de nervosité et de virtuosité. Les cuivres se jettent dans la mêlée avec un bonheur que n’existe qu’à Memphis. Encore une énormité avec «Traveling Man» qui déboîte sans clignotant pour foncer dans la nuit. Ces mecs jouent la belle embellie. On voit bien que Joe Simon peut rocker le shit de choc. Il tape aussi dans une merveille signé Dan Penn : «In The Same Old Way». Pur jus de Deep Southern Soul, Joe descend dans son meilleur baryton pour faire honneur au Penn. Il chante aussi le «Nine Pound Steel» de Dan Penn, mais c’est le côté gospel batch bien ponctué à l’enclume. Étrange parti-pris de heartbeat. Avec «Put Your Trust In Me», Joe passe au raw r’n’b avec une surprenante vitalité. Les Memphis Boys jouent leur va-tout, comme chez Stax, mais avec quelque chose de plus fouillé dans le son. On retrouve l’énergie Stax dans le «Come On And Get It» de clôture. Ce diable de Joe joue les Saint-Simon du raw, c’est admirable de droiture morale.

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             Joe Simon n’a pas enregistré Better Than Ever chez Chips, mais on peut l’intégrer au déroulé du Moman clé car on y trouve le «Rainbow Road» de Dan Penn, et donc retour à Memphis. Cet album paru en 1969 est d’ailleurs produit par Scotty Moore. Joe chante son «Rainbow Road» au feeling saint-simonien, donc ce n’est pas Arthur Alexander. Une mandoline vient d’ailleurs gratter les puces du pont, alors ça peut gêner au peu aux entournures. D’autant que Joe chante d’une voix de blanc, un peu comme Freddie North. Il sort aussi sa voix de blanc sur «Straight Down To Heaven» et il faut attendre «San Francisco Is A Lonely Town» pour renouer avec la Soul de Soul Brother. C’est une existence difficile, il faut se lever tôt pour décrocher un hit, quand on est Soul Bother. Joe Simon cherche la Deep Soul dans les rues de San Francisco. On le voit aussi faire une version bien straight d’«In The Ghetto». Il tente le coup de la Soul avec «I Got A Whole Lot Of Lovin’», mais sa Soul reste un peu lisse, sans excès, un peu à la Freddie North. On ne trouve pas le petit truc en plus qui fait sortir l’appelé du rang. Le hit de l’album pourrait bien être le «Time And Space» qui clôt l’A, car Joe chante sa pop de Soul avec doigté. Il en groove l’âme. C’est aussi désespérément beau que du Fred Neil. Admirable de mélancolie simonienne.

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             Quand Billy, le fils de Dorsey Burnette, décide de revenir s’installer à Memphis, Chips qui a joué de la guitare avec son père et son oncle Johnny lui donne une chance. Billy enregistre son album Billy Burnette chez American en 1972. Il attaque avec un balladif à la Dan Penn intitulé «Always Wondering Bout You Babe» et sacrément captateur. Billy y développe une grosse mélancolie et montre une belle capacité vocale. Il lance ensuite «Going To A Party» sur le beat de «Mrs Robinson» et ça sonne forcément comme le beat des jours heureux. Mais bon après, ça se délite. L’album retombe comme un soufflé. Chips avait raison de penser que les compos de Billy ne tenaient pas vraiment la route. En fin de B, le pauvre Billy tape dans le Southern soft rock avec «I’m Getting Wasted Doing Nothing», c’est coloré et chargé d’une musicalité qu’il faut mettre sur le dos du American house-band. Il termine avec «Twenty Years Ago Today», un heavy psych de Southern motion aussi puissant qu’un cut de Croz sur If I Could Only Ony Remember My Name.

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Back To The Basics. The Chips Moman Songbook. Ace Records 2021

    The Soul Of The Memphis Boys. Ace Records 2020

    Memphis Boys. The Story Of American Studio. Ace Records 2012

    Joseph. Stoned Age Man. Scepter Records 1970

    Mark James. ST. Bell Records 1973

    Wayne Carson. Life Lines. Monument Records 1972

    Gentrys. Keep On Dancing. MGM Records 1965

    Gentrys. Gentry Time. MGM Records 1966

    Gentrys. The Gentrys. Sun 1970

    James & Bobby Purify. The Pure Sound Of The Purifys. James & Bobby. Bell Records 1967

    James & Bobby Purify. James & Bobby Purify. Bell Records 1967

    James & Bobby Purify. Purify Bros. Mercury 1977

    Dionne Warwick. Soulful. Scepter Records 1969

    Dionne Warwick. From Within. Scepter Records 1972

    Joe Simon. No Sad Songs. Monument Records 1968

    Joe Simon. Better Than Ever. Monument Records 1969

    Billy Burnette. Billy Burnette. Entrance 1972

     

     

    Le feu au Midlake

     

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             Quand est tombé du ciel Van Occupanther, on s’est dit chouette, la cosmic Americana est enfin de retour. Tu ne sais pas qui est Van Occupanther ? C’est l’homme à tête de panthère qu’on voit assis dans le sous-bois de la pochette du deuxième album de Midlake, The Trials Of Van Occupanther. Disons qu’il s’agit d’un album de dimension mythique.

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    Midlake est un groupe texan dont l’âme s’appelle Tim Smith. Il chante et compose. Dès «Roscoe», on sent la pureté du groove tim-smithien qui flirte avec l’up-tempo mais pas trop - Just change a thing or two - La cosmic Americana arrive avec «Head Home». Ils reprennent les choses là où les Byrds les avaient laissées après leur quatrième album, Tim Smith et ses Midlakers sont dans le genius à l’état pur, une vraie mine d’or, avec des dynamiques de basse et de chant psyché all over, voilà l’up-tempo miraculeux. Et ça continue avec «Young Bride», le son vient de l’Ouest. Il va chercher sa young bride au bord du chemin, c’est tendu et extrêmement historique. Ils sont dans l’Ouest de l’Americana et ses rafales de winter extraordinaires. Ce fondu de son est unique dans l’histoire du rock. The Trials Of Van Occupanther pourrait bien être l’un des meilleurs albums cosmiques de tous les temps. Qui peut rivaliser de grâce sidérale avec «Head Home» ? On reste dans le genius midlakien avec «In This Camp», c’est le son de la frontière, avec des vents énormes. Encore de belle pop rock de wild mountain men avec «It Covers The Hillsides», monté sur une bassline digne de celles de Skip Battin.

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             Deux ans avant paraissait Bamnan And Slivercork. Tim Smith prend son «Balloon Maker» au chant de légende et se livre à un petit exercice de Beatlemania. On se croirait à Abbey Road. En bon mage texan, il fait pleuvoir la magie par-dessus les toits. Puis il claque la chique de «Kingfish Pie». Sa tarte balaye tout le reste. Oui, Tim Smith a du génie. Disons qu’il groove sous la surface du génie, comme le montre «I Guess I’ll Take Care» - I want you all the time - C’est de la prescience. Il crée les conditions de son génie. Il t’embarque où il veut. Il chante à la ramasse du Midlake, «Some Of Them Were Superstitious» est une pure merveille, il explose sa pop en la chantant sous le menton. Nouveau coup de Jarnac avec «The Jungler». Il préfigure l’Americana de Van Occupanther. Il chante par la bande avec des accents toxiques. Il va se confronter aux grands vents de la Cosmic Americana jusqu’au bout de l’album, avec «He Tried To Escape» et «Mopper’s Medley», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. «No One Knew Were We Were» est complètement paumé, comme l’indique le titre, mais on se régale de l’entrain d’orgue et de beurre, avec la voix de Tim Smith quelque part au milieu. Il a la même présence que John Lennon. Il est aussi doué, avec ce don de chant et la musicologie afférente. Il peut tirer sur son classique, ça reste beau et bien foutu. Alors si on lui dit ça, il tire, vas-y, Tim, tire sur ton élastique.

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             Le troisième et dernier album qu’il enregistre avec Midlake s’appelle The Courage Of Others. L’album est beaucoup moins dense que les deux précédents. Dommage, car la pochette mystérieuse met bien l’eau à la bouche. Les deux énormités se trouvent au cœur de l’album : «Rulers Ruling All Things» et «Children Of The Grounds». C’est du country folk et on perd la cosmic Americana. Mais ça reste assez puissant, notamment au moment du refrain - I only want to be left my own ways - Avec «Children Of The Grounds», Tim Smith s’envole - I’m gone from here - Disons que tout est complètement largué sur cet album, et en même temps des cuts comme «In The Ground» se raccrochent à des arpèges. Tim Smith continue de taper ses mélodies au contre-chant et se dissout dans l’excellence. On le voit encore tirer son énergie de l’Americana des pionniers dans «Acts Of Man» et il conduit le convoi de chariots de «Winter Dies» - I’d hear the sound of creatures upon the earth - C’est vrai qu’on perd le flying jingle jangle des Byrds, mais on a autre chose.

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             Paru en 2013, Antiphon est donc le premier album post-Tim Smith. À l’époque on s’est dit : «Testons, nous verrons bien.» Test positif car le son est là dès le morceau titre d’ouverture de bal. Pas la même voix, mais ils cherchent à rester dans le même son. C’est une volonté clairement affichée. Et même fucking bien affichée, puisqu’ils outrepassent Tim Smith, ils groovent la magie pure et c’est monté en neige au sommet de Midlake. Inespéré ! On les croyait condamnés. Ils dépassent le syndrome de Stockholm. Ils font du Midlake invétéré. Et ça continue avec «Provider». La magie est là, juste en dessous des glaires de voix, ils développent leur cosmic Texarcana, ils surmontent bien la perte de Tim Smith, ils prélassent le chant dans l’infini du Midlake sound. «Provider» est comme balayé par des vents de son, ils surplomblent la Texarcana, diable comme c’est beau ! Ils sont en plein dans Van Occupanther. On dira la même chose d’«Ages». Ils attaquent «The Old And The Young» au boogie texan. Vas-y mon gars, essaye de sonner comme eux, tu verras que c’est impossible. Ils cultivent l’efficacité de l’excellence. Cet album est l’une des surprises du siècle. On les croyait paumés, mais on les retrouve plus décidés à vaincre que jamais. Et leur pop de cosmic Texarcana n’a jamais été aussi lumineuse. Ils font là encore un big country rock de la frontière, c’est fabuleusement bien joué et remanié à l’extrême. «Vale» est plus atmosphérique, comme balayé par les vagues géantes d’une tourmente. Ces mecs se donnent les moyens de leur délire. Tu peux y aller les yeux fermés.

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             Pour la promo de leur nouvel album, For The Sake Of Bethel Woods, Duncan Fletcher papote avec le nouvel homme fort de la situation, Eric Pulido. Après Antiphon, il croyait le groupe fini. Et comme ils sont coincés par Pandemic dans la même baraque et qu’ils n’ont pas grand-chose à foutre, ils décident de faire des chansons pour un nouvel album - Let’s try out some of these ideas - Alors ils refont leur vieux mélange de psyché, de folk et de prog, et choisissent Bethel Woods en souvenir de Woodstock et de ce que cet événement a pu représenter au plan symbolique. Bien sûr, pas un mot sur Tim Smith et ils n’ont pas grand-chose à ajouter. 

             Avec For The Sake Of Bethel Woods, les Texans ont su conserver leur mystique psychédélique. Finalement, le départ de Tim Smith ne change pas grand-chose. Ils groovent sous la mousse des bois, «Bethel Woods» reste dans l’axe du fast Texas rock, mais sans magie. Le hit de l’album s’appelle «Gone». Il semble ramené des profondeurs. Ça swingue on the top of the beat. On sent chez eux un goût pour le smooth («Glistening») et dans «Feast Of Carrion», on entend des éclats de Van Occupanther. On sent bien qu’ils vivent des vieux restes de Tim Smith. L’album se réveille avec «Noble». Soit ils y sont, soit ils n’y sont pas. Cette fois ils y sont. Eric Pulido chante d’une voix de foie blanc. «Meanwhile» n’est plus du Midlake, mais ils essayent de nous ramener vers Midlake. Ils finissent par y parvenir, c’est du Midlake, mais sans la magie. Difficile à expliquer. «The End» sonne aussi comme du post-Midlake. Ils gèrent leur biz au mieux, et s’efforcent de conserver un goût pour les profondeurs. Il faut dire que ce culte de la pop est assez rare chez les Texans. Ils font carrément de la pop anglaise, mais avec de bons réflexes. C’est assez troublant, alors il faut écouter attentivement. Ils ramènent des tonnes de son, ils s’efforcent d’allumer, mais sans Tim, le casque vibre, c’est bien les gars, ils tentent de surmonter le traumatisme du départ de Tim, c’est très courageux de leur part, on ne peut que les admirer pour cette sortie en fanfare.

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             Comme Shindig!, Uncut fait aussi ses choux gras du nouvel album, à partir des mêmes infos : la pochette représente le père de Jesse Chandler, alors âgé de 16 ans, assis dans la foule de Woodstock au moment où John B Sebastian est sur scène. Le portrait est une interprétation graphique d’une photo tirée du film. Uncut cite quelques références : Eric Matthews, CS&N et Vashti Bunyan. Pour bien cerner le mystère Midlake, Uncut fait ronfler les belles formules, prog-folk melancholia et mystical tunes, mais bizarrement ne fait jamais référence à l’Americana, which Midlake is all about.    

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             Bon alors attention : il existe une compile extraordinaire nommée LateNightTales centrée sur Midlake. Les compileurs ont réussi à rassembler des gens qui sonnent dans l’esprit du fondu de Midlake, les plus connus étant Fairtport Convention, avec «Genesis Hall». Elle est imbattable, la Sandy, avec sa voix de rêve. On la retrouve plus loin avec Harry Robinson dans «Carnival» : the Voice of England, c’est elle. Ce qui frappe le plus sur cette compile, c’est la qualité des choix. On trouve par exemple un cut de Twice As Much & Vashti, «Coldest Night Of The Year» : pur London Midlake sound, ils sont en plein dans Tim Smith, c’est excellent et purifié, heavy soft pop de Twice. Parmi les plus connus, voici encore Sixto Rodriguez avec «Crucify Your Mind». Il gratte sa folk magique. C’est tout de même incroyable de retrouver ce héros ici. C’est lui le boss, avec ses accents dylanesques. Nico est là aussi, avec «These Days», et ça devient forcément légendaire. Nico est l’une des authentiques superstars. The Band fait aussi du Midlake avec «Whispering Pines». Bien vu, exactement le même son. Les compileurs sont des cracks. Scott Walker n’est pas en reste avec son «Copenhagen». The Voice et ambiance garantie ! Et puis voilà Midlake avec «Am I Going Insane», un cover de Sabbath, prodigieux sens de la mélasse, ils jettent tout leur poids de mélasse dans la balance. Parmi les rois de l’Americana, voilà les Flying Burrito Brothers avec «Christine’s Tune» et sa belle énergie de devil in disguise, big bluegrass energy. Jan Duindam sonne comme Tim Smith dans «Happiness & Tears». Même énergie de deep Americana. Incroyable comme ça colle bien. Et puis il y a les révélations. Elles sont au nombre de trois : Beach House, Lazarus et Espers. D’abord «Beach House» avec «Silver Soul». C’est digne de Mercury Rev, belle approche intrusive. La chanteuse est la nièce de Michel Legrand. Puis voici Lazarus avec «Warmth Of Your Eyes», joli folk anglais et son d’une stupéfiante qualité. Alors on y va ! Et pour finir, Epsers avec «Caroline», belle plongée dans l’épaisseur du folk anglais, une pure merveille, ambiance géniale.

    Signé : Cazengler, Midnable

    Midlake. Bamnan And Slivercork. Bella Union 2004

    Midlake. The Trials Of Van Occupanther. Bella Union 2006

    Midlake. The Courage Of Others. Bella Union 2009

    Midlake. LateNightTales. LateNightTales 2011

    Midlake. Antiphon. Bella Union 2013

    Midlake. For The Sake Of Bethel Woods. ATO Records 2022

    Duncan Fletcher : Songs from the woods. Shindig! # 124 - February 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Todd of the pop (Part One)

     

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             À tout seigneur tout honneur : Todd Rundgren donne son nom à cette rubrique que nous consacrons aux géants de cette terre. Quelques-uns s’en souviennent, A Wizard A True Star fut annoncé dans Creem comme le messie. Creem ne se trompait pas. À peine paru, cet album était déjà culte. Todd Rundgren s’y montrait l’égal de Brian Wilson, et ce dès l’«International Feel», monté comme un hit baroque à l’interstellar appeal. Il faut le voir tordre son feel dans les arcanes !

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    Sur cet album, tout s’enchaîne avec une parfaite fluidité. On glisse dans «Never Never Land» avec délectation. Il va de merveille en merveille, il tic tic tique dans «Tic Tic Tic», et se coule naturellement dans le «Rock’n’Roll Pussy». Et puis voilà la huitième merveille du monde, «Zen Archer» - Pretty bird closes his eyes/ Pretty mind dies/ Another pretty thing dead on the end of the shaft/ Of the Zen Archer - Osmose lysergique avec un solo de sax qui déchire le ciel. Cet album donne le tournis. Tiens encore une énormité avec «When The Shit Hits The Fan», bien pulsé au beat de fond, avec des pointes de gratte sur la crête du coq. Ça vire à la beatlemania magique des late sixties. Il boucle l’A avec «Le Feel International», pur génie mélodique. C’est là qu’il monte son chant au sommet de l’Olympe avec un coup de forcing en dernière extrémité. De l’autre côté, on reste dans l’enchantement avec «Sometimes I Don’t Know What To Feel», qu’il allume avec des relents d’Oh Happy Day. Fantastique architecture tectonique ! L’un des temps forts de cet album est le medley de Philly Soul, «I’m So Proud/ Ooh Baby Baby/ La La Means I Love You/ Cool Jerk» qu’il chante d’une voix d’ange de miséricorde. Il tape son Cool Jerk au freakout rundgrenien. Cet album va rester l’un des sommets de l’art pop.

             Un brin d’actu sur Todd Rundgren, ça ne fait jamais de mal : une compile Ace, un tribute, dépêchons-nous, car Todd est arrivé dans la zone à risques des 70-80 ans. Ne perds pas de vue qu’il a démarré en 1968 avec Nazz et qu’il continue de faire des miracles. Avec Frank Black, Jon Spencer, John Reis, Steve Wynn, Robert Pollard et Mark Lanegan, Rundgren fait partie de ces Américains prodigues qui alignent des discographies à rallonges truffées d’albums devenus des classiques du rock. C’est en 1970 que Rundgren est devenu «the young whiz kid who could do anything in the studio». Devenu riche en manageant Peter Paul & Mary et Bob Dylan, Albert Grossman venait tout juste de construire son studio Bearsville, à Bearsville, près de Woodstock. Il prit le jeune Rundgren sous son aile pour en faire l’un des first star producers d’Amérique.

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             Quand Grossman comprend qu’il vient de mettre la main sur une nouvelle poule aux œufs d’or, il met Rundgren sur les coups les plus juteux. C’est l’objet de cette nouvelle compile Ace : The Studio Wizardry Of Todd Rundgren. Cette compile est une sorte de résumé de l’histoire du rock, et d’une certaine façon, de l’histoire de la crème de la crème du rock. Ils sont venus, ils sont tous là, depuis Nazz jusqu’aux Dolls en passant par tous les autres. On en boit jusqu’à plus-soif, et même saturé, on en boit encore. On croyait connaître par cœur l’«Open My Eyes» des Nazz. Eh bien, dans ce contexte, l’«Open My Eyes» prend une toute autre ampleur. Personne ne peut battre le génie de Nazz à la course. Ils cumulent le frantic des Beatles avec le power d’Amérique, c’est un mix unique, une alchimie définitive, jamais égalée depuis. Jamais personne n’a pu égaler le Nazz power, excepté Todd Rundgren. Que dire du power des Dolls ? C’est Rundgren qui fixe le son des seventies avec «Jet Boy». Les Dolls doivent tout à Rundgren. C’est encore le temps où les guitares flambaient et Rundgren les charmait comme on charme les serpents. Mais en même temps, Rundgren dit avoir eu du mal avec eux : «Trying to get everyone on the same page long enough to get a take was like herding cats», ce qui veut dire mission impossible. 

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             La fête se poursuit avec Cheap Trick («Heaven’s Falling», plus power pop, mais avec du son, propulsé dans le cyber space). Il est essentiel de savoir que Rick Nielson rencontra Rundgren pour la première fois à Londres en 1969. Nazz venait de splitter, et Nielsen embaucha Thom Mooney et Stewkey Antoni dans son groupe Fuse qui allait devenir Cheap Trick un peu plus tard, avec l’arrivée de Robin Zander et de Bun E Carlos. Puis tu as le Patti Smith Group («Frederick», trop marketé dans son époque, vieillit atrocement mal). Et puis tu as XTC avec un «Dear God» qui ne marche pas, même chanté par un petit gnard, avec Partridge qui rapplique. Non, ce n’est pas bon, trop prétentieux. Par contre, la brochette qui suit absout Ace de tous ses péchés : Darryl Hall & John Oates, Grand Funk Railroad, Felix Cavaliere et Badfinger. Hall & Oates, c’est forcément bon. On sait que Rundgren adore la Soul, alors pas de problème avec les princes incontestables de la Soul blanche. Le War Babies qu’il produit est un immense album classique, même si Atlantic n’était pas du même avis. Le «We’re An American Band» de Grand Funk tombe bien dans les cordes de Rundgren, heavy rock tapé à la cloche de bois, c’est incroyablement bien maîtrisé, on est au sommet du lard des seventies. Rundgren est arrivé au moment où Grand Funk se décourageait : ventes en baisse et surtout haine grandissante des rock critics à leur égard. Rundgren éprouve de la sympathie pour ces trois mecs et les emmène au Criteria de Miami enregistrer l’album de leur renaissance, We’re An American Band. C’est là que Rundgren établit sa réputation de sauveur. Il va d’ailleurs voler au secours du chat Felix, dont le premier album solo manque, selon Mo Austin, de hits. Alors on fait appel à Rundgren pour sauver l’album. Il bricole l’album en douce et remplace les pistes de basse, batterie et keyboards par les siennes. On imagine la tête qu’a dû faire le chat Felix qui est comme chacun sait l’un des grands chanteurs de l’époque. Et pourtant, Rundgren lui fait une prod de rêve sur «Long Times Gone».

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             Quant à Badfinger, ils amenaient autant de jus que Nazz avec leur «Baby Blue». C’est un son immédiat, fantastique ambiance de heavy pop liverpuldienne ! Pour la petite histoire, Rundgren fut envoyé à Londres pour sauver l’album de Badfinger qui s’engluait depuis un an dans des problèmes de production : Geoff Emerick puis George Harrison avaient abandonné le projet en cours. On connaît le versant Badfinger de cette collaboration, telle que la rapporte Joey Molland dans ses mémoires. Il ne supportait pas les «strong-arms tactics» de Rundgren. Burke a raison de dire que le problème de Rundgren était de faire autorité sur des gens qui avaient déjà des idées très précises de ce qu’ils voulaient faire, d’où les parties de bras de fer. Mais comme le dit si bien Burke, «the proof of the pudding is in the eating», eh oui, le son est là, alors les autres peuvent toujours aller se plaindre, but the job is done ! On dit même que Straight Up est le meilleur album de Badfinger.

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             On croise plus loin deux autres grosses poissecailles : Janis et The Pursuit Of Happiness. Grossman signe Janis en 1970 et il envoie aussi sec Rundgren la produire à San Francisco, avec bien sûr comme backing band The Paul Butterfield Blues Band, un autre groupe sous contrat avec Grossman. La première chose que voit Rundgren en arrivant, ce sont les drogues. So many drugs ! Janis chauffe admirablement sa Soul de pop avec «One Night Stand», un cut qui ne figure même pas sur les albums officiels. Elle se veut très intrusive, Rundgren la sent bien. L’orchestre s’arrête en gare de Janis, tu as tout le tremblement, les cuivres, l’harp, le slinger, l’orgue ! Dans le booklet, Dave Burke nous explique que la session s’est arrêtée pour une pause et qu’elle n’a jamais repris. Janis préférait nettement la scène au studio.

             Inconnus au bataillon, voici le princes obscurs de la power pop, The Pursuit Of Happiness avec «She’s So Young». Stupéfiante qualité ! Content de revoir Fanny avec «Long Road Home», mais les gens d’Ace se sont vautrés. Ils auraient dû choisir «Hey Bulldog». C’est en 1972 que Rundgren quitte les Hollywood Hills après un tremblement de terre pour installer son Secret Sound studio on West 24th Street, à New York. Il commence par enregistrer A Wizard A True Star, puis le Mother’s Pride de Fanny. Encore un mauvais choix avec le «Fa Fa Fa Lee» de Sparks/Halfnelson. Hey les gars, c’est «Fletcher Honorama» qu’il fallait choisir ! C’est la copine de Rundgren à l’époque, Christine Erka des GTOs (Girls Together Outrageously) qui branche Rundgren sur les frères Mael. Ils sont étudiants à l’UCLA et ont un groupe avec les frères Mankey. Ils auditionnent pour Grossman qui les signe sur le champ et qui les envoie en studio avec Rundgren. On connaît la suite de l’histoire, le succès en Angleterre. Mais le plus intéressant est sans doute le propos de Russell Mael que rapporte Burke - Russell Mael has said they owe the whole thing to Rundgren - mais le plus drôle, c’est qu’aussitôt après les sessions, le même Russell Mael a barboté Christine Erka à Rundgren.

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             Tiens, justement, allons voir ce qu’il y a sous les jupes de The Pursuit Of Happiness. She’s So Young est un album de big power-pop, plein de jus de juice, les guitares coulent dans les ravines, c’est grandiose, bien monté en neige par le Wizard Todd. «Hard To Laugh» et «Ten Fingers» sont de belles énormités, les Pursuit ont une puissance de feu suffisamment rare pour qu’elle soit notée dans les registres. Encore de la belle pop de zyva avec «She’s So Young», c’est bien foutu et on ne doute pas un seul instant que cette majesté soit l’œuvre du Wizard Todd. C’est vraiment plein d’à-valoir, de voulu-tu-l’as-eu, c’est de la pop goulue. Encore un chef-d’œuvre de power pop bien pondérée in the face avec «Conciousness Raising As A Social Tool» : wild action ! Le Wizard Todd a dû bien s’amuser avec cette fine équipe. Ils ont du son, des idées et de l’allure. Les cuts suivants restent bien dans le ton, chez Moe Berg, tout est puissant, surtout «Looking For Girls». Il sait trancher dans le vif. Et le Wizard Todd ne manque pas d’enflammer tout ça.

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             Encore un autre grand espoir ruiné faute de hits : The Tubes. Ils auraient dû exploser à la face du monde. Mais ils n’avaient pas les compos. Rundgren ne pouvait pas sauver «Piece By Piece», c’est mauvais, on croirait entendre du Kiss. Rick Derringer a lui aussi essayé de devenir une rock star, mais il n’avait pas non plus les compos. Tout le monde n’est pas David Bowie ni Brian Wilson. Et comme le dit si bien le proverbe austro-hongrois, on ne trouve pas les hits sous le sabot d’un cheval. Par contre le heavy folk-pop des Bourgeois Tagg est bien plus intéressant. «I Don’t Mind At All» est extrêmement fin, on ne sait pas d’où sortent ces mecs, mais ils sont versés dans la pop d’intrication supérieure. Les voies de Todd Rundgren sont décidément impénétrables. D’où l’autel qu’on lui dresse. On arrive à la fin avec le «Goodbye» des Psychedelic Furs, pas de quoi se relever la nuit, par contre, la bonne surprise, c’est «Love Is The Answer» d’Utopia, un groupe qu’on fuyait jadis comme la peste à cause de sa mauvaise réputation proggy. Du coup, on décide de repartir à la chasse, car «Love Is The Answer» est un véritable joyau de pop surnatuelle et ça marche. Rundgren finit en pur genius de scream de gospel demented. 

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             Ah Utopia ! Trop prog, disait-on. Mais à la réécoute, les albums tiennent sacrément bien la route, à commencer par Another Live, paru en 1975. Todd y casse la baraque avec une version hallucinante d’«Heavy Metal Kids», retour aux heavy sources des chutes du Niagara, the perfect heavy rock américain, l’expression la plus poussée du génie sonique de Todd Rundgren, il y va de bon cœur, il nous ressert tout Nazz sur un plateau d’argent, il combine les splendeurs mélodiques aux bassesses de l’hyper-heaviness, ain’t no time to forget, c’mon yeah ! Et il passe sans transition à «Do Ya» pour un tremendous hommage aux Move et au roi Roy, Todd est encore plus puissant que Roy Wood, do ya do ya want my love ! Après le déluge, il ramène la belle pop de «Just One Victory», il retrouve le chemin des harmonies vocales. L’autre big hit de l’album est «The Wheel», une belle pop de calme plat entraînée par une trompette. 

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             L’année suivante paraît le Ra d’Utopia. Todd et ses collègues chargent bien la chaudière de la pyramide. Avec «Jealousy», il flirte avec la heavyness de «Little Red Lights», c’est dingue comme il reproduit bien ses vieux schémas, et cette façon de partir en solo flash de feu follet n’appartient qu’à lui. Avec «Sunburst Finish», il propose une belle émulsion de prog montée en neige.

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             On ne perd pas non plus son temps à écouter Oops! Wrong Planet, un album en forme de melting pot de big pop bien farcie de solos flash. Avec «Love In Action», il renoue avec sa veine power Todd, il adore enfoncer son clou avec le marteau de Thor - You can’t stop love in action - Telle est la morale de cette histoire. Il ramène du stomp dans «Back On The Street», il n’a rien perdu de ses vieux réflexes et il va chercher le poivre des harmonies vocales. En B, il croise le fer avec un solo de sax dans «Abandon City», c’est un combat captivant et il en arrive à «Gangrene», qui est le haut-lieu de l’Oops, il traite sa gangrène à l’insidieuse du heavy rock rundgrenien. Comme toujours, c’est effarant de présence.

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             Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio parue en 2018, The Individualist: Digressions Dreams and Dissertations. Ouvrage fascinant à bien des égards, Edgard. La couve reprend le visuel de pochette de l’album du même nom paru en 2011 et sur lequel on reviendra dans un Part Two. La première approche du book laisse une impression désagréable, car il est imprimé sur un couché brillant et pèse donc une tonne. Puis on découvre la structure du contenu, et là, c’est l’inverse, on tombe en extase. Rundgren a choisi de raconter sa vie d’une manière extrêmement originale : 180 textes courts (une page chacun) en forme de contes moraux psychédéliques, chacun d’eux assorti d’une chute qui donne à réfléchir. Le tout suivi de 50 pages de photos à la fois rock et personnelles, la plus importante étant la dernière qui montre Todd, sa femme Michele et leurs quatre gosses. Ils sont photographiés au paradis, c’est-à-dire à Kauai, une île de l’archipel d’Hawaï, où Todd a décidé d’installer sa famille. On comprend à la lecture de cet ouvrage remarquable que Todd Rundgren est un homme qui a réussi sa vie, à la fois sur le plan personnel et sur le plan artistique. Les messages qu’il transmet valent bien ceux du Dylan de Chronicles. Le Wizard A True Star qu’il nous proposait en 1973 prend ici toute sa résonance. Ça valait le coup d’attendre 50 ans.

             Les 180 contes moraux psychédéliques sont pris en sandwich entre deux textes alarmants de véracité littéraire : ‘a note about form’ et ‘epilog’. Dans sa façon d’appréhender cet exercice consistant à raconter la vie, il rivalise d’acuité janséniste avec ces champions de l’introspection que sont Georges Perros, Cioran et Paul Valéry. Rundgren attaque ainsi : «On m’a demandé d’écrire mon autobiographie, et j’ai pris cette demande en considération quand j’ai réalisé que si je ne le faisais pas, quelqu’un d’autre l’aurait fait à ma place et le résultat ne m’aurait pas convenu. En réfléchissant à ce projet, je me suis dit que cet exercice pourrait être divertissant, et comme ça ne remettait rien en cause, je me suis mis au travail, j’ai commencé à rassembler des souvenirs et à écrire ce qui m’était arrivé. J’ai très vite compris que je ne pouvais pas organiser ce fatras sans un minimum de discipline. Apprends à te connaître.» Et dans l’épilogue, il apporte un autre éclairage fondamental : «J’essayais toujours de trouver un équilibre entre ce que je voulais dire et les révélations qu’on attendait de moi.»

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             Les textes consacrés aux grands artistes qu’il a côtoyés sont bien sûr fantastiques, mais plus fantastiques encore sont ceux qu’il consacre à ses souvenirs de globe-trotter en Asie, notamment aux Indes. Cet auteur extraordinaire récrée à sa façon le mystère terrible qui plombe La Route des Indes, ce film de David Lean tiré d’un roman d’E.M. Forster. Rundgren voyage en deux roues et séjourne dans les grandes villes, Delhi, Gaia, et Calcutta : «Je réalise que ne fais qu’effleurer la surface de ce grand mystère qu’est l’Inde. Deux semaines après mon retour du Népal, je suis fasciné et épuisé. Mon cerveau ne peut en absorber davantage. J’étais fou de croire que je pouvais trouver une aiguille spirituelle dans une meule de foin aussi gigantesque.» En quatre ligne, il donne sa version du mystère de l’Inde. Plus loin, il nous refait le même coup avec le Japon. Quatre lignes : «Le Japon est comme le Japon. Aucun endroit au monde ne ressemble au Japon. Tous les événements étranges qui lui sont arrivés en ont fait un pays unique au monde. L’isolation, l’incroyable confluence de beauté naturelle, la cohésion culturelle... et les bombes qu’on leur a balancées. On ne pourrait imaginer un pays plus parfait.»

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             Ce sont aussi les chutes des textes qui font le charme ensorcelant de l’ensemble. Rundgren réédite l’exploit 180 fois. Et chaque fois, c’est pertinent. À une époque, il fait partie pendant trois mois du All Stars Band de Ringo avec Joe Walsh, Dave Edmunds et Nils Lofgren. Voilà donc la chute de ‘Vegas’ : «Chaque musicien professionnel a une dette karmique envers les Beatles. Sans eux, la plupart d’entre-nous ne seraient pas devenus musiciens. J’ai payé ma dette pendant ces trois mois, ce qui me met en tête de 99% des musiciens encore en vie depuis 1964. Ça ne veut pas dire que j’irai brûler un cierge en souvenir des Beatles. Ça veut juste dire que je me suis débarrassé de ce gros scarabée (Beatle) qui était sur mon dos.» Dans un texte assez fulgurant sur l’écriture, ‘Writing’, Rundgren chute ainsi : «On est des choses qui font des choses. (...) On fait des choses. On les fait apparaître. On pourrait croire que l’univers voudrait nous en empêcher. Pas vraiment. La stupidité des autres est une balise sur le rocher du désastre. La connaissance circule en dépit de l’ignorance du messager. L’école pue massivement et pourtant j’ai appris à écrire, grâce à mon caractère vindicatif.» Rundgren peut parfois paraître un peu hermétique, mais quand on relit, on découvre une sorte de sens caché. En bon moraliste psychédélique, il demande une attention particulière. Sa musique est d’un abord plus direct. Mais dans les deux cas, on sent la présence d’une vive intelligence. C’est pour ça qu’on là, pour boire à la source.

             Il relate son enfance et évoque ses parents dans une première série de textes. Rundgren prend très jeune sa liberté. Il quitte la maison familiale en banlieue de Philadelphie pour s’installer en ville et y mener la vie de bohème. Il rappelle au passage que Philadelphie a toujours été a music town, grâce au label Cameo-Parkway et à Chubby Checker. Avec ses copains Randy et Collie, il monte un premier groupe. Ils bossent sur Rubber Soul et Shapes of Things qui viennent de paraître. Right time in the right place - And the Stones had the first fuzz-tone driven #1 record with Satisfaction and every thing began to change - Puis Rundgren rencontre le batteur Joe DiCario. Quand Woody’s Truckstop propose à Joe de battre le beurre, il accepte à condition que Todd soit aussi intégré comme guitariste. C’est ainsi qu’il entame son voyage au pays magique du rock. Le bassman du Truckstop n’est autre que Carson Van Osten. Todd et lui vont devenir potes, partager le même appart et monter Nazz - Lucky for me, Carson Van Osten, my first roommate, was really a saint - Quand ils débarquent à New York, ils se rendent au Paramount Theater pour assister au Murray The K show. Todd flashe sur Cream et les Who - Voir deux de vos plus grosses influences sur scène à l’adolescence est une expérience stupéfiante. Cream se pointait sur scène avec des afros - Le show est frustrant car Cream ne joue que deux cuts, et avec les Who, Todd en prend plein la vue, car chacun des quatre Who est un spectacle à part entière, il ne sait pas lequel il faut regarder - And they essentially destroyed themselves onstage (several times a day!) - Personne ne pouvait jouer après eux. C’est là où Todd diverge avec le Truckstop qui louchait sur la West Coast. Todd louchait sur les Anglais - I did not want to be a hippy - Je voulais être Anglais. L’ironie de l’histoire, c’est que j’ai plus appris du rock et de la façon dont on le joue avec les Who, en 5 minutes, que des autres musiciens blancs qui pillaient généralement la musique noire. This I could do - Il pousse son anglophilie jusqu’à aller s’habiller chez Granny’s à Londres. Il rencontre ensuite le batteur Tom Mooney et Stewkey. Le groupe s’appelle The Nazz en hommage aux Yardbirds (B-side du single «Happenings Ten Years Time Ago») et ils tapent un son que Todd situe entre les Who et les Beatles - All harmonies and windmills - Nazz explose très vite et Columbia Screen Gems les signe. Ça embête Todd de se retrouver sur le même label que les Monkees, mais il est ravi d’apprendre que Screen Gems a un deal de distribution avec Atlantic, «ce qui offrait l’opportunité  de rencontrer et de travailler avec Ahmet Ertegun, a real legend.» Ils enregistrent leur premier album à Los Angeles. Todd flashe sur le Sunset Strip, «a glowing snaking river of hair and glitter, music and sex and drugs, which we had no problem acclimating to.» La Californie commence à exercer une réelle fascination sur lui : «Je n’avais aucune référence en tête quand j’ai découvert la West Coast. J’ai été facilement intoxiqué. West was warm, East was cold. West was new, East was old. West was easy, East was hard. Ce n’est pas comme si j’avais perdu ma passion pour les racines anglo-saxones de la culture de la côte Est, dont les groupes anglais étaient le pinacle.» Puis les choses se dégradent au sein de Nazz. Lors de l’enregistrement du deuxième album, Todd impose ses chansons et ça ne plaît pas autres. Carson quitte le groupe et devient graphiste. Puis Todd s’aperçoit que le manager Kurkland manipule les deux factions. Alors il quitte le groupe. On reviendra sur Nazz et les trois extraordinaires albums dans un Part Two.

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             À l’époque de Nazz, Rundgren est déjà sous l’influence de Laura Nyro. Il lui rend un fiévreux hommage dans un texte qu’il intitule ‘Laura’. Il dit qu’à l’écoute d’Eli & The 13th Confession, il est tombé sur le cul - I was knocked completely on my ass. I fell in love with the record, I fell in love with her - Il se met à composer au piano. Il réussit même à la rencontrer au Dakota - l’immeuble où vivra plus tard John Lennon - et se dit surpris qu’elle ne corresponde pas à l’image romantique qu’il avait d’elle - Elle était assez massive, avec des sourcils très noirs, fringuée comme une gitane et elle parlait d’une voix lente, quasi-inaudible. Elle avait les ongles trop longs qui se courbaient et qui cliquetaient sur les touches quand elle jouait du piano - Un jour, elle propose à Rundgren le job de bandleader, mais il doit refuser par loyauté pour Nazz dont il fait encore partie au moment de cette rencontre. Et voici la chute, extraordinaire comme toutes les autres : «Laura Nyro et moi n’étions pas faits pour être ensemble. Elle devint mère, féministe, lesbienne, artiste marginalisée, recluse et finalement victime d’une maladie. Cependant, jusqu’à aujourd’hui, ma première approche de sa puissante expression musicale demeure aussi vive qu’une récente épiphanie.» Cette page consacrée à Laura Nyro, un amour artistique de jeunesse, est l’une des plus belles apologies de la nostalgie. Chez Rundgren, une page peut suffire. Pour exprimer sa mélancolie nostalgique, il faut à Stendhal la distance d’un petit roman. 

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             Laura Nyro refait surface un peu plus loin. Elle contacte Todd pour lui demander de produire un album. Ils commencent par bosser sur «To A Child». Mais Todd trouve que l’ambiance dans le groupe de Laura n’est pas bonne - Vitesse de l’escargot et indécision - aussi quitte-t-il le projet. Il réalise à quel point Laura et lui sont devenus différents. Il voit la passion de Laura refroidir alors que lui voit la sienne grandir, il voit l’univers musical de Laura se ratatiner, alors que lui devient un soul-singer et qu’il se décomplexe. C’est extrêmement fin, extrêmement juste dans la formulation. Ses mots sonnent comme ses notes, juteux et capiteux. Ah il faut le voir conclure le texte consacré au Max’s : «Tout historien objectif devrait pouvoir affirmer que les années 70 ont détrôné les autres décades. Il y avait tout : war, sex, drugs, prog rock and disco, stacks of Marshals and Max’s Kansas City. Il est probable que chaque époque et chaque ville proposait un lieu de prédilection pour l’intelligentsia, l’artiste, le voyeur et l’exhibitionniste, il existait peut-être un équivalent du Max’s dans chaque showbiz town, dans les années 70, but this is after all New York Fucking City.» Il rend aussi hommage à Hunt et Tony Sales qui joueront avec lui sur ses premiers albums solo et qui par la suite rejoindront Bowie dans Tin Machine. C’est dans un club de la 46e Rue, Steve Paul’s The Scene, que Todd rencontre Hunt & Tony Sales, «sons of Soupy» - Je n’ai jamais su me lier avec les gens austères. Ils n’ont jamais compris que je ne prenais quasiment rien au sérieux. Ce qui m’attirait le plus chez les Sales brothers, indépendamment de leur talent de musiciens, c’était leur sens de l’humour, hérité de leur père - Il leur propose le projet Utopia : a space-age concept band avec des space-suits et des cheveux colorés.

             Les drogues ? Parlons-en ! Il évoque avec gourmandise le souvenir d’une boîte à chaussures remplie de boutons de peyotl - That (hint hint) would make an ideal birthday gift even now - Todd ne jure que par le peyotl - I was deliciously mescalinated - Plus loin, il finit par réaliser que le peyotl est une drogue sacrée et un outil d’élévation de la conscience. Il conclut ’Candy’ ainsi : «Les drogues, c’est une boîte de chocolats. Vous avez l’idée. Vous pouvez décider de ne manger que les arachides enrobées de chocolat et jeter le reste de la boîte. Alors votre vie ne tourne plus qu’autour des arachides enrobées. Rien d’autre ne vous intéresse.» Par contre, il n’apprécie pas la coke, dont il voit les effets sur les autres. Quand il enregistre Something/Anything, il tourne à la ritaline - L’album est devenu un double album dont le seul concept était la prolixité. J’ai vraiment dû m’obliger à stopper - Merci la ritaline !

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             Il rend aussi hommage à Wolfman Jack, «the howling renegade of the airwaves». Quand il le rencontre, Todd dit se trouver en présence d’une légende. Il lui consacre d’ailleurs un cut en forme d’hommage sur Something/Anything. Il dit aussi préférer les Beatles aux Stones dont il aimait pourtant les premiers albums, mais qui selon lui, ont évolué comme des «naughty middle-aging schoolboys. Il revient aussi sur Badfinger et l’album qu’il est venu sauver, et comme il ne veut pas que ça continue de s’enliser, il dicte sa loi, ce qui ne plaît pas aux Anglais. Pourtant, l’album est un succès et dans l’histoire, Todd dit avoir gagné une nouvelle réputation : «The Fixer». Il fait claquer du fouet et dit faire gagner du blé au label - Might I on occasion abuse that authority? Probably - Todd Rundgren est bourré d’humour. Plus loin, il se dit ravi de sa rencontre avec Grand Funk Railroad, lorsqu’il est allé produire We’re An American Band dans le Michigan - Je fus agréablement surpris de voir à quel point ils étaient ouverts, mais aussi de voir à quel point ils avaient progressé en développant un style de compo plus performant - Il ne manque plus que les Dolls. Justement, les voilà. Ah cette façon qu’il a d’amener le sujet ! «On me proposa de produire un groupe qui s’appelait les New York Dolls et qui était la patate chaude du so-called punk movement, mais qui ne devait pas encore s’appeler punk. Comme on traînait tous au Max’s, on se connaissait de vue. Je n’étais pas très excité par ce qui ressemblait à un clin d’œil aux Stones in drag, mais ils étaient bien plus excitants que le reste des groupes in drags qui écumaient alors la scène locale.» C’est comme si on y était. En une seule page, Rundgren nous retapisse le mythe des Dolls. Il y va de bon cœur : «Johnny Thunders, le Keith Richards du groupe, devait préparer un doctorat en morosité qui a dû grandement contribuer à l’élaboration de son fameux style de guitare, mais c’est sa coupe de cheveux qui le représentait le mieux.» Quand l’album a été remixé et mastérisé alors que les Dolls faisaient le fête ailleurs, Rundgren dit que «personne à l’époque n’a réalisé que le son ne représentait qu’une moitié de leur total recorded output.»

             Voilà, c’est un minuscule aperçu. Les fans de Todd Rundgren se régaleront autant que les fans de Dylan avec Chronicles. C’est du même acabit. Sans doute l’un des ouvrages majeurs de la culture rock. Au dos du book, Todd porte toujours les cheveux longs, des lunettes noires et un pull noir à cocarde, probablement en souvenir des Who. A True Star

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    The Studio Wizardry Of Todd Rundgren. Ace Records 2022

    Todd Rundgren. A Wizard A True Star. Bearsville Records 1973

    Utopia. Another Live. Bearsville 1975

    Utopia. Ra. Bearsville 1976 

    Utopia. Oops! Wrong Planet. Bearsville 1977

    The Pursuit Of Happiness. She’s So Young. Chrysalis 1988

    Todd Rundgren. The Individualist: Digressions Dreams and Dissertations. Cleopatra 2018

     

     

    L’avenir du rock - Anagonda

     

             Chaque année, l’avenir du rock reçoit une invitation pour participer au Conclave des anges de miséricorde qui se tient dans une vaste crypte jadis creusée sous l’aide droite du Palais du Vatican. C’est une manifestation apocryphe dont les pontes se lavent les mains. Son seul but est de préserver ce que les théosophes appellent une sous-couche d’œcuménisme, qui prend la forme d’un courant d’idées adaptées à l’universalisme culturel. Chaque fois qu’il relit le manifeste du Conclave des anges de miséricorde, l’avenir du rock s’endort. Et pourtant, il accepte chaque année l’invitation, car c’est l’endroit rêvé pour sortir des sentiers battus et croiser l’impromptu. Il a chaque fois l’impression d’entrer dans le cabinet de curiosités du Docteur Moreau. Chaque intervenant vient en effet témoigner sous serment, du haut d’une antique tribune en bois sculpté, de la présence d’un ange sur cette terre. Au cours des années précédentes, Wim Wenders a révélé la présence d’un ange perché sur les toits berlinois, l’ange Damiel, et comme on lui demandait d’apporter la preuve de ses dires, il tourna Les Ailes Du Désir en caméra vérité. Abel Ferrara a surpris tout le monde en affirmant qu’il avait vu un ange sortir de la culotte d’Asia Argento, et comme on lui demandait d’apporter la preuve de ses dires hautement répréhensibles, il tourna New Rose Hotel. De son vivant, Pasolini était venu révéler qu’un ange nommé ‘le visiteur’ avait baisé toute une famille bourgeoise milanaise, du père à la mère, en passant par la bonne, les rejetons et le petit lévrier. Sommé d’apporter la preuve de ses dires sulfureux, Pasolini tourna Théorème et fit un beau scandale. Conforme à sa réputation d’extravagance, Ginger Baker vint déclarer qu’il était un ange. Sommé d’apporter la preuve de son outrecuidance, il publia son autobiographie : sur la couverture, il portait effectivement des ailes, et chacun referma son caquet. Kevin Smith vint révéler qu’il connaissait personnellement deux anges déchus cherchant à regagner le paradis. Sommé d’apporter la preuve de ses dires blasphématoires, il tourna Dogma. Quand l’avenir du rock est monté à la tribune révéler qu’il avait vu de ses yeux vu un ange noir, un immense brouhaha s’éleva de l’assistance.

             — Noir ? Vous êtes certain qu’il était noir ? Vous risquez l’excommunion !

             Alors l’avenir du rock leva les bras au ciel et fit descendre un petit ange noir équipé d’une guitare.

             — Messieurs les membres du tribunal ecclésiastique, permettez-moi de vous présenter l’ange Jalen Ngonda ! 

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             L’avenir du rock ne raconte pas que des conneries. L’arrivée sur terre de Jalen Ngonda ressemble à peu près à ce qui s’est passé dans la crypte du Conclave des anges de miséricorde.

             Rouen, 2023. Tu le vois arriver sur scène et tu te dis :

             — Oh la la...

             — Oh la la quoi ?

             — Ben oh la la. C’est ce qu’on dit quand ça va pas, non ? Enfin regarde-le, il n’a aucune chance, petit black en T-shirt bordeaux et jean noir bien serré à la ceinture, fragile et presque nu, comme s’il débarquait d’un vaisseau négrier, il y a de cela deux ou trois siècles, ne comprenant rien aux ordres qu’aboient les blancs qui puent et qui fouettent et qui violent. Il tombe des nues en Normandie. Il entre sur scène et va chercher une guitare posée là-bas, près de l’ampli. Ah non, c’est pas vrai ! Une Rickenbacker, comme celle de Pete Townshend ! Il ne va quand même pas nous jouer «My Generation» ! On ne sait même pas comment il s’appelle. Il est tout seul, paumé au milieu de la scène, avec une petite bouteille d’eau. Il va se faire bouffer ! C’est pas possible, une telle fragilité ! Et puis il sourit et demande aux blancs si ça va bien. You’re okay ? Il aurait sans doute dit la même chose en débarquant du vaisseau, voici deux ou trois siècles. Waka donga ? Ça va bien ? Son seul bien est son sourire. Il a sans doute le plus beau sourire du monde. Et là il commence doucement à fasciner. Mais tout doucement. Seconde après seconde. Ce n’est pas une question d’être attiré par les hommes, non, ce n’est pas ça du tout. C’est le simple fait d’être le témoin d’un moment de grâce extrêmement fugitif et complètement inattendu. Mais ça, c’est que dalle par rapport à ce qui va suivre.

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    Il gratte sa clairette sur la Ricken, cling clong, et soudain, il se met à chanter. Il y a plus de grâce dans ce petit black qu’il n’y en eût dans toute ta Renaissance italienne et tous tes peintres, Horatio, tes Botticelli et tes Fra Angelico peuvent aller se rhabiller, car le prince du ciel, c’est ce petit black sorti de nulle part. Il joue en première partie de Thee Sacred Souls et on commence à trembler pour les pauvres Sacred Souls, car le mystérieux archange black tombé des nues est en train de leur voler le show. Il chante la Soul la plus pure qu’on ait entendue depuis l’âge d’or de Marvin, d’Al Green, de Curtis et d’Eddie Kendricks. Il chante en grattant sa clairette de Ricken et c’est un spectacle hallucinant. Il gratte des progressions d’accords et des transitions d’un raffinement qui te laisse comme un rond de flan, si tu connais un peu la gratte. Le public ne s’y trompe pas et l’applaudit à tout rompre, à la fin de chaque chanson.

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    C’est complètement inespéré d’avoir sur scène un jeune black aussi balèze, aussi pur et aussi nu. Il est à l’image de son bras droit, dénudé jusqu’à l’épaule : nu et gracieux. Il cumule les deux fonctions essentielles de la Soul : la pureté et le power. Lorsqu’il grimpe au chat perché, il le fait avec tout le black power dont il est capable. C’est extrêmement rare d’entendre ce mix, habituellement, les dieux de la Soul réservent ce privilège aux superstars. Alors peut-être que ce petit archange tombé des nues est une superstar inconnue. C’est dôle, on voit pas mal de superstars inconnues ces jours-ci en Normandie : l’autre jour on avait le gros Malcolm Cluzo, puis on a eu Thomas Gatling des Harlem Gospel Travelers, et maintenant voici le petit archange black, l’héritier direct de Marvin Gaye.

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             Il s’appelle Jalen Ngonda. Ou N’Gonda. C’est comme on veut. On retrouve son nom après coup sur la prog. On découvre dans la foulée qu’il a des singles auto-édités et un single sur Daptone. Fuck ! Gabe l’a repéré ! Il l’a de toute évidence trouvé sous le sabot d’un cheval, comme il avait trouvé Sharon Jones. Il vient de lancer sa nouvelle superstar ! Sur scène, tous les cuts de Jalen Ngonda sonnent comme des numéros de funambule. Il propose une dentelle de Soul d’une extravagante délicatesse, il va chercher des intonations séraphiques au fond de son imagination et semble cultiver le dodécaphonisme chromatique sur sa Ricken. Même en fouillant dans les milliers de souvenirs de concerts stockés dans cette éponge qui nous sert de cervelle, on ne se souvient pas d’avoir vu un artiste aussi outrageusement sophistiqué. Et donc on s’en émeut. Comme dirait Léon Ferré, on fait partie de la race ferroviaire qui regarde passer les trains. Meuhhh !, s’émeut-il. L’un des hommages que rend notre héros tombé des nues s’adresse à Etta James, avec une cover de «My Dearest Darling».

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             Comme il n’a pas de merch, on déclenche dès le lendemain les opérations de rapatriement. Le single Daptone paraît sans pochette. L’A-side s’appelle «Just Like You Used To» et te voilà en plein Curtis Mayfield ! L’archange black chante d’une voix admirablement tranchante qui devient onctueuse dans les montées. C’est un géant en devenir, une vraie révélation, une suite de l’histoire, on entend même un solo de sax, Daptone le gâte ! Il est vraiment perçant, il a largement de quoi percer. La B-side s’appelle «What A Difference She Made». Avec un backing-band, c’est très différent de ce qu’on a vu sur scène, il a du beurre, du bassmatic et du keyboarding. Il se faufile dans le chant pur de la Soul, lubrifié par des chœurs doux de filles attentives. C’est encore du pur jus de Curtis Mayfield, de l’authentique inesperette d’Espolette. Tu n’en reviens pas d’entendre un mec aussi brillant. Non seulement il groove entre tes reins, mais il monte en puissance d’une façon extravagante. 

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             On trouve aussi sur le marché deux CD singles, un titre chacun, ce qu’on appelle des self-released, «Why I Try» et «I Guess That Makes Me A Loser». Vilaine déconvenue. On perd complètement le fantôme de Curtis. Le premier est un heavy groove de r’n’b qui donne une idée de ce que peut devenir le son du petit archange black, une fois qu’il aura perdu la pureté évangélique de sa nudité.

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    Les deux cuts sont très orchestrés, surtout «I Guess That Makes Me A Loser». L’orchestration outrancière tue la nudité dans l’œuf. Le petit archange black est recouvert de son. Du coup, il sonne comme un artiste à la mode.          

    Signé : Cazengler, ngondale à Venise

    Jalen Ngonda. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2023

    Jalen Ngonda. Just Like Tou Used To/What A Difference She Made. Daptone 2022

    Jalen N’gonda. Why I Try. (Jalen N’Gonda self-released) 2017

    Jalen N’gonda. I Guess That Makes Me A Loser. (Jalen N’Gonda self-released) 2018

     

    Inside the goldmine

    - A Question Mark of Temperature

     

             On l’appelait Marée-basse parce qu’il semblait toujours à plat. Sans énergie. Toujours à se gratter un front qu’il avait haut, sans doute à cause du cheveu rare. Un cheveu cependant très noir. Il ne souriait jamais. Il ne parlait que pour se lamenter. Il regardait ses interlocuteurs avec une sorte de moue distanciatrice, l’expression idéale pour tuer la convivialité dans l’œuf. On découvrit tout cela à l’usage. Marée-basse fut engagé comme messager. Il s’acquittait fort bien de sa mission, veillant à ne jamais prendre de risques. Il gagna petit à petit la confiance de l’équipage et fut d’une certaine façon intégré. Il tendait l’oreille lorsqu’on partageait des infos un peu sensibles, mais quand on se tournait vers lui, il mimait du doigt le «muet comme une tombe» pour nous rassurer. On s’est longtemps posé la question : que cherchait Marée-basse ? Pourquoi fréquentait-il des gueux comme nous ? Il ne participait jamais aux expéditions, mais il acceptait sans rechigner d’aller porter des sacs d’or espagnol aux espions qui nous renseignaient dans les ports. Nous ne savions rien ou presque de sa vie d’avant. Il parla vaguement un soir d’une épouse et d’un château quelque part sur la côte normande, mais rien de très précis. Les raisons pour lesquelles il avait comme nous tous largué les amarres lui appartenaient. Il allait probablement emporter son mystère dans sa tombe. Il ne participait pas aux libations. Il refusait d’aller taquiner la courtisane dans les tripots de l’île où nous faisions escale pour panser les blessés et regarnir l’équipage. Marée-basse restait sur la plage à contempler le ciel étoilé. Lorsque la Royal Navy entreprit de nettoyer les Caraïbes pour protéger le commerce maritime, ce fut la fin. Ceux qui n’avaient pas été envoyés par le fond durent contourner l’Afrique pour aller se réfugier dans l’île de Mada. C’est là qu’on revit Marée-basse. Il s’était installé dans un petit fortin avec des femmes indigènes. Il avait autour de lui sa progéniture, une cinquantaine de petits Marée-basse métissés qui, comme lui, portaient des lunettes de fortune. 

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             Pendant que Marée-basse engrossait les femmes indigènes sous les tropiques, Rudi Martinez inventait le gaga sixties à Detroit. Ce n’est pas exactement le même destin, mais ils ont un petit quelque chose en commun : l’unicité. Marée-basse et Rudi Martinez, plus connu sous le nom de Question Mark, sont des êtres uniques et des mystères. D’où Question Mark & The Mysterians.

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             Dans Uncut, Jim Wirth se régale avec la mystérieuse histoire des Mysterians, «naive, sci-fi crazy, Mexican-American youngsters originaires d’un blue-collar backwater à deux heures de route de Detroit» et qui en 1966, ont sorti «96 Tears», le single qui s’est le plus vendu aux États-Unis, aussitôt après le «California Dreamin’» des Mamas & The Papas. Un million d’exemplaires. Cry Cry Cry. Wirth est un drôle d’oiseau car il clôt sa krô ainsi : «Read between the lines and you’ve got a novel». La mystérieuse histoire des Mysterians aurait dû intéresser Harold Bronson.

             Le mystérieux Vox Continenal wizard s’appelle Frankie Rodriguez et le mystérieux guitariste Bobby Balderrama. Il est toujours d’actualité, quasiment soixante ans après la bataille. Wirth lui tend le micro. Balderrama déballe tout. Il raconte que les mystérieux Mysterians ont démarré en trio avec Larry Borjas et Robert Martinez, le cousin de Question Mark. Ils jouaient des instros des Ventures et de Duane Eddy. Donc pas des manchots. Puis ils cherchent un chanteur et Roberto annonce que son frère chante. So we got Rudy in. Il ajoute : «He could dance like a gilr and do the splits.» C’est en voyant le Dave Clark Five à la téloche qu’ils décident d’ajouter un keyboard. So we got Frankie Rodriguez in. 14 ans. Le Vox Continenal wizard est encore au collège. Balderrama n’est pas beaucoup plus vieux : 15 ans. Ils enregistrent «96 Tears» et leur vie bascule. Mais ils ne parviennent à rééditer l’exploit, même s’ils ont du son sur leur deuxième album, Action. Et quel son ! Balderrama évoque aussi un troisième album des Mysterians enregistré sur Tangerine, le label de Ray Charles, et resté inédit. Et quand Wirth lui demande s’ils avaient des contacts avec les Stooges et le MC5, Balderrama dit que non, parce qu’ils sont de Detroit et que les Mysterians sont de Saginow.

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             Dans Shindig!, Fiona McQuarrie va encore plus loin : elle affirme que les Mysterians «lit the fuse beneath garage and punk-rock». Eh oui, ça saute aux yeux, les Mysterians sont les premiers punksters du Michigan. Dans Creem, Dave Marsh emploie pour la première fois le mot punk en évoquant les Mysterians. McQuarrie tend elle aussi son micro à Bobby Balderrama. Il répète son histoire. Le trio des débuts, the guitar stuff. In the garage. Quand Larry Borjas et Robert Martinez partent à l’armée, ils sont remplacés par Eddie Serrato (beurre) et Frank Lugo (basse). Balderrama indique que «96 Tears» naquit d’une jam, too many teardrops. Ils trouvent un joli titre : «69 Tears» qu’ils transforment en «96 Tears» pour éviter les problèmes, déjà qu’ils sont chicanos. Ils enregistrent «96 Tears» sur un quatre pistes chez un mec de Bay City et les DJs de Detroit commencent à le passer à la radio. Ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd : Neil Bogart qui bosse pour Cameo-Parkway rachète les droits, et boom ! Diffusion nationale ! Number one en 1966. Puis Bogart leur fout la pression, tente de les arnaquer et les Mysterians se fâchent avec lui. En représailles, ils sont virés de Cameo. C’est pourquoi ils vont à Los Angeles enregistrer le fameux troisième album qui n’est pas sorti. Alors ils se découragent. Split. 

             Tout le monde va reprendre «96 Tears», de Music Machine à Music Explosion, en passant par Ola & The Janglers, Jimmy Rudffin, Aretha, les Prisoners, Eddie & The Hot Rods et les Cramps qui y font allusion dans «Human Fly».    

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             On a tous possédé à l’époque le bel EP français à pochette blanche, avec «96 Tears» d’un côté et «I Need Somebody» de l’autre.

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    Il existe aussi un album du même nom, l’excellent 96 Tears paru sur Cameo en 1966. Même si on connaît tous ces hits par cœur, ça reste un plaisir que de sortir l’album de l’étagère et de se rincer l’oreille avec l’«I Need Somebody» d’ouverture de balda, car Hey ! I need somebody to work it out ! Tout est là, c’mon help me ! Ça n’a jamais pris une seule ride. La fraîcheur des Mysterians est l’un des plus beaux mystères du XXe siècle. «Ten O’Clock», «8 Teen» et «Don’t Tease Me» sonnent comme des classiques, ils n’en finissent plus de nous entourlouper avec leurs boucles d’orgue. Ils tapent un «Midnight Hour» à la ramasse de la traînasse et bouclent ce bel album avec le morceau titre, too many teardrops/ For one eye/ To be cried, l’absolute watch out now, le hit sixties par excellence, you’re gonna cry ninety six tears/ Cry cry cry now.

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             Leur deuxième album paraît en 1967 et porte le joli nom d’Action. Ça démarre sur le fantastique gaga d’orgue de «Girl (You Captivate Me)». On a là les fondaisons du soubassement de l’heavy gaga d’orgue, c’est bourré d’écho et de magie rudimentaire, mais boy, oh boy, quelles bouilles ils ont les chicanos ! On reste dans le génie gaga pur avec «Can’t Get Enough Of You Baby», monté sur la séquence d’orgue de «96 Tears», mais Gawd, comme c’est good. On retrouve les mêmes petits encorbellements d’insinuation interstellaires. Avec «Get To», on les voit aller chercher l’ersatz de placo à partir de petites séquences d’irrévérence, avec une absence totale de prétention. Ils sont vraiment les seuls au monde à sonner comme ça. Ils bouclent l’A avec le «Shout» des Isleys et ça donne au final un bon rendu de rechampi. Ils attaquent leur B avec «Hangin’ On A String». Oh la belle basse au-devant du mimix petite souris. On peut dire qu’ils savent sucrer un contrefort. Ils connaissent tous les secrets de la masse volumique. Tu ne battras jamais un cut comme «Smokes» à la course, I say hey ! Toutes ces compos d’allure certaine font un very big album, comme le montre encore «Don’t Hold it Against Me», cette soft pop de classe marky, superbe, fine et élégante.

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             On retrouve tous les vieux coucous de Question Mark dans The Dallas Reunion Tapes - 96 Forever, un double album ROIR de 1985. Ils attaquent avec «Don’t Tease Me», classicus cubitus, tension maximale, Chicano fever forever ! Awite Dallas ! Rudi chauffe son «Ten O’Clock» à blanc et il attaque sa B avec «You’re Telling Me Lies» qui préfigure tout le gaga du monde. Ça monte comme le «19th Nervous Breakdown» des Stones - You put me down/ Stop make me cry - suivi du pur genius d’«I Need Somebody». Rudi fait les présentations : «Mr Bobby Balderrama on guitar !». Il continue en C et profite de «Midnight Hour» pour présenter son cousin : «Mr Robert Martinez on drums !». En D, il attaque «96 Tears» - Mr Frank Rodriguez on keyboards ! - le thème reste magique, il illustre l’essence même du rock, frais et juste, juteux et élégant - I’m gonna get there/ We’ll be together/ For a little while - Les Chicanos balancent fantastiquement. 

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             En 1998, Norton a eu l’intelligence de faire paraître un album live de Question Mark, l’indicible Do You Feel It. Rien qu’avec la pochette, tu es comblé. Visuel gaga pur, avec Rudi Martinez en pleine action. Ils attaquent avec l’excellent «Do You Feel It», ça swingue, et ils passent à «Smoke», ce gros shoot de gaga têtu tiré du deuxième album. Ça explose enfin avec «Can’t Get Enough Of You Baby», monté sur la boucle de «96 Tears». Il y a de la magie dans cette façon de sonner. Ils bouclent leur balda avec «I Need Somebody», la B-side du single magique «96 Tears». Back to 66, hey ! Awite, Rudi y va, c’est l’un des grands awiters de need somebody. Pur genius - I need somebody/ To work it out - En B, ils reviennent au heavy groove avec «Get To» et juste ce qu’il faut de chant. Encore du pur jus de gaga sixties avec «10 O’Clock», tiré du premier album, un peu de réverb pour faire bonne mesure, solo classique à la traînasse, c’est excellent, insidieux à souhait. Ils attaquent la C au «Don’t Tease Me», apanage du gaga beat d’orgue pur. Et pour bien monter en température, ils tapent dans «96 Tears», le classique définitif. Encore un autre classique définitif en D avec «‘8’ Teen», têtu est flamboyant. Voilà le real deal. Rudi Martinez fait encore la une de l’actu avec «Don’t Break This Heart Of Mine». Awite ! Il  est dessus. C’est violemment bon, extrêmement Marky, fast beat et nappes d’orgue rudimentaires. Tu as tout le son des sixties.

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             Quelle grave erreur ce serait de faire l’impasse sur ce More Action paru en 1999 ! Les petits Chicanos n’ont jamais été aussi bons que sur ce retour de manivelle. Ils démarrent d’ailleurs par une cover de DMZ, «Don’t Give It Up Now» qui balaye tout le reste du wild gaga, et Robert Lee Balderrama claque l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. S’ensuit un «Feel It» qui te pulse bien entre les reins. Ils fabriquent du mythe à l’état pur, toujours avec le même son, mais avec une énergie démesurée. Ils te donnent tout l’or du Rhin que tu peux espérer, alors te voilà riche. Tiens, voilà «96 Tears», comme par hasard sur le Pont des Arts, ils jouent ça à l’insistance fatidique, too many tear drops to carry on, hit fatal entre tous, l’énergie de l’Amérique, ces petits mecs ont fait danser le continent, all this cryin’, c’est aussi pur que Dylan, to carry on. Et Balderrama continue de bourrer sa dinde avec «Girl (You Captivate Me)», il fait son fuzz wiz, il arrose les c’mon de purée, trente ans plus tard, c’est toujours aussi explosif ! Ils ont cette profondeur de son ancrée dans le passé. Question mark & The Mysterians sont l’un des groupes américains les plus aboutis. Rudy Martinez chante admirablement bien son «Ain’t It A Shame», il met une pression terrible, poussé par Balderrama. Ils font même une cover de Suicide, «Cheeree». Là tu as tout ce que tu dois savoir sur les hommages. Rudy se prélasse dans le Suicide. Ces petits mecs sont incroyablement complets. Ils s’amusent encore comme des gamins avec le vieux groove d’«It’s Not Easy». On éprouve une réelle fierté à  les écouter. Ces petits mecs incarnent tout ce qu’on aime sur cette terre. Ils redéfinissent les frontières et tu as ce fou de Balderrama qui repart en maraude de wild carnassier. Les Mysterians sont tes meilleurs copains. Ils ne te décevront jamais, yeah yeah. Frank Rodriguez est toujours à l’orgue, Big Frank Lugo on bass et Bobby Martinez au beurre. Sur le disk 2, ils tapent une cover de «Sally Go Round The Roses», un cut signé Totor. Oh l’incroyable power des Chicanos ! Ils te swinguent ça vite fait. Ils ont tout le matos pour swinguer Totor, même la fuzz. Ces petits mecs sont habités par le diable Gaga, le pire de tous les diables. Ils perpétuent encore leur petite recette avec «Don’t Hold Against Me», ça groove et ça se lâche dans la clameur. Balderrama revient foutre le feu à «Do You Feel It», il joue en embuscade, ne frappe qu’à coup sûr et pouf, Rudy arrive comme Superman. Leur cover de «Satisfaction» vaut aussi le détour. Ils aiment bien les Stones, on voit qu’ils s’amusent, ils sont encore plus moites que Jag, c’est une belle cover, pure et dure. Balderrama fout encore le souk dans la médina avec sa grosse fuzz. Ils ramènent le riff de 96 Tears dans «Strollin’ With The Mysterians», une merveille d’instro avec le Balderrama en embuscade. Comme le Capitaine Conan, il frappe derrière les lignes, il joue là où on ne l’attend pas. Cet album étonnant s’achève avec la version Spanish de «96 Tears», c’est encore pire que la version originale, plus heavy, muchas lacrima, vive l’Espagne ! Avec un dernier sursaut d’espagnolade ! 

    Signé : Cazengler, Question Martini

    Question Mark & The Mysterians. 96 Tears. Cameo 1966

    Question Mark & The Mysterians. Action. Cameo 1967

    Question Mark & The Mysterians. The Dallas Reunion Tapes - 96 Forever. ROIR 1985

    Question Mark & The Mysterians. Do You Feel It. Norton Records 1998

    Question Mark & The Mysterians. More Action. Cavestomp! Records 1999

    Jim Wirth : ? & The Mysterians. Uncut # 301 - June 2022

    Fiona McQuarrie : Cry Cry Cry. Shindig # 127 - May 2022

     

    *

    En ces temps lointains, 1962, voici plus de soixante années, le rock français était en ses toutes premières années. L’on a estimé entre 1960 et 1963 entre trois et cinq mille le nombre de groupes créés, et disparus. Un feu de paille et une explosion sans pareille. Le service militaire et la guerre d’Algérie ont cassé bien des appétits de vivre et brisé bien des rêves de gloire et de réussite… De cette grande flambée il ne reste plus que des souvenirs dans des mémoires qui s’étiolent. Ceux qui ont survécu furent les chanteurs, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Dick Rivers…  Les groupes qui ne possédaient pas de chanteur ont été rayés de la carte. Je ne sous-entends pas qu’en règle générale les chanteurs n’étaient pas au top niveau. Non je parle de ce phénomène musical bien oublié : les groupes de rock instrumentaux. Plus qu’une mode ce fut un engouement.  

    Un phénomène étrange par chez nous, nous sommes dans un pays réputé pour ne pas avoir l’âme musicienne, oui mais il y avait Apache des Shadows qui suscita bien des vocations… Et puis ce nouveau son de la guitare électrique que les groupes de balloche commençaient à utiliser, qui intriguait beaucoup et qui caressait agréablement même les oreilles des adultes qui n’étaient en rien portés vers le rock’n’roll… Bref il y eut un appel d’air…

    Nous-mêmes, si ma mémoire ne nous trahit pas nous n’avons consacré qu’une seule chronique à un de ces groupes : les Mustangs. En voici une seconde dans laquelle nous nous intéresserons aux deux premières années (62-63) des Fingers.

     LES FINGERS

    Le mot Finguer sonne bien en français, on comprend qu’ils n’aient pas pas adopté sa traduction. Le choix du nom du groupe est assez clair : c’est avec les doigts que l’on joue de la guitare. Pour la petite histoire c’est Jean Greblin, leur directeur artistique chez Festival qui l’aurait proposé.

    Ils sont quatre : Jean-Claude Olivier ( guitare solo ), Marcel Bourdon ( guitare rythmique ), Yvon Rioland ( guitare basse ) et enfin le malheureux dont l’instrument n’est pas une guitare : Jean-Marie Hauser ( batterie ).

    Jean-Claude Olivier ( né en 1932 , pour mémoire Elvis en 1935) n’était pas inexpérimenté lorsqu’il a fondé les Fingers. Avait débuté dans la balloche, puis très vite dans les grands orchestres comme celui de George Jouvin, il finira par rentrer dans le cercle fermé des requins de studio. Amateur de jazz, la venue du rock ‘n’ roll qu’il définit comme une forme commerciale du Be-bop ne le surprend pas. Avec l’aide du pianiste et compositeur Jacques Arel il formera les Fingers, n’a-t-il pas déjà remplacé les guitaristes de groupes de rock en studio, sur le dernier disque des Chats Sauvages avec Dick Rivers par exemple. Par contre pour leur premier disque les Fingers ont eu besoin d’Armand Molinetti à la batterie qui avait joué avec les Chats Sauvages et les Aiglons…

    Le groupe a connu beaucoup de changements, Jean-Marie Hauser sera remplacés par Serge Blondie ; Yvon Rioland par Hermes Alesi ( ex Drivers ) puis par Hedi Kalafate ( ex Cyclone, ex Fantômes ) ; Marcel Bourdon cèdera la rythmique à Raymond Beau…

    Nous sommes dans un petit monde de musiciens aguerris qui se cooptent et se connaissent. Le groupe se séparera en 1965, Jean Greblin malade, Festival ne s’occupait plus d’eux. Ils resteront dans le métier, on les retrouvera derrière de nombreuses vedettes de Polnareff à Moustaki… Olivier fondera Robespierre son propre studio d’enregistrement à Montreuil, cité Rock. J’invite ceux qui veulent en savoir davantage à lire l’interview de Jean-Claude Olivier sur le site Guitares & Batteries dans lequel j’ai puisé sans vergogne.

    Premier EP (FY 2145) des Fingers, retournons la pochette et lisons : ‘’ Je crois avoir eu un véritable privilège pour une discophile. En effet j’ai été la première à écouter ces pages de la guitare que je viens ici vous présenter. Cet enregistrement remarquable m’a fait oublier le nombre trop grand de nouveaux groupes et m’a fait oublier que j’avais déjà écouté les Shadows. / Au nom de tous les jeunes, de tous les copains et copines qui aiment la qualité, je dis merci aux FINGUERS qui donnent enfin à la France ce qu’elle enviait tant à l’Angleterre : un groupe tel que les Shadows. Les FINGERS resteront certainement dans l’histoire du jazz français. Bravo. ’’. C’est signé Nicole Paquin. Un peu passée à l’as (de pique) Nicole Paquin aujourd’hui. Trop vite éclipsée par la vague yé-yé, n’y a pratiquement eu que le magazine JUKEBOX pour rappeler la saga de cette aventurière qui a essuyé les plâtres pour ceux et celles qu’elle avait précédées.

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    Le grand M… M (mystérieux) pour Madison, la danse qui au début de l’été 62 a tenté de supplanter le twist… le recto de la pochette fait la part belle à une danseuse montée sur scène en pleine exhibition madisonienne : surprenant pour un groupe instrumental cette voix féminine qui annonce le titre. Disons-le franchement, le Grand M est plutôt moyen, je me souviens très jeune avoir entendu un groupe de balloche interprétant une série de madisons beaucoup plus nerveux. L’on retiendra une belle sonorité de guitare et l’on fera semblant de ne pas avoir entendu la batterie un peu asthmatique. Pas de quoi sauter au plafond. Le chemin de la joie : beaucoup mieux, entraînant et beaucoup plus dansant. Faut tout de même réaliser une réadaptation auditive : le son des guitares est si aigrelet et cristallin qu’il faut oublier jusqu’à la possibilité de l’existence de la guitare fuzz. Pas cette chanson : une belle basse, mais je vous en prie écoutez plutôt la version chantée de Johnny Hallyday, ici la rythmique clapote un peu et la lead se prend pour un violon, larmoyant, on est loin de Ben E King, manquent l’influx et l’émotion. Les hommes joyeux : un peu twist, un peu western, dommage que la batterie charlestonne un peu au milieu, ce coup-ci la guitare se prend pour un banjo. Un peu disparate, mais agréable, donnent l’impression qu’ils sont sur la piste du rock ‘n’roll mais qu’ils ne parviennent pas à y mettre la guitare dessus. Cherchent la sonorité, alors qu’ils devraient trouver le son.

    Si vous n’avez pas ce microsillon dans votre collection inutile de vous suicider, mais si vous y mettez la main dessus dans une brockante, prenez-le.

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    Deuxième EP ( FY 2311). C’est la pochette que vous devez regarder pour voir une photo des Fingers, remarquez la modicité de la batterie, et les partitions posées sur les pupitres… pas de look frénétique, z’ont l’air de garçons sages…

    Finger print : l’on change d’étage, une compo de d’Olivier et d’Arel, ici l’on ne s’ennuie pas tout est bon, même si la deuxième partie est un peu répétitive. S’il manque quelque chose à ce morceau je suis certain que c’est une meilleure approche technique de l’enregistrement. L’idole des jeunes : du cousu main, ne se sortent pas mal de cette reprise instrumentale de Ricky Nelson, via Johnny Hallyday, n’ont pas l’air de donner un calque, affirment enfin une singularité, sonnent enfin comme les Fingers. Desafinado : une bossa qui fut reprise en 1962 par Stan Getz un des musiciens préférés de Jean-Claude Olivier. Autant dire que l’on est loin du rock… sympa mais ennuyeux. Hors contexte. Non je ne suis pas sectaire, je n’aime que le rock. Monsieur : une chansonnette pas très pétulante de Petula Clark. Inécoutable. Cette face B est une catastrophe.

    Troisième EP (FY 2317). A mon goût peut-être la plus belle pochette des french early sixties, parfaite pour un disque de country américain des années cinquante.

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    Telstar : l’on ne compte plus les reprises de Telstar, interprété à l’origine par The Tornados sous la houlette de Joe Meek le Phil Spector britannique : tout groupe instrumental se devait de se frotter à ces sonorités qui semblaient venir d’ailleurs : s’en sortent par le haut, emploient une vieille ruse apache, puisqu’ils ne peuvent pas rivaliser avec le sorcier de la console qu’était Joe Meek ils imitent les Shadows ( comme quoi le mot de Nicole Paquin au verso de la pochette de leur premier disque était prophétique ). Un bémol toutefois pour la batterie non-imaginative. Quant à la fusée qui décolle pour l’espace, elle n’a pas eu droit à sa fenêtre de tir. Un jour tu me reviendras : une rengaine certes mais l’épaisseur du son est là, même si le solo de Jean-Claude Olivier manque un peu de vitamine l’ensemble passe bien la rampe. Les cavaliers du ciel : une des plus belles réussites des Fingers, rien à redire, à la hauteur des Shadows sans aucune retenue. Ils ont l’imagination et le son. Que voulez-vous de plus. Loin : une reprise d’un morceau de Richard Anthony les Fingers nous restituent la mélodie de cette chanson mélancolique, le solo de Jean-Claude Olivier qui termine le morceau ne dépare en rien la beauté de la ligne mélodique.

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    Quatrième EP (FY 2338). Une belle pochette colorée qui attire l’œil. Si vous voulez voir à quoi ressemble la formation, mirez le verso.

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    Diamants : attention Diamonds a été composé par Jerry Lordan qui composa aussi Apache… sa version orchestrée n’est pas aussi belle et aussi pure que celle des Shadows, ressemble trop à un générique de western. Il en est de même de sa version de Diamonds pourtant enregistrée avec deux membres des Shadows : maintenant sont à l’aise dans leur propres son, une batterie qui survole, une guitare qui vous envoie le riff comme un boomerang qui vous revient dans la gueule. Les guitares de décembre : une compo de Jean-Claude Olivier et de Jacques Arel preuve évidente de la dextérité acquise en deux années. Un seul défaut : trop court. Ton ballon : une des chansons du disque que les Fingers ont enregistré avec Line Renaud. La piste instrumentale est mignonne mais après les deux morceaux précédents, elle ne fait pas le poids. How do you do it : une reprise de Gerry and The Pacemakers, un mauvais choix d’un morceau qui n’a rien d’exceptionnel, vraisemblablement une demande de la maison de disques, j’ose l’espérer.

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    Cinquième EP (S 2345). Special Bue-Jeans : ce morceau donna son titre à l’émission présentée par Jean  Bonis ( une voix inimitable ) sur Radio-Andorre ( ne pas confondre avec La radio des Vallées qui deviendra Sud-Radio ) chaque jour ouvrable de 16 h 30 à 18 H, après quoi l’on passait sur Europe 1 pour Salut les Copains : que dire, peut-être, sans doute, sûrement, le meilleur instrumental français des early sixties. Si vous ne devez écouter qu’un seul morceau des Fingers c’est celui-ci. Jacques Arel à la compo. Say wonderful words ( = Des mots pour nous deux ) : est-ce que vous avez besoin d’un slow après ce qui précède ? Non ? Moi non plus. D’ailleurs en Grèce, les Grecs depuis l’antiquité ont toujours eu du goût, il ne figure pas sur le 45 tours. Teenage trouble : cela vous troublera-t-il ? Top secret : pas si secret que cela, ici les Fingers ont trouvé leur formule, ils ont leur langage à eux, tous les trucs et tous les tics qui marchent, mais ils ne se surpassent pas.

             Il leur reste encore une année et demie avant de se séparer. Trois véritables 45 tours, quelques morceaux de qualité comme Fingers on the rythm, Surfin safari et Mister Chou Bang Lee mais le cœur n’y est plus. Il était temps pour eux de passer à autre chose. Leur a manqué, malgré leurs progrès indéniables, l’essentiel : ils ont fait de la musique, mais ils n’ont pas eu envie de s’inscrire dans la mythologie rock’n’rollienne en construction.

             Parfois l’on traverse des périodes de son existence qui vous dépassent sans savoir ce qu’elles signifient.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Des Pays-Bas. Est-ce pour cela qu’ils ont le moral au plus bas ? Définissent leur art en quatre mots : depressive, suicidal, black metal. Gardons une note optimiste, ils ne se réclament pas du death metal ! Autre avantage, leur musique est somptueuse.

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    Troisième opus d’Argwann, le groupe est composé de : Stilte : guitare, vocal et de  Smaad : guitare bass. Sneer s’est occupé de la batterie. Tous ces noms propres possèdent une signification : Angoisse, silence, calomnie, ricanement. La pochette représente sur un fond vert deux corps nus d’une blancheur quasi cadavérique allongés dans une végétation de longues tiges vertes. Seraient-ce des plans de Sorgho, mes connaissances botaniques ne me permettent pas d’en juger. Le titre de l’album n’incite guère à l’optimisme : Cher enfant, monde cruel !

    LIEF KIND, WREDE WERELD

    ARGWAAN

    (K7 / Bandcamp / 16 – 04 – 2023)

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    Unease : grognements vocaux, musique violente, une espèce de vomissement de soi, un jugement implacable porté sur l’incapacité à vivre pleinement, à ressentir ses propres sentiments que l’on n’arrive pas à cristalliser au fond de soi, la musique tourne comme une immense broyeuse du vouloir vivre,  cris d’auto-égorgement, l’impuissance d’être heureux, crise existentialiste, dégoût de soi, de ne pas être en adéquation avec la beauté du monde, hurlements de haine emportés dans une intumescence lyrique hyper romantique. Une batterie folle auto-lacère la prise de conscience de sa propre impuissance. Une description peu engageante mais ce morceau est une splendeur. Hoffnungsvoil : une décharge battériale infinie, des vagues de guitares folles, naufrage de l’homme qui hurle au secours tout en sachant très bien que s’il parvenait à être comme les autres il perdrait son individualité, car c’est son malaise qui le détruit mais qui aussi le tient en vie, tout comme la mort dont on n’a conscience que tant que l’on est en vie, hurlements de désespoir, hachis de nos prétentions à ne pas vouloir être ce que l’on ne peut pas être. Notes terminales, gouttes de tristesse, constat amer. Goddeloss : ritournelle cordique, un son fêlé à l’image d’une âme dévastée, tristesse infinie de celui qui a tout perdu, un vent de fureur survient, reprise de l’expression du même malaise, mais ce coup-ci il faut faire sauter le bouchon de tous ce blocage existentiel, n’est-ce pas la honte d’avoir troué la bouée de sauvetage qui maintient la vie des autres à la surface de la mer, l’absence de Dieu. Âme dévastée.  Crumble under these weightless words : Ce n’est pas la cerise sur le gâteau mais le crumble de l’âme écrasé sous le poids des mots. Colère introspective, la voix devant, qui se confesse à elle-même, qui récite un poème, la musique derrière avant qu’elle ne revienne comme une vomissure car si le Seigneur recrache les tièdes il est nécessaire d’être brûlant, d’accuser, de maudire, de penser à l’extermination du vice et du péché tout en sachant que soi-même l’on n’est pas exempt de manquements, calme avant la tempête qui monte, cette rage est autant la fille du dégoût de l’humanité que de soi, de cette turpitude humaine qui mène les agneaux à se métamorphoser en tigre assoiffé de haine, ivres de fureur et d’autodestruction, tant de colère pour retomber en soi-même pour finir par s’écraser tout simplement dans sa propre solitude se cogner encore une fois au mur de la mort qui s’avance menaçant, mais qui est aussi le dernier rempart contre notre orgueil. Ein leitzter Moment der Freude : retour sur soi-même, récitation d’un poème, apaisement, tout ce qui a été perdu, mais lorsque l’on se regarde dans le miroir de l’existence l’on ne peut être qu’empli de dégoût pour ce que l’on n'a pas réussi à être, à s’accuser, à se vouer au suicide, des cris de haine et de pitié envers soi-même, et puis l’on finit par se retrouver dans l’image oubliée de l’enfance, à tout miser sur cet enfant perdu duquel il est nécessaire de se montrer digne, une lumière dans la noirceur du tunnel, la musique devient aussi violente que dans les moments les plus désespérés, l’espoir fait-il vivre ? Inner dissuasion : notes lourdes, reprise du poème hurlé jusqu’au débordement musical, enfermé en soi-même pour se parler à soi-même, mais aussi aux autres, première fois que notre prisonnier volontaire de soi-même s’adresse aux autres, une violence non contenue, un mélange d’objurgation et de prière, ne pas lui ressembler est le nouveau mot d’ordre, ne faites pas ce que j’ai fait, ne vous conduisez pas comme moi, la musique devient un torrent dévastateur qui emporte tout et qui en même temps nettoie et assainit, vocal catharsique, mettre en garde les autres n’est qu’une manière de proclamer son propre dégoût de soi, d’exprimer le masochisme du rejet de soi-même, de brûler ses propres scories en se reconnaissant dans les autres qui vous ressemblent. Attitude de ces prêcheurs fous qui au moment du schisme luthérien parcouraient les villages en promettant l’apocalypse… Verdrongen vreudge : ces notes ne sont pas joyeuses mais empreintes de nostalgie, au fond de soi, au fond du monde, sourd la lumière contenue d’une joie à laquelle l’on n’ose pas accéder encore, dans laquelle il est urgent de se précipiter, de ne plus hésiter, il est plus que temps de s’adonner à cette luxuriance de la vie, être nu dans les herbes ondoyantes d’un paradis retrouvé. La musique déboule sans fin pour nous obliger à entrer dans la joie de l’innocence, l’exaltation du plaisir de vivre doit nous envahir et se transformer en chant d’allégresse. Lief kind, wrede wereld : vent froid et ténébreux qui n’augure rien de bon, l’allégresse passée se transforme en marche funéraire, pas lourd des porteurs du cercueil de nos efforts, de nos prétentions à choisir la vie et Dieu. Liturgie d’église, le vent se lève, celui de l’impuissance à partager le rêve de la consolation, la batterie accentue son hachoir méthodique, le vocal est entré dans la musique, enfin il s’élève, il ne se cache plus, il clame l’impossibilité métaphysique d’un bonheur humain qui reposerait sur autre chose que lui-même, l’âme ne s’est pas évadée de sa prison mentale car le monde est la prison, les illusions sont déchirées, ce qui n’oblitère en rien le besoin de ce désir illusoire. L’on se retrouve dans la ronde de la déréliction humaine. Tristesse infinie de celui qui n’a pas atteint à l’exultation nietzschéenne de l’éternel retour.

             Opus étonnant. Une thématique dépassée, celle du désespoir existentiel qui éprouve la rassurante nostalgie du Dieu qui est mort, mais qu’au fond l’on regrette. Tout le long des quatre-vingt premières années du siècle précédent par chez nous L’Eglise a misé sur le désarroi humain pour faire revenir dans le troupeau communautaire les brebis égarées. Serait une marque de ce que l’on fustige sous le concept de retour du religieux ?

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 25 ( Subjonctif  ) :

    132

    Le Chef allume un Coronado :

              _ Agent Chad si vous ouvriez les yeux en conduisant, je préfèrerais !

              _ N’ayez crainte Chef, je connais la route de Provins par cœur, j’en profite pour me concentrer. Vous rêvez que je lis un livre dont le titre est Oecila, nous sortons du Père Lachaise où nous avons rencontré deux sympathiques ouvriers en train d’orthographier correctement le prénom Oecila sur une tombe, j’ai beau me creuser la cervelle, dans ma vie passée je n’ai jamais rencontré une fille qui portait ce prénom. 

    • Je veux bien vous croire Agent Chad, toutefois rappelez-vous que précédemment nous avions déduit qu’Ecila était le palindrome d’Alice, cette histoire de l’E dans l’O tombe à pic comme l’œuf du cul de la poule pour nous signifier qu’il ne faut pas lire écila mais bien prononcer oecila, je tiens à vous faire remarquer que depuis quelque temps dans votre vie sentimentale agitée l’on ne compte plus, tenez ne serait-ce qu’au cimetière de Savigny vers lequel nous nous dirigeons…

    133

    Je m’apprêtai à ralentir pour me garer devant la maison d’Alice, comme pour m’avertir sur le fauteuil arrière Molossa grogna. Au même instant le clignotant d’un véhicule qui nous précédait d’une centaine de mètres s’alluma et la voiture s’arrêta à la place que je comptais prendre. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous passâmes près d’elle, sur la portière avant s’étalait en grosses lettres le logo du Parisien Libéré. Deux hommes en descendaient.

              _ Je présuppose les remplaçants de Lamart et Sudreau, Agent Chad, je parie que nous allons bientôt faire la connaissance de ces étranges Ladreau et Sumart, j’avoue ma curiosité !

    Molossa grognait toujours. Un coup d’œil dans le rétro me révéla que la voiture quittait son stationnement et à la vitesse à laquelle elle se dirigeait vers nous, il était facile d’en déduire qu’elle tentait de nous rejoindre. Déjà le Chef sortait son Rafalos.

              _ Un peu de conduite sportive Chef, je leur réserve un chien de ma chienne – Ouah ! Ouah ! dit Molossito – puisque ces messieurs sont apparemment des amateurs de stockcar.

    Ladreau et Sumart se rapprochaient dangereusement. Ces malandrins voulaient manifestement nous pousser dans le décor. J’avisai un semi-remorque sur la voie de gauche que je me hâtais d’emprunter, nos poursuivants n’osèrent pas nous suivre mais se portèrent à notre hauteur. Le Chef avait descendu sa vitre, deux rafales de Rafalos eurent raison des pneus du camion qui éclatèrent. Je freinais à mort imité par le chauffeur du mastodonte. Emportés par leur élan nos poursuivants nous dépassèrent. Les malheureux imprudents s’encastrèrent dans la remorque du camion qui s’était déportée et qui maintenant barrait la route. Déjà nous vérifions l’état des malheureux prêts à les achever si par hasard ils auraient survécu à la violence du choc. Un souci inutile, leurs deux cadavres démantibulés en état de putréfaction avancée ne laissaient pas de doute sur la nature de nos deux séides. Des espèces de morts vivants que notre amie La Mort avait pris la précaution de nous envoyer pour nous réceptionner avec tous les honneurs.

    Dans sa cabine le chauffeur ne bougeait pas, s’était-il évanoui d’effroi, il restait immobile, nous n’avions pas le temps de vérifier, je redémarrai notre véhicule m’apprêtant à faire demi-tour, le Chef poussa un rugissement, Molossa et Molossito n’étaient pas sur la banquette arrière, tous les deux étaient restés à l’arrière du véhicule de nos deux zombies et aboyaient de toute leurs forces. D’une balle de son Rafalos le Chef débloqua la serrure. Une forme allongée gisait dans la malle. J’arrachai la couverture qui la recouvrait, Alice me souriait :

    _ Mes sauveurs merci ! Je ne doutais pas de votre intervention ! Je vous remercie !

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    Le reste de la soirée fut plus calme. Le Chef avait allumé un Coronado et décrété que nous n’avions plus besoin de retourner au cimetière. Par chance la route était déserte, en passant sur le bas-côté gauche pour éviter la remorque du poids-lourd je parvins à reprendre la direction de Provins. Deux heures plus tard tous les quatre – Alice avait insisté pour que nous invitions Carlos, par chance il se trouvait à Paris - nous prenions l’apéritif dans mon salon. Les cabotos se jetèrent sur les deux énormes gigots qu’Alice reconnaissante leur avait achetés à la boucherie la plus proche de mon domicile.

    Le Chef alluma un Coronado et résuma les derniers rebondissements de l’enquête puis se tournant vers Alice :

    • Et vous charmante enfant, comment en êtes-vous arrivée à être ligotée dans le coffre de la voiture de nos escogriffes, racontez-nous vos dernières mésaventures.
    • La mort de Lamart et Sudreau m’avait choquée, rappelez-vous l’état de décomposition avancée dans lequel nous les avions découverts dans leurs bureaux alors que je les avais vus précédemment en pleine forme dans la journée. Leur remplacement par Ladreau et Sumart m’avait estomaquée, et peut-être encre plus que cette espèce d’homonymie entre leurs noms et celui de leurs prédécesseurs ce furent les marques d’étonnement que leur présence ne provoqua point. Du Directeur au moindre commis pas un mot, pas un commentaire. Je n’ai rien dit mais j’ai ouvert l’œil, je me suis débrouillée pour leur porter dans leur bureau le courrier qui leur était destiné. J’ai ouvert certaines lettres, ai essayé de lire par transparences toutes les autres, passé au crible toutes les notes de service qu’ils recevaient ou qu’ils envoyaient, écouté par l’intermédiaire du standard téléphonique leurs conversations, mais rien, je n’ai rien remarqué à part le fait qu’ils allaient nettement moins souvent que leurs devanciers sur le terrain et je n’avais point l’impression qu’ils travaillaient beaucoup dans leur bureau… Hier soir lorsque je suis sorti du travail j’ai rejoint ma voiture sur le parking réservé au personnel. Je les ai salués, ils sortaient de leur véhicule, ils ne m’ont pas répondu, puis je n’ai aucun souvenir précis si ce n’est de sortir mes clefs de mon sac et puis plus rien, je me suis réveillée ligotée dans le coffre d’une voiture, vous connaissez la suite…
    • M’est avis charmante enfant, qu’ils allaient vous tuer et vous cacher dans un caveau du cimetière de Savigny…
    • Quel hasard que vous soyez arrivés au moment où ils allaient commettre leur horrible forfait !
    • Non ! Carlos, le Chef prit le temps d’allumer un Coronado avant de poursuivre, vous vous trompez, ces messieurs nous attendaient, ils savaient que nous étions en route, sans doute aurions-nous eu le plaisir de passer notre éternité aux côtés de notre douce Alice, c’eût été un rayon de bonheur dans notre malheur !

    Il y eut un instant de silence. J’en profitai après avoir versé une nouvelle rasade de Moonshine à tout le monde pour prendre la parole :

    • Une chose est sûre Chef, nous avions décidé de faire la tournée des cimetières liés à cette affaire, pour les deux premières visites, les évènements sont pour ainsi dire venus à notre rencontre, la première fois la Mort en personne en train de conduire une camionnette, la deu…
    • xième, si tu permets Damie me coupa Carlos, elle ne devait pas être loin puisque ses deux hommes de main étaient prévus pour envoyer au plus vite ad patres ! J’ignore si vous avez le nom d’un troisième cimetière inscrit sur votre liste, je suis sûr qu’elle vous y attend déjà ! Un conseil, plus vous progressez plus le danger grandit.

    Mon cœur se serra. Je m’étais interdit de penser au troisième. Depuis ma dernière visite je n’y étais même pas retourné pour amener un bouquet de fleurs sur la tombe d’Alice, de mon Alice à moi ! Là-bas sans doute se dénouerait le nœud de cette étrange affaire, au fond de moi j’avais peur d’être confronté à je ne sais quoi, à quelque chose qui nous concernait Alice et moi et que je ne voulais pas savoir, quelque chose qui nous séparerait pour toujours elle dans sa tombe, moi dans ma vie. Pour cacher les larmes qui montaient à mes yeux je me précipitais dans la cuisine soi-disant pour ramener deux bouteilles de Moonshine et des raviers de biscuits secs.

    Je sentis tous les regards fixés sur moi lorsque je revins. Il y eut un silence gêné. Carlos se râcla la gorge :

              _ Rrrrm, rrrum, Damie nous irons tous ensemble à ce cimetière demain après-midi, tu peux compter sur nous, le Chef propose une réunion de travail demain matin, à la première heure, ce soir nous ne nous coucherons pas trop tard, nous aurons besoin de toutes nos forces, par contre Alice qui est passée aujourd’hui si près des affres de Thanatos aurait besoin de connaître les douceurs de l’éros pour retrouver un parfait équilibre, si tu veux te joindre à nous…

    Le cœur n’y était peut-être pas tout à fait mais le corps a des prétentions que la raison connaît très bien, par pur esprit de camaraderie je me joignis à ces jeux innocents. Je ne le regrettais pas, Alice fut délicieuse. Son féminisme exacerbé nous prouva abondamment qu’une femme vaut bien trois hommes. Notre considération pour le genre féminin s’en accrut à proportion.

    A suivre…