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little richard

  • CHRONIQUES DE POURPRE 687 : KR'TNT ! 687 : DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM / TERRY MANNING / ISAAC HAYES / DARRELL BANKS / LITTLE RICHARD / TELESTERION / CONIFER BEARD

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 687

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 04 / 2025

     

    DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM

    TERRY MANNNING / ISAAC HAYES

    DARREL BANKS / LITTLE RICHARD  

     TELESTERION / CONIFER BEARD

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 687

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Doum Doum Doum Doum

    (Part Two)

             L’avenir du rock boit un coup au bar. Boule et Bill déboulent.

             — Ça va, avenir du frock ? T’as la trique ?

             — Da da !

             — Tu parles allemand, maintenant ? Tu sais bien qu’on peut pas schmoquer les boches... C’est pour nous provoquer, dis ?

             — Di di !

             — Dis-voir Boule... Franchement, t’as déjà vu un mec aussi con que l’avenir du toc ?

             Boule ricane un coup et lance :

             — Ah tu peux dire qu’y bat tous les r’cords, c’t’av’nir de mes deux... Sur la tête de ma mère, y a pas pire locdu ! C’est-y pas vrai, av’nir de mes couilles, qu’t’es un locdu ?

             Bill ajoute aussi sec :

             — Tiens j’te parie qu’y va t’répondre ‘du du’ !

             En plein dans le mille...

             — Du du !

             — Y nous prend vraiment pour des bidons !

             — Don don !

             — À part sortir ses petites conneries à la mormoille, y sait rien faire d’aut’ !

             — J’te parie qu’y va nous brancher sur les Dum Dum Boys et des Doum Doum Lovers... Tu vois pas qu’y prépare le terrain ?

             — Alors av’nir du kraut, t’en connais d’autres des Lovers machin ?

             — Everly Lovers !

     

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             Un an après un premier concert dans l’Eure, tu retrouves les Doum Doum Lovers sur scène dans la salle des fêtes du trou du cul du monde, quelque part dans l’Eure. T’en reviens pas de voir un groupe aussi bon se produire si loin de la civilisation. Et du coup, t’en conclus que c’est tant mieux. L’underground est sain et sauf, il respire le bon air de la campagne. T’es tout de suite frappé par l’énergie des Doum Doum. Non seulement elle est restée intacte, mais elle a prospéré. Kinou bat de plus en plus sec et net, et Jean-Jean rocke le boat comme Popeye the sailor. À deux, ils restituent l’extraordinaire exubérance du rock sixties - le temps de l’innocence - ils remettent du rose aux joues de cette vieille mythologie éculée par tant d’abus, ils redonnent du sens à la nostalgie, mais avec un punch qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. S’il fallait les résumer en deux mots, ce serait fraîcheur de ton et brio. Leur set passe comme une lettre à la poste : pas de temps morts, rien que du bon flux. Cette incroyable fluidité est un modèle du genre.

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             Alors attention, il y a une petite nouveauté : ils viennent d’enregistrer Doum Doum Covers/ Subtle Songs For Lovers qui, comme son nom l’indique, est un album de covers, et pas des moindres. Ils commencent par taper le «Primitive» des Groupies dans leur premier tiers de set, et ça prend aussitôt des proportions considérables, car Jean-Jean le travaille bien au corps, il en fait jaillir la moelle, il en écrase bien les syllabes, et pendant qu’il gratte ses poux, tu grattes tes puces, car ça sent bon le fond de la caverne et les Cramps. Te voilà sur orbite. Tu vas encore valdinguer avec une superbe cover du «Five Years Ahead Of My Time» des Third Bardo, un autre sommet du genre, repris entre autres par Monster Magnet, les

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    Nomads et bien sûr les early Cramps. La version des Doum Doum est assez monstrueuse, Jean-Jean ramène les basses du diable sur sa gratte, il donne au Five Years une profondeur de champ jusque-là inégalée et prend son pied à jouer le thème dans l’épaisseur du son. Sa version vaut largement les trois pré-citées. Il enchaîne avec un autre killer-track, le «Trip» de Kim Fowley, et là, pareil, il te laisse comme deux ronds de flan, car il rappe comme Kim, sur le plus monstrueux des beats sixties, il te stompe ça vite fait bien fait. Non seulement le choix de covers est imbattable, mais le rendu vaut tout l’Or du Rhin, il passe chaque fois en force sans forcer, c’est quasiment un tour de passe-passe. Du pur Houdinisme ! Rien n’est plus

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    génial qu’une reprise bien sentie. T’as le cut et l’argent du cut. À deux, parviennent à défoncer la rondelle des annales, avec cette incroyable fraîcheur de ton qui les caractérise. Ils tapent encore le «Do You Love Me» des Contours, produit à l’aube des temps par Berry Gordy, une petite furibarderie qu’on aurait tendance à confondre avec celles des Isley Brothers. Ce démon de Jean-Jean passe en mode heavy blues pour taper l’«How Long Blues» de Leroy Carr et sort pour l’occasion un son de basse sur la gratte qui rappelle le son qu’avait Dave Edmunds au temps d’«I Hear You Knocking», ce son bien sourd qui t’entre aussitôt sous la peau. Ils

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    continuent de taper dans l’haut de gamme avec la version française de «Bird Doggin’», celle de Noel Deschamps, «Pour Le Pied», rebaptisée ici «Pour Le Fun». Kinou l’attaque de front, sur un ton mal intentionné et redonne vie à ce vieux hit entré en fanfare dans la légende. 

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             Petit conseil d’ami : saute sur les Doum Doum Covers, Subtle Songs For Lovers. Cet album entre dans la caste des très grands albums de covers. Tu veux des noms ? Cliff Bennett & The Rebel Rousers et Got To Get You Into My Life, Master’s Apprentices et Apprenticeship In The Garage 1966, Milkshakes et 20 Rock’n’Roll Hits Of The 50’s & The 60’s, Lazy Cowgirls et Radio Cowgirls, Mono Men et 10 Cool Ones, Melvins et Everybody Loves Sausages, Liverbirds et From Merseyside To Hamburg, The Memphis Blues Cream et 706 Union Avenue, Raveonettes et Sing, Robyn Hitchcock et 1967 Vacation In The Past, Junior Parker et Love Ain’t Nothin But A Business Goin’ On, Headcoats et Brother Is Dead But Fly Is Gone, Dirty Deep et A Wheel In The Grave EP, pour n’en citer que quelque-uns. On ne parle même pas des grands adorateurs du Velvet (Galaxie 500, Feelies, Subsonics), de Dylan (William Loveday Intention, aka Wild Billy Childish) ou des Stooges (Union Carbide Production ou encore Sour Jazz). Voilà dans quoi sont entrés les Doum Doum Lovers avec Doum Doum Covers. Ils t’en donnent un avant-goût sur scène, mais sur disque c’est encore pire. T’es tanké dès l’«Her Big Man» des Brigands. Fabuleuse rockalama, ampleur immédiate. Le drive est un modèle du genre. Et ça continue comme ça sur 13 autres cuts triés sur le volet. Ils tapent tous les deux dans l’un des fleurons de la crème de la crème, «A Question Of Temperature» des Balloon Farm, Kinou attaque ça au jungle beat et le Balloon prend tout de suite une fière allure. Le son est plein comme un œuf. Il faut les voir se jeter dans la bataille de la Temperature ! T’es vite frappé par la profondeur insolite des basses. Jean-Jean chante son «Nobody Knows You» à la Kim Fowley, un Kim qu’on retrouve à la fin avec «The Trip», Jean-Jean taille bien sa route sur un heavy beat surchargé de testo, il pousse bien le Kim dans ses retranchements, t’assistes à une fantastique foire d’empoigne. L’album va plus loin que le set : qualité ahurissante de l’écho et des basses, et ça cuivre à outrance. On se croirait revenu au temps où Chris Bailey ramenait des cuivres dans les Saints, ça prend un relief hallucinant. Ce Doum Doum Covers est un vrai coffre de pirate chargé de trésors : Jean-Jean rocke le beat du vieux «How Long Blues» de Leroy Carr et Kinou attaque sa cover de «Bird Doggin’» avec une belle violence salutaire : elle passe par Noel Deschamps et c’est cuivré de frais. Ils jouent l’«I’m Going All The Way» des Squires à bout de souffle, c’est gratté et battu à la hussarde, avec une énergie considérable et un brouet d’acou, et soudain, Jean-Jean siffle. Il re-siffle sur l’«1-25» des Haunted et ça prend un volume extravagant. T’as un solo de sax dans le «Do You Love Me» des Contours et il tape le «Primitive» des Groupies au heavy groove de basse. Kinou ramène tout le ramdam des sixties dans «La Machine», un vieux hit de Dani, et ça repart en mode stoogy pour le «Why» des Dirty Wurds. Jean-Jean nous dira après le concert qu’il tire ses covers des Peebles. Et puis bien sûr, tu retrouves le puissant «Five Years Ahead Of My Time» qui reste le cut chouchou de tous les becs fins. Cui cui !

    Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

    Doum Doum Lovers. Saint-Léger-de-Rôtes (27). 6 avril 2025

    Doum Doum Covers. Subtle Songs For Lovers.

    L’avenir du rock - Doum Doum Doum Doum (Part Two)

     

    Wizards & True Stars

     - Wareham câline

     (Part One)

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             Non, Dean Wareham ne sort pas d’une (divine) chanson de Michel Polnareff, mais c’est tout comme. Dean Wareham fait partie des êtres visités par la grâce - Pour la vi-iie/ Ou peut-être plus/ Pour la vi-iie/ Ou peut-être moins - L’association Polna/Real Dean est assez automatique. Encore un titre de rubrique qu’il n’est au fond pas besoin de justifier.

             Dean Wareham est le real Dean. Et ce dès Galaxie 500, dès Luna et dès Dean & Britta. Galaxie 500, c’est une galaxie de 5 albums qui te font tourner la tête, car leur manège à toi c’est eux, et l’ouverture de ce Bal des Laze se fait avec l’aujourd’hui de toujours, Today.

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             Today éclot aussitôt avec «Flowers» et son attaque saignante de clairette transfigurée. Et t’as cette basse azimutée qui entre dans le son, c’est quelque chose ! De toute évidence, ils cultivent l’excellence, le Velvet Spirit, t’as aussitôt les dynamiques, c’est complètement extravagant de classe et de puissance. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Tugboat», un Tugboat fabuleusement monté en neige, ça ne pardonne pas. Le real Dean développe son petit biz, c’est un spécialiste de la montée en neige, et avec lui ça va vite, il te gratte tout ça en note à note inflammatoire et te fout l’Ararat en rut. Il développe encore son biz dans «King Of Spain», avec des syllabes élastiques et sa clairette doucereuse. Dans «Crazy», tu le vois cavaler ventre à terre à travers la plaine, en toute allégresse. Il peut se montrer très échevelé, et bien sûr, il joue la carte de la surenchère. Il gratte encore des poux divins dans «Pictures» et dans «Parking Lot», il y coule même une rivière de diamants. Il navigue au même niveau que Tom Verlaine, voilà, c’est pas compliqué. Le temps d’un cut comme «Don’t Let Your Youth Go To Waste», il devient le roi de la pop de velours et il entre au chant comme le ferait Nico. Il déverse encore des flots de clairette pure dans l’effarant «Temperature’s Rising», et ça monte comme la marée. Alors le real Dean s’en va jouer sa belle explosion finale. Il nous fait le coup quasiment à chaque fois.

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             L’idéal est de croiser les écoutes et les ré-écoutes avec la lecture d’une bien belle autobio, Black Postcards: A Memoir. Le real Dean s’y confesse avec un réel talent d’écrivain. L’homme est complet. On est en sécurité. T’as dans les pattes un Penguin book de 300 pages, composé en corps 10 mais bien interligné, ça va, tu ne t’esquintes pas trop les yeux. Le real Dean raconte essentiellement sa vie en tournée, et c’est passionnant, car il promène sur le monde un regard curieux et bien rock, il ne nous épargne rien des vans et des hôtels, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Et bien sûr, il rencontre tous les gens intéressants, depuis Kramer jusqu’à Sonic Boom, en passant par Dave Berman, le mec des Silver Jews.

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             Il a quatre ans quand il subit son premier choc esthétique avec le «Georgy Girls» des Seekers, qui en Nouvelle Zélande étaient aussi énormes que le Beatles. Il les compare à Chad & Jeremy et aux Mamas & The Papas - Si nous passons toute notre vie à essayer de retrouver la magie de l’enfance, alors j’ai passé la mienne à essayer de recréer ce que j’ai éprouvé à l’écoute de «Georgy Girl», un mélange de beauté, de tristesse et d’extase - Et là tu sens l’écrivain, car en trois mots, il définit l’art des Galax. Il se souvient aussi que son père avait ramené à la maison l’Here Comes The Sun de Nina Simone, où se trouve ce qui reste selon lui la meilleure version de «My Way». Petit, il avait aussi flashé sur le Cocker’s Happy de Joe Cocker, où se trouve la fameuse cover de «With A Little Help From My Friends» - which he did far better than the Beatles - Il salue aussi les «Elvis’s live performances from the 1970s as some of the greatest recordings of the era. Les critiques se moquaient du King bouffi, mais qui avait un meilleur groupe en 1973 ? David Bowie ? I don’t think so. Les Rolling Stones ? Ils étaient bons, mais Get Yer Ya-Ya’s Out ne vaut pas That’s The Way It Is, un album live d’Elvis enregistré à Vegas et Nashville.» La famille Wareham quitte la Nouvelle Zélande pour l’Australie, puis en 1977, part s’installer à New York. Le real Dean a 14 ans. Il va acheter ses disques chez King Karol Records, 85e rue et 3e avenue, où bosse Bryan Gregory from the Cramps. Puis il découvre via son frère Anthony les Modern Lovers, Magazine, puis les Feelies, dont il qualifie le Crazy Rhythms de perfect record. Au lycée, il se passionne pour la philo, et cite Platon, David Hume et Bertrand Russell. Puis en cours d’Allemand, il flashe sur Bertol Bretch et Erwin Piscator. Il prend quatre cours de guitare, assez, dit-il pour apprendre quelques gammes pentatoniques lui permettant le soloing. Il flashe aussi sur le Paisly Underground, et notamment le Sixteen Tambourines de The Salvation Army, The Days Of Wine & Roses du Dream Syndicate et le Third Rail Power Trip de Rain Parade, le groupe de David Roback. Le real Dean a de bonnes bases. 

             Un jour, il flashe sur a «beautiful old car - a Galaxie 500.» Et hop c’est parti.

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             Dans Mojo, Roy Wilkinson claque six pages galactiques. Il chapôte en qualifiant les Galax de «neo-psychedelic jewel of late ‘80s American indie rock», grands amateurs des «two-chord beatitudes of the Velvet Underground». Le real Dean se dit bien sûr fan du Velvet. Avec Luna, il a joué en première partie du Velvet lors de la tournée de reformation. Et selon Wilkinson, les Galax sont devenus l’«archetypal cult band».

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             Les Galax se sont rencontrés à l’école, on Manhattan’s Upper East Side. Damon Kurkowski & Naomi Yang sont des «grad students at Harvard.» Comme Damon, le real Dean voulait jouer dans les Clash. Naomi en pinçait elle aussi pour le British punk. Damon & Naomi étaient en couple et le sont encore. Naomi apprend à jouer de la basse en écoutant les basslines de Joy Division qu’elle trouve «beautiful, perfect». Première répète en mai 1987. Ils commencent par taper des covers, «Where Have All The Flowers Gone» de Peter Paul & Mary, «I Can See Clearly Now» de Johnny Nash, «Just My Imagination» des Temptations et «Knocking On Heaven’s Door» de Bob Dylan. Ils jouent leur premier gig chez Dean - It was the best gig of my life - Un gig de 20 minutes, «and it was just perfect.» Le real Dean adore la perfection. Il ne vit que pour ça.

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             Damon flashe sur un album d’Half Japanese, découvre que c’est produit par un certain Kramer. Il lui téléphone. Kramer a déjà bossé avec les Butthole Surfers et les Fugs, puis il va sortir Ween et Daniel Johnston sur son label Shimmy Discs. En plus, son Noise New York Studio est abordable. Il enregistre le premier single des Galax, «Tugboat/King Of Spain», Tugboat étant un hommage à Sterling Morrison devenu a «real life tugboat captain», c’est-à-dire capitaine d’un remorqueur. Kramer se dit encore plus fier de Today, le premier album des Galax : «A living dream, like reading William Blake for the first time.»   

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             C’est la collaboration avec Kramer qui va faire basculer les Galax dans la légende. Kramer est une figure de légende dans l’underground : il a joué dans Schockabilly, dans Bongwater et dans B.A.L.L. Kramer a installé son studio au quatrième étage du 247 West Broadway, «just a wooden floor and brick walls.» Il a un 16 pistes. Kramer est un mec très maigre, «the skinniest  man I ever met», nous dit le real Dean, «and he smoked weed vigourously.» Le real Dean ajoute qu’il est fier de sonner comme Galaxie 500, et non comme les groupes qu’ils admirent tous les trois à l’époque, «Modern Lovers, Big Star, The 13th Floor Elevators, Love, Joy Division, or the Feelies.» Ailleurs, il cite encore les Moderne Lovers et Young Marble Giants comme des héros.

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             Leur premier album leur coûte 750 $ - it is still my favorite Galaxie 500 album - Ils se chamaillent un peu sur les crédits, le real Dean estimant qu’il a composé pas mal de trucs - chords, melodies, lyrics - alors pourquoi tout partager en trois ? Mais Damon et Naomi veulent tout partager en trois. Ils menacent de quitter le groupe si le real Dean n’accepte pas le partage à trois, «and that I should find another backing band.» Premier petit bras de fer. Page suivante, le real Dean se dit fier de faire partie d’un groupe avec Damon & Naomi, mais cet épisode lui laisse un drôle de goût dans la bouche «a new taste in my mouth». Il ajoute qu’avec ce type d’incident, le friendship is dead - Your friendship had been poisoned. Kaput !

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    Kramer

             Kramer est un mec bizarre. Il profite que le real Dean ait le dos tourné pour essayer de se taper sa poule, Claudia - That was Kramer - Kramer trouve Claudia hot, alors il tente le coup, mais le real Dean se marre : «I should have punched Kramer in the nose, but I knew he didn’t stand a chance of stealing my girlfriend away from me.» Le real Dean a de la chance, il peut dormir sur ses deux oreilles.

             Quand le real Dean et Kramer acceptent de participer à un benefit acou pour un fanzine, Damon & Naomi protestent : le real Dean n’a pas le droit de jouer sans les Galax. Damon dit que les décisions doivent être prises à trois. Mais le real Dean va faire quand même le benefit. Quand les Galax sont en tournée, Kramer monte sur scène avec eux, et au bout d’un moment, Damon & Naomi ne veulent plus de lui sur scène. Il monte quand même sur scène à Glastonbury. C’est Kramer. Il n’en fait qu’à sa tête. Damon & Naomi sont livides. Ils ne lui adressent plus la parole. Ça amuse beaucoup le real Dean. Un real Dean qui n’aime pas trop les grands festivals - On a joué sur la même scène que Melissa Ethridge, but missed her show. On a aussi raté les shows de Lenny Kravitz, Midnight Oil and all kinds of other stupid shit - Puis arrive the meatball incident. Les Galax dînent au restau avec Kramer, et Naomi commande  des boulettes d’agneau. Kramer s’en offense. Il est végétarien. Il dit à Naomi : «Have you ever looked into the eyes of a little lamb?» - Naomi told him to go fuck himself - Mais bon, c’est Kramer qui fait le son des Galax.

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             Puis les Galax simili-prennent feu avec On Fire, et au chant t’as un real Dean qui sonne vraiment comme Nico, et c’est pas peu dire. Il cultive bien cette ambiguïté, il s’ancre résolument dans la banane du Velvet, et fait monter le relentless comme la marée. Il peut aussi chanter comme une folle préraphaélite («Tell Me»), mais il ne manque jamais de ramener la purée de gras double au sortir d’un cut. Il base la véracité de ses couplets sur le son des clairettes et la pureté des intentions, il rivalise d’ailleurs de pureté intentionnelle avec les Feelies. Et le voilà qui entre à la vipérine dans «When Will You Come Home», et se met à gratter comme un sale crack, un Lou Reed amphétaminé et il développe sa petite affaire avec un gras de clairette toxique qui fait de lui un véritable Wizard. Tout est juteux et organique, sur cet album. Naomi Yang prend l’«Another Day» au chant. Ça a l’air mou du genou, mais en vérité, c’est très puissant. Le real Dean la rejoint sur le tard et fout le feu à la plaine. Il s’implique toujours de façon extraordinaire. Il refait sa Nico dans «Leave The Planet». Tous ses cuts sont infestés, sa psyché est une merveille de mimétisme velvétien. Le real Deal devient de plus en plus blonde germanique avec «Plastic Bird» et toujours ce final apocalytique. Toute la fin d’album est remontée des bretelles. Les échappées sont géniales, avec derrière ce son de basse toujours indépendant, dans son rôle de contrefort mélodique. Voilà un album qu’il faut bien qualifier de princier. On a pu détester ce côté mou du genou à l’époque, mais à la revoyure, il apparaît que c’est du très grand art. Le real Dean est le roi des échappées somptueuses, le final d’«Isn’t It A Pity» est un modèle du genre, une vraie fin en soi, élégiaque et magistrale. 

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             Pour beaucoup, On Fire est le keystone des Galax. Dans la presse rock, on comparait le real Dean à Neil Young, ce qu’il réfute. Il préfère citer les influences de Jonathan Richman et des Feelies. C’est Kramer qui le pousse à forcer sa voix : «Kramer pushed me to double things in falsetto.» C’est après On Fire que les tensions sont apparues. Damon & Naomi vivent à Cambridge, Massachusetts et le real Dean à New York, et le «200-mile drive» l’exaspère. Damon sent que le son des Galax bascule, «from self-consciousness to decadence.»

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             L’année suivante, ils rééditent l’exploit d’On Fire avec This Is Our Music. On y retrouve les mêmes composantes : le mimétisme velvétien et les échappées belles. «Fourth Of July» sonne comme un cut du Velvet. Le real Dean reste dans cette ambiance, avec un bassmatic joliment libre, et puis il part en vrille de velvétude. Il refait sa Nico sur «Spook», à coups de nearly lost my mind sur les accords d’«All Tomorrow’s Parties». Il tape ensuite «Summertime» sur les accords d’«Heroin». Même son d’intro, c’est comme suspendu entre rêve et réalité, et t’as toujours l’explosion finale. C’est vraiment la marque de fabrique des Galax. Coup de génie encore avec «Listen The Snow Is Falling». Noami prend le chant et c’est beau car elle ramène de la chaleur féminine. «Listen The Snow Is Falling» est aussi pur que «Pale Blue Eyes», et bien sûr, t’as la fin de cut apocalyptique, c’est complètement dévastateur avec un real Dean qui explose comme une bombe atomique. Ils enchaînent ensuite deux autres bombes atomiques, «Sorry» et «Melt Away». C’est la bassline qui t’emporte la bouche sur Sorry, Naomi gratte une incroyable mélodie souterraine. Le son des Galax, c’est l’éther d’une voix, une jolie dentelle de clairette et un bassmatic mélodique. Ce bassmatic omniscient qu’on retrouve dans Melt, elle devient la jouvence de la Galaxie, un Melt où le real Dean file vers son final en forme de firmament psyché subliminal, il atteint l’osmose de la psychose, c’est absolument stupéfiant d’universalisme. Ils sont tout simplement faramineux, écœurants d’élégance, surtout Noami et son bassmatic ouaté et mélodique qui donne une profonde identité au son des Galax. Serait-elle la maîtresse d’œuvre ? Elle va chercher des notes de bas de manche qui donnent des couleurs aux joues du cut, elle lui donne vie, et comme si tout cela ne suffisait pas, t’as des trompettes de Jéricho.

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    Damon & Noami

             Le real Dean appelle Damon & Noami pour leur dire qu’il veut quitter le groupe. Mais il reste encore un peu, pour quelques concerts. Et ça va tourner à l’obsession. Il ne peut plus les supporter - I want to live my life without you in it - Il répète encore qu’il aimait «Damon’s fluid, jazzy style on the drums, and Naomi’s simple and melodic bass parts. I liked Damon’s poetry and Naomi’s miniature paintings. But they were driving me crazy.»  

             Des dates sont bookées au Japon et Damon appelle le real Dean pour le lui annoncer, mais il reçoit une fin de non-recevoir : le real Dean quitte les Galax. Damon & Naomi sont choqués.

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             Le quatrième et ultime album des Galax s’appelle Copenhagen. C’est une sorte de best live et fatalement on retrouve ces merveilles que sont «Fourth Of July» qu’ils jouent à cœur ouvert, sans cacher leurs sentiments, «Summertime» où on croit entendre Nico chanter, «Sorry», monté sur un bush de beurre et un bassmatic minimaliste, «When Will You Come Home» où le bassmatic crée encore de l’enchantement et bien sûr le real Dean part en vrille d’excelsior. Tu retrouves aussi le sublime «Listen The Snow Is Falling», très Pale Blue Eyes, pur ô so pur ! Et bien sûr ils tapent une cover du Velvet : «Here She Comes Now». Ils y vont doucement mais sûrement, ils en font un traitement d’une pureté sidérale, et le real Dean revient en plein Nico avec «Don’t Let Your Youth Go To Waste», tiré de Today, cut signé Jonathan Richman, c’est du pur gothic Velvet, ils récréent exactement les conditions du gothique new-yorkais, tas le Grand Jeu warholien et t’as la basse de Naomi Yang qui descend en travers dans le mood, alors la température monte et le real Dean déclenche une fois de plus son champignon atomique.

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             Les Galax sont eux aussi passés par les Peel Sessions. On y retrouve toutes ces merveilles velvétiennes que sont «When Will You Come Home», «Flowers» et «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean refait sa Nico et passe des grands solos de wah, avec une fébrilité délibérée, quel pâté de foi ! Ça flirte en permanence avec le voile de la Factory, et l’acid freakout de Lou Reed. Ils poussent même le bouchon jusqu’à sonner comme un power trio, et après le dernier couplet de «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean part en vrille délétère, en Velvétien accompli. On trouve aussi sur ces Peel Sessions une cover du «Submission» des Pistols, d’où l’intérêt des Peel Sessions. Cover dévastatrice, mais sans la voix, bien sûr. Ils tentent l’ampleur. L’autre coup de génie est ce «Blue Thunder» sorti de nulle part et d’une beauté purpurine, bien monté aux harmonies vocales et que ne manque pas d’exploser l’atomique real Dean.

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             Si tu veux aller au fond de la Galaxie, c’est avec Uncollected (Rareties) paru en 1996. C’est vraiment le fond de la Galaxie. Tu y retrouves toute cette mélasse compassionnelle et ces harmoniques de basse qui te plaisaient tant dans les albums. Tu y croises «Blue Thunder» et son fantastique relent velvétique, tu le sens dès les premières mesures, et la belle bassline de Naomi Yang vient te caresser l’intellect, ils chantent à deux et font éclater leur Sénégal avec un sax in tow, et puis bien sûr le real Dean claque un solo final en forme de débinade apoplectique. Le real Dean a toujours cette voix de nez, cette voix de Nico masculin, il est encore pointu sur «Song In 3», il fait son Perlimpinpin et te tire-bouchonne un final explosif. Il challenge encore le Velvet avec «I Can’t Believe It’s Me», il sort des entourloupes à la Lou, il devient tellement Velvetien que ça finit par te troubler. C’est Naomi qui chante «The Other Side». Elle est magnifique, dommage qu’elle ne chante pas plus souvent. Et bien sûr, ça se barre en crouille-marteau de Dean machine. Il collectionne toutes les variations extraordinaires, et la rose n’en finit plus d’éclore au matin. Et voilà le pot aux roses de Ronsard : une version live de «Rain/Don’t Let Your Youth Go To Waste». D’où l’intérêt d’aller chercher ces petites compiles de fonds de tiroirs, car c’est là que se trouvent les vraies pépites. Comme par exemple la version d’«Anarchy In The UK» sur l’album live de Wild Billy Childish & the Blackhands, ou encore la version live at the Roundhouse d’«On Parole» par Motörhead, sur The Boys From Ladbroke Grove. Le «Rain» du real Dean est un sommet du genre - The first time in New York, dit-il avant d’attaquer directement en mad psyché, I don’t mind, et il part en killer killah killoh de mad freakout surnaturel. Il révolutionne le genre, il surjoue l’excelsior, le real Dean est un géant des catacombes, le Golem de la Mad, puis il bascule dans son Youth et ça prend des tournures pourfendues, des allures pantelantes, ça moud les épithètes, c’est exponentiel de panache, t’en suffoques d’extase, et ils font ça à trois ! Et le real Dean se livre une fois encore à une lutte finale explosive. Il est véritablement l’un des génies soniques du XXe siècle, qu’on se le dise !

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             Et pour surenchérir sur le thème «fond de la Galaxie», vient de paraître le mighty Uncollected Noise New York ‘88-’90, qu’on pourrait presque qualifier de tribute au Velvet. On n’y trouve qu’une seule cover du Velvet, «Here She Comes Now», sur le disk 2, bien amenée à l’élan lysergique. Le real Dean est un inconditionnel, il soigne sa Velvetude, il épouse le Lou au chant, il recrée les dynamiques infernales et ça menace d’exploser sous la cendre. Le real Dean fait d’«Here She Comes Now» un monstre d’élégance gothique, un chef-d’œuvre d’intégrisme Velvetique, et Damon Kurkowski bim-bam-boome au beurre, il bat bien la coulpe du Velvet, et t’as en plus ce bassmatic éhonté de Naomi Yang derrière, et petite cerise sur le gâtö, le real Dean qui te gratte les poux du diable, il ressuscite les basses œuvres du Velvet, il tisonne le cœur du pâté de foi et ça prend feu sous tes yeux, c’est de la dévotion extrême qui bascule dans le surnaturel, dans une clameur de la chandeleur. Il n’y a que le real Dean (et Glenn Mercer) pour rendre ainsi hommage au Velvet. Sur le même disk, tu retrouves «Blue Thunder» qui pourrait très bien être un cut du Velvet. Les accords d’intro et la mélodie chant sont typiques du Lou, en plus c’est saxé dans l’âme. Le real Dean réussit son coup avec cette mélopée sublime et il passe un solo de dingoïde en fin de cut. T’entends encore le bassmatic génial de Naomi Yang dans «Fourth Of July». Toujours du très haut niveau, avec le final inflammatoire. Le real Dean se met en branle dans la stratosphère. Il refait encore sa Nico dans «Moonshot». Il retrouve tout l’éclat gothique de l’égérie warholienne. Ne manque plus que l’harmonium. Il te gave comme une oie. C’est d’une densité extraordinaire. Sur le disk 1, tu trouves pas mal d’inédits, tiens, par exemple de «See Through Glasses» qui tape en plein Velvet, gratté dans l’absolu, avec le feu sacré du final explosif. Pareil avec «On the Floor» : inédit et wild as fuck, avec son final apocalyptique. Tu crois entendre le Lou dans «Can’t Believe It’s Me». Lou y es-tu ? Le real Dean est en plein dedans. On retrouve aussi le «King Of Spain» du premier album, Today. Le real Dean refait son Lou d’accent pincé. Et plus loin, sur «Song In 3», il refait le coup double, c’est-à-dire sa Nico et le final de poux demented. Tu retrouves encore cette voix de Nico devenue folle dans «I Will Walk», un autre inédit. Il retombe en plein dans le Lou avec «Cold Night» et la Méricourt entre en lice comme d’habitude à la fin du cut. Et pour finir ce faramineux disk 1, le real Dean sort «Ceremony» de sa manche, la cover de Joy Division, mais ça se met en route exactement comme un hit du Lou, et le real Dean rajoute sa mélodie chant au sommet du mimétisme. Si ce n’est pas de l’art, alors qu’est-ce que c’est ?

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             Dans son book, le real Dean évoque des tas de gens intéressants, à commencer par Calvin Johnson, le mec des Beat Happening, «qu’on appelait the Andy Warhol of Olympia, Washington, an unrepentant punk rocker and leader of the International Pop Underground. Calvin’s punk did not mean wearing a leather jacket and playing loud and fast.» Il ajoute que Calvin avait «a magnetic stage presence and a unique rock voice and wrote great songs that were both innocent and rebellious, but not twee.» Le real Dean voit aussi à l’époque Pussy Galore, «with four guitarists and no bass player», et Bob Bert qui bat le beurre sur un réservoir d’essence. Mais ce qui frappe le plus notre cher real Dean, c’est la tension qui règne dans le groupe - comme s’ils ne supportaient pas d’être ensemble dans la même pièce. Depuis j’ai appris qu’il y avait de la tension dans tous les groupes - Il voit aussi GG Allin dans la rue - Certaines personnes le voyaient comme the essence of rock and roll, a true bad boy, the second coming of Hank Williams. But Hank Williams n’a jamais pris de laxatifs avant de monter sur scène, so he could strip naked and poop on the stage - Il rencontre aussi un journaliste du Melody Maker, Bob Stanley - He was in a band too. They were called St. Etienne - Quand le real Dean lui demande quel instrument il joue, PolyBob lui répond : «It’s hard to explain.»

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             Le real Dean qui a du goût rappelle que les Screaming Trees était son «favorite Seattle band» - They were far more melodic than their peers - Et pouf il embraye sur l’apologie de Lanegan qu’il compare à Jimbo - Like Morrison, Lanegan  was a handsome and charismatic drunk, with long brown hair - Il ajoute que Lanegan était déjà ivre au sound-check de 16 h, et il adorait la cover que faisait Luna du «Don’t Let Your Youth Go To Waste» de Jonathan Richman.

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             On croise dans le book un petit paragraphe sur le mythe du premier perfect album. Le real Dean cite deux exemples : l’Is This It? des Strokes et le Marquee Moon de Television. Et crack, il embraye aussi sec sur le Velvet qui, après le premier perfect album, en ont fait «three more perfect, yet different.»  Oh et puis Lee Hazlewood ! - J’ai rencontré Lee Hazlewood quelques années plus tard et lui ai demandé comment il obtenait his great vocal sound. He said you put echo on the reverb (or was it reverb on the echo?), instead of on the voice itself, so that the voice retains its presence while still having a huge echo sound... like the voice of God - Par contre, le real Dean n’aime pas 16 Horsepower, avec lesquels il joue en Suisse - I’d never heard of them, and I confess I didn’t like them. I mean, I didn’t know them personallly, and I didn’t like their music or their instruments or their porkpie hats - Avec lui, c’est vite réglé. Par contre, il adore Stereolab, avec lesquels il joue à Barcelone - Sterolab was one of the best live bands in the world, one of those bands that comes along once in a while and changes the whole music scene (...) They were derivative on the one hand, but also startingly original - Il rend hommage à Carol Kaye qu’on entend jouer de la basse sur tous les gros hits californiens d’antan, et plus loin à Sonic Boom qu’il rencontre à Cleveland - Sonic was one of the two brillant minds behind Spacemen 3 - et il ajoute ça qui vaut son pesant de pesos : «Sonic is definetively a hedgehog», c’est-à-dire un hérisson. Ils vont d’ailleurs enregistrer ensemble tous les trois avec Britta un EP de remixes de L’Avventura - Sonic said thaht L’Avventura was one of the all time great albums - On voit tout ça dans le Part Two.

             Le real Dean est aussi pote avec David Berman qui sort tout juste de rehab «for addiction to crack» - Berman told of his descent into crack hell, qui en fait s’est terminée au Vanderbilt Hotel, où il prit une suite, ingested large quantities of crack and Dilaudid and Xanax, and contemplated suicide.

             Et puis cette façon qu’il a de régler leur compte aux cons : «Assis dans mon lit, je regardais le documentaire sur Metallica, Some Kind Of Monster. It was painful to watch. Le film montre ce qu’il y a de pire dans un groupe : l’impossibilité de prendre des décisions, le vote permanent, les discussions, les réunions. Metallica écrit des lyrics en comité. C’est dur à regarder. James Hatfield et ses bandmates ne sont pas des gens très sympathiques.» Et plus loin, il ajoute que «Metallica and U2 and REM are far more than rock and roll bands. They are institutions, corporations. And corporations have lives of their own.»  

             On n’en finit plus de croiser l’écrivain Wareham dans Black Postcards: A Memoir. On reconnaît souvent les grands écrivains à cette façon qu’ils ont de nous faire revenir deux pages en arrière pour relire un passage intriguant. Si tu veux remettre le souvenir du passage au carré, il faut revenir sur l’exacte formulation. L’exacte formulation est l’apanage des grands écrivains. Et derrière sa modestie, se cache le grand écrivain Wareham. Ceci par exemple : «But I don’t know culture from counterculture. Questions like that confuse me, and they don’t help when writing songs. Let the rock ctitics read Adorno and Anthusser. I will study Pops Staples and the Chocolate Watchband.» T’es plus dans Rock&Folk, amigo, t’es dans les pages du book d’un real deal nommé real Dean. Ça change tout. Pour «parler» du rock, il faut une certaine distance, disons une certaine hauteur. Tu l’as non seulement dans les pages du real Dean, mais tu l’as en plus dans ses albums. Fascinant personnage.

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    Terry Tolkin

             Il évoque sa rencontre avec Terry Tolkin, l’A&R de Rough Trade aux États-Unis - I liked Terry instantly. We liked a lot of the same music - Wire, Joy Division, the Comsat Angels, New Order, Lydia Lunch and Sonic Youth - Monsieur le bec fin continue de faire feu de tout bois. Il a aussi la chance d’être invité à faire la première partie du Velvet reformé, et la façon dont il évoque cet épisode te fait autant rêver que ça l’a fait rêver : «Recevoir le coup de fil pour faire la première partie du Velvet Underground fut un moment étrange. Je croyais avoir rêvé. Mais quelques semaines plus tard, je me suis retrouvé dans un dressing room à l’Edimburg Playhouse, avec Lou Reed, John Cale, Moe Tucker et Sterling Morrison qui répétaient ‘Venus In Furs’.» C’est pour lui une façon d’exprimer un accomplissement. Il le couronne un peu plus loin d’un autre souvenir, cette fois à Berlin, où il passe la soirée avec Sterling Morrison : «Notre soundman Gordon nous avait trouvé de l’ecstasy, which made the night even more special. Je me souviendrai toujours de ce retour à l’hôtel en Mercedes taxicab, on écoutait un live Velvets bootleg on German radio, enjoying the strange confluence of events, et je savourais la chance que j’avais d’être sur cette tournée.» Voilà ce qu’est le véritable écrivain rock, il te fait monter avec lui dans le Mercedes taxicab pour écouter le Velvet dans la nuit berlinoise. Ce book n’est fait que de ça : de souvenirs triés sur le volet et écrits dans un anglais parfait. 

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             Pour les besoins d’une meilleure compréhension, le real Dean cite Isaiah Berlin et sa théorie sur la différence qui existe entre le renard et le hérisson : «Le renard sait beaucoup de choses, dit Berlin, mais le hérisson ne sait qu’une seule chose, one big thing.» Alors notre real Dean développe : «Certains artistes sont des renards, Aristote, Pouchkine, Goethe, Picasso, Paul McCartney, Beck, they can do all kinds of dazzling things. Mais d’autres artistes sont des hérissions : Hegel, Nietzsche, Dostoïevski, Jackson Pollock, and Keith Richards. They stick with one idea.»

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             Quand avec Luna, il enregistre son cinquième album, il sait que c’est pas très bon. Il sort alors la théorie du cinquième album : tous les groupes se vautrent, sauf les Beatles - We were not the Beatles. No we were not - Il ajoute que la plupart des groupes ont de la chance quand ils passent le cap des deux premiers albums, et il développe : «Vos albums ne peuvent pas tous être great. Si vous avez de la chance et du talent, vous pouvez sortir une série d’albums remarquables, comme l’ont fait Bob Dylan, les Rolling Stones ou Stereolab. But it can’t continue forever.» Il propose ici une expertise, et s’appuie sur les bons exemples. 

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    Peter Hook concert hommage à Joy Division

             Mais ce qui te rassure le plus, en fait, c’est son humour. Un humour très très très sharp. Il se souvient par exemple d’un des premiers concerts des Galax au 9:30 Club à D.C., et là, pas de pot, il casse une corde dès le premier cut. Il doit alors emprunter la Les Paul Junior de Dave Rick which sounded all wrong. «I had a revelation at that moment. I would buy a second guitar, to be used in the event that I broke a string. That’s what the pros do.» Et ça qui est encore plus hilarant : les Galax font une cover du «Ceremony» de Joy Division, et Peter Hook montre à Naomi «the correct way to play ‘Ceremony’. Then, he gave Kramer a ride back to the hotel in his Jaguar XII2. Apparemment, il avait reconduit Ian Curtis chez lui le soir de son suicide. I wondered if it was the same Jag.»

             Plus loin, il se fend bien la gueule avec le fameux Josuah Tree. U2 a dit-il a passé un an en studio à expérimenter des trucs avec Daniel Lanois, Eno et Steve Lillywhite. Pas de problème pour des millionnaires. Et puis il te balance ça, alors que tu ne t’y attends pas : «I have a theory : if you put four monkeys in the studio for a year with Lanois and Eno and Lillywhite, they would make a pretty good record, too.»

             Il évoque aussi le bordel des backstage passes et l’after-show, et des «stupid questions about what kind of distorsion pedals we use», et crack, il lâche le morceau : «Certains groupes confient à un crew member la mission d’aller distribuer des backstage passes aux filles les plus jolies, mais pour nous, se livrer à ce type de pratique était une façon de mordre le trait. We may have been dogs, but we were not pigs.» Il se souvient aussi des insultes dont sont capables les Anglais, en concert - There are always a couple of English blokes who want to lob funny insults at you : «Don’t let your midle age go to waste!».

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             L’encore plus idéal est de voir le real Dean sur scène. Coup de chance, il débarque à Paris ! Alors t’y cours. Sur scène, avec ses vêtements clairs, il a une petite allure de manager, mais un manager décontracté qui bosserait dans une agence de com, une sorte de Directeur Artistique. Looké mais sans en avoir l’air. Il porte des lunettes de vue et ses cheveux grisonnent. Une petite soixantaine. Mais il a toujours fière allure. Sa copine Britta ressemble toujours à une ado, avec son petit nez

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    minuscule et son corps parfait. Elle va passer l’heure à tenter d’imiter Noami Yang dont les basslines enchantèrent jadis nos oreilles, mais ce n’est pas exactement le même jeu. Noami Yang voyageait beaucoup plus sur son manche. Britta tape majoritairement ses lignes au bas du manche et joue avec une infinie délicatesse. Pour le real Dean, c’est extrêmement confortable. Il est comme Lou Reed et le gros Black : il a ses manies. Le Lou voulait Moe et le gros voulait Kim. Comme tout est joué en mélodie, les lignes se croisent. Le bel encorbellement des lignes mélodiques est leur fonds de commerce.

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    Alors, autant l’avouer maintenant : t’es là pour ton shoot de Velvet Sound. Et tu vas l’avoir avec «Friendly Advice», montré sur un riff de basse monolithique, et là tu renoues avec la magie du Velvet. T’as ta dose. Ta big dose ! And I guess that I just don’ know. C’est en plein dans le mille du gonna try for the kingdom. C’est même au-delà de la magie. Tu vis l’instant à mille pour cent. Les notes te roulent sur l’épiderme, tu remercies les dieux du rock de t’offrir un tel festin de frissons, le real Dean est de dernier mec au monde capable te d’offrir ce cadeau insensé : la recréation du Velvet Underground. And I feel like Jesus’ son. Et ça va loin, car au fond là-bas, t’as Matt Popieluch qui fait son Sterling Morrison. «Friendly Advice» tape en plein dans l’œil du cyclope. Comme par hasard, Sterling Morrison jouait sur

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     ce «Friendly Advice» tiré du Bewitched de Luna. On le sait maintenant, le real Dean ne fait jamais rien au hasard. Ce «Friendly Advice» niché au cœur du set restera gravé dans ta mémoire jusqu’à la fin des temps. Le real Dean tire aussi deux cuts du premier Galax, «Flowers», toujours aussi sidérant de classe, et en rappel, «Tugboat», toujours aussi imparable, avec ces montées en température dont le real Dean s’est fait une spécialité. Sur scène, ce sont des cuts qui ne pardonnent pas et qui foutent le feu à ton imaginaire. Ils tirent aussi trois cut d’On Fire, le mighty «Snowstorm», «When Will You Come» et en rappel «Strange». Le real Dean te charge si bien la barcasse que tu coules sans crier gare et t’es bien content. Tu glou-gloutes au paradis. Tu te retrouves un peu plus tard dans les rues du XIIIe ivre de Velvetude. T’en fais des bulles, tellement t’exultes.

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    Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean Wareham. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Galaxie 500. Today. Aurora Records 1988

    Galaxie 500. On Fire. Rough Trade 1989    

    Galaxie 500. This Is Our Music. Rough Trade 1990 

    Galaxie 500. Copenhagen. Rykodisc 1997

    Galaxie 500. Peel Sessions. BBC 1996

    Galaxie 500. Uncollected (Rareties). Rykodisc 1996

    Galaxie 500. Uncollected Noise New York ‘88-’90. Silver Current Records 2024

    Roy Wilkinson : Made of... Mojo # 371 - October 2024

    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

     

    Manning depression

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             Qui dit Ardent dit Terry Manning. Et comme Terry Manning vient de casser sa pipe en bois, allons faire un petit tour à Memphis pour lui rendre hommage.

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             Terry Manning arrivait d’El Paso où il avait joué dans le Bobby Fuller Four. Robert Gordon : «Son père était un pasteur qui déménageait souvent et Terry harcela ses parents pour qu’ils s’installassent à Memphis, ce qu’ils finirent par faire. Une semaine après leur installation, Terry se rendit chez Stax, frappa à la porte et dit : ‘Here I am’.»

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             Il va rester 20 ans chez Ardent, où bossa aussi Jim Dickinson. Terry travaille avec la crème de la crème de Stax, les Staple Singers, Booker T. & the MGs, Isaac Hayes. Il est le bras droit de John Fry qui sous-traite alors énormément pour le compte de Stax. John Fry indique que Dickinson cultivait un beau scepticisme envers le music business - which probably provided some guidance for a lot of people - Dans les pages d’It Came From Memphis, on trouve un bel hommage à Reggie Young, dont la façon de tirer les cordes de guitare aurait influencé George Harrison. À 20 ans, le jeune Young était déjà un vétéran. C’est lui qui jouait sur «Rocking Daddy» d’Eddie Bond, avant de jouer dans le Bill Black Combo et de mettre en place de son d’Hi Records. Justement, le Bill Black Combo tourna avec les Beatles et c’est là que le jeune George loucha sur la technique de Reggie.

             Robert Gordon rappelle que Terry Manning introduisit Chris Bell dans le microcosme Ardent de musiciens et de producteurs, tous jeunes, précise l’auteur, tous affamés d’avenir et de son.

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             Quand en 1968 Dickinson quitte Ardent, il prend le prétexte d’une mauvaise ambiance - a prevailing negativity - mais il ajoute que c’était entièrement de sa faute. Dickinson reviendra chez Ardent en 1972 pour finir son album Dixie Fried que John Fry va lui mixer à l’œil. Pour conclure sur sa période ingé-son chez Ardent, Dickinson affirme que John Fry est le meilleur ingé-son qu’il ait connu - He is a brillant tracking engineer and he’s the best mixer - Bon alors évidemment, après on a l’épisode Alex Chilton. Dickinson dit qu’à l’époque il n’a pas flashé sur les deux premiers albums de Big Star, mais il a fait Third en tête à tête - Head to head - avec Alex.

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             Dickinson ajoute qu’il connaît Chris Bell depuis qu’il est gosse. Un Bell qui comme Andy Hummel viendra commencer à traîner chez Ardent, mais après le départ de Dickinson. C’est la genèse de Big Star. Sur la compile Thank You Friends -The Ardent Records Story figure «Psychedelic Stuff» : Bell lui sonne les cloches, et comme tous les Ardent believers, il cherche des noises à la noise. On retrouve aussi Alex Chilton avec un «Free Again» noyé de bénédiction country, joué aux accords d’arc-en-ciel et claqué à la pedal steel aérienne. Terry Manning ramène là-dedans une dimension du son jusque-là inconnue : the Ardent thang. Justement on l’entend le Manning faire le méchant dans «Rocks». Il se met en colère avec sa petite voix anglaise, mais c’est avec «Guess Things Happen This Way» qu’il rafle la mise, car c’est complètement cisaillé du bulbique, Terry saute à l’assaut du rock, c’est shaké à coups d’accords anglais, il barde son cut de big barda, de huge bassmatic et de wild Memphis drive. Du coup, il devient l’un des géants du Memphis Beat.   

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             Terry Manning intervient assez longuement dans le booklet de Thank You Friends -The Ardent Records Story. Il rappelle qu’il est, comme Dickinson, un amateur de British Beat et raconte dans le détail la genèse d’Ardent, sur National Road. Il est d’ailleurs le premier salarié d’Ardent et il doit tout faire : ouvrir le matin, préparer les bandes, passer un coup de balai. La réceptionniste n’est autre que Mary Lindsay, la femme d’un Dickinson que Terry qualifie de director of entertainment. Il devait vraiment régner une belle ambiance là-dedans ! Tout le temps libre est utilisé pour expérimenter - That period was a lot fof fun. We had no rules, and did whatever we wanted, for better of for worse - John Fry laisse volontiers les clés. Il fait confiance à ses amis. Terry Manning apporte aussi un éclairage sur la transition Box Tops/Big Star : au temps des Box Tops, Alex souffrait de l’autorité de Chips Moman et de Dan Penn qui rejetaient systématiquement ses compos, alors Alex voulait un peu d’air, et cet air, il l’a trouvé chez Ardent, avec le copain Terry. Pour finir avec National 1960s, saluons l’immense Sid Selvige et son «Miss Eleana», car voilà un enjôleur de première catégorie. Comme le Penn, il sait tartiner un slowah.

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             En 1970, Terry Manning, enregistre Home Sweet Home sur son petit label Enterprise, qui dépend de Stax. Il démarre sur une grosse version du «Savoy Truffle» des Beatles, comme par hasard. Terry joue ses grosses lignes de basse comme un beau diable. Il joue tous les instruments, comme Todd Rundgren. Et puisqu’il bosse chez Ardent, il croise les pistes ardemment. Il rentre dans le chou des Beatles, mais il rallonge sa soupe à la truffe pendant de longues minutes, c’est dommage, car il ruine tous ses efforts. Chris Bell ramène son grain de sel dans «Guess Things Happen That Way» : technique somptueuse et originale. Chris Bell reste l’un des plus fervents interventionnistes de Memphis. Fabuleuse version du «Trashy Dog» qui sera repris par Alluring Strange, le groupe de Misty White. Big bassmatic. Ah comme c’est bon, joué ainsi à la rude énergie du beat. Terry attaque sa B avec une solide version de «Choo Choo Train». Il la prend plus punk, il la cisaille et la chante à l’énervée de comptoir. Il en fait une version têtue comme une bourrique. On tombe plus loin sur un «Sour Mash» instro assez puissant, et il boucle son bouclard avec un «Wanna Be Your Man» chanté à la force du poignet. Terry tente de créer l’événement. Pas facile. Il y a déjà beaucoup d’événements down there in Memphis.

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             Norton fit paraître en 2012 un truc plus ancien du Memphis boy : Terry Manning & The Wild Ones, Border Town Rock N’ Roll 1963. Bon, c’est du document d’archives et la plupart des cuts rassemblés par Norton ne ressemblent à rien. Le jeune Terry fait du garage en parpaing. Avec ce genre de disk, Norton se tire une belle balle dans le pied. Quand on écoute «You’re In Love», on se dit en rigolant que c’est l’une des pires mormoilles qui soit ici-bas. On se demande comme Billy Miller a pu sortir un disk aussi désastreux et le vendre quinze euros. Ça dépasse l’entendement, voyez-vous. Mais il faut cependant écouter ça jusqu’au bout, ne serait-ce que pour voir à quelle sauce ils nous servent «Sweet Little Sixteen». Arnaque parfaite. Si Billy a voulu prendre les gens pour des cons, c’est réussi. On reste dans l’agonie avec «Boney Maronie». Ça fait du bien de temps en temps d’écouter un disk bien pourri. On a là l’une des pires arnaques de tous les temps. Fuck it. On adore la mention : «All titles previoulsy unissued». Et pour cause.

    Signé : Cazengler, Terryne de campagne

    Terry Manning. Disparu le 25 mars 2025

    Terry Manning. Home Sweet Home. Enterprise 1970

    Terry Manning & The Wild Ones. Border Town Rock N’ Roll 1963. Norton Records 2012

    Thank You Friends. The Ardent Records Story. Big Beat Records 2008

    Robert Gordon. It Came From Memphis. Pocket Books 1995

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gousse d’Hayes

     (Part Three)

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             Après un Part One consacré à la mighty box The Spirit Of Memphis, puis un Part Two consacré à Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une compile Ace parue en 2022, Isaac le Prophète est de retour avec un Part Three de nouveau consacré à une compile Ace, Hot Buttered Singles 1969-1972.

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             Tony Rounce se charge des 16 pages du mini-booklet. Il n’a pas grand chose à raconter, hormis le fait que Jim Stewart ne voulait pas laisser Isaac le Prophète chanter, lui disant : «your voice is too pretty». Méchant connard ! Par contre, lorsque le DJ Alvertis Isbell, c’est-à-dire Al Bell, arrive au pouvoir chez Stax en 1968, ce sera un autre son de cloche. Al adore la voix d’Isaac le Prophète. Il voit même un market en lui. Lors d’une party bien arrosée et donc avec un gros coup dans la gueule, Isaac le Prophète, le père Crop, Duck Dunn et Al Jackson entrent en studio et enregistrent Presenting Isaac Hayes, qui n’est pas un album très commercial, loin s’en faut.

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             Après la rupture avec Atlantic et la perte de leur catalogue, Al Bell et Stax décident de repartir à zéro en 1969 avec 27 albums. Oui, 27 albums d’un coup. Allez hop tout le monde au boulot ! Al Bell demande bien sûr à Isaac le Prophète de participer à cette orgie de renaissance et Rounce se marre : «There was little expectation that his second album would change the face of black American music forever.» Eh oui, il évoque bien sûr Hot Buttered Soul, l’un des albums les plus révolutionnaires de l’histoire de la rock culture, avec Highway 61 Revisited, Electric Ladyland, The Velvet Underground & Nico et The White Album. Isaac le Prophète a carte blanche. Comme le studio Stax est over-booké, Isaac le Prophète va chez Ardent avec les Bar-Keys et le fils de Rufus Thomas, Marvell Thomas qui est pianiste. En quelques heures, ils mettent à plat Hot Buttered Soul. C’est là-dessus que tu croises la version longue du «By The Time I Get To Phoenix» de Jimmy Webb, dont une version courte figure que la compile Ace - I’m talking about the power of love, man - C’est un cut historique, c’mon c’mon c’mon, tu rentres dans la profondeur du Black Power, et t’es bien raccord avec la photo d’Isaac le Prophète enchaîné qui orne la pochette. Car c’est monté sur un lourd battement de cœur et un claquement hypnotique de cymbale, tu attends un peu et Isaac t’allume ça au chant, il injecte le power du Black Power dans le petit cul blanc de Jimmy Webb et ça devient mythique. Oui, tu plonges dans les tréfonds d’un paradis, et le Prophète te magnifie cette chanson parfaite à coups de call my name. Comme Phoenix fait un carton, Bell est obligé d’en sortir une version single de 7 minutes. Même chose pour «Walk On By» qui en fait 12 et qui redescend à 4 minutes pour le single. C’est d’ailleurs «Walk On By» qui ouvre le bal de cette compile prophétique. T’as l’immédiateté du Prophète - If you see me walking down the street - Il gronde son walk on by avec le pouvoir terrible d’un dieu de l’Antiquité.

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             Isaac le Prophète tape encore dans Burt avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself» et «The Look Of Love». Il emmène les cuts de Burt en mode Stax avec des chœurs de filles. Tout ici est extrêmement arrangé, très aventureux, Isaac attaque Burt à la sourde, histoire de challenger la mélodie. Il rivalise de génie vocal avec Dusty chérie, tu le vois remonter le courant de la mélodie à la force du poignet. Ses compos ne sont pas en reste, comme le montre «Winter Snow», qu’il module à merveille d’une voix profonde. Il vise la pop par dessus les toits. Il fait aussi un chef-d’œuvre de l’«I Stand Accused» des frères Butler de Chicago. Il prend bien «Never Can Say Goodbye» par en dessous, puis tu tombes nez à nez avec «Theme From Shaft».

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             Isaac le Prophète comptait bien décrocher un rôle dans le film de Gordon Parks, mais comme Parks a déjà confié le rôle à Richard Roundtree, il demande à Isaac de composer la B.O. Boom ! «Theme From Shaft», amené à la cymbale, comme Phoenix, et repris à la wah black. C’est du grand art. On connaît Shaft par cœur, mais le fouetté de cymbale fascine toujours plus, t’y peux rien. Damn right ! Il y va le Prophète, il te groove ça entre les reins et ça te bat la coulpe au right on ! Rounce parle d’une «truly iconic piece of music.» Il a raison, l’asticot. Le double album Shaft reste nous dit encore Rounce LE «Stax’s best-seller and one of the best-selling soundtrack albums ever.» Isaac le Prophète a sauvé Stax. Provisoirement. Les fucking banquiers blancs allaient finir par avoir la peau de ce vaillant label black.

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             Le «Do Your Thing» de la compile est encore une version tronquée, qui passe de 20 minutes à 3, Isaac le Prophète chante ça d’une voix de catacombe. On croise ensuite une cover instro du «Let’s Stay Together» d’Al Green. Isaac y joue du sax et mine de rien, il vise la grandeur totémique urbaine. Il prend ensuite «Soulsville» à la voix mâle. Rounce annonce bien sûr une suite. On piaffe d’impatience. Cui cui cui ! Ou coin coin coin, c’est comme tu veux.

    Signé : Cazengler, Isac à main

    Isaac Hayes. Hot Buttered Singles 1969-1972. Ace Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Compte en Banks

             Durrell n’avait rien à voir avec l’écrivain anglais du même nom, Lawrence Durrell. On lui posait chaque fois la question et il répondait d’un air mauvais, que non, il n’était pas l’écrivain machin, mais par contre, il se forçait à sourire pour ajouter qu’il a-do-rait Francis Carco, qu’il avait chez lui une pièce en-tièèèèèère consacrée à Francis Carco, entière, t’as bien entendu ?, en-tièèèèère !, et il poursuivait en racontant qu’il possédait des traductions de Carco dans toutes les langues, même en japonais, en arabe et en serbo-croate, ben oui, pomme de terre, me regarde pas comme ça, en serbo-croate !, ça t’épate, hein ?, et il donnait tous les détails de ses in-quarto décorés d’eaux fortes, il citait les noms d’obscurs illustrateurs de presse, il se vantait aussi de posséder des tirages de tête dédicacés par l’auteur, il gesticulait, levait les bras au ciel, baragouinait que Carco ceci et cela, et que si t’étais pas content c’était pareil, il se rapprochait de toi et t’attrapait par le col pour te grogner sous le nez d’une voix sourde : ah tu connais pas Carco ?, ben dis donc, on est pas sortis de l’auberge avec une patate comme toi, et il repartait de plus belle, te branchait sur le Lapin Agile, sur Dorgelès et Mac Orlan et paf, il t’expliquait la bohème dans le moindre détail, toute la bohème de Montmartre, et avec un mec comme Durrell, ça durait la nuit entière, on vidait les cubis et on clopait tous les paquets de clopes, plus Durrell buvait et plus il s’agitait, il ressemblait à un volcan équipé d’ailes de moulin, mais un volcan qui menaçait à chaque instant d’entrer en éruption, et soudain, il éruptait, les baies vitrées tremblaient, des flots jaillissaient de sa gueule grande ouverte, et pis t’as Guillaume Apollinaire qui chante son Pont Mirabeau au bout de la table et pis t’as Max Jacob qui réajuste son monocle entre deux crises de rire, et pis t’as Utrillo qui boit comme un trou, oui, comme un trou !, et pis t’as Pascin qui songe déjà à se pendre, mais qui donne la change, le change, oui mon gars, le change ! Et toi espèce de cloporte, sers-moi donc à boire ! ventrebleu, qu’est-ce que c’est qu’cette baraque où ya plus rien à boire !, et soudain, ivre de colère et de délire volcanique, il donna un coup de poing sur la table tellement violent que les verres et les bouteilles tombèrent, il se leva d’un bond, pareil à Poséidon, renversa la table, et décida d’aller boire un dernier verre en ville avant d’aller se coucher.

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             Vaut mieux avoir Darrell à sa table que Durrell.

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             Darrell Banks est l’un des princes de la Northen Soul, il est donc logique qu’il s’en vienne briller inside the goldmine. Dans ses liners pour Kent, Tony Rounce parle d’une «short but brillant career» : quatre ans, deux albums et une poignée de singles - Elle commença avec le succès de son premier single, «Open The Door To Your Heart», en juillet 1966, et s’acheva avec la balle d’un flic en civil en février 1970 - En fait Darrell se tapait une certaine Marjorie Bozeman que se tapait aussi le flicard. Un jour, Darrell se pointe chez Marjorie, le flicard est là, une petite shoote éclate, le flicard sort son calibre et bam bam, une balle dans le cou et une autre dans la poitrine. Rounce oublie de nous dire si le flicard est blanc. Par contre, il précise que le flicard n’ira pas au trou, ce qui laisse supposer qu’il est effectivement blanc.

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             Rounce ne tarit pas d’éloges sur le pauvre Darrell, il parle de «best Southern and Northern Soul ever found on tape», et qualifie Darrell d’«one of the hardest acts to follow in the entire history of popular music». Rounce ne mâche pas ses mots et comme c’est l’un des plus grands spécialistes de la Soul, on prend ses paroles pour argent comptant. Parmi les supposées influences de Darrell, Rounce cite les noms qui brûlent les lèvres, ceux d’Archie Brownlee et de Clarence Fountain, les lead singers respectifs des Five Blind Boys Of Mississippi et des Blind Boys Of Alabama.

             Basé sur la côte Est, Darrell commence par écumer la scène de Buffalo, dans l’état de New York, puis il ira enregistrer à Detroit pour le compte d’Atlantic/ATCO. Rounce revient sur «Open The Door To Your Heart» qui pour lui est le hit Soul parfait, un hit qui sera repris par Jackie Wilson, Freddie Scott et Tyrone Davis.

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             C’est d’ailleurs «Open The Door To Your Heart» qui ouvre le bal de B de Darrell Banks Is Here. Ce bel ATCO de 1967 se doit de figurer dans toute discothèque digne de ce nom. Sur les dix cuts de l’albums, tu as huit coups de génie, voilà, c’est aussi simple que ça. Boom dès «I’ve Got That Feeling», un heavy r’n’b, avec Darrell, ça ne traîne pas. FSB ! Fast Soul Brother ! Et ça repart de plus belle avec «Look Into The Eyes Of A Fool», il te claque là un groove d’entre-deux, et il se coule dans la pocket d’«Our Love Is In The Pocket», un wild r’n’b franc du collier. En B, boom dès l’«Open The Door To Your Heart», Tony Rounce a raison de s’exciter sur ce big heavy r’n’b tapé au Darrell Feel de much time for my baby. Véritable crash test, pur r’n’b genius, le Darrell y va au sweet to me. Toute la B rôtit en enfer, le vieux Darrell embarque son «Angel Baby (Don’t You Ever Leave Me)» au yeah yeah yeah. Darrell Banks est un démon. Son «Somebody (Somewhere Needs You)» est plus classique mais wham bam quand même, car quel fast r’n’b, Darrell fonce au triple galop. L’heavy Darrell est de retour avec «Baby Watcha Got (For Me)», il ronfle comme un gros moteur Stax, il développe la même énergie que Sam & Dave, avec le côté aristocratique en plus. Power absolu ! Ça se termine avec «You Better Go». Darrell est une fine lame. Il est même la prunelle des yeux du r’n’b. Il chante comme s’il était un empereur sur son char.

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             Pas la peine d’aller cavaler après Here To Stay, l’album de Banks qui vaut la peau des fesses, il se trouve sur une belle compile Kent, I’m The One Who Loves You - The Volt Recordings. Avec le nom qu’il porte, Darrell Banks est un artiste tout de suite crédible. Il travaille ses grooves au raw, comme le veut la tradition Stax de l’époque. Mais curieusement, il n’a pas de hits. Il s’aventure sur les traces du grand Percy en reprenant «When A Man Loves a Woman». Bon, il n’a pas le même genre de guts, pas du tout. Il reste dans les limites de la bonne interprétation, comme si le génie ne l’intéressait pas. Ça nous fait des vacances. On se repose. Ras le bol des immenses artistes et des creveurs d’écrans. Avec Banks, on est tranquille, comme avec le Crédit Agricole. Il est le bon sens de la Soul près de chez toi. Il faut attendre «Beautiful Feeling» pour le voir enfin monter là-haut, pas à Rio, mais sur l’Ararat. Sa heavy Soul peut devenir stupéfiante. Il y fait un Big Atmospherix violonné à outrance. Tout s’écroule sous le poids de la Soul. On finit par comprendre que Banks navigue à un très haut niveau. Les petits hits de juke ne l’intéressent pas. Dans «Never Alone», il est même dépassé par les Sisters. Les bonus valent le détour, notamment «I’m The One Who Love You», un heavy r’n’b viollonné dans l’axe de l’angle, et comme il ramène toute sa niaque de Soul Brother, ça devient excellent. Il fait un peu de funk avec «Mama Give Me Some Water», mais c’est un funk à la mode Jean Knight et King Floyd, le funk Malaco. Il tape à la porte de derrière avec «My Life Is Incomplete Without You», et il casse la baraque pour de vrai avec «Beautiful Feeling», orchestré dans l’âme de la Soul. 

    Signé : Cazengler, Banks postale

    Darrell Banks. Darrell Banks Is Here. Atco Records 1967  

    Darrell Banks. I’m The One Who Loves You. The Volt Recordings. Kent Soul 2013

     

    *

            En règle générale l’oiseau bâtit son nid là où il se pose. Certains affirmeront que ce lieu mythique se trouve près des eaux puissantes et boueuses puissantes du Mississippi et qu’il se nomme la terre du blues. Ils n’ont pas tort. C’est une belle contrée originaire. D’autres diront que la zone d’élection est plus vaste, qu’elle est partout et nulle part sur pratiquement la moitié d’un continent, ils parlent de country et de folk. Eux non plus n’ont pas tort. Ils désignent un pays mythique par excellence. Mais pour moi, je fais partie de cette génération de jeunes européens pour qui le domaine d’Arhneim d’Edgar Poe qui confine à l’absolu touche à cette terre impalpable et génitrice, surnommée les pionniers du rock.

             Ses frontières sont floues, l’on peut les traverser sans s’en rendre compte où l’on met les pieds. Peu à peu il disparaît des cartes géographiques musicales, les rois du rock ont vite perdu leurs royaumes, en moins de dix ans ils sont devenus des princes en exil. Mais souvent l’on ne sait jamais si l’on marche sur des cendres ou des semences. Toutefois si l’on explore les sables des mémoires ensevelies l’on ne tarde pas à retrouver des traces, des artefacts, et des témoignages des principaux saigneurs de cette époque de gloire tapageuse et fulgurante. Cette semaine ce sera :

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE SEA !

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE  SKY !

    LITTLE RICHARD !

             C’est une vidéo qui m’est tombée inopinément sous l’œil. Je ne l’avais jamais regardée. Je n’aime pas les blablas officiels, les récupérations posthumes, les votes pour élire le plus grand ceci, le plus grand cela… Soyons franc, une petite dent (de cachalot colérique) contre le Rock’n’roll Hall of Fame. Depuis les premières nominations de l’année 1986. Du beau monde : Elvis Presley, Chuck Berry, James Brown, Ray Charles, Sam Cooke, Fats Domino, The Everly Brothers, Buddy Holly, Jerry Lee Lewis, Little Richard. Je sais bien que Gene Vincent n’a pas bénéficié de la même aura auprès du public américain que du public européen… En plus il n’y a pas non plus Eddie Cochran… Erreur monumentale qui sera réparée l’année suivante, 1987, avec toute une floppée de pionniers, Eddie Cochran bien sûr, mais aussi Bill Haley, Bo Diddley, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison… Pour Gene Vincent faudra attendre… 1998 !

             Otis Redding sera intronisé en 1989, son introducteur sera Little Richard. J’aime beaucoup Otis Redding mais j’avoue que j’ai regardé pour Little Richard. Otis est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Des anglais. Certes l’on adorait les Rolling Stones, les Yardbirds, les Animals et tous les autres Britishs, mais ces englishes malgré leurs éminentes qualités possédaient une tare secrète. Ce n’était pas de leur faute, mais enfin le pays du rock’n’roll c’était quand même l’Amérique, aussi quand a déboulé Otis, ah, cette version de Satisfaction qui remettait la pendule des Stones à l’heure, mais aussi Wilson Pickett, Sam and Dave, Eddie Floyd, Arthur Conley et tous les autres, avec en prime champion toutes catégories James Brown, c’était bien le retour du rock’n’roll ! On l’appelait Rhythm’n’Blues mais ce n’était pas gênant, juste une question d’orchestration, priorité aux cuivres, rien  d’incompatible, ça groovait un max à faire s’effondrer la Tour de Babel sur ses bases… C’était bien parti pour un nouveau tour de piste, hélas tout a recommencé comme avant, un malheureux avion qui s’écrase, exit le rhythm’n’blues, la veine noire et palpitante du rock s’évanouit, ce sont les britains d’outre-manche qui colonisent les terres d’outre-atlantique…

             Que Little Richard soit l’introducteur d’Otis Redding au Hall of Fame tombe sous le sens. Tous deux sont originaires de Macon in Georgia. Le premier 45 tours d’Otis Fat Girl / Shout Bamalama sorti en 1961 est la preuve d’une filiation musicale indéniable…

             Juste quelques dates  qui ont de l’importance pour ce qui suit : Otis est né en 1941, il est mort en 1967. Little Richard est né en 1932. Otis Redding est intronisé en 1989, Little Richard a donc cinquante-six ans.

    LITTLE RICHARD INDUCTS OTIS REDDING

    INTO ROCK’N’ROLL HALL OF FAME

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             L’a de la gueule, de profil sur l’image arrêtée, chevelure bouclée, fine moustache, lunettes teintées, col de chemise noire, l’arrive sur scène sanglé dans une vaste veste de teinte sombre, verreries éparses clignotantes sous les projecteurs, tend la main à Jerry Wexler tous bras ouverts, accolade, le voici devant le pupitre sur lequel repose quelques feuilles de papier, il se penche vers les micros, c’est là que l’on s’aperçoit que les musicos entrevus en deux quarts de seconde ne sont pas là pour sonner de pharamineuses trompettes d’accueil, sans préavis Little Richard entonne I can’t turn you loose, quelle attaque, quelle voix, quel mordant, il n’a pas l’arrière-volupté du timbre d’Otis mais il vous transforme le titre  en un hymne de haute piraterie, s’appuie des deux mains sur le pupitre, et chante avec cette facilité déconcertante avec laquelle vous tournez votre petite cuillère chaque matin dans votre bol, les cuivres freinent à mort derrière comme quand vous faites une queue de poisson sur l’autoroute pour que le poids-lourd verse son chargement sur la voiture qui le suit, l’on sent que l’on va entrer dans le dur, déception, nous n’avons droit qu’au premier couplet ! Pas de panique nous n’allons pas perdre au change avec ce qui suit.

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             L’a terminé sur quatre ou cinq de ces pioulets – c’est ainsi qu’en Ariège que l’on surnomme le cri du poulet qu’un renard attrape par le col – qui firent sa célébrité, s’incline, l’a un de ces sourires de carnassier, oui mais attention c’est un nègre qui tient sa revanche – celle de tout un peuple longtemps soumis en esclavage – longtemps, trente ans qu’il n’avait chanté ainsi, et maintenant vous allez l’entendre pousser ces cris de femme blanche - le peu de public que l’on entrevoit est constitué de blancs – il rigole et la foule s’esclaffe, fermez-là, elles font oh ! et  les noires WHOU ! (comme les louves affamées a-t-on envie d’ajouter), il se sent bien, real dit-il, lui et Otis viennent du même endroit, et hop il enchaîne sur Sittin’ at the dock of the bay (la dernière chanson d’Otis sortie tout de suite après sa mort) je fais remarquer que tout en rigolant de la blancheur de ses dents colgate il a suggéré trois notions importantes, la sujétion, le sexe et la mort,  chante le hit avec le même désenchantement détaché qu’Otis, les lyrics ne sont pas joyeux, fait une drôle de gueule quand il l’interrompt, certains mo(r)ts portent plus que d’autres, alors il éclate de rire, rappelle qu’il n’a pas chanté depuis tant de temps, cite Tina Turner, fermez-la, et moi aussi je devrais chanter comme elle le fait si bien, vous devriez m’enregistrer, et je vis encore, je suis encore présentable, fermez-la, prenez-moi en photo, laissez l’homme noir, appuie sur le bouton que tu me voies tel que je suis, vous savez Otis et moi provenons de la même cité, il farfouille dans ses deux feuilles, non il ne lira rien, car il vient de là lui aussi, pourquoi riez-vous, j’ai été le premier gars de Georgie à devenir célèbre, parce que je suis le plus ancien, l’ancêtre et très jeune, James Brown je l’ai sorti de prison, maintenant il retourne dans le Sud, je pense que je devrais y aller avec lui – James Brown est alors en prison, condamné à six ans, il ressortira au bout de trois ans pour conduite en état d’ivresse et détention d’armes en feu – Vraiment je hais ce qu’ils ont fait à James, il est fantastique, il est le Godfather, si l’on me laissait pourrir autant de temps, il n’y aurait pas d’autre alternative, James doit se ressaisir, nous devons tous nous ressaisir. Vous savez Otis a commencé par Shout Lamabama, vous connaissez cette chanson, le rock’n’roll est all around the world, vous connaissez ma voix un peu haute, vous souvenez-vous, et il entonne I’ve been lovin’ you too long, mais il arrête trop vite, j’aime ses chansons, j’étais son idole, il aimait ces petits roulements dans ma voix, il en donne un exemple mais il ne peut s’empêcher de débloquer le turbo et se lance dans un whooooo ! à réveiller les derniers loups des Appalaches. Je me sens bien mais je n’ai que de l’eau sur ma table ! Rajoute quelques Wloo, celui-ci dédicacé à Phil Spector. Il enchaîne sur Fa-Fa-Fa-Fa…( Sad Song), l’on aimerait qu’il aille jusqu’au bout, mais il revient à Otis, son père était un preacher et lui aussi était un preacher, c’était un grand chanteur, je l’ai rencontré à New York, je ne l’ai pas rencontré à Macon, je lui ai donné cinquante dollars au Statler Hilton Hotel, je lui ai donné un autographe, et je lui ai filé une marque pour venir me voir dans ma chambre, je lui ai dit que j’avais besoin de parler, il m’a dit oui, mais il n’a pas voulu que je ferme la porte, Little Richard

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    explose de rire, je ne voulais rien faire juste l’entendre chanter, il a composé de grands morceaux, j’ai souhaité qu’il soit au Hall od Fame, mais il est parti, il a contribué à la musique du monde, et il est un pilier du rock’n’roll, quand je l’ai entendu interpréter Lucille ( 1964) j’ai cru que c’était moi, il se tourne vers l’orchestre, tiens un petit peu de Lucille, l’en fredonne un demi-couplet, il sonnait comme moi, j’ai cru que c’était moi, et quand j’ai su que c’était lui j’ai su que c’était un des plus grands chanteurs et un des plus grands compositeurs, dans lesquels je m’inclus, et aussi Jimi Hendricks, tous sont avec moi, James Brown, les Beatles, et Mick Jagger que je n’ai jamais rencontré, mais il était avec moi, te souviens-tu Mick que tu étais venu et que tu dormais sur le plancher car il n’y avait pas de lit pour lui, il ne peut pas oublier car c’était dur, il était dans la chambre de Bob Dill car la mienne était pleine comme un œuf, il s’esclaffe, l’était juste en train de faire son intéressant, il n’était pas si mort que ça, parfois il faut savoir s’arrêter, je ne suis pas en train de dire que le gagnant est méchant, ce soir le gagnant c’est Otis, nous tenons à remettre à Otis et à sa famille, elle doit être là, cette grande, grande récompense, et

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    je suis heureux d’être là et que c’est la première fois que j’ai chanté Lucille il y a trente ans et j’ai chanté le rock’n’roll depuis trente ans. Bonne nuit. Bon Dieu, une femme toute menue se glisse dans ses bras. Prenez-moi en photo avec cette lady, elle prend la parole dans quelques instants, tendez la main à ce monsieur, elle prend des mains la statue que Wexler lui remet, encore une photo avec la statuette, Zelma l’épouse d’Otis s’approche du micro, elle parle, pas très longtemps, mais l’on ressent son émotion et son chagrin encore présent si longtemps après la disparition d’Otis. Elle ne peut continuer, Little Richard l’accompagne doucement…

             Sans commentaire.

    Damie Chad.

     

    *

             590, 594, 617, voici un moment que nous suivons Telesterion. Vraisemblablement pas avec une attention soutenue puisque qu’au mois de septembre dernier nous avons laissé passer sa dernière production. Apparemment Demeter ne nous en a pas voulu. En effet Telesterion se donne pour but unique de chanter pour la déesse. Nous avons cru au début que Telesterion était un groupe grec, il s’agirait d’un seul individu qui serait américain. Voici donc, avec Thumos, deux groupes de la grande Amérique qui se consacreraient au legs de la Grèce Antique. Comme par hasard tous deux possèdent la même maison de disques…

    THEMESPHORIA

    TELESTERION

    (Snow Wolf Records / Septembre 2024)

             Les Themesphoria remonteraient-elles à près de mille ans avant notre ère sous forme de pratiques rituelles liées à l’agriculture dans le bassin méditerranéen… Ce qui est certain c’est que les Themestoria étaient des fêtes liées aux cérémonies des Mystères d’Eleusis. Il en reste encore des traces aujourd’hui dans nos sociétés modernes lorsque l’on explique à nos chérubins qui veulent tout savoir, on leur raconte que leur papa a planté une petite graine dans leur maman… Civilisation avancée nous entrevoyons le problème de la génération selon les progrès de nos médicales connaissances gynécologiques… les premiers peuples sédentaires s’inquiétaient davantage de leur survie alimentaire qui dépendait avant tout de la fertilité du blé… pour la problématique enfantine on aviserait plus tard…

             L’on a un peu tendance à rire jaune lorsque l’on prend connaissance des fameux mystères du sanctuaire sacré proche d’Athènes. Tant de bruit et de silence pour des évidences à la portée de nos élèves de CM1 ! Que la graine doive périr pour donner naissance à un épi de blé nous l’admettons, que cette force naturelle qui conduit la graine à périr pour renaître sous forme d’épi porteur de grains qui retombés en terre accepteront leur rôle de graines, la description de ce phénomène nous l’assimilons sans trop de peine, que le processus germinatif de la graine soit assimilé et associé à l’idée de force vitale propulsée par le phallus, nos lointains ancêtres, pas plus bêtes que nous, y ont souscrit sans difficulté. N’étaient point du genre à cacher ce témoin du désir turgescent.

             Tous ces processus nous ne les entrevoyons que sous leurs aspects platement réalistes.  La science nous a fait perdre le mystère des choses. Les grecs recouvraient de métaphysique la physique des choses. Humaines, trop humaines, les choses ne possédent que maigre valeur. La graine, symbolisée par Perséphone obligée de passer les mois d’automne et d’hiver sous la terre dans le royaume souterrain d’Hadès son mari, retrouvait le soleil durant  la majeure partie de l’année près de  sa mère, la déesse Déméter. Que trois Dieux soient mêlés au processus germinatif, voilà de quoi lui concéder une certaine majesté…

             Si vous avez du mal à sentir la présence des Dieux rôder autour des choses, consolez-vous, la plupart de vos concitoyens ne discernent point les idées platoniciennes au-dessus du moindre phénomène. Ne soyez pas désespérés, Aristote lui-même n’a jamais manifesté une grande créance aux théories de Platon.

             Si les Mystères d’Eleusis étaient ouverts aux femmes comme aux hommes, les femmes mariées (et peut-être de bonne famille) avaient seules le droit de participer aux Themesphoria. Est-ce à cause de cette suppression de la moitié des témoins que le secret de ces rites nous est mal connu, malgré leur réputation de cancanière à la langue affûtée, peut-être les femmes ont-elles su rester discrètes…

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             En règle générale les Themesphoria se déroulaient fin octobre et duraient trois jours. Certaines cités grecques optaient pour une période pouvant atteindre dix jours… Telesterion a opté pour quatre stases. Toutefois il rajoute cinq rites choisis parmi ceux que pratiquaient les prêtres chargés du culte. Nous y reviendrons.     

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             Différentes lectures de la signification des Themesphoria peuvent être proposées. Il en est une très rassurante :  ce seraient des cérémonies qui siéraient à la majesté des femmes mariées et à leur statut de génitrices. Dans la série ayons de beaux enfants forts et virils ils sont les garants de la survie future de la  Cité, les Grecs étaient très fortiches… Maintenant quand on touche au sexe des femmes une autre version transparaît. Lors de cérémonies liées aux cultes de la fécondité, par exemple durant les Lupercales  romaines, menées par les prêtres du dieu Faunus, les jeunes hommes s’armaient de lanières et se dispersaient dans la ville pour fouetter au hasard les femmes désireuses de tomber enceintes, nous ne sommes pas loin de jeux érotiques sado-érotiques… Pensons au scandale suscité par Jules César pour s’être introduit dans les cérémonies secrètes en l’ honneur de la Bonne Déesse ( = Fauna = Céres = Demeter) interdites aux hommes, durant lesquelles nos Dames de haute vertu s’adonnaient à de fortes libations alcoolisées et à certains jeux érotiques étrangement semblables à des orgies. Pour les curieux nous recommandons la lecture attentive du Dialogue des Courtisanes par Pierre Louÿs, nous ne donnerons pas ici la traduction de ce terme grec de ‘’Bobôn’’ désignant cet ustensile que ces péripapéticiennes utilisaient pour prendre un peu de plaisir dans cette vallée de larmes que serait notre séjour terrestre.

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             Nous pensons que nos lecteurs ont plus ou moins entendu parler de Perséphone fille de Déméter kidnappée par Hadès le Dieu des Enfers. Sa mère en larmes et désespérée s’en vint se plaindre à Zeus. Rappelons-nous que Perséphone est aussi la fille de son père : Zeus. Cette histoire est peu metooesque. Puisque sur les conseils de Zeus, malgré les ignobles épreuves à laquelle le dieu des Enders  soumit son cops innocent, Perséphone consentit à régner en compagnie de son mari sur le monde des morts. Phénomène d’emprise !  Comme quoi Eros et Thanatos…

             Il est toutefois un autre personnage lié de très près à cette histoire. Il s’agit d’une des plus vieilles déesses, Hécate, les rockers la connaissent car elle préside aux carrefours, endroit où toutes le mauvaises, mais aussi les bonnes rencontres peuvent se produire. C’est dans un carrefour que le diable in person apprit à Robert Johnson les adéquates positions des doigts sur les cordes d’une guitare. Dans notre modernité Hécate ne jouit pas d’une bonne réputation… c’est pourtant elle qui a  permis à bébé Zeus de ne pas être englouti dans le ventre de son père Kronos… C’est aussi elle qui servante de Déméter s’occupa du bébé Koré, signifiant jeune fille, premier nom que sa mère lui donna et qu’elle abandonna lorsqu’elle devint Perséphone, l’épouse d’Hadès.

             Lorsque Déméter désemparée ne savait plus quoi faire devant la mystérieuse disparition de sa fille, Hécate prit les choses en main, elle l’emmena chez Hélios le kronide  qui la dirigea vers Zeus… Mais avant que Zeus n’eût donné à Hadès l’ordre de libérer Perséphone, Déméter avait reçu accueil et assistance auprès de la reine Métaneiré à qui elle ordonna de faire bâtir dans la ville d’Eleusis un temple en son honneur. C’est de retour de son entrevue avec Zeus qu’elle initia le roi Kéléos et ses fils Triptolémos, Polyseinos, Eumolpos, Dioclès, aux rites secrets qui seront enseignés dans son temple à EleusisLeconte de Lisle dans ses traductions des Hymnes Homériques emploie le terme orgie pour désigner le contenu de ses rituels secrets…  Ce sont ces cinq rites dont Themesphoria nous indique qu’ils sont accomplis par les prêtresses de Déméter.        

             La couve de l’Ep dont nous n’avons pas réussi à découvrir la provenance nous semble moderne, empruntant autant à l’Art Moderne d’un Aubrey Beardsley  qu’à la bande dessinée, elle tranche avec celles des précédents artefacts de Telesterion.

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    Skira : qui en grec signifie ombre : cela pourrait s’intituler l’angoisse, la descente dans le noir des Enfers de Koré emportée par Hadès, des pas dans une galerie, quelqu’un qui porte un corps pesant, vision auditive toute hominienne, des chœurs incessants pour donner à cette interprétation la grandeur fastueuse de l’évènement en train de se dérouler, une espèce de contre-initiation charnelle, l’ouverture des grenades sanglantes du sexe percé de Perséphone, l’intuition qui lui est prodiguée de la signification de l’acte accompli, en dehors de toute limitation individuelle, la portée symbolique, de ce grain de grenade qu’elle a avalé qui l’a rendue immortelle puisqu’elle ne peut plus mourir, car même les Dieux immortels peuvent mourir s’ils ne peuvent plus se nourrir d’ambroisie et de nectar, nourriture sacrée des Dieux suscitée par les bienfaits de Déméter… Plus que l’épisode mythologique du rapt de Koré, l’ombre ici n’est qu’une des figures de la mort inéluctable. Anodos : joyeuses pincées de cordes et trot percussif, si skira désignait la descente de Perséphone dans la mort, anodos signifie montée, vers le soleil, le retour de Perséphone vers Déméter, le cycle de la vie qui se libère des liens du cycle de la mort, la fleur qui s’offre au soleil, la végétation qui renaît, l’éblouissance des forces de la nature, l’assurance du triomphe de la vie. Ce premier jour des Themesphoria donnait lieu à un défilé triomphal, sans doute y promenait-on les futures victimes animales  offertes à la déesse : chiens (pensez à Hécate et à Cerbère) et porcs (particulièrement utilisés dans des rites de fertilité dont Déméter et Koré  étaient de droit les principales bénéficiaires. Des morceaux de porcelets étaient enfouis dans des fossés creusés dans les champs, pour être récupérés plus tard et servaient alors d’offrandes sur les autels de la déesse afin qu’elle favorise les futures moissons. Tout parallèle avec le grain de blé transformé en épi s’impose naturellement.). Nesteia : rythme sans force. Musique grave et retenue. Ce deuxième épisode des Themesphoria surprend, il s’agit d’un jeûne propice au recueillement et à la réflexion. Toutefois il était conseillé de participer à cette cérémonie en ayant auparavant suivi durant trois journées une abstinence que l’on ne peut qualifier que d’ordre sexuel. Etait-ce pour ne pas se présenter à la cérémonie suivante le corps fatigué, les membres las, les chairs comblées… toujours est-il que l’on ne peut ne pas remarquer que le flux musical se charge d’une certaine tension, d’un tambourin insistant, d’une accumulation organique d’impatience comprimée. Kalligeneia : la troisième journée était vouée à fêter cette déesse censée vous aider à engendrer de beaux enfants, robustes et en pleine santé. S’agissait-il simplement d’offrandes de fleurs, de bijoux, de chevelures, dans l’espoir d’être exaucée ou d’une initiation sexuelle sous forme de mimes, ou de pratiques plus exhaustives. Nous n’en savons rien. Nous notons toutefois que ce morceau accumule séquences d’attente et moments de libération, certes l’ambiance n’est guère priapique et reste cantonnée dans un registre grave et contenu, il s’agit bien d’entrevoir cette initiation comme des instants sacrés et solennels qui confère à des gestes somme toute jouissifs une dimension énigmatique et mystérieuse que les non-initiées étaient censées ne pas connaître…

             Cet EP de Telesterion est d’un abord moins évident que les enregistrements précédents. Il demande quelques connaissances de base sans lesquelles il est difficile de pénétrer le sens ultime de cette musique qui reste celle de l’évocation de pratiques cultuelles de l’ancienne Grèce. Aujourd’hui le regard que nous portons sur ces cérémonies bâties à leur époque sur des observations archaïques les plus triviales, plongeant leurs racines dans la période néotlithique, nous les recevons après des siècles d’édification mythologiques d’une grande complexité car constituées de couches historiales diverses, elles-mêmes modulées par toutes ces réflexions raisonnantes léguées par la philosophie et la pensée sophistique du legs de la Grèce Antique.

    Damie Chad.

     

     *

             Sans être un linguiste réputé il y a des noms de groupe qui se traduisent facilement exemple : conifer beard = barbe de conifère.  Ce qui ne vous empêche pas de barjoter : les sapins étant des conifères voici votre barbe de conifère qui se transforme en barbe de sapin, par un subtil glissement vous obtenez barbe de sapeur. Du coup en gambergeant dans votre tête vous imaginez les sapeurs de la Grande Armée entrant dans l’eau froide de la Bérézina pour construire les ponts salvateurs, vous voici transporté en Russie, bingo ! justement le groupe qui porte le nom de Conifer Beard est de nationalité russe. Soyons précis : de Yelabouga (80 000 habitants) située sur un  affluent de la Volga à plus de neuf cents kilomètres de Moscou. Tout concorde, trois grands types costauds nantis d’une barbe, toutefois avouons-le  fièrement, plus modeste que celle des sapeurs de Napoléon, des adeptes de stoner rock. Des brutes épaisses sympathiques. Enfin presque. Sur leur Instagram vous avez une photo tous les trois debout devant une isba recouverte de neige accompagnée d’un texte écrit en Russe. Quand on pense que Tolstoï enfant parlait mieux le français que le russe, l’on se dit que l’on n’aurait pas besoin d’un traducteur pour comprendre. Or justement le texte traduit reste passablement compréhensible. Ce n’est pas que le traducteur soit mauvais, ce n’est pas que nos conifer men soient des analphabètes, c’est que nous sommes en présence d’un texte poétique. Bref des types qui méritent le détour, alors sans plus attendre l’on se penche sur :

    Странствий Сказ

    CONIFER BEARD

    (Février 2025)

             Oui nous les avons déjà rencontrés dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, et vous avez raison ce Странствий Сказ signifie bien RECIT DE VOYAGE. Nous sommes donc dans la grande tradition du récit de voyage russe dont le chef-d’œuvre reste  La Steppe (Histoire d’un voyage) d’Anton Tchekhov. Nous voici partis pour un étrange voyage.

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             Je ne suis pas un spécialiste de l’art graphique du vingt-et-unième siècle mais je ne crois pas m’avancer beaucoup en assurant que le 31 décembre 2299 la couve de ce disque ne sera pas élue comme une des dix images totémiques des cent dernières années qui se seront écoulées. Toutefois que signifie cette utilisation du blanc et noir alors que les productions précédentes de Conifer Beard ont toutes bénéficié d’une impression quadrichromique. Il ne faut point d’après moi expliciter que cette absence de couleur soit due à un manque de moyens pécuniers. Le groupe a voulu qu’il y ait une coalescence d’intention entre la pochette et le thème de l’album. Certes des centaines de verstes parcourues dans une sombre forêt recouverte de neige peut être facilement représentées en noir et blanc, mais il est deux sortes de voyages, ceux qui se déroulent en pleine nature et ceux intérieurs que l’âme effectue après le trépas. Le blanc du linceul et le noir funèbre s’imposent alors d’eux-mêmes.

    Artem Kornilov : guitar / Arsenil Kornilov : bass / Robert Nurunov : drums. Se partagent tous les trois le vocal.

    Зачин : Départ : apparemment nous sommes dans un avion, un vieux coucou, les vitres ouvertes, ou dans une voiture puisque l’on entend des cris d’oiseaux, un chœur lointain de femmes éplorées retentit, hurlements de loups, à moins que ce ne soit des chiens qui hurlent à la mort, des talonades de pas pressés, une cloche qui tinte rapidement, et bruits rassurants un combo de rock qui s’en vient tailler la route. Ясный Сокол : Faucon clair : vous avez une belle turbine rock de bon aloi, ça défile à mort, pas le temps de s’ennuyer, la batterie qui scande le rythme et les guitares qui brodent et surfilent à mort, vous êtes heureux, pourvu que ça dure jusqu’à la fin pensez-vous. Justement la voix, pas du tout ennuyeuse, elle se maintient sur la cime de la rythmique sans problème, mais si vous prêtez un tantinet attention à ce que cette voix un peu voilée vous suggère elle vous oblige à vous poser   une question, nous trouvons-nous au début ou à la fin, je sais c’est un peu le mystère de l’âme russe, et ce faucon qui vole vers le ciel et dont les ailes claires cachent la rougeur du soleil naissant, quel est ce dialogue qui s’instaure entre ce qui paraît être un chevalier médiéval et ce faucon de grande sagesse qui instruit l’âme – soyons réaliste avez-vous déjà vu des chevaliers à la pesante armure voler dans le ciel – qui s’envole dans le ciel après un dernier regard jeté vers le souvenir des siens aimés et chéris. Les guitares s’étirent  vers l’infini et le moteur de la vie s’emballe comme s’il savait que le voyage sera encore long. Pour ceux qui ont peur de se morfondre vous avez sur la vidéo un paysage de forêt enneigée qui se déroule sans fin. L’immensité de la taïga russe. С зарёй : L’aube heureuse : l’impression que la guitare joue au billard à trois boules avec la batterie, ne vous inquiétez pas pour savoir qui est la boule rouge, pour poser la question d’une autre manière si celui qui parle est un chevalier blessé qui chevauche à travers la forêt poursuivant un rêve perdu de fidélité, ou alors est-ce son âme en partance vers on ne sait trop quoi  qui se pense représentée en chevalier  cheminant vers le vide de la mort. Doit discuter ferme avec lui-même pour savoir s’il est encore vivant ou déjà mort, c’est que l’on ne peut représenter la mort qu’avec les mots et les images des vivants, ce qui, vous en conviendrez, aide à produire une certaine équivoque. ДухМакабра : L’esprit de mort : La chevauchée continue-t-elle de plus belle, si l’on en croit le rythme imperturbablement appuyé la galopade se poursuit mais le vocal comme légèrement reculé dans la musique, comme un intervenant, qui prend la parole sans se soucier de ceux qui sont en train de parler, tient un discours totalement identique mais pas tout à fait pareil, tiens cette cowbell qui résonne ne nous ordonne-t-elle pas de faire attention au temps qui passe, ne sommes-nous pas dans l’éternel présent d’un éternel retour qui revient incessamment sur lui-même. Mon cercueil n’est-il pas encore un jeune sapin  qui pousse dans la forêt enneigée, combien de fois n’ai-je pas serré la main de Dieu, je suis mort et la mort me suit, elle m’accompagne comme un serviteur fidèle, mais encore une fois voici l’heure fatidique, celle du retour. Пепел Станет Огнем : Feu de cendres : la guitare sonne comme les trompettes qui annoncent le retour du héros, l’est comme le phénix qui renaît de ses cendres, mais le rythme s’avère moins triomphal, comme si le retour n’était pas aussi certain, le retour n’est-il pas aussi le retour de la séparation, ce qui a été perdu une fois, est-il perdu pour toujours, est-ce pour cela que nous ne parvenons jamais à recoller les deux morceaux de la porcelaine la plus précieuse, le feu qui brûle le phénix n’a-t-il pas raison du phénix par le simple fait qu’il soit matière inflammable. Le morceau s’arrête brutalement, serait-ce pour ne pas répondre à la question. L’espoir fait-il vivre ou mourir.  Исход : Résultat : le vent se lève et souffle, quelqu’un aiguise une lame, chœur féminin, est-ce le chevalier qui se prépare au combat, sont-ce les derniers grésillements d’un feu qui finit de se consumer…

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             Nous n’en saurons pas plus. Le mystère du voyage reste ouvert ou fermé. Ce qui revient au même. Une culture russe nous aiderait peut-être à mieux comprendre, par exemple cette cabane sur pilotis est-elle une allusion à l’isba de Baba Yaha sur ses pattes de poulets… Existe-t-il une légende d’un chevalier russe entreprenant un tel périple…

             Ce qui est sûr c’est qu’avec cet EP Conifer Beard nous tient par la barbichette et nous file une tapette à démantibuler un ours.

    Damie Chad.

     

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 467 : KR'TNT ! 467 : LITTLE RICHARD / SAL MAIDA / ALICIA F! / MOUNTAIN ( VI )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 467

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB KR'TNT KR'TNT

    04 / 06 / 2020

     

    LITTLE RICHARD / SAL MAIDA

    ALICIA F ! / MOUNTAIN ( VI )

     

    Richard cœur de lion

    - Part Three

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    Quel est selon vous le plus bel hommage rendu au plus sauvage d’entre tous, Little Richard ? Sans doute la bio que lui consacre Charles White, aka Dr Rock, The Life And Times Of Little Richard, éditée en 1984 et rééditée en 2003. Sex & drugs & rock’n’roll ? Oui, la vie de Little Richard se résume à ces trois mots. Il ne vivait que pour ça, comme le font d’ailleurs la plupart des lapins blancs. Sans sex & drugs & rock’n’roll, la vie ne serait-elle pas d’un mortel ennui ? Oooh my soul !

    little richard,sal maida,alicia f!,mountain ( vi )

    Le génie de Charles White est de laisser parler Little Richard, comme le fit son homonyme George White avec Bo Diddley. La voix de Richard s’élève comme un soleil à la verticale des pages du livre et répand sa vérité. À la différence d’Uncle Sam, Richard ne prophétise pas, du moins pas encore, il te parle avec cette candeur candy d’être doux et sucré, il pose sa main sur la tienne et te raconte la pauvreté : «Tu sais que tu es pauvre quand tu n’as pas de bois pour faire du feu. J’ai vu des gens arracher des bouts de bois de leur maison pour faire du feu. C’est ça, la pauvreté. Nous faisions partie des gens qui arrachaient du bois de leur maison pour faire du feu.» Mais le naturel de Richard reprend vite le dessus et le voile qui ternissait ses yeux en forme d’amande disparaît. Au diable les mauvais souvenirs ! Son regard redevient espiègle et s’anime. Ses mains papillonnent. Il s’émerveille encore des artistes qu’il voyait dans sa jeunesse : «Barry Lee Gilmore levait une table ou une chaise avec ses dents. Il levait même une chaise avec quelqu’un assis dessus. Je l’admirais tellement que je me suis entraîné pour le faire aussi !». Il glousse d’un rire complètement juvénile. Il se souvient aussi d’un certain Bamalama, un borgne qui grattait un washboard et qui chantait ‘A-bamalam/ You shall be free and in the mornin’/ You shall be free.’ Le voilà tout surexcité.

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    Il lève un doigt et rappelle que tout petit, il voulait être prêcheur, «comme Brother Joe May, the singing evangelist qu’on appelait the Thunderbolt of the West !». Puis il se rapproche de toi pour te chuchoter à l’oreille qu’un jour il chia dans un pot à confiture pour faire une farce à sa mère. Il imite la voix de Momma qui le cherche pour le gronder : «Richard ! Je sais que c’est toi !». Elle est tellement désespérée qu’elle se plaint aux voisines qui pensent que Richard est possédé par le diable, et il ajoute, sur un ton solennel : «Une dame m’a jeté un sort. Elle a dit que j’allais mourir à 21 ans. Alors je l’ai toujours cru, parce qu’elle l’avait dit. Ça m’a rendu encore plus sauvage.» Awop Bop A Loo Mop Alop Bam Boom !

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    Johnny Otis est l’un des grands découvreurs de son temps : Little Esther Phillips, Hank Ballard, Little Willie John, Big Mama Thornton, Etta James, Jackie Wilson, Johnny Ace et Sugar Pie De Santo, c’est lui. Pourtant, quand il découvre Little Richard dans un club de Houston, Texas, en 1953, il en reste comme deux ronds de flanc. Ça se passe bêtement, comme souvent : un mec lui dit de filer dare dare au Matinee Club et d’aller voir ce dude in here. «Alors je suis entré et j’ai vu ce type très provoquant, très beau et très efféminé, coiffé d’une big pompadour. Il s’est mis à chanter et il était so goooood !». Puis il le voit se jeter au sol avec un grand écart. C’est un show très beau, bizarre et exotique à la fois, et soudain, Richard annonce qu’il est the King of the Blues et puis il ajoute après un petit blanc : «And the Queen too !». Tonnerre d’applaudissements. Les gens l’adorent - Boy, that’s something else ! - Houston ? Mais c’est la ville de Don Robey, the Black Caesar, le tzar du negro underwold, toujours armé d’un flingue et boss du label Peacock Records, sur lequel on trouve Clarence Gatemouth Brown, Bobby Blue Bland et Johnny Ace. Robey signe le groupe de Richard qui s’appelle les Tempo Toppers et les envoie en studio pour enregistrer quatre titres. Mais Richard veut garder sa liberté, il ne veut pas être contrôlé par Robey. Il lui tient tête. Quoi ? Tu veux tenir tête à Robey ? On va voir ça. Convocation au bureau pour une séance de recadrage. Richard entre : «Il m’a sauté dessus, m’a frappé à l’estomac et m’a envoyé au tapis. J’ai eu une hernie pendant des années. Ça fait mal. J’ai dû être opéré. Il m’a frappé dans son bureau, knocked-out au premier round. Pas de deuxième ni de troisième round. Il s’est juste levé de son bureau, a fait le tour et booom ! J’étais par terre. On savait qu’il frappait les gens. Il frappait tout le monde sauf Big Mama Thornton. Il en avait une peur bleue. Elle était forte comme un taureau.» Quand Big Mama apprit que Robey avait frappé Richard, elle alla le trouver, le chopa par le colbac et lui dit : «Si jamais tu touches encore une fois à cette petite chochotte, je reviens défoncer ton trou du cul tout jaune.»

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    Pour se débarrasser de Robey, Richard splitte les Tempo Toppers et monte une autre équipe avec des cracks originaires de la Nouvelle Orleans, le batteur Chuck Connors et le pianiste Lee Diamond Smith qui avaient accompagné les légendaires Shirley and Lee. Il rajoute deux joueurs de sax et baptise le groupe The Upsetters. Ils tournent dans tout le Sud et les voilà à Macon, la ville d’où vient Richard : «On se faisait chacun 15 dollars chaque soir, et en ce temps-là, on pouvait faire un tas de choses avec 15 dollars. On jouait trois ou quatre fois par semaine, ce qui nous faisait 50 dollars ! Et parfois on jouait dans un midnight dance à la sortie de Macon : ils nous donnaient dix dollars et tout le poulet rôti qu’on pouvait avaler. On jouait des cuts de Roy Brown, beaucoup de Fats Domino, quelques cuts de B.B. King, un ou deux de Little Walter, je crois bien, et d’autres de Billy Wright. J’admirais beaucoup Billy Wright. Je me coiffais comme lui.»

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    Dommage que Charles White ne s’attarde pas davantage sur Billy Wright. C’est Billy Vera qui s’en charge dans son très beau book sur Specialty, Rip it Up, The Specialty Records Story. Vera nous indique que Billy Wright enregistrait sur le label Savoy de Newark, New Jersey, et qu’il était chanteur, danseur et présentateur dans un club, le Royal Peacock, sur Auburn Avenue, où il se faisait appeler The Prince of the Blues. Il se maquillait, portait des fringues très colorées et une pompadour très haute. Richard vient en droite ligne de Billy Wright dont il pompait aussi, nous dit Vera, certaines chansons. L’autre grande influence de Richard fut Little Esther. C’est de là que vient, comme le suppose Vera, le Little de Little Richard. Oh, il y aussi Eskew Reeder Jr., plus connu sous le nom d’Esquerita. Quand Richard en parle, il s’anime plus que de raison : «Avec Jerry Lee Lewis et Stevie Wonder, il est l’un des plus grands pianistes. Il m’a appris beaucoup de choses sur la diction. Beaucoup.» S. Q. lui apprend surtout à faire un piano sound comme s’il savait jouer du piano.

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    Selon Vera, Reeder n’était pas un grand chanteur, mais il portait plus de maquillage que Billy Wright et sa pompadour montait encore plus haut que celle de Billy. Il encouragea surtout Richard à multiplier les outrances scéniques. Mais d’où sortent tous ces personnages excentriques ? On finit par se poser la question. Ils sortent d’une culture de clubs privés qu’on appelait des frat houses, diminutif de fraternity houses, c’est-à-dire des clubs d’internats où les jeunes blancs se tapaient des bières et des spectacles exotiques, l’équivalent des lupanars pour bidasses. Vera nous raconte que les jeunes blancs adoraient voir des artistes noirs jouer de la musique de bastringue, et plus elle était vulgaire et plus ça leur plaisait, surtout quand Richard s’habillait en femme et qu’il chantait la version originale de «Tutti Frutti» qui ne parlait que d’enfilade. Sur le frat house circuit, il y avait aussi the Thirteen Screaming Niggers qui montaient sur scène vêtus d’imperméables qu’ils ouvraient pour révéler leurs érections, en jouant un cut loud and fast. Plus c’était vulgaire et plus ça bottait cette faune avinée.

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    Richard est fier de ses Upsetters. Il adore s’amuser. Il casse la baraque chaque fois qu’il monte sur scène. «L’une des chansons qui rendait les gens fous était Tutti Frutti. Les paroles étaient très coquines - Tutti Frutti, joli cul, si ça ne rentre pas, ne force pas - La foule adorait ça. Comme on avait pas de basse, Chuck devait frapper son tom bass real hard.» Bien sûr, lorsque plus tard il va enregistrer «Tutti Frutti» pour Specialty, il devra calmer le jeu et Tutter un Frutti moins salace.

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    C’est à Macon que Richard va rencontrer son destin qui ce soir-là prend l’apparence d’une grande star : «Lloyd Price était à Macon pour chanter à l’Auditorium et je l’ai rencontré. C’était une big star et il avait un big big big hit avec ‘Lawdy Miss Clawdy’. Il avait aussi une Cadillac noire et or. J’en voulais une comme la sienne. Il n’y avait pas beaucoup de Cadillacs à l’époque. Le seul qui en avait une dans le coin était le mec des pompes funèbres. Tu devais mourir pour monter dedans. Alors on a causé avec Lloyd Price et il m’a dit d’envoyer une bande à un mec nommé Art Rupe qui avait un label, Specialty Records, à Los Angeles.»

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    Richard suit le conseil de Pricey. Puis il attend. Pas de nouvelles de Specialty. Bon, c’est pas grave, il continue de s’amuser en attendant. Un vrai gosse : «Il y avait cette lady qui s’appelait Fanny. Je l’emmenais en ville dans ma voiture pour la regarder se faire sauter. Elle se mettait sur la banquette arrière, avec la loupiotte allumée, les jambes écartés et pas de culotte. On roulait et je regardais les mecs monter pour la baiser. Elle ne faisait pas ça pour de l’argent. Elle le faisait parce que je le lui demandais. Elle était assez jeune. Ça m’excitait de la voir se faire baiser. On m’a jeté en prison pour ça. Quand je suis allé à la station service, le pompiste a appelé la police. Ils m’ont arrêté. Ils appelaient ça un comportement obscène. Je suis resté quelques jours en prison. On ne m’a pas maltraité. Ma mère a trouvé un avocat du nom de Lawyer Jacob. Il a dit au juge : ‘Ce nègre va quitter la ville, vous ne le reverrez plus.’ Ils m’ont relâché et j’ai dû quitter Macon. Je ne pouvais plus y chanter. Alors on a pris la route.»

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    En 1955, Art Rupe qui a du flair sent que ça bouge dans le pays. La société se transforme et la musique aussi. Alors il confie la direction artistique de Specialty à Bumps Blackwell. Bumps est comme Johnny Otis, il sait flairer la piste d’un talent dans la forêt : «J’enregistrais Lloyd Price et aussi un mec nommé Eddie Jones, qu’on connaissait sous le nom de Guitar Slim. Son pianiste s’appelait R. C. Robinson, un petit jeune qui avait joué dans mon orchestre à Seattle et qui était venu s’installer à Los Angeles peu de temps après moi. Guitar Slim avait quelques bons hits, notamment ‘The Things That I Used To Do’, mais il picolait un peu trop. D’ailleurs, il en est mort. Quant à R. C. Robinson, il a changé de nom pour devenir Ray Charles, il a signé chez Atlantic et il est devenu superstar.» Bon, Bumps trouve la bande de Richard sur son bureau. Il la fait écouter à Rupe qui n’est pas convaincu. Bumps pense que Rupe ne voulait jamais prendre de décision, de peur de se tromper. Bumps ajoute une précision fondamentale : certains labels signaient des artistes noirs parce qu’ils savaient que les noirs n’entamaient pas de poursuites en cas de problème. Et il ajoute une autre précision qui fait la différence avec les arnaqueurs : Rupe payait toujours ce qu’il avait promis. «Même s’il ne s’agissait pas de grosses sommes, au moins il ne truandait pas les artistes.»

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    Pendant huit mois, Richard téléphone chez Specialty. Il les harcèle. Alors, quand est-ce que j’enregistre un disque ? - Has Mr Rupe heard my tape yet ? - Il ne harcèle pas que Specialty, il harcèle aussi Atlantic, comme le rappelle Jerry Wexler : «Cette espèce de dingue (crazy nutcase) nous pétait les roubignolles à Atlantic, disant qu’il était le plus gros truc depuis l’invention du pain en tranches.» Allo ? Allo ? À la fin Rupe n’en peut plus. Il craque. Il dit à Bumps de le signer. Mais comme Richard est encore engagé avec Don Robey, il faut racheter le contrat. Ils lui prêtent 600 dollars. Richard leur dit qu’il aime bien le son de Fats Domino, alors banco, Rupe et Bumps l’envoient directement à la Nouvelle Orleans, chez Cosimo Matassa, là où ils ont déjà enregistré Lloyd Price. Ça a marché pour Pricey, alors ça marchera pour Richard. Bumps se déplace pour superviser la première session : «Quand je suis arrivé à la Nouvelle Orleans, le propriétaire du studio Cosimo Matassa m’a dit : ‘Hey man, this boy’s down here, il vous attend.’ Je suis entré et j’ai vu ce cat en chemise bariolée avec sa pompadour de cinquante centimètres. Il parlait comme un cinglé. J’ai tout de suite senti la mega-personnalité. Dans le studio, on avait la crème de la crème de la Nouvelle Orleans : Lee Allen on tenor sax, Alvin Red Tyler on barytone sax, Earl Palmer on drums, Edgar Blanchard et Justin Adams on guitars, Huey Piano Smith et James Booker on piano, et Frank Fields on bass. C’étaient les gens qui accompagnaient Fats Domino.» Ce genre de petit paragraphe s’appelle un cœur de mythe. Bumps continue : «Le studio était juste une pièce à l’arrière d’un magasin de meubles. Une seule pièce pour tout l’orchestre. On entrait et on tombait sur un piano à queue. J’ai mis un micro sur le piano. Alvin Tyler et Lee Allen devaient aussi souffler dans ce micro. La batterie d’Earl Palmer était à l’extérieur de la pièce, avec un autre micro. Le bassman jouait à l’autre bout de la pièce. Le son de la basse dégueulait bien, alors on l’avait.»

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    C’est là dans cette arrière-boutique que Richard bâtit sa légende, comme Elvis un peu plus tôt chez Uncle Sam à Memphis. Toute la folie qui va envoyer des millions de cervelles tournoyer dans le grand manège universel sort de cette double conjonction Elvis/Sam/Scotty/Bill Black d’un côté et Richard/Bumps/Cosimo/Lee Allen/Earl Palmer/Red Tyler de l’autre. C’est exactement ce que dit John Lennon : «Elvis était mon dieu. Puis à l’école, t’as ce mec qui dit qu’il a disque d’un mec qui s’appelle Little Richard et qu’est meilleur qu’Elvis. On avait l’habitude d’aller chez lui après l’école pour écouter les 78 tours d’Elvis. On achetait des clopes au détail et des chips et on écoutait la musique. Ce nouveau disque s’appelait ‘Long Tall Sally’. C’était si bon que ça m’a coupé la chique. Je voulais rester avec Elvis, mais ce Little Richard était bien meilleur. On s’est tous regardés. Je ne voulais rien dire contre Elvis, même pas en pensée. Puis quelqu’un a dit que le chanteur était un nègre. Je ne savais pas que les nègres chantaient. Alors Elvis était blanc et Little Richard noir. C’était un soulagement. J’ai dit : ‘Merci Dieu.’» À sa façon de dire les choses, Lennon nous rappelle que le rock appartient aux kids. L’ado Bowie est aussi entré en religion grâce à Little Richard : «Quand je l’ai entendu, j’ai acheté un saxophone et je suis entré dans le music business. Little Richard was my inspiration.» James Brown rappelle lui aussi que Richard est son idole et Otis dit qu’il est devenu chanteur à cause de lui.

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    Mais le plus fin des coups de chapeau est sans doute celui de Gene Vincent : «La première fois que j’ai vu Little Richard, je n’en croyais ni mes yeux ni mes oreilles. Mais je vais te dire une chose : j’ai compris à ce moment-là que je ne serais jamais aussi bon que lui sur scène. Et mon ami Jerry Lee est arrivé à la même conclusion. Jerry Lee et moi sommes pourtant devenus des pretty wild performers, mais on a jamais su générer autant d’excitation que Little Richard.» On trouve cinq pages d’hommages de cet acabit à la fin de la bio. Et dans sa préface, Dr Rock en rajoute une couche en affirmant que Richard dispose d’un extraordinaire pouvoir mental, celui dont sont dotés les prêcheurs et les chamanes - Richard incarne tout ce qui est américain, pas seulement l’Amérique des noirs. Little Richard IS America - Bill House qui joua longtemps de la guitare dans les Upsetters connaît bien Richard : «Je pense qu’il était surtout un voyeur. Il aimait bien regarder les autres baiser. Mais il n’était pas détraqué, comparé à d’autres que j’ai côtoyés sur la route. Il semblait incroyablement équilibré. Moralement parlant. C’est un être profondément moral, un peu christique. Je l’ai fréquenté pendant dix ans et il a toujours été extrêmement bienveillant. Et ce n’est pas courant chez les gens de cette importance.» Bumps tente de veiller aussi bien que possible sur Richard, mais il reconnaît que ce n’est pas facile : «Richard est la star suprême. Un talent qu’on ne voit qu’une seule fois par millénaire. Et comme tous les gens qui ont ce talent, il finit par devenir parano et je peux le comprendre. Il perd toute notion de temps et d’obligation. Ce n’est pas délibéré. Il est comme ça.» On retrouve cette notion d’animal sauvage dans sa musique. Richard est un être ivre de liberté. «Larry Williams était le plus mauvais producteur du monde. Il voulait que je sonne comme Motown mais je ne suis pas un artiste Motown. Ils m’ont fait enregistrer avec leur orchestre. Il n’y avait que des trompettes ! Je n’en pouvais plus de voir ces trompettes ! Je voulais jeter toutes les trompettes du monde dans la rivière. Ils ont voulu me faire essayer des trucs électroniques. Je ne voulais que le vrai truc, the real thing. Les vrais gens veulent toujours le vrai truc. Les enregistrements Okeh n’ont pas marché parce qu’Okeh était un label R&B, un black label.» Depuis le début, Richard sait très bien ce qu’il veut. Ses extravagances faisaient aussi marrer les gens à une époque. «J’étais très en avance sur mon temps, les gens me traitaient de pédale et de fiotte parce que je portais ces costumes. Maintenant tous les groupes en portent. Et tout le monde se trimbale avec une trousse de maquillage.» Et Richard entre à nouveau en éruption, les bras en l’air : «Les costumes à miroirs ! Mais j’en jeté des tas dans le public. J’en cousais moi-même et j’avais deux autres garçons qui m’en cousaient, Melvyn James de Detroit, Michigan et Tommy Ruth de Los Angeles. Lors d’une tournée, j’en ai tellement jeté que j’ai dû demander à Tommy Ruth de venir m’en coudre de toute urgence. Il cousait dans l’avion. Parfois, les gens se blessaient en s’arrachant mes costumes. Ils devaient pourtant savoir que c’était du verre. Les costumes me coûtaient six cent dollars, rien que pour le tissu. Je dépensais tout mon blé en costumes et je les jetais au public. Mais ça valait la peine car tout le monde parlait de moi. J’ai toujours utilisé le vieux fond de teint Pancake 31. Mon frère allait l’acheter au Columbia Drugstore, à l’angle de Sunset et Gower.»

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    En parcourant le monde, Richard a rencontré des tas des gens intéressants, comme Gene Vincent, qu’il côtoya pendant en tournée en Australie : «Gene était un bon copain, mais il pouvait devenir assez pénible. Quand il était soûl, il voulait te jeter hors de la voiture alors qu’on fonçait sur l’autoroute. La boisson le rendait fou.» Jimi Hendrix gravite lui aussi dans l’orbite de Richard, en tant que guitariste du backing-band. Marquette qui est le frère de Richard et son road-manager rappelle que Jimi a tout appris de son frère : «C’est là qu’il a appris le charisme.»

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    L’autre grande rencontre de sa vie, c’est la coke. Il en sniffe 1 000 dollars par jour et dit qu’il mériterait le surnom de Little Cocaine. Son dealer n’est autre que Larry Williams, un vieux collègue de Specialty. Voilà qu’il se pointe un jour avec un flingue pour réclamer le blé que lui doit Richard. Il lui fout une peur bleue : «Il m’aurait tiré dessus si je ne l’avais pas payé !».

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    Richard repose sa main sur la tienne, la serre bien fort et reprend, sur le ton de la confidence : «Tu sais, par la force des choses, beaucoup d’artistes deviennent des addicts. Tu te retrouves dans la loge avec les musiciens, dans la chambre d’hôtel avec d’autres gens et tu essayes des trucs pour t’envoyer en l’air, toutes sortes de trucs, ça va de la marijuana à l’angel dust, en passant par les barbituriques, l’alcool, la coke, l’héro et l’acide. Je prenais de plus en plus de drogues. Tout ce que je voulais, c’était planer et baiser de jolies femmes. Angel n’était pas ma seule copine. J’en avais des tas. Dans chaque ville, j’en avais au moins trois ou quatre. On prenait un truc pour s’envoyer dans le cosmos et on se déshabillait tous entièrement. Tout le monde à poil ! J’aimais bien voir de filles se caresser. C’était la plus belle chose du monde. J’aimais bien les filles qui faisaient ça ensemble. C’est la vérité. C’était mon truc. Je regardais. J’avais des amies dans toutes les villes. À New York j’en connaissais une qui s’appelait Chris et une autre qui s’appelait Evil. Elle ramenaient aussi des gens.» Richard adore se masturber : «J’aimais bien voir les filles se faire baiser par mes musiciens. Je me branlais en les regardant et quelqu’un me suçait les tétons. Ils auraient pu m’appeler Richard le voyeur ! Je me branlais six ou sept fois par jour. On me disait que je méritais un trophée pour ça.»

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    À la parution de sa bio en 1984, Richard fut émerveillé. Il disait lui-même qu’elle était the Bible of Rock’n’roll. Personne n’est mieux placé que lui pour parler de la Bible. Quoi de plus sex & drugs & rock’n’roll que la Bible ? La nature humaine a-t-elle évolué en trois millénaires ? Pas du tout. Ce serait une erreur de croire que l’homme peut changer. La nature humaine reste profondément humaine, avec sa soif de sexe, ses violents besoins de changement, son indicible aspiration à la spiritualité et sa pente naturelle à la barbarie. Parce qu’il est à la fois excessif et entier, Richard fut sans doute le plus humain des hommes, seulement préoccupé d’exister à cent pour cent. S’il est une chose que le rock enseigne, c’est à s’empiffrer de vie.

    Signé : Cazengler, Little Ricard

    Little Richard. Disparu le 9 mai 2020

    Charles White. The Life And Times Of Little Richard. Omnibus Press 2003

    Billy Vera. Rip It Up: The Specialty Records Story. BMG Books 2019

     

    Live in style in Sal Maida Vale

    - Part One

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    Le nom de Sal Maida vous dira sûrement quelque chose. N’a-t-il pas traîné du côté de Roxy Music et des Sparks ? Mais oui. Ce Maida-là glisse dans l’histoire du rock comme un fantôme sans qu’on sache d’où il vient ni où il va. Il pratique cette insoutenable légèreté de l’être chère à Kundera. Comme Johnny Gusftason qui lui aussi a fait le bassman dans Roxy, il apparaît pour mieux disparaître, mais comme l’escargot, il laisse derrière lui cette trace scintillante qui symbolise si bien la légende. Ne sommes-nous pas tous friand de légende ? Ce serait mentir que de vouloir prétendre le contraire.

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    Sal Maida vient de publier ses mémoires, un tout petit livre dont le titre ronfle comme une ligne de basse : Four Strings, Phony, Proof And 300 45s. Bel objet, que le pelliculage mat de la couverture rend agréable au toucher et que cette photo de scène rend infiniment séduisant : Sal Maida porte la veste en lamé argent et noir faite sur mesure par un tailleur hip londonien et joue sur sa Rickenbecker chérie. Bienvenue au paradis des glamsters.

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    L’intérieur est composé en petit corps 9 ou dix bien ferré à gauche et imprimé sur un satimat doux au doigt et de bonne main, sans doute un 100 g. L’éditeur s’appelle HoZac. Ce label-éditeur new-yorkais a le bon goût de mettre à son catalogue des gens comme Chris Bell (Big Star), Bob Bert (Chrome Cranks) ou encore Sal Maida, et, côté musique, des groupes aussi underground que Baby Grande, Kim & Leanie (c’est-à-dire Kim Salmon), Dwight Twilley Band, Timmy’s Organism, Electric Eels, ou encore England’s Glory, le premier groupe de Peter Perrett.

    Mais c’est bien sûr le contenu du Maida book qui emporte tous les suffrages. Comme Sal Maida n’a pas grand chose à raconter, il découpe son récit en trois parties : les groupes dans lesquels il a joué et les gens qu’il a fréquentés, ses souvenirs d’enfance à Little Italy (d’où vient aussi Martin Scorsese), et last but not least, ses 300 singles préférés, sans doute la partie la plus captivante du book, car comme on va le voir, Sal Maida a l’élégance de n’aimer que les bons disques. C’est sans doute aussi la première fois qu’un mec consacre la moitié de son livre à l’examen critique de ses disques préférés. Sal Maida donne la parole au fan de rock qui est en lui, c’est un peu comme s’il nous invitait chez lui et qu’il nous passait ses disques un par un en les recommandant tous très chaudement. Est-ce qu’on l’écouterait aussi attentivement s’il n’avait pas joué dans Roxy ? Là n’est pas la question.

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    La vie de Sal Maida ressemble à un carnet mondain, mais les célébrités qu’il croise ne sont pas celles des magazines ‘people’, rassurez-vous, ce sont plutôt les gens qui font le sel de la terre, comme par exemple Kim Fowley qu’il rencontre grâce à Michelle Myers. Kim Fowley cherche un bassman pour monter une session avec Question Mark qui ne débouche pas, puis il l’embauche pour cinq autres sessions : Runaways, Orchids, Venus & The Razorblades, Cherie Currie et son album solo, Sunset Boulevard - Il mesurait environ deux mètres, avait un regard bleu très perçant, un corps sec comme un olivier (skinny as a rail), il se déplaçait comme une gazelle, mais il dégageait une énergie considérable. The ultimate Hollywood hustler, a Svengali and a rock’n’roll cult figure. Sa connaissance du rock était infinie, il pouvait te parler du Doo Wop de Pittsburg, des groupes psyché suédois des années soixante ou évoquer la philosophie des Tradewinds. Il n’en finissait plus de sortir des anecdotes sur Lou Adler, Phil Spector, Robert Plant, Gene Vincent, Gram Parsons, les Doors, P.J. Proby, Sky Saxon, etc., etc. Personnage fascinant ! - Oui on savait tout ça, mais c’est mieux quand un mec comme Sal le dit. Dans un autre paragraphe californien, Sal nous décrit un après-midi de rêve au bord d’une piscine en compagnie d’un Bryan Ferry tout vêtu de blanc. Sal lui recommande d’écouter Forever Changes. La fiancée de Bryan est alors Jerry Hall, mais pas pour longtemps. Elle prétexte une session photo en Italie pour aller retrouver Jagger. On est en 1978 et tout le monde grimpe dans un van pour aller voir le dernier concert des Sex Pistols au Winterland. Tout le monde ? Oui, Sal et ses copains de Milk ‘N Cookies, avec en plus Legs McNeil de Punk Magazine, Brett Smiley et Bill Inglot de Rhino. Excusez du peu. Sal évoque aussi ce concert légendaire. Il remarque que la basse de Sid n’est pas branchée, so it’s basically a two man band with Steve Jones and Paul Cook who are fantastic ! Il sortent un wall of sound that Rotten just SNARLS over... C’est Sal qui met les cap, bien sûr.

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    Bottin mondain ? Oui, ça continue. À Long Island, Johnny Thunders et Sable Starr viennent assister à une répète des Milk ‘N Cookies - A full on glammed-out N.Y. Doll and Sable in a feather boa with see-through everything - À Londres, Sal est invité à écouter le premier album solo d’Eno, Here Comes The Warm Jets. Dans le studio, se trouvent Eno, Chris Thomas and a very intense John Cale. Toujours à Londres, Rhett Davies demande à Sal de jouer sur deux cuts d’un album de Robert Calvert qu’il doit produire. Sal se retrouve en studio avec Paul Rudolph, Simon House, Nik Turner et Michael Moorcock, c’est-à-dire la crème de la crème du gratin londonien de l’underground dauphinois. L’album s’appelle Lucky Leif And The Longships, une sorte de petit must de derrière les fagots de Ladbroke Grove.

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    Ado, Sal met un point d’honneur à ressembler à Pete Townshend et ça marche : grand et sec avec un profil en bec d’aigle. En 1968, il a la chance de voir le Jeff Beck Group sur scène - They were spectacular, much better than the records and LOUD ! Ils jouaient si fort qu’à un moment, Beck s’est retourné vers Woody et a gueulé : ‘Turn the fuck down !’ - Il faut dire que Sal Maida est un anglophile incurable. Il ne jure que par les groupes anglais. Comme des tas de kidz américains, il prend la British Invasion en pleine gueule. Ce choc révélatoire se transformera aussitôt en vocation. Sal veut jouer de la basse dans un groupe anglais. Et son heure de gloire viendra lorsque Roxy l’embauchera pour une tournée.

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    Mais en attendant l’heure de gloire, Sal voit le MC5 sur scène en 1969 - They were like a Soul revue but with a killer Detroit rock’n’roll street vibe - Il traite Rob Tyner de wild front man, Fred Smith de great guitar exciting to watch et Wayne Kramer de mec qui danse sur scène comme James Brown. Il voit aussi les Faces chez Ungano et dans le public, il remarque les présences de Jimi Hendrix, Todd Rundgren et Leslie West. Il se présente à Jimi Hendrix qui lui serre la main et Sal est épouvanté de sentir sa main avalée par l’immense pogne de Jimi - His hands dwarfed mine - Il papote en 1967 aussi avec Jerry Garcia devant le Cafe Au Go Go et lui demande ce qu’il pense de Love. Garcia lui répond que c’est pas terrible sur scène. En août 1966, il voit les Beatles au Shea Stadium avec les Ronettes, Barry & the Remains, the Cyrcle et Bobby Hebb - When the Beatles came out, it was absolute pandemonium - Ils jouent des trucs tirés de Revolver et de Rubber Soul. Sal voit aussi les Stones deux fois avec Brian Jones, en 1965 et 1966 - Brian and Keith unleashing lethal guitar interplay - En 1966, ils jouent les cuts d’Aftermath qui pour Sal est le sommet des Stones de Brian Jones. Et en 1972 (avec Mick Taylor), ils sont, nous dit Sal, the greatest rock’n’roll band in the world. Avec les Stones de 1965 et les Rascals qu’il voit au Phone Booth, les Who sur scène sont ce qu’il a pu voir de mieux : c’est en 1967, au RKO Theatre de Manhattan, dans un festival organisé par Murray the K. Les Who ? - The most ferocious, brutal sound I’d ever heard - Mais attendez c’est pas fini, nous dit Sal, en plein «My Generation», Keith Moon s’écroule dans sa batterie et Pete Townshend explose sa guitare en mille morceaux. Le rideau tombe, silence dans la salle - Wow ! What the fuck was that ? - Les kidz américains n’avaient encore jamais vu un truc pareil. Sal adore les Who mais il dit un peu plus loin préférer the early pre-Tommy era. Il voit aussi les Kinks, bien sûr, et Led Zep, qui contrairement aux Kinks étaient toujours excellents sur scène. Un autre landmark avec les Beatles, les Stones et les Who : the Ziggy Stardust show en 1973 à New York. Pendant «Rock’n’Roll Suicide», Bowie s’évanouit sur scène. Les gens se demandent si c’est un vrai suicide. Mais Bowie se relève et quitte la scène - Le sentiment général est qu’on venait d’assister à l’un des meilleurs shows de tous les temps - En 1968, il voit aussi Traffic, Blue Cheer et Iron Buttlerfly au Fillmore East. Pour lui Blue Cheer n’était pas à la hauteur de sa réputation de loudest band in the world. Il voit la même année The Jimi Hendrix Experience avec a brand new band en première partie : Sly & the Family Stone. Il voit aussi les Doors à Long Island en 1967 - Confrontational and wickedly good - Plus l’audience est hostile et plus Jim Morrison la confronte. Il fout la main au cul de Robbie Krieger qui le repousse brutalement. What the fuck is going on there ? Les Doors n’en sont qu’à leurs débuts. Sal sent que ça va chauffer avec des mecs comme ça.

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    En 1968, il voit l’Electric Flag au Fillmore East - J’adorais leur son et leur album A Long Time Comin’, mais je ne m’attendais pas à voir ce groupe aussi bon sur scène. Ils semblaient jouer un peu plus vite que sur l’album et avec beaucoup plus d’énergie. Le public devenait fou - Au Fillmore il voit aussi Nice et Family qui aurait dû devenir énorme en Amérique. En plein délire, Roger Chapman balance sans le faire exprès un pied de micro sur Bill Graham qui le prend très mal, au point d’ordonner au groupe de quitter la scène en plein set. Terminé pour Family en Amérique. Sal voit aussi Procol - a group of magicians - et Moby Grape sur scène. Il aime bien aussi l’early Jethro Tull avec Mick Abrahams et l’album This Was. Il affirme que Mountain était the loudest band - Forget Blue Cheer - They were HEAVY rock, but in the best sense of the term - Il ajoute que Leslie West était une bête et que Felix Pappalardi avait le plus distorded/overdriven bass sound this side of Jack Bruce. Il voit aussi Marc Bolan avec Steve Peregrin Took. Par contre, ses groupes favoris comme les Byrds le déçoivent sur scène - But boy, they did not cut it live - Son autre groupe préféré est Love à propos desquels il ne tarit pas d’éloges - Da Capo just killed me - Sal se retrouve aussi à une époque dans un short-lived band nommé The California Bombers avec Earle Mankey et Thom Mooney, le batteur de Nazz. Quand on parle de gratin...

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    L’anglophile débarque à Londres pour la première fois en 1969. Il découvre le paradis - Respirer l’air de Hyde Park, voir les dolly birds dans la rue, les pubs, boire de la bière tiède, s’essuyer le cul avec du papier paraphiné, avoir des livres dans mon portefeuille et des shillings dans ma poche, se faire appeler ‘guv’nor’ par les chauffeurs de taxi, manger l’horrible bouffe anglaise, prendre le métro et monter dans les magic bus - Il fait ce que font tous les anglophiles : il trouve l’adresse de Paul McCartney et le guette pour lui demander un autographe. Il voit aussi Jagger et George Harrison. Mais le plus important, ce sont les concerts, bien sûr. Alors il voit tous les groupes qu’il rêvait de voir : The Idle Race, The Nice, l’early Yes avec Tony Banks et Tony Kaye, Jackie Lomax, Taste, Caravan, Blossom Toes, Spooky Tooth, Free et les Hollies. Que peut-on espérer de mieux ? Quand il revient en 1971, il prend un appart et commence à auditionner pour des groupes. Il partage l’appart avec un copain de Jack Lancaster, le sax de Blodwyn Pig et un soir Steve Took vient foutre le souk dans la médina. Il s’amuse à rayer l’album de Caravan, In The Land Of Grey And Pink, qui appartient à Sal et Sal le vire. Groovy times baby, comme il dit. Puis il sympathise avec l’une de ses idoles, Paul Kossoff qui justement cherche un bassman pour un nouveau projet. Ça aurait pu donner Kossoff Kirke Maida And Rabbit, mais ça ne débouche pas. Puis il rencontre Legs Larry Smith des Bonzos qui veut monter un groupe, Legs 11 avec Jimmy McCullough, Stan Webb et des choristes. Étonné, Sal dit à Legs que ces mecs jouent encore dans des groupes et Legs lui dit de ne pas s’inquiéter. Effectivement le Melody Maker annonce la semaine suivante que Thunderclap Newman splitte et le semaine d’après, c’est le tour de Chicken Shack. Le projet de Legs ne débouche pas non plus. Quand Sal appelle Legs chez sa mère à Oxford, celle-ci lui répond que Legs is drying out, c’est-à-dire qu’il fait une cure.

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    Charlie Whitney de Family invite Sal à une audition, car Rick Gretch vient de quitter le groupe pour rejoindre Blind Faith. Mais quand Sal se pointe, il y a déjà beaucoup de monde. Family recrute John Wetton qui va remplacer Sal dans Roxy. Étrange coïncidence. Autre coïncidence : il entend parler d’un job de bassman dans Hard Stuff, le groupe de John DuCann. Il doit y remplacer Johnny Gustafson qui curieusement a joué lui aussi dans Roxy. Il fait aussi la connaissance de Davey O’List et jamme un peu en trio avec lui. À ses yeux, Davey est un guitariste brillant, un cross between Hendrix and Syd Barrett - And an incredibly eccentric and funny character - Il faut aussi se souvenir que Davey O’List fit aussi brièvement partie de l’aventure Roxy. Tous les chemins ne mènent-ils pas à Roxy ?

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    Sal sympathise aussi avec Mick Ralph qui vient de quitter Mott. Wanna jam ? Ralph monte un projet avec Simon Kirke et Paul Rogers. Il cherche un bassman. Mais Sal lui dit qu’il vient d’être embauché par Roxy pour une tournée. Mick Ralph le congratule et s’en va monter Bad Co. Effectivement, Sal a passé l’audition dont il rêvait le plus : pour Roxy. Il doit jouer avec Paul Thompson, et derrière la vitre de la salle de contrôle, il y a Chris Thomas et tout le reste de Roxy - Extremely nerve racking - Il est engagé et on lui dit d’aller s’acheter des fringues - An anglophile from Little Italy now in the biggest band in the land - Oui, il faut se souvenir qu’à l’époque de Stranded, Roxy était le plus gros groupe anglais. Sal va chez Granny Takes A Trip se faire tailler un costard sur mesure. C’est là où s’habillent les Stones, les Small Faces, Bowie, Syd Barrett et Roxy. Gene Krell lui fait a special jacket for stage, la fameuse silver and black stripe jacket qu’on voit en couverture du book. Il se retrouve sur scène devant 10.000 personnes. Comme Bryan Ferry et Andy McKay ne sont pas venus aux répètes, le groupe monte sur scène un peu à l’aventure et Bryan Ferry leur dit, pour leur remonter le moral : «Well at last, on est toujours le groupe le mieux fringué d’Angleterre.» On peut entendre Sal jouer dans le live Viva, sur deux cuts, «Pyjamarama» et «Chance Morning». Les autres bassmen qu’on entend sur ce live sont bien sûr John Wetton, Johnny Gustafson et Rick Wills. Mais comme son permis de travail arrive à terme, Sal doit rentrer à New York. Fin de l’épisode Roxy. John Wetton prend sa place.

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    Et c’est là que les managers de Sparks John Hewlett et Joseph Fleury proposent à Sal de jouer dans un groupe de Long Island nommé Milk ‘N Cookies. Sal commence par refuser, car il pense pouvoir retourner à Londres faire carrière, mais Hewlett insiste en arguant que Milk ‘N Cookies va devenir énorme. Sal aime bien Hewlett car c’est un ancien John’s Children et ils ont en commun une profonde admiration pour les Blossom Toes et Halfnelson, les futurs Sparks. Sal finit par accepter et rencontre Justin Strauss, Ian North et Mike Ruiz qui sont encore des gamins. C’est le whiz kid Ian North qui écrit les chansons et qui a envoyé des démos à John Hewlett, d’où la connexion. Hewlett leur décroche un contrat chez Island et Muff Winwood produit leur album. Les Milk lui font écouter les disques de Sweet, de Slade, de T. Rex et des Raspberries comme modèles de son - Muff we want to sound like this ! - Ils veulent des big drums et des loud vocals, mais Muff fait à son idée et plante l’album. Les Milk détestent le son de leur album - For years we hated the production until the re-issue age when mastering pumped everything up to its full potential - C’est exactement ce qu’on ressent à l’écoute de cet album quasi-mythique et réédité à plusieurs reprises. L’une des bonnes rééditions est celle de RPM, en 2005, car en plus du remastering dont parle Sal, Nina Antonia signe les notes de pochette. Elle démarre en force : «A burst of pure pop exuberance, Milk ‘N Coolkies could have been the Ramones but they wanted to be the boys next door.» (Les Milk auraient pu être les Ramones, mais ils ont préféré être the boys next door). Elle situe merveilleusement bien les Milk qui détestaient le trash new-yorkais des mid-seventies : «They were fresh faced Lilie of the valley rather than the alley.» (Ils tenaient plus du lys dans la vallée que de la fleur de caniveau). Nina regorge de formules spectaculaires : «Forget boy bands, Milk ‘N Cookies were the original coy band», ce qui signifie groupe timide, et elle embraye aussi sec sur les bonus, comme on va le voir tout à l’heure : «Good Friends» qu’elle qualifie de «perfect fusion of the band’s sweet essence spliced with petulant rock rush». Et puis tout s’écroule quand lors d’une tournée en Angleterre, ils lâchent un mot de travers sur les Bay City Rollers qui sont alors intouchables. Les Écossais voient ça comme un régicide. Puis Island les vire, car Chris Blackwell n’aime pas leur son, alors le groupe rentre au bercail, la queue entre les jambes et entre dans le cirque local du CBGB avec notamment les Ramones qui vont devenir, nous dit Nina, une street version des Milk. Avec sa coiffure, Ian North aurait pu être un Ramone ou Joey Ramone un Cookie, mais le fond du problème, conclut Nina, c’est que les Milk ne voulaient pas être des punks - There was no way Milk ‘N Cookies could have become punks - Elle nous apprend ensuite que Sire, le label des Ramones, proposa un contrat aux Milk, mais Sal avait déjà rejoint les Sparks. Les Milk enregistrent alors 3 démos avec un autre bassman : «Not Enough Girls (In The World)», «Typically Teenage» et «Buy This Record», trois bombes. C’est là où les choses se compliquent : Island rappelle John Hewlett pour dire que finalement, ils vont sortir l’album des Milk en Angleterre et demandent à voir Ian North. Que Ian North. Une fois arrivé à Londres, ces enfoirés lui proposent une carrière solo. Okay. Quand North annonce qu’il quitte le groupe, Sire retire ses billes et c’est la fin des Milk. Une histoire triste comme il en existe des tonnes dans l’histoire du rock. L’histoire d’un mec qui a oublié les copains pour jouer sa petite carte perso. Cette trahison ne lui portera pas chance puisqu’il va disparaître dans une scène electro à la mormoille sans laisser de traces intéressantes.

    Côté son, cette red RPM est extrêmement révélatrice : le son des bonus n’a rien à voir avec celui de l’album produit par Muff Winwood. C’est le jour et la nuit. L’album est trop poppy pour être honnête, on erre de cut en cut comme une âme en peine. «Tinkertoy Tomorrow» est trop pressé de jouir, c’est une pop exacerbée du gland, ça trempe dans le sugar hill bubble glam, «(Dee Dee You’re) Stuck On A Star» est du pur jus de braguette frétillante, c’est trop pubère et même assez déconcertant. Trop sucré, comme une pipe aux bonbons à l’anis. L’excès de sucre tue la crédibilité dans l’œuf. Ils tentent de redémarrer leur petite usine de power pop avec «Rabbits Make Love». Ils sont dans un trip léger et versatile, pas de viande. Ils auraient dû voir tout ça avec Kim Fowley. Le seul hit de l’album s’appelle «Chance To Play», Justin Strauss chante ça glam - C’mon give me a chance - On note un joli solo de Ian North dans «The Last Letter» et ils tentent le tout pour le tout avec «Ready Steady». On sent aussi un net effort de songwriting dans «Nots», mais le pauvre Justin Strauss n’a pas de voix. Finalement, c’est «Broken Melody» qui va rafler la mise car c’est un beau glam des enfers. Et soudain, tout s’éclaire avec le premier bonus, «Good Friends». Big sound ! On a tout de suite autre chose. Muff fuck off ! Les Milk retrouvent leur suprématie. Ce que confirme «Wok ‘n’ Woll» : c’est énorme, stompé dans l’art de la matière, alors on imagine l’album avec une vraie prod. Voilà le Sweet scuzz bop de stomp avec serti en son sein le killer solo flash de rêve. Les Milk pouvaient casser la baraque. Ex-plo-sif ! Ils restent dans le big sound avec «Not Enough Girls (In The World)», les voilà qui réverbent dans l’écho du temps des incredible enormities avec des chœurs demented a gogo. Ils sont aussi bons que Jook, avec un killer solo flash à la clé. Leur «Typically Teenage» sonne comme un hit des Beach Boys, ils le jouent soft mais avec des huge guitars, chant demented, plus rien à voir avec le chant produit par Muff Muff. Il n’avait rien compris aux Milk - There was a boy and there was a girl - C’est pourtant pas compliqué ! Ils terminent avec l’incitatif «Buy This Record». En fait les Milk ont subi le même sort que les Action et les Creation : victimes de l’incompétence du business.

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    À New York, les Milk ‘N Cookies jouent au CBGB avec les Ramones, Television, les Mumps et tous les autres ténors du barreau. Ils font partie de cette scène qui va réinventer le rock américain. Puis les frères Mael embauchent Sal pour jouer sur l’album Big Beat. Mick Ronson devait aussi jouer sur l’album, mais il retira ses billes et Sal conseilla Jeff Salen des Tuff Darts aux frères Mael. Sal fait aussi un focus sur l’un des ses groupes préférés, les Rascals - Certainly my favorite New York band - l’un des trois meilleurs groupes qu’il ait vu sur scène avec les Stones et les Who. Pour lui, Dino Danelli est le meilleur batteur qu’il ait jamais vu. Eddie Brigati was so exciting as he danced. Sal chope le guitariste Gene Cornish dans les gogues et lui demande d’où sort le son de basse. Gene lui répond qu’ils font jouer un bassman dans une autre pièce.

    Puis Sal vivra d’autres aventures musicales avec Cracker, Mary Weiss, Ronnie Spector, Echo & the Bunnymen, Don Flemming et John Doe. Rien que du trié sur le volet. Il arrête brutalement son récit page 107, le date de 2017 et nous invite à venir le rejoindre au salon pour écouter sa collection de 45 tours. Il indique que le record collecting fait partie de son ADN. Surtout les 45 tours. Il en choisit 300 qui couvrent une période précise : des années 50 à 1978 et se limite à un seul disque par artiste.

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    Bon, il commence par les chouchous : Beatles («Paperback Writer»), Kinks («Waterloo Sunset»), Roxy Music («Virginia Plain») et passe directement à «God Save The Queen», one of the great British singles, qu’il met au même niveau que les singles classiques des Stones et des Who - Snarling vocals and one of the best guitar sounds ever recorded on a rock record - Monsieur Sal a le bec fin et c’est pour ça qu’on l’écoute attentivement. Il aime bien aussi «I Feel Free» de Cream pour sa punk energy et il ne tarit plus d’éloges sur Jack Bruce. Pour Sal, «A Whiter Shade Of Pale», c’est «When A Man Loves A Woman» fondu dans le moule de Blonde On Blonde. Bien vu Sal ! Il adore Procol Harum et nous aussi. Puisqu’il évoque Dylan, voilà «Like A Rolling Stone» - one of the cornerstone records of all time - et il salue le génie des Young Rascals avec «Ain’t Gonna Eat Out My Heart Anymore». Puisqu’on est dans les classiques intemporels, voici «Good Vibrations» (Another one for the top 10 of all time), «Papa’s Got A Brand New Bag» et «Reach Out I’ll Be There». Ah oui, Sal Maida adore la Soul - All the Motown hits were just the best records of all time - Il n’en finit plus de s’extasier sur tous ces singles et il a raison, car ça ne sert qu’à ça et ça fait soixante ans que ça dure. Sal salue l’énorme bassmatic de James Jamerson et pouf, il saute sur «Satisfaction», il parle de riff of the century - The greatest rock’n’roll record of all time ? Hell yeah ! - Retour aux hits de base avec «Be My Baby» des Ronettes (another in the all-time top 10) et revient à la Soul magique avec le «What’s Going On» de Marvin - Again, James Jamerson plays one of the all-time great bass lines - Comme on peut le constater, jusque là, tout va bien. Sal est incapable d’écouter un mauvais disque. Il ne brandit que des rondelles magiques. Voilà «My Girl» des Temptations, puis le Percy Sledge évoqué plus haut, suivi de «I Can Hear The grass Grow», holy shit, this is the best record to come out of England in 1967, il met les Move exactement au même niveau que les Beatles, les Stones, les Kinks, les Who - They are what exciting English rock is all about - C’est tout ce qu’il adore dans le rock anglais. Chapeau bas aussi pour «69 Tears», the ultimate garage rock classic, pour «Green Onions», pour «Keep On Running», avec la killer bassline de Muff Winwood, tiens comme par hasard, et puis voilà Wilson Pickett avec «99 and 1/2», my #1 Soul man, a true badass. Il cite Buffalo Springfied comme son deuxième favorite American band après les Byrds et ne tarit plus d’éloges sur les Raspberries («Tonight») qui combinent si bien le flair mélodique des Beatles avec le power des Small Faces. Bel hommage aux Miracles («Going To A Go-Go») et à Aretha, bien sûr («I Never Loved A Man (The Way I Love You)»), Fame Sound, Jerry Wexler and a bunch of white musicians - Link Wray dont il recommande «Rumble» - PLAY IT LOUD - Little Richard avec «Tutti Frutti» - This was the MOST exciting record to come down the pike - Dionne Warwick, les Shirelles, Martha And The Vandellas («Nowhere To Run») - And this is where Keith Richards gets the ‘Satsisfaction’ riff from ? - Dwight Twilley Band avec «You Were So Warm» - Sun records reverb and Beatles melodies - Walker Brothers («The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore») - One of my favorite vocal performances of all time - Julie Driscoll & Brian Auger Trinity, Spinners, Zombies, Dusty chérie («I Close My Eyes And Count To Ten»), Easybeats, Moby Grape - My favorite debut album - Jackie De Shannon («When You Walk In The Room») - Elle fit la première partie des Beatles, écrivit des chansons pour les Byrds et Marianne Faithfull, elle avait Ry Cooder dans son backing band et eut une relation avec Jimmy Page - Jackie est une BIG personal favorite de Sal. Music Machine est son groupe garage préféré («Talk Talk»), et il adore les Ramones («I Wanna Be Your Boyfreind») - Thanks for saving rock’n’roll, Johnny, Joey, DeeDee and Tommy - et puisqu’on est dans les punks, il salue les Damned («New Rose»).

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    Et pouf, il saute sur Etta James («At Last») - Regarded as one of the greatest R&B voices of all time - Puis il enchaîne les Supremes («Stop In The Name Of Love») et les Velvelettes («Needle In A Haystack») - Some of the most exciting singles from Motown’s wonder years - puis il salue Darlene Love («Christmas (Baby Please Come Home)» - «Fine Fine Boy», this absolute monster is for me one of the best records of all time - Il revient en Angleterre avec les Birds («Say Those Magic Words») - Ronnie Wood and one of may bass heroes, Kim Gardner - Sir Douglas Quintet («She’s About A Mover», les Bee Gess («New York Mining Disaster 1941»), Bobbie Gentry, forcément, les Groovies avec «Slow Death» - Some of the best rock’n’roll this side of Atlantic - Puis les 13th Floor Elevators, Ann Peebles avec «I Can’t Stand The Rain» et son grinding Memphis groove. Il salue aussi le «Rock On» de Davis Essex parce que Herbie Flowers y joue de la basse. Sal dit de Flowers qu’il est l’équivalent blanc de James Jamerson et pour preuve il suffit d’écouter «Walk On The Wild Side», «Space Oditty» et le «Jump Into The Fire» de Nilsson. Bel hommage aussi à Sandie Shaw («Girl Don’t Come») et il compare le team Sandie Shaw/Chris Andrews au team Burt Bacharach/Dionne Warwick, ce qui est quand même un peu osé. Joli coup de chapeau aux Turtles puis aux Foundations («Build Me A Buttercup») - killa dilla soul record from the late 60s - The Mamas And The Papas («California Dreaming»), the Dave Clark Five («Anyway You Want It») - The DC5 gave The Beatles a run for their money - Sal parle de sheer brutal power et c’est vrai. Il salue aussi Todd Rundgren à l’époque de Nazz («Open My Eyes») - The monstruously talented Todd Rundgren - et il ajoute - The Nazz from Philadelphia were one of these bands that coulda, woulda, shoulda - Pas de meilleure définition ! Sal détecte chez les Nazz les British influences, le Who-like guitar solo et des harmonies vocales dignes des Association. Il salue aussi les Hollies («I Can’t Let Go») et dit que l’album Evolution est l’un de ses BIG faves. Voilà Delaney & Bonnie qui se sont fait piquer leur groupe par Clapton, puis Sly & The Family Stone («Everyday People») - With at least two stone geniuses in the band - il parle bien sûr de Sly et de Larry Graham. Pour Sal, c’est l’un plus grands groupes de tous les temps et il te met au défi de trouver quelqu’un qui osera dire le contraire. Les Troggs qu’il traite de «minimalist geniuses» et Ronnie Spector avec «Try Some Buy Some», le hit de George Harrison - mind-blowing wall of sound production by Phil Spector and the always fabulous Ronnie on vocals - Paul Revere & The Raiders («Him Or Me»), Love («7 & 7 Is») - Love were an insanely talented group of eccentrics, drug addicts, thieves and all round misfits - oui, des punks avant la lettre, et puis voilà les Remains («Don’t Look Back») et Emitt Rhodes au temps de Merry-Go-Round - And the most amazing record the Beatles never made, «Listen Listen» - Fleetwood Mac avec «Albatross», les Pretty Things avec «I Can Never Say» - The Pretty Things étaient plus chevelus et plus féroces que les Stones et c’est complètement dingue (it’s plain crazy) qu’ils ne soient pas devenus des stars - Oui, Sal, on est complètement d’accord avec toi. Il passe directement à «See Emily Play» - British psychedelia at its finest - et il traite Syd Barrett de biggest drug casulaty of the 60s. Après Traffic et les Moody Blues, il tape enfin dans les Small Faces avec «All Or Nothing» - Another band in my top 10 of all-time - S’ensuivent Donovan et les Creation («Making Time») - The greatest unknown band to come out of the UK, do yourself a favor and check these guys out - Them («Gloria/Baby Please Don’t Go») - The most iconic garage song of all time - Il ne tarit plus d’éloges sur les Blossom Toes et leur premier album, We Are Ever So Clean, et il passe directement à The Action avec «Shadows And Reflections» - Commercial failure, like the Creation - Sal s’incline jusqu’à terre devant Bobby Womack pour «Across 110th Street» et il a raison, car c’est une pure merveille, puis c’est au tour des Meters de passer à la casserole avec «Cissy Strut» - They are considered royalty in the Crescent City - Voilà les Standells avec «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» - It’s what trashy garage rock is all about - le MC5 avec «Tonight» - the fiercest kick-ass rock‘n’roll ever - Il rend aussi hommage à Jack Nitzsche («The Lonely Surfer»), aux Chantells dont on entend le «Look In My Eyes» dans le Goodfellas de Scorsese, my favourite film. Il n’oublie pas Chucky Chuckah («Promised Land»), ni Don Covay («Mercy Mercy»), Freddie Scott, avec «Am I Groovin’ You» produit par Bert Berns, of course, Buddy Holly («Oh Boy»), The Association, les Monkees («Porpoise Song») - Headquaters is one of the best albums of the 60s - BJ Thomas («Hooked On A Feeling») produit par Chips Moman, Bowie avec «Rebel Rebel» - This guy owns the 70s the way the Beatles owned the 60s - et il ajoute, en proie à la fièvre - It was so much fun to hear Rebel Rebel on a jukebox in 1974 - S’ensuivent Jerry Lee («Whole Lotta Shaking Goin’ On») - Forget Elvis, this guy was every parent’s nightmare - Fats Domino («I’m Ready») - The Fat Man’s 45 discography is an embarrassment of riches - Gene Vincent («Be Bop A Lula»), les Who («Anyway Anyhow Anywhere») - Leurs 10 premiers singles et leurs trois premiers albums sont mes trésors les plus précieux - et il ajoute : «There were certain bands that were religion to me.» Dont les Who, bien sûr.

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    Il salue aussi Garnet Mimms («Cry Baby») - Another Bert Berns creation, and maybe his finest - Johnny Burnette avec «Train Kept A rolling», Vince Taylor avec «Brand New Cadillac», Bo Diddley avec «Bo Diddley», Billy Fury («A Wondrous Place»), Free («The Stealer») et puis voilà Dion, Solomon Burke, les Sonics. Et tu croyais qu’il allait oublier les Box Tops, Junior Walker et Sam The Sham ? Mais non, ils sont tous là, même Big Star avec «September Gurls», et le Velvet arrive avec «Sunday Morning», puis voilà Sam And Dave («Soul Man»), et les Dolls - one of the mosts dynamic records of the 70s - S’ensuit le Jimi Hendrix Experience («Wind Cries Mary/Purple Haze») - Sal est fan des trois premier albums qu’il considère comme les meilleurs. Jimi a beaucoup de chance nous dit Sal car Chas Chandler avait tout appris de Mickie Most pour la prod - Keep it simple, keep it focused and let’s make hit records - Puis Gene Clark («So You Say You Lost Your Baby») - A songwriting genius - Swamp Dogg, Lesley Gore, James Carr, les Isley Brothers, les Stooges - One of the most influential bands of the last 45 years - Et il ajoute en parlant des trois albums des Stooges : «All great, all essential, all the time.». Arrivent ensuite les Seeds, Bob & Earl, Honey Cone, histoire de rendre un nouvel hommage à Holland/Dozier/Holland, Captain Beefheart avec «Diddy Wah Diddy», Badfinger avec «Baby Blue» et il termine avec Al Green et l’infernal «Here I Am» - THE Soul singer of the 70s - Il n’a rien oublié. Effarant !

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    Et puis il y a les inconnus et les inconnues au bataillon, comme Claudine Clark, une pré-Beatles dont il dit grand bien à l’écoute de «Party Lights». Il recommande aussi les Soul Survivors avec «Expressway To Your Heart», puis les Grass Roots («Where Were You When I Needed You») parce que c’est le groupe de P.F. Sloan & Steve Barri. Puis il fait l’article pour Marmalade («I See The Rain»).

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    Sal défend aussi des artistes qu’on n’écoute pas forcément, comme Stevie Wonder, Sonny Bono solo («Laugh At Me»), the Left Banke («Walk Away Renée») ou encore les Searchers, the MOST under-appreciated British group of the 60s. Il recommande aussi vivement le «Stoned Out Of My Mind» des Chi-Lites et le «Pretty Flamingo» de Manfred Mann. Puis les 4 Seasons que Sal détestait en réaction des gens de son quartier à Little Italy qui vénéraient les 4 Seasons et qui haïssaient les Beatles. Comme Sal adorait les Beatles, alors il détestait les 4 Seasons, mais il avoue aimer la voix de Frankie Valli. Il recommande aussi les Beau Brummels, et pas seulement «Laugh Laugh» mais aussi l’un des albums de l’âge d’or, Bradley’s Barn. Il vante aussi les mérites de Reparata & The Delrons («I’m Nobody’s Baby Now») et de Jimmy Hughes qu’il faut effectivement ne pas perdre de vue - A treasure of the Muscle Shoals Soul.

    Bon, il reste encore des tas de trucs, mais pour éviter l’overdose, on va en rester là.

    Signé : Cazengler, sale merda

    Sal Maida. Four Strings, Phony, Proof And 300 45s. Hozac Books 2018

    Milk ‘N Cookies. RPM Records 2005

     

    *

    Le Rock c'est Ça ! C'était écrit en toutes lettres sur la pochette du premier 25 cm français de Vince Taylor. En ces temps originaires tout semblait simple. Depuis il en a coulé de l'eau de la Seine sous le Pont Mirabeau, de l'eau sur la scène Rock aussi ! A tel point que le secret du Ça s'est un peu perdu. L'est difficile d'y mettre la main dessus. Vous avez Le Livre du Ça de Georg Groddeck paru en 1923 qui nous raconte que le Ça serait une sorte de maladie auto-immune, une espèce d'embryon pathogène que notre corps et notre esprit engendreraient en une frénétique copulation contre-nature, que nous abriterions à l'intérieur de nous, une espèce d'Alien niché au-dedans de nous, un squatteur fou qui nous dirigerait. A notre insu, du moins comme notre conscience feint de faire semblant de le croire. Les Anciens Egyptiens et leur sagesse pyramidale connaissaient le Ça qu'ils nommaient Ka. Ils le définissaient comme cette part d'immortalité qui nous habitait et qu'il convenait de garder précieusement intacte en nous après notre mort pour accéder à l'immortalité. D'où la nécessité d'embaumer les cadavres et de veiller attentivement à la préservation de nos momies. Autrement dit le ça ou le ka serait notre principe de vie agissant. Tout ça en tant que préliminaires à notre chronique du premier disque d'Aliça F!, pardon d'Alicia F!

    ALICIA F!

    ( Single / Damn101 )

    Alicia Fiorucci : lead vocal / Tony Marlow : guitar, backing vocals / Fredo Lherm : bass, backing vocals / Fred Kolinski : drums, backing vocals.

    D'abord une pochette bien sûr. Sans quoi ce ne serait pas une surprise. Car le rock se doit d'agresser les yeux autant que les oreilles. Artwork de Mike Cookson admirablement mis en page, du faussement très simple, une photo d'Alicia alignée à droite, un lettrage coqueluche de craquelures sur la gauche. Le tout baigné de d'obscurité. Qui resplendit de lumière. Le halo de feu autour des cheveux mi-longs d'Alicia – et ce regard vert de vipère qui darde et vous pétrifie à tel point que vous n'oseriez porter vos regard sur la blancheur irradiante de ce corps blanc, si ce n'était cette insolente attitude de souveraine indifférence aussi incisive que le tatouage barbelé qui enserre le haut d'une cuisse interdite.

    La photo est issue d'une série d'Antoine '' TK PIX'' Newel dont nous reparlerons dans une prochaine livraison. Elle est reprise sur l'œil du disque, centrée sur le corps, une focale qui en accentue la lascivité.

    little richard,sal maida,alicia f!,mountain ( vi )

    My No-Generation : si l'on vous a déjà offert une vipère heurtante du Gabon et qu'elle vous a sauté au cou pour vous souhaiter la bienvenue en prenant garde d'enfoncer profondément ses longs crochets dans votre gorge vous pouvez écouter sans danger ce titre. Sans quoi vous risquez d'être surpris, le morceau n'a pas commencé que vous voici valdingué par un monstrueux vlan de guitare et la voix d'Alicia surgit et se plante en votre cœur tel un poignard meurtrier. Si vous croyez en être quitte pour la peur, vous vous méprenez. Reprenez vos esprits, c'est difficile, ça klaxonne de tous les côtés à la Ramones, et c'est fini. C'est quoi ce truc de madurle, deux minutes et trente-trois secondes de love suprême et c'est ignominieusement terminé. Question affirmation de soi, Alicia F! ne fait pas dans dentelle. A la manière dont elle prononce ses trois derniers I don't care, vous comprenez qu'il vaut mieux ne pas chercher à chipoter. D'ailleurs Fred Kolinski vous cloue le bec d'un dernier coup de marteau définitif. Adjugé. Plié. La purple panther a disparu. Quant à Marlow le filou fellow il s'est débrouillé pour placer dans tout ce tintamarre un destroy solo, genre parquet ciré glissant du Titanic quand il plonge vers les abysses, qui fera rockin' date.

    I fought the law : une reprise – il n'y en aura que deux au grand maximum sur l'album en préparation – pas n'importe laquelle, l'hymne des rebelles du rock'n'roll écrit par Sonny Curtis qui enregistra avec Buddy Holly et Eddie Cochran – un titre qui colle à l'art natif de vivre d'Alicia F! je n'en fais qu'à ma tête car je suis un être humain libre comme ces animaux que les hommes surnomment sauvages. Aussi elle vous l'entonne à pleins poumons, à pleine joie, un vent impétueux qui courbe la cime des arbres, et derrière les musiciens reprennent en chœur, Kolinski s'offre une rafale insidieuse de battements névrotiques à la suite desquels Frédo Lherm en profite pour un lâcher de basse enragée. Marlow déploie tout du long l'oriflamme de sa guitare et Alicia vous force de son vocal pandémoniaque toutes les prisons et brise toutes les chaînes mentales qui nous emprisonnent à nous-mêmes.

    L'air de quelque chose qui ressemblerait à un concept-single. Alicia a compris que le rock sans mythologie est insipide, qu'il faut incarner le fantasme de son propre personnage afin de phagocyter de sa propre volonté agissante l'imaginal cerveau de l'auditeur. L'idole n'incarne que son propre désir à être soi-même dans toute son unicité stirnérienne. Moi et rien d'autre que cet amour hargneux du rock. C'est lorsque l'on est définitivement devenu l'œuf germinal de sa propre solitude, de sa propre plénitude, que l'on peu devenir l'absolu et nécessaire miroir de tous les autres. Le rock'n'roll c'est ça.

    Et rien d'autre. Que cette manipulation mentale. Magie musicale.

    But we like it.

    Et avec ce premier vinyle, Alicia F! y réussit magnifiquement.

    Damie Chad.

     

    MOUNTAIN ( VI )

     

    1973

    West, Bruce & Laing s'est terminé en queue de poisson, trop de drogue, trop d'égos, Jack Bruce parti, Leslie et Corky se retrouvent seuls, pas pour longtemps, plus de bassiste, même pas le temps de se retourner voici que Felix Pappalardi arrive ventre à terre. L'a un super plan à proposer : la reformation de Mountain. Mais pas que. Du fric à se faire : au Japon. A la clef de cette tournée au pays du Soleil Levant, les royalties d'un double album live, qui résisterait à une telle proposition ? Corky se désiste sans tarder. Ce n'est pas qu'il n'aime pas les Japonais, c'est qu'il voit les ennuis se profiler. Certes des étincelles à prévoir entre Felix et Leslie, mais ce n'est pas le pire. Pappalardi n'est certainement pas un mauvais bougre, par contre c'est un homme sous influence. Non ce n'est pas la mafia qui lui court après, c'est dommage, ce serait mieux, mais allez vous dépêtrer de sa diablesse d'épouse ! Gail Collins est une peste. Bubonique. Faut qu'elle se mêle de tout. Qu'elle ramène son grain de sel à tous moments.

    Balle au centre entre Felix et Leslie. L'arbitre Corky a démissionné. Justement Pappalardi connaît un autre batteur, c'est lui qui marque le point, lui reste encore à déstabiliser son redoutable adversaire : tu sais Leslie tu te débrouilles bien aux guitares toutefois si tu avais un gars pour te soutenir ce serait moins fatiguant pour toi. Leslie pare le coup : ok, pour cette tournée, mais à la prochaine I want Corky. Pas chaud le Leslie, toutefois qui cracherait sur une mountain d'or...

    TWIN PEAKS

    1974

    little richard,sal maida,alicia f!,mountain ( vi )

    Un double live made in Japan, enregistré le 30 août 1973  à Osaka. Pour l'artefact heureusement que Gail Collins est beaucoup plus imaginative que le sous-doué qui s'est chargé de la pochette du Deep Purple... Reste fidèle à son style. Sobriété démiurgique. L'on peut se perdre dans sa contemplation. La montagne est toujours là, mais sombre, massive, menaçante. Le ciel est rose, la couleur préférée des petite-filles, Gail impose le cachet de sa féminité, une manière d'affirmer qu'elle est autant Mountain que les musiciens. L'on a vite fait de se perdre dans les fluidités anguleuses du dessin. Quel est ce cygne qui semble aller de l'avant alors que son col infléchit déjà le chemin du retour, et cet être-soleil aux cheveux couronnés d'épis d'or qui semble l'accueillir, quel est-il ? Mais nous n'avons analysé que les deux tiers du dessin. Le troisième est au verso de la pochette. La montagne noire est toujours là, à croire que Gail ait voulu répéter deux fois la même scène, celle-ci se déroule avant celle du recto, la blancheur du cygne file telle une flèche, elle s'apprête à dépasser le prince-soleil autour duquel elle effectuera l'infléchissement du retour de sa trajectoire. Le bec pointu comme la flèche de Zénon qui vole et ne vole pas puisque tout instant est inscrit en sa propre solitude, en son propre espace. Si vous les additionnez les uns après les autres vous en déduisez le continuum d'une histoire, qui sort de votre imagination, peut-être vaut-il mieux comprendre que ces instants sont séparés et ne communiquent pas entre eux. Que la balle qui vous tue, n'a rien à voir avec cette autre qui a été lancée. Toute poésie picturée n'est-elle pas prémonitoire. Comme par hasard le quatrième tiers est un bandeau noir qui sert d'écritoire récapitulatif.

    little richard,sal maida,alicia f!,mountain ( vi )

    Allan Schwartzenberg ce n'est pas Corky, mais ce n'est pas le dernier venu. Musicien de session l'a joué avec tout le monde et les plus grands. Grand amateur d'Elvin Jones, il a acquis cette subtilité qui lui permet de trouver sa place dans n'importe que style. Pour rester dans le style de musique la même année que sa participation a Twin Peaks il travaille avec James Brown, l'année suivante Alan Douglas fera appel à lui pour rajouter la batterie sur six des huit pistes de l'album posthume et controversé de Jimi Hendrix Crash Landing.

    Bob Mann, tout comme Allan Shwartzenberg il a accompagné Gloria Gaynor, Linda Ronstadt, Barbara Streisand... Pianiste et guitariste, capable de tout jouer et de tout arranger, de tout composer, du rhythm 'n' blues à la musique classique. Pappalardi n'a pas fait appel spécialement à des rockers mais à des mercenaires de haut niveau.

    Leslie West : guitar, vocals / Felix Papparladi : vocals, bass, keyboards / Bob Mann : guitar, keyboards / Allan Schwartzberg : drums.

    Never in my life : rien à dire le son est là, l'alchimie entre la vieille garde et les nouveaux embauchés se réalise, à cette différence près que le son est top léché, n'émane pas de ce premier morceau la force convulsive qui agitait les disques de la première période. Theme for an imaginery western : sur ce morceau plus lent le défaut du premier titre est moins apparent, la voix de Pappalardi couvre tout, dès qu'il se tait l'auditeur se met en attente de son retour, manque toutefois l'épaisseur de la la frappe de Corky. La deuxième guitare n'apporte rien, elle fluidifie le jeu de West mais ne lui donne pas davantage de furie. Blood of the sun : la voix de West fait sauter le barrage et emporte nos préventions et le caramel de l'assentiment, toutefois la cymbale de Schwartzberg est trop légère. Guitar solo : West tel qu'en lui-même, qui s'amuse, solo tout en douceur, haché de silence, idéal pour comprendre comment il construit son architecture, lorsqu'il se déchaîne l'on dirait qu'il s'overdube lui-même. Monte dans les aigus, un peu comme s'il se moquait de nous. Nantucket Sleighride : Pappalardi irradie. L'on en oublie que l'orchestration manque d'un peu d'ampleur. Poussez le son si vous voulez voler parmi l'écume et les embruns. Nous ne retrouvons pas l'émotion qui nous avait saisi lorsque nous l'avions chroniqué en diamant solitaire dans la suite consacrée au deuxième album de Mountain. Crossroader : un cabochon pour Leslie qui fait sonner sa guitare comme il se doit sur un morceau qui n'a pas la prétention de révolutionner le rock, ni de le porter à incandescence. Se débrouille pourtant pour en faire un des temps forts de l'album. Mississippi queen : le cordon de gloire de Corky, Schwartzberg fait gaffe à ne pas le rater et la guitare de Leslie vient en contrefort pour ne pas faire rougir son vieux copain absent. Silver paper : un vieux morceau, vous le découpent à la dentelle, c'est joli, c'est mignon tout plein. Tressent des guirlandes pour la fête de Noël. Vous le font durer, y prennent du plaisir. Nous aussi. Roll over Beethoven : en fait on préfère le bon vieux rock'n'roll. Ne vous demandez pas pourquoi.

    Soyons franc, le disque ne nous convient pas tout à fait. Trop policé. Ressemble un peu à ces marches que l'on a taillées dans le rocher pour permettre aux touristes d'accéder à la forteresse de Montségur sans risquer de glisser et de basculer dans l'abîme. L'on est très loin des bootlegs de West, Bruce & Laing. L'adjonction des deux professionnels a permis une certaine efficacité mais ils ont masqué d'une brume sans mystère les abrupts de la montagne sacrée.

    Plus tard West affirmera que ce japan tour n'était pas ce qu'il désirait. Repartir avec Mountain, ce n'était pas idiot, mais pas pour rejouer les mêmes éternels morceaux. L'était comme Baudelaire, recherchait du nouveau. Est-ce pour cela qu'il accepte de participer à un nouvel album ? L'a tout de même pris une assurance tout risque : Corky est revenu. La partie est tout de suite plus égale : Corky + Leslie d'un côté, Felix + Gail de l'autre. Bon prince, Leslie accepte un second guitariste, ce n'est pas ce qui lui fait peur.

    AVALANCHE

    1974

    Leslie West : guitar, vocals / David Perry : Rythm guitar / Felix Papparladi : vocals, bass, keyboards / Corky Laing : drums.

    little richard,sal maida,alicia f!,mountain ( vi )

    little richard,sal maida,alicia f!,mountain ( vi )

    Je vous avais demandé de garder en mémoire la pochette de Live 'n' Kickin', elle n'est pas de Gail Collins, elle est signée de Pacific Eye & Ear, studio-design à qui l'on doit de nombreuses couves d'artistes rock, une des plus célèbres étant par exemple le Berlin de Lou Reed.

    little richard,sal maida,alicia f!,mountain ( vi )

    Nul besoin d'avoir fait une école d'art pour s'apercevoir que la structuration de la pochette d'Avalanche due à Gail Collins possède quelques ressemblances, des espèces de rappels à l'ordre, le cercle évidemment, les photographies des musiciens en pleine action dans la mire. Gail a choisi Leslie et Felix sur scène jouant et chantant, comme au bon vieux temps de Mountain. La citation circulaire empruntée à WB&L est là pour signifier que la brisure a déjà eu lieu que l'histoire de Mountain en est à son dernier acte. La montagne est d'un noir de deuil aveuglant. Le ciel coloré – espèce d'arc-en-ciel angulaire – témoigne de l'éclat d'un prestigieux passé. Le reste du dessin est typique du style de Gail, quel est cet étrange poisson volant et pourquoi l'oiseau sur sa racine ne s'envole-t-il pas, comme si quelque chose ne tournait plus rond ? Plus de cygne qui ne nous fasse signe. Un peu comme si drame était déjà consommé. Gail Collins avait-elle la prescience que c'était la dernière pochette de Mountain qu'elle dessinait. Sans doute était-elle au courant de la décision irrévocable de Pappalardi de mettre définitivement fin au groupe...

    David Perry est originaire de Nantucket, autant dire qu'il s'inscrit naturellement dans la communauté Mountain. Il jouera dans Black Cats et dans The Dionysians avec Nick Ferrantella qui devint le road manager de Mountain et de West Bruce & Laing, l'on comprend qu'il ait pu être facilement accepté par Leslie et Corky. Nous le retrouverons en un autre épisode avec Felix Pappalardi.

    Whole lotta shakin' goin' on : les classiques du rock, ce n'est pas le trésor du Capitaine Flint qui nécessite toute une expédition maritime, sont accessibles à tous, les coffres inépuisables largement ouverts débordent de diamants gros comme le Ritz, il suffit de se baisser et de puiser dedans à pleine mains. Généralement les groupes ne proposent ces dragées aux poivres de Cayenne explosives qu'en concert en guise de dernière faveur avant de s'esquiver. Mountain se moque de ces coutumes. Directement en ouverture de face A pour l'album studio censé marquer le grand retour. Ne doutent de rien, pas une énième reprise du old but eternal & young Berry, n'ont pas peur du grand méchant Jerry Lou, lui ont dérobé son épaule saignante de phacochère préférée, grands princes ils lui ont laissé son pumpin' piano, vous le font à la sauce Mountain, vocal à l'arrache, guitare gourmande et aigüe et Corky tout heureux qui mène le train. Ne closent même pas le débat d'un accord majeur, se permettent l'infini instrumental des rails qui courent jusqu'au bout du monde, juste pour nous faire regretter qu'ils ne l'aient pas laissé filer sur toute la face de l'album. Sister justice : pas de jaloux, à Felix le chat de prendre la relève. L'est comme ses jeunes filles qui mettent leur plus belle robe pour être sûre de vous séduire, sait très bien que son attrait numéro un c'est sa voix, vous l'estampille avec cette coquetterie qui vous pousse à coller un timbre de collection sur une lettre d'insultes à votre percepteur, vous la pose dès le début et ne se tait pas jusqu'à la fin, personne ne fait mieux que le boss, il vous trousse la ritournelle et vous êtes éblouis par ce qu'il révèle dessous, les trois autres jouent sous du velours, je ne dis pas qu'ils se roulent les pouces, ils assurent le job à la perfection, quand Orphée chantait les argonautes souquaient d'autant plus ferme. Grenadine fortement alcoolisée. Ne pas en abuser. Alisan : une petite compo de West, cristalline, avec quelques vols d'éventails sinon mallarméens du moins acoustiques, et hop ça part sur un son banjo, tout ce qu'il y a de plus country, vous ne glisseriez pas un feuillet de cigarette entre deux notes, l'on repart en berceuse, légèrement plus accentuée, sur ce balancement mordoré un bébé se croirait dans le ventrou de sa maman. Swamp boy : écrit par Monsieur et Madame Papplardi, l'on change d'endroit, chaleur et rythme poisseux, la basse de Félix qui clapote et le vocal genre poire d'angoisse hennit en douceur comme si un serpent lui passait entre les jambes. ( I can't get no ) Satisfaction : les deux précédents morceaux étaient beaux mais pas très avanlachiques à vous couper la chique, West jouait déjà ce hit avec The Vagrants avant Mountain, je ne sais plus qui a dit que c'était la plus belle reprise du chef d'œuvre ( parmi tant d'autres ) des pierres roulantes, peut-être que si Decca ne l'avait pas sorti avant qu'elle soit revue par les cinq voyous de bonne famille londoniens aurait-elle fini à ressembler à cette pétaudière à péter les chaudières... En tout cas elle n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd, nous verrons plus loin pourquoi, Corky a la bonne idée de ne pas tenter d'imiter Charie Watts, Felix en profite pour vraiment jouer de la basse et Leslie avec un bottleneck vous dépèce un serpent vivant et au lieu de se servir de sa guitare il nous offre les cris gémissants du reptile frémissant. Jamais plus vous n'obtiendrez de satisfaction aussi énamourante dans votre vie. Thumbsucker : encore un titre du couple infernal, le genre prise de cocaïne parfaitement inspirée, vous avez un guitare sur un mur qui picore du pain dur et vous êtes comme les petits poussins qui suivent leur mère les yeux fermés jusqu'à la prochaine rôtisserie. Seriez prêts à lécher n'importe quel doigt que l'on vous tendrait pour le réécouter en boucle. You better believe it : quand Corky tapote sur sa cloche à vaches, pouvez commencer à rédiger votre testament, plus la peine Leslie lui vient prêter assistance et c'est parti for the last devil's dance, le vocal de West ressemble à des hurlements de sioux lors de l'assaut contre le septième de Cavalerie, et derrière vous avez un de ces froissés de riffs, comme il ne s'en fait plus cette terre depuis au moins la cruci-fiction du Christ. Superbe, un des meilleurs titres de Mountain, vous pouvez me croire. I love to see you fly: une ballade pour Gail, pour une fois Leslie a aidé Felix pour l'écrire. Un moment de faiblesse masculine, Pappalardi a cueilli les plus belles roses pour sa compagne, Leslie a rajouter un épineux d'acoustique. Ne faut pas non plus souhaiter l'impossible, la vie est parfois assez dure dans sa réalité. Le genre de ballade vicieuse qu'auraient pu composer les Rolling, seraient-ils parvenus à être aussi cyniques ? Back where I belong : les petites fleurs même carnivores c'est beau, mais Corky et West ils préfèrent les gros riffs qui tâchent la nappe de gros cercles rouges. Vous le répètent en cœur, ils appartiennent au rock'n'roll. Parfait, nous aussi. Last of the sunshine days : une mélodie aigre douce, Gail et Pappalardi se préfigurent dans l'après-Mountain. N'ont apparemment aucune idée sur la manière de comment l'histoire se terminera, pas vraiment un morceau de rock, une chanson à la Tin Pan Alley, un rire amer pour tirer sa révérence. Celui qui s'amuse le plus dans ce final c'est Corky, on le sent soulagé, marque le rythme avec entrain, à se quitter autant que ce soit en bons amis.

    Le titre laissait présager une avalanche de fureur, ce n'est pas le cas. Cet album est cependant mille fois plus inventif et créatif que Twin Peaks. Une époque se termine, qui nous laisse des regrets. Certes la cassure est évidente entre le pôle sud papparlidien davantage artiste et le pôle nord beaucoup tempétueux. Inutile de s'apitoyer, quand ça ne veut plus, ça ne peut plus. Pappalardi se retire, West décide de continuer. Corky le suit.

    Comme ils ne peuvent pas utiliser l'appellation Mountain, West décide de miser sur son propre nom.

    THE GREAT FATSBY

    ( Mars 1975 )

    Leslie West : guitars, vocals / Corky Laing : drums / Mick Jagger : guitar / Kenny Hinckle : bass / Don Kretmar : bass / Nick Farrentella : drums / Marty Simon : piano / Joel Tepp : guitar / Howwie Wyeh : piano / Dana Valery : vocals / Jay Trenor : Vocals.

    little richard,sal maida,alicia f!,mountain ( vi )

    Don't burn me : ( titre éponyme de l'album du soulman Paul Kelly paru en 1973 ) : la guitare pleure et le vocal de Leslie arrache tout, Fatsby peut tout jouer, Fatsby peut tout chanter, il montre qu'il a l'âme plus profondément noire que la plupart, qu'il n'ignore rien des racines du rock'n'roll, qu'il existe aussi un versant moins ensoleillé que le studio Sun et moins country-rock-boy que Chuck Berry. Un chef d'œuvre inattendu. House of the rising sun : surprise n° 2, flûte ! une introduction aussi belle qu'un chant d'oiseau, l'on commence à comprendre ce que Leslie voulait dire lorsqu'il espérait ne pas refaire sempiternellement les vieux morceaux de Mountain, certes vous ne trouverez rien de plus ancré dans la tradition et dans la lignée de tout ce que le groupe a réalisé jusqu'à maintenant, et si la guitare semble reprendre les sentiers balisés, voici qu'après le premier couplet c'est la monstrueuse voix de Dana Valeri qui lui donne la réplique, tous deux donnent dans le mélodrame le plus pur, ponctuée d'un solo de cuivre et sur la fin de relents d'harmonica. Version des plus respectueuses et des plus originales. High roller : rajouter un ''s'' en dernière lettre et vous possédez le titre d'un album des Rolling Stones d'un concert public donné en 1997 à Las Vegas. L'on ne s'étonnera donc pas de savoir que Mick Jagger est venu jouer quelques licks de guitare durant les sessions. Un truc que Corky a salement mitonné derrière ses peaux. Que voulez-vous quand vous vous éloignez de la montagne, elle refuse de se se barrer de l'horizon, un joyeux bordel, des cuivres qui surgissent de partout, tout cela n'est pas sans évoquer les grands morceaux des Stones avec Mick Taylor, d'ailleurs il vient de quitter les Stones et le nom de Leslie a circulé pour le remplacer. I'm gonna love you thru the night : genre de déclaration qui ne doit pas rester vaine promesse, Leslie l'ouvre en grand et c'est parti pour la ballade grand spectacle, une pincée de pop dans le rock, les Stones le feront excellemment quelques années plus tard, guitare féline qui ronronne, agréable à écouter, l'on a l'impression que Leslie sort le catalogue de toutes ses possibilités. Esp : n'est jamais meilleur qu'à la guitare, alors il montre ce que l'on n'attend pas de lui, question tonitruance il a déjà donné, ici il envoie grave la nuance, sait travailler aussi dans la ciselure et le chromé-or qui arrache des cris d'admiration. M'étonne qu'un réalisateur de film n'ait jamais songé à utiliser cet acoustique, je le verrais très bien par exemple pour les scènes idylliques de Bilbo the Hobbit. Honky tonk woman : hot stuff, si vous voulez savoir si Leslie pourrait se faufiler dans les coulées fragmentées de Keith Richards, la réponse coule de source, même que si le Jag avait un soir une subite laryngite il pourrait lui donner un coup de main derrière le micro. If I still love you : une espèce de faux blues à moins que ce ne soit un blues totalement stoned, il y a des jours où l'on se sent plus vaseux que d'autres, une feuille d'automne mélancolique qui tombe de l'arbre, avec des chœurs grandiloquents derrière qui nous chantent combien la vie est triste. Doctor love : un fromage appuyé un peu trop pop à mon humble avis. Le premier clin d'œil de l'album à Free, comme si West avait vraiment besoin de cette référence. If I were a carpenter : le classique de Tim Hardin, par chez nous repris par Hallyday, question accompagnement, ce n'est pas renversant, West a dû l'enregistrer pour le plaisir d'étaler ses octaves, et le désir de laisser Dana Valeri poser sa voix, hélas trop peu de temps. Mignon mais pas craquant. Little of bit of love : un deuxième morceau de Free, c'est bien fait, mais un peu superfétatoire, heureusement que Dana Valeri montre de quoi elle est capable.

    Un album un peu surprenant, Leslie semble marcher sur les traces de ce que Pappalardi enregistrera de son côté pour son propre compte. Avec ce titre ventripotent beaucoup de fans ont dû s'attendre à une apocalypse sonique monstrueuse, mais non, peut-être a-t-il été un peu mangé par tous les participants présents dans le studio, à moins qu'il ne soit à interpréter à l'aune de The Great Gatsby, le roman de la désillusion de Fitzgerald comme si se retrouvant seul Leslie se sentait un peu démuni, ne sachant trop vers quoi se diriger. Stones, Free, soul, pop... le gars un peu perdu, qui bricole dans son coin, avec Corky incapable de le cornaquer. De toutes les manières qui pourrait réussir le prodige de mener West par le bout du nez. L'est trop sûr de lui, trop orgueilleux pour ne pas décider de lui-même ce qu'il veut... Les ventes de l'album ne décolleront pas. Un bon disque certes, mais aux USA à l'époque il en sortait au minimum un par jour de cet acabit. Très symptomatiquement les titres sont souvent de jolies bluettes d'amour déçu. Drôlement bien foutues. Pas très longues non plus car Leslie est homme à cacher ses faiblesses et voiler ce sentiment insistant que le meilleur de la vie est désormais derrière lui.

    THE LESLIE WEST BAND

    ( 1976 )

    Leslie West : guitar, vocals / Corky Laing : drums / Mick Jones : guitar / Don Kretmar : bass guitar / Frank Vicari : horns / Sredni Vollmer : harp / Ken Ascher ; piano / "Buffalo" Bill Gelber : bass / Carl Hall, Hilda Harris, Sharon Redd, Tasha Thomas : backing vocals.

    little richard,sal maida,alicia f!,mountain ( vi )

    Money : les guitares, pour une fois l'adjacente n'est pas inaudible, c'est Mick Jones – en France, on l'appelait lorsqu'il officiait auprès de Johnny, Micky Jones, ce qui est marrant c'est que la frappe de Corky n'est pas sans évoquer celle de Tommy Brown son complice d'alors – ce n'est pas le vieux classique de Barrett Strong, mais un stuff tout aussi efficace, le Leslie quand il chante vous avez l'impression qu'il vous arrache une dent de sagesse à chaque mot, chaloupé sur une mer qui fraîchit salement, trop court, terriblement efficace avec en plus des chœurs féminins très clitoridiens. Dear Prudence : j'avoue un a-priori défavorable, le genre de morceau que j'ai toujours eu du mal à avaler sur le double-blanc des Beatles, comme quoi l'aspirine avec un peu d'arsenic ça passe mieux. Certes Leslie est un grand guitariste, mais il ne faudrait pas sous-estimer sa voix, ils ont même rajouté des chœurs féminins ce morceau sur les dangers de la méditation transcendantale acquiert un petit côté western, avec des mains qui tournent nerveusement autour du holster. En prime pour terminer sur une note exotique, vous avez une guitare qui se fait passer pour un sitar. Get It Up : le titre évoque James Brown mais l'on est carrément dans un orage zeppelinien, jusqu'à la voix qui n'est pas sans évoquer Plant, une batterie devenue folle et un harmo atteint de délirium tremens. Ne dépasse pas quatre minutes, mais puisque leur plumage se rapporte à leur ravage, ils sont les rois du heavy metal. Singapore Sling : une petite mélodie slingante à souhait. De l'acoustique sans à-coups. Leslie vous donne l'aubade. By The River : ce n'était qu'un intermède, l'on démarre sur un rythme à la Bo Diddley et l'on s'enfonce tous en chœur dans la forêt vierge avec des anacondas multicolores qui servent de guirlande entre les arbres. Dépaysement garanti. The Twister : rien à voir avec le twist des surboums des années soixante, Frank Vicari joue au jokari avec son sax, il nargue le grondement des guitares qui écrasent tout derrière vous et vous avez beau courir à toute vitesse, elles finissent par vous rattraper. Setting Sun : Leslie a toujours adoré les couchers de soleil romantique, avec des guitares dorées et des chœurs féminins nostalgiques, le beau chromo que vous trouvez accroché dans la chambre de tous les hôtels économiques. La dimension cheap du rock'n'roll. Tout le monde se tait, n'y a que Corky qui n'a pas compris que c'est le moment de l'introspection générale, se retrouve tout seul à tapoter sur sa sa batterie, et vous ne savez pourquoi votre cœur se serre. Que sont ces gouttelettes de rosée qui roulent comme des larmes de guitare sur vos joues ? Sea Of Heartache : la même chose que précédemment mais en beaucoup plus fort. Un festival de guitares en surimpression, les forces tumultueuses du destin s'approchent, vous recouvrent, s'éloignent et vous laissent dans votre solitude. We'll Find A Way : retour à l'enfer du rock urbain, les voix des filles qui vous poursuivent comme des sirènes d'usine, Corky vous dirige vers les quartiers du crime et de la jouissance, les guitares vous brûlent le sang, Leslie aboie après vous comme le chien de l'enfer. We Gotta Get Out Of This Place : reprise d'un des plus beaux morceaux des Animals ( facile ils n'ont enregistré que des perles pour nos oreilles de pourceauphiles ) impossible de faire mieux que ces satanées bestioles, alors le band à Leslie se colle dessus et se contente de suivre le mouvement. On aurait préféré un peu plus d'audace, surtout pour terminer l'album. Peu stratégique, les fans de base pensaient qu'ils allaient pulvériser le hit.

    Ce deuxième album est meilleur que le premier. Il ne se vendra pas davantage. Tous deux partagent un même défaut, des morceaux trop courts qui ne dépassent guère les quatre minutes. A chaque fois, une belle idée, mais trop vite délaissée avant d'être exploitée. D'où systématiquement une déception que l'on se refuse à avouer...

    Leslie aura du mal de se remettre de ses deux échecs successifs. Le bilan qu'il tire des trois dernières années n'est guère florissant. Il quitte New York pour Milwaukee dans le Wisconsin ce qui ne le rend pas plus fameux mais beaucoup plus loser... Se met au vert à la campagne. Essaie d'arrêter la drogue et tombe en dépression. L'on perd sa trace. Il ne croit plus en lui, il ne croit plus au rock'n'roll. Le monde change, les vieux groupes passent de mode, n'est plus qu'un éléphant en route pour le cimetière des dinosaures. Rien de ce qu'il entend ne l'agrée...

    Mais si tu ne vas pas au rock'n'roll, le rock'n'roll vient à toi. C'est la guitare d'Eddie Van Halen qui le réconcilie avec l'idée qu'en ces temps de détresse le monde a encore besoin de bons guitaristes. La route du retour sera plus dure que prévu. Il reforme Mountain. Ne rêvons pas, il va de bar en bar et de ville en ville trouvant toujours un groupe local surexcité de l'accompagner pour un soir sous le nom de Mountain... Plus tard ils pourront dire : Moi j'ai joué avec Leslie West...

    Au début des années 80 l'on proposa des millions de dollars aux Beatles pour qu'ils se reforment. Ils refusèrent. Mais l'idée était à creuser, tiens si Cream reprenait la route... et pourquoi pas Mountain... de quoi titiller Pappalardi qui se laisserait bien tenter... Suffit de retrouver Laing. N'est pas loin. Et West. Enfer et damnation, il se sert du nom de Mountain sans autorisation ! Pappalardi lui demande d'arrêter et de les rejoindre. Tête de mule n'avance ni ne recule. Niet ( je vous fais à la russe ). On est en Amérique, dans les cabinets les avocats se frottent les mains. Coup de théâtre, ce n'est pas Leslie qui rejoint Felix et Corky, c'est Corky qui rejoint Leslie. Felix est hors-jeu. Il n'aurait jamais dû annoncer à l'avance que Gail serait incluse dans la formation ! Corky + Leslie c'est déjà un Mountain presque au complet, nos deux tourtereaux se dépêchent d'étoffer leur crew, Miller Anderson à la basse et Keeth Hartley à la guitare sont recrutés. Ni une, ni deux, ils commencent à tourner, Mountain écrit en gros sur les affiches.

    Que voulez vous que Pappalardi fît ? Qu'il mourût ! Et Felix le fit. Comme dans les grandes tragédies du dix-septième siècle. Pas de lui-même. Ce n'est pas qu'il y mit de la mauvaise volonté. C'est lui-même qui offrit l'arme du crime à son assassin. Un Derringer. Une arme de poing redoutable. Surtout lorsqu'il est tenu par une femme jalouse. Les relations entre les époux Pappalardi étaient tumultueuses. La drogue n'arrangeait rien. Et quand il apparut à Gail Collins que son mari était prêt à la quitter pour une certaine Valerie Merians âgée de vingt-sept ans... Le coup accidentel partit tout seul, plaida-t-elle devant les juges. Ils eurent l'incroyable bonté de ( faire semblant de ) la croire. La scène se serait déroulée au lit, Felix voulait lui apprendre à s'en servir... N'était-elle pas le seul témoin ? Elle fut libérée après quelques mois de prison.

    Sur ce qui c'est vraiment passé les déclarations de West restent sarcastiques, offrez à vos belles, des fleurs, de la lingerie fine, de superbes limousines, par pitié évitez les armes... Corky parle en fatalo-philosophe, l'accident était inévitable, trop de drogues, trop de querelles, trop d'armes... Au procès de Gail, Frances l'épouse de Corky témoigne de la jalousie de Gail qui l'ayant aperçu se promener avec Felix l'aurait menacé de lui faire sauter le caisson si elle continuait...

    GAIL COLLINS

    Une fois libérée Gail continue à habiter à New York chez ses cousins. Une dizaine d'années plus tard on la retrouve à San Francisco. En 2005, elle déménage au Mexique pour vivre dans le village d'Ajijic près du Lac Chapala, très couru par les hippies. Sans doute vit-elle de ses royalties sur les chansons qu'elle a écrites. Il semble qu'elle ait travaillé à temps partiel dans un magasin de design tenu par une amie nommée Pearl. Elle crée des vêtements et des bijoux. Discrète elle utilise son second prénom et devient ainsi Delta Collins.

    Atteinte d'un cancer – elle serait venue à Ajijic pour suivre des traitements novateurs dispensés localement - il appert qu'elle ait mis fin à ses jours. Par pendaison. Le six décembre 2013. On raconte qu'elle avait demandé sur son testament que ses trois chats fussent euthanasiés puis incinérés, et que leurs cendres fussent, telles celles d'Achille et de Patrocle, mêlées aux siennes. Ce qui   la rend très sympathique aux amis des matous. Ce qui trahit aussi une personnalité propice aux anéantissements sans concession, aux engloutissements définitifs. Amour à mort.

    little richard,sal maida,alicia f!,mountain ( vi )

    L'on ne parle plus guère de Gail Collins. Nous terminerons sur le plus bel hommage qui lui ait été rendu, peut-être par hasard, quant à l'importance de sa participation à l'aventure Mountain. Il s'agit de la couverture d'une anthologie du groupe réalisée en 2004 en Angleterre par Columbia. The Very Best of Mountain regroupe vingt titres du groupe. Sur le fond noir de la pochette a été reproduit le bandeau coloré peint par Gail Collins qui surmontait la photo du groupe sur l'album Flowers of Evil. Sur ce faire-part de deuil, les vignettes colorées de Gail ressortent admirablement comme une main chaude et vibrante tendue depuis le royaume de la mort.

    La saga de Mountain est loin d'être terminée. A suivre.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 465 : KR'TNT ! 465 : PHIL MAY / LITTLE RICHARD / SEYMOUR STEIN / WEST, BRUCE & LAING

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 465

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB KR'TNT KR'TNT

    21 / 05 / 2020

     

    PHIL MAY / LITTLE RICHARD

    SEYMOUR STEIN / WEST, BRUCE & LAING

     

    Oh You Pretty Things - Part Five

    west,bruce & laing

    — Meuuuuh !

    Phil ouvre un œil. Il fait jour. Tiens, la tête d’une vache !

    — Meuuuuh !

    Le problème, c’est qu’elle est à l’envers. Mais non, elle est à l’endroit. C’est lui qui est à l’envers. Il est encore attaché par la ceinture de sécurité au siège de sa voiture qui est retournée sur le toit.

    Phil ne se souvient pas d’avoir quitté la route. La vache se rapproche encore et commence à lui lécher le visage. Berk ! Il déteste le contact de cette grosse langue râpeuse et se met à pester :

    — Fuck off, you bloody cow !

    La vache rigole.

    Phil ne se sent pas très bien. Il se tape une jolie gueule de bois.

    — Hé les filles, venez voir qui est là !

    Quoi ? C’est la vache qui parle ?

    Phil tourne la tête et ne voit personne, à part quelques vaches éparpillées à flanc de coteau. Ah ça y est, la mémoire lui revient petit à petit : les Alpes suisses, la route de montagne en pleine nuit, les flacons de cognac...

    Les vaches se rapprochent du véhicule retourné. Elles passent leurs grosses têtes par les ouvertures. Toutes les vitres de l’Audi ont explosé, y compris le pare-brise. Les tonneaux, ça ne pardonne pas. Phil a dû faire une sacrée chute. Les vaches semblent particulièrement excitées :

    — Wooow ! C’est Phil May ! Le chanteur des Pretty Things !

    Phil ne sait pas quoi penser de cette situation bizarre. Depuis qu’il séjourne en Suisse, les choses ont pris une drôle de tournure. Encore une idée à Wally ! Les vaches agglutinées autour de l’Audi poussent des cris perçants :

    — Woooooooow ! Phil May, notre idole, le plus sauvage de tous les rockers anglais !

    Elles font encore plus de barouf que ces petites garces d’hurleuses de l’Hammersmith Odeon.

    Phil se dit qu’il n’aurait jamais dû écouter Wally qui insistait pour monter ce projet absurde : emmener les Fallen Angels à Genève pour y enregistrer un album. Quel malin, ce Wally. Il sait y faire. Comme ils sont amis d’enfance, Wally n’a pas eu trop de mal à convaincre Phil de prendre part à cette aventure.

    Depuis le début, Phil sent que ce projet est maudit, comme l’est d’ailleurs l’historique des Pretty Things. Poursuivi par la malchance, le groupe s’est épuisé. Ils ont fini par se séparer dans des conditions dramatiques. Rendu fou de parano par l’abus de coke, Jon Povey sortit Phil d’un pub en le traînant par les cheveux : il soupçonnait Phil de draguer sa poule.

    Quelques mois plus tard, Wally refit surface avec un nouveau projet : les Fallen Angels. Un financier de la City nommé Godfrey Bilton avançait 100.000 livres aux Fallen Angels. Il pensait faire un bon investissement.

    Depuis, 500.000 livres se sont évaporées et les chansons composées pour l’album ne sont pas vraiment convaincantes, excepté «13 1/2 Floor Suicide», un rock puissant et racé sur lequel Phil sort le grand jeu : on l’entend y lâcher un aouuuh ! en fin de couplet avant de céder la place à un solo de slide épais comme la boue du delta.

    L’animalité de Phil May compte pour beaucoup dans ce qui fait le prestige du British Beat. Adolescent, David Bowie se faufilait jusqu’au premier rang pour assister aux concerts des Pretty Things et voir Phil shaker ses maracas.

    De tous les compositeurs passés dans les rangs des Pretty Things, Wally Waller reste le plus ambitieux. Wally rejoignit les Pretty Things en 1967, pour l’enregistrement d’Emotions, leur troisième album. Laminé par une production lamentable, l’album floppa. L’année suivante, Wally participa à l’enregistrement de S.F. Sorrow, un album brillant et incroyablement novateur qui lui aussi connût un destin tragique. C’est là que Dick Taylor, guitariste incomparable et co-fondateur des Pretties, jeta l’éponge. Phil décida de déjouer le mauvais sort en préparant un nouvel album. Wally montait en grade et passait du statut de bassiste à celui d’auteur-compositeur, et même, sur quelques chansons, à celui de chanteur. Pour Parachute, il composa avec Phil May une série de chansons qui, d’un point de vue mélodique, rivalisent avec les meilleures compositions des Beatles. Cet album hissait les Pretty Things au niveau des géants du rock anglais. Parachute fut sacré meilleur album de l’année par le magazine américain Rolling Stone, mais les ventes ne suivirent pas.

     

    L’alcool coule à flots au studio Aquarius de la rue Thalberg, à Genève. Wally cherche vainement à retrouver le filon de Parachute. Il n’y parvient pas. «California», «Girl Like You» et «Dogs Of War» sont d’honnêtes chansons, notamment «Dogs Of War», qu’on pourrait presque attribuer à Mott. Phil May fait la moue.

    — Tu baisses, Wally. Tu bois trop...

    En effet, ces chansons n’arrivent pas à la cheville de la trilogie «In The Square/Letter/Rain» ou encore de «Good Mr Square», ces effarantes merveilles nichées au cœur de Parachute.

    Les vaches s’enhardissent :

    — Helloooooo Phil, je m’appelle Rosalyn !

    — Et moi Mona !

    Une autre vache approche son museau humide de Phil :

    — CoooCoooo Philou, moi c’est Marguerite !

    Elles rient comme des folles. Phil aperçoit leurs grosses dents usées par la mastication.

    Il n’a jamais vu des vaches d’aussi près. Dans leurs gros yeux globuleux danse l’éclat d’une capiteuse vénalité champêtre. Les battements des gros cils roux n’arrangent rien. Rosalyn approche son gros museau humide :

    — Hey Phil, mon morceau préféré, c’est «Baron Saturday» ! Je connais les paroles par cœur : Oh ! Baron Saturday/ Sorrow, he’ll show you games to play...

    Les vaches se mettent à secouer leurs cloches en rythme. Un vrai Diddley-beat alpin ! Rosalyn chante d’une voix rocailleuse, tentant d’imiter Dick Taylor :

    — He bends his mouth up to your ear/ The words won’t disappear...

    Comme si elles lançaient des imprécations sataniques, les autres vaches scandent en chœur :

    — Oh ! baron Saturday ! Oh ! baron Saturday !

    Phil est sidéré. Il se fend d’un grand sourire et complimente la vache :

    — Merci Rosalyn, je suis très touché par ton érudition...

    Les autres vaches rigolent à gorge déployée. Rosalyn s’éloigne, vexée. Mona passe la tête par le pare-brise et approche son museau à quelques centimètres du nez de Phil, comme pour le humer :

    — Hey honey, j’adorais l’époque où vous vous appeliez Jerome & the Pretty Things et où tu reprenais les morceaux de Bo Diddley ! Ah ! Cette reprise de «Roadrunner» qui ouvrait le show ! Nous autres, les vaches suisses, on suivait tout ça à distance... On piquait Disco-Revue au paysan du coin et on le lisait en cachette. Nos petits cœurs battaient la chamade ! Dommage que tu n’aies pas eu l’idée de reprendre «Bring It To Jerome», car avec ce standard primitif, tu aurais pu leur niquer la gueule, aux Rolling Stones !

    Phil sourit. Décidément, les vaches suisses en connaissent un rayon. Le plus difficile, ça va être de raconter cette histoire-là à Wally et aux autres. Ils ne voudront jamais croire qu’il existe un fan-club bovin des Pretty Things dans les alpages. Phil a soudain une pensée émue pour ses amis. Il y a de fortes chances pour qu’ils soient encore en train de cuver au fond du studio.

    Drôle d’équipe que ces Fallen Angels. À part Wally, aucun membre des Pretty Things ne participe à cette aventure. Après la bagarre finale et une nuit au trou, Jon Povey quitta le groupe pour aller vendre des salles de bains. Skip Alan retourna travailler dans la boîte de son père et Peter Tolson partit faire équipe avec Jack Green.

    Wally ne voulait pas en rester là. Il décida de former les Fallen Angels et fit appel à Greg Ridley et à Twink. Chou blanc. En désespoir de cause, Wally recruta Chico Greenwood, Brian Johnstone, Mickey Finn et Bill Lovelady, des musiciens au pedigree beaucoup moins brillant. Mais qu’on ne se méprenne pas, Mickey Finn n’est pas le collègue de Marc Bolan. Par contre, il possède un atout majeur : Keith Richards - drogué notoire - et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Grâce à cette ressemblance, la police helvétique fait des raids quotidiens dans le studio de la rue Thalberg. Les Suisses sont très lents. Il leur faudra encore beaucoup de temps pour comprendre que Mickey n’est pas le guitariste des Rolling Stones.

    Marguerite a réussi a rentrer ses cornes dans l’habitacle. Elle fixe Phil intensément. Ses gros yeux globuleux ne cillent pas, malgré les mouches.

    — Comme je suis contente de te voir, mon Philou. Tu vas être choqué, mais quand le taureau de l’inséminateur me grimpe dessus, je pense à toi. J’entends alors dans ma tête la mélodie de «She’s A Lover». Ici, dans nos alpages, un disque comme Parachute prend une résonance siiiiiiii particulière... Cette mélodie me serre le cœur, et des larmes chaudes s’écoulent de mes yeux. Tu ne peux pas savoir l’effet que ça me fait de te voir ici. Je ressens quelque chose de mythique dans mes ovaires...

    Phil soupire. Chaque fois qu’on lui parle de mythologie, ça l’ennuie profondément.

    Il appartient pourtant à la caste des rockers mythiques de la vieille Angleterre. Il y côtoie des gens comme Mick Farren, Jesse Hector, Larry Wallis ou encore Screaming Lord Sutch. Bien sûr, on pourrait encore en citer d’autres.

    — Ça me fait une belle jambe d’être mythique...

    Par contre, l’Audi plantée au fond du pré n’a plus rien de mythique. C’est le troisième véhicule que Phil prend chez Hertz et qu’il plie. Comme ça, au moins, on saura chez Hertz qui sont les Pretty Things. Une autre vache arrive au trot. Elle est noire, beaucoup plus massive et porte une sorte de banane de crin entre les cornes. Elle n’a pas l’air commode, avec son anneau passé dans les naseaux. Elle approche de Phil et lance d’une voix d’Hercule de foire :

    — Hé toi, si j’te vois encore tourner autour des filles, j’t’embroche ! T’as pigé ?

    Tiens, une vache caractérielle ! Il ne manquait plus que ça... Phil hausse les épaules. Il songe de nouveau à ses amis. Dans quel état va-t-il les retrouver ? Hier, Mickey Finn jouait de la guitare allongé sur le dos. Il ne tenait plus debout. Wally qui boit trop lui aussi s’était coincé le doigt dans le goulot d’une bouteille vide. Il voulait jouer du bottleneck et avait tout simplement oublié de casser le goulot. Il hurlait d’une voix suraiguë. Voulant l’aider, Chico Greenwood alla décrocher la hache d’incendie. Peu habitué à manier la hache, il rata le crâne de Wally de quelques millimètres. Il leva de nouveau la hache au dessus de sa tête pour frapper, mais elle lui échappa en pleine course et alla se planter dans le crâne de l’inspecteur suisse qui venait d’entrer dans le studio pour sa descente de routine. Comme l’inspecteur brandissait son revolver, le coup partit accidentellement. Touché à l’épaule, Chico tomba sur les genoux en faisant une affreuse grimace, comme dans un western. Les autres flics se mirent à tirer, croyant tomber dans une embuscade. Alors Phil se leva en agitant son mouchoir et demanda le cessez-le-feu, au nom de la neutralité helvétique.

    Le taureau parti, les vaches reviennent voir Phil.

    — Dis-moi, mon Philou, as-tu des nouvelles de Vivian Prince ?

    — Il cultive des oranges au Portugal.

    Soudain, la terre se met à trembler. Les vaches disparaissent comme par enchantement. Un choc terrible déplace l’Audi sur plusieurs mètres, puis un second et encore un autre, bam ! bam ! bam ! L’Audi refait plusieurs tonneaux. Phil serre les dents et s’agrippe au volant. Heureusement, la berline est solide. Le museau écumant du taureau apparaît dans le rétroviseur.

    — J’t’avais prév’nu, s’pèce de branleur !

    Bam ! bam ! bam ! Bon, le chaos c’est bien gentil, mais Phil sent bien qu’il commence à s’en lasser.

    Signé : Cazengler, Pity Thing

    Phil May. Disparu le 15 mai 2020

     

    Richard cœur de lion

    - Part Two

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    La scène se déroule dans une petite ville de province. Nous hantions mon frère et moi les rues d’un quartier inconnu et soudain, nous fîmes halte devant la vitrine d’un marchand d’électro-ménager : à côté des aspirateurs et des sèche-cheveux se trouvaient quelques 45 tours. Deux pochettes spectaculaires nous tapèrent aussitôt dans l’œil. Deux EP français de Little Richard. Sur le premier, on voyait Richard en costard, les bras en croix, sur un fond bleu vif, et sur le deuxième, on voyait sa tête en gros plan sur un fond jaune vif et bleu.

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    Il fallut attendre qu’on nous offre un petit électrophone Teppaz à piles pour pouvoir les écouter. L’EP jaune proposait quatre titres : «Rip It Up», «Ready Teddy», «Tutti Frutti» et «Long Tall Sally». Le bleu proposait «Good Golly Miss Molly», «Baby Face», «Hey Hey Hey Hey» et «Ooh My Soul». Le bleu me fit entrer en religion. Ces deux EP parus sur London en 1964 ont survécu à quelques naufrages et sont devenus de saintes reliques diaboliques.

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    Il fallut encore attendre quelques années avant de pouvoir choper une copie du premier album de Little Richard. Pochette de rêve : on le voit screamer sur fond orange. Le contenant augure bien du contenu car Here’s Little Richard est un classique du scream d’Amérique. L’album est enregistré chez Cosimo Matassa à la Nouvelle Orleans et Little Richard y invente le wild scream, un genre jusque là inconnu. C’est tout de même plus intéressant d’inventer le wild scream que la poudre, ne croyez-vous pas ? Le coup de génie de l’album s’appelle «Ready Teddy». Il s’agit là de l’un des plus gros bash-booms de l’histoire du rock’n’roll. Lee Allen et Richard mettent toute leur foi dans leur niaque. Ou toute leur niaque dans leur foi, c’est comme il vous plaira. L’autre bombe du disque ouvre le bal de la B : «Long Tall Sally». On a beau l’avoir écouté ou entendu des milliers de fois, ça reste d’une brûlante actualité, oui, car toute la pétaudière de la Nouvelle Orleans est au rendez-vous et Richard envoie les ouuuuh-ouuuh qui vont servir de modèle à tous les screamers en devenir. C’est d’autant plus spectaculaire que Lee Allen entre dans le cut comme dans du beurre. Lou Reed se disait fasciné par l’énergie de Lee Allen. Troisième bombe de l’album : «Rip It Up». Little Richard y invente la pétaudière sous le boisseau. Il s’y énerve avec délicatesse. Il y profile sa colère sous le vent. C’est d’une classe absolument indécente. Il éclaire aussi le monde avec «Slippin’ And Slidin’» et «Jenny Jenny» et bien sûr, Lee Allen surgit chaque fois en vrai chevalier de l’alerte rouge.

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    On monte encore d’un cran dans la démesure avec Little Richard paru en 1958. On retrouve un Richard cadré serré sur la pochette et c’est sur cet album que se trouvent ses cuts les plus explosifs : «Hey Hey Hey Hey» et «Ooh My Soul». Oui, je tiens «Hey Hey Hey Hey» pour le plus grand hit de hot wild rock de tous les temps, le plus déterminé à vaincre, screamé à l’outrance de la démence - Well bye bye baby so long - et il enchaîne ça avec un «Ooh My Soul» complètement déboîté du bulbe, joué ventre à terre, on a là une cavalcade allumée de la pire espèce, et en prime, un solo dynamiteur de Lee Allen. Tout est là, oooh my soul ! L’autre coup de génie ouvre le bal de l’A : «Keep A Knockin’». C’est aussi l’un des cuts les plus incendiaires de l’histoire du rock, le modèle absolu de la pétaudière, et Lee Allen y crache des flammes comme un démon. On ne peut que parler de génie de l’humanité, quand on entend un truc pareil : Michel-Ange et Lee Allen, c’est pareil. Il y passe même deux solos pour le prix d’un. Souvent, on se dit qu’il vaut mieux réécouter des vieux chefs-d’œuvre enregistrés chez le pote Cosimo, plutôt que de perdre son temps à écouter tous ces disques inutiles qui embouteillent le périphérique. Il faut aussi écouter attentivement «I’ll Never Let You Go», car Richard y boo-hoo hoo hooute comme un beau diable. Avec Screamin’ Jay Hawkins, il est certainement le seul chanteur américain à pouvoir atteindre ce niveau de fantaisie vocale. Il ouvre la bal de sa B avec l’increvable «Good Golly Miss Molly» qu’il explose au chant carbonisé, oui, ça sent le brûlé, et même quand on l’a entendu des milliers fois, on vibre encore. Ce sera encore d’actualité dans cent ans. Quelle bande de frappadingues, so like a bow et ce fou de Lee Allen arrive comme un serpent. Richard termine cet album indémodable avec «Lucille», son hit de prédilection, sans doute celui qu’il interprète sur scène avec le plus de détermination, comme on l’a vu lors de son dernier concert à l’Olympia. Au plan vocal, c’est une performance exceptionnelle, il chante son hit à la hurlette excédentaire. C’est avec cet album que le petit Richard Penniman devint l’un des plus grands artistes d’Amérique.

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    Hélas, le soufflé retombe avec The Fabulous Little Richard, paru la même année. Richard cherche à y rallumer son brasier, mais ça ne marche pas. Il nous propose des cuts pépères qui désespèrent. Il sort même des balladifs ineptes du genre «The Most I Can Offer». Il est fort possible qu’on lui ait demandé de se calmer et de rester poli. C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute de «Lonesome And Blue». Il est arrivé la même chose à Elvis, ne l’oublions pas. Richard tente tout de même un petit retour à la sauvagerie avec «She Knows How To Rock», mais d’une manière beaucoup trop bordélique. C’est même n’importe quoi. On sent un sursaut en B avec «Kansas City» qu’il mixe avec «Hey Hey Hey Hey». Puis on l’entend yodeller sur «Early One Morning», mais l’étincelle continue de briller par son absence. Cet album tragique est celui des balladifs chantés à l’éplorée. Dommage qu’on ait mis de l’eau dans le vin de Richard. On essaya de réécouter l’album à des époques différentes, histoire de lui redonner une chance, mais ce fut en vain.

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    On saute plusieurs années pour tomber sur Little Richard Is Back, un album intéressant, car Richard y propose de sacrées reprises, à commencer par celle de «Hound Dog», jouée au piano de bastringue dans une belle atmosphère de pétaudière. Il fait aussi une version très jazzy du vieux «Only You» des Platters. Il renoue enfin avec sa belle démesure en envoyant «Groovy Little Suzy» gicler au firmament. Et l’album devient littéralement fascinant en fin de B avec notamment «Memories Are Made Of This». Quand il prend ses distances avec la formule rock’n’roll, Richard devient passionnant. Cette reprise et celle d’«Only You» sont les deux bonnes surprises de l’album. Richard met toute sa verve au service d’une vison concassée, et ça donne des résultats superbes. Il termine avec une reprise de «Blueberry Hill» et il s’éloigne légèrement de Fatsy pour revenir à quelque chose de plus richardien. Il cherche à se tailler un passage à travers le génie mélodique du gros, mais il se fait avoir : le gros est bien plus fort que lui.

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    Si on est fan de gospel, il est recommandé d’écouter Little Richard Sings Freedom Songs, car Little Richard y chante à profusion. Il s’en va screamer son «Milky White Way» dans la voie lactée. Il faut l’entendre repousser les limites de la clameur. Avec «Coming Home», il pousse sa vieille harangue de prêcheur hystérique. Autre belle pièce : «I’ve Just Come From The Fountain». Il s’y montre joyeux et fier, toute la chorale se joint à lui. Quelle fête ! On l’entend aussi swinguer «Need Him» dans l’église en bois.

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    Puis il va entamer une sorte de traversée du désert avec des albums sortis sur des labels improbables comme ce The Wild And Frantic Little Richard paru en 1967. Curieusement, le son varie d’une version à l’autre. Il est beaucoup plus incendiaire sur At His Wildest. «Do The Jerk» est en fait le fameux «Get Down With It» popularisé par Slade. En fabuleux screamer des enfers, Richard relance indéfiniment - Hey clap your hands/ Stomp your feet - Il tape aussi dans «Good Golly Miss Molly», mais il vaut mieux écouter la version de l’époque Specialty. Il repend le «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed et louvoie comme une anguille dans l’épaisseur du limon. Il travaille bien le groove d’«I’m Back» au corps, oh mah mah mah, il est dans la force de l’âge et il emboutit le groove à coups de reins. Il faut aussi entendre cette belle version d’«Holy Mackarael» qu’il envoie directement dans l’enfer du paradis. Il illumine le monde, le temps d’un cut de black cat bone.

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    Tiens, puisqu’on est dans les albums live, il existe ce qu’on appelle un Live non officiel que proposait Crypt à une époque, le fameux Live In paris 1966, qui repompe la pochette du single «I Need Love». C’est dire si ces bootleggers sont gonflés. Il passe son «Lucille» en force. C’est vraiment sur scène qu’on mesure sa puissance de shouter. Il enchaîne des versions pour le moins dévastatrices de «Rip It Up» et de «Long Tall Sally». C’est un peu comme s’il avait ramené la pétaudière de la Nouvelle Orleans à l’Olympia. En B, il passe «Jenny Jenny» et «Ready Teddy» à la casserole. Tous les veinards qui étaient à l’Olympia ce soir-là furent bien servis.

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    L’album du grand retour porte bien son nom : The Explosive Little Richard. Richard y renoue avec le génie, à travers deux cuts fantastiques : «Land Of Thousand Dances» et «Function At The Junction». Dans le premier, on assiste à un fantastique déballage d’énergie vitale. Richard surpasse Wilson Pickett, il développe un train d’enfer. Il s’inscrit dans l’implacabilité des choses. Il redevient le wild and frantic Little Richard de nos rêves les plus humides. Même chose avec Function, qui se niche en B. On a là un cut signé Holland/Dozier/Holland et franchement, Richard en fait un truc à se rouler par terre. Extraordinaire shout bamalama de Penniman, the rill thing of rock’n’roll. Il salue tous les géants, Marvin Gaye, Guitar Slim, Mohair Sam. C’est à cette aune-ci que se mesure son génie. Il attaque le bal d’A avec «I Don’t Want To Discuss It», un énorme standard de r’n’b qu’il plie en quatre. Il chauffe son raw comme nul autre au monde - caus’ I knew what you gonna say - il y met tout le punch de la pêche. Richard reste l’inégalable wild man d’Amérique. Johnny Guitar Watson l’accompagne. Autre petite merveille, «I Need Love», wild hot r’n’b monté sur un beat énorme et Richard y atteint les cimes de son art.

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    Il débarque chez Reprise en 1970 et il entame une nouvelle tranche d’albums intéressants avec The Rill Thing. Comme tout le monde, il va enregistrer à Muscle Shoals. Tous les artistes américains qui voulaient relancer leur carrière allaient enregistrer chez les surdoués blancs de Muscle Shoals. Et ça s’entend dès «Greenwood Mississippi» qui sonne comme un fabuleux groove de Soul emmené à la petite pétarade. Le son foisonne, c’est fabuleusement orchestré. «Two-Time Loser» sonne très rock seventies et on réalise très vite que Richard pose sa voix sur du rock blanc, et ça ne marche pas vraiment. Le son ne mord pas le trait. C’est admirablement bien joué, mais sans surprise. En tous les cas, pour un artiste comme Little Richard, il faut quelque chose de plus excitant. Il force son guttural sur «Spreading Natta What’s The Matter», mais le punch de la Nouvelle Orleans lui fait cruellement défaut. Le morceau titre qui ouvre le bal de la B parait jammy en diable. Chacun pique sa petite crise. Alors Richard en prend son parti et sur «Lovesick Blues», il s’amuse à falsetter sur ce rock blanc joué très serré, mais un peu trop sec. Il tape même une reprise d’«I Saw Her Standing There» des Beatles, il parvient à la swinguer, alors que derrière, ça joue des tortillettes country. Quel curieux mélange !

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    Avec The King Of Rock And Roll, Richard devient le Cassius Clay du rock, l’imbattable, le provocateur de rêve. On le voit trôner sur la pochette. Attention, cet album est une pure merveille. Il revient à son registre incendiaire dès le morceau titre d’ouverture du bal, il rallume ses vieux brasiers et par la même occasion nos imaginaires. Il joue la carte de la dévastation et du non-retour. Le roi du scream est enfin ressuscité. Il explose «Brown Sugar» dès l’intro. Ne lui confiez jamais un cut auquel vous tenez. Il l’aplatit, l’insulte, le métabolise, il lui arrache les tripes, le transcende - Just like a young girl should - il en fait gicler tout le jus. Il fait une aussi une version latino-wild de «Dancing In The Street», il devient du coup le cover king, l’absolu dévastateur, le redresseur de bitume, l’aplatisseur de montagnes. Monstrueuse version ! Le festival se poursuit en B avec «Midnight Special». Richard y fait le train, ouuh ouuuh, il fait la loco à deux pattes, il redevient le champion du monde toutes catégories et il tape ensuite dans Smokey avec «The Way You Do The Things You Do», il nous emmène à l’apogée de la Soul, il roule ses ouuuh dans sa farine et sort le beat le plus popotin d’Amérique. On assiste en direct à la renaissance d’un dieu du rock’n’roll.

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    Retournez la pochette et vous verrez à quoi ça peut ressembler. On reste dans la solidité avec «Green Power» monté sur un heavy groove et voilà qu’il tape dans Hank avec «I’m So Lonesome I Could Cry». Il le prend au contre-chant, ce qui est la marque jaune du génie. Il finit cet album fantastique avec une autre reprise, «Born On The Bayou» qu’il prend au gospel de boogaloo. N’oublions pas que Richard prêche dans les églises - Hey Richard how come you do such shake things ? - Évidemment, ça tourne encore une fois en coup de Trafalgar ravageur. Richard n’a aucune pitié pour les pauvres Creedence. Il explose leur vieille chanson.

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    Encore une belle pochette pour The Second Coming : on y dessine Richard en dieu du rock et des larmes de cristal roulent sur la peau douce de ses joues. Mais l’album est moins dense que le précédent. Richard chauffe pourtant «Mockingbird Sally» à blanc. Chuck Rainey amène du bassmatic volubile et Lee Allen fait son grand retour. Richard passe au funk avec «Second Line», un bel hommage au Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Ouf, il revient enfin à ses racines - Do what you can/ Stay in the second line - Nous voici de retour au Mardi Gras, avec the Zulu Queen - Everybody everywhere/ Hey do the second line - Il faut attendre la B pour retrouver un peu de viande et il charge bien la barque de «Rockin’ Rockin’ Boogie» qu’il prend au guttural enflammé. Il enchaîne avec le heavy boogie de «Prophet Of Peace» et cède enfin à la violence avec «Sanctified Statisfied Toe-Tapper». On sent derrière lui les experts de la puissance, ils lancent la machine et ça joue avec une pugnacité qui remonte bien le moral.

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    Devait sortir en 1972 un album intitulé Southern Child, mais il ne vit le jour que bien plus tard, sur Rhino, et c’est aujourd’hui devenu une sorte de collector intouchable.

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    Mr Big paraît sur Joy en 1971. On y trouve une version énorme de «Dancin’ All Around The World», une surprise de taille, oui car voilà un cut orchestré à l’insidieuse. Richard finit toujours par attirer les serpents dans la maison de Dieu. Il nous sort là un cut d’une profondeur abyssale. On trouve deux classiques de r’n’b en A : «My Wheels Been Slipping All The Way» et «It Ain’t Watcha Do». Ça joue épais et Richard raunche ses cuts jusqu’à l’os. Son Watcha do sonne comme du pur jus de r’n’b, monté sur un gros beat popotin, on se croirait chez Stax. Et la fête continue avec «Everytime I Think About It», que Richard swingue au meilleur punch.

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    Back to the Penniman Soul System avec «Talking ‘Bout Soul». Il manie la pétaudière comme nobody else. Il détient ce pouvoir surnaturel lui permettant de s’élever dans l’atmosphère. Tiens, encore un joli hit de juke avec ce «Dance What You Wanna» bardé de chœurs de blackettes dévergondées. C’est excellent car swingué à l’outrance de la partance. Joli cut de pop aussi que ce «Cross Over» accrocheur - You know you better cross over/ back to where you belong.

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    Il faut aussi écouter ce Little Richard Live paru en 1976 et enregistré à Nashville, ne serait-ce que pour voir «Lucille» glisser sur une peau de banane et se casser la gueule dans une mare de kitsch. On y entend aussi une version de «Bama Lama Bama Loo» bien sauvage, mais on lui préfère celle qu’en fit Tom Jones, sur cet EP magique où il porte une chemise rouge. Richard fait aussi des version solide de «Rip It Up» et en B de «Tutti Frutti». La terre entière a twisté là-dessus. On se régalera aussi de la version de «The Girl Can’t Help It» montée sur un puissant drive de basse. C’est même certainement sa meilleure version. Il finit avec un vieux coup de pétaudière : l’imparable «Keep A Knockin’».

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    Paru en 1979, God’s Beautiful City est un album de gospel pur. L’incroyable de la chose, c’est que Richard peut jouer du gospel seul au piano, et ça marche. Il propose sur cet album des cuts très beaux, très spirituels comme «It’s No Secret». Il finit par fasciner le profane. Mais c’est en B, que les choses prennent une vraie tournure, avec le fabuleux «Little Richard’s Testimony». Il raconte sa vie de rock star - Goin’ from city to city/ From country to country - Il narre ses errances et il raconte qu’il revient un jour à God - You need to give up drugs/ You need to have Jesus in your life - Quel prêche fantastique ! Puis il passe en mode gospel blues d’acou au coin du feu et tout ça se termine en gospel batch de haut vol. Franchement cet album est chaudement recommandable, car son Testimony révèle un immense artiste.

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    Richard a 54 ans lorsqu’il enregistre Lifetime Friend. En lisant les titres des cuts au dos de la pochette, on croit tomber sur un nouvel album de gospel, mais c’est encore autre chose. Avec «Great Gosh A’Mighty», il propose du gospel rock. Il rend hommage au Seigneur des annales et derrière lui, les filles swinguent comme un seul homme. En fait, Richard nous sort là un énorme boogie dévastateur. Il va faire avec cet album un fantastique numéro de cirque. «Operator» prouve bien qu’il règne encore sur le monde, tout comme Chucky Chuckah et Fatsy. La viande se trouve en B, avec «I Found My Way». Il n’a rien perdu de sa super-puissance, il shoute le scream du gospel batch échappé des églises. Même chose avec «The World Can’t Do Me». Il reste l’immense chanteur de rock’n’roll que l’on sait, et comme le veut la loi, il s’adapte à son époque. Il sait aussi se montrer spirituel, c’est toute sa force. Richard est visité par la grâce, comme le montre «One Ray Of Sunshine». Il propose du gospel pop avec «Someone Cares». Il fait un peu la même chose que Candi Staton qui mit le gospel à toutes les sauces - Somebody really cares/ I know somebody really cares for me - Et il termine cet album surprenant avec «Big House Reunion», un cut puissant et bien emmené. C’est du pur jus de clap your hands, superbement énergétique, bardé de cuivres et de solos de trombone, jazzé à l’os, persuasif et pertinent. À force de complimenter Richard, on finira bien par le faire rougir.

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    Curieux album que ce Little Richard Meets Massayoshi Takanaka paru en 1992. Richard n’en finit plus de surprendre. Cette fois, il mise tout sur l’énergie et ça démarre avec une version dévastatrice de «Good Golly Miss Molly». Quelle remontée de sève ! Il passe au son jap fumace. En réalité, il revisite tous ses vieux hits, accompagné par Takanaka. Richard babalamate comme un échappé d’asile, c’est très spécial, on a un son sourd et massif et avec «Miss Ann», on passe à la heavyness suprême. Une grosse basse dévore tout. Il retape dans sa vieille «Lucille» en gourmand, mais quelle audace dans le développé et Takanaka épouse les courbes au coulé de chorus du soleil levant. Richard ramène toutes les foudres du ciel pour «Long Tall Sally» et la basse revient au charbon dans «Jenny Jenny». Mais c’est de l’abattage, ils le jouent trop bas du front. Le son couvre la braise et Takanaka en profite pour vriller la couenne du cut. Ce disk présente une santé de fer, mais certaines versions déroutent les cargos, comme par exemple ce «Rip It Up» amené au petit shake de coiffeur. Richard charbonne comme un mineur frappé d’immunité. Il tape ensuite dans l’un de ses plus grands classiques, «Kansas City Hey Hey Hey Hey». Richard règne de plus belle sur la terre comme au ciel, I’m gonna stand on the corner, il redevient le king of rock’n’roll, la pêche miracle, il ressort le cut qui kill et il repart, Kansas City here I come. On n’en finira jamais d’adorer ce mec. Il termine avec un pur coup de Jarnac, «Ready Teddy», wild as ever. Il restera le roi des rois jusqu’à la fin des temps.

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    Un petit conseil : mettez le grappin sur The Implosive Little Richard paru sur un label espagnol en 2009 et qui propose l’early Little Richard, tout ce qu’il enregistra entre 1951 et 1953, juste avant Specialty, c’est-à-dire juste avant l’émergence du rock’n’roll. On y entend des versions intéressantes de «Get Rich Quick», d’un «I Brought It All By Myself» sacrément bien swingué et de «Thinkin’ Bout My Mother», un slow-blues mélancolique en diable - Well I said to my mother/ All I do is to cry - En B, on tombe sur du blues avec «Ain’t That Good News». Richard épousait déjà les formes de sa muse. Puis voilà l’excellent «Fool At The Wheel», un jumpy absolument enthousiasmant. S’ensuit un slow blues parfait, «Maybe I’m Right». Au fil des cuts, on réalise que cet album dégage un charme fou. On assiste à la naissance d’un immense artiste. Et voilà qu’il tape dans l’excellent «I Love My Baby» de Fatsy - Bah bah bah bah baby/ Bah bah babe I’m gone - Fantastique numéro de cirque - So long babah - Et il termine avec un «Little Richard’s Boogie» swingué au xylo. Cet album se révèle plein de charme et de mystère, de kitsch et de génie. Richard swinguait déjà comme un démon en 1953 !

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    Si on veut faire court et se contenter d’une compile solide, celle qu’il faut alpaguer s’appelle The Little Richard Story, un double album qui propose non pas le son Specialty, mais le son Vee Jay : tous les hits qui ont rendu Richard légendaire sont là, à commencer par un «Rip It Up» de l’âge d’or, «Lawdy Miss Clawdy» (emprunté à Lloyd Price, Richard y ramène tout le big banditisme de Kansas City), «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On» (si on cherche de l’incendiaire, c’est là, très précisément, même si ça reste le pré carré de Jerry Lee), et puis on trouve un «Lucille» ultra-orchestré, un «Groovy Little Suzy» chauffé à blanc et ultra-remué par ce laboureur digne de Millet qu’est Richard, un «Ooh My Soul» beaucoup plus heavy que la version Specialty, plus rien à voir avec l’original, car c’est joué au tambourin et swingué aux cuivres de bastringue, un «The Girl Can’t Help It» bien heavy, graissé aux chœurs de mâles. On y sent la dépenaille de Chicago qui n’a plus rien à voir avec la pétaudière de la Nouvelle Orleans. Sur le deuxième disque se trouvent «Slippin’ And Slidin’» (joué hot mais pas autant qu’à l’origine des temps), «Tutti Frutti» (sans Lee Allen, ça perd tout son sens), «Keep A Knockin’» (beaucoup moins explosif que la version Specialty), «Money Honey» (solid rocker à la Penniman, bien emmené au combat), un «Good Golly» beaucoup trop orchestré, même si Richard le chauffe au guttural maximaliste. Il est vraiment capable d’aplatir les montagnes. Cette compile serait vraiment la compile idéale si «Hey Hey Hey Hey» ne brillait pas par son absence. L’eusse-tu cru, Lustucru ?

    Signé : Cazengler, Little Ricard

    Little Richard. Disparu le 9 mai 2020

    Little Richard. Here’s Little Richard. Specialty 1957

    Little Richard. Little Richard. Specialty 1958

    Little Richard. The Fabulous Little Richard. Specialty 1958

    Little Richard. Little Richard Is Back. Vee Jay Records 1964

    Little Richard. Sings Freedom Songs. Crown Records 1964

    Little Richard. The Wild And Frantic Little Richard. Modern 1967

    Little Richard. The Explosive Little Richard. Okeh 1967

    Little Richard. The Rill Thing. Reprise 1970

    Little Richard. Mr Big. Joy 1971

    Little Richard. The King Of Rock And Roll. Reprise 1971

    Little Richard. The Second Coming. Reprise 1972

    Little Richard. Talkin’ Bout Soul. The Little Richard Story. Dynasty 1973

    Little Richard. Little Richard Live. K-Tel 1976

    Little Richard. God’s Beautiful City. Word 1979

    Little Richard. Lifetime Friend. WEA Records 1986

    Little Richard. Meets Massayoshi Takanaka. Eastworld 1992

    Little Richard. The Implosive Little Richard. Jerome Records 2009

    Little Richard. Paris 1966. Odio

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    Little Richard. At His Wildest. Les Disques Motors 1974 (= The Wild And Frantic Little Richard)

    Little Richard. The Little Richard Story. Ariola Eurodisc 1973

     

    Rolling Stein

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    S’il en est un qui souffre d’une mauvaise réputation, c’est bien Seymour Stein. À part sa réputation et les Ramones, les conversations n’ont généralement rien d’autre à se mettre sous la dent. Seymour est un mot qui meurt dans le désert.

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    Stein a écrit un livre pour voler au secours de Seymour et remédier à ce fâcheux malentendu. Il y raconte l’histoire de sa vie. L’autobio s’appelle Siren Song/ My Life In Music. Il aurait très bien pu l’intituler Rolling Stein, car il a roulé sa bosse. Et pas dans le désert. Ni comme Sisyphe sur la pente d’une montagne. Enfin, ne soyons pas trop catégorique : dans cet Ulysse qui passe sa vie à céder au chant des sirènes, il y a aussi du Sisyphe, car Rolling Stein va passer sa vie à courir après les talents - talent hunting, comme il le dit lui-même - Il ne voit pas le côté absurde de sa vie, puisque c’est son moteur. Qui irait critiquer son moteur ? Critique-t-on l’absurdité d’une passion ? Bien sûr que non. Puisque c’est elle qui nous fait vivre.

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    Comme son nom l’indique, Stein est un juif new-yorkais, l’un de ceux qui ont contribué à la naissance et au développement mondial de cette industrie du divertissement qu’on appelle aujourd’hui le rock. Les gens que Stein fréquente à ses débuts sont essentiellement des juifs new-yorkais comptant parmi les principaux acteurs du showbiz des early sixties : Syd Nathan, George Goldner, Richard Gottehrer, Jerry Wexler et Morris Levy, autant dire la crème de la crème du gratin dauphinois. Et là ça devient foutrement intéressant, pour reprendre un adverbe cher à Sade. Sans Syd Nathan (qui c’est vrai n’est pas new-yorkais), pas de James Brown, pas de Hank Ballard ni de Freddie King. Pas de Little Willie John ni de Bill Doggett. Pas de King Records. L’ado Stein a la chance de démarrer sa vie de talent hunter comme stagiaire chez King, un label indépendant basé à Cincinnati, dans l’Ohio. Il a 15 ans quand son père l’amène à Cincinnati.

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    Fasciné par Syd Nathan, Stein commence par nous décrire sa paire de lunettes : des verres en cul de bouteille tenus par des montures renforcées à cause du poids - so heavy and bulbous - pas besoin de faire un dessin - des verres si épais que ses yeux semblaient zoomer devant comme derrière dans des tailles différentes. Mais ce n’est pas tout : «Quand Syd Nathan parlait, ce qu’il aimait bien faire, il fallait regarder sa bouche. Comme il était asthmatique, il émettait une sorte de sifflement continu, le boniment le plus fabuleux qu’il m’ait été donné d’entendre. Il devait forcer sa voix jusqu’à son registre le plus haut pour pouvoir parler.» Mais tout ceci n’est que roupie de sansonnet en comparaison de ce qui suit : «Il avait vendu des millions de disques en des temps difficiles à des gens qui étaient principalement des paysans et des noirs. Le crazy genius de ce record man me coupait la chique.» Et pour couper la chique à Stein, il faut se lever de bonne heure.

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    Cincinnati ? C’est un choix stratégique. Syd Nathan n’est qu’à quelques heures de route de Nashville, Detroit et Chicago. Car bien sûr il conduit. Il y voit que dalle, mais il bombarde. En 1947, il décide créer un marché et c’est ce qu’il va faire. «Autour de l’usine, il a ajouté des bureaux, des entrepôts et un studio d’enregistrement. Tout était fait sur place : l’enregistrement, le mastering, le design des pochettes, l’impression des pochettes, le pressage des disques. Des camions livraient les produits chimiques et le papier et repartaient chargés de caisses de disques. Puis il a recruté des gens pour monter un réseau de distribution, ville par ville.» Vous trouverez tout le détail de cette vision entrepreneuriale dans l’excellente hagiographie de Jon Hartley Fox, King Of The Queen City - The Story of King Records et dont on a déjà épluché le détail sur KRTNT (décembre 2013, au moment de la disparition de Mac Curtis qui, comme Charlie Feathers, enregistra quelques cuts sur King - seize titres, pour être précis, entre 1956 et 1957).

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    Le génie de Syd Nathan fut aussi de veiller à soigner la fonction d’A&R - Artist & Repertoire - le fameux job de talent hunter dont Stein va faire sa vocation. Chez King, les A&R men s’appellent Ralph Bass (découvreur de James Brown), Sonny Thompson et Henry Stone qui ira par la suite monter TK Records à Miami. Lorsqu’à la fin de sa vie d’A&R, Stein découvre, er..., Madonna, il déclare : «Que vous soyez Edith Piaf, Elvis, Frank Sinatra, Michael Jackson ou Madonna, c’est toujours la même chose. Virez l’emballage et tout le bullshit et observez à la loupe. Il n’y a que deux choses qui comptent : artists and repertoire. Right people, right songs.»

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    Syd Nathan avait su créer une communauté de talented music fanatics. Stein : «King était de loin le plus gros label indépendant des États-Unis, avec quatre cents personnes salariées, et plusieurs centaines de sous-traitants. King couvrait tous les genres : country-music, bluegrass, hot jazz, western swing, Delta blues, bebop, boogie, jive, polka, spirituals, chansons pour enfants et même du mambo et de la calypso qui avaient été repérés à Trinitad et à Cuba. Mais pas trop de pop.» Syd Nathan passait une bonne partie de sa vie au téléphone à régler des problèmes et à motiver ses troupes, usant et abusant de son bullshit-intolerent humor. «Là où il semblait être le plus heureux, c’était en studio. Il adorait prendre les baguettes pour montrer sa vision d’un rythme. Il pouvait composer des paroles de chanson, car il avait de l’imagination et un don pour trouver des slogans, du genre ‘Signé, scellé et livré’ qu’il avait conçu pour un single de Cowboy Copas.»

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    Et quand Stein aborde l’aspect économique des choses, ça devient extrêmement passionnant : «Nathan faisait tout sur place pour limiter les coûts, sachant qu’il allait perdre de l’argent avec la plupart de ses disques. S’il ne versait pas de grosses avances, c’est parce qu’il prenait chaque fois un risque, et c’était pour sa pomme.» Tout Stein est là : dans cet équilibre permanent entre la passion pour la chasse aux talents et le risque financier. Dans son livre sur les Undertones, Michael Bradley perçoit Stein comme un arnaqueur. Il ne voit qu’un seul aspect des choses. Stein prend l’exemple de James Brown pour illustrer l’extraordinaire complexité du métier de boss : «Syd prit James Brown sous son aile, le fit tourner et fit travailler des compositeurs pour lui. Syd fit tout pour lancer la carrière de James Brown qui n’était rien d’autre qu’un petit black sans éducation issu de la campagne, mais qui sut apprendre à gérer correctement son business. Quelques années plus tard, il voyageait à bord de son propre jet et se produisait dans des réceptions de dictateurs pour d’énormes cachets. Et quand James Brown devint son propre king, croyez moi, il n’était pas tendre avec ses musiciens, ses compositeurs et ses employés. C’est un job très dur, il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot.» Et pour parfaire l’éducation de Stein, Syd Nathan l’envoie dix jours en tournée avec James Brown - C’est là que j’ai compris ce que voulait dire ‘bâtir une world-class legend’.

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    Le sale boulot. La formule situe bien Stein. Avant d’en arriver là en devenant le boss de Sire et signer les Ramones, les Talking Heads, Madonna, Lou Reed, les Pretenders et des tas d’autres, il a encore du chemin à faire. Quand Syd Nathan le lâche dans la nature, Stein rentre à New York et réussit à trouver un job d’assistant. Il bosse pour George Goldner, l’associé de Jerry Leiber et Mike Stoller. Goldner dirige leur label Red Bird et son bureau se trouve au huitième étage de Brill Building. En 1964, Red Bird décroche un hit avec le «Chapel Of Love» des Dixie Cups, puis avec le «Leader Of The Pack» des Shangri-Las. Red Brid devient a hit factory. Stein a de la veine. Goldner a du flair. En plus, c’est un séducteur. Aucune femme ne lui résiste. Mais il a un talon d’Achille : les courses de chevaux. Il joue il perd. Goldner doit du blé. Beaucoup de blé. Un jour deux gorilles chopent Stein dans la rue, alors qu’il allait entrer au 1650 Broadway :

    — Morris Levy veut te parler.

    — Vous devez vous tromper de personne ! Je m’appelle Seymour Stein !

    — Yeah, c’est toi qu’il veut voir. C’mon !

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    Et hop direction Roulette Records. Stein fait la connaissance de Morris Levy et le trouve à la hauteur de sa réputation - He had a Mussolini jaw and piercing eyes - Stein précise qu’officiellement Levy dirigeait des labels et Strawberries, une chaîne de magasins de disques, mais son vrai business était de prêter de l’argent. Levy pousse son téléphone vers Stein et lui dit :

    — Tu vas appeler George et lui dire que tu es avec moi et qu’il doit venir immédiatement.

    Dans le bureau de Levy, il y a un certain Dominic, un gorille plus vrai que nature qui sort tout droit d’un film de Scorsese. Évidemment, Goldner rapplique aussitôt.

    En voyant la tournure que prenaient les choses, Leiber et Stoller revendirent leurs parts de Red Bird à Goldner pour un franc symbolique et Goldner refila tous les contrats Red Bird à Levy qui du coup annula les dettes - Au total, Morris Levy engloutit les sept labels juteux que Goldner avait développés : Tico, Rama, Gee, Roulette, Gone, End et Red Bird, 15 ans de hit records, de contrats d’artistes et de droits d’auteurs (...) Des centaines de milliers de dollars passèrent de la poche de Goldner à celle de Morris Levy - Et Stein conclut ainsi : «À l’âge de 49 ans, George était un homme brisé.»

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    Stein rencontre Richard Gottehrer au Brill et ils décident de monter Sire. Ils mixent les deux premières lettres de leurs prénoms respectifs pour faire Sire. Comme dit si bien Stein, c’est une British-variation de King. Ils réalisent leur premier gros coup avec l’«Hocus Pocus» de Focus. On l’a oublié, mais ce fut un hit à l’époque. Quand Gottehrer prend ses distances, Stein décide de continuer seul. Il passe le plus clair de son temps en Angleterre à chasser les talents. Il repère les Deviants à Londres. Ptooff est le premier album Sire. Il s’intéresse à Fleetwood Mac et bosse avec Mike Vernon. Il repère Jethro Tull qui lui échappe, puis signe le Climax Blues Band. Il découvre au passage que tous les British managers tirant les ficelles de la British Invasion sont gay : Brian Epstein, Kit Lambert, Simon Napier-Bell, Robert Stigwood, tous sauf Andrew Loog Oldham - Known as being very flamboyant even if he wasn’t gay - Stein aborde bien sûr la question, il ne cache rien de sa pente naturelle pour les garçons, mais il revient longuement sur son mariage avec Linda, suite à un coup de foudre. Ils ont deux filles ensemble, Mandy et Samantha. Après la fin du mariage, il retournera à sa pente naturelle.

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    Bon, Londres c’est bien gentil, mais en 1976, c’est à New York que se passent les choses. Stein va faire ses courses au CBGB : Ramones, Dead Boys, Talking Heads et Richard Hell. Il est surtout bluffé par les Ramones. Linda Stein se jette avec son époux dans un tourbillon de rock et de coke. Elle adore faire la fête et prendre des paumés sous son aile - généralement des homos, car elle était très jalouse des belles femmes. Son favori était Danny Fields, un rocher gay qu’on voyait toujours venir fouiner dans les parages. Je le connaissais en tant que journaliste ou attaché de presse pour des labels, mais avant toute chose, il était Danny Fields - Linda et Danny vont d’ailleurs co-manager les Ramones, la nouvelle signature de Stein sur Sire - Danny était l’Oscar Wilde de l’underground new-yorkais. Il aurait dû figurer dans le Walk On The Wild Side de Lou Reed. Durant les sixties, il traînait à la Factory d’Andy Warhol - Effectivement, on trouve difficilement plus légendaire que Danny Fields. Stein ajoute les nom d’Elektra, des Doors, du MC5 et des Stooges à son palmarès.

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    L’un des points forts de ce livre, ce sont les pages fantastiques que Stein consacre aux Ramones. Il voit Tommy Ramone comme le cerveau du gang : «Le cœur battant des Ramones était un métronome lumineux que Tommy plaçait au dessus de son kit pour tenir le beat, car il n’était pas batteur. Avec les thumping bass lines de Dee Dee, la pulsation lumineuse du métronome créait une sorte de climat hypnotique. C’était subliminal mais ça jouait un rôle considérable dans la modernité des Ramones. L’autre truc qu’ils ont utilisé sur leur premier album est la technique panoramique des Beatles, guitare d’un côté, basse de l’autre et chant au centre, une sorte de restitution sonique du groupe sur scène. Ça devenait du vrai pop art. Tommy gérait ça directement avec Craig Leon qui venait de la musique contemporaine et qui comprenait parfaitement ce que voulait Tommy. Ces 39 minutes d’electrifying rock’n’roll ne m’ont coûté que 6 000 $. On n’avait encore jamais entendu ça avant. Le plus difficile restait à trouver un public. Et vous pouvez me croire, début 76, longtemps avant que n’apparaisse le mot punk, les radios ne voulaient pas toucher aux Ramones, même avec un balai à chiottes.»

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    Comment va faire Stein pour vendre les Ramones ? C’est à Londres qu’il va trouver un retour sur investissement. Il y envoie les Ramones jouer avec les Groovies : «J’y étais et tous les autres punk wannabes du royaume aussi : Johnny Rotten, the Clash, the Damned, the Stranglers, Billy Idol, Pete Shelley, Keith Levene. Toute cette génération de futures punk stars furent hypnotisées par ce high-energy art rock from New York. Talk about a bolt of lightning hitting the primordial soup (je parle ici du big bang et de l’apparition de la vie sur terre). Les Anglais ne se sont toujours pas remis de ce week-end.» Et il a raison d’insister là-dessus, le concept des Ramones est d’une telle modernité qu’il dépasse tout ce qu’on a pu en dire ici et là, en bien et en mal, depuis quarante ans. Plus loin dans l’ouvrage, Stein revient à la charge : «L’alchimie d’un groupe est un phénomène étrange. Danny Fields dit exactement la même chose. Pour lui comme pour tous ceux qui ont approché les Ramones, le line-up original était le plus explosif. Quand Tommy a quitté le groupe en 1978, les Ramones n’étaient plus aussi excitants, même si Marky Ramone était techniquement un bien meilleur batteur. Tommy apportait quelque chose de très spécial, l’électricité du groupe reposait en grande partie sur son unorthodox whacking.»

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    Stein continue de chasser en Angleterre. Il entend «Teenage Kicks» sur l’auto-radio et il envoie aussi sec son assistant Paul McNally en repérage en Irlande du Nord pour voir jouer les Undertones. Signés. Puis il repère les Rezillos. Signés. Puis les Pretenders - Sure enough, when the Pretenders stepped up, I was completely knocked off my feet, ce qui veut dire qu’il est tombé de sa chaise au moment où les Pretenders sont arrivés sur scène - Qui ne serait pas tombé de sa chaise, hein ? Signés. Puis il signe the Cult - De tous les groupes anglais signés sur Sire, le plus américain est the Cult. Leur chanteur Ian Astbury n’a pas que des stars dans les yeux, il a aussi les stripes - Avec Sonic Temple vendu à un million d’exemplaires aux États-Unis, the Cult et Depeche Mode devinrent Sire’s biggest indie bands, nous dit Stein - mostly down to big touring, big investment and playing by local rules, much like U2 did in the same time (grâce à des tournées intensives, d’énormes investissements et le respect total des règles locales, comme ce fut le cas pour U2 à la même époque). Ah, le respect des règles locales ! Pour Stein, c’est un point capital de l’aspect business. Il cite l’exemple de Phil Oakley, le chanteur de Human League, qui n’acceptait pas de se plier aux règles qu’impose le showbiz américain : «Il ne supportait pas d’avoir à sourire, à danser et faire tout ce qu’impose le circuit de promo en Amérique. Il avait l’impression de se prostituer. C’est ce qu’on apprécie, chez les Anglais, leur sincérité, leur intégrité artistique, mais my God, quand vous investissez des milliers de dollars pour que des chansons entrent au top 40 dans l’espoir que les gens achètent les disques, vous n’avez qu’une seule envie : leur coller une tarte dans la gueule.» Le sale boulot. Stein n’en sort pas forcément grandi.

    Par contre, pas un mot sur les Flamin’ Groovies. Les fans des Groovies peuvent se passer de cette emplette et continuer d’investir dans Ugly Things.

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    L’un des grands espoirs de Stein est Andy Paley. Mais ça ne marche pas, en dépit de moyens considérables : «L’une de mes plus grosses déceptions fut de ne pas voir percer les Paley Brothers pour lesquels j’avais engagé Phil Spector.» Quand il rencontre Andy Paley pour causer production, Andy propose le nom de Jimmy Iovine, un protégé d’Ellie Greenwich qui avait travaillé avec Phil Spector sur l’album Rock’n’Roll de John Lennon. Et voilà. C’est à peu près tout ce que Stein dit d’Andy.

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    Il a aussi des principes : il ne signe pas les stars reconnues (established stars), mais il fait une exception pour Lou Reed. D’autant plus que Lou Reed est demandeur, dit-il. Stein le connaît, grâce à Danny Fields. Stein commence par évacuer la mauvaise réputation de Lou - Comme dans le cas de Bob Dylan, la mauvaise réputation de Lou était due aux questions de journalistes débiles qui finissaient par le rendre fou. Lou était un mec très calme qui aimait bien observer. Comme le montrent les paroles de ses chansons, il n’aime rien tant que la simplicité et le franc parler. On adorait tous les deux la old-school Brill Building pop. Avec les vieux hits pop des fifties, Lou était vraiment dans son élément - Stein sait aussi que Lou est allergique au showbiz, ce qu’il appelle the corporate bullshit. Il ne voulait pas avoir à les rencontrer - Il insistait pour traiter avec moi en direct, ce qui me flattait, mais sa présence me rendait nerveux. Quand on avait rendez-vous dans l’après-midi, j’étais un peu tendu dans la matinée - Lou enregistre l’album New York sur Sire, puis Songs For Drella, en hommage à Andy Warhol tout juste disparu, puis Magic And Loss - Ses fans les plus loyaux sont unanimes : the New York trilogy est le sommet de sa carrière solo.

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    Autre exception à la règle de Stein : Brian Wilson. Il se retrouve avec lui dans les coulisses du Hall Of Fame en 1987 et pour tromper l’attente, Stein lui parle de l’un de ses artistes, Andy Paley dont le rêve est de collaborer avec son héros Brian Wilson, lequel héros saute de joie comme un gosse et s’exclame :

    — Appelez-le tout se suite ! Je veux parler à Andy. Oui, faisons cela tout de suite !

    Ils trouvent une cabine de téléphone au Waldorf Astoria et pendant une heure Brian Wilson parle avec Andy - J’étais là à côté, comme un voyeur, attendant de pouvoir récupérer ma credit card qu’utilisait Brian Wilson pour téléphoner - Le coup de fil déboucha sur le retour de Brian Wilson en tant qu’artiste solo avec un budget de 200 000 $, budget extravagant pour l’époque, mais comme le précise Stein, Brian Wilson voulait les meilleurs musiciens et il aimait bien prendre son temps en studio. Au point que le budget allait enfler pour atteindre les 500 000 $. Simplement titré Brian Wilson, l’album fut pour beaucoup une déception, mais il permit à Brian Wilson de hisser les voiles.

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    Après Stein, le personnage principal de ce récit n’est autre que Mo Ostin, qui devint le boss de Stein après que Warner Bros. Records ait racheté Sire. Leur première rencontre a lieu dans un restau indien de New York, en 1977. Stein voit Mo comme l’incarnation du soft power. Il connaît toute son histoire par cœur. Encore un mec parti de rien et qui monte un label pour Sinatra, Reprise Records. Une fois que Sinatra est passé de mode, Ostin signe Jimi Hendrix, puis avec l’aide d’un ancien A&R d’Andrew Loog Oldham, il signe Jethro Tull, Van Morrison et Joni Mitchell.

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    Puis un génie financier nommé Steve Ross rachète tous les labels indépendants, Warner Bros., Elektra et Atlantic pour former WEA. Voilà que s’ouvre l’ère de ce que Stein appelle the entertainment superpower, une sorte de Moloch des temps modernes. Stein voit Ross comme un génie : «Ross avait vu le potentiel du record business d’après-guerre et l’avait développé de façon mathématique. Les artistes allaient et venaient aussi fallait-il miser sur des gens comme Ahmet Ertegun, David Geffen et Mo.» Ross comprend que les labels en vogue sont d’énormes machines à fric, nous dit Stein, comparés aux clubs, aux chaînes de télé, aux studio de cinéma et aux magazines qui demandent plus de temps pour générer du profit.

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    Ross met Mo aux commandes. Mo règne depuis Burbank sur une armée d’employés hip et intelligents, nous dit Stein, et développe la fameuse scène californienne des singers-songwriters, the whole Laurel Canyon scene - Adios the old school of jukebox jobbers and Brill Building cheescake, tout le monde disait ‘hey man’ et Mo développait ses creative services en direction de cibles précises : underground magazines & college radio - À la différence d’Ahmet Ertegun qui sortait pour prendre son pied, Mo Ostin était, nous dit Stein, toujours prêt à lécher le cul des corporate et ne pensait qu’à apprendre les combines de Wall Street pour transformer le rock’n’roll en big business. Mais derrière son masque de mec sympa, Mo Ostin était un dictateur, un businessman dans toute son horreur. Comme tous les autres labels indépendants, Sire finit par être englouti par Moloch Warner et Stein devient l’un des employés du conglomérat. Il doit continuer de chasser les talents et se voit obligé de demander de l’argent à Mo et à ses associés pour financer ses nouveaux contrats.

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    Stein repère, er... Madonna mais elle n’intéresse pas Mo. Elle sort quand même un premier single qui se vend à six millions d’exemplaires et c’est là qu’entre en scène cet extraordinaire personnage qu’est Allen Grubman, une sorte d’Allen Klein à la puissance dix. Grubman est l’avocat de Madonna. Comme Moloch tente de plumer sa cliente et Nile Rogers, le compositeur du hit, Grubman déboule en réunion pour remettre les choses au carré. Dans l’une des plus belles pages de ce book, Stein se transforme en Léon Bloy pour nous décrire la scène : «Dieu merci, j’avais ordre de me taire pendant la réunion. Quand Allen Grubman est entré dans la salle de réunion, on aurait dit un catcheur montant sur le ring. C’était un gros juif de Brooklyn. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche, il lâchait un torrent d’immondices et d’insultes personnelles. Il allait par la suite s’affiner pour devenir l’avocat de toute une ribambelle de superstars, Bruce Stringsteen, Elton John, U2, Sting et Lionel Richie. Mais là, il était encore brut de décoffrage. En seulement trente minutes, le discours de Grubman devint tellement abject que Larry Waronker, pris de nausée, se leva brusquement de sa chaise pour quitter la réunion. On ne l’a jamais revu. Il ne restait plus que Mo et David Berman face à Grubman qui les bombardait de coups et d’insultes, et pour lui c’était du tout cuit, car Mo et Berman n’avaient absolument rien pour se défendre, ni légalement, ni moralement, ni stratégiquement. Mo testait en vain sa vieille tactique de nice guy sur Grubman : ‘Allen, nous sommes là pour construire une bonne relation de travail’ et Grubman vociférait de plus belle : ‘Bullshit ! Vous avez cru pouvoir enculer Nile Rogers ! Si le single s’était vendu à moins de deux millions et qu’il était revenu pleurnicher comme vous le faites maintenant, vous lui auriez dit d’aller baiser sa mère. Les artistes ont fait leur boulot. Vous, vous avez merdé. Et maintenant vous voulez baiser Madonna ! Hein, c’est ça, vous voulez baiser Madonna !’ Grubman était un avocat astucieux qui pouvait avoir recours à des pirouettes si les circonstances l’exigeaient, mais la méthode qu’il utilisait alors n’était pas légale. Elle était animale. On lui tendait des branches d’olivier et il les arrosait à coups de lance-flamme. Il farcissait ses phrases de fuck autant qu’il pouvait. Il utilisait le marteau-pilon face à des joueurs de tennis californiens. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche, il leur emboutissait le crâne. Il balayait les bonnes manières en ouvrant les vannes d’un véritable pipe-line de raw shit. Il y en avait plein la salle. Quand Mo ne put plus en supporter davantage, Grubman se leva et quitta le champ de bataille. On connaissait le score.»

    Stein ne s’attend pas à voir Mo arriver à la fête que Linda organise pour son soixantième anniversaire :

    — Mo, je ne pensais pas vous voir ici...

    — Vous m’avez fait gagner énormément d’argent, répondit-il en souriant. Il savait que ces mots allaient me blesser et pourtant c’était un compliment. Typical Mo.

    Pendant des décennies, Mo Ostin va pomper Stein et Sire jusqu’à l’os et récupérer tout ce qui rapporte du blé, notamment le publishing de Sire, business oblige. Mais comme le disait si bien Stein au commencement de sa carrière, il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot.

    En fin de livre, Stein explique qu’il doit sa longévité à sa bougeotte. S’il était resté à New York, il n’aurait pas découvert tous les talents qu’il a découverts. Il termine sur une note d’espoir : «Soyez rassurés, il y a encore de la bonne musique et il y en aura toujours. Le seul moyen d’avancer dans la vie est de toujours garder le moral. Et de faire du mieux qu’on peut. Faites-le tant que vous le pouvez.»

    Signé : Cazengler, 'steint la lumière !

    Seymour Stein. Siren Song. My Life In Music. St. Martin’s Press 2018

     

    WEST, BRUCE & LAING ( I )

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    LIVE ' N' KICKIN'

    Mountain est en tournée en Angleterre lorsque le groupe se débande. Pappalardi tient à reprendre son métier de producteur aux States, version officielle, Steve Knight le suit. Il sort de notre histoire. C'était Pappalardi qui l'avait recruté pour l'enregistrement du premier Mountain ayant eu l'occasion de produire l'album Hard Rock From The Middle East du groupe The Devil's Anvil dans lequel Knight jouait. Si vous ne possédez pas cette œuvre dans votre discothèque il est inutile de vous taillader les veines, voire de vous trancher la gorge, ce n'est pas vraiment fabuleux, s'intéressent aux sonorités arabes – nous sommes en 1967, bien avant que Led Zeppelin ne se lance dans Kashmir – mais ils sont à mille pieds en dessous du Moroccan Roll des Variations...

    west,bruce & laing

    Il semble que Steve Knight se soit complu à essayer tout genre de musique émergeant, s'est intéressé un peu à tout en diverses formations, de l'acid-rock au folk, dans une optique ''musique du monde'' vingt ans avant la création du genre... Steve présente un peu le même profil que Norman Landsberg, un musicien qui butine de-ci de là, plus intéressé par la musique au sens large du terme que par le rock'n'roll pur et dur. Fait partie de ces individus qui adoptent une position oblique par rapport à leur engagement. Gardent une espèce de distanciation protectrice vis-à-vis de leurs diverses entreprises. Attitude un peu intello-white-jazz qui n'est pas sans créer de hiatus lorsque l'on entre dans une aventure collective. Il a dû vivre sa participation à Mountain en témoin privilégié, et considéré sa place au sein du groupe en tant que poste d'observation analytique idéal. Il n'est pas donné à tout le monde d'être à l'endroit exact où l'Histoire se déploie. Sans doute est-il parti sans regret, il en avait assez vu, ce voyage au pays du rock'n'roll ne lui a certainement pas déplu, mais il a jugé qu'il était temps d'exercer son ironie critique en un autre lieu.

    Deux qui partent, deux qui restent, qui reçoivent un renfort de choc, Jack Bruce, le bassiste de Cream. Le cadeau d'adieu de Pappalardi. J'invite le kr'tnt-reader à relire l'article hommagial que le Cat Zengler lui a consacré ( Livraison 221 du 05 /02 / 2015 ). Un beau moyen de se faire une idée de l'énergumène. Les pessimistes seront affirmatifs, Bruce avec Laing et West, autant introduire le carcocapse dans une demi-pomme pourrie. Vision défendable, mais c'est oublier que ce fruit était présent au paradis et que ce sont les pulpes en décomposition avancée qui sécrètent le plus d'alcool au fond des alambics. Nos trois compères ne savent pas vraiment ce qu'ils veulent – en théorie un truc more lourd and loud que Cream - mais ils en veulent. Filent vers droit vers l'Amérique pour une tournée question de se dérouiller les doigts qui étaient d'ailleurs des plus agiles. Très vite Winfall ( en fait Columbia ) propose un contrat d'enregistrement. Si vous supputez des œufs d'or, il faut déjà s'assurer de la poule.

    WHY DONTCHA

    ( Novembre 1972 )

    Le disque n'est peut-être pas attendu comme le messie, mais au tournant sûrement. Pour trop de gens, personne ne peut faire mieux que God, et beaucoup ne sont pas prêts à changer de crèmerie. L'être humain est ainsi constitué qu'il s'accroche à son rêve qui très souvent n'est que de la réalité phantasmée. Les amateurs qui ne se fient qu'à leur feeling savent que cet opus est de l'or le plus lourd.

    Cream et Mountain ont réalisé quelques belles pochettes, notre trio a retenu la leçon, celle de ce premier disque attire l'œil, un montage de photographies de Rolland Sherman, sur un arrière-fond bleu parsemé de traînées roses. Ont abandonné la montagne pour la mer, sont dressés dans l'élément liquide, telles des statues de dieux émergeant des profondeurs abyssales. Au-dessus d'eux un ciel crépusculaire. Rien qui ne défie l'imagination, toutefois ce bleu de safre correspond exactement à ce blues de soufre électrique qui irradie le son du groupe. Regarder la pochette c'est déjà entendre la musique. Rares sont les albums qui expriment une telle osmose synesthésique entre l'objet et son contenu.

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    Why dontcha : c'est très simple, une basse, une guitare, une batterie, une voix – celle de West qui ravage le garage - rien de plus, le minimum vital, le kit de survie, la paire de sandalettes de rechange que vous emportez pour traverser l'antarctique à pieds, une fois que vous avez l'essentiel, rien ne saurait vous résister, un seul mot d'ordre chacun au maximum, et les riffs mastodontes seront bien gardés, un premier morceau genre bulldozer lâché sur votre maison, ne font pas dans la dentelle, un petit côté chasse au renard et c'est vous qui êtes le goupil. Vous n'y survivrez pas, ce n'est pas de la chasse à courre, plutôt la chevauchée fantastique. Out into the fields : ne cédez pas à vos mauvais instincts, il n'y a pas que la violence dans la vie, recueillez-vous, tendres sœurettes et très chers amis, frère Jack est à l'harmonium, vous avez aussi affaire à des êtres emplis de douceur, c'est sûr qu'ils ont l'art d'asséner une ballade comme s'ils vous défonçaient la tête à coups de triques, des envolées lyriques aussi grandioses qu'une symphonie titanesques de Malher, Bruce vous prend sa voix de castrat pour appuyer des chœurs féminins et transpercer les refrains. Vous êtes bien à la messe, noire. L'enfer est pavé de bonnes intentions, cette berceuse ressemble à un requiem. A un requin. Narvalien. The doctor : l'est sûr qu'après le morceau précédent une visite au docteur s'impose pour se remettre les idées en place. Vous avez choisi le bon praticien, un adepte des thérapies de choc, vous découpe les quatre membres et termine par une séance d'électro-chocs. Plus une trépanation pour chasser vos crises angoisses. Rien à dire ils ont le blues lourd, Bruce s'attaque à votre dentition avec sa basse, Corky vous bastonne méchamment pour tester vos réflexes, et West vous additionne les triple-croches pour vous présenter la note finale astronomique. Miracle, vous ressortez de la séance en pleine forme. Se sont donnés à fond, vous ne pouvez que les remercier. Turn me over : Jack s'est saisi de son harmonica, et c'est parti pour un blues de derrière le fagot. Pourquoi prennent-ils le train-express et pourquoi vous ont-ils réservé une place sur le boogie avant. Fermez la bouche pour ne pas avaler les grovillons du ballast. Pas le temps de répondre à la cette question, ça va tellement vite que vous oubliez d'avoir peur. Griserie. Laing s'est adjugé le vocal, dégoise sec. Third degree : vous croyez qu'ils ont triché avec ce blues de fou précédent passé à la moulinette, ils vous en jouent un à la bonne vitesse, un vrai d'époque crédité à Willie Dixon et à Eddie Boyd, dépouillé, comme il se doit, la guitare de West qui pleure à la manière d'un enfant privé de dessert qui s'aperçoit que le monde est injuste, même que Bruce se met au piano pour rendre la cruauté du moment encore plus intense, jusque là les apparences faussement respectées sont trompeuses mais le Corky il en fait trop, abat un arbre à chaque coup qu'il porte, et Jack vous l'ébranche aussitôt avec sa tronçonneuse, c'était trop beau, West s'emballe et c'est la tuerie finale, celle dont vous désespérez d'être sorti vivant.

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    Shake ma thing ( Rollin' Jack ) : ne nous attardons pas sur la chose à remuer, contentons-nous de remarquer que ça leur file le pêchon. Le truc bien balancé sans problème avec ces simili voix de filles qui font les chœurs et tout de suite c'est la pétaudière, le riff qui tombe comme le couperet de la guillotine et la guitare de Leslie roule comme la tête du supplicié dans la sciure sans pouvoir s'empêcher de crier son agonie. While you sleep : vite changeons d'atmosphère, un balladif au dobro rien de tel pour reprendre ses esprits. Leslie quand il chante il vous ferait pleurer un réverbère avec sa guitare qui lève la patte pour pisser un coup d'acide. Pleasure : ce n'est pas du pur rockabilly mais ça s'y rapproche, un piano fou, Bruce qui tortille sa voix, West qui vous éclate un petit solo, Corky le lui coupe avant qu'il ne devienne trop long, et ce maudit piano maboul qui vous touche de toutes ses touches, ce n'est ni tendre, ni touchant, very uppercutant. Love is worth the blues : rien qu'au titre l'on sent que c'est mal parti, durant une première minute West clame son mal de vivre et tout de suite l'on prend de la vitesse, rien de pire ne pouvait vous arriver, il conduit sa guitare à la foldingue à la manière d'une guimbarde aux pneus usés sur une route verglacée qui longe un précipice, mais ses copains reprennent le contrôle, ils ralentissent et imposent la rythmique chaloupée et bienfaisante du douze-mesures, Leslie qui se sent incompris hurle son désespoir de sa voix de stentor qui éclabousse les étoiles. Pollution woman : le dernier numéro de la kermesse du spectacle de centre aéré, nos trois gamins s'amusent comme des fous, font un peu n'importe quoi au synthétiseur et sur les acoustiques, Corky fait semblant de jouer au tambourin, la voix de Bruce est si aigüe qu'elle oblige les mouches qui marchent au plafond à s'envoler. Folie douce, pardonnez-leur car ils savent ce qu'ils font.

    Pari gagné. Ça ne ressemble ni à du Cream ni à du Mountain. Juste un trio de brontosaures qui s'amusent et folâtrent en toute innocence. Cet album est une petite merveille. Un de mes disques préférés. Mais je n'engage que moi.

    WHATEVER TURNS YOU ON

    ( 1973 )

    L'on attendait beaucoup du deuxième album. Rien de pire que les joueurs qui jettent leurs cartes alors que la partie n'est pas terminée. Trop de dope. Nos héros succombent à l'héroïne. Dans les groupes l'on règle souvent ses comptes au mixage. Ces séances tournent souvent au combat de coqs, confrontations stériles ou explosives d'égos. West et Laing prennent l'avion pour New York, Bruce terminera le travail à sa guise. La drogue a bon dos, sans doute y avait-il une divergence musicale, West et Laing rock'n'roll-à-fond-les-manettes-laisse-venir-le-venin et Bruce qui a vraisemblablement envie d'évoluer vers des structures plus complexes...

    Pochette de Joe Petagno. Pas n'importe qui, certaines de ses créations sont iconiques, l'ange cygnique, d'après un tableau de William Rimmer, sculpteur et peintre américain mort en 1879, qui sert de logo à Swan Song Records le label de Led Zeppelin, l'hideuse figure du Snaggletooth des disques de Motörhead. Au point de vue dessin, nous n'avons rien à reprocher à la pochette de Whatever turns you on. Nous aurions même un faible pour sa composition disruptive, entre l'espèce de fresque murale grisée du haut et les couleurs acides qui dessinent nos trois héros. Pour le sujet, un truc de mecs. Bouffe, booze et baise. Les 3 B dans toute leur ventralité. N'ont pas donné dans le finesse ni dans la recherche du concept aérien !

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    Backfire : son moins lourd que l'opus précédent, guitare en guirlandes, la voix un peu trop en arrière, un toucher de corde plus argentique, plus clinquant, on devine comment Page aurait pu monter le morceau en overdubant les grattes à foison, mais non, ici le son reste brut, l'on entend très bien la basse de Bruce qui ne s'est pas oublié, l'a tout pris le fromage et le dessert, mais West a accumulé les remorques qui chez les gens bien élevés suivent le café. Token : attouchements malhonnêtes de guitares, dommage que le mixage ne les ait pas projetés plein feu sous les projecteurs. Idem pour le chant qui se perd dans les champs du lointain, c'est au tour de la basse de prendre la place de devant, brusque coupure avec efflorescence de voix que West double de sa guitare, avant de s'adjuger le rôle de leader, l'on entend Laing qui tripote et tapote gentiment dans son coin genre coucou, ne m'oubliez pas, I'm on the band, yo tambien, mais West ne reconnaît plus personne sur sa Davidson en croisière. On eût aimé qu'il rajoutât quelques accélérations foudroyantes. Sifting sand : changement de climat, ce morceau est à entendre comme la préparation du suivant. Puissant, lyrique, émotionnant, l'on quitte le rock pour quelque chose de plus vaste. C'est un tournant dans le disque, une oreille distraite sera surprise en déboulant dans le triste mois de novembre. November song : attention, pures jeunes filles c'est l'instant poétique, pas n'importe qui aux paroles, Pete Brown le grand vociférateur, un ami de Jack le haricot magique, il a signé les plus beaux lyrics de Cream, son premier groupe se nommait The First Real Poetry Band... Bruce martèle son piano, et les deux autres ne mouftent rien, tout juste si West se permet d'allumer la bougie de sa guitare pour rendre l'ambiance encore plus belle. Bruce se souvient de tout ce que Pappalardi a apporté aux Cream... mais lui n'était pas venu les mains vides. Et encore moins les mains dans les poches.

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    Rock'n'roll machine : West mène la charge en tête, la machine est en marche et elle n'est pas molle, beau d'entendre la frappe de Corky, manifestement le mec joue pour lui, mais c'est lui qui mène le troupeau, pas question qu'il aille paître plus loin que l'espace qu'il délimite, la chèvre Bruce tente de passer la tête sous les barrières mais elle y renonce, la guitare de Leslie fait des galipettes dans le paddock et tout s'apaise, le lait qui s'apprêtait à déborder redescend sagement dans la casserole, hop ! l'on repart comme en quatorze sur la tranchée ennemie. Scotch crotch : le piano de Bruce secoue la salade, rudement. Bis repetita placent : ce deuxième morceau de la face B, introduit une nouvelle direction dans l'album comme Sifting sand L'avait fait pour la A, un boogie serré qui ne laisse pas le deuxième temps du woogie s'imposer. Page s'est-il souvenu de ce titre pour Carouselambra, le scotch crotche et accroche salement. Le meilleur morceau ? Je vous laisse juge. Slow blues : d'habitude c'est le piano qui accompagne, mais là c'est West qui se contente de jouer les utilités, imite le bruit des boules qui s'éparpillent sur le billard, le son part en quadriphonie, Jack vous hurle le blues à la Little Richard, dégueule toute la tristesse du monde, et martyrise son clavier comme s'il jouait sur l'orgue de Notre-Dame. Dirty shoes : piano bastringue, l'on se croirait à la New-Orleans, voix trop lointaines, en échange vous avez des bruits de cuivres qui fanfaronnent, West parvient à se faire entendre, c'est un peu la foire d'empoigne, le pianiste montera le premier à l'étage pour s'adjuger la poitrine la plus plantureuse, inutile de vous essuyer les pieds sur le paillasson le morceau est trop court. Like a plate : un truc qui vous laisse comme deux ronds de frites. Ça part dans tous les sens, l'on a même une montée graduée à la A day in a life, West est aux abonnés absents. Corky mouline à mort, Bruce est aux commandes, nous refile son petit opéra-soap personnel, un truc qui a plus à voir avec Kurt Weill qu'avec le heavy rock.

    Chaque morceau pris à part n'est pas mauvais en soi. L'est même plus que bon. Mais l'ensemble ne forme pas un véritable album. Trop disparate, il aurait été plus honnête de le présenter comme un disque de Jack Bruce featuring West & Laing. On ne m'enlèvera pas de l'idée qu'à l'époque Jack Bruce songeait à l'espace aventureux ouvert par les Beatles, mais ne possédait sûrement pas les mêmes moyens. De studio et de temps. Le groupe tournait beaucoup...

    LIVE 'N' KICKIN'

    ( Avril 1974 )

    Le groupe ne se reformera pas. Ne fera même pas l'effort d'annoncer le split. A tout hasard Windfall sortira un Live pour assurer l'avenir. Réitère la ruse cousue au fil bleu du Best of Mountain. Après la sortie de ce dernier disque le label se résoudra à annoncer la dissolution. Regardez bien la pochette, nous aurons l'occasion d'y revenir.

    West, Bruce & Laing ont beaucoup tourné, comment se fait-il que le contenu de l'album soit si maigre. Ces quatre titres semblent un assemblage hétéroclite de bandes récupérées à la va-vite...

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    Play with fire : si vous avez la cynique ballade des Rolling Stones aussi douce qu'un cachou au cyanure en mémoire, vous risquez d'être surpris... West, Bruce & Corky vous l'adaptent pour auto-tamponneuses, arrivent à la pervertir, la rendent vicieuse, c'est que le désir est pire que le rock ( à moins que ce ne soit le contraire ), une longue dérive de treize minutes sur les crêtes interdites, le Bruce rend sa basse plus moelleuse et attirante que la pernicieuse apparition du Devil dans les vers d'Eloa d'Alfred de Vigny, West en souligne l'incandescente beauté par des rafales de soufre, Bruce vous donne une idée de ce à quoi ressemble le baiser de la mort du vampire, le temps de vous laisser vous remettre de vos effusion sentimentale Corky se lance dans un solo, tape d'abord sur chaque tom un par un, le prestidigitateur qui vous tend son chapeau avant d'en extirper un cachalot, pour l'apparition de celui-ci comptez sur West qui vous produit un barrissement digne d'une éruption du Stromboli, ce qui est parfait car il est dangereux de jouer avec le feu. C'est fini, ils ont dû compresser le temps. The doctor : un petit tour chez le docteur ne vous fera pas de mal. De bien non plus. Je vous le rappelle, pas un chirurgien, un boucher, et nos trois compères vous désossent en un tour de main, après l'auscultation vous ressemblez à un hachis parmentier. Votre plat préféré. La guitare de Leslie vous adresse de ces sourires que vous l'embrasseriez rien que pour la remercier. Tout compte fait la séance se passe mieux qu'elle n'a débuté, ce n'était qu'un faux répit, finissent par une tornade riffique pas du tout riquiqui. Ouf ! Les dernières recommandations du Doctor Leslie vous pourrissent la fin de votre existence. Toutefois vous prenez un autre rendez-vous. Mieux vaut prévoir que guérir de cette étrange maladie qu'est le rock'n'roll.

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    Politician : un des morceaux-roi des Cream. Entre parenthèses dessus Jack Bruce y éclipsait pratiquement la guitare de Clapton, à tel point qu'il était facile de savoir qui marquait le point et qui renvoyait le contre. Aussi Bruce se dépêche-t-il d'envoyer la moutarde, cette fois l'a fait attention à prendre de l'extra-forte, West ne se mêle pas à son jeu, ne joue pas au serpent qui s'enroule sur la branche, joue un peu à part, à côté du vocal de Bruce, là il a l'espace pour cultiver son cactus aux aiguilles translucides et empoisonnées, bref c'est Bruce qui est obligé de lui courir après, Corky en profite pour rappeler que sans lui, ils seraient perdus. Finissent en apothéose. Powerhouse sod : enchaînent sur un morceau de Bruce, l'est comme chez lui le Jack, l'a la basse qui jerke, et ça remue des castagnettes de tous les côtés à la fois, trois chiens qui se disputent un os de diplodocus et aucun ne veut lâcher le morceau, Bruce montre qu'il peut pédaler aussi serré et rapide qu'une machine à coudre électrique, un peu trop de virtuosité gratuite tout de même, il achève de tuer la bête à l'espagnole, il prend son temps pour la faire souffrir, amis vegans signez une pétition, Corky tape la fin de la récréation et Leslie fait gronder sa guitare, un troupeau de bisons en colère déferle sur nous. Mais le Bruce insatiable en veut encore. Le rideau orchestral tombe. On n'est pas mécontents.

    La page semble définitivement tournée. Pas tout à fait. Presque quarante après, en 2009, les revoici. Ce n'est plus West, Bruce & Laing, mais West, Bruce Jr and Laing. Malcolm Bruce prend la relève de son papa. L'est sûr qu'il y a des statures de pères qui projettent de l'ombre sur leur progéniture. Faut être juste, Malcolm saura se faire une place au soleil. La réunion ne durera guère. A ma connaissance aucun enregistrement officiel ne fut effectué.

    Z'avez toutefois une vidéo sur you tube, West, Bruce Jr & Laing January 2010, Leslie vous déverse un torrent de notes avec cette facilité déconcertante avec laquelle chaque matin vous tournez votre cuillère à café... On ne le voit pratiquement pas, mais Corky, vous étrille sa batterie de bien belle façon. Quant au fils, faudrait qu'il se souvienne que son père tournait les potards jusqu'à la zone de non-retour.

    Cette reformation que l'on pourrait qualifier d'épisodique n'en est pas moins très révélatrice du fonctionnement avatarique de Mountain. Les tronçons d'un serpent coupé en deux ne frétillent-ils pas pendant longtemps dans le seul but de se réunir une nouvelle fois ?

     

    BONUS CONCERTS

    WBL in GERMANY

     

    Le Live 'n' Kickin' est un peu décevant, trop maigre, cheval étique n'est pas éthique. Toutefois vous trouverez quelques concerts, sur CD's plus ou moins officiels, par exemple le Radio City Mucic Hall à New York du 06 novembre 1972. Je vous promets qu'un jour je vous chroniquerai tout ce qui me tombe sous la main. Mais je ne voudrais pas que les kr'tnt-readers soient atteints d'une mountainite aigüe. Pour ceux qui frisent la surdose, protégez-vous, la saga de Mountain n'est pas encore terminée. Il paraît que ce virus se transmet plus rapidement que le Corona. Beaucoup plus dangereux par contre, quand vous êtes touché c'est pour la vie. Ma bonté naturelle m'oblige à chroniquer le concert de Munich, pioché sur You Tube.

    WEST, BRUCE, LAING

    ( Circus Krone, Munich, Germany )

    ( 13 / 04 / 1973 )

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    Don't look around : pas d'image, juste la bande-son. L'on n'est pas au tout début du concert, mais apparemment en plein milieu d'un solo de Corky, le son n'est pas fameux mais suffisant pour exciter l'imagination, lâchent la cavalerie lourde, la guitare de West devant comme si elle portait l'oriflamme du Conquérant. Directement dans l'entremêlement du combat. Une monstruosité. Pleasure : un petit rock'n'roll pour changer la donne, un truc ramassé avec des pointes de feu qui lasèrent de partout. La châtaigne plus la bogue empoisonnée avec la vipère dedans. On ne vous avait pas dit de ne pas toucher, tant pis, cela vous immunisera pour ce qui suit. Un minuscule break de basse et l'on prolonge le plaisir jusqu'à la petite mort. On a dépassé la limite de péremption pour un vieux rock, mais c'est encore meilleur. Why dontcha : le public tape dans ses mains sur les premières mesures, Corky accentue le binaire, West arrache le vocal, la langue le tube digestif et les tripes, vous secoue tout cela tel un trophée. Intermède, Bruce est au camp de basse, Leslie rajoute quelques échardes meurtrières just for fun, Corky augmente la pression, West assaisonne un solo attaque peau-rouge sur la diligence, faites-vous du souci pour la prisonnière du désert, la guitare amplifie ses cris de jouissance. Deux ou trois riffs pour offrir bonne mesure, hurlement de terreur, je préfère ne pas vous raconter la suite, vous ne dormiriez pas cette nuit. Third degree : calmons-nous, on n'est pas des sauvages, trois degrés, ce n'est pas des celsius, une échelle de valeur importée par des extraterrestres, vous appliquent le blues comme si le dentiste vous placardait au chalumeau un fer à cheval en guise de dentier, c'est du lourd de chez lourd, vous ne saviez pas que le blues pouvait vous tomber dessus avec tout le poids d'une armoire normande. Il n'y aura pas besoin de vous en sortir, elle vous servira de cercueil, non ce ne sont pas des utilitaristes au cœur sec comme la corne de rhinocéros, vous n'avez qu'à écouter la guitare de Leslie qui ne gémit pas à demi, une véritable pleureuse corse. Et le vocal brame à la manière des cerfs en rut au fond des sous-bois. Mississippi queen : temps de sortir le classique maison. A peine est-elle annoncée que le public exulte. Une version particulièrement lourde, la demoiselle a pris un peu de poids depuis la dernière fois. Roll over Beethoven : vous avez eu le rock à croupe poisseuse, voici la flammèche incendiaire, Leslie se la donne à fond, vous explose la dynamite chuckberrienne, avec toujours ce ralentissement qui est un peu sa marque de fabrique, le coureur qui sort de sa Ford Mustang pour admirer la rutilance des chromes qu'il caresse voluptueusement, ce coup-ci il s'attarde, puis il prend tout son temps pour faire ronfler son moteur comme une tuyère de fusée nucléaire et c'est parti pour s'arrêter avant même que l'on ait vu tourner une roue. Powerhouse sod : je plains le Corky pour arriver à poser un rythme sur ce tourbillon qui parfois se traîne comme un tortillard, et à d'autres moments ressemble au vortex de la mort. Morceau fétiche de Bruce, vous le fait brinqueballer à la manière d'un tombereau de ferraille. L'on dirait qu'il racle les fonds du tiroir de son imagination et du possible pour vous offrir de l'inédit, voire de l'inaudible, se sauve grâce à sa voix, ce qui ne l'empêche pas d'avancer à grosses chaussures de plomb, Leslie égrène quelques notes, Corky marque la cadence celle de l'ogre qui s'avance sur la pointe des pieds pour zigouiller les frères du petit Poucet, Leslie se souvient qu'il peut les réveiller en klaxonnant avec sa guitare, franchement n'y a que Bruce qui prend son pied d'acier suédois. Polititian : l'enchaîne tout de suite sur un rayon de miel, une crème délicieuse qu'il sort de l'armoire aux souvenir. Un véritable pousse-au-cream. Prend la plus grosse part du gâteau, tout juste si West parvient à placer son solo, quant au Corky il bat le beurre mais pas à cent kilomètres à l'heure. Y en a deux qui travaillent pour le roi de Bruce. Corky pose un dernier solo que West se dépêche de magnifier. Sunshine of your love : les assassins reviennent toujours sur le lieu de leur creem. Ce soleil c'est de l'or en barre, vont vous le ciseler d'une façon beaucoup plus précise que le précédent. Basse et lead à égalité, ne reste plus qu'à se laisser porter par le rythme de la vague. West nous régale d'un solo pointu comme un stylet florentin. Par derrière Bruce doit souffler dans sa basse, l'on entend presque un cor de chasse. Corky effectue une galopade dans la forêt, un de ces passages underdog que Leslie adore juste pour permettre à Corky le temps d'achever la bête. Exultation frénétique du public. S'ils continuent il faudra les abattre. Ces allemands qui sont célèbres pour leur retenue toute goethéenne donnent une triste image de leur peuple ! D'ailleurs tout ce déploiement constitue à lui tout seul le titre : Audience. : ouf, ils reviennent pour le rappel ! Sont sympathiques ont emmené The doctor : vous administre les premiers et derniers secours d'urgence. Respiration artificielle pour le public, le groupe aura intérêt à prendre quelques réconfortants après le concert, on les sent un peu fatigués, ce n'est pas qu'ils bâclent c'est qu'ils laissent jouer les instruments tout seuls, le Corky doit se prendre pour Zeus lançant la foudre, West mandoline dans les grandiloquences de fin de générique de film. Tonitruance finale. Avant de sortir vérifiez si vous ne vous êtes pas oublié.

    Ça c'était le 13 avril, le 14 ils ont recommencé.

    WEST, BRUCE, LAING

    ( Landwirtshaftshalle , Kaiserlauten, Germany )

    ( 14 / 04 / 1973 )

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    Don't look around : l'on entend bien le début, ne chôment pas prennent le public à froid et le servent brûlant, la guitare de Leslie sonne du clairon, la basse bruisse comme les sycomores de la mort et c'est parti, quant au vocal l'on dirait qu'il sort de la gorge étranglée d'un pendu mécontent de son triste sort, Corky impulse des moulinets aussi dangereux que les chars à faux de Darius à la bataille de Gaugamèles, Bruce en profite pour imiter les râles des mourants qui ont vu leur deux jambes coupées rasibus courir à côté d'eux, mais ce n'était que le début de la fin, voici maintenant la fin du début, le band vous tombe dessus à bras raccourcis. Pleasure : plaisir d'entendre Bruce qui mène le solo à la basse et qui casse le vocal comme les forçats réduisent des rochers de trente tonnes en poussière. Leslie vous fend en trois d'un long solo qui vous découpe en tranches. Corky exaspère ses deux camarades en intensifiant le rythme, et Bruce en profite pour glavioter les lyrics tel un punk au concert des Sex-Pistols. Le fait si bien que vous avez envie de lui passer la bruce à reluire. Why dontcha : nos trois pirates envoient le riff, sur ce West prend le vocal à l'abordage et au porte-voix, Bruce tire au canon, et Corky fout le feu à la sainte-barbe qui explose, un peu de calme pour compter les survivants et tout le monde se retrouve sur un radeau de fortune où Bruce souque ferme avec minimum de bruit pour s'approcher du navire amiral ennemi, et comme le monde est bien fait, une fois que West s'est servi de sa guitare comme d'une perceuse géante pour provoquer une voie d'eau, le Royal Navy descend direct au fond de l'eau tandis que Corky prend du plaisir à assommer de ses plus lourdes baguettes les têtes des rares marins ennemis qui surnagent. Final cacophonique. 3 rd degree : l'heure du blues a sonné. La basse de Bruce rampe au sous-sol infernal, la guitare de Leslie nous promène dans les régions éthérées, Corky fait la navette entre les deux, une fois sur deux il tape sur la pal qui traverse votre corps pour aussitôt vous étirer l'ossature jusqu'à ce que votre tête aperçoive la porte de l'empyrée, bref se servent de vous à la manière d'un yoyo, quant au vocal mieux vaudrait ne pas en parler, si menaçant que vous préférez ne pas l'entendre. Mississippi queen : une croisière sur le Mississippi s'impose, le fleuve est houleux, c'est le moins que l'on puisse dire, ce doit être le jour où les digues ont cédé, vous êtes emporté sur l'arche du déluge. Un seul amusement possible durant cette croisière inusitée, compter les cadavres gonflées comme des outres qui flottent les yeux ouverts. Le Mississippi est vraiment la reine des rivières. Cataracte finale. En plus ils sont sympas, pour une fois ils nous offrent une version longue. Roll over Beethoven : bien sûr qu'elle arrive l'expédition punitive sur Mister Beethoven, le rock destroy qui remet les pendules à l'heure universelle. Z'oui mais se moquer des maîtres c'est bien, les mettre au milieu du mobilier et foutre le feu c'est mieux, mais le pire c'est de les battre sur leur propre terrain, alors le West avant d'en venir à ses dernières extrémités, il prend sa guitare et se plante devant le tableau noir, et il improvise une démonstration de haute voltige, une équivalence de la symphonie numéro 6, dite La Pastorale, frôle ses cordes et votre âme se promène dans un paysage radieux, un souffle zéphyrien vous enlace et vous vous croyez au Paradis, hélas le temps se gâte et l'aquilon fond sur vous et vous transperce de terribles tornades, Leslie vous lie et vous délie tour à tour ces deux thèmes, le bonheur et le malheur, l'été et l'hiver, la vie et la mort, et quand il a fini tous les trois filent une bastonnade cul-nu à ce Beethoven qui a commis le crime de lèse-majesté d'ennuyer Chuck Berry dans sa jeunesse. Love is worth the blues : après Leslie, Bruce se dépêche de ramener sa tagada. Plaie inhérente aux super-groupes, ne pas se laisser distancer par le copain qui est aussi le rival. Bref Bruce à la basse abrasive et abrupte à bâbord, Leslie à la guitare aussi pointue que le trident de Neptune à tribord, l'auditeur choisit son camp, attribue le love ou le pire selon sa préférence, le problème c'est que le blues reste l'invité de marque absent. Entre les deux mon cœur balance Corky fait un travail de fou, l'a compris la leçon de Keith Moon, faudrait enlever la claque des battements du public qui un peu trop simpliste empêche de bien saisir les prolégomènes de son solo. Corky emporte le morceau. Les deux autres ouistitis ont compris, ils lui font une haie d'honneur. Politician : la démarche pateline du politicien la basse de Bruce l'évoque magnifiquement, n'est pas à son meilleur sur le vocal, Corky est au four et au moulin, West est bien discret, se réveille un peu tard pour dérouler le barbelé autour du manche de pioche, se rattrape toutefois. La basse de Bruce fait un peu descente de lit et la guit de West le tapis volant, échange de rôle sur la fin du titre. Sunshine of your love : quatre petites minutes d'amour et de soleil c'est un peu court, mais là ils jouent vraiment ensemble. Un régal.

    Morale de l'histoire : d'après moi, ils ont mieux joué le 14 que le 13. Que le temps passe vite, nous voici au 16 !

    WEST, BRUCE, LAING

    ( Jahrhunderthalle, Frankfurt, Germany )

    ( 16 / 04 / 1973 )

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    Don't look around : non de Zeus, c'est de la folie, ce coup-ci prennent leur temps. Sortent le grand jeu. Grandiose. Prise de son un peu juste parfois, mais groupe dans son acmé. Ne reprennent pas un titre de Mountain, ils le réinterprètent, ils l'enrichissent, en densifient la trame, le West une véritable machine à foudre, Le Bruce qui vous surfile les coups de tonnerre à la perfection, et le Corky tellement fondu dans la masse sonore que vous ne l'entendez pas alors qu'il actionne le pédalier avec une constance indépassable. Une manière insurpassable de déployer le riff, le zeppe a réussi plus clinquant mais n'est jamais parvenu à cette puissance tutélaire. Idem pour Pleasure moins rock'n'roll mais plus rock. Pourquoi ? parce qu'ils jouent ensemble, qu'ils n'essaient pas de se marcher continuellement sur les pieds. Le morceau y gagne en autarcie et en puissance. Moins à l'arrache, mais un équilibre minéral qui le booste. Why dontcha : un démarrage plus blues, une scansion plus lente, Corky se croit à Perchman, apporte la preuve qu'il aurait eu l'étoffe d'un bon bagnard. Enregistrement un peu trop lointain, le témoignage permet toutefois de restituer l'atmosphère, le rôle de chacun est beaucoup mieux dessiné, et l'agencement tripartite du morceau saute aux oreilles, se trahit à la manière de ces vues aériennes des villas romaines dont les fondations sont cachées par la végétation lorsque vous êtes sur le site même. J'invite tous les trios qui se montent à étudier, comment ils parviennent à ce que leurs trois jeux parallèles se complètent à la manière des pointillés qui finissent par donner l'illusion du dessin d'une droite ou d'une courbe. Pour faciliter l'apprentissage, ils ne le jouent pas à la sauvage. 3 rd degree : Pham Cong Thien maître philosophe s'amusait à dire que la vitesse des Dieux était la lenteur, WBL illustrent à merveille cet aphorisme paradoxal, un blues doit être joué avec cette application des égyptologues qui s'obstinent à dés-enrouler les momies de leur linceul qui les isole du monde depuis des milliers d'années, adresse et précaution. Travail d'équipe qui exige doigté et dextérité. Pesanteur de la basse, piqûres d'abeille de la guitare, et à-coups drumiques pratiquement à contre-temps pour donner l'illusion d'être en avance sur le coup suivant. Prodigieux. Mississippi queen : Corky envoie la cloche à vaches et le troupeau d'aurochs déboule sur vous. Pas pressé. Mais une puissance dévastatrice. Ne trottent même pas mais l'écume de leur toison moutonnante sur leur bosse donne l'impression d'une mer immense et infinie. Leslie en profite pour son solo, tableau idyllique de bêtes placides broutant l'herbe bleue du Kentucky, le chant des oiseaux, soudain les mâles suspicieux qui grondent et précipitent la cavalcade. Qui s'arrête. Puis reprend. Le delta du solo s'achève dans l'océan du rock'n'roll chuckberryen, Roll over Beethoven : plus fidèle au modèle initial que toutes les précédentes, avec toutefois de temps en temps cette particularité de West de ralentir les accords pour mieux les pressuriser par la suite et les noyer dans un torrent de lave. Bruce vient l'épauler afin que ses dernières notes atteignent les constellations du zodiaque. Powerhouse sod : le morceau de bravoure de Bruce qui nous le joue tribal, une friture d'africanade tel que Bo Diddley n'en a jamais rêvé. Ce soir Bruce ose tout, le morceau quitte les membranes éclatées du rock pour entrer dans quelque chose de plus free, de plus aventureux, sa basse sonne râga, l'Inde se mêle à l'Afrique, n'a plus besoin d'un rideau de fumée pour toucher au jazz, a totalement disparu ce côté capharnaüm dans lequel les chattes dissimulent leurs petits, Bruce donne libre cours à ses ambitions, montre ce vers quoi il se dirige. L'on comprend que WBL n'est qu'une étape pour lui, autant Cream aura été une structure fermée, autant West par sa virtuosité d'étalagiste rock de haut niveau lui aura permis d'entrevoir des ouvertures musicales que la structure monolithique et performative de Cream interdisait. Et ce soir West accepte de chevaucher à ses côtés non pour faire mieux mais pour lui servir de soutien effectif. L'on est déjà dans Love is worth the blues : rien à dire ni à redire, encore moins à écrire, écouter est nécessaire, une dérive sans fin, qui se termine par le rituel du troisième homme, l'offrande du tambour, est-ce un solo, ne serait-ce pas plutôt une espèce de marche ou de résolution sonore mathématique, Corky enchaîne les équations rythmiques, de plus en plus élaborées et réussit à les résoudre avec une élégance rare. Ne cherche pas la puissance, joue sur l'écoulement, essaie de saisir le temps en quelques fractions de secondes virevoltantes, qu'il emprisonne dans le déroulé d'une boucle d'éternel retour. Politician : les deux gâteries habituelles pour terminer, la crème chantilly sur les éclairs au chocolat. Prennent leur temps, un peu comme des photographes qui savent que la prise de vue est moins importante que le nombre de minutes dans la marinade des bains révélatifs plus ou moins prolongée. Le pas traînant de Bruce encore plus ralenti, c'est sur le noir le plus sombre que in Sunshine of your love resplendira le soleil de la guitare de Leslie. Mais entre ces deux titres ils auront instillé une défonce rock'n'roll frappée d'une longue et étonnante subtilité : The Doctor. Toutefois les quatre derniers morceaux participent d'un même élan. Le groupe soudé comme il ne l'a jamais été, même sur ses disques studios. Avaient atteint en ce mois d'avril 73 une cohésion, voire une complicité qu'ils ne sauront pas maintenir.

    Le 14 était meilleur que le 13, après ce 16 qui surpasse les deux précédents je me demande ce qu'a été le 17 !

    Ces trois concerts allemands s'inscrivent dans la tournée de 23 dates qui débuta le 26 mars 1973 à Oslo et se termina le 26 avril à Leeds. Le kr'tnt-reader consciencieux poussera le vice jusqu'à écouter sur You Tube celui du 4 avril 1973 donné à Stadthalle, Vienna, Austria, Hélas, ce doit être l'enregistrement d'un fan qui avait caché sous une doudoune d'hiver son mini-cassette au fond d'un sac... Nous ne quitterons pas West, Bruce & Laing sur cette déconvenue auditive, bientôt nous vous offrirons une session de rattrapage intitulée : More Live 'n' kickin' ( WB&L, II ).

    Damie Chad.