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walter lure

  • CHRONIQUES DE POURPRE 510 : KR'TNT ! 510 : WALTER LURE / CAPTAIN SENSIBLE / FONTAINES D. C. / EDDIE COCHRAN + GENE VINCENT / ROCKAMBOLESQUES XXXIII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    ,walter lure, captain sensible, fontaines d. c. , eddie cochran + gene vincent, rockambolesques 33,

    LIVRAISON 510

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    13 / 05 / 2021

     

    WALTER LURE / CAPTAIN SENSIBLE  

    FONTAINES D.C.

    EDDIE COCHRAN + GENE VINCENT

    ROCKAMBOLESQUES XXXIII

     

    Lure a de l’allure - Part Two

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    Les fans des Heartbreakers ont une sacrée veine : après le Nina Book (In Cold Blood) et le Weiss book (Stranded in the Jungle: Jerry Nolan’s Wild Ride - A Tale Of Drugs, Fashion, The New York Dolls, And Punk Rock), voici le Walter book : To Hell And Back. My Life in Johnny Thunders’ Heartbreakers. Le timing ne pouvait pas être plus parfait : Walter Lure fit paraître son autobio juste avant de casser sa pipe en bois. L’étonnant de cette histoire est que le premier tirage fut vite épuisé et donc il fallut attendre un retirage pour pouvoir le rapatrier. Ça montre bien que les Heartbreakers restent d’actualité, même s’ils sont maintenant tous morts, comme le sont les Ramones.

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    Qu’ils n’aient enregistré qu’un seul album est sans doute ce qu’on apprécie le plus chez les mighty Heartbreakers. Un one shot, privilège qu’ils partagent avec les Pistols. Deux albums qui d’ailleurs vont tout seuls sur l’île déserte. On ne saura jamais si Johnny Thunders savait ce qu’il faisait en s’arrêtant avec LAMF, mais il plaît aux fans de l’imaginer. Ça nourrit son charisme post-mortem qui en a bien besoin. Comme celle de Jimbo, l’histoire de Johnny Thunders est vérolée par le journalisme. Dans les deux cas, le public a fini par perdre de vue l’essentiel qui était la dimension artistique. Jimbo et Johnny Thunders furent tous les deux de magnifiques artistes et si LAMF reste l’un des plus beaux albums de rock jamais enregistrés, ce n’est pas un hasard, mon cher Balthazar.

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    On peut dire que le junky business a fait couler beaucoup d’encre. Johnny Thunders ne ratait aucune occasion d’alimenter le moulin d’Alphonse Daudet, ah tu veux du junk, tiens voilà du junk ! Dans son book, Walter Lure en tartine des pages entières. Comme Hell, il parle admirablement bien du junk. Ça fait partie de cette prodigieuse aventure. Walter entre dans le vif du sujet dès la page 3 : il vient d’être engagé dans la première mouture des Heartbreakers et il doit subir un rite d’initiation : on lui coupe les cheveux et on lui fait un shoot d’héro - Jerry held the needle, Dee Dee did the cooking, and I just rolled my sleeve and stretched my arm as Jerry tied it off - Welcome in Hearbreakland, Walter ! Il va d’ailleurs très vite participer aux routines - First we’d met up with Dee Dee, Willy DeVille and various other friends and then we’d head off to score.

    Oui Dee Dee Ramone traîne avec les Heartbreakers car en fait il rêve de jouer dans le groupe. Mais Richard Hell joue déjà de la basse et donc la place est prise. De toute façon, il n’était pas selon Walter un Heartbreaker. D’autres gens postuleront pour un job dans les Heartbreakers, des gens comme John Felice, Jonathan Paley et Chris Stein, ou encore Rat Scabies après le départ de Jerry Nolan, mais il n’y aura pas ou peu d’élus.

    À la différence des récits pré-cités (auxquels on peut rajouter celui de Sylvain Sylvain), le Walter book met le paquet sur le sexe. Notre ami Walter n’y va pas de main morte. C’est à qui baisera le plus, et pas que des gonzesses. Ils n’arrêtent pas. Les commères du villages vont adorer toutes ces anecdotes londoniennes, Walter fait entrer dans la danse leur manager Leee Black Childers et Gail Higgins, la road manageuse du groupe, c’est Sodome et Gomorrhe every night, ça baise à qui mieux mieux et Walter le fucker n’est pas le dernier à ramener des pretty boys dans son plumard. Mais ça, on le savait depuis que Marc avait lâché en rigolant : «Quoi tu ne savais pas que Walter était pédé comme un phoque ?». Toujours adoré cette expression. L’absolu de son manque d’élégance lui confère une stature d’éternité. Mais au fond, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Ce soir-là au Bataclan, Walter Lure était beau comme un dieu, avec sa chemise à pois et sa Les Paul. Il jouait en plus dans le meilleur groupe de rock de tous les temps. Sex & drugs & rock’r’roll ? Disons que ça décore l’histoire du groupe comme une guirlande décore un sapin de Noël.

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    Dans les premières pages, Walter cite ses influences et c’est très intéressant : il s’amourache du «Do You Love Me» des Contours et des trucs de Phil Spector - A lot of the Phil Spector things were terrific - Puis quand il entend les Stones, il sent qu’il est baisé - The first time I heard them I was sold for life - Puis arrivent dans son giron les Pretty Things, Dylan, les Kinks, les Zombies, the Who, the lot. Puis il commence à aller voir des tas de concerts, le Jeff Beck Group, Humble Pie, il est au Fillmore le soir où ils enregistrent Rocking The Fillmore. Il adore Chicken Shack et Fleetwood Mac, les Yardbirds, Procol avec Robin Trower, Ten Years After, puis Led Zep juste avant le premier album. Il voit aussi Jimi Hendrix, mais ce n’est pas son son. Et à tous les concerts, il voit ce kid. Comme lui, il est toujours dans les premiers rangs. Ils se connaissent de vue. C’est le futur Johnny Thunders. Il a déjà beaucoup d’allure. Quand plus tard Walter découvre les Dolls sur scène, il n’en revient pas d’y voir le kid à la guitare - Quelqu’un me dit qu’il s’appelle Johnny Thunders. Ça semblait logique qu’il s’appelle comme ça, vu le look qu’il avait et vu la façon dont il jouait. What else could it have been ? - Eh oui, Walter a la chance de choper les débuts des Dolls, et là il devient aussi intarissable qu’avec les histoires de cul - Les Dolls furent les grandmothers of punk rock, d’une certaine façon, car ils prouvaient qu’on pouvait monter sur scène sans savoir jouer aussi bien que Jimmy Page ou fucking Yes, et qu’on pouvait démarrer un groupe, devenir populaire et faire plaisir aux gens - Selon lui, ce sont les Dolls qui ont tout créé. Avant les Dolls nous dit Walter there was no New York scene - Il y avait le Brill Building, et quelques clubs de jazz et de folk dans le Village, mais en matière de rock club scene ou de street sound, il n’y avait rien. Juste des groupes locaux qui jouaient leur truc - Walter nous dit aussi qu’il voyait Steven Tyler aux concerts des Dolls, au moment où Aerosmith démarrait. Pareil pour Kiss. Ils venaient tout pomper. D’ailleurs, c’est Johnny qui présente Ace Frehley à Walter lors d’un festival au CBGB - Le mec le plus laid que j’aie jamais rencontré, il avait la peau grêlée, on aurait dit une assiette de céréales avec des raisins, il avait les cheveux filandreux et il marchait comme un singe et je me disais, God what a fucking monster, et Johnny m’a dit : ‘Je veux te présenter Ace Frehley’ - Puis Walter voit les Dolls se désintégrer sur scène, avec Killer Kane et son serious drinking problem, in and out of the hospital, Jerry et Johnny n’allaient pas bien non plus, surtout Johnny he’s become something of a major league smackhead - Je suis allé voir les Dolls au Little Hippodrome début mars et almost half of the band was out of action. Leur roadie Peter Jordan jouait de la basse et Spider le batteur de Pure Hell remplaçait Jerry.

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    Grâce à Walter, on se rapproche une fois de plus de ce mec tellement attachant qu’est Johnny Thunders. C’est un autre regard, plus le regard d’un admirateur que d’un bon pote. Walter insiste pour dire ce qu’on savait déjà, que Johnny Thunders n’est pas un technical guitarist - in love with chords and progressions, notes and solos - but he was unique. Personne ne sonnait comme Johnny, même ceux qui essayaient vraiment de l’imiter. Jerry appelait ça le son des dinosaures qui hurlent dans la jungle and he was correct - Walter trouvait ce son excitant - Pas de pédales d’effets, no stomp boxes or other devices. Johnny never used them. Everything you heard was just Johnny. Ses solos, c’était la même chose. Ils étaient si simples, but they stood out - Walter observe les deux cocos, Jerry & Johnny et ça donne des pages remarquables d’insight. Un Johnny qui soigne son image, les gens qui attendent de le voir fucked-up, constantly shooting up, so he did please them. It was an ego thing. D’un autre côté Jerry était un hypocondriaque, and the worst kind. Il n’avait absolument aucune volonté. Il was a lethal combination - La nature de la relation entre Jerry et Johnny est un élément essentiel de l’histoire des Dolls et des Heartbreakers. Walter voit ça comme a father-son type of things. Jerry est un peu plus vieux et il a surtout la patate facile. Quand à l’époque des Dolls Johnny prenait du speed et qu’il devenait incontrôlable, les autres Dolls demandaient à Jerry de l’emmener dans un coin pour le calmer. Okay, viens par là, pif paf et Johnny se calmait - Two or three punches and Johnny would be good for the next few months - Walter se marre car au temps des Heartbreakers, Jerry n’avait même pas besoin de frapper, il se contentait de poser la question : «Johnny do you want a punch in the head?», et Johnny filait droit.

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    Walter observe un autre truc chez Johnny : la constance. Johnny allait jouer les mêmes chansons de la même façon toute sa vie. He would never change. Le reste ne l’intéresse pas. Pour lui, Billy et Jerry, ça leur suffit de jouer dans un groupe et d’en vivre. Le futur, ils s’en branlent complètement. Leur seule ambition was getting high, s’envoyer en l’air. Walter détecte aussi chez Johnny un flair, une sorte d’instinct qui lui permet de faire le tri dans les gens. L’un des épisodes les plus désarmants de l’histoire de Johnny Thunders est sans doute celui de son mariage dans le Queens. Walter n’est pas invité à la cérémonie mais seulement à la fête qui a lieu dans un gymnase délabré du quartier. Johnny vient d’épouser Julie, et Steve des Senders est son témoin. Forcément quand ils arrivent au gymnase ils sont déjà stoned. Ils ont vomi dans la limousine qui les ramenait de l’église. En entrant, Johnny titube en jurant comme un cocher. Pas d’orchestre dans la salle, juste un petit tourne-disques. Des gens dansent mais ce ne sont pas ceux du mariage qui sont tous trop défoncés pour danser. Ça dure un bon moment et des gens commencent à partir. Alors Walter s’en va aussi. C’est un mariage de pauvres - It was simply poverty-stricken.

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    En dehors du cul, Walter a d’autres fixations : les gogues. Il décrit à un moment les gogues de Woodstok, il pousse la porte d’une cabine et voit une montagne de merdasse, il se demande comment ont fait les gens pour aller chier au sommet d’une telle montagne. Mais ça n’est rien à côté du CBGB que le NME appelle a toilet. Walter nous décrit la petite scène et à côté la cuisine infestée de rats et de cafards. Un peu plus tard, ils virent la cuisine et font une loge. Les gogues se trouvent en bas des marches et là Walter se régale - Les gogues étaient l’endroit le plus dégueulasse qu’on pouvait voir. Les murs du men’s room étaient couverts de graffitis, de trucs qui pendouillaient et de longues traînées de merdasse. Les deux ou trois urinoirs ne fonctionnaient pas, mais ça n’empêchait pas les gens de pisser dedans et ça débordait. Si tu voulais chier un coup, il n’y avait pas de porte au stall et tout le monde te regardait. En plus il n’y avait pas de papier pour se torcher - Les réalités du rock’n’roll way of life sont parfois crues, mais c’est ce qui fait leur charme. Walter indique qu’il fallait mieux aller au ladies’ room pour se faire un fix ou tirer un coup. C’est d’ailleurs l’endroit favori de Johnny Thunders : ses plans sexe se déroulent généralement dans les gogues et ils sont souvent gratinés. Walter en décrit un ou deux, mais on trouve aussi dans Some Weird Sin, le book où Alvin Gibbs raconte sa tournée mondiale avec Iggy.

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    Walter revient aussi sur le grand schisme des Heartbreakers : Richard Hell d’un côté, Johnny Thunders de l’autre. Pour Walter, Hell était surtout un amateur de poésie - À ses yeux, nous étions des musiciens et lui était un artiste, un génie and maybe he was - Walter a raison d’avoir un doute, en tous les cas, c’est savamment exprimé. Puis sur cène, ça dégénère. Johnny Thunders lève les yeux au ciel quand Hell prend le chant et quand Johnny chante, ça n’intéresse pas Hell. Et puis Hell décrète un jour qu’il va chanter tout le set - From now on, I’m singing the set. Johnny sings two of the songs, and Walter shuts up - Johnny n’écoute même pas, il sort de la pièce, suivi de Jerry puis de Walter. C’est là que les Heartbreakers engagent Billy Rath.

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    Ils s’entendent tout de suite très bien avec Billy Rath. On se souvient de lui au Bataclan. Il portait un petit bandage blanc taché de sang sur le bras et jouait sur une basse Burns. Walter s’entend bien avec lui, tout au long de la folle virée des Heartbreakers. Mais la fin de l’histoire est moins glorieuse. Après la fin du groupe, il serait resté en Angleterre puis serait devenu pasteur dans l’Ohio. Walter le revoit à New York en 2009 ou 2010. Il avait chopé le Sida et une hépatite, et perdu une jambe dans un accident de bagnole - His body was breaking down. He was a fucking mess - Mais Walter est content de le revoir. Billy lui propose alors de remonter un groupe. Walter décline la proposition. À cette époque, il bosse à Wall Street et il joue un peu dans les Waldos. Un an ou deux plus tard, il est à Londres, il joue au Purple Turtle de Camden et Billy réapparaît. Un ‘entrepreneur’ avait lancé un projet avec Billy et Steve Dior. Walter les voit arriver tous les trois dans le backstage, l’entrepreneur en blouson de cuir, Billy et Steve Dior - Billy was fucking wrecked. Il avait pris du poids, il avait perdu toutes ses dents et on l’avait habillé comme un pirate. Quand il parlait, on aurait dit qu’il avait un gros problème avec sa cervelle. En deux ans, il avait vieilli de vingt ans. Mais la situation allait encore empirer. L’entrepreneur suggéra que Billy monte sur scène avec moi pour «Chinese Rocks». Ce qu’il fit, mais il ne savait plus le jouer. It was a mess - Walter conclut ce terrible chapitre en rappelant que Billy est mort en 2014.

    Richard Gottehrer, un producteur de renom qui venait de monter Sire Records avec Seymour Stein s’intéressait de près aux Heartbreakers. Il commença par leur proposer d’accompagner Robert Gordon qu’il était en train de lancer. Il était même question que Gordon devienne le chanteur du groupe, un idée qui plaisait bien à Jerry, fan d’Elvis, comme Gordon. Mais les trois autres n’étaient pas chauds et c’est donc resté à l’état de rumeur. Il n’empêche, Gottehrer veut les signer sur Sire et au moment où ils vont accepter, ils reçoivent le coup de fil de McLaren.

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    L’autre grand thème du book c’est Londres. Les Heartbreakers y débarquent en 1977, invités par Malcolm McLaren à participer à l’Anarchy Tour. Plus tard, Walter et les autres vont découvrir que McLaren avait d’abord fait cette proposition aux Dollettes, le groupe post-Dolls de David Johansen, mais il avait refusé - So we were at least his second choice and possibly the third - Les Heartbreakers débarquent le jour où éclate le scandale du Grundy TV show. Walter et les autres ne comprennent pas que des écarts de langage puissent provoquer un tel tollé dans la presse. Les Heartbreakers vont rester dix-huit mois en Angleterre, le temps de conquérir l’Europe et d’enregistrer leur fameux album. Walter se plaint essentiellement de la bouffe. Il remarque aussi que les Anglais ne prennent pas les mêmes drogues. Ceux qui prennent de l’héro ne se piquent pas : snort ou smoke, which is probably healthier, but we weren’t interested - Walter évoque la needle culture in New York. Autrement, les Anglais tapent dans le speed, l’acid et le hash. Dans le bus de l’Anarchy Tour, Walter voit les Clash fumer des spliffs, ce qui faisait bien marrer les Heartbreakers - Fuck we haven’t done those drugs in years - Billy Rath qui est un speed freak y retrouve son compte. Il deviendra d’ailleurs un proche de Motörhead.

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    Walter se régale avec les groupes anglais : quand il voit les Damned, il ne comprend pas qu’on puisse se déguiser en vampire. Mais il aime bien les mecs du groupe - They were nice enough guys - Et bien sûr les Damned se font virer de l’Anarchy Tour. Walter donne pas mal de détails sur cette tournée entrée dans l’histoire. On se régale, on est là pour ça. Par contre, le truc qu’il ne supporte pas, c’est le gobbing. Sur scène, ils sont bombardés de mollards - Standing on stage, under hot lights, with this tubercular green shit all over your clothes, all over your guitar - Il raconte le manche et les doigts gluants. Il doit changer ses cordes tous les soirs - Tu devais jouer les yeux et la bouche fermés, et tourner la tête pour respirer. On craignait plus que tout de recevoir un mollard dans l’œil ou dans la bouche et quand je devais chanter, j’étais terrifié, car je recevais des mollards dans la bouche, down your throat. Which happened. A lot - Walter se marre quand il voit les Buzzcoks et surtout Pete Shelley avec sa guitare sciée en deux. Shelley avait bloqué ses volumes sur 10 et Devoto devait hurler pour pouvoir chanter - The music was awful but it was so fucking funny - À Londres, les Heartbreakers sortent toutes les nuits et rencontrent énormément de gens. Walter évoque une Marianne Faithfull fascinée par le punk, il rencontre aussi Chrissie Hynde bien avant les Pretenders, accompagnée de Judy Nylon et Patti Paladin, il traîne au Roxy où règne la débauche punk, pareil, il se passe des trucs pas terribles dans les gogues, Walter dit à demi-mots que Sid Vicious s’y fait enfiler, enfin tous ces trucs-là ne nous regardent pas. Gail Higgins et Leee Black Childers occupent une maison de trois étages à Islington et partent en chasse de chair fraîche tous les soirs - The pair of them lived like vampires - Ils sont tous les deux de très vieux amis de Johnny. Leee a un faible pour les jeunes rockabs londoniens - It was like Babylon on Thames - C’est là, à Babylon, que Walter avoue qu’il est bi. Mais à l’époque ça ne pose aucun problème, ça fait partie du mouvement punk. Walter est donc aux premières loges, il voit la scène punk se développer, les Hearbreakers sont potes avec les Pistols, les Clash. Surtout avec les Banshees, car Nils Stevenson leur manager fait partie du cercle rapproché des Heartbreakers. Les Banshees sont leur support band of choice. D’ailleurs Walter qui ne perd pas une occasion de se marrer nous relate un échange qui eut lieu un soir entre Siouxie et Johnny. Elle lui dit qu’il aurait dût jouer beaucoup plus sur ses knobs (ses boutons de volume) et le street kid Johnny lui rétorque : «I’d like to play with your knobs», and Siouxie just froze. She was So insulted. Walter indique aussi que son groupe punk anglais préféré était les Slits.

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    Les Hearbreakers finissent par signer avec Track Records, le label de Chris Stamp et Kit Lambert. Bien sûr, aucun des quatre Heartbreakers ne participe aux négociations. C’est Leee qui s’en charge. Track, ça plaît bien à Johnny et à Walter, à cause des Who, d’Arthur Brown, de Jimi Hendrix et de John’s Children, pour la première époque, puis Thunderclap Newman, Marsha Hunt et Golden Earring pour la deuxième. Mais les gens disent que Lambert and Stamp are too crazy. Et Walter confirme : «Kit Lambert certainly was. A total drunken queen, he was completely out of it.» Walter le voit tout le temps rigoler, et sa rigolade devient contagieuse. Avec lui tout le monde se marre. Track impose Speedy Keen comme producteur. On ne demande pas leur avis aux Heartbreakers. Johnny arrive souvent en retard aux sessions. Son record est de cinq heures. Speedy Keen garde son calme, nous dit Walter. Dans le studio, il y a tout ce qu’il faut, heaps of amphetamines, Rémy Martin and coke. Walter découvre que Speedy est un peu comme Johnny - He was a wild guy. I don’t think he was never out of it but sometimes by the end of the night he’d have a little bit of loop on - Ah comme c’est joliment dit. Un Français dirait qu’il perdait les pédales, mais Walter parle d’un little bit of loop on. Et puis on connaît la suite de l’histoire, Jerry n’est pas content du son de l’album. Il remixe tellement que le son est de plus en plus pourri. Johnny se marre : «All he did was bring the drums up in the mix.» Puis Jerry s’en prend à tout le monde, les studios, le producteur, le label, et pour finir Leee et même les Heartbreakers. Mais Track veut sortir l’album avant les fêtes et Jerry peut gueuler et menacer, ça ne changera rien. L’album sort le 3 octobre. Trois jours plus tard, Jerry quitte les Heartbreakers. C’est là que Rat Scabies auditionne. Mais il n’est pas un Heartbreaker, comme Walter l’a déjà dit.

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    Il revient bien sûr sur les raisons de «l’échec» : la présence d’un drunken Kit Lambert au mastering, l’inexpérience de l’ingé-son Danny Secunda (le frère de Tony), les remix de Jerry dans le dos du groupe après qu’ils aient tous approuvé le master. De leur côté, les critiques rejettent la responsabilité sur Speedy Keen. Quel cirque ! Et après tout le monde ramène son petit grain de sel, c’est à qui fera du qui mieux mieux d’expert à la mormoille, oh j’ai acheté de mix machin, oh il faut écouter le mix truc. C’est presque une insulte à la mémoire des Heartbreakers. Walter dit qu’il aime bien l’album. Rappelons pour mémoire qu’en 77, on s’en goinfrait tous comme des porcs, alors laisse tomber tes mix à la mormoille. Et puis en pleine tournée de promo, Track dépose le bilan et les Heartbreakers se retrouvent sans support. We were on our own. Walter tient cependant à apporter une précision importante : même si LAMF est un excellent album, il ne restitue pas le power des Heartbreakers - LAMF didn’t EVEN begin to approximate what we sounded like. At their best, on their night, in the moment and on the edge, the Heartbreakers really could break hearts. Every component in its right place, every riff nailed down and solo locked tight, every lyric defiant, every hair in place, the Heartbreakers remain the greatest band I have ever seeen, heard, or dreamed of.

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    Avec le départ de Jerry, les choses deviennent insolubles. Au Bataclan, on a vu Terry Chimes à sa place. Mais les Heartbreakers ne parviennent pas à trouver un remplaçant permanent. C’est impossible - His drumming was totally instinctual and incredible. He never even had to practice, he was just a natural - Et Walter nous brosse un portrait hallucinant de Jerry : «Il avait des valeurs personnelles de très haut niveau, mais se haïssait de ne pouvoir y conformer sa conduite. Au fond de lui, il haïssait les drogues et les junkies. Il crevait d’envie d’avoir une petite amie qui fut vierge. Au fond de lui, il était raciste et homophobe. Il cultivait toutes les phobies et toutes les obsessions de la classe moyenne de droite. Mais il ne parvenait pas non plus à s’y conformer. Il n’arrivait même pas à être antisémite, car sa copine était juive.» Et plus loin, Walter en rajoute et c’est hilarant : «Comme il ne faisait plus partie du groupe, il ne tarissait plus d’opinions à son propos. Même s’il se plaignait encore du mix, il ne s’en prenait plus à Track. Pourquoi ? Parce que le nouveau groupe qu’il venait de monter avec Steve Dior, the Idols, allait enregistrer des démos pour Track.»

    Puis Walter apprend que Johnny qui est resté à Londres entame une carrière solo. Walter pense qu’il a encore besoin des Heartbreakers, mais il se trompe. Les choses vont se défaire toutes seules. Walter et Billy reviennent à Londres, mais Johnny ne les appelle pas. Et eux ne font aucun effort pour le voir. Walter et Billy avaient ramené Spider, le batteur noir de Pure Hell pour redémarrer les Heartbreakers, mais Johnny est passé à autre chose. Il ne reformera les Heartbreakers de temps en temps que pour se faire un billet.

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    Walter rentre à New York et prend un job de trader. Mais il continue de se shooter - I’d be running out at lunchtime to buy drugs - À New York, c’est facile, on en trouve partout. Il rappelle aussi qu’à Wall Street, à cette époque, tout le monde prend de la coke. Il y a même une gonzesse dans son bureau qui est une grosse dealeuse de coke - Coke was everywhere, and pot and hash as well - Il raconte que les fêtes au bureau étaient bien trash, avec des gens qui faisaient la queue devant les toilettes pour aller se faire un rail - All these Fortune 500 companies, the entire work force, lined up to shoot or snort some coke - C’est d’ailleurs ce que montre Scorsese dans The Wolf Of Wall Street. Dope all over the biz. Une réalité.

    Dans l’épilogue, Walter évoque le dernier concert des Heartbreakers à New York en novembre 1990, avec Tony Cairo des Waldos on bass et Jerry on drums. Six mois plus tard, Johnny était mort. Walter n’a pas d’avis sur le mystère qui entoure sa mort - All I can say is that I don’t know. Je n’avais plus de nouvelles de Johnny depuis 6 mois. Je ne savais même pas qu’il était à la Nouvelle Orléans - Et il ajoute un peu plus loin : «Par contre, je sais que ses trente-huit ans de vie sur terre avaient mis son corps à rude épreuve, et qu’il ne s’occupait pas de sa santé. Je sais aussi que pendant dix-sept ans j’ai redouté ce coup de fil m’annonçant sa mort. Ça n’enlève rien au choc que j’ai ressenti en apprenant la nouvelle, mais au moins, je sais que je n’aurai plus à redouter ce coup de fil.»

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    Il évoque ensuite les fameux concerts du quarantième anniversaire de LAMF qui eurent lieu dans un club du Bowery, à New York, avec Wayne Kramer, Jesse Malin, Clem Burke, Cheetah Chrome et d’autres gens. Il existe d’ailleurs un album et un DVD : les concerts furent enregistrés et filmés. Il est recommandé de voir le DVD car l’album ne donne aucune information sur qui fait quoi. Comme le système marche bien, Jesse Malin propose à Walter de continuer avec d’autres gens et hop, Walter nous sort les noms de Mike Ness, de Billy Joe Armstrong, de Glen Matlock et même de Steve Jones. Mais apparemment c’est resté à l’état de projet.

    Pour conclure, Walter redit sa joie d’avoir fait partie des Heartbreakers, un groupe qu’il situe à juste titre dans la catégorie des shooting-star types of artists who blaze so brightly but briefly, et il cite les noms de Pistols et des Dolls, bien entendu. Et il boucle ainsi : «Je crois que si on avait eu plus de succès, on serait morts plus tôt, étant donné nos penchants à l’époque. La raison pour laquelle j’ai survécu tient au fait que j’ai dû reprendre un job, ce que n’ont pas fait Johnny, Billy et Jerry. Johnny n’a jamais travaillé un seul jour de sa vie. Ce fut une belle aventure, but it comes with one hell of a price.»

    Une jour que nous causions d’eux, je fis l’éloge du concert des Heartbreakers au Bataclan, allant jusqu’à dire qu’aucun show n’avait jamais égalé celui-là, à quoi Marc Z répondit en rigolant qu’on lui avait plusieurs fois dit la même chose. Curieusement, Marc n’est pas cité dans le Walter book. Octavio et Henri Paul le sont plusieurs fois. Et donc pour pallier à ce déficit citatoire, nous lui rendrons hommage en lui dédiant ce texte.

    Signé : Cazengler, Walter Plure

    Walter Lure. To Hell And Back. My Life in Johnny Thunders’ Heartbreakers. Backbeat 2020

     

    He said Captain I said Wot

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    Mojo se démocratise : le Mojo Interview habituellement réservé aux célébrités reçoit cette fois ce vieux branleur de Captain Sensible qui jadis nettoyait les gogues at Croydon’s Fairfield Halls. D’ailleurs, la première chose qu’il fait dans le gros chapô, c’est de se vanter d’être sixty-fuckin’-six years young et d’affirmer qu’il n’est jamais devenu adulte. Puis il rappelle que son père l’a baptisé Raymond parce qu’il bossait comme portier dans un club de strip-tease à Soho, Raymond’s Revue Bar. Avec Captain Fun, c’est la rigolade assurée. À l’école, le jeune Ray n’a qu’une seule ambition : devenir biker. Jusqu’au jour où il entend «See Emily Play» à la radio. Il change de vocation mais il n’oublie jamais de rappeler qu’il n’est pas très intelligent - I’m a bit of a bluffer, really, I can’t do the really clever stiff - Quand il était ado, ses copains et lui prenaient du LSD et chouraient une bagnole pour descendre voir la mer à Brighton. Sans le LSD il serait dit-il devenu un football hooligan. Il avoue humblement tout devoir au LSD et notamment la découverte de Soft Machine and Egg, people like that. C’est l’époque où il bosse at Fairfield Halls avec Rat - I cleaned the toilets et Rat cleaned the floors - C’est Rat qui va un jour passer une audition à Londres. Ray voit Rat rentrer à Croydon avec les cheveux taillés courts. Wot ! C’est pas possible ! Aucune fille ne regarde un mec à cheveux courts en 1976, mais Rat s’est coupé les cheveux pour l’audition et il a rencontré un mec nommé Brian James. C’est la révélation ! Rat prédit même l’avènement d’une révolution. Wot ? Pas question pour Ray du cul de se faire couper les cheveux. Puis il rencontre Brian chez lui à Kilburn. Il a déjà toutes les chansons, «New Rose», «Fan Club». Pour Ray du cul, c’est du Chuck Berry on speed. À son tour, il voit Brian comme un visionnaire. Il ajoute qu’à Londres cette année-là, il y en avait d’autres - Not me, but Tony James, Malcolm McLaren, a couple of Pistols, Mick Jones. They knew what was coming - Et pouf, les Damned entament leur wild ride - I wasn’t the best looking bloke in the world and not the greatest musician but that if I did something diabolical on-stage it would be me who had his picture in the press and not Brian or Dave. And I liked that - Puis tout s’arrête brutalement lorsque Brian quitte le groupe. Captain Tutu reconnaît que ce n’était pas facile pour Brian de côtoyer des fous - Me and Rat were fucking horrible. A couple of menaces - Partout où ils vont, ils sèment le chaos, les gens ont peur du couple Capt/Rat qui se spécialise dans l’arrosage au ketchup, à la moutarde, à la bière et, quand ils y ont accès, aux extincteurs.

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    Lorsque les Damned post-Brian James se retrouvent en studio pour Machine Gun Etiquette, Capt explique que les choses se passent beaucoup mieux que prévu - There was a lot of booze and whisky around - Algy Ward est le bassman des Damned et Captain Crazy indique qu’il joue la bassline de «Love Song» avec une pièce de monnaie. Mais Algy est hors de contrôle et Rat lui demande de se calmer, sinon, on sort dans la rue pour régler ça. Wot ? Tu ne parles pas comme ça à Algy Ward. Tu veux sortir ? Alors viens mon con joli. Ils sortent, pif paf, et adieu Algy. Paul Gray le remplace sur le Black Album. Aux yeux de Captain Marvel, Paul et Algy sont les meilleurs bassmen des Damend - I’m third. Or even fourth.

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    Il est heureux le brave Captain à cette époque car il est payé pour jouer de la guitare et la bière est gratuite. Pour lui, c’est quand même mieux que de nettoyer les gogues. Il se fout même de savoir que les Clash sont en Amérique avec CBS derrière eux. Rien à cirer de la célébrité. Captain Flush ne pense qu’au fun. Il vit encore chez mum and dad quand un jour mum lui dit : «Your mate, Roley or Boley, he’s died in a car crash!». Captain Rex est fan de Bolan surtout depuis la tournée des Damned avec lui en 1977 et la nouvelle de sa mort le choque tellement qu’il s’enferme dans sa piaule. Il écrit une chanson pour calmer son chagrin : «Smash It Up» - As in smash the car up. It’s quite a sad piece of music, a deep little piece - Quand il signe son contrat solo, A&M lui file une avance et lui demande un hit. Il rentre chez mum and dad à Croydon et sort «Happy Talk» de dad’s collection - Happy Talk was their tune if you like - Tony Mansfield produit et ça devient un hit. Captain Happy parle de Mansfield en termes de genius. Puis il rencontre la backing singer Rachel Bor. Mais il ne peut plus mener les deux carrières de front, la solo et celle des Damned. Surmené, il tombe dans les pommes. C’est là qu’il doit faire un choix : ça sera la solo - So I chose the career that was making money - Jusqu’au moment où une huge tax bill lui tombe dessus et il se retrouve dans la dèche. Comment il s’en sort ? En faisant de la pub avec Wot pour Wotsits. Et pouf, il s’achète une baraque à la campagne. Et Dave finit par proposer à Captain Luck de reformer les Damned dans les années 90, mais ceci est une autre histoire. Nous y reviendrons.

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    Dans le Mojo Interview, Captain Wreck torpille le film de Wes Orshoski, Don’t You Wish That We Were Dead, car ça tourne trop autour des règlements de comptes. Mais nous dit Captain Oï, c’est pareil dans tous les groupes et il ajoute en rigolant que les Damned auraient mieux fait de se tuer en avion après leur premier album, comme ça au moins les choses seraient plus simples. Il n’est pas tendre non plus avec Tony Visconti qu’il appelle Mr Tony Visconti, le producteur du dernier album des Damned, Evil Spirits. Et puis arrive le sujet brûlant : la reformation du line-up originel des Damned et là Captain Marvel fait merveille. Il pense qu’il était important de le faire avant que l’un des quatre compères ait cassé sa vieille pipe en bois - il emploie une autre expression : before one of us kicks the bucket - et il s’enflamme sur la grandeur de l’original line-up : «No one else sounded like that. Il was very powerfull» - et il a raison. Rien de plus powerfull que les early Damned. En bon fouteur de merde, le Mojoman ramène Captain Hook sur un sujet de discorde : Dave et Rat auraient paraît-il racheté le catalogue Stiff des Damned, d’où la rancœur de Ray à l’égard de Rat. La réponse ne se fait pas attendre : «Non. Il faut avancer. Le comportement de mes collègues est un autre sujet. J’ai 66 balais et tout ça date d’il y a longtemps. J’étais alors un parfait connard - a complete arsehole - je dois bien l’admettre, an absolute liability, comme le sont mes chers collègues d’ailleurs. Ce ne sont pas des saints. Je ne dis rien de plus que ce que je dis.» Bon ils annoncent les concerts de reformation et soudain, la peste ravage le pays. The curse of the Damned !, s’exclame Captain Plague.

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    Comme déjà dit, on reviendra sur l’histoire des Damned une autre fois. Puisque Captain Solo est à l’honneur avec ce Mojo Interview penchons-nous si vous le voulez bien sur son extraordinaire carrière solo. En 1982, on le retrouve dans une chaloupe du Titanic. C’est la pochette de Women And Captains First. On y trouve le célèbre «Wot» et sa bassline, cette délicieuse mécanique qui sous-tend le cut de bout en bout et que tous les bassmen du monde se sont amusés à rejouer. Mais avec «Nice Cup Of Tea», Captain Sink se met à sonner exactement comme son idole Syd Barrett, mais avec une pointe de cockney en prime. Il boucle l’A avec le merveilleux «Happy Talk» qui fut aussi un hit et en B, il tape dans le jazz New Orleans pour nous trousser une joli coup de «Nobody’s Sweetheart». Quel sens aigu de la décadence ! Il revient à la pop avec l’excellent «The Man Who’s Gotten Everything». Des chœurs de filles juteuses jazzent le groove, comme elles jazzaient «Les Films de Guerre» de l’early Sanseverino. Ah ce Captain Fracasse, quel fantaisiste de choc ! On gagne énormément à le connaître. Un homme admirable à bien des égards. Son cut sonne exactement comme un truc en plume dans le cul, doux et beau. Qu’on ne vienne pas nous raconter qu’il a fait des mauvais albums dans les années quatre-vingt. Il boucle avec l’excellent «Croydon» et nous rappelle à son bon souvenir - In Los Angeles/ I’m still dreamin’ of ya Croydon !

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    Pour l’album suivant, The Power Of Love, il se fait tirer le portrait et affiche un look de jeune premier hollywoodien. L’album est ravagé par la mauvaise prod des années quatre-vingt et il faut attendre d’entrer sur la B pour tomber sur l’excellentissime «Glad It’s All Over» et ses Submarines/ In the harbour/ Incognito/ Submarines/ Of your dreams/ Not mine, et là, on se voit contraint de parler de génie. L’autre gros cut de l’album est le morceau titre. Il en fait une pop joliment pulsative. Captain Orlock profite de l’occasion pour renouer avec les énergies telluriques des Carpathes. Les vieux jus bouillonnent dans ses artères parcheminées. Fantastique personnage.

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    Revolution Now est un double album paru en 1989. Captain Furax y propose quelques éclats pop comme «A Riot On Eastbourne Pier». Il tape dans la fibre de l’Angleterre profonde - All these crazy people - et se plaît à incendier sa fin de cut. Captain Hellfire sait bricoler de la bonne pop anglaise, on le savait depuis Machine Gun. On trouve en B un beau «Wake Up» pop-punk sautillard. Captain Biz revient aux sources de son fonds de commerce, à savoir une certaine vision du punk-rock anglais qui passe par la pop. En C, il fait une sacrée reprise du hit des Equals, «I Get So Excited». Il part en mode diskö-pop et opère un violent retour au beat des Equals, avec toute l’énergie dont il est capable. C’est battu à la folie, l’esprit du cut veut ça et Captain Mad l’a bien compris. Baby Baby ! Quelle explosion ! «The Kamikaze Millionaire» souffre du mal de prod des années quatre-vingt, mais sous le festif croustille la braise d’un Anglais dans la force de l’âge, rempli de cette culture pop typiquement insulaire. C’est même de la pop endiablée, pas si éloignée que ça de la joie du dance-floor. Captain Bonzaï a bien le droit de s’amuser, après tout. Sa pop reste droite et bien gaulée. Il adore surtout faire le con.

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    Tiens voilà encore un classic album : The Universe of Geoffrey Brown paru en 1993. Dès «Holiday In My Heart», on sent la magnifique pop d’élancement somptueux. Captain Bifsteak œuvre pour la renommé de la pop anglaise, c’est évident. Il fait de la prog, mais soutenu par une clameur de chœurs galactiques. Sa compagne Rachel Bor joue du violoncelle à l’élancé du pont, tout reste extrêmement magique dans le monde coloré du grand Captain Achab. Il fait de «Come On Geoffrey Brown» une sorte de petit opéra à la Odgen des Small Faces, ou si vous préférez, à la Tommy des Who, mais c’est embarqué à l’énergie diabolique. Captain Prag tape dans la prog avec l’énergie des Damned, mais démultipliée. C’est extrêmement ambitieux. Et il atteint une fois de plus au pur génie avec «Getting To Me», claqué à la magie de la pop anglaise. C’est lui the lad of the mob, the beast of it all, il va taper dans la magie de pop anglaise comme d’autres vont siffler une pinte au pub. Encore de la pop explosive avec «Street Of Shame», extraordinaire débauche d’énergie pop. Captain Tagada chevauche son dragon en rigolant comme un bossu. On a là un fabuleux hit d’antan, terriblement volontaire et indiqué. Même quand il fait de la pop, on entend les Damned, de là à conclure qu’après le départ de Brian James, Captain fait les Damned, c’est un pas qu’on laisse à d’autres le soin de franchir. Il donne un énorme coup pied dans la fourmilière du pop punk avec «The Message», il rallume la chaudière et ça explose. Captain Conan sait donner de la voix, tout est conjugué à l’innovante innervée. Il termine cet album épique avec un «Universe Of Geoffrey Brown» monté sur le riff de «Baba O’Riley». Quel fabuleux Zélig, il fouine partout, il entre dans le lard de la grande pop anglaise et crée un monde de son et de guitares exubérantes.

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    Il faut avoir écouté au moins une fois dans sa vie le Live At The Milky Way du bon Captain Hook, car c’est un album spectaculairement bon. On y voit ce démon exploser tous ses hits un par un, accompagné de Paul Gray. Il smashe «Smash It Up» et se fout de la gueule de David Sylvian, puis «Back To School». Captain Flash monte au créneau comme nul autre en Angleterre. Il le fait avec une sorte de classe d’aristocrate dégénéré, puis il raconte son histoire dans «Come On Geoffrey Brown». Ce live prend ensuite une allure mythique avec «Happy Talk». Il sait parfaitement bien embarquer un hit pour Cythère et il enchaîne avec «The Kamikaze Millionaire», fantastique pop d’époque. Ce mec n’en finit plus d’aligner les combinaisons gagnantes. On se prosterne devant une telle aura. Et voilà qu’il tape dans «Love Song», le hit absolu - Just for you - Captain Sparrow n’en finit plus de danser avec le génie, et paf, il enchaîne avec «Neat Neat Neat» - Especially for Cliff Richard and David Sylvian - Tout le génie des Damned remonte à la surface, c’est intenable, joué à l’ultimate bouillonnante. Que peut-il faire de plus ? Taper «New Rose», par exemple, alors il y va, mais avec l’énergie du diable. On a là une épouvantable version, c’est de la macédoine de légende, Captain Wild se jette à corps perdu dans la bataille - I can feel inside of me - Il explose la vieille Rose. Et il passe à «Wot», que Paul Gray prend au bassmatic, mais il ne se contente pas de le jouer, il le dévaste, il en fait une version post-punk démente, avec des chœurs qui défient toute concurrence. Ça ne s’arrête pas là. Captain Nemo tape ensuite dans ses racines avec une monstrueuse version de «Looking At You» du MC5 - When it happens - et il oh-no-notte, il l’explose et passe les solos endiablés de Wayne Kramer. Il termine ce live affolant avec une version d’«Hey Joe» purement hendrixienne, bardée de move de groove originel, presque supérieure en tout, complètement explosive, et il boucle enfin avec l’imparable «Glad It’s All Over» qui sonne comme l’hymne national de l’underground britannique.

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    Paru en 1995, Meathead fait partie des disques hautement recommandables. Il s’agit d’un double album bourré à craquer d’exercices de styles tous plus effarants les uns que les autres. On le voit dès «Sally Blue Shoes», Captain Flint a toujours l’air de dominer la situation. Il propose de la pop à synthés mais avec une autorité qui tue les mouches. Ce mec a du cran et des idées bien arrêtées, alors les choses deviennent vite captivantes. Il attaque «Rough Justice» aux spoutnicks et au punkyrama. Il s’appuie de toute évidence sur de solides antécédents. Même si c’est battu au diable Vauvert, ça vire un peu pop. Quel étrange mélange de crédibilité punkoïde et putasserie pop ! Il a le cul entre deux chaises. Notre bon Captain Wave doit adorer l’instabilité. Il reste dans la belle pop anglaise avec «The Love Policeman». C’est son argument définitif, semble-t-il. Il tâte une fois de plus de la pop magique et bien intentionnée. Il tape plus loin dans l’expérimental psychédélique avec un «Zarbo Nebula» en quatre parties. Cette comédie condamne l’album à l’underground. Il bombarde le Part 2 d’attaques de wah, il voyage dans son univers et franchement, c’est excellent. Il bute le cosmos dans le Part 3 et dans le part 4 il demande : Can I have your attention please ? Et ça vire hypno ! On est entre de bonnes mains. Captain Morgan nous invite au voyage et il se met à jouer les dingos sur ce bon beat hypno - Right can I have your attention ? - Puis il passe à «Freedom» et lance un hey now welcome to the zoo. Ça se politise à outrance - Be a beggar/ Be a conman/ be a mugger/ be a whore - Il revient à la pop du paradis avec «Pasties». La pop reste bel et bien son apanage. Il crée l’illusion. Oh qui dira la modernité du Captain Haddock ? Il est comme Swamp Dogg, intarissable de son et d’idées de son. Il prend «Love Thing» au rock seventies et développe un fantastique espace de prog voyageur. Il explose son univers à coups de solotage. Ce disque est celui d’un fantastique aventurier. Ray Burns n’est autre que Lord Jim, mais sans pathos. Le disk 2 est encore plus spectaculaire. Il revient à la pop magique dès «Aliens Of The Lord» qu’il chante down the bingo avec de fiers accents cockney aux entournures. Il faut lui reconnaître une belle ampleur catégorielle. Prière de ne pas enfermer Captain Blackbeard dans les Damned. Il prend «Space Shuttle» à l’instro de choc et ça s’étend loin à l’horizon, c’est noyé de son, plein d’aventures et de wah system. Il ne vit que pour l’enchantement psychédélique. Il faut prendre ce mec très au sérieux. Ses solos de wah sont d’une rare férocité. Il affûte ses attaques et s’en va gicler dans l’azur immémorial. Encore une merveille avec le morceau titre. Il entre dans le vif du sujet après une intro déconnante. Quand on l’entend passer ses puissants accords, on comprend qu’il a écouté des bons disques quand il était jeune. C’est puissamment drivé. Il crée des petits mondes à coups de spatio-temporalités extraordinaires. Il adore l’espace, comme on le constate une fois de plus à l’écoute d’«Honeymoon In Acapulco». Captain Sensible n’est autre que Major Tom. Il s’amuse tout seul. Personne n’ira le suivre sur six minutes de spatio-temporalité à la dérive coïtale, mais ce n’est pas grave. Back to the magic pop avec «Can You Hear Me». Il lâche toutes ses troupes dans cette nouvelle merveille effrontée et distanciée. C’est même claqué du soubassement des carters de boîte et admirable de rectitude longitudinale. Ça se termine avec du solo à la MC5 et il faut entendre Paul Grey claquer ses notes de bas de manche ! Quelle fabuleuse énergie translucide ! Il repart pour 15 minutes de trip avec «Business Trip To Saturn». Bienvenue à bord de ce fantastique voyage à destination de Saturne ! Captain Trip est heureux de nous accueillir à bord, nous autres fans introvertis de Syd Barrett. Set the controls for the heart of Saturn ! On traverse une première galaxie chargé de son. Les cœurs battent la chamade et le beat s’accélère. On traverse des paysages extravagants et solides. Captain Wah wahte comme un beau diable. Il traite aussi «Inventing The Wheel» à la wah sauvage. Il travaille sa pop au corps, il devient complètement dingue avec sa pédale. Il viole toutes les conventions. Il revient à sa vieille pop avec «The Last Train». C’est plein d’effets vengeurs. Il sait saquer la gourde d’une casse de typographe ! Voilà encore un fabuleux cut atmosphérique traversé par l’un de ces solos rageurs dont Pasteur ne serait jamais venu à bout. On se fend bien la gueule à écouter «Festival Radio Jingles» et Rachel Bor chante ensuite une autre merveille intitulée «We Are The Aliens». Captain Dada passe à la dada jam avec «Stabilizer jam». Des machines se parlent avec des réflexes de perroquets du Zoo de Zanzibar. Il ramène des riffs de punk et fait du pur dada. Bienvenue chez le Picabia du punkyrama. Il finit cet album héroïque avec «Plastic Arcade». Il sonne comme un héros, le héros qu’on a envie d’entendre en Angleterre. Il ramène toute l’énergie des Pistols, mais sans ressentiment. Derrière, Paul Gray fait le con. Voilà encore du génie pop à l’Anglaise.

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    Tout est diaboliquement bon sur Mad Cow & Englishmen. Ça part en trombe avec «While Wrecking The Car», hit de car crash pop qui sonne comme un hymne. Il n’existe décidément rien d’aussi déterminant que cette façon d’illuminer l’univers. On ne peut que vénérer cet immense artiste. Il revient à sa chère pop-punk avec «Bob’s Brown Nose». Eh oui, on sent nettement l’empreinte des Damned. Captain Pop opte ici pour un ton délicieusement cassant. Sa pop se veut atmosphérique, lourde de sens et ambitieuse. Les chœurs relèvent de la magie pure. Écoute bien les albums de Captain Sensible, car ce sont des œuvres incroyablement solides. Avec «The Stately Heroes Of England», il part en mode beatlemania de voix arrières, style Magical Mystery Tour. Extraordinaire ambiance ! Pop d’écran de soie. Puis il brise ses chaînes avec «Smashing The Chains», nouvel exercice de pop fantastique. Il faut voir de quelle façon il amène son «Mr Brown’s Exploding Wallet» : pur jus de pop anglaise. Captain Fury défie les géants du genre. Fantastique et complètement extraverti, nice and sleezy. Monty Oxy Moron fait déjà partie de l’aventure. Et on le sait, Captain Fingers joue de la guitare comme un dieu. Il salue les végans dans «Mr Farther» et revient à la power pop avec «The Letters Love Past» - Big Ferrari engine like a lion’s roar/ I can buy me anything/ And I’m spending more and more - Il raconte qu’il a gagné à la loterie et il renoue avec le génie pop dans «One Little Wonder», mais tout est si bien foutu sur cet album, lyrics, ton, thèmes, son, que les bras nous en tombent.

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    On retrouve tous les hauts faits de Captain High sur le Best Of qui s’appelle Sensible Lifestyles. Comme on l’a vu, cet énergumène est parfaitement capable de se suffire à lui-même. Il fait les Damned tout seul, quand il veut, où il veut et selon ses termes. On retrouve le «Revolution Now» joué aux machines, mais on y retrouve aussi son sens aigu du beat violent et de l’avance rapide. Figure aussi sur Lifetime cette version violente de «Smash It Up» et le fameux «Happy Talk» gratté aux accords hendrixiens. C’est l’un de ses hits les plus explosifs. Captain America sait mener la danse. C’est un peu comme s’il ramenait la cavalerie. Son plus beau hit restera bien sûr «Glad It’s All Over», avec son sentimentalisme sensible, l’explosion du son et les submarines in the harbour. Quant à «Sporting Life», c’est allumé d’entrée, voilà un petit chef-d’œuvre de pop musclée. On retrouve aussi sur ce Best Of son hit le plus connu, «Wot», ramoné par cette gigantesque bassline dont on a déjà dit le plus grand bien.

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    Captain Sensible reprend du service dans les Damned en 1997, mais ça ne l’empêche pas de monter des side-projects, comme par exemple Sonny Vincent & His Rat Race Choir ou The Sensible Gray Cells avec ses vieux potes Paul Gray et Marty Love, the Johnny Moped drummer. On ne sait comment s’y prend ce brave Captain Move, mais il s’arrange toujours pour sonner de façon contemporaine et vitale plutôt qu’anachronique et maniérée. C’est son truc, la botte de Captain Nevers. Dans une interview pour Vive Le Rock, il dit toujours adorer ses premières amours, Ray Davies, Burt Bacharach et les Small Faces. Et il s’emballe : Piper At The Gates Of Dawn, Pet Sounds, Butterfly, Sgt. Pepper ! C’est ce qu’on entend sur Get Back Into The World, leur deuxième album paru en 2020. Captain Psychout y offre un véritable festin de freakout, notamment dans «So Long», pur chef-d’œuvre de belle déglingue. Avec «Sell Her Spark», il entre dans le vif du sujet, il ramène sa wild guitar et crée du flux, mais pas n’importe quel flux, du flux de flush. L’autre hot shot de l’album s’appelle «I Married A Monster». Captain Fracasse y joue des gimmicks de gaga-punk et Paul Gray rôde dans le son comme un furet, c’est somptueux et stupéfiant à la fois, ils envoient tout le drive de crazy beat qu’on peut espérer, c’est bien meilleur que les Damned. Il va plus loin sur une pop plus évolutive («Stupid Dictators»), il sait jouer sur plusieurs tableaux. C’est Paul Gray qui vole le show dans «A Little Prick», il joue ça au drive dévorant. Ça sent bon l’osmose de la comatose. Big album, c’est évident. Et puis avec «What’s The Point With Andrew», Captain Wrath règle ses comptes. Il s’en prend au Prince et à la famille royale. Il n’en peut plus de cette famille royale qui se fait aider financièrement par le gouvernement. Dans l’interview à Vive Le Rock, Paul Gray dit que the whole lot of them devrait être aboli et envoyé au Job Center. Et Captain Anger ajoute qu’il n’a jamais pu les supporter, car on les présentait comme des modèles au peuple britannique, et c’était dit-il loin d’être le cas. Puis ils se payent une fantastique virée dans la mad psychedelia avec «Fine Fairweather Friend» et «Another World». Captain Shankar y fait sonner sa guitare comme un sitar, il cite Alpha Centauri et ça devient très bizarre, très embringué. Beaucoup trop embringué.

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    C’est très instructif d’écouter Captain Sans Peur et Sans Reproche jouer dans le Rat Race Choir de Sonny Vincent. En 1997 paraissait Pure Filth, un album chargé de relents stoogy. Pas étonnant, puisque le batteur n’est autre que Scott Asheton. Sonny Vincent est un mec qui chante à la bonne absolution. Il n’existe pas sur cette terre une aussi belle brochette de crumbies que le Rat Race Choir. Cheetah Crhome complète le panorama. Ils misent sur le syndrome du super-groupe. Avec «Always A Catch», ils rendent un fier hommage aux Stooges. Captain Sens Dessus Sens Dessous monte bien au créneau. Sonny Vincent chante comme il peut, bon c’est sûr qu’il n’est pas Iggy. En fait c’est Captain Sans Scrupules qui fait les Stooges tout seul dans son coin, comme un gros raton laveur dans sa cage. C’est rigolo car il devient ridicule, on est mort de rire. Le Rat Race Choir reste dans les Stooges pour «Life To Life», puis bizarrement tout bascule dans le punk’s not dead pas très beau. On entend Captain Sans Souci rouler sa bosse sur le gaga-punk de «Cinematic Suicide». C’est franchement pas jojo mais comme le Captain est con comme un manche, il fait ce qu’on lui dit de faire. Gratte ton bassmatic, Capt ! On avance ! Ils sont assez marrants car il n’y a aucune compo sur cet album, juste du gaga-punk d’étable, bête à manger du foin, avec un Captain Sans Retour qui ramone ses gammes comme un âne, et derrière, Scott Asheton bat son vieux beurre . L’aventure s’achève avec un «War Party» amené aux accords stoogy. C’est mal chanté, Sonny Vincent se prend pour Jeffrey Lee Pierce mais son «War Party» n’est pas «Death Party». Ça se fond néanmoins dans le groove et Captain Sans Dec ramène le drive que joua Noel Redding dans «Hey Joe».

    Signé : Cazengler, Captain Sempiternel

    Captain Sensible. Women And Captains First. A&M Records 1982

    Captain Sensible. The Power Of Love. A&M Records 1983

    Captain Sensible. Revolution Now. Deltic Records 1989

    Captain Sensible. The Universe of Geoffrey Brown. Humbug 1993

    Captain Sensible. Live At The Milky Way. Humbug 1994

    Captain Sensible. Meathead. Humbug 1995

    Captain Sensible. Mad Cow & Englishmen. Scratch Records 1996

    Captain Sensible. The Best Of. Sensible Lifestyles. Cleopatra 1987

    The Sensible Grey Cells. Get Back Into The World. Damaged Goods 2020

    Sonny Vincent & His Rat Race Choir. Pure Filth. Safety Pin Records 1997

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    Pat Gilbert : The Mojo interview. Mojo # 329 – April 2021

     

    L’avenir du rock - Fontaines de jouvence

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    Alors comment se porte l’avenir du rock ? À son chevet, les médecins ne cachent pas leur inquiétude. Comme d’habitude, ils racontent n’importe quoi. Ça le fait marrer, l’avenir du rock. De toute façon, il n’aime pas les médecins. Il les soupçonne de bosser pour le compte des gros labos impérialistes et de refourguer aux gens des tas de médocs qui ne servent à rien. Pouah !, fait l’avenir du rock, fuck it ! Leurs médocs, ils peuvent aller se les carrer où je pense ! Up the arse, les médocs !

    L’avenir du rock fera comme il a toujours fait depuis soixante ans, il va se dépatouiller tout seul. Pas question de tremper dans leurs combines. Pas question d’alimenter leur petit biz à la mormoille. L’avenir du rock a bien raison de ne pas se faire de mouron, car il ne s’est jamais porté aussi bien. Eh oui, les gars, voilà que la presse anglaise nous sort en 2018 un buzz de derrière les fagots de Tin Pan Alley, comme elle sait si bien le faire : Fontaines D.C., un groupe de kids irlandais littéralement tombé du ciel, c’est-à-dire sorti de nulle part. Et pour une fois, le buzz repose sur du solide, sur un vrai son, une vraie voix et de vraies compos. The boys are back in town, comme le disait si joliment Phil Lynott. Dans 150 ans, les historiens du rock qualifieront certainement Fontaines D.C. de plus gros buzz des années 20.

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    Leur premier album s’appelle Dogrel et sa pochette déroute un peu. L’ambiance graphique se veut résolument post-punk. Photo de cirque et typo hasardeuse, on ne sait pas trop quoi penser, alors on écoute «Big» et là, bonne surprise, le petit chanteur qui s’appelle Grian Chatten part en mode Irish cockney déjanté. C’est assez bien amené, avec un beau big beat. Ils vont fonctionner ainsi tout le long de Dogrel, en forçant l’admiration. Si tu aimes le son pour le son, alors cet album est pour toi. C’est essentiellement un album de son qu’il faut écouter dans de bonnes condition, bien sûr, pas sur un smartphone. Les petites Fontaines ont beaucoup de son et des bons micros. Ils savent pulser un beat, bon d’accord, ils font du post-punk, mais on sent chez un eux un goût prononcé pour la démesure, mais une démesure vois-tu qui met en appétit. Ils optent pour une formule disons éculée, pour rester poli, mais ça fait partie du boulot que de savoir l’accepter telle quelle. Ah si on se laissait un peu aller, on irait jusqu’à dire qu’aujourd’hui tout n’est plus que formules éculées, alors ne nous privons pas du plaisir de voir des petites Fontaines naviguer sur des eaux mille fois éculées de la Britpop d’Adorable. Pour montrer qu’ils ont de bons réflexes, ils embarquent «Hurricane Laughter» à la basse fuzz, alors forcément ça sent bon la resucée, ils jouent cependant leur Hurricane avec la dignité du dernier souffle. La basse surgit derrière l’épaule d’Orion. Avec cet Hurricane, ils nous font du pur Fall. C’est tout de même incroyable que ces petites Fontaines soient devenues si populaires avec du pseudo-Fall et du simili-Adorable. Mais ils y mettent tellement le paquet que ça fonctionne au-delà des espérances les plus rances. Ils font aussi du son aussi sec qu’un saucisson sec avec «The Lotts». Reconnaissons néanmoins que les arrangements de cordes sont superbes. C’est d’ailleurs le contraste qui intrigue. Les strings et le mal aimable ne font généralement pas bon ménage. Ils continuent d’exacerber l’ingratitude du son avec «Chequeless Reckless», le petit chanteur ramène son Irish cockney et on assiste à une belle montée de la tension du son, all across the nation, et là, pouf, ils se tapent une belle embardée en forme de gros solo trash, puis le cut s’en va cavaler dans la nuit, what’s really going on ?, et on finit par le perdre de vue. Mais ça n’est pas tout : voilà qu’ils ramènent les accords de «Gloria», de la frenzy et de l’Irish cockney dans «Boys In The Better Land» - Put the boys in the better land - C’est scandé à l’excellence des petites Fontaines, ils sont dans leur transe irlandaise, ça parle de spirit, et quel spirit ! Grian Chatten drive bien son boys in a better land, et avec ce solo trash à la clé, ça devient une sorte d’énormité. De fait, on touche à l’inespérabilité des choses. Comme ces pauvres gens qui jadis gagnaient leurs sous un par un, les petites Fontaines gagnent leurs fans un par un.

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    Ils récidivent deux ans plus tard avec A Hero’s Death et une pochette encore plus déroutante que la première. La statue est moche mais on s’en fout car voilà un very big album, même s’il met un certain temps à convaincre les cons vaincus. Pourquoi ? Parce que ça démarre sur des tempos bien connus des fans de Joy Division. On est dans cette ambiance un peu lourdingue, pas décidée à sourire. On est dans le sans surprise. Aujourd’hui, les groupes conquièrent le monde avec du sans surprise. Évidemment, c’est très produit. Il faut voir comment la batterie résonne dans le son. Un vrai prodige technique. Voit-on le bout du tunnel, c’est-à-dire de l’intérêt ? Le dark du deep atmopsherix finit toujours par révéler sa beauté. «Love Is The Main Thing» semble tendu de velours noir. On voit que les racines post-punk remontent dans la gorge de «Televised Mind». Ils cultivent admirablement la délectation morose. Malgré les poins bas comme «A Weird Dream», l’album reste d’un bon niveau, c’est très étrange. Ils peuvent même se montrer agaçants. Ils ressortent les petits accords atmosphériques de la Britpop dans «You Said», on a déjà entendu ça mille fois. «Oh Such A Thing» passerait bien pour un balladif en trompe-l’œil, mais coco n’a qu’un œil, comme chacun sait. Les petites Fontaines nous font du gros bingo de gaga, une merveille d’enculerie balladive qu’on aura du mal à leur pardonner. Mais soudain tout s’éclaire car voici venu le temps des énormités, à commencer par le morceau titre destiné aux amateurs d’Irish post-punk, mais chanté avec tout le brio de la bravado. The boys are really back in town, c’est excellent, on sent le cut qui ne veut pas courber l’échine, life ain’t always empty, et ça devient vite stupéfiant, typiquement le cut qu’on réécoute plusieurs fois tellement il éclate au firmament. Ils travaillent sur des grains exceptionnels et ça monte droit au cerveau, même à jeun, ce mec claque son chant au coin des couplets et revient au leitmotiv, life ain’t always empty ! Ils effarent les phares ! Ils montent au somment de la regalia. Ils emblasonnent l’excelsior. Ils enchaînent avec un «Living In America» tout aussi puissant, ces mecs sont comme les Idles, on ne sait pas d’où ça sort, mais ça sort, et quand ça sort, ça sort. Il jaillit un son vainqueur des petites Fontaines, leur America est une horreur de heavy groove. Et pouf, voilà «I Was Not Born» ! Ils finissent par avoir les gens à l’usure, ils défoncent la rondelle des annales avec leur beat élastique, ils disposent d’une vitalité extravagante, oui, c’est un son qui force l’admiration, mais l’admiration ferme sa gueule car elle sait bien au fond d’elle-même qu’elle est faite pour être forcée. On suivrait ces incroyables caméléons jusqu’en enfer. Ils sont passionnants. On peut vraiment compter sur eux.

    Signé : Cazengler, Fonteigne d’ici

    Fontaines D.C. Dogrel. Partisan Records 2018

    Fontaines D.C. A Hero’s Death. Partisan Records 2020

     

    Vous avais promis Sunami, une grosse coupure fibrique m'a privé d'internet... vous refile deux anciennes chroniques la première parue voici dix ans sur la livraison 41 du 23 / 02 /2011 et la deuxième sur la livraison 36 du 20 / 01 / 2011. Le tsunami sera là la semaine prochaine...

    THREE STEPS TO HEAVEN

    THE EDDY COCHRAN STORY

    BOBBY COCHRAN with SUSAN VAN HECKE

    LEONARD CORPORATION. 2003.

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    Deux Cochran pour le prix d'un. L'oncle et le neveu. Tous les fans de Cochran connaissent cette vieille coupure de presse – que l'on retrouve partout – vantant les mérites du petit neveu d'Eddie, reprenant à quatorze ans la succession de son oncle... Ca pue un peu le truc de journaliste prêt à tout pour obtenir un gros titre et deux colonnes en cinquième page...

    Un demi-siècle plus tard il faut se rendre à l'évidence, le journaleux de service avait le nez fin. Bobby Cochran, existe, il suffit d'ouvrir le livre pour le rencontrer. Lourd héritage ou transmission héréditaire ? A vous de juger. Mais avant d'avancer, avisons les fans qui voudraient connaître un peu mieux Eddie Cochran : c'est par ce bouquin – hélas non traduit en français – qu'il leur faut commencer. Les deux autres ouvrages que nous avons chroniqués sur Cochran, le Rock'n'roll Revolutionaries de John Collis et le Don't forget me de Darrel Higham, fourmillent de précisions muséographiques, dates, enregistrements, labels, orchestres, studios, tournées, mais si désirez rentrez en contact non pas seulement avec le travail de l'artiste mais sentir l'épaisseur humaine de l'individu que fut Eddie c'est bien sur cette relation de Bobby Cochran que vous devez vous ruer.

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    Ce n'est pas tant parce que Bobby a connu et côtoyé Eddie – en réalité pas autant qu'on le souhaiterait puisque il était dans sa dixième année lorsque son oncle disparut – mais parce que le livre est écrit d'un lieu privilégié, que tout autre biographe serait incapable d'atteindre, depuis l'intérieur de la famille Cochran. La chair et le sang des Cochran, comme il se plaît à le dire, et qu'il a pu en quelque sorte durant toute sa vie remonter les traces de son oncle, comme avec un laisser-passer back-stage qui lui a permis d'ouvrir toutes les portes, surtout celles que l'on referme soigneusement derrière soi, car l'on n'a pas envie que n'importe qui vienne mettre son nez dans l'envers du décor.

    Sanglantes furent les Pâques de la famille Cochran, ce 17 avril 1960, l'idole de Bobby a fait faux bond. Le grand frère adorable, la figure de proue, l'orgueil de la Cochran Family, ne reviendra plus apporter joie, bonheur, rires et bêtises dans la vie de Bobby. Au soir de ce jour des Parques funestes le petit garçon qui se couche dans son lit se fait le serment de devenir comme son idole pour qu'il ne meure pas tout à fait, pour que son passage en cette vallée de larmes ne soit pas comme une étoile filante dont le souvenir flamboyant ne dure qu'un instant dans la mémoire des hommes.

    C'est Dad, le père de Bobby qui lui enseignera deux années plus tard les premiers rudiments de la guitare. Sur une des deux vieilles caisses délabrées que le père avait récupérées dans une caisse promise à la démolition. Dad n'est pas un virtuose, mais il connaît les premiers accords ceux-là mêmes qu'il avait enseignés à Eddie une dizaine d'années auparavant... L'essentiel, ensuite il suffit de travailler. D'arrache main. Ce que fera le petit Bobby, jusqu'à devenir, selon un critique, un des douze plus grands guitaristes du pays, mais nous y reviendrons. Laissons-le se lancer à la poursuite de Chet Atkins.

    Un sacré bonhomme ce Dad. Pour que vous le situiez mieux, sachez que c'est lui qui a composé le poème inscrit sur la plaque funéraire d'Eddie. Un drôle de truc qui m'a toujours fait penser à l'Annabel Lee de Poe, «  les anges pas à moitié si heureux au ciel ». Je doute fort que le paternel de Bobby ait eu les connaissances littéraires de Poe. Le milieu social n'incline pas à une telle opportunité. Mais de l'esprit torturé de Poe, Dad a sans aucun doute partagé bien des tourments.

    Le sang des Cochran est vicié à la base. L'alcool y abonde. Dad boit, plus de raison. Au-delà de toute raison. Pour parvenir à ce point absolu où les rêves de gloire se mélangent en la sordide réalité des déchéances existentielles. Durant deux ans il ouvrira un studio dans lequel Eddie aimait à le rencontrer, mais les affaires ne seront jamais bonnes et il se résoudra à le fermer. Cet homme qui a fait mille boulots, qui a traversé la grande dépression des années trente, n'aura même pas conscience du rêve américain qu'il aura trimballé toute sa vie avec lui. Difficile à vivre, violent, coureur de jupons, il fit le malheur de sa femme qui finit par partir et de sa famille qui n'en pouvait plus.

    A quinze ans Bobby sera recueilli par la mère de sa petite amie qui l'hébergera et ira jusqu'à lui payer sa première vraie guitare alors que les amours adolescentes de ce futur gendre et de sa fille adorée se sont très vite muées en une simple et franche camaraderie... Mais le Dad de Bobby c'est l'est aussi l'autre Dad, celui d'Eddie qui n'apparaît pratiquement jamais dans les remembrances de Bobby, mais dont la personnalité est comme un double fantômal de celle de son père et comme mangée par celle de son épouse, Granny qui semble le véritable chef de famille alors qu'elle n'est que la poule protectrice de son petit Eddie chéri et préféré. Celle que la réussite d'Eddie investira de la puissance tribunicienne de la famille qui ne fera que s'accentuer après la mort de son mari survenue quelques mois après celle d'Eddie.

    Ainsi Granny jusqu'à sa mort reprochera à Bobby de s'être lancé sur les traces d'Eddie pour récupérer la réputation de son oncle. En fait, elle avait surtout peur de tout ce qui pouvait faire de l'ombre à la postérité d'Eddie.

    La famille Cochran est un peu méditerranéenne quoique le modèle en soit un peu universel. Les hommes commandent mais les femmes règnent. Elles se sacrifient mais ramènent à tout moment leur grain de sel. Les mâles vont au boulot – quand ils en trouvent – mais ils préfèrent s'adonner à de plus viriles occupations, la boisson et la chasse. Eddie ne déroge pas à la loi. Son amour des armes est connu. L'on peut encore admirer sa collection de couteaux et de fusils. Ce que l'on sait moins, ce sont les règles de la chasse à courre qu'il pratiquait. Quatre bonshommes bourrés à fond de train dans leur voiture faisant feu sur tous les lapins qui par malheur croisent leur route. Beaufs en goguette qui n'hésitent pas à abattre froidement et à bout portant une vache qui passait par là. Aventures picaresques : voyage des pieds nickelés au bout de la nuit...

    Bobby nous le rappelle : la Bible affirme que le péché des pères retombe sur les enfants. Une des raisons du froid qui s'établira entre Eddie Cochran et Jerry Capehart qui combine le rôle de producteur et d'imprésario sera la trop grande dépendance d'Eddie à l'alcool. De même pour la fameuse tournée anglaise avec Gene Vincent dont on essaie toujours de nous refaire le coup du dieu noir et de l'ange blond, Bobby Cochran nous décrit un Cochran de plus en plus porté sur la soulographie. Il avance des excuses et des explications : un pays pluvieux et très froid, une cuisine catastrophique, des centaines de kilomètres en des trains insupportables, et l'absence de Granny qui pèse lourd dans le coeur d'Eddie, mais il emploie à plusieurs fois le mot fatal d'alcoolisme qu'il rattache à mots couverts à un atavisme familial... Mauvais sang ne saurait mentir.

    Au contraire de Darrel Higham, Bobby ne laisse planer aucun doute sur l'abstinence sexuelle de notre rock star qu'il nous décrit comme toujours prêt à enfiler dans toutes les positions (in)autorisées la moindre créature féminine qui passe près de lui. Nous apprenons que les ébats de notre chaud lapin auraient laissé sur les rivages britannique – tout comme sur les rives australiennes – une progéniture qui se fit connaître ( mais non reconnaître ) une vingtaine d'années plus tard auprès de la famille...

    Reste le cas Sharon. Bobby Cochran n'élude pas le problème : il ne nous la présente pas toujours sur son meilleur jour. Eddie se serait-il marié avec elle ? Sans doute que non et peut-être que oui, mais en ce cas ils auraient selon son analyse très vite divorcés. Il rappelle que dans les hôtels où ils descendaient Eddie faisait tout pour qu'elle ait sa chambre à un autre étage que la sienne... Sharon était-elle une amoureuse intéressée ? Et Eddie un amoureux intéressant ? J'ose pronostiquer qu'Eddie avait surtout besoin de Sharon lorsqu'elle n'était pas là, mais qu'il était moins en manque de son absence physique que de sa présence dans sa tête. J'entrevois le lien qui l'attachait à Sharon comme un substitut à la personnalité maternelle. Sharon Sheeley était douée d'une forte personnalité et d'un grand appétit de vivre, cela attirait Eddie mais lui faisait peur. Eddie jouait au chat et à la souris avec Sharon Sheeley – je t'attrape et je lève la patte pour la rabattre dare-dare et caetera - non pas pour s'amuser de sa force de séduction mais parce qu'il savait que la petite souris était capable de croquer le gros matou.

    De Cochran, Bobby fait le tour. Nous apprenons ce que nous ignorions comme ce que savions déjà ou avions deviné. Comme la présence du conseil de famille, n'oublions pas qu'Eddie était mineur, qui ne prit peut-être pas toujours les bonnes décisions quant au profilage de sa carrière cinématographique. Pour Granny rien n'était trop beau pour Eddie, mais le mieux étant parfois l'ennemi du bien, il vaut mieux se contenter d'une enchère basse que de brûler les étapes.... Lorsque l'on pense à la dérive filmique d'Elvis, qui sait si Alice Cochran n'aurait pas préservé son rejeton du pire...

    Liberty n'a pas eu une très intelligente attitude quant au soutien de sa vedette censée rivaliser avec le RCA Presley. Waronker, le PDG, regardait le rock par le petit bout de la lorgnette. La compagnie a gardé dans ses frigos des perles qui auraient aidé à établir d'Eddie comme le renouveau et la continuité du rock'n'roll américain, elle préférait le pousser à enregistrer des bluettes qui le classaient comme un des suiveurs d'Elvis, non pas la pente du pelvis pervers mais le côté crooner encroûté...

    Dans la moindre friandise à minettes-teens, le génie d'Eddie parvenait à coller un truc surprenant qui aujourd'hui encore attire et retient l'oreille. La touche du génie en quelque sorte, mais cette espère de surenchère propre aux musiciens de studio consciencieux qui consiste à sauver coûte que coûte la moindre séance possédait son défaut : trop sûr de son talent Eddie ne voyait pas la nécessité d'écrire de nouveaux morceaux puisqu'il était capable de transcender n'importe quel matériau à sa disposition. Sur ce point Jerry Capehart allait à l'encontre de la paresse de son protégé.

    Nous touchons-là à une faiblesse – qui fut aussi sa force en le sens où elle est restée très longtemps une œuvre collective - de toute la musique populaire américaine : la reprise incessante d'un patrimoine d'une telle richesse et d'une telle ampleur que l'on trouve toujours un vieux, ou même récent, morceau à recycler. Ce sont les Stones et les Beatles poussés par de basses considérations matérielles de droits à payer qui comprendront que les interprètes avaient tout à gagner à devenir compositeurs...

    Puisque l'on parle des englishes autant signaler les pages dans lesquelles Bobby Cochran apporte les preuves de l'admiration sans borne que professaient les Beatles mais aussi les Stones, pour l'œuvre d'Eddie Cochran.

    En 1968, Bobby Cochran a la chance de passer avec son groupe en première partie des Yardbirds. A son étonnement Jeff Beck arrive à résoudre avec une grande facilité sur la caisse pleine de sa Fender des passes que lui-même n'obtient qu'avec une très profonde concentration sur la creux caisson de sa Gretch... Bobby se hâtera d'acquérir une fender... Passage symbolique de témoin, le rock évolue... plus tard par un juste retour de manche il sera témoin en compagnie de Sharon Sheeley de la grande admiration de Jimmi Hendrix et de Jeff Beck pour le jeu de guitare d'Eddie Cochran...

    Bobby deviendra un des guitaristes d'un de mes groupes fétiches, Steppenwolf un des fondateurs du hard rock et auteur de l'hymne culte de tous les rockers, l' indétrônable Born to be wild... Bobby continuera sa route notamment avec les Flying Burrito Brothers, Leon Russel et quelques autres du même acabit...

    Mais le destin va de nouveau frapper à sa porte. De nombreux fans d'Eddie l'ignorent mais le 17 avril 1999 Bree Cochran, la fille de Bobby, périt dans un accident d'automobile, touchée à la tête à l'âge de 21 ans, just like Eddie... La suite du chapitre consacré à l'évocation de Bree fait froid dans le dos. Le chagrin d'un père, des mots simples et poignants qui serrent le cœur. L'on a envie de refermer le livre et de sortir sur la pointe des pieds, pour ne pas déranger et endosser le rôle du voyeur, mais Bobbie continue ses synchronicités... quelques mois après la disparition de Bree, Rita sa femme se trouve bloquée dans un encombrement... une jeune fille de 19 ans vient d'être victime d'un accident de la circulation... Rita écrit un mot de consolation aux parents de cette jeune morte dont le sort lui rappelle trop sa Bree chérie... le père téléphone pour remercier... au cours de la conversation, il annonce qu'il lui reste une fille née... un 17 avril et que sa fille morte se prénommait... Cochran...

    Un dernier mot pour finir, Bree Cochran avait elle aussi des relations difficiles avec l'alcool...

    Le sang des Cochran.

    Damie Chad.

    ON EDDIE'S GRAVE...

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    Heavenly music filled the air

    That very tragic day.

    Something seemed to be be missing tho'

    So I heard the creator say :

    «  We need a master guitarist and singer

    I know of but one alone.

    His name is Eddie Cochran

    I think I'll call him home.

     

    I know the folks on earth won't mind,

    For they will understand

    That the Lord loves perfection,

    Now we'll have a perfect band. »

     

    So as we go through life; now we know :

    That perfection is our goal,

    And we strive for this

    So when we are called,

    We'll feel free to go.

     

    SUR LA TOMBE D'EDDIE...

     

    Une paradisiaque musique emplissait l'air

    En ce jour si tragique.

    Quelque chose semblait te manquer à Toi,

    Aussi ai-je entendu le créateur :

    «  Nous avons besoin d'un maître guitariste et d'un chanteur

    Je n'en connais pas à part un seul.

    Il se nomme Eddie Cochran

    Je pense que je l'appellerai dans ma maison.

     

    Je sais que les gens sur la terre ne seront pas d'accord

    Pourtant ils comprendront

    Que le Seigneur aime la perfection,

    Et dès lors nous aurons un orchestre parfait. »

     

    Ainsi cheminons-nous le long de notre vie; désormais nous savons :

    Que la perfection est notre but,

    Et nous nous efforçons d'atteindre à celle-ci

    Pour que, lorsque nous serons appelés

    Nous nous sentions libres de partir.

     

    ROCK'N'ROLL REVOLUTIONARIES

    GENE VINCENT AND EDDIE COCHRAN

    JOHN COLLIS

    ( 230 pp. VIRGIN BOOKS. 2004 )

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    Longtemps que je voulais lire ce bouquin. L'ai toujours vu stigmatisé comme un livre à thèse : comprendre trop partial ou exprimant davantage les idées de l'auteur que la réalité des faits. Il est vrai que le titre claque comme une bannière politique. Rock'n'roll Revolutionnaries, John Collis ne serait-il pas une taupe trotskiste, avec ces englishes intellos il faut se méfier !

    Rangeons les drapeaux rouges dans la profondeur de nos poches. Cette biographie croisée d'Eddie Cochran et de Gene Vincent n'est en rien une analyse marxiste de l'apparition de deux purs héros issus du peuple en lutte contre la rapacité des multinationales qui s'engraissent sur la sueur des forçats chanteurs.... Le terme même n'est jamais repris dans le texte... Le lecteur rectifiera de lui-même, il ne s'agit pas d'une rock'n'roll révolution mais d'une rock'n'roll révélation.

    Avant le soixantième millésime les anglais avaient été gâtés : Bill Halley, Buddy Holly et Jerry Lee Lewis étaient déjà venus prêcher la bonne parole rock, mais ce ne furent que feux de paille trop vite éteints, à peine arrivés, déjà repartis. Avec Cochran et Vincent l'on atteignit un paroxisme orgasmique. La tournée des deux compères eut le temps d'ensemencer le pays : de janvier à avril 1960... quatre mois qui ont révolutionné le rock anglais, car il faut être juste nos deux ostrogoths n'ont pas débarqué en terra incognita, une scène rock existait déjà depuis plusieurs années en Angleterre... d'ailleurs nos américains furent du début à la fin accompagnés par des musiciens autochtones qui s'en tirèrent plutôt bien. Ils en retirèrent même quelques leçons qui permit au rock national de brûler les étapes et de faire en quelques années jeu égal avec le grand-frère américain.

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    Cette tournée fut le big bang initial du rock british et marqua tellement les esprits que cinquante ans après ( donc l'année dernière, en 2010 ) une tournée hommagiale regroupant plusieurs combos accomplit une espèce de pèlerinage musical reconstitutif du charivari originel. Pour ne pas cuver notre dépit dans notre coin, nous petits français donnâmes les 19 et 20 novembre deux soirées du même acabit regroupant les Virginians, Erwin Travis et Thierry Lecoz. Nous vous en reparlerons. Mais revenons à nos lions.

    Sautez allègrement le premier chapitre : certes l'intitulé est alléchant : La marche des Teddy boys. C'est un cours pour lycéen du genre : situation socio-écomique du monde occidental pour la période allant de la fin de la guerre à la fin des années cinquante. Merci monsieur le professeur, ouf ! L'école est finie !

    Dépêchez-vous de tourner la page suivante, car à partir de là, tout n'est que bruit et fureur, la tragédie démarre sur les chapeaux de roue. Ce ne sont pas des conquérants qui foulent le sol de la perfide Albion en ce froid matin de janvier, plutôt des transfuges, des travailleurs émigrés qui s'en viennent voir si l'herbe des célèbres lawns est bien plus verte que celle de leur native grande prairie. Tous deux sont en panne : la carrière de Gene est au point mort, il est déjà un hasbeen de première catégorie, quant à Eddie, plus jeune, si tout n'est pas encore joué, sa maison de disques le verrait mieux en jeune premier de la chanson romantique pour petites filles sages qu'en rocker pur et dur...

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    L'on connaît la suite : le public était en quelque sorte acquis d'avance mais il ne s'attendait pas à une telle furie. Ce n'était pas un spectacle que délivraient les deux boys mais un nouvel art de vivre décliné d'une manière plus enthousiasmante par Eddie, plus tragique chez Gene.

    Vincent et Cochran. Ne tournons pas autour du pot. La question se pose : des deux quel est le meilleur ? John Collis ne l'élude pas. Il ne nous fait pas le coup de l'amitié indéfectible que rien ne pouvait détruire. Trop facile. Si la fatalité n'avait pas endeuillé la fin de la tournée qui oserait prétendre que Gene et Eddie seraient restés comme des frères dans les années qui suivirent ? Parfois les films se terminent trop bien au bon moment.

    Parfois l'amitié est une question de survie. Tout dépend des circonstances extérieures. Et intérieures. Car chacun de nous transportons avec nous nos propres fêlures. Pour Eddie, elle porte un nom que l'on n'attendrait pas : le mal du pays. Au fur et à mesure que les jours passent, que la fatigue s'accroît, que la monotonie s'installe, Eddie prend certainement conscience de ce qu'il est. Pour sûr il adore la scène, les applaudissements, les cris des filles, les sifflets, toutes ces marques de ferveur dopent et dynamisent son égo. Mais point trop n'en faut. Ou alors l'idéal serait de rentrer toutes les fins de semaine à la maison. Sa maman lui manque. Sa chambre, sa guitare, deux ou trois copains qui viennent discuter à la table familiale, Eddie est un jeune garçon tout compte fait plutôt sage.

    N'en faisons pas un retraité avant l'heure, non plus. A toute heure sa gratte le démange. Dans le tumulte de la scène et le tohu-bohu de la tournée, Eddie se cherche et se trouve. On stage, yes OK ! mais dans le corral du studio c'est là que réside la liberté de création. En lui tout est encore en gestation, il a déjà donné quelques chef-d'oeuvres mais tout cela n'est rien comparé à ce qui bouillonne en lui. Cette impatience artistique inassouvie mêlée au sentiment d'instabilité généré par les déplacements incessants se transforme parfois en angoisse. L'on a parlé de prescience de sa mort qu'il aurait manifesté plusieurs fois au cours de son séjour anglais. John Collis remet en cause les témoignages. Que ne ferait-on pas pour attirer ne serait-ce que quelques minutes les projecteurs de la gloire sur notre petite personne. Toutes les occasionnes ne sont-elles pas bonnes ? Les plus dramatiques permettent de mieux frapper les esprits.

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    Il est vrai que Cochran accompagnait ses autographes de la formule « Don't forget me » a posteriori très prophétique, qu'il a été extrêmement marqué par la disparition de Buddy Holly et de Ritchie Valens, mais pour notre part nous voyons en ces faits non pas seulement l'expression d'une peur panique de la mort mais la prise de conscience que le tourbillon existentiel jubilatoire qu'il était en train de vivre le coupait de ce pour quoi il était venu sur cette terre : la musique. Cochran était en train de se rendre compte que cette harassante tournée anglaise l'éloignait de ce qu'il considérait comme l'essentiel de sa vie d'artiste : la création.

    Tout cela était sans doute encore diffus dans la tête d'Eddie. Il savait aussi savourer les bons côtés de son statut de rockstar. John Collis ne le précise pas, mais moi aussi je me doute de la manière dont devaient se terminer ses parties de strip poker organisées avec de jeunes filles consentantes dans ses chambres d'hôtel... Un jour la grande forme je m'amuse comme un fou, un jour la grosse déprime mais qu'est-ce que je fous ici ? Pas besoin d'être docteur pour pronostiquer un début de dépression, et une conduite un peu erratique... quel besoin d'inviter Sharon Sheeley à le rejoindre alors qu'il possédait tout un cheptel à portée de sa couche ! La pauvre Sharon s'est crue l'Elue de coeur, sans doute n'était-elle que la maman de substitution. L'on fuit les fatigantes brebis et l'on se jette dans la gueule de la louve... Il n'y a pas que Gene Vincent dans l'entourage d'Eddie qui se moquaient des prétentions de Sharon...

    walter lure,captain sensible,fontaines d. c.,eddie cochran + gene vincent,rockambolesques 33

    Puisque l'on parle du loup, venons-en à la bête noire de l'attelage. Le cas n'est peut-être pas plus compliqué. Mais il est plus grave. Sans le passage par la case taxi, l'on devine que Cochran, une fois rentré at home, aurait effectué le bon choix, lune de miel + rupture avec Sharon, sortie contre vents et marée d'un disque 100 % guitare, mise en boîtes de quelques futurs standards... la voie était tracée, il suffisait de suivre les pointillés... Mais pour Vincent le découpage était déjà fait. L'homme avait séparé sa vie en deux morceaux : face A, la scène, face B, la scène.

    Non ce n'est pas une erreur de frappe. Dans les mathématiques Vincentiennes A = B et B = A, et tout le reste est égal à zéro. Dans la série je prends le live mais je ne retiens rien de la life, Vincent est sans équivalent. A la vie comme sous les spotlights je suis toujours sur scène. Ce n'est pas tout à fait le même rôle. Devant un micro je suis le roi des fous, à la maison, je suis le fou du roi. Idole d'un côté, idiot de l'autre. L'on ne guérit pas de la schizophrénie, à l'extrême limite vous pouvez donner le change. Tout dépend de quel côté vous regardez le profil de la lune, pas de chance, avec Vincent c'est toujours sombre.

    Un garçon sympathique, gentil, timide, poli, peu bavard. Les premiers anglais qui l'aperçoivent le trouvent falot. Toute sa vie Jack Good se vantera d'avoir été le premier à accoutrer Vincent d'un cuir noir. C'est un peu comme si vous alliez ouvrir la porte de la cage du crocodile qui sommeille et que vous soyez fier de l'avoir réveillé. Ce n'est pas de votre faute, vous pensiez que les gros lézards mangeaient uniquement des mouches. Bref Vincent vous lui donneriez le rock'n'roll sans confession. Le problème c'est qu'il l'a ingurgité depuis longtemps. Toute la partition. De A à Z, et que quand il va vous la jouer, ce n'est pas en sourdine. Vincent, un ange, trois paires de culottes dans sa valise et une auto-miniature en surplus. Un véritable enfant. Quoi de plus innocent ? Rien, à part qu'il a souvent les mains pleines d'une arme. Parfois à feu. Parfois blanche. Mais dans les deux cas, ça chauffe drôlement et vous n'y voyez que du noir. Et attention, ce n'est pas un sketch à la Alfred Jarry, avec Vincent c'est toujours un drame. D'ailleurs, ça finira par la mort. La sienne.

    Mais nous n'en sommes pas si loin. Le livre est structuré comme un roman moderne. La tournée anglaise. Flashback pour les deux chapitres suivants : d'abord Vincent aux States, ensuite Cochran aux States, puis Eddie après le 17 avril, et l'on termine sur Vincent après la même fatidique date.

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    Vincent aux States c'est l'histoire d'un envol vite foudroyé. Vite fourvoyé. Vincent ne prend pas la bonne route. Il prend la route. Be bop a lula n'est pas à son zénith qu'il part en tournée. Un rocker se doit de chanter devant son public. Pas de minauder devant les caméras de TV. Arpentera les USA de long en large, fatiguera ses musiciens qui rentreront vite à la maison, en recrutera d'autres aussi bons mais qui finiront par démissionner. Pour les contrats, les papiers et les dollars, ça ne l'intéressera pas trop. Ne fera pas assez gaffe. Se retrouvera dans des histoires d'avocats. Pour le fric, d'autres se chargeront de le trouver. Gene Chaotic Vincent. Après moi, le rock'n'roll. Le déluge c'est ici et maintenant et tout de suite. C'est un gamin. Qui a mal grandi, avec une guibole accidentée. Et qui refuse de se soigner. Il faudrait une amputation, il pose un morceau de sparadrap, il connaît le remède, se trouve en vente libre dans tous les stores de quartier : un coca-cola de jouvence. Les indiens la surnommaient l'eau de feu et assuraient qu'elle rendait fou. La panacée miraculeuse. Selon Vincent. Vous pouvez l'accompagner de petites pilules de votre choix. Plus besoin de perfusion à l'hôpital si vous optez pour une alcoolisation chronique. Il a un côté très américain. Armes et alcool en vente libre. Mais c'est un rebelle : n'a pas encore compris que le business est indexé sur le prix du dollar. C'est un homme floué qui foule le sol de la perfide Albion. Il a semé les graines du rock aux quatre vents, mais n'a pas fait gaffe aux corbeaux qui ont bouffé la récolte pendant qu'il chantait. La morale n'est pas respectée : c'est la fourmi travailleuse qui se fait plumer comme le stupide dindon de la farce. Essayez de garder votre équilibre psychologique avec de telles colères au coeur. Vincent est une bombe humaine en devenir, il marche au bord de l'abîme, mais la peur est derrière lui. Celui qui a tout perdu possède un immense avantage sur ses commensaux : il ne peut plus perdre.

    Cochran aux States. Aujourd'hui l'on en aurait fait un surdoué de la guitare. On l'aurait envoyé dans une école spécialisée où on lui aurait fait subir la grande aseptisation. Dans les années cinquante l'on vous laissait vous débrouiller tout seul. Do it yourself ! A quinze ans il commence à être reconnu, il a tellement bidouillé le son qu'il a sa place dans le studio à côté de chez lui. C'est un bosseur. Mais pas comme une brute. Il réfléchit, il se pose des problèmes – comme beaucoup – mais il les résout -comme personne. A dix-sept ans il est déjà une figure d'autorité. Pas la grosse tête, le gars toujours prêt à rendre service, à vous montrer comment ça marche et à brancher sa guitare pour vous accompagner. Enthousiaste et pas méprisant. Serviable et efficace. Distribue ses idées sans compter, a real good guy. Sympathique, généreux, talentueux. Tout pour lui, intelligent et beau garçon.

    Pour la beauté nous n'insisterons pas. Collis non plus : se contente de noter qu'Eddie aurait aimé être appelé pour un film qui se passerait de ses talents de chansonnier. Une subtile manière de se démarquer d'Elvis tout en poursuivant un chemin assez parallèle ? L'on n'est pas dans l'imaginaire de notre postulant acteur : rêvait-il d'une bluette sentimentale, d'un western dont il était grand amateur ? Question sans réponse. Qui est mort ne verra pas.

    Mais pour Collis, une chose est sûre. Cochran n'aurait jamais joué d'instinct, il aurait intellectualisé son approche. Comme sur scène. La différence entre Cochran et Vincent ? Inquantifiable. Ils n'habitent pas au même étage, l'un est un instinctif et l'autre un réflexif. C'est vraisemblablement en cela que résidait l'étrange alchimie de leur amitié. Aucun n'empiétait sur le territoire de l'autre. Le dynamisme de Cochran et la sauvagerie de Vincent proviennent de deux sources différentes. Deux tempéraments isolés. L'un peut être au plus haut et l'autre au plus bas. Qu'importe l'un relèvera l'autre et l'autre lui rendra la pareille la fois suivante.

    Sur scène Cochran assure la fin de la première partie et Vincent la fin de la seconde. Il en a été décidé ainsi au moment de la préparation de la tournée. Il semblerait qu'au fur et à mesure que la tournée avance que le set d'Eddie remporterait plus de succès que celui de Gene. Encore que les goûts du plus grand nombre ne correspondent obligatoirement à la meilleure des estimations ! De plus les témoignages que Collis a pu collecter insistent pour la plupart sur la qualité du show de Vincent. Quoi qu'il en soit l'on susurre que Gene devrait s'effacer devant Eddie qui refuse sans ambiguïté. En fait, chacun a trop besoin de l'autre pour mettre en danger leur commune entente. Sans jeu de mot, ils se serviront à tour de rôle de nurse et de béquille.

    Mais au-delà de ces explications psychologiques, il est un autre aspect beaucoup plus rock. Musicalement Cochran est le chef d'orchestre, la valeur sûre dont même Vincent ne saurait remettre les conseils en question, mais pour tout le reste, pour le côté borderline -walk on the wild side, Vincent est l'initiateur. Si Cochran respecte les coups de folie de son alter-ego c'est qu'il a compris que Gene réagit toujours d'après des situations difficiles qu'il a traversées dans un passé agité. Il y a une part de grande sagesse dans l'ouragan de la folie. Très étrangement beaucoup de ceux que Gene a pu exaspérer, voire profondément blesser, par son comportement erratique, avouent ne pas lui en vouloir et le comprendre. Certes les témoignages collationnés par Collis sont parfois postérieurs de plusieurs dizaines d'années aux faits incriminés, le temps est un grand guérisseur qui aplanit bien des aspérités mais ce qui est étonnant c'est que l'on ne trouve trace d'aucune pitié ou mépris envers le créateur de Lotta lovin'. Il est un point de fuite vers lequel tous les interviewes se rencontrent : l'immense artiste que fut Vincent.

    L'après 17 avril pour Cochran est bancal. Collis énumère les rééditions de ses disques, insiste avec raison sur l'énorme travail archéologique réalisé par le label Rockstar, rappelle les reprises de ces morceaux des Blue Cheer à Sid Vicious en passant par les Who. La renaissance rockab des années 80 est trop légèrement évoquée : Matchbox a droit à quelques paragraphes mais les Stray cats sont occultés. Préférences et allergies personnelles de l'auteur ?

    Reste l'épilogue Vincent. La vie de Cochran se trouvant de fait enchâssée dans celle de Vincent, comme un reliquaire d'or pur qui renfermerait le coeur du chevalier invincible. C'est ici que le livre culmine dans une horrifique plénitude. Les dix dernières années de l'existence de Gene Vincent sont une apothéose déliquescente. Le sublime s'y mélange au grotesque. Vincent atteint à une grandeur skakespearienne, deux tragédies pour le prix d'une, Hamlett et le Roi Lear dans la même assomption vers la plus profonde déréliction. Tout y est plus accentué, nous abordons les montagnes russes de l'existence rock'n'roll. Déchéance charnelle et hauteurs métaphysiques. Vincent s'enfonce en lui-même, il ne noie pas son chagrin dans l'alcool, c'est l'alcool qui sombre dans le tonneau des Danaïdes de son mal-être.

    Sur scène, pratiquement jusqu'au bout – et il n'arrêtera jamais de tourner – il est toujours le flamboyant universel. Il peut donner quelques concerts pathétiques, mais dans la série, il y en a toujours un ou deux qui emportent la mise. La fin est horrible, abandonné de tous et lâché par son corps. Il souffre d'asthme, parfois du sang coule de sa bouche et il se dégage une discrète odeur de charogne de sa jambe blessée, mais il reste debout, vaincu mais pas soumis. Il est de très fortes lignes dans lesquelles Collis analyse les belles images du documentaire de la BBC tourné en 1969. John Collis parle de la sérénité qui émane du visage de Vincent. Un homme revenu de tout, qui a jaugé le néant de l'ingratitude humaine, sans illusion et sans regret sur lui-même. Un Rimbaud de retour de sa saison en enfer mais qui n'en tire aucune gloriole. Une illumination bouddhique par la voie de gauche. Un homme qui a payé cash tout ce qu'il n'avait jamais acheté, mais qui reste fier du chemin accompli. Pour parodier Mallarmé, car la parodie est aussi l'arme cachée de la rock attitude, nous dirons que quand l'ombre menaça de la fatale loi son vieux rock'n'rêve, désir et mal de ses vertèbres, affligé de périr sous les plafonds funèbres, il a ployé son aile indubitable en lui. Répétons-le Gene Vincent est un des plus grands personnages de son siècle. La silhouette emblématique des rêves qui n'ont pas fui. Cygne Noir. Devant la sordide réalité du monde.

    Damie Chad.

    PS :Très beau livre, d'un anglais assez difficile pour les petits lecteurs de mon acabit. Les connaisseurs y retrouveront sinon in extenso du moins largement exposés des témoignages originaux dont le lecteur français ne connaît la plupart du temps que de brefs fragments, voire de lapidaires citations. Un très bel hommage à Gene and Eddie.

     

    XXXIII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    J'ouvris la porte avec la plus grande précaution. Apparemment rien n'avait changé, rien n'avait bougé, Molossito se précipita vers le bureau et debout sur ses pattes de derrière indiqua en gémissant qu'il était pressé de regagner le tiroir à Coronado dans lequel il avait l'habitude de se s'allonger pour de petites siestes réparatrices.

      • Quel chien intelligent, rayonnait le Chef, non seulement il a depuis longtemps compris que le bonheur réside là où se trouve le Coronado, mais en plus il vient de nous indiquer que le local a été visité avec soin, normalement ses coussinets auraient dû laisser quelques empreintes sur la poussière accumulée pendant notre absence, or le plancher est vierge de toute trace, nos visiteurs ont tenu à passer le balai avant de partir, nous avons affaire à de véritables hommes d'honneur !

      • Ou de simples femmes de ménage, Chef, je pense que les envoyés spéciaux de l'homme à deux mains, doivent manier plus souvent la sulfateuse que le plumeau !

      • Je ne suis pas loin de partager vos appréhensions, agent Chad, la meilleure défense étant l'attaque, il me semble qu'au lieu de jouer au chat ( Ouah ! grogna Molossa ) et à la souris ( Miaou ! s'amusa Molossito ) il serait temps d'avoir une explication définitive le plus vite possible, partageons-nous les préparatifs, dégottez-nous une voiture potable, pendant ce temps je m'occuperai des armes et des Coronado.

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    Quelques heures plus tard je remontais les escaliers en sifflotant, j'étais assez content de moi, j'avais récupéré une Lamborghini que j'avais fait repeindre en orange fluo, j'avais dû insister pour que l'on me change les plaques d'immatriculation qui maintenant n'offraient plus à l'avant comme à l'arrière, que les trois lettres SSR, ne fallait surtout pas que lorsque nous arriverions devant l'homme à deux mains il puisse hésiter ne serait-ce qu'une fraction de secondes sur notre identité.

    Lorsque j'ouvris la porte, les chiens couraient partout excités comme des puces, par quels mystérieux canaux avaient-ils compris que l'Aventure recommençait, le Chef refermait placidement deux énormes valises, j'eus du mal à soulever celle à Coronado, c'est à ce moment que le téléphone sonna et que le Chef décrocha. Sans doute n'aurait-il pas dû, mais c'est ainsi.

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      • Allo ! - la voix était sèche et brève, l'on sentait quelqu'un qui avait l'habitude de commander, ou plutôt d'être obéi avant même d'avoir commandé – vous êtes bien un représentant du SSR ?

      • Le Chef en personne ! Vous ne pouvez pas mieux tomber.

      • Je viens d'apprendre que les premiers 45 tours d'Elvis Presley étaient des soixante-dix-huit tours, est-ce vrai ?

      • Présentée ainsi la vérité la plus vraie, il n'est pas le seul dans ce cas, il...

      • Je les veux !

      • Lesquels ?

      • Tous !

      • Tous les 78 tours parus depuis...

      • Non pas tous, uniquement ceux des rockers et des petits chanteurs de rockabilly.

      • Cela fait beaucoup...

      • Ne vous préoccupez pas de cela, une ligne de crédit illimité est ouverte sur le compte du SSR depuis trente secondes, je vous rappelle demain matin !

    136

    Même les chiens avaient arrêté de faire les fous. Pas de temps à perdre maugréa le Chef, nous avons mieux à faire, mais par acquis de conscience il ouvrit l'ordinateur. C'était incroyable le compte bancaire du SSR ne comportait qu'une ligne : crédit illimité, en lettres capitales rouges. Par téléphone le directeur confirma, le secret bancaire lui interdisait de nous communiquer le nom du généreux donateur, une personnalité bien connue du gotha financier ajouta-t-il. La nouvelle demandait réflexion. A bien y réfléchir depuis le temps que nous bataillions contre lui l'homme à deux mains pouvait attendre. Ce n'est pas que nous aimions l'argent mais le Chef caressait depuis longtemps le projet d'ouvrir Le Musée du Coronado, et moi-même je savais que je ne pourrais terminer les Mémoires d'un Génie Supérieur de l'Humanité que sur une île déserte perdue au milieu du Pacifique entouré de quelques servantes attentionnées...

    L'agent Cat Zengler contacté au plus vite était davantage circonspect, mais quand le lendemain notre mystérieux commanditaire nous contacta pour savoir si nous acceptions sa proposition, nous lui posâmes une seule condition, qu'une ligne de crédit illimité soit affecté à notre tête chercheuse, pour couvrir les faux frais, le Cat changea totalement d'avis et se mit en quête du Graal 78 ainsi qu'il dénomma l'opération. En huit jours, sur les sites d'enchères il rafla tout ce qui de près ou de loin ressemblait à un soixante-dix-huit tours de rock'n'roll.

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    En quinze jours l'affaire fut pliée. Le téléphone sonna une dernière fois :

      • Merveilleux, je viens de recevoir votre envoi, tout y est, c'est parfait ! Je vous laisse vos lignes de crédit illimité jusqu'à la fin de l'année, profitez-en bien !

      • C'est très gentil à vous, nous ne savons...

      • Ah oui, j'allais oublier, j'ai un petit cadeau pour vous, il sera chez vous dans deux ou trois jours !

      • Nous guetterons la boîte à lettres avec impatience !

      • J'ai dit un cadeau, pas une bricole !

      • Le facteur nous le montera à l'étage !

      • Ah ! Ah ! Les facteurs français doivent être très forts alors !

      • Alors nous nous contenterons d'attendre sagement !

      • Hélas non, messieurs, je suis immensément riche mais trop pauvre pour vous l'expédier à Paris, il sera livré dans la bonne ville de Cannes, je vous ai réservé le plus beau palace de la ville en entier pour tout le mois, pour vous deux et vos deux chiens. Au revoir.

    138

    Le Chef n'avait pas reposé le téléphone qu'il sonna aussitôt. Nous reconnûmes aussitôt la voix.

      • Bonjour mes amis, je pensais recevoir votre visite ces jours-ci, vous ai attendu en vain. Vous me décevez ( le cigare du Chef laissa échapper un nuage noir comme une menace de mort ) enfin tant pis, j'espère vous voir à mon retour, pour le moment je pars en vacances sur la Côte d'azur, que voulez-vous même un homme à deux mains a besoin de repos !

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 474 : KR'TNT ! 474 : WALTER LURE / KRIS NEEDS / MAMMOUTH KING BLUES BAND / RAPHAËL IMBERT / CARL PERKINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 474

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 09 / 20

    WALTER LURE / KRIS NEEDS

    MAMMOUTH KING BLUES BAND

    RAPHAËL IMBERT / CARL PERKINS

     

    Lure a de l’allure

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    Dans Classic Rock, Rob Hugues attaque son Walter Lure en évoquant l’arrivée des Heartbreakers à Heathrow, le premier décembre 1976. La veille, les Pistols avaient insulté Bill Grundy devant les caméras de télévision et déclenché l’un de ces scandales dont raffole la presse anglaise. Walter raconte que dans la limo venue les cueillir à l’aéroport, McLaren paniquait. Les Heartbreakers venaient d’atterrir dans l’œil du typhon. Ils arrivaient de New York, invités par McLaren à participer à l’Anarchy Tour, en compagnie des Damned, des Clash et des Pistols.

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    On connaît la suite de l’histoire par cœur : les Heartbreakers décident de rester à Londres, Leee Black Childers leur trouve un flat à Pimlico et un contrat chez Track, Speedy Keen produit l’album LAMF, le son ne plaît pas aux Heartbreakers qui pendant des mois essayent de le remixer, Track perd patience et sort l’album avec le mix d’origine, et le groupe se désintègre quand Jerry Nolan le quitte. Fin de l’épisode Heartbreakers.

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    Pourquoi ce groupe est-il devenu si légendaire ? La réponse est simple : ils ramenaient dans la vague punk ce qu’on appelle le Soul of rock’n’roll. Ils ne se sentaient pas concernés par le nihilisme ambiant, ils proposaient un cocktail tout simplement explosif de looks et de hooks - The Heartbreakers cut their own groove in an age where predictable non-conformity became the new orthodoxy (Ils proposaient leur propre mouture à une époque où le non-conformisme devenait la nouvelle orthodoxie) - Ils reprenaient le flambeau du bad boy rock’n’roll. Avec eux, on savait où on allait. Le concert du Bataclan remit toutes les pendules à l’heure. L’album LAMF itou. Comme le dit si bien Mark McStea dans Vive le Rock, ça ne servait à rien de multiplier les rééditions de LAMF. La messe était dite en 1977 - killer songs played by a band at the top of their game - On avait tous à cette époque des chaînes stéréo pourries et ça suffisait amplement. Au fond, toute la polémique liée aux sonic failings n’avait aucun intérêt.

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    Ça doit bien faire quarante ans qu’on ne se goinfre de LAMF. Dès «Born To Lose», on est frappé par la cohésion du son. I say hey ! Voilà l’apanage de l’archétype ultime du rock moderne. Ça et les Pink Fairies. Rien d’aussi rock’n’roll que le départ en solo de Johnny Thunders. C’est ici que réside le génie du rock. L’autre coup de Jarnac de l’album est bien sûr «Pirate Love», lancé au drumbeat avec le riff de Johnny T dans l’oreille gauche. Et ça part au you gonna walk that walk. Rien qu’au niveau son, ils flirtent avec le classicisme évangélique, on a des ahhh de lancé de solo qui valent tout l’or du monde, Johnny T gratte à la désinvolture suprême et il débouche sur le break de basse de Billy. Épisode digne des Who. C’est là très précisément que se joue le destin du rock. On pourrait dire la même chose de «One Track Mind», tellement c’est glorieux, effarant d’allure et de panache. Derrière Johnny et Walter, ça joue à fond de train et ça explose en bouquets de rock new-yorkais. Ils vont au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, ils jouent à la revoyure de petite enflure. «Baby Talk» est un cut de batteur, Jerry vole le show. Mais il ne bat pas aussi sec que Terry Chimes. Ils jouent le shuffle new-yorkais. Retour au puissant riffing avec «I Wanna Be Loved», une vraie folie, embarqué au carrousel des Heartbreakers. Johnny chante ça junk, il jette tout son dévolu dans la balance et passe un solo killer flash. «Chinese Rocks» sonne comme un classique intemporel, embarqué à la cocotte sauvage et aux rrrox de street wise. Ces paquets d’accords réveilleraient un mort. Que de vie dans ce rock ! Le grand art de Johnny Thunders est de savoir tout faire avec très peu de choses. Si on aime le rock électrique, alors c’est lui qu’il faut écouter. Avec «I Love You», Johnny se paye le luxe d’un départ laborieux. Il gère son truc à la ramasse, il chante des oh en bavant comme une limace et ça rocke sur le really do. Il tartine du baby I love you à gogo et redescend dans les couches de sponge. Derrière lui, Walter riffe à la vie à la mort. Personne ne s’en est aperçu à l’époque : les Heartbreakers souffraient du génie incarné.

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    Par miracle, Marc Zermati a sorti sur Skydog le fameux concert du Bataclan. Cet objet a d’autant plus de valeur que ce fut un cadeau. L’album s’appelle Vive La Revolution, Live In Paris 1977 At The Bataclan. Tout juste quarante ans après, ce set produit le même effet : les Heartbreakers incarnent la perfection. L’«All By Myslef» d’intro sonne comme un mid-tempo allégorique. Avec «Can’t Keep My Cock In Your Mouth», les mighty Heartbreakers nous proposent un joli slab de boogie dollsy, mal chanté et adorablement trash. C’est en fait une resucée du fameux «Can’t Keep My Eyes On You». Le côté sloppy fait la grandeur du groupe. Ils tapent plus loin une fantastique version de «Too Much Monkey Business» - Too much junk - et avec «London Boys», on passe aux affaires très sérieuses. Johnny part en solo thunderien, il joue à la petite cavalcade et passe des coups de vrille déments. Il est réellement le roi des incursions intestines - It’s called Give me a great big kiss ! - Et pouf, ils passent en mode décadent, avec un Johnny qui shoote de jolis coups de gras double dans le cul du cut. Ils démarrent la B avec un coup de génie nommé «Born To Lose», qu’on pourrait aussi appeler l’hymne du XXe siècle. Et toutes ces rasades efflanquées qui s’en viennent mourir sur le rivage de nos vies écoulées... Que peut-on attendre de plus d’un hit de rock ? Rien. Ils tapent «Do You Love Me» au vieux ramshakle des Isley Brothers, c’est joliment bordélique et foutraque à souhait. Johnny passe le riff de «Jet Boy» dans «Take A Chance With Me» et sur «Baby Talk», Terry Chimes fait des ravages. Ils bouclent avec l’effarant «Chinese Rocks». Johnny y déclenche l’émeute des sens et laisse à la postérité un deuxième hymne générationnel. Hoooo ! Haaaaa !

    Rentré à New York, Walter Lure prend un boulot de stockbroker dans le milieu financier. Il met dix ans à se désintoxiquer. En 1993, il finit par diriger the whole trade settlement operation, un service de 125 personnes. Il finit sa carrière en 2015 dans une boîte d’asset management (gestion d’actifs).

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    Il était donc au moment de l’article le dernier survivant des Heartbreakers. The last man standing. Mark McStea rappelle qu’à sa mort en 1991, Johnny Thunders était atteint de leucémie (advanced stage), qu’un an après Jerry Nolan mourut d’une crise cardiaque (avec là aussi des advanced stages de méningite et de pneumonie) et que Billy Rath mourut en 2014 d’un cancer de la gorge (il avait déjà perdu une jambe et souffrait d’autres complications du style hépatite et sida).

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    Walter va maintenir un petit fond d’activité avec les Waldos et pondre en 1994 l’étonnant Rent Party sur Sympathy For The Record Industry. Il réussit l’exploit de ne pas reproduire le modèle des Heartbreakers et si l’album sonne si bien, c’est sans doute parce qu’Andy Shernoff le produit. On est saisi dès «Cry Baby» par l’énormité du son. Dingoïde ! Pur Dollsy junk ! Walter renoue avec l’incroyable vitalité de l’épais bourbeux, le bardé d’harmo et de conjurations en forme de try try try. L’amateur éclairé y retrouve grandement son compte. On pourrait quasiment dire la même chose de «Love That Kills», joué aux breaks d’Oh les filles et on reste dans l’alerte rouge avec un «Sorry» bien bombé du torse. Lure ne baisse pas sa garde, oh no no. Joey Pinto passe des chorus inflammatoires dans la meilleure veine du grand rock new-yorkais. C’est éclatant et digne de toutes les splendeurs du règne de Néron Pyro. Il tape dans le vieux «Seven Day Weekend» des Dolls, ce vieux hit signé Pomus/Mort la mort, et Walter l’explose, c’est screamé dès l’entrée en gare et joué au Grand Jeu Vailland. Michael Monroe souffle dans son sax de porcelaine et la bassline cavale ventre bleu. On note une fois de plus l’épouvantable santé qualitative du son. Quel immense album de rock ! On se régale aussi de «Never Get Away», amené au petit riff gras et bien enroulé au jungle beat new-yorkais. On se croirait chez les Dictators, avec toute cette vitalité. «Flight» contient tout le son du monde. Pas la peine d’aller chercher ailleurs, tout est là. Pur jus de mâle assurance et de démentoïd junkie motion. Les solos sont comme incendiés de l’intérieur. Ils font une reprise d’Eddy Mitchell, le fameux «Busted», joué au saloon bar qui va mal. Lure met assez de trash dans sa version pour retenir l’attention du petit peuple. Quel coup de maître ! C’est même traité sur le mode heavy rock de la menace purulente. «Crazy About Your Love» frise carrément le génie. Oui, car ça sonne comme un hit sous la boisse du sceau écarlate, on note encore une fois l’extraordinaire vitalité d’exaction de cette power-pop bénie des dieux. Quand Shernoff et ses amis se mêlent de power-pop, ça ravage tout. On reste dans le jubilatoire power-poppy avec «Party Lights», ça coule de partout comme d’une bite en fleur. Incroyable vigueur dionysiaque, solo d’exception. N’en doutons pas, Lure luttera jusqu’à la mort !

    La mort a plané aussi sur les Waldos. Tony Cairo (bass), Charlie Sox (drums) et Ritchie (le petit frère de Walter qui jouait un peu de rhythm guitar) ont tous cassé leur pipe en bois. Mais quand il a pris sa retraite, Walter a remis les Waldos en toute. Encore un groupe de vieux !

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    L’album du grand retour s’appelle Wacka Lacka Loom Bop A Loom Bam Boo. Walter Lure y devient le gardien du temple. Son «Crazy Kids» pourrait figurer sur l’album des Heartbreakers. C’est bardé du meilleur son. Le vieux Walter continue de jouer le rock de sa jeunesse enfuie. On s’interroge sur le bien fondé d’une telle démarche, mais au fond il a raison, autant crever sur scène comme Mick Farren ou Molière, et non dans une maison de retraite médicalisée, avec des couches. Le vieux Walter nous ressort sa soupe aux vermicelles, mais quelles vermicelles ! Le «Damn Your Soul» qui suit est trop Heartbreaking pour être honnête. Ces mecs cherchent le son à outrance et Joe Rizzo bat à la piccolo diavolo. Walter ne peut pas s’empêcher de reprendre «London Boys». Il a toujours la niaque. Pour un mec de son âge, c’est surprenant. Surtout qu’il a bien tiré sur la corde. Il tape dans le «Take A Chance On Me» co-écrit avec Jerry Nolan. Une bombe. Mal intentionnée, comme le sont toutes les bombes. On retrouve tout ce qui fait la grandeur du son new-yorkais. C’est du gros Lure, avec un solo glou-glou d’égoût de pur jus. On entend les deux Japonais du groupe ramener du son à la pelle dans «Bye Bye Baby». Il tape plus loin un «Little Black Book» co-écrit avec Billy Rath. C’est assez beau, on tombe dans le côté mercantile de l’opération. Walter fait avec ce qu’il a, c’est sa grandeur. Il rend hommage à ses vieux potes disparus, Jerry et Billy. Puis il se lance dans une entreprise risquée : une reprise de «Don’t Mess With Cupid», standard de r’n’b. Il s’en sort avec les honneurs et beaucoup d’entrain, et il termine ce vaillant album avec «You Talk Too Much». On se croirait vraiment devant un juke du New Jersey. Merci Walter Lure d’y croire encore à ton âge. C’est un album qui aurait beaucoup plu à Johnny Thunders.

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    On trouve aussi quelques albums live dans le commerce, comme ce Live In Brooklyn paru en 2017. Il s’y niche une belle énormité : le «Countown Love» de Jerry Nolan, fantastique shoot de pushing too hard, big Nolan beat, la cerise sur le gâteau des Heartbreakers. Joe Rizzo nous explose ça au claqué de cymbales et au beat de reins. Sinon, on retrouve sur l’album tout le full throttle des Heartbreakers, «Get On The Phone», «All By Myself», sans surprise, mais si réjouissant. On se régale aussi des cuts de Walter Lure, comme «Never Get Away», si clean de claque, judicieux, bien équilibré, heartbreaké dans l’âme aux jolis chœurs. Ça joue bien derrière Walter, ils ne proposent que du bravado classique, mais fantastiquement classique. Et voilà un «Cry Baby» absolument somptueux, du haut de gamme imprescriptible - Don’t you cry - Ils tapent leur «London Boys» ventre à terre, dans l’excellence de la pertinence et terminent ce live avec la triplette de Belleville : «Pirate Love», «Born To Lose» et «Chinese Rocks». C’est une nouvelle plongée dans les abysses de la suprématie, you gotta talk that talk, sacré hommage au génie thunderien des années de braise. «Born To Lose» restera l’un des hymnes de l’histoire de l’humanité. Ever ! Et «Chinese Rocks» sonne comme les neiges éternelles, c’est du rock anapurnique, le rock des dieux, oumph, ahhhhhh, l’extase rôde au coin du couplet.

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    On peut aussi voir Walter Lure chanter «All By Myself» et «Chinese Rocks» lors du concert hommage aux Heartbreakers filmé à New York en 2016, LAMF Live At The Bowery Electric. Walter s’y produit en compagnie de Clem Burke, Wayne Kramer et Tommy Stinson des Replacements. Il vaut mieux voir le DVD que d’écouter l’album, car au moins on sait qui fait quoi. Clem Burke vole le show sur «Baby Talk» et chante «Can’t Keep My Eyes On You» avec un certain brio. Stinson gueule plus qu’il ne chante «Born To Lose» et «Baby Talk». Jesse Malin fait son Gavroche avec «I Wanna Be Loved». Cheetah Chrome se paye «Pirate Love», et Wayne Kramer «Let Go» et «Do You Love Me». Si on en pince pour les hommages très décolletés, il faut voir ce doc.

    Signé : Cazengler, Walter Larve

    Walter Lure. Disparu le 22 août 2020

    Heartbreakers. LAMF. Track Records 1977

    Heartbreakers. Vive La Révolution. Skydog 2016

    Waldos. Rent Party. Sympathy For The Record Industry 1994

    Walter Lure & the Waldos. Live In Brooklyn. O-Rama 2017

    Walter Lure & The Waldos. Wacka Lacka Loom Bop A Loom Bam Boo. Cleopatra 2018

    Lure Burke Stinson Kramer. LAMF Live At The Bowery Electric. Jungle Records 2017

    Mark McStea. It’s Not Enough. Vive le Rock # 46 - 2017

    Rob Hughes. The Last Heartbreaker. Classic Rock # 234 - April 2017

     

    Looking for a Kris - Part One

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    En traduisant Dream Baby Dream: Suicide A New York Story, on avait noté deux choses concernant l’auteur, Kris Needs. D’une part, un talent investigatoire digne de Rouletabille - cette énergie de la reconstitution qui rend les récits passionnants - et d’autre part, une certaine tendance à se mettre en valeur, un vilain défaut qu’on ne trouve pas chez Nick Kent, par exemple. Généralement, le biographe se met au service de. Il n’est pas là pour vanter ses propres mérites. Le côté m’as-tu-vu peut devenir tellement agaçant qu’on finit pas ne plus voir que lui. Ça finit souvent par devenir rédhibitoire.

    On croise Kris dans pas mal de canards, Record Collector, Vive le Rock, Shindig!, Mojo, il est partout et chaque fois, il nous en colle un belle tartine. Chaque fois c’est intéressant, bien documenté et extrêmement dense. Son Brian Jones en trois parties dans Shindig! faisait bien le tour le propriétaire. Nous y reviendrons. Son Bowie dans Shindig! entrait aussi dans un niveau de détails jusque-là inconnu. Nous y reviendrons aussi. Mais depuis la mésaventure du Suicide book, on aborde chaque fois ses textes avec une certaine méfiance. Coup de chance, il n’était pas dans la piscine avec Brian Jones, par contre il était à Friars le soir où Bowie s’est transformé Ziggy. Grâce à qui ? À Kris ? Il a fallu relire le passage plusieurs fois pour être bien certain de ne pas avoir lu de travers.

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    Et pouf, Kris refait l’actualité avec Just A Shot Away. 1969 Revisited. Ses collègues de la presse anglaise saluent si bien cette parution qu’on cède à la tentation de le lire. Et là, surprise, le book s’avale d’un trait d’un seul. Kris Needs s’y révèle abyssal. Tous les préjugés et toutes les frilosités disparaissent comme par enchantement. Il ne parle que de lui, mais à travers sa passion. Ce mec est une passion à deux pattes et son énergie reconstitutive prend ici tout son sens, elle devient un moteur extraordinaire. Kris la met au service de sa seule et unique raison de vivre : le rock. Ce petit livre vibre dans les mains. Vous savez, le doux ronron d’un gros moulin, rrrrrropopopo, celui qu’on entend au début de «Garbage Man». C’est un livre qu’il faudrait pouvoir mettre dans les mains de tous les fans de rock.

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    Il ne traite dans ce rrrrrropopopo-book que les six premiers mois de l’année 69. Un tome deux est donc à venir. On en bave à l’avance. En 69, Kris a 15 ans. Comme tous les ados, il bâtit son univers, et cet univers ressemble étrangement au notre : premiers concerts, émissions de radio, magazines, soif de découvertes et apparition d’une bien belle maladie qui s’appelle la boulimie discophage : posséder, écouter, posséder et écouter encore et encore. En général ça dure toute une vie et il n’existe qu’un seul remède, la mort. Pour illustrer sa rampant collector mentality, Kris dit à un moment posséder TOUT ce qu’a enregistré Sun Ra et TOUT ce qu’a enregistré George Clinton.

    Au fil des pages, il assène très vite ses quatre vérités qui sont aussi les nôtres. Du coup, il assoit fièrement sa crédibilité. Il brosse un portrait sans fard de la réalité, nous rappelant que les music papers (Melody Maker, NME, Sounds) étaient les tables de la loi, même si les articles manquaient de profondeur. Si tu voulais écouter un disque en 69, tu devais soit l’acheter, soit l’emprunter à un copain, soit, si tu étais plus dégourdi, le barboter. Nourrir son obsession, nous dit Kris, était un gros boulot. Il fallait aussi aller chez les disquaires écouter les nouveautés, mais c’était du masochisme, vu l’inexistence de pouvoir d’achat. Kris ajoute qu’aujourd’hui, il reçoit en tant que journaliste plus de disques chaque jour qu’il n’en acheta dans toute l’année 69, année de tous les ébrouages. Autre réalité commune : en 1969, Kris a deux héros : Jimi Hendrix et Keith Richards. Il ajoute que cette dévotion n’a rien perdu de sa force et qu’elle reste d’actualité. Il rend aussi hommage au système scolaire qui lui a permis de haïr le conformisme, les cheveux courts, les uniformes et le sport. Eh oui, on doit parfois se construire en opposition. À l’âge où on ne sait pas ce qu’on veut, on fait un pas de géant en sachant ce qu’on ne veut pas : «Je ne veux pas de votre modèle.» Au moins ça a le mérite d’être clair.

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    Kris apprend vite à collecter des informations et à remonter les pistes de certains disques. Dans l’ère pré-Internet, on se débrouille comme on peut, mais y arrive. Et puis voilà encore un truc de base : le disque qu’on trimbale sous le bras dans la cour du lycée. Pour Kris, the epitome of cool était de voir un mec trimbaler sous le bras le Vincebus Eruptum de Blue Cheer. Comment se font les choix ? Mais vous le savez bien : par le groove. Kris dit que si ça ne groove pas, ça ne l’intéresse pas. Le rock d’enclume d’Odin, les solos de guitare marathoniens et la scène de Laurel Canyon le laissent de marbre, ce qui tombe sous le sens quand on a eu le privilège de voir Jimi Hendrix sur scène. Et puis, dernier petit détail d’importance, Kris avoue à un moment continuer à constituer des archives, et ce depuis 1963 : découpage d’articles (cuttings), memorabilia et tout le tintouin habituel, réflexe naturel à condition bien sûr d’avoir la place pour stocker.

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    Et puis voilà que commence le bal des affinités électives : Jimi Hendrix, Graham Bond, les Fugs, Funkadelic, Sun Ra, Silver Apples, Nico, John Fahey, Marianne Faithfull, Tim Buckley, Sly Stone, Captain Beefheart et Judy Henske. C’est un tourbillon hallucinant. En fait, les souvenirs des six premiers mois de 1969 sont prétextes à brosser des portraits de tous ces montres sacrés. On appelle ça du trié sur le volet. Et bien sûr, au commencement était non pas le Verbe mais John Peel, the all-time coolest taste guru qui passe des disques si bons qu’on se les procure ensuite et qu’on les garde toute sa vie. Kris est encore ado quand il voit Jimi Hendrix pour la première fois sur l’écran de la télé en noir et blanc de ses parents. En quatre minutes, Jimi Hendrix devient le plus grand guitariste de rock de tous les temps et finit dans ce tourbillon éjaculatoire de feedback qui va devenir sa signature. Pour Kris, Jimi Hendrix a secoué plus de tabous qu’aucun autre rocker, il incarnait tout ce qui était interdit - unfettered with impossible cool as this dazzling, drawling shaman flying the revolutionary flamboyance of primal rock’n’roll and deep soul of the blues with chitlin’ circuit showmanship and supernatural virtuosity radiating other-wordly, sexually-charged charisma (cet homme incroyablement cool était une sorte de shaman éblouissant brandissant l’étendard du rock’n’roll primitif et de l’esprit du blues, avec une science du spectacle acquise sur le chitlin’ circuit, une virtuosité qui dépassait les possibilités du langage et un charisme sexuellement surchargé) - Pour Kris, «Foxy Lady» reste the ultimate lust anthem, la rock-song de cul parfaite, gorgée de notes lubriques. Quant à «Purple Haze», ça reste à ses yeux the greatest riff in rock.

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    De Jimi à Keef, il n’y a qu’un pas et en 1969, Keef compose «Gimme Shelter», the all-time apocalyptic classic. Let It Bleed est selon Kris l’album qui permit à Keef de prendre le contrôle des Stones, car Brian ne participait pas aux sessions. Kris juge bon de revenir sur Brian, histoire de rappeler qu’il avait plus de présence sur scène qu’un Jagger qui, selon Marianne Faithfull, n’a jamais été autre chose qu’un étudiant en sciences économiques. Brian looked like the coolest pop star on the planet. Kris nous rappelle un autre élément fondamental : pour Brian, amener un blues en tête des hit-parades était en soi l’achèvement parfait. «Oubliez Ry Cooder, ajoute l’auteur, c’est Brian qui montre l’open tuning à Keef.» Al Kooper qui joue de l’orgue sur «You Can’t Always Get What You Want», se souvient que Brian Jones était là lors de la session, allongé sur le sol et lisant un magazine de botanique. Vers la fin du book, Kris nous fait un coup terrible, en nous narrant une petite scène : le 8 juin 1969, Jagger, Keef et Charlie se rendirent à Cotchford Farm, près de Hartfield, Sussex, une propriété que Brian avait acquise en novembre 68. But du voyage : annoncer à Brian qu’il est viré de son groupe. Visiblement atteint, Brian sauve la face en expliquant qu’il envisage de monter des projets avec Alexis Korner et John Mayall, et qu’il est même question d’un super-groupe avec Jimi Hendrix et John Lennon - After the three Stones left to carry on the band he had formed, Brian sat alone and cried (Après que les trois Stones eussent quitté le manoir en s’appropriant le groupe qu’il avait formé, Brian s’assit dans un coin et se mit à chialer) - De toute évidence, Kris est un fan de Brian Jones, frappé lui aussi par la terrible injustice dont il fut victime.

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    Il s’attarde aussi très longuement sur Graham Bond qui se croyait le bâtard d’Aleister Crowley et qui fut adopté par un couple qui lui donna son nom, Graham John Clifton Bond. Pour Pete Brown, le Graham Bond Organisation était aux musiciens ce que les Beatles étaient au public : le modèle absolu - They took their volcanic jazz-driven R&B around the country to ecstatic receptions - Kris se dit obsédé par Bond. Il chope The Sound Of 65 en 69 - So my lifelong Bond fixation began (C’est là que son obsession prit forme) - C’est bien de voir un mec obsédé par Graham Bond. Ça rassure de savoir qu’on n’est pas le seul. Pete Brown en rajoute une louche : «Graham, Dick, Jack et Ginger étaient des forces de la nature. Ils avaient des constitutions extraordinaires. Je n’ai jamais rencontré des gens comme eux, qui pouvaient jouer neuf gigs par semaine et continuer de picoler, de prendre de l’héro et Dieu sait quoi d’autre.» En 1969, Kris flashe aussi sur Babylon, l’album de Doctor John, «qui avait grandi à la Nouvelle Orleans dans un scabreux underworld de putes, de macs et de drogues, qui a fait de la taule et qui s’enracinait dans la tradition des secondes lignes du Mardi Gras et des bar survival tactics.»

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    Puis soudain il prend feu lorsqu’il attaque son chapitre sur New York, comme d’ailleurs tout le monde à l’époque, tellement il y avait de choses à découvrir : Sun Ra, le Velvet, Fred Neil, les Fugs, ESP, les Holy Moundal Rounders, les Godz et tout le reste. La liste est longue. Selon Kris, les Fugs ont causé plus de dégâts que les Sex Pistols. Ils préfigurent Richard Hell avec leur downtown nihilist anthem, «Nothing». Kris s’attarde aussi longuement sur les Silver Apples et Sun Ra. Il rappelle que des liens avant-gardistes existent entre ces explorateurs visionnaires que sont le MC5 et Sun Ra. Coup de chapeau à Kick Out The Jams, the loudest, hardest, fastest and most powerful extreme rock’n’roll imaginable. Kris rappelle qu’il voit Black Sabbath en 1970 et que ça n’a rien à voir avec le MC5 - We wanted flash and the MC5 had it - Panic in Detroit et voilà les Stooges, beyond rock and free jazz, the Stooges’ elemental carnage came across like primal howl from the dephs of the most ravaged souls (Bien au-delà du rock et du free jazz, le carnage élémentaire des Stooges semblait sortir des cerveaux les plus ravagés qu’on ait pu imaginer) - Well it’s nineteen and sixty-nine okay/ All across the You S Hey - Bizarrement, Kris ne s’attarde pas sur les Stooges. Il se limite à un paragraphe. Tout le monde n’est pas Yves Adrien.

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    1969 est aussi l’année de parution du premier album solo de Neil Young, bourré de classiques, sur lequel joue l’immense Danny Whitten. 69 voit aussi paraître le premier Led Zep. Pour Kris, l’un des meilleurs albums de tous les temps est le deuxième Velvet, White Light White Heat qui selon lui napalmait tout le reste avec the most extreme noise onslaughts rock had ever seeen. Et «Sister Ray» reste à ses yeux the crowning killer - No rock band ever sounded this extreme, cataclysmic or malevolently evil (Couronnement suprême, aucun groupe de rock n’avait jamais sonné de façon aussi cataclysmique) - Il parle même d’amphetamine proto-punk, mais c’est encore beaucoup plus fort que ça. L’univers de Lou Reed était à ses yeux bien plus sauvage et dangereux que tout ce qui existait à Londres ou en Californie.

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    Kris salue aussi le Spooky Two de Spooky Tooth - each of the eight tracks were stone killer perfection - puis Free avec Tons Of Sobs, the rawest of British blues boomers, puis Family avec Family Entertainment, a shit-hot band, puis Dusty in Memphis - Dusty was my favourite British female singer through the 60s - puis Al Green avec Green Is Blue, puis le premier album de Taste, puis il rend un bel hommage à Richie Havens en saluant Richard P. Havens et à Pharoah Sanders en saluant Karma. Il cite encore Joni Mitchell et les Meters. La liste des bons disques est infinie. Et ce n’est pas fini. On l’a dit, 1969 est l’année de tous les dangers pour le porte-monnaie. Passer devant la vitrine d’un bon disquaire était une sorte de suicide économique.

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    Kris s’étend longuement sur Marianne Faithfull qui rappelle qu’elle adorait se schtroumpher en compagnie d’Anita Pallenberg et de Brian Jones dans leur palais des plaisirs de Courtfield Road. Elle rappelle aussi que Keef l’aida à récupérer ses droits d’auteur sur «Sister Morphine» en écrivant à Allen Klein. Elle en veut terriblement à Jagger d’avoir oublié de la créditer : «Mick is mean. He’ll always be a student of the London School of Economics.»

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    1969 est aussi l’année de la Soul, avec le new funk de James Brown, Curtis Mayfield, Sly Stone’s superbad apocalypse et George Clinton’s acid-funk scuba-diving. Il cite aussi les noms des pères fondateurs de la Soul moderne : les Last Poets, Gil Scott-Heron et Donny Hathaway, «dont l’afro-cubain street chant «The Ghetto» transforma la black music pour la faire entrer dans le langage commun». Et bien sûr Aretha, the First Lady of Soul. Kris s’en donne à cœur joie avec le booming monster-funk de Funkadelic. D’ailleurs, il va même leur consacrer un ouvrage. Pour lui, Funkadelic played the headiest, sexiest, most stoned-out music I’d ever heard. Il parle aussi d’Hendrix legacy, citant Eddie Hazel comme seul héritier de son héros après qu’il eut disparu.

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    Bel hommage à Tim Buckley qu’il cite comme chanteur favori avec Otis Redding et Curtis Mayfield. Il parle aussi des cinq octaves de sa voix - the Hendrix of the voice - et le voit comme la réponse californienne à Dylan. Toujours selon lui, Goodbye And Hello incarne parfaitement son époque. S’ensuit un hommage à Tim Hardin qui chantait quatre heures de suite sur scène sans jamais ouvrir les yeux, puis un autre hommage au charismatic and talented Tim Rose victime de son alcoolisme et ça se termine tout naturellement avec John Fahey, one of the century’s greatest innovators, a romantic academic punk qui construisit sa propre mythologie, un guitariste «qui n’avait pas assez de doigts pour jouer toute la musique qui jaillissait de son cerveau» et qui «multipliait les acrobaties sidérantes». Kris n’en finit plus de jongler avec les mots, il parle de Fahey en termes de pureté et de majesté, chaque note issue du same volcanic psyche. Écouter un album de Fahey, dit-il, c’est entrer dans un autre monde. Un Fahey extrêmement productif, Kris avoue s’être perdu dans ce labyrinthe d’albums enregistrés entre 1959 et 2001. Ses pages sur John Fahey sont sans doute les plus passionnante de ce rooopopopo book. C’est encore Fahey qui va retrouver la trace de Bukka White et aller à Memphis produire l’album Mississippi Blues. C’est Fahey qui présente Al Wilson à Henry Vestine et à Bob Hite. Al Wislon et Fahey iront retrouver la trace de Son House. Puis Fahey, Henry Vestine et Bill Barth d’Insect Trust se rendront à l’hôpital de Tunica, Mississippi pour y déloger Skip James. Ils lancent ainsi le fameux Sixties American Blues revival. Mais Fahey ne s’entend pas avec Skip James qu’il traite de hateful old creep, c’est-à-dire d’horrible vieux con haineux. Al Wilson était l’un des rares musiciens que Fahey respectait. Leur vision allait loin au-delà du blues. Kris affirme que Fahey fit partie des gens qui ont façonné la musique moderne, au même titre que Jimi Hendrix, Brian Jones, Tim Buckley et Jim Morrison. Ça va loin. La passion sous-tend tout son discours. Et bien sûr, Kris ne manque pas de rappeler qu’il doit la découverte de John Fahey à John Peel, un beau jour de 1967. Il cite aussi Loren Connors, Brooklyn’s Venusian blues genius, que Fahey enregistra sur son label Takoma. Et de Fahey à Ronnie Basho, il n’y a qu’un pas que Kris franchit allègrement. De la découverte à la pelle.

    On reste dans les géants avec Sly Stone, dont George Clinton se souvient très bien, puisqu’il le vit à ses débuts à l’Electric Circus de New York : «Ils avaient la clarté de son de Motown, mais avec le power d’Henrix ou des Who. Ils ont littéralement cassé la baraque. Ça m’a marqué pour le restant de mes jours.» Et puis voilà Curtis, le chouchou - Alors que James Brown, Sly et Hendrix clamaient la grandeur du black power, Curtis cultivait la conscience sociale et romantique du peuple noir - Kris rappelle aussi que Curtis fut un découvreur : Baby Huey, Major Lance et d’autres. 1969 est aussi l’année de Traffic dont on voyait effectivement les mystérieuses pochettes en vitrine. Groupe clé ? Difficile de trancher. Toujours est-il qu’on retrouve Dave Mason et Steve Winwood dans les parages des Stones et de Jimi Hendrix, ce qui n’est pas rien. Dave Mason faillit même devenir la bassiste de Jimi Hendrix, mais le management s’y opposa. Dans une enfilade de pages qui montent bien en température, Kris nous rappelle que Mason faillit monter un power trio avec Ginger Baker et Bob Tench, mais ça sonnait trop comme Cream et de toute façon, Mason avait un style qui ne correspondait pas.

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    Et voilà le bouquet final du rrrropopopo book avec Captain Beefheart. Peely disait de Trout Mask Replica que c’était son favourite album of all time. Kris rappelle qu’à l’école, il adorait prendre un deep American growl et lancer à ses congénères : «A squid eating dowel in a ployethylene bag is fast and bulbous, got me ?». Plus tard, il eut le privilège d’interviewer John French, alias Drumbo, qui fit la lumière sur certains aspects du mythe. Captain Beeaheart avait une personnalité et un ego tellement démesurés qu’il mettait constamment à l’épreuve les limites mentales et physiques des membres de son entourage et donc du Magic Band. Mais Drumbo reconnaît que Beefheart l’a aidé à dépasser ses limites. Kris qualifie «Big Eye Beans From Venus» d’ultimate Beefheart blow-out. Si tu cherches des pages passionnées sur Captain Beefheart, c’est là, dans ce book.

    Kris recommande la lecture de The Restless Generation, la somme pondue par son mentor et ami Pete Frame, qui est aussi l’auteur des fameux Rock Family Trees.

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    Par contre, Needs Must est un book qui laisse extrêmement perplexe. Kris Needs écrit son autobio en 1999, en pleine époque de mutation musicale. Autant Just A Shot Away passionne, autant Needs Must agace. On l’a vu, Needs ne parle que de passion dans Just A Shot Away. Dans la deuxième moitié de Needs Must, il étale au grand jour son palmarès sex & drugs & dance music. Il ne nous épargne aucun détail ni de ses mésaventures amoureuses ni de son season in drug-hell, au long d’une tranche de vie new-yorkaise dans les années 80. Ce genre de druggy haze autobiographique ne marche pas à tous les coups. Sous la plume de Kris Needs, ça pend une tournure misérabiliste, du genre regardez comme ça va mal, le plafond du squat s’est écroulé, je dors dans la rue, aïe, il me faut ma dose à moi, regardez comme je bats tous les records de décrépitude, il met tout le langage dont il est capable au service de cette décrépitude et franchement, c’est une décrépitude qui ne présente pas le moindre intérêt. On a tous connu la nôtre, alors c’est bon. Par contre, quand le récit d’une décrépitude tombe sous la plume d’un bon écrivain, c’est autre chose. Un exemple ? Richard Hell, avec I Dreamed I Was A Very Clean Tramp. Il fait de sa saison en enfer une matière de vie littéraire et il ne s’apitoie jamais sur lui-même. Un autre exemple : Will Carruthers, avec Playing The Bass With Three Left Hands. Il raconte sa saison en enfer avec un brio qui fait de lui un réel écrivain. Kris Needs s’admire trop. Il en fait trop. À le lire, on se demande comment il a survécu à tout ce qu’il raconte : les bas-fonds d’Alphabet City puis une année de tournée avec le groupe le plus drogué d’Angleterre, Primal Scream. Le propos est tellement extrémiste qu’on se croirait dans un book sur Guns ‘N Roses ou Motley Crüe, vous voyez un peu le genre ? C’est la description facétieuse d’une longue succession d’excès. Puis il nous tartine à longueur de paragraphes une apologie de la dance music, ce qui bien sûr éloigne tous ceux que le bazar des raves n’a jamais intéressé. Là, on bouffe de la rave et du DJ, et c’est pas forcément bien écrit. Typique de cette époque où il n’existe absolument plus rien d’artistique. Kris Needs nous fait même le coup de la cerise sur le gâteau : un séjour à Ibiza en plein dance boom. L’horreur définitive. On croit lire les souvenirs d’un touriste anglais affamé de sex & d’ecstasy. Une bite à la place du cerveau. On sort de ce livre en ayant la détestable impression d’avoir perdu son temps, mais paradoxalement c’est aussi le seul moyen de connaître un peu ce personnage omniprésent dans les mags anglais et tellement brillant dans ce Just A Shot Away qui vient de paraître.

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    Pourquoi évoquait-on le nom de Kris Needs lors d’un repas ? Aucun souvenir, toujours est-il qu’un excellent ami nous fit don de ce Needs Must. «Tiens, tu liras ça !». Mais il fallut attendre le déclic de Just A Shot Away pour attaquer ce Needs Must qui inspirait une sorte de méfiance, celle évoquée plus haut, autour de la trad du Suicide book.

    Par contre, on peut lire la première partie de Needs Must les yeux fermés, car l’auteur y raconte ses premiers émois : Mott, les Dolls, les Groovies, Johnny Thunders, Motörhead et bien sûr les Stones. On se demande d’ailleurs quel genre d’évolution a pu le conduite à la house et à la techno car généralement les fans des Dolls et de Motörhead restent assez fidèles à leurs racines. Il existe encore aujourd’hui assez de groupes bien influencés pour meubler les soirées sans qu’on soit obligé d’aller écouter n’importe quoi.

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    Kris Needs rappelle que Bowie s’est transformé sous ses yeux dans la loge d’Aylesbury : du timide David Bowie, il est passé au stade de major player - He’d gone androgynous-alien - Oubliez ce vieux folkie : Ziggy Stardust était né - Il n’y avait pas que Bowie à Aylesbury : l’héro nous dit-il y débarque en 1972 et tout le monde en prenait. Il la retrouvera plus tard à Londres en bossant pour Frenchy et le label Flicknife, puis bien sûr quotidiennement à New York. En 1972, il flashe aussi sur Mott et devient leur fan number one, allant voir tous les gigs et s’occupant du fan-club. Puis en 1974, il flashe sur les Dolls - low-rent trash-glam version of the Stones - puis en 1976 sur les Groovies qui jouent à la Roundhouse avec les Ramones, puis sur les Pistols, mais c’est avec les Clash qu’il va copiner - Some of the greatest music and gigs I’ve ever experienced - Il aime bien les Heartbreakers aussi, traite Johnny Thunders de real deal - Ultimate kamikaze mash-up guitar raider - Pour Needs, Johnny Thunders est le vrai punk. Mais ce n’est pas avec les Heartbreakers qu’il va traîner, c’est avec les Clash. Chacun ses goûts.

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    Côté plumes, Needs reconnaît à un moment deux influences : Lester Bangs et Nick Kent. Il aime bien ce qu’il appelle le gonzo steam-of-amphetamine-conciousness style, ce qui ne nous surprend pas. Par contre, ce qui nous surprend c’est qu’il puisse associer Lester Bangs et Nick Kent dont les deux styles sont à l’opposé : autant Nick Kent est littéraire, autant Lester Bangs ne l’est pas. Si vous avez le moindre doute là-dessus, relisez The Dark Stuff puis, si vous en avez le courage, Psychotic Reactions and Carburetor Dung. Bangs est un bon rock-critic, mais pas un écrivain.

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    Kris Needs remonte dans l’estime de ses lecteurs lorsqu’il fait l’apologie de Motörhead - They detonated your eardrums with savage primal noise and made you want to piss on your teacher’s head (Ils nous défonçaient les tympans et nous donnaient envie d’aller pisser sur le tête du prof d’école) - Quand Needs va l’interviewer pour Zigzag, Lemmy le reçoit dans sa loge et sort tout de suite un énorme sac de speed et un couteau en argent - Prends-en jusqu’à ce que ça te brûle - Alors Kris sniffe tout ce qu’il peut. Snff, snff - Il m’indiqua un peu plus tard que ce speed devait avoir été coupé avec de l’acide de batterie, ce qui expliquait tout : j’avais l’impression d’avoir le nez coincé dans un micro-onde - Puis Needs affirme que depuis Motörhead on a jamais revu un bigger grass-roots rock’n’roll band et il insiste beaucoup sur le rock’n’roll, comme l’a toujours fait Lemmy dans ses interviews. Retour sur Captain Beeafheart aussi avec ce charivari langagier pour le moins extravagant - Those weird-timedguitar-drum World War interplay assaults topped with Coltrane in-the-bog sax squalls and the man’s behemot growl-rant with words born in a Martian opium sunset (Ces interactions violemment décousues entre la guitare et la batterie surmontées de hennissements de sax à la Coltrane et par dessus tout ça, cet espèce de Béhémoth qui grogne des mots tout droit sortis d’une fumerie d’opium de la planète Mars) - Il rappelle au passage que le Zigzag pour lequel il travaille à l’époque sort tout droit de «Zigzag Wanderer». Captain Beefheart et Keef étaient les deux héros qu’il rêvait d’interviewer - Je savais que le mad Captain serait extra special. Il le fut. Plus encore que je ne l’avais imaginé - Il est aussi fasciné par Marianne Faithfull - Fascinating and slightly tragic - Et puis avant de sombrer dans la mauvaise deuxième partie du book, l’auteur rend un bel hommage aux Stones - the wailing adrenalin sex-rush of «I Wanna Be Your Man» - Il a encore des formules qui font mouche. Keef est l’idole absolue - He had the coolest look. Crow-bar hair explosion, bone ear-ring, gyspsified clobber and a swagger that gave a huge finger to those poncy Genesis fans. Keith was the Man. No wonder the imitations came thick and fast (Il avait le look le plus cool. Cheveux noirs de jais taillés en mèches, boucle d’oreille, un dégingandé de romanichel et une façon de chalouper qui renvoie les pauvres cloches de fans de Genesis au vestiaire. Keef était le vrai mec. Pas étonnant que tout le monde se soit mis à l’imiter) - Il ajoute qu’à l’époque où les Stones étaient à l’apogée de leur règne, Keef incarnait à lui seul le dark side du groupe, avec les rumeurs de transfusion sanguine, de sorcellerie, de flingots et de semaines sans dormir - Je dois admettre que c’était marrant de le voir chaque jour à côté de ses pompes - Kris Needs revient longuement sur les interviews que lui accordait Keef. Passages très captivants, notamment l’évocation de la mort de Brian Jones : «Vers la fin, il était vraiment dans un sale état. C’est la raison pour laquelle il a quitté le groupe. Il n’avait plus aucun sens des réalités. C’était pourtant un mec solide à bien des égards, mais cette nuit-là, il est passé à travers, quoi qu’il ait pu arriver. Je prends encore les histoires qu’on me raconte à propos de cette dernière nuit avec des pincettes.»

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    Puis Kris Needs va entamer une courte carrière de manager avec Basement 5 - A Clockwork Orange dub-droog image and a glorious wildly original noise. Punky protest vocals from the black man’s angle, scathing sheets of white noise guitar, bottomless dub bassatronics and funked-up reggae grooves occasionally erupting into full-tilt punk (Une image de droogs à la Orange Mécanique et un son de noise extrême et original. Textes punk mais avec l’angle d’un black, guitares de white noise, bassmatic sans fond et son de dub funked-up qui explosaient en pur jus de punk-rock) - Excellente description de ce volcan underground que fut Basement 5. Pas étonnant que Needs se retrouve ensuite à manager l’un des groupes de Jah Wooble, The Human Condition. Puis c’est la rencontre de Jeffrey Lee Pierce dont il devient le frère de sang. Par contre, rien sur les Cramps (juste une allusion à un moment et c’est tout).

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    C’est à la page 140 qu’il aborde son virage pour dire adieu au rock et au punk-rock (dont il se dit fatigué). Il fonce droit sur la diskö, le funk et la black. Surtout le hip-hop. Il dit posséder 35 000 disques de hip-hop ramassés dans le monde entier. Il se vante même de posséder tous ceux que cite David Toops dans son book, sauf deux. Alors après, il écrit qu’on peut le traiter de branleur obsédé, mais il s’en fout. Il indique aussi avoir une pièce remplie de disques des Stones et de tous les articles parus sur eux depuis 1963, plus une étagère bourrée de bootlegs - The same goes for Funkadelic, disco, Detroit techno, Chicago house, electro, I want it all if I want it at all - Et cette randonnée mortelle de la mortadelle se termine avec Primal Scream - I have to say that I consider Primal Scream to be the best group in the world - Du coup, on va sûrement être obligé de lire le book qu’il consacre à Primal Scream. Ce qui au fond n’est pas une si mauvaise idée. Mais ça sera aussitôt après celui qu’il a consacré à Funkadelic.

    Signé : Cazengler, Crasse Nid

    Kris Needs. Needs Must. A Very Rock’n’Roll Life. Virgin Books 1999

    Kris Needs. Just A Shot Away. 1969 Revisited. New Haven Publishing 2019

    *

    L'habitude de ramener d'Ariège la chronique du Festival de Blues in Sem. Corona oblige, les festivités d'été ont été rayées d'un trait de plume vengeur par la nouvelle préfète de choc envoyée tout exprès par les instances les plus hautes de la macronie pour mater le nid de petzoules turbulents qu'abrite ce département rétif au nouvel ordre mondial. Donc nous fûmes privées de manifestations diverses et culturelles. Quant au rock'n'roll vaut mieux ne pas en parler ! Pour pallier cette absence de maladie bleue, voici la chronique d'un disque de blues dégoté dans les bacs du camion Gibus. J'aime les découvertes hasardeuses et les rencontres non téléguidées aussi ai-je choisi un groupe que je connaissais pas. Français de surcroît. Sont de Fronton, près de Toulouse. C'est leur deuxième disque enregistré en 2005, le premier datait de 1999, ils en ont commis un troisième en 2013. Apparemment ce ne sont pas des stakhanovistes, une dizaine de concerts en 2019, si j'en crois leur FB un seul concert en janvier de cette année funeste...

     

    MAMMOUTH KING BLUES BAND

    Jean-Luc Mammouth Ribes : chant, dobro, guitare / Kristell Geffroy : chant, kazoo, washboard / Philippe Filou Orliac : piano, percussions / Luc Favaro : guitare, harmonica, accordéon, percussions / Olivier Spénale : contrebasse.

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    High fever blues : dès ce premier titre l'on comprend d'où procède MKBB un morceau de Booket T. Washington White, un vieux de la vieille, du Delta, qui aurait connu Charley Patton, et qui aimait à jouer sur guitare à résonateur. Cette fièvre bleue répondrait davantage au terme de country blues que de blues pur, mais qu'est-ce que la pureté ! Quand vous écoutez la tambourinade de Booker sur ses cordes vous dites qu'il est un précurseur du punk. MKBB ne donne pas dans le pastiche, la voix féminine de Kristell vous saute à la gorge et vous tranche la carotide sans préavis, l'on rentre un peu dans l'ordre des choses lorsque le dobro de Mammouth résonne, mais là on est chez les petits blancs, l'on essaie de montrer que l'on sait jouer – et il sait jouer – on est loin de la force brute de Booker T. l'ensemble sonne joliment bien pour nos oreilles, de petits blancs. Sloppy drunk blues : de Jimmy Rogers surtout connu pour avoir joué avec Little Walter et surtout avec Muddy Waters. Belle carte de visite. Z'ont décidé de nous surprendre, ce coup-ci c'est la version de Jimmy Rogers qui sonne davantage moderne, le MKBB ils nous refilent un joyeux bordel méchamment sympathique qui sonne comme s'ils l'avaient enregistré dans une chambre d'hôtel en 1923, et puis cette idée de génie de de Luc Favaro de vous avoir éparpillé l'harmonica en miettes de pain qu'il jetterait aux oiseaux, vous en boufferiez sur la tonsure d'un moine syphilitique. Cette reprise est un must. Le blues de l'hiver : l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, le seul original du record, belles parties de guitares mais le Mammouth parle plus qu'il ne chante. C'est dommage, oui mais le piano de Filou Orliac vous réconciliera avec l'humanité qui ne le mérite pas. Who's been talking ? : ne se gênent plus s'en vont hurler avec les loups, le grand méchant, the Howlin' Wolf in person qui a dévoré tous les petits chaperons bleus depuis belle lurette. Petit problème, c'est bien foutu, prennent leur pied vous y mettent les rallonges réservées aux banquets officiels, la voix du Mammouth module autant dire qu'elle modère, celle du Wolf elle hurle même quand il prend un ton doucereux pour alpaguer une fillette, manque juste la sauvagerie. Ce qu'il y a de meilleur chez les poissons c'est tout de même les arêtes qui vous transpercent les cordes vocales. Come on in : un morceau de Washington Sam, le titre vous évoque les Stones, c'est un tort, l'original sonne beaucoup plus vieillot, Robert Bronw ( son vrai nom ) a joué avec Sleepy John Estes et Big bill Broonzy, c'est dire si ça date. Faisons confiance aux filles, Kristell se charge du vocal et vous ramène en plein dans les années 20, une espèce de country-charleston-blues avec un piano bastringue et une guitare qui pique comme les aiguilles que vous enfoncez dans les papillons vivants pour parfaire votre collection personnelle. The blues ain't nothing : Kristell se colle au chant, normal l'original est de Georgia White, vous sentez poindre ici l'internationale féminisme, depuis le début du siècle dernier les choses ont changé, la Georgia vous hurle son besoin de chair masculine le tout sur un pumpin piano diabolique, Kristell vous le fait sur le ton de l'ironie mordante, ré-insvestit le morceau au goût du jour et les gars la soutiennent magnifiquement. Ce que femme veut... Why don't you do right : écrite par Kansas Joe McCoy, interprétée par Lil Green, avec Big Bill Broonzy à la guitare, Ckristell se contente de poser sa voix sur les traces de Lil, elle y réussit très bien, mais les guys veulent trop faire, devraient eux-aussi se contenter de la simplicité poignante de l'original. Le mieux est l'ennemi du bien, le public qui applaudit respectueusement aurait été capable de comprendre le parti pris du dépouillement original.

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    I ain't gonna let nobody seal my jellyroll : de Taj Mahal qui eut son heure de gloire à la fin des Sixties et au tout début des Seventies, le MKBB prend son pied, vous ont peaufiné le morceau en roue libre, ce n'est pas mal du tout mais je préférons Taj qui vous le crache tel un serpent que vous venez de déranger dans sa sieste. Belle performance scénique tout de même. Built for comfort : Dixon vous l'expédie sans remboursement avec cuivre et piano, MB2K ne se permet pas une telle désinvolture, ils ont raison leur version tient mieux la route, le Willie a dû se retourner dans sa tombe. Me and my chauffeur : écrit par McCoy pour sa tendre et trépidante épouse Memphis Minnie. Un rythme simple mais quand vous entendez Minnie qui miaule vous avez plutôt envie d'enfoncer autre chose que la pédale d'accélérateur. Avec Kristell vous ne vous permettrez pas de telles pensées, elle vous prend de haut, elle ne vous siffle pas, elle vous persifle et les boys derrière se tiennent à carreau, et l'ensemble n'a pas à rougir du résultat. So far, so good : là franchement je préfère, la voix de Tampa Red m'a toujours laissé insatisfait, le grain qui ne passe pas, Kristell se charge du vocal de main de maîtresse, certes le piano n'est pas aussi moelleux que celui de Tampa, mais il s'associe bien à la voix exigeante de la miss. That bonus done gone through : de Lil Johnson, une pionnière du blues, aucune n'a chanté avec autant de naturel, z'avez l'impression que devant le micro elle se contente de vivre, alors Kristell vous prend sa voix pointue et se laisse aller, elle emporte tout sur son passage, magistrale. Fallait oser.

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    Let me play with your poodle : ah cette voix éteinte de Tampa, semble sortir du cercueil le jour du jugement dernier, et ce piano en sourdine enfermé dans sa boîte à sardines, alors le MB2K triomphe avec gloire, la voix pleine du Mammouth et les minauderies de Kristell remportent aisément la mise. I can't be satisfied : l'on sait tout ce que les Stones ont tiré de ce morceau, cinquante ans de carrière et quelques centaines de millions de dollars, le vieux Muddy Waters à dû faire la gueule... soyons juste Brian se la donne à la slide et le Jag se fait tout petit, ce que ne se sait pas faire Jean-Luc, sur la pointe des pieds, comme quand tu rentres de chez ta maîtresse à quatre heures du matin, espèce de pachyderme, heureusement que la slide glisse sur des patins et te sauve la mise. Prison bound : le Mammouth prend sa revanche, chante plus haut et plus fort que Robert Nighthawk et ses compagnons lui emboîtent le pas, sonnent aussi bien que le combo de Muddy Waters, ne comparez plus, c'est simplement un beau blues, en plus c'est sans filet, en direct live. Feelin low down : moins d'électricité, davantage de feeling, vous le sortent moins rustique que le gros Bill Broonzy, z'auraient dû supprimer le piano, mais avec des scies l'on mettrait le blues en bouteille. Il serait davantage à l'aise dans l'alambic. Bound to love me some : retour à Taj Mahal, en public, plus entraînant que l'original qui vous donne envie de vous pendre au premier lampadaire qui traverse la rue pour chercher du boulot. De belles saupoudrées de guitares, ce doit être de la cocaïne pure qu'ils vous balancent sur le museau car ils vous filent un pêchon d'enfer.

    Un cd qui ne déparera pas dans ma collection. Indéniable qu'ils aiment le blues, qu'ils vous le traficotent un peu à leur guise avant de vous le restituer, mais ils ont le feelin' et savent de quoi ils causent. Vous incitent à revoir vos classiques et en blues c'est idem qu'en littérature, non seulement ça ne vous fait pas de mal mais vous vous sentez mieux après.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Ne faites pas comme moi, ne résistez pas. J'ai essayé d'y échapper trois fois de suite. J'ai réussi. La quatrième a été fatale. Le bouquin me narguait sur son étagère. Le problème c'est qu'il n'y avait que lui. Par trois fois je m'en suis tiré, suis reparti avec en contrepartie un collector du rayon vinyle, Buddy Holly, Jerry Lee Lewis, Little Richard pour ceux qui veulent tout savoir. Zoui, mais le samedi suivant n'y avait plus que lui, et moi je soutiens mon revendeur local, alors je l'ai pris en me disant que je n'y toucherais jamais, pensez donc des bondieuseries sur le jazz ! Bref arrivé à la maison le démon de la perversité cher à Edgar Poe m'a poussé à entrouvrir le volume...

    Je ne m'en suis pas vanté, mais ce matin au café le copain Richard – un jazzeux – s'assied à ma table. Tu sais Damie, me dit-il, j'ai lu au moins trente encyclopédies sur le jazz, c'est toujours la même histoire, mais là j'ai trouvé un truc dans lequel j'ai appris des choses dont je n'avais jamais entendu parler, tu devrais le lire c'est... Te fatigue pas Coeur de Lion, je viens d'en écrire la chro hier soir, c'est :

    JAZZ SUPRÊME

    INITIES, MYSTIQUES & PROPHETES

    RAPHAËL IMBERT

    ( Coll : Philosophie imaginaire

    Editions de l'Eclat / Mars 2014 )

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    Amis rockers, désolé de vous importuner deux semaines de suite avec une chro sur le jazz, mais là ça vaut le coup de vous arrêter. Plus de trois cents pages en petits caractères pâlichons, une espèce de capharnaüm qui s'éparpille dans toutes les directions, mais ce n'est pas écrit par un imbertcile. L'en connaît un bout de gras sur la matière. Soyons précis : sur les matières. Car il ne cause pas que de jazz. Mais de musique. Pose sans le dire la question essentielle, c'est quoi la musique ? Evidemment il ne connaît pas la réponse. Donc vous ne l'aurez pas.

    C'est bête mais l'air de rien, dans sa démarche vous trouvez le fossé sans fond qui sépare Platon et Aristote. Le tout c'est de passer d'une rive à l'autre en évitant de glisser ne serait-ce que le plus petit de vos orteils dans la faille sans fin qui vous engloutirait immédiatement. Simple question de méthode, nous susurrerait Paul Valéry. Il suffit d'aborder la complexité par ses aspects les plus faciles. C'est simple, d'un côté vous avez Platon avec son idéalisme et la musique classique européenne, de l'autre Aristote dépourvu de toute prétention idéaliste – ce qui ne veut pas dire qu'il serait matérialiste – et le jazz. Si la philosophie vous ennuie, rabattez-vous sur le plan beaucoup plus sécure de la religion, Dieu immaculé face aux démons noirs. Une vision tant soit peu chrétienne. Un petit hiatus tout de même : les adeptes démoniaques qui créent leur musique ne croient pas plus au Démon qu'en Dieu. Ce n'est pas qu'ils aient le cul entre deux chaises, c'est qu'ils sont assis juste sur le gouffre souverain à qui ils donnent le nom de Créateur.

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    Tout cela demande quelques explications. Pour ceux qui se sentent un peu perdus sur les sentiers ardus de la métaphysique, nous conseillerons de relire le premier tiers de notre chronique ( voir KR'TNT ! 474 ) sur Lucien Malson qui dans son Histoire du jazz tient exactement les mêmes propos tout en restant à un niveau d'analyse plus accessible. Les esclaves noirs vont s'approprier la musique classique européenne sous sa forme la moins savante et la plus populaire, la musique des parades militaires. Cette musique essentiellement rythmique leur rappelle trop les percussions africaines pour que poussés par leur atavisme ils n'y rajoutent le foisonnement des césures a-rythmiques dues à l'entremêlement des variations tonales multi-polyphoniques de leur héritage ancestral. Ne leur manque que les instruments, qu'ils rachètent d'occasion – le plus souvent en mauvais état – qu'ils rafistolent avec les moyens du bord, et dont il faudra toute leur inventivité pour parvenir à les faire sonner à leur juste mesure, c'est-à-dire plus fort, plus distinctement que ceux de leurs voisins. L'on joue ensemble mais l'on se démarque du groupe, les soli du jazz prennent leur origine dans ces essais sauvages qui consistent à surpasser les copains...

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    Et Dieu dans tout cela ? s'enquerrait un célèbre journaliste radiophonique. L'est un peu aux abonnés absents. C'est là que Raphaël Imbert rebat les cartes clichétiques. Non les Eglises ne furent pas la bouée de sauvetage de l'âme noire. Historiquement la première institution noire indépendante des esclaves ne fut pas l'Eglise mais la franc-maçonnerie. Pour mieux comprendre sans doute faut-il se rapporter aux espèces de confrérie dans lesquelles se regroupaient les esclaves ( et les pauvres ) de l'Ancienne Rome, bien avant l'apparition du christianisme, prétextes à quelques banquets mais surtout à assurer à leurs affiliés que lors de leur mort l'association se chargerait d'offrir à ses membres une sépulture décente. Les fanfares noires jouaient un peu le même rôle, elles suivaient en grande et bruyante pompe le défunt jusqu'à sa sépulture, elles lui permettaient de quitter ce bas-monde sur un dernier pied de nez. Selon votre entregent et votre état social vous étiez accompagnés de plus ou moins de musiciens...

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    La franc-maçonnerie s'est développée aux Etats-Unis bien avant leur indépendance. Dans les loges blanches se mêlaient autant les abolitionnistes que les négriers, à chacun ses contradictions... Le Klu klux klan sera monté par un ancien maçon... Mais les principes maçonniques teintés de christianisme posent l'égalité de tous les hommes devant Dieu, l'Eglise Anabaptiste défend ce point de vue, les noirs tenteront d'entrer dans les loges blanches, à quelques exceptions près ils s'apercevront que cela reste plus que difficile, une maçonnerie noire plus ou moins clandestine se mettra en place, particulièrement parmi les musiciens de jazz.

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    Cette affiliation est loin d'être minoritaire. Elle a traversé tout le vingtième siècle, la plupart des grands noms du jazz en firent partie. Ce n'est pas vraiment un secret, il suffit de lire les nombreuses autobiographies, de regarder les interviews au sommaire des plus prestigieuses revues de jazz, d'examiner les notes des pochettes de disques, de faire attention aux symboles maçonniques fièrement arborés... Il n'est point de pires aveugles que ceux qui ne veulent pas voir. En Europe le fait est largement ignoré. Cela ne cadre pas avec les préventions intellectuelles des intellectuels de gauche qui pendant longtemps formèrent les gros bataillons des amateurs.

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    Que les abolitionnistes et les négriers blancs aient pu discuter paisiblement dans une loge blanche soulève quelques interrogations. Pourtant au Grand Ole Opry, temple mythique du country se côtoyèrent sans problème, musiciens blancs et noirs ( Armstrong ne joue-t-il pas sur le Blue Yodel N° 9 de Jimmie Rodgers ) jusqu'au jour où l'émission radiophonique devint, avancées techniques aidant, télévisée. Qu'est-ce que le racisme, sinon une vaste hypocrisie. Apartheid suprématiste en théorie, mais dans la pratique les deux ''races'' se mélangent très bien, se côtoient de près, travaillent ensemble, couchent ensemble, maîtres et domestiques vivent si près les uns des autres... Dans les années 50 et 60 de nombreux musiciens de jazz se convertissent à l'islam. Une façon symbolique de renier le dieu chrétien des blancs nous explique-t-on. Certes mais sur les cartes d'identité américaines l'on vous demande votre religion, or si vous êtes musulman, vous êtes administrativement obligatoirement déclaré de race blanche. Même avec une peau plus sombre que l'ébène vous étiez reçu sans problème dans les restaurants réservés aux blancs...

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    Peut-être est-il temps de revenir à la musique. Ou plutôt au jazz, parce que tout ce nous venons de développer nous oblige à poser notre question initiale d'une autre manière. Qu'est-ce que le jazz ? Au juste. Parce que si l'on arrive à définir ce qu'est le jazz, peut-être sera-t-il alors plus facile de d'envisager la musique selon cette étrange vue de l'esprit qu'elle serait ce que le jazz ne pourrait pas être. Affirmer qu'une rose n'est pas un éléphant ( même rose ) nous en dit peut-être davantage que l'étiqueter en tant que fleur. A certains esprits retors la négativité d'une chose signifie davantage que ce qu'elle est. De surcroît quand on y réfléchit dire qu'une rose est une fleur c'est quelque part la nommer par ce qu'elle n'est pas puisque positivement parlant une rose n'est qu'une rose. Nous flirtons avec les gouffres métaphysiques. C'est là où Raphaël Imbert a décidé de nous conduire avec son histoire du jazz. Reconnaissons qu'il faut s'accrocher. Chronologiquement parlant si l'ouvrage de Lucien Malson court des origines à 1973 et flirte quelque peu avec le rock'n'roll, le rhythm 'n' blues et la soul c'est pour éviter de s'interroger plus avant sur la signification de la dernière grande éclosion jazzistique, celle du Free et de la New Thing. Raphaël Imbert lui essaie de répondre à la question du jazz en abordant tous ses aspects, social, religieux, musical.

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    Les ravages psychiques de l'esclavage et les méfaits de la ségrégation qui s'en suivirent sur les générations noires sont connus. Nous ne nous y attarderons pas. Le livre en démontre l'ampleur à loisir. Reste que cette présence de la maçonnerie noire ne sera pas sans incidences sur le développement du jazz. Elle agit comme une armure invisible et protectrice. Elle resserre les liens entre les individus. A un niveau purement social et par le petit bout de la lorgnette utilitariste l'on pourrait la comparer aux travailleurs de notre époque moderne qui prennent leur carte syndicale non par volonté révolutionnaire de détruire le capitalisme mais en tant que parachute de secours pour amortir les séquelles des licenciements économiques. Surtout elle apporte un plus, un supplément d'âme, les musiciens qui semblent discuter paisiblement dans les coulisses ne sont pas en train de chasser le tract, tiennent une cérémonie maçonnique qui les met en relation avec une réalité impalpable qui les exhausse du quotidien et leur permet d'accéder à une modalité supérieure du sacré.

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    L'exemple de Duke Ellington est des plus frappants. Le nègre parfait, savant et bien éduqué, qui se souvient de la savane africaine ancestrale, ne sont-ce pas des reproductions de barrissements d'éléphants qui forment la toile sonore de ce style jungle si apprécié par les blancs tout heureux de voyager outre-atlantique en restant prudemment assis dans leur fauteuil rembourré ! La discographie et la carrière du Duke sont plus éloquentes. A tel point que l'on passe sous silence toute une partie de son œuvre, cette musique sacrée qu'il composa et qu'il tint à jouer dans le monde entier dans les temples de toutes obédiences et dans les salles de concert les plus prestigieuses. Comment un musicien de jazz noir peut-il se permettre de renouer avec la musique classique religieuse européenne ! De surcroît en adressant ses ferveurs non pas au dieu très chrétien de la civilisation blanche mais à quelque chose qui au mieux serait un créateur et au pire une espèce d'entité inconnaissable que l'on peut évoquer mais ne point connaître car ne distillant par le truchement d'aucune église aucun dogme, aucun enseignement capable de régenter la hiérarchie de la société.

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    Voici un jazz qui n'est plus un swing joyeux et pimpant bon pour les délassements du samedi soir. Il faut bien que les enfants et les couches inférieures de la société s'amusent. Un jazz qui est en train de se rendre compte qu'il est avant tout une musique et même pire de la musique. Le be-bop sera au jazz ce que le cubisme fut à la peinture. Derrière toute représentation graphique se cache une structure géométrique, qui se transforme vite en pattern mathématique lorsque elle est censée épouser la forme des fluidités sonores. Le cubisme débouchera par l'entremise des couleurs sur l'abstraction, suivant le même chemin le jazz deviendra sinon une musique savante et répétitive que lui interdit l'improvisation mais une musique abstraite.

    De plus en plus abstraite au fur et à mesure de son évolution, jusqu'à une certaine déliquescence, les outrances du Free permettront d'accéder à cette phase anarchisante d'auto-destruction. Mai la nature a horreur du vide, la New Thing sera cette tentative de transmuer la dilution finale programmée en une chose nouvelle qui au contraire n'aurait rien à voir avec les reproductions échoïfiée de la réalité par la voie phonique, qui s'efforcerait d'accéder par la voie du silence à une autre surréalité qui ne serait que vide et néant.

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    Nous avançons d'un cran. L'initiation maçonnique peut être envisagée comme l'adhésion à une société mutuelle de secours, l'assurance de trouver accueil fraternel pour la nuit dans une ville inconnue dont l'accès aux hôtels vous est refusée, voire la participation inopinée à une tournée en période de dèche, mais en passant à cette idée d'une musique qui vous force à réfléchir et à ne jouer les notes qu'en tenant compte de l'intervalle qui les sépare, en modulant le silence autant que le son, vous changez de braquet. La pratique d'un instrument devient une praxis en quelque sorte philosophique, une quasi-méditation ascétique. Raphaël Imbert devient précis, il analyse le jeu des souffleurs les plus reconnus en détail, toute avancée instrumentale, celles de Coleman Hawkins par exemple, est explorée et fouillée jusque dans leur moindre recoin. Chaque musicien joue pour lui mais son parcours s'inscrit dans une continuité qui le dépasse. Le jazzman n'est plus considéré comme un musicien mais comme un instrument qui déchiffre les modalités formelles d'une partition invisible qu'il dévoile au fur et à mesure de sa progression. Champollion a su percer le mystère des hiéroglyphes mais les cryptogrammes s'étalaient devant ses yeux, imaginez qu'il ait eu à les déchiffrer sans les voir... Re-bonjour Platon, l'Idée est une forme invisible à laquelle on accède que fort difficilement, toutefois sa présence vous guide.

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    Le titre du livre est une référence évidente à John Coltrane. Raphaël Imbert sait de quoi et surtout de qui il parle, il est lui-même saxophoniste de jazz. John Coltrane a suivi la voie mythique du jazzman type. Adonné aux deux mamelles de la musique et de la drogue. Jusqu'au moment où il se sèvre de la seconde tétine empoisonnée qui obscurcit le chemin. Notons en aparté de grande signifiance que Malcolm X effectuera un même trajet, en prison il comprend que la délinquance dans laquelle il se complaisait n'était qu'une révolte stérile et qu'elle devait être abandonnée afin que puisse se déployer une réelle efficience d'ordre politique. Ornette Coleman a beaucoup contribué à faire admettre à Coltrane que les séquences improvisées d'un morceau – l'essence par excellence du jazz – ne sauraient être totalement libres mais devaient rester en adéquation formelle avec la charpente initiale. Quelque part il existe une unité. Cette singularité supérieure Coltrane, homme de vaste culture et esprit extrêmement curieux, la qualifiera du nom d'amour. Love suprême. La nouvelle L'Amour Suprême de Villiers de L'isle-Adam est sans appel. L'amour suprême se doit de traverser la mort. L'Être se nourrit du Non-Être, sans le néant l'Être ne saurait être. Nous sommes ici en plein mysticisme. En pleine poésie. En pleine mystique.

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    Attention aux déraillements. La mystique sans dieu est une passerelle qui enjambe le néant pour arriver on ne sait où. La tentation est grande de se replier vers des positions plus sereines. Nous assistons à une sorte de retour au religieux nettement marqué par exemple chez Albert Ayler. L'expérimentation tous azimuths possède ses propres garde-fous, elle tend à se protéger, elle se meut dans le cocon d'une espèce de panthéisme religieux qui s'interdit toute négativité athéique. C'est dans le sens de cette affirmation positiviste d'une présence divine que les ténors de la New Thing se protègent de l'inconnu, de cette chose qu'ils ne peuvent exprimer qu'en rompant l'ensemble des harmonies traditionnelles dans l'idée que le contour de ce que les oreilles profanes nomment cacophonie dessine ou du moins laisse entrevoir la forme de cette étrangeté qui échappe à toute préhension humaine et dont ils sont comme les prophètes annonçant et désignant la mystérieuse présence d'une manière phonique qu'ils jugent indubitable.

    walter lure,kris needs,mammouth king blues band,raphaël imbert,carl perkins

    Et après la New Thing que devient le jazz ? Il emprunte les sentiers au mieux de la virtuosité clinquante du jazz-rock, au pire il s'acoquine avec les dernières modes commerciales. Des approches peu intéressantes. Il existe une autre manière de voir. Et si le jazz était devenu musique. S'il s'était européanisé, classicisé. Le roi est mort, vive le roi. Le roi se mord la queue. Si le jazz est parvenu à rejoindre l'évolution de la musique classique européenne, qu'est-ce qui le distingue de celle-ci. Raphaël Imbert n'est pas qu'un théoricien, il a participé en tant que musicien au projet Brotherhood-Bach ( quatuor classique + quartet jazz ) qui a mis en évidence les indéniables parentés existantes entre Bach et Coltrane qui s'expliquent par l'origine luthérienne des anciens negro-spirituals dans lesquels Coltrane allait chercher les thèmes de base qui servaient à ses improvisations. La différence entre jazz et classique serait donc très relative. Deux fleuves issus d'une même source qui se rejoignent dans le même estuaire. Beaucoup de bruit ( ou d'harmonies, voire surtout de disharmonies ) pour rien. Mais où donc est passé le sacré dans cette entourloupe, l'est allé se nicher sans se faire remarquer à l'origine des deux processus. Les européens l'ont toujours gardé en mémoire, les noirs d'Amérique l'ont cherché pendant longtemps.

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    Raphaël Imbert se retrouve dans la position de la poule qui apercevant l'œuf qu'elle vient de pondre se demande d'où il peut bien sortir, à moins que ce ne soit elle qui vient d'en sortir. Mais c'est un malin Raphaël, il trouve la réponse, que la cocotte sorte de l'œuf ou le contraire dans les deux cas nous n'avons à faire qu'à une seule et même action. Ce qui compte c'est l'Acte même – quelle que soit l'histoire qu'il met en scène. Le jazz n'est donc pas la musique mais la musique mise en œuvre. En ce sens-là l'origine n'est qu'une répétition, ce n'est pas un œuf qui est à l'origine de tous les autres, ce sont les œufs qui induisent l'origine en tant que forme de préexistence. Heidegger se substitue à Platon mais notre auteur ne court pas si loin. S'en tient à l'antique dichotomie Platon / Aristote dans laquelle la musique classique européenne  jouerait le rôle de Platon et le jazz celui d'Aristote.

    Je regrette de vous avoir causé un fort mal de tête, mais l'on ne résume pas trois cents pages touffues en deux feuillets et demi sans élaguer beaucoup. Me suis davantage attaché à la structuration intellectuelle du bouquin qu'à son contenu anecdotique. Ce qui est dommage. Car il expose des faits et dévoile une vision de la musique populaire américaine passée sous silence de par chez nous. Tiens par exemple, amis rockers saviez-vous que Carl Perkins était franc-maçon ?

    Damie Chad.

     

    INTRODUCING... CARL PERKINS

    ( Phono 87033 / 2015 )

     

    Quand je vois un CD de Carl Perkins, j'agis en Pavlov's Dog, je salive, j'aboie du petit lait, je prends sans regarder. C'est un tort. L'ennemi est partout. M'a fallu me rendre à l'évidence, non ce n'était pas l'immortel créateur des chaussures de daim bleu. Un homonyme. Un pianiste. De jazz. En plus. Bon, je le rapporterai et l'échangerai. Quand j'ai lu le livret mon cœur s'est serré, un peu comme quand vous vous penchez sur une bête agonisante au bord de la route. Celle-là, elle était déjà morte depuis 1958. A l'âge de vingt-neuf ans. D'overdose. En plus, pas une vie heureuse, le bras gauche déformé par la polio tout gamin. Tout jeune il était obligé de jouer certaines notes avec le coude. L'a dû en baver pour se hisser au haut niveau, l'a accompagné sur scène des pointures comme Chet Baker, Dexter Gordon, Illinois Jackett, Dizzy Gillespie et quelques autres. N'a eu que le temps de faire paraître un unique disque sous son nom, en 1955, cet Introducing Carl Perkins, agrémenté ici de quelques enregistrements radio. Autant lui faire l'aumône d'une écoute, me dis-je, d'autant plus qu'il débuta dans le combo de Tiny Bradshaw qui devait mourir quelques mois après lui, mais qui ayant avant de casser sa pipe le bon goût de composer et de créer l'immortel Train Kept A-Rollin' un classique du rock'n'roll.

     

    Introducing Carl Perkins

    + Leroy Vinegar : bass / Lawrence Marable : drums

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    Way cross town : un piano quelque peu boogie qui se livre à un joli ballet avec la batterie, la basse halète loin derrière, pour soutenir son solo les deux camarades y vont pianissimo, puis le piano s'insinue dans le solo de la batterie. Très technique, un peu froid. Arrêt brutal. You don't know what love is : la langueur qui tue, Perkins nous la joue romantique, des notes tristes, des larmes qui coulent sur la joue, la main droite pond des cascatelles au ralenti, la gauche appuie un peu plus, peu de choses quand on y pense mais cela vous a des des goûts de revenez-y. The lady is a tramp : un peu plus jazz si j'ose dire, le piano devant, les autres ont du mal à se tenir à sa hauteur, le rejoignent enfin, voudraient-ils le narguer que là il nous sort le grand batifolage, ne pique pas un sprint mais vous fait des sauts de ballerine qui l'emportent jusqu'au ciel. Marblehead : une compo de Perkins, z'avez l'impression que le côté droit du sillon lambine un peu, mais le côté gauche trottine hardiment. Une véritable démonstration tout en douceur, y a même un moment où il faut tendre l'oreille mais c'est pour mieux revenir et vous balancer un maximum de fioritures. Woody 'n' you : tiens la batterie prend les devant, rythmique un tantinet tropicale, la basse s'étire, un chat qui fait le gros dos au sortir du somme pour émerger de sa léthargie, et le piano s'amuse, saute à pieds joints pour démarrer puis y va tout doux, un poisson qui frétille au bout de la ligne qui le sort de l'eau dans un rayon de soleil. Westside : piano rag, basse et drums prennent le mors au dent, le rythme reste soutenu mais le clavier fait tant de cabrioles que ça fuse de tous les côtés, une fois que vous avez lâché la bride, vous ne vous étonnez plus que ça tressaute dans la diligence. Just friends : très jazz, c'est le moins que l'on puisse dire, le genre de truc énervant, rien à reprocher au pianiste qui ressemble à une machine électrique à tricoter les pompons de laine, au milieu la batterie fait trente secondes de claquettes, mais just friends, la soirée ne se terminera pas par une étreinte sauvage. It could happen to you : tout en douceur, la chansonnette qui vous agonise, le genre de ballade que l'on passe dans les supermarchés quand les caissières commencent à fatiguer pour leur rappeler qu'elles risquent d'être congédiées sine die. Why do I care ? : des notes pointues qui sautent sur le chien pour rentrer du cinéma en taxi. Franchement vous partez faire la vaisselle car le Perkins il joue bien mais l'on aimerait que de temps en temps survienne une catastrophe. Trois fois rien. Une bombe atomique dans le jardin du voisin par exemple, la patience des rockers a des limites, et les trois gus imperturbables continuent comme si de rien n'était. Lilacs in the rain : arpèges pour génériques de film à l'eau de rose, promenades enlacées et couchers de soleil, un brin de tristesse mais pas trop, il ne faut pas décourager l'être humain et trop lui rappeler qu'il va mourir. Ce satané Carl vous refile une impression de blues poisseux qui vous colle à la peau, comme la lèpre qui grignote le lépreux. Carl's blues : finit sur une compo à lui, un blues guilleret, l'on dirait que les trois compères sont contents de terminer la séance, que ça leur met du baume du tigre au cœur, et qu'ils pensent à la fin de la soirée dans un night-club en galante compagnie.

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    Au piano seul / 13 - 09 - 1954

    Lullaby of the rain : si vous n'y prenez pas garde vous ne voyez pas la différence avec le morceau précédent, preuve que les deux acolytes n'étaient que des accompagnateurs. Perkins se suffit à lui-même. Le gars vous sert sans arrêt la même ritournelle, vous lance quelques notes et puis il s'amuse avec elles, le jeu du chat et de la souris. Quand la petite bête innocente est croquée il se jette sur la suivante. Cruel mais fascinant. Alone together : rien qu'au titre vous savez que le piano va laisser tomber une lampée de larmes de crocodiles à vous rendre malade, une belle excuse pour téléphoner à votre patron que vous n'irez pas travailler. You don't know what love is : tout ça pour flemmarder au lit avec votre conjoint ou avec son souvenir, car lui il s'est levé pour le turbin, ne vous reste plus qu'à vous masturber délicieusement et éparpiller vos gouttelettes de rosée sur les draps froissés. I've bever been in love before : devait être sentimental quand il a enregistré ces quatre titres, les trois derniers vous resservent la même ambiance doucereuse, cotonneuse à souhait. L'amour rend bête !

    10 – 09 - 1954

    + Oscar Moore : guitar / Joe Comfort : bass / Georges Jenkins : drums

    Blues in 8 flat : changement d'ambiance, tout suite plus guillerette, le Perkins a raccourci ses notes, du coup elles sont plus rapides, faut bien laisser un peu de place à la guitare, par derrière le Jenkins ne s'en mêle pas trop, vous stratège une trottinade de bon aloi, non de Zeus c'est déjà fini. Roulette : reprennent illico en plus rapide, de temps en temps ils ont la mauvaise idée de passer le film au ralenti, mais ils se reprennent et ça cascatelle de tous les côtés, de l'émulation dans le studio, imaginez des tirs de kalachnikovs mais avec un silencieux, l'on veut bien s'entretuer toutefois il ne faut pas réveiller les voisins pour si peu. Le meilleur morceau du disque à notre humble avis. Un conseil, play loud. The nearness of you : une guitare qui sonne comme celle de Claude Ciari et le piano qui ne fait pas de bruit pour ne pas la déranger, doit y avoir un ange ( déchu ) qui passe dans le studio. Le genre de morceau qui ne vous laissera pas un souvenir inoubliable. Love for sale : La rengaine de Cole Porter , genre de limonade bien foutue qui swingue un peu, juste ce qu'il faut pour ne pas effrayer le peuple. Body and soul : vas-y tout doux, Julot, ici l'on fait dans le minutieux et le point de suture sous perfusion. Si je vous disais que mon corps se morfond et que mon âme s'impatiente... Kenya : musique d'ambiance, ça sautille gentiment, c'est mignon tout plein mais vous en ressortez ni triste, ni joyeux, même pas avec l'envie de vous suicider. Mais à quoi bon peut servir la musique si elle ne vous pousse pas aux grandes décisions ?

    Janvier 1957

    + Jim Hall : guitar / Red Mitchell : bass

    Too close for comfort : les chambres d'hôtel trop confortables sont un tantinet ennuyeuses. Perkins vous plaque des accords aussi épais que du placo-plâtre, mais la guitare et la basse s'amusent à vous les démantibuler de l'intérieur pour y installer leur termitière. Pas non plus un des grands drames de l'humanité.

     

    Tout bien pesé, les onze premiers morceaux auraient suffi. Les onze suivants sentent un peu le remplissage. Vous donnent l'impression qu'ils font le job en professionnel, mais il manque la fièvre et le frisson.

    Perkins vous distille un jazz post be-bop, ce n'est pas encore le cool mais l'on s'en rapproche. L'a un beau toucher, avance par petites séquences, toujours structurées de la même manière, mais il a les doigts inventifs. Agréable, sympathique, vous ne passeriez pas la vie avec.

    Sera-ce une surprise si je vous dis que je préfère l'immortel créateur de Honey don't, le seul, le vrai, l'unique Carl Perkins !

    Damie Chad.