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jim morrison

  • CHRONIQUES DE POURPRE 549 : KR'TNT 549 : ROCKABILLY GENERATION NEWS / BOBBY GILLESPIE + PRIMAL SCREAM / PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE / BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD / JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 549

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 04 / 2022

     

     ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BOBBY GILLESPIE + PRIMAL SCREAM

    PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE

    BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD

     JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 549

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

      http://krtnt.hautetfort.com/

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 21

    AVRIL / MAI / JUIN 2022

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    En avril ne te découvre pas d’un fil. Est-il vraiment obligatoire de préciser électrique. Pour cette vingt-et-unième livraison Rockabilly Generation s’est branché en triphasé, z’ont même éliminé la Terre qui normalement permet d’évacuer le surplus d’énergie, c’est un peu plus dangereux mais le rock’n’roll n’est pas une musique pépère. Donc on frôle la perfection. Sans attente plongeons sans ménagement nos doigts humides d’impatience dans le boîtier, sans même accorder ( pour le moment ) un regard à l’effigie du couvercle.

    Greg Cattez nous présente Ricky Nelson.  Peut-être le premier pionnier que j’ai vu dans mon enfance. Dans Rio Bravo, avec John Wayne, m’en souviendrai toujours, surtout du shoot d’Izarra verte, un plein verre que m’avait généreusement servi Jeannot un ami de mes parents qui nous avait invité voir le film à la télé. C’est cela le rock ‘n’roll, y a toujours d’autres trucs plus ou moins raides et voluptueux qui traînent avec. Mais revenons à Ricky. L’est pas mort comme l’amiral Nelson sur son bateau mais dans son avion qu’il avait racheté à Jerry Lou. Un étrange destin, un de ces enfants stars que les chaînes américaines s’arrachaient. Un feuilleton familial un peu gnan-gnan grand public. Tout pour ne pas devenir un rebelle. Oui mais piqué à quinze ans par la tarentule Elvis Presley il décide de devenir chanteur de rock. Le pire c’est qu’avec l’aide de papa, il réalise son rêve. Pas riquiqui en ses débuts le Ricky, malgré sa gueule d’ange propre sur lui l’a quand même Joe Maphis et James Burton sur ses premiers disques. En France l’a été un peu boudé par les premiers rockers, mais depuis sa cote est bien remontée… Greg Cattez raconte la légende, on écoute et on rêve, mieux que les photos d’archives qui l’accompagnent l’on s’attarde sur la pleine page de quarante-deux disques de sa discographie.  

    Y a pas que les amerloques qui rockent. Les néerlandais aussi. A part que le guitariste des Hi- Tombs est français. Fredo Minic est né à Issy-Les-Moulineaux. Raconte son histoire, le parcours classique, un premier groupe de copains et la montée en puissance au fil des années. Ne se prend pas pour un cador, reste humble, longtemps rythmique avant d’être lead, n’a pas l’envie de surpasser les devanciers, il apprend, il travaille, mais l’a une forte personnalité, les échecs ne l’arrêtent pas, si un groupe se débande il en projette tout de suite un autre, trouve enfin en 2007 la formule avec Hi-Tombs, une des formations de stature européenne du paysage rockabilly actuel… L’a un secret, ne fait pas de concession.                                           Y a pas que les amerloques qui ont des pionniers à la toque. Certes on en a moins, mais on a Tony Marlow. Et à lui tout seul il en vaut trois ou quatre. Zieutez ses yeux malicieux et son regard de velours sur la couve. Pas moins de quatorze pages pour résumer sa vie ès rock ‘n’roll. L’a dû naître l’année du chat car il a déjà vécu une quinzaine de vies rock ‘n’roll.   Une existence au service du rock ‘n’ roll et que serait le  rock français s’il n’y avait pas Marlow le marlou. L’est le témoin, l’est le passeur et surtout l’est le novateur. L’a tout vu, tout connu, tout embrassé. Toujours un coup en avance, toujours là où ne l’attend pas. Toujours fidèle à lui-même. Quelle que soit la formule qu’il adopte il tient la route, ne négocie pas ses virages, mais trouve immanquablement son public. Sa discographie est une revisitation du l’histoire du rock depuis le swing, les pionniers, l’early french sixties, le revival rockabilly, le son anglais, le psyché, le punk ‘n’ roll avec Alicia F… à la batterie, à la guitare, au chant, à la compo, à l’écriture. En anglais, en français et même en corse… Il y a quarante ans que cela dure, le Marlow-rock a la vie dure ! Rassurez-vous, ce n’est pas fini.

    Parfois n’y a que les amerloques qui ont le bidule dans la bicoque. L’on s’est mis à deux pour vérifier. Un article bien écrit de Julien Bollinger qui inaugure la nouvelle rubrique : Racines. Inconnus au bataillon. Oui ils sont deux, l’auteur et Bob Dunn. Avec Mister B, le copain, l’on est allé illico annihiler notre ignorance ( honteuse ) sur You Tube, imitez-nous, tout ce que raconte Julien est vrai, Ce Bob Dunn est le premier à avoir traficoté sa guitare pour l’électrifier, un sacré bricolo, mais ce n’est peut-être pas le plus important, le fameux Crossroad de Robert Johnson c’est lui, sidérant, une vidéo de vingt minutes Bob Dunn’s Vagabonds Steel guitar 7 songs 1939. Un feu d’artifice. Le passage du blues au country, la gestation du boogie, la concomitance avec Django Reinhart, et bien d’autres encore, prêtez l’oreille, les plans se suivent et ne se ressemblent pas. Un trésor, une découverte. En plus Bob Dunn aimait beaucoup cette Izarra jaune que les américains appellent whisky.

    Là, les amerloques peuvent aller se cuire un œuf à la coque. Ce numéro de Rockabilly Generation ne sera pas terminé avant que le coq français n'aura pas chanté trois fois. Tout comme pour Tony Marlow, Kr’tnt a souvent présenté The Atomics en concerts. Peu de disques, n’ont enregistré sous leur propre nom qu’un EP de quatre titres. L’on écoute parler Raph, le guitariste, un de mes préférés, très électrique, dans ses mots défile toute l’histoire du rockabilly français cette génération boostée par l’apparition de Brian Setzer, qui se perpétue et résiste sans faille, constituant l’épine dorsale du public rock national. L’on retrouve chez Raph cet amour invétéré pour les pionniers et cette modestie consubstantielle qui caractérise la majeure partie des musiciens de rockabilly. Pas de frime, des actes, une obstination et une persévérance qui éblouissent.

    Suivent les chroniques habituelles, nouveautés, concerts, un backstage consacré aux Spunyboys, deux annonces, une qui serre le cœur, Help for the Wise Guys in Ukraine, et Dans la chaleur de Johnny une boutique spécialisée dans des objets Johnny Hallyday, tenue par un fan Cédric, et sise Rue Magenta à Epernay ( 51 ).

    Superbe numéro. L’aventure Rockabilly Generation menée de main de maître par Sergio Kazh continue. Papier glacé, mise en page attrayante, documents d’archives, des interviews qui libèrent la parole, et des photos à vous arracher les yeux. C’est Sergio Kazh le coupable.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (  1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

                                                            

    Baby Gillespie

     

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             Quand on voit la photo de Bobby Gillespie qui orne la jaquette de Tenement Kid, son autobio récemment parue, on comprend tout. Enfin, c’est une façon de parler. On comprend surtout que Bobby est un éternel adolescent, ce que confirme l’écoute des albums de Primal Scream. Sa voix n’a jamais mué. Il est resté le Baby Gillespie de son adolescence, tel qu’on le voit, là, sur cette photo, en train de chevaucher une petite moto de ville. On serait presque tenté de penser qu’il est un vampire, au même titre que Jean-Michel Jarre qu’on croisait à une époque sur les bords de Seine, sidérant de jeunesse éternelle. Baby Gillespie aurait très bien pu jouer le rôle d’Adam dans l’excellent Only Lovers Left Alive de Jim Jarmush, un film nocturne qui nous emmène sur les traces de Brian Jones à Tanger, quand bien même le pauvre Brian Jones n’est pas un vampire, comme on sait. Par contre, on a vu en 2020 un Baby Gillespie sidérant lui aussi de jeunesse éternelle danser comme un vampire lors du tribute à Rowland S. Howard à la Maroquiqui, et si on examine la petite photo qui se trouve sur le rabat de jaquette en troisième de couve, on se voit contraint d’admettre que Baby Gillespie n’a pris aucune ride en quarante ans. On remarque juste l’éclat noir de son regard, qui est bien sûr l’apanage des vampires. N’allez surtout pas croire que la condition du vampire est un privilège. Il en va du fil des siècles comme du fil des ans, on finit par en avoir vraiment marre. Ce qu’a très bien compris Jarmush, puisqu’il fait mourir, oui, mourir, Marlowe, le vieux vampire que joue John Hurt dans son film. Ras le bol de l’éternité. Seul un vampire supérieurement intelligent peut comprendre ça.

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              Ce book vaut le temps qu’on lui consacre pour deux raisons principales : Baby Gillespie y narre une éducation musicale parfaite, et d’autre part, il nous narre l’histoire des Mary Chain telle qu’on a toujours rêvé de la lire, racontée de l’intérieur, du temps où Baby G battait le beurre pour les frères Reid.

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             Si Flaubert avait grandi en Écosse au XXe siècle, il aurait pu écrire Tenement Kid sur le modèle de l’Éducation Sentimentale. Non pas que Baby G soit un grand écrivain, mais il donne beaucoup d’allure à ses convictions, d’autant plus d’allure qu’il grandit dans un milieu pauvre et fortement politisé. Il dit sa fascination pour Fidel et le Che qui ont viré les Américains et la mafia de Cuba. Il va même jusqu’à prétendre, et il a raison, que Fidel et le Che ont démarré les sixties trois ans avant les Beatles. On a tous eu des posters du Che dans nos chambres. Rien de surprenant à cela, le Che arborait non seulement une allure de rockstar, mais il agissait en plus comme un héros - Che was our Jesus, a rockstar revolutionary - Baby G ajoute que Dennis Hopper avait basé son look sur le Che. Small Baby G admire aussi Cassius Clay parce qu’il refuse d’aller se battre au Vietnam en balançant dans la barbe du pouvoir néo-nazi américain : «No Viet Cong ever called me a nigger !». Small Baby G admire donc les sportifs noirs, Cassius Clay et Pelé - Sport is an incredible way of breaking down racial préjudice - Mais en même temps, il se dit consumé de l’intérieur, par une douleur à la fois psychique et spirituelle. Il est convaincu pendant toute son enfance que la vie n’est que confrontation, compromis et violence. Les rues de Glasgow ne sont pas sûres à l’époque. Il se fait souvent casser la gueule et doit apprendre à se défendre ou à raser les murs. Quand il arrive à l’école primaire de Mount Florida en 1972, un kid lui dit : «Tu es au courant pour Skin des Tiki ? Il a reçu un coup de hache dans le dos hier soir.» Les Tiki sont le gang local - Everywhere you went in Glasgow there were gangs - Baby G rappelle les principes de base de la vie d’ado à Glasgow : tu dois être dur - it was all about how hard you were - et plus tu es dingue, plus tu es respecté. Sinon, évite de faire le cake et de te faire remarquer car tu vas recevoir une grosse branlée. Et un peu plus loin, il amène une conclusion qui tombe sous le sens - So when punk came along, I was just ready for it - En 1976, il a 14 ans et encore toutes ses dents.

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             Bien que ses parents soient d’une extrême pauvreté - la famille habite dans un deux pièces, le fameux tenement, c’est-à-dire le taudis - ils écoutent des disques. Et pas n’importe quels disques. Certainement pas Chantal Goya. Baby G se souvient très bien d’un Greatest Hits de Diana Ross & the Supremes sur Motown. Le chouchou de Dad, c’est Muddy Waters avec «I Got My Mojo Working». Il y a aussi le Greatest Hits Volume 2 de Ray Charles «on the stateside label with a cool photo of Ray. Dad would play this record A LOT.» Ils écoutent aussi Bob Dylan - Dad loved The Times They Are A-Changing LP with all the protest songs on it - Mum adore Hank Williams, «Moaning The Blues» which she played A LOT. Elle adore aussi Doris Day et un single d’Elvis que Baby G passe son temps à admirer, thinking how beautiful he looked. Il se souvient aussi d’un live de Smokey Robinson au dos duquel Dylan disait de Smokey qu’il était «America’s greatest living poet». Baby G indique aussi qu’il n’y avait pas de disques des Beatles in the house - Mum later told me she never liked them; she preferred the Stones - Comme ça au moins les choses sont claires. On ne sera pas obligé de lui demander s’il préfère les Stones ou les Beatles.

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             Il se souvient de la teuf-teuf familiale qu’ils avaient dans les early seventies : une beautiful dark green Vauxhall Viva, équipée d’un lecteur de cassettes et Dad écoutait Bridge Over Troubled Waters et Glen Campbell - That’s when I first heard the Rolling Stones, in that car - À 11 ans, il flashe comme tous les kids d’Angleterre sur Marc Bolan, il appelle ça du bluesy hard rock, puis un copain d’école lui passe Aladdin Sane, et il est frappé par le portrait de Bowie à l’intérieur du gatefold, «à la fois satyre, mi-homme mi-bête, de sexe indéterminé» - It was a totally mind-blowing image - Ça lui tournicote les hormones. Puis il découvre tout le glam à la téloche, dans Top Of The Pops, Sweet, Roy Wood and Wizzard, Gary Glitter, Slade, Mott The Hoople, Bowie, Sparks et T. Rex - Bowie and Bolan introduced me to androginy an poetry - C’est le parcours classique d’un kid qui grandit dans les seventies. Il existe énormément de points communs entre cette autobio et celle de Kris Needs. Puis c’est la révélation : une petite photo de Johnny Rotten - My first outsider hero. No words needed - Puis ça continue avec Diamond Dog, le Slaughter On 10th Avenue de Mick Ronson et le 16 And Savaged de Silverhead. Le premier single qu’il achète avec son argent de poche est l’«Hellraiser» de Sweet. Puis chez le copain Butchie, il découvre Meaty Beaty Big And Bouncy des Who, ainsi que Who’s Next et Live At Leed, le Get Yer Ya-Ya’s Out des Stones, puis il flashe sur le Stupidity de Doctor Feelgood, sur Nazareth, sur «Motor-Biking» de Chris Spedding, quelques singles de Status Quo et le Machine Head de Deep Purple - Rock and roll totally consumed me. It became my religion - Il voit la culture rock comme un espace de liberté, où les gens peuvent devenir eux-mêmes. Il finit par découvrir que c’est aussi un moyen de se réinventer. L’imagination au pouvoir, en quelque sorte. C’est exactement ça, Baby G. Il a tout compris. Il veut échapper au monde réel qui ne lui plaît pas - I think punk did that for me - Il pense même, comme beaucoup de gens qui ont suivi le même chemin, que le rock lui a sauvé la vie. Vers la fin du book, il évoque les blues people qui sont à ses yeux the ultimate outsiders - Soul and country are both artforms created by working-class Americans, Black and white - C’est parce que petit il écoutait Ray Charles (Dad) et Hank Williams (Mum) qu’il a ça en lui, a deep love of the blues. Dans les années 90, il passe son temps à écouter ce qu’il appelle des «albums sérieux», ceux des masters; sixties and seventies soul songwriters, the country soul guys comme Dan Penn, Donnie Fritts et Kris Kristofferson. Grown-up, adult songwriters. Serious guys with a life story. Literary songwriting. Songs of experience, à la différence de ses chansons qui sont des songs of innocence. Il veut écrire des songs of experience, lui Baby G, l’éternel adolescent ? Ha ha ha, quelle blague ! Éducation parfaite. Baby G est ce qu’on appelle un gosse rudement bien élevé.

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             Il nous fait aussi des pages superbes sur Alex Harvey Band et Thin Lizzy. Alex Harvey parce que c’est un mec de Glasgow et tous les copains d’école ont un patch SAHB (Sensational Alex Harvey Band) cousu sur leur blouson Wrangler - Harvey was one of our own, a Glasgow boy qui avait réussi après des années d’efforts. Son Sensational Band portait bien son nom. They took no prisoners and stormed the nation’s pop charts and concert venues with a mixture of street-sharp hard rock, sea shanties, murder ballads and Weimar decadence - Baby G flashe sur l’album Next, avec Alex les bras en l’air sur la pochette et cette invitation à se battre, «Come ahead, your tea’s out !», Baby G voit Alex comme «the shamanic pagan high priest, comme Richard Wagner fronting a rock band». Il se demande comment un mec aussi pauvre a fait pour réussir à devenir célèbre - He was just a guy from the same streets as me, from Tradeston - Et ça repart de plus belle avec Thin Lizzy et «The Boys Are Back In Town», la chanson qui pour Baby G définit le mieux l’été 1976, l’été de ses 14 ans. Il voit Lizzy à Top Of The Pops et il est frappé par l’«extremely handsome black Irishman dressed in tight blue jeans, stack-heeled shoes and a loose-fitting glammed-out silver-streaked cowboy shirt unbuttoned halfway down his chest, revealing a silver necklace. He wore his hair in the afro style, tight like Jimi Hendrix. He was just so confident and outrageously flash.» What a portrait ! Baby G a du pif, il choisit les bonnes idoles. Quand il voit dans le journal local que Thin Lizzy passe à l’Apollo Theatre de Glasgow, il décide d’y aller avec un gosse du quartier qu’il ne connaît que de vue, Alan McGee. En trottinette, ça fait trop loin, alors ils y vont tous les deux en autobus. Pour Baby G, c’est le dépucelage - I lost my rock and roll virginity to Phil Lynott and Thin Lizzy that night. I was filled with the Holy Spirit of Rock and Roll, never to be the same again. The classic line-up of Lynott, Downey, Gorham and Robertson transmogrified my teenage soul with raw-powered street rock and flash glam electric sexuality. My love for Lizzy will never die. They were the first real musical love that I discovered by myself and they still inspire me to this day. Phil was the greatest, a true working-class hero. Every boy wanted to be him, every girl wanted to fuck him - Et soudain le punk arrive.

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             Baby G commence par tomber sur les Damned à la télé. Nest Neat Neat ! Boom badaboom ! Il tombe de sa chaise. Puis à Pâques 1977, il achète le NME avec les Clash en couve. Les trois Clash, avec Simonon au milieu ! Oh la la ! Il est choqué par leur brutally short hair, car «in early 77, tout le monde a les cheveux longs». Il achète l’album des Clash et rentre chez lui en courant pour l’écouter sur la stéréo de ses parents qui sont au boulot. Il met le volume à fond, cranking up the volume full blast. Comme tous les kids de son âge, Baby G est ratatiné par cet album, c’est un phénomène purement britannique. Puis il achète «God Save The Queen» et rentre chez lui en courant pour l’écouter avec son petit frère Graham - We were just ORGASMING - Ils expérimentent tous les deux ce qu’il appelle le psychic jailbreak, l’évasion psychique. Leur vision du monde change ce jour-là, avec le full blast des Pistols. Puis il découvre les Dolls. Quoi, des mecs qui sonnent comme les Pistols ? Ce n’est qu’un plus tard qu’il comprendra que les Dolls étaient là avant et qu’ils sont devenus les Heartbreakers. Baby G commence à hanter les disquaires de Glasgow, il y en a six à proximité du lycée et celui qu’il préfère s’appelle Bloggs car il vend du punk et le vendeur n’est autre que Mickey Rooney, futur chanteur des mighty Primevals - A Stooges and MC5 fanatic - Baby G se lance comme tout le monde dans l’achat de disques américains, avec «Sheena Is A Punk Rocker» des Ramones et «Spanish Stroll» de Mink DeVille, puis il continue avec Patti Smith, Richard Hell, les Runaways et les Dead Boys. Mais son chouchou reste Johnny Rotten - Everything he said in the interviews was deeply confrontational and launched with a fusillade of hate - Baby G n’en finit plus de l’admirer, d’autant plus qu’il n’avait rien d’un sex-symbol à la Rod Stewart - He was exactly like one of us working-class street kids - Les Pistols renversent l’échelle des valeurs, tout ce qui était joli devient laid et tout ce qui est laid devient joli. Oh et puis les fringues - Black leather trousers and jackboots, Mod bum-freeze jacket and Destroy shirt, the studded wristband, S&M belt and his digital watch. I thought he was the coolest-looking guy in the world - Quand Johnny Rotten se pointe sur Radio One, John Tobler lui demande ce qu’il écoute, et Rotten lui répond : «Football chants and Irish rebel songs.» Alors Baby G est sidéré : «I thought, that’s me !», oui, car il va voir les matches de foot et chante les football chants and Irish rebel songs at Celtic games... and he is in the best rock and roll band in the world. Johnny Rotten comes from a council estate, so I do. THIS GUY’S LIKE US !

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             En 1977, Baby G casse sa tirelire pour aller voir des concerts : Lizzy deux fois, Graham Parker And The Rumour, Status Quo, the Jam, the Damned, Dead Boys, the Clash et ça se termine avec that amazing Christmas show : Ramones supported by the Rezillos. Il tombe sous le charme des Ramones, comme tout le monde - Ramones were perfect in both charm and vision. Ramones were a total assault on the senses. Ramones were godhead - Et quand après la fin des Pistols, John Lydon revient avec PIL, Baby G en bave d’admiration, parce que justement, Lydon ne revient pas avec des nouveaux Pistols, mais avec un son nouveau - We’d never heard anything like this before - Il faut bien se souvenir que PIL fut révolutionnaire à l’époque. Du coup, Baby G se sent encore plus proche de son idole - He was my guiding star - Il va ensuite flasher sur Ian McCulloch qui selon lui a tout, the looks, the hair, the voice - The Bunnymen had a mystique - Puis il devient roadie pour Altered Images qu’il trouve really good.

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             En 1978, il commence comme tout le monde à écouter le John Peel Show on Radio One sur un petit transistor à piles, du lundi au jeudi. Puis grâce à Zigzag, il découvre Love, les Byrds, les Doors, Buffalo Springfield, Tim Hardin et Tim Buckley. Small Baby G ne sait plus où donner de la tête. Et puis il y a Johnny Thunders en couverture de Zigzag, avec à l’intérieur son interview par Kris Needs pour la promo de So Alone. Ah la longueur des filets de bave ! Et comme tout le monde, Baby G se met à acheter chaque semaine la trilogie impérative, NME, Melody Maker et Sounds. De quoi devenir dingue.

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             Un soir, lors d’une party chez Severin à West Hampstead, Baby G tombe sur sa collection de disques. Il est choqué d’y voir trôner l’Electric Ladyland, non pas à cause des gonzesses à poil sur la pochette - Baby G ne bande pas encore - mais parce que l’album était à l’époque considéré comme un hippy album, et donc mal vu chez les punks - That’s how it was in those days - Il se souvient aussi d’avoir réagi de la même façon en découvrant le White Album chez Andrew Innes, qui est alors un copain du quartier - It was a crime to admit you liked anything before 1976 except for the Velvet Underground, Iggy and the Stooges, New York Dolls and MC5 - C’est vrai que le sectarisme régnait sans partage, surtout à cette époque. Tout le monde devenait à moitié con avec le punk-rock. On lançait des anathèmes à tout bout de champ. Fuck ci, fuck ça. Si Can et Van Der Graaf échappaient aux purges, c’était grâce à Johnny Rotten qui en disait le plus grand bien à la radio.

             Et comme tout le monde, Baby G s’achète une première guitare électrique, une copie de Les Paul Classic, «a cherry-burst reddish-brown colour, very Thin Lizzy» et un ampli Peavy Bandit. La première chose qu’il apprend à jouer dessus, c’est «Time’s Up» et le solo sur deux notes du «Boredom» des Buzzcocks. Puis il s’achète une basse, «a black Fender Mustang bass guitar and an Electro-Harmonix Clone Thenry effects pedal». Il adore jouer comme Jah Wobble de PIL.

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              Il revient longuement sur l’autre grande idole de son enfance, Jimbo, un Jimbo héroïque qui traite le public de Miami de bande d’esclaves. Baby G et son frangin Graham adorent rouler la nuit dans Glasgow, au volant de Mum’s little Renault, en écoutant une cassette des Doors, la compile de singles qui s’intitule 13 - Five to one baby/ One in five - Baby G admire autant Jimbo que le Che : «Jim Morrison vivait réellement les choses qu’il chantait. In the future I would personnaly find that was a very dangerous game to play.»

             Il se met à vénérer les auteurs comme Jagger & Richards, Jim Morrison, Lou Reed, Ray Davies et Iggy Pop. Son copain Beattie avec lequel il va démarrer Primal Scream s’achète une douze pour sonner comme les Byrds - He was hooked on Roger McGuinn’s jingle-jangle magic Rickenbacker guitar sound - Alors Baby G s’achète une «sky-blue Vox Pantom as played my hero Sterling Morrison, guitariste extraordinaire of the Velvet Underground.» Et puis en 1984, le punk passe de mode - It was seen as an embarassment in the UK music papers - Et les hip people de Glasgow étaient tous des clones de Bowie Young Americans, dans leurs fringues atroces, playing the white-boy funk that was as funky as Margaret and Dennis Thatcher attempting to dance the Funky Chicken: naff central - Eh oui, les années 80. Comme tout le monde, Baby G se réfugie dans les «ultra-damaged poster-boys of underground rock», Syd Barrett et d’autres misterioso figures comme Arthur Lee, Brian Wilson et Alex Chilton - Not a lot of people were interested in these artists. They were seen as sixties drug casualties and burnouts, embarassments from another era - Puis comme tout le monde, Baby G part à la chasse aux disques dans les record fairs, il ramasse de tout, Electric Prunes, Eddie Floyd, Isaac Hayes, des Stax singles, 13th Floor Elevators, Byrds, Misunderstood, puis c’est le déluge des compiles fatales, Perfumed Garden, Acid Dreams, tout le bazar de Rhino puis de Line Records en Allemagne qui se met à rééditer tout ce qui peut intéresser les kids boulimiques comme Baby G. En 1984, il ne jure que par ses psychedelic heroes Jim Morrison, Lux Interior, Roky Erickson, Syd Barrett et Arthur Lee. Et pour entrer en osmose avec le psychédélisme, il faut bien sûr prendre des psychedelic drugs, otherwise you can’t be psychedelic ! Logique imparable.

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             Il évoque brièvement la scène de Glasgow, Teenage Fanclub, les Vaselines qu’admirait tant Kurt Cobain, et Stephen Pastel - He was a freaky kid, total outsider in his own way - mais qui choque Baby G car il lui dit ne pas aimer les Pistols. Baby G lui demande pourquoi et Stephen Pastel lui répond : «They’re like heavy metal.» À quoi Baby G ajoute : «Stephen was more into Dan Treacy, TV Personalities and Swell Maps. We agreed on the Shangri-Las, Velvet and Subway Sect though.» Baby G ajoute que Stephen est toujours d’actu à Glasgow et qu’il possède a fantastic record shop called Monorail. Baby G évoque aussi Mark E. Smith qu’il admire, comme tout le monde, et Prince plus encore, surtout les singles parus dans les années 80 - They’re as good as the Beatles or the Stones, Bowie, Phil Spector, Tamla-Motown, Stax, anyone - À tel point qu’il le veut comme producteur du premier album de Primal Scream, ce qui fait marrer McGee. À la place de Prince, il obtient Stephen Street.

             Quand dans les années 80, Baby G s’installe à Brighton, il ouvre avec ses copains un club nommé SLUT. Sur le poster du club figure le fameux portrait de Brian Jones en uniforme nazi, avec comme légende le fameux ‘Stay sick Turn blue’ emprunté aux Cramps et qu’on trouve, précise Baby G, au dos de leur premier single, «Human Fly» on the Vengeance label. Des groupes viennent jouer au SLUT : Strawberry Switchblade, Felt, Loop and Weather Prophets, des groupes dont il est fan, surtout Loop - We loved Loop - Faut pas louper Loop. Puis il tombe dans les bras de Bobby Blue Bland - noir-pop-bed-chamber blues and adult existentialism - et du great O.V. Wright - His classic records are occult Mississippi Delta alchemical conjurings made under the guidance of the great producer Willie Mitchell - Il explore les labyrinthes de cette Soul, espérant qu’un jour I could emulate it. Mais pour chanter comme O.V. et Bobby Blue, il faut muer, Baby G, et il ne mue toujours pas. Il évoque aussi les fameuses compiles Northern Soul sur Kent et les Ady Croasdell’s soul nights au 100 Club dont Andrew Innes est un habitué. Il va voir les Spacemen 3 en concert, car il aime bien le single «Revolution», mais quand il entre dans la salle, il en reste comme deux ronds de flan : au pied de la scène, les kids sont assis par terre comme des hippies, et les Spacemen sont eux aussi assis, le cul dans des chaises. Incroyable ! Il découvre plus tard qu’ils sont des smackheads, alors pour lui, ça tombe sous le sens.

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             Ce sont surtout ses paragraphes politiques qui rendent Baby G infiniment sympathique. Il nous raconte mieux que quiconque l’écroulement de la classe ouvrière anglaise. Le foot sert à cristalliser la colère, d’où la violence dans les stades. Il sait que la classe ouvrière n’existe que pour travailler dans les mines et les usines qui sont la propriété des bourgeois, cette sale race qui fait des profits obscènes sur le dos des travailleurs, Baby G n’y va pas de main morte, il développe bien cet aspect des choses, car la rage politique est directement liée au rock, il parle de siècles de féodalisme dégradant et des horreurs de la révolution industrielle qui, c’est vrai, a battu tous les records en Angleterre. Et voilà que Baby G se retrouve sur le marché du travail, à l’aube de la post-industrialisation. Comme tout le monde, Baby G voit que les lois votées au parlement sont des actes de violence dirigés contre les plus pauvres, il cite des fameux plans d’austérité alors qu’on allégeait les impôts des plus riches, Baby G en écume de rage, il sait que la pauvreté tue et il voit la femme la plus détestée d’Angleterre, la mère Thatcher, écrabouiller les mineurs, elle a enfanté nous dit Baby G des créatures aussi politiquement ignobles qu’elle et il balance les blazes de Blair et de tous ceux qui ont suivi, all are Thatcher’s children and I hate them all equally. But I hate her more. She was their Elvis - Plus loin, il tombe à bras raccourcis sur Queen, Elton John et Rod The Mod qui sont allés jouer en Afrique du Sud, au temps de l’apartheid - They had all taken the apartheid gold - Il a raison de s’énerver, Baby G, ces comportements sont impardonnables. Il développe ainsi son radicalisme à longueur de pages et c’est une dimension d’autant plus capitale qu’elle n’apparaît jamais dans la presse rock, connue pour son édifiante superficialité. Le rock et la contestation politique sont issus du même principe de refus de l’autorité, et dans le cas de l’Angleterre, du despotisme libéral, qui est sans doute le pire fléau du XXIe siècle. La notion de profit n’a jamais autant fait de ravages dans les cervelles. Il faut désormais s’habituer à l’idée qu’un monde meilleur n’existera jamais.    

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             Baby G cite souvent les Cramps sans jamais vraiment en parler. Il fait juste des petites allusions de temps en temps, comme s’il en avait la trouille et qu’il n’osait pas s’en approcher. Lors d’une fête sauvage dans une usine abandonné avec les frères Reid, Baby G dit entendre le «Caveman» des Cramps. Il rencontre à une époque un nommé Joogs qui est fan des Cramps. Joogs jouera du tambourin dans la première mouture de Primal Scream. Lors de son premier voyage à Los Angeles, Baby G croise sa guitar heroin Poison Ivy Rorschach chez un disquaire. Il est tellement intimidé qu’il n’arrive pas à parler - Ivy was so fucking sexy. The queen of rock and roll - D’ailleurs, quand il compose «Ivy Ivy Ivy» pour le deuxième album de Primal Scream, il pense bien sûr à Ivy Rorschach of the Cramps. Et sur scène, avec Primal Scream, ils jouent en rappel «Up On The Roof» by Carole King and «Lonesome Town» by Ricky Nelson and the Cramps.

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             Quand on bénéficie d’une telle éducation, on finit fatalement par mal tourner, c’est-à-dire jouer dans un groupe. Baby G a déjà commencé à acheter des guitares, à prendre des drogues et à composer des chansons. Alors il monte Primal Scream avec le copain Beattie. Le nom du groupe sort d’un texte de Mark E. Smith sur Live At The Witch Trial, à la fin de «Crap Rap» - I believe in the R&R dream/ I believe in the primal scream -  Et hop c’est parti. Pas plus difficile, tu flashes et tu agis. Il a ce qu’il appelle lui-même a year-zero mentality de young punk. Rien à voir avec le primal scream de John Lennon. Les punks nous dit Baby G ne commenceront à écouter les Beatles qu’au moment où Paul Weller va pomper «Taxman» pour faire «Start». Du coup,  Beattie achète Revolver. Avec Beattie, ils écoutent aussi les deux premiers albums des Stooges sous acide, allongés par terre, la tête entre les deux enceintes - You haven’t lived until you’ve heard «We Will Fall» and «Dirt» in this way, I’m telling you. Beautiful primitive urban blues - Puis il cite Dickinson qui qualifiait les Stooges de «primitive modernists». Selon Baby G, les Stooges ont créé «a post-adolescent urban white bues qui encapsulait les peurs, les espoirs, les frustrations sexuelles et l’ennui existentiel of teenage outsiders everywhere.»

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             Alors qu’il vient de lancer Primal Scream avec le copain Beattie, Baby G commence aussi à fréquenter les frères Reid. Il va vivre avec les Mary Chain l’un des épisodes les plus excitants de l’histoire du rock anglais. Et grâce à lui, on va pouvoir le vivre de l’intérieur. Comment commence cette belle aventure ? Assez bêtement : Baby G reçoit chez lui une cassette C-90 que lui envoie Nick Lowe. Dans le petit mot d’accompagnement, il indique à Baby G que les deux guys qui sont leur la cassette pourraient éventuellement se joindre au duo Primal Scream qu’il forme avec le copain Beattie et que Lowe a vu jouer sur scène. Sur la cassette est écrit le nom du groupe au stylo bille : Jesus and Mary Chain, et quatre titres de chansons : «Never Understand», «Upside Down», «Inside Me» et «In A Hole». Baby G rencontre les frères Reid un jeudi du mois de juin. Jim et William nous dit Baby G portent des cheveux très haut sur le crâne et ceux de Douglas Hart, le bassman, sont noirs de jais et bouclés. Il manque le batteur Murray qui est à l’école. Alan McGee est l’un des premiers à s’intéresser au groupe, car sur scène, c’est le chaos garanti : ils sont tellement défoncés que William joue «In A Hole» alors que Jim chante «Upside Down» et Douglas joue «Inside Me», et c’est là qu’ils commencent à se battre comme des chiffonniers, devant tout le monde. Pif paf, dans ta gueule, et ils quittent la scène. C’est la fin du set qui n’a même pas commencé. Pour McGee, c’est du genius à l’état pur. Quand Baby G les voit jouer à Glasgow pour la première fois, William et Jim arrivent en titubant sur scène, ils se cognent partout - It was just noise, carnage - Ils jouent trois cuts - a cacophonous, violent fuck-up noise, it was completely unmusical, mais en même temps ça faisait sens pour Beattie et moi, parce qu’on comprenait ce langage - Baby G apprend que les frères Reid appréhendaient tellement de monter sur scène qu’ils avaient bu comme des trous, au point qu’ils tenaient à peine debout. Au point de se faire virer de la scène par les videurs. Les frères Reid nous dit Baby G s’abreuvaient directement «à la source de l’universal psychedelic punk energy.» Ils proposaient le «true primitive power of rock and roll en opposition à la musique clean, safe et asexuée dont les médias et les music papers gavaient les gens.» Et puis un jour, McGee appelle Baby G pour lui annoncer que les May Chain ont viré leur batteur Murray et qu’ils le veulent lui, Baby G, comme batteur. Le seul problème c’est que Baby G n’est pas batteur. Pas grave. Et hop tournée en Allemagne avec les Mary Chain, le Biff Bang Pow d’Alan McGee et les Mod punk rockers d’Aberdeen, les Jasmine Minks. Baby G profite de l’occasion pour préciser que les Mary Chain ne répétaient jamais - Every single gig was freefall. Every gig. Even when we made Psychocandy - Il garde aussi des souvenirs attendris de camaraderie, quand ils dormaient tous les quatre dans des sacs de couchages, serrés les uns contre les autres sur la plancher d’un appart, in the cold autumn London night. Jouer sur scène avec ces trois loustics, ça reste pour Baby G les meilleurs souvenirs de sa vie. Ils n’ont même pas besoin de se parler entre eux. Un regard suffit - The best relationships are like that - Il va loin, le petit Baby G car il parle même de spiritualité. Au retour de leur tournée allemande, ils découvrent que dans le NME, un journaliste déclare : «Les Mary Chain sont the new Sex Pistols.» Ça y est, ils commencent à décoller. Les labels se rapprochent de McGee qui est leur manager. Baby G est de plus en plus épaté par la grandeur des Mary Chain - The Chain as a band was perfect as it was: four punks with clear minds and a defiantly powerful, well thought-up group aesthetic (...) I loved the purity in the Mary Chain; it was kind of religious. Actually, it WAS religious. Pure rock and roll - Mais en 1985, chaque fois que les Mary Chain jouent à Londres, ça tourne à l’émeute. Baby G dit que dès qu’ils commencent à jouer, une pluie de missiles s’abat sur eux - Et soudain le public attrape Jim, des mecs du service d’ordre sont obligés d’aller le récupérer car des mecs le tabassent - C’est la guerre nucléaire ! - And the missiles were coming the whole time - Comme il l’a déjà précisé, les Mary Chain ne répètent jamais. Ils démarrent un cut et s’arrangent pour le finir - it was free-form madness - Ils font une version du «Mushroom» de Can que Baby G qualifie de «creepy crawl death-rattle low moan blues». Le concert à l’Electric Ballroom est encore plus extrême, nous dit Baby G. Des gens viennent pour zigouiller les Mary Chain. Pour étayer son propos, Baby G cite une anecdote : «Jim Reid était allé voir Nick Cave & the Bad Seeds à l’Hammersmith Palais et un mec est venu le trouver pour lui demander : ‘Are you the singer in the Mary Chain?’. Et six mecs tombent sur Jim pour lui filer la branlée du siècle. Gave him a doing. Kicked fuck out of him. Alors que Jim gît au sol dans une mare de sang, les mecs lui disent  : ‘Dis à ton fucking batteur qu’il est le prochain !’.» Même si Baby G essaye de se faire passer pour un petit dur, il ravale sa salive. Il sait que ces mecs-là ne rigolent pas et qu’il va prendre une trempe.

             En 1985, il part en tournée américaine avec les Mary Chain. New York, punk city of my dreams. Premier arrêt au Gem Spa sur St Mark’s Place pour rendre hommage aux New York Dolls,  tels qu’on les voit au dos de la pochette de leur premier album. Puis Midnight Records, pour les albums psychédéliques. Cette fois, la tournée se passe bien, pas de violence. Sur scène, William Reid règne sans partage. Il sort un son qui est un «shot de high-grade amphetamine sulphate, pure white light, white heat, wired soul genius.» - His gonzoid riffage and energy sprawl would propel me forward rhythmically - Et puis, les premières crevasses apparaissant dans ce beau rêve de fraternité. Un jour, il va chercher sa copine Karen à la gare. Elle arrive de Glasgow et lui apprend qu’elle va jouer à sa place le soir-même dans les Mary Chain. Ça interloque Baby G pour deux raisons : un, Karen ne sait pas battre le beurre, et deux, ses frères spirituels ne lui ont rien dit. Baby G lui demande quand même pourquoi elle a accepté, sachant qu’elle lui retirait le pain de la bouche. Oh, Karen n’est pas à ça près. Elle dit avoir d’abord refusé, mais William a insisté, lui promettent de lui donner tout ce qu’elle désirait si elle acceptait de jouer avec eux. Alors elle a demandé un gramme de speed et William est parti en courant lui chercher ce qu’elle demandait. En fait, le problème, c’est que Baby G qui a les yeux plus gros que le ventre joue dans deux groupes à la fois, les Mary Chain et Primal Scream. Les groupes sont même souvent à la même affiche, et Baby G chante et gratte sa gratte dans l’un et il bat le beurre dans l’autre. On appelle ça de l’omnipotence et c’est une tare qui ne convient pas, mais alors pas du tout, à un mec aussi intègre que William Reid. Et ça ne servait à rien d’en parler. Aussi le soir même, quand ses copains de Primal Scream voient Karen jouer à sa place, ils demandent à Baby G pourquoi il ne joue pas. What could I say ? Les frère Reid ne parlent jamais des problèmes. Baby G doit fermer sa gueule et l’accepter, parce que les Mary Chain sont leur groupe. Il sent bien que c’est le commencement de la fin. Effectivement, le lendemain, Jim Reid appelle Baby G au téléphone, ce qu’il ne fait jamais. Il l’appelle pour lui mette le marché dans les pattes : soit il devient le batteur des Mary Chain à plein temps, soit il dégage - We don’t want you to be in Primal Scream anymore. You can’t be in both bands, you have to make a choice - Le choice est vite fait. «Ok I’ll be in the Scream, then. And that was that.» Fin de l’épisode. Baby G est bouleversé. Il note toutefois que pour enregistrer leur deuxième album, the existential blues album Darklands, ils ont utilisé une boîte à rythme pour le remplacer, which is cool. Puis il découvre qu’ils avaient déjà prévu un batteur en remplacement pour les concerts, le fameux John Foster Moore, qui fera ensuite équipe avec Luke la main froide dans Black Box Recorder. 

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             L’autre personnage principal de cette apologie de l’éternelle adolescence, c’est la dope. Baby G en est incroyablement friand, plus encore que des bombecs. La dope se situe au même niveau que l’engagement politique et le rock, c’est un moteur, une psycho-vitamine dirait Marc Z. Baby G attaque sa carrière de drug-head avec les acides, pour vivre en osmose avec sa passion pour le rock psychédélique. Il découvre aussi le pouvoir du sexe sous acide avec sa copine d’alors, la fameuse Karen évoquée plus haut. Puis quand il fréquente McGee, il lui balance le fameux slogan de Ian McCulloch : «No snow, no show !», formule magique qu’il prononçait selon Baby G chaque soir avant de monter sur scène. Avec des yeux devenus globuleux, Baby G traîne dans les parties avec Throb et les mecs de Felt où tout le monde est sous speed and magic mushrooms. Il découvre ensuite l’ecstasy, «plus adapté au vibes de basse et aux sons électroniques, alors que le speed convient mieux aux amateurs de high-energy rock and roll.» Il ajoute que «the Southern Soul sounds is great on smack et que l’herbe est parfaite pour le Jamaican Reggae and dub.» - Different drugs for different sounds - Il en connaît un rayon, le petit Baby G. Pas la peine de lui faire un dessin. Il achète son premier E (ecstasy) aux Happy Mondays. Il en éprouve une grande fierté. Mais sa dope préférée reste le speed - Ecstasy was a different psychotropic trip. My life was changing and I didn’t even know it - Quand ils roulent vers le Nord pour aller jouer à Londres, ils prennent du speed et quand ils redescendent à Brighton après le concert, ils droppent des Es. Ils goûtent pleinement à la joie et à la liberté de leur jeunesse. C’est pour ça que la scène acid house lui plaît, tout le monde est sous E, il parle d’un «holy sacrament drug», alors que la scène indie pue la bière, et Baby G ne supporte pas les pintes. En plus ces mecs-là ne prennent même pas de drogues. Baby G n’aime pas non plus les pubs - Pubs were never my scene - Un jour Throb ramène des tablettes de dexys, la fameuse Dexedrine qu’il qualifie de best drug in the world - We all took dexys to do the interview - Un jour en arrivant au studio, Toby leur dit à tous les trois, Baby G, Throb et Innes d’ouvrir la bouche et il leur balance à chacun des pilules. Il en a un bocal plein. Ils veulent quand même savoir ce qu’ils avalent et Toby se marre : «C’est ce qu’a avalé Keith Moon la nuit où il est mort.» Alors les trois autres répondent : «Yeah ! Great !». Le problème, c’est qu’après, la situation devient bizarre : les quatre Primal Scream tombent dans les pommes. Quand Dick Green l’associé de McGee chez Creation appelle l’ingénieur du son Leggatt pour savoir comment se déroule la session, Leggat est bien embêté. Il répond : «The band are in a coma.» Green ne comprend pas : «What d’you mean, they’re in a coma ?». Alors Leggatt décrit ce qu’il voit : «Well, Bob and Innes are on the floor, Throb est sur le canapé et Toby vient de se glisser sous la console de mixage.» Les pills de Keith Moon sont des somnifères qu’on administre dit-on a des éléphants. Quand ils commencent à palper des gros billets, Throb achète des gros pochons de coke. Il en fait même le commerce à Brighton. Il a acheté une bagnole pour faire les trajets et bien sûr il n’a pas de permis. Baby G tente de le ramener à la raison, lui disant que s’il se fait choper, il va détruire le groupe. Mais Throb se marre. Il passe vite au freebasing - We all did. It was great fun.

             Retour aux balbutiements de Primal Scream. Beattie et Baby G enregistrent des démos avec Elliot Davies qui dit à Baby G : «The songs are both very good. Bob you’re not a singer.» Choqué, Baby G lui demande ce qu’il veut dire et l’autre lui explique : «You’re not a proper singer like Al Green or Marty Pellow, you’re more like Bernard from New Order.» Baby G s’en tire à bon compte, car il adore New Order, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Heureusement, on finira par trouver quelques points de désaccord avec Baby G. Puis il rencontre son futur Soul Brother, Robert Young, alias Dungo, un gosse du quartier. Un jour Baby G le croise dans la rue et lui demande ce qu’il a eu comme cadeau de Noël. «A Telecaster guitar !». Baby G découvre que son nouveau copain est bourré de talent. Il écoute les Byrds et Love. Ils se mettent vite à la recherche d’un son - We were aiming for a mix of ecstatic sixties joyous transcendental psychedelic pop and modern eighties electronic dance beats - Comme tout le monde, Baby G goûte au plaisir suprême qui est de jouer dans un groupe et il sait dire pourquoi c’est une affaire sérieuse : «Rock and roll at its highest point is serious magic. An alchemical transformation is possible, but only if people with the right attitudes, minds and spirits are involved in the ritual.» Au début, ils sont cinq, Beattie gratte sa douze, Robert on bass, Baby G sur une six cordes électrique et au chant, Tam McGurk au beurre and our pal Joog on tambourine. Aux yeux globuleux de Baby G, Robert est le musicien le plus doué qu’il connaisse. Un jour, alors qu’il sont en tournée, ils s’arrêtent pour pisser un coup au bord de la route. C’est là qu’ils découvrent le pot aux roses : Robert est monté comme un âne - For fuck’s sake would you look at the size of that thing? - Robert ne comprend pas pourquoi ils s’extasient devant sa queue. Baby G lui dit qu’elle est «like a fucking python». Alors Robert se marre et leur dit que le problème n’est pas la grande taille de sa queue, mais plutôt la petite taille des vôtres, it’s just that you guys are all too wee - C’est là qu’il chope le surnom de Throb.

             Primal Scream commence à se bâtir une petite réputation mais bizarrement, John Peel ne s’intéresse pas à eux. Il s’intéresse plus nous dit Baby G aux groupes with girls in it, «surtout si elles ne savent pas jouer de leur instrument.» Il est revanchard, le petit Baby G, faut pas lui marcher sur les doigts de pieds. Puis Andrew Innes rejoint Primal Scream.

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             Leur premier album s’appelle Sonic Flower Groove et paraît en 1987, en plein boom des futals de cuir noir. Dès le «Gentle Tuesday» d’ouverture de balda, on sent un léger problème : Baby G n’a pas de voix. Ce qui semble logique, vu son extrême jeunesse. Ces sont les deux guitaristes Throb et Innes qui mènent le bal. Mais le loup - c’est-à-dire la voix - n’y est pas. Ça reste de la pop d’agneaux blancs comme neige. Baby G chante comme une savonnette. Bizarre qu’il ne s’en rende pas compte. Il est assez pénible sur «Sonic Sister Love», et les cuts suivants ne valent guère mieux. On sent une volonté Velvet dans «Love You», mais dès que Baby G ouvre le bec, il ruine tout. Il se prend pour les Ronettes et ça devient très compliqué, pas pour lui, mais pour l’auditeur qui au vu de la pochette s’attendait à entendre du beau gaga de Glasgow. Baby G fait encore son cirque dans «Aftermath» et bat tous les records d’immaturité.

             Beattie quitte le groupe après Sonic Flower Groove. Il emporte avec lui le son de sa douze. Il ne voulait pas quitter Glasgow, alors que Baby G, Throb et Innes voulaient se barrer. Pour Primal Scream, il faut tout reprendre à zéro. Ils décident d’aller plus sur un son twin guitar attack comme dans le MC5. Ça tombe bien, car Throb ne porte plus que du cuir noir, et il peut jouer aussi bien que Johnny Thunders et Wayne Kramer. Pour la voix, ça reste compliqué.

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             Leur deuxième album sans titre paru sur Creation vaut vraiment le détour. Plus rien à voir avec le soufflé raté du Sonic Flower Groove. Cette fois, ça vole assez haut. «Ivy Ivy Ivy» éclate au Sénégal avec des chœurs de Dolls. Ils remontent dans le heavy power d’Ivy Ivy Ivy comme des saumons, c’est un vrai smash et cette fois la voix de Baby G colle mieux à la réalité, Throb et Innes ramènent les meilleurs power chords d’Écosse. On voit arriver des clap-hands sur le tard et ça devient du pur Mary Chain. C’est Andrew Innes qu’on voit sur la pochette avec sa Les Paul. La fin d’Ivy sonne comme une fabuleuse descente aux enfers d’aw aw aw avec un Throb all over the sound. Puis Baby G se remet à chanter comme la reine des brêles dans «You’re Just Dead Skin To Me». Il aurait fallu l’empêcher ce chanter. Ils tentent ensuite de sauver l’album avec «She Power» et renvoient Baby G au front. Quelle erreur ! Si on ouvre le boîtier, on tombe sur une photo de Baby G, encore une erreur. Il faut aller à l’intérieur du dépliant pour trouver une photo de Throb torse nu avec sa Les Paul blanche. Baby G se prend encore pour un chanteur dans «I’m Losing More Than I’ll Ever Have». Pire encore : il se prend pour un Soul Brother. Throb sauve le cut avec un killer solo flash. Ils tapent ensuite «Gimme Some Teenage Head» sur les accords du MC5. Ils tapent dans la caisse. C’est la came de Throb. Il joue les accords de «Kick Out The Jams». Le pauvre Baby G est embarqué comme un fétu de paille. Ils font une cover du «99th Floor» des Moving Sidewalks. Puis il tapent «Lone Star Girl» au heavy glam. C’est le même son qu’Ivy Ivy. Les tornades noient la voix de Baby G, donc ça passe. Encore une énormité avec «Sweet Pretty Thing» amené au heavy drumbeat de Glasgow. Ça joue au c’mon now, Throb ramène le power, c’est lui l’âme du Scream.

             Ils enregistrent cet album avec le batteur Toby Tomanov, un vétéran de toutes les guerres et ex-junkie. Pendant l’enregistrement d’«Ivy Ivy Ivy», Toby et Throb disparaissent un moment et quand ils reviennent dans le studio, il est évident nous dit Baby G que Toby had shot Throb up with some smack. Cette nuit-là Thob a joué comme un dieu, et il continuait à jouer quand le groupe s’arrêtait.

             En 1988, McGee dit à Baby G que plus personne ne s’intéresse à la musique que joue Primal Scream - It’s so old-fashioned, personne ne veut plus écouter ça - Mais ils continuent de jouer et de se doper, Baby G est fier de son groupe et de ses «two great guitar players on Les Pauls blasting through hundred-watt Marshall stacks.» Ce soir-là, Andrew Innes monte sur scène tellement défoncé qu’il oublie de se brancher. Ce sont des kids au premier rang qui l’alertent : «You ain’t plugged in mate !».

             Tenement Kid s’achève sur Screamadelica. Baby G envisage sûrement un deuxième volet, comme le fit avant lui Brett Anderson qui pour son premier volet autobiographique s’arrêtait aux portes du succès commercial de Suede. Baby Gillespie utilise la même ficelle de caleçon mais il en profite pour dresser une étrange apologie de l’acid-house qui, faut-il le rappeler, nous a tous bien barbés à l’époque. On appelait ça les machines, et Screamadelica est un album de machines.

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             Alors que les cuts des deux premier albums sont composés sur des guitares, ceux de Screamadelica le sont sur un piano. Throb adore Carole King et Brian Wilson. Pour Baby G, Screamadelica est un song-based record. Cause toujours. Il faut bien dire qu’il en pince surtout pour l’acid-house. Ils vivent à Brighton et vont traîner dans les acid house clubs. Throb rechigne un peu, il appelle ça du fucking disco shit. Dans les acid house parties, Baby G découvre une étrange forme de fraternité - No one is a stranger on ecstasy. It’s a chemical brother- and sisterhood - Il a l’impression de vivre encore une fois les plus grands moments de sa vie sur les danceflloors de l’acid house phenomena, some of the greatest, most transcendant, connected and soulful moments of my life - C’est pourquoi il compose «Don’t Fight It Feel It». Ah les dancefloors ! Que deviendrait-on sans les dancefloors ? Comme si on n’avait pas bien compris, Baby G en rajoute une petite couche : «To me, acid house culture was a joyful celebration of underground resistance, not with guns, bullets and bombs but with love, drugs, great music, sex and righteous youthful energy.» Et pour enfoncer son clou (rappelons que le destin du clou est d’être enfoncé), Baby G affirme ceci : «Nous n’aurions jamais connu le succès sans l’acid house. Screamadelica n’aurait jamais pu exister sans l’acid house. Primal Scream n’aurait jamais eu une carrière de trente ans sans l’acid house.»

             Alors arnaque ou pas arnaque ? On est encore nombreux à se poser la question. Mais pour ceux qui ne supportent pas les machines, la réponse est claire. Mis à part le «Movin’ On Up» d’ouverture de balda, c’est de l’electro. «Movin’ On Up» est un joli cut de Stonesy, mais le loup, c’est-à-dire la voix, n’y est pas. Ils refont les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want» avec un solo de Throb. On imagine le carton qu’aurait fait le Scream là-dessus avec un vrai chanteur. Ensuite, les machines arrivent et Baby G chante comme une casserole sur le «Slip Inside This House» du 13th Floor et tout ce qui suit. Une vraie malédiction. Quelle arnaque ! Les gens considèrent Screamadelica comme une album classique, mais c’est une catastrophe épouvantable. On se sent puni d’écouter ça. C’est l’album des caprices de jeunesse de small Baby G.

             Il faut aussi saluer le style parfois ronflant de big Baby G. Quand il évoque l’English Disco club de Rodney Bingenheimer à Los Angeles, il parle «d’underground freaks like Kim Fowley, New York Dolls ans Iggy Pop carroused with superstars like Led Zeppelin and Quaalude-damaged teen queen glam-rock groupies like Lori Maddox ans Sable Starr.» Il voit aussi arriver «a bunch of Hollywood post-hippie cocaine cowboy cognoscenti» qui vient assister au tournage d’une vidéo de Neil Young. Ailleurs il met le turbo sur le langage musical : «Cool young people into sharp threads and the latest US soul imports. Swap speed for ecstasy and Sue, Tamla and Stax records for Trax, DJ International and Carnaby Street, King’s Road for Hyper Hyper, Ken Market, Browns, South Moulton Street and you get the picture.»

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             Pour saluer la parution de Tenement Kid, Jon Mojo Mills accorde six pages à Baby G dans Shindig!. Le principe de l’interview permet à Baby G de brosser des panoramas complémentaires, comme par exemple celui des groupes anglais des années 80 qui à ses yeux reflétaient la cupidité et la vulgarité du Thatchérisme. C’est pour ça qu’il a rejoint les Mary Chain qui incarnaient l’exact opposé de cette vulgarité - We wanted something more underground, more authentic, more deranged, more poetic and more righteously sincere - Et il ressort ses modèles Syd barrett, Sky Saxon et Arthur Lee. Puis dans un deuxième souffle Jim Morrison, Lou Reed et Iggy Pop - The Stooges were like a godhead band for us - Et puis les Cramps. Il revient aussi sur l’acid house : ça se passait dans les clubs avec les meilleures drogues de l’époque - Ecstasy was a great drug. It was just such an utterly exciting time. And it was vital in the way that rock music had ceased to be - Comme Mojo Mills l’entraîne sur le terrain de la relève, Baby G cite l’exemple de Sam France, le mec de Foxygen. Il dit n’avoir jamais vu quelqu’un d’aussi brillant et pouf, le groupe s’est dégonflé comme un ballon de baudruche. Et pour lui, la relève, ce sont surtout les rappers noirs américains, the rock stars of today. Et comme Mojo Mills le branche sur le style vestimentaire, Baby G cite ses références : Johnny Thunders; Peter Tosh, Gregory Isaacs, Bryan Ferry 1974-78, Gene Vincent, Elvis et John Lydon.

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             À l’époque, les gens reprochaient au Scream d’avoir collé un drapeau confédéré sur la pochette de Give Out But Don’t Give Up. En fait, l’album était enregistré chez Ardent à Memphis et pour entrer en osmose avec la légende de Memphis, le Scream avait opté pour une photo de Bill Eggleston. De la même façon que sur les albums précédents, Baby G ruine pas mal de cuts à commencer par «Jailbird». Il jongle avec les clichés du genre monkey on my back. C’mon, oui c’est ça, t’as raison. Ils tapent «Rocks» au beat rebondi mais la voix de Baby G ne passe pas la rampe. Dommage car le cut est bon - Get the rocks out honey - Le coup de génie des Scream est d’avoir enrôlé George Clinton. C’est la raison pour laquelle on tombe sur «Funky Jam». Baby G se met à hurler comme un poulet décapité, il a dû faire marrer les mecs d’Ardent. Son magique mais ça n’a plus rien à voir avec Memphis. Denise Johnson vient sauver «Free» et Baby G ruine un bel essai de Stonesy, «Call On Me». George Clinton et Denise Johnson déboulent dans le morceau titre et tout à coup ça devient génial. Elle éclate le heavy groove de give out. On se demande ce que ce heavy doom de funk fait ici, mais on se régale. Il faut aller sur un album de Primal Scream pour trouver du heavy funk dégénéré ? Eh oui.

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             Ils sont de retour en 1997 avec Vanishing Point. Mauvais départ avec un «Burning Wheel» tapé aux effets. Ça cache la misère. Ils font entrer un sitar, la batterie puis la voix de Baby G. Aucun attrait, aucune valeur artistique. C’est mal barré. Trop de machines encore dans «Kowalski». Comme il ne sait pas chanter, Baby G chuchote. Encore plus insupportable : «Out Of The Void», il chante en rampant. Pour «Stuka», ils ramènent tout le power du dub. C’est le bassmatic le plus pur qui soit, mais les machines ruinent tout. Retour à la terre ferme de la Stonesy avec «Medication». Here we go !  Baby G est plus çà l’aise, il fait son Jag à la petite semaine, mais dès qu’il élève la voix, il redevient ridicule. Mais c’est bien qu’il essaye. Ne perdons pas de vue qu’il est avant toute chose un fan de rock. Les solos de Throb sont eux aussi des preuves de bonne foi. Ils enchaînent avec une superbe cover de «Motorhead». Comme la voix de Baby G est noyée dans l’assaut, ça passe. Throb joue des tas de layers qui entrent en collision, ça explose dans tous les coins. Voilà le grand Scream. 

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             Pas mal de belles choses sur cet XTRMNTR paru en l’an 2000, à commencer par «Accelerator», authentique coup de génie. Le pauvre Baby G lance des c’mon dans la tempête, le son est poussé à l’extrême, mais pas la voix d’orvet de Baby G. Ce sont les autres qui font le son. Il faut dire que cet «Accelrator» remonte le moral car il arrive aussitôt après cette daube immonde qu’est «Kill All Hippies». Ils font n’importe quoi et toujours ce pas de voix. On n’entend que ça, le pas de voix. Bizarrement, sa voix passe mieux sur «Swastika Eyes», car il chante à ras des pâquerettes. Bon d’accord, on entend des machines et des spoutniks, mais c’est plutôt dans l’esprit d’Hawkwind, ce qui est un bon esprit. Instro de fantastique allure, «Blood Money» est bien plus puissant sans la voix. Ils rendent plus loin un bel hommage à Sun Ra avec «MBV Arkestra» et une belle poussée de fièvre. Retour aux valeurs sûres avec un «Shoot Speed/Kill Light» claqué du beignet par Throb, un space invader à la mode Hawkwind. Aw comme c’est bien balancé !

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             Paru en 2002, Evil Heat pourrait bien être le meilleur album du Scream. Les coups de génie y grouillent comme la vermine sur la peau d’un bagnard. Et paf, après quatre cuts calamiteux (dont une tentative foireuse de Kraftwerktisation des choses à coup d’Autobahn), tu prends «Rise» entre les deux yeux. Riffé au riff, c’est du big Scream monté sur le beat des vainqueurs. Belle dégelée d’outerspace, Rise ! Rise ! Ils tapent ensuite «The Lord Is My Shotgun» au heavy groove infectueux. C’est tout de même incroyable que ces mecs aient réussi à taper un cut aussi insidieux. Le petit Baby G fond dans la matière du son comme une noix de beurre dans une grosse poêle noire. Puis il chante «City» à l’avenant du bon gaga de Glasgow. C’est excellent car visité par le Throbbing Throb, here he comes ! Throb envoie des dégelées de guitares folles, power maximaliste, quand ça claque à la Throb, ça claque à la Throb, il est bon de le savoir. Ils tapent à la suite une énorme cover de «Some Velvet Morning», montée sur un heavy bassmatic d’electro, Baby G chante comme une fiotte, mais ça passe. Belle cover, Baby G ! Puis ils nous assaisonnent avec un coup de «Skull X» et ce petit démon de Baby G chante dans le vent de l’action. Il chante comme un Dylan qui serait en colère et ça devient tout simplement génial. Il est en plein vent, il chante face à la tempête, il est petit et frêle, mais il se tient droit, le small Baby G de Glasgow, il y va de bon cœur, c’mon baby do it again ! Le voilà au cœur du white heat de Scream. 

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             Le Riot City Blues qui paraît quatre ans plus tard est encore meilleur, ça explose dès «Country Girl», yeah ! ce démon de small Baby G fait le chanteur au cœur de la meilleure Stoney d’Angleterre, full blast de Scream, ça pousse dans l’ass des dieux du rock, ils ont trouvé le moyen de revitaliser la Stonesy et ça devient génial. On peut même dire qu’ils outrepassent la Stonesy, ils vont beaucoup plus haut, c’est très spectaculaire, tu ne t’en relèves pas, ils jouent avec une puissance rarement égalée, Country girl forever ! L’autre coup de génie de l’album s’appelle «The 99th Floor», explosé d’entrée de jeu, avec une montée en puissance inexorable, wild gaga shaking all over, c’est violent et beau à la fois. Small Baby G est dedans jusqu’au cou, il chante à la toute petite arrache, soutenu par les chœurs du diable. Ils restent dans la Stonesy pour «Nitty Gritty». la voix de small Baby G se noie dans l’excellence du sugar. Ça explose encore avec «When The Bomb Drops». Forcément, avec un titre pareil, ça ne peut qu’exploser. Small Baby G se tient bien au chant, il s’équilibre bien dans la fournaise, sa voix finit enfin par passer, comme si elle avait mué. Il sonne comme un petit imposteur, mais le rock grouille de petits imposteurs. Ça veut dire en clair que les vraies voix ne courent pas les rues. On les connaît et malheureusement pour lui, small Baby G n’en fait pas partie. Mais il a bien d’autres qualités, à commencer par la ténacité, car il faut du courage pour chanter sans voix dans un groupe comme Primal Scream. Ils se tapent plus loin une rasade de boogie avec «We’re Gonna Boogie», le boogie du Garbage Man, infiniment bon. Puis on reprend en pleine poire «Dolls (Sweet Rock’n’Roll)», small Baby G fait son shouter gaga à gogo et il fait illusion. Throb vole à son secours et gratte ses poux au génie pur. Le Scream jette tout son poids dans la balance et n’a jamais été aussi bon.

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             Paru en 2008, Beautiful Future est le premier des albums post-Throb. Apparemment, Innes veille au grain, car l’album tient sacrément bien la route. Baby G vise la postérité dès le morceau titre, on le sent très motivé, après quelques années de vaches maigres. Puis on est surpris par le souffle de «Can’t Go Back». Ils tapent dans l’extrême power absolutiste avec un killer solo flash in tow. Le groupe se compose d’Innes, Martin Duffy, Darren Mooney au beurre et Many on bass. C’est vite avalé et ça presse bien sur la purge. Les basses n’ont encore jamais sonné comme ça en Angleterre. Baby G chante presque bien. Ces mecs sont capables de rallumer la flamme. Ouf ils sont enfin débarrassés de l’acid house. Avec «The Glory Of Love», ils replongent dans le glam, le fucking Glam des origines, oh oh oh ça sonne comme du Bolan, ils lui rendent un sacré hommage. Chapeaux bas, les gars. Ils enchaînent avec un «Suicide Bomb» suicidaire, au bon sens du terme, ils ont une présence énorme, on peut leur confiance, après toutes ces années. Baby G est un vrai gamin, il y va de toutes ses forces. Cu’mon, c’est du pur jus de cu’mon ! Ils restent dans le heavy Scream avec «Zombie Man», authentique purée de heavy Stonesy, ils vont chercher la meilleure Stonesy d’Angleterre, avec des développements inespérés au nah nah de Zombie man. C’est un big album, bardé de son, comme le montre encore «Beautiful Summer», un nouveau modèle de heavyness. «I Love To Hurt (And To Be Hurt)» est amené au deep savoir-faire du Scream, c’est beau et plein d’esprit. Puis Baby G chante «Over & Over» comme une casserole, c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Back to the slam in the face avec «Necro Hex Blues». Ils adorent percuter de plein fouet. Baby G pose sa voix de Glasgow kid sur l’enclume pour recevoir les coups de marteau et les solos d’Innes sont fabuleusement incendiaires. Il garde le feu sacré du no way out, ça devient une occlusion attestinante d’effarence inclusive, un vrai shot de trash-boom uh-uh. Une façon comme une autre de dire qu’Innes fout le feu.

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             Sur la pochette de More Light, Baby G fait le lapin. Ça vaut le coup de rapatrier l’édition spéciale qui propose un deuxième CD, Extra Light. Étant donné que le groupe vieillit bien, il ne faut pas s’en priver, ce serait trop bête. Deux bombes sur More Light : «Turn Each Other Inside Out» et «It’s Alright». Le Turn Each Other est monté sur un big drive de basse infiltré par des guitares, avec une volonté d’hypno clairement affichée. Ça monte encore d’un cran avec «It’s Alright» et sa production à la Jimmy Miller, du shuffle à la surface du son et du piano en dessous, it’s alright, it’s okay, pur jus de Sticky Fingers, avec le développent du bassmatic, et il y va le Baby G, il est sur la crête, il mène bien le bal, and you cry ooh la la, il chante son couplet magique d’une voix d’ado et ça devient un vrai coup de génie. Par contre, il chante mal sur «River Of Pain», il concocte des effets de voix qui te mettent mal à l’aise. Il chante en chuchotant. Dommage. Il chuchote encore sur «Culturecide», c’est battu comme plâtre et le Scream joue le heavy doom. Pour ça, ils sont imbattables en Angleterre. Ils sont sans doute les derniers à pouvoir sortir un son aussi massif. On entend un solo de sax dans «Hit Void», et dans «Tenement Kid», Baby G se prend pour une star. Il exploite la misère de ses parents, il sonne comme un parvenu, c’est très bizarre, I don’t know why. Il est même assez ridicule sur ce coup-là. Puis avec «Invisible City», il nous fait le coup de - pardonnez l’expression - l’atroce merdier new-wave, c’est n’importe quoi, avec des crack-house zombies et des one night stands, tous les clichés à la mormoille - Profit freak/ Nazi radio/ Politicians/ Death TV - Et ça continue de péricliter avec une reprise de «Goodbye Johnny» qui est une insulte à Jeffrey Lee Pierce, puisqu’ils transforment cette merveille en fiotte de pop à la petite semaine. Ça donne la nausée, rien que de penser qu’un avorton puisse transformer l’art sacré de Jeffrey Lee Pierce en amusette acidulée. Gerbe assurée. Puis dans «Elimination Blues», il se prend pour un chanteur de blues, alors que derrière, semble-t-il, Robert Plant fait des ah-ooh et des eh-ooh. On aura tout vu. Dernier spasme d’ignominie avec un «Walking With The Beast» qui n’est heureusement pas celui du Gun Club, mais en tant que chanteur, Baby G s’y grille pour de bon. Il est d’une rare ingénuité, ce qui lui fait croire qu’il peut tout se permettre. Sur Extra Light, on trouve des remix et un «Nothing Is Real Nothing Is Unreal» chanté à ras des pâquerettes. Le cut est magnifique, comme incendié, une vraie cavalcade à travers le heavy rock britannique, c’est excellent car ça bombarde bien les tympans. Baby G chante toujours aussi mal, mais on se goinfre de son. Dans «Running Out Of Time», il chante comme un gamin qui débarque au bordel pour la première fois : il prend sa voix d’eunuque, c’est plus facile. «Worm Tamer» est mal chanté, dommage car le cut est puissant. L’immaturité règne sans partage sur Extra Light. Et puis le côté electro revient à la charge sur le remix de «2013». Des machines dans tous les coins et la dimension artistique disparaît complètement. Bizarre que ces mecs-là ne l’aient pas compris à l’époque où c’était à la mode. On ne cache pas la misère avec des machines, la misère n’en devient que plus prévalente et du coup elle devient une sorte d’emblème.

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             Le dernier album en date de Primal Scream s’appelle Chaosmosis et date de 2016. C’est le pompon. Baby G y chante de plus en plus mal. Et pour aggraver les choses, on ne voit plus que lui sur la pochette. Quand on l’entend chanter l’electro-beat atroce de «(Feeling Like A) Demon Again», on sent la moutarde monter au nez. Avec «I Can Change», il tente de se faire passer pour un chanteur de charme, mais c’est affligent. Il est nécessaire d’écouter cet album pour savoir jusqu’où Baby G peut aller trop loin. Il ne reste pas grand chose du Scream d’antan, cet album est celui d’une perdition artistique. Si on cherche un exemple de suicide commercial, il est là. Baby G se lance dans le balladif insidieux avec «Private Wars», mais ça fait mal aux oreilles tellement c’est mal chanté. Il aurait dû appeler cet album Déconfiture. Les machines sont de retour, sanctionnant la résurgence de l’horreur définitive («Where The Lights Get In») et avec «Carnival Of Fools», il passe à la diskö-pop de bubblegummer suprême. Quand il essaye de ramener du heavy sound avec «Golden Rope», on a du mal à le prendre au sérieux. Mais Innes est là, c’est seul cut rock de l’album, avec Darin Mooney au beurre et Jason Faulkner à la basse. C’est le dernier spasme du grand Scream. Dommage que Baby G le chante aussi mal. Il met sa voix au devant du mix et elle ne passe pas. Elle ne passera jamais. C’est une espèce de malédiction. Dès qu’il arrive au micro, tout s’écroule.

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             Pour les ceusses qui ne veulent pas s’encombrer avec des piles de CDs, il existe une compile du Scream très bien faite - Dirty Hits - sur laquelle se sont jetés tous les fans du groupe à l’époque, car on y trouve une version de «Some Velvet Morning» chanté en duo avec Kate Moss et qui fit sensation. On y trouve aussi tous les grands shoots de Stonesy («Movin’ On Up» et «Rocks»), des choses comme «Jailbird» passent beaucoup mieux dans ce contexte de double concentré de tomate. Bien sûr, les coups de génie figurent en bonne place : «Accelerator» et «Shoot Speed/Kill Light». Bizarrement les cuts de Riot City Blues brillent par leur absence. 

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             Dans Uncut, Michael Bonner centre son interview sur l’album que Baby G vient d’enregistrer en duo avec Jehnny Beth, Utopina Ashes, modelé sur les fameux duos country cités en exemple : George Jones & Tammy Wynette, Gram Parsons & Emmylou Harris, Waylon Jennings & Jessi Colter, Kate & Anna McGarrigle. Baby G cite aussi les Everly Brothers. Il indique ensuite de manière insidieuse qu’il existe aujourd’hui deux Scream, celui qui continue de tourner, et un Scream plus sédentarisé qui bosse en studio. C’est-à-dire Innes et lui. C’est Innes qui a déterré les fameux Original Memphis Recordings, enregistrés par Tom Dowd chez Ardent à Memphis, et qui ont été remixés par Jimmy Miller, un Miller qui selon Baby G a dénaturé le son. Puis Innes et lui ont compilé les singles pour en faire Maximum Rock’n’roll et maintenant voilà Utopian Ashes, un nouvel experiment. Baby G dit aussi adorer les rock books, il cite ses préférés : Rythm Oil et The True Adventures Of The Rolling Stones de Stanley Booth, le Papa John de John Phillips, le Chronicles de Dylan of course et son livre de chevet, Hellfire de Nick Toshes, car enfin existe-t-il une vie plus rock’n’roll que celle de Jerry Lee ? Bien sûr que non. Et bien sûr que oui, l’idée d’un tome 2 de Tenement est dans l’air.

    Signé : Cazengler, Primate scream

    Primal Scream. Sonic Flower Groove. Elevation Records 1987

    Primal Scream. Primal Scream. Creation Records 1989

    Primal Scream. Screamadelica. Creation Records 1991

    Primal Scream. Give Out But Don’t Give Up. Creation Records 1994

    Primal Scream. Vanishing Point. Creation Records 1997

    Primal Scream. XTRMNTR. Creation Records 2000

    Primal Scream. Evil Heat. Sony 2002

    Primal Scream. Riot City Blues. Sony 2006

    Primal Scream. Beautiful Future. B-Unique Records 2008

    Primal Scream. More Light. First International 2013

    Primal Scream. Chaosmosis. First International 2016

    Primal Scream. Dirty Hits. Columbia 2003

    Bobby Gillespie. Tenement Kid. Orion Books Ltd 2021

    Jon Mojo Mills : A child of Glam. Shindig! # 121 - November 2021

    Michael Bonner : Where this rage comes from. Uncut # 290 - July 2021

                                                  

    Pas de filles au Harum

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             On a longtemps considéré à tort Procol Harum comme un groupe prog. C’est une erreur souvent due à l’ignorance. Quand on a écouté les albums de Procol, on sait qu’ils n’ont à rougir que d’une seule suite prog, l’insupportable «In Held Twas In I» qui flingue la B de Shine On Brightly et celle du fameux Live paru en 1972 et dont on attendait tant à l’époque. Une fois qu’on leur a pardonné cette incartade, on peut se plonger dans leur monde qui est celui d’une pop extrêmement mélodique, plutôt unique en Angleterre, qu’on dirait ancrée dans le XIXe siècle et les fastes de la cour viennoise.

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    L’album Grand Hotel en est la parfaite illustration, car nos amis du Harum s’y pavanent en fracs et en chapeaux claques, tout droit sortis d’un roman d’Hugo Von Hofmannsthal. D’ailleurs, ça tombe bien, car l’album tient bien son rang, aussitôt la perfection symphonique du morceau titre. Un certain Mick Grabham a remplacé Trower of London qui était le guitariste co-fondateur du groupe. Le thème de ce «Grand Hotel» est superbe, très viennois dans l’esprit. Il évoque la démesure de la valse des Habsbourg, telle que la filma jadis l’impérissable Luchino Visconti. Bien sûr, une certaine forme d’intimité avec les écrivains français et autrichiens de l’Avant-siècle facilite énormément la fréquentation du Harum. Il règne dans ses albums comme dans ces livres la même perfection stylistique, un goût comparable pour la mélancolie et la mort, la Mort à Venise, bien sûr. Revenons au Grand Hotel avec «For Liquorice John» - He fell from grace and hit the ground - un cut d’une beauté profonde qui nous entraîne soit vers le néant, soit vers la lumière, tout dépend comment on est luné. Et puis le coup de grâce arrive avec «Fires (Which Burnt Brightly)» - Let down the curtain/ And exit the play - sur lequel chante Christiane Legrand des Swingle Singers et des Double Six, la sœur de Michel Legrand, oh la lah, comme dit Gary Brooker au dos de la pochette. Christiane Legrand fait entrer au Harum sa magie vocale ! Robert Wyatt fait en gros la même choses dans «Old Europe» - Juliette and Miles/ Black and white city

             Si on ressort les albums du Harum de l’étagère, c’est pour dire adieu à Gary Brooker qui vient de casser sa pipe en bois. Cet excellent compagnon de route nous tint la jambe pendant sept belles années, de 1967 à 1974. On s’est arrêté en 1974 avec Exotic Birds & Fruit, mais eux ont continué. Comme Robert Wyatt, Gary Brooker a su nous rappeler que l’Angleterre était aussi le pays des grands mélodistes et grâce à quelques albums, il s’est taillé une place de choix dans l’étagère. Curieusement, les albums du Harum n’ont jamais fait l’objet de purges staliniennes, même au temps du punk. On savait qu’en les réécoutant, on ferait de nouvelles découvertes. Il faut dire qu’à l’instar de ceux de Dylan, les albums du Harum sont extrêmement bien écrits. La force du Harum fut d’avoir dans ses rangs un écrivain, l’ineffable Keith Reid.

             Une autre façon de voir les choses : l’œuvre toute entière du Harum tient entre deux serre-livres : «A Whiter Shade Of Pale» et «As Strong As Samson», c’est-à-dire entre We skipped the light fandango et l’Ain’t no use in preachers preaching, ce qui veut dire en clair entre le premier album paru en 1967 et l’Exotic Birds & Fruit avec lequel nous décidâmes unilatéralement de refermer la lourde porte du Harum. Ou si le choix de «Whiter Shade Of Pale» paraît trop évident, on peut choisir d’un côté «Repent Walpurgis» et de l’autre «The Idol», deux somptueuses merveilles issues des mêmes albums. Pour aggraver le cas de la métaphore, on pourrait aussi prétendre que tout le rock anglais tient entre «Strawberry Fields Forever» et «Arnold Layne».

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             Aveuglés par l’éclat du Whiter Shade Of Pale, on ne rendait pas compte à l’époque à quel point ce premier album sans titre du Harum était génial. Une fois passée l’émotion causée par la pop d’orgue tentaculaire du morceau titre, on entrait dans le domaine frénétique de Trower of London avec «Conquistador» - Though I hoped for/ Something to find - Trower of London soliloque dans l’or de la matière et jette une poudre d’électricité dans le brillant shuffle du Harum. Mais c’est avec «Cerdes (Outside The Gates Of)» que Trower of London va conquérir l’Asie Mineure, avec cet amas de ramasse inspiré de «Season Of The Witch». Soudain, au revers d’un couplet, le Harum bifurque dans le Procol électrique, avec le chant étrange et pénétrant d’un Gary Brooker paré pour la postérité. Ah il faut entendre Trower of London mettre la pression au cœur d’un shuffle princier. Le Harum n’en finit plus de culminer. Des choses comme «Kaleidoscope» et «Salad Days» ont moins d’impact, mais Gary Brooker les chante à l’accent conquérant et il mène d’une main de maître cette pop ambitieuse et fabuleusement orchestrée. Trower of London revient envahir l’espace mélodique de «Repent Walpurgis» et le Harum atteint là le sommet de l’insularité, la pop anglaise éclaire le monde, Walpurgis sonne comme un ersatz d’excelsior parégorique, un laudanum de petroleum, un solace de Liberace. 

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             On ne se lasse toujours pas des attaques de couplets de l’«As Strong As Samson» qui fait d’Exotic Birds And Fruit l’un des albums phares de l’an de grâce 1974. Cette façon qu’a Gary Brooker de redescendre dans le preachers preaching est assez héroïque, mais il sait aussi se montrer entêtant avec ses orgues et ses pianos dans «The Idol». C’est un peu comme s’il commandait aux éléments. Et comme chaque fois, il opère une descente en forme d’épitaphe - And so they found/ He’d nothing left to say - Une autre idole d’argile. Toujours le même protocole, avec «Beyond The Pale», l’Harum s’enracine dans la culture symphonique de la Mitteleuropa, on est dans cet univers culturel qui brasse la littérature, l’art moderne et la psychanalyse. Plutôt que de choisir, pour orner la pochette, cette nature morte de Jakob Bogdani, Gary Brooker aurait pu opter pour un portrait à la feuille d’or de Gustav Klimt. Encore une évidence qui cache la forêt. Ah comme le destin des évidences peut être cruel !

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             Comme déjà dit, Shine On Brightly (1968) et Live - In Concert With The Edmonton Symphony Orchestra (1972) sont des moitiés d’albums, avec leurs B ruinées par la prog. On sent avec «Rambling On», qu’ils passent leur temps à tenter de renouer avec les fastes de «Whiter Shade Of Pale». Pendant ce temps, Trower of London ramène du blues avec «Wishing Well», qui du coup sonne un peu comme une concession de la part de ce grand symphoniste habsbourgeois qu’est Gary Brooker. Il veille cependant au grain de l’ivraie avec «Quite Rightly So». L’Harum sera symphonique ou ne sera pas.

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    Par contre, sur le live, la version orchestrée de «Conquistador» emporte la bouche aussi sûrement que le ferait un boulet d’abordage. Dave Ball a remplacé Trower of London parti lancer sa fiévreuse carrière solo. Mad Ball d’abordage joue une sorte de wild electric guitar, il semble encore plus démesuré que le compère Trower. Ils font ensuite monter le «Whaling Stories» symphonique à des hauteurs épiques, histoire de passer en force. Rien de tel qu’un orchestre symphonique pour passer en force. Mad Ball d’abordage joue comme un diable sur cette moitié d’album live. Ils sacralisent ensuite deux merveilles tirées du troisième album du Harum, l’excellent Salty Dog, à commencer par le morceau titre, amené aux accords de piano emblématiques, et le chant gorgé de mélancolie du grand Gray Brooker s’en va dériver au large. S’ensuit l’extrêmement bon «All This And More» éperdu de shining through - The bright light of your star confronts me/ Shining through - C’est là où la beauté de l’art peut te réconcilier (provisoirement) avec la vie. 

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             Oui, Bary Brooker est bien le maître des océans avec A Salty Dog. Il y a quelque chose de purement hugolien en lui, de la même façon qu’il y a quelque chose de purement verlainien en Keith Reid. Puissance homérique d’un côté, grâce sibylline de l’autre. La version studio d’«All This And More» paraît plus massive que la version symphonique, les poussées de fièvre y sont plus marquées, ainsi que l’aristocratie des membres du Harum. Ils retrouvent leurs aises grâce au gras double de Trower of London et s’offrent l’un des grands finals du siècle passé. On sent que Trower of London bout sous la surface de «The Devil Came From Kansas». Il prend l’allure d’un volcan éteint sur le point de se réveiller. Ce n’est pas non plus un hasard s’il ramène du heavy blues rock dans le «Juicy John Pink» qui ouvre le bal de la B, mais on perd tout le protocole du Procol.

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             Il reste encore deux albums coincés au milieu, Home paru en 1970 et Broken Barricades paru l’année suivante. Ce ne sont pas les meilleurs albums du Harum. Avec des choses comme «Whisky Train» (sur Home) et «Simple Sisters (sur Broken Barricades), ils se fondent dans la masse, ce sont des compos de Trower of London, plus musclées, pas loin de ce que faisait à l’époque un groupe comme Status Quo. Il faut attendre «Your Own Choice» pour retrouver la fibre poétique de Keith Reid - The human fate is a terrible place/ Chosse your own exemples - et «About To Die» nous ramène aux portes de la Mort à Venise. «Nothing That I Didn’t Know» tombe à point nommé pour nous rappeler que le son du Harum est unique en Angleterre. Et «Whaling Stories» nous emmène au large, au temps des baleiniers, chargé du soliloque exponentiel de Trower of London. Il peut atteindre des sommets.

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    Broken Barricades ne propose qu’une seule merveille intemporelle, «Song For A Dreamer», composée par Trower of London et qui par sa dimension aérienne évoque l’«Albatross» de Peter Green. Ils font encore un peu de boogie avec «Memorial Drive» et la mélancolie fait son retour avec «Luskus Delph». Mais on est surtout là pour les belles clameurs seigneuriales de Gray Brooker, telles qu’elles se répandent dans «Power Failure» et «Playmate Of The Mouth», deux œuvres magistrales arrosées de grandes lampées de son qui, pareilles à ces lames de Bermudes, s’en viennent mourir contre la coque. Broken Barricades est l’album heavy du Harum, mais chez eux, le heavy se fait avec élégance. C’est à Trower of London qu’échoit le privilège de clore l’album avec «Poor Mohammed», il le fait à la cloche de bois et s’en va chercher des noises à la noisette. Voilà donc un heavy boogie rock chanté à la mauvaise intention, avec un Trower of London qui gratte sa sale slide des faubourgs. Il entraîne le Harum sur la mauvaise pente du banditisme sonique, et personne ne peut rien pour empêcher ça.

    Signé : Cazengler, Procucul la praline     

    Gary Brooker. Disparu le 19 février 2022

    Procol Harum. Procol Harum. Regal Zonophone 1967

    Procol Harum. Shine On Brightly. Regal Zonophone 1968

    Procol Harum. A Salty Dog. Regal Zonophone 1969

    Procol Harum. Home. Regal Zonophone 1970

    Procol Harum. Broken Barricades. Chrysalis 1971

    Procol Harum. Live. Chrysalis 1972

    Procol Harum. Grand Hotel. Chrysalis 1973

    Procol Harum. Exotic Birds And Fruit. Chrysalis 1974

     

    L’avenir du rock

    - On ne tient pas les Endless Boogie en laisse

     (Part Four)

     

             L’avenir du rock apprécie par dessus tout les soirées qu’il passe chez Hag et ses amis historiens dans un appartement de la rue de Buci. Après un bon repas, ils se rendent au salon et se calent confortablement dans les deux vieux chesterfield installés en vis-à-vis. Hag sert à chacun un armagnac divinement parfumé et les compères se jettent dans l’exercice préféré de tous les érudits : la conversation à bâtons rompus.

             — Pourquoi sommes-nous tous si critiques vis-à-vis de notre époque ?

             — L’explication est pourtant simple, lance l’avenir du rock : nous avons connu ces périodes magiques que furent les sixties et les seventies.

             — Dis donc, avenir du rock, tu tombes dans le simplisme, maintenant ?

             — Oh il fallait bien que l’un d’entre-nous se dévoue.

             — Aurais-tu aimé vivre au Moyen-Âge, avenir du rock ?

             — Ah quel rêve ! Autant vous l’avouer, les amis, j’aurais rêvé de me mettre au service de la Sainte Inquisition, pas pour brûler des sorcières, rassurez-vous, mais pour livrer aux flammes du bûcher ces horribles fantoches hérétiques que sont Stong et Slosh !

             — Dis donc, avenir du rock, tu as la dent dure !

             — N’inverse pas les rôles : ce sont ces atroces frimeurs qui nous empoisonnent l’existence depuis plus de trente ans. Même chose avec le chanteur Bonus. Et toi Hag, à quelle époque aurais-tu aimé vivre ?

             — À Vienne au XVIIIe siècle, j’aurais pu voir Mozart en concert ! J’en aurais profité pour prendre une diligence en direction du Vaucluse et aller rencontrer mon idole le Marquis de Sade dans son château de Lacoste. J’en pince aussi sérieusement pour les années folles à Paris. Ahhhh traîner la nuit avec Duchamp et Man Ray ! Comme tous ces gens ont dû bien s’amuser ! Est-ce qu’une autre époque aurait les faveurs de ton cœur, avenir du rock ?

             — La temps de cavernes ! Pas de factures, pas d’impôts, pas de problèmes avec les gonzesses, tu les traînes par les cheveux dans ta caverne et tu les enfiles vite fait ! Pas besoin d’écrire des poèmes à l’eau de rose ou d’aller sur des sites de rencontres. Tu as un petit creux ? Tu sors avec ton gourdin et tu assommes un ours. Pas besoin de carte bleue, pas besoin de caddy. Boom, tu te tailles un steak et tu en profites pour te tailler un manteau de fourrure !

             — Oh toi, tu as trop lu Rosny aîné !

             — De toute évidence ! Et puis j’aurais eu comme voisin Paul Major !

     

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             Comme ses amis ne savent pas qui est Paul Major, l’avenir du rock sort de la poche de son veston un CD qu’il emmène partout avec lui.

             — Tiens Hag, si tu veux bien, mets ça dans ton lecteur de CD. Paul Major est le chanteur d’Endless Boogie, un groupe new-yorkais frappé par ce qu’il faut bien appeler la grâce préhistorique. Ça devrait vous plaire, les amis.

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             Frappé lui aussi par la grâce préhistorique de Paul Major, David Fricke s’enthousiasme. Il en fait quatre pages dans Mojo et les chapôte à coups de paleolithic riffing. Il remonte à la source de l’Endless Boogie, c’est-à-dire Jesper Eklow et Johan Kugelberg, deux Suédois qui bossent chez Matador à New York et qui chaque semaine se retrouvent dans un local de répète avec d’autres gens pour jammer l’Endless Boogie. Bon, l’histoire on l’a déjà racontée au moins deux fois ici, mais c’est bien de la raconter une troisième fois. Car l’avenir du rock se nourrit très précisément de ces histoires. Eklow pensait à l’époque que le monde avait besoin d’un combo that sounded like Neu! meets AC/DC. Alors ils empruntent l’Endless Boogie à John Lee Hooker et recrutent l’ideal frontman, Paul Major. Pas facile, car il faut le faire sortir de son appartement. Paul Major est un dealer légendaire in high-end psychédelia and small-pressing outsider rock, avec une connaissance encyclopédique de la musique et an epic cascade of dark hair. Paul Major donne son accord pour jammer chaque mardi. Fricke soigne ses références et parle de Blue Cheer-weight distorsion et de progressive blues-assault of the Groundhogs, de Can German’s heartbeat mélangé au rollin’ and tumblin’ de Canned Heat, avec comme cerise sur le gâtö, the cornered animal growl suggesting Captain Beefheart with Lou Reed monotone. Paul Major adore le son du groupe : «We’d get locked into that zone, one big thing swinging all around.» C’est exactement ce qu’on observe en concert. Ça clique et ça part. Paul Major décrit Endless Boogie «as Jesper’s aesthetic». Ils ont vingt-cinq ans d’écart (Major 67 et Jesper 52). Sweeney dit qu’Endless Boogie «is Jesper’s vision of what Paul should be doing». Il ajoute que selon Jesper, «Paul is the purest person. And we want to get this purity out of him.»

             C’est Stephen Malkmus qui les fait connaître au monde en 2001 en leur demandant de jouer en première partie de Pavement au Bowery Ballroom. C’est à partir de là qu’ils se mettent à tourner et à enregistrer. Et ça fait vingt ans que ça dure. Ils n’ont ni manager, ni booker, ni roadies.  

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             Their mystical simplicity is all over Admonitions, nous dit Fricke. Admonitions est encore un double album, ils ont besoin d’espace et de temps pour donner libre cours à l’endless boogie, leur concept tient sacrément bien la route, amené au raw de prehistoric Paul et au guitar licking libre de ses mouvements, ça dégorge à grosses lampées, comme un dégueulis de mal de mer et «The Offender» part pour 22 minutes, bienvenue sur les terres du Comte Zaroff, wild is wild viva Donovan ! Ça file droit dans l’hypno avec un Paul Major qui croasse comme un gator, ils visent à leur façon le no way tout, c’est un drug habit magnifique de résurgences, bien drivé à la tremblote de boogie down. Ils s’imposent comme les maîtres du jeu, on voyage avec eux, 22 minutes, ce n’est pas rien, si on part du principe que le temps c’est de l’argent. On n’accepterait ça de personne d’autre, même pas d’Hawkwind. Paul Major et ses amis s’égarent et se fondent dans l’avenir du rock. Il fait ensuite son Beefheart avec «Disposable Thumbs». S’ensuit un «Bad Call» supersonique. On voit bien qu’ils ne vivent que pour ça, pour le pré carré de la psychedelia. En même temps il faut savoir s’armer de patience, car on repart pour 9 minutes de dérive avec «Counterfeiter» qui vire vite Can. Avec «Jim Tully», ils jouent la carte de la lente montée en vrille, ils jouent le coup à la note insistante, pas de problème, c’est leur fonds de commerce. Ils ne savent rien faire d’autre que de  monter en vrille et Paul Major entre dans le lard du son avec la voix de Merlin l’enchanteur, une voix grave et chamanique, what have you done, il exhale les mots comme des vapeurs lumineuses, un prodigieux climat s’installe et il pose ses mots dans la fraîcheur d’un matin d’hiver au fond des bois, but it’s better now, et là tu auras tout ce que tu peux attendre de la vie, l’ambiance, l’emprise sur le temps, l’épaisseur humaine, aw better now, ces fantastiques jammers se répandent dans les 22 minutes d’élongation du domaine de la hutte et ça scratche sur les cordes de la Les Paul, les notes se croisent et s’écrasent en une purée d’élévation lymphatique, on comprend alors exactement ce que font les Boogie-men, ils taillent leur route dans le son, ça joue dans les règles du lard fumant à la note éviscérée, ils pleurent toutes les larmes de leurs corps et le beat se dresse dans les fumées thuriféraires, on se croirait au fond d’un temple perdu dans la jungle. Tu les suis si tu veux, mais tu n’es pas obligé, vas-y, vas-y pas, c’est ton choix, nous on continue car le monde de Paul Major nous plaît infiniment, même s’il s’engage parfois dans les ornières du déjà vu. On se souviendra de «Jim Tully» comme d’une jam sans fin, de celles qui t’accompagnent jusqu’à l’aube. Paul Major joue son vieux va-tout dans la fournaise du jamming. C’est tout de même incroyable que ce jamming si intime puisse s’ouvrir au monde et intéresser les gens. Endless Boogie sur scène, oui, quand tu es défoncé, mais sur disque, c’est un peu spécial. Avec «The Conversation» tu t’embarques encore pour un certain temps, mais nous n’irons pas nous plaindre, même si se plaindre est devenu le sport national. Ils terminent avec «Incompetent Villains Of 1968», un dark doom un peu étrange monté sur un petit thème qu’altère la disto. Il semble que Paul Major ait décidé de faire claquer son goût pour le coït sonique. Admonitions est un album d’outsiders définitifs.

    Signé : Cazengler, Endless boudin

    Endless Boogie. Admonitions. No Quarter 2021

    David Fricke : Endless Boogie. Mojo # 336 - November 2021

     

     

    Inside the goldmine - Love is in the air

     

             Baby Love aimait les hommes. Elle avait cette chance que beaucoup de femmes n’ont pas. Pour elle, une relation devait se vivre au sens large, comme s’il se fût agi d’universalisme. Embrasser son mec, c’était une façon d’embrasser l’univers. L’acte de donner du plaisir revêtait chez elle une dimension christique. L’amour charnel relevait du sacré, même dans son animalité. Il suffisait de ne pas la quitter du regard au moment des ébats pour mesurer cette grandeur d’âme. Elle se riait des tabous et ne ratait pas la moindre occasion de donner libre cours à sa fantaisie, qu’on soit sous l’emprise d’alcool ou de drogues. Sa quête d’une relation parfaite passait bien sûr par la prise de risques. Le jeu consistait parfois à rouler la nuit en ville, nus jusqu’à la ceinture, et nous livrer à toutes sortes d’acrobaties tout en remontant les avenues. Chaque sortie au restaurant était en fait prétexte à aller baiser comme des animaux dans les gogues. Baby Love se voulait initiatrice d’un culte de son invention. Elle développait sans même le savoir cet érotisme littéraire qui fit la grandeur d’érotomanes du calibre de Georges Bataille. On évoluait dans cette région de la pensée où l’intelligence se nourrit de la libido et réciproquement. Curieusement, il n’y avait pas la moindre trace d’intellectualisme en elle, au contraire. Bataille, Sade ou Molinier ? Ça ne l’intéressait pas. Ça ne pouvait pas l’intéresser. Elle ne s’intéressait qu’au vivant, qu’à l’instant présent, qu’à cette braguette qu’elle ouvrait doucement. Nous nous installâmes dans un bel appartement, au-dessus d’une pharmacie. Nos voix résonnaient dans les vastes pièces vides. Les trois stères de bois de chauffage déversées dans l’allée restèrent en tas dans l’allée. Nous savions que nous ne les utiliserions pas. La spirale universaliste nous entraînait toujours plus loin. L’empire des sens nous détachait lentement mais sûrement de la réalité. Revenir en arrière n’était plus possible. Au jour de l’an cette année-là, elle indiqua que le cadeau se trouvait dans le coffre de la voiture, au garage. Nous descendîmes avec nos verres de champagne et elle ouvrit le coffre : s’y trouvait une grande longueur de tuyau plastique enroulée et un rouleau de ruban adhésif. Nous branchâmes de tuyau sur le pot d’échappement et nous installâmes confortablement à l’intérieur de la voiture pour y mourir ensemble, selon son vœu d’éternité.        

     

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             Le destin de Mary Love n’est pas beaucoup plus enviable. Ady Croasdell nous raconte son histoire dans le booklet d’une compile Kent, Lay This Burden Down - The Very Best Of Mary Love, parue en 2014 : cette petite black eut le malheur de naître dans un environnement d’une violence extrême, la mère de 16 ans qui se barre et le beau-père qui bat la gamine. Comme toujours dans ces histoires de familles black qui tournent en eau de boudin, c’est la grand-mère qui fait la sauveuse. Mary Love vit quelques années de répit avec sa grand-mère avant de replonger plus tard en enfer, lorsqu’adolescente elle retourne chez sa mère. Mais cette fois elle est en âge de se faire sauter par le beau-père qui, comme beaucoup de beaux-pères, a une bite à la place du cerveau. Elle finit par atterrir dans le Junvenile System of the State of California, à Sacremento. Qu’elle soit encore en vie à l’adolescence relève du miracle.

             Elle a 17 ans quand elle participe à un concours de chant dans un club de Sacremento. J.W. Alexander qui est le manager de Sam Cooke la repère et c’est ainsi qu’elle démarre une carrière qui va faire d’elle une starlette de la Northern Soul. D’où Ady Croasdell et d’où la compile Kent. Mary Love va bien sûr se marier, trois fois, et avoir des enfants. Elle fricote un temps avec le cultissime Rudy Ray Moore, elle décroche même un petit rôle dans Dolemite, où elle chante deux cuts («When We Start Making Love» et «Power Of Your Love», présents sur la compile), et dans les années 80, elle a comme tout le monde sa petite période alcool, coke et crack, jusqu’au moment où elle rencontre Brad Comer, l’amour de sa vie. Brad et elle décident de se consacrer à God. Ils montent une petite congrégation à Moreno Valley, cent bornes à l’Est de Los Angeles et la congrégation grossit très vite, hundreds, then thousands nous dit Ady. Mary Love devient Mary Love Comer, elle enregistre à nouveau sur Co-Love Records et tourne éventuellement la tête des fans de Northern Soul en Angleterre, à commencer par Ady Croasdell qui réussira à faire venir le couple en 1993 pour un Northern Soul weekender at Cleethorpes. Mais comme Mary Love n’est pas faite pour les contes de fées, Brad Comer trouve another love et Mary Love se retrouve une fois de plus le bec dans l’eau.

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             Le première chose qu’on fait quand on écoute Lay This Burden Down - The Very Best Of Mary Love, c’est aller chercher les deux cuts de Dolemite, «When We Start Making Love» et «Power Of Your Love». Le deuxième n’éveille rien de particulier mais le premier réveille les bas instincts. On se sent bien auprès de Mary Love, elle groove à la volée et un guitariste l’accompagne. Elle chante par-dessus les toits du Start making love, elle simule le commencement de la pénétration, elle colle bien aux aspérités, just me and you, et jette toute sa passion dans l’expressionnisme. Au fil des cuts, on constate qu’elle est bonne dans tous les coups, elle se fond dans le moindre repli de la Soul d’expression corporelle. On voit pas mal de photos d’elle dans le booklet, elle cherche à plaire, toujours très coiffée, avec un petit air sexy. À l’époque de Co-Love, elle fait du diskö-funk, elle se faufile comme elle peut dans «Come Out Of The Sandbox» et le «The Price» qui referme la marche enterre une grande chanteuse qui s’appelait Mary Love. Ses coups de Jarnac datent de l’époque Modern. Elle y rivalisait directement de Sugar Love avec les Supremes, comme le montre «You Turned My Bitter Into Sweet». Elle chante au sucre avec tout le revienzy de Motown. Même chose avec «Hey Stoney Face», elle y dépasse même les Supremes, elle prend ça au stoney face, c’est puissant, chanté à la Love. Et ça continue sur la même lancée avec «I’ve Gotta Get You Back» qu’elle développe au sugar des Supremes. Mary Love forever ! Elle fait aussi du Modern Sound avec «I’m In Your Hands», véritable shoot de rentre-dedans, elle allie le raw au sugar, c’est assez rare. Elle récidive avec «Let Me Know» qu’elle pulse à l’excellence, elle en swingue chaque syllabe à la science infuse de Sugar Motown, elle roule ça dans sa farine de légendarité au point que le langage s’oblitère, car ça ne s’écrit pas, ça se danse. Elle passe par tous les biseaux, oh oh. Même quand elle fait du sexe avec «Move A Little Closer», elle tient son rang. Elle cultive l’optimum en permanence. Elle opère un grand retour aux Supremes avec le morceau titre - I made up my mind hey-ey - Puis elle rend hommage à l’homme avec «Talkin’ About My Man» - Oh oh he’s so good to me/ I’m talkin’ bout my man - et elle ajoute : «He always pleases me.» Elle attaque son «Dance Children Dance» comme Aretha, elle a le même instinct de Soul Sister et puis voilà qu’elle duette avec Arthur K. Adams sur un «Is That You» dégringolé au heavy sludge de guitar dingling. Tout est solide dans cette compile, on comprend que les Anglais soient tombés amoureux de Mary Love.

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             La compile Kent Then And Now qui date 1994 fait un peu double emploi avec la précédente, car on y retrouve ses grands numéros de saute au paf («I’m In Your Hands», «Move A Little Closer»), on la revoit battre les Supremes à plates coutures («Let Me Know», «Hey Stoney Face», «Lay This Burden Down», «I’ve Gotta Get You Back»), on la revoit remonter les bretelles de la Soul avec «Satisfied Feeling» et se rapprocher de Dionne la Lionne en explosant «Baby I’ll Come», le tout agrémenté de cuts de diskö funk plus tardifs. On devra se contenter d’un «Mr Man» qu’elle tape au groove de charme, elle y fait du Marvin au féminin. Dans le booklet, on trouve d’autres photos d’elle coiffée en blonde, mais beaucoup plus sexy qu’Etta James. Mary Love paraît heureuse sur scène.

    Signé : Cazengler, fort marri

    Mary Love. Then And Now. Kent Soul 1994

    Mary Love. Lay This Burden Down. The Very Best Of Mary Love. Kent Soul 2014

    *

    Après l’extérieur, l’intérieur. Après Dylan vu par les autres, voir livraison 548 de la semaine dernière, Dylan par lui-même. Ce n’est pas que celui qui parle a toujours raison, c’est que son témoignage est à verser au dossier de l’inquisition au même titre que tous les autres, avec toutefois cette nuance : l’on n’est toujours trahi que par soi-même.

    CHRONIQUES

    BOB DYLAN

    ( Folio 5091 / 2006 )

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    Le titre anglais est davantage explicatif, Chronicles, Volume one, au moins l’on attend la suite qui n’est pas encore parue. Dylan prend son temps, à quatre-vingt piges passées peut-être veut-il nous faire le coup des Mémoires d’Outre-Tombe à la Chateaubriand. Elles ont toutefois été livrées au public avant sa mort, ce qui nous laisse un peu d’espoir de voir les tomes suivants paraître incessamment sous peu. Je me permets d’évoquer l’immortel créateur de René et Atala car Bob Dylan le cite dans son livre. Question caution littéraire, il est difficile de faire mieux. Que l’évocation de ces mémoires ultra-tombales ne nous induisent pas en erreur : le livre de Dylan n’est en rien une autobiographie. Cela est spécifié dès le titre : chroniques. Ce terme indique un certain détachement vis-à-vis de la réalité existentielle de son propre vécu. Dylan ne se raconte pas, il conte des moments de sa vie. Autant dire qu’il les met en scène soigneusement. Qu’il ne sert de rien de les lire en tant que témoignages d’un passé révolu. La question n’est pas de savoir si l’on peut lui faire confiance, mais de comprendre ce qu’il veut nous signifier par l’écriture d’un tel livre.

    NOTES SUR UNE PARTITION

    LA TERRE PERDUE

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    Dès les premières pages Dylan nous induit en erreur. L’histoire commence au commencement de sa carrière, sa signature chez Columbia. Laissez tomber le cursus honorum, trois pages plus loin nous comprenons que c’est un faux départ, repend le récit à la manière de Balzac nous décrivant l’arrivée de Rastignac à Paris. Lui c’est son arrivée à New York, par un temps glacial. La suite est connue, Le Cat Zengler nous a mis en scène (livraison 546) sa première entrevue avec Fred Neil, dans un même ordre d’idée le lecteur se rapportera notre recension   du livre de souvenirs de Dave Van Ronk qui corrobore totalement les dires de Dylan. Ce sont des mois d’apprentissage : Dylan arrive à s’intégrer aux principales scènes de la Big Apple folk, loin d’en devenir le challenger irremplaçable, il n’a pas assez d’argent pour louer une chambre, dort sur les canapés chez les amis. L’est toute oreille pour les disques de folk que possèdent ses connaissances, n’approfondit pas uniquement son savoir musical, lit beaucoup, un peu de tout, mais un penchant pour la littérature explore les bibliothèques…  Nous parle entre autres de Joe Hill ( voir livraison 324 ) ce qui lui permet de se situer d’une manière,  je n’ose pas dire plus précise, car il essaie de n’être ni dupe des puissances politiques, ni de céder au romantisme révolutionnaire qui emportera sa génération. Dévore, apprend, réfléchit…   pour ne citer que deux ouvrages,  qui apparemment n’ont rien à voir entre eux, si ce n’est   qu’ils sont tous deux une réflexion sur la fondation et la destruction d’une civilisation, De la guerre de Clausewitz et La déesse blanche de Robert Graves. Cette première partie nous dresse le portrait d’un Dylan artiste en jeune chien dans un jeu de quilles qui essaie avant tout de garder son self-control. Ne maîtrise pas grand-chose, cependant il revendique l’impression d’avancer pas-à-pas mais sûrement sur l’échiquier du monde qui pour lui se réduit au maigre milieu folk newyorkais.

    NEW MORNING

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    Les narratologues désignent sous les termes d’ellipse narrative le début de ce troisième chapitre qui ne s’inscrit pas dans la suite logique des deux précédents. Après les années de vache enragée, Dylan s’en plaint si peu que nous les qualifierons plutôt de maigres bovidées, l’on espère le glorieux récit des années de vaches grasses. Mais non, pas un mot sur le veau d’or. Ne le tue pas, mais le tait. Passe directement à son fameux et très exagéré accident de moto. Burn out ou ras-le-bol généralisé, l’arrive à Dylan ce qu’a vécu Jean Giono après la parution de ses premiers livres. Ne peut plus être en paix, des visiteurs viennent sans cesse sonner à sa porte. Impossible pour Giono d’écrire ses nouveaux romans. Trouvera la solution en invitant tous ses admirateurs qui attendent de lui un message ultime en les réunissant chaque été durant les années trente dans une ferme perdue dans la campagne, créant ainsi une espèce de première communauté pré-hippie. A la différence près que Giono regroupe autour de lui des intellectuels inquiets de la montée des périls, pris en sandwich entre la fin de la première guerre mondiale et le début de la deuxième qui se profile à l’horizon…  A la deuxième différence près que les visiteurs de Dylan sont au mieux de doux utopistes vindicatifs au pire de sombres barges sans gêne ou d’immondes profiteurs. Dylan qui désire vivre tranquillement avec sa femme et ses enfants se verra obligés de déménager à plusieurs reprises pour échapper aux hordes envahissantes…

    Explicitement Dylan déclare qu’il ne veut pas être le maître à penser d’une génération d’enfants gâtés ou de simples huluberlus… N’empêche qu’apparaît dans son récit ce que la lecture des chapitres suivants nous incitera à nommer une faille. Le Bob nous déclare que pour couper court à l’enthousiasme soulevé par ses premiers albums il applique une nouvelle stratégie.  Celle d’écrire des textes moins forts, douceâtres, vantant les mérites de la vie familiale. Bref il se lance dans le country afin de dégoûter ses fans de la première heure. Avec une pointe de cynisme il ajoute que cela ne l’embarrasse pas trop puisque ces nouveaux albums continuent à bien se vendre… Se détache de plus en plus de ses anciens amis qui aimeraient le voir continuer des discours critiques sur la société. Ne sait pas trop où il va mais sait ce qu’il ne veut plus.

    OH MERCY

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    Nouvelle ellipse temporelle. Bien plus gênante que la précédente. En plus de sauter quelques années, notre héros tait sa conversion. Faut lire avec attention le texte pour l’entendre déclarer à demi-mot, sans s car il n’en prononce qu’un, juste une onomatopée, qu’il ne nie pas l’existence de Dieu. L’est vrai que son enthousiasme s’est dilué en une dizaine d’années… Mais il révèle quelque chose de bien plus grave qu’il cachait dans la partie précédente. Se plaignait de n’avoir pas le temps, à cause des intrus qui assiégeaient sa maison, d’écrire, affirmait aussi, répétons-le, qu’il refilait des textes faiblards pour avoir la paix… ce coup-ci il lâche le morceau, n’y arrive plus, il a perdu le truc, ne pond que des textes de qualité bien moindre. Nous entrons dans les pages les plus ennuyantes. Nous donne tous les détails, heures, lieu, circonstances de tous les nouveaux textes pas trop mauvais qu’il parvient au prix de grandes difficultés à collationner pour le futur album Oh Merci. Ce n’est pas tout. Après les affres de la création littéraires nous assistons morceau par morceau à l’enregistrement du disque. N’est plus capable d’enregistrer en une séance de quelques heures trois, quatre, titres pratiquement en une seule prise. Pour Oh Merci lui faudra trois mois. Longue parturience. Couvre d’éloges son producteur Daniel Lanois. Le lecteur s’ennuie ferme. Dylan nous fait part de ces états d’âme, de ces coups de blues, de son malaise existentiel. Est content du résultat final, mais selon lui le disque ne trouve pas ses acheteurs.

    FLEUVE DE GLACE

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    Retour en arrière, le récit reprend là où s’achevaient les deux premières parties. Mais l’angle d’attaque est différent. Trace non plus les lentes avancées, les sauts de puce, qui centimètre après centimètre lui ont permis d’avancer dans la carrière. Nous délivre son itinéraire intellectuel. Certes il progresse, peut louer un minuscule appartement, Autant il est resté très discret quant à ses petites copines, autant il s’attarde sur Suze Rotolo, lui qui déclare que l’homme politique qu’il préfère est Barry Goldwater ( ultra-droite conservatrice) est quelque peu incliné par Suzie vers de généraux idéaux de gauche. Cet aspect politique n’est que l’écume de sa problématique. Il est venu du fin-fond de son Minnesota à New York avec une seule idée en tête : rencontrer et devenir le nouveau Woody Guthrie. Ne se prive jamais d’inclure un ou plusieurs titres de Guthrie dès qu’il a l’occasion de monter sur scène. Woody lui semble insurpassable. Jusqu’au jour où Jon Pankake, amateur émérite de folk lui brise son rêve. Tu ne chanteras jamais aussi bien que Guthrie. Cette phrase destructrice est suivie d’une autre qui l’atomise : Jack Elliot que tu n’as jamais entendu le chante mieux que toi. L’écoute des disques est sans appel, non seulement Elliot le chante mieux que Dylan mais ses interprétations sont la preuve qu’il a compris, assimilé et ce faisant dépassé le maître. Désormais le brave Bobby change son fusil d’épaule, il ne chante que du Ramblin’ Jack Elliot… D’ornière en ornière… Dylan va enfin comprendre que ce qui lui manque, c’est l’écriture de textes qui ne doivent rien à personne, ni à Guthrie, ni à Ness, ni à quiconque. En l’initiant à la peinture et au dessin Suze lui permet d’avancer dans sa tête, il dessine mal mais il dessine selon son propre point de vue, il reproduit un objet comme nul autre ne l’appréhende. Maintenant il sait se poser dans le monde. Ne lui reste plus qu’à entrer en osmose avec des œuvres engendrées par cette méthode. Trouve deux modèles qu’il décortique soigneusement pour savoir comment l’on écrit.  Rencontre le premier encore grâce à Suze qui travaille à Broadway, un parolier Bertold Bretch, un compositeur Kurt Weill – vous connaissez, rappelez-vous sur le premier disque des Doors Alabama Song ‘’ Show me the way to the next whisky bar…’’ , Dylan comprend comment on écrit un texte, ne pas vouloir tout dire, laisser les mots s’appeler les uns les  autres pour insuffler sens et mystère au texte, le deuxième sera Robert Johnson que Columbia s’apprête à rééditer, des mots simples mais la ligne mélodique qui s’éparpille en mille droites qui s’écartent l’une de l’autre pour mieux faire resplendir le centre générateur. Dylan a tout compris. Il est prêt à être le grand Dylan.

    Ce que révèleront le ou les volumes postérieurs nous ne le savons pas mais cette dernière partie du volume 1 nous aide à comprendre le sujet du livre. Ce n’est pas une histoire qui narre les débuts incertains d’un individu destiné à devenir l’un des plus grands chanteurs de sa génération. Dylan ne cherche pas à nous décrire son chemin vers les étoiles. Ce n’est pas l’apothéose qui le tente. Se penche sur la dimension littéraire de son écriture. Tente de percer son propre secret. Au bout d’un moment les textes couleront de sa plume pratiquement tout seul. Pourquoi ? Comment ?

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    L’on pense à Paul Valéry qui après quatre années difficiles à composer La jeune Parque est le premier étonné, pour ne pas dire sidéré, de la vitesse à laquelle il écrit la plupart des poèmes de Charmes. Même phénomène chez Rilke qui durant dix ans reste aux aguets de la venue des Elégies à Duino, dans l’angoisse et la douleur, et qui écrit avec une révoltante virtuosité Les sonnets à Orphée en quelques jours. Certes il existe une différence essentielle entre les deux poëtes et Bob Dylan, tous deux sont à l’acmé de leur fructuation créatrice de laquelle jaillira leur accomplissement poétique. Il leur aura fallu toute une vie d’écriture, de réflexion, de méditation et de travail acharné pour livrer leurs œuvres majeures, Bob Dylan est au début de son efflorescence lorsqu’il délivre ses textes les plus novateurs. Comme par hasard un évènement déclenchera le processus. La lecture de Rimbaud. Il regrette de ne l’avoir pas connu auparavant, cela lui aurait permis de gagner du temps.

    Rimbaud se remettra-t-il vraiment de ses cinq années fulgurantes. Il est obligé de se renier et de s’enfuir à l’autre bout de la terre, de se livrer à la prosaïque fonction de commerçant… Si l’on relit la trajectoire de Dylan à l’aune de Rimbaud, l’écriture de ce premier volume des Chroniques prend toute sa signification. Rimbaud part en Abyssinie et interrompt tout contact avec le milieu poétique, Dylan continuera sa tâche de chanteur. Il ne sait pas rompre définitivement. L’intitulé de son Never Ending Tour, ainsi le baptise-t-il, est assez éloquent… Dans ses Chroniques, Dylan retrace la généalogie du rassemblement des différents éléments qui lui ont permis de devenir le grand Dylan, un peu comme un alchimiste qui dans sa jeunesse a réussi à transformer le vil plomb en or et qui n’y parvenant plus essaie de retrouver la recette qu’il est incapable de refaire… Un terrible aveu d’impuissance quand on y pense. Un livre poignant.

    Damie Chad.

     

    AGREUS

    GOATGOD

    ( Mars 2022 / BC -YT )

    Goatgod vient de Grèce, de Thessalonique, ville portuaire au nord de la Grèce, dans sa partie macédonienne. Le groupe adepte du Do It Yourself en 2020, a commencé à enregistrer en 2021. Le groupe est formé à partir de deux autres formations : Samatas et Disurband. Est-ce cette réunion qui les a emmenés à s’accorder sur le nom de leur album Agreus,  

    Xanthos V : guitares, basse / Theodosis V : drums / Sotos Ag : vocals.

    Les amateurs de batterie ne manqueront pas de visualiser les cinq vidéos de démonstration du travail de Sotos Ag sur ses fûts.

     

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    Awakening : emballement de batterie, une voix qui envoie les mots comme des boulets de canon, et derrière une symphonie de cordes qui recouvre le monde entier d’un flot majestueux, parfois à mi-voix un écho lointain répète les lyrics, break étourdissant, le chant se transforme en injonction tumultueuse, un appel à la résistance, à la renaissance, à s’amalgamer à la puissance d’un Dieu. Poisoned by guilt : rythme binaire qui n’empêche pas des éructations démoniaques, le vocal n’est plus que cris de haines, exhortations à se surpasser et objurgations à se délivrer des fausses culpabilités, il est temps de s’arracher à la religion de la bible, de se retrouver, de prendre son destin en main, Dieu est mort, éruptions souterraines de tambours, le message est asséné avec tant de force et une si féroce clarté qu’il  se présente sous forme d’une déclaration de guerre à l’avilissement de la psyché humaine. Enligthenment : soleil, embrasement de guitares, subite dégoulinade, rythmique précipitée, vocal à l’emporte-pièce, pas encore au bout du tunnel, comprendre l’ampleur du désastre est une chose, se diriger dans les ténèbres de sa perdition,  réaliser en soi ce désir de clarté s’avère d’ une toute autre difficulté, regardons le soleil, il est la force, l’énergie primitive, les guitares planent maintenant dans l’Empyrée, au-delà de l’astre c’est le char d’Apollon qui apparaît en filigrane, souffles divins, un enthousiasme sacré s’empare de moi. Culmination. Bucolic outbreak : ambiance virgilienne, irisation acoustique qui tourne vite en une ronde sauvage, la joie est d’autant plus forte qu’elle repose sur la présence de la mort, il faut la dépasser, l’admettre en tant que simple séquence d’un cycle naturel, la batterie va de l’avant mais les guitares tournent sur elles-mêmes à l’image de la nature qui semble avancer vers sa disparition pour mieux renaître. Return of the heathens : florilèges de guitares, vocal hurlé, les païens sont de retour, condamnation du vieux monde, de l’asservissement intellectuel par la peur de l’obscurité, curieuses montées de splendeurs entrecoupées de dissonances grondeuses, le rythme s’alourdit, ralentit, reprend sous forme de poussées germinatives, il n’est pas facile de débarrasser l’esprit humain de l’ivraie des religions, le morceau se termine en apothéose. Ejaculation of a cruel god : grincements insupportables, ce n’est jamais gagné, les guitares en sirènes d’avertissements, batterie implacable, il est si facile de retomber dans l’ornière, de retourner vers les chaînes de l’esclavage religieux, vocal ralenti, hurlé, jusqu’à ce qu’une rythmique folle signifie que vous êtes happé par votre propre déchéance. The Delphic oracle : avancée processionnaire, le rythme reste lourd et lent même s’il est dynamité par des brusqueries de batterie, nous voici au cœur du paganisme, dans l’antre de Delphes, la prêtresse sur son tabouret attend que l’esprit d’Apollon se mêle à elle, emplisse le vase vide de son cerveau, vocal surexcité, instrumentation saisie de vertige, la pythie est en transe, le moment de l’interroger est venu, le passé irradie sa vision et les guitares s’étendent à l’infini, l’instant crucial, chœurs à l’horizon interne, la réponse est dans la question, quand enfin ce monde de ténèbres se terminera-t-il. Le texte est moins naïf qu’il n’y paraît. Le désir n’est pas la réalité. Embrace the nymph : nocturne crépusculaire, voici la réponse attendue, ambigüe comme il se doit, embrasser la nymphe, la compréhension est des plus simples pour les esprits peu aiguisés, elle se résoudra à se saisir d’un corps de femme, mais il faut choisir, ou tu t’allies à la chair féminine de la réalité, ou tu vis l’acte d’accouplement selon la réalité du mythe. Il faut choisir entre la rugosité charnelle de l’être humain et la confrontation intérieure avec le feu impérieux de la puissance divine, le morceau monte et descend, tantôt fièvre sexuelle, tantôt outrance extatique, c’est dans la brûlure que se conçoivent les demi-dieux et les mythes. Que se construit l’arc-en-ciel qui ne permet pas de rejoindre l’immortalité. The summoning night of Pan : la nuit de Pan que vous ne confondrez pas avec l’obscurité du Walpurgis faustien, nous sommes à l’équinoxe du printemps, les guitares ronflent telles les rhombes des  joyeux cortèges, le son se disloque tandis que par-dessous se profile une nouvelle ligne harmonique, entrons doucement dans danse, entrons doucement dans la transe, nous ne sommes pas pressés mais le rythme s’accélère, la panique sacrée s’immisce en nous, c’est ainsi que l’on se sépare de soi et que notre esprit monte en spirale vers les demeures de l’Olympe telle la fumée des sacrifices, il s’agit dans notre éructation charnelle de faire fondre notre chair mortelle à ce brasier qui nous brûle de l’intérieur, les rhombes vrombissent quand tout s’apaise, mais maintenant nous savons que le Dieu Pan n’est pas mort, l’anglais n’est plus de mise, les dernières paroles sont en grec, l’hymne chante l’unité des cieux, de la mer, des océans et des abysses transformés en une énergie pure par une joie inhumaine.

    Ce premier opus est splendide.

     

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    Nous n’avons pas encore regardé la pochette. La symbolique est claire : à l’officiant d’une liturgie chrétienne les mains benoîtement croisées sur le ventre en guise d’obéissance se substituent le squelette – symbole de la libre acceptation de la mort et refus de la croyance en un autre monde paradisiaque, amor fati dirait Nietzsche - et la tête du bouc Pan, les bras levés, la paume des mains tournées vers l’ouranos. Le lecteur visualisera le médaillon frappé du delta de Zeus et sa représentation rayonnante en Sol Invictus.

     

    Le dieu chèvre n’est pas à confondre avec le bouc qui préside aux messes sataniques qui firent fureur sous le règne de Louis XIV.  L’anti-christianisme satanique, même inversé n’est que du christianisme. Ici les lyrics sont empreints d’une philosophie nietzschéenne, qui condamne le christianisme en tant que religion, parce que toute religion est croyance et donc asservissement de la pensée philosophique. L’imagerie polythéique est à entendre comme une symbolisation conceptuelle historiale et élémentale. Elle pose l’univers en tant que fragments entremêlés mais dépourvus de tout désir d’agrégation unitaire ce qui logiquement préside à l’élaboration d’une pensée dégagée de tout obscurantisme religieux. Politiquement, nous sommes dans l’impensé métaphysique de l’anarchie.

    Damie Chad.

     

     

    JIM MORRISON, LE FLOU L’EMPORTE

    MARIE DESJARDINS

    (Série Portraits Rock, in Presse Profession Spectacle)

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     Magnifique article sur Jim Morrison écrit par Marie Desjardins. Aussi beau qu’une nouvelle de Villiers de L’Isle Adam. Le grand art, raconter une histoire dont on connaît tous les éléments et attiser les braises chaudes d’une blessure poétique qui ne se refermera jamais. Ouverte pour les siècles à venir, tel l’itinéraire de Rimbaud. A cette différence près que la trajectoire de Rimbaud reste celle d’un solitaire alors que Morrison fut non pas un personnage public, mais un phénomène générationnel autrement dit un moment très particulier, une coupure dans l’histoire de l’imaginaire du monde. Comme Platon nous l’a appris, nous ne voyons du monde que des ombres, nous y sommes habitués, toutefois l’ombre de Jim Morrison est plus sombre que les autres. Elle resplendit d’une noire luminosité qui éblouit et qui n’est pas sans renvoyer aux recherches de Goethe sur la manifestation des couleurs.

    Marie Desjardins rebat les cartes. Une centaine de lignes lui suffisent pour exposer les arcanes majeurs du tarot de la destinée.  Toutes les figures sont convoquées, Morrison le clochard céleste, Morrison diapré de beauté apollinienne,   Morrison le poëte, le double jeu des dames essentielles, Patricia désirée et Pamela aimée, mais aussi les comparses de la dernière soirée, Sam Bernett, Marianne Faithfull, les fantômes d’Elvis Presley, de Gene Vincent, de Shelley, Michel Embareck et jusqu’à nos Chroniques de pourpre… si Morrison fut un aède à la voix d’airain qui résonne encore, il fut aussi un homme de mots, cette cendre noire qui recouvre, enfouit,  protège, et préserve de l’oubli rongeur le souvenir des  existences chaotiques et volcaniques dont on retrouve les traces érotiques, arestiques et éristiques dans de mémorielles villas pompéiennes des Mystères, ouvertes à tous vents, qu’elles abandonnent en ultime témoignage derrière elles. Tout réside dans le mystère des choses qui n’existent plus mais qui ont eu lieu. Nous ne sommes que des archéologues à la recherche des cités disparues dont on ignore les emplacements.

             En diabolique illusionniste Marie Desjardin recompose le jeu de perles brisées de Morrison. Un incroyable tour de passe-passe, elle joue le rôle de Méphisto  ressuscitant pour obéir à Faust le fantôme d’Hélène de Troie, lui ordonnant pour cela de repasser la porte des Enfers, ce porche obscur de toute existence humaine… Las, elle laisse couler à terre, de la paume de son évocation, entre les doigts de ses mots, le sable des verroteries irisées, et tout s’efface. Cruauté de la littérature ! Elle nous a permis d’être le temps d’une lecture des voyants alchimiques et nous ne sommes plus que des voyeurs dépités.

    Seule l’aile brisée d’un ange rilkéen sépare le fou et le flou.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 539: KR'TNT ! 539 :TONY MARLOW / BRYAN MORRISON / COSMIC PSYCHOS / ADORABLE / JIM MORRISON / GREY AURA / HECKER / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 539

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    27 / 01 / 2022

     

    TONY MARLOW / BRYAN MORRISON

    COSMIC PSYCHOS / ADORABLE

    JIM MORRISON / GREY AURA

    HECKER / ROCKAMBOLESQUES

     

    L’avenir du rock

    Marlow le marlou (Part Two)

     

    Fatigué du charme des palaces décatis de Marrakech et du confort boiseux des chalets suisses, l’avenir du rock opte cette année-là pour des vacances populaires. Il se réjouit à l’avance d’aller passer trois semaines dans un camping des gorges du Tarn en compagnie des représentants de ce qu’on appelait autrefois la classe ouvrière. Ah il s’en réjouit à l’avance, l’idée des grands verres de Pastis à l’apéro le fait baver. Et ça ne rate pas, il se retrouve dès le premier jour coincé derrière une petite table de camping en compagnie d’une équipe de joyeux drilles, les occupants de l’emplacement voisin. L’homme qui mène la bacchanale a la main lourde sur le Pastis et sa femme qui est bien ronde et qui manque tragiquement de conversation passe son temps à aller pêcher des glaçons dans la glacière tout en bouffant des olives à la chaîne. Un autre couple participe aux agapes et l’avenir du rock comprend qu’ils sont apparentés. C’est l’heure la plus bruyante du camping. Tous les vacanciers «font l’apéro», comme ils disent. L’avenir du rock comprend au bout de cinq minutes qu’il ne tiendra pas trois semaines dans cet enfer.

    — Une petite rincette, avenir du rock ?

    — Ce n’est pas de refus. Au point où nous en sommes.

    Alors que le jour baisse, le niveau de la bouteille de Pastis baisse aussi. L’avenir du rock sent monter une petite gerbe, il s’excuse, va dégueuler vite fait derrière la caravane de ses hôtes, et revient en s’excusant de cette interruption. La dame ronde lui propose un sopalin pour s’essuyer la bouche. Puis l’hôte fonce dans la caravane et revient avec un litron de Pastis tout neuf. Soucieux du confort intellectuel de son invité, il lui demande, tout en lui servant une énième rasade de coyote, s’il lit des livres.

    — Oh ça dépend.

    L’hôte ne se satisfait pas de cette réponse évasive. Il décide d’investiguer :

    — Connaissez-vous Dashiell Omelette, avenir du rock ?

    — Comme ça, de nom, l’Omelette maltaise, c’est ça ? Mais ce n’est pas ma tasse de thé, voyez-vous.

    — Et Raymond Chandeleur, vous l’connaissez ?

    — Ah oui, j’aime bien Tony Marlow !

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    Bon l’avenir du rock se mélange un peu les crayons. Ce n’est pas parce qu’il est bourré, mais parce qu’il en fait exprès. Il ne sait pas alimenter ce genre de conversation, par contre, il profitera de la moindre occasion pour dire le plus grand bien qu’il pense de Marlow Rider, c’est-à-dire Tony Marlow en trio, et son nouvel album, First Ride.

    Eh oui, quel album ! On les voit tous les trois sur la pochette intérieure, Tony enlooké sixties et encadré du brillant Amine (stand-up) et du non moins brillant Fred Kolinski (beurre). Quand on a vu jouer Amine sur scène, on sait qu’il est fou et qu’il est avec Al Rex (Comets) et James Kirkland (Shadows de Bob Luman) l’un des rois du slap. C’est un bombardeur, un pourvoyeur, un démolisseur, un empêcheur de tourner en rond. Mais avec cet album on va assister à un phénomène surprenant. Ah tu crois que tu vas entendre douze slabs de rockab sauvage ? Non.

    Marlow le marlou ne te prend pas en traître. Sur la pochette intérieure, il déclare : «Mes guides spirituels d’adolescent planent au dessus de ce disque : Jimi Hendrix, Cactus, Peter Green’s Fleetwood Mac, Johnny Winter, Cream, Deep Purple MK II, Rory Gallagher, Paul Kossof et... Johnny Hallyday.» Puis il salue la mémoire de Marc Zermati, «qui ne pourra pas écouter cet album qui lui aurait fait plaisir». Oui, car les ceusses qui ont eu la chance d’entrer chez Marc ont vu cette petite photo de Jimi Hendrix prise lors de son premier set à l’Olympia. Marc adorait raconter le souvenir extraordinaire qu’il conservait de ce show et de la soirée à l’hôtel d’Hendrix qui s’ensuivit.

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    Jimi Hendrix ? Tony Marlow en bourre la dinde de sa B avec trois covers, et c’est d’autant plus gonflé qu’il n’a ni la voix ni les doigts de Jimi Hendrix, mais fuck it, il aime tellement ça qu’il y va et c’est la raison pour laquelle qu’on l’admire : Marlow le marlou est un fan qui s’adresse à des fans. Il ouvre donc son bal de B avec un hommage direct, «Jimi Freedom», c’est un peu maladroit, mais il parvient à retrouver le son qu’avait l’ami Jimi sur «Freedom», le cut d’ouverture de balda sur Cry Of Love, l’album posthume. Fabuleuse performance. Il enchaîne aussi sec avec «Fire», l’un des hits les plus explosifs de l’Experience. Tony a le courage d’aller taper dans l’intapable, hey baby ! Ses deux amis déploient des trésors d’ingéniosité pour recréer la magie de l’intapable hendrixien et wow, ça percute dans la syncope. Il faut les saluer pour cet exploit. Tony part en solo sur un droppin’ blast d’Amine, ils jouent le jeu du breaking à fond et les chœurs sont d’une justesse effarante. Plus loin, ils tapent un «Hey Joe» à la française, sur un tempo plus enlevé. Évidemment, ça réveille de vieux souvenirs. En plus Tony le fait bien, son Jojo. C’est dans cette version qu’on trouve cette élégante expression : «Pourquoi t’as d’la chance plein les doigts ?», remember ?, et il ajoute, comme le fit Jojo en son temps : «En naissant/ T’as marché dans quoâ ?». Ils développent d’incroyables dynamiques d’up-tempo, c’est une merveille, Kolinski tatapoume allègrement et Amine joue balloche. Ces gars-là, mon vieux, ils sont terribles ! S’ensuit une version solide de «Purple Haze». Ses intros hendrixiennes sont toutes parfaites, il les joue rubis sur l’ongle. Il chante du Purple Haze haut perché, à la Johnny, c’est assez réussi et Amine ramène un pounding extrêmement pouf pouf. C’est là qu’il faut saluer Amine, car il sait adapter son jeu. Toujours en B, Tony chante «Sur La Route Du Temps» en français et part sur une espèce de beat anglais qui n’est pas inintéressant. On pense bien sûr à sa référence au Deep Puple MK II, comme il dit. Il termine cette B lourde de conséquences en mode rockab avec «Rowdy». L’une des qualités de cet album et la parfaite maîtrise d’une diversité des genres.

    Mais attention, les coups de génie se planquent de l’autre côté. Marlow le marlou chante «Debout» en français, vite repris par le beat d’Amine. Notre marlou national fait son Johnny avec les genouuux. Il recrée l’accent. C’est vraiment bien qu’il y ait encore des mecs qui veuillent sonner comme leurs idoles. Et boom, ça explose avec «Shut Up». Marlow le marlou passe en mode sixties, monte par dessus sa voix et fond son shut up dans une purée à la Cream. Ces chœurs sont une merveille inespérée et ce marlou de Marlow part en solo liquide. Il connaît toutes les ficelles et franchement, on se régale. Ça monte encore d’un cran avec «Among The Zombies» - walking through the streets of the city - C’est faramineux de rockabilly fever - The traffic is like a raging sea/ Ah ah ! - Il injecte encore un gros shoot de beat rockab dans le son sixties de «Mutual Appréciation». Il réussit là où se vautrèrent jadis les Jack Rabbit Slim : il met le beat de reins rockab au service de la wild énergie des sixties. Il a tout compris.

    Et comme si tout cela ne suffisait pas, l’album de Marlow Rider est un cadeau de Damie Chad, ce qui le rend doublement précieux.

    Signé : Cazengler, Tony marlourd

    Marlow Rider. Fast Ride. Bullit Records 2021

     

    Morrison attelle

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    Si Morrison attelle, c’est parce qu’il joue au polo. Rien à voir avec les Doors. L’homonymie s’arrête là. Il ne faut pas confondre Morrison attelle et Morrison Hotel. D’un côté Jimbo picole et de l’autre, Bryan Morrison polote avec les princes de sang du Royaume Uni. Ce n’est pas le même monde et pourtant, les deux Morrison ont un point commun : le rock.

    Chez Jimbo, le rock est roi, le rock se bouffe aux mythes. Chez Bryan Morrison, le rock est ric et rac. Son autobio ne tient pas la distance. Dommage car ça démarre sur des chapeaux de roues avec les Pretties, Syd Barrett et Marc Bolan pour finir dans le fossé avec «Saturday Night Fever», George Michael, le prêt-à-porter et le polo, un polo qui d’ailleurs finira par avoir sa peau. L’auteur va faire une chute de cheval dont il ne se remettra pas. Son autobio, Have A Cigar! est parue après sa disparition, au terme de deux ans de coma. Destin épouvantable.

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    Un drôle de mélange s’affiche sur la couverture : Pink Floyd, T.Rex, The Jam and George Michael. Il faut se faire violence pour accepter l’idée que ce mélange soit logique. Aux yeux d’un homme d’affaires britannique, il l’est. Après avoir soutenu Ray Charles, Ruth Brown et Professor Longhair, Ahmet Ertegun a lui aussi mal tourné puisqu’il a fini par signer les rois du rock FM, Yes, INXS, Foreigner et Genesis. Ce sont les lois de business. Cette façon de voir les choses ne correspond en rien à celle d’un fan de rock. Pour entrer dans les pages de ce type de livre, il faut savoir accepter la logique d’une pensée différente. Ça peut aller loin, car ça veut dire accepter de voir un homme riche comme Morrison faire étalage de ses goûts pour les toiles des peintres modernes, les voitures de sport, les marques de prêt-à-porter, les parfums qui vont avec et la médiocrité musicale des années 80 dont la meilleure illustration sont les groupes qu’il avait en charge à cette époque, Wham! et Haircut One Hundred. Au début de cet itinéraire qui est celui d’une réussite exceptionnelle, il y a bien sûr un fan, mais la nécessité de générer du profit passe ensuite par d’autres fourches caudines, Claudine.

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    Bryan Morrison trouve sa vocation en février 1957 lorsqu’il voit Bill Haley & The Comets au Dominion Theatre sur Tottenham Court Road. C’est la première tournée anglaise du vieux Bill et aw my God, les Brits n’ont encore jamais vu un bordel pareil ! - His live show hit me like a steam hammer - Le vieux Bill envoie Bryan direct down the ground, surtout quand l’autre fou d’Al Rex se jette sur sa stand-up pour jouer les pieds en l’air. Six ans plus tard, Morrison ressortira l’idée afin de convaincre Vivian Prince de quitter sa batterie pour ramper au sol. C’est ici que naît la tradition du batteur fou des Pretty Things, qu’entretiendra Skip Allan.

    Avec les Pretties, on entre dans le quartier chaud du livre. Un jour de 1963, un certain Dick Taylor vient trouver le brillant Bryan pour lui demander de mettre son groupe à l’affiche d’un concert. Bryan lui demande quel est le nom du groupe. Dick lui répond :

    — «The Pretty Things.

    — The what ?

    — C’est le nom du groupe. The Pretty Things.»

    Coup de cœur ! Love at first sight. Bryan adoooore le nom de ce groupe - I was stuck immediately by the uniqueness of this name. It was totally fresh and original, and I felt a certain inexplicable excitement - La scène se déroule juste avant l’explosion des Beatles avec «She Loves You» - Rock’n’roll was in the air - Bryan sent que tout va changer. C’est l’avènement du swingin’ London - Something magical was about to happen - Il est comme les autres, Andrew Loog Oldham, Joe Boyd, Shel Talmy, Guy Stephens, at the right place at the right time, il arpente gaiement Denmark Street, que tout le monde appelle Tin Pan Alley, et où sont rassemblés tous les éditeurs. Au bout de la rue se trouve Regent Sound, the little studio of the day, mais on peut s’arrêter en chemin à la Gianconda, un café où grenouillent les musiciens, les auteurs et les publishers, un petit monde doré dont Bryan va bientôt faire partie. Il va être publisher/manager, c’est décidé ! Il organise l’un de ses premiers concerts au fameux 100 Club, sur Oxford Street. Comme Joe Boyd, Bryan rappelle que le music biz à cette époque est une jungle pleine d’Ostrogoths et qu’il faut rester sur ses gardes - You had to watch your back in every way.

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    ( Jack Baverstock )

    Bon les Pretty Things c’est bien gentil, mais goddamnit !, il faut un contrat avec une maison de disques. Bryan rencontre l’A&R man de Fontana, Jack Baverstock dans un restaurant. Entre la poire et le cheese, Jack balance sur la table le contrat et lance d’une voix d’outre-tombe : «Get the boys to sign this and we’ll make a record.» Il n’y avait nous dit le débutant Bryan ni négociation ni avance - On a signé pour cinq ans et ce fut la fin de la discussion - C’est parti pour les Pretties, seven gigs a week, screaming girls, les promoteurs et la presse. Comme les Pretties se font vite une sale réputation, les journalistes veulent en croquer. Pour percer, Bryan devine intuitivement qu’il faut créer l’événement, avec du mayhem, c’est-à-dire du chaos. C’est là qu’il demande à Vivian Prince de faire son numéro de batteur fou. Il supplie le groupe de tenter le coup du mayhem. Mayhemez-vous, les gars ! Alors ils essayent et c’est le mayhem ! Puis le riot. C’est l’hystérie en Angleterre. Après «Rosalyn», Bavertock emmène les Pretties en studio enregistrer leur premier album. Mais Vivian Prince est tellement défoncé qu’il vomit sur sa batterie et tombe de son tabouret à deux reprises. Écœuré, Baverstock quitte le studio en claquant la porte et en hurlant qu’il ne peut pas travailler avec ces animaux-là. On fait alors venir Bobby Graham pour produire l’album. Ça tombe à pic car comme il est aussi batteur, il peut remplacer Vivian Prince qui vient de s’écrouler pour la troisième fois et pour de bon. Ce sont les Pretty Things, after all. Pour donner à manger à la presse, Bryan organise l’éviction des Pretties du 13 Chester Street en août 1965 : ça fait la une des tabloïds et des TV news. Sacré Bryan, il bosse comme Tony Secunda, il fait des coups, il magouille. Puis il tente de lancer les Pretties dans le circuit des tournées internationales. Comme il n’arrive pas à les envoyer aux États-Unis, il les envoie en tournée en Nouvelle Zélande avec Sandie Shaw et Eden Kane. C’est la fameuse tournée chaotique à laquelle Ugly Things consacra jadis un fabuleux hors-série, Don’t Bring Me Down Under. C’est là que Vivian Prince s’illustre en jouant le yogi dans les halls d’hôtel, avec dans sa poche un homard mort. Les kids viennent nombreux méditer avec lui, et ça peut durer des heures. Bien sûr, conformément à la théorie du mayhem, chaque concert tourne à l’émeute. Résultat des courses : le parlement néo-zélandais vote le bannissement à vie des Pretties. Aux yeux des fans, c’est le couronnement de leur carrière.

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    Alors après le mayhem, Bryan réfléchit à l’étape suivante. Il sent confusément qu’il faut un hit. Pour lui, ni «Rosalyn» ni «Don’t Bring Me Down» ne sont des hits. Il raisonne en termes de worldwide hit, tu comprends, ce n’est pas la même chose. Il rencontre Donovan à la Giaconda qui lui file une démo de «Tangerine Eyes». Puis le Dylan publisher en Angleterre lui fait écouter «Mr Tambourine Man» qui n’est pas encore devenu le hit que l’on sait. Bryan adooooore cette chanson. Love at first sight. Il essaye de la refourguer aux Pretties qui tirent une méchante gueule. Bryan est persuadé qu’avec «Mr Tambourine Man», ils seront en tête des charts dans le monde entier, mais pour Phil et Dick, c’est absolument hors de question. No way. Ils restent fidèles à Bo. Bryan dit alors sa déception au Dylan publisher qui le réconforte en lui disant que la vie est ainsi faite, parfois ça va bien, parfois ça va mal. D’ailleurs, ajoute-t-il, un groupe américain vient tout juste de reprendre «Mr Tambourine Man». Ah bon ? Bryan demande le nom du groupe. Le Dylan publisher lui répond : «The Byrds». Bryan voit subitement ses derniers espoirs s’envoler, avec les millions de singles qu’il aurait pu vendre dans le monde. Il dit adieu à la chance - We had lost initiative and never got it back - Encore heureux qu’il n’ait pas proposé «No Milk Today» aux Pretties.

    La morale de cette histoire, c’est que les Pretties ont continué à faire de très grands albums sans jamais vendre leur cul. Bizarre que Bryan Morrison n’ait pas compris ça à l’époque. Mais encore une fois, la logique du rocker ne correspond en rien à celle de l’affairiste qui ne vise qu’une seule chose : le profit. Et quand on sait que le profit, le vrai, passe par les grosses ventes, c’est-à-dire le nivellement pas le bas, ça conduit tout droit aux fléaux du XXe siècle que sont la new wave, le rock FM et les méga-stars à la mormoille. D’un côté les puristes s’appauvrissent, de l’autre côté les pommes de terre s’enrichissent. That’s only rock’n’roll.

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    Bryan a la main verte puisqu’après les Pretties, il récupère Syd Barrett et son groupe, le Pink Floyd. Il commence par persuader les managers Peter Jenner et Andrew King de lui confier l’organisation des tournées du groupe dont la réputation grossit beaucoup trop vite. C’est là qu’il arrache le Floyd des mains de Joe Boyd. Il met ensuite le groupe dans les pattes d’EMI. Bryan a réussi à négocier une avance de 5 000 £, ce qui était encore très rare en 1967. Il se dit fasciné par Syd Barrett (mais ça ne va pas durer longtemps) : «Syd était l’un de ces people who seemed to have it all : the looks, the intelligence and, more importantly, the ability to write great songs.» Les difficultés liées à ces bonnes vieilles drugs of choice ne tardent pas à surgir. Syd entre en studio mais refuse de jouer. Alors Bryan déclare : «Syd would have to go.» Et il développe : «Le premier album du groupe, The Piper At The Gates Of Dawn, paraît en août, mais comme Syd est incapable de jouer sur scène ou de participer aux interviews, ça agit sur le moral des autres membres du groupe. Le bassiste Roger Waters qui va devenir le porte-parole du groupe m’annonça qu’il avait trouvé un guitariste pour remplacer Syd. C’est David Gilmour.»

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    Attention, l’histoire ne s’arrête pas là. Syd Barrett disparaît pendant un moment de la circulation. Bryan indique qu’il s’est installé au London Hilton Hotel, sur Park Lane : «Il y avait trois postes de télévision, allumés tous trois, et une douzaine de guitares dispersées au sol. Syd Barrett était devenu une sorte de Howard Hughes du rock et il réglait de faramineuses notes d’hôtel hebdomadaires qui nous faisaient passer pour des pauvres. Il avait gagné beaucoup d’argent et il le dépensait rapidement. Fin 1968, il avait retrouvé la santé et semblait mener une existence normale, même s’il se tapait de temps en temps un petit freak out.» Bryan rôde dans les parages de Syd car il est encore son agent. Il est question d’un album solo, mais c’est loin, très loin, d’être évident. Bryan connaît les chansons que Syd a composées, et il les trouve superbes. Les séances sont compliquées, car Syd chante un couplet puis il s’arrête pour regarder dans le vide - Un jour, il chantait assis sur un tabouret, et au milieu du deuxième couplet, on l’a vu s’endormir. Puis il s’est cassé la gueule, avec le micro et le tabouret. L’incroyable de cette histoire est qu’il ne s’est pas réveillé. Il a dormi là pendant une demi-heure - Puis Syd prend l’habitude de venir voir Bryan dans son bureau pour réclamer des avances sur royalties. Comme il achète des guitares, il a besoin de cash. Un jour, il sonne, Bryan ouvre et il tombe sur Syd qui le fixe bizarrement. Au moment où Syd va lui coller son poing dans la figure, Bryan lui bloque le bras. Alors Syd mord la main de Bryan, mais en vrai, au sang - Stop Syd ! Stop ! - Bryan doit le frapper pour lui faire lâcher prise. Syd tombe en éclatant de rire. The Madcap Laughs - Not a laugh of joy, but an ever-increasing pitch of hysteria - Bryan est complètement scié et sa secrétaire Cora s’évanouit. Syd reviendra une fois au bureau de l’Agency pour demander à Cora si Morrison veut bien le reprendre comme client et redevenir son manager. No way. C’est la dernière fois que Morrison le voit. Il conclut le Syd Chapter en disant ce que tout le monde sait : Syd est allé vivre the happy life à Cambridge.

    La morale de cette histoire ? Syd a fini par échapper à tous ces mecs-là, les agents, les managers, les collègues du groupe qui ne valent guère mieux. Il faut voir ça comme une victoire et non comme une défaite.

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    En 1967, the Bryan Morrison Agency a le vent en poupe : ils sont agents et managers du Pink Floyd, des Pretty Things, de Soft Machine, d’Incredible String Band et de Keith West, un Keith West qui invite un jour Bryan à déjeuner pour lui annoncer qu’il le vire. Fired ! Quand Bryan demande pourquoi il est viré comme un chien, Keith West répond : «You’re useless. My records never made number one.» Puis arrive ce qui doit arriver : «En très peu de temps, il s’est retrouvé avec un hit sur les bras, mais pas de travail. Je m’empresse d’ajouter que je n’étais pas vraiment traumatisé par sa décision de me virer. His next record was a flop and he never had another hit.» C’est le destin des artistes qui ne sont pas correctement managés : ils vont droit à la fosse. L’Angleterre est la plus grande fosse commune de l’histoire du rock.

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    Bryan devient aussi l’agent/publisher de Marc Bolan - Faire connaître des groupes comme Tyrannosaurus Rex et le Pink Floyd, c’était extrêmement difficile, to say the least. Les médias ne s’intéressaient pas encore aux groupes underground. Pendant les deux années suivantes, j’ai essayé en vain de faire passer les chansons de Bolan à la radio, mais je me suis chaque fois heurté à des refus. La seule exception fut John Peel. Sur Top Gear, il passait les disques des gens qu’il appréciait et plus particulièrement Tyrannosaurus Rex. Bon nombre de groupes de cette époque doivent leur succès à John Peel - Puis le succès arrive et Bolan s’entoure d’une cour - And the court of king Bolan was created. From here on in, Marc engulfed himself in the Presley style of omnipotence. C’est ce qui a conduit Marc à la faillite, non pas à cause de sa musique, mais à cause des conseils financiers qu’on lui donnait - Après Syd, Bryan perd donc Marc.

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    Un jour, Bryan raconte qu’il va trouver Chris Blackwell chez Island pour lui emprunter 3 000 £ dont il a besoin pour empêcher la saisie de sa maison. Blackwell ne dit pas non, mais en échange, il demande l’un des groupes signés par l’Agency. Il veut le groupe que Bryan vient tout de juste de signer : Free. Bryan lui répond : «Plutôt crever.» Alors Blackwell lui dit qu’il ne peut pas l’aider, mais il insiste : «Free n’a pas encore signé de contrat avec une maison de disques, alors signez-les avec moi, cédez-moi les droits du groupe et je vous donne l’argent dont vous avez besoin.» Bryan résiste. Il oppose un no-no. Pas question de céder les droits. Un publisher ne cède jamais les droits. Never. Puis il se casse. Quatre jours plus tard, voyant la menace d’une saisie se préciser, il appelle Blackwell pour dire qu’il accepte de céder - I was sick as a dog - C’est ainsi que Free est arrivé sur Island. Au terme d’une discussion de chiffonniers.

    En 1969, Bryan en a marre de toutes ces conneries, et il décide de revendre son Agency à NEMS, une société montée par Brian Epstein pour manager les Beatles, Cilla Black, Gerry & The Pacemakers et d’autres. À l’intérieur de NEMS, il va continuer de bosser comme agent, mais ce n’est plus lui qui prend les risques financiers.

    Forcément, Bryan Morrison croise aussi des gens de la pègre londonienne. Pas de Swingin’ London sans la pègre. Il n’a pas affaire aux jumeaux Kray mais aux Dixon Brothers qu’il rencontre dans un pub de l’East End pour leur demander un service, mais quand il entend parler des moyens envisagés, il abandonne et se carapate aussi vite qu’il le peut. Bien sûr, les Dixon Brothers se pointent quelques temps après à l’adresse de l’Agency pour demander du cash à Bryan, oh pas grand chose, 150 £, et ils promettent de s’en aller. Bryan commence par dire non puis il finit par comprendre qu’il vaut mieux payer. Il a encore besoin de ses deux jambes et de ses deux bras.

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    Les années passent et en 1976, Bryan reçoit un coup de fil d’un certain Malcolm McLaren : «On ne se connaît pas, Bryan, mais je connais votre parcours dans le music business, et votre goût de l’avant-garde et de la new wave. Une nouvelle vague arrive et je suis le manager du best band in the world.» Bryan lui demande quel est le nom du groupe et McLaren lui répond : «The Sex Pistols.» Ah ah, comme c’est intéressant. Bryan dresse alors un parallèle entre Brian Epstein et McLaren, un McLaren qui propose à Bryan de bosser avec lui, et pour le convaincre, il l’invite à venir voir jouer les Sex Pistols. Le 23 avril 1976, Bryan débarque au Nashville Rooms. Chapitre pénible. Il se dit impressionné par l’énergie du groupe, jusqu’au moment où Johnny Rotten fait le con avec le salut nazi et les slogans qui vont avec. Pour Bryan Morrison, c’est rédhibitoire. Hop, terminé. Au fond, il n’était pas aussi intéressé qu’il le prétend. La preuve ? Quelques pages plus loin, il fait l’apologie de George Michael.

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    C’est à peu près tout ce qu’on peut dire de ce recueil de souvenirs. Les épisodes ne sont que des épisodes, after all. Les maniérismes de Bryan Morrison constituent probablement la vraie richesse de ce book. Pour qui aime lire la langue anglaise bien écrite, certaines formules méritent l’effort citatif, tiens comme celle-ci : «Je reçus un appel de Vic Lewis, asking me to pop up to see him in his luxuriously appointed office on the first floor of Hill Street. I sat down and was poured the ever-ready cup of tea in a fine bone china teacup. Vic was always pedantic about being surrounded by and using the best.» On entend presque sa voix et on sent bien sûr l’odeur du cigare. Cette façon de décrire une ambiance est typiquement anglaise, mais on est là dans une Angleterre tout de même un peu huppée, n’est-ce pas ? Plus loin, il décrit son patrimoine de parvenu distingué : «By 1970, in spite of my apparent disdain for money, I seemed to be enjoying its fruits, with a beautiful Grade II-listed, sixteenth-century manor house in Oxted, Surrey, and a pied-à-terre in London with all the various accoutrements. The only thing that I needed to complete the picture was a wife and family.» Alors évidemment, tout lecteur d’Oscar Wilde en version originale sera troublé par l’insidieuse proximité des styles, par cette parenté d’élocution. Alors Bryan Wilde va rencontrer the wife : «Elle s’appelait Greta van Rantwyk and after about three months of manoeuvring we had dinner in a restaurant in Beauchamp Place. Everything was set for the birth of one of those great eternal love stories - the candles, the food, the wine. Everything was perfect, or was it ?» Il fait un petit saut de ligne pour relancer l’irrémédiable Oscarisation des choses : «There was one small detail that I hadn’t counted on - It seemed she wasn’t too keen on me - (Bryan suppute qu’il ne lui plaît pas) - Later I was to discover that she felt I was too flash. My black leather clothing, zip-up jacket and tight-fitting trousers, plus the black Aston Martin DB7 sitting by the front door were simply too much. She was probably right; I was a bit flash.» Et puis pour finir, Bryan raconte ses démêlés avec un couturier anglais, une association financière qui se termine en eau de boudin : «It took me quite some time to persuade him that principle came before profit - pour Bryan, les principes d’abord, le profit ensuite - Something I think that he never understood. As the years go by, I feel that less and less people understand this, a sad indictment of the world we live in.» Comme bon nombre d’entre-nous, Bryan Morrison n’aime pas trop l’époque dans laquelle il vit.

    Signé : Cazengler, Bryan Saucisson

    Bryan Morrison. Have A Cigar!: The Memoir Of The Man Behind Pink Floyd, T. Rex, The Jam and George Michael. Quiller Publishing Ltd 2019

     

    Cosmic trip

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    Les Cosmic Psychos étaient déjà là dans les early eighties, et ils continuent aujourd’hui de foncer tout droit dans leur bush. Ce trio est un cas à part, mais aussi l’un des phares de l’underground. Quelle que soit l’époque où on entre dans leur histoire musicale, c’est intéressant. Bien sûr, une certaine frange de la population va les traiter de bourrins, mais ça ne gêne pas les Cosmic. Ça les amuse. Ils en font un jeu, avec les tâches de bière et les dents pourries. À une époque, il fallait choisir entre Michael Jackson et les Cosmic Psychos, alors le choix était vite fait. C’mon down !

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    La principale caractéristique des Cosmic Psychos, c’est le tout-droit. Ils foncent tout droit. Leur premier EP Down On The Farm paraît en 1985. Ils sont trois, Ross Knight (bass vocals), Bill Walsh (drums) et le guitariste Peter Jones qui amène «Custom Credit» au riff de la menace. C’est excellent et assez hypno. Basses avant toutes avec un filet de bave psyché dans le fond du son. Quant au beurre, il reste fluet. En fait, ils dépotent un petit gaga-punk qui avance comme un rouleau compresseur. C’est leur marque. Ils n’ont que ce son-là et ils l’exploitent à gogo. Ils font donc toujours un peu le même cut, yeah yeah, avec le même son caverneux et cette petite purée en fond de déco trash. Ils atteignent rapidement leurs limites. Le meilleur cut de l’EP est sans doute «Gangrene Dream» en B : ils mettent un discours d’Hitler en musique. C’est le plus trash des trucs.

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    Leur premier album sans titre Cosmic Psychos date de 1987. Dès «Decadence», on est dans le bain d’un punk-rock hypnotique. La basse rôde dans le ciel comme un gros ptérodactyle. Ils sont parfaits dans leur rôle de punksters monolithiques. Ils foncent dans le bush et la basse de Ross Knight hante le son. Bill Walsh bat «No Complications» bien tribal, mais avec de spectaculaires descentes de roulements. Ces mecs sont inclassables, ils montent sur les coups comme d’autres montent sur les braquos. On est ravi de l’excellente qualité du son et du beat. Ils tentent le diable en B avec un heavy «Jellyfish», ils honorent à leur façon le heavy blues rock des seventies. Et paf, ça repart de plus belle avec «Can’t Come In», ils foncent tout droit, c’est tout ce qu’ils savent faire. Avec eux, Punk’s not dead.

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    Leur deuxième album s’appelle Go The Hack. Ils posent au crépuscule sur un bulldozer, ce qui colle bien à leur image d’Aussie gaga-punks. Et pouf ! Ils foncent tout droit dès «Lost Cause». Ils adorent foncer tout droit, alors ils foncent tout droit. Avec «She’s Cracking Up», ils font un excellent numéro de power trio. Leur son est un mélange brutal de droit devant et de marteau pilon, arrosé de chœurs de cracking up. Quand on écoute «Out Of The Band», on pense bien sûr aux Ramones. Même sens de la scie. Ils emmènent encore leur gaga-punk à fière allure en B avec «Pub». Même lorsqu’ils passent en mid-tempo, ils restent dans la tempérance de bonne mesure, avec de la cisaille et du bon beat métronomique. Ils scandent le BIT de «Back In Town» à qui mieux mieux, ça prend des allures d’hymne sur un beau tempo à la Ramones. Bon bref, tout ça reste très longiligne. Ils terminent avec le morceau titre qui sonne comme un punk anglais, avec un solo de trash-wah. De toute façon, c’est excellent.

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    Paru en 1990, Slave To The Crave est un album live at the Palace. Départ en trombe avec l’excellent «Decadence». Ross mène le bal à la basse fuzz. Il parle avec l’accent cockney aussie, c’est un vieux barboteur. Les deux bombes sont «Quarter To Three» et «Stink». Ah ces giclées de wah ! Ils savent créer les conditions de l’embrasement. Rien de plus rougeoyant qu’une giclée de wah sur fond de beat hypno. Bill Walsh drumbeate «Stink» à la folie Méricourt. Quelle violente giclée de manhood ! Ils sont relentless, comme on dit en Angleterre. Ils sont quasi-anglais dans l’approche du punk-rock, quasi Johnny Moped. Bush not dead ! Ils se mettent en colère en B avec «David Lee Roth» - Suck me off ! - On ne les changera pas.

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    Encore une belle gamelle de punk and fuck avec Blokes You Can Trust sorti sur Amphetamine Records en 1991. Ils restent fidèles à leur mad frenzy, le genre battu à la diable par Bill Walsh, et bien sûr l’autre dingue est toujours là, le Robbie Watts, avec sa chemise à carreaux. Robbie va loin dans la démesure, c’est pour ça qu’on l’aime bien. Ces mecs font leur truc dans leur coin, il ne faut pas les déranger. Tiens, voilà «Dead Roo», punk-rock relentless avec un Robbie en maraude. Ce mec est le roi des somptueuses giclées de sperme sonique. Ces trois mecs sortis du bush jouent leur truc à la vie à la mort. Alors bien sûr, certains diront que Ross Knight chante mal et toi tu leur répondras : vas-y, prends le micro et chante ! Pas facile de faire du Psycho. D’une certaine manière, c’est du grand art. Robbie Watts fait le gros du boulot, il organise les fleuves de lave, il veille à tirer ses notes et part en vrille à point nommé. C’est un bonheur que d’entendre ce mec jouer de la guitare. Il est un peu comme Fast Eddie, always on the run. Pas de surprise avec un titre comme «Hooray Fuck». Cho-cho hooray ! Ils sont dans l’énergie renouvelable, ils n’arrêtent jamais et Robbie part en vrille assassine à la Ron Asheton. Ils s’entendent tous les trois comme larrons en foire. Qui saura dire l’excellence de la Psychomania ? Voilà «Never Grow Old», véritable déclaration d’intention et Robbie Wallts nous fracasse ça d’entrée de jeu. Ça devient vite infernal, bien pulsé par ce batteur fou qu’est Bill Walsh. On entend même Robbie claquer des chorus fantômes dans les interstices. Ces mecs ne s’ennuient jamais et nous non plus. Robbie joue comme un conquérant et ce fou de Walsh bat tout ce qu’il peut battre, il est comme une loco, celle de Jean Gabin qui fonce la nuit vers le Havre, à grands renforts de roulement intestins.

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    C’est avec Palomino Pizza paru en 1993 et produit par Mike Mariconda à Melbourne que les Psychos déploient leurs ailes. Il foncent tout droit dès «Rain Gauge» et développent un power à la Motörhead. Ils font de l’ultra-rock, comme Lemmy. Ils sont hallucinants de tout-droitisme, ils filent sur le fil, pied au plancher. On les voit plus loin faire décoller le gros bolide de «GOD». Le cut devient passionnant car des événements surviennent sur le tard, notamment la wah de Robbie Watts, c’est même une wah phénoménale, on assiste à une élongation du domaine de la turlutte, ces trois mecs sont puissants, peu de gens sont capables de mener un tel train d’enfer en maintenant l’intérêt en éveil. Thanx Mariconda for this one. Bill Walsh vole le show dans «Champagne Sunday», ce batteur fou bat ça à la savage punk. Les Psychos développent encore une énergie punkoïde dans «Shut Up». Ces mecs n’arrêtent jamais, ô grand jamais, ils savent couler un bronze fumant. Ils se situent dans une certaine énormité. Ils terminent avec un «Shove» allumé aux renvois de chœurs, sous un gratin de heavy Cosmic. Bizarrement, ce cut ne figure pas sur la track-list de l’album. Il faut savoir qu’il existe et qu’il est bon.

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    Les Psychos passent au pur blast avec Self Totalled paru en 1995. Tu prends «Bullet» en pleine poire, t’es baffé direct par le bass blow, les amplis vibrent, les Psychos jouent à la sature extrême et c’est bienvenu. Leur blast rivalise de deafening avec celui de Motörhead, ils jouent comme des diables et explosent la rondelle des annales. Seuls les Australiens sont capables d’une telle violence sexuelle. Prod exceptionnelle. Le mec a su garder le vibré des baffles, l’essence même du rock. Là, tu as tout, le drum et la voix en peu derrière et le pulsatif devant. Chez eux tout est ramoné à la ramonade, ils nous font le coup de la logorrhée de heavy bassmatic. Sur cet album, Ross Knight s’appelle Slapper Jackson et Robbie Watts devient Fess Parker. Nouvelle explosion avec «The Man Who Drank Too Much». Pur blast, Bill Walsh volerait presque le show. Oh ils font aussi du gaga-punk avec «Bad Day» et redorent le blason d’un vieux mythe, celui du power trio. Walsh bat ça à la dure. Il est monstrueux. C’est dingue ce qu’il développe. On ne croise pas tellement de groupes capables de développer un tel power. Les Psychos sont un phénomène. C’est l’un des pires albums de blast qu’on puisse écouter ici bas. Leur folie flirte avec le génie, il y a de la stoogerie dans leur côté destroy. Stupéfiant ! Encore une crise de folie Méricourt avec «Thank Your Mother For The Rabbits». On reste avec ça dans la stupéfiante violence de la puissance sonique. Ces trois mecs valent n’importe quelle armée, ils se situent au-delà de tout et l’autre, là, qui part en vrille de wah ! Il va d’ailleurs ravager le «Neighbours» d’après. Ces mecs jouent tout à bride abattue. On croise plus loin un «Almost Home» bien déflagré, bardé de grosse saucisse d’aussie blast et Robbie Watts ne rate pas une occasion de passer un killer solo flash. Diable, comme ce mec peut être bon. Il incarnerait presque la rectitude. Bon batteur, bon guitariste, bonne voix, les Psychos ont tout l’apanage en magasin. Ils foncent ventre à terre dans leur heavy psychotic bush - I couldn’t give a fuck - claque Ross Knight dans «Come On». Il a raison, rien a foutre, claque ton bush, Ross, don’t give a fuck. C’est avec cet album qu’on prend vraiment les Psychos au sérieux, au moins autant que Motörhead.

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    Ils nous tapent une petite pochette à la Dwarves pour Oh What A Lovely Pie. Les photos à l’intérieur du trois volets ne te seront d’aucun secours. Les filles sont à poil, mais pas comme chez les Dwarves. L’album sort en 1997 et on l’accueille à bras ouverts. Ils démarrent avec un «Can’t Keep A Good Man Down» heavy on the brawl. C’est du Psychos de la pire engeance, du demented are go surmonté au win it over, chanté à la rascasse et percuté de plein fouet par un solo de wah. En gros, ils bardent à l’excès. Avec «Hammer», «Guns Away», «Moll» et «Breathless», on peut parler de génie. Leur son est une marée montante, les coups de wah aplatissent l’occident, Robbie Watts flashe sa purge en permanence, pure bush genius. Ils balayent les frontières avec «Guns Away», le solo prend feu, ils rivalisent d’audace avec les Stooges, tout est arrosé de wah en feu, c’est du trash killer wah, ça bat à la vie à la mort et la basse fuzz fait l’interface. «Moll» monte encore d’un cran, comme si c’était possible. Ici, le power enfile le génie qui adore se faire enfiler. On voit le chant tituber dans l’écho des riffs. Les Psychos deviennent des géants. Impossible d’imaginer une pire équipe et une pire maîtrise. Ils restent dans l’extrême punk-out avec «Breathless». No way out, on les suivrait jusqu’en enfer. Et ça continue comme ça jusqu’au bout de la nuit, dégelée après dégelée, ils s’arrangent pour nous maintenir en éveil comateux, avec des cuts visités par des vents mauvais. «Creepin’» sonne comme une stoogerie. Leur «Super Vixen» va encore bien au-delà des Ramones et des Aussies. Ils sont dans un power trip et c’est passionnant. Ils font le punk’s not dead à eux tout seuls, ils l’éclatent au qui mieux mieux et bien sûr Robbie Watts passe un solo killer flash histoire de raviver les braises, le Vixen put a spell on me bascule dans la magie cosmique, on les vénère pour cette constance de la prestance et si tu veux entendre le pilon des forges, il est dans «Chainsaw».

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    Le molosse qui gronde sur la pochette de Dung Australia annonce bien la couleur. Pas de pires Demolition Doll Lads que les Psychos. On se fait immédiatement sauter à la gueule par «If You Want To Get Out Of It». Merveilleuse violence, c’est un bienfait pour la rate, ils aplatissent tout sur leur passage, avec en queue de cortège l’inévitable solo en flammes de John Mad Macca McKeering, le remplaçant du pauvre Robbie Watts qui vient de casser sa pipe en bois. Rassure-toi Mad Macca est aussi psychoïde que Robbie Watts. Ils atteignent avec cet album une espèce de maîtrise du son absolutiste. Ross Knight explose tout au chant. Un certain Keiran Clancy amène le renfort d’une deuxième guitare et Dean Muller a remplacé Bill Walsh au beurre. Les Psychos restent dans leur délire extrémiste. Ils défoncent «20 Pot Screamer» à la pure dementia, ils labourent les côtes du son, c’est tout ce qui les intéresse. Ils ont tellement de son qu’on s’en effare, les rasades de killer solos ne servent qu’à détruire et on tombe plus loin sur un «Miss Me» explosé d’entrée de jeu, ces mecs sont d’épouvantables monsters, ils battent tous les records de lourdeur et de verdeur. Ça bat tellement que le son chevrote. Existe-t-il pire force de frappe sur cette terre ? Non. Ça démolit dans la démolition, les flammes du solo coulent dans le courant du fleuve, ils jouent le beat des soudards, ils sont à la fois excellents et impitoyables, leur maîtrise dépasse un peu la capacité des mots. Certains cuts sont plus classiques, mais tout est bourré de son jusqu’à la gueule, comme on le dit d’un canon de flibuste. Ils attaquent «Follow Me Home» à la belle avoine, ils créent de la joie et de la bonne humeur au cœur des enfers, tout est énorme ici, et l’autre fou n’en finit plus de tapisser les murs de giclées de wah. Ils finiraient presque par devenir trop énormes et par nous donner la nausée, mais en même temps, ils jouent l’un des meilleurs rocks de l’histoire du rock. «Bee Sting» sonne comme du gaga punk supérieur, claqué du beignet dans l’absolutisme défenestré. Les guitares dévorent tout. «Dollar Each Way» vaut pour l’une des plus belles coulées d’heavyness d’Australie et «Skirt Lifter» pue le cramé de wah. Ah quels diables ignobles ! Leur démesure finit par foutre la trouille. One two three, hommage aux Ramones avec «Anarchy In Boondall». Ils rockent ça à la vie à la mort, c’est bourré de vie, de gratté de grattes et de chant à la bonne franquette.

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    En 2011 paraît Glorius Barsteds. Ils gagnent toujours en power, battle punk forever. «Hate Drunkenness Vandalism Demolition» sent bon la démesure tribale. Et dans «Hoon», le solo prend feu. Comme d’habitude, tout est extraordinairement bardé de son. John McKeering démolit «Bull At A Gate» qui ouvre le bal de la B. Il s’amuse à rentrer dans le lard des cuts au moment le plus opportun. Il continue de faire sauter la B avec «3rd Strike». McKeering visite ça en profondeur. Il crée une source de jouvence permanente et l’album devient mirobolant. McKeering est partout, on le voit surgir dans «Nude Shellas On Motorbikes Drinking Beer» et ça reste puissant jusqu’au bout de la nuit. Ils finissent avec un «Wake Up Rocket» fantastiquement heavy.

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    Hooray Fuck - Live At The Tote qui s’appelle aussi I Love My Tractor pourrait bien être le meilleur album des Psychos. C’est un live. La pochette d’Hooray reste sur l’esthétique des premières pochettes, avec le beau ciel bleu derrière les Psychos, mais la pochette de Tractor est marrante, car on voit trois mecs se rouler par terre devant la petite scène où jouent ces démons de Psychos. Là dessus, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Ils démarrent avec un «Pub» dévastateur, Dean Muller bat ça à la vie à la mort et Ross Knight gueule comme un con. Big heavy Cosmic blast ! Ils font du high energy atmospherix à trois, ils balancent une vraie dégelée de no way out, à la Cosmic ultraïque. Mad Macca est un dieu de la wah. Alors si tu aimes la basse fuzz, il te faut écouter «Nice Day To Go To The Pub». Mad Macca prend feu, une fois de plus, ça blaste all over et ça wahte par dessus la basse fuzz, et bien sûr ce démon de Ross is on fire. Et ça continue de cavaler à travers la plaine avec «Mortician», ces mecs n’en finissent plus de redorer le blason du blast, mais un blast en surchauffe, cramé de l’intérieur. On les voit repartir aussi sec à chaque fois pour une autre dégelée, et le gros arrose tout de wah brûlante. Avec «I’m Up You’re Out», Ross fait du heavy punk aussie. Il est magnifique de screaming, il prend tout en frontal. C’est dingue comme ces mecs savent tenir la distance. Chaque cut est pulsé dans le ventre du rock. Leur passion pour le bulldozer prend ici tout son sens. Leur violence ricoche dans le son, c’est en tous les cas ce que montre «Dead In A Ditch». Ils sont dans l’expression de la violence salvatrice. Il n’existe pas grand chose au dessus des Psychos. Encore une belle envolée avec «Quater To Three». Ils savent très bien ce qu’ils font. This is the real blast, my friend. Les accords rayonnent dans la chaleur du blast. Ces trois mecs ont tout : l’aussie, la wah et le hard beat. Quel bonheur de voir cette wah tout dévorer. Chaque cut sonne comme une invasion. Ils cherchent chaque fois le maximalisme de la violence sonique et parviennent à la maîtriser pour en faire une sorte d’anti-art. «Go The Hack» sonne comme un pandémonium, c’est un blast à toute épreuve qui date du temps de leurs débuts. Retour de la basse fuzz avec «20 Pot Screamer», ils syncopent leur beat et ils deviennent complètement fous avec «Back In Town». Ils vont très vite en besogne et ça devient incontrôlable, Dean Muller remet tout ça au carré. Mais on sent bien qu’ils sont irrécupérables, on voit bien avec «Lost Cause» qu’ils ont du mal à s’arrêter. Ils font plaisir à voir. Ils restent les tenants du titre, blasters forever. C’est sans doute leur tenue de route qui impressionne le plus. Ils font un «David Lee Roth» punk as hell, c’est le blast définitif, touch me out !, et ils bouclent avec «Hooray Fuck», c’mon cunt ! Ah les fous !

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    Si on fait l’effort de rapatrier ce gros picture-disc qu’est Cum The Raw Prawn, on sera bien récompensé. Les Psychos s’améliorent en vieillissant et gagnent en véracité combinatoire. Pour preuve, voici «Bum For Grubs», une belle giclée de Cosmic trippe, ça wahte dans tous les coins, ils sont exceptionnels. Ils mènent le power à la trique et McKeering wahte comme un beau diable, Il fout le feu quand il veut. Ils atteignent une sorte de maturité avec «Come And Get Some» et leur aisance à driver un beat les préserve de toute critique. Ah quelles belles vagues de wah ! Ils ne sont pas près de se calmer. En B, ils terminent leur morceau titre à coups de fuck you et de fuck yourself. Ils développent encore un potentiel d’acier avec «Ack-Ack» et la wah expiatoire de McKeering vient lécher les bollocks du Cosmic beat, elle se répand dans l’air comme un vent de flammes. Pour finir en beauté, ils explosent en plein vol avec «Didn’t Wanna Love Me», une énorme dose de Cosmic blow.

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    Leur dernier album en date s’appelle Loudmouth Soup. Il date de 2018. Curieusement, il n’est pas aussi intense que certains de leurs albums précédents. Ils transforment «100 Cans Of Beer» en bulldozer sonique, c’est-à-dire en heavyness incommensurable et il faut attendre «Moon Over Victoria» pour refrétiller, car John McKeering joue les accords des Stooges. Les Psychos restent dans le décorum du fucking hell avec le fuzzed-out bass sound de «Mean» et là, mon coco, tu vas entendre McKeering passer l’un de ces killer solos dont il a le secret. Et puis arrive le cut mythique par excellence : «To Dumb To Die» qui est en fait un hommage à Roky Erickson, car c’est «Two Headed Dog» revu et corrigé par les Psychos. Ils se situent d’emblée au firmament de l’underground universel - I’m too dumb to die/ I don’t know why I’m too dumb to die - Roky doit se marrer dans sa tombe. Retour des cavalcades infernales avec «Rat On The Mat». On assiste à l’explosion d’un power trio. Quelle équipe ! Ils font sauter tous les vieux concepts et Ross Knight se tape un final au finish à l’anglaise, aw, hell ! Ils bouclent Loudmouth Soup en allant vers le fleuve avec «Last Stand». On est bien content de les accompagner, même s’ils nous font parfois des tours pendables.

    Signé : Cazengler, Comique Psycho

    Cosmic Psychos. Down On The Farm. Mr. Spaceman 1985

    Cosmic Psychos. Cosmic Psychos. Mr. Spaceman 1987

    Cosmic Psychos. Go The Hack. Survival 1989

    Cosmic Psychos. Slave To The Crave. Rattlesnake Records 1990

    Cosmic Psychos. Blokes You Can Trust. Amphetamine Records 1991

    Cosmic Psychos. Palomino Pizza. City Slang 1993

    Cosmic Psychos. Self Totalled. Amphetamine Reptile Records 1995

    Cosmic Psychos. Oh What A Lovely Pie. Shagpile 1997

    Cosmic Psychos. Dung Australia. Timberyard Records 2007

    Cosmic Psychos. Glorius Barsteds. Missing Link 2011

    Cosmic Psychos. Hooray Fuck - Live At The Tote. Cobra Snake Necktie Records 2011

    Cosmic Psychos. Cum The Raw Prawn. Desperate Records 2015

    Cosmic Psychos. Loudmouth Soup. Go The Hack Records 2018

     

    Inside the goldmine

    - De l’Adorabilité des choses

     

    Oui, ça devait être ça, Porte d’Aubervilliers ou de la Chapelle. C’est là qu’elle tapinait. Elle arrivait vers 1 h du matin. Elle annonçait le tarif, ok, et elle montait à bord. Tiens tu vas par là, c’est tranquille. Elle avait deux dents cassées, devant. C’est la première chose qu’il remarqua. Elle devait avoir tout au plus trente/trente-cinq ans. Cheveux longs, châtain clair, un peu ronde. Mais diable, comme elle suçait bien. Elle y mettait tout le tact dont peut rêver un homme. On pouvait même en déduire qu’elle devait aimer ça. Très rare dans ce circuit où la pipe se fait généralement sans âme ni état d’âme. La pute est contente, elle a ramassé son billet, le mec s’est vidé les couilles, il peut rentrer dormir chez lui. Il fut tellement ravi qu’il y retourna la nuit suivante. Personne. Elle devait être victime de son savoir-faire, ça paraissait évident. Alors il remonta les Maréchaux vers le Nord et fit demi-tour une demi-heure plus tard. Elle était là. Ils nouèrent cette nuit-là une espèce de relation. Il revint la retrouver quasiment chaque nuit pendant quatre mois, le plus souvent dans l’hôtel où elle vivait, vers la Porte d’Auber. Ils dépêchaient longtemps une vague besogne, puis quittaient l’hôtel pour aller vers la rue Myrha. Elle devait se ravitailler car elle tournait au crack, bien sûr. Ils allaient ensuite dans un mini-market ouvert toute la nuit acheter un doseur de Ricard et filaient aussi sec dans un hôtel de Stalingrad procéder au rituel. Elle partageait tout, sa vie, son crack, son corps et l’extrême misère de sa condition. «T’es adorable, mon cœur», disait-elle, avec un léger accent. Il repartait au lever du soleil pour aller bosser, fier d’avoir goûté aux saveurs du trash suprême, ce qu’il appelait l’Adorabilité des choses. Alors que l’énergie bouillonnait en lui et livrait un combat sans merci à la fatigue, il allait retrouver sa bagnole, s’émerveillant à chaque pas de l’immense saleté des rues, le long du métro aérien. Valsait en lui l’Adorabilité des choses. Jusqu’au vertige.

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    Elle aurait pu dire d’Adorable qu’ils étaient adorables. Le premier album de ce groupe anglais date de 1995 et s’appelle Against Perfection. Le chanteur s’appelle Piotr Fijalkowski, il est polonais.

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    Dès «Favourite Fallen Idol», he makes it. C’est violent, side by side, il dégringole dans les vapes du génie vocal, ah les Psychedelic Furs devraient prendre des notes. Piotr tombe, aw aw. C’est un fantastique artiste. Avec «A To Fade In», il fracasse tout, il transforme la Brit Pop en apocalypse now, il multiplie les douches froides d’exception. Le génie est dans la course comme il est dans la cause. Ce Polak à moitié viking ravage les côtes de «Homeboy», aw comme il chante bien, you’re so beautiful. Il faut voir l’«Homeboy» éclore en bouquets d’artifice. Comme ce Piotr est un singer exceptionnel, tous les cuts prennent de sacrées tournures, les montées flambent, ils jouent à deux guitares. Nouvelle splendeur catatonique avec «Cut # 2». Piotr a autant de power que Lou Reed ou Peter Perrett, mais avec un truc en plus, un truc en plume, un truc à lui, une couleur de timbre qui rend sa présence immanente. Ces adorables Brit-popsters lèvent des vagues dans leur pop et Piotr met un point d’honneur à exploser chaque fin de cut. Ils font aussi du wall of sound («Crash Sight») et bouclent cet infernal bouclard avec «Breathless», une chanson d’amour chargée d’un désespoir de main tendue, Piotr chante au tranchant d’effarence, il crée les conditions du fall out, sa voix porte au loin, il touche les cordes raides, il atteint les ports, il touche tellement au but qu’on voit le but. C’est l’une des voix de notre époque. Ce mec a la Melancholia de Dürer gravée dans sa cuirasse. I love you !

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    Leur deuxième et hélas ultime album d’Adorable s’appelle Fake. Il vaut peut-être mieux commencer par écouter «Road Movie» que Piotr plie en quatre avec un fatalisme typiquement polonais, puis il s’exprime au grand jour et à pleine poitrine, alors tout bascule dans l’ampleur shakespearienne de la tempête. L’autre point fort de Fake est le «Feed Me» d’ouverture de bal, un Feed Me éclairé aux accords malovelants et ça donne une pop teigneuse et belle, brune et sensuelle - She falls ever so/ Ever so soft/ So soft - et ça éclate au Sénégal avec la copine de cheval. Avec Piotr, la messe est dite en permanence. Messieurs les Furs, rangez vos fears, personne ne peut égaler le Polak au petit jeu du power surge atmosphérique. Il monte vite au vent de la vague. Il est magnifique et tellement désintéressé. Une présence qui n’en finit plus d’être présente, c’est la force de cet adorable Polak. Mais Fake est nettement moins dense que son prédécesseur. Les submarines ne sont pas aussi glorieux que ceux de Captain Sensible. Il semble même que ce géant se noie dans un son à la mode. Avec «Lettergo», Adorable sonne comme une fiotte éplorée sans port d’attache. Fake se tire une balle dans le pied. Mais la basse fuzz vole au secours de «Kangaroo Court» et le radeau de la méduse reprend sa course, avec un Polak en figure de proue. Les pronostics les donnaient perdants et voilà que le radeau file à présent vingt nœuds. Il file droit sur l’horizon que scrute Piotr alors qu’un matelot affamé commence à lui dévorer un mollet. «Go Easy On Her» s’ouvre sur des arpèges magiques, une véritable invitation à l’Adorabilité des choses, mais ça peine un peu à jouir, même si Piotr bande ses muscles pour tenter de hisser ce boulet jusqu’au sommet.

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    Quelques années plus tard, le Polak monte Polak à Brighton avec son frangin Krzys et trois autres petits mecs du coin. Ils enregistrent deux album. Le premier s’appelle Swansongs et vaut le déplacement, sacrément le déplacement. Piotr ne traîne pas au coin du bois mais au coin du son, il est tout de suite présent. Mille fois plus présent que ne le sera jamais Nick Cave. Eh oui, c’est malheureux à dire, mais c’est la réalité. Piotr impose une ambiance, comme savent le faire Owen McCarty et Mark Lanegan. Pour lancer «Tracer», il ouvre la bras, venez mes amis, je chante pour vous. Il est très bon, peut-être même trop bon. Trop d’intégrité ? Il est aussi juste et profond que Mark Lanegan. Pas de demi-mesure, il chante à l’absolu du chant, il brûle en profondeur et quand les guitares arrivent, il fait monter la sauce, il racle son chant aux parois de l’abandon. Il enchaîne avec un autre cut faramineux, «Nobody’s Cowboy Song», amené au merveilleux hook de guitar slinging. Il entre dedans comme dans du beurre, c’est un spécialiste, un fabuleux groover, il sait de quoi il parle, c’est ouvert sur le ciel, complètement ouvert, my friend, I’ll stay alive my friend, avec de faux échos de «You Can’t Always Get What You Want», juste de faux échos, I’ll stay alive, c’est stupéfiant, et niaqué aux guitares. Très beaux restes d’Adorable. D’autres morceaux rappellent aussi Adorable, comme ce «Storm Coming» amené à la marée montante absolutiste, aw storm coming, comme son nom l’indique. Avec une voix pareille, Piotr Fijalkowski devrait être aussi célèbre que Bowie. Le fait qu’il soit resté à l’écart est incompréhensible. Encore de l’Adorabilité des choses avec «Impossible», ils rejouent la même carte, celle du Big Atmospherix adorable, un mix unique en Angleterre. C’est le romantisme byronien du XXe siècle, une pure merveille d’extension du domaine de la turlutte. Il va ensuite chercher la petite bête dans «Love In Reverse» avec une gonzesse nommée Ruth Calder. Elle est pas mal. Tous ces exercices ne sont pas simples, il faut savoir s’y prêter pour un rendu. Piotr va ensuite fracasser son «Shipwrecked» sur les récifs, il adore ça, c’est le vieux fonds de commerce Adorable, le cut perdu dans la nuit des temps immémoriaux. Ce mec sait ce qu’il fait, on le comprend bien, soft et léger, avec l’underground des trottoirs jonchés d’immondices à fleur de peau.

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    Le deuxième album de Polak sort deux ans plus tard et s’appelle Rubbernecking. Même chose qu’avec l’album précédent, on est tout simplement heureux de le croiser. Piotr Fijalkowski ne veut pas qu’on le réveille dans «Don’t Wake Me». C’est assez clair. Drug song ? Va-t-en savoir ! Et boom, voilà «Love Lies», il prend le taureau des Lies par les cornes, suivi par des guitares. Il redevient le temps d’un cut l’un des plus puissants seigneurs d’Angleterre. Power absolu ! Il descend sur la pop comme un aigle, ou mieux encore, comme un vampire, on le voit littéralement descendre dans le son. Terrifiante prestation ! On reste dans le génie polish avec «Joyrider» qu’il attaque au ras des pâquerettes pour l’émulser dans une abondance d’excellence, alors ça monte, comme au temps béni d’Adorable. Les cuts sont très physiques, ces montées et ces descentes ne sont pas monnaie courante, dans le monde rock. Les groupes on tendance à rester linéaires. Piotr Fijalkowski adore les reliefs. Il les génère. Il est par exemple bien plus climatix que Liam Gallag qui est pourtant un grand chanteur. Piotr fabrique de la clameur. Il est tellement à l’aise qu’il donne l’impression de se balader dans le son. Il chante son «Dumbstruck» au hanté demented, il relance avec une majesté sidérante, you’re my obsession, il éclate sa sortie comme une noix, toujours juste et puissant à la fois. Avec «Something Wrong», il rentre dans le lard du son, comme Peter Perrett, Piotr est un vieux renard, il colle au big heavy groove de something wrong. Il tourne tout, absolument tout, à son avantage. Il termine cet album somptueux avec un «Come Down» d’une rare proximité. Il s’y américanise un peu, à la Fred Neil, et quand il laisse tomber son come down, on pousse un oh d’admiration, car c’est extrêmement beau. Alors il fait entrer du son, mais du très gros son, avec un drive de basse énorme et ça submerge tout, le drive démolit tout, glou glou, on disparaît avec la cité d’Atlantide. Heavy as hell !

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    Et puis voilà, les années passent. Piotr Fijalkowski sombre dans l’oubli, alors il décide de simplifier son nom en Pete Fij et de s’acoquiner avec Terry Bickers, l’ex-House Of Love, pour enregistrer deux albums. Le premier paraît en 2014 et s’appelle Broken Heart Surgery. Bien sûr, ils n’ont pas de label. Cette fois, Piotr n’a plus que sa voix. Les compos ne sont pas vraiment au rendez-vous. Il va se lover au creux du giron en attendant que vienne l’inspiration. Mais cette garce se refuse à lui. On le voit chercher sa voie dans «Sound Of Love». Même s’il chante à la Piotr du pauvre, ça reste nettement supérieur à la moyenne. Mais pas de feu dans la plaine, pas de bombes sur la cathédrale. On sauvera «Breaking Up» pour son côté insidieux, bien orienté, bien rocky, I got run over, il sait doser sa rockitude, il attend patiemment que ça se réveille, le breaking up est bien claqué au riff, avec des coups d’harp en fin de parcours. Mais bon, les autres cuts restent au sol. Ce n’est pas l’album du siècle, on est bien d’accord.

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    Pete Fij et Terry Bickers enregistrent un deuxième album en 2017, We Are Millionaires. Ça reste du hot Fij avec le big guitar sound de Terry Bickers, une présence indéfectible, un son très anglais, on the verge of the edge, violonné à outrance («Love’s Going To Get You»), comme suspendu dans l’espace, ce mec pose sa voix et c’est tout de suite captivant («Waking Up»), il faut le voir swinguer son groove de deepy deep, il travaille sa magie vocale au crossroad puzzle («Marie Celeste»), bien vu, Pete le Polak, il tape bien sa rengaine - I don’t know much about you honey/ But I know you’re driving me mad - Toujours la même histoire. Et puis voilà le miracle tant espéré : le morceau titre, hanteur comme seul Pete Fij peut hanter, il nous enveloppe dans sa chaleur mélodique, il faut voir l’éclat du tombé de ton - If that melancholy that we share was common currency/ Then we’d be millionaires - Toxique au plus haut point, l’une des plus belles chansons qu’il soit donné d’entendre en langue anglaise. Rien que pour cet all the currency, on se damnerait pour l’éternité.

    Signé : Cazengler, Adorat d’égout

    Adorable. Against Perfection. Creation Records 1993

    Adorable. Fake. Creation Records 1994

    Polak. Swansongs. One Little Indian 2000

    Polak. Rubbernecking. One Little Indian 2002

    Pete Fij/ Terry Bickers. Broken Heart Surgery. Not On Label 2014

    Pete Fij/ Terry Bickers. We Are Millionaires. Broadcast Recordings 2017

    *

    J'avais vu l'annonce de l'édition américaine, pas de sitôt que l'on verra une telle monstruosité en France m'étais-je dit. Il faut savoir reconnaître ses torts. Le voici sur mon bureau. Un paquebot, un porte-avions, le genre de pavé monstrueux qui encombre les bibliothèques et embarrasse les heureux possesseurs. Apparemment le souhait de la famille... Quarante-cinq euros, je sais bien que la poésie n'a pas de prix, bonjour l'opération marketing ! Il est vrai que le livre propose un grand nombre d'inédits, surtout en France. De nombreuses pages blanches ou noires aussi. Beaucoup de blanc aussi autour des textes composés en petits caractère. Z'ont dû mal comprendre la boutade de Mallarmé comme quoi les blancs sur lesquels s'inscrivait le poème étaient plus importants que le texte... Z'auraient aussi pu réfléchir sur le désir de Morrison de publier An American Night sous forme d'une plaquette destinée à s'immiscer dans la poche arrière d'un jean... Cessons nos jérémiades, il est d'autres questions plus importantes...

    ANTHOLOGIE

    JIM MORRISON

    POEMES, CARNETS, RETRANSCRIPTIONS, PAROLES

    ( Massot / 2021 )

    Que les Doors aient été dans les années soixante un des groupes de rock les plus importants des Etats-Unis, que leur chanteur possédât une voix et une indéniable présence sur scène, le monde entier nous l'accordera. Affaire classée. Mais en plus d'être un chanteur exceptionnel Jim Morrison s'est voulu poëte. Sur ce point les avis divergent. Sûr que ses lyrics étaient de loin supérieurs à la plupart des autres groupes, de là à lui décerner le titre de poëte, ne serait-ce pas trop ? Il est étrange de constater qu'à une époque où la gloire du poëte n'est plus ce qu'elle a été durant les siècles précédents, l'on dénie à Morrison, le droit de revendiquer ce titre bien galvaudé. C'est qu'inconsciemment s'opère dans les esprits, une scandaleuse équivalence entre grand chanteur de rock et grand poëte. Apparemment c'est beaucoup trop, quasiment antidémocratique, qu'un seul et même individu ait été ainsi favorisé des Dieux. Reste à lire les textes.

    Un temps d'adaptation est nécessaire. Surtout pour les textes connus depuis de si nombreuses années. La nouvelle traduction de Carole Delporte, nous déporte un peu hors de nos habitudes. Mais l'on s'y fait. Avoir à sa disposition plusieurs translations de textes dont on baragouine la langue, malheureusement les subtilités nous échappent, ne saurait être un handicap. J'ai passé la soirée à lire in-extenso de la première à la dernière ligne ces 586 pages. Voici venu le temps de donner mes impressions.

    Première surprise, la masse d'inédits nous obligent à reconnaître que le Morrison Rocker, ne correspond pas tout à fait à l'écrivain. L'ensemble des écrits gomme l'aspect mythologique des lyrics du chanteur. Moins de lézards, moins de serpents. Moins d'implications personnelles dans les personnages des poèmes. Dans une interview Morrison récuse le sérieux d'un texte comme La Célébration. Il parle d'ironie. Nous croyons que le jeune homme, et davantage encore l'adulte, qu'il est en train de devenir mûri par les expériences accumulées en peu d'années, s'écarte d'une vision trop adolescente, inhérent à son statut de rebelle absolu.

    Cette vision mythologique correspond aussi à celle d'un élève doué qui s'est forgé une culture livresque. De même beaucoup de ses premiers textes sont une réflexion sur le cinéma. Bizarrement l'ancien étudiant en art cinématographique à l'Université de Los Angeles ne parle ni de film, ni de technique. Le cinéma l'intéresse en tant que regard et vision. Pas celle du spectateur qui regarde des films. Du cinéma il passe d'ailleurs à un moyen de communication, spécifiquement américain, de diffusion des images : la télévision. Morrison évite la tarte à la crème de la critique de la médiocrité des émissions de télé. Ne s'intéresse pas davantage aux attitudes des téléspectateurs scotchés devant l'écran. Le problème n'est pas de regarder la télé pour la simple et bonne raison que c'est la télé qui vous regarde. Evitons les fausses interprétations. Morrison ne se lance pas dans une diatribe contre Big Brother. Il ne développe en rien la critique politique de l'éducation manipulatoire et de la surveillance des masses anonymes par un pouvoir oppressif.

    Inutile de vous précipiter dans votre salle de bain pour retoucher votre coiffure, la télé ne vous regarde pas. Elle regarde autre chose. La réalité. Si cela vous paraît incongru, vous allez avoir du mal à comprendre la démarche poétique de Morrison. C'est que bientôt il ne parle plus de télévision. Il n'a pas éteint l'appareil. Il a pris sa place. Ou plutôt sa poésie se chargera de cette occupation. Elle enregistre le réel qui se présente à elle.

    Une constance dans la poésie de Morrison, tantôt il évoque la chaleur, tantôt le froid. C'est qu'il ne jette pas un regard désabusé, neutre et glacé sur le spectacle du monde. De même, malgré un tel parti-pris sa poésie n'est ni réaliste, ni matérialiste. Elle ne dénombre pas le réel, elle ne revendique aucune vision philosophique du monde. Elle n'est pas non plus une poésie à hauteur d'homme. Très peu peuplée. De temps en temps un tueur solitaire – pas vraiment un bienfaiteur de l'humanité - et des filles ( beaucoup ) désirantes et désirables. Deux adjectifs que l'on remplacera par le mot sexe. La poésie de Morrison est animale. Il nous rappelle que nous sommes une espèce animale, ni pire ni meilleure que les serpents et les chiens... Nous sommes dans le regard que la poésie pose sur nous. Rien de plus. Rien de moins.

    Pourtant ce n'est pas une poésie impersonnelle. Loin de là. Il est indéniable que les poèmes portent en eux l'empreinte morrisonienne. Reconnaissable à première lecture. De quoi parle-t-elle au juste. De rien. Elle évoque non pas tout mais une certaine totalité. Celle de l'Amérique. Il l'annonce clairement dans les titres, An American Prayer, American Night Journal. L'Amérique de son temps, mais pas ''son'' Amérique. Aucun jugement moral ou de préférence affective. L'époque le voulait, certains poèmes évoquent le Vietnam, pas de condamnation de la violence, juste la violence. Morrison n'est pas Joan Baez. Il ne défend pas une cause, si juste serait-elle, il n'envoie aucun message, il montre.

    L'Amérique qu'il nous montre, ou plutôt l'Amérique qui nous regarde, est monstrueuse. Pas parce qu'elle est l'Amérique, parce qu'elle ressemble à nos pulsions humaines. En quoi le désir d'un assassin, un désir de mort, serait-il plus condamnable qu'un désir de vie – Morrison emploie rarement le mot amour – tous deux sont des désirs. Point à la ligne. Serait-il né en France je crains que la réalité française ne lui soit point apparue moins noire que la nuit américaine... Cette poésie sans illusion mais aussi sans mépris sur les hommes et les femmes touche à l'universel.

    L'on connaît le destin de Morrison. La plupart de ses écrits sont restés confinés dans des carnets. Cette Anthologie nous dévoile leur aspect extérieur, certainement moins anecdotiques des photographies présentent quelques poèmes traduits dans le volume. L'accès au texte original est un plus, mais nous emmène à quelques commentaires. Les poèmes de Morrison sont écrits en vers libres, disposés en strophes qui peuvent atteindre jusqu'à une quarantaine de vers. Le plus souvent beaucoup moins. Morrison prenait des notes. Des notes poétiques serait-on tenté de dire. Il n'a pas eu le temps de trier, d'arranger et de mettre en forme. La famille, quelques amis, et l'éditeur se sont chargés de cette tâche. Il est un point qui arrache la vue. La grosse écriture de Jim occupe l'ensemble de la surface d'une page. Quand on compare aux transcriptions typographiques de cette édition, il nous vient à l'idée qu'une dimension s'est perdue. L'on ne se gênera pas pour nous faire remarquer que les recueils édités de son vivant par Morrison se sont contentés d'une présentation à peu près similaire. Certainement. Je pense toutefois que dégagé de son métier de chanteur Morrison aurait apporté un plus grand soin à la mise en page de ses livres. L'œil lit, mais il voit aussi.

    Nous sommes de ceux qui pensons que Morrison n'est pas un poétereau de treizième zone, sans doute convient-il de le comparer à ses aînés. Dans les années soixante-dix, à l'écoute et à la traduction des lyrics des disques des Doors, je l'avais intuitivement rapproché de Shelley. Qui a le tort, si j'ose dire, d'être anglais. Je fais l'impasse sur la Beat Generation, il me semble que Morrison vient culturellement d'ailleurs, ceci serait à débattre. Réfléchissant ce matin à ma lecture de la veille, un nom s'est imposé dans ma réflexion, je n'y pensais pas, l'est venu je ne sais comment à mon esprit. Difficile d'établir une relation entre deux individus, deux biographies, et deux conditions d'écriture si dissemblables. Je pense à la recluse, à Emily Dickinson, qui n'est pour ainsi dire jamais sortie de sa maison, mais une même façon d'appréhender la totalité du réel au travers de leurs courts poèmes.

    Damie Chad.

    P. S. : Les paroles des textes des chansons ne sont pas traduites. Le manque d'un minimum d'apparat critique se fait sentir.

     

     

    GREY AURA

    ( Onism Productions / Mai 2021 )

    Comment, fût-il néerlandais, et se nommant Aura Grise - peut-être la traduction Âme grise serait-elle plus juste et plus respectueuse de l'idée véhiculée par une telle nomenclature – un groupe peut-il affubler la pochette de son deuxième album d'un tel tintamarre de couleurs ! C'est une longue histoire. Zwart Vierkant est le titre de ce deuxième opus, nous n'évoquerons point dans cette chronique leur premier disque que nous réservons pour une prochaine livraison.

    Le mystère sera en partie résolu lorsque nous aurons révélé que le titre de l'album raconte l'histoire d'un peintre nommé Zwart Vierkant. Si vous ne connaissez pas le néerlandais sa proximité avec la langue allemande vous incitera à rapprocher Zwart de Schwarz, le simple fait qu'un peintre arbore le drapeau noir d'un tel prénom symbolique s'éclairera si vous soumettez son patronyme au premier transcripteur venu, vous apprendrez que Vierkant signifie Carré.

    Le Carré Noir est le tableau le plus célèbre de Casimir Malevitch ( 1879 – 1935 ). Il ne voulait pas dire que la peinture était parvenue au bout de son cheminement, qu'il était désormais impossible pour un peintre conscient des limites de son art de peindre comme ses prédécesseurs. Au contraire, il escomptait marquer un nouveau début, la peinture devant se contenter de formes géométriques simples et de couleurs primaires, du blanc et du noir. Ce parti-pris pour empêcher que le peintre et le spectateur ne soient point distraits par un sujet choisi. Devant une scène de chasse, les chiens, les chevaux, les cavaliers, le renard, l'herbe, les arbres monopolisent et dispersent votre attention, vous oubliez que ce qu'il faut voir c'est la peinture et non le sujet de sa représentation...

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    Cet art nouveau, au début du vingtième siècle, Malevitch l'appela le suprématisme. Le suprématisme irrigue encore la production d'artistes modernes. Un tour sur l'instagram de Sarija Marusic, elle est l'auteur de la pochette, s'impose. Photographe, elle agrémente ses photos de couleurs violentes qui vous arrachent les yeux. Les personnes mises en scène, souvent en des poses peu communes, en sont d'autant plus visibles, qu'elles ne sont plus que des éléments du tableau au même titre que les couleurs, ce traitement de réduction graphique inaccoutumé les font davantage ressortir. La couve de l'album en est un parfait exemple. Après l'écoute du disque nous reviendrons sur la signification à donner à cette image, ce qui est une hérésie, puisque selon les canons du suprématisme, elle ne devrait signifier que le fait d'être une image.

    TJEBBE BROEK : guitar, percussion, bruitage, synthesizer, Spanish guitar / RUBEN WIJLJACKER : vocals, lyrics, guitar, percussion, foley, synthesizer, mixing / BAS VAN DER PERK : drums, percussion / SYLWIN CORNIELJE : bass

    GLEEN COENEN & INEKE NOORDHUIZEN : voice acting / ALBERTO PEREZ JURADO : trombone, trompette / HAENEL ENGEL : castagnettes / JOOST VERVOORT : vocal sur dernier titre.

    Nous avons opté pour la traduction des titres néerlandais. Ils peuvent ainsi aider à une appropriation de l'œuvre. Qui n'est pas facile. Elle est inspirée par un roman de Ruben Wijlacker qui l'a lui-même adapté à la différence près que son écriture a fait partie du processus de création de l'album. Le disque ne raconte pas à proprement dire le parcours de Zwart Vierkant fasciné au début de ce siècle par le suprématisme russe et les travaux tant pratiques que théoriques de Kandisky père de l'art abstrait. Chaque morceau est état un d'âme du peintre lors de son voyage initiatique en Europe. Peint de l'intérieur. Peu de détails explicites, l'ensemble est à interpréter, à écouter, à méditer, texte et musique, comme si vous découvriez à chaque fois le nouveau tableau d'une exposition que vous seriez en train de visiter.

    Mais ce n'est pas tout. Le groupe a travaillé pendant plus de six ans pour la production de l'œuvre. Il s'agit d'un projet ambitieux. Qui serait à mettre en relation avec Le Chef d'œuvre absolu d' Honoré de Balzac. L'histoire de Frenhofer qui finira par brûler toute son œuvre après avoir achevé son chef -d'œuvre. Cette histoire de destruction est au centre de la création de Zwart Vierkant. S'il arrive à réaliser un tableau totalement abstrait la réalité concrète du monde s'auto-détruira. Mallarmé a caressé de telles rêveries, la création du Livre exprimant totalement le Monde, induirait la disparition du Monde désormais inutile. Le lecteur retrouvera ici une application du principe de réversibilité que nous avons exposé dans notre chronique de Moonchild d'Aleister Crowley ( voir livraison 537 ). Grey Aura se revendique explicitement du modernisme, du décadentisme et de notre littérature fin de siècle. Ils se considèrent comme un groupe de Black Metal, qui leur semble le vecteur musical le mieux approprié pour s'aventurer dans toutes les hybridations intellectuelles et artistiques les plus novatrices. Ces sentes obscures sont en effet les plus créatrices.

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    Maria Ségovie : deux roulements fuyants de tambours, indice d'une tambourinade épileptique, signe d'un léger décrochage avec la réalité, comme une photo que vous tenez dans la main et dont l'image glisserait légèrement en dehors du cadre, vocal crépusculaire qui très vite confine à la folie, musique violente, comme ces couchers d'herbes hautes sous le vent de violons que l'on rencontre dans les symphonies, mais ici électriques, la voix légèrement dédoublée, maintenant précipitée, Zwart Viertkand, notre carré noir ne tourne pas rond, la peinture se confond avec la réalité, ce portrait de vierge est-ce un tableau véritable aperçu dans un musée ou une hallucination colportée sur les murs de la réalité, le sang de la vierge doit-il couler, meurtre nuptial ou phantasmatique, ambiance lourde et angoissée. Plongée au cœur du drame. Une guitare espagnole balaie les remugles de ses pensées. Volutes de fumée, bouteille : reprise de batterie que l'on pourrait imaginer pour accompagner la scène d'un film de la charge de Ney sur les batteries anglaises de Waterloo, hurlements de folie, pas douce du tout, des guitares comme un incendie de tourbières rases qui fument, douceur maintenant, l'artiste se calme, l'alcool, la drogue peut-être, ou l'abattement devant la tâche inaccomplie, la toile qui n'aboutit pas  se voile et devient voile sur la mer déchaînée de l'anabase de la folie. La traînée de mauve du désastre : la tragédie ne tarde pas à envahir son esprit, il crie, il s'exalte, il tient le bon bout du pinceau et de la folle du logis, il pense galoper vers la victoire, mais cette trainée mauve sur le tableau devient la preuve de son échec, il se mure dans la tour d'ivoire de son incapacité, la batterie s'écroule, les guitares se sont muées en vol de corbeaux au-dessus de champs de blé de Van Gogh à l'horizon, des chœurs transgéniques le transportent dans son rêve, la chair et le sang, toute femme n'est qu'une figure de la mort qui s'avance sur la mer, portée par des ailes de séraphins. El Greco en Tolède : nous ne sommes pas sortis de l'auberge de la folie, Zwart Vierkant crie comme un reître, il est dans le musée entouré des toiles del Greco, il rugit, il comprend, il accède aux arcanes finales de l'Art, son âme tinte comme une cloche fêlée, une fissure par laquelle s'engouffre la folie de la chair et du sang criminel, signe que le Monde sera enfin brisé, Elle est là, tous deux vont jouer les scènes torrides de la femme et le pantin de Pierre Louÿs, il cède à la sirène maléfique, c'est ainsi qu'il vivra sa saison en enfer, c'est ainsi qu'il recevra l'illumination créatrice. Et destructrice. Chant nuptial, le fiancé se dirige vers l'autel, un couteau, un pinceau, ou un pénis à la main. Paris est un portail : grandiloquence battériale, ahanements, Paris capitale des arts, chacune de ses nuits repeuplait les morts des batailles de Napoléon, chants d'ivrogne et de triomphe, rupture cette guitare qui swingue, une étymologie du mot jazz ne nous dit-elle pas que dans une langue africaine ce mot signifie l'acte sexuel, longs plaidoyers guitariques, est-ce ici que la perpétuation du geste signifie la maîtrise de l'œuvre et du monde. Paris est-elle la cité de la puissance ou de l'illusion. L'entrée du dédale dans lequel on se perdra. La séduction indescriptible de la vertu s'efface : roulements de tambours pour la charge de l'infanterie, vociférations, les réveils du petit matin, instants pathétiques, n'aurait-on libéré le kaos uniquement en soi, le monde extérieur ressemble-t-il à un corps froid sur lequel on n'a plus aucune prise, se moque-t-il de nous, marche-t-on vers le désastre de l'échec. Grandeur et décadence de l'empire que l'on a sur soi-même et sur les choses. Serait-on une fiole de folie brisée sur les rochers de la réalité. A moins que la fissure ne se fendille devant nous. Bouche d'ombre gracieuse : reprise effrénée mais que l'on pourrait aussi interpréter comme une pastorale ironique, la fissure correspondrait-elle au sexe de la femme, une voix mélodramatique pour signifier que toute gorge d'orgie est aussi une entrée des Enfers, la violence se fait douce, lit-on un poème ou un avertissement, interrompu par le cri de celui qui tombe, une diction tel un souffle sur une bouche et les cris d'exaspération de celui qui s'aperçoit que nul frémissement ne répond à sa frénésie, guitares à fond, bouleversements, entassements, la taupe qui progresse dans son terrier rejette la terre dans le monde extérieur, soulèvement de haines, extirpation de colères, elle n'était rien qu'une incarnation idéelle, la mer du monde se retire. Que reste-t-il ? Où sommes-nous? Quelle place pour l'artiste ?

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    La batterie tempétueuse cascade et écume sur les récifs du récit déchiré. Dans un quatuor elle tiendrait le rôle du premier violon accroché à la barre du naufrage. Les cordes en bruit de fond, le souffle des vents multiples baignés d'embruns qui vous précipitent du bord de la falaise dans le maelström sonore, la voix agitée en tous diapasons à la manière des haillons d'une voile qui claquent désespérément au vent.

    Un deuxième opus est en préparation. Nous attendons cette suite destructrice avec impatience. Une œuvre de longue patience. Certains kr'tntreaders s'étonneront des couleurs si pimpantes de la couverture si flashy pour un disque si sombre. C'est oublier que la violence est partout, qu'elle est intimement mêlée à la vie, un peu à l'image de ses gros rocheux laineux du paysage d'aspect si pelucheux, si inoffensifs qu'ils ont l'apparence confortable de ces poufs dans lesquels on s'assoit en toute voluptueuse quiétude, qui vous absorbent à tout jamais pour vous couper de l'attrait de toute action, un peu à la manière de l'étreinte de ces amants cannibales entremêlés qui s'entredévorent dont il ne reste quelques membres épars.

    Damie Chad.

     

    *

    Serait-ce un hasard ? Le monde serait-il plus petit qu'on ne le croit. Hier soir je me livrais à une autre de mes passions coupables, pas le rock 'n'roll donc, mais la poésie du dix-neuvième siècle, réécoutant sur You Tube une conférence de Quentin Meillassoux sur Le coup de dés de Mallarmé. Par acquis de conscience, la vidéo terminée, je m'autorise un petit net-surfin sur les livres de Quentin Meillassoux édités. A force de chercher l'on trouve. Tiens, Quentin Meillassoux est censé avoir écrit des notes de pochettes sur un CD de Florian Hecker. Nous voici à l'endroit précis où les Athéniens s'atteignirent. Je connais Stéphan Eicher mais pas Florian Hecker. Je tape le nom heckerien sur mon clavier et apparaissent une kyrielle d'occurrences, l'a apparemment enregistré davantage de disques que vous n'avez perdu de dents de lait, et plonk mon œil de rocker exercé repère deux références de sites connus, les deux mamelles nourricières indispensables à la survie du rocker en détresse, Bandcamp et Discogs. Je cours sur le premier, une dizaine de pochettes, mais les notes n'indiquent aucune mention de Quentin Meillassoux. Déçu mais pas vaincu. Je me précipite sur Discogs, notre gazier a au moins enregistré une vingtaine de disques et Cds notamment celui qui m'intéresse, Speculative Solutions. Et là je tique, y a un truc qui tilte dans ma tête, la maison de disques, Edition Mego.

    Ne mégotons pas sur les rouages du cerveau, mais oui, je vérifie, c'est là qu'ont été édités Luciferis et aussi Nona, decima et morta de Golem Mécaniques, chroniqués la semaine dernière dans notre livraison 538. Nous voici presque en terre connue.

    SPECULATIVE SOLUTION

    FLORIAN HECKER

    ( Editions Mego / Urbasonic / 2011 )

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    I : Le livret :

    L'objet se présente sous forme d'un coffret ne contenant qu'un seul CD et d'un livret de cent soixante pages présentant trois textes, version en français, version en anglais, de Robin Mackay, d'Elie Ayache, de Quentin Meillassoux. Trois textes qui demandent attention et qui risquent de surprendre le kr'tntreader habitué à des réflexions sur tout autre genre de sujet, comme par exemple le rock 'n' roll. Nos trois auteurs sont des philosophes. Leurs œuvres, selon des déploiements très particuliers, recoupent un thème commun : celui de l'influence du hasard sur l'ordre et le désordre des choses.

    Ainsi dans Ceci est ceci Robin Mackay étudie le rapport existant entre l'Histoire et les Idées, comment la pensée humaine, soumis à sa logique rationnelle, se modifie-t-elle devant les accidents de l'Histoire. Il n'existerait donc pas de pensée pure, entendons purement humaine, puisque pour répondre à la logique des évènements contingents la pensée doit afin de les penser se résoudre à opérer des modifications de ses propres schèmes de production logique. Au mieux la pensée humaine ne peut que louvoyer entre les propositions extérieures du hasard.

    Dans Le Futur réel Elie Ayache nous rappelle que nous ne pouvons prévoir ou imaginer le futur qu'à partir de nos connaissances actuelles. Qui elles-mêmes ne sont pas fiables. Bref nous ne pouvons définir au mieux que des possibilités improbables du futur. Notre pensée de tout événement ( qu'il soit du passé, du présent, ou du futur ) se présente sous la forme d'une chaîne déductive probabiliste. Pour faire simple, nous ne maîtrisons pas grand-chose du monde, car notre seul et insuffisant organe de sa préemption, autrement dit la pensée, n'est sûre de rien.

    Métaphysiques et fiction des modes hors-science de Quentin Meillassoux est une méditation à partir de La boule de billard nouvelle d'Isaac Asimov. Il s'agit pour lui de démontrer qu'il existe deux types de livres de Science-fiction, ceux qui extrapolent à partir des données scientifiques de leur temps ( exemple tout bête, le Nautilius de Jules Verne paru en 1869 s'inspire des différentes expérimentations sous-marinières depuis l'Antiquité et la guerre de Sécession qui finit en 1865 ). Mais il existe des auteurs qui s'affranchissent de toute l'armature scientifique de leur époque pour créer des univers qui échappent à toutes les lois scientifiques, notamment de celles qui régissent nos compréhensions du temps et de l'espace ( voir Ravages de Barjavel roman dans lequel les pôles de l'électricité s'inversent ). Que veut dire Meillassoux, que si l'arrivée des choses s'inscrit dans l'ordre du possible, il est possible qu'il en survienne dans le désordre de l'impossible.

    Le coffret est agrémenté de cinq petites boules de métal, vous pouvez les considérer comme le jeu des perles de verres de Hermann Hesse, le jeu de dés de Stéphane Mallarmé, les atomes épicuriens qui n'attendent que votre intervention clinaménique pour former ( ou déformer ) un monde.

    II : Le disque :

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    Peut-être avant de vous précipiter ( à pas lents ) sur les deux seules vidéos relatives aux quatre pistes du CD visibles sur You tube, serait-il bon que vous fassiez l'effort d'imaginer la musique qui pourrait correspondre aux textes si hâtivement résumés du livret. Si par exemple vous êtes fan de Heavy Metal ou des opéras de Wagner vous serait-il nécessaire d'effectuer une réduction de l'amplification sonore de vos souhaits...

    Speculative Solution 1 : l'audition est impossible. Profitons de ce répit pour spéculer sur les titres identiques des trois premiers morceaux. Spéculation indique que cette musique est une espèce d'œuvre in progress, en le sens qu'elle n'est qu'une hypothèse, qu'une probabilité de ce qui pourrait être. Pas du tout une outake préférée ou écartée, une proposition. Les chiffres qui suivent sous-entendent non pas la précarité d'une telle proposition mais le fait que l'on est face à une problématique complexe qui nécessite plusieurs essais. Mais au fait sur quoi, de quoi, spécule-t-on, du déploiement d'une musique qui réduirait les interventions du hasard à presque rien, peut-être à zéro, mais ce serait-là atteindre à l'absolu. Speculative Solution 2 : deuxième spéculation, avec en plus cette interrogation : le CD nous en propose deux, sont-ce les mêmes ou deux versions différentes, You Tube ne nous en propose qu'une seule sans plus de spécification, Hecker veut-il insister sur le retour du même, une manière de nier le hasard ou de l'affirmer car même si c'est le même qui revient l'auditeur l'entendra-t-il de la même manière, en dehors de tout affect ( contentement, ennui, impatience... ), le seul fait de l'écouter deux fois de suite, n'induira-t-il pas une manière différente d'appréhender et d'analyser le morceau, ne serait-ce pas un tour du musicien pour que le hasard différentiel révélé dans l'audition ne soit que le fait de l'auditeur, ce qui permettrait au compositeur de se prévaloir de la fierté d'avoir éjecté le hasard de son œuvre. Pauvres auditeurs désormais porteurs de la patate chaude et hasardeuse. Speculative Solution 2 : je vous conseille d'écouter la vidéo sans regarder les images superfétatoires qui l'agrémentent. Prises de nuit, depuis la vitre d'un wagon d'un train en mouvement, elles n'apportent rien, elles donnent surtout l'impression qu'on les a mises là pour meubler l'écoute et tempérer la déceptions des spectateurs. C'est sûr que l'on n'en prend pas plein les oreilles. Un petit bruit. Pas grand-chose, un clapotis, comme quelqu'un qui mâcherait son chewing gum à vos côtés, un rythme sempiternel – cela dure moins de trois minutes – une espèce de chuintement aléatoire vers la fin, c'est tout. Minimalisme sonore. Serait-ce une stratégie pour éliminer au maximum les incidences de toute surprise extérieure. Il est certain que vous avez moins de chance de ne pas subir le désagrément de vous faire écraser en traversant une autoroute en restant assis dans votre fauteuil. Esthétiquement je vous accorde que ce n'est pas très esthétique. Mais la beauté qui vous assaille provient évidemment des contingences extérieures. Octave Chronics : pour ceux qui ont difficilement supporte la solution 2, la direction vous avertit que celle-ci dure dix-neuf minutes et dégage toute sa responsabilité. Ça ressemble à quoi ? Un petit bruit électronique, un peu comme si vous choisissiez les deux touches du piano les plus aigües et que vous vous obstiniez à y appuyer dessus, l'une après l'autre, sans arrêt. Certes il y a des coupures, de très très légères brisures, mais ça reprend, un tout petit peu différemment, au bout de cinq minutes cela devient presque imperceptible mais ça repart style klaxon de voiture que vous entendez depuis le trente-deuxième étage, ensuite cela vous prend de faux airs de ritournelles, ça ressemble à un gamin qui vous tire la langue, l'on dirait que sur le clavier électronique le musicos est fatigué, appuie en deux temps mais trois mouvements, celui du milieu étant le plus silencieux, un bruit de gamelle en matière plastique que le chien racle deux fois sur le linoleum, et plouf, de minuscules gouttes d'eau qui tombent de partout, l'on dirait qu'elles se prennent pour Jean-Sébastien Bach, toccata en mineur pour fugue dans l'inaudible cristallin, précipitation extrême, mine de rien, il s'en passe des choses dans ce morceau, la musique se précipite-t-elle pour empêcher toute intrusion extérieure dans son champ d'émission fréquenciel, un peu comme quand vous bourrez votre théière de billets de 500 euros pour interdire à la moindre goutte d'eau d'y pénétrer, l'on peut parler de frénésie extrême, vous attendez que ça casse et ça passe un octave au-dessous en plus grave ce qui ne l'empêche pas de reprendre sa fuite vagabonde de truite de Schubert, l'on monte, l'on monte, l'on se dit que plus dure sera la chute, l'on aimerait savoir comment cette affaire se terminera, n'y aurait-il pas un certain désordre dans toutes ses notes qui se marchent sur la queue, ce n'est qu'une apparence, toutefois ça tangue un peu et l'on monte encore et le tout s'arrête sur deux coups étouffés et une espèce de souffle en expiration. Cette fois, c'est la stratégie inversée de la précédente, le morceau n'est pas refermé comme un œuf dans lequel il est impossible d'entrer, toutes les subtiles variations qui éclosent tour à tour n'ont d'autres but que de monopoliser votre attention. Les portes sont ouvertes en grand, le hasard et le destin du monde peuvent venir le squatter, vous ne les apercevez pas, tellement vous songez à suivre cette musique et son trottinement menu de souris, vous n'entendez guère, plus rien n'existe autour de vous, l'univers chaotique a disparu, tout est réduit à sa plus simple expression, cette musique que vous ne quittez pas de vos deux oreilles et de tout votre corps. N'y a pas plus de hasard que de lézard dans l'horloge du temps aboli. Ce n'est rien, mais un rien qui se fait entendre.

    Livret et CD sont indissociables. Ici la musique a repris son bien aux mots. Hecker apporte ses solutions. Dans la 2, veut-il nous signifier que les mots de la philosophie produisent un bruit de fond pas très profond dans l'univers. Dans ses chroniques d'octave s'amuse-t-il a rajouter des notes et encore des notes pour singer ces diarrhées de mots qui coulent sans fin des porte-plumes philosophiques...

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 16

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    LE PLAN ALPHA' ( 1 )

    Je ne vous cache pas qu'après les déductions du Chef nous restâmes un long moment abasourdis. Même les queues de Molossa et de Molossito adoptèrent la forme d'un point d'interrogation. Les esprits battaient la campagne, chacun essayait de mettre de l'ordre dans ses pensées. Le Chef en profita pour allumer un Coronado. Il soupira devant nos mines atterrées et reprit parole :

    _ La balle est dans notre camp. Il est indéniable que Neil cherchait non pas à nous contacter, mais à nous prévenir, de quoi nous ne savons pas, c'est à nous de le trouver. Auriez-vous une idée ?

    Seul le silence lui répondit. Nous regardions le bout de nos pieds, espérant que le Chef ne s'adresserait pas nommément à l'un de nous, mais non, un sourire effleura ses livres :

    _ Vous n'êtes vraiment pas très malins, s'il a cherché à nous avertir, c'est que lui-même ( le Chef aspira une longue bouffée de son Coronado, qu'il exhala très vite, formant une traînée odorante aussi longue que ces chemtrails que relâchent les Boeings dans le ciel azuréen ) n'avait pas pu entrer en contact avec une autre personne et qu'il pensait qu'en tant que Services Secrets du Rock 'n' Roll nous étions ceux qu'ils jugeaient le plus à même d'accomplir cette tâche délicate !

    _ Vous sous-entendez hasarda timidement Noémie qu'il voulait que nous le présentions au président par interim de l'Elysée !

    _ Surtout pas lui ! Sans quoi l'Intelligence Service aurait prévenu les plus hautes autorités de sa présence sur le territoire national. C'est parce qu'il opérait en secret qu'ayant été repéré il a été abattu par la police...

    _ Mais alors qui, moi peut-être ! les dernières paroles du Chef avaient manifestement perturbé Noémie, pourquoi pas Molossito après tout tant qu'on y est!

    _ Enfin une parole sensée, Noémie je vous félicite, votre intelligence progresse depuis que vous êtes entrée au SSR, vous brûlez ! Vous pouvez remercier Molossito !

    _ Ouah ! Ouah !

    Molossa jeta un coup d'œil admiratif sur son fils adoptif, leurs queues maintenant se dressaient toute droites en points d'exclamation. Je commençais à entrevoir l'aléatoire vérité.

    _ Chef personnellement j'opterais plutôt sur Rouky, toutefois je pense qu'il s'agit de...

    Les deux chiens grognèrent sourdement.

    - Agent Chad, ces deux bêtes sont trop intelligentes pour manifester leur mécontentement sans motif, allez voir ce qu'il se passe ! Sans bruit et discrètement.

    AU DEHORS

    Le jardin était vide. Je m'y attendais. Je collais l'oreille contre la porte d'accès. Aucun bruit. Je l'entrouvris et me glissai dans l'obscur couloir jusqu'à la grille. Personne. Il ne me restait plus qu'à parcourir le corridor jusqu'à la porte extérieure. Ce que je fis à grandes enjambées silencieuses. Ne me restait plus qu'à sortir dans la rue. Quitte ou double. Ce fut deux fois double. Du bruit dans l'escalier de l'immeuble. L'on parlait à mi-voix, je me retournais un couple s'avançait vers moi. Des illégitimes qui sortaient d'un rendez-vous d'amour. J'attendis qu'il se rapprochât. Ils s'embrassaient, j'ouvris la porte :

    _Je vous en prie Monsieur-Dame !

    _ Oh merci, c'est gentil ! Ce qui serait parfait c'est que si par hasard le mari de Madame nous attendait pas très loin, vous jouiez le rôle d'un ami qui leur a offert un verre chez lui !

    _ Je n'y manquerais pas !

    Je les accompagnais jusqu'au bout de la rue, aucun conjoint jaloux ne les attendait... Quelques minutes plus tard je revenais par le trottoir opposé, tête baissée, téléphone au bout de l'oreille, réglée sur la fréquence de la police. Je passais devant la camionnette d'entreprise, que j'avais repérée, pas d'erreur c'était un sous-marin de la police :

    _ Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, le gigolo qui accompagnait le couple de tout-à-l'heure revient vers la maison de passe... non il n'est pas accompagné, avec sa gueule d'obsédé sexuel, ce doit être un adepte de triolisme, une bonne âme qui propose ses services aux couples en mal d'exotisme... non il s'éloigne, je me demande comment il touche pour sa prestation, plus que ce que je gagne dans un mois, je devrais songer à me recycler...

    Pas question de rentrer à l'abri. Une idée commençait à trotter dans ma tête bien faite et bien pleine comme les aimait Rabelais. Je m'installai dans un bar, commandai une bouteille de bourbon et attendis la suite des évènements.

    LE PLAN ALPHA' ( 2 )

    Ne croyez que pendant ce temps les autre étaient restés sans rien faire. Le Chef avait repris et terminé ma phrase que le grognement des cabotos avait interrompue si abruptement :

    _ Oui, le Chef tapota son Coronado pour précipiter la chute de la cendre, la personne que Neil Young cherchait à contacter, ce n'était pas l'un de nous, c'était :

    Il s'arrêta pour parfaire le suspense

    _ Vous l'avez deviné... Charlie Watts !

    Il y eut un grand chahut, ce n'était pas possible, Charlie venait assister à ses concerts sous la Tour Eiffel, il ne lui avait pas même adressé la parole...

    _ Complètement invraisemblable, totalement illogique, je vous l'accorde, mais qui d'autre aurions-nous pu contacter dans cette histoire, avez-vous quelqu'un d'autre à proposer ? Je suis prêt à examiner toutes les propositions...

    Il n'y en eut pas...

    _ Ne perdons pas davantage de temps. Je sens qu'il nous faut renforcer le plan Alpha, désormais nous entamons le plan Alpha qui devient Alpha' prime. Ecoutez voici les nouvelles modalités d'action...

    Instinctivement les têtes se rapprochèrent. Hélas le Chef parla si bas que je ne peux rapporter que les derniers mots qui furent prononcés : vous avez trente minutes pour vous préparer, Action !

    COULEUR TURQUOISE

    _ Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, c'est urgent, vous nous avez parlé d'une maison de passe discrète, mais c'est le boxon total dans ce foutu bordel !

    _ Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1 : vous avez besoin de renforts immédiats ?

    _ Ah, non surtout pas, ça crie, ça hurle, ça chante, ça fait du bruit, toutes les fenêtres sont allumées, un potin de tous les diables dans les escaliers !

    _ Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1, que l'un de vous descende discrètement de la camionnette et aille voir de quoi il s'agit au juste !

    _ Pas la peine, ils sortent, holà c'est la carnaval de Rio, y en a qui sont à moitié à poil et d'autres déguisés en n'importe quoi, sont au moins une soixantaine, ils chantent, ils dansent, ils crient, ils rient, ils tapent sur des casseroles, pour des rendez-vous discrets ils sont loin du compte ! En plus doit y avoir des zoophiles dans ce binz, y'a au moins quatre ou cinq chiens qui aboient comme des sauvages. Maintenant ils remontent la rue tous en groupe.

      • Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1, suivez-les, roulez derrière eux, ne les quittez pas des yeux !

      • Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, ils se sont tous engouffrés dans une bouche de métro, le temps de descendre du véhicule, ils se sont engouffrés dans une rame qui a démarré sous nos yeux.

      • Arrêtez tout et rentrez au bercail, inutile de perdre notre temps, c'était une opération de nettoyage, ils ont eu le temps d'enlever ce que nous cherchions.

    RETOUR A L'ABRI

    Ils m'avaient rejoint au café. Nous repartîmes à l'abri. Le Chef nous ouvrit la porte. Il souriait. Nous avons ce que nous voulons, la situation s'éclaircit !

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 520 : KR'TNT ! 520 : TIM BOGERT / NEON ANIMAL / BETTY HARRIS / DAN SARTAIN / SHARYN McCRUMB / RURAL SINGERS / JUKE JOINTS BAND QUARTET / JIM MORRISON / ROLLING STONES / RAGTIME

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 520

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    09 / 09 / 2021

     

    TIM BOGERT / NEON ANIMAL

    BETTY HARRIS / DAN SARTAIN

    SHARYN McCRUMB / RURAL SINGERS

    JUKE JOINTS BAND QUARTET

    JIM MORRISON / ROLLING STONES

    RAGTIME

     

    Bogert back (to where you one belonged)

    - Part Two

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    L’histoire de Tim Bogert s’étend sur cinquante ans. Sa durée correspond en gros à celle de l’histoire du rock. Non seulement Timmy fut toujours à la pointe du progrès, mais il réussit à partager avec James Jamerson, la couronne de roi du bassmatic américain. Si à une certaine époque, disons en 1967 ou 1968 on écoutait le Vanilla Fudge, c’était surtout pour entendre ronfler la basse de Timmy. Jack Bruce, John Entwistle et Timmy sont à l’origine de nombreuses vocations de bassistes.

    Manque de pot, la seule fois où on a pu voir le Vanilla Fudge sur scène (au Divan du Monde en 2014), un certain Pete Bremy remplaçait Timmy dans le groupe. Mais les trois autres Vanilla étaient en rendez-vous et quel rendez-vous ! On aurait cru voir des vampires, tout de noir vêtus, aussi chevelus qu’en 1967, mais le moindre cheveu blanc, et pas la moindre trace non plus de baisse de régime, ils enfilent les hot blasts comme des perles, «Ticket To Ride», «Some Velvet Morning», «Season of The Witch», «Take Me For A Little While», «Eleanor Rigby», «Bang Bang», «People Get Ready» et «Shotgun». Une pétaudière épouvantable. Un mystère aussi épais que celui de Toutankamon. Mais comment font ces mecs pour jouer aussi fort et aussi bien cinquante ans après leur âge d’or ? This is the Vanilla Fudge baby, et on n’ose même pas imaginer ce que serait devenue cette pétaudière avec Timmy sur scène. Dès le début, ces New-yorkais mettaient un point d’honneur à sonner comme des titans. Ils inventaient le rock titanesque dont vont s’inspirer des gens comme Dave Wyndorf ou Jaz Coleman.

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    On retrouve leur cover extatique de «Ticket To Ride» sur leur premier album sans titre, Vanilla Fudge, paru en 1967 sur ATCO. Ils battaient aussi en neige du Kilimandjaro une reprise du «Take Me For A Little While» de Dusty chérie, alors ça montait, ça montait et soudain Timmy stoppait tout d’un gigantic break de basse. S’ils reprenaient le «She’s Not There» des Zombies, c’était surtout pour se livrer à quelques dérives expérimentales, une manie que Timmy n’allait plus cesser de développer. En B, ils tapaient dans les Supremes avec «You Keep Me Hanging On», version suprême noyée d’orgue et de gras double que Timmy venait bombarder de notes de basse. Et là on a compris : Timmy allait devenir LE bassman le plus aventureux des Amériques, aussi aventureux que l’était Jeff Beck sur sa guitare. En 1967, Timmy portait des lunettes à montures d’écaille, comme celles de Woody Allen, et il allait tout au long de son histoire conserver ce look de binoclard, avec les cheveux un peu plus longs. Il allait aussi former avec Carmine Appice l’une des meilleures sections rythmiques de l’histoire du rock. Ce n’est pas un hasard si Jeff Beck enregistre un album avec eux.

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    Avec les deux albums suivants, Renaissance et The Beat Goes On, le Fudge allait prendre des risques inconsidérés. Ils viraient un peu prog et semblaient s’égarer dans le son. On ne sauvait qu’un seul cut sur Renaissance : «That’s What Makes A Man» et en B, Vinnie Martell tentait de sauver «Faceless People» en grattant du gras sur sa Les Paul.

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    The Beat Goes On sonnait comme l’album des premiers de la classe. Ils tapaient dans «Hound Dog», les Beatles et «The Beat Goes On» de Sonny & Cher, mais tout cela était découpé en rondelles de saucisson pour un résultat baroque et tragiquement anti-commercial. En fait, ils proposaient une histoire de la musique à travers les âges, passant du ragtime des années 30 aux élans classiques de «La Lettre À Élise», dont visiblement Mark Stein était fan. Le Fudge pouvait TOUT jouer. Et mieux que quiconque. Mais ce n’était pas ce qu’on attendait d’eux. On voulait de la viande. Du shuffle fumant et du gros gras double. Du rock de titans.

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    Il allait arriver avec Near The Beginning. C’est là qu’on trouve «Shotgun», l’archétype du rock des titans, avec ce chaos de bassmatic, ce shuffle hugolien, ce gras double, ce pounding de galère phénicienne et ces chœurs extravagants qui s’en vont télescoper le bassmatic en folie de Timmy. «Shotgun» est une source inépuisable d’explosivité, d’hystérie collective et de relances indécentes. C’est l’apanage du Fudge. S’il fallait emmener un seul morceau du Fudge sur l’île déserte, ce serait «Shotgun». C’est aussi sur cet album qu’on trouve la cover du fameux «Some Velvet Morning» de Lee Hazlewood. Bienvenue au paradis sur terre, le Fudge plonge Lee dans un bain d’excellence. Cette mer de nappes d’orgue s’ouvre comme la Mer Rouge pour laisser passer le dogme qui s’en va rejoindre les cimes. Avec cette version, le Fudge atteint l’extrême clarté de la pureté. La voix de Mark Stein se réduit à sa plus simple expression : un filet harmonique ténu et douceâtre.

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    Paru en 1969, leur dernier album s’appelait Rock &Roll. Rien qu’avec la pochette et ce titre en Futura ultra-bold rouge sur fond blanc, on croyait tenir en main le plus gros disque de rock américain de tous les temps. Au dos, on les voyait tous les quatre photographiés sous des néons, une scène qu’on croyait sortie d’un bad trip d’Abel Ferrara. Et pouf, Timmy commençait par secouer le cocotier de «Need Love», il recréait son cher empire du chaos et bien sûr ça screamait dans tous les coins. Mais la suite de l’album retombait comme un soufflé. Malgré son soul-punk blow in the face, son big blast de bass dans le bide et son harsh break down in the guts, «Street Walking Woman» allait perdre son âme dans des accalmies. Ces enfoirés jouaient avec nos nerfs. Ils sauvaient leur B avec une reprise héroïque de «The Windmills Of Your Mind», une compo géniale de Michel Legrand, monstrueusement bien chantée par Mark Stein, grand amateur de moulins devant l’éternel. À travers ça, le Fudge nous faisait bien comprendre qu’il ne recherchait pas le succès commercial, oh la la pas du tout. Ils n’avaient de goût que pour l’explosivité et le télescopage. Sur tous les cuts de l’album, ce démon de Timmy veillait à claquer des trilles de notes en permanence.

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    Avant de devenir une glace à la vanille, Mark, Timmy et Vinnie (Carmine n’était pas encore là) s’appelaient les Pigeons. Les fans connaissent cet album de reprises paru en 1973 sur lequel on trouve «Midnight Hour» (version swing), «Upset The People» (Charles & Inez Foxx) et «Mustang Sally» (summum de la décontraction).

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    Paru en 1984, Mystery est l’album de la première reformation du Fudge. C’est une catastrophe. Son bien propre sur lui, limite diskö. L’époque veut ça. On ne sauve qu’un seul cut, la reprise du «Walk On By» de Burt, rendu célèbre par Dionne Warwick. On y retrouve le soutien logistique qui fit la grandeur du Fudge.

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    Le groupe se reforme une deuxième fois en 2004 et nous balance un brillant album intitulé The Return. Bill Pascali remplace Mark Stein au chant et à l’orgue. On retrouve le légendaire power du groupe dès «Ain’t That Peculiar» et la flash guitar de Vinnie Martell. Pour ce retour en force, ils rejouent les reprises de leurs débuts, avec encore plus de punch, comme si c’était possible ! «You Keep Me Hanging On» monte vite en température alchimique, l’énormité Motown se transmute en énormité à la vanille. Ah si Paracelse pouvait voir ça ! La mélodie des Supremes reçoit des coups de boutoir. On croise aussi une version dévastatrice de «Shotgun». Bill Pascali la prend au raw d’under the belt. Retour au rock des titans. Ils lèvent des vagues géantes de shuffle. Ils dégagent les bronches des dieux. Et ils donnent le coup de grâce avec «Take Me For A Little While», ce heavy Motown sound qui est la marque jaune du groupe. Génie à l’état pur. C’est au-delà du langage. Ils lâchent aussi une version définitive de «Good Lovin’», il y coule des solos de lave, c’est l’archétype du hit ultime et asphyxiant. Cette version de «Need Love» sonne comme une déclaration de guerre totale, sans aucun espoir de retour à la paix.

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    Les fans du Fudge connaissent aussi cet album live enregistré en Allemagne, Good Good Rockin’. Bill Pascali remplace Mark Stein et Teddy Rondinelli Vinnie Martell. C’est donc une moitié de Fudge. Carmine et Timmy préservent le nom, comme l’ont fait Russell Hunter et Duncan Sanderson pour les Pink Fairies, ou Billy Talbot et Ralph Molina pour Crazy Horse. Cet album live permet de renouer avec l’urgence sonique d’antan. Souvenons-nous que ces princes de la démesure mirent à bas bien des basiliques. D’entrée de jeu, «Good Good Lovin’» défonce la rondelle des annales. Comme Blue Cheer avec leur album live enregistré au Japon, le demi-Fudge nous plonge dans la fournaise. Avec «Take Me For A Little While» et «Shotgun», on est rôti comme une merguez oubliée sur un barboque. Ils sont encore plus pharaoniques que le roi. Timmy et Carmine défoncent tout sur leur passage. Ils fondent les grumeaux, ils rasent les montagnes. L’ange Pascali pose sa voix au sommet d’une machine de guerre, certainement la plus puissante du monde. Avec ces mecs-là, tout n’est que luxure, clash et volupté. Ils plongent comme des crabes ivres de liberté dans la bassine d’huile bouillante. Ils se rient de tout, surtout des métaphores. On les croit grillés dans l’huile, mais non, ils nagent ouvertement, ils font des brasses expiatoires dont la mesure échappe à toute logique. Bill Pascali descend à la cave chercher son guttural. Et pour «Shotgun», Carmine ramène son beat d’Odin et tout s’écroule. Ce punk blast n’existe pas ailleurs, inutile de perdre ton temps à chercher. Carmine le vital blaste ses fûts dans une chaleur d’étuve. «Shotgun» s’élève comme une masse impérieuse, comme l’un des plus gros cataplasmes de l’histoire du rock. S’il est un cut à la fois mirifique et épique, c’est bien «Shotgun». Timmy envoie des giclées dans tous les coins, ça n’en finit plus d’exploser. Puis ils lancent un nouveau raid kamikaze sur «She’s Not There», et là, désolé d’avoir à le dire ainsi, ça devient indécent de puissance voluptueuse. Dommage que les cuts soient si longs - six à huit minutes - mais n’est-ce pas le temps qu’il faut à un monstre pour sortir de sa torpeur ? Difficile de répondre à ça, car très peu de gens peuvent témoigner. Une fois le monstre réveillé, il chope sa proie dans la seconde.

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    En 2007, la formation originale du Fudge entrait en studio pour enregistrer Out Through The In Door, un tribute album à Led Zep. En bon titans, ils font une version titanesque d’«Immigrant Song». Le «Ramble On» qui suit n’est pas bon, mais bons princes, ils le transforment en groove énorme. Mark Stein envoie des nappes qui balayent tout. Il traîne le petit sucre d’orge de Led Zep par les cheveux jusqu’au sommet de la Soul. Une fois de plus, le miracle s’accomplit : la Soul blanche se fond dans le grand rock américain. Difficile de faire mieux. Ils doivent être les seuls à opérer à cette altitude. On s’en souvient, «Dazed and Confused» est l’un des sommets du premier Led Zep. Mark Stein le tient par la barbichette. Timmy coule un énorme bronze de basse. «Dazed and Confused» sonne comme un chef-d’œuvre prodigieusement désespéré. Mais Mark Stein ne cherche pas à faire son Plant. Il vise le punch. Et puis voilà qu’arrive le fameux pont où Jimmy Page joue de l’archet. Ensuite la machine se remet en route, sauf que chez le Fudge, la machine est une machine de guerre capable de rivaliser avec les Famous Flames ou le Family Stone de Sly. Rien que pour ce redémarrage de folie, l’album vaut d’être rapatrié. L’autre sommet du Led Zep 1, c’est bien sûr «Baby I’m Gonna Leave You», un cut si parfait qu’il est intouchable. Mais pas intouchable pour Mark Stein qui prend doucement son envol. Il sait qu’il s’attaque à un morceau parfait, il ne grimpe pas dans les aigus. Il reste bien au sol. Il chauffe à sa façon. Comme il dispose d’une voix de grand décideur, aucun couplet ne peut lui résister. Un solo de guitare donne le signal de l’envolée, mais le hurlement attendu brille par son absence. La version reste épaisse, infiniment moins fine que l’original, mais elle a des qualités intrinsèques - walking through the park/ every day ! - Dommage qu’ils n’aient pas tapé dans «Communication Breakdown» ou «Since I’ve Been Loving You». Vinnie Martell prend le chant pour une version cocasse de «Rock’n’Roll». Il monte très haut pour retrouver le chant hurlé de Robert Plant - Houllière ! Houillère ! - C’est la bande-son de Germinal. La version est solide, pleine de vox et d’Hammond. «Your Time Is Gonna Come» vient aussi du premier Led Zep. Cette reprise est une bénédiction. Mark Stein y tortille son chant de manière subversive. Il en fait un gospel dantesque et la grande machine de guerre se remet en route. Basse en folie, nappes d’orgue, démolition doll beat, ces gens-là n’ont plus rien d’humain.

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    Le dernier album du Fudge s’appelle Spirit Of 67 et paraît en 2015. Ils nous refont le coup de l’album de reprises. Ils sont certainement le meilleur groupe de reprises du monde, et ils savent choisir les morceaux. La preuve ? «I Heard It Through The Grapevine» qui vire à l’énormité d’entrée de jeu. Stein noie ça d’orgue. Carmine tend bien le beat. Nos vieux héros tapent dans les vieux hits des sixties pour en faire des montagnes effarantes et le vieux Vinnie part en solo. Ils tapent aussi dans l’«I Can See For Miles» des Who. Ils le tremblent à outrance et le noient dans une purée d’orgue dévastatrice. Puis ils tapent dans le «Break On Through (To The Other Side)» des Doors, mais ils ne peuvent pas les surpasser, car c’est impossible. La version du Fudge est trop arty, trop orientalisée. Vinnie sauve le cut de la faillite avec un solo fabuleux. Sais-tu que Vinnie Martell n’est jamais cité dans les classements des 10 meilleurs guitaristes de rock ? Les gens préfèrent Clapton, Brian May et David Gilmour, alors t’as qu’à voir. Le Fudge tape ensuite dans le vieux «Tracks Of My Tears» de Smokey Robinson et en fait de la charpie de heavy Soul. C’est eux qui ont inventé ce genre très particulier. S’ensuit une reprise terrible d’«I’m A Believer» qu’ils traitent à la heavyness apoplectique. C’est plombé comme un ciel d’orage. Impossible d’échapper à la colère de dieux. La mélodie appelle au secours. Stein la noie dans ses nappes et Carmine lui brise les reins. Ah les brutes ! Et ce n’est pas fini, car Vinnie part en solo fantôme. Ils tapent aussi dans «Gimme Some Lovin’». Ça leur va comme un gant. Vinnie chante ça d’une petite voix de nez, avec une sorte de prégnance intrinsèque - Awite, uh - Les copains le suivent dans la brèche et enfournent le souffle d’une déflagration nucléaire. C’est là que Vinnie part en solo coulant, fuyant, hors du temps, killer oui, mais à la revoyure du no way out. Ces mecs ont toujours eu le génie du son. Ils sont dans l’implacabilité des choses. Ils tapent aussi dans Buffalo Springfied avec «For What It’s Worth», idéal pour le heavy pathos à la petite semaine. Il y a des gens qui adorent ça. En plus c’est embarqué sur le tard par des dynamiques extraordinaires. Ah pour ça, on peut leur faire confiance. Ils finissent avec un «Ruby Tuesday» bombardé au heavy sound, pas de surprise, et une version superbe d’«A Whiter Shade Of Pale». Le Fudge plonge avec délectation dans le dandysme britannique de vestes brodées et de moustaches poudrées. Il faut voir tout le son qu’ils ramènent, des tonnes de son ! Du coup, ça s’élève et ça s’arrache du sol. Ils vont trop loin. Gary Brooker serait pétrifié à l’écoute de cette horreur grandiloquente. Le Fudge blaste le refrain au turbo-compresseur et Mark Stein envoie de gigantesques nappes de shuffle qui noient celles de Matthew Fisher. Quand le Fudge débarque en ville, les classiques s’enfuient en courant.

    Lorsque s’achève la premier époque du Fudge en 1969 avec l’album Rock &Roll, Timmy et Carmine décident de monter le premier d’une longue série de super-groupes : Cactus.

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    Si tu collectionnes les grands albums de rock américain, n’oublie surtout pas le premier Cactus. Cette bombe atomique s’appelle tout bêtement Cactus et fut larguée en 1970. Diable, comme on a pu la vénérer cette petite bombe. Pas de pire démarrage que celui de Carmine dans «Parchman Farm». Appelons ça le beurre infernal. Il bat l’imbattable. Et l’ex-Detroit Wheels Jim McCarty coule littéralement de source. Ils sont tous les quatre terrifiants de power. Avec Cactus et Motörhead, on a fait le tour. Hélas, ils abîment leur bal d’A avec deux horreurs et sauvent les meubles in-extremis avec «You Can’t Judge A Book By The Cover». Fantastique fourvoiement, c’est chauffé à l’harmo avec des fous derrière, et Rusty fait son rintintin, ils sont mille fois plus incendiaires que ne le fut jamais Led Zep. Peut-on rêver meilleure giclée dans l’œil ? Non. Le petit préféré se trouve en ouverture du bal de B : «Let Me Swim», amené au tah tah poum Carminé et vite riffé par McCarty, le tout télescopé par Timmy et ses tiguilis de bas de manche, alors oui, c’est l’apanage du cheval blanc, le boogie américain le plus dévastateur qu’il soit permis d’imaginer, allumé à l’Oh yeah Rustyque, pas de meilleur boogie down ici bas. On voit même Timmy partir à contre-courant du solo de guitare. C’est d’une rare puissance trismégiste. Dans «No Need To Worry», McCarty fait son Jimmy Page, il joue au volubilisme vertigineux, perché à la note de revoyure. Ils tapent ensuite «Oleo» au heavy boogie rock de Cactus overdrive. Ils font le show tous les quatre, chacun dans son coin et tous ensemble, comme les Who, avec au cœur de la fournaise un solo de basse de Timmy qui vaut tout l’or du Rhin. Ils terminent avec la bonne grosse ambiance de «Feel So Good». McCarty sort des accords jazz incendiaires qui secouent les colonnes du temple, c’est le roi du heavy shaking de sonic blast et les démons cornus et poilus qui l’accompagnent ne font qu’aggraver les choses. It’s awite !

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    L’année suivante paraît Restrictions. On les cherche partout les restrictions, mais il n’y en a pas. Timmy embarque le moreau titre au glou-glou de bas de manche. Ça chante au pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette et McCarty part en vadrouille, alors que font les autres ? Ils tambourinent à la folie Méricourt. Voilà en gros ce qui se passe sur un album de Cactus. Ils rajoutent en plus des dynamiques de chœurs traînards, alors t’as qu’à voir. En 1971, ces mecs étaient les rois du monde. Leurs descentes d’organes sont terrifiantes. McCarty prend feu et Timmy dérape dans des flaques de chœurs, c’est un moment d’éternité. Il faut bien se rendre à l’évidence : Cactus est l’un des gangs les plus violents d’Amérique. Leurs explosions de chœurs sont stupéfiantes. On y décèle des échos de Jack Bruce dans Cream, «Tales Of Brave Ulysses» ou «Swlabr». Aw my Gawd, quel big bang ! Cart + Timmy + Carmine, ça ne pardonne pas. McCarty joue à la vie à la mort, poursuivi par Timmy et Carmine. Ils attaquent leur B avec «Evil». Timmy le pulse au bubblegum de bassmatic. Cette fois, il vole le show. Il joue aussi en contrefort des accords vinaigrés de Cart dans «Sweet Sixteen» qui vole le show à son tour, il joue à l’insistance du paramedic. Et voilà un «Bag Drag» contrebalancé dans un bourbier de heavy boogie down. Cart démolit ça à coups de revienzy oh-riffique - Oh what a drag - et Rusty chante à l’argh arrache, aw what a baaad drag !

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    Malgré sa pochette qui ne ressemble à rien, One Way Or Another est un superbe album. En 1971, «Big Mama Boogie Pt 1 & 2» frappa bien les imaginations. Cactus amenait ça au boogie d’harmo, dans l’esprit Little Walter et ça virait Deep Southern shuffle. Puis ils embarquaient le Pt2 au Cactus stomp et là, attention à Boogie Mama ! L’autre point chaud de l’album s’appelle «Rock’n’Roll Children». Ils étaient sur le pont tous les quatre et développaient vite leur business. Timmy se baladait dans le son avec une liberté totale, il incrémentait des notes et encapsulait ses triplettes de Belleville. En gros, il broutait la motte du son. C’est lui qui raflait encore la mise avec le morceau titre en B. Carmine et lui terminaient l’album de façon explosive avec cette espèce de funk-rock à la Cactus. Comme le Vanilla Fudge, Cactus était un phénomène unique. Ils tartinaient du pathos de dynamiques et avaient avec Rusty un excellent shouter. Timmy bâtissait en permanence un empire dans le son. Rusty Day chantait «Long Tall Sally» en criant comme une folle. Il méritait franchement d’être enfermé. Mais les autres ne valaient pas mieux : Carmine tapait comme un sourd et Timmy roulait tout dans sa farine. «Hometown Bust» nous permettait enfin de comprendre une chose essentielle : ces quatre mecs savaient enfoncer un clou dans un crâne. Tout sur cet album tient bien la route. Beaucoup trop bien.

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    Comme le Rooster a tourné avec Cactus aux États-Unis, Timmy et Carmine on repéré Frenchie. Et le jour où il leur faut remplacer Rusty Day, ils font appel à lui. Frenchie rejoint donc Cactus en 1972 pour enregistrer Ot ‘N’ Sweaty. Un nommé Werner Fritzschings remplace le mighty Jim McCarty et dès le «Swim» d’ouverture de bal d’A, on se reprend une giclée dans l’œil. Le Werner en question est bon, mais pas aussi bon que Cart. Bon, alors les voilà repartis dans leur boogie hot & sweaty, c’est très cousu de fil blanc, pas de surprise. On perd un peu la niaque du premier Cactus qui était on s’en souvient un petit chef-d’œuvre bombastique. Le cut de Frenchie qui ouvre le bal de la B est très intéressant. Il s’appelle «Bad Stuff» et sonne très Jeff Beck Group. C’est un beat têtu comme une bourrique qui va son chemin de Bad Stuff, hey ! On se calera l’estomac avec un «Bedroom Mazurka» bien joué, monté sur un joli beat pulsatif et chanté à l’Anglaise. C’est dingue ce que Frenchie amène dans le jus de Cactus. On croirait entendre les Faces avec la folie du team Appice/Boggert en sur-couche. Excellent ! Frenchie montre encore les dents avec «Telling You». Il se fond idéalement dans le Cactus.

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    Pendant que Timmy & Carmine font les cons dans Cactus, Mark Stein monte Boomerang pour enregistrer quelques belles pièces de heavyness. Dès «Juke» on est saisi par la puissance démoniaque du groupe. Le cut se noie dans les bonnes vieilles guitares seventies et Mark Stein tient tout ça à l’orgue. Stein ne stipule pas, il joue. Il passe ensuite au balladif avec «Fisherman». Eh oui, Mark Stein va au balladif comme d’autres vont aux putes. Il sait admirablement bien gérer un balladif. Il en comprend l’essence et la distance. C’est un excellent maraudeur. On ne se lasse pas d’entendre sa voix écarlate pleine d’échos du soleil couchant. Mark Stein est un soul man à la new-yorkaise, toujours dressé on the fringe of chaos. «Hard Times» confirme l’excellence de l’album. C’est plein d’allant, teinté de folk et tapissé de shuffle d’orgue. Avec «Mockingbird», il invente la heavyness des enfers du paradis. C’est le son dont rêvent tous les romantiques en haillons. On se croirait presque chez le Fudge, mais il manque les télescopages de Timmy et les coulis de Vinnie Martell. Encore une perle noire avec «Cynthia Ferver» : on y entend un solo malin comme un crocodile du Nil. Pure merveille que ce dernier cut qui s’appelle «The Peddler». C’est onctueux et bardé de son, de ponts et de dons. Ça n’en finit plus d’exacerber les notules. Le nommé Rameriz part en coulée de solo et obtient les faveurs du géant Stein, le maestro vanillé, capitaine de l’un des groupes phares de l’âge d’or du rock américain. Oui, ils savent dépiauter l’arbalète, ils savent ériger un bye bye d’hymne de Peddler.

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    Lorsque s’achève la première époque de Cactus, Timmy et Carmine s’acoquinent avec le meilleur guitariste de rock anglais, Jeff Beck. L’album qu’enregistrent Beck Bogert & Appice en 1973 n’a pas de titre. Pas non plus de pochette. On les voit tous les trois au dos, heureusement. Il est important de savoir que Don Nix produit l’album. C’est en gros le même cas de figure qu’avec West Bruce Laing : un album de surdoués en forme de pétaudière, un sabbat dont les acteurs ne seraient pas des sorcières mais des fous géniaux. Il faut entendre Timmy se balader dans le son de «Lady». On croit tous que Jeff Beck est le virtuose, mais non, c’est Timmy. Il pétarade et il télescope, il joue dans tous les coins et dans tous les sens, il fout le souk dans la médina. Le chant évoque celui de Jack Bruce. C’est Carmine qui chante. Il chante aussi l’«Oh To Love You» qui suit. Les harmonies vocales sont dignes de celles du White Album, c’est dire si. Une vraie merveille. Et puis voilà la première bombe : une cover de «Superstition» que chante Timmy. Version heavy et délectable, farcie de power comme une dinde de Noël. Non, il n’existe décidément pas de meilleure section rythmique sur cette terre. C’est monté aux harmonies vocales et bombardé au bassmatic invétéré. Jeff Beck joue comme Jimi Hendrix au Vietnam, il arrose la jungle de napalm. En B, ils passent en mode Southern rock avec «Why Should I Care» que chante encore Timmy. Puis avec «Lose Myself With You», ils glissent dans une excellence qui n’en finit plus d’exceller. C’est encore plus fin que le Fudge. Timmy chante ça au chat perché. Un juste équilibre semble s’installer entre les trois Béhémoths. Nouveau shoot d’exemplarité du power trio avec «Livin’ Alone», joué au meilleur boogie blast de super bowl. Quel festin de power ! Il faut voir comme leur beat balance bien, il semble même élastique, quasi-caoutchouteux, comme une bite au printemps, alors pour Jeff c’est du gâteau. «I’m So Proud» confirme la tendance globale, celle d’une qualité d’album exceptionnelle. On comprend que ces trois-là se soient acoquinés. Et d’ailleurs, chaque fois qu’on retrouvera le team Timmy/Carmine ce sera la même chose : qualité d’album exceptionnelle. On l’a vu avec Vanilla Fudge, Cactus et dans tous les plans que Timmy va monter dans l’avenir.

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    Trente-cinq ans après Ot ‘N’ Sweaty, Cactus refait surface avec Cactus V. Tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’il s’agit d’une bombe atomique. Et ce dès «Doing Time», amené au heavy boogie down. Cart hante le son. Le chanteur s’appelle Jimmy Kunes et, comme le disent si élégamment les Anglais, he sings his ass off. Voilà du big sound de non-retour, celui dont rêvent toutes les générations de rockers de banlieue. Aw, il faut voir le furet Cart partir en killer goguette. On dirait qu’il a fait ça toute sa vie, alors schlouf ! C’est claqué au plus haut niveau de l’état. Quand un mec comme Cart ouvre le bal au heavy riff, c’est du gâteau pour le chanteur. Jimmy Kunes chante son «Muscle & Soul» à la belle insidieuse, she knocked me flat, on veut bien te croire, Kunes, et ce démon de Cart part en solo greasy, en shoot supérieur de sleazy bang, il traîne bien ses notes dans la boue. Et Timmy dans tout ça ? Oh il est juste derrière, il joue ses atonalités dans un coin. S’ensuit un «Cactus Music» bien embarqué pour Cythère. Timmy hoquette derrière et va fureter dans ses triplettes de bas de manche. Cactus serait donc le groupe de rock le plus powerful d’Amérique ? Oui, sans aucune doute, avec Vanilla Fudge. Ce qui ne surprendra personne, vu qu’ils ont la même section rythmique. On ne se lasse pas de voir ce démon de Cart partir en vrille de non-retour, il est dans l’énergie de la vague, comme le fut avant lui Jimi Hendrix, il crée du jus en jouant, c’est très spectaculaire. Il repart même une deuxième fois. Cart fait le show dans tous les cuts, il se balade dans le boogie d’harmo de «The Groover» comme un affreux virtuose sans foi ni loi. C’est simple : on attend autant de sauvagerie de la part de Cart que de celle de Ron Asheton. Ils sont de la même école : Detroit. On voit encore Cart planer comme un vampire au dessus de «High In The City» et il revole un show déjà bien volé avec le heavy blues de «Day For Night». Il faut dire que Cart a du pot d’avoir Carmine et Timmy derrière. Voilà donc le big heavy blues de Cactus. Cart craque ses notes à la bloblotte, c’est magnifique. En matière de fast boogie blast, ils n’ont pas perdu la main, comme le montre «Living For Today». Ils sont incapables de la moindre retenue. Par moments, Kunes gueule un peu et mord le trait, dommage. C’est Cart qui fait le son. Il fonce en permanence. Il nous fait la grâce d’un killer solo flash dans «Electric Blue», heavy on the rocks comme un Martini de coyote. Ah les vrilles de Cart, on n’en finirait plus de les célébrer ! Cart rôde dans le son comme un requin en maraude, pendant que Carmine bat tribal - you are the singer, you are the song - et Cart part en vrille de suraigu d’accès total, il vrille à la renverse dans un abîme sonique. Cet album n’en finit plus d’exceller. Retour à la big heavyness avec «Part Of The Game», somebody help me ! Ils nous plongent dans le chaos du heavy blues de l’ère psychédélique et c’est fameux ! Une vraie merveille arachnéenne, pleine de climats changeants, gorgée de venin sonique, Carmine tente de juguler les tubulures, mais c’est compliqué, alors il bat à la folie et ça devient la pire des énormités qui se puisse imaginer ici bas. Et tout explose à nouveau avec «Gone Train Gone». Ce délicieux chanteur qu’est Kunes s’écroule dans les flammes, Carmine et Timmy sont les dieux du feu. Cactus n’est rien d’autre qu’un ramassis de dingoïdes faramineux. Ils terminent cet album somptueux avec «Jazzed» qui sonne comme un défi. Eh oui, ils se mettent à jazzer, ils bouffent le jazz à leur façon. Cart jettent les dés du jazz, il est écœurant d’aisance et du coup, Timmy et Carmine chopent le mythe du jazz-rock et le clouent tout sanguinolent à la porte de l’église. Voilà le travail.

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    L’histoire de Cactus ne s’arrête pas là. Le groupe refait surface en 2016 avec Black Dawn. On y retrouve l’excellent Jimmy Kunes. Timmy ne joue pas sur cet ultime Cactus, un certain Peter Berry le remplace. Donc on l’écoutera principalement pour Cart.

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    Par contre, Timmy est bien sur l’excellent Cactus Live, un concert filmé New York en 2007 et donc dispo sur DVD. On ne peut pas se lasser de revoir ces mecs jouer : on a longtemps considéré Cactus comme des bourrins, mais c’est une erreur, ils sont la suite logique du Vanilla Fudge et des Detroit Wheels, rien à voir avec les bourrins du hard. Comme Motörhead, la presse a voulu en faire un groupe de hard. C’est exactement le même malentendu. Ni Cactus ni Motörhead n’ont jamais trempé dans le hard. Ce sont des groupes de power rock, ce qui n’a rien à voir et certainement les meilleurs du genre. On le comprend mieux quand on voit Cart faire son Béhémot sur sa Les Paul noire, Carmine exploser d’ultra-présence subterranean et le vieux pépère Timmy claquer ses microdots des dix doigts. La vieille démesure du Vanilla Fudge est toujours là, minus l’orgue Hammond. Timmy continue de pulvériser ses volées de notes à la croisée des chemins, pas ceux de Vinnie Martell, mais ceux de Cart. Et bien sûr, l’excellent Jimmy Kunes chante son ass off. C’est le seul chanteur américain qui puisse égaler Rod The Mod. Il fait même le con avec son pied de micro comme le fit jadis Rod The Mob, au temps des bas-fonds de Chicago. Kunes se montre même plus juteux que Rusty Day sur «Let Me Swim», un Swim idéal pour ce batteur des galères qu’est Carmine, wow, il faut le voir battre à la lourde, il passe à la cadence d’éperonnage. Dans le feu de l’action, l’excellent Jimmy Kunnes amène un jus considérable à cette machine infernale. Grâce à lui, Cactus tient toujours debout, depuis la mort de Rusty Day. Ils dédicacent d’ailleurs «One Way Or Another» au pauvre Rusty Day qui, tu t’en souviens, fut abattu de plusieurs rafales de mitraillette lors d’un bad deal de dope. Cette fois, les choses avaient vraiment mal tourné. Mais bon, Cactus continue et c’est un bonheur pour l’œil que de voir jouer Timmy les jambes écartées, comme un vétéran de toutes les guerres. Cart mène le bal des vampires, comme il le fait depuis quarante ans. Idem pour Timmy qui joue la carte de l’ultra-présence. Cart fout le feu à tout, à l’immeuble, à la plaine, rien de nouveau, en fait, lui et Timmy occupent tout l’espace, but after all, c’est Cactus. Cart revient inlassablement, il traîne dans le son à la note dégueulasse, toujours en contrepoint du bassmatic aléatoire de Timmy, qu’on appelle aussi l’aventurier de la basse perdue. Ils pourraient très bien virer hard ou prog, mais non, ça reste du Cactus emblématique. Leur intégrité est intacte. Ils sont intouchables. Dans «Muscle & Soul», Cart prend l’un ces killer solos dont il a le secret, grimaçant comme un diable de grimoire. Il fourbit avec Timmy l’abominable final apocalyptique, Cart le fusille même à la slide, t’as qu’à voir ! C’est dans «Oleo» que Timmy prend son solo de basse. Il joue sur une six cordes et claque tout en harmoniques délétères. Il fait sonner sa basse comme une guitare fuzz. Avec lui, le seul qui sait faire sonner une basse comme une guitare, c’est Jack Bruce, dans un Live At Klook Kleek, au temps du Graham Bond ORGANization. Avec «Evil», ils réveillent tous les démons du That’s evil goin’ on. La bassline de Timmy est un véritable chef-d’œuvre de constructivisme vitupérant. Dommage qu’il y ait ce solo de batterie. Et le festin de son se termine avec «Parchman Farm» et le gimmicking endiablé de Cart. Carmine et Timmy battent la campagne. Pour les plus curieux, un bonus nous montre le groupe dans le backstage : ils jouent deux cuts sur des petits amplis de répète. Carmine bat sur une chaise et l’excellent Jimmy Kunes chante sans micro. Il est important de rappeler que Jimmy Kunes est excellent.

    Signé : Cazengler, Tim Boberk

    Vanilla Fudge. Vanilla Fudge. ATCO Records 1967

    Vanilla Fudge. Renaissance. ATCO Records 1968

    Vanilla Fudge. The Beat Goes On. ATCO Records 1968

    Vanilla Fudge. Rock & Roll. ATCO Records 1969

    Vanilla Fudge. Near The Beginning. ATCO Records 1969

    The Pigeons. While The World Was Eating Vanilla Fudge. Metronome 2001. 1973

    Vanilla Fudge. Mystery. ATCO Records 1984

    Vanilla Fudge. The Return. Worldsound 2003

    Vanilla Fudge. Good Good Rockin’. Music Avenue 2005

    Vanilla Fudge. Out Through The In Door. Escapi Music group 2007

    Vanilla Fudge. Spirit Of 67. Purple Pyramid Records 2015

    Boomerang. Boomerang. RCA 1971

    Beck Bogert & Appice. Epic 1973

    Cactus. Cactus. ATCO Records 1970

    Cactus. Restrictions. ATCO Records 1971

    Cactus. One Way Or Another. ATCO Records 1971

    Cactus. Ot ‘N’ Sweaty. ATCO Records 1972

    Cactus. Cactus V. Escapi Music 2006

    Cactus. Black Dawn. Sunset Blvd Records 2016

    Cactus Live. DVD MVD 2007

     

    L’avenir du rock -

    Le cran des Screw - Part Two

    Comme tous les avenirs, l’avenir du rock n’a ni dieu ni maître. Il vit uniquement selon ses règles et s’adonne à tous les vices. Il adore par dessus tout transgresser. Curieux, gourmand, vénal, il n’est pas l’avenir du rock qu’on imagine, le menton volontaire et les dents d’une éclatante blancheur, non, l’avenir du rock se fond dans le mess around et veille à voir ce qui doit être vu. Il ne se prive d’aucun écart, pourvu qu’il fût jouissif. L’un de ses vices consiste justement à jouir en dehors toute contrainte morale ou esthétique, mais sans se livrer, comme le firent en leur temps les Surréalistes, au rite suranné de l’automatisme psychique de la pensée. L’avenir du rock voit les choses disons plus prosaïquement, il aime à enfiler les cuts comme des culs et à polir en cadence le chinois du beat, il préfère la lie de la terre au lit de la tare, il boit sa coupe plutôt que de battre sa coulpe, il pêche dans le désert plutôt que de prêcher dans un derrière, il préfère s’empêcher de rêver plutôt que de s’épancher en trêves, il libère des gaz plutôt que de gazer des Ibères, il promeut l’excès plutôt que l’accès au meuh, il préfère cent fois donner un gage plutôt que de gager la donne et presser le pas plutôt que de passer après. Il tient surtout à préciser qu’il ne faut pas confondre l’avenir du rock et l’avenir des groupes de rock. Certains groupes n’ont pas d’avenir, mais leur rock peut en avoir un. C’est ça en fait l’avenir du rock.

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    C’est le cas de Bubblegum Screw, un groupe basé à Londres qu’on découvrit en 2014, dans un bar havrais. Bubblegum Screw s’appelle désormais Neon Animal et la parution de leur nouvel album servira en fait de prétexte à saluer la mémoire de Laurent, un compagnon de route disparu en début d’année, qui à l’époque flasha sur les Screw, au point d’aller acheter leur T-shirt après le concert. Rien de moqueur là-dedans, Laurent avait le bec fin et un goût prononcé pour ce genre de groupe qui avait pour double particularité d’être excellent sur scène mais de n’avoir aucun avenir. Nous n’étions tout au plus qu’une dizaine dans le bar. Comme les gens qui étaient là, nous savions que la prog de l’Escale était exceptionnelle, au moins autant que pouvait l’être celle du Ravelin toulousain, au temps de Gildas. Alors que les toulousains affectionnaient les groupes gaga-punk, l’Escale jetait son dévolu sur la scène glam-punk anglaise.

    Quelle hécatombe, quand on y pense ! Des quatre noms cités, seul le Ravelin a survécu.

    Rien n’est plus excitant qu’un bon groupe de glam-punk. Comme les DeRellas, Kevin K, D-Generation, Silverhead, les Dogs d’Amour, les Hollywood Brats, les Richmond Sluts, les Anglais de Bubblegum Screw se réclament des Dolls : peaux de léopard, yeux soulignés au khôl, tattooos, tignasses en liberté, ceinturons à clous, platform boots, son bien gras, big beat et chœurs d’artichauts. Le chanteur s’appelle Mark Thorn. Il ressemble de façon troublante à David Johansen. Sur scène, il évoque aussi le Jagger de 1965 et l’Iggy de 1969. Il trépigne et arrose de sueur l’unique rangée de spectateurs pétrifiés. On voit rarement un type gesticuler avec autant de hargne sur une scène. Il est tellement surexcité qu’il martyrise le peu d’ustensiles laissés à sa disposition : le micro, le câble de micro et le pied de micro. Il saute, se cabre, hennit, frétille, ahane et s’ébroue. Il fait tout ça très bien dans le feu de l’action, mais ce qu’il fait le mieux, c’est chanter. Il a le même genre d’énergie que David Johansen. Il ne dispose pas du même registre vocal, c’est sûr, mais sa voix tient admirablement la route. Il sait se placer au dessus du chaos des guitares. Il est à la fois dollsien, stoogien et stonien. Franchement on se demande pourquoi ce mec n’est pas déjà en couverture de Rock&Folk. On croise rarement des glamsters de son acabit. Sur scène, il ne porte qu’un gilet en peau de léopard, un jean ultra-moulant qui a du vécu et des boots de sleazer. Voilà pourquoi Laurent flasha.

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    Ce groupe fut tellement maudit, qu’il ne parvint jamais à signer sur un label. Leurs deux albums sont apparemment auto-produits. Jamais pu mettre le grappin sur le premier. Par contre le deuxième était en vente au merch ce soir-là. Il s’appelle Filthy Rich Lolitas et on le recommande chaudement aux amateurs de glam-punk. Beau clin d’œil à Nabokov, «Lolita» est fait pour se glisser dans ta culotte. Le guitariste nommé Zach Rembrandt profite de cette apologie de la nymphette pour passer un solo scintillant. Autre clin d’œil magistral avec «Tura Satana». Comme les Dustaphonics, Mark Thorn et ses amis rendent un bel hommage à la grande Burlesque Queen - Dressed to kill ! Dressed to kill ! - sur fond de boogie-rock chauffé à blanc. Mais l’hommage le plus spectaculaire de cet album est celui qu’ils rendent aux Stooges avec «Play Some Fucking Stooges». Zach Rembrandt a recyclé les paroles les Stooges que nous connaissons tous par cœur - So messed up when she is there/ In my room rock action’s near/ I burn myself on her record sleeve/ And I’m face to face to that guillotine - Il reprend même les riffs stoogiens les plus connus - Aw c’mon - et du coup cet album devient rudement excitant. On s’en goinfre. Le batteur Seb Frey embarque «Second Class Citizen» au beat des forges et ils bricolent tous les quatre l’une de ces fabuleuses montées en température qui font la grandeur de leur set. Seb Frey bat comme un beau diable. Ils jouent aussi «I Wanna Fuck You So Much It Hurts Me» au rentre-dedans - Fuck you, Fuck you ! - Leur «Cannibal Girl» vaut aussi le détour car ils vont loin dans la débauche énergétique. Leurs deux grands hits sont «Glam Rock Doll» et «Rock And Roll Dream». En tous les cas, ce sont les deux cuts qui percutent le plus sur scène - My little glam rock girl ! - C’est embarqué à train d’enfer. Seb Frey bat ça si sec ! Il bat le beurre punk, mais le punk anglais. Et derrière ça braille - See you next rock’n’roll ! - Justement, voilà «Rock And Roll Dream», joué à l’envolée. Ils deviennent assez monstrueux - You better watch out for the rock’n’roll dream/ You don’t have to stay if you don’t like what you hear - Ça sonne presque comme un hit. Héroïque, Zach Rembrandt relance tant qu’il peut.

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    On avait bien apprécié ce groupe sur scène, mais on voyait bien que leur glam-punk n’intéressait pas grand monde. N’étant pas homme à baisser les bras, Mark Thorn vient de remonter Neon Animal. Grâce à Vive le Rock, on apprend qu’il fait paraître un album, Bring Back Rock’n’roll From The Dead. On le rapatrie aussi sec. Bon, alors cet album a ses qualités et ses défauts : ça démarre sur un «I’m Killing Myself» très stoogy, joué à la raw energy. Ils stoogent leurs power-chords jusqu’à l’os et font illusion le temps du cut. Mais le «Spin» qui suit paraît terriblement inutile. Mark Thorn a beau gueuler Spin, ça ne sert à rien, personne n’est là pour l’entendre. Avec le morceau titre, Mark et ses amis se prennent pour les Hellacopters. Aucun espoir d’avenir. C’est même absurde. Quand tu n’as pas de chansons, t’es cuit, c’est aussi bête que ça. Le disk continue de s’enfoncer avec «Kiss Like Dynamite». Qui va aller écouter ça aujourd’hui ? On croit parfois entendre Stiv Bators, ce qui n’est pas franchement un compliment. Ils ressurgissent du néant composital avec «From Hero To Zero». Mark Thorn sonne comme Iggy. C’est joué dans l’esprit du temps d’avant. Ce mec est bon, mais il arrive beaucoup trop tard.

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    Le deuxième album de Neon Animal vient de paraître : Make No Mistake. Même affaire que précédemment : son gras du bide et un Mark Thorn à l’affût, comme un vieil oiseau de proie. Il chante son «Rock’n’Roll War» à l’emphase glam-punk et le bassmatic tient le cut en haleine. L’avantage est qu’on sait tout de suite où on est : sur l’album d’un groupe qui n’a pas d’avenir mais dont le rock est criant de véracité. Mark Thorn ne fait que perpétuer un art, mais il le fait bien. Ses cuts se suivent et se ressemblent, c’est comme dirait l’autre du déjà vu. Et pourtant ils y croient dur comme fer. C’est bardé de son et le solo descend bien sûr en enfer. Leurs cuts sonnent tous comme des belles dégelées. Ils tombent dans tous les panneaux, les uns après les autres. Dans «Rock’n’Roll Suicide», ils multiplient les dégoulinures de solo, mais c’est précisément ce qui fait leur grandeur, l’héroïsme. Ils sont probablement le dernier groupe capable de ce genre d’exaction. Ils ont le mérite d’exister en ces temps de désintégration et ça vaut d’être salué. Si KRTNT ne le fait pas, qui le fera ? Cet album est une collection de clichés intrinsèques, c’est malheureux à dire, mais c’est hélas la vérité, fuck me baby ! Comme le guitariste joue sur une Les Paul, on entend des solos fabuleux. Si on aime la soupe épaisse, on se régale. Il faut se dépêcher d’en profiter, car après eux, il n’y a plus rien. Mark Thorn chante comme un dieu et il se prête avec «Hello LA» au petit jeu du balladif toxique et c’est absolument superbe. Il se pourrait bien qu’«Hello LA» aille tout seul sur l’île déserte. Mark Thorn explose l’Hello. On retrouve le rebondi riffique des Stooges dans «Raquel» et ils jouent leur dernière carte avec un «Rock’n’Roll War Edit» explosif, alors on les suit jusqu’en enfer. Merci Mark Thorn d’avoir croisé notre chemin.

    Signé : Cazengler, l’eusse-tu screw ?

    Bubblegum Screw. Filthy Rich Lolitas. 2014

    Neon Animal. Bring Back Rock’n’roll From The Dead. Neon Animal 2017

    Neon Animal. Make No Mistake. Cargo Records 2020

     

    Inside the goldmine - Betty à risques

    En débarquant sur ce rivage inconnu, Cabretta de Vaca et ses hommes mirent le genou en terre. Ils déclarèrent solennellement ce territoire propriété du très saint roi d’Espagne. Ils se mirent ensuite en route et pénétrèrent dans une forêt extraordinairement antipathique. En homme avisé, Cabretta de Vaca fit se déployer les arquebusiers de part et d’autre de la petite colonne, de façon à protéger ses flancs. Des flèches tirées depuis le haut d’arbres gigantesques transpercèrent quelques gorges espagnoles, mais ne voulant pas mettre l’expédition en péril, Cabretta de Vaca préféra laisser les blessés derrière lui. Croyant pourvoir effrayer les sauvages, il obligea le sacristain de l’expédition a prendre la tête de la colonne en brandissant un crucifix. Comme le sacristain tremblait de peur, Cabretta de Vaca lui fit crever les deux yeux et lui ordonna, en échange de la vie sauve, de marcher tout droit et de réciter des psaumes, ce qu’il fit sans rechigner. Ils marchèrent ainsi pendant des mois, quittant les zones de forêt tropicale pour entrer dans des zones désertiques, puis de zones vallonnées. Ils convertirent quelques tribus indiennes et décimèrent celles qui refusaient d’embrasser le crucifix que brandissait le sacristain aux yeux crevés. Des guides indiens se joignirent à l’expédition. Ils parlaient d’une cité mystérieuse du nom de niou-orlinne. Comme Cabretta de Vaca avait fait crever les yeux du sacristain chargé de tenir le registre de l’expédition, il dut s’en charger lui-même, car aucun de ses hommes ne savait écrire. Ils n’étaient pour la plupart que des soudards. Cabretta de Vaca restait donc sur ses gardes. Sa survie dépendait uniquement de l’impact de son look de séducteur aristocratique aux joues creuses. Ils traversèrent pendant des mois un immense marécage que les Indiens appelaient bayou. Conçu de toute évidence par le diable, le bayou était infesté de monstres carnivores que les indiens appelaient aligâteaux. Ils arrivèrent enfin en vue de niou-orlinne. Les guides étaient affirmatifs. Si, si, señor, niou-orlinne ! Pouet pouet ! Ils entrèrent dans la cité sans rencontrer la moindre résistance. Ils virent des êtres à la peau noire souffler dans des instruments inconnus. Pouet pouet ! La cité était étrangement construite, par carrés de huttes rococo. Cabretta de Vaca et ses hommes hésitaient à massacrer cette population étrangement pacifique. Pouet pouet ! Il demanda aux guides indiens de lui expliquer la signification du Pouet Pouet. Se moquaient-ils du Christ ? Fallait-il en pourfendre quelques douzaines pour donner l’exemple de la foi ? No, no, señor, niou-orlinne ! Pouet pouet ! Cabretta de Vaca sentait la moutarde lui monter au nez. Pouet pouet ! En passant devant l’une des huttes rococo, il aperçut une très belle femme à la peau noire. Elle se tenait face à la lumière du jour, en position de locus solus. Il demanda aux guides quel était son nom. Ils répondirent qu’elle était la quinne de niou-orlinne pouet pouet !

     

    Historiquement, Cabretta de Vaca fut donc le premier à découvrir Betty Harris.

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    Elle avait 19 ans quand elle découvrit Big Maybelle sur scène à l’Apollo Theater. Fascinée par la chanteuse, Betty alla la trouver dans sa loge pour lui demander comment il fallait s’y prendre pour devenir chanteuse de Soul. Big Maybelle la prit sous son aile. Elle l’emmena en tournée pour lui apprendre les rudiments du métier. Big Maybelle présenta un jour Betty à Solomon Burke et Solomon la présenta ensuite à Bert Berns.

    C’est donc grâce à Bert Berns que Betty Harris est arrivée jusqu’à nous. Bert avait du goût. En effet, dans son studio venaient aussi chanter Erma Franklin, Little Esther Phillips, Lorraine Ellison et Tami Lynn, vous voyez le genre. Et on ne parle pas des mâles ! Bert Berns ne s’intéressait qu’aux gens fabuleux, comme le fit d’ailleurs Phil Spector.

    Un jour Bert lui proposa de reprendre « Cry To Me », un hit de Solomon Burke qu’il avait déjà produit et d’en ralentir le tempo. Bingo ! Betty fit son entrée dans les charts. En 1964, elle partit s’installer à la Nouvelle Orleans et tomba dans les pattes d’une autre monstre sacré : Allen Toussaint. S’établit entre eux le même genre de relation qu’entre Dionne Warwick et Burt Bacharach. Ils enregistrèrent ensemble une petite série de singles magiques et elle se retira du showbiz en 1970 pour élever ses enfants.

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    Alors, évidemment, les collectionneurs de Soul se disputent aujourd’hui les singles qu’elle enregistra entre 1964 et 1970. Une âme charitable eut l’idée de les rassembler sur une compile intitulée à juste titre Soul Perfection qui est aussi devenue inaccessible. Miraculeusement, un petit label australien a réédité le même genre de compile en 2005 sous le titre The Lost Soul Queen. Ouf ! Au moins, ceux qui veulent écouter les singles magiques de Betty Harris peuvent le faire démocratiquement, sans avoir à sortir de leur poche un billet de cent.

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    Très franchement, il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Pour Clive Anderson, spécialiste de la Soul, Betty Harris est «the best soul singer caught on wax today». Mais oui, Betty Harris est une chanteuse atrocement douée et Bert Berns l’avait bien compris. C’est justement le remake de «Cry To Me» qui ouvre le bal compilatoire et il faut voir comme elle hurle dans le slow étouffant de chaleur. À partir de là, on va aller de choc en choc. Monstrueux cut que cet «I Don’t Want To Hear It» - Now you can call me on the telephone - Elle nous fait le coup de la démence de la femme noire émancipée. Féline, elle rôde dans le groove et l’explose. On la sent bien, dans l’ombre, à quatre pattes. Elle fait en fait du Tamla beaucoup plus wild que le Tamla qu’on connaît. Et ça continue avec «The Trouble With My Love», un vieux groove dément plombé par la basse. À se damner pour l’éternité. On songe avec tristesse aux pauvres malheureux qui ne connaissent pas Betty Harris. C’est une barbare, une véritable brouteuse de beat, une blasteuse d’envergure. Elle nous fait plus loin le coup du slow gravement imprégné de péché avec «What Did I Do Wrong». Elle est aussi sensuelle que l’early Tina. Elle culpabilise à outrance et charge sa barque de tout le pathos du monde. Elle attaque ensuite «I’m Gonna Get You» au gros frisson. Elle rattrape ses grooves juste au moment où ils basculent dans le vide. Spectacular ! Encore plus monstrueux : «Mean Man», groove Staxy avec des chœurs qui s’insinuent - Mean man/ He’s a cool man - On n’avait encore jamais vu ça ! Les hits de Betty Harris ont une portée immédiate et universelle. On reste dans l’énormité avec «Hook Line And Sinker» qui va bien au delà de Stax et de Tamla. Elle fait la crème de la crème à elle seule, elle hurle les mains sur les hanches - Baby I love yeahhhh - S’ensuit un solo de cochon. On goûte là l’excellence d’une Soul Sister hors du temps. On reste dans le gros r’n’b avec «Twelve Red Roses». Encore une énormité qui dépasse l’entendement. La Soul de Betty Harris emporte les barrages. Son énergie submerge tout. Elle tape dans le vieux hit de Lee Dorsey, «Ride Your Pony» : voilà le pire truc qu’on puisse imaginer. Betty sucre les fraises du pony et elle redouble d’onomatopées - Now shook shok ! Ride ! Hey hey Hey ! - Les Meters sont derrière et ils dégagent une énergie considérable. C’est pas compliqué : tout est bon sur ce disk. Quand on entend «Sometime», on comprend qu’elle est la plus sexuelle des chercheuses d’or. Elle revient à l’énormité du groove avec «All I Want Is You». Il faut voir comme elle pose sa voix sur le cut. Elle reste terrifiante de classe. Elle finit avec une pure sorcellerie intitulée «Break In The Road», un modèle de beat.

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    Et puis, comme par miracle, elle fit son retour en 2007 avec un album inespéré, Intuition. On croit rêver : l’album est mixé par Jake Burns et Dan Penn ! Inutile d’ajouter qu’il s’agit là d’un album ex-tra-or-di-naire. Tous les morceaux sans exception sont bons. Elle fait un peu sa Tina sur «Is It Hot In Here», mais elle veille au bon niveau de ce shoot de boogie. Elle chante son morceau titre sous le manteau, mais avec une grosse présence. Voilà l’archétype du groove placide que Betty chante d’une voix sucrée. On ressort de ce cut complètement envoûté. Elle tape dans le r’n’b à l’ancienne avec «Still Amazed». Betty a su garder sa voix. Freddie Scott duette avec elle dans «Since You Brought Your Sweet Love» et elle nous sort son timbre le plus âpre. On retrouve Jerry Ragovoy un peu plus loin avec l’une de ses compos, «How To Be Nice». Jerry fut lui aussi très proche d’elle, à l’époque du Brill et des premiers enregistrements avec Bert Berns. Avec «Time To Fly», Betty revient au gros son des seventies et à Bonnie Bramlett. Elle a suffisamment d’envergure pour transformer ce cut en huitième merveille du monde. Jerry Ragovoy joue du piano sur «It Is What It Is», un vieux groove écœurant de qualité. On reste chez les géants de cette terre avec «Need», un hit signé Don Covay. Betty claque le groove comme si elle était la reine de Saba. Elle gronde sous la surface du groove - I don’t need no love - Les hits de Don Covay sont d’une efficacité remarquable, Aretha et Wilson Pickett sont bien placés pour le savoir. Betty ramène tout le ruckus du r’n’b à la vie. On appelle ça un tour de magie. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin de l’album, avec «Tell It To Te Preacher Man», véritable coup de génie, elle bouffe Tony Joe White tout cru et elle finit avec «Happiness Is Mine», énorme r’n’b à la sauce Tamla et elle y va !

    Signé : Cazengler, Betty à manger du foin

    Betty Harris. Soul Perfection. Sansu 1980

    Betty Harris. The Lost Soul Queen. AIM 2005

    Betty Harris. Intuition. Evidence Music 2007

     

    Un certain Sartain

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    Il n’existait pas d’homme plus discret que Dan Sartain. Pour rester en cohérence cette qualité devenue rare à l’âge d’or du m’as-tu-vu, le pauvre Dan a cassé sa pipe en bois dans la plus parfaite discrétion. Pas de vagues, pas de couvertures de magazines. Dan Sartain est resté underground jusqu’au bout des ongles. Dan Sartain lives no more.

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    De son vivant, il évoqua la vie à deux reprises : en 2010 avec Dan Sartain Lives, et en 2012 avec Too Tough To Live. Le petit dépliant qui accompagne Dan Sartain Lives propose une série de portraits d’un Dan plutôt émacié. C’est vrai que les artistes pauvres n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent en Alabama. Il a ce regard hagard des gens qui crèvent la dalle. Mais sur certaines images, il arbore aussi un beau look rockab. Le hit de l’album s’appelle «Voodoo», une espèce de heavy gaga d’Alabama qui laisse baba, assez comique et bien pensé, vraiment excellent. Il est encore plus imparable avec ce «Walk Among The Cobras IV» qu’il ramone au rumble de rockab. On le voit aller chercher l’itchy crampsy dans «Bohemian Grove» - What I expect - Le problème, c’est qu’il va chercher chaque fois un son qui n’a aucune chance. L’album sent la pauvreté. Pourtant il cherche à en imposer, c’est très curieux comme ambiance. Il drive son «Ruby Card» en mode rockab mais avec des effets, il est partout, oh baby doll, il sait rester présent dans le son. De toute évidence, Dan est doué, il ne lui manque qu’une chose : les compos. Il repart en mode rockab sur «I Don’t Wanna Go To The Party». Il est parfaitement à l’aise, Dan est un polyvalent, un homme rompu à tous les arts, rockab, pop, punk, electro, no problemo. Mais c’est son enthousiasme qui frappe le plus, sa bonne nature.

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    Too Tough To Live est un bel album de punk-rock. Il a même deux cuts qui sonnent comme des classiques des Ramones, «Rona» et «Indian Massacre». Il est en plein dans le oh-oh-oh des Ramones, sauf qu’il le fait tout seul. Trois cuts sonnent comme des classiques punk : «Nam Yet», «Swap Meet» et «Fuck F*iday». Il attaque tout ça en mode trash-punk d’Alabama, bien infiltré et solide. Il est dedans, il y croit dur comme fer, il flirte vite avec le génie du punk’s not dead. Dan Sartain est un vaillant guerrier, il ramène du solo d’Alabama dans le punk-rock et ça devient fascinant, quel mélange de genres ! L’énormité de l’album s’appelle «I Wanna Join The Army». Il est marrant, il joue tout à la pulsion et au tressauté, dans l’énergie des soirées glauques et consanguines de l’arrière pays, on l’entend jouer des solos bizarres dans les fourrés derrière la cabane. Excellence de la punkitude ! L’ambiance rappelle Hasil Adkins. Il joue une sorte de punk-rock des rêves inavouables, il joue au tâte-moi les miches de fin de repas aviné entre cousins et cousines pas regardants. Avec son barda d’accents sourds, le son intrigue. Et quand on écoute «Even At My Worst I’m Better Than You», on se dit que Dan est un don de Dieu. Il sonne comme un redoutable punkster et il termine avec un «In Death» d’une beauté purpurine.

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    Dans les années 2000, Dan fricote avec John Reis, le boss de Rocket From The Crypt et de Sawmi Records. Ils vont enregistrer ensemble deux albums extrêmement intéressants, Dan Sartain Vs The Serpientes en 2003 et Join Dan Sartain en 2006. Le sens du son qui caractérise si bien John Reis permet à Dan Sartain de canaliser son esprit feu follet et de se recentrer sur la viande. Son goût pour la dispersion et la pauvreté prend alors un sacré relief. Et du coup, on prend sa carte au parti. Vive Dan ! Mais surtout vive John Reis ! L’autre point commun des deux albums est le suicide : sur la pochette du premier, Dan se pend, et sur la pochette du deuxième, il se tire une balle dans la tête. On peut donc en conclure qu’il ne tient pas spécialement à la vie. Dès le «PCB 98» qui fait la quasi-ouverture de Sartain Vs The Serpientes, la partie est gagnée, car ce qu’on entend là est du petit punk-rock gratté au sec et comme ce mec est bon, ça s’enfume rapidement et ça prend feu. On sent une sérieuse présence dans le studio. Les choses redeviennent passionnantes avec «Walk Among The Cobras Pt1», monté sur le riff de «Baby Please Don’t Go», c’est embarqué au gratté sévère, chanté à la classe supérieure. Dan indique dans ses commentaires qu’il gratte a guitar with bass strings. La perfection du son donne un équilibre naturel. Pour un pendu, Dan est drôlement vivace. Avec «Place To Call My Home», il se prend pour Nick Cave. Il réussit l’exploit de bricoler une mélodie chant dans les pompes du pump organ. Well done, Dan ! Il continue de naviguer en père peinard sur la grand mare des canards et attaque «Leeches Pt 1» de plein fouet, accompagné de John Reis et de Mario. C’est une section rythmique infernale, l’une des meilleures d’Amérique, n’ayons pas peur des mots. Un vrai modèle ! Et les notes de guitare bien rondes se perdent dans la cavalcade infernale. Rappelons que John Reis est un spécialiste des cavalcades infernales, il faut se souvenir des concerts des Hot Snakes. Cet album se révèle donc passionnant. Ça coule de source jusqu’au bout. John Reis joue du marimba sur «Auto-Pilot» et Dan se fend d’un heavy blues dévastateur avec «Romance». C’est un heavy blues plein de jus, plein de pus, plein d’esprit, gratté à la ramasse de rascasse dégueulasse.

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    On reste dans le viandox avec Join Dan Sartain. L’album met un peu plus de temps à donner de sa personne. Dan se paye un petit tour de chauffe avec le rockab gaga de «Guns Vs Knife» et fait entrer un orchestre mariachi dans «Fight Of The Finch», histoire de créer les conditions de l’exotica. Ça décolle enfin avec «Young Girls». Aucune raison de s’inquiéter, c’est extrêmement bien foutu, John Reis amène un big backdrop dans la structure. Même chose avec «Thought It Over», ça a tout de suite de l’allure, ça swamise dans le marigot, Dan does it right. Il revient à son cher rockab avec «Replacement Man» et part même en rockab demented avec «Hangers On». C’est incroyable comme ce mec sait se positionner aux confins du rockab et de l’evil gaga. Bon on passe sur la resucée de «Besa Me Mucho» et on revient au big sound avec «I Wanted It So». C’est gratté au wow wow yeah yeah, mais pas n’importe quel wow wow yeah yeah, c’est un wow wow yeah yeah raw to the bone. John Reis veille bien au grain, alors Dan peut faire éclore la rose d’un beau killer solo. Il y a du son à gogo dans chaque chanson. Et comme Dan ramène sa grosse guitare et sa voix d’écorché vif à chaque instant, la recette finit par marcher.

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    Dan ramène du punk-rock dans Dudesblood. On est en 2014 et Dan rocks it out avec «Smash The Tesco», petit shoot de trash-punk inespéré après un début d’album laborieux. Il reste dans une certaine excellence punk avec «Love Is Suicide». Dan rentre définitivement dans le clan des punksters d’Alabama. Il a du son et de l’esprit. Il crée de bonnes ambiances. Il développe des trucs qui flattent les bas instincts, comme ce «HPV Cowboy». On le verra aussi se prêter au petit jeu de la power pop avec «You Gotta Get Mad To Get Things Done». Il est très à l’aise. C’est à peu près tout ce qu’on peut dire de Dan.

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    Le Dan Sartain Sings qu’il enregistre en 2014 est un album coupé en deux : une A qui ne moufte pas, et une B qui te tend les bras. L’A ne marche pas, car le pauvre Dan se prend pour Nick Cave et se planque dans les ténèbres. Il cultive bien son côté outlaw avec «If You Never», mais comme on l’a annoncé, c’est en B que ça se danse, et ce dès la Country Soul de «Same Situation», montée sur un thème d’acou plongeant. Le «Mexiacan Girl» qui suit est extrêmement weird, c’est joué aux instrus bizarres, le son intrigue. Dernier spasmes avec «In The Night», gratté à l’ongle sec, encore un cut intéressant qui ouvre l’appétit.

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    Paru en 2015, Century Plaza va rameuter tous les fans d’electro et faire hennir tous ceux qui ne supportent pas les machines. Eh oui, l’affreux Dan se lance dans les petits sons electro. Disons pour rester charitable avec lui qu’il devient polyvalent. Bon c’est risqué la polyvalence dans ce type d’activité, ça revient à changer de style comme de chemise, on en a vu d’autres se vautrer à vouloir faire les malins, tiens, comme les Primal Scream ou Luke Haines. Ah moi je peux tout faire ! Oui, c’est ça mon gars, on a vu le résultat. Le seul cut sauvable de cet album electro s’appelle «Cabrini Green», car Dan y sonne comme Eno, l’Eno d’Here Come The Warm Jets. On croirait entendre «Baby’s On Fire» ! On ne croyait pas que les gars d’Alabama pouvaient être aussi cultivés. Dan s’offre un sursaut en forme d’off-shout dans «First Bloods» : il envoie sa guitare rouler dans la farine d’electro et crée avec ce killer solo trash-flash une forme de sauvagerie qui lui donne l’absolution.

    Signé : Cazengler, Dan Sale teigne

    Dan Sartain. Disparu le 20 mars 2021

    Dan Sartain. Dan Sartain Vs The Serpientes. One Little Indian 2003

    Dan Sartain. Join Dan Sartain. One Little Indian 2006

    Dan Sartain. Dan Sartain Lives. One Little Indian 2010

    Dan Sartain. Too Tough To Live. One Little Indian 2012

    Dan Sartain. Dudesblood. One Little Indian 2014

    Dan Sartain. Sings. Slice Of Wax Records 2014

    Dan Sartain. Century Plaza. One Little Indian 2015

    *

    Les rockers sont des êtres magnifiques. La preuve, j’en suis un. Soyons honnête, certains pensent que ce sont de sombres brutes frustes, des obsessionnels qui ramènent tout et n’importe quoi au rock ‘n’ roll, Sans doute n’ont-ils pas tout à fait tort même s’ils n’ont pas entièrement raison. J’avoue avoir été parfois moi-même victime de ces emballements prématurés qui vous font acheter un bouquin rien parce que le titre possède un mot qui irrésistiblement évoque le rock ‘n’ roll mais un peu comme la célèbre boisson du Pink Floyd ce n’est pas du rock ‘n’ roll, ni de l‘alcool fort. Je vous laisse en juger par vous-mêmes.

    Le livre je ne l’ai pas payé, l’était sur une étagère devant une bibliothèque municipale, le passant étant appelé à se servir selon son bon plaisir. Pas grand-chose de fabuleux mais tout de même ce mot magique Appalaches, pour un rocker synonymes de rock ’n’roll, de country, de blues, et sûrement on doit y causer d’Elvis Presley, d’autant que tout en bas de la couve y avait un autre mot magique Tennessee, alors je m’en suis emparé avec la rapacité d’un capitaine pirate jetant son dévolu sur un galion espagnol chargé d’or. Arrivé à la maison, je l’ai lu.

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    RETOUR DANS LES APPALACHES

    SHARYN McCRUMB

    ( France-Loisirs / 1999 )

    Je ne connais rien de Sharyn McCrumb, romancière célèbre pour un ensemble d'une dizaine de livres réunis sous le titre de Ballade dans les Appalaches, dont celui-ci, paru en 1990, est un des volets. Auteur née dans les Appalaches, ayant étudié en Caroline du Nord et vivant dans les montagnes bleues de Virginie, aucun de nos lecteurs ne s‘étonnera que l‘action de ce livre ne se déroule point dans les Pyrénées Orientales,

    En tout cas pour Elvis, j’avais visé juste, l’apparaît pour pousser la canzionetta dans une réunion d’anciens lycéens. Remarquez qu’il y a un problème, nous sommes en 1986, soit dix ans après sa mort. Pour Elvis, au détour d’une page Sharyn McCrumb spécifie l’air de rien que le King n’a pas inventé le rock ‘n’ roll, qu’il n’a fait qu’imiter et copier Roy Orbison, je lui laisse l’entière responsabilité de ses dires, ce n’est pas le moment de se lancer dans une polémique à ras les pâquerettes. Pour le country j’étais aussi tombé pratiquement juste, l’un des personnages est une chanteuse de folk, Peggy Muryan un peu ( beaucoup ) au creux de la vague. D’ailleurs le titre original du roman sonne très country : If ever I return, Peggy-O.

    Pour la musique, désolé c’est à peu près tout, la zique n’est en rien le sujet du book. Sûr que ça se passe dans un bled paumé du Tennessee, Hamelin. Etrange ce nom de patelin qui ressemble à la cité du célèbre Chasseur de rats de la légende, celui qui emmène les gamins de la ville se noyer en jouant de la flûte. De toutes les manières, l’histoire racontée aurait pu se passer dans n’importe quelle bourgade de n’importe quel état de la Grande Amérique. Sont toutes concernées par la thématique abordée. Le Vietnam.

    Si l’action se déroule en 1986, c’est que la promotion 1966 du lycée de la ville se retrouve vingt ans après, le plaisir de se revoir, de se situer sur l’échelle des réussites sociales. Ils avaient dix-huit ans en 66, l’âge idéal pour l’année suivante partir en safari dans les rizières et les forêts d’Ho-Chi-Minh… La guerre du Vietnam ! Un fabuleux détonateur - couplé avec la lutte des droits civiques - pour toute une génération, des années foutrement rock quand on y pense. Mais ce n’est pas le sujet. Pas plus que la guerre du Vietnam proprement dite. Ceux qui sont morts sont considérés comme des héros. Pour eux la cause est entendue. Paix à leur âme valeureuse. Le hic, ce sont ceux qui sont revenus. Le premier tiers s’est réinséré sans histoire, sont devenus avocats ou hommes d’affaires, le deuxième tiers n’en pipe mot, en restent marqués pour la vie, traumatisés en leur fort intérieur, se gardent bien de faire chier leurs voisins, par contre le restant ne sait pas faire semblant, sont des asociaux, des solitaires, ne bossent pas, boivent et se droguent, souvent une arme à portée de la main, se permettent des accès de violence et parfois de démence. Dans le roman vous croisez les spécimens des trois ordres. Les premiers inodores, les deuxièmes psychiquement détruits, si vous ne ressemblez pas aux troisièmes posez-vous des questions.

    Bref dans le roman le Vietnam est partout et nulle part. Chacun s’en arrange comme il peut. Certains écoutent du Gratefull Dead et d’autres trimballent leurs fantômes sans rien dire à personne. Nos deux enquêteurs émérites font partie de la deuxième catégorie. Pas de chance pour nos deux flics, trois meurtres coup sur coup, deux bêtes innocentes et une adolescente. Signés, du nom d’unités ayant glorieusement combattu au Vietnam. Si vous n’êtes pas tout à fait idiot vous identifiez le coupable dès qu’il pointe le bout de son nez. Pas la peine de vous décorer du titre du nouveau Sherlock Holmes du vingt-et-unième siècle, car le problème ce n’est pas le Vietnam.

    Faut arriver à la fin du livre pour comprendre de quoi veut parler Sharyn McCrumb. Sur la quatrième de couverture une phrase désopilante sortie de Ouest-rien-de-nouveau-France, je ne résiste pas au plaisir de la citer in extenso pour en désigner la bêtise crasse : ‘’ Un polar rural profondément original où transparaît à chaque page l’amour de l’auteur pour le Tennessee et ses habitants’’. Sharyn McCrumb aime peut-être les habitants du Tennessee mais qu’est-ce qu’elle déteste l’être humain ! Certes tout individu se débat dans ses propres problèmes, mais quel qu’il soit tout un chacun aime lécher ses plaies. L’on se regarde dans le miroir de sa conscience mais l’on se jauge dans celui des autres, tous des ratés, des gens qui n’ont jamais eu le courage, voire l’occasion d’aller jusqu’au bout de leurs désirs, de surmonter leurs peurs et leurs lâchetés. Vingt ans après si les femmes ont encore de l’allant, les hommes ont gagné en poids et en calvitie, dans les têtes c’est encore pire, le monde est petit et misérable.

    Vous connaissez le meurtrier depuis la moitié du livre. La fin est surprenante. Non, nous ne nous étions pas trompés. A double titre. Parce qu’elle s’inscrit dans l’ordre des choses. Un chancre qui suppure infecte aussi les organes sains. Tellement naturelle qu’elle vous semble évidente. Hâtez-vous de liquider les ultimes pages, les sillons de la bien-pensance américaine, sont-là pour vous empêcher de réfléchir. Si ce n’est pas le cas, si votre intelligence vous titille, vous vous apercevrez que vous ne valez pas mieux que les gentils habitants du Tennessee, que vous ne voulez pas voir ce que l’auteur vous montre, vous fourre tous les détails dans la main, si vous désirez en savoir plus, vous êtes condamnés à relire depuis le début. En trois cents pages Sharyn McCrumb vous refile un roman policier, deux histoires d’amour, une réflexion critique sur l’obturation des esprits par la religion, des linges sales de famille, et un essai sur l’âme humaine que ne renierait point Schopenhauer. Peu de rock ‘n’ roll mais du sex, drugs and death. Tout cela, l’air de ne pas y toucher.

    C’est à croire que l’on a tous en nous quelque chose du Tennessee et des Appalaches.

    Damie Chad.

    *

    Pas de confusion, mes vacances ne se sont pas déroulées au pays de l‘herbe bleue de l‘autre côté de l‘Atlantique mais dans la verte Ariège. Cette chronique relate un concert - le premier depuis longtemps et vraisemblablement le dernier pour un bon bout d‘éternité, car votre chrockniqueur n’a aucune confiance en la mauvaise médecine proposée par Big Brother Pharmatic - donc un concert qui servait de clôture au Neuvième Vagabond’ Arts de Baulou. Joli coin de montagne à vaches qui tous les deux ans vous propose de visiter au travers d’un agréable paysage agreste des artistes en tous genres ( peinture, sculptures, photos dessins, tissus, ferrailles, bois… ) disséminés de part et d’autres d’une ancienne voie de chemin de fer reconvertie en Voie Verte, dans les granges, les hangars, et les soues désaffectées des anciennes fermes plus ou moins rafistolées en résidences modernes… A midi et le soir, repas collectifs, et orchestres divers. Ambiance sympathique, alternative, perso je ne regrette que le choix des formations trop souvent pas franchement rock ‘n’ roll, mais surprise en ce dimanche :

    08 - 07 - 2021 / BAULOU

    THE RURAL SINGERS

    BLUEGRASS BAND FROM ARIEGE

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    Du bluegrass en Ariège, pourquoi pas trimballer une machine à laver sur l’Annapurna tant qu’on y est ! En tout cas se regroupent tous les trois sur la scène. Comme normalement ils sont quatre, Antoine tripote son banjo le temps que Denis rejoigne enfin sa contrebasse. Sont tous là mais ne semblent pas pressés de débuter. Parlementent entre eux, enfin ils démarrent. Des modestes, ne nous apprendront qu’à la fin du deuxième morceaux que ce sont deux compositions de leur cru. Elles auraient mérité un peu plus de mordant et d’assurance car elles n’auraient en rien déparé ce qui va suivre. Bluegrass oui, bluegrass non. Ne sont pas des puristes acharnés, sonnent aussi country, folk, cajun, rock. Mais le tout à leur sauce. Aigre-douce. Pas le temps de s’ennuyer, ont leur instrument de prédilection mais en changent sans arrêt. Antoine est au violon, et le crin-crin agile dégèle l’atmosphère, les enfants entrent dans la danse, entremêlés de chiens auxquels ne tardent pas à se mêler les adultes. Ça décolle sec. Toujours pas de machine à laver sur l’Annapurna mais Julien vous essore la rythmique à la washboard, se permet au pipeau une intro Titanic sur un air échevelé, se sert d’une valise pour marteler un cajon infernal, possède une belle voix mais c’est surtout Olivier qui drive le vocal, nous mène par le bout du nez, on n’y voit que du blue bien grass lorsqu’ils se lancent dans Fortunate Song du Creedence Clearwater Revival, l’on se dit que ce n’est pas bête et même logique, ce qui est sûr c’est que cette version plus roots qu’un classique dument estampillé séduit le public qui n’en croit pas ses oreilles, mais quand ils abordent Hot rail to Hell, z’enfoncent Hayseed Dixie, ce n’est pas fini, se permettent tout, comme cette citation de Morricone qui ravit tous les bons, toutes les brutes et tous les truands de l’auditoire, un tour de chant qui fuse de partout, des tours de passe-passe incongrus, vous repeignent en bleu tout l’Americana, cartonnent même dans le rhythm and blues(grass). Z’ont aussi une compo fétiche, les tueurs de serpents sont des motherfuckers, un slogan que je vous laisse interpréter selon vos idées ( politiques ou autres… ). Rural et pas banal. Rural et original.

    Damie Chad.

    N.B. : pour Hayseed Dixie, le lecteur ira moissonner la chro du Cat Zengler sur notre livraison 261 du 24 / 12 / 2015.

     

    21 / 08 / 2021LAC DE MONTBEL

    L'ECUME DES JOURS

    THE JUKE JOINTS BAND QUARTET

    Longtemps que l'on ne s'était pas rendu à un concert du Juke Joints Band, pas de notre faute et encore moins de la leur, Mister Pandémic oblige, deux années blanches, mais les voici enfin, pas n'importe où en août, dans un cadre idéal, un resto ouvert aux quatre vents et aux aventures musicales, à flanc de rive surélevée, de l'eau, de l'herbe, des arbres, des chiens, des enfants et du monde en liberté. L'on se croirait revenu au temps d'avant, qui n'était pas si fabuleux que cela, ne faudrait tout de même pas mythifier non plus...

    Le Juke band est comme le crotale, change de dimension à volonté, roulé en rond sur lui-même sont deux, l'un qui chante l'autre qui gratte, parfois il allonge la tête et ils sont trois, mais les jours de grande colère et de haute prédation ils sont quatre, duo, trio, quatuor, vous n'y voyez que du bleu, la morsure est toujours douloureuse, le venin du blues s'instille en vous et c'est tant pis pour vous. Par contre personne ne s'en plaint, l'homme serait-il un être schizophrénique qui oscille perpétuellement entre volonté de bonheur et sensation d'incomplétude. Sans trop savoir faire la différence entre les deux.

    HELP ME

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    Donc quatre sur la scène. Et tout de suite le coup qui tue. La balle en plein cœur. Au tout début c'est déjà la fin. On ne l'a pas vu venir. L'était tout tranquille derrière sa basse Michel Teulet, grand gaillard immobile, qui attendait le départ avec placidité, alors quand c'est parti, il a sagement laissé tomber un doigt sur une corde. Pas plus, ni moins. N'aurait pas dû. D'un mini mouvement de phalange il a effacé tout ce qui existait. Plus de passé. Plus de futur. Juste le présence de ce lingot d'or pur et lourd, un fracas de cercueil qui choit de tout son poids au fond de la fosse, ah, vous voulez du blues mes cocos, en voilà, du sombre, du profond, du grave qui gave, le battant du bourdon de Notre-Dame qui s'abat sur votre crâne et vous le rompt en deux, sans rémission, respirez c'est fini, non ce n'était qu'une note, voici la suivante, à l'identique, le Michel quand il sonne le blues, il ne s'arrête pas, faudra vous y faire et essayer de survivre, il a le son et il le tient bon, deux sets entiers à asséner le plomb fondu qui tue et qui troue, vous poinçonne l'âme, ce n'est pas qu'il est méchant, ce n'est pas qu'il est cruel, c'est qu'il est juste, détient le secret de la vibration bleue, celle de l'éros fou qui crie au secours en enjambant la fenêtre du vingt-septième étage et qui vole en savourant la chute vertigineuse. Celle qui ne finit jamais.

    Du coup Ben Jacobacci a sorti sa Fender verte, fini le tabouret du haut duquel il aime à gratter son acoustique avec ce sourire sardonique de vautour qui vous regarde depuis son observatoire lamper la flaque d'eau empoisonnée qui va vous emporter ad patres. Non ce soir, ce n'est pas le blues-roots qui rampe hors des marécages, c'est l'autre, le vindicatif qui fracasse les portes des pénitenciers et allume les incendies, peut couler son plomb fondu à satiété Michel Teulet, Ben a de quoi répondre. L'a sa guitare full metal jacket, sur laquelle il tricote méchant, va chercher la note au bout du manche, vous croyez qu'il l'a obtenue, non ce n'était pas encore celle-là, l'en a encore une autre plus loin qui vous vrille les oreilles et vous poignarde par derrière. Vous donne l'impression qu'un riff n'est jamais fini, qu'il y a toujours un mot à rajouter à la phrase définitive qui vous a coupé la chique, et que non que ce n'est pas terminé, qu'il vous réserve un chat écorché tout sanguinolent à rajouter à votre chienne de vie, une goutte de blues de plus pour épaissir la potion de colère qui s'accumule en vous et que vous n'osez pas encore expulser, alors Ben il pousse et il tire, les notes explosent comme des bulles de nitroglycérine, écartent sans ménagement les carillons funèbres de Michel, conquièrent l'espace nécessaire à leur épanouissement et à votre bonheur.

    Je n'aurais pas aimé être à la place de Rosendo Frances. Entre les deux ostrogoths précédents, je n'aurais pas su quoi faire. Me serais senti de trop, inutile. Le problème n'est pas simple. Où glisserez-vous une baguette entre deux pachydermes collés l'un à l'autre . Rosendo possède la solution, elle trahit un esprit pragmatique, et décisionnel, puisque que je peux pas m'insinuer entre les deux mastodontes, je vous le fais en papier cadeau. Pesé, emballé, vendu. Pas difficile, suffit de démarrer avant eux et de finir après eux. Un quart de temps avant, un quart de temps après, z'ont l'impression de manigancer tout ce qu'ils veulent, mais sont enfermés dans le mouchoir séquenciel qui les englobe, sont libres de batifoler à leur guise mais c'est Rosendo qui dirige le jeu, délimite les limites. Le turn over balancé du blues, à peine commencé, déjà terminé et hop l'on recommence. Séquence suivante, un truc qui vous file le tournis, Rosendo c'est la batterie-derviche tourneur, l'envoie l'eau du bain et le bébé en même temps, fait tourner la boutique de main de maître, l'imprime le rythme, connaît l'intime recette de la mayonnaise du blues, la monte au ras-bord de la soupière, ne déborde pas, une frappe de boa constrictor qui se love sur elle-même et enserre dans ses replis la machine bleue psychopompe dont il détient le fonctionnement impavide.

    Ne suffit pas d'avoir le blues. Faut encore le chanteur. Capable de se faire entendre dans le maelström. Chris est là. Ne force même pas sa voix. Croyez-vous qu'un crotale a besoin d'un mégaphone pour faire entendre le raquèlement de ses écailles. Terrible comme la voix dit plus que les mots. Le son transcende le sens. Tout est dans le timbre, écorché à vif. Ou vous avez vécu. Ou vous avez fait semblant. L'attitude aussi. Cette façon de hausser les bras lorsque le ton monte. Danse gesticulatoire qui fusionne les paroles. L'idiome du blues s'exprime autant avec le corps qu'avec le gosier. Chris unique dans sa tunique. Chris n'est qu'un cri bleu de poudre et de sang. Le blues en tant qu'imprécation jetée à la face du monde. Tant de hargne et d'impuissance amassées, depuis Howlin' Wolf à Tony Joe White, Chris est un passeur, un brasero de tendresse et de violence, d'humour et de détestation car il ne faut jamais oublier d'être la risée de soi-même pour boire le vin de la vie sans se prendre trop au sérieux, afin que chaque gorgée soit gouleyante à souhait et à regret. Le blues brûle, et la voix de Chris en recèle toutes les cicatrices et toutes les scarifications. Un shaman qui s'agite et qui transmet. Le public ensorcelé ne s'y trompe pas, se lève et s'en va onduler devant la scène, des goules hagardes attirées par le sexe bleu de la musique du diable dans l'écume de la nuit zombiïque.

    Quelle soirée de feu et de blues électrique ! Deux sets d'incandescence absolue. Plus l'harmonica de Didier Kraft sur les trois derniers morceaux. Le Juke Joints Band au summum !

    Damie Chad.

    LECTURES D'AOÛT

     

    I : JIM MORRISON : PATRICK EUDELINE

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    Ce n'est pas un livre, juste un article de quatre pages paru dans le N° 648 de Rock&Folk du mois d'août 2021, signé par Patrick Eudeline. Les derniers jours de Jim à Paris. Une histoire mille fois racontée et écrite. Patrick Eudeline n'apporte rien de nouveau, aucune révélation fracassante, ce qui ne l'empêche pas de donner sa propre vision de ces évènements sinon tragiques du moins pathétiques.

    N'aime pas Pamela, la compagne de Jim, la décrit intéressée par l'argent et l'héroïne. Ce serait sur ses conseils que Jim se serait mis à l'héro pour juguler son addiction au vin. Médicamentation plutôt hasardeuse ! Qui lui réussit mal, puisqu'elle se termina par une overdose fatale dans les toilettes du Rock'n'roll Circus.

    Mais là n'est pas le problème. Morrison à Paris, c'est un peu comme Patti Smith en pèlerinage à Charleville-Mézières. Un remake de la recherche de l'Atlantide perdue. A la différence près que Morrison ne courait pas après une île paradisiaque mais après deux. L'on connaît l'antienne. Morrison chanteur de rock par occasion. Son truc à lui, c'était le cinéma. A peine a-t-il mis les pieds sur notre continent qu'il assiste au tournage de Peau d'Âne en compagnie d'Agnès Varda et de Jacques Demy. Perfidement Eudeline insinue que le Roi Lézard ne recevra des deux réalisateurs aucun encouragement à poursuivre dans cette voie... l'étudiant de l'Ucla n'avait pas, semblerait-il, l'envergure d'un maître...

    Toujours avoir deux sorties à son terrier. Morrison n'est-il pas venu en notre doux pays pour s'adonner à la poésie. Le mythe Rimbaud-Verlaine a fortement marqué les Amerloques. Eudeline reste sceptique. Les textes de Morrison publiés après sa mort ne lui sont manifestement pas apparus comme la révélation littéraire du vingtième siècle... Insiste, une fausse piste. Une voie sans issue. Faut vivre avec son temps. La poésie c'est terminée. La revue, le recueil, le livre, c'est dépassé. Depuis le dix-neuvième siècle. La poésie se trouve aujourd'hui chez Dylan.

    Déduction logique du lecteur : Morrison aurait mieux fait de rester chanteur de rock. N'était-ce pas ce qu'il faisait de mieux. Eudeline abat sa carte maîtresse. Depuis Paris le chanteur a toujours gardé le contact avec les Doors. S'inquiète des ventes de L.A. Woman. Si le sort ne s'en était pas mêlé, sans doute son escapade européenne se serait-elle terminée plus vite que prévu. Serait rentré au bercail, l'aurait repris le collier...

    Avec des Si... l'on sortirait Paris de sa bouteille de vin rouge... Peut-être vaut-il mieux écouter la voix de Callimaque : '' Il est heureux celui à qui les Dieux donnent la mort en pleine jeunesse''...

    Cela ( vous ) empêche de se survivre à soi-même...

    II : ROLLING STONES

    ( Collection R&F # 19 + Uncut )

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    Les poëtes ont toujours raison mais parfois les Dieux sans pitié laissent courir votre vie comme un film interminable. D'où ce plaisir de remuer les cendres froides d'un passé révolu. D'où ce désir de feuilleter sans fin cette nouvelle saga des Stones. Depuis le début, disque par disque, entremêlés d'interview-phares, cent cinquante pages, photos et petits caractères... Un demi-siècle d'archives. Tout lu, sans sauter une demi-ligne. Avec en arrière-plan cette question insidieuse. Du moins pour la première moitié du bouquin. O. K. Damie, c'est bien, tu prends ton pied mais cette histoire tu la connais de l'intérieur. Non tu n'étais pas le studio d'enregistrement, mais leurs disques tu fis partie de cette génération pour qui la sortie d'un trente-trois ou d'un simple 45 tours des Stones c'était pratiquement du pareil au même. A l'annonce de la parution d'un opus tu savais d'instinct que c'était une page d'Histoire à laquelle tu adhérais, en cette époque le monde était d'une simplicité extrême, d'un côté il y avait les Stones, de l'autre il n'y avait rien. Le néant absolu. La moindre pochette était examinée à la loupe, discutée avec les copains, se transformait en icône absolue. Un exemple, la couve de ce magazine, z'ont l'air particulièrement tarte, des faces d'apple pie particulièrement stupides, oui mais c'étaient les Stones, on leur pardonnait.

    D'où la question : un quidam qui n'était pas né à l'époque et qui pour en savoir un peu plus se procure le news, que ressent-il au juste. Un sentiment de curiosité satisfaite. Un complément d'informations à son tableau de chasse. Et s'il prend la décision de se mettre à l'écoute des morceaux, la magie opérera-t-elle. Et si oui, quel pourcentage d'esprits sera touché ? Certes disques, films, vidéos, photos bouquins ne manquent pas. Mais tout cela n'est-il pas que témoignages de seconde main. L'on trouvera toujours des intelligences humaines prêtes à se passionner pour des époques révolues et à s'extasier sur la demi-phalange d'une aile de dinosaure retrouvée dans le fond asséché d'un marécage du Crétacé, mais le gros de la population s'en moque et s'en contrefout. Reste totalement imperméable à ce genre d'évènement. Mitterrand aimait à répéter que lorsque un griot africain meurt c'est toute une bibliothèque qui disparaît. Je veux bien, mais à la moindre personne qui passe l'arme à gauche c'est une énorme collection de sensations et d'émotions qui est retirée de l'univers.

    Les Stones ne sont plus les Stones. Depuis longtemps. Du moins pour les fans de la première heure. N'ont plus donné de disques essentiels depuis belle lurette. N'empêche que la deuxième moitié du bouquin, je l'ai lue sans coup férir. C'est un peu triste, ce n'est pas que les nouveaux opus soient moins bons, z'arrivent souvent à glisser un titre qui s'insinue agréablement dans votre oreille, et c'est cela qui est scandaleux. Ne sont pas des manchots. Savent s'entourer. Z'ont remplacé l'inspiration poétique par l'expérience. Ne sont plus des créateurs mais des faiseurs. Tiennent leur rang. Mais en rock l'on préfère les outsiders venus de nulle part. Connaissent les recettes par cœur. N'en n'inventent plus. Pourtant c'était si bon quand ils laissaient la coquille de l'œuf pour fabriquer leurs omelettes baveuses.

    Un été accaparé par mille choses hors rock'n'roll. Si ce n'est ce temps de lecture mélancolique. L'actualité m'a rattrapé au petit matin. J'étais heureux, j'avais terminé le magazine la veille, un coup de jeune en quelque sorte. Les infos rajoutent un point final. Disparition de Charlie Watts. Dans la série Si toi aussi tu m'abandonnes... l'on ne pouvait pas m'offrir de conclusion plus bluesy. Mon Stones préféré. Me faire ça à moi. Ce gars ce n'était pas l'âme des Stones , mais le cœur battant du groupe. Z'avaient déjà perdu par deux fois ( au minimum ) leur âme, Brian Jones et Ian Stewart, mais ce balancement hypnotique, ce sourire en coin du gars qui faisait tout ce qu'il fallait pour que ça chaloupe moult, tout en sachant qu'il existe mieux, mais qu'alors ce ne serait plus les Stones...

    Pas de panique, les affaires reprennent, nouvelle tournée en préparation, ami si tu tombes un autre ami entre dans les spotlights et prend ta place, pas de souci, le rock'n'roll est immortel. C'est pour cela que l'on aine les Stones. Nous enterreront tous.

    Damie Chad.

     

    THE RIGHT TIME IS THE RAG TIME

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    Un gros pavé, 768 pages, L'Odyssée du Jazz, de Noël Balen, paru en 1993 aux Editions Liana Levi, le genre d'ouvrages que l'on garde pour les longues soirées d'hiver, oui mais parfois la tentation est trop forte, ai glissé un œil sur le chapitre 1 consacré au Gospel, bien fait mais pas de révélations époustouflantes, idem pour le blues, ne voudrais pas avoir l'air de me la jouer mais je n'y ai pas appris grand-chose, en fait soyons franc rien, par contre le chapitre 3 Ragtime, stride et boogie woogie m'a subjugué.

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    Aux sources du rag l'on rencontre un drôle de zèbre, Louis Moreau Gottshalk né en 1829 à la Nouvelle-Orleans, d'une mère créole issue d'une famille aristocratique française ( cocorico ! ) et d'un père anglais. Un surdoué, à tel point que la famille l'envoie en France parfaire ses dons naturels. L'est refusé au conservatoire, pour son jeu un peu sauvage, mais il reçoit des leçons de celui qui sera le professeur de piano de Saint-Saëns... En 1845, lors de son premier concert il est félicité par Chopin pour l'interprétation de son Concerto pour piano en mineur. Théophile Gautier – le plus grand critique romantique – et Hector Berlioz loueront son talent.

    Après une longue tournée européenne Louis Moreau rentre aux Etats-Unis où il poursuit à travers tout le continent sa carrière. Les amateur de Jerry Lou ne manqueront pas de cet épisode picaresque de San Francisco qu'il doit fuir en toute hâte car épinglé pour avoir eu une relation avec une toute jeune fille...

    Non content d'emprunter à la biographie de Jerry Lou il décède, tout comme Nietzsche, en 1869 à Rio de Janeiro des suites de la syphilis. Il laisse plus de trois cents partitions. Certains titres sont sans équivoque, Bamboula danse nègre, Ballade créole, Chanson nègre...

    Pour ma petite histoire personnelle, la notice de Wikipedia se termine sur la mention d'enregistrements de morceaux de l'artiste par le pianiste américain Noel Lee. Je suis incapable de dire pourquoi en 1970 ( ou 71 ) je me suis retrouvé à Toulouse à un récital de piano de Noël Lee dont je ne connaissais rien, même pas le nom avant de l'avoir lu sur une affiche. Le flair du rocker. Privilégiez sa version de Bamboula, beaucoup plus rythmée que les autres disponibles sur le net.

    Le ragtime n'est pas une musique instinctive. Elle est un art savant. Fallait déjà avoir une certaine capacité d'analyse musicale pour s'aventurer. C'est un art de perversion. Ce que fait la main gauche sur un instrument, c'est la main droite qui s'en chargera, et vice-versa. Le principe est simple mais ses effets dévastateurs. Peut-être le premier à s'essayer à cette galéjade n'est pas autre que Liszt dans sa Rhapsodie hongroise. La concomitance avec la musique classique n'est pas anodine, Scott Jopplin gamin jouait du Chopin sur son piano alors que sa mère grattait du banjo selon une technique dite folk rag qui consistait à ce que le pouce de la main droite ne joue pas en harmonie avec les autres doigts.

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    Scott Joplin, né en 1868, encore un gamin surdoué, en 1897 sa première composition Maple Leaf Rag qui lui apportera renommée et une certaine stabilité financière. La vingtaine de rags qu'il écrira en font un musicien fondateur du rag et du jazz. Sans doute était-il trop en avance, son opéra Treemonisha en 1915 sur les conditions de vie de la communauté noire ne remportera aucun succès, il finira en 1917 dans un asile d'aliénés.

    La rencontre de Scott Joplin sera déterminante pour le jeune James Scott ( encore un surdoué, né en Caroline du Nord en 1886 ), il écrira quelques pièces qui sont au fondement du répertoire rag, survit en accompagnant les séances de cinéma, accompagnera Bessie Smith et Ma Rainey, les doigts dévorés par l'arthrose il meurt dans l'anonymat en 1938.

    Joseph Lamb, un protégé de Joplin, un étage au-dessous toutefois, finira sa vie dans la variété à Tin Pan Alley. Tony Jackson un allumé de la première heure né en 1876, qui mènera une vie de patachon, alcool, bordel, piano, épilepsie... il décède en 1921. Son nom sera sauvé par Jelly Lee Morton qui le considèrera comme un maître. En partagera le mode d'existence débridée, poker, alcool, billard, flambeur, mythomane, sans cesse en tournée, conduit des orchestres, se vantera d'avoir inventé le rag, le jazz, le stomp, le swing, l'aurait pu ajouter le rock'n'roll, mais il est mort dans l'oubli en 1941. En 1938 il a été retrouvé par Alain Lomax qui l'enregistrera...

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    Le rag évoluera, selon un principe simple celui de la surenchère : plus vite, plus fort, au cours de duels homériques lors des rent parties harlémiques. Eubie Blake né en 1883 finira centenaire. On lui doit une grande partie des connaissances du mouvement rag qu'il a su transmettre. Il fera partie des premières comédies musicales noires de Broadway, notamment avec Joséphine Baker. Il formera le jeune James P Johnson, qui sera considéré par ses compositions comme le King of stride. Il accompagnera les meilleures chanteuses noires de blues : Ethel Waters, Bessie Smith, Ida Cox et composera un opéra blues De Organizer sur un livret de Langston Hughes.

    Les temps changent à vitesse grand V, Fats Waller est né en 1904, avec lui nous changeons d'époque, ce n'est plus tout à fait du rag et cela sent de plus en plus le jazz , c'est lui qui fait la passation de pouvoir entre le stride et le swing. Les deux dernières pages du chapitre sont consacrées à l'apparition du boogie woogie, j'aimons beaucoup le boogie mais nous sommes loin de la folie du rag.

    Damie Chad.