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chuck berry

  • CHRONIQUES DE POURPRE 615 : KR'TNT 615 : CYNTHIA WEIL /MUDDY GORDY / CHUCK BERRY / LUKE HAINES / WILLIE TEE / TORONTO ROCK'N'ROLL FESTIVAL / HERETOIR / THE CASTELLOWS / LIPSTICK VIBRATORS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 615

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 10 / 2023

     

    CYNTHIA WEIL / MUDDY GURDY / CHUCK BERRY

      LUKE HAINES / WILLIE TEE

    TORONTO ROCK ‘N’ ROLL FESTIVAL

    HERETOIR / THE CASTELLOWS

    LIPSTICK VIBRATORS

                                                                                                                                                                                                                                               

    Sur ce site : livraisons 318 – 615

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    Weil que Weil

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             Goffin & King, Barry & Greenwich, et Mann & Weil furent les trois dream teams de choc du Brill, en tous les cas les plus connus. Ils sont entrés dans la légende du rock avec un tas de hits intemporels, certains co-écrits avec Totor qui n’était pas manchot quand il s’agissait de créer de la magie. «River Deep Mountain High» reste le meilleur exemple de collaboration entre Totor et Ellie Greenwich. Disons que les hits composés par Ellie Greenwich étaient les plus évidents. Ceux composé par le team Mann & Weil étaient beaucoup plus sophistiqués. Étant donné que Cynthia Weil vient de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage avec, comme d’usage, les moyens du bord, c’est-à-dire deux bonnes vieilles compiles Ace.

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             La première s’appelle Glitter And Gold (Words And Music By Barry Mann And Cynthia Weil). Elle date de 2009. Treize ans déjà ! Chaque mois, dans Record Collector, la page de pub d’Ali Bab-Ace annonce les nouveautés et on saute systématiquement sur toutes ces compiles. C’est même une ligne de budget prioritaire. Ace d’abord, pour le reste on verra.

             Mick Patrick signe les liners de ce premier tome. On apprend qu’avant de collaborer avec Barry Mann, Cynthia bossait avec Carole King, à la demande de Don Kirshner. Puis comme elle avait flashé sur Barry qu’elle trouvait mignon (cute), elle a réussi à l’approcher pour bosser avec lui et pouf, ils se sont mariés dans la foulée. Mick Patrick dit qu’ils sont restés toute leur vie ensemble, avec, comme le font les gens intelligents, des coupures pour aller respirer un autre air. Changer de crémerie, comme on dit. Barry composait la musique et Cynthia écrivait les paroles. Voilà ce qu’on appelle un dream team. À la ville comme à la scène. Tous les ceusses qui ont vécu l’expérience du dream team dans le business créatif savent à quel point c’est une expérience irremplaçable. Monter une boîte avec une âme sœur et en vivre grassement, c’est l’expérience ultime. Après, c’est très compliqué de vivre des relations sentimentales classiques. On s’y ennuie comme un rat mort. Dans leur grande majorité, les gens n’ont aucune idée de ce qu’est une conduite de projet. Un projet est à l’image de la vie : ça se conçoit, dans l’optique d’un développement et accessoirement d’une réussite. Et c’est généralement beaucoup moins compliqué qu’on ne l’imagine. Bien sûr, il faut quelques dispositions on va dire culturelles, et une certaine vision des choses, qui inclut bien sûr un goût du risque. Il faut surtout éviter de vouloir gérer. Le rationalisme économique et l’élan créatif n’ont jamais fait bon ménage. Chacun sait qu’un bon gestionnaire peut être le pire des beaufs. Le beauf tue tout dans l’œuf. Dès qu’un mec commence à te parler de tableaux Excel, il faut se méfier.

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             Le premier gros hit de Mann & Weil est l’«On Broadway» des Drifters. À la place d’«On Broadway», on peut entendre «In The Park» sur cette compile et constater une fois encore que les Drifters chantent comme des dieux. Cynthia et Barry considèrent Don Kirshner comme leur père, même s’il n’est pas beaucoup plus vieux qu’eux. En 1964, Donnie revend sa boîte Aldon à Screen Gems-Columbia et il quitte le Brill pour s’installer dans les luxueux locaux de Columbia.

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    Ça casse un peu leur relation, mais bon, ils continuent de composer et boom, ils collaborent avec Totor et pondent le «Walking In The Rain» pour les Ronettes, et l’inexorable «You’ve Lost That Loving Feeling» pour les Righteous Brothers. C’est là que Cynthia et Barry entrent dans la légende, par la grande porte. Bien sûr, ces deux hits ne sont pas sur cette compile. Mick Patrick a préféré choisir «See That Girl», qu’il qualifie d’hidden gem. Cynthia et Barry composent aussi «Kicks» et «Hungry» pour Paul Revere & The Raiders. «Hungry» est là, extrêmement sophistiqué, et c’est Del Shannon qui tape le «Kicks» avec du power à revendre. Autre hit considérable, «I Just Can’t Help Believing» pour B.J. Thomas, le chouchou de Chips. Il fait du Fred Neil, quel fantastique chanteur ! Le premier coup de génie de la compile, c’est Bill Medley avec «Brown Eyed Woman», il a le power du diable, le même genre de power que Lanegan, il va loin dans les profondeurs, et il a des chœurs de cathédrale. Barry Mann reprendra «Brown Eyed Woman» sur Barry Mann, l’un de ses albums solo. Deuxième coup de génie avec Bruce & Terry et «Girl It’s Happening Right Now» : c’est l’apothéose de Bruce Johnston, futur Beach Boy, et de Terry Melcher, le producteur des early Byrds.

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    Le Patrick en profite pour nous rappeler que ce génie purulent de Bruce Johnston a produit l’album Survivor de Barry Mann, paru sur le label Equinox de Terry Melcher. N’en jetez plus, monsieur Patrick, la coupe est pleine ! Coup de génie encore avec The 2 Of Clubs et «Let Me Walk With You», deux filles magiques de Cincinnati qui ont beaucoup de goût (great taste) et qui font un festival. Et puis bien sûr Dion avec «Make The Woman Love Me», produit par Totor, pour bien enfoncer le clou. Le Patrick va même jusqu’à dire que Born To Be With You, dont est tirée cette merveille, is one of the best albums ever made. Ça n’engage que lui, mais il n’a pas tout à fait tort. On trouve aussi la grande Joanie Sommers avec un «I’d Be So Good For You» magnifique de sucre suprême. Elle reste l’une des reines des Sixties.

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    Magie pure encore avec Arthur Alexander et ««Where Have You Been (All My Life)», et surtout les Cinderellas et un «Please Don’t Wake Me», très Spectorish. Les Cinderellas sont aussi les Cookies, avec Margaret Ross on lead, à la place d’Earl-Jean McCrea. Ah les Tokens ! Toujours intéressants, même si «It’s A Happening World» est un peu poppy poppah. Petite révélation avec le «Chico’s Girl» des Girls, un girl-group dans la veine des Shangri-Las. Ces sales petites chipies tapent dans l’écho du temps, le temps de deux singles et puis s’en vont. Ambiance à la Righteous Brothers pour le «Magic Town» des Vogues. Donna Lauren bénéficie d’un petit Wall Of Sound pour «That’s The Boy». Elle est blanche mais elle sonne comme les Ronettes. Le Patrick indique que ce «Magic Town» est resté inédit et qu’il en existe une version par Lesley Gore. Pour «The Coldest Night Of The Year», Nino tempo et April Stevens y vont au beau chant du cygne. Sylvia Shemwell prend le lead des Sweet Inspirations sur «It’s Not Easy». Il injecte tout le gospel d’église en bois dont elle est capable. 

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             Sur la pochette de Born To Be Together - The Songs Of Barry Mann & Cynthia Weil, Cynthia et Barry forment un joli couple. Leur musique est à leur image, the Dream Team Sound. «Barry Mann and Cynthia Weil are songwriting royalty», nous dit Mick Patrick. Ils sont en effet servis par les plus grands interprètes de leur temps. Ceux qu’on épingle en premier sont Clyde McPhatter et Bobby Hebb.

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    Ce géant qu’est McPhatter descend comme une ombre sur l’«On Broadway». On se régale de sa fantastique présence vocale, de son timbre profond et tranchant. Bobby Hebb est l’un des rois du groove comme le montre «Good Good Lovin’». Fabuleux crooner de baby d’all I need. Ce sont les Ronettes qui ouvrent le bal avec le morceau titre. Magie d’époque. Ce «Born To Be Together» est beaucoup plus sophistiqué que «Be My Baby». S’ensuit l’«Angelica» de Scott Walker. C’est digne de Burt : puissant et raffiné.

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    Ace a la main lourde cette fois : voilà «You’ve Lost That Loving Feeling» des Righteous Brothers, le hit parfait et même définitif. Merci Totor. Merci Barry. Merci Cynthia. Absolue perfection de la pop de Brill. Le Patrick nous en conte la genèse : Barry et Cynthia viennent à Los Angeles pour bosser avec Brian Wilson, mais ils commencent à bosser ensemble dans leur chambre d’hôtel, inspirés par l’«I Need Your Loving» des Four Tops. Barry pond l’intro, «You never close your eyes anymore when I kiss your lips» et le premier couplet. Une heure plus tard, il a deux couplets et un titre provisoire, «You’ve Lost That Loving Feeling», qu’il compte remplacer plus tard. Le lendemain, ils vont chez Totor pour compléter la compo. Totor pianote une idée de pont sur le lick d’«Hang On Sloopy», et Cynthia miaule : «Baby I get down on my knees for you !». Ils ont le hit ! Quelques jours plus tard, Barry et Totor chantent la compo aux Righteous Brothers qui restent de marbre. Bill Medley dit : «Sounds good», et ajoute «for the Everly Brothers.» Totor leur demande d’essayer. Il dit à Bill de chanter le couplet et à Bobby Hatfield d’entrer dans le refrain. Bobby n’est pas content. Il ronchonne : «Qu’est-ce que je fais pendant que le big guy chante ?», et Totor lui balance : «You can go to the bank !». Quelques semaines plus tard, Totor a fini d’enregistrer le hit et il le fait écouter à Barry qui gueule : «Phil, you’ve got it on the wrong speed !». Bobby l’avait composé three ticks faster and a tone and a half higher. Of course, Totor savait ce qu’il faisait. Méchante histoire ! Mick Patrick conclut en indiquant que «You’ve Lost That Loving Feeling» a été le hit le plus diffusé du XXe siècle. Il ajoute que Barry et Cynthia n’ont par contre jamais composé avec Brian Wilson.  

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             On reste dans les monstres sacrés avec Dusty chérie et «I Wanna Make You Happy». elle se faufile dans la pop de Soul, elle s’adapte bien à la sophistication du couple. Nouveau coup de tonnerre avec les Animals et «We’ve Gotta Get Out Of This Place», emmené par un beau drive de Chas. Eric Burdon t’explose vite la carlingue du Gotta. Pur genius de Max la menace. On salue bien bas cette merveilleuse combinaison : Newcastle cats + Brill. Panache & power. Par contre, Barry et Cynthia détestent la version des Animals. Ils avaient composé «We’ve Gotta Get Out Of This Place» pour les Righteous Brothers, mais Barry avait montré la compo à Allen Klein qui l’a aussitôt refilée à Mickie Mort, le producteur des Animals. Barry et Cynthia étaient furieux, car Mickie Most avait charclé la moitié des textes pour en faire autre chose. Barry a réussi à enregistrer la bonne version en l’an 2000 sur son album Soul & Inspiration.

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             D’autres épouvantables merveilles arrivent à la suite : B.J. Thomas et «Rock And Roll Lullaby». Ces compiles soignées permettent de revisiter une partie de l’histoire du rock moderne à travers un choix d’interprètes somptueux. B.J. est un fabuleux crooner d’espérance, il chante de toute son âme. Pire encore : Carmen McRae With The Dixie Flyers et «Just A Little Lovin’ (Early In The Mornin’)». On se retrouve au plafond de l’étage supérieur du rock américain. Cet album fait dans doute partie des plus beaux albums de rock de tous les temps, tous mots bien pesés. Dikinson nous expliquait que Carmen avait accepté de faire un disque pop. Cette diva du jazz te déplace des montagnes, elle te balance le Little Lovin’ par-dessus les toits. Même si c’est violonné à outrance, on entend le beurre sec de Sammy Creason et le bassmatic demented de Tommy McClure, sans oublier les nappes d’orgue de Dickinson. Carmen tape dans le sommet du jazz de pop. C’est à Bill Medley qu’échoit l’honneur de refermer la marche avec «This Is A Love Song». Righteous Bill est le roi du baryton. Il sculpte le son comme Rodin l’argile. Il fait monter sa purée jusqu’en haut de l’Ararat où l’attend Moïse éberlué par le spectacle. Bill est une machine, il a dix bombes atomiques dans la poitrine, il tartine toute la pop à coups de pâté de foi, c’est un vrai charcutier, il travaille sa saucisse à pleines mains, il a vraiment des gros doigts. Vazy Bill !

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    On s’intéresse encore de près à Len Barry avec «You Baby». Ce mec est bon, même s’il est blanc. Belle pression pop. Classic New York stuff avec les Crystals et «Uptown», pur juju de silver sixties avec les castagnettes de Totor. Une belle transe d’exotica avec Rubi & The Romantics et «We’ll Love Again». Les alizés te caressent les cheveux alors que tu sirotes ton mojito. Attention à Doris Day avec «Love Him» : la mère de Terry Melcher vibre de toute sa glotte hollywoodienne. Elle a de la grâce et s’en va feuler au paradis. On croise aussi les pre-fame Slade managés par Chas, avec une version de «Shape Of Things To Come». Noddy Holder ramène tout le gras des Midlands dans la perfection pop de Mann & Weil. Tu croises aussi les Monkees avec «Love Is Only Sleeping», pur jus de Monkees, mais ce n’est pas aussi magistral que les compos de Boyce & Hart. Mama Cass Elliot a des chevaux sous le capot, comme le montre «New World Coming», mais aussi de la délicatesse. Par contre, Mariane Faithfull plonge son «Something Better» dans une belle désaille. C’est très spécial. On sent la vieille Anglaise merveilleusement anticonformiste.

    Singé : Cazengler, Weil peau

    Cynthia Weil. Disparue le 1er juin 2023

    Glitter And Gold (Words And Music By Barry Mann And Cynthia Weil). Ace Records 2009

    Born To Be Together. The Songs Of Barry Mann & Cynthia Weil. Ace Records 2013

     

     

    Muddy Gurdy manne

     - Part Two

     

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             Toujours une sorte de joie dionysiaque que de retrouver Muddy Gurdy sur scène. Tia te tient par la barbichette, avec sa sulfureuse mixture de North Mississippi Hill Country Blues, de vielle moyen-âgeuse, de boogie des champs de Millet, de vierges noires, de chants de laboureurs et bourrées auvergnates.

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    Elle propose tout simplement un art unique au monde, mais visiblement ça n’intéresse pas grand monde. Elle porte ce soir-là un délicieux taille basse et un haut très haut qui nous permet de loucher sur un ventre parfait. Elle reste en mode trio et l’homme à la vielle qui s’appelle Gilles Chabenat veille aux climats et drive le meilleur des bassmatics, celui qui a le dos rond et qui rôde dans l’ombre.

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    Sur scène, Tia invite tous les géants de la terre, Sam Cooke, J.B. Lenoir, R.L. Burnside, Fred McDowell, et pour faire bonne mesure, deux géantes, Jessie Mae Hemphill et Billie Holiday. Sa cover de «Strange Fruit» est fracassante de véracité. Tia jette dans la balance toute sa vénération pour Billie. Elle parvient à remoduler ces intonations à la perfection. C’est le meilleur hommage à Billie Holiday qu’on ait pu entendre jusqu’alors. Hommage d’autant plus marquant qu’il émane d’une blanche.

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    Un «Strange Fruit» qu’on retrouve aussi sur son dernier album, Homecoming. Même chose pour le «Chain Gang» de Sam Cooke, l’«You Gotta Move» de Fred McDowell, le «Down In Mississippi» de J.B. Lenoir et le «Tell Me You Love Me» de Jessie Mae Hemphill. Toutes les covers sont admirablement drivées et interprétées, elle est dans son monde magique et en fait profiter les gens. Elle a laissé tomber les Junior Kimbrough et le «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill de la première époque. Mais elle garde quand même un vieux shoot de R.L. avec «Way Down South» dont elle restitue tout l’éclat.

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    Elle indique en présentant le cut qu’il est un peu devenu un hymne là-bas, dans le Mississippi. Elle termine ce fabuleux set avec un «Skinny Man» qui n’est sur aucun album, solide boogie blues monté sur un bassmatic de vielle dévorant. Et puis en rappel, ils proposent le vieux Gotta Move de Mississippi Fred McDowell qu’ont tapé les Stones en leur temps.

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             Homecoming est donc un album qui grouille de puces. Tu vas te gratter pendant une heure, mais tu vas adorer ça. Tia Gouttebel commence par taper dans Jessie Mae Hemphill avec «Lord Help The Poor & Needy». Avec la vielle, ça prend vite des tours historiques, au sens du moyen-âge, mais Tia contrôle bien la situation. Il y a plus d’esprit dans ce cut que de cheveux sur la tête à Mathieu. Avec la sauvagerie du beat moyen-âgeux, The Poor & Needy te monte vite au cerveau. Elle tape ensuite dans le «Chain Gang» de Sam Cooke, elle shake sa chique au ouh ah, elle rend un bel hommage aux forçats. On reste chez les géants avec J.B. Lenoir dont elle reprend le fabuleux «Down In Mississippi». Wow, Tia ! Elle y va au jeebee, elle plonge profondément dans le down, cet hommage est l’un des plus beaux du genre. Elle revient à son cher North Mississippi Hill Country Blues avec «MG’s Boogie», le boogie de Muddy Gurdy. Elle cavale à travers la plaine avec un brio stupéfiant. Elle attaque son «Land’s Song» au going down to the river. Tia est une pure et dure, comme on l’a déjà dit. On croise plus loin deux autres coups de Jarnac mythiques : une reprise de «Strange Fruit» (joli clin d’œil à Billie Holiday, avec le vent et la corde qui craque, elle est en plein dans le génie macabre du poplar tree) et puis elle tape aussi une version d’«You Gotta Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Elle balaye les Stones. C’est sa cover qui fait foi. Elle chante du ventre. Avec un son qui monte. C’est mille fois plus movin’ que la version des Stones. On entend des coups sauvages de slide dans «Another Man Done Gone» et elle gratte l’«Afro Briolage» au fast trash punk-blues. C’est battu au beurre sauvage. Le mec qui chante s’appelle Maxence Latrémolière. Avec «Black Madonna», Tia se tape un beau deep gospel blues. Elle ramène son Moyen-âge chéri dans le gospel. Quelle merveilleuse artiste ! Elle finit avec sa chouchoute Jessie Mae Hemphill et «Tell Me You Love Me». Tia tape toujours dans le mille.

    Signé : Cazengler, Muddy Gourdin

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    Muddy Gurdy. Le 106. Rouen (76). 3 octobre 2023

    Muddy Gurdy. Homecoming. L’Autre Distribution 2021

     

     

    Wizards & True Stars

    - Chuck chose en son temps

    (Part Two)

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             S’il fallait établir le hit-parade des plus gros délinquants de l’histoire du rock, Chuck Berry paraderait en tête, talonné par Steve Jones. Tous les deux ont ce qu’on appelle le diable au corps, mais c’est à une autre échelle que celle du petit roman de Raymond Radiguet qui fut, t’en souvient-il, le poulain de Jean Cocteau. Mais ici, c’est la notion de diable qui nous intéresse, pas l’histoire littéraire, bien que les deux soient intimement liées. Si l’on considère le rock comme l’œuvre du diable, alors il n’est d’accès possible au diable que par la littérature, et donc par l’histoire littéraire. En cas d’absence de culture littéraire, ça donne ce que les Anglais appellent du blank. Dans la vie, tu as le choix : soit tu regardes le journal télévisé midi et soir pour cultiver ta beaufitude, soit tu lis Cocteau, et éventuellement Radiguet, et tu écoutes Chucky Chuckah, qui en plus d’être l’un des génies du XXe siècle, avait pour singulière particularité de vivre selon la loi de sa bite, une version américaine du fameux Jean-Foutre La Bite d’Aragon. Une façon comme une autre de dire que cet homme a vécu sa vie à outrance. Le lien avec le Marquis de Sade paraît assez évident. Tant qu’on y est, on peut encore se fendre d’un joli parallèle : ces deux oiseaux ont bâti une œuvre à partir de l’overdrive libidinal, c’est-à-dire l’obsession sexuelle. Nadine, c’est Justine. 

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             Alors que tu feuillettes le dernier numéro de Record Collector, voilà que tu tombes sur la chro d’une nouvelle bio de Chucky Chuckah. Tu te dis : «Oh la la, encore une, on connaît toute l’histoire pat cœur, alors à quoi bon ?». C’est là où tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Tu crois connaître et tu ne connais pas grand-chose. Quand cesseras-tu enfin d’être si prétentieux ? Hâte-toi de te débarrasser de ton orgueil avant qu’il ne soit trop tard et qu’on t’enterre avec. Ceux que Barbey D’Aurevilly qualifiait de diaboliques acceptent aisément l’idée d’être enterrés avec leurs péchés, oui, mais certainement pas avec des tares.

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             Le book s’appelle Chuck Berry: An American Life et l’auteur RJ Smith. Jamais entendu parler du Smith en question, mais tu passes des heures extrêmement denses en sa compagnie. Il réussit l’exploit de réinstaller Chucky Chuckah sur le trône de roi du rock’n’roll, un trône qu’il partage bien sûr avec Elvis, Little Richard, Jerry Lee, Fatsy et Gene Vincent. Il faut à Smith 400 pages pour réussir cet exploit qui n’en est pas un, puisque tout le monde connaît l’histoire du trône. Mais Smith fouille dans la vie de ce co-roi et dissèque tellement les deux faces du personnage - l’obsédé sexuel et l’artiste superstar - qu’il finit par extraire l’homme de la gangue du mythe pour le rendre accessible, le temps d’un book. D’autres ont essayé, comme Peter Guralnick, avec Elvis, mais Elvis n’avait pas le même type de rapport avec le diable. Grâce ou à cause de Guralnick, Elvis est resté pris dans la gangue de son mythe. Grâce ou à cause de Smith, Chucky Chuckah en est sorti pour redevenir un homme en proie à ses démons. Humain, trop humain, comme dirait l’autre.

             Si tu es fan de Chucky Chuckah, ou plus simplement fan d’histoires de vie extra-ordinaires, alors il faut entrer dans ce fat book. Smith ne t’épargne aucun détail, ni sur les procès, ni sur les chefs d’accusation, Chucky Chuckah a poussé le bouchon assez loin, queuttard pathologique, voyeur, il a collectionné toutes les déviances, rien ne pouvait assouvir sa faim de petites chattes blanches. Mais en même temps, il écrivait des chansons, ce qui le distinguait d’Elvis, de Little Richard et de Gene Vincent. Chucky Chuckah baisait des blanches tout en créant un monde. Smith le qualifie même d’«one of the great makers of the twentielth century». Smith ajoute que c’est à partir de «Maybellene» que les Américains ont commencé à utiliser couramment l’expression «rock’n’roll».  

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             Jamais en panne d’idées, Smith propose très vite un autre parallèle, cette fois avec Ike Turner. À leurs débuts, Chucky Chuckah et Ike sont en concurrence, et les autres sont loin derrière - We was the biggest shit around, dit Chucky Chuckah - Les deux sont confrontés au racisme, alors que le père d’Ike est lynché par un gang de blancs de Mississippi, Chucky Chuckah est confronté à un racisme urbain plus «fluide». Ike reste concentré sur le blues, mais Chucky Chuckah écoute la radio. Et c’est là où Smith fait son entrée triomphale dans l’art de bio : il explique à longueur de récit que Chucky Chuckah observe et écoute. Il se nourrit de diverses influences. Il se nourrit littéralement de l’Amérique pour lui offrir en échange des chansons aussi intemporelles que celles de Charles Trenet, c’est-à-dire des chansons poétiques, mélodiques et tout simplement magiques. Il travaille sa diction, il cherche à intégrer «a country feel» - so that it was harder and whiter - il met du poids dans ses mots, et s’arrange pour qu’ils tombent pile sur le beat. Chucky Chuckah : «When I went into writing ‘Maybellene’, I had a desire or intention to say the words real clear. Nat Cole taught me that. Nat Cole had a diction that was just superb.» Il travaille en même temps sa technique de gratte - In 1954 he was playing full choruses without repeating things - Ça n’a l’air de rien comme ça, mais on voit très peu de guitaristes capables de se réinventer à chaque solo. Dick Taylor est un autre exemple : jamais deux fois le même solo. Puis Chucky Chuckah flashe sur le pouvoir de l’automobile. Maybellene adore les automobiles, surtout les V8 Fords. Les automobiles, c’est pratique pour baiser des blanches en chaleur. Surtout la Cadillac. Et baiser des blanches en chaleur, pour un blackos, c’est une façon de défier l’Amérique des racistes blancs - Ridin’ along in my automobile/ My baby beside me at the wheel - Chucky Chuckah va toutes les baiser. Smith le voit comme un «astronaute afro-américain en mission pour violer toutes les pratiques contractuelles, culturelles, sociales et légales.» Chucky Chuckah va surtout violer les lois, comme on va le voir.

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             Avec «Thirty Days», il fait du hillbilly boogie : il rentre chez les blancs par la grande porte, c’est-à-dire la radio. Avec «School Days», il invente la modernité - Hail hail rock’n’roll/ Deliver me from the days of old - Il fait même coup double, selon Smith : il sort «the first protest song of rock’n’roll, a protest against boredom.» - Long live rock and roll/ The beat of the drum is loud and bold/ Rock rock rock and roll/ The feelin’ is there/ Body and soul - Il ne se limite pas à écrire des chansons intemporelles. Il énonce aussi des postulats. Un journaliste lui demande si l’on peut établir un lien entre le rock et le boogie woogie, la country et le blues, alors Chucky Chuckah lui susurre ceci : «No, you can’t draw any lines like that. Vous ne pouvez pas établir un lien entre la science et la religion, man ! Même le fil d’une lame de rasoir est rond, si vous le regardez de près. C’est comme une ombre sur le mur - no sharp edges.» Et voilà comment Smith réussit à nous inoculer le poison toxique de la pensée Chucky-Chuckienne. Il y a le contenant et le contenu, le deepy deep du contenu et la diction malaxée du contenant. Cet homme extrêmement intelligent swingue sa diction. En citant la réponse de Chucky Chuckah, Smith passe l’any d’any lines like that en ital, pour marquer l’emphase orale. Smith écoute la voix de son maître. Quand un journaliste demande : «This music, called the Big Beat, do you think it’s here for a few more months or a few more years?», Chucky Chuckah lui répond avec délectation : «It’s been  here.» Il insiste et répète comme s’il chantait, «It’s been here. No it’s been here for a long while. As long as music will be here. It’s rhythm and Soul put together, that’s this big beat that you speak of. No it isn’t new - it’s new to a lot of people, believe me. But it’s not new. Beeeeeen around a long tiiiime, just being introduced under a new name.» Pareil Chucky Chuckah met le poids sur l’here d’it’s been here. Et pour que sa phrase prenne encore du poids, il ne dit pas for a long time, mais for a long while, parce que ça sonne mieux. Chucky Chuckah fait bien sûr référence à Congo Square qu’il est allé voir lorsqu’il se produisait à la Nouvelle Orleans. Been here for a long while, c’est quatre siècles d’esclavage. Chucky Chuckah est l’un de ceux qui a su le mieux régler ses comptes avec l’Amérique blanche esclavagiste.

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    ( Newport 1958 )

             Il s’y est pris différemment. Alors que Little Richard (et Jerry Lee) incarnaient Shiva the Destroyer, Chucky Chuckah bâtissait son œuvre et s’assurait que les fondations allaient tenir. Smith ajoute : «Little Richard was religion, or if you want, oblivion. Chuck was pure fun.» Et il est passé comme une lettre à la poste. L’un de ceux qui a le mieux compris l’emprise de Chucky Chuckah sur son temps, c’est Jim Dickinson qui a rassemblé tous ses talents sous un seul patronyme : Chuckabilly. Quand Chucky Chuckah va jouer au Newport Festival, il s’y rend au volant de sa Cadillac rouge, décorée d’une rangée de klaxons sur l’aile, avec des stores vénitiens sur les vitres arrière et une queue de raton laveur accrochée au pot d’échappement - It was like the Sex Pistols pulling into a megachurch - Et Smith pousse le bouchon encore plus loin : «Jack Johnson. Sugar Ray Robinson. Chuck Berry. African American grandeur. Ce n’était pas l’affirmation collective du talent qu’incarnaient les géants du jazz qui régnaient à Newport, this was stick-your-neck-out star power. It was style and fire, condensed like the Hope Diamond», c’est-à-dire le plus gros diamant d’Amérique. Quand Chucky Chuckah tourne en Angleterre, il rivalise d’élégance avec les British groups, le voilà en «bespoke suits, brass buttons, leather shoes, ties monogrammed», «a towering Black dandy confounding assumptions about the wild man of beat music». Smith rappelle un autre élément fondamental : «Rien ne pouvait garantir que la musique allait prévaloir. Même chose pour l’égalité raciale, qui n’est toujours pas acquise. The originators were different from us. Operating in chaos, they acted like they had already won.» 

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    ( Wembley 1972 )

             Et puis Chucky Chuckah continue de faire ce qu’il a toujours fait, always thinking, always listening. Il garde deux books à portée de main, un dico, et un dictionnaire des synonymes et des antonymes. Il fume des Kool menthol. Il passe partout, surtout au festival de Wembley où Little richard se fait huer et le MC5 sortir à coups de canettes pleines - lucky to be alive - Creem : «Only Chuck Berry was wonderful as ever.» Tous ceux qui l’ont vu sur scène le savent, ce mec est une épouvantable machine, un juke-box à deux pattes, sans doute l’artiste le plus complet qu’on ait pu voir à l’époque sur scène. Tout au long de sa vie, Chucky Chuckah n’a compté que sur lui-même, d’ailleurs il s’en explique merveilleusement bien : «The religion that I have is yourself. You gotta depend on yourself. In the end, it’s really up to you.» Pas d’ami. Pas confiance. Et il ajoute : «God gave man free will and he’s infinite. His possibilities are infinite and the only person who can evolve is you.» C’est clair comme de l’eau de roche, mais ça l’est encore plus dit par Chucky Chuckah.

             Il arrive seul au concert, il repart seul. Pas de répètes, pas de set-list, peu d’instructions, juste «watch my foot». Smith sort aussi un épisode extrêmement significatif : la scène se déroule en 1979 à Palo Alto. Chucky Chuckah joue dans un bar et un jeune blanc barbu s’est permis de jouer de l’harmo pendant son set. Alors Chucky Chuckah le fait monter sur scène, passe son bras autour de ses épaules et déclare au public, mais aussi à l’univers tout entier : «Voici cent ans, il était mon maître. Maintenant, il est mon fils. Come on up here, son, and blow your harmonica. Only when I’m pointing to you.» Il met l’emphase sur deux mots : son et l’Only d’Only when I’m pointing to you. Et Smith ajoute ceci qui semble fondamental : «Chaque soir, entre 1955 et l’an 2000, les shows de Chuck Berry sont devenus a portable Civil War memorendum. Somebody had to pay and Chuck was all about getting paid, right down to extracting reparations from ramdom harmonica players.» Il est le seul à avoir réussi cet exploit. Ni Martin Luther King, ni Malcolm X, ni Spike Lee n’ont réussi à faire payer les blancs. Le seul qui a su le faire, c’est Chucky Chuckah. Cash. C’est la raison pour laquelle cet homme est un héros des temps modernes. Avec ses chansons, il a redéfini les règles, «the letter of the law», celles qu’on avait utilisé contre lui, alors il les a démontées pour en faire d’autres, les siennes - If the law was the American way, space would be found in it for him. Here too he would be explaining America to Americans, night after night - Il réclame du cash, toujours plus de cash. Comme la salle est pleine et que le public le réclame, il tient bon.

             Il garde miraculeusement les idées claires : «I never looked for recognition. I just wanted to see how far a person could go if he applied himself.» Il rappelle qu’il a toujours adoré inventer. Son père bricolait un système de mouvement perpétuel, comme le fit ici Tinguely - I like to make things and go to places - Il récite un poème de Tennyson, Break Break Break, scande ses strophes à propos du temps et de la mort, le travail des mains, le mouvement perpétuel, la poésie qui a toujours été autour de lui - So we put it on the music, actually - Mais c’est une poésie typiquement américaine, Smith s’en gargarise, «the candy store, the soda fountain, the grill, the dinner» et il tire l’overdrive : «Pop’s Chock’lit Shoppe, Arnold’s Drive-in, Bob’s Big Boy», tout cette teen culture swingue toute seule, Chucky Chuckah l’observe pour la faire couler dans ses hits.

             Et puis voilà le délinquant. En 1944, Chucky Chuckah et ses deux potes siphonnent des réservoirs, fracturent des portières, volent dans les magasins et se collent aux fenêtres des salles de bain pour reluquer des grosses femmes blanches à poil. Un beau jour, ils montent tous les trois à bord de l’oldsmobile et décident d’aller à Los Angeles. Au bout d’une heure de route, ils s’arrêtent pour casser la graine au Southern Air, à Wentzville, mais on refuse de les servir à table. Les nègres doivent aller commander derrière, à la porte de la cuisine - Quarante ans plus tard, Chucky Chuckah rachètera ce restaurant, histoire de laver l’affront - Ils roulent, puis le copain Skip va braquer une boulangerie : 62 $. Le lendemain, ils arrivent à Kansas City et Chucky Chuckah va braquer un coiffeur avec son broken pistol : 32 $. Le cinquième jour, ils braquent un magasin de fringues : 51 $. Bien sûr, ils se font poirer, direction le trou. Le père de Chucky Chuckah réussit à trouver un avocat pour 125 $. Le jugement dure 20 minutes et ils se prennent tous les trois dix piges dans la barbe. Chucky Chuckah est envoyé à l’Algoa Intermediate Reformary for Young Men. Il va y moisir trois piges. C’est le premier épisode de sa carrière de délinquant. En 1959, il est à nouveau condamné pour violation du Mann Act (traverser une frontière d’état en compagnie d’une mineure blanche) et port d’arme illégal. 5 piges pour le port d’armes, et 5 pour le Mann Act. Comme dans le premier cas, Chucky Chuckah est victime de l’effroyable brutalité des juges blancs. Il fait appel et un juge finit par le condamner à 3 piges et à 5 000 $ d’amende. Il est obligé de fermer son club, le Bandstand, «a business run by a flamboyant Black man.» Smith rappelle qu’Edgar Hoover est obsédé par les affaires de sexe inter-racial, et donc l’idée du Bandstand ne passait pas : un club où les Blacks et les blanches peuvent danser ensemble, non ! Chucky Chuckah aimait rouler dans sa Cadillac rose, il aimait baiser à l’arrière avec une blanche, pendant que Johnnie Johnson conduisait - He was a target, a victim and victimizer.   

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             La deuxième fois qu’on l’envoie au trou, il atterrit à Springfied, Missouri. Là il apprend à jouer aux échecs et à taper à la machine. Il prend des cours de compta et de business management, et passe un diplôme. Il récupère une guitare et écrit des chansons qui vont figurer parmi les plus importantes de sa carrière : «Nadine», «No Particular Place To Go», «Promised Land», «Tulane» et «You Never Can Tell». C’est drôle, chaque fois qu’on tape ces titres, on les entend dans la tête, surtout «You Never Can Tell» - C’est la vie/ Say the old folks/ It goes to show you never can tell - encore un hit magique. On est chaque fois frappé par l’élégance mélodique et rythmique de ces vieux hits, et par leur modernité. Par contre, la versions des Stones vieillissent mal. Quand il sort du trou, Chucky Chuckah est assez content : «Quand je suis rentré chez moi, je savais ce qu’était une société. Je connaissais la comptabilité. Plus, it’s easy to count my blessings as well as my misfortunes and I did. And I weighted them. I came back in a better position to handle life.» Les blancs racistes n’ont pas réussi à le briser. Chucky Chuckah revient dans le circuit, plus solide que jamais. 

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             Côté influences, il en reconnaît deux : Charlie Christian - The greatest guitar player that ever was - et Carl Hogan, le guitariste de Louis Jordan - Most of my guitar licks came from Carl Hogan and Charlie Christian, lâche Chucky Chuckah dans un soupir. Smith apporte des précisions qui nous éclairent sur le style de Chucky Chuckah : «Hogan payed on the top of the beat, which was fresh, and he put his weight on the second and fourth beat in the measure, and these two things rendered him sly, together, casually commanding. Never playing too much.» Tout le chuckle de Chucky Chuckah vient de là. Le ding-a-ling.

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             C’est en 1955 qu’il débarque à Chicago, the blues town. C’est là que se trouve Muddy Waters. Chucky Chuckah veut le rencontrer. Il le chope au Drew Drop Lounge. Muddy lui donne l’adresse de Chess et lui dit que le bureau ouvre à 9 h et que Leonard le renard arrive à 10 h - Dis à Leonard que tu viens de ma part - Chucky Chuckah le chope le lendemain matin, Leonard l’écoute et lui dit de revenir avec une démo. Chucky Chuckah se magne de rentrer à Saint-Louis enregistrer sa démo avec Ebbie Hardy et Johnnie Johnson. C’est un fast hillbilly cut, «Ida Mae», pompé sur «Ida Red». Il ramène la démo à Leonard le renard. Et en mai 1955, Chucky Chuckah enregistre chez Chess. Il observe attentivement, voit que Phil n’est qu’un sous-fifre, le big kingpin, c’est Leonard le renard. Il voit aussi que le kingpin ne connaît qu’un seul mot : motherfucker. «Il le dit quand il est contrarié, quand il est excité ou quand il ne sait pas quoi dire.» Motherfucker ! Dans le studio se trouve Willie Dixon, the centerpiece of the Chicago blues scene. Ils rebaptisent «Ida Mae» «Maybellene». Chucky Chuckah dit que c’est lui qui rebaptise, Johnnie Johnson dit que c’est Leonard, enfin bref, on s’en fout, «Maybellene» est un cut révolutionnaire pour l’époque. Phil Chess : «This was an entirely different kind of music.» 36 prises. Chucky Chuckah entre dans la cour des grands, un an après Elvis («That’s Alright Mama»), quelques mois avant Little Richard («Tutti Frutti») et un an avant Gene Vincent («Be-Bop A Lula»). Mais il est vite confronté aux méthodes brutales de Leonard le renard. Quand il reçoit son premier chèque de song-writing royalties, il voit les noms de deux co-writers associés au sien : Russ Fratto et Alan Freed. Dans cette affaire, Chucky Chuckah n’est pas le seul délinquant. Leonard le renard est encore plus roublard. Il monte une boîte, ABC, qui lui permet de ne pas verser de royalties sur les ventes aux artistes, même s’il s’agit de 2 cents par disque vendu. Au lieu de lui rentrer dans la gueule, Chucky Chuckah va en prendre de la graine.

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             Il va faire du biz à sa façon. Il devient son propre Colonel Parker. Il part en tournée et gère tous le biz à SA façon. Le book de Smith regorge de biz, c’est un bonheur que de lire ces pages. La première chose que Chucky Chuckah fait quand il part en tournée, c’est charger son flingue. Avant son deuxième séjour au Club Med, son cachet s’élevait à 1 200 $, et à sa sortie, il est passé à 2 000 $. Pendant une tournée anglaise organisée par Don Arden, Chucky Chuckah leur fait le coup du supplément : il doit monter sur scène à L’Hammersmith Odeon et s’enferme dans sa loge. Il réclame 1 000 $ supplémentaires. C’est Eric Burdon qui observe la scène, hilare : il voit le gangster Arden et son gorille Peter Grant à quatre pattes glisser du cash sous la porte et supplier Chucky Chuckah de sortir. De l’autre côté de la porte, il en rajoute : «Nah, it’s still another 500 bucks till I come out.» Il pousse le bouchon, il a raison. Et dans la salle, les rockers s’impatientent et menacent de tout casser.

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    ( Toronto 1969 )

             En 1966, Chucky Chuckah quitte Chess pour Mercury qui lui propose le pactole : 60 000 $. Leonard le renard lui serre la main et lui souhaite bonne chance, ajoutant qu’il sera de retour dans trois ans. No bad feelings. Just a buiness deal, dit Chucky Chuckah. John Phillips, qui organise le festival de Monterey, l’invite : il lui explique au téléphone qu’il va devoir jouer à l’œil, car c’est un concert de charité, et Chucky Chuckah lui répond : «Chuck Berry has only one charity and that’s Chuck Berry. $2.000.» Cette cloche de Phillips conclut en disant qu’il ne pouvait pas faire une exception et c’est non. Un autre témoin voit Chucky Chuckah «négocier» avec un promoteur, juste avant un concert. Chucky Chuckah compte ses billets et dit au blanc : «This is short.» Puis il monte sur scène, accorde sa guitare et dit au public que les amplis ne correspondent pas à ce qui est écrit sur le contrat, alors il sort de scène. Il retourne voir le promoteur avec sa mallette, l’ouvre et le mec y rajoute du cash. Et puis il y a ce concert à Paris avec Jerry Lee. Un premier mai. Shoote habituelle avec Jerry Lee pour la tête d’affiche. Chucky Chuckah accepte de passer avant Jerry Lee for a little more cash. Mais quand il voit le stade plein comme un œuf, il se dit qu’il n’a pas demandé assez. Il demande un très gros supplément. Les Français expliquent que c’est une fête socialiste - Mr Berry, you do not understand. We are socialists - Chucky Chuckah : «Fuck socialism. I want my money.» Et puis il y a l’épisode le plus célèbre, celui du film Hail Hail Rock’n’Roll. La réalisatrice estime que Chucky Chuckah a «extorqué» 800 000 $ à la production. «Ils veulent le faire répéter ? Ça coûte tant. Utiliser ses amplis pour le film ? 500 $ cash. Aller chercher Linda Ronstadt à l’aéroport ? 500 $ pour utiliser la bagnole.» Keef qui observe tout ça éprouve de l’empathie pour cet homme qui se bat avec ses moyens. Le concert final qui doit être filmé a lieu au Fox Theatre et Chucky Chuckah demande du cash en plus pour le premier soir et 25 000 $ supplémentaires, cash, pour le concert final. Stephanie Bennett réussit à rassembler le cash, le fourre dans une enveloppe en papier brun, frappe à la porte de la loge, et balance l’enveloppe dans la gueule de Chucky Chuckah - It hit him in the head - Tous ces détails sont importants, ça permet de situer les choses. Inutile de préciser que Bennett est blanche. Dernière chose à propos de ce film : c’est Steve Jordan qui a assemblé le backing band. Il fallait bien sûr faire venir Johnnie Johnson qui à l’époque conduisait un bus pour vivre. Il a accepté de venir, à condition qu’on lui paye des dents neuves, ce que Bennett a fait.

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             Chucky Chuckah a fréquenté pas mal de gens intéressants, à commencer par Bo Diddley. Ils ont démarré exactement en même temps et ils s’entendaient bien. Deke Dickerson : «These early fifties rock’n’roll guys, they were all insane. And Chuck Berry is sort of famous for being a complete nut.» Smith explique ça très bien : «Pushed to the margins, they made the margins seem like an incredible place to be.» Smith analyse finement les choses. Il prend chaque fois un angle original. Et puis il y a Jerry Lee, l’habituelle compétition, mais les témoins de l’époque sont formels : Chucky Chuckah sort toujours vainqueur. John Sinclair : «Jerry Lee Lewis is a bad motherfucker, and Chuck mopped the floor with him. Chuck came out and fucking murdered. I will never forget that.»

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    Avec les Stones, la relation a toujours été compliquée. Les Stones tapent dans ses hits, mais Chucky Chuckah n’a aucune envie de les fréquenter. Pas facile de fricoter avec un blackos de 38 balais déjà plusieurs fois condamné. Keef est le plus dévoué, au point de vouloir faire un film. Lors de sa dernière rencontre avec Chucky Chuckah, il l’attendait dans sa loge. Il a vu la guitare, et alors qu’il s’en emparait pour gratter un peu, Chucky Chuckah est arrivé. Boom, son poing dans la gueule. Keef a admis plus tard qu’il avait commis une erreur. La guitare c’est sacré. Surtout celle de Chucky Chuckah. C’est elle qui a rendu les Stones possibles. 

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             L’autre grosse pointure qui apparaît dans la vie de Chucky Chuckah, c’est Bill Graham. Graham le veut au Fillmore. Chucky Chuckah lui répond : «The Fillmore, man? I don’t know.» Alors Graham vient le trouver chez lui à Wentzville. Chucky Chuckah l’écoute. Il fera la première partie du Dead. Mars 1967. 800 $ par concert. Le soir du premier concert, Chucky Chuckah arrive en retard. Graham le lui dit - You’re a little late - Chucky Chuckah pose sa mallette entre eux sans rien dire. Graham reçoit le message. Il veut être payé avant de jouer. Chèque ou cash ? Graham lui signe un chèque de 800 et le fait glisser sur le bureau vers Chucky Chuckah qui le signe au dos et qui le refait glisser vers Graham. Alors Graham sort le cash et Chucky Chuckah compte tranquillement les billets. Puis il lui tend la main. The deal is done. Et Chucky Chuckah miaule : «Mellow.» En 1965, Doug Sahm commet la même erreur que Keef : dans un studio de télé, il aperçoit la guitare de Chucky Chuckah. The Holy Grail, il la prend et à ce moment-là Chucky Chuckah arrive : «Hey white boy, get your hands off my guitar!». Doug a du pot, il ne s’est pas ramassé un tas comme Keef.  

             Oh et puis le sexe. Chucky Chuckah profite des tournées pour limer tout ce qu’il peut. Dès 1956, il fait partie d’un package tour avec Carl Perkins, les Spaniels, Illinois Jacquet et Shirley & Lee. Sur cette tournée, il devient pote avec Bobby Charles qui à l’époque est sur Chess. À Houston, il traîne dans le balcon réservé aux blanches et le road manager parvient à le tirer de ce guêpier juste à temps : un flic arrivait pour lui passer les menottes. À Little Rock, Arkansas, on voit Chucky Chuckah rouler une pelle à une blanche. Hyper dangereux. Le bus arrive à Mobile, Alabama et passe devant un panneau : «Welcome to the Home of the Ku Klux Klan». Bien sûr, Chucky Chuckah se fait choper sur la banquette arrière d’une bagnole avec une jeune blanche. On voit aussi régulièrement des femmes blanches sortir de sa loge - Sweet little sixteen - Il joue avec les tabous, ce qu’il appelle lui-même le «Southern hospitaboo», la collision d’hospitality, c’est-à-dire les femmes blanches affamées de bites noires, et le taboo, c’est-à-dire le danger que ça représente pour un noir dans les années 50. Pour lui, le sexe qu’il recherche et le racisme vont de pair. Baiser des blanches, il voit ça comme des représailles. Puis il fait des photos et filme ses propres parties de cul. Diane qui sera sa compagne pendant un temps fait pas mal de révélations. Au pieu, Chucky Chuckah est très inventif. C’est encore une bonne raison de lire ce fat book. Smith ne nous épargne aucun détail. Attention, ça va loin.

    Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

    RJ Smith. Chuck Berry: An American Life. Omnibus Press 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Luke la main froide

    (Part Three)

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             Pas facile de porter du blanc, qu’on soit un homme ou une femme. L’avenir du rock a toujours eu beaucoup d’admiration pour John Cale : pas une seule tâche sur le costard blanc cassé qu’il portait au temps de Paris 1919. La classe du Cale ! Le blanc permet surtout d’afficher sa crasse. Au temps des Colonies, le blanc permettait aux colonisateurs d’afficher leur crasse intellectuelle, leur mélange de racisme et de cupidité. Le blanc douteux des costumes, étoilé d’auréoles de transpiration, illustrait superbement l’infamie des mentalités. On voit ça dans tous les films qui documentent l’horreur de la colonisation. Par contre, lorsque la crasse rock s’affiche sur du blanc, c’est une merveille, une sorte de fuck off bien tempéré. Lee Brillaux n’a jamais fait laver sa veste blanche, il avait bien compris que le destin du blanc était d’être sale. Il la portait sur scène pour se rouler sur les planches, il transpirait abondamment et personne n’aurait pu dire si les taches jaunes sur les manches étaient des tâches de bière ou de vomi. L’avenir du rock aimait bien voir David Johansen en smoking blanc, il dégageait une odeur de sexe qui depuis n’a jamais été égalée. Chaque fois que l’avenir du rock porte du blanc, il s’arrange pour manger un sandwich au thon gorgé de sauce. Soit ça coule dans sa manche, soit ça goutte sur ses cuisses. Il savoure ce pur moment de débauche rock’n’roll. Il adore aussi aller se faire tailler une pipe derrière les Maréchaux. Il demande à la pute de ne pas avaler et il porte ses tâches comme des trophées, lorsqu’il va ensuite boire un verre dans un bar gay du côté de la place Dauphine. Et comme sa bagnole est une poubelle jonchée de peaux de saucisson, de mégots et de kleenex usés, il sait qu’il se trimballe avec le dos et le cul pas très nets. L’avenir du rock part du principe que l’immaculé est réservé aux dieux, et non aux mortels. En bonne Main Froide, Luke Haines part sans doute lui aussi du même principe. Pas question de faire semblant et de jouer les immaculés. Il ne fait aucun effort pour dissimuler la crasse coloniale de son costard fripé. 

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             Luke la Main Froide et Peter Buck resignent leur pacte de non-agression avec un nouvel album, All The Kids Are Super Bummed Out, qui est en fait un double CD. Comme les Beatles, Jimi Hendrix et tant d’autres avant eux, ils ont donc beaucoup de choses à dire. D’une certaine manière, ils sont tous les deux des artistes accomplis et leur coalition se présente sous les meilleurs auspices. Dans tous les cas, le voyage promet d’être intéressant. Après un mauvais départ et un ridiculous «British Army On LSD» chanté à la suspicion méticuleuse, la Main Froide se reprend avec «The Skies Are Full Of Insane Machines», et comme il veut du son, alors il a du son. Il s’acharne tellement à vouloir remonter la pente que ça finit par devenir vraiment énorme. Il est l’un des rockers anglais les plus opiniâtres. Il tourne autour de ses compos comme un crabe autour d’un trou d’eau. Il paraît même parfois un peu paumé («Sunstroke»). Il se croit le roi et il n’est rien, il faut juste rester patient en attendant Godot, c’est-à-dire les miracles. Ils finissent par se produire, avec notamment «45 Revolutions», ils y vont cette fois au heavy modernisme. Dès qu’ils passent en mode heavy, ils deviennent captivants. Avec «Won’t Ever Get Out Of Bed», la Main Froide retrouve sa veine d’Auteur, elle a du mal à sortir du lit et c’est excellent. Voilà un heavy groove de Main Froide. On reste dans les énormités avec «Psychedelic Sitar Casual», Buck sort son meilleur guitarring, c’est violent, sick & fast. S’ensuit le gros clin d’œil au glam tant attendu, «Subterranean Earth Angel», la Main Froide rentre bien dans le chou du lard, elle s’englue dans le glam jusqu’au cou. Mais quand on connaît bien la Main Froide, on comprend qu’il s’agit surtout d’un pied de nez aux Subterraneans de Nick Kent. Elle ramène aussi tous les clichés de Carter & The Unstoppable Sex Machine, elle recherche le même effet, le superstardom stadium stomp. En réalité, elle tourne tout en dérision. La Main Froide vieillit et ventripote. Elle amène la menace des Commies dans «The Commies Are Coming», ça s’infecte très vite, Buck joue dans la boue du flux, c’est assez balèze, côté idées, ils envoient même des vents dans le beat. À ce niveau de no-happening, il est essentiel de saluer le génie glacé de la Main Froide. La voilà qui gratte sa gratte sur «When I Met God». Gros lard dégueulasse et ridicule, gros plein de soupe, avec le Buck derrière à la vrille, on sent bien qu’ils s’amusent dans leur bac à sable plein de crottes de chiens.   

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             La Main Froide continue de tartiner placidement sa pop glacée sur le disk 2. Il reproduit son vieux modèle et entraîne le Buck dans son délire stérile. On sait bien que les musiciens américains sont friands de popstars anglaises. Ils font tous les deux une sorte de glue-pop subjuguée.  Dans le morceau titre, la Main Froide fait du left over de wild & spaced out, elle lâche les ballons avec un redémarrage à 3 minutes. La Main Froide se croit décidément tout permis. Elle ramène ses kids au bummed out, fait la jungle et bat tous les records de ridiculous. Sous sa jupe, c’est pas terrible. Tu claques des dents, à la vue de ce spectacle. Et voilà qu’elle se prend pour un pacha avec «You’re My Kind Of Guru». So ridiculous ! Elle revient susurrer ses vieux airs d’Auteur à l’haleine rance. La Main Froide est par définition le personnage littéraire du rock, au sens où l’entendit Alfred Jarry avec Ubu. «You’re My Kind Of Guru» est un cut réellement odieux ! Mais comment osent-ils ? C’est tellement atroce qu’on perd patience, pour aller écouter «Flying People». Retour en mode fast rock. La Main Froide porte une mini-jupe et fait sa trash. Ça tient le temps que ça tient, elle frétille de la quéquette, comme un vieux teenager. Cette prodigieuse Main Froide s’enfonce encore dans l’auto-dérision avec «Diary Of A Crap Artist». Grimée en Léon Bloy et dansant dans les fumées, la Main Froide fait de la belle pop et perd son âme. 

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             Dans un Record Collector paru l’an passé, notre Main Froide préférée revient sur ses frasques. Ah chère Main Froide ! Que deviendrait-on sans elle ? Elle raconte qu’un interviewer lui demande s’il va reformer les Auteurs et la Main Froide se fend d’un beau «nope». Il ajoute dans l’éclat d’un rictus carnassier : «Besides I’m in a band with Peter Buck now. Why on earth would I get the Auteurs back together?». Il annonce qu’il s’embarque avec Peter Buck dans une tournée qui a été reportée quatre fois grâce à cette canaille de Pandemic. Il profite de sa colonne infernale pour revenir sur son histoire et narrer d’une manière comme toujours hilarante son tout premier concert en première partie des Lurkers : «À peine avait-on joué un cut qu’on fut bombardés de verres à bière par the 200-strong crowd of skins and anarcho punx, whose only distraction from killing us was killing each other. ‘This is what I want to do in my life’, I thought.» Puis il raconte sa première tournée au sein des Servants, en première partie des Weather Prophets et des Happy Mondays - Thirty-five years later I’m still friends with everyone on that tour - Puis il évoque ses trois tournées avec Suede au temps des Auteurs. Il le fait à la Main Froide, c’est-à-dire avec une classe épouvantable : «This was supercharged amyl nitrate glam Performance (the movie) chic. And it sold. Fifteen-years old girls and boys came out in their thousands from the suburbs, in the Suede St Vitus mania.» Et chaque fois, la Main Froide rappelle qu’en tant que support act, il touchait £50 per show. Et comme il repart en tournée avec Peter Buck, il se marre car il annonce qu’il dispose à présent d’un road manager, d’un «nice bus, work permits and a really big guitar rack to put all our electric guitars in.» La dernière tournée ? «Who knows.» «Une chose est sûre, conclut froidement la Main Froide, c’est que les support bands for Luke Haines et Peter Buck are being paid £50 per show.»

    Signé : Lancelot du Luke

    Luke Haines & Peter Buck. All The Kids Are Super Bummed Out. Cherry Red 2022

    Luke Haines : Back on the road, again. Record Collector # 532 - June 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Tee veux ou Tee veux pas ? 

             Tito envisageait de devenir rock star. Il était d’ailleurs bien le seul à l’envisager. Ni sa femme ni ses amis n’auraient parié le moindre kopeck sur ses chances de réussir. Tito qui était loin d’être bête prenait tout ça en compte, mais ça n’entamait en rien sa détermination. Bien au contraire, ça la renforçait. Il était même très sûr de lui, il disait disposer d’atouts qu’il qualifiait de majeurs : une voix et une gueule. Et il ajoutait avec un franc sourire : «C’est la base, non ?». Il n’avait pas tout à fait tort : on ne croisait pas souvent des mecs au physique aussi impressionnant. Il avait ce qu’on appelle les pommettes hautes, les cheveux noirs mi-longs coiffés en épis, le menton carré et un regard clair qui plaisait aux femmes. Petit, mais présent. Intensément présent. Il pouvait chanter au chat perché et avait su travailler son anglais pour peaufiner sa diction. Il voulait une diction à l’anglaise. Il ne jurait que par Steve Marriott. Stevie, disait-il. Ne lui manquait plus que l’essentiel : un groupe, un son et des chansons. Il passa des années à chercher. Il chercha partout, dans tous les bars de la ville, dans les concerts, dans les locaux de répète, il mit des annonces dans tous les journaux locaux, et bien sûr dans les canards spécialisés. Le texte disait : «Superstar cherche trois rockers pour monter the French Small Faces.» Il rencontra quelques musiciens qui furent tellement impressionnés par sa classe qu’ils disparurent à la première occasion. Après les premières vagues d’allégresse, il traversa une phase de désenchantement. Il se mit à boire comme un trou, il démarrait le matin au blanc sec et finissait le soir au blanc sec, ce qui le rendait méchant et agressif. Alors il se battait. Il eut bientôt les deux yeux au beurre noir et le nez cassé. Il perdit bien sûr pas mal de dents. Il se mit aussi à grossir et craqua son jean plusieurs fois en public, alors qu’il se baissait pour ramasser un mégot. Sa femme le jeta dehors. Il dormait à la belle étoile en été, et dans un foyer pour clochards en hiver. Il n’était pas encore décidé à mourir. Il savait pour avoir étudié la vie de ses idoles qu’on passait facilement du stade de superstar à celui de légende vivante. Ça faisait, disait-il, «partie du boulot». Au fond de lui, Tito éprouvait un immense chagrin à voir flamme s’éteindre.      

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             Pendant que Tito brûle sa chandelle par les deux bouts, Tee tangue au gré du groove. Magnifique pianiste et groover de renom, Willie Tee fit surface à l’époque sur une compile Ace consacré à l’AFO de la Nouvelle Orleans, Gumbo Stew. Oh, il n’a pas enregistré grand chose, deux albums, mais quels albums !

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             Le premier date de 1970 et s’appelle I’m Only A Man. Il est devenu culte, pas seulement parce qu’il est produit par H.P. Barnum. Willie Tee signe la plupart de ses cuts sous son vrai nom, Earl Turbinton. On commence à frémir avec le morceau titre, un très beau groove de Soul, mais c’est un groove de Soul underground, extraordinairement pur. Il tape soudain dans le «Reach Out For Me» de Burt et ça bascule dans le génie. Willie Tee te groove le Burt à l’oss de l’ass, c’est puissant, infiltré, serré, mené à la poigne, darling reach out for me, et là tu as la clameur des Edwin Hawkins Singers. Il atteint ce qu’on appelle une rare dimension. Il balance entre les reins du Reach out et les filles claquent les chœurs comme si elles se faisaient trousser à la hussarde, wah-oouh wah-oouh. Il fait une Soul de timpani heavy jusqu’au délire avec «Walk Tall (Baby That’s What I Need)» et en B, il tape une cover de «By The Time I Get To Phoenix». Comme Isaac, il l’attaque au groove mystère, c’est-à-dire au groove black, et ça devient génial, les covers de Willie Tee sont des huitièmes merveilles du monde, il croise Jimmy Webb avec Fred Neil dans la black, sa cover te broie le cœur, ce mec te détruit et tu l’admires. Et ça continue comme ça jusqu’au bout de la B avec «Take Your Time», Willie Tee s’impose comme un roi du groove de génie, et puis voilà «I’m Related To You», groové au round midnite du coin du bar, il pianote comme un démon, il est si vivant. Il explose l’«I’m Related To You», il l’envenime, et voilà que coule un solo de gratte envenimé lui aussi, presque liquide. Tu écouterais Willie Tee jusqu’au bout de la nuit. C’est un magnifique artiste. Ses ambiances démentes l’ont rendu culte.     

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             Paru en 1976 et malgré une pochette fantastique, Anticipation n’a pas marché. Willie Tee a beau avoir de l’ampleur, Anticipation n’anticipe rien. Willie fait une Soul des jours heureux et du soft groove à forte valeur ajoutée. «Do What You Want» sonne comme un classic jive, sans distinction particulière. Il passe au heavy groove de Bogalusa avec «Liberty Belle». Il est bon le Tee, mais pas révolutionnaire. D’où le peu d’albums. Il attaque sa B avec le morceau titre et fait comme Marvin, il prône l’amour avec des nappes de violons. C’est admirable. La B est nettement plus convaincante que l’A. Willie Tee nage dans le bonheur. Avec «Let’s Live», il tape en plein dans le Marvin de What’s Going On, il a les même accents que le Marvin de «Save The Children».  

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                Les amateurs de jazz se régaleront de Brothers For Life, l’album qu’a enregistré Willie Tee avec son frangin Earl Turbinton. Willie pianote comme un crack, mais c’est un album de jazz instro.    

    Signé : Cazengler, Tee-nette

    Willie Tee. I’m Only A Man. Capitol Records 1970   

    Willie Tee. Anticipation. United Artists Records 1976   

    Earl Turbinton Featuring Willie Tee. Brothers For Life. Rounder Records 1988

     

    *

    A peine cinquante longues années d’impatience. Les rockers ne désespèrent jamais. Et ce soir dès que je me pointe sur YT une vidéo s’offre à mes regards hagards et éblouis :

    TORONTO ROCK ‘N’ ROLL REVIVAL

    13 SEPTEMBRE 1969

    (You Tube / Arte)

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    Non ce n’est pas le film Sweet Toronto / Keep on Rocking sorti en 1969 de D.  A. Pennebaker mais un documentaire de Ron Chapman diffusé à la TV canadienne. A l’inverse de Woodstock le Toronto Rock ‘n’ roll Festival n’a pas laissé auprès du grand public un souvenir impérissable… 

    La sortie du film de Pennebaker déçut une grande partie des fans de rock’n’roll non par ce qu’il montrait mais par une séquence qui n’avait pas été retenue au montage final. Pas plus tard que ce mois d’août j’en discutions encore avec Eric Calassou.

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    Toronto a failli être annulé. A peine 2000 billets vendus ! L’affiche était pourtant alléchante, Jerry Lee Lewis, Bo Diddley, Chuck Berry, Gene Vincent, Little Richard, plus une vingtaine de groupes d’époque comme Steppenwolf, même en rajoutant les Doors in extrémis pour friandiser la sauce la mayonnaise ne prenait pas. C’était pourtant une occasion inespérée de voir les Doors, tous leurs concerts venaient d’être annulés après leur tumultueuse prestation à Miami.  Pour bouger ces maudits canadiens fallait une énorme vedette, une figure tutélaire, encore plus fort qu’Elvis.

    Il n’y en avait qu’une : c’était John Lennon. L’idée provient de Kim Fowley qui se révèlera être un merveilleux aboyeur pour présenter et pulser l’énergie des groupes sur scène. L’incroyable se produisit, Lennon accepta de venir. Le docu vous explique tout cela en long et en large. L’est même centré sur sa personne (et celle de Yoko collée à lui comme le timbre sur l’enveloppe). Ce sera la première apparition du Plastic Ono Band sur scène. Public mitigé. Perso j’aime bien les glapissements de Yoko, très préfiguratifs de la moise-music et non sans accointances avec la musique expérimento-classique de l’époque dans la suite généaologique de L’Art des bruits de Luigi Russolo. Remarquons que sur le premier disque de Chicago Transit Authority, présent à Toronto, un titre de ce double-album était composé de stridences et de grondements larséniques et disharmoniques au possible, en avance de quelques années sur le Metal Machine Music de Lou Reed. De toutes les manières déjà le free-jazz était parvenu à cette idée praxistique de saturation phonique…  Un nouveau départ pour John qui signe la fin des Beatles, si l’on croit le docu, Toronto fut pour cette raison un évènement historique. Les fans de Lennon ont intérêt à regarder cette vidéo.

    Evidemment la parole est donnée aux organisateurs de ce festival. Le montage n’a gardé que l’essentiel de leurs interviewes, ce qui un demi-siècle plus tard oblitère la désagréable impression de vieux combattants un peu ennuyeux que l’on retrouve trop souvent dans les documentaires rock. Venons-en au nerf de la guerre : les concerts ne sont pas retransmis en entier, plusieurs heures seraient nécessaires, hormis les pionniers Alice Cooper et Chicago Transit Authority, et Plastic Ono Band sont privilégiés.

    Pour la petite histoire Alice Cooper qui servit aussi de backing group à Gene Vincent donna un concert mirifique qui lui conféra du jour au lendemain une réputation épouvantable, de celles à laquelle soit on ne survit point, soit on en tire un extraordinaire profit.

    La réunion de nos cinq pionniers du rock n’avait pas occasionné une ruée sur les billets. Ils font déjà partie d’une génération passée, le public rock s’est constamment renouvelé, pour chacun d’eux c’est une occasion inespérée de refaire surface. Ils vont saisir leur chance avec brio, ils surprennent et ravissent une grande partie de l’assistance qui n’était pas spécialement venue pour eux. Les séquences qui leur sont dévolues sont relativement brèves, elles doivent provenir du film ou des rushes de D. A. Pennebaker, mais pour la première fois depuis cinquante ans que les rockers en rêvaient l’on a enfin accès à quelques instants de la prestation de Gene Vincent. Cette tardive exhumation comblera tous les fans de Gene.

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    Trois ans plus tard, au mois d’août 1972, aura lieu au stade de Wembley le London Rock ‘n’ Roll Show qui inaugurera en Europe le véritable revival du rock’n’roll ‘’ old style’’ – une des racines les plus importantes du mouvement rockabilly français – l’on y retrouvera : Jerry Lee Lewis, Little Richard, Bo Diddley, Chuck Berry et Bill Haley avec ses comètes. Vous remarquez l’absence de Gene Vincent. Décédé au mois d’octobre 1971.

    Trop tôt. Trop tard.

    Damie Chad.

     

    *

    Les allemands sont réputés pour leur sensibilité écologique. Le metal aime  à se vautrer dans les sujets apocalyptiques. Beaucoup de groupes explorent les mythologies antiques, radios, télés, réseaux sociaux nous abreuvent toutes les heures de la proximale catastrophe climatologique qui se rapproche de nous à vitesse grand V… Puisque le pire s’essuie les pieds sur le paillasson de notre seuil à coups de tornades, de pluies diluviennes, et de sécheresses dévastatrices, la tentation est grande pour certains groupes d’utiliser ce cataclysme annoncé comme thématique principale. En préparation à la parution en ce mois d’octobre de Nightmare, leur troisième album, le groupe allemand Heretoir a posté sur YT une nouvelle vidéo.

    CLACIERHEART

    HERETOIR

     ( from Nigthmare / PN / Oct 2023)

     Eklatanz : vocals, guitars / Nathanael : bass, backing vocals / Max F : guitars / Nils Groth : drum / Kevin Storm : guitars.

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    Glacierheart : ( vocal : Nikita Kamprad de Der Weg einer Freihei = Le chemin de la liberté ) visuellement ils cherchent la difficulté, il ne se passe pas grand-chose sur cette vidéo de plus de dix minutes, pourtant on ne la quitte pas des yeux. L’est sûr que cette splendeur mélodique post-metal vous rive au paysage. Cimes de sapins ombreux en intro, vite subjuguées par le déferlement hymnique des guitares et la spectrale apparitions de ces troncs élancés serrés les uns contre les autres, vous avez l’impression d’être propulsé dans le bois perdu où nul être vivant n’oserait poser le pied. Pour tout compagnon de survie vous n’aurez que les gothiques lettres blanches des lyrics qui s’affichent sur l’émeraude crépusculaire envahissante dans laquelle sont englobées les formes noires des paysages.  Rase-mottes au-dessus de l’innombrable foret, la voix s’élève en même temps qu’un vol lourd de corbeaux, vite remplacé par l’éparpillement de rares flocons de neige dont la maigreur ajoute à la désolation ambiante. Un vocal surchargé de brouillard ne vous rassure pas, des arbres aux fûts gelés flambent, rémission, une guitare chantonne doucement, la caméra vole plus haut et dévoile de contraignants massifs montagneux aux flancs enneigés. Un homme, capuchon noir, silhouette erratique, marche dans ces vastitudes dépourvues d’âme, les paroles nous renseignent et nous enseignent, il cherche non pas un refuge mais au milieu de ces solitudes stériles le lieu où il pourra entendre l’esprit de la nature, des brumes l’ensorcèlent, d’infranchissables aiguilles rocheuses l’ensorcèlent, la batterie se déchaîne au moment où le lyric devient poésie où le dire délire, il chevauche les loups, il transporte les bois du dernier des Cerfs blancs, tout s’accélère, il cherche les paroles émises par les glaciers en train de fondre, la glace relâche des perles d’eau, clepsydre dont la dernière goutte sera l’heure de votre mort, musique et chants se transforment en une longue symphonie, la batterie roule comme la pierre dévale la pente du déclin, elle rebondit en derniers soubresauts, plus qu’une guitare et une prière, un adieu de désespérance, la bouche d’ombre des glaciers s’est tue, il est trop tard, en bas dans les plaines et les villes les machines broient les derniers arbres, une dernière tornade de colère et de haine contre ce monde technologique qui a secrété la mort de l’humanité. Nuages noirs et tempête sonore de grésil blanc nous recouvre.

    Beauté et puissance. Cette magnificence noire nous a donné envie d’en voir davantage. Voici le premier titre de leur avant-dernier ouvrage : Wastelands, tout comme le précédent sur YT l’Oficial Music Video avec lyrics.

    ANIMA

    HERETOIR

    ( from Wastelands / Supreme Chaos Records / Mai 2023)

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    Dans la même veine que le précédent. On l’attendait davantage expressionniste. Nuages noirs. Sombres bosquets hivernaux. Une intro qui surgit à la manière d’une longue rafale de vent que l’on pressent infinie, une tête s’affiche en transparence, une tête surmontée de bandage et deux mains agrippées sur les yeux, peut-être pour les arracher, peut-être pour ne pas voir, la caméra s’engouffre dans un paysage désertique pour déboucher sur un paysage incertain, terrestre ou maritime, la tête apparaît alors que sur sa droite déferle une eau de mer, une barre rocheuse  surmontée d’un village cèle  celles des vagues qui s’en viennent mourir sur les rivages, longue plage sableuse, le vocal démarre sur une l’image symbolique d’un arbre printanier entourée d’énormes  bougies pour souligner cette merveille, qui ne tarde pas à perdre ses feuilles et à se transformer en un tronc solitaire dont les branches semblent lancer un ultime appel au secours que ne sauraient entendre les bâtiments de la ville tassée sur elle-même au fond du paysage, le visage s’incruste sur l’écran, le corps de l’homme s’agite en vain devant nous, il lève les yeux vers le ciel, comme un ange qui regarde le paradis perdu, il tord ses membres, il demande à être entendu, ou plutôt à entendre quelque chose qui viendrait de lui, qui proviendrait de la partie animale de son âme, cette anima qui nous relie à tout ce qui n’est pas nous, à l’autre et à l’univers, sans quoi il va mourir pour rien, il a pris la place de l’arbre mort, au milieu d’un cercle de lanternes sourdes, il s’agite, il se tord, il supplie, sa silhouette s’inscrit en filigrane sur un vaste paysage, son désarroi atteint à une dimension planétaire et pratiquement universelle car pour l’humanité la terre est sa seule origine, en vain, il ne veut pas être comme nombre de ses semblables qui sont morts à l’intérieur d’eux-mêmes, il cherche une porte à l’intérieur de lui, ses doigts se referment spasmodiquement sur son totem, un bois de cert blanc, peut-être du dernier mâle de la harde qui vient de mourir, agenouillé ses ongles griffent la terre, léger arrêt de la musique, une infinitésimale coupure, tout est-il si vain, la mer se déchaîne indifférente à ses angoisses, mais le plus terrible reste le silence de son âme d’où rien ne sourd, stérile, il se voile la face, il clame qu’une porte est en lui, qu’elle s’ouvrira, la caméra inspecte la terre sans herbe, sans fleur, seules quelques jonchées de bois mort éparpillées, il a beau hurler la mort psychique se rapproche, l’anima figée au fond de lui ne répond pas. Aussi désespéré qu’un rapport du Giec !

    Comparée à la précédente cette vidéo très esthétique nous semble pour reprendre une célèbre parole de Nietzsche, humaine, trop humaine. L’espoir, fût-il insensé, fait vivre. Le lecteur aura remarqué la concordance des thèmes.

    En voici une autre tirée du même opus qu’ Anima et qui aborde un thème que nous avons à peine effleuré en chroniquant Glacierheart. Chronologiquement il indique la cause du désarroi, tant au niveau de la nature que de l’humanité, mis en scène dans les deux premiers clips.

    TWILIGHT OF THE MACHINE

    HERETOIR

    ( from Wastelands / Supreme Chaos Records / Octobre 2023)

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    D’un genre tout à fait différent que les deux précédentes. Une musique vite  mastédonienne, pesante, lourde et lente dès que disparaît de l’écran cette silhouette féminine dont la robe de mariée s’effeuille au vent  et des images bleutées, pas le bleu céleste ouranien mais le bleu sombre du blues, alternent alors les vues des musiciens, est-ce un hasard si le batteur forgeron apparaît en premier, avec ce visage d’ouvrier attaché à son boulot, guidant à l’aide d’une chaîne un lourd palan au crochet monstrueux, dur labeur qui capte sans rémission son esprit et son attention, hurlement du chanteur grande gueule ouverte, un peu comme s’il magnifiait toute la tension contenue dans les gestes du prolo, auquel bientôt vient s’adjoindre un deuxième  ouvrier qui porte en équilibre sur son épaule une lourde poutre, le lecteur français ne pourra s’empêcher d’évoquer le roman L’homme de la Scierie d’André Dhôtel, flashes des membres du groupe en train de battre le metal tant qu’il est brûlant contrastant avec ces travailleurs écrasés de fatigue regardant l’heure qui stagne au cadran de leur montre-gousset, sans doute est-ce le moment de se remémorer les textes de Marx sur l’aliénation au travail, et de réfléchir pourquoi il n’y a pas dans le titre de ‘’ s’’ à machine. Vraisemblablement parce qu’il faut entrevoir l’usine comme un lieu empli de machines qui rivent l’homme à un travail pénible et fastidieux mais surtout concevoir la machine en tant que matrice de la société moderne qui dans toute entreprise emprisonne l’ensemble des travailleurs quels que soient leurs métiers ou leurs grades dans le carcan d’une existence artificielle et peu épanouissante. Confirmation de cette analyse par les images suivantes, un homme déambulant dans un sentier de montagne, il suit un lacet qui le ramène dans la direction opposée à celle par laquelle il se dirigeait, l’on ne peut s’empêcher de penser à l’image poétique par laquelle la pensée humaine doit, selon Heidegger, se mouvoir en dehors du trajet rectiligne de l’emprise technologique en empruntant cette khere, ces tournements et retournements nécessaires à la lente et capricieuse élaboration d’une approche en route vers la nature de l’être humain que nous sommes en tant qu’Être, les uns sont attelés à des tâches ingrates et répétitives, l’un assis au bord d’un ruisseau griffonne un dessin sur un bout de papier, les musiciens jouent, notre voyageur torse nu dans une vaste rivière, retour à l’état primitif dans un vaste paysage coloré dont il n’est plus qu’une parcelle libre dénouée de toute obligation, la musique semble se désagréger pour reprendre par un martelage appuyé, notre vagabond nimbé d’un orange solaire se retrouve dans un atelier  à la pelle, sale, hirsute, soumis à une cadence accélérée, le doux rêve s’est métamorphosé en la dure réalité. Point de soleil, mais la fournaise des fours, notre héros fatigue, le vocal devient de plus en plus violent, un réquisitoire implacable contre cette société esclavagiste, le compagnon titube, il aperçoit notre mariée du début, serait-ce le symbole de cette nature dont le travail lui a fait perdre le contact, il s’approche, elle lui prend la montre, elle le libère du temps, le voici couché en pleine nature, belles visions de cartes postales du bonheur, n’ayez crainte ce n’est qu’un mirage, un antidote à l’écrasement du travail, à cette torture déshumanisante, il marche en pleine campagne, le groupe est là pour lui rappeler que le temps perdu ne se rattrape jamais. La musique s’assombrit, elle ralentit, il marchait dans la forêt, vues funèbres de l’atelier, endroit d’annihilation, son cadavre repose auprès de l’établi. Nous songions au crépuscule de la machine. C’était juste le crépuscule de l’Homme.

             Vidéo sans concession produite par Oliver König & Klara Bachmair.

    Rien à rajouter si ce n’est la nécessité de la révolte.

    Damie Chad.

     

    *

    Je venais juste de finir sur YT une des neuf émissions d’Arte sur Country Music : une histoire populaire des Etats-Unis, série didactique emplie d’archives que je recommande, sans que je fasse un seul clic s’affiche sur l’écran une nouvelle vidéo inconnue. Rien qu’à l’étendue profilée d’un champ de blé, je suppute, avec ce flair de rocker qui ne me quitte et ne me trompe jamais, que c’est un clip country. Je clique et évidemment mon instinct ne m’a point fourvoyé. Les mauvaises langues diront que c’est surtout ces trois jolies filles assises au premier plan, ah ! la blondeur de ces trois chevelures qui éclipse celle du blé, qui auraient motivé mon intérêt profond, je m’inscris en faux contre ces assertions venimeuses, juste ma sensibilité heideggerienne à la problématique de l’origine. Jugez-en par vous-même grâce au titre :

    THE CASTELLOWS : THE BEGINNING

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     Toute la mythologie américaine synthétisée en deux minutes. Sans une seconde supplémentaire. Premières images idylliques : trois petites filles, tour à tour devant un piano, chantant ou jouant, à la maison, devant leurs camarades de classe, lors d’une représentation de ce que je qualifierais, pour trouver un équivalant en notre langue, un spectacle de centre aéré. C’est mignon, c’est charmant. L’enfance ne dure jamais assez longtemps. Sur les images suivantes elles ont grandi, elles se présentent, LILY : lead singer / ELLIE : soprano, lead guitar / POWELL : alto, banjo / ensuite en de très courtes séquences, on les voit dans la ferme familiale poser devant un tracteur, monter à cheval, pagayer dans un canoé, jouer au cowgirl, pratiquer le tir à l’arc, chanter ensemble, caresser un chien… sur la fin de la pellicule la couleur disparaît, quelques images fugitive en un noir et blanc pas du tout contrasté et un peu évanescent, sans doute pour induire l’idée que le bon vieux temps n’est jamais tout à fait disparu. Sur leur site ne s’inscrit-il pas qu’elles produisent un country néo-traditionnel.

             C’est bien fait, du beau boulot, un bon travail promotionnel, j’aimerais en savoir davantage.  

             Nos sisters sont originaires de Georgetown (Georgie). Leur enfance se déroula dans la ferme parentale, elles ont été scolarisées à la maison ce qui leur permit d’apprendre plusieurs instruments… Notons que Eleanor ( Ellie ) et Powel sont jumelles, soyons précis elles ne forment pas avec leur frère Henry les triplettes de Belleville mais les triplés de la famille Balkom, Lily est leur cadette. La suite est des plus classique : en grandissant elles ont commencé à jouer un peu partout dans leur ville natale, église, écoles et festivités privées…  elles ont acquis une petite célébrité locale  qui leur a permis de monter sur scène dans avec des vedettes régionales Mill Jam et Elie Cain…

             Leur site nous apprend que depuis quelques mois elles résident à Nashville et qu’elles ont été remarquées (faudrait-être aveugle pour ne pas les voir) par les milieux musicaux… jusqu’à ce jour aucun album en vue… Elles présentent sur leur site et sur YT une série de vidéos intitulées Silo Sessions. Il existe à Nashville un immense bâtiment nommé Silo Studios dans lequel vous pouvez louer des espaces pour organiser toutes sortes d’évènements. J’ignore si ces Silo Sessions ont été enregistrées en cet endroit qui apparemment ne possède aucun studio d’enregistrement. A moins que ce soit un enregistrement au bas d’un silo de la ferme familiale.

             C’est Ellie qui compose les morceaux et écrit les paroles. D’après ce que j’ai compris elle exerce un certain ascendant sur ses sœurs.

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    Sophie and Buddy : toutes les trois, toute belles, poussez un peu les volumes pour mieux entendre les harmonies vocales, quelques accords de guitare et Lily qui vous fixe de ses yeux bleus, ne fermez pas les vôtres et admirez les trois grâces, la Lily elle vous mènerait au bout du monde, alors si vous ne comprenez pas grand-chose à l’anglais chanté, je vous en prie, restez-en là, elles sont si mignonnes avec leurs petites minauderies, charmantes, vous êtes sur un nuage rose, si une curiosité malsaine vous pousse à lire les lyrics sous la vidéo, vous ne dormirez pas de la nuit, votre nuage rose va se teinter de sang, comment peut-on raconter de telles horreurs avec cette voix toute gentillette que vous prenez pour lire Petit Ours Brun à votre gamin pelotonné contre vous. C’est un peu comme Frankie and Johnny mais en plus sordide. Un fait divers qui vous glace le sang. Traditional sure, but very gore.

    State-line living : le même décor, toutes trois devant un fond gris, vous remarquez que Powell fait un peu la moue, mais quand les notes de son banjo se superposent à la guitare d’Ellie vous l’entendez, une espèce de ballade, innocente avez-vous pensé, les paroles vous tournebouleront, toutes simples et parfaitement incompréhensibles, une solitude et une mélancolie qui vous est étrangère puisque vous ne savez pas quelle expérience précise elle relate, la tristesse, le malaise d’habiter à la frontière de l’Alabama et de la Georgie et de cette coupure que cela induit entre les êtres et à l’intérieur de soi..

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    Southeast past of home : guitare et banjo, on a du faire un signe à Powell parce que son visage s’épanouit d’un large sourire, le manche de la guitare d’Ellie semble vouloir percer l’écran de l’ordi, après tout ce sont ses paroles, sa sensibilité que Lily exprime avec autant d’émotion retenue, un truc vieux comme le monde, je suis mieux chez moi que partout ailleurs, mais si bien ancrée dans les paroles que vous sentez qu’en dehors du Sud-est de la Georgie rien ne vaut la peine, la chanson dépasse à peine les deux minutes, pas une seconde de répit pour Lily, une véritable épreuve vocale, avec cette manière particulière de détacher tous les mots qui vous offre une sensation d’éternité.

    Cowgirl blues : elles y mettent tout leur cœur, elles sourient, elles rient, l’on sent que le sujet les concerne, normal il parle des garçons, de l’incompréhension que leurs comportement suscitent, elles échangent des regards pleins de sous-entendus, elles savent très bien ce qu’elles veulent, et pas très bien ce qu’elles ne veulent pas, je crois que les mouvements féministes de par ici renâcleraient quelque peu, mais elles expriment des incertitudes et des volontés qui ne sont qu’à elles et l’on sent qu’elles n’en démordront pas.

    Bring a little home with you : accord total, very traditional, emmène toujours un peu de toi partout où tu iras, le chemin te ramènera à la maison, l’on sent qu’elles expriment leur être profond, peut-être pour cela que la voix monte plus haut, et que les harmonies se posent plus fortement, là où ça fait mal. Là où ça fait du bien.

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    Sticks without stones : on aperçoit davantage les instruments, Lily gratte un peu une guitare, une ballade davantage appuyée qui prend le contrepied de la précédente, les filles sont pleines de contradictions, je ne saurais rester avec toi si tu n’acceptes pas ma liberté. Un régal de les regarder chanter et s’exprimer par d’infimes mouvements, la voix de Lily est ensorcelante, elle ne la force jamais, mais elle détache les mots comme des perles qui se détachent d’un collier et que vous ne retrouverez jamais plus. Vous les regretterez tout le restant de votre vie.

    Date country : le banjo de Powell mange le coin gauche du bas de l’écran, Lily s’est coiffée d’une casquette, Elie arbore un visage plus romantique que sur les vidéos précédentes, Powell ferme les yeux, les filles chantent leur idéal amoureux, il faut qu’il soit avant tout épris du lieu où lui et sa famille ont vécu depuis longtemps. Le lieu et la formule dixit Rimbaud.

    A cette série est ajouté : I see fire : une cover d’Ed Sheeran ( chanteur et guitariste anglais ) : elles ne l’interprètent pas au hasard, elle évoque un incendie sur une montagne qui menace les habitations… : nous ne sommes plus au même endroit, vraisemblablement sur la véranda d’une ferme américaine, toutes les trois debout, on les croirait sur scène avec le noir de la nuit derrière elle, elles commencent à chanter et à jouer, le plus important ce sont les regards inquiets qu’elles échangent, des éclairs illuminent le ciel, la vidéo se coupe brutalement.

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             Sur leur chaîne You tube vous trouverez une douzaine de reels de moins d’une minute, ces courts extraits ont été vus des milliers de fois et ont dû drainer des milliers d’admirateurs sur YT .

             Je ne sais ce qu’elles deviendront, elles poursuivent leurs études, Powell suit une école d’agriculture pour reprendre la ferme de ses parents.

             Elles commencent à tourner…

    Damie Chad.

     

    *

     Une erreur peut se révéler bénéfique. Une image qui défile à toute vitesse, oh ! on aurait dit une vue du Golf Drouot, retour en arrière, non rien à voir, où avais-je la tête ! Tiens un groupe dont j’ignore tout. Une belle dégaine en tout cas. En piste et en chasse !

    LIPSTICK VIBRATORS

    Un truc qui vibre sur des lèvres, je vous laisse choisir lesquelles, cela interpelle. Pas de chance z’ont l’air de ne plus avoir fait grand-chose depuis 2014, se sont formés en 2006, mais sur le site Pirate-Punk j’apprends qu’ils se sont reformés en 2019 avec un nouveau line-up. Feu de paille ? Leur FB est aux abonnés absents. Je n’en sais rien. Il ne me semble pas avoir aperçu leur nom de-ci de-là ces dernières années. Quelques minutes se sont écoulées depuis la fin de la dernière phrase, une tournée voici une année et un concert à l’International ces dernières semaines. Plus un lien efficient vers leur FB ; Ils sévissent encore ! J’adore remonter les pistes, j’ai l’impression d’être le héros de James Olivier Curwood dans Le piège d’or. En attendant d’en savoir plus penchons-nous sur un des méfaits accomplis par cette horde barbare : ne se définissent-ils pas sur leur bandcamp comme un pure savage rock’n’roll band !

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    Une pochette qui vous met l’eau à la bouche. Blanche et noire. Toute la tragédie burlesque de la vie, malgré cela derrière leurs lunettes noires les guerriers du rock’n’roll résistent.

    Dandy Pumpkin : vocal / Cox Tornado : basse / Tom Idle : guitar, voval / Matt Crusher : drums, vocal

    LOW WINTER BLUES

    (CD : Altitude Records / 2014 / Smap Records / 2022 )

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    ( Pochette 2014 )

    To the outsiders : dès les premiers horribles grincements vous comprenez que ces gars-là ne sont pas des menteurs, tiennent leurs promesses, souveraine sauvagerie ! C’est si rapide que vous ne savez pas par quoi commencer. Pour moi c’est le batteur, Crusher vous a une de ces frappes élastiques, je cherche dans mes souvenirs, non je n’ai jamais un beat aussi rebondissant, un ressort, une balle de squash qui tamponne les murs avec une précision diabolique, puis il y a  le vocal, fondu dans le background, un peu comme ces bonbons qui collent si bien au papier que vous êtes obligé de l’avaler aussi et ça vous donne un petit goût acidulé d’imprimerie, car nous sommes en présence d’un gosier qui imprime fort, les mots jaillissent de sa bouche et vous cisaillent  le visage comme les pinces du homard que vous avalez vivant, elles dépassent de votre bouche, le crustacé règle ses comptes avec vous. Enfin les guitares, trois Triumphs qui se tirent la bourre sur le Circuit Carole et laissent échapper deux soli dantesques. Deux minutes, un hymne aux outsiders qui ne savent acquiescer à la laideur du monde. This side of brightness : une intro un peu en dérapage incontrôlée, de beaux reflets sur une carrosserie. Noire. Nous sommes bien de l’autre côté de la lumière sur le versant sombre des cauchemars qui peuplent les nuits de ceux qui passent leur vie à ne pas la vivre. Revendication de la marge. Batterie psychopathe, basse endémique, guitares froissées, vocal en cri de haine d’indiens sur le sentier de la guerre. Un shoot de rage et de révolte, qu’aucun bâillon ne saurait contenir. Retarded loser : celui-là on ne l’attendait pas, la balle qui arrive si vite sur vous et vous tue avant que la détonation n’ait eu le temps de vous avertir du danger, au milieu ce hennissement instrumentalisé d’un cheval édenté qui perd ses dents alors qu’il galope, l’ai peut-être remis vingt fois avant de passer au suivant. Un bijou, une œuvre d’art à part entière. ( I feel like) the dayy of my birth : un démarrage clopin-clopant, faut bien qu’ils reprennent leur souffle, bien sûr il y a cette guitare qui s’amuse à jouer du kazou, la basse qui trombonise, mais la batterie et le vocal ne l’entendent pas ainsi, jouent au klaxon qui arrivent sur les lieux du désastre avant l’ambulance. L’est vrai que le bébé est né avant de naître. Vous concevrez qu’il soit tout à fait normal que ce morceau revête une apparence de folie surréaliste. Jessica : martèlement des guitares, c’est reparti pour Cythère. Tarifé. A fond de train. Cette fois vous avez un refrain dans le morceau. Le chanteur se métamorphose en chateur, il miaule de toute son âme. Chaque miaulement comme un jet de sperme brûlant dans le vagin de Jessica qui l’ouvre à tous. Un véritable bordel ce morceau. Suis sûr que vous allez faire la queue pour l’écouter. Ne riez pas. C’est le destin qui vous choisit et pas le contraire. She’s living in fear : sujet délicat. Morceau brûlant. Qui oserait l’écrire de nos jours. Vous admirerez cette fausse fin sifflante qui siffle sur nos têtes, suivie de ce final monstrueux. Splendide. Magnifique. Cent pour cent rock ‘n’ roll. Irremplaçable. Something about a gun : une fusillade, ici on admire en esthète, le fuselage racé de ces guitares qui vous court dans les oreilles, cette batterie qui vous entraîne sur les mauvais chemins, ce chant qui fait la course en tête, un bel objet rock ‘n’ roll comme l’on n’en fait plus. Maîtrisé de la première note à la dernière, un cadeau à l’Humanité. I’m coming back to you : je n’en dirai pas plus, terminent l’opus comme ils l’ont commencé et continué tout du long. Pas un titre qui dépare dans cet album. Huit missiles à longue portée qui touchent leur but, vous détruisent et du même coup vous ressuscitent. D’une beauté noire et incandescente.  Sans concession. Rock ‘n’ roll.

             Les galons d’or du rock français. Qui a osé faire mieux par ici ? La classe internationale.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 394 : KR'TNT ! 414 : JOHN PAUL KEITH / REVEREND JOHN WILKINS / CHUCK BERRY / HAPPY ACCIDENTS / RADIOACTIVE / CHAMBLAS RÊVEIL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 414

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 04 / 2019

     

    JOHN PAUL KEITH / REVEREND JOHN WILKINS

    CHUCK BERRY / HAPPY ACCIDENTS / RADIOACTIVE

    CHAMBLAS RÊVEIL

     

    John Paul Keith et les autres

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    On ne se bouscule pas au portillon pour venir voir jouer John Paul Keith qui est pourtant l’une des figures de proue de l’actuelle underground Memphis scene. Bon, c’est vrai, il faut bien reconnaître que l’underground n’intéresse plus grand monde. Quant à Memphis, c’est encore pire. Dans l’inconscient collectif, ça renvoie à des vieux trucs un peu kitsch et un peu jaunis qui remontent au temps d’Elvis. Autant parler d’objets de musée. Et pourtant, le Memphis beat n’a jamais été aussi vivant ni aussi bien représenté.

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    À lui tout seul, ce petit binoclard nommé John Paul Keith réussit à redonner vie au Memphis beat, le temps d’un concert. Il le fait avec un mélange de brio et d’abnégation qui en bouche un coin. Il joue son rock en formation légère, accompagné d’une section rythmique basse/batterie extrêmement jeune, mais on sent le métier. JPK propose un mélange idéal de country et de rock, avec cette énergie particulière qu’on retrouve chez tous les musiciens basés à Memphis. Il faut se souvenir de ce que disait Dan Penn à propos du décalage qui existe entre Memphis et Nashville : «They (in Nashville) cut in all that ol’ stupid thin country music. No funk, I always liked a little funk.» (À Nashville, ils enregistrent cette country inepte et vieillotte. Pas de funk. J’aime bien qu’il y ait un peu de funk). Oui, JPK ramène dans son son ce que Dan Penn appelle le funk, cette manière tellement subtile de swinguer le rock’n’roll.

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    Il joue clair et net sur Telecaster et parvient à faire danser la maigre assistance. Plus tard, JPK dira qu’il vit bien de sa musique, à Memphis - I make a living out of it - Il fait bien sûr la promo de son dernier album, Heart Shaped Shadow, mais propose aussi des cuts tirés de son nouvel EP avec les Motel Mirrors. John Paul Keith est un petit homme d’âge indéfinissable au visage dévoré par cette grosse paire de lunettes qui renvoie immédiatement à Buddy Holly. On est confronté au même problème qu’avec Buddy à l’époque où paraissaient ses disques : un mal fou à s’habituer à cette esthétique du binoclard, mais un curieux mélange d’ingénuité et de talent finissait par le rendre indispensable. Il devenait aussi précieux qu’Elvis ou Jerry Lee, alors qu’il n’avait absolument aucune chance de plaire aux filles, ce qui en matière de pionneering, était quand même le truc de base. John Paul Keith passe par les mêmes fourches caudines. Si on le juge sur son physique, c’est cuit aux patates. Mais si on l’écoute et, mieux encore, si on le voit jouer, il balaye tous les a-priori. JPK rocks it up ! Il joue son rôle d’ambassadeur du Memphis Sound à merveille.

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    C’est exactement du même niveau que le fabuleux set du grand Harlan T. Bobo qui eut lieu au même endroit voici quelques années. Eh oui, ces Memphis guys ont le petit quelque chose en plus. Robert Gordon dit que le Memphis beat est dans l’air de la ville. Dickinson dira que c’est dans les gens - We’re a bunch of rednecks and field hands playing unpopular music - Ce n’est quand même pas un hasard si deux des plus grands écrivains rock d’Amérique (Dickinson & Gordon) sont de vieux Memphis guys. D’ailleurs JPK dit avoir failli travailler avec Dickinson : le projet s’appelait Snakes Eyes et comprenait des gens de Regning Sound - But nothing came out of it.

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    John Paul Keith fait donc partie de la brillante scène underground de Memphis. En 2009, il est lead guitar sur The Disco Outlaw de Jack-O & the Tennessee Tearjerkers. On ne saurait concevoir une formation plus légendaire que ces Tearjerkers rassemblés par Jack Yarber. Il attaque son Disco Outlaw avec «Ditch Road», un fantastique cut de pop rock du Tennessee. Jack Yarber est un auteur classique qui sait monter des coups fumants. Voilà un cut imparable, éclairé par le jeu de John Paul Keith et soutenu par la belle bassline d’Harlan T. Bobo. Tous les morceaux de cet album sont fouillés, chargés de son, bien construits. On savoure la succulence de l’effarance à l’écoute d’un «Against The Wall» qui sonne comme un classique hanté par des vieux relents de «Drop Out Boogie». «Make Your Mind Up» sonne comme un hit pop planétaire. Voilà de quoi Jack Yarber se montre capable. C’est digne des meilleurs jukes et troussé à la rude. Il prend ensuite «Sweet Thang» à l’hypno de Memphis, et ça trépide, avec une grâce infernale. Quelle énergie et quelle puissance dévastatrice ! En B, John Paul Keith embarque «Scratchy» dans la clameur d’un solo incendiaire. Ils nous explosent ce vieux classique des sixties. Et ça va se terminer avec «Stop Stalling» bien soutenu à l’orgue, suivi d’un nouvel hymne pop, «Walk Of Shame». Jack Yarber n’enregistre que des disques condamnés à l’île déserte.

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    On retrouve John Paul Keith sur un autre album de Jack Yarber, l’excellent Rat City paru en 2011 sur Fat Possum. C’est pas compliqué, on y trouve deux hits, à commencer par celui qui donne son titre à l’album, qui est lancé comme une locomotive et Jack-O se montre une fois de plus imparable et lumineux. Quand on voyait ce mec traîner à l’espace B le jour du concert des Cool Jerks, on n’était pas loin de penser qu’il avait au pire une allure de rock star et au mieux le charisme d’un messie. John Paul Keith joue lead dans «Mass Confusion», monté sur un beau beat funky. Ça pulse comme au temps de l’âge d’or du swamp funk. L’autre hit du disque c’est bien sûr «Kidnapper», sur lequel JPK joue aussi : cut doté d’un fort parfum de country rock et finement nappé d’orgue. On y retrouve tout l’allant du rock du Tennessee.

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    John Paul Keith apporte régulièrement sa modeste contribution au Memphis Sound en ficelant de bons albums. Paru en 2008, Spills And Thrills s’impose par un son sec. On sent le rocker accompli, rompu à toutes les tâches. Il joue tout son fourbi à l’emporte-pièce, avec une authentique intensité. Tout est ultra joué, très américain. Memphis Soul typecast. Avec «Cookie Bones», il propose un violent instro d’interaction chauffé au shuffle d’orgue. Ça ne vous rappelle rien ? Mais les MGs, bien sûr ! Nous voilà dans les rues de la ville, à l’âge d’or. Bel hommage aux racines du Memphis Sound. S’ensuit un «Let’s Get Gone» tapé à la folie rockab, Memphis style, here we go ! Affolant ! JPK peut se montrer affoling. Le buisson Ardent n’a aucun secret pour lui. On voit bien qu’il tente de recréer la folie du rumble de 56. Il sort le Telecaster Sound le plus âpre qui soit. Il joue au surplus de guitares. Et voilà qu’avec «If I Were You», il tape un coup de Jarnac à la Tearjerkers. C’est le hit du disk. Absolute beginner ! Il trousse ça serré au beat avec des chœurs de rêve et une énergie power pop. Ça sent bon le Yarber. JPK termine son humble album de rumble avec une petite montée de fièvre qui s’intitule «Doin’ The Devil’s Work», typique des clubs de Memphis avec tout le bazar de la Samaritaine.

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    L’impétueux JPK récidive avec un Memphis Circa 3 AM auréolé de légende, puisqu’enregistré par Roland Jane. On a donc du pur electrifying Memphis Sound, classique et tendu, sec et net et sans bavure. On va mettre un peu de temps à rentrer dans l’album, car JPK multiplie les incartades en allant vers la country ou le balladif romantico. On a même parfois l’impression qu’il s’enterre dans la tradition. C’est un cœur tendre, mais comme dirait Blueberry, il vaut mieux avoir le cœur tendre que le pied tendre, surtout lorsqu’on est poursuivi par une horde de Mescaleros. Et soudain, on se réveille avec «New Years Eve», un cut qui sonne tout bêtement comme un hit. JPK est capable de petits miracles. Ce genre de révélation efface pendant quelques minutes le spectre des soucis quotidiens. Oui, elle surprend d’autant qu’elle est totalement imprévisible. Notre fringant binoclard repasse en mode hit galatic avec «If You Catch Me Staring». Cette nouvelle ouverture de pop a de quoi édifier les édifices. Il joue bien son rock à l’enfilade et maintient l’éclat d’un son Télé très convaincu d’avance.

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    On sent encore une très nette évolution avec son dernier album, Heart Shaped Shadow, paru l’an passé sur un label de Little Rock, Arkansas, nommé Last Chance Records. On y trouve pas moins de quatre hits, à commencer par l’excellent «Something So Wrong» d’ouverture de bal d’A. Pur joyau de Southern Soul, généreusement cuivré et monté sur un beat rondement mené. Good time music à tous les étages en montant chez Kate. L’incroyable tonus du cut vaut pour modèle. Avec «Ain’t No Denyin’», il nous plonge dans un groove de jazz. C’est monté sur un shuffle d’orgue superbe et JPK vient croiser son solo avec le shuffle. Musicalité superbe, fantastique allure. En B, il revient au slow groove avec «All I Want Is All Of You», il chante ça à l’étonnée, avec une voix chargée d’un certain mystère. Ce mec dispose d’un charme vocal indéniable et un solo de sax couvre ses arrières. Il tape «Throw It On Me Baby» au beat de rockab. Joli clin d’œil à la tradition. Il sait swinguer ce type de beat, pas de problème. JPK est un rocker polyvalent, il peut aller partout et taper dans tous les styles avec un égal bonheur. Jamais passe-partout ni m’as-tu-vu. Il termine l’album avec «Pink Sunsets», un nouveau groove de jazz, délicat et colorié. Oh, il faut l’entendre passer un solo de bluegrass en escalier dans «Leave Them Girls Alone». JPK devait être un guerrier apache dans une vie antérieure, car il a plusieurs cordes à son arc.

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    D’ailleurs, ça n’étonnera personne, JPK est homme à brasser les side projects. En voici un bel exemplaire, the Motel Mirrors, dans lequel on retrouve une certaine Amy LaVere. Comme par hasard, JPK proposait l’album In The Meantime au mersh, après le concert. Sachez bien que cet enfoiré vend un disk sans dire que c’est de la dynamite. Résultat, on rentre à la maison, on écoute ça et paf, on tombe de sa chaise. Un cut comme «I Wouldn’t Dream Of It» saute littéralement à la gueule. Le power du beat se révèle dévastateur. C’est un étonnant mélange de country flavor et de power rock. JPK chante au suave sur le pire beat rockab qu’on ait vu à Memphis depuis le temps des cerises. Par contre, attention aux cuts que chante Amy LaVere : elle sort une voix nubile qui peut vite agacer. «Things I Learned» flirte avec la délinquance juvénile, c’est un hit, de toute évidence, et même un hit effarant, mais quand elle revient plus loin avec «Dead Of Winter Blues», elle fait du Vanessa Paradis à la mormoille et ça donne un mélange extrêmement dérangeant de country et de délinquance juvénile larvaire. Par contre JPK rend deux fabuleux hommages à Buddy Holly, avec «Paper Doll» - Ain’t gonna be your paper doll at all - et «Remember When You Gave A Damn», pur Fort Worth Sound, merveilleuse cavalcade en hommage au génie de Buddy Holly. C’est criant de véracité instinctive. JPK prend «Do With Me What You Want» de très haut, avec des accords de Chickah Chuck. Il déroule au Memphis Beat, on sent le poids de la légende dans le son - Please please don’t be so cool - What a maîtrise !

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    The V-Roys ? Oh yeah, JPK est à l’origine du projet, mais il n’apparaît sur aucun de ces trois albums qui valent le détour. Oui et même largement le détour. Ces quatre Memphis rockers sont affreusement doués. Avec Just Add Ice, ils proposent une belle éclate de power-rock de Knoxville, très proche dans l’esprit de ce que font les mighty Drive-By Truckers. Notez que Steve Earle produit ce premier album des V-Roys. On vendrait son père et sa mère pour un cut comme «Sooner Or Later», solide slab de pop-rock soutenu aux éclats de guitares et chanté à deux voix. Leur «Wind Down» est fusillé dans l’élan, c’est admirablement racé. Avec «Cry», ils deviennent les rois de la cavalcade. On les sent gonflés d’énergie, comme des bites printanières. C’est très beau à voir. Ils passent au balladif classique avec «Kick Me Around», et un killer solo vient chasser les nuages. Ces mecs savent trancher un nœud gordien.

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    Un deuxième album intitulé All About Town paraît en 1998. Il s’y niche deux Beautiful Songs, «Arianne» et «Sorry Sue». Excellent «Arianne», chanté aux sous-voix dans les renvois et Scott Miller laisse sa voix fuiter sur les retours. Ils recréent l’événement plus loin avec «Sorry Sue». Scott Miller entre dans le lard du cut avec tout l’impact de la cruauté - Sorry Sue/ I’m not in love with you - Il sait gérer son charme et créer les conditions du pouvoir. Et voilà une autre merveille : «Strange». Ces mecs balancent du son et des idées de son et ça continue avec «Hold On To Me». Scott Miller prend les choses en main et c’est bête à dire, mais il a plus de présence que JPK. Comme ce mec est brillant, du coup l’album prend du relief. En fait, les V-Roys se situent à la croisée des chemins, entre rock et country. Parfois la country prévaut et les cuts nous échappent.

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    Leur troisième album est un album live, le bien nommé Are You Through Yet ? On y retrouve l’excellent «Wind Down» du premier album. C’est explosif, joué à la bassline inversée. On entend cette bassline remonter le courant du son comme un saumon d’Écosse. Autre merveille : «Out Of This World», heavy balladif de Loundon Wainwright chanté à pleine gueule, pur jus d’Americana. Les deux guitares semblent littéralement resplendir dans ce bouquet démentoïde d’Americana parsonnienne. Ils jouent dans l’œil du typhon. Ils font aussi une reprise du fameux «There She Goes» des La’s. Quel courage ! Ils y tapent un magnifique brouet d’arpèges. Du coup l’album prend un sacré relief. En fait on se sait jamais qui de Mic Harrison ou de Scott Miller chante, mais ce n’est pas grave, car comme chez les Drive-By Truckers, les deux sont également doués. Avec «I Want My Money», ils proposent un vieux boogie infesté de requins. On les sent très motivés à nager vite. Et voilà «Window Song», heavy rock co-écrit avec Steve Earle. Encore une énormité lumineuse jouée aux splendeurs guitaristiques. Quelle ampleur ! La version live est mille fois supérieure à la version studio, car les guitares scintillent dans l’incendie du crépuscule. Ils repartent de plus belle avec «Guess I Know I’m Right», un folk-rock solide. On suivrait ces mecs jusqu’en enfer, ils développent les meilleures dynamiques de folk-rock qu’on ait vu ici bas. On assiste à de fabuleux duels de guitares acérées. Ils sur-jouent à la vie à la mort. On retrouve aussi «Sooner Or Later» bien cogné du Cognac-Jay et allumé par des incursions à la Johnny Thunders. Ces mecs ont le diable au corps, voilà pourquoi cet album est bon. Et même excellent, bien rocké du Rocamadour. Ils jouent comme des dieux et ourdissent des complots finaux flamboyants. Ils reprennent aussi le «IOU» de Paul Westerberg. Admirable choix, les accords rock’n’roll roulent dans les collines et on voit la bassline cavaler dans la nature, comme une folle échappée d’un couvent.

    Signé : Cazengler, Jean Pauv Kon

    John Paul Keith. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 mars 2019

    Jack-O & the Tennessee Tearjerkers. The Disco Outlaw. Goner Records 2009

    Jack Oblivian. Rat City. Big Legal Mess Records 2011

    John Paul Keith & The One Four Fives. Spills And Thrills. Big Legal Mess Records 2008

    John Paul Keith. Memphis Circa 3 AM. Big Legal Mess Records 2013

    John Paul Keith. Heart Shaped Shadow. Last Chance Records 2018

    Motel Mirrors. In The Meantime. Last Chance Records 2017

    V-Roys. Just Add Ice. E-Squared 1996

    V-Roys. All About Town. E-Squared 1998

    V-Roys. Are You Through Yet ? Live. E-Squared 1998

     

     

    Walking with Wilkins

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    L’arme secrète du bon Révérend John Wilkins n’est pas celle qu’on croit : sa foi en Dieu tout puissant ? Sa technique de picking ? Son physique de vieux black bien conservé ? Son autorité eucharistique ? Non, même s’il est un mélange de tout ça. Son arme secrète, ce sont ses trois filles qui chantent le gospel sur scène avec lui, alignées en rang d’oignon. Et elles shootent le gospel batch plus qu’elles ne le chantent. Encore une fois, il y plus d’énergie primitive dans le gospel batch que n’en peut rêver ta philosophie, Horatio.

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    Bon, quand il arrive sur scène avec son stetson et son sourire de beau black bien conservé, on ne se méfie pas. Il attaque avec un «Trouble» bien rythmé et les filles commencent à foutre le souk dans la médina. La plus petite est aussi la plus grosse. Disons qu’elle gère mal un problème de poids, mais c’est elle la shouteuse du groupe. Le Révérend et ses trois filles sont accompagnés par trois blancs qui trimbalent des allures de vétérans de toutes les guerres et qui restent en retrait. Et quand le bon Révérend attrape sa guitare pour jouer «You Got To Move», alors on réalise qu’il n’est pas né de la dernière pluie. Il joue avec une technique de battement en picking qui en dit long sur ses antécédents. Eh oui, Big Legal Mess nous rappelle qu’il a accompagné O.V. Wright et qu’il recevait dans son église, Hunter’s Chapel Church, des éminences comme Mississippi Fred McDowell, Otha Turner et Napoleon Strickland. Nous sommes dans le North Mississippi Hill Country, parmi les gens du Tate county. Jim Dickinson : «Le comté de Tate commence aux abords de Senatobia. Vous allez rouler sur des routes à moitié goudronnées et vous allez entrer dans le territoire d’Otha Turner, père spirituel du hill country blues. Quand Lomax est venu dans le Sud pour archiver la musique les vieux bluesmen, Otha et Fred McDowell étaient voisins. Ces artistes sont restés trop longtemps confinés dans les archives du folklore officiel universitaire.»

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    Sur scène, ça shake de plus belle avec «God Is Able» puis «Jesus Will Fix It». Tout l’art du gospel consiste à faire tanguer une église avec un minimum de moyens et un maximum de feu sacré. Le set du bon Révérend John Wilkins et de ses trois filles rocke plus la kasbah que dix groupes de garage réunis. On le dit à chaque fois, mais c’est vrai. Ces gens-là font appel à ce qui constitue la racine même du rock, le rythme et ce que certains appelaient autrefois le feu de Dieu, c’est-à-dire une énergie primitive qui n’appartient qu’aux Africains. Un James Brown blanc ? C’est inconcevable. Un Révérend John Wilkins blanc est encore plus inconcevable. Le beat appartient définitivement aux blacks. Ces trois filles qui dansent sur un beat du Gospel batch, c’est sans doute le plus beau spectacle qu’on ait pu voir depuis le temps de Vandellas, ou plus récemment, les Como Mamas. Elles dansent en rythme d’un pied sur l’autre, font des petits gestes avec les bras, et shootent le bamalama du Seigneur tout puissant qui du coup devient un héros rock’n’roll bien plus infernal que ce pauvre diable cornu qu’on laisse aux Stones. Mieux vaut aller rocker aux pieds de l’autel de God almighty dans une église en bois que d’aller à Longchamp voir des Stones fanés jouer «Sympathy For The Devil» et finir de perdre toute leur crédibilité. On ne joue pas avec le diable, par contre on peut jouer avec God. God adore ça, il est même le premier à danser. On comprend ça dans l’instant, dans l’éclair d’un instant, lorsque la petite grosse perd le contrôle d’elle-même et jette une serviette dans la foule, alors qu’elle shoote ses chœurs à s’en faire péter les ovaires. Wow, elle ramène tout Aretha, tout le jus sacré du raw gospel, toute la magie explosive d’un monde qu’on connaît très mal.

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    Dans sa deuxième bio d’Aretha, David Ritz rappelle que l’univers du gospel, au temps où officiait le pasteur Franklin, était un fabuleux baisodrome. La foi et le sexe ont toujours fait bon ménage. Les femmes tombaient comme des mouches sous le charme du pasteur Franklin, père d’Aretha. Pasteur et homme à femmes. Fantastique dragueur. Il faut situer ça dans les années quarante et cinquante. Il existait un véritable circuit du gospel et un business florissant. Les prêcheurs de gospel les plus célèbres tournaient dans toute l’Amérique et rassemblaient dans les églises des milliers et des milliers de fidèles. On sait pour l’avoir vu dans certains docus que la messe pouvait tourner à l’hystérie collective. Certains pasteurs jouent sur des guitares électriques. Tout le monde danse, sans exception. Mais Ritz ajoute qu’après le prêche tout le monde baisait sous le tabernacle. Tout le monde, les jeunes comme les vieux ! C’est là qu’Aretha s’est mise à aimer les hommes. Johnny Guitar Watson dit d’elle qu’elle rôdait dans les fêtes, affamée de queue. Elle a douze ans quand elle est enceinte de Clarence. Deux ans après, elle met au monde Edward. Puis elle épouse Ted White, qui est un mac. Aretha est du cul, mais elle ne veut pas qu’on le dise. Comme toutes les bigotes qui ont le feu au cul, elle tente de protéger sa réputation. C’est la raison pour laquelle il existe deux bio d’Aretha avec David Ritz, celle d’Aretha et celle de Ritz, où tout est dit, surtout ce qui ne doit pas être dit. Et ça renforce le prestige sulfureux de cette femme qui sur scène devient une reine. Une vraie reine de droit divin. Un volcan à deux pattes. Et Aretha n’en finit pas de rappeler que toute la Soul vient directement du gospel.

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    Le bon Révérend fait un petit break, le temps de rappeler que son père Robert Wilkins a composé «Prodigal Son» et il profite de l’occasion pour rappeler aussi que les Rolling Stones ont rendu cette chanson célèbre. Il joue son Son seul, assis sur un tabouret, accompagné par le tap tap du batteur. Fantastique guitariste, il descend son thème à deux doigts glissants et pince des cordes du pouce et de l’intérieur des doigts ramenés en crochet. Il joue en accord ouvert, ce que les Anglais appellent l’open D et sort un son de rêve sur sa guitare, un son très pur de country-blues. Il enchaîne avec un «Walk With Me» joué seul. L’interlude mirobolant s’achève avec le retour des filles qui viennent donner l’assaut final.

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    Ah tu voulais voir Venise et tu vois «Wade In The Water», classique indestructible porté par toute la foi du pâté de foie. Ah tu voulais voir Vesoul et t’as pas vu Vierzon parce que t’as vu «Storm And Rain», eh oui, le bon Révérend demande à un public qui ne comprend pas l’Anglais s’il connaît les storms, et c’est sa femme, installée dans le coin sous l’enceinte qui fait Yeahhhh, d’ailleurs elle n’en finit pas de faire yeahhhh tout au long du set, comme à la Chapel Church, oui car le gospel est avant toute chose un art inter-actif, le pasteur dit un truc, et les gens font yeahhhh, mais on nous demandait fermer nos gueules à la messe, alors les petits blancs dégénérés ne savent pas faire yeahhhh. Bon c’est pas grave, le Révérend et ses trois filles continuent de rocker la salle qui se met à tanguer comme le baleinier du capitaine Achab sous les coup de boutoir de Moby Dick, et bim et bam, prend ça dans le foie, le gut d’undergut d’un «Get Right Chuch» à faire tomber la flèche en bronze d’une cathédrale, celle de ton choix.

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    L’album du bon Révérend est sorti en 2010 sur le big label Big Legal Mess, filiale honorifique de Fat Possum qui vénèrent les amateurs de blues primitif. You Can’t Hurry God vaut le détour pour au moins deux raisons : Jésus et «You Got To Move». On retrouve Jésus dans «Jesus Will Fix It». Le bon Révérend envoie son gospel rocker le Memphis Sound. Admirable. Il tape dans le brother de Yes sir et ça vire au all nite long. On n’avait encore jamais entendu gospel batch aussi insistant. Avec «You Got To Move», il tape dans le heavy blues rock. Le bon révérend est un caméléon, il tape ici dans la fantastique exaction parabolique, il drive le blues rock à coups de She got to move. Il tape plus loin son «Thank You Sir» au deep rootsy blues. Il sait aussi le jouer, il bouffe à tous les râteliers et c’est bien, de la part d’un mec comme lui. «On The Battlefield» est presque joyeux. C’est du gros gospel d’orgue et d’église en fête, alors on en profite. On l’admire tant et plus, oh my lord. C’est la fête à l’église du village. Dommage qu’on n’ait pas ça en France. Il faut aussi écouter attentivement le morceau titre d’ouverture de bal, car on y note une fabuleuse présence de can’t hurry. Il raconte son histoire, avec sa mama who told me when I was young. C’est de l’excellent gospel blues. On retrouve cette présence dans «Sinner’s Prayer». On n’a pas idée, tant qu’on a pas écouté ça. C’est extrêmement joué. On a là une sorte de Soul rock qui colle bien au temps présent. On retrouve aussi le fameux «Prodigal Son» : il passe au country shuffle d’église, c’est tellement rootsy qu’on s’en émeut profondément. Le bon Révérend remonte le courant comme un saumon du Mississippi. Quel fabuleux take de country blues ! Trop expert pour être honnête. C’est d’un niveau beaucoup trop élevé. Dans «I Want You To Help Me», des femmes lui viennent en aide. Ce qui frappe le plus dans ce genre de cut, c’est bien sûr l’incroyable énergie du son prodigue, my Prodigal Son.

    Signé : Cazengler, Irrévérend

    Reverend John Wilkins. Le 106. Rouen (76). 5 avril 2019

    Reverend John Wilkins. You Can’t Hurry God. Big Legal Mess Records 2010

    CHUCK BERRY

    JON BREWER

    ( 2019 )

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    Diffusé sur Arte, mais ceux qui comme moi ne possèdent pas cette boîte à décérébration populaire chez eux peuvent le visionner en replay du 04 / 04 / 2019 au 03 / 07 / 2019. A voir, certes ce n'est pas fantastique, depuis A Film About Jimi Hendrix en 1973, c'est toujours la même formule, un montage d'interviews de proches et d'artistes mêlés à des documents d'époque et d'extraits de films. J'ai l'air de critiquer mais je serais dans l'incapacité d'imaginer plus original. Laura Brewer la scénariste a toutefois eu l'idée de mettre en scène quelques épisodes de la vie de la vie de Chuck sous forme de clips phanstasmatiques qui clignent de l'œil vers l'esthétique de la BD, à mon avis pas vraiment convaincant.

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    Oui, mais c'est Chuck Berry, alors on s'en fout, on en prend plein les mirettes pour pas un sou, on regarde, on écoute, et on se tait. Chuck, c'est sacré, Chuck Berry in London mon premier album rock fut mon cadeau de Noël en 1965, c'était arriver dix ans après la sortie de Maybelline, mais à l'époque en France on n'était pas des milliers à suivre... Deux ans plus tard il y avait eu le Golden Hits avec sa pochette désastreuse mais au dos ces notes qui nous ouvraient tant de perspectives passionnantes avec ces références de matos et d'amplis qui vous tournaient la tête. L'on découvrait que le rock reposait sur toute une science sonologique qui nous laissait rêveurs. Mais je m'égare.

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    Jon Brewer retrace la carrière de Chuck, dans l'ordre chronologique mais il évite une dispersion fragmentaire en s'attachant à quelques idées forces, à trois thèmes centraux qui reviennent régulièrement.

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    Chuck Berry, l'inventeur du rock'n'roll. Certes il vient du blues mais il fut le premier à jouer plus fort et plus rapide que tous les autres. Possédait de longs doigts qui lui permettaient de courir le long du manche avec une facilité déconcertante. L'avait aussi une autre particularité, celle d'inclure dans le ploum-ploum-blues habituel des plans country. Métaphoriquement l'on peut dire qu'il a eu cette intuition géniale de remplacer les trémolos déclinants de la blue-note par l'attaque incisive de ce ces white-notes stridentes, ces espèces de jappements de chien, par lesquels les petits blancs arrachaient leur morceaux. Lui Chuck, l'attendait un peu pour les faire apparaître, ne vous les sortait que lorsque l'anatole bluesy se cassait la gueule, au moment où le cercueil bascule dans la fosse, vous fichait dans la moelle épinière trois cris de coq d'une stridence ravageuse à vous réveiller le mort qui se levait illico et se transformait en zombie fou pour se lancer dans une sarabande effrénée. C'était cela le secret du rock'n'roll, ne jamais laisser retomber le soufflet, un coup de barre et c'est reparti pour une giboulée de Mars, dieu de la guerre et du chaos.

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    Chuck Berry un guitariste fabuleux. Qui chantait aussi. N'avait pas une voix extraordinaire. Un peu trop nasillarde à mon humble avis. Mais par contre il savait s'en servir à merveille. Le premier imbécile est capable de l'ouvrir et de chanter plus ou moins bien, mais dans le rock'n'roll, chanter n'est pas jouer. Tout se passe dans l'inflexion. Le blues module, le rock modélise, si vous dites Baby I love you so, faut que vous donniez l'impression que vous êtes en train d'interpréter le rôle d'un type qui dit Baby I love you so, c'est ce léger décalage, cette espèce d'innocence assumée d'une rouerie confirmée qui fait tout le charme du phrasé rock. L'irocknie est le secret du chant rock'n'roll.

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    L'avait une autre corde vocale, le Chuck, composait ses paroles, l'a été le premier – bien avant Dylan – à avoir reçu une prestigieuse récompense littéraire pour ses lyrics – n'empruntait pas le texte à autrui, donnait sa propre vision du monde, n'avait pas besoin de s'approprier le contenu, c'était lui tout craché, décrivait les boys et les girls tels qu'il les voyait et les comprenait. Lorsqu'il écrivait il ne mâchouillait pas ses mots, quand il les chantait il les articulait divinement, vous racontait sa petite histoire, un conte acidulé pour grands enfants. L'était un fan de Bing Crosby mais l'avait adopté une méthode similaire à celle de Sinatra, concevoir l'interprétation d'un morceau comme une scène de film, un scénario qui retient votre attention et vous tient en haleine jusqu'au dénouement. Un poète.

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    Beaucoup d'atouts dans son jeu. Ajoutez à cela qu'il avait un sourire délicieusement craquant et que sa musique invitait à la danse. Vous filait la danse de sainte-guytare au premier accord. Personne n'y résistait, ni les blancs, ni les noirs. Et cette musique du diable vous invitait à franchir le fil rouge de la transgression. C'est dans ces concerts que jeunes blancs et adolescents noirs se mirent à enfreindre une règle intangible : dansèrent ensemble... Une révolution, qui ne plut pas à tout le monde. Berry avait du succès, mais dans le Sud des Etats-Unis qu'un noir gagne trop d'argent n'était pas bien vu. Surtout qu'il eut l'outrecuidance de sortir avec des femmes de couleur blanche. L'on n'était plus au bon vieux temps où l'on pouvait vous brancher un négro au haut d'un arbre en toute tranquillité, l'on usa de stratagèmes bien plus pernicieux. A croire qu'à cette époque aux Etats-Unis, c'était déjà comme en la France d'aujourd'hui, que la police était partout et la justice nulle part, flics et procureurs s'entendirent comme larrons en foire pour lui créer des ennuis, lui firent fermer son parc d'attraction, l'accusèrent de ne pas payer ses impôts, de transporter de la drogue dans son étui de guitare, parvinrent à l'enfermer à plusieurs reprises en prison. Les témoins sont formels, un blanc n'aurait jamais été maltraité de la sorte...

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    L'on comprendra qu'après de tels traitements le caractère s'aigrisse. Berry se méfia des blancs. Les prit en grippe, que dis-je, en cancer de l'anus avancé. Les tint pour peu de chose : des vaches à lait. Ne fit plus de cadeaux. D'abord les dollars, ensuite la musique. Tous les musiciens blancs qui ont joué avec Berry en gardent de mauvais souvenirs, sans renier le moins du monde leur admiration, repassez-vous sept ou huit fois la séquence de Hail Hail Rock'n'Roll ! dans laquelle Chuck arrête Keith Richards en pleine intro pour lui signifier qu'il faut poser les doigts un peu plus bas, ces éclats de haine rentrée dans les yeux de Keith valent leur pesant d'or, ravale son orgueil et son chapeau, le Keith, fallait-il qu'il respecte le vieux briscard pour passer sur cette humiliation publique...

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    Du beau monde dans le film, Steve Van Zandt, Gene Simmons, Alice Cooper, Joe Perry, Nils Lofgren; Nile Rodgers, George Thorogood, Joe Bonamassa, Marshall Chess, juste un truc qui me gêne, ces gars-là nous les avons admirés, haïs, dédaignés, font partie peu ou prou, de près ou de loin, de notre story-stelling, mais z'ont pris un sacré coup de vieux. Ce n'est guère rassurant pour nous. Certes un Joe Perry a encore une belle dégaine mais l'Alice Cooper ( que j'estime ) l'est beau comme un paillasson. Enlevez-moi ces miroirs. Mais ce n'est pas le plus grave, z'ont des airs de grand-pères, mais où sont les petits-enfants ! Ne sont rien d'autres que des momies de l'ancien temps, Jon Brewer agit un peu comme cette chaîne de télé américaine qui vous ouvre un sarcophage de l'ancienne Egypte en direct. L'aurait pu chercher quelques jeunes guitaristes qui œuvrent dans le metal par exemple, l'a peut-être eu peur du fossé générationnel, de la coupure transmissive...

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    Question subsidiaire : Chuck Berry fut-il un rocker ? Réponse musique sans nul doute. L'a fait son job, sûr, mais ne pas confondre Charles avec Chuck. L'homme public s'arrêtait devant la porte de sa maison. Chez lui, n'était plus qu'un époux aimant, qu'un père attentif, sa femme et ses enfants en témoignent avec dignité et émotion. Chuck a eu la force de se préserver, l'a survécu, ne lui manquait qu'une dizaine d'années pour finir centenaire, l'est mort comblé, célébré, révéré, institutionnalisé, un beau parcours, lui manque toutefois un petit grain de folie...

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    Les rockers regarderont ce film avec plaisir - attention pour les thuriféraires de Presley, le film insiste : Elvis a popularisé le rock, Chuck l'a inventé - en plus vous avez quelques images de Jerry Lou et de Bo Diddley, l'est vrai qu'il nous manque Little Richard. Arrêtons de chercher la petite bête et la grande folle ! Hail ! Hail ! Rock'n'roll !

    Damie Chad.

    P. S. : pour ceux qui veulent un beau portrait de Chuck Berry la lecture de la chronique de notre Cat Zengler parue dans la livraison 323 du 06 /04 / 2017 s'impose. Pas un must, un devoir éthique.

     

    Chuck chose en son temps

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    Chuck Berry fait partie des gens qui meurent mais qui ne disparaîtront jamais. Sa musique est partout depuis soixante-cinq ans. Elle est à l’image d’une vie, à la fois trop longue et trop brève. Il fut un temps où on se plaignait de trop l’entendre, l’époque où les Stones jouaient «Carol» et «Little Queenie», mais depuis deux jours, c’est un peu comme s’il nous manquait. Comme si sa longue histoire n’avait duré que le temps d’une chanson.

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    Si tu veux te payer une petite overdose de Chuck, fais-toi offrir à Noël le coffret Bear paru en 2014, Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear qui ne fait pas les choses à moitié propose avec ce coffret tout Chuck gravé sur seize rondelles, c’est-à-dire TOUS les cuts enregistrés entre 1954 et 1979, et du live à la pelle, environ quatre-vingt titres regroupés sur les quatre dernières rondelles. Tout ça s’écoute avec autant de plaisir que les albums originaux sur Chess, mais attention, ce sont les deux livres emboîtés dans le coffret qui vont t’envoyer directement au tapis. À commencer par le Harry Davis Photos book. Un nommé Bill Greensmith est allé fouiner dans le grenier d’Harry Davis, un cousin photographe de Chuck. On a là quatre-vingt dix pages d’images fan-tas-tiques, celles du Chuck d’avant Chess, déjà prodigieusement photogénique. L’une des images les plus connues est celle d’un Chuck engoncé dans un costard blanc mal taillé et grattant une belle pelle noire. Il sourit comme un ange de miséricorde, la bouche surlignée d’une moustache taillée à la cordelette. On ne trouve pas moins de sept poses de cette image, dont une agenouillée. Ce qui frappe le plus sur ces images magiques, c’est la taille des mains de Chuck. C’est là qu’un parallèle avec Jimi Hendrix s’interpose : les deux hommes avaient énormément de choses en commun, hormis la taille des mains : ils avaient tous les deux du sang indien dans les veines, un appétit sexuel démesuré et l’équipement qui leur permettait de l’assouvir, et le génie qui leur permit à deux époques différentes de façonner le rock à leur image. On tombe aussi dans le Harry Davis Photos book sur des images romantiques de Chuck avec des belles poules noires. En 1948, Chuck n’a que 22 ans et il est aux noirs ce qu’Elvis fut aux blancs à la même époque : une perfection à deux pattes. On tombe à la page suivante sur sa photo de mariage avec Themetta, qui doit elle aussi avoir du sang indien dans les veines, tellement l’aspect sauvage de sa beauté fascine. Harry Davis shoota aussi pas mal d’images dans les clubs de Saint-Louis où se produisait son cousin Chuck. On le voit gratter une Les Paul noire au Cosmopolitan Club en 1954. Et devant lui dansent des couples de blacks. On se dit : Oh les veinards ! Le cousin Harry en profita aussi pour shooter Johnnie Johnson assis devant son piano et le batteur Ebby Hardy fouettant le beat avec ses balais. Ce book fatidique se termine avec quelques images en couleurs. Chuck pose avec sa Gibson crème et tortille un peu les pattes : image après image, il crée sa légende. Ses chansons lui serviront de bande son.

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    L’autre livre donne le vertige, car il résume en images toute l’histoire de Chuck Berry. On a beau se dire qu’on connaît tout ça par cœur, depuis Disco-Revue et tous ces canards qu’on a eu dans les pattes, cette imagerie frénétique impressionne de plus belle. Toutes ces images sont graphiquement parfaites. Quelle que fut l’époque, Chuck Berry s’est toujours débrouillé pour rester un pur rock’n’roll animal. Il a toujours su se donner les moyens de sa légende. Certains personnages ont cette faculté de pouvoir rester conformes à l’image qu’on se fait d’eux. Dylan et Lemmy illustrent eux aussi ce principe de longévité vampirique. D’ailleurs, quand on ouvre ce deuxième volume, on tombe dès la page 4 sur Chuck le vampire ! Il ne prend même pas la peine de dissimuler ses deux crocs. Et le phénomène tourbillonnaire se reproduit : année après année, Chuck pose guitare en main avec la même élégance, le même filiformisme congénital, le visage toujours expressif d’un showman vétéran de toutes les guerres, et puis il multiplie les figures de styles, le duck-walk en costume blanc et le grand écart en pantalon rouge. Photos extraordinaires que celles d’un Chuck en béret au Star Club de Hambourg en 1964, puis les images incroyables de la tournée américaine de 1964 avec les Animals, puis on passe en 1967 avec des images de plus en plus acrobatiques shootées à Manchester, et même quand il commence à se laisser pousser les cheveux en 1972, il incarne le rock’n’roll mieux que quiconque sur cette planète. Il a ce côté gyspsy qu’avait Jimi Hendrix en débarquant à Londres. Souvenez-vous : subjugués par son apparition, les journalistes anglais crurent que Jimi sortait des bois de Bornéo.

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    Tous les fans de Chuck Berry entassent des tonnes de souvenirs de concert. Celui qui fut sans doute le plus spectaculaire fut le fameux concert-émeute de la Fête de l’Huma en 1973. Chuck arriva sur scène en pantalon rouge avec sa Gibson ES355 rouge et quelques heures de retard. La section rythmique d’Osibisa l’accompagnait. Tout se passa bien pendant un cut, puis un barbu en Stetson et lunettes noires débarqua sur scène pour dégager le batteur black et prendre sa place. La rumeur courut aussitôt : c’est Jerry Lee ! Et au lieu d’accompagner son vieux rival nègre, Jerry Lee lança ses baguettes en l’air et ruina brutalement le set de Chuck qui posa sa guitare pour quitter la scène. C’est là que la fête bascula dans le chaos. On vit un ciel noir de projectiles et un gang de bikers chargea la foule en brandissant des armes blanches. Panique générale ! Sauve qui peut les rats ! Les gens se levèrent par vagues. Même pas le temps de ramasser les sacs ! On marchait sur ceux qui n’étaient plus en état de se lever. Quelle rigolade ! On ne remerciera jamais assez Jerry Lee d’avoir créé un si beau chaos.

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    D’autres rendez-vous encore, comme ce concert fantastique de Chuck aux Banlieues Bleues à Saint-Denis et ce poto qui n’en finissait plus de glousser : «Gad’ le saucisson !». Chuck portait un pantalon rouge très moulant et on voyait bien qu’il était monté comme un âne. Un Marseillais dirait que sa bite descendait jusqu’au genou. Mais ce qui frappait le plus, c’était sa carrure. On comprenait mieux comment il avait réussi à sortir indemne des taules des blancs : Chuck Berry est bâti comme un géant. C’est ce que Steve Jones appelle la «structure osseuse», et il insiste beaucoup là-dessus dans Lonely Boy, son recueil de souvenirs.

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    Alors justement, Steve Jones n’arrive pas là par hasard. Chuck et lui ont quelque chose en commun, un goût prononcé pour la délinquance et le sexe. Comment pourrait-on imaginer les Sex Pistols ou Chuck Berry sans sexe et sans une petite pointe de délinquance ? L’ado Chuck et l’ado Steve débutent leurs carrières d’obsédés sexuels très tôt. Ça titille d’autant plus Chuck que son cousin Harry Davis shoote déjà des pin-ups et arrondit ses fins de mois avec des photos porno. Quand Chuck commence à tripoter les petites gonzesses du voisinage, son père l’apprend et lui colle une belle rouste. L’erreur à ne pas faire ! Alors l’ado entre en rébellion et décide de fuguer avec ses copains Lawrence Hutchinson et James Williams. Ils se carapatent tous les trois à bord d’une vieille Oldsmobile. Direction la Californie. Ils font cinquante bornes et s’arrêtent pour casser une croûte dans un patelin nommé Wentzville (là où Chuck installera plus tard son fameux Berry Park). Comme ils sont noirs, le porc blanc du restau leur dit d’aller chercher leur bouffe derrière, à la fenêtre de la cuisine. En 1944, les noirs n’ont pas le droit d’entrer dans les gastos des blancs. C’est là que l’ado Chuck fait la connaissance de Jim Crow, le fantôme ségrégationniste qui plane sur tout le Deep South. Quand ils arrivent à Kansas City, ils n’ont plus un flèche en poche. Alors Chuck sort son calibre 22 et ils braquent des commerçants. Envoie l’oseille, whitey ! En l’espace de cinq jours, ils en braquent trois, dont un coiffeur. Ça tourne au sac d’embrouilles, aussi décident-ils de rentrer à Saint-Louis. Hélas, la vieille Oldsmobile tombe en carafe à mi-chemin, juste à la sortie de Columbia. Ils font signe aux bagnoles qui passent. Un mec s’arrête. Plutôt que de lui demander gentiment son aide, cette crapule de Chuck lui met son calibre 22 sous le nez et lui dit de calter vite fait. Ils repartent en poussant l’Oldsmobile jusqu’à ce qu’un flic suspicieux les voie passer et les poire. Ils se retrouvent tous les trois au Boone County jail et un juge leur en colle pour dix piges dans la barbe. On est dans le Missouri et à cette époque, on mène la vie dure aux nègres qui sortent du droit chemin, aux antisociaux comme Chuck qui chient sur la règle d’or, le fameux ferme-ta-gueule-et-travaille-pour-le-patron-blanc. Chuck va tirer trois piges à Algoa.

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    Quand on le vit arriver sur scène à l’Olympia en 2005, on n’en revenait pas ! Cet homme de quatre-vingt ans déboulait sur scène en rigolant, vêtu d’une chemise bleue pailletée d’or. Et pendant plus d’une heure, il allait aligner la plus belle série de golden hits de tous les temps. En fait, ce qui frappait le plus dans son style, c’était l’économie de moyens. Il jouait une sorte de stripped down rock’n’roll, il ramenait tout à l’essentiel qui était la mélodie chant - Roll over Beetho/ ven/ And tell Tchaikov/ ski/ the news - D’ailleurs, il nous fit ce soir-là le coup de la panne, plus de son dans la guitare, alors il prit la basse pour s’accompagner et continua de chanter son cut comme si de rien n’était. Pour éclairer la lanterne du public, il expliqua qu’il jouait avec un émetteur, et que la pile du relais d’antenne était morte. Puis il éclata de rire : «Avant, on avait des câbles, and it never failed !». Et là-dessus, il embraya directement sur «Carol». Tout ceci pour montrer qu’au fond il n’a jamais eu besoin d’orchestre. Son principal instrument est sa voix. Il n’empêche qu’on se régalait quand même de le voir jouer ses plans de swing sur la Gibson rouge. Personne ne jouait de la guitare avec autant d’élégance. Il pliait les genoux et plaquait tranquillement ses accords dissonants sur son manche. The birth of cool ! Et puis ses textes sont tellement bien écrits qu’ils swinguent naturellement. Ça fait trente ans qu’on entend tous les coqs de basse-cour répéter à qui mieux-mieux que Chuck est le plus grand poète américain. Quelle aberration ! Quand on voit ce vieux pépère hilare sur scène, on comprend qu’il a inventé son rock’n’roll sans le faire exprès. Chez Chuck, la moindre phrase est simplement prétexte à rock. Ce concert de l’Olympia en 2005 fut un exemple parmi tant d’autres. Chuck savait doser ses effets et créer de violentes montées en température. On le vit soudain passer aux choses sérieuses avec «Memphis Tennessee», le fameux Long distance information, l’un des cuts les plus mythiques de l’histoire du rock, et là, à cet instant précis, on sut que Chuck régnait sur la terre comme au ciel. Il jouait des accords si épais qu’ils semblaient charrier des grumeaux de distorse. Il envoyait sa purée avec une sorte de bonhomie du delta. Puis il raconta l’histoire du country boy, un nommé Johnny qui savait jouer de la guitare comme on sonne à la porte. Évidemment, ça a l’air con, dit comme ça, mais le truc est là : il suffit simplement de raconter l’histoire d’un mec qui gratte sa guitare pour créer du mythe.

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    On le vit pour la dernière fois à Paris en 2008 en tête d’affiche au Zénith, après Linda Gail et Jerry Lee. Pas mal pour une vieux pépère de 82 ans. Comme Bobby Bland, il portait une casquette blanche d’officier de marine et son fils beefait le son sur une deuxième guitare. Du coup, le groupe sortait un son fabuleusement heavy, qui déroutait un peu, mais des hits comme «Around & Around» filaient comme des torpilles jusqu’à nos cervelles. Baaam ! On sentit ce soir-là qu’une page d’histoire se tournait. La critique s’empressa de massacrer le concert, histoire de redorer le blason de son incurie. Comment peut-on reprocher à Chuck Berry de jouer quelques plans foireux ?

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    La meilleure approche de Chuck Berry se trouve sans doute dans le film de Taylor Hackford, l’excellent Hail Hail Rock’n’Roll financé par Universal en 1986 pour le soixantième anniversaire de notre héros. C’est un film à deux facettes, et si on veut voir les deux, il faut se procurer l’édition spéciale du film parue en 2006 : le disk 1 propose la version originale du film et le disk 2 les interviews des principaux protagonistes, dont la productrice Stephanie Bennett et Taylor Hackford. Pour eux, ce tournage fut un épouvantable cauchemar, ce que ne montre pas du tout le film. Stephanie Bennett explique que Chuck Berry profitait de la moindre occasion pour renégocier son contrat. Si on ne lui apportait pas le blé en cash dans une enveloppe, il restait chez lui. Chaque fois, Stephanie Bennett lui demandait : «Combien ?». Et il fixait la somme. Quand ça tombait sur un samedi ou un dimanche et que les banques étaient fermées, elle devait se débrouiller pour trouver du cash. En plein tournage, Chuck prenait aussi des engagements pour jouer ailleurs. Si Taylor lui disait que ce n’était pas prévu et qu’une journée de tournage coûtait une fortune, Chuck lui répondait qu’il ne pouvait pas cracher sur un cachet de 25 000 $. Stephanie Bennett affirme que Chuck Berry est obsédé par le blé. Elle explique qu’il y avait deux concerts prévus au Fox Theater pour la fin du film et Chuck refusait de jouer le deuxième qui n’était pas prévu dans le contrat si on ne lui versait pas un complément. «Combien ?». Elle trouva le cash et lui balança l’enveloppe en pleine gueule. Elle n’en pouvait plus. Alors combien au total ? Le premier jour, Chuck empocha 25 000 $ en cash, et au final, elle estime qu’il aurait empoché 800 000 $. Chuck Berry a eu bien raison d’étriller ces blancs qui de toute façon allaient encore se faire du blé sur son dos, comme ils l’ont fait au temps de Leonard Chess et de tous les autres qui ont suivi. Dans une séquence du film, on voit Chuck discuter avec Bo Diddley et Little Richard. Bo explique qu’au temps de Chess, on leur donnait un demi-cent par disque vendu. Chuck rappelle qu’un disque se vendait 49 cents et il demande : où sont passés les 48 autres cents ? Mais dans la poche de ces porcs blancs, bien sûr ! On tente de faire passer Chuck pour un sale mec dans ces interviews et dans la presse, mais les sales mecs, c’est ni Chuck, ni Bo, ni Little Richard. On se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Les sales mecs sont tous ces gros porcs blancs qui ont bâti des fortunes sur le dos des nègres, exactement comme à l’âge d’or de l’esclavage et des plantations. Oh les belles demeures de caractère ! Et tous ces pauvres nègres qui ont bossé toute leur vie là-dedans pour des nèfles ? Non mais vous rigolez ou quoi ? Chuck Berry un sale mec ? Chuck, c’est Zorro ! Il leur fait cracher tout leur blé, à ces fils de putes. Il a plus de courage que les autres qui n’osaient pas, ceux de Chicago élevés dans la terreur du patron blanc. Dans le film, on voit Chuck entrer au Fox Theater et raconter qu’il y était venu étant gosse pour y voir un film. Comment l’accueillit la gentille caissière ? Dégage, sale nègre ! Bien sûr, Chuck mettra un point d’honneur à revenir jouer en tête d’affiche dans cette salle où on l’a humilié quand il était petit, mais il profite surtout de cette séquence pour rappeler au monde entier qu’on a vendu ses ascendants à quelques blocs d’ici, sur les marches du tribunal. Sold ! répète-t-il d’une voix sourde. Et il ajoute, avec un drôle de sourire en coin : depuis, les choses ont bien changé, n’est-ce pas ? Autre anecdote croustillante : quand il enregistre «Maybelene», le hit qui va le rendre célèbre dans tout le pays, il voit trois noms crédités sur la rondelle du single : Chuck Berry, Russ Freto et Alan Freed. Chuck demande : «Qui est Russ Freto ?» Pas de réponse. Il découvre un peu plus tard que Russ Freto est un employé de Leonard Chess, ‘est-à-dire un homme de paille. Chuck a beau être délinquant, il découvre que les frères Chess sont bien plus balèzes que lui en matière de délinquance. Ils méritaient d’aller faire un stage dans la taule d’Algoa.

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    Alors bien sûr, si on regarde le film, on a l’autre pendant de cette histoire, avec toute la crème de la crème, Keith Richards, Clapton, Robert Cray, c’est à qui va frimer le plus, avec des solos à la mormoille. On voit aussi Jerry Lee rendre hommage à son vieux rival et ses rares apparitions dans le film remontent bien le moral. On revoit aussi avec un bonheur incommensurable la fameuse scène où Chuck fait rejouer trois fois l’intro de «Carol» au vieux Keef. Il dit à Keef : «Si tu veux le faire, il faut le faire bien !». C’est sa façon de régler ses comptes, car les Stones et les Beatles lui ont tout pompé. Chuck Berry n’est jamais devenu aussi énorme que les Beatles et les Stones. On peut comprendre qu’il puise en éprouver une certaine forme de ressentiment. Tiens, encore un coup de charme fatal : il rappelle qu’au temps de sa jeunesse, on n’entendait que des artistes blancs dans les quartiers blancs de Saint-Louis, des gens comme Sinatra ou Pat Booooooone, mais jamais Elmore James, ni Muddy Waters, ni Howlin’ Wolf. Alors il se dit : Pourquoi ne pas écrire de la sweeeeeet music pour entrer chez les white people ? «Alors j’ai écrit «School Days» et ça a marché !» Il faut voir le sourie de Chuck à ce moment-là.

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    L’autre gros avantage du disque de bonus, c’est qu’on y voit Etta James chanter une version démente d’«Hoochie Coochie Gal», le pendant féminin du fameux «Hoochie Coochie Man». Taylor Hackford rappelle que Chuck ne voulait pas d’Etta dans son film mais Keef réussit à l’imposer. À la fin de la chanson, visiblement ému, Chuck vient serrer Etta dans ses bras. Il dit ne pas la connaître, mais elle lui rappelle qu’au temps de ses débuts chez Chess, elle a fait les backings vocals pour lui sur quatre titres, en compagnie d’Harvey Fuqua des Moonglows et de Minnie Ripperton qui était alors réceptionniste chez Chess. L’autre sommet du bonus disk est l’épisode d’Algoa State County Jail, où Chuck séjourna de 18 à 21 ans. Taylor raconte qu’ils sont entrés dans la taule comme dans un moulin, car Chuck y est un héros. Pas besoin de papelards ! Un petit groupe accompagne Chuck et dans ce petit groupe se trouvent des femmes, dont la fameuse Stephanie Bennett. Ça flippe un peu dans le groupe de visiteurs, car ils doivent traverser la cour à pieds et des centaines de taulards arrivent pour les accompagner. Certains commencent même à mettre la main au panier de Stephanie Bennett pour la mettre à l’aise. My crutch ! Ça fait marrer Chuck ! Hilare, il rappelle que les taulards sont privés de pussy pendant looooongtemps. Puis il donne un concert gratuit pour ses copains taulards. GRATUIT ! Eh oui, tout arrive. Quelle rigolade ! Mais on ne voit hélas pas les images, car Chuck les a confisquées. À la suite de cette séquence pour le moins insolite, Taylor Hackford rappelle que Chuck fit trois séjours au ballon : pendant le premier, il apprit la poésie, pendant le second (suite au Mann Act, une vieille loi raciste qui interdit aux nègres de traverser des frontières d’états en compagnie d’une mineure blanche), il termina ses études, et pendant le troisième (poursuivi par le fisc pour non-déclaration de revenus), il obtint un diplôme de compta, histoire de dire : vous ne me baiserez plus. And he could play guitar like a-ringing a bell. Fabuleux personnage.

    Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

     

    Chuck Berry. Disparu le 18 mars 2017

    Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear Family 2014

    Taylor Hackford. Hail hail Rock’n’Roll. DVD 2006

    ELECTRIC LANDSCAPES

    HAPPY ACCIDENTS

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    Nathan Mozes : guitare, chant / JC Viron : guitare / Fred Dee : basse / Rascal : batterie.

     

    Nous les avions vus au Supersonic, nous avaient plu et intrigué, voir notre livraison 401 du 10 / 01 / 2019, et les voici qui sortent leur deuxième opus, ce six avril 2019, le premier éponymement intitulé Happy Accidents avait paru en juin 2018.

    Mersea : paysages pour les oreilles et le rêve. Inutile de vous laisser emporter, cela ne dépend plus de vous, dés les premières notes vous êtes propulsé en un autre monde, en des landes familières totalement inconnues. Une seule référence, la vitesse. Alliée à la puissance. Sûr que vous n'êtes plus maître de rien du tout. Vous avez ouvert une porte et le seuil vous a happé. Vous êtes à mercy. Mais vous ne savez pas de quoi au juste. N'y a plus qu'à suivre et à tenter de comprendre cette houle symphonique, dont vous n'êtes qu'un électron prisonnier. Ne cédez pas à la beauté sonore, elle n'a d'autre but que de vous enfermer en une tour d'ivoire qui vous retiendra à jamais. Essayez de comprendre comment le sortilège fonctionne, des ajouts successifs, des chevauchements infinis de vagues qui s'entassent les unes sur les autres, jamais une seconde de répit, une surimpression sonologique irrémédiable, la batterie qui bat et les guitares qui rabattent, tout s'acharne à s'amplifier, des murs s'exhaussent autour de vous, et vous donnent l'impression de vous soulever vers votre destin. The Beast : the beat is the beast. A vous de l'affronter. Le monstre beugle et fonce sur vous à une allure indéfinissable. Tempo de fou, la grande menace se dirige vers vous, les guitares hululent, la folie cogne à votre tête et submerge votre cerveau, vous n'êtes plus que bruissement d'intumescence effractée en vous, le sang gicle de vos tympans et étoile les vitres qui vous isolent du monde, maintenant le monstre paisible virevolte autour de vous, s'éloigne de toute sa grandeur, le pire est arrivé, vous aimez ce funeste accident, la rage incoercible vous habite, vous êtes lui en vous et il martèle de sa queue effarante le peu d'intelligence humaine qui vous restait. L'héautontimorouménos, l'homme qui se châtie lui-même, disait Baudelaire. Spanish mood : changement de mode. Valse espagnole. Ça ne tourne plus rond en vous. Vous êtes la victime d'une farce énorme. D'ailleurs le tournoiement définitif gagne en puissance, vous essayez de vous échapper et la musique descend d'effroyables escaliers, les guitares grincent à la manière des salles de torture, la douleur vous calme, les tourments deviennent votre manière d'être, des cris s'évaporent, la batterie s'accoude sur vous et c'est reparti pour un tour. Cela ne finira donc jamais, quelques coups de marteaux sur vos rotules et sur vos synapses et vous voici cloué dans un grand galop final que plus rien n'arrêtera. Bruit de tire-bouchon final. L'on vient de vous ôter le cerveau comme l'on arrache le bouchon moisi d'un champagne calamiteux. Heavy : plus fort, plus lourd, plus rock, plus heavy, la musique ne fait plus de quartier. C'est l'instant du grand concassage. Du sublime étrillage, une guitare couine et les autres instruments fusillent à vue les fusibles de la déraison, massacre dans les abattoirs, tronçonneuses sanglantes, le rêve devient embouteillage cauchemardesque, il ne sera fait aucun prisonnier, heureusement cela s'arrête brutalement avant qu'il ne vous arrive un accident fatal. Self destruct : tout s'assombrit, le rotor est en marche, ses pales gigantesques déchirent le monde et vous comprenez enfin que c'est vous qui pilotez cet hélicoptère géant de destruction massive, vous êtes à l'intérieur de vous, et ça déchire, vous êtes le scalpel et vous êtes l'intelligence martyrisée, ne vous plaignez pas, la musique s'engouffre dans un gigantesque ricanement, un entonnoir trombique de haines rentrées déferlent sur vous, vous êtes à l'intérieur de vous et vous prenez encore de l'altitude. A croire que l'univers n'a pas de limites. Enemies : de loin, très loin, venue d'ailleurs la menace se précise. La bête n'est pas morte, elle s'est multipliée elle fonce vers vous, les godillots de ses gros bataillons courent sur vos membres à la manière des larves qui grouillent sur les cadavres, c'est le dernier combat, vous n'avez pas le droit de vous laisser submerger par les innommables légions de l'astral, vous vous battez avec la rage du désespoir, furie noire, furie blanche, furie rouge. Fin de partie. Les ennemis gisent à terre. Tout s'écroule. Vide absolu. Alone : quel silence, quelle ironique douceur, vous n'êtes plus que vous-même, vous vous remémorez le film, maintenant vous avez le temps, vous avez déjà la nostalgie de vos paysages électriques intérieurs. Vous préférez les cauchemars à la solitude, chafouinements cordiques, la batterie tire les rideaux rouges de sang séché, vous comprenez qu'il vaut mieux être mal accompagné par soi-même que seul dans la splendeur du monde. Générique de fin, les paysages électriques que vous avez cru visiter sont à votre image. Dans le lointain Maldoror ricane.

    Superbe suite instrumentale. Puissant et original. A écouter sans fin. Electricité poétique.

    ( Disponible sur Bandcamp. Voir aussi FB : Happy Accidents )..

     

    SELF CONTROL

    THE RADIOACTIVE

    ( 2014 / Attila Attack Records )

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    Cinq ans d'âge. Zétaient à la Comedia ce 30 mars 2019 pour la sortie de leur nouveau mini-album A Matter of Time, la teuf-teuf étant en salle de réanimation, suis resté bêtement à Provins... En lot de consolation, j'avais récupéré à la Comedia ce premier EP, oui mais après écoute je n'en ai que plus de regrets.

    Groupe d'origine lycéenne ayant connu changement de noms et de membres, Oscar et Bastien sont aux guitares et au vocal, Arthur Dubois à la basse et Neil à la batterie.

    Self Control : saisi dès les premières notes, le son est bon, la guitare fuzze et l'urgence d'une voix déclenche l'avalanche, une batterie très AC / DC en complément vitaminé et un double comprimé chorique parsème le titre jusqu'à un solo cataleptique, la voix miaule et c'est parti pour l'attaque à la baïonnette. Méchamment bien foutu. Ils en rigolent. Get Stoned : en plus appuyé, un peu à la Titanic, plus près de toi mon dieu, oui mais là on ne se perd pas en patenôtres, ça balance terrible, des ritournelles incessantes de batterie et des échardes de guitares qui s'enfoncent profond, mais le meilleur c'est encore le vocal qui vous emporte au fond de l'enfer et qui se permet de minauder devant les fournaises du diable. Death Song : carrément un bon chanteur, l'a tout compris le gazier, alors z'ont intuité qu'il fallait l'enkister dans un coffre-fort blindé. Fricassées de batterie, émincés de guitares, saupoudrage de chœur, vous m'en direz des nouvelles. Welcome to the Morgue : trois bons titres, la maison ne fait pas de cadeau, vous en refile aussitôt un quatrième pour que vous compreniez qu'ici ce n'est pas de la daube en tube, vocal et guitares furax, la batterie qui vous emballe le tout à coups de pelles. Y a même un loup qui hurle et grogne au milieu de la sarabande. Un truc à vous faire réserver une place à la morgue. Un titre sans concession de cimetière pourtant. Revitaliseur. 8 O' Clock : la voix qui déchire en avant, la guitare qui jumpe et retombe en vous coupant les jambes comme si l'on vous passait à la guillotine par le mauvais bout, se foutent de votre gueule sur le refrain des nanalalère de cours de récréation qui vous monte la température au-dessus de la fonte de la banquise, la guitare vous en pique une colère homérique. Sûr que c'est l'heure fatidique. En tout cas ça vous tombe sur le coin du museau comme un étron de bonheur.

     

    Superbe. Un gros défaut : trop court, manque sept ou huit morceaux, va falloir se mettre en quête de A Matter of Time. Ce ne saurait être qu'une question de temps.

    Damie Chad.

     

    LE VENT SE LEVE

    CHAMBLAS RÊVEIL

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    Chamblas Rêveil : guitare, chant, harmonica / Florent Sepchat : accordéon, orgue, piano / François Collombon : percussions / Océane Halpert : choeurs, piano / Flora Chevalier : violoncelle, choeur / Mathieu Torsat : contrebasse, guitare / Yoann Loustalot : trompette.

    Le CD était vendu, à prix libre, pour aider les personnes blessées par la police ( que tout le monde déteste ) lors des dernières manifestations à Tours, je l'ai pris quoique à mon avis je subodorasse – le fameux flair du rocker - plutôt un album style chanson française, ce qui n'est pas du tout ma tasse de thé adorée. Je l'ai quand même écouté, et ma fois j'ai été agréablement surpris, et puis peut-être que certains kr'tntreaders aimeront à penser qu'il y a un peu trop d'éborgnés en notre pays ces derniers mois.

    Patrick Chamblas, alias Chamblas Rêveil, fait partie de cette génération d'artistes qui s'en viennent chez vous interpréter dans votre salon - dans lequel vous avez réunis amis et voisins - chansons, musique, pièces de théâtre, lectures diverses, une manière différente de rencontrer le public en des lieux intimes. Si vous n'allez pas à l'art, l'art viendra chez vous pour vous rentrer dans le lard !

    Le vent se lève : chanson titre du CD, la plus courte et la moins originale. De larges alexandrins à la prosodie un tantinet relâchée, le genre de licences qui auraient conduit Théodore de Banville au suicide, mais l'est vrai que Chamblas Rêveil a ici plutôt visé la pompe hugolienne que les pirouettes de l'auteur des Odes Funambulesques. L'a toutefois une voix un peu trop fluette à la Angelo Branduardi, faudrait une symphonie vocale, nous offre une strette trop maigrelette. Le violoncelle qui ne bat pas de l'aile sauve le morceau. Rock'n'Flash-Ball : le seul morceau rock'n'roll du disque, un peu trop simili, pas vraiment cuir épais de rhinocérock qui fonce à la manière d'un bulldrockzer. Par contre niveau parole il assure grave méchant, vous lance les mots au flash-ball, l'écorne et l'éborgne les autorités fachisantes. Nous terminerons par ce prockverbe éclatant : ''au royaume des borgnes le CRS est roi''. J'm'en fous : intro très jazz, z'ensuite ça balance gentiment, le thème de la chanson est simpliste, tout va mal, ''il n'y a plus qu'au cimetière qu'on sera pépère'', l'auditeur s'en fout, l'a mieux à faire, depuis un moment l'a son oreille en alerte, c'est quoi, c'est qui, cet olybrius qui joue de la trompette, suit la mélodie sans trop forcer, mais quel toucher, quelle douceur, ce mec est à l'aise, Yoann Loustalot, c'est écrit sur la pochette, pris d'un doute j'ai cherché sur sur le net et j'ai trouvé, c'est bien lui, radio teuf-teuf allumée en route pour un concert et cette émission qui passait des morceaux en forme de... et cet extrait de Pièces en Forme de Flocons, en concert, nom de Zeus, cette frôleur, comme quand vous gratouillez la base des oreilles de votre chaton et qu'il en ronronne de bonheur, une féline béatitude. La lacrymo : retour à notre monde de brutes, soyons justes, le plus brutal c'est le Chamblas, tape dur, lance de véritables grenades de désencerclement, tire tous azimuts, le CRS de base, la hiérarchie cachée derrière les lambris, le populo qui regarde BFM, et une petite dernière pour Renaud qui embrasse les flics. Une écriture et un phrasé à la Maxime Forestier avec les cordes de la guitare qui chuintent, mais l'accordéon de Florent Sepchat se taille la part du lion. J'emmerde le peuple : tous coupables, tous responsables, que personne n'oublie que ce sont les travailleurs qui fabriquent les armes qui vous retombent sur la gueule, une rythmique guillerette, qui se termine en gospel bien balancé. Vous ferez une bise à Océane Halpert et Flora Chevalier, chantent en chœur et enrobent le morceau d'une tendre ironie, elles ne vous emmerdent pas, elles vous tuent direct à petits coups d'épingles empoisonnées. Tout sur rien : une longue comptine sautillante, les filles à la voix suave entrent dans la ronde, c'est mignon tout plein, un peu fleur-bleue contre la violence du monde, une ballade à la Paul Fort, entre nous, c'est ravissant, bien gentil, mais l'on n'y croit guère. Non-lieu : retour au dur constat de la réalité. Vous avez reçu une grenade sur la tempe, c'est la faute à personne, le petit Rémi n'aura pas le temps d'atteindre l'âge ou Parkinson l'aurait aidé à sucrer les fraisses... et tout continue comme avant. Entendez bien ! L'accordéon pleure tout ce qu'il faut. Ta gueule : une belle charge contre les adolescents modernes, ça balance joliment jazz, le père règle ses comptes avec son fiston, une belle occasion pour Yoann Loustalot dont la trompette attise les tisons, et puis le chanteur joue au scorpion, retourne le dard contre lui-même. Tous pareils ! Epoque de faux-semblants. Nous sommes tous des artifices ambulatoires. Songe : la chanson du rien du tout, ni aventurier, ni guerrier, ni amant, ni poète, juste une vaine brassée de songes sur lesquels l'on se bâtit ses propres mythifications auxquelles l'on est le premier à ne pas croire, ni national, ni international, juste ma petitesse, et l'accordéon mène la valse. Brel n'est pas loin. Je bêle avec les moutons : tiens, un harmonica qui traîne comme dans le premier 33 tours d'Antoine et les Problèmes. Titre d'auto-contrition souchonienne. Je ne fais pas mieux que les autres, pas pire, surtout pas meilleur, toutes les excuses sont bonnes pour suivre le troupeau.

    Disque de colère en ses débuts qui tourne à l'auto-dérision. L'une n'exclut pas l'autre. La force de l'ennemi n'est que la résultante de nos faiblesses. Attention, si ce CD était une K7, l'on dirait qu'elle est auto-reverse, que l'auto-dérision n'exclut pas la rage.

    Chanson française de son temps, sous les lacrymos.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 204 = KR'TNT ! 323 : CHUCK BERRY / JALLIES / POETES DU ROCK

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 323

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    06 / 04 / 2017

     

    CHUCK BERRY / JALLIES / POETES DU ROCK

    Cause vacances cette livraison 323

    arrive avec trois jours d'avance.

    La 324 aura deux jours de retard.

     

     

    Chuck chose en son temps

    Chuck Berry fait partie des gens qui meurent mais qui ne disparaîtront jamais. Sa musique est partout depuis soixante-cinq ans. Elle est à l’image d’une vie, à la fois trop longue et trop brève. Il fut un temps où on se plaignait de trop l’entendre, l’époque où les Stones jouaient «Carol» et «Little Queenie», mais depuis deux jours, c’est un peu comme s’il nous manquait. Comme si sa longue histoire n’avait duré que le temps d’une chanson.

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    Si tu veux te payer une petite overdose de Chuck, fais-toi offrir à Noël le coffret Bear paru en 2014, Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear qui ne fait pas les choses à moitié propose avec ce coffret tout Chuck gravé sur seize rondelles, c’est-à-dire TOUS les cuts enregistrés entre 1954 et 1979, et du live à la pelle, environ quatre-vingt titres regroupés sur les quatre dernières rondelles. Tout ça s’écoute avec autant de plaisir que les albums originaux sur Chess, mais attention, ce sont les deux livres emboîtés dans le coffret qui vont t’envoyer directement au tapis. À commencer par le Harry Davis Photos book. Un nommé Bill Greensmith est allé fouiner dans le grenier d’Harry Davis, un cousin photographe de Chuck. On a là quatre-vingt dix pages d’images fan-tas-tiques, celles du Chuck d’avant Chess, déjà prodigieusement photogénique. L’une des images les plus connues est celle d’un Chuck engoncé dans un costard blanc mal taillé et grattant une belle pelle noire. Il sourit comme un ange de miséricorde, la bouche surlignée d’une moustache taillée à la cordelette. On ne trouve pas moins de sept poses de cette image, dont une agenouillée. Ce qui frappe le plus sur ces images magiques, c’est la taille des mains de Chuck. C’est là qu’un parallèle avec Jimi Hendrix s’interpose : les deux hommes avaient énormément de choses en commun, hormis la taille des mains : ils avaient tous les deux du sang indien dans les veines, un appétit sexuel démesuré et l’équipement qui leur permettait de l’assouvir, et le génie qui leur permit à deux époques différentes de façonner le rock à leur image. On tombe aussi dans le Harry Davis Photos book sur des images romantiques de Chuck avec des belles poules noires. En 1948, Chuck n’a que 22 ans et il est aux noirs ce qu’Elvis fut aux blancs à la même époque : une perfection à deux pattes. On tombe à la page suivante sur sa photo de mariage avec Themetta, qui doit elle aussi avoir du sang indien dans les veines, tellement l’aspect sauvage de sa beauté fascine. Harry Davis shoota aussi pas mal d’images dans les clubs de Saint-Louis où se produisait son cousin Chuck. On le voit gratter une Les Paul noire au Cosmopolitan Club en 1954. Et devant lui dansent des couples de blacks. On se dit : Oh les veinards ! Le cousin Harry en profita aussi pour shooter Johnnie Johnson assis devant son piano et le batteur Ebby Hardy fouettant le beat avec ses balais. Ce book fatidique se termine avec quelques images en couleurs. Chuck pose avec sa Gibson crème et tortille un peu les pattes : image après image, il crée sa légende. Ses chansons lui serviront de bande son.

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    L’autre livre donne le vertige, car il résume en images toute l’histoire de Chuck Berry. On a beau se dire qu’on connaît tout ça par cœur, depuis Disco-Revue et tous ces canards qu’on a eu dans les pattes, cette imagerie frénétique impressionne de plus belle. Toutes ces images sont graphiquement parfaites. Quelle que fut l’époque, Chuck Berry s’est toujours débrouillé pour rester un pur rock’n’roll animal. Il a toujours su se donner les moyens de sa légende. Certains personnages ont cette faculté de pouvoir rester conformes à l’image qu’on se fait d’eux. Dylan et Lemmy illustrent eux aussi ce principe de longévité vampirique. D’ailleurs, quand on ouvre ce deuxième volume, on tombe dès la page 4 sur Chuck le vampire ! Il ne prend même pas la peine de dissimuler ses deux crocs. Et le phénomène tourbillonnaire se reproduit : année après année, Chuck pose guitare en main avec la même élégance, le même filiformisme congénital, le visage toujours expressif d’un showman vétéran de toutes les guerres, et puis il multiplie les figures de styles, le duck-walk en costume blanc et le grand écart en pantalon rouge. Photos extraordinaires que celles d’un Chuck en béret au Star Club de Hambourg en 1964, puis les images incroyables de la tournée américaine de 1964 avec les Animals, puis on passe en 1967 avec des images de plus en plus acrobatiques shootées à Manchester, et même quand il commence à se laisser pousser les cheveux en 1972, il incarne le rock’n’roll mieux que quiconque sur cette planète. Il a ce côté gyspsy qu’avait Jimi Hendrix en débarquant à Londres. Souvenez-vous : subjugués par son apparition, les journalistes anglais crurent que Jimi sortait des bois de Bornéo.
    Tous les fans de Chuck Berry entassent des tonnes de souvenirs de concert. Celui qui fut sans doute le plus spectaculaire fut le fameux concert-émeute de la Fête de l’Huma en 1973. Chuck arriva sur scène en pantalon rouge avec sa Gibson ES355 rouge et quelques heures de retard. La section rythmique d’Osibisa l’accompagnait. Tout se passa bien pendant un cut, puis un barbu en Stetson et lunettes noires débarqua sur scène pour dégager le batteur black et prendre sa place. La rumeur courut aussitôt : c’est Jerry Lee ! Et au lieu d’accompagner son vieux rival nègre, Jerry Lee lança ses baguettes en l’air et ruina brutalement le set de Chuck qui posa sa guitare pour quitter la scène. C’est là que la fête bascula dans le chaos. On vit un ciel noir de projectiles et un gang de bikers chargea la foule en brandissant des armes blanches. Panique générale ! Sauve qui peut les rats ! Les gens se levèrent par vagues. Même pas le temps de ramasser les sacs ! On marchait sur ceux qui n’étaient plus en état de se lever. Quelle rigolade ! On ne remerciera jamais assez Jerry Lee d’avoir créé un si beau chaos.

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    D’autres rendez-vous encore, comme ce concert fantastique de Chuck aux Banlieues Bleues à Saint-Denis et ce poto qui n’en finissait plus de glousser : «Gad’ le saucisson !». Chuck portait un pantalon rouge très moulant et on voyait bien qu’il était monté comme un âne. Un Marseillais dirait que sa bite descendait jusqu’au genou. Mais ce qui frappait le plus, c’était sa carrure. On comprenait mieux comment il avait réussi à sortir indemne des taules des blancs : Chuck Berry est bâti comme un géant. C’est ce que Steve Jones appelle la «structure osseuse», et il insiste beaucoup là-dessus dans Lonely Boy, son recueil de souvenirs.
    Alors justement, Steve Jones n’arrive pas là par hasard. Chuck et lui ont quelque chose en commun, un goût prononcé pour la délinquance et le sexe. Comment pourrait-on imaginer les Sex Pistols ou Chuck Berry sans sexe et sans une petite pointe de délinquance ? L’ado Chuck et l’ado Steve débutent leurs carrières d’obsédés sexuels très tôt. Ça titille d’autant plus Chuck que son cousin Harry Davis shoote déjà des pin-ups et arrondit ses fins de mois avec des photos porno. Quand Chuck commence à tripoter les petites gonzesses du voisinage, son père l’apprend et lui colle une belle rouste. L’erreur à ne pas faire ! Alors l’ado entre en rébellion et décide de fuguer avec ses copains Lawrence Hutchinson et James Williams. Ils se carapatent tous les trois à bord d’une vieille Oldsmobile. Direction la Californie. Ils font cinquante bornes et s’arrêtent pour casser une croûte dans un patelin nommé Wentzville (là où Chuck installera plus tard son fameux Berry Park). Comme ils sont noirs, le porc blanc du restau leur dit d’aller chercher leur bouffe derrière, à la fenêtre de la cuisine. En 1944, les noirs n’ont pas le droit d’entrer dans les gastos des blancs. C’est là que l’ado Chuck fait la connaissance de Jim Crow, le fantôme ségrégationniste qui plane sur tout le Deep South. Quand ils arrivent à Kansas City, ils n’ont plus un flèche en poche. Alors Chuck sort son calibre 22 et ils braquent des commerçants. Envoie l’oseille, whitey ! En l’espace de cinq jours, ils en braquent trois, dont un coiffeur. Ça tourne au sac d’embrouilles, aussi décident-ils de rentrer à Saint-Louis. Hélas, la vieille Oldsmobile tombe en carafe à mi-chemin, juste à la sortie de Columbia. Ils font signe aux bagnoles qui passent. Un mec s’arrête. Plutôt que de lui demander gentiment son aide, cette crapule de Chuck lui met son calibre 22 sous le nez et lui dit de calter vite fait. Ils repartent en poussant l’Oldsmobile jusqu’à ce qu’un flic suspicieux les voie passer et les poire. Ils se retrouvent tous les trois au Boone County jail et un juge leur en colle pour dix piges dans la barbe. On est dans le Missouri et à cette époque, on mène la vie dure aux nègres qui sortent du droit chemin, aux antisociaux comme Chuck qui chient sur la règle d’or, le fameux ferme-ta-gueule-et-travaille-pour-le-patron-blanc. Chuck va tirer trois piges à Algoa.
    Quand on le vit arriver sur scène à l’Olympia en 2005, on n’en revenait pas ! Cet homme de quatre-vingt ans déboulait sur scène en rigolant, vêtu d’une chemise bleue pailletée d’or. Et pendant plus d’une heure, il allait aligner la plus belle série de golden hits de tous les temps. En fait, ce qui frappait le plus dans son style, c’était l’économie de moyens. Il jouait une sorte de stripped down rock’n’roll, il ramenait tout à l’essentiel qui était la mélodie chant - Roll over Beetho/ ven/ And tell Tchaikov/ ski/ the news - D’ailleurs, il nous fit ce soir-là le coup de la panne, plus de son dans la guitare, alors il prit la basse pour s’accompagner et continua de chanter son cut comme si de rien n’était. Pour éclairer la lanterne du public, il expliqua qu’il jouait avec un émetteur, et que la pile du relais d’antenne était morte. Puis il éclata de rire : «Avant, on avait des câbles, and it never failed !». Et là-dessus, il embraya directement sur «Carol». Tout ceci pour montrer qu’au fond il n’a jamais eu besoin d’orchestre. Son principal instrument est sa voix. Il n’empêche qu’on se régalait quand même de le voir jouer ses plans de swing sur la Gibson rouge. Personne ne jouait de la guitare avec autant d’élégance. Il pliait les genoux et plaquait tranquillement ses accords dissonants sur son manche. The birth of cool ! Et puis ses textes sont tellement bien écrits qu’ils swinguent naturellement. Ça fait trente ans qu’on entend tous les coqs de basse-cour répéter à qui mieux-mieux que Chuck est le plus grand poète américain. Quelle aberration ! Quand on voit ce vieux pépère hilare sur scène, on comprend qu’il a inventé son rock’n’roll sans le faire exprès. Chez Chuck, la moindre phrase est simplement prétexte à rock. Ce concert de l’Olympia en 2005 fut un exemple parmi tant d’autres. Chuck savait doser ses effets et créer de violentes montées en température. On le vit soudain passer aux choses sérieuses avec «Memphis Tennessee», le fameux Long distance information, l’un des cuts les plus mythiques de l’histoire du rock, et là, à cet instant précis, on sut que Chuck régnait sur la terre comme au ciel. Il jouait des accords si épais qu’ils semblaient charrier des grumeaux de distorse. Il envoyait sa purée avec une sorte de bonhomie du delta. Puis il raconta l’histoire du country boy, un nommé Johnny qui savait jouer de la guitare comme on sonne à la porte. Évidemment, ça a l’air con, dit comme ça, mais le truc est là : il suffit simplement de raconter l’histoire d’un mec qui gratte sa guitare pour créer du mythe.
    On le vit pour la dernière fois à Paris en 2008 en tête d’affiche au Zénith, après Linda Gail et Jerry Lee. Pas mal pour une vieux pépère de 82 ans. Comme Bobby Bland, il portait une casquette blanche d’officier de marine et son fils beefait le son sur une deuxième guitare. Du coup, le groupe sortait un son fabuleusement heavy, qui déroutait un peu, mais des hits comme «Around & Around» filaient comme des torpilles jusqu’à nos cervelles. Baaam ! On sentit ce soir-là qu’une page d’histoire se tournait. La critique s’empressa de massacrer le concert, histoire de redorer le blason de son incurie. Comment peut-on reprocher à Chuck Berry de jouer quelques plans foireux ?

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    La meilleure approche de Chuck Berry se trouve sans doute dans le film de Taylor Hackford, l’excellent Hail Hail Rock’n’Roll financé par Universal en 1986 pour le soixantième anniversaire de notre héros. C’est un film à deux facettes, et si on veut voir les deux, il faut se procurer l’édition spéciale du film parue en 2006 : le disk 1 propose la version originale du film et le disk 2 les interviews des principaux protagonistes, dont la productrice Stephanie Bennett et Taylor Hackford. Pour eux, ce tournage fut un épouvantable cauchemar, ce que ne montre pas du tout le film. Stephanie Bennett explique que Chuck Berry profitait de la moindre occasion pour renégocier son contrat. Si on ne lui apportait pas le blé en cash dans une enveloppe, il restait chez lui. Chaque fois, Stephanie Bennett lui demandait : «Combien ?». Et il fixait la somme. Quand ça tombait sur un samedi ou un dimanche et que les banques étaient fermées, elle devait se débrouiller pour trouver du cash. En plein tournage, Chuck prenait aussi des engagements pour jouer ailleurs. Si Taylor lui disait que ce n’était pas prévu et qu’une journée de tournage coûtait une fortune, Chuck lui répondait qu’il ne pouvait pas cracher sur un cachet de 25 000 $. Stephanie Bennett affirme que Chuck Berry est obsédé par le blé. Elle explique qu’il y avait deux concerts prévus au Fox Theater pour la fin du film et Chuck refusait de jouer le deuxième qui n’était pas prévu dans le contrat si on ne lui versait pas un complément. «Combien ?». Elle trouva le cash et lui balança l’enveloppe en pleine gueule. Elle n’en pouvait plus. Alors combien au total ? Le premier jour, Chuck empocha 25 000 $ en cash, et au final, elle estime qu’il aurait empoché 800 000 $. Chuck Berry a eu bien raison d’étriller ces blancs qui de toute façon allaient encore se faire du blé sur son dos, comme ils l’ont fait au temps de Leonard Chess et de tous les autres qui ont suivi. Dans une séquence du film, on voit Chuck discuter avec Bo Diddley et Little Richard. Bo explique qu’au temps de Chess, on leur donnait un demi-cent par disque vendu. Chuck rappelle qu’un disque se vendait 49 cents et il demande : où sont passés les 48 autres cents ? Mais dans la poche de ces porcs blancs, bien sûr ! On tente de faire passer Chuck pour un sale mec dans ces interviews et dans la presse, mais les sales mecs, c’est ni Chuck, ni Bo, ni Little Richard. On se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Les sales mecs sont tous ces gros porcs blancs qui ont bâti des fortunes sur le dos des nègres, exactement comme à l’âge d’or de l’esclavage et des plantations. Oh les belles demeures de caractère ! Et tous ces pauvres nègres qui ont bossé toute leur vie là-dedans pour des nèfles ? Non mais vous rigolez ou quoi ? Chuck Berry un sale mec ? Chuck, c’est Zorro ! Il leur fait cracher tout leur blé, à ces fils de putes. Il a plus de courage que les autres qui n’osaient pas, ceux de Chicago élevés dans la terreur du patron blanc. Dans le film, on voit Chuck entrer au Fox Theater et raconter qu’il y était venu étant gosse pour y voir un film. Comment l’accueillit la gentille caissière ? Dégage, sale nègre ! Bien sûr, Chuck mettra un point d’honneur à revenir jouer en tête d’affiche dans cette salle où on l’a humilié quand il était petit, mais il profite surtout de cette séquence pour rappeler au monde entier qu’on a vendu ses ascendants à quelques blocs d’ici, sur les marches du tribunal. Sold ! répète-t-il d’une voix sourde. Et il ajoute, avec un drôle de sourire en coin : depuis, les choses ont bien changé, n’est-ce pas ? Autre anecdote croustillante : quand il enregistre «Maybelene», le hit qui va le rendre célèbre dans tout le pays, il voit trois noms crédités sur la rondelle du single : Chuck Berry, Russ Freto et Alan Freed. Chuck demande : «Qui est Russ Freto ?» Pas de réponse. Il découvre un peu plus tard que Russ Freto est un employé de Leonard Chess, ‘est-à-dire un homme de paille. Chuck a beau être délinquant, il découvre que les frères Chess sont bien plus balèzes que lui en matière de délinquance. Ils méritaient d’aller faire un stage dans la taule d’Algoa.
    Alors bien sûr, si on regarde le film, on a l’autre pendant de cette histoire, avec toute la crème de la crème, Keith Richards, Clapton, Robert Cray, c’est à qui va frimer le plus, avec des solos à la mormoille. On voit aussi Jerry Lee rendre hommage à son vieux rival et ses rares apparitions dans le film remontent bien le moral. On revoit aussi avec un bonheur incommensurable la fameuse scène où Chuck fait rejouer trois fois l’intro de «Carol» au vieux Keef. Il dit à Keef : «Si tu veux le faire, il faut le faire bien !». C’est sa façon de régler ses comptes, car les Stones et les Beatles lui ont tout pompé. Chuck Berry n’est jamais devenu aussi énorme que les Beatles et les Stones. On peut comprendre qu’il puise en éprouver une certaine forme de ressentiment. Tiens, encore un coup de charme fatal : il rappelle qu’au temps de sa jeunesse, on n’entendait que des artistes blancs dans les quartiers blancs de Saint-Louis, des gens comme Sinatra ou Pat Booooooone, mais jamais Elmore James, ni Muddy Waters, ni Howlin’ Wolf. Alors il se dit : Pourquoi ne pas écrire de la sweeeeeet music pour entrer chez les white people ? «Alors j’ai écrit «School Days» et ça a marché !» Il faut voir le sourie de Chuck à ce moment-là.

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    L’autre gros avantage du disque de bonus, c’est qu’on y voit Etta James chanter une version démente d’«Hoochie Coochie Gal», le pendant féminin du fameux «Hoochie Coochie Man». Taylor Hackford rappelle que Chuck ne voulait pas d’Etta dans son film mais Keef réussit à l’imposer. À la fin de la chanson, visiblement ému, Chuck vient serrer Etta dans ses bras. Il dit ne pas la connaître, mais elle lui rappelle qu’au temps de ses débuts chez Chess, elle a fait les backings vocals pour lui sur quatre titres, en compagnie d’Harvey Fuqua des Moonglows et de Minnie Ripperton qui était alors réceptionniste chez Chess. L’autre sommet du bonus disk est l’épisode d’Algoa State County Jail, où Chuck séjourna de 18 à 21 ans. Taylor raconte qu’ils sont entrés dans la taule comme dans un moulin, car Chuck y est un héros. Pas besoin de papelards ! Un petit groupe accompagne Chuck et dans ce petit groupe se trouvent des femmes, dont la fameuse Stephanie Bennett. Ça flippe un peu dans le groupe de visiteurs, car ils doivent traverser la cour à pieds et des centaines de taulards arrivent pour les accompagner. Certains commencent même à mettre la main au panier de Stephanie Bennett pour la mettre à l’aise. My crutch ! Ça fait marrer Chuck ! Hilare, il rappelle que les taulards sont privés de pussy pendant looooongtemps. Puis il donne un concert gratuit pour ses copains taulards. GRATUIT ! Eh oui, tout arrive. Quelle rigolade ! Mais on ne voit hélas pas les images, car Chuck les a confisquées. À la suite de cette séquence pour le moins insolite, Taylor Hackford rappelle que Chuck fit trois séjours au ballon : pendant le premier, il apprit la poésie, pendant le second (suite au Mann Act, une vieille loi raciste qui interdit aux nègres de traverser des frontières d’états en compagnie d’une mineure blanche), il termina ses études, et pendant le troisième (poursuivi par le fisc pour non-déclaration de revenus), il obtint un diplôme de compta, histoire de dire : vous ne me baiserez plus. And he could play guitar like a-ringing a bell. Fabuleux personnage.

    Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

    Chuck Berry. Disparu le 18 mars 2017
    Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear Family 2014
    Taylor Hackford. Hail hail Rock’n’Roll. DVD 2006

    REUNION AU SOMMET

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    Le monde se tait. Les papillons arrêtent de voler pour ne pas corrompre du silence de leur vol les vastes pensées que Zeus tonnant tourne infiniment dans son grandiose cerveau. Nul bruit ne se permettrait d'interrompre, les sombres méditations du Maître des Cieux. Il a par hasard jeté un regard sur le monde hagard des hommes. Le désolant spectacle de cette race chétive et débile vient de s'offrir à ses yeux. Heureusement, marmonne-t-il, qu'il existe les rockers pour relever le niveau de cette humanité contingente. Certes l'on trouve sur cette triste planète quelques êtres supérieurs tels le Cat Zengler et le Damie Chad, chaque semaine j'avoue prendre plaisir à la lecture de leurs chroniques, mais quand je les compare à Achille, à Hector, à Ajax, à Ulysse, je me dis que face à ses héros ce ne sont que des poids plume... peut-être devrais-je les soumettre à une terrible épreuve, oui l'idée me semble bonne, tiens je commencerai par ce Damie Chad qui ne se prend pas pour une semi-bouse de vache sacrée...

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    C'est à ce moment précis que les deux battants de la salle du trône s'ouvrent violemment et qu'un sinistre hurlement d'exaspération féminine retentit :
    - AUHUIHUOIAÎ !!! Assez ! J'en ai assez – l'épouse du monarque de l'univers projette violemment sur le sol trois douzaines de poteries grecques dignes de figurer dans les collections du British Museum – Zeus, je t'ordonne de réagir !
    - Ma douce Héra, ma tendre, mon bébé, ma pantoufle, mon nanan, que se passe-t-il ? Que puis-je pour apaiser la fulmination de tes tourments, parle sans crainte ma chérie !
    - Toujours les mêmes, les trois cousines, Athéna, Artémis et Aphrodite qui n'arrêtent pas de se chamailler, et c'est moi la plus belle, mais non c'est moi, non tu mens c'est moi, si tu n'interviens pas, bientôt l'on sera bon pour une nouvelle guerre de Troie, et j'en ai plus qu'assez de leurs criailleries de gamines pourries jusqu'au trognon !
    - Ne t'inquiète pas ma toute bonne, tu m'apportes sur un plateau l'idée à laquelle j'aspirais sans parvenir à la formuler. Calme-toi, prends un peu de repos, retire-toi dans ta chambre mais avant introduis nos trois insupportables péronnelles, que je leur inflige la plus terrible des punitions.

    L'oeil de Zeus étincèle. Les trois donzelles baissent la tête et ne mouftent pas. Zeus décide et décrète :
    - Huit jours que vous importunez Héra par vos stupides enfantillages. Cela suffit. Puisque vous ne savez pas qui est la plus belle, primo : je vous transforme en jeunes femmes, secundo : je vous expédie sur la terre, tertio : je nommerai un juge pour vous départager. Et vous n'avez pas intérêt à venir réclamer par la suite. Exécution immédiate. Ah, non j'oubliai, Hermès c'est bien toi qui as inventé la lyre ?
    - Oui Père !
    - Et toi Apollon, tu sais en jouer ?
    - Oui Père !
    - Vous partirez avec vos soeurs, veillez sur elles comme sur la prunelle de vos yeux, la lubricité humaine est infinie.

    Je dors du sommeil du juste lorsque dans mon songe retentit une voix assourdissante et comminatoire :

    - Réveille-toi Damie, c'est moi Zeus qui vient t'affronter à une cruelle épreuve qui te montrera en quelle estime je te tiens pour te l'avoir imposée.
    - Zeus je suis prêt, commande et j'obéirai.
    - Bien, je savais que tu serais digne de ma confiance. Ce samedi 01 AVRIL 2017, dirige tes pas vers BARBIZON, va jusqu'au BLACKSTONE, là tu trouveras, trois jeunes femmes, attention n'y porte pas la main, ce sont de véritables déesses, elles se présenteront sous le nom de JALLIES, tu les laisseras chanter, tu leur prêteras une grande attention, et à la fin tu éliras... la plus laide !
    - La plus laide Zeus, je demande de l'aide ! Ce jour est à marquer d'une pierre noire, comment oserais-je me montrer si malotru !
    - Tais-toi sombre vermisseau ! C'est là ta mission, ainsi tu assèneras un coup mortel à leur orgueil, et ma digne épouse ne viendra plus hurler à mes oreilles pour que je punisse ces trois calamités bruitistes !

    Je n'en menais pas large lorsque la teuf-teuf me déposa devant le BlackStone. Affirmer à une jeune fille qu'elle n'est qu'un laideron n'est guère élégant. Ce n'est pas dans ma nature, ma maman m'a appris à rester toujours poli avec les dames. En plus s'adresser de cette manière fort discourtoise à des déesses immortelles, comment réagiront-elles ! Imaginez leur colère, moi qui ne suis à leurs yeux qu'un simple mortel aussi insignifiant qu'un moustique sans ailes.

    Je tremblais un peu lorsque j'ai coupé le moteur de la teuf-teuf devant le BlackStone. J'avais pris mes précautions, j'avais emmené le Grand Phil avec moi, me semblait être de toutes mes connaissances l'individu le plus apte à me seconder dans cette périlleuse mission, un gars diplômé en grec ancien, c'est tout de même idéal pour tailler le bout de gras avec des déesses grecques. Nous les avons trouvées, accompagnée de leurs deux chaperons devant un poulet frites, les pauvrettes habituées à l'ambroisie divine ! Mais les voici sur scène !
    Quel ravissant spectacle ! Elles ressemblaient à s'y méprendre aux Jallies habituelles, mais il y a des détails qui ne trompent pas. Plus de rouge, plus de noir, s'étaient revêtues de la couleur de l'Empyrée, ce bleu-azur qui est la teinte des plafonds de l'Olympe. Difficile de savoir qui était au juste Artémis, Aphrodite, Athéna aussi me contenterai-je de les nommer par le prénom des simples mortelles qu'elles incarnaient si radieusement.

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    Par contre pour les boys, n'ai pas eu la moindre hésitation. Apollon se cachait sous l'aspect de Kross. L'a commencé par arriver en retard au début des trois sets. La lenteur est la marque de la grandeur des Dieux, nous a appris Aristote. Habillé tout de noir, une casquette de malfaiteur sur la tête. L'était évident que ce soir ce n'était pas l'Apollon lumineux qui nous regardait, mais l'autre aspect du dieu, le côté obscur de la force, le lycaon, le loup cruel et sans pitié, je puis vous en apporter la preuve, à ma connaissance le seul contrebassiste qui se soit permis de jouer de la contrebasse... en la mordant, et puis ses soli, vous aviez l'impression qu'à chaque fois qu'il touchait une corde il écrasait la tête d'un serpent. A peine a-t-il commencé à jouer que les photographes se sont précipités pour le prendre en photos.

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    Hermès se cachait sous le chapeau et la chemise blanche de Tom, nous a donné un festival de guitare rock, en verve et le sourire aux lèvres le jeune dieu, imaginez Hendrix avec une tronçonneuse, l'a fait ronfler son engin comme un moteur de spitfire en plein combat, l'a survolé les trois sets, vous a piqué de ces soli en rase-mottes à vous donner le tournis, un moulin d'enfer, c'était bien un dieu qui jouait, l'a malmené ses cordes comme les élastiques d'une fronde, et détail qui ne trompe, n'en a même pas cassé une, alors qu'il a les a tirées plus vite que son ombre, plus fort que jamais, à chaque solo l'arrachait des cris d'admiration à la salle...
    S'étaient tous les deux rangés sur le côté droit de la scène afin que les déesses soient en face des spectateurs, n'étaient-elles pas l'enjeu crucial de cette soirée ! Si vous croyez que le train d'enfer mené par leurs chaperons les ait mis ne serait-ce qu'une demi-seconde en danger, vous vous trompez. Elles ont survolé sans effort cette tonitruance impulsée par les mâles, s'en sont amusé comme l'oiseau se laisse emporter par les courants ascendants des cyclones les plus violents.
    Céline, les bras nus, aussi blancs et harmonieux que ceux de Nausicaa qui accueillit Ulysse au royaume d'Alkinoos, l'était le chant et la danse, trilles swing de sa voix, un ascenseur fou qui se perdait dans les ramures vertigineuses de la beauté pour redescendre vers la plasticité condescendante des racines impulsives, un escalator hors de tout contrôle qui vous trimballait des cieux à la terre d'une seconde à l'autre, et puis cette manière d'immobiliser soudain son corps la guitare sur son épaule comme si elle revenait de la fontaine de Castalie une amphore légère délicatement posée sur sa clavicule. Ô Zeus cruel, comment pourrais-je associer la notion de laideur à tant de grâce !
    Leslie, la large échancrure de sa tunique qui dévoilait des épaules de reine, tantôt cachant la droite, tantôt voilant la gauche, comme si nul oeil humain n'aurait pu supporter l'éclat irradiant de ses deux rondeurs ivoirines en un même temps, et sa voix mutine qui enflammait les rocks les plus torrides, des cercles de feu qui vous brûlait l'âme comme les forges volcaniques d'Héphaïstos, cette voix de petite fille égarée et perverse sur Funnel of Love, auriez vous déjà entendu une telle délicatesse empoisonnée ! La souplesse étincelante du serpent alliée à sa morsure la plus dangereuse. Ô Zeus sans coeur, faut-il que tu sois soit pitié pour m'obliger à mêler à cette étincelle de bonheur l'idée de laideur !
    Vanessa, et son clair regard de diamant, suffit que vous vous sentiez le dard pétillant des ses yeux se poser sur vous pour vous sentir meilleur, ses réparties railleuses qui cascadent sur vous comme l'aigle des nuées qui tombe sur vous et vous déchire de ses serres puissante, et sa voix une pluie de grêlons brûlants qui s'abat et vous fracasse la tête, tour à tour Koré printanière du blond soleil et Perséphone des ires infernales, malmène la caisse claire comme si vous étiez l'objet de sa plus cruelle vindicte et puis vous adresse un de ces sourires ensorceleurs qui vous embaume l'esprit. Ô Zeus méchant, en quoi le concept de laideur aurait-il quelque prise sur vision de vie énergisante !

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    Et les trois ensemble, ô dieux, quelle harmonie suprême, un entremêlement de tout ce qu'il y a de plus beau sur cette terre. Comment pourrais-je m'acquitter de cette mission. Mais les dieux aiment à faire durer la souffrance humaine. Ne voilà-t-il pas que la porte s'ouvre au milieu du troisième set et que José, Didier et Ludo, le redoutable trio des Eight Ball se précipite devant la scène. Se sont dépêchés de finir leur concert à Réau pour voir les Jallies à Barbizon, et sur l'invitation de Tom – l'Hermès sardonique – après s'être emparés tour à tour de la contrebasse de Kross avec l'agilité d'un chat – normal les Jallies sont en train de miauler un souverainiste Stray Cats - ils nous offriront un mini set de quatre morceaux qui se terminera par une reprise hommagiale de Johnny B. Goode, mais vous avez raté leurs vacances au pays des vampires, un truc frissonnant d'horreur désopilante.

    Une bien belle soirée avec deux groupes pour le prix d'un, remarquez que comme l'entrée est gratuite... En tout cas, pour moi ce n'est pas fini, le plus dur reste à faire. Zeus m'a fourré - sans chocolat – dans une épineuse affaire. Comment pourrais-je m'en tirer sans offenser ni le maître des Dieux ni les trois plus belles déesses de l'Olympe. Je consulte en douce le Grand Phil qui m'assure qu'à ma place il s'inspirerait non pas de la philosophie de l'Hellade – car quel humain pourrait se vanter d'être plus sage qu'un dieu – mais de la grande sophistique, cette invention typiquement grecque – donc humaine - qui égale par ses perfides argumentations la duplicité des dieux.

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    Toutes les trois devant moi, les yeux baissés attendant que mes lèvres proférassent l'assassine sentence. Elles n'en menaient pas large, ce qui était normal vu l'adorable taille de guêpe de leur divine silhouette. Enfin Céline prit son courage de ses deux menottes si fines :
    - Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
    - Oui Céline, la plus led de toutes, ta grâce est l'ampoule illuminescente qui éclaire le monde et éclipse les soleils de toutes les galaxies !
    - Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise au premier de l'an !
    - Quelle merveilleuse manière de commencer l'année, ô déesse !

    C'était au tour de Leslie. Elle n'osait pas, son pied gauche tout mignon tambourina par trois fois le sol, et d'une voix étreinte par l'anxiété, elle demanda :
    - Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
    - Oui Leslie, la plus la laid back de toutes, ta décontraction est cette douce musique qui meut les sphères et permet de maintenir l'équilibre de l'univers !
    - Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise pour ton anniversaire !
    - Ce sera l'a-pic vertigineux de mon existence, ô déesse !

    Il ne restait plus que Vanessa. A sa place vous auriez tremblé de peur. Ses deux copines s'en étaient bien tiré, que lui réserverait le sort fatidique ? C'est d'une voix légèrement altérée mais aussi suave que le miel de l'Hymette qu'elle posa la question rituelle :
    Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
    - Oui Vanessa, la plus led Zeppelin de toutes, tu es l'acier brillant dont on forge les armes des Héros et le glaive de justice de Zeus qui commande l'ordonnancement des étoiles !
    - Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise pour la Noël !
    - Ce sera le plus inestimable présent que je ne recevrais jamais, ô déesse !

    Et, hop, toute contentes, sans plus me jeter un regard, elles s'envolèrent vers le ciel.

    N'étais pas trop fier de moi lorsque je me suis couché. Comment Zeus allait-il réagir ? Je n'avais pas fermé les yeux qu'il apparut.
    - Damie, ne fais pas semblant de ne pas me voir !
    - Oui Zeus ! J'écoute ta sentence !
    Il y eut un lourd silence, j'eus l'impression qu'il dura au moins deux siècles. Enfin Zeus s'éclaircit la voix :
    - Hum - hum ! Pas très courageux mon petit Damie, même pas l'audace de te payer la tête d'une fille, un conseil, ne te marie jamais, pauvre Damie, sinon tu essuieras la vaisselle matin, midi et soir ! Tu n'arriveras jamais à la cheville d'Achille.
    - Oui Zeus, je l'admets, je suis timide, c'est ma faiblesse, sur le baromètre achilléen je ne ne monte pas plus haut que le talon !
    - Dès que tu as ouvert la bouche j'ai saisi la perfidie de tes paroles à double sens, tu as une langue de reptile venimeux !
    - Je te promets que je ne recommencerai pas, ô Zeus !
    - Ne crains rien, j'ai reconnu en ton verbe ambigu l'ingéniosité trompeuse et les mille détours souverains du subtil Ulysse cher à mon coeur, aussi ne t'en veux-je point !
    - Merci Zeus, mais puis-je te poser une question ?
    - Fais-vite, je suis pressé, l'univers a besoin de moi.
    - Tu viens de me dire que ma parole possède la grâce ondoyante des discours d'Ulysse, mais que penses-tu de ma plume, serait-elle l'égale de celle d'Homère ?
    -Ta plume Damie ? tu peux te la mettre au cul !

    Et le dieu des Dieux s'évanouit en moins d'une seconde. Lorsque je m'éveillai, résonnait encore dans mes oreilles son rire tonitruant.


    Damie Chad

    LES POETES DU ROCK
    JEAN-MICHEL VARENNE


    ( Seghers / 1975 )

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    Attendait sur l'étagère depuis quelque temps, l'ai souvent pris en mains, mais la petitesse du caractère me rebutait. Plus de trois cents pages minuscules... Quatre décennies que je n'y avais jeté un coup d'oeil, n'étais pas pressé, une de plus ou une de moins... Mais enfin l'autre soir n'écoutant que mon devoir je m'y suis collé. N'en ai pas décollé jusqu'à la fin. M'attendais pas à si fort, avais tout oublié – merci cher alzheimer – vous cite quatre lignes de l'introduction :


    «  … Être hanté des nuits entières par le cuir blanc de Gene Vincent, sa jambe droite scellée dans le fer, sa tête balancée le long des épaules glissant jusqu'au ras du sol, levant les yeux fous vers la clarté glauque d'un spot perdu dans la nuit... »


    Du coup suis allé voir sur le net qui était ce Jean-Michel Varenne. N'ai pas trouvé grand-chose. A écrit une trentaine de bouquins – certains d'après moi alimentaires – mais des centres d'intérêt convergents, spiritualité, ésotérisme, alchimie, bref des voies d'accès directes à la poésie, bien plus signifiantes que les dissections sémiotiques universitaires, question rock son intro est le meilleur des passeports.


    BOB DYLAN

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    L'a placé Bob Dylan à part, en tête de volume, L'Histoire lui a donné raison, le prix Nobel de Littérature est tombé dans son escarcelle sans qu'il ait intrigué pour le percevoir. Perso, j'aurais placé tout devant Jim Morrison. Me semble davantage correspondre à un voleur de foudre que Dylan. Tout sépare les deux hommes, Dylan c'est encore la vieille écriture européenne qui ne s'écarte guère de l'antique imagerie biblique, avec lui l'on n'est jamais très loin de l'Apocalypse christologique de saint Jean. Trimballe dans ses textes torrentueux toute l'arrière-fond du puritanisme américain, un oeil sur le péché et l'autre sur le feu de Sodome et Gomorrhe, le désir dans la tête et la peur au ventre. Morrison est un fils du paganisme, au travers de ses poèmes l'on sent la pulsation de l'animisme primordial, le culte du Serpent originel, son sang noir charrie les cultes orphiques de convocation des esprits et les rituels ophites du vaudou. Présente Dylan comme l'héritier du Harrar, appellation qui correspondrait me semble-t-il davantage à Morrison duquel les écrits entrent beaucoup plus en résonance avec la sauvagerie native et retrouvée des Illuminations de Rimbaud.
    Ceci mis à part, il est temps de louer la méthode de Jean-Michel Varenne. Se livre à chaque fois à une explication de texte qui déborde dans les marges de la biographie sans jamais remettre en question la centralité de l'œuvre. Le texte est là, sans cesse, d'abord dans sa traduction française, immédiatement suivi de l'original – parfait pour améliorer votre anglais – mais enchâssé dans le décryptage entrepris par Jean-Michel Varenne qui resitue et restitue le contexte existentiel qui a généré son écriture. Lecture des plus éclairantes, des plus pertinentes, au milieu des années soixante-dix, ces textes n'étaient généralement accessibles qu'en songbooks pirates, les lire n'était guère facile, l'on se trouvait souvent confronté à une débauche d'images hétéroclites dont la logique qui avait présidé à leur entremêlement s'avérait inatteignable. Nous les jugions gratuites, filles d'un surréalisme éculé, et les plus sévères n'hésitaient pas à parler de facilité d'écriture relâchée, une espèce de sous-littérature largement surévaluée.

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    Donc Dylan dont Jean-Michel Varenne suit le parcours d'album en album. Le prophète de la Nouvelle Gauche américaine, contestation radicale du Système et donneur de leçons de morale. Ecoutez la parole du Grand Folkleux ! Lui faudra du temps pour percevoir l'aspect désagréable de cette bonne conscience. De tout repos et dispensatrice de beaux cadeaux. La célébrité, l'argent, le star system chérit ses bénéficiaires. Devient l'aboyeur appointé du Système, celui qui vous avertit à la porte d'entrée. Pousse des grognements terribles mais peu efficaces, l'est solidement arrimé au cou par une chaîne d'or. De surcroît beaucoup le flattent et lui glissent un sucre entre les dents. L'est enserré dans un anneau étrangleur de contradictions, s'en délivrera à coups d'électricités et de drogues. La liberté chèrement acquise le coupe du monde, s'enfonce en lui-même dans le carnaval qui tourne dans sa tête. L'a des visions. L'aurait pu finir comme un Saint, mais cette ascèse est trop difficile, endossera le rôle du repenti, désormais il portera sans fin la croix de la culpabilisation. Parfois il la dépose dans un coin et nous fait le coup du red neck born again, une vie simple et honnête, la femme aimée et les enfants qui jouent dans le jardin, mais il reprend vite son fardeau, car celui qui faute connaît d'abord les joies de la damnation... Nous avons un avantage sur le bouquin, nous connaissons une grande partie de la suite de l'histoire, se finit en queue de poisson, point christique, simplement cynique. Revenu de tout et de lui-même, Dylan cultive son jardin, n'aime guère que l'on vienne enquêter sur ses plate-bandes. Nous laisse en paix. Se contente de faire régulièrement la tournée des guichets.

    JIMI HENDRIX

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    Entre Dylan et Morrison, Varenne intercale Jimi. Bien joué. Les deux autres ont beau s'agiter, restent avant tout des intellos. Hendrix est l'homme de la pratique. Issu d'un croisement de sang rouge et noir – les deux couleurs fondamentales de l'alchimie – le résultat en a été un bleu sombre, vient des bas-fonds, de ceux qui triment ou chôment dans l'anonymat. Pas question de la leur mettre. Les promesses savent qu'elles s'équivalent au zéro. Veulent du concret. Le rock n'est pas une musique. Certains écrivent de la poésie. D'autres la vivent. Le rock sera une expérience. Un voyage de l'autre côté. Apprendre à percevoir ce qui n'est pas directement accessible. En concomitance avec son époque. Les buvard bleus, les trips qui vous mènent hors de la triste réalité quotidienne. Une démarche cousine de celle des Doors. Au début, c'est magnifique. Aussi beau que le déchaînement des rubans multicolores de la fin d'Odyssée de l'Espace. Mais les chatoyances colorées se révèlent être un feu qui n'éclaire plus. Qui brûle. Dans Electric Ladyland Hendrix recherche le secours de l'eau, l'électricité déguisée en Dame du Lac, pour éteindre les irrémédiables brûlures des drogues qui vous embrument et du sexe qui s'attiédit. Maintenant qu'il a subi toutes les épreuves auto-rituelles qu'il s'est imposées les distances se sont abolies, il n'a jamais été aussi loin et aussi près du passage. Qui peut dire ce qu'il a trouvé. Jean-Michel Varenne nous apprend que les mots d'Hendrix sont aussi importants que ses notes. Une découverte. Ecoutez ce que le vent crie et pleure.

    BEATLES

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    Trop gentillets à mon goût. Varenne s'intéresse avant tout au Sergent Poivre. Ce n'est pas chez moi qu'il recevra le grade de général cinq étoiles. Quant à leur poésie... les Déroulède du psychédélisme. Les trompettes de la renommée qu'ils ont embouchée, je les soupçonne de n'être que de vulgaires tubas asthmatiques. Ou alors d'un hélicon qui se prend pour un hélicoptère. Une fanfare hétéroclite. Beaucoup de bruit pour rien. Jean-Michel Varenne – qui les aime beaucoup – cueillent les fab four à la fin de Revolver. Le disque annonciateur des grands bazars hétéroclites de la modernité musicale. L'on rassemble tout ce qui existe, la musique classique, les gammes orientales, le poivre du rock, le travail stockhauseneriste du studio, l'on touille, et l'on sert chaud. Une fuite en avant. Les Beatles ne gèrent plus leur célébrité. Sont portés par la vague, mais ils ne contrôlent plus rien. Ce n'est pas leur canot de sauvetage pneumatique qui prend l'eau, c'est leur tête. Drogues douces et drogues dures. Au milieu du sandwich une tranche de mortadelle spirituelle. Pas excellent. Finiront par recracher les morceaux. L'équipage se révolte contre lui-même. Pourraient faire sauter la soute à munitions pour finir en beauté. Mais non, pas si fous. Trop sages. Sauve-qui-peut général mais pas de panique. Tout le monde descend au prochain port.

    ROLLING STONES

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    Une autre dimension. Les dandies du mal. Les dignes héritiers d'Oscar Wilde, de Lord Byron, de Thomas de Quincey. Et des nègres. Que voulez-vous rien n'est plus explosif que la poudre noire. Car oui, non contents de se vautrer dans le stupre et la drogue, ils sont les adeptes de la musique noire, le blues. La musique honteuse. Font tout pour se faire mal voir : sales et habillés comme des clodos. La police les guette et le gouvernement les enverrait avec plaisir en prison. Ce n'est pas qu'ils aiment, c'est qu'ils vous haïssent. Se sentent supérieurs, et très vite ils vous méprisent. Et de là, ils se foutent de vous, vous utilisent, vous exploitent, vous rendent soupe de chèvre, vous manipulent sans regret. A chacun sa ration. Super-vitaminée dans les deux cas. Et pour les fans et pour les ennemis. Se foutent de votre gueule et pactisent avec vous. Crachent sur la gentry et rejoignent la Jet-set ! Un parcours diabolique ! Un œil sur Lucifer et l'autre sur le portefeuille. Après Altamont, à l'heure cruciale, ils choisiront le côté du cœur. Jean-Michel Varenne ne les porte pas aux nues. Mais quoiqu'ils fassent ils restent le soleil noir du rock'n'roll.

    JIM MORRISON

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    Nous le présente comme un solitaire. Un ovni égaré échoué sur la planète du rock'n'roll. Qui repartira dégoûté de cette race humaine dégénérée vers d'autres cieux. Qui ne se révélèrent guère plus cléments. Le vaisseau s'écrasera lamentablement. Mais peut-être était-ce la seule manière non pas d'ouvrir la porte sur une autre dimension, mais de la refermer définitivement sur celle-ci. N'a pas eu le public qu'il méritait. Ou plus exactement le plus en âge de flairer la bête et le moins apte à le sentir. Des petites filles, des adolescentes pas du tout attardées, plutôt en avance, dégagées de l'enfance sans avoir encore atteint leur maturité intellectuelle. Morrison a fait avec. Saurien qui prêche dans le désert. Qui tue le père afin de les libérer du carcan de la déglingue civilisatrice. N'appelle pas au retour du bon sauvage rousseauiste, mais met en scène une dramaturgie de la cruauté innocente à la Antonin Artaud. Jim Morrison traverse le rock en passant considérable. Vient d'ailleurs mais ne sait pas exactement où il va. Expérience hendrixienne. Par excellence. Observation de la chute d'un corps équivalente à celle de la chute d'un astre. Parabole. Sinuosités étincelantes du serpent. Ondulations maléfiques des reptiles. Peut tout faire. Mais n'accomplira rien. Pas un exemple. Une trajectoire. Souvent je pense que son existence provient des atomes subtils d'un rêve de Nietzsche qui se serait condensé et coagulé dans la matière de notre monde. Certains nommeront cela un cauchemar ambulant. Gardez-vous d'y tirer dessus. Les balles ricochent sur sa carapace. Vous pourriez vous blesser. La bête morte tue encore. Normal, c'est un poëte.

    LOU REED

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    Lou Reed sort de la dernière exit - est-ce excitant ! - from Brooklin, ne s'est pas sorti tout seul du chapeau du magicien, du chaudron maléfiques des pommes pourries du paradis, un bonimenteur l'en a tiré – vous tire aussi votre portrait et votre argent – s'appelle Andy Warhol le pape du pop art, une variation new yorkaise du Colonel Parker, mais le décor du cirque rentre dans le couvre-chef et touille Loulou, le gentil petit lapin en gibelotte fricassée aux fines herbes. Fausse recette. A la poudre qui n'est pas de perlimpinpin. C'est elle l'héroïne de la comédie inhumaine qui va suivre. Défilé des spectres, cherchent leur dose, maxidose dans les veines, et myxomatose généralisée des comportements. N'y a pas que les yeux qui sont rouges de sang sur les trottoirs de New York. Entrez dan le souterrain de velours et admirez les portraits de cire fondante et vivante. La collection des dépravés. Le sexe comme ultime alimentation. Il suffit de réaliser ses propres fantasmes pour ne pas être plus heureux. Ou plus malheureux. Ce qui peut-être considéré comme un mieux quand on y pense. Lou Reed, l'autre côté des décors du rock'n'roll. Circulez, il y a tout à voir. Prodigieusement ennuyant. Répétitif et traînant en longueur. Le vice monotone.

    TROIS GROUPES ANGLAIS

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    Une introduction qui manifestement a lu le chapitre du Rock Anglais d'Alain Dister ( voir KR'TNT ! 321 du 23 / 03 / 2017 ) – la littérature rock use aussi de l'esthétique du recyclage chère à sa musique – la poésie tipically british. Par ordre d'entrée en scène : Les WHO. Assez bien vu, la ligne de partage des eaux, la furia et la finesse. Live at Leeds, le bruit et la fureur et Tommy, l'intellect rock en action qui demande davantage d'harmonie. D'un côté la révolte adolescence sous forme de tornade, et de l'autre une réflexion sur la société anglaise. Des voyous philosophes d'un genre nouveau. Tombent dans toutes les chausse-trappes de la pensée pompière mais avec un volontarisme et une fougue qui emporte l'adhésion. En deux les Kinks mais un degré en dessous. Du rock sauvage en leurs débuts mais très vite nostalgie et tendresse désabusée sur l'avenir sans futur qui s'annonce sur les petites gens, prolétaires du pays vous allez en prendre plein la gueule. Procol Harum, s'éloignent de la réalité, construisent un monde intérieur merveilleux de chevaliers et licornes hors du temps.

    ACID-TEST

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    Si les anglais semblent s'enfermer dans les fastes d'un passé mythique, l'Amérique ouvre les portes d'un futur prometteur. Hélas, elles seront vite refermées. Un moment capital de l'histoire du rock. Pour faire une équivalence nous dirons que ce qui se passe durant quelques mois à San Francisco et puis à Londres, n'est pas s'en rappeler l'expérience de collectivisation des terres en Aragon durant la guerre d'Espagne. L'apparition des Diggers qui reprend les théories de Kropotkine sur l'économie du tas basée non plus sur l'offre et la demande mais sur le besoin individuel et l'apport au collectif nous montre que notre comparaison n'est pas sans fondement. Varenne ne remonte pas si loin. S'arrête au mouvement beat, cette espèce de coupure épistémologique poétique et littéraire, ce moment où la poésie sort des livres et des bibliothèques pour prendre la route. Une tradition américaine dont Walt Whitman et Jack London sont les promoteurs. En France, Albert Glatigny et Arthur Rimbaud en sont les précurseurs.
    Les beatniks étaient des marginaux, des intellectuels coupés des masses. Des délinquants intellectuels d'un genre nouveau que la société regarde d'un mauvais oeil mais trop peu nombreux pour l'inquiéter sérieusement. Une deuxième génération instantanée, on l'appellera la génération hip, apparaît sur les campus universitaires. Ces nouvelles troupes n'ont pas été séduites par un quelconque éblouissement poétique au cours de leurs études. C'est l'Etat qui met le feu aux poudres en permettant en toute légalité l'expérimentation de l'acide lysergique. Remue-ménage dans les méninges. D'autres perspectives s'offrent à vous. Il existe d'autres urgences que le travail et la reproduction familiale des générations. Faut se tirer de ces carcans. Le mot d'ordre est simple, lâchez prise, drop out généralisé.

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    La Chine était en train de vivre sa révolution culturelle. La Californie aussi, mais très différente. Le rock en est l'étendard. Mais on ne vit pas que d'amour et d'eau fraîche. Toute société repose sur un couple économique de base. Production et distribution des richesses. Pour la répartition le mode de partage sera des plus simples : partage et entraide. Concerts gratuits et comme l'on ne partage que ce que l'on a, ce sera le partage – très christique – des corps et l'amour libre. Les modalités industrielles seront artistiques : dessins, musiques, affiches, light-shows, concerts, sagesses orientales et écologiques, créativité tous azimuts... L'on ne sait comment cela se serait terminé, le mythe des Communautés en était à ses prolégomènes expérimentaux... Lorsque les medias tuèrent la poule aux oeufs d'or avant qu'elle n'arrive en âge de pondre. De magnifiques articles décrivirent cet ordre nouveau en train de s'installer en Californie. Promettez la bouffe gratuite et la baise ouverte à une classe de troisième et vous allez voir comment vos élèves vont prendre des notes et faire leurs devoirs all the night long... des milliers d'adolescents se ruèrent sur la Californie. Déchantèrent vite, mais c'était trop tard.
    Cette armée d'idéalistes emmena dans ses bagages des requins aux dents particulièrement longues armés d'une arme irrésistible : la loi du profit. Musicalement les effets de cette logique pécuniaire se firent vite sentir : fini les love-parade-musicales-gratuites, le festival pop de Monterey sera payant. Les groupes signeront des contrats et seront soumis à des impératifs commerciaux. Les hips cèdent la place aux hippies, un mouvement contrôlé par l'industrie du disque et de l'entertainment. Les deux groupes phares du son calfornien subiront de plein fouet ce remaniement structurel. Le Gratefull Dead résistera du mieux qu'il put, l'avait pour lui le soutien originel de cette communauté d'une centaine de personnes dont il était le noyau constructeur et l'émanation idéologique. Mais les jams interminables sous acide ne correspondaient guère au format des trente-trois tours, fallut s'adapter et arrondir les angles, en 1976 le Dead à bout de force arrêta les frais... Le Jefferson Airplane suivit un autre chemin, celui de la compromission acceptée. La musique plana de moins en moins haut. Les délires aux pays des merveilles d'Alice sous acide laissèrent la place à une idéologie gauchiste va-t-en guère, il ne s'agissait plus d'expérimenter une utopie sociale mais de suivre le goût des générations montantes déçues par les promesses hippies non-tenues qui recherchaient un affrontement beaucoup plus direct avec le système.
    En ésotériste convaincu, Jean-Michel n'aime guère les soubresauts révolutionnaires. La révolution est avant tout intérieure. Partisan des évolutions lentes. Ce n'est pas un hasard s'il passe sous silence dans le reste de son livre MC 5, Stooges, Steppenwolf, Black Panthers et oppositions à la guerre du Vietnam.

    RETOUR AUX POETES

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    Deux âmes torturées. Neil Young et Van Morrison. Cheminements bien analysés mais la bifurcation envisagée n'offre guère de grands espaces à dévorer. Les dépressions de nos deux troubadours électriques ne seraient-elles pas des impasses ? Tout le monde n'est pas Gérard de Nerval. Nos chevaliers de l'apocalypse intérieure ont tout de même une propension régulière à chausser les pantoufles du retrait sécuritaire lorsque les eaux de l'Achéron s'avère par trop tumultueuses...

    RETOUR AU ROCK'N'ROLL


    Entre deux extrêmes, le futur et le passé. The Band, l'ancien groupe de Ronnie Hawkins et le nouveau de Dylan. La dureté du rock et le regard socio-critique du folk. Un monde dur désespéré. Portraits d'individus qui vont jusqu'au bout d'eux-mêmes. Pas bien loin quand on y réfléchit. Cette partie a choisi de mettre l'optimisme novateur en tête de gondole. Les Byrds, la représentation mythiques des grands espaces, intérieurs, géographiques, interstellaires, le tout violemment éclairé à l'électricité. Lumière crue qui accentue surtout les défauts.
    Mieux vaut en rire qu'en pleurer. Zappa ne respecte ni rien ni personne. Regard scrutateur et acerbe. Le rock'n'roll n'échappe pas à la découpe. Le constat est amer. Beaucoup de fric et peu d'imagination. Jeunesse manipulée sans vergogne. Le rock n'est qu'un produit parmi tant d'autres de la société de consommation. Peut-être un peu plus pernicieux car il s'habille encore dans les habits de la rébellion. Attention, c'est cette même toile qui sert à la confection standardisée des linceuls.

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    Quand la mort est si proche, il est urgent de s'en éloigner à toute vitesse et de sauter à pieds joints dans les terres d'origine. Chuck Berry, sa musique oui, mais surtout son amour des grosses voitures et des petites filles. Little queenies, les lieux originels de l'émergence du désir du rock'n'roll. Indépassables. Insurpassables. Eternelle jeunesse.

    DERNIERES POIGNEES DE CENDRES

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    Les idoles oubliées sur le bord du chemin, les rescapés de l'aventure, Syd Barret, John Cale, Nico, qui n'ont même plus envie de raccrocher les wagons. Vivent en autarcie dans les chapelles écroulées, et les cryptes oubliées du tsunami rock'n'roll.
    Et puis les nouveaux venus qui ne sont que les derniers arrivés. David Bowie le plus doué, Bryan Ferry davantage factice. Essaient de recoller les morceaux du joujou rock'n'roll brisé. Font ce qu'ils peuvent. Des faiseurs. Qui recyclent la marchandise périmée. Proviennent d'Europe, la seconde patrie du rock'n'roll, rongée par un insurmontable complexe d'infériorité. La bête n'est pas née chez eux. Ne se résignent pas à l'inscrire sur la liste des espèces disparues. Essaient de créer des clones.

    THE END


    Le livre se termine comme les Fleurs du Mal. Mais en plus désespéré. Le vieux monde n'a plus rien à offrir, n'espère plus à trouver du Nouveau. Marchandise définitivement avariée. Jean-Michel Varenne n'y croit plus. Le livre se termine avant la renaissance punk et sur la plus haute tour de la désillusion Soeur Anne ne voit rien venir à l'horizon. Alors comme cadeau, Varenne nous refile une courte anthologie de textes traduits en extenso. Mais étrangement, nous semblent sonner faux, nous les préférions lorsqu'il ne nous les dispensait fragmentés, sous forme de citations lacunaires, enchâssés dans ses présentations. Et ce sera notre dernier compliment, ils affectent alors un aspect mille fois plus rock'n'roll.


    Damie Chad.