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james hunter

  • CHRONIQUES DE POURPRE 509 : KR'TNT ! 509 : GLYN JOHNS / JAMES HUNTER / SYLVAIN SYLVAIN / GULCH / FORÊT ENDORMIE / APOLLYON /ROCKAMBOLESQUES XXXII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 509

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    06 / 05 / 2021

     

    GLYN JOHNS / JAMES HUNTER

    SYLVAIN SYLVAIN / GULCH /

    FORÊT ENDORMIE / APOLLYON

    ROCKAMBOLESQUES XXXII

    À la saint Glyn-Glyn

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    Glyn Johns ? Mais oui, tu as vu son nom au dos de tout un tas de pochettes, à la grande époque : Steve Miller Band, Move, Chris Farlowe, Spooky Tooth, Stones, Faces, Led Zep, Who, Humble Pie, Leon Russell, et d’autres moins recommandables dont on ne citera pas les noms pour économiser de la place. Alors comme il a bossé avec une quantité exorbitante de célébrités, Glyn-Glyn nous a troussé une bonne petite autobio, allez hop, 300 pages écrites d’une main de fer, sans fioritures ni bavasseries, fermement sanglées, dans un style âpre et sharp. Pas la moindre trace d’humour ni d’introspection. Glyn-Glyn qu’on surnommait Bluto est un mec qui ne touchait à rien, ni drogues ni alcool et qui était là pour bosser. C’est Ronnie Lane qui lui trouve ce surnom : Bluto, version anglaise de Brutus, le gros dur baraqué qu’on peut voir dans Popeye. Ronnie Lane aime bien Bluto et c’est réciproque. Quand Ronnie prend le quartier d’orange piqué au LSD que lui offre Brian Epstein et qu’il s’envole en direction d’Itchycoo Park, c’est la Jaguar Type E de Bluto qu’il repère dans la circulation.

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    Le Bluto book s’appelle Sound Man. Sec et net et sans bavure. Bien sûr, il y a un sous-titre et deux petites photos en couverture : la première nous montre Bluto avec Jag et McCartney, et l’autre avec Keef et Charlie. L’avantage de ce book est qu’il nous permet d’entrer en studio avec des gens intéressants, notamment les early Stones. Rien que pour ça, on est content du rapatriement. Bluto a le pot d’être pote avec Stu, c’est-à-dire Ian Stewart, le sixième Rolling Stone. Ils partagent un appart. Bluto se retrouve donc aux premières loges. Stu et Brian Jones créent les Rolling Stones en plaçant une petite annonce dans Jazz News. Et voilà comment Bluto se retrouve embarqué pour treize ans dans l’aventure des Rolling Stones. Il voit Brian Jones à l’œuvre - Brian was king of the riff, «The Last Time» being a classic exemple - Il nous explique aussi que Brian et Keef se complétaient - Brian complemented Keith’s exceptionnal rhythm with a variety of sounds - Et puis les drogues entrent dans la danse et Brian se retrouve isolé dans le groupe. Plus il se schtroumphe et plus les autres l’ignorent. Plan classique et tellement dégueulasse. Bluto n’est pas bien clair là-dessus : «Je dois dire qu’à la fin j’éprouvais de la peine pour lui, mais je suppose qu’il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même.» Ben voyons. Mais l’histoire de sa relation avec Brian Jones ne s’arrête pas là puisque Brian lui demande de l’accompagner au Maroc pour enregistrer les musiciens de la tribu Gwana, qui sont originaires du Haut Atlas et qui se produisent sur la fameuse place Jemaa el-Fna de Marrakech. L’idée de Brian nous dit Bluto était d’enregistrer les Gwana puis d’aller à New York overdubber du black American blues and soul music on top. Mais Brian est tellement défoncé qu’il demande à Bluto de se débrouiller tout seul pour enregistrer. Alors Bluto part en vadrouille dans la médina avec le magnéto. Pendant ce temps, Brian continue ses conneries et casse le téléphone dans sa chambre. Au Maroc, à cette époque, il faut compter des mois pour réparer un téléphone. Excédé, Paul Getty Jr qui les héberge décide de virer Brian et demande à Bluto de le ramener à Londres. Le voyage de retour ne se passe pas très bien. Brian s’est excusé mais Bluto lui sert une belle soupe à la grimace - The trip did nothing for my already stained relationship with him - Fuck it ! Brian reviendra au Maroc - sans Bluto - pour enregistrer les fameuses Pipes of Pan at Joujouka.

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    Par contre Keef, c’est une autre histoire. Il se schtroumphe aussi, mais c’est Keef, tu comprends ? Bluto nous explique que durant toutes les années où il a travaillé avec lui, Keef ne lui a jamais dit bonjour ou au revoir, et qu’il n’avait absolument aucun goût pour le small talk - His living in a chemically induced state was the norm, so I never took it personally (Son état de défonce permanente était la norme, aussi ne me suis-je jamais formalisé) - Bluto est plus tolérant avec Keef, même s’il est aussi camé que Brian, mais bon, c’est Keef. Le Stone que le tout le monde préfère, c’est Charlie, bien sûr, et Bluto ne fait pas exception à la règle, un Charlie qui résume ainsi cinquante ans de carrière dans les Stones : «Ten years of working and forty years of hanging around.» (Dix ans à bosser et quarante ans de poireau). Tous ceux qui ont joué dans des groupes savent que les temps d’attente sont les plus longs, que ce soit en studio ou en concert. Bluto nous rappelle aussi qu’aussitôt après la session de «Gimme Shelter», Merry Clayton fit une fausse-couche. Autre info de taille : remember «You Got The Silver» sur Let It Bleed ? Comme Jag est en Australie à ce moment-là pour tourner Ned Kelly et qu’il faut boucler l’album, Bluto demande à Keef de chanter «You Got The Silver». Merci Ned Kelly, car «You Got The Silver» est l’un des cuts des Stones les plus mythiques. Et quand Mick Taylor quitte le groupe, Bluto éprouve un grand soulagement, car il ne s’entendait pas bien avec lui. Avec les sessions de Black And Blue, les Stones reviennent à la formation originale - sans Brian Jones - mais c’est à ce moment-là que s’achève la relation de Bluto avec le groupe : les Stones profitent des sessions de Munich pour auditionner des guitaristes, alors Bluto qui n’en peut plus de poireauter finit par craquer et décide de se barrer. Il a une dernière conversation avec Jag, au cours de laquelle il lui rappelle qu’il a passé plus de temps avec eux, les Stones, qu’avec sa femme et ses enfants. Donc, là, c’est bon. Stop. Et quand Bluto dit stop, c’est stop. Par la suite, certains de ses amis lui diront que les Stones sont toujours aussi bons sur scène, mais Bluto n’éprouve aucune envie de les revoir - As I prefer to remember the band as it was with Stu and Bill - Bluto préfère les early Stones et on ne peut pas lui donner tort.

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    Bête de studio comme d’autres sont rats de bibliothèque, Bluto ne lésine pas sur les détails. Il nous rappelle par exemple que les studios Olympic se trouvaient au début derrière Baker Street, avant de se réinstaller dans une ancienne salle de cinéma, in Barnes, south of Hammersmith bridge in London. Keith Grant revendra l’Olympic à Richard Branson. Puisqu’il fricote pas mal avec les Small Faces, Bluto croise aussi Andrew Loog Oldham et Don Arden. Magnanime, il leur octroie à chacun un petit paragraphe. Il rend surtout un bel hommage à Chris Blackwell, le boss d’Island Records - Perhaps the most extraordinary man I met in the music business is Chris Blackwell - Un Blackwell qui démarre en Jamaïque en 1956 et qui s’installe à Londres en 1962 pour créer le premier label indépendant.

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    Et puis un jour un mec de San Francisco appelle Bluto et lui explique qu’un groupe inconnu veut enregistrer son premier album à Londres, à l’Olympic, avec lui. What ? Le groupe s’appelle the Steve Miller Band et c’est le point de départ d’une sacrément belle histoire. En 1968 et 1969, Bluto produit les quatre premiers albums du groupe : Children Of The Future, Sailor, Brave New World et Your Saving Grace, quatre énièmes merveilles du monde.

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    En fait Bluto a une vie bien remplie, certains passages du book donnent carrément le vertige. En 1969, il raconte par exemple qu’il rentre de San Francisco où il a démarré l’enregistrement de Brave New World et qu’en descendant de l’avion, pouf, il saute dans sa Jaguar Type E, et vrrooom, il file directement chez Apple passer deux jours avec les Beatles, puis il enquille aussitôt après une all-night session à l’Olympic avec les Stones, et le matin, paf, sans avoir eu le temps de se brosser les dents, il resaute dans sa Jaguar pour foncer chez Apple où l’attendent les Beatles, mais la journée n’est pas finie, car le soir-même, il doit foncer jusqu’à l’Albert Hall enregistrer the Jimi Hendrix Experience, un enregistrement qu’il va d’ailleurs foirer, pas parce qu’il est crevé, mais parce que l’acoustique de l’Albert Hall est toute pourrie. Enfin c’est ce qu’il dit. Sacré Bluto ! On tourne la page et pif paf pouf !, ça repart de plus belle : un mois plus tard il finit l’enregistrement de Brave New World à San Francisco et de retour à Londres il saute dans sa Jaguar Type E, vroom, pour aller finir Abbey Road avec les Beatles, mais il doit faire la navette entre Abbey Road et l’Olympic où il bosse sur Let It Bleed avec les Stones. La jaguar ne chôme pas. Toujours pas le temps de se laver les dents. Mais ce n’est pas tout, car il bosse aussi en même temps avec George Harrison sur un album de Billy Preston. Plus loin, il nous refait le coup du surbooked man : en 1970, il passe treize jours en studio avec les Who sur Who’s Next et soudain, il sent qu’il doit faire un break, alors il saute dans un avion pour Los Angeles, achète une Jaguar aussitôt descendu de l’avion et demande à son pote Ethan Russell de l’accompagner dans sa traversée des États-Unis. Vroom ! Ils arrivent à New York dix jours plus tard, Bluto saute dans un avion qui le ramène à Londres d’où il repart pour filer à Saint-Trop assister au mariage de Jag et Bianca. Tiens, encore un petit shoot de tourbillon, toujours en 1970 : il vient de finir l’enregistrement du premier album des Eagles et, sans avoir le temps de se laver les dents, il entre en studio avec Paul McCartney et Wings pour enregistrer Red Rose Speedway, deux semaines de boulot au terme desquelles il retrouve Ronnie Lane et Woody pour l’enregistrement du soundtrack de Mahoney’s Estate. En fait sa vie se résume à ça : une cavalcade infernale d’un studio à l’autre, il est l’ingé-son le plus demandé à Londres et, petit à petit, aux États-Unis. Davis Geffen l’invite à dîner et Bluto sait bien que ce n’est pas pour ses beaux yeux - Il doit avoir une idée derrière la tête - Bluto se retrouve donc à table avec Geffen, Jac Holzman et Joni Mitchell. Bien sûr Bluto rêve de bosser avec Joni mais il n’en aura pas l’occasion car Joni n’a visiblement pas envie de bosser avec lui. Il rencontre aussi Denny Cordell, qui avait démarré avec Chris Blackwell chez Island avant de décider de voler de ses propres ailes. Cordell et Bluto enregistrent les Move à l’Olympic, puis le premier single de Joe Cocker, «Marjorine». Cordell allait par la suite lancer Procol Harum avec «A Whiter Shade Of Pale» et propulser la carrière de Joe Cocker avec «With A Little Help From My Friends». Quand Cordell revient à Londres mixer le premier album de Joe Cocker, il ramène avec lui Leon Russell et ils bossent tous les trois ensemble à l’Olympic sur l’album sans titre de Tonton Leon. Alan Spenner, Klaus Voorman, Charlie & Bill, Ringo & George viennent donner un coup de main. Leon Russell sort en 1970 sur Shelter, le label que Tonton Leon et Denny Cordell ont fondé. Ils allaient par la suite signer Tom Petty, Phoebe Snow, Freddie King et JJ Cale, pardonnez du peu. Et le Dwight Twilley Band, bien sûr. Et puis arrive l’épisode du double live Mad Dogs & Englishmen. Bluto se voit confier la mission de sauver les enregistrements des concerts et bien sûr il demande à Joe Cocker de venir valider le résultat. Mais Joe n’est pas très content de la façon dont s’est déroulée la tournée. Tonton Leon avait volé le show et Joe ne cachait pas on amertume. C’est vrai, quand on voit le film, on ne voit que Tonton Leon avec son haut de forme. Mais bon prince, Joe écoute quand même les bandes, donne son accord et se barre sans ajouter un mot.

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    La liste des poids lourds ne s’arrête pas là. Voilà les Who. Bluto eut la chance de bosser comme ingé-son avec Shel Talmy - I was lucky enough to record a few of the early singles they did with Shel, including «My Generation» - Un peu plus tard, il enregistre «Won’t Get Fooled Again», depuis le Stones Truck. Il n’est pas dans le studio, mais quand il entend arriver le son des Who, il sent ses cheveux se dresser sur sa tête - My hair being parted by what was coming out the speakers - Il ajoute qu’il avait déjà entendu pas mal d’énormités dans sa vie, mais le son des Who dépassait tout. Il revient aussi assez longuement sur Moony. De la même façon qu’il a vu Brian Jones se désintégrer, il voit Moony péricliter. Dans un cas comme dans l’autre, il ne se montre pas très charitable : «Keith pouvait être très drôle. Mais hélas, il ne s’arrêtait pas là, et ce qui commençait par être drôle finissait par devenir extremely unpleasant.» Il y a notamment l’histoire de la robe blanche. Lors d’une soirée chez Bluto et sa femme Sylvia à Los Angeles, Moony fait le con en arrosant les jardiniers mexicains. En représailles, Sylvia jette ses fringues qu’il avait soigneusement pliées dans la piscine. Moony pique une crise de rage et demande en dédommagement qu’elle lui prête une robe blanche brodée de fleurs, puis il s’en va. Quelques années plus tard, Clapton et Bluto échangent quelques anecdotes sur les Who et à un moment, Clapton raconte qu’un jour, à l’Hyatt House hotel où il résidait, il a vu Mooney se pointer vêtu d’une robe blanche brodée de fleurs.

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    Bluto se retrouve un jour en charge des London sessions de Wolf. Le mec de Chess qui supervise l’opération embauche Ringo et Klaus Voorman. Mais Bluto sait bien que Ringo et Klaus ne sont pas des musiciens de blues. Ringo se demande même ce qu’il fout là et dit à Bluto qu’il veut se barrer. Alors Bluto suggère au mec de Chess les noms de Bill & Charlie, avec Stu au piano. C’est d’accord et Bluto appelle Bill chez lui dans le Suffolk. Bien sûr, Bill rapplique aussitôt. Dans le control room, Wolf papote avec Bluto qui ne comprend rien - I did not understand a great deal of what he said, as he had an almost unintelligible accent - Mais le plus triste de cette histoire nous dit Bluto, c’est que Wolf ne semblait pas comprendre ce qu’il foutait là, à Londres. Il ne connaissait même pas les noms des musiciens, et comble de malaise, il n’était pas vraiment en bonne santé.

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    En 1970, Bluto se voit sollicité à la fois par Humble Pie et par les Faces. Il commence par enregistrer le premier album d’Humble Pie à l’Olympic, mais il se dit déçu par le groupe. Bizarre. Il enregistre encore Rock On avec eux puis il décide d’arrêter. Stop. Il enregistre le troisième album des Faces, A Nod Is As Good As A Wink To A Blind Horse et là il dit se régaler. Et nous aussi, d’ailleurs. On trouve aussi dans le book un petit règlement de compte avec Phil Spector. Ça n’a rien de surprenant, étant donné que l’affreux Totor a remixé le travail de Bluto sur Let It Be, et forcément Bluto le prend mal, mais vraiment très mal : «John gave the tapes to Phil Spector who puked all over them - c’est-à-dire qu’il a vomi dessus - transformant l’album into the most syrupy load of bullshit I have ever heard.» On voit bien qu’il est en pétard. Et pourtant, Totor a fait des merveilles sur Let It Be. Ils ne sont que deux à ne pas le voir : Bluto et McCartney. Il faudra leur offrir une boîte coton-tiges à Noël. D’ailleurs McCartney a fini par sortir un Let It Be naked, celui de Bluto, justement.

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    Et puis le temps passe et les modes évoluent. Bluto perd ses repères. Mais il avoue encore quelques coups de cœur pour des gens comme Andy Fairweather-Low ou Joan Armatrading. Il fait trois albums avec elle, Show Some Emotion, To The Limit et Steppin’ Out et dit qu’ils font partie de ses albums favoris. Bluto enregistre aussi sur fameux Rough Mix de Pete Townshend & Ronnie Lane. Comme il était dans la dèche, le pauvre Ronnie vint demander de l’aide à son vieux poto Pete qui lui a proposé de faire cet album superbe. Fasciné par l’idée, Bluto accepta aussi sec de leur filer un coup de main. Il dit que c’est l’un de ses albums favoris and certainly one of the best I ever made. On sort de ce book ravi d’avoir recueilli toutes ces confidences, même si certaine son un peu pète-sec.

    Signé : Cazengler, pour qui sonne le Glyn

    Glyn Johns. Sound Man. Plume/Penguin 2015

     

    L’avenir du rock - They call me the Hunter

    ( Part Two )

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    Il se pourrait bien que James Hunter soit l’un des artistes majeurs de notre époque. Tous ceux et celles qui l’ont vu sur scène le savent déjà, mais ça ne représente pas beaucoup de monde. Ce mec a déjà un gros parcours, mais il n’est pas encore en couverture des magazines. Pour le croiser dans la presse rock, il faut se lever de bonne heure. Serrons donc la pince d’Alice Clark pour la remercier d’avoir consacré six pages à James Hunter dans un vieux numéro de The Blues Magazine qui fut, soit dit en passant, un support d’un excellent rapport. Dès le chapô, Alice Clark tape dur : elle cite les noms de Van Morrison, Georgie Fame et Allen Toussaint pour bien situer le contexte, car oui, l’Hunter navigue dans ces eaux-là.

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    L’Hunter-national raconte son histoire de la même façon qu’il joue sur scène : en rigolant comme un bossu. Quand Alice Clark lui demande si l’histoire de la caravane dans un champ d’oignons est vraie, l’Hunter-continental éclate de rire. Oui, c’est vrai, il a grandi à Colchester, Essex, dans une caravane et le voyant privé de distractions, sa grand-mère lui offrit ce qu’on appelle une dansette et un 78 tours de Jackie Wilson, «Reet Petite» - I heard it and it gave me the taste - Jackie Wilson, c’est pas mal, comme point de départ, non ?

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    Pour bien ferrer son sujet, Alice Clark rencontre l’Hunter-féré dans un coffee bar de Brighton, où il s’est installé. Elle le voit arriver en vélo et parler de ses deux chiens, deux terriers, Sugar & Honey, mais la conversion roule aussi sur John Lee Hooker, Etta James et Allen Toussaint. Il revient sur ses débuts, et il avoue que ce n’était pas facile. Pour vivre, il bossait pour le British Rail, à réparer les signaux, comme dans The Navigators, le film de Ken Loach. Il joue le soir après le boulot et finit par envoyer une démo à Ted Carroll, chez Rock On, à Camden. Ça plaît bien et l’Hunter-urbain vient chaque week-end à Londres. Il s’acoquine avec Dot & Tony pour aller busker dans les rues et se faire un billet. Il est surpris à l’époque de rencontrer des gens qui ont les mêmes goûts que lui, the old blues and R&B and Soul. Nos buskers ramassent jusqu’à 40 £ qu’ils vont aussitôt claquer en disques chez Rock On - Rock On was really something - Quand un mec comme l’Hunter-galactique parle ainsi, ça veut dire ce que ça veut dire.

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    C’est la période d’Howlin’ Wilf & The Vee-Jays et de l’album paru sur Big Beat, Cry Wilf, dont on a déjà dit le plus grand bien dans un Part One qui doit dater de 2018. Alice Clark qui fait bien son boulot rappelle que Boz Boorer produisit Cry Wilf, et elle cite comme influences Lee Dorsey, Georgie Fame et Jackie Edwards. Pas mal, non ? Dommage qu’elle n’insiste pas davantage sur la classe de Dot, la guitariste du groupe, une blonde avec une grosse Gretsch, gosso-modo le même trip qu’Ivy, en version londonienne. Mais en dépit d’un énorme potentiel, Howlin’ Wilf & The Vee-Jays passent à la trappe. Alors l’Hunter-actif reprend son petit bonhomme de chemin, plom plom plom, il joue ici et là, jusqu’au jour où Van Morrison le repère et lui demande de venir l’accompagner sur scène. Oh ben oui ! On entend l’Hunter-modal sur deux albums de Van the Man, A Night In San Francisco et Days Like This. Et pendant la tournée de promo américaine, pouf, il se retrouve sur scène avec deux de ses idoles, John Lee Hooker et Georgie Fame. Hooky qui trouve l’Hunter-polé marrant l’invite à une house party, et là, l’Hunter n’en revient pas, des kids jouent un 78 tours sur une dansette, comme lui quand il était petit. Jackie Wilson ? Non Charles Brown. Hooky grommelle : «Who put this shit on ?». Bon là on est en pleine mythologie et Alice Clark demande à l’Hunter-pelé de calmer le jeu. Ça va beaucoup trop vite, Rock On, Jackie Wilson, la caravane, Sugar & Honey, Dot, Van the Man et Hooky, ça fait beaucoup pour un seul article. Bon d’accord.

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    Alors l’Hunter-posé raconte que Georgie et lui parlaient de cinéma, Sidney Lumet et patin couffin et soudain, il remet la pression : le soir du 17 avril 1960, à Chippeham, Georgie raconte qu’il arrive à la police station juste après l’accident qui vient de coûter la vie à Eddie Cochran et il voit la Gretsch d’Eddie sur une chaise.

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    Comme l’Hunter-venant a guesté sur deux de ses albums, Van The Man lui retourne la politesse en guestant sur son premier album, Believe What I Say - I was struck by his voice, he sings at a consistent level of volume. His quiet notes go just as high as his loud ones (J’étais scié par sa voix, il chante toujours au même niveau, avec la même puissance) - Van the Man et l’Hunter-naute duettent sur deux covers de Bobby Blue Bland, «Turn On Your Love Light» et «Ain’t Nothing You Can Do». Sur cet album, il duette en plus avec Doris Troy, pardonnez du peu. Mais en dépit de tous ces coups d’éclat, l’Hunter-rompu se retrouve une fois de plus le bec dans l’eau, contraint de bosser sur des chantiers et de busker le week-end to make ends meet comme le disent si joliment les Anglais. Eh oui, on peut avoir du génie et connaître des fins de mois difficiles. L’Hunter-stice est tellement déterminé à vaincre qu’il lâche son boulot pour aller busker tous les jours sur Old Crompton Street, ce qui lui permet de doubler ses revenus. Tous les buskers le savent, et Dave Brock le premier, le busk peut rapporter gros - It was a dark time for me but the music was good - C’est très exactement ce qu’on apprécie chez l’Hunter-cédé, cette façon de prendre les choses du bon côté et de s’amuser coûte que coûte. On en bave, mais on se marre. Son troisième album People Gonna Talk finit par sortir sur Rounder et le voilà en tournée aux États-Unis. Il se retrouve en première partie d’Aretha et d’Etta James. Ça bingotte sec sur la piste aux étoiles ! En 2008, il a le privilège d’avoir Allen Toussaint comme guest sur son album The Hard Way. L’Hunter-lude en profite pour taper l’éloge du siècle : «Elegance and economy aren’t often used in the same sentence, but both qualities informed his playing and, as I discovered after I got to know him, through his conversation. He always played or said just enough and no more, but he made the point more eloquently than anyone I have ever met.» (On trouve rarement les mots élégance et économie dans la même phrase, mais on trouve ces deux qualités dans son jeu et dans sa conversation. Il ne dit jamais un mot de plus que ce qu’il faut dire et il est le mec le plus éloquent qu’il m’ait été donné de rencontrer). Que les pipelettes et les commères du village en prennent de la graine. C’est l’époque où Allen Toussaint, chassé de la Nouvelle Orleans par l’hurricane Katrina, s’est installé à New York. S’ensuit la rencontre avec Gabe Roth et l’enregistrement de Minute by Minute à Daptone West, qui se trouve à Riverside, en Californie. Chez Daptone, l’Hunter-mezzo se sent enfin à la maison. Et la Soul a de nouveau de beaux jours devant elle.

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    Son dernier album qui s’appelle Nick of Time grouille de pépites à l’ancienne. Rien qu’avec «Never», «Brother Or Other» et «Paradise For One», Nick of Time entre dans la caste des classiques de la Soul moderne, au côté des albums de Freddie Scott, d’Arthur Alexander ou de Clarence Reid, pour n’en citer que trois. Avec «Never», l’Hunter-cepteur remonte le courant, il chante au smooth de l’inespérance à travers des accords de cuivres inconnus. Il crée une nouvelle dimension de la Soul, mais en même temps son originalité le rend inclassable. «Brother Or Other» est l’occasion pour lui de nous emmener faire la fête en ville. Il groove son groove et shake son shook à un niveau qui nous dépasse, tellement c’est inspiré. On retrouve chez lui l’aisance vocale des géants comme Brook Benton ou Solomon Burke. Il joue «Paradise For One» aux accords de paradis du jazz blues. Oui, James Hunter sait jiver le jazz, il sait couler des bronzes extraordinaires, il détient tous les pouvoirs du magicien, notamment celui de savoir jouer la pompe manouche. En l’écoutant, on le revoit, sur scène il est toujours poilant, toujours en train de déconner, même s’il gratte des trucs terribles sur sa gratte jaune. On le voit se fondre avec «Can’t Help Myself» dans le groove africain. Il est à la fois joueur et sérieux. Il sort sa niaque dès «I Can Change My Mind», let me tell you, il chante au bien fondé du aw baby, il ramène toute la blackitude du monde dans son aw aw aw. Dès qu’il attaque un cut au smooth, on crie au loup. Il secoue les coconuts du paradis avec «Who’s Looking You». Pour redorer le blason du groove, il dispose d’une aisance déconcertante et d’une grâce qu’il faut bien qualifier d’indicible. Son péché mignon doit être le jazz blues car il y revient avec «Till I Hear From You». C’est cuivré dans l’axe et rehaussé d’harmo, c’est plein d’une vieille énergie qui ne veut pas dire son nom, ni groove, ni blues, just the Hunter-face sound, un truc bien à lui. On a constamment l’impression d’entendre un géant du smooth, du genre Sam Cooke ou Bobby Blue Bland. On entend même les castagnettes de Totor dans «Missing In Action». Il attaque son «Ain’t Goin’ Up In One Of Those Things» à la Georgie Fame, c’est-à-dire au vieux rumble de jazz. Ce démon de James Hunter allumerait n’importe quel groove de jazz, il dispose de pouvoirs considérables, d’autant plus considérables qu’il passe là un solo de guitare délicieusement ahuri. Voilà donc un homme qui offre une fête qu’on voudrait sans fin.

    Signé : Cazengler, Hunter-minable

    James Hunter Six. Nick Of Time. Daptone 2019

    Alice Clark : Night Of The Hunter. The Blues Magazine # 29 - April 2016

     

     

    Syl Sylvain m’était conté - Part Two

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    Après les Dolls, Sylvain Sylvain reprend son petit bonhomme de chemin. Il bricole un peu avec les Criminals et lorsque David Johansen lui propose 2 000 $ pour l’accompagner en tournée européenne, il accepte. Il compte sur ce blé pour financer son projet. En rentrant à New York, il croise un vieux pote nommé Ron Roos qui lui propose un deal chez RCA. Wow ! Solo Syl n’en revient pas ! RCA, le label d’Elvis, de Bowie et de Lou Reed ! Il saute de joie. RCA ! RCA !

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    Son premier RCA sort en 1979 et s’appelle Sylvain Sylvain. Il opte pour un look beaucoup plus sobre qu’au temps des Dolls et attaque avec le fameux «Teenage News» sur lequel il comptait pour relancer la machine des Dolls qui était en panne. Solo Syl joue la carte du fin du fin sur beat fruité et chœurs d’artichauts. C’est extrêmement bien produit, embarqué au c’mon c’mon, idéal pour les jukes du New Jersey. Solo Syl annonce la couleur : ce sera du soda-pop drive. Mais le revers de la médaille, c’est que le son est très typé. «What’s That Got To Do With Rock’n’Roll» est très joué, trop joué, trop propre, on perd le trash des Dolls. Solo Syl ramène des chœurs de folles mais le son est nettoyé. Il faut attendre «Every Boy & Every Girl» pour retrouver la terre ferme. Quelle énergie ! Mais ça reste très pop. Solo Syl fait son Brill - Closest together/ Closest than ever - De toute évidence, il vise l’éclat du Brill. Il met de l’écho sur le beat et ça sonne bien les cloches. Il reste dans le haut de gamme avec «14th Street Beat». Il fait du jump avec «I’m So Sorry», il dispose d’une belle puissance de groove et d’une profondeur de champ extraordinaire. Il savait qu’on allait claquer des doigts. Quand on écoute «Deeper & Deeper», on comprend clairement que Solo Syl a tout compris aux jukes, il sait se rapprocher des chaudasses avec tact et un solo de sax vient trouer le cul du cut. Tout est bien foutu sur cet album. Solo Syl a tout le son dont il peut rêver. Il brasse à la grande largeur, il croise dans le lagon d’une prod idéale. Il boucle sa petite affaire avec «Tonight» et un heavy solo de sax urbain. C’est la grandeur du kid Syl.

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    Deux ans plus tard, Solo Syl monte un autre projet avec une batteuse et un saxman, Syl Sylvain & the Teardrops. On trouve sur cet album un sacré coup de génie intitulé «Dance Dance Dance». Énorme car joué au sax, you know I love you babe, New Jersey on the beat, cœur battant de solo sax, merveille impérissable. Il y a tout le son du monde dans cette merveille, Syl est un crack de la résonance du sax dans le son. Il sort aussi le vrai son pour «Formidable», vrai son tout du long, Solo Syl explose la frontière de la power pop de Brill, c’est excellent, inspiré, vif argent, fouillé dans la masse, avec un Syl qui multiplie les effets de voix au chant persistant. Il fait de la Stonesy de clap-hands avec «It’s Love», mais il va trop sous le boisseau, c’est incendié de l’intérieurs, ça halète au bord du chemin. Mais il se vautre sur pas mal de cuts, comme ce «Crowded Love» au son trop putassier, on croirait entendre un bastard à la mode. Pire encore, «Lorell» qui sonne comme un tue-l’amour. Il renoue avec le big Brill dans «Can’t Forget Tomorrow» et ramène énormément de son. C’est l’autre hit de l’album. Solo Syl sait ce qu’il veut : du Brill. Son «Medecine Man» tient bien la route, avec une bassline ronflante et le big push du beat au cul. Fantastique petit Solo Syl, il reste à la hauteur de sa réputation. Encore de la bonne pop avec «Teardrops». Il grenouille dans la jouvence, c’est un killer popster, il explose 1000 fois plus que n’explosera jamais Graham Parker. Solo Syl sort du rang, il est du cru.

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    En 1997, il sort un nouvel album solo, (Sleep) Baby Doll, qui est en fait l’album de la nostalgie. Il y fait une version de «Trash» assez magique. Frankie Infante joue sur cette resucée bien remontée des bretelles, aussi vivace que la version originale. Version mythique de «Your Society Makes Me Sad». Solo Syl envoie un sacré clin d’œil à son vieux poto Johnny. Andy Sheppard coule un joli bronze de sax. L’hommage sonne comme un beau cadeau d’adieu. Solo Syl amène une fois de plus une incroyable profondeur de champ. Il chante en plus comme un dieu. Rien que pour ce tour de magie, il faut rapatrier l’album. Le «Paper Pencil & Glue» qui ouvre le bal réinstalle Solo Syl sur son petit trône de popster impénitent, il faut le voir rifffer sur sa grosse guitare blanche et construire la tension, il est assez balèze à ce petit jeu, c’est visité en plus par l’esprit du son. Quelle classe ! C’est beau et explosif à la fois, in your face. Il semble couler ça sous le boisseau d’argent du Brill. Il rend hommage à Bo Diddley avec «Oh Honey», il reste dans l’esprit des Dolls, c’est relancé à l’infini. On a là l’un des plus beaux hommages au Bo qui se puissent imaginer. Solo Syl ne déçoit pas les amateurs car voici «Hungry Girls» et sa fantastique allure. Solo Syl est le crack boom, il plane autour de lui un fort parfum de légendarité, et ça se mélange à la niaque et à la profondeur du son. Encore une belle merveille avec «I’m Your Man». Stupéfiante assise stompique, Baby I’m your man, hommage aux Pretties. Rudi Protrudi est dans les backing vocals. C’est amené au heavy trash de basse, on retrouve le Syl créatif, le mec qui a des idées fantastiques, le vif argent des Dolls c’est lui, il est bon de le rappeler. Sa version élastique d’«I’m Your Man» balaye toutes les autres. Il semble bricoler une bombe vite fait et ça saute. Boom ! On le voit aussi tremper dans la balladiverie du Queens où il a grandi («Another Heart Needs Mending») et propose avec «Forgetten Parties» l’instro ambiancier de rêve, un instro effarant de réalisme urbain.

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    Bon, les fans de Sylvain Sylvain se seront tous jetés sur le petit coffret pondu par Easy Action en 2004, New York’s A Go Go. On y retrouve l’album précédent qui s’appelle aussi Paper Pencil & Glue et le disk 2 est le fameux 78 Criminal$ réédité par Munster sous le titre Bowery Butterflies. Solo Syl nous fait le coup du New York Sound avec «The Cops Are Coming» et «14th Street». Il sait mettre le paquet quand il le faut. Il renoue avec la vieille énergie des Dolls, avec des clap-hands et du son. Il va plus sur la power-pop avec «Emily». C’est le hit de Syl choo-choo-choo-choo. Il sait embarquer un hit de Brill pour Cythère. On retrouve aussi «Teenage News». C’était trop pop pour les Dolls. Johnny Thunders n’y croyait pas. C’est une autre veine. Dans «Kids Are Back», Solo Syl essaye de marier la petite pop avec des chœurs de Dolls, mais ça ne marche pas à tous les coups. Il tient pourtant la dragée haute au Brill, il ne fait rien à moitié.

    Signé : Cazengler, Sylvain est tiré il faut le boire.

    Sylvain Sylvain. Sylvain Sylvain. RCA Victor 1979

    Syl Sylvain & the Teardrops. RCA Victor 1981

    Sylvain Sylvain. (Sleep) Baby Doll. Fishead Records 1997

    Sylvain Sylvain. New York’s A Go Go. Easy Action 2004

     

    CALIFORNIA DREAMIN'

    Ah, la Californie ! Ses plages de sable fin, ses surfers, ses beautifull peoples, ses guitares gorgées de soleil, ne me remerciez pas de vous y emmener, l'ère hippie est terminée depuis longtemps, les temps ont changé, est-ce la métamorphose climatique qui inspire de nos jours les groupes métalliques, plutôt que de chercher à répondre à cette fausse question, prêtons une oreille compatissante à quelques nouvelles formations de cette édénique contrée. Pour ceux qui n'aiment pas prêter, je vous rassure, nul besoin de vous fatiguer, le son est si fort qu'il squatte votre esgourde sans cérémonie. Et quand il ressort vous n'êtes pas pour autant soulagé, vous avez le tympan qui vibre durant au moins quinze jours.

     

    GULCH

    Le groupe s'est formé en 2016, entre Vera Cruz et San José, c'est son premier album chroniqué ci-dessous – on a rajouté en tête de gondole deux titres parus voici peu – qui a fait le buzz chez les amateurs de musique violente, cet appel d'air a été aussi suscité par des prestations de haut vol. Ont commencé par quelques moreaux enregistrés sur cassettes tirées à très peu d'exemplaires. Petits tirages mais rééditions successives avec goût inné pour vinyles multicolorés. Beaux objets. Signe des temps, sont eux-mêmes effarés du succès de leur merchandising à tel point qu'ils ont parfois l'impression d'être davantage des vendeurs de sweats à capuche que des musiciens.

    Le groupe a quelque peu varié : Elliot Morrow : vocal / Cole Kakimoto : guitars / Sammy Ciaramitaro : drums / Tim Flegal : bass. Il semble que ce dernier ait été remplacé par Mick Durrett et que le groupe ait été rejoint par le guitariste Christian Castillo.

     

    SUNAMI GULCH SPLIT

    ( Triple B Records / Mars 2021 )

    Prenons quelques précautions. Cet objet est dangereux nous n'en écouterons que la moitié, nous gardons l'autre pour la livraison prochaine. Sur ce modeste EP cohabitent en effet deux groupes : Sunami et Gulch. Si vous aimez le calme évitez de louer un appartement sur le même palier, ce seraient des voisins bruyants. Ce n'est pas que vous ne pourriez pas dormir la nuit, c'est que vous ne parviendriez pas à survivre le jour. Suffit de regarder la pochette dessinée par Brad Hoseley pour comprendre que ce sont deux génies du mal qui sont sortis de la lampe diabolique ( d'Alladin Sane, visez l'ambiguïté bowienne ), n'ont pas l'air contents mais comme celui qui représente Gulch est plus noir et davantage cramoisi que son alter ego, nous l'avons élu.

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    Bolt swallower : Assommage gratuit. Ne se pressent pas, il y en aura pour tout le monde, le vocal en prophétie politique pour l' ici et maintenant tout de suite, une bouche d'ombre qui vous agonise de votre propre réalité, et tout s'emballe car l'être humain a besoin qu'on lui répète l'horreur sociétale dans laquelle il se débat pour qu'il en prenne conscience. Surprise à la fin de la tonitruance, une douce musique imprègne l'atmosphère, que voulez-vous le monde est ainsi séparé, le bruit et la fureur pour les domestiques, la suavité et la douceur pour les maîtres. Accelerator : moins de deux minutes, il n'en faut pas plus pour que l'ouragan se déverse sur vous, hurlements, fureurs d'ours blancs, batterie affolée, guitares grondantes sans retenue, l'accélérateur court dans vos veines et vous détruit. La vie est une drogue qui mène à la mort. La violence décanillée de l'impact sonore pour vous rappeler qu'il n'existe pas de contre-poison. Constat froidement inéluctable. C'est ainsi. Comme cela. Pas besoin non plus d'en faire une maladie. Merveilleux shoot d'adrénaline qui vous aide à vivre

    IMPENETRABLE CEREBRAL FORTRESS

    GULCH

    ( Closed Casket Activities / Juillet 202O )

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    Belle couve. La première fois qu'elle m'est apparue s'est imposée à moi l'idée d'un artiste mexicain, un petit côté muraliste, tout faux, Boone Naka est originaire du Canada. A son actif deux seules pochettes rock de... Gulch. Normal elle ( ? ) est spécialisée dans les tattoos, les bikers de Vancouver doivent en être recouverts. Etudiante elle a adoré son prof, vieil hippie qui faisait écouter les Beach Boys à ses élèves – l'intro de cette chro n'est donc pas si déconnectée que cela – si ses tattoos participent de ce que l'on pourrait nommer des engrammes symboliques, cette toile s'inscrit dans un tout autre registre relevant d'une vision rituellique. Je ne sais pas pourquoi ( là je mens ) l'image m'évoque un ancien rituel toltèque, le don du sang, selon lequel la prêtresse verse l'eau de mort issue des quatre vierges qui ont été sacrifiées en l'honneur du dieu Tezcalipoca qui par traîtrise a pris le pouvoir sur Quetzalcoalt, c'est cette cérémonie sacrificielle qui forme la trame profonde et occulte du roman Le serpent à plumes de D. H. Lawrence.

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    Impenetrable cerebral fortress : ce premier morceau est le titre éponyme de l'album. Toute forteresse. si inébranlable qu'elle soit, suscite un impétueux désir de pénétration, de porter l'assaut pour la conquérir, ne soyez pas étonné par la violence de l'attaque meurtrière qui fond sur votre tour mentale. Beaucoup classent Gulch dans le metal hardcore. Ce qui est bien gentil, mais l'écoute de l'opus nous forcerait plutôt à reconnaître en lui un des chevaux fous du grindcore. Souvenons-nous que les étiquettes sont faites pour être arrachées. Folie furieuse, batterie folle, vomissures sauvages de vocal, grincements confus, volcan dévastateur en éruption. Vous ne reprendrez pas votre esprit. En moins de deux minutes l'ennemi l'a saccagé. Cries of pleasure, heavenly pain : batterie wagnérienne, guitares en sirènes d'alarmes, bombes vocaliques lâchées sans relâche, si votre esprit a éclaté il vous reste les plaisirs orgasmiques de la chair, si violents qu'ils s'apparentent à une séance de torture. Ejaculation précoce, moins de deux minutes, une émission de sperme équivaut à un rai de foudre qui vous transperce le corps. Self-inflicted mental terror : jamais quitte, l'être humain fonctionne à la manière d'une partie de tennis, la chair renvoie une balle de haine à l'esprit, ce morceau est autant une agression sexuelle qu'un viol de conscience que le corps s'inflige, encore une fois en moins de deux minutes une destruction totale, que rien ne subsiste tant que tout palpite, un désir de mort n'est pas la mort du désir. Intraveineuse phonique dévastatrice. Lie, deny, sanctify : vrilles de larsens et dégueulis de vocal, hachoirs de batterie sur les os de votre pensée, vocal époumoné, bruitismes éhontés, lorsque tout est foutu en l'air, il n'y a plus de haut ni de bas, la chair et l'esprit s'égalisent, vous prenez conscience de cette révélation à la manière d'une rafale de mitraillette qui vous traverse et baisse le rideau. Fuckin' towards salvation : ronronnements monstrueux d'une rythmique qui se dirige vers le cataclysme, vocal tassé à coups de pelle dans le bocal du mental, vous rampez dans l'enfer et l'horreur indicible réside en le fait que ce désir d'auto-destruction est aussi celui qui vous élève. All fall down the well : grincements insupportables, vocal de volatile égorgé, batterie tueuse, hurlements, foutez-tout en l'air, tripes et boyaux éjectés, vous étiez au plus haut et vous voici au plus bas. Encore plus profond que la mort. Shallow reflective pools of guilt : oreilles trouées par des sifflements impromptus et le vocal plonge dans les excréments puants de l'âme pour s'apercevoir que ce n'est pas grand-chose. Juste une idée de la réalité qui n'est pas tout à fait juste. Sin in my heart : ce n'est pas l'amour fou mais l'amour punk, une chanson volée à Siouxie et ses Banshees, intro romantique à la belle sonorité, mais le rythme se précipite, le gars s'égosille, la musique en devient presque symphonique mais le vinaigre de la rythmique punk vient vicier la confession, voyez-vous tout se passe dans la tête, chant de triomphe et de victoire, la forteresse reste imprenable.

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    Une boucherie sonore inqualifiable, nous sommes d'accord, mais la barbaque saignante arrachée à pleines dents sur le dos de la bête ( humaine ) l'on aime ça. Ce qu'il y a de beaucoup plus surprenant c'est que Gulch n'est pas vraiment éloigné de la postulation baudelairienne exposée dans Les fleurs du mal. Reconnaissons qu'ils hachent un peu trop leurs alexandrins mais question méditation métaphysique ils ont tout compris. D'instinct. Quant à la force de la musique, elle s'impose d'elle-même. Un fer rouge sur l'épaule du condamné.

    Damie Chad.

     

    *

    Un groupe un peu différent. Un disque étrange. Vient du Maine. Très simple à situer sans avoir besoin de regarder une carte, façade Atlantique, l'état tout en haut qui jouxte le Canada. Un groupe américain. Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais au dixième groupe venu de la patrie du rock'n'roll que j'écoute, je me dis que ce n'est pas mal, mais si de temps en temps ils pouvaient faire un effort et chanter en français ce serait bien. Mais non s'obstinent tous à jacter leur sabir incompréhensible. Tous ? Objection votre honneur, j'en ai dégoté un qui chante en français. Relativement ( franchement einstonnant n'est-ce pas ) sans accent en plus ! Sur tous leurs disques ! Un véritable parti-pris esthétique, mûrement réfléchi et assumé.

    UNE VOILE DECHIREE

    FORÊT ENDORMIE

    ( Red Nebula / 2020 )

    Couve romantique due à Jordan Grimmer, vieux rafiot de bois gréé en sloop à la voile déchirée sur une mer indocile qui poursuit sa route improbable tandis qu'au loin un soleil fractal s'insinue dans la noirceur tempétueuse de nuages sombres comme la mort. Les amateurs de jeux vidéos et de couvertures d'album metal trouveront sur le site de ce concept artist, ainsi qu'il aime à se définir, ses images d'outre-mondes de rêves et de cauchemars qui peupleront désormais leurs imaginations phantasmatiques.

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    J'ai toujours pensé qu'il existait d'étranges similitudes entre un groupe de rockabilly et un quatuor à cordes. Forêt Endormie n'est pas un groupe de rockabilly, donc ils ne se prennent pas pour un quatuor, descendent beaucoup plus bas dans l'ignominie, se décrivent sans complexe comme un orchestre de chambre, et il suffit de ne même pas leur accorder une oreille inattentive pour s'apercevoir qu'ils procèdent davantage de Debussy que du Blue Öyster Cult. Certains s'en tireront en proclamant qu'ils s'inscrivent dans le sous-ordre du metal neo-folk, je veux bien mais alors il s'agit d'un metal sans une once de fer. Ni d'argent, ni d'or, ni de platine.

    Jordan Guerrette est le principal instigateur de ce projet, sous prétexte d'une lointaine ascendance française, il a décidé d'écrire et de chanter en français. He's in love with the french language, la terre est peuplée de types bizarres. Le plus étrange c'est que ces originaux qui cherchent à se démarquer de la commune humanité qui les entoure sont très souvent les plus passionnants.

    Jordan Guerrette : guitare électrique, synthétiseur, harmonium, voix / Emmett Harity : piano, harmonium, synthétiseur / Sarah Mueller : violon / Laurent Viera : synthétiseur, voix / Maria Wagner : Clarinet / David Yearwood : contrebasse.

    Bientôt cette forêt deviendra cendres : concentrons-nous d'abord sur les paroles, certes c'est du français mais prononcé par un Amerloque, ce n'est pas que son accent soit à couper au couteau, pas du tout, mais il pose les mots à des hauteurs vibratoires différentes de nos grenouillages nationaux. Mais ce n'est pas tout, possède du vocabulaire mais quand il écrit il traduit de l'amerloque, les structures et les expressions sont différentes, cela pourrait donner un infâme galimatias genre traducteur d'il y a vingt ans, mais non, cela opère plutôt une espèce de tremblé poétique non dépourvu de charme. Accentué par des paroles assez mystérieuses, encore faut-il comprendre qui parle, ici c'est la forêt en attente de l'incendie qui la détruira. Pas de fable écologique, l'humanité n'est pas accusée, même si peut-être elle sera la cause du désastre qui s'approche, le problème est ailleurs, celui de la perception de la catastrophe par un organisme incapable de penser. Existerait-il un instinct végétal à l'instar de celui que nous accordons au règne animal. Ce langage sans mot, tout de sensation passerait-il par l'eau, quelques scientifiques ont évoqué, non sans subir les foudres et les moqueries de leurs confrères, la mémoire de l'eau, mais ici Jordan Guerrette semble avancer l'idée d'une prescience de l'eau. Idée révoltante pour les tenants d'une stricte logique aristotélicienne qui ne se sont jamais intéressés à cette notion très embarrassante d'entéléchie chère au stagirite car remettant en cause le principe du moteur immobile, autrement dit la croyance que toute chose n'est que la conséquence d'une cause. Voici un texte bien énigmatique et aux profondeurs vertigineuses. Dans un court topo son auteur nous prévient qu'il est à considérer comme l'expression symbolique de l'accablement qui saisit l'individu lorsque se profile la venue inéluctable de la mort. Transparence d'un bourdonnement qui surgit du silence, s'amplifie et s'étale en vastes vagues violonnantes, ondes de tristesse sur laquelle se pose la voix étirée de Guerrette qui pousse les syllabes à leur maximum d'intensité, tel un mourant qui s'essouffle à laisser un dernier message à ses proches, une élégie funèbre adressée au monde extérieur, la voix est parfois épousée de fragrance féminine dépourvue de toute charnellité, et la plainte du violon se tord sur elle-même tel un serpent à l'échine brisée qui s'enroule pour agoniser, ne reste plus qu'un doigté de cordes comme des gouttes d'eau qui s'effilochent d'une feuille d'arbre pour s'écraser à terre, alors s'élève un oratorio orchestral magnifique, l'ultime sursaut de la vie avant la fin. La mer nous attend : l'on s'attendrait à un déploiement d'extrême violence en rapport avec la voile abîmée du sloop sur la pochette mais non, une contrebasse funeste se fait entendre, l'on songe que vue de l'intérieur son architecture n'est pas sans analogie avec l'agencement des planches et des poutres d'un navire, une impression de calme magnifiée par le violon saisit l'auditeur, pas un mot, la mer serait-elle un refuge, une berceuse sans cesse recommencée. L'ancre est levée : quelques notes de piano comme traînées d'écume vivifiante sur le visage, deux voix, la masculine et la féminine en écho, l'espoir du voyage, de la dérive entrevue au nord s'élève dans les âmes, la mer est grosse de volupté idyllique, il semblerait qu'une pointe d'inquiétude sous-jacente... mais non tout est calme, serein, paisible. Nuages orageux : obésités de contrebasse peu à peu peuplées de notes cristallines et la clarinette qui klaxonne telle la conque des naufrages qui prévient en sourdine que le danger se précise, une note maintenue trop longtemps insiste sur l'imminence des orages, nous n'assisterons pas à la tempête, cette musique n'est pas anecdotique, elle se contente de suggérer la possibilité du possible. L'orage est entrevu en lui-même et non en ses relations avec le peuple des humains, sachez lire les images auxquelles vous vous identifiez.

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    Les champs négligés : l'attrait du néant, de retour dans le monde des hommes, les voix s'élèvent tel un chœur d'église en une splendeur oratoriale, ruissellement synthétique, que de ferveur, l'on se croirait en plein bonheur, mais non c'est le chant du cygne, l'homme s'est enfermé en une tour d'ivoire de solitude, il mourra pour ne pas avoir entendu les voix de la nature, pour avoir mal compris ce qu'elle chuchotait, ce n'est pas elle qui sera rayée du globe terrestre mais la race humaine impie. Est-ce un hasard si cet avertissement létal est celui qui jouit de la plus grande splendeur orchestrale. Existe-t-il une beauté qui soit ironie pure ? Cendres : retour au thème initial, à l'efflorescence instrumentale précédente, juste des cordes de contrebasse que les doigts agrippent, et une lourde plainte funèbre qui s'exhale, mortuaire. La forêt de nos songes a totalement brûlé. Lit de poussière : nous croyions être parvenus au bout, voici la dernière chance, le couple terminal réuni pour une impossible renaissance, triste musique et voix terne, des nappes sonores qui tombent en pelletées de terre sur le cercueil des illusions perdues, qui s'accroissent et s'accrochent au couvercle pour être sûre que rien ne le rouvrira, plus d'espoir, auto-destructivité nihiliste, majesté grandiloquente de la mort acceptée. Un soleil qui se couche plus tard : notes sereines, clartés entrevues, la voix s'attarde sur elle-même comme si elle ne croyait pas ses propres dires, le printemps est né, serait-on dans les quatre saisons vivaldiennes, après l'opulence des champs négligés de l'été, après la déréliction des cendres de l'automne, après l'hiver du lit de poussière, serait-ce le vere novo vivaldien, rien ne serait donc tout à fait perdu, ah cette cascade vive de notes de piano, le soleil se couche-t-il plus tard que prévu, à moins que le drame de la vie me donne droit à un dernier acte, mais n'est-il pas temps de mettre un terme à cette comédie. !

    L'opus est à considérer en son écriture comme une mini-tétralogie wagnérienne qui serait dépourvue de toute clinquance ( mais aussi de toute signifiance ) mythologique parfaitement en osmose avec notre époque qui est incapable d'ordonner le récit mythique de sa propre réalité, et n'ayant pas encore dépassé cet espace temporel que Nietzsche appelait la montée du nihilisme et dont il estimait le déploiement pour une durée minimale de trois siècles avant d'amorcer sa décrue.

    L'orchestration emprunte aux modalités de la musique classique sans s'aventurer dans les dissonances apportées par l'irruption de la modernité, elle se cantonne en ce que l'on pourrait nommer l'effet de saturation / décomposition phonique qui surgit dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, elle risque de déplaire aux oreilles des rockers pur et durs. Qu'y pouvons-nous si les pistes perdues du rock'n'roll s'égarent en des massifs jugés impénétrables par certains.

    Damie Chad.

     

    *

    Puisque l'on était dans le Maine, autant y rester. Sur wikipedia l'on apprend que 5 % de la population de Portland la capitale de l'état parle français. J'ai donc voulu savoir si tous les groupes du Maine s'adonnaient au french vocal et au néo-apocalyptic-folk comme Forêt endormie. Je n'ai pas poussé mon enquête très loin, le troisième nom que j'ai trouvé m'a vivement interpellé. Je me suis toujours senti une âme apollinienne, donc sans rien connaître d'eux j'ai jeté mon dévolu sur Apollyon, était-ce des néo-païens qui voudraient rendre un culte à l'impitoyable archer qui écrasa de son talon le serpent terrifique. Je ne pense point, si j'en juge aux croix inversées qui ornent leur pochettes j'opterais davantage pour des damnés de la première heure qui ont pris fait et cause pour Satan. J'avertis les kr'tntreaders qui ont aimé Forêt endormie, ici tout n'est que bruit, fureur et kaos. Du vrai rock'n'roll quoi !

    BUILT FOR SIN

    APOLLYON

    ( 2020 )

    Le groupe cultive une certaine opacité, un album numérique paru en 2015, un CD six titres sortis en 2016, une cassette de 11 titres live et ce Built For Sin numérique paru en 2020. Peu de photos, pas d'identité. Le tout est sur Bandcamp. La couve est des plus simples. Visages blafards et ombres noires. Vous pensez à ces photos par lesquelles les flics transforment, si avenante soit-elle, votre tronche en gueule d'assassin récidiviste. Ils ont gardé leur lunettes noires, point pour que personne ne les reconnaisse mais pour que l'on sache que ce sont des agents de la Bête, d'Anton Lavey, du réseau 666, pour qui vous voulez, pourvu que ce ne soit pas des bienfaiteurs de l'humanité.

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    Built for sin : plus qu'un titre : une profession de foi. Pas la meilleure. Au moyen-âge ils auraient fini sur un bûcher pour hérésie. Roulement de batterie et course de guitares, le titre est à l'image de leur revendication, carré, tiré au cordeau, un vocal échevelé et basphématique, arrêts brutaux pour repartir dans les deux nano-secondes qui suivent, un sacré batteur qui pétarade à la manière d'un hot-rod lancé dans le désert et alors que l'on croit que l'on va continuer tout droit, sans que la pression baisse ne serait-ce qu'un quart de pouce s'insinue une indolence rythmique, un balancement luxurieux attrayant comme un appel de syrènes alors qu'un solo de guitare prend feu tout seul. Bastar intoxicator : poinçons introductifs de haut voltage, toujours cette batterie devant et les guitares à sa poursuite, la voix qui chevauche le tout, c'est ultra-rapide, on n'a pas le temps de l'entendre passer, c'est ainsi que l'amour du mal s'insinue en vous, un mirage qui fuit et votre âme le suit sans que vous vous en aperceviez, ce qu'il y a de terrible c'est que la musique devient de plus en plus prégnante, de plus en plus violente, des tentacules de poulpe qui sifflent dans l'air, qui vous lacèrent, qui vous emportent dans des antres inouïs. Ectasies of violence : l'anévrisme est-il une extase, dilatation sonique sans équivalence, sans rémission, un drummin' de folie furieuse et des guitares lance-flammes, vocal agonique. Si vous n'êtes pas mort c'est que vous ne l'avez pas fait exprès. Death lust : gargouillements spongieux dans votre oreille, c'est la voix vomitique de la tentation, la luxure ne serait donc que la lumière qu'émet le corps qui brûle de la réalisation du désir, incandescence absolue, des pas cadencés sur votre corps, les légions du diable vous piétinent, et vous désirez cette annihilation féroce. Jamais un groupe ne vous aura procuré un plaisir féroce aussi vif. Dungeon creeper : attaque surprenante, il s'agit de monter à l'assaut du ciel, pour en chasser les derniers occupants à coups de batterie-mitraillette, cris de haine pour entraîner les troupes rebelles, blitz crackrophonique insupportable, submersion totale.

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    Winds of iron tyrany : rafales tempétueuses, voix martiales, la musique marche au pas, et ravage tout sur son passage, ascendances de guitares, gouffre de basse, éclatements de batterie, une chape de plomb étend ses ailes sinistres et englobe le monde, chants de victoire, monstruosités gutturales, rien n'arrêtera cette marche en avant. We came from the north : bruit de fond qui force et perce les tympans, déplacements de peuplades barbares, les loups d'Apollon lyncée sont lancés sur le monde, morsures sanglantes et incisives, la batterie roule telles les roues des chariots d'invasions sauvages. Eruption de criailleries finales. Blood moon death cult : nuit cultuelle, rituel maudit, le soleil est mort et la lune saigne comme un ventre de sang, catapulte vocale, grondements chamanique de loups, horreurs sans fin, la musique devient écrasante, les guitares crient, la batterie détruit tout ce qui passe à sa portée, pandémonium apocalyptique, folie universelle, walpurgis démentiel. Witch bitch : flamboyance des ronds de sorcière, liesse générale, chant de joie, à pleine gorge, une houle de foule qui déboule dans l'ivresse, triomphe, rondes sardanapalesques, fièvres explosives, cavalcade sans fin, carnaval des désirs libérés, une flamme qui éclate et purifie le monde entier des miasmes anciens. Délivrance. Treshhold : douces notes, oasis de silence, des pas d'enfants, des pieds nus qui se pressent vers le seuil du gouffre, coup sur coup trois hurlements zèbrent l'air telles des lanières de haine et le vocal devient une immonde et gluante bave de crapaud dans laquelle il fait bon se baigner et oindre son corps, réalité ou illusion, le son s'éloigne et revient, se rue en rut, s'interrompt, pour reprendre en plus violent, ici dans ce capharnaüm le bien, le mal, le rêve, le cauchemar ne présentent plus de valeur intrinsèque, apprenez à ce que le monde entier corresponde à votre volonté, respirez, rampez, reprenez votre souffle, et laissez-vous emporter par cette onde subtile et tellurique qui vous emprisonne dans ses anneaux de feu que vous traversez sans difficulté, en qui vous prenez force, joie et assurance, connaissez le rire des dieux et l'éclatement merveilleux de votre volonté qui s'empare de l'univers, libérant vos pulsions les plus acerbes, vous avez vaincu le monstre que vous étiez.

    Apollon ne m'a pas déçu. M'a fait connaître des guerriers plus sombres que l'orichalque noir qui sert de combustible à mon cerveau malade qui refuse de se soigner, qui préfère les thérapies de choc, qui déstabilisent la matière grise et élargit les anfractuosités latentes qui sont lieu de passage et de partage.

    Je n'arrive pas à comprendre que ce groupe soit si peu connu. Les guetteurs de kaos se sont sans doute endormis. Réveillez-vous !

    Damie Chad.

     

    XXXII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

     

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    ''Autoroute 7 km'' indiquait le panneau, exactement ce qu'il me fallait, je ne tardai pas à m'enfiler à toute vitesse dans la bretelle d'accès au péage, peu de monde, les propriétaires à qui j'avais volé le Suv avaient pris soin de fixer sur le pare-brise le macaron qui donnait accès aux voies de télépéage, certes j'avais un tantinet ralenti mais maintenant j'accélérais comme un fou, les deux hélicos me suivaient sans faillir, je donnais mes dernières instructions :

      • Les filles tenez bien les chiens sur vos genoux, d'ici peu ça va tanguer !

    En effet ça tangua salement. Je montai le compteur à plus de deux cents et restaient sur la ligne tout à gauche, les hélicos suivaient bêtement comme des moutons que l'on conduit à l'abattoir, au loin se dessinait le tablier d'un ouvrage d'art qui enjambait les voies pour mener à une station service, à la vitesse où je bombais les autres véhicules étaient loin derrière, j'infléchis brutalement ma trajectoire sur la droite tout en freinant à mort, et m'arrêtai pile sous le pont, et repartis tranquillou en marche arrière sur la bande d'arrêt d'urgence, les hélicos emportés par leur vitesses firent demi-tour, j'arrêtai illico de jouer à l'écrevisse pour revenir me cacher sous le pont, les gros bourdons se mirent à tourner au-dessus de la structure de béton...

      • Damie on est bloqué, c'était la voix de Charlotte, si tu nous sors de ce piège je jure que jusqu'à mes quatre-vingts ans ta photo encadrée trônera au-dessus de la télévision dans le salon !

      • Mais enfin Damie – je dénotais une certaine anxiété dans la voix de Charline - on est fait comme des rats, qu'attends-tu ?

      • Moi, rien, simplement que le Chef allume un Coronado !

      • En effet, agent Chad j'allais oublier, que voulez-vous la voix enchanteresse de nos deux sirènes me faisait rêver, en plus quelle horreur, je suis un malotru, chère Charline, nous descendons tous les deux et vous prenez la place de devant, l'on y voit beaucoup mieux que derrière le chauffeur. Action !

    En quelques secondes le Chef se retrouva à la place de Charline, l'était manifestement en forme car dès qu'il fut assis :

      • J'ai bien peur que la fumée de mon Coronado ne vous importune, je me permets d'ouvrir la fenêtre, Chad, mon agent Chad, ne voyez-vous rien venir dans votre rétroviseur ?

      • Hélas, non Chef, je n'aperçois que la route qui flamboie et les hélicos au-dessus qui tournoient

      • Mon dieu, mon dieu – le Chef s'amusait comme un gamin – Chad, mon Agent Chad, ne voyez rien toujours venir dans votre rétro ?

      • Hélas non, mais si au fond très loin, un nuage de poussière de bon aloi !

      • Chad, mon agent Chad, démarrez sans émoi que j'allume mon Coronadoi !

    Je fis rugir le moteur du Suv et déboulai comme un boulet de canon hors de la protection du pont, les hélicos perdirent un peu de temps, j'en profitais toujours sur la bande d'arrêt d'urgence pour accélérer à fond, mais je ne suis pas un gars rancunier, je ralentis un petit peu pour les attendre, pas trop, enfin pas exactement eux, pour qu'un gros poids lourd lancé à fond les gamelles arrivât à ma hauteur, zut mon Coronado s'est envolé maugréa le Chef, j'écrasais l'accélérateur jusqu'au plancher, voyant mon manège, les hélicos tentèrent de me remonter, ils n'auraient pas dû, quand ils arrivèrent à la hauteur du camion, sa citerne explosa libérant une immense flamme qui monta jusqu'au ciel, j'exagère, assez haut pour embraser les hélicoptères qui s'écrasèrent en un infernal vacarme sur d'innocentes voitures de tourismes, quelques rescapés transformés en torche vivante couraient imprudemment un peu partout sur la chaussée au lieu d'appeler les pompiers sur leur portable. Comme il existe une justice immanente en ce bas-monde ils ne tardèrent pas à être percutés par de nouvelles voitures qui venaient s'encastrer dans le brasier...

      • Que vous disais-je ce matin, déclara doctement le Chef, pour ma part je ne me déplace jamais sans un Coronado Dynamitero dans ma poche.

    129

    Nous sortîmes sans problème de l'autoroute, la sortie était libérée, les autorités avaient décidé de la vider pour le passage des secours... Nous nous arrêtâmes auprès d'un petit bois, le Chef déclara qu'il était temps de tenir un rapide conseil de guerre après '' cet intermède lyrique, certes passionnant mais superfétatoire '' je rapporte ces mémorables propos tels quels pour les livres d'histoire du futur...

      • Vince dit le Chef, je compte sur toi pour cette enquête sur cette nouvelle mystérieuse et inquiétante apparition d'Eddie Crescendo. Tu restes sur la région avec Ludo et Brunette, tu sais comment nous joindre, à la première occasion l'agent Chad vous procurera un véhicule, quant à nous nous retournons à Paris pour un petit entretien avec l'homme à deux mains...

    Nous nous embrassâmes tendrement, il y eut même quelques larmettes furtives... Dès l'agglomération suivante je leur dénichais chez un concessionnaire une voiture toute neuve qu'il m'offrit d'essayer et qu'il ne revit plus jamais de sa vie...

    Note de la redaction

    Si les lecteurs désirent connaître les résultats de l'enquête de Vince Rogers relative à la mystérieuse disparition d'Eddie Crescendo, il ne les trouvera pas dans cette série des Rockambolesques, elles sont à paraître dans la Lon-box 3 de Vince Rogers, il se murmure qu'elle contient des vidéos qui risquent de porter le sbul dans les services secrets du monde entier, la CIA a déjà tenté de les intercepter, les Chinois sont dans la course, mais Vince veille jalousement sur ces documents qui seraient par leurs extraordinaires révélations capables de changer la face du monde...

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    Nous rentrâmes à Paris sans problème. Les filles nous quittèrent pour rejoindre leurs parents. Elles se souviendraient longtemps de leurs vacances. Ceux qui les regrettèrent le plus furent Molossa et Molossito qui avaient adoré voyager sur leurs genoux. Je dédicaçai une photo grand format de mon meilleur profil à Charlotte, je promis à toutes les deux que je les citerai dans mes mémoires, le Chef leur passa une bague cartonnée de Coronado Dynamitero, trop large pour leur index mais qu'elles portèrent en sautoir à l'aide d'une chaînette en or, puis en parfait gentleman il leur baisa le bout des doigts et leur dit au revoir.

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    Nous montions les escaliers qui desservaient le local du SSR, au fond de nous nous étions heureux de revenir dans notre base, toutefois au fur et à mesure que nous gravissions les marches, une idée me turlupinait, je finis par m'en ouvrir au Chef :

      • Cela fait quelques semaines que nous sommes partis et pas une seule lettre dans la boîte, c'est tout de même étrange...

      • Agent Chad, la même réflexion titillait mon attention... le Chef s'arrêta pour allumer un Coronado... bien entendu un homme à deux mains doit bien en avoir une de libre pour s'emparer de notre courrier, toutefois je soupçonne un coup particulièrement fourré...

    Les chiens nous avaient précédés et nous attendaient devant la porte, Molossito frétillait de la queue, mais Molossa posa son museau sur mon jarret droit...

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 254 : KR'TNT ! 374 : JAMES HUNTER / DEVIL'S CUT COMBO / MATOS DE MERDE / CHEPA / SUBSELF / L'ARAIGNEE AU PLAFOND /GRADY MARTIN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 374

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    18 / 05 / 2018

     

    JAMES HUNTER / THE DEVIL'S CUT COMBO

    CHEPA / MATOS DE MERDE / SUBSELF /

    L'ARAIGNEE AU PLAFOND / GRADY MARTIN

    They call me the Hunter

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    Ce Hunter-ci n’a rien à voir ni avec Albert King ni avec Free - Ain’t no use to hide, ain’t no use to run/ Cause I’ve got you in the sights of my love gun - Oui, ça fait une bonne dizaine d’années que James Hunter fait son petit bonhomme de chemin, et depuis qu’un fabriquant de mythes à deux pattes nommé Daptone l’épaule, ce vétéran de la Soul anglaise est entré en vainqueur non pas dans Rome mais dans l’inconscient collectif des amateurs de Soul.

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    Enfin, pas tout à fait. Il n’attire pas encore les foules. À la Traverse, la salle était à moitié pleine. Ou à moitié vide, comme vous préférez. Tant pis pour ceux qui ont raté ça. Il faut dire que l’excellence était au rendez-vous.

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    Sacré showman que ce petit bonhomme. Éminemment sympathique au premier abord, avec un faux air d’early Robert Hirsch, vivace, prompt à la rigolade, terriblement expressif, pas avare de grimaces, usant de sa physionomie mobile comme d’un instrument, il embarque son public dès le premier cut, l’excellent «If That Don’t Tell You» tiré de l’album Hold On. James Hunter propose un numéro de cirque assez fascinant, directement inspiré de ceux des grands artistes noirs qui ont émerveillé l’Amérique pendant cinquante ans : il chante la Soul, le blues et le calypso avec une voix de Soul Brother à la Gary US Bonds, il joue de la guitare comme un manouche de Chicago et danse des pieds comme James Brown.

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    D’ailleurs sa petite corpulence et sa façon de stabiliser son corps dans le feu de l’action évoquent immanquablement James Brown. Il porte le même genre de petit costume anthracite boutonné et s’il esquisse des pas de danse, c’est pour rigoler. On voit bien qu’il adore la poilade. Il n’arrête pas de placer des mimiques entre deux solos killer flash. Il joue le jazz de Soul avec des mains de cordonnier, les doigts de ses deux mains enroulent les notes et semblent malaxer une pâte. Technique extrêmement sensuelle. On dirait qu’il joue à l’instinct et qu’il caresse le corps d’une femme offerte.

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    Sur scène, cinq vétérans de toutes les guerres l’accompagnent, claviers, stand-up, beurre et deux pépères affreusement doués aux saxophones. James Hunter s’étonne que la salle ne réagisse pas - On se croirait dans une librairie ! - Et pouf il balance une reprise des Five Royales, «Baby Don’t Do It», les deux pépères aux saxophones esquissent eux aussi des pas de danse concertés en snappy-snappant le tempo, tout ça prend une tournure affolante qui donne forcément envie de se replonger dans le monde magique des Five Royales, la salle tangue et James Hunter embarque son cut au firmament. Performer hors pair, il exécute aussi un petit numéro de virtuose avec sa Gibson jaune posée debout sur le pied, et quand il tape dans le r’n’b, il vaut largement tous les Staxers de l’âge d’or. Il fait ce qu’il veut de sa voix. Il croone comme un cake et screame comme un stroumph. Il chante sa Soul avec un tel déterminisme qu’il entre dans la caste des grands white niggahs contemporains, c’est-à-dire les géants des temps modernes, devenus tellement vitaux en ces temps de pénurie mythologique.

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    Les albums de James Hunter ne bénéficient pas de l’immédiateté de ceux de Lee Fields ou de Charles Bradley. James Hunter va vers un son plus calypso, de type early Gary US Bonds, c’est en tous les cas ce qu’inspire «If That Don’t Tell You», le cut d’ouverture de bal de l’album Hold On.

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    On a là quelque chose de très fin, à la lisière du mambo des îles. James Hunter peut chanter à l’accent fêlé, il sait crooner au clair de lune. Ses cuts dansants sont idéaux pour chalouper des hanches sur Coconut Beach, baby. Il se montre très coloré sur les slowahs de salon de thé de type «Something’s Calling». Il donne sa version du mambo ambiancier et revient toujours au good timey avec des cuts judicieusement orchestrés de type «A Truer Heart». James Hunter finit par captiver, car il ne force jamais la main du lapin blanc. Il calypsotte la calypsette, alors forcément, ça plaît énormément. Oh il peut aussi danser le jerk, comme le prouve ce beau «Free Your Mind» d’ouverture de bal de B. Mais au fond, il préfère les cuts d’allure intermédiaire de type «Light Of My Life», nettement plus ambianciers. Sa came reste bel et bien le swing des îles, épicé d’un soupçon de beat popotin. Avec «Stranded», il revient au jerk solide et bien senti. Ce diable de James Hunter connaît toutes les ficelles de caleçon. On a là un joli slab d’old school r’n’b. On peut dire que ça swingue comme au temps de Sam Cooke. Il boucle cet album bien rond avec un «In The Dark» bourré de feeling et chanté à la glotte fébrile, la seule qui vaille. Petite cerise sur le gâteau, c’est soutenu à la stand-up. Quel son my son !

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    Dans Shindig, Paul Ritchie affirme que le nouvel album de James Hunter, Whatever It Takes va ravir les fans d’old school rhythm ‘n’ blues. Et pouf, Paul cite les noms de Sam Cooke et de Ray Charles, comme ça, au débotté. Il parle aussi d’une stripped down production. Il va même jusqu’à insinuer que cet album devrait combler le vide laissé par les disparitions de Charles Bradley et Sharon Jones. En tous les cas, l’album est passionnant.

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    James Hunter dit s’être inspiré d’une obscure B-side de Barbara Lewis pour «I Don’t Wanna Be Without You», de Bobby Womack pour «I Got Eyes», de Johnny Guitar Watson, de Gatemouth Brown pour l’instro «Blisters» et d’Allen Toussaint pour «Show Her» - He’s a friend of our’s. Musically he was a mentor - C’est vrai, «I Don’t Wanna Be Without You» vaut le détour. James Hunter y groove littéralement le mambo. Il chante ça jusqu’à l’os du genou, cette merveille interprétative passe le Cap de Bonne Espérance. Il chante à la glotte fêlée, ça chaloupe sur la plage ensoleillée et les arrangements de cuivres intrinsèques apportent une touche de magie pure à l’ensemble. Il faut voir ces cuivres entrer dans le rond du projecteur et induire le génie mambique. Avec «Whatever It Takes», James Hunter va plus sur le blue beat. C’est tellement chanté qu’on frise l’overdose d’excellence. Ce mec pourrait bien devenir aussi énorme que Ronald Isley. Il possède tous les pouvoirs. On assiste à un nouveau Birth of Cool. James Hunter embobine aussi bien que Johnnie Taylor. Il semble agir en magicien sans même savoir qu’il est magicien. C’est l’apanage des cracks. S’ensuit une autre merveille intitulée «I Got Eyes», amenée à la vitesse du groove urbain. James Hunter y gratte des notes exacerbées. Voilà encore un cut stupéfiant de fluidité inspirée. On assiste au retour des arrangements de cuivres magiques dans «It Was Gonna Be You». James Hunter se fond dans le groove comme Zorro dans la nuit. Il chante à la glotte abandonnée. Il est sans doute le dernier grand chanteur magique de l’histoire de l’humanité. Tout est bon sur cet album. On pourrait aussi évoquer «Blisters» claqué au blisting de Gibson. Ce cat sait claquer une quenotte. Il sait même faire son Guitar Slim, aucun problème. Retour au mambo des îles avec «I Should’ve Spoke Up». Admirable velouté. On voit Major Lance danser plus loin sur la plage, avec Gary US Bonds, the calypso bad guy. Mais qui va aller écouter ça aujourd’hui ? Les albums de James Hunter sont beaucoup trop purs pour cette époque. Les accords de cuivres n’en finissent plus d’émerveiller.

    James Hunter est assez fier d’avoir joué avec la plupart de ses héros, mais il dit rester un fan avant tout - It’s good to keep a bit of that innocence. If you get too knowing, you do lose that spontaneity - Et pouf, il cite les noms de Chuck Jackon, Lou Johnson et Jerry Butler, ses idoles. Il bat tous les records de modestie en disant qu’il aimerait pouvoir sonner comme Ronald Isley - I can’t help feeling Jackie Wilson must have shit himself when he heard him - On sent qu’il est resté fan jusqu’au bout des ongles.

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    Son premier album sur Daptone s’appelle Minute By Minute. Il ouvre le bal de l’A avec «Chicken Switch», un doux rumble de calpypso, mais il chante ça façon Deep Soul. James Hunter frise son chant, c’est assez stupéfiant. On retrouve ses superbes arrangements de cuivres dans le morceau titre, un cut outrageusement coloré, dans des tons inusités. Ce mec cultive la finesse comme d’autres cultivent les betteraves. Il chante «Drop On Me» de l’intérieur du menton, comme s’il chantait de l’âme de glotte. Il pousse tellement loin le jeu de la subtilité qu’il frise la sud-américanisation des choses. Comme Dan Penn, il mange, respire, boit, vit la blackitude. Encore un cut imparable avec «Gold Mine». Voilà un shuffle pressé et jouissif, une véritable bénédiction. En B, il sonne un peu comme Ray Charles dans «Let The Monkey Ride», mais veille à rester dans l’ambiance enchantée d’une Soul des îles. «So They Say» sonne comme un hit de groove urbain signé Bert Berns. Les cuivres rehaussent le drapé d’or - They say life is short/ Love is blind - Encore un album digne des étagères de l’amateur éclairé.

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    Apparemment, James Hunter en a bavé. Paul Ritchie évoque en effet les petits boulots et le busking, c’est-à-dire chanter dans la rue pour faire la manche. Jusqu’à une rencontre avec Van Morrison qui lui aurait changé la vie. On entend en effet Van Morrison sur Believe What I Say. Ils se tapent un duo d’enfer, comme dit Dante : «Turn On Your Love Light». Extraordinaire charge émotionnelle ! Shine on me ! Ce diable de Van vampe sa Soul comme nul autre au monde. Ah les deux font la paire ! Arrive sans prévenir un extraordinaire shuffle de sax à la clé de sol et Van revient à la charge avec toute sa niaque irlandaise. Ils font tous les deux du Sam & Dave, c’est terriblement bon, joué dans les règles de l’art et ultra cuivré. On pourrait appeler ça la huitième merveille d’un monde ambivalent. James Hunter tape un autre duo avec Doris Troy : «Hear Me Calling». Pus jus de gospel batch. Doris entre dans la danse, elle attaque à la pointe de la Troymania. On dirait qu’elle a fait ça toute sa vie. S’ensuit un autre duo avec Van Morrison, «Ain’t Nothing You Can Do». James Hunter le prend en main, mais il n’a pas la grosse glotte de Van. On sent la différence quand l’Irlandais entre dans la danse. Avec «Out Of Sight», James Hunter va plus sur le r’n’b, il twiste le juke de Stax, c’est exactement l’esprit de ce vieux son sacré. Les coups de cuivres imitent la vieille Staxy fever à merveille. Nouveau coup de Jarnac avec «Don’t Stop On It». C’est un peu comme l’ombre décollée d’un profil, on se dit qu’il y a un truc. Mais comment un blanc peut-il être aussi doué ? Une fois encore, cet album atteint des sommets d’excellence. Ne cherchez pas de mauvais cuts sur cet album, il n’y en a pas. «Way Down Inside» sonne beaucoup trop américain pour un Anglais. Il swingue tellement qu’il démâte tout a-priori. Il passe du swing balladif («The Very Thought Of You») au mambo du clair de la lune («It Ain’t Funny») et revient au shuffle d’anticipation à la Ray Charles («Let Me Know»). Avec «I Wanna Get Old With You», il chante le rêve de tous les mecs : vieillir avec la fille qu’on aime bien. James Hunter fait sa cour sur fond de mambo des îles. Il rend ensuite un hommage direct à son héros Ray avec «Hallelujah I Love Her So». Il en a les moyens. Il recrée la frénésie du vieux Ray.

    James Hunter a une façon extraordinaire d’illustrer son art : «We seem to be getting the knack of turning out posher songs and at the same time they’re more in your face.» (Il semble qu’on aille plus sur des chanson chicos, mais en même temps, elles sont plus percutantes).

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    En 1986, il enregistrait sous le nom d’Howlin Wilf & the Vee-Jays. Sa botte secrète était une guitariste blonde nommé Dot. Il suffit d’écouter Cry Wilf! pour réaliser à quel point cette gonzesse était bonne. Il faut l’entendre partir en solo dans ce «Get A Thing For You» qui sonne comme un hit de James Brown. Dot est une acérée, une fervente, une précise. Quel son ! Dot claque sa dote de notes dans «Same Old Nuthin’». Elle atteint à une sorte de classe jazzy. Le problème c’est qu’à partir de là on n’écoute plus qu’elle. James Hunter revient à sa chère Barbara Lewis avec «Hello Stranger». Il adore le wap-doo-wap. Quel admirable crooner de clair de lune ! Il shoo-wappe son art au delà de tout ce qu’on peut imaginer. Avec «Get It Over Baby», il tape dans Ike. Ideal pour une killer-zoomeuse comme Dot. Elle intervient à la Ike, de façon incroyablement juste et claquante. Elle vole le show. S’ensuit un cut de guitar-slinger intitulé «Wilf’s Wobble». Dot gratte ses gammes à la régalade. Bel hommage au grand Little Walter avec «Boom Boom (Out Go The Lights)». Chicago hot sound ! James Hunter souffle comme un possédé dans son harp. Puis il nous fait le coup de Gershwin avec «Summertime», mais il le tape au caplypso. Il peut se permettre toutes les facéties. Il dispose de ce feeling vocal qui n’appartient qu’aux noirs. Encore un hommage de choc avec le «Further Up The Road» de Bobby Bland. On note la présence de cette brute de Don Robey dans les crédits. James Hunter chante comme un dieu, mais Dot se taille la part du lion. On reste dans les hommages de choc avec le «Mellow Down Easy» de Big Dix. Ainsi va la vie

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    On peut prendre n’importe quel album de James Hunter, on y trouvera toujours de bonnes raisons de s’émerveiller. Tiens, par exemple Kick It Around, paru en 1999 et produit par Boz Boorer, l’homme qui veille à présent sur le destin musical de Morrissey et qui fut un temps l’âme du rockab britannique avec les Polecats. On trouve sur cet album une merveille intitulée «Mollena», une sorte de balladif visité par la grâce, avec des chœurs d’hommes qui fondent comme du beurre dans les accords de cuivres. Ou encore «It’s Easy To Say», une sorte de mambo de rêve. James Hunter en épouse les courbes à la perfection. Il joue à l’apogée du style. Les joueurs de saxophone coulent de l’or dans sa voix colorée. D’ailleurs, c’est exactement ce qu’on vit sur scène à la Traverse : le sax ténor et le sax baryton transformaient le plomb du son en or des alchimistes. James Hunter chante son morceau titre avec le timbre de Johnny Gee, c’est-à-dire Johnny Guitar Watson. Et chaque fois qu’il tape dans le r’n’b, il fait des heureux. La preuve ? «Better Back Next Time». C’est du très haut de gamme à l’Anglaise. Ses goodbye baby sont des modèles du genre. Il peut flirter avec le Blue Beat comme on le constate à l’écoute de «Dearest». Il n’en finit plus d’affoler les lapins blancs. «Believe Me Baby» somme comme l’un des plus gros classiques de blues de Soul de tous les temps et «Night Bus» comme un hit des MGs.

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    On voit bien qu’en 2006, James Hunter essayait de percer. On le traitait de buried treasure, de trésor caché. C’est en tous les cas ce qu’indique le sticker collé sur la pochette de People Gonna Talk. L’album est d’autant plus précieux qu’il est enregistré au Toe Rag Studio de Liam Watson. Ça démarre avec le morceau titre qui sonne comme un rêve de calypso finement teinté de blue beat. On peut même parler ici d’assise fondamentale. Et avec «No Smoke Without Fire», il nous fait le coup du funky stuff à la Famous Flames, pas moins. Il renoue avec l’extase du blue beat dans «You Can’t Win». James Hunter fait penser au porteur de flamme de la préhistoire, tel que le montre Jean-Jacques Annaud dans La guerre Du Feu. Il passe ensuite au swing de jazz avec «Riot In My Heart» - Baby don’t you know - Il swingue comme tous ces vieux big bands de Los Angeles, on a là un cut hyper joué, cuivré de frais et James Hunter joue goulûment sur sa Gibson jaune. Il surchante son jive à un point inimaginable. Le voilà parti chez Benny Goodman. On le voit aussi claquer des breaks de guitar-slinger dans «Kick It Around». Il fait de l’art en permanence. On pourrait qualifier «Don’t Come Back» de groove hunterien et «It’s Easy To Say» de bluette tortillée du cul. Les racines calypso remontent au devant du mix. On a là une fois de plus une merveille de délicatesse. Il termine avec un vieux shoot de heavy blues intitulé «All Through Cryin’».

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    Sur la pochette de The Hard Way, on le voit justement gratter sa Gibson jaune. Dès le morceau titre, il flûte son chant de glotte fêlée. Il semble s’améliorer avec l’âge. On a là une superbe pièce de pop ultra-conservatrice et petite cerise sur le gâteau, Allen Toussaint fait le guest. James Hunter cultive l’à veau l’eau du doux. On note aussi l’extraordinaire succulence de sa prestance dans «Tell Her». On reste dans l’enchaînement magique avec «Don’t Do Me No Favours», un cut jivy et juicy à la fois. Tout ce qu’il fait tape dans le mille. Il sort un son plein de vie, frétillant, digne du printemps, totalement sélectif, nah nah nah et vlan, paf ! Il repart en solo sec de picking, il joue la carte de l’âcreté et un solo d’orgue vient le chapeauter. Quelle décoction ! Il revient au mambo avec «Carina». C’est son terrain de prédilection. Il aime ça, oh Carina ! Les accords de sax viennent saluer les canons de la beauté pure. Il passe au shuffle d’anticipation londonienne avec «She’s Got Away». Il renoue avec le style de Georgie Fame, mais jette toute sa niaque dans la balance. C’est jivé à l’orgue. Il se situe ici dans l’essence du early British Beat, celui du Ronnie Scott Club. Il revient jazzer le groove dans «Ain’t Got Nowhere». Malheur aux oreilles incultes ! James Hunter repart en tagada de mauvaise gamme et claque ses notes à la volée. Il termine avec un «Stange But True» excessivement brillant. Il crée la sensation à la seule force du poignet. Rien qu’en jouant de la guitare, il est écœurant d’excellence.

    Signé : Cazengler, Hunter-minable

    James Hunter Six. L’Escale. Cléon (76). 10 mars 2018

    Howlin Wilf & the Vee-Jays, Cry Wilf! Big Beat Records 1986

    James Hunter. Believe What I Say. Ace 1996

    James Hunter. Kick It Around. Ruf Records 1999

    James Hunter. People Gonna Talk. Rounder Records 2006

    James Hunter. The Hard Way. Hear Music 2008

    James Hunter Six. Minute By Minute. Daptone Records 2013

    James Hunter Six. Hold On. Daptone Records 2016

    James Hunter Six. Whatever It Takes. Daptone Records 2018

    Paul Ritchie : Heavy Hitter. Shindig #75 - January 2018

     

    11 / 05 / 2018 / TROYES

    3B

    THE DEVIL'S cUT COMBO

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    Trois semaines sans voir un concert – c'est qu'en Ariège le rock'n'roll ne court pas les rues – suis prêt à donner mon corps à la science ( d'une jolie and expert country gal ), voire à signer un pacte faustien avec le diable, justement le grand cornu l'a délégué un de ces combos au 3B. La teuf-teuf y court, y vole et y plonge. Nous voici déjà devant le troquet, le quai pas de trop, où ce soir fait escale un rafiot venu tout droit d'Angleterre. Du Kent, pour ceux qui sont friands de précisions géographiques.

     

    THE DEVIL'S CUT COMBO

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    Le diable vous prend toujours par surprise. Vous croyez que pour concocter une de ces mixtures empoisonnées dont il détient le secret il vous convoquera dans les antres obscurs de ses cuisines infernales, erreur sur toute la ligne. Souffle coupé, je ne reconnais plus le 3 B. On me l'a changé. Métamorphosé. Jugez-en par vous même. L'on se croirait dans le décor d'une pièce d'Alfred de Musset. Piano droit sur la droite, avec lampe de chevet, escarpin effilé,  fiasque ambrée,  posés religieusement sur le plateau supérieur, une austère contrebasse sur la gauche, mais c'est au fond qu'il faut chercher l'erreur, caisse claire, cymbale et chalerston, l'incongruité est posée juste à côté, un magnifique abat-jour de salon à motif fleuri suranné, plus les franges comme on n'en fait plus depuis Louis XVI, campé fièrement sur son pied torsadé, exhibé tel le labarum sacré d'une légion romaine en marche.

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    En tout cas nos légionnaires ne portent pas le cimier réglementaire, tout au plus une large casquette qui leur mange le haut du crâne, pantalon-pro-zazou à larges bretelles, chemises blanches rehaussées de cravates fauves parsemées de teintes rouges, z'ont le look et l'allure classieuse des fils de bonne famille des années vingt décidés à s'amuser. Follement.

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    Bill Renwick égrène les premières notes de Hot Porc, tout de suite ça remue salement, boogise à mort, mais la surprise ne vient pas de là, la batterie bat le rappel et Paul touche à sa big mama. Un doigt, deux doigts, z'avez l'impression qu'un orchestre de quarante musicos vient de démarrer, une épaisseur de son délirante, jamais entendu cela de toute ma vie, un volume sonore jamais égalé, et le bat-man comment fait-il pour taper si fort sur sa clairette, ça tonne comme une grosse caisse ! Invisible cylindre pourtant. Ruse anglaise ! Croyais que la caisse posée négligemment devant était juste un élément du décor servant à placarder une affiche old-age, ben non, c'est un gros caisson à pédale trafiqué qui sert de grosse Bertha. Comprends un peu mieux le mystère de cette intumescence, chaque fois que Paul tire sur une corde, la royal navy derrière vous lâche en douce un exocet sous la ligne de flottaison, cela demande une précision diabolique, mais vous pondent le bébé automatiquement sans même y penser. Bill possède un micro qui lui surgit d'entre les jambes, un périscope de sous-marin qui observe la côte ennemie, mais il ne s'en sert que pour les chœurs, le vocal est assuré par Robert Hiller, infatigable, l'on ne saura jamais comment au bout de trois sets ses cordes vocales ne se sont pas cisaillées toute seules, même pas éraillées d'un demi-dixième de ton, y met tant de cœur et de vaillance que pour un peu on en oublierait la grosse guitare jazz qu'il tient entre ses mains.

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    L'a l'art de passer les accords comme vous négociez les doubles zigzag dans une course de côtes, à tous moments vous vous dites qu'il n'y parviendra pas, qu'il va y avoir de la tôle froissée et du sang sur le pare-brise, vous verriez la maestria avec laquelle il se faufile dans les épingles à cheveux, les deux roues à vide sur le précipice mais le moteur en reprise qui vous pousse un glapissement de renard écorché vif et déjà les quatre pneus vous dégomment l'asphalte à toute vitesse.

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    Je me répète Bill est au piano, non c'est un mensonge, c'est un synthé(atti)seur qu'ils ont encastré dans le vieux meuble, s'il n'y avait pas le voyant vert allumé vous n'y verriez que du feu. Les deux mains de chaque côté du clavier – oui docteur, c'est grave et le mal est aigu – mirez bien les touches, vous les caresse à la façon d'un kleptomane, l'a ses trucs, la senestre qui pompe à mort un tangage de feu roulant comme pour un massage cardiaque et la dextre qui insiste plus de trente fois sur la même note, z'avez l'impression d'un fa-dièse épileptique secoué de commotion cérébrale, ne parlons même pas de ces tranchants de karaté – uniquement de la main gauche – mais ce que je préfère c'est quand il réunit ses deux battoirs – assez larges pour y découper la dinde de Noël - qu'il écarte les doigts, laisse le tout retomber, un dessin animé de deux pattes de canard qui claudiquent gravement vers la marre salvatrice et en même temps l'allure d'un prêtre qui s'en vient à toutes jambes vous refiler l'onction finale.

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    Le guy avec ses baguettes sur sa chaise c'est George Chessman. L'est blond comme un anglais et vous a la distinction british au dernier degré. Visage en lame de couteau et sourire enjôleur. Le gars qui ne peut se retenir de s'incliner pour faire un baise-main à la première demoiselle qui passe et qui vous envoie un direct mortel au foie du garçon-coiffeur qui l'accompagne. Genre amiral Nelson sur le Victory, n'arrête pas par en dessous de faire tonner son plus gros canon de marine, et par dessus il peaufine, un battement de charley par-ci ou par-là, l'a l'air de réfléchir profondément avant de vous tapoter un rythme sur la caisse claire, un coup de cymbale par hasard, en fait un feu de mousqueterie, une grêle de balles meurtrières qui vous tombent dessus sans crier gare, rigolard qui tape dans le lard et hilare dare-dare, le train entre en gare et vous roule dessus.

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    Paul Kish l'a kitché sa casquette sur la hampe de la big-mama. S'en sert comme d'un porte-manteau. De temps en temps il condescend à toucher une corde. C'est comme pour les verres, avec trois doigts c'est bonjour les dégâts. Un chasseur à l'affût. Un tireur d'élite. Touche la cible à chaque fois. Souvenez-vous que c'est vous. Entre les deux yeux. Vous n'y voyez que du bleu. Marron à tous les coups. Le pire c'est qu'il engendre le son le plus sinueux que je n'ai jamais entendu. De ses gros fingers boudinés à peine a-t-il frôlé une corde qu'une symphonie d'harmoniques s'échappent des esses de sa big mama comme un essaim d'abeilles dont vous venez de renverser la ruche. Des venimeuses, des colériques, non ça ne bruisse pas comme un rideau de soie froufrouté par une légère brise, ça vous aboie dessus comme un saxophone atteint de delirium tremens.

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    Je vous préviens, ces quatre gars sont dangereux. Seuls, pris un par un, vous avez une chance sur mille de les abattre, hélas, ils sont toujours tous les quatre au taquet. Jouent ensemble comme un seul homme. S'arrêtent de temps en temps pour se servir un   gobelet de whisky. Un rituel que l'on sent profondément ancré, qui leur sert de grigri. De grizzli plutôt. Jugez-en par les titres : Pass the Bottle to Me, Botton Shelf Bourbon Meldown, Monkey Shoulder, apparemment ne sont pas des fans du retour de la prohibition. Convenons que pour l'énergie qu'ils dégagent, z'ont besoin d'un carburant hyper vitaminé. N'ont pas arrêté de stomper comme des fous furieux. Les titres parlent d'eux-mêmes, Stomp the boogie, Shake that Boogie Baby, en plus vous trompent sur la marchandise, Be Cool, Quiet Bay, furent des espèces de tornades endiablées, à vous déraciner les gratte-ciels de Manhattan. Trois sets, bien sûr puisque 3 B, le premier avec un arrière-goût de pulsion jazz-swing, le deuxième qui vous a stompé le public à mort, et le troisième, carrément rock'n'roll, cite Bill Haley mais sans ajout cuivré, pour la simple raison qu'ils vous démolissent le bastringue avec une telle force que vous n'en ressentez pas le besoin.

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    Peu de monde – il faut l'avouer – sur les trois premiers morceaux et puis la déferlante, la salle n'a pas débourré – sometimes words have two meanings – d'un iota, un embrasement total, une frénésie innombrable, une chienlit  aurait proclamé le fameux Général, des danseurs fous dans la foule agglutinée. Des cris, des applaudissements, des rires, des corps contorsionnés. Un tabac monstre, que dis-je un bar-tabac avec PMU et brasserie, une soirée de folie. Un orchestre swing nous avait annoncé Béatrice la patronne – que nos englishes n'ont cessé d'appeler Misstress, le surnom lui restera-t-il ? - l'aurait dû préciser des fous furieux de la pulsation, des acharnés du jump, des rockers. Ni plus, ni moins.

    Une mention spéciale à Fab pour le son et à Laura qui du haut de ses dix ans lors du deuxième interset a su établir un dialogue des plus enlevés avec nos musiciens d'outre-Manche, manifestement ravis.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot / Fabien Hubert )

    12 / 05 / 2018

    LA COMEDIA / MONTREUIL

    95ALLSTAR PUNK' EVENT

    CHEPA / MATOS DE MERDE / SUBSELF

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    Toujours en manque de concerts. Direction immédiate ce dimanche soir vers La Comedia. J'y trouverais bien un os à ronger. Pas de panique, y en avait trois. Avec beaucoup de viande autour. Du premier choix. Bien saignante. La Comedia, ce n'est pas la galerie des Glaces de Versailles. C'est beaucoup mieux, au petit matin vous pouvez vous regarder sans rougir dans le miroir. Avec son entrée à prix libre, son décor déglingué, sa faune rock, son cordial Rachid, et sa programmation sans concession, l'est un des bars les plus rock'n'roll du pays. L'est à parier que dans deux quarts de siècle, les promoteurs avisés vous en feront une reproduction à l'identique pour les touristes. Aseptisés et sans futur. Sans présent aussi, ce qui est beaucoup plus triste.

    MATOS DE MERDE

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    Un poème punk en trois mots. Ne prenez pas Matos de Merde pour un groupe misérabiliste. Juste un ras-le-bol enragé. Dés-esthétisé, ce qui est déjà un parti-pris esthétique de grande virulence. Cinq sur scène. Deux chanteurs, le grand luxe en quelque sorte. Des paroles en français, inutile de tricher viennent du 91, des alentours de Juvisy. Paddy est aux drums. L'est la base. Il drume comme les nageurs crawlent. A force de bras. Vous martèle la chanson du début à la fin, sans queue ni tête, parce que cela ne s'arrête jamais. Et qu'il n'y a jamais eu de commencement à la rage de vivre. Et de mourir. Le punch rabique est inné. Vous l'avez. Ou pas. Inutile de venir vous plaindre si vous nêtes pas touché par la foudre. Z'avez sûrement dû rater quelque chose dans le ventre de votre mère. Donc ce roulement et puis à intervalles réguliers cette volée de bois vert asséné sur la caisse. Un galvaniseur d'énergie. Lorsque vous avez en magasin cette ruée vers l'or noir de la colère, ne vous reste plus qu'à plaquer les riffs de guitare. Le bruit pour se faire entendre. L'un qui vient de clouer le cercueil et les deux autres qui vous le brisent de breaks incandescents. Mrick qui arrose et vous froisse les oreilles de délicieux orages torrentiels et Aladin qui vous colmate les brèches par en-dessous. Deux mauvais larrons en foire qui s'entendent à casser les merveilles. Un rock dur et violent, super bien en place. Kefran crête échevelée et vocal mordant. Vous plante les mots comme des crocs de requins, la vindicte l'habite, l'a la classe, basse hargneuse en bandoulière, laisse souvent le vocal à Flo, qui assène les scènes chocs, chante et danse de l'ours, dommage que le chant n'ait été plus en avant de la pâte sonore. C'est sûr que cette manière de mêler voix et musique fait partie de l'éthique égalitariste punk mais des paroles comme La Rage Dedans, J'envoie tout Chier et TPTG auraient à gagner à être davantage perçues. Un set mené de main de maîtres. Un seul bémol à mon goût l'Everybody final qui sonnait trop ska, le mauvais côté du Clash. Mais un parcours sans faute.

    SUBSELF

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    Une set-list aussi longue qu'un marathon. L'on va vite comprendre pourquoi. N'auront qu'à jouer dix secondes pour nous en persuader. Subself, est un comprimé d'énergie pure. La décharge d'une pile atomique au radium. Dès la première note, l'on sait que ça déchire. Barrez tout de suite le ça, déchire tout court. Une déchirure, point à la ligne. Formation minimale, batterie, guitare, basse. Plus un chanteur. N'a pas le temps de vous envoûter de trémolos raciniens. L'est à l'unisson des trois autres barbares. Vous décharge interdite, tout et tout de suite. Un break de drum, une guitare en agonie, un appuyé de noir profond à la basse et un dégueuli de vocal gerbé qui vous éclabousse de haut en bas, de l'âme jusqu'aux pieds.

    Moins de trois minutes pour vaincre. Se moquent de vous convaincre. Préfèrent vous tuer sur place. Inutile de venir se plaindre. N'ont pas de temps à perdre. Vous envoient le splash en pleine gueule. Eux-mêmes sont exsangues à la fin de chaque morceau. Ont besoin de reprendre leur souffle. C'est d'ailleurs là la seule faiblesse de leur prestation sauvage. Pas bien longtemps, un maxi-maximum de vingt secondes, mais mal placées, donnent l'impression de ne plus rien maîtriser, y a comme un vide, un espace de trop, une coupure dans le film, une page sautée dans le roman, une béance, l'on aimerait – non pas qu'ils reprennent leur marche tout de suite car vu la décharge physique cela paraît impossible – mais que ces trous dans le gruyère sonore soient davantage pris en compte dans la scénographie existentielle de l'artefact rock'n'rollesque. Ne rien laisser au hasard. Penser à Mallarmé qui assurait que le blanc des marges et inter-strophique était l'élément le plus important d'un poème. Ou alors compter sur l'exaltation de l'assistance. Savoir magnifier la montée d'adrénaline suscitée par le vomito pantagruellique de l'orgie sonore. Ce qui demande vraisemblablement un public plus nombreux. Ce qui ce soir n'est pas le cas.

    N'empêche que Subself subjugue. Chaque morceau s'inscrit dans l'éjection d'une parabole parfaite. Des titres qui claquent comme des drapeaux de haine sur des barricades : Vermin, Consumerist Fever, Collective Will, I shot the Devil, Mister K, I Deal with God... de la bonne avoine additionnée de bourbon pour les chevaux fourbus d'une population encalminée dans les eaux plates de l'inaction. Subself vous remue salement de fond en comble. Ne vous ménage pas. Vous coagule la mayonnaise du cerveau en moins de trois. Musique radicale. Tout ce que nous aimons.

    CHEPA

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    Chépa qui c'est, mais vais vite finir par le savoir. Z'ont un batteur. Rien qu'à voir la précision maniaque avec laquelle il a monté ses fûts, l'on devina que c'était le genre de gars qui a dû à lui tout seul réinventer la machine à baratter le beurre à l'âge de cinq ans. Quand il s'est mis derrière les toms, l'on a su qu'on ne s'était pas trompé. Torse nu, teint glabre et cet air de batracien fou, une tête d'affolé, le mec qui vous fait un break d'enfer et dans sa tête il se dit qu'il aurait peut-être dû rajouter un coup de baguette de plus sur la cymbale, l'obéit à une règle simple, jamais moins que le maximum, toujours plus que l'impossible, en quête de la perfection absolue, donne tout ce qu'il a et rajoute en prime ce qu'il n'a pas, l'on ne chépa, ça peut toujours servir. Avec un tel roulement à billes c'est du tout cuit pour les autres. N'ont qu'à se laisser porter par le vent.

    Mais leur orgueil le leur interdit. Vous pagaient de toutes leurs forces pour se maintenir à niveau. Guitares tintamarre à gogo et basse qui file à quinze nœuds coulants. Z'ont un chanteur aussi. Le mettent devant. Imposant comme une tour de château fort. L'a du coffre, chante sans effort mais quand la musique devient trop forte il s'emporte et se met à growler comme dans un combo métallique. Pas très longtemps. Punk is not dead. Ne bouge que très peu, ne se perd pas en gestes emphatiques ou mélodramatiques. N'en dégage pas moins une charismatique présence. Paroles violentes, Fuck, Je Crache, Politique, Le Boucher, Chépa ne fait pas dans la dentelle.

    Chépa c'est comme une pierre qui roule depuis le sommet de la montagne. Au début, pas de pitié, vous écrase tout sur son passage, les femmes et les enfants d'abord, l'on en redemande, mais pente après pente le cailloux prend de la vitesse, l'est catapulté par son propre poids et son allure croissante, l'en arrive à ne plus toucher terre et à glisser sur le coussin d'air que son déplacement suscite. A tel point que parfois le son perd de son âpreté punkéosidale et se transforme en chant de liesse alternative. En tout cas, ça plaît aux garçons, s'entrechoquent comme des boules de billards sur le tatami. Moins gracieux que les filles qui se refusent – une fois n'est pas coutume à la Comedia - à entrer dans ces danses d'ours débonnaires.

    Chépa festif remporte la mise. Rafle les cœurs et la sympathie.

     

    Une bonne soirée, revigorante à souhait. Un monde éclectique, un guitariste qui entend pour la première fois parler de Bo Diddley, un vieux rocker qui ne tarit pas d'éloges sur le jeu d'Eddie Cochran, et un lycéen venu de Brest pour passer une soirée sympa avec les copains... les strates du rock'n'roll, le millefeuille explosif.

    Damie Chad

    L'ARAIGNEE AU PLAFOND

    Mildred : chant, flûte / Eva : choeurs, percussions / Guillaume : choeurs, percussions / Phil-Lou : batterie / Enil : piano, synthé / Typhaine : clarinette / Ruben : saxophone alto et ténor / Bob : guitare / Kim basse

    Enregistrement et mixage par Stéphane Bachelet à : Le Studio d'à Côté / Jouy-Le-Châtel 77 970 /

    Spider Circus Production / 2018 / SCAAP01 /

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    Franchement qui parviendrait à caser une telle smala sur une pochette ! Pour une fois la folle aragne a fait preuve de sagesse, s'est elle-même reléguée en quatrième de couverture, en réunion de famille mafieuse, z'ont refilé le bébé à Bérénice Dautry, une voisine qui a honoré le contrat en vraie pro. Pour le baby, pas de panique, l'ont emmailloté en momie égyptienne et vogue la galère, s'en sont débarrassé en le jetant à l'eau, à la nevermind. Lui ont offert tout de go le nirvana, bref un malheureux de moins sur terre. Ne soyez pas hypocrites, ne faites pas semblant d'être indignés, ne les accusez pas de cruauté, c'est spécifié sur la pochette, ils l'avaient loué. N'empêche que la découpe de ce clodo-hobo-saxo-solo qui pète le feu exprime merveilleusement la rock'n'roll attitude dèche rebelle. A contempler.

     

    Alcoholize yer name : toute la fanfare qui déboule en trombe, et hop comme par miracle, l'attaque foudroyante se transforme en collier de perles. Et puis en écrin pour le diamant le plus pur, la voix de Midred aux facettes coupantes. Une maîtrise stupéfiante, un squash vocal d'une perfection absolue, et la tribu derrière qui se permet d'étonnantes virevoltes au trapèze volant, mais Mildred n'en rebondit que plus follement dans les étoiles. Facilité déconcertante. Shoes : chaussent leurs chaussures de luxe. Une longue cavalcade musicale, un point de poussière à l'horizon qui grossit, grossit, grossit jusqu'à ce que Mildred se lance dans ce qu'il faut se résoudre à appeler un étonnant solo vocal – pratiquement voscat – des chœurs et des cuivres qui vous allongent la sauce au poivre, tandis que la voix coupante de Mildred caracole sur les hauteurs. Nothing else matters : reprise de Metallica, la ballade qui tue, une montée graduelle vers l'extase, avec station agonique sur le chemin de croix, le combo processionne emphatiquement et Mildred énonce les stations des saisons en enfer intérieures. Ne l'écoutez pas, sans quoi sa voix sera votre perdition. Judas : un truc à vous rendre gaga, des cuivres qui tirebouchonnent et la voix de Mildred impérieuse comme une trahison. Musique de cirque et les éléphants qui jouent au ping-pong avec la ballerine qu'ils envoient valser en l'air sans qu'elle perde son sang-froid et son souffle. Chase halt : ( + Alain Guillard à la flûte ) : dans la lignée du précédent, une espèce de duo à un seul partenaire, Mildred en meneuse de revue, un brin de Broadway, Mildred tambour battant, l'orchestre qui se faufile derrière la flûte, c'est si bon qu'ils remettent le compteur à zéro à plusieurs reprises et que l'on ne s'en lasse pas. Lonely boy : pointillés de guitare en tintements de clefs, et ouverture cuivrée, et l'orchestre qui se presse derrière, c'est un peu le morceau des musiciens, une belle parade, s'en donnent à cœur joie, les interventions de Mildred leur permettant de montrer leur virtuosité à coller à sa voix qui joue aux montagnes russes. Fortunate son : retour au rock'n'roll, Mildred en pointe, la voix en haut, et l'orchestre qui se permet d'audacieux ralentis, un saxo à la Clarence Clemons, et des choeurs à la devil Stones dans le barnum final. Papa Bob est un sacré arrangeur. Kingdom of a secondhand mind : ( + Stéphane Bachelet dans les chœurs ) : troisième morceau original ( avec le premier et Chase Halt ) de Mister Bob et pas de seconde main : Enlil au clavier, flots lents et majestueux, la voix de Mildred comme une caresse sur une blessure qui refuse de cicatriser, douceur des chœurs, Mildred parcourt les solitudes glacées du dedans, cuivres funèbres, le morceau s'arrête comme la vie au moment de la mort.

     

    Ce premier disque de L'Araignée au Plafond est une surprenante réussite. Le groupe a su canaliser sa fougue scénique et réaliser un huit titres étonnant qui marque bien la maturité précédemment acquise. Nous l'évoquions dans notre chronique 366 du 22 / 03 / 2018. A su progresser sans se renier. Mildred se joue des difficultés, impose une modernité du chant qui s'intègre magnifiquement dans une esthétique de saltimbanques. Bizarrement, malgré tout ce qui l'en sépare, ce disque renoue avec le capharnaüm américain des années vingt lorsque la musique noire explosait dans toutes les directions. Le mouvement rock s'est focalisé au plus près de ses racines sur le blues rural et urbain, tout en oubliant les joyeuses fanfares entertainementesques de la New Orleans. Par quel mystère, quelles influences l'Araignée au Plafond rejoint-elle cette veine exubérante et mélodramatique du music-hall noir, nous n'en savons rien, ce qui est sûr c'est qu'il n'y a pas sur le marché français actuellement de tels artefacts qui atteignent à cette qualité.

    Damie Chad

    JUKEBOX N° 377

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    Jukebox 377 – Kr'tnt ! 374. Le score s'amenuise. Nous les dépasserons au mois de juin ! Trêve d'enfantillages ! Passons aux choses sérieuses. Eddy Mitchell en couverture. Avec interview. De 1972 ! Chez Jukebox l'on repasse les plats de l'avant-avant-veille ! En plus je l'avais lue à l'époque ! Du temps où Schmall pédalait dans la choucroute et s'éloignait à tire d'ailes du rock'n'roll. En plus se pose un peu en monsieur-qui-sait-tout et en insupportable donneur de leçon. N'avait pourtant pas de quoi pavaner alors qu'il venait de sortir des horreurs comme L'arc-en-ciel et Le Vieil Arbre. En plus se permet de critiquer les Who et d'admettre du bout des lèvres la validité de Cream... Heureusement, à la même époque Dick Rivers se lançait dans l'aventure du retour aux sources. Faudra encore attendre deux ans pour qu'Eddy s'envole vers Memphis... Bref pour les nouveautés, lire la rubrique Actualités de Jean-William Thoury et ses chroniques de disques. Dans la revue Livres ne ratez pas la kro d'Alicia Fiorucci sur la bio de Bon Scott et celle sur Jimmy Page de Tony Marlow.

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    C'est d'ailleurs pour Tony Marlow que j'ai acheté la revue. Marlou le récidiviste. Nous avait enchanté avec ses articles consacrés aux guitaristes des pionniers, et voici qu'il recommence. Nous prophétisons un tome II au Jukebox spécial Rock'n'roll Guitare Heros ( de Scotty More à Brian Setzer ), recollection de papiers égrenés sur plusieurs années, paru en 2017, car Tony entame la nouvelle série avec Grady Martin, un peu le Big Jim Sullivan des pionniers, qui n'apparaît nulle part mais que l'on retrouve partout, derrière ( adverbe mal choisi ) en première ligne avec Johnny Horton, Johnny Carrol, Johnny Burnette et Johnny Hallyday. Devait aimer le prénom ! Mais aussi aux séances de Brenda Lee, de Janis Martin, de Roy Orbison, de Willie Nelson et d'Elvis Presley bien sûr ! Ne cherchez pas, dès que ça sonne bien sur un disque des années 50 - 60 vous avez toutes les chances de retrouver sa signature dans les crédits. Fut avant tout un guitariste de studio, mais si son nom n'a pas dépassé les frontières des amateurs c'est vraisemblablement à cause de cette aisance intuitive à coller systématiquement au morceau qu'il accompagnait. Grady Martin est le guitariste caméléon par excellence, le gars qui vous pose le solo d'une telle perfection qu'il s'impose avec une telle évidence qu'il semble avoir été créé de toute éternité pour être mis sur ce titre précis. N'oubliez jamais que la couleur sable du serpent du désert participe de son attaque foudroyante. Ni vu, ni deviné, invisible et mortel. L'est le maître du solo camouflé qui se révèle être un camouflet pour tous les autres guitaristes.

    Chez Kr'tnt ! L'on évite de prononcer le nom de Grady Martin ( et du mythique Studio B ) devant Mister B, notre spécialiste guitare, devient fou ( de joie ) à chaque fois.

    Damie Chad.