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  • CHRONIQUES DE POURPRE 543 : KR'TNT : 543 :SYL JOHNSON / KIM SALMON / THE HAWKS / CIGARETTE ROLLING MACHINE / BLIND SUN / MATHIAS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 543

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    24 / 02 / 2022

     

    SYL JOHNSON / KIM SALMON / THE HAWKS

    CIGARETTE ROLLING MACHINE /BLIND SUN

      MATHIAS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    ATTENTION !

    LIVRAISON 542 PARUE LE 15 / 02 / 2022

    LIVRAISON 543 PARAÎT CE 19 / 02 / 2022

    LIVRAISON 544 PARAÎTRA LE  05 / 03 / 2022 

    Syl n’en reste qu’un

     

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             Syl Johnson, l’un des géants de la scène de Chicago, vient de casser sa pipe en bois. Et comme tous les géants de la scène de Chicago, Syl Johnson vient du Mississippi, et plus précisément d’Holly Springs, d’où sont aussi originaires R.L. Burnside et Charlie Feathers. Syl a dix ans quand sa famille s’installe dans la capitale des abattoirs et de la pègre américaine. Il s’appelle encore Thompson et rencontre un certain Sam Maghett qui va devenir le fameux Magic Sam. Puis comme tous les géants de la scène de Chicago, il va faire ses débuts sur Federal, l’un des labels de Syd Nathan. C’est Syd qui dit à Syl : «Tu t’appelleras Johnson !». Il trouve que Johnson sonne mieux que Thompson.

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             Il enregistre son premier album en 1968 sur un petit label de Chicago, Twinight Records. Fantastique album de r’n’b que ce Dresses Too Short ! Syl danse dans la rue en costard vert. Ça jerke dans les brancards dès le morceau titre, un Too Short admirablement roulé dans une farine de bassmatic. On se croirait chez Stax ! Alors le petit peuple va pouvoir danser, avec le popotin de «Different Strokes» et sa fantastique tenue de la tenure, puis avec le dripping de «Soul Drippin’» suivi d’un explosif «Ode To Soul Man» digne de San & Dave. La B n’est pas en reste, oh no no no, car «I’ll Take Those Skinny Legs» rivalise d’énergie avec la Soul de James Brown, c’est une vraie shoote de hot Soul, hot as hell et cool as fuck, comme dirait le ghetto man des Batignolles. Le pire est à venir avec «Sorry Bout Dat», nouveau shoot de hot Soul à la James Brown. Syl Johnson sort ici un funk de Soul sacrément fin, doté d’un aérodynamisme qui te laisse comme deux ronds de flan.

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             Paru deux ans plus tard, Is It Because I’m Black est l’album politique de Syl Johnson. Dans le morceau titre, il se demande si c’est le dark brown of my skin qui pose un problème et il rappelle que Mama she works so hard to earn a penny. Et il lève le poing, comme John Carlos aux Jeux Olympiques pour clamer sa volonté d’exister - I wanna be somebody so bad - et il ajoute qu’il veut aussi un diamond ring as yours, une bague en diamant comme la tienne, et il exhorte le grand peuple noir à poursuivre la lutte - If we keep pushing on, we got to be a little further - il a raison, il faut continuer - We’re trying so hard/ To be somebody - Alors les Brothers et les Sisters se massent derrière Syl qui lance : «We can’t stop now/ We got to keep on/ Keep on !» Il revient à la politique en fin de B avec «I’m Talking Bout Freedom» et lance un appel à la liberté. Il boucle cet album superbe avec un «Right On» digne de James Brown - Ride on Sister ! - Nouvelle crise de colère avec «Concrete Reservation». Il y dénonce les ghettos - It’s just a bad situation - et les chœurs font : «In the ghetto !» Il enchaîne avec «Black Balloons», un solide balladif de très haut rang, il faut voir Syl swinguer ses balloons et ses afternoons. Par l’éclat de sa classe, il évoque d’autres géants de la Soul comme Spoon et Brook. On note aussi en A la présence d’une belle cover du «Come Together» des Beatles.

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             Avec Back For A Taste Of Your Love, Syl Johnson entame en 1973 sa période Hi Records sous la houlette de Willie Mitchell, à Memphis. Fais gaffe, cette série de quatre albums va semer le souk dans ta médina. Syl n’en reste qu’un ce sera celui-là, le Syl d’Hi. Rien qu’avec «Back For A Taste Of Your Love», Syl rafle la mise, car voilà un fabuleux shake d’Hi, du pur jus de Memphis Soul. Leroy, Teenie et Charles Hodges swinguent la meilleure Soul du temps d’avant et Syl chante au fruité de glotte, à l’accent perçant, mais c’est le smooth du groove qui lève des vagues sous l’épiderme. L’autre coup de génie de l’album ouvre le bal de la B et s’appelle «Feelin’ Frisky». Ce vieux coup de raw popotin rampe dans le jus de juke. Comme Al Green, Syl atteint là une sorte d’apothéose. La Soul conduit droit au plaisir des sens et étend son empire kurosawaïen. Encore un coup du sort avec un «I Hate I Walked Away», solidement beau - You got the right to be disgusting/ After what you trusted - Il sort aussi des fabuleux slowahs d’élongation bitumineuse du type «Wind Blow Her Back My Way» et «Anyway The Wind Blows». Pour conclure, on peut ajouter qu’avec «I’m Yours», Syl Johnson n’a rien à envier au gros popotin de Stax.    

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             Pour Diamond In The Rough paru l’année suivante, Syl Johnson s’offre une vraie pochette de Soul Brother, le poitrail à l’air, en plein dans le feu de l’action. Il a des allures de superstar. Quatre puissantes énormités y guettent l’imprudent voyageur, à commencer par «Let Yourself Go», où il t’invite à te laisser aller - Get on up ! - La deuxième arrive aussitôt après : «Don’t Do It». Imparable - Don’t do it/ Don’t break my heart - C’est le groove de Willie Mitchell et des frères Hodges, avec de fantastiques breaks descendants. Pur jus d’Hi. Il faut aller en B pour choper les deux autres, le morceau titre et «Music To My Ears». C’est de la raw Soul d’Hi, grattée au meilleur rave de studio, ce sont deux hits immémoriaux, high on time, sweet sweet music. Avec «Stuck In Chicago», ils vont chercher le boogie rock de Soul et Teenie Hodges gratouille dans l’ombre d’Hi, alors que les Memphis Horns nappent tout ceci de cuivre frais.     

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             On peut dire quasiment la même chose de Total Explosion paru en 1975 : c’est un pur album d’Hi Sound et ce dès «Only Have Love». Ils sont tous là, les frères Hodges, Willie Mitchell et les Memphis Horns. Fameux fumet. Production de rêve. On a là tout ce dont on peut raisonnablement rêver. La fête se poursuit avec «Bustin’ Up Or Bustin’ Out», chef-d’œuvre de groove popotin hodgé jusqu’à l’oss de l’ass. C’est le paradigme du groove d’apanage, l’épandage des vieux adages. Il n’existe rien d’aussi jerky sur cette planète que ce shooooot de grooooove, avec un Syl qui souffle ses coups d’harp. On le voit d’ailleurs souffler au dos de la pochette. C’est en B que se trouve son hit le plus connu, la cover du «Take Me To The River» d’Al Green - I don’t know why - Il laisse ses syllabes s’envoler comme des bouffées de chaleur - Get my feet on the ground/ I don’t know why/ She treats me so baaaaaaahd - Nouvelle énormité avec «Bout To Make Me Leave Home», du basic de base d’Hi, modèle absolu de Soul inspirée. Syl allume bien la terrine de la Soul avec sa voix, c’est l’un des plus beaux mariages de l’histoire des Amériques. Ça frise l’inespérabilité des choses. Pouvait-on concevoir pareil miracle ? Non.    

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             Fin d’Hi pour Syl en 1978 avec Uptown Shakedown. Malgré sa pochette fantastique, l’album est moins dense que les trois précédents, mais God, ça reste du big Syl. Il fait un peu de diskö-Soul avec «Mystery Lady» et revient au groove magique avec «Let’s Dance For Love». On ne peut parler ici que d’excellence. Il passe au sexe avec «You’re The Star Of The Show» - Sexy lady/ I like what you’re doin’ to me - et on tombe en B sur «Who’s Gonna Love You», un slow-groove joué à la trompette dans la nuit urbaine. Groove élégantissime. Il propose ensuite un «Otis Redding Medley», avec du Fa Fa Fa FA et du Respect. Il enfile les hits d’Otis comme des perles, mais tout n’est pas du même niveau. Il commet cependant l’erreur fatale : l’impasse sur «Try A Little Tenderness».

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             Puis on passe à autre chose. Syl va revenir au blues et errer d’un label à l’autre. Brings Out The Blues In Me paraît sur Shama Records en 1980, avec une belle pochette. Syl s’y dresse en Soul Brother, toujours le poitrail à l’air. Le morceau titre qui fait l’ouverture de balda surprend par ses qualités organiques. Ça grouille de vie, comme dans le swamp. C’est pourtant enregistré à Chicago. Le son palpite littéralement, Syl Johnson nous sort là l’un de ces grooves organiques dont il partage le secret avec Tony Joe White. Mais c’est un album de blues et la suite de l’A se perd un peu dans le classical Chicago blues, avec notamment un tribute à Magic Sam intitulé «Get My Eyes On You». On se réveille en B avec «Sock It To Me», fantastique shoot de funk, les guitares dégorgent comme des coquillages dans la bassline, Syl renoue avec sa légendaire fierté rectangulaire, il fait fi des lois et des règlements, sock it to me babe !   

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             Ms Fine Brown Frame paraît deux ans plus tard sur le bien nommé Erect Records. Pas de pochette plus putassière que celle-ci, avec sa louve black en monokini blanc, mais comme c’est Syl, on comprend. Syl aime les femmes, alors il paraît logique d’en voir une envahir la pochette. Mais l’album ne casse pas des briques. Il fait un peu de diskö, comme tout le monde à l’époque, mais il le fait avec une telle classe que son «Keep On Loving Me» passe comme une lettre à la poste. C’est un album classique de Soul/diskö-funk de blues comme il en paraissait des milliers dans les années quatre-vingt. On ne peut pas en dire plus que ce qu’on en dit.       

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             Par contre, Suicide Blues réserve quelques bonnes surprises, comme ce violent boogie intitulé «Before You Accuse Me». Son effarante présence évoque bien sûr celle de Lazy Lester. Il revient au vieux «Take Me To The River» d’Al Green en B. Oh the vox ! Quel fabuleux shooter de r’n’b. Il enchaîne avec un «The Blues In Me» qui sonne un peu comme «I Hear You Knocking». C’est un boogie fin et délicat qu’il monte au chat perché. Aw my Gawd, what a singer ! On ne se lasse pas d’écouter Syl chanter. Il tape dans James Brown pour «Sock It To Me» et revient au blues pour «Got To Make A Change». Il chante son blues avec une classe affolante. Il est l’un des plus far-out du genre. Il finit avec ce diable de heavy blues intitulé «Crazy Man». Sacrément emblématique ! Syl pue la classe à dix kilomètres à la ronde. N’oublions pas qu’il est avant tout guitariste et on le voit faire des siennes dans le morceau titre. Il dit qu’il veut se suicider, avec cette voix de vibrating tension.

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             Avec Back In The Game, Syl Johnson remet sa couronne de groover en jeu et descend retrouver la bande d’Hi à Memphis. On est saisi dès les premières mesures du morceau titre par l’énormité du son. C’est monté au beat insubmersible, groové dans le deepy deep d’Hi. Groove insubmersible. Tous les cuts de l’album sont énormes, à commencer par l’infectueux «I Can’t Stop» joué aux accords de r’n’b, puis le violent boogie de «Keep On Loving Me», silly thang, absolute vodka de force majeure, cathartic shook de shake, ils y vont doucement mais sûrement, et le solo vient télescoper de plein fouet une embrouille de funk. Ils reviennent forcément sur «Take Me To The River» - I don’t know why/ I love her like I do - Cette version excitera encore les gens dans trois mille ans - Won’t you tell me - Syl chante avec un timbre unique au monde - Take me to the river/ Wash me down - Sa fille Syleena Thompson vient prêter main forte à Syl sur «Dripped In The Water» et l’orgue nous noie tout ça dans un bain de jouvence. Back to the heavy blues avec «Driving Wheel» et puis Syl renaît de ses cendres avec «Clean Up Man», un hit de funk extraordinaire, avant de replonger dans l’enfer vert du groove avec «I Will Rise Again». Wow quelle partie de groove ! - You got me feeling.

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             Tiens encore un album fantastique avec Bridge To Legacy paru sur le label d’Austin Antone’s Records en 1998. Sur la pochette, Syl joue de la guitare assis sur une vieille chaise. Ça fonctionne comme sur l’album précédent : on sent la violence du groove dès l’intro de «Who’s Still In Love». Syl soigne sa pêche, son boogie sent le fil blanc, mais il le joue avec le petit quelque chose en plus qui fait toute la différence, comme Lazy Lester. On retrouve sa fille Syleena sur «Half A Love». Encore un hit ! Syleena s’y fait reine du groove sexy. Elle chante d’une voix tremblante de désir. Syl revient dessus et ça donne un duo magique et compressé à la fois. On s’effare aussi de «Midnight Woman», aussi heavy que translucide. Syl est un démon du groove, il joue la carte du boogie blues à l’écrasée. Son groove de blues reste complètement à part. Il y a quelque chose de très fascinant dans le style de cet homme. Il rejoue la carte du groove transversal avec «I Don’t Know Why». C’est noyé de violons et de guitares électriques, et même foudroyant d’électricité. Ce mec a un son véritablement moderne. Il sort un groove subtil et beau comme une tempête magnétique. On se régalera aussi des chœurs qu’on entend dans «Let’s Get It On Again», nouveau slab de heavy blues spectaculaire, oh yeah, ses balladifs accrochent au meilleur niveau d’interférence itérative. C’est bardé de chœurs de rêve et ça se vautre dans une perfection parfaitement indécente. Quelle ambiance ! On voit rarement passer des disques aussi indispensables. Syl reste dans l’excellence du balladif avec «They Can’t See Your Good Side», c’est traité à l’écho fatal, les filles sont toujours là, sur le good ride. Effarant ! Syl crée son monde. Il est l’absolute foreigner. Il termine avec un nouveau coup de génie intitulé «Sexy Wayz», encore un hit de juke, furieux et solide. Syl chante son sexy wayz avec une hargne à peine croyable - I can’t sleep baby/ When I see you dance/ You move so sexy - Syl devient dingue. Quelle pogne ! 

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             Au risque de radoter, voilà encore un album énorme : Hands Of Time. Syl Johnson finira par nous rendre tous gagas. Avec «Tell Me In The Morning», il joue la carte du mec qui trépigne dès le matin. Syl se comporte comme un dieu du stade - Tell me tomorrow - Il joue un double jeu, à la fois groover du delta et Mister Dynamite limoneux. Il bat tous les records de classe rampante. Syl est le maître incontestable des grooves interlopes. Il se montre en permanence effarant de classe, mais pas n’importe classe, on parle ici de classe totémique. Oh il faut aussi écouter ce «Superwoman» amené au funk de Mister Dynamite, avec une vraie attaque en règle. En plus de tout le reste, Syl est un sale casseur de baraque. Il nous fait même le coup du solo ravagé. Encore plus énorme : «You’re Number One». Syl l’explose en plein vol. Voilà encore un hit de juke, du pur jus de pétaudière, une énormité embarquée au groove de reins de je vais et je viens et pour calmer le jeu, il nous fait le coup du froti-frota de luxe avec «Listen To Me Closely». Il allume son slowah à la pure sauvagerie primitive - I really miss you - Ah on le croit sur parole ! N’allez surtout vous amuser à prendre Syl à la légère, ce serait une grave erreur. Puisqu’on est dans les énormités, on peut aussi évoquer «Touch Of Your Love», joué au meilleur funk de basse de l’univers. Syl s’y vautre. On frise encore le stroke en découvrant «Funky Situation». Syl gère ça comme il peut, il s’aperçoit que sa poule est partie, there was no one inside, sur fond de groove funk mécanique.  

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             Tiens le voilà sur Delmark pour Talkin’ Bout Chicago, un album paru en 1999. Et quel album ! On croit que c’est du Chicago blues, mais non, Syl vient du Sud, il amène son vibré de glotte et un style de guitare qui lui est propre. Il s’embarque avec «Cheryl» dans un fantastique slow-boogie blues, une vraie merveille, jouée à la marge, avec des tiguiliguilis de guitare d’une rare subtilité. Il chante toujours avec autant de feeling. La fantastique Theresa Davis vient duetter avec lui sur «Sweet Dynamite». Comme il a toujours su le faire, Syl crée les conditions du hit. Quand il fait du boogie blues de Chicago, comme c’est le cas avec le morceau titre, ça devient absolument extraordinaire. «Different Strokes» sonne comme un coup de génie. Syl démonte la gueule du groove. Il le plie à sa volonté. Il dispose de cette classe qu’ont perdu les bluesmen de Chicago. «I’m Back Into You» reste du groove de très haut niveau. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Trade Secret», un coup de slow boogie blues. Il le prend avec un brio inégalable. C’est un véritable chef d’œuvre de chant lent. Syl a du génie à revendre - I’m gonna pick another fight - C’est le chanteur idéal - Hush Hush Honey I can - et il enfonce son clou - Need a trade secret - Ça sonne comme un vieux hit de juke inconnu. Il sort encore de l’ordinaire avec «All Night Long», un vieux coup de heavy blues. Syl est un diable, un authentique géant de la Soul - Help me/ Squeeze me tight ! - Fabuleux Syl Johnson ! On le voit tout au long de cet album infernal, Syl ne lâche jamais sa vieille rampe. Il est captivant de bout en bout. Dans «Get Free Call Me», les filles font des ravages. Elles gueulent leurs chœurs de get free par-dessus les toits et elles explosent la notion même de bonheur conjugal. Sur cet album, tout est sur-saturé de feeling et d’inspiration. Ça peut donner la nausée.

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             Paru sur Shama Records, We Do It Together est une compile qui vaut le détour. Oui, car c’est du double concentré de Syl Johnson. «Kiss By Kiss» sonne comme le meilleur funk de Soul qu’on ait entendu ici-bas, avec cette admirable dégringolade de basse dans le dos de Syl. Il tape dans le «Get Ready» des Tempts et enchaîne avec un autre hit Tempty, «The Way You Do The Things You Do», fantastique shoot de raw popotin. Syl le swingue dans le gras du bide et ça tourne au raw définitif. Il passe en B à la Soul de dance avec «Annie Got Hot Pants Power», hallucinante giclée de sexy Soul avec des femmes qui jouissent derrière des micros. Retour au sexe plus loin avec «Hot Pants Lady», fantastique partie d’orgasmes féminins sur fond de funky strut - Hey babe I like your teeth ! - et il nous fait le coup du lapin avec «Your Lovin’ Is Good For Me», shoot de Soul de descente extraordinaire - It keeps going strong/ It’s good for me - Oui, il la remercie pour son amour - You pick me up when I’m down !

             Le festin discographique de Syl Johnson ne s’arrête pas là, on y reviendra probablement.

    Singé : Cazengler, cire Johnson

    Syl Johnson. Disparu le 6 février 2022

    Syl Johnson. Dresses Too Short. Twinight Records 1968

    Syl Johnson. Is It Because I’m Black. Twinight Records 1970  

    Syl Johnson. Back For A Taste Of Your Love. Hi Records 1973        

    Syl Johnson. Diamond In The Rough. Hi Records 1974      

    Syl Johnson. Total Explosion. Hi Records 1975             

    Syl Johnson. Uptown Shakedown. Hi Records 1978

    Syl Johnson. Brings Out The Blues In Me. Shama Records 1980

    Syl Johnson. Ms Fine Brown Frame. Erect Records 1982    

    Syl Johnson. Suicide Blues. Isabel Records 1983

    Syl Johnson. Back In The Game. Delmark Records 1994

    Syl Johnson. Bridge To Legacy. Antone’s Records 1998  

    Syl Johnson. Hands Of Time. Hep Me Records 1999 

    Syl Johnson. Talkin’ Bout Chicago. Delmark Records 1999 

    Syl Johnson. We Do It Together. Shama Records 2017

     

     

     L’avenir du rock

    - Kim est Salmon bon (Part Four)

     

    Finalement, l’avenir du rock est ravi d’assister à ce séminaire des avenirs. Il n’était pas très chaud au début, puis il s’est ravisé, supputant que la compagnie de ses collègues lui serait agréable. Oh ils sont tous là, l’avenir de l’humanité (toujours aussi con), l’avenir de l’art (ce gros veinard), l’avenir de l’homme (toujours aussi séduisante) et des avenirs plus techniques avec lesquels l’avenir du rock ne se sent guère d’affinités : l’avenir de l’Euro, l’avenir de la gauche, l’avenir du numérique, l’avenir de l’industrie agro-alimentaire, et tout un tas d’autres futurologues invités à prendre la parole à la tribune. Tiens d’ailleurs, voilà que l’avenir de la pensée libre monte à la tribune et déclare :

             — J’ai l’av’nir qui s’dilate et la foi qu’est pas droite !

             Et la foule reprend en chœur :

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque ! Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque !

             Ravis, les convives applaudissent chaleureusement. La règle au séminaire des avenirs est de dire tout ce qu’on a sur la patate. Puis c’est au tour de l’avenir des petites sœurs des pauvres de prendre la parole :

             — J’ai l’av’nir bien trop mou et l’futur qu’est trop dur !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque !

             Le public lui fait une ovation et lui jette des pièces de monnaie qu’il ramasse dans un seau prévu à cet effet. Les manifestations sauvages de générosité sont fréquentes dans ce type d’événement.

             Arrive le tour de l’avenir des rillettes du Mans de s’exprimer devant le parterre collégial :

             — J’ai l’av’nir qui s’démanche et mes pots bien trop gros !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’être toujours patraque ! Bravo ! Bravo !, font les avenirs qui exultent.

             Aussitôt après, l’avenir des échelles de Richter arrive d’un pas athlétique à la tribune et déclare avec un grand sourire :

             — J’ai l’av’nir qui pylore et l’futur qui s’endort !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’être toujours patraque !

             Une salve d’applaudissements salue l’allocution. Une petite assistante binoclarde s’approche de l’avenir du rock et lui chuchote à l’oreille :

             — C’est votre tour, avenir du rock. Veuillez vous rendre à la tribune.

             L’avenir du rock s’exécute et s’installe derrière le pupitre. Il se verse un verre d’eau minérale et lève les deux bras au ciel :

             — J’ai l’av’nir qui Salmonne et l’futur qu’est tout comme !

     

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             Il a raison d’exulter l’avenir du rock. Kim Salmon n’a jamais autant salmonné. Surtout depuis qu’il a réactivé les Scientists. Tony Thewlis, Boris Sujdovic, Leanne Cowie, ils sont tous là, tu ouvres le gatefold et tu les retrouves grandeur nature, avec un Kim Salmon au premier plan, terrifiant de véracité, l’œil quasi-mauvais sous la broussaille de sa tignasse. Ah quelle allure ils ont tous les quatre ! Voilà ce qu’on appelle un vrai groupe de rock. Le temps n’a aucune prise sur eux et l’album sort sur In The Red, alors elle est pas belle la vie ? On pourrait se contenter de ça, mais il se trouve qu’en plus l’album est bon, et même plus que bon. Ce sera la seule bonne nouvelle de la journée.

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             Avec ces groupes qui ont un passé chargé, c’est toujours un peu la même histoire. On pense que la messe est dite et qu’ils n’ont plus grand chose de neuf à nous apprendre. Mais ce serait faire insulte à l’intelligence de Kim Salmon. C’est justement parce que c’est difficile de redémarrer en côte qu’il relève le défi avec un nouvel album, et c’est là où il fait la différence : il en profite pour se réinventer. «Outsider» ouvre le balda et tout est là : la voix, la fuzz et cette épouvantable niaque, cette façon de nous servir le meilleur pâté de foi. Here it comes ! The Scientistic beat ! Quasiment groové sous le boisseau de la fuzz et Tony Thewlise savamment. Il y a autant de modernité chez ces mecs-là que chez Iggy. La fête se poursuit avec un autre coup de génie : «Make It Go Away», encore plus rampant, ça devient stoogy mais au scientistic way, ça rampe de manière totalement indécente avec du piano dans le bourbier du lard bourbeux. Le troisième coup de génie ouvre le bal de la B : «The Science Of Suave». Tony T l’embarque au riff rageur, puis il joue sa dentelle d’acid freak-out au long cours et quand Kim fait Yeah !, c’est de façon bien racée, bien wild, bien dans l’air du temps qu’on aime. Les autres cuts valent bien sûr le détour. Avec «Naysayer», le cat Kim décide de rôtir en enfer, il semble donner de la profondeur aux flammes, les Scientists font du tribal psycho psyché dans l’eau noire d’excelsior, puis ils passent au funk des catacombes avec «Safe», une façon comme une autre d’empiéter sur les plate-bandes du JSBX. C’mon ! Ils restent dans les catacombes pour «Magic Pants», du gaga qui a le goût d’une purée noire empoisonnée. Avec cet album, le cat Kim n’en finit plus d’échapper aux règles et aux attentes. Il fait du lard moderne, c’est important de le savoir et encore plus important de s’en montrer digne. Encore un chef-d’œuvre de rock moderne avec «I Wasn’t Good At Picking Friends». Tony T y coule un bronze fabuleusement liquide que ponctuent des chœurs épanouis. Ses solos sont des merveilles intentionnelles. Nos vaillants Scientists frisent ensuite le Velvet avec le pesant «Moth Eaten Velvet». Kim Salmon le chante avec des accents de Kevin Ayers. En fait, cet album n’est qu’une série d’idées de cuts qui se mettent à fonctionner. Cette facilité à œuvrer ne court pas les rues. Leanne Cowie bat le jive de jazz de «Dissonance» - Meet my approval - et Kim Salmon le finit à l’oh yeah baby baby Oooh !

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             Dans un article frétillant, Gerry Ranson annonce la parution du brand new album from Aussie post-punk contortionnists The Scientists. Bon, l’article est mal barré, parce que les Scientists n’ont jamais fait de post-punk. Ranson voulait sans doute dire que le groupe est arrivé aussitôt après le punk, mais il faut faire gaffe quand on utilise ce genre d’étiquette, surtout celle-ci, qui comme l’étiquette new wave fait un peu office de repoussoir. Gildas qui ne supportait pas ce son l’appelait ‘la poste’. Dans son élan, Ranson rappelle l’histoire du groupe Aussie originaire de Perth et qui débarque à Londres en 1984, avec dans ses bagages les Stooges, le Gun Club, les Cramps et Captain Beefheart. Après le split en 87, nous dit Ranson, Salmon monte les Surrealists et joue avec Beasts Of Bourbon. Ça s’appelle un parcours sans faute.

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             Comme Kim avait annoncé qu’il n’y aurait plus d’albums des Scientists dans le futur, Negativy arrive comme une bonne surprise. Au moment de la reformation, ils enregistraient des singles, alors Salmon a fini par décider de faire un album, tant qu’à faire - Hence us going back on our word and recording that dreaded latter-day album - Eh oui, ce n’est pas évident de faire du latter-day. Kim Salmon avoue qu’il espère pouvoir continuer à tourner avec le groupe. En attendant la fin de Pandemic, il fait du solo stuff down under. Il évoque comme tout le monde les confinements et avoue faire a lot of paintings. Il fait même des successful exhibitions. Il avoue aussi avoir investi les subventions pandémicales du Government dans un album d’experimental improvisation qui s’appelle OK Commissioner. En fait il a des tas de projets liés à l’isolement, comme ce show multimédia crypté qui s’appelle Haunted Grooves, dédié à tous les gens avec lesquels il a bossé et qui ont cassé leur pipe en bois - Of which there have been way too many - Il voit ce show comme une thérapie et il s’empresse d’ajouter : «Mais c’est bien plus léger que ne pourraient l’imaginer les gens ! J’ai beaucoup d’histoires marrantes à propos de ces gens qui devraient faire beaucoup rire.» Oui car Kim sera dada jusqu’au bout des ongles ou ne sera pas, comme dirait Malraux.

    Signé : Cazengler, Kim Savon

    Scientists. Negativity. In The Red Recordings 2021

    Gerry Ranson : Profiled - The Scientists. Vive Le Rock # 83 - 2021

     

    Inside the goldmine - Hawks see more

     

             La première fois qu’il rencontra Nox, ce fut dans la salle d’accueil d’un centre de formation. Comme Nox, il était arrivé en avance, ce que font tous les banlieusards qui anticipent les imprévus. Nox n’avait pas l’air de rouler sur l’or. Sous son parka, il portait un survêtement, comme s’il sortait d’une cité. Il ne leva pas le nez du livre qu’il lisait. Sans doute était-il lui aussi un peu tendu. Candidats à la reconversion professionnelle, Nox, lui et douze autres personnes allaient passer un an en stage de formation longue durée. Objectif : obtenir une qualification permettant de décrocher un job de webmaster dans une grosse boîte, un marché alors en plein boum. Nox et lui créchaient en banlieue Ouest, il leur arrivait donc de prendre le même RER. Ils finirent par devenir potes. Comme Nox connaissait pas mal de petites gonzesses délurées, ils passèrent ensemble de charmantes soirées. Nox revenait de loin, car il venait de passer quelques années au RMI, d’où le survêtement : pas de blé, pas d’habits. L’année de formation s’acheva avec un examen. Ceux qui sont passés par là savent qu’ensuite commence le plus difficile : la prospection. C’est quitte ou double. Double, on décroche un job. Quitte, retour au chômdu avec un éventail de possibilités qui se réduit de manière drastique. Il n’eut plus de nouvelles de Nox pendant un an ou deux. Chacun vivait sa vie. En région parisienne on perd facilement les gens de vue. Il existe une chance sur un million de croiser une connaissance dans la rue, et curieusement c’est ce qui se produisit, rue Saint-Dominique. Il faillit ne pas reconnaître Nox qui déboulait sapé comme un ministre.

             — C’est quoi ce costard de frimeur ?

             — Ha ha ha, c’est ma tenue de travail. Je bosse dans les ministères, je supervise des tas de trucs ! On m’appelle CyberNox. Tiens regarde...

             Il sortit de la poche intérieure de son veston une sorte de petite télécommande. Il cliqua. Sa tête se mit à vibrer et à changer de couleur, il émit une sorte de sifflement et ses yeux se transformèrent en deux petits écrans dans lesquels défilaient des symboles cryptés, comme on en voit sur les machines à sous. D’une voix métallique, il onomatopait du code : Nox Nox Nox, tilililili, Nox Nox tilili !

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             Pendant que Nox fait sa démo de CyberNox, les Hawks font un bel oxymore : on trouve dans le même groupe un Kuss fraîchement émoulu de TV Eye et un Stephen Duffy fraîchement émoulu de l’early Duran Duran. Formé en 1979, le groupe va durer deux ans avant d’imploser. Mais l’album récemment exhumé a un cachet particulier - Unforgettable guitar playing, inventive rhythm section, Duffy’s enigmatic words and a killer chorus - Mark Chadderton définit bien le style des Hawks. Et Duffy ajoute : «To me, that was the whole thing, the music, the look.» Oui, car les Five Believers ont du look à revendre. Au début, ils s’appellent Obviously Five Believers, mais on leur dit que le nom est trop long. Puis ils veulent s’appeler The Subterraneans, mais Nick Kent leur barbote le nom. Comme ils ont une chanson qui s’appelle «Hawks Don’t Share», ils décident de s’appeler Hawks Don’t Share et ça devient the Subterranean Hawks Obviously Don’t Share Believers. On connaît le résultat final. Duffy dit que The Hawks était le pire nom de groupe - Unless you’re backing Dylan in 1966 ! - Ils enregistrent des cuts qui ne sortent pas. Jusqu’à la fin de sa vie, Kuss va insister pour que ça sorte.

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             Il a eu raison d’insister. L’album paraît enfin sous le nom d’Obviously 5 Believers. On sent dans l’«All The Sad Young Men» d’ouverture de balda une volonté de bien sonner et un petit blondinet du nom de Simon Colley signe le bassmatic. C’est d’ailleurs lui qui va voler le show sur l’ensemble de l’album. Il est assis au fond à gauche de l’illusse. Quant à Stephen Duffy, au premier plan à gauche, il chante à l’empruntée de Birmingham et Kuss passe dans «Aztec Moon» l’un de ces solos aériens dont il va se faire une spécialité. Kuss est assis au premier plan, à droite. Tous les cuts sont intéressants, comme encore ce «Big Store», un up-tempo bien tempéré par le bassmatic de Simon Colley. Kuss y joue au long cours, il remplit the biggest store in town d’éclats psychédéliques, Kuss et Coll font tout le boulot. Quelle densité ! Ce démon de Coll est partout dans le son. Son bassmatic monte au devant du mix dans «What Can I Give», et Kuss reste bien sûr en embuscade. On entend encore Coll tourbillonner dans «A Sense Of Ending», il est de tous les instants, sur tous les coups, il pétarade dans son coin et Kuss fidèle à lui-même claque encore l’un de ces chorus dont il a le secret. Le coup de génie de l’album se trouve en B : «Something Soon», un clin d’œil à Dylan, comme l’indique d’ailleurs le titre de l’album. On a même les coups d’harmo. Cette équipe de surdoués embarque ce fantastique up-tempo au firmament de la pop dylanesque. C’est le batteur David Twist qui souffle dans l’harp. On a encore de la belle pop anglaise avec «Bullfighter» et en fond de toile, Coll multiplie à l’infini les triplettes de Belleville, il attise le brasier pop. On écoute cet album pour Kuss, bien sûr, mais c’est Coll la star. Il nous fait le coup du walking bass dans «Jazz Club». S’ensuit un «Serenade» plus classique, claqué au riff de Kuss, mais avec un Coll qui gronde comme le dragon de Merlin sous la surface du son. Quelle équipe ! Il faut avoir vu ça si on ne veut pas mourir idiot : Kuss gratte son funk pendant que Coll fait son Bootsy à contre-courant. Ces mecs sont beaucoup trop doués.

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             Dans Record Collector, Patrick Wray interviewe Stephen Duffy qui est une petite superstar underground, comme l’était aussi Kuss. Il raconte son enfance, le White Album qu’on écoute en famille, le père qui apprend la guitare à l’aîné Nick qui ensuite l’apprend à Stephen et puis voilà qu’arrive le punk et Stephen joue tout de suite dans des groupes - That was when I switched to bass and played in punk bands - Il arrive au Art College et rencontre John Taylor. Ils forment Duran Duran. Au bout de six mois, Stephen quitte les Duran pour aller bricoler avec les mecs de TV Eye qui comme leur nom l’indique étaient des fans des Stooges. Il emmène ses chansons («Aztec Moon» et «Big Store») et Simon Colley avec lui pour aller former les Hawks avec Kuss et David Twist - David Twist was the ambitious one - Puis il évoque Kuss et son alcoolisme qui commençait déjà à faire pas mal de ravages dans le groupe. Quand en 2019, Kuss retrouve Stephen dans un club de Birmingham, il fout la pression pour que l’album des Hawks sorte enfin : «When are you going to put the Hawks tapes out?», puisque c’est Stephen qui les possède. Il le prend au mot, mais Kuss casse sa pipe en bois en plein fucking Pandemic. Il ne pourra donc pas écouter cet album qu’il appelait de ses vœux. Stephen précise que Kuss n’est pas mort à cause de fucking Pandemic - But it was because of the isolation that he just kind of dropped off - Si le groupe a disparu c’est nous dit Stephen parce qu’ils n’avaient ni contrat ni manager. Ils en étaient exactement au même point qu’Echo & The Bunnymen et les Teardrop Explodes qui eux ont eu plus de chance. Quand il monte The Lilac Time, Stephen décroche tout de suite un contrat chez WEA. 

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             Au même moment, Mark Chadderton raconte sensiblement la même histoire dans Vive Le Rock, mais il apporte ici et là des petites précisions qui valent leur pesant d’or du Rhin. Exemple : personne ne se demande ce qu’est devenu David Twist. On le croyait à Saint-Tropez, pas du tout : il joue dans les excellents Black Bombers, nous dit Chadderton. Twist explique qu’il connaissait John Taylor depuis l’âge de 11 ans, qu’ils étaient ensemble à l’Art college, qu’ils admiraient les TV Eye guys et qu’ils montèrent ensemble un groupe nommé DADA. Twist jouait aussi de la batterie pour les Prefects. Quand le chanteur de TV Eye s’est barré, c’est Twist qui demanda à Stephen Duffy de le remplacer. Voilà pourquoi on l’accuse d’avoir brisé l’early Duran Duran.

    Signé : Cazengler, la lowk

    The Hawks. Obviously 5 Believers. Seventeen Records 2021

    Mark Chadderton : Brum’s Babylon revisited. Vive Le Rock # 86 - 2021

    Patrick Wray : Let us pray. Record Collector # 523 - October 2021

    *

    En ce mois des fièvres Cigarette Rolling Machine vient de sortir un disque. Groupe inconnu au bataillon, me suis-je dis. Une machine qui doit rockin’ and rollin’ à mort ai-je supposé. Marx a décrété que si l’on veut savoir le goût de la pomme il suffit de la goûter. J’avoue que les deux premières minutes de l’album Hysteria sont un peu déstabilisantes, ces espèces de craquements inaudibles ne m’ont guère convaincu, j’allais abandonner lorsque mon œil a été attiré par la pochette du premier opus du groupe. Une version psychédélique du célèbre tableau La mort de Marat de David. Tiens un truc marrant, avec ses cheveux violets l’a un aspect glam des mieux réussis. J’ai regardé le titre de l’opus,

    SOBRE A MUERTE

    CIGARETTE ROLLING MACHINE

    ( Juin 2020 )

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    Ces gars-là ont de la suite dans les idées, avant la folie, la mort, s’intéressent à des problématiques un peu extrêmes. Une notule de quatre lignes m’apprend que les morceaux sont à écouter comme un commentaire au livre Au sujet de la mort : Réflexions et conclusions sur les dernières choses de Schopenhauer. Donc après Platon, Schopenhauer, serions-nous en train d’entamer une série rock philosophique. Certes Schopenhauer est moins connu que son illustre devancier. A la fin du dix-neuvième siècle son aura fut immense, son pessimisme radical influença des générations entières. Aujourd’hui on ne le lit guère. Il reste tout de même le philosophe préféré de Molossito et Molossa, n’a-t-il pas écrit ‘’S’il n’y avait pas de chiens, je n’aimerais pas vivre’’. Nietzsche lui doit beaucoup. Ce second couteau de Freud aussi. Une myriade de romanciers et de poëtes se sont intéressés à lui, nous ne citerons par chez nous que Maupassant, et Jules Laforgue. Mon maître Pham Cong Thien professait une grande admiration pour Schopenhauer qui à l’âge de vingt-quatre ans possédait et maîtrisait déjà son propre système. N’a fait que le dérouler méthodiquement par la suite. 

    Le groupe n’est pas disert quant à sa composition, nous en reparlons dans notre analyse du deuxième morceau.

    Preambulo : notes de piano et clapotement régulier de moteur diesel, le piano (ou synthé), s’arrête mais le diésel continue de fonctionner tout seul encore quelques secondes, le morceau ne dépasse guère une minute. Faut-il interpréter la partie pianotée comme l’expression des émotions (enthousiasmes, passions, ennuis, souffrances, désarrois…) que l’individu ressent tout au long de son existence. Lorsque nous disparaissons le diésel qui continue à fonctionner sans nous serait alors la manifestation du vouloir-vivre qui selon Schopenhauer est le moteur imperturbable du déploiement de ce que l’on pourrait appeler la présence du monde. Lequel ne se soucie pas de nous.

    Peace karma : une ligne de texte nous apprend que pour ce morceau Cigarette Rollin Machine s’est inspiré d’Anjo Gabriel : O Culto Secreto do Anjo Gabriel, je suis dans l’expectative, je l’avoue humblement l’Ange Gabriel ne s’est jamais soucié de moi – il aurait dû – je ne possède pas son numéro de portable, une seule solution, le net, je tape l’intitulé et terrible surprise, je m’attendais à de longues heures de recherches fastidieuses sur la toile, la première indication que me fournit internet, est son lieu de résidence. En plus je connais, j’y vais souvent, sur Bandcamp, clic je tombe sur un groupe nommé Anjo Gabriel, avec photo, leurs identités, et leur logement terrestre : Recifé, au Brésil. Quant à l’inspiration elle est évidente, z’ont un morceau intitulé Peace Karma, basé sur le même riff que celui que nous nous préparons à écouter, pour la petite histoire je préfère l’interprétation de la Machine qui roule les cigarettes. Sont-ce les mêmes, certains membres participent-ils aux deux groupes, le mystère reste entier.

    Reste à voir ce que cette notion de karma vient faire chez notre philosophe allemand admirateur de Kant et qui fut en relation avec Goethe.   La liaison est plus facile à faire que l’on ne s’y attendrait, il existe des relations évidentes entre la pensée de notre philosophe et les textes sacrés et premiers de l’Inde : les Upanishdads, ainsi il n’hésite point à emprunter le terme Maya ( = illusion ) pour qualifier notre croyance en notre rationalité, nous pensons pouvoir expliquer notre propre implantation dans le monde par nos analyses rationnelles, foutaises, tout cela n’est qu’illusion, la seule vérité c’est la force incoercible du vouloir être qui nous traverse et nous force à être et dont la plupart d’entre nous n’ont aucune conscience. Platon affirmait que la seule réalité était les Idées, pour Schopenhauer s’il existe une réalité supérieure c’est le vouloir-vivre. Schopenhauer s’est toujours senti proche de Platon et d’Aristote. Pour lui le moteur immobile qui met en branle l’univers porte le nom de vouloir-vivre.

    Le karma est souvent employé par chez nous avec le sens de destin. Il est cela en le sens où l’ensemble de nos actes, passés, présents, futurs représente notre destin, mais nous pouvons dans les instants- mêmes où nous les accomplissons influer sur eux de telle manière que lorsque après notre mort nous reviendrons dans le monde des vivants, nous pourrons accéder à une conscience de notre présence au monde qui nous permettra de nous élever jusqu’à atteindre au cours de nos retour le point de détachement et d’annulation de toute illusion. Reprenez souffle, écoutez le Nevermind de Nirvana.

    Comment comprendre le titre Peace Karma, puisque le thème de Sobre a morte est la mort, la paix karmique est-il le moment (Instant Karma, disait Lennon) où l’esprit parvient au bout de la chaîne de toutes ses incorporations pour connaître l’instant nirvanique ou simplement une réflexion sur le fait de mourir au bout d’une existence humaine. Il est sûr que lorsque nous mourons nous nous détachons de nous-mêmes et sommes en quelque sorte en paix avec nous-mêmes.

    Quelques notes élastiques sur une rythmique un peu jazz, assez joyeuse, comme si la musique faisait de la gymnastique, celle des gymnosophistes, et là-dessus vient se superposer un fuzz de guitare à faire péter les fuzzibles de la joie. Pas serein, enjoué. A l’entendre l’on se dit que mourir est un truc agréable, l’on a presque envie de se passer l’arme à gauche illico presto et de se laisser emporter par cette farandole pas du tout macabre, la batterie ralentit, le synthé sautille moins légèrement, se dirige-t-on vers une désagréable agonie, pas du tout l’ensemble reste allègre.

    Joint of life : les vieux rockers, les jeunes aussi, ne pourront s’empêcher de penser à  Rock the joint de Bill Haley d’autant plus que le morceau est accompagné d’une étrange confidence : ‘’ Un jour moi et mes amis avons créé un bec géant et l’avons appelé bec de la vie. C’est tout. ’’ Genre, ne cherchez pas plus loin. Ce qui ne nous empêche pas de nous remémorer la corne d’abondance que Zeus a arrachée à la chèvre Amalthée… De cette corne suintait l’ambroisie super-confiture qui vous conférait l’immortalité. D’ailleurs ne sommes-nous pas immortels tant que nous sommes vivants. Groove tranquillou sur lequel se surajoute une guitare qui ronronne joliment, pas vraiment l’horreur de la mort, l’on se dirige sans se presser vers on ne sait où, peut-être une côte à gravir car le son monte, le mec à la guitare nous régale, prend son pied, nous aussi, sympathique et presque pépère, un petit parfum impro hippie à la Grateful Dead, nom de circonstance, pas du tout désagréable, un lézard qui se déplace lentement pour atteindre la portion du mur ensoleillé la plus chaude. Attention on ralentit, pas de panique, faut laisser un peu de place à la basse qui chantonne tout doucement, la guitare soloïse comme la cigale qui passa l’été de la vie à chanter pour enchanter notre séjour terrestre. Une vision de l’existence, osons le dire, peu schopenhauerienne. C’est parti pour douze minutes de dérive pénardeuse. L’on attend qu’il se passe quelque chose, Anne ma sœur Anne ne vois-tu pas la mort venir, que nenni sœurette juste les champs qui verdoient et le soleil qui oroie… Ecoutez sans fausse peur, vous n'en mourrez pas. Un plaisir. Farniente à volonté.

    Bagana : même racine latine que le mot bagage bien de chez nous. Le sac ou la graine qui enveloppe les ferments du vouloir-vivre. Question musique c’est un peu la suite de la précédente, mais s’y mêlent de drôle de voix, ce qui n’empêche pas la guitare de piquer un petit solo, la batterie de continuer son pas balancé de dromadaire, une note nous précise que la voix est empruntée à de vielles publicités américaines contre la marijuana. Bon Dieu ! le sac contiendrait-il de l’herbe que le peuple hippie ne broute pas mais fume allègrement. Faudrait-il interpréter le titre précédent d’une autre manière… en tout cas l’on prend plaisir à suivre les volutes de cette guitare… Le rapport avec Schopenhauer risque de paraître lointain. Il ne l’est pas. Souvenons-nous des hippies américains (et des autres pays) adonnés aux cultures orientalisantes, ils prônaient une certaine libération de l’homme grâce à l’emploi des psychotropes, mais libéré de quoi ? de la peur de la mort ou du vouloir-vivre ? Même réponse schopenhauerienne à ceux qui affirment que la drogue ouvre les portes de la perception et donne accès à une plus grande conscience. Dans les deux cas, qu’on le cache ou qu’on s’en rapproche, il s’agit du vouloir-vivre. Que les détracteurs religieux de Schopenhauer n’ont de cesse d’identifier au néant. Fuir ou se réfugier dans le néant c’est nier la divinité affirment-ils, mais Schopenhauer ne reconnaît que le vouloir-vivre. Ce vouloir-vivre que l’on peut comparer à la notion aristotélicienne d’entéléchie. Ce qui au plus profond de notre être nous pousse à être.

    Ex nihilo nihit fit : (rien ne sort de rien) : roulette de dentiste, musique grave et profonde, plainte violonneuse avachie, l’impression se doit d’être grandiose, moteur diésel, notes de pianos en cris de souffrance, des murmures de respiration affleurent la pâte sonore, le message est simple, ex nihilo fit, rien ne naît du néant, nous vivons dans l’éternel présent, nous ne faisons que passer, avant de naître nous ne sommes que néant, une fois mort nous ne sommes que néant, plus rien. Nous sommes comme les feuilles de l’arbre, quand elles tombent d’autres les remplaceront, selon le vouloir-vivre de l’arbre, tout comme la présence du vouloir-vivre nous remplacera. Ce n’est pas que notre individuation reviendra toujours, c’est que le vouloir-vivre des choses et des hommes se renouvelle générationnellement sans cesse.

    Sobre a morte : suite funèbre, chœurs masculins qui donnent une sensation d’infini glacé, notes qui tombent comme des feuilles de plomb d’un arbre d’airain, un récitant prend la parole, il dit la tristesse de la vie, évoque-t-il ce sentiment de sereine résignation que prônait Schopenhauer face à l’inéluctabilité du vouloir-vivre, veut-il la mort, l’attend-il, le texte est terriblement ambigüe, pleure-t-il la mort d’un amour qu’il espère retrouver en se précipitant dans la mort, à moins que la mort ne soit l’éternelle fiancée que l’on attend tant que nous vivons, collée à notre chair, chevillée au creux de nos reins, une partie de nous que nous perdrons, dont nous nous débarrasserons enfin lorsqu’elle surviendra et nous recouvrera, la musique décroît lentement, quelques bribes esseulées en pointillés et puis plus rien. Très beau.

    Damie Chad

    *

    Après Thumos et l’idéale République de Platon, j’avais un peu de mal à quitter la Grèce, je ne sais si ce sont les Dieux ou 666 mister doom qui régulièrement présente sur You Tube des groupes qui vous tirent les oreilles dans le bon sens, mais nous voici encore sous le soleil d’Athènes acropolique dont est originaire Blind Sun.

    Leur origine remonte à 2016, se sont successivement nommés, Once in the Wild, Supersonic Fox et enfin Blind Sun. La composition du groupe a varié, le drumer que l’on entend sur le disque – enregistré en 2020 - a cédé la place à Antonis Aspropoulos.

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    La couve est de Manster Design qui a réalisé des dizaines de pochettes d’albums. Voir site, FB et Instagram. Jolie, toutefois un peu composite à mon goût, les amateurs de Rockambolesques ne manqueront de s’interroger sur la présence de l’ibis (mauve) à côté du serpent. Remarquez aussi le S hiéroglyphique de Sun.

    UNDER THEM STONES

    BLIND SUN

    (Février 2022 / Bandcamp)

    Xanthipie Papadopoulou : vocals / Marios Kassianos : guitar / Kostas Kotsiras : rhythm guitar  / Nick Toutias : bass / Angelo Psylas : drums.

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    Freedom in hell : dès les premières notes de leur séduisant stoner mélodique  l’on comprend qu’ils n’ont pas l’intention de révolutionner le genre, l’on s’en moque, l’on se sent bien, guitare et sur-guitare en intro et double intro, la ménagerie se met en place, vitesse de croisière atteinte en trente secondes, une voix s’élève, c’est celle de Xanthippe – nom de l’épouse ronchonneuse de Socrate, on lui pardonne, elle a les cheveux clairs de Hélène qui enflamma le cœur de Pâris et par qui plus tard la cité de Troie fut la proie des flammes, une blonde incendiaire à sa manière, un timbre de tungstène, dur et mélodieux à la fois, un bijou précieux, alors les boys lui confectionnent un coffret de bois précieux, rubis de batterie, améthyste de basse et topaze de guitares, pour sa rivière de diamants qui coule sans se soucier de rien, à tel point qu’il est nécessaire de réécouter le morceau en faisant semblant de ne pas se focaliser sur elle, difficile de prêter attention à leur travail d’orfèvres. Superbe morceau, pour une fois on ne nous entraîne pas dans l’enfer souterrain, nous restons sur terre, en plein désert, n’oublions pas que le stoner a souvent été surnommé le rock du désert par les journalistes, un véritable hymne à la solitude et à la survivance, violent, cruel, sans concession, à mettre en relation au niveau symbolique avec Born to be wild, mais cinquante ans après dans un monde désillusionné. Stoned godess : parfois le deuxième morceau d’un disque c’est comme le second roman d’un romancier que l’on attend au tournant, optent pour un groove plus lent qui enfle et se fait murmure pour accueillir the voice. Peut-être en avez-vous assez de ces filles qui se vêtent du titre de sorcière, mais qui dévêtues ne se révèlent guerre ensorcelantes, Xanthippe elle se pare de la couronne de déesse, elle laisse chanter les guitares et se répand en confidences impudiques sur le plaisir féminin, avec son riff qui monte crescendo et descend lentamento, l’on est ici sur l’autre face, obscure, des orgasmes chatoyants de Robert Plant au bon vieux temps du Zeppelin, Xanthippe se dévoile et assume ses contradictions. Viande crue. Vous risquez de saigner. Continent noir illuminé. These blues : retour au blues, les guitares rampent et le shuffle vous plie à son rythme, Xanthippe déclare sa flamme au blues, le blues est plus vieux qu’elle mais elle porte la souffrance et l’éternité du blues au creux de son esprit et dans l’épine de sa chair, les boys sont aux petits oignons, les guitares s’en donnent à cœur joie, mais Xanthippe joue à larynx de colère. Pas vraiment une déclaration d’amour, mais une déclaration de sexe meurtri de bleu. Ghost of revolutions past : la batterie démarre comme un moteur qui prend de la vitesse, et c’est parti, pour la révolution, peut-être pas, mais un morceau politique assez rare dans les groupes de rock, Xanthippe plaque les mots en shoots d’encouragements, ne jamais perdre l’espoir, accomplir ce que l’on doit faire, ne jamais abandonner l’esprit de la lutte. A peine trois minutes, mais les mots claquent comme des fusils, les boys en première ligne.

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    I am : chipotages de cordes, coups de batterie, inflation de guitare, rien à voir avec une stérile affirmation du moi, le background fait table rase, enfin Xanthippe place ces mots à la manière des boxeurs qui ne pensent qu’à tuer l’adversaire, ouragan de colère et tumeurs de rage, Xanthippe règle ses comptes à tout ce qui s’est opposé à elle. N’est pas une sorcière mais une guerrière, derrière elle et puis devant les guitares taillent dans le vif et la batterie hache menu la chair du monde.  Uppercut de haine nécessaire. Tum : repli sur soi, musique comme éloignée, parvenant du dedans de soi, groove minimal Xanthippe énonce les mots de l’incertitude, de ses doutes, de ses désarrois ; elle ne pleurniche pas, elle serre les dents du vocal, y mord dedans, refuse tout secours extérieur, la solution est au fond de nous, batterie bétonnière, guitare perforateuse, coups décisifs, tranchants de guitares, les boys dessinent la porte de sortie, Xanthippe entonne le seul chant de victoire qui vaille le coup, celle que l’on remporte sur soi-même. Mariners : bruits de vagues, aubade cordiques, intro métaphore, toute douce, toute lente, la voix s’élève, pure, céleste celle de l’espoir, soudain l’aube se fait plus fraîche, la fin de l’histoire n’est pas pour aujourd’hui, la batterie ralentit, il faut continuer à lutter, la guitare a beau forer en avant, rien n’est encore gagné, les fausses promesses sont trompeuses, Xanthippe chante en sourdine, c’est les boys qui donnent l’ampleur au rêve aux ailes brisées, maintenant elle est seule dans la nuit,  lampe à huile  qui refuse de s’éteindre. Under them stones : continuité dans la ténuité mélodique, ronronnement de guitares comme le chat au coin du feu qui brûle dans l’âme de Xanthippe, chant qui n’ose s’affirmer, comme s’il avait honte de lui-même, mais les boys attisent l’incendie alors elle élève la voix pour témoigner de son échec, généralement l’on pose des pierres dessus, mais elle donne l’impression de cacher les pierres qui ont jalonné son existence. Ambiguïté des fondations. La voix susurre et prend de l’ampleur, la batterie s’affole. Fin de partie.

    Une réussite. On attend la suite.

    Damie Chad.

     

     

    *

              Le cyberpunk est un des nombreux courants de la Science-Fiction apparu dans les années 80. Le kr’tntreader à l’esprit affuté aura tout de suite relevé le hiatus : comment le punk dont un des slogans originels de base reste le fameux et fulgurant No Future peut-il se retrouver associer à l’idée de science-fiction.

             C’est qu’il existe deux sortes de futur, le premier très lointain situé à quelques siècles, voire millénaires de notre existence, les auteurs ne sont pas d’accord entre eux, certains nous décrivent des sociétés idéales dans lesquelles nos post-progénitures auront la chance d’évoluer, d’autres   parlent d’organisation tyranniques qui font frissonner. Pas de panique dans les deux cas, des plans sur la comète, l’on a le temps de voir venir…

             Le cyberpunk regarde par le petit bout de la lorgnette, ne pousse pas très loin le curseur du futur, maximum une cinquantaine d’années, vingt ans, dix ans, peut-être cinq, même deux… son futur ressemble à notre présent. Dans ces cas-là l’avenir s’annonce plutôt sombre… Soyons positifs, tant qu’on n’y est pas, jouissons sans entraves du peu de bon temps qui nous reste. A une seule condition, de ne surtout pas lire le dernier livre de Mathias Richard. Nous propose une autre lecture. Nous vivons déjà dans notre futur proche. Vous ne le croyez pas, pour vous en persuader, il nous donne la date d’ouverture de l’ère nouvelle cyberpunky. 

    2020

    L’ANNEE OU LE CYBERPUNK A PERCE

    MATHIAS RICHARD

    ( Caméras Animales / Juin 2020 )

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    Attention ce livre de soixante-dix pages n’est pas un essai. Le but de Mathias n’est pas de persuader le lecteur, il n’a pas rédigé une thèse quadrillée avec argumentation calibrée au cordeau, ne cherche pas à vous convaincre.  Se contente de montrer. Je n’ai pas dit de désigner du doigt la lune hors de notre portée. Parle de l’intérieur. L’on entre dans ce livre comme l’on ouvre une porte. L’on se retrouve non pas dans un poème mais dans un cri de poésie brute. Prend la parole et ne la lâche pas. L’est tout seul dans son livre. N’est pourtant en rien nombrilique. Ce qu’il énonce c’est la trame existentielle de sa présence au monde. Joue le rôle du filtre des cigarettes qui garde le témoignage des poisons qui le traversent.

             Laissons cela pour le moment. Quittons la poésie pour la politique. 2020, l’année pas du tout érotique mais covidique. Ce n’est pas le pire. Virons le virus, ce n’est pas lui le coupable. N’est qu’un prétexte. Le plus dangereux c’est ce que l’Etat nous a imposé. Le confinement. Qui n’est pas un début mais la condensation de tout ce qui a précédé. De ce mouvement insidieux, de cette marche sociétale qui depuis des années fragmente les rapports humains et réduit l’individu à lui-même. Pourquoi croyez-vous que du début à la fin de son ouvrage Mathias ne parle que de lui, que de sa vie, n’emploie que la première personne, je-je-je… à la différence près que ce ‘’je’’ n’est pas l’intumescence lyrique d’un moi hypertrophique, mais un ‘’je’’ qui ne s’appartient pas, qui n’est plus lui-même, pas une girouette qui tourne selon le vent mais qui est traversée du vide du monde annihilé. D’où cette écriture que l’on peut qualifier d’impersonnelle. Mathias se raconte certes, mais surtout et avant tout, ce faisant il nous raconte. Ses errements sont nos errements. Il se regarde dans le miroir de sa nullité et lorsque nous tentons de saisir son image au fond de la glace, c’est notre portrait qui nous sourit. Ironiquement. Tout cela c’est le côté punk de Mathias. L’anti-héros par excellence qui ne comprend pas plus son époque qu’elle ne se soucie de lui.

             Reste à zieuter du côté cyber. Ce mot évoque notre dépendance à l’informatique. Pas uniquement le clic-clic de la mignonne petite souris. L’autre face qui induit nos vies, qui les surveille, qui les compartimente, qui les espionne, qui les guide, qui les désinvidualise, big brother qui nous aseptise. Nous transforme en clone de l’autre qui lui-même n’est que notre clone. Avec au bout la zone noire, celle du transhumanisme qui permet tous les possibles, d’augmenter nos possibilités de faire de nous des surhommes. Ou des suresclaves. Monde binaire, l’un ne va pas sans l’autre. L’emprise technologique qui dans les deux cas, surhumanisante, soushumanisante, nous déshumanise.

             Mais il y a plus grave. Si la cybernétique nous déshumanise, que fait-elle de la poésie. Sous-poésie ou sur-poésie. Si la poésie n’est pas à hauteur ou à démesure d’homme, elle est le produit d’une technologie d’écriture produite par une machine. Dada misait sur le hasard. La rencontre inopinée de deux termes qui a priori n’avaient rien à faire l’un avec l’autre. Une machine poétique ne peut pas compter sur le hasard. Le résultat serait trop aléatoire. La machine fonctionne selon le rythme de la répétition. Elle répète les mêmes processus, les mêmes gestes. Les mêmes mots. Avec des variantes, sans quoi sa production serait trop monotone, trop illisible. Elle peut répéter les mêmes cadres. Les mêmes structures. Encore faut-il inclure de subtiles variations qui monopolisent l’attention. En d’autres termes c’est le facteur humain des textes qui impulse ses propres algorithmes. Plus question de se laisser mener par le bout du nez. Mathias est passé maître en cette prestidigitation vocablique. Il casse la coquille des expressions toutes faites, mélange le jaune nourricier du sens avec la glaire blanchâtre du non-sens. Car un mot signifie tout ce qu’il signifie et tout ce qu’il ne signifie pas.

             Mallarmé parlait de disparition élocutoire du poëte. Mathias mise plutôt sur sa disparition scripturale. C’est à la machine du langage d’écrire le texte. Il ne suffit pas de la laisser agir toute seule, le machiniste, celui qui tire les fils de la marionnette – il est bon de relire Kleist pour entendre cela – doit s’abstenir de penser. Essayer de ne plus penser, c’est déjà penser qu’il ne faut plus penser, et penser qu’il ne faut plus penser c’est penser que l’on pense qu’il ne faut plus penser et penser… étrange ce serpent qui se mord la queue tout en ne la mordant pas, à moins qu’il ne la morde pas tout en la mordant. Pire si l’on pense que l’on pense avec les mots l’on a besoin de plus en plus de mots, même si ce sont les mêmes mots qui reviennent toujours, c’est justement et injustement de leur retour que le texte prend sens. C’est-là que survient la question subsidiaire, peut-on penser sans les mots. Reconnaissez que ce genre de vertige vous pousse, vous vacillant, dans le trou du désespoir le plus noir – l’ère cyberpunk n’est pas particulièrement heureuse, vous l’avez compris puisque vous en faites partie - reste que lorsque l’on est au fond du trou le seul espoir, non pas de s’en sortir, mais de s’en extraire, c’est de faire coucou et d’en rire.

             L’humour peut causer autant de ravage que la guerre. L’on rit beaucoup en lisant cet opus et pourtant ce n’est pas drôle. Ce que raconte Mathias Richard n’est guère joyeux.  Un peu comme ces blagues qui font toujours rire, car on les connaît. Mais là on ne les connaît pas puisqu’il parle de lui de ses intimités, les intérieures et les extérieures, hélas, on s’y reconnaît. La mouche qui bourdonne contre la vitre de son vécu, c’est nous. La vitre aussi. Le vécu aussi. Jusqu’au bourdonnement si particulier. Totalement nôtre. Du coup on ne rit plus. La comédie tourne au drame. A croire qu’il a installé une caméra dans notre appartement et une autre dans notre tête. Et qu’il a tout recopié dans son bouquin. Lecture shaker et montagnes russes.

             C’est un livre-Samaritaine, dans les rayons énumératifs on y trouve de tout, je vous rassure même du rock ‘n’roll – Mathias est musicien - mais l’on n’en ressort pas avec son dû, tout est gratuit, chacun peut se servir à son gré et choisir les éléments qui lui agréeront le mieux, et réassembler sa vie à sa guise. Un gros hic. Votre nouvelle vie, votre nouvelle personnalité, n’est pas supérieure à la précédente. Elle a le même goût déplorable. C’est à ce moment que vous comprenez que vous vivez dans une époque opaque. Qui pique. Depuis quand au juste ? Depuis l’an de disgrâce 2020.

    Damie Chad.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

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     Episode 21

    LES QUATRE COINS

    Charlie a récupéré son bec meurtrier, son regard est devenu fixe, l’on sent qu’il n’est plus lui-même, qu’une force indépendante de sa volonté s’insinue en lui, qu’il se transforme en machine à tuer. Les filles poussent de petits cris, Joël saisit un de ces poufs hirsutes fort à la mode dans les années soixante-dix, pense-t-il vraiment se défendre avec cette arme dérisoire ! Charlie s’approche à petit pas saccadés du Chef, il lève son bec et s’apprête à le transpercer lorsqu’il se retrouve englué dans un brouillard aussi épais que le fog londonien – j’en déduis que le Chef a choisi un Coronado Fumato, qui surprend toujours ses interlocuteurs. Charlie n’y voit plus rien mais il entend deux voix. Celle du Chef, douce, paisible et rassurante – pourtant le Chef déteste être dérangé quand il s’offre un Fumato - :

    • Cher Charlie, vous avez donc la mémoire plus courte qu’un Courtido, ces petits Coronados pour jeunes filles prépubères, vous avez oublié que le Grand Ibis Rouge vous a ordonné de commencer par vous débarrasser des chiens !

    Le plus terrible, c’est que le GIR lui donne raison :

    • Exactement Charlie, troue-moi d’abord la peau de ces misérables sacs à puces, il est vrai que je t’avais dit lors de notre dernière entrevue que Monsieur Lechef était une commande spéciale et autoritaire, mais d’abord les dépose-crottes, ensuite les autres.

    Les chiens n’ont pas attendu Charlie, ils se sont dispersés dans le jardin, chacun s’est réfugié sur l’emplacement d’un des buissons d’hibiscus réduits en cendres. Charlie se dirige droit vers Molossito dont la queue frétille allègrement. Molossa aboie, Charlie darde son bec vers le pauvre chiot, mais à l’ultime seconde, la courageuse bête bondit en avant, se faufile entre les jambes du batteur stonien, étonné de le  voir s’échapper, Molossito traverse le jardin vers le quatrième buisson et s’assoit sur le tapis de cendres. Watts se retourne et fonce sur lui. Hélas pour lui, les cabotos sont enchantés de se livrer à une superbe partie de quatre coins. S’amusent à changer de place dès que Charlie fait mine de se diriger vers l’un d’eux.

    Charlie ne sait plus où donner du bec. Les chiens le narguent, l’appellent, ont l’air de se moquer de lui, détalent, ralentissent, accélèrent, empruntent comme des fous les deux diagonales. De grosses gouttes de sueur coulent sur son front, nous nous moquons de lui, nous l’ houspillons, ‘’ Cours plus vite Charlie’’, ‘’ Cut across shorty’’, nous rions franchement aux éclats. Qui ne partagerait pas notre joie ! Evidemment le Grand Ibis Rouge, aussi rubicond qu’un homard ébouillanté :

    • Bougre d’idiot, tu es ridicule, arrête-toi trente secondes que je t’insuffle le maximum de force que tu puisses supporter !

    Pas de paroles en l’air ! Charlie est gonflé à bloc, il a gagné en vigueur, ses foulées sont plus longues, il est beaucoup plus rapide et à diverses reprises les

    Chiens lui échappent par miracle. Comme d’habitude une idée géniale me traverse l’esprit :

    • Il faut aider les chiens, mettons-nous sur sa trajectoire pour le gêner et ralentir sa course.

    Nous apportons une aide précieuse à nos amis. Molossito adopte une nouvelle tactique, de temps en temps, par derrière il s’en vient mordiller les mollets de Charlie. Par deux fois, Watts s’écroule. Il se relève avec célérité, nous remarquons qu’il ne se fatigue plus, par contre les quatre pattes moulinent un tantinet, ils tirent une langue démesurée, si Molossa et Molossito s’en tirent encore assez bien, Rouky, plus massif, moins jeune est à la traîne. Charlie s’en est aperçu, il se concentre sur lui, ignore les deux autres, il le traque, ne lui laisse plus une seconde pour reprendre souffle. Nous avons beau essayer de le freiner, tirant même sur ses habits pour le retenir. Hélas, en pure perte.

    Charlie est parvenu à coincer Rouky, dans un coin, entre les deux murs. La pauvre bête est acculée. Le bec s’abaisse, se relève, s’apprête à frapper. Les yeux implorants de Rouky se lèvent vers lui. Je sais que les balles n’ont pas d’effet sur Charlie, je sors tout de même mon arme pour lui tirer dans le dos espérant que le choc des projectiles le déstabilisera quelque peu. Le Grand Ibis Rouge exulte :

    • Bien Charlie tue-le, sans pitié, doucement, cruellement, qu’il souffre un maximum !

    Charlie va frapper, et brusquement Rouky saute dans ses bras, il a passé ses deux pattes autour de son cou et lui lèche la partie du visage que le bec d’acier   laisse dégagé. Les mains de Charlie se referment sur son dos, et esquissent une caresse.  Charlie est tombé à genoux, Il a rejeté son masque, Molossa et Molossito s’en emparent et décampent avec.

    • Charlie : obéis – le Gir s’étrangle de rage - fais ton devoir, souviens-toi que vous avez signé, si je ne peux rien contre un mort, pense au reste du groupe, à ceux qui sont vivants, tes amis Mick, Keith, et Ron, ma vengeance sera terrible !

    Charlie a entendu. Il se retourne, lève les yeux et accorde au Grand Ibis Rouge, un pâle sourire, suivi – je ne m’attendais pas à ce geste de la part d’un gentleman comme Charlie Watts, ni d’un anglais si bien élevé, un superbe bras d’honneur !

    Qui produisit son effet. Il fut immédiatement suivi d’un intense éclair rouge. Le Gir n’était plus là. Disparu en une fraction de seconde !

    SOIREE RECREATIVE

    Il faut le dire, pour un mort Charlie était en pleine forme. Encore un soupçon d’énergie et les filles devenaient ses groupies attitrées. Nous étions rentrés dans l’abri et devisions sereinement. Les chiens se virent offert un plateau de charcuterie pantagruellique. Bien Mérité. Rouky le dévorait couché au pied de son maître. Charlie lui tapotait la tête :

    • Mon Rouky, quand j’aurai terminé mon contrat, je te jure que je t’emmènerai avec moi au pays des morts, nous ne nous quitterons plus.
    • Dites-moi, cher Charlie, de quel contrat parlez-vous, vous serait-il possible de nous en communiquer les termes exacts, ce genre d’informations ne peut que nous aider à comprendre les dessous de cette affaire. Attendez toutefois une minute que j’allume un Coronado, ce genre d’activité ne supporte pas la moindre inattention !
    • C’est très simple, nous les Rolling Stones avons signé un contrat collectif. Le Grand ibis Rouge, nous promettait fortune, réussite et célébrité toute notre vie. Il a tenu parole. Nous devons le reconnaître. En échange nous nous engagions une fois morts à tuer mille personnes. Il était en outre spécifié qu’un seul d’entre nous pourrait être chargé de cette tâche macabre. Nous avons cru à une plaisanterie, nous avons apposé nos paraphes au bas du document sans sourciller. A peine la pierre tombale s’était-elle refermée sur mon cercueil que le Grand Ibis Rouge m’est apparu et m’a déclaré qu’il m’avait choisi pour tuer les mille personnes qu’il me désignerait. Qu’après quoi le contrat rempli nous serions quitte.
    • Parfait, dit le Chef, cher Charlie nous allons vous tirer d’affaire. Quel malheur quand je pense que cette palpitante aventure tire à sa fin ! Gros dodo, ce soir, demain nous avons du travail.

    Nous nous endormîmes du sommeil du juste.

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 542 : KR'TNT 542 : DAPTONE RECORDS / TURBONEGRO / NEAL FRANCIS / PARIS SISTERS / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 542

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    17 / 02 / 2022

     

    DAPTONE RECORDS / TURBONEGRO

    NEAL FRANCIS / PARIS SISTERs

    THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

     

    Daptone en fait des tonnes - Part One

     

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                La légende de Daptone Records reposait sur un trio de choc : Sharon Jones, Charles Bradley et Naomi Shelton. Les trois ont cassé leur pipe en bois. Frappé de plein fouet par la poisse mortifère, Daptone réussit néanmoins à créer l’événement avec la parution l’an passé d’un triple album live : Daptone Super Soul Revue, Live At The Apollo. Ce concert extraordinaire fut enregistré en décembre 2014. Le gros avantage c’est qu’on peut ré-écouter chanter ces artistes disparus et constater en même temps qu’ils sont bien meilleurs sur scène qu’en studio. Ce triple album les fait entrer dans la postérité. The Daptone Super Soul Revue est au complet sur scène, avec une intro du band leader Binky Griptite, suivi d’un court set des choristes de Sharon Jones, Saun & Starr, bien meilleures sur scène que sur leur album, lui aussi paru sur Daptone. Elles sont on the spot et à l’Apollo, elles passent comme des lettres à la poste. C’est Naomi Shelton & The Gospel Queens qui nous mettent les sens en alerte avec «Thank You Lord», massif shoot de gospel groove, le meilleur d’Amérique avec celui des Como Mamas. Stupéfiant, ça y va au heah yeah et ça continue au blast furnace de gospel batch avec «Stranger», talkin’ bout the Lawd, ça screame dans les brancards et ça explose encore avec «Higher Ground». Tu vas droit au tapis avec ces folles. Naomi y va au gospel yeah yeah, ça blaste early in the morning. On entend en fin de B les Como Mamas chanter «Out Of The Wilderness» au capella d’arrache de Como et c’est aussi très spectaculaire. Le deuxième disk est consacré à Charles Bradley, screamer extraordinaire, il enfonce son clou avec «Heartaches & Pain». Il a une attaque de la Soul unique, il feule et chante à la chaleur du peuple noir. Il fait de la heavy Soul éplorée avec «Lovin’ You Baby», il sonne comme un écorché vif, il harangue et screame sa Soul au sang. Il finit son «Slip Away» au gotta d’Otis et fout le feu à «How Long». Il rugit comme un lion dans les flammes de l’enfer, Charles Bradley est l’un des grands screamers noirs définitifs. «Let Love Stand A Chance» est sans doute son plus beau shout de heavy Soul. Il chante à la chaleur du Bradley fire. Il revient secouer l’Apollo après un intermède du Burdos Band. «Ain’t It A Sin» est une belle dégelée de raw r’n’b. Le troisième disk est réservé à Sharon Jones, the Voodoo Queen. Son arrivée est explosive, elle est aussi balèze qu’Aretha. Avec «Get Up & Get Out», elle tape un r’n’b endiablé quasi-voodoo à la Isley Brothers, bien monté en neige. Thank you Daptone pour ce festin de Soul. C’est sur la F qu’elle passe véritablement à la transe voodoo avec «I’m Not Gonna Try», ça joue aux percus de Daptone Square. Elle tape dans l’infernal «There Was A Time» de James Brown, arrhhh, mais elle annonce la couleur : «My way, not James Brown’s !». Et elle rentre dans le lard du funk survolté. Dans le book qu’on évoque à la suite, il est écrit que le show de Sharon Jones est «le pinacle d’une carrière qui rivalise d’énergie et de showmanship avec James Brown’s historic revues upon the same stage.» Et ça se termine avec toute la Daptone Family pour un clin d’œil à Sly avec «Family Affair/Outro». Ça devient mythique, Sharon, Charles et tous les autres explosent le Sly Thang. Un book au format LP propose des photos noir et blanc de la soirée, toutes plus spectaculaires les unes que les autres. Il se pourrait bien que cet objet soit un passage obligé, à condition bien sûr d’aimer la Soul à la folie.

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             Shindig! salue l’événement historique que représente la parution de cet album avec une petite double. Quand Paul Richie demande à Gabe quel est le highlight de sa vie, Gabe répond que ce fut d’être sur scène avec Sharon - That was the highest I could ever get - Il ajoute qu’il n’a jamais vu personne du même niveau que Sharon - She had a unique talent and that goes way beyond singing - Gabe rappelle aussi que l’éthique de Daptone consiste à sortir les albums qu’il aurait envie d’acheter. Il évoque aussi «a very low tolerance for bullshit.» Il profite de l’interview pour dire ce qu’il pense des mutations du music biz, le fameux cheaper and faster, cette musique en ligne qui l’horripile et qui finit par dénaturer la musique. Gabe dit aller à l’opposé. Deux albums par an, ça suffit. À conditions qu’ils soient bien foutus.

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             En même temps que sortait ce triple album, Jessica Lipsky faisait paraître l’an passé un ouvrage remarquable dans lequel on trouvera tout ce qu’il faut savoir sur Daptone, et même davantage : It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution. Elle nous raconte dans le détail cette histoire qui s’étale sur vingt ans, mais elle propose en plus un panorama assez complet de la scène Soul contemporaine : il ne manque rien ni personne, ni Colemine, ni Kelly Finnigan, ni Curtis Harding, ni Durand Jones, ils sont tous là et chacun des paragraphes de ce book génial sonne juste. On voit bien qu’elle a écouté les disks dont elle parle. Ce qui rend l’ouvrage doublement référentiel. Mine de rien, Jessica Lipsky a pondu une petite bible.

             Rien qu’avec l’histoire de Gabe Roth, on est comblé. Ce kid new-yorkais fan de Soul est co-fondateur de Desco avec Phillip Lehman. Gabe compose et joue de la basse dans les Dap-Kings. Quand il est sur scène, il devient Bosco Mann. Grâce à Daptone et aux Dap-Kings, Gabe Roth est devenu une figure légendaire, au moins aussi légendaire que Willie Mitchell, Sam Phillips et Chips Moman. Ou encore Berry Gordy, mais en beaucoup plus sympathique.

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             C’est un copain de sa grande sœur qui fait découvrir le funk au jeune Gabe, notamment une compilation nommée James Brown’s Funky People sur laquelle on peut entendre «the sexy voice of female preacher Lyn Collins, the punching horns of Fred Wesley and Maceo & The Macks».

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             Au commencement était non pas le verbe, mais Desco, fondé comme on l’a dit par Gabe et son pote Lehman. Lehman est un fils de riche qui arrive de Paris. Il s’installe à New York parce qu’il collectionne les raw funk singles. Gabe et lui ont une passion commune pour ce son, d’où Desco. Ils sont dingues de James Brown et des obscure funk 45s with a heavy dose of East African heat, and the great Fela Kuti. À quoi Gabe ajoute les Meters - Fela, James Brown, The Meters, ils paraissent évidents maintenant, mais à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de groupes funk qui sonnaient comme ça - Jessica Lipsky qu’on va appeler Jessica parce qu’elle est devenue une copine rappelle que le terme funk est resté un terme très vague. Il a servi à décrire «Papa’s Got A Brand New Bag» en 1965, puis le «Spreadin’ Honey» du Watts 103rd Street Rhythm Band et enfin l’acid-damaged weirdness of Parliament Funkadelic’s 1971 album Maggot Brain. C’est vrai qu’on a tout le funk de la terre dans ces trois bonnes pioches.

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             Gabe et Lehman ont des personnalités très différentes - Lehman with a no-holds-barred (sans tabous) punk rock attitude et une énergie créative qui ignorait les limites. Roth avait une attitude plus pratique with a highly musical sensibility - ce que confirme Steinweiss : «Phillip était un genre de visionary creative guy qui avait des tas d’idées. Et Gabe était lui aussi très créatif et visionnaire, mais il avait l’avantage de savoir mettre en pratique.»     

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             C’est en l’an 2000 que Lehman et Gabe se séparent. On ne sait pas grand- chose des raisons de ce schisme. Gabe dit que leur «partnership ended because of inevitable ‘business differences - money and shit’» - Gabe se retrouve seul et fauché. Alors que Lehman qui est plein aux as s’en va fonder Soul Fire Records, Gabe s’installe à Bushwick, Brooklyn, pour lancer Daptone, focused on expertly polished mid-to-late-60s soul and funk. Selon Jessica, Daptone vient peut-être du «Dap Walk» d’Ernie & the Top-Notes, un groupe funk de la Nouvelle Orleans. Dap-Dippin’ With The Dap-Kings est le premier album paru sur Daptone. C’est aussi le premier album de Sharon Jones. Comme Chips, Willie Mitchell, Berry Gordy, Stax et Motown, Gabe monte un house-band pour Daptone, les Dap-Kings.

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             Si Gabe prend le pseudonyme de Bosco Mann, c’est tout bêtement parce qu’il est endetté. Il craint que ses débiteurs ne louchent sur son label. Les Dap-Kings se composent de Gabe (bass), Steinweiss (beurre), Axelrod (keys, pas le David, un autre Axelrod, un Victor, qui se fait appeler Earl Maxton), Fernando Velez (percus), Leon Michels (sax), Binky Griptite (guitar). Gabe appelle ça la Daptone Family car il a grandi dans un milieu ouvert et il nourrit une passion réelle pour le concept de famille étendue. Le résultat ne se fait pas attendre : «There’s a sound to this crew, this bunch of guys.» Et il ajoute un peu plus loin : «I think that’s the biggest thing, to have a crew of musicians... That know how to make a record, know how to make a sound.» Ça ne te rappelle rien ? Chips, bien sûr, qui disait la même chose de son house-band. C’est le B-A-BA du recording biz : le house-band, la bonne ambiance. Il y a eu ça aussi chez Stax avant que ça ne dégénère. It’s a Family Affair, comme disent Gabe et Sly Superstar. Quand ils commencent à palper un peu de blé, Gabe et sa famille de Dap-Kings s’installent au 115 Troutman Street, à Williamsburg, un autre quartier de New York. Et tout le monde participe à la rénovation du local pour en faire un studio. Gabe dit que ce furent les jours les plus durs de sa vie. Charles Bradley donnait un coup de main, il réparait les radiateurs et l’escalier qui conduisait au deuxième étage. Ils font l’isolation acoustique avec des pneus ramassés dans le quartier. Ça devient the Daptone’s House Of Soul, un endroit qui va devenir légendaire, on parle même de «magic sound» et Gabe applique son motto «Shitty is Pretty», en ayant recours aux méthodes d’enregistrement traditionnelles, celles qu’on taxe d’analogiques. Gabe prend aussi des leçons de basse auprès d’un pianiste aveugle, Cliff Driver - It helped me figure out just how to play that shit - Et il ajoute qu’il a eu beaucoup de chance d’avoir pu jouer avec all these guys. It’s crazy to me. Méchant veinard !

             Sous la plume de Jessica, Gabe Roth apparaît comme un homme extrêmement attachant et donc très fréquentable. On s’en doutait un peu à l’écoute des album parus sur Daptone, mais ce livre fournit un éclairage fondamental. On apprend par exemple qu’il faillit devenir aveugle à cause d’un accident de voiture. Homer Steinweiss conduisait dans New York et bam, il roule dans un nid de poule et l’airbag explose dans la gueule de Gabe, lui déchirant les yeux. Il va retrouver la vue mais sera contraint de porter des lunettes noires toute sa vie. Plus grave : sa femme ne supporte plus de vivre avec un mec endetté jusqu’aux oreilles et qui ne gagne pas un rond avec sa fucking musique. Peu après l’accident, pouf, elle se fait la cerise. Le pauvre Gabe doit donc dormir dans le canapé du studio. Pas toujours facile, la vie. D’autant plus que la première année, il n’y a pas de chauffage dans The House Of Soul. Il s’accroche à son rêve de Soul et continue. Il s’associe avec Neal Sugarman, membre des Sugarman 3 et ils devront attendre plusieurs années avant de pouvoir sortir un salaire de Daptone. Pour vivre, ils jouent sur scène, d’un côté Sugarman avec The Sugarman 3 et de l’autre Gabe avec Sharon Jones & The Dap-Kings. Ils jouent dans des clubs et dans des mariages.

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             Avec Daptone, Gabe laisse tomber le raw funk pour aller sur la Soul de style Gladys Knight, Archie Bell et Wilson Pickett. Il compose énormément et impressionne Sharon Jones : «I think Gabe is an alien and he’s in disguise, man, he’s been around a looooog time.» Elle a raison de le prendre pour un extra-terrestre. Et elle ajoute que tout ce qu’il compose pour elle lui va comme un gant. Quand un peu plus tard elle voit que les albums commencent à se vendre, Sharon chope Gabe. Elle veut des royalties sur les chansons qu’elle n’a pas écrites. Elle considère que ces chansons résultent d’un effort créatif commun. Et contre l’avis de ses avocats, Gabe accède à la requête de Sharon en décidant que the ethical move était de reverser à Sharon un pourcentage des droits d’auteur, ce qui sur douze ans représente une somme rondelette. En fait la décision de Gabe a sauvé leur working relationship, nous dit Jessica avec - on l’imagine - un sourire bienveillant. Eh oui, elle a raison, c’est toute la différence avec ce rat de Leonard le renard qui barbotait les royalties dues à ses artistes. C’est tout de même incroyable qu’on puisse se conduire ainsi. Les économies de Daptone en prennent encore un coup avec le cambriolage de The House Of Soul. Les mecs ont barboté tout le matos, y compris les instruments pour la plupart de valeur qui n’étaient pas assurés. Mais Gabe encaisse bien le coup, même si ça ruine complètement le label. Il déclare officiellement qu’il leur reste le principal, c’est-à-dire la santé, l’ambition, les tape machines et l’humour - You can slow us down but you can’t stop us.

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             Gabe est un mec extrêmement balèze, car quand il sort le premier album de Naomi Shelton & The Gospel Queens, il en éprouve une réelle fierté, nous dit Jessica : « Le succès des Gospel Queens en particulier a conforté Gabe dans l’idée que de sortir un album de gospel was more punk rock than actually releasing a punk record.» C’est assez criant de vérité. Tous ceux qui ont eu le privilège de voir les Como Mamas le savent : tu donnerais tous tes singles punk pour un set des Como Mamas. Elles sont the real deal.

             Dans un passage plus intimiste, Gabe explique qu’il ne tire aucune fierté d’avoir pu accompagner Cliff Driver, Lee Fields ou Sharon Jones : «Je peux dire que ça ne m’est pas monté à la tête et je le pense encore aujourd’hui. Ça m’a juste appris que je ne dois pas m’approprier l’histoire d’un autre quand ce n’est pas la mienne. Si je joue bien, tout le monde est content. Depuis le début, je veille à ne pas péter plus haut que mon cul et à ne pas me comporter comme un imposteur. Je ne vole pas les licks, je ne suis ni un imposteur culturel, ni un imposteur social.» Dans la même veine, il revient aussi sur la question de l’engagement politique : «Ce n’est pas ce que chantent Sharon, Charles ou Lee qui est important, mais l’idée qu’ils soient là et qu’ils injectent du power et de l’honnêteté dans la musique. Il y a quelque chose de très politique dans cette idée. Nous ne sommes pas des leaders du combat des civil rights, mais comme dirait l’autre, il faut un soundtrack à la révolution. Pas besoin d’être Gil Scott Heron, ça peut être Earth Wind & Fire, ça peut être anybody, man. It can be Fugazi or Rage Against The Machine, or it could be Bob Dylan. L’idée, c’est que les gens écoutent the soundtrack.» 

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             Gabe bosse aussi avec Booker T Jones sur The Road From Memphis paru en 2011, puis il finit par récupérer l’excellent James Hunter sur Daptone.

             Autre point clé du personnage : il n’aime pas les Grammys et tout le bataclan des récompenses officielles, il appelle ça the other shit - pop studio sessions, Grammys, radio. Parce que tout ça n’est pas basé sur le fait de faire de la bonne musique et se connecter avec les gens. Regarde qui sont les gens qui décrochent des Grammys - That’s where you want to be? There’s an award for THAT? Et maintenant regarde les disks que tu aimes bien : do any of them have Grammys? No - Au moins les choses sont claires. Gabe défend une idée de la qualité qui passe par l’indépendance. Il explique sa conception de la qualité en faisant la différence entre ces grands artistes que sont Charles et Sharon, et qui vont durer, et «some neo soul so-and-so who’s on the radio at the moment, but those people fade in and out. Maybe it’s Adele or Macy Gray or The Alabama Shakes. Or Amy Whinehouse.» Et il conclut ainsi, s’exprimant comme un oracle : «Sharon stuck around a lot longer than all that stuff.» Il pourrait même ajouter que les six albums enregistrés de son vivant font toute la différence, sans parler du triple Live At The Apollo. Puis il s’en prend à l’idée du succès : «Les gens deviennent complètement tarés à vouloir le succès. Il faut avoir une notion très claire de ce qu’est le succès pour que ça ne te détruise pas. Si tu décides que le succès, c’est l’argent, then go get some fucking money, you know? Si tu décides que le succès, c’est de faire un bon disk, then make a really good record and shut the fuck up and don’t complain to me about who’s buying it.» Il ajoute qu’il n’existe aucune corrélation entre le succès financier et la qualité. «That’s the whole illusion of the American Dream, les gens n’obtiennent que ce qu’ils méritent. And that’s what that whole Sharon record was about.» Les propos de Gabe sont déterminants.

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             Oh et puis il y a les artistes. Les premier fut Lee Fields, auquel on a déjà consacré pas mal de place ici (juin 2016, mai 2017, février 2020, c’est dire si on l’aime bien ici, au moins autant que les Jallies). Lee Fields débarque chez Gabe au temps de Desco. Il est ce qu’on appelle alors a Soul legend, il est monté sur scène avec Kool & The Gang, O.V. Wright, Betty Wright et Darrell Banks. Jessica précise en plus qu’on le surnommait ‘Little JB’ à cause de sa ressemblance avec James Brown. Puis il est tombé dans l’oubli, chassé par la diskö et la DJ culture. C’est Phillip Lehman qui trouve son adresse et qui lui propose du cash pour enregistrer un single de funk - He came in and just crushed it - Gabe trouve que même s’il est the best singer alive, mais il n’a pas le pouvoir scénique de Sharon. C’est vrai qu’en concert, Lee Fields base tout sur le participatif et ce n’est pas bon de vouloir faire chanter les salles en chœur. Il n’enregistre qu’un seul album sur Desco, Let’s Get A Groove. Et puis au moment de la séparation, Lehman emmène Fields dans ses bagages et sort Problems sur son label Soul Fire, un album enregistré chez le père de Lehman, avec un seul  musicien (Leon Michels) et sur lequel on trouve l’excellent «Honey Dove». Gabe ne prend pas trop mal le fait que Lee ait suivi Lehman : «Lee est de la vieille école. Tu veux qu’il vienne chanter, alors tu lui donnes du cash et il chante. Il aurait fait un album avec moi si j’avais eu de l’argent pour le payer, mais je n’en avais pas. J’étais encore jeune marié et ma femme était écœurée car on n’avait pas de quoi payer le loyer.» On comprend bien que Gabe n’a pas une très haute opinion de Lee.

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             Puis Sharon Jones, sans doute l’une des Soul Sisters les plus importantes de l’histoire des Soul Sisters. En tous les cas, les ceusses qui l’ont vue sur scène savent qu’elle fut l’une des dernières vraies superstars. On a dit ici (en novembre 2014) tout le bien qu’on pensait d’elle, de son show de Voodoo Queen et de ses six fantastiques albums.

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             Sharon arrive un beau jour chez Desco pour faire des chœurs derrière Lee Fields sur «Let A Man Do What He Wanna Do». Gabe attend trois choristes mais Sharon se pointe toute seule. Elle fait l’affaire. Elle démarre comme ça, en s’imposant. Binky Griptite la présentera sur scène comme une «super Soul Sister with that magnetic je ne sais quoi». Gabe démarre donc Daptone avec Sharon qu’il paye cash, puis il embauche Griptite, Steinweiss, Axelrod et Michels pour enregistrer Dap-Dippin’ With The Dap-Kings. Ils commencent ensuite à enchaîner les tournées. Leur spécialité est de se mettre sur un one-chord James Brown-style vamp et Sharon entre dans la danse. Axelrod : «Then the band would get really loud and then bring it right back down. That was my favourite shit.» Steinweiss ajoute : «I think Gabe saw from the very beginning that Shaton had the power.» Jessica n’y va pas de main morte quand elle affirme que Sharon physicalized the music avec ses pieds, ses genoux, ses bras et sa tête. Pendant toute cette première époque, Sharon voyage dans le van avec les Dap-Kings. Et chaque soir, elle donne comme elle dit 120 percent d’elle-même. Enregistré à Troutman, Naturally, qui est le deuxième album de Sharon, est aussi le quatrième album paru sur Daptone. On sent une nette évolution. Jessica indique que Sharon s’inspire des divas du passé, Aretha, Ann Peebles et Lyn Collins. Sharon est contente de Daptone et de Gabe, elle ne se sent décidément pas faite pour le music business officiel, car elle se dit «too Black, too fat and too old to make it». Oui, car avant Daptone, elle avait essayé de faire carrière, mais elle n’intéressait pas les labels : trop petite, la peau trop noire, un peu ronde, aucune chance. Soixante balais en plus. Le seul à voir la star en elle, c’est Gabe. Pas mal, non ? Elle a fait tous les métiers, y compris celui de matonne. Elle trimballe dans sa poche un calibre 22, on ne sait jamais. Elle aime la pêche - Fish in my dish - et fumer de l’herbe ou le cigare au bord du fleuve. Elle veut toujours être the loudest person in the room, elle veut qu’on la remarque. Elle veut faire le show en permanence. Sur scène, Sharon porte une petite robe à franges et des talons hauts qu’elle vire pour danser le Voodoo. Brenneck : «Ce furent les meilleures années de ma vie, playing fucking limbo with Sharon Jones.» Il raconte des souvenirs de tournées en France, «getting drunk» avec Sharon «and we just smoked a ton of weed togther. She was a party animal, a lunatic.» Quand on lui reproche d’être rétro, Sharon s’insurge : «There’s nothin’ retro about me, baby, I AM Soul.»

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             C’est avec 100 Days 100 Nights que le succès commercial arrive. Sur scène à l’Apollo, le show dure deux heures, avec un hommage à James Brown, «This Is A Man’s World», suivi d’un medley James Brown en duo avec Lee Fields. Et puis pouf, en 2013, un toubib lui dit qu’elle a chopé un cancer. Elle vient d’enregistrer son cinquième album, Give The People What They Want et elle pense que c’est son testament. Pour les Dap-Kings c’est dur, car les tournées avec Sharon sont leur seule source de revenus. Elle va cependant passer à travers une première fois et reprendre les tournées. Mais comme on sait, l’histoire finit mal. Gabe va faire paraître deux albums posthumes. Après tout, c’est bien pour les fans de Sharon. On reviendra sur elle prochainement, car tout n’est pas dit.

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             Puis Charles Bradley, qu’on peut considérer avec Lee Fields comme le fils spirituel de James Brown - Perhaps even more than Sharon Jones, Charles Bradley WAS Soul music - the love, sorrow, exuberance and fear written in the wrinkles of his face et son histoire furent un pur triomphe du spirit que le public a adoré - Une vie incroyable que celle de Charles, qui fuit la violence de sa mère, qui dort dans la rue, et qui pendant dix ans travaille comme cuistot dans un asile de fous, avant de partir en stop à travers les États-Unis. Il atterrit en Californie et vit de petits boulots. Et puis un jour, il tape à la porte du studio de Gabe - I heard you’re looking for a singer - C’est l’époque où il porte une perruque, il se produit sous le nom de Black Velvet with Jimmy Hill & the Allstartz Band et personne ne comprend ce qu’il dit quand il parle. Lorsque Charles commence à connaître le succès, Sharon est un peu jalouse car elle a bossé dur pour ouvrir les portes, comme elle dit, et voilà que Charles se pointe, pour lui c’est du tout cuit. Alors elle se comporte avec lui comme la grande sœur, the mean big sister. Gabe dit qu’elle «would fuck with him a little bit and it would get to him because he was sensitive». Eh oui, Charles est hypersensible, on n’entend que ça sur ses disques, cette hypersensibilité. Quand les choses ne vont pas bien, il s’isole, il réfléchit et prie, comme Howard Grimes. Jessica fait remonter l’aspect extrêmement spirituel de la personnalité de Charles : les gens viennent le voir et Charles dit : «I’m looking at their faces and see their spirits. I love this world and I love everybody in this world, but I will say not everybody may love and treat me the way I love them.» Charles parle de Soul. Prends-en de la graine, petit homme blanc dégénéré qui osa prétendre à une époque que les nègres n’avaient pas d’âme. Alors fuck le monde des blancs. Et bien sûr, il faut ressortir vite fait de l’étagère les trois albums de Charles Bradley.  

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             The Budos Band fait partie des autres poulains de Gabe, un groupe que Jessica qualifie de Staten Island metalheads qui adore Cymande et Sabbath, du coup elle fout bien l’eau à la bouche, d’autant qu’elle en rajoute : «Perhaps the most direct expression of Daptone’s punk attitude and their show as a hardcore flip of SJDK’s studied showmanship.»

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    Et puis les Como Mamas, dont on a longuement parlé ici sur KRTNT en mars 2018, fières d’être sur Daptone - Daptone wasn’t gonna leave Jesus out, s’exclame Mama Della Daniels qu’on a vu chauffer à blanc une salle normande voici quelques années avec ses deux consœurs. Et puis Sugarman 3 et Sugar’s Boogaloo, premier album paru sur Desco. Et puis Naomi Davis, plus connue sous le nom de Naomi Shelton, qui fait des ménages pour vivre, mais le soir elle monte sur scène avec The Gospel Queens, accompagnée par Fred Thomas des J.B.’s et Cliff Driver, le pianiste aveugle et prof de Gabe. Naomi chante avec une voix à la Wilson Pickett. On reparlera d’elle la semaine prochaine.

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    Et puis bien sûr Amy Whinehouse, que les Dap-Kings accompagnent sur l’excellent Back In Black. Jessica parle d’elle en termes d’expressive contralto vocals and intensely personal tales of love lost, addiction and rebellion. Elle se trimbale en plus un punky Ronette look et les Dap-Kings se retrouvent bien malgré eux au centre du maelström médiatique. Mais la Whinehouse session de 2006 fut le premier véritable ‘money gig’ pour Daptone. Cette session permit aussi d’établir la réputation de Daptone as one of the most important recording house in a generation. Brenneck ajoute qu’Amy a vendu dix millions d’albums alors que Daptone vendait à peine quelques dizaines de milliers d’albums de Sharon. Des gens remarquent qu’Amy sonne bien, mais elle n’est pas très sûre d’elle, comme si elle avait le talent pour devenir une star mais pas la force. Les Dap-Kings accompagnent ensuite Amy en tournée en 2007.

             Quand après la disparition de Sharon et de Charles, Gabe se réinstalle à Riverside, en Californie, c’est pour élever ses trois gosses et explorer the new sounds on the West Coast. Il tient aussi à préciser qu’il n’existe pas de compétition avec Durand Jones, Colemine ou Big Crown, «We do it together.» Et quand Jessica lui demande s’il pense avoir élargi le public de la Soul avec Daptone, Gabe est sceptique : «Plus de gens qu’avant ? Ce n’est pas ce que je vois.» Il rappelle qu’il a pris des risques, qu’il a fait un peu de promo, mais ça n’a pas changé grand-chose - In the end it’s an underground thing.

             Terry Cole pense lui aussi qu’il faut rester en contact avec les gens, lire des livres, ne pas trop vivre avec son smartphone, il pense que de faire des disques à l’ancienne permet de garder les pieds sur terre et rester en contact avec la réalité. 

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             L’after de Daptone est un sujet à part entière. Après la disparition de Sharon Jones, les Dap-Kings ont accompagné Jon Batiste, un chanteur pianiste de la Nouvelle Orleans, a talented songwriter and arranger with mainstream appeal, un black qui aurait partagé l’affiche avec Stevie Wonder, Prince et Willie Neslon. Sur scène, Gabe insiste pour reprendre avec Batiste un vieux hit d’Ernie K-Doe, «Beating Like A Tom Tom». Parmi ceux qui portent le flambeau de la Soul pendant l’after, Jessica cite Durand Jones & the Indications qu’il faut effectivement prendre au sérieux, sur la foi de trois albums, avec cependant une petite complexité : le batteur blanc Aaron Frazer chante pas mal du cuts, alors que Durand Jones est déjà en poste. Puis Kelly Finnigan et son falsetto-heavy «I Don’t Wanna Wait», et ses terrific albums avec les Monophonics sur Colemine. Jessica revient longuement sur les Monophonics qu’a rejoint Kelly Finnigan lors de son arrivée en Californie et ensemble, ils ont replongé dans Isaac, Curtis Mayfield, l’early Funkadelic, les Tempts et Norman Whitfield et bien sûr l’hometown hero Sly Stone. Jessica parle de Finnigan’s searing Stax-style vocals over heavy organ, fuzzed-out guitar and sharp horns. Elle cite aussi Grace Love & The True Loves - Betty Wright meets Mahalia Jackson vocals and serious Hammond B3 action - Un groupe inspiré par Sharon Jones & The Dap-Kings, dit le guitariste Jimmy James. Et puis Lee Fields moins funky qu’avant et qui se met à enregistrer comme Sharon des slow-tempo love songs sur Big Crown Records.

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              Elle ramène aussi Leon Bridges dans ses filets. Elle note tout de suite que le public de Leon est essentiellement blanc, comme l’est globalement le public du Soul revival. Leon est le premier à le remarquer. Il ne compte que quelques blackettes dans la salle. Par contre, Gabe se méfie de Leon : «Leon Bridges is a little bit bullshit to me, je ne miserais pas sur lui dans le combat pour les civil rights.» Il trouve les chansons et la voix de James Hunter bien plus profondes que celles de Leon. Gabe avoue aussi avoir du mal avec les mecs trop pretty - Also he’s real pretty. I have a hard time with people who are real pretty, even if they’re talented - Terry Cole dit bien aimer Leon mais il est choqué de voir des gens entrer dans son magasin pour acheter les disks de Leon qui dit-il n’ont aucun intérêt. Alors ils leur écrit une liste d’autres albums de Soul revival et chaque fois il met Sharon Jones et Lee Fields en tête de liste.

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             En 2020, Daptone lance Penrose avec des groupes californiens : The Altons, Thee Sinseers, Thee Sacred Souls, Los Yesterdays, et Jason Joshua qui considère Gabe comme un mentor. Puis Gabe lance de nouveaux artistes, Orquesta Akokan, Cheme, Menahan Street Band, LaRose Jackson, Napoleon Demps, Vicky Tafoya et puis il sort un deuxième album posthume de Sharon, une compile de reprises, Just Dropped In.

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             Le label célèbre son vingtième anniversaire en 2021 avec la parution du triple album dont on chante les louanges un peu plus haut. Et partout dans le monde, des groupes poursuivent le combat de l’authenticité de la Soul initié par Daptone. Jessica cite les Dojo Cuts d’Australie, The Dip de Seattle, le chanteur Desi Valentine. Des groupes comme Khruangbin, Kamauu, The Ephemerals, Skinshape et les Seratones (vus sur scène à Rouen en 2016) défient dit-elle les catégories mais puisent dans la Soul et le funk pour créer de nouveaux sons. Elle a bien bossé, la petite Jessica, elle a tout ratissé. Il ne manque pas grand monde dans son état des lieux. Elle ramène encore dans les dernière pages les noms des Resonaires qui sont sur Colemine avec la Dapette Saundra Williams au chant et celui de Rickey Calloway accompagné par les Dap-Kings.   

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             Mine de rien, Colemine prend bien la suite. Terry Cole est un fan de Gabe. En 2007 il établit sur quartier Général à Cincinnati, Ohio qui selon lui a toujours été et restera l’épicentre du funk. C’est Colemine qui sort le hard funk de The Grease Traps d’Oakland, the cinematic Soul of Sure Fire Soul Ensemble de San Diego, et le boogie d’Orgone. 

             En vingt ans, Daptone est devenu une référence incontournable. David Ma : «Faire de la Soul music est une chose, mais la faire sonner brassy, drum-heavy et projeter la chaleur qu’on n’obtient qu’avec l’analog equipment, c’est là où Daptone fait la différence.»

             Daptone a fabriqué de la magie - Cette magie demandait du talent et de la détermination, mais au fond, elle est extrêmement simple. C’est la pure joie d’entendre les cuivres jouer ensemble, cette facilité à dodeliner de la tête sur une groovy bassline, la façon dont on donne du relief à une chanson avec des percus et l’extraordinaire énergie d’authentiques performers comme Sharon Jones et Charles Bradley - Et voilà le travail.

    Signé : Cazengler, Dapcon

    Daptone Super Soul Revue. Live At The Apollo. Daptone Records 2021

    Jessica Lipsky. It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution. Jawbone Press 2021

    Paul Ritchie : Soul celebrations. Shindig! # 119 - September 2021

     

    Le gros turbo de Turbonegro

     

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             Plus encore que les Hellacopters, les Soundtrack Of Our Lives ou les Flaming Sideburns, Turbonegro a su donner au ‘rock scandinave’ (comme on dit) une réelle profondeur, une épaisseur unique. En dix ans, Turbonegro a su bâtir une mythologie réelle, ces mythologies qui font la vraie histoire du rock, celles qui allient le son et le look pour fabriquer de la légende. Ces mythologies ne sont pas aussi nombreuses qu’on pourrait le croire, mais on les connaît bien : Stooges, Gun Club, Cramps, Brian Jones, Jimi Hendrix, Elvis, Gene Vincent, Charlie Feathers, et puis en remontant dans le temps, Lemmy, Dave Wyndorf, Anton Newcombe, Jason Pierce, sans oublier les Soul Brothers et les Soul Sisters qui sont, eux, bien au-delà des mythologies. Par la puissance de son image et la qualité de ses albums, Turbonegro s’est hissé dans cette caste, et c’est d’autant plus remarquable qu’ils tiraient toute leur inspiration des bars gay, des bas-fonds et de la violence qui s’y rattache. L’un de leurs mots clés est l’anus. On en croise pas mal dans les refrains. Ils ont réussi là où Alice Cooper a échoué. Si tu veux jouer les ambigus, baby, fais-le pour de vrai. Et ramène le son qui va avec, celui d’une culture de l’infra-trash. Car on est avec Turbonegro dans le trash puissance mille. Chez les descendants des Vikings.

             Hank Von Helvete est parti au Valhalla rejoindre ses ancêtres. Il fut à partir du troisième album Never Is Forever la figure de proue de Turbonegro, reprenant à son compte le maquillage d’Alice Cooper mais en allant le mixer avec des looks extrêmement menaçants. Il a eu sa période Prince des Ténèbres puis il a émigré vers la barbarie pure et dure en trimballant une arbalète. Il pouvait se permettre de déconner, car il avait derrière lui l’un des meilleurs groupes de rock du monde.

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             De 1994 à 2005, les Turbo ont effectué un parcours sans faute avec cinq albums explosifs, ce qui est extrêmement rare dans l’histoire du rock. Les groupes s’épuisent assez vite. Pas Turbonegro. La fête commence avec Never Is Forever et «Suburban Prince’s Death Song» joué à l’excès excédentaire, ça turbine dans le Turbo, c’est même trop demented pour être honnête. Ils vont vite en besogne, ah les brutes. Et puis voilà qu’avec «I Will Never Die», ils inventent le power définitif. C’est d’une rare violence et pourtant c’est de la power-pop norvégienne. Aucun groupe dans le monde ne peut rivaliser avec le Turbo du Negro. C’est même encore pire avec «No Beast So Fierce». Personne ne peut rivaliser avec un truc pareil, ils montent leur speed-gaga en mayonnaise, ils pulvérisent tous les records de violence riffique, ils revoient Motörhead au vestiaire - Just ready for my time - C’est violent et génial, ils purgent le rock. Avec «Destination Hell», il se passe encore autre chose : le son te tombe sur le râble et les cocotes des bas-fonds te scient les tibias. C’est effroyable. On se croirait dans l’une des caves de l’Inquisition. De pire en pire, voici «Timebomb», ils cocotent dans les flammes de l’enfer, alors ce sont des diables. Sur cet album, tout est explosé dans l’ass du Negro, ils cultivent l’excès d’excellence comme d’autres cultivent les fleurs de la passion. Les Turbo sont la preuve vivante du Punk’s Not Dead. Tout ici est balayé par des vents de violence sonique, avec la voix de Von Helvete posée dessus comme la cerise sur le gâtö, ou pour rester en cohérence avec leur univers, comme un crucifix posé sur une mer de flammes. 

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             Le deuxième joyau de la couronne, c’est le fameux Ass Cobra. Sans doute leur album le plus flamboyant. C’est là-dessus qu’on trouve l’«I Got Erection». Ici, tu as tout : le power, les Vikings, l’érection, c’est claqué dans l’ass. Oh-oh-oh, c’est un hymne ! Oh-oh-oh ! L’autre coup de génie s’appelle «Deathtime», tu descends droit en enfer, tu subis ta punition, tu rôtis avec le rock en enfer. Tu veux aller faire un tour dans les bas-fonds ? Avec voilà «Sailor Man» - Sailor man come take my hand - Son incendiaire, le décor ne trompe pas. Encore plus explosif : «A Dazzling Display Of Talent». C’est même hors contexte et hors concours. Pur jus de pur jus. Rien de plus extrême. Retour en enfer avec «The Midnight Nambla», gaga-punk jusqu’au bout des ongles, ça prend feu de l’intérieur. Ils repartent comme des fous avec «Black Rabbit». Ils ravagent les campagnes comme leurs ancêtres, rien de sert de s’opposer à cette barbarie ! «Denim Demon» est encore plus exacerbé. C’est le Graal du blast, ces mecs dégagent tout, les artères et les bronches, Tubo forever ! Ass Cobra est l’album du power inexorable, l’un des meilleurs albums du genre. Ils renouent avec le power du MC5 dans «Raggare Is A Bunch Of Motherfuckers». Ils y jouent les accords de «Tonight». Turbo ruine les runes de Motorcity, ça burn dans les burnes, ils sont encore plus motherfucked que les Motherfuckers du MC5. Avec «Turbonegro Hate The Kids», ils sonnent exactement comme les Dead Boys. Et s’il est un cut qui illustre bien la barbarie des Vikings, c’est «Bad Mongo» : on les entend débarquer la nuit sur le rivage avec les haches et les boucliers. Aw my Gawd...

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             À l’époque, on avait clairement l’impression de monter encore d’un cran dans la violence sonique avec Apocalypse Dudes. Le batteur qui jouait avec nous à l’époque voulait absolument reprendre «The Age Of Pomparius», une belle introduction à l’ère de la dégelée fondamentale mais d’une part, c’est impossible de reprendre Turbonegro et d’autre part, les vrais coups de génie se trouvent un peu loin, à commencer par «Get It On», joué au riffing des Fjords, le riffing ultra, le ras-de-marée des brutes. Insurpassable. Right ! On ! Autre dégelée fondamentale : «Rendezvous With Anus», aussitôt embarqué, awite ! Pas de pire dégelée, c’est à se faire enfiler pour l’éternité. Encore un coup de génie avec «Are You Ready (For Some Darkness)», tout un programme. C’est l’hymne des Turbo, ils allument leur invitation au boute-feu, c’est aussitôt en flammes. Le feu, c’est leur truc. So c’mon ! Ils poussent le mauvais génie des Dead Boys encore plus loin, avec le pounding de fond de cale. Il n’existe rien de plus parfaitement rebondi du beat que «Selfdestructo Bust». Les guitares dégringolent sur la gueule du gaga-punk, c’est pulsé dans les règles du lard fumant. Avec «Rock Against Ass», l’Hank mise sur le rock et ramène un peu de mélodie dans son chant. Ces mecs sont tellement doués qu’ils font de la power-pop sans même s’en rendre compte. Encore un monster smash de gaga turbo avec «Zillion Dollar Sadist». Impossible d’y échapper, c’est claqué du beignet. Ils sont trop puisants. «Prince Of The Rodeo» sonne encore comme une attaque en règle. Ils explosent le daddy oh du rodéo, sans doute a-t-on là le meilleur Punk’s Not Dead de tous les temps. Ils attaquent leur «Back To Dugaree High» comme le «New Rose» des Damned. Même énergie ! Ils ne s’épargnent aucune grandeur de destruction massive. Ils s’en vont clouer «Monkey On Your Back» sur la porte de l’église, on your back ! On your back !, c’est riffé au power blast et battu dans le vent. Le temps d’un album, ils sont comme leurs ancêtres les rois du monde.

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             Darkness Forever est l’album live de rêve. Sans doute, l’un des plus beaux albums live de l’histoire du rock et en même temps un Best Of faramineux. Ils explosent tous leurs hits un par un. Avec «The Age of Pomparius», tu as tout, the biggest band on earth, wow wow wow, Euroboy te riffe ça à la Les Paul noire et te scie les tibias à la volée, l’autre fou bat le beurre du diable, nothing to lose, ces mecs naviguent exactement au même niveau que les Stooges et le MC5, wow wow wow, et ça continue de monter en température, ça joue à la Norje de non retour («Back To Dungaree High»), à la destruction massive de riff pompé («Get It On»), à la force du poignet («Just Flesh»), au pire Punk’s Not Dead jamais imaginé («Don’t Say Motherfucker Motherfucker»). Ils sont à leur apogée dévastatrice avec «The Midnight Nambla», ils chantent au bord du gouffre («Sailor Man»), ils cavalent dans le lard fumant - Vive la résistance ! Vive la (sic) Rendezvous Avec Anus - ils élèvent le chaos de destruction au rang d’art majeur avec «Are You Ready (For Some Darkness)», aucun groupe au monde ne peut égaler cette débauche de power, même pas Motörhead, ils n’en finissent plus d’aligner les bombes («Selfdestructo Bust», «Rock Against Ass»), le batteur vole le show sur «Prince Of The Rodeo», les Turbo perdent la tête mais les chœurs sont en place et «Denim Demon» est certainement le plus explosif de tous. Ils terminent avec «I Got Erection» et l’Hank présente les Turbo - Chris Summers, the prince of drummers, puis The magic fingers, the boy wonder, the little Prince, what’s his name ? The Euroboy !, puis les autres, Happy Tom, Rune Rebellion et Pal Pot Pomparius.

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             Quatrième joyau de la couronne Turbo : Scandinavian Leather et sa bague serpent qui se mord la queue. «I Want Everything» est l’un de leurs plus grands exploits, so c’mon ! Fabuleuse balance des powers, ils développent le même power que celui de Mountain à l’âge d’or, so c’mon ! Encore un coup de génie avec «Ride With Us», le dernier cut de l’album. L’Hank y va, il veut être sûr, une petite virée en enfer ? Okay, tapé à la basse métal, fouetté à la cocote malsaine, Ride with us ! Monstrueux ! Ils ramènent toute la barbarie dont ils sont capables dans «Wipe It ‘Till It Bleeds». Il n’existe rien de plus gratté que cette chose. C’est un modèle du genre. Ils se payent le luxe d’une grosse intro pour «Turbonegro Must Be Destoyed» - No no no/ Yeah yeah yeah - et les virées de bassmatic donnent le tournis. S’ensuit un «Sell Your Body To The Night» monté lui aussi sur une grosse intro - Every/ Body/ Sell your body/ To the night - avec la cocote afférente. Ce power Viking n’appartient qu’à eux. Tout ici est blasté au beurre/basse. On ne se lasse pas du power Turbo et de ces solos incendiaires. Ils explosent encore le hard-gaga Viking avec «Train Of Flesh». Ils foncent dans la nuit - Nevah stop/ Nevah nevah stop - Le message est clair. Ils sonnent comme Oasis avec «Fuck The World». On reste dans le domaine des clameurs extraordinaires avec «Drenched In Blood», ils s’amusent avec la power-pop comme le chat avec la souris, wo wo wo/ wo wo. On voit ensuite l’intro du «Saboteur» prendre feu, awite, oh oh !, avec des chœurs de marins au milieu des couplets et au loin des notes qui rougeoient dans le ciel de Detroit, oh oh oh, ça percute bien la balistique, diable comme la violence peut parfois être belle.

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             Dernier joyau de cette couronne infernale : Party Animals et son casque mystérieux. Le hit de l’album s’appelle «If You See Kaye», embarqué au wild gaga-punk. C’est logique, les Turbo sont incapables de calmer le jeu, même dans les méandres du delta. Ils explosent l’If you see Kaye, c’est brillant, plein de revienzy, tout est explosé en pleine gueule d’everybody, l’Hank est un démon. Ils font aussi du glam avec «Hot Stuff Hot Shit». Trinquons au power supremo du Negro. Ils font aussi du dead punk explosif avec «All My Friends Are Dead». Une vraie fontaine de jouvence, avec les guitares incisives d’Euroboy. C’est d’ailleurs lui qui arrose «Blow Me (Like The Wind)» de napalm. Il vrille en permanence pendant que Pâl Pot rythme et qu’Happy Tom bassmatique. Ils se servent de Satan pour claquer un heavy stomp («City Of Satan») et ils sonnent comme les Damned avec «Death From Above», belle resucée de «Neat Neat Neat». Pour annoncer l’arrivée d’une coulée de lave, l’Hank compte jusqu’à quatre : One, two, three, four ! («Wasted Again»). Rien d’aussi dévastateur. Puis ils clouent «High On The Crime» à la porte de l’église avec. Power du Turbo. L’Hank relance au c’mon et Euroboy vrille comme un démon. L’Hank compte en norvégien pour lancer «Babylon Forever», nouvel exercice de haute voltige enflammée. Ils finissent cet album éreintant avec un «Final Warning» de dix minutes, vite embarqué dans l’enfer du paradis Norje de Turbo, the biggest Turbo in the fjords. Pas de pire équipe sur cette terre.

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             Paru en 2007, Retox est le dernier album du Turbo sur lequel chante l’Hank. L’album n’est pas aussi intense que les cinq précédents. On sent remonter leur passion pour les Dead Boys dans «Welcome To The Garbage Dump» et dans «Hot & Filthy». le solo d’Euroboy y éclaire la scène - Yeah yeah hot and filthy/ We were so pretty - On retrouve le power Viking avec «Everybody Loves A Chubby Dude». Les power chords sont un modèle du genre. Ils font aussi un «Hell Toupee» quasi glam chanté avec la braguette ouverte et ils renouent enfin avec le gaga-Turbo dans «No I’m Alpha Male», un pulsatif Viking de voiles gonflées. 

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             Le remplaçant d’Hank s’appelle Anthony Sylvester. On peut écouter le Sexual Harrassment paru en 2012. Non seulement ça n’engage à rien, mais en plus ça ne mange pas de pain. L’album coûtait un bon billet, mais bon, on voit écrit Turbonegro sur la pochette et on ne fait pas gaffe. En plus, sur la pochette intérieure, Sylvester ressemble comme deux gouttes d’eau à l’Hank, mais il ne se maquille qu’un seul œil. Le reste du Turbo est toujours là, fidèle au poste, et on peut bien dire que l’album est génial. Euroboy continue de faire des miracles dans «Hello Darkness», heavy as hell - Hello darkness/ Where have you been - Turbo reste la grosse Bertha des fjords, la vraie turbine à chocolat, comme l’indique «Shake Your Shit Machine». Ils nous stoogent «TNA (The Nihilistic Army)» aux accords de «1969», ça tourne au délire d’excelsior, ils remontent les bretelles du chemin de Damas, c’est plein de vie, c’est exacerbé d’allure. Encore de la violence écarlate avec «Mister Sister», c’est complètement écrasé du champignon, c’est véritablement l’apogée de l’apanage, une vraie dégelée de turbine. Ces démons de Turbo n’en finissent plus de tout écraser sur leur passage. Ils font partie des plus puissants seigneurs de cette terre. Ils remettent la pression en B avec «Dude Without A Face», la cocote règne dans les ténèbres de la turbine, c’est violemment bon, explosif et amené à la fleur du mal. Avec «Tight Jeans Loose Leash», la turbine écrase son fjord dans la gorge d’Odin, ils raclent et ils ramonent, ils arrachent tout, le loose leeash, le call your friends tonite, c’est encore du big blast. Sylvester attrape «Rise Below» à la mélodie chant, à la manière d’Oasis. Même attaque sur canapé d’arpèges, c’est vite embarqué pour la Cythère des glaces. Puis ils font leurs adieux avec «You Give Me Worms», et ils gueulent ‘worms’ comme on crie ‘war’. Ça fout la trouille.

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             Le dernier album en date du Turbo s’appelle Rock’N’Roll Machine. On croyait les Turbo finis ? Oh la la pas du tout ! Euroboy attaque «Part II Well Hello» aux riffs d’Hello et là tu as tout le Turbo, avec le power intact. On assiste à l’une de ces explosions de son dont ils se font une spécialité depuis le début. Il reste aussi Happy Tom et Rune Rebellion de la formation originale, c’est déjà pas mal. Et le nouveau chanteur Anthony Silvester fait le job. Grand retour du Turbo dans «Fist City», claqué à la malveillance Viking, fist city c’mon ! Euroboy fournit le claqué de beignet, ça monte bien en température, il cultive la tension comme au temps de l’âge d’or. Puis on les voit se vautrer en beauté avec «Skinhead Rock’nRoll». Il faut attendre «Hot For Nietzsche» pour retrouver le grand Euroboy à l’œuvre, pas de problème le son est là, Euroboy mène le bal aux riffs incendiaires, il fout le feu comme au temps jadis. Ils terminent en Vikings avec «Special Education». Le nouveau n’a vraiment pas la voix de Turbo, mais derrière ça reste du Turbo, le son tombe comme les chutes du Niagara. Turbo aura été l’un des groupes les plus puissants de l’histoire du rock, il ne faut pas l’oublier. Ils avaient le génie du son.

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             Hank Von Helvete enregistre Egomania, son premier album solo, en 2018 : chapeau claque blanc, yeux maquillés et doigt d’honneur. Finis Euroboy et les arbalètes. L’Hank repart sur les chemins du Vallalah avec Cat Casino on lead et une autre équipe. Il fait une sorte de sous-Turbo, c’est évidemment bardé de son, ça bat le beurre comme chez Motörhead. Avec «Blood», ils tapent un heavy blues à la ZZ Top, l’Hank tente d’en rajouter, mais ce n’est pas bon. Il fait de l’Alice Cooper. Il tente ensuite de renouer avec les réflexes Turbo («Dirty Money»), mais la magie Turbo brille par son absence. Non, Hank, ce n’est plus du gros Turbo. Voilà «Never Again», assez heavy, comme s’il n’y avait plus rien à ajouter. L’Hank est en panne de compos. Il se prête bien au jeu du Punk’s Not Dead avec «Bombwalk Chic», mais la messe est dite ailleurs depuis belle lurette. C’est avec «Wild Boy Blues» que l’album reprend du sens. Fantastique allure - Wild boy blues/ Staring at the sun - C’est le hit sauveur d’album. S’ensuit une autre belle dégelée, «Too High», ça joue au va-tout avec une Cat Casino qui part en vrille d’exception. L’Hank peut alors renouer avec le génie Turbo. 

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             L’Hank devient Hank Von Hell en 2020 et enregistre un album prémonitoire : Dead. Dead à tous les sens du terme. Une catastrophe épouvantable. Il démarre d’ailleurs sur une ambiance funéraire - I’m already dead - C’est l’album des deux morts, la mort du corps et celle de l’esprit. Le son est là, mais incroyablement putassier. Il nous fait le coup de l’injure suprême avec un album de new wave. Il chante comme un gros dead. Un vrai désastre - See my blackened eyes - Tu parles Charles ! Adios Turbo ! Il sombre dans la diskö new wave, on se croirait chez les Talking Heads. À ce niveau de médiocrité, c’est forcément voulu. L’Hank ne voulait pas finir en beauté.  C’est dur de voir une immense star se vautrer dans le stupre. On perd l’anus, on perd la violence, il nous fait une petite pop de branleur. Bravo les gars !

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             Ce n’est pas l’Hank, mais Harry Neger qui chante sur les deux premiers albums de Turbonegro, Hot Cars And Spent Contraceptives et Helta Skelta. Ça n’empêche pas de les écouter, au contraire. Ça permet en plus de constater que le son du Turbo est déjà là. Ils attaquent avec les confessions d’une pute, «Librium Love» - Would you like to hear - Le Turbo explose en plein Sex & Drugs & Rock’n’roll, pur jus de gros Negro, sex & power. Ils alignent ensuite une collection de classiques gaga-punks pour le moins exceptionnels, «Punk Pals», «Kiss The Knife» (le pire des trois, on n’avait encore jamais vu ça, les Anglais à côté sont des enfants de chœur) et «Clenched Teeth» (embarqué à la cocote sévère, ils sont over the overwhelming). Gros pied de nez aux Sex Pistols avec «Hot Cars», annoncé comme a Sex Pistols song. Ils scient à la base l’infernal «New Wave Song» et ils passent de l’extrême violence à la dégelée extrême avec «Zonked On Hashish». Ils inventent aussi un nouveau genre : le destructive trash avec «I’m In Love With The Destructive Girls». Ce sont les seigneurs du yeah yeah. Puis on entre au paradis de la heavyness avec «Prima Moffe». On y entend les voix des dieux Vikings mêlés au vent du fjord. Donc, avant même que l’Hank n’arrive, les Turbo battent déjà tous les records de barbarie.

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             Paru l’année suivante, Helta Skelta fait double emploi avec Hot Cars, puisqu’on y retrouve «Librium Love» - let me wank it, oh what a gorgeous cock - «Punk Pals», «New Wave Song», «Hot Cars», «Clenched Teeth» et quelques autres sucreries. Seules nouveautés : «Manimal» (embarqué au pire Punk’s Not Dead d’Oslo) et «Dark Secret Girl» (absolute wanderer, punk à tête chercheuse).

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             Il existe un tribute à Turbonegro qui vaut vraiment le détour. Il date de 2001 et s’appelle Alpha Motherfuckers - A Tribute To Turbonegro. À l’époque on se demandait comment un groupe pouvait oser reprendre Turbonegro. C’est de l’intapable pur. Pareil pour les Pistols. Eh bien figure-toi que des mecs ont réussi l’impossible, au premier rang desquels on retrouve Nashville Pussy et Therapy. Nashville tape dans l’«Age Of Pomparius» et là, tu as tout, c’est-à-dire les trois extrêmes : l’Empire romain, les Vikings et le Nashville, wah wah oh, Blaine y va, c’est un démon et il leur inflige le pire outrage, car il explose la rondelle du Turbo. Therapy tape dans «Denim Demon», la meilleure cover de cette compile explosive : c’est là où le Punk’s Not Dead flirte avec le génie apoplectique. Ces mecs foncent comme Ayrton Senna au volant de sa formule 1, vroarrrrr, ils ne craignent pas la mort. L’autre belle surprise est l’«Hate The Kids» par Amulet. Pour un peu, ces fous surpasseraient le Turbo. Encore une révélation avec Samesugas et «(I Fucked) Betty Page». Merci Turbo Page pour cette belle clameur d’excelsior : fantastique énergie de rock incendiaire et le mec ajoute : «I fucked her yesterday.» Il y a 25 prétendants au trône et bien sûr, tous ne sont pas aussi bons que les pré-cités. Les Supersuckers tapent un bon «Get It On». C’est avec Bela B & Denim Girl qu’on voit à quel point les compos du Turbo sont solides, car la reprise d’«Are You Ready (For Some Darkness)» sonne comme un hit. C’est HIM qui se tape «Rendezvous With Anus» et il ramène énormément de son. Les diables cornus de Satyricon tapent l’«I Got Erection» et ils ne s’en sortent que grâce à une surenchère de rrrroarrrhhh. On note aussi la violence des trash-punkers d’Hot Water Music qui s’en prennent au «Prince Of The Rodeo», en fait tous les groupes plongent avec délectation dans la mythologie du Turbo. Zeke se tape «Midnight Nambla». Zeke, c’est Attila. Pas de pitié. C’est là où l’insanité confine au génie. Les Dwarves n’ont de leçon à recevoir de personne, comme le montre leur cover d’«Hobbit Motherfuckers», les Real McKenzies tapent un «Sailor Man» aux guitares et l’heure des crocodiles sonne enfin avec «Prince Of The Rodeo». Toby Damnit y va de bon cœur. C’est exceptionnel de mauvaises intentions. Idéal pour du gros Negro, ça s’englue dans le chocolat en fusion.

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             Réalisé lors de la tournée mondiale de 1998, The Movie donne un idée assez juste du Turbo Power, d’autant que ça démarre sur «Age Of Pomparius» et c’est un peu comme si la messe était dite. Le Power est là, in the face, avec un Euroboy en collier de chien comme Iggy et ça wow wow wow ! On les voit jouer en Allemagne, aux États-Unis et en Espagne. Line-up classique, l’Hank, Euroboy, Happy-Tom, Chris Summers et Rune Rebellion. Sur scène, Euroboy porte parfois un stetson blanc. Il est toujours en action, très physique, il joue beaucoup du buste, jambes écartées. Dans un bar en Allemagne, ils écoutent les Byrds. On les voit aussi faire le breakfast au champagne et aux fraises. Sur scène, l’Hank défraye la chronique en s’enfonçant un cake fire dans le cul. Les Turbo cultivaient l’excès et ils pouvaient inspirer une certaine frayeur. On voit aussi des clips qu’il faut bien qualifier de parfaits, comme celui de «Get It On», avec un Europboy en stetson blanc, rouge à lèvres et Les Paul blanche. Il n’existe pas grand-chose de plus parfait au plan graphique. Le Movie s’achève avec «Prince Of The Rodeo», Euroboy est monté sur les épaules d’un collègue et après le break, il relance jusqu’au vertige. Euroboy est l’un des plus grands guitaristes de rock de son temps. Comme Ron Asheton, il sait jouer jusqu’au vertige.

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             Encore plus fascinant : The ResErection, un DVD paru en 2005. C’est la suite du film précédent. À l’issue de la tournée mondiale de 1998, l’Hank est rincé - I was a full time heroin junkie - Il est obligé d’arrêter le groupe pour des problèmes de santé. Sa vie ne tient plus qu’à un fil. Alors il rentre chez lui aux îles Lofoten, au Nord de la Norvège, vers le cercle polaire, «still on morphine to ease pains», dit-il. Environnement de rêve en été, précise l’Hank, car après l’été vient la nuit polaire qui dure six mois. Il survit grâce à ses grand-parents et à God. Tout fan de Turbonegro doit impérativement voir ce film, car on y découvre un homme différent, plutôt beau. L’Hank de Lofoten n’a plus rien à voir avec la brute de Turbonegro. Il reste quatre ans à Lofoten, il bosse au musée de la pêche. Mais pour Euroboy et les autres, c’est une catastrophe. Le groupe était leur priorité. Happy Tom va voir l’Hank à Lofoten. Ils commencent à envisager de redémarrer. On assiste à une première répète du groupe. Ils attaquent avec «Age Of Pomparius», évidemment, wow wowo wow, diable comme l’Hank est beau, il ressemble à Jimbo avec sa barbe et sa façon de s’arrimer au micro. Il est vite torse nu. Sa voix revient. Ils sont content, le groupe sonne bien. Ils font une fantastique mouture d’«Erection». Ils disent faire du deathpunk. Euroboy précise aussi qu’au début, ils ont hésité entre deux noms : Turbonegro et Nazipenis. Alors ils ont choisi Turbonegro. Et pouf, ils partent jouer dans trois festivals en Europe, dont le Bizarre Festival en Allemagne. 40 000 personnes ! Wow wow wow ! L’Hank est ravi de se retrouver dans le tour bus : «To get on the tour bus with Turbo four years later is perhaps the best feeling in the world.» Les fans arrivent du monde entier, Turbojugend USA ! Et sur scène, le groupe reste imparable, avec un Euroboy qui joue tous les riffs de Johnny Thunders et de Jimmy Page, mais avec une niaque qui n’appartient qu’à lui. Wow wow wow !

    Signé : Cazengler, Turbozéro

    Hank Von Helvete. Disparu le 19 novembre 2021

    Turbonegro. Hot Cars And Spent Contraceptives. Big Ball Records 1992

    Turbonegro. Helta Skelta. Repulsion 1993

    Turbonegro. Never Is Forever. DogJob Records 1994

    Turbonegro. Ass Cobra. Boomba Rec 1996

    Turbonegro. Apocalypse Dudes. Boomba rec 1998

    Turbonegro. Darkness Forever. Bitzcore 1999

    Turbonegro. Scandinavian Leather. Burning Heart Records 2003

    Turbonegro. Party Animals. Burning Heart Records 2005

    Turbonegro. Retox. Scandinavian Leather Recordings 2007

    Turbonegro. Sexual Harrassment. Scandinavian Leather Recordings 2012

    Turbonegro. Rock’N’Roll Machine. Scandinavian Leather Recordings 2018

    Hank Von Helvete. Egomania. Sony Music 2018

    Hank Von Helvete. Dead. Sony Music 2020

    Alpha Motherfuckers. A Tribute To Turbonegro. Biztcore 2001

    Turbonegro. The Movie. DVD Biztcore 1999

    Trond Sættem. Turbonegro - The ResErection. DVD Biztcore 2005

     

    L’avenir du rock - Neat Neat Neat Neal

     

             L’avenir du rock n’a jamais réussi à retrouver la route d’Amman, en Jordanie. Il se souvient vaguement avoir laissé sa valise à l’hôtel et avoir rencontré Lawrence d’Arabie dans le désert. Ça doit bien faire des mois qu’il erre de désert en désert, se nourrissant de scorpions, de bouses de dromadaires et de roses des sables. Il passe des dunes aux étendues de caillasses et des étendues de caillasses aux mers de sel. Il n’imaginait pas qu’un désert pût revêtir des allures aussi diversifiées. Et puis voilà qu’un jour, il croise inopinément deux blancs. L’avenir du rock qui a un peu perdu la boule soulève le chapeau qu’il n’a pas et déclare solennellement :

             — Dr Livingstone I presume ?

             — Non ! Speke !, répond d’un son sec le barbu coiffé d’un casque colonial.

             L’avenir se tourne vers l’autre et lui lance :

             — Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !

             — Non ! Burton !, répond d’un ton bourru le moustachu coiffé d’un casque Viking.

             Pourtant rompu aux arts de la dialectique, l’avenir du rock se sent passablement dépourvu d’arguments. Il tente quand même de recréer un peu de lien social :

             — Alors ça carbure, ton ?

             Ça ne fait pas rire l’intéressé qui lance :

             — Bon, c’est pas tout ça, mais faut qu’on y-aille. Faites gaffe aux Danakils !

             — Aux dana qui ?

             — Aux Danakils ! Ces guerriers sont les plus féroces de la Corne de l’Afrique !

             — Merci de votre attention. Vous n’en auriez pas une autre ?

             — Si ! Vous ne devriez pas vous balader comme ça dans le désert sans chapeau. Tenez, prenez ceci !

             Et Burton lui donne son casque Viking qui est brûlant.

             — Vous voyez, vous avez ici une petite ficelle, vous tirez dessus et ça agite les deux ailes pour ventiler l’air. Bon sur ce, adieu monsieur l’avenir et bon vent !

             — Merci. Bon vent de même. Vous allez dans quelle direction ?

             — Vers le Nord !, fait Speke d’un ton sec.

             — Qu’expektez-vous, Speke ?

             — Découvrir la source du Nil ! Et vous, pourquoi allez-vous vers le Sud ?

             — Pour découvrir la source du Neal.

     

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             Le Neal dont parle l’avenir du rock n’est pas un fleuve mais un Américain. Non seulement Neal Francis est américain, mais il est en train de devenir énorme. Shindig! lui donne un petit coup de pouce en saluant la parution de son deuxième album, In Plain Sight et en lui accordant la rubrique ‘It’s a happening thing’ dans l’un des derniers numéros : cette double fait un peu baver les grosses limaces que nous sommes, car l’invité y commente ses disques préférés. Neal Francis avoue des faibles pour Life Love And Faith d’Allen Toussaint («Toussaint’s production, songwriting and arranging during this period of his career were the largest influences on my first record, Changes»), pour le Live de Donny Hathaway («The 13-minute version of ‘Voices Inside (Everything Is Everything)’ that features Willie Weeks laying down probably the best bass solo of all time»), pour There’s A Riot Goin’ On de Sly & The Family Stone («Along with Innervisions, this may be the album I’ve listened to most in my life. It is at times sublime. Sometimes it’s frantic, psychedelic, drug-induced nightmare»), pour Let’s Take It To The Stage de Funkadelic («I used to listen to this album every morning on my way to high school»). Neal Francis salue aussi Bob James (plus jazz), Dorothy Ashby (plus Harpist) et Boards Of Canada (plus Scot).

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             Que déduit-on de tout ça ? Qu’In Plain Sight est forcément un big album, vu l’état des sources. Quand on écoute de bons albums, on fait généralement de la bonne musique et Neal Francis nous chope immédiatement avec «Alameda Apartments», un cut bien ramassé, bien storytellé, hérissé de bons réflexes, saturé d’orchestrations - Inside the Alameda Apartment/ Outside from the pouring rain - On le sent très aguerri, il gère sa pop-rock au mieux des possibilités, pas étonnant qu’il plaise tant aux Shindiggers. Comme il a du son, il est extrêmement crédible, et «Can’t Stop The Rain» enfonce bien le clou, ça joue au deep heavy. Il faut bien regarder la réalité en face : ce mec défonce les barrières. C’est du sérieux. Il recycle les élongations des anciens, ça baigne dans une sorte de gospel dévoyé à la Mad Dogs et là tu y vas, sans pinailler. On reste dans les énormités avec «Sentimental Goodbye». Il rentre dans le flanc du rocky groove d’I’m so sorry I missed you/ I couldn’t hear you with the radio on, il négocie un fabuleux m’as-tu-vu de plotach, il est superbe d’à-propos et d’Im so sorry, tout ça drivé au meilleur swagger de big burning sound noyé d’orgue. Neal Francis est un maître d’œuvre extraordinaire. Il bâtit des cathédrales. Dans «Asleep», il coiffe son génie avec des chœurs de filles géniales, il chante son brain is broken dans une ambiance surnaturelle, il plonge dans le feels like I wanna take a drink/ But instead I stop & think, il flotte dans la démesure de son son, il développe sa vision au long cours - Sleep in the arms of another/ Dreaming that we were still lovers - Ce mec est rompu à toutes les disciplines et il passe au big shuffle avec «Say Your Prayers». Il glisse dans un groove de down under, be above it all/ But I’m locked in bed. Comme l’ami Michaux, il s’engouffre dans la connaissance par les gouffres. 

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             Paru en 2019, son premier album Changes annonçait bien la couleur. On y trouve deux phénomènes d’osmose avec le cosmos, à commencer par «Put It In His Hands» qui est en fait un hommage direct à Sly Stone. Même power, comme si c’était possible ! Un power accueilli à bras ouverts par un chant d’exception, Neal Francis coince sa glotte dans le funk, c’est un converti, le power de Sly est explosé du ventricule par le solo de Sergio Rios et l’autre fou de Mike Starr se prend pour Larry Graham, il relance au heavy bassmatic et là t’es baisé, car c’est ici que ça se passe, chez ce démon de Neal Francis, le white Soul boy définitif explosé dans le ciel de sa passion. L’autre clin d’œil s’adresse à Allen Toussaint : «Can’t Live Witout You». On se croirait à la Nouvelle Orleans, c’est plus étalé dans le son, mais quelle classe ! Avec «This Time», il entre dans son album au groove vainqueur, mais avec un swagger de petit homme blanc qui s’y connaît. Il passe comme une lettre à la poste. C’est bardé de nappes de cuivres, comme si on était à Memphis. Rien qu’avec «This Time», il est admis dans la classe supérieure. C’est vrai qu’il y a du monde derrière lui. Ces killers de Chicago que sont Mike Starr et Sergio Rios voleraient presque le show. Avec sa voix de blanc, Neal Francis parvient à bricoler de la black, comme le montre encore «How Have I Lived». Il chante du haut de sa science, mais avec une volonté clairement affichée de r’n’b, les cuivres en témoignent, notamment ce vieux shout de sax demented. Encore une fabuleuse mélasse de good time music avec «These Are The Days», il est profondément inspiré, il drive son groove au plaisir pur et rejoint les accents funk au chant. Sur certains cuts, Mike Starr sonne comme James Jamerson («Changes Pts 1 &2»). «Lauren» montre encore une fois que Neal Francis a du funk plein la voix, il sonne un peu comme Johnny Guitar Watson. Dans l’osmose, il est encore plus balèze que Dan Penn ou Nino Ferrer («Je Voudrais Être Un Noir»).

    Signé : Cazengler, Neal Ranci

    Neal Francis. Changes. Colemine Records 2019

    Neal Francis. In Plain Sight. ATO Records 2021

    Neal Francis : Out of sight. Shindig! # 121 - November 2021

     

    Inside the goldmine

     - J’ai deux amours, mon pays et Paris

     

             Les boches bombardaient dur, les emmanchés ! On se planquait comme on pouvait. On craignait par dessous tout l’arrivée des marmites, ces monstrueux obus à ailettes qui ravageaient des tranchées entières et qui semaient la terreur dans la troupe. Pour fanfaronner, le gros, qu’on appelait le pouët, lisait un recueil du Mercure de France. Il faisait semblant d’afficher un calme olympien alors qu’on entendait siffler ces maudites marmites. Les boches préparaient l’assaut. On savait qu’on allait finir soit en charpie, soit crevé à la baïonnette. On avait entendu dire qu’aucun régiment ne pouvait résister à l’assaut de la 325e section, celle des Bavarois, les plus féroces. Le Colonel Dax avait demandé le renfort d’une section de tirailleurs sénégalais, les seuls troupiers qui ne craignaient pas la mort et qui se montraient au combat plus sanguinaires encore que les Bavarois. Un homme hurla : «Marmite !». Elle tomba en plein dans la tranchée et balaya tout des deux côtés, floooouffff, ziip, zaaac, bing, bang et badaboum, des terribles giclées d’éclats brûlants allèrent tailler des chairs et ouvrir des casques sur des centaines de mètres, fauchant la troupe comme les blés. Ça hurlait de partout, les pans de calcaire s’écroulaient sur les corps. Encore vivant, les Colonel Dax titubait et hurlait, «Baïonnette au canon !», «Brancardiers évacuez les saucisses !», «Vive la République, vive la Franche-Comté !», « À bas le prix du beurre !», «Les boches arriiiiivent !», «La garde meurt mais ne se rend pas !», «Ah ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne !», il semait la stupeur parmi les survivants, l’un de nous devait se résoudre à l’abattre, il donnait des coups de sifflet et tirait des coups de revolver en l’air, «No future for you and me !», «Tout est à nous rien n’est à eux !», «Élections piège à cons !», puis il se mit à chanter : «J’ai deux amours/ Mon pays et Paris»...

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             S’il n’avait pas été abattu, le Colonel Dax aurait continué. Mais on ne saura jamais s’il pensait à Paris, ville lumière, ou à Priscilla Paris, la belle lead des Paris Sisters qui, comme leur nom ne l’indique pas, nous viennent de San Francisco. Leur mère qui est chanteuse d’opéra élève Albeth, Priscilla et Sherrell Paris pour devenir chanteuses, comme les Andrew Sisters. Priscilla est la plus jeune des trois - We did have a showbiz mom - Dans les early sixties, Lester Sill signe les Paris Sisters et il demande à Totor de les produire. Forcément, Jack Nitzsche est dans le coup. Avec ces trois blondes, on est au cœur du phénomène girl-groups que Totor va ensuite développer avec les Crystals et les Ronettes. Bien sûr Totor tombe amoureux de Priscilla, mais elle en aime un autre. L’album prévu des Paris Sisters ne voit pas le jour car Totor et Lester Sill se sont fâchés. Alors elles se retrouvent sur Columbia, MGM et Mercury et bossent avec trois sacrés cocos, Terry Melcher, Nick Venet et Mike Curb. 

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             L’idéal pour bien prendre leur mesure est de se plonger dans une antho des Paris Sisters et comme toujours, c’est Ace qui fait le nécessaire avec Always Heavenly. Grâce au Wall, elles sont capables de coups de génie, comme par exemple «Always Waitin’», produit par Mike Curb, chanté d’une voix de grosse pute, une vraie bénédiction. Le stomp est celui d’une armée de l’Antiquité en marche. On retrouve ces méchantes allumeuses dans «Why Do I Take From You», toujours produit par Mike Curb. Elles sucrent bien les fraises, on est pleine spectorisation des choses, au cœur de la prod d’extrême onction, une véritable explosion au sommet du lard fumé, elles grimpent là-haut sur la montagne. Totor ne produit que cinq cuts des Sisters, le plus connu étant «I Love How You Love Me», fabuleux deep chick pop, c’est d’un kitsch qui en bouche un coin. Mais Totor ne fait pas de miracles avec les autres cuts, «Be My Boy», «What Am I To Do» et «He Knows I Love Him Too Much». Par contre, «Once Upon A While Ago» groove bien, Totor renoue avec la pop magique. Jack produit quelques petites merveilles, comme par exemple «When I’m Alone With You», pure pop de Brill, mais composée par P.F. Sloan. Jack reste dans l’énergie du Brill avec «My Good Friend». Elles sont dans l’éclat de l’éclair avec tout le sucre du Brill, aw yes we’re still good friends, ah les garces comme elles chantent bien leur petit bout de gras. Jack orchestre «I’m Me» jusqu’à l’infini, c’est très tendu dans l’excellence des violons, on voit Jack là-bas au fond du ciel, avec son sourire énigmatique. Elles sont encore magnifiées dans «See That Boy», toujours en plein Brill, Jack orchestre à la racine du son. Il produit aussi une reprise de Burt, «Long After Tonight Is All Over» et puis «You», fabuleux cut car ramassé sous le boisseau, elles chantent comme des garces et collent au train du beat. C’est Jack et Jackie DeShannon qui composent «Baby That’s Me» et c’est Terry Melcher qui produit. Époque Columbia. On est content que Jack soit impliqué dans cette merveille inexorable, c’est du spectorish pur et dur. «Dream Lover» est un hit signé Bobby Darin et comme beaucoup de ceux qui précèdent, il est invincible. Les Sisters sont balèzes, elles chantent du haut de leur talent. Les amateurs de sex-pop se régaleront de «Lonely Girl», chanté dans la chaleur de la nuit des cuisses, c’est chaud et humide, on y glisserait bien la langue. Les Sisters sont atroces de Brillitude et c’est noyé de violons. Elles font de la pop d’époque, mais l’amènent avec esprit. One of the earliest 60s girl-groups, Albeth, Priscilla et Sherrell Paris auraient dû exploser. Diable, comme le destin peut être cruel. Album Columbia jamais sorti, projet Totorish avorté. Notez bien qu’en 1966, Jack produit Sing Everything Under The Sun, leur seul album paru sur Reprise en 1967.

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             Sing Everything Under The Sun n’est pas l’album du siècle, on est bien d’accord. Mais en même te temps, c’est l’un des albums fondateurs d’un courant musical qu’on va nommer the girl-groups Sound. Priscilla y fait de superbes numéros de shoo bee doo wap. Quasiment tous les cuts de l’album figurent sur Always Heavenly, sauf trois : «It’s My Party», «Born To Be With You» et «Too Good To Be True». Tout le mode connaît le fameux «C’est ma fête/ Je fais ce qu’il me plait» de Richard Anthony, l’adaptation française d’«It’s My Party», l’un des grands hits de Lesley Gore. Elles tapent ça à la langueur kitsch, c’est d’une mollesse divine, le son des fantômes dans l’écho du temps béni, cry for Ronnie. Yves Adrien ajouterait : «Tous les garçons s’appellent Ronnie». Elles chantent toutes les trois «Born To Be With You» et font de la heavy pop, elle tapent là un hit de Brill interlope, un peu capiteux, chanté à la force de persuasion, ce qui fait son charme. «Too Good To Be True» reste de la big pop de Brill, he’s so good to me, elles sucrent le sugar du so good et les chœurs lui susurrent à l’oreille so good to be true. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Quelle présence ! On applaudit bien fort Priscilla. On retrouve l’excellent «See That Boy» de Mann & Weil monté aux chœurs de cathédrale et le «Long After Tonight Is All Over» de Burt qui reste du big Burt, du sans surprise, du bien vendu, du payé sur la bête. Cette fantastique lady qu’est Priscilla tire toujours son épingle du jeu.   

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             On donnerait son père et sa mère en échange du Golden Hits Of The Paris Sisters paru en 1967. «I Love How You Love Me» ? Just perfect. Une merveille de pop sensuelle, un truc rare, chanté avec de l’intention à l’âge d’or de la pop. Absolute candy sex. S’ensuit un «I Don’t Even Care» tout aussi inspiré, comme doté de variations de vitesse, mais wow, on est dans une énergie ancestrale, alors wow, mille fois wow ! Allez-y les filles, on est avec vous, même quand elles ne font plus que de la petite pop palpitante. Elles se fondent dans l’air du temps d’avant avec «Can’t Help Falling In Love» et reviennent au candy sex en B avec «Be My Boy», une compo de Totor. Belle proximité. Joli, doux et tiède. Et ça continue avec «I Don’t Give A Darn», compo de Prisci qui te monte droit au cerveau, je vais et je viens entre tes reins/ Et je me retiens. Prisci récidive avec «Together», une fantastique purée de sunshine pop. Elles grimpent assez facilement dans l’azur marmoréen. Elles tapent aussi une irréprochable cover de «Yesterday», alors bravo les Sisters !

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             Priscilla Paris entama en 1967 une carrière solo et enregistra trois albums. Ace qui fait toujours très bien les choses en compile deux sur Love, Priscilla - Her 1960s Solo Recordings. Le premier s’appelle Priscilla Sings Herself. Priscilla y propose une belle pop proche du Wall, mais elle est très engagée dans sa politique interprétative et donc elle ramène du pathos. Elle compose quasiment tout. Son «I’m Home» est assez beau. Elle sait tartiner une Beautiful Song de rêve. Tout est parfait : la féminité, la proximité, l’américanité, no matter when I go. Mais sa tendance au pathos revient vite. Elle donne tout ce qu’elle a avec «He Owns The World», mais elle sonne comme Judy Henske, limite CGT. Elle revient à une pop superbe avec «My Window». Elle y crée son univers - I can feel the sunshine in my window - Elle bosse dans son coin et croyez-le bien, she does it right. Cette petite gonzesse teinte en blonde est affreusement douée. Elle se fond dans la pop de Brill, elle sait gérer son Brill, c’est excellent, puissant et délicat à la fois («I Can’t Complain»). Elle ne te lâche pas. C’est une battante. Bravo Prisci ! Et voilà qu’elle nous tape un coup de Jimmy Webb avec «By The Time I Get To Phoenix», elle rentre dans l’or du temps d’avant, mais elle y rentre à la voix d’or, elle sème son laid-back dans le poudroiement du crépuscule, c’est violonné par le haut et vautré dans du heavy groove. On a là la version hippie de ce hit cathartique. Avec «Some Little Lovin’ Lie», elle montre aussi qu’elle sait chanter à la voix de l’oreiller, mais elle en abuse, du coup ça sonne comme un encart sexuel. Elle plonge littéralement les mains dans la culotte du cut. Elle boucle cet album avec un «I Can’t Understand» qu’elle chante en parfaite allumeuse, au sucré de sexe. Une tendance qui se confirme avec le deuxième album, Priscilla Loves Billy, qui est l’un des albums les plus sexuels de l’histoire du rock. Dès «Just Friends», elle annonce la couleur. Elle crée de l’enchantement dans des voiles de violons et chante à la vaporeuse. Puis elle plonge avec «He’s Funny That Way» dans le groove de jazz, se montre intime dans l’intrinsèque, elle crée du sexe de proximité. Pas de pire allumeuse sur cette terre. Elle chante au sucre de sexe pur. Elle se rapproche de ta bite à chaque instant. Elle se transforme en fée pour «Stars Fall On Alabama». Son Alabeïma est d’une beauté irréelle, elle module toutes ses syllabes et son last night d’accent tranchant te rentre sous la peau. Elle s’efforce de sonner comme Billie Holiday, elle travaille la persistance de la présence, elle fonctionne au charme fou, elle te prend dans ses bras et te baise. Elle attaque «Moonglow» au groove de jazz. Moonglow est le groove de jazz par excellence, elle va et elle vient, c’est humide et chaud. Encore du groove de heavy round midnite avec «In My Solitude», cette fois joué au piano. Elle chante du ventre. Elle est supérieure en tout. Elle finit en beauté avec «Girls Were Made To Take Care Of Boys», elle est la fiancée de tes rêves, profite vite de sa présence car après c’est fini.

             Hélas, les deux albums floppent. Prisci est profondément déçue. Son compagnon et guitariste de jazz Don Peake fut le premier surpris de ce non-succès : «She should have been a star.» Évidemment. Dans le petit booklet d’Ace, Alec Palao nous apprend tout ce qu’il faut savoir de Prisci, ses deux fils, Edan et Seth, puis sa tentative de redémarrage à Londres avec Chap and Chinn qui composaient pour Suzi Quatro et Sweet, pour enfin boucler la boucle et s’installer à Paris. Fin brutale de l’histoire en 2004 : elle se casse la gueule chez elle, rue de la Bastille.

    Signé : Cazengler, Parigot tête de veau

    Paris Sisters. Golden Hits Of The Paris Sisters. Sidewalk 1967

    Paris Sisters. Sing Everything Under The Sun. Reprise Records 1967

    Paris Sisters. Always Heavenly. Ace Records 2016

    Priscilla Paris. Love, Priscilla - Her 1960s Solo Recordings. Ace Records 2012

     

    *

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    Le rock c’est comme l’armoire aux confitures : l’on y revient toujours, surtout pour tremper nos oreilles dans les pots qui émettent de délicieuses sonorités. La semaine dernière nous écoutions The Republic  de Thumos, nous avons eu envie de nous pencher sur l’EP précédent Nothing further beyond, mais nous referrant à Bandcamp, nous nous sommes aperçus que le groupe venait de ressortir l’opus sous forme de deux CD’s intitulés, Allegories and Metaphors regroupant tous leurs enregistrements précédant  The Republic. Thumos nous vient du Kentucky. Le groupe n’a pas plus de visage – à peine une photo plus que floue sur Instagram - que leur musique ne bénéficie de paroles.

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    DEMO COLLECTION

    (Juillet 2021 )

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    Il nous plaît à pense que cet homme barbu soit Virgile et point Homère. D’abord parce que Virgile avait l’habitude de faire lecture de morceaux incomplets de l’Enéide à des proches ou à des admirateurs, c’est en se laissant bercer par le rythme des vers qu’il en rajoutait d’autres à la fin des passages qui n’étaient pas terminés. Ensuite parce que l’on retrouve dans l’œuvre de Virgile de fortes allusions aux doctrines orphiques, et toute une numérologie qui n’est pas sans rappeler Pythagore dont les doctrines ont fortement inspiré Platon. Les morceaux que nous écoutons sont systématiquement précédés de l’image qui illustrait les pochettes des cassettes ou des disques originaux sur lesquels ils ont paru. Soyons juste, moindre des choses lorsque l’on parle de Platon, ne proférons point de mensonge, ne nous laissons pas dompter par nos vains désirs, la mosaïque représente bien Platon entouré de ses disciples.

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    La pochette du disque reste assez mystérieuse. A première vue un motif floral, mais l’œil ne peut détacher son regard des trois formes qui grossièrement évoquent des silhouettes humaines. Le jeu des couleurs possède sa signification, ombre noire sur la gauche, rouge sur la droite, moitié noire-moitié rouge collées l’une à l’autre, ne serait-ce pas une représentation symbolique du mythe de l’androgyne de Platon, selon lequel à l’origine existaient des êtres nommés androgynes à la fois féminins et masculins. Hélas pour les punir de leur orgueil Zeus les aurait coupés en deux, dissociant leur partie mâle de leur partie femelle. Aujourd’hui, ces parties séparées essaieraient de se retrouver, ce désir d’unicité correspondrait à cette attirance inexplicable entre deux êtres que l’on nomme, dans notre vocabulaire, l’amour.

    The spire : ( demo single / Juin 2018 ) :  (la flèche) : compressions sonores, les tambours roulent comme la flèche du temps court en avant mais le clinquanement des cymbales nous apprend que c’est une  course perdue d’avance, l’ambiance s’assombrit pour déboucher sur une sérénité victorieuse croissante, une mélodie s’installe, que se passe-t-il, la flèche du temps est repartie dans l’autre sens, elle courait dans la dissolution et la déperdition kaotiques, elle remonte maintenant vers l’éternité. Tout comme une moitié de l’androgyne qui aurait retrouvé son autre moitié et serait revenue à son origine.

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    La pochette de Mono No Aware ( sous-titré Pathos of things ) est facile à comprendre. Deux hoplites grecs au combat. Nous sommes à un moment précis de la joute, l’instant le plus cruel, la mise à mort, le vainqueur enfonce sa lance au bas du cœur de son ennemi. Mono no aware signifie en japonais le mal du pays.

    Hiraeth : ( demo Mono No aware Mai 2019 ) : la musique vient de loin, elle fond sur l’auditeur telle une menace, relayée par une martiale batterie, l’inéluctable est en route rien ne l’arrêtera, les coups du destin beethovonien se font entendre, l’oiseau de la mort glisse à toute vitesse vers nous, il descend en piqué, ses battements d’ailes mortuaires nous effraient, l’instant fatidique se rapproche, et se distend, impossible de ne pas penser à la terrible scène de l’Illiade dans lequel Achille écoute sa prochaine victime   l’implorer, il est jeune, il est riche, ses parents paieront une confortable rançon, mais Achille lui répond qu’il ne peut rien, que c’est ainsi que les Dieux et les Destins en ont décidé, qu’il ne tire aucun plaisir aucune gloire de l’acte qu’il est en train de commettre, mais que personne ne saurait s'y opposer, les coups du Destin s’accélèrent, la musique s’enfuit et gargouille tel un flot de sang qui coule. Morrina : (idem) : tout comme le précédent ce titre peut se traduire par mélancolie, tristesse. Un deuxième mouvement dans la continuité de l’autre, mais en mineur, un ton plus bas, moins rapide, des coups de basse qui tombent comme le glas évoquent tout ce que l’on perd, l’on repense à Achilles déclarant à Ulysse qui a convoqué son ombre, qu’il vaut mieux être un vulgaire gardien de porcs vivant qu’un héros mort dans les Enfers. Nous sommes ici dans une vision de la mort totalement anti-platonicienne, peut-être est-ce pour cela que la guitare claironne, que la ligne mélodique devient plus attrayante, est-ce pour signifier que la véritable mélancolie est celle de l’âme exilée en un corps qui se souvient de son séjour au royaume des Idées, mais non, cette corde de guitare finale lentement égrenée comme des roses jetées sur un cercueil, nous rappellent combien notre vie sur terre est douce

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    La douceur de la teinte charnelle de la pochette de Mono No Aware II contraste avec la noirceur stylistique de Mono No Aware I, les mêmes ombres noires, ici elles ne combattent pas, une scène heureuse, un couple, des enfants : un garçon, une fille. Peut-être peut-on l’interpréter autrement, sans en changer le sens, la femme ne serait-elle pas Aphrodite qui dans un ancien culte était une terrible divinité de la mer, et l’homme ne serait-il pas Asclépios, Dieu de la médecine, à qui dans le Phédon Socrate consacre ses dernières paroles avant de mourir. Le sous-titre de l’opus Lacrimae Rerum est une citation du Chant I de l’Enéide de Virgile, Enée confronté  à une peinture représentant Priam roi de Troie ne peut s’empêcher de s’écrier que les larmes des choses humaines touchent le cœur des mortels.

    Symbiosis : ( demo  Lacrimae rerum – Mono No aware II : mélancolie / Février 2020 ) : musique vive, presque joyeuse, nous voici plongés dans l’épopée humaine, tous ses malheurs mais aussi toutes ses splendeurs, ses merveilles quotidiennes, cette geste continuelle de sentiments qui fondent notre existence terrestre. Ici nous sommes malgré tous nos déboires heureux. Un instant de rémission avant l’horreur finale. Transtemporal : (idem) : la notion de transporalité est difficile à définir, serait-ce la mémorisation des instants passés, soit le retour dans nos vies antérieures, ici le rythme de la musique, rapide, enthousiaste, nous invite à penser plus loin, il s’agit certes de traverser le temps, pas du début à la fin, mais totalement, de sortir hors du temps, de passer dans ce qui n’est plus le temps mais l’éternité. Désormais la musique danse une farandole endiablée, rayonnement de l’âme qui atteint le monde supérieur idéel dont notre vie n’est qu’un pâle reflet.

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    Pas de problème pour la pochette d’Unwriten  doctrins, une statue de Platon. Si toute une large partie de l’espace est peuplée d’un bleu nébuleux, peut-être est-ce pour signifier que l’essentiel de la pensée du philosophe n’est pas accessible par tout le monde.

    Comme beaucoup de philosophes antiques Platon dispensait deux sortes de cours. Les exotériques dispensés aux étudiants et les ésotériques destinés à de rares élus. Si les premiers circulaient sous forme d’écrits, l’écriture des seconds était prohibée. L’enseignement, l’acquisition et la transmission était exclusivement orale. Il ne reste rien des cours ainsi professés par Platon.  Cette tradition des enseignements non-écrits de Platon remonte à Aristote qui fut son élève. Des tentatives de reconstitution ont été élaborées. Léon Robin en reste l’initiateur. Rappelons que la traduction des œuvres de Platon  par Léon Robin, est celle de La Pléiade.  Nombre de ces dialogues ont aussi paru en collection de poche. 

    Anamenesis : (demo  Unwritten doctrins / Décembre 2020 ) :   ils exagèrent un peu nos thumosiens, l’anamenesis est largement accessible dans les écrits de Platon, les doctrines non-écrites portaient avant tout sur une analyse des déclinaisons de l’Un. Abats de catapultes battériales, la musique suit une courbe ascendante, uniquement marquée par une lente accélération. Se souvenir de ce que ou de qui l’on a été en des vies antérieures n’est pas primordial, c’est-là rester dans la sphère corporelle, la grande séparation ne réside pas entre soi et un autre, mais dans le fait que l’âme immortelle peut se souvenir des idées intelligibles, que seule la partie noétique de notre esprit est capable de réaliser. Ce morceau est un tantinet décevant, trop simpliste dans son déroulement, pas assez imaginatif. Serait-ce pour décourager les individus pas assez motivés de se lancer dans l’aventure. Emission : (idem) : Le Kr’tntreader pourra se reporter à notre étude de L’anthologie des écrits de Jim Morrison. Pas si farfelu que cela le chanteur des Doors quand il déclare que la télévision nous regarde. La lumière qui permet de voir un objet émane-t-elle de l’œil ou de l’objet lui-même. Les philosophes grecs se sont longtemps disputés sur cette question. Est-ce le monde qui nous fait signe ou nous qui faisons signe au monde. Platon adopte une position intermédiaire. Les rayons émanés de l’objet et de notre œil se rejoignent. C’est notre part divine qui rencontre le reflet du divin que sont les objets. Belle intro, la batterie a l’air de couper les cheveux en quatre et même de les hacher menu, quant aux guitares elles montent et descendent des échelles sans fin, galopades effrénées aux quatre coins du cerveau, des assertions brutales et définitives sont assénées mais l’entortillement balancé des guitares, reprend de plus belle. Sur la fin, l’on tourne à la démence. Duels où tout le monde finit par s’entretuer. Morceau bien supérieur au précédent qui semble un peu sans âme. Un comble pour Platon ! Aporia : : (idem) :  sans doute trouvez-vous que les raisonnements de Platon vous laissent dans l’expectative, que sans être d’accord avec lui, ses objections ne vous semblent pas stupides. Qu’il évoque des problématiques dans lesquelles l’on s’englue facilement. L’est vrai que Platon n’apporte pas toujours des solutions toutes faites. Semble ne pas avoir des idées bien arrêtées ! Dites-vous que ces énigmes ont le mérite de vous forcer à réfléchir. L’on dit que l’univers compressé contiendrait dans un dés à coudre, c’est cette sensation que fournit le background de ce morceau un bourdonnement touffu de basse, une guitare qui se déplace lourdement qui se cogne à tous les murs du labyrinthe dans lequel elle a du mal à se diriger. Une espèce de pachyderme arrêté par une vitre incassable, il avance mais cela ne change rien à sa situation, erre de cul-de sac en cul-de-sac, se retrouve bloqué, silence, trois coups de symboles et la bestiole fonce droit devant, elle brise les   cloisons de briques dure du dédale, peine perdue, elle n’en est pas plus avancée pou cela. La musique s’arrête brusquement stoppée dans une impasse. 

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    Avec cette couve nous changeons carrément d’époque. Bye-bye l’Antiquité, bonjour le Moyen-âge, célèbre gravure d’Albretch Dürer, Le chevalier, la mort et le diable. Ces deux titres sont tirés d’une compilation intitulée Démiurge : Le satanisme et la magie produite par Ritual Abuse Hysteria ( on y retrouve outre Thumos les groupes : Maw, Glyph, Reproach, The Bleak  ). Le satanisme et la magie est aussi le titre d’un titre de Jules Bois, vivement intéressé en ses débuts par l’ésotérisme, il côtoya l’Ordre Hermétique de l' Aube Dorée et finira par se féliciter de l’expansion du catholicisme. Le lecteur se demandera ce que nos platoniciens viennent faire dans le continent   médiéval. La réponse est donnée par l’emploi du mot Démiurge emprunté à la gnose, courant de pensée qui dans l’Antiquité tardive mélangea le christianisme à la philosophie de Plotin. Plotin, l’héritier de Platon. Platon qui lui-même utilisait le mot démiurge.

    The betrayer is come : étrangement ces titres me font penser à des figures du tarot, mais ne nous égarons pas. Pour faire le lien avec Platon disons que ce menteur est l’équivalent de la réalité qui n’est que mensonge. Ambiance sombre. Le danger est partout. Encore plus menaçant qu’on le suppose, la batterie comme un serpent qui s’enroule autour de vous, les guitares vous enlacent et tout ce magma brûlant tourne à toute vitesse. Perfidies agissantes. Silence. Pas le temps de réfléchir. L’enveloppement recommence, plus lent, mais plus puissant, se précipite, vous étreint, vous empêche de respirer, s’incruste dans votre peau, comprime vos thorax, plus le temps de respirer, vous êtes pris au piège. Un dernier effort, vous êtes mort. Know the face of the Destroyer : moins sombre, l’Adversaire n’a pas besoin de se cacher, musique qui se dresse comme une tête de reptile décidé à vous barrer le chemin. Reptations de guitares, pas de batterie qui marche u pas de l'oie sur vous sans attendre, la bête est en face de vous, la basse imite son grondement, elle crache du feu par ses naseaux, le rythme s’accélère, la tension monte. Elle attaque, vous croisez le fer avec elle, des notes de tristesse vous submergent, il va falloir quitter ce monde. Des pas se précipitent, qui vient vous apporter le grand destructeur, la mort, ou la vie. Cassette puissante. En plus maintenant vous savez que le grand destructeur possède deux faces, tout aussi fascinantes l’une que l’autre

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    THE END OF WORDS

    ( Juin 2021 )

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    Encore une pochette évidente. Gros plan sur le visage de Platon.  Question philosophie Thumos pourrait tout de même se préoccuper davantage de l’esthétique. Montrer une portion du buste suffit. Le titre, la fin des mots, est à comprendre en tant que mots ultimes. Les quatre titres correspondent à quatre des concepts cardinaux de la pensée platonicienne. Par lesquels Platon a tenté de répondre à la question, qu’est-ce que l’âme. Quelle est sa nature.

    Epithusmetikon : une vrille qui fore, qui va de l’avant, que rien n’arrêtera, l’épithusmetikon, c’est ce courage qui nous fait avancer, avoir du cœur à l’ouvrage que nous entreprenons, c’est un peu la force vitale qui nous porte, l’on pourrait s’attendre à une musique plus rapide, non elle est lente, un peu comme si vous vous arcboutez  contre un rocher et que vous le poussiez dans un corps à corps inébranlable, vous bandez vos muscles et la roche recule, doucement, vous redoublez d’effort, la vie n’abdique jamais dans votre poitrine, vous progressez doucement mais sûrement. Thumoeides : l’on reconnaît dans ce mot la racine Thumos,  ce n’est pas la colère  en tant que caprice, ou passion submergeante, mais cette force intérieure qui vous pousse à agir, la composition de ce morceau est caquée sur le précédent, la même poussée, mais beaucoup plus violente, qui bouscule les obstacles, écroulement de batterie et riffs tenaces, toute cette énergie que vous déployez est une des qualités de votre âme, qui se transformera en volonté ( de puissance ajoutera Nietzsche plus tard ), on peut la considérer comme un effluve du divin qui vous permet de vous surpasser. Guitares triomphales, qui chantent et célèbrent la nature physique de l’homme en tant qu’émanation de quelque chose de plus subtil, qui participe d’un autre plan. Logistikon : l’homme n’est pas qu’une brute animalement instinctive, la partie la plus élevée de son âme lui permet de réfléchir - musique combinatoire qui n’est pas sans évoquer une partie d’échecs, sur le damier du monde, l’esprit fomente de savantes stratégies - elle joue, elle insinue, elle pousse ses pions, elle ne se fie pas au hasard, c’est son existence qui est en jeu, guitares brillantes et nerveuses, batterie opératoire et basse impulsive, la partie n’est pas jouée d’avance, encore faut-il en comprendre l’enjeu. Pas d’incertitude, une maîtrise évidente, qui contourne les difficultés. Metempsychosis : jaillissement musical, l’enjeu était de taille, comprendre que l’âme doit se séparer du corps, coups de maillets de la batterie pour l’aider à s’en détacher. La mort n’est qu’un passage. L’âme est emportée en un immense tourbillon de guitare, elle entre dans le jeu des réincarnations, autant de fois que nécessaire pour choisir la meilleure possible, afin  d'accumuler lors des séjours dans le monde des apparences la sagesse qui vous permettra de rester dans la contemplation des Idées premières. Pas à pas, mais une montée souveraine, à vous de faire tourner la noria infatigable des destins et de vous en affranchir définitivement. La musique s’apaise, elle ressemble à l’harmonie qui préside à la danse silencieuse des sphères.

    Note :  si nous avons privilégié le mot  Colère pour traduire  le nom du groupe, au détriment d'émotions, coeur, courage, volonté, c'est que Thumos est un groupe de doom qui n'est pas une musique particulièrement planante...

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    NOTHING FURTHER BEYOND

    THUMOS

    ( Septembre 2021 )

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    Enfin nous abordons l’opus qui précéda de quelques mois la sortie de La République (voir Kr’tnt 541), il est en fait une préparation à ce dernier ouvrage. 

    The ecumene : le morceau de soixante-dix secondes sonne comme une ouverture d’opéra (hélas trop courte ) ou mieux encore mieux comme un générique de film d’aventure. Une aventure intellectuelle certes, mais surtout humaine. Le terme français écoumène ne nous parle guère, nous préférons utiliser la transcription plus fidèle au vocable grec, oikouméné qui désigne autant la terre habitée que sa population. Reste à le mettre en relation avec la pochette du disque. Cet individu solitaire dans son fragile esquif serait-il Ulysse voguant vers Ithaque, ou est-il un personnage emblématique représentant l’Homme qui se dirige vers la terre pour rejoindre ses semblables, et sur quelle mer navigue-t-il, serait-ce le fleuve Okeanos encerclant le monde habité, et les dauphins qui l’accompagnent sont-ils le symbole de l’Atlantide le mystérieux continent englouti situé au-delà des colonnes d’Hercule, cette Atlantide que Platon nous décrit comme un royaume idéal. The pillars : une première réponse nous est donnée par l’illustration du compact Disc, pas besoin d’être grand savant pour reconnaître les colonnes d’Hercules, et non pas celles d’un temple quelconque, l’inscription latine nec ultra qui signifie qu’il n’y a rien de mieux, qu’il est inutile de chercher plus loin, est à mettre en relation avec le titre de l’album : Nothing Further Beyond ( rien au-delà ) à ne pas prendre pour une revendication athée – il n’y a rien au-delà de la matière – il faut entendre que l’homme ne doit pas se perdre en des explorations lointaines, ou des rêves fumeux, qu’il doit se contenter de faire son bonheur dans le lieu de l’endroit où il est né, dans sa patrie, dans sa cité. Musique resserrée, au contraire du prologue qui ouvrait sur de vastes espaces, l’orchestration réduit la surface de nos investigations. Desséries de ricochets nous préviennent que la tâche qui nous attend n’est pas facile, elle est vaste, les guitares deviennent lyriques, l’horizon s’ouvre, si l’on ne peut s’étendre à l’infini, pour croître et bâtir l’on ne peut que monter, vers le haut pour employer une expression pléonasmatique. The noble lie : Le lecteur aura compris qu’il s’agit d’édifier, un pays, une ville correctement gouvernée, en d’autres mots une Cité qui corresponde aux préconisations du dialogue La République. Gouverner les hommes n’est pas facile, les persuader qu’ils doivent obéir et rester à la place qui leur sera impartie encore plus. L’on a donc le droit de leur mentir, non pour profiter d’eux ou les asservir, mais pour leur bien. C’est ce que Platon nomme le noble mensonge. Un exemple concret : pour les mariages les couples sont tirés au sort, égalité parfaite, mais il est nécessaire de truquer le tirage de telle manière que chacun s’allie à une personne de son niveau social. Tromperie, mais le plus important c’est que l’élite garde le pouvoir… La musique n’est pas hypocrite, elle dresse des murailles d’airain, n’oublions pas les trois remparts qui encerclaient Atlantis, n’empêche qu’ensuite les rebondissements rythmiques de la pâte sonore ont l’air de se moquer du monde, le mot bouffonnerie nous vient à l’esprit, voudrait-on nous instiller l’idée que le peuple est dévolu au rôle du bouffon de service. Si certains ne sont pas contents la batterie vous rabat le caquet, en vous tapant sur la tête, sur la fin vous avez droit à une espèce de farandole hilarante, une réunion de beaufs que l’on distrair en leur faisant danser la chenille. Que le peuple s’amuse et soit heureux. The dilemme : cette manière d’agir peut causer des remords de conscience. Evidemment c’est pour le bien du peuple et le bien provient des Dieux. Tout de même si l’on se déclare pieux – c’est-à-dire que l’on agit dans le respect des Dieux (Louis XIV roi de droit divin avait simplifié la formule ) – est-on pieux parce que l’on est aimé des Dieux ou les Dieux nous aiment-ils parce que nous sommes pieux. Gros dilemme. En d’autres termes sommes-nous favorisés par les Dieux, ou les Dieux nous aiment-ils parce que nous sommes naturellement pieux. Sous-entendu : le pouvoir que nous détenons le devons-nous à nos mérites ou aux Dieux. Autrement dit quelle est la légitimité du pouvoir politique. Platon ne prend pas parti. Qui saurait parler à la place des Dieux… S’en sort en déclarant qu’être aimé des Dieux et être pieux sont deux choses de natures différentes, l’on n’additionne pas des vaches avec des chevaux vous a-t-on appris à l’école. Thumos ne s’attarde pas sur ces subtilités, à peine expose-t-il le problème en moins de deux minutes, use de grandiloquence, sans doute est-ce la seule manière de faire ressortir l’importance du sujet qui pourrait apparaître comme d’ineptes arguties aux esprits primesautiers. The chariot : pas idiot Platon, quand la face nord d’une montagne est trop glissante on l’attaque par la face sud. Non on ne l’escalade pas avec un char (fût-il de guerre). Non le chariot n’est pas autre chose que votre âme qui après votre mort s’envole vers le monde des idées. A vous, lors de votre existence, de bien maîtriser vos chevaux, le blanc qui représente votre intelligence ne se laisse pas distraire, il est déjà sur la route qui vous mènera vers le lieu convoité, hélas le noir chargé de tous vos désirs terrestres n’a qu’une envie, celle de   brouter l’herbe juteuse des verts pâturages. S’il prend le dessus, votre âme retournera en exil sur notre planète, comme au jeu des petits chevaux, vous restez bloqué dans l’écurie et vous refaites un tour pour rien. Comment rendre la course de l’âme, Thumos a choisi celle de l’étoile filante qui ne dévie pas de sa trajectoire et file droit, les cymbales jouent le rôle des soubresauts du moreau qui renâcle, mais le blanc le force à galoper dans la bonne direction, le noiraud freine, l’on ne sait plus sur quel galop danser, lequel des deux prendra le mors aux dents, espérons aucun, les cymbales claquent comme des coups de fouets sur des croupes rebondies, c’est le cocher qui doit guider et pas les chevaux, ralentissement, est-ce une reprise en main, arrêt brutal. Vous avez perdu. Tilt ! The great beast : qu’est-ce que cette grosse bête. Quel monstre cache-telle, est-ce un tigre rugissant, un rhino-féroce, un dragon cracheur de feu, voulez-vous comme Alexandre le Grand vous ruer sur votre épée pour affronter seul à seul un lion sauvage, pas la peine. La grosse bête est en vous. Elle grouille dans votre sang, dans vos entrailles, elle est la somme de tous vos désirs, de toutes vos turpitudes. Vous avez intérêt à vous en rendre maître, à dominer vos instincts bestiaux, sans quoi vous êtes perdu. Très logiquement le morceau commence comme le précédent a terminé. Peu à peu vous apercevez que le rythme piétine, la batterie a beau produire des roulements, elle tire sur le démarreur mais le moteur ahane, vous êtes dans la mouise complète, la musique vous entoure, elle vous cerne, elle vous suit comme une ombre, elle prend même comme une teinte funèbre, devient un peu pesante, juste pour que vous compreniez que vous pédalez malgré tous vos efforts dans votre propre caca, tant pis pour vous, trop tard !  Vous avez compris votre seule chance de réussite, lire les explications et la méthode à suivre dans la République de Platon. Pour ceux qui n’aiment pas lire, vous avez de la chance, le disque suivant de Thumos en est justement une transcription musicale.

    Tous ces titres sont repris sur la compilation Allegories & Metaphors dont nous vous laissons admirer la double pochette intérieure.

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    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    Episode 20

    Charlie Watts semble hésiter, sa main droite farfouille l’espace, sa gauche semble chercher quelque chose à l’intérieur de sa veste. Ses yeux se voilent d’incertitude. La voix du Grand Ibis Rouge tonne :

    • Charlie, vous aviez promis, vous vous êtes engagés, vous êtes devenus grâce à ma protection le plus grand groupe du monde, mais n’oublie pas Charlie, la mort c’est comme la vie, donnant-donnant, obéis Charlie, sinon ma colère sera terrible !

    Mon esprit alerte saisit la balle au bond :

    • Charlie ne l’écoute pas, votre talent seul est responsable de votre succès planétaire, cet ibis de malheur raconte des mensonges, regarde, il ne peut rien contre nous, nous avons réussi le contre-rituel de protection, ce n’est qu’un épouvantail incapable de faire peur à une volée de moineaux !

    Avez-vous déjà entendu un ibis rouge ricaner ? C’est une expérience difficile à supporter, des milliers de grenouilles coassent à l’intérieur de votre oreille gauche, la droite n’est guère mieux lotie, je ne sais pas trop à quoi ça ressemble, j’opterais pour un hennissement de dinosaure englué dans une toile d’araignée géante, je peux me tromper, sachez que l’effet est en même temps horrible et lugubre. Heureusement après deux rafales de rires strénogoïque, le GIR se remet à parler :

    • Arrêtez de me faire rire avec votre contre-rituel de protection, sachez qu’il n’existe aucune parade à l’action de Charlie, lorsque je lui insuffle l’énergie ibisique il se transforme en une espèce de guerrier zombïique que rien ni personne ne peut arrêter, n’est-ce pas vrai Charlie, dis-le leur avec tes mots à toi, ils te comprendront mieux.
    • C’est vrai, balbutie Charlie – il se rassoit – je vais tout vous raconter…

    Les filles poussent des soupirs de soulagement. Le Chef en profite pour allumer un Coronado.

    • C’est une vieille histoire – Charlie parle-vite, l’on sent qu’il a envie de lâcher le morceau, un peu comme vous à la confesse quand vous révéliez au curé vos turpitudes morales – c’est en 1967, l’année où nous avons sorti Flowers – les filles se mettent à chanter en chœurs Let’s spend the night together, ce titre a l’air de les mettre en joie, Charlie n’est pas d’accord – mais non c’était un titre pour les garçons, nous avions dédié aux jeunes filles quelque chose de plus romantique comme Lady Jane!
    • Continuez Charlie, damoiselles taisez-vous, les vrais rockers préfèrent Have you seen your mother, baby, standing in the shadows ? Ah ! si vous aviez continué avec ce genre de monstruosité, regrette le Chef en exhalant douze ronds de fumées emboîtés les uns dans les autres !
    • Sûrement… Charlie ferme les yeux, le souvenir lui est manifestement pénible… Ce ne sont pas les chansons qui sont à ‘origine de l’affaire !
    • La pochette, j’en suis sûr, s’exclame Joël, je la visualise très bien avec les cinq fleurs dont vos figures forment les corolles ! Je ne vois pas en quoi…
    • Nous non plus, it was funny, quelques mois après nous avons été contactés par un homme d’affaires
    • Un de mes émissaires, le Grand Ibis Rouge s’immisce dans la conversation, un chantage, un petit chantage de rien du tout !
    • Des millions de dollars s’insurge Charlie, l’avait tout un tas de journalistes qui préparaient des articles affirmant que l’espèce de tulipe sur laquelle repose la tête de Keith était une fleur de chanvre, que l’on faisait la promotion de la drogue, le gouvernement et la Reine étaient prêts à soutenir l’entourloupe, l’on était dans de sales draps, pire que l’affaire de Jerry Lou et son mariage avec sa cousine !
    • Et vous avez payé ?
    • Vous savez, moi et l’argent - le Grand Ibis Rouge, vous a une voix mielleuse à engluer les ours polaires – que ferai-je de quelques millions de dollars, je suis le maître du monde, tout m’appartient, rien n’est à vous.
    • Non on n’a pas payé, on a passé un deal. Un bon deal d’ailleurs. L’émissaire nous a dit que son patron adorait les Stones, qu’il voulait simplement que l’on chante une chanson qu’il avait composée… Au début on a rigolé, l’on croyait avoir affaire à un hasbeen… mais quand on a vu la chanson et les accords, l’on s’est aperçu que c’était un superbe morceau, bien supérieur à tout ce que l’on avait créé auparavant… c’était sympa, d’autant plus qu’il nous laissait les royalties… alors on a signé, un bon contrat, le meilleur !
    • J’ai toujours pensé que j’étais un bienfaiteur de l’humanité, coasse le Grand Ibis Rouge, un véritable philanthrope !
    • De plus en plus passionnant - le Chef relâche de gros nuages de fumée, l’on dirait de grosses bulles qui se seraient échappées d’une bande dessinée géante pour aller visiter le monde – je suppose que cette chanson était Sympaty for the Devil!

    Sur ce pris d’une étrange frénésie nous nous mettons tous à hululer, hou-hou ! hou-hou ! hou-hou ! et Charlie revigoré par notre entrain mime le rythme sur une batterie imaginaire. L’en est tout ragaillardi, le sang afflue à ses pommettes, j’improvise des paroles, please let me allow myself, I’m the great and red ibis, i’m the king of the universe, le Coronado du Chel relâche maintenant d’énormes nuages noirs de fumée, les mêmes qu’envoyèrent à Little Big Horn les guetteurs Cheyennes avant de scalper les tuniques bleues…

    Etrangement le Grand Ibis Rouge n’a pas l’air d’apprécier notre interprétation de son chef-d’œuvre, tous les goûts sont dans la nature, toutefois avec Charlie dans l’équipe, nos cœurs féminins et les effets spéciaux du Chef, ce n’était pas mal du tout. Vous remarquerez ma modestie qui a préféré ne faire aucune allusion à ma performance vocale, car l’on ne saurait en toute équité être juge et partie. Bref l’ibis rouge pique une crise de colère noire :

            _ Charlie, prends ton bec et tue-les tous !

       _ Ô mon maître vénéré, ô grand Ibis rouge sang, je suis prêt à exécuter tes ordres, mais les chiens ont subtilisé l’arme sacrée et l’ont cachée je ne sais où !

        _ Tu tueras ces pâles bêtes en premier, je veux que ce soient l’agréable odeur de leur charogne qui vienne en premier chatouiller agréablement mes narines !

          _ Oui, mon maître adoré, les chiens en premier et tous les autres après, que la pestilence de leurs cadavres ensanglanté soit l’encens qui monte pour honorer ta royauté, mais je n’ai pas d’arme !

    Il y eut un sifflement, un long objet métallique pointu et cylindrique se ficha dans le sol à quelques mètres de nous

          _ Prends, serviteur fidèle et accomplis ta tâche !

                                                                                                                                A suivre…   

  • CHRONIQUES DE POURPRE 541 : KR'TNT 541 : ROBERT GORDON / LIAM GALLAGHER / CHEAP TRICK / WILLIE COBBS / THUMOS / TWO RUNNER / ILLICITE / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 541

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 02 / 2022

    ROBERT GORDON / LIAM GALLAGHER

    CHEAP TRICK / WILLIE COBBS

    THUMOS / TWO RUNNER   / ILLICITE /

     ROCKAMBOLESQUES

    Gordon moi ta main et prends la mienne

     - Part Three - Book me Bob

     

             Memphis Rent Party date de 2018. Robert Gordon opte cette fois-ci pour un recueil d’articles, le but étant de proposer une collection de portraits hauts en couleurs, comme le fit Apollinaire en son temps avec Contemporains Pittoresques. On y retrouve les incontournables, Sam Phillips, Charlie Feathers, Jim Dickinson, Alex Chilton, Tav Falco, Jerry Lee, Bobby Blue Bland et d’autres personnalités plus underground comme Junior Kimbrough, James Carr et Otha Turner.

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    Le personnage clé de ce recueil étant bien entendu Memphis - Memphis - my Memphis - likes the unquantifiable. Nashville, New York, and Los Angeles, they promise stardom - Il ajoute que si Elvis n’avait pas démarré à Memphis mais dans l’une de ces trois autres villes, il serait devenu une pâle imitation de Perry Como. Bien vu, Bob. Dickinson rappelle que Memphis ne sera jamais Nashville - We’re a bunch of rednecks and field hands playing unpopular music - Dickinson a toujours su se montrer fier de cette marginalité péquenaudière. Et pour introduire le chapitre consacré au juke-joint de Junior Kimbrough, Robert Gordon ressort le vieux théorème de Danny Graflund : «Memphis is the town where nothing ever happens but the impossible always does.» L’auteur ajoute qu’à Memphis les loyers sont moins chers, les jours plus longs et on y tolère beaucoup moins le narcissisme qu’ailleurs. Fin philosophe et accessoirement inventeur du rock’n’roll, Sam Phillips indique que the perfect imperfection est une manière de définir the Memphis approach to art. Et dans son intro, Robert Gordon travaille sa vision au corps : «Il y a une profonde vérité dans notre blues, dans notre rock’n’roll, dans notre Soul et c’est pourquoi ces trois explosions ont transcendé leur époque. Chacune d’elles reste un modèle, vibrant et référentiel. Chacune d’elle fut inspirée par une défiance envers les normes sociales, par la misère et l’orgueil, par une soif de nouveauté et de différence. Memphis ne s’intéresse pas à l’instant présent, mais à l’horizon. La générosité de Furry Lewis et d’Odessa Redmond m’a beaucoup appris. J’ai découvert, grâce à tous ces musiciens, blancs et noirs, s’efforçant de lutter contre la haine, la paresse et l’ignorance, que le très grand art peut exister dans l’ombre.» Robert Gordon définit clairement ce qu’on ressent confusément.

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             Tiens, puisqu’on parlait de Sam. Selon Robert Gordon, Sam n’est pas tout rose - The devil is in the details and Sam welcomed the demons - C’est en fait une invitation à entrer dans l’épais Sam Phillips de Peter Guralnick. On croit tout savoir et on ne sait rien. Comme dit Keef, ça vaut la peine d’étudier. Tiens, puisqu’on parle de Keef, Robert Gordon n’hésite pas à comparer Mud Boys & the Neutrons aux Stones, en insistant tout de même sur une petite différence : si les Stones avaient appris directement auprès des bluesmen originaux plutôt que des disques, ils auraient pu sonner comme Mud Boy qui eux avaient appris auprès des bluesmen originaux. Gordon enfonce le clou en ajoutant que Mud Boy privilégiait la personnalité plutôt que le spectacle, et donnait à sa musique de l’espace pour respirer. Et comme si cela ne suffisait pas, Dickinson grommelle : «I have something Mick Jagger can’t afford.» Pas la peine de faire un dessin. D’ailleurs, c’est Dickinson qui se tape la part du lion dans ce recueil de portraits plus vivants que nature. Prophétique, comme toujours, il déclare : «The art form of the twentieth century is undeniably music. And the most important thing that has happened to music happened in Memphis. It’s like being in Paris at the start of the twentieth century. Culture has changed as much in the last twenty years as it did then, and the reason has been music.» En matière de vision, Dickinson fait autorité. Pourquoi ? Parce qu’il sait. Pour avoir étudié, d’une part, et pour savoir réfléchir, d’autre part. Robert Gordon ressort pour l’occasion une interview de Dickinson datant de 1986 et jamais publiée. Quand on lui demande de décrire Mud Boy, Dickinson répond que Mud Boy est un esprit qu’on tente d’invoquer, de la même manière que les Pygmées de la rain forest invoquent le shaman. Il revient aussi sur Alex Chilton pour rappeler qu’à l’époque des Box Tops, il était salement exploité - Alex never received the royalties for anything until Flies On Sherbert, you can imagine how much he made on that - Alors Alex se livra au sabotage systématique - On Big Star 3rd, I watched Alex sabotage every song that had real commercial potential - Dickinson revient à un moment sur sa vision du métier de producteur : «Straight people are afraid of artists, and I am an artist, and a lot of producers aren’t. And that scares record company people, the idea of, This guy thinks it’s art not business.» Et il se demande bien pourquoi tout devrait être un hit - What a sick idea - All I do is make things sound better - En en matière de southern production, il n’y a plus grand monde qui fasse aujourd’hui ce que je fais - Plus loin, Dickinson rend un sacré hommage à Paul Westerberg - Westerberg is way better than anybody gives him credit for. It may be the best stuff I’ve ever done. The Replacements even have a song called ‘Alex Chilton’ - Pour revenir aux Stones, Dickinson pense qu’Exile On Main Street est un album ruiné par la cocaïne et qu’un simple album aurait largement suffi - Keeping the slop, that’s what I’d keep - Il fait aussi la lumière sur sa shoote avec Dan Penn. Ils avaient enregistré 8 ou 9 cuts et il y eut un problème de fric, alors Dickinson s’est barré. Pour se venger, il a produit le Big Star 3rd que voulait produire Dan - I think revenge is the noblest human motive - Questionné sur Jerry McGill, Dickinson indique qu’il a enregistré d’excellentes choses avec lui. On les trouve d’ailleurs sur le disque audio qui accompagne le DVD Very Extremeley Dangerous, un docu qu’a tourné Robert Gordon sur McGill. Le titre de l’album de Mud Boy Known Felons In Drag vient de McGill qui était le road manager de Waylon Jennings. McGill était recherché par les flics, et pour leur échapper, il se déguisait en femme. Mud Boy jouait en première partie de Waylon Jennings et Sid Selvidge reconnut McGill - Yeah that’s got to be McGill or that’s the ugliest woman I ever saw - Alors McGill lui aurait dit : Known felons in drag. S’il est un autre personnage sur lequel Dickinson ne tarit pas d’éloges, c’est bien sûr Tav Falco, qu’il appelle Gus, diminutif de Gustavo. La première fois qu’il le vit chanter, ce fut avec une version de «Bourgeois Blues» en forme de happening. Tav tailla sa guitare à la tronçonneuse, tomba dans les pommes et aussitôt après, Alex vint lui proposer de monter un groupe avec lui - And that was the birth of Panther Burns - Et puis quand Tav faisait son numéro du three-legged man, il épatait toute la galerie. Jerry Phillips disait : «The three-legged man is just the best thing I’ve seen since the bullet.» The bullet ? Ça ne vous rappelle rien ? Dickinson en fait une description fascinante dans son recueil de souvenirs, I’m Just Dead, I’m Not Gone. Le chapitre que Robert Gordon consacre à Dickinson fourmille littéralement d’aphorismes. Par exemple, Dickinson sort ça sur les Klitz : «They didn’t know what the notes were, they knew when the notes were.» Et Robert Gordon conclut en revenant sur le chaos de Sherbert : «The chaos of Like Flies On Sherbert was intentionally developped. Memphis wasn’t about getting it right or wrong, it was about getting it.»

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             On plonge à la suite dans un tourbillon de négritude céleste, à commencer par Lead Belly. Les Lomax le rendirent populaire, mais en même temps, ils en firent leur valet et leur chauffeur. On appelle ça la complexité relationnelle. Plus loin, on apprend que la famille de Robert Johnson n’a jamais reçu d’argent ni pour The Complete Recordings, ni pour les reprises des chansons, ni pour l’utilisation de cette photo où on le voit jouer de la guitare avec une cigarette au bec et que tout le monde utilise jusqu’à la nausée. Joli portrait de Junior Kimbrough, big man, with an air of quiet violence, simmering sexuality and raucous good times. On servait de la fruit beer dans son juke-joint et Robert Gordon voyait des gens tomber dans les pommes - Might have been the fruit beer - On voit aussi le professeur de philosophie africaine Otha Turner donner un cours de fifre à Robert Gordon - You got to know how to know it - ça s’applique au fifre, mais aussi à tout le reste. Puis voilà Bobby Bland, qui n’avait pas de chaussures étant petit et qui adulte s’habillait chez un tailleur. Bobby appelle son grognement un ‘squall’. Peter Guralnick disait de Bobby qu’il avait des ‘sad, liquid eyes’. Autre black de base en termes de Memphis Rent Party, James Carr qui, rappelle Robert Gordon, était adulé au Japon, en Europe, partout dans le monde, sauf à Memphis - He was just another minority dude on welfare - Quinton Claunch rappelle qu’une nuit on tapa à sa porte : il y avait trois blackos, James Carr, O.V. Wright et Roosevelt Jamison. Ils avaient une cassette et un petit lecteur cassettes. Ils s’installèrent à même le sol dans le salon pour écouter la cassette et Claunch fut tellement emballé qu’il fit paraître deux singles sur Goldwax. On tombe bien évidemment sur l’excellent portait photographique que fit Tav Falco de James Carr, près du pont qui franchit le fleuve, à Memphis. On peut lire une interview accordée par James Carr, que l’auteur accepte enfin de publier. Le pauvre James Carr y semble très perturbé, convaincu qu’un autre homme est entré dans son corps. Gordon lui demande : «What was the cause of the switch ?» et James lui répond : «Lost in a dream.» Ces gens sont tellement forts qu’ils transforment tout en poésie. Ailleurs, ça relèverait de la psychiatrie.

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             Restent les géants blancs, Charlie Feathers, Tav Falco, Alex et Jerry Lee. Rien qu’avec ces quatre mousquetaires du Memphis Sound, on a largement de quoi faire. Voilà ce que dit Charlie  : «Rockabilly is the beginning and the end of music.» Et il a raison. Quand Robert Gordon le rencontre, Charlie a le souffle court. On vient de lui enlever un poumon. D’ailleurs il chique, parce qu’il n’a plus le droit de fumer. On voit même une photo de Charlie en train de cracher son jus de chique. Ben Vaughn dit de lui : «He’s so far into the music that he is, in my opinion, a genius. Like we think of jazz greats : Sun Ra or Mingus or Monk.» Et Ben ajoute : «He’s never given up on rockabilly, and he continually redefines it in his mind.» Robert Gordon rappelle le lien de maître à élève qui existait entre Charlie et Junior Kimbrough. Memphis, yeah. Un vrai conte de fées. Que des gens fascinants. Inutile de chercher, tu ne trouveras pas ça ailleurs. Il existe aussi un lien de parenté artistique entre Tav Falco et R.L. Burnside, les two-chord blues drones et l’early rockabilly, cocktail dans lequel Tav rajoute le tango et la samba. Pour Tav, ce qui compte, c’est l’aesthetic, plus que la virtuosité. Très tôt, il a les idées claires. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il s’entend si bien avec Dickinson. Si Tav admire tant Artaud et son Théâtre de la Cruauté, c’est parce qu’il apporte un strong sense of drama on his stage, comme d’ailleurs les grands bluesmen. Tav s’est donc employé à transposer cette théorie sur un groupe. En plus, il partageait la scène avec les gens qu’il admirait : Charlie Feathers, Cordell Jackson, Jessie Mae Hemphill, Otha Turner - Tav alerted a new generation to their existence - Comme le firent le Cramps avec Hasil Adkins et The Phantom. Tav étudiait le blues : «J’ai vu Sleepy John Estes de Brownsville et Hammie Nixon l’accompagnait en soufflant dans une cruche. Bukka White chantait «Parchman Farm Blues» et jouait sur son dobro avec un cran d’arrêt. J’ai vu Nathan Beauregard à 91 ans jouer «Highway 61 Blues» et passer un solo de guitare électrique comme je n’en ai jamais revu depuis. Mississippi Fred McDowell est le plus grand bluesman gothique qui soit. Et j’ai vu the Jim Dickinson Band accompagner Ronnie Hawkins.» Tav raconte aussi comment il est devenu l’assistant de Bill Eggleston - So for me there’s been no separation between literature and theater and visual art and blues and rock and roll and jazz. And this is my formative experience - Robert Gordon et lui évoquent évidemment le fameux Stranded In Canton filmé par Bill Eggleston avec très peu de lumière et une pellicule ultra-sensible. Il évoque aussi le Big Dixie Brick Company, lorsque Randall Lyon et lui animaient les shows de Mud Boy & The Neutrons - A rock and roll Dionysian context. Randall was doing his Guru Biloxi characterization, dressed in a very flowing Blanche DuBois-in-her-terminal-stages-of-dementia type presentation - L’épisode Tav est particulièrement hot, car c’est un écrivain qui s’adresse à un écrivain, un souffle qui croise un autre souffle. Et Tav prend un malin plaisir à rappeler que dans Panther Burns, personne ne savait jouer, ni Eric Hill, ni Ross Jonhson, et encore moins Tav. Sauf Alex, bien sûr. Ils feront d’ailleurs la première partie des Clash lors d’une tournée américaine - My little four piece doing this strange blues - Évidemment, les gens n’y comprenaient rien. Et Tav évoque avec amusement ce concert de Knoxville qui faillit dégénérer en émeute. Tav raconte qu’il s’arrêta en plein milieu de «Tina The Go Go Queen», provoquant un sacré malaise, avant de redémarrer avec «Bourgeois Blues». Et sur sa lancée, Tav se refend d’un bel hommage aux Cramps : «Critics write off the Cramps as a novelty band, and that’s absurd.»

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             Tiens justement, puisqu’on parlait d’Alex, le voici. Robert Gordon raconte qu’en 1977, quelques mois avant les Sex Pistols, Alex montait sur scène et punk-rockait, accompagné de Sid Selvidge au piano, Dickinson à la basse et le garde du corps Danny Graflund au chant - Several months before the Sex Pistols came to Memphis, Alex Chilton pulled back the horizon and let us hear the imminent thunder - Robert Gordon insiste : Alex, les Cramps, Tav et Dickinson se sont tous influencés les uns les autres, ils ont tous su repousser les limites et ont des racines dans le son du passé - And those past sounds were local - You think Elvis wasn’t a punk ? - Bravo Robert ! Bien vu ! Oui, car la filiation est d’une effarante justesse. Robert fréquente Alex mais ne se sent pas l’aise avec lui. Il en parle à Dickinson qui lui répond que c’est la même chose pour tout le monde - Everyone does.

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             Parmi les albums que Robert Gordon cite en référence dans Memphis Rent Party, on trouve celui de John Gary Williams sur Stax. Il s’y niche un très beau «Honey», assez proche de l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil. John Gary Williams a cette facilité de pouvoir sonner juste dans la beauté blanche. Il travaille sa chanson à l’élongation maximaliste et atteint l’horizon sans effort. Il leste son ampleur de belles lampées de feeling black et atteint à une sorte d’émancipation. Oui, John Gary Williams vise le mellow, il va parfois sur Marvin («I See Hope»), parfois sur Sam Cooke («I’m So Glad Fools Can Fall In Love») et vise clairement le slow groove de charme intense avec «Ask The Lonely». C’est avec «How Could I Let You Get Away» qu’il atteint à l’excellence staxy. Il flirte avec la Soul blanche, comme Freddie North, mais il finit toujours par redresser la situation en shootant ce qu’il faut de feeling black. Il met en œuvre une délicatesse qui en dit long sur sa configuration. Son feeling reste toujours d’une grande justesse. Il laisse les flûtes bercer nonchalamment «Open Your Heart And Let Love Come In» et il termine en sonnant comme Marvin dans «The Whole Damn World Is Going Crazy». John Gary Williams ne tombe pas du ciel : il chantait dans les Mad Lads qui pour une raison X n’ont pas connu le succès des autres têtes de gondole Stax. 

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             Comme il le fit précédemment avec It Came From Memphis, Robert Gordon joint à son livre Memphis Rent Party ce qu’il appelle un companion disk. L’album vaut le détour, ne serait-ce que parce qu’il en a constitué le track-list. On y retrouve l’extraordinaire «Desperado Waiting For A Train» de Jerry McGill, mais le cut qui emporte la bouche est le duo Luther Dickinson & Shade Thomas qui suit. Ils tapent une version de «Chevrolet» absolument superbe - They channel  Memphis Minnie through fife & drums greats Ed & Lonnie Young, nous dit Robert Gordon. Luther et Shade sont bien sûr les descendants des lignées royales Dickinson et Otha Turner. L’autre gros coup de Jarnac est le «Frame For The Blues» de Calvin Newborn. Complètement irréel de beauté. Calvin : «I used to think I could fly !» On trouve aussi un «All Night Long» de Junior Kimbrough enregistré par Robert Gordon chez Junior, justement - A cabin surrounded by acres of cotton fields - Il chante avec une niaque invraisemblable. Parmi les autres luminaries présents sur cette compile se trouvent aussi Furry Lewis, Alex Chilton et les Panther Burns avec «Drop Your Mask», one of the earliest art damage recordings. Robert Gordon nous dit aussi que Jerry Lee s’ennuyait à Nashville où il enregistrait pour Smash/Mercury, alors il revenait à Memphis enregistrer des trucs comme «Harbour Lights». On entend aussi Charlie Feathers roucouler à la lune dans «Defrost Your Heart». Robert Gordon l’admire tellement en tant que chanteur qu’il le compare à Sinatra et à George Jones. C’est Dickinson qui referme la marche avec «I’d Love To Be A Hippie», un big heavy blues - If you ever see a hippie, baby/ Walking down the road...

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Robert Gordon. Memphis Rent Party. Bloomsbury Publishing 2018

    Memphis Rent Party. Fat Possum Records 2018

    John Gary Williams. John Gary Williams. S*

     

    Pas de vague à Liam

     

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             Dans As It Was, le docu qu’ils consacrent à Liam Gallagher, Gavin Fitzgerald et Charlie Lightening n’y vont pas de main morte : Liam serait selon eux le dernier grand chanteur de rock en Angleterre. Et ils ont raison, mille fois raison, et vive l’arrogance des frères Gallag ! Bourdieu dirait : Insulter la terre entière, oui, mais à condition d’enregistrer de grands albums.

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    L’histoire d’Oasis n’est rien d’autre que ça, une histoire de grands albums et on n’a pas fini d’en faire le tour, car chaque fois qu’on remet le nez dedans, on s’effare dans la nuit. Les frères Gallag sont en plein dans l’équation magique de Totor : the voice + the song + the sound. Oasis est ce qui est arrivé de mieux à l’Angleterre après les Small Faces, les Pistols et les Mary Chain, c’est la quatrième vague, la vague géante qui a tout balayé et aujourd’hui Liam enfile sa parka pour aller rocker son fookin’ shit sur scène, car bien sûr, il n’est pas question pour lui de se débiner. Lightening prend le parti de nous montrer un Liam qui boit de l’eau et qui fait du sport, qui voyage avec ses fils et sa poule. Il essaye d’en faire un agneau. Liam Gallag un agneau ? Tu déconnes Charlie ! Sur le pont de San Francisco, Liam prend sa meilleure mine de lad pour annoncer au monde entier qu’il prend deux grammes avant de monter sur scène et ajoute en se marrant qu’avant il lui en fallait huit. C’est la seule trace de coke en une heure trente, mais fuck, comme elle est belle ! Lightening ne filme pas assez Liam sur scène, dommage, car comme on va le voir tout à l’heure, les cuts de ses deux albums solo sont fookin’ good. Et puis il y a ces coiffures de petites mèches, ces gueules de rockers anglais dont on ne se lasse pas, ces lunettes à verres teintés. À une époque, Liam se coiffait comme Ian McLagan. Comme les frères Gallag insistaient beaucoup sur le look, ils firent entrer dans le groupe Andy Bell et Gem Archer qui eux aussi arboraient des coupes McLagan. Mais de tous, le plus réussi, c’est Liam. Et puis il y a cette voix. Il fut le seul à pouvoir rivaliser de fookin’ sneer avec John Lydon. La morale de cette histoire est que Liam incarne encore aujourd’hui l’énergie du rock anglais. Il balaye d’un geste toutes les litanies et tous les pronostics à la mormoille : non le rock n’est pas mort.

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             C’est en 1994 qu’Oasis rallume le feu sacré du grand rock anglais avec Definitively Maybe. On le sent dès «Rock’n’Roll Star». Tu prends le son en pleine poire, c’est percuté au power direct. Tout éclate avec le son mordoré des guitares dans l’embrasement d’un soir d’apocalypse et la voix de Liam éclot comme la rose de Ronsard dans le pire bucketfull of punk-blues de tous les temps. On a là le plus gros blastoff d’Angleterre depuis «Gimme Shelter». Oui, ils s’inscrivent dans cette lignée et dans cette tradition du claqué d’Union Jack sur les océans du monde. Ces mecs surjouent leur génie sonique. Mais tout ceci n’est rien en comparaison de ce qui arrive plus loin : «Columbia». Le ciel s’y écroule sous les coups de boutoir combinés du heavy beat et des power chords. C’est l’une des intros les plus monstrueuses de l’histoire du rock. Impossible d’échapper à cette emprise. Liam chante à l’envers dans l’enfer du coulé de lave sonique. Ils vont encore plus loin que les Stones, ils manœuvrent leur rock dans une mer de feu. Voilà encore une preuve de l’existence du diable. Au fond, les frères Gallag ne font qu’appliquer la formule magique : une vraie chanson + une vraie voix + un vrai son, formule qu’ont aussi utilisé les Pistols, les Stones,  les Stooges et bien sûr Phil Spector, l’inventeur de la formule. Et puis t’es encore baisé avec les arpèges de «Supersonic». Le chant plante le décor dans le cœur du vampire. Liam fait du punk de ‘Chester dans un chaos de guitares disto. Et dire qu’il y a des gens qui contestent la suprématie d’Oasis ! Nouveau coup de semonce avec «Shakermaker» et un Liam propulsé en première ligne par une vague géante de heavy chords. Il chante à la pure heavyness. On a là une inlassable fournaise de son sub-coïtal. Ces mecs touillent à n’en plus finir et passent maîtres dans l’art des retours de manivelles. Noel veille sur tout ce bordel en composant des hits. Ils claquent le beignet de «Bring It Down» à l’extrême, Liam tartine sa mélasse sur une prod en acier de Damas. Ils font même du glam avec «Cigarettes & Alcohol», alors t’as qu’à voir. C’est joué à l’eau lourde et Liam chante comme un dieu viking. Même les petits cuts d’entre-deux sont de belles choses. Les frères Gallag ne produisent pas de filler comme le firent les Stones d’Exile qui étaient alors en panne. Et les balladifs d’Oasis sont infiniment plus sexy que ceux d’Aerosmith. Avec «Slide Away», les frères Gallag créent de la magie, à cheval sur la Beatlemania et ‘Chester. Quelle classe ! Les sauts de Liam sont ceux d’un saumon.  

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             La conquête du monde se poursuit l’année suivante avec (What’s The Story) Morning Glory ? C’est là qu’on trouve «Some Might Say» et son intro de rêve. C’est blasté dans l’os au boogie down avec un Liam pris dans l’épaisseur du son. Ses descentes de chant sont uniques dans l’histoire des descentes. Il y a quelque chose de pathologiquement seigneurial chez les frères Gallag. Personne ne pourra jamais leur enlever ça. Tout aussi explosé de son, voilà «Morning Glory». Liam parvient à se hisser par dessus cette barbarie sublime. Ce mec chante son wake up dans une foison de déglutis, dans une véritable dégoulinade d’essaims, c’est un miracle sonique. Un solo nage dans la fournaise, quelle provocation ! Puis on entend les guitares voler dans l’air, c’est la première fois qu’on assiste à un tel phénomène productiviste. Ils jouent «Roll With It» au heavy beat de ‘Chester. C’est plus pop, mais révélateur d’une vraie nature. Ils ont du son à n’en plus finir. Mais ils commencent à boucher les trous avec du filler, comme les Stones d’Exile. L’album est bon, mais pas du niveau du précédent. Ils terminent avec «The Champagne Supernova». C’est le côté marrant d’Oasis, un brin putassier, comme s’ils essayaient de convaincre au plan commercial, mais ça retombe comme un soufflé. Bon, c’est vrai qu’ils ramènent des gros moyens, Liam peut faire son wa-wa-wa, il y a du monde derrière, mais leur truc se barre en sucette à force de surcharge.  

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             Be Here Now est l’album du grand retour. On peut même parler de trilogie définitive. Graphiquement, les trois pochettes s’inscrivent dans l’inconscient collectif. Be Here Now grouille littéralement de coups de génie. «Do You Know What I Mean» donne le ton, bardé de son, mais un son plus éclaté dans le spectre. C’est une prod déflagratoire truffée de rafales de wah. Et puis voilà qu’arrive «My Big Mouth», encore plus overwhelmed. Ces mecs battent tous les records de violence consanguine du sonic trash. C’est bombardé dans la gueule du pacte germano-soviétique, ça rampe dans le son avec un Liam complètement demented. On sent le froid de l’acier des empereurs du rock anglais, le clan du power northerner, pas de pire purée de son sur cette terre ! Il faut aussi les voir partir en maraude avec «I Hope I Think I Know». Ils tombent tout de suite sur le râble du son. Personne ne peut échapper à ça. Toujours âpres au gain, les frères Gallag tapent dans le tas du rock et ça explose en bouquets d’étincelles surnaturelles. Ils travaillent à l’Anglaise, au shake de shook et c’est mélodiquement parfait. Ça continue avec le morceau titre, bien stompé des Batignolles, ils jouent leur carte favorite, celle du big heavy Oasis avec des options plein les manches - Kickin’ up a storm from the day I was born - C’est carrément Jumping Jack Flash. On reste dans les exactions avec «It’s Getting Better (Man)». C’est là qu’Oasis devient irréversible, dans ces rafales d’ultra-son demented. Quelle bombe ! Les accords coulent dans le moule de la mélodie chant, aw my Gawd, il n’existe rien de plus powerful. Ils sont dans l’absolu du rock anglais. Ils jouent ça ad vitam eternam. C’est du double concentré de tomate anglaise, avec les guitares du paradis et le chant qui va avec. On n’en finirait plus avec les frères Gallag.

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             Standing On The Shoulders Of Giants casse l’esthétique des trois premières pochettes. Autre surprise : les frères Gallag ramènent du hip-hop dans «Fucking In The Bushes», mais les guitares reprennent vite le dessus. Ils tentent l’aventure d’un nouveau son et ça redore leur vieux blason. On vit là un moment assez tétanique car les guitares fouillent entre les cuisses du cut qui se révèle vite chatouilleux, avec des échos d’ah ah ah. C’est très spécial, bien bardé de rock anglais. Il faut ensuite attendre «Put Your Money Where Your Mouth Is» pour refrémir. Ils jouent ça in the face, the Northern lads way. Ils ont beau avoir New York sur la pochette, ils sonnent très anglais, ils jouent à l’alerte rouge, à l’urgence de la cloche de bois avec des guitares qui rôdent dans le stomp. Liam l’allume jusqu’au bout. L’autre hit de l’album se planque vers la fin : «I Can See A Liar». C’est un roller coaster roulé dans la farine. Big Oasis power sludge ! Ils envoient Liam au front, alors Liam y va, il s’en bat l’œil. Il claque ses alexandrins et offre sa poitrine à la mitraille, il est invincible, il fonce sous le feu de l’ennemi. Il se relève plusieurs fois et continue de gueuler. Quel merveilleux héroïsme ! Liam est un mec très fort. Il n’en finira plus de chanter comme un dieu. Il faut s’habituer à cette idée. Avec «Gas Panic», on assiste encore à une extraordinaire tournure des événements, car ça dégouline de fièvre, the Madchester fever.

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             Paru en 2002, Heathen Chemistry est l’album du retour éternel des frères Gallag. Ils proposent tout de suite un mur du son avec «The Hindu Times». The wall of sound avec Liam en surface, c’est quelque chose. Superbe. Renversant. Excitant au possible. Nappé et dévastateur. C’est le power du brit rock de lads. Les belles langues de guitares s’en viennent lécher le barouf d’honneur. Ils éclatent «Better Man» au riff de voyou, ça joue du couteau sous les regards. Quel fantastique shoot de voyoucratie ! Flashy et sayant à la fois - I wanna be a better man - C’est le big brawl d’Oasis joué aux guitares de Lennon dans «Cold Turkey», c’est terrific, les guitares te chatouillent les guibolles. Avec «Force Of Nature», ils passent au stomp de Madchester sans coup férir. C’est encore une fois complètement saturé de big heavy guitars, une dégelée catégorique, ça avance à pas lourds, les mecs bombardent à l’ultimate du punch d’uppercut. Liam chante tout ça au croc luisant, il ramone sa cheminée avec une effarante ténacité. Ultimate power ! Ils pompent  les accords de «No Fun» pour «Hung In A Bad Place». Pas de problème, Liam pourrait presque attaquer à la façon de l’Iguane, mais il choisit la voix d’Oasis. C’est joué à l’extrême power concupiscent. Il chante ça comme une entourloupe, c’est exceptionnel de véracité dirigiste, ces mecs dévorent le riff des Stooges tout cru. Et ce démon de Noel vomit du napalm dans la chaudière. Ces mecs sont décidément le plus grand groupe d’Angleterre, il faut les voir répandre leur son comme un fléau. L’album est spectaculairement bon. «A Quick Peep» est l’un des instros les plus dévastateurs qu’on puisse entendre ici bas. Ils passent ensuite au heavy groove psyché avec «(Probably) All In The Mind». Liam s’y prélasse comme un roi fainéant. C’est l’absolu d’Oasis, chanté et joué dans les meilleures conditions d’addiction. Les heavy balladifs d’Oasis passent là où d’autres ne passent pas, grâce à une certaine qualité du Northern raunch. Avec «Born On A Different Cloud», on se croirait chez les Doors du temps du Whiskey bar de Kurt Weil. 

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             Comme par hasard, voilà encore un big album d’Oasis : Don’t Believe The Truth. Ça grouille de coups de Jarnac, à commercer par un «Turn Up The Sun» gonflé de son comme une bite au printemps. Ces mecs sont tellement puissants, ils sont dans doute les derniers seigneurs des temps modernes. C’est frappé au meilleur beat inimaginable et chanté dans le lard de la matière. Ils tapent au maximum de toutes les possibilités. Liam te laboure ton champ, pas de problème. Les clameurs perdurent dans le fond du son. Le génie des frères Gallag consiste à savoir éclater la coque d’une noix de rock anglais. Ça continue avec «Mucky Fingers», comme frappé en pleine gueule, ils jouent le rock pour de vrai, leur power dégomme toute forme de logique. Ils ramènent même du piano dans le stomp. Pur génie. Ils transforment ta cervelle en purée de purple heart et Liam plonge dans l’un des plus gros blast-off de l’histoire du rock. It’s alright ! Pulvérisant et pulvérisé à coups d’harmo. Ils gorgent leur rock de gusto. On se prosterne jusqu’à terre devant un tel power. Trop de power. Ils claquent «Lyla» à coups d’acou et Liam lui saute dessus, alors forcément, ça devient monstrueux. Ils font de la Stonesy. Ils échappent à tout contrôle, leur power les déplace ailleurs. Ils sont dans une sorte d’absolutisme. Un cut comme «Lyla» te plombe le crâne, ils te stompent tout ça à coups redoublés et Liam ramène les foudres de son power extrême. Quelques cuts de pop viennent heureusement calmer le jeu et ça repart de plus belle avec «The Meaning Of Soul». Encore une attaque superbe. Wow, la violence du shuffle ! C’est même concassé à coups d’harmo. «Avec «Part Of The Queue», on constate une fois de plus leur écœurante facilité à naviguer à la surface du son. Ils tapent dans la fourmilière d’une épaisse spiritualité dévergondée. C’est un cut de heavy pop aérienne fabuleusement tendue et ultra-jouée dans les grandes largeurs. Les clameurs du solo qui arrive sur le tard battent bien des records de démence. Comme le montre «Keep The Dream Alive», leurs descentes en balladifs valent bien les meilleures descentes en enfer. Ah il faut voir ce son ! Ils jouent dans les hautes sphères de leur règne. Gem Archer signe l’«A Bell Will Ring» qui suit. Psyché de haut vol avec un Oasis on the run. Quelle équipe ! Ils noient le cut dans une élongation de riffing d’arpèges acides, un vrai melting down d’Angleterre. Dressez l’oreille car voici «Let There Be Love» que Noel gratte aux accords atones. Et ce démon de Liam finit par chanter à la voix d’ange. C’est exceptionnel.

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             Comme on dit, toutes les bonnes choses ont une fin et la fin d’Oasis s’appelle Dig Out Your Soul. Il faut en profiter, car après, il n’y a plus rien. Alors «Bag it Up» ! Deep in the flesh, Liam chante comme un dieu, une fois de plus. Ça blaste comme au bon vieux temps. Liam explose le rock anglais quand ça lui chante. Il dispose de la force de frappe idéale, il se dresse comme un dieu du havoc au bord d’une piscine de coke, accompagné par les guitares du diable. Personne en Angleterre ne peut challenger ce démon de Liam et son groupe de brothas, il chante le rock anglais à l’intrinsèque, avec une vermine de niaque dans la pogne. Il n’existe aucun concurrent face à Liam Gallag. Avec «The Turning», on reste dans le heavy rumble de Madchester. Jusqu’au bout ils vont claquer du c’mon déterminant. Encore une fois ça regorge de power. Too much power. Liam se cogne la gueule dans le mur du son, alors que les guitares explosent autour de lui. Ils stompent «Waiting For The Rapture» à la sauce Oasis. Encore une fois, tout est solide sur cet album. La fin du Rapture est un modèle du genre. Belle énormité encore avec «The Shock Of The Lightning». Ils jouent à la folie Méricourt. Pur jus d’Oasis chargé comme une bombarde à ras la gueule, come in, come out tonite. Ils s’enferment dans leur délire d’énormité. Ils font un «(Get Off Your) High Horse Lady» digne du «Ram» de McCartney et reviennent à leur chère heavyness avec «To Be Where There’s Life». Ils transforment leur plomb en or et c’est comme d’habitude produit au mieux des possibilités. Le rock d’Oasis reste très physique, c’est la raison pour laquelle on blah-blahte à l’infini sur cette espèce d’indispensabilité des choses qu’incarnent leurs albums. Dernier grand coup de Jarnac oasien : «Ain’t Got Nothing». Ils taillent ça dans la falaise de marbre, au 3/4 du 4/4. Et quasi-fin de non-recevoir avec «The Nature Of Reality», drivé par une volonté glam à la wham-bam, dans un extraordinaire fouillis de guitares, de clap-hands et de descente aux enfers. Adios amigos !

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             Si on veut entendre leur reprise d’«I’m The Walrus», elle se trouve sur The Masterplan, une compile de B-sides parue en 1998. C’est une version live et on les voit se fondre dans le groove ultime. Le together leur va comme un gant. Noel joue son gut out, la tête renversée en arrière, un sourire crispé au coin des lèvres, c’mon, Gallag et ses potes explosent le vieux hit des Beatles. On sent essentiellement les fans. L’autre bonne surprise de cette compile n’est autre que «Stay Young», une power pop cavaleuse et bien à l’aise dans sa culotte. Ils savent aussi faire des hits de pop ! Quelle régalade. Ils proposent aussi un «Acquiesce» totalement saturé de guitares et on retrouve leur frappe de frappadingue dans «Fade Away». Ils pulsent du son tant qu’ils peuvent mais ils savent bien que ça ne va pas pouvoir durer éternellement. On peut faire du millefeuille sonique all over the rainbow, mais ça finit par tourner en rond. Gallag joue jusqu’à plus soif, il ramène toutes ses guitares. Ils restent dans la démesure pour «The Swamp Song» et bourrent leur dinde avec «(It’s Good) To Be Alive». C’est du cousu-main d’Oasis.

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             En 2011, Liam récupère l’artillerie d’Oasis, c’est-à-dire Gem Archer et Andy Bell, pour redémarrer avec Beady Eye et un excellent album, Different Gear Still Speeding. Et pouf, on prend «Four Letter Word» en pleine poire, le son est là, immédiat, comme au temps béni d’Oasis. Énorme shoot d’English shit, vraie voix + big sound, imparable ! Explosivité à tous les étages. Nothing lasts forever, nous dit Liam. Avec «The Roller», il sonne exactement comme John Lennon dans «Instant Karma». Quelle belle osmose ! En B, ils éclatent encore les coques de noix avec «Wind Up Dream» et Liam revient foutre le souk dans la médina avec «Bring The Light» - Baby hold on/ baby c’mon - Il n’y a plus que lui en Angleterre qui sache chanter aussi bien. Retour à l’énormité en C avec «Standing On The Edge Of The Noise». Tout le big swagger d’Oasis est là, ce big heavy beat qui fit la grandeur de ce groupe. Remember ! Liam le drive magnifiquement. C’est même assez stupéfiant d’ampleur. La fête se poursuit en D avec «Three Ring Circus», encore du pur jus d’Oasis. Liam sait rocker sa shit, comme on dit en Angleterre. Il est toujours dessus et derrière, ça tient magnifiquement la rampe.

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             Le deuxième et ultime album de Beady Eye s’appelle BE. Nouveau shoot de Gallag superpower, et ce dès «Flick Of The Finger». Plombé d’avance, comme au temps d’Oasis, heavy et même salué aux cuivres. Le prodman a l’intelligence de remonter le beat de Mad au devant, avec un Liam qui entre au chant comme un général dans une ville conquise. L’excitation atteint son apogée, alors oui, ça devient énorme. Toute la magie d’Oasis est intacte, avec le riff dévastateur dans le dos de Liam. C’est le retour du rock de poing d’acier. Le jus de véracité définitive coule à flots. Liam y va de bon cœur, il affronte l’adversité tout seul. C’est un héros. Si on cherche des traces de la clameur du grand rock anglais, c’est là. En plus il donne des conseils, comme dans «Soul Love» : Life is short, so don’t be shy. Avec «Face The Crowd», il passe au pulsatif de big heavy craze de Madchester qu’il chante au inside of my head. Ça sent bon l’album énorme. On est encore au début et on a déjà deux coups de génie, alors t’as qu’à voir ! En voilà un troisième : «Second Bite Of The Apple». Noyé de son ! Il fait son Donovan avec «Soon Come Tomorrow». Ici, tout est très spectaculaire. Liam allume ses cuts à retardement et il faut rester méfiant car il ramène des solos d’outre-tombe. Il reste en fait dans un univers de surenchère miraculeuse. Cet enfoiré tape «Iz Rite» au heavy riff d’Iz Rite. Il taille sa pop dans l’énormité du son. Il faut le saluer pour cet exploit. Il rallume la flamme du génie inconnu sous l’arc de triomphe, il gueule son when you call my name dans un chaos de pop magique. On se retrouve une fois de plus avec un big album sur les bras. Il tape son «Shine A Light» à la vieille gratte de junk. Ça cogne ! Avec Liam, c’est toujours in the face et saturé de son. Il nous fait le Diddley beat de Madchester. Il explose son shine a light et repart en mode sec et net. Pur genius ! Il se calme un peu avec «Start Anew», mais ça ne l’empêche pas de se glisser dans le génie du son, dans l’inventivité du me & you. Back to the drug space avec «Dreaming Of Some Space». Il le restitue fidèlement, ça doit twanguer, talalala overdrive et tu éclates de rire. Fantastique drug song, tu as envie de dégueuler et en même temps, tu te sens bien.

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             Après l’épisode Beady Eye, Liam entreprend en 2017 une carrière solo avec As You Were. Inutile de tourner autour du pot : c’est encore un album énorme. Ça grouille de hits, dont un hit glam digne du temps béni : «You Better Run», monté sur le beat des orques, puissant, rebondi tellement c’est puissant et embarqué au ah ah ah. Terrific ! C’est un hit  ah ah ah qu’il explose sous nos yeux. C’est du glam de Chester claqué aux deux accords. Liam fédère les meilleures énergies du rock anglais. Le «Wall Of Glass» qui ouvre le bal stompe bien le crâne. Violent comme ce n’est pas permis. Liam fait du Oasis avec toutes les ficelles de caleçon et les retours de riffs dans les reins. Ce chanteur génial a la chance d’avoir derrière lui un prodman de son niveau. Liam rallume encore les vieux brasiers d’Oasis avec «Bold», un cut tendancieux mais qui fonctionne, c’est le moins qu’on puisse dire. Belle flambée, en tous les cas. Puis il s’en va rimer la démonologie avec «Greedy Soul» - She’s got a 666/ I got a crucifix - Il plonge ses rimes dans le heavy sludge et allume encore une fois comme au temps d’Oasis, alors on l’écoute avec vénération. On sent la respiration de cette énormité. Ça cogne au tisonnier un coup sur deux. Back to Chester avec «For What It’s Worth». C’est bien lesté de Walrus, nouvelle crise de comatose de la chlorose, il y va de bon cœur, ça ne fait pas de doute. Il éclate sa pop au mieux de toutes les possibilités. Il revisite les soutes d’Oasis. Il chante plus loin son «I Get By» dans les rafales de vent d’Ouest, fabuleux swagger de see your face et de save my life, il chante comme un dieu aux abois. Encore un cut en forme de belle poigne avec «It’s All I Need». Il faut le voir marteler son all I need & more et il ne peut décidément pas s’empêcher de revenir au heavy beat on the brat, comme le montre «Doesn’t Have To Be That Way». C’est plus fort que lui. C’est claqué au pire Manc beat de l’histoire de cavernes. Joli pulsatif de non-retour noyé d’échos de big bang.

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             Et pouf, il revient deux ans plus tard avec Why Me? Why Not. Pas de surprise, l’album est comme les précédents, d’une solidité à toute épreuve. Les nostalgiques du glam se régaleront de «The River» - Well come on/ You weak of knees - Il fait du glam punk et chute avec I’ve been waiting so long for you/ Down by the river. Il n’en finira donc plus d’allumer la gueule du rock anglais. Il fait du boogie de Madchester avec «Shockwave». Après une intro géniale, il nous plonge dans son monde - You sold me right up the river/ yeah you had to hold me back - et il lance avec une morgue fondamentale : «Now I’m back in the city/ The lights are up on me.» Pur genius. C’est du power rock demented avec un rebondissement du son. Et le festin se poursuit avec «Now That I’ve Found You» qu’il chante à la clameur d’Elseneur. Quelle dégelée ! Il remonte le courant du son comme un cake écaillé. Avec «Halo», il passe au son d’anticipation à la Roxy. Il torche un hit précieux au swagger d’excellence. Il chante à l’intérieur du pire beat d’Angleterre. Tout vibre, même les colonnes du temple. Et un solo d’outerspace ajoute à la confusion. En fait, Liam passe son temps à rallumer le flambeau d’Oasis. C’est tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il noie son «Invisible Sun» dans le meilleur des sons - I am a laser/ And I see with X-ray eyes - On croyait Noel le seul capable de composer des hits. Eh bien non, Liam prouve le contraire avec le power-balladif «Misundestood» et tout le reste de cet album. Il n’en finit plus de chanter son ass off. 

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             Après les disks, il reste bien sûr les films. Miam miam. On peut imaginer un sandwich de rêve dont les deux tranches seraient Supersonic (early Oasis) et Lord Don’t Slow Me Down (late Oasis). Surtout Supersonic, car ça démarre à Knebworth sur le riff de «Columbia», l’un des plus beaux riffs de rock de tous les temps - There we were/ Now here we are/ All this confusion/ Nothing is the same to me - Le power Gallag, la Ferrari du rock anglais - The way I feel is so new to me - L’early Oasis est la suite parfaite du grand rock anglais qui va des Stones aux Small Faces en passant par les Who et les Move, ils sont là tous les cinq au début, Bonehead & Gigsy & Tony, goin’ to form a band, fookin’ yeah ! Le film raconte les débuts du groupe, d’un côté Liam avec les fookin’ proto-Oasis et de l’autre Noel qui est roadie pour les Inspiral Carpets. Noel rejoint le groupe de son frangin et dit qu’un soir I went down with a song and everything changed : «Live Forever». Puis McGee les voit sur scène à Glasgow and that was it. Creation. Ils deviennent super-massive avec «Supersonic», et puis arrive Definitively Maybe, remixé par le sauveur Owen Morris, outrageous mixing - Tonite I’m a rock’n’roll star - et là boom, ça explose ! Japan Japan ! Cigarettes & Alcohol, Whisky A Go-Go, coke, Rock’n’Roll Star, crystal meth, fucking shambles, Some Might Say at Top Of The Pops, magic British TV, Tony viré et là ça commence à déconner. Ils enregistrent, Morning Glory à Rockfield, champagne supernova in the sky, et ils bouclent la boucle avec Knebworth, fookin’ biblical dit Liam, alors champagne supernova !   

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             Lord Don’t Slow Me Down nous montre la dernière mouture d’Oasis en tournée mondiale, avec Gem Archer et Andy Bell. Bon, pas trop de plans sur scène, beaucoup de backstage. Ils font la tournée des stades et les femmes montrent leurs seins dans le moshpit. «Rock’n’Roll Star» sur scène à Hollywood : power. Liam répond aux questions, fook Bloc Party, fook Pete Doherty, the English magazines are full of shit. Retour au Japon, c’est tendu dans le groupe, Liam accuse Noel de lécher le cul du NME et il rend hommage au public : the crowd is the best. One take ! The stage is the best place in the universe. Arrivé en Australie, Noel avoue qu’il ne se voit pas continuer le groupe éternellement. J’ai 38 ans, et quand Liam sera chauve, on arrêtera. Dans la box, on trouve un deuxième DVD, Live In Manchester, c’est filmé en 2005 avec la dernière mouture et Zack Starkey au beurre. Ils ont perdu le power des origines. C’est autre chose. Liam ne chante pas toutes les chansons. Et Zack n’est pas Tony. En plus Gem Archer change de guitare à chaque cut, côté pénible des groupes qui ont trop de fric. On sent que le biz a pris la main sur Oasis. C’est incroyable que Noel puisse se priver d’un chanteur aussi bon que Liam. Le pire c’est qu’il se prête au jeu pourri du balladif participatif, c’est l’autre côté pénible d’Oasis. On croirait entendre Aerosmith. La Ferrari a disparu, même si «Live Forever» sonne anthemic. Ils font danser Mancheter avec «Rock’n’Roll Star» et font leur happy ending avec une version bien sentie de «My Generation, baby». Power absolu.          

    Signé : Cazengler, Oabite

    Oasis. Definitively Maybe. Creation Records 1994

    Oasis. (What’s The Story) Morning Glory? Creation Records 1995

    Oasis. Be Here Now. Creation Records 1997

    Oasis. Standing On The Shoulders Of Giants. Big Brother 2000

    Oasis. Heathen Chemistry. Big Brother 2002

    Oasis. Don’t Believe The Truth. Big Brother 2005

    Oasis. Dig Out Your Soul. Big Brother 2008

    Oasis. The Masterplan. Epic Records 1998

    Beady Eye. Different Gear Still Speeding. Beady Eye Records 2011

    Beady Eye. BE. Columbia 2013

    Liam Gallagher. As You Were. Warner Bros. Records 2017

    Liam Gallagher. Why Me? Why Not. Warner Bros. Records 2019

    Gavin Fitzgerald et Charlie Lightening. Liam Gallagher: As It Was. 2019

    Mat Whitecross. Supersonic. DVD 2016

    Baillie Walsh. Lord Don’t Slow Me Down. DVD 2007

     

    L’avenir du rock

     - Les chic types de Cheap Trick (Part One)

     

             Ses copains aiment bien le faire bisquer.

             — Envisages-tu de prendre un jour ta retraite, avenir du rock ?

             L’avenir du rock les connaît, il se prête à leur petit jeu :

             — Demande un peu au pape s’il croit en Dieu, tu vas voir ce qu’il va te répondre.

             — Ouais, on les connaît tes réparties à cent balles, avenir du rock, «tu auras la réponse que tu mérites»...

             — Tu sais à qui tu me fais penser ?

             — Non vas-y, dis-moi...

             — Tu me fais penser à ces grosses connes qui te demandent si tu es vacciné...

             — C’est drôle, j’allais justement te poser la question, avenir du rock, et puis on se demandait avec les copains si t’étais pas un peu pédé...

             — Ce que j’aime bien chez vous, c’est votre sens inné du degré zéro. Finalement j’en viens à me demander dans quel camp vous êtes, dans celui des beaufs ou celui des trash, parce votre beaufitude confine à la trashitude et c’est impossible de ne pas vous admirer pour ça. C’est vrai que si on y réfléchit bien, le beauf parfait est complètement trash, c’est ce qui fait sa grandeur immémoriale !

             — Oh c’est bon, avenir du rock, c’est pas parce qu’on te traite de pédé que tu dois nous traiter de beaufs !

             — Simple échange d’amabilités. On joue aux jeux qu’on peut, pas vrai les gars ? Mais je vais vous faire un aveu. Quand je vous vois, vous me filez la Trick !

             — Tu vois, on s’était pas trompés !

             — Mais vous ne comprenez rien ! Cheap Trick !

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             Le nouvel album de Cheap Trick qui s’appelle In Another World n’a pas fini de nous réconcilier avec le genre humain, y compris les beaufs. On est comblé rien qu’avec «Final Days», un doom de heavy blues qu’ils explosent à la clameur glam. Le son te coule dans la manche, mais à un point que tu n’imagines même pas. C’est Marc Bolan au paradis. Oui, c’est exactement ça, ils font Marc Bolan au paradis, bienvenue au cœur du mythe. Les mecs de Cheap Trick dressent un autel à la mémoire de Marc Bolan et ça explose dans le refrain saturée de magie - What if we could live forever/ Wouldn’t it all just be insane/ What if we could live together/ Never to be in those final days - Ça t’explose la tête, Lennon/Bolan, le feu sacré du rock anglais, plongée garantie. Ces mecs renversent le cours de l’histoire. On a là la meilleure clameur glam de tous les temps. Ça monte très haut dans l’échelle des valeurs. Plus loin, les accords de «Passing Through» indiquent clairement la venue d’un temps de félicité. C’est au niveau des grands frotis de l’univers, explosé de giclées des meilleures auspices, on est au-delà du génie, ils atteignent des résonances sans frontières, ça sonne comme du jamais atteint, ces vagues de son te caressent l’intellect, c’est d’une pureté évangélique, ça splashe dans l’éternité d’un prodigieux ersatz. On tombe encore dans leurs bras avec «Another World (Reprise)». Ils y ramènent tout le power dont ils sont capables, c’est chargé de toutes les guitares de Rick Nielsen, ce fou dangereux est l’un des génies du siècle, il percute tout de plein fouet, c’est gorgé de riffing et Robin Zander monte tout ça en neige à coups de screams ! «Gimme Some Truth» pose sa tête sur le billot et shlompfff, finit en beauté. Terrific ! Rick Nielsen joue ses dégringolades de guitare à la surface de la terre comme s’il réinventait le rock, il se dit qu’avec ses accords inconnus il va devenir le roi du monde et ça ne traîne pas, Cheap Trick c’est exactement ça, un plein dans l’effet direct. Ils naviguent au niveau des Beatles du White Album, avec une pulsion intacte et humide, just gimme some truth, le power absolu et l’apothéose garantie.

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             Cet album est une mine inépuisable d’énormités. Avec «Quit Waking Me Up», ils sonnent encore comme les Beatles, ils y vont vaille que vaille avec un Nielsen qui télescope tout ce qu’il peut. La vieille magie des Beatles explose dans le giron des lovers. On est prévenu dès «The Summer Looks Good On You» qui ouvre le bal, avec cette heavy pop rock, on voit que ces quatre mecs n’ont rien perdu de leur grandeur anthémique. Ils rockent the world comme au temps du Budokan, ils élèvent la power pop au rang d’art totalitaire. Rick Nielsen titille bien ses tortillettes de killer flasher. Il invente un genre nouveau : le powerful power. On le voit encore fou de rage étriper «Boys & Girls & Rock’n’roll», cet enfoireman tape dans tout ce qui bouge, il est partout.  Du même coup, ils t’actualisent, ils te rendent visible dans un monde d’aveugles. Ils amènent «The Party» au stomp. Tu les vois arriver, alors tu te planques. Ils sont énormes, ils pourraient te marcher dessus, ils déploient des légions sur l’Asie mineure, ils envahissent tout, ils chantent des chœurs brûlants, ils foutent le feu. À notre époque, c’est inespéré d’entendre ce mélange explosif de Dolls, de Cheap et de Zoulous. Tu as la réponse à toutes tes questions : Cheap Trick.

             Et puis voilà un «Light Up The Fire» démoli en pleine gueule. Ils sont capables de claquer un petit enfer sur la terre. Toujours la même histoire : la ville en feu, personne n’en réchappe et Nielsen part en maraude d’excelsior, il pleut du feu de partout, comme au temps béni des bombes au phosphore.

    Signé : Cazengler, Cheap tripe

    Cheap Trick. In Another World. BMG 2021

     

    - Willie Cobbs tout

    Inside the goldmine

     

             Ils chevauchaient vers l’Ouest. Ils avançaient lentement car ils suivaient une piste.

             — Z’ont dû passer par là. Z’ont essayé d’effacer leurs traces en montant sur le rocher. Z’ont dû voir ça dans un film. Ah quelle bande de bâtards ! On va les choper avant la nuit.

             Effectivement, les traces réapparaissaient un peu plus loin dans le sous-bois. Les deux rottweilers muselés Sodome et Gomorrhe grondaient comme des diables. Ils sentaient la chair fraîche et tiraient sur leurs laisses.

             — Ohhh, du calme, mes mignons, l’heure du casse-croûte approche.

             Il leva la main :

             — On va faire une halte, histoire de leur faire croire qu’on a perdu leur trace. 

             Ils descendirent de cheval et attachèrent les laisses des deux Rott à un arbre. Ils firent un feu pour réchauffer un pot de café qu’ils arrosèrent largement de whisky.

             — Sodome et Gomorrhe n’ont rien becqueté depuis deux jours, y vont se régaler...

             — Autant te le dire franchement, Willie Cobbs, j’aime pas trop assister à ce spectacle. Bon d’accord, les blancs sont une sale race, mais de là à les faire becqueter par tes chiens...

             — Z’avaient qu’à rester tranquilles et pas s’échapper de la plantation, goddamnit ! Y sont là pour ramasser les bananes, donc y doivent rester à la plantation et servir le bwana ! Pas compliqué à comprendre, non ? Pas besoin de sortir de Saint-Cyr ! Et pis y connaissent le tarif si y s’font la cerise ! La corde ou les chiens ! C’est tout ce que mérite cette sous-race dégénérée, ces fucking whiteys ! En plus, on leur paye le voyage gratos en bateau pour venir bosser ici, faut pas charrier !

             Il sortit de sa poche son petit harmonica et souffla un air de blues africain. Les notes résonnaient dans l’écho du temps, donnant à cette légère distorsion de la réalité un caractère énigmatique.

     

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             Dans une vie antérieure, Willie Cobbs fut probablement pisteurs d’esclaves, mais dans un monde inversé où les maîtres noirs réduisaient les blancs en esclavage. Pas de raison que ce soient toujours les mêmes qui trinquent. L’imaginaire a ceci de pratique qu’il permet de rétablir certains équilibres. D’ailleurs Tarentino s’est aussi amusé avec cette idée dans Django Freeman. Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes, comme dirait l’autre.

             Le pauvre Willie Cobbs a cassé sa pipe en bois en octobre dernier et dans la plus parfaite indifférence, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage.

     

             Il n’existe pas beaucoup de littérature sur Willie Cobbs. L’essentiel est de savoir qu’il vient d’Arkansas, qu’il est monté très vite à Chicago et qu’il est redescendu dans les années 60 à Memphis pour enregistrer son fameux, «You Don’t Love Me» sur le label de Billy Lee Riley, Mojo. Découragé par le showbiz, il est ensuite devenu club owner dans le Mississippi et en 1978, il s’installa à Greenville pour lancer Mr C’s Bar-B-Que, un resto réputé pour sa cuisine. L’autre info de taille, c’est qu’il est pote avec Willie Mitchell.

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    Sur son dernier album Jukin’, paru en l’an 2000, on retrouve toute la sainte congrégation d’Hi, les frères Hodges et Howard Grimes (dont on vient de saluer l’autobio). L’album est enregistré au Royal Recording Studio et Willie Cobbs salue le Memphis Beat à coups d’harmo. Avec «Black Night», les deux Willie (Cobbs & Mitchell) nous proposent le Heartbreaking blues d’Hi, une vraie fontaine de jouvence, on patauge dans l’excellence. L’album est un mix classique de boogie blues et de heavy blues d’une finesse fatale. Les frères Hodges savent aussi jouer le blues. On entend naviguer le bassmatic de Leroy Hodges sur «Poison Ivy», c’est cousu, mais quelle ambiance ! Ces mecs jouent à la revoyure. Ils tapent une version heavy de «Reconsider Baby» et croyez-le bien, on ne s’ennuie pas un seul instant. Willie Cobbs en profite, il chante tout ce qu’il peut, son «Five Long Years» est une merveille de présence intrinsèque. Il tape aussi l’excellent «Please Send Me Someone To Love» de Percy Mayfield. Quelle fantastique allure !

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             Il existe une compile de base parue en 1986 sur Mina Records, Mr. C’s Blues In The Groove. Les Japonais ont procédé comme Bear, de façon chronologique, ce qui permet de survoler l’œuvre du vieux Willie. Et ça démarre avec «Inflation Blues» - Inflation is killing me - Alors le vieux Willie s’adresse à Mister President pour se plaindre. On trouve deux versions de ce merveilleux boogie qu’est «Hey Little Girl», un boogie tentateur qui finit par te hanter. Le heavy blues de Willie n’échappe pas à la règle («Mistrated Blues») et dans les cuts enregistrés à Chicago («You Know I Love You», «Hey Little Girl»), on entend un fantastique guitariste de jazz. L’autre gros shoot est le «Worst Feeling I Ever Had», enregistré à Little Rock en Arkansas. En B se nichent deux merveilles enregistrées chez Malaco, à Jackson, Mississippi, le «Hey Little Girl» déjà évoqué et «CC Rider», monté sur un excellent groove de lard. Et on retombe en bout de B sur ce qui pourrait bien être le hit de Willie Cobbs, «Eatin’ Dry Onion» qu’il tape au beat de Memphis Tennessee. Magnifico ! Willie pourrait bien être one of the greats.

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             Down To Earth qui date de 1994 est un très bel album, enregistré à Clarksdale avec les anciens musiciens d’O.V. Wright, Rawls & Luckett. Willie Cobbs l’attaque avec le vieux «Eatin’ Dry Onions» et ça part dans l’éclair de la première mesure, ces mecs savent ce qu’ils font. Ils sont dans le fast boogie, c’est tight, bien serré à la corde, joué au cul du camion, ils ont pigé la combine, vite fait bien fait, c’est du boogie maison, avec du vrai son, comme chez Lazy Lester. On croise plus loin un autre boogie tout aussi expéditif, «She’s Not The Same (Feeling Good)», un vrai hit de heavy romp, Willie is hot. Il nous sort là un authentique boogie blast. C’est un bonheur que d’entendre jouer ces mecs-là, ils tapent «Goin’ To Mississippi» au crack-boom-uh-uh, Willie Cobbs domine bien la situation, Willie Cobbs tout, il passe des coups d’harmo, ça joue au pur jus d’in-house et tu grimpes dans les étages du boogie blues. Il est encore meilleur en Heartbreaking Blues, comme le montre «Butler Boy Blues», il vit ça dans sa chair. Même chose avec «Amnesia», people don’t know my name, il joue le jeu du heavy blues. Quand tu es dans les pattes de ce genre d’artiste, tu te sens en sécurité. Le guitariste qui joue avec Willie Cobbs s’appelle Johnny Rawling. Ce fabuleux blues guy qu’est Willie Cobbs chante «If You Don’t Know What Love Is» à la glotte languide, il ne chante que la pulpe du blues, d’ailleurs, au dos du boîtier, on le voit assis au bord du fleuve avec son harmo. Il va ensuite aller se fondre dans les breaks de r’n’b de cuts plus audacieux («Good Lovin’»). Willie Cobbs forever ! Il reste impliqué dans sa modernité. Il nous rappelle par bien des aspects un géant nommé Taj Mahal. Il est toujours intéressant, toujours juste, comme le montre encore «Now Slow Down Baby». Il revient en mode heavy blues pour «Carnation Milk». Willie Cobbs fait vibrer sa vieille glotte, c’est un savant du blues, une force de la nature, il vise l’orgasme en permanence, il dépasse toutes les expectitudes. Dead good ! Il termine avec «Wanna Make Love To You», un r’n’b efflanqué, et comme tous les grands artistes, il l’enfourche pour filer au galop.

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             Et puis voilà que paraît en 2019 un nouvel album de Willie Cobbs, Butler Boy Blues. Incroyable mais vrai ! Le pire c’est qu’il s’agit d’un bon album, bourré à craquer de ce boogie dont Willie Cobbs a le secret. Deux exemples : «Mississippi» et «She’s Not The One». Le premier est incroyable de véracité, le vieux Willie Cobbs est dessus, ah ah ah, il ricane comme un démon. Quant au deuxième, il est pulsé au beat originel, Willie Cobbs est un killer boogie man. Même énergie que celle de Lazy Lester. Mais c’est avec les Heartbreaking Blues qu’il rafle la mise. «Butler Boy Blues» sonne comme une bonne adresse, il y va au harp, c’est un fantastique shouter d’harp, il est fabuleux, au moins autant que Little Walter. Encore mieux, voici «If You Don’t Know What Love Is», pur genius, il chante à s’en exploser la rate, pure démence de la prestance, c’est le heavy blues de rêve. Encore du heavy blues avec «Carnation Milk», affolant de persistance, Willie Cobbs devient carnassier sur ce coup-là, quelle énormité ! Il chante aussi son «My Baby Walked Away» à s’en arracher les ovaires. Trop de son. Quel numéro ! Il est furieux, il saute sur tout ce qui bouge, my baby walked away. Il revient au r’n’b avec «Good Lovin’», ça joue sec et net derrière lui. Il conduit bien le groove, comme le montre le vieux «I Wanna Make Love To You». Il est clair, il a envie de la baiser, il revient par vagues insistantes, il charge la barque tant qu’il peut, il devient héroïque. On retrouve bien sûr l’inévitable «Eatin’ Dry Onions», le vieux «Amnesia» et le vieux «Jukin’». Willie Cobbs un vieux renard du bayou, il connaît toutes les ficelles et qui oserait lui reprocher de ressortir tous ses vieux coucous ? Certainement pas nous.

    Signé : Cazengler, Willie Cock

    Willie Cobbs. Disparu le 25 octobre 2021

    Willie Cobbs. Mr. C’s Blues In The Groove. Mina Records 1986

    Willie Cobbs. Down To Earth. Rooster Blues Records 1994

    Willie Cobbs. Jukin’. Bullseye Blues & Jazz 2000

    Willie Cobbs. Butler Boy Blues. Wilco 2019

    *

    Les Dieux sont avec moi, à peine ai-je appuyé sur You tube que se dévoile devant mes yeux le célèbre tableau L’Ecole d’Athènes de Raphaël, tiens une vidéo sur la peinture, pas du tout, le dernier disque de Thumos intitulé The Republic, what is it, un groupe de doom qui reprend La République de Platon, il est impérieux d’aller voir et d’écouter. Même si personnellement mes préférences vont à Aristote.

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    Pour une couverture, c’est une couverture. La plus intelligente que vous pourriez trouver. L’image est bien connue, souvent réduite à la présentation de ses deux personnages les plus importants, Platon et Aristote philosophant en marchant. Méthode péripapéticienne prônée par Aristote. A leurs pieds sont représentés vingt penseurs parmi les plus célèbres de la Grèce Antique. Message privé : nous recommandons à notre Cat Zengler de se méfier du redoutable Zénon d’Elée qui accoudé au piédestal de la colonne (à gauche, en bleu, en train d’écrire )  s’apprête à lui à lui planter la flèche de sa pensée dans le dos.

    THE REPUBLIC

     THUMOS

     ( Snow Wolf Records - 22 / 01 / 2022)

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    Dans le doom l’on ne doute de rien. Thumos, ce nom signifie Colère – nous reparlerons de ce groupe original une autre fois - s’attaque à un gros morceau, de choix, La République de Platon. L’est difficile de dialoguer avec Platon, l’on se sent vite écrasé par tant de subtilité. Thumos ne s’est pas défilé, l’a simplement mis la barre plus haut. Puisque l’on ne parle pas avec Platon, sous peine de débiter des niaiseries, il n’y aura ni paroles, ni lyrics. Ce que Thumos nous propose c’est une lecture de Platon. Attention pas question de faire défiler le texte de Platon (si possible en grec !) sur la vidéo, ou de le joindre en livret dans l’opus, le groupe nous convie simplement à une lecture auditive de Platon. Peut-être vous sentez-vous de facto écarté de la compréhension de ce disque, pas de panique, Platon a pensé à vous, selon sa théorie de la réminiscence, toute connaissance est en vous, hélas engloutie au fond des eaux de l’esprit comme l’Atlantide dans les abysses, il suffit de se mettre en chemin, votre âme a déjà contemplé les Idées irradiantes, l’ascension sera longue et difficile, pas du tout impossible. Vous êtes déjà passés par là.

    Nous allons donc nous livrer à ce difficile exercice de retrouver l’enseignement de Platon, au-travers des dix morceaux présentés par Thumos. Pas de hasard, si Thumos a choisi de présenter dix morceaux c’est parce que La République est composé de dix livres.

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    The unjust : musique lourde et menaçante, Socrate et ses amis discutent d’un sujet important qui relie tous les hommes entre eux tant au niveau individuel que collectif, autrement dit de politique. La question est simple, qu’est-ce qu’une chose juste, qu’est-ce qu’une chose injuste. La musique se fait plus lourde, le juste n’est-il pas ce qui vous fait du bien même au détriment de l’autre. Embrouillamini torsadé sonore la batterie en punching ball vous revient dans la gueule. C’est que nous sommes en train de décréter que la justice peut être en même temps juste pour les uns, injuste pour les autres. Plus tard Marx parlera d’intérêt de classe mais Platon pose le problème avant tout selon une problématique individuelle. N’empêche que l’injustice que vous exercez peut vous faire du bien. La musique tire-bouchonne sur elle-même. Le problème se révèle plus épineux que prévu. The ring : non il ne s’agit pas de l’anneau du temps serpentique qui se mord la queue mais de l’anneau de Gygès qui vous rend invisible et vous permet de commettre les pires méfaits, puisque selon l’adage, pas vu, pas pris. Avouez que s’il entrait en votre possession, vous ne vous gêneriez pas… d’ailleurs si vous respectez les lois et ne commettez pas de choses injustes c’est uniquement par peur de la prison et autres châtiments… la musique va de l’avant, la batterie bat le rappel des mauvaises actions, et les guitares tendent leurs cordes vers toutes les convoitises, l’on marche main dans la main avec son voisin et l’autre dans le sac qui contient sa fortune. Ce n’est pas fini, la musique danse sur le pont d’Avignon, évitons la chute, élevons le débat, si dans une cité les citoyens se laissent séduire par tout ce dont ils peuvent jouir, mal ou bien acquis, il est nécessaire d’avoir une armée et une police pour les contenir, et cette force armée pour qu’elle ne se laisse pas gagner par l’attrait des richesses, il faut l’écarter de la ville et l’envoyer faire la guerre, bref l’on entre dans une suite de malheurs sans fin, d’où la nécessité de bien éduquer la jeunesse. La musique glisse sur une pente fatale, la batterie se transforme en mitraillette et la beauté du mal vous ensevelit, une cloche de vache bat le rappel, évitez la licence, fortifiez vos âmes. Si possible. The virtues : le citoyen doit être vertueux. La musique bat le fer, l’argent, l’or et le bronze pour qu’il reste chaud. La musique devient pratiquement symphonique. Il s’agit de forger des hommes nouveaux, de les éduquer, qu’ils ne connaissent pas la peur de la mort, qu’ils puissent se battre pour leur patrie sans trembler, pas de laisser-aller, l’on pressent une éducation à la spartiate qui fortifie le cœur, l’âme, le sang et la volonté. Le son ne serait-il pas un peu grandiloquent, y croit-on vraiment ? The psyche : entrée martiale, pesante, la raison doit dominer le désir, les masses laborieuses doivent se contenter du nécessaire et réfréner leur avidité, les soldats doivent cultiver le courage, les élites qui commandent faire preuve des deux précédentes qualités mais aussi de sagesse, Thumos délivre une musique pesamment rythmée, nulle fioriture, une idée du droit chemin dont personne ne doit s’écarter sous le moindre prétexte. De même se méfier de toute nouveauté, si l’on a atteint la perfection tout changement apportera un moins. Entre nous soit dit, un peu rébarbative et profondément conservatrice la Cité idéale de Platon. The forms : le mot forms est à traduire ici par agencements, et n’a rien à voir - d’après nous qui faisons la différence entre idées et notions - avec les Idées ( qui en grec signifient formes en tant que modèles originels dans la philosophie platonicienne ) comme un gong qui se prolonge sans fin, puis scandé, et enfin déroulé, décrire les rapports entre les hommes et les femmes, celles-ci communautaires, les enfants élevés en commun ne connaissent pas plus leurs parents que leurs géniteurs ne les connaissent, la musique éveille l’intérêt, ne cédez pas aux pensées grivoises, toute la société fonctionne ainsi car à tous les niveaux les désirs de possession ne doivent altérer la raisonnabilité nécessaire à la bonne marche de la Cité, ainsi le roi ou les chefs suprêmes qui détiennent tous les pouvoirs doivent être aussi philosophes pour ne pas céder aux sirènes des tentations et faire preuve à tous moments de tempérance et de sagesse. Ici la musique atteint à une sorte de sérénité. Compacte, solide, infaillible. Mais quels sont ces coups de gong plus clairs, plus scintillants. Fêlures ou tranquillité thibétaine.

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    The ship : aucune des deux. La musique prend de l’altitude et devient grandiose, la batterie bourre le mou, et l’on est parti pour la vitesse supérieure. Nous rentrons dans la deuxième partie du livre. Le philosophe peut ne pas être reconnu à sa juste valeur, comme le Capitaine d’un navire que les matelots éloignent du gouvernail car ils ne comprennent pas sa manière de tracer la route. Le bateau finit sur les écueils… c’est le philosophe qui doit diriger l’état et la cité, il sait ce qu’il veut beaucoup mieux que tous les autres membres. Il a accès à une connaissance que les autres ne possèdent pas. Il connaît l’idée du Bien, qui permet d’entendre le bien de toutes choses.  Il n’est guidé ni par l’ignorance ni par l’opinion que la multitude des gens se font des choses. Le background comme une fanfare finale précipitée. Arrêt brutal, résonnances soniques. Ce qui resplendit ne s’éteint jamais, mais résonne toujours. The cave : guitares entremêlées irradiantes, riffs de cobalt, nous avons atteint le point culminant, la batterie nous prévient que nous avons encore quelque chose à nous enfoncer dans la caboche, c’est la célèbre allégorie de la caverne, nous ne voyons que les ombres des véritables choses qui sont les Idées, à notre niveau d’hommes modernes ne soyez pas l’imbécile qui ne comprend pas que les images d’un film ne sont pas les choses qui ont été filmées. Musique révélatrice, les philosophes doivent être capables de prendre conscience de cette réalité, Platon décrit leur formation qui mêle théories et moments d’implications dans les affaires de la cité, le rythme se ralentit, l’éducation n’est pas un long fleuve tranquille mais un torrent impétueux à remonter pour au soir de sa vie atteindre aux postes les plus importants de la cité. The regimes : l’on passe aux choses concrètes, les différents régimes politiques, Platon en décrit cinq, qui peuvent exister, étant entendu qu’ils naissent les uns des autres, selon une évolution logique, batterialerie quasi-angoissante, un moteur se met en marche celui de la dégradation sociale, sur un rythme lent et lourd tandis que surviennent les guitares comme un contre-chant lyrique au désordre inéluctable qui se met en place, que rien n’arrêtera, le jeu des désirs et des affects entraînant les citoyens à agir selon leurs prétentions du moment, stridences accumulées, le chant s’est tu, un grincement le suit dans le silence et la musique repart, les cymbales chuintent on dirait qu’elles ont envie de parler, de nous mettre en garde, de murmurer à notre oreille, mais non l’inexorable suit sa route interminable, musique de déréliction, la société humaine arrive au plus bas, chute précipitée sur la fin. The just : douces notes de guitares, presque espagnole, fragiles comme un fil tendu, Platon récapitule la fin du livre précédent, il cerne son propos, dans le dernier état de décomposition de la société tyrannique, ce n’est pas le tyran le plus problématique mais l’homme tyrannique en lui-même comme Marcuse a pu parler de l’homme unidimensionnel ou comme notre société évoque l’homme-consommateur, l’homme ne contrôle plus ses pulsions, il est davantage dominé par son appétit de jouissance que par le tyran, face à cet homme tyrannisé de l’intérieur par lui-même il oppose le philosophe, Thumos le nomme le juste, celui qui a su se dominer lui-même, qui étant son propre maître est à même de percevoir clairement la situation et à mener les citoyens selon de justes préceptes. La musique s’étale désormais sereinement, elle brille, elle illumine. Le soleil atteint son zénith. The spindle : pluie torrentielle, encore une fois l’on a l’impression que les guitares chantent, la batterie vient percuter cette harmonie.  Le titre est une allusion au faisceau tenue par la déesse Nécessité mères des Moires ( les Parques de la mythologie latine ) tel que le raconte le mythe d’Er. Moins connu que celui de la Caverne mais qui a eu une descendance tout aussi importante. Le mythe de la Caverne fonde en quelque sorte la philosophie qui se méfie de l’apparence des choses, celui d’Er institue la croyance religieuse de la bonne conduite récompensée après la mort, tout comme de la mauvaise qui entraînera punitions et châtiments. La Caverne est destinée à ceux qui réfléchissent, Er au peuple ignorant que l’on éduque (et que l’on tient en laisse) en lui montrant de grossières images… Ce n’est pas un hasard si le christianisme s’est reconnu en Platon. Mais ce genre de réflexion nous entraînerait trop loin. La musique est de toute beauté, empreinte de gravité. L’âme du mort doit choisir sa prochaine incarnation, s’il a cédé toute sa vie à ses désirs, il choisira d’être un homme ou un animal qui lui permettra de vivre au plus près de ce qu’il croit être la véritable nature du bien, peut-être à sa prochaine réincarnation choisira-t-il mieux… son âme sera ainsi comme celle du philosophe accompli qui désormais contemple le soleil éternel des Idées… la musique s’illimite et se perd en même temps.

    Je n’ai évoqué que quelques aspects de l’ouvrage de Platon. L’ouvrage entremêle plusieurs thèmes dont celui de la poésie que je n’ai pas du tout traité. Malgré cela, le lecteur risque de trouver un tel disque un peu trop rébarbatif. Il n’en n’est rien. Un disque de rock instrumental peut vite se révéler ennuyeux, surtout si l’on ne pratique pas soi-même un des instruments mis en évidence. Ici il n’en est rien. La musique est splendide. Il n'est pas du tout nécessaire d’avoir lu l’œuvre complète, voire une unique demi-page de Platon, ou même d’ignorer jusqu’à son nom, il suffit d’écouter. C’est étrange à la fin de chaque morceau l’on a envie de connaître la suite, une véritable bande-dessinée musicale. Thumos nous tient en haleine. L’on se laisse guider. Et l’on comprend que l’œuvre forme un tout organique. Il ne reste plus qu’à laisser notre esprit partir en voyage.

    Damie Chad

    *

    J’ai déjà consacré deux chroniques à Paige Anderson in Kr’tnt ! 512 du 27 / 05 / 2021   Paige Anderson & The Fearless Kin et Two Runner in Kr’tnt 514 du 10 / 06 / 2021. Mon déplorable et vieil ordinateur m’a empêché d’écouter les rares vidéos qu’elle a enregistrées, je ne maîtrise pas entièrement le nouveau, qu’à cela ne tienne, une artiste comme Paige Anderson n’attend pas. Voici donc la chronique de deux nouvelles vidéos.  Quand j’emploie le mot artiste j’en use en le sens où l’on peut dire que le poëte John Keats était un artiste, comprenez qu’il vivait simplement mais que son existence touchait à la beauté du monde, en tous ses instants, sans qu’il ait eu besoin de faire un effort pour accéder à l’essentiel de sa présence dans le monde…

    LIVE STREAM

    EMILIE ROSEPAIGE ANDERSON

    (23 / 01 / 2021) 

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    Tout comme en France les mois précédents n’ont pas été favorables aux artistes. Two Runner, comme bien d’autres, a vu ses concerts annulés, pour qui arriverait impromptu sur cette vidéo, le cadre paraîtrait étrange. Nous sommes dans une chambre ou un coin salon, toutefois un lit recouvert d’une couverture indienne et d’un empilement de coussins que l’on pressent douillets et voluptueux. Un petit intérieur comme chez nous, d’ailleurs Emilie Rose dans sa robe bleue qui n’est pas sans rappeler les personnages féminins des westerns ne se préoccupe pas de nous.  Ne nous accorde aucune attention, l’est toute accaparée par son téléphone portable, pour un peu l’on s’excuserait d’être-là, évitons de ronchonner comme de vieux conservateurs sur cette jeunesse portée aux futilités et dédaigneuses des convenances, une inscription sur une affiche manifestement manuscrite placardée sur le mur nous permet de comprendre la situation. Venmo est un mode de paiement utilisé par Instagram (pas seulement, l’entreprise a une vocation internationale) qui permet via les portables de faire ou de recevoir des dons financiers… Les messages amicaux et d’encouragement adressés à nos deux musiciennes s’inscrivent d’ailleurs sur la droite de l’écran.

    Nécessités économiques de survie obligent… Pour ceux que ce rappel insidieux dérange, qu’ils se perdent en la contemplation de la tapisserie de laine tissée au-dessus du lit, elle représente un loup stylisé qui aboie à la lune, nous voici dans un roman de Jack London ou de James Oliver Curwood. L’affleurement mythique de la Grande Amérique, celle des grands espaces, des indiens et des pionniers, the big country is here, un temps perdu devenu matière de nos rêves et de nos songes que la musique country sous toutes ses déclinaisons, traditionnelles, modernes, indépendantes, alternatives s’acharne sans cesse à ressusciter comme pour maintenir un chemin d’accès à un monde passé qui ne veut pas mourir.

    Les lecteurs s’offusquent, vous nous annoncez deux musiciennes, nous n’en voyons qu’une. Paige Anderson est là, mais hors-champ, elle répond à Emilie Rose, les filles papotent et commentent les posts, enfin Paige arrive, ravissante dans une tunique bleu pâle et ses longs cheveux blonds, l’on ne peut s’empêcher de penser aux paroles de Jim Morrison American boys, American girls, the most beautifull people in the world, elle s’empare de sa guitare, quelques instants pour saluer des proches, et pour s’accorder, Emilie Rose a pris son fidèle fiddle,  le concert, non la soirée entre amis commence, Paige à la guitare, et au chant, cette manière qui n’appartient qu’à elle de hausser la voix, à chaque fois vous avez l’impression qu’elle vous arrache le cœur, de son violon Emilie cautérise la douleur d’une douce mélancolie, qui prend de l’ampleur, se mêle et s’entremêle aux cris suaves de Paige, comment peut-elle en même temps insuffler tant de tristesse et de sauvagerie dans son chant, le refrain comme un couteau qu’elle enfonce dans votre âme, ses doigts mélancolisent  les cordes, une dernière traînée de violon comme une longue pincée de désespoir. Tout de suite le sourire aux lèvres, un œil sur le téléphone, on leur demande de mettre l’affiche Venmo en évidence au premier plan contre la santiag noire de laquelle émerge un bouquet de fleurs. Petit interlude parlé, nous sommes au Nevada, il neige.  

    Qu’elles sont belles toutes les deux, avec en fond sur le mur le loup solitaire Une nouvelle chanson. Une ballade, toujours cette voix arrachée de l’intérieur qui pleut sur vous en éclats de verre tranchants, ce mouvement de tête vers le haut, comme pour exhaler une fureur contenue, et Emilie Rose, elle ferme les yeux, son violon ruisselle de larmes, tout semble s’apaiser comme une déception, comme une acceptation, la musique continue, lorsqu’elle s’arrête l’on s’aperçoit que l’on n’est pas en train de s’éloigner sur une route jonchée de feuilles mortes.

    Rires, accordage, commentaire sur les posts ‘’ so beautifuul’’ ‘’sounds just fine’’, It’s nothing, accordage, capodastre, une chanson triste, l’autre doit partir, ce n’est rien, c’est ainsi et cette voix qui se plie à la nécessité des choses, même si dans les passages plus lents elle est chargée d’une délicieuse amertume, porteuse des choses qui ont été et qui ne sont plus, Emilie Rose grise la réalité, le violon n’est plus qu’une plainte, de celles que l’on retient mais que l’on ne saurait cacher, quelques saccades de cordes plus loin elle joint sa voix à cette de Paige, et la noirceur tranquille du monde tombe sur vos épaules et les recouvre de glace. L’on croit que c’est terminé, mais non, vie et cauchemar continuent toujours, la voix de Paige devient plus rauque et le violon d’Emilie sonne comme si elle jouait dans un quatuor, en battements d’ailes de cygne qui s’apprête à mourir.  

    Parlent un peu, mais l’on comprend beaucoup. Paige se retourne et s’empare de son banjo. Elle présente le prochain morceau un projet qui se concrétisera au mois d’avril suivant. La vidéo de Burn it to the ground, version orchestrée est sur You Tube. Très belle, mais celle-ci, toute dépouillée est encore plus forte. Crépitements du banjo et cris de crin-crin, plus la voix de Paige qui crache son ressentiment, pour l’exalter et s’en débarrasser, cette juste colère contre l’incompréhension des honnêtes gens, je ne savais pas que l’on pouvait jouer avec tant de force sur un banjo, l’archet d’Emilie se transforme en étrave de brise-glace qui pulvérise le monde. Ce morceau est un chef-d’œuvre absolu. C’est fini. Un ange passe dans une tornade. Emilie sourit doucement. Le visage de Paige se teinte de mélancolie, elle détourne pour poser son instrument et reprendre sa guitare.

    Emilie Rose engage le fer, le violon résonne comme un torrent qui dévale une pente abrupte, Paige les deux mains croisées sur sa guitare, sa voix s’élève altière, maintenant la guitare accompagne, tout se passe entre  le faucon de cette voix qui  qui monte haut dans le ciel pour se laisser tomber comme une pierre sur sa proie, le violon d’Emilie, il joue le rôle de la nature entière dans laquelle se déroule la scène, parfois tout semble immobile, apaisé, l’archet pousse les aigus et ce qui se voulait ordre et beauté se transforme à la seconde suivante en kaos mortel, leurs voix se rejoignent, étendards de victoires éployés, le ton s’adoucit, telle une houle de vent qui berce les épis de blés en une immense vague infinie. Fulgurant. Elles se regardent d’un petit rire discret. Elles peuvent être fières d’elles.

    Regards sur le téléphone. Remerciements. Une nouvelle ballade. Paige à la guitare, et cette voix, vous l’attendez, vous vous doutez que dans une seconde elle va éclater, et pourtant elle vous surprend, vous soulève et vous emporte, vous maintient au-dessus de l’abîme du monde comme par miracle, la tristesse vous poigne, le violon ne fait que l’accentuer par sa traîtrise de douceur, vous planez bien haut, sans être plus heureux pour cela, avec toutefois cette promesse de retour. Un classique de Jimmy Webb, Highwayman,  enregistré en 1977, sous la houlette de Chips Moman ( qui accompagna Gene Vincent sur scène et que l’on rencontre souvent, grâce au Cat Zengler in KR’TNT ! ) reprise par notamment par The Highwaymen ( Johnny Cash, Waylon Jennings, Willie Nelson, Kris Kristofferson ).

    Rituel habituel, rire, téléphone… Cette fois-ci, Paige ne chante pas, Emilie lui a très rapidement rappelé les accords, elle accompagne.  C’est parti pour une pure chevauchée cowboy & fiddle, coloration bluegrass, un régal, le bras blanc de Rose Emilie vole au vent de l’archer tel un albatros qui se joue de la tempête, des images de films tournent à toute vitesse dans la bobine de votre cervelle, élans vertigineux et apaisements virtuoses se succèdent à toute vitesse, Emilie joue avec son instrument mais son corps et sa tête conduisent la danse du cheval fou.  La prestation pétille de joie comme un feu de camp dans la nuit de la prairie. Toutes deux heureuses comme des gamines.

    L’on approche de la fin, on les sent détendues, Emilie raconte une histoire folle… comme quoi le monde est petit, Paige évoque des instants antérieurs, l’on se dirige lentement vers le dernier morceau Where did you go ? Notes lourdes et graves, la voix de Paige traîne et nasille, Emilie la soutient sur les refrains, sinon la guitare seule, et la voix esseulée, chargée de tristesse, ce n’est pas une chanson d’amour perdu, mais une plainte interrogative, sur l’autre côté, sur les sentes obscures de la mort. Une profonde méditation, un regard à la rencontre des ombres qui sont ailleurs. La chanson se termine comme l’on souffle sur la flamme d’une bougie. Paige nous regarde et esquisse un sourire. D’où sort-elle cette sérénité.

    Quelques phrases pour remercier – elles qui ont tant donné avec cette effarante simplicité - Paige se lève et disparaît, Emilie reste assise et fait semblant de pincer les cordes de son violon. This the end, beautifull friends. Bye-bye beautifulL girls. 

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    HAPPY OCTOBER, HAPPY FALL

    TWO RUNNER

    (EMILIE ROSE - PAIGE ANDERSON)

    ( 21 / 10 / 2021 )

    Changement de décor. Comme le temps passe vite, nous voici en octobre. Emilie et Paige sont assises dans un parc. Cette vidéo est un peu un clin d’œil aux anciens clips de Paige Anderson and the Fearless Kin enregistrées en pleine nature devant des arbustes aux branches tourmentées, voici plus de dix ans.

    Robes châtaigne et arbres qui commencent à se parer de couleurs automnales. Une vision idyllique, un peu à la Thoreau. Notes aigrelettes du banjo agreste de Paige en introduction, et toujours cette voix qui surgit et se pose, un oiseau sur les rameaux du désir et de la beauté, Emilie fredonne, à peine remue-t-elle les lèvres et pourtant elle enveloppe d’ouate le morceau qui en acquiert des allures intemporelles. Le violon crisse en une étrange tarentelle ralentie. Le banjo n’arrête pas de grignoter le temps, la voix de Paige nous éloigne d’on ne sait quoi, d’on ne sait où, une longue scie de violon et tout s’arrête scandaleusement. Presque trois minutes de rêve et plouf plus rien. Je l’ai écouté et réécouté plusieurs fois, et je n’ai pas compris. Tout ce que je sais, c’est que c’est plus que magnifique, au sens plein du terme ensorcelant.

    Damie Chad.

    ( Vidéos visibles sur FB : Emilie Rose ou Paige Anderson )

     ILLICITE ( 1 )

    AUTOPORTRAIT COMPLAISANT

     

    Les gens sont parfois curieux, ils me demandent qui je suis. Cela les intrigue. Il vaut mieux qu’ils ne sachent pas. Certains aimeraient savoir si je suis un rebelle. Je ne le suis pas, il faut prendre les armes pour cela, je ne dis pas quand j’étais jeune. Existe-t-il seulement des combats collectifs qui le méritent. Sûr, tout dépend des situations... Au fond les hommes m’indiffèrent. Je ne fais confiance qu’aux individus. Ce qui ne signifie pas que l’on a tort de se révolter. Encore faut-il ne pas être dupe de soi-même. Ni des autres. L’on me taxe souvent de radical, je le suis dans mes a priori. Comme tout le monde. A la différence de beaucoup, je ne feins pas de l’ignorer, je le revendique. J’assure du mieux que je puis ma niche de survie écologique. Je passe ma vie, à moins que ce ne soit ma vie qui se passe de moi, à traficoter dans les sentes obscures de la poésie et du rock ‘n’roll. Dans le monde des humains, je suis un illicite. Je préfère vivre avec les concepts opératoires que sont les Dieux.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    Episode 19

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    MENACES

    Nous étions nus, couchés à même le sol, grelottants, le grand ibis rouge n’avait pas l’air content, sa voix tonnait dans le ciel d’aube pâle.

              _ …Vermines, préparez-vous à mourir, vous qui avez mis le feu à mes quatre buissons sacrés d’hibiscus, crime impardonnable !

              _ …Bon, je crois que je vais de ce pas allumer un Coronado, déclara le Chef en se levant puis s’adressant à nous, levez-vous bande d’arsouilles, et toi le grand emplumé, rabaisse ton caquet, ce n’est pas ainsi que l’on s’adresse au SSR !

    Le GIR (Grand Ibis Rouge ) s’étrangla de fureur, il émit une suite de borborygmes incompréhensibles qui traduisaient une grande ire sans grandeur, nous en profitâmes pour enfiler nos vêtements, les chiens ne bougèrent pas de leur étoile.

              _ Agent Chad, auriez-vous l’obligeance de nous ramener un lot de croissants croustillants afin de nous remettre de nos émotions, en attendant que Monsieur le déplumé retrouve l’usage de la parole humaine.

    Quand je revins le GIB n’en avait pas fini d’expectorer d’infâmes gargouillements

              … grtbk klzx, pdtz, ngtm, dxqr, fwvc…

              … Quel bruit horrible se plaignait Françoise, on dirait un WC bouché !

              … Pas du tout, répliqua le Chef, quel manque de culture chère Françoise, c’est simplement la transcription gutturale et glossolalique des hiéroglyphes de la malédiction de Thot inscrite sur le mur nord de la troisième antichambre de la tombe de Touthânkamon, mais que vous apprend-on en maternelle, quelle ignorance, je n’en crois pas mes oreilles, de toutes les manières, nous en avons encore pour trois quarts - d’heure, l’imprécation aux ennemis de Thot est une des plus longues, certains égyptologues l’attribuent à Seth, une erreur déplorable !

    Les filles avaient préparé le café, je déposai mon paquet de gâteries que j’avais ramené de la boulangerie sur la table basse que Joël avait installée entourée de poufs sur l’ordre du Chef au centre du cercle. Nous déjeunâmes avec appétit, engloutissant, croissants, chocolatines, babas au rhum, millefeuilles, j‘avais même eu la délicatesse de choisir une tarte aux framboises pour Framboise, les cabotos ragaillardis par les effluves alléchants se rallièrent à nous et Molossito avait déjà enfourné trois Paris-Brest lorsque le GIR stoppa son ésotérique sabir et s’adressa à nous sur un ton comminatoire en la douce langue ronsardienne :

              … Misérables créatures, dans quelques minutes vous serez la proie des helminthes, mon messager de la mort n’est plus très loin, je l’ai retiré des limbes de son cercueil, il vient assoiffé de sang, telle une goule malfaisante, tremblez humbles mortels, agenouillez-vous et implorez ma clémence, que je refuserai de vous accorder, votre humiliation aura le goût délicieux d’un fruit succulent !

              … Agent Chad, auriez-vous du feu, pour mon Coronado !

        … Voici Chef, et toi le perroquet si tu pouvais te taire, ce serait parfait, espèce de paltoquet toqué en plaqué de contreplaqué, ferme ton claque-merde !  

    Je sais ce n’est pas poli, mais cette espèce de volatile rougeâtre me tapait sur les nerfs, ensuite je me dois d’être fidèle à la vérité historique de cette scène cruciale pour l’avenir de l’humanité.

              … Votre insouciance vous perdra, impies mortels je serai impitoyable, tant pis pour vous le messager de la mort est tout près de vous, je vous laisse méditer votre inconséquence le temps qu’il arrive. Silence, vous entendrez ainsi le bruit de ses pas !

    LE MESSAGER DE LA MORT

    Dans les minutes qui suivirent nous n’entendîmes que le bruit d’une allumette sur son grattoir, le Chef se préparait à fumer un Coronado. Il n’eut pas le temps d’aspirer afin que le bout du cigare s’embrasât, l’on marchait dans le corridor, il était indéniable que les enjambées du Destin se rapprochaient. Les filles pâlirent, les cabots grognèrent. L’on ouvrait la porte extérieure de la cabane, il y eut trente secondes de silence plus longues que l’éternité de la mort… Derrière la porte qui s’ouvrait sur le jardin l’on prenait plaisir à nous faire attendre, le Chef en profita pour tirer sur son Coronado, dégageant une intense vapeur, hélas point aussi psychédélique comme le dernier disque de Tony Marlow, les gonds rouillés émirent un grincement sinistre, enfin il apparut. C’était, in person, Charlie Watts !

              … Ce bon vieux Charlie ! marmonna le Chef

    Charlie, ne parut pas l’avoir entendu. Il s’arrêta, nous regarda et tira lentement son long bec métallique qu’il ajusta sur son visage. Le GIR gira au rouge cramoisi, les filles essayèrent de retenir quelques manifestations de terreur, leurs dents claquaient comme les castagnettes qui accompagnent les danseurs de flamenco, là-bas, en Espagne… les chiens glapirent de terreur, tandis que Charlie s’approchait à pas lents, soudainement ils se mirent à hurler à la mort.

    Charlie se rapprocha, il avait choisi sa première victime, il s’approcha du Chef et pencha son bec meurtrier vers son visage, le Chef en profita pour relâcher un nuage de fumée aussi inattendue qu’une bouffée délirante.

    Ce fut à ce moment-là que résonnèrent les aboiements joyeux de Molossa et de Molossito qui gambadèrent remuant la queue de contentement tout en se dirigeant vers la porte du jardin. Ingratitude canine qui préfère abandonner leur maître que mourir avec eux, je crus que c’était la dernière pensée de mon existence, mais à l’intérieur de la cahute des ouah ! ouah ! vigoureux se firent entendre, et subitement apparut Rouky. En deux secondes la brave bête visualisa la situation, courut vers Charlie et se jeta dans ses bras. De sa gueule il dépouilla son maître de son bec mortel qu’il jeta à terre, Molossa et Molossito s’en saisirent et disparurent en emportant dans leurs gueules la terrible arme blanche.

     Rouky léchait fébrilement le visage de Charlie Watts, il sembla peu à peu réendosser une apparence plus humaine, son visage recouvrait doucement une   légère teinte rose, il passa ses mains sur ses yeux et son regard acquit une profondeur qu’il n’avait pas auparavant. Je supposais que la salive de Rouky opérait de même que le sang d’un bélier noir que les anciens grecs immolaient au bord d’une fosse dans le but que les âmes des morts soient attirées par le chaud liquide et vinssent retrouver leurs souvenirs de vivants.

    (La conversation qui suit se déroula en anglais qu’en tant qu’agents du SSR nous maîtrisons parfaitement, toutefois la voici reproduite en français pour les lecteurs qui ne s’endorment le soir ni se réveillent le matin, en débitant par cœur une longue tirade de Shakespeare puissent n’en perdre une miette.)

              … Asseyez-vous, Charlie, je vous en prie, prenez place parmi nous, invita le Chef en désignant un pouf vide que je m’empressai de glisser sous les augustes fesses du batteur des Rolling Stones.

              … Euh ! merci (Charlie cherchait ses mots) euh, où suis-je exactement, et euh qui êtes-vous euh, je croyais que j’étais mort…

               … Je vous rassure cher Charlie, vous êtes bien mort, nous sommes les agents du Service Secret du Rock ‘n’ Roll, nous sommes dans le jardin de notre abri anti-atomique clandestin.

             … SSR… SSR… oui je me souviens, c’est vous qui une fois avez récupéré Keith dans la jungle…

              … L’on ne peut rien vous cacher, c’est bien nous, la mémoire vous revient !

              … Oui… elle est comme obstruée par des scènes de meurtres auxquels je ne comprends rien, j’ai une étrange sensation, un grand oiseau rouge, beaucoup de cadavres et beaucoup de sang…je…

    Les trois chiens insouciants qui jouaient à chat arrêtèrent subitement leur course effrénée   brusquement ils pointèrent leur museau vers le ciel et se lancèrent dans un furieux concerts de jappements de mauvais augure. Le GIR, nous l’avions oublié cet oiseau, sa silhouette sembla grandir démesurément, elle était aussi haute que la tour Eiffel, tout Paris devait l’apercevoir, une voix tonnante retentit :

             … Charlie lève-toi, n’oublie pas ta mission, n’oublie pas que tu es un guerrier du Grand Ibis Rouge ! Lève-toi Charlie, c’est un ordre !

    Et Charlie se leva…

    A suivre