KR’TNT !
KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME
LIVRAISON 707
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR’TNT KR’TNT
23 / 10 / 2025
mclusky / TRUE LOVE / NICO
HOLLAND – DOZIER – HOLLAND
F. J. McMAHON / WICKED TRIP
ATOMIC SAMAN / BEACH CRUISER
GENE VINCENT + KANSAS HOOK
Sur ce site : livraisons 318 – 707
Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :
L’avenir du rock
- Unlucky mclusky
(Part Two)
Chaque année, l’avenir du rock réunit ses vieux amis autour d’une bonne gamelle. C’est le repas de la confraternité, qu’il prononce en deux mots, con et fraternité, histoire de ne pas prendre ces choses-là trop au sérieux. Et pour donner du caractère à ce rituel, l’avenir du rock choisit chaque année un thème. Cette fois, il s’agit du dada chouchou. Ils sont tous là : Petrus Boring, Walter Polo, Pat Bolognais et Edmond Pelé.
— Alors, Petrus, quel est ton dada chouchou ?
— Le skor !
Une rumeur d’incertitude s’élève de la petite assemblée. Walter demande des précisions à Petrus qui s’écrie joyeusement :
— Le skor du foot !
Une rumeur de dégoût s’élève de la petite assemblée. L’avenir du rock tapote son verre avec le plat du couteau pour réclamer un peu de calme et pose la même question à Edmond qui répond :
— Le skul !
Il se lève, ouvre sa braguette, sort sa bite, et lance en rigolant :
— Elle n’en fait qu’à sa tête ! Elle ne vit que pour les plans skul !
Une rumeur d’approbation s’élève de la petite assemblée. L’avenir du rock se tourne vers Walter. Même question.
— Le ska !
Silence de plomb. Le ska ? Tout le monde s’en fout...
— Et toi, Pat ?
Le Bolognais fait son intelligent et lance d’une voix d’harpie mal embouchée :
— Le ski !
Tout le monde éclate de rire.
— T’as encore perdu une occasion de fermer ta grande gueule, mon pauvre Pat !
Vexé, le Pat rétorque d’une voix sifflante :
— Alors et toi, avenir du rock, c’est quoi ton dada de merde ?
— Lusky !
— Le qui ?
— mclusky, pour être plus précis. Mais tu ne connais pas...
Eh oui, amigo, il ne fallait pas rater le train de mclusky Do Dallas en 2002. Mclusky a splitté en 2004 et les voilà de retour avec un petit article dans Vive Le Rock et un nouvel album, The World Is Still Here And No One Is. Vingt ans de blanc ? Andy Falco Falkous explique brièvement qu’à la fin, les trois mclusky ne se parlaient plus. L’ancien bassman John Chapple est parti en Australie, et pas de nouvelles du drummer Matt Harding. En remplacement, t’as deux nouveaux mclusky, dont le
bassman fou Damien Sayell. Tu le vois monter sur scène avec sa coupe Robert Plant et ses Doc Martens. Tu sens qu’il n’est pas là pour rigoler. Et pouf ils attaquent avec leur vieille bombe atomique de mclusky Do Dallas, «Lightsabre Cocksucker Blues», véritable modèle d’insanité, ils jouent au no way out et le Petit Bain se met aussitôt à tanguer. Ça hurle dans le chaos de la fin du monde, ces mecs ont le talent de leur
folie. Quelle violence ! T’as le bassman fou qui entre en transe. Le numéro de wild-as-fuck est parfaitement au point. Falco Falkous n’a rien perdu de sa hargne. Pourtant il n’est pas épais. Il tape encore dans une sorte d’hardcore britannique qui doit beaucoup à Kurt Cobain et à Frank Black. Ils n’ont aucun des défauts de l’hardcore américain, mais ils ont toute l’énergie d’un rock anglais jusqu’au-boutiste
et c’est ce qui fait leur grandeur. Ils se situent exactement dans l’éclat du «Territorial Pissing» de Nirvana. Ils poussent même le bouchon encore plus loin. C’est extravagant de power destructeur, peu de groupes sont allés aussi loin dans le process de la défenestration. On a rarement un Petit Bain aussi explosé de l’intérieur. Chaque cut fout le feu à la Saint-Barbe. Ils tirent aussi «Collagen Rock» de mclusky Do Dallas. Tu les reconnais ces cuts, car tu les portes dans ton cœur. Ils tapent aussi «Alan is A Cowboy Killer» et «Day Of The Deadringers» et chaque fois tu vois le bassman fou friser l’overdose d’adrénaline. Peu de gens sont aussi edgy sur scène. Il
va même descendre dans la fosse et faire monter sur ses épaules une petite gonzesse pendant qu’il gratte sa basse et qu’il chante son bout de gras. Comme mclusky Do Dallas était un album exceptionnellement dense, il paraît logique qu’ils tapent dedans à tire-larigot. T’as aussi «Chases» et vers la fin du set, «Whoyouknow». Flabbergasting ! Overwhelming ! Dans les cas extrêmes, les mots anglais fonctionnent mieux. Tim Warren qualifierait ça de smoking beast. Le bassman fou saute tellement dans les tous les coins qu’il finit par éclater son jean au cul. Les McLusky ne font pas semblant. T’as ton shoot d’adrénaline pour l’hiver. Quelle fête ! Tu te retrouves sur les quais de Seine complètement sonné des cloches. Vibré du béton. Classé sans suite. Avalé de travers. Pas de problème, tu vis pour ça.
Quand le nouveau mclusky est sorti au printemps, t’as sauté dessus. The World Is Still Here And No One Is était tellement bien foutu que t’as pris la décision d’aller les voir sur scène à la rentrée. Big album, comme tout ce que fait Andy Falco
Falkous. La police, les Pistols, le blast, tout y passe, Falco Falkous ne fait pas de détails. Il redit sa haine de la police dans «Hate The Polis», il claque les heavy chords de «Louie Louie», il jette toute sa heavyness dans la balance qui se casse la gueule. The lusky game est intact : ils ont le même power qu’à leurs débuts. Dès «Unpopular Parts Of A Pig», t’as l’infâme tatapoum. Falco affecte sa voix, comme il l’affecte encore dans «People Person», où il sonne comme Johnny Rotten. Belle extension du domaine de la luskylutte. Il tape son «Battle Of Los Angeles» en mode heavy stomp et le plonge vivant dans sa friteuse. Là tu peux dire que ça fait des bulles. Il danse encore avec les loops dans «The Competent House Thief». Il ondule dangereusement des hanches et on entend les dissonances de Killing Joke. Tout est cavalé cul par dessus tête. Tiens voilà l’heavy blues de Falco : «The Digger You Deep». Ah quel pain in the ass ! Ça vrille bien. Falco campe dans sa démesure. Les baraques s’écroulent. Tu t’émerveilles encore de «Not All Steeplejacks», un cut prodigieusement insidieux - It’s never complicated - Ça rampe entre tes jambes. Il t’enfonce «Chekhov’s Guns» dans la gorge et t’as du mal à respirer. Comme t’es bien maso, tu vas aller voir ce tortionnaire sur scène. Pas question de rater ça !
Signé : Cazengler, mclèchecul
mclusky. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 6 octobre 2025
mclusky. The World Is Still Here And No One Is. Ipecac Recordings 2025
Where Are They Now? mclusky. Vive Le Rock # 121 - 2025
L’avenir du rock
- La vérité des True Loves
Depuis qu’il a croisé des lascars comme Lawrence d’Arabie et Sylvain Tintin, rien ni personne ne peut plus surprendre l’avenir du rock, surtout pas ce hippie qui apparaît au sommet de la dune et qui approche lentement. Il traîne une énorme croix qu’il a calée sur son épaule. Arrivé à quelques mètres, l’hippie fait un signe de la main : le V du peace and love. Par politesse, l’avenir du rock l’imite. L’hippie est assez beau. On lui donnerait une petite trentaine. Ses cheveux blonds cendrés tombent sur ses épaules, une belle barbe encadre un visage hâlé et son regard clair exprime une sorte de paix céleste. Il porte une couronne d’épines, une confortable robe en coton écru, et juste au-dessus de son crâne, brille une petite auréole. Intrigué, l’avenir du rock lui demande :
— Vous allez où avec cette croix ?
— En vérité, je vous le dis, je vais par là...
— Voulez-vous un p’tit coup de main pour la porter ?
— En vérité, je vous le dis, vous êtes bien gentil, mais je dois la porter tout seul.
— Mais ça n’a pas de sens, vous allez attraper un lumbago !
— En vérité, je vous le dis, lumbago cat go !
— Ah vous êtes un p’tit malin, vous avez réponse à tout !
— En vérité, je vous le dis, je suis la réponse que vous attendiez depuis tout ce temps...
L’avenir du rock sent qu’il perd patience. Il décide d’abréger la conversation :
— Vous qui savez tout, est-ce que par hasard vous connaîtriez le chemin pour rentrer au bercail ?
— En vérité, je vous le dis, je suis le chemin, la vérité de la vie...
— Vous commencez à me courir sur l’haricot avec vos quat’ vérités. Il n’y a qu’une seule vérité qui compte, la vérité des True Loves ! Sur ce, bon vent et bonjour chez vous !
La première chose que tu remarques quand les True Loves arrivent sur scène, c’est la veste à franges de Jimmy James. Tu sais ce que ça signifie. Jimmy James est le seul black du groupe. T’as une belle section de cuivres (trombone, sax baryton et
sax ténor, trois cracks du boom-hue), un mec au beurre qui ne prend pas les gens pour des cons, un autre mec qui bassmatique en lunettes noires sur une six cordes, et un Latino nommé Ivan aux percus. Au milieu de tout ça, t’as l’intrépide Jimmy James sur sa vieille demi-caisse. Il n’a qu’une petite pédale au pied, zéro frime, ça fait du bien de voir ça. Ça te repose les yeux. Et quand il se ré-accorde, c’est vite fait à l’oreille. Jimmy James est un fabuleux guitar slinger, il peut jouer sec, claquer le funky booty des ghettos, comme il peut jouer gras, l’overwhelming de Jimi Hendrix, le vrai ! Il y a aussi du Buddy Miles dans sa stature de géant, Jimmy James est un
musicien hors du temps et hors compétition, il dégouline littéralement de feeling et chaque note qu’il gratte est une offrande aux dieux du rock. Aw my Gawd, si tu veux voir jouer un guitar slinger black, c’est lui. Quand il joue sec, il groove. Quand il joue gras, il fout le feu, tu le vois s’abandonner et faire les grimaces de Jimi. Il déclenche d’ailleurs un déluge hendrixien sur une Strato blanche et sort un son plus vrai que nature sur le thème de «Sunshine Of Your Love». Il est hallucinant de
power véracitaire, t’en savoures chaque seconde, chaque demi-seconde, t’ouvres toutes tes écoutilles pour faire entrer cette magie sonique en toi, il vient en droite ligne de Jimi Hendrix et tu lui accordes tout le crédit dont t’es capable, car sa justesse et sa présence sont absolues. T’es tellement à cran que tu crois par instants assister à un miracle. Jimmy James ne frime pas. Il joue. Il rend hommage. Il est béni des dieux. Jimmy James superstar ! Tous ceux qui l’ont vu jouer sur scène le savent.
Tu retrouves de beaux instros du diable sur Sunday Afternoon, un Colour Red de 2021 : «Objects In Mirror» qui tape en plein dans les JB’s, avec le power monstrueux de la rythmique funk, et «Robin’s Revenge», un big ramalama avec un Jimmy James qui gratte les accords de funk dans la fournaise. Il gratte encore du big flash de funk dans la purée fumante de «First Impression». Quelle fabuleuse énergie ! Il faut l’entendre gratter son funk dans l’entre-deux. «Yard Birds» se présente comme la porte ouverte à toutes les dérives de bassmatic. Bryant Moore est un bon, on l’a vu gratter sa six cordes sur scène.
Signé : Cazengler, True du cul
True Loves. Le 106. Rouen (76). 3 octobre 2025
True Loves. Sunday Afternoon. Colour Red Records 2021
Wizards & True Stars
- Nico teen
Nico est la déesse la plus complète de l’Olympe du rock. Complète, car elle fédère tous les autres grands mythes de cet Olympe : Dylan, Lou Reed, Calimero, Andy Warhol, Jimbo, Brian Jones, Iggy Pop, et ça s’étend jusqu’à Fellini, Philippe Garrel, Delon et John Cooper Clarke.
Il existe plusieurs moyens d’entrer dans l’extraordinaire histoire de Nico : le premier album du Velvet, l’excellent book de Richard Witts (Nico - Life And Lies Of An Icon) et deux films, un docu de Susanne Ofteringer (Nico Icon), et un film de Susanna Nicchiarelli (Nico 1988). Chacun choisira sa porte d’entrée.
Les gens d’un certain âge ont commencé par écouter The Velvet Underground & Nico dans les early seventies, quand l’album fut disponible en France. Puis au fil de temps, on est entré dans l’histoire du Velvet via des books de base comme le What’s Welsh For Zen de Calimero, mais si on veut revenir à l’essentiel, c’est-à-dire Nico, il vaut mieux lire le Witts book ou voir les deux films pré-cités.
Coup de cœur indéniable pour Nico 1988. L’italienne Susanna Nicchiarelli a réussi un coup de maître, en recentrant l’histoire de Nico sur sa dernière tournée européenne, en 1987, juste avant qu’elle ne décide d’arrêter les frais et d’aller s’installer à Ibiza avec Ari, le fils que lui a fait Delon et qu’il n’a jamais voulu reconnaître. L’intérêt de ce film est que la petite actrice Tryne Dyrholm campe une Nico plus vraie que nature, et du coup, elle crée une proximité à laquelle le docu ne donne pas accès. La Nico qu’elle incarne est d’une justesse stupéfiante. Un mec la protège, Alan Wise, qu’incarne John Gordon Sinclair, et c’est lui le véritable génie à la fois du film et de l’époque. Susanna Nicchiarelli réussit là l’exploit surnaturel de recréer dans le personnage d’Alan Wise l’aura du premier ange protecteur de Nico, Andy Warhol. C’est un exploit cinématographique extraordinaire, car c’est à la grandeur de ses protecteurs que tu mesures la force d’un mythe comme celui de Nico. Susanna Nicchiarelli fait d’Alan Wise un héros, à part égale avec Nico, et c’est l’exact reflet d’une réalité qui jusque-là nous échappait. Ces deux personnages qui luttent pour survivre artistiquement sont glorifiés par ce film sans prétention. Nico méritait bien ce genre d’hommage. Alan Wise aussi.
(Alan Wise)
Susanna Nicchiarelli utilise des bouts d’interviews que donnait Nico pour la situer intellectuellement. Elle commence par évoquer Jimbo : «Jim Morrison asked me to write down my dreams.» Elle n’a pas fréquenté n’importe qui. On la voit se faire un shoot d’hero dans la cheville et dire à Alan Wise : «Don’t call me Nico. Call me by my real name, Christa.» Okay, Alan va l’appeler Christa, et en retour, Nico va l’appeler Ricky. Bien sûr, à la fin du film, Alan avouera à Nico qu’il est amoureux d’elle, mais elle botte en touche.
Susanna Nicchiarelli
Sur scène, on la voit répéter «All Tomorrow’s Parties» et on sent bien qu’elle est à l’origine de tout, comme l’ont été John Lennon et Elvis. Susanna Nicchiarelli a reconstitué le groupe de Manchester qui l’accompagnait pour cette dernière tournée européenne. Elle les traite d’«energy junkies» - All bad, except the violonist - Et puis les extraits d’interviews sont l’occasion pour elle de résumer sa philosophie de la vie : «I’ve been on the top. I’ve been in the bottom. Both places are empty.» Plus loin elle dira : «I wasn’t happy when I was beautiful». Elle cultive un fatalisme qu’on appelle aussi le dandysme intellectuel. D’ailleurs, elle choisit son camp : «I Can’t stand that word ‘commercial’». Pas question pour elle d’aller vendre son cul. Susanna Nicchiarelli fait aussi pas mal de plans avec Ari. Il est en convalescence à l’hosto suite à une tentative de suicide, et un peu plus tard, alors qu’il accompagne sa mère en tournée, il se tranche les veines. D’où la décision que prend Nico de l’emmener à Ibiza et de décrocher. En montant dans le taxi et en faisant ses adieux à Alan, elle lui demande de veiller sur Ari si elle venait à casser sa pipe en bois. La tournée européenne passe par la Tchécoslovaquie qui est encore sous contrôle russe et on assiste à un fabuleux plan scénique. Nico savait rocker un boat.
Elle explique son projet au mec qui partage sa chambre d’hôtel : «My plan is to be a very elegant old woman. Not an old fat junkie.» Même usée par la vie, Nico reste d’une élégance stupéfiante. On lui fait remarquer qu’elle n’a pas beaucoup de succès, alors elle hausse les épaules : «I don’t need to have anybody to like me. I don’t care.» Tu sors de ce film transi d’admiration.
Alan Wise était devenu son manager en 1981. Voilà comment démarre le docu Nico Icon. Durant les sixties, Nico est so beautiful qu’elle en devient un freak act. James Young qui jouait de la basse pour elle et qui a écrit ses souvenirs de tournée avec elle dit qu’elle avait des needles tracks all over et qu’elle paniquait à l’approche des frontières. Puis on revient à Fellini et à La Doce Vita. Alors oui, tu peux revoir le film, c’est l’occasion ou jamais. Nico a deux dialogues avec Marcello. On la voit aussi porter un heaume dans une scène ultérieure. Dommage que le film soit si long et que la fin soit ratée. Fellini aurait dû s’arrêter avec le gros poisson pris dans le filet.
Carlos De Maldonado-Bostock
Carlos De Maldonado-Bostock qui a bien connu Nico et qui la vénère dit que Delon était trop vulgaire pour elle, a butcher - She had a detached relevance - Il la voyait déracinée à New York, alone. Elle ne supportait pas qu’on la touche. Puis on entend Ari chanter : «Je suis le petit chevalier/ Avec la terre dessous mes pieds.» Et pouf, voilà Edit Boulogne, la mère de Delon qui a élevé Ari. Dans une scène bouleversante, elle confesse ses moments de désespoir, lorsque son fils Delon lui dit : «C’est lui (Ari) ou moi.» Elle choisit Ari. Elle ne verra plus Delon. Le docu est tellement bien foutu qu’on voit aussi le clip tourné pour le single de Nico sur Immediate : «I’m Not Saying» - Everyone was fascinated.
À l’époque de la Factory, Nico est toujours habillée en blanc ou en noir. Danny Fields rappelle que les mecs avaient la trouille de Nico - Boys were scared of her - Ben Voyons. Et puis voilà les images de Jonas Mekas, l’Exploding Plastic Inevitable, le summum de la modernité. Le docu bascule ensuite dans l’univers hermétique de Philippe Garrel, avec l’Ig qui court dans les champs. Puis c’est au tour de Calimero de crever l’écran, il parle du Marble Index comme d’une «contribution to classical music». D’autres personnages clés témoignent : Tina Aumont, Lutz Ulbrich qui évoque les candles de la Rue de Richelieu et finalement Ari, un copy cat de Delon : «My mother is an artist. Do or die. That’s the way she was thinking.»
Le plat de résistance est le Witts book. Witts y enfile les noms comme des perles : Delon, Paris, Rome, Dylan, le Loog, Brian Jones, Andy Warhol, Lou Reed, Calimero, Tom Wilson, Jimbo, Hendrix, Philippe Garrel, l’Ig, Baader et même le punk. C’est une chose. Mais le plus important serait de dire que Witts est un auteur remarquable. On est fixé dès la phrase de Cocteau qu’il met en exergue de son introduction : «J’ai toujours préféré la mythologie à l’Histoire parce que l’Histoire est faite de vérités qui deviennent des mensonges et que la mythologie est faite de mensonges qui deviennent des vérités.» Witts résume le mythe Nico. Elle aura passé sa vie à mentir, ou plutôt à s’arranger avec la réalité. C’est un peu comme si Cocteau avait écrit cet aphorisme pour elle. Nico, «the Chelsea Girl, the High Priestess Of Weird, the Sixties Warhol Superstar who ‘turned fat and became a junkie’, as Warhol noted in his diary.» Plus loin, Witts cite encore : «Nico’s voice had been described in Andy Warhol’s Popism as ‘an IMB computer with a Garbo accent’ and more romantically as ‘a fragile lifeline through an inexpressible plague ridden past’.» Warhol la qualifiait aussi de «new kind of superstar - weird and untalkative.» Dans son intro, Witts indique que Delon, Garrel, Lou Reed et les Päffgen de Cologne ont refusé de participer au book. Et Witts d’ajouter : «I have attempted to chronicle a life that linked Fellini with Warhol, Edie with Jean Seberg, Jackson Browne with Sid Vicious, Ernest Hemingway with Allen Ginsberg, Coco Chanel with Betsey Johnson - without falling into the trap of identifying Nico solely through her name-dropping. As my terribly, terribly close, personal friend Iggy Pop said to me only the other day, ‘Nico would go crazy, man’.»
Te voilà en appétit. Avec un auteur de la trempe de Witts, tu te sens en sécurité. Tu sais qu’il va respecter son sujet, et donc te respecter. C’est la règle d’or des biographies dignes de ce nom. L’auteur met son intelligence au service de son sujet. Witts n’est pas un pauvre con de moi-je. Witts redonne vie à Nico, voilà le prodige.
Il attaque par l’enfance et cite Coleridge en exergue. Ce n’est pas hasard, car Nico citait Coleridge à Alan Wise. Après Coleridge, le mensonge. Witts attaque ainsi : «Nico was born a liar». Et pour l’en excuser, il ajoute un peu plus loin : «She never dared reveal to anyone how completely she needed to deceive the world», c’est-à-dire qu’elle n’a jamais osé avouer à quiconque à quel point elle avait besoin de tromper le monde, ou si tu préfères, de déformer une réalité qui ne lui convenait pas. La réalité de son enfance, c’est l’anéantissement de Berlin. En 1945, elle a 7 ans. Elle est déjà dans le punk berlinois des ruines et des cadavres. Viva, une autre superstar, perce le secret de Nico : «Nico was a spicy combination of insecurity and arrogance. The truth was she was an emotional cripple.» Infirme émotionnelle. À l’écoute des petites histoires berlinoises que lui raconte Nico, Viva comprend qu’elle est salement amochée - I realised how badly it had screwed her up - Elle racontait des tas d’histoires terribles, les juifs dans les wagons, le savon fabriqué à partir d’os humains, l’abat-jour fait d’une peau tatouée, le soldat russe qui est apparu à la fenêtre de sa chambre, le couple de Mongoliens qui aimait la voir pisser, les corps décomposés trouvés dans les ruines de Berlin, la pluie à travers le plafond, les pièces frigorifiées en hiver. Qui ne serait pas traumatisé par tout ça ? Et Christa va essayer toute sa vie de transformer son insécurité en indépendance. C’est ce qu’a perçu Viva. Nico va encore plus loin : elle raconte qu’un sergent noir-américain l’a violée quand elle avait 13 ans et que le sergent fut ensuite pendu. Elle racontait cette histoire quand elle était accusée de racisme et elle ajoutait : «Negroes are not like us.» Mais personne ne sait si l’histoire est vraie. Même pas Witts qui se régale à laisser planer le doute.
Elle va quand même réussir à vivre des jours heureux - From the New Year of 1966 until Warhol’s near death in the summer of 1968, Nico would live ‘the happiest days of my life - ho, ho, ho... -
Nico
Comment Nico est-elle passée des ruines de Berlin à la Factory d’Andy Warhol ? C’est ce que nous explique Witts dans le détail. Ho ho ho ho. Elle a 16 ans, elle pose pour un photographe de mode nommé Tobias à Berlin. Il l’envoie à Paris poser pour Elle. Nico qui s’appelle encore Christa débarque à Paris et s’installe dans un petit hôtel de la place de la Contrescarpe. «The Bad Samaritan» Tobias la confie aux bons soins du «Good Samaritan» Wilhelm Maywald, un photographe de mode qui bosse pour Christian Dior. C’est aussi Tobias qui baptise Christa Päffgen ‘Nico’, car un modèle doit porter un seul nom, lui explique-t-il, et Christa ne convient pas. Ce sera donc Nico. Nico ? Oui, c’est un nom d’homme, celui qu’aime Tobias, un Grec qui vit à Paris : Nico Papatakis. Witts révèle un élément capital : le mythe se construit dans le mythe, à partir de rien.
C’est à Paris que Carlos de Maldonado-Bostok la rencontre. Il la trouve singulière - Nobody could touch her. She was unfuckable - Quand Nico ne veut pas répondre à une question, elle s’en sort avec un ho ho ho ho. Il affirme qu’il n’y avait rien de sexuel en elle - She was asexual - Elle ne supportait pas les gens qui disaient : «Écarte les cuisses.» - She didn’t want anyone to touch her cunt - Mais au bras de Maywald, elle semblait fascinante, elle ne disait rien et si on la branchait, elle faisait ho ho ho ho, et on lui foutait la paix.
Elle débarque à Rome pour des photos de mode. Le producteur Dino De Laurentiis donne un gros tas de blé à Fellini pour son prochain film et impose un acteur américain, mais Fellini veut Marcello. Nico se retrouve dans La Dolce Vita. Elle a un merveilleux petit échange avec Marcello qui lui demande :
—What language are you speaking now?
— Eskimo. Ho ho ho ho ho ho ho...
C’est sur le tournage du Plein Soleil de René Clément qu’elle rencontre Delon. Coup de foudre ? Pour elle c’est sûr, pour Delon, ça l’est moins. Puis ils retournent à leurs affaires, nous dit Witts, Delon à Rome chez Visconti, et Nico à Paris chez Maywald. Nico ‘tombe’ enceinte, et quand elle dit à ses amis qu’elle va aller présenter le bébé à Delon, on lui recommande de faire gaffe, car il est dangereux. Il ne faut surtout pas le faire chanter. Elle baptise le bébé Christian Aaron, c’est-à-dire Ari. Mais Delon n’en veut pas - Nico was devastated - Elle dira de lui qu’il était «a devil with the face of an angel.» Un fantôme de plus de sa vie. Elle est déjà entourée de fantômes : «Maywald, her phantom father, Papatakis, her phantom husband, Maldonado-Bostok, her phantom lover, Tobias, her phantom brother.» Witts la situe admirablement bien. On peut donc la suivre pas à pas.
Elle entre dans le cercle magique du rock avec Dylan. Il est à Paris pour rencontrer Hugues Aufray et un ami lui présente Nico. Ils passent du temps ensemble, Witts reste très pudique, puis ils vont passer quelques jours en Grèce. Dylan lui file une chanson, «I’ll Keep It With Mine». Elle le reverra plus tard dans une party à Londres, c’est le Dylan de Don’t Look Back, la tournée anglaise filmée par D.A. Pennebaker. Elle trouve Bob très changé - Bob was completely drugged-up, and moody and arrogant as ever - Dylan porte sa veste en cuir - He looked like a handyman and he wanted to be a Rolling Stone - Nico entre en studio pour enregistrer «I’ll Keep It With Mine», avec Dylan au piano - One rehearsal, one take - Vite fait bien fait. Witts raconte ensuite que Dylan lui joue sa nouvelle chanson au piano - Whaddaya think? He launched into a song at the piano. Nico replied tartly that it was not as good as her song. He had played her «Like A Rolling Stone».
Si Nico fricote avec les Stones, c’est parce qu’elle veut rencontrer Andrew Loog Oldham. Elle a entendu dire qu’il cherchait des «girls to turn into stars», alors ça l’intéresse. Elle le rencontre et lui déballe tout, sa relation avec Dylan, La Dolce Vita. Le Loog est intrigué. Il cherche «the supreme female singer», dans le style de Dionne Warwick, de Dusty chérie ou encore de Cilla Black. Il a déjà essayé de lancer une petite black de 18 ans, Cleo Sylvester. C’est à Los Angeles, où les Stones enregistrent «Satisfaction», que le Loog donne sa chance à Nico. Il trouve la compo de Dylan sympa - It’s a great song, but it’s too downbeat for a debut. It’ll make a good follow-up - Il préfère lancer Nico avec un cut de Gordon Lightfoot, «I’m Not Saying». Il va donc lancer Immediate avec «I’m Not Saying», et le fameux single des McCoys, «Hang On Sloopy».
C’est en traînant dans une party à Londres que Nico fait la connaissance de Brian Jones. Il lui dit : «Let’s meet up again and talk careers.» Nico lui répond du tac au tac : «How about tomorrow?». Et voilà, c’est parti. Il lui dit de venir voir les Stones en concert, ce qu’elle fait à Paris, en avril 1965. Elle va vivre trois mois avec Brian Jones. Elle n’y va pas de main morte : «Jim [Morrison] had the best sex I ever had inside me. But Brian gave the best sex, when he could. He took too many drugs. He was like my little brother, and I had to stop him sometimes from destroying everything, including hismelf. At least that was one thing I could do that Anita Pallenberg couldn’t.» Witts ajoute que Brian avait du métier : à la fin de son adolescence, il avait déjà engendré quatre fils avec quatre différentes gonzesses, et deux d’entre eux s’appelaient Julian en l’honneur de son idole Julian Cannonball Adderley. Comme le rappelle Al Aronowitz, le photographe des Stones, Brian tenait une comptabilité de ses conquêtes et ça pouvait aller jusqu’à 64 en un mois. Nico : «He was sexy. He seduced girls. He was charming, until he locked the door.» Nico avoue au passage une préférence pour l’«anal sex» - She said she liked the Turkish way - Et puis voilà l’histoire de la broche que Brian essaye, while tripping, de piquer sur les lèvres vaginales de Nico. Brian aimait aussi couler la cire des bougies sur les seins de Nico et sur son pubic hair. Selon Brion Gysin, Brian prenait toutes les drogues qu’on lui proposait, «whatever, and he’d just swallow them all.» Et bien sûr, Brian Jones initie Nico aux drogues psychédéliques, LSD et magic mushrooms.
«I’m Not Saying» est devenu un single culte parce que Brian Jones et Jimmy Page accompagnent Nico en studio. Brian et Jimmy ont un autre point commun : une passion pour Aleister Crowley. On reste dans le tourbillon mythique avec un nouvel épisode : Brian amène Nico à la Factory, sur East 47th Street. Nico file son single Immediate à Andy Warhol. Ce fut nous dit Witts son ticket d’entrée «to fame as Andy Warhol’ new Superstar and the tag Miss Pop 1966.» Brian et Nico iront aussi ensemble à Monterey, et séjourneront avec le couple Oldham. Nico dit qu’au moment de Monterey, Brian n’allait pas bien et qu’il avait des boutons sur la figure. C’est à Monterey qu’elle flashe sur Jimi Hendrix : «He was the most sexual man I ever saw on stage.» Et quand on a retrouvé Brian au fond de sa piscine, Nico a composé une chanson pour lui, «Janitor Of Lunacy». Elle a même demandé aux Stones si elle pouvait chanter au concert d’adieu d’Hyde Park, okay deux chansons, «but I arrived too late anyway.»
Witts nous rappelle que Nico avait déjà rencontré Andy Warhol à Paris, en 1965, chez Castel. Et peu de temps après, Nico va le retrouver à New York à la Factory. Nico se présente à lui, et il ne se souvient pas d’elle. Witts ajoute qu’Andy avait alors 36 ans - Warhol was ageless, just as Nico was ageless - Witts nous fait entrer dans un nouveau cercle magique, le Velvet.
C’est Paul Morrissey qui amène Andy au Café Bizarre, dans le West Village. Andy trouve le groupe génial, comme tout ce qu’on lui propose - He always said yes. He just wanted something to happen - Morrissey voit en Nico la solution à son problème : il veut manager le Velvet mais il trouve que le chanteur du groupe n’a pas de personnalité. Lou Reed n’est pas encore très à l’aise sur scène. C’est là que germe dans son esprit l’idée de faire chanter Nico dans le Velvet - The singer with ‘no personality’ was Lou Reed, and the solution was ‘the most beautiful girl in the world’, standing right there in the Factory - Andy et Morrissey l’emmènent voir jouer le groupe et «right away, that sour little Lou Reed bristled. He was hostile to Nico from the start.» Le Lou accepte qu’elle chante à condition qu’elle reste séparée : The Velvet Underground - and Nico. Nico grince des dents : «That’s because I was the girl.» Et très vite s’installe une rivalité entre le Lou et Nico. Le Lou fanfaronne à la Factory, il glousse avec les folles de service, il se montre outrageous - Lou tried to compete. Unfortunately for him, Nico could do it better - Et puis un matin, lors d’une répète du Velvet, Nico arrive en retard. Le Lou lui dit «Hello» et Nico ne dit rien. Un peu plus tard, alors que personne ne s’y attendait, elle balance : «I cannot make love to jews anymore.» Le Lou aura du mal à s’en remettre. Il n’empêche que Nico vit avec le Velvet les jours les plus heureux de sa vie. Le Lou l’accepte sur scène à condition qu’elle ne chante que trois chansons. Et que fait-elle quand elle ne chante pas, demande-t-elle au Lou qui répond : «Nico you can always knit.» I said he could go to hell. He looked around and said, «Well where do you think we are now?» - Sur scène avec le Velvet, Nico reste de marbre. Elle ne bouge pas et ne sourit pas. Elle est la Femme Fatale.
Personne ne veut de la démo du premier Velvet. Ni Elektra, ni Atlantic. Andy est choqué : «Other people succeed who have no talent. Here we are with you gorgeous people and we can’t make it.» Jusqu’au moment où un certain Tom Wilson, A&R chez Verve/MGM, flashe sur Nico - I think Nico’s great. I’ll buy the tape off you - C’est Nico qui l’intéresse. Entre le moment où il achète la démo du premier album et sa parution en mars 1967, un an va passer. Tom Wilson veut un single avec Nico. «Sunday Morning» ? Okay. Mais le Lou chante à la place de Nico - He sang it! The little creep - Tom Wilson couldn’t deal with Lou, he just took what came. Mais il va faire revenir Nico en studio pour qu’elle y chante un couplet. Nico ne dira jamais trop de mal du Lou car il lui a écrit trois de ses plus belles chansons, «All Tomorrow’s Parties», «I’ll Be Your Mirror» et «Femme Fatale». Mais elle capte trop l’attention, et le Lou la vire du Velvet - The newspapers came to me all the time. That’s how I got fired - He couldn’t take that anymore. He fired me and then he fired John Cale - Elle aura aussi une aventure avec Calimero.
C’est Jac Holzman qui propose à John Cale de produire Nico - The first golden opportunity - Calimero dit qu’il a produit, composé et joué sur quatre de ses albums, dont le premier, Chelsea Girl, produit par Tom Wilson. Fantastique personnage que ce Tom Wilson, qui a déjà produit «Like A Rolling Stone» et qui a rendu célèbres Simon & Garfunkel. Jackson Browne : «He was a very charming man who didn’t seem to take anything seriously.» C’est sur Chelsea Girl qu’on trouve l’«I’ll Keep It Mine» qu’offrit Dylan à Nico. Calimero ajoute que Chelsea Girl est l’album le plus accessible de Nico, et celui sur lequel il n’est pas le plus présent. Calimero n’a composé que «Winter Song» et «Wrap Your Troubles In Dreams», et co-écrit deux cuts avec le Lou et Sterling, «Little Sister» et «It Was A Pleasure Then». Lou et Sterling ont écrit le morceau titre.
«Chelsea Girls» (avec un s, contrairement au titre de l’album) est un ensorcellement, un cut très Velvet dans l’esprit, c’est-à-dire anti-conventionnel, beau mais insolent, et c’est surtout une fabuleuse drug song - Dropout, she’s in a fix/ Amphetamine has made her sick/ White powder in the air/ She’s got no bones and can’t be scared - On sent la patte du Lou et du Walk On The Wild Side. Et puis voilà l’excellent «I’ll Keep It With Mine» gratté à coups d’acou, soutenu par des violons, pur jus Dylanex. Qu’existe-t-il de plus mythique qu’un cadeau de Dylan chanté par Nico ? T’es vraiment content d’avoir cet album dans les pattes. Par contre, elle chante certains cuts à l’accent malade de Berlin («These Days»), mais c’est presque beau, on sent une volonté de beauté virginale. Elle finit par te hanter la calebasse avec le «Little Sister» signé Lou & Cale, même si elle flirte avec l’esprit harmonium qui finira par la rendre insupportable. Elle adore grincer dans les ténèbres. Elle refait du Velvet avec «It Was A Pleasure Then», elle plane comme un vampire sur l’esprit du Velvet, c’est très avant-gardiste, co-écrit par Lou & Cale, très anti-commercial, gorgé de bruits incertains et de feedback. Elle exagère ses graves germaniques. Il est évident que son grain de voix a fasciné Andy, elle est baroque dans l’âme, elle ramène toute la profondeur séculaire des Chevaliers Teutoniques dans sa verve glacée, d’où cette résonance si particulière dans l’univers frivole de la Factory. C’est dingue comme elle est glacée. Diva teutonique ! Ses accents te glacent les sangs. Dans «Wrap Your Troubles In Dreams», elle est suivie par la flûte de Fellini, pour lequel elle a tourné. C’est un monde étrange d’art total. Elle pose son chant sur l’autel pour le sacrifier. Elle fait bien le lien entre le Velvet et le cinéma. Elle ne te laissera jamais indifférent. Jamais. Par contre, Nico ne supporte pas la flûte qu’a ajouté Tom Wilson sans la prévenir - I cried when I heard the album. I cried because of the flute. I hate it so much.
Côté cinéma, Nico tourne The Chelsea Girls avec Andy - The most famous underground movie ever made - un film qui va provoquer autant de réactions que La Dolce Vita. Dans La Dolce Vita, elle rit tout le temps, et dans The Chesea Girls, elle pleure tout le temps - I think that is the only difference.
Valérie Solanas
Witts évoque bien sûr le shooting de Valerie Solanas qui se pointe chez Andy «with two serious guns in her paper bag». Andy est ramené à la vie par un chirurgien et va vivre 19 ans de plus, «but he was never Andy again, he was like a silkscreen of himself.» Witts rappelle aussi qu’Andy et Robert Kennedy ont été dégommés le même jour. Comme elle l’a fait pour Brian Jones, Nico décide d’écrire une chanson pour Andy, «The Falconer», sur laquelle Calimero joue du piano.
Quand elle est virée du Velvet, Nico attaque sa «carrière solo», comme on dit. Witts a l’esprit pratique : «If the group could do without her, she could do without the group.» Elle a déjà quelques chansons : une de Dylan, une de Gordon Lightfoot, une de Jimmy Page et quatre de Lou Reed. Pas mal pour un point de départ. Elle chante au Dom, accompagné soit par Sterling Morrison, soit par Calimero. Tim Buckley l’accompagne aussi. Puis Ramblin’ Jack Elliott, Jackson Browne, et Tim Hardin - Poor old Tim, we called him Tim Heroin.
En 1967, nous dit Witts, Nico a passé le summer of love «with Jim Morrison, and when she wasn’t with him, with Brian Jones, and when she wasn’t with them, with Andy Warhol making films or with Tom Wilson making records.» Nico déclare qu’elle était comme Jimbo et Brian Jones, une bohémienne - We were Bohemians, not hippies. Do you understand the difference? Bohemians know they are not hippies, but hippies don’t know they are not bohemians - Elle explique ensuite que les hippies cherchent toujours à vendre quelque chose, de la dope, du patchouli ou eux-mêmes. De toute façon, les New-yorkais ne supportaient pas les hippies.
Nico oublie souvent de se laver. Viva : «She’d smell like a pig farmer sometimes, she washed so little.» Elle porte aussi des grosses bottes espagnoles, des pantalons de cosaque et une cape.
Percy Bysshe Shilley
Elle passe donc le summer of love de 1967 avec Jimbo. C’est Danny Fields qui manigance la rencontre : «Morrison and Nico would be Adam and Eve in the Summer of Love.» Mais ils passent leur temps à se battre. Ils font un sacré ramdam dans leur chambre d’hôtel. Nico appelle Jimbo son Soul brother - I think he was the first man I met who was not afraid of me in some way. We were very similar, like brother and sister. Our spirits are similar - Jimbo initie Nico à William Blake et à Shelley - I preferred Coleridge. In fact, he is my favoured poet of all time. Did you know they were all drug addicts? Coleridge was addicted to opium - Danny Fields est fasciné par ce couple : «They were both icy and mysterious, and charismatic and poetic and deep and sensitive and wonderful.» Nico dit aussi que Jimbo prenait des drogues «because he wanted visions for his poetry.» Ce même été 1967, Nico va de Jimbo à Brian Jones. En fait, cet été-là, elle a fait la tournée des grands ducs : chez Paul McCartney à Londres pour plusieurs semaines, puis à Boston avec Andy et le Velvet Undergound, puis elle est allée rejoindre Brian Jones à San Francisco avant de redescendre retrouver Jimbo à Los Angeles. Conte de fée ! Nico se souvient qu’elle se battait avec Jimbo «because we were drunk and we enjoyed the sensation. We made love in a gentle way, do you know? It was the opposite to Brian Jones.» Elle dit aussi que Jimbo et elle ont échangé du sang - I carry his blood inside me. When he died, I told people that he wasn’t dead, this was my meaning - Elle avoue surtout qu’elle en était amoureuse - But we took too much drink and too many drugs to make it, that was our difficulty. Everything was open to us, there were no rules. We had a too big appetite - C’est aussi l’année où les Doors décollent avec «Light My Fire». Nico passe ses nuits dans le désert «with the nation’s number one pop star», son Soul brother qui l’a initiée à Coleridge, Shelley et Blake et qui a autant de respect pour sa beauté que pour son esprit. Selon Witts, la relation ne dure qu’un mois. Trop intense. Trop de trop. Elle ne reverra Jimbo qu’une seule fois, à Paris, alors qu’elle marche avenue de l’Opéra. Elle voit passer une black car, avec Jimbo assis à l’arrière, mais il ne l’a pas vue. Il va casser sa pipe en bois le soir-même - And then you can say that heroin became my lover.
Nico, Philippe Garrel
L’hero est omniprésente dans ce book. Elle voit les drogues comme «the finest alternative to society.» Elle commence à tester l’hero en 1968 ou 1969 - Heroin is a seduction. It is like loving someone you hate - Elle va commencer à s’enlaidir - I don’t want to be beautiful any more - C’est l’époque Philippe Garrel. Garrel et elle fréquentent des «artistic couples», «from John & Yoko to Pallenberg & Richards» qui les initient au fix. Dans Gentons Plus La Guitarre, Garrel accuse Nico de l’avoir entraîné dans l’enfer de l’addiction. Il s’en est sorti, pas elle. C’est sa version, nous dit Witts. Pour Nico, c’est le début de la fin : «She was dependant on drink, drugs, deceit, and - worst of all - money.»
En solo, Nico montre un faible pour les bougies et le Moyen-Age. Witts appelle ça the Chapel of St Nico. Elle devient une artiste, elle chante les chansons qu’elle compose - I could be a poet or a songwriter, and I continue as this, in a seditious way. But what other way to do these things? - Leonard Cohen fait partie de ses premiers admirateurs. Witts : «Leonard Cohen the singer owed as much to Nico, as Bob Dylan the singer owed to Woody Guthrie.»
Nico enregistre un deuxième album, The Marble Index. Pour être sûre qu’on ne mettra pas de flûte dans ses chansons, elle demande à Calimero de produire l’album. Mais ce n’est pas de tout repos. Calimero dit qu’il passe son temps à se battre avec Nico en studio - We always had fights, physical at times - Et puis à la fin, Nico pleure devant tant de beauté, car certains cuts sont éblouissants - The crying-fighting business happened on every project we did together - C’est grâce à aux arrangements qu’il écrit pour The Marble Index que John Cale va devenir producteur pour le compte d’Elektra et produire l’album des Stooges. Frazier Mohawk supervise l’enregistrement de The Marble Index, Cale signe les arrangements. Bon, l’album reste du Nico, avec un son bien germanique et bien glacial. Un album de Nico, ça s’explore. Quand tu explores, tu trouves parfois des mines d’or («Evening Of Light») et d’autres fois des peaux de banane. Calimero ramène toute son énergie avant-gardiste dans ce prodigieux tas de mormoille. Avec «No One Is There», elle ne fait pas du Velvet, mais de l’anthropologie vénale. C’est violonné à l’aube des temps, elle pousse sa supplique dans un désert glacé. Elle est très teutonique. Ça ne pouvait que plaire à un Gallois. «Ari’s Song» est flûté dans l’esprit de Fellini, noyé dans un brouillage de piste intense, elle y va au sail away my little boy, elle s’égare dans un entre-deux d’infra-sons, c’est trop avant-gardiste. T’as du mal à entrer dans son weirdy weird, Calimero en rajoute une caisse et Frazier Mohawk valide tout. C’est vrai que Jac Holzman s’est lancé dans de drôles d’aventures : Nico, et puis Jobriath qu’il a regretté. Si un violon grince dans «Julius Caesar», il ne peut s’agir que de Calimero. Nico finit par établir une sorte de statu quo entre la beauté et l’étrangeté, et le violon n’en finit plus de tournicoter autour du chant. Nico s’établit quelque part entre le rêve et la réalité. Elle semble planer comme une brume matinale en Sibérie. Tout est figé dans un air glacial. Calimero : «Nico was like a European gargoyle. She really was unique. There was nobody doing that sort of gothic folk stuff. It was like something of another age, or another planet.» Le problème avec Nico, c’est la ponctualité. Calimero lui demande de se pointer au studio à 14 h, elle arrive à 17 h. Ou si elle arrive à 15, h, elle passe deux heures dans la bathroom à se remaquiller. Quand Calimero lui demande si elle a un problème avec le temps, Nico lui répond : «No, when I was in the Actors Studio, Elia Kazan told me to do things in my own time. I took it at his word.» Calimero finit par piger le truc : «On pouvait finir par croire qu’elle n’était pas très professionnelle ou qu’elle se conduisait de manière égocentrique. Not so. The timing of everything was immaculate. It was elegant, and everything that was done was done very beautifully - and very late.» Calimero dit aussi qu’elle avait une horloge interne. Pour les textes, elle suivait le conseil de Jimbo, elle écrivait ses rêves, «often opium-fed like those of Coleridge.» Mais à la fin, Nico est ravie. Elle en pleure de joie. Elle a le sentiment d’avoir fait «something extraordinary». Ils ont cette relation magnifique. Calimero dit que ce sera leur mode de fonctionnement jusqu’au bout : «OK, let’s have a fight now, then the tears, get it over with while we’re sober... and then get down to the music.»
Mais les albums solo ne marchent pas très bien. Nico n’a pas de manager. Elle en parle à Calimero qui lui répond : «Nico, how could you sell suicide?»
Et pourtant, elle garde une vision claire de ce qu’elle veut faire : «My songs are visionary. They are ceremonial. Everything is a ceremony of death, in the end.» Écrit-elle ses textes en lettres gothiques, à la lueur d’une chandelle ? Witts s’amuse bien, tout en la respectant.
Pour enregistrer The End à Londres et accompagner Nico, Calimero fait appel à Eno et Phil Manzanera. Quand l’album sort en 1974, the reviews reached rock bottom - Nico, as miserable as ever, titre le Melody Maker.
S’ensuit Desertshore. Tu grelottes encore, malgré le réchauffement climatique. «Janitor Of Lunacy» est bien chargé de glaçons. Calimero se régale. Le joli son de «My Only Child» résonne dans l’écho du temps. Et c’est Ari qui chante «Le Petit Chevalier». On entend bien sûr le violon de Calimero dans «Abschied», et il joue du piano magique dans cette merveille qu’est «Afraid». C’est aussi sur cet album que se trouve «The Falconer», la chanson qu’a écrite Nico en hommage à Andy. Avec «All That Is My Own», Nico plonge dans des temps très reculés.
On retrouve Nico sur l’album live enregistré au Rainbow le 1er juin 1974, avec John Cale, Eno et Kevin Ayers. Sur la pochette, on les voit tous les quatre, dûment agglutinés. Bon, le balda n’est pas terrible, Eno fait son cirque avec «Driving Me Backwards» et «Baby’s On Fire». Il s’en donne à cœur joie et il connaît toutes les ficelles de caleçon. Mais on n’est pas là pour entendre ses conneries, et encore moins celles de John Cale qui vient nous pomper l’air avec son maudit «Heartbreak Hotel». Ça empire encore avec Nico et son harmonium : elle massacre le beau classique des Doors, «The End», accompagnée par Kevin Ayers, Calimero, Eno et Robert Wyatt. Kevin Ayers se tape la B à lui tout seul.
Nouvel épisode des aventures de Nico : Philippe Garrel. Sa vieille copine Tina Aumont tourne à Paris dans Le Lit De La Vierge, un film de Philippe Garrel (fils de Maurice Garrel), avec Zouzou et Pierre Clémenti. Garrel a besoin d’une bande son pour son film et comme il a flashé sur The Marble Index, il propose le deal à Nico qui lui refile «The Falconer». C’est là que démarre une relation qui va durer neuf ans, «for good or ill, and mostly ill», ajoute Witts qui ne rate pas une occasion de sonner les cloches du destin. C’est sa force. Il ajoute : «Garrel was three years younger than Nico, but no less weird.» À 25 ans, Garrel a déjà tourné six films. Un critique dit que «Garrel was more avant-garde than Godard. By that I mean he could be even more boring.» Quand elle amène Garrel à New York, Morrissey est horrifié pat son apparence, elle qui fut si beautiful. À Paris, ils vivent rue de Richelieu, sans meubles, sans électricité, sans gaz, volets fermés, et une montagne de mégots et de paquets de cigarettes vides. Sont-ils un couple ? - It was more an affair of lovers of heroin - Quand Lutz Ulbrich découvre ce désastre, il décide de rentrer à Berlin. Puis les chemins de Nico et de Garrel vont se séparer. Mais quand Nico casse sa pipe en bois, Garrel se rend aux funérailles - One of the few to bother.
L’autre True Star qu’elle fréquente c’est bien sûr Iggy Pop. Lorsque Calimero enregistre les Stooges à New York, elle se pointe au studio et s’assoit à côté de lui pour tricoter. Elle ne savait pas trop quoi tricoter, mais elle avait décidé de tricoter un truc en noir. À travers la vitre de la cabine, Iggy voyait Calimero vêtu d’une cape noire et Nico tricoter. Iggy se demande ce qu’il fout là. Mais il flashe sur Nico - She was simply incredible - Ils démarrent une relation de quelques semaines. Nico l’initie à trois choses : L’Enfer de Dante, le Beaujolais et l’oral sex. L’Ig : «One day we were in bed together and she said; ‘Jimmy you can do something for me...’» Puis l’Ig l’emmène dans la baraque qu’occupent les Stooges dans un champ de maïs du Michigan. Elle va y rester trois semaines. Les autres Stooges se mettent à parler avec des accents allemands, histoire de la chambrer. Nico leur fait la cuisine : «You boys need feeding. I will make you a nice rice ratatouille.» Quand ils vont faire des courses dans le patelin voisin, elle demande à l’épicier : «Dooo you haffft Beaujolais?». L’ig avoue aussi que «We Will Fall» est une chanson à propos de Nico. Elle lui joue aussi la chanson qu’elle a composé pour Brian Jones, «Janitor Of Lunacy».
( Eddie Sedgwick and Andy Warhol)
En 1970, elle perd quatre membres de sa famille : sa mère, Jimi Hendrix, Edie Sedgwick et Jim Morrison. Puis elle se met à voler de l’argent chez les gens qui l’invitent. Si elle est prise en flag, elle dit que c’est pour rire. A joke. Elle n’a plus un rond. Elle admire aussi Baader. Elle lui consacre une chanson sur The End. Tout cela est extrêmement bien documenté. Witts abat un travail de titan.
En 1977, elle reprend espoir grâce au Punk - It was like a change of atmosphere. The music was heavy metal - it was the same thing we had heard for nearly ten years, but it was like heavy metal played by the Velvet Underground, kind of amateur - Mais elle ne plaît pas aux punks. Quand Nico joue en première partie de Siouxie à Cardiff, la foule lui gueule «piss off!». Soudain, une canette de bière la percute en pleine gueule. Couverte de crachats, elle se lève et gueule : «If I had a machine gun, I would shoot you all.» Terminé avec le punk.
De fil en aiguille, Nico se retrouve à sec : sans manager, sans comptable, sans compte en banque, sans économies, sans bien immobilier, juste un peu de cash pour acheter de la dope. Et pour corser l’affaire, elle vient de se faire virer par Island pour racisme. Elle avait en effet raconté qu’elle n’aimait pas les nègres. L’explication arrive : «Never buy (dope) from black men.» Elle raconte en effet qu’elle s’est souvent fait rouler la gueule en achetant de l’hero qui n’était pas de l’hero à des blackos. Elle va rester sans contrat pendant dix ans. Puis elle entame une relation avec Lutz Ulbrich, qui devient son homme à tout faire - She needed to work in order to buy heroin, she needed heroin in order to work.
Elle parvient à décrocher un deal avec CBS pour enregistrer Drama Of Exile avec un groupe. CBS lui demande de se désintoxiquer et d’aller mieux. Elle va mieux puisqu’elle tape deux covers de choc, à commencer par l’«Heroes» de Bowie - Aïe Aïe/ Woud be kaïng/ And you/ You woud be queen - Elle le fait à sa façon. C’est comme si Bowie rejoignait enfin le Velvet. Elle établit la jonction, for ever and ever. Dommage que l’orgue sonne un brin new-wave, mais t’as des belles remontées de basse. Elle donne du poids à l’aspect mythologique des choses. L’autre cover du diable est celle de «Waiting For The Man». Elle le prend à la gorge - Hey white boy/ What you do in our town - New York City sound, énergie fondamentale, comme si tu comprenais tout, le Lou dans son quartier. Elle lui rend un bel hommage. Comme elle est accompagnée par un groupe, elle est moins paumée qu’avant. T’as un guitariste bavard derrière Nico, ça meuble. Elle chante son rock d’une voix de Belphégor. Elle fait du Nico pur avec «Henry Hudson» et ça vire hypno sur une belle boucle d’orgue. Elle brille d’un éclat encore plus sombre dans «Sixty Forty». Franchement, t’es ravi d’écouter cet album.
Alan Wise est choqué de la trouver dans l’état d’une «40-old year junkie» sans un rond qui dort sur le plancher des gens qui l’hébergent. Elle parle très bien de tout ce bordel : «My mind and my life are two different things. My mind is called Christa. My life is Nico. Christa had made Nico, and now she is bored with Nico because Nico is bored with herself. Nico has been to the top of life and to the bottom. Both places are empty.»
Alan Wise essaye de l’aider, il la sort de la misère noire, il la fait respirer, marcher, boire, jouer et voyager. Elle donne pas mal de concerts. Mais tout le blé que ramasse Nico repart en hero.
( John Cooper Clarke )
Elle finira donc par en avoir marre, par oublier les textes de ses chansons. Elle va monter sur scène défoncée à la methadone et à la bière. Quand elle s’installe pour chanter avec son harmonium, on lui tire dessus avec un pistolet à eau. Elle boit comme un trou et se met à enfler - For five years, Nico was a junkie. She lost her son, her money, her record contract, her audiences, her dignity and any sense of direction - Elle partage même ses seringues avec Ari. Le seul qui sera capable de l’aider sera bien sûr Alan Wise qui l’invite au réveillon de Noël 1983 chez ses parents. Elle arrive en retard, et la dinde a brûlé. Elle s’excuse : «I’m sorry I’m late, but I couldn’t find a vein.» Elle vit alors à Brixton, elle roule en vélo et partage un appart avec un autre client d’Alan Wise, John Cooper Clarke. Clarke venait de désintoxiquer, mais ça n’a duré que quelques jours. Avec Nico dans les parages, ça ne pouvait pas durer.
Elle enregistre un dernier album, Camera Obscura, produit par John Cale. Tu l’écoutes attentivement, car après, c’est fini. Le balda sonne un peu expérimental, mais c’est logique, vu le profil des deux ex-Velvets. T’as aussi Graham Didds aux percus et James Young aux keys. Nico chante à la surface du néant. Elle travaille toujours la même matière vocale. Avec «Win A Few», elle vise une certaine hypno paumée dans la banquise. Puis elle tape une version complètement décadente de «My Funny Valentine». C’est l’American Songbook revu et corrigé par Belphégor. Ian Carr joue un peu de trompette. Inutile de dire que le cut fascine. La viande se planque en B. Nico arrive sur le tard de «Fearfully In Danger» et ça vire belle hypno, dans l’esprit de Calimero. Graham Didds amène «My Heart Is Empty» au big pounding et ça décolle, Nico est comme transportée. Didds est un bon, il bat dans le dur. Nouvelle surprise avec «Into The Arena», traversé par de violents coups d’indus et là t’as tout ce que tu peux attendre d’un grand cut mythique : les percus, la perdition calimérique et la trompette de Ian Carr.
Alan Wise et Lutz Ulbritch se sont occupés des funérailles.
Signé : Cazengler, (gros) Nicon
The Velvet Underground - The Velvet Underground & Nico - Verve 1967
Kevin Ayers, John Cale, Eno, Nico. June 1, 1974. Island Records 1974
Nico. Chelsea Girl. Verve Records 1967
Nico. The Marble Index. Elektra 1968
Nico. Desertshore. Reprise Records 1970
Nico. Drama of Exile. Aura 1981
Nico. Camera Obscura. Beggars banquet 1985
Richard Witts. Nico - Life And Lies Of An Icon. Virgin Books 1993
Susanna Nicchiarelli. Nico 1988. DVD 2020
Susanne Ofteringer. Nico Icon. DVD 2001
Wizards & True Stars
- Holland/Dozier / Holland of 1000 dances
Les gens d’Ace nous refont le coup de la compile qui tue les mouches avec A Different World: The Holland/Dozier/Holland Songbook. Même si tu voulais l’ignorer, tu ne pourrais pas.
Comme d’usage, les gens d’Ace s’adressent aux becs fins, c’est-à-dire aux amateurs de bonnes chansons. On ne demande généralement pas grand-chose, juste de bonnes chansons. C’est à peu près la seule chose qui puisse nous rendre heureux. Ceux qui ont vécu l’âge d’or des radios dans les sixties le savent. Ce sont les bonnes chansons qui te formatent la cervelle. Des gens comme John Lennon, Brian Wilson, Bob Dylan ou encore Syd Barrett furent pour nous autres les ados d’antan ce que les dieux de l’Olympe furent aux Grecs anciens : des obsessions religieuses.
Les bonnes chansons ne tombent pas du ciel. Il te faut des poules aux œufs d’or. Cot cot ! T’as les cakes de choc, comme ceux déjà cités, et t’as ceux qu’on appelle les dream teams de rêve, comme par exemple Lennon/McCartney, Jagger/Richards, Burt/Hal David, Isaac le Prophète/David Porter, les couples du Brill (Mann & Weil, Goffin & King, Ellie Greenwich & Jeff Barry), Leiber & Stoller et puis le trio le plus puissant de son époque, Holland/Dozier/Holland.
Tony Rounce
C’est exactement la même chose qu’avec la série Black America Sings Lennon/McCartney : t’es au maximum de ce que tu peux attendre d’une compile : qualité des compos et qualité des interprètes. T’as 24 bombes/24, 7 jours sur 7. T’es gavé comme une oie. En plus Tony Rounce signe les liners. Tu t’installes sous ton casque et tu pars en voyage au pays le plus parfait de la terre, celui de la magie pop.
Rounce : «For UK devotees, Motown dictated the soundtrack of our lives.» Jean-Yves l’a toujours dit : les Anglais étaient en avance sur tous les autres, parce qu’ils étaient des spécialistes de la Soul. À l’époque où les kids anglais écoutaient les Miracles et les Who, les Français écoutaient Johnny Hallyday et Sheila. Rounce ajoute qu’Holland/Dozier/Holland étaient très jeunes à l’époque et donc parfaitement habilités à créer «The Sound Of Young America», qui fut le slogan de Motown. Rounce rappelle qu’en outre, la concurrence en matière de songwriting était féroce chez Motown : t’avais Smokey Robinson, Mickey Stevenson & Ivory Jo Hunter, Norman Whitfield et Barrett Srong, et d’autres encore, mais moins connus, comme Harvey Fuqua. Rounce renvoie bien sûr aux deux autobios de base, celle de Lamon Dozier, How Sweet It Is: A Songwriter’s Reflections On Music, Motown And The Mystery Of The Muse, et celle des frères Holland, Come On And Get Those Memories, sur lesquelles on s’est longuement penché, ici même, sur ce bloggy-bloggah. Le dream team de rêve a quitté Motown en 1968 pour lancer Hot Wax et Invictus, deux catalogues de choc sur lesquels on s’est encore plus longuement penché. On finit par passer sa vie à se pencher. Pendant ce temps-là, on ne fait pas de conneries.
Rounce attaque avec le maverick Donnie Elbert et sa version spectaculairement spongieuse du «Where Did Our Love Go» des Supremes. Le Donnie vivait alors en Angleterre. Il enregistrait pour All Platinum Records, le label de Joe et Sylvia Robinson. Comme ça a bien marché, l’Elbert a continué de taper dans les hits d’Holland/Dozier/Holland, avec «I Can’t Help Myself». Il faut écouter Donnie Elbert ! Il groove le sucre des syllabes. On croise ensuite Chris Clark avec «Love’s Gone Bad». Pour une blanche, elle s’en tire bien. Elle a tout le Motown power derrière elle. Rounce dit que les Funk Brothers «played out of their skins» sur cette bombe atomique. On a déjà croisé Chris Clark inside the goldmine, bien sûr. Et puis voilà le «Jimmy Mack» de Martha & The Vandellas. Selon l’anecdote bien connue de tout un chacun, Billie Jean Brown, the Motown head of quality control, détestait ce «Jimmy Mack» et avait voté contre. Quand Berry Gordy a demandé à écouter tout le rebut des Vandellas en 1966, il est devenu fou de rage (ballistic) quand il a découvert qu’on avait mis «Jimmy Mack» au placard. Rounce a opté pour la version stéréo qui est nettement moins punchy que la mono, et on perd l’effet sonique qui en fait la grandeur - Can you hear me Jimmy - On attaque à la suite l’âge d’or des duos de Marvin. Il devait duetter avec Mary Wells qui venait de quitter Motown en claquant la porte, alors c’est Kim Weston qui l’a remplacée. Kim était alors la femme de Mickey Stevenson, le producteur de «Baby I Need Your Loving». Marvin & Kim sont des diables de pureté black. Stevenson va lui aussi se fâcher avec Berry Gordy et claquer la porte en embarquant Kim avec lui. Marvin se retrouva seul pour duetter, mais pas longtemps, nous dit Rounce : Tammi Terrell rôdait dans les parages. Et puis voilà Brenda Lee qui, en 1985, chante «How Sweet It Is (To Be Loved By You)» d’une main de fer. Rounce se fourvoie ensuite avec Gloria Gaynor et une cover foireuse de «Reach Out I’ll Be There» - one of Motown’s biggest hits of all time - Et pourtant, ce hit faramineux a failli ne pas survivre au quality control : «Smokey Robinson didn’t like it. Full stop.» Mais Berry Grody trouvait le Reach Out différent et tenta le coup. Ouf ! Et puis on finit par tomber fatalement sur les Supremes, ou plutôt Diana Ross & The Supremes, avec «Heaven Must Have Sent You». C’est le sommet de l’esthétique Motown. Rounce indique que ce fut enregistré en 1967, mais seulement édité 19 ans plus tard, «for reasons only known to Motown.» On tombe ensuite sur une perle rare : Big Al Downing et son «Medley Of Soul (It’s The Same Old Song/Something About you/I Can’t Help Myslef)». Perle rare, car enregistrée à Memphis en 1968 avec les Dixie Flyers ! C’est avec ce genre de coup de Jarnac qu’Ace se rend indispensable. Rounce parle d’un «rough and tasty accompaniment». Pour la petite histoire, Big Al est un black rockab célèbre pour son «Down On The Farm».
On passe sur Hot Wax avec Honey Cone et «While You’re Out Looking For Sugar». Pareil, on a croisé les Honey Come inside the goldmine. Elles réinventent tout simplement Motown, avec les mêmes dynamiques. Edna Wright est la sœur de Darlene Love. Rounce parle d’un «no-nosense, up-tempo number». Motown nous dit Rounce va tout faire pour bloquer l’envol de ce hit. On croise aussi les Isley Brothers avec «Take Me In Your Arms», pur Black Power. Les Isleys ne sont pas restés longtemps chez Motown. Et puis voila le fameux «You Keep Me Hanging On» des Vanilla Fudge - Set me free ! - Fabuleuse heavyness !
Rounce affirme que Dusty Chérie fut «Motown’s biggest champion in the UK». Elle tape une cover du vieux hit des Vandellas, «A Love Like Yours (Don’t Come Knocking Everyday», qui avait tapé dans l’œil de Totor, puisqu’il en avait enregistré une version avec Tina Turner, puis avec Nilsson et Cher. S’ensuit Bettye Swann avec «This Old Heart Of Mine (Is Weak For You)», un cut nous dit Rounce enregistré par 50 artistes, dont un duo Rod The Mod/Ronald Isley. Enregistré au Criteria de Miami dans les early seventies, ce cut nous dit Rounce devra attendre 30 ans pour voir le jour. Bettye Sawnn aurait dû s’appeler Betty Glotte d’Or, même si parfois, elle en fait un peu trop. Puis Lamont et Brian Holland enregistrent «New Breed Kinda Woman» et ça donne une Soul de génie pur. Rounce qualifie ça de «splendid dancer».
En 1969, les frères Holland réussissent à persuader Freda Payne de signer sur Invictus, en lui promettant des hits. Et boom ! Voilà «Band Of Gold». Fabuleuse Freda, elle tape dans le dur du groove black. C’est spectaculaire de gros popotin, effarant de genius ! Et puis voilà le vieux «Leaving Here» d’Eddie Holland, qui date de 1963 et qu’ont repris tous les proto-punks d’Angleterre, des Birds à Lemmy. En ce qui concerne les Four Tops, Rounce par d’un «musical mariage made in heaven», puisque le trio HDH leur pond 12 hits coup sur coup. «In A Different World» est non seulement le Four Tops hit préféré de Rounce mais il est aussi le préféré de Lamont Dozier - I thought it was the greatest song ever written - Eh oui, quand t’entends ça, tu parles en termes de grandeur immémoriale, ou de firmament absolu.
En 1973, nous dit Rounce, Warners engage HDH pour pondre et produire des hits destinés à Dionne la lionne. Alors ils pondent «I Think You Need Love». Ça dégage tout de suite, dès qu’elle ouvre le bec. Ce sera donc la dernière fois qu’HDH bosse en trio. Les Miracles ont aussi enregistré de l’HDH : «(Come Round Here) I’m The One You Need». Comme le dit si bien Rounce, ils n’avaient pas besoin d’aller chercher ailleurs, puisqu’ils avaient tout ce qu’il fallait à la maison avec Smokey, mais bon, HDH leur propose un hit, alors zyva. L’éclat du power ! Motown à son max ! «It was a no-brainer» s’exclame Rounce. Il parle même d’un «quantum leap forward». On tombe ensuit sur Barbara Mason et «Come See About Me». La classe de Barbara ! Elle traîne bien la savate !
Signé : Cazengler, fromage de Holland et Dozier complet
A Different World: The Holland/Dozier/Holland Songbook. Ace Records 2024
Inside the goldmine
- Mahon fait rien d’mal !
Mahé parlait d’une voix forte. Il s’imposait rien qu’en ouvrant le bec. Il semblait à la fois fier de sa crinière qu’il massait en permanence, et de ses mauvais tatouages qu’il mettait bien évidence : un calvaire avec «à ma mère», un poignard avec un serpent enroulé sur la lame, plusieurs cœurs avec des prénoms féminins, et bien sûr des têtes de mort. C’est la raison pour laquelle il portait un marcel, de mars à septembre. Pour donner un peu de volume à ses tatouages, il faisait un peu de muscu. On voyait dépasser du marcel le mât du navire qu’il s’était fait tatouer sur la poitrine, comme la plupart des voyous malouins qui, à l’époque, se réclamaient de Surcouf. Il ne montrait ce tatouage, nous disait-il, qu’aux «frères de la côte». Sacré Mahé ! Sorti de ses apologies de la Rue de la Soif et des souvenirs de ses 400 coups, il n’avait absolument rien d’intéressant à raconter. Il ne s’intéressait à rien. Absolument rien. Même pas à l’actu. Impossible de converser avec lui. Son regard exprimait le vide total. Il nous faisait de la peine. Il ne s’en rendait même pas compte. Il n’avait pourtant pas l’air idiot. Il vivait comme un petit animal, sifflait sa pinte de Guinness au bar et avalait goulûment son jambon-beurre. Pour rester dans le domaine des besoins organiques, Mahé allait aux putes. Il était le client parfait pour ça. Il tirait son coup vite fait, payait et rentrait chez lui pour s’écrouler sur sa paillasse. On observait Mahé du coin de l’œil. Comment faisait-il pour vivre ainsi ? À quoi servait-il ? Dissimulait-il un secret ? Pourquoi se posait-on toutes ces questions ? Pourquoi Mahé nous intriguait-il ? Et puis, beaucoup plus tard, on a fini par comprendre que Mahé se trouvait très bien comme ça, et qu’il devait s’amuser secrètement de nos tendances inquisitionnelles. Alors qu’on s’interrogeait sur sa vacuité, il s’interrogeait sur la nôtre.
Mahé et Mahon ont connu le même destin : chacun d’eux fut victime de l’incompréhension. C’est la raison pour laquelle ils sont restés tous les deux dans l’underground.
C’est la compile Wayfaring Strangers qui nous avait alerté sur F.J. McMahon, un Californien parti faire la guerre au Vietnam et rentré au pays avec l’intention de devenir célèbre, mais il n’est pas devenu célèbre. Par chance, son seul album, le cultissime Spirit Of The Golden Juice est réédité. Et par chance, t’as un petit booklet de 8 pages signé Keegan Mills Cooke, un homme bien renseigné. Il sait par exemple que le seul album d’F.J. fut enregistré à Santa-Barbara en 1969 sur un petit label local, Accent, et qu’il était accompagné par le bassman Jon Uzonyl et le batteur Junior Nichols. F.J. grattait ses poux sur une «tiny Guild M20», en attendant de recevoir la Martin D-series qu’il avait commandée à l’usine et qu’il reçut juste à temps pour overdubber les parties de lead guitar pyschédéliques qui hantent le Spirit Of The Golden Juice.
Côté son, l’F.J. travaille sous le boisseau, un peu à la croisée du chemin de Tony Joe White. F.J. McMahon est surtout un fabuleux guitariste, comme le montre «The Road Back Home», un psychout so far out difficile à situer, mais diablement beau. C’est en B que ça se passe. Il s’accompagne à l’acou psyché fabuleusement inspiré. «Five Year Kansas Blues» sonne comme une aubaine de folk-rock. On sent chez lui une immense musicologie. Il joue encore «Enough It Is Done» sous le boisseau. On pense bien sûr à Croz. S’il gratte «The Learned Man», c’est à la sourde mais il l’éclaire avec du gimmicking de pur Californian Hell - There’s a man on the hill side - Il coule de source à coups d’acou, il remonte des courants mélodiques et te surprend par ses indicibles figures de style. Alors tu fais aw aw aw...
Signé : Cazengler, McMahonte
F.J. McMahon. Spirit Of The Golden Juice. Kamado Records 2017
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Quand on y réfléchit bien il n’existe, à part le rock’n’roll et la pensée grecque, que peu de choses intéressantes en ce bas monde si ce n’est l’éros, la mort et la poésie. Remarquez que c’est déjà beaucoup. L’on peut toutefois mêler le rock’n’roll à la pensée grecque, ou à la poésie, mais cette fois-ci nous allons encore nous pencher sur la face ricanante et explosive du jeu morbide du rock’n’roll avec la camarde. Cerise sur la couronne mortuaire vous verrez de par le titre de l’EP que nous ne serons pas loin de la sombre poésie d’Edgar Poe…
TALES BEYOND THE GRAVE
WICKED TRIP
(Bandcamp / Octobre 2025)
Viennent du Tennessee, terre rock et blues par excellence. Je ne sais rien d’eux si ce n’est d’après leur discographie qui débute en 2021, qu’ils possèdent quelques morceaux fétiches et qu’ils aiment jouer en public.
La couverture n’est pas s’en rappeler Carrie (au bal du diable) de Brian de Palma, adaptation du premier roman de Stephen King. Question cinéma eux-mêmes se réfèrent explicitement, c’est le titre d’un de leurs album, de Cabin Fever d’Eli Roth réalisé en 2002. Cinq étudiants qui fêtent leur fin d’étude dans une cabane isolée en pleine forêt, je vous laisse imaginer la suite…
Pour cet EP, ils semblent filer en deux lignes un semblant de scénario : Déterrés, réimaginés, resuscités. Ils furent enterrés… pas oubliés. De quoi passer une longue nuit chez vous bien au chaud dans votre lit avec les marches de l’escalier qui craquent…
Sam Daniels : vocals+ lyrics, guitar / Joseph metier : bass / Andrew Crawford : drums
Hierophant : une guitare qui grince telle une porte noire devant laquelle il ne faudrait jamais se trouver car la tentation de l’ouvrir est trop grande. Ensuite basse et batterie entrent en procession, lente démarche, parfois l’on s’arrête, l’on repart à pas toujours aussi lents, le vocal lointain, des chœurs qui psalmodient, mais qui ouvre cette porte, et dans quel sens pour entrer ou pour sortir, de quoi vers quoi au juste, en tout cas la guitare semble libérée elle se lance dans un beau solo, ce qui s’appelle terminer en beauté. De toute manière tu n’en sais pas plus maintenant qu’avant, laisse-toi conduire. Coven : basse en avant toute, accélération battériale, la guitare t’emporte, mais n’est-ce pas ta psychose qui s’empare de toi, le chant est aussi lointain, mais c’est une véritable crise de démence, la guitare revient, elle gigotte comme une danseuse espagnole, rock libérateur, le monde est voué à la mort, mais la mort mourra à son tour, jeu de va-et-vient, ping-pong tragique dont tu es la pauvre petite balle blanche, une chose aussi fragile que l’éternité. Final tomb : grincements, musique émotionnelle, la procession repart, lentement, lourdement, vocal cuit à l’étouffé, qu’est-ce qu’un tombeau final, celui dans lequel on finit par finir ou celui qui comme toute chose a sa propre fin, est-ce le mien ou celui des autres qui me contemplent que suis-je sur cette table de sacrifice, grincements, silence absolu, guitares et batterie prennent feu, de quel côté du couteau suis-je, va-t-il me ramener à la vie ou à la mort, ne suis-je pas dans l’incertitude de ce que je suis et que bientôt je ne suis plus. The black mass : un dialogue, l’on se croirait dans un film, et ces bruits d’outils scieurs, cette perceuse ou cette visseuse, que d’émotions, et ces coups de marteau mélodramatiques, est-ce moi, ou n’est-ce pas moi, que l’on enfermé dans cette tombe, mon cœur résonne, il bat la chamade, un vocal exsude mon angoisse, est-ce moi qui crie, qui suis en proie à une crise de démence, paroxysme, danse-t-on autour de mon tombeau, le bruit s’estompe, il reprend, encore plus violent, provient-il de moi, me suis-je moi-même condamné, ou alors peut-être que maintenant je suis vivant et que c’est dans cet instant précis que l’on m’égorge. Basse narquoise.
Vous pouvez ne pas aimer. We don’t care !
Damie Chad.
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Le hasard existe-t-il, vaste question, essayons de ne pas devenir parano. Je petit déjeune un œil sur mes biscotes au cas où elles auraient la velléité de s’échapper et une oreille sur la radio. On blablate sur la Chine. Le gouvernement du pays des nuits câlines inquiet des évènements violents se déroulant dans quelques pays de notre magnifique planète bleue n’a pas envie que sa jeunesse s’inspire de ces mauvais exemples venus de l’étranger. Très logiquement la décision est prise de veiller – comprendre museler – les réseaux sociaux. Désormais l’on supprimera et bannira toute vision pessimiste qui aurait la malfaisante incongruité d’apparaître sur ces objets rhizomiques de communication citoyenne dite libre… Trois minutes plus tard mon esprit souverain a opéré son tri sélectif, je n’y pense plus… Au boulot Damie, tu n’as pas encore écrit une seule ligne de la livraison 707. Comme souvent mon regard est attiré par une couve. What is it ? Incroyable mais vrai, un groupe chinois ! J’écoute, je ne suis pas emballé, je remarque toutefois que nos musiciens sont prudents, l’album est instrumental, ce courant dépourvu de lyrics existe dans les groupes doom en Europe, aux States et de nombreux autres pays. Je me pose quelques questions, d’où est-ce que ça sort, est-ce vraiment un groupe chinois, je cherche et je vous copie-colle via un traducteur maladroit ce que je trouve sur le site bandcamp de de SloomWeep Productions (Chine) :
‘’ En octobre 2011, au 13Club de Pékin, Never Before, a donné son tout premier concert de Stoner Doom en Chine continentale. Au cours de la décennie suivante, des groupes se sont succédé, tels qu'Alpaca, King of Lazy, S.H.A.S., Electric Lady, Ramblin’ Roze, Basement Queen, Banyan River, Rude Gove, Demon&Eleven Children, HallucinGod, Desert Boogie Dorama et Crater, pour n'en citer que quelques-uns. Tous ont donné des concerts réguliers, certains ayant même sorti de nombreux albums de grande qualité. Parallèlement, de nouveaux groupes émergents étaient en cours de répétition et de production. Le Stoner Rock/Sludge Metal/Doom Metal/Heavy Psych est devenu une scène musicale à la fois distincte et de niche, qui rayonne et rayonne en Chine. Les morceaux de cette compilation sont, au sens large, du Stoner Rock, du Sludge Metal, du Doom Metal et du Heavy Psych, interprétés par des groupes composés de Chinois ou d'expatriés vivant en Chine, ou par des groupes dont les membres sont majoritairement chinois et écrivent en chinois. Certaines œuvres manquent peut-être de maîtrise, mais leur sincérité compense leurs défauts. Ce recueil a pour but de promouvoir et de commémorer. Si quelqu'un trouve la mélodie qui lui parle et le guide vers le groupe, alors notre objectif est atteint.’’
Laissez-moi exprimer une légitime fierté : votre blogrock préféré n’a-t-il pas chroniqué dans sa livraison 655 su 05 / 09 / 2024 un disque d’un des groupes proposés par cette liste : Demon & Eleven Children, groupe dont la filiation peut être remontée jusqu’au Mountain de Leslie West !
Le texte recopié se trouve sur une compilation SloomWeep intitulée : Stonedchine:Chinese Stoner/Sludge/Doom/HeavyPsych Musick Collection Vol.1). Mais commençons par le commencement ;
SAMAN THE DOOM
ATOMIC SAMAN
(CD Sloomweep / Bandcamp / Septembre 2025)
Sont de Shanghai. J’ignore le sens du mot Saman, par analogie le pense à Samain et à Shaman, mais avec ces deux mots nous sommes loin de la culture chinoise…
La couve montagneuse aux teintes violettes percées d’orange illuminescent, mais cette lumière ne sert-elle pas à assombrir l’atmosphère générale de ce qui doit être un personnage féminin, une sorcière en train d’exécuter un rituel, les mains au ciel en tant que signe invocatoire à la puissance d’une déité représentée par un effarant totem mordoré … Le troisième morceau du disque paru un peu avant l’album complet bénéficie lui aussi une couve similaire à l’opus final, mêmes coloris, montagnes davantage écrasantes, le feu rougeoie à peine, la sorcière a disparu, de même que le totem, l’emplacement vide est jonché d’ossements éparpillés, une tête de mort gît auprès du foyer éteint, est-elle le témoin, le martyre ou la gardienne des actes sacrificatoires. N’oublions pas que le jour des morts est le point culminant de la saison du Samain. De grands oiseaux noirs déploient leurs ailes, symboliseraient-ils le passage des âmes vers l’autre rive du vivant…
抓女巫大将军 : Attrapez Le Général-Sorcier : lecteurs n’ayez crainte ceci n’est pas un ordre qui vous serait adressé, mais la traduction du nom du guitariste / gxb : cela voudrait-il dire : girls contre boys, en tout cas cette graphie occidentale désigne le bassiste qui se charge aussi du vocal / 苦瓜 : le traducteur me donne: Momordica Charantia qui pourrait, rien n’est moins sûr signifier: Belle-mère Acide… Faut-il faire un lien avec le personnage russe de la Babayaga…
Fuzzonaut :pour fuzzer ça fuzze lourd, lent et grave, nos fuzzonautes ne se déplacent pas en fusée, la machine se met en route lentement, un train de sénateurs ventripotents, les pieds dévorés par la goutte, faut l’écouter à plusieurs reprises pour se griser des cinquantes nuances de doom, pas une ne manque, bizarrement c’est la basse la moins funèbre des trois instruments, la Belle-mère vous a une démarche de marche funèbre, elle tapote joliment avec sa canne cassée d handicapé moteur, la guitare joue le rôle des roues du fauteuil roulant, sans cesse en mouvement. F. L. Y : mystère résolu pourquoi annonce-t-on un guitariste chanteur sur un opus représenté comme un disque instrumental, il ne chante pas, il cause, en anglais, nous ne retiendrons que sa dernière phrase, le dream is over, pas la peine de le préciser l’est sûr que dans un groupe de domm l’espoir et le dream sont terminés avant la première note, la basse aplanit le terrain, c’est si lourd que gxb se sent l’obligation de chanter cette fois, traîne démesurément sur les mots et la basse tisse des toiles d’araignées, moires lourdes comme des paquebots et noires comme les fumées générées par une explosion atomique, une dernière remarque, le rythme est beaucoup plus bas et la basse toute seule chantonne comme si elle voulait couvrir
tous les bruits qui viennent de l’abattoir. Torture Machine : c’est plus une basse c’est une plainte monocorde, du coup le guitariste nous fait part de ses angoisses, il ne peut voir son propre futur, on l’avait compris, entretemps la belle-mère a dû devenir aveugle car elle tâtonne méchant avec sa canne blanche – elle est vraisemblablement repeinte en noir, la guitare broie du brou de noix, en tout cas la machine à torture avance comme une tortue, el cantaor c’est lui qui doit être soumis à une délicate opération, il ne chante plus, il vagit, imaginez un 45 tours de chant grégorien passé en 33 ! Font semblant d’arrêter, basse et guitare se lancent à tour de rôle, pas du tout dans un solo, se contentent d’accélérer un tantinet, du 33 l’on passe aux 16 tours par minutes, le comble c’est que l’on commence à trouver ça relativement agréable, tout compte fait de toutes les espèces, la nôtre, l’humaine est celle qui possède la prodigieuse capacité de s’adapter à n’importe quelle situation, à n’importe quel marasme. Brain COP : n’exagérons pas non plus, pourrait-on admettre dans notre boite crânienne une cervelle de flic, qu’ouïs-je, quelle est cette ligne mélodique, cette douceur de corde qui subsiste lorsque la guitare vous lâche embardées de fuzz sur enbardée de fuzz, un fuzzible du cerveau ne va pas tarder à péter si ça continue. D’ailleurs ils s’arrêtent. Un quart de seconde, juste pour laisser échaper quelques bouffées d’angoisse, maintenant ils se mettent à imiter une locomotive qui fonce tout droit devant elle sur ses rails, fini la marche funèbre, l’on transbahute la cahute à grande vitesse, victoire ? On a dû dérailler sans s’en apercevoir, vous avez la basse qui compte les cadavres et gxb qui tape sur une cymbale obstinée pour les réveiller, maintenant ce n’est pas le grand orchestre de Pékin, mais ils y mettent toutes leurs forces et toutes leur hargne, un cerveau de flic peut-il partir en cavale, nous nous arrêterons sur cette interrogation métaphysique insoluble, pour le finale ils inventent, ils créent, ils trouvent ce que Baudelaire a recherché toute sa vie : du nouveau, le glas retentit, attention pas le glas glaçant, il est doux comme le drap de soie du suaire que l’on referme sur vous. C’est peut-être ce que l’on appelle un supplice chinois. Octave Mirbeau aurait dû l’inclure comme extase suprême dans Le Jardin des Supplices. Weedsky : (Live in cave) : de quelle herbe s’agit-il, celle des pissenlits que l’on bouffe par la racine, ou ces nuages de fumée qui vous envoient aux septième ciel, attention c’est sombre comme le parfum de Lna Dame en noir, en plus vous avez le corbillard qui fait la course dans l’allée, z’avez peur d’arriver en retard pour la cérémonie, car maintenant ils roulent lentement avec componction, dépêchez-vous tout de même, l’on entend le macchabée dans le cercueil qui s’impatiente, vous pousse des clameurs à fendre l’âme, l’est sûr que la vie ne l’a pas épargnée, jusqu’au bout, même dans les cinq dernières minutes, la batterie vous cloue la boite à grands coups de marteaux moelleux, ne manquerait plus que de le réveiller maintenant qu’il s’est tu, qu’il s’est endormi de son dernier sommeil, deux ou trois coups de maillets, le boulot est terminé, sûr que la musique ne rigole pas, mais l’on sent un certain contentement parmi l’assistance.
Ne vous contentez pas d’une seule écoute. Elle vous semblera un peu monotone. Faut se laisser envahir par la moire noire, c’est alors que vous réalisez que la pénombre s’éclaire, ils n’y vont pas à tout berzingue à la Black Sabbath, vous confrontent au mystère de l’impassibilité asiate, au premier regard ça n’a l’air de rien, ça ne casse pas trois pattes à un canard laqué, laissez-vous emporter, découvrez les méandres du doom subtil.
Damie Chad.
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Lorsque la photo est apparu je n’y ai jeté qu’un vague coup d’œil, un groupe de rock vautré sur un canapé pas de quoi avoir la révélation du siècle, ce sont mes chiens paisiblement endormis à mes pieds qui, ceci est juste image car ils n’en ont pas une seule, m’ont mis la puce à l’oreille, se sont réveillés et ont posé leurs pattes sur mon pantalon en remuant la queue, semblaient si intensément intéressés qu’alerté par une soudaine intuition j’ai fixé mes yeux sur l’image, bingo Molossa et Molossito ont du flair, sûr les quatre feignasses n’avaient pas soulevé d’un millimètre leur postérieur du sofa, mais comment n’avais-je pas relevé ce détail, ne sont pas quatre, mais cinq, et encore un, bref quatre gus et deux chiens. Deux labradors.
Les chiens (les miens) ont commencé à aboyer, j’ai cédé à leur impatience, et j’ai filé sur leur bandcamp, dingo ! pas plus tard que juillet dernier ils ont sorti un single, avec le dessin d’un chien sur la couverture. Les gens qui aiment les bêtes sont réputés être gentils. J’étais à moitié conquis mais que vis-je, un groupe polonais ! J’ai un faible pour les groupes natifs de Pologne, en général z’ont un petit truc en plus, sont inventifs. Ce qui est rare, surtout en ce siècle, comme dans les autres, mais ceci est une autre histoire.
Devant l’insistance canine, je me suis exécuté.
PLACE HOLDER
BEACH CRUISER
Je ne commente pas la pochette trop près de Disney à mon goût. Un seul détail intéressant, la moitié de roue de vélo qui surmonte la tête du toutou, je pensais que Beach Cruiser signifiait dragueur de plage, une revisitation de nos Beach Boys qui sévissaient sur les grèves du Pacifique, sans avoir besoin de draguer les filles, heureuses sixties où les filles s’offraient sans effort. C’est ce que l’on racontait. Bref Beach Cruiser se traduit bêtement par vélo de plage. Un vélocipède qui permet de pédaler sans effort. Bref ce n’est pas l’Equipée Sauvage !
Je m’attendais à an american joke, ou si vous préférez une polski zart, nos quatre gaillards en train d’aboyer tout le long du titre. La longueur du morceau une minute vingt-cinq secondes laissait présager ce genre d’introduction. Point du tout, un avant-goût de ce qu’ils savent faire, peut-être une métaphore sur le changement climatique, car les séquences sonores s’enchaînent à la queue-leu-leu comme des chiens qui se courent après pour se renifler le derrière. Un échantillon un peu passe-partout, pardon, pisse partout. L’est temps de passer à leur premier opus.
Łukasz Przybyłowicz : vocals / Łukasz Romanowski : drums / Jacek Węgrzyn : guitar,vocals / Wojciech Węgrzyn : bass
THUNDERBIRD
( Album Numérique / Bandcamp / Octobre 2025)
Praise the sky : un chant s’élève, nous sommes loin d’une insouciante randonnée en bicyclette au bord de la plage, nous sommes ailleurs dans le chant des guerriers de Sitting Bull qui chantaient chaque matin car c’est toujours un beau jour pour mourir, ne demandez pas pourquoi toutes ces brisures rythmiques ces guitares enrayées et ce solo pointu comme une flèche qui se plante dans le cœur de l’ennemi. Surprise on croyait se trouver entre de joyeux drilles et nous sommes dans une autre dimension , mythique, assez proche des Doors, mais ils ne possèdent pas d’orgue pour arrondir les angles, nous sommes aussi sur un autre plan, celui de la vie vécue, un quotidien qui n’a rien à voir avec la fureur apache, mais le film se déroule dans notre tête, nous sommes ici au volant de notre voiture et ailleurs en communication avec l’immensité du ciel et la grandeur de ces hommes qui n’ont fait que passer, que le temps à dévorés et anéantis mais qui nous ont enseigné à être libres. Ce morceau comme une invocation à la terre nourricière et qui ne nous nourrit plus. Parce que nous ne savons pas manger. Further I fall : guitares froissées, batterie en charge, encore les chants indiens dans la tête, ce morceau est l’apprentissage de la vie sauvage, un vocal martial et désespéré, apprendre à être seul, à ne faire ni cadeau, ni promesse, l’homme libre se doit d’être seul, solitaire en lui-même, les chants indiens encore plus forts, le vocal maîtrise la vitesse, il stoppe et il accélère, il suspend et il écrase, un galop éperdu au bout de soi-même dans le sable des déserts intérieurs, il est nécessaire d’être cruel envers les autres, et encore plus envers soi-même, les portes de la folie ne s’ouvrent pas devant nous, c’est nous qui la portons comme ces avions qui lâchent des bombes. Eagle : musique à ras-de-terre, une bouillie sonore qui ne saurait s’élever, qui donne l’impression de courir après elle-même comme un chien après sa queue, qu’importe d’être courbé somme un chien enfermé dans une cage, l’esprit vole haut, il est un aigle qui plane dans les hauteurs inatteignables, un fil à la patte qui nous relie à la terrer, le son s’effondre la basse compresse, qu’importe n’ayez aucune pitié, je ne boirai jamais de votre eau, je vole, je suis un eagle, un ronronnement de moteur comme si ma métamorphose était un simple avion de tourisme qui rôde dans le ciel au-dessus de la materia primaque nigra de nos préoccupations alchimiques d’homme rouge. Flame is what I am : pilonnage, remuement, ressassement, tout voyage est solitaire, personne d’autre que soi-même, savoir ce que l’on veut équivaut-il à ce que l’on fait, une seule manière : s’élever toujours plus haut, jusqu’à ce que l’on se rende compte que le haut n’est que le bas, zones de gratitudes planantes, l’aigle ne vole plus c’est le vent qui le porte, rendre les choses plus puissantes pour devenir encore soi-même plus puissant, mais que sont ces distorsions ce solo qui s’envole est-ce le moteur de la voiture du quotidien qui crachote et se disloque, ou un élancement d’une fusée interplanétaire aquiline qui s’en va se fondre dans les flammes rougeoyantes du soleil. Autruche et / ou oiseau de feu. Runaway : dichotomie totale, certain évoqueront la folie, la batterie concasse, les guitares grognent, être ici et être ailleurs de l’autre côté de la vitre, de l’autre côté de soi-même, être un, être deux, être deux fois un, où est l’erreur, un n’égale-t-il pas deux si nous ne sommes qu’une des deux parties de nous-mêmes, un tambour écrase l’oeuf dur de la pensée, nous sommes si loin l’un de l’autre, basse venteuse, je suis au loin et je suis aussi tout près, mais quel est celui qui regarde l’autre. Le sable du désert a envahi ma tête, je sais lire les traces mais je ne sais duquel de moi elles sont. Birds of thunder : ressassement battérial, l’aigle dans sa cage s’ennuie, il connaît la légende de l’oiseau de feu, celui qui porte le tonnerre qui vous détruira, qui vous éclatera, le chant devient plus ample, impression qu’en sourdine la rythmique recycle en douce le motif de Break on Through, la voiture roule dans le désert, mais esprit plane tout en haut, vous êtes le shaman exilé sur cette terre qui enseigne la possibilité de s’envoler, de sortir de soi, de s’évader de ses propres limites, apprenez la folie de ne plus être soi et la sagesse aussi d’être l’autre de soi, comme une halte dans l’élan vertical qui vous emporte. S’insinuer dans la fissure schizophrénique non pas celle dans notre tête, mais celle qui nous unit et nous sépare du monde. Toutes deux n’étant que le reflet de l’autre. The play : once I had a little game, c’est toujours le même jeu, ça plaît ou ça ne plaît pas, alors l’on y va en douceur, une mélodie calmante qui bientôt devient presque patibulaire car le jeu est dangereux, la règle est simple il suffit d’entrer dans l’acceptance de soi-même, le vocal mordille, il tente d’être persuasif, il vous caresse, juste l’épiderme, c’est à vous d’entrer dans votre jeu pas à un autre, les deux versants de la montagne en un même, écrasement de cymbale, la tâche la plus agréable est aussi la plus cruelle, il suffit de se regarder dans le miroir de soi-même et de ne plus se voir puisque l’on est devenu le néant de ce que l’on a été, un solo aigu pour manifester la gravité de l’opération, le son perd de son intensité et s’évanouit, c’est à vous de jouer. Beach Cruise a déjà gagné. A votre tour.
Je pensais avoir affaire à des bons vivants qui allaient vous enfiler des perles de riff, just for fun. Quelle surprise. Je vous avais prévenu, les groupes polonais ont souvent un petit truc en plus, mais Beach Cruise a tout compris. Cet album est une merveille.
Damie Chad.
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Attention : Kansas Hook est le nom d’un groupe anglais qui n’a produit que deux singles en 1970 et 1971. Sont ici interviewés deux de ses membres Bob Moore et Charlie Harrison. Nous ne retrouvons trace de Bob Moore que dans de rares compilations consacrées aux années 1964-1968 de la production de groupes anglais restés dans l’ombre. Par contre l’on retrouve des traces de Charlie Harrison dans de nombreux groupes américains notamment dans Poco. Tous deux ont accompagné Gene Vincent en Angleterre en 1971, deux semaines avant sa mort.
La vidéo est un montage croisé des deux interviews, celle de Bob Moore vêtu de noir réalisé à Birminghan, celle de Charlie Harrison, chemise à parements blancs à Memphis Tennessee
The Gene Vincent Files #12: Kansas Hook was the last band to have toured and recorded with Gene.
Bob Moore : en fait on était juste des musiciens de Birminghan, dans le groupe que nous formions nous possédions deux bons auteurs- compositeurs, nous avons enregistré deux simples, l’album n’est jamais sorti pour une raison ou une autre. Nous étions très populaires à Liverpool, on y a joué plus que partout ailleurs, l’on a été élus plusieurs fois ‘’ groupe de l’année’’, localement parlant. C’était disons un groupe underground de style collège dans une université. Nous avons reçu un appel téléphonique d’un agent nommé George Cooper qui en fait manageait Jo Brand ( ?) et qui travaillait aussi pour Gene Vincent quand il venait en Angleterre, il lui obtenait des concerts et s’occupait du reste. Comme nous travaillions pour cette agence ils nous ont demandé si nous voulions l’accompagner sur une tournée britannique. Comme nous étions très rock’n’roll, nous nous sommes décidés.
Charlie Harrison : en 1971, je crois, j’ai déménagé de Tamworth ma ville natale pour me retrouver dans la région des Midlands où se trouve Birminghan, une fois j’ai joué avec Kansas Hook à Birminghan et je suis devenu ami avec le claviériste David Bailey et aussi de Bob Moore le batteur. Et puis Gene a amené un guitariste américain (Richard Cole) qui était avec lui et m’a demandé si je voulais faire une petite tourné en Angleterre. Avec Gene Vincent ! bien sûr que j’ai sauté sur l’occasion, absolument, Gene l’original garçon agressif, sûr de sûr que j’allais le faire !
Bob Moore : je tiens à préciser que nous avions l’habitude de faire quelques morceaux de Gene Vincent dans notre set avant même de travailler avec lui. De toutes façons nous étions un groupe fondamentalement ancré dans le rock’n’roll du Kansas ( ??), c’était donc génial que l’on nous demande de le faire, nous avions déjà tourné avec quelques autres gars qui n’étaient pas aussi importante que Gene Vincent, c’était génial. La première fois que nous l’avons rencontré, il a été emmené directement de l’aéroport à la salle de répétition par un gars nommé Richard Cole, de fait le manager de Gene à cette époque, il était aussi le guitariste du groupe, oui il le manageait et tenait la guitare. Quand j’ai rencontré Gene cette première fois à la répète, ça m’a paru un peu étrange puisqu’il nous a salués puis il a disparu dans le pub ce qui était déjà assez étrange, puis un gars nommé Lee Tracy qui était un ami de Gene s’est pointé et en fait il s’est chargé de conduire la répétition à la place de Gene, donc au lieu que ce soit Gene qui se charge des lyrics, ce gars connaissait toutes les paroles, Gene était au pub en train de boire, et ce gars-là se chargeait de toutes les paroles… nous avons pensé, bon je n’en dirai rien, de toutes les façons Gene est revenu après avoir passé toute la journée au pub… Il ne s’est vraiment pas bésef impliqué dans cette répétition, Lee Tracy a assuré tous les lyrics. Quand enfin nous avons pu parler à Gene, il nous a paru très distant, mais il avait aussi des moments où il était vraiment drôle et d’autres où il devenait comme inaccessible, c’était très étrange, un moment il était affûté et c’était génial de discuter, d’échanger des blagues et puis en quelques minutes il changeait et était presque de mauvaise humeur, mais j’affirme que la répétition était une imposture puisqu’il n’était pas là.
Charlie Harrison ; il n’était pas particulièrement calme mais que vous auriez, que je pourrais éventuellement dire oh ! oui, c’était un gars génial, on parlait de voitures ou d’avions ou de femmes, on s’est mis au travail et on a répété et mon Dieu je jouais avec Gene Vincent, c’était cool, vous savez, il n’y avait pas beaucoup de monde en fin de compte, ce que je ne savais pas c’est que j’allais être le dernier bassiste de la planète à avoir joué avec lui, je ne le savais pas à l’époque mais le seul fait de pouvoir jouer avec Gene, de mettre ça sur mon CV, dans mon book, ça ne pouvait pas être mal ! D’après ce que je me souviens ce devait être une tournée d’environ trois semaines ce qui impliquait à peu près seize, dix-sept, dix-huit concerts en Angleterre.
Bob Moore : En fait le contrat impliquait de faire une session radio pour la BBC Radio 1 à laquelle nous nous sommes rendus une semaine trop tôt, encore un truc bizarre, ils nous avaient donné une mauvaise date et eux aussi sont venus au rendez-vous une semaine plus tôt. Le gars transportait un gros chargement de fleurs, je ne sais pas d’où il les sortait, il entré dans le studio et l’a placé directement sur le piano ce que j’ai trouvé plutôt bizarre, sur ce le gars s’est retourné et nous a demandé ce que l’on faisait là. Il nous a répondu : ‘’ Vous allez faire une session, mais de fait vous arrivez en avance d’une une semaine, c’est vraiment une grosse erreur de gestion’’. Nous avons effectué une session pour Granada TV, ce devait être un concert en deux temps, mais les vrais concerts en club, nous les avons faits au Garrik Club à Leeds près de Manchester et l’autre au Wockie Hollow à Liverpool. Il y avait d’autres clubs où nous devions jouer mais comme l’état de santé de Gene empirait et qu’il y avait d’autres problèmes avec le procès à Londres avec son ex-femme cela a entraîné que certains concerts ont été annulés, ce qui était un coup dur car l’un d’eux était tout à côté de chez moi, au Belfrey.
Charlie Harrison : c’était donc dommage, si je ne me trompe pas voici à peu près tout le truc avec Gene, c’était juste, finissons-en, allons-y ! Je ne me souviens d’aucune situation particulièrement bouleversante ni de situation heureuse, ni de quoi que ce soit entre ces deux extrêmes. C’était à peu près la règle commune à cette époque quand on organisait une tournée : on faisait venir l’artiste, et un autre gars pour régler tous les autres détails, généralement on choisissait un musicien du groupe. C’était une habitude établie, donc l’organisation des choses ne favorisait pas la naissance de grandes amitiés durant le déroulement, ce dont je me souviens correspondait à peu près à la norme ; on y va, on fait ces morceaux, on y va. Gene était un gars assez angoissé je ne pense qu’il lui ne restait pas assez de temps pour ces trivialités, disons qu’il était du genre : allons-y, on y va, on y va, on y va, faisons le concert ! Je pense que Gene se pliait à ce qui se passait habituellement dans le bizness de la musique de l’époque. Je pense qu’en fait Gene était vraisemblablement le véritable créateur d’un style, oui il était l’authentique créateur d’un style, je ne pense pas que Gene ait eu l’intuition qu’il était trop tard, peut-être qu’à l’époque l’on ne savait pas vraiment si c’était trop tard ou trop tôt, je ne pense pas qu’il avait intégré cela à son mode de raisonnement.
Bob Moore : je ne pense pas que Gene ait exercé une influence grâce aux concerts que nous avons donnés, même si l’on enlève ceux, un ou deux, qui ont été annulés, car ceux que nous avons assurés c’était devant des fans convaincus de Gene Vincent. Je ne pense pas que la musique d’alors ou passée ait exercé une influence, le public était dans son intégralité composé de rockers venus pour voir spécialement Gene Vincent, si vous y tenez incluons quelque curieux. En y réfléchissant ces spectacles se déroulaient dans une sorte d’atmosphère de club, car nous avions joué essentiellement dans des espèces de cabaret-clubs connus pour accueillir des artistes de cabaret, le mouvement hippie était très peu représenté, plutôt des groupes de rock’n’roll genre middle of the road, Il y avait un gars qui partageait le même hôtel que nous, appelé Dave Dee (??) qui a eu beaucoup de succès , avec qui Gene est devenu très copain, c’étaient dans l’ensemble des troupes de danse et des trios, des jongleurs, des magiciens bref des artistes de ce genre. En fait il s’est fait virer du club un soir parce que le bassiste du groupe, il a depuis déménagé aux USA où il a rejoint un groupe appelé Poco, bref il a bien réussi, il était jeune à l’époque, il était en train de chahuter quelques membres des Axes (??), Gene lui a dit de sa calmer, cela l’a bien calmé, c’était drôle car il n’avait que seize ans, mais ce gamin avec sa basse il s’est bien débrouillé. Il a bossé, je m’en souviens encore avec Roger McGuin qui était avec les Byrds, et il a fait des trucs avec Glen Campbell, il a travaillé avec Rod Stewart et beaucoup de monde Frankie Miller, Leo Sayer et beaucoup d’autres, mais il n’était qu’un bébé quand il nous a rejoint et Gene lui a dit de la boucler, Tu n’es qu’un petit garçon idiot, ce sont ses mots exacts.
Charlie Harrison : Puisque nous parlons de l’influence que Gene a eu sur ma carrière. Je déteste dire ça mais je ne suis pas vraiment sûr que cette période ait eu une influence sur ma carrière. J’étais en train de passer de ce que me figurais être un bassiste à m’interroger sérieusement à ce que devait être un vrai bassiste. C’était juste à ce moment où j’ai commencé à travailler très sérieusement. Tous mes héros sont des noirs, vous connaissez, toi Chuck Rainey et toi Gerald Master le meilleur du monde du monde, donc je ne peux honnêtement pas dire pas dire que Gene ait eu une influence massive, ce fut davantage une leçon de vie, j’étais très excité de jouer avec Gene, très excité car j’étais conscient qu’à un moment ou autre cela serait inscrit sur mon CV, mon Dieu je ne savais pas qu’il allait retourner en Amérique, que dans l’espace d’une dizaine de jours il ne serait plus avec nous…
Bob Moore : (question : Avez-vous réellement enregistré des morceaux ?) : Nous l’avons fait en effet au moment, la semaine suivante où nous nous sommes rendus à la BBC à Merale. Je pense que nous avons enregistré cinq morceaux en tout que nous n’avions répété avant. Gene a proposé un vieux titre de Jim Reeves : Distant Drum, mais tous les autres morceaux étaient des standards du rock’n’roll, beaucoup de fièvre et même sur Say Mama tout le truc de la scène, soudain Gene s’est exclamé : pouvons-nous faire ce morceau de Jim Reeves que nous n’avions jamais joué et nous l’avons fait en une seule prise, il s’est avéré qu’elle était plutôt bonne. (question : pouvez-vous nous parler du dernier show que vous avez donné avec Gene au Wookey Hollow Club ?) : Si je me souviens bien, ce fut un assez bon concert même si la voix de Gene semblait être – il prenait beaucoup de calmants et beaucoup de trucs pour sa gorge – vous pouvez dire que sa performance n’était pas au top, et son état semblait empirer avec le temps, mais le club était génial, c’est vraiment étrange, très étrange, vous traversiez comme un pont pour débouler sur sçène, le groupe a très bien joué, et Gene a été très bien accueilli par la foule mais vous pouvez dire que Gene s’efforçait de tenir les notes, c’était comme s’il était à bout de souffle pour être honnête avec sa gorge et ce qui allait avec, plus la boisson et tout ce qui allait avec, je pense que ça commençait à se voir lors des concerts de Gene Vincent vers la fin, vous savez qu’il ne se sentait pas très bien du tout et je pense que ça jouait un grand rôle. En fait nous sommes descendus avec la foule pour le spectacle mais on pouvait voir qu’il torsadait ses notes et des trucs du même genre, il changeait de tonalité et de timbre à mi-chemin du morceau, il ne pouvait pas torsader les notes, il variait la tonalité au fur et à mesure pour que ça colle, on imaginait facilement que de ce point de vue il n’offrait pas vraiment le meilleur des spectacles. Je pense que c’est la scénographie de Gene qui a plu, même s’il était malade, il possédait le charisme d’un grand chanteur grâce à son équipement et tout ce qui allait avec, je pense que ce que lui a permis de se tirer de cette épreuve c’est qu’il a séduit le public davantage par sa prestation scénique que par ses capacités vocales.
Charlie Harrison : pour être honnête si l’on me demandait la différence entre le regarder dans une émission Top of the Pops ou Ready Steady Go et le voir performer sur scène à ses côtés, y avait-il une différence ? Absolument pas, absolument pas, c’était la même chose, nous répondrons à quelqu’un agacé par toujours les mêmes postures, vous savez les jambes, et tout le bataclan, tout ça c’était l’essence de Gene, il ne l’a jamais abandonnée. Une anecdote significative me vient à l’esprit quand je pense à ces journées passées avec Gene. Cela m’attriste vraiment d’y penser, néanmoins c’est ainsi. Nous avons donné le dernier concert. Le lendemain nous nous sommes levés et avons pris le petit déjeuner qui faisait partie du rituel. Vous savez à l’hôtel vous prenez votre petit déjeuner, nous l’avons tous pris sauf Gene Vincent. Le petit déjeuner expédié, j’ignore si les gars sont allés faire leurs valises mais je me souviens d’être sorti et avoir vu Gene assis sur le trottoir, en Angleterre, ses pieds sur la route et les fesses sur le trottoir, il tenait une bouteille de vodka dont probablement il ne restait plus grand-chose, il paraissait joliment ivre, je ne sais si c’était ce jour où il a constaté qu’il était foutu et sur le champ il a bu un max. Toutefois en y réfléchissant je ne suis pas même sûr que Gene était un alcoolique invétéré ou si la cause était due à cette maudite jambe, je suppose qu’il essayait de cacher sa douleur derrière cet état destiné à tromper le jugement de celui qui le regardait, mais si un garçon aussi alcoolisé peut se mentir à lui-même, mais il buvait vraiment beaucoup, il buvait tout le temps…
Bob Moore : je ne sais pas exactement au courant de ce qui s’était passé, mais je crois que Gene transportait une âme avec lui parce ce qu’une nuit il avait oublié ses valises à Manchester, nous étions descendus à Birmingham et nous avons dû ouvrir les valises pour y mettre une partie de ses affaires et je suis certain qu’il y avait un pistolet dedans, je ne sais pas s’il avait eu une altercation avec un homme de loi à propos de son port d’arme, mais je peux vous dire maintenant qu’il en avait certainement un car le lendemain nous avons reçu la valise par un coursier de Red Star, un service de livraison, le lendemain nous nous en sommes débarrassé en sachant pertinemment qu’il y avait une arme dedans. Je pense qu’il avait eu quelques démêlés avec la loi, sur différents points, toutefois je ne sais pas exactement à quel sujet, peut-être que c’était l’arme, ce n’était sûrement pas une sarbacane.
Charlie Harrison : de quoi puis-je me rappeler encore, je me souviens en pensant aujourd’hui à tout cela, que si j’avais pu savoir ce que je sais maintenant, c’est à quel point tout ce scénario était important pour le rock’n’roll. Je veux dire Gene merci beaucoup, tu sais tu es venu faire ce documentaire car c’est une nécessité d’entendre cette histoire, ce n’est pas du tout ce qu’on peut imaginer, je pense qu’il était en grande partie influencé un nombre incroyable de musiciens et certainement aussi de chanteurs. Combien de personne ont copié les postures de Gene, sa mine agressive, sa manière de tenir le micro incliné. Rod Stewart l’a fait, que Dieu bénisse son cœur, qu’il veuille l’admettre ou non, mais ce ne sont pas mes affaires. Vous savez Johnny Rotten l’a fait, Jim Morrison l’a fait, beaucoup de gens l’ont copié, qu’ils le veuillent ou non, même s’ils n’en sont pas conscients !
Transcription : Damie Chad.
Notes :
Nous retrouvons Lee Tracy & The Tributes sur l’album Battle of the Bands (publié en 1971) sur lequel figurent : I’m Movin’ on et Say Mama, enregistré par Gene Vincent and The Houseshackers.
Photo de l’intérieur du Wockie Hollow de Liverpool.
Chuck Rayney : né en 1940 : un beau palmarès : l’a travaillé avec Quincy Jones, Aretha Franklin, Dizzy Gillespie, Steely Dan, Peggy Lee, et quelques autres du même acabit…
Gerald Masters : (1955-2007) : surtout producteur.
Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos