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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 63

  • CHRONIQUES DE POURPRE 480 : KR'TNT ! 480 : ROBERT WYATT / SONIC BOOM / TRASH HEAVEN / SPHERES / ADY & THE HOP PICKERS / ERSZEBETH STUPÖR MENTIS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 480

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    15 / 10 / 20

     

    ROBERT WYATT / SONIC BOOM / TRASH HEAVEN

    SPHERES / ADY & THE HOP PICKERS

    ERSZEBETH STUPÖR MENTIS / ROCKAMBOLESQUES

     

    Wyatt time is it, Robert ?

    Part One

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    À la dernière page du beau book que Marcus O’Dair consacre à Robert Wyatt, une photo nous montre l’auteur et son sujet attablés dans un jardin et rigolant comme des bossus. C’est une image qui suffirait presque à résumer Robert : un homme enraciné dans la joie et la bonne humeur de l’idée, mais pas question de faire l’impasse sur l’indicible beauté de la mélancolie que sa musique reflète. La vie de Robert Wyatt tient à la fois du drame épouvantable et du conte de fées, on verra pourquoi par la suite. C’est l’une des histoires de vie qui peut labourer en profondeur l’imagination d’un lecteur.

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    Marcus O’Dair évoque bien sûr la «carrière» de Robert, mais il s’attache surtout à brosser un portrait de l’homme, comme sut si bien le faire Peter Guralnick lorsqu’il consacra 800 pages à Sam Phillips. Il parait plus pertinent d’approcher l’homme pour mieux apprécier sa musique. Certains objecteront que la musique est si bonne qu’elle peut se débrouiller toute seule, ce qui est en partie vrai, mais ce serait se priver du profond bien-être que procure la fréquentation de cet homme. Car en vérité il faut le dire, on se sent extraordinairement bien auprès d’un homme comme Robert Wyatt.

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    L’O’Dair passe beaucoup de temps à Louth, chez Robert. Dans la music room, l’un des murs est entièrement réservé aux vinyles, un tapis tunisien en décore le deuxième et le troisième est réservé aux livres : de l’histoire de la gauche jusqu’à la Pataphysique, en passant par Dada et le Théâtre de l’Absurde. C’est la bibliothèque d’Ali Baba Robert, fin lettré. Il cite aussi Lewis Carroll et Edwar Lear comme deux de ses principales influences - surrealists before their time - et il ajoute qu’avec la potée aux choux (bubble and squeak), la ville de Grenade, le saxophoniste Gikad Atzmon, le Morning Star (équivalent britannique de l’Humanité), Alice Au Pays des Merveilles fait partie des cinq choses qui rendent le monde meilleur. D’autres influences encore : son père qui était iconoclaste (George Hargreaves Ellidge, musicien, soldat, psychologue and complete nutcase, c’est-à-dire zinzin complet), Thelonious Monk qui, en guise d’autographe, lui tapota gentiment le haut du crâne, Daevid Allen qui promenait son chien à Canterbury, mais un chien qui n’était pas un chien, puisqu’il s’agissait d’une boîte en fer attaché à une ficelle, dans l’esprit bien sûr du homard que Gérard de Nerval promenait au Palais Royal attaché à un ruban bleu. Il cite aussi Mati Klarwein qui allait illustrer des pochettes d’albums pour Miles Davis et Santana : Robert et Mati jouaient des congas ensemble sur la plage de Deià, à Majorque, ivres de sangria et de liberté. Il cite le poète Robert Graves qui séjournait lui aussi à Majorque et dont The White Goddess, une histoire de la mythologie poétique, laissa dans l’esprit du jeune Robert des traces profondes : «Ce livre me donna le sens du monde, pas au sens géographique, mais en tant qu’histoire des mythes et des formes de spiritualité.» Il flashe aussi à une époque sur Mimi Perrin et les Double Six qui faisaient des vocalises sur la musique de John Coltrane, d’où sa vocation : faire de la voix un instrument. Rock Bottom en est une parfaite illustration. Il cite aussi Ivor Cutler, l’un des grands excentriques britanniques qui comme Erik Satie dessinait des épigrammes sur des petites cartes. De la même manière qu’Alfred Jarry, il prenait ensuite sa bicyclette et distribuait ses cartes aux passants. Un exemple de Cutlerisme ? «Le vrai bonheur est de savoir qu’on est hypocrite.» Robert tentera de synthétiser ce foisonnement de la façon suivante : «J’essaye d’aller droit à l’idée en utilisant les jeux de mots. Je ne fais pas autre chose : combiner les techniques de Lewis Carroll et d’Edward Lear avec un aperçu marxiste rigoureux.»

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    Robert bénéficie en outre d’une éducation extrêmement moderne pour l’époque. Dans les années cinquante, il n’était pas courant d’aller dormir à la belle étoile au Portugal et d’aller rencontrer Georges Braque dans son atelier. Ses parents l’autorisèrent aussi à peindre les murs de sa chambre. Robert est un être libre, mais aussi ultra-sensible. Alfie dit qu’il lui manque une épaisseur de peau. Quand les choses vont mal, Robert pense que c’est de sa faute. Alors il se suicide en avalant le bocal de somnifères de son père. Mais on le sauve. Daevid Allen se souvient d’avoir discuté de suicide avec Robert quelques jours auparavant. Pour lui, la décision de Robert était purement philosophique. Mais le fond du problème est beaucoup plus dramatique que ce qu’en dit Daevid. George Ellidge nourrissait pour son fils Robert les plus hautes ambitions : il l’emmenait à l’opéra et lui faisait écouter Duke Ellington et Fats Waller. Il voulait que Robert devienne un grand pianiste et Robert n’y arrivait pas. De savoir son père déçu en mourant hante encore Robert cinquante ans plus tard. C’est aussi la raison pour laquelle il voulut disparaître.

    Quand son père est mort, tout le monde a quitté Wellington House, près de Canterbury. Robert n’avait plus de foyer, alors il allait ici et là : «Je n’avais qu’une valise contenant tout ce que je possédais : une brosse à dents, quelques vêtements de rechange, et Porgy & Bess de Miles Davis & Gil Evans. Franchement, a-t-on vraiment besoin d’autre chose pour vivre ?».

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    Un jour, Daevid Allen, poète et guitariste australien, vient louer une chambre à Wellington House. Robert a 15 ans et Daevid 22. Beatnik d’esprit et l’allure, Daevid avait déjà pratiqué la marijuana et le LSD. Il ressent une ‘égalité intellectuelle’ à l’égard de Robert. Le troisième larron sera Kevin Ayers, qui porte déjà des chemises en jean et des colliers. Il avait passé une partie de son enfance en Malaisie. D’où ce goût pour l’exotisme et la liberté qu’il va passer sa vie à cultiver. Kevin et Daevid vont souvent ensemble à Majorque. Robert et Kevin ont en commun un goût prononcé pour les belles mélodies, ce qui les conduira droit à la formation d’un groupe, les Wilde Flowers. Ils optent pour le Wilde en l’honneur d’Oscar Wilde et donnent naissance à ce qu’on appelle la scène de Canterbury : y fleuriront des groupes comme Caravan, Hatfield & the North, Egg et National Heath. «Tous ces groupes ont en commun un son jazzy, pastoral, vaguement psychédélique, un peu surréel, un peu cucul, chaud et capricieux comme a stoned summer afternoon», nous dit l’O’Dair. Et il poursuit : «Robert serait d’accord sur la spécificité : il y a le jazz, les structures complexes, une préférence pour l’orgue plutôt que la guitare et une façon de chanter indubitablement enracinée dans le Kent, alors que partout ailleurs en Angleterre, les gens voulaient sonner comme des bluesmen du Delta.» Très bel esprit de synthèse. C’est pourquoi ce livre est un régal.

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    Si on veut comprendre quelque chose à Soft Machine et à Robert Wyatt, il faut en passer par l’écoute attentive du ramassis de démos des Wilde Flowers. On trouve une compile pas trop chère parue sur Floating World Records en 2015. Kevin Ayers, Hugh Hopper, Brian Hopper et Robert composent les Wilde Flowers. Le gros avantage, c’est qu’on y entend Robert chanter. Hugh Hopper joue ses gros drives de basse et son frère Brian bricole des trucs à la guitare ou au sax. Entendre Robert chanter, c’est ce qui peut t’arriver de mieux dans la vie. On sent la différence quand un mec nommé Graham Flight vient chanter. Kevin Ayers vient faire une cover de «Parchman Farm», mais il la prend en mode décadent. Robert bat ça jazz et ça devient du cover Dada pur. Ils créent l’événement. C’est aussi Kevin Ayers qui chante «She’s Gone». Il s’amuse bien. On entend aussi Richard Sinclair chanter des trucs comme «It’s What I Feel (A Certain Kind)» qu’on va retrouver sur le premier album de Soft. Sinclair chante d’une voix mâle qui brise le charme potache des Wilde. Robert reprend son micro pour chantouiller «Never Leave Me», il shake son tambourine et entre en transe. Il met aussi «Time After Time» en coupe réglée. Plus loin sur la compile, deux cuts préfigurent Soft : «The Big Show» et «Memories». Tous les ingrédients du mystère sont déjà là. Sur le deuxième disk, on voit le line-up se stabiliser. On peut même dire qu’il se softise. Robert chante «The Pieman Cometh» dans les magnifiques sargasses d’unisson du saucisson. Ça sent bon la grande intelligence. Il règne dans ce cut précurseur toute la magie de ce que les ânes vont appeler la scène de Canterbury. Mike Ratledge se tape un vieux délire avec «Frenetica». Robert le syncope à ses risques et périls. Avec «Slow Walking Talk», ils jouent une sorte de carte infernale. Robert s’y colle. On assiste là à un rush de push typique du British beat, mais avec un truc en plus. Encore une belle surptise avec «Man In A Deaf Corner» amené au ténor sax d’attente de Brian Hopper et on entend Ratledge pianoter dans cette veine d’or. Il pianote aussi le «Summertime» qui suit. Il préfigure toute la candeur du Soft à venir, ils sont dans leur son, dans leur souci d’avant-garde presbytérienne, et pour les suivre, il faut se glisser dans des portes entrebâillées. Dommage que le son soit si pourri. Ils terminent avec un proto d’«Hope For Happiness» et du son. Ça redevient fin et sharp. Robert reprend la main. Belle arrivée des trompettes du Sahara, mais ce n’est pas le même Hope que sur le premier album, c’est un autre Hope.

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    Daevid, Kevin et Robert montent Soft Machine avec Mike Ratledge. C’est bien beau de choisir Soft Machine comme nom de groupe, encore faut-il avoir l’accord du propriétaire qui n’est autre que William Burroughs. Daevid se charge de l’obtenir et il fixe rendrez-vous à Burroughs à Londres, près de Paddington station. «Quand je lui ai demandé la permission, il a cligné de l’œil comme un vieil alligator et a grommelé :’Can’t see wha not !’». Un groupe comme Soft, ce n’est pas si simple : ce sont tous les quatre de vrais leaders avec des strong opinions. Mike est tellement intellectuel que personne n’ose lui parler. Daevid est d’un abord plus facile, même s’il aime à parler longuement de mystique et d’ésotérisme. Quant à Kevin, il passe son temps à sourire de façon énigmatique et à baiser. Ils vont mettre tous les quatre au point le mix de pop, de Soul, de jazz et de psychedelia le plus effervescent de l’époque. Kevin trouve un manager : Mike Jeffery, qui est aussi le co-manager de Jimi Hendrix avec Chas Chandler. Comme tous les managers de l’époque, Jeffery dit aux gamins qu’il leur faut un single. Allez ouste, en studio ! Son associé Chandler a trop de boulot avec Jimi Hendrix, il n’a pas le temps de s’occuper d’eux. Alors les Soft se retrouvent en studio à Los Angeles avec Kim Fowley. Ils enregistrent «Fred The Fish» et Chandler trouve ça mauvais, alors ils les contraint à enregistrer «Love Makes Sweet Music». Puis ils enregistrent «She’s Gone» avec Joe Boyd, mais le single ne sort pas plus que «Fred The Fish». Ça n’empêche cependant pas les Soft d’exploser en Angleterre, en même temps que le Floyd de Syd Barrett. Un Syd qui, comme Robert, a grandi avec Lewis Carroll et Edward Lear. Robert et Mike Ratledge perpétuent la brillante tradition des grands dialoguistes du jazz, nous dit Jon Newey : Miles Davis et Tony Williams, John Coltrane et Elvin Jones et plus récemment, Jimi Hendrix et Mitch Mitchell - That dialogue in all of the greatest jazz acts of all time - Et puis un premier incident survient : au retour d’une tournée européenne, on interdit à Daevid de rentrer en Angleterre : il est indésirable, son nom est sur la liste rouge des trafiquants de LSD. Mais ça arrange bien Daevid qui de toute façon comptait quitter Soft. Le rôle de catalyseur ne lui convenait plus - You’ve got to kill your heroes. Bon après les tournées et les singles, que fait-on habituellement ? Un album !

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    Il est nécessaire de saluer le premier album de Soft Machine comme l’un des plus beaux albums de l’histoire du rock anglais. Il va droit dans le all time top five avec le White Album, les deux albums solo de Syd Barrett, Let It Bleed et The Autumn Stone des Small Faces. Oh on peut en ajouter un ou deux en plus, ça ne mange pas de pain. Le producteur n’est autre que Tom Wilson, qui a produit des gens comme Sun Ra, Cecil Taylor, les Mothers Of Invention, le Velvet, Dylan et Simon & Garfunkel. Par contre, Kevin se souvient qu’il passait la journée au téléphone avec sa copine. L’enregistrement ne dure que quatre jours. C’est du live pur. Pas de guitares ce qui pour l’époque est un prodige. Dès «Hope For Happiness», la voix de Robert s’installe dans l’écho du temps - I can’t tell - C’est terrifiant d’eerie-presence, on entend presque la musique de la mort qui plane, c’est-à-dire la délivrance - I can’t tell/ Like the ring of a bell - Robert monte en température, c’est le truc, le truc anglais. Seuls les Anglais comprennent le sens du drive d’Hope for happiness, c’est le simple espoir du jour meilleur que pulse Robert au drum-beat parmi les nappes d’orgue psychédéliques - Days go by/ I watch the sky - Jamais aucun groupe anglais n’a sonné aussi gloomy, aussi divin de jazz et de hope, fabuleuse dégelée de drain patent, ultime déviation de l’esprit de la lettre. Sans doute avons-nous là la coulée la plus puissante de l’histoire des coulées. Tout est beau sur cet album blanchi par le temps. Après «Joy Of A Toy», ils reviennent au thème d’Hope et la voix de Robert se met à trembler dans «Why Am I So Short». Il swingue le jazz-bone du rock anglais au nasal pur. On reste dans la sarabande avec «So Boot If At All», tout est lié intérieurement dans ce scintillant ciboire de déboire orbitoïtal. Robert atteint les cimes éperdues de la mélancolie avec «A Certain Kind» qu’il chante dans l’entre-deux. Sa voix entre sous la peau. Et tout explose avec «Save Yourself» and the incredible genius of Robert Wyatt, il démonise l’urgence des sixties à coups de baguettes, il multiplie les triplettes de Belleville, il bat le beurre bien devant dans le mix, cinq cuts s’enchaînent dans une sorte de frénésie, I’ve got/ Something to tell you, ça roule par vagues en rouleaux de printemps - I’m telling you it’s alright - C’est un manège enchanté. La Machine coule de cut en cut, avec toujours ce fabuleux sens de la relance intrinsèque nappée d’orgue. Robert amène «We Did It Again» à la belle insistance catégorique. C’est une espèce de répétitif à la Captain Beefheart monté au leitmotiv de la succulence - I did it again/ I did it again - On retrouve l’immense power de la Machine dans «Plus Belle Qu’une Poubelle», c’est une glorieuse chanterelle impérialiste jetée dans le ciel d’Angleterre par Kevin Ayers qui règne décidément en maître dans cette foutaise digne de Foujita. On retrouve le King Kev dans «Why Are We Sleeping», où il s’endort sur les lauriers de Maldoror.

    Soft fait sensation. Un critique un peu cultivé note que Robert peut chanter à la note près les solos de Charlie Parker. En dépit de leurs dégaines de rockstars, chapeaux, crinières, lunettes noires et funky clothes, les racines jazz prévalaient. Robert : «La virtuosité est très utile. Elle vous permet de faire plus de choses. J’écoute toujours avec émerveillement les trompettistes de bebop comme Dizzie Gillespie, mais ils utilisent leur technique. Avec cette technique, ils peuvent faire beaucoup de choses. Mais ce que proposent des trompettistes comme Lee Morgan, c’est l’opportunité d’une immense vague émotionnelle, un phénomène d’une puissance à couper le souffle. Elle se met au service de. Et d’une certaine façon, ce n’est ni mieux ni pire que Johnny Cash qui est incapable de chanter juste. Pour moi, Johnny Cash est aussi bon que Lee Morgan.»

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    Robert devient le batteur préféré de John Peel. En 1968, Mike Jeffery envoie Soft Machine et Jimi Hendrix tourner aux États-Unis. Robert assiste chaque soir au ballet Mitch Mitchell/Jimi Hendrix. Mitchell suit Hendrix partout, de la même façon qu’Elvin Jones suivait Coltrane au temps du Quartet. Robert apprend énormément en voyant ce ballet infernal. Ces deux tournées vont avoir sur Soft des conséquences terribles. Kevin Ayers va quitter le groupe après la deuxième tournée, fatigué du cirque sex & drugs & rock’n’roll. Il finira même la deuxième tournée seul dans sa chambre d’hôtel avec des plats macrobiotiques. Par contre, Robert va se mettre à boire comme un trou. Keith Moon lui donne une formation accélérée : «He really taught me how to get drunk fast.» Robert apprend à boire jusqu’à la perte de conscience. Pour que ça marche bien, il faut aussi arrêter de manger et de dormir. Mais tout ce fun n’empêche pas Robert de céder à ses vieux démons de l’ultra-sensibilité : Mike Oldfield qui l’accompagne pendant quelques semaines déclare qu’il n’a jamais vu un homme aussi malheureux. Un peu plus tard, Caroline Coon dira la même chose : «Les soirées se terminaient avec un Robert très très très malheureux, extrêmement dépressif, complètement bourré, disant qu’il allait se tuer.»

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    Longtemps considéré comme l’héritier du trône, Volume Two manque cependant de grandeur tutélaire. Les Dadaïstes adorent cet album à cause de «Dada Was Here», pourtant beaucoup trop beau pour Dada. Trop artistique et trop baroque. C’est la faute à Robert : il veut que Dada soit beau mais Dada veut pas, Dada veut pas être beau, no no no. On retrouve Dada plus loin dans «Pig» - Cochon carré n’est pas joué - C’est chanté à l’angle Dada, un peu pressé, bien excité. L’autre aspect littéraire de ce Volume Two est l’intro pataphysique. Robert rend hommage à Alfred avec une petite leçon de Pataphysique, qui n’est pas comme les gens ont tendance à le croire une manière d’éplucher les patates, mais la science des solutions imaginaires. Robert restera d’ailleurs toute sa vie un adepte de la Pataphysique, car dit-il, «elle m’aide à supporter la vie. Je la prends comme une farce. C’est bien au-delà de la tragédie.» Robert revient enfin aux fuites machiniques avec «Hibou Anemone & Bear», joli coup de Jarnac organique avec un Ratledge qui tartine large. C’est excellent car battu au fouetté de bas des reins et chanté à la Robertine de galantine, très déstructuré et ramé comme un boulet de pirate. Robert passe au jazz avec «Thank You Pierrot Lunaire» et se paye le grand déballage de débinade avec «Out Of Tunes». Il chante à peu près tout au croisé de jazz transversal, il mène bien son bal de Laze. Il existe chez la Machine une dimension épique doublée d’un héroïsme élégiaque représentatif, on sent nettement chez eux une tendance à la marée, et malgré tout ça, la magie brille par son absence, alors qu’elle surgit à tous les coins de rue dans le premier album. «Orange Skin Food» prend sa respiration sur la crème du chou et respire au batracique, avec des branchies de sangsue, c’est un fantastique shoot d’organdi. En fait, ces trois mecs s’amusent à jouer du Soft dans leur cub de bouillon Kub et ils terminent en chutes du Niagara, ça bouillonne dans le tromblon expansionniste de Lariflette, avec la basse fuzz d’Hugh Hopper. Robert s’en fout, au fond, il jazzera son «1030 Return To Bedroom» jusqu’à la fin des temps.

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    En 1969, il participe à d’autres projets légendaires : The Madcap Laughs de Syd Barrett et Joy of A Toy de Kevin Ayers. Depuis que Kev a quitté Soft, il lui manque : «Très easy-going, de bonne compagnie, il me faisait rire. Je le trouvais génial. C’était un fantastique compositeur et j’aimais bien chanter ses compos.» Il dit aussi que Mike Ratledge se sentait mal avec lui et Kev. «Il avait plus de points communs avec Hugh Hopper, ils étaient tous les deux des gens très calmes, très conventionnels.» Une tension à la fois sociale et musicale montait dans le groupe.

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    Le groupe comprend alors Robert, Mike Ratledge, Hugh Hopper et Elton Dean. Ils optent pour un son plus abstrait. Quand on écoute le Third de Soft, on comprend l’étendue du malaise qui s’est emparé du cerveau bien rose de Robert : c’est un album privé de chansons, beaucoup trop jazz-rock. Il faut avoir du courage pour écouter ça. Sur sa face, Mike Ratledge se montre tentaculaire. Il faut attendre «Moon In June» en C pour retrouver Robert et son joli son troublé de gouttes. Après un beau solo d’orgue syncopé, Robert reprend le chant d’une belle voix de nez et swingue son chat perché. On assiste à de belles descentes dans les tourbillons de fusion basse/cornet, comme dans le premier album. La voix de Robert vient se fondre dans la luxuriance d’un jazz de tourneboulle. Au cour de ce délire impénitent, ils créent du rêve harmonique. «Moon In June» est la seule raison d’écouter cet album.

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    Le groupe a perdu sa joie de vivre. Il suffit d’ouvrir le gatefold pour comprendre. Ils font la gueule tous les quatre. Robert indique aussi qu’il joue tout seul sur «Moon In June». Pourquoi ? Parce que les trois autres ne supportent plus de l’entendre chanter. Ça fend le cœur de Robert qu’on voit pleurer dans les loges. Les trois autres le maintiennent à l’écart. Ils n’arrivent même plus à se mettre d’accord sur les orientations musicales. Robert ne veut pas entendre parler de jazz-rock fusion : «Pour moi, le jazz-rock fusion est ce qu’il y a de pire, c’est une rythmique rock recouverte de solos extrêmement sophistiqués. Je préfère l’opposé : la fluidité d’une rythmique jazz alliée à la simplicité quasi-folky des chansons pop.» Et voilà, tout est dit.

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    Comme Soft est sous contrat avec CBS, on les autorise à enregistrer en plus des albums solo. Alors Robert enregistre The End Of An Ear en 1970. «Je pense que ça les a épouvantés», dit Robert. Et nous aussi. Robert y joue du piano. Pas de Ratledge ni d’Hopper, cette fois. «Pendant que le chat est sorti, les souris jouent du piano.»

    L’aventure Soft se transforme alors en calvaire. On se souhaite à personne d’avoir à supporter la haine des autres dans un groupe. Robert est trop professionnel pour planter le groupe sur scène. «Après Third, Soft Machine se transforma en descente aux enfers.» Caroline Coon : «Robert voulait faire une musique sensuelle, sur laquelle on pouvait danser, une musique populaire, romantique et intelligente. Robert ouvrait les bras en grand pour embrasser l’immense univers musical, alors Mike le réduisait en peau de chagrin.»

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    Le résultat de tout ça se trouve dans Fourth. Rien sur Robert, comme dirait Luchini. Ferme ta gueule, lui ont dit les autres. Robert a perdu la bataille de la chanson et de la Pataphysique. Plus aucune trace d’humanité ni d’humour dans cet album. C'est dingue comme parfois les gens peuvent être cons. On ne muselle pas un artiste comme Robert. Si tu veux te faire chier comme un rat mort, écoute Fourth. Par contre, les fans de Ratledge vont se goinfrer. On n’entend que lui. C’est beaucoup trop jazz pour des gueules à pop. Surtout qu’Elton machin souffle dans son cornet à n’en plus finir. Une brute ! Pas tenable pour le fan de rock. Donc rien sur Robert, à part le beurre. Quand ce n’est pas ton son, ce n’est pas ton son. Fourth n’a strictement plus rien à voir avec le premier Soft. Robert fait son boudin dans son coin. Il ne s’est pas encore cassé la gueule du quatrième étage, il ne sait pas ce qui l’attend. Il aura alors toutes les raisons de faire la gueule.

    Après la deuxième tournée américaine de 1971, Robert est viré de son propre groupe. Adieu le beau rêve de Soft, free jazz meets happy-go-lucky hallucinogenic pop. Viré de son propre groupe par un jazz-rock coup d’état. Burn in hell, my burne ! C’est ce qui arrive quand on est viré d’un groupe : des années de travail réduites à néant, avec tout le reste, c’est-à-dire ses rêves et son identité. Le seul moyen d’en sortir vivant est de se dire que les autres n’étaient vraiment pas à la hauteur de ces rêves. Ne t’abaisse jamais au niveau de tes ennemis, disait Gorgo le Sale. Mais quand même, c’est raide, car Robert connaissait Hopper et Ratledge depuis le lycée et ils avaient vécu tous les trois ensemble à Dulwich. Il insiste aussi pour dire que de se faire virer de Soft fut bien plus traumatique que de tomber du quatrième étage deux ans plus tard. «J’en fais encore des cauchemars, ce qui est incroyable après autant de temps.»

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    Chez Jeff Dexter, alors que tout le monde trippait, Robert restait en carafe - While everyone was getting high, Robert was getting low - Robert a du mal à trouver un groupe où il pourrait battre le beurre et chanter en même temps. Il ne restait donc qu’une solution : monter un groupe. Voilà que démarre l’épopée Matching Mole - clin d’œil malicieux à Soft Machine - Robert monte le groupe avec le keyboardist Dave Sinclair qui vient de Caravan, le guitariste Phil Miller et le bassman Bill MacCormick. Robert continue de rendre hommage à ses jazz heroes, mais il ne veut pas qu’on le considère comme un artiste torturé.

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    On croit toujours que son timbre émotionnel - finement teinté de vulnérabilité et de douloureuse sincérité - est arrivé avec le fauteuil roulant. Non, il suffit d’écouter «O Caroline» qui ouvre le bal d’A sur Matching Mole pour se débarrasser de cette idée fausse. En cinq minutes, Robert ramène toute l’émotion qui fait tellement défaut sur Fourth. Il nous prend par les sentiments et pond une vraie pop song. Nouveau pied de nez aux trois croquemitaines de Soft. Puis il revient à la magie du premier Soft avec «Instant Pussy». Sa voix plane au dessus du son. Nous y voilà. Il renoue avec les fragrances grandioses d’«A Certain Kind». Il délègue plus sa voix qu’il ne la délaye. Il crée un genre nouveau : la magie suspensive supérieure. Il enchaîne avec un autre classique : «Signed Curtain». Son chant s’ébranle, this is the first time, sa glotte se fend. Mais il est aussi capable de hard prog comme le montre «Part Of The Dance». Allez zou, c’est pari pour 9 minutes d’exploration des douves. Phil Miller fait pas mal de ravages en B sur «Instant Kitten», il joue à l’extatique de Canterbury. Puis Robert s’en va chercher la petite bête avec «Dedicated To Hugh But You Weren’t Listening». C’est pas malin, car il ruine un album qui aurait pu figurer au palmarès. C’est beaucoup trop prog, même si c’est bien battu. Les Moles jouent la cavalcade de Canterbury sans s’occuper du qu’en-dira-t-on et Phil Miller s’en donne à cœur joie. Ils bouclent avec un «Immediate Curtain» pas très convivial. Ils font leur truc dans leur coin et oublient qu’en 1972, leurs albums valaient une petite fortune. Mais Robert s’en fout, il est dans son délire d’artiste culte de la raie du cul. La réédition Esoteric de Matching Mole vaut le détour car on y trouve un disk 2 bourré de bon gros bonus bien dodus et, bien sûr, des inédits, comme ce frénétique «Memories Membrane» de 11 minutes, avec un Robert au frappy frappah. C’est son truc, il adore fouetter ses peaux de fesses. Franchement, il est épatant, il bat tout à plates coutures. Il propose un jazz rock avec de la liberté de ton en surface, tout le contraire de ce que font les trois croquemitaines de Soft sur Third et Fourth. Comme on le voit avec «Horse», un autre inédit, ces mecs sont capables de jouer le jazz-rock le plus surexcité du Kent. C’est leur dada. Il ne faut pas leur en vouloir. Ils font aussi un John Peel show avec un «Immediate Kitten» de 10 minutes. Peely les aime bien, donc ça passe comme une lettre à la poste. Les Moles jouent à la perfections leurs rôles de surdoués du Kent. On entend des rushes dignes du premier Soft. Big energy ! Robert bat comme un démon de Kent, c’est pas beau à voir. Il est très énervé, bien déterminé à en découdre. Robert ne chante pas pendant tout le début du cut, ici, comme si la persécution des trois croquemitaines l’avait traumatisé. Puis il se décide à crier dans le désert. On trouve à la suite un autre John Peel show de 20 minutes. À l’époque, les groupes savaient prendre le temps de jouer. Robert y chauffe le cul des cuts en parfait connaisseur. C’est très intéressant. Phil Miller joue comme un dieu, ce qui ne gâte rien. «Marchides» est en quelque sorte la bande son de la Pataphysique. Il n’existe rien de plus pataphysique que cette vieille Mole en interaction. Peely devait bander comme l’âne de Gévaudan en écoutant Robert faire le con avec ses tambours du branque. Cette grosse patate en devenir fait même un solo de batterie, ce qui est habituellement une abjection, sauf que ce mec sait fouetter la peau des fesses. Suivre Robert dans cette virée, c’est un peu un voyage de rêve. Les mecs d’Esoteric savaient ce qu’ils faisaient en proposant cette vieille Peel Session de 1972. Et quand Robert revient chanter dans le rêve éveillé, il redevient le seigneur des anus. En fait, il ne chante pas, il ah-ahte dans l’écho des profondeurs. Il ah-ahte comme un rêveur endorlori. On vous met au défi de garder votre santé mentale à l’écoute de cette merveille. C’est ici que Robert est le plus vivant et le plus barré. Le génie de Peely est de laisser tourner la bande.

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    Ce sont les graphistes de CBS qui ont conçu la pochette de Matching Mole’s Little Red Record, le deuxième Mole. Robert a trouvé l’idée du titre, alors les graphistes ont bêtement pompé l’imagerie populaire chinoise. Bill MacCormick trouve cet album plus réussi que le premier qu’il trouvait trop robertien - sounds like a Robert album with some other guys in there to fill bits and pieces - et il ajoute que le premier Mole regardait en arrière alors que le deuxième Mole regarde vers l’avenir. Désolé Bill, mais ce n’est pas du tout notre avis. Le deuxième Mole est nettement moins intéressant. C’est là que se trouve le fameux «Marchides». Ils en font un brouet de jazz-rock extrémiste de huit minutes avec un MacCormick en mode free bass. Robert tente de sauver la face avec une belle ablette nommée «Nan True’s Hole». Il fouille dans l’inconnu et approche le mystère au plus près. Et il passe au fantastique offshot avec «Righteous Rhumba» et Phil Miller en profite pour se transformer en Phil Diabolo. En B, Robert fait du Robert avec «God Song». Les masses populaires attendaient cette ignoble complainte. Robert saute par dessus les dépressions avec une voix de petit garçon épuré. Puis tout bascule dans l’expérimental avec un «Smoke Signal» digne des Canterbury Tales. Ils déconnent complètement. On est à deux doigts de leur demander de dégager.

    Les Matching Mole n’ont pas un rond - never saw a penny for either album - Puis Robert en a marre et il met fin à la Mole. Il ne se sent pas les épaules d’un leader. «I just wanted to be a quarter of the group. I just couldn’t handle it.» Dommage.

    C’est à cette époque que Robert rencontre Alfreda Benge. Il en tombe amoureux. Alfie va devenir son égérie.

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    Juin 1973 : c’est là que la vie de Robert se casse en deux, comme son dos, après une chute du quatrième étage. Robert se souvient d’avoir été terribly drunk - Je sais que ça a gâché la soirée. Ça dû être terrible pour les gens qui étaient là, et pour Alfie aussi - Robert indique qu’il s’agit d’une tentative de suicide : il s’est jeté par le fenêtre, à cause du traumatisme de Soft - They threw me out so I threw myself out - Il fait même de l’humour avec son suicide raté. Une journaliste a osé raconter que Robert essayait de passer par ‘l’extérieur’ pour ne pas se faire poirer après avoir baisé une gonzesse. Puis les toubibs ont dit à Robert qu’il était vivant grâce à son taux d’alcoolémie : au moment du choc, il était relaxé. Mais il a pété sa douzième vertèbre, donc plus de jambes. Le voilà à 28 ans dans un fauteuil roulant. Par miracle, Alfie est là. Elle va consacrer toute sa vie à Robert. Quel veinard !

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    En bon pataphysicien, il adore l’hôpital, «des gens qui me servent le breakfast, qui font mon lit comme si j’étais Little Lord Muck, c’est la vraie vie !», et il ajoute, l’œil malicieux : «Si Dieu avait inventé le fauteuil roulant, il l’aurait présenté comme une alternative naturelle aux jambes pour ceux qui le souhaitaient.» Janvier 1974 : en sortant de l’hosto, Robert et Alfie vont droit au pub, pour fêter ça. Selon Robert, Alfie a du métier - car elle s’est souvent pété la gueule d’un tabouret de bar, en son temps - Et c’est alors que commence l’after. Il ressemble à un conte de fées. Robert et Alfie n’ont pas de revenus et l’appart d’Alfie se trouve au 21e étage d’une tour avec un ascenseur souvent en panne. Donc, c’est compliqué avec un fauteuil roulant. Alors les copains se mobilisent. Pink Floyd donne de concerts de soutien qui ramènent 10 000 £. Jean Shrimpton leur file sa bagnole et la copine d’Alfie Julie Christie leur achète un appart à Lebanon Park, à Twickenham. Robert et Alfie vont rester des banlieusards pendant 15 ans. Et une amie espagnole de Robert, la philanthrope Delfina Entrecanales, les héberge en attendant qu’ils récupèrent les clés de leur nouvel appart. Robert la considère comme sa fairy grandmother.

    Il ne renonce pas à la musique pour autant. Il a en tête des cuts qui devaient aller sur le troisième album de Matching Mole et qui finiront sur Rock Bottom. Robert comprenait que dans son état, il devait tout reprendre à zéro pour apprendre à faire les choses différemment.

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    Paru en 1974, Rock Bottom est l’album du rêve éveillé. Dès «Sea Song», Robert se répand dans le son au timbre fêlé, shing softly. Quand on entend ça, on ne comprend pas que les trois croquemitaines l’aient empêché de chanter. Il chante si bien qu’il semble éclairer la terre. Il joue du piano sans en jouer, dans une extase de dissonances immuables et suspensives. Seul Robert peut naviguer ainsi, à la dérive. Il compare Alfie à un poisson mutant. L’autre coup de génie de l’album se trouve en B : l’enchaînement d’«Alifib» et d’«Alife». Robert halète dans l’aube d’Alifib. L’absolue pureté mélodique se transforme en enchantement organique, ah nic nac noc, Alifib my lover et puis tout se dépose comme une poussière de lumière, ah nic nac noc. Sa voix de fantôme revient ensuite noc nicquer avec «Alife», Alifi my larder, c’est-à-dire mon bout de lard, alors Alfie excédée répond : «I’m not your larder/ I’m not your dinner/ You soppy old custard !». «Alife» est beaucoup dramatique qu’«Alifib», on sent le Robert qui s’échoue sur une plage glacée du grand Nord, les reins brisés. Et puis voilà encore un coup de semonce avec «A Last Straw», un cut mélodiquement libre, pur jus de Dada fuite, véritable concerto pour cervelle naze. Robert reste beau jusque dans ses ouah-ouah, il se montre aventureux à chaque instant et frais comme un gardon de Canterbury. Le son de «Little Red Riding Hood Hit The Road» paraît si translucide qu’il brille en plein jour. Mongezi Feaz souffle dans sa trompette et la voix de Robert jaillit dans cette foison de cuivres. Il épouse les confluents et se laisse porter par un doux vent de free. Voilà la clé du mystère Wyatt : le portage free. Feza n’en finit plus de souffler ses confluents, Robert s’ébroue dans cette luxuriance miraculeuse et la voix d’Ivor Cutler sonne comme une hallucination auditive.

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    Robert est assez fier de son Rock Bottom. C’est un album inclassable, nous dit Robert, «ni rock, ni folk, ni jazz, c’est un genre qui n’existe pas, c’est une sorte de bête des Galapagos, some kind of underwater duck, une sorte de chose qui est apparue toute seule.» Les influences évidentes sont Coltrane, la musique indienne et l’Astral Week de Van Morrison, savant mélange de Celtic Soul et de jazz. C’est là qu’Alfie entame sa carrière d’illustratrice de pochettes. Le Melody Maker et le NME chantent les louanges de Rock Bottom, le comparant au Blood On The Tracks de Bob Dylan. L’O’Dair en rajoute une couche en disant que c’est l’un des plus beaux albums jamais enregistrés. Suite du conte de fées : Robert et Alfie se marient en juillet 1974 et font une petite fête chez eux à Twickenham avec les moyens du bord. Budget total : 70 £, comprenant la robe de mariage, 14 £. Le boss de Virgin Richard Branson fait partie des invités, avec Lol Coxhill, Ivor Cutler, les mecs de Matching Mole, Pip Pyle et John Peel, bien sûr. Fête de rêve à laquelle on aurait tant aimé participer. Le book propose la photo de mariage de Robert et Alfie. Robert rigole en signant et Alfie ressemble terriblement à Christine Perfect.

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    Au mois de septembre, les amis de Robert organisent un concert qu’on peut entendre sur Theatre Royal Drury Lane 8th Sptember 1974, un album live paru en 2005. Après une belle intro de John Peel, Robert entreprend de ruiner le concert avec ce Dada cut tiré du premier Matching Mole qu’est «Dedicated To You But You Weren’t Listening» (on note au passage qu’il a remplacé Hugh par You dans le titre). Il va surtout jouer les cuts de Rock Bottom. Il amène «Sea Song» au one two, one two three et les gens applaudissent. Il faut savoir que les Anglais le vénèrent. Il faut le voir aller exploser son chant au sommet du morning after. Un guitariste rentre dans le larder du cut et l’Hopper ramène de la basse fuzz dans le mix demented. On monte encore d’un cran avec «A Last Straw», bien calé dur le cool du smooth. Robert met le rock en attente. Avec sa trompette, Mongezi Feza règne sans partage sur «Alife». C’est gagné d’avance, et cette burne d’Hopper vole le show dans «Alifib», nic nac noc, Robert arrive sur le tard, Alifie my larder, et on entend quelque part dans l’écho du temps I’m not your larder. Robert chante avec la tripe d’Ubu, ah nic nac noc. Il se fait abyssal avec l’«Instant Pussy» tiré du premier Matching Mole, il flotte entre deux eaux. Sa version de «Little Robin Hood Hit The Road» est beaucoup trop grandiose. Robert vise la folie des grandeurs, ça ne lui ressemble pas. Beaucoup trop énorme pour être honnête. C’est embarqué au plus haut sommet de l’état et Robert n’y peut rien, il peut bien chanter, ça ne changera rien. Il entre dans les annales de la rondelle, tant pis pour lui. Il termine avec l’affront suprême, «I’m A Believer» et il fout le paquet. Ah on peut dire qu’il aime autant les Monkees que la potée aux choux. Tous ses copains shootent leur chique !

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    On rigole bien chez les Wyatt, mais dans la réalité, ça ne sera pas de tout repos. Robert va se taper plus d’une saison en enfer, un vrai rock bottom. Alfie peut en témoigner : «Quand vous êtes jeune et que vous avez un mec dépressif à la maison, ça fait partie de la romance. Mais quand on vieillit, ça devient a fucking bore, autrement dit insupportable.» Robert va si mal qu’il n’en dort pas pendant deux mois. Alfie : «Il a vieilli de vingt ans d’un seul coup.»

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    Alfie et Robert vivent à trois, avec l’alcool. Robert a besoin de se pochetroner pour jouer. L’alcool lui donne, comme le dit si bien Jean Rhys, l’une de ses égéries préférées, «fire and wings», c’est-à-dire du feu et des ailes. Eh oui, Robert picole depuis la tournée avec Hendrix en 1968. Alfie : «On picolait tout le temps, tout le monde le savait. On devenait stupides. Il picolait en cachette, toute la journée. Sa cervelle ne fonctionnait plus. Il prétendait qu’il n’avait rien bu, mais je ne supporte pas les bobards.» Le pire est qu’Irena, la mère d’Alfie, devenue impotente, vient vivre avec eux à Louth. «Je devais m’occuper d’une mère impotente et d’un poivrot. Je me sentais seule. Je n’en pouvais plus. C’était un cercle vicieux, plus je le voyais dans cet état et plus il me sortait des yeux. C’est ce que raconte la chanson Just As You Are. Je le regarde, je vois qu’il a bu et il lève les yeux vers moi pour me dire : ‘Je vois bien que tu ne me supportes plus’, alors il buvait de plus belle. Notre relation crevait. Il ne restait plus que de la haine et de la peur. À ce stade, il y avait deux façons de voir les choses. Un, il allait se tuer, et si ce n’était pas avec l’alcool, il serait tombé du fauteuil roulant et se serait brisé le crâne sur le trottoir. Deux, je l’ai épousé. Je ne peux pas aller marcher avec lui, je ne peux pas non plus aller danser. Il y a plein de choses qu’on ne peut pas faire. Que reste-t-il ? Nos cervelles. Mais s’il décide de se rôtir la sienne, que me reste-t-il ? À quoi sert-il ? Donc je dois partir.» C’est là que Robert arrête la picole. Et il va devoir apprendre à composer sans sa muse qui est l’alcool. Le voilà assis à son piano avec une tasse de thé. Il a même arrêté de fumer.

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    Robert entame une longue série de projets collaboratifs, avec notamment Slapp Happy et Henry Cow. Peter Blegvad est frappé de découvrir au mur de Robert un certificat du Collège de Pataphysique. Il sera lui-même par la suite président du London Institute of Pataphysics. Robert chante une bricole avec Peter Blegvad et Dagmar Krause, «A Little Something», qu’on retrouve sur la compile Flotsam Jetsam. Mais c’est avec Henry Cow que les choses se corsent, Henry Cow que l’O’Dair décrit comme «des Yardbirds au pieu avec Ligeti dans les ténèbres du Berlin d’après-guerre». L’O’Dair dit aussi que Henry Cow s’inspirait de Coltrane, Captain Beefheart, Varèse, Schoenberg, Mingus, Sun Ra, Syd Barrett et Kurt Weill. Idéal pour un bec fin comme Robert. Robert Frith qui fait partie de Cow est un proche de Robert. Robert se retrouve sur scène avec eux et Dagmar Krause.

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    Il poursuit son petit bonhomme de chemin en combinant un nouveau projet : Ruth Is Stranger Than Richard. Il invite quelques copains à venir l’accompagner : Bill MacCormick, George Khan, Gary Windo et surtout Eno qui fait partie des gens que Robert apprécie. Ils ont en commun une même vision panoramique de la pop et une fascination pour les beaux-arts. Khan et Windo ne sont pas très contents de jouer les cuts farfelus de Robert. La tension monte dans le studio. Alors Eno intervient pour calmer le jeu :

    — Il n’y a qu’une seule solution pour sortir de ce marasme : mettre en pratique the Oblique Strategies !

    — C’est quoi ?

    — Vous tirez une carte et vous interprétez ce qu’elle dit. Ça dépend bien sûr des circonstances, d’où l’interprétation, mais dans tous les cas, c’est quelque chose de définitif. Quoi que la carte dise, on le fait, ok ?

    — Ok.

    Eno mime le geste de sortir une carte, et déclare :

    — Fermez vos gueules !

    Alfie explose de rire et tombe de sa chaise. Eno reprend :

    — Bon maintenant on continue et tout le monde ferme sa gueule.

    Eno et Robert sont ravis. Sur les crédits, on peut lire : «Eno : direct inject anti-jazz raygun». C’est son crédit favori.

    Alfie peint pour Ruth une très belle pochette d’art naïf figuratif. On trouve sur l’album un boogie pataphysique, «Soup Song». Robert y raconte son destin de soupe, avec un mushroom on the eyelid and a carrott on my back. Gary Windo souffle dans son tenor sax comme un crack du barreau. Nous voilà expédiés au paradis de la fantasia fantasmatique - So I may resign myself/ Make friend with a few new peas - Robert mène aussi «Solar Flares» au melico de coco en goguette à gogo. Sa sempiternelle sentinelle ensorcelle l’escarbelle ensablée, sa voix se promène dans l’univers restreint des ors du Rhin, il voyage comme Xavier de Maistre autour de sa chambre d’ode. Il pratique l’art supérieur de la mêlée de voix transparentes. Il reprend sa voix d’ouah pour «Muddy Mouse», elle résonne dans la tiédeur d’un soir d’été louthien. Une étrange beauté se dégage de la portugaise ensablée et l’indicible Fred Frith pianote une gnognotte de notes oniriques. Il chante en B un beau «Team Spirit» à la petite évaporée mélodique. Gary Windo vient encore éclaircir le soir du cut avec des archanges soniques dignes des plus beau mythes, les montées de jazz sont croyez-le bien de purs moments de magie, cette liberté de ton outrepasse tous les passe-droits - You can pass me over/ If you asked me/ Here’s my advice - Robert s’enfièvre, puis il termine avec un hommage à Che Guevara, «Song For Che».

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    Pendant tout l’after, Alfie tente de maintenir Robert éloigné des toubibs. Elle pense qu’elle et Robert peuvent s’en sortir tout seuls. Grâce à l’alcool notamment. Mais elle voit bien que la déprime s’installe et que Robert va de plus en plus mal, alors elle finit par craquer et l’envoie chez un toubib. Elle craint par dessus tout que les antidépresseurs n’affectent encore la santé mentale de ce pauvre Robert tellement malmené par le destin. Mais il reste encore des sauveurs sur cette terre et Geoff Travis, le boss de Rough Trade, en est un. C’est sur Rough Trade qu’on entend les oddball poems d’Ivor Cutler et le free de James Blood Ulmer. Il se trouve que Travis voit Soft comme l’un des meilleurs groupes de tous les temps. Il signe Robert qui commence à enregistrer les fameux Rough Trade singles qu’on retrouve compilés sur Nothing Can Stop Us. Ce sont des singles extrêmement politiques et poétiques en même temps. Robert est à l’époque le seul à pouvoir proposer un mélange aussi magique. On retrouve sur cette compile indispensable l’excellent «Shipbuilding» que lui proposent Clive Langer et Costello. On pourrait imaginer un titre du genre : Shipbuilding ou de l’indispensabilité des choses. C’est l’un de ces cuts mélodiquement parfaits, joué à la stand-up et idéal pour la voix de godille à la dérive de Robert. En B, se planque aussi «Strange Fruit», chanson d’une infinie mélancolie - Strange fruit hanging/ From the/ Poplar tree - aussi accompagné à la stand-up. Pour ceux qui ne le sauraient pas, les strange fruit sont les nègres qu’on lynchait au temps du KKK. Robert fait avec cet hommage morbide un magnifique numéro de chant à peine voilé. Il fait aussi le clown triste avec «Born Again Cretin», il chante au couac de coin du bec et fait son empêcheur de tourner en rond. Il reprend du Chic avec «At Last I’m Free», il chante à l’épuisée de la dernière heure et tisse des dissonances dignes d’Alifib my larder. Quelle infernale justesse de ton ! Il fait aussi son carribean avec «Caimarena». Ah il faut le voir chanter sa maganna à la dévolue. Quelle merveille ! On peut aussi qualifier «Arauca» de petite merveille car il joue aux dissonances de piano, alors forcément ça captive.

    C’est aussi l’époque où Robert collabore avec Green Gartside et Scritti Politti. Geoff Travis considère «The Sweetest Girl» comme le meilleur truc sorti chez Rough Trade. On reviendra là-dessus par la suite.

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    Son troisième album solo s’appelle Old Rottenhat. On entre avec cet album dans la période mystique d’un artiste nommé Robert. Nous sommes tous bienvenus. Depuis Rock Bottom, on s’est habitué à l’idée que ses albums grouillaient de cuts géniaux, donc ça va. Ce coup de vieux chapeau pourri l’aide à surmonter sa déprime, comme le montre «Us Of Amnesia». Il y cultive un chaos de big artist qui se heurte à l’impossibilité des choses de la vie. Ça doit se casser la gueule, anyway, à l’aisance du chant percé. Robert groove sa chique dans une heavy reservation. Quelle leçon de chique ! L’autre coup de génie est l’imprononçable «Gharbzadegi». Il renoue avec son fabuleux univers d’it’s so easy, il ramène sa voix par dessus sa voix, il plane dans les eaux d’Alfie, il va loin dans la beauté de robe, on entend là une symphonie de la désespérance, il charge sa barque de tonnes d’harmonies pour qu’elle coule, il repousse au loin les limites de l’extraordinaire domaine de la turlutte. Ce merveilleux artiste propose des instros pour faire de la politique : «East Timor» évoque un conflit que tout le monde a oublié. Il sort sa trompette cabossée pour souffler dans la purée de «Speechless». Comme il joue en biseau d’angle, ça devient énorme. Pas facile de reprendre le contrôle d’un album comme ce vieux Rottenhat. Alors il décide d’aller surplomber le lagon d’argent avec «Vandalushia» et une cervelle ouverte aux quatre vents. «The British Road» offre aussi une atmosphère perdue dans la nature. Robert ne fait rien pour la retrouver. Il s’y montre très robby des robettes, il adore sublimer sa vieille Pataphysique, cette science des patates d’eau douce. Il revient à son genre chouchou, la complainte de down under avec «Mass Medium», il s’y fait pur breaked man et nous plonge dans l’abîme de son désespoir. Il faut aussi le voir se moquer d’Alfie dans «PLA» : «Poor little Alfie trying to draw/ Poor little Alfie trying to sleep.»

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    Paru en 1991, Dondestan est encore un bel album. Pour la pochette, Alfie s’est peinte avec Robert dans un salon qui donne sur la plage. Dondestan est un mot espagnol et veut dire ‘Où sont-ils ?’. Robert conserve un souvenir ému de l’enregistrement du morceau titre : «J’étais installé dans un coin de cet immense studio, je jouais le solo de batterie et je frappais tellement les timbales que j’étais à deux doigts de tomber de mon fauteuil roulant. L’ingénieur du son fut pris d’une crise de fou rire : ‘C’est le spectacle le plus ridicule qu’il m’ait été donné de voir !’». Mais «Dondestan» est aussi un hommage aux Palestiniens. Comme Jean-Luc Godard, Robert a les couilles que les autres artistes n’ont pas. Le coup de génie de l’album s’appelle «Shrinkrap». C’est le punk de Canterbury qui joue - I’ve sweated blood to hear I’m nice - Il bat ça si sec - Everybody loves me/ Everyone but me - Il ne s’aime décidément pas. Il refait de la politique avec «NIO» (New Information Order). Quand on est mort, c’est la voix de Robert qu’on entend. Il parle là-bas, derrière. Il dit des trucs. Il dit un non-dit qui durera jusqu’à la fin des temps du temps de Robert. Il prêche la paix dans le désert, il fait son Gandhi mais tout le monde s’en fout - Privatise/ The sea/ Privatise/ The wind - et il ajoute plus loin : «Set it free !». Avec «Costa», il entre en fauteuil roulant dans un jeu de quilles percussives et souffle dans une corne de brume. Robert invente un Sahara d’allure védique, il verse de l’air du temps dans l’or du Rhin. Il faut savoir accepter l’outerworld de Robert et le suivre à pas lents dans l’ouate du non-retour, comme le suggère «The Sight Of The Wind» and a dead leaf zig-zagging. Son chant se meurt dans le désert, ce qui vaut cent mieux fois mieux que de mourir dans le dessert. Dommage qu’il ne retrouve pas le chemin de Damas, c’est-à-dire «A Certain Kind». Il préfère s’enrouler dans sa mélancolie comme un Robertus Antropomatus de la préhistoire dans sa peau de zèbre. Tout ici est très ralenti, comme retenu par la culotte. Commercialement, «Worship» n’a aucune chance. Robert s’endort sur ses lauriers, il peint ses lullabies d’un ton de pourpre fanée. Il monte le groove de «Left On Man» sur un drive de basse. Simplify, font les chœurs de la rumba et ça tourne à la prodigieuse obsession.

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    Politiquement parlant, Robert a toujours su se montrer carré : «Vous voyez tous ces gens qui se disaient anti-communistes - Hitler, Mussolini, Franco, Pinochet, Nixon, Thatcher, Botha - alors je me dis qu’il vaut mieux être communiste.» Quand Robert prend sa carte au Communist Party of Great Britain, c’est parce que dit-il, it was a sweet little party of broken dreams - Il ne faut jamais perdre ça de vue : les vrais militants ont tous vu l’histoire politique briser leurs rêves de justice universelle. Le marxisme est une philosophie qui reposait entièrement sur cette aspiration. Pour Robert, le rock et la gauche sont indissociables. «Je ne supporte pas les gens qui se disent apolitiques. Chaque matin quand vous vous levez, vous recevez en pleine gueule tous les bobards de la droite, via la BBC et Fleet Street. Et si vous avez un tout petit peu de fierté, vous devez vous débarrasser de ces bobards coûte que coûte.» Robert a réussi un joli doublé : intégrité musicale et politique. Jamais l’ombre d’un seul compromis. Vous en connaissez beaucoup des gens comme lui ? Jerry Dammers voit Robert comme l’un des héros de son temps, avec Nick Drake, Syd Barrett et Peter Green, ce qui est plutôt bien vu.

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    Avec Julie Christie et Geoff Travis, l’autre grand bienfaiteur des Wyatt n’est autre que Phil Manzenara. Il possède un studio et Robert peut l’utiliser quand ça lui chante. Phil ne demande pas d’argent. Il sait que Robert et Alfie sont fauchés. D’ailleurs, ils ne savent pas qui va sortir leur prochain album, car Rough Trade s’est cassé la gueule. Robert décide quand même d’avancer, même s’il doit prendre les frais d’une parution à sa charge et invite quelques amis pour enregistrer ce qui va devenir Shleep : Evan Parker, Eno et... Paul Weller, aussi incroyable que ça puisse paraître. Observateur au langage raffiné, Weller trouve que «Free Will And Testament» est une fucking amazing song. C’est vrai qu’au cours d’une prise, Robert a éclaté en sanglots. Cette chanson terrible remonte des profondeurs de son désespoir. «Si j’avais été libre de choisir, j’aurais voulu ne pas être ce que je suis.» Robert sent qu’il a torpillé la vie d’Alfie. Robert n’en peut plus de la voir si dévouée : «Elle s’est occupée de moi, elle prend toutes les initiatives, elle me trouve un fauteuil roulant, elle fait installer une rampe à la maison, elle me trouve une music room, un piano, un magnéto. Elle s’occupe même de mes vêtements.» Et il reprend entre deux gros sanglots : «Je n’ai fait que pourrir la vie des gens autour de moi, all I’ve done to people is just fuck them up. C’est ce que raconte Free Will And Testament.» Cette chanson est la chanson universaliste par essence. Robert y joue avec la relativité des choses, il titille sa mélancolie au smooth d’une glotte paralysée, jusqu’à la dernière fibre du génie humain et puis voilà les demented forces qui reviennent - demented forces push madly round a treadmill - On a aussi un Dada cut sur cet album : «The Duchess», joué au jazz vite fait de Robert, admirable car couché sous le vent. Robert entre dans son jazz à la plainte retardataire, il jongle avec les échos glottaux, il pratique l’exercice de pouvoir d’inverser les valeurs, son rock avance à l’envers, en mode Dada, il vise le pur jus du non-conformisme, Dada butt, old surfer ! Il faut faire attention avec ce pataphysicien : il propose des albums qui ne sont pas des albums, au sens où on l’entend ordinairement. Robert fait un album uniquement parce qu’il a besoin de bouffer. Et rien qu’avec cette belle pop-song qu’est «Heaps Of Sheeps», la messe est dite, archi-dite. Il est déjà over the rainbow of the old Blighty. Il joue «Maryan» à la trompette et il ramène des relents de nic nac noc dans «Was A Friend». Il y joue aussi du suspense de cymbalum, ce qui semble logique pour un pataphysicien. Il fait sonner «September The Ninth» comme une marche funéraire de la Nouvelle Orleans et pianote «Alien» dans l’âme du jazz. Il chante ça à l’éplorée définitive. Plus loin, il attaque «A Sunday In Madrid» comme s’il s’appelait Arthur et qu’il attaquait Une Saison En Enfer, avec confiance et espadrilles. C’est du pur Robert de diction pure. Pas de plus pur Robert que celui-là. On suivrait cet Ubu barbu jusque dans les Bermudes. L’enregistrement de Shleep se passe plutôt bien : Robert et Weller picolent ensemble - Getting drunk with Weller was fantastic, better than Prozac !

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    C’est Geoff Travis qui va sortir Robert et Alfie de la dèche. Il accompagne Alfie chez Ryko pour négocier avec Andy Childs le contrat qui permettra de sortir Shleep. C’est le meilleur des contrats, car Robert peut en sortir quand il veut. Sur la pochette de Shleep, Geoff Travis est crédité comme «the good shepherd», c’est-à-dire l’Abbé Pierre. Alfie est ravie : Andy Childs rejoint Phil Manzanara et Geoff Travis dans son panthéon - Il a fait en sorte qu’on reçoive de l’argent régulièrement, ce qui nous évite de vieillir dans la pauvreté et de crever de faim - De son côté, Andy Childs se dit extrêmement fier d’avoir pu signer Robert et Alfie sur son label. Il les admire pour leurs qualités humaines mais aussi pour l’originalité de leur musique : «Robert ne sonne comme personne et personne ne sonne comme Robert.»

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    Grâce à trois ou quatre personnages, l’after redevient enfin un conte de fées. La musique va s’en ressentir, à commencer par Cuckooland, paru en 2003 sur le label d’Andy Childs. Cet album est avec le premier Soft et Rock Bottom l’œuvre la plus accomplie de Robert. Avec ceux de Syd Barrett et de Nick Drake, ces trois albums comptent parmi des plus beaux de l’histoire du rock anglais. Alfie trouve une trompette dans une foire à tout et Robert en joue sur «Old Europe», belle dégelée de heavy jazz de Canterbury en l’honneur de Juliette & Miles - Rue Saint-Benoit/ La route enchantée/ Indigo nights/ And the ghost of the moon in the Seine - Robert se transforme en Merlin, histoire de jazzer cette histoire d’amour qui eut lieu jadis entre Juliette Greco et Miles Davis. Pour «Cuckoo Madame», Robert emprunte à Benjamin Britten son bluesy habit de naviguer entre les accords majeurs et mineurs. Robert dit faire du jazz, mais backwards : «Normalement, le jazz part d’un point précis pour aller sur de l’improvisation.» Ah il faut le voir swinguer son jazz à la pointe de la glotte - You never told us of your battle/ With the cuckoo baby blues - et il se met à swinguer au talalah de Soft cymbalum - You’re too bloody lonely/ For the likes of us/ With the cuckoo baby blues - Robert fond son génie vocal dans un crépuscule de break your heart. Tiens encore un coup de génie avec «Just A Bit». Robert y pleure sa magie vocale, alors qu’Annie Whitehead croise le fer blanc de son trombone avec celui du sax de Gilad Atzmon. Welcome in the abyss, bienvenue chez Merlin, le sax ulule en mode nic nac noc et Robert souffle dans son cornet avec la vulgarité insistante d’une concierge moustachue. Il se coule magnifiquement dans le lit du Dada d’Angleterre, avec des mains baladeuses qui glorifient la liberté à n’en plus finir. Robert a tout compris au free. Prenez-en de la graine. Gilmour joue de la guitare sur «Forest», alors qu’Alfie et Eno font les voix. C’est exactement comme avec Syd Barrett, let him do it. Robert peut aller jouer dans le flesh du big London Underground, pas de meilleur son, pas de meilleur groove. Il raconte en plus l’histoire d’un camps nazi d’extermination - The death camp of Lety - L’infinie mélancolie prend alors tout son sens. On l’a dit, Cuckooland est l’une des pierres de touche du rock anglais. Il faut entendre Robert souffler dans les bronches de sa trompette pour faire décoller «Beware». Ça devient vite apoplectique - Just beware/ it’s just a warning - Pour un peu, il sonnerait presque comme un prophète - Don’t trust anyone - Il rabaisse au passage le caquet des cacous. Il rend hommage avec «Raining In My Heart» à un autre couple mythique : Felice et Boudleaux Bryant. Puis il revient à sa colère de militant avec «Lullaby For Hamza» : il y évoque le massacre de la population irakienne par les bombardiers américains. Robert salue la mémoire des pauvres Irakiens à coups de trompette furax. On retrouve Annie Whitehad et Phil Manzanera derrière Robert pour «Trickle Down». Ça dégueule de jazz et de groove - Open your window/ Lend an ear - Back to Soft, back to the Wyatt genius, Robert taille la route et Yaron Stavi joue du stand-up de jazz. Fa-bu-leux drive de jazz, c’est une leçon qu’il donne aux trois croquemitaines qui n’avaient rien compris au jazz. Il passe tous les caps en pédalant sur son fauteuil roulant. Jazz power ! Puis il passe à la rumba avec «Insensatez», scratch my back slowly, une certaine Karen Mantler vient chanter la bossa nova pataphysique. Impossible d’échapper au griffes de cette bossa surnaturelle. On retrouve Karen Mantler dans «Mister E», où elle vient mêler sa voix à celle de Robert. Attention, ce n’est pas un album qu’on peut avaler d’une seule traite, chaque cut est d’une telle intensité qu’on se plaît à le réécouter. Cuckooland est à la fois trop artistique et trop puissant, et on a en plus ces paroles suspendues dans l’air comme des saucisses chez le charcutier du village. Robert joue de la trompette et Karen de l’harmo, alors vous imaginez bien que ça donne un fantastique chef-d’œuvre d’intemporabilité des choses de la vie. On retrouve Paul Weller à la jazz guitar dans «Lullaloop». Weller joue dans le vif des percus. On voit ensuite Robert souffler dans la trompette du désespoir et Karen Mantler vient s’engluer dans le goudron magique de «Life Is Sheep». Et puis après les Irakiens, Robert salue la mémoire des civils japonais éradiqués par les bombardiers américains avec «Foreign Accents» - Hiroshima Nagasaki - il salue les champignons, merci les gars, il chante la musique des mots de la mort. Croyez-vous qu’il ait épuisé toutes ses cartouches de Bloomsbury ? Pas du tout.

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    Car voici Comicopera, paru en 2007 et sans doute le dernier album de Robert. D’où l’importance de l’écouter des deux oreilles. Car il se peut qu’après il n’y en ait plus. Fini la patate à barbe, fini les coups de trompette déraisonnables. Profitez bien de «Just As You Are» si vous aimez les tours de magie, car après c’est fini. On y entend Monica Vasconcelos mêler sa voix à celle de Robert et Paul Weller gratter sa gratte. C’est une chanson en forme de rêve dodeliné, un groove d’ouate, si vous préférez. Du suspensif robertien d’une indicible beauté - I’ve never tried to change a thing/ Never tried to change a thing about you/ Always loved you/ Just as you are - C’est la chanson d’amour parfaite, celle de l’extrême compréhension. Après avoir ramené à la surface son vieux nic nac noc dans «AWOL», il embouche sa trompette du désespoir pour nous broyer le cœur avec «Anachronist». Paul Weller se fend d’un joli coup de jazz guitar dans «Be Serious» pendant que Robert fouette la peau des fesses du cymbalum. On le croit calmé avec l’âge, pas du tout. Il fait un cut littéraire et invente l’Ubu Jazz au doo-bee-doo - Be serious/ Do us a favor ! - Demented ! Et quand on entend Gilad Atzman saxer «On The Town Square», on comprend que Robert se soit attaché à ce mec. C’est un virtuose au bon sens du terme. La magie de Robert opère à cœur ouvert. Peu d’instros peuvent aller se vanter d’une telle puissance. Avec «Out Of The Blue», Robert glisse ses dernières cartouches de something unbelievable dans la culasse de sa trompette. Il réussit à maintenir le feu du mythe allumé, même voix, même sens du génie vocal, il chante à l’agonie mélodique, comme s’il était en train de mourir. Il n’existe rien de plus désespérément beau que ce genre de complainte. Avec «Del Mondo», il se calme, comme un gosse à qui on dit de se calmer. Alors il chante doucement, d’une voix lasse, tellement lasse. Plus las, ça n’existe pas. Il plonge dans son vieil abîme de désespoir Spanish, il godille dans une marée noire de no way out. Il chante en Spanish de perdition, profitez-en les gars, car Canterbury c’est bientôt fini. C’est tellement funèbre et magnifique qu’on croirait entendre une ode aux vampires. Il reste en mode Spanish pour «Cancion De Julieta. C’est un peu comme s’il déployait ses ailes, comme sur la pochette de Shleep. La trompette hante le son qui se met à grelotter de peur et il faut vite se couler avec Robert dans cette mélasse magique. On vit alors littéralement suspendu à ses lèvres. Monica revient sur «Fragment» mêler sa voix d’amour à celle de Robert. On assiste là à une sorte d’osmose sexuelle de machines molles, l’un des derniers miracles des temps modernes. Alors attention, car voici le dernier cut d’un génie nommé Robert Wyatt : «Hasta Siempre Comandante». Il reste en mode Spanish et sort pour la dernière fois sa vieille prestance. Il opte pour le jazz Brazil, il dicte ses conditions, comme il l’a toujours fait sans le vouloir. Il laisse le mythe de la samba bercer son cœur et chante à la dernière extrémité du Cuban style. Merveilleux magicien. Ses amis font la fête d’hasta Siempre avec lui. On se croirait chez Wenders ! On est dans la magie de ce son pour l’éternité, c’est la voie que choisit Robert pour se tailler, il bat la tekiki de la Samba de Cuba et ça se termine dans un épouvantable fog de trompettes de Canterbury. Adios merveilleux amigo !

    La presse en bave à saluer Comicopera. Dans l’Observer, Sean O’Hagan s’exclame : «Il n’est pas courant d’avoir à recommander l’album d’un handicapé marxiste barbu de 62 ans.» Ce que l’O’Hagan n’a pas compris, c’est que cette grosse patate de Robert n’est qu’une grosse patate pataphysique, et qu’en tant que tel, il règne sans partage sur la science des solutions imaginaires.

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    Bon alors après, on peut aller faire un tour chez les compilateurs. On trouve pas mal de belles poissecailles à la criée aux compiles, à commencer par Mid Eighties, où palpitent «Gharbzadegi» et «Mass Medium», deux chefs-d’œuvre tirés d’Old Rottenhat et franchement dignes du premier Soft. D’autres trucs palpitent, tiens comme ce «Te Recuerdo Amanda» très robertien mais privé de la magie du Bottom. Avec cette constance qui l’honore, Robert propose toujours cette musicalité lasse et limpide à la fois, une ambiance latente en forme de fin de vie. Il faut cependant se méfier de l’overdose. Robert à trop haute dose peut finir par indisposer. Il n’empêche que son «Memories Of You» reste un jazz d’accès libre et que «Round Midnight» est de toute évidence taillé sur mesure. Il y groove comme un poisson dans l’eau. Il fait aussi son rapper d’Angleterre avec «Pigs (In There)». Il peut s’amuser avec un rien, comme on le voit aussi avec «Alliance», une vraie dalliance de son érythréen perdu dans le désert de Gobi. Aussitôt après Rimbaud, Robert est l’un des plus beaux bouilleurs de cru. Il tire aussi «United States Of Amnesia» d’Old Rottenhat, c’est un plaisir que de retrouver ici ces deux mamelles flasques que sont l’allumage et le powerage.

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    On retrouve le fameux portrait historique de Robert sur la pochette de deux vastes entreprises compilatoires, Different Every Time. Vol 1 et Different Every Time. Vol 2. Ces deux gros albums doubles représentent un lourd investissement. Comme le dit si bien ce stupide idiome, quand on aime, on ne compte pas. Le Vol 1 qui est bleu plonge ses racines dans Third et «Moon In June» occupe toute une face. Est-ce une bonne idée que de remuer les mauvais souvenirs ? Seule la curiosité nous pousse à réécouter les interactions entre la basse de l’Hopper et les plaintes de Robert. Ce qui frappe le plus quand on réécoute ce vieux machin, c’est l’incroyable énergie souterraine des jazz drums. Difficile de s’en lasser. Puis la B propose du Matching Mole et on retrouve cette voix unique dans l’histoire du rock anglais. Robert encorbelle le chant de «Signed Curtain» pour mieux le désencorbeller. Il fabrique un authentique tissu de rêve mélodique. Avec sa fabuleuse dentelle de Handy, «Team Spirit» ouvre le bal de la C. Robert y renoue avec les grandes eaux du lac. «Team Spirit» restera poignant et tendu, tournoyé et libre jusqu’à la fin des temps. La D sera fatale à beaucoup de gens car c’est du condensé de génie wyattien. Eh oui, le compilateur enchaîne «Free Will & Testament», «Cuckoo Madame», «Beware» et «Just As You Are», quatre des plus belles chansons de tous les temps. C’est un abîme de beauté qui s’ouvre sous nos pas. Robert laisse flotter son chant dans l’infini de son génie mélodique. Back to the dementented forces that push him madly to the treadmill. Avec Cuckoo, il monte au somment de l’art coucou et «Beware» nous replonge dans la soupe aux choux d’Alifib, c’est-à-dire l’entre-deux eaux très en dessous de la surface des choses.

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    Le Vol 2 qui est jaune va plus sur les entreprises collaboratives. Robert est un être qui adore partager son micro. On le voit viser le weird avec Anja Garbarek dans «The Driver». Il vise le suspensif, pas celui des bretelles, mais celui du surnaturel. Il laisse même sa voix flotter près de lui. Mais il ne va pas chercher systématiquement la petite bête mélodique, comme le montre «We’re Looking For A Lot Of Love» qu’il partage avec Hot Chip. Il va plutôt chercher le non-lieu du rock, la neutralité suisse, l’effet de son pour l’effet de son, mais il n’en fait pas non plus un plat. «Shipbuilding» orne la B du blason de sa mélancolie. Il n’existe pas d’homme mélancoliquement plus beau que Robert. Il revient à son cher jazz d’upside down avec «Turn Things Uside Down» qu’il partage de bon cœur avec Happy End. Il chante à la désenchantée suprême, il laisse sa nonchalance rouler des hanches sur les remparts de Varsovie, pour le plus grand bonheur de l’école de Lodz. Il n’oublie pas non plus l’unisson du saucisson qu’il retrouve avec Monica Vasconcelos dans «Still In The Dark». Il se mêle à elle comme l’ombre se fond dans la nuit. C’est d’une beauté purpurine, aucune ambivalence ne vient troubler le cadre de l’image, la chose se veut pure comme l’eau d’un torrent de montagne. On nous offre même un beau solo de jazz guitar en prime. On reste en D dans l’excellence robertinienne avec «Venceremos» et il s’en va chanter «Frontera» avec son ami Phil Manzanera. Paul Thompson bat ça sec comme au temps de Roxy et l’autre ex-Roxy Brian Eno fait des backing overjoyed. Robert fait l’effort de chanter «La Plus Jolie Langue» en Français - Je suis capable/ D’écrire en Anglais/ Mes sentiments d’aujourd’hui - Il chante quasiment sans accent et se livre à un bel exercice d’intimisme wayttinesque - Les vagues racontent/ La souplesse de la mer/ Et les arbres racontent/ La jeunesse de la terre - Môsieur est en plus un poëte. Il ouvre le bal de la D avec «Siam», un cut d’une autre copine de cheval à lui, la grande Carla Bley. Carla joue de l’orgue, Mantler de la trompette et Chris Spedding de la guitare. Demented ! Jack Bruce et Marianne Faithfull viennent accompagner Robert sur «A L’Abattoire» (sic). On sort de là-dedans complètement canassé, en s’ébrouant comme un canasson.

    Le conseil de Robert : faites les choses pendant que vous pouvez encore les faire. Et comme en écho à l’«I Just Wasn’t Made For These Times» de Brian Wilson, Robert dit aussi : «Pour moi, le XXIe siècle, c’est du rab de temps. Je suis quelqu’un du XXe siècle.»

    Signé : Cazengler, Robert ouaf (va checher la baballe)

    Wilde Flowers. ST. Floating World Records 2015

    Soft Machine. The Soft Machine. Barclay 1968

    Soft Machine. Volume Two. Barclay 1969

    Soft Machine. Third. Barclay 1970

    Soft Machine. Fourth. Barclay 1971

    Robert Wyatt. The End Of An Ear. CBS 1970

    Matching Mole. Matching Mole’s Little Red Record. CBS 1972

    Matching Mole. Matching Mole. CBS 1972

    Robert Wyatt. Rock Bottom. Virgin 1974

    Robert Wyatt. Ruth Is Stranger Than Richard. Virgin 1975

    Robert Wyatt. Old Rottenhat. Rough Trade 1985

    Robert Wyatt. Dondestan. Rough Trade 1991

    Robert Wyatt. Shleep. Hannibal Records 1997

    Robert Wyatt. Cuckooland. Hannibal Records 2003

    Robert Wyatt. Comicopera. Domino 2007

    Robert Wyatt. Nothing Can Stop Us. Rough Trade 1981

    Robert Wyatt. Mid Eighties. Rough Trade 1993

    Robet Wyatt & Friends. Theatre Royal Drury Lane 8th Sptember 1974. Hannibal Records 2005

    Robert Wyatt - Different Every Time. Vol 1. Ex Machina. Domino 2014

    Robert Wyatt - Different Every Time. Vol 2. Benign Dictatorships. Domino 2014

    Marcus O’Dair. Different Every Time : The Authorized Biography Of Robert Wyatt. Soft Skull Press 2014

     

    Sonic Boom reducer

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    Bon alors trois choses. Un, Sonic Boom sort un nouvel album, All Things Being Equal. Deux, Shindig! en tartine deux pages dans sa rubrique It’s A Happening Thing. Et trois, Sonic Boom choisit le pire moment pour en faire la promo : il prévoit de venir jouer à Paris en pleine épidémie de peste noire. Ah comme le destin peut parfois se montrer cruel ! Il est loin le temps des cerises quand les lilas couraient jusque sous nos fenêtres, le temps où nous allions gaiement badiner au long des quais jusqu’au Petit Bain, cette aimable barge cubiste amarrée au pied de la bibliothèque François Mitterrand qui, faut-il vraiment le rappeler, fut élu en l’an de grâce 1981. À présent, le ciel au dessus de la Seine est noir de corbeaux, leurs milliers de cris nous glacent les sangs, l’épouvantable odeur des corps pestiférés qu’on jette sur des bûchers à l’angle des boulevards nous oblige à nous masquer le visage, des rats s’en viennent par dizaines courir entre nos jambes et tout autour de nous apparaissent les signes irréfutables de l’écroulement d’une civilisation qu’on croyait indestructible - car chrétienne, nous disaient les crétins - Foulons-nous le seuil de cette fameuse fin du monde qu’appelait Nietzsche de tous ses vœux ? L’Occident va-t-il s’effondrer comme un vulgaire château de cartes ?

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    Les questions affluent comme autant de rats entre les jambes. Et ça continue : est-ce bien le contexte opportun pour feuilleter Shindig! ? Alors que les odeurs qui remontent par les fenêtres rivalisent d’âcreté avec celles des fours d’Auschwitz, on implore les celestial opportunities de nous procurer un semblant de répit. Shindig! nous montre Sonic Boom planté dans un vallon que réchauffe un beau soleil rasant de fin de journée. Il semble serein. On peut même dire qu’il rayonne. Il explique qu’il vit au Portugal depuis quatre ans. Il dit faire pousser des légumes dans son jardin et préférer les figues du coin plutôt que celles provenant de l’autre bout du monde. Bon d’accord, Sonic, tu es bien gentil avec tes légumes et tes figues, mais on n’est pas là pour entendre parler de légumes du jardin et des figues du bout du monde. Sans monter la moindre trace de confusion, il se reprend et embraye sèchement sur le nouvel album, le premier Sonic Boom depuis trente ans. Dans ses nouvelles chansons, il dit traiter de thèmes sérieux comme la mortalité et la conscience. Mais aussi des plantes et des figues. Il est convaincu que les plantes et les figues jouent un rôle capital dans la vie moderne, mais il se défend bien d’être devenu un hippie. Ce n’est pas demain la veille qu’on le verra avec les cheveux sur les épaules en train de se gratter les couilles sur son perron. Il veut faire de l’electro organique, voilà son dada, avec un synthé monophonique et une herse à décalotter les betteraves qu’il vient de racheter à Pedro da Silva, un paysan rustique du voisinage. On ne peut pas faire de l’organique autrement, précise-t-il, pour le cas où on se poserait la question. Le meilleur exemple est «Just A Little Piece Of Me», un cut puissant qu’il farcit d’orientalismes de bas étage - Burry me beneath a tree/ Let its roots grow into me/ Let it grow and then you’ll see/ Just a little piece of me - Au lieu de faire cramer les cadavres de pestiférés, les imbéciles de la voirie municipale feraient mieux de suivre les conseils organiques de Sonic Boom et de les enterrer sous les arbres du Jardin des Plantes. Au moins, ça servirait à quelque chose. Sonic Boom rappelle aussi pour ceux qui ne l’auraient pas compris que la mortalité concerne tout le monde. Il veut dire par là que personne n’y échappe. Donc ça ne sert absolument à rien de s’en formaliser. Il se dit lui-même le premier concerné. Attention, son fatalisme enjoué ne s’arrête pas là : selon lui, un musicien passe sa vie entière à retravailler la même idée. Entre Spacemen 3 et «Just Imagine», il ne voit aucune différence. La seule évolution dit-il concerne la façon de retravailler la même idée. Pour la choper, il utilise la métaphore de la tapette à souris, ce qui nous ramène aux rats qui grouillent sur les trottoirs, en bas, dans la rue. Comme s’il fonctionnait à jets continus d’adrénaline, Sonic Boom déclare qu’il sait ce qu’il fait depuis le début. Mais il ne cédera pas à la vantardise de nous parler de vision. Il préfère modérer son propos en nous parlant de perspective : «J’essaye de rendre les choses intéressantes.» Il adore le rock à guitares, mais il adore aussi explorer d’autres sons et faire en sorte que ça reste frais. Et pour que ça reste frais, il faut dit-il régulièrement se laver le cerveau. Tripper et voir ce qu’il y a dans le trip. C’est le seul moyen d’obtenir une nouvelle perspective. Par exemple écouter un truc qu’on connaît comme si c’était la première fois qu’on l’écoutait. Cette perspective porte un nom : la psychedelia. Pour lui, elle est indissociable de la culture moderne.

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    Il est vrai que «Things Like This» sonne comme un coup de génie aventureux. C’est même une invocation du glam spirit. Il gère son truc à la trompette Sonic, c’est du glam de gloom, avec la même niaque que celle de Lawrence d’Arabie. Il jette tous les démons du glam dans la culotte de son electro. C’est un chef-d’œuvre. Tout le glam spirit de Sonic est là, dans les clameurs. Il est le roi incontestable des effets patentés. Rien de plus glammy ici bas. L’autre énormité d’All Things Being Equal s’appelle «The Way That You Live», du Boom mélodique et powerful. C’est vrai que dès l’ouverture de bal, on tombe dans la dimension du maître. Voix posée et son idoine. Il reste égal à sa légende, heavy on the run, avec tous ses copains spoutnicks.

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    Ce qu’il aime dans le synthé, c’est le fait qu’on ne sache pas à quoi l’instrument ressemble. C’est cette dimension abstraite de l’instrument qui l’excite. Pour lui, ça ne correspond à rien de ce qui existe sur terre. Ce qui rend l’acte de composer très compliqué. Il dit en baver. Chaque fois qu’il se prépare à composer, il se crache dans les mains et s’arme de courage. Il compte beaucoup sur la chance. C’est la raison pour laquelle on entend des bruits bizarres dans le dark «Spinning Coins And Wishing On Clovers», des bleeps égarés et des drones de derrière les fagots, c’est d’ailleurs à ce moment-là que s’ouvre son troisième œil. Il joue décidément sur tous les tableaux, il prend une voix de robot pour «My Echo My Shadow And Me», mais il finit par s’externaliser. Il va dans des trucs qui n’intéressent que lui. Il se perd dans les machines d’«On A Summer Day» et décide de jeter l’ancre dans l’electro. Il développe une belle énergie punitive dans «I Feel A Change Coming On», il fait le pygmée dans une orgie d’electro, c’est du grand bim bam Boom, il ne recule devant aucun sacrifice. Il mène sa danse avec une classe effroyable.

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    Et pour conclure sur cet épisode des années de peste, on apprend cette semaine que le concert prévu le 7 octobre au Petit Bain est comme tous les autres devenu chimérique. Il semble que le concert soit reprogrammé l’année prochaine. L’incertain de cette incertitude colle bien à l’esprit nouveau de nos temps incertains. Il ne nous reste plus qu’à nous ronger l’os du genou et à cultiver la nostalgie d’un temps où nous pouvions gauguiner paisiblement au long des quais de Seine.

    Signé : Cazengler, Sonic boue

    Sonic Boom. All Things Being Equal. Carpak Records 2020

    Julian Marszalek : Celestial opportunities. Shindig! # 104 - June 2020

     

    CHÂTEAU-THIERRY / 10 – 40 – 2020

    PUB LE BACCHUS

    TRASH HEAVEN / SPHERE

    robert wyatt,sonic boom,trash heaven,spheres,ady & the hot pickers :erszebeth stupör mentis,rockmbolesques

    A la nouvelle teuf-teuf de faire ses preuves. Complètement bourrée d'électronique, à peu près autant qu'une fusée interplanétaire, l'on n'arrête pas le progrès, ne sommes-nous pas à l'ère des frigos intelligents, nous devenons des assistés, ne reste plus qu'à attendre la catastrophe généralisée et le retour à l'âge des cavernes, cette heureuse époque où l'on ne pouvait pas faire trois pas sans se faire marcher sur les pieds par un troupeau de mammouths laineux, un animal idéal pour se tricoter un chandail pour l'hiver. Miracle de la technologie l'on arrive à Château-Thierry, le voyage ne fut pas une sinécure, dans la Marne désertique la seule radio audible présentait une rétro-perspective des Cure. Va falloir que la nouvelle treuf-treuf-tuture fasse des progrès en rock culture !

    Les Castrothéodoriciens sont des gens bizarres, en ces temps de famine concertique Sabine et Fabien leur offrent sur un plateau deux groupes de rock, et ils ne sautent pas sur l'opportunité, la frousse covidique les a-t-elle poussés à renoncer à vivre ! Pas une foule à la hauteur des deux sets de haute intensité qui suivent !

    TRASH HEAVEN

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    Ne viennent pas de loin. Mais de Laon. Ne sont ni longs ni lents à subjuguer le public. Z'ont mis la batterie dans l'encoignure, Jean ne nous en sert pas pour autant des rognures, l'a la frappe flexible et de l'allonge, on ne le voit pas, mais on l'entend, z'avez l'impression d'assister à l'histoire du petit renardeau innocent qui court de toutes ses forces devant la chasse à courre qui galope sur ses talons, quand vous écoutez de plus près vous êtes obligé de reconnaître que c'est un vieux goupil infatigable qui connaît la musique et qui mène la farandole de ses poursuivants dans des lieux impossibles, passe par dessous les fourrés d'épineux impénétrables et sous les ramures les plus basses pour désarçonner les cavaliers. Bref ça cavale à un train d'enfer.

    A gauche vous avez Chuc, l'a la guitare tonitruante, des riffs épais comme des chênes centenaires qu'il abat sans rémission, tombent par séries en un fracas impossible, agit par lots, vingt d'un coup, vous laisse un moment de répit, et recommence sans trop tarder non plus, l'on sent qu'il n'est pas un adepte du hard mou, ni du heavy trash mollasson, qu'avec lui l'on ne chôme pas les jours de paye, surtout que Mick à l'autre guitare n'a pas une touffe de poils dans les mains. Nous y reviendrons, en attendant intéressons-nous à Fabien, l'est à la basse, l'a hérité du rôle le plus ingrat, c'est que le hard de cette pourriture heavennique n'est pas un moment de tout repos. Quand ils abordent les premières mesures d'un morceau, vous entrevoyez l'aventure, pourriez dessiner la maison les yeux fermées, le plan avec tous les détails et toutes les cotes, mais au bout d'une minute, votre tâche se complique, changement de direction, c'est là que le Fabien entre en jeu pour négocier les virages, des espèces d'épingles à cheveux à direction multiples, vous n'êtes plus dans un deux pièces-cuisine mais dans un labyrinthe à angles droits mouvants. On ne nous avait pas prévenus que l'entrée au paradis était précédée de chicanes à négocier à la vitesse d'une formule 1, ce n'est pas que vous ayez une surprise à tous les tournants, c'est que la route part dans tous les sens et que nos gaziers électriques négocient les sextuples S en rigolant.

    Vous attendez Saint-Pierre et vous vous avez le minotaure qui se porte à votre rencontre dès l'entrée. Ne tremblez pas, il n'est pas méchant, quoique sa guitare n'est pas gentille, pas mégaphonique, mais vrillante, s'insinue en vous et commence à forer dans votre cervelle, Mick possède un bel organe, une voix jouissive, elle fait son trou dans la musique aussi facilement que les démoniaques et conspirationistes chemtrails des avions supersoniques s'inscrivent dans le joli ciel bleu, donc pas malveillant et terriblement efficace. L'est tout sourire, l'a le verbe haut et franc, jovial, aussi sympathique que le chirurgien qui vous affirme que votre bobo disparaîtra en moins d'une minute, une intervention de rien du tout, une trépanation sans endormissement, vous êtes en confiance, vous vous allongez sur la table d'opération et c'est alors que tout change subitement Doctor X devient fou à lier, l'a avalé toutes les Hard Drugs du monde et bientôt vous réalisez qu'il est en pleine Dementia, son rire hystérique, ses voix multitimbrées, oui l'a la Beast inside et vous êtes la victime consentante, vous adorez cette espèce de psychotique en plein délire, son vocal à tons foisonnants vous aide à passer de l'autre côté, vous êtes Out of Time, et c'est-là une fois que vous n'avez plus besoin de cogner à la porte du paradis puisque l'huis s'est ouvert rien que pour vous, que vous vous apercevez que ce lieu dont vous avez rêvé toute votre vie, ce but inatteignable, cette destination impossible, se révèle n'être qu'un asile d'aliénés, que n'y sont admis que les détraqués de la cafetière, et que pour la première fois de votre existence vous vous sentez bien et surtout compris. Mick en est le médecin chef, lui et ses infirmiers vous torturent fort agréablement, passent leur temps à vous faire subir des électro-chocs à forte dose, s'amusant à varier l'intensité du courant, vous adorez.

    Trash Heaven renouvelle le hard. Quoi cette forme dépassée, cet ancêtre dinosaurien du metal dont plus personne ne parle ! Exactement celle-là, vous la dépoussièrent, rien à voir avec ces coups de peinture hâtifs pour donner à l'ancien monde l'apparence du nouveau. Ne vous font pas le coup de la refonte totale, ne se collent pas l'étiquette ''hard''sur leurs blousons, pour acquérir une respectabilité compensatoire, non ils vous prennent le taureau par les cornes, vous le malmènent salement, se réapproprient les anciens patterns et les font bouger. Leur redonnent vie, leur insufflent une énergie et une puissance nouvelles, en accélèrent les tempos, les délivrant ainsi de leur pachydermique pesanteur académique, un jeu subtil de déconstruction qui vise non pas à détruire mais à tracer des voies inexplorées à qui personne avant eux n'avaient songé. Des novateurs.

    Sont parvenus à mettre le feu à un maigre public et se sont retirés sous une salve d'applaudissements enthousiastes et approbatifs. La semaine prochaine, je vous refile la kronic de leurs deux CD's. Un groupe à suivre.

    SPHERES

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    Changement d'atmosphères. Vous savez ce que c'est qu'une sphère. Une boule impénétrable. Vous frappez dessus tant que vous voulez, elle vous refusera l'entrée. Se suffit à elle-même. Sa courbure infinie vous tourne le dos. Vous relègue dans un ailleurs dont elle n'a aucune utilité. A l'intérieur ce n'est guère mieux. Parménide nous a appris que l'on ne pouvait pas en sortir puisqu'elle contient l'entière totalité de ce qui est. Cette fois nous faisons mieux que l'auteur du Poème, nous en avons trois devant nous. Batteur, guitariste, bassiste. Auto-suffisants. N'y en aurait eu qu'un seul présent sur l'estrade que l'on aurait écouté tout de même. Des autonomes. Si l'on nous avait alertés on aurait pris soin de se faire greffer une oreille supplémentaire, car il est difficile de les écouter ensemble. D'ailleurs en faudrait une quatrième pour cette tâche complémentaire. Car ici le résultat offre un total supérieur à l'addition des trois parties. Résultat : une espèce d'alliage de prog-funk-metal inaltérable capable de résister aux rigueurs du froid absolu du vide inter-sidéral des confins de l'univers comme de traverser sans dommage les explosions atomiques des soleils les plus incandescents. N'ont-ils pas des morceaux qui s'intitulent Stars ou Mars ?

    Instillez une goutte de funk dans n'importe quel style de musique et tout de suite la section rythmique prend le dessus. La basse broute. L'on dirait que les notes se précipitent d'elles mêmes sur les cordes, un lâcher de milliers de colombes, ne souriez pas béatement, car pour chaque palombe enfuie, une balle la rabattra immanquablement à terre, donc vous avez droit à la bestiole volatile et au coup de fusil meurtrier qui l'abat, les deux en même temps, ce qui donne cette impression de rebondissement sonique incessant, des images d'un film qui sautent, vous ne savez pas ce qu'elles représentent mais elles apportent la preuve qu'il est en train de défiler sous vos yeux. Il y a une raison à ce tressautement incessant du jeu de basse qui semble se marcher sur les cordes à chaque note.

    A cause de la batterie. C'est que celle-ci, elle prend son temps. Elle espace ses coups. Rien de plus intello que ce type de batteuse. Une hésitation mûrement pensée et calculée entre deux battements. Quel paquet de riz choisir parmi les cinquante de la gondole du supermarché, faut soupeser le pour et le contre, prendre son temps pour se décider. Le batteur se désintéresse totalement de l'osmose rythmique avec la basse, il réfléchit, il suit sa propre logique, il est seul au monde, la basse n'a qu'à s'adapter, c'est pour cela qu'elle se hâte d'envoyer du son, par saccades compressées, par rafales ininterrompues, elle se presse, pour ne pas rater une seule fois l'occasion de squatter l'espace libre que les tambours lui laissent dans les contretemps, sans du tout penser à elle. Du moins apparemment.

    Deux solitudes qui se télescopent, pour le spectateur c'est magique, cette précipitation heurtée s'immisce en son rythme cardiaque telle une drogue et en prend possession. Vous vibrez sans fin, et vous n'avez plus besoin de rien. Le guitariste peut se faire du souci, chaque mètre carré est miné, il lui est impossible de se glisser là-dessus. Souvent dans le funk de basse-qualité aux hormones cancéreuses la guitare imite la basse. Mais ici nous sommes dans du funk-metal, et du metal sans guitare c'est comme quatre pattes rayées sans le reste du tigre qui va avec. Alors elle arrive, de grandes ondées, des averses diluviennes qui renvoient les deux autres acolytes dans les entrepôts des objets trouvés, certes basse et batterie continuent leur trépidations, mais les giboulées guitariques les relèguent en forces d'appoint, la guerre se gagne toujours dans les tranchées de première ligne. Et chez Sphères le guitariste s'est en plus adjugée la voix, c'est lui qui parle au public, qui établit le lien de sympathie destinée à ce que cette musique qui avance sur vous telle la moissonneuse batteuse qui fauche inéluctablement les épis de blés condamnés à mourir ne vous paraisse pas comme l'image mortelle de la grande faucheuse terminale qui chemine d'un pas tranquille vers vous... notre homme conduit aussi le chant, fort, violent, grondeur, grouillant de vie et d'émotions qui monopolise l'attention, et vous fascine tels les yeux du serpent.

    Une musique difficile, car chez Sphères l'on s'interdit la monotonie à outrance, on innove, on surprend, on en met plein la vue, on ne triche pas. Quand ils terminent, un manque se crée en vous, vous ne pouvez plus supporter ce silence musical, vous êtes le chien à qui l'on a retiré son os que vous mastiquiez depuis une heure, alors les voix s'élèvent, une autre, un dernier, et la machine repart. De longues minutes. Eternelles en elles-mêmes. Toujours trop brèves.

    Damie Chad.

     

    *

    Le Be Bop de Montereau n'existe plus maintenant, mais c'est là où nous avons rencontré pour la première fois in december the first 2012, Ady. ( Voir notre livraison 121 )N'était pas seule, elle avait emmené sa Gretsch rouge et deux copines avec qui elle avait formé les Jallies, y avait un gars aussi, mais dans un groupe à dominante féminine il n'avait pas droit à la parole. Les Jallies tournent encore, toujours trois filles mais deux gars. Comme quoi le garçons ne comptent pas pour des citrons. Ady a quitté les Jallies et s'est installée en Touraine... On a revu Ady au Nell' Pub, facile à trouver, en face de l'ancien Be Bop, n'était pas seule, l'avait emmené ses ramasseurs de coton, notez bien notre adjectif possessif, car she's the boss. Une belle soirée, c'était le 27 octobre 2018 ( livraison 391 ). L'était repartie en Touraine, on l'imaginait jouant de la viole dans son château de Chenonceau. Contrairement à nos supputations gratuites et insidieuses, loin de la Seine & Marne, elle ne marne pas mal, au moins dans trois groupes, les Coton - pas de Tuléar comme mon chien – ceux qui piquent dont il va être question, les Jinets avec Vanessa des Jallies, et The Jake Walkers, dont nous n'avons jamais parlé ce qui est une erreur dramatique, elle est aussi active dans d'autres projets, mais concentrons-nous sur ce disque de Ady & The Hop Pickers. Devait sortir au printemps. Vous connaissez la suite des évènements. La release party, est fixée au vendredi 23 octobre, au Grand Cagibi de Tours si par hasard vous auriez envie d'y faire un tour.

    ARE YOU READY GUYS ?

    ADY & THE HOP PICKERS

    ( Records Freight / 2020 )

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    Ady : chant guitare / Sébastien Brossillon : batterie + Dann-Charles Deneux / Bastien Flori : contrebasse /

    Les filles ne sont plus ce qu'elles étaient. Je m'adresse ici à la gent exclusivement masculine, oh, les gars, est-ce que vous ne ressentez pas le titre de cet album comme un défi ? Je dis ça, mais je ne dis rien. Et sa guitare qu'elle vous assène sur la pochette comme si elle se reposait sur une hache d'abordage, et son escarpin rouge, qu'elle exhibe au premier plan, telle une invitation à déposer dessus un baiser de soumission, non mais pour qui elle se prend, Ady et ses hydrophiles ont intérêt à assurer.

    We can do it : ce titre n'évoquerait-il pas un certain american poster que l'on retrouve dans nombre de publications féministes... Pas le temps de nous appesantir, ça rocke dès la première note, et Ady vous porte l'étendard du vocal comme Bonaparte sur le Pont d'Arcole tenait haut et fort son drapeau, tel que l'a immortalisé Horace Vernet, l'assurance déterminée du héros ( pardon de l'héroïne) sûr de vaincre. Par contre les Hop nous jouent un tour de cochon. Alors que l'on est parti les doigts de pieds en éventail sur le guidon du vélo qui dévale la montagne, ça s'arrête brusquement et les gars vous font les jolis chœurs, alors Ady vous les remballe faut voir comment, reprennent vite les pédales et souquent ferme, pas de panique il y en a encore pour deux minutes de bonheur, sacré boulot à la rythmique, Ady vous bouffe tout cru et personne n'a envie de se plaindre. Irréprochable. Swing des hanches : une compo du temps des Jallies, swing sensuel, à la mode de l'ancien temps, avec une dorure de cuivre sur tranche, ( drugs, sax et rock'n'roll marchent souvent ensemble ), c'est doux mais ça wape dur, les boys derrière sont impeccables, même quand Ady s'envole dans un charleston agrémenté d'une gousse de jazz qui vous enflamme le cortex. En catimini remarquez le travail de Bastien Flori qui n'effleure pas les passes essentielles, sait se faufiler partout où il faut celui-là. The way you do : vous prend sa voix américaine Ady, et les Hop très hot y vont chaud coton, une guitare qui minaude, et par un jeu de cymbales le rock se transforme en jazz de la mort pour redevenir, bonjour le tour de passe-passe, rock'n'roll avec Ady qui miaule comme un chat abandonné par son maître sur les toits pendant qu'au loin résonne la sirène des pompiers qui viennent le secourir. Décidément mille manières de le faire. Morceau des anamorphoses continues. Un prodige. Money : tiens en parlant de chats, ça vous envoie le riff emblématique des Stray, et puis plouf on s'en évade ( ne pleurez pas on y reviendra ) c'est Ady qui monte sur ses grands chevaux, veut une nouvelle TV tout de suite, vous aiguise sa voix pour exiger une pink Cadillac, ça ne doit pas marcher car elle s'énerve méchant. Le Brossillon au métronome carillonne. What a girl : un bon vieux fond de rockab, les gars font tout ce qu'il faut, à chacun son quart de minute de gloire, mais c'est le vocal qui emporte le morceau, Ady vous crache le rock à la cravache, quel punch et surtout quelle fille ! Walking : chaque morceau vous prend à revers, Ady a attrapé la fièvre qui s'empara de Peggy Lee, voix dure et flexible, sensuelle, les gars empruntent les patins pour ne pas faire de bruit, un morceau joué à l'élastique jazzy, belle orchestration, mais Ady vous dévore l'âme dès qu'elle prononce le mot soul. Vous marchez à tous les coups.

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    Johnny the rapist : retour au rock, Ady est comme ces speakers qui mettent tant d'émotion dans leur micro qu'ils vous transforment un résultat de sixième division footeuse en catastrophe internationale, les Hop au top vous micmaquent tellement d'intensité et d'emphase dans cette histoire que vous enfilez votre costume des grands-jours pour accompagner le dénommé Johnny au diable, ou ailleurs. L'accompagnement suintant ne vous met pas en joie, mais comme l'a dit le président Mao le rock'n'roll n'est pas un dîner de gala. Une petite merveille. Fière comme un homme : rythmique jazz vindicative et bien appuyée, mais les paroles priment sur la musique, hymne féministe. L'on pourrait gloser à l'infini pour savoir si une femme doit être fière comme un homme ou comme une femme. Mais l'important c'est la revendication libertaire d'être ce que l'on a envie d'être. A- Rocking : : Ady triomphe. Rien ne pourra l'arrêter. L'écouter c'est entrer dans la danse. L'accompagnement perfore et vous avez le riff qui vous pousse au cul, plus le rire d'Ady qui vous oblige à vous surpasser. Red Wine : contre la bêtise humaine un seul remède, la folie de l'ivresse, hymne à boire à longues goulées insatiables, une chanson à téter goulument de toutes ses pores. Un peu kermesse Pogues, beaucoup de joie de vivre. Stop ! : le problème c'est que personne n'a envie de s'arrêter, Ady vous pousse au vice, au crime, à tout ce que vous n'avez jamais eu l'idée de faire, un beau capharnaüm musical derrière, ça siffle comme des langues de belle-mères et ça finit en apothéose. Rosemary & Jack : jumpin' jazz, la contrebasse halète, Ady vous entraîne dans une drôle de valse, les guys flonflonnent un peu pour mieux vous entraîner dans la danse du diable. Nos ancêtres savaient prendre du bon temps. Quatre morceaux à la suite pour les joies et les suées du lindy hop ( Pickers ). Queen of rock'n'roll : le morceau qu'Ady adorait chanter lorsqu'elle était avec les Jallies, et apparemment elle aime encore cela. S'y donne à fond. Final en beauté. C'est vraiment la reine mais ses cueilleurs de coton sont les piliers du régime. Sec. Déménagent un max.

    Chaque morceau épouse la trajectoire d'une boule de flipper, vous croyez qu'elle part par exemple tout droit vers la cible rock et hop, on ne sait par quelle intervention maléfique elle effectue une stylistique glissade temporelle inattendue, vingt ans en arrière et puis comme Alexandre Dumas vingt ans après, Ady et ses damnés Hop Pickers ont juré de vous faire perdre la boule, vous ne savez plus où vous en êtes, mais à chaque fois vous vous émerveillez de la trouvaille. Vous ignoriez que le ramassage de coton était un sport de glisse, avec dérapage et carambolage maîtrisés au millimètre. Désormais vous serez au courant. Rien à dire, cette bandes de loustics sont des experts, s'y connaissent, z'ont toute l'histoire de la musique populaire américaine dans les doigts et la voix. S'en amusent. Mais toujours avec un total respect. Follement original.

    Pour une fois qu'une fille réussit à faire mieux que les mecs – elle triche un peu car elle en pris deux avec elle, pas le genre figuiers stériles – chapeau bas et genoux à terre.

    Damie Chad.

     

    PAIN ( T )

    ERSZEBETH STUPÖR MENTIS

     

    Erszebeth est engagée en diverses aventures. Dans notre avant-dernière livraison ( 478 ) nous avons rencontré une de ses facettes, l'artiste lyrique. En essayant de dénicher une photo pour illustrer la kronic de trois morceaux du disque Prometheus Unbound texte de Percy Bysshe Shelley mis en musique et interprété par le duet Stupör Mentis, j'ai découvert sur son FB l'album photo de ses peintures. Pas un nombre impressionnant, vingt tableaux, mais qui doivent lui tenir à cœur, à corps et à esprit, car elle fait précéder de deux brèves lignes qui en disent plus long que bien des romans :

    many paintings are under construction since 10 years and will certainly

    never be ended ...or turned into quite different paintings when I need canvas

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    Lorsque apparaît ( sur la galerie photos de son FB : Erszebeth Stupor Mentis) la mosaïque des vingt toiles représentées, une première constatation s'impose, c'est que l'idée préconçue que l'on avait hâtivement construite en regardant l'iconographie de ses supports de communication et une partielle écoute de ses productions musicales, ne tient plus la route. Nous pensions que nous allions être confronté à un travail pictural au noir, dark and obscure, et c'est la dominante rouge qui flamboie. Pourtant même le titre générique de l'ensemble tend à nous induire en erreur, cette lettre T entre parenthèses qui s'accroche au Pain initial, qui adoucit la peine en peinture serait-elle à lire, telle la poésie de charognarde incarnation combustoire de José Galdo dans ses Extraits de l'Ex-être qui la définit comme le tau de la torture, l'étau qui comprime la chair et la fait saigner... Sans doute convient-il de s'interroger sur la signification de cette œuvre au rouge qui ne serait pas une résolution alchimique.

    Ne serait-elle pas à envisager comme le bal des ardences, et pour ne pas s'abriter devant un terme trop générique, le bal des ardentes, et pour ne pas cacher le frêne yggdrasilique derrière la forêt du pluriel des arbres anonymes, le bal de l'ardente, en sa peinture figurative. Au sens propre du terme, en lequel transparaissent des silhouettes et des visages féminins. A croire qu'Erszebeth ne peint que sa propre auto-représentation. Sur l'avant-dernière toile, s'affiche un animal, mais il est à déchiffrer comme l'effigie de la bête cachée en le beth terminal de son prénom. Car la maison est au bout du chemin. D'ordalie. Sans doute revient-on souvent sur ses pas. Erszebeth nous l'explique dans ses deux lignes introductives. Elle se sert d'une toile qui ne la satisfait pas pour en recommencer une nouvelle. Beaucoup ne sont pas achevées après dix ans de travail.

    Galerie 1 à 10

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    Une œuvre qui lui tient à cœur, et à corps. L'offrande d'un long cri silencieux. Ce qui est indéniable c'est qu'Erszebeth use du tableau comme d'un miroir, elle se pose devant et le pinceau essaie de saisir la forme qu'elle projette. Parfois elle est indistincte. Au début c'est un fantôme qui se devine, porte-t-il une barbe blanche comme la sagesse de Merlin – l'on se voit souvent sous un jour plus favorable que la réalité – ou ce rideau blanc qui pendouille n'est-il que la frontière qui nous sépare de notre disparition. Tout se brouille, du macro au micro, du télescopage de nébuleuses inter-galactiques aux remous de lave volcanique fusionnelle intérieure, à moins que ce ne soit, de la remontée embryonnaire de l'ensemencement avant de naître au fœtus protecteur avec ses airs de catafalque égyptien, être môme avant de finir momie.

    Les temps ont passé. Presque vieille. Femme en noir. Femme en deuil de sa propre féminité, sorcière ou bonne sœur, dans les deux cas quelque part à côté du bonheur bleu de la vie. Déjà diablesse. De toutes les couleurs. Cheveux hérissés aux portes de la folie. Encerclée et brûlée de ses propres flammes. Auto-combustion. Ne vaudrait-il pas mieux se cacher, s'effacer, se barrer de ce dialogue de carmélites, cette opposition insupportablement stérile entre le mal et le bien. Se reprendre être soi, uniquement soi, les cheveux dressés de haine à l'encontre du monde et de soi-même, cette blessure rouge au cœur, et ce troisième œil ombilicien si près du sexe. Le grand trauma. L'évanouissement des formes, l'entremêlement généralisé, une régression vers l'infantilisation de l'aventure picturale, barbouillis et barbouillage, ou alors le chef-d'œuvre de Frenhofer dans Le chef-d'œuvre inconnu d'Honoré de Balzac. La peinture touche à sa propre non-représentation, le peintre n'est-il pas confronté à sa toile comme le penseur adossé à la cheminée tourne le dos à la mort. Retour au réel. Encore incertain. Encore flou. Tremblé, un plan ogival de scène de film gothique, l'on a touché le néant et l'on a vite dressé un décor, un faux-semblant, un trompe-l'œil qui ne trompe personne, surtout pas Erszebeth.

    Galerie 11 à 20robert wyatt,sonic boom,trash heaven,spheres,ady & the hot pickers :erszebeth stupör mentis,rockmbolesques

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    Les toiles se suivent et apparemment rien ne justifie la coupure que nous opérons, à part que l'auto-illumination rimbaldienne devient manifeste, et que cette seconde moitié ressemble par la stridence éclatante de ses oranges pompéiens à l'incendie final par lequel Frenhofer boute le feu à ses toiles. Changement de statut métaphysique. Exhaussement en un feu élémentaire, celui qui par ses flammes les plus subtiles touche à la pourpre éthérique des Dieux. Des mots vert-cru échangés par des masques uni-sexe tandis que dans l'ombre s'engloutit la forme allongée de celle soumise aux gémonies de l'indistinction finale. Résurrection, ombrale. La salamandre rayonne dans la fournaise. Les flammes arborent le bec crochu des aigles divins, et étrangement la toile baigne dans un calme alcyonique. Est-ce l'instant suprême de l'extase durant lequel l'Un et l'Autre anéantissent leurs différences pour se fondre dans la dyade métallique de la pierre rouge et philosophale. Retour à l'état fœtal, qui rime si bien avec létal. Scarabée sacré enfermé dans sa carapace.

    La décrue survient par paliers. Désagrégation lente. Nous avons quitté Le domaine d'Arnheim, nous voici dans La Philosophie de l'ameublement, ainsi parle Le masque de la mort rouge d'Edgar Poe. Quelques notions de droit sont ici nécessaires, en opposition aux biens meubles les maux-meubles ne sont autre chose que nos existences que nous déplaçons à notre guise dans la maison de notre vie. Tout est là, la blessure au cœur révélateur de l'exigence masochiste de nos souffrances, la cambrure de nos victoires aussi hautes que la silhouette des girafes et surtout, centrale, l'ombre blanche du désir, celle des abandons sacrilèges de notre moi à l'autre tu. Après la lumière, l'éteignoir. Le cœur n'est plus qu'un morceau de viande rouge, l'une s'éloigne fièrement tandis que la figure contemptrice du remord se referme sur elle-même. Misérable dichotomie humaine !

    Bonjour tête de méduse dans l'auréole hérissée de tes cheveux vitupérants, n'es-tu pas selon tes yeux cruels la figure épouvantable du ressentiment d'être née, femme telle que tu te montres dans ta chevelure d'orage, tes bras de serpent et la nudité de tes seins troués et l'embrasement charnel de ton corps de Walkyrie qui engendre ce cercle de feu dévorateur de ta présence au monde. Et te voici enfin, quasi-photographiée, juste ta tête, un selfie en compagnie de tes masques trophées, fétiches fridéens affichés sur un mur de flammes, grimaçants de souffrance et de menace. Et cette forme de jade qui coupe la toile en deux tel un scolopendre galbé de courbes féminines. Je suis plus verte que l'herbe écrivait Sapho pour chanter la force du désir.

    La bête écarlate est lâchée. Elle est sortie d'elle-même, elle court le monde. Elle porte figure humaine. Inapprivoisée, sûre d'elle, femme centaure ni reproche dans les pâturages d'elle-même. Et la dernière qui clôt la série. Désignée '' a lost one'', la toile perdue, au premier abord indistincte mais lorsque l'on grossit la mire, apparaît un visage de femme, sonne-t-elle l'olifant de sa présence, joue-telle du pipeau, n'est-ce pas au juste quatre visages et les runes blanches entremêlées ne sont-elles pas formées des lettres qui balbutient le nom Erszebeth. La signature qui se cache pour marquer une insatisfaction profonde.

    Celle de n'avoir su exprimer à sa juste mesure l'être de sa présence au monde. N'avons nous pas discerné en ces vingt toiles deux séries de dix qui content par deux fois, une même histoire, le seul récit qui soit digne de nous parvenir, le palimpseste d'un échec métaphysique. Qui nous dépasse. Qui nous englobe. Autant dire une peinture munificente, lancée à la poursuite d'un absolu pictural. Offertoire de vitraux gothiques pour une église à détruire. Une peinture qui brûlera votre regard. Pour mieux éclairer vos ténèbres intérieures.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

     

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    puisque vous savez pourquoi

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    7

    THANATOS...

    Trouver l'adresse du facteur n'avait pas été difficile, à la poste du quartier où nous passâmes en coup de vent nous sommes tombés sur une réunion de ses collègues qui organisaient une collecte pour les obsèques. C'est dans trois jours précisèrent-ils. Nous ne leur avons pas filé un bifton car nous estimons avoir davantage besoin d'argent qu'un macchabée, si sympathique fût-il. Nous arrêtâmes la voiture devant une modeste villa de la banlieue sud. Nous sonnâmes à la porte qui ne fut pas longue à s'ouvrir, apparut une jolie blondinette aux yeux rougis dont le visage s'illumina dès qu'elle aperçût Molissito.

      • Entrez, je vous prie, je vous reconnais, sans vous avoir jamais vus, Alfred, snif-snif ! m'a beaucoup parlé de vous, surtout des chiens d'ailleurs, il adorait les bêtes et il m'a raconté les petits apéritifs matinaux de dix heures et demie que vous lui offriez. Snif-snif !

      • Madame, nous vous remercions de votre accueil, notre visite est des plus officieuses, - j'admirais la voix onctueuse et professionnelle du Chef - vous nous ferez un grand plaisir de n'en parler à personne, nous cherchons à retrouver l'assassin de votre mari, mais avant tout êtes-vous bien seule ?

      • Oui hélas, monsieur, juste le cercueil d'Alfred dans la chambre, ils me l'ont livré à cinq heures du matin, mais ils m'ont dit de ne pas l'ouvrir si je voulais garder un bon souvenir, cette meute de chiens féroces l'a décapité et ce n'est pas beau à voir. Mon pauvre chou, j'aurais bien aimé l'embrasser une dernière fois. Snif-snif !

      • Madame, je crains que l'on vous ait menti, restez dans cette pièce, nous allons procéder à quelques vérifications

      • Je vous suis messieurs, là où est Alfred je serai,mais appelez-moi Thérèse, snif-snif !

     

    La scène qui suivit fut très éprouvante. Les lecteurs sensibles s'abstiendront de lire ce paragraphe, Le Chef commença à par allumer un Coronado, juste pour couvrir les mauvaises odeurs expliqua-t-il, puis tirant de sa poche un cure-pipe - le Chef me surprendra toujours – métallique, il entreprit de dévisser le couvercle du cercueil... l'on entendait le crissement funèbre des vis... Thérèse se rapprocha de moi, son corps s'appesantit et je dus la saisir fermement lorsque je sentis qu'elle s'évanouissait.

    L'était beau comme James Dean, sa tête était bien accrochée, n'y avait qu'un petit trou rouge à la base du nez... Thérèse se reprit, l'embrassa pour la dernière fois, je dus l'allonger sur le lit... elle sanglotait... elle m'entoura de ses bras, je lui susurrai quelques mots tendres, je sentis sa joue contre ma joue... je ne pus m'empêcher de déposer un bisou tout doux sur ses lèvres roses... cela lui redonna des forces avec lesquelles elle m'étreignit farouchement, le Chef sortit pour faire taire les chiens qui hurlaient à la mort dans la cuisine... Thérèse s'abandonna totalement...

     

    Thérèse allait beaucoup mieux, elle nous prépara un petit encas pour nous remettre de nos émotions. Nous la bombardâmes de questions, mais non elle n'avait rien remarqué d'anormal les jours précédents. Nous lui montrâmes l'enveloppe rouge, ce qui la fit rougir. Elle ouvrit le tiroir d'une commode qui débordait d'enveloppes rouges.

      • Snif-snif ! C'est Alfred qui me les envoyait, tous les jours, j'avais mon petit mot d'amour dans la boîte à lettres tous les matins, Snif ! Snif ! il les postait pendant la tournée, mais comment avez-vous eu celle-là !

      • Molossito a dû la faucher dans sa poche lorsqu'il était étendu dans la rue, il nous l'a rapportée ! Est-ce que vous reconnaissez son écriture !

      • Oh, oui, snif-snif, c'est bien la sienne !

    Elle se mit à pleurer comme une madeleine. Il n'y avait plus rien à en tirer. Nous décidâmes de repartir. Alors que nous refermions la grille du jardin, elle nous rappela : '' Non, ce n'est rien, avant-hier quand il est revenu pour manger à midi, j'avais légèrement laissé brûler la viande, j'étais un peu vexée, il a ri et alors il a eu cette réflexion stupide qui ne voulait rien dire : '' pas grave, ce n'est pas pire que l'homme à deux mains'', j'ai voulu lui demander ce qu'il voulait dire, mais le téléphone a sonné et je n'y ai plus pensé, snif ! Snif ! Pauvre Alfred ! ''

    8

    CONSEIL DE GUERRE

    Nous étions revenus au service. Les chiens roupillaient dans leur panière, le Chef alluma un Coronado, il arborait un air décontracté qui m'étonna :

      • Agent Chad, c'est très simple : 1 : nous sommes menacés. 2 : le facteur qui voulait nous avertir a été abattu. 3 : nous savons par qui : l'homme à deux mains. Déduction : retrouvons l'homme à deux mains et nous aurons gagné.

      • Euh... Chef, certainement mais des hommes à deux mains il y en a...

      • Des millions, agent Chad, des millions de chances de le trouver. Désormais nous devons considérer tout homme qui possède deux mains comme notre ennemi intime. Déduction : nous devons être impitoyables...

      • Euh... Chef nous ne pouvons pas abattre tout de même la moitié de la population !

      • Surtout pas, il nous resterait encore l'autre moitié de l'engeance humaine à trucider, non agent Chad, nous devons sélectionner notre cible, je compte d'ailleurs sur vous pour effectuer un premier tri !

      • Mais comment Chef !

      • Cela vous regarde. Personnellement je me chargerai des recherches sur internet, oui je sais c'est le plus fastidieux, d'un autre côté l'ordi est plus agréable pour apprécier l'arôme subtil d'un Coronado, sans être obligé de courir aux quatre coins de la terre !

      • Chef et les menaces de l'Elysée, ces gens-là ne nous aiment pas et...

      • Ils nous détestent, agent Chad, et ils détestent le rock'n'roll, je ne serais pas étonné entre nous soit dit que l'homme aux deux mains n'ait quelques connivences avec le Président, d'où la nécessité expresse que demain matin vous me portiez au minimum un début de piste...

      • Euh, Chef, je ferai mon possible pour...

      • Agent Chad assez de tergiversations, vous n'avez pas honte, vous possédez les deux plus fins limiers du monde, alors que moi solitaire dans mon bureau devant mon écran, personne ne peut m'aider, prenez les cabots, récupérez une voiture, et accomplissez votre mission !

      • Bien Chef, tout de suite.

    Je réveillai mes deux lieutenants, enfilai mon Perfecto, vérifiai mon poignard de commando dans ma botte. J'allais refermer la porte, mais la voix du Chef retentit :

      • Agent Chad je vous ai chargé d'une mission facile, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas extrêmement dangereuse. Surtout veillez sur Molossito, ce gaillard a de l'avenir dans le service. Bonsoir.

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 479 : KR'TNT ! 479 : FLASHBACK / BACK FROM THE CANIGO / ROCKABILLY GENERATION + BIG BEAT STORY / VINCE ROGERS' LONG BOX 2 / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 479

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    08 / 10 / 20

     

    FLASHBACK / BACK FROM THE CANIGO

    ROCKABILLY GENERATION + BIG BEAT STORY

    VINCE ROGERS' LONG BOX / ROCKAMBOLESQUES

     

    Flashbackdoor men - Part One

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    Pendant quelques temps, Flashback a participé à la grande surenchère fanzinarde pour gens riches, c’est-à-dire ceux qui collectionnent les disques rares des années soixante-dix, et pour être plus précis, les disques dont personne ne voulait à l’époque. May Blitz ? Ha ha ha ! Mighty Baby ? Ho ho ho ! Aujourd’hui, les ceusses qui les veulent doivent sortir plusieurs billets de 100. Ah comme le destin peut être cruel !

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    Au niveau look, Flashback se positionnait comme le concurrent d’Ugly Things, se présentant sous la forme d’un gros dos carré format A4 de 200 pages imprimé sur couché brillant, c’est-à-dire bien tape à l’œil, alors que Mike Stax veille à imprimer Ugly Things sur un bouffant bas de gamme, pour conserver le chic de zine. Paru en 2012, le numéro 1 de Flashback proposait un article de 20 pages sur Mad River et un autre tout aussi consistant sur Fanny. Mais c’est un autre article qui avait poussé à l’achat, une sorte de panorama consacré à des guitaristes intéressants et le plus souvent méconnus. On lisait en couverture ce titre ronflant : «The 100 most under-rated guitarists of the 1960s & 70s.» Et pour une fois, l’article ne vendait pas du vent, puisqu’on tombait sur des gens comme Paul Rudolph, Joe South, Eddie Phillips, Randy Holden et Johnny Echols, pour n’en citer que cinq des plus connus.

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    Alors évidemment, ce genre de panorama ouvre l’appétit. C’est même la porte ouverte à tous les excès et à ces violentes crises d’aventures comparables à celles qui secouaient jadis les porte-monnaie comme des carcasses de tuberculeux. Pour utiliser une autre métaphore, le jeu consiste à creuser un filon. Dans le cours de sa brève existence (12 numéros), Flashback va d’ailleurs se spécialiser dans ce type de dossier-filon, tapant dans des thèmes aussi alléchants que le hard rock des années soixante-dix (pas le métal, mais ce qu’on appelait le rock hard, Atomic Rooster, Dust et tous ces cultivateurs de heavyness sonique) ou encore les songwriters, dont la grande majorité sont totalement inconnus en Europe.

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    L’un des guitaristes fêtés dans le top 100 des under-rated est l’immense Martin Pugh, qu’on peut entendre dans Armageddon et Steamhammer. Aaron Milenski synthétise ainsi : «Armageddon is a lost classic of 70s hard rock guitar, on which Pugh plays with remarquable speed and precision. Imagine if Robert Fripp played straightforward hard rock and you have half the picture.» Il est important de préciser qu’Armageddon était une sorte de super-groupe monté par l’ex-Yardbird Keith Relf, Martin Pugh et Bobby Caldwell, transfuge de Captain Beyond et ex-batteur de Johnny Winter. Le quatrième larron s’appelait Louis Cennamo, un mec qu’on croise aussi dans Colosseum, Renaissance et Steamhammer.

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    Alors évidemment, Armageddon est un album qu’il faut écouter. Paru en 1975, il s’est noyé dans la masse. Martin Pugh y joue le rôle d’un sorcier du son. On sent la très grosse équipe de surdoués. Sur la pochette, on les voit allongés dans les gravats, mais ils se comportent comme des princes du prog. Pugh plugs it ! Il vrille des torsades définitives dans «Buzzard». Il joue son va-tout, il enfile ses prises de guerre, par derrière et par devant. Il y a quelque chose d’indiciblement barbare dans son jeu. Keith Relf chante comme un hippie. Fini le temps des Yardbirds. Il navigue au long cours, comme s’il suivait la mode. Avec «Paths & Planes & Future Gains», Martin Pugh nous réveille à la cocotte. Il profite de ce groove demented pour ramener toute sa viande. Il fait la loi dans ce cut et part en virée abominable. Il fait le show. On le retrouve en B dans «Last Stand Before», une sorte de rumble de rêve. Pugh joue en embuscade. Puis Armageddon nous propose un long cut intitulé «Basking In The White Of The Midnight Sun» et découpé en quatre épisodes. C’est ce prog bien musclé qu’on détestait tant à l’époque. Pendant que Bobby Caldwell bat ça sec et net, Pugh part en traître et balance quelques retours de manivelle. Il joue en force et Bobby frappe comme un sourd, alors ça prend une drôle d’allure. On les voit piquer une crise et s’emballer avec Basking. Keith rime nights avec rights et Pugh joue des accords liquides. Il se paye aussi une belle partie de wah dévastatrice, il surjoue son riffing et bat tous les records d’insistance. Et ça explose avec la reprise de Basking. On entend même des clameurs d’éléphants, Pugh joue comme un dératé, ça frise le funk et le génie rétributif.

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    Pugh s’était acoquiné avec Martin Quittenton pour monter Steamhammer, l’un des fleurons du Bristish Blues Boom. Leur premier album sobrement titré Steamhammer date de 1969, qui est l’année du grand cru : Fleetwood Mac, Chicken Shack, Bluesbreakers, Savoy Brown, tout le monde s’y est mis en même temps. C’est avec «Junior’s Wailing» que Steamhammer emporte la partie, Pugh rue avec Quittenton en contrepoint et ce diable de Kieran White chante au bon gras double. Quitt et Pugh plient bien leur plug. L’autre stand-out track, «You’ll Never Know», bascule dans la démesure du boogie blues de l’époque et se montre digne du fameux «Stumble» de Peter Green. «Splendid boogie woogie rocker», nous dit Chris Welch. Pugh virevolte dans tous les coins. On salue aussi «She Is The Fire», car ce dingue de Pugh s’en va jouer dans des stratosphères, il va y chercher l’écho de la hargne et revient wahter en état de grâce. Kieran White chante avec l’insistance d’un Ian Anderson. On sent chez eux un goût pour la heavyness, celle des Doors, notamment dans «Even The Clock». En matière de boogie rock, ces mecs restent aussi imprenables qu’un fort de Vauban, c’est en tous les cas ce que montre «Down The Highway». Ils trempent aussi dans le heavy blues, comme le font tous les groupes anglais de l’époque, dommage que la voix de Kieron White soit si impersonnelle. Il ne dispose pas du feeling d’un Stevie Marriott ou d’un Chris Farlowe. Ils terminent avec un heavy boogie infectueux, «When All Your Friends Are Gone». C’est là où ils excellent. Pugh brille au firmament.

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    MK II paraît la même année et c’est avec l’infernal «Contemporary Chick Con Say» qu’ils font la différence. C’est bardé de son et du meilleur. Pugh donne de la voile, c’est le boogie blues à l’Anglaise comme on l’aime, ils jettent un sax free dans la soupe et ça devient assez féerique, il faut bien l’admettre. Pugh est un joli démon souriant, il pulse tout ce qu’il peut. Mais on sent dans les premiers cuts de fortes tendances prog. Ils emmènent leur «Johnny Carl Morton» ventre à terre, tagada tagada voilà les Morton. Ils perdent le blues en route. Ils vont même jusqu’à ramener une flûte dans «Turn Around», une flûte à la Tull, pas celle d’Hollande, celle d’Aqualung. C’est une façon comme une autre de ruiner un album. Ça se dégrade encore avec «6/8 For Amiran», d’autant plus que Kieran White chante comme Aqualung. Ils font une espèce de goove prog chauffé à l’harmo et battu à la diable. On reste dans Aqualung en B avec «Passing Through». Pugh joue dans l’air du temps. Ils nous embarquent ensuite dans un «Another Travelling Tune» de 16 minutes, mal barré car amené à la flûte de Fellini, dans les ténèbres de l’antiquité. Le cut porte bien son nom car il descend ensuite faire le Louisiana shuffle à la Nouvelle Orleans.

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    On retrouve le Tull syndrome sur leur troisième album, Mountains, qui date de 1970. Heureusement que Pugh crève l’écran avec sa guitare, ce que montre très vite «Levinia». Pugh jazze ça à l’insistance. Il s’inscrit encore dans la jazzitude avec «Henry Lane». Ils échappent définitivement au moule à gaufres du Bristish Blues. Ce diable de Pugh replugue ses grandes ardeurs, il allume son cut comme les lampions d’un bal du 14 juillet. On reste dans l’excellence avec «Walking Down The Road». Il s’y niche un solo de percus digne de Art. Ces mecs sonnent comme des géants du rock anglais. Le morceau titre sonne plus prog, mais avec Pugh, il faut rester sur ses gardes, car il livre en douce des merveilles grelottantes. Il monte son son en mayo. Il s’arrange toujours pour rester présent dans le son du Hammer. Il faut le voir jouer ses espagnolades dans le devant du mix du «Leader Of The Ring». Il travaille son «Riding On The L&N» au corps. Il est partout, liquide et acerbe, c’est un fiévreux, un acariâtre, il part en petite vrille de vigne, il multiplie les encorbellements, c’est violent, bien contrebalancé par cet immense batteur en instance de mourir qu’est Mick Bradley. Steve Davy joue un bassmatic killer flash. Pugh finit par reprendre les rênes, c’est un driver de mad river, il peut foutre le feu à la plaine quand ça lui chante, il peut même battre Fast Eddie Clarke à ce petit jeu, il fait du big Pugh, flirte avec l’inclassable, il vole partout et entre en osmose avec le beat rebondi de Steve Davy. Ils terminent cet album ébouriffant avec «Hold That Train», un boogie blues à la Chicken Shack. Fantastique burning shaft ! Ils rivalisent de power avec les grands groupes anglais de l’époque.

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    Quand ils enregistrent Speech, la même année, ils ne sont plus que trois : Pugh, Michael Bradley et Louis Cennamo. Ils s’engagent alors sur la voie du non-retour. Ils savent qu’ils sont cuits, qu’ils ne reviendront jamais. Tu veux du prog ? En voilà ! «Penumbra» est un long cut en cinq parties et dès Battlements, Pugh bat la campagne. Il faut rester à l’écoute, par respect pour cet homme capable de grands élans charismatiques. Pugh se montre une fois de plus acéré, il sait faire durer une plaisanterie assez longtemps. Le deuxième cut «Telegram» dure 11 minutes. Pugh débroussaille sa prog à la cisaille. On se demande ce que fout un guitariste aussi génial dans ce projet. Il réussit quand même à tétaniser les curieux.

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    Autre lauréat de Flashback : Gary Quackenbush, le guitar-slinger de SRC, l’un des fleurons du Detroit Sound. Voilà ce qu’Aaron Milenski dit des albums de SRC : «The two first SRC albums are among the most enduring semi-obscurities from the pscych era, and in complete different ways. The debut has the most ear-piercing fuzz guitar ever (through fuzz is the wrong word - screech might be better), miles more brain-frying than tinnitus-causing than, say, Sympathy For The Devil.» En gros, Milenski explique que la guitare de Quackenbush fait bien plus de dégâts dans les oreilles que Sympathy For The Devil et que le son tient plus du hurlement que de la fuzz.

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    Précision important, SRC (the Scott Richardson Case) est le groupe de Scott Richardson, l’un des pionniers du Detroit Sound, puisqu’il fit partie des Chosen Few, le premier groupe de Ron Asheton. Il fut même question à l’époque de monter un groupe avec Iggy on drums, Ron on bass et Scott au chant. Alors effectivement, on entend de la belle hurlette de fuzz sur le premier album de SRC qui s’appelle SRC. «Onesimpletask» ravira tous les amateurs de fuzz. Quackenbush y passe un solo pour le moins carnassier et développe une réelle violence de fuzz. Mais pour le reste, on repassera. Ces mecs visent un son très anglais, assez prétentieux. «Black Sheep» et «Daystar» frôlent un peu le ridicule. Leur anglophilie les perd. Étrange idée que d’aller faire de la pop anglaise dans le Michigan. Dommage, car les poussées de fièvre de Quack sont bonnes. «Exile» frappe par son côté pathétique. British mais sans les moyens des British. Cette pâle émancipation se fourvoie. Les mecs du MC5 devaient s’écrouler de rire en entendant ça. Scott Richardson finit même par chanter faux dans «Marionette». Ils se prennent pour les Hollies dans «Paragon Council» et génèrent de l’ennui avec «Refugee».

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    Par contre, Milestones qui paraît l’année suivante est une petite merveille. Ils attaquent avec «No Secret Destination», un big bush de Motor Ciry et ce diable de Quackenbush s’y tape la part du lion dans un délire de fuzz saturée. Ah quel beau guitar slinger ! Il joue dans la ferveur frénétique et repart en maraude comme un requin absolutiste. Il ne joue pas beaucoup de notes, mais il les tire toutes par les cheveux, alors elles hurlent. S’ensuivent deux cuts extrêmement intéressants, «Show Me» et «Eye Of The Storm». On sent qu’ils écoutent Procol car ils ramènent les pompes du Grand Hôtel dans «Show Me», mais avec Eye, ils vont droit sur Bo, même si ensuite ils passent à la prog noyée d’orgue. Dommage que Quack soit muselé. C’est une honte que de museler un guitar slinger aussi brillant. Il fait quand même son apparition et donne un aspect très nourrissant à l’album. C’est bardé de son et ils finissent par emporter la partie. Avec «In The Hall Of The Mountain King/Bolero», ils frisent le Hall Of The Montain Grill et se tapent un délire de type Love Sculpture. Ils savent se donner les moyens du power. «Checkmate» sonne comme un violent shuffle du Michigan. Tout est violent ici, surtout le bassmatic et les nappes d’orgue. Alors si Quack s’y met, c’est foutu. Au début, on ne se méfie pas. Ils amènent leur cut au riff intermittent bien brouté par le bassmatic et soudain, ça grimpe à l’unisson du saucisson avec des harmonies vocales dignes de celles de Hollies ! Pire encore : le bassmatic emblématique transfigure complètement le shuffle d’orgue. Quack choisit bien son moment pour entrer dans la danse du sabre de roundabout. Ces mecs réussiraient à passionner la passionaria. Tout aussi bien foutu, voici «Our Little Secret», même si ça sonne comme la prog de Canterbury. Quack sort enfin du bois avec «Turn Into Love». Il est à la fois puissant et succulent. Avec des cuts aussi bons, SRC aurait dû exploser. Et ça continue avec «Up All Night», big blast du Michigan britannique. Ils basculent dans le freakout et filent à fantastique allure. Les voilà grimpés au sommet de tous les arts, l’anglais et l’américain, avec un Quack en franc-tireur et une section rythmique démentoïde. Ces mecs sont les rois de l’alerte et du rebondissement cataplasmique. Quack, c’est Poséidon, il envoie des paquets de mer. Il faut le voir jouer !

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    Par contre, il ne joue pas sur le troisième album de SRC, Traveler’s Tale. Il est viré et remplacé par Ray Goodman. Mais on peut quand même écouter Traveler’s Tale, ne serait-ce que par sympathie pour Scott Richardson. Ils démarrent avec « A New Crusader», un vieux brouet d’inutilité publique. Scott Richardson tente de sauver le bout de gras de «Street Without A Name» en chantant comme un cake, mais leur délire de prog anglaise a du mal à s’implanter. Scott Richardson aimerait bien rocker le Michigan avec «By Way Of You», mais il préfère le psyché, avec un Ray Goodman qui fait son Quack dans la coulisse. Puis ils passent au funk avec «Diana». Ils reviennent à leur chère prog avec «The Offering», une belle daube violonnée à la suce du Michigan. C’est très spécial. SRC ne prend pas les gens pour des cons, ils font ça bien, ils tirent leur cut au cordeau de la prog, on se croirait chez Queen, c’est atrocement spécial. Scott Richardson se prend pour un Iggy anglais et bat ses œufs en neige du Kilimandjaro.

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    En l’an 2000, RPM s’est fendu d’une petite compile, Black Sheep. L’occasion est trop belle de réécouter ces incompris du Michigan. Dans son très beau texte de présentation, Phil Smee rappelle que Detroit est le hot bed du hard rock and Soul, d’un côté les Temptations et de l’autre Mitch Ryder, les Rationals et Bob Seger & the Last Heard. Quand Scott Richardson et les deux frères Quackenbush montent SRC, il enregistrent un premier single sur le label A de Jeeps Holland, une version d’«I’m So Glad» de Skip James. Mais à la différence du MC5 qui choisit de blaster son son, SRC choisit l’autre direction, celle plus anglaise d’un son travaillé. Smee résume le son de SRC ainsi : «Anglicised vocals and searing bursts of Gary Quackenbush magic.» (chant à l’anglaise et coups de grisou de Quackenbush). Smee rappelle aussi que Quackenbush ne joue pas beaucoup de notes, mais qu’il les soutient with some magnificent feedback. Malgré leurs trois albums et un son bien distinctif, SRC ne connaîtra pas le breakthrough qu’ont connu les siblings de Detroit, MC5, Stooges et Mitch Ryder. Le morceau titre de la compile enfonce bien le clou réputatif de Gary Quackenbush : il sort un son strident et poignant. C’est un féroce tirailleur, mais pas sénégalais. Il tire ses notes à la distorse, il joue comme un percolateur, une note à la fois, bien chauffée à blanc. Avec «Interval», un joli vent de fuzz souffle sur la montagne. Quackenbush adore rôder dans le vent. On croirait entendre les Byrds avec le son d’Eden Children. S’ensuit un «Checkmate» assez puissant et bien monté en grade. SRC sort un son atypique bien dégrossi et poliment ambitieux. Ils jouent la carte d’une pop chamarrée, ultra-jouée et bien bombée du capot. S’il faut garder un cut en mémoire, ça pourrait bien être «Daystar», poppy avec des variations de prog traversées d’éclairs. On croirait entendre les Who ! C’est un compliment. On peut dire globalement qu’ils jouent une pop entreprenante avec une énergie qui pourrait éventuellement rappeler celle du MC5. Ils n’hésitent pas à noyer leur pauvre «Paragon Council» d’orgue. On se croirait cette fois chez Syd Barrett. Très spécial. On entend en plus le joueur de fifre d’Édouard Manet. Scott Richardson fait des merveilles dans «Turn Into Love», une espèce de heavy slow fantasmatique. Par contre, il se prend pour Roger Daltrey avec «Our Little Secret». Ils font pas mal de pop ambivalente, parfois même inepte. Ils cherchent trop à sonner comme des Anglais et ça ne marche pas. Ils reviennent à de meilleurs sentiments avec «No Secret Destination», battu sec à la loco, avec du heavy brash along the way. Voilà les gars du Michigan, avec un vrai moment de folie. Gary Quackenbush repart en maraude, et quand il part en maraude, c’est une vraie maraude. Puis il allume «Up All Night» au guitar power. Quack casse la baraque. Il taille son shit en pièces. Il devient le temps d’un cut le roi du sludge.

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    Et puis voilà Dick Wagner, l’un des piliers du Detroit Sound. Aaron Milenski qualifie le premier Frost album de missing link between garage rock and 70s hard rock. Milenski dit aussi que le style de Wagner was ahead of his time. Il parle de hard-edged 70s-style hard rock guitar playing et le solo qu’on entend dans «Stand In The Shadows» is one for the ages. Frost Music paraît en 1969. Dick Wagner y révèle un vrai talent de faussaire : il fait du faux British rock, du fake English, comme on dit de nos jours, avec notamment «Mystery Man», où il fait sonner les Frost comme les Beatles avec un beau swagger de Liverpool et des attaques frontales dignes de Sgt. Pepper. C’est superbe, d’autant plus superbe qu’ils le chargent de son jusqu’au délire. «Mystery Man» est le hit de l’album. «Jennie Lee» sonne aussi très anglais. Dick Wagner joue en mode vif argent, il court dans le son comme le furet. Par contre, ils se prennent pour les Byrds avec un «Take My Hand» qui rappelle «Eight Miles High». Dick Wagner ne se dégonfle pas, il nourrit ses ambitions. Pire encore : il les gave comme des oies. Comme si de rien n’était, les Frosters redeviennent américains en B avec «Baby Once You Got It», ils sonneraient presque comme Moby Grape, surtout dans la façon dont Dick Wagner tortille ses tortillettes. On croirait entendre Jerry Miller. Puis il va se taper la part du lion dans «Stand In The Shadows». Il y joue l’un des solos les plus captivants et les plus dévorants de cette époque pourtant bien fournie en la matière. Dans la plupart des cuts, Dick Wagner grouille de notes et s’arrange toujours pour sortir un son intéressant, assez psychédélique, comme le montre «First Day Of May». Les Frosters bouclent leur bouclard avec un «Who Are You» plus pop, quasi-élégiaque, ils font dirons-nous du who are you à l’Anglaise émancipée et basculent sans raison particulière dans un groove digne des Byrds. On peut affirmer sans rougir que cet album très joué, très enjoué et très chanté vaut le détour.

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    La même année paraît le simili live Rock And Roll Music. L’album est censé singer l’album live du MC5 enregistré au Grande Ballroom, avec le même genre de photo-montage sur la pochette. «Rock And Roll Music» chauffe bien, mais ce n’est quand même pas aussi incendiaire que le MC5. Ils vont ensuite s’employer à briser les reins de leur album avec des cuts qui n’ont plus rien à voir avec le Grande Ballroom, comme ce «Sweet Lady Love» très californien. On croit entendre Moby Grape, du coup les Frosters perdent tout leur crédit detroitique. Ils font aussi un sous-Blackbird avec «Linda» et retournent en Californie avec «Black Train». Back to the Grande avec «Help Me». Ce démon de Dick Wagner secoue bien les cloches de ses gammes. En B, on trouve un peu de viande, à commencer par cet exercice de heavy blues typique de l’époque, «Denny’s Blues», avec deux solistes qui rivalisent de dégoulinures. La voix du chanteur rappelle celle de Robert Plant. Puis ils rendent un bel hommage aux Animals avec une cover de «We Got To Get Out Of This Place». Dick Wagner trame bien sa trame, il joue les virtuoses et multiplie les triangulations oblongues à travers l’espace et le temps, mais un solo de batterie vient tout réduire à néant.

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    Avec Through The Eyes Of Love, leur troisième album paru en 1971, ils affichent clairement leur anglophilie. «Black As Night» sonne très british. On croirait entendre les Beatles, avec ce côté bien vibré du chant et les dérapages contrôlés. Ils sont aussi anglophiles que SRC. Ils tentent même le coup d’un final à la Hey Jude. Le morceau titre sonne comme un brouet prog et brise les reins d’un album déjà pas très solide. Ils repartent en B avec «Maybe Tomorrow», une pop volumineuse gonflée au carbone US et se vautrent aussitôt après avec cet «It’s So Hard» aussi inepte que mal chanté par le bassiste Gordy Garris. Ils terminent cet album lamentable avec «Big Time Spender», un heavy blues guttural sauveur d’album. Dommage qu’ils n’aient par tout misé sur ce son, d’autant que Dick Wagner y passe un beau solo exacerbé.

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    Il n’est pas étonnant qu’avec sa technicité exacerbée, Dick Wagner ait ensuite mené une carrière à la mode américaine, c’est en tous les cas ce qu’il nous raconte dans son autobio, Not Only Women Bleed, clin d’œil à un hit d’Alice Cooper. Il propose une série de petits textes indépendants qui ont le mérite d’être faciles à lire et le défaut de rester en surface. Les vignettes font souvent bon ménage avec le manque de souffle. Après avoir failli décrocher la timbale avec Frost et Ursa Major, Dick Wagner est allé s’accoupler avec Steve Hunter pour accompagner Lou Reed pendant la période Rock’n’Roll Animal, puis Alice Cooper. Wagner ne consacre pas beaucoup de place à la scène de Detroit. On trouvera juste une vignette intitulée ‘The Grande Ballroom’, dans laquelle il énumère les groupes de ce qu’il appelle Detroit’s finest : the MC5, the Frost, Ted Nugent, Iggy & the Stooges, the Jagged Edge, Bob Seger, Mitch Ryder, SRC, the Amboy Dukes, the Rationals, Third Power, the Pleasure Seekers (featuring the Quatro sisters), Savage Grace, the Wilson Power Pursuit et d’autres Michigan bands. Pas un mot sur Motown.

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    D’un autre côté, on peut se demander pourquoi Frost n’a pas marché. Oh la réponse est simple : Dick Wagner est un queutard. Il s’en vante à longueur de vignettes. Comme tous les queutards dignes de ce nom, il s’amuse à baiser les femmes des autres membres du groupe - Bastard? Me? Maybe. But never forget, it takes two to tango - Il utilise le même argument que Lemmy qui lui aussi baisait les femmes des mecs d’Hawkwind. Il ne les forçait pas. Wagner rappelle surtout que Frost était énorme dans le Michigan entre 1967 et 1970. Il rend un bel hommage à son collègue Donny Hartman, le moustachu qu’on voit sur la pochette de Rock’n’Roll Music. Mais il ne rentre pas trop dans les détails. Il consacre plus de place à son groupe précédent, the Bossmen et au légendaire rockab Mack Vickery, qu’il accompagnait encore avant les Bossmen. Il évoque surtout le guitariste de Mack Vickery, Wild Bill Emerson, un mec originaire d’Alabama qui tirait ses cordes longtemps avant Jim Hendrix. C’est en tournant dans les clubs avec Vickery que Wagner s’initia à ce qu’il appelle the casual sex and booze and reckless behavior. Ses vignettes sont bourrées de sex & drugs. Il a aussi la chance à ses débuts d’accompagner sur scène Jerry Lee qui est en tournée dans le Michigan. C’est là qu’il apprend sa première grande leçon : comment vend-on un show au public ? Jouer correctement de son instrument ne suffit pas : il faut aussi savoir embarquer le public. Merci Jerr. Puis après Frost, il monte Usa Major avec Greg Arama, le bassiste des Amboy Dukes - a blessing and a major headache - et Rick Mangone qu’il considère comme l’un des meilleurs batteurs d’alors. Dennis Katz de RCA les signe, ils font un album et jouent en première partie de Beck Bogart & Appice puis d’Alice Cooper. Mais Wagner et Arama ne s’entendent pas. Wagner le vire. Dans une autre vignette, Wagner raconte qu’il passe une audition pour Danny Sugerman qui veut monter un super-groupe avec Iggy et Ray Manzarek. Wagner connaît un peu Iggy, mais sans plus. Ils démarrent l’audition sur une nouvelle compo d’Iggy, mais on ne sait pas laquelle. Par contre, Iggy enlève son pantalon et tripote sa queue pendant qu’il chante. Ça ne plaît pas à Wagner. Il dit à Sugerman que le job de n’intéresse pas. Il préfère retourner accompagner Alice Cooper. Chacun ses choix, pas vrai ? Après, il ne faut pas s’étonner des résultats.

    Signé : Cazengler, Flashberk

    Martin Pugh :

    Armageddon. ST. A&M Records 1975

    Steamhammer. Steamhammer. CBS 1969

    Steamhammer. MK II. CBS 1969

    Steamhammer. Mountains. B & C Records 1970

    Steamhammer. Speech. Brain 1970

    Dick Wagner :

    The Frost. Rock And Roll Music. Vanguard 1969

    The Frost. Frost Music. Vanguard 1969

    The Frost. Through The Eyes Of Love. Vanguard 1971

    Dick Wagner. Not Only Women Bleed. Desert Dreams 2012

    Gary Quackenbush :

    SRC. SRC. Capitol Records 1968

    SRC. Milestones. Capitol Records 1969

    SRC. Traveler’s Tale. Capitol Records 1970

    SRC. Black Sheep. RPM Records 2000

    Flashback. Issue 1 - Spring 2012

     

    Canigo ronron

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    Ce fut un soir de janvier dernier que nous vîmes apparaître pour la première fois cette mystérieuse pochette d’album. Nous nous trouvions au Taquin, un club toulousain d’excellente réputation et nous surprîmes un étrange manège : dans un recoin noyé d’ombre, L. remit discrètement à G. un grand sac en plastique. G. en fit sortir cet album mystérieux pour l’observer. Son visage parut s’éclairer. À cette distance, nous ne pouvions lire le titre écrit en tête de format, mais le visuel coloré agaçait férocement la curiosité. Il s’agissait visiblement d’un objet sacré. L’envie de poser la question nous brûlait les lèvres, mais en même temps, la qualité de notre relation n’eut pu souffrir la moindre question indiscrète. Et puis le concert allait commencer. Nous revint alors cette phrase de Cocteau : puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur.

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    Le mystérieux objet allait réapparaître quelques semaines plus tard de façon totalement inopinée. Il s’agissait du genre d’événement qu’on appelle dans l’underground un moment historique : le dernier radio show de G. sur Canal Sud, une émission de 4 h 30 ininterrompue. G. y raconta son histoire musicale, celle d’une vie de fan bien remplie et nous régala d’un choix de titres triés sur le volet. Une sorte de testament électrique. Une véritable leçon de goût. Une ode à l’énergie et sans doute l’un des plus vaillants hommages jamais rendus à cette culture qu’on nomme communément le garage. Vers la fin du show, il fit mention de groupes obscurs originaires de Perpignan et en enchaîna quatre d’entre-eux, les Gardiens du Canigou, les Beach Bitches, les Vox Men et the Feedback. L’énergie que déployaient ces groupes obscurs créa la surprise et mit les sens en alerte. Quel était donc ce subterfuge ? Par la seule qualité de leur son et une fraîcheur de ton qui ne trompait pas, ils raflaient tout simplement la mise. Quelques artistes vinrent ensuite chanter en direct des classiques dans les micros, et après trois morceaux de Destination Lonely, G. termina son ultime tournée des grands ducs avec les Gardiens du Canigou.

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    Confronté à ce qu’il fallait bien appeler une révélation, nous menâmes l’enquête dès le lendemain. À la suite d’une petite série de clics habiles, la réponse apparut sur l’écran. «Vive la technologie !», s’exclama-t-on en voyant apparaître le visuel mystérieux aperçu au Taquin. C’était donc ça ! Nul doute que Rouletabille eut adoré ce type de dénouement ! Les Gardiens du Canigou, les Beach Bitches, les Vox Men et The Feedback sortaient tous de Back From The Canigo, un double album compilatoire qu’on pouvait aussi commander par voie électronique. La technologie eut-elle disposé d’une main, l’aurait-elle tendue qu’on l’eût serrée, comme on serre la main d’un brave homme avec effusion.

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    Vous comprendrez facilement que le jour où le Canigo arriva fut jour de fête. Nous levâmes notre verre à la mémoire d G. et le «Sweet Crying Baby» des Gardiens du Canigou se mit à résonner dans le salon. Nous n’avions pas rêvé, les Perpignanais proposaient un garage d’orgue hautement énergétique digne des 13th Floor Elevators. D’une certaine façon, le mystère restait entier : d’où sortaient ces gens-là ? Pour le savoir, il suffisait d’ouvrir le gatefold : un collaborateur de Dig It! y racontait dans le détail l’histoire de tous ces groupes. Deux noms se détachaient rapidement, celui de Lionel, futur Limiñana, et celui de Giom, cet excellent chanteur qui allait passer d’un groupe à l’autre en cultivant l’excellence, comme d’autres cultivent les betteraves. Une photo du Lionel jeune le montrait le visage penché sur une guitare Vox Phantom. Giom animait ensuite le joli ramdam de «Cooking Time With The Devil» d’une voix innocente. Les trois morceaux des Gardiens du Canigou n’en finissaient plus de confirmer le ressenti de la première écoute : petite garage certes, mais belle prestance et mise en place irréprochable. Les gardiens du Canigou allaient ensuite se transformer en Beach Bitches et continuer de défrayer la chronique avec des «Crank» et des «Tansylvanian Train» hautement énergétiques. Il existait aussi un groupe joliment baptisé Ugly Things, dont le chanteur avait une voix nettement moins intéressante que celle de Giom. On retrouvait les vestiges des Gardiens du Canigou et des Beach Bitches dans the Feedback. Avec «She’s So Fine», ils rendaient un bel hommage aux Stooges en copiant les accords de «1969». Et leur «Teenage Caveman» valait n’importe quelle charge de cavalerie des Gories. On assistait plus loin au retour des Elevators dans le «Midnight Trouble» des Vox Men, emmenés par Lionel Limiñana, un morceau largement arrosé de fuzz et doté de tous les atours de la démesure. On retrouvait l’inaltérable Giom dans les excellents Toxic Farmers et il profitait de «(You’re The One I) Love» pour se livrer en virtuose à un numéro de screamer fou. De fil en aiguille, Giom se détachait du lot. Il s’imposait comme le prince de l’underground perpignanais. Et puis comme dans tous les labyrinthes mythologiques, on finissait par se perdre. Les gens passaient d’une formation à l’autre. Il aurait bien sûr fallu pouvoir vivre pleinement cette histoire pour en goûter le sel. On s’égarait dans les méandres historiques des formations, on pataugeait dans les copains des copains, mais certains morceaux nous ramenaient à la réalité d’une belle véracité, comme ce «16th Mouth» de The Lightning Circus Band & the Boom Boom Beat qui sonnait comme le meilleur cru des Cheater Slicks. On croisait aussi avec ravissement le nom d’un groupe qui s’appelait The Human Potatoes, il fallait tout de même savoir se rire du rock pour oser un tel nom. La quatrième face proposait quelques curiosités enregistrées en public dont une version de «Gloria» par les Ugly Things. Elle avait ceci de curieux que l’Ugly Thing la chantait en français, d’une voix ingrate mais avec une délicieuse lèpre dans le ton, soutenu par un guitariste affreusement doué, et l’ensemble donnait l’une des versions les plus intéressantes de ce vieux classique tellement repris qu’on pourrait le dire éculé par un régiment de hussards. On trouvait aussi sur cette face exotique un superbe hommage à Dutronc : les Buissons restituaient avec verdeur tout le panache exubérant du «Responsable». Il s’agissait de la énième merveille du monde, car chantée à la manière sauvage des années soixante, cette époque reculée où l’on voyait encore dans les rues des voyous chevelus cracher sur les représentants de l’ordre en criant «Mort aux vaches !».

    Signé : Cazengler, Caniglouglou

    Back From The Canigo - Perpignan 1989-1999. Staubgold 2019

     

    Cavan du nord

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    Vient de paraître un numéro spécial de Rockabilly Generation consacré à Crazy Cavan. Pour les fans de Cavan, c’est un must. Dépêchez-vous, c’est une édition en tirage limité. Pourquoi un must ? Parce que bien foutu, richement illustré et bien raconté dans le détail par Tony Marlow et Jacky Chalard, le Big Beat boss. Dans une livraison récente de KRTNT, Damie Chad a dit tout le bien qu’il fallait penser de cette mighty édition spéciale, alors on ne va pas en rajouter une couche. Par contre, c’est l’occasion rêvée de ressortir de l’étagère les deux volumes de la Big Beat Story parus en DVD et décorés par Margerin. C’est d’autant plus approprié qu’ils font partie des goodies conseillés par Rockabilly Generation en quatre de couve.

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    On y retrouve Cavan sur les deux volumes, Cavan jeune dans le volume 1 et Cavan vieux dans le volume 2. On les voit au sommet de leur rumble avec «Rockabilly Rules OK» et c’est Lyndon Needs qui concentre toute l’énergie du groupe dans ses guiboles. Ils reviennent en fin de volume 1 avec «Bonie Maroney» et là, ce démon de Lyndon Needs se roule carrément par terre. Dans le volume 2, le Cavan vieux revient avec deux cuts, «She’s The One To Blame» et ils finissent en beauté avec «Teddy Boy Rock And Roll». C’est l’occasion de revoir une dernière fois Lyndon Needs twister sur ses jambes en caoutchouc. Fabuleux personnage.

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    Le problème, si on peut appeler ça un problème, c’est que ces deux volumes grouillent de merveilles. C’est en remettant le nez dedans qu’on se rappelle à quel point des gens comme Victor Leed et Breathless étaient bons. Victor Leed était aussi beau qu’Elvis, il faut s’en souvenir et il bougeait devant la caméra exactement comme l’Elvis de 55, Victor the Pelvis, jambes écartées, violence contenue, il ramène toute la folie de l’early Elvis que le gens de moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, car Montmartre en ce temps-là accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres. Victor the Pelvis est magnifique de véracité dans «But In Your Eyes». En le voyant, on se dit : «Bah finalement il ne suffit pas de grand chose pour retourner l’Amérique et créer un empire...», mais si justement, pour réussir un coup pareil, il faut s’appeler Elvis. Alors Elvis l’a fait et Victor le refait à l’identique, juste pour lui rendre hommage. Merci Big Beat d’avoir permis ça. Comme d’avoir permis Cavan et tous ceux dont on va parler. Mais surtout Victor Leed. On le retrouve dans les bonus du volume 1 pour relever un petit défi : taper «That’s Alright Mama» trois fois, mais à trois vitesses différentes, blues, rockab et rock’n’roll. Victor ne se dégonfle pas, il a la voix, il a la gueule et il a les jambes pour ça. Il est parfait.

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    L’autre Big Beat monster, c’est Breathless, un gang gallois présenté par Schmoll. Ah quelle niaque ! Il faut voir ces mecs bouger on the beat d’un «Bad Bad Boys» joué au riffing incisif, au slap et au claqué de caisse claire. Voilà le rockab anglais dans toute sa splendeur, sauvage et maîtrisé à la fois, d’une grande pureté de style. Encore une fois, merci Big Beat. N’oubliez pas qu’on trouve les deux frères de Cavan dans Breathless. Du coup on ressort les deux albums de l’étagère.

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    Au rayon monstres sacrés, on trouve aussi Robert Gordon. Un Gordon pacha jeune sur le volume 1 et vieux sur le volume 2. Évidemment, c’est sur le volume 1 qu’il casse la baraque avec «The Way I Walk» et «Red Hot», d’autant plus que Chris Spedding l’accompagne. Sped cloue le Way I Walk à la porte de l’église avec le plus killer des shoots de Flying V. C’est le duo de rêve, comme il en existe quelques uns dans l’histoire du rock. On peut citer comme exemples Elvis & Scotty, Bob Luman & James Burton, Johnny Kidd & Mick Green, ou encore Bowie & Ronson. Le «Red Hot» de Gordon pacha est l’un des fleurons du revival rockab, il le chante avec toute la niaque dont il est capable et ça va loin, car il dispose d’une vraie voix et chaque killer solo flash de Sped tape en plein dans le mille. Gordon pacha est avec Victor Leed l’un de ceux qui ont su le mieux célébrer Elvis. It’s Now Or Never est un album de reprises d’Elvis assez spectaculaire.

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    Au rayon monstres sacrés on trouve aussi Jack Scott avec sa barbe et sa «Geraldine». Il a derrière lui un Tele-man qui claque des solos stylés et sauvages. Ce mec est un spectacle à lui tout seul, il joue comme seul peut jouer un grand guitariste américain, à coups d’éclairs de country fluide, du coup «Geraldine» dégouline de jus. Autre légende Big Beat, voilà Tex Rubinowitz et son big slap. Grande classe rien que par la présence. Pas loin de Carl Perkins et de Jack Scott, du genre bouffeur d’écran. Boots roses, mais solo Fender. Un son plus sec. Tex Rubinowitz reprend l’excellent «Bad Boy» de Marty Wilde.

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    De la même manière que Victor Leed rend hommage à Elvis, Freddie Fingers Lee rend hommage à Jerry Lee. Assis au piano avec son chapeau, ses colts, et le pied posé sur le clavier, il débite à la perfection le phrasé d’intro d’«High School Confidential». Il sort son colt et tire dans la plafond. Quelle rigolade ! On le voit même pianoter à coups de crosse. Il finit par monter SUR le clavier et on le voit jouer entre ses deux jambes écartées. Il pousse le bouchon de Jerry Lee assez loin et parvient à garder toute sa crédibilité. Il a bien intégré les basics. Là-dessus il est irréprochable. Justement, pour que ça passe, il faut en rajouter. Il va même jusqu’à faire des descentes de clavier avec un balai à chiottes. Il reproduit à la perfection le ha ha ha ha qui annonce la fin de «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On», juste avant l’explosion finale, mais il n’a pas le coffre de Jerry Lee et son explosion finale retombe hélas un peu à plat. Pauvre Freddie. On est vraiment désolé pour lui.

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    L’autre légende vivante, à l’époque, c’est Sonny Fisher. Quand il arrive sur scène dans les années 80, il a tout du monstre sacré. Chemise en soie blanche et gratté d’acou de vieux seigneur du circuit rockab texan. Il y a plus de rockab en Sonny Fisher qu’il n’y en a jamais eu dans Cash. Sa puissance dépasse l’entendement. Alors évidemment, en comparaison, Shakin’ Stevens ne passe pas très bien. Il déploie pourtant une grande carrure de blazer blanc, il sait bouger sur place, il s’offre tous les luxes, piano et pedal steel, mais ça reste du rock’n’roll de basse électrique.

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    Contrairement à ce qu’indique le nom du groupe, le Memphis Rockabilly Band vient de Boston. Il apparaît lui aussi sur les deux volumes et la qualité de leur son brouille un peu les pistes. Le chanteur Jeff Spencer est excellent, il swingue son chant d’une voix gourmande et floppe la jambe en rythme. Ça boppe au slap et le soliste joue sur Fender. C’est un jeu extrêmement pur. Il va d’ailleurs descendre soloter parmi les cats qui dansent. L’autre prestation impressionnante est celle des Leroi Brothers, sur le volume 2. Ils font une version de «Train Kept A Rollin’» très groovy, avec une extraordinaire sobriété de jeu, notamment chez le batteur.

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    Et les Français dans tout ça ? Ils sont nombreux et jouent dans des styles variés. Côté rockab, on a les Hellcats qui font un joli rumble de «Pipeline» à trois, et les Teenkats de Thierry Le Coz qui tapent un «Bye Bye Blues» classique et bien foutu. C’est toujours un plaisir que de voir un slappeur à l’affût sur son manche. N’oublions jamais que le rockab est un art difficile et que les élus sont rares. Le Coz réussit l’exploit de rassembler une belle équipe, batteur brillamment sobre, rythmique d’acou et slappeur appliqué.

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    À côté de ça, la majorité des artistes Big Beat sont ancrés dans le rock’n’roll sixties chanté en français, à commencer par l’excellent Noël Deschamps (qui nous rappelle qu’il fut 20 ans avant cette émission des années 80 numéro 17 au hit-parade de Salut Les Copains), puis Jesse Caron, Little Tony, les Soquettes Blanches et les Alligators, avec en prime un joli clone de Brian Setzer, Viktor Huganet : il a tout bon, la coiffure, la Gretsch White Falcon, la facilité à jouer et même le tatouage Stray Cats sur le biceps. Sans oublier les Rollin’ Dominos qu’on a vus au Méridien accompagner Vigon. Dans les bonus du volume 2, on voit Linda Gail ridiculiser Gene Summers, comme le fit son frère avec les invités de The Last Man Standing. Chez les Lewis, le pas-de-voix, ça ne pardonne pas.

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    Il est temps de passer au plat de résistance. Il s’appelle Vince Taylor et encore une fois, merci Big Beat pour ces quatre apparitions célestes. Vous commencerez par le voir chanter «Money Honey» sur le volume 1, et ce n’est pas un chanteur que vous allez voir, mais l’incarnation humaine de la classe, blazer blanc et secoué d’épaule, traits d’acteur et yeux mi-clos. Cette façon qu’il a de dodeliner au sommet d’une carrure d’épaules, aw my God, cette voix d’arrière pensée, honey honey, gueule d’ange à la Jack Palence et sourire carnassier. Vince Taylor apparaît une deuxième fois avec «Brand New Cadillac». Personne ne peut attaquer Cadillac au chant comme le fait Vince Taylor. Personne. Ce genre de phénomène ne se produit qu’une seule fois dans l’histoire du rock. Il est très maquillé. Il mâche un chewing-gum. Il bouge lentement. Il y a du snake en lui. Et même quelque chose d’extra-terrestre. Rien n’est plus bouleversant que de revoir ce clip. Il chante avec tout le recul d’une superstar. Il danse une sorte de bossa nova du diable. David Bowie le prit pour modèle, mais jamais il n’a pu égaler cette beauté surnaturelle. Dans les bonus du volume 1, vous allez voir un drôle de doc : un bœuf filmé dans un dépôt-vente de l’île de la Jatte, avec Vince Taylor et Sonny Fisher en guest stars. Hallucinant ! Vince est en cuir noir. Il a l’air d’être en roue libre. That’s alright mama. Il est même un peu hilare. Dents abîmées, très maquillé et soudain, un sombre crétin vient faire des commentaires moqueurs sur le bœuf, du coup, on ne voit plus rien. L’horreur. Bon bref. On retrouve Vince Taylor dans les bonus du volume 2. La caméra le filme en gros plan et on voit nettement sa cicatrice sur la joue gauche. Il chante «Danny». Il est de toute évidence la seule superstar qu’on ait jamais eue en France. C’est lui qui incarne plus qu’aucun autre de ce côté-ci de l’Atlantique la mythologie du rock américain, telle qu’elle fut conçue par Uncle Sam dans son petit bouclard de Memphis. Vince Taylor fut la rockstar ultime, le point de départ et le point d’arrivée en même temps. Ou si vous préférer, le tenant et l’aboutissant.

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    Signé : Cazengler, Small Beat

    Big Beat Story Vol. 1. DVD 2011

    Big Beat Story Vol. 2. DVD 2011

    Rockabilly Generation. Special Crazy Cavan. September 2020

     

    THE REAL rOCKIN' Move project ( 2 )

    VINCE ROGERS

    ( LONG BOX AUTOPROD / Septembre 2020 )

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    Qui a mis un porte-avions dans ma boîte à lettres ! N'accusons point le facteur, il n'accomplit que son boulot, je vous livre tout de suite le nom du responsable, Vince Rogers. Une personne dangereuse, un activiste, qui sévit depuis au minimum un demi-siècle sur la côte d'Azur. L'avait déjà fait déposer un hydravion par le même proposé, qui ne s'étonne plus de rien, voici plus de deux ans, une monstruosité intitulée The Real Rockin' Move Project dont nous avions rendu compte dans notre livraison 367 du 29 mars 2018, et le voici qui récidive avec The Real Rockin Move Project 2, généralement ces genres d'individus ont de la suite dans les idées, les psychiatres les classent parmi les monomaniaques, comme par un fait exprès nous n'avons pas de chance, nous sommes confrontés à un  polymaniaque aggravé. L'est comme les missiles à charges multiples, toute la culture populaire l'intéresse, le rock'n'roll, les disques, les revues, le cinéma, les films, les affiches, les motos, les voitures, les pin up, les romans policiers... imaginez le pire et vous serez exaucés, de surcroit, il chante, il écrit, il publie, il réalise, il pousse le vice ( Rogers ) jusqu'à tenir un stand de brocante. Bref cette long-box ressemble beaucoup à un coffre de pirates regorgeant de pierreries, les éclats rouges ne sont pas uniquement des rubis ou des kunzites purpurales, plutôt des taches de sang séché échappé du corps pantelant de victimes innocentes, bref je résumerai en trois mots que nous adorons, sex, death and wouac 'n' roll...

    Nous sortirons un à un les divers joyaux et les examinerons avec ce soin d'entrockmologiste qui fait la joie des kr'tnt readers. Nous commencerons par les parures sur monture papier.

    NEW ROCKIN' IN NICE

    SPECIAL CONTROL Z

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    Si je vous dis que New Rock In Nice est le bulletin de liaison ( dangereuse ) de l'association Cinéma 'n' Rock et que vous pensez à un magazine hyper-léché sur papier glacé, vous avez tort. Non c'est un fanzine ( adoptons pour le premier des trois adjectifs qui suivent un point de vue hautement moralisto-cucul-la-praline ) crasseux, libre, indépendant, et attiré par tout ce qui d'ordinaire révulse les honnêtes citoyens. Je suis l'alpha et l'oméga disait le Christ, chez NRIN ils sont carrément Z, au Top du double Z même, z'aiment les mauvais genres, karaté, western, bikers et tout ce qui roule de guingois, et j'en passe des pires, z'ont même une petite préférence pour les  budgets ridicules et les scénarios foireux, mais attention les héroïnes se doivent d'avoir des seins aussi gros que deux globes terrestres et être victimes de créatures dégradantes venues de l'espace. N'y a plus qu'à déguster la sélection proposée en vous léchant les babines ( ou autre chose ), attention à l'overdose, 148 pages, question maquette ça part dans tous les sens, danger torticolis, mais c'est au niveau neuronal que rien ne vous sera épargné. A lire dans tous les coins, en long, en large et en travers. Des images pleine-page d'affiches de film, reproduites en noir et blanc, ce qui procure l'avantage immédiat d'un aspect pur-gore garanti, des gros titres, des remarques adjacentes fléchées au stabilo, des coupures de presse, mais méfiez-vous des emballages, comme dirait Roland Tarte ( merci Céline, pas ma copine, l'autre qui détestait Jean-Paul Tartre ) il convient de se livrer à une analyse sémiotique du discours. Ça part de tous les mauvais côtés, un parti-pris revendiqué d'esthétisme dépravé, une préférence marquée pour la soupe aux navets au jus de blaireau faisandé qui traduit une vision peu collet monté ( ne pas confondre avec Colette montée ), des textes qui n'ont pas le cucul terreux, ici on aime les grands flots d'hémoglobine, les tueurs sans pitié, les nuits ( et les jours ) torrides, les aventures sans retour, les créatures surgies exprès pour vous faire crever de trouille de l'autre côté du monde, les justiciers de la dernière chance ratée, les invasions d'insectes géants répugnants, les comédies idiotes qui vous faisaient pisser sur le siège du cinéma déjà gluants de sperme de la séance précédente... mais il y a pire. C'est que l'ensemble est méchamment bien foutu, un aspect catalogue raisonné de l'Enfer de la cinématographie internationale. N'oubliez jamais que l'amour du kitch est un aspect essentiel du génie flaubertien, et ce numéro spécial de NRIN est à lire comme le dictionnaire des idées subversivement reluquées du cinéma populaire. Des commentaires définitifs à l'emporte-pièce saignants et mesurés ( un art, une ligne de crête, difficile ). Un exemple parmi mille deux cent quarante-deux : '' Diablement Z, scènes ''gore'', les hell's torturent avec joie, boivent sec, se défoncent rude, et sont anéantis rapides - wild'' J'adorons ces phrases qui sont comme l'épée étincelante de l'Archange du Seigneur, suffit de les sortir du fourreau pour que tout de suite la foule des mécréants se hâtent de se ranger de leur propre gré cauteleux à la gauche du Bien, alors que les élus bannières en tête se positionnent en entonnant des hymnes bacchiques à la droite du Mal. Est-ce vraiment un hasard si l'on évoque – le rock est partout - les Cramps, groupe ô combien pulpeux ?

    New Rockin' In Nice a 17 ans d'existence et 53 numéros édités, ce Spécial Control Z a été concocté par un certain Sciarra Derry, il se murmure que cette identité serait, l'on ne prête qu'aux riches, celle de Vince Rogers... ce fanzine est une véritable Bible, à fourrer dans toutes les mains sales et perverses. Borderline. Si vous n'aimez pas, ce n'est pas grave. Comme tout un chacun, vous avez le droit de mourir.

    BOOK

    CONTROL Z... POUR SERIE B...

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    Pas tout à fait ce à quoi l'on pourrait s'attendre. Il est vrai que nous ne suivons pas l'ordre du sommaire. Nous vous expliquerons pourquoi plus tard. Pas vraiment un livre, quelques pages reliées par une glissière, si vous croyez vous trouver en présence d'un additif-explicatif au New Rockin' In Nice présenté ci-dessus, vous vous apprêtez à emprunter une fausse piste, vite lu, car écrit en très grosses lettres, cela ressemble à un document destiné à vous mettre l'eau du goût de la mort dans la bouche, attention créature pulpeuse en couleur en dernière page, précédé d'un synopsis, qui vous plonge dans la mouise, vous avez reçu la même long-box que le dénommé Eddie qui lui plus courageux que nous branche illico presto la clef USB dans son ordi... page suivante l'on apprend qu'Eddie Crescendo est un détective privé disparu en 1997 alors qu'il menait une étrange enquête... Mais vous ne m'écoutez plus, vous ne songez plus qu'à la divine pulpe de la créature en couleur, machistes blancs ou LGBT +, cessez de caresser vos organes sexuels, la voici

    SERIE DE 4 POSTER COULEURS

    FORMAT A3

    B.A LA REINE D'ANIDé

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    Oui elle est belle, non ce ne sont pas des photos, mais des dessins vintage, au crayon gras je subodore, première repro : Anidé vous regarde, fermez les yeux vous ne résisterez pas à son regard de cobra fascinant, le prototype de l'espionne maléfique qui vous veut du mal, n'essayez pas de fuir, charme vénéneux, l'araignée maligne vous a déjà emprisonné-e dans sa toile... Deuxième repro : moi si méchante, l'innocence sinon outragée du moins surprise, d'autant plus colombe à l'âme poignardée par votre réaction que sa candeur est exprimée par un trait fuligineux. Troisième repro : portrait en petite poupée, mignonne comme tout, mais le démenti est au-dessous, vous ne pouvez vous détacher des candides rondeurs de ses seins, il est des bustiers criminels, il est des fruits que vous cueilleriez même verts. Quatrième repro : nous en apprenons davantage, jusqu'à maintenant elle n'était qu'une apparition détachée des contingences bassement humaines, la voici dans la grisaille du crayon, au travail, elle tient son micro d'une main, elle sourit de cet air aguicheur qu'affichent les visages des chanteuses qui reçoivent l'ovation du public qu'elles appâtent pour dominer. Vous avez eu l'ange, voici la bête. De scène.

    ROMAN GRAPHIQUE

    UNE AVENTURE DE EDDIE CRESCENDO

    TEXTE : VINCE ROGERS

    DESSINS : DANY BONUS

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    L'on connaissait Dany Boy et ses Pénitents, faudra maintenant compter sur Dany Bonus et son Atelier Graphique. L'intrigue se précise, notre héros, lunettes noires et chapeau trop peu farfelu pour être honnête sur la tête, s'en va rendre visite au professeur Lepabon qui détient dans ses archives secrètes une photo d'un tournage effectué par Louis Feuillade en 1917 aux célébrissimes Studios de La Victorine situés à Nice, la baie des anges maudits comme ne le dit pas Dick Rivers dans sa chanson, nous assistons au début de l'entretien, nous n'en savons pas plus au bout de ses onze feuilles format A4, oui mais pour le moment nous n'avions d'yeux que pour admirer les planches colorées de Dany Bonus.

    Dominante rose. Sur votre palette vous choisissez non pas le rose flamant déplumé mais le rose cadillac pink thunderbird. Inattendu pour un roman noir. Que l'on ne pressent pas à l'eau de rose. Pas de trait expressif. Pas de dureté de silhouettes découpées selon des poses attendues. Un lavis ouaté de pâles luminosités répartis en un embrouillaminis de teintes multicolores. Dany Bonus vous plonge dans le brouillard d'une affaire aux relents de vomi acétonique. Assez tonique même ! Se joue du deuxième degré. Pas de cadre, deux, trois, quatre images disséminées sur la feuille, rythmées par la narration des phylactères sans cadre à l'encre lactescente. Une ambiance glauque, rehaussée de vert salade cuite, de bleu livide, et de jaune soleil éteint. Une éblouissance d'aquarelle pisseuse. Vous aimeriez lire l'album en entier, mais non nous n'avons que dix planches. Selon Pythagore ce chiffre sacré suffisait à prémunir le monde du chaos. Le dernier rempart ! Nous en avons besoin, l'affaire traitée s'annonce kaotique ! Super cadeau bonus !

    CHRONIQUES VULVEUSES

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    Alors Damie, il arrive ce film ! Je vois bien que vous n'avez pas saisi l'entière personnalité de Vince Rogers. Un être détestable, un serial-killer patenté, pas un boucher sympathique qui vous tranche proprement la carotide et vous laisse sur le carreau en moins de deux, non un artiste cruel qui se complaît à vous faire languir durant des heures, savoure de vous voir agoniser d'impatience à petits feux, vous désirez visionner le film, bien sûr tout de suite, lisez d'abord les quatorze épisodes des Chroniques Vulveuses de l'agent du Service Secret du Rock'n'roll, Damie Chad, précédemment parues dans votre blogue rock préféré en la douce année 2013... vous comprenez maintenant pourquoi la nouvelle série Rockambolesques : L' affaire du Conorado-virus dont vous pouvez lire le deuxième épisode sur cette même livraison, est dédiée à Vince Rogers. Je laisse le lecteur seul juge de ce livret A4, reproduit avec le fond de teint original. Je me permets toutefois de rappeler que la trame de l'histoire racontée est directement inspirée de la réalité ariégeoise la plus profonde, que toute ressemblance avec des évènements réels ne saurait être indépendante de la volonté de l'agent Chad. et que le dénommé Claudius a finalement écopé de deux mois de prison... Si vous voulez en savoir plus, Vince Rogers qui n'est pas si méchant que cela vous lance une perche dès la couverture en vous glissant une photo de l'Affabuloscope qui existe vraiment...

    Vous avez été patients, c'est bien, pour la paix je vous offre un petit bonux avant la séance cinéma qui n'est pas dans la long-box, un inédit de Vince Rogers, un CD / DVD, musique, image et rock'n'roll, une véritable avant-première, parution prévue pour 2022...

     

    VINCE ROGERS

    AND THE

    REAL ROCKIN' MOV'

     

    THE ROCKABILLY SYNDROME / ZONE 2

     

    THE HAPPY DAYS...

    THE POST-APOCALYPSE DAYS

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    Flip Flop & Fly : vous l'avez entendu par tout le monde, à commencer par la version trop jazzy de Big Joe Turner, son créateur, mais jamais comme par Vince Rogers, faites un bond en arrière, mettez-vous plutôt les murmures diaboliques de Charley Patton dans l'oreille et vous entendrez la chose inouïe sortie des marais et qui rampe, deep south, bruits de bidons pour la batterie, une voix éteinte qui vient de souffler la bougie de l'être, mélopée en chemin de cendres. Big Fat Bab' : rockabilly tu tiens mon coeur ! Vince Rogers and the Losers, une guitare qui sonne la fin de la récré et maître Vince s'adjuge le vocal comme d'autres une toile du Titien aux enchères, l'accompagnement comme en boîte de sourdine et la voix de Vince d'une précision absolue, ne la force jamais, ne cherche pas à faire le cacoubilly, aucune esbroufe, touche à l'os du rockabilly ! Pas un gramme de graisse. Magnifique, et un original en plus ! Ciné-Western : qui oserait aujourd'hui un tel truc en France, si ce n'est Hervé Loison je ne vois personne, une guitare qui tangue et puis des voix qui chantonnent, déjà le thème, un hommage aux Stuntmen groupe de cascadeurs de cinéma, imaginez un chœur de vachers au fin-fond du Kentucky dont le chant vous arriverait selon les intermittences du vent. Jamais entendu une chose pareille, avec The Black Vampires et quelques rafales de cloches de vaches folles... le premier véritable titre de country-rock français original. Flip Flop Fly : nous avions vu la bête qui sortait des marais, le décor change, Perchman, où quelque part dans un champ de coton, une voix s'élève, solitaire, toute la souffrance nostalgique du monde. Nul besoin d'accompagnement. Splendide. Twist sur la Côte-d'Azur : petit clin d'œil à Dickie de la rivière, guitares claires et chœurs sixties, toute une jeunesse, et la voix de bébé Ghislaine BB, parfois la parodie confine à l'authenticité. JPEG : de la musique encore ? Pas de chance juste des images. Vous n'êtes pas assez sages, juste deux. La parade des monstres qui vous regardent. En noir et blanc et puis en couleurs. JPEG : de la musique encore ? Pas de chance juste des images. Vous n'êtes pas assez sages, juste deux. La parade des monstres qui vous regardent. En noir et blanc et puis en couleurs, bis repetita placent ! Monsters' March : le retour du même mais avec des images qui bougent et Vince Rogers au chant accompagné par les Black Vampires. Au chant pas tout à fait, aux borborygmes, en plein dans la gutturalité immonde, les mots qui ne veulent pas sortir, et que vous déglutissez en vous-mêmes mais qui parviennent à s'extraire de vos glaires comme s'ils s'évadaient d'un camp de concentration en se déchirant sur les barbelés, pendant ce temps défilent des images empruntés aux films d'épouvante, ces images très noires sur-titrées de larges rinceaux de blanc, pas de paroles, inutiles, la véritable horreur est muette, si vous avez encore la force de crier c'est que vous avez envie de vivre et non pas de rencontrer Frankenstein, ou L'Homme-Loup, ou Dracula... Human Hell : vous avez eu peur ? Très bien, l'on part pour un petit court-métrage cinématographique, vous voulez de l'horreur en voici, des images de la guerre de 14, carnage, portage de cadavres, dans le lointain les canonnades, des paroles de soldats, nous sommes dans un film ! si loin de la réalité, en prime par deux fois in extenso Brand New Cadillac de Vince Taylor, un des plus grands classiques du rock certes, mais que vient-il faire dans cette pétaudière, mettrait-il en parallèle la brutalité de la guerre et la violence du rock'n'roll, des hommes meurent et agonisent, beaucoup plus stupidement que dans les films d'horreurs... vingt-cinq minutes de cauchemars, en plein milieu du disque cela jette un froid, un peu comme on annonce le jour de la noce que les parents des mariés viennent de se faire écraser par un poids-lourd en revenant de la mairie, cela vous oblige à réfléchir sur l'inanité des furies humaines. Un peu de philosophie au milieu d'un disque de rockabilly, voici qui ne s'est jamais vu ! Vince Rogers ose tout. Rockabilly STO : ah le doux son du rockabilly, c'est entraînant, mais le service du travail obligatoire ça ressemble un peu trop à la chaîne de Perchman et voici que notre rockabilly tourne au bleu sombre. Même manière d'étouffer la voix mais avec des roucoulades mexicaines. Drame ou comédie humaine ? Le Sud : retour au country le vieux titre de Nino, repris à la calebasse, l'impression que Jeeter de La route au tabac d' Erskine Caldwell allume le moteur de sa Ford et qu'il va rouler ( malencontreusement ? ) sur la tête de la grand-mère, était-on aussi heureux que cela dans le Sud ? Ce pays qui ressemble à la Louisiane et à l'Italie... Swamp City Station : vous avez savouré le Sud ? On y fonce tout droit ! Mais dans le Sud Profond avec ce vieux rockab des familles d'avant Sun quand on se contentait faute de mieux d'imiter avec la voix et les bidons le roulement du train dans le lointain qui passait comme une promesse de rêve. Ou de cauchemar. That's All Right Mama : comment fait-il cet animal de Vince pour prendre ce phrasé de nègre, en plus il se permet de chanter en français, l'on est loin d'Elvis plus près d'Arthur Crudup mais enfin lorsqu'un pauvre a trouvé un job qui lui permettra de survivre jusqu'à la fin de la semaine, serait-ce que le monde ne tourne pas rond ? Rockabilly social. Two Hot Rods : du rockab de petits blancs qui prennent leurs pieds, le Real Roclin' Mov' turbine à mort, Vince rocke à vif, et l'on aime cela, toujours cette manière de bouffer les mots comme s'il avait un alligator affamé dans la gorge, si j'étais les petits blancs, je me méfierais quand même. Ces bestioles ça mord sauvage. Vespa girl : insouciance sixties pour la musique des Black Vampires écoutons les paroles, elles ne sont peut-être pas aussi gaies que l'on pourrait l'espérer, ne vivons-nous pas dans une société de merde, Vince Rogers a le rockabilly critique et vindicatif. C'est plutôt rare dans cette musique. C'est que quand on roule en Vespa on ne se pavane pas en Cadillac. Trailer pour le film de Vince Rogers : une production Golden Classic. Une étonnante aventure de Eddie Crescendo : on y arrive, le trailer, inattendu qui casse les lois du genre, pas grand-chose, une minute huit secondes, aucun effets spéciaux, une planche, une beautifull and classical musique, deux bouts de papier, une espèce de polaroid, la caméra qui se déplace, point à la ligne. Mais une ambiance, une tête masquée qui vous regarde, vous n'avez pas peur, déjà happé par l'énigme. Les images reviennent sans surprise, la tension va crescendo ! Superbe réussite. En Callan de Villanfranca : on avait Tony Marlow qui chantait en Corse, désormais on aura Vince Rogers en dialecte niçois. Ron Border est à la gratte, et c'est la première fois que vous entendrez un traditionnel country-rockabilly chanté en cette langue. Vince Rogers brouille les pistes.

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    Vince Rogers nous livre un objet rockabilly non-identifié. Des sources du blues aux miasmes de l'estuaire boueux de notre aujourd'hui. Cet art-work a toutes les chances de devenir mythique. Les groupes de rockab auront intérêt à l'écouter, aussi bien ceux qui creusent vers les roots que ceux qui essaient de s'inscrire dans un post-psycho. Une mine d'or. Le gisement de nouvelles frontières. Un aérolithe venu de nulle part, que l'on n'attendait pas et qui est tombé par chez nous, soyons cocorico, loin du petit monde parisien. Le rockabilly entrevu en ce qu'il aurait dû toujours être, une musique populaire des bas-fonds, à l'abri du bon-goût et des brillances artificielles des clinquances parasitaires de la renommée et des modes. Une chose obscure, secrète, sauvage... A l'image du peuple, tapi dans l'ombre. Merci Vince Rogers.Abyssal.

     

    CYBERBILLY

    UNE AVENTURE DE

    EDDIE CRESCENDO

    Réalisé par VINCE ROGERS

    ( sur clef USB )

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    Vous vous attendez à quoi, à un film normal et insipide peuplé d'acteurs talentueux et d'actrices belles comme les nuits que vous ne vivrez jamais, tout ce joli monde se pâmant d'aise sur des banquettes arrière de Cadillac dans les paysages rutilants de la Riviera, passez votre tour, ce film n'est pas pour vous. Ce n'est pas un hasard si je ne vous ai pas commenté la pochette du disque chroniqué juste au-dessus, passons rapidement sur la première vue, la belle Cad toute chromée des jours heureux, regardez l'autre, d'après vous en quelle époque vivons-nous, la deuxième, l'épave baudelairienne, abandonnée, rouillée, foutue, irrécupérable, l'after-apocalypse, je peux vous la faire à la Nietzsche, vous ne savez pas la nouvelle, le rock 'n' roll est mort !

    Entre nous soit dit, entre rockers, ce n'est pas la mort du rock 'n' roll qui est grave, c'est ce qui va avec. C'est nous. C'est nous qui sommes morts. Pour ceux qui ne comprennent pas, nous dirons que nous faisons semblant de vivre. Ne protestez pas, nous refusons d'ouvrir les lettres de réclamation, en plus vous ne comprendrez rien au film de Vince Rogers, et vingt-cinq minutes d'incompréhension c'est long. Dites-vous que c'est un film crépusculaire. Et après ce sera mieux. Rajoutons que le mot crépusculaire signifie autant la fin automnale du jour que sa naissance originelle avant l'aube. En d'autres termes nous avons affaire à un film d'avant-garde qui se passe dans le passé. Archéo-futuriste, pour employer l'expression idoine. Le serpentin du temps mord à pleine dents   sa queue alambiquée.

    Rappelez-vous les films muets des origines, avec ces cartons didascaliques qui donnaient les indications essentielles pour mieux situer l'action et qui s'intercalaient dans la suite des images mouvantes. Ben là, ce sont les images fixes qui jouent ce rôle. Marchent souvent par trois. Non pas comme la sainte trinité mais comme la règle de trois. Et entre-temps, que font les acteurs ? Pas grand-chose, surtout qu'il n'y en a qu'un. Qui se contente de mimer quelques unes des actions racontée par une voix-off. Vous trouvez la distribution un peu maigre, vivez avec notre époque, celle des écrans. Plan fixe sur les ordis sordides. Remarquez que le vôtre ne bouge pas beaucoup. Mais ne sont-ce pas eux qui véhiculent les images fixes. Elles sont censées reproduire la réalité, mais elles sont obviées par cette manipulation lente qui s'affiche sur votre écran à vous.

    Les décors sont réduits à l'essentiel. A rien. Un rideau, un pan de mur. Nous sommes dans les studios de la Victorine fermés depuis des lustres, à l'abandon, des ruines, n'oubliez pas que l'apocalypse est passée par là. La seule chose qui vit là-dedans c'est un ordinateur-portable qui vous attend. Il ne se détruira pas trente secondes après que vous l'aurez regardé, car nous sommes après les temps de la grande calamité destructrice. Ne pensez pas à une bombe atomique. Cela serait d'un commun ! La bombe est en chacun de nous, c'est notre passé qui est définitivement hors-circuit, pour chacun de nous, pour Eddie Crescendo par exemple, d'ailleurs est-ce lui ou un autre qui essaie de marcher dans les traces d'Eddie Crescendo. Mais peut-être est-ce vous qui essayez de vous substituer à lui en entrant dans son histoire.

    D'autant plus qu'il y a la voix qui raconte. Le fil qui baratte le beurre en crème renversée. Coupé et entrecoupé. N'êtes vous pas assez grand pour remplir les pointillés, n'avez-vous jamais conduit sous l'orage, n'avez-vous jamais cherché un cadavre dans un cimetière, n'avez-vous jamais roulé avec une glorieuse passagère à vos côtés... Vince Rogers vous fait confiance. Sachez la mériter. Des images lentes, hiératiques, des photos porteuses d'un statut iconique, et puis du bruit, désagréable, du noise qui vous vrille les oreilles, qui s'appesantit, un passage de musique classique, Vince Rogers nous passe un de ses rockabilly-blues dont il a le secret, n'est-ce pas pour cela les allusions à Eddie Cochran et Buddy Holly.

    Certains diront qu'ils ne materont jamais cette aventure d'Eddie Grescendo, vraiment trop bizarre, ils auront tort, car ce n'est pas exactement un film sur Eddie Crescendo, c'est totalement autre chose, beaucoup plus précisément impalpable, laissez-vous bercer par la voix chaude et grave de Vince Rogers, s'il a cru se mettre lui-même en scène, c'est raté, l'a réussi beaucoup plus, au-delà de tout ce que je vous ai raconté, l'a fixé le serpent de mer de la poésie qui nage entre deux eaux, celles des images et celles de la bande-son, jamais dans la focale de la caméra, mais obstinément présente de la première image à la dernière...

    Un film sur le cinéma. Que l'on se fait dans sa tête. L'art cinématographique entrevu comme une auto-projection réflexive de ses propres fantasmes.

     

    UNE PRODUCTION GOLDEN CLASSIC

    UNE ETONANTE AVENTURE DE

    EDDIE CRESCENDO

    ( DVD )

    flashback,back from the canigo,rockabilly generation + big beat,vince rogers'long box,rockambolesques

    Dix-sept petites séquences, entre quelques secondes et moins de deux minutes. Assez pour installer le mystère. Profitez des vues du début, Nice et sa Baie des Anges, imparfaitement nommée, car il n'y a pas que des chérubins qui fréquentent la Promenade des Anglais, des êtres malfaisants venus de l'espace qui empruntent des corridors stellaires aussi, et plus classiquement des soucoupes volantes. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Eddie Crescendo n'a pas peur d'eux, ne se fie qu'à son arme et en cas d'absence à son jeu de mains très vilain. A priori il recherche pour un client un film tourné dans les studios de la Victorine. Le voici dans un immeuble abandonné, dans lequel il s'est fait piéger comme un bleu. Rappel : les scènes chocs se passent dans la tête du spectateur. Baisse d'insuline et montée d'adrénaline garanties. Pourquoi s'obstine-t-il à reprendre l'enquête dans laquelle son frère a été tué... La dix-septième séquence est la plus courte, et la plus explicite. Rappelons que le chiffre 17 est celui de la mort d'Eddie Cochran. Ne me remerciez pas, c'est une fausse clef. Donc idéale pour résoudre les faux problèmes. Si vous ne comprenez pas, ne vous en prenez qu'à vous, Vince Rogers, vous livre toutes les pièces du puzzle, s'emboîtent mal les une dans les autres, un peu de patience et de réflexion sont exigées.

    C'est un peu comme si coupiez en morceaux la pellicule du temps, vous les mélangez, vous omettez de dire aux challengers qui essaient de les remettre dans l'ordre, que certains éléments représentent la réalité physique des évènements et d'autres la réalité rêvée concomitante à ces mêmes évènements – question subsidiaire qui rêve au juste ? N'oubliez pas de vous inclure dans la liste – bref vous êtes confronté à des distorsions... Tout est question de niveau... Ne vous trompez pas d'étage. Surtout vers les sous-sols. Quoi qu'en disent les Led Zeppe, tous les escaliers ne mènent pas au paradis...

    Ce coup-ci ce sont des images qui bougent comme dans tous les films normaux. Ce qui est d'autant plus troublant qu'elles ne montrent pas mais qu'elles font signe. A votre intelligence. Serions-nous dans un film anormal ! Certains quand on leur montre la lune regardent le doigt, d'autres quand ils voient un film regardent les images. Ce qui est peut-être nécessaire mais sûrement pas suffisant. Adoptez l'œil subversif. Un seul et même étiage pour les cultures savantes et populaires.

    La long-box 2 nécessite davantage de matière grise en ébullition que la long-box 1 qui vous emmenait dans le passé des jours heureux. C'était hier et c'était encore vous. La 2 c'est aujourd'hui, mais elle nécessite un effort d'adaptation mentale pour vous réhabituer à vous-même. Pour survivre dans vos propres mythographies, vous rassure Vince Rogers. 

    Même sur le marché parallèle vous ne trouverez aucun artefact similaire à cette long-box. Risque de tenir dans votre vie le même rôle que joue l'objet inconnu étrangement interpellant qui s'immisce dans le quotidien d'une famille heureuse sur la pochette de Presence de Led Zeppelin. Une espèce d'art total du Do It Yourself de l'imaginaire. Rêvé et acté. Mais que de diable de Vince Jolly Rogers nous offrira-t-il la prochaine fois ?

    Y a pas à dire, cette long-box 3, elle sera terrible !

    Damie Chad.

    Commande : passer par F. B. : Vince Rogers, contacter en message privé.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

     

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    maintenant vous savez pourquoi

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    3

    SAINES LECTURES

     

    AGRESSIONS CANINES

    UN FACTEUR PARISIEN ASSASSINE EN PLEIN PARIS

    PAR UNE MEUTE DE CHIENS SAUVAGES

    Sensationnel fait-divers hier matin en plein Paris, devant la porte du neuf rue Odilon Redon. Les pompiers très rapidement arrivés sur les lieux ne purent que constater le décès de Monsieur Alfred Duffaux, facteur de son état, qui gisait dans le caniveau. La blessure qu'il arborait à la base du nez était des plus légères, mais lorsque les pompiers se saisirent de son corps ils remarquèrent une très profonde entaille à la basse de la nuque. L'autopsie est formelle, il s'agissait d'une profonde et mortelle blessure occasionnée par un chien. L'émoi était grand parmi les badauds assemblées devant la scène du crime, lorsque surgi d'on ne sait où un féroce canidé auquel personne ne prêtait attention se jeta sur un malheureux bébé lui déchirant labourant de ses crocs la jambe gauche. Transporté à l'hôpital, les médecins craignirent dès le premier examen une amputation inévitable, leur sombre prédiction s'avéra nécessaire.

    La Mairie de Paris a fait savoir dans l'après-midi que tout chien errant se verra emmené à la fourrière pour y subir sans délai une euthanasie de précaution.

    Le Parisien Enchaîné.

    Entrefilet du Canard Déchaîné

    Il se murmure dans les milieux autorisés que pas très loin de la rue où gisait le cadavre du facteur retrouvé couvert de morsures de chiens se trouverait le local du SSR. N'est-ce pas en évoquant ce service que le Président de la République aurait dernièrement déclaré en conseil des ministres qu'il leur réservait un chien de sa chienne...

    5

    Du Coronado du Chef s'échappa un nuage de fumée aussi épais que celui de l'Etna au dernier jour de Pompéi.

      • Agent Chad, connaîtriez-vous par hasard le nom de famille du facteur qui nous livre le courrier chaque matin ?

      • Duffaux, Chef si vous voulez parler de celui qui a pris l'habitude de discuter un peu de musique chaque matin en partageant avec nous un verre de Jack, lors de sa tournée.

      • Je ne me pardonnerai jamais ce manque de perspicacité soupira le Chef, en ouvrant son tiroir à Coronados, vous rappelez-vous du retour de Molossa et de son fils adoptif, hier matin !

      • Ah oui, Molossito arborait fièrement dans sa gueule une enveloppe rouge dont il ne voulut à aucun prix se séparer, et qu'il a déposée dans sa panière qui n'est autre que votre tiroir à Coronados, Chef.

      • La voici !

    Le Chef se saisit d'un coupe-papier et l'ouvrit précautionneusement. Il en sortit un mince bristol de la même couleur rouge qu'il me tendit Un simple mot en grosses lettres noires en barrait toute la largeur : MEFIEZ-VOUS !

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    Molossa grogna au coin de la rue. Elle s'assit sur son derrière pour nous interdire de tourner. Le danger était devant. Molossito l'imita. C'était une tactique que nous avions mis longuement au point, car il faut toujours avoir un coup d'avance sur l'ennemi. En courant je revins sur mes pas, enfilai la première rue sur ma gauche, tournai à gauche à la suivante, sortis mon parabellum et déboulai dans l'avenue, le Chef qui était resté en faction faisait de même cent mètres plus bas, trois passants apeurés se dépêchèrent de disparaître alors que nous marchions l'un vers l'autre nos pétoires à la main. Nous nous arrêtâmes à dix mètres l'un de l'autre à hauteur de la place réservée pour les handicapés, que j'ai l'habitude de squatter pour garer ma teuf-teuf.

      • En route grogna le Chef, nous n'eûmes même pas le temps de faire un pas, Molossa se planta devant nous et montra les dents. En même temps d'un coup de patte rageur elle envoya bouler Molossito qui s'apprêtait à arroser consciencieusement le pneu arrière. Je plaquai vigoureusement le chiot à terre tandis que le Chef se jetait sur Molossa, nous ne restâmes que deux secondes allongés sur le trottoir, une déflagration désagréable nous perça les tympans, d'un roule-boulé magistral, chacun tenant son animal serré contre sa poitrine, nous nous éloignâmes des flammes qui s'emparaient de la pauvre voiture. Dix ans de bons et loyaux au service du rock'n'roll s'envolaient en fumée. En quelques secondes il ne resta plus qu'une carcasse à demi-calcinée de la Teuf-Teuf. Molossa poussa un long gémissement. Je la vengerai, m'écriai-je.

    Le temps n'était pas aux pleurnicheries ni à l'expression de sentiments exaltés. Plus pragmatique le Chef au milieu de la route avait déjà arrêté une voiture, il en sortit le conducteur par le colback et comme celui-ci rouspétait en se débattant, d'un geste vif, il le balança direct dans la vitrine de la pharmacie voisine, qu'il explosa non sans se taillader maladroitement le visage sur les éclats de verre.

      • Agent Chad au volant, direct sur le sens interdit, vous foncez, j'abats immédiatement toute personne qui aurait la mauvaise intention de traverser.

    Sur la banquette arrière, les deux chiens remuaient la queue de contentement, l'aventure ne faisait que commencer !

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 478 : KR'TNT ! 478 : JAN SAVAGE + SEEDS / RICHARD HELL / SLEAZY TOWN / JIM MORRISON / STUPÖR MENTIS / BLITZ' ART / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 478

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    01 / 10 / 20

     

    JAN SAVAGE + SEEDS / RICHARD HELL

    SLEAZY TOWN / JIM MORRISON

    STUPöR MENTIS / BLITZ' ART

    ROCKAMBOLESQUES

    Seedy belle abbesse

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    Il ne restera bientôt plus rien des Seeds. Le guitariste Jan Savage vient de casser sa pipe en bois. C’est lui l’indien en couleur sur l’illusse. À droite, Daryl Hooper, le Manzarek des Seeds, est le dernier survivant. Il participe d’ailleurs à une «reformation» des Seeds avec Alec Palao et d’autres vieux briscards. Duncan Fletcher leur consacre deux pages dans un récent numéro de Shindig!.

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    À Daryl Hooper (plutôt bien conservé) et Don Boomer (the band’s second-generation drummer) s’ajoutent le chanteur Paul Kopf, le guitariste Jeff Prentice et l’Alec bien connu de nos services. Il joue de la basse et sur la photo de la reformation, on le voit sanglé dans une veste Carnaby Street rouge et bleue. En 2019, les reformés prévoyaient de venir jouer à Londres (Au Beat Bespoke) en support de l’avant-première de Pushing Too Hard, le film consacré aux Seeds que tout le monde attend depuis une éternité. Le réalisateur Neil Norman n’est autre que le fils du boss de GNP Crescendo Records. C’est Gene Norman qui avait signé les Seeds en 1966. Il faut savoir qu’Elektra, Capitol, Columbia et d’autres labels avaient claqué leur porte au nez des Seeds. Quand Gene Norman récupéra la démo du premier album des Seeds, il n’était pas bien sûr du coup et il la fit écouter à son fils Neil qui avait alors 12 ans. Lorsqu’il vit Neil sauter en l’air dans la pièce et brailler «Yes dad go for it !», il signa immédiatement les Seeds sur GNP.

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    Alec Palao qui est le grand spécialiste des Seeds produit le film. C’est une caution. Sollicité pour rééditer tous les albums des Seeds, il eut accès à toutes les archives. Ce qui l’a le plus frappé lors du désarchivage, c’est l’extraordinaire énergie du groupe à ses débuts. Il dit surtout de Sky qu’il ooze rock’n’roll authority at every moment. Il dit aussi que les autres Seeds participaient pleinement au processus Seedy - Daryl, Jan, and Rick were definitely not sidemen - Quand le projet du film a démarré, Sky était encore en vie et Alec en parlait avec lui.

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    On a découvert les Seeds en France en 1972 grâce à la parution du Nuggets de Lenny Kaye sur Elektra. Cette compile portait bien son nom, car pas mal de kids en France s’achetèrent une pelle et une pioche pour aller creuser dans le filon de Kaye : Standells, Chocolate Watchband, Shadows Of Knight, Blues Magoos, Electric Prunes, Count Five, on n’avait encore jamais acheté autant d’albums, et bon nombre d’entre eux sur les auction lists de Bomp!. Si tu misais bien, tu l’avais ton Shadows Of Knight sur Dunwitch. Il te fallait aussi ton Standells sur Tower Records et bien sûr ton Seeds sur GNP Crescendo, car sinon, la vie n’avait pas de sens. Avec ses conneries, cet imbécile de Kaye nous avait tous mis sur la paille.

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    Ceux qui se détachaient vraiment du lot étaient les Standells et les Shadows Of Knight, à condition de rester dans les premiers albums. Les Seeds, ça pouvait être un peu plus compliqué. Leur carte de visite s’appelait «Pushin’ Too Hard», le cut choisi par Kaye pour figurer sur Nuggets. Un Pushin’ qu’on retrouve sur leur premier album, The Seeds. On peut le ressortir de l’étagère, il n’a rien perdu de sa vieille vitalité. Ces Californiens sont en quelque sorte les inventeurs du garage d’orgue. Ils jouaient un garage très différent de ceux des Standells ou des Shadows Of Knight, plus orientés guitares et chant délinquant. Ces deux groupes étaient fortement influencés par les Stones. Les Seeds tapaient dans un autre registre, basé sur le shuffle d’orgue et le relentless. Comme ils n’avaient pas de bassiste, Daryl Hooper jouait les basses sur son clavier, ce que faisait aussi Manzarek à la même époque. La tradition de ce heavy garage d’orgue vient donc des Seeds. Ce premier album des Seeds est entré dans la légende grâce au tagada night & day de «Pushin’ Too Hard». Jan Savage y joue un solo historique, l’un des phrasés les plus gaga du gagaworld. D’autres cuts comme «No Escape» et «Evil Hoodoo» illuminent l’A, on y entend la fuzz de Los Angeles et une hypno qui préfigure bien celle des Doors. Daryl Hooper joue le riff à l’orgue car on entend Jan Savage partir en solo. On retrouve de la belle hypno en B avec «It’s A Hard Life» et du coup, avec son beat sec et net, Rick Andridge préfigure Cubist Blues. Ils cultivent l’art du préfigurage. Et bien sûr, tout est chanté à la Sky, c’est-à-dire à la bonne insistance. Ne perdez pas de vue ce démon de Daryl Hooper qui fait son doom doom de basse dans «Excuse Excuse». Il n’en finit plus de repréfigurer le Break On Through des Doors.

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    Paru la même année, en 1966, leur deuxième album s’appelle A Web Of Sound. Pas de hit à proprement parler, mais du Seedy sound à gogo. On se laisse facilement envoûter par les Seeds, notamment par «Up In Her Room», a full room of Seedy groove, chef-d’œuvre de préfigurage des Doors, un art basé sur la lancinance, avec un Jan Savage qui joue au long cours et un Sky qui tartine le so good oh so good de Van the man. En fait, ils créent un monde avec trois fois rien. Sky et Rick Andridge font tout le jobby jobbah. «The Farmer» vaut pour un petite garage d’orgue rampant, monté sur un beat tellement balluchard qu’il en devient archétypal. Mais on passe un peu à travers tout le reste. Le premier album suffisait amplement à installer les Seeds dans l’inconscient collectif.

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    Alors après, ça se gâte. Une fois rapatrié, Future fut une énorme déception. On espérait du garage punk d’orgue et on tombait sur de la petite pop. Il fallait beaucoup de courage pour écouter un truc comme «Travel With Your Mind». Sky Saxon essayait d’embarquer son «Now A Man» au petit nasal angelino, mais il peinait à convaincre les peine-à-jouir. On restait dans un rumble d’orgue et de tambourin très spécifique. «Out Of The Question» était le seul cut potable de cette pauvre A. Alors pour sauver leur B, ils proposaient une resucée de «Pushin’ Too Hard» intitulée «A Thousand Shadows». Belle arnaque. Cet album refusait obstinément d’obtempérer. Cut après cut, ça tournait à la débâcle. Les Seeds n’avaient plus rien dans la culotte. Quand Sky attaquait «Where Is The Entrance Way To Play», c’était un peu comme s’il renonçait. Le groupe tournait en rond jusqu’au vertige. Le sentiment d’arnaque était tellement fort qu’on n’a jamais pu écouter cet album en entier. C’était du grand n’importe quoi. Allez-y les gars, cassez vos tirelires !

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    Ce fut encore pire avec l’album suivant, A Full Spoon of Seedy Blues. On espérait du gros British Blues de Los Angeles, mais l’album sonnait comme un gag. Ils rassemblaient pourtant toutes les conditions du blues de Chess : l’écho, l’harmo, mais Jan Savage ne se mouillait pas trop et il était impossible, à l’écoute de «Moth & The Flame», de prendre le Seedy Blues au sérieux. Avec «Cry Wolf», le pauvre Sky se prenait pour Wolf. Pour chanter du nez, il faut des grosses narines. Les Seeds étaient aussi peu doués pour faire du Chess que les Morlocks. Sky Saxon sonnait comme une caricature et le Full Spoon devint l’album dont il fallait se débarrasser de toute urgence. Si tu veux jouer du blues, baby, commence par t’appeler Mike Bloomfield ou Peter Green. Sinon laisse tomber. Ce Seedy Blues fut l’un des albums les plus indécents de son époque.

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    La liste des outrages n’allait pas s’arrêter là : parut en 1968 un faux live, Raw & Alive: The Seeds In Concert At Merlin’s Music Box. L’album donnait une idée de ce que pouvait être la frenzy des Seeds sur scène mais les faux applaudissements ruinaient tout. On n’entendait plus que ça, les injections bien modulées d’applaudissements. Les Seeds jouaient toutes leurs cartes, «Mr Farmer», «No Escape», toutes leurs énormités de garage d’orgue, mais les clameurs sonnaient faux et gâchaient tout. Les imbéciles qui avaient trafiqué le son avaient fait n’importe quoi. Ça devenait insupportable. Il était impossible d’échapper aux fausses clameurs. Ce faux live enterra les Seeds vivants en leur ôtant toute crédibilité. Ils terminaient avec un «Pushin’ Too Hard» que Rick Andridge battait sec et net. Daryl Hooper maintenait bien le cap derrière son clavier, ils développaient une belle énergie mais les fausses clameurs venaient ruiner tous leurs efforts.

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    Dommage, car les Seeds avaient un sacré potentiel. Après l’échec des derniers albums GNP, Kim Fowley tenta de les relancer avec un single, le fameux «Falling Off The Edge (Of My Mind/Wildblood» - Baby you gave me wild blood - bien rebondi au beat de Sky. On le trouve sur la compile Falling Off The Edge, ainsi que l’excellent «Chocolate River», un cut hypno que Daryl Hooper entortille de rubans d’orgue. Encore un groove infectieux avec «The Wind Blows Your Hair» que Sky chante au virus urbain, pris d’une fièvre d’orgue jaune, alors que des gouttes de sueur tombent sur ses bottes en chevreau. On entend aussi l’Hooper trafiquer dans «Satisfy You», un cut de single perdu dans l’océan, Sky chevauche le beat de conclave et les nappes de satin rouge. Il faut aussi entendre Sky faire son Jimbo dans «900 Million People Daily (all Making Love)». Soit Sky vient de Jimbo, soit Jimbo vient de Sky, en tous les cas la parenté est claire : Doors & Seeds, même combat.

    Signé : Cazengler, qui vaut pas un coup d’cid

    Jan Savage. Disparu le 5 août 2020

    Seeds. The Seeds. GNP Crescendo 1966

    Seeds. A Web Of Sound. GNP Crescendo 1966

    Seeds. Future. GNP Crescendo 1967

    Seeds. A Full Spoon of Seedy Blues. GNP Crescendo 1967

    Seeds. Raw & Alive: The Seeds In Concert At Merlin’s Music Box. GNP Crescendo 1968

    Duncan Fletcher : Fuzz film and fun in the UK. Shindig # 89 - March 2019

     

    Hell je ne veux qu’Hell

    - Part Two

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    Au temps des Voidoids, Hell fait aussi pas mal de cinéma, notamment dans le film d’Ulli Lommel, Blank Generation. Il tourne ça en 1978 en plein âge d’or des Voidoids, avec Carole Bouquet dans le rôle d’une amourette de passage. Le film est ridiculously ridicule, c’est le néant absolu de l’écriture cinématographique

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    . Tout s’éclaire dans l’interview qu’accorde Richard Hell à l’écrivain Luc Sante et qu’on trouve sur le DVD à la suite du film : Hell vole dans les plumes de Lommel, il parle d’un film complètement foireux - the film is ridiculously, irredeemably bad - Il explique que rien n’était écrit et que personne ne savait ce qui allait se passer le jour suivant sur le tournage. Hell est encore plus furieux quand il aborde la question d’Andy Warhol qu’on voit quelques minutes à la fin du film : «Typically of Lommel, the director, he wanted Warhol for the marquee value, but he treats him disrespectfully in the movie.» (Typique de Lommel, il voulait Warhol pour le nom et lui manque de respect en le filmant). Hell n’en finit plus de rouler Lommel et son film dans la farine. Il se fout même de la gueule de Carole Bouquet et des fringues ringardes qu’elle portait. Hell ajoute qu’il n’était pas à l’aise. C’est vrai qu’à l’écran, il est carrément mauvais. Quand la caméra le cadre, il joue faux, atrocement faux. Le seul intérêt du film, ce sont les plans des Voidoids filmés au CBGB : Ivan Julian, Robert Quine, Marc Bell et Hell y sèment l’enfer sur la terre. On n’imagine pas à quel point ce groupe pouvait être explosif, avec un Quine en embuscade et ce frappadingue de Bell au big beurre. Hell indique toutefois qu’il n’était pas utile de ramener «Blank Generation» quatre fois dans le film. Une fois aurait suffi. Il salue aussi la BO d’Elliot Goldenthal, très Taxi Driver dans l’esprit.

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    En 1982, Susan Seidelman propose le rôle d’Eric à Hell dans Smithereens, un autre film ‘punk’ new-yorkais. Il n’est pas très bon dans le rôle. Il joue son propre rôle, celui d’un punk-rocker local célèbre habitué aux petites arnaques et aux coups de bite à la sauvette, comme le veulent les mœurs de l’époque. Il joue de son physique et de son look, se verse de la bière dans les épis pour se coiffer et tente de rester le plus naturel possible devant la caméra, mais on imagine bien que ce n’est pas si simple. Par contre, Susan Berman qui joue le rôle de Wren tire mieux son épingle du jeu. Dans les entretiens qui accompagnent le film, Susan Seidelman nous explique qu’elle voulait une actrice aussi vivace que Giuliette Masina qui fut on s’en souvient la femme de Fellini et l’inoubliable Cabiria dans Les Nuits de Cabiria. Susan Berman joue avec tout le chien de sa chienne son rôle de SDF punkoïde dans un New York d’époque centré autour du Peppermint Lounge. Elle rafle la mise. À côté d’elle, Hell paraît gnangnan et emprunté. On ne le voit même pas sur scène, par contre on entend «The Kid With The Replaceable Head» tiré de son deuxième album avec les Voidoids. Susan Berman danse dessus et elle est incroyablement juste dans son wild shaking. Le scénario n’est qu’un prétexte à filmer New York, capitale artistique.

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    Deux ans plus tard, Susan Seidelman refait appel à Hell pour une courte apparition dans le fameux Desperately Seeking Suzan. L’apparition est si fugace qu’on ne le voit même pas. Il est au lit et vient de passer la nuit avec Madonna qui lui chourre des boucles d’oreilles ayant appartenu à Nefertiti. Enfin bref. Ce film a tous les défauts m’as-tu-vu de l’époque et bat bien des records de superficialité. Des critiques y ont vu de la modernité, mais celle de la Nouvelle Vague avait autrement plus de jus. Disons qu’il s’agit surtout d’un film sur Madonna qui démarre sa carrière, mais à l’écran, elle n’est pas aussi excitante que Susan Berman. On se demande surtout pourquoi ce film sans grand intérêt figure dans la filmographie d’Hell.

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    Là où Hell s’en sort le mieux, c’est dans le street movie de Rachel Amodeo, What About Me, sorti en 2011 sur DVD. Dans ce cas, le DVD est essentiel, car on voit le film deux fois : une première fois tel quel, en VO, et une deuxième fois, si on veut, commenté par Rachel elle-même. Alors ça devient fascinant. Elle joue le rôle principal, celui de Lisa, une brune très italienne qui ressemble à la statue de la liberté, c’est en tous les cas le propos du film. Lisa loge chez sa tante, une grosse italienne qui n’est autre que Mariann, la sœur de Johnny Thunders. Quand la tante meurt, Lisa se fait violer par le gros porc de l’immeuble et se retrouve vite fait à la rue, dans l’East Village new-yorkais. Rachel Amodeo raconte une belle descente aux enfers. Dans l’errance qui suit, elle rencontre un Vietnam vet bien déglingué qui n’est autre que Richard Edson, l’un des deux fils du pizzaiolo de Do The Right Thing. Il joue son rôle à la perfection. Il marche en crabe et parle fort. Et comme Rachel connaît toute la faune de l’underground new-yorkais, on voit arriver à l’écran Dee Dee Ramone (lui aussi en Vietnam vet), Nick Zedd, Gregory Corso et Johnny Thunders qui d’ailleurs va casser sa pipe en bois pendant le tournage. Comme il avait donné des cuts pour la BO, Mariann ne s’opposa pas à leur utilisation. Autre acte de générosité dont parle Rachel : celui de Peter Perret qui ne demande rien pour l’utilisation d’«Another Girl Another Planet» dans une petite scène de fête. Admirable. Rachel dit aussi que Jerry Nolan était très fier de tourner une scène dans ce street movie : il se fait descendre dans la rue et agonise devant la caméra. Johnny Thunders a lui aussi deux ou trois scènes au téléphone. Il joue le rôle de Vito, le frère de Lisa. Elle l’appelle et Johnny promet de revenir à New York car il sent qu’il y a un problème. Eh oui, quelques mois dans la rue et dans l’hiver new-yorkais, ça ne pardonne pas. On voit aussi une très belle scène où Lisa fume du crack dans une pipe à herbe avec Nick Zedd et un mec bien barré nommé Marshall. C’est du vécu. Et puis curieusement, c’est Hell qui se tape la part du lion, avec le rôle d’un ange de miséricorde. Incroyable retournement de situation : Hell joue son rôle avec une classe incroyable, il est même d’une grande beauté et d’une infernale justesse de ton. Il recueille Lisa chez lui et pour la première fois depuis des mois, elle peut prendre un bain. Hell veille sur elle. Comme elle ressemble à la statue de la liberté, il l’emmène la voir, et c’est là sur l’île, qu’elle va mourir, sans doute des suites d’une blessure à la tête. Voilà, ça se termine comme ça. À l’usure, comme l’histoire de Ratso.

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    Pas de meilleure introduction que Clean Tramp à l’œuvre de l’écrivain Hell. Bon, on passe rapidement sur les petits books en forme d’exercices de style, The Voidoid (paru en 1993) et Godlike (paru en 2005). Le premier est un court récit surréaliste troussé en hommage à Isodore Ducasse, mieux connu sous le nom de Lautréamont. En fait le récit lui-même n’est pas très convainquant, Hell met en scène deux personnages, Skull et Lips, qui sont de toute évidence Tom Verlaine et lui - The skeleton is named Skull and the vampire is named Lips. They live together in New York City where they have a rock band, The Liberteens - Hell est le vampire - Skull’s name is Caspar Skull and Lip’s real name is Arthur Black - On reste dans la littérature. Ce qui fait la grandeur de ce mini-book, c’est l’afterword où Hell explique dans quelles conditions il a écrit ce texte. Comme le fit Hemingway en son temps à Paris, Hell louait une petite piaule meublée sur East 10th Street, juste pour écrire - J’étais mentalement assez misérable, mais pas entièrement. J’étais heureux pendant que j’écrivais. Ou quand je finissais d’écrire. Ou j’étais sûr que j’allais l’être de toute façon - Dans la piaule, un lit, une table, une chaise, une machine à écrire et un petit tourne-disques - Je n’avais qu’un seul album, My Generation des Who. Il me donnait de l’énergie sans que j’aie besoin de l’écouter attentivement - Et il termine ainsi : «J’aime encore beaucoup ce book. Il est dans l’esprit de Maldoror car Lautréamont est mon frère. Quand j’ai tapé le texte définitif, j’ai imité la présentation de l’édition New Directions de Maldoror en aménageant de grandes marges autour du texte. Je voulais que mes pages soient belles comme des bijoux rares ou des photos nocturnes qui deviennent vivantes lorsqu’on les observe. Voilà ce que je voulais. J’espère que ça vous touche. Intensément, j’espère.» L’écrivain Hell est souvent très attachant, mais c’est avec un vrai roman comme Go Now qu’on le comprend.

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    ( Traduction française de Go Now  )

    C’est même une vraie merveille. Un roman en forme de road-movie, dirait un critique en panne d’imagination. Il se trouve qu’avec Go Now, Hell déploie des ailes, celles d’un authentique écrivain. On sent la puissance narrative et l’instinct littéraire, ça ne trompe pas. Comme souvent chez les géants littéraires, les thèmes ne sont que des prétextes. Le road-movie sert de prétexte à raconter l’Amérique (sans doute un clin d’œil à Kerouac), mais aussi à vanter les charmes de la dope, à cultiver l’érotisme de façon constante et capiteuse, et à injecter en fin de voyage du matériau autobiographique, car forcément, Hell passe par Lexington, Kentucky, cette ville où il a grandi et qu’il a fui à 17 ans pour aller faire le poète/punk-rocker à New York. Go Now est le roman rock parfait, Hell y bouscule tous les tabous et propose un autoportrait cru et fascinant. Go Now s’avale d’un trait. Go Now se relit. Avec Go Now, la messe est dite.

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    Go Now, petit book d’apparence anodine avec sa photo de motel room sur la jaquette jaunie par le temps et tout de suite Hell nous parle de sa bite - Je suis assis là. Ma bite est dans mon pantalon, chaude, lourde et puissante. Peut-être devrais-je me branler. Je n’ai pas joui depuis plusieurs jours - c’est comme de pisser ou de chier, vous ne pouvez faire ça qu’en état de défonce - Comme Kim Fowley, Hell se prend pour the Lord of Garbage lorsqu’il descend dans la rue, «Back to the street, where I am king. Lord of garbage. I go to cop», il va acheter sa dose. Sa prose devient parole de chanson. Puis il décrit le prétexte du book, via la voix de Jack the Biritish qui cherche un couple pour lui ramener de Californie une ‘57 DeSoto Adventurer de couleur orange. Jack veut que Billy Mud, c’est-à-dire Hell, écrive et que Chrissa, the French girl photographe (sans doute Lizzy Mercier Descloux) prenne des photos. Voilà le deal. On est en plein mythe rock’n’roll dès la page 20 de ce petit book d’apparence anodine. Hell et Chrissa se connaissent depuis longtemps, mais ils ne forment pas un couple. Ils ont exploré les arcanes du sexe ensemble - we invented sex in the washed-out music des fins de nuits et nous sombrions dans le sommeil à l’aube - Le sexe va revenir en force dans le récit, Hell est un érotomane aussi puissant que Georges Bataille. Il envisage de faire le voyage avec de la dope, bien sûr - Avec de l’argent dans ma poche et la certitude de pouvoir acheter de la dope, je suis un cow-boy, froid et serein sous les étoiles - Alors bien sûr, il parle de la DeSoto, a dream come true. Elle est aussi prétexte à écriture - A time machine. It has an aura. It is the color of fire - the color of New York methadone - and when you look at it everything else goes away. On se sent comme dans un domaine. C’est dur de croire que c’est uniquement une machine, de la matière. Elle ressemble plus a un secret exposé en plein jour, comme Le Lettre Volée d’Edgar Poe - Alors ils prennent la route - En prenant les longs virages au long des falaise qui surplombent l’océan, je tombe en extase - C’est comme si on était dans la bagnole avec eux. Les chambres de motels le comblent encore plus d’aise - Rien n’est plus appréciable pour un sale mec que des draps propres. Jesus, I love motels - Son problème est de se ravitailler sur la route. Il a une connexion à San Francisco, une certaine Kathy qui fait du rock et qui se shoote - J’aime Kathy et elle m’aime, de la façon dont les drogués s’aiment. Elle me comprend (...) Elle prend soin de moi comme une grosse araignée - Kathy lui file du crytstal meth qu’on appelle aussi methedrine. De retour au motel, il propose à Chrissa de tester le speed. Oh, elle n’est pas une sainte : elle deale de la coke à bonne échelle. Hell lui dit qu’elle va aimer ça : «Tu aimeras ça comme tu aimes la coke. Mais c’est plus pointu que la coke et ça dure plus longtemps. Tu te sens bien, ton esprit fonctionne vite. It’s cool.»

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    Hell vend son speed comme il vend Baudelaire, dont il trouve un recueil chez un libraire de San Francisco, car forcément, pas de road-movie sans libraire. Prétexte encore, puis big paragraphe sur l’un de ses auteurs préférés. «Après tout, Baudelaire est un être voluptueux et extravagant qui sacrifie beaucoup aux effets esthétiques. Même s’il cultivait l’embourgeoisement via le pessimisme et de spleen, il n’en demeurait pas moins affamé de reconnaissance.» Bien vu, Hell, en plein dans le mille. Et ce n’est pas fini - Il cultivait surtout un désir d’infini. Il ne voulait pas être importuné par les conventions et il s’arrangeait pour que les choses soient aussi laides ou perverses qu’elle l’étaient en réalité. Mais il n’avait pas de vitalité, il était brisé, il ne produisait que des fragments, de pâles imitation d’idoles comme Poe, mais en même temps, il avait cette élégance de savoir transformer ses faiblesses pathétiques en vertus, il en fit même son propos et son identité. Il avait ce courage. Ça a marché. Je suis content pour lui et son succès m’encourage. Alors que je feuillette ce vieux livre, je peux sentir sa présence, je le sens noble, subversif et fascinant. Son exemple me donne de l’espoir - S’attendait-on à rencontrer Baudelaire dans un road-movie ? Bien sûr que non. Autre question : faut-il continuer à citer ? Il reste énormément d’éclairs littéraires dans ce mini-book. Citer consiste en fait à réécrire les lignes des autres. Quand on passe sa vie à écrire au point que ça devient une obsession quotidienne, réécrire est tout bêtement une façon de reprendre souffle. On réécrit pour faire une pause. En même temps, on savoure un peu mieux l’objet lu, en s’en imprègne un peu plus. Et qui sait, on peut espérer en faire partager quelques aspects. Un livre, c’est comme un disque, une énergie le sous-tend et c’est bien d’essayer d’en capter l’essence.

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    Pendant ce temps, Hell revient à ses chères drogues - Thank Gof for drugs. Voilà ce que je me dis an traversant la parking du motel. Que serais-je sans elles ? There’s something for everything. Les drogues gardent aux choses leur fraîcheur et me permettent de vivre des aventures. Je me sens comme un athlète victorieux - Hell revient dans la voiture pour faire son travail d’écrivain. Il joue avec une phrase : «The silence in the car resumes». Il la prononce plusieurs fois à voix haute. En français, on dirait : «Le silence s’installe de nouveau dans la voiture». Chrissa qui conduit lui demande s’il est en train d’écrire son livre. Ils éclatent de rire - ‘Chrissa laughs’ dis-je et on éclate de rire tous les deux. We giggle in the speeding car - Les regards qu’il porte sur les villes d’Amérique sont tous très littéraires, comme par exemple la capitale des casinos, Reno, Nouveau Mexique : «Tout le monde ici est soi de la charogne (dead meat), soit un vautour.» Au motel, il allume la télé et tombe sur un sitcom qui lui donne envie de vomir. Hell se demande toujours de quoi il a vraiment envie. De dope, bien sûr - J’attends quoi sinon trouver de la dope. Je regarde Chrissa. Je pourrais espérer l’avoir. Fuck that. Je l’ai déjà. Si elle me connaissait vraiment, elle ne pourrait pas me supporter, pas plus que j’arrive à me supporter - Mais il se reprend vite car il déclare : «Grâce à l’hero, j’ai pu transformer mes peurs et le sentiment de n’être rien en vertu. C’est ce qui m’a autorisé a faire ce que j’avais envie faire en tant qu’homme et artiste.» Il se sert d’une remarque sur l’Amérique qu’il trouve boring, c’est-à-dire ennuyeuse, pour considérer la vie : «Comment devons-nous vivre notre vie ? À quoi peut-on aspirer ? La gloire et l’argent. Sex and drugs. Sinon, à quoi sert la liberté ?». Pendant le road-movie, il tombe en panne de dope et se voit contraint de se désintoxiquer, avec l’aide de Chrissa. Mais le besoin de dope revient et il se fait envoyer un paquet à Denver. Quand il s’est refait un fix, il écrit : «Je suis à l’aise et regonflé. Et je parle à Chrissa. Je lui explique que les Américains sont des drug addicts. Ça s’appelle la quête du bonheur, c’est le capitalisme, c’est la liberté, c’est l’individualisme dans les grands espaces, c’est la démocratie. C’est la DeSoto Adventure. Je ne sais plus ce que je raconte, mais elle me laisse continuer.» Hell nous fait aussi quelques pages de sexe exceptionnelles, dignes des grandes heures d’Henry Miller et de Catherine Millet, avec un côté plus physique et plus punk en prime. Il nous fait entendre le bruit des organes génitaux qui flip-floppent. Il nous fait aussi le coup du rebondissement spectaculaire de fin de roman, comme le fit Flaubert dans Madame Bovary. C’est très spectaculaire et très réussi. On ne va pas le raconter, car ça vous gâcherait le plaisir de lire ce livre. Wow, Hell, what a punk-novel de Nobel level ! Vers la fin, il s’autorise encore deux ou trois facéties désabusées dignes de celles d’Houellebecq : «Maintenant, je sais d’où viennent les religions : de la peur et de la haine de soi. C’est trop difficile de vivre en connaissant ses travers et en même temps, ça n’a pas si grande importance.» Hell a compris que rien ne pouvait changer et que prier ne servait à rien. Il s’en explique ainsi : «La vie est une maladie. Une sorte d’infection du monde abstrait. God n’est qu’une image de ce que sont les choses et n’a qu’un seul pouvoir, l’inertie. Les choses ne peuvent pas changer. La plus puissante pensée n’y pourra jamais rien. Rilke disait que les seules batailles dignes d’être menées étaient celles perdues d’avance, celles contre les anges. On ne peut changer que soi-même et c’est la seule façon de changer le monde.»

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    Il existe d’autres books d’Hell, mais ce sont des books compilatoires, comme Hot And Cold (paru en 2001) et Massive Pissed Love. Nonfiction 2001-2014 (paru en 2015). Hell y compile des textes, des poèmes, des dessins et des photos, mais il le fait chaque fois avec une intention purement artistique. Il aime dessiner sa bite, mais aussi l’entre-jambes de ses copines. On voit une belle photo de Lizzy Mercier Descloux à poil et bien velue, et d’autres photos de femmes nues, chaque fois très érotiques. Dessins et photos sur lesquels on revient régulièrement, pour le plaisir de l’œil, comme on le fait en feuilletant les pages des catalogues de Molinier ou de Clovis Trouille. Vous trouverez dans Hot And Cold un texte fantastique sur Johnny Thunders, qui date de l’époque où Hell écrivait sous le nom de Theresa Stern. «Johnny Thunders is quintessential rock & roll. Il aurait pu devenir joueur de baseball car il était bon, mais il ne voulait pas couper ses cheveux comme le lui demandait le coach. Il quitta le lycée, s’installa dans le Lower East Side et à 18 ans, il fut le guitariste du groupe le plus célèbre d’Amérique.» Dans un autre texte, il dit pourquoi les Dolls étaient si essentiels : «Ils furent le premier pur groupe de rock & roll. Ils savaient que le rock & roll est à 50% basé sur l’attitude, même peut-être à 100% ou 200%. Ils furent le premier groupe à se considérer comme des stars plutôt que comme des musiciens. Ils étaient pour les New-Yorkais ce que les Sex Pistols furent pour les Anglais. Ils excitaient tout le monde, ne pensaient qu’à s’amuser, sans jamais la moindre prétention. Ils étaient ballsy, noisy, rough, funny, sharp, young and real. Stupid and ill. Ils se moquaient des médias, dégueulaient sur les adultes et parlaient de sexe et de drogues avec les kids.» C’est important d’écouter Hell parler de Johnny Thunders car ils ont bien navigué ensemble : «Il m’a toujours surpris quand on discutait. Il était tout le temps smart et c’est ce qui me surprenait. Il était aussi smart qu’il était élégant. Smart comme Elvis l’était. Il ne trichait jamais.» Et il revient sur Elvis et sur le smart : «Elvis just had it. C’était quelque chose de spirituel. A kind of grace. Quelque chose d’inné. Un truc que tout le monde voudrait avoir et Johnny l’avait. Et il savait qu’il l’avait. Pour lui, le meilleur compliment qu’on pouvait lui faire était qu’il était aussi smart que l’étaient Frank Sinatra et Elvis.» C’est quand même autre choses que les racontars qu’on entendait à une époque. Et Hell poursuit : «Johnny a fait ses choix, il a choisi son destin et il avait parfaitement le droit de le faire. Il prenait de la dope pour affronter la réalité et jouait de la guitare pour être lui-même, même s’il passait son temps devant la télé. Personne ne peut porter de jugement.» Hell dit aussi que Johnny et Chet Baker ont beaucoup en commun. «Ils étaient tous les deux des junkies qui considéraient leurs talents respectifs comme des petites aubaines qui leur servaient juste à se fournir en dope et en fringues. Johnny disait : ‘Je ne pourrais pas être vertueux. Chacun a le droit de faire ce qu’il veut, à condition de ne pas me faire de mal’. Johnny avait du mal à prononcer ‘me’.»

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    On retrouve aussi le fameux texte d’Hell sur Television. Il écrit comme s’il n’appartenait pas au groupe et commence par décrire Tom Verlaine : «Le chanteur, Tom Verlaine, grand, blond, avec le visage de Mr. America of skulls, se tenait debout derrière le micro avec les yeux mi-clos et sa guitare noire sanglée haut sur la poitrine.» Puis Richard Lloyd : «A perfect male-whore pretty-boy face qui grattait sa guitare avec tellement de peur et de détermination qu’on croyait entendre sa mère le gronder. On aurait dit qu’il allait pleurer.» Puis Hell passe à Hell : «De l’autre côté se tenait Richard Hell, le bassiste, en costard baggy, boots noires et lunettes noires. Cheveux courts sur le côté et en épis sur le sommet du crâne, comme s’il anticipait la chaise électrique. Sa tête dodelinait sur ses épaules, il triturait les cordes de sa basse. À un moment, un filet de bave coula de ses lèvres et il mit à danser comme James Brown et à sauter en l’air, tournoyant de manière complètement dingue avec ses lèvres tendues vers vous.» Le texte date de 1974, ne l’oublions pas. Il termine avec cette chute digne des grands écrivains, avec un Hell qui observe le groupe de l’extérieur : «Ils jouèrent 45 mn, remercièrent tout le monde et annoncèrent qu’il seraient là le dimanche suivant. Moi et quelques autres pensons qu’ils sont le meilleur groupe du monde. Anyway, je suis rentré chez moi, j’ai commencé à écrire un livre et demandé à ma sœur qu’elle me taille une pipe.» Punk ? Real punk.

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    On trouve aussi un texte de 1993 sur Peter Laughner. «Il dépensait le fric de ses parents on guitars and dope and guns (il trimbalait un Walther PPK dans son étui à guitare. Personne ne l’avait jamais vu à jeun. Il prenait du speed à 17 ans quand il a rencontré Charlotte.» Hell entre dans l’histoire de Peter & Charlotte : «Ils ont plongé ensemble dans un délire de musique et de littérature et se sont mariés deux ans plus tard.» Ils raffolaient de Lou Reed et des œuvres complètes de Sade qui venaient de paraître. Hell est très précis sur le profil de Peter Laughner : «Il idolâtrait au point de les imiter 10 ou 15 musiciens et auteurs (Robert Johnson, Bob Dylan, Lou Reed, Iggy Pop, David Bowie, Roxy Music/Brian Eno, Patti Smith, Tom Verlaine, me, Baudelaire, de Sade, Sylvia Plath, Lester, William Burroughs, etc., etc.), et il semblait avoir formé ou joué dans des tas de groupes, the Stress Blues Band, Rocket From The Tombs, (dans lesquels se trouvaient les futurs leaders de Pere Ubu et des Dead Boys), Pere Ubu, Cinderella, Backstreet, Friction, Peter & The Wolves et bien d’autres groupes.» Alors où est le problème ? Hell y vient : «Il finissait toujours par décevoir ses collègues par sa conduite et son goût de l’auto-destruction. Quand il n’était pas viré d’un groupe, c’est lui qui se barrait. C’était un catalyseur. Allen Ravenstine de Pere Ubu dit que Peter was the driving force.» Quand il monte Peter & the Wolves, il arrive en répète avec une seringue, tire du sang de son bras et arrose tout le monde - Thus Peter and the Wolves became the Wolves.

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    Dans un texte de 1986 qui s’intitule Sid And Nancy, Hell revient sur la grandeur des Pistols et le destin tragique du pauvre Sid : «Malcolm McLaren, J. Lydon et les médias ont donné à Sid le permis de détruire, le plus beau jouet qu’un gosse qui n’avait jamais rien eu pût avoir.» Comme dans son éloge des Dolls, Hell grimpe assez haut avec les Pistols : «Les Sex Pistols, c’était quelque chose. Ils étaient tellement purs, c’était un phénomène aussi impénétrable qu’un miroir. On voulait voir la vie revenir dans le rock& roll et les Pistols ont su le faire. They were pure chaos. Like a storm. Comme de la matière qui libère son énergie. Les approcher, c’était se brûler, mais ils étaient si fascinants. Ils étaient l’incarnation parfaite du white rock & roll. Il n’avaient rien d’humain, mais c’était une inhumanité que je comprenais.» Puis il replace la couronne sur la tête de McLaren : «Malcolm s’amusait bien. Il agitait les choses et faisait de l’art. Il manipulait les médias et il était doué pour ça. Je crois qu’il était assez honnête et politiquement sophistiqué, je veux dire solide et consistant dans ses échanges. Il y avait un mégalomane en lui, mais un vrai artiste doit l’être. Il ressemblait beaucoup à Warhol (ou à Picasso) au sens où il pompait des idées partout où il pouvait (y compris les miennes). Mais les idées n’appartiennent à personne. Elles appartiennent à ceux qui en font le meilleur usage. Ses collaborateurs dans les Sex Pistols étaient volontaires, et non des victimes.»

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    Dans un texte daté de 1986, Hell s’appesantit longuement sur sa vieille fiancée, l’hero. Il en fait une description clinique : «La morphine est dix fois plus puissante que l’opium et l’hero quatre fois plus puissante que la morphine.» Il rappelle dans ce panorama que l’opium était en vente libre à une époque en Angleterre et aux États-Unis, jusqu’au début du XXe siècle. C’était un médicament aussi répandu que l’aspirine aujourd’hui. «Il y avait dans chaque maison une bouteille de laudanum (opium dissous dans de l’alcool) et dans les quartiers pauvres, les bouteilles de laudanum se vendaient comme les petits pains le samedi matin.» Artaud fut un gros consommateur de laudanum. Hell rappelle que l’addiction était tolérée dans la société : «Au pire on considérait la dope comme une mauvaise habitude, une faiblesse, comme de la paresse. Mais ça n’était ni un délit ni une maladie.» Hell ne comprend pas bien qu’on ait condamné l’hero (l’opium) et la coke (les feuilles de coca). Il passe logiquement à l’apôtre des excès en tous genres, surtout littéraires, avec My Burroughs, un texte daté de 1997. «Burroughs était le vrai Rimbaud, tout au moins celui qui a tenu la distance. Burroughs adhérait complètement au programme de Rimbaud qui était de bannir l’ego et de se livrer au bouleversement de tous les sens. L’ego est un bagage inutile, écrivit-il - Je est un autre - la vie de Burroughs ne fut qu’un long coma dûment cultivé.» Plus loin, Hell rentre dans le lard du sujet : «Burroughs était le classic addict type, un homme qui se haïssait, qui ne supportait pas la réalité du monde et qui voulait en finir. Il disait toujours qu’il y avait en lui quelque chose d’irrémédiablement tordu, il trouvait que les autres gens étaient différents et il ne les aimait pas. Il se sentait coupable en permanence et trouvait ses erreurs trop monstrueuses pour en éprouver le moindre remords. Il se demandait comment il parvenait à continuer à vivre avec tout ça. Peu de gens atteignent un tel niveau de désespoir.» Bel éloge, non ? Encore une vie qui fait rêver.

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    Massive Pissed Love, c’est une autre paire de manches. Hell y rassemble des chroniques qui traitent aussi bien de cinéma que de rock ou encore de littérature et d’art. Hell est un homme complet, a hell of a man. Hell y va à la pelle. Dans une courte et brillante introduction (comme toujours), Hell dit comment il a évolué. «Une chose que j’ai apprise à propos des œuvres d’art, c’est qu’il vaut mieux les regarder en sachant que l’artiste sait ce qu’il fait ou qui il est. C’est très déroutant lorsque l’artiste est un imbécile ou un punk.» Bien sûr, c’est de l’auto-dérision. Alors bienvenue chez les intelligents. Dans une première série d’articles (Massive), il balance un énorme essai sur le Velvet et les Stones. Il les compare et tente de les opposer. Son truc va loin, car personne n’y a pensé avant lui. Il commence par énumérer les points communs : «1)L’instinct et le talent de bâtir et d’arranger des catchy rock and roll songs et 2) full scary sexy worlds of attitude and style.» Il dit aussi que le point de rencontre entre les Stones et le Velvet est Phil Spector : «Les deux groupes adoraient l’idée qu’il avait formulée de la pop song parfaite, le magnifique, massif, white-lit wall of sound.» Puis on passe aux différences : «Les solos de violon de Cale dans ‘Heroin’ et le solo de guitare que joue Lou Reed dans ‘I Heard Her Call My Name’ sont beaucoup plus importants et innovants que tout ce qu’ont pu faire les Stones musicalement.» Puis Hell enfonce le clou Velvet : «Les Modern Lovers viennent de ‘Sweet Jane’ et ‘Sister Ray’ (‘Roadrunner’ sous un autre nom), la chanson de Lou Reed qui aurait le plus influencé Tom Verlaine serait selon moi ‘Temptation Inside Your Heart’ (enregistrée en 1968 mais seulement parue sur VU en 1985). On peut entendre la moitié des trucs de Bob Quine dans ‘Some Kinda Love’.» Et la liste se poursuit avec le menu fretin : Sonic Youth, Patti Smith et Doug Yule. Hell dit aussi que Pavement sort tout droit de «Pale Blue Eyes». Il rend aussi hommage au poète Reed avec Dylan pour seul concurrent. «Dylan est le maître, mais j’irais bien jusqu’à dire que les paroles du troisième album, The Velvet Underground, en tant que suite, sont les plus belles de l’histoire du rock.» C’est un poète qui parle. Il sait de quoi il parle. Arrivé à la page 19 du book, on se félicite de l’avoir rapatrié. Rien n’est plus confortable, plus agréable que l’écriture d’un homme intelligent qui en plus aime le Velvet. Hell rappelle que Lou Reed était autant passionné par l’avant-garde noise-jazz, par les professionnels du songwriting (comme Goffin & King ou Barry & Greenwich) qu’il l’était par les racines du rock & roll. Quand il revient à l’exercice comparatif, Hell le fait avec une finesse éblouissante. Jugez-en par vous-mêmes : «Il semble étrange de penser qu’une approche plus intellectuelle de la musique puisse déboucher sur un son plus cru, au sens où la musique du Velvet est plus déglinguée que celles Stones. C’est comme si on disait que la Fontaine de Duchamp rendait Picasso commercial. Le Velvet n’a fait que coller à sa volonté de faire un rock intéressant.» Bon maintenant les Stones. Hell met tout de suite le paquet sur Keef. «Le principal atout qu’ont les Stones et que n’a pas le Velvet, c’est Keith Richards. Je veux dire l’âme. Lou Reed a plein de qualités, mais l’âme n’en fait pas partie.» What is soul demande Hell ? Il répond : «It’s humane empathy that in music gets expressed in loose swing.» Hell fait l’apologie de l’empathie de Keef. C’est le premier qui ose dire une chose pareille. «Richards is a hero of that kind of musical generosity. Lou Reed is not generous.» Hell salue aussi le beating genius de Charlie Watts, comme l’a fait Mike Edison dans son book : «Charlie makes every other drummer in rock and roll sound handicaped.»

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    Hell n’aime pas Beggar’s Banquet, il dit que cet album n’est que poses et compromis. Par contre, Let It Bleed, c’est une autre histoire. «Pour l’écouter, vous devez commencer par vous lever. Puis pousser tout ce qui traîne autour de vous. C’est l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps. Brian est parti. Keith joue les parties de guitare sur deux des cuts les plus powerful, ‘Gimme Shelter’ et ‘Let It Bleed’, ces cuts vous donnent des frissons.» Hell dit même que «Gimme Shelter» figure dans le Top Three des meilleures chansons de rock. L’influence des Stones est énorme, ça on le savait déjà, des myriades de groupes se sont identifiés à eux et ont rempli des Nuggets, on entendait des fuzz-box guitars et des chanteurs couldn’t get much satisfaction - Il y a deux groupes qui à mon sens doivent tout aux Rolling Stones : les New York Dolls qui furent une sorte de version drag queen des Stones (pour trouver les racines de Johansen, écoutez ‘Dontcha Bother Me’ sur Aftermath), et les Stooges de Raw Power, où James Williamson cherche à imiter la guitare et l’écriture de Keith Richards) - En conclusion, Hell produit son petit effet : «Puis je suis revenu à Let It Bleed et j’hésitais à nouveau. Cet album est définitivement magique. Mais au moment de choisir le vainqueur, on ne peut nier la supériorité du Velvet. Le voilà couronné. Lou Reed is queen for a day.»

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    Dans un long texte, Hell rend hommage à Lester Bangs. Il se souvient de l’avoir bien connu, même s’il ne pouvait pas trop le supporter. Bangs était tout le temps bourré - like a big clumsy pussy but he was always drunk et son niveau de sincérité était intolérable - Mais maintenant qu’il est mort, Bangs lui manque. «Now I miss him.» Le portrait qu’il brosse de ce mauvais écrivain est très spectaculaire. Hell l’avait percé à jour : «Lester était le seul qui attachait de la valeur au fait de douter de soi et qui semblait aimer la musique plus que lui-même. Lester était un critique qui s’accordait le droit d’avoir tort, ce qui me paraît admirable.» Et Hell poursuit sur sa fantastique lancée : «Ce qui l’intéressait dans la musique, c’est la vie qu’il y trouvait.» De Bangs aux Ramones, il n’y a qu’un pas que franchit Hell : «C’est merveilleux de voir des gens comme les Ramones devenir des stars. Ça me rend fier d’être américain. Les Ramones et les Simpsons. Ils étaient l’un des groupes les plus étranges de l’histoire du rock. Comme si Roy Orbison faisait du Chuck Berry, accompagné par les Stooges.»

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    On trouve aussi Robert Quine Obituary, c’est-à-dire l’éloge funèbre de Robert Quine. Hell revient sur les circonstances de sa mort : «Quine ne s’injectait jamais de drogues, mais il s’agissait là d’une injection et il y avait trop de pochetons d’héro pour que ce fût accidentel. Il avait avoué avoir survécu à une tentative de suicide analogue durant l’hiver. Il ne pouvait pas survivre à la disparition de sa femme Alice, emporté par une crise cardiaque l’été précédent. Ils étaient ensemble depuis le milieu des années 70.» Puis Hell revient au lard de la matière, le Quine sound : «Comme Miles Davis et Lou Reed - probablement les deux musiciens qu’il admirait le plus - Quine développa de nouvelles façons d’improviser.» Hell en profite aussi pour rappeler qu’à 33 ans, Quine jouait dans l’un des premiers groupes punk (les Voidoids) et qu’il ressemblait à un agent d’assurances, mais qu’il s’intéressait à des trucs rares. Et là Hell énumère les raretés en questions : «Cool Guitar» par les Blue Echoes, «What’s Your Technique» par Ronnie Speeks and the Elrods, «I Hate Myself» par Al Sweat et «I Like To Go» par Floyd Mack. Hell va chercher l’info. C’est un vrai pro. Il digresse ensuite sur la peau de banane du punk. What is punk ? Et pouf : «Yeah, in a way punk is about failure.» «There’s no success like failure.» Il développe en prenant le cas des Ramones qui se sont vautrés misérablement année après année. Hell nous explique qu’on ne les respectait pas tant que ça, même au CBGB - They were a self-concious cartoon concept of rock and roll, like the Stooges mixed with surf music - Hell parle de punk comme Tzara parle de Dada : «Punk is an idea not a band.» - Dada est mort, vive Dada ! - «Punk est une bonne idée, ça concerne la subversion, mais au service du plaisir de la jeunesse. C’est à l’opposé de tout ce qui est adulte. Punk n’est pas uniquement contre le succès, mais aussi contre les bonnes manières, les bonnes mises et contre toute forme d’éducation ou de talent. Mais aucune définition de punk n’est vraie. C’est ce qui rend punk poétique.» Hell dit aussi que le punk américain était artistique alors que le punk anglais était politique. «Il y a de la vérité là-dedans. En 1974, à New York, on voulait faire de l’art. Même les Ramones qui étaient two-dimentional and cartoony étaient plus près d’Andy Warhol que de Mikhail Bakunin.» Sauf que McLaren ne se réclamait pas de Bakhounine mais de Guy Debord. Allez, on ne va pas chipoter. Hell tord le bras de son raisonnement pour le faire avouer. «Punk consiste à réussir sans autre talent que l’honnêteté. Mais l’honnêteté n’est pas facile. C’est là où, de manière ironique, l’art entre en ligne de compte.» Il revient à sa chère poésie. Il va même jusqu’à dire que les Sex Pistols étaient de la pure poésie. Il n’ose quand même pas dire que sa coiffure - le symbole du punk - était de la poésie, mais il sait qu’en se taillant les cheveux comme ça, il était punk, c’est-à-dire délinquant - Un mec avec cette coupe de cheveux n’aurait jamais pu trouver de travail. Et aucun coiffeur n’aurait pu imaginer une telle coupe de cheveux. C’est un truc qu’il fallait faire soi-même - Hell aime bien rappeler qu’il a inventé le look punk.

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    Bon on va se calmer un peu. Avec des écrivains. Hell rend hommage à Jim Carroll, un poète américain qui «était le produit de son imagination». Hell le compte parmi les meilleurs poètes et il cite les noms : Guillaume Apollinaire, Josef Von Sternberg, the wizard of Oz. Plus loin, il fait un Top Five Junkie Literature dans lequel on retrouve bien sûr William Burroughs : «Burroughs est au-delà de la mort. C’est incroyable qu’un livre de ce genre - cheap sensationalist confessional destiné aux refoulés amateurs de frissons - puisse être aussi bon. C’est comme si une voix nous parvenait de l’au-delà, comme celle d’un détective revenu de la mort, qui n’a plus d’illusions, plus d’intérêts, pas de regrets, aucune raison de vivre, la résignation parfaite. En plus, c’est hilarant.» Il ajoute un peu plus loin : «Ce compte-rendu de la vie de ce dope addict small time criminal of the time est raconté à la première personne et se situe à New York. Je me demande ce qu’on devait éprouver dans les années 50 si on était ado précoce, amateur de culture secrète et qu’on découvrait ce livre dans présentoir de gare routière. Talk about happy face.» Hell salue aussi Straight Life: The Story of Art Pepper, par Art Pepper et Laurie Pepper. Ce livre raconte une vie de dopeman. «This book is to my mind the best of them.» Art Pepper est un jazzman mort en 1982 à 56 ans. Il passa nous dit Hell sa vie stoned, principalement on hero and liquor et séjourna pas mal de temps à l’ombre. Et puis bien sûr The Basketball Diairies de Jim Carroll et Les Confessions d’Un Mangeur d’Opium de Thomas de Quincey qu’il garde couplés pour une brillante chronique.

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    Il salue aussi Godard de façon spectaculaire : «Well, Godard est le plus grand cinéaste du monde depuis 1959, même si Besson et Hitchcock de trente ans ses aînés, et Welles, de 15 ans son aîné, empiètent un peu sur son piédestal.» Hell a compris que chaque film de Godard comprend quatre ou cinq niveaux de lecture et qu’il se passe des choses fascinantes même dans les moments les plus ordinaires. Mais Hell oublie de souligner l’une des forces de Godard : sa voix de narrateur qui bien sûr renvoie au William Burrough d’American Prayer. Toute la poésie du monde est dans les voix de ces gens-là, mais pour ça, il faut aller voir les films et lire les livres. À condition bien sûr de s’intéresser aussi à la poésie. Hell fait aussi un fantastique portrait d’Orson Welles : Citizen Kane est considéré par Hell comme the greatest sound film ever made. Mais c’est le succès de Citizen Kane qui va ruiner la carrière hollywoodienne de Welles. Jalousie. «Comme Welles l’avoua lui-même, il démarra au sommet et dégringola pendant tout le restant de sa vie.» Hell parle aussi pas mal de sexe, mais de sexe artistique, puisqu’il avoue s’être branlé sur Donatello. Il admire Bataille et Sade et rend hommage à Burroughs et à Dennis Cooper qui savaient eux aussi réveiller les bas instincts - They both do a lot of sex and it’s very good - Il délire aussi sur le cunnilingus - I’ve spent more time at it than any other sex act - Il dit aimer ça parce que les femmes aiment ça.

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    Dans un texte superbe qu’il consacre aux carnets de notes (Notebooks) Hell sort cette phrase miraculeuse : «J’ai continué de remplir des carnets de notes parce que je ne savais pas quoi faire de mon esprit.» Et quand il parle de son esprit, sa fiancée l’hero n’est pas loin. L’article s’appelle Sex On Drugs et il résume bien la situation. Chacun sait qu’on baise mieux sous influence. «Je pense que les drogues qu’on prend pour le plaisir rendent le sexe meilleur, pour la simple raison qu’elles chassent les inhibitions.» C’est aussi simple que ça. Même bourré, on baise mieux. «C’est sous coke que j’eus les expériences sexuelles les plus excentriques, quand dans les années 70 et 80, tout le monde prenait de la coke. J’étais un junkie fatigué à l’époque, et comme mon groupe était assez populaire, je trouvais facilement des filles.» Comme il le fait ailleurs, Hell traite cliniquement le sujet : «Contrairement à ce qu’on raconte, le sexe est meilleur sous hero. L’hero ne vous rend pas dingue comme le fait la coke, tu te retrouves à quatre pattes à sniffer les grammes envolés sur la moquette, à être continuellement à cran, comme un film d’horreur. L’hero est cozy. L’hero est voluptueuse. Elle arrête le temps et maintient l’érection. Je me souviens d’avoir rigolé en lisant Bird, l’histoire orale de Charlie Parker, on y trouve des anecdotes sur son sexual stamina. Parker dit aussi s’être endormi sur scène et s’être réveillé juste à temps pour le solo.» Hell sort doucement du chapitre en expliquant qu’il a totalement arrêté la dope. «Je ne prend plus rien. Je ne fume plus, je ne bois plus. Je ne ressens pas de manque. Quand quelqu’un vient me parler de drogue, comme pour partager de vieux secrets, ça m’ennuie et ça m’agace. I’m not a member ot that brotherhood in smirk (je ne me prête pas à ce genre de complaisance). D’un autre côté, je n’ai pas honte de mon histoire.» Hell voyait la drogue comme la voyaient les poètes de l’Avant-Siècle, comme un prodigieux stimulant et non ce qu’en font les médias. «Mon sentiment est que la drogue transcende l’acte lui-même, puisqu’elle est assez puissante pour transformer l’acte sexuel. Quand vous prenez de la dope pour baiser, vous baisez avec la dope et pas avec un être humain. That’s too cool. Je ne dénigre pas le sexe. Après tout, chaque chose est chimique, à commencer par l’être humain. On pourrait aussi se demander si le sexe est une drogue. Le sexe remplit le système nerveux de molécules de plaisir. D’un autre côté, l’amour n’est-il pas la drogue qui rend le sexe meilleur ? C’est un autre sujet, trop banal et trop complexe pour être développé ici.» Hell je ne veux qu’Hell. Libre penseur, punk et écrivain de génie.

    Signé : Cazengler, Hell de poulet

    Richard Hell. The Voidoid. CodeX 1993

    Richard Hell. Go Now. Scribner 1996

    Richard Hell. Hot And Cold. PowerHouse Books 2001

    Richard Hell. Godlike. Akashic Books 2005

    Richard Hell. Massive Pissed Love. Nonfiction 2001-2014. Soft Skull Press 2015

    Ulli Lommel. Blank Generation. 1980

    Susan Seidelman. Smithereens. 1982

    Susan Seidelman. Desperately Seeking Suzan. 1985

    Rachel Amodeo. What About Me. 2011

    MIDNIGHT FIGHT

    SLEAZY TOWN

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    Z'avons été trop séduit par la prestation de Sleazy Town au Fertois rock'n'roll Fest pour ne pas chercher à en savoir plus sur le groupe. Première surprise, nous avons assisté à la Ferté-sous-Jouarre à leur première remontée sur scène depuis quatre ans... Seront au Dr Feelgood, rue de Quicampoix à Paris ( métro Les Halles ) le jeudi 06 octobre. La machine redémarre donc. Le groupe s'est formé en 2011 à l'instigation de Steff Dust et Julian Flynns vite rejoints par JJ Jax, Andy Dean était arrivé au micro en 2012, en 2013 paraît le premier EP titré Midnight Fight il tournera beaucoup jusqu'à sa mise en sommeil. Nous avons retrouvé ces quatre titres de Midnight Fight sur Bandcamp.

    5 grams of red head : emporté dès les premières mesures de cette guitare de JJ Jax qui glame haut et fort les jouissances électives et électriques du rock'n'roll, survient la voix d'Andy qui se pose sur ce bourdonnement doré de reine d'abeille et prend le contrôle du bombardier, ensuite tout ce que l'on attend, un galop effréné de batterie de Julian Flynn qui abat tous les obstacles et déboule le cadeau d'un petit solo qui vous démantibule le cortex, savent appuyer où ça fait du bien. Cinq grammes de red head qu'ils annoncent et ils vous en livrent des tonnes. Chauffées à blanc. Rock 'n'roll space invaders : l'Andy vous prend un timbre de débris de tôle rouillée de vaisseau spatial délabré depuis trente années-lumières dans les déserts d'une planète perdue, la guitare est maniée tel un sabre laser particulièrement grondeur, une grande bataille inter-galactique s'annonce, Steff métamorphose sa basse en rayon de la mort qui pivote à 360 degrés à toute vitesse, Julian sur sa batterie abuse de ses obus, Andy vous entonne le refrain, un péan sanglant en l'honneur d'Arès le destructeur, ensuite c'est le grand tourbillon de l'ivresse du combat qui emporte tout. Fin brutale. Vous ouvrez la fenêtre pour voir si enfin les envahisseurs arrivent. Non, ce n'est pas pour ce soir. Ce n'est pas grave vous passez le titre en boucle toute la nuit. Endless pain : avec un tel titre l'on s'attend à un blues, disons qu'il est vigoureux, la faute à Julian qui enfonce et défonce le chrono, vous avez bien des passages où le tempo fait semblant de ralentir mais ils ne durent guère, des larmes d'acide giclent des cordes jaxxiennes, la voix d'Andy pourchasse les idées noires, les écrase comme les mouches que vous éclatez sur les vitres de votre cuisine. Talk dirty to me : suis allé regarder la vidéo de Poison, pour juger de la différence, pas de souci à se faire, d'abord Andy n'aguiche pas la minette, sait faire preuve d'une ironie cinglante, JJ l'amoroso del toro de fuegos ne joue pas sur les effets qui tournent les têtes, a choisi de vous décolorer les cheveux au lance-flammes, sa six-cordes gronde et refuse obstinément de quitter le big beat du rock'n'roll sur lequel la batterie reste plaquée comme une mine ventouse sur la coque d'un cuirassé. Belle explosion.

    Damie Chad.

    JIM MORRISON

    MARIE DESJARDINS

    ( Famille Rock.COM / 24 - 09 – 2020 )

     

    Juste un articlede quelques feuillets sur Jim Morrison mais écrit par Marie Desjardins, donc on lit, nous avons été subjugués par la lecture de ses romans dument chroniqués dans Kr'tnt ! Pour ne pas laisser passer la moindre bribe de ses écrits. Un   papier bref  sur un grand monsieur, à moins que ce ne soit un grand papier sur un mystère obsédant.

    Ne vous attendez à aucune relation foudroyante. Tout ce que Marie Desjardins raconte, vous le connaissez déjà. D'ailleurs elle cite ses sources sans réticence, par exemple Le diable boiteux de Michel Embareck pour saluer un de nos auteurs rock préférés. Mais parfois l'écriture c'est comme les mathématiques, la solution importe peu, c'est la manière de poser le problème qui fait la différence. Le site canadien famille rock n'a pas lésiné sur les effets chocs pour introduire l'article, photo de Morrison sur scène, allongé en position semi-reptilienne, semi-fœtale, barrée du gros titre Où est le corps ? Marie Desjardins use d'une algèbre plus élégante, plus subtile.

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    Elle possède cet art rare d'inviter le lecteur à réfléchir sans que celui-ci s'en aperçoive. Commençons par le mystère de la mort de Jim Morrison. On a infiniment glosé dessus, certains affirment qu'il a été assassiné, une sombre histoire de ménage à trois ou quatre, et pourquoi pas un coup monté par la CIA, ces hypothèses croustillantes ou hautement politiques n'ont été que rarement envisagées avec sérieux, mais l'on aime se faire plaisir graveleux et grelotter de peur.

    Plus nombreux ceux qui n'y croient pas, qui sont certains que Jim se la coule douce dans un coin perdu, nous le lui souhaitons mais dans ces cas-là c'est surtout l'argent qui coule et les économies qui s'amenuisent... Cette deuxièmeversion est beaucoup plus talismanique, elle agit sur les imaginations comme la poudre érectile obtenue à l'aide d'un rhinocéros blancs à deux cornes, elle se retrouve à la confluence de deux mythes Elvis Presley et Jim Morrison. Beau générique. Pour Elvis le lecteur aura intérêt à se reporter aux trois romans suivants dument chroniqués par nos soins : Complot à Memphis de Dick Rivers ( livraison 417 du 01 / 05 / 2019 ), Elvis sur Scène de Stéphane Michaka ( livraison 188 du 05 / 008 / 2014 ); Bye-bye Elvis de Caroline de Mulder ( livraison 314 du 01 / 02 / 2017 ). Certes nos héros sont immortels dans la mémoire des fans.

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    Toutefois la référence à Elvis aiguise les réflexions. Le King pour être mort en 1977 a eu plusieurs vies. La dernière est la plus pathétique, le chanteur bouffi de Las Vegas n'est pas d'ailleurs sans rappeler la prise de poids de Jim Morrison, remarquons que la durée de la carrière de Jim Morrison paraît être un condensé de celle de son idole, cinq ans pour le lézard, vingt ans pour le Roi. Peut-être convient-il  d'examiner la problématique par un autre bout de l'équation. Qu'aurait fait Jim s'il avait vécu ne serait-ce qu'aussi longtemps qu'Elvis ? Sans trop tirer de plan sur la comète inconnue nous pouvons tenter de répondre. Il serait retourné à ses passions primordiales. Le cinéma et l'écriture.

    L'on sait comment le cinéma a embourbé le petit gars de Tupelo. S'est fait rouler dans la farine par l'industrie hollywoodienne, mon colonel ! Elvis au cinoche c'est un peu le plouc au pays des requins. S'est fait déchirer à belles dents. Même si tout n'est pas à dédaigner dans ses films. Morrison l'ancien étudiant en études cinématographiques de l'UCLA aurait-il fait mieux ? On peut l'espérer. Notons qu'en tant qu'acteur il se serait retrouvé dans le même bocal à piranhas qu'Elvis. Pas dans le même contexte, savait gueuler, savait manipuler, mais la pression aurait été par conséquence d'autant plus énorme. On peut aussi limer les griffes des geckos... Admettons qu'il se soit adonné à la réalisation. Peut-être, et même sans doute, aurait-il réussi à transcrire en images son univers intérieur, mais les rares réalisations et pellicules qu'il nous a léguées le classent d'emblée dans la série Arts et Essais. Aurait-il supporté d'être apprécié par un public confidentiel qui malgré ses prétentions intellectuelles écoute beaucoup trop les avis de leurs critiques favoris ? N'y a-t-il pas aussi quelques similitudes entre les faunes cinématographiques et les jungles rock'n'rolliennes. Pourquoi quitter l'une pour l'autre, Jim en quête d'authenticité n'aurait-il pas troqué Charybde pour Scylla...

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    Jim ne l'a pas caché, il venait à Paris, en France la patrie de la littérature, pour écrire. N'est-ce pas par chez nous qu'un Henry Miller avait trouvé le calme et la tranquillité nécessaires à la poursuite d'une œuvre que le puritanisme américain n'aimait guère... Avouons-le, à Paris l'existence de Jim Morrison s'apparentait davantage à celle d'une rock'n'roll-star en goguette qu'à celle d'un auteur enfermé dans la tour d'ivoire de son œuvre. Il est patent qu'il faut avoir vécu un minimum pour écrire, mais une interrogation insistante s'en vient titiller l'esprit des lecteurs : quid de la validité littéraire des écrits de Jim Morrison ? Ne ressembleraient-ils pas à des bouts de papiers épars recouverts d'annotations abruptes, de simples premiers jets réunis sans trop de visée unificatrice. Certes les années soixante-dix étaient dévolues aux fragments, l'on maudissait la cohérence du roman mais l'on jetait aussi aux orties les épanchements lyriques. L'on aimait les mythographies, celles du quotidien, beaucoup moins celles des vieux mythes shamaniques...

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    Eût-il publié de la poésie, Morisson aurait été réduit aux petits tirages et au maigre public des connaisseurs. L'eût-il supporté ? Quant à la publication d'épais romans apocalyptiques, il lui aurait, d'après nous, fallu de nombreuses années pour parvenir à ce résultat. Cet effort continu ne s'inscrivait en rien dans sa pratique d'écriture et son être profond. Si Morrison a été novateur dans le domaine poétique c'est pour avoir réussi avec éclat à poser et à jouer ses mots sur la musique... des Doors. La porte se referme sur le pauvre Jim condamné à rester dans la mémoire des hommes comme le premier poëte du rock. Une réussite si merveilleuse que tous les autres à sa suite qui ont tenté cette alchimie verbale, sont relégués au rang subalterne d'épigones. S'il est un enregistrement de '' poésie sonore'' ou de ''poésie mis en musique'' qui l'égale, et est-ce un sacrilège de le penser, même le dépasse, c'est celui d'Antonin Artaud lisant Pour en finir avec le jugement de Dieu. Il est vrai qu'Artaud ne chante pas, mais à l'écouter l'on sent la musique du sens qui corrode les âmes, c'est en cela qu' il rejoint l'invitation à une autre dimension, à laquelle Morrison incitait son public.

    Les temps ne sont pas encore venus pour se prononcer sur l'œuvre écrite de Jim Morrison, notre époque est trop artificielle et trop périlleuse pour que l'on puisse en gloser en toute impartialité. Nous aimons toutefois ce culte anonyme des cavernes rendu autour de la tombe de Jim Morrison au Père Lachaise. La famille aurait rapatrié le corps, c'est oublier que l'esprit souffle où il veut et surtout là où on l'appelle. Ou alors aux endroits précis où il vous appelle. Relisez L'ombre d'Henri Bosco.

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    Merci à Marie Desjardins qui par la magie de son écriture a appuyé sur le clavier infini des possibilités de la survie humaine. Ne suffit-il pas de nommer les morts avec tendresse et lucidité pour qu'ils revivent ?

    Damie Chad.

    PROMETHEE UNBOUND

    ( 3 Extraits )

    STUPÖR MENTIS

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    C'est une pub sur FB qui a attiré mon attention. D'abord l'image, j'ai tout de suite pensé à un découpage à partir du tableau du Martyre de Saint Barthélémy de Jusepe Ribera, mais non erreur sur toute la ligne, pauvre mémoire visuelle, je l'ai compris deux secondes plus tard lorsque j'ai déchiffré l'inscription au bas de l'image. J'ai sursauté, un tigre qui aperçoit une proie convoitée dans sa ligne de mire n'aurait pas réagi aussi vite. Je suis un fan absolu de Percy Bysshe Shelley, je l'évoquais encore dans ma chronique sur la biographie de Daniel Boone dans la livraison 476. Et là, devant mes yeux hagards Prometheus Unbound, j'ai vite cliqué dessus pour en savoir plus. Picturalement parlant il s'agissait, si je ne m'abuse, du Prométhée Supplicié de Pierre Paul Rubens.

    Un CD de Stupör Mentis, un groupe que je ne connaissais pas. Pas des nouveaux venus. Un duet formé en 2015. Déjà quatre opus à leur actif : In Memoriam sorti en juin 2016, Ad Extirpanda de mai 2018, V.I.T.R.I.O.L. de juin 2019, Kali Yuga de mai de cette année, et ce cinquième sorti ce 25 septembre 2020. Rien que les titres parlent. Nous explorerons cette sombre constellation dans les semaines qui suivent.

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    Des gens qui font référence à Shelley ne sauraient être dignes que d'intérêt. Sont deux : Erszebeth Stupor Mentis, chanteuse lyrique, compositrice et peintre. Nicolas Fulcannelli maître d'ouvrage, arrangement et composition. Deux pseudonymes extrêmement chargés, malgré l'introduction d'une lettre supplémentaire en vue de marquer une subtile distanciation. Erzebeth serait l'équivalent slovaque et féminin de notre Gilles de Rais, compagnon de Jeanne d'Arc qui prenait grande jouissance à torturer les jeunes enfants, l'est devenu le Barbe-Bleue de nos contes ancestraux, la gente dame Erzebeth s'était spécialisée dans les sadiques assassinats de jeunes filles, elle est reste célèbre sous l'appellation cultissime de comtesse sanglante... Fulcanelli, lui apparaît dans Le matin des Magiciens un livre culte ( et occulte ) des années hippies écrit à deux mains par Louis Pauwels et Louis Bergier, on lui attribue l'écriture des deux traités alchimiques les plus renommés du vingtième siècle : Le mystère des cathédrales et de Les demeures philosophales. Comparé aux deux personnages précédents il fait figure d'intellectuel pur et désintéressé quoique son existence ait été mise en doute par nombre d'esprits positifs. Le kr'tntreader à l'esprit curieux farfouillera autour du Groupe des Guetteurs auquel appartenait le poëte Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz, mais c'est-là pénétrer dans les arcanes les plus mystérieuses de la littérature française... Erzebeth et Fulcannelli le feu couve sous le sang.

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    Tous ces noms ne sont pas sans rapport avec l'ouvrage Prometheus Unbound de Shelley. Rappelons à grands traits la légende : pour avoir donné le feu à l'homme et lui avoir appris l'agriculture, Jupiter condamne le titan Prométhée à être enchaîné sur le Mont Caucase, situation peu cocasse, à faute d'avoir contrevenu à l'ordonnancement du monde établi par les Dieux, un aigle lui déchirera chaque matin le foie qui repoussera durant la nuit... Prométhée deviendra au cours des siècles le symbole de l'Humanité asservie par la religion et l'oppression sociale injuste... Shelley écrira son Prométhée Délivré selon cette perspective révolutionnaire, rappelons que Karl Marx tenait Shelley en haute estime... N'empêche que l'œuvre de l'anarchiste Shelley plonge ses racines dans des ténèbres ésotériques qui exigent une lecture attentive et approfondie...

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    Publiée en 1820 cette pièce de théâtre – écrite pour ne pas être jouée – est un des sommets de la littérature romantique européenne. A mettre en relation avec le Faust de Goethe et les Solitudines Coeli de Victor Hugo. Il n'est pas indifférent que l'on puisse rattacher Stupör Mentis à cette mouvance noire du rock gothique ( mais aussi industriel, électronique et metal ) que défendit de 1998 à 2013 la revue Elegy, une des plus belles réalisations esthétiques de la presse rock française.

    Les lyrics des dix morceaux sont empruntés ( et un tant soit peu adaptés ) au texte de Shelley, mais il est temps de cesser ce bavardage et de se laisser happer. Nous n'en chroniquons pour cette fois que les trois titres en accès libre sur Bandcamp.

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    Monarch of Gods : véritable début du poème, Prometheus s'adresse à Zeus, l'on s'attendrait à une déclamation grandiloquente, il n'en est rien, un récitatif funèbre nous accueille, une voix féminine chute sur vous tel un tourbillon rampant de feuilles mortes en automne. Un chuchotement incandescent qui se mêle aux volutes de la machine orchestrale, la musique s'exauce et la voix se précipite, devient accusatrice, elle parle, le titan ne renie rien, n'implore aucune pitié, sa souffrance ne dépasse-telle pas l'intensité de la gloire du Dieu, et l'on retombe dans les profondeurs d'une blessure infinie, palier de compression, la musique se déploie comme des battements d'ailes d'aigles, le ton s'agonise en plainte victorieuse, les mots sont crachés, à la face du Dieu, solitude infinie, orchestration en sourdine éclatante, précipitation lente, chœurs pour atténuer le silence de tout ce qui souffre et ne meurt pas. Cela s'apparente davantage à de la musique classique qu'à du pure rock'n'roll mais brille de toute beauté. I ask the earth : Prometheus demande à la Terre si elle n'aurait pas assez de merveilles pour tarir sa souffrance. Le kr'tntreader amateur du Corbeau d'Edgar Poe ne manquera pas de faire le rapport avec l'interrogation, fortement entachée de masochisme, du poëte adressée au maudit volatile, existerait-il un calmant à sa douleur ? Un son qui vient de loin, qui s'amplifie, scandé de coups – réminiscences de clous enfoncés dans le rocher – Prométhée pose la question et la Terre répond, une voix consolante qui se déplace à la manière de ces brises venues d'on ne sait où mais qui infiniment caressent la tête des épis de blés, ah ! cette désolation éplorée au fond du timbre d'Erszebeth, toute la détresse de l'impuissance du monde palpite dans son larynx, un long pont musical débouche sur des matins de lucidité et de malheur, la terrible prophétie des tumultes passés et des futures tempêtes. Les paroles de la terre s'envolent et rejoignent le ciel. N'est-ce pas là que tout se joue. Faut-il comprendre à la manière d'Empédocle que la haine et l'amour sont indissociablement unis. The curse : imprécation de sorcière d'Erszebeth pour dire cette malédiction, celle de Jupiter envers le Titan désobéissant ou celle de Prométhée prononcée à l'encontre de son père. Qu'importe les deux se répondent. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. Erszebeth récite et chante le texte, l'on croirait entendre la voix de Satan défiant Dieu, Shelley se souvient du Paradis Perdu de John Milton, souffle et puissance vocable, jusqu'au cri désespéré qui emplit le vide des cieux. Très bel hommage à la poésie de Shelley, notre cantatrice dévoyée a su en traduire la puissance et faire resplendir la foudre de ces mots qui s'entrechoquent à la manière des nuées porteuses d'orages. Et de poésie.

    Il est sûr que nous reviendrons sur ce disque qui nous rapproche des cimes les plus hautes.

    Damie Chad.

     

    BLITZ' ART

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    La terre est remplie d'injustices. Au Fertois Rock Fest du 19 septembre 2020, voir notre kronic de la livraison 477, un individu à lui tout seul a pratiquement eu davantage de succès que les cinq groupes de l'après-midi réunis. L'a même commis cette extravagance incongrue d'avoir eu davantage de succès que lui-même. Inutile de chercher l'erreur dans les mots qui précèdent, il n'y en a pas. L'aurait pu faire comme tous les autres monter sur scène avec son groupe recueillir sa part d'applaudissements puis une fois redescendu discuter le coup de-ci, de-là, en sirotant une bière. C'est d'ailleurs ce à quoi il s'est adonné, mais il n'a réalisé que la première partie du programme indiqué. L'a pris sa basse et escaladé les marches afin de rejoindre la Frantic Machine, s'est d'ailleurs fait bruyamment remarquer avec ses sonorité atteintes de convulsions pré-cadavériques, l'a souri sous l'ovation, et s'est dépêché dare dare d'enfiler son instrument dans son étui, car déjà l'on s'impatientait au bas de l'estrade. Je sais, j'y étais.

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    Je l'ai repéré dés mon arrivée. Le seul mec assis tout seul à une table juste à côté de la scène. Vu de loin, il présentait l'attitude d'un élève sixième qui profite de l'inter-cours pour recopier sur son voisin à toute vitesse ses exercices de math avant l'arrivée du prof. Un adulte tout de même, approfondissons la problématique. Me suis approché pour voir ce croquignol de prés. Non il n'essayait pas de résoudre la quadrature de la facture d'eau de la baignoire qui fuit, que voudriez vous qu'il fît ? La réponse tombe sous le sens, comme tout croquignol qui se respecte il croquis-gnolait. Il fignolait même. Sa main courait de partout, si vite que son bras tout tatoué n'arrêtait pas de cacher son dessin et qu'il était impossible de savoir ce qu'il était en train de représenter. L'on était déjà cinq ou six à essayer de deviner. Alors il a sorti le grand jeu et un petit rouleau de scotch. Une fois qu'il a eu délicatement disposé sur le pourtour de son pupitre une dizaine de ses œuvres, c'est nous qui fûmes scotchés.

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    Je préviens le lecteur vous trouverez sur son FB : Blitz'Art tout un tas de ses dessins. Cela peut vous donner une idée, mais la définition de votre appareil ordinatorien ne vous permettra pas d'apprécier la subtilité du velouté des dégradés, des blancs, des noirs, des gris, vous en prendrez plein les mirettes oui, par contre pour cette impression évanescente de lavis, cette profondeur de tremblé troublé, vous pouvez vous faire cuire un œuf dur à la barre fixe. Tant pis pour vous. Faut avoir au minimum un spécimen chez soi. Ce n'est pas cher, 10 Euros format A3, signé de l'artiste, tiré uniquement à 10 exemplaires.

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    Oui j'ai dit artiste. Pas un dessinateur à la petite semaine. Quelqu'un qui possède un monde. Qui bouillonne à l'intérieur de lui. Ça se voit. Ça se sent. Ça se devine vite. Pour moi, il m'a suffi de poser les yeux sur le portrait d'Edgar Poe. Tout Poe est là-dedans, le célèbre daguerréotype de W. S. Hartson pris en novembre 1848 quelque mois avant son départ pour les rivages plutoniens, le chat noir de l'auto-trahison, le corbeau perché sur la tête du poëte, ici particulièrement nevermorien avec cet œil fixe quasiment cyclopéen qui darde telle une planète morte, et dont la silhouette n'est pas sans évoquer L'Ibis d'Ovide qui désignait pour le pauvre Nason l'Innommable... la mort, fleur cruelle des cimetières, et par-delà tous les oripeaux et brimborions symboliques et attendus, la présence du Mystère, et celle de la Grande Menace muette et invisible qui nous guette tous. Un dessin à la hauteur des textes de Poe et des traductions, notamment celle de Le Corbeau par Baudelaire et par Mallarmé. Blitz'Art a réussi un autoportrait opératif du pressentiment du Désastre. Les autres productions de Blitz' Art sont-elles aussi noires ? Non bien sûr, il est difficile de trouver teinte plus sombre que cette plume de corbeau érèbéenne avec laquelle le poëte américain a transcrit sa destinée, persuadé que rien - ni le désir, ni la mort, ni les anges, ni les forces obscures - n'inclinait davantage au Désastre que la poésie.

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    Il sera inutile de pousser un soupir de soulagement lorsque j'aurai dit que le reste de la production de Blitz'Art relevait d'une veine fantaisiste. Ce mot est fortement démonétisé dans la langue française. L'écrire avec une autre orthographe donne davantage à réfléchir et l'empêche de flirter avec ce sentiment insipide de légèreté qui caractérise son acception nationale. Phantasie flirte avec phantasme. Il est vrai que certains dessins de Blitz' Art peuvent être regardés comme la transcription d'un scénario imaginaire un tantinet loufoque. Nous pensons par exemple à celui intitulée Chimère Abyssale. Bateau pirate et île au trésor par dessus. Mais par-dessous, le naufrage, et le chat. L'ensemble incite au sourire, n'empêche que le chat noir - animal totémique poesque par excellence - pointe l'arrondi de son dos. Le lecteur tant soit peu averti ne manquera pas de tiquer sur cette chimère que l'on retrouve aussi bien chez Mallarmé sous forme de sirène associée à l'idée de naufrage que dans le titre de l'œuvre phare de Gérard de Nerval.

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    Puisque nous parlons de poëtes, notons que l'ensemble des dessins de Blitz'Art évoquent irrésistiblement le Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand. Une œuvre que son auteur plaçait sous l'égide de Rembrandt et de Jacques Callot. Souvent la poésie voisine avec les peintres et les illustrateurs. Ces deux univers se rencontrent. Comme par hasard les poèmes des différentes parties du recueil de Bertrand sont dénommées Les fantaisies de Gaspard de la Nuit. Le lecteur remarquera que le mot fantaisie débouche sur le vocable nuit. Comme l'estuaire du fleuve se jette dans l'océan, comme la vie va à la mort. La fantaisie poétique et artistique relève de l'humour noir. Et du rire jaune. Le ricanement serait-il le masque de l'inquiétude. 

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    Ces fantaisies gaspardiennes sont précédées d'un poème invocatoire à Victor Hugo. Difficile à l'époque de mieux marquer pour un poëte son allégeance au romantisme. Généalogiquement parlant, fantaisie et romantisme suivent un même chemin en se tenant par la main comme frère et sœur. Encore convient-il de leur ajouter un troisième compagnon, un tierce larron pas vraiment gai-luron : le fantastique. Ce rappel nous permet d' appréhender la touche rock'n'roll de Blitz'Art. N'oublions jamais que le rock n'était pas encore né, qu'il n'était qu'en gestation lointaine dans la guitare de Robert Johnson, que le Diable avait déjà montré le bout de son nez. L'était venu à pied au fameux carrefour, mais depuis il s'est modernisé, a emprunté les transports modernes beaucoup plus rapides, des titres comme Hot Rails to Hell ( 1973 ) du Blue Oÿster Cult, ou le Highway to Hell ( 1979 ) d'AC / DC le prouvent. Les groupes de rock ne manquent pas sur leurs disques de nous relater leur dernier le circuit touristique en enfer. Blitz'Art n'en abuse pas. N'éprouve guère le besoin de stabiler au gros feutre rouge : Attention Danger Rock ! Préfère en exprimer l'esprit, compte sur l'intelligence du regardeur pour le saisir. Le rock est le dernier avatar du romantisme et il en charrie l'ensemble des thématiques les plus sulfureuses.

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    Visionner les toiles et les reproductions de Blitz'Art permet de comprendre comment son art suce aux tétons monstrueux de ces puissances tutélaires. Voyage au pays des rêves et des cauchemars, telle est la formule lapidaire par lequel Blitz'Art définit son monde graphique, encore devrait-il préciser que dreams and nightmares se présentent sous formes de poupées gigognes, chacune contenant l'autre. Beaucoup de ses dessins fonctionnent comme une mosaïque de détails posés en désordre sur une surface blanche. Vous recevez l'impact de la feuille complète, mais fixer de plus près n'importe quelle tesselle territoriale d'encre, visée en sa seule et latente unicité, influe sur votre ressenti, pervertit votre compréhension. Elle agit alors comme ces sigils opératoires d'Austin Osman Spare qui en s'insinuant dans les engrammes de votre sensibilité modifient votre lecture du réel. Votre regard anamorphose votre vision, vous n'êtes plus maître de votre interprétation, Blitz'Art se joue de vous, vous a précipité en un terrain d'incertitudes. Ces interstices, voire ces gouffres, de significations tumultueuses et ovipares vous happent, vous vouliez regarder, vous êtes obligé de contempler. Blitz' Art est un voleur de temps. Il est le ruban de Moebius et vous la mouche qui se sent libre parce que le piège ne lui colle pas aux pattes vu qu'elle peut le parcourir en toute liberté... sans fin... L'étrangeté du réel vous est dévoilée sous ses facettes les plus grotesques. Tales of the grotesque and the arabesque, telle était la formule de Poe.

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    Entrez dans le monde bizarre de Blitz' Art. N'oubliez pas qu'il n'y a pas de porte de sortie. Ni d'issue de secours.

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    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

     

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    vous saurez pourquoi la semaine prochaine

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    AVANT L'ORAGE

    1

    Le service était était en plein travail. Attablé à son bureau le Chef fumait voluptueusement son troisième Coronado, Molossa profitait de cette sereine matinée de juin pour vadrouiller dans les poubelles du quartier. je relisais d'un œil attendri le premier chapitre du manuscrit des Mémoires de Damie Chad agent secret du SSR. ( Service Secret du rock'n'roll ). Récit passionnant. je ne résiste pas à vous transcrire in-extenso la page 25.

    '' C'est à cet instant que l'on gratta à la porte. Le Chef arrêta de tirer sur son Coronado, ma mine soucieuse confirma son inquiétude. Nous autres agents secrets possédons un sixième sens qui nous permet de détecter la moindre anomalie dans l'ordre du monde. J'entrouvris le battant, comme tous les matins Molossa se faufila dans l'entrebâillement, mais au lieu de filer droit vers sa gamelle, elle fonça vers le Chef, sauta d'un bond sur le bureau et déposa sur le sous-main immaculé une espèce de chiffon merdouilleux dont elle semblait particulièrement fière. Une odeur nauséabonde envahit la pièce. J'allais me saisir du trophée de Molossa pour le lancer par la fenêtre lorsque je fus arrêté dans mon geste de survie écologique par une espèce de glapissement pitoyable.

    C'est ainsi que Molossito fit son entrée dans le service. Reconnaissons-le, le protégé de Molossa, se montra le digne fils de sa mère adoptive. Très vite il nous donna quelques échantillons de ses capacités destructrices, par exemple son art de ronger les pieds des meubles avec une efficacité supérieure à une armée de termites. Nous n'eûmes pas à lui acheter une panière, il refusa d'élire domicile autre part que dans le tiroir à Coronados du Chef. Parfois il en déchiquetait une bonne douzaine par jour, juste pour se faire les dents, à trois cents euros le cigare, juste une note de frais supplémentaire pour l'Elysée disait le Chef en souriant...

    J'adore les bêtes, toutefois un peu de fermeté ne messied pas... le Chef ne partageait pas mon avis, Molossito était devenu le roi tout puissant du Service, le Chef lui passait toutes ses bêtises, les grosses car il n'en faisait jamais de petites. ''

    C'est à cet instant que l'on gratta à la porte. Molossa remontait des poubelles immanquablement suivie de Molissito qui remuait sa queue avec frénésie. Molossa fila vers sa gamelle, Molossito se nicha d'un bond léger dans le tiroir à Coronados, le Chef en profita pour allumer le cinquième barreau de chaise de la matinée, quant à moi je me plongeai illico dans la suite de la lecture des Mémoires de Damie Chad agent secret du SSR. ( Service Secret du rock'n'roll ).

    Le service phosphorait à plein régime. Un matinée studieuse. En-dessous de nos têtes s'amoncelaient d'énormes nuages noirs, nous le savions pas. Molossa suivi de son inséparable Molossito, gratta à la porte. C'était l'heure de parfaire l'éducation du jeune chiot, à 10 heures trente tapantes, tous deux sortaient, Molossa initiait son fils adoptif aux dangers du vaste monde.

    2

    INITIATIONTION CANINE

    Molossito : c’est quoi Molossa, ce truc ?

    Molossa : c’est un cadavre, ne t’inquiète pas-tu en verras d’autres !

    Molossito : et ce camion rouge qui fait du bruit ?

    Molossa : ce sont les pompiers, la voiture blanche c’est une ambulance, la bleue c’est les gendarmes, la jaune c’est la poste, la verte c’est le député écologique du quartier, la noire et blanche c’est la police, la grise c’est la morgue, la grosse noire c’est les Services Secrets de l’Elysée, et tous les gens autour qui crient ce sont des passants et des curieux. Maintenant arrête d’aboyer, tu vas nous faire remarquer, approche-toi doucement de moi que je te dise à l’oreille ce que nous devons faire, attention, c’est ta première mission, tu te dois de la réussir pour l’honneur du SSR !

    Molossito : ne t’inquiète pas, je saurai m’en montrer digne Molossa !

    Nous ne voudrions pas attrister nos deux canidés préférés, mais parmi les badauds personne ne s’intéresse à eux. Tous les yeux sont obnubilés par le trou rouge à la base du nez du facteur qui gît dans le caniveau. Les pandores ont un mal fou à faire reculer les spectateurs afin de délimiter un périmètre de sécurité. Molossa profite de la mauvaise volonté de la foule pour se faufiler, ni vue ni connue, entre les jambes. Elle sait ce qu’elle cherche. Elle vient de le trouver. Elle louvoie avec habileté pour se poster à ses côtés. C’est une jeune Maman qui porte dans ses bras un ravissant bébé de quelques mois. L’imprudente, comme s’il n’y avait pas d’autres spectacles à faire admirer à son nourrisson que le cadavre d’un facteur dans un caniveau ! Molossa a bondi, d’une dent acérée elle déchire la cuisse du poupon, le bébé pousse un brail à réveiller un mort - ceci est une exagération métaphorique puisque le facteur ne ressuscite pas - un flot de sang vermeil dégouline le long de la jambe ouverte jusqu’à l’os, affolement général, pagaille indescriptible, la mère s’évanouit, l’on se pousse, on la piétine quelque peu, l’on crie, l’on vocifère, l’on insulte la police qui protège les macchabées alors que l‘on vient jusque dans nos bras égorger nos femmes et nos enfants, quand on songe à poursuivre l’horrible bête noire qui a cherché à trucider l’enfant innocent, Molossa est bien loin, à l’autre bout de la rue, suivie de près par Molossito…

    ( A suivre... )