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CHRONIQUE DE POURPRE 266 : KR'TNT ! 386 : Mr AIRPLANE MAN / THEE HYPNOTICS / JOHNNY THUNDERS / SANDRO / ROCKAMBOLESQUES ( 1 )

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 386

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

27 / 09 / 2018

 

Mr AIRPLANE MAN / THEE HYPNOTICS

JOHNNY THUNDERS / SANDRO

ROCKAMBOLESQUES ( 1 )

Hey Mr Airplane Man play a song for me - Part Three

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Mr Airplane Man, ça commence déjà à ressembler à une vieille histoire. Pas seulement parce qu’il s’agit du Part Three de l’accompagnement chronico-K-R-T-N-terrien, mais aussi parce que leur premier album Red Lite date de 2001. Faites le compte. Cela veut dire en clair une multitude de concerts en France et une série de six albums irréprochables. Irréprochables, oui, à condition bien sûr d’aimer ce blues-rock nourri au nec-plus-ultra, c’est-à-dire Wolf, Monsieur Jeffrey Evans, Junior Kimbrough, Don Howland et quelques autres. Elles sont en quelque sorte devenues les porteuses du flambeau de ce son, puisque les Bassholes, le ‘68 Comeback, RL Burnisde, Junior Kimbrough, T Model Ford, les Immortal Lee County Killers de Cheetah Weise, DM Bob & the Deficits ou encore Cedell Davis ont soit cassé leur pipe en bois, soit cessé toute activité. Oh bien sûr, parmi les autres porteurs du flambeau de ce son, on peut citer Left Lane Cruiser, The North Mississippi Allstars, Little Victor et les mighty Excellos, artistes et formations brillants, enferrés jusqu’au cou dans leur passion pour le blues vitupérant, celui qui va loin au-delà des clichés. Ici pas de crossroad at midnight à la con ni de moonshine à trois croix, mais plutôt du Wolf de big foot Chester et du hardware de cordes rouillées. Et là où les deux oies blanches de Mr Airplane Man font la différence, c’est avec cette énorme dose d’extrême délicatesse qui semble vouloir distinguer leur strong blend de blues. On a même l’impression qu’elles s’améliorent à chaque concert. Sans doute l’ambiance iodée de Binic favorise-t-elle ce genre de délire contemplatif, toujours est-il qu’elles rockent the beach avec infiniment plus d’impact que la plupart des autres groupes, souvent de féroces garage-bands déterminés à grimper sur le trône de l’underground binicais.

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Aw so good to be in Binic et pouf Margaret envoie ses accords sixties, oh baby, so good, comme le fit Van the man jadis, «Red Light», pas de problème, ça rocke dans l’aw my God et elles basculent comme deux atroces couleuvres dans l’aouuh de Wolf, she gave me gazo/ line, pas sympa la copine de Wolf, Margaret rattrape toute la souffrance de Big Foot au vol, aohhhh. Tara ne tarit pas car elle joue un riff d’orgue d’une main et tatapoume de l’autre, voilà «Hang Out», ça lancine dans l’air breton. S’ensuit un «Not Living At All» assez hypnotique. Elles rockent et quand Tara place ses chœurs, elle shoote au cul du cut une violente dose de féminité, et ça mon gars, ça vaut tout l’or du monde, car à cet instant précis, Tara devient Ellie Greenwich, elle swingue son chœur dégingandé et chaloupe des épaules, avec un sens du feel ahurissant. Et Margaret joue le jeu, avec une aisance épouvantable, elle accompagne ses montées de fièvre en ployant les genoux, c’est d’une efficacité redoutable, elle chante son trash-blues à la vie à la mort et elle capte toutes les ondes d’un public conquis, pareille à ce fameux trou noir qui engloutit des myriades étoiles. Version endiablée d’«Up In Her Room». Margaret et Tara tapent leur set avec une fantastique économie de moyens et une maîtrise des relances qu’il faut bien qualifier d’ahurissante. Par les temps qui courent, le zéro frime a quelque chose de rassurant. C’est peut-être cet aspect-là qui forge les admirations. On les sent toutes les deux vouées à leur blues-art, comme deux Carmélites du XVIIIe siècle. Leur blues-art sent bon l’éthique passionnelle. Elles semblent même parfois appartenir à une autre époque. Le temps n’est malheureusement plus aux puristes, l’épidémie de m’as-tu-vu gagne à chaque seconde des centimètres et finira par tout dévorer, sauf Mr Airplane Man et quelques autres artistes intouchables. Elles sont au blues-art ce que Marcel Duchamp fut à l’art, peut-être pas des Jansénistes assainies assez ascétiques, mais des refuseuses de compromission, uniquement préoccupées de blues, comme Duchamp l’était de modernité. Et comme chacun sait, la raison d’être de la modernité est d’échapper à l’art. Elles n’iront pas comme Duchamp jusqu’à démanteler le sens pour parvenir à leurs fins, mais on détecte parfois chez elles quelques petites velléités de déconstructivisme latent. Bref, tout ce pompeux parallèle n’a d’autre but que d’affirmer l’ineffable modernité de Mr Airplane Man. Oui, le blues est l’âme de la modernité. Leadbelly vous en donnera la preuve. Les gens auraient tendance à considérer le blues et le rockab comme des genres périmés, des espèces de vieux trucs poussiéreux, mais non, c’est un malentendu. Pourquoi ? Eh bien parce qu’il y a plus d’énergie et de classe dans le blues, Horatio, que n’en rêve ta pauvre philosophie.

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Leur nouvel album s’appelle Jacaranda Blue et dès «I’m In Love», le souffle du shuffle vient nous caresser la nuque. Il vaut mieux que ça soit la nuque plutôt qu’autre chose, n’est-ce pas ? Dans la vie, il faut toujours essayer de rester correct. Elles savent rendre un boogie-blues fantômatique et sans doute est-ce là ce qui fait tout leur charme discret, comme dirait Buñuel. Elles se coulent dans le mood du groove et nous avec. On sent l’inaliénable emprise. Elles jouent toutes les deux dans les règles du grand art et montent leurs cuts sur des petits riffs à la fois classiques et aventureux. Tara bat toujours bien large, pour créer l’espace nécessaire à sa copine. Les deux font bien la paire. Elles écrèment la crème de la crème, avec une pugnacité qui les honore (chacun sait qu’il vaut mieux être honoré que déshonoré). Margaret claque «Deep Blue» à la revoyure. Elles sont toutes les deux immensément douées, il faut voir l’entrain de ce son. Margaret hyper-joue, comme d’autres hyper-ventilent, elle le fait avec de l’esprit en veux-tu en voilà. Elle chante «Sweet Like A» sous un certain boisseau d’intérêt limité et la vie reprend tout son sens avec «Blue As I Can Be». Elles reviennent enfin dans le giron de Junior Kimbrough et roulent leur bosse dans le North Mississippi Hill Country Blues. C’est pompé, oui bien sûr, mais en hommage, ça va de soi. Elles nous y tartinent une vieille couche de transe hypno de sweet baby. Avec «Good Time», elles reviennent au rocky road avec un son plus claqué. On note la présence d’un gros shoot de bassmatic. Tara chante «Believe» et ce n’est plus la même chose. Les voilà dans le barrellhouse de cabane branlante, ça donne du cachet, c’est bombardé de cartes de France et de coups d’ahoowaah ! La baraque finit par s’écrouler dans la mare aux canards. C’est atrocement génial et explosé de son. Elles montent à la suite «You Do Something» sur un riff des Yardbirds. Elles tapent ça au suspense anglais. Elles redoublent encore d’à-propos avec «Never Break», espèce de garage d’Airplane, fusillé à la slide. Margaret y va à coups de bottleneck et à la pulsion extrême. Elles terminent ce brillant album avec «No Place To Go», tapé au riff de heavy blues, comme si elles voulaient rendre hommage à Wolf. Une marée superbe emporte Margaret dans le néant.

Signé : Cazengler, Mr. planplan man

Mr Airplane Man. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

Mr Airplane Man. Jacaranda Blue. Beast Records 2018.

 

Hip hip hip notics ! - Part Two

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Les voies de l’underground sont parfois impénétrables. On pourrait aussi dire que toutes les voies mènent aux Hypnotics, surtout celles qui sont impénétrables. Tout compte fait, on est bien content de se retrouver un soir de septembre dans un petit club orléaniste face à ce phénomène totalement inespéré qu’est le come-back des Hypnotics sur scène. Ce qui fut underground à une autre époque l’est sans doute mille fois plus aujourd’hui. On croise des milliers d’étudiants dans les rues de cette petite ville jadis chère à Jeanne d’Arc, mais ces milliers d’étudiants ne descendront pas au club pourtant situé à deux pas pour voir le concert d’un groupe dont ils n’ont jamais entendu parler.

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Le problème n’est pas de savoir si les Hypnotics et tous les groupes de cette génération sont des has-been et d’en conclure que leur temps est révolu. Non, il faut raisonner complètement à l’envers et savoir apprécier la chance qu’on a de revoir jouer un groupe aussi brillant. Et du coup, ce groupe qui à l’époque avait une dimension réelle l’a aujourd’hui mille fois plus, car s’ils jouent comme ils jouent, c’est qu’ils savent - deep in their hearts - qu’ils sont bons. Qu’ils restent d’une brûlante actualité.

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Et même doublement brûlante. Leur son n’a jamais été aussi tentaculaire, ils développent à quatre une espèce d’immense pieuvre stoogyco-psychédélique longue d’une heure et batailleuse, enveloppeuse, invulnérable, agitée de spasmes terribles, c’est une musique dont on sent la fibre et la chaleur, et la pieuvre ne te lâchera plus jusqu’à la fin.

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Pour corser l’affaire, la pieuvre est bicéphale : Ray Hanson et Jim Jones se partagent le rond du projecteur. Ils sont au rock anglais ce qu’Iggy et Ron Asheton étaient au rock américain, les artisans d’un chaos salvateur, les sonneurs de tocsin, les réinventeurs de l’apothéose, ils sont dans la même énergie, dans la même croyance en des jours meilleurs, dans une quête insensée du Graal sonique, mais à la différence des pauvres chevaliers de la Table Ronde, ces mecs-là trouvent leur Graal. Oh, il ne dure qu’une heure, mais quel Graal ! Les Hypnotics groovent, et ça fait toute la différence. Comme le rappelait Don Was à propos des Stooges et du MC5, le groove et le feeling sont les deux éléments déterminants. S’il en manque un des deux, c’est cuit. Mais si les deux président aux destinées du son, alors ça peut devenir légendaire. Comme dans le cas des Hypnotics.

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Ray Hanson est une sorte de groover supérieur. Il joue sur une SG qui sent bon le vieux vécu. L’homme est de petite corpulence, tout vêtu de noir, il porte quelques bijoux, un rideau de cheveux bruns filtre le réel autour de lui, et ses snakeskin boots sont aussi explosées que celles de Keith Richards, dans la fameuse scène filmée à Muscle Shoals. Oui, Ray Hanson est un hot condensé de rock star à l’Anglaise, il perpétue brillamment la tradition, il ne pourrait en être autrement, on sent chez lui la vocation qui remonte au plus jeune âge. Qu’aurait-il pu faire d’autre que de jouer de la guitare dans un groupe de rock ?

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Et comme lors de leur premier come-back à Trouville, en juillet dernier, ils attaquent avec un flamboyant «Soul Trader», histoire d’indiquer la voie impénétrable, celle qui nous intéresse. Le rock des Hypnotics reste un rock classique, mais joué avec le feu sacré, une sorte de pulsion organique, quelque chose de viscéral. Jim Jones tisonne et hante son son, il en harcèle l’avant-garde et l’arrière-garde, il cultive l’art du relentless et on assiste à une sorte de belle montée de fièvre, c’est très palpable, très contagieux, admirablement bien orchestré. Ils enchaînent avec ce stormer patenté qu’est l’«Heavy Liquid» tiré de leur dernier album, The Very Cristal Speed Machine, groové jusqu’à l’os de la mortadelle, imparable, quasi-cosmicoïdal, ça puzzle dans le kaléidoscope paraplégique, ils vont loin dans le haze de la daze et ça retombe dans l’inconnu avec «Nine Times», un cut qui ne figure même pas sur les albums, c’est un obscur b-side comme seuls savent les bricoler les Hypnotics. La pieuvre flotte dans l’air et comme toujours dans ces cas-là, on échappe au temps. Comme si les Hypnotics reprenaient la main sur le sentiment de vivre. Comme s’ils déroulaient un nouveau mode de fonctionnement. «Come Down Heavy» est le morceau titre de leur deuxième album et comme l’indique le titre, on descend avec eux très bas dans les ténèbres d’une heroic-fantasy hypnotique, sans doute-est-ce là qu’ils veulent le plus stooger leur bigorneau, comme le montrait à l’époque la pochette de l’album, une sorte de fac-similé de Funhouse, bien dans les tons orangés et les mines de merlans frits. On trouvait même à l’époque qu’ils en faisaient trop, mais en y réfléchissant bien, en fait-on jamais assez ? Bien sûr que non. Ce qui semble trop n’est jamais trop, et si on raisonne à l’inverse, le pas assez n’en finit plus de n’être pas assez. En général, le pas assez s’épuise le premier. Alors que le trop semble vouloir résister plus longtemps. Toujours est-il que Ray Hanson change de guitare pour jouer «All Nite Long». Il récupère sa Mosrite bleue et n’en finit plus de bâtir des architectures soniques d’une rare complexité, mais il veille à rester dans le heavy groove qui caractérise si bien le son des Hypnotics. D’ailleurs, il est utile de préciser qu’en Angleterre, ils étaient les seuls à sonner ainsi. Mis à part les Primal Scream de Robert Young et les early Damned, les groupes anglais n’ont jamais raffolé de stoogeries. Sans doute était-ce un son trop américain pour les Anglais.

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Puis nous verrons défiler ces vieux standards efflanqués que sont «Coast To Coast», «Shakedown» et «Justice In Freedom», nous verrons Jim Jones et Ray Hanson se jeter à quatre pattes pour se livrer à un numéro d’incantation voodoo et puis après un rappel bien sonneur de cloches, ce sera la fin d’un set forcément trop court, tu sais, le genre de moment plaisant qu’on ne voudrait jamais voir s’arrêter.

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PS. Un canard rock anglais signalait récemment la parution d’un docu consacré aux Hypnotics. Heureuse coïncidence, le DVD trônait tout seul sur la petite table du mersh (le reste était sold-out). Il s’intitule Soul Trading et le réalisateur n’est autre que Phil Smith, le batteur du groupe. Le docu raconte l’histoire d’un groupe aussi poissard que les Dolls : un accident de la route qui flingue une tournée américaine alors que le groupe tourne à plein régime, et qui laisse Phil Smith avec les hanches broyées, puis la mort de Craig Pike, le bassman, des suites d’une overdose à Londres. Forcément, le docu tire sur le sombre. Jim Jones, Ray Hanson et Phil Smith racontent leur histoire. On note aussi la présence de prestigieux invités, notamment Tav Falco qui fait l’intro du docu à sa façon : il rappelle que les Hypnotics ont joué pour la première fois au Dingwalls en première partie des Panther Burns. Il les voyait comme des stepping razors et les qualifie de shambolic, destructive & soulful. Rat Scabies rend lui aussi un sacré hommage à ce groupe dans lequel il a joué quand Phil Smith était en convalescence - Ray plays the guitar from the sensation of volume - On trouve à la suite du docu les vidéos officielles du groupe, et voilà le travail.

Signé : Cazengler, l’hypno à nœud-nœud

Thee Hypnotics. The Blue Devils. Orléans (45). 20 septembre 2018

Phil Smith. Thee Hypnotics. Soul Trading. DVD 2018

 

24 / 09 / 2018 – LA COMEDIA

SANDRO / FISURA

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Soutien aux peintres qui ont réalisé les fresques – façade coin de rue et intérieure – de la Comedia. Par la même occasion soutien à la Comedia. Pas mal de monde. Beaucoup d'hispanophones. Logique, les géniteurs de cette explosion picturale sont d'origine chiliennes. Vous en reparlerai plus longuement dans une prochaine kronic. Ici m'intéresserai à la partie musicale de la soirée. M'attendais à un groupe punk, erreur fatale, sont sympathiques, au début sont cinq sur scène, guitares, électrique et sèche – contrebasse, cajon, percussions, puis au fur et à mesure tout un escadron de guitaristes et de chanteurs qui s'agglutinent, morceaux longs, mid-tempo, très loin de la feria gitana y del cante jondo, pas tout à fait ma tasse de jack, m'éclipse dans la cour fumoir, dans lequel se retrouvent les amateurs d'agitation musicale plus musclée... Partirai d'un commun accord avec le copain avant la fin de la soirée tandis que retentit Commandante Che Guevara...

SANDRO

Débute la soirée. L'est tout seul avec son ordi, ses percus et ses saxophones. Se livre à un genre dangereux : musique expérimentale live. S'en sort bien. Joue du soprano sur un sampler, écorchures de cuivre et ruissellement sonique, l'a du souffle et de l'imagination, l'on est près du jazz mais d'un jazz totalement libéré de ses patterns, juste le plaisir de produire du son, quitte à poser l'embouchure sur le dessus d'une boite de conserve, façon de tordre le cou à la musique à la manière de Tribulat Bonhomet de Villiers de l'Isle Adam qui noyait les cygnes dans les bassins pour jouir de leur dernier chant. Cherche un rythme sur ses tablas, l'enregistre pour au morceau suivant soloïser dessus, l'art imite la nature, rien ne perd tout se recycle. Le plus beau moment de la soirée. Artiste solitaire. N'a besoin de personne pour exister. Souffle continu. Se suffit à lui-même. Peu y parviennent. Rares ceux qui l'envient. Cela demande trop d'exigence, vis-à-vis de soi-même.

Damie Chad.

 

LA FRANCE &

JOHNNY THUNDERS

DANS L'OMBRE DE LA CROIX

THIERRY SALTET

( Julie Editions / Septembre 2008 )

 

Les Julie Editions méritent le détour, trois books ( hélas épuisés ) sur les Kinks, les Cramps et les Flamin Groovies d'Alain Feydri, plus le grand format de Thierry Saltet : Punk Rock Festival Mont-de-Marsan 1976 et 1977. Le massacre des bébés skaï, chroniqué in KR'TNT ! 177 du 20 / 02 / 2014, et maintenant ce seul livre, rédigé en français, entièrement consacré à Johnny Thunders, à se procurer d'urgence par exemple à julieprod@worldonline.fr

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Certains se gaussent de la France. Certes comparée à la grande Amérique et à la perfide Albion, elle n'a produit que très peu de rockers, mais elle sut accueillir et recueillir quelques unes des légendes les plus noires du rock'n'roll, Gene Vincent, Vince Taylor, Johnny Thunders, pour ne citer que les plus emblématiques. Notre pays a peut-être plus que tout autre aimé et mythifié le rock, sous forme de minuscules chapelles ardentes, mais d'une flamme obstinée. Le livre se termine d'ailleurs sur cette sombre méditation, la mèche ne serait-elle pas prête à s'éteindre faute d'huile. Tout cela ne serait-il pas un simple phénomène générationnel qui bientôt sera enfoui avec les corps morts des protagonistes dans la glaise des cimetières, ou envolé dans les fumées des crématoriums... Sombres perspectives, à laquelle il n'est qu'une échappatoire : le retour aux origines.

Le livre raconte la vie de Johnny Thunders, du début à la fin, la relation est sans arrêt coupée par l'insertion d'extraits d'interviews, de témoignages ou de réflexions des principaux protagonistes qui de près ou de loin ont participé aux coups successifs de notre tonnerre préféré et aux orages avortés que fut l'existence de Johnny Thunders. Les racines françaises et américaines sont les mêmes, l'insatisfaction des kids devant le piètre état du rock'n'roll au début des seventies. Le rock triomphe, le roll est mort. L'est devenu une musique adipeuse, une éponge à virtuosité, de la clinquance boursoufflée, bref on s'ennuie. L'on n'attend plus que les gars qui donneront du pied dans la fourmilière. La tsunami se produira à New York. Normal, c'est aux USA qu'est né le rock'n'roll, il est logique qu'il y refleurisse une deuxième fois. Ne fallait pas attendre grand-chose des mangeurs de grenouilles, le bouquin s'ouvre sur nos Variations – notre premier grand groupe électrique de la deuxième génération - le public les soutiendra mais faute d'intérêt de la part des médias et des maisons de disques ils finiront par immigrer aux States. Nul n'est prophète en son pays ! Marc Zermati propose une analyse sociologique non dénuée d'intérêt, la première vague française des groupes des années soixante comportaient en leur sein un pourcentage non négligeable de jeunes pieds-noirs beaucoup moins inféodés aux idéologiques courants anti-américains qui sévissaient dans la plus grande partie de la population métropolitaine, de surcroît il voit dans les origines italiennes de Johnny Thunders une explication à l'acclimatation de Johnny Thunders en la France de culture latine. S'il est un destin – nous employons ce terme dans son sens heideggerien - lié aux individus, le fait que Johnny Thunders soit mort à la Nouvelle Orleans peut être porté à l'actif de ce genre d'argumentaire. Jeux complexes des hasards du vécu et des nécessités symboliques.

JOHNNY THUNDERS AVANT JOHNNY THUNDERS ALONE

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Johnny Thunders fut le guitariste fulgurant des New York Dolls. L'histoire débute à New York – méfions-nous le ver est souvent dans les grosses pommes - cinq jeunes kids qui décident de former un groupe de rock, ce seront les New York Dolls. Une idée toute simple, revenir à un rock'n'roll de haute énergie. Ils ne sont pas les seuls à l'époque, tout près d'eux Kiss et Aerosmith sont agités d'un même désir. Mais chez nos poupées de New York, c'est un peu différent. Ce n'est pas qu'ils soient les meilleurs du monde, la fougue supplée souvent à une véritable maîtrise instrumentale, même s'ils ne sont pas manchots, même s'ils délivrent des sets qui enthousiasment leur public. Les Poupées foncent droit devant, ont l'insolence de porter ce rêve fou de devenir les Rolling Stones américains. Faudrait pour cela un plan de campagne mûrement préparé et une major décidée à mettre le paquet ( de dollars ). Ils ne l'auront pas. Foncent droit devant, surfent sur l'écume du scandale, s'habillent en filles – étonnamment les partisans des théories du genre qui aujourd'hui font florès dans nos universités ne citent guère nos héros comme signes avant-coureurs de leurs analyses, il est vrai qu'entre les hégémoniques théorisations abstraites et le désordre existentiels des actes transgressifs il existe une différence essentielle. Celle qui sépare la fureur de vivre de la momification universitaire.

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Rock'n'roll dévastateur, phantasmatasie sexuelle, les Poupées ne manqueront pas d'oublier le troisième terme de la trilogie. La dope sera présente dès le premier jour. Mais il est des serpents qui sont plus difficiles que d'autres à amadouer. Suffit qu'ils vous piquent pour que vous deveniez leurs esclaves. L'héroïne se révèlera incapacitante... Jusqu'aux Poupées le schéma de la réussite rock était simple : primo, vous étiez anglais et votre groupe perçait à un niveau national, deuxio vous cherchiez et trouviez la consécration aux USA. Les Poupées feront le chemin inverse. Ils partiront d'Amérique, dans laquelle ils n'ont obtenu qu'un relatif succès d'estime que les ventes de disques ne confirmeront pas, pour apporter la bonne parole en Angleterre. Y perdront leurs batteurs, Billy Murcia mort d'overdose, mais il y a pire, ils rateront leurs apparitions censées enthousiasmer les foules... Autant dire que la mort du groupe est désormais programmée. La déplorable tentative de Malcolm McLaren venu d'Angleterre pour prendre en mains les destinées de nos poupons n'y changera rien.

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En 1975, Johnny Thunders et Jerry Nolan qui ont démissionné des Dolls forment the Heartbreakers. Ils recruteront notamment Richard Hell qui ne restera pas, plus tard il sera le leader de Television. Hell est une figure essentielle du mouvement punk new yorkais, mais l'osmose ne se fera pas, l'est trop intello pour Johnny et Jerry qui vivent le rock en quelque sorte à l'arrache sauvage. Les portes se referment devant le combo avec une telle régularité – la réputation dollique s'avère toxique – que le départ in the great-britain devient obligatoire. Le parallèle avec Gene Vincent et Eddie Cochran quittant quinze ans plus tôt l'Amérique pour l'Angleterre est des plus instructifs. Sur le sol britannique les Heartbreakers menés par Johnny Thunders font la différence. Les concerts de nos ricains apportent la preuve de leur supériorité rock'n'rollique. La route vers la gloire semble toute tracée. L'enregistrement de leur album LAMF en 1977 précipitera leur chute. Une malédiction absolue. Un chef-d'œuvre à placer tout en haut à côté de Fun House des Stooges et du Kick Out The Jams du MC5, un des grands albums du rock'n'roll, dont les géniteurs sont les premiers à être mécontents, le mixage ne les satisfait pas, il n'est pas à la hauteur de l'énergie que dégage le groupe, à tel point qu'il en existe de nos jours trois mixages différents – sur la préférence desquels les fans se disputent encore... pour la petite histoire la même mésaventure est arrivée au Raw Power des Stooges... Le mieux est parfois l'ennemi du bien... Les Heartbreakers se séparent en 1978... Non sans être passé d'abord par Paris. Nous retrouvons dans leur sillage une figure bien connue chez KR'TNT ! Patrick Renassia, actuellement patron de la boutique de disques et du label Rock Paradise. Lorsque le lézard du rock'n'roll vous a mordu, soyez sûr que le venin ne se dissipe pas de sitôt.

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JOHNNY THUNDERS ET LA FRANCE

C'est ici que commence non pas le livre mais le sujet du livre. Ne surtout pas croire que Johnny Thunders soit un inconnu par chez nous. La vie et la dissolution des Dolls et des Heartbreakers ne se sont pas passées en pays lointains et en terres inconnues. Toute une partie de la jeunesse a suivi leurs chaotiques aventures depuis le commencement. Une minorité certes, mais active. De celles qui ont l'intuition de remettre les pendules du panthéon rock à l'heure. A la seconde près. Leurs disques ont été achetés, écoutés des milliers de foi, l'on connaît leurs faits et leurs gestes, et même dans les plus profondes provinces sont parvenues les échos des fastueuses parties qui ont suivi les concerts des New York Dolls à Paris. Un traumatisme. Durant une petite semaine la sensation que le phénix brûlant du rock'n'roll avait enfin daigné se poser de par chez nous. De la légende en train de se tisser sous nos yeux. Emerveillante car ce n'est pas un phénomène isolé, l'incendie du punk qui éclate en Angleterre avec les Sex Pistols cornaqués par Malcolm ''Coucou Me Revoilà'' McLaren, les brûlots qui proviennent des USA, tout le monde est conscient que l'on est en train de vivre des temps historiques. ( En plus l'Histoire nous donnera raison. ). Johnny Thunders bénéficiera jusqu'à la fin de cette aura. Quoi qu'il fasse, il restera pour beaucoup un héros. Malgré tous ses errements lui seront collés à jamais l'image et le rôle du survivant, et de l'initiateur de cette apocalypse heureuse et triomphale dont il aura été un des chevaliers blancs ( lisez un des démons les plus noirs ) essentiels.

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Beaucoup trop de dope, pour Johnny. Où qu'il aille dans n'importe quel coin du Royaume-Uni les dealers l'attendent – voire le précèdent – chères tentations dont il ne peut se déprendre. Paris apparaît comme une terre d'asile qui lui procurera quelques mois de répit. Mais la loi du commerce est d'airain, le besoin appelle l'offre, et quand c'est la dépendance qui devient nécessité, les épiceries vous sont toujours ouvertes. Les courtiers sont à votre service. Vos désirs sont des ordres. Attention le crédit n'est pas illimité. Mais à Paris, question métier, Johnny trouve l'impossible que l'Angleterre refusait. Un noyau de fans et d'activistes qui lui resteront fidèles jusqu'au bout. Nous n'en nommerons que quelques uns. Marc Zermati, on ne présente plus le tenancier émérite d'Open Market et le créateur fou du label Skydog, qui eut pour premiers faits d'armes le courage de publier par exemple le Metallic KO de Iggy & The Stooges sur lequel personne n'aurait misé une demi-moitié de caramel mou avarié. Pour faire vite disons que Zermati à lui tout seul, grâce à son flair, ses connaissances, son esprit d'entreprise, et sa loyauté, c'est la moitié du rock'n'roll français. Sans compter toutes les mains tendues aux perdants magnifiques du rock américain... Avoir une maison de disques à ses côtés c'est bien, en avoir deux c'est mieux. La deuxième fleur du bouquet se nomme New Rose, de Patrick Mathé qui réussira le prodige d'éditer plus d'un millier de disques, alternatifs français et groupes cultes d'outre-Manche et d'outre-Atlantique, les Cramps et les Gories pour n'en citer que deux dument chroniqués par notre Cat Zenler kr'tntique... La vie eût été beaucoup plus difficile pour Johnny Thunders si les frères Taïeb ne lui avaient ouvert très régulièrement les portes du Gibus. Une affaire gagnant-gagnant, Thunders possède un public d'inconditionnels qui remplit la salle, et pour Thunders c'est la certitude d'une espèce de salaire fixe quasi mensuel, qu'il s'empresse de dilapider, sous forme de poudre blanche.

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Johnny est accro, le public des tournées ( France, Pays-bas, Suède... ) le sait, et petit à petit s'instaure un jeu pervers et morbide, l'on ne vient plus écouter le guitariste prestigieux, mais l'artiste talentueux qui perd les pédales, qui est incapable de finir un morceau, qui se barre au bout de vingt minutes. Tout juste si vous ne demandez pas à être remboursé si vous avez droit à un Johnny en pleine forme. Johnny n'est pas un abruti. Des proches peuvent en témoigner, dix minutes avant de monter sur scène Johnny est clair comme de l'eau de roche, et sur les tréteaux il n'est plus qu'un canasson qui ne se rappelle plus de quel côté part la course. Vous voulez un camé, le voici. En parfait entertainer ( n'est pas américain pour rien ) Johnny endosse le rôle qu'on aime lui voir tenir... Un pro.

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Ce n'est pas toujours le cas. Souvent il est vraiment parti pour de bon et parfois il le paiera très cher, son épouse lassée le quittera et lui interdira de voir ses enfants... L'on peut tout de même entrevoir au cours de ces treize années chaotiques se dessiner une tendance à se préserver. Il délaissera l'héroïne ce qui éloignera les dealers pour un traitement médical à la méthadone, et vers la fin il acceptera enfin un sevrage total. Nous sommes en 1990, ses amis sourient, Johnny est plein de projets, son prochain disque sera enregistré à la Nouvelle Orléans. Un étrange phénomène se passe, il va mieux mais son aspect physique se délabre, il a replongé mais ce n'est plus la poudre qui est responsable de ce teint cadavérique, blanchâtre, verdâtre, depuis combien de temps se trimballe-t-il cet empoisonnement du sang et pour appeler un chat un cat, cette leucémie... Il part seul, débarque à la Nouvelle Orléans, prend une chambre d'hôtel, dépose ses affaires, ressort, rentre tard dans la nuit en compagnie d'on ne sait qui. Font un beau potin. Et puis plus rien, le lendemain on le retrouve mort, sa guitare en morceaux... on n'en saura jamais plus. Le dernier gumbo.

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Reste le guitariste. Johnny Thunders n'est pas un virtuose, n'est pas Hendrix qui veut, d'ailleurs il ne veut pas. Son style ce n'est pas l'éparpillement de milliers de notes, reste modeste, joue sur le pré carré de deux ou trois accords, son style évoluera d'ailleurs vers le blues, certes il sait jouer rapide, faire crépiter l'électricité, mais il sait aussi composer des ballades, et est aussi bon à l'acoustique. Son génie, réside en son toucher, l'a son son, reconnaissable entre tous, une façon de sortir son âme, quel que soit l'instrument sur lequel il joue, il le retrouve, immédiatement, sans effort ce qui exige une gymnastique mentale extraordinaire. Celui qui n'a jamais entendu écoutera d'abord So Alone ( électrique 1978 ) et Hurt Me ( acoustique 1984 ), et puis Que Sera Sera ( 1987 ) pour avoir une idée des voies divergentes que Thunders entreprit d'explorer.

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En cette brève chronique, le projecteur n'a pas quitté Johnny. C'est profondément injuste. Thierry Saltet – l'écrit bien l'animal, l'a des passages qui sont de véritables poèmes en prose - évoque ( et donne la parole ) à de multiples personnages, notamment les musiciens d'ici qui l'ont accompagné. Les témoignages concordent, nous présentent un être attentif aux autres, aussi écorché vif que ses licks de Gibson, mais qui a construit ses propres murailles de défense. Orgueil, solitude et roublardise. Un artiste culte - au dix-neuvième siècle l'on parlait de poëtes maudits – un euphémisme pour dire que le succès n'était pas au rendez-vous. L'a pourtant tutoyé par deux fois. Mais son inconséquence ne lui a pas permis de le garder. Dans son dos, l'on ne se gênera pas pour le traiter de l'infamante expression d'hasbeen. Il ne s'est pas épargné lui-même, mais on ne l'a pas épargné non plus. Qu'importe, il reste un héros mythique du rock'n'roll au même titre que Gene Vincent, que Vince Taylor, un chemin de ronces et d'épines, l'a choisi de porter sa croix sans rechigner, sans jamais exiger de quelqu'un d'autre qu'il l'aide à porter son fardeau.

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Le livre possède une autre qualité, en filigrane on peut y lire une histoire du rock'n'roll français, ce n'est pas le sujet mais le contexte s'y prête. Thierry Saltet ne mâche pas ses mots, dresse la liste des trahisons, des renoncements, des fausses excuses, ceux qui remisent le rêve dans leur poche et rajoutent un mouchoir par dessus pour qu'il ne s'échappe pas, une attitude peu rock'n'roll en totale contradiction avec la trajectoire de Johnny Thunders.

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Nous terminerons sur le témoignage d'un fan, pas n'importe lequel, l'a déjà écrit dans Kr'tnt !, l'est une haute figure du tout Paris rock'n'roll, me disait avant-hier qu'il n'avait raté que deux concerts de Johnny au Gibus, Hubert Bonnard, qui raconte sa rencontre avec le roi Thunders lors du tournage de Mona et Moi de Patrick Grandperret sorti en 1989. Un instant de cocasserie émouvante, le pire c'est que cela ne nous est jamais arrivé. Ne nous arrivera jamais. Qu'emporterons-nous donc avec nous lorsque notre tombe sera creusée !

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Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

FEUILLETON HEBDOMADAIRE

( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

en butte à de sombres menaces... )

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EPISODE 1 : LA CHASSE AU RENARD

( Vivace Mysterioso )

 

CONSEIL DE GUERRE

Pendant que le Chef réfléchissait et que Cruchette soulevait des tonnes de poussière dignes des Dust Bowls de l'Oklaoma, ne sachant trop que faire je saisis l'occasion de ce moment de repos pour commencer à réaliser un de mes vieux projets qui m'obsède depuis pratiquement le premier jour de ma naissance : laisser à l'Humanité un ouvrage destiné à traverser les siècles futurs afin que le souvenir impérissable de ma modeste personne ne soit jamais effacé de la mémoire des Hommes, c'est pourquoi en cette fin d'après-midi automnale j'entrepris la rédaction de mes Mémoires. Hélas, je n'en avais pas terminé la première ligne que le Chef convoqua toute affaire cessante une réunion de travail.

    • Mes amis, l'heure est grave – sur le champ Molossa cessa de mordiller son os, s'assit sur son séant et dressa ses oreilles – je résume la situation : le SSR se trouve en une position périlleuse, reconstitué par la volonté expresse du président de la République, il n'a étrangement reçu aucune directive, aucune lettre de cadrage. Situation étonnante qui nous indique que c'est à nous de mettre au point notre propre stratégie.

    • Chef, nous ne connaissons même pas l'ennemi que nous avons à combattre !

    • Agent Chad, ne soyez pas si impétueusement dérouté. Pendant que vous gribouilliez je ne sais quoi sur votre cahier d'écolier, j'ai élaboré, le plan d'attaque qui nous permettra de le débusquer. Désormais nous le désignerons sous son nom de code La Chasse au Renard, autant dire que nous allons jouer serré.

    • Superbe j'adore les jeux de société ! Tous les soirs avec Papa nous jouions aux petits chevaux !

    • Un jeu d'une pertinence infinie, Cruchette, voici les règles de celui-ci. Elles sont simples. Deux équipes : la A formée de l'agent Chad et de Molossa, tous les deux nous constituerons l'équipe B. Mais maintenant écoutez attentivement : voici le déroulement de la partie : le but du jeu consiste à faire sortir le renard de son terrier afin que puissions l'identifier et le neutraliser. L'équipe A sert d'appât. Voici pourquoi dans deux jours, mercredi matin à six heures exactement, l'agent Chad monte dans sa voiture et se rend chez Popol prendre son petit déjeuner. Celui-ci achevé, il reprend son véhicule et s'en va par monts et par vaux, se fiant à sa fantaisie et à son caprice. Il n'est pas seul, vous et moi, Cruchette, nous l'attendions à proximité de chez Popol, nous le suivons de loin, une filature discrète. Si mes déductions sont justes, le Renard viendra s'intercaler entre nos deux véhicules. Le repérer et le mettre hors-jeu ne devrait pas être très difficile. La partie sera gagnée !

LA CHASSE AU RENARD

Top chrono. Six heures pile. Molossa et moi nous nous engouffrons dans la teuf-teuf. Mon bol de Jack m'attend et Molossa salive en pensant à son steak tartare amoureusement préparé par Popol. A quoi tient la vie. L'impondérable évènementiel s'en vient parfois bousculer les plans les plus machiavéliques. Mais qu'est-ce que cette gerce, faut qu'elle traverse juste au moment où je brûle le seul feu rouge de Provins, je freine à mort, la teuf-teuf en crabe au milieu du passage-piéton, et la nana pas gênée qui ouvre la portière, qui s'empare du siège, déplie ses longues jambes et s'installe comme si elle partait en croisière. N'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle se met à jacter :

    • C'est gentil de vous être arrêté, vous tombez bien, je suis pressée. Pouah quelle horreur, ça sent le rat musqué, ah oui je vois un chien pouilleux qui ronfle sur la banquette arrière, et vous par Sainte Suzanne, un rocker, qui se croit beau parce qu'il porte un vieux Perfecto dont je ne voudrais pas pour essuyer le pot d'échappement de ma voiture en panne. Démarrez donc espèce d'abruti, et tournez immédiatement à droite !

    • Désolé, pour moi c'est à gauche. Mon dèje m'attend chez Popol !

    • Ah ! Parce que vous fréquentez cet antre de dévoyés, ce nid de rebuts de la société, cela ne m'étonne pas de vous, en plus j'aimerais bien savoir quel autre établissement permettrait à la carpette qui pète placidement derrière nous de rentrer dans ses murs !

Elle commence à m'énerver salement la damoiselle. Elle a déjà de la chance que Molossa, d'habitude très susceptible, ne l'ait pas égorgée, je sens que je vais la virer illico de l'habitacle. Je la regarde une dernière fois avant de l'éjecter, mais diantre, elle a du style, grande, mince effilée, une moue de bourgette aguichante, une brunette à cheveux courts, genre intellectuelle dédaigneuse, un charme fou, pas mal du tout, et lorsqu'elle s'exclame d'une voix stridente, espèce de dégénéré, vous vous dépêchez de tourner à droite, je ne sais pourquoi je m'exécute sans tergiverser.

    • Direction Paris. On va à Saint-Malo, arrêtez tout de suite cette musique de sauvage, j'ai besoin de méditer moi si vous savez ce que verbe signifie, surtout ne m'adressez la parole qu'en cas d'urgence absolue.

Me suis concentré sur ma conduite. Derrière Molossa ne bougeait pas. De temps en temps je jetai un regard sur ma voisine. Mais elle s'était recroquevillée pour mieux me tourner le dos et faisait semblant de dormir. Ce n'est qu'une fois que nous filions sur l'autoroute de Normandie que je m'aperçus qu'en fait elle avait adopté cette position pour regarder dans le rétroviseur. Quarante minutes plus tard elle se tourna vers moi :

    • Cher rocker de pacotille, je me permets de vous annoncer que depuis une demi-heure nous sommes suivis de loin par une grosse voiture noire beaucoup plus rapide que votre tacot brinqueballant, évidemment, vous ne vous en étiez pas aperçu, que me proposez-vous ?

Je ne répondis pas. Elle n'avait même pas remarqué qu'une identique grosse limousine noire nous précédait depuis un bon moment. Nous étions en vue d'une bretelle de sortie, j'accélérai comme un fou, Molossa émit un bref aboiement approbateur, la teuf-teuf pulvérisa la barrière de paiement, trois cents mètres d'avance sur la grosse noire, c'était jouable, mais elle s'accrochait, au premier carrefour j'empruntai une petite route que mon instinct subodora sinueuse, des montées, des descentes, des tournants incessants, tout ce qu'il me fallait, je ne ratais pas l'occasion, un sentier caillouteux qui s'offrit à la sortie d'un double virage, invisible aux yeux de mes poursuivants, rétablissement à quatre-vingt dix degrés, moteur arrêté sur son élan la teuf-teuf emportée par son élan glissa sur la légère pente caillouteuse qui nous mena sous un bosquet d'arbres aux branches tombantes. Par la lunette arrière j'aperçus en une seconde la grosse limousine noire qui poursuivait imperturbablement sa route.

SUR LA ROUTE DE SAINT-MALO

Pas de temps à perdre, je braquais mon Glock sur la tempe de ma passagère :

    • Il serait temps de dévoiler tes batteries, d'abord ton nom, ensuite je veux tout savoir, pourquoi Saint-Malo, je t'avertis que quand Molossa a faim, elle fait disparaître un cadavre en moins de deux heures, ne laisse même pas les vêtements

    • Wouaf ! approuva Molossa en se léchant les babines.

    • Je m'appelle Marie-Odile de Saint-Mirs – sa voix ne tremblait pas et je reconnus le nom d'une honorable famille de la Cité Provinoise - mais enlevez ce joujou, vous risquez de vous faire mal. Je suis une artiste. C'est aujourd'hui le dernier jour où les concurrents qui participent à la Biennale des Arts Conceptuels de Saint-Malo, peuvent déposer leur œuvre. Le jury se prononce demain. Le premier prix est d'un million de dollars. Je suis sûre que la voiture qui nous suivait était celle d'un concurrent qui voulait m'éliminer. La compétition est féroce. Cette nuit l'on a crevé les quatre pneus de ma voiture. Voilà pourquoi je vous ai demandé si gentiment de m'emmener à Saint-Malo.

    • Mon nom à moi c'est Damie, mais arrête tes salades Marie-Odile, je ne vois aucun paquet susceptible de contenir ton projet artistique auprès de toi !

    • Damie, vous êtes pire que Saint Thomas qui ne croyait qu'à ce qu'il pouvait toucher. Si vous voulez-voir mon chef d'œuvre vous n'avez qu'à glisser votre main dans ma culotte.

Genre d'invitation que je ne me fais pas répéter deux fois ! Et hop je fourrai ma menotte droite dans son jean. Guili-guili en passant sur le nombril avec mon petit doigt et descente en plongée vertigineuse vers les portes du paradis. C'est à ce moment-là que mon index heurta une masse cylindrique, une belle barre, triple Jack ! ma passagère était donc un travesti brésilien...

    • Oui vous y êtes, saisissez-le, tirez doucement et remontez-le à la surface, lentement pas comme une brute de rocker.

Me suis retrouvé avec une espèce d'étui à lunette que Marie-Odile m'incita à ouvrir précautionneusement, avec délicatesse. A vue d'œil un parallélépipède en verre sur le fond bleu duquel étaient collées deux petites feuilles d'arbre effilées.

    • Evidemment, obtus comme vous l'êtes vous ne pouvez pas comprendre, Vikings est le thème du concours. Le bleu représente la mer infinie, et les feuilles la fragilité des esquifs de ces hardis marins qui n'hésitèrent pas à traverser l'océan sur ces coquilles de noix. Mais nous avons perdu trop de temps, reprenons la route.

A cinq heures moins dix, la teuf-teuf s'arrêtait devant le Centre d'Art de Saint-Malo. Une Marie-Odile radieuse en descendit alors qu'une meute de photographes se précipitaient vers elle :

    • Vous pouvez dégager Damie, je n'ai plus besoin de vous, et elle claqua la portière.

    • Je descends à l'hôtel des Dockers, là au bout de la rue, au cas où vous auriez besoin de moi ! à peine ai-je eu la présence d'esprit de lui crier par la vitre abaissée.

NUIT MALOUINE

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Suis parti m'incliner sur la tombe de Chateaubriand – le plus grand des mémorialistes français – et suis monté dans ma chambre à l'Hôtel des Dockers. Molossa s'allongea au milieu du lit, et moi continuai à rédiger mes Mémoires. A deux heures du matin la porte s'ouvrit brutalement :

    • Vous ai enfin trouvé, quel boui-boui infâme, mais tous les autres hôtels sont bondés, je vous fais l'aumône de squatter votre niche.

Et Marie-Odile s'allongea toute habillée à côté de Molossa.

    • Ne faites pas ses yeux en ronds de frite Damie, il reste encore une place, sur le flanc gauche de votre bâtarde. Eteignez la lumière, et bonne nuit. Que sainte Ursule protège notre sommeil.

La nuit fut paisible certes. Je dormis comme un enfant de chœur, mais lorsque à neuf heures je m'éveillai, Marie-Odile avait disparu, c'était Cruchette qui dormait profondément à sa place.

A suivre

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