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françois richard

  • CHRONIQUES DE POURPRE 604: KR'TNT 604: TINA TURNER / JAMES BROWN / TONY JOE WHITE / JOHN REIS / ANITA WARD VERMILION WHISKEY / NATTY DREAD / PIPER GRANT / FRANCOIS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 604

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 06 / 2023

     

    TINA TURNER / JAMES BROWN

    TONY JOE WHITE / JOHN REIS / ANITA WARD

      VERMILION WHISKEY / NATTY DREAD

    PIPER GRANT / FRANCOIS RICHARD

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 604

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Spectorculaire

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             Tina Turner vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous rendre hommage à l’early Tina, celle du temps de la Revue. Déifiée par Totor, elle fut l’héroïne de l’un des Cent Contes Rock. «River Deep Mountain High» reste l’un des plus beaux hits de tous les temps. Merci Tina et merci Totor de nous avoir fait rêver.

            

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             Pharaon fait son entrée dans le temple du son. Les talons de ses Chelsea boots claquent sur le marbre du sol. Haut comme trois pommes et maigre comme un clou, il porte une tiare en or, un pagne fraîchement repassé et des grosses lunettes noires. De longues rouflaquettes encadrent son visage. Sur la tiare en or est épinglé un badge «Back to Mono». Le temple domine la vallée des morts. Au fond de la vallée sont rassemblés quelques milliers de musiciens issus de toutes les peuplades de l’Empire. Ils attendent en silence, telle est la consigne. De part et d’autre de la vallée, des milliers d’esclaves motivés par le fouet élèvent un mur gigantesque. Ils font rouler des moellons de plusieurs tonnes sur de gros rondins de cèdre lubrifiés. Le mur doit s’élever jusqu’au ciel, car telle est la volonté de Pharaon. Il fait construire le Wall of Sound. Pharaon se prépare à entrer dans l’histoire. Il lance un défi aux dieux dont il se dit l’égal. Plutôt que de conquérir le bord du monde pour montrer sa puissance, Pharaon préfère écrire des chansons. Quand les dieux entendront «River Deep Mountain High», ils frémiront. Pharaon vient d’écrire «River Deep Mountain High» avec Jeff Barry et Ellie Greenwich. Extraordinairement cultivés, Jeff et Ellie sont ses scribes les plus précieux. Pharaon contemple longuement la vallée. Il éprouve de grandes difficultés à dominer son impatience. Il sait qu’il tient un tube éternel. Ses narines palpitent. Sous le pagne, il sent son membre divin se dresser lentement. Il fait signe aux prêtres du temple du son de lui lire les oracles. Les prêtres éventrent les bestiaux prévus à cet effet et accourent les mains pleines d’abats sanguinolents. Ils se bousculent pour offrir à Pharaon l’exclusivité des oracles.

             — Les conditions sont réunies, Pharaon ! Il ne pleuvra pas aujourd’hui !

             Agacé, Pharaon envoie un terrible coup de sa crosse en or sur le crâne du prêtre-météo qui s’agenouille, abasourdi de terreur.

             — Mais il ne pleut jamais dans la région, sombre crétin ! Qu’on le jette aux crocodiles sacrés !

             — Noooon pitié Pharaon ! Nooon !

             Les Turkmènes de la garde rapprochée emmènent le prêtre qui se débat.

             Pharaon commence toujours par caler ses orchestrations. Lorsqu’elles sont irréprochables, il demande à des interprètes soigneusement sélectionnés de venir s’y fondre. Pharaon vit dans l’obsession de l’osmose : le jour et la nuit, la folie et le génie, les cuivres et les cordes, le ciel et la mer, le chant et l’instrumentation, il mêle les extrêmes en permanence. Il se tourne vers l’horizon et lève les bras au ciel. Un immense murmure s’élève de la vallée. Les musiciens s’affairent. Ils vont bientôt devoir jouer selon les règles strictes édictées par Pharaon. Les partitions sont gravées dans des tablettes d’argile. Des milliers de scribes ont travaillé jour et nuit. Les musiciens n’ont que quelques minutes pour s’accorder sous le soleil de plomb. Quand Pharaon donnera le signal, ils devront être prêts à jouer.

             Pharaon donne ses dernières instructions :

             — Bassistes crétois, vous façonnerez l’épine dorsale d’une grosse bassline et vous fendrez le silence comme la proue d’un navire de guerre fend les vagues ! Quant à vous, guitaristes ibères, je vous demande de jouer le rythme basique ! Ne jouez rien d’autre, pas de flamenco, avez-vous bien compris ?

             Une immense clameur monte de la vallée :

             — Ouiiii Pharaon !

             Puis il s’adresse aux huit mille pianistes :

             — Je vous demande de jouer les octaves de la main droite ! J’exige de vous l’emphase dramaturgique !

             — Compriiiis, Pharaon !

             Pharaon passe sa main dans le dos et ramène le revolver qu’il garde toujours serré sous la ceinture. Il tire un coup en l’air. C’est le signal. Les basses crétoises roulent comme le tonnerre, agrémentées de tampanis congolais. L’immense orchestre joue une petite introduction en escalier. Pharaon lève les bras. Silence. Puis l’orchestre reprend, des vagues assourdissantes s’en vont se briser contre les murailles et se réverbèrent dans un chaos d’écho d’une grandeur incommensurable. Des nappes de piano s’envolent comme des nuées de sauterelles et s’en vont percuter les roulements des tambours que battent avec pesanteur des milliers de berbères. Pharaon fait jouer l’orchestre des jours durant. Il n’est jamais satisfait. Et puis un jour, son visage se détend. Les lèvres tremblantes, il murmure :

             — Oui, c’est ça ! C’est ça !

             La qualité de l’écho atteint la perfection.

             Pharaon lève les bras au ciel. Les musiciens arrêtent de jouer, mais les deux murailles géantes renvoient encore de l’écho pendant de longues minutes. Jusqu’à ce que le silence s’installe. L’orchestration est au point, le moment est venu de choisir l’interprète. Pharaon ordonne qu’on fasse venir les cages des candidats. Dix petites cages à roulettes sont installées en demi-cercle sur l’esplanade du temple. Pharaon les passe en revue. Dans la première s’agitent quatre sauvages à la peau blanche. Ils ont les cheveux longs et sales. Ils portent des blousons de cuir et des jeans déchirés. Pharaon s’adresse au plus grand :

             — Ton nom !

             — Joey Ramone !

             — Chante-moi quelque chose !

             Joey bombe le torse et chante «Baby I Love You» des Ronettes. Pharaon est agréablement surpris.

             — Hum...Tu as une bonne voix, mais tes amis ne me plaisent pas du tout... Ils ont l’air tellement stupides !

             Celui qui reste allongé dans la paille lance d’une voix rageuse :

             — Je m’appelle Dee Dee et je t’emmerde, Pharaon tête de con !

             Et Dee Dee crache au sol, juste entre les deux pieds de Pharaon. Silence de mort. Pharaon sort son revolver, tire une balle dans le ciel et hurle :

             — Aux crocodiles !

             Dans la deuxième cage se trouve un autre sauvage à la peau blanche. Il porte une barbe et les cheveux longs.

             — Ton nom ?

             — George Harrison !

             — Tu m’as l’air bien mystique... Chante !

             Le pauvre George n’est pas en très bonne santé. Il ravale sa salive et chante «My Sweet Lord».

             — Aux crocodiles !

             Pharaon passe à la cage suivante. Un autre sauvage à la peau blanche et une chinoise sont allongés nus dans la paille.

             — Ton nom !

             — John Lennon et elle, c’est Yoko !

             Pharaon admire les formes de la chinoise :

             — Vous n’êtes pas là pour forniquer mais pour chanter. Alors chantez !

             John Lennon se lève et entonne «Instant Karma». Yoko joue du tambourin en faisant un sourire qui ressemble à une grimace. Pharaon ne les envoie pas aux crocodiles. Il ne veut pas que ses crocodiles sacrés attrapent une indigestion. Dans la cage suivante se trouve encore un blanc.

             — Ton nom ?

             — Dion DiMucci !

             Pharaon ne lui demande même pas de chanter. Trop romantique. «River Deep Mountain High» a besoin de chair fraîche. Pharaon passe en revue cinq autres cages où sont enfermés les Crystals, les Righteous Brothers, Darlene Love, Leonard Cohen, Bobb B Soxx. Il se plante devant la dernière cage. Une esclave nubienne plonge son regard de feu dans celui de Pharaon. Elle porte une tunique déchirée qui ne cache plus rien de son anatomie pulpeuse. Ses cuisses luisent comme des colonnes d’albâtre.

             — Ton nom, femelle lascive !

             — Tina, Pharaon, pour te servir...

             Et elle fait glisser la pointe de sa langue sur le pourtour de sa bouche entrouverte. Près d’elle se tient un grand Nubien d’apparence teigneuse.

             — Ton nom !

             — Ike Turner ! Je suis son mari !

             — Faites-la sortir de la cage ! Pas lui ! Qu’il y reste et emmenez-le avec les autres ! Qu’ils disparaissent tous de ma vue ! Mon génie ne les a même pas aveuglés ! Ah les chiens galeux ! Que les descendants de ces immondes barbares soient maudits jusqu’à la septième génération !

             Tina est enchaînée. En marchant, elle râle comme une panthère. Pharaon la présente à l’immense orchestre installé jusqu’au fond de la vallée.

             — Musiciens ! Voici Tina ! Elle portera ma chanson aux nues !

             Un grondement d’acclamations roule dans la vallée. On installe un pupitre devant Tina. Les paroles de la chanson sont gravées sur une tablette d’argile. Pharaon lève les bras au ciel. Le silence se rétablit. Il tire un coup de feu en l’air. L’orchestre joue la petite intro en escalier. Break. Silence. Reprise. Tina ouvre une bouche qui ressemble à un four :

             — Quand j’étais une petite fille/ J’avais une poupée de chiffon/ La seule poupée que j’aie jamais eue/ Maintenant je t’aime comme j’aimais cette poupée de chiffon/ Mais maintenant mon amour a grandi !

             Tina chante comme une nymphomane. Elle roule les paroles entre ses muqueuses. Elle est poignante et magnifique. Le son qui monte de la vallée l’enveloppe. Des langues d’écho lèchent la peau luisante de ses cuisses. Les musiciens des premiers rangs voient son sexe béant palpiter. Alors Pharaon donne un violent coup de crosse sur le sol et le son explose. L’immense orchestre de la vallée bâtit des montagnes imaginaires, des ponts de cristal suspendus, des murailles de verre, des cavernes enchantées, des falaises de marbre, des gouffres abyssaux et des cascades de son s’écoulent dans des précipices wagnériens, des fumées blanches montent dans l’air saturé d’écho, une féerie grandiose éclate dans le tournoiement des masses d’air. Les tambours et les percussions se fondent dans les basses qui se fondent dans les guitares qui se fondent dans les pianos qui se fondent dans les violons soudanais qui se fondent dans les voix. En transcendant le principe même de l’osmose cosmique, Pharaon crée une fantastique pulsation qui remplit tout l’univers perceptible. Et au sommet de cette pulsation s’empale l’esclave Tina. Chaque molécule de son corps se dissout dans le souffle magique que renvoient les deux murailles géantes. Pharaon lève les bras au ciel. L’orchestre s’arrête brusquement. Quel choc ! Un silence vibrant d’écho s’installe. Les dieux ne pardonneront jamais à Pharaon de les avoir ainsi nargués. «River Deep Mountain High» n’aura pas le succès escompté. Profondément vexé, Pharaon fera construire une pyramide avec les moellons de son mur du son et s’y retirera pour l’éternité.

    Signé : Cazengler, Tinette

    Tina Turner. Disparue le 24 mai 2023

    Cent Contes Rock. Patrick Cazengler. Camion Blanc. 2011

     

    Brown sugar

    - Part Two

     

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             Dans Kill ‘Em & Leave - Searching For The Real James Brown, James McBride mène l’enquête. Il n’existe rien d’aussi parfait que ce travail d’investigation pour approcher la réalité de cette immense star que fut James Brown. Ce court roman fonctionne comme un traitement de choc. James McBride est black. Il rencontre des gens qui ont connu ou travaillé avec James Brown pour les interviewer, souvent dans des petits restaus blacks de la région d’Augusta, en Caroline du Sud. On est bien sûr aux antipodes du biopic hollywoodien, le fameux Get On Up, évoqué ici même la semaine dernière. McBride s’empresse de le démolir : la course poursuite avec les flics ? Faux. James Brown qui force un barrage de police au volant de son pick-up ? Faux. D’après le rapport d’enquête officiel du FBI, nous dit McBride, James Brown n’a jamais tiré dans le plafond de la salle de réunion, comme le montre le biopic. Charles Bobbit indique que Mr. Brown ne jurait jamais - I never heard Mr. Brown utter a curse - McBride explique que la course poursuite ne pouvait pas se produire, parce que James Brown était un black du Sud. He wasn’t stupid. En fait, ce sont les cops qui ont détruit son pick-up. Ils l’ont chopé après une «low-speed chase» et ont tiré 17 balles dans le pickup, dont deux sont allées dans le réservoir à essence, alors que James Brown était encore à l’intérieur - Brown was terrified - Quand il a été amené au poste, un flic en civil s’est approché de lui alors qu’il était encore menotté et lui a mis son poing dans la gueule, faisant sauter une dent. À ce moment-là, nous dit McBride, James Brown est dans une sale passe : «Sa vie s’était  écroulée, son groupe s’était désintégré, les impôts l’avaient mis sur la paille, à 55 ans il retombait dans une semi-obscurité», et il fumait du PCP en cachette pour supporter tout ça. Physiquement, il tombait en ruine, ses genoux le lâchaient, il souffrait d’arthrite et il endurait un supplice permanent à cause de ses dents. Quand il a vu qu’on était entré dans son bureau, à Augusta, il a cru qu’on l’avait une fois de plus cambriolé. Alors il a sorti son flingue, et c’est à cause de ça qu’il est allé moisir trois ans au trou. McBride ajoute que le biopic trafique la réalité. Et le fait qu’il soit vu par des millions de gens à travers le monde le rend triste, car il donne une idée complètement fausse de James Brown qui vivait, avec cet épisode, la pire des humiliations. McBride s’insurge aussi contre le portrait qui est fait de sa mère, une pute, et de son père, une brute. En réalité, James Brown, a réussi à réunir ses deux parents et McBride insiste pour dire que Daddy Brown était un homme gentil et drôle, qui adorait son fils. Zola-McBride accuse le biopic de Dreyfuser James Brown pour en faire «a complete wacko in a film that is roughly 40 percent fiction et qui ne montre aucun aspect de la vie des familles noires et de la culture dont il est issu.» Tout dans ce film est roulé dans la farine hollywoodienne des clichés : «la grosse tante black qui lance au jeune James ‘you special boy’, le bon et loyal manager blanc, les musiciens noirs qui ont aidé James Brown à créer l’une des formes d’art les plus importantes du XXe siècle et réduits par le script à l’état de crânes vides, avec notamment la scène où Pee Wee Ellis fait le clown, une scène que Pee Wee, pionnier et co-createur de la Soul music américaine, conteste, car elle n’a jamais eu lieu.» To add insult to injury, comme disent les Anglais, voilà qu’apparaît le nom de Jag. On le voit danser, à la fin du T.A.M.I. Show, comme the strawman in the Wizard Of Oz, nous dit McBride - It’s all on line. You can see it - Keith Richards déclara plus tard que les Stones commirent la pire erreur de leur carrière en voulant passer APRÈS James Brown. On voit d’ailleurs la version hollywoodienne du T.A.M.I. Show dans Get On Up. C’est aussi Jag qui co-produit le docu évoqué la semaine dernière, Mr. Dynamite - The Rise Of James Brown. McBride : «Aujourd’hui Jagger is rock royalty, James Brown is dead, et Inaudible Productions qui supervise le licensing du catalogue des Rolling Stones, administre aussi celui de James Brown.» Charles Bobbit conclut l’amer chapitre en affirmant que Mr. Brown n’aimait pas Jagger - He had no love for Mick Jagger.  

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             McBride n’en finit plus de rétablir la vérité. Il revient sur les premières années de ballon évoquées dans le biopic pour dire qu’en fait, James Brown a pris une peine de 8 à 16 ans pour vol de pièces sur une bagnole et qu’il est sorti, au bout de trois piges, d’une taule juvénile à Toccoa, en Georgie. On imagine le carnage qu’aurait fait Leon Bloy s’il avait pu voir ce film.

             Bon, tout ça c’est bien gentil, Mr. McBride. Et le génie de génie de James Brown ? C’est pour ça qu’on est là.

             Si un écrivain rend hommage à un artiste, son boulot consiste surtout à expliquer les raisons de son importance. McBride est un écrivain qui sait tenir son attelage : pas d’élans lyriques, mais une façon très spéciale d’encenser : «Ce qui met James Brown à part, en plus de la longévité d’une carrière menée dans un milieu artistique très dur, c’est qu’il a dominé et même éclipsé tous les grands artistes noirs des années 50, 60 et 70, une période où sont apparus les plus grands artistes américains, des artistes d’un niveau qu’on avait encore jamais vu et qu’on ne verra sans doute jamais plus : Little Richard, Ruth Brown, Hank Ballard & The Midnighters, Screamin’ Jay Hawkins, Little Willie John, Ray Charles, Jackie Wilson, Otis Redding, Aretha Frankin, Wilson Pickett, Joe Tex, Isaac Hayes, Earth Wind & Fire, Sly & The Family Stone et bien sûr les Motown heavy hitters of the seventies, to name just a few.» McBride détache ainsi James Brown du somptueux peloton de la Soul pour le situer higher, comme dirait Yves Adrien. C’est un préambule indispensable. Quand on l’écoute et ou quand on le voit dans un concert filmé, on ressent exactement ça : James Brown is higher. Stay on the scene !  McBride y revient plus loin : «Même Aretha avec toute sa Soul et sa puissante section rythmique ne pouvait pas égaler the burning fire et l’individualité du James Brown sound. They were different sounds. Different musicians. Different cities. Different blacks. But James Brown’s uniqueness stood him above them all.» Pour dire le rôle que joue James Brown dans la communauté noire, McBride va toujours plus loin : «Dans sa vie, chaque homme et chaque femme a une chanson. Vous la gardez en mémoire. La chanson de votre mariage, la chanson de votre premier amour, la chanson de votre enfance. Pour nous, Afro-Américains, la chanson de toute notre vie est incarnée by the life and times of  James Brown.» Et plus loin, il y revient : «James Brown was our soul. Il était indéniablement black. Indéniablement proud, c’est-à-dire fier. Indéniablement un homme.»

             Le moment est venu de parler chiffres : «Pendant les 45 ans de sa carrière, James Brown a vendu plus de 200 millions de disques, enregistré 321 albums, dont 16 furent des hits, il a écrit 832 chansons et obtenu 45 disques d’or. Il a révolutionné la musique américaine, il a été le premier à mixer le jazz et de funk, et le premier à sortir un album live qui fut numéro 1.» Des gens dans la presse ont bien tenté de le décrire - A super talent. A great dancer. A real show. A laugher. A drug addict, a troublemaker, all hair and teeth - The man simply defied description. McBride tente d’expliquer ça en rappelant que personne ne peut approcher la réalité de cet homme, «car il vient d’une région qu’aucun livre n’a pu expliquer, une région façonnée par l’esclavage, l’oppression et l’incompréhension, dont la nature sociale défie toute tentative d’explication. The South is simply a puzzle.» Autre élément de réflexion : McBride rapporte que Miles Davis et James Brown s’admiraient mutuellement,  mais à distance - hard men on the outside, but behind the looking glass, sensitive, kind, loyal, proud, troubled souls working to keep their pain out.

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             Dans un éclair de génie littéraire, McBride amène James Brown sur scène : «Son orchestre arrivait sur scène et cassait la baraque, knock ‘em down, pendant que Brown attendait dans la coulisse en fumant une Kool cigarette, il regardait le public et savait exactement à quel moment arriver sur scène, lorsque le public le réclamait. Alors il arrivait avec sa démarche de pigeon et plongeait le public dans le delirium. Ils les emmenait sur la lune, les assommait avec des blasts de soulful levity et quittait la scène. Après le concert, les notables et les autres stars s’empressaient de venir congratuler Brown, mais il les faisait attendre pendant trois heures, parce qu’il était sous son casque pour refaire sa pompadour, puis il s’éclipsait sans voir personne. Sharpton lui demandait pourquoi il s’en allait, alors que des gens importants voulaient le voir et Brown lui répondait : ‘Kill ‘em and leave, Rev. Kill ‘em and leave.’ C’est ce qu’il a fait pendant 50 ans. James Brown n’était pas un homme ordinaire. Il n’était pas facile de faire sa connaissance. James Brown gardait ses distances.»

             Pareil, il est au Zaïre pour le fameux combat Ali-George Foreman, toutes les grandes stars black ont fait le déplacement pour jouer dans le stade, Mobutu promet de distribuer des diamants après les concerts. Après avoir plongé 80 000 personnes dans l’extase, James Brown dit à Sharpton : «Pack Up. We’re leaving.» Sharpton insiste : «But Mr. Brown, on vient d’arriver.» «Kill ‘em and leave, Rev. Kill ‘em and leave.» Rien à foutre des diamants de Mobutu. James Brown insiste : «Trying to play big. Just be big.» À Charles Bobbit, James Brown dit la même chose, avec d’autres mots : «Mr. Bobbit, don’t ever stay nowhere for a long time. Don’t make yourself important. Come important and leave important.» Bobbit ajoute qu’on ne discutait pas avec Mr. Brown. On l’écoutait. Vouloir le convaincre de quelque chose, c’était perdre son temps. Bobbit ajoute que Brown n’était pas un bon businessman. Il le reconnaissait lui-même, se disant 60 % entertainer et 40 % businessman. Il ne voulait pas que les gens le connaissent. Il dit aussi à Bobbit que lorsqu’il va casser sa pipe en bois, ce sera un gros bordel, pour l’héritage. Ça prendra dix ans pour tirer tout ça au clair. Pourquoi ? «Parce qu’ils ne sauront pas comment faire.» Et pourquoi ne sauront-ils pas comment faire ? «Parce qu’ils ne connaissent pas Mr. Brown.» Alors McBride pose la question à Bobbit : «Qui est Mr. Brown ?». Bobbit répond qu’il ne voulait qu’on sache qui il était. Pourquoi ? Bobbit regarde ses mains et murmure : «Fear.» McBride : «Peur de quoi ?». Bobbit lâche le morceau : «The white man. He was Mr. Say It Loud, mais the white man owned the record business.»

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             Dans les années 60 et 70, James Brown se voyait en concurrence directe avec Motown, en tant que one-man hit machine, et les deux camps, nous dit McBride, étaient lancés à l’assaut  des radios blanches, là où se trouvait the giant money. Ça grouillant littéralement de stars, «James Brown était aussi en concurrence avec Jackie Wilson, Joe Tex, Little Willie John qu’il admirait, Isaac Hayes, Gamble & Huff, the O’Jays, the Spinners et Teddy Pendergrass, mais les deux poids lourds, les Ali et Frazier du record business étaient Motown et James Brown. They were the big horses. And both could run hard.» McBride développe sa métaphore en disant que Brown était Frazier, «the thundering dark-skinned heavy hunter out of the North Philly ghetto», et Motown était Muhammad Ali, «the light, right, sweet-talking kid from Louisville, Kentucky.» James Brown n’était pas très fan de Motown, même s’il respectait Berry Gordy, mais il lui reprochait d’être un peu trop à la botte des blancs. Brown venait du Chitlin’ circuit, ce n’était pas la même chose, McBride considère que tourner sur le Chitlin’, ça revient à gravir l’Everest, car la concurrence y est plus raide et les conditions plus difficiles.

             Sharpton met le doigt sur la particularité essentielle de James Brown : son charisme - Ça peut sembler dingue de parler ainsi, mais James Brown avait tellement de présence et de charisme qu’on pouvait presque le sentir quand il entrait quelque part. Il éclipsait n’importe qui. Je fais partie des quelques personnes qui l’ont accompagné à la Maison Blanche. Que ce soit avec Reagan ou Bush ou en cellule, ça ne changeait rien. Il avait confiance en lui. C’était son spirit. C’était son don. Il dominait.  

             Très tôt, James Brown comprend qu’il doit évoluer pour survivre et ne pas subir le destin de Cab Calloway, Jimmy Luceford et Billy Eckstine. McBride cite aussi les cas de Louis Jordan, Lionel Hampton et Africa Bambaataa qui ont disparu parce qu’ils n’ont pas su évoluer. Pendant toutes les années de Chitlin’, James Brown s’est battu pour évoluer. Alors il a entendu ce que McBride appelle le downbeat, a new groove et il devait trouver les meilleurs musiciens pour jouer ce groove et transformer ses «la-de-da grunts and commands into hits.»

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             Ce qui frappe le plus dans l’approche d’un personnage qui a tout fait pour qu’on ne puisse pas le connaître, c’est d’abord son rapport au langage que stigmatise McBride, et notamment cette façon que James Brown a de s’exprimer par phrases courtes et par injonctions chargées de sens («Come important, leave important»), puis ce rapport au «civisme» : on ne pouvait s’adresser à lui qu’en tant que Mr. Brown, et il s’adressait aux gens de la même façon, par exemple Mr. Bobbit, sauf s’ils étaient Révérends, comme Sharpton, qu’il appelait Rev, avec la même déférence.

             Penchons-nous sur la légendaire générosité de James Brown. Sharpton révèle à McBride qu’à la fin des années 70, quand Isaac a fait faillite, James Brown est allé le trouver chez lui à Atlanta pour lui filer 3 000 $ et lui dire : «Isaac, don’t tell nobody I helped you out.» James Brown ne veut pas qu’on sache qu’Isaac est dans le besoin. Voilà la grandeur de cet homme. Mais pour son malheur, il est entouré de gens qui n’en finissent plus de lui taper du blé. Lui veut une bagnole, elle des bijoux. Il paye. Ça ne s’est jamais arrêté, nous dit McBride. Il a laissé derrière lui une véritable fortune, estimée à 100 millions de $, mais rien pour sa famille, tout était destiné aux enfants pauvres de toutes les races, en Georgie et en Caroline du Sud. Qui n’ont bien sûr jamais vu un dollar, car la famille et les avocats ont tapé dans la caisse pendant dix ans. McBride : «That’s how modern day gangsters work. Ils ne vous collent plus un gun sur le museau. They paper you to death.» Quand Nixon le qualifie de «National Treasure», James Brown s’imagine qu’en tant que tel, il ne doit pas payer d’impôts. Mais le fisc ne le lâche pas. National treasure ? Ça ne les fait pas marrer. Alors comme ça ne marche pas, James Brown leur dit qu’il a du sang indien dans les veines et qu’il descend de Geronimo. Ça ne les fait pas marrer non plus. Alors, le fisc sort les griffes. Lors d’un show au Texas, ils barbotent la recette, et James Brown n’a plus de blé pour payer les musiciens. C’est là qu’il fait appel à David Cannon, un blanc qu’il surnomme the Money Man et qui devient son comptable. James Brown lui fait confiance et vient planquer des gros tas de billets dans son coffre-fort - Il y avait un million de $ dans mon coffre - Il alerte son client : «Mr. Brown, cet argent doit aller à la banque, je ne suis pas une banque». et James Brown lui répond : «No, Mr. Cannon. It’s fine right here.» Pourquoi cette confiance longue de 14 années ? Parce que Cannon et lui sont élevés avec les mêmes principes, le «proper», la politesse et la fierté des petites gens du Sud : pas question d’apparaître diminué ou ruiné. Il faut sauver les apparences. C’est pour ça que McBride rencontre David Cannon : il a compris mieux que personne qui était James Brown. Cannon l’aide à assainir ses comptes avec le fisc. James Brown a une manie : il planque du blé partout, au fond des jardins et dans des chambres d’hôtel. Cannon et Dallas le savent. Un jour où ils papotent tous les trois dans le bureau d’Augusta, Cannon, Dallas et James Brown, Dallas demande : «Mr. Brown, où devons-nous chercher, s’il vous arrive quelque chose ?». Assis derrière son bureau, James Brown écrivit un mot sur un post-it : «Dig.»

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             Et puis tu as les gonzesses. La plus importante, c’est Velma, sa première épouse et la mère de ses deux fils, Terry et Teddy. Mais James Brown a tout de suite trop de succès. Il est déjà en concurrence avec Little Richard, Otis Redding, Clyde McPhatter and the Drifters, the Five Royales, Hank Ballard & The Midnighter. Il est tout le temps en tournée. Velma le voit changer. Quand James Brown achète sa baraque dans le Queens en 1964, lui et Velma sont déjà séparés. Velma ne lui demande rien. Seulement de l’aider à élever ses deux fils. Alors James lui achète un terrain et fait construire une maison près de Prather Bridge Road, nous dit McBride, pour 150 000 $. Il lui file le titre de propriété. Ils divorcent en 1969, mais quand ça va mal, il monte dans sa Lincoln et descend voir Velma à Toccoa pour discuter avec elle, car ils sont restés profondément liés. Il l’appelle «my close friend». Quand Teddy meurt dans un accident de bagnole, James Brown surmonte sa douleur «with the true mantra of southern pride» et dit à son autre fils Terry : «Keep it right, Terry. Keep it proper. You gotta work. Smile. Show your best face.» James Brown fonctionne avec des mantras. Au Rev, il dit : «Never let them see you sweat. Come important. Leave important.» Pas question de montrer sa faiblesse.

             Après Velma, il se marie avec Dee Dee Jenkins et divorce. Sa troisième femme, Adrienne, est une drug addict, mais James Brown l’aime. Il l’appelle «my rat». Elle reste près de lui pendant ses trois années de placard. Elle casse sa pipe en bois lors d’une opération de liposuccion. Puis à 68 ans, il passe la bague au doigt de Toni Rae Hynie, 32 ans, un mariage qui tourne au désastre, jusqu’en 2006, quant à son tour il casse sa pipe en bois. Elle avait oublié de préciser qu’elle était déjà mariée.

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             McBride évoque aussi les chanteuses : Vicki Anderson, Marva Whitney, Beatrice Ford, Lyn Collins, Tammi Terrell et Martha High, toutes ont chanté longtemps avec James Brown ou ont enregistré sous sa direction. Elles sont, nous dit McBride, «parmi the greatest Soul singers America has ever seen and will ever see.»

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    ( Natfloyd Scott )

             McBride rencontre à Toccoa le dernier survivant des original Famous Flames, Natfloyd Scott. Scott est aveugle. Il montre une photo que décrit McBride : «Il y a Sylvester Keels, Nash Knox, Fred Pulliam, James Brown, Bobby Byrd and his younger brother Baby Root Scott. Tous sont morts sauf lui. Natfloyd Scoot est le seul qui tient une instrument, une guitare.» Pour McBride, Natfloyd Scott est un guitariste extraordinaire. C’est lui qui joue sur «Please Please Please». Après Scott, d’autres guitaristes extraordinaires sont venus jouer dans les Famous Flames : «Hearlon Cheese Martin, Alphonso Country Kellum and the incomparable legend Jimmy Nolen qui a crée le picking chicken-scratch.»  

             Natfloyd Scott évoque aussi les tournées sans fin sur le Chitilin’ circuit à travers des tas d’états, avec des bagnoles qui tombent en rade - They burned out another car - «One nighters are a killer,» he says -  Scott commence par jouer sur une Sears, puis une Gibson, et une Vox. Il peut jouer avec la guitare dans le dos ou entre ses jambes. Quand des membres des Famous Flames craquent et rentrent chez eux, c’est lui, Natfloyd Scott, qui doit trouver des remplaçants au pied levé et leur monter les cuts pour jouer le soir-même - On jouait tout en Sol et en Do mineur - Il rend bien sûr hommage au jeu de scène de James Brown - James was something - Toujours dans son travail d’investigation, McBride lui dit à un moment : «Vous essayez de me dire des good things à propos de James Brown» et Natfloyd lui répond : «James don’t need my protection.» L’excellent James McBride conclut le chapitre ‘The Last Flame’ ainsi : «Trois ans plus tard, le 15 août 2015, il mourait à l’âge de 80 ans, fauché. Pour l’enterrer, sa famille obtint l’aide d’un ami et du petit-fils de James Brown, William. Ainsi s’éteignit la dernière Flame, the last original Flame.»

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    ( Pee Wee Ellis)

             Un autre portrait spectaculaire : celui de Pee Wee Ellis. McBride commence par dire qu’il y eut environ 200 musiciens qui ont joué avec James Brown durant les cinquante ans de sa carrière. Parmi eux, dix ont contribué à l’élaboration du son - Aucun d’eux ne fut plus important, moins connu et moins crédité que le tromboniste Fred Westley, et celui qui lui a tout appris, Pee Wee Ellis - C’est bien que McBride remette les choses au carré. Il enfonce son clou : «Le James Brown’s band de 1965-69, dirigé par Pee Wee, fut, je dirais, le plus grand groupe de rhythm & blues jamais constitué.» Quand McBride le rencontre, Pee Wee dit qu’il doit aller répéter, car il doit aller à Paris jouer avec Yusef Lateef. McBride est scié : Pee Wee répéter ? Après 45 ans de pratique, après avoir co-écrit 26 hits avec James Brown ? Quand McBride lui demande de lui parler de James Brown, Pee Wee lui dit qu’il préférerait parler d’autre chose. Mais oui, c’est Pee Wee qui a façonné ce groupe extraordinaire. Il traduisait musicalement ce que voulait James Brown. Joe Davis : «Pee Wee was the one who put the sound together, in terms of locking it in, translating what James wanted. that was Pee Wee.» Pee Wee compose «Say It Loud» à 3 h du matin dans un studio de Los Angeles et Charles Bobbit ramène 30 gosses black pour chanter les chœurs. McBride précise aussi que «Cold Sweat» s’inspire directement du «So What» de Miles Davis. Pee Wee quitte le groupe en 1969.

             Quand James Brown se casse la gueule, dans les mid-eighties, il perd tout : plus un rond, plus de groupe, sa vie privée en ruines, ses trois stations de radio revendues, son avion privé saisi, plus de contrat et pas assez de cash pour payer des musiciens ou même payer ses factures. Pourtant fauché, il refuse de faire de la pub pour des marques de bière. «Children need education», dit-il à Buddy Dallas. «They don’t need snakers and beer». Quand en 1984, la diskö fout James Brown par terre, il passe du Madison Square Garden aux night-clubs, avec des cachets de 5 000 $. Les bureaux de The James Brown Organisation, à New York et à Augusta, ont disparu. Gold Platter, sa chaîne de soul food restaurant ? Kaput, nous dit McBride. Des mecs ont foutu le feu à son nightlcub Third World. Pas de coupables. Il doit 15 millions de $ au fisc qui a commencé à tout saisir : ses trente bagnoles, ses œuvres d’art, et sa maison - He was an oldie act with a terrible reputation - Il n’a plus de contrat et demande à Don King de le financer, mais Don King qui organise des combats de boxe décline, car il ne connaît pas le music biz. Par contre, il propose de filer 10 000 $ à James Brown qui refuse : «I ain’t asking for charity.» Mais c’est au plan physique que ça tourne mal : en plus de ses dents, de ses pieds et de ses genoux qui déconnent, James Brown se tape un petit cancer de la prostate qu’il dissimule, comme tout le reste. Alors pour surmonter tout ça, il fume du PCP en cachette. Le seul à s’en douter, c’est Leon Austin, il voit bien que James Brown est bizarre quand il a fumé. Le pire : tout son entourage s’est volatilisé : white managers, black managers, épouses, copines, black friends. Il ne reste plus que trois personnes près de lui : Charles Bobbit, Leon Austin et, of course, the Rev.  

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    ( Rev Charpton )

             The Rev ! Parlons-en ! Encore une rencontre stupéfiante : The Rev Sharpton, littéralement «fabriqué» par James Brown. Selon McBride, «The Rev is one of the most powerful black men in America.» Et il ajoute : «And a creation, in part, one of James Brown». The Rev est allé voir son mentor quand il était au trou et le voyait debout quand tout le monde le croyait fini. Et à table, en face de McBride, The Rev lance : «Everything I am today, a lot of it, is because of James Brown. The most important lessons I learned, I learned from him. He was like my father. He was the father I never had.» McBride entre bien dans l’histoire de cette relation, le chapitre ‘The Rev’ est l’un des cœurs battants de ce roman d’investigation extraordinaire. Pour restituer la grandeur de James Brown, McBride commence par restituer la grandeur de ses proches les plus proches. The Rev raconte qu’il allait voir Jackie Wilson et James Brown à l’Apollo et chaque fois, il croyait voir Dieu. Il raconte sa première conversation avec James Brown qui lui demande : «What do you want to be, son?». Sharpton répond : «Excuse me?». «What do you want to be ?». «Well I’m in civil rights.» «I’m gonna show you how to get the whole hog.» «Excuse me?». «Je vais te montrer comment décrocher la timbale. But you gotta think big like me. I’m gonna make you bigger than big. You got to do exactly what I say. Can you do that?». Et Al Sharpton fait exactement ce que lui dit de faire James Brown. Un peu plus tard, James Brown va voir prêcher le Rev. Il fait un tabac. James Brown va le trouver et lui dit : «You did everything I told you?». «Yes sir, Mr. Brown.» James Brown lui explique qu’il faut être soi-même, an original, pas essayer de devenir non pas «le prochain Jesse Jackson, mais le premier Al Sharpton.» Il lui demande de l’écouter et se plaint que ses propres fils ne l’écoutent pas - You’re a kid from Brooklyn, you got a heart. But you got to be different - James Brown lui dit de faire sa valise : «Pack your bag. We’re going to L.A.» Sharpton va y rester 15 ans et devenir the Rev, «one of the most powerful, charismaric, controversial and unique figures in African American history.» Et l’amitié qui lie les deux hommes va durer jusqu’à la mort de James Brown. McBride parle des grands teams américains et cite des exemples : Stephen Sondheim/Leonard Bernstein, le Miles Davis Quintet, avec John Coltrane et Cannonball Adderley, Miles/Gil Evans, «but there is nothing in American history like the collaborative mix of Al Sharpton and James Brown.»

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    ( Charles Bobbit )

             Quand James Brown engage Charles Bobbit comme personnal manager, c’est uniquement pour avoir son conseil sur certaines choses, oh pas les choses importantes comme les problèmes de blé, les petites décisions à prendre, du style aller au Japon ou pas. Il lui propose le job à vie : «I and you gonna be together till one of us dies.» «Oh yeah?». Bobbit accepte. Il rêvait de prendre l’avion et de descendre dans des grands hôtels. Il est même allé quatre fois à la Maison Blanche et serré la main de quatre Présidents. Mr. Bobbit s’occupe de tout, des armes et des drogues. Graisser la patte d’un radio DJ ? See Mr. Bobbit. McBride : «Il fait partie d’une race en voie de disparition : America’s Soul music wheelers and dealers. These guys - la plupart étaient des hommes, sauf Gladys Hampton, l’épouse de Lionel Hampton, qui était astucieuse et très intelligente - knew where the skeleton is buried. They know every secret. And they never tell.»

             Quand James Brown est transporté à l’hosto, il n’y a qu’une seule personne dans la chambre avec lui : Charles Bobbit. Conformément à sa prédiction. C’est la fin des haricots. Soudain James Brown se redresse dans son lit et s’écrie :

             — Mr. Bobbit. I’m on fire! I’m on fire!. My chest is burning up!».

             Then he lay back and died.

             Thank you sir, Mr. McBride

    Signé : Cazengler, Tête de broc

    James McBride. Kill ‘Em & Leave. Searching For The Real James Brown. Weidenfelfd & Nicolson 2017

     

     

    Wizards & True Stars

     - White Spirit (Part Three)

     

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             S’il fallait choisir au hasard un seul album de Tony Joe White pour l’emmener sur l’île déserte, ce serait sans nul doute The Beginning, paru une première fois en 2001 et récemment réédité. Car il s’agit d’un album parfait.

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             Enfin, parfait aux yeux des ceusses qui ont vécu on va dire toute leur vie avec Tony Joe White. Il faut remonter jusqu’en 1968, avec, non pas «Polk Salad Annie», mais «Soul Francisco», effarant single vendu sous pochette papier rose, et dans la foulée, l’aussi effarant premier album, Black And White, qui nous faisait de l’œil dans la vitrine, chez Buis. Et comme il n’était pas possible de choisir entre le Tony Joe et son voisin de vitrine Taj Mahal, alors on est allé braquer une banque pour pouvoir financer les deux achats. Grâce à cette double emplette, la voie de l’avenir était bien tracée. Tous ces fabuleux artistes découverts à cette époque nous immunisaient à vie contre la médiocrité. Comme on ne connaissait pas encore le rôle majeur que joue l’exigence, tout fonctionnait à l’instinct. Tu entendais «Soul Francisco» à la radio et tu savais que ça te correspondait. «Soul Francisco» pouvait te hanter, aussi puissamment qu’«Hey Joe» ou qu’«Ode To Billie Joe». Et pendant cinquante ans, Tony Joe White n’a jamais cessé de hanter les corridors lugubres et glacés de nos châteaux d’Écosse. Jusqu’à sa disparition, voici quatre ans. Nous avions alors dressé un autel géant sur KRTNT, car il s’agissait de rendre l’hommage à un artiste qu’on pouvait considérer comme un demi-dieu. Il échappait au commun des mortels par la seule perfection de son art.

             Quand on souhaite raisonner en termes d’esprit, ou plus exactement de spirit, alors on s’adresse à Tony Joe White. De tous les grands spécialistes du rock shamanique - on parle ici de Jeffrey Lee Pierce, de Lanegan, de Jimbo ou encore d’Anton Newcombe - Tony Joe White est certainement le plus organique. Quand il traite de la rébellion, cœur battant du mythe rock américain, il balance des lyrics qui sonnent comme des aphorismes, mais pas des aphorismes au sens où on l’entend avec Georges Perros, ou encore La Rochefoucauld, des aphorisme rock - Wear my sunshades even in the night time/ Ride my woman in a Coupe de Ville - Il nous refait le coup du «Sunglasses After Dark» de Dwight Pullen à sa façon, et rajoute sa touche - I might want to rock/ Play the blues all night long/ I’m in this thing for life/ I didn’t come here for just one song - On appelle ça une profession de foi. Avec son pâté de foi, Tony Joe se détache du continent - I won’t put my music in a small bag/ Gotta stay as free as I feel - Il insiste, pour le cas où on aurait la comprenette difficile. Il joue ça rubis sur l’ongle et bien sûr, tu le crois sur parole - Don’t want no one telling me I got to/ I move in my own time/ Play this guitar any way I want to/ Lightnin’ Hopkins was a friend of mine - Et tu as les notes d’acou qui tombent comme un verdict. C’est violemment bon. Tu chantes ça sous la douche tous les matins - Play this guitar any way I want to/ Lightnin’ Hopkins was a friend of mine. 

             Il gratte sa gratte, mais le principal instrument reste sa voix, chaude et lente. Absente et présente, comme si elle couvait sous la cendre. Il faut le voir rendre hommage à une petite poule black dans «Who You Gonna Hoodoo Now» - Coffee skin/ Little bit of cream/ Golden eyes/ With a touch of green/ High cheekbone/ Kinda tall/ You won’t think twice if you think at all - Il en fait un blues d’acou - Had a residence/ Down in Covington - te voilà au cœur du mythe, il t’y ramène à chaque instant, cette musique descriptive t’a passionné ta vie entière, mais elle prend avec lui une résonance encore plus spectaculaire - She would only make love at the break of dawn - Il donne à son story-telling une ampleur fascinante. Ses phrases sonnent comme des oracles, mais il ne prédit rien, il raconte ses histoires de vie. Il parle aussi bien d’amour que le fait Bob Dylan dans «Girl From The North Country» - Took me up so high I can’t look down/ Who you gonna hooooodoooooo now ? - Dans le couplet suivant, il retrouve sa trace à Saint Francisville - A little rehabilitation to cure your illness - alors il repose la question en frissonnant :  «Who you gonna hoooodooooo now ?». «Who You Gonna Hoodoo Now» figure aussi sur l’album Hoodoo, paru en 2013.

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             Il gratte encore ses poux de cabane avec l’indicible «Rich Woman Blues». Il lance d’une voix de fantôme défoncé son «Got a telephone call this morning/ My baby wrecked her Mercedes Benz», un nuage de vapeur humide s’échappe de sa bouche - I said As long as you’re alright/ Baby/ that’s all that matters - alors il faut le croire. Comme elle est riche et qu’elle a des puits de pétrole au Texas, elle file un peu de blé à Tony Joe qui crève la dalle et qui gratte ses poux, avec toujours le même retour d’accord en mi. Il chante vraiment dans un râle, il exhale son Rich Baby Blues de three-bedroom con-do-mi-nium, il malaxe son mi-nium, il est l’homme qui joue le blues Livin’ one step from the street. Chaque note et chaque syllabe jouent un rôle précis. Il reste dans l’extrême pureté du blues de cabane branlante avec «Raining On My Life» qu’il ouvrage à coups d’harp  dans l’humidité du swamp - And the rain was softly falling/ Falling softly on my life - Il y va doucement, au softly on my life, et te sort au passage une sorte du dicton vermoulu du bayou - But you know it’s a bad situation/ When you’re not allowed to speak your mind - Il passe sans transition au heavy groove avec «Ice Cream Man», il fonce dans le shoot de gun runner, il devient le temps d’un cut le roi du groove, accompagné par des serpents à sonnettes, il enfonce son pic à glace dans le crâne du mythe.

             Et puis voilà qu’avec «Going Back To Bed», il est tellement défoncé qu’il doit retourner se coucher. Mais ça ne l’empêche pas rester extrêmement descriptif - Dark clouds rolling and/ Little luck has come outta storm/ My baby’s still sleeping/ Keeping my place warm - il avoue qu’il fait un peu trop la fête, et de toute façon, personne ne peut l’obliger à se lever. Quand on s’appelle Tony Joe White, on a le droit de rester au lit avec sa muse. Il prend son «Down By The River» au meilleur souffle possible, à l’haleine rance de fantôme, accompagné par des accords juteux comme des charognes et friendly comme des faux amis. Puis il te claque vite fait un «Wonder Why I Feel So Bad» au wake up this morning, il tape du pied sur le bois spongieux, comme le fit Hooky en son temps. Il travaille son swamp moussu au chant qui n’amasse pas mousse - Lawd I feel so bad - Il envisage toutes les possibilités, comme on le fait tous quand ça va mal - I could reach for the whiskey/ Reach for the pills/ But I’d have to face the morning/ And the cheapness of the thrill - Oui, les petits matins de désaille ne pardonnent pas. Et puis voilà l’un de ses thèmes de prédilection, le story-telling de petite ville américaine, avec «Clovis Green», un homme riche qui cultive le sugar cane - He had spent his life working the land/ Just outside the town of New Orleans - Comme il est vraiment très riche, il envoie sa fille Angelina dans une bonne école privée et pouf, elle tombe en cloque, alors pour Clovis Green et sa tendre épouse, c’est un drame - A child was born in the fall/ But nobody ever mentioned the father/ When all the neighbors came to call/ They would say he looked just like his mother - une simple histoire de fille mère au pays des plantations. Tony Joe White n’a jamais ambitionné autre chose que de raconter des histoires.

    Signé : Cazengler, Tony Joe Ouate

    Tony Joe White. The Beginning. New West 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - Reis with the Devil

    (Part One)

     

             Le Comité des Avenirs s’est réuni. Alignés comme autant de vautours, les membres siègent dans une grande salle qui ressemble à s’y méprendre à une salle de tribunal. Ils décident de l’avenir des avenirs et tranchent sur leur viabilité. Ambiance glaciale. Convié à défendre son bout de gras, l’avenir du rock se dresse face à eux, à la barre des témoins, bien décidé à leur tenir tête. L’arbitre des avenirs qui préside prend la parole et lance d’une voix d’outre-tombe :

             — Avenir du rock, jurez-vous de dire toute la vérité, rien que la vérité de votre réalité ?

             — Ooooh yeah ! Everything’s gonna be alright this morning !

             Et le public entonne le bam-bam-bam ba-ba ba-ba bam bam automatique des Shadows Of Knight.

             Le président donne un violent coup de marteau :

             — Cessez immédiatement ce ramshakle ou je fais évacuer la salle !

             Le publie hue le président. L’avenir du rock se joint au public en claquant des mains :

             — Ooh-Ooh ! Ooh-Ooh !

             Puis il attaque au mieux du gut de l’undergut :

             — Please allow me to introduce myself...

             Et le public reprend la suite du couplet :

             — Well I’m a man of wealth and taste !

             Les chœurs reprennent de plus belle. Ooh-Ooh ! Ooh-Ooh ! Les assesseurs qui ont eux aussi des marteaux font les percussions nigérianes. Quelle ambiance ! Jamais le Comité des Avenirs n’avait assisté à l’explosion d’un tel enthousiasme. Certains assesseurs se sont levés pour danser le twist avec l’avenir du rock qui secoue des maracas. Ooh-Ooh !

             — Fuck !, fait le président à la fin de cette dégelée de Stonesy, vous êtes toujours dans la course, avenir du rock !

             Torse nu, dégoulinant de sueur et complètement essoufflé, l’avenir du rock rétorque :

             — Tu l’as dit bouffi !

     

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             S’il en est un qui est dans la course, c’est bien John Reis, le légendaire head honcho des Rocket From The Ctypt et boss du prestigieux label Swami Records. Au temps des Rocket, John Reis était déjà tellement dans la course qu’on l’appelait Speedo. Reis with the Devil, oui, la même Race que celles de Gene Vincent et d’Adrian Gurvitz dans Gun. Il s’appelle désormais Swami John Reis. Uncut lui accorde royalement une page, alors qu’il mériterait la couve et un dossier de douze pages pour services rendus à la nation. Mais bon, Swami John Reis reste underground jusqu’au bout des ongles et c’est tant mieux. Il commence par dire à Keith Cameron qu’il se voyait cult hero depuis l’âge de cinq ans, une façon d’élever son prestige underground au rang d’auto-dérision. Cameron profite de l’occasion pour rappeler que Rocket From The Crypt était un groupe unique, «a bar-busting fusion of greaser punk and ‘50s rock’n’roll». Reis indique qu’après avoir flashé sur un trompettiste à la télé, il a appris à l’âge de 5 ans à jouer de la trompette, puis à 12 ans, ses parents lui ont payé une guitare électrique - Je voulais composer des chansons comiques, car j’ai toujours aimé faire rire les gens. Et quand le punk-rock est arrivé, je suis passé du statut de spectateur à celui d’acteur - Il se dit fan d’ELO et de Black Flag, «the guilty pleasures that weren’t so guilty», précise-t-il. Les Rocket vont connaître leur pic de popularité en 1996, avec «On A Rope» - I wanted rock’n’roll to be my passport to the world - Et puis il y a les side projects, Drive Like Jehu et Hot Snakes, dont on va reparler dans un Part Two. Il vient aussi de lancer les Plosivs et complète un prochain album des Hot Snakes.

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             En attendant, voici le nouvel album solo de Swami John Reis, Ride The Wild Night. Il a toujours le même son. Pourquoi voudrait-on qu’il en change ? Il continue d’exploiter sa vieille recette RFTC de chant au raw et de tempo sévère, et c’est extrêmement bienvenu, extrêmement bien soutenu et extrêmement gorgé de bonnes intentions. Il continue de cultiver l’hyper présence du chant, il verrouille bien ses structures, il les cadenasse à l’acier bleu. Rien n’a changé depuis les années 80. On pourrait dire la même chose de Jon Spencer ou encore de Robert Pollard. Chacun défend on bout de gras. La grosse viande est en B avec «I Hate My Neighbours In The Yellow House», il relance sa machine infernale de Speedo man, il redevient génial dès qu’il sort le marteau du pilon, il dégueule bien son yellow house, comme au bon vieux temps, il sait créer des énormités avec un seul riff. Il bascule plus loin dans le génie avec «Rip From The Bone». Il tape ça aux accords des Stooges. Résurgence du San Diego power, il n’a rien perdu de sa fabuleuse niaque d’antan. «Rip From The Bone» peut réveiller les morts ! Avec «We Broke The News», il se fait pesant et valeureux, il emmène ça au heavy beat de broke the news.

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             En 2015, Swami John Reis & The Blind Snake enregistraient cet album énorme qu’est  Modern Surf Classics. Pourquoi énorme ? Parce que «Hang 11», summum du garage-surf. Wild as fuck ! Violence extrême jouée dans le ventre du riffing. C’est le génie de John Reis. Ça goutte de pus. Rien d’aussi expéditif que cet Hang 11. On pourrait presque parler de révélation divine, mais pour ça il faut s’appeler Bernadette. Autre coup de semonce : «Kooks On The Face», attaqué au wild dérèglement de toutes les cordes, ça joue avec une sauvagerie incroyable, instro génial, gorgé de la barbarie des origines du monde, John Reis te claque ça à tours de bras. Il fait du surf avec «Wet Creek», le claque à la clairette fatidique, ils sont capables de tout, surtout de la pire Surf craze. Ils amènent «Beach Leech» au heavy tatapoum, Reis s’amuse comme un kid, mais le jouer de sax ne s’amuse pas. Sur cet album tout est joué à la big energy, vite embarqué sous le chapeau du turban, ils jouent jusqu’à plus soif, dans la meilleure tradition californienne. Tout est poussé dans les retranchements. Avec Reis il faut s’attendre à tout, surtout à de la grande envergure. Encore un fabuleux festin de son avec «Dry Suit» et ses accords en biseau. Ces mecs jouent comme des dieux, alors c’est la fête au village. On voit rarement des albums aussi jouissifs. Quelle énergie ! On s’en souviendra ! Ils lancent des clameurs extraordinaire dans «Zulu As Kono». Reis envoie toujours ses cuivres en renfort. On note partout une incroyable pureté d’intention. Cet album pourrait bien être l’un des meilleurs albums de la modernité. Ce démon de Reis croise dans le lagon du rock comme un requin en maraude. Il va te choper, tu peux en être sûr. Il est le requin le plus intelligent de l’océan. Il finira bien par t’avoir.

    Signé : Cazengler, John Rance

    Swami John Reis. Ride The Wild Night. Swami Records 2022

    Swami John Reis & The Blind Snake. Modern Surf Classics. Swami Records 2015

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    Keith Cameron. Swami John Reis goes it alone. Mojo # 343 -

     

     

    Inside the goldmine

    - Ward scenes inside the goldmine

     

             Anouchka ? On lui aurait donné le bon dieu sans confession. Embauchée comme assistante comptable intérimaire en remplacement d’une petite gazelle partie en congé de maternité, Anouchka se présenta un beau matin avec ses cheveux gris taillés court et sa poitrine exubérante. Qui aurait pu croire qu’avec elle, le loup entrait dans la bergerie ? Le seul indice était son regard fuyant, protégé par des lunettes à grosses montures noires. Elle fit copain copain très vite avec tout le monde, y compris avec Ernesto qui venait chaque matin faire le ménage avant l’ouverture, elle s’arrangeait pour arriver plus tôt et boire un café avec lui. Elle commença par imiter les signatures pour émettre des chèques et prit très vite l’initiative de passer des commandes de fournitures. Elle agissait finement, car elle ne cachait rien de ses actes. Elle savait pertinemment qu’on fermerait les yeux. C’est ce qu’on appelle une faille. Et les gens comme elle commencent toujours par chercher la faille pour s’y engouffrer. Anouchka prit bientôt l’initiative d’organiser des repas avec certains clients, disons les plus petits, elle n’avait pas accès aux gros qui payaient pour du conseil, elle se contentait de ceux qui cherchaient une forme de notoriété en travaillant avec nous. Elle se mettait en bout de table et pour faire rire tout le monde, elle faisait la boss, celle qui dirige les débats, et comme elle suivait les devis en cours, elle était au courant du moindre détail. Elle allait même jusqu’à proposer des remises sur certaines tranches d’opérations et bien sûr, on continuait de fermer les yeux, même si elle mordait ostensiblement le trait. Quand on a réalisé qu’elle testait nos limites, il était trop tard. Alliée avec un autre intérimaire, elle réussit à établir une sorte de pouvoir parallèle, non seulement elle gérait les bulletins de salaire, mais elle captait aussi les appels entrants, devenant au plan commercial la principale interlocutrice. Prétextant une charge de travail excessive, elle embaucha d’autres intérimaires, des femmes de sa connaissance, et commença à piéger méthodiquement les salariés en poste. Elle les virait pour faute lourde, sans indemnités. Trois mois plus tard, elle dirigeait l’agence et faisait construire un deuxième étage. C’est Ernesto qui la trouva un matin, pendue à l’une des poutres de l’atelier. Il s’agissait apparemment d’un suicide, et donc il n’y eut pas d’enquête. 

     

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             Si cette ganache d’Anouchka avait suivi la voie d’Anita, elle aurait sans doute vécu plus longtemps. Anita Ward est considérée comme une Diskö Queen, mais elle fait aussi partie de celles qui interprètent les hits de Sam Dees, et donc, c’est à ce titre qu’elle éveille véritablement l’attention. De là à aller écouter ses trois albums, il y un pas qu’on franchit avec allégresse. En prime, Anita Ward est une très jolie femme.

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             Son premier album s’appelle Sweet Surrender et date de 1979. Quand on aime la bonne diskö, on se régale de «Don’t Drop My Love». Elle chante très pointu. Mais c’est en B que se joue le destin de cet album, dès «Forever Green». Elle y jette tout son poids d’Anita, c’est une merveille, Anita s’y révèle superbe de petite grandeur, elle chante comme une petite souris magique. Elle recharge merveilleusement bien sa barque avec «I Go Crazy». Elle reprend sa petite voix charnue de petite souris. Elle est fabuleuse de présence intrinsèque avec «Forever Love You», elle est follement amoureuse, you got me jumping all the time !  

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             C’est sur Songs Of Love paru la même année qu’on trouve le «Spoiled By Your Love» de Sam Dees. Elle le feule comme une petite délinquante de satin jaune. Avec «Make Believe Lovers», elle fait de la diskö des jours heureux. Côté feeling et beauté du geste, elle n’est pas loin d’Esther Phillips. La belle Anita chante d’une voix très pure, un vrai filet translucide et comme le montre «If I Could Feel That Old Feeling Again», elle peut aller chanter all over the rainbow. C’est en B qu’on trouve son fameux hit diskö, «Ring My Bell». Elle en fera son fonds de commerce. Mais elle restera aussi une fantastique Soul Sisterette. 

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             Paru en 1990, Wherever There’s Love est l’album de trop, celui qui va laisser un mauvais souvenir le belle Anita. Dans la vie comme dans le business, une belle gueule ne suffit pas. Il faut autre chose. Un troisième bon album eût été bienvenu, mais elle y fait du diskö synthé au petit sucre, alors ça reste coincé en travers de la gorge. Elle titille bien la persistance de «Someone Like You» au petit sucre de charme, mais ça s’arrête là. On a envie de lui dire : «Bas les pattes». Elle sucre pourtant son «Ring My Bell» divinement, hélas, ça ne marche que dans le feu de l’action, dans ces vieilles discothèques où les femmes étaient belles et faciles.

                                          Signé : Cazengler, Ani gros tas.

    Anita Ward. Sweet Surrender. Juana 1979   

    Anita Ward. Songs Of Love. Juana 1979 

    Anita Ward. Wherever There’s Love. Phillips 1990

     

    *

    J’ai d’abord cru que c’était le nom du groupe, mais non c’était le titre de l’album, un peu étrange tout de même d’associer les noms de deux des groupes des plus emblématiques des early-seventies, certes il manque à chaque fois la moitié de l’appellation officielle, mais enfin à l’époque (et encore maintenant) on abrégeait King Crimson en Crimson et les Rolling Stones en Stones. Bref, me fallait aller voir.

    CRIMSON & STONE

    VERMILION WHISKEY

    ( LP Vinyl / Mai 2023)

    Vermilion Whiskey, je ne pense pas qu’ils tintent leur whisky avec de la grenadine, plutôt avec du sang d’alligator puisqu’ils se définissent comme un Hard Rocking Band from South Louisiana. Pas très loin de chez eux coule la Vermilion River, qui roule des eaux noires et puissantes comme leur rock’n’roll. Whisky ou Whiskey, toute une histoire étymologique… au final le dernier terme désignerait le whisky américain, s’en foutent un peu, eux ils consomment du Jack Daniels.  Déjà deux albums à leur actif : 10 South ( 2013 ) et Spirit of Tradition ( 2017).  

    Suis allé voir l’instagram de Steven Yoyadam, il a produit des dizaines de pochettes pour des groupes de stoner. A mon grand étonnement son personnage de vieillard à barbe blanche apparaît sur plusieurs pochettes récentes d’autres groupes. Parfois la barbe est teinte en rousse. Sans aucun doute une inspiration du personnage du Seigneur des Anneaux, Saruman, le sage qui pactisera avec Sauron. Faut-il y lire une métaphore du rock’n’roll dans la tête de Steven Yoyada ? Reconnaissons qu’il possède aussi une vaste gamme de motifs complètement différents.

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    Thaddeus Riordan : lyrics, lead vocal, guitar / Ross Brown : lead guitar / Jason Decou : bass, vocals. / Ne donnent pas le nom du batteur, en ont usé plusieurs au cours de l’enregistrement.

    M’étais demandé si Crimson & Stone était une allusion à la pierre rouge alchimique, ne donnent pas dans ces plans ésotériques, crimson (sans doute en relation avec Vermilion ) pour décrire l’aspect éruptif de leur rock’n’roll, et stone pour la touche stoner qu’ils ont ajoutée sur ce troisième album.

    Crimson intro : une intro à la Monsieur loyal américain, musique panoramique style entrée des gladiateurs dans l’arène du Colisée, déjà se profile le premier riff de Down on you : l’on comprend tout de suite que l’on n’est pas là pour couper les cordes de guitare dans le sens de la minceur, tout de suite dans l’océan du riff, et vous nagez pour survivre dans le ballet des orques affamés qui s’en viennent par-dessous vous mordiller les parties intimes, heureusement Thaddeus vous lance la bouée de sauvetage de son vocal, très réconfortant, tout compte fait vous vous sentez comme un poisson dans l’eau, certes ils n’inventent pas la poudre mais qu’est-ce qu’ils savent s’en servir, plutôt frégate d’attaque que pédalo de plage. The get down : Vous vous attendez au meilleur, ils vous le servent sur un plateau, un régal, tout est merveilleusement au point, Ross Brown n’est pas rosse, vous laisse pas marron, l’a une manière de vous refiler juste le riff que vous attendez et tout de suite après celui auquel vous n’avez pas pensé, et enfin celui auquel vous n’avez jamais espéré pouvoir imaginer, le vocal qui fait le pont de Tancarvile, une cow bell qui remue la queue, vous vous dites que vous êtes en train d’écouter une symphonie riffique inédite. Confidence : choix cornélien, vaut-il mieux écouter la piste toute seule ou regarder la vidéo, le mieux est de faire les deux, ce n’est pas que la vidéo soit follement originale mais elle est efficace, donne une idée de la puissance du groupe, Thaddeus tout devant, ses longs cheveux de jarl à la proue de son drakkar viking,  fonçant sur l’ennemi et ses hommes derrière lourdement armés, sans les images vous imaginez les catapultes d’une armée romaine en pleine action, à part qu’ils ne lancent pas des pierres mais une avalanche de riffs à la fois massif et tranchants, vous avez les murailles qui s’écroulent et les défenseurs coupés en tranches saignantes. Good lovin’ : N'oubliez pas le guide après la visite, nous avons beaucoup mis l’accent sur les guitares faisant preuve d’une grave injustice, l’est vrai que les gaziers   savent glisser des mains expertes dans le dentier de leur cordier et la batterie si joliment présente qu’on ne la remarque pas alors que comme Atlas qui soutenait la voûte du ciel  elle porte le groupe sur ses épaules, sans elle, privé de colonne vertébrale le groupe serait un peu paraplégique, mais Thaddeus chante si naturellement de sa voix de stentor qu’il n’a nul besoin de crier pour se faire entendre, vous pose des mots pleins de sève et de jus, règle ses comptes avec la vie sans chichi. Pas le genre de gars qui laisse les copines et les amis marcher sur les pieds de sa liberté, l’est si convaincant que vous ne pouvez que lui donner raison. Stone interlude : attention Face B, instrumental, le vent du désert, les guitares tristes, la basse qui avance à pas de fennec, un calme toutefois impitoyable, une voix off nous prédit-elle des jours malheureux, toujours est-il que le groupe se met en formation de guerre, des riffs aussi longs que des sarisses macédoniennes, l’on ne sait jamais. Dissonance : l’on avance prudemment, musique en mineur, le vocal davantage introspectif, l’ennemi est au-dedans de soi, la mort nous habite autant que la vie, c’est ainsi, il faut faire avec, est-ce à cause de cet état de fait que la basse prend tant d’ampleur, une lueur noire qui s’étend sur le monde et le monde s’accélère, la phalange presse le pas, en vain peut-être, n’est-on pas déjà habité par le spectre de la défaite intime, la batterie roule comme des larmes froides et coupantes, nous entrons dans un monde de ténèbres, de plus en plus denses, de plus en plus opaques. Un voile noir nous recouvre, les toms pétaradent pour lancer  Atrophy : retour de l’élan vital, le groupe se refait une santé, mais Thaddeus est malade, il est au fond du trou, il ne chante pas le blues, il demande de l’aide, il crie son désespoir, les guitares serrent les rangs et se regroupent en faisceau, au fond du trou peut-être mais avec l’énergie du désespoir, Antée ne reprend-t-il pas de la force chaque fois qu’il touche la terre noire, n’empêche que les eaux basses crépusculaire recouvrent le champ de bataille.  Hollow : splendeur funéraire, glacis de riffs, l’on ne tombe jamais plus bas que soi-même, c’est lorsque l’on est le dos au mur que l’on doit se battre contre soi-même, Thaddeus est au bout, le chant se charge de désarroi mais aussi de colère et d’envie de vivre, la cognée battériale abat les derniers arbres de l’espérance vaine, nous sommes au cœur de la tragédie, au fond du marasme existentiel, fin grandiose, sans concession, un jingle publicitaire vient vous sauver la mise. Essayez de le croire !

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             Pour une fois un disque qui finit mal, sans concession. Face A : tonitruance victorieuse. Face B : plus humiliante que la défaite, la débâcle ! Le désert de l’âme a blackboulé la luxuriance cramoisie de la vie. Méchante limonade mais excellent Vermilion Whiskey. Une saveur âpre que l’on n’oublie pas ! Hep garçon, remettez-moi ça, non laissez la bouteille sur la table.

    Damie Chad.

     

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    Tiens, on trouve de tout dans les boîtes à livres, je n’aime guère le reggae, faute de grives on mange des merles, je prends. En rentrant chez moi, c’est au détour d’un coup d’œil sur la banquette passager de la voiture où j’ai jeté la revue sur laquelle se prélassent les chiens que j’ai un coup au cœur, waahhh ! les gars ne sont pas sectaires, un article sur les films des rockers, mon devoir de rocker est de visionner cet ovni.

    NATTY DREAD

    ( N° 9 / Oct - Nov 2001 )

                    Jamais entendu parler de cette revue. Quelques recherches plus tard je sais qu’elle a été fondée en 1995 par des fans, qu’après 2000 elle subit une grande transformation, elle colle de plus près à l’actualité des parutions. L’est devenue un organe mi-officiel des milieux du métier.

             Sizzla est en couverture, enchanté d’apprendre qu’il existe, je lis la vaste interview qu’il consent à accorder au petit blanc de journaliste. Sizzla n’a pas la langue dans sa poche et des idées arrêtées. Il est noir, il n’aime pas les blancs. Il le dit dans ses textes. Partage le rêve de Marcus Garvey, le retour en Afrique. N’a qu’une chose à demander aux blancs, qu’ils filent des bateaux pour retraverser l’Atlantique dans le bon sens. N’a pas l’air de se demander comment ils vont être accueillis par les autochtones… Qu’il ait envie de quitter son île n’est pas étonnant, suffit de lire quelques lignes pour s’apercevoir que Kingston n’est pas un havre de paix, politique, clans, maffias, violence endémique…

             J’ai fait comme Alexandre Dumas, j’ai joué à vingt ans après, Sizzla a enregistré plus de cinquante disques, s’est fait remarquer en tenant des propos homophobes dont la conséquence aura été l’annulation de nombreux concerts en Europe. Il est revenu sur ses propos anti-gays. La notice wikipédia ne nous apprend rien sur ses propos politiques…  

             Quelques news, je repère la chro de La vie en Spirale d’Abassa Ndione parue dans Série Noire. Trafic de cannabis, corruption et superstitions… Rééditions ( lucratives ) de Bob Marley. Un article sur Penthouse Records. Je ne m’attarde pas sur l’interview de Style Scott ni sur celui de Ras Michael. Ce n’est pas qu’ils soient inintéressants, au contraire, mais je veux tout savoir sur les films (je suppose préférés) des rockers.

    C’est là que je m’aperçois du gouffre géant de mon inculture. La chronique Rockers n’aligne pas un mot sur les  rockers (j’avoue que ça m’étonnait) c’est le titre d’un film, tourné avant The Harder they come ( j’ai entendu parler ). Le papier donne la parole à Leroy Horsemouth Wallace, il tient le premier rôle de cette pellicule. Un docu-fiction, à l’écouter parler on a envie de voir le film. Vous êtes plongé dans un chaudron magique : fric-musique-politique, vous en apprenez en cinq pages sur les dessous et le dessus de Kingston et le reggae que tout ce que vous ont raconté les fans de cette musique que vous avez croisés durant votre vie. Horsemouth en rigole encore, pourtant les jalousies qu’ont suscitées la sortie du film ont à l’époque salement ralenti sa carrière. Depuis c’est devenu un film culte… Maintenant je n’ai pas compris le sens que l’on doit donner en Jamaïque au mot rockers.

    Après la chronique des sorties de disques, trois pages sur un petit jeune (dix ans de métier) qui monte, je ne suis pas Alexandre Dumas pas trouvé grand-chose à son sujet, le peu que j’ai vu n’incite pas à une joie débordante, lui qui déclarait voici vingt ans qu’il ne recherchait surtout pas la notoriété, a l’air de s’être trouvé la niche du beau mec qui vous roucoule des paroles de paix, d’harmonie, d’amour et de tranquillité… Tout fout le camp, même le reggae…

    En tout cas cette revue semblait bien faite, suivait les stars montantes sans jamais perdre de vue les racines…

    Damie Chad.

     

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    ‘’Durant tout le séjour, je trouve Gene reposé, détendu, jamais alcoolisé. Il nous présente à sa famille, ses parents Louise et Kie, ses jeunes sœurs Tina et Donna. A l'époque, Donna enregistre chez Dunhill sous le nom de Piper Grant.’’ Ces paroles sont extraites d’un texte de George Collange relatant le séjour de trois semaines qu’il fit à Los Angeles en été 1969 auprès de Gene Vincent. De nombreuses photos illustrent cette visite, l’une d’elles se retrouve par exemple sur une réédition de Be Bop A Lula sur un single français. Je n’avais jamais entendu parler de Donna en tant que chanteuse. J’ai voulu en savoir plus.

    CRAZY MIXED-UP GIRL

    PIPER GRANT

    ( Dunhill Records / D 4201 / Juillet 1969)

    J’ai trouvé. Je ne crie pas victoire. Ce n’est pas un véritable disque, un test-pressing. Not for sale, comme disent les ricains. Il semble toutefois, sans que je puisse l’affirmer que le microsillon ait été sorti et distribué. Vraisemblablement une démo destinée à des chanteur ou des producteurs qui cherchent de nouveaux morceaux à enregistrer. Est-ce Donna sur la couve, je ne suis pas assez physionomiste pour me prononcer avec ces bottes (faites pour poser) elle n’est pas sans évoquer Nancy Sinatra. J’ai bien peur que la carrière de Donna ne se soit arrêtée-là…

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    N'empêche qu’elle est bien entourée (sur la jaquète) Jimmy Webb et Bones Howe. Le premier est l’immortel compositeur de Mc Arthur Park, créée en 1968 par Richard Harris, By the time I get to Phoenix créée par Johnny Rivers reprise par Glen Campbell qui interpréta aussi en premier Witchita Lineman. Tout le monde (pas moi) a repris des morceaux de Webb ( un vrai Webbmaster ) je n’en citerai qu’un Elvis Presley. Crazy Mixed-up Girl a été interprétée une bonne dizaine de fois notamment par Thelma Houston et par Dusty Springfield pour le plus grand plaisir de notre Cat Zengler.

    Le lecteur ne manquera pas de retrouver le Cat Zenler en compagnie de Glen Campbell dans notre livraison 337 du 31 / 08 / 2017 et en compagnie de Jimmy Webb dans nos livraisons 398 ET 400 du 20 / 12 / 2019 et du 10/ 01 2020.

    Bones Howe moins célèbre que Jimmy Webb, est un homme de l’ombre tapi derrière sa console d’enregistrement, s’est spécialisé dans la pop sucrée, attention, a été chargé du mixage des enregistrements d’Elvis et de Jerry Lee Lewis en 1956. Sera aussi derrière Johnny Rivers, Frank Sinatra et The Mamas & the Papas. L’est vrai qu’à l’époque il y avait du beau monde derrière les micros des studios.

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    Crazy mixed-up girl : Reste à écouter : une voix pas désagréable, un peu trop bridée dans ses envolées c’est joli, printanier, mignon tout plein, des musicos qui batifolent, un peu symphonie du pauvre mais rien de navrant. Gagne à être réécouté à plusieurs reprises. I wouldn’t change a thing : Pas été capable de trouver et donc d’écouter cette face B composée par Lanny Duncan, songwriter qui enregistra une poignée de simples entre 1960 et 1965. Une jolie chansonnette d’amour éternel, parfaite pour les duos, que l’on retrouve dans Camp Rock téléfilm diffusé un peu partout autour du monde par Disney Channel… Très grand public…

    C’était ma modeste contribution around Gene Vincent…

    Damie Chad.

     

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    Dans notre livraison 538 du 20 / 01 / 2022 nous chroniquions le tome I du roman de François Richard VIE, un livre mystérieux d’une écriture électrique. Si à la fin de ce premier volet nommé L’Aquastation de nombreuses questions obsédaient notre esprit quant au sens de cette Odyssée l’on était certain d’être en face d’un ovni littéraire de portée historiale. Nous nous sommes donc précipités sur le deuxième volume du pentaptyque qui vient de sortir. A work in progress comme disait Joyce.

     V  I  E

    Livre second : ÿcra percer à nuit le monde

    FRANCOIS RICHARD

                                                 ( Le Grand Souffle / Mai 2023 )      

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    Le roman ne commence pas au début. Mais dans le tome 1, normal puisqu’il en est la suite. Oui, mais il faut savoir faire la différence entre le début et l’origine. Le roman ne commence pas, il procède de son origine. Elle vous est révélée, elle porte un nom : Ribardy. Jamais on ne vous explique ce que c’est. C’est au lecteur de comprendre que ce qui est important ce n’est pas ce qui s’est passé à Ribardy mais que l’on vient de Ribardy, que l’on est sorti de Ribardy, que l’on est toujours en partance de Ribardy. Ribardy fait figure de Paradis, on n’en a peut-être pas été chassé, mais l’on est en éloignement constant de Ribardy. Même si l’on reste immobile.

    Il y a deux manières de rester immobile. La première est de s’arrêter en un lieu quelconque. Par exemple sur la Place Saint Michel à Paris. L’autre manière est de marcher toujours, sans jamais s’arrêter, mais de tourner en rond, de fait on circonscrit un lieu. René-Hans se charge de cette circonvolution infinie, en gros il marche le long de ce que l’on appelait la petite ceinture parisienne. Il chemine sur les traverses du chemin de fer entre les deux rails parallèles.

    Entre ceux qui se sont arrêtés, qui ont monté une espèce de village de toiles, de camping phantasmatique, de camps de réfugiés, et celui qui marche, la différence n’est pas bien grande, les uns sont au centre du lieu et l’autre marche sur le bord. De toutes les manières le centre et le bord ne sont-ils pas la même chose, le bord de l’univers n’est-il pas encore l’univers. Une fois que vous avez trouvé le lieu il reste encore à en calculer la formule.

    Bien sûr vous ne possédez ni calculatrice, ni sextant, ni appareil quelconque de mesures, vous ne pouvez compter que sur vous, pour faire bref vous ne pouvez compter que sur votre tête. En dehors de marcher que peut faire René-Hans, regarder ce qu’il voit, et puis surtout penser dans sa tête. A repasser infiniment par le même chemin, les décors perdent tout attrait, mieux vaut s’enfermer dans sa tête, c’est alors que des étincelles de souvenirs éclosent dans votre tête, des traces, des vestiges du passé sur lesquels vous revenez infiniment, des moments du passé qui reviennent toujours, qui plongent dans la présence de votre passé, puisque votre passé, si furtif soit-il, revient toujours, si peu d’importance que vous finissiez par lui accorder, vous finissez par parcourir ces mêmes chemins qui ne sont que vous, où que vous alliez, et même si vous vous arrêtez, vous n’allez jamais plus loin que vous-même, à tout moment vous renaissez de vous-même, pourquoi croyez-vous que René-Hans se prénomme René. Parce qu’il est né une nouvelle fois, parce qu’il naît encor et encore de lui-même.

    Cette partie du roman qui vous entraîne dans sa ronde infernale, grosso modo les cinquante premières pages, n’est en rien monotone. Vous assistez à une sempiternelle éclosion. C’est la source qui sourd, l’origine qui s’originise dans une espèce d’éternel printemps, vous n’êtes plus en Ribardy mais le fait d’en être en partance de Ribardy ne vous y ramène-t-il pas en quelque sorte.

    Et pourtant vous n’y êtes plus. Si Ribardy est un lieu, et si vous vous tenez loin dans un autre lieu que Ribardy, vous commencez à poser l’équation différentielle dans le bon ordre. Il ne vous reste plus qu’à résoudre cette contradiction qui consiste à être et à n’être pas dans un même lieu. Moins par plus, égale moins. Être par non-Être égale non-Être. Donc vous êtes égal à zéro. Vous êtes mort. La formule est sans appel. Et en plus il vous reste le lieu. Ne dit-on pas que quand on est mort on va au paradis ?

    Cher lecteur pas de panique. Les cent pages suivantes sont époustouflantes. Une fois mort vous retrouvez tous les morts qui sont morts, ou qui sont partis de Ribardy, puisque vous ne pouvez être plus loin de Ribazdy qu’une fois mort, puisque vous étiez vivant lorsque vous en êtes sorti. Vous en êtes au plus loin et en même temps vous en êtes au plus près, puisqu’il suffit d’en sortir, de faire un seul pas, pour être mort.

    Oui ÿcra percer à nuit le monde est un roman métaphysique. Dans les cent pages qui suivent les morts s’occupent comme les vivants, d’eux-mêmes et aussi des autres. Ils se rencontrent, ils échangent, ils apportent des nouvelles, des tensions, l’on a du mal à savoir ce qu’il en résultera, mais l’on se dit qu’ils n’ont rien perdu au change, la face des morts est aussi obscure et mystérieuse que leur face vivante, car l’être est ainsi tantôt vivant tantôt mort mais jamais éboulé dans le néant. Les pages se tournent à toute vitesse, on les dévore, on veut savoir, toute certitude est incertaine, l’on scrute le moindre détail, la même indication, on essaie d’identifier et de lire les signes.

    D’ailleurs les livres sont faits pour être lus. Tout comme le passage de la vie à la mort peut être considéré comme une transsubstantiation, il en est de même de la pensée. Il est des balises dans le livre qui vous y invitent. Des mots connus qui flamboient comme des phares, j’en cite quelques uns, pas obligatoirement ceux que l’on attendrait, Esope, Eluard, Virgile, Poe, Keats peut-être, des noms de poëtes, ils ne sont pas jetés au hasard, le lieu du roman se déplace sur les bords de la poésie. Une écriture au plus près de la poésie, qui raconte une histoire palpitante qui donne à réfléchir, qui donne à penser mais cela ne suffit pas, le roman doit changer de lieu, se jeter dans l’estuaire de la poésie comme en bout de course la source s’est transformée en fleuve, l’on a descendu ses méandres torrentueux et ses coulées torrentielles, puis le fleuve je jette dans la mer, dans l’océan de la poésie. Une écriture qui se veut au plus près du Dire.

    Avec en prime cette question : quelle est la langue de la poésie. Elle ne peut-être que celle de la poésie, mais ne serait-ce pas celle de la poésie française, à savoir pas tellement les mots, mais les aventures poétiques dont ils procèdent. Cette question est évoquée, la réponse est laissée en suspens, elle touche à quelque chose de si fondamental, faut un certain courage pour poser cette interrogation, elle touche à l’infiniment poétique, à l’infiniment politique et babellique, car elle propose, elle ne proprose que deux réponses, celle de Dieu ou celle des Dieux. Question politique, elle apparaît en de brefs moments sous forme d’une institution nommée la Hanse que l’on pressent coercitive, ce vocable ne signifie-t-il pas aussi bien troupe de soldats qu’association de marchands… Toute similitude avec des synchronicités de notre temps ne saurait être des hasards indépendants de toute volonté.

    Rendons à César ce qui est à la prose. Les vingt dernières pages ouvrent le passage. On le pressentait. René-Hans, rappelons que Hans signifie miséeicorde de Dieu, rencontre des êtres de plus en plus immatérialisés. Sont-ce les anges rilkéens sur les franges de l’Ouvert. Il est trop tôt pour le dire. Ils hésitent encore. Quand l’homme n’est plus vivant, quand il n’est plus mort, il ne lui reste qu’à revêtir les vêtements du divin. Pour le moment nous sommes dans l’expectative, se revêtira-t-il des sombres soutanes de la religion, la prose abandonnera-telle l’orbe de la poésie, ou au contraire franchira-telle le leurre du seuil. Il nous faut avec impatience attendre le tome 3 pour savoir ce que François Richard nous prépare. Si l’on décrypte le texte avec soin, l’on assiste à une partie de dés mallarméenne. C’est dire l’ampleur du projet Richardien.

    Non ce n’est pas un livre difficile, c’est un livre d’exigence intime.

    Un livre qui déjà fait date.

    Damie Chad.

     

     

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    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 28 ( Admiratif  ) :

    166

    Le Président n’y tient plus, il se permet d’interrompre le discours du Chef des Services Secrets du Rock’n’roll, vous conviendrez que ce genre d’apostrophe tumultueuse ne reçoit pas l’agrément de Nadine de Rothschild dans son livre Le Bonheur de Séduire, l’Art de Réussir. Le Savoir-vivre du XXIe Siècle, indispensable ouvrage qui ne quitte pas, nous en sommes persuadés, la table de chevet de nos chers lecteurs :

              _ Allez-vous faire foutre, parce que vous croyez peut-être que nous daignerons vous fournir des explications complémentaires, les voici bande de barbares, elles sont simples : un bon rocker est un rocker mort, alors nous avons décidé de vous supprimer, vous et vos deux chiens !

    Les poils se dressent sur l’échine de Molossa et de Molossito, ce qui contraste avec le sourire mielleux que le conseiller adresse à son Président aimé :

              _ Monsieur le Président, je me permets d’expliciter votre formule un peu trop lapidaire pour la comprenette pas très étendue de nos interlocuteurs, donc Messieurs ce soir nous frappons un grand coup, notre opération porte le nom de code : Saint Barthélémy des Rockers, ce n’est pas vos deux misérables personnes et vos deux clébards puants que nous supprimons, mais tous les rockers du pays, d’un seul coup, alors qu’est-ce que vous en dites grand Chef d’un peuple appelé à disparaître à minuit tapante !

    Le Chef allume un nouvel Coronado, Molossa et Molossito m’interrogent du regard, veulent-ils dévorer le Président ?

             _ Agent Chad cessez de caresser votre Rafalos dans votre poche, l’heure est grave, mais il me semble que nos deux perdreaux de l’année – le Président et son conseiller blêmissent sous l’outrage, au contraire de René de Chateaubriand ont-ils l’intuition qu’un orage non désiré est prêt à se lever – n’ont pas pensé à tout, quant à vous Messieurs je vous remercie de vos confirmations, figurez-vous que depuis le commencement de cette affaire j’ai toujours soupçonné, l’agent Chad pourra témoigner, que c’était l’avenir du rock ‘n’roll en son entier qui était en jeu

              _ Chef quoi qu’il nous arrive je l’ai noté à plusieurs reprises dans les immortelles tables de granit que sont les pages sublimes de mes Mémoires d’un Génie Supérieur de l’Humanité. Je suis sûr qu’elles survivront des siècles et des siècles, qu’elles ensemenceront l’imagination des futurs lecteurs et que le rock’n’roll, tel le Phénix, renaîtra de ses cendres.

    Le Président me lance un sourire méprisant, je ne luis réponds pas mais je n’en pense pas moins, j’irai même jusqu’à dire que j’en pense plus. Le Chef rallume un Coronado :

               _ Agent Chad, ce n’est pas que je doute de la survie littéraire de votre chef-d’œuvre impérissable mais je pense que celui-ci ne nous sera dans la situation présente que peu nécessaire, nos deux amis ont oublié un petit détail dans leur plan machiavélique, c’est dommage, nous le regrettons, toutefois il est sûr que sur cette planète, à part les membres du Service Secret du Rock’n’roll, nul n’est parfait.

    Le conseiller reprend la parole :

               _ Messieurs taisez-vous maintenant, notre Président a à s’occuper de plus vastes projets que vos misérables personnes, toutefois même si vous nous trouvez un peu cruels à votre égard, nous n’en sommes point hommes pour autant, nous resterons avec vous jusqu’à minuit, non ne nous remerciez pas, c’est juste pour le plaisir de vous voir mourir devant nous à minuit tapante ! Vous ne pourriez pas nous faire une plus grande joie. Il ne vous reste que quelques heures à vivre, nous ne voulons plus vous entendre. Normalement on laisse une dernière cigarette aux condamnés à mort, nous ne sommes pas chiches, nous ne mégoterons pas, Grand Chef sioux déplumé vous avez le temps de fumer une ribambelle de Coronados, et vous l’agent Chad de rajouter un épilogue à vos mémoires dont nous nous torcherons le cul avec plaisir !

    167

    Les heures s’écoulent lentement. Nos deux bourreaux savourent leur triomphe. Le Chef imperturbable fume Coronado sur Coronado. A chaque fois il ferme les yeux comme si c’était le dernier. Je ne tiens pas écrire le mot fin à mes mémoires, j’ai pris Molossa et Molossito sur mes genoux et les caresse doucement. Sous mes mains je sens leurs muscles bandés, les braves bêtes ont compris la situation, ils sont prêts à intervenir à la moindre erreur de nos adversaires.

    Huit heures…

    Neuf heures…

    Dix heures…

    Onze heures…

    Onze heures et quart…

    Onze heure et demie…

    Minuit moins le quart…

    Minuit moins cinq… L’oreille droite de Molossa frémit, Molossito jette un regard sur sa mère adoptive qui d’un coup de langue rapide lui lèche le museau.

    168

    Ai-je bien entendu, trois coups légers à la porte, le Chef reste absorbé dans les saveurs de son ultime Coronado. Non, il en allume un autre.

    Toc ! Toc ! Toc !

    Cette fois c’est indéniable, l’on a frappé à la porte, des coups discrets certes, mais des coups de même. Je ne suis pas le seul à avoir entendu, le Président se lève si brutalement que sa chaise tombe, il se tourne vers la porte et vocifère :

    • J’ait dit que je ne voulais pas être dérangé avant minuit, je fais remarquer au paltoquet qui se permet d’enfreindre mes ordres qu’il est minuit moins deux et qu’il ne perd rien pour attendre…

    Sur le palier le pâle toqué doit hésiter, il n’ose pas insister, il ne sait pas, il n’a pas envie d’encourir la colère du Président, mais en bon fonctionnaire il décide qu’il a un message urgent à transmettre, devrait-il être renvoyé il pense que l’intérêt supérieur de la Nation prime sur le sien.

    Toc ! Toc ! Toc !

    Le Conseiller du Président se lève et va ouvrir. Il est minuit moins une… La cage d’escalier est plongée dans le noir. Il ne voit rien.

    • Personne !

    Le Conseiller referme violemment la porte.

    • Monsieur le Président, l’imbécile a enfin compris qu’il ne devait pas insister !
    • Ce n’est plus important, minuit moins vingt secondes c’est à moi d’ouvrir la porte comme convenu – il joint le geste à la parole – messieurs entrez, les condamnés vous attendent, faites-moi plaisir, faites vite…

    Personne ne rentre. Le Chef rallume un Coronado. Molossa et Molossito descendent de mes genoux.

               _ Dépêchez-vous !

    La voix du Président est chargée de colère. D’un geste vif il allume le commutateur du palier et pousse un cri d’horreur. Le Conseiller le rejoint, moi aussi. Le Chef tire une bouffée.

    Le spectacle est hallucinant. Les escaliers sont jonchés de cadavres d’hommes en treillis entassés sur les marches. Je calcule à la vitesse d’un ordinateur – à l’école j’étais le premier en calcul mental – si le président n’a pas menti, trois hommes sur chacune des trente marches de chacun des escaliers des quinze étages, cela fait mille trois cent cinquante membres du GIGN supprimés d’un coup, autant dire que le groupe d’élite n’existe plus, quel gâchis financier. Combien de millions et de temps pour le reconstituer !

    Le Président et son conseiller sont blancs comme ces housses en plastique dans lesquelles on enveloppe les morts. La voix du Chef, péremptoire et agacée s’élève :

             _ Refermez la porte, le courant d’air qu’elle suscite m’empêche de goûter la saveur de mon Coronado, venez vous asseoir avec moi, si j’en crois Molossa et Molossito nous avons une visite, vite, il doit être au moins minuit passé de cinq minutes !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 538: KR'TNT ! 538 : AHMET ERTEGUN / RONNIE SPECTOR / JUKIN' BONE / SHADRACKS / CYCLONE / GOLEM MECANIQUE / FRANCOIS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 538

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    20 / 01 / 2022

     

    AHMET ERTEGUN / RONNIE SPECTOR

    JUKIN' BONE / SHADRACKS / CYCLONE

    GOLEM MECANIQUE / FRANCOIS RICHARD

    ROCKAMBOLESQUES

    Ertegun club - Part One

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    Voici une dizaine d’années paraissait une biographie d’Ahmet Ertegun, le légendaire boss d’Atlantic, un label qui fut avec Elektra l’un des grands labels indépendants de l’histoire du rock américain. Le biographe en question s’appelle Robert Greenfield, un auteur qu’on connaît surtout pour avoir signé deux ouvrages majeurs sur les Stones, Exile On Main Street - A Season In Hell With The Rolling Stones et l’encore plus fameux STP - A Journey Through America With The Rolling Stones, traduit en Français en 1977 et paru aux Humanos dans l’excellentissime collection Speed 17.

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    Profitant du fait qu’Ahmet Ertegun soit né en Turquie, Greenfield a titré sa bio The Last Sultan. Il ne s’est pas cassé la tête. Comme tous les bons titres, le sien relève de l’évidence. Greenfield ne cherche d’ailleurs pas à s’installer au panthéon des écrivains, il sait qu’il ne dispose pas du souffle requis, il se contente de construire sa bio comme un gros millefeuilles de 400 pages, en collectant ici et là, comme le ferait un journaliste, des éléments d’information qu’il façonne et polit pour les homogénéiser. Ce book ne peut en aucun cas rivaliser avec le Sam Phillips - The Man Who Invented Rock ‘n’ Roll de Peter Guralnick ou le Respect Yourself - Stax Records And The Soul Explosion de Robert Gordon. L’énergie de Robert Greenfield est plus d’ordre compilatoire que romanesque, dommage, car s’il est un sujet qui se prête au traitement romanesque, au moins autant que Sam Phillips, c’est bien Ahmet Ertegun. Mais l’absence de souffle n’enlève rien à l’efficacité du rythme narratif. Greenfield compense l’absence de style en forçant la marche. Le book s’avale d’un trait, un gros trait, mais d’un trait d’un seul. On ne le lâche pas, même lorsque Greenfield aborde l’aspect ingrat de son personnage qui était d’abord un homme d’affaires, avant d’être ce noctambule hipster que tout le monde décrit, un homme fasciné par les artistes noirs et leur slang. Atlantic n’est pas seulement l’histoire d’une passion pour la musique noire, c’est aussi et surtout un gros business, qui suppose une certaine forme de virtuosité dans l’art de manipuler les très grosses sommes, avec en toile de fond, ce combat permanent pour la survie économique, un combat qui passe par la découverte de nouveaux talents. À l’échelle d’une vie, ça doit finir par devenir éreintant, mais apparemment, Ahmet Ertegun s’en est fort bien accommodé, puisqu’à l’âge de 83 ans, il était encore dans un backstage new-yorkais avec ses amis les Rolling Stones. Il faut souhaiter ce genre de longévité à tous les amateurs de rock.

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    Greenfield commence par citer Ahmet en exergue - Plus je vieillis et plus je réalise à quel point je suis turc. Je cultive les deux principaux vices turcs : l’indolence et l’excès - Ahmet prend très vite forme sous la plume de Greenfield. On entend d’abord sa voix, «the nasal hipster’s voice teintée des inflexions du slang noir des rues et rythmée sur les syncopes de ce jazz qu’il adorait depuis l’enfance. Ahmet savait toujours groover en parlant. Auréolé d’une fumée d’une cigarette et un verre à la main, c’était un conteur né qui pouvait tenir en haleine n’importe quel type audience, grande comme petite.» Son parcours scolaire passe par une école du nom de St. Albans, dans l’État de Washington, un endroit très conservateur où Ahmet s’ennuie : «Il n’y avait ni cowboys, ni Indiens, ni gangsters, no Negroes, nothing. No Jews. Also no sophistication.» Ahmet est le fils de l’Ambassadeur de la Turquie aux États-Unis. En vertu d’une loi turque, son père Mehmet Munir dut changer de nom et il opta pour Ertegun, «erte» signifiant «prochain» et «gun» signifiant «jour», un nom à connotation religieuse : le jour viendra. À 14 ans, Ahmet traîne dans les clubs noirs de New York. Il était même parfois le seul blanc dans la salle - Les noirs étaient gentils avec les blancs car ils en avaient une trouille bleue - Une nuit, il rencontre Sidney Bechet dans une party à Harlem et Bechet lui demande ce qu’il boit, alors Ahmet dit : «Scotch & soda». Bechet lui retire le verre des mains et lui colle un joint dans le bec. C’est son baptême du feu, avec ce qu’il appellera toute sa vie la ‘ma-ree-wanna’. Une amie voit Ahmet rayonner dans les clubs de jazz : «Il aimait la musique et il comprenait les gens. Il avait un don extraordinaire : il pouvait discuter avec les musiciens et avec les ducs.» Il s’habille comme les jazzmen - I need a pair of alligator shoes ! - Ahmet est particulièrement fasciné par Lester Young que Billie Holiday surnomme «The President», Prez pour les intimes, quite possibly the hippest dude who ever lived, l’inventeur d’un slang de jazz («bread» pour le blé, «that’s cool» et «You dig?». Il portait un crushed black porkpie hat et buvait tellement qu’il mourut alcoolique à l’âge de 49 ans. On croise aussi Mezz Mezzrow, aussi hip que Prez, qui fume et qui deale de la ma-ree-wanna, qui joue de la clarinette et qui écrit la bible des hipsters, Really The Blues. On est avec Ahmet dans l’entre-deux mondes, au cœur du mythe, Ahmet est l’hipster par excellence, il est au jazz ce que Duchamp est à l’art, un électron libre fabuleusement affamé. En 1939, George Frazier qui est éditorialiste au Boston Globe rencontre Ahmet dans une small cocktail party à Washington et le qualifie de ‘bizarre’ : «Le peu de cheveux qu’il avait était coiffé avec une raie au milieu et plaqué de chaque côté d’un crâne plutôt plat. Il avait le regard humide et à travers ses verres sans montures, il m’inspirait une certaine compassion. Au dessus de sa lèvre supérieure, une très fine moustache me faisait penser au dessin d’une ligne de chemin de fer sur une carte scolaire.»

    Puis Ahmet entre au St. John’s College d’Annapolis, dans le Maryland. Jac Holzman y séjournera lui aussi un peu plus tard. Jac dit qu’on y apprend le Grec et les maths, «l’algèbre pendant la deuxième année, Cartesian math, et la théorie des parallèles de Nikolai Lobarchevsky pendant la quatrième année. On participait à des débats philosophiques autour des maths. L’idée était de nous initier aux rigueurs de la réflexion sans être rigide. Je pense que les débats socratiques et le principe d’égalité entre les tuteurs et les élèves stimulaient Ahmet.»

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    C’est en 1949 qu’il monte Atlantic avec Herb Abramson. À cette époque, nous dit Greenfield, le music biz indépendant démarrait doucement : Herman Lubinsky avec Savoy Records, Syd Nathan à Cincinnati avec King Records, Art Rupe à Los Angeles avec Specialty Records, Jules, Saul, Joe et Lester Bihari avec Modern Records, Eddie et Leo Mesmer avec Aladdin, les frères Chess à Chicago avec Aristocrat puis Chess Records. C’est l’époque des pionniers. Pourquoi Atlantic ? Parce que les noms auxquels pensait Ahmet était déjà pris, Horizon, Blue Mood - J’avais entendu parler d’un label qui s’appelait Pacific Jazz à l’époque. Aussi, en désespoir de cause, j’ai dit : ‘Look, ils s’appellent Pacific ? Alors on va s’appeler Atlantic !’ - Ahmet démarre donc avec Herb et Myriam Abramson au 234 West 56th Street, au 5e étage. Le soir, quand ils enregistrent, il poussent le bureaux pour faire de la place aux musiciens. Il y a une petite salle de bains où Ray Charles va se shooter. Juste à côté se trouve le fameux Patsy’s restaurant où viennent dîner Sinatra et les gens de la mafia.

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    Et puis il y a les fameuses virées dans le Deep South, à la recherche de nouveaux talents. Ahmet et Herb descendent une première fois dans le Sud en 1949, parce qu’à New York, nous dit Ahmet on ne trouvait pas de funky blues singers. Et là il embraye sur ce qu’il appelle «l’histoire la plus incredible de sa vie». Il marche dans les rues d’un quartier noir d’Atlanta et il tombe soudain sur un aveugle qui chante du gospel, playing incredible slide guitar. Les passants lui donnent la pièce. Ahmet met des billets dans le chapeau et demande à l’aveugle : «Have you ever heard of Blind Willie McTell ?» Et à la grande stupéfaction d’Ahmet, l’aveugle répond : «Man, I am Blind Willie McTell.» Voilà la magie du personnage, l’Ahmet magique. On doit à Blind Willie McTell l’excellent «Statesboro Blues» repris par Taj Mahal sur son premier album et des tas d’autres luminaries, et pour Dylan, Blind Willie McTell signifie the beginning of it all.

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    Ahmet et Herb décident alors de descendre à la Nouvelle Orleans car on leur a parlé d’un «musical magician who played in a style all his own». Ils sont obligés de prendre un ferry jusqu’à Algiers, puis un taxi. Mais aucun chauffeur blanc ne veut les déposer à Algiers - I ain’t going to that nigger town - Alors Ahmet et Herb partent à pieds à travers des champs marécageux et quand ils arrivent au nightclub - rather a shack - Ahmet s’extasie : «Ça ressemblait à un dessin animé qui grandissait et se rétractait to the pulsing beat.» Ils assistent à un show de Professor Longhair, Fez pour les intimes, «playing his own idiosyncratic rhythms on piano against the beat». Incredible ! La sidération d’Ahmet bat tous les records : «Fez was creating these weird, wide harmonies while singing in the open-throated style of the blues shouters of old.» On ne saurait imaginer meilleure description. Ahmet flirte avec le génie descriptif, il fait swinguer sa langue (in the open-throated style/ of the blues shouters of old). Chacune de ses phrases semble sortir un couplet de Cole Porter. Il ajoute que Fez sonnait comme un «cross between Jelly Roll Morton et Jimmy Yancey», qu’il mixait le blues avec le jazz, le ragtime et la musique Cajun. «My God !» dit Ahmet à Herb, «We’ve discovered a primitive genius !». Mais Fez vient de signer avec Mercury. Voyant les deux blancs déçus, Fez dit qu’il a signé sous le de Roeland Byrd et ajoute : «With you I can be Professor Longhair.»

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    Ahmet fréquente les frères Chess. À l’époque, Chess est l’autre grand label indépendant spécialisé dans la musique noire. Quand Ahmet vient visiter les locaux de Chess à Chicago, Leonard lui fait faire le tour du propriétaire. Une gonzesse est à la réception avec une machine à écrire. Puis Leonard lui présente la balayeur, Muddy Waters. «Il bosse à mi-temps pour nettoyer les bureaux», dit Leonard le renard. «Il enregistre aussi des disques.» Quand Ahmet demande où se trouve se service comptable, Leonard le renard s’interloque : «Quel service comptable ?». Pour rassurer Ahmet, il explique que la fille à la réception s’occupe aussi des comptes. Puis Ahmet lui demande de quelle manière il gère les royalties. Leonard le renard s’interloque à nouveau : «Quelles royalties ?». Bon, Ahmet préfère couper court. Il apprendra un peu plus tard de la bouche de Marshall, fils de Phil Chess, que son oncle Leonard avait passé un étrange accord avec Muddy : si ses ventes de disques venaient à chuter, Muddy pouvait venir se faire un billet en s’occupant du jardin de Leonard. Alors Ahmet lui répond qu’il a passé un autre genre d’accord avec Big Joe Turner : si ses ventes d’albums venaient à chuter, alors Ahmet se mettrait à son service comme chauffeur.

    C’est Herb Abramson qui apprend les bases du métier de label boss à Ahmet : les contrats, les séances d’enregistrement, les relations avec les fabricants de disques et la distribution. Et pourtant leur relation va s’arrêter brutalement : Herb est envoyé en Europe pour servir dans l’armée en tant que dentiste.

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    C’est là que Jerry Wexler entre dans la danse et c’est avec lui qu’Ahmet va faire ses prochaines virées de le Deep South. Wexler est très différent d’Ahmet. Wexler est un homme colérique et suspicieux, il surveille tout, principalement les factures, il parle mal au personnel d’Atlantic, met constamment en doute leurs compétences, il s’inquiète pour rien et un rien le met en pétard. Wexler est hanté par la peur de manquer, car il a grandi dans l’extrême pauvreté des quartiers juifs new-yorkais, alors qu’Ahmet est fils d’ambassadeur et qu’il n’a jamais manqué de rien. Malgré toutes ces différences, Ahmet et Wexler fonctionnent comme les deux doigts de la main, the record business equivalent nous dit Greenfield de Mr. Inside and Mr. Outside.

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    Leur premier gros coup, c’est Big Joe Turner. Ahmet le signe en 1951, après l’avoir vu jouer à l’Apollo de Harlem accompagné par le big band de Count Basie. Et pourtant, le show tourne au désastre, car Big Joe et le big band ne jouent pas ensemble. Quand le big band s’arrête, Big Joe joue encore. Le public le hue et Big Joe s’enfuit. Ahmet parvient à le retrouver dans un bas voisin et le console, lui disant qu’il veut faire de lui une big star. Alors Big Joe qui est un vétéran de toutes les guerres lui répond : «Okay if you pay me money.» Ahmet lui propose 500 $ et Big Joe lui répond «Yeah that’s good». Ahmet dit que c’est pour four sides (deux singles) et Big Joe qui appelle Ahmet «Cuz» lui dit «All right Cuz.» Ils vont enregistrer «Shake Rattle And Roll» avec Mickey Baker on guitar, et aux chœurs, Jesse Stone, Ahmet et Wexler. En 1954, «Shake Rattle & Roll» est le premier rock’n’roll single qui se vend à un million d’exemplaires. Avec l’«I Got A Woman» de Ray Charles, Atlantic redéfinit le futur du record business en Amérique. «Shake Rattle & Roll» lance le rock’n’roll et «I Got A Woman» la Soul. Greenfield : «Ce que les deux hits ont en commun, c’est Ahmet et Wexler.» Ils vont ajoute Greenfield devenir the greatest team in the history of the record business.

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    Mais Ahmet et Wexler n’ont pas exactement la même vision des choses. Quand Paul Marshall vient trouver Wexler pour lui proposer la distribution des Beatles en Amérique, Wexler lui répond que ça ne l’intéresse pas. Alors Marshall donne la distribution des Beatles à Vee-Jay. Quand Ahmet l’apprend, il est furieux. Bien sûr Wexler ne parle pas de ça dans son autobio. Il s’en explique ailleurs, disant «qu’il n’y avait pas de blues dans les Beatles» et donc ça ne pouvait pas l’intéresser - That’s why I didn’t care about the Beatles and I did like the Rolling Stones - Aux yeux de Greenfield, la décision de Wexler fait partie des grandes erreurs de l’histoire du record business. Ahmet ne lui pardonnera jamais cette «trahison». Mais ça ne s’arrête pas là. Lors d’un meeting avec Leiber, Stoller, George Goldner et Wexler, Ahmet découvre le pot-aux-roses : Wexler veut racheter Atlantic. Quoi ? Ahmet met fin à la mutinerie en disant : «Il n’y a qu’un seul problème. Atlantic m’appartient.» Aux yeux d’Ahmet, il n’existe rien de pire que la trahison. Quand il découvre que Wexler a ourdi le complot dans son dos, il est furieux. Leur relation de confiance en prend un sacré coup. Pour Ahmet, c’est foutu. Et pourtant, ils vont continuer de bosser ensemble.

    Et pourtant, Ahmet est conscient des limites de ce qu’on appelle the Atlantic sound : «Ce que l’industrie appelle the Atlantic sound fut remplacé par le Motown sound, qui était fabuleux. J’ai tout de suite adoré ça, je ne savais pas comment le reproduire et ça me paniquait. On ne savait pas comment le composer, comment le jouer, comment le chanter. Motown était plus moderne et plus hip que ce qu’on faisait, le public a suivi et c’est devenu la pop music.»

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    ( Phill Spector, Ahmet Ertegun, Sonny and Cher )

    Ahmet s’entend bien avec Phil Spector. Totor voit en Ahmet un mentor et un père de substitution. De son côté Ahmet est subjugué par l’intelligence de Totor : «I’ve never seen anybody like Phil before and I’m sure I won’t see anybody like him again.» Il ajoute ce qu’on sait déjà : «Phil était complètement cinglé, mais charmant, extrêmement intelligent et très talentueux.» Ils passent leurs soirées ensemble dans les clubs à jiver le slang comme Mezz Mezzrow. Ahmet lui offre vite un job chez Atlantic. Mais les autres pontes d’Atlantic ne peuvent pas schmocker Totor qui le leur rend bien. Soit on le traite d’asshole, soit d’insane. L’amitié d’Ahmet et de Totor dure jusqu’en 1961.

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    Ahmet et Wexler bossent aussi avec deux autres génies des early sixties, Leiber & Stoller. Greenfield nous ressert la fameuse anecdote du «There Goes My Baby» des Drifters que Wexler ne supporte pas. Quand il entend cet enregistrement financé par Atlantic, il pique une crise de colère et jette dans le mur son sandwich au thon qui, nous dit Stoller, y reste collé. Par contre, Ahmet trouve l’enregistrement excellent. Il est tellement excellent qu’il grimpe en tête des charts. Greenfield : «Que quatre hommes avec des personnalités aussi fortes puissent s’entendre sur un point relevait du miracle. En 1961, après que Totor soit devenu producteur superstar, Leiber & Stoller demandent à ce qu’on les crédite comme producteurs sur les albums. D’abord outragé par cette requête, Wexler finit par céder.»

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    Nouveau coup de cœur d’Ahmet : the Budffalo Springfield qu’il trouve «very special in so many ways» : ils écrivent des chansons qui ne ressemblent à rien de ce qui existe, ils ont trois lead singers qui sont aussi des grands guitaristes, Neil Young, Stephen Stills et Richie Furray - Je veux dire qu’un groupe a de la chance quand il arrive à avoir ne serait-ce qu’un seul bon chanteur et un seul bon guitariste - Aux yeux d’Ahmet, Buffalo Springfield est l’un des «greatest rock’n’roll bands I’ve heard in my life». Et pourtant, Stills et Young n’avaient rien en commun. Stills était encore plus déterminé et ambitieux que Neil Young. Selon Neil Young, «Stills crevait d’envie d’aller à Londres traîner avec les Beatles aussitôt que possible.» Le Buffalo commence à tourner aux États-Unis, mais ça se passe mal, la tension monte dans le groupe, Stills frappe Bruce Palmer sur scène à New York parce qu’il joue trop fort et pour le remercier, Palmer colle un tas dans la gueule de Stills qui s’écroule dans la batterie. Comme l’a fait Totor, Stills prend Ahmet comme modèle et comme mentor. Greenfield : «En vieillissant, il commença à s’habiller comme Ahmet et il portait un bouc. Il commença aussi à s’acheter des pompes à 5 000 $.»

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    Malgré les succès, Wexler reste hanté par le fantôme de la faillite - Depuis le début, nous n’avons pas le choix : c’est grossir ou disparaître. Et qui peut prédire l’avenir ? Tous les autres labels indépendants ont disparu - C’est lui qui pousse à la roue pour revendre Atlantic et aller en Floride mener une vie de rentier. Ahmet finit par céder et il revend Atlantic à Warner pour 17,5 millions de $. Bon prince, Warner propose à Ahmet et Wexler de continuer à gérer leur boutique et à choisir les artistes. Même traitement de faveur pour Jac Holzman qui a vendu Elektra à Warner. Le nouveau conglomérat s’appelle WEA.

    Avec Buffalo Springfield, Ahmet entre dans sa phase ‘rock blanc’ : Crosby Stills & Nash, Cream et les Stones. Il apparaît que le véritable rock’n’roll animal dans cette histoire est Stephen Stills. Greenfield nous raconte que Crosby, Stills & Nash passent neuf heures à travailleur l’excellent «Long Time Coming» de Croz, et quand les autres qui en ont marre partent se coucher, Stills reste dans le studio à peaufiner les arrangements jusqu’à l’aube, pour que Croz soit à l’aise au chant. Les autres surnomment Stills ‘Captain Many Hands’. C’est lui qui joue tous les instruments sur le premier album, excepté les drums. Un peu plus tard, lorsque Stills tourne à la coke, il devient insupportable et Geffen qui s’occupe de lui en tant qu’agent le raye de la liste de ses clients. Greenfield consacre pas mal de place à Geffen qui à cette époque s’occupe aussi de Laura Nyro. Geffen rencontre Clive Davis qui est alors le boss de Columbia et lui promet de lui amener Stills qui est alors signé sur Atlantic. Geffen commet l’erreur de sa vie en allant voir Jerry Wexler chez Atlantic, au 1841 Broadway. Il y a en effet deux gros problèmes : un, Wexler n’est pas un grand fan des rockoids à cheveux longs, contrairement à Ahmet, et deux, il supporte encore moins les agents. Comme Geffen lui demande de casser le contrat de Stills, Wexler pique l’une de ses crises légendaires, il hurle ‘Get the fuck out of there’, chope Geffen par le colbac et le jette dans le couloir. Geffen revient chez Stills qui attend la bonne nouvelle, mais Geffen lui dit : «My God, ce sont des animaux là-bas !».

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    Plus tard, Steve Ross, le big boss de WEA réunit ses directeurs pour une journée de travail chez lui à Beverly Hills : autour de la table se trouvent les deux frères Ertegeun (Ahmet et Nesuhi), Mo Ostin, Jerry Wexler, Jac Holzman et David Geffen. Geffen dit en aparté à Wexler qu’il vient de signer Dylan. Bon, Wexler encaisse sans rien dire. Un peu plus tard, il profite d’un point de détail pour rentrer dans la gueule à Geffen qui et assis à côté de lui : «You stole an artist that we had !». Geffen fait pffff, et ajoute : «You’re an old washed-up record man, what the fuck do you know ?». L’injure suprême. Alors Wexler devient tout rouge, les veines de son cou gonflent et ses yeux sortent des trous. Il perd complètement le contrôle de lui-même et repique l’une de ces crises qui font sa légende. Il hurle à Geffen : «You agent ! You’d jump in a pool uf pus to come up with a nickel between your teeth !», ce qui peut vouloir dire que même au fond une mare de pus, il ramasserait une pièce de monnaie avec les dents. Alors les autres sautent sur Wexler juste avant qu’il ait le temps de frapper Geffen et ce conclave qui réunit les hommes les plus puissants du record biz se transforme en partie de catch. Steve Ross est outré, «Ce n’est pas possible !», Mo Ostin se lève, dit qu’il ne peut pas tolérer ça et s’en va. Et Wexler hurle at the top of his lungs.

    Ahmet aime bien Geffen, mais avec parcimonie. Un jour, George Trow, Geffen et Ahmet sont au Beverly Hills Hotel et Geffen prend un appel. C’est Joni Mitchell. Pendant que Geffen papote, Ahmet dit à Trow : «Il doit être en train de parler à un artiste. Il prend son air inspiré. Pour ça, il doit essayer de se débarrasser momentanément de sa cupidité.» Lors d’un vol à bord d’un avion, Ahmet est assis en face de Geffen et lui jette sur la tête sa cendre de cigarette. Geffen lui annonce que s’il n’arrête pas immédiatement, il va lui jeter un verre d’eau à la figure. Comme Ahmet n’arrête pas, Geffen passe à l’acte. Pendant des années, ils ne vont plus s’adresser la parole. Avant de se réconcilier.

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    Quand Cream enregistre Disraeli Gears à New York, Ahmet tente de mettre Clapton en avant, mais il finit par découvrir que le vrai leader de Cream, c’est Jack Bruce. Mais le groupe va très vite se disloquer. Lors de la troisième tournée américaine, ils se battent tous les soirs. Ginger voulait buter Jack. Jack voulait se suicider. Et Clapton disait : «Sortez moi de là, je ne peux plus les supporter, ni l’un ni l’autre.» Puis Ahmet voit les Stones comme le couronnement de sa carrière. Il les considère comme «the most desirable act in business». Avec les Stones, Atlantic devient le premier label du monde. Pour les Stones, Atlantic est symbolique. Comme ils ont grandi avec Chuck Berry, ils ont fini par embaucher le fils Chess pour diriger leur label et choisi Atlantic pour la distribution américaine, parce qu’ils écoutaient aussi Ruth Brown et Ray Charles quand ils étaient jeunes. Une façon de boucler la boucle, alter all. Ils signent l’accord chez Jagger à Londres, un Jagger qui raconte la scène : «Ahmet avait tellement bu de bourbon qu’au moment de se serrer la main, sa chaise se renversa et il tomba à la renverse.» Comme le dit si bien Greenfield, the honeymoon was about to begin.

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    Côté rigolade, Greenfield épingle deux ou trois anecdotes hilarantes. Wilson Pickett se trouve chez Stax à Memphis et Wexler lui propose d’enregistrer «Hey Jude». Pickett l’envoie chier, pas question d’enregistrer «Hey Jew» ! Pire encore. Otis Redding appelle Nesuhi Ertegun ‘Nescafe’ et Ahmet ne reprend pas Otis quand il l’entend l’appeler ‘Omelet’. Un Otis qui un jour est tellement bourré qu’en faisant une révérence, il se pète la gueule. Ça, il faut savoir le faire.

    Ahmet se marie une première fois avec une certaine Jan Holm dont il n’est pas vraiment amoureux - C’était une very nice girl mais je n’étais pas follement amoureux d’elle et je ne pense pas qu’elle fût amoureuse de moi. Pourtant je l’ai demandée en mariage et elle a accepté car il semblait que c’était la seule chose qu’elle pût faire - Évidemment, le mariage tourne court, Ahmet accepte le divorce, lui donne tout ce qu’il possède et retrouve sa chère liberté : chaque nuit, il est en ville, dans les clubs, usually with a stunning young model on his arm.

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    Geffen nous rapporte un épisode comique. Ça se passe dans le bureau d’Ahmet. Geffen lui demande : «Comment faites-vous pour gagner autant d’argent dans le music biz ?» Ahmet se lève et traverse la pièce en courant. Il dit à Geffen : «Voilà comment je gagne beaucoup d’argent.» Geffen ne comprend pas. Alors Ahmet refait exactement le même cirque. Il court et s’arrête. Geffen dit qu’il ne comprend toujours pas. Ahmet s’impatiente : «Regarde schmuck, je le fais encore une fois. Prends des notes.» Il court à travers la pièce. Geffen avoue qu’il ne comprend toujours pas. Alors Ahmet lui dit qu’avec un peu de chance, on court et on se cogne dans un génie qui va vous rendre riche. Les Anglais appellent ça bumping into geniuses. Et Ahmet en a bumpé pas mal : Phil Spector, Wexler, Ray Charles, Leiber & Stoller, Jagger & Richards.

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    Pour fêter le 25e anniversaire d’Atlantic en 1973, Ahmet emmène 200 personnes à bord d’un Boing 747 pour aller faire la fête à Paris. À bord de l’avion, tout le monde boit, fume des joints et sniffe de la coke. Party ! Quand Wexler s’endort, Ahmet lui pique son passeport et remplace la photo par celle d’une femme qui se fait enfiler par un âne. Quand Wexler présente son passeport à Orly, le douanier regarde la photo, puis Wexler. Voulant se rendre utile, Wexler dit qu’à l’époque il portait une barbe. À côté de lui, Ahmet s’écroule de rire. En fait, ce mec aura passé sa vie à rigoler et à s’amuser. Il possédait une Bentley, une Rolls, une Sunbeam et deux Cadillac Fleetwood, l’une bleue, l’autre verte. Il collectionnait les toiles de Jasper Johns, Rauschenberg et un Matisse, son artiste préféré. Quand il voit Wexler démissionner, Ahmet devient philosophe : «Il est triste parce que la musique qu’il aimait tombe en désuétude. C’est une erreur que d’accorder trop d’importance à la musique qu’on enregistrait. Ce n’est pas de la musique classique. On ne peut pas la voir de la même façon. C’est comme les vieux films de Fred Astaire. Ils sont marrants, mais ce n’est pas du grand art. Il ne faut pas les voir comme du grand art.» Dans un paragraphe en exergue, Dave Marsh déclare : «J’ai connu John Hammond, Jerry Wexler et Sam Phillips, et laissez-moi vous dire qu’Ahmet fut the greatest record executive who ever lived. Il était plus créatif, il avait plus de goût, il a duré plus longtemps, il avait les meilleures relations avec les artistes, et il n’a jamais cessé d’ouvrir des marchés et de les maintenir en activité.» Dans les années 90, il signe des groupes comme Foreigner, AC/DC, Twisted Sister, Yes, INXS, Genesis, et du coup, Atlantic n’a plus rien à voir avec ce qui fit sa spécificité. Ahmet raisonnait un homme d’affaires, il avait besoin de continuer à générer d’énormes profits. Mais il nous rassure aussitôt : «J’écoute beaucoup de musiques actuelles, mais j’écoute surtout Pee Wee Russell et Bud Freeman, et toujours le «Shreveport Stomp» de Jelly Roll Morton, that’s the hottest record ever made.» Ahmet fréquente aussi Cher qui est devenue une superstar, il aime bien lui peloter les seins en public, alors Cher s’indigne tendrement : «Oh Ahmet !». Il adore aussi pincer les fesses des artistes qu’il signe, mais ça ne plaît pas à toutes. Alors Ahmet rigole. En plus il est marié avec Mica, et Mica sait qu’Ahmet vient d’une culture où les hommes ont plusieurs femmes, aussi comprend-elle parfaitement qu’Ahmet puisse continuer de vivre sa vie d’homme en se tapant une copine de temps en temps. Comme la femme de Muddy, elle a cette grande intelligence.

    Signé : Cazengler, Ertegouine

    Robert Greenfield. The Last Sultan. Simon & Schuster 2011

     

    Ronnie Bird

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    Avant de s’appeler Ronnie Spector, elle s’appelait Veronica Bennett. Elle tenait sa couleur de peau d’un joli métissage : père irlandais et mère métisse d’indien Cherokee et de noir, comme Jimi Hendrix. Elle chantait dans les Ronettes avec sa grande sœur Estelle et une cousine nommée Nedra Talley. Elles habitaient toutes les trois Spanish Harlem et adoraient Frankie Lymon. Veronica passait ses journées à la fenêtre de sa chambre à regarder les filles de Spanish Harlem déambuler avec des grosses coiffures et des clopes au bec - I loved that tough look - Oui, Veronica aimait beaucoup le look des street bitches. Et puis un beau jour, la vie des Ronettes bascula dans le rêve : Phil Spector les prit sous son aile pour les transformer en super stars.

    Avec Totor, ça ne traînaient pas. Il lui fallait des hits galactiques ! Quickly ! C’mon ! Il savait où trouver des cocos pour l’aider à les composer. Il tapait aux portes des petits bureaux du Brill. Toc toc toc !

    — Hi Cynthia ! Hi Barry ! Et si on composait un petit hit galactique pour mes nouvelles pouliches ? Ça vous branche, les cocos ?

    — Chouette idée, Totor ! Tiens, regarde, il pleut ! On pourrait faire un truc sympa sur la pluie, pas vrai ?

    Et Cynthia Weil se met à pianoter une mélodie galactique.

    — Tatata, walking in the rain... Tatata, pas mal, hein, Totor ?

    — Ouais, c’est pas mal, Cynthia, mais monte un peu à l’octave, là, pour embarquer ton thème, oui là, tatataaaaaaa, aw fuck, quelle mayotte, ma cocotte ! Fuck shit up, on va encore défoncer la rondelle du Billboard ! Il finira par marcher comme un cowboy, le Billboard, si on continue à le défoncer comme ça, les cocos, ha ha ha ! Quelle merveille ! Play it again, Cynthia ! Tatataaaaaaa, walking in the rain ! Veronica et les deux autres bécasses vont te chanter ça aux petits oignons, tu vas voir !

    Une chose est bien certaine : « Walking In The Rain » fait frémir. C’est un hit dégoulinant de génie, mais un génie particulier, car attentif au global comme au moindre détail. Quant à ce jerk royal, « (The Best Part) Of Breaking Up », on le danse à l’Égyptienne, avec les poignets cassés. On y sent les effluves du River Deep. On le sent destiné à traverser les siècles. Dans 2 000 ans, on dansera encore ce jerk royal des Ronettes.

    Totor fonce vers un autre bureau. Toc toc toc !

    — Hi Ellie ! Hi Jeff ! Vous avez un moment ? On pourrait peut-être composer un petit hit galactique pour mes chouchoutes de Spanish Harlem ?

    — Oh, toi Totor, on voit bien que t’es amoureux...

    — Hey Ellie, pas si vite ! Une chose que mon grand-père m’a apprise est qu’il ne faut jamais brûler les étapes, right ? Bon, alors, qu’avons-nous comme idée, mes cocos ?

    — I wonder...

    — Ah pas mal, Jeff, c’est un titre ?

    — Yeah, man !

    — Alors, Ellie, pianote-nous l’un de ces petits jives dont tu as le secret....

    — Écoute un peu ça, Totor ! Plonk plonk plonk !

    — Aw ! Terrific ! What a profondeur ! Vas-y monte-moi ça à l’octave ! I wondeeeeeer ! So gooood ! Encore un coup de Trafalgar galactique en perspective, hein ? What a mélodie ! Ça va leur jerker la paillasse ! T’aurais pas autre chose, Ellie ? Allez, arrête de faire ta mijaurée, tu as bien une idée de riff dynamiteur en magasin...

    — J’ai ça, Totor, écoute... Dessus, il faudrait des paroles du genre be/ my ba/ by, tu vois, bien ponctuées sur les accords, plonk plonk plonk, tu peux nous écrire des paroles, mon petit Jeff chéri ?

    — Ouais ma Lilie, attends, be my/ Baby/ Be my little baby/ Say you’ll be my darling/ Be my baby now/ Oh, oh, oh, oh !

    — Bon Jeff tu ne t’es pas foulé sur ce coup-là, mais ça suffira. Merci Ellie pour ce nouveau coup de génie. Franchement, je ne sais pas ce qu’on deviendrait sans toi...

    « Be My Baby » incarne le génie productiviste de Totor à l’état le plus pur. Et le génie composital d’Ellie Greenwich à l’état le plus torride. Comme résultat de la combinaison des deux, on obtient le démarrage de refrain le plus foudroyant de l’histoire du rock. Fallait-il que Totor et Ellie soient géniaux pour nous servir une telle tambouille ! Brian Wilson était au volant lorsqu’il entendit « Be My Baby » pour la première fois à la radio. Il fut tellement frappé par la puissance du hit qu’il en perdit le contrôle de sa bagnole.

    — Tu vas peut-être penser que j’exagère, Ellie, mais il me semble deviner au pétillement de ton regard que tu as encore une idée en tête.

    — On ne peut vraiment rien te cacher, Totor. J’ai effectivement un truc qui me gratte l’ovule depuis un moment. It goes like this... Plonk plonk plonk. Là-dessus, il faudrait chanter quelque chose du genre, Ba/ By/ I love/ You... Tu vois, Jeff chéri ?

    — Ah oui, je le sens bien, mmmmm... On pourrait essayer ça... Come on baby/ Oh-ee baby/ Baby I love only you !

    Ça fait marrer Totor :

    — Jeff, fais gaffe, tu pourrais te faire une entorse au cerveau, si tu fais trop d’efforts... Bon, on va mettre nos trois biquettes en studio demain matin et orchestrer ce nouveau hit greenwichien comme il se doit ! Merci de votre collaboration, mes cocos !

    « Baby I Love You » bénéficie d’une attaque démente. C’est l’archétype du couplet pop secoué aux tambourins. L’extraordinaire classe de l’inventivité de Totor et d’Ellie Greenwich sidère encore la terre entière. Le refrain relève du phénomène surnaturel. Il n’est pas surprenant que Joey Ramone soit devenu FOU de cette chanson.

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    Quand le premier album des Ronettes est arrivé en Europe, ce fut une déflagration atomique, mais au sens positif de la chose. On trouve aujourd’hui un autre album des Ronettes qui s’appelle Volume 2 et qui propose des petites merveilles du même acabit. Totor composait des choses avec Harry Nilsson, comme par exemple ce « There I Sit » intrigant car sous le vent et accompagné par des marteaux piqueurs. On trouve aussi une autre merveille signée Totor, Cynthia Weil & Barry Mann, « (I’m A) Woman In Love » : si elle décolle à un moment, c’est uniquement pour tétaniser les esprits. Retour d’Ellie avec « I Wish I Never Saw The Sunshine », une machine à jerker d’un éclat invraisemblable et qui explose à la face du monde. Aujourd’hui, les hits pop ont perdu toutes ces dynamiques.

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    Totor et Ronnie se sont mariés, puis Ronnie s’est plainte de Totor. De 1968 à 1972, elle a vécu comme séquestrée dans leur belle villa d’Hollywood : barreaux aux fenêtres, clôture électrifiée, chiens de garde - All he wanted me to do was stay at home and sing Born To Be Together to him every night - Elle s’évada et divorça.

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    C’est là qu’elle a commencé à en baver. Elle s’asseyait sur une réputation, mais elle n’avait plus que sa voix. Toute la magie d’antan s’était envolée. Pfffff, plus rien. Des gens comme John Lennon, Joey Ramone et Amy Whinehouse qui imitait son maquillage et sa coiffure l’aidèrent à revenir dans l’actualité. En 1980, elle essaya d’enregistrer un album de rock new-yorkais, le fameux Siren, mais ce fut douloureux, pour elle comme pour nous. Elle avait pourtant rassemblé une grosse équipe, Cheetah Chrome des Dead Boys à la guitare, Billy « Wrath » des Heartbreakers à la basse et d’autres gens réputés, mais les cuts restaient d’une affligeante banalité. Elle attaquait pourtant avec l’« Here Today Gone Tomorrow » des Ramones. Elle enchaînait avec « Darlin’ », une sorte de petit hit bien balancé et solidement interprété, mais on était loin des fastes d’antan. Elle allait même chercher l’« Anyway That You Want Me » de Chip Taylor popularisé par les Troggs, mais encore une fois, la magie faisait gravement défaut. Totor en aurait fait un chef-d’œuvre, c’est évident. Elle sortait de cette aventure malheureuse avec « Happy Birthday Rock’n’Roll », l’occasion pour elle d’utiliser la nostalgie pour recycler des extraits de « Be My Baby ».

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    Quelques années plus tard, elle réapparût avec un album encore plus médiocre, Unfinished Business. Elle tentait désespérément de retrouver la veine du Brill, mais ça ne marchait pas, car elle tombait dans tous les pièges de la prod des années 80. C’était carrément de l’abattage. Le disque était tellement mauvais que le disquaire qui le vendait me l’offrit. Le seul morceau sauvable de ce disque était celui qui se nichait en fin de B, « Good Love Is Hard To Find », une petite pièce de r’n’b aux allures de good time music qui accroche bien.

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    En 2006, Ronnie fit une espèce de come-back avec l’album The Last Of The Rock Stars et un gros tas d’invités : Joey Ramone, Keef, Nick Zinner des Yeah Yeah Yeah, les Greenhornes, les Raveonettes, Daniel Rey et quelques autres luminaries. « Work On Fine » sonnait comme un cut légendaire. Dans cette fabuleuse reprise d’Ike Turner, Keef donnait la réplique à Ronnie - yes darling - Ils en faisaient un chef-d’œuvre de groovitude. L’autre grosse pièce de cet album était « Hey Sah Lo Ney », une cover de Mickey Lee Lane popularisée par les Detroit Cobras sous un autre nom, « Hey Sailor ». Ronnie s’en sortait avec tous les honneurs. « Ode To LA » était une tentative désespérée de revenir au temps béni du Brill. Sune Rose Wagner des Raveonettes s’était cru autorisé à singer Totor et Ellie Greenwich en proposant une pop-song aventureuse et en la produisant avec les pompes d’antan. Mais ça ne marchait pas. Pourquoi ? Tout simplement parce que Totor est un génie, alors que Sune Rose Wagner n’est qu’un Danois. On retrouvait aussi sur cet album une nouvelle mouture de l’« Here Today Gone Tomorrow » des Ramones. Des backings chancelants lui donnaient une allure extraordinaire. Ronnie savait que Joey était dingue des Ronettes, alors Ronnie est devenue dingue des Ramones, ce qui semblait logique. Elle soignait tout particulièrement la petite montée de fin de cut. Sur d’autres morceaux, on entendait Daniel Rey jouer de la guitare, et pour tous les amateurs de big sound new-yorkais, c’était un plaisir que de le retrouver.

    Et puis soudain, nous voilà tous rendus en 2016 ! 52 ans se sont écoulés sous le Pont Mirabeau depuis l’irruption des Ronettes dans les charts du monde entier. Ronnie revient dans l’actualité avec un nouvel album et un concert au New Morning.

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    L’album s’appelle English Heart, et comme son nom l’indique, c’est un album de reprises de hits anglais. Ronnie explique qu’elle est restée nostalgique de sa première tournée en Angleterre, alors elle tape dans le « Because » du Dave Clark Five - Bekos ! Bekos ! - Elle y va avec toute la fougue de sa jeunesse perdue. Elle tape bien sûr dans les Stones qu’elle a bien connus avec « I’d Much Rather Be With The Girls » - une compo d’Andrew & Keef. Elle en fait un racket, transformant les girls en boys. Encore plus gonflé : sa version de « Tired Of Waiting » des Kinks, mais la voix ne colle pas, c’est trop putassier. Et ça continue avec les Zombies (« Tell Her No »), les Beatles (« I’ll Follow The Sun » - ce vieux b-side d’EP qu’on finissait par adorer), Sandie Shaw (« Girls Don’t Come »), et puis cette surprenante reprise de l’« How Can You Mend A Broken Heart » des Bee Gees dont elle fait une version incroyablement osée, nappée d’orgue et pulsée au beat de Spanish Harlem. Ronnie se prend au jeu et ça tourne à l’enchantement.

    Oui, car désormais, tout cela n’est plus qu’une histoire de nostalgie. Voir arriver Ronnie sur scène, c’est voir arriver la fin d’une époque magique. Elle dégage un truc que ne dégageront plus les nouveaux prétendants au trône. Il faut désormais accepter l’idée que ce chapitre de l’histoire du rock se referme. Un chapitre qui est aussi le nôtre, celui des gens qui ont grandi avec, et qui va se refermer avec nous. Ça se termine, mais au moins ça se termine en beauté.

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    Un seul concert de Ronnie Spector suffit à recréer cette magie perdue, à laquelle nous fûmes tant attachés et qui d’une certaine façon nous a tous façonnés, en nous protégeant de la médiocrité du monde moderne. Quand on écoutait les hits de Totor ou de Brian Wilson, on ne pouvait pas s’intéresser à la variété française. Et Ronnie Spector sur scène, ça ne trompe pas. Elle apparaît toute de noir vêtue, silhouette impeccable, rayonnante, d’évidence ravie de l’accueil des Parisiens. Elle crée aussitôt de l’émotion et paf, elle envoie « Baby I Love You » histoire de nous sonner un peu les cloches. Et tout le set sera placé sous le signe de l’émotion, car encore une fois, Ronnie tape au point le plus sensible de l’histoire du rock. Elle est accompagnée par trois délicieuses choristes et un backing-band irréprochable. Elle commente toutes ses chansons et le public boit ses paroles. Elle quitte la scène pendant une version torride de « What’d I Say » et revient pour envoyer au firmament un « Walking In The Rain » qui n’a pas pris une ride. Bien sûr, ce n’est pas le wall of sound, mais par sa seule présence et par son charisme, Ronnie se situe bien au-delà de toutes les attentes. Elle incarne tout simplement la grande pop américaine. Elle a exactement le même genre de classe et de stature que Martha Reeves ou Mavis Staples. Et voilà qu’elle balance une version un peu funky de « You Can’t Put Your Arms Round A Memory » et quitte la scène en plein dans l’apothéose de « Be My Baby ». Au premier rang, on voit des mâchoires se décrocher. Rappel ? Pas rappel ? Si, rappel ! Elle fait un retour triomphant pour rendre hommage aux guys - A little dating with John - avec « I’ll Follow The Sun » qui passe mille fois mieux sur scène que sur son dernier album et puis c’est l’explosion atomique avec « I Can Hear Music », l’un des hits pop les plus ravageurs de l’âge d’or.

    La petite métisse de Spanish Harlem qui vient de casser sa pipe en bois mérite bien sa place dans l’Olympe des temps modernes, parmi les vivants et les morts, les dieux ailés et les dieux cornus.

    Signé : Cazengler, un Spector des travaux finis

    Ronnie Spector. Disparue le 12 janvier 2022

    Ronnie Spector. Le New Morning. Paris Xe. 22 juin 2016

    Ronettes. Presenting The Fabulous Ronettes Featuring Veronica. Phillies Records 1964

    Ronettes. Volume 2. Phillies Records 2010

    Ronnie Spector. Siren. Polish Records 1980

    Ronnie Spector. Unfinished Business. Columbia 1987

    Ronnie Spector. The Last Of The Rock Stars. High Coin 2006

    Ronnie Spector. English Heart. Caroline Records 2016

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    Ronnie Spector. Nobody’s Baby. Lois Wilson. Mojo #256. March 2015

     

    Inside the goldmine - Rocking Bone

    Il en avait bavé dans la côte, ce putain de Solex était encore tombé en panne à cause de cet abruti de Lionel qui pour soit-disant gonfler le moteur avait agrandi les admissions à la lime, et forcément le Solex n’avait pas supporté l’opération, pleurt pleurt pleurt en pleine côte de Saint-Hubert, ah la vache, obligé de pédaler comme un forçat pour arriver jusqu’en haut avec tous ces abrutis qui klaxonnaient derrière parce qu’ils ne pouvaient pas doubler à cause des camions qui descendaient en sens inverse, un vrai cauchemar cette affaire-là et c’était sûrement pas le moment, parce qu’à la maison, le glauque régnait sans partage, il battait tous les records, Hitchcock n’aurait jamais pu imaginer un plan pareil, avec cette belle-mère, la troisième du nom, qui picolait en cachette et qui insultait tout le monde à table, la garce, c’était facile pour elle car on avait ordre de fermer nos gueules, pas question d’ouvrir le bec sauf pour avaler cette saloperie de chou-fleur à la béchamel qu’elle nous servait tous les soirs sans exception, elle servait cette merdasse à la louche, alors il fallait avaler ça aussi vite que possible pour sortir de table et aller se réfugier dans nos chambres, car c’était le seul endroit peinard de la baraque, on pouvait y écouter des disques mais pas trop fort et se plonger dans la lecture de Creem & Châtiment, ce vaillant petit canard américain qui grouillait d’infos sur tous ces groupes mythologiques qui nous faisaient baver, comme par exemple les Jukin’ Bone qu’on a longtemps appelé les Junkin’ Bone parce qu’on avait mal lu les pochettes de ces deux albums RCA qu’on était allé un jour acheter à Paris en ayant pris ce choo choo train de give me just a little more acceleration et il fallait voir comme on était content de ramener ces deux albums dans le terrier glauque, de véritables trophées, on les ressortait du sac toutes les cinq minutes pour les admirer encore et encore, on s’en émerveillait à s’en arrondir le dessin des yeux.

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    C’est vrai qu’à l’époque on adorait ces petits albums de groupes américains pas très connus, on leur attribuait une valeur on va dire affective car il ne s’agissait pas non plus de grands albums. Les deux albums de Jukin’ Bone sont sortis la même année, en 1972. Évidemment, il n’existe aucune information sur ce groupe avalé depuis longtemps par l’oubli. En creusant un peu, on découvre qu’ils sont originaires d’Upstate New York et que 44 ans après leur split, ils se sont reformés pour enregistrer un nouvel album. Bon bref. Le fait de savoir que Jukin’ Bone a survécu donne du baume au cœur, mais c’est en 1972 que se jouait le destin de ces deux albums irrémédiablement classiques. Ils jouaient leur boogie rock en pères peinards sur la grand-mare des canards.

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    On les voit tous les six sur la pochette de Way Down East, avec leurs petits cheveux longs, leurs vestes en velours, leurs pattes d’eph et leurs boots. Tout le monde portait des boots en 1972. Tous les mecs qui écoutaient du rock portaient les cheveux longs. On devait écouter plusieurs fois Way Down East pour essayer de se convaincre qu’il s’agissait d’un bon album, mais il y avait dix mille fois plus de viande chez les Pink Fairies et le Vanilla Fudge que chez les Bone. Alors on persévérait, tiens, «Nightcrawler», c’est pas mal, c’est plus corsé et même sacrément corsé, ajoutait-on, on stompait ça des boots et on les voyait aller chercher le petit raunch. Mais leur boogie rock restait globalement bon enfant. On se demandait d’ailleurs comment ils avaient réussi à signer sur RCA qui était quand même le label d’Elvis et de David Bowie. Ils terminaient leur bal d’A avec un «Mojo Conqueroo» copié sur le thème des Gilded Splinters, ce qui avait le don de nous enthousiasmer. Et puis en B, ils nous resservaient une belle resucée de «See See Rider» qui tombait bien au pli, Joe Whiting chantait au sommet de son petit lard, on les sentait bien inspirés par les trous de nez, mais bon, on préférait nettement la version d’Eric Burdon. Sur scène, les Bone devaient impressionner, car si on retourne la pochette, on tombe sur une photo qui met l’eau à la bouche. Early seventies aux USA, ça faisait rêver tous les petits branleurs de province.

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    Leur deuxième album s’appelait Whiskey Woman. Pochette illustrée, ambiance urbaine, la nuit tombe sur la ville et comme pour le premier album, photo de scène au dos. Ils démarraient avec un «Jungle Fever» qui n’avait de fever que le nom, mais ils s’amusaient bien, ce qui était le principal, il ne fallait surtout pas les embêter. Tout était bien joué sur cet album, bien structuré, gratté au riff de gras double, incroyablement cousu de fil blanc, mais globalement c’était bien senti. On tombait enfin sur une énormité : «Spirit In The Dark», joué aux fantastiques accords de clameur groovy, c’était plein d’écho, élégant et conquérant. Il s’agissait du hit des Bone, joué dans un fantastique élan suprématiste, au cœur du cut se nichait un démarrage aux accords de groove, un merveille intersidérale qu’on voyait s’envoler. Et là les Bone devenaient des héros, sur la foi d’un seul cut, «Spirit In The Dark». Alors forcément, on retournait la galette et on dressait l’oreille, car on attendait des miracles. Ils démarraient leur bal de B avec le morceau titre, un boogie rock bien cossu. Ils connaissaient toutes les ficelles de caleçon, ils n’étaient pas nés de la dernière pluie et ils enchaînaient avec une resucée du vieux «Going Down» de Don Nix, mais pour le miracle, tintin. S’ensuivait une autre cover, «The Hunter», version bien musclée, mais le pauvre Joe Whiting n’avait pas la voix de Paul Rogers. Et l’album s’achevait dans une sorte de banalité. Il n’y avait pas de quoi se prosterner, mais bon, ça avait le mérite d’exister.

    Signé : Cazengler, Jukin’ Bore

    Jukin’ Bone. Way Down East. RCA Victor 1972

    Jukin’ Bone. Whiskey Woman. RCA Victor 1972

     

    L’avenir du rock - Shadracks & roll

     

    L’avenir du rock se doutait bien qu’ils finiraient par lui poser la question :

    — Que pensez-vous de la transmission génétique, avenir du rock ?

    — Pas grand chose...

    — La transmission génétique fait pourtant théoriquement partie du diagramme de vos thématiques... Vous évoquez les héritages mais curieusement vous n’abordez jamais la question de la transmission génétique...

    — Pffffff... Que voulez-vous que je vous dise ?

    — Vous pourriez expliquer aux auditeurs de Franche Culture que le rock, au même titre que l’intelligence ou la schizophrénie, peut être considéré comme un gène transmissible...

    — Vous devriez plutôt interroger un généticien...

    — Ne soyez pas cynique, avenir du rock, l’histoire du rock grouille d’exemples de transmissions génétiques, et vous les connaissez très bien. Quel est le premier exemple de gène rock qui vous vient à l’esprit ?

    — Gene Vincent !

    — Ah ah ah ! Ce que vous pouvez être spirituel ! Ah ah ah ! Vous en avez certainement une autre ?

    — Starkey et Hutch !

    — Ah ah ah, quel sens de la répartie ! Allez, avenir du rock, faite encore rigoler l’auditoire de Franche Culture qui en a bien besoin...

    — Me casse pas les Burnettes, Billy !

    — Ah ah ah ! Vous ne faites pas semblant ! Vous n’êtes pas dans la gêne, côté gènes, n’est-ce pas ? Ah ah ah ! Excusez-moi j’en ai les larmes aux yeux ! Une petite dernière, peut-être ?

    — Les chiens ne font pas des Shadracks.

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    Il est fort probable que les auditeurs de Franche Culture n’aient rien compris à la dernière vanne de l’avenir du rock. Sauf ceux qui écoutaient jadis le Dig It! Radio Show. Gildas programmait les Shadracks parce que leur premier album grouillait de classiques gaga. Logique car Huddie Shadrack est en fait le fils de Wild Billy Childish. Comme les chiens ne font pas des Shadracks, Huddie sonne comme son père. Ça tombe sous le sens.

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    Le meilleur exemple de gaga génétique s’appelle «Corinna», au bout de la B de ce premier album, un cook me down claqué aux accords de basse avec de forts relents de Louie Louie. Huddie n’en peut plus, Corinna in my arms ! L’album grouille aussi d’échos de proggy pop. Huggie a de toute évidence écouté des tas de très bons albums. Le «Splitting In Two» de fin de B se termine en apothéose d’accords stoogiens, mais anglicisés. Le coup de génie de l’album est la cover de «Boredom» qui ouvre la bal de la B : cover explosive d’un hit explosif, méchant clin d’œil aux Buzzcocks, c’est vite expédié en enfer. Bor’dom Bor’dom ! C’est d’autant plus méritoire que «Boredom» fait partie des intouchables. Ils font aussi un petit coup de Mersey Beat avec «Things I Hear». Les coups d’harmo rappellent ceux de Brian Jones dans les early Stones. Huddie a donc formé un trio avec deux petites gonzesses, Elisa et Elle. Au dos de la pochette, Councillor Duxburry qualifie leur son de punk inspired rhythm & noise. Bien vu Councillor, c’est exactement ça. «She Sailed The Sea» sonne comme du gaga minimaliste avec de belles flambées de noise. Huddie Shadrack développe en réalité une approche du gaga très novatrice. Il utilise les limites du power-trio pré-pubère pour créer des ambiances judicieusement aléatoires. C’est Elle qui lance «Plastic Lives» au one two three four de l’ancien temps du punk-rock de l’âge d’or. Ils réussissent à conserver ce son très désabusé. Avec «Locust Flies Again», on voit qu’Huddie a hérité de tout le bataclan, ça joue à la ferraille avec une belle disto de pâté de foi. L’avenir est assuré.

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    Dans un numéro récent, Vive Le Rock leur consacre une petite page, notant qu’après un démarrage en mode punk attitude, they morphed into the artistic and serious band they are today. Huddie écoutait les Damned au temps de son premier album. Il dit maintenant viser un son «raw, but also quite honest and melancholic, a bit arty, even though I don’t like the term.» Pour lui, le son du deuxième album n’est ni du gaga-rock, ni du punk, ni de l’indie. Il veut juste que ça sonne interesting. Il souhaite être pris au sérieux, rappelant qu’il n’avait que 17 balais quand il a composé les cuts du premier album - It’s just been a natural progression from there. I’m just poking around in the dark for ideas.

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    Leur deuxième album vient de paraître et s’appelle From Human Like Forms. Un mec nommé Rhys a remplacé Elle. Bon le son n’est plus du tout le même. Le seul cut gaga est le «Wet Cake» qui ouvre le bal de la B, monté sur les accords de Louis Louie. Pour le reste, Huddie cherche sa voie et il nous fait partager son ambition. Il faut donc faire un petit effort et se montrer digne de sa confiance. Derrière lui, Elisa fait de très beaux chœurs. Ils sonnent parfois comme les Pixies («Pray»), mais passent généralement par le vieux chemin des groupes anglais. Certaines harmonies vocales renvoient au premier Soft Machine. Huddie débroussaille sa petite pop bien tempérée, il vise le climatique, l’ambiance supérieure. Il a une bonne voix, bien ferme, un peu grave, étonnante pour un kid de son âge. On entend même parfois des échos de Bowie dans ses accents chantants («It’s All Undoing»). Il y a quelque chose d’héroïque chez lui, donc d’intéressant, et même de foutrement intéressant. Il ne lui manque plus que les grosses compos. Il chante aussi un peu comme Stephen Malkmus dans le morceau titre, il développe un même sens de la pop sophistiquée. Il redouble d’ambition avec «Delicate Touch», un cut monté sur un riff de basse hypno, il rentre dans le lard de la pop avec une voix d’Américain anglicisé, il chante au grain conquérant. Et c’est avec «No Time (Slight Return)» qu’il rive son clou. On se croirait chez les punks de Manchester, c’est extrêmement bien foutu, gratté au don’t give a fuck. Belle façon de boucler un album dévoré d’ambition.

    Signé : Cazengler, Shadrat d’égoût

    Shadracks. The Shadracks. Damaged Goods 2018

    Shadracks. From Human Like Forms. Damaged Goods 2021

    Introducing The Shadracks. Vive Le Rock # 85 - 2021

    *

    Ecoute c'est du Belge ! Encore qu'il y a belge et belge. Si vous prisez les suavités poétiques de Charles Van Lerberghe ou les fragiles dentelles de Max Elskamp, passez à la rubrique suivante, par contre si vous adorez le bruit et la fureur à faire péter la sous-ventrière de vos chevaux de guerre qui cavalcadent dans vos neurones, restez ici. Les prévisions météo sont sûres à cent pour cent : Cyclone force 10 en route vers vos oreilles.

    BRUTAL DESTRUCTION

    CYCLONE

    ( Roadrunner Records / 1986 )

    Donc des Belges, basés sur Bruxelles, c'était il y a longtemps. N'ont commis que deux albums, nous n'ouïrons que le premier, le second Inferior to none ( ne se prennent pas pour les derniers de la classe ) ne conserve que deux de cinq membres initiaux. Se sont reformés en 2019 et ont donné quelques concerts.

    Johnny Kerbush : guitare / Pascal Van Lit : guitar / Guido Geveis : vocal / Stefan Daamen : bass, guitar / Nicolas Lairin : drum.

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    Au cas où le titre ne vous suffit pas, admirez la pochette de Nicolas Verin. Sans doute un long développement serait-il nécessaire ici pour étudier l'influence de la peinture du dix-septième siècle sur l'imagerie métal, nous nous contenterons d'utiliser la notion de perversion des genres, les vanités de l'ancien temps figurant un crâne humain, généralement sis en un décor luxueux, rappelaient aux pauvres humains qu'ils étaient voués à la mort ( et entre parenthèses, que seul Dieu est grand ), Cyclone et une kyrielle d'autres groupes, se servent de la tête de mort pour manifester leur orgueilleuse puissance, la mort ils la réservent à leurs ennemis, pour eux ils se réservent la victoire et le triomphe. A ses débuts le groupe ne se nommait-il pas Centurion.

    Prelude to the end : c'est l'équivalent de Prélude et Mort d'Yseult, mais en plus rapide, un cauchemar qui passe, à peine deux minutes, le temps de se réveiller et de l'interpréter en sinistre avertissement quant à la journée qui s'ouvre, une horde de Sleipnirs odiniques qui déboule sur vous et ne manquera pas de vous piétiner. Devez être un peu maso, vous remettez illico l'intro, cette walkyrienne chevauchée fantastique est carrément dantesque. Ah ! quel plaisir ces pincées riffiques à croire que l'on projette du sel gemme sur vos plaies purulentes, délicieux ! Long to hell : je ne peux lire le mot hell dans un titre de metal sans penser au Highway to hell du Blue Öyster Cult, mais c'est indéniablement le nom de Metallica qui vous saute au cerveau ( tous les lecteurs de Kr'tnt en ont un ), derrière ça remue salement mais le pire c'est le Guido, chante comme il glaviote - j'interromps il y a une guitare qui hennit bien fort, espérons que son palefrenier soit encore vivant, j'en doute – il vous perce la figure de mollards pointus comme des vrilles – tiens le destrier a dû en ratatiner un autre contre la paroi de son box – elles vous vérolent la gueule fort joliment, ce n'est pas Mirabeau mais Miralaid, nous avons de la chance, ça s'arrête sur une dernière expectoration gluante. Fall under is command : un tempo plus lent ( juste le début ) et un morceau plus long ( pas trop cinq minutes, les dernières ), sont inhumains chaque fois que l'on arrache une dent au chanteur on devrait l'endormir au lieu de lui baratter la tête à coup de baguettes de batterie, pas le te temps de vous ennuyer, toutes les dix secondes ils inventent une horreur, les égoïnes ont l'égo aigu, Nicolas Lairin ravage ses caisses à la manière d'un varan des Galapagos qui galope après son gosse pour l'avaler tout cru. Appetite for the destruction comme disait l'autre. S'ensuit des éclats de rire particulièrement maltraitants. Le morceau se termine sur les cris agoniques du gamin, son père lui arrache les membres un à un.The call of steel : tambourinade de guerre, deviennent lyriques, trottent au carnage gaillardement, du mal à se faire à cette voix de chouette clouée sur une porte de grange en feu, étrange sérénade Guido martèle des paroles comme un soudard aviné et de temps en temps vous pousse des cris d'aigle dont une flèche empoisonnée stoppe l'élan en plein vol, mêlée instrumentale, des cordes exaltées miaulent comme des orgues de Staline, et ce givré de Geveis youpiise comme des danseuses de french cancan. Fighting the fatal : cymbales emballées et section rythmique au taquet, à la basse Damon se comporte en démon, se colle à la batterie et la pousse au crime, ces cris de gamins qui tombent sans le faire exprès dans un puits profond de cinquante mètres avec la batterie qui jette des lourdes pierres par-dessus pour être sûr qu'il ne remonte pas, en prime un cuveau d'acide guitarique et l'affaire est en passe d'être réglée, sont pressés de terminer, pour passer à plus cruel, ils accélèrent le rythme, à coup sûr the trashy kings de Belgique ce sont eux ! In the grip of evil : nous envoient le riff par colis postal en intro, tapent la belote sur le coin du comptoir et vous refourguent le sbeul dans les synapses, vous enfilent des hallebardes dans le ventre et le chanteur fou explose la banquise, chante plus vite que sa voix même que derrière ils ont du mal à suivre, alors ils envoient la vapeur pour l'ébouillanter à coups de jets d'eau chaude, y réussissent puisque l'on ne l'entend plus, erreur il revient en forme olympique et vous assène trois piaillements de castrats pour vous couper les roubignoles dans la cour de l'école. Vous avais avertis, evil signifie que ça fait mal ! Vous écoutez à vos risques et péril. Take thy breath : vous font un peu attendre sur l'intro, style boucher sympa qui désosse votre chien devant vous, le Guido a envie de parler, vous n'écoutez pas ses paroles vous attendez qu'il se rue dans le contre-ut au troisième acte, il existe une autre version de ce disque, z'ont refait le mixage, préférez celui-ci, ce n'est pas bien de couper les ongles d'un tigre, employons une métaphore plus précise, de scier la corne d'un rhinocéros vu la manière dont le frappadingue assène ses coups sur ses tambours, repartent à fond de train et hop ils accélèrent dans les tournants, pas de souci dans les lignes droites aussi, hurlement final, pas tout à fait encore un bruit étrange, d'après moi, mais je n'en suis pas sûr, le triple rôt de satisfaction d'un lion qui vient d'engloutir un chrétien dans l'arène tandis que Néron dépose une couronne de rose sur sa crinière sanglante. Incest love : tiens une chanson d'amour pour terminer, tout est relatif, il est manifeste que ce qu'ils préfèrent chez Einstein ce n'est pas la théorie mais la bombe atomique, alors ils vous la font exploser pour de bon, les guitaristes vous scient les spectatrices du cirque tout du long en deux parties égales pendant que Guido pousse de petits cris tout mignounitous comme les gouttes de sang qui sautent de ses malheureuses. Basse et batterie passent la serpillère pour nettoyer. Nickel chrome, plus rien à voir. Ni à entendre. Les meilleures choses ont une fin. Avez-vous remarqué que Guido chante en belge.

    Une monstruosité. Ne vous vantez pas que vous l'écoutez tous les matins au petit déjeuner. Vous perdriez vos amis. Mais sont-ce de véritables amis ?

    Damie Chad.

     

    *

    Dans la cinq cent trente et unième livraison de KR'TNT ! du 25 / 11 / 2021 nous avions promis de revenir sur Golem Mécanique, il est plus que temps de tenir notre promesse. Voici trois nouvelles chroniques sur trois opus que vous retrouverez avec plaisir sur Bandcamp. Le site en présente à ce jour dix-huit. Une mine d'or dont je vous conseille de vous lancer dans l'exploration de ces galeries secrètes scintillantes d'obscurité.

    Rappelons que chaque production ne bénéficie que d'un très petit tirage ( de prix modique ), réalisé sous forme d'une cassette souvent augmentée d'un court livret et / ou différentes glanes. Nous employons ce dernier vocable pour orienter l'auditeur vers les premiers travaux de Mallarmé encore lycéen, qu'il objectivera bien plus tard par l'envoi de divers objets poétiques à quelques correspondants choisis. Certains objecteront que ces artefacts mallarméens appartiennent à une veine fantaisiste, nous nous contenterons de leur conseiller de relire ses traductions des Poésies d'Edgar Poe et Igitur conte métaphysique dans lequel les objets symboliques jouent un grand rôle...

    ORACLE

    GOLEM MECANIQUE

    ( Février 2021 )

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    Ce n'est pas un hasard si j'ai choisi en premier lieu cette pochette. Les colonnes m'ont attiré. Tout ce qui de près et de loin évoque les Anciens Dieux de l'Hellade et de la Rome antique, je suis un sectateur absolu de ces concepts opératifs que l'on nomme les Dieux. Golem Mécanique s'inscrit dans une autre tradition, celle de la revisitation de la gnose, savoir enté aussi bien sur la dernière philosophie païenne que sur l'héritage chrétien et donc biblique, mais ne vaudrait-il pas mieux remplacer ce mot par caïnique. Les deux morceaux qui suivent sont inspirés par les poèmes de William Blake lui même admirateur de John Milton qui dans son épopée Lost Paradise donne longuement la parole à Lucifer, qui prononce notamment le célèbre vers : '' Mieux vaut régner en Enfer que servir au Paradis'', nous sommes-là aux sources occultes du romantisme, du mouvement Gothique, et de bien étranges musiques...

    Daughters of Albion : douces voix ennuagées comme un appel, répété, à chaque fois légèrement plus fort, silence, un bruit assourdi et indistinct semblable à ces bouchons dans les oreilles lorsque l'on monte en montagne, les murmures plus forts, un appel, oui c'est bien un appel des filles d'Albion, se plaignent-elles ou nous hèlent-elles, sirènes enjôleuses dans la brume, de si loin des premiers temps, silence, comme un vent lointain de cornemuse qui s'étend sans fin, s'amplifie lentement, avec au fond la palpitation d'un cœur machinique qui impulse une plus grande lenteur précipitante, parfois des étincellements de musique, comme des éclats d'épée touchées par le soleil, gradation incessante, et puis se met en branle tel un retirement, comme un voilement qui n'en reste pas moins fort, l'on avance tout en reculant, c'est maintenant que l'on comprend que la chose ne bouge pas, qu'elle reste immobile, car elle est inaccessible, l'on a entendu, l'on n'a rien vu, les filles d'Albion procèdent d'une nouvelle légende, contée et illustrée par le poëte William Blake, ami de Mary Wollstonecraft dont la fille Mary créatrice de Frankenstein fut la femme de Percy Bysshe Shelley... ce morceau est à écouter comme une approche, de tout un monde, qui possédait des idées bien moins étriquées et beaucoup plus révolutionnaires que notre siècle... Urizen : une voix infinie sur un fond d'orgue majestueux, s'élève un chant doux en l'honneur d'Erizen, cette créature moitié-dieu, moitié-homme, moitié-terre, fils d'Albion, les filles de celui-ci pourraient être les siennes, imaginées et rêvées par William Blake dont Le livre d'Urizen, relate une vision fragmentale de l'homme partagé entre l'attrait paradisiaque et la tentation luciférienne, pluie diluvienne d'orgue, nous sommes dans un monde de grandeur qui nous dépasse mais la voix humaine passe par-dessus. L'histoire d'Erizen est celle d'une dégradation incessante qui descend les escaliers du Divin qui aboutissent à l'Homme, personne ne lui interdit de les remonter, long silence, la voix seule, qui se tait lorsque la musique revient, et qui se mêle maintenant à elle, sinuosités de serpent caducique, long silence, la voix seule survit. Divine.

    NONA, DECIMA ET MORTA

    GOLEM MECANIQUE

    ( Ideologic Organ Label / Mars 2020 )

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    La pochette nous offre une vision – préférons ce terme à celui de photo ( prise par Ida Sofar ) – de Karen Jebane autre entité nominative de Golem Mécanique. Cette fois-ci nous n'avons pas affaire avec une cassette mais à un disque, paru aux éditions Mego ( SOMA 31 ), ce qui explique peut-être le pourquoi cette couverture de présentation vinylique traditionnelle.

    Karen Jebane : voix, drone-box, organ / Marion Cousin : Voix, Harmonium.

    Face A : une voix si pure en ses harmoniques, pourtant à peine balbutiée, chaque mot cerné de silence, lorsque l'on s'aperçoit qu'elle n'est accompagnée d'aucun instrument, il est trop tard, une sonnerie retentit. Aussi agaçante qu'un téléphone qui vous rappelle à la sinistre réalité quotidienne alors que vous étiez ailleurs propulsé sur les cimes d'Engadine. Elle ne dure pas, le morceau approche les vingt minutes, elle persiste, un signal, une alerte, sur laquelle vient se rajouter une frange de fugue organique de Bach mais qui resterait bloquée sur quelques notes. L'impression que l'on s'enfonce dans le son et que le son interpénètre en vous, une espèce de transsexualité musicale, alors que surviennent des voix féminines aussi souveraines que des laudes chantées en grégorien par des moines, sur lesquelles se superpose un bourdon de basse intenable, une force qui avance en votre cerveau pour le purger de toutes les nocives expériences de votre existence, les voix se taisent et cela devient insupportable, un moteur d'avion qui prend de l'altitude, au loin des bribes lointaines de chant, elles ne sont pas une imagination, elles sont là de plus en plus présentes, vous cherchez le sens de ces paroles qui tombent du ciel ou qui surgissent du néant, la nuit nous entoure, nous enveloppe d'une cape protectrice, nous ne le savons pas et en même temps nous ne l'ignorons pas, pire qu'un son implacable, qui vous pousse et vous accule contre les murs de votre prison intérieure, la violence s'accroît-elle ou est-ce seulement une illusion qui n'est que le voile épais de votre conscience, une mer immense écume à l'infini, une roue de vielle mécanique tourne selon le modèle de l'éternel retour, tout en persistant à n'être que dans sa propre présence, maintenant vous comprenez que cette sempiternélité cosmique n'est pas une déchéance, votre esprit s'ouvre à une plus grande amplitude, à une immense magnitude, vous vous retrouvez en vous tels que l'immortalité des dieux vous change, le volume devient processionnaire, l'homme peut mourir d'être immortel a dit Nietzsche, mais c'est encore la plus sûre garantie de votre immortalité. La voix seule encore une fois, une fragilité du silence qui confine à l'absolu. Face B : une note, seule, longue, la voix survient, sans surprise, selon le modèle du morceau précédent, lentement, mot à mot, lâchés, espacés, les uns après les autres, des oiseaux de proie qui s'envolent un à un, de la dextre qui les laisse s'enfuir dans le vaste monde. Maintenant ils semblent sourire, plus joyeux presque, c'est qu'ils évoquent trois jeunes, du moins les imagine-t-on ainsi, filles, l'on s'attendrait à une ronde toute gentillette, mais nous sommes sur l'avers de la face B, l'autre côté, le premier évoquait la divinité oubliée et reconquise de l'homme, ici nous avançons sans bruit dans un paysage tout plat, nous suivons un sentier de cendre sonore, comme s'il ne fallait pas faire de bruit, musique en mineur, un bruissement tout doux, infini, la voix reprend son antienne, elle a le charme des Douze Chansons de Maeterlinck, celles qui parlent de princesses, celles de la fin surtout, aussi obsédantes que Les aveugles sa pièce-poème, la voix psalmodie de temps en temps, derrière la sonnerie essaie de klaxonner pour nous faire marcher plus vite d'un pas lourd et triste, mais qui serait pressé d'arriver au terme de ce paysage dévasté qui semble être le miroir des âmes en peine, des frissons sonores s'agitent comme des voiles de songe, est-il nécessaire de s'éveiller, de savoir où nous sommes, qui nous sommes, qui sont-elles ces trois sœurs, nous étions tranquille mais la sonnerie sans fin s'amplifie, pour un peu elle deviendrait angoissante, aurions-nous le temps de compter jusqu'à dix, et si la treizième, si nervalienne, ne revenait pas, si le comput n'atteignait jamais le chiffre 11 bouillonnant, composé du seul chiffre 1 qui se regarde en lui-même, ces chœurs de nonnes deviennent oppressants, s'ils pouvaient ne jamais s'arrêter, si la troisième était l'ultime, pourquoi cette voix désolée, douée d'une pureté angélique, serait-ce celle de l'ange de la mort, regardez la pochette, cette photographie, cet œil qui vous regarde par-dessous et qui sourit, des trois Parques Nona qui file, Decima qui fuse, Morta que l'on fuit, quelle est-elle... L'artiste est-elle celle qui tresse les plus belles couronnes de laurier, elles exaltent notre grandeur, pour mieux nous chuchoter Memento Mori...

    LUCIFERIS

    GOLEM MECANIQUE

    ( Ideologic organ / Février 2021 )

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    La pochette est une illustration de Gustave Doré. L'on a dit que Victor Hugo n'a jamais terminé son poème La fin de Satan parce que la fatigue et la vieillesse l'en ont empêché. Son entourage lui chantait la douce chanson : tu en as assez fait durant toute ta vie, repose-toi. Même Dieu s'est arrêté de travailler au bout de sept jours... ces conseils venaient de l'extérieur, mais au dedans de lui-même, pourquoi cet infatigable travailleur n'a-t-il pas fourni un dernier, voire suprême, effort... quelles forces surgies de l'intérieur du poëte l'ont-elles amené à surseoir au couronnement de son œuvre poétique... L'interprétation que Karen Jebane donne de la gravure de Gustave Doré, celle d'une chute de Lucifer chutant, n'arrêtant jamais de chuter, car tant que le terme de sa course n'est pas échu, il n'est pas encore condamné, il n'est pas puni, il reste libre d'être encore ce qu'il est dans sa chute-libre... Hugo a-t-il pensé que la fin de Satan serait aussi la fin de la liberté humaine...

    Karen Jebane présente ce disque comme un double de Nona, Decima et morta, pour rester dans le romantisme français, ces trois moires correspondraient à l'Eloa d'Alfred de Vigny, et son Lucifer de lumière, et ce Luciferis notre propre part d'ombre que nous portons au-dedans de nous.

    Golem Mécanique : Drone Box / Philippe Bell : guitare.

    Cadere : ( tomber ) : un point noir sur l'horizon du ciel le plus haut qui tombe sans fin, à une vitesse folle, rien ne le freinera, une horreur si démesurée qu'elle en devient splendide, il y a une terrible obstination à vouloir tomber ainsi, sans rémission, et sur ce vertige organique survient le souffle rauque de la bête qui tombe, un bruit de guitare méphistophélesque qui fout la frousse, qui vous force à regarder sans agir, car tenter de le freiner s'avèrerait impossible, une pierre, un rocher qui fonce dans l'espace, qui gronde tel un objet interstellaire, un mystère qui passe, qui ne vous voit pas, qui vous oublie tellement concentré dans sa chute dans l'espace illimité qui ne semble pas avoir de fond pour l'arrêter, vous l'avez perdu du regard, était-ce une étoile filante de braise ardente, elle est si loin qu'elle semble invisible, mais le sifflement occasionné par sa chute vous cisaille les oreilles, ce n'est pas une chose, c'est un drame qui bascule en lui-même, un entonnoir métaphysique dans lequel s'engouffrent l'espoir et le désespoir du monde, quand est-ce que ce cri musical inhumain cessera, vous n'en pouvez plus, vous êtes happé par un gigantesque vortex qui s'enfonce dans des profondeurs que vous ne pouviez imaginer, ô cette chute continue si abjecte qu'elle n'en est point monotone, qu'elle focalise encore plus votre attention, les stridences se font plus tranchantes, elles vous assaillent, elles vous écrasent, la chose qui tombe remporte une victoire, elle vous entraîne avec elle, vous perdez l'équilibre et vous tombez à votre tour, vous n'êtes plus qu'un point noir au plus profond du ciel, et d'autres vous suivent, vous voici vol d'hirondelles funèbres sans printemps en partance pour un infini qui recule sans fin, sans fin, sans fin... Déjà nous ne sommes plus qu'un chuintement illimité. Magnifique, merveilleux. Musique rebelle. Une écoute difficile à supporter. Luceat : ( qu'il brille ! ) : comme un point de lumière que l'on ne voit pas, que l'on pressent, onde divine que l'on devine, que l'on cherche, que l'on aperçoit, flamme tremblotante d'une bougie, mais si vous tombez dans l'illimité pourquoi le fait de tomber serait-il une chute, par rapport à quoi tombez-vous, pourquoi ne seriez-vous pas en train de vous élever, tout ne dépend-il pas de la place de l'observateur, ne suffit-il pas de changer la focale de son regard pour transformer le vil plomb qui tombe en or qui rougeoie, et qui bientôt se transforme en brillance aurorale, n'est-ce pas que cette musique palpite et étincelle, elle se darde de rayons matutinaux, elle se déplie, ses ailes qui la portent, ne s'agitent-elles pas comme deux longues flammes, deux étendards victorieux qui boutent le feu aux poudrières du chaos, le noir devient gris, le gris s' éclaire de blanc, encore sale, encore douteux, bientôt éblouissant, quelqu'un a-t-il allumé la lumière, le monde change de couleur, les moindres recoins de l'univers s'illuminent, celui qui tombait irradie de tous côtés, l'univers s'embrase d'un feu prométhéen, des boules de feu se détachent et s'enfuient au-delà des horizons cosmiques, tout rayonne d'une splendeur inégalée, l'espace s'apaise, il se détend, il se délasse, il semble sourire, ce qui était en bas est maintenant partout, la bête triomphe, elle est dragon de feu, elle crache des flammes bienfaisantes qui désormais réchauffent et réconfortent la chétive humanité, des ondes de bonheur parcourent les étendues sans fin, l'on croirait entendre les trompettes victorieuses de mille millions d'anges énamourés qui annoncent la bonne nouvelle, une ferveur universelle s'unit au porteur de lumière et tout s'envole, telle une roue ocellée de paon en une ronde folle. Cette deuxième piste est à la hauteur de la première. Grandiose.

    Damie Chad.

     

    *

    Un curieux livre. Un titre un peu passe-partout et pas très visible sur la couverture rougeoyante, le nom de l'auteur est à rechercher au dos du volume, et quand vous l'ouvrez vous tombez sur une succession de pages blanches, à tel point que le premier réflexe est de penser que le livre débute à la japonaise par ce que nous appelons la quatrième de couverture, comme un manga. Le premier paragraphe du faire-part est assez intriguant pour que résonne en nous le célèbre adage de Mallarmé, ''Un livre ne commence ni ne finit, tout au plus fait-il semblant.'' D'autant plus qu'il nous est annoncé comme le premier acte d'un pentaptyque, dont les quatre suivants seront publiés d'ici 2025. Une bonne raison pour se donner à vivre au moins jusqu'à cette année-là.

    V I E

    Livre I – L'asquatation

    FRANCOIS RICHARD

    ( Novembre 2021 )

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    Une question taraudante, pourquoi ces huit pages blanches au début. Remarquez que l'interrogation surgit à la lecture des premières pages. Tellement déroutantes et bouleversantes que votre esprit cherche à se raccrocher au moindre indice qui s'avèrerait signifiant. Ne parlons pas de la photographie grise et floue qui les suit et qui ne figure rien sinon sa propre présence. Encore une page blanche, grand flash, une feuille noire. Plus de cent cinquante pages plus loin, grand flash, une autre feuille noire. Intuitivement vous comprenez qu'elles encadrent, qu'elles cadrent le récit. Blanc et noir, ombre et lumière, intuitivement vous pensez à Goethe. A sa théorie des couleurs. Et de là à Faust. Qui est un livre sur les pouvoirs de l'esprit humain. Et vous commencez à comprendre.

    Toutefois il convient d'aborder cet opus encore par l'extérieur pour mieux définir son objet. Nous avons employé deux mots : récit et acte.

    Commençons par l'évidence. Le livre est une suite de séquences plus ou moins longues, elles rapportent divers épisodes d'une histoire racontée dans l'ordre chronologique, constituée de phrases regroupées en paragraphes, rien de bien déroutant à première vue. Nous venons de décrire l'intérieur du livre. Le mot acte nous permet d'envisager son extérieur. Malgré Faust, écartons toute idée de théâtre. Pensons plutôt à cette idée que le fait en soi-même d'écrire un livre est un acte de portée métaphysique, c'est-à-dire un geste capable d'exercer une influence sur le monde. Nous n'évoquons par ces mots ni le succès, ni le nombre de lecteurs que peut avoir un bouquin dans l'entregent qui le voit éclore. Si le texte est encagé de feuilles noires, ce n'est point pour faire joli, mais pour le séparer du monde, l'isoler pour qu'il apparaisse comme une volonté ( celle de François Richard ) qui ne s'inscrit pas dans la sordide réalité indistinctive en tant que bibelot anodin. Nous savons maintenant que quelque chose se joue, là et maintenant à toujours, dans cet espace clos.

    Lecture abîmale. Le lecteur n'est pas convié à écouter béatement, lui échoit le rôle de faire le travail. Non pas de lire. Trop facile. La tâche même à laquelle s'astreignent les personnages du livre. Quelques renseignements utiles : question : Où ? En France. Cette précision est importante, elle ne relève évidemment d'aucun chauvinisme ou nationalisme. Question : Quand ? difficile de dater, après une grande catastrophe, laquelle, je vous laisse l'imaginer, climatique, épidémique, atomique, barbarique, encore plus terrible que les quatre réunies peut-être.

    Rentrons dans le vif des sujets. Les personnages, vous aurez du mal à les identifier, ils sont nombreux, une bonne douzaine. Ce n'est pas pour cela que vous peinerez à les reconnaître. Le problème ne vient pas de vous. Mais de la douzaine d'eux. N'y mettent pas de mauvaise volonté. Ils voudraient. Ils aimeraient. Le problème c'est qu'ils n'en savent pas plus que vous. N'ont plus de mémoire. Ne se souviennent de rien. Les pages blanches du début correspondent à ce vide initial. Ce ne sont pas les souvenirs qui leur reviennent, plutôt des choses informelles qui leur posent souvent beaucoup plus de questions qu'elles n'apportent de réponse. A vous lecteurs d'interpréter ces fragmences venues d'ailleurs inconnus qui ne sont que des bribes incompréhensibles de leur passé. Une colonie d'adolescents et d'enfants réunis. Habitent un bâtiment délabré nommé le squat de Ribardy. Etrange robinsonnade ! Nous les voyons s'ébattre, oiseaux englués tentant de s'arracher à la gangue de leur mazout amnésique. Sans doute progressent-ils en eux-mêmes, mais le lecteur aura du mal à déchiffrer les runes incompréhensibles de leurs paroles, de leurs pensées, de leurs actes. Le comportement de ces gamins monopolise le premier mouvement – terme musical – du livre.

    Le deuxième mouvement conte leur navigation vers l'île d'Avalon. Ce nom ne saurait être dû au hasard. Si l'on y rajoute un ermite qui a l'air de connaître le passé et l'espèce de Mentor nommé Thiam sans mort, sans s'éclaircir notre horizon de lecture semble s'ouvrir sur un récit épique. Serions-nous dans une épopée avec, question subsidiaire, ne serions-nous pas dans un poème. Troisième mouvement : nous voici sur le continent au milieu de nulle part, dans une fête, dans une clairière. Le mot clairière n'est pas sans évoquer Heidegger et sa réflexion sur l'oubli de l'oubli. Au lieu d'Heidegger nous avons une allusion au Journey through the past de Neil Young.

    Il est sûr qu'à la fin du livre le mystère reste entier. Que cet état de fait ne soit pas un prétexte pour ne pas en entreprendre la lecture. L'histoire a-t-elle d'ailleurs un quelconque intérêt. Suivre les aventures de nos héros, si palpitantes ou angoissantes seraient-elles, ne serait-ce pas rester en surface du livre. Ne vaudrait-il pas mieux tenter une lecture qui essaie de percer la peau de son écriture. Regardez les moindres mots de ce récit, ils sont comme dans tous les autres livres formés du noir de leur encre et du blanc de la page. Que signifie cette alternance, que toute connaissance repose sur du vide, sur du néant. Pourquoi les mémoires trouées de ces gamins ne seraient-elles pas l'image du vertige de l'écriture et pourquoi l'écriture ne serait-elle pas un acte qui s'inscrirait entre prose et poésie. La prose qui dit et la poésie qui mystérise.

    Un des gamins énonce un jour le mot Odyssée, peu après ils prendront la mer vers Avalon. L'on ne peut lire V I E sans évoquer l'Ulysse de Joyce, roman qui s'étend en vingt-quatre chants, et raconte une journée de la vie ( peu héroïque ) de Leopold Bloom, Une existence terne, considérée à l'aune de l'intérêt romanesque, mais d'une richesse fabuleuse, car la pensée de mister Bloom vogue sans cesse sur les représentations imaginatives de toute pensée en action. Traverse gouffres, mythifications et touche aux notions les plus élémentales de la réalité humaine, la mort, le désir, la peur, la connaissance... Au fond Bloom n'est guère différent de l'Ulysse d'Homère. Toute l'analyse de Joyce passe par la mise en langage de son roman. Notons que Finnegans wake dernier roman de Joyce, écartèle la graphie des mots anglais pour leur faire dire ce que le blanc sur lequel se dessine le noir des lettres ajoute ( ou retranche ) au sens des mots.

    François Richard s'est embarqué dans une tentative d'écriture du même genre. Joyce était irlandais. François le français s'inscrit dans une démarche culturelle française. En fin de volume, sont publiées deux notules de l'éditeur au reçu du manuscrit. Qui en tente une première interprétation arquée sur les démarches d'Arthur Rimbaud et de Stéphane Mallarmé. Il n'épilogue pas sur l'intrigue du roman, il tente de comprendre et de mettre à jour la signification de cette œuvre qu'il définit comme un travail poétique sur la langue ( française puisque écrit en français ) et avant tout comme une aventure poétique, pour ne pas dire une percée en poésie.

    Pour mieux comprendre, sans doute faut-il replacer ce premier tableau du pentaptyque V I E ( Joyce parlait de work in progress ) dans l'histoire du déploiement de la prose française depuis un demi-siècle, depuis cette réflexion sur l'écriture de la poésie des années soixante-dix qui déboucha sur la pensée déconstructiviste qui elle-même accoucha d'une prose des plus plates qui inonde le roman moderne. V I E délaisse cette morne plaine littéraire et essaie par son écriture de renouer avec ce que, faute de mieux, nous nommerions l'essence de la poésie.

    Ouvrir V I E cinq ou six fois au hasard est une fête intellectuelle. Certes c'est la même histoire qui se déroule, mais les paragraphes dans lesquels on se plonge révèlent à chaque fois un monde différent, une vision du monde en quelque sorte annexe, vous donnent l'impression de voyager d'île en île, chacune dévoilant une autre facette de toute vision. Pourtant à chaque fois malgré la profuse diversité des univers apparus, le lecteur reçoit l'impression qu'il est en présence d'un des points géodésiques de l'essentiel.

    Gageons que V I E terminé apparaîtra à beaucoup comme un livre somme et de refondation.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

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    Episode 15

    VIVE LA POLICE

    Le brigadier s'avéra très sympathique. En plus du café il ouvrit une boîte de biscuits secs, enrobés de chocolat.

    _ Heureusement que vous avez eu la bonne idée de mettre un terme à la vie de votre bonne femme, je commençais à m'ennuyer !

    Il est vrai que le commissariat est bien calme. Je lui jette un regard étonné, je ne m'attendais pas à une foule énorme, tout au moins trois ou quatre plantons ensommeillés, deux voitures de cowboys de la BAC venus jouer les cakes, une kyrielle d'ivrognes exigeant à boire, non, silence complet. Devant mon regard étonné il enchaîne :

    _ Tous partis, une réunion urgente, tout le monde, m'ont laissé seul avec le prisonnier et la consigne de n'ouvrir qu'au cas de grande urgence. Je suis sûr que le patron me le reprochera, je l'entends déjà, '' une pauvre conne zigouillée, vous croyez que je n'ai que ça à foutre, le pauvre gars aurait dû revenir dans deux ou trois jours !'' L'est comme cela le patron depuis la semaine dernière, depuis qu'il a été convoqué à l'Elysée, trois fois déjà, et tout à l'heure encore !

    _ Le prisonnier ?

    _ Pas bavard le gars, refuse de parler depuis qu'on lui a confisqué sa guitare ! Bon je cause, je cause, j'vais vous fourrer avec lui dans sa cellule, mais je vous préviens l'est muet comme une tombe. Étonnant pour un mec pour qui passait son temps tous les soirs à hurler sous la Tour Eiffel, je vous le dis moi, le monde est maboul !

    _ Brigadier, je ne veux pas abuser de votre accueil, mais passez-moi la guitare du gazier, il chantera, ce sera plus gai, cela mettra de l'ambiance

    _ Pas bête votre idée, tenez prenez son instrument, je vous suis avec la clef.

    NEIL YOUNG

    Dès que la grille de cellule s'est refermée Neil Young me sourit. Il se jette sur la boîte de petits gâteaux que le brigadier compatissant m'a offert et y puise dedans à pleines mains. Comme je suis un grand psychologue je ne dis rien, c'est écrit dans tous les manuels : N'hésitez pas à sacrifier vos biens les plus précieux pour parvenir à vos fins. Lui, enfin parvenu au bout de sa faim, se penche vers moi et me glisse à l'oreille :

    _ Vous en avez mis du temps à arriver, dépêchez-vous de me filer votre plan d'évasion !

    _ Le voilà ! Je lui tends la guitare !

    FOCALISATION EXTERNE

    Le brigadier est content. Les deux prisonniers ont l'air de bien s'entendre et le gars au T-shirt de Neil Young s'est mis à jouer et à chanter très fort, une musique un peu bizarre, bon, il préfère l'accordéon, mais l'ambiance vous a pris un petit tour festif pas du tout désagréable, du coup il s'ouvre un paquet de galettes bretonnes. Durant vingt minutes les pieds sur la table, il est aux anges, mais son ravissement est coupé net par un ineffable couac, suivi de râles monstrueux. Le meurtrier de sa femme serait-il un tueur en série, aurait-il commis une monumentale erreur fatale à son avancement !

    La voix rassurante de l'assassin l'appelle au secours :

    _ Brigadier venez vite ! Je vous en prie, c'est urgent ! Ses cordes vocales se sont rompues !

    La clef dans la main il entre dans la cellule. Le spectacle est atroce. Le musicien est dans les bras de l'assassin qui essaie tant bien que mal de le soutenir, l'autre est en train de vomir du sang et des morceaux de chair, c'est dégoûtant, le brigadier n'a rien vu venir. Ses collègues le retrouveront évanoui assommé par une guitare qui a traversé sa tête. A moins que ce ne soit le contraire.

    TOUT LE MONDE DETESTE LA POLICE

    Je referme à clef la cellule, Neil Young fauche le paquet de galettes bretonnes abandonné sur la table du brigadier, ne reste plus qu'à sortir et à nous évanouir dans la nuit. Opération réussie Cinq sur Cinq ! Aucune perte, si ce n'est ces deux steaks hachés bien saignants que j'avais gardés dans ma poche pour Molossa et Molossito. Tant pis, à la guerre comme à la guerre ! Justement la voici. Nous sortions du commissariat lorsque du bout de la rue débouche une file d'une dizaine de voitures gyrophares en action. Neil Young détale comme un lévrier et je le suis sans épiloguer sur la conjoncture qui tourne au vinaigre !

    Un coup de chance, un carrefour dont la rue que nous empruntons est en sens interdit et bloquée par un gros camion-livreur. Derrière nous les portières claquent, sont une trentaine à nos trousses. Le Neil m'étonne, avec son estomac plombé de galettes bretonnes il galope comme un dératé, je le suis sans peine – n'oubliez pas que suis un agent secret – le Neil m'épate '' au prochain croisement on se sépare'' me crie-t-il, et hop il fonce à droite tandis que je tourne à gauche. Je n'en crois pas mes oreilles, personne derrière moi, sont tous après le Neil, étrange, je reviens sur mes pas, je comprends, l'artère qu'a empruntée Neil est une impasse, je ne peux rien pour lui, des voitures de police barrent la rue, des coups de feu retentissent, tapi dans l'obscure et bienvenue encoignure biscornue d'une entrée de magasin, j'aperçois les policiers refluer et s'entasser dans les voitures qui démarrent et s'éloignent en trombe. Je me glisse dans le cul-de-sac, Neil a donc trouvé une sortie providentielle. Non ! Je ne tarde pas à trébucher sur son cadavre, sur le trottoir criblé de balles. La lueur blafarde du petit jour éclaire la scène, le sang coule encore de ses blessures, et se coagule dans la rigole. Près de sa main droite, j'aperçois deux taches d'un drôle d'aspect. Une espèce de gribouillis sanglant, je me recule un peu, je comprends, ce sont deux lettres toutes tordues, il m'est toutefois facile de les déchiffrer, cette barre torsadée ne peut être qu'un I, et ce serpent mal foutu, un S. Le dernier message de Neil !

    RETOUR A L'ABRI

    Les chiens me font la fête et les filles m'embrassent, le temps n'est pas aux effusions, le Chef me laisse juste le temps de changer de chemise et de pantalon.

    _ Agent Chad au rapport, ordonne le Chef en allumant un Coronado, le plan Alpha n'attend pas !

    Les filles ne quittent pas mes lèvres, elles me lancent des regards admiratifs, surtout lorsque je me présente comme l'assassin de ma femme, elles éclatent de rire lorsque je rappelle Neil engouffrant les galettes bretonnes, et pleurent lorsque je conte la fin prématurée du chanteur.

    _ Il est inutile de pleurnicher, déclare le Chef, un agent du SSR ne pleure jamais, que cela vous serve de leçon, est-ce vraiment tout agent Chad ? Si je comprends bien, le seul indice à retenir ce sont ces deux lettres maladroitement tracées, veulent-elles vraiment signifier quelque chose de précis ?

    _ Un dernier message, peut-être à sa fiancée qui se prénomme Isabelle, suggère Framboise, et peut-être même ISIS, en écrivant seulement deux lettres il l'a nommée toute entière !

    Ses paroles sont accueillies par un murmure flatteur

    _ Ou alors, je sais que c'est nettement moins romantique, hasarde Joël, au moment de mourir il a pensé à mettre ses affaires en ordre, IS comme Impôts sur les Sociétés !

    Sa proposition ne convainc personne, un guitariste fauché qui consacre ses ultimes instants à payer ses impôts !

    _ Il aimait Neil Young, connaissez-vous une de mes chansons préférées de cet artiste, IS a dream ? moi Noémie je m'imagine à mes derniers moments me demandant si la vie ne serait pas un songe.

    Le Chef ne nous laisse pas rêver :

    _ Non, apprenez à réfléchir dans le droit fil de l'affaire qui nous préoccupe : quel intérêt aurait la police à abattre un chanteur de rue ? Aucun. Quelle est la nationalité de Charlie Watts ?

    _ Anglais !

    Le Chef tira une longue bouffée de Coronado !

    _ Anglais, bien sûr et vous n'avez jamais entendu parler de l'Intelligence Service !

    Nous devions avoir tous l'air ahuri :

    _ Vous voyez les bienfaits du plan Alpha. Nous prenions notre Neil Young pour un comparse anodin, de fait c'était un agent Secret de sa très gracieuse majesté qui tentait de nous faire passer un message, si la police l'a abattu ce n'est certainement pas parce qu'il chantait mal !

    A suivre...