KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 395
A ROCKLIT PRODUCTION
29 / 11 / 2018
GARY MOORE / SPIRITUALIZED / HILLBILLIES / JALLIES / ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 7 ) ROCKAMBOLESQUES ( 9 ) |
Gare à Gary Moore
Dans trois mille ans, les Égyptologues s’interrogeront en découvrant l’album de BBM, Around The Next Dream : qui fait la grandeur de l’album ? Ginger Baker, Jack Bruce ou Gary Moore ? En fait, ils seront obligés de raisonner en termes de Cream et de se dire : finalement, ça ne tient que parce qu’ils jouent ensemble. Jack ne tient que par Ginger et Gary Moore ne tient que parce qu’il se prend pour Clapton, même s’il apporte un son plus riche. Dès «Waiting In The Wings», Jack met le brouet en coupe réglée. Il lie la sauce, alors Gary Moore peut partir en virée wah wah. Il devient viral, mais trop viral. Comme on le remarquait déjà dans Cream, le son semble séparé en trois. C’est la partition, comme au temps de la création du Pakistan.
L’un des hits de l’album s’appelle «What In The World», heavy balladif à consonance magique et chanté à l’océanique. Jack et Gary Moore trouvent de bons compromis et ne se préoccupent que de puissance imprescriptible. Allez, tiens on passe directement au coup de génie : «Glory Days». Ils se rapprochent ici de l’époque Disraeli. Jack tremble son chant et sa bassline triomphe. Lui et Gary Moore se partagent les tâches ménagères. Tout va bien lorsque soudain, les colonnes des enfers se forment et Jack plombe l’extraordinaire pathos en donnant une suite métabolique à «Brave Ulysses», au son des trompettes. C’est là que s’ouvre la Mer Rouge pour livrer passage aux chars de Gary Moore. Épopée spectaculaire ! Jack explose le cinémascope en technicolor. On assiste à un fantastique shoot d’extrême rock pulsé par deux démons échappés des bréviaires. On se croirait encore sur Disraeli avec «Why Does Love (Have To Go Away)».
Rien d’aussi beau, pur jus de We’re going wrong. Jack chante à l’octave menacée, il crée des mondes à n’en plus finir, il élève des tours de Babel par dessus les toits, il joue la carte des relances infinitésimales, il trempe dans l’horreur de la rédemption absolutiste, Jack chante avec une force indescriptible, tout bascule dans l’envers du décors, tout est saturé de ce génie sonique qui caractérise si bien les Cream de Disraeli, et ça prend de l’ampleur à ce point précis, si précis, oh Lord, alors forcément, ce diable de Gary Moore a une veine de pendu, il peut jouer avec des Jack et des Ginger qui sont les membres fondateurs de l’ORB, c’est-à-dire l’Ordre du Rock Britannique - Set yourself free ! - On découvre ici l’intériorité du rock anglais. Avec un mec comme Jack, tu es en sécurité, il va te créer un monde où tu sera heureux. Tu peux te mette à l’aise, Ginger bat aussi pour toi et Gary Moore amène son avoine pour avoir du son et là c’est vrai qu’il outrepasse Clapton, il le dépasse à plates coutures, il joue des milliards de notes pulvérulentes, il fait pleuvoir des déluges pharaoniques, il fait rissoler la rivière Kwai, il ouvre les vannes du barrage contre le Pacifique, il trashboume uh-uh des myriades de dégoulinades et plie le déluge de Dieu à sa volonté. Il faut savoir que les apocalypses orchestrées par Jack se terminent toujours bien.
Ils enchaînent avec «Naked Flame», un extraordinaire balladif léthal que Jack chante au crépuscule des dieux. Ils tapent «I Wonder Why ( You Are So Mean To Me)» d’Albert King au british beat des origines. Jack fait chevroter sa basse, comme au temps de Graham Bond. Ils savent rester effarants de véracité. Ils ne relâchent jamais la pression. «City Of Gold» se rapproche de l’esprit Cream. Jack y prend le taureau par les cornes et Ginger bat au débotté. C’est Gary Moore qui chante, mais avec une voix de petite bite, et là, il ne fait rien pour se rendre sympathique, pendant que la basse de Jack pilonne la zone. Ils enchaînent deux heavy blues à la suite, «Can’t Fool The Blues» et «High Cost Of Living». Gary Moore joue au gras double de Leslie West et passe en force. Ses solos coulent comme l’Or du Rhin dans une lumière à la Murnau, loin là-bas à travers la Forêt Noire. Il joue le sur-jeu jusqu’à la nausée d’ad-vitam eternam ad nauseum sanctus, amen. Son Cost of Living sent le cousu-main de maître, il sur-joue une fois de plus à la dégoulinade prodigieuse. Mais Gary Moore n’est pas et ne sera jamais Thomas Moore. Jack chante à fendre le cœur - Oh the more I have to pay - Gary Moore rajoute des couches par-dessus les couches, il sur-navigue et épitomise le solo de blues, il joue à n’en plus finir. On reste dans le heavy blues-rock avec «Danger Zone» - It’s a shame I don’t know which way to go - Solide et beau, gras et heavy, Gary Moore joue à la régalade. Forcément, avec des mecs comme Jack et Ginger derrière, ce genre de cut frise la perfection, d’autant que Jack et Ginger ne le sur-jouent pas, car ce sont des gentlemen. Gary Moore repart sans fin dans les méandres de ses désidératas, il joue à l’éberluante consommée dans une débâcle de vagues de boue sonique, il joue vraiment à la vie à la mort et ça finit par impressionner. On finit même par comprendre pourquoi des mecs comme Jack et Ginger voulaient jouer avec lui. Gary Moore monte sur les barricades et offre sa poitrine au feu des ennemis de la République. Mais personne ne lui tire dessus, tellement il est bon. Ils reviennent au heavy british blues avec «The World Keeps On Turnin’» signé Peter Green. Alors prosternez-vous mes frères, car c’est chanté à la nobody knows the way I feel, ils sont dans le vieux moule, Gary Moore fait son virulent et Jack le suit à la trace dans le courant du fleuve en crue. Suprême et ultra-joué. Ils tapent à la suite leur vieux «Sitting On Top Of The World». Jack le prend par les cornes. On est au cœur du mythe, d’autant plus au cœur que Jack le chante avec passion. Il soutient les effluves de Gary Moore aux pouets de basse et nous plonge dans la stupéfaction. Et toute cette belle aventure s’achève avec l’«I Wonder Why», d’Albert King, fantastique coup de shuffle. Jack et Ginger shakent le shook comme personne, on est dans l’énergie de Big Albert et on assiste là à une virée de tous les diables.
Harry Shapiro rappelle dans un très bel article de Classic Rock que de rejoindre Jack Bruce et Ginger Baker fut pour Gary Moore inespéré - A dream come true - Mais le rêve n’allait pas durer longtemps - It was over almost as soon as it began - Comme un rêve. Déjà fini alors que ça vient juste de commencer. Pfffuiittt, plus rien. Back to reality.
En 1993, Jack Bruce lui passe un coup de fil :
— I’m in trouble, Gary. Mon guitariste Blues Saraceno vient de me lâcher pour aller jouer avec Poison, et j’ai des dates bookées à Esslingen, en Allemagne. Steve Topping peut jouer le premier soir, mais pas le deuxième. Ça t’intéresse ?
— Oh oui Jack !
Le concert d’Esslingen se passe si bien que Gary pose la question fatale à Jack :
— Je vais enregistrer mon prochain album solo. Ça te dirait Jack de composer des trucs avec moi ?
— Oh oui Gary !
Puis Jack fête ses 50 ans sur scène à Cologne et il invite tous ses vieux potes, Dick Heckstall-Smith, Pete Brown, Clem Clempson, Gary Husband et Ginger Baker.
— Si tu veux venir, tu es le bienvenu, Gary.
— Oh merci Jack !
Et il se retrouve dans les godasses d’Eric Clapton à jouer «NSU» sur scène avec Ginger et Jack. Ils enchaînent avec «Sitting On Top Of The World», «Politician», «Spoonful» et «White Room», la crème de la Cream. Boostés par ce concert, Jack et Gary composent d’arrache-pied : «City of Gold», «I’m In The Wings» et «Can’t Fool The Blues». Quand Jack suggère à Gary de faire appel à Ginger pour enregistrer les nouveaux cuts, Gary avale son thé de travers :
— T’es vraiment sûr, Jack ?
— Oh oui, Gary !
Le monde entier connaît la relation d’amour/haine qu’entretiennent Jack et Ginger. Les voir tous les deux monter sur scène un soir, ça passe encore, mais de là à rester plusieurs jours de suite dans un studio, c’est une autre histoire. On ne peut donc plus parler d’album solo de Gary Moore, avec Jack et Ginger dans les parages. Ça devient le projet d’un groupe à part entière, il faut donc un contrat. On peut même parler de super-groupe. Alors, il faut aussi un nom. Ils sortent des trucs comme Rocking Horse, Mega Bite, Herbal Remedy, Piece Of Cake, Thrilled To Bits et Expanding Universe. Ça se termine avec BBM.
Et curieusement, l’enregistrement se passe bien. Tout le monde trouve ça louche. Quoi ? Pas d’engueulades entre Jack et Ginger ? Comme Gary est un maniaque du timing, il demande à Ginger de jouer avec un click-clack et Ginger l’envoie chier. No way ! Par contre, Ginger se prête sans problème au petit jeu de l’ange, pour la pochette. L’album paraît en 1994 et le groupe part en tournée. Les gens à l’époque considèrent qu’il s’agit d’une reformation de Cream. «Il n’ont pas pu récupérer Clapton, alors ils ont pris Gary.» Des critiques vont même jusqu’à dire que Gary a out-Gibsonned et out-Marshalled Clapton. Et c’est là, en tournée, que les Athéniens vont s’atteignir.
Premier set au Marquee et Gary n’amène qu’un Marshall 50 W. Jack fait installer ses trois bass rigs et bham ! It nealy blew me from the stage, s’épouvante Gary. On n’entend plus que la basse ! Après le concert, Gary chope Jack pour lui parler. Mais il tombe sur un os.
— Je n’aime pas parler après les concerts, I have a rule, t’as pigé Gary ?
— Oh oui Jack !
Gary tombe ensuite sur Ginger qui fume sa clope sur le trottoir et qui lui sort, d’un ton acerbe :
— Tu vois Gary, c’est ça qui a ruiné Cream. Jack joue trop fort.
Le groupe tourne en Europe et les meilleurs concerts sont ceux donnés en Espagne. Pour Gary, BBM est un magical band. On évoque dans la foulée la possibilité d’une tournée américaine, mais soudain, Gary se plaint d’avoir mal aux oreilles. Ça ne plait pas du tout à Ginger qui a vu Gary mettre son ampli à fond. Quoi ? Il vient ensuite se plaindre d’avoir mal aux oreilles ? Mais c’est n’importe quoi ! Ginger a raison, c’est n’importe quoi. Mais il n’est pas au bout de ses surprises. Voilà que Gary annule le concert du Zénith à Paris car il s’est blessé le doigt avec une agrafe. Ginger est obligé de se marrer. Il est trop con, ce Gary ! Même s’il se marre, Ginger est à cran. Toutes ces conneries lui tapent sur les nerfs. L’épisode suivant est celui du concert de Brixton : Gary veut répéter, mais Ginger ne veut pas. No way ! Ginger se met en pétard. Il rend Jack responsable de tout le bordel : «I’m gonna kill that Jack Bruce.» C’est là que le magical band BBM disparaît sans laisser de trace.
Signé : Cazengler, Gary Morve
BBM. Around The Next Dream. Virgin 1994
Harry Shapiro. The Impossible Dream. Classic Rock # 243. December 2017
La voie Spiritualized
Jason Pierce et Sonic Boom occupèrent dans l’underground des années 80-90 sensiblement le même rang que le Gun Club, Gallon Drunk, les Cramps, The Make Up et les Saints, le rang réservé aux groupes influents. On parle bien sûr d’une influence toxique, d’un impact comato-critico cryptique.
Après s’être séparé de son compagnon Sonic Boom, Jason Spaceman mit le cap sur une nouvelle orbite, celle du gospel-trash-boom psychout so far out et il allait s’y consacrer corps et âme, avec Spiritualized. Mais il ne parvint jamais à stabiliser le line-up du groupe, pas plus qu’il ne parvint à stabiliser son hépatite. On ne sait pas combien de fois il a échappé à la mort, mais on sait que sa vie ne tient plus qu’à un fil.
S’il existait un hit-parade des albums soporifiques, Lazer Guided Melodies arrivait probablement en tête du classement. C’est d’un lymphatique qui dépasse largement les bornes. Notre pauvre Jason s’y traîne comme une larve. Le temps des Argonautes est révolu ! Le seul cut sauvable de l’album s’appelle «I Want You», car Jason y pique une belle crise de Stonesy. On sent chez lui un goût certain pour le groove fuselé, tu sais, celui qui file dans l’espace psychédélique des perversions chimériques. Il concocte aussi un petit spasme intitulé «Run» avec des petits blurps de Run Run Run pompés dans le Velvet. Dans un souci constant de velouter son son, bien sûr. Ah l’ouate ! Que serions-nous devenus sans l’ouate !
S’ensuit un Fucked Up Inside live paru en 1993. Très belle pochette. On y voit les pédales d’effets de Jason Spaceman dans un univers de couleurs saturées (Pomme U dans Psd). Comme on le constate à l’écoute de «Take Good Care Of It», ils sont longs à démarrer. On entend même Charles Bronson jouer de l’harmo. C’est vrai, on attend très longtemps l’entrée de la basse. Par contre, les bassistes se régaleront avec la belle version d’«I Want You». On y entend une bonne ligne de basse anglaise classique, jouée aux notes bien rondes sur de jolis escaliers de gammes de manche, plus quelques enroulés adroits et élégants glissés dans le feu de l’action. Et Jason nous rajoute un coup de sax de fusion au cul du cut. Excellent. Il manie avec brio le jeu des ralentissements et des relances de beat flappy. Dans «Medication», on retrouve les zones de torpeur et les molles poussées de fièvre qui lui sont si chères. C’est révélateur d’un état d’esprit et d’une pente fatale à la facilité. Mais les hauts sont beaux et bien tourmentés, car très bossus et bien gras du bulbe. Jason tape dans un vieux coucou des Spacemen 3, «Walking With Jesus», une pop d’allant maximaliste. On a là une très belle psyché bardée de treble de guitare de tripot de tripe de trappe avec un orgue qui sonne comme un appel au calme entre deux giclées de crème anglaise. De l’autre côté, il tape dans «Shine A Light» mais c’est trop long. Il faut être un hippie pour écouter des cuts aussi interminables. L’aventure se termine avec «Smiles». Jason reste bel et bien le roi des poussées de fièvre. Il connaît bien les ressources de la grimpette. Il fait doubler la batterie et envoie l’orgue se fourvoyer chez les nones, c’est-à-dire les cuivres. Il ne lui reste plus alors qu’à se glisser dans la faille. On assiste à une belle escapade dans le flux du son avec un sax de fusion aussi expiatoire que l’écartèlement de Ravaillac.
Sur Pure Phase paru en 1995 se niche une pure merveille intitulée «The Blues». Voilà un cut bien balancé au beat de chemises à fleurs et généreusement arrosé de wah-wah. Pur jus de mad psychedelia. On y retrouve le Jason qu’on admire, Jason le tenace. Il embarque son cut aux guitares de la mélasse et des souffleurs de cuivres injectent de grosses nappes de fusion. Admirable ! En Angleterre, personne n’ose s’aventurer dans ces régions avant-gardistes qui mélangent tous les genres. L’autre perle de cet album trop calme s’intitule «Lay Back In The Sun». Jason nous propose là une belle pop anglaise traitée à la sensibilité et pimpante d’accents chantants. Mais c’est la box du CD qui emporte tous les suffrages : on a là un objet véritable objet, un boîtier en ivoire mat poli et à couvercle coulissant, serti de part et d’autre de pastilles de titre argentées.
C’est avec Ladies And Gentlemen We Are Floating In Space que Spiritualized décolle. En format CD, l’album se présente sous la forme d’une boîte de médicament : boîtage en carton et à l’intérieur, le moule plastique. Il faut décoller la membrane alu pour accéder au CD-médicament. Le tout bien sûr accompagné de l’inévitable notice laborantine indiquant les effets secondaires. Concept graphique génial. Ce n’est pas tout : on ne trouve pas moins de deux authentiques coups de génie lysergique sur ce disque, à commencer par «Electricity», heavy dose de violence sonique à la Spacemen 3, véritable attaque mortelle de la mortadelle. Ce sacré Jason sait faire exploser le concept du so far out. Tout y est : l’Angleterre, le son, l’attente, les épousailles, l’impossible, les descentes de basse imputrescibles et les relances de roller coaster, toute la grande jute du meilleur rock anglais avec les rebondissements apocalyptiques de basses élastiques, oh yeah, tout est yeah, la folie, l’empattement et le psyché dévolu. L’autre effroyable coup de génie s’intitule «Cool Waves», une énormité qui se met en place dans l’espace d’un bruitisme conséquent. Ça monte par vagues, comme la marée, et ça devient vite excessivement stupéfiant. Toute l’énergie du gospel vient fracasser le psyché des druggies d’Angleterre. Jason fait intervenir des chœurs de cités antiques et des trompettes en or massif. Et puis il y a cette horreur nommée «Cop Shoot Cop» amenée sur un petit groove inoffensif et que Jason Spaceman vient fracasser à coups de rafales de guitare, provoquant des désordres purement hallucinatoires. D’autres cuts comme «Come Together» frappent aussi l’imaginaire, car on sent poindre une réelle violence intentionnelle - C’mon come together - Jason cherche des noises à la noise et attaque au gospel de psychout so far out there. Il embarque aussi «All Of My Thought» dans une tempête qui se calme avant de se réveiller. Jason Spaceman joue avec le feu des tempêtes incongrues. Il va même jusqu’à les zébrer de piano bleu. Il fait donner de la trompette dans «No God Only Religion» pour rendre le son ultra-présent et il chante la beauté du crépuscule des dieux dans «Broken Heart». Ce mec a du génie pour dix.
Let It Come Down paraît quatre ans plus tard. Cet album est encore plus spectaculaire que son prédécesseur. On dit que ce malade de la perfection qu’est Jason Spaceman a fait jouer plus de cent musiciens sur cet album. Comme Phil Spector, il passe au rang de culte vivant. Jason attaque avec «On Fire» qui n’est autre qu’une charge frontale de power sludge, une vague d’assaut constituée du beat et de tous les instruments du monde. Il procède par jets salement bienveillants. Il est l’homme des idées brillantes et de la poudre aux yeux. S’ensuit «Do It All Over Again», une pop pleine de jus et baignée d’une incroyable lumière, digne des celle des Zombies de bonus. Jason joue une pop dense et merveilleusement fruitée. Eh oui, ce mec a un saint don d’ouverture. Il va bien plus loin que Belle And Sebastian ou Mansun. Encore de la belle pop insistante avec «Don’t Just Do Something», une pop si éblouissante qu’elle paraît se répandre sur la terre entière. Qui saura dire le génie de Jason l’Argonaute visionnaire ? Il est dans l’orthodoxie des moines grecs et dans l’aube du monde. Il échappe à tout. Avec «Out Of Sight», il invente un nouveau genre musical : l’évanescence panoramique. C’est exceptionnel de son et de vision. Jason travaille ses mélodies à l’extrême brillance de l’idée. On sent l’absolution du monde moderne et la création du delta du Nil, à l’ère des êtres nus. C’est bardé de gerbes d’instrus, noyé de brume électrique et cerclé d’exigence philharmonique. Il revient à un son plus musclé pour «The Twelve Steps» et il redevient terrible, mais à l’Anglaise. Il est digne de ses pairs les plus violents, tous Stones et Pretty Things confondus. Il fait en réalité de la pure Stonesy expéditive. Le son est tellement plein qu’il fait sauter toutes les cambuses une par une et il noie tout ça d’harmonica sauvage. C’est vraiment pulsé à la folie. Sur ce disque, tout est merveilleusement bien amené, comme on le constate à l’écoute d’«I Didn’t Mean To Hurt You». Il chante ça au petit accent cassé - I’m broken down and lonely - et il finit par relancer ses grandes vagues philharmoniques. Il engage aussi «Stop Your Crying’» à l’orchestration fataliste. C’est terrible de puissance. On ne résiste pas à l’assaut d’un hit aussi mélodique. Jason Spaceman serait donc le seigneur le plus puissant d’Angleterre ? Mais oui, car ce qu’il propose dépasse de loin ce que les autres proposent. Jason ne vit que pour la démesure de la beauté formelle. «Anything More» confirme que cet album est visité par la grandeur.
Amazing Grace fait aussi partie des très grandes heures de Jason Spaceman. Il met le feu aux poudres dès «This Little Life Of Mine», car voilà une extraordinaire stoogerie. Il baigne toujours dans ses antiques fascinations. Il est avec Sonic Boom le mec le plus stoogien d’Angleterre. Il passe au garage avec «She Kissed Me (It Felt Like A Hit)», mais on retrouve de vieux relents stoogy dans les mess around. Il passe une attaque de solo dévastateur, histoire de rester dans l’esprit éruptif des Stooges. Il ne s’en est jamais vraiment éloigné. Il envoie de sacrées tannées, des grosses nappes de son excuriatrices montées sur un beat têtu comme une mule. Toutes ces révolutions intrinsèques roulent comme les vagues au large du Cap Horn. Encore plus fascinant, voilà «Oh Baby», joué à l’atmosphérique. Jason semble travailler l’océan au corps. Il atteint au grandiose d’exception expatriarcale. La mélodie filtre la clameur d’un au-delà phosphorescent. En fait, ce qu’on entend là, c’est la musique du silence de la mort, la traversée du tunnel de lumière blanche. Nouveau coup de génie avec «Never Goin’ Back», une sorte de vieux garage déversé, gratté à la sévère et suivi à la cloche. Pur garage d’antho, avec tout le son du monde au rendez-vous et un solo en surtension. C’est à la fois lymphatique et rampant, infecté et râpeux, terrifiant et délicieux. Jason ramène ses trompettes en or massif pour «The Power And The Glory» : il y salue le diable et les quatre Cavaliers de l’Apocalypse. Avec «Cheapster», il rend un hommage terrible à Dylan, celui du speed sous expansion acide. C’est du «Maggie’s Farm» sous tempérance dévolue, une horreur, un contre-courant artérien, une folie subliminale, un rejet de greffe terminoïdal. Jason peut faire sauter le pavot de rats beiges et le pavé des rues borgnes. Il finit avec «Lay It Down Slow», un joli balladif qu’il explose à coups de guitare exterminatrice. Il gratte ses notes comme la bête de Gévaudan et chante avec les anges du paradis.
Quand Songs In A&E paraît en 2008, Jason Spaceman vient tout juste d’échapper à la mort. La pneumonie a bien failli avoir sa peau. On trouve sur l’album un bel hommage à Dylan intitulé «Yeah Yeah». C’est pulsé à la purulence du Maggie’s farm no more et puissant comme un hit des Dirtbombs. D’ailleurs, ce sont les Dirtbombs qui font les chœurs (Mick Collins, Troy Gregory et Ko Melina). L’autre coup de génie de l’album s’intitule «Soul On Fire», un fantastique balladif chargé de son et finement teinté de Stonesy, celle de «Wild Horses», mais le son de Jason est dix mille fois plus puissant - I got a hurricane inside my veins - Fantastique coup de maître piercien. Si on aime le macabre, alors on se régalera de «Death Take Your Fiddle», car Jason Spaceman demande à la Mort de prendre son violon and to play a song pour lui - I think I’ll drink myself in a coma - Mais il est plus vif que mort, car il enchaîne ça avec «I Gotta Fire», un cut qui sonne un peu comme «Gimme Shelter». Il retrouve sa veine mélodique avec «Baby I’m Just A Fool» et le dote d’un final éblouissant car complètement explosé de fusion cabalistique. Il retrouve aussi son cher gospel pour «The Waves Crash In». Jason y crée les conditions du gospel de la mort. C’est vraiment le son de l’au-delà, il sait de quoi il parle, il est déjà dans l’excellence de la partance, et il ne fait que traduire sa vision, comme le font tous ceux qui sont revenus de la mort.
Eh oui, Jason Spacemen est un miraculé. D’abord une chimio expérimentale pour traiter l’hépatite - It did work - puis une double pneumonie, avec les deux poumons remplis d’eau, le cœur qui s’arrête deux fois et les agents des pompes funèbres qui défilent dans sa chambre. On le croyait mort. Et Jason Spaceman se voit navré d’apprendre que cette épreuve ne l’a pas beaucoup transformé, comme on le dit généralement - I was the same disappointing person I was when I went in - Il n’est pas sorti grandi de cet épisode.
Sweet Heart Sweet Light date de 2012. Jason Spaceman est alors sous traitement pour soigner l’hépatite. En réalité, l’album devait s’appeler Huh?, en écho aux effets du traitement. Jason Spaceman dédie l’album à Jim Dickinson, pas moins. Ça semble logique vu qu’on est avec cet album sur Fat Possum. Jason Spaceman tape «Hey Jane» dans l’esprit de Lou Reed - Get no breaks for your rotten life/ hey when you gonna die ? - C’est d’un lugubre sans nom. On le voit revenir après une fausse sortie. C’est un spécialiste des effets de manche - Sweet Jane on the radio - Il parvient à monter une chantilly extraordinaire. S’ensuit la pop envenimée de «Little Girl» - Sometimes I wish that I was dead/ Cos only the living can feel the pain - et ça s’envole vers le soleil des anciens Égyptiens. Jason Spaceman fond sa voix dans l’aveuglante lumière blanche d’un mysticisme inverti. On retrouve plus loin une belle lampée de psyché avec «Headin’ For The Top Now». Une fantastique ligne de basse traverse la chose - We should be headin’ for the top now little girl/ But I’ve been rotting here for years - Jason évoque certainement sa condition de star condamnée à l’underground. Il sort pour l’occasion une pièce de psyché dansante chargée de belle basse bourdonnante et crée l’une de ces fantastiques ambiances dont il a le secret. En C, on tombe sur «I Am What I Am», co-écrit avec Dr John - I’m the tide that pulls the moon/ I’m the planet that lights the sun - C’est chanté au fantastique groove de gospel de la Nouvelle Orleans - I am what I am/ Get it in my hand/ Hear what I say/ See what I am/ You understand - Groove terrible et presque chamanique hanté par chœurs fantastiques. Les deux ultimes merveilles de Jason le moribond se trouvent sur la dernière face, à commencer par «Life Is A Problem», lugubre à souhait. Franchement, on ne peut pas espérer plus glauque - Jesus please drive me away from my sin - Il fait l’apologie du désir de mort - And I won’t get to heaven/ Won’t be coming home/ Will not see my mother again/ Cos I’m lost and I’m gone/ This life is too long/ And my willpower was never too strong - En fait, c’est une confession d’une intensité exceptionnellement dramatique. Jason avoue tout simplement qu’il n’est pas fait pour vivre aussi longtemps. Il poursuit dans la même veine avec «So Long You Pretty Thing» - Help me Lord/ It’s getting harder cos I made a mess of myself - Et il nous sort un final héroïque - And all your dreams of diamond rings/And all that rock and roll/ Can bring you/ Sail on/ So long - Quelle stupéfiante manière de faire ses adieux après avoir régné sans partage sur l’underground britannique.
Au cours d’un papotage avec Piers Martin, Jason Spaceman annonce que son nouvel album And Nothing Hurts pourrait bien être le dernier. Avec un humour typiquement britannique, il ajoute qu’il espérait bien voir la maladie interrompre le processus d’enregistrement de cet album - Only to give me a break - Il est en effet tellement perfectionniste que ça n’en finit jamais. Il lui faut un an pour mixer un album. Il indique que pour lui, un album entier représente trop d’investissement. Et dans un terrible éclair de lucidité, il ajoute : «I don’t know if people want music like that anymore.» Eh oui, qui écoute encore ce genre d’album aujourd’hui ? Puis Piers Martin attaque l’exégèse des lieux communs : Pure Phase serait le résultat du montage de deux mixages différents, péniblement assemblés à la main, mesure par mesure. Vrai, répond Jason Spaceman. 155 musiciens auraient joué sur Let It Come Down. Faux. «Too many I think. There are rules for these things.» Tout le groupe viré après Ladies And Gentlemen. Vrai. «Their demands just became kind of... weird.» Il explique aussi qu’il passe énormément de temps sur son ordi à bricoler ses démos. Il avoue avoir utilisé les 260 pistes de Pro-Tools, mais ça finissait par tourner en rond - It was pathetic.
Jason Spaceman raconte aussi qu’il avait demandé de l’aide à John Cale et à Tony Visconti pour finir Sweet Heart Sweet Light. Cale pas disponible et Visconti trop cher. Puis il s’est tourné vers Youth, mais ça a tourné au vinaigre. Jason Spaceman ne comprenait pas la méthode de Youth qui consistait à enregistrer des bouts et à les recoller. Stop ! On arrête tout ! Mais pour récupérer les bandes, il fallait payer les sessions. Le cirque dura huit mois. Finalement, Jason Spaceman préféra renoncer à tout. La seule idée de devoir retoucher à ces enregistrements l’indisposait.
Évidemment, la conversation bifurque et va droit sur Spaceman 3. On célèbre actuellement le trentième anniversaire de Playing With Fire. Piers Martin raconte qu’on a proposé deux millions de livres à Jason Spaceman pour reformer le groupe. Non. Pourquoi ? Parce que ça n’a pas de sens : «Pourquoi aller faire un truc inférieur à Spiritualized ?»
Dans Record Collector, Mark Beaumont revient lui aussi sur Spacemen 3, mais de façon plus travaillée, car il branche Jason Spacemen sur ses racines, alors on entre dans la caverne d’Ali-Baba. Mr. Spaceman achète son premier album chez Rugby’s Boots : Raw Power. Uniquement au vu de la pochette. Il ne savait rien des Stooges. Il voit Iggy in his silver pants et la photo du wild cat au dos. Et quand il écoute l’album, c’est le coup de foudre. Il rencontre ensuite une équipe de like-minded sonic adventurers au Rugby Art College, Pete Kember, Pete Bain, Narry Brooker et ils partagent leur monde fait de Cramps, de Gun Club, de Suicide, de Tav Falco, de T. Rex, de Troggs, de Monks, de Captain Beefheart, de Nuggets et de Staple Singers. Ils creusent encore vers Big Star, le MC5, Sun Ra et les Thirteen Floor Elevators. Ils finissent par monter leur groupe en 1982 - We were born of inhability. Nobody wanted to be better on guitar, nobody wanted to learn how to play faster riffs - Comme les Cramps, ils font une force de leurs carences techniques. Pas question d’apprendre à bien jouer. C’est là que Jason Spaceman prend feu : «Quand tu passes la bandoulière de ta guitare électrique sur ton épaule, elle joue déjà, avant même que tu aies plaqué un accord, et quand tu le plaques et que tu le joues assez longtemps, le son que tu sors devient le truc le plus important du monde.» C’est l’évidence. Le principe de base. Le cœur du mythe. C’est bien que ce soit un vétéran des drogues et du drone qui le dise. Il est l’un des mieux placé pour parler de ça.
Avec Spacemen 3, Pete Sonic Boom et Jason Spaceman se positionnent tout de suite en marge des modes de l’époque, comme les Mary Chain, d’ailleurs. Ils enregistrent la série d’hypnotic modern psychedelic albums que l’on sait et jouent des anti-gigs un peu partout en Angleterre, le dos souvent tourné au public. Leur cote monte jusqu’au moment où une shoote éclate entre Jason et Sonic à propos des droits d’auteur et de Kate Radley. Sonic trouve qu’elle influence trop le travail de Jason. Fin des haricots. Ils enregistrent le dernier album Recurring chacun de leur côté, chacun une face. En splittant, les Spaceman 3 rataient ce que les concessionnaires appellent une occasion en or : un label américain leur proposait un contrat de plusieurs millions de dollars. Jason Spaceman rappelle qu’il ne mange pas de ce pain-là - I’ve never made music for a financial gain - On appelle ça l’intégrité. Mais il paye ça cher, car il n’a pas de blé.
Quand en 1991, il voit les Spacemen 3 se désintégrer, il se voit contraint de monter Spiritualized - I didn’t want to - Je n’ai pas confiance en moi. J’étais bien dans ce groupe car Pete avait de la confiance pour deux. Évidemment, Mark Beaumont veut savoir si Jason Spaceman a stoppé the hedonistic life. No more drugs ? Jason Spaceman répond à l’Anglaise. Il explique qu’à l’époque de la parution de Let It Come Down, il tombait du lit chaque nuit, et sa copine menaçait de le foutre à la porte s’il ne trouvait pas une solution pour arrêter ça. Alors il est allé acheter un matelas pour le mettre au pied du lit. Il se souvient aussi d’avoir oublié une bagnole pendant quatre ans à Abbey Road - I forgot about it. I left it at Abbey Road for the recording of that album for four years because I just wasn’t in a fit state to get it home - Oui, Jason Spaceman n’était absolument pas en état de ramener une bagnole à la maison. Il préférait le spaceship. Il ajoute qu’il a en perdu une autre du côté du studio Strongroom.
Et puis voilà que Jason Spaceman débarque à Paris. Inespéré. Pas de première partie. Deux heures de poireautage à l’ancienne, avec le cirque des techniciens qui n’en finissent plus d’accorder des guitares déjà accordées. On a beau se trouver dans l’ambiance magique du Cabaret Sauvage, ce cirque est insupportable. Et soudain, il arrive. Grand, maigre, lunettes noires, T-shirt blanc, jean et silver sneakers. Oh, pas tout seul, trois petites choristes black, deux guitaristes, une brillante section rythmique basse/batterie et un petit mec aux claviers dans un coin. Jason Spaceman s’assoit sur un siège haut face à son micro et attrape une Tele rouge à ouies. Présence immédiate. Derrière lui trône l’ampli marqué Mars (la moitié du logo plastique Marshall). Il attaque avec «Hold On», tiré d’Amazing Grace - The gospel according to Mr. Spaceman. On entre de plain pied dans quelque chose d’immédiatement grandiose qui nous dépasse tous autant que nous sommes, on sent quelque chose d’incroyablement puissant se construire couche par couche, les trois guitares se fondent dans les harmonies vocales. Il semble que Jason Spaceman atteigne à cette idée de l’apothéose jadis imaginée par Alexandre Scriabine, la fameuse mystique de l’extase. Jason Spaceman recrée exactement sur scène ce que Phil Spector créait au Gold Star, un mur du son, quelque chose d’extrêmement spectaculaire et beau à la fois. Il règne dans cette charge musicale une intensité de TOUTES les secondes. Chaque morceau semble construit sur le modèle d’une lente montée d’éléments soniques purement sensoriels destinés à fleurir pour se répandre dans le volume du chapiteau. C’est le principe même du gospel, art mystique par excellence. Jason Spaceman n’invente rien, sauf qu’il injecte dans son art tout le rock’n’roll dont il est capable, et un cut comme «Come Together» n’a jamais aussi bien sonné qu’à cet instant précis. On se sent littéralement convié à partager un moment exceptionnel. Ça va très loin. Une sorte de privilège. On croit même vivre un épisode unique et tellement parfait qu’il semble insurpassable. Il joue tous les cuts du nouvel album, il attaque chaque fois sur des phases de chant mélodique imparables, la beauté se confond dans le doux chaos du space-rock spacemanien. N’allez pas croire que cette énergie soit si différente de celle des Stooges. C’est exactement la même chose, le même genre de power viscéral, mais administré autrement. «Shine A Light» monte au cerveau de la même façon qu’un hit des Stooges ou de Sam Cooke. Bon, c’est vrai, ça prend un tout petit peu plus de temps, mais ça atomise les sens de la même manière, ça awsomise et ça trailblaze, ça wonderfulise et ça strike, si on avait la place pour le faire, on irait même jusqu’à se prosterner jusqu’à terre devant un tel shouter de gospel batch psychédélique.
Il ressort même le «Soul On Fire» de Songs In A&E, on peut jurer sur la bible que l’«On The Sunshine» tiré du dernier album compte parmi les plus grands hits de l’histoire du rock, mais celui qu’on retrouve sur l’album n’est rien, strictement rien en comparaison de ce qui se passe sur scène au moment où cette merveille sort de la bouche de Jason Spaceman pour se fondre dans l’apothéose sonique de l’avant-rock spacemanien. Tout est spectaculairement hors normes, il joue tous les cuts d’And Nothing Hurt dans l’ordre à partir d’«A Perfect Miracle» jusqu’à «Sail On Thought» et nous fait chaque fois grimper un échelon dans l’extasy cabalistique. Il revient pour un rappel avec «So Long You Pretty Thing» tiré d’Huh et une version faramineuse de l’intouchable «Oh Happy Day» des Edwin Hawkins Singer. S’il en est un qui peut se permettre ce luxe, c’est bien Jason Spaceman. Sans doute est-il le seul au monde.
On retrouve toutes ces merveilles sur vinyle. And Nothing Hurt entre dans la catégorie des très grands albums de rock anglais, ne serait-ce que pour ces deux Beautiful Songs que sont «Here It Comes (The Road) Let’s Go» et «The Prize». La première sonne comme un classique d’Americana délié aux triolettes de guitare - Here comes/ The road let’s go/ The radio/ As far as we can go - Cette façon qu’il a de placer son radio dans le creux de sa diction argentée ! On retrouve un fil mélodique à l’état pur dans «The Prize», qui s’apparente à une véritable atteinte aux mœurs, un coup de génie languissant - And I don’t know/ If love is the prize - Belle apothéose aussi, à la fin d’«On The Sunshine». Jason Spaceman et Sonic Boom ont toujours adoré le grand rock américain, il faut s’en souvenir. Il chante ses around comme Iggy, voilà un slab digne de l’âge d’or des Spacemen 3, foncièrement psychédélique, d’une grande violence - Celebrate your finst/ And the music of the spheres - Ça s’achève dans un tourbillon apocalyptique de chœurs de cathédrale et de chorus de sax. Même chose pour «The Morning After», monté sur un tempo plus soutenu et embarqué vers un final d’exaction cathartique de vibrillons de sax et de matière fusionnelle, un pur jus orgasmique d’élévation pentatonique, le cut n’en finit plus de vomir ce son d’anticipation, c’est un retour aux grandes heures de Ladies And Gentlemen, une fantastique excavation d’évacuation d’urgence. Avec «Damaged» qui ouvre le bal de la B, Jason Spaceman se rapproche de Lou Reed, il s’y montre mélodiquement pur, les syllabes s’écrasent mollement dans le time du temps - Darling I’m lost/ And damaged/ Over you - Vraiment digne de «Pale Blue Eyes». Il shoote une petite dose de Ronnie Lane dans «A Perfect Miracle» et enchante son refrain avec des gratouillis dignes de «Mandoline Wind». Puis il prend «I’m Your Man» au timbre fêlé. Il suffit de voir sa tête sur la pochette intérieure : oh la la, ça va mal ! Il porte avec Dan Penn et Ronnie Barron tout le poids de la Soul blanche sur ses épaules.
Signé : Cazengler, despiritualized
Spiritualized. Le Cabaret Sauvage. Paris XIXe. 23 septembre 2018
Spiritualized. Lazer Guided Melodies. Dedicated 1992
Spiritualized. Fucked Up Inside. Dedicated 1993
Spiritualized. Pure Phase. Dedicated 1995
Spiritualized. Ladies And Gentlemen We Are Floating In Space. Dedicated 1997
Spiritualized. Let It Come Down. Arista 2001
Spiritualized. Amazing Grace. Sanctuary Records 2003
Spiritualized. Songs In A&E. Cooperative Music. 2008
Spiritualized. Sweet Heart Sweet Light. Fat Possum Records 2012
Spiritualized. And Nothing Hurt. Bella Union 2018
Piers Martin. The Man Who Fell To Earth. Uncut #257 - October 2018
Mark Beaumont. Hey Mr. Spaceman. Record Collector #484 - October 2018
23 / 11 / 2018 – TROYES
LE 3 B
THE HILLBILLIES
Sale crachin breton sur le pare-brise, des milliers de gouttelettes qui diffractent la lumière des autos que l'on croise à l'aveuglette. Un temps de chien à retourner chez soi, mais l'appel du rock'n'roll triomphe toujours. Pas question de rater le dernier concert de l'année au 3 B, de surcroît les Hillbillies ont une sacrée réputation de jeunes tueurs, alors la teuf-teuf fonce à dans la bouillie de pois-cassés, saluée par les gilets jaunes regroupés depuis huit jours sans faillir sur un terre-plein de Romilly-sur-Seine, petite ville sinistrée de l'Aube...
THE HILLBILLIES
Ne proviennent pas des Appalaches mais de Dijon. La moutarde du rock'n'roll leur monte rapidement dans le nez. N'ont pas commencé depuis quinze secondes que déjà vous avez le son qui tue qui déferle sur vous, le rayon extatique de la petite mort. Ne sont que trois pour se livrer en toute impunité à leurs exactions musicales. Alex, ses favoris en as de carreau lui mangent le visage, est à la contrebasse impeccablement cirée, Dim officie au chant et à la gretsch, d'un vert palmolive inamovible, au fond Maggio derrière sa batterie, l'a un regard d'aigle et d'acier qu'il darde sans arrêt sur ses deux comparses. Les guette à la manière des guerriers Apaches surveillant une troupe de pillards mexicains s'approchant de leur territoire. L'a intérêt à faire gaffe parce que devant ça remue salement.
Méfiez-vous des appellations incontrôlées, elles sont souvent trompeuses, les Hillbillies ne font pas spécialement du hillbilly. Pour les senteurs agrestes et campagnardes vous vous adresserez ailleurs. Pur jus rockabilly. Du sauvage, du concentré. Ce qu'il y a d'étonnant et de détonnant avec nos trois moutardiers c'est qu'ils jouent ensemble mais que vous avez l'impression que chacun tout seul se suffit amplement à lui-même. Et qu'à la limite deux sur trois absents l'on ne s'en apercevrait pas. Par contre la sourdine, ils ne connaissent pas, en trois sets, en comptant large, vous avez deux minutes trente durant lesquelles, la big mama et la batterie se sont tapés un petit solo, du genre nous aussi on sait le faire mais c'est encore mieux quand l'on fonce tous ensemble, tous ensemble, tous ensemble...
Dim gretsche comme pas un. L'a trouvé un truc qui vous scotche sec. Ne bouge pas les doigts, vous secoue le son comme pas un. Pas de pose à l'artiste inspiré, vous entendez mais vous ne voyez rien. Vous file la preuve avant l'épreuve. Une efficacité de toute éblouissance. L'air de rien, je m'occupe de chanter moi, la guitare c'est une affaire entendue, réglée depuis belle lurette. Pas besoin de convoquer un symposium pour décider de la note qu'il faut jouer. Et vous prenez de ces dégelées dans les oreilles à vous rendre fou. Pas le temps de s'ennuyer, vous plaque les unes après les autres de minuscules séquences sonores qui se succèdent à toute vitesse. Une habileté démoniaque, le gars qui vous croque une fresque de vingt-cinq mètres de long en moins de trois minutes. N'y a que sur le Peggy Sue de Buddy Holly qu'il condescendra à vous répéter l'espèce d'invraisemblable entassement rythmique si particulier du morceau. Sinon, il stride dur. Vous décoche des notes à la façon des carreaux d'arbalète, une dans la pomme posée sur votre tête, l'autre directement dans votre cervelle, parce que le rockabilly est une musique qui s'apprécie avant tout quand elle vous fait du mal.
Personne n'aimerait être à la place de Fredo, face à cet énergumène qui trille des oiseaux carnivores de sa guitare toutes les trois secondes, vous diriez qu'il n'y a rien à faire, qu'il se suffit amplement à lui-même, que vous feriez mieux de rédiger votre lettre de démission. Pas Fredo, le genre de mec que vous jetez à la porte de chez vous qu'il est déjà et encore à vos côtés comme s'il n'était jamais sorti. Une sangsue, une ventouse. L'a la big mama imposante. Tchic et tchic et tchac, bisque, bisque, rage, l'est là comme le python articulé de neuf mètres qui s'est enroulé autour de vous et qui vous mord à l'épaule pour vous rappeler qu'il est là tout contre vous au cas ( improbable ) où vous l'auriez oublié. C'est simple se sert de sa double bass comme d'une double batterie. L'est là et n'a aucune envie de décamper. La pustule du rockabilly, il la propulse, vous la catapulte à la manière des fleurs de cactus. En terme plus trivial nous dirions qu'il pousse au cul. Détient une partie du secret énergétique des Hillbillies, le temps perdu se rattrape toujours, suffit de ne jamais le perdre.
Donc à la troisième batterie Maggio. Maintenant vous comprenez pourquoi il scrute les deux mescaléros sortis de leur réserve devant lui. Les tambours de guerre c'est justement sa spécialité. La survenue aveuglante de l'éclair et l'ébranlement du tonnerre. S'est institué le point de jonction des deux dératés. Les poursuit, les suit, l'essuie les distance, les dépasse, les devance, tout cela en même temps, faut voir, la prestance impériale dont il se lève brutalement pour clore la charge de chevaux fous, et retenir d'une main une cymbale afin de la murer définitivement dans un silence cyclopéen.
Mine de rien Maggio est le chef d'orchestre occulte de ce combo soleil sans pareil. Z'ont trouvé l'épure du rockabilly, z'ont banni le gras, n'ont gardé que le miel, le ciel et le fiel de l'essentiel, sa nervosité, son agilité, sa rapidité. Sa force de frappe, son punch déstabilisateur qui vous envoie valser dans les étoiles. Plus le chant. Le rockabilly n'est pas un film muet. L'est comme les trois mousquetaires, réduit à la portion congrue du rock'n'roll trio, mais agrémenté de l'arme fatale. La flamme sans laquelle le bâton de dynamite n'est qu'une poignée sans valise. Se regardent tous les trois, échangent un sourire complice, Dim le crazy jette un coup d'oeil distrait sur la set list – de Joe Clay à Buddy Holly, de Slim Harpo à Johnny Cash en passant par Carl Perkins et Sonny Burgess – et hop il se jette dans le grand bain depuis le troisième étage du grand plongeoir et dans le temps intemporel de cette chute de l'ange vous avez droit à toutes les figures attendues, les interruptions brusques, les reprises hoquetantes, les inflexions croquignolesques, les exaltations pâmoisantes, les uppercuts glottiques, les inflexions menaçantes, toute la grammaire articulatoire du rockabilly déclinée à folle allure.
Les Hillbillies ont enfoncé les convictions. La complicité entre jeunes trentenaires au sommet de leur art et public de connaisseurs s'est installée naturellement. Invitent Alex, puits de science rockabillyenne et habitué du 3 B d'origine dijonnaise, à tenir la basse durant le rappel. S'en acquitte magnifiquement. Terminent sur un de leurs morceaux un blues qui aboie à la manière dont Howlin Wolf hululait les nuits de loup-garou.
La saison 2018 du 3 B se termine sur un coup d'éclat. Merci à Fabien pour ses splendides concoctations sonores, et à Béatrice la patronne sans qui rien ne serait possible et qui prépare quelques surprises pour l'année qui vient.
Damie Chad.
( Photos : Béatrice Berlot )
THE HILLBILLIES
( Old Rusty Dime Records / 2018 )
Crazy Dim : guitar & vocal / Alex Terror : double bass / Maggio : drums / Batman : saxophone.
Pochette papier classe, glissée dans une pochette plastique transparente : fond noir et lettrage rouge pour le dos agrémenté d'une citation de Jimmie Rodgers, mais le meilleur c'est la couve, un dessin de Ludo, les Hillbillies sur une voie de chemin de fer, ce qui explique la présence de Jimmie Rodgers...
Satan's train : l'on s'attend à un convoi funèbre qui fonce vers la mort à toute blinde, c'est beaucoup plus rusé que cela. Le Diable vous surprend toujours, n'est pas uniquement le grand cornu dégoûtant, sait avoir la classe, la veste cintrée et le style. Les Hillbillies sont sur les rails, s'ébranlent lentement et soudain le vocal mord le basalte des remblais, la guitare de Dim ne s'arrête jamais dans les gares sinon pour les catastrophes ferroviaires, la big mama de Fredo vous fait le grand écart sur le toit des wagons à l'intérieur des tunnels, la batterie de Maggio se contente de battre le rappel du rock'n'roll. Sober man blues : ( + Flo : chorus / Jimmy : rhythm guitar ) : une promesse d'ivrogne. En tient une bonne couche. Pour le blues vous repasserez. C'est du rockab obstiné qui vous arrive direct sur la gueule comme le crotale qui surgit enfin de la bouteille de Jack dans lequel il était enfermé depuis dix ans. Le pauvre gars l'a avalé tout droit, étonnez-vous ensuite s'il hoquette dans ses socquettes jusqu'à la fin du morceau. Luisant comme ces renards dans lesquels vous pataugiez à la fin d'un bal honky tonk. No title : rumble-surf avec le sax qui s'égosille sans fin. A la fin Dim hurle comme si on lui clouait les arpions sur le plancher. Un truc qui s'écoute tout seul et qui s'écroule comme un tsunami sur votre misérable existence. Roboratif et rotor hâtif.
Damie Chad.
TUKA / JALLIES
( Tuka-TheJallies-2017 )
Céline : chant / guitare / caisse claire / percussions / kazoo
Kross : contrebasse / chant
Leslie : chant / guitare / caisse claire / percussions
Thomas : guitra / percussions / chant
Vanessa : chant / guitare / caisse claire / percussions
Drame cornélien dans les chaumières. Que choisir ! Vers lequel des deux artefacts se portera votre cœur ! Le vinyle, ou le CD ? Au premier abord une reproduction à l'identique mais miniaturisée. Le premier possède l'avantage de la pochette, le second offre un petit livret en plus. Une seule solution s'impose : les deux. Pas un de plus ( quoique si vous n'avez pas eu la primeur premier CD, vous pouvez vous mettre en chasse car il est détestable de passer pour le blaireau de service ), pas un de moins ( mais un moins qui est un must ).
Donc la pochette. Surprise. Z'ont les trois plus belles filles du 77, et pas une sur la couve. Même pas les deux garçons. Par contre, une réussite graphique comme l'on n'en voit peu. Sur fond gris le J majuscule à forme stylisée de fibule romaine avec ce rose princesses aux petits pois blancs. Sur le linéaire du bas, le chat poète qui regarde les étoiles ( les amateurs de Fantômette apprécieront ) plus haut le tampon officiel the Jallies swing'n'roll band, le stigmate distinctif que tous les adorateurs du groupe ont pris l'habitude de se tatouer sur le front à l'encre sympathique en signe de reconnaissance et d'affiliation à une association secrète destinée à dominer le monde, et puis le coup de génie : les lyrics de Turtle Blues de Janis Joplin, car les filles ne sont pas des broutilles, elles ont la langue et la vie bien pendues aussi tranchantes qu'une faucille.
Tuka : z'ont des voix qui papillonnent nos princesses, glissent comme emportées par une brise printanière, prennent un peu d'altitude mais pas trop, ont tout de même envie de ne pas s'échapper, elles aiment le risque, sur ce la guitare de Tom se met à miauler comme si elle donnait des coups de pattes, alors faut les entendre avec leurs voix satinées de mijaurées aguichantes, du coup Céline joue du kazoo pour se moquer de vous, et elles vous font enrager toutes en chœur parce que leur cœur à elles il virevolte au soleil. I love you ( but I've chosen rock'n'roll ) : grondements et grincements de guitares, il y a des choses plus importantes que l'amour dans la vie, le rock'n'roll par ( unique ) exemple, Vanessa déclare sa flamme au rock'n'roll et les sœurettes vous font des harmonies pour film emphatiques de série B. Faut l'avouer sur ce morceau les guys vous montrent un peu ce que c'est que le rock. Les gals ont accepté, une fois n'est pas coutume, le rôle d'admiratrices. Elles s'en tirent très bien d'ailleurs. Groupies un jour, Jallies toujours. Du rouge à nos lèvres : rien à voir avec une pub pour les rouges à lèvres, un hymne à Dionysos, tout est vain sauf le vin – remarquez les ronds de verre en filigrane sur la pochette – sont prêtes à tout pour une nuit avec lui, et une fois qu'il a pénétré dans la nacre de leur chair, elles s'animent les pomponnettes un peu pompettes, le kazoo se prend pour une trompette et le tout éclate en une symphonie vocale, mais elles se reprennent toute douces comme si elles soufflaient la chandelle de l'ivresse pour des nuits rouges de désir encore plus longues. Vous avez la permission de rêver. Cry baby : vous n'aurez pas le temps de pleurer. S'amusent comme des petites folles, jusqu'à Kross qui vous tresse des choubidou-scoubidou à grosse voix d'ogre, un véritable dessin animé, le kazoo qui aboie comme un saxophone enragé, la guitare de Tom qui vous enluminure des chinoiseries, et les délurées qui vous font des claquettes sur la caisse claire, et leurs voix entremêlées qui montent et descendent les escaliers de l'impertinence. La vie en rose : au début cela ressemble à une chansonnette d'amour sur des gouttes de contrebasse mais derrière la guitare de Tom se tortille à la Django – normal quand les poulettes au croupion énamouré sont au poulailler le Reinhart n'est pas loin – et en avant la fiesta, le chant s'anime et le monde vous prend des teintes du plus beau rose et les copines joignent leurs timbres les plus suaves, c'est parti pour le bal qui batifole. Paris night : une virée à Paris, attention messieurs nos demoiselles sont des buveuses d'âme. Un véritable drame. Les goules sont de sortie, tant pis pour vous. Parce que pour l'auditeur c'est un régal, une harmonie sans égale entre l'accompagnement et les voix, ensorcelantes, un flot de beauté et de liqueur rouge sang. Rockin' Cats : se la jouent rockeuses, partent à la chasse aux chats. Elles sont la proie et les chasseresses. S'amusent comme des folles, elles ont des voix d'adolescentes perverses, et sourient sans vous regarder. Vous les suivrez jusqu'au bout de la nuit sans avoir à le regretter. Blue drag : une intro de guitare angoissante suivi d'un intermède au kazoo aussi long qu'un gazoduc, les Jallies nous montrent tout ce qu'elles et ce qu'ils peuvent faire, ça défile à toute vitesse, à chacun, à chacune son tour de piste, une démonstration de sport de combat, sans temps mort, en trois minutes un condensé de Jallies le plus pur. Gars efficients, filles scintillantes. Vous ne trouverez pas mieux. Chianteuses attachiantes : autoportrait avec filles. En français pour être sûres que vous comprenez. Se mirent dans les yeux des gars, et puis leur tirent la langue. L'art de la mise en boîte ( aux petits pois ). Un petit air country d'insupportables gamines à la June Carter du temps de ses quatorze ans. Une réussite. Le chat : encore un autoportrait mais déguisé, et avec chat. Les manzelles vous font mille chatteries pour vous annoncer qu'elles vous mènent par le bout du nez, où elles veulent, comme elles veulent, quand elles veulent. A les écouter vous ronronnez de plaisir. Oui, c'est bien chat. The Jallies : on n'est jamais mieux servi que par soir même. Après le dithyrambe à Dionysos, le péan aux trois déesses. L'hymne officiel du Jalliesland. Vous ne pouvez vous empêcher de taper du pied et de le fredonner tout en remplissant votre demande de naturalisation. Les fillettes tirent un feu d'artifice vocal en leur honneur et vous applaudissez à en mourir.
Non ce n'est pas fini, une dernière pépite. Un dernier verre de rouge pour la route. Le coup de l'étrier. Attention c'est du sérieux. Du lourd. Du grave. Les boys se sont conduits en gentlemen, z'ont mis les filles à l'abri, elles se chargeront des chœurs. Elles font ça très bien ( comme la cuisine et le ménage ). Kross se lancent dans un Tutti Frutti des mieux venus. Avec un solo de dix secondes de Tom pointu comme une aiguille à tricoter qui s'enfonce dans votre œil. Derrière les oiselles piaillent et s'envolent comme si leur vie en dépendait. Revenez-vous vite les tourterelles, sinon l'on va s'ennuyer !
Du swing à gogo. Brillance et pétillance. Le groupe arrive à une maturité confondante. Conjugue l'aisance et la joie de vivre. Vigne folle et vendange enivrante. Les Jallies en elles-mêmes telles que nous les aimons. Ce deuxième disque est une rose carnivore qui dévorera votre âme.
Damie Chad.
ROCKABILLY GENERATION N° 7
( OCTOBRE / NOVEMBRE / DECembre / 2018 )
Ils ont osé, ils ont mis une fille en couve. ( Philippe Manoeuvre raconte qu'une gerce en tête de Rock & Folk équivaut à trente pour cent de ventes en moins ). Y en avait déjà une sur le numéro 3, mais ça ne compte qu'à moitié puisqu'elle était avec son boyfriend. Oui mais à voir la plantureuse assurance d'Annie Leopardo, vous comprenez qu'elle n'a besoin de personne pour survivre dans la jungle. Rien qu'à la voir vous zieutez que c'est une bombe à manipuler avec précaution. L'est d'ailleurs la proue chantante des Booze Bombs. Se raconte sans chichi, d'origine sicilienne, née en Allemagne, possède l'assurance tranquille des gens qui ont réussi à faire ce dont ils rêvaient tout petits, pour elle c'était chanteuse. Vous trouverez dans la 352 ième livraison de KR'TNT ! du 14 / 12 / 2017 le compte-rendu du concert explosif de la dame au 3 B...
Hommage aux pionniers, cette fois Greg Cattez évoque Buddy Holly. Mort trop tôt. ( Ce qui est déjà mieux que de mourir trop tard. ) Que serait devenu Buddy Holly, comment sa carrière aurait-elle évoluée ? L'eut de grands admirateurs, notamment les Beatles... Buddy portait-il le futur du rock'n'roll ou avait-il simplement une carrière à gérer... n'empêche qu'il avait un son de guitare fabuleux et que son rock relève d'une esthétique très personnelle.
Suivent un panorama photos, Cavan se taille la part du lion, du Festival Rock a Billy de La Chapelle Serval du mois de juin, un article sur la reformation des Scamps, groupe français des années 80, le gros dossier sur Annie Leopardo, et petit nouveau dans la basse-cour, Dylan Kirk, dix-huit ans, une renommée internationale, et un jeu de pumpin' piano à la Jerry Lou qui accroche les amateurs...
Page 29, Marlow le marlou, égrène ses souvenirs et se raconte. Pas besoin de poser des questions, n'y a qu'à l'écouter. L'a commencé comme beaucoup par Hendrix et Rolling Stones, mais la commotion c'est Elvis en 1968 – année éruptive – à douze ans d'intervalle le King aura initié deux générations au rock'n'roll, je ne vois pas qui a pu faire mieux ( et même autant )... l'histoire continue avec les Stray Cats en 1981 et la naissance des Rockin'Rebels... Pour ceux qui ne connaîtraient pas, Tony vient de sortir une Anthologie : 1978 – 2018. Je plains les malheureux qui n'ont pas cette merveille dans leur besace.
Petit détour par la Bretagne, Bourgneuf en Retz début août, 18 ième concentration US & Rock'n'roll Culture avec les Booze Bombs, les Hillbillies ( coucou les revoilou ) et les Naughty Boppers que je n'ai pas encore vus, ce qui est un véritable scandale... Le numéro se termine sur des photos du Béthune Retro.
Nouvelle maquette plus aérée, le numéro évolue, Sergio Kazh prépare deux nouvelles rubriques pour le 8. En attendant lisez le 7, ne ratez pas l'aventure quand elle est en train de se dérouler. Vous le regretteriez plus tard.
Damie Chad.
( Photo : FB : Sergio Kazh )
Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4 Euros + 3,60 de frais de port soit 7, 60 pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 30, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Attention N° 1 et N° 2 et N° 3 épuisés.
ROCKAMBOLESQUES
FEUILLETON HEBDOMADAIRE
( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses
prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll
en butte à de sombres menaces... )
EPISODE 9 : PREPARATIFS HÂTIFS
( Preparato Estudioso )
L'on est arrivé au petit matin chez Popol, mais le Chef et moi sommes repartis aussitôt accomplir une dernière formalité, me in the teuf-teuf, le Chef dans le fourgon que nous avons jeté dans une gravière de Nogent. Y eut un gros glouglou et puis plus rien, les gravières de Nogent ne rendent jamais leurs carcasses. Durant le retour nous avons quelque peu philosophé :
-
Chef, nous avons les trois cassettes mais nous n'en sommes pas plus avancés, que donc l'Elysée voulait-il en faire ?
-
Agent Chad, votre impatience dénote une personnalité insatisfaite, vous ne savez pas profiter de l'instant présent, apprenez à ne pas vous projeter dans le futur, le sage chinois l'a maintes fois réaffirmé, un Coronado non fumé a autant d'insignifiance qu'un Coronado déjà fumé, mais ce qui est pure jouissance et présence métaphysique de l'Être est le Coronado que l'on est en train de savourer.
CONSEIL DE GUERRE
Popol nous offrit un plein verre de moonshine polonais qui nous fit si grand bien que nous en reprîmes quatre ou cinq d'affilée. Assises à une table Darky et Claudine échangeaient des souvenirs, à l'autre bout du comptoir Cruchette et les quatre musiciens – nous les appellerons désormais Eric 1, Eric 2, Eric 3, Eric 4, pour mieux les distinguer, leur prénom danois à consonance gutturale étant difficilement prononçables pour des palais civilisés – s'amusaient follement :
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Chef, ils sont fous ces nordiques, ils me versent du Moonshine dans la culotte, cela me fait tout drôle !
Mais nous n'y prenions pas garde, l'heure était aux plus graves décision.
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Combien de spectateurs avez-vous prévu pour le set de Darky ce soir, s'enquit le Chef.
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Entre quinze cents et deux mille, pour Darky j'ai fait un effort, ce soir ce sera une soirée open bar, Moonshine Polonais en libre service !
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Mais Popol, le bar ne contiendra jamais une telle foule, et tu as compté le nombre de bouteilles de Moonshine nécessaires !
Mais Popol avait tout prévu. L'avait passé un accord – il tenait à en garder pour l'instant les clauses secrètes – avec le cirque ZAVATIPAS qui campait fort opinément à l'entrée de la ville sur un terrain vague. L'arrivée pétaradante de deux gros camions rouges nous convainquit aisément des capacités organisationnelles de Popol. Déjà une équipe de gros bras commençaient à décharger dans la rue de gros madriers qu'ils soulevaient comme des fétus de paille et devant nos yeux émerveillés en trois demi-heures ils eurent tôt fait de monter une longue estrade avec sono et projos... Pendant ce temps, le second poids-lourd cul contre l'entrée du café déchargeait des dizaines de caisses de Moonshine, Popol nous avait demandé de sortir car soutint-il les gars avaient besoin de ne pas être gênés dans leur mouvements pour les entreposer dans la cave...
A dix heures du matin, tout était prêt. Il n'y avait plus qu'à attendre les réactions des autorités.
PREMIERE ESCARMOUCHE
Elles ne se firent pas attendre, quatre gendarmes descendirent d'une estafette et se dirigèrent vers Popol :
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Monsieur - l'officier avait cette arrogance obséquieuse des fonctionnaires sûr de leur mauvais droit – nous ne doutons pas que vous ayez une autorisation pour installer une estrade aussi extravagante, toutefois la Municipalité nous a fait savoir qu'elle n'en avait délivré aucune.
Popol sourit avec cet air bête que les commerçants arborent lorsqu'ils présentent une note arnaqueuse au client pigeonné, se contenta de tirer de la poche arrière de son jean une feuille pliée en quatre qu'il tendit au Capitaine. Celui-ci la déplia, entreprit d'y jeter un coup d'œil distrait et désapprobateur, mais eut tout de suite un haut-le-corps, sa face s'empourpra telle une pivoine écarlate, sa main se leva pour un bref salut militaire et d'un pas rapide, suivi par ses sous-fifres silencieux il rejoignit son véhicule réglementaire qui démarra sur les chapeaux de roue. Popol replia soigneusement la feuille et nous sourit :
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Autorisation préfectorale, mes amis, croyez-vous que je fournisse gratuitement en Moonshine Polonais la préfecture pour les parties fines de ces messieurs censés veiller à la dégradation des mœurs de leurs concitoyens, sans contre-partie ?
UN REVENANT
Les amis des animaux trouveront que Molossa ne s'est pas trop montrée depuis deux épisodes, qu'ils ne s'inquiètent point, elle est sous le comptoir devant un grand bol de Moonshine que Popol lui a amoureusement préparé... La vérité historique des faits m'obligent à rapporter qu'elle en a bu de vaste lampées et qu'elle est dans un état semi-comateux. C'est pourtant elle qui poussa le wouaf d'alerte ! Le danger s'approchait, par la glace du café nous ne voyions rien, toutefois au bout de trois minutes, nous entendîmes un léger toc-toc à peine inaudible mais qui allait s'amplifiant... Molossa grogna... il était indubitable que l'ennemi approchait...
Nous n'en crûmes pas nos yeux, dans l'embrasure de la porte apparut la maigrichonne silhouette de L'Inspecteur Divisionnaire des Douanes, il brandit fièrement sa canne, sa face de cul s'illumina d'un sourire d'extrême jubilation :
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N'ayez crainte Monsieur Popol, je ne viens pas vous embêter pour quatre malheureuses bouteilles de Moonshine Polonais, une vieille affaire, sur laquelle l'administration des Douanes dans une incompréhensible mansuétude a décidé de passer l'éponge. Toutefois, selon un coup de téléphone d'un informateur secret, en témoignage d'amitié je me permettrai de vous apprendre qu'il s'agit de notre valeureux capitaine de gendarmerie, il paraîtrait qu'un gros camion rouge du cirque ZAVATIPAS – nous nous intéressons depuis quelque temps à ces forains qui se livrent à un étrange va-et-vient de semi-remorques entre la charmante cité de Provins et la lointaine Pologne, mais je m'égare, pourquoi vous livré-je les informations confidentielles de nos services, bref si cela ne vous dérange pas trop Monsieur Popol, j'aimerais visiter, un simple coup d'œil, votre cave, j'espère que vous n'y voyez aucun empêchement ?
Popol se précipita. Je ne l'avais jamais vu aussi obséquieux, des Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire à lécher l'anus d'un bouc dans une cérémonie diabolique, des prévenances à n'en plus finir, des ''je vous ouvre la trappe'' serviles, des ''je vous allume la lumière'' d'une voix chevrotante, des ''attention à la quatrième marche un peu usée'', un esclave qui court chercher le fouet avec lequel le maître lui arrachera la peau du dos... Je ne sais si au dernier moment l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes hésita mais lorsqu'il sentit la truffe chaude de Molossa sur son mollet gauche, il descendit prestement les marches, l'on entendit toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc et puis plus rien. Au bout du comptoir le Chef alluma un Coronado et Popol se mit à essuyer ses verres en compagnie de Cruchette...
Une heure s'écoula dans un silence relatif, quatre douaniers en uniforme surgirent brutalement.
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Nous cherchons Monsieur l'Inspecteur divisionnaire, l'avez-vous vu ?
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Bien sûr, il est descendu à la cave, il doit y être encore ! Popol était tout sourire...
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Toutefois il me semble l'avoir vu remonté, j'étais en train d'allumer un Coronado, mais il me semble qu'il est ressorti, laissa échapper le Chef.
Revenus de leur vérification les quatre uniformes semblaient intrigués :
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Il n'était pas là, mais nous reviendrons regarder d'un peu plus près ce qui se trouve exactement dans ces centaines de cartons, là nous n'avons pas le temps, mais dès que nous aurons récupéré Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire, nous nous livrerons à une visite méthodique.
Popol leur proposa une tournée mais ils refusèrent, d'un ton rogue, arguant qu'ils étaient en service commandé. A peine étaient-ils sortis qu'il farfouilla dans un placard pour en extraire un vieux Nabuchodonosor vide – je me permets de rappeler au lecteur peu versé en champagne qu'il s'agit d'une bouteille de quinze litres - qu'il entreprit consciencieusement de remplir en y versant quinze litres de Moonshine. Souriait de toutes ses dents le Popol, il rangeait la dive bouteille dans le placard, lorsque Cruchette s'exclama :
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Vous avez vu dehors !
L'AVANT-CONCERT
N'était même pas midi et la rue était déjà noire de monde. Des hordes de punks aux crêtes démentes pactisaient avec des bikers bardés de cuir, toute la faune rock, cats, goths, métalleux, fifties, skins, de la région parisienne s'était donné rendez-vous devant chez Popol. Popol trouva vite de l'aide, dix grands gaillards descendirent avec lui dans la cave et formèrent une chaîne sous les applaudissements déchaînés des assoiffés. Sur la chaussée s'élevaient des pyramides qui atteignaient les étages supérieurs des maisons. L'on avait beau se précipiter pour sortir les bouteilles, il en venait toujours. Popol fut porté en triomphe, les filles se l'arrachaient, l'était couvert de rouge à lèvres des pieds à la tête, faisait le modeste '' Ce n'est rien, un en-cas, j'ai prévu cinquante mille bouteilles, non ce n'est pas beaucoup, je compte sur deux mille participants, un petit Hellffest, une misérable soirée ! Pour ceux qui auraient une petite faim, dans une demi-heure un camion ZAVATIPAS dix tonnes de sandwichs et cinq tonnes de chips !'' Mais il n'était pas seul à connaître la gloire. Lorsque les Eric eurent expliqué en mauvais anglais qu'au Danemark le truc le plus fun consistait à remplir les culottes des filles de tout ce qui vous tombait sous la main, la foule – y avait maintenant près de cinq mille pèlerins - se sentit l'âme danoise, je préfère ne pas vous raconter les scènes de folie érotique qui s'en suivirent, l'on se sentait transporté, dans le Jardin des Délices de Jérôme Bosch, Molossa reçut mille caresses, chacun voulait son selfie avec elle, l'on se disputait pour lui offrir le saucisson des sandwichs, en bonne chienne sage et bien élevée, ne voulant peiner personne, elle s'empiffrait à éclater. L'apparition de Darky provoqua un moment de stupeur. L'on n'avait jamais vu une fille lookée comme cela. Tout de suite elle eut des imitatrices, des filles retiraient leur tampon hygiénique pour décorer leur T-Shirt... une après-midi de rêve. A neuf heures pile les Svart Butterflies montèrent sur scène. L'on comptait déjà quatre ou cinq fan-clubs, devant l'estrade, ils n'avaient pas encore joué une note que c'était une cohue indescriptible, Les Eric ( 1, 2 , 3 ) accordaient leurs guitares, le 4 tapotait doucement la grosse caisse de la fanfare du cirque ZAVATIPAS... C'est à ce moment-là que le Chef me fit signe :
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Agent Chad, cette nuit va être la plus longue de votre vie !
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Oui Chef, un concert extraordinaire, la légende du rock'n'roll ! Plus tard, dans les siècles à venir, les lecteurs se précipiteront sur mes Mémoires pour lire un témoignage écrit par un témoin de l'évènement !
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Agent Chad, ne soyez pas stupide, heureusement que je veille, regardez aux extrémités des deux rues et derrière les vitres des fenêtres des maisons !
Je jetais un coup d'oeil aux endroits indiqués par le Chef. Mon sang se glaça.
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Euh ! Chef , si j'étais vous j'allumerai un Coronado !
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Que croyez-vous que je sois en train de faire, agent Chad !
( A suivre ).