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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 63

  • CHRONIQUES DE POURPRE 511 : KR'TNT ! 511 : LLOYD PRICE / YARDBIRDS / TEMPLES / CRASHBIRDS / JARS /BLACK INK STAIN / DRAIN / SUNAMI / JOAN BAEZ / ROCKAMBOLESQUES XXXIV

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 511

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    20 / 05 / 2021

     

    LLOYD PRICE / YARDBIRDS / TEMPLES

    CRASHBIRDS / JARS / BLACK INK STAIN

    DRAIN / SUNAMI / JOAN BAEZ

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Lloyd Price n’a pas de prix

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    Voici venu le moment de rendre hommage au grand Lloyd Price qui vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois d’ébène. L’idéal avant d’aller écouter ses albums serait de lire son autobiographie, car il s’y passe des choses étonnantes. L’ouvrage s’appelle Sumdumhonky, ce qui signifie some dumb honky, l’honky étant l’homme blanc dégénéré, évidemment. Lloyd Price qu’il faut considérer comme l’un des pionniers du rock («Lawdy Miss Clawdy», c’est lui) est un homme en colère. Son petit livre est un violent pamphlet contre le racisme des blancs du Sud, et plus particulièrement ceux de Kenner, une bourgade du Sud de la Louisiane, proche de la Nouvelle Orleans, où a grandi le petit Price. Comme le fait Willie Dixon dans son autobio, Lloyd Price dénonce la barbarie des blancs, mais avec encore plus de virulence. Il commence par expliquer que dans les années trente et quarante, les noirs n’étaient rien du tout (the black people were nothing) aux yeux des habitants de Kenner. Et il s’empresse d’ajouter : «Non, ce n’est pas ça, ils pensaient que les noirs étaient encore moins que rien. Ils pensaient que les chiens étaient au dessus des gens de couleur.» Et ça va très loin, la haine du blanc pour le nègre. Lloyd Price explique que sa mère avait toujours peur de perdre l’un de ses enfants - Quand on sortait de la maison, elle craignait qu’on ne revienne pas. Il se passait des choses étranges dans le Sud et si l’un de nous ne rentrait pas, ça voulait dire qu’il ne rentrerait jamais - En grandissant, le petit Price s’étonne de voir les noirs considérer les blancs comme des gens bien, et si l’on écoutait parler les blancs, les noirs étaient tous bêtes. Lloyd Price va se demander toute sa vie comment les gens de son peuple ont pu gober un truc pareil. La peur, tout simplement la peur. Le noir avait tellement peur du blanc qu’il le respectait, comme on respecte un prédateur dont on a peur. Le Shérif de Kenner était un vrai Américain qui expliquait à l’église que le bon nègre était un nègre mort. Il appliquait aux nègres le traitement moral que les générations précédentes avaient appliqué aux Indiens. Lloyd Price essaie de ramener le débat sur le terrain de la moralité et se demande s’il existe des blancs qui éprouvent de la honte pour les traitements infligés aux gens de couleur, pour cette peur sociologique dans laquelle les sumdumhonkys du Sud ont plongé des générations de noirs. Les gens imaginent que la ségrégation était la limite, mais Lloyd Price s’empresse d’ajouter qu’elle n’était que le commencement. «Le blanc ne peut pas mesurer les dommages causés par l’humiliation dans le corps et dans l’esprit. Quand on est insulté au point de se sentir comme une bouteille de champagne secouée en plein soleil. Un homme noir d’âge mur ne pouvait pas répondre aux insultes d’un gamin blanc, ou s’asseoir dans un endroit public pour manger sans être insulté.» Mais il ajoute que les noirs ont réussi à survivre, et son raisonnement va loin, car il considère que les noirs ont énormément contribué au développement de l’Amérique mais apparemment, ça compte pour du beurre. Il termine ainsi son réquisitoire : «Avant de conclure, je souhaite vous faire part de mes deux plus grandes sources de confusion. Un, je pensais qu’on était si maltraités dans ce pays par le blanc, et de façon tellement impardonnable que j’en arrivais à la conclusion que le blanc était le diable. Deux, le blanc prêchait tellement ces conneries de paradis et d’enfer que nous avions tous peur du moindre de ses mots, et quand le tonnerre de l’orage grondait, c’était encore pire. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que la mort est la mort, quelle que soit la façon dont elle survient, et bien que le blanc n’ait rien à voir avec la façon dont on meurt, il a tout de même réussi à nous faire craindre la mort en nous prédisant les flammes de l’enfer. Alors oui, le blanc est le roi du marketing, il sait vendre ses idées, il faut avoir des couilles pour aller dire à un crétin qu’il va aller rôtir en enfer s’il n’obéit pas aux ordres. J’en était arrivé à la conclusion que le blanc était le pire cauchemar de l’homme noir. Jusqu’à ce que j’aille en Afrique.»

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    Eh oui, à une époque de sa vie, Lloyd Price veut renouer avec ses racines et il se paye un voyage au Nigeria. Ça commence mal, car il se fait racketter à l’aéroport par les militaires. Il doit verser le dash, c’est-à-dire 500 $, ou c’est la mise en quarantaine. Quand il s’aperçoit qu’il se fait baiser par des Brothers, il a envie de retrouver l’esclavagiste qui a kidnappé sa famille et de le remercier de les avoir aidés à quitter ce pays de fous. Lloyd Price est tellement outré par le comportement des Nigérians qu’il se dit prêt à serrer dans ses bras les trafiquants d’esclaves. Et s’il y avait eu un vaisseau négrier en partance pour les Amériques, il aurait été le premier à bord, histoire d’échapper aux griffes du service d’immigration nigérian - These niggers made Ol’ Jake look like an angel (Ol’ Jake était le flic de Kenner qui descendait un nègre pour un oui pour un non) - Mais il n’est pas au bout de ses surprises ! En traversant Lagos à bord d’un taxi, il voit les noirs chier dans la rue devant tout le monde, même les femmes. Et ce n’est pas fini. Il arrive à l’hôtel, une sorte de Hilton nigérian : pas d’eau au robinet et pas de courant électrique. La réalité africaine l’oblige à réfléchir.

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    Avec tout ça, la musique passe au second plan. Si on cherche des infos sur les tournées dans les années cinquante, ou le Birdland que Lloyd Price racheta à New York pour y organiser des concerts, ce n’est pas dans ce livre qu’on les trouvera. Il évoque rapidement Dave Bartholomew qui fut à la Nouvelle Orleans le chasseur de talents engagé par Art Rupe, boss de Specialty Records. Bartholomew découvre Lloyd Price dans la boutique de sa mère alors qu’il jouait «Lawdy Miss Clawdy» sur un petit piano. Le petit Price rappelle qu’en 1952, il était devenu le heart and soul du new Beat in New Orleans - They say I was the first black teenage idol and Shirley Temple was the white one - Quand Lloyd Price doit partir à l’armée, Art Rupe lui demande s’il connaît une autre poule aux œufs d’or. Alors Lloyd lui glisse le nom d’un petit mec qui se débrouille pas mal, Little Richard - I shot myself in the foot when Art Rupe found Richard - Deux ans plus tard, Lloyd est libéré de l’armée, mais Little Richard a pris sa place chez Specialty. It was over for me. Philosophe, Lloyd ajoute : «That was fine, he was a real talent and every loss is some gain.» (Pas de problème, il avait un talent fou. Un gagnant pour un perdant).

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    Avant d’entrer dans l’univers passionnant du grand Lloyd Price, il est essentiel de savoir qu’il appartient à la génération d’avant la Soul, celle du jump et des big bands. Mais comme Pricey a un don pour la pop, il devient très vite moderne et donc célèbre. Ses deux premiers albums paraissent en 1959 et contiennent tous les hits qui vont le rendre célèbre dans le monde entier : «Personality» (groove de vieille souche de swing, walk ! Talk ! Charm ! Smell ! Il swingue son I’ll be a fool for you comme un cake), «Stagger Lee» (co-écrit avec Archibald), «Lawdy Miss Clawdy» (chanté dans l’art de la matière). Il est aussi essentiel de préciser qu’on est avec ces deux albums au cœur du New Orleans sound. Pricey propose une version spectaculaire d’«I Only Have Eyes For You», orchestrée à outrance. Il faut le voir épouser cette orchestration alerte et vive. Sur la pochette de Mr Personality, il porte un smoking rouge et les mecs de sa section de cuivres des vestes blanches. On le voit photographié au dos en compagnie de son producteur Don Costa. On trouve aussi sur cet album un «I’m Gonna Get Married» à forte personnalité, bien foutu, avec des clameurs de chœurs extraordinaires. Pricey impose un style à la force du poignet, ce qui est tout à son honneur quand on sait d’où il vient. Diable, comme il a eu raison d’écrire son livre ! Il tâte aussi de la calypso comme le montre «Poppa Shun» et il termine avec «I Want You To Know», une heavy Soul de haut rang qui deviendra la marque de fabrique de James Brown.

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    The Exciting Lloyd Price est aussi du pur jus de New Orleans, avec une pochette dynamique à la Little Richard : Pricey en polo rouge, les bras en croix sur fond jaune et au dos, on le retrouve sanglé dans l’un de ces gros pantalons qui remontaient très haut au dessus des hanches. C’est un album de jump de jive impénitent, une pétaudière à l’ancienne. On retrouve des relents de «Personality» dans «You Need Love» et de «Stagger Lee» dans «Oh Oh Oh», mais c’est normal. Pricey enfonce son clou avec notre bénédiction. Il chante son «Foggy Day» au groove de jazz in London town.

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    Il sort trois albums en 1960, Mr Personality’s 15 Hits, Mr Personality Sings The Blues et The Fantastic Lloyd Price. Il faut voir la classe de Pricey sur les pochettes, notamment celle du premier des trois. Comme son nom l’indique, Mr Personality’s 15 Hits est un best of où on retrouve tous les hits pré-cités, notamment «You Need Love», bardé de chœurs qui restent des merveilles de fraîcheur, des valeurs sûres, avec en plus un solo de sax à la Lee Allen. Alors wow ! On retrouve aussi l’excellent «I’m Gonna Get Married». Pricey s’arrange toujours pour ramener un son et des compos intéressants. Ce Get Married est une petite merveille de black pop d’époque. Même ses slowahs comme «Just Because» ont des angles modernes. Pricey crée son monde et se donne les coudées franches avec cet excellent «Lawdy Miss Clawdy» qu’on est toujours ravi de croiser. «Stagger Lee» restera l’un des plus beaux brins de rock de l’histoire du rock, et c’est signé Pricey.

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    Quand on voit la pochette de Mr Personality Sings The Blues, on s’émerveille : les gens savaient faire des pochettes à l’époque. Pricey lève les yeux au ciel et porte une belle veste à carreaux, une chemise blanche et une petite cravate noire. Ça c’est du portrait ! Sur cet album, Pricey ne fait pas du blues au sens où on l’entend ordinairement, il chante le blues des années 50, celui de Percy Mayfield («Please Send Me Someone To Love») et du jive de big band. Son «Sitting There & Rocking» s’assoit sur des hautes nappes de violons - My baby left town last nite/ And I just got the blues today - et il tente plus loin le coup du heavy blues avec «Feeling Lowdown» - Feelin’ lowdown/ Just messin’ around with the blues.

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    Par contre, la pochette de The Fantastic Lloyd Price ne le met pas à son avantage. Pricey porte la banane et sourit de ses trente-deux dents, mais le photographe doit être un brin raciste car la pose évoque celle d’un chimpanzé, alors que Pricey est plutôt un très bel homme. Disons qu’avec ce portrait, le côté africain prend le pas sur l’afro-américain et cette manie qu’avaient les blacks dans les années 50 de vouloir se blanchir en s’aplatissant les cheveux et en s’habillant comme des courtiers d’assurances.

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    Au dos de la pochette, on trouve un portrait nettement plus avantageux de Pricey en veste de smoking, nœud pap et souriant comme le tombeur de ces dames. Côté son, pas de surprise. Pricey fait du Cole Porter, du jump de big banditisme bien rebondi aux nappes de cuivres, avec des solos de sax dans le corps du texte. C’est toujours l’avant-Soul de Whiterspoon et de Brook Benton. Tous ces blackos font leurs armes dans le jump. Il faut le voir chanter «Because Of You». Il n’a pas vraiment de voix, juste un style et un sens du show. Il a su saisir sa chance au bon moment. Dans «Undecided», il propose du real good jive bien balancé - So what you’re gonna do ? - Globalement, il propose du cabaretier bien foutu et sacrément orchestré. Ces artistes avaient alors derrière eux tout l’or du monde. Son «In A Shanty In Old Shanty Town» d’ouverture de bal de B se veut suprême et ça l’est. Big Broadway sound ! Pricey n’a aucun effort à fournir, ça swingue tout seul. Son ‘Great Orchestra’ fait tout le boulot. Il termine avec un «Five Foot Two» admirable de coochie-coochie-coo d’if anybody see my girl !

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    Avec Cookin’, la pochette s’enhardit. Joli shoot de modernité avec un Pricey explosé de rire sur une chaise anglaise, le tout sur un joli fond bleu primaire. L’esthétique frise celle des pochettes d’EPs de Little Richard, même sens de l’exubérance et des tons primaires. Dommage que l’album soit un peu faible. Il y tape une version swinguy de «Summertime» et fait son Cole Porter avec «Is You Is Or Is You Ain’t My Baby». Il y jive dans les grandes largeurs. C’est un fast drive d’upright qui amène «Deed I Do». Fantastique jive de jazz ! Ça ne traîne pas avec Pricey, il faut voir ces mecs derrière souffler dans leurs trompettes. On voit aussi Pricey enrouler «Since I Fell For You» dans ses gros bras noirs pour danser le mambo. Mais la B ne veut rien savoir : elle refuse d’obtempérer, même si «I’ll Always Be In Love With You» sonne comme du Percy Mayfield. Il boucle avec «Rainbow Joe», un shoot de calypso très orchestré et battu à la cymbale claire.

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    Sur Sings The Million Sellers paru l’année suivante se nichent deux merveilles : «Once In A While» et «C’est Si Bon». Avec Once, Pricey fait autant de ravages que Liza. C’est mélodiquement parfait. Puis il se prend pour Sacha Distel avec «C’est Si Bon». Il chante d’autres standards du type «Save The Last Dance For Me», «Corrina Corrina» et «Spanish Harlem». On retrouve la pétaudière de la Nouvelle Orleans dans «Ain’t That Just Like A Woman». C’est le son qu’avait Little Richard à ses débuts. Pricey passe le «Shop Around» de Smokey à la casserole. Ça swingue au big banditisme avec une pincée de Trinitad. Pricey adore le son des îles. Encore un gros numéro de jump avec «The Hoochie Coochie Coo» et voilà le travail.

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    Bon prince, Pricey donne la parole à son orchestre avec This Is My Band. Ouverture du bal d’A avec le part 1 et le part 2 de «Trouble». On entend rarement des jives aussi fiévreux. Quelle fabuleuse tension rythmique derrière le sax ! Le bassman rôde dans le son comme un démon dans les ténèbres. En B, on retrouve avec «Pan Setta» l’excellent drive de rythmique derrière les solos d’orgue et les nappes de cuivre. Ces mecs ont des pieds ailés. «No Limit» vaut pour un bel instro d’anticipation envoyé aux gémonies.

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    Pricey revient en force en 1963 avec Misty et une pochette superbe. Le voilà une fois de plus explosé de rire dans un fauteuil de bureau. Il va tout se suite se plonger dans l’excellence du Broadway shuffle avec «On The Sunny Side Of The Street». Il chante ça à la revancharde avec un gusto stupéfiant. Nouveau coup de Jarnac avec le retour d’un «Trouble» monté sur un shuffle de stand-up. Wow, le drive dévore l’instro tout cru ! D’autres belles surprises cueillent le curieux au menton en B, à commencer par le morceau titre, fabuleux shake de big jive et de too much in love. C’est excellent car extrêmement joué et surtout très chanté. Pricey sait honorer sa muse. Encore du swing antique avec «Tennessee Waltz» relayé aux chœurs de gospel batch. Il fait aussi un «Pistol Packin’ Mama», une version cha cha cha de bonne guerre, avec des chœurs rétro.

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    Il se pourrait bien que le meilleur album de Pricey soit ce Now paru en 1969 sur son propre label, Lloyd Price’s Turntable. C’est un album énorme et sans concession qui démarre avec «Bad Conditions», un funky strut politicard qui dénonce les conditions de vie des blacks aux États-Unis - Uh We’re living in baaaad/ Conditions - L’énorme bassmatic rentre dans le lard du baaaad conditions. Il passe ensuite à une belle cover de «Light My Fire» et swingue le fire en profondeur. Pricey a du power et les chœurs sont redoutables. Il revient à son cher carribean sound avec «Feeling Good» et comme Wicky Picky, il s’attaque à la reine des pommes, le vieux «Hey Jude» des Beatles, et se tape une belle crise de hurlette en fin de cut. Oh mais ce n’est pas fini ! Il enchaîne trois merveilleuses covers en B, à commencer par «For One In My Life», cette grosse poissecaille qui semble orchestrée en sourdine, rehaussée d’un fouetté de fûts assez jazzy. Ce démon de Pricey chante ça au mieux des possibilités. Il revient à son cher swing avec un «I Understand» porté par un big bassmatic au devant du mix et ça continue avec une version de «Phoenix» très différente de celle d’Isaac. Il faut dire que ses covers sont toutes très inspirées. Il bénéficie en outre d’une prod de rêve, comme le montre encore un «Don’t Talk To Me» chargé de basse et de chœurs, de percus et de cuivres. Wow, Pricey swingue ça comme un crack.

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    L’autre big album de Pricey n’est autre que To The Roots And Back, paru en 1972 et sur lequel il réactualise tous ses vieux hits. On le voit danser sur la pochette et le dos propose quatre petits snap-shots de Pricey sur scène. Il est alors un big back man moustachu, avec un look à la Wilson Pickett. Il fait pas mal de heavy funk en A , mais c’est en B que tout explose avec une version sidérante de «Lawdy Miss Clawdy». Son remake funky passe comme une lettre à la poste. Que de son ! Il modernise tous ses vieux coucous. On le croirait à Muscle Shoals avec «Lady Luck». Il barde aussi son vieux «Stagger Lee» de son. Voilà une version savamment cuivrée. On se croirait chez Stax tellement ça sonne bien. Il groove merveilleusement son vieux «Personality» et ça devient une sorte de groove des jours heureux, avec ces chœurs de filles délurées. Extraordinaire retournement de situation ! Pricey redevient un Soul Brother de rang princier, il navigue à la pointe du progrès et il a les compos, alors c’est du gâteau ! C’est une version dont on se souviendra. Il termine avec un «Where Were You On Our Wedding Day» chargé d’accents de calypso, l’un de ses péchés mignons.

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    Finalement, Pricey finit par aller comme tout le monde à Muscle Shoals enregistrer Music-Music, un album mi-figue mi-raisin, qui paraît en 1978, sous une pochette un peu ratée. Dommage, car la vraie pochette est au dos : on y voit un Pricey en afro et en tunique blanche sourire comme un roi africain.

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    Il est comme beaucoup de Soul Brothers à cette époque dans sa période Marvin Gaye : il mise sur les nappes de violons. Il s’engage résolument dans la voie d’une Soul orchestrée et ça lui va plutôt bien, sauf que les compos ne sont pas au rendez-vous. Il essaie de ramener de la belle aventure en B avec «You Brought It On Yourself» et sort le grand jeu pour illuminer l’art de la matière dans «Uphill Peace Of Mind», mais bon.

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    Le voilà en trois pièces blanc sur la pochette de The Nominee. Le morceau titre est un groove urbain dont il n’a pas à rougir. Pricey reste superbe de décontraction. Mais le reste de l’A n’accroche pas. Pricey propose un son trop passe-partout, un brin diskö-pop, sans aucune incidence sur l’avenir de l’humanité. Il tente de sauver l’album en B avec «I Found Love In You», une espèce de soft-diskö de 1978, mais la loi du marché ne tolère pas les albums ratés.

    Signé : Cazengler, Lloyd pisse

    Lloyd Price. Disparu le 3 mai 2021

    Lloyd Price. Mr Personality. ABC-Paramount 1959

    Lloyd Price. The Exciting Lloyd Price. ABC-Paramount 1959

    Lloyd Price. Mr Personality 15 Big Hits. ABC-Paramount 1960

    Lloyd Price. Mr Personality Sings The Blues. ABC-Paramount 1960

    Lloyd Price. The Fantastic Lloyd Price. ABC-Paramount 1960

    Lloyd Price. Cookin’. ABC-Paramount 1961

    Lloyd Price. Sings The Million Sellers. ABC-Paramount 1961

    Lloyd Price. This Is My Band. Double-L Records 1963

    Lloyd Price. Misty. Double-L Records 1963

    Lloyd Price. Now. Lloyd Price’s Turntable 1969

    Lloyd Price. To The Roots And Back. GSF Records 1972

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    Lloyd Price. Misty. UpFront Records 1974 ( Compilation )

    Lloyd Price. Music-Music. LPG Records 1976

    Lloyd Price. The Nominee. Olde World Records 1978

    Lloyd Price. Sumdumhonky. Cool Titles 2015

     

     

    Du Yardbirds dans les épinards - Part One

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    Par chance, il existe pas mal de bons books sur les Yardbirds : The Band That Launched Eric Clapton, Jeff Beck And Jimmy Page d’Alan Clayson et The Ultimate Rave-Up de Greg Russo. On verra ça dans un Part Two. Mick Wall en rajoute une louche avec l’un de ces fastueux panoramiques dont il a le secret dans Classic Rock. Il commence par rappeler que sans Yardbirds, pas de Led Zep. Tintin. En fin stratège, Wall attaque par la fin de l’histoire des Yardbirds, qui se situe en mars 1968, quelques jours avant la mort de Martin Luther King. Les Yardbirds jouent leur dernier concert à New York. Keith Relf et Jim McCarty n’en peuvent plus, trop de pression. Les gens du management ne leur permettent pas de faire un break : ils craignent que le public n’oublie le groupe. So play every night. Pfff. Ras le cul. Keith Relf et Jim McCarty songent depuis un moment à quitter le groupe pour partir sur autre chose. Chris Dreja et Jimmy Page ne sont pas au courant. Une chose est sûre, ils veulent continuer. C’est ce fameux dernier concert à l’Anderson Theatre qu’on peut entendre sur l’excellent Yardbirds 68 récemment publié par Jimmy Page.

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    Le coffret Yardbirds ‘68 vaut soixante euros. Quelle méchante arnaque ! Pour ce prix, on nous propose le concert de l’Anderson Theatre et un ramassis de démos. Sur scène, les Yardbirds commencent bien évidemment avec «Train Kept A Rollin’» et enchaînent avec «You’re A Better Man Than I Am». Jimmy Page sort sa Tele pour l’occasion et taille du psyché blast all over the rainbow. Il peut jouer à l’infini et les attaques de Keith Relf sont des modèles du genre. Les Yardbirds avaient la chance de pouvoir aligner une série de hits imparables. «Heart Full Of Sound» sonne comme l’emblème du psyché anglais. Jimmy Page l’amène sur un plateau d’argent. Il joue ça si sharp. Et puis voilà le pot-aux-roses : «Dazed And Confused» qui annonce si bien Led Zep. Tout est déjà là, sauf Robert Plant. Le pauvre Keith ne sait pas qu’il va disparaître, balayé par Robert Plant. Mais le son est là, au complet, avec toutes les transitions de notes titubantes, exactement le même déballage de talalalala. Jimmy Page a même l’air de jouer de l’archet. On retrouve aussi le violent redémarrage qui fit la grandeur du Led Zep 1. Chris Dreja bombarde bien sa basse. Il mise sur la présence. Avec «Over Under Sideways Down», les Yardbirds s’arrogent la couronne du British beat, c’est même l’un des grands hymnes universels. Jimmy Page le taille sur mesure et Chris Dreja sort un bassmatic rusé comme un renard du désert. On ne peut parler que de génie flamboyant. On pourrait dire la même chose de «Shape Of Things», bien sûr. Keith Relf redevient l’espace de deux minutes le roi du monde. Et si on aime Jimmy Page, alors on se régale avec «I’m A Man». Le disk 2 propose comme on l’a dit des chutes de sessions. Idéal pour un professionnel comme Jimmy page. Il fait des étincelles dès «Avron Knows». On a là une jolie toupie de psyché britannique jouée à ras du sol. Jimmy Page gratte «Knowing That I’m Losing You» à l’acou édentée. On sent le groupe abandonné de Dieu. Ce disque confirme le sentiment d’arnaque : on avait raison de se méfier, «Taking A Hold On Me» est une démo minable. En fait ce coffret fait partie d’une nouvelle vague d’arnaques, on n’avait encore jamais vu l’industrie musicale bluffer autant : vendre un live soixante euros, accompagné d’un livret vide de contenu et d’un mauvais ramassis de démos. La seule démo sauvable pourrait bien être l’excellent «Drinking Muddy Water» joué au fever de Delta blues. Keith Relf y sonne comme the tight white ass of it all. On sauvera également «Avron’s Eyes», car Jimmy Page y joue à la mortadelle du petit cheval blanc. Il joue son va-tout en direct, pas d’intermédiaire, pas de Keith dans les parages, Little Jimmy joue full blown. C’est très impressionnant. On ne se lasse pas facilement d’un mec comme lui. Ce sera d’ailleurs tout le problème de Led Zep.

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    Mick Wall ne tarit pas d’éloges sur ce groupe qui fait partie des pionniers de la scène anglaise - The Yardbirds had always been fantastically flash, inscrutably cool, fabulously out of reach - Et il continue de brouter le mythe à coups de wild hair-down kickers-off parties for the wilfully far-out, the fashionably fuck you. Et il ajoute qu’ils n’étaient pas des Mods traditionnels, they weren’t poncey Mods, but they dressed to the nines, part King’s Road part Haight-Ashbury. Lemmy dit que le line-up avec Jeff Beck était intouchable. Il ressentira la même chose en découvrant le MC5 - They just attacked you. En France, on dirait de manière plus triviale : ils vous sautaient à la gueule.

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    Montés par Keith Relf et Paul Samwell-Smith, le groupe tire son nom de Charlie ‘Yardbird’ Parker et ne joue que du trié sur le volet : Wolf, Muddy Waters, Bo Diddley, Elmore James - Strictly high-quality underground purist R&B - C’est pour ça que Clapton se rapproche d’eux, il se dit lui aussi puriste. Giorgio Gomelsky devient leur manager et là attention aux yeux ! C’est comme dit Mick Wall un mover-and-shaker qui gère des clubs, qui écrit des chansons, qui fait des films, qui produit des disques - Whatever you needed, Giorgio could get it. Fast - Il n’y a pas de hasard, Balthazar, les histoires des grands groupes passent toutes par l’étape de la conjonction surnaturelle. Pas de Yardbirds sans Giorgio, ni de Stones sans Andrew, ni d’Elvis sans Sam, ni de Who sans Shel. C’est Giorgio qui tient le Crawdaddy Club et qui manage les Rolling Stones, des Stones qui profitent d’un voyage de Giorgio en Suisse pour l’enterrement de son père, pour signer avec Andrew Loog Oldham qu’ils trouvent plus adapté à leur tough attitude. Quand Giorgio revient et qu’il voit le travail, il demande à son assistant Hamish Grimes de trouver un groupe pour remplacer les Stones. Ce sont les Yardbirds. Giorgio les envoie tourner pendant 18 mois avec Sonny Boy Williamson, qui est comme chacun sait le beau-frère de Wolf. Sonny Boy trimballe un mallette en croco dans laquelle il range ses harmos et une bouteille de whisky, un plan que va pomper Keith Relf. Sonny Boy ne pense pas grand bien des Yardbirds - This British band over there and they wanted to play the blues so bad... and they really did play them so bad - Qu’importe, Giorgio sort un live en pleine Yardbirdmania, le fameux Sonny Boy Williamson & the Yardbirds. Mais les albums de puristes n’intéressent que les puristes et donc assez peu de gens.

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    On se demande bien pourquoi cet album qui s’appelle Five Live Yardbirds vaut aussi cher aujourd’hui. C’est loin d’être l’album du siècle. Celui qui tire le mieux son épingle du jeu n’est pas celui qu’on croit : ni Keith, et encore moins Clapton. Non la star des early Yardbirds n’est autre que Paul Samwell-Smith et son rumble de basse, grand dévoreur devant l’éternel. Le rave-up c’est lui, avec Jim McCarty. Il faut l’entendre dévorer «Respectable» et redégringoler dans le son de «Smokestack Lightning». C’est une façon de jouer assez unique, un façon d’allumer la gueule de la conjoncture qu’on retrouva aussi chez Chas Chandler et chez les Pretties de l’époque Vivian Prince. Samwell-Smith monte encore en puissance en B avec le «Pretty Girl» de Bo. Le rave-up n’est pas une légende, c’est une réalité. On le voit aussi rôder dans le son de «Louise». Il est en mouvement permanent et swingue comme un dingue. La pauvre Keith n’a pas de voix, ça s’entend sur «I’m A Man», mais derrière lui Samwell-Smith bouffe le Man, croutch croutch, c’est le roi des rythmiques infernales. Samwell-Smith ? L’un des meilleurs bassistes anglais, pas de doute.

    C’est là où Giorgio sort de sa manche un gros coup de Jarnac. Il chope un truc écrit par un certain Graham Gouldman juste avant qu’on ne le propose aux Beatles : «For Your Love». Giorgio sait que c’est un hit. Clapton n’aime pas ce truc qu’il traite de ‘pop crap’ et quitte le groupe. Ouf ! - In an age of art for art’s sake, blues-precious Clapton just didn’t fit in - Giorgio avait vu juste : «For Your Love» parade en tête des charts anglais et américains. C’est le 21 years old maverick Jeff Beck qui va remplacer Clapton. Pourtant, ça commence mal. Beck n’aime pas les Yardbirds et c’est réciproque - They didn’t say hi or anything - Jeff Beck pense que les autres sont dépités parce que Clapton s’est barré avec le son du groupe. Mais Jeff Beck va rallumer le brasier et focaliser l’attention sur lui. Pendant un an, Jeff Beck blaste le son des Yardbirds, hit after hit - each more rule-bending than the last - Oui, Jeff Beck défie toutes les lois. Comme Keef, il a intégré Chucky Chuckah, Bo Diddley et Buddy Guy dans son jeu, mais aussi Freddie King, Galloping Cliff Gallup et Scotty Moore.

    Puis le groupe commence à en avoir marre des idées lunatiques de Giorgio. En plus, les comptes ne sont pas clairs. Viré. Les Yardbirds signent avec Simon Napier-Bell, recommandé par Rosie, la fiancée de Paul Samwell-Smith. Napier-Bell commence par re-négocier le contrat des Yardbirds et Keith peut enfin s’acheter une baraque en banlieue Ouest de Londres.

    Précisons toutefois que Jeff Beck n’était pas le premier choix du groupe qui préférait Jimmy Page, mais celui-ci déclina l’offre, pas parce qu’il était comme Clapton un blues-purist, mais tout simplement parce qu’il était d’un niveau beaucoup trop élevé pour un groupe comme les Yardbirds - He was out of their league - En 1964, Little Jimmy Page avait déjà accompagné toute la crème de la crème du gratin dauphinois, Shirley Bassey, Dave Berry, les Them, les Kinks, les Who, Lulu, on en passe et des meilleurs. À ses yeux, les Yardbirds ne sont que des one-hit wonders. Mais c’est lui qui leur recommande Jeff Beck - One of those cats on the fringes - Un individualiste. Ses groupes were built for speed, not for comfort - Ce mec aimait la vitesse, non le ronron. Trois semaines plus tard, Jeff Beck est en studio avec les Yardbirds pour enregistrer un nouveau hit intemporel, «Heart Full Of Soul», une autre compo de Graham Gouldman. Avec Jeff Beck, the Yardbirds are at the peak of their powers, aux plans commercial et artistique, pop and rock-tastically. De hit en hit, ils en arrivent au fameux «Shape Of Things», the most exotic sounding single of 1966. On dit même que c’est le premier single psychédélique.

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    Paru en 1965, For Your Love est un album hybride, avec le cul entre deux chaises : Clapton joue sur la plupart des cuts et Jeff Beck sur des trucs bien wild comme «I’m Not Talking», cette belle cover de Mose Allsion. Alors là oui ! Quel punch ! Un vrai coup de Beck. Il rentre dans le lard du cut avec sa Tele. Pour l’époque, il est rudement dégourdi. Il joue aussi sur «I Ain’t Done Wrong». Dès que c’est Beck, ça vit, il faut le savoir. On a là une compo de Keith bien sentie. Le troisième Beck cut est le dernier, «My Girl Sloopy», vieux sloopy de hang on. Keith groove son sloopy au cul du camion. C’est sûr que Beck doit s’emmerder dans cette histoire. Il attend de pouvoir partir en vrille. Alors et le reste ? C’est du Clapton coincé et quand on n’aime pas particulièrement Clapton, c’est compliqué. Sur «I Ain’t Got You», il est assez atroce avec son solo segmenté. Les Yardbirds sont encore dans une phase d’apprentissage à la mormoille. Le professeur Clapton leur apprend le blues. C’est nul. Keith nous sauve l’«I Wish You Would» de Billy Boy Arnold en B, il est même assez monstrueux avec son harmo, oh-oh yeah, on croit entendre Charles Bronson in hell. Pur jus de rave-up. Ils font aussi un coup d’éclat avec «A Certain Girl», ce vieux rumble de swinging London. On aime bien voir les Yardlirds devenir wild, comme c’est le cas ici.

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    Sorti lui aussi en 1965, Having A Rave Up With The Yardbirds reste un album trop typé d’époque. La B est un gros live cousu de fil blanc. On y trouve une série de classiques de type «Smokestack Lightning» et «I’m A Man», qui dénotent une magistrale volonté d’en découdre, mais avec le temps va tout s’en va. C’est donc en A que se nichent les points forts de l’album, «You’re A Better Man Than I» (enregistré chez Sam Phillips à Memphis) et «Heartfull Of Soul», fantastiques tranches de psyché palpitantes. On assiste à de lentes montées des phénomènes. On pourrait parler en termes d’achèvement Becky, tellement il joue en sous-main, avec une sorte de prestance longiligne. C’est avec ces deux hits que leur belle musicalité arrive à une sorte de maturité. Ils visent l’excellence psychédélique en devenir. «Evil Hearted You» reste et restera du typical Swinging London Sound, plein de you try to put me down et la reprise du «Train Kept A Rollin’» sent bon le Beck. Quelle ultra-présence ! Jeff Beck était alors le maestro des épopées électriques. Même si l’album est considéré comme un coup d’Epic - a grab bag of previoulsy released material - il est aussi the most influential album des Yardbirds, celui qui a lancé des vocations aussi bien chez les groupes de hard que chez les groupes de psyché américains. L’album restitue bien le côté expérimental qui rendait les Yardbirds uniques en 1965.

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    S’il fallait hisser un album des Yardbirds sur le podium, ce serait sans doute Roger The Engineer. L’album grouille en effet de beaux hits, à commencer par l’impérissable «Over Under Sideways Down». The big Beck is on the run. La belle fluidité du son se marie bien avec le bassmatic de Paul Samwell-Smith. On est là dans la perfection du Swinging London, auréolée de belles poussées de fièvre. Ces diables de Yardbirds savent finir dans la tension maximaliste. Ils adressent un beau clin d’œil à Elmore James avec «The Nazz Are Blue» et en B, Beck passe au jazz avec «Jeff’s Boogie». Il joue son Boogie à la violente pompe de Django. Ils reviennent à l’évanescence psychédélique avec «He’s Always There», bel exercice d’anticipation emblématique joué au suspense des grillons. Ça bruisse délicieusement dans le smog londonien. Tiens, encore deux hits en fin de B : «What Do You Want», embarqué à la fantastique énergie. On croirait entendre l’effervescence débridée de Moby Grape ! Même élan vital. Grosses influences américaines, en tous les cas. Et puis «Psycho Daisies», authentique rave-up des Yardbirds, boogie endiablé qui sonne comme un classique avec une jolie fin de non-recevoir. Jeff Beck amène énormément de son. Ils conservent aussi leurs accointances avec le british r’n’b à travers «Lost Women», monté sur le petit riff riquiqui de Paul Samwell-Smith. Joli son caoutchouteux ! Et Keith Relf nous shake ça si sec ! Mais le vrai hit de l’album pourrait bien être «I Can’t Make Your Way», étrange cut de pop élégiaque et terriblement enchantée. On tombe sous le charme de cette admirable tension bon enfant que Jeff Beck tisonne au long cours. Il est à noter que Roger est le premier album de compos originales et surtout un chef d’œuvre de joyful experimentation. Roger arrive juste avant Sergent Pepper, juste avant Hendrix, juste avant Blonde On Blonde, Pet Sounds, Aftermath et le premier Velvet. Voilà pourquoi les Yardbirds étaient uniques. Ils étaient l’un des groupes les plus intéressants de leur génération.

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    Pendant ce temps, Jimmy Page croule sous les demandes de sessions et commence à loucher sur le succès des Yardbirds. Au moment où Paul Samwell-Smith quitte le groupe, il propose de venir donner un coup de main, d’autant que les Yardbirds paniquent en raison du nerver-ending touring schedule qui suit la sortie de Roger The Engineer. Jimmy Page ne rejoint pas les Yardbirds pour une question de blé, parce qu’il gagne en une semaine beaucoup plus que ce gagnent les Yardbirds en un mois, mais tout simplement parce qu’il rêve de jouer SA musique. À force de jouer de la rythmique pour les autres en session, il sent qu’il régresse en tant que guitariste. Quand il joue pour la première fois avec les Yardbirds au Marquee, il joue de la basse. Puis en août 1966, il participe à une première tourne américaine avec les Yardbirds. Chris Dreja passe à la basse et Jimmy Page retrouve sa chère guitare. C’est la première twin-solo guitar line britannique. Les Yardbirds deviennent the most incendiary group on the planet. Pour Chris Dreja, l’arrivée de Jimmy Page dynamise le groupe : «It definitively gave the band a kick in the arse.» Pas aussi weighty (chargé de son) que Cream, pas aussi laddish (glimmer twins) que les Stones, mais certainement plus mordants que les Beatles qui d’ailleurs sont sur le point d’arrêter les tournées. Dreja rigole aussi à propos de son retour à la basse : «Jimmy Page est tellement mauvais à la basse que j’ai dû prendre sa place.» Comme en plus Dreja a joué de la rythmique avec les trois cocos, Mick Wall lui demande lequel des trois cocos il préférait - Clapton was a bluesman. Jeff Beck was a bloody genius, wasn’t he ? But I loved to play with Jimmy Page. He was full of energy. Go go go ! And I liked that. He was very positive. Still is today - C’est un bel hommage à un géant. Jimmy Page et Chris Dreja rencontrent plein de gens pendant cette tournée américaine et ils se régalent de ces rencontres et des histoires qu’on leur raconte. Par contre, Keith Relf broie du noir et boit comme un trou. Pour lui, l’âge d’or des Yardbirds, c’est avec Clapton. Il préférait le temps des clubs à Londres et des concerts de blues au Marquee et au Crawdaddy. La nouvelle mouture ne lui convient pas. Et soudain, c’est Jeff Beck qui craque. Il ne supporte plus les tournées. Il décide de rester à Hollywood pendant un Dick Clark Tour. En fait, Jeff Beck tombe amoureux d’une actrice nommée Mary Hughes. Le groupe repart en tournée à quatre et Jeff Beck rejoindra les Yardbirds pour la tournée de septembre 66 en Angleterre. Dernier coup de Jarnac : «Stroll On» sur scène, filmé par Antonioni - Beck, solemn, threatening, Page, smiley, cool, noooo problem - On le voit bien sûr exploser a cheap old thirty-five-dollars japanese model. La force des Yardbirds réside dans ces two huge personalities, même s’il y a trop de son. Jimmy Page : «It was a bit much sometimes !»

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    L’axe Beck-Page pouvait surmonter les Stones, pour lesquels ils ouvraient lors de cette tournée anglaise - McCarty recalls the Beck-Page axis at its best one night outgunning the Stones - Hélas, la seule trace qui reste de cet axis Beck-Page, c’est «Stroll On», qu’on retrouve sur la bande son de Blow Up. Et le single «Happening Ten Years Time Ago» que Mick Wall qualifie de ground-zero 70s rock - If you’re looking for the real rock roots of Led Zeppelin and every other out-there band that came helter-skelter in their wake, this is the definitive place to start.

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    Comme Jeff Beck dispose d’un ego sur-dimentionné, il joue fort, ce qui pose des problèmes à Keith Relf sur scène. Le power de Jeff Beck va même l’effacer. En fait, Jeff Beck ne supporte pas les crises d’asthme de Keith sur scène : «Yeah, l’ampli avait cramé, ma guitare était désaccordée et Keith toussait sur scène. Il utilisait un spray pour son asthme et en plein solo de blues, j’entendais les sssss sssss sssss de son spray, c’était insupportable, j’en pouvais plus alors je pétais la guitare.»

    C’est pendant la tournée américaine suivante que Jeff Beck craque et quitte le groupe - Full-on nervous breakdown - Il est épuisé, et en mauvaise santé, il combine les inflammations, amygdales et bite. Il jette l’éponge. Les Yardbirds se retrouvent à quatre.

    Lorsqu’ils font un point avec Napier-Bell sur l’état des finances, les Yardbirds tombent encore sur un os : Napier-Bell sort une feuille de papier et se livre à un étrange tour de mathématiques. Après trois mois de tournées incessantes, les Yardbirds se retrouvent chacun avec 200 £. Napier-Bell rend son tablier et transfère tout le biz chez Mickie Most, qui compte parmi ses clients Donovan, les Animals et les Herman’s Hermits.

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    Little Games est le seul album enregistré avec Jimmy Page. Bon inutile de tourner autour du pot : ce n’est pas le meilleur album des Yardbirds. Loin de là. Le seul cut qui pourrait éventuellement sauver l’album, c’est «No Excess Baggage», en B, joliment pulsé par Chris Dreja et le batteur McCarthy. Quand on regarde la photo du groupe au dos de la pochette, on voit que Keith Relf ressemble étrangement à Brian Jones. Avec sa fantastique partie de bassmatic, ce cut vaut pour le hit du disk. Mais le reste de la B est d’une grande faiblesse. On passe aussi à travers des cuts comme «White Summer». C’est le grand problème des Yardbirds : dès que Beck n’est pas là, les cuts manquent d’épaisseur. À la différence des Pretties, des Kinks et des Who, les Yardbirds restent très lisses. «Tinker Tailor Soldier Sailer» sonne comme de la petite pop psyché, mais la petite crise d’effervescence s’éteint bêtement au bout de deux minutes. Ils tentent de retrouver le feu psyché de «Heart Full Of Soul» avec «Glimpses», mais ça ne peut pas marcher, car Jeff Beck n’est plus là. Quant au reste, mieux vaut oublier. Jimmy page explique que l’album est pourri parce que tout est du one take et de toute façon, Mickie Most ne croit qu’aux singles, pas aux albums. Devenu le producteur des Yardbirds, il se dit fervent partisan d’un son plus commercial. Sans doute est-ce la première fois qu’il flingue un groupe. C’est d’autant plus dommage qu’un an plus tard, il va produire les deux albums du Jeff Beck B-Group. C’est à n’y rien comprendre.

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    Il engage Peter Grant pour veiller sur les Yardbirds. Bien sûr Jimmy Page trouve en Peter Grant un allié de poids. Mais pour Keith Relf et Jim McCarty, suivre Jimmy Page dans une nouvelle direction musicale est tout simplement au-delà de leurs forces.

    Et après ? Jimmy Page fait table rase et reconstitue son équipe pour lancer Led Zep, Chris Dreja devient photographe à succès, Keith Relf et Jim McCarty montent the gentle Renaissance et vont gentiment disparaître dans les ténèbres.

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    Justement, le book de David French tombe à pic : Heart Full Of Soul raconte l’histoire de Keith Relf. C’est un petit book sans prétention, mais qui a le mérite de jeter un éclairage sur la personnalité du pauvre petit Keith. Au Richmond Jazz & Blues Festival, Keith s’évanouit sur scène. On l’embarque à l’hosto et les médecins ne donnent pas cher de sa vie. Il a un poumon crevé. Mais il s’en sort et recommence à chanter. Le poumon crevé entre même dans la légende. Sur scène il chante avec son inhalateur et inspire une certaine pitié aux gens. En fait, David French a condensé une montagne de témoignages pour brosser le meilleur portrait possible du pauvre Keith. C’est vrai qu’il n’a jamais été un grand chanteur, au sens où on l’entend quand on parle de Lennon ou de Jag. Il n’a pas de force dans la voix. Les gens qualifiaient sa voix de plaintive, même parfois de sinistre. Mais c’est parce qu’il a ce handicap qu’il en rajoute. Il compense par une énorme présence scénique. Bien que chanteur d’un groupe en vogue, le pauvre Keith n’a pas les épaules d’une rock star. Il est d’un caractère renfermé, introspectif, d’une timidité maladive, idéaliste et incapable de supporter la pression du music biz. Il ne fait pas partie de l’in-crowd. Il vit à l’écart. Napier-Bell le traite d’énigme. Et là ça devient passionnant, car Keith l’asthmatique aime tellement la musique qu’il chante qu’il parvient à surmonter son aversion pour le music biz. Par chance, ce sont les guitaristes successifs des Yardbirds qui focalisent l’attention des journalistes. Côté musique, Keith adore le Modern jazz Quartet, Brian Auger, Burt Bacharach et Dylan.

    Pour supporter l’ennui des tournées américaines, Keith boit comme un trou. Et l’alcool le rend con, mais personne ne vient à son aide. Il vit un peu le même genre de cauchemar que Brian Jones. Napier-Bell : «C’était un type charmant, il portait la même veste en daim chaque jour, même s’il s’était vomi dessus la veille. Il chantait avec énergie, jouait très bien de l’harmo, il semblait un peu introverti, il buvait comme un trou. Keith faisait parfois partie de la bande, mais il pouvait aussi rester très distant.» Jeff Beck le qualifie de manic depressive. Il ne l’aime pas beaucoup, en fait. Il reproche aussi à Keith de lire le magazine Guns And Ammo et de vouloir tuer tout le monde.

    French parle bien des Yardbirds. Il rappelle qu’à la différence des Beatles et des Stones, les Yardbirds ne disposaient pas des personnalités hors normes, ni même l’ambition, la confiance et the love of the game que requiert le métier de rock star. Les Yardbirds ont aussi influencé énormément de groupes, French cite les Groupies, les Misunderstood, les Count Five, Litter. Beaucoup de groupes ont repris «I’m A Man», le MC5, les Stooges, le Chocolate Watchband, les Buckinghams, les Sonics et Q65. Comme les Stones, les Yardbirds débarquent aux États-Unis et fascinent les millions de kids. Mais ça ne marche pas à tous les coups : le Dave Clark Five passe comme une lettre à la poste, mais pas les Kinks. Lors de leur première tournée américaine, avec Giorgio au volant, les Yardbirds vivent des épisodes extraordinaires, notamment à Hollywood où Kim Fowley organise pour eux a house party. Il fait venir toutes les gloires locales, les Byrds, Peter & Gordon, Jackie DeShannon, Phil Spector et Danny Hutton. C’est le lancement officiel des Yardbirds en Californie. C’est aussi l’idée de Giorgio d’aller enregistrer un cut chez Sam Phillips à Memphis. Ils l’attendent devant la porte et quand Uncle Sam arrive, Giorgio va le trouver pour lui expliquer la raison de sa présence. Uncle Sam l’envoie chier - I don’t deal with limeys - Mais quand Giorgio lui met sous le nez 600 $, Uncle Sam accepte d’ouvrir le studio. Les Yardbirds enregistrent «You’re A Better Man Than I». Giorgio : «I got the drum sound I was looking for.» Comme l’attente est longue, Keith picole et quand il doit chanter «Train Kept A Rolling», il n’a plus de voix, ce qui met Uncle Sam hors de lui. Il dit à Giorgio que le groupe est bon mais il faut virer le chanteur - You gotta get rid of that singer - Mais en réalité, les Yardbirds n’ont jamais sonné aussi bien que lors de cette session à Memphis. Jeff Beck ne garde pas un bon souvenir de cet épisode, car il a vu Uncle Sam insulter Keith - J’ai immédiatement pris sa défense. Je haïssais Sam Phillips. Je ne comprenais pas son animosité. Peut-être qu’on lui a fait peur avec notre son, comme si on avait été les Sex Pistols - Quand ils débarquent à Phoenix Arizona, les Yardbirds partagent l’affiche avec les Spiders, un groupe local tellement fanatique qu’ils vont s’appeler the Nazz, en référence à «The Nazz Is Blue» - Ne pas confondre avec le groupe de Todd Rundgren - Les Spider/Nazz sont les futurs Alice Cooper, d’ailleurs obligés de changer de nom à cause du Nazz de Todd.

    Finalement les Yardbirds s’épuisent avec ces tournées. Jeff Beck est malade, Keith boit comme un trou et Paul Samwell-Smith n’attend plus que l’occasion de se barrer. En 1967, Beck is gone, ainsi que la magie et les hits. Puis quand Mickie Most les reprend en main et leur impose d’enregistrer «Ten Little Indians», c’est la fin des haricots. Les drogues entrent en plus dans la danse. Keith prend tout ce qu’on lui donne. Ils vont réussir à faire sept tournées américaines. C’est maintenant McCarty qui tombe dans les pommes. C’est là que Keith et lui pensent à se recycler dans un genre musical plus paisible. Ils écoutent Simon & Garfunkel... Jimmy Page est horriblement déçu quand il apprend que Keith et McCarty jettent l’éponge : «J’étais déçu car les morceaux qu’on développait étaient vraiment bons. Les concerts se passaient bien et le public nous appréciait. Ça marchait bien, même si on devenait plus ésotériques et underground. On était en plein dans l’air du temps. On aurait pu faire un très bel album. Mais peut-être en avaient-ils assez.»

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    Bon alors si on écoute le coffret Live At The BBC Revisited, c’est à cause de David French. Il recommande ce coffret et un autre, Live And Rare, paru lui aussi sur Repertoire en 2019. Au total, ça vous coûte un billet de 100, mais on ne perd jamais son temps à réécouter les Yardbirds. Le premier coffret couvre les années 64 à 68. Pour mémoire, Jimmy Page rejoint le groupe en juin 1966 et Jeff Beck le quitte en novembre de la même année. Jusqu’en 1968, ils jouent donc à quatre. Les enregistrements de la BBC sont réputés pour leur qualité. On pense notamment au BBC sessions du Jimi Hendrix Experience, des Mary Chain ou encore celles des Only Ones. Celles des Yardbirds tapent dans le mille. On sent le son du groupe changer du tout au tout après le départ de Clapton en 65. Ça sent bon le Beck. Il y a une dynamique. Ouf, le groupe respire. Beck amène de la vie et du sharp. Et quoi qu’on en dise, Keith Relf s’en sort bien avec «I Ain’t Got You». Il est dessus. Les Yardbirds sont capables d’explosions collatérales. C’est assez unique dans l’histoire du British Beat. Beck allume «I’m Not Talking» et ça a de l’allure. Beck claque ses notes et ramène de la petite folie intrinsèque. C’est Paul Samwell-Smith qui vole le show dans «Spoonful». Il sort un drive explosif. Et avec «Heart Full Of Soul», ils commencent à sérieusement friser le génie. Beck claque sa chique, and I know, et part en solo vainqueur. Il est le London guitar God, the real deal. Sur le disk 2, on retrouve pas mal de vieux plans du style «I’m A Man» et le psyscho London beat de «Still I’m Sad». Keith Relf se vautre avec «Smokestack Lightning», le pauvre, il n’a pas la voix pour ça. Il est bien meilleur dans «You’re A Better Man Than I», magnifique machine psychédélique. Autant il se plante sur tous les classiques (Smokestack, «Dust My Blues»), autant il est bon sur le Yardbirds sound, comme «Shapes Of Things». Là, Keith Relf peut arrondir les angles. C’est sur le disk 3 qu’on retrouve ce qui est sans doute leur plus beau hit, «Over Under Sideways Down», version assez demented avec le mad drive de Paul Samwell-Smith, toute l’énergie vient de lui, ça crève les yeux. On trouve aussi deux versions de «The Sun Is Shining» - The sun is shining/ But it’s rainin’ in my heart - Il faut noter l’élégance du jeu. Beck fait ce qu’il veut dans «Jeff’s Boogie», il est bel et bien le meilleur guitar slinger d’Angleterre, il multiplie les figures de style et dans la deuxième version, il joue carrément le jazz manouche. Il est à l’aise dans toutes les configurations. Puis on les voit se vautrer avec «Little Games», même si on sent le souffle du Led Zep à venir. Ils ont plus de son que sur l’album studio, mais la compo n’est pas à la hauteur. Ils rendent un superbe hommage à Dylan avec «Most Likely You Go Your Way (And I’ll Go Mine)», et là Keith Relf fait ce qu’il veut, car sa voix va. La deuxième version est même assez monstrueuse. La période de l’album Little Games n’est pas bonne et il faut attendre la fin du disk 3 pour retrouver la terre ferme : «Dazed & Confused» annonce la couleur. C’est du Led Zep, mais le pauvre Keith Relf n’a pas la voix pour ça. La version est très belle. Mais Robert Plant en fera le chef d’œuvre que l’on sait.

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    Il faut un peu de temps pour digérer le box Live And Rare : quatre CDs plus un DVD avec du footage qui, nous dit French, n’est pas en ligne. La box est bien documentée et les infos précises. Rien qu’avec le disk 1, on est gavé comme une oie : ça démarre avec une session de juin 66. Les Yardbirds sont cinq, Jeff Beck on guitar et Jimmy Page on bass. C’est Page qui rafle la mise avec son drive de basse demented dans «Train Kept A Rollin’» et «Shape Of Things». Il est all over. McCarty bat ça à la vie à la mort. Mais si on doit emmener un cut, un seul, sur l’île déserte, c’est la version d’«Over Under Sideways Down» qui suit. On y voit Page rentrer dans la gueule du groove. Genius ! Pendant trois minutes, les Yardbirds sont les rois du monde. What a bass drive ! Page démolit tout sur son passage, on croirait entendre Ronnie Wood dans le Jeff Beck Group, mais à la puissance mille. Ces trois cuts sont capitaux car il existe très peu de choses enregistrées avec cette formation. Très vite, Page va reprendre la guitare et Chris Dreja va passer à la basse. Bon alors après on retombe dans le Yardbirds sound classique avec Samwell-smith on bass. Quand arrive une autre version live de «Train Kept A Rollin’», Samwell-Smith reprend son rôle de locomotive. On tombe un peu plus loin sur une version d’«Happening Ten Years Time Ago» enregistrée en 66 avec Page & Beck on guitars et John Paul Jones on bass. Nous voilà de nouveau au cœur des riches heures du Duc de Berry. L’espace d’un cut, les Yardbirds redeviennent le plus puissant rock-band d’Angleterre. En fin de disk, on tombe sur les solo cuts de Keith et notamment «Knowing» avec Jimmy page on bass. Le disk 2 concerne l’année 1967 et donc la formation classique Keith/McCarty/Dreja/Page. Il se pourrait bien que Dreja vole le show à son tour car on le voit foncer dans le tas dès «Happening Ten Years Time Ago». Page fait bien son Beck, il claque tout ce qu’il peut. Toutes ces versions ont quelque chose de fascinant car on entend un groupe extraordinairement en place. Les Yardbirds tournent comme une horloge. Dans les interviews, Jimmy Page disait qu’il était vraiment content du groupe. Encore une version explosive d’«Over Under Sideways Down» que Dreja fait ronfler. Dans «Heart Full Of Soul» et «You’re A Better Man Than I», Page joue comme un dieu. Rien à voir avec Led Zep. Il sait ramener un vent de folie quand il faut. Les versions se succèdent au gré des sessions. On entend Page enclencher un «Heart Full Of Soul» au pire incendiaire en 1967 en France et ce coffret devient une vraie bénédiction. Live, les Yardbirds ont mille plus fois d’énergie qu’en studio. Ce disk 2 se termine avec une version d’«Over Under Sideways Down» encore plus explosive que les précédentes, Dreja is on fire, Page in the move, Keith is hot, McCarty is big au beurre et ça explose pour de vrai, rien à voir avec la version studio, on ne sait pas que les Yardbirds étaient à ce point capables de folie Méricourt. Méricourt toujours, bien sûr. Avec le disk 3, on arrive en 1968, et ça fait évidemment double emploi avec le Yardbirds 68 que Jimmy Page vient d’éditer. Dans «My Baby», Page ramène du son qui ne sert à rien. On sent un léger essoufflement. Page rallume la chaudière avec «Think About It» et Chris Dreja fait son John Paul Jones dans la première mouture de «Dazed And Confused». On tombe sur une série de cuts enregistrés dans cette émission jadis mythique, Bouton Rouge. Dreja refait son Samwell-Smith dans Train. Ils sont marrants. Quant au disk 4, il reprend les enregistrement de la BBC et fait donc double emploi avec l’autre box Repertoire, mais bon, c’est pas si grave. On ne se lasse pas d’écouter des mecs comme Jeff Beck. Sur la version d’«I’m A Man» enregistrée en août 1964, ce n’est pas Keith qui chante mais un certain Mick O’Neil. On entend des belles envolées de Samwell-Smith dans la version de «Respectable». Il peut être vertigineux. Fin de la période Clapton en mars 65 avec l’arrivée de Jeff Beck sur «I’m Not Talkin». Il joue avec une réelle violence. Il explose un peu plus loin le vieux «Spoonful». Cette version vaut tout l’or du Rhin. C’est d’une classe sans équivalence à Valence. Beck nous la claque sec et net, épaulé par le beat rebondi du géant caoutchouteux Samwell-Smith. Beck est à nouveau on fire dans «I’m Not Talking», vieux standard inutile mais joué dans les règles du Beck. Il pèse de tout son poids dans les Yardbirds. Avec «For Your Love», il touche de nouveau à l’imparabilité des choses de la vie. C’est comme de conduire une Guiletta sous acide : magic carpet ride. Beck ramène des crocs à tout va et c’est avec sa reprise de «The Stumble» qu’il emmène les Yardbirds au firmament. Laisse tomber Mayall. C’est cette version qu’il faut écouter, Beck remonte les bretelles du vieux cut de Freddie King et derrière lui, ça joue. Eh bé oui, c’est les Yardbirds ! Ça se termine avec les deux versions de «Beck’s Boogie» présentes elles aussi dans le box BBC. Beck est LE guitariste anglais par excellence, on ne se lasse pas de l’entendre jouer, il fait de la haute voltige, à la fois lumineux et ultra-moderne, il sait claquer une pompe et rester dans le rave-up.

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    Avec le DVD que Repertoire a glissé dans sa box, la fête continue et c’est très intéressant de voir Keith en 1964 chanter «Louise». Il a une certaine classe. On ne dirait pas qu’il est asthmatique. Ah les journalistes, il faut toujours qu’ils exagèrent ! Clapton joue sur une Tele. Parfaitement à l’aise, Keith alterne ses parties chant et ses coups d’harmo. Ils sont incroyablement crédibles, comme l’étaient tous ces groupes anglais en 64. Puis avec Train en 66, on assiste à un coup de rave-up, Beck fait son sale punk sur Les Paul, il harnache un heavy rumble, Samwell-Smith joue au pouce. Il refont Train en France en 66, habillés en blanc et cette fois Jimmy Page est au bassmatic. Ils enchaînent avec Over Under et là Page fout le souk dans la médina avec son drive de basse demented. C’est certainement l’attaque de bassmatic la plus violente de l’histoire du rock, hey, les Yardbirds font les chœurs, hey ! et Page descend au bas du manche pour exploser les ovaires de l’Over. En 67, Page passe à la Tele, ils jouent Shapes en Allemagne. Keith a le cheveu court, mais une belle présence. Il est essentiel de voir ce footage fou pour mesurer la grandeur des Yardbirds. Ils refont l’Over Under, et chaque fois on frétille. Une autre séquence nous montre les Yardbirds en France en plein air en 67. Page porte sa veste trois-quarts brodée. Keith contourne les obstacles du chant pour éviter de forcer sa voix, il évite les montées sur Better Man, il ne grimpe pas, il opte pour l’effet judicieux. L’Over Under reste le meilleur rave-up des Yardbirds. Tout ça se termine avec Bouton Rouge en 68. Page en jabot, Keith porte une petite moustache blonde, ils jouent Dazed, notes psyché, Tele peinte, c’est dingue comme ce son a pu nous marquer. Avec les Yardbirds, Jimmy Page fut plus sauvage qu’il ne le fut jamais avec Led Zep.

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    Keith n’a que 25 ans quand il quitte les Yardbirds, épuisé par cinq années de tournées. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Fini le kid souriant des Clapton days. Son but est de retrouver le calme et il monte Renaissance avec Jim McCarty, sa sœur Jane et Paul Cennamo, ex-Herd, devenu session man virtuose. Ils embauchent John Hawken des Nashville Teens. Keith joue de la guitare. Ils font une musique beaucoup trop ésotérique pour leur époque et se grillent auprès des fans des Yardbirds. Mais Keith dit que les kids ont vieilli, puisqu’un groupe de vieux comme Jethro Tull peut avoir du succès. Il cite en outre comme nouvelles influences Fairport Convention, Joni Mitchell, Tim Buckey et Tim Hardin, d’où le son de Renaissance. Leur premier album s’appelle tout bêtement Renaissance et sort sur Island en 1969. On s’épate de la pochette. Elle s’orne d’une toile d’un certain Claude Génisson, The Downfall of Icarus, mais on s’épate moins de la musique elle-même, très prog. En fait ce sont les surdoués du groupe qui mènent le bal, dès «King & Queens», ils s’élancent dans un délire prog ambitieux joué à l’Andalousie méritoire. Ils sont extrêmement déterminés. Cennamo et McCarty fournissent le pulsatif. Toute trace de la pyschedelia des Yardbirds a disparu. On entend Keith claquer sa wah dans «Innocence», il essaye de redresser la barre, c’est un bon gars, il ne baisse pas les bras. Mais Hawken et Cennamo volent le show. Who needs prog ? Certainement pas nous. On voit Cennamo se fondre dans la toile d’«Island» et là ça devient énorme, ils montent en pression harmonique avec un Keith à l’unisson du saucisson. En fait ces mecs s’amusent, comme tous les musiciens de prog. Cennamo vient comme un page se greffer à la florentine sur la cuisse d’un prélude de clavecin et Hawken emmène l’assaut final, «Bullet» qui dure 11 minutes. Sérieux client que ce Hawken, qu’on retrouvera d’ailleurs dans Third World War. Il mène bien sa barquette. On imagine la gueule des fans des Yardbirds. «Bullet» passe assez vite en mode groove à la Doctor John, Ils font du Splinters, ils sont capables de belles échappées belles, mais comme dans toutes les histoires de prog, ça dégénère, ça devient oblique, bruitiste, pas motivé, un brin d’avoine de tue l’amour toujours. Cennamo fait ses gammes et on finit par se sucer l’os du genou, tellement on s’ennuie. Renaissance aurait pu s’appeler Miscarriage. Et des stridence algorythmiques renvoient l’audimat dans l’hors du temps, à l’image de l’Icarus de Claude Génisson.

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    Enregistré en 1971, Illusion est un album surprenant. Pour ce deuxième album, Renaissance opte pour une pop libre. Dès «Love Goes On», on les sent libres de leurs choix et de leurs dynamiques. Jane chante comme elle a envie de chanter, n’allez pas les importuner en leur disant ce qu’ils doivent faire. Et puis avec une telle section rythmique, ils sont à l’abri du besoin. On sent chez eux une certaine paix intérieure, même si ça passe par la voie de la prog. Ils proposent avec «Love Is All» une petite pop à prétention hymnique, mais c’est solide, ça dure trois minutes et donc l’oreille gère ça bien. Ils passent d’un genre à l’autre sans prévenir et dans «Face Of Yesterday», on voit Louis Cennamo suivre à la note la mélodie piano. C’est assez puissant. Le plus marrant c’est qu’il s’agit d’une compo de Jim McCarty. Jane chante ça comme si elle chantait du Michel Legrand. Incroyable que cet album soit passé à l’as car il est très beau, très digne, Jane chante superbement, John Hawken pianote comme un dieu et Cennamo suit la mélodie à la trace. Pure merveille. Puis avec «Past Orbits Of Dust», ils s’engagent résolument dans la prog. Ils développent des choses extravagantes. C’est la vision de Keith, elle est bonne. Rien à voir avec le prétendu folk dont parlent tous les critiques qui n’ont pas écouté l’album. Cennamo swingue les transitions, il devient un bassmatiqueur fantasmagorique, Jane est portée par la vague. Keith joue les parties de guitare sur le drive de Cennamo, c’est plein de tact d’attack, Cennamo se révèle toujours plus brillant, alors Keith joue des accords à la reculade et l’ensemble éberlue pour de bon. Jane revient sur le groove et l’album prend une dimension irréelle. McCarty bat ça jazz, Cennamo groove comme un dieu du Péloponèse, on a là une sorte de prog parfait, certainement l’une des plus belles échappées belles du rock anglais. Leur délire de prog évolutif dure 14 minutes.

    Le problème, c’est que Renaissance se trouve embarqué dans les tournées américaines comme au temps des Yardbirds et ça ne pardonne pas. Le premier à craquer, c’est McCarty. Paul Cennamo : «Je pense que c’est revenu trop tôt pour eux, après le stress des tournées avec les Yardbirds. Avec Renaissance, ils voulaient faire quelque chose de plus paisible, mais le music business n’est pas paisible et ça ne pouvait pas fonctionner.»

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    Après avoir quitté Renaissance, Keith fait un bout de chemin avec Medecine Head et s’installe à la campagne, in Staffordshire. Il s’achète une basse et joue avec John Fiddler. Ils enregistrent ensemble Dark Side Of The Moon, le troisième album de Medecine Head au studio Olympic. John Fiddler profite de la parenthèse pour indiquer que le Pink Floyd leur a pompé le titre. Un batteur nommé John Davies vient muscler le son. On sent bien que John Fiddler court après l’inspiration. Cet album propose une succession de cuts assez insignifiants. On éprouve une immense tristesse pour John Fiddler qui semble retourner au néant dont il est issu. On retrouve des accents d’«I’m The Walrus» dans «You And Me», mais les cuts suivants font l’effet d’une douche froide. John Fiddler enchaîne des balades mélancoliques. On sent qu’il n’y croit plus. Il semble abandonné des dieux. Il est épaulé par Keith Relf, loser notoire. John Fiddler entame avec cet album une période de déclin tragique.

    En 1974, Keith n’a que 31 ans et sa carrière semble terminée. Il a quitté les Yardbirds, puis Renaissance, puis Medecine Head, et il se retrouve dans la dèche. No new money coming in. Quand sa femme April le quitte, emmenant leurs enfants pour aller vivre à Brighton, Keith commence à sérieusement rôtir en enfer.

    Puis un jour Louis Cennamo qui jouait dans Renaissance avec lui l’appelle et lui propose de monter un groupe avec Martin Pugh - Oh do you fancy coming to the States and starting a band? - Aller aux States, c’était un crazy plan to crack the big time. Eh oui, c’est Armageddon. Ça tombe bien, ils ont un contact chez A&M Records. Ils proposent à Ainsley Dumbar le job de batteur mais il vient de signer avec Journey. Il leur recommande Bobby Caldwell, l’immense batteur qui joua avec Johnny Winter et Captain Beyond. Dee Anthony accepte de les manager. Anthony est le spécialiste des groupes anglais qui veulent breaker l’Amérique : Humble Pie, Joe Cocker, Jethro Tull et King Crimson, c’est lui. Mais il y a vite des problèmes dans Armageddon, des problèmes de santé et des problèmes de dope. Le groupe se fracture, d’un côté Keith et Cennamo, de l’autre, Pugh et Caldwell.

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    Armageddon est un big album. Ils passent des mois à répéter pour une tournée qui n’aura jamais lieu. Paru en 1975, l’album s’est noyé dans la masse. Martin Pugh y joue le rôle d’un sorcier du son. On sent la très grosse équipe de surdoués. Sur la pochette, on les voit allongés dans les gravats, mais ils se comportent comme des princes du prog. Pugh plugs it ! Il vrille des torsades définitives dans «Buzzard». Il joue son va-tout, il enfile ses prises de guerre, par derrière et par devant. Il y a quelque chose d’indiciblement barbare dans son jeu. Keith Relf chante comme un hippie. Fini le temps des Yardbirds. Il navigue au long cours, comme s’il suivait la mode. Avec «Paths & Planes & Future Gains», Martin Pugh nous réveille à la cocotte. Il profite de ce groove demented pour ramener toute sa viande. Il fait la loi dans ce cut et part en virée abominable. Il fait le show. On le retrouve en B dans «Last Stand Before», une sorte de rumble de rêve. Pugh joue en embuscade. Puis Armageddon nous propose un long cut intitulé «Basking In The White Of The Midnight Sun» et découpé en quatre épisodes. C’est ce prog bien musclé qu’on détestait tant à l’époque. Pendant que Bobby Caldwell bat ça sec et net, Pugh part en traître et balance quelques retours de manivelle. Il joue en force et Bobby frappe comme un sourd, alors ça prend une drôle d’allure. On les voit piquer une crise et s’emballer avec Basking. Keith rime nights avec rights et Pugh joue des accords liquides. Il se paye aussi une belle partie de wah dévastatrice, il surjoue son riffing et bat tous les records d’insistance. Et ça explose avec la reprise de Basking. On entend même des clameurs d’éléphants, Pugh joue comme un dératé, ça frise le funk et le génie rétributif.

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    Bien qu’il ait de l’asthme, Keith fume deux paquets de Senior Service cigarettes sans filtre par jour. Il n’arrive même plus à monter les escaliers. Il a une crise, direction l’hosto et on lui annone la bonne nouvelle : il a chopé un emphysème. Bon, il ressort avec son emphysème et rentre chez lui. Et puis un jour, il branche sa gratte, mais pas avec une prise, il enfonce les deux fils dans la prise et pouf, court jus, raide mort. On le retrouve écroulé au sol avec sa guitare.

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    Pour lui rendre un dernier hommage, Repertoire sortait en 2020 une petite compile fourre-tout intitulée All The Falling Angels (Solo Recordings & Collaborations 1965-1976). L’objet se destine bien évidemment aux die-hard fans des Yardbirds prêts à tout écouter, y compris Renaissance. On peut y entendre les singles qu’enregistra Keith en solo, alors qu’il était encore dans les Yardbirds. «Mr Zero» n’a pas grand intérêt, mais «Knowing» impressionne au plus haut point. Keith est servi comme un prince, avec une belle pop de swinging London. On croise aussi pas mal de démos foireuses comme celle de «Glimpses» et il faut attendre «Shining Where The Sun Has Been» pour retrouver la terre ferme, car voilà un cut assez pur, plein d’écho et gratté dans l’azur marmoréen. Pour un asthmatique, Keith s’en sort plutôt bien. Tiens voilà un balladif d’excellence de la traînasse : «Love Mum & Dad», co-écrit avec McCarty. Haut niveau, brillant laid-back, ils sortent un son fantastique. Encore une surprise de taille avec «Together Now». Keith chante vraiment bien. On s’émeut encore à l’écoute de «Line Of Least Resistance», une belle pièce de psychedelia. Mais après, ça se gâte at the gate of dawn. Keith compose des choses ambitieuses qui n’obtempèrent pas et soudain arrive la surprise : «I’d Love To Love You Till Tomorrow», une belle pop tendue vers l’avenir comme une bite au printemps, mais Keith qui n’aime pas la gloire fait tout pour que ça reste ordinaire. Dernier coup d’éclat avec le morceau titre, beau comme tout et joué au feeling pur, violons et basse, «All The Falling Angels» crève l’écran. Il aurait dû appeler ça «All The Electrocuted Angels».

    Signé : Cazengler, Yardburne

    Yardbirds. Five Live Yardbirds. Columbia 1964

    Yardbirds. For Your Love. Epic 1965

    Yardbirds. Having A Rave Up With The Yardbirds. Epic 1965

    Yardbirds. Roger The Engineer. Columbia 1966

    Yardbirds. Little Games. Epic 1967

    Yardbirds. Yardbirds ‘68. JimmyPage.com 2017

    Yardbirds. Live At The BBC Revisited. Repertoire Records 2019

    Yardbirds. Live And Rare. Repertoire Records 2019

    Armageddon. Armageddon. A&M Records 1975

    Medecine Head. Dark Side Of The Moon.

    Keith Relf. All The Falling Angels. (Solo Recordings & Collaborations 1965-1976) Repertoire Records 2020

    Renaissance. Renaissance. Island Records 1969

    Renaissance. Illusion. Island Records 1971

    Mick Wall : Shapers of things. Classic Rock #245 - February 2018

    David French. Heart Full Of Soul: Keith Relf Of The Yardbirds. McFarland & Co Inc 2020

    L’avenir du rock - Dans l’air du Temples

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    Temples, c’est encore une histoire de buzz. Chacun sait que l’avenir du rock ne se nourrit que de buzz. Comme les gros singes, il va chercher le buzz dans les branches des arbres. Grâce à Frédéric Rossif, on a vu l’avenir du rock se régaler en se léchant les doigts, buzz buzz buzz.

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    Ce buzz-ci tient bien ses promesses car Sun Structures paru en 2013 fut un excellent premier album, et ce dès «Shelter Song». On s’épatait du pointu des guitares et le son éclatait non pas au Sénégal avec sa copine de cheval mais dans le bel écho du temps. Et pourtant, ces trois Anglais semblaient avoir trop de répondant. Ce beau psyché paraissait louche, comme si les Temples exhibaient ces deux mamelles que sont les chœurs parfaits et la belle ampleur. Petit à petit, «Shelter Song» tournait à la bénédiction, ça sonnait comme une tempête sous le vent et leur bouquet garni de chœurs donnait le vertige. Nous sachant conquis, ils enchaînaient avec le morceau titre, une belle aubaine de mad psychedelia. Ils traversaient un océan stroboscopique. Par contre, «Keep In The Dark» sonnait comme un hit extraordinairement pop, agité par une fantastique pression de stomp. Ils semblaient disposer de tout le son du temple. Nous n’étions pas au bout de nos surprises car on découvrait à la suite un «Move With The Seasons» plus lent, mais terriblement évolutif. Ça sortait du bois au détour d’un couplet, cette petite pop posait son cul dans la légende des siècles, elle semblait vouloir s’inscrire dans l’élongation psychédélique avancée, elle paraissait à la fois surélevée et infinie, d’obédience quasi-évangélique, comme surchargée de Spector Sound. Ils stompaient ensuite «Colours To Life» et battaient bien des records d’ampleur. On avait donc là un album gorgé de big sound entreprenant. Ils s’inscrivaient encore dans le lard de la matière avec «Test Of Time» et jouaient «Sad Dance» aux heavy chords de bonne taille. Ces mecs brillaient dans l’univers comme des étoiles. Anglais jusqu’au bout des ongles, ces trois Temples étaient beaucoup plus qu’un buzz. C’est d’ailleurs le fameux Shindig! 50 qui les mit au firmament des Shindigers, en compagnie de 49 autres albums monumentaux.

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    Leur deuxième album s’appelle Volcano. Ils vont plus sur les machines avec leur volcano. Pour un groupe à vocation psyché, c’est une faute. Le chanteur fait son biz de soft comme il peut, mais le son est un tue-l’amour. Trop de machines, laisse tomber la pluie, affreux connard. Jamais les Heads ni les Vibravoids ne se seraient permis un tel écart de conduite. James Bagshaw se prend pour Bowie avec «Oh The Saviour», mais avec un son inepte. Pourra-t-on jamais lui pardonner cette incurie ? Retour au big sound avec «Born Into The Sunset», mais les vagues de synthé ruinent tous leurs efforts. Les Temples sont à la merci des machines. C’est incroyable comme un groupe peut se couler en faisant les mauvais choix de son. Bagshaw chante «Open Air» d’une voix de femme, sur le beat de «Lust For Life». Étrange conglomérat. C’est pourtant le gros cut de l’album. Puis ils font de la pop spectaculaire avec «In My Pocket» alors qu’on ne s’y attend pas. Il faut saluer le retour des belles dynamiques. Bizarrement, l’album redevient intéressant à mesure qu’on avance. Ils claquent un bon climat dans «Celebration», des vagues salées viennent lécher les falaises de marbre qui adorent qu’on vienne les lécher. Vas-y lèche-moi, font-elles avec des soupirs. Ils finissent par regagner des suffrages à Suffragette City. Quel album surprenant ! Autant Bagshaw déplaît au départ, autant il rafle la mise avec des trucs comme «Mystery Of Pop». Il fait du glam à la petite semaine avec «Roman God-like Man». Bagshaw vole le show, il a de la suite dans les idées, c’est vraiment le moins qu’il puisse faire. Forcément, un titre comme «Roman God-like Man» ne peut être que glam. Il termine avec un vieux shoot de n’importe quoi qui s’intitule «Strange Or Be Forgotten». Enfin, si ça l’amuse, c’est le principal. Aussi surprenant que ça puisse paraître, on voit Bagshaw partir en mode heavy pop de heavy prod et c’est plutôt balèze.

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    Et puis tout rentre dans l’ordre avec leur troisième album, l’exemplaire Hot Motion. C’est un album de belle pop conquérante, très rundgrenien, chargé d’explosions de son, très travaillé dans les layers, très reposé sur ses lauriers, à l’image du morceau titre. On se fout des paroles, ces mecs sont là pour le son, et plus précisément le wall of sound. «You’re Either On Something» sonne comme un double rebondissement de pop extralucide. C’est l’un des meilleurs sons qui se puise imaginer ici bas, une incroyable perclusion d’extraballe, Bagshaw chante au sucre candy, il est surnaturel d’anamorphisme, sa pop éclate en épaisses volutes déflagratoires. On se croirait chez les Raevonettes. Par endroits, il peut même sonner comme Bolan. Ce disque est produit pour vaincre. Ils attaquent «The Howl» au gras du bide et flirtent avec un glam mal défini, puis ils reviennent à la foire à la saucisse avec un «Context» tellement bardé de son qu’il en devient génial. Encore un cut très puissant avec «The Beam». C’est sur-saturé de prod et de bonnes intentions. Ils sonnent comme des fantômes prodigieux dans «Not Quite The Sam», une pop d’arbalète, une pop de pas de cadeau, chargé de son comme une mule berbère dans les cols du Haut Atlas. Tiens, encore une grosse escalope de pop avec «It’s All Coming Out». On peut même dire qu’elle écrase tout sur son passage. Les Temples font de l’évolutif, ils visent une sorte de démesure et claquent tous les beignets un par un. Leur Coming Out est souligné à l’orgue et aux guitares dévorantes. Nous voilà dans les temps modernes des Temples. Retour à Bolan avec «Stop Down». C’est glammy à souhait, Bagshaw dévoile enfin son jeu. Les Temples battent à leur façon bien des records. Ils bouclent cet album mirobolé du bulbique avec «Monuments». Il n’existe rien de plus function at the junction. Bagshaw chante l’absolu pop power. Les Temples savent enclencher des dynamiques et c’est exactement ce qu’on attend d’un groupe : la science de l’enclenchement. On se souviendra de cet album comme d’un album bardé de son et du meilleur.

    Ne te fais pas de souci pour l’avenir du rock.

    Ah autre chose : début mars 2020, juste après le set des Lords Of Altamont, nous papotions dans le grand hall. Il planait déjà comme une menace dans l’air et à un moment, Nathalie déclara : «J’espère qu’ils ne vont pas nous supprimer le concert des Temples !». Les Temples devaient jouer le 20 mars 2020 et bien sûr, le concert fut annulé, en même temps que notre liberté de circulation. On ne remerciera jamais assez la Gestapo de nous avoir permis de survivre à l’épidémie de peste noire. Histoire de se vautrer un peu plus dans l’abjection, on irait même jusqu’à rouler une pelle à la Gestapo pour la remercier de cet acte de bienveillance.

    Signé : Cazengler, carotte du Temple

    Temples. Sun Structures. Heavenly 2014

    Temples. Volcano. Heavenly 2016

    Temples. Hot Motion. ATO Records 2019

     

    *

    Etrange, les oisillons ne font plus de bruit. Doivent être malades. Qui s'en plaindrait ? Personne. La Bretagne respire. Nous ont envoyé un message. Un seul mot. Silence. Nous n'y avons pas trop cru, l'était accompagné d'une photo de la dernière moto pétaradante de Pierre. Mais il ne faut pas voir le mal partout, après tout peut-être ont-ils eu une illumination mystique et ont-ils décidé de rentrer dans les ordres, la bécane pour filer au monastère le plus proche, au plus vite. A vrai dire on les aurait plutôt vus s'enfoncer dans les désordres, genre Attila, là où les Crashbirds passent, les oreilles ne repoussent pas, et les bonnes gens trépassent... Il s'avère que nos pressentiment étaient bons. Z'ont encore fomenté un nouveau clip !

    SILENCE

    CRASHBIRDS

    ( Clip / You tube / Mai 2021 )

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    Première image, avant même que ça démarre, idyllique, paradisiaque, écologique. Soleil, herbe type english lawn, s'il n'avait pas sa guitare vous confondriez Pierre et sa chemise à carreaux ( pas un seul de cassé ) avec un gentleman-farmer vaquant dans sa propriété de trois cents hectares, quant à Delphine dans le drapeau rouge de sa veste à carreaux, elle éblouit, une star de cinéma dans une scène culte. Si je m'écoutais oubliant mon plus strict devoir de chrockniqueur je resterais là à rêver au bonheur perdu de l'Humanité. Est-il vraiment nécessaire de lancer le clip, l'injonction SILENCE ne s'étale-t-elle pas en grosses capitales amarantes en haut, à droite.

    Pour être franc, connaissant mes volatiles, je me méfie, mes sens sont aux aguets, je ne me suis pas laissé endormir par les deux gâteries que les zoziaux nous tendent. Premièrement, un départ harmonieux, deux belles sonorités de guitares entrecroisées, à cette opération de séduction instrumentale je reste de marbre, alors pour la deuxième entourloupe ils tapent après le sucré dans ce que vous avez de plus sacré ( non ce n'est pas votre carte d'électeur ), ils ne respectent rien, vous traquent dans votre enfance, devant vos yeux émerveillés se dresse brusquement un castelet de guignol, tout blanc avec son rideau rouge encadré de ses colonnes ( imitation ordre dorique Grèce Antique ), du coup vous vous imaginez tout petit sur les genoux de votre douce mamanou, une bouffée émotionnante vous submerge, votre attention se relâche et c'est pourtant dans ces deux secondes de plongée en vous-même que se profile la menace. Elle porte un nom, je ne l'ai pas inventé, il est sur le générique. Comme toute menace qui se respecte, elle s'appelle Max.

    J'ai déjà à maintes reprises qualifié la barbichette de Pierre de méphistophélesque, voici la preuve que mes adjectifs ne sont jamais gratuits, de derrière le théâtre surgit un gros matou roux ( la couleur des flammes de l'enfer ) il traverse d'un bond la moitié de l'écran et disparaît au plus vite. Maintenant nous en sommes sûrs, le pire est certain. Pourquoi croyiez-vous qu'ils cachent leur regard derrière des lunettes aussi noires que leurs âmes damnées.

    Aiguisez votre sagacité, commence maintenant une séquence assez longue que l'on pourrait qualifier de subluminante, ou de manipulation mentale. Le jeu consiste à vous préparer, à vous amener à accepter en toute bonne foi le message honteux et immoral qui vous sera délivré par la suite. Apparemment ce n'est pas très grave, la musique est bonne, Pierre et Delphine esquissent d'élégants mouvements, et lorsque retentit la cloche à vache vous vous imaginez qu'un paisible ruminant ne va pas tarder à entrer dans le champ de la caméra pour paître l'appétissante pelouse. Ici tout n'est que beauté, rythme et volupté d'écoute.

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    Le rideau du guignol s'ouvre et apparaissent les marionnettes. Pas vraiment des personnages, des figures découpées dans du carton. De simples amusements ! Non, il est nécessaire de savoir déchiffrer les symboles. Une visite à la ferme, poule, oie, canard, coq, de quoi raviver et ravir votre âme d'enfant, notez toutefois que ces volatiles sont de couleur blanches alors que dans toute leur iconographie nos deux crashbirds se dessinent sous forme de corbeaux noirs au sourire sardonique... voudraient-ils insinuer dans nos esprits qu'ils sont blancs comme la neige ! Tiens l'on quitte la basse-cour, voici le mouton innocent, que disons-nous, l'agneau pascal blanc comme la colombe de la paix qui se charge de toutes nos méchancetés et de tous nos péchés. C'est ici qu'il faut penser à la notion de réversibilité des symboles, certes le mouton est un animal pacifique mais il représente aussi l'imbécile heureux qui se laisse tondre et mener à l'abattoir en toute quiétude.

    Et la seconde suivante, tombe le couperet de la guillotine, ou plus exactement on aimerait que tombât le couperet de la guillotine, cette image poétique pour marquer la brutalité de l'apparition, car ce sont deux têtes de la haute cour qui apparaissent. Des gens bien connus de tous, qui ont été élus présidents de la République, s'agitent et gesticulent, seront rejoints par un troisième larron ( sans doute pour une partie de poker menteur ), la musique se fait plus violente et pour que vous compreniez mieux le message c'est la tête de Delphine qui entre dans le théâtre qui leur intime l'ordre de cesser de claironner leurs discours, '' Shut up '' hurle-t-elle en anglais ce qu'en bon français l'on pourrait traduire vu la vigueur de l'intonation par '' Ferme ton claque-merde ! ''.

    Bon Dieu, seigneurs tout-puissants, si le rock devient politique, où tout cela va-t-il nous mener. Si les gens ne croient plus au mensonge des médias, s'ils se mettent à penser qu'un bon coup de balai, un monumental kick out the jam, s'avère nécessaire pour en finir avec ce théâtre d'ombres... et ces maudits volatiles qui en rajoutent ! Imaginez qu'au lieu de se plaindre la populace finisse par se révolter, quel scandale !

    En plus c'est bien fait, du bon boulot, z'ont raison d'être contents d'eux et de se prélasser sur leurs transats – un musique qui tranche sec, un vocal de pasionaria, de belles prises de vue, des trucages dus à Rattila Picture, une réussite esthétique, ils vont faire un malheur !

    Vous avez raison, Monsieur le Président !

    Damie Chad.

     

     

    JARS

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    Un petit single de Jars en attendant mieux, un morceau non utilisé issu des séquences du dernier album Jars III paru en décembre 2020, et un remix. Une pochette un peu différente – l'artwork est de Nikita Rozin - certes le fond noir et le trait blanc du dessin sont préservés mais inversés, la symbolique de la rose épineuse et de l'aigle éployé laisse place à ce que nous nous amuserons à définir comme appartenant à l'esthétique du réalisme soviétique, un jeune homme en équilibre sur son skateboard, bien propre sur lui, une bouteille à la main, attaché-case dans l'autre, que signifie-t-elle ? Que tout mode de vie tant soit peu en rupture identitaire finit par être récupéré par le système marchand ou que la gangrène des comportements déviants tend à lézarder les sociétés sclérosées...

    Anton Obrazeena / Pavel / Misha.

    Le meilleur des festivals : ne vous leurrez pas le meilleur des festivals ce n'est pas le Hellfest ou toute autre festivité concertique dont tout le monde rêve depuis d'un an, serait-il réduit à la seule prestation d'un unique groupe inconnu au fond d'un bar paumé dans les steppes sibériennes, non toute autre chose : un de ces rêves interdits que l'ordre et la morale réprouvent, ce geste gratuit qui vous traverse l'esprit et que vous n'oserez jamais réaliser par manque d'aplomb et de courage, celui de Jars est des plus simples et des plus percutants puisqu'il s'agit de filer un grand coup de poing sur la gueule d'un flic, hélas notre héros ne s'en sent pas capable, un autre le fera à sa place, c'est ainsi que l'on vit ses désirs les plus fous par procuration, est-ce là l'explication à la fan-attitude rock'n'rollienne, ne nous perdons pas une discussion oiseuse, écoutons : grêlons lourds sur toit de tôle suivis d'averses sans fin de grésil, batterie obstinante, hennissements de doigts sur les cordes chuintantes, des élans successifs qui n'éclatent pas, poursuite d'un rêve inassouvi, rejeté, repris, jamais assumé, désir clignotant qui ne sait pas vers où se tourner, et c'est l'éclatement des frustrations accumulées depuis l'enfance qui déchaînent le vocal, vomissement de haine froide, final en grande pompe une silhouette se détache sur le rougeoiement d'un soleil noir, c'est le crépuscule du héros qui a failli à sa mission, qui se retrouve au pied du mur intérieur qu'il n'a pas franchi. Moscow doesn't believe in tears : remix de Frailtyline ( une fan anglaise qui n'a rien rajouté aux sons de l'original ) : difficile de reconnaître le morceau original ( voir in Kr'tnt ! 493 du 14 / 01 / 2021 ) qui dépasse les dix minutes et celui-ci ne parvient pas à dépasser les trois minutes, plus qu'un remix j'évoquerais plutôt le concept cinématographique de montage, évidemment ici sonore, une espèce d'alignements d'échantillons, un peu comme quand vous disposez sur la table de la cuisine tous les ingrédients dont vous allez vous servir pour préparer votre plat, tout est là mais il manque l'essentiel, les premières secondes sont les plus réussies, cette monstrueuse clinquaillerie de cymbales, homard retiré de l'aquarium qui se débat pour ne pas être ébouillanté vivant et mangé à la sauce armoricaine sont magnifiques, mais ensuite c'est la cuisson rythmique à feu doux, certes vaseuse et funèbre, il manque aussi le soufre ardent du vocal.

    Damie Chad.

     

    INCIDENTS

    BLACK INK STAIN

    ( P.O.G.O RECORDS / ATYPEEK MUSIC

    ARAKI RECORDS / DAY OFF RECORDS )

    ( Avril 2021 )

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    Incidents, incidents, ils y vont fort si l'on en juge par la pochette, ce serait plutôt incendie, ne subsiste pas grand-chose du bâtiment, juste la structure noyée dans un océan de flammes, une charpente noircie, pas de souci à se faire, dans un quart d'heure il ne restera plus rien, rien que des cendres, d'ailleurs ils ont omis les couleurs rougeoyantes et rutilantes, n'ont gardé que noir, gris, et blanc, genre faire-part de deuil imagé pour vos illusions au cas où vous seriez du genre optimiste qui assimilez la musique à un agréable passe-temps. Inutile de leur chercher noise, ils font du noise.

    Trois de Clermont-Ferrand : Fab : guitare, vocal / Jean : basse, backing voices / Ugo : batterie.

    Slice of pain : un motif sonore, et un ouistiti qui sautille en contrepoint, le genre de truc qui ne fait pas particulièrement peur, mais très vite vous vous apercevez qu'ils ont décidé de s'en prendre spécialement à vous, d'abord le volume sonore en hausse, là on ne moufte pas, quelque part c'est la règle du jeu, mais ils reviennent vous titiller le système nerveux l'air de rien, une espèce de triptyque fondamental qu'ils épicent et martèlent à chaque fois sous un nouveau déguisement tintamarresque, jusque là ce n'est pas grave, vous encaissez, et vling ils rajoutent le malheur de l'œil crevé exprès pour vous pousser dans vos retranchements, le vocal de Fab vous mord les talons à pleines dents, et tout se dérègle en un long tortillis qui finit en générique de film d'horreur, juste pour faire monter l'adrénaline avant l'invasion des araignées géantes, magnifiques hurlements de fin du monde. I see you dead : le genre de déclaration d'amour que vous aimez, ils envoient la sauce au sang sans faiblir, sont partis pour vous saigner de belle façon, le Fab vous hurle toute la haine du monde dans vos oreilles, et tout compte fait vous trouvez ça beau, alors ils ralentissent le tempo pour que vous preniez compte du peu de temps qu'il vous reste à vivre, Ugo tonne à la batterie, la guitare lance des éclairs et à la basse Jean se sert de la lymphe qui coule de votre corps pour cirer le plancher. Sans façon : vibrations cordiques, manœuvres au sifflet, quelques coups d'enclumes et la catastrophe déambule vers vous, sans se presser, une espèce de papier calque géant qui se colle à vous et appuie de plus en plus fort, des tubulures surgissent du néant et tournent leur tentacules vers votre chair ensanglantée, rigoles de sang, fontaines de jouvence mortelle. Non merci, sans façon. STO2 : entrée rock, brûlante et au laminoir, la voix de Fab rageuse et aplatie, vous avertit mais avec cette masse sonore qui tombe sur vous, c'est trop tard, la batterie riffe à coups de riffles, tout s'emmêle le son n'a plus de sens, vous souhaiteriez que l'urgence s'arrête mais la pression augmente, tout semble s'éloigner, c'est pour mieux revenir mon enfant, et vous voici cassé et concassé, tassé et entassé, désordre moral et perfidie insane. STO de sinistre mémoire. Stuck : cordes de basse à vous pendre, l'air brûlant d'une guitare qui danse le scalp de votre chevelure piétinée et souillée de crachats blafards, c'est mal parti, donnent l'impression de jeter tout le son comme un sous-marin touché-coulé qui se défait de ses torpilles pour détruire en un dernier feu d'artifice le monde et l'emporter avec lui au fond des abysses. Touché-collé.

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    Pont des goules : un endroit certainement charmant, mais cette musique poisseuse vous détrompe et vous détrempe le cerveau à l'acide, le Fab devrait s'abstenir de son vocal racloir parfaitement désagréable, lui-même ne le supporte pas, il se met à crier sans rémission et derrière l'armada déboule sur vous, vous pensez que c'est la fin qui approche, pas du tout, prennent leur temps avec cette batterie spongieuse et ces cymbales cliquetantes, et vlang, une dernière tournée, le coup de l'étrier avec le cheval qui piaffe de bonheur sur le tapis de votre chair charpie. Frozen stance : surimi vivant de basse surgelée, le poëte Fab vous décapite ses octosyllabes à la manière d'un cyclope qui recrache la tête des olives humaines qu'il est en train de croquer, un morceau qui fait froid dans le dos. Alors ils en rajoutent des tonnes pour vous réchauffer. Déversent du décibel avec sadisme et cruauté. Froideur absolue. S.O.M.A. : rien qu'à entendre l'intro vous somatisez grave, ils inaugurent une plaque tectonique d'un nouveau genre, Fab qui vitupère dans les creux des ondulations et la masse sonore qui appuie de toutes ses forces dans les pleins. Je vous plains. Tiens déjà terminé. Hélas, c'était une fosse fin, ça recommence mais ce coup-ci c'est plus inquiétant, tapent dans le registre de l'angoisse. N'ayez pas peur, le pire était à venir. Finition apocalyptique de toute beauté. Derniers coups de merlin sur de tubéreuses protéiformes caverneuses un enchantement.

    Bruiteux et musical en même temps. Pas un seul morceau faiblard qui plombe l'ambiance. Ces Incidents qui forment le premier album de Black Ink Stain revêtent d'une tache noire l'innocence perdue des jours à venir.

    Damie Chad.

    *

    Voici quinze jours nous étions en Californie. Pas exactement à San Francisco en 1966, un tout petit plus bas à San José, de nos jours, nous restons dans la même mouvance avec des groupes comme Gulch, Sunami et Drain, sur lequel nous nous attardons en cette livraison. Ne sont pas tous seuls, sont entourés d'un public qui ressemble à leur musique, brutale et sans chichi. Du hardcore sans exclusive, mâtiné de sonorités metal, punk, grind, trash, straigh edge, noise et tout ce qui fait du bruit. Du core à core.

    CALIFORNIA CURSED

    DRAIN

    ( Avril 2020 )

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    Premier album du groupe, l'a été précédé les deux années précédentes de morceaux qui se retrouvent sur l'opus. A première vue une pochette passe-partout mais qui n'arrive nulle part. Votre conditionnement scolaire déclenche la touche, l'aurore aux doigts de rose avec les palmiers de l'île paradisiaque au loin, mais cette mer couleur de sang séché n'est pas vraiment engageante, les cumulus dans le ciel présentent la forme caractéristique des étrons et les ailerons de requins ne sont en rien engageants. Des planches de surfers dégarnis de leurs occupants sous-entendent que nos sélachimorphes ont l'estomac bien rempli. Pour vous en convaincre sur la plage aux détritus visez la cage thoracique. California dream is over. Inutile de sortir votre mouchoir, ce tableau désolant ressemble trop à une vignette de comix pour ne pas vous arracher un sourire. Ce n'est pas parce que notre monde n'est pas beau qu'il est nécessaire de sombrer dans le désespoir le plus noir. Arrêtez de vous plaindre, apprenez à jouir de la vie.

    Sam Ciaramitaro : vocals / Cody Chavez : guitar / Justin Rhodes : basse / Tim Flegal : drums.

    Feel the pressure : mouettes plaintives et vagues déferlantes, borborygmes glouglouteurs siphon de WC géant, l'on monte les étages soniques, crashs de cymbales scandent le départ d'une batterie épileptique qui pousse en avant le godet monstrueux de la basse et le halètement saccadé du moteur de la guitare, drumerie en action, vocals enfoncés dans la gorge, enfin expulsés, cris de haines et affirmation de soi, revendications différentielles, la guitare de Chavez se déchire sur les barbelés électrifiés de la bienséance comportementale, court-circuit incendiaire, toujours ces cymbales qui cinglent l'œsophage, déchaînement monstrueux qui débouche sur Hyper vigilance : Drain fonctionne comme le Led Zeppelin du pauvre, pas le temps d'artitiser et de funambuliser, ici, c'est plus fort et plus vite, l'on ne cherche pas le speed mais la cassure qui se bouscule vers une autre cassure, l'on tire scud sur scud mais la trajectoire n'est pas prise en compte, juste l'impact, car pour aller loin il ne suffit pas d'aller vite mais de raccourcir la route, trivial poursuite entre vocal et batterie, le premier pousse le deuxième, et le second pressure le premier, course en sac explosif sur terrain miné, avec dégagement monstrueux en fin de partie. Sick one : pas tout à fait l'on est déjà dans le morceau suivant, après l'état paranoïaque précédent, l'on accélère le processus ne plus se soucier de soi, éliminer les autres, tuer le mal à la racine, hymne à la destruction pure, quand vous êtes malade éradiquez la maladie, tirez sur tout ce qui bouge. Servez-vous du rock comme d'un hachoir mécanique. Army of one : démarrage en flèche de feu, vocal les doigts dans la prise, batterie démente et les guitares qui construisent des talus de riffs aussi vite qu'elles les détruisent, joie émulsifiante, seul contre tous, seul contre l'univers, le rock comme un miroir auto-glorificateur, perversité narcissique de l'adolescence parvenue à l'âge adulte, le rythme se ralentit pour laisser s'exprimer le déluge glossolalique, éclats de guitares agités tels des oriflammes victorieux, et l'emphase du délire reprend le dessus pour le seul plaisir égotiste d'atteindre à la jouissance phatique de sa propre unicité, lancée à la face du monde telle une grenade assourdissante. Character fraud : trop c'est trop, retour du bâton, auto-flagellation accusatrice, ô insensé qui crois que je ne suis pas toi, remarquez ce n'est pas le genre d'acte restrictif qui amène Drain au calme de la réflexion, peut-être ce morceau est-il plus violent que les précédents, au niveau vocal certainement, cette espèce de mea culpa est encore plus agressif que les cinq premiers assauts. Hollister daydreamer : ce n'est qu'un rêve de guitare fluide, très vite la guitare brûle de toutes ses larmes, pas de panique, cela ne dure qu'une minute. White coat syndrome : Drain draine le mal et la folie, vous applique des compresses d'acide sur vos plaies intérieures, la batterie comme le supplice de la roue se joue de vous, les guitares compriment vos cauchemars, vous êtes fait comme un rat, tumultueuses décharges radiographiques, terrible révélation, la société malgré votre rock chalumeau est plus forte que vous. The process of weeding out : la momie se relève de la table d'opération, elle a arraché ses bandelettes, elle est revenue du pays de la mort, vivante, elle hurle, elle exulte de rage, chaque mot est une bombe, la batterie bombarde sans retenue, basse hurlante et attaque de guitare en piqué, Drain n'est pas venu pour apporter la paix de l'âme mais le triomphe de la volonté de puissance. Bad Faith : profession de foi, la mauvaise, l'anarchiste, la stirnérienne, vivre uniquement pour soi et selon soi, la voix s'étrangle, la langue est devenue serpent à deux têtes, le jardin des délices s'équalise en l'éden des supplices. Riffs à la mitraillette, la batterie assénée en coups de batte à base ball, vous n'aimiez pas le rock, désormais vous le détesterez. California cursed : le morceau du retour, c'est ainsi que se terminent tous les bons disques de rock, at home, comme l'escargot dans sa coquille, comme la flamme dans la poudre, au cas où vous n'auriez pas compris, après deux minutes de speed ultra compressé, vous avez droit à dix secondes de country. Passé à la moulinette.

    L'ensemble ne dépasse pas les vingt-deux minutes – ne confondons pas quantité et déperdition d'énergie - quelques secondes supplémentaires et ils arrivaient à vingt-trois, le chiffre de l'Eris, la déesse du kaos.

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    Le dernier morceau existe aussi en vidéo-officielle. Le hardcore de Drain s'écoute très bien avec des images. Leurs disques sont colorées et ils soignent leur merchandising. Si vous voulez en savoir plus se reporter sur YT par exemple sur les 12 minutes de la vidéo : Drain 02 : 02 / 08 / 2020 enregistré lors de la prestation du groupe au LDB Fest. Il y en a d'autres plus virulentes. Le public est essentiellement composé de garçons... Un peu brutal diront les filles. Z'oui mais un véritable public rock. N'ont pas inventé le hardcore californien mais en sont les dignes héritiers. Fun, Fun, Fun, comme disaient nos ancêtres les Beach Boys voici un demi-siècle. Mais il est nécessaire de savoir s'adapter, aujourd'hui les vagues sont plus hautes et les requins ne sont plus exclusivement dans l'écume et les flots azurés... Faut bien que les gamins s'amusent, surtout quand les temps tournent à l'aigre...

    Damie Chad.

     

    Tout vient à point pour qui sait attendre. Donc voici l'autre moitié, pas du ciel, plutôt de l'enfer, plus prosaïquement la face B du split que Sunami a partagé avec Gulch voir notre chronique sur Gulch dans notre avant-dernière livraison509.

    SPLIT

    SUNAMI / GULCH

    ( 2021 / Triple B Records )

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    Ce n'est pas un hasard si Sunami et Gulch se sont retrouvés sur ce disque. Sunami est constitué de membres provenant de Drain, Gulch, Hand of God et Lead Dream, ces quatre groupes faisant partie de la scène hardcore californienne actuelle. Si Josef Alfonso est le shouter boy de Sunami, il passe beaucoup de monde derrière le micro lors des trois EP produits par le groupe. Davantage une réunion de copains qu'un véritable projet. Ces deux titres n'étaient pas particulièrement prévus, mais le public n'avait pas oublié les deux premières tranches de pain d'épice au piment de Cayenne.

    Step up : une avoinée de haine comme on les aime, se sont mis à trois pour le vocal et ça s'entend, la batterie sonne la charge mais lors de l'attaque des tranchées à la baïonnette les guitares attendent que les voix se soient tues pour lancer l'assaut perforatif. Die slow : crève lentement que tu aies le temps de souffrir, les musicos te passent le rouleau compresseur sur le corps pour que tu aies la possibilité de réfléchir sur ton triste sort, pas de chant, des imprécations théâtrales, mais quand la colère se déchaine, vous comprenez que les avertissements préparatoires n'étaient pas de vaines promesses.

    Damie Chad.

     

    IMMUABLE JOAN

    MARIE DESJARDINS

    ( Le Mag / Profession SpectacleMai 2021 )

    En règle générale quand on parle d'un chanteur ou d'un musicien on l'aborde par ses productions musicales. Suffit de se laisser mener de disque en disque, de concert en concert, etc... Facile de choisir le bon fil : le déroulé de sa carrière. Je ne dis pas que c'est du tout cuit, mais au moins vous savez où vous mettez les pieds. Mais parfois derrière l'artiste on cherche l'homme. Ou la femme. Entre le fan les yeux fermés qui ne se pose pas question, qui gobe l'œuf et la poule d'une même mouvement et celui davantage sourcilleux qui s'interroge pour savoir si tel ou telle correspond à ses propres catégories d'analyse, la distance peut se révéler prodigieuse... Pour prendre un exemple personnel, j'adore l'album Craveman de Ted Nugent et pourtant ses prises de position politiques me rebutent au plus haut point même si je pense qu'il existe une certaine logique corrélative entre la violence de sa musique et ses brutales assertions idéologiques. Lorsque l'on aborde ce genre de sujet l'on est vite confronté à ses propres nœuds gordiens, et souvent se refuse à notre disposition l'épée d'Alexandre pour trancher dans le vif de nos contradictions, bref nous manquons de courage pour nous affronter à nos intimités et nos inimitiés viscérales, nos choix instinctifs et nos préférences innées... qui sont au fondement de notre personnalité sociale et de notre idiosyncrasie individuelle.

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    Donc Marie Desjardins et Joan. Pas Jett. Baez. Bien sûr que Marie Desjardins apprécie hautement Joan Baez. C'est une grande chanteuse, une grande interprète me corrigerait-elle avec raison aussitôt. Une voix de tourterelle d'une limpidité absolue. Quiconque peut lui en préférer une ou plusieurs autres, là n'est pas la question. Joan est aussi ce qu'en notre doux pays de France l'on nomme une chanteuse engagée. Comprendre selon nos critères nationaux, à gauche. Pour rester sur le sol américain, elle participa aux marches civiques ( lutte des noirs ) et aux manifestations anti-Vietnam ( contre la guerre impérialiste ). Genre d'endroits où elle ne risquait pas de rencontrer Ted Nugent ! Aujourd'hui Joan Baez aborde fièrement ses quatre-vingts ans. Le temps a passé, elle n'a rien renié de ses engagements, elle ne s'est pas excusée, elle reste fidèle à ses prises de position, relisez l'adjectif ( vraiment ) qualificatif que lui décerne Marie Desjardins dans le titre de la chronique, Immuable Joan Baez. L'on a assisté pendant ces quarante dernières années, parmi nos dirigeants politiques, pour ne citer qu'eux, tant de retournements de vestes et de grotesques palinodies que l'on ne peut que s'incliner devant tant de constance.

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    Mais il y a plus. Marie Desjardins nous le rappelle. On y pense moins, ou plutôt on en parle moins. Nous l'avons noté dans la chronique ( in Kr'tnt ! 221 du 05 / 12 / 2015 ) de ses mémoires Et une voix pour chanter, Joan Baez a eu le courage intellectuel et physique de mettre ses actes en accord avec ses idées. Contre la guerre du Vietnam, elle ne se contente pas de défiler et des signer des pétitions qui vous donnent bonne conscience, citoyenne américaine en opposition à son gouvernement, elle se rend au Vietnam pour témoigner, sous les bombes, des destructions et des victimes perpétrées par les avions de son pays. Une femme courageuse. Devant laquelle l'on ne peut que s'incliner.

    Tout cela Marie Desjardins le raconte. Elle n'omet pas non plus les aspects moins plaisants de la chanteuse. C'est Joan Baez en personne qui l'énonce calmement face à la caméra. La douce Joan avoue qu'elle a parfois privilégié sa carrière à ses enfants. L'on n'est pas surpris, elle n'est pas la seule dans ce cas, l'on passe l'éponge, la rançon de la gloire, l'attrait de la célébrité... Il y a plus grave. Elle aurait pu le taire. Mais elle le dit. Elle a demandé à sa petite sœur Mimi ( Farina ) Baez de mettre sa carrière en veilleuse, ayant peur qu'elle lui fasse de l'ombre... Pas très beau, du coup avec cet aveu la part d'ombre de Joan se teinte d'une trouble opacité...

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    Apparemment ici je m'éloigne des points soulevés par la chronique de Marie Desjardins qui n'évoque en rien d'une manière précise ce morceau de Joan Baez, The night they drove old Dixie Down qui est mon préféré de sa discographie ( je ne la connais pas en son intégralité ). La version qu'elle en offre me semble supérieure à celle de son créateur Robbie Roberston avec son groupe The Band. Elle est même meilleure que celle qu'en donnera Johnny Cash. Nos deux artistes la déclament d'une manière un peu pompeuse ou funèbre. Cela se comprend, le morceau évoque la disparition du vieux Sud. Pas du tout passéiste ou triomphaliste. Ne s'inscrit pas dans un registre de parti-pris politicien revanchard, simplement la guerre vue du côté des petites gens. Joan Baez y insuffle un souffle et une vivacité qui manquent à nos deux compères. Le sujet est empreint d'émotion et de tristesse, mais pour notre folkleuse de l'Est progressiste – elle n'hésite pas à modifier le texte pour en gommer des aspects qu'elle juge trop outranciers - la défaite du Sud réactionnaire, malgré toutes les souffrances subies par sa population, est quelque part un pas en avant de l'Humanité, l'abolition de l'esclavage est un progrès...

    Tout ce qui précède pour en revenir au texte de Marie Desjardins. Un nouveau personnage vient d'entrer en scène. The Band aura été le groupe de scène de Bob Dylan. Des vieux briscards qui précédemment accompagnaient Ronnie Hawkins, mais avec Dylan nous rentrons dans la grande histoire du folk, celle de ses années triomphales, celle à laquelle Dylan portera un coup fatal en commettant le sacrilège d'électrifier le folk. Un véritable éléphant dans un magasin de porcelaine le Bobby, non seulement il pactise musicalement avec l'ennemi héréditaire : le rock'n'roll, mais de surcroît il brise le cœur amoureux de Joan.

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    Joan aura du mal à s'en remettre. Marie Desjardins prend fait et cause pour elle. Quel ingrat c'est elle qui lui a ouvert les portes du succès. Sans elle, il serait resté un petit gratteux anonyme. Solidarité féminine ! Certes Dylan s'est peut-être montré quelque peu inélégant dans les modalités de la rupture, nous voulons bien le croire, mais le mal était beaucoup plus profond. En-dehors de toute affinités électives entre deux êtres, il existe aussi des failles de séparations souterraines. Elles sont politiques et idéologiques. Ce qui sépare Dylan et Joan c'est ce qui différencie l'esprit de rébellion de l'esprit révolutionnaire. La révolte de Dylan relève de l'individu, celle de Joan s'inscrit dans un processus sociétal. C'est le ''moi contre presque tous'' qui s'oppose au '' moi avec les autres '' .

    Marie Desjardins transcrit cela selon un autre registre : idéologiquement Joan était trop pure, Dylan beaucoup plus prudent. L'une sans concession, l'autre prêt à pactiser. Préfère jouer sa carte en solitaire que devenir la caution morale des autres. Si doué que l'on soit l'on ne devient pas Dylan tout seul, l'arrive un jour où la maison de disques vous propose le deal : coco on met le paquet sur toi – pub, presse, radio, TV, réseaux - mais en retour tu suis les conseils et tu fais ce que l'on te dit...

    Marie Desjardins nous prend un contre-exemple, Sixto Rodriguez qui ne fera pas la carrière qu'il se devait dans le showbizz, elle se dépêche d'ajouter que Dylan n'y est pour rien, mais lorsque le disque de Rodriguez sort en 1970 Dylan est déjà une légende, nos deux auteurs-interprètes ne jouent pas dans la même catégorie, reconnaissons que Sixto est prêt à faire moins de concessions que Dylan... Si les circonstances avaient été autres de quels opus aurait accouché Sixto Rodriguez. Nous n'en savons rien. La vie est remplie d'injustices destinales.

    Nous n'y pouvons rien, chacun de nous est victime des autres et de lui-même. Le Christ lui-même n'a pas échappé à cette règle de fer... C'est à Lui que Marie Desjardins se rapporte pour terminer son article, en vieux mécréant nous dirons que s'il était un homme il n'a pas fait mieux que nous, et que s'il était un dieu, il n'a rien fait. En plus il n'a jamais mieux chanté que Joan Baez et il n'a jamais mieux écrit que Marie Desjardins. Sinon cela se saurait !

    Un bel article qui vous oblige à réfléchir et à méditer sur les implications de vos actes sur vous-même et sur les autres.

    Damie Chad.

     

    XXXIV

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

     

    139

    Même pas le temps de respirer que le téléphone sonna une nouvelle fois. C'étaient les filles, Charlotte et Charlène s'ennuyaient chez leurs parents, est-ce que par hasard nous pourrions les emmener en weekend, au bord de la mer par exemple.

      • Au bord de la mer oui, en weekend anticipé, départ ce soir à vingt heures, rendez-vous au pied de la Tour Eiffel !

    Le Chef reposait tout juste le bigophone que la sonnerie se fit entendre une fois de plus, c'était Vince, la voix angoissée :

      • Il faut se voir au plus vite, avec Brunette nous avons mis la main sur des documents importants, je monte à Paris, je prends le train ce soir !

      • Inutile, on descend sur Cannes, on sera au Majestic, à 10 heures on t'attend !

      • Parfait, mais faites attention, les nouvelles que j'apporte ne sont pas bonnes.

    140

    Je ne devrais pas le dire mais l'on a roulé, non pas à tombeau ouvert mais à fosse commune épidémique géante, bref le matin à six heures piles j'arrêtai la Lamborghini devant l'entrée du Palace. Nous étions attendus. L'ensemble du personnel nous fit une haie d'honneur, des grooms se précipitèrent pour se charger des deux valises du Chef, durent se mettre à trois pour la malle à Coronado. A peine le Chef eût-il sorti un Coronado de sa poche que trois majordomes se disputaient pour lui offrir du feu, tandis qu'un quatrième se tenait à sa portée un cendrier à la main. Les filles se virent offrir une bague en diamant, mais les plus heureux furent Molossa et Molossito chacun trônant sur un magnifique coussin de soie précautionneusement portés par deux maîtres d'hôtel empourprés de confusion d'avoir à transporter deux si illustres canidés. Le directeur du palace s'excusait :

      • Nous avons eu peu de temps pour refaire les décorations, néanmoins toutes les salles ont été en votre relooké rock'n'roll, des photos de Gene Vincent et d'Eddie Cochran ornent toutes les chambres, mais peut-être désireriez-vous petit-déjeuner à moins que vous ne préférassiez an american hot brunch...

    141

    La porte du royal penthouse judicieusement rebaptisé Heartbreak Hôtel, s'ouvrit à dix heures tapantes, deux chasseurs s'effacèrent après les avoir annoncés pour laisser passer Vince et Brunette, nous n'eûmes même pas le temps de les embrasser, qu'un autre visiteur fut introduit, il se présenta de lui-même :

      • Mon nom ne vous dira rien, appelez-moi Hector, je viens vous apporter le cadeau de mon maître, si vous voulez vous donner la peine et il tendit au Chef une simple enveloppe !

    Le Chef la déchira et apparut un mince bristol bleu qu'il lut à haute voix : '' Ceci est le cadeau promis, suivez Hector, il se fera un plaisir de vous le remettre. Un conseil d'ami prenez une petite laine ou un blazer. Je vous souhaite une bonne journée.''

    142

    Une énorme voiture ( télévision grand écran, bar et cuisine aménagée dans laquelle nos canidés ne tardèrent pas à se partager un rôti de porc aussi volumineux qu'eux ) nous attendait devant l'hôtel, le chauffeur se dirigea vers le port, et s'arrêta au bout d'un quai, juste devant un splendide yacht.

      • Super bateau, super cadeau ! s'écrièrent les filles

    Hector eut l'air vexé :

      • C'est mal connaître mon maître que de croire qu'il offrirait une barcasse de troisième ordre à ses invités. Ce rafiot nous emmènera au cadeau proprement dit, couvrez-vous le temps fraîchit.

    143

    Les filles pariaient pour une île paradisiaque mais la surprise fut kolossale. Une brume épaisse s'était levée, le yacht se dirigeait vers le large, une véritable purée de poix, nous n'y voyions pas à trois pas, les moteurs de notre embarcation stoppèrent brusquement, nous ne distinguions rien, nous fûmes surpris lorsque Hector nous conduisit à bâbord devant un escalier métallique sorti de nulle part qu'il nous conseilla d'emprunter sans peur, je resterai avec le yacht pas très loin, si vous avez besoin de quelque chose faites signe.

    Les filles poussaient des petits cris, mais lorsque nous fûmes arrivés tout en haut, un rayon de soleil troua la brume révélant la nature du cadeau : un porte-avions !

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    Le commandant nous attendait : '' Bienvenu sur l'Impérieux, ce porte-avions vous appartient, moi-même et l'équipage que j'ai l'honneur de commander sommes à votre disposition, je vous conduis au poste de commandement. Je suppose que vous n'y connaissez pas grand-chose, je resterai auprès de vous pour vous seconder.

      • Pas besoin dit le Chef, l'agent Chad est un pilote émérite, quant à moi, je pense que le maniement d'un tel engin demande moins d'expérience, de tact et de subtilité que l'allumage d'un Coronado, nous nous débrouillerons très bien tout seuls !

    145

    Je le reconnais, c'est un peu plus complexe qu'un tableau de bord de Lamborghini, des cadrans à aiguilles partout, une multitude boutons de toutes les couleurs qui clignotent sans discontinuer, des écrans qui affichent des données incompréhensibles, au bout de dix minutes je parviens à comprendre qu'il suffisait que je donne les ordres directionnels à voix haute dans le micro rouge pour qu'ils soient aussitôt exécutés dans une pièce attenante.

    Enfin seuls, Vince est soulagé, il prend la parole :

      • Avec Brunette nous n'avons pas perdu notre temps, nous avons échafaudé une hypothèse relativement simple : si Eddie Crescendo a disparu il devait savoir qu'il courait un danger, il n'était pas une tête brûlée, sans doute a-t-il pris la précaution de laisser des documents quelque part !

      • Nous les avons découverts, le coupa Brunette, dans l'appartement de sa mère, que nous avions fouillé ensemble, rappelez-vous son cadavre dans le hall d'entrée, nous étions alors obnubilé par les boîte à sucres... Nous avons brisé les scellés posés par la police et avons recommencé les recherches, nous cherchions un gros dossier, c'était simplement trois feuilles A4 pliées en deux dans le cahier de cuisine de la pauvre maman posé sur le buffet... une chance extraordinaire, j'aurais pu ne pas les voir, c'est en vérifiant par gourmandise la recette des crêpes au nutella que j'y suis tombé pile dessus, incroyable figurez-vous que Mme Crescendo ajoutait de la crème fraîche dans la pâte chocolatée !

      • Personnellement je verse directement dans la crêpière les fragments d'une robe de Coronado, ainsi j'obtiens une saveur inimitable mais cela ne serait rien si auparavant je...

    Hélas, aujourd'hui que je rédige mes mémoires je suis dans l'incapacité totale de vous révéler à quelle opération préliminaire se livre le Chef pour réussir ses crêpes au nutella car depuis un moment j'éprouvais une gêne inexplicable au niveau de ma fesse gauche et je concentrai toute mon attention sur cet étrange phénomène...

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 510 : KR'TNT ! 510 : WALTER LURE / CAPTAIN SENSIBLE / FONTAINES D. C. / EDDIE COCHRAN + GENE VINCENT / ROCKAMBOLESQUES XXXIII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 510

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    13 / 05 / 2021

     

    WALTER LURE / CAPTAIN SENSIBLE  

    FONTAINES D.C.

    EDDIE COCHRAN + GENE VINCENT

    ROCKAMBOLESQUES XXXIII

     

    Lure a de l’allure - Part Two

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    Les fans des Heartbreakers ont une sacrée veine : après le Nina Book (In Cold Blood) et le Weiss book (Stranded in the Jungle: Jerry Nolan’s Wild Ride - A Tale Of Drugs, Fashion, The New York Dolls, And Punk Rock), voici le Walter book : To Hell And Back. My Life in Johnny Thunders’ Heartbreakers. Le timing ne pouvait pas être plus parfait : Walter Lure fit paraître son autobio juste avant de casser sa pipe en bois. L’étonnant de cette histoire est que le premier tirage fut vite épuisé et donc il fallut attendre un retirage pour pouvoir le rapatrier. Ça montre bien que les Heartbreakers restent d’actualité, même s’ils sont maintenant tous morts, comme le sont les Ramones.

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    Qu’ils n’aient enregistré qu’un seul album est sans doute ce qu’on apprécie le plus chez les mighty Heartbreakers. Un one shot, privilège qu’ils partagent avec les Pistols. Deux albums qui d’ailleurs vont tout seuls sur l’île déserte. On ne saura jamais si Johnny Thunders savait ce qu’il faisait en s’arrêtant avec LAMF, mais il plaît aux fans de l’imaginer. Ça nourrit son charisme post-mortem qui en a bien besoin. Comme celle de Jimbo, l’histoire de Johnny Thunders est vérolée par le journalisme. Dans les deux cas, le public a fini par perdre de vue l’essentiel qui était la dimension artistique. Jimbo et Johnny Thunders furent tous les deux de magnifiques artistes et si LAMF reste l’un des plus beaux albums de rock jamais enregistrés, ce n’est pas un hasard, mon cher Balthazar.

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    On peut dire que le junky business a fait couler beaucoup d’encre. Johnny Thunders ne ratait aucune occasion d’alimenter le moulin d’Alphonse Daudet, ah tu veux du junk, tiens voilà du junk ! Dans son book, Walter Lure en tartine des pages entières. Comme Hell, il parle admirablement bien du junk. Ça fait partie de cette prodigieuse aventure. Walter entre dans le vif du sujet dès la page 3 : il vient d’être engagé dans la première mouture des Heartbreakers et il doit subir un rite d’initiation : on lui coupe les cheveux et on lui fait un shoot d’héro - Jerry held the needle, Dee Dee did the cooking, and I just rolled my sleeve and stretched my arm as Jerry tied it off - Welcome in Hearbreakland, Walter ! Il va d’ailleurs très vite participer aux routines - First we’d met up with Dee Dee, Willy DeVille and various other friends and then we’d head off to score.

    Oui Dee Dee Ramone traîne avec les Heartbreakers car en fait il rêve de jouer dans le groupe. Mais Richard Hell joue déjà de la basse et donc la place est prise. De toute façon, il n’était pas selon Walter un Heartbreaker. D’autres gens postuleront pour un job dans les Heartbreakers, des gens comme John Felice, Jonathan Paley et Chris Stein, ou encore Rat Scabies après le départ de Jerry Nolan, mais il n’y aura pas ou peu d’élus.

    À la différence des récits pré-cités (auxquels on peut rajouter celui de Sylvain Sylvain), le Walter book met le paquet sur le sexe. Notre ami Walter n’y va pas de main morte. C’est à qui baisera le plus, et pas que des gonzesses. Ils n’arrêtent pas. Les commères du villages vont adorer toutes ces anecdotes londoniennes, Walter fait entrer dans la danse leur manager Leee Black Childers et Gail Higgins, la road manageuse du groupe, c’est Sodome et Gomorrhe every night, ça baise à qui mieux mieux et Walter le fucker n’est pas le dernier à ramener des pretty boys dans son plumard. Mais ça, on le savait depuis que Marc avait lâché en rigolant : «Quoi tu ne savais pas que Walter était pédé comme un phoque ?». Toujours adoré cette expression. L’absolu de son manque d’élégance lui confère une stature d’éternité. Mais au fond, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Ce soir-là au Bataclan, Walter Lure était beau comme un dieu, avec sa chemise à pois et sa Les Paul. Il jouait en plus dans le meilleur groupe de rock de tous les temps. Sex & drugs & rock’r’roll ? Disons que ça décore l’histoire du groupe comme une guirlande décore un sapin de Noël.

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    Dans les premières pages, Walter cite ses influences et c’est très intéressant : il s’amourache du «Do You Love Me» des Contours et des trucs de Phil Spector - A lot of the Phil Spector things were terrific - Puis quand il entend les Stones, il sent qu’il est baisé - The first time I heard them I was sold for life - Puis arrivent dans son giron les Pretty Things, Dylan, les Kinks, les Zombies, the Who, the lot. Puis il commence à aller voir des tas de concerts, le Jeff Beck Group, Humble Pie, il est au Fillmore le soir où ils enregistrent Rocking The Fillmore. Il adore Chicken Shack et Fleetwood Mac, les Yardbirds, Procol avec Robin Trower, Ten Years After, puis Led Zep juste avant le premier album. Il voit aussi Jimi Hendrix, mais ce n’est pas son son. Et à tous les concerts, il voit ce kid. Comme lui, il est toujours dans les premiers rangs. Ils se connaissent de vue. C’est le futur Johnny Thunders. Il a déjà beaucoup d’allure. Quand plus tard Walter découvre les Dolls sur scène, il n’en revient pas d’y voir le kid à la guitare - Quelqu’un me dit qu’il s’appelle Johnny Thunders. Ça semblait logique qu’il s’appelle comme ça, vu le look qu’il avait et vu la façon dont il jouait. What else could it have been ? - Eh oui, Walter a la chance de choper les débuts des Dolls, et là il devient aussi intarissable qu’avec les histoires de cul - Les Dolls furent les grandmothers of punk rock, d’une certaine façon, car ils prouvaient qu’on pouvait monter sur scène sans savoir jouer aussi bien que Jimmy Page ou fucking Yes, et qu’on pouvait démarrer un groupe, devenir populaire et faire plaisir aux gens - Selon lui, ce sont les Dolls qui ont tout créé. Avant les Dolls nous dit Walter there was no New York scene - Il y avait le Brill Building, et quelques clubs de jazz et de folk dans le Village, mais en matière de rock club scene ou de street sound, il n’y avait rien. Juste des groupes locaux qui jouaient leur truc - Walter nous dit aussi qu’il voyait Steven Tyler aux concerts des Dolls, au moment où Aerosmith démarrait. Pareil pour Kiss. Ils venaient tout pomper. D’ailleurs, c’est Johnny qui présente Ace Frehley à Walter lors d’un festival au CBGB - Le mec le plus laid que j’aie jamais rencontré, il avait la peau grêlée, on aurait dit une assiette de céréales avec des raisins, il avait les cheveux filandreux et il marchait comme un singe et je me disais, God what a fucking monster, et Johnny m’a dit : ‘Je veux te présenter Ace Frehley’ - Puis Walter voit les Dolls se désintégrer sur scène, avec Killer Kane et son serious drinking problem, in and out of the hospital, Jerry et Johnny n’allaient pas bien non plus, surtout Johnny he’s become something of a major league smackhead - Je suis allé voir les Dolls au Little Hippodrome début mars et almost half of the band was out of action. Leur roadie Peter Jordan jouait de la basse et Spider le batteur de Pure Hell remplaçait Jerry.

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    Grâce à Walter, on se rapproche une fois de plus de ce mec tellement attachant qu’est Johnny Thunders. C’est un autre regard, plus le regard d’un admirateur que d’un bon pote. Walter insiste pour dire ce qu’on savait déjà, que Johnny Thunders n’est pas un technical guitarist - in love with chords and progressions, notes and solos - but he was unique. Personne ne sonnait comme Johnny, même ceux qui essayaient vraiment de l’imiter. Jerry appelait ça le son des dinosaures qui hurlent dans la jungle and he was correct - Walter trouvait ce son excitant - Pas de pédales d’effets, no stomp boxes or other devices. Johnny never used them. Everything you heard was just Johnny. Ses solos, c’était la même chose. Ils étaient si simples, but they stood out - Walter observe les deux cocos, Jerry & Johnny et ça donne des pages remarquables d’insight. Un Johnny qui soigne son image, les gens qui attendent de le voir fucked-up, constantly shooting up, so he did please them. It was an ego thing. D’un autre côté Jerry était un hypocondriaque, and the worst kind. Il n’avait absolument aucune volonté. Il was a lethal combination - La nature de la relation entre Jerry et Johnny est un élément essentiel de l’histoire des Dolls et des Heartbreakers. Walter voit ça comme a father-son type of things. Jerry est un peu plus vieux et il a surtout la patate facile. Quand à l’époque des Dolls Johnny prenait du speed et qu’il devenait incontrôlable, les autres Dolls demandaient à Jerry de l’emmener dans un coin pour le calmer. Okay, viens par là, pif paf et Johnny se calmait - Two or three punches and Johnny would be good for the next few months - Walter se marre car au temps des Heartbreakers, Jerry n’avait même pas besoin de frapper, il se contentait de poser la question : «Johnny do you want a punch in the head?», et Johnny filait droit.

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    Walter observe un autre truc chez Johnny : la constance. Johnny allait jouer les mêmes chansons de la même façon toute sa vie. He would never change. Le reste ne l’intéresse pas. Pour lui, Billy et Jerry, ça leur suffit de jouer dans un groupe et d’en vivre. Le futur, ils s’en branlent complètement. Leur seule ambition was getting high, s’envoyer en l’air. Walter détecte aussi chez Johnny un flair, une sorte d’instinct qui lui permet de faire le tri dans les gens. L’un des épisodes les plus désarmants de l’histoire de Johnny Thunders est sans doute celui de son mariage dans le Queens. Walter n’est pas invité à la cérémonie mais seulement à la fête qui a lieu dans un gymnase délabré du quartier. Johnny vient d’épouser Julie, et Steve des Senders est son témoin. Forcément quand ils arrivent au gymnase ils sont déjà stoned. Ils ont vomi dans la limousine qui les ramenait de l’église. En entrant, Johnny titube en jurant comme un cocher. Pas d’orchestre dans la salle, juste un petit tourne-disques. Des gens dansent mais ce ne sont pas ceux du mariage qui sont tous trop défoncés pour danser. Ça dure un bon moment et des gens commencent à partir. Alors Walter s’en va aussi. C’est un mariage de pauvres - It was simply poverty-stricken.

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    En dehors du cul, Walter a d’autres fixations : les gogues. Il décrit à un moment les gogues de Woodstok, il pousse la porte d’une cabine et voit une montagne de merdasse, il se demande comment ont fait les gens pour aller chier au sommet d’une telle montagne. Mais ça n’est rien à côté du CBGB que le NME appelle a toilet. Walter nous décrit la petite scène et à côté la cuisine infestée de rats et de cafards. Un peu plus tard, ils virent la cuisine et font une loge. Les gogues se trouvent en bas des marches et là Walter se régale - Les gogues étaient l’endroit le plus dégueulasse qu’on pouvait voir. Les murs du men’s room étaient couverts de graffitis, de trucs qui pendouillaient et de longues traînées de merdasse. Les deux ou trois urinoirs ne fonctionnaient pas, mais ça n’empêchait pas les gens de pisser dedans et ça débordait. Si tu voulais chier un coup, il n’y avait pas de porte au stall et tout le monde te regardait. En plus il n’y avait pas de papier pour se torcher - Les réalités du rock’n’roll way of life sont parfois crues, mais c’est ce qui fait leur charme. Walter indique qu’il fallait mieux aller au ladies’ room pour se faire un fix ou tirer un coup. C’est d’ailleurs l’endroit favori de Johnny Thunders : ses plans sexe se déroulent généralement dans les gogues et ils sont souvent gratinés. Walter en décrit un ou deux, mais on trouve aussi dans Some Weird Sin, le book où Alvin Gibbs raconte sa tournée mondiale avec Iggy.

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    Walter revient aussi sur le grand schisme des Heartbreakers : Richard Hell d’un côté, Johnny Thunders de l’autre. Pour Walter, Hell était surtout un amateur de poésie - À ses yeux, nous étions des musiciens et lui était un artiste, un génie and maybe he was - Walter a raison d’avoir un doute, en tous les cas, c’est savamment exprimé. Puis sur cène, ça dégénère. Johnny Thunders lève les yeux au ciel quand Hell prend le chant et quand Johnny chante, ça n’intéresse pas Hell. Et puis Hell décrète un jour qu’il va chanter tout le set - From now on, I’m singing the set. Johnny sings two of the songs, and Walter shuts up - Johnny n’écoute même pas, il sort de la pièce, suivi de Jerry puis de Walter. C’est là que les Heartbreakers engagent Billy Rath.

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    Ils s’entendent tout de suite très bien avec Billy Rath. On se souvient de lui au Bataclan. Il portait un petit bandage blanc taché de sang sur le bras et jouait sur une basse Burns. Walter s’entend bien avec lui, tout au long de la folle virée des Heartbreakers. Mais la fin de l’histoire est moins glorieuse. Après la fin du groupe, il serait resté en Angleterre puis serait devenu pasteur dans l’Ohio. Walter le revoit à New York en 2009 ou 2010. Il avait chopé le Sida et une hépatite, et perdu une jambe dans un accident de bagnole - His body was breaking down. He was a fucking mess - Mais Walter est content de le revoir. Billy lui propose alors de remonter un groupe. Walter décline la proposition. À cette époque, il bosse à Wall Street et il joue un peu dans les Waldos. Un an ou deux plus tard, il est à Londres, il joue au Purple Turtle de Camden et Billy réapparaît. Un ‘entrepreneur’ avait lancé un projet avec Billy et Steve Dior. Walter les voit arriver tous les trois dans le backstage, l’entrepreneur en blouson de cuir, Billy et Steve Dior - Billy was fucking wrecked. Il avait pris du poids, il avait perdu toutes ses dents et on l’avait habillé comme un pirate. Quand il parlait, on aurait dit qu’il avait un gros problème avec sa cervelle. En deux ans, il avait vieilli de vingt ans. Mais la situation allait encore empirer. L’entrepreneur suggéra que Billy monte sur scène avec moi pour «Chinese Rocks». Ce qu’il fit, mais il ne savait plus le jouer. It was a mess - Walter conclut ce terrible chapitre en rappelant que Billy est mort en 2014.

    Richard Gottehrer, un producteur de renom qui venait de monter Sire Records avec Seymour Stein s’intéressait de près aux Heartbreakers. Il commença par leur proposer d’accompagner Robert Gordon qu’il était en train de lancer. Il était même question que Gordon devienne le chanteur du groupe, un idée qui plaisait bien à Jerry, fan d’Elvis, comme Gordon. Mais les trois autres n’étaient pas chauds et c’est donc resté à l’état de rumeur. Il n’empêche, Gottehrer veut les signer sur Sire et au moment où ils vont accepter, ils reçoivent le coup de fil de McLaren.

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    L’autre grand thème du book c’est Londres. Les Heartbreakers y débarquent en 1977, invités par Malcolm McLaren à participer à l’Anarchy Tour. Plus tard, Walter et les autres vont découvrir que McLaren avait d’abord fait cette proposition aux Dollettes, le groupe post-Dolls de David Johansen, mais il avait refusé - So we were at least his second choice and possibly the third - Les Heartbreakers débarquent le jour où éclate le scandale du Grundy TV show. Walter et les autres ne comprennent pas que des écarts de langage puissent provoquer un tel tollé dans la presse. Les Heartbreakers vont rester dix-huit mois en Angleterre, le temps de conquérir l’Europe et d’enregistrer leur fameux album. Walter se plaint essentiellement de la bouffe. Il remarque aussi que les Anglais ne prennent pas les mêmes drogues. Ceux qui prennent de l’héro ne se piquent pas : snort ou smoke, which is probably healthier, but we weren’t interested - Walter évoque la needle culture in New York. Autrement, les Anglais tapent dans le speed, l’acid et le hash. Dans le bus de l’Anarchy Tour, Walter voit les Clash fumer des spliffs, ce qui faisait bien marrer les Heartbreakers - Fuck we haven’t done those drugs in years - Billy Rath qui est un speed freak y retrouve son compte. Il deviendra d’ailleurs un proche de Motörhead.

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    Walter se régale avec les groupes anglais : quand il voit les Damned, il ne comprend pas qu’on puisse se déguiser en vampire. Mais il aime bien les mecs du groupe - They were nice enough guys - Et bien sûr les Damned se font virer de l’Anarchy Tour. Walter donne pas mal de détails sur cette tournée entrée dans l’histoire. On se régale, on est là pour ça. Par contre, le truc qu’il ne supporte pas, c’est le gobbing. Sur scène, ils sont bombardés de mollards - Standing on stage, under hot lights, with this tubercular green shit all over your clothes, all over your guitar - Il raconte le manche et les doigts gluants. Il doit changer ses cordes tous les soirs - Tu devais jouer les yeux et la bouche fermés, et tourner la tête pour respirer. On craignait plus que tout de recevoir un mollard dans l’œil ou dans la bouche et quand je devais chanter, j’étais terrifié, car je recevais des mollards dans la bouche, down your throat. Which happened. A lot - Walter se marre quand il voit les Buzzcoks et surtout Pete Shelley avec sa guitare sciée en deux. Shelley avait bloqué ses volumes sur 10 et Devoto devait hurler pour pouvoir chanter - The music was awful but it was so fucking funny - À Londres, les Heartbreakers sortent toutes les nuits et rencontrent énormément de gens. Walter évoque une Marianne Faithfull fascinée par le punk, il rencontre aussi Chrissie Hynde bien avant les Pretenders, accompagnée de Judy Nylon et Patti Paladin, il traîne au Roxy où règne la débauche punk, pareil, il se passe des trucs pas terribles dans les gogues, Walter dit à demi-mots que Sid Vicious s’y fait enfiler, enfin tous ces trucs-là ne nous regardent pas. Gail Higgins et Leee Black Childers occupent une maison de trois étages à Islington et partent en chasse de chair fraîche tous les soirs - The pair of them lived like vampires - Ils sont tous les deux de très vieux amis de Johnny. Leee a un faible pour les jeunes rockabs londoniens - It was like Babylon on Thames - C’est là, à Babylon, que Walter avoue qu’il est bi. Mais à l’époque ça ne pose aucun problème, ça fait partie du mouvement punk. Walter est donc aux premières loges, il voit la scène punk se développer, les Hearbreakers sont potes avec les Pistols, les Clash. Surtout avec les Banshees, car Nils Stevenson leur manager fait partie du cercle rapproché des Heartbreakers. Les Banshees sont leur support band of choice. D’ailleurs Walter qui ne perd pas une occasion de se marrer nous relate un échange qui eut lieu un soir entre Siouxie et Johnny. Elle lui dit qu’il aurait dût jouer beaucoup plus sur ses knobs (ses boutons de volume) et le street kid Johnny lui rétorque : «I’d like to play with your knobs», and Siouxie just froze. She was So insulted. Walter indique aussi que son groupe punk anglais préféré était les Slits.

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    Les Hearbreakers finissent par signer avec Track Records, le label de Chris Stamp et Kit Lambert. Bien sûr, aucun des quatre Heartbreakers ne participe aux négociations. C’est Leee qui s’en charge. Track, ça plaît bien à Johnny et à Walter, à cause des Who, d’Arthur Brown, de Jimi Hendrix et de John’s Children, pour la première époque, puis Thunderclap Newman, Marsha Hunt et Golden Earring pour la deuxième. Mais les gens disent que Lambert and Stamp are too crazy. Et Walter confirme : «Kit Lambert certainly was. A total drunken queen, he was completely out of it.» Walter le voit tout le temps rigoler, et sa rigolade devient contagieuse. Avec lui tout le monde se marre. Track impose Speedy Keen comme producteur. On ne demande pas leur avis aux Heartbreakers. Johnny arrive souvent en retard aux sessions. Son record est de cinq heures. Speedy Keen garde son calme, nous dit Walter. Dans le studio, il y a tout ce qu’il faut, heaps of amphetamines, Rémy Martin and coke. Walter découvre que Speedy est un peu comme Johnny - He was a wild guy. I don’t think he was never out of it but sometimes by the end of the night he’d have a little bit of loop on - Ah comme c’est joliment dit. Un Français dirait qu’il perdait les pédales, mais Walter parle d’un little bit of loop on. Et puis on connaît la suite de l’histoire, Jerry n’est pas content du son de l’album. Il remixe tellement que le son est de plus en plus pourri. Johnny se marre : «All he did was bring the drums up in the mix.» Puis Jerry s’en prend à tout le monde, les studios, le producteur, le label, et pour finir Leee et même les Heartbreakers. Mais Track veut sortir l’album avant les fêtes et Jerry peut gueuler et menacer, ça ne changera rien. L’album sort le 3 octobre. Trois jours plus tard, Jerry quitte les Heartbreakers. C’est là que Rat Scabies auditionne. Mais il n’est pas un Heartbreaker, comme Walter l’a déjà dit.

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    Il revient bien sûr sur les raisons de «l’échec» : la présence d’un drunken Kit Lambert au mastering, l’inexpérience de l’ingé-son Danny Secunda (le frère de Tony), les remix de Jerry dans le dos du groupe après qu’ils aient tous approuvé le master. De leur côté, les critiques rejettent la responsabilité sur Speedy Keen. Quel cirque ! Et après tout le monde ramène son petit grain de sel, c’est à qui fera du qui mieux mieux d’expert à la mormoille, oh j’ai acheté de mix machin, oh il faut écouter le mix truc. C’est presque une insulte à la mémoire des Heartbreakers. Walter dit qu’il aime bien l’album. Rappelons pour mémoire qu’en 77, on s’en goinfrait tous comme des porcs, alors laisse tomber tes mix à la mormoille. Et puis en pleine tournée de promo, Track dépose le bilan et les Heartbreakers se retrouvent sans support. We were on our own. Walter tient cependant à apporter une précision importante : même si LAMF est un excellent album, il ne restitue pas le power des Heartbreakers - LAMF didn’t EVEN begin to approximate what we sounded like. At their best, on their night, in the moment and on the edge, the Heartbreakers really could break hearts. Every component in its right place, every riff nailed down and solo locked tight, every lyric defiant, every hair in place, the Heartbreakers remain the greatest band I have ever seeen, heard, or dreamed of.

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    Avec le départ de Jerry, les choses deviennent insolubles. Au Bataclan, on a vu Terry Chimes à sa place. Mais les Heartbreakers ne parviennent pas à trouver un remplaçant permanent. C’est impossible - His drumming was totally instinctual and incredible. He never even had to practice, he was just a natural - Et Walter nous brosse un portrait hallucinant de Jerry : «Il avait des valeurs personnelles de très haut niveau, mais se haïssait de ne pouvoir y conformer sa conduite. Au fond de lui, il haïssait les drogues et les junkies. Il crevait d’envie d’avoir une petite amie qui fut vierge. Au fond de lui, il était raciste et homophobe. Il cultivait toutes les phobies et toutes les obsessions de la classe moyenne de droite. Mais il ne parvenait pas non plus à s’y conformer. Il n’arrivait même pas à être antisémite, car sa copine était juive.» Et plus loin, Walter en rajoute et c’est hilarant : «Comme il ne faisait plus partie du groupe, il ne tarissait plus d’opinions à son propos. Même s’il se plaignait encore du mix, il ne s’en prenait plus à Track. Pourquoi ? Parce que le nouveau groupe qu’il venait de monter avec Steve Dior, the Idols, allait enregistrer des démos pour Track.»

    Puis Walter apprend que Johnny qui est resté à Londres entame une carrière solo. Walter pense qu’il a encore besoin des Heartbreakers, mais il se trompe. Les choses vont se défaire toutes seules. Walter et Billy reviennent à Londres, mais Johnny ne les appelle pas. Et eux ne font aucun effort pour le voir. Walter et Billy avaient ramené Spider, le batteur noir de Pure Hell pour redémarrer les Heartbreakers, mais Johnny est passé à autre chose. Il ne reformera les Heartbreakers de temps en temps que pour se faire un billet.

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    Walter rentre à New York et prend un job de trader. Mais il continue de se shooter - I’d be running out at lunchtime to buy drugs - À New York, c’est facile, on en trouve partout. Il rappelle aussi qu’à Wall Street, à cette époque, tout le monde prend de la coke. Il y a même une gonzesse dans son bureau qui est une grosse dealeuse de coke - Coke was everywhere, and pot and hash as well - Il raconte que les fêtes au bureau étaient bien trash, avec des gens qui faisaient la queue devant les toilettes pour aller se faire un rail - All these Fortune 500 companies, the entire work force, lined up to shoot or snort some coke - C’est d’ailleurs ce que montre Scorsese dans The Wolf Of Wall Street. Dope all over the biz. Une réalité.

    Dans l’épilogue, Walter évoque le dernier concert des Heartbreakers à New York en novembre 1990, avec Tony Cairo des Waldos on bass et Jerry on drums. Six mois plus tard, Johnny était mort. Walter n’a pas d’avis sur le mystère qui entoure sa mort - All I can say is that I don’t know. Je n’avais plus de nouvelles de Johnny depuis 6 mois. Je ne savais même pas qu’il était à la Nouvelle Orléans - Et il ajoute un peu plus loin : «Par contre, je sais que ses trente-huit ans de vie sur terre avaient mis son corps à rude épreuve, et qu’il ne s’occupait pas de sa santé. Je sais aussi que pendant dix-sept ans j’ai redouté ce coup de fil m’annonçant sa mort. Ça n’enlève rien au choc que j’ai ressenti en apprenant la nouvelle, mais au moins, je sais que je n’aurai plus à redouter ce coup de fil.»

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    Il évoque ensuite les fameux concerts du quarantième anniversaire de LAMF qui eurent lieu dans un club du Bowery, à New York, avec Wayne Kramer, Jesse Malin, Clem Burke, Cheetah Chrome et d’autres gens. Il existe d’ailleurs un album et un DVD : les concerts furent enregistrés et filmés. Il est recommandé de voir le DVD car l’album ne donne aucune information sur qui fait quoi. Comme le système marche bien, Jesse Malin propose à Walter de continuer avec d’autres gens et hop, Walter nous sort les noms de Mike Ness, de Billy Joe Armstrong, de Glen Matlock et même de Steve Jones. Mais apparemment c’est resté à l’état de projet.

    Pour conclure, Walter redit sa joie d’avoir fait partie des Heartbreakers, un groupe qu’il situe à juste titre dans la catégorie des shooting-star types of artists who blaze so brightly but briefly, et il cite les noms de Pistols et des Dolls, bien entendu. Et il boucle ainsi : «Je crois que si on avait eu plus de succès, on serait morts plus tôt, étant donné nos penchants à l’époque. La raison pour laquelle j’ai survécu tient au fait que j’ai dû reprendre un job, ce que n’ont pas fait Johnny, Billy et Jerry. Johnny n’a jamais travaillé un seul jour de sa vie. Ce fut une belle aventure, but it comes with one hell of a price.»

    Une jour que nous causions d’eux, je fis l’éloge du concert des Heartbreakers au Bataclan, allant jusqu’à dire qu’aucun show n’avait jamais égalé celui-là, à quoi Marc Z répondit en rigolant qu’on lui avait plusieurs fois dit la même chose. Curieusement, Marc n’est pas cité dans le Walter book. Octavio et Henri Paul le sont plusieurs fois. Et donc pour pallier à ce déficit citatoire, nous lui rendrons hommage en lui dédiant ce texte.

    Signé : Cazengler, Walter Plure

    Walter Lure. To Hell And Back. My Life in Johnny Thunders’ Heartbreakers. Backbeat 2020

     

    He said Captain I said Wot

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    Mojo se démocratise : le Mojo Interview habituellement réservé aux célébrités reçoit cette fois ce vieux branleur de Captain Sensible qui jadis nettoyait les gogues at Croydon’s Fairfield Halls. D’ailleurs, la première chose qu’il fait dans le gros chapô, c’est de se vanter d’être sixty-fuckin’-six years young et d’affirmer qu’il n’est jamais devenu adulte. Puis il rappelle que son père l’a baptisé Raymond parce qu’il bossait comme portier dans un club de strip-tease à Soho, Raymond’s Revue Bar. Avec Captain Fun, c’est la rigolade assurée. À l’école, le jeune Ray n’a qu’une seule ambition : devenir biker. Jusqu’au jour où il entend «See Emily Play» à la radio. Il change de vocation mais il n’oublie jamais de rappeler qu’il n’est pas très intelligent - I’m a bit of a bluffer, really, I can’t do the really clever stiff - Quand il était ado, ses copains et lui prenaient du LSD et chouraient une bagnole pour descendre voir la mer à Brighton. Sans le LSD il serait dit-il devenu un football hooligan. Il avoue humblement tout devoir au LSD et notamment la découverte de Soft Machine and Egg, people like that. C’est l’époque où il bosse at Fairfield Halls avec Rat - I cleaned the toilets et Rat cleaned the floors - C’est Rat qui va un jour passer une audition à Londres. Ray voit Rat rentrer à Croydon avec les cheveux taillés courts. Wot ! C’est pas possible ! Aucune fille ne regarde un mec à cheveux courts en 1976, mais Rat s’est coupé les cheveux pour l’audition et il a rencontré un mec nommé Brian James. C’est la révélation ! Rat prédit même l’avènement d’une révolution. Wot ? Pas question pour Ray du cul de se faire couper les cheveux. Puis il rencontre Brian chez lui à Kilburn. Il a déjà toutes les chansons, «New Rose», «Fan Club». Pour Ray du cul, c’est du Chuck Berry on speed. À son tour, il voit Brian comme un visionnaire. Il ajoute qu’à Londres cette année-là, il y en avait d’autres - Not me, but Tony James, Malcolm McLaren, a couple of Pistols, Mick Jones. They knew what was coming - Et pouf, les Damned entament leur wild ride - I wasn’t the best looking bloke in the world and not the greatest musician but that if I did something diabolical on-stage it would be me who had his picture in the press and not Brian or Dave. And I liked that - Puis tout s’arrête brutalement lorsque Brian quitte le groupe. Captain Tutu reconnaît que ce n’était pas facile pour Brian de côtoyer des fous - Me and Rat were fucking horrible. A couple of menaces - Partout où ils vont, ils sèment le chaos, les gens ont peur du couple Capt/Rat qui se spécialise dans l’arrosage au ketchup, à la moutarde, à la bière et, quand ils y ont accès, aux extincteurs.

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    Lorsque les Damned post-Brian James se retrouvent en studio pour Machine Gun Etiquette, Capt explique que les choses se passent beaucoup mieux que prévu - There was a lot of booze and whisky around - Algy Ward est le bassman des Damned et Captain Crazy indique qu’il joue la bassline de «Love Song» avec une pièce de monnaie. Mais Algy est hors de contrôle et Rat lui demande de se calmer, sinon, on sort dans la rue pour régler ça. Wot ? Tu ne parles pas comme ça à Algy Ward. Tu veux sortir ? Alors viens mon con joli. Ils sortent, pif paf, et adieu Algy. Paul Gray le remplace sur le Black Album. Aux yeux de Captain Marvel, Paul et Algy sont les meilleurs bassmen des Damend - I’m third. Or even fourth.

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    Il est heureux le brave Captain à cette époque car il est payé pour jouer de la guitare et la bière est gratuite. Pour lui, c’est quand même mieux que de nettoyer les gogues. Il se fout même de savoir que les Clash sont en Amérique avec CBS derrière eux. Rien à cirer de la célébrité. Captain Flush ne pense qu’au fun. Il vit encore chez mum and dad quand un jour mum lui dit : «Your mate, Roley or Boley, he’s died in a car crash!». Captain Rex est fan de Bolan surtout depuis la tournée des Damned avec lui en 1977 et la nouvelle de sa mort le choque tellement qu’il s’enferme dans sa piaule. Il écrit une chanson pour calmer son chagrin : «Smash It Up» - As in smash the car up. It’s quite a sad piece of music, a deep little piece - Quand il signe son contrat solo, A&M lui file une avance et lui demande un hit. Il rentre chez mum and dad à Croydon et sort «Happy Talk» de dad’s collection - Happy Talk was their tune if you like - Tony Mansfield produit et ça devient un hit. Captain Happy parle de Mansfield en termes de genius. Puis il rencontre la backing singer Rachel Bor. Mais il ne peut plus mener les deux carrières de front, la solo et celle des Damned. Surmené, il tombe dans les pommes. C’est là qu’il doit faire un choix : ça sera la solo - So I chose the career that was making money - Jusqu’au moment où une huge tax bill lui tombe dessus et il se retrouve dans la dèche. Comment il s’en sort ? En faisant de la pub avec Wot pour Wotsits. Et pouf, il s’achète une baraque à la campagne. Et Dave finit par proposer à Captain Luck de reformer les Damned dans les années 90, mais ceci est une autre histoire. Nous y reviendrons.

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    Dans le Mojo Interview, Captain Wreck torpille le film de Wes Orshoski, Don’t You Wish That We Were Dead, car ça tourne trop autour des règlements de comptes. Mais nous dit Captain Oï, c’est pareil dans tous les groupes et il ajoute en rigolant que les Damned auraient mieux fait de se tuer en avion après leur premier album, comme ça au moins les choses seraient plus simples. Il n’est pas tendre non plus avec Tony Visconti qu’il appelle Mr Tony Visconti, le producteur du dernier album des Damned, Evil Spirits. Et puis arrive le sujet brûlant : la reformation du line-up originel des Damned et là Captain Marvel fait merveille. Il pense qu’il était important de le faire avant que l’un des quatre compères ait cassé sa vieille pipe en bois - il emploie une autre expression : before one of us kicks the bucket - et il s’enflamme sur la grandeur de l’original line-up : «No one else sounded like that. Il was very powerfull» - et il a raison. Rien de plus powerfull que les early Damned. En bon fouteur de merde, le Mojoman ramène Captain Hook sur un sujet de discorde : Dave et Rat auraient paraît-il racheté le catalogue Stiff des Damned, d’où la rancœur de Ray à l’égard de Rat. La réponse ne se fait pas attendre : «Non. Il faut avancer. Le comportement de mes collègues est un autre sujet. J’ai 66 balais et tout ça date d’il y a longtemps. J’étais alors un parfait connard - a complete arsehole - je dois bien l’admettre, an absolute liability, comme le sont mes chers collègues d’ailleurs. Ce ne sont pas des saints. Je ne dis rien de plus que ce que je dis.» Bon ils annoncent les concerts de reformation et soudain, la peste ravage le pays. The curse of the Damned !, s’exclame Captain Plague.

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    Comme déjà dit, on reviendra sur l’histoire des Damned une autre fois. Puisque Captain Solo est à l’honneur avec ce Mojo Interview penchons-nous si vous le voulez bien sur son extraordinaire carrière solo. En 1982, on le retrouve dans une chaloupe du Titanic. C’est la pochette de Women And Captains First. On y trouve le célèbre «Wot» et sa bassline, cette délicieuse mécanique qui sous-tend le cut de bout en bout et que tous les bassmen du monde se sont amusés à rejouer. Mais avec «Nice Cup Of Tea», Captain Sink se met à sonner exactement comme son idole Syd Barrett, mais avec une pointe de cockney en prime. Il boucle l’A avec le merveilleux «Happy Talk» qui fut aussi un hit et en B, il tape dans le jazz New Orleans pour nous trousser une joli coup de «Nobody’s Sweetheart». Quel sens aigu de la décadence ! Il revient à la pop avec l’excellent «The Man Who’s Gotten Everything». Des chœurs de filles juteuses jazzent le groove, comme elles jazzaient «Les Films de Guerre» de l’early Sanseverino. Ah ce Captain Fracasse, quel fantaisiste de choc ! On gagne énormément à le connaître. Un homme admirable à bien des égards. Son cut sonne exactement comme un truc en plume dans le cul, doux et beau. Qu’on ne vienne pas nous raconter qu’il a fait des mauvais albums dans les années quatre-vingt. Il boucle avec l’excellent «Croydon» et nous rappelle à son bon souvenir - In Los Angeles/ I’m still dreamin’ of ya Croydon !

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    Pour l’album suivant, The Power Of Love, il se fait tirer le portrait et affiche un look de jeune premier hollywoodien. L’album est ravagé par la mauvaise prod des années quatre-vingt et il faut attendre d’entrer sur la B pour tomber sur l’excellentissime «Glad It’s All Over» et ses Submarines/ In the harbour/ Incognito/ Submarines/ Of your dreams/ Not mine, et là, on se voit contraint de parler de génie. L’autre gros cut de l’album est le morceau titre. Il en fait une pop joliment pulsative. Captain Orlock profite de l’occasion pour renouer avec les énergies telluriques des Carpathes. Les vieux jus bouillonnent dans ses artères parcheminées. Fantastique personnage.

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    Revolution Now est un double album paru en 1989. Captain Furax y propose quelques éclats pop comme «A Riot On Eastbourne Pier». Il tape dans la fibre de l’Angleterre profonde - All these crazy people - et se plaît à incendier sa fin de cut. Captain Hellfire sait bricoler de la bonne pop anglaise, on le savait depuis Machine Gun. On trouve en B un beau «Wake Up» pop-punk sautillard. Captain Biz revient aux sources de son fonds de commerce, à savoir une certaine vision du punk-rock anglais qui passe par la pop. En C, il fait une sacrée reprise du hit des Equals, «I Get So Excited». Il part en mode diskö-pop et opère un violent retour au beat des Equals, avec toute l’énergie dont il est capable. C’est battu à la folie, l’esprit du cut veut ça et Captain Mad l’a bien compris. Baby Baby ! Quelle explosion ! «The Kamikaze Millionaire» souffre du mal de prod des années quatre-vingt, mais sous le festif croustille la braise d’un Anglais dans la force de l’âge, rempli de cette culture pop typiquement insulaire. C’est même de la pop endiablée, pas si éloignée que ça de la joie du dance-floor. Captain Bonzaï a bien le droit de s’amuser, après tout. Sa pop reste droite et bien gaulée. Il adore surtout faire le con.

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    Tiens voilà encore un classic album : The Universe of Geoffrey Brown paru en 1993. Dès «Holiday In My Heart», on sent la magnifique pop d’élancement somptueux. Captain Bifsteak œuvre pour la renommé de la pop anglaise, c’est évident. Il fait de la prog, mais soutenu par une clameur de chœurs galactiques. Sa compagne Rachel Bor joue du violoncelle à l’élancé du pont, tout reste extrêmement magique dans le monde coloré du grand Captain Achab. Il fait de «Come On Geoffrey Brown» une sorte de petit opéra à la Odgen des Small Faces, ou si vous préférez, à la Tommy des Who, mais c’est embarqué à l’énergie diabolique. Captain Prag tape dans la prog avec l’énergie des Damned, mais démultipliée. C’est extrêmement ambitieux. Et il atteint une fois de plus au pur génie avec «Getting To Me», claqué à la magie de la pop anglaise. C’est lui the lad of the mob, the beast of it all, il va taper dans la magie de pop anglaise comme d’autres vont siffler une pinte au pub. Encore de la pop explosive avec «Street Of Shame», extraordinaire débauche d’énergie pop. Captain Tagada chevauche son dragon en rigolant comme un bossu. On a là un fabuleux hit d’antan, terriblement volontaire et indiqué. Même quand il fait de la pop, on entend les Damned, de là à conclure qu’après le départ de Brian James, Captain fait les Damned, c’est un pas qu’on laisse à d’autres le soin de franchir. Il donne un énorme coup pied dans la fourmilière du pop punk avec «The Message», il rallume la chaudière et ça explose. Captain Conan sait donner de la voix, tout est conjugué à l’innovante innervée. Il termine cet album épique avec un «Universe Of Geoffrey Brown» monté sur le riff de «Baba O’Riley». Quel fabuleux Zélig, il fouine partout, il entre dans le lard de la grande pop anglaise et crée un monde de son et de guitares exubérantes.

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    Il faut avoir écouté au moins une fois dans sa vie le Live At The Milky Way du bon Captain Hook, car c’est un album spectaculairement bon. On y voit ce démon exploser tous ses hits un par un, accompagné de Paul Gray. Il smashe «Smash It Up» et se fout de la gueule de David Sylvian, puis «Back To School». Captain Flash monte au créneau comme nul autre en Angleterre. Il le fait avec une sorte de classe d’aristocrate dégénéré, puis il raconte son histoire dans «Come On Geoffrey Brown». Ce live prend ensuite une allure mythique avec «Happy Talk». Il sait parfaitement bien embarquer un hit pour Cythère et il enchaîne avec «The Kamikaze Millionaire», fantastique pop d’époque. Ce mec n’en finit plus d’aligner les combinaisons gagnantes. On se prosterne devant une telle aura. Et voilà qu’il tape dans «Love Song», le hit absolu - Just for you - Captain Sparrow n’en finit plus de danser avec le génie, et paf, il enchaîne avec «Neat Neat Neat» - Especially for Cliff Richard and David Sylvian - Tout le génie des Damned remonte à la surface, c’est intenable, joué à l’ultimate bouillonnante. Que peut-il faire de plus ? Taper «New Rose», par exemple, alors il y va, mais avec l’énergie du diable. On a là une épouvantable version, c’est de la macédoine de légende, Captain Wild se jette à corps perdu dans la bataille - I can feel inside of me - Il explose la vieille Rose. Et il passe à «Wot», que Paul Gray prend au bassmatic, mais il ne se contente pas de le jouer, il le dévaste, il en fait une version post-punk démente, avec des chœurs qui défient toute concurrence. Ça ne s’arrête pas là. Captain Nemo tape ensuite dans ses racines avec une monstrueuse version de «Looking At You» du MC5 - When it happens - et il oh-no-notte, il l’explose et passe les solos endiablés de Wayne Kramer. Il termine ce live affolant avec une version d’«Hey Joe» purement hendrixienne, bardée de move de groove originel, presque supérieure en tout, complètement explosive, et il boucle enfin avec l’imparable «Glad It’s All Over» qui sonne comme l’hymne national de l’underground britannique.

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    Paru en 1995, Meathead fait partie des disques hautement recommandables. Il s’agit d’un double album bourré à craquer d’exercices de styles tous plus effarants les uns que les autres. On le voit dès «Sally Blue Shoes», Captain Flint a toujours l’air de dominer la situation. Il propose de la pop à synthés mais avec une autorité qui tue les mouches. Ce mec a du cran et des idées bien arrêtées, alors les choses deviennent vite captivantes. Il attaque «Rough Justice» aux spoutnicks et au punkyrama. Il s’appuie de toute évidence sur de solides antécédents. Même si c’est battu au diable Vauvert, ça vire un peu pop. Quel étrange mélange de crédibilité punkoïde et putasserie pop ! Il a le cul entre deux chaises. Notre bon Captain Wave doit adorer l’instabilité. Il reste dans la belle pop anglaise avec «The Love Policeman». C’est son argument définitif, semble-t-il. Il tâte une fois de plus de la pop magique et bien intentionnée. Il tape plus loin dans l’expérimental psychédélique avec un «Zarbo Nebula» en quatre parties. Cette comédie condamne l’album à l’underground. Il bombarde le Part 2 d’attaques de wah, il voyage dans son univers et franchement, c’est excellent. Il bute le cosmos dans le Part 3 et dans le part 4 il demande : Can I have your attention please ? Et ça vire hypno ! On est entre de bonnes mains. Captain Morgan nous invite au voyage et il se met à jouer les dingos sur ce bon beat hypno - Right can I have your attention ? - Puis il passe à «Freedom» et lance un hey now welcome to the zoo. Ça se politise à outrance - Be a beggar/ Be a conman/ be a mugger/ be a whore - Il revient à la pop du paradis avec «Pasties». La pop reste bel et bien son apanage. Il crée l’illusion. Oh qui dira la modernité du Captain Haddock ? Il est comme Swamp Dogg, intarissable de son et d’idées de son. Il prend «Love Thing» au rock seventies et développe un fantastique espace de prog voyageur. Il explose son univers à coups de solotage. Ce disque est celui d’un fantastique aventurier. Ray Burns n’est autre que Lord Jim, mais sans pathos. Le disk 2 est encore plus spectaculaire. Il revient à la pop magique dès «Aliens Of The Lord» qu’il chante down the bingo avec de fiers accents cockney aux entournures. Il faut lui reconnaître une belle ampleur catégorielle. Prière de ne pas enfermer Captain Blackbeard dans les Damned. Il prend «Space Shuttle» à l’instro de choc et ça s’étend loin à l’horizon, c’est noyé de son, plein d’aventures et de wah system. Il ne vit que pour l’enchantement psychédélique. Il faut prendre ce mec très au sérieux. Ses solos de wah sont d’une rare férocité. Il affûte ses attaques et s’en va gicler dans l’azur immémorial. Encore une merveille avec le morceau titre. Il entre dans le vif du sujet après une intro déconnante. Quand on l’entend passer ses puissants accords, on comprend qu’il a écouté des bons disques quand il était jeune. C’est puissamment drivé. Il crée des petits mondes à coups de spatio-temporalités extraordinaires. Il adore l’espace, comme on le constate une fois de plus à l’écoute d’«Honeymoon In Acapulco». Captain Sensible n’est autre que Major Tom. Il s’amuse tout seul. Personne n’ira le suivre sur six minutes de spatio-temporalité à la dérive coïtale, mais ce n’est pas grave. Back to the magic pop avec «Can You Hear Me». Il lâche toutes ses troupes dans cette nouvelle merveille effrontée et distanciée. C’est même claqué du soubassement des carters de boîte et admirable de rectitude longitudinale. Ça se termine avec du solo à la MC5 et il faut entendre Paul Grey claquer ses notes de bas de manche ! Quelle fabuleuse énergie translucide ! Il repart pour 15 minutes de trip avec «Business Trip To Saturn». Bienvenue à bord de ce fantastique voyage à destination de Saturne ! Captain Trip est heureux de nous accueillir à bord, nous autres fans introvertis de Syd Barrett. Set the controls for the heart of Saturn ! On traverse une première galaxie chargé de son. Les cœurs battent la chamade et le beat s’accélère. On traverse des paysages extravagants et solides. Captain Wah wahte comme un beau diable. Il traite aussi «Inventing The Wheel» à la wah sauvage. Il travaille sa pop au corps, il devient complètement dingue avec sa pédale. Il viole toutes les conventions. Il revient à sa vieille pop avec «The Last Train». C’est plein d’effets vengeurs. Il sait saquer la gourde d’une casse de typographe ! Voilà encore un fabuleux cut atmosphérique traversé par l’un de ces solos rageurs dont Pasteur ne serait jamais venu à bout. On se fend bien la gueule à écouter «Festival Radio Jingles» et Rachel Bor chante ensuite une autre merveille intitulée «We Are The Aliens». Captain Dada passe à la dada jam avec «Stabilizer jam». Des machines se parlent avec des réflexes de perroquets du Zoo de Zanzibar. Il ramène des riffs de punk et fait du pur dada. Bienvenue chez le Picabia du punkyrama. Il finit cet album héroïque avec «Plastic Arcade». Il sonne comme un héros, le héros qu’on a envie d’entendre en Angleterre. Il ramène toute l’énergie des Pistols, mais sans ressentiment. Derrière, Paul Gray fait le con. Voilà encore du génie pop à l’Anglaise.

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    Tout est diaboliquement bon sur Mad Cow & Englishmen. Ça part en trombe avec «While Wrecking The Car», hit de car crash pop qui sonne comme un hymne. Il n’existe décidément rien d’aussi déterminant que cette façon d’illuminer l’univers. On ne peut que vénérer cet immense artiste. Il revient à sa chère pop-punk avec «Bob’s Brown Nose». Eh oui, on sent nettement l’empreinte des Damned. Captain Pop opte ici pour un ton délicieusement cassant. Sa pop se veut atmosphérique, lourde de sens et ambitieuse. Les chœurs relèvent de la magie pure. Écoute bien les albums de Captain Sensible, car ce sont des œuvres incroyablement solides. Avec «The Stately Heroes Of England», il part en mode beatlemania de voix arrières, style Magical Mystery Tour. Extraordinaire ambiance ! Pop d’écran de soie. Puis il brise ses chaînes avec «Smashing The Chains», nouvel exercice de pop fantastique. Il faut voir de quelle façon il amène son «Mr Brown’s Exploding Wallet» : pur jus de pop anglaise. Captain Fury défie les géants du genre. Fantastique et complètement extraverti, nice and sleezy. Monty Oxy Moron fait déjà partie de l’aventure. Et on le sait, Captain Fingers joue de la guitare comme un dieu. Il salue les végans dans «Mr Farther» et revient à la power pop avec «The Letters Love Past» - Big Ferrari engine like a lion’s roar/ I can buy me anything/ And I’m spending more and more - Il raconte qu’il a gagné à la loterie et il renoue avec le génie pop dans «One Little Wonder», mais tout est si bien foutu sur cet album, lyrics, ton, thèmes, son, que les bras nous en tombent.

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    On retrouve tous les hauts faits de Captain High sur le Best Of qui s’appelle Sensible Lifestyles. Comme on l’a vu, cet énergumène est parfaitement capable de se suffire à lui-même. Il fait les Damned tout seul, quand il veut, où il veut et selon ses termes. On retrouve le «Revolution Now» joué aux machines, mais on y retrouve aussi son sens aigu du beat violent et de l’avance rapide. Figure aussi sur Lifetime cette version violente de «Smash It Up» et le fameux «Happy Talk» gratté aux accords hendrixiens. C’est l’un de ses hits les plus explosifs. Captain America sait mener la danse. C’est un peu comme s’il ramenait la cavalerie. Son plus beau hit restera bien sûr «Glad It’s All Over», avec son sentimentalisme sensible, l’explosion du son et les submarines in the harbour. Quant à «Sporting Life», c’est allumé d’entrée, voilà un petit chef-d’œuvre de pop musclée. On retrouve aussi sur ce Best Of son hit le plus connu, «Wot», ramoné par cette gigantesque bassline dont on a déjà dit le plus grand bien.

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    Captain Sensible reprend du service dans les Damned en 1997, mais ça ne l’empêche pas de monter des side-projects, comme par exemple Sonny Vincent & His Rat Race Choir ou The Sensible Gray Cells avec ses vieux potes Paul Gray et Marty Love, the Johnny Moped drummer. On ne sait comment s’y prend ce brave Captain Move, mais il s’arrange toujours pour sonner de façon contemporaine et vitale plutôt qu’anachronique et maniérée. C’est son truc, la botte de Captain Nevers. Dans une interview pour Vive Le Rock, il dit toujours adorer ses premières amours, Ray Davies, Burt Bacharach et les Small Faces. Et il s’emballe : Piper At The Gates Of Dawn, Pet Sounds, Butterfly, Sgt. Pepper ! C’est ce qu’on entend sur Get Back Into The World, leur deuxième album paru en 2020. Captain Psychout y offre un véritable festin de freakout, notamment dans «So Long», pur chef-d’œuvre de belle déglingue. Avec «Sell Her Spark», il entre dans le vif du sujet, il ramène sa wild guitar et crée du flux, mais pas n’importe quel flux, du flux de flush. L’autre hot shot de l’album s’appelle «I Married A Monster». Captain Fracasse y joue des gimmicks de gaga-punk et Paul Gray rôde dans le son comme un furet, c’est somptueux et stupéfiant à la fois, ils envoient tout le drive de crazy beat qu’on peut espérer, c’est bien meilleur que les Damned. Il va plus loin sur une pop plus évolutive («Stupid Dictators»), il sait jouer sur plusieurs tableaux. C’est Paul Gray qui vole le show dans «A Little Prick», il joue ça au drive dévorant. Ça sent bon l’osmose de la comatose. Big album, c’est évident. Et puis avec «What’s The Point With Andrew», Captain Wrath règle ses comptes. Il s’en prend au Prince et à la famille royale. Il n’en peut plus de cette famille royale qui se fait aider financièrement par le gouvernement. Dans l’interview à Vive Le Rock, Paul Gray dit que the whole lot of them devrait être aboli et envoyé au Job Center. Et Captain Anger ajoute qu’il n’a jamais pu les supporter, car on les présentait comme des modèles au peuple britannique, et c’était dit-il loin d’être le cas. Puis ils se payent une fantastique virée dans la mad psychedelia avec «Fine Fairweather Friend» et «Another World». Captain Shankar y fait sonner sa guitare comme un sitar, il cite Alpha Centauri et ça devient très bizarre, très embringué. Beaucoup trop embringué.

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    C’est très instructif d’écouter Captain Sans Peur et Sans Reproche jouer dans le Rat Race Choir de Sonny Vincent. En 1997 paraissait Pure Filth, un album chargé de relents stoogy. Pas étonnant, puisque le batteur n’est autre que Scott Asheton. Sonny Vincent est un mec qui chante à la bonne absolution. Il n’existe pas sur cette terre une aussi belle brochette de crumbies que le Rat Race Choir. Cheetah Crhome complète le panorama. Ils misent sur le syndrome du super-groupe. Avec «Always A Catch», ils rendent un fier hommage aux Stooges. Captain Sens Dessus Sens Dessous monte bien au créneau. Sonny Vincent chante comme il peut, bon c’est sûr qu’il n’est pas Iggy. En fait c’est Captain Sans Scrupules qui fait les Stooges tout seul dans son coin, comme un gros raton laveur dans sa cage. C’est rigolo car il devient ridicule, on est mort de rire. Le Rat Race Choir reste dans les Stooges pour «Life To Life», puis bizarrement tout bascule dans le punk’s not dead pas très beau. On entend Captain Sans Souci rouler sa bosse sur le gaga-punk de «Cinematic Suicide». C’est franchement pas jojo mais comme le Captain est con comme un manche, il fait ce qu’on lui dit de faire. Gratte ton bassmatic, Capt ! On avance ! Ils sont assez marrants car il n’y a aucune compo sur cet album, juste du gaga-punk d’étable, bête à manger du foin, avec un Captain Sans Retour qui ramone ses gammes comme un âne, et derrière, Scott Asheton bat son vieux beurre . L’aventure s’achève avec un «War Party» amené aux accords stoogy. C’est mal chanté, Sonny Vincent se prend pour Jeffrey Lee Pierce mais son «War Party» n’est pas «Death Party». Ça se fond néanmoins dans le groove et Captain Sans Dec ramène le drive que joua Noel Redding dans «Hey Joe».

    Signé : Cazengler, Captain Sempiternel

    Captain Sensible. Women And Captains First. A&M Records 1982

    Captain Sensible. The Power Of Love. A&M Records 1983

    Captain Sensible. Revolution Now. Deltic Records 1989

    Captain Sensible. The Universe of Geoffrey Brown. Humbug 1993

    Captain Sensible. Live At The Milky Way. Humbug 1994

    Captain Sensible. Meathead. Humbug 1995

    Captain Sensible. Mad Cow & Englishmen. Scratch Records 1996

    Captain Sensible. The Best Of. Sensible Lifestyles. Cleopatra 1987

    The Sensible Grey Cells. Get Back Into The World. Damaged Goods 2020

    Sonny Vincent & His Rat Race Choir. Pure Filth. Safety Pin Records 1997

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    Pat Gilbert : The Mojo interview. Mojo # 329 – April 2021

     

    L’avenir du rock - Fontaines de jouvence

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    Alors comment se porte l’avenir du rock ? À son chevet, les médecins ne cachent pas leur inquiétude. Comme d’habitude, ils racontent n’importe quoi. Ça le fait marrer, l’avenir du rock. De toute façon, il n’aime pas les médecins. Il les soupçonne de bosser pour le compte des gros labos impérialistes et de refourguer aux gens des tas de médocs qui ne servent à rien. Pouah !, fait l’avenir du rock, fuck it ! Leurs médocs, ils peuvent aller se les carrer où je pense ! Up the arse, les médocs !

    L’avenir du rock fera comme il a toujours fait depuis soixante ans, il va se dépatouiller tout seul. Pas question de tremper dans leurs combines. Pas question d’alimenter leur petit biz à la mormoille. L’avenir du rock a bien raison de ne pas se faire de mouron, car il ne s’est jamais porté aussi bien. Eh oui, les gars, voilà que la presse anglaise nous sort en 2018 un buzz de derrière les fagots de Tin Pan Alley, comme elle sait si bien le faire : Fontaines D.C., un groupe de kids irlandais littéralement tombé du ciel, c’est-à-dire sorti de nulle part. Et pour une fois, le buzz repose sur du solide, sur un vrai son, une vraie voix et de vraies compos. The boys are back in town, comme le disait si joliment Phil Lynott. Dans 150 ans, les historiens du rock qualifieront certainement Fontaines D.C. de plus gros buzz des années 20.

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    Leur premier album s’appelle Dogrel et sa pochette déroute un peu. L’ambiance graphique se veut résolument post-punk. Photo de cirque et typo hasardeuse, on ne sait pas trop quoi penser, alors on écoute «Big» et là, bonne surprise, le petit chanteur qui s’appelle Grian Chatten part en mode Irish cockney déjanté. C’est assez bien amené, avec un beau big beat. Ils vont fonctionner ainsi tout le long de Dogrel, en forçant l’admiration. Si tu aimes le son pour le son, alors cet album est pour toi. C’est essentiellement un album de son qu’il faut écouter dans de bonnes condition, bien sûr, pas sur un smartphone. Les petites Fontaines ont beaucoup de son et des bons micros. Ils savent pulser un beat, bon d’accord, ils font du post-punk, mais on sent chez un eux un goût prononcé pour la démesure, mais une démesure vois-tu qui met en appétit. Ils optent pour une formule disons éculée, pour rester poli, mais ça fait partie du boulot que de savoir l’accepter telle quelle. Ah si on se laissait un peu aller, on irait jusqu’à dire qu’aujourd’hui tout n’est plus que formules éculées, alors ne nous privons pas du plaisir de voir des petites Fontaines naviguer sur des eaux mille fois éculées de la Britpop d’Adorable. Pour montrer qu’ils ont de bons réflexes, ils embarquent «Hurricane Laughter» à la basse fuzz, alors forcément ça sent bon la resucée, ils jouent cependant leur Hurricane avec la dignité du dernier souffle. La basse surgit derrière l’épaule d’Orion. Avec cet Hurricane, ils nous font du pur Fall. C’est tout de même incroyable que ces petites Fontaines soient devenues si populaires avec du pseudo-Fall et du simili-Adorable. Mais ils y mettent tellement le paquet que ça fonctionne au-delà des espérances les plus rances. Ils font aussi du son aussi sec qu’un saucisson sec avec «The Lotts». Reconnaissons néanmoins que les arrangements de cordes sont superbes. C’est d’ailleurs le contraste qui intrigue. Les strings et le mal aimable ne font généralement pas bon ménage. Ils continuent d’exacerber l’ingratitude du son avec «Chequeless Reckless», le petit chanteur ramène son Irish cockney et on assiste à une belle montée de la tension du son, all across the nation, et là, pouf, ils se tapent une belle embardée en forme de gros solo trash, puis le cut s’en va cavaler dans la nuit, what’s really going on ?, et on finit par le perdre de vue. Mais ça n’est pas tout : voilà qu’ils ramènent les accords de «Gloria», de la frenzy et de l’Irish cockney dans «Boys In The Better Land» - Put the boys in the better land - C’est scandé à l’excellence des petites Fontaines, ils sont dans leur transe irlandaise, ça parle de spirit, et quel spirit ! Grian Chatten drive bien son boys in a better land, et avec ce solo trash à la clé, ça devient une sorte d’énormité. De fait, on touche à l’inespérabilité des choses. Comme ces pauvres gens qui jadis gagnaient leurs sous un par un, les petites Fontaines gagnent leurs fans un par un.

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    Ils récidivent deux ans plus tard avec A Hero’s Death et une pochette encore plus déroutante que la première. La statue est moche mais on s’en fout car voilà un very big album, même s’il met un certain temps à convaincre les cons vaincus. Pourquoi ? Parce que ça démarre sur des tempos bien connus des fans de Joy Division. On est dans cette ambiance un peu lourdingue, pas décidée à sourire. On est dans le sans surprise. Aujourd’hui, les groupes conquièrent le monde avec du sans surprise. Évidemment, c’est très produit. Il faut voir comment la batterie résonne dans le son. Un vrai prodige technique. Voit-on le bout du tunnel, c’est-à-dire de l’intérêt ? Le dark du deep atmopsherix finit toujours par révéler sa beauté. «Love Is The Main Thing» semble tendu de velours noir. On voit que les racines post-punk remontent dans la gorge de «Televised Mind». Ils cultivent admirablement la délectation morose. Malgré les poins bas comme «A Weird Dream», l’album reste d’un bon niveau, c’est très étrange. Ils peuvent même se montrer agaçants. Ils ressortent les petits accords atmosphériques de la Britpop dans «You Said», on a déjà entendu ça mille fois. «Oh Such A Thing» passerait bien pour un balladif en trompe-l’œil, mais coco n’a qu’un œil, comme chacun sait. Les petites Fontaines nous font du gros bingo de gaga, une merveille d’enculerie balladive qu’on aura du mal à leur pardonner. Mais soudain tout s’éclaire car voici venu le temps des énormités, à commencer par le morceau titre destiné aux amateurs d’Irish post-punk, mais chanté avec tout le brio de la bravado. The boys are really back in town, c’est excellent, on sent le cut qui ne veut pas courber l’échine, life ain’t always empty, et ça devient vite stupéfiant, typiquement le cut qu’on réécoute plusieurs fois tellement il éclate au firmament. Ils travaillent sur des grains exceptionnels et ça monte droit au cerveau, même à jeun, ce mec claque son chant au coin des couplets et revient au leitmotiv, life ain’t always empty ! Ils effarent les phares ! Ils montent au somment de la regalia. Ils emblasonnent l’excelsior. Ils enchaînent avec un «Living In America» tout aussi puissant, ces mecs sont comme les Idles, on ne sait pas d’où ça sort, mais ça sort, et quand ça sort, ça sort. Il jaillit un son vainqueur des petites Fontaines, leur America est une horreur de heavy groove. Et pouf, voilà «I Was Not Born» ! Ils finissent par avoir les gens à l’usure, ils défoncent la rondelle des annales avec leur beat élastique, ils disposent d’une vitalité extravagante, oui, c’est un son qui force l’admiration, mais l’admiration ferme sa gueule car elle sait bien au fond d’elle-même qu’elle est faite pour être forcée. On suivrait ces incroyables caméléons jusqu’en enfer. Ils sont passionnants. On peut vraiment compter sur eux.

    Signé : Cazengler, Fonteigne d’ici

    Fontaines D.C. Dogrel. Partisan Records 2018

    Fontaines D.C. A Hero’s Death. Partisan Records 2020

     

    Vous avais promis Sunami, une grosse coupure fibrique m'a privé d'internet... vous refile deux anciennes chroniques la première parue voici dix ans sur la livraison 41 du 23 / 02 /2011 et la deuxième sur la livraison 36 du 20 / 01 / 2011. Le tsunami sera là la semaine prochaine...

    THREE STEPS TO HEAVEN

    THE EDDY COCHRAN STORY

    BOBBY COCHRAN with SUSAN VAN HECKE

    LEONARD CORPORATION. 2003.

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    Deux Cochran pour le prix d'un. L'oncle et le neveu. Tous les fans de Cochran connaissent cette vieille coupure de presse – que l'on retrouve partout – vantant les mérites du petit neveu d'Eddie, reprenant à quatorze ans la succession de son oncle... Ca pue un peu le truc de journaliste prêt à tout pour obtenir un gros titre et deux colonnes en cinquième page...

    Un demi-siècle plus tard il faut se rendre à l'évidence, le journaleux de service avait le nez fin. Bobby Cochran, existe, il suffit d'ouvrir le livre pour le rencontrer. Lourd héritage ou transmission héréditaire ? A vous de juger. Mais avant d'avancer, avisons les fans qui voudraient connaître un peu mieux Eddie Cochran : c'est par ce bouquin – hélas non traduit en français – qu'il leur faut commencer. Les deux autres ouvrages que nous avons chroniqués sur Cochran, le Rock'n'roll Revolutionaries de John Collis et le Don't forget me de Darrel Higham, fourmillent de précisions muséographiques, dates, enregistrements, labels, orchestres, studios, tournées, mais si désirez rentrez en contact non pas seulement avec le travail de l'artiste mais sentir l'épaisseur humaine de l'individu que fut Eddie c'est bien sur cette relation de Bobby Cochran que vous devez vous ruer.

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    Ce n'est pas tant parce que Bobby a connu et côtoyé Eddie – en réalité pas autant qu'on le souhaiterait puisque il était dans sa dixième année lorsque son oncle disparut – mais parce que le livre est écrit d'un lieu privilégié, que tout autre biographe serait incapable d'atteindre, depuis l'intérieur de la famille Cochran. La chair et le sang des Cochran, comme il se plaît à le dire, et qu'il a pu en quelque sorte durant toute sa vie remonter les traces de son oncle, comme avec un laisser-passer back-stage qui lui a permis d'ouvrir toutes les portes, surtout celles que l'on referme soigneusement derrière soi, car l'on n'a pas envie que n'importe qui vienne mettre son nez dans l'envers du décor.

    Sanglantes furent les Pâques de la famille Cochran, ce 17 avril 1960, l'idole de Bobby a fait faux bond. Le grand frère adorable, la figure de proue, l'orgueil de la Cochran Family, ne reviendra plus apporter joie, bonheur, rires et bêtises dans la vie de Bobby. Au soir de ce jour des Parques funestes le petit garçon qui se couche dans son lit se fait le serment de devenir comme son idole pour qu'il ne meure pas tout à fait, pour que son passage en cette vallée de larmes ne soit pas comme une étoile filante dont le souvenir flamboyant ne dure qu'un instant dans la mémoire des hommes.

    C'est Dad, le père de Bobby qui lui enseignera deux années plus tard les premiers rudiments de la guitare. Sur une des deux vieilles caisses délabrées que le père avait récupérées dans une caisse promise à la démolition. Dad n'est pas un virtuose, mais il connaît les premiers accords ceux-là mêmes qu'il avait enseignés à Eddie une dizaine d'années auparavant... L'essentiel, ensuite il suffit de travailler. D'arrache main. Ce que fera le petit Bobby, jusqu'à devenir, selon un critique, un des douze plus grands guitaristes du pays, mais nous y reviendrons. Laissons-le se lancer à la poursuite de Chet Atkins.

    Un sacré bonhomme ce Dad. Pour que vous le situiez mieux, sachez que c'est lui qui a composé le poème inscrit sur la plaque funéraire d'Eddie. Un drôle de truc qui m'a toujours fait penser à l'Annabel Lee de Poe, «  les anges pas à moitié si heureux au ciel ». Je doute fort que le paternel de Bobby ait eu les connaissances littéraires de Poe. Le milieu social n'incline pas à une telle opportunité. Mais de l'esprit torturé de Poe, Dad a sans aucun doute partagé bien des tourments.

    Le sang des Cochran est vicié à la base. L'alcool y abonde. Dad boit, plus de raison. Au-delà de toute raison. Pour parvenir à ce point absolu où les rêves de gloire se mélangent en la sordide réalité des déchéances existentielles. Durant deux ans il ouvrira un studio dans lequel Eddie aimait à le rencontrer, mais les affaires ne seront jamais bonnes et il se résoudra à le fermer. Cet homme qui a fait mille boulots, qui a traversé la grande dépression des années trente, n'aura même pas conscience du rêve américain qu'il aura trimballé toute sa vie avec lui. Difficile à vivre, violent, coureur de jupons, il fit le malheur de sa femme qui finit par partir et de sa famille qui n'en pouvait plus.

    A quinze ans Bobby sera recueilli par la mère de sa petite amie qui l'hébergera et ira jusqu'à lui payer sa première vraie guitare alors que les amours adolescentes de ce futur gendre et de sa fille adorée se sont très vite muées en une simple et franche camaraderie... Mais le Dad de Bobby c'est l'est aussi l'autre Dad, celui d'Eddie qui n'apparaît pratiquement jamais dans les remembrances de Bobby, mais dont la personnalité est comme un double fantômal de celle de son père et comme mangée par celle de son épouse, Granny qui semble le véritable chef de famille alors qu'elle n'est que la poule protectrice de son petit Eddie chéri et préféré. Celle que la réussite d'Eddie investira de la puissance tribunicienne de la famille qui ne fera que s'accentuer après la mort de son mari survenue quelques mois après celle d'Eddie.

    Ainsi Granny jusqu'à sa mort reprochera à Bobby de s'être lancé sur les traces d'Eddie pour récupérer la réputation de son oncle. En fait, elle avait surtout peur de tout ce qui pouvait faire de l'ombre à la postérité d'Eddie.

    La famille Cochran est un peu méditerranéenne quoique le modèle en soit un peu universel. Les hommes commandent mais les femmes règnent. Elles se sacrifient mais ramènent à tout moment leur grain de sel. Les mâles vont au boulot – quand ils en trouvent – mais ils préfèrent s'adonner à de plus viriles occupations, la boisson et la chasse. Eddie ne déroge pas à la loi. Son amour des armes est connu. L'on peut encore admirer sa collection de couteaux et de fusils. Ce que l'on sait moins, ce sont les règles de la chasse à courre qu'il pratiquait. Quatre bonshommes bourrés à fond de train dans leur voiture faisant feu sur tous les lapins qui par malheur croisent leur route. Beaufs en goguette qui n'hésitent pas à abattre froidement et à bout portant une vache qui passait par là. Aventures picaresques : voyage des pieds nickelés au bout de la nuit...

    Bobby nous le rappelle : la Bible affirme que le péché des pères retombe sur les enfants. Une des raisons du froid qui s'établira entre Eddie Cochran et Jerry Capehart qui combine le rôle de producteur et d'imprésario sera la trop grande dépendance d'Eddie à l'alcool. De même pour la fameuse tournée anglaise avec Gene Vincent dont on essaie toujours de nous refaire le coup du dieu noir et de l'ange blond, Bobby Cochran nous décrit un Cochran de plus en plus porté sur la soulographie. Il avance des excuses et des explications : un pays pluvieux et très froid, une cuisine catastrophique, des centaines de kilomètres en des trains insupportables, et l'absence de Granny qui pèse lourd dans le coeur d'Eddie, mais il emploie à plusieurs fois le mot fatal d'alcoolisme qu'il rattache à mots couverts à un atavisme familial... Mauvais sang ne saurait mentir.

    Au contraire de Darrel Higham, Bobby ne laisse planer aucun doute sur l'abstinence sexuelle de notre rock star qu'il nous décrit comme toujours prêt à enfiler dans toutes les positions (in)autorisées la moindre créature féminine qui passe près de lui. Nous apprenons que les ébats de notre chaud lapin auraient laissé sur les rivages britannique – tout comme sur les rives australiennes – une progéniture qui se fit connaître ( mais non reconnaître ) une vingtaine d'années plus tard auprès de la famille...

    Reste le cas Sharon. Bobby Cochran n'élude pas le problème : il ne nous la présente pas toujours sur son meilleur jour. Eddie se serait-il marié avec elle ? Sans doute que non et peut-être que oui, mais en ce cas ils auraient selon son analyse très vite divorcés. Il rappelle que dans les hôtels où ils descendaient Eddie faisait tout pour qu'elle ait sa chambre à un autre étage que la sienne... Sharon était-elle une amoureuse intéressée ? Et Eddie un amoureux intéressant ? J'ose pronostiquer qu'Eddie avait surtout besoin de Sharon lorsqu'elle n'était pas là, mais qu'il était moins en manque de son absence physique que de sa présence dans sa tête. J'entrevois le lien qui l'attachait à Sharon comme un substitut à la personnalité maternelle. Sharon Sheeley était douée d'une forte personnalité et d'un grand appétit de vivre, cela attirait Eddie mais lui faisait peur. Eddie jouait au chat et à la souris avec Sharon Sheeley – je t'attrape et je lève la patte pour la rabattre dare-dare et caetera - non pas pour s'amuser de sa force de séduction mais parce qu'il savait que la petite souris était capable de croquer le gros matou.

    De Cochran, Bobby fait le tour. Nous apprenons ce que nous ignorions comme ce que savions déjà ou avions deviné. Comme la présence du conseil de famille, n'oublions pas qu'Eddie était mineur, qui ne prit peut-être pas toujours les bonnes décisions quant au profilage de sa carrière cinématographique. Pour Granny rien n'était trop beau pour Eddie, mais le mieux étant parfois l'ennemi du bien, il vaut mieux se contenter d'une enchère basse que de brûler les étapes.... Lorsque l'on pense à la dérive filmique d'Elvis, qui sait si Alice Cochran n'aurait pas préservé son rejeton du pire...

    Liberty n'a pas eu une très intelligente attitude quant au soutien de sa vedette censée rivaliser avec le RCA Presley. Waronker, le PDG, regardait le rock par le petit bout de la lorgnette. La compagnie a gardé dans ses frigos des perles qui auraient aidé à établir d'Eddie comme le renouveau et la continuité du rock'n'roll américain, elle préférait le pousser à enregistrer des bluettes qui le classaient comme un des suiveurs d'Elvis, non pas la pente du pelvis pervers mais le côté crooner encroûté...

    Dans la moindre friandise à minettes-teens, le génie d'Eddie parvenait à coller un truc surprenant qui aujourd'hui encore attire et retient l'oreille. La touche du génie en quelque sorte, mais cette espère de surenchère propre aux musiciens de studio consciencieux qui consiste à sauver coûte que coûte la moindre séance possédait son défaut : trop sûr de son talent Eddie ne voyait pas la nécessité d'écrire de nouveaux morceaux puisqu'il était capable de transcender n'importe quel matériau à sa disposition. Sur ce point Jerry Capehart allait à l'encontre de la paresse de son protégé.

    Nous touchons-là à une faiblesse – qui fut aussi sa force en le sens où elle est restée très longtemps une œuvre collective - de toute la musique populaire américaine : la reprise incessante d'un patrimoine d'une telle richesse et d'une telle ampleur que l'on trouve toujours un vieux, ou même récent, morceau à recycler. Ce sont les Stones et les Beatles poussés par de basses considérations matérielles de droits à payer qui comprendront que les interprètes avaient tout à gagner à devenir compositeurs...

    Puisque l'on parle des englishes autant signaler les pages dans lesquelles Bobby Cochran apporte les preuves de l'admiration sans borne que professaient les Beatles mais aussi les Stones, pour l'œuvre d'Eddie Cochran.

    En 1968, Bobby Cochran a la chance de passer avec son groupe en première partie des Yardbirds. A son étonnement Jeff Beck arrive à résoudre avec une grande facilité sur la caisse pleine de sa Fender des passes que lui-même n'obtient qu'avec une très profonde concentration sur la creux caisson de sa Gretch... Bobby se hâtera d'acquérir une fender... Passage symbolique de témoin, le rock évolue... plus tard par un juste retour de manche il sera témoin en compagnie de Sharon Sheeley de la grande admiration de Jimmi Hendrix et de Jeff Beck pour le jeu de guitare d'Eddie Cochran...

    Bobby deviendra un des guitaristes d'un de mes groupes fétiches, Steppenwolf un des fondateurs du hard rock et auteur de l'hymne culte de tous les rockers, l' indétrônable Born to be wild... Bobby continuera sa route notamment avec les Flying Burrito Brothers, Leon Russel et quelques autres du même acabit...

    Mais le destin va de nouveau frapper à sa porte. De nombreux fans d'Eddie l'ignorent mais le 17 avril 1999 Bree Cochran, la fille de Bobby, périt dans un accident d'automobile, touchée à la tête à l'âge de 21 ans, just like Eddie... La suite du chapitre consacré à l'évocation de Bree fait froid dans le dos. Le chagrin d'un père, des mots simples et poignants qui serrent le cœur. L'on a envie de refermer le livre et de sortir sur la pointe des pieds, pour ne pas déranger et endosser le rôle du voyeur, mais Bobbie continue ses synchronicités... quelques mois après la disparition de Bree, Rita sa femme se trouve bloquée dans un encombrement... une jeune fille de 19 ans vient d'être victime d'un accident de la circulation... Rita écrit un mot de consolation aux parents de cette jeune morte dont le sort lui rappelle trop sa Bree chérie... le père téléphone pour remercier... au cours de la conversation, il annonce qu'il lui reste une fille née... un 17 avril et que sa fille morte se prénommait... Cochran...

    Un dernier mot pour finir, Bree Cochran avait elle aussi des relations difficiles avec l'alcool...

    Le sang des Cochran.

    Damie Chad.

    ON EDDIE'S GRAVE...

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    Heavenly music filled the air

    That very tragic day.

    Something seemed to be be missing tho'

    So I heard the creator say :

    «  We need a master guitarist and singer

    I know of but one alone.

    His name is Eddie Cochran

    I think I'll call him home.

     

    I know the folks on earth won't mind,

    For they will understand

    That the Lord loves perfection,

    Now we'll have a perfect band. »

     

    So as we go through life; now we know :

    That perfection is our goal,

    And we strive for this

    So when we are called,

    We'll feel free to go.

     

    SUR LA TOMBE D'EDDIE...

     

    Une paradisiaque musique emplissait l'air

    En ce jour si tragique.

    Quelque chose semblait te manquer à Toi,

    Aussi ai-je entendu le créateur :

    «  Nous avons besoin d'un maître guitariste et d'un chanteur

    Je n'en connais pas à part un seul.

    Il se nomme Eddie Cochran

    Je pense que je l'appellerai dans ma maison.

     

    Je sais que les gens sur la terre ne seront pas d'accord

    Pourtant ils comprendront

    Que le Seigneur aime la perfection,

    Et dès lors nous aurons un orchestre parfait. »

     

    Ainsi cheminons-nous le long de notre vie; désormais nous savons :

    Que la perfection est notre but,

    Et nous nous efforçons d'atteindre à celle-ci

    Pour que, lorsque nous serons appelés

    Nous nous sentions libres de partir.

     

    ROCK'N'ROLL REVOLUTIONARIES

    GENE VINCENT AND EDDIE COCHRAN

    JOHN COLLIS

    ( 230 pp. VIRGIN BOOKS. 2004 )

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    Longtemps que je voulais lire ce bouquin. L'ai toujours vu stigmatisé comme un livre à thèse : comprendre trop partial ou exprimant davantage les idées de l'auteur que la réalité des faits. Il est vrai que le titre claque comme une bannière politique. Rock'n'roll Revolutionnaries, John Collis ne serait-il pas une taupe trotskiste, avec ces englishes intellos il faut se méfier !

    Rangeons les drapeaux rouges dans la profondeur de nos poches. Cette biographie croisée d'Eddie Cochran et de Gene Vincent n'est en rien une analyse marxiste de l'apparition de deux purs héros issus du peuple en lutte contre la rapacité des multinationales qui s'engraissent sur la sueur des forçats chanteurs.... Le terme même n'est jamais repris dans le texte... Le lecteur rectifiera de lui-même, il ne s'agit pas d'une rock'n'roll révolution mais d'une rock'n'roll révélation.

    Avant le soixantième millésime les anglais avaient été gâtés : Bill Halley, Buddy Holly et Jerry Lee Lewis étaient déjà venus prêcher la bonne parole rock, mais ce ne furent que feux de paille trop vite éteints, à peine arrivés, déjà repartis. Avec Cochran et Vincent l'on atteignit un paroxisme orgasmique. La tournée des deux compères eut le temps d'ensemencer le pays : de janvier à avril 1960... quatre mois qui ont révolutionné le rock anglais, car il faut être juste nos deux ostrogoths n'ont pas débarqué en terra incognita, une scène rock existait déjà depuis plusieurs années en Angleterre... d'ailleurs nos américains furent du début à la fin accompagnés par des musiciens autochtones qui s'en tirèrent plutôt bien. Ils en retirèrent même quelques leçons qui permit au rock national de brûler les étapes et de faire en quelques années jeu égal avec le grand-frère américain.

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    Cette tournée fut le big bang initial du rock british et marqua tellement les esprits que cinquante ans après ( donc l'année dernière, en 2010 ) une tournée hommagiale regroupant plusieurs combos accomplit une espèce de pèlerinage musical reconstitutif du charivari originel. Pour ne pas cuver notre dépit dans notre coin, nous petits français donnâmes les 19 et 20 novembre deux soirées du même acabit regroupant les Virginians, Erwin Travis et Thierry Lecoz. Nous vous en reparlerons. Mais revenons à nos lions.

    Sautez allègrement le premier chapitre : certes l'intitulé est alléchant : La marche des Teddy boys. C'est un cours pour lycéen du genre : situation socio-écomique du monde occidental pour la période allant de la fin de la guerre à la fin des années cinquante. Merci monsieur le professeur, ouf ! L'école est finie !

    Dépêchez-vous de tourner la page suivante, car à partir de là, tout n'est que bruit et fureur, la tragédie démarre sur les chapeaux de roue. Ce ne sont pas des conquérants qui foulent le sol de la perfide Albion en ce froid matin de janvier, plutôt des transfuges, des travailleurs émigrés qui s'en viennent voir si l'herbe des célèbres lawns est bien plus verte que celle de leur native grande prairie. Tous deux sont en panne : la carrière de Gene est au point mort, il est déjà un hasbeen de première catégorie, quant à Eddie, plus jeune, si tout n'est pas encore joué, sa maison de disques le verrait mieux en jeune premier de la chanson romantique pour petites filles sages qu'en rocker pur et dur...

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    L'on connaît la suite : le public était en quelque sorte acquis d'avance mais il ne s'attendait pas à une telle furie. Ce n'était pas un spectacle que délivraient les deux boys mais un nouvel art de vivre décliné d'une manière plus enthousiasmante par Eddie, plus tragique chez Gene.

    Vincent et Cochran. Ne tournons pas autour du pot. La question se pose : des deux quel est le meilleur ? John Collis ne l'élude pas. Il ne nous fait pas le coup de l'amitié indéfectible que rien ne pouvait détruire. Trop facile. Si la fatalité n'avait pas endeuillé la fin de la tournée qui oserait prétendre que Gene et Eddie seraient restés comme des frères dans les années qui suivirent ? Parfois les films se terminent trop bien au bon moment.

    Parfois l'amitié est une question de survie. Tout dépend des circonstances extérieures. Et intérieures. Car chacun de nous transportons avec nous nos propres fêlures. Pour Eddie, elle porte un nom que l'on n'attendrait pas : le mal du pays. Au fur et à mesure que les jours passent, que la fatigue s'accroît, que la monotonie s'installe, Eddie prend certainement conscience de ce qu'il est. Pour sûr il adore la scène, les applaudissements, les cris des filles, les sifflets, toutes ces marques de ferveur dopent et dynamisent son égo. Mais point trop n'en faut. Ou alors l'idéal serait de rentrer toutes les fins de semaine à la maison. Sa maman lui manque. Sa chambre, sa guitare, deux ou trois copains qui viennent discuter à la table familiale, Eddie est un jeune garçon tout compte fait plutôt sage.

    N'en faisons pas un retraité avant l'heure, non plus. A toute heure sa gratte le démange. Dans le tumulte de la scène et le tohu-bohu de la tournée, Eddie se cherche et se trouve. On stage, yes OK ! mais dans le corral du studio c'est là que réside la liberté de création. En lui tout est encore en gestation, il a déjà donné quelques chef-d'oeuvres mais tout cela n'est rien comparé à ce qui bouillonne en lui. Cette impatience artistique inassouvie mêlée au sentiment d'instabilité généré par les déplacements incessants se transforme parfois en angoisse. L'on a parlé de prescience de sa mort qu'il aurait manifesté plusieurs fois au cours de son séjour anglais. John Collis remet en cause les témoignages. Que ne ferait-on pas pour attirer ne serait-ce que quelques minutes les projecteurs de la gloire sur notre petite personne. Toutes les occasionnes ne sont-elles pas bonnes ? Les plus dramatiques permettent de mieux frapper les esprits.

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    Il est vrai que Cochran accompagnait ses autographes de la formule « Don't forget me » a posteriori très prophétique, qu'il a été extrêmement marqué par la disparition de Buddy Holly et de Ritchie Valens, mais pour notre part nous voyons en ces faits non pas seulement l'expression d'une peur panique de la mort mais la prise de conscience que le tourbillon existentiel jubilatoire qu'il était en train de vivre le coupait de ce pour quoi il était venu sur cette terre : la musique. Cochran était en train de se rendre compte que cette harassante tournée anglaise l'éloignait de ce qu'il considérait comme l'essentiel de sa vie d'artiste : la création.

    Tout cela était sans doute encore diffus dans la tête d'Eddie. Il savait aussi savourer les bons côtés de son statut de rockstar. John Collis ne le précise pas, mais moi aussi je me doute de la manière dont devaient se terminer ses parties de strip poker organisées avec de jeunes filles consentantes dans ses chambres d'hôtel... Un jour la grande forme je m'amuse comme un fou, un jour la grosse déprime mais qu'est-ce que je fous ici ? Pas besoin d'être docteur pour pronostiquer un début de dépression, et une conduite un peu erratique... quel besoin d'inviter Sharon Sheeley à le rejoindre alors qu'il possédait tout un cheptel à portée de sa couche ! La pauvre Sharon s'est crue l'Elue de coeur, sans doute n'était-elle que la maman de substitution. L'on fuit les fatigantes brebis et l'on se jette dans la gueule de la louve... Il n'y a pas que Gene Vincent dans l'entourage d'Eddie qui se moquaient des prétentions de Sharon...

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    Puisque l'on parle du loup, venons-en à la bête noire de l'attelage. Le cas n'est peut-être pas plus compliqué. Mais il est plus grave. Sans le passage par la case taxi, l'on devine que Cochran, une fois rentré at home, aurait effectué le bon choix, lune de miel + rupture avec Sharon, sortie contre vents et marée d'un disque 100 % guitare, mise en boîtes de quelques futurs standards... la voie était tracée, il suffisait de suivre les pointillés... Mais pour Vincent le découpage était déjà fait. L'homme avait séparé sa vie en deux morceaux : face A, la scène, face B, la scène.

    Non ce n'est pas une erreur de frappe. Dans les mathématiques Vincentiennes A = B et B = A, et tout le reste est égal à zéro. Dans la série je prends le live mais je ne retiens rien de la life, Vincent est sans équivalent. A la vie comme sous les spotlights je suis toujours sur scène. Ce n'est pas tout à fait le même rôle. Devant un micro je suis le roi des fous, à la maison, je suis le fou du roi. Idole d'un côté, idiot de l'autre. L'on ne guérit pas de la schizophrénie, à l'extrême limite vous pouvez donner le change. Tout dépend de quel côté vous regardez le profil de la lune, pas de chance, avec Vincent c'est toujours sombre.

    Un garçon sympathique, gentil, timide, poli, peu bavard. Les premiers anglais qui l'aperçoivent le trouvent falot. Toute sa vie Jack Good se vantera d'avoir été le premier à accoutrer Vincent d'un cuir noir. C'est un peu comme si vous alliez ouvrir la porte de la cage du crocodile qui sommeille et que vous soyez fier de l'avoir réveillé. Ce n'est pas de votre faute, vous pensiez que les gros lézards mangeaient uniquement des mouches. Bref Vincent vous lui donneriez le rock'n'roll sans confession. Le problème c'est qu'il l'a ingurgité depuis longtemps. Toute la partition. De A à Z, et que quand il va vous la jouer, ce n'est pas en sourdine. Vincent, un ange, trois paires de culottes dans sa valise et une auto-miniature en surplus. Un véritable enfant. Quoi de plus innocent ? Rien, à part qu'il a souvent les mains pleines d'une arme. Parfois à feu. Parfois blanche. Mais dans les deux cas, ça chauffe drôlement et vous n'y voyez que du noir. Et attention, ce n'est pas un sketch à la Alfred Jarry, avec Vincent c'est toujours un drame. D'ailleurs, ça finira par la mort. La sienne.

    Mais nous n'en sommes pas si loin. Le livre est structuré comme un roman moderne. La tournée anglaise. Flashback pour les deux chapitres suivants : d'abord Vincent aux States, ensuite Cochran aux States, puis Eddie après le 17 avril, et l'on termine sur Vincent après la même fatidique date.

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    Vincent aux States c'est l'histoire d'un envol vite foudroyé. Vite fourvoyé. Vincent ne prend pas la bonne route. Il prend la route. Be bop a lula n'est pas à son zénith qu'il part en tournée. Un rocker se doit de chanter devant son public. Pas de minauder devant les caméras de TV. Arpentera les USA de long en large, fatiguera ses musiciens qui rentreront vite à la maison, en recrutera d'autres aussi bons mais qui finiront par démissionner. Pour les contrats, les papiers et les dollars, ça ne l'intéressera pas trop. Ne fera pas assez gaffe. Se retrouvera dans des histoires d'avocats. Pour le fric, d'autres se chargeront de le trouver. Gene Chaotic Vincent. Après moi, le rock'n'roll. Le déluge c'est ici et maintenant et tout de suite. C'est un gamin. Qui a mal grandi, avec une guibole accidentée. Et qui refuse de se soigner. Il faudrait une amputation, il pose un morceau de sparadrap, il connaît le remède, se trouve en vente libre dans tous les stores de quartier : un coca-cola de jouvence. Les indiens la surnommaient l'eau de feu et assuraient qu'elle rendait fou. La panacée miraculeuse. Selon Vincent. Vous pouvez l'accompagner de petites pilules de votre choix. Plus besoin de perfusion à l'hôpital si vous optez pour une alcoolisation chronique. Il a un côté très américain. Armes et alcool en vente libre. Mais c'est un rebelle : n'a pas encore compris que le business est indexé sur le prix du dollar. C'est un homme floué qui foule le sol de la perfide Albion. Il a semé les graines du rock aux quatre vents, mais n'a pas fait gaffe aux corbeaux qui ont bouffé la récolte pendant qu'il chantait. La morale n'est pas respectée : c'est la fourmi travailleuse qui se fait plumer comme le stupide dindon de la farce. Essayez de garder votre équilibre psychologique avec de telles colères au coeur. Vincent est une bombe humaine en devenir, il marche au bord de l'abîme, mais la peur est derrière lui. Celui qui a tout perdu possède un immense avantage sur ses commensaux : il ne peut plus perdre.

    Cochran aux States. Aujourd'hui l'on en aurait fait un surdoué de la guitare. On l'aurait envoyé dans une école spécialisée où on lui aurait fait subir la grande aseptisation. Dans les années cinquante l'on vous laissait vous débrouiller tout seul. Do it yourself ! A quinze ans il commence à être reconnu, il a tellement bidouillé le son qu'il a sa place dans le studio à côté de chez lui. C'est un bosseur. Mais pas comme une brute. Il réfléchit, il se pose des problèmes – comme beaucoup – mais il les résout -comme personne. A dix-sept ans il est déjà une figure d'autorité. Pas la grosse tête, le gars toujours prêt à rendre service, à vous montrer comment ça marche et à brancher sa guitare pour vous accompagner. Enthousiaste et pas méprisant. Serviable et efficace. Distribue ses idées sans compter, a real good guy. Sympathique, généreux, talentueux. Tout pour lui, intelligent et beau garçon.

    Pour la beauté nous n'insisterons pas. Collis non plus : se contente de noter qu'Eddie aurait aimé être appelé pour un film qui se passerait de ses talents de chansonnier. Une subtile manière de se démarquer d'Elvis tout en poursuivant un chemin assez parallèle ? L'on n'est pas dans l'imaginaire de notre postulant acteur : rêvait-il d'une bluette sentimentale, d'un western dont il était grand amateur ? Question sans réponse. Qui est mort ne verra pas.

    Mais pour Collis, une chose est sûre. Cochran n'aurait jamais joué d'instinct, il aurait intellectualisé son approche. Comme sur scène. La différence entre Cochran et Vincent ? Inquantifiable. Ils n'habitent pas au même étage, l'un est un instinctif et l'autre un réflexif. C'est vraisemblablement en cela que résidait l'étrange alchimie de leur amitié. Aucun n'empiétait sur le territoire de l'autre. Le dynamisme de Cochran et la sauvagerie de Vincent proviennent de deux sources différentes. Deux tempéraments isolés. L'un peut être au plus haut et l'autre au plus bas. Qu'importe l'un relèvera l'autre et l'autre lui rendra la pareille la fois suivante.

    Sur scène Cochran assure la fin de la première partie et Vincent la fin de la seconde. Il en a été décidé ainsi au moment de la préparation de la tournée. Il semblerait qu'au fur et à mesure que la tournée avance que le set d'Eddie remporterait plus de succès que celui de Gene. Encore que les goûts du plus grand nombre ne correspondent obligatoirement à la meilleure des estimations ! De plus les témoignages que Collis a pu collecter insistent pour la plupart sur la qualité du show de Vincent. Quoi qu'il en soit l'on susurre que Gene devrait s'effacer devant Eddie qui refuse sans ambiguïté. En fait, chacun a trop besoin de l'autre pour mettre en danger leur commune entente. Sans jeu de mot, ils se serviront à tour de rôle de nurse et de béquille.

    Mais au-delà de ces explications psychologiques, il est un autre aspect beaucoup plus rock. Musicalement Cochran est le chef d'orchestre, la valeur sûre dont même Vincent ne saurait remettre les conseils en question, mais pour tout le reste, pour le côté borderline -walk on the wild side, Vincent est l'initiateur. Si Cochran respecte les coups de folie de son alter-ego c'est qu'il a compris que Gene réagit toujours d'après des situations difficiles qu'il a traversées dans un passé agité. Il y a une part de grande sagesse dans l'ouragan de la folie. Très étrangement beaucoup de ceux que Gene a pu exaspérer, voire profondément blesser, par son comportement erratique, avouent ne pas lui en vouloir et le comprendre. Certes les témoignages collationnés par Collis sont parfois postérieurs de plusieurs dizaines d'années aux faits incriminés, le temps est un grand guérisseur qui aplanit bien des aspérités mais ce qui est étonnant c'est que l'on ne trouve trace d'aucune pitié ou mépris envers le créateur de Lotta lovin'. Il est un point de fuite vers lequel tous les interviewes se rencontrent : l'immense artiste que fut Vincent.

    L'après 17 avril pour Cochran est bancal. Collis énumère les rééditions de ses disques, insiste avec raison sur l'énorme travail archéologique réalisé par le label Rockstar, rappelle les reprises de ces morceaux des Blue Cheer à Sid Vicious en passant par les Who. La renaissance rockab des années 80 est trop légèrement évoquée : Matchbox a droit à quelques paragraphes mais les Stray cats sont occultés. Préférences et allergies personnelles de l'auteur ?

    Reste l'épilogue Vincent. La vie de Cochran se trouvant de fait enchâssée dans celle de Vincent, comme un reliquaire d'or pur qui renfermerait le coeur du chevalier invincible. C'est ici que le livre culmine dans une horrifique plénitude. Les dix dernières années de l'existence de Gene Vincent sont une apothéose déliquescente. Le sublime s'y mélange au grotesque. Vincent atteint à une grandeur skakespearienne, deux tragédies pour le prix d'une, Hamlett et le Roi Lear dans la même assomption vers la plus profonde déréliction. Tout y est plus accentué, nous abordons les montagnes russes de l'existence rock'n'roll. Déchéance charnelle et hauteurs métaphysiques. Vincent s'enfonce en lui-même, il ne noie pas son chagrin dans l'alcool, c'est l'alcool qui sombre dans le tonneau des Danaïdes de son mal-être.

    Sur scène, pratiquement jusqu'au bout – et il n'arrêtera jamais de tourner – il est toujours le flamboyant universel. Il peut donner quelques concerts pathétiques, mais dans la série, il y en a toujours un ou deux qui emportent la mise. La fin est horrible, abandonné de tous et lâché par son corps. Il souffre d'asthme, parfois du sang coule de sa bouche et il se dégage une discrète odeur de charogne de sa jambe blessée, mais il reste debout, vaincu mais pas soumis. Il est de très fortes lignes dans lesquelles Collis analyse les belles images du documentaire de la BBC tourné en 1969. John Collis parle de la sérénité qui émane du visage de Vincent. Un homme revenu de tout, qui a jaugé le néant de l'ingratitude humaine, sans illusion et sans regret sur lui-même. Un Rimbaud de retour de sa saison en enfer mais qui n'en tire aucune gloriole. Une illumination bouddhique par la voie de gauche. Un homme qui a payé cash tout ce qu'il n'avait jamais acheté, mais qui reste fier du chemin accompli. Pour parodier Mallarmé, car la parodie est aussi l'arme cachée de la rock attitude, nous dirons que quand l'ombre menaça de la fatale loi son vieux rock'n'rêve, désir et mal de ses vertèbres, affligé de périr sous les plafonds funèbres, il a ployé son aile indubitable en lui. Répétons-le Gene Vincent est un des plus grands personnages de son siècle. La silhouette emblématique des rêves qui n'ont pas fui. Cygne Noir. Devant la sordide réalité du monde.

    Damie Chad.

    PS :Très beau livre, d'un anglais assez difficile pour les petits lecteurs de mon acabit. Les connaisseurs y retrouveront sinon in extenso du moins largement exposés des témoignages originaux dont le lecteur français ne connaît la plupart du temps que de brefs fragments, voire de lapidaires citations. Un très bel hommage à Gene and Eddie.

     

    XXXIII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    J'ouvris la porte avec la plus grande précaution. Apparemment rien n'avait changé, rien n'avait bougé, Molossito se précipita vers le bureau et debout sur ses pattes de derrière indiqua en gémissant qu'il était pressé de regagner le tiroir à Coronado dans lequel il avait l'habitude de se s'allonger pour de petites siestes réparatrices.

      • Quel chien intelligent, rayonnait le Chef, non seulement il a depuis longtemps compris que le bonheur réside là où se trouve le Coronado, mais en plus il vient de nous indiquer que le local a été visité avec soin, normalement ses coussinets auraient dû laisser quelques empreintes sur la poussière accumulée pendant notre absence, or le plancher est vierge de toute trace, nos visiteurs ont tenu à passer le balai avant de partir, nous avons affaire à de véritables hommes d'honneur !

      • Ou de simples femmes de ménage, Chef, je pense que les envoyés spéciaux de l'homme à deux mains, doivent manier plus souvent la sulfateuse que le plumeau !

      • Je ne suis pas loin de partager vos appréhensions, agent Chad, la meilleure défense étant l'attaque, il me semble qu'au lieu de jouer au chat ( Ouah ! grogna Molossa ) et à la souris ( Miaou ! s'amusa Molossito ) il serait temps d'avoir une explication définitive le plus vite possible, partageons-nous les préparatifs, dégottez-nous une voiture potable, pendant ce temps je m'occuperai des armes et des Coronado.

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    Quelques heures plus tard je remontais les escaliers en sifflotant, j'étais assez content de moi, j'avais récupéré une Lamborghini que j'avais fait repeindre en orange fluo, j'avais dû insister pour que l'on me change les plaques d'immatriculation qui maintenant n'offraient plus à l'avant comme à l'arrière, que les trois lettres SSR, ne fallait surtout pas que lorsque nous arriverions devant l'homme à deux mains il puisse hésiter ne serait-ce qu'une fraction de secondes sur notre identité.

    Lorsque j'ouvris la porte, les chiens couraient partout excités comme des puces, par quels mystérieux canaux avaient-ils compris que l'Aventure recommençait, le Chef refermait placidement deux énormes valises, j'eus du mal à soulever celle à Coronado, c'est à ce moment que le téléphone sonna et que le Chef décrocha. Sans doute n'aurait-il pas dû, mais c'est ainsi.

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      • Allo ! - la voix était sèche et brève, l'on sentait quelqu'un qui avait l'habitude de commander, ou plutôt d'être obéi avant même d'avoir commandé – vous êtes bien un représentant du SSR ?

      • Le Chef en personne ! Vous ne pouvez pas mieux tomber.

      • Je viens d'apprendre que les premiers 45 tours d'Elvis Presley étaient des soixante-dix-huit tours, est-ce vrai ?

      • Présentée ainsi la vérité la plus vraie, il n'est pas le seul dans ce cas, il...

      • Je les veux !

      • Lesquels ?

      • Tous !

      • Tous les 78 tours parus depuis...

      • Non pas tous, uniquement ceux des rockers et des petits chanteurs de rockabilly.

      • Cela fait beaucoup...

      • Ne vous préoccupez pas de cela, une ligne de crédit illimité est ouverte sur le compte du SSR depuis trente secondes, je vous rappelle demain matin !

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    Même les chiens avaient arrêté de faire les fous. Pas de temps à perdre maugréa le Chef, nous avons mieux à faire, mais par acquis de conscience il ouvrit l'ordinateur. C'était incroyable le compte bancaire du SSR ne comportait qu'une ligne : crédit illimité, en lettres capitales rouges. Par téléphone le directeur confirma, le secret bancaire lui interdisait de nous communiquer le nom du généreux donateur, une personnalité bien connue du gotha financier ajouta-t-il. La nouvelle demandait réflexion. A bien y réfléchir depuis le temps que nous bataillions contre lui l'homme à deux mains pouvait attendre. Ce n'est pas que nous aimions l'argent mais le Chef caressait depuis longtemps le projet d'ouvrir Le Musée du Coronado, et moi-même je savais que je ne pourrais terminer les Mémoires d'un Génie Supérieur de l'Humanité que sur une île déserte perdue au milieu du Pacifique entouré de quelques servantes attentionnées...

    L'agent Cat Zengler contacté au plus vite était davantage circonspect, mais quand le lendemain notre mystérieux commanditaire nous contacta pour savoir si nous acceptions sa proposition, nous lui posâmes une seule condition, qu'une ligne de crédit illimité soit affecté à notre tête chercheuse, pour couvrir les faux frais, le Cat changea totalement d'avis et se mit en quête du Graal 78 ainsi qu'il dénomma l'opération. En huit jours, sur les sites d'enchères il rafla tout ce qui de près ou de loin ressemblait à un soixante-dix-huit tours de rock'n'roll.

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    En quinze jours l'affaire fut pliée. Le téléphone sonna une dernière fois :

      • Merveilleux, je viens de recevoir votre envoi, tout y est, c'est parfait ! Je vous laisse vos lignes de crédit illimité jusqu'à la fin de l'année, profitez-en bien !

      • C'est très gentil à vous, nous ne savons...

      • Ah oui, j'allais oublier, j'ai un petit cadeau pour vous, il sera chez vous dans deux ou trois jours !

      • Nous guetterons la boîte à lettres avec impatience !

      • J'ai dit un cadeau, pas une bricole !

      • Le facteur nous le montera à l'étage !

      • Ah ! Ah ! Les facteurs français doivent être très forts alors !

      • Alors nous nous contenterons d'attendre sagement !

      • Hélas non, messieurs, je suis immensément riche mais trop pauvre pour vous l'expédier à Paris, il sera livré dans la bonne ville de Cannes, je vous ai réservé le plus beau palace de la ville en entier pour tout le mois, pour vous deux et vos deux chiens. Au revoir.

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    Le Chef n'avait pas reposé le téléphone qu'il sonna aussitôt. Nous reconnûmes aussitôt la voix.

      • Bonjour mes amis, je pensais recevoir votre visite ces jours-ci, vous ai attendu en vain. Vous me décevez ( le cigare du Chef laissa échapper un nuage noir comme une menace de mort ) enfin tant pis, j'espère vous voir à mon retour, pour le moment je pars en vacances sur la Côte d'azur, que voulez-vous même un homme à deux mains a besoin de repos !

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 509 : KR'TNT ! 509 : GLYN JOHNS / JAMES HUNTER / SYLVAIN SYLVAIN / GULCH / FORÊT ENDORMIE / APOLLYON /ROCKAMBOLESQUES XXXII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 509

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    06 / 05 / 2021

     

    GLYN JOHNS / JAMES HUNTER

    SYLVAIN SYLVAIN / GULCH /

    FORÊT ENDORMIE / APOLLYON

    ROCKAMBOLESQUES XXXII

    À la saint Glyn-Glyn

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    Glyn Johns ? Mais oui, tu as vu son nom au dos de tout un tas de pochettes, à la grande époque : Steve Miller Band, Move, Chris Farlowe, Spooky Tooth, Stones, Faces, Led Zep, Who, Humble Pie, Leon Russell, et d’autres moins recommandables dont on ne citera pas les noms pour économiser de la place. Alors comme il a bossé avec une quantité exorbitante de célébrités, Glyn-Glyn nous a troussé une bonne petite autobio, allez hop, 300 pages écrites d’une main de fer, sans fioritures ni bavasseries, fermement sanglées, dans un style âpre et sharp. Pas la moindre trace d’humour ni d’introspection. Glyn-Glyn qu’on surnommait Bluto est un mec qui ne touchait à rien, ni drogues ni alcool et qui était là pour bosser. C’est Ronnie Lane qui lui trouve ce surnom : Bluto, version anglaise de Brutus, le gros dur baraqué qu’on peut voir dans Popeye. Ronnie Lane aime bien Bluto et c’est réciproque. Quand Ronnie prend le quartier d’orange piqué au LSD que lui offre Brian Epstein et qu’il s’envole en direction d’Itchycoo Park, c’est la Jaguar Type E de Bluto qu’il repère dans la circulation.

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    Le Bluto book s’appelle Sound Man. Sec et net et sans bavure. Bien sûr, il y a un sous-titre et deux petites photos en couverture : la première nous montre Bluto avec Jag et McCartney, et l’autre avec Keef et Charlie. L’avantage de ce book est qu’il nous permet d’entrer en studio avec des gens intéressants, notamment les early Stones. Rien que pour ça, on est content du rapatriement. Bluto a le pot d’être pote avec Stu, c’est-à-dire Ian Stewart, le sixième Rolling Stone. Ils partagent un appart. Bluto se retrouve donc aux premières loges. Stu et Brian Jones créent les Rolling Stones en plaçant une petite annonce dans Jazz News. Et voilà comment Bluto se retrouve embarqué pour treize ans dans l’aventure des Rolling Stones. Il voit Brian Jones à l’œuvre - Brian was king of the riff, «The Last Time» being a classic exemple - Il nous explique aussi que Brian et Keef se complétaient - Brian complemented Keith’s exceptionnal rhythm with a variety of sounds - Et puis les drogues entrent dans la danse et Brian se retrouve isolé dans le groupe. Plus il se schtroumphe et plus les autres l’ignorent. Plan classique et tellement dégueulasse. Bluto n’est pas bien clair là-dessus : «Je dois dire qu’à la fin j’éprouvais de la peine pour lui, mais je suppose qu’il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même.» Ben voyons. Mais l’histoire de sa relation avec Brian Jones ne s’arrête pas là puisque Brian lui demande de l’accompagner au Maroc pour enregistrer les musiciens de la tribu Gwana, qui sont originaires du Haut Atlas et qui se produisent sur la fameuse place Jemaa el-Fna de Marrakech. L’idée de Brian nous dit Bluto était d’enregistrer les Gwana puis d’aller à New York overdubber du black American blues and soul music on top. Mais Brian est tellement défoncé qu’il demande à Bluto de se débrouiller tout seul pour enregistrer. Alors Bluto part en vadrouille dans la médina avec le magnéto. Pendant ce temps, Brian continue ses conneries et casse le téléphone dans sa chambre. Au Maroc, à cette époque, il faut compter des mois pour réparer un téléphone. Excédé, Paul Getty Jr qui les héberge décide de virer Brian et demande à Bluto de le ramener à Londres. Le voyage de retour ne se passe pas très bien. Brian s’est excusé mais Bluto lui sert une belle soupe à la grimace - The trip did nothing for my already stained relationship with him - Fuck it ! Brian reviendra au Maroc - sans Bluto - pour enregistrer les fameuses Pipes of Pan at Joujouka.

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    Par contre Keef, c’est une autre histoire. Il se schtroumphe aussi, mais c’est Keef, tu comprends ? Bluto nous explique que durant toutes les années où il a travaillé avec lui, Keef ne lui a jamais dit bonjour ou au revoir, et qu’il n’avait absolument aucun goût pour le small talk - His living in a chemically induced state was the norm, so I never took it personally (Son état de défonce permanente était la norme, aussi ne me suis-je jamais formalisé) - Bluto est plus tolérant avec Keef, même s’il est aussi camé que Brian, mais bon, c’est Keef. Le Stone que le tout le monde préfère, c’est Charlie, bien sûr, et Bluto ne fait pas exception à la règle, un Charlie qui résume ainsi cinquante ans de carrière dans les Stones : «Ten years of working and forty years of hanging around.» (Dix ans à bosser et quarante ans de poireau). Tous ceux qui ont joué dans des groupes savent que les temps d’attente sont les plus longs, que ce soit en studio ou en concert. Bluto nous rappelle aussi qu’aussitôt après la session de «Gimme Shelter», Merry Clayton fit une fausse-couche. Autre info de taille : remember «You Got The Silver» sur Let It Bleed ? Comme Jag est en Australie à ce moment-là pour tourner Ned Kelly et qu’il faut boucler l’album, Bluto demande à Keef de chanter «You Got The Silver». Merci Ned Kelly, car «You Got The Silver» est l’un des cuts des Stones les plus mythiques. Et quand Mick Taylor quitte le groupe, Bluto éprouve un grand soulagement, car il ne s’entendait pas bien avec lui. Avec les sessions de Black And Blue, les Stones reviennent à la formation originale - sans Brian Jones - mais c’est à ce moment-là que s’achève la relation de Bluto avec le groupe : les Stones profitent des sessions de Munich pour auditionner des guitaristes, alors Bluto qui n’en peut plus de poireauter finit par craquer et décide de se barrer. Il a une dernière conversation avec Jag, au cours de laquelle il lui rappelle qu’il a passé plus de temps avec eux, les Stones, qu’avec sa femme et ses enfants. Donc, là, c’est bon. Stop. Et quand Bluto dit stop, c’est stop. Par la suite, certains de ses amis lui diront que les Stones sont toujours aussi bons sur scène, mais Bluto n’éprouve aucune envie de les revoir - As I prefer to remember the band as it was with Stu and Bill - Bluto préfère les early Stones et on ne peut pas lui donner tort.

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    Bête de studio comme d’autres sont rats de bibliothèque, Bluto ne lésine pas sur les détails. Il nous rappelle par exemple que les studios Olympic se trouvaient au début derrière Baker Street, avant de se réinstaller dans une ancienne salle de cinéma, in Barnes, south of Hammersmith bridge in London. Keith Grant revendra l’Olympic à Richard Branson. Puisqu’il fricote pas mal avec les Small Faces, Bluto croise aussi Andrew Loog Oldham et Don Arden. Magnanime, il leur octroie à chacun un petit paragraphe. Il rend surtout un bel hommage à Chris Blackwell, le boss d’Island Records - Perhaps the most extraordinary man I met in the music business is Chris Blackwell - Un Blackwell qui démarre en Jamaïque en 1956 et qui s’installe à Londres en 1962 pour créer le premier label indépendant.

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    Et puis un jour un mec de San Francisco appelle Bluto et lui explique qu’un groupe inconnu veut enregistrer son premier album à Londres, à l’Olympic, avec lui. What ? Le groupe s’appelle the Steve Miller Band et c’est le point de départ d’une sacrément belle histoire. En 1968 et 1969, Bluto produit les quatre premiers albums du groupe : Children Of The Future, Sailor, Brave New World et Your Saving Grace, quatre énièmes merveilles du monde.

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    En fait Bluto a une vie bien remplie, certains passages du book donnent carrément le vertige. En 1969, il raconte par exemple qu’il rentre de San Francisco où il a démarré l’enregistrement de Brave New World et qu’en descendant de l’avion, pouf, il saute dans sa Jaguar Type E, et vrrooom, il file directement chez Apple passer deux jours avec les Beatles, puis il enquille aussitôt après une all-night session à l’Olympic avec les Stones, et le matin, paf, sans avoir eu le temps de se brosser les dents, il resaute dans sa Jaguar pour foncer chez Apple où l’attendent les Beatles, mais la journée n’est pas finie, car le soir-même, il doit foncer jusqu’à l’Albert Hall enregistrer the Jimi Hendrix Experience, un enregistrement qu’il va d’ailleurs foirer, pas parce qu’il est crevé, mais parce que l’acoustique de l’Albert Hall est toute pourrie. Enfin c’est ce qu’il dit. Sacré Bluto ! On tourne la page et pif paf pouf !, ça repart de plus belle : un mois plus tard il finit l’enregistrement de Brave New World à San Francisco et de retour à Londres il saute dans sa Jaguar Type E, vroom, pour aller finir Abbey Road avec les Beatles, mais il doit faire la navette entre Abbey Road et l’Olympic où il bosse sur Let It Bleed avec les Stones. La jaguar ne chôme pas. Toujours pas le temps de se laver les dents. Mais ce n’est pas tout, car il bosse aussi en même temps avec George Harrison sur un album de Billy Preston. Plus loin, il nous refait le coup du surbooked man : en 1970, il passe treize jours en studio avec les Who sur Who’s Next et soudain, il sent qu’il doit faire un break, alors il saute dans un avion pour Los Angeles, achète une Jaguar aussitôt descendu de l’avion et demande à son pote Ethan Russell de l’accompagner dans sa traversée des États-Unis. Vroom ! Ils arrivent à New York dix jours plus tard, Bluto saute dans un avion qui le ramène à Londres d’où il repart pour filer à Saint-Trop assister au mariage de Jag et Bianca. Tiens, encore un petit shoot de tourbillon, toujours en 1970 : il vient de finir l’enregistrement du premier album des Eagles et, sans avoir le temps de se laver les dents, il entre en studio avec Paul McCartney et Wings pour enregistrer Red Rose Speedway, deux semaines de boulot au terme desquelles il retrouve Ronnie Lane et Woody pour l’enregistrement du soundtrack de Mahoney’s Estate. En fait sa vie se résume à ça : une cavalcade infernale d’un studio à l’autre, il est l’ingé-son le plus demandé à Londres et, petit à petit, aux États-Unis. Davis Geffen l’invite à dîner et Bluto sait bien que ce n’est pas pour ses beaux yeux - Il doit avoir une idée derrière la tête - Bluto se retrouve donc à table avec Geffen, Jac Holzman et Joni Mitchell. Bien sûr Bluto rêve de bosser avec Joni mais il n’en aura pas l’occasion car Joni n’a visiblement pas envie de bosser avec lui. Il rencontre aussi Denny Cordell, qui avait démarré avec Chris Blackwell chez Island avant de décider de voler de ses propres ailes. Cordell et Bluto enregistrent les Move à l’Olympic, puis le premier single de Joe Cocker, «Marjorine». Cordell allait par la suite lancer Procol Harum avec «A Whiter Shade Of Pale» et propulser la carrière de Joe Cocker avec «With A Little Help From My Friends». Quand Cordell revient à Londres mixer le premier album de Joe Cocker, il ramène avec lui Leon Russell et ils bossent tous les trois ensemble à l’Olympic sur l’album sans titre de Tonton Leon. Alan Spenner, Klaus Voorman, Charlie & Bill, Ringo & George viennent donner un coup de main. Leon Russell sort en 1970 sur Shelter, le label que Tonton Leon et Denny Cordell ont fondé. Ils allaient par la suite signer Tom Petty, Phoebe Snow, Freddie King et JJ Cale, pardonnez du peu. Et le Dwight Twilley Band, bien sûr. Et puis arrive l’épisode du double live Mad Dogs & Englishmen. Bluto se voit confier la mission de sauver les enregistrements des concerts et bien sûr il demande à Joe Cocker de venir valider le résultat. Mais Joe n’est pas très content de la façon dont s’est déroulée la tournée. Tonton Leon avait volé le show et Joe ne cachait pas on amertume. C’est vrai, quand on voit le film, on ne voit que Tonton Leon avec son haut de forme. Mais bon prince, Joe écoute quand même les bandes, donne son accord et se barre sans ajouter un mot.

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    La liste des poids lourds ne s’arrête pas là. Voilà les Who. Bluto eut la chance de bosser comme ingé-son avec Shel Talmy - I was lucky enough to record a few of the early singles they did with Shel, including «My Generation» - Un peu plus tard, il enregistre «Won’t Get Fooled Again», depuis le Stones Truck. Il n’est pas dans le studio, mais quand il entend arriver le son des Who, il sent ses cheveux se dresser sur sa tête - My hair being parted by what was coming out the speakers - Il ajoute qu’il avait déjà entendu pas mal d’énormités dans sa vie, mais le son des Who dépassait tout. Il revient aussi assez longuement sur Moony. De la même façon qu’il a vu Brian Jones se désintégrer, il voit Moony péricliter. Dans un cas comme dans l’autre, il ne se montre pas très charitable : «Keith pouvait être très drôle. Mais hélas, il ne s’arrêtait pas là, et ce qui commençait par être drôle finissait par devenir extremely unpleasant.» Il y a notamment l’histoire de la robe blanche. Lors d’une soirée chez Bluto et sa femme Sylvia à Los Angeles, Moony fait le con en arrosant les jardiniers mexicains. En représailles, Sylvia jette ses fringues qu’il avait soigneusement pliées dans la piscine. Moony pique une crise de rage et demande en dédommagement qu’elle lui prête une robe blanche brodée de fleurs, puis il s’en va. Quelques années plus tard, Clapton et Bluto échangent quelques anecdotes sur les Who et à un moment, Clapton raconte qu’un jour, à l’Hyatt House hotel où il résidait, il a vu Mooney se pointer vêtu d’une robe blanche brodée de fleurs.

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    Bluto se retrouve un jour en charge des London sessions de Wolf. Le mec de Chess qui supervise l’opération embauche Ringo et Klaus Voorman. Mais Bluto sait bien que Ringo et Klaus ne sont pas des musiciens de blues. Ringo se demande même ce qu’il fout là et dit à Bluto qu’il veut se barrer. Alors Bluto suggère au mec de Chess les noms de Bill & Charlie, avec Stu au piano. C’est d’accord et Bluto appelle Bill chez lui dans le Suffolk. Bien sûr, Bill rapplique aussitôt. Dans le control room, Wolf papote avec Bluto qui ne comprend rien - I did not understand a great deal of what he said, as he had an almost unintelligible accent - Mais le plus triste de cette histoire nous dit Bluto, c’est que Wolf ne semblait pas comprendre ce qu’il foutait là, à Londres. Il ne connaissait même pas les noms des musiciens, et comble de malaise, il n’était pas vraiment en bonne santé.

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    En 1970, Bluto se voit sollicité à la fois par Humble Pie et par les Faces. Il commence par enregistrer le premier album d’Humble Pie à l’Olympic, mais il se dit déçu par le groupe. Bizarre. Il enregistre encore Rock On avec eux puis il décide d’arrêter. Stop. Il enregistre le troisième album des Faces, A Nod Is As Good As A Wink To A Blind Horse et là il dit se régaler. Et nous aussi, d’ailleurs. On trouve aussi dans le book un petit règlement de compte avec Phil Spector. Ça n’a rien de surprenant, étant donné que l’affreux Totor a remixé le travail de Bluto sur Let It Be, et forcément Bluto le prend mal, mais vraiment très mal : «John gave the tapes to Phil Spector who puked all over them - c’est-à-dire qu’il a vomi dessus - transformant l’album into the most syrupy load of bullshit I have ever heard.» On voit bien qu’il est en pétard. Et pourtant, Totor a fait des merveilles sur Let It Be. Ils ne sont que deux à ne pas le voir : Bluto et McCartney. Il faudra leur offrir une boîte coton-tiges à Noël. D’ailleurs McCartney a fini par sortir un Let It Be naked, celui de Bluto, justement.

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    Et puis le temps passe et les modes évoluent. Bluto perd ses repères. Mais il avoue encore quelques coups de cœur pour des gens comme Andy Fairweather-Low ou Joan Armatrading. Il fait trois albums avec elle, Show Some Emotion, To The Limit et Steppin’ Out et dit qu’ils font partie de ses albums favoris. Bluto enregistre aussi sur fameux Rough Mix de Pete Townshend & Ronnie Lane. Comme il était dans la dèche, le pauvre Ronnie vint demander de l’aide à son vieux poto Pete qui lui a proposé de faire cet album superbe. Fasciné par l’idée, Bluto accepta aussi sec de leur filer un coup de main. Il dit que c’est l’un de ses albums favoris and certainly one of the best I ever made. On sort de ce book ravi d’avoir recueilli toutes ces confidences, même si certaine son un peu pète-sec.

    Signé : Cazengler, pour qui sonne le Glyn

    Glyn Johns. Sound Man. Plume/Penguin 2015

     

    L’avenir du rock - They call me the Hunter

    ( Part Two )

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    Il se pourrait bien que James Hunter soit l’un des artistes majeurs de notre époque. Tous ceux et celles qui l’ont vu sur scène le savent déjà, mais ça ne représente pas beaucoup de monde. Ce mec a déjà un gros parcours, mais il n’est pas encore en couverture des magazines. Pour le croiser dans la presse rock, il faut se lever de bonne heure. Serrons donc la pince d’Alice Clark pour la remercier d’avoir consacré six pages à James Hunter dans un vieux numéro de The Blues Magazine qui fut, soit dit en passant, un support d’un excellent rapport. Dès le chapô, Alice Clark tape dur : elle cite les noms de Van Morrison, Georgie Fame et Allen Toussaint pour bien situer le contexte, car oui, l’Hunter navigue dans ces eaux-là.

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    L’Hunter-national raconte son histoire de la même façon qu’il joue sur scène : en rigolant comme un bossu. Quand Alice Clark lui demande si l’histoire de la caravane dans un champ d’oignons est vraie, l’Hunter-continental éclate de rire. Oui, c’est vrai, il a grandi à Colchester, Essex, dans une caravane et le voyant privé de distractions, sa grand-mère lui offrit ce qu’on appelle une dansette et un 78 tours de Jackie Wilson, «Reet Petite» - I heard it and it gave me the taste - Jackie Wilson, c’est pas mal, comme point de départ, non ?

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    Pour bien ferrer son sujet, Alice Clark rencontre l’Hunter-féré dans un coffee bar de Brighton, où il s’est installé. Elle le voit arriver en vélo et parler de ses deux chiens, deux terriers, Sugar & Honey, mais la conversion roule aussi sur John Lee Hooker, Etta James et Allen Toussaint. Il revient sur ses débuts, et il avoue que ce n’était pas facile. Pour vivre, il bossait pour le British Rail, à réparer les signaux, comme dans The Navigators, le film de Ken Loach. Il joue le soir après le boulot et finit par envoyer une démo à Ted Carroll, chez Rock On, à Camden. Ça plaît bien et l’Hunter-urbain vient chaque week-end à Londres. Il s’acoquine avec Dot & Tony pour aller busker dans les rues et se faire un billet. Il est surpris à l’époque de rencontrer des gens qui ont les mêmes goûts que lui, the old blues and R&B and Soul. Nos buskers ramassent jusqu’à 40 £ qu’ils vont aussitôt claquer en disques chez Rock On - Rock On was really something - Quand un mec comme l’Hunter-galactique parle ainsi, ça veut dire ce que ça veut dire.

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    C’est la période d’Howlin’ Wilf & The Vee-Jays et de l’album paru sur Big Beat, Cry Wilf, dont on a déjà dit le plus grand bien dans un Part One qui doit dater de 2018. Alice Clark qui fait bien son boulot rappelle que Boz Boorer produisit Cry Wilf, et elle cite comme influences Lee Dorsey, Georgie Fame et Jackie Edwards. Pas mal, non ? Dommage qu’elle n’insiste pas davantage sur la classe de Dot, la guitariste du groupe, une blonde avec une grosse Gretsch, gosso-modo le même trip qu’Ivy, en version londonienne. Mais en dépit d’un énorme potentiel, Howlin’ Wilf & The Vee-Jays passent à la trappe. Alors l’Hunter-actif reprend son petit bonhomme de chemin, plom plom plom, il joue ici et là, jusqu’au jour où Van Morrison le repère et lui demande de venir l’accompagner sur scène. Oh ben oui ! On entend l’Hunter-modal sur deux albums de Van the Man, A Night In San Francisco et Days Like This. Et pendant la tournée de promo américaine, pouf, il se retrouve sur scène avec deux de ses idoles, John Lee Hooker et Georgie Fame. Hooky qui trouve l’Hunter-polé marrant l’invite à une house party, et là, l’Hunter n’en revient pas, des kids jouent un 78 tours sur une dansette, comme lui quand il était petit. Jackie Wilson ? Non Charles Brown. Hooky grommelle : «Who put this shit on ?». Bon là on est en pleine mythologie et Alice Clark demande à l’Hunter-pelé de calmer le jeu. Ça va beaucoup trop vite, Rock On, Jackie Wilson, la caravane, Sugar & Honey, Dot, Van the Man et Hooky, ça fait beaucoup pour un seul article. Bon d’accord.

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    Alors l’Hunter-posé raconte que Georgie et lui parlaient de cinéma, Sidney Lumet et patin couffin et soudain, il remet la pression : le soir du 17 avril 1960, à Chippeham, Georgie raconte qu’il arrive à la police station juste après l’accident qui vient de coûter la vie à Eddie Cochran et il voit la Gretsch d’Eddie sur une chaise.

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    Comme l’Hunter-venant a guesté sur deux de ses albums, Van The Man lui retourne la politesse en guestant sur son premier album, Believe What I Say - I was struck by his voice, he sings at a consistent level of volume. His quiet notes go just as high as his loud ones (J’étais scié par sa voix, il chante toujours au même niveau, avec la même puissance) - Van the Man et l’Hunter-naute duettent sur deux covers de Bobby Blue Bland, «Turn On Your Love Light» et «Ain’t Nothing You Can Do». Sur cet album, il duette en plus avec Doris Troy, pardonnez du peu. Mais en dépit de tous ces coups d’éclat, l’Hunter-rompu se retrouve une fois de plus le bec dans l’eau, contraint de bosser sur des chantiers et de busker le week-end to make ends meet comme le disent si joliment les Anglais. Eh oui, on peut avoir du génie et connaître des fins de mois difficiles. L’Hunter-stice est tellement déterminé à vaincre qu’il lâche son boulot pour aller busker tous les jours sur Old Crompton Street, ce qui lui permet de doubler ses revenus. Tous les buskers le savent, et Dave Brock le premier, le busk peut rapporter gros - It was a dark time for me but the music was good - C’est très exactement ce qu’on apprécie chez l’Hunter-cédé, cette façon de prendre les choses du bon côté et de s’amuser coûte que coûte. On en bave, mais on se marre. Son troisième album People Gonna Talk finit par sortir sur Rounder et le voilà en tournée aux États-Unis. Il se retrouve en première partie d’Aretha et d’Etta James. Ça bingotte sec sur la piste aux étoiles ! En 2008, il a le privilège d’avoir Allen Toussaint comme guest sur son album The Hard Way. L’Hunter-lude en profite pour taper l’éloge du siècle : «Elegance and economy aren’t often used in the same sentence, but both qualities informed his playing and, as I discovered after I got to know him, through his conversation. He always played or said just enough and no more, but he made the point more eloquently than anyone I have ever met.» (On trouve rarement les mots élégance et économie dans la même phrase, mais on trouve ces deux qualités dans son jeu et dans sa conversation. Il ne dit jamais un mot de plus que ce qu’il faut dire et il est le mec le plus éloquent qu’il m’ait été donné de rencontrer). Que les pipelettes et les commères du village en prennent de la graine. C’est l’époque où Allen Toussaint, chassé de la Nouvelle Orleans par l’hurricane Katrina, s’est installé à New York. S’ensuit la rencontre avec Gabe Roth et l’enregistrement de Minute by Minute à Daptone West, qui se trouve à Riverside, en Californie. Chez Daptone, l’Hunter-mezzo se sent enfin à la maison. Et la Soul a de nouveau de beaux jours devant elle.

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    Son dernier album qui s’appelle Nick of Time grouille de pépites à l’ancienne. Rien qu’avec «Never», «Brother Or Other» et «Paradise For One», Nick of Time entre dans la caste des classiques de la Soul moderne, au côté des albums de Freddie Scott, d’Arthur Alexander ou de Clarence Reid, pour n’en citer que trois. Avec «Never», l’Hunter-cepteur remonte le courant, il chante au smooth de l’inespérance à travers des accords de cuivres inconnus. Il crée une nouvelle dimension de la Soul, mais en même temps son originalité le rend inclassable. «Brother Or Other» est l’occasion pour lui de nous emmener faire la fête en ville. Il groove son groove et shake son shook à un niveau qui nous dépasse, tellement c’est inspiré. On retrouve chez lui l’aisance vocale des géants comme Brook Benton ou Solomon Burke. Il joue «Paradise For One» aux accords de paradis du jazz blues. Oui, James Hunter sait jiver le jazz, il sait couler des bronzes extraordinaires, il détient tous les pouvoirs du magicien, notamment celui de savoir jouer la pompe manouche. En l’écoutant, on le revoit, sur scène il est toujours poilant, toujours en train de déconner, même s’il gratte des trucs terribles sur sa gratte jaune. On le voit se fondre avec «Can’t Help Myself» dans le groove africain. Il est à la fois joueur et sérieux. Il sort sa niaque dès «I Can Change My Mind», let me tell you, il chante au bien fondé du aw baby, il ramène toute la blackitude du monde dans son aw aw aw. Dès qu’il attaque un cut au smooth, on crie au loup. Il secoue les coconuts du paradis avec «Who’s Looking You». Pour redorer le blason du groove, il dispose d’une aisance déconcertante et d’une grâce qu’il faut bien qualifier d’indicible. Son péché mignon doit être le jazz blues car il y revient avec «Till I Hear From You». C’est cuivré dans l’axe et rehaussé d’harmo, c’est plein d’une vieille énergie qui ne veut pas dire son nom, ni groove, ni blues, just the Hunter-face sound, un truc bien à lui. On a constamment l’impression d’entendre un géant du smooth, du genre Sam Cooke ou Bobby Blue Bland. On entend même les castagnettes de Totor dans «Missing In Action». Il attaque son «Ain’t Goin’ Up In One Of Those Things» à la Georgie Fame, c’est-à-dire au vieux rumble de jazz. Ce démon de James Hunter allumerait n’importe quel groove de jazz, il dispose de pouvoirs considérables, d’autant plus considérables qu’il passe là un solo de guitare délicieusement ahuri. Voilà donc un homme qui offre une fête qu’on voudrait sans fin.

    Signé : Cazengler, Hunter-minable

    James Hunter Six. Nick Of Time. Daptone 2019

    Alice Clark : Night Of The Hunter. The Blues Magazine # 29 - April 2016

     

     

    Syl Sylvain m’était conté - Part Two

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    Après les Dolls, Sylvain Sylvain reprend son petit bonhomme de chemin. Il bricole un peu avec les Criminals et lorsque David Johansen lui propose 2 000 $ pour l’accompagner en tournée européenne, il accepte. Il compte sur ce blé pour financer son projet. En rentrant à New York, il croise un vieux pote nommé Ron Roos qui lui propose un deal chez RCA. Wow ! Solo Syl n’en revient pas ! RCA, le label d’Elvis, de Bowie et de Lou Reed ! Il saute de joie. RCA ! RCA !

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    Son premier RCA sort en 1979 et s’appelle Sylvain Sylvain. Il opte pour un look beaucoup plus sobre qu’au temps des Dolls et attaque avec le fameux «Teenage News» sur lequel il comptait pour relancer la machine des Dolls qui était en panne. Solo Syl joue la carte du fin du fin sur beat fruité et chœurs d’artichauts. C’est extrêmement bien produit, embarqué au c’mon c’mon, idéal pour les jukes du New Jersey. Solo Syl annonce la couleur : ce sera du soda-pop drive. Mais le revers de la médaille, c’est que le son est très typé. «What’s That Got To Do With Rock’n’Roll» est très joué, trop joué, trop propre, on perd le trash des Dolls. Solo Syl ramène des chœurs de folles mais le son est nettoyé. Il faut attendre «Every Boy & Every Girl» pour retrouver la terre ferme. Quelle énergie ! Mais ça reste très pop. Solo Syl fait son Brill - Closest together/ Closest than ever - De toute évidence, il vise l’éclat du Brill. Il met de l’écho sur le beat et ça sonne bien les cloches. Il reste dans le haut de gamme avec «14th Street Beat». Il fait du jump avec «I’m So Sorry», il dispose d’une belle puissance de groove et d’une profondeur de champ extraordinaire. Il savait qu’on allait claquer des doigts. Quand on écoute «Deeper & Deeper», on comprend clairement que Solo Syl a tout compris aux jukes, il sait se rapprocher des chaudasses avec tact et un solo de sax vient trouer le cul du cut. Tout est bien foutu sur cet album. Solo Syl a tout le son dont il peut rêver. Il brasse à la grande largeur, il croise dans le lagon d’une prod idéale. Il boucle sa petite affaire avec «Tonight» et un heavy solo de sax urbain. C’est la grandeur du kid Syl.

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    Deux ans plus tard, Solo Syl monte un autre projet avec une batteuse et un saxman, Syl Sylvain & the Teardrops. On trouve sur cet album un sacré coup de génie intitulé «Dance Dance Dance». Énorme car joué au sax, you know I love you babe, New Jersey on the beat, cœur battant de solo sax, merveille impérissable. Il y a tout le son du monde dans cette merveille, Syl est un crack de la résonance du sax dans le son. Il sort aussi le vrai son pour «Formidable», vrai son tout du long, Solo Syl explose la frontière de la power pop de Brill, c’est excellent, inspiré, vif argent, fouillé dans la masse, avec un Syl qui multiplie les effets de voix au chant persistant. Il fait de la Stonesy de clap-hands avec «It’s Love», mais il va trop sous le boisseau, c’est incendié de l’intérieurs, ça halète au bord du chemin. Mais il se vautre sur pas mal de cuts, comme ce «Crowded Love» au son trop putassier, on croirait entendre un bastard à la mode. Pire encore, «Lorell» qui sonne comme un tue-l’amour. Il renoue avec le big Brill dans «Can’t Forget Tomorrow» et ramène énormément de son. C’est l’autre hit de l’album. Solo Syl sait ce qu’il veut : du Brill. Son «Medecine Man» tient bien la route, avec une bassline ronflante et le big push du beat au cul. Fantastique petit Solo Syl, il reste à la hauteur de sa réputation. Encore de la bonne pop avec «Teardrops». Il grenouille dans la jouvence, c’est un killer popster, il explose 1000 fois plus que n’explosera jamais Graham Parker. Solo Syl sort du rang, il est du cru.

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    En 1997, il sort un nouvel album solo, (Sleep) Baby Doll, qui est en fait l’album de la nostalgie. Il y fait une version de «Trash» assez magique. Frankie Infante joue sur cette resucée bien remontée des bretelles, aussi vivace que la version originale. Version mythique de «Your Society Makes Me Sad». Solo Syl envoie un sacré clin d’œil à son vieux poto Johnny. Andy Sheppard coule un joli bronze de sax. L’hommage sonne comme un beau cadeau d’adieu. Solo Syl amène une fois de plus une incroyable profondeur de champ. Il chante en plus comme un dieu. Rien que pour ce tour de magie, il faut rapatrier l’album. Le «Paper Pencil & Glue» qui ouvre le bal réinstalle Solo Syl sur son petit trône de popster impénitent, il faut le voir rifffer sur sa grosse guitare blanche et construire la tension, il est assez balèze à ce petit jeu, c’est visité en plus par l’esprit du son. Quelle classe ! C’est beau et explosif à la fois, in your face. Il semble couler ça sous le boisseau d’argent du Brill. Il rend hommage à Bo Diddley avec «Oh Honey», il reste dans l’esprit des Dolls, c’est relancé à l’infini. On a là l’un des plus beaux hommages au Bo qui se puissent imaginer. Solo Syl ne déçoit pas les amateurs car voici «Hungry Girls» et sa fantastique allure. Solo Syl est le crack boom, il plane autour de lui un fort parfum de légendarité, et ça se mélange à la niaque et à la profondeur du son. Encore une belle merveille avec «I’m Your Man». Stupéfiante assise stompique, Baby I’m your man, hommage aux Pretties. Rudi Protrudi est dans les backing vocals. C’est amené au heavy trash de basse, on retrouve le Syl créatif, le mec qui a des idées fantastiques, le vif argent des Dolls c’est lui, il est bon de le rappeler. Sa version élastique d’«I’m Your Man» balaye toutes les autres. Il semble bricoler une bombe vite fait et ça saute. Boom ! On le voit aussi tremper dans la balladiverie du Queens où il a grandi («Another Heart Needs Mending») et propose avec «Forgetten Parties» l’instro ambiancier de rêve, un instro effarant de réalisme urbain.

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    Bon, les fans de Sylvain Sylvain se seront tous jetés sur le petit coffret pondu par Easy Action en 2004, New York’s A Go Go. On y retrouve l’album précédent qui s’appelle aussi Paper Pencil & Glue et le disk 2 est le fameux 78 Criminal$ réédité par Munster sous le titre Bowery Butterflies. Solo Syl nous fait le coup du New York Sound avec «The Cops Are Coming» et «14th Street». Il sait mettre le paquet quand il le faut. Il renoue avec la vieille énergie des Dolls, avec des clap-hands et du son. Il va plus sur la power-pop avec «Emily». C’est le hit de Syl choo-choo-choo-choo. Il sait embarquer un hit de Brill pour Cythère. On retrouve aussi «Teenage News». C’était trop pop pour les Dolls. Johnny Thunders n’y croyait pas. C’est une autre veine. Dans «Kids Are Back», Solo Syl essaye de marier la petite pop avec des chœurs de Dolls, mais ça ne marche pas à tous les coups. Il tient pourtant la dragée haute au Brill, il ne fait rien à moitié.

    Signé : Cazengler, Sylvain est tiré il faut le boire.

    Sylvain Sylvain. Sylvain Sylvain. RCA Victor 1979

    Syl Sylvain & the Teardrops. RCA Victor 1981

    Sylvain Sylvain. (Sleep) Baby Doll. Fishead Records 1997

    Sylvain Sylvain. New York’s A Go Go. Easy Action 2004

     

    CALIFORNIA DREAMIN'

    Ah, la Californie ! Ses plages de sable fin, ses surfers, ses beautifull peoples, ses guitares gorgées de soleil, ne me remerciez pas de vous y emmener, l'ère hippie est terminée depuis longtemps, les temps ont changé, est-ce la métamorphose climatique qui inspire de nos jours les groupes métalliques, plutôt que de chercher à répondre à cette fausse question, prêtons une oreille compatissante à quelques nouvelles formations de cette édénique contrée. Pour ceux qui n'aiment pas prêter, je vous rassure, nul besoin de vous fatiguer, le son est si fort qu'il squatte votre esgourde sans cérémonie. Et quand il ressort vous n'êtes pas pour autant soulagé, vous avez le tympan qui vibre durant au moins quinze jours.

     

    GULCH

    Le groupe s'est formé en 2016, entre Vera Cruz et San José, c'est son premier album chroniqué ci-dessous – on a rajouté en tête de gondole deux titres parus voici peu – qui a fait le buzz chez les amateurs de musique violente, cet appel d'air a été aussi suscité par des prestations de haut vol. Ont commencé par quelques moreaux enregistrés sur cassettes tirées à très peu d'exemplaires. Petits tirages mais rééditions successives avec goût inné pour vinyles multicolorés. Beaux objets. Signe des temps, sont eux-mêmes effarés du succès de leur merchandising à tel point qu'ils ont parfois l'impression d'être davantage des vendeurs de sweats à capuche que des musiciens.

    Le groupe a quelque peu varié : Elliot Morrow : vocal / Cole Kakimoto : guitars / Sammy Ciaramitaro : drums / Tim Flegal : bass. Il semble que ce dernier ait été remplacé par Mick Durrett et que le groupe ait été rejoint par le guitariste Christian Castillo.

     

    SUNAMI GULCH SPLIT

    ( Triple B Records / Mars 2021 )

    Prenons quelques précautions. Cet objet est dangereux nous n'en écouterons que la moitié, nous gardons l'autre pour la livraison prochaine. Sur ce modeste EP cohabitent en effet deux groupes : Sunami et Gulch. Si vous aimez le calme évitez de louer un appartement sur le même palier, ce seraient des voisins bruyants. Ce n'est pas que vous ne pourriez pas dormir la nuit, c'est que vous ne parviendriez pas à survivre le jour. Suffit de regarder la pochette dessinée par Brad Hoseley pour comprendre que ce sont deux génies du mal qui sont sortis de la lampe diabolique ( d'Alladin Sane, visez l'ambiguïté bowienne ), n'ont pas l'air contents mais comme celui qui représente Gulch est plus noir et davantage cramoisi que son alter ego, nous l'avons élu.

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    Bolt swallower : Assommage gratuit. Ne se pressent pas, il y en aura pour tout le monde, le vocal en prophétie politique pour l' ici et maintenant tout de suite, une bouche d'ombre qui vous agonise de votre propre réalité, et tout s'emballe car l'être humain a besoin qu'on lui répète l'horreur sociétale dans laquelle il se débat pour qu'il en prenne conscience. Surprise à la fin de la tonitruance, une douce musique imprègne l'atmosphère, que voulez-vous le monde est ainsi séparé, le bruit et la fureur pour les domestiques, la suavité et la douceur pour les maîtres. Accelerator : moins de deux minutes, il n'en faut pas plus pour que l'ouragan se déverse sur vous, hurlements, fureurs d'ours blancs, batterie affolée, guitares grondantes sans retenue, l'accélérateur court dans vos veines et vous détruit. La vie est une drogue qui mène à la mort. La violence décanillée de l'impact sonore pour vous rappeler qu'il n'existe pas de contre-poison. Constat froidement inéluctable. C'est ainsi. Comme cela. Pas besoin non plus d'en faire une maladie. Merveilleux shoot d'adrénaline qui vous aide à vivre

    IMPENETRABLE CEREBRAL FORTRESS

    GULCH

    ( Closed Casket Activities / Juillet 202O )

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    Belle couve. La première fois qu'elle m'est apparue s'est imposée à moi l'idée d'un artiste mexicain, un petit côté muraliste, tout faux, Boone Naka est originaire du Canada. A son actif deux seules pochettes rock de... Gulch. Normal elle ( ? ) est spécialisée dans les tattoos, les bikers de Vancouver doivent en être recouverts. Etudiante elle a adoré son prof, vieil hippie qui faisait écouter les Beach Boys à ses élèves – l'intro de cette chro n'est donc pas si déconnectée que cela – si ses tattoos participent de ce que l'on pourrait nommer des engrammes symboliques, cette toile s'inscrit dans un tout autre registre relevant d'une vision rituellique. Je ne sais pas pourquoi ( là je mens ) l'image m'évoque un ancien rituel toltèque, le don du sang, selon lequel la prêtresse verse l'eau de mort issue des quatre vierges qui ont été sacrifiées en l'honneur du dieu Tezcalipoca qui par traîtrise a pris le pouvoir sur Quetzalcoalt, c'est cette cérémonie sacrificielle qui forme la trame profonde et occulte du roman Le serpent à plumes de D. H. Lawrence.

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    Impenetrable cerebral fortress : ce premier morceau est le titre éponyme de l'album. Toute forteresse. si inébranlable qu'elle soit, suscite un impétueux désir de pénétration, de porter l'assaut pour la conquérir, ne soyez pas étonné par la violence de l'attaque meurtrière qui fond sur votre tour mentale. Beaucoup classent Gulch dans le metal hardcore. Ce qui est bien gentil, mais l'écoute de l'opus nous forcerait plutôt à reconnaître en lui un des chevaux fous du grindcore. Souvenons-nous que les étiquettes sont faites pour être arrachées. Folie furieuse, batterie folle, vomissures sauvages de vocal, grincements confus, volcan dévastateur en éruption. Vous ne reprendrez pas votre esprit. En moins de deux minutes l'ennemi l'a saccagé. Cries of pleasure, heavenly pain : batterie wagnérienne, guitares en sirènes d'alarmes, bombes vocaliques lâchées sans relâche, si votre esprit a éclaté il vous reste les plaisirs orgasmiques de la chair, si violents qu'ils s'apparentent à une séance de torture. Ejaculation précoce, moins de deux minutes, une émission de sperme équivaut à un rai de foudre qui vous transperce le corps. Self-inflicted mental terror : jamais quitte, l'être humain fonctionne à la manière d'une partie de tennis, la chair renvoie une balle de haine à l'esprit, ce morceau est autant une agression sexuelle qu'un viol de conscience que le corps s'inflige, encore une fois en moins de deux minutes une destruction totale, que rien ne subsiste tant que tout palpite, un désir de mort n'est pas la mort du désir. Intraveineuse phonique dévastatrice. Lie, deny, sanctify : vrilles de larsens et dégueulis de vocal, hachoirs de batterie sur les os de votre pensée, vocal époumoné, bruitismes éhontés, lorsque tout est foutu en l'air, il n'y a plus de haut ni de bas, la chair et l'esprit s'égalisent, vous prenez conscience de cette révélation à la manière d'une rafale de mitraillette qui vous traverse et baisse le rideau. Fuckin' towards salvation : ronronnements monstrueux d'une rythmique qui se dirige vers le cataclysme, vocal tassé à coups de pelle dans le bocal du mental, vous rampez dans l'enfer et l'horreur indicible réside en le fait que ce désir d'auto-destruction est aussi celui qui vous élève. All fall down the well : grincements insupportables, vocal de volatile égorgé, batterie tueuse, hurlements, foutez-tout en l'air, tripes et boyaux éjectés, vous étiez au plus haut et vous voici au plus bas. Encore plus profond que la mort. Shallow reflective pools of guilt : oreilles trouées par des sifflements impromptus et le vocal plonge dans les excréments puants de l'âme pour s'apercevoir que ce n'est pas grand-chose. Juste une idée de la réalité qui n'est pas tout à fait juste. Sin in my heart : ce n'est pas l'amour fou mais l'amour punk, une chanson volée à Siouxie et ses Banshees, intro romantique à la belle sonorité, mais le rythme se précipite, le gars s'égosille, la musique en devient presque symphonique mais le vinaigre de la rythmique punk vient vicier la confession, voyez-vous tout se passe dans la tête, chant de triomphe et de victoire, la forteresse reste imprenable.

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    Une boucherie sonore inqualifiable, nous sommes d'accord, mais la barbaque saignante arrachée à pleines dents sur le dos de la bête ( humaine ) l'on aime ça. Ce qu'il y a de beaucoup plus surprenant c'est que Gulch n'est pas vraiment éloigné de la postulation baudelairienne exposée dans Les fleurs du mal. Reconnaissons qu'ils hachent un peu trop leurs alexandrins mais question méditation métaphysique ils ont tout compris. D'instinct. Quant à la force de la musique, elle s'impose d'elle-même. Un fer rouge sur l'épaule du condamné.

    Damie Chad.

     

    *

    Un groupe un peu différent. Un disque étrange. Vient du Maine. Très simple à situer sans avoir besoin de regarder une carte, façade Atlantique, l'état tout en haut qui jouxte le Canada. Un groupe américain. Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais au dixième groupe venu de la patrie du rock'n'roll que j'écoute, je me dis que ce n'est pas mal, mais si de temps en temps ils pouvaient faire un effort et chanter en français ce serait bien. Mais non s'obstinent tous à jacter leur sabir incompréhensible. Tous ? Objection votre honneur, j'en ai dégoté un qui chante en français. Relativement ( franchement einstonnant n'est-ce pas ) sans accent en plus ! Sur tous leurs disques ! Un véritable parti-pris esthétique, mûrement réfléchi et assumé.

    UNE VOILE DECHIREE

    FORÊT ENDORMIE

    ( Red Nebula / 2020 )

    Couve romantique due à Jordan Grimmer, vieux rafiot de bois gréé en sloop à la voile déchirée sur une mer indocile qui poursuit sa route improbable tandis qu'au loin un soleil fractal s'insinue dans la noirceur tempétueuse de nuages sombres comme la mort. Les amateurs de jeux vidéos et de couvertures d'album metal trouveront sur le site de ce concept artist, ainsi qu'il aime à se définir, ses images d'outre-mondes de rêves et de cauchemars qui peupleront désormais leurs imaginations phantasmatiques.

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    J'ai toujours pensé qu'il existait d'étranges similitudes entre un groupe de rockabilly et un quatuor à cordes. Forêt Endormie n'est pas un groupe de rockabilly, donc ils ne se prennent pas pour un quatuor, descendent beaucoup plus bas dans l'ignominie, se décrivent sans complexe comme un orchestre de chambre, et il suffit de ne même pas leur accorder une oreille inattentive pour s'apercevoir qu'ils procèdent davantage de Debussy que du Blue Öyster Cult. Certains s'en tireront en proclamant qu'ils s'inscrivent dans le sous-ordre du metal neo-folk, je veux bien mais alors il s'agit d'un metal sans une once de fer. Ni d'argent, ni d'or, ni de platine.

    Jordan Guerrette est le principal instigateur de ce projet, sous prétexte d'une lointaine ascendance française, il a décidé d'écrire et de chanter en français. He's in love with the french language, la terre est peuplée de types bizarres. Le plus étrange c'est que ces originaux qui cherchent à se démarquer de la commune humanité qui les entoure sont très souvent les plus passionnants.

    Jordan Guerrette : guitare électrique, synthétiseur, harmonium, voix / Emmett Harity : piano, harmonium, synthétiseur / Sarah Mueller : violon / Laurent Viera : synthétiseur, voix / Maria Wagner : Clarinet / David Yearwood : contrebasse.

    Bientôt cette forêt deviendra cendres : concentrons-nous d'abord sur les paroles, certes c'est du français mais prononcé par un Amerloque, ce n'est pas que son accent soit à couper au couteau, pas du tout, mais il pose les mots à des hauteurs vibratoires différentes de nos grenouillages nationaux. Mais ce n'est pas tout, possède du vocabulaire mais quand il écrit il traduit de l'amerloque, les structures et les expressions sont différentes, cela pourrait donner un infâme galimatias genre traducteur d'il y a vingt ans, mais non, cela opère plutôt une espèce de tremblé poétique non dépourvu de charme. Accentué par des paroles assez mystérieuses, encore faut-il comprendre qui parle, ici c'est la forêt en attente de l'incendie qui la détruira. Pas de fable écologique, l'humanité n'est pas accusée, même si peut-être elle sera la cause du désastre qui s'approche, le problème est ailleurs, celui de la perception de la catastrophe par un organisme incapable de penser. Existerait-il un instinct végétal à l'instar de celui que nous accordons au règne animal. Ce langage sans mot, tout de sensation passerait-il par l'eau, quelques scientifiques ont évoqué, non sans subir les foudres et les moqueries de leurs confrères, la mémoire de l'eau, mais ici Jordan Guerrette semble avancer l'idée d'une prescience de l'eau. Idée révoltante pour les tenants d'une stricte logique aristotélicienne qui ne se sont jamais intéressés à cette notion très embarrassante d'entéléchie chère au stagirite car remettant en cause le principe du moteur immobile, autrement dit la croyance que toute chose n'est que la conséquence d'une cause. Voici un texte bien énigmatique et aux profondeurs vertigineuses. Dans un court topo son auteur nous prévient qu'il est à considérer comme l'expression symbolique de l'accablement qui saisit l'individu lorsque se profile la venue inéluctable de la mort. Transparence d'un bourdonnement qui surgit du silence, s'amplifie et s'étale en vastes vagues violonnantes, ondes de tristesse sur laquelle se pose la voix étirée de Guerrette qui pousse les syllabes à leur maximum d'intensité, tel un mourant qui s'essouffle à laisser un dernier message à ses proches, une élégie funèbre adressée au monde extérieur, la voix est parfois épousée de fragrance féminine dépourvue de toute charnellité, et la plainte du violon se tord sur elle-même tel un serpent à l'échine brisée qui s'enroule pour agoniser, ne reste plus qu'un doigté de cordes comme des gouttes d'eau qui s'effilochent d'une feuille d'arbre pour s'écraser à terre, alors s'élève un oratorio orchestral magnifique, l'ultime sursaut de la vie avant la fin. La mer nous attend : l'on s'attendrait à un déploiement d'extrême violence en rapport avec la voile abîmée du sloop sur la pochette mais non, une contrebasse funeste se fait entendre, l'on songe que vue de l'intérieur son architecture n'est pas sans analogie avec l'agencement des planches et des poutres d'un navire, une impression de calme magnifiée par le violon saisit l'auditeur, pas un mot, la mer serait-elle un refuge, une berceuse sans cesse recommencée. L'ancre est levée : quelques notes de piano comme traînées d'écume vivifiante sur le visage, deux voix, la masculine et la féminine en écho, l'espoir du voyage, de la dérive entrevue au nord s'élève dans les âmes, la mer est grosse de volupté idyllique, il semblerait qu'une pointe d'inquiétude sous-jacente... mais non tout est calme, serein, paisible. Nuages orageux : obésités de contrebasse peu à peu peuplées de notes cristallines et la clarinette qui klaxonne telle la conque des naufrages qui prévient en sourdine que le danger se précise, une note maintenue trop longtemps insiste sur l'imminence des orages, nous n'assisterons pas à la tempête, cette musique n'est pas anecdotique, elle se contente de suggérer la possibilité du possible. L'orage est entrevu en lui-même et non en ses relations avec le peuple des humains, sachez lire les images auxquelles vous vous identifiez.

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    Les champs négligés : l'attrait du néant, de retour dans le monde des hommes, les voix s'élèvent tel un chœur d'église en une splendeur oratoriale, ruissellement synthétique, que de ferveur, l'on se croirait en plein bonheur, mais non c'est le chant du cygne, l'homme s'est enfermé en une tour d'ivoire de solitude, il mourra pour ne pas avoir entendu les voix de la nature, pour avoir mal compris ce qu'elle chuchotait, ce n'est pas elle qui sera rayée du globe terrestre mais la race humaine impie. Est-ce un hasard si cet avertissement létal est celui qui jouit de la plus grande splendeur orchestrale. Existe-t-il une beauté qui soit ironie pure ? Cendres : retour au thème initial, à l'efflorescence instrumentale précédente, juste des cordes de contrebasse que les doigts agrippent, et une lourde plainte funèbre qui s'exhale, mortuaire. La forêt de nos songes a totalement brûlé. Lit de poussière : nous croyions être parvenus au bout, voici la dernière chance, le couple terminal réuni pour une impossible renaissance, triste musique et voix terne, des nappes sonores qui tombent en pelletées de terre sur le cercueil des illusions perdues, qui s'accroissent et s'accrochent au couvercle pour être sûre que rien ne le rouvrira, plus d'espoir, auto-destructivité nihiliste, majesté grandiloquente de la mort acceptée. Un soleil qui se couche plus tard : notes sereines, clartés entrevues, la voix s'attarde sur elle-même comme si elle ne croyait pas ses propres dires, le printemps est né, serait-on dans les quatre saisons vivaldiennes, après l'opulence des champs négligés de l'été, après la déréliction des cendres de l'automne, après l'hiver du lit de poussière, serait-ce le vere novo vivaldien, rien ne serait donc tout à fait perdu, ah cette cascade vive de notes de piano, le soleil se couche-t-il plus tard que prévu, à moins que le drame de la vie me donne droit à un dernier acte, mais n'est-il pas temps de mettre un terme à cette comédie. !

    L'opus est à considérer en son écriture comme une mini-tétralogie wagnérienne qui serait dépourvue de toute clinquance ( mais aussi de toute signifiance ) mythologique parfaitement en osmose avec notre époque qui est incapable d'ordonner le récit mythique de sa propre réalité, et n'ayant pas encore dépassé cet espace temporel que Nietzsche appelait la montée du nihilisme et dont il estimait le déploiement pour une durée minimale de trois siècles avant d'amorcer sa décrue.

    L'orchestration emprunte aux modalités de la musique classique sans s'aventurer dans les dissonances apportées par l'irruption de la modernité, elle se cantonne en ce que l'on pourrait nommer l'effet de saturation / décomposition phonique qui surgit dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, elle risque de déplaire aux oreilles des rockers pur et durs. Qu'y pouvons-nous si les pistes perdues du rock'n'roll s'égarent en des massifs jugés impénétrables par certains.

    Damie Chad.

     

    *

    Puisque l'on était dans le Maine, autant y rester. Sur wikipedia l'on apprend que 5 % de la population de Portland la capitale de l'état parle français. J'ai donc voulu savoir si tous les groupes du Maine s'adonnaient au french vocal et au néo-apocalyptic-folk comme Forêt endormie. Je n'ai pas poussé mon enquête très loin, le troisième nom que j'ai trouvé m'a vivement interpellé. Je me suis toujours senti une âme apollinienne, donc sans rien connaître d'eux j'ai jeté mon dévolu sur Apollyon, était-ce des néo-païens qui voudraient rendre un culte à l'impitoyable archer qui écrasa de son talon le serpent terrifique. Je ne pense point, si j'en juge aux croix inversées qui ornent leur pochettes j'opterais davantage pour des damnés de la première heure qui ont pris fait et cause pour Satan. J'avertis les kr'tntreaders qui ont aimé Forêt endormie, ici tout n'est que bruit, fureur et kaos. Du vrai rock'n'roll quoi !

    BUILT FOR SIN

    APOLLYON

    ( 2020 )

    Le groupe cultive une certaine opacité, un album numérique paru en 2015, un CD six titres sortis en 2016, une cassette de 11 titres live et ce Built For Sin numérique paru en 2020. Peu de photos, pas d'identité. Le tout est sur Bandcamp. La couve est des plus simples. Visages blafards et ombres noires. Vous pensez à ces photos par lesquelles les flics transforment, si avenante soit-elle, votre tronche en gueule d'assassin récidiviste. Ils ont gardé leur lunettes noires, point pour que personne ne les reconnaisse mais pour que l'on sache que ce sont des agents de la Bête, d'Anton Lavey, du réseau 666, pour qui vous voulez, pourvu que ce ne soit pas des bienfaiteurs de l'humanité.

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    Built for sin : plus qu'un titre : une profession de foi. Pas la meilleure. Au moyen-âge ils auraient fini sur un bûcher pour hérésie. Roulement de batterie et course de guitares, le titre est à l'image de leur revendication, carré, tiré au cordeau, un vocal échevelé et basphématique, arrêts brutaux pour repartir dans les deux nano-secondes qui suivent, un sacré batteur qui pétarade à la manière d'un hot-rod lancé dans le désert et alors que l'on croit que l'on va continuer tout droit, sans que la pression baisse ne serait-ce qu'un quart de pouce s'insinue une indolence rythmique, un balancement luxurieux attrayant comme un appel de syrènes alors qu'un solo de guitare prend feu tout seul. Bastar intoxicator : poinçons introductifs de haut voltage, toujours cette batterie devant et les guitares à sa poursuite, la voix qui chevauche le tout, c'est ultra-rapide, on n'a pas le temps de l'entendre passer, c'est ainsi que l'amour du mal s'insinue en vous, un mirage qui fuit et votre âme le suit sans que vous vous en aperceviez, ce qu'il y a de terrible c'est que la musique devient de plus en plus prégnante, de plus en plus violente, des tentacules de poulpe qui sifflent dans l'air, qui vous lacèrent, qui vous emportent dans des antres inouïs. Ectasies of violence : l'anévrisme est-il une extase, dilatation sonique sans équivalence, sans rémission, un drummin' de folie furieuse et des guitares lance-flammes, vocal agonique. Si vous n'êtes pas mort c'est que vous ne l'avez pas fait exprès. Death lust : gargouillements spongieux dans votre oreille, c'est la voix vomitique de la tentation, la luxure ne serait donc que la lumière qu'émet le corps qui brûle de la réalisation du désir, incandescence absolue, des pas cadencés sur votre corps, les légions du diable vous piétinent, et vous désirez cette annihilation féroce. Jamais un groupe ne vous aura procuré un plaisir féroce aussi vif. Dungeon creeper : attaque surprenante, il s'agit de monter à l'assaut du ciel, pour en chasser les derniers occupants à coups de batterie-mitraillette, cris de haine pour entraîner les troupes rebelles, blitz crackrophonique insupportable, submersion totale.

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    Winds of iron tyrany : rafales tempétueuses, voix martiales, la musique marche au pas, et ravage tout sur son passage, ascendances de guitares, gouffre de basse, éclatements de batterie, une chape de plomb étend ses ailes sinistres et englobe le monde, chants de victoire, monstruosités gutturales, rien n'arrêtera cette marche en avant. We came from the north : bruit de fond qui force et perce les tympans, déplacements de peuplades barbares, les loups d'Apollon lyncée sont lancés sur le monde, morsures sanglantes et incisives, la batterie roule telles les roues des chariots d'invasions sauvages. Eruption de criailleries finales. Blood moon death cult : nuit cultuelle, rituel maudit, le soleil est mort et la lune saigne comme un ventre de sang, catapulte vocale, grondements chamanique de loups, horreurs sans fin, la musique devient écrasante, les guitares crient, la batterie détruit tout ce qui passe à sa portée, pandémonium apocalyptique, folie universelle, walpurgis démentiel. Witch bitch : flamboyance des ronds de sorcière, liesse générale, chant de joie, à pleine gorge, une houle de foule qui déboule dans l'ivresse, triomphe, rondes sardanapalesques, fièvres explosives, cavalcade sans fin, carnaval des désirs libérés, une flamme qui éclate et purifie le monde entier des miasmes anciens. Délivrance. Treshhold : douces notes, oasis de silence, des pas d'enfants, des pieds nus qui se pressent vers le seuil du gouffre, coup sur coup trois hurlements zèbrent l'air telles des lanières de haine et le vocal devient une immonde et gluante bave de crapaud dans laquelle il fait bon se baigner et oindre son corps, réalité ou illusion, le son s'éloigne et revient, se rue en rut, s'interrompt, pour reprendre en plus violent, ici dans ce capharnaüm le bien, le mal, le rêve, le cauchemar ne présentent plus de valeur intrinsèque, apprenez à ce que le monde entier corresponde à votre volonté, respirez, rampez, reprenez votre souffle, et laissez-vous emporter par cette onde subtile et tellurique qui vous emprisonne dans ses anneaux de feu que vous traversez sans difficulté, en qui vous prenez force, joie et assurance, connaissez le rire des dieux et l'éclatement merveilleux de votre volonté qui s'empare de l'univers, libérant vos pulsions les plus acerbes, vous avez vaincu le monstre que vous étiez.

    Apollon ne m'a pas déçu. M'a fait connaître des guerriers plus sombres que l'orichalque noir qui sert de combustible à mon cerveau malade qui refuse de se soigner, qui préfère les thérapies de choc, qui déstabilisent la matière grise et élargit les anfractuosités latentes qui sont lieu de passage et de partage.

    Je n'arrive pas à comprendre que ce groupe soit si peu connu. Les guetteurs de kaos se sont sans doute endormis. Réveillez-vous !

    Damie Chad.

     

    XXXII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

     

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    ''Autoroute 7 km'' indiquait le panneau, exactement ce qu'il me fallait, je ne tardai pas à m'enfiler à toute vitesse dans la bretelle d'accès au péage, peu de monde, les propriétaires à qui j'avais volé le Suv avaient pris soin de fixer sur le pare-brise le macaron qui donnait accès aux voies de télépéage, certes j'avais un tantinet ralenti mais maintenant j'accélérais comme un fou, les deux hélicos me suivaient sans faillir, je donnais mes dernières instructions :

      • Les filles tenez bien les chiens sur vos genoux, d'ici peu ça va tanguer !

    En effet ça tangua salement. Je montai le compteur à plus de deux cents et restaient sur la ligne tout à gauche, les hélicos suivaient bêtement comme des moutons que l'on conduit à l'abattoir, au loin se dessinait le tablier d'un ouvrage d'art qui enjambait les voies pour mener à une station service, à la vitesse où je bombais les autres véhicules étaient loin derrière, j'infléchis brutalement ma trajectoire sur la droite tout en freinant à mort, et m'arrêtai pile sous le pont, et repartis tranquillou en marche arrière sur la bande d'arrêt d'urgence, les hélicos emportés par leur vitesses firent demi-tour, j'arrêtai illico de jouer à l'écrevisse pour revenir me cacher sous le pont, les gros bourdons se mirent à tourner au-dessus de la structure de béton...

      • Damie on est bloqué, c'était la voix de Charlotte, si tu nous sors de ce piège je jure que jusqu'à mes quatre-vingts ans ta photo encadrée trônera au-dessus de la télévision dans le salon !

      • Mais enfin Damie – je dénotais une certaine anxiété dans la voix de Charline - on est fait comme des rats, qu'attends-tu ?

      • Moi, rien, simplement que le Chef allume un Coronado !

      • En effet, agent Chad j'allais oublier, que voulez-vous la voix enchanteresse de nos deux sirènes me faisait rêver, en plus quelle horreur, je suis un malotru, chère Charline, nous descendons tous les deux et vous prenez la place de devant, l'on y voit beaucoup mieux que derrière le chauffeur. Action !

    En quelques secondes le Chef se retrouva à la place de Charline, l'était manifestement en forme car dès qu'il fut assis :

      • J'ai bien peur que la fumée de mon Coronado ne vous importune, je me permets d'ouvrir la fenêtre, Chad, mon agent Chad, ne voyez-vous rien venir dans votre rétroviseur ?

      • Hélas, non Chef, je n'aperçois que la route qui flamboie et les hélicos au-dessus qui tournoient

      • Mon dieu, mon dieu – le Chef s'amusait comme un gamin – Chad, mon Agent Chad, ne voyez rien toujours venir dans votre rétro ?

      • Hélas non, mais si au fond très loin, un nuage de poussière de bon aloi !

      • Chad, mon agent Chad, démarrez sans émoi que j'allume mon Coronadoi !

    Je fis rugir le moteur du Suv et déboulai comme un boulet de canon hors de la protection du pont, les hélicos perdirent un peu de temps, j'en profitais toujours sur la bande d'arrêt d'urgence pour accélérer à fond, mais je ne suis pas un gars rancunier, je ralentis un petit peu pour les attendre, pas trop, enfin pas exactement eux, pour qu'un gros poids lourd lancé à fond les gamelles arrivât à ma hauteur, zut mon Coronado s'est envolé maugréa le Chef, j'écrasais l'accélérateur jusqu'au plancher, voyant mon manège, les hélicos tentèrent de me remonter, ils n'auraient pas dû, quand ils arrivèrent à la hauteur du camion, sa citerne explosa libérant une immense flamme qui monta jusqu'au ciel, j'exagère, assez haut pour embraser les hélicoptères qui s'écrasèrent en un infernal vacarme sur d'innocentes voitures de tourismes, quelques rescapés transformés en torche vivante couraient imprudemment un peu partout sur la chaussée au lieu d'appeler les pompiers sur leur portable. Comme il existe une justice immanente en ce bas-monde ils ne tardèrent pas à être percutés par de nouvelles voitures qui venaient s'encastrer dans le brasier...

      • Que vous disais-je ce matin, déclara doctement le Chef, pour ma part je ne me déplace jamais sans un Coronado Dynamitero dans ma poche.

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    Nous sortîmes sans problème de l'autoroute, la sortie était libérée, les autorités avaient décidé de la vider pour le passage des secours... Nous nous arrêtâmes auprès d'un petit bois, le Chef déclara qu'il était temps de tenir un rapide conseil de guerre après '' cet intermède lyrique, certes passionnant mais superfétatoire '' je rapporte ces mémorables propos tels quels pour les livres d'histoire du futur...

      • Vince dit le Chef, je compte sur toi pour cette enquête sur cette nouvelle mystérieuse et inquiétante apparition d'Eddie Crescendo. Tu restes sur la région avec Ludo et Brunette, tu sais comment nous joindre, à la première occasion l'agent Chad vous procurera un véhicule, quant à nous nous retournons à Paris pour un petit entretien avec l'homme à deux mains...

    Nous nous embrassâmes tendrement, il y eut même quelques larmettes furtives... Dès l'agglomération suivante je leur dénichais chez un concessionnaire une voiture toute neuve qu'il m'offrit d'essayer et qu'il ne revit plus jamais de sa vie...

    Note de la redaction

    Si les lecteurs désirent connaître les résultats de l'enquête de Vince Rogers relative à la mystérieuse disparition d'Eddie Crescendo, il ne les trouvera pas dans cette série des Rockambolesques, elles sont à paraître dans la Lon-box 3 de Vince Rogers, il se murmure qu'elle contient des vidéos qui risquent de porter le sbul dans les services secrets du monde entier, la CIA a déjà tenté de les intercepter, les Chinois sont dans la course, mais Vince veille jalousement sur ces documents qui seraient par leurs extraordinaires révélations capables de changer la face du monde...

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    Nous rentrâmes à Paris sans problème. Les filles nous quittèrent pour rejoindre leurs parents. Elles se souviendraient longtemps de leurs vacances. Ceux qui les regrettèrent le plus furent Molossa et Molossito qui avaient adoré voyager sur leurs genoux. Je dédicaçai une photo grand format de mon meilleur profil à Charlotte, je promis à toutes les deux que je les citerai dans mes mémoires, le Chef leur passa une bague cartonnée de Coronado Dynamitero, trop large pour leur index mais qu'elles portèrent en sautoir à l'aide d'une chaînette en or, puis en parfait gentleman il leur baisa le bout des doigts et leur dit au revoir.

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    Nous montions les escaliers qui desservaient le local du SSR, au fond de nous nous étions heureux de revenir dans notre base, toutefois au fur et à mesure que nous gravissions les marches, une idée me turlupinait, je finis par m'en ouvrir au Chef :

      • Cela fait quelques semaines que nous sommes partis et pas une seule lettre dans la boîte, c'est tout de même étrange...

      • Agent Chad, la même réflexion titillait mon attention... le Chef s'arrêta pour allumer un Coronado... bien entendu un homme à deux mains doit bien en avoir une de libre pour s'emparer de notre courrier, toutefois je soupçonne un coup particulièrement fourré...

    Les chiens nous avaient précédés et nous attendaient devant la porte, Molossito frétillait de la queue, mais Molossa posa son museau sur mon jarret droit...

    A suivre...