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  • CHRONIQUES DE POURPRE 694 : KR'TNT ! 694 : LUCAS TROUBLE / CHEMTRAILS / JUDY CLAY / KAIROS CREATURE CLUB / ANTON NEWCOMBE / THUMOS / LOATHFINDER / 2SISTERS / GENE VINCENT /

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 694

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 06 / 2025 

     

    LUCAS TROUBLE / CHEMTRAILS

    JUDY CLAY / KAIROS CREATURE CLUB

    ANTON NEWCOMBE / THUMOS   

    LOATHFINGERS / 2SISTERS

     GENE VINCENT

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 694

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Trouble boy

    (Part One)

             Quand dans «Trouble Boys», Dave Edmunds chantait King of hell raising in the neighborhood, il ne parlait pas de Lucas Trouble. Il aurait pu, mais ce ne fut pas le cas.

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             Lucas Trouble ne sort pas d’une chanson, mais plus modestement d’un patelin bourguignon du nom de Chagny, près de Chalon-Sur-Saône. C’est là qu’il a bâti sa légende, avec un grand chapeau, une grande gueule et surtout un studio, le Kaiser Studio, de la même façon que Lo’ Spider a bâti la sienne avec Swampland, à Toulouse.

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             Dans un volume bien dodu, Syned Tonetta brosse un portrait spec-ta-cu-laire du troublant Trouble. Dodu ? Ça veut dire 600 pages extraordinairement bien documentées. L’auteur semble parfois submergé par la démesure de son personnage : il doit gérer Rabelais au pays du rock ! Comment veux-tu faire entrer Rabelais dans notre époque et dans le rock ? Syned s’y attelle, il retrousse ses manches et fait comme fit Rodin, il pétrit l’argile de son golem rabelaisien. Schplifff schplaffff ! Fais gaffe, amigo, si tu mets le nez dans ce big book, tu vas te marrer comme une baleine. Car Rabelais c’est surtout de la grosse poilade. 

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             T’as la bobine du golem en couve, donc pas besoin de le décrire. L’œil allumé. L’a pas l’air commode. On croise souvent Vox dans les pages de ce big book, un Vox qui voit le golem ainsi : «Toujours la même menace dans le regard, le même air de bête prête à mordre.» Grrrrrrrrrrr...Histoire de situer la bête dans la cosmogonie, Syned a rapatrié une palanquée de surnoms, «Le Magnifique, le Mirobolant, Le Majestueux», ça passe par le «Lycanthrope libidineux», par le «Spiderman des consoles», et ça va jusqu’au «Vampire bourguignon», jusqu’au «lou-garou du son» et même jusqu’à «L’ogre de Chagny» et au «Killer of Coiffeur-Sound». Cette pauvre page vibre sous tes doigts tellement elle est chargée. Tu sens le terreau bourguignon et ses caves à pinard. Qui dit Rabelais dit aussi verte langue, alors un peu plus loin, Syned enfile comme des perles quelques expressions du golem. Certaines d’entre-elles en disent plus long sur le rock qu’un claqué d’accords en mi la ré : le golem «jambonne les groupies». Devant une bobine qui ne lui revient pas, il balance : «Qu’est-ce qui va pas ? T’as mangé ta grand-mère ?» Quand il claque le beignet d’un juron, c’est «fumier de bouc !» Chez le golem, tout est prétexte à déconner. Mais quand vient le temps du son, il veille à ce que ça sonne.

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             Syned annonce dès l’intro qu’il n’a pas fréquenté son golem. Nous non plus d’ailleurs, on eût pu, mais au temps des cerises, on a préféré fréquenter Lo’Spider et Swampland. Parce que Dig It! et parce que Gildas (Hello Gildas). Et pour bien enfoncer son clou dans la paume de la cosmogonie, Syned indique que la grande idole du golem fut Jeffey Lee Pierce, ce qui nous met tout de suite l’eau à la bouche. Eh oui, on adore les golems qui fréquentent le Gun Club. Et la filiation s’établit d’autant plus majestueusement que le cœur battant du book est un chapitre consacré aux Cowboys From Outerspace. Ils incarnent tout bêtement l’apex du Kaiser Sound. Golem/Cowboys, dream team from hell ! Te voilà en confiance, car Syned cite les Cramps, le Gun Club, les Ramones et «l’héritage sulfureux des Stooges et des New York Dolls.» Quand le golem agonise dans son lit médicalisé, c’est Michel Basly, nous dit Syned, qui vient passer trois jours à son chevet - Ils ont joué au petit train (électrique) tout un après-midi comme des enfants - Même là, tu te marres, car t’as l’image. Choo choo train ! 

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             Syned consacre des pages fulgurantes aux Cowboys qui sont en partie la création sonique du golem. Eh oui, sans golem, t’auras pas ce son. Les Cowboys tapent dans le dur : Gun Club, Chrome Cranks, Scientists, Cramps. Michel Basly remonte même jusqu’à ceux qu’il appelle «les sauvages» : Jerry Lee et Charlie Feathers. T’as rien sans rien, baby. Personne n’a jamais égalé la sauvagerie du Live At The Star Club Hamburg. Personne n’a jamais égalé la classe d’«One Hand Loose». Syned va loin dans l’apologie du dream team golem/Cowboys : il parle d’une «véritable osmose gravitationnelle» entre Michel Basly et le golem. Et ça va loin cette histoire, car il voit le golem comme le «quatrième Cowboy». Non seulement ça prend du sens, mais ça correspond tellement à la réalité ! Rappelons que les Cowboys sont encore aujourd’hui l’un des trois meilleurs groupes de rock en France, avec les Dum Dum et Weird Omen. Meilleurs parce que très en amont du reste, très modernes dans leur approche et très violents soniquement parlant. So far out ! Syned racle ses fonds de tiroirs pour situer les Cowboys, il parle de «rock crasseux» et de «punk orgastique». C’est bien gentil, mais ça va beaucoup plus loin que ça. T’es dans le beat des catacombes, la White Light/White Heat de la Death Party, dans le no way out apoplectique, quand Michel Basly pique sa crise sur scène, tu recommandes ton âme à Dieu, si t’en as une. Car Basly échappe à tout, il redore le blason de la sauvagerie originelle et on comprend qu’il ait pu crucifier le golem sur l’autel de la fascination. Syned cite dans ce chapitre brûlant la très belle compile/tribute au Gun Club, Salvo Of 24 Gunshots/Tribute To The Gun Club, un double album rouge vif paru en 2005, car on y trouve la cover que font les Cowboys du «Preaching The Blues» qu’avait tapé Jeffrey Lee en son temps. Ce Salvo fut à l’époque une véritable caverne d’Ali-Baba, car on y trouvait aussi l’extraordinaire cover désossée de «Lupita Scream» par les Gories, et puis des tas d’autres choses mirobolantes, les Cool Jerks de Jack Yarber, les Magnetix, les Demoliton Doll Rods, Speedball Baby, DM Bob. Pfffff ! Quelle époque ! T’en as encore les mains qui tremblent.

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    Syned Yonetta

             Et puis tu tombes sur le pot-aux roses : les troublants parallèles. Petit, le golem collectionne les petits drapeaux de pays métalliques qu’on trouvait dans les boîtes de langues de chat. Pouf ! Deuxième parallèle : il collectionne aussi les porte-clés ! Pouf ! Puis les timbres ! T’as fait pareil. En sixième, nous cafte Syned, le petit golem est entré en rébellion contre les professeurs. Pouf ! Au lycée, il redouble deux fois sa seconde. On est frappé par cette série de troublants parallèles. T’as redoublé aussi deux fois. Syned rajoute là-dessus une belle dose d’humour ravageur : le jeune golem va trouver le dirlo du lycée pour lui annoncer qu’il «démissionne», et que lui dit le dirlo ? «Ça tombe bien, j’allais vous virer !».

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             Autre troublant parallèle : le jeune golem fait un stage dans une imprimerie locale. Pourquoi une imprimerie ? Parce que son grand-père était typographe ! Tous ces détails revêtent une importance considérable. Le golem ne serait pas devenu le golem si son grand-père avait été charcutier. Pour les ceusses qui n’ont pas l’info, il faut savoir qu’au temps jadis, le métier de typographe rimait joliment avec l’anarchie, la vraie, celle des anars du XIXe. Il faut avoir étudié la typographie pour le savoir. Et avoir chopé le fameux Dictionnaire des Typographes.

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             Tiens encore un parallèle troublant : le jeune golem se pique de littérature. Et pas n’importe quelle littérature : celle de William Burroughs (il va baptiser son label Nova Express). Et puis voilà-t-y pas qu’on lui prête un livre sur «les pirates libertaires». Alors ça refait tilt. La lecture d’un petit ouvrage intitulé TAZ (Temporary Autonony Zone) nous transforma voici 30 ans de pied en cap : on mit en pratique la TAZ d’Hakim Bey. Quotidiennement. 365 jours par an. D’où ces chroniques. Déclarer son autonomie dans le monde du travail consiste à écrire un texte chaque jour, et à l’illustrer, quelles que soient les contraintes environnementales ou la pression des pics de charge. Tu rétablis ta liberté. Si tu la décrètes inviolable, elle le devient. C’est aussi simple que ça. 

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             Le premier LP que le petit golem ramène à la maison est Screamin’ Lord Sutch & Heavy Friends : le disque est pourri, mais la pochette fabuleuse, tu y vois Lord Sutch et sa Rolls Union Jack. On est aussi tombé dans le même panneau, à cause de la pochette. Il est d’ailleurs toujours dans l’étagère, à cause de la pochette. Un peu loin, le petit golem se retrouve avec des Genesis, des Yes et des King Crimson dans les pattes, mais fumier de bouc !, il décroche aussi sec. Patacam patacam !

             On voit donc le golem s’auto-pétrir au fond de la Bourgogne. Il se malaxe tout seul et s’en va la nuit dans la campagne gelée hurler à la lune, tout au moins l’imagine-t-on ainsi. À la différence des autres artistes, il ne crée pas son monde, il se crée. Le golem sort de terre. Quand il récupère une basse pour apprendre à en jouer, il plonge la maisonnée en enfer, nous dit Syned. Il va dans les bals pour se battre, et comme le temps est alors au glam, il porte des platform boots et du maquillage. On lit ces pages et on se fend la gueule en permanence. Un mec maquillé dans les rues de la Bourgogne, ça paraît inconcevable ! Pas pour un golem, fumier de bouc !

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    Vietnam Vterans : Mark Embatta au centre

             Dans les années 80, il fait de la petite new wave à la mormoille, jusqu’au moment où il rencontre un disquaire de Chalon, Mark Enbatta. Sa boutique s’appelle Sneakers. Avec un nom pareil, tu sais où tu mets les pieds. Le golem découvre (avec 10 ans de retard) Nuggets, mais il va vite rattraper son retard, l’asticot ! Terminé les textes en français, direction 13th Floor Elevators, Seeds et tout le tintouin, et bien sûr les Vietnam Veterans, le groupe de Mark Enbatta, qu’il intègre.     

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             Tiens, on va faire un petit break avec les Vietnam Veterans. On commence par rapatrier les deux Lolita, On The Right Track Now et Crawfish For The Notary, histoire de voir ce qu’ils ont dans la culotte. T’es vite happé par l’énergie qui se dégage d’On The Right Track Now et de «Dreams Of Today» que Mark Enbatta gratte sur les accords de Gloria. Il chante d’une voix de Sky bourguignon. Pas de problème. Il tape ensuite une belle cover d’«I Can Only Give You Everything», le vieux standard protozozo des Them. C’est bien raw to the bone. Dommage qu’on entende l’orgue. Ça ne s’y prête pas. Ils tapent une cover du Zombie de Roky qui ne fonctionne pas, mais celle d’«Hey Gyp» passe comme une lettre à la poste. On salue aussi le beau gaga moderne d’«Out From The Night». Globalement, c’est pas mal.

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             On retrouve la même teneur en vitamines sur Crawfish For The Notary, et ce dès «Is This Really The Time» qui sent bon le LSD. Tout sent le LSD ici. Retour au raw to the bone avec «This Life Is Your Life», c’est gratté au raw ultime, c’est même assez violent. Mark Enbatta claque les pires accords bourguignons. Le Kaiser shoote ensuite une grosse dose de shuffle dans «Burning Temples» et on revient à l’apothéose druggy avec «My Trip» - I’ll never get out of here - Mark Enbatta rocke encore le boat avec «Liars» et on replonge dans l’LSD sound avec une cover létale du big «Be My Baby» des Ronettes. C’est audacieux, car ils proposent le Wall of Sound bourguignon à base d’orgue. Effet garanti. C’est même assez poilant. Ils ne reculent devant aucune extrémité, ce qui est tout à leur honneur. 

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             Green Peas est un double album et la viande psychédélique se trouve sur le disk 2 : en C t’as ce fabuleux brouet lysergique, «Human Love». On sent bien le LSD. Enbatta est très Sky sur ce coup-là, il sort son meilleur raw psych et tiguilite à la mode de 1966. On sent qu’il écoute les bons disques. Et de l’autre côté, tu tombes sur une version qu’il faut bien qualifier d’historique du «Trip» de Kim. Superbe attaque ! Mark Enbatta le prend bien et s’en va naviguer dans l’océan psychédélique, il y va au let’s take a trip et scande LSD ! LSD !, comme le firent les Pretties en leur temps. L’A et la B ne sont pas aussi enthousiasmantes. Sur «You’re Gonna Fall», ils visent le rock symphonique à la Procol et c’est à côté. Quand elle est précieuse, leur pop devient problématique. On sent quelques velléités d’en découdre sur «Liars», et on retrouve enfin une belle dynamique de guitarring dans «Critics». Enbatta est un bon. Il décolle enfin. Il te trashe le cut sur un beat bien dressé vers l’avenir. On le revoit partir à l’aventure sur «Wrinkle Drawer». Dommage que le background soit si précieux. Sur ce disk 1, t’as pas mal de casse et des tentatives non abouties. Il faut attendre «Out Of The Night» au bout de la B pour renouer avec le gaga bourguignon. Enbatta jette tout son dévolu dans la balance et gratte bien ses trois accords. 

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             Paru en 1986, In Ancient Times est un petit album qui ne fait pas d’histoires. Mark Enbatta chante son «Let It Rain» d’une belle voix de canard, mais il est vite submergé par les nappes du golem hégémoniste. En Bourgogne, la pop peut vite virer bucolique, comme le montre «Run Baby Run». Si on cherche un bout de viande, il est en B. Le golem perruqué et poudré joue du clavecin sur «Wrinkle Drawer» et voilà qu’arrive un «Next Year» nettement plus décidé à en découdre. C’est même quasi anthemic. Avec ses nappes astrales, le golem se prend pour un cosmonaute. Et ça atteint des proportions considérables avec «Crooked Dealers». Ça devient même passionnant. Les albums des Veterans sont très particuliers. Tu y croises rarement des coups de génie, mais tu les écoutes attentivement. Ils ne se rattachent à rien de particulier, hormis la Bourgogne.   

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             Mark Enbatta fait des étincelles sur Catfish Eyes And Tales, notamment dans «Southern Comfort». On entend bien sa guitare psyché, il lâche un beau déluge d’acid freakout. Les Veterans ont la bonne distance pour développer. Le thème crée la tension et les nappes tentaculaires du golem nourrissent bien la Mad Psychedelia, alors tu te régales, c’est un beau délire. Ils raflent bien la mise. Mark Enbatta passe au gaga bourguignon avec «Time Is The Worst». Il fait même du protozozo, c’est un fin renard. Il part en solo d’extension du domaine de la turlutte, et repart même une deuxième fois. Tu sors du cut enchanté. S’ensuit un «Crying» qui se veut paradisiaque et qui l’est. Enbatta est infiniment crédible, il taille bien sa toute. Par contre, rien à tirer de la B. «Days Of Pearly Spencer» ? Écoute plutôt l’original, s’il est encore dans ta caisse de 45 tours.   

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             Dernier spasme des Veterans avec une belle compile, The Days Of Pearly Spencer. Ils démarrent d’ailleurs avec cette cover de David McWilliams. Le Kaiser fait les violons à l’orgue. Côté son, pas de problème. Puis ils tapent une autre cover, celle du fameux «500 Miles» qu’on connaît en France sous le nom de «J’entends Siffler Le Train». Belle prod, avec un bassmatic mixé devant, de l’acou en réverb et de l’orgue au fond. On appelle ça une prod de rêve. Et même une prod de rêve aérien, perdue dans l’écho du temps. Le Kaiser fait même entrer une disto sur le tard. S’ensuit un «Is This Really The Time» assez défenestrateur. Ils ont du power sous le pied, c’est tapé au tatapoum local et ça bat bien la campagne. Ils font du Spencer Davis Group in Burgundy avec «Burning Temples» et le Kaiser envoie le shuffle. T’as encore un son plein comme un œuf. Mark Enbatta refait son Sky sur «Don’t Try To Walk On Me», t’as vraiment l’impression d’entendre les Seeds. Il refait son Sky sur «You’re Gonna Fall». Tu as déjà entendu tous ces cuts sur les albums précédents, mais tu te re-régales de les ré-écouter. Et pouf, voilà ce «Dreams Of Today» qui sent si bon le LSD, car gratté aux accords de gaga sixties. Ils terminent avec deux covers de choc : «Be My Baby» (que le Kaiser groove au shuffle d’orgue) et une version longue de l’hymne bourguignon, «The Trip» - It’s time to take a trip - et le Mark y va à coups d’LSD ! LSD!, pendant vingt minutes. 

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             À un moment, Syned essaye de nous rassurer en nous expliquant que le golem a trois facettes : «Lucas Trouble, l’artiste talentueux, prolifique, multiple et unique avec le côté charmeur et malicieux», puis «le Kaiser, le type qui enregistre, insupportable, ‘monstre tortionnaire’, visionnaire», et «Jean-Luc, le gars normal, père de famille qui reçoit ses amis, l’ouvrier en bâtiment qui rénove sa maison (du Levant), supporter du club de rugby du coin.» Mais bon, on ne veut rien savoir de plus : le golem et basta ! Derrière sa Maison du Levant se trouve une carrière en forme de ravin qui devient vite objet de plaisanteries macabres. Il menace d’y jeter les dépouilles de ses ennemis et des gens qu’il aime pas. Quand Philippe Manœuvre propose de venir l’interviewer, le golem grommelle : «Ouais, Manœuvre, je vais le balancer dans la carrière avec les huissiers.» Tout est truculent avec le golem, on se fend la poire en permanence. Bon, il ne va pas jeter Manœuvre dans la carrière, mais lui avouer que son premier 45 tours fut le «Venus» de Shocking Blue, parce qu’il louchait sur les nibards de la chanteuse. S’il aime bien Steppenwolf, c’est à cause dit-il de sa «tronche de barbare intelligent».

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             Le golem livre d’épatantes considérations sur le monde. Il constate qu’il y a «beaucoup plus de beaufs que lorsqu’il avait 17 ans», et comme Marc Zermati, qu’il rencontrera un peu plus tard, il affirme que «la France n’est pas faite pour le rock’n’roll.» C’est parce qu’il lit l’article de Manœuvre que Marc débarque à Chagny avec Tony Marlow pour enregistrer Knock Out. Ça a clashé pendant l’enregistrement entre Marc et le golem, mais ils se sont rabibochés pendant le mastering.

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             Côté admirations, le golem admet un faible pour les grands allumés de service, Birthday Party, Roky Erickson, Davis Thomas, Red Crayola, Peter Hammill et bien sûr Captain Beefheart, tout particulièrement, précise Syned, Safe As Milk. Et puis les Damned. Syned ne rate pas l’occasion de rappeler le lien qui existe entre le Gun Club et les Damned : la coiffure gothique de Patricia Morrison. À cette belle liste, il faut ajouter les noms des Chrome Cranks que lui a fait découvrir Michel Basly, et puis tiens, Jon Spencer.

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             Le golem dispose de trois armes : le Kaiser studio, sa cave et son label Nova Express. Les trois sont indissociables. Qui dit studio dit prod. Le golem est obsédé par un son, le sien. Nul n’est mieux placé que Vox pour décrire l’art productiviste du golem : «Il élaborait ses hallucinatoires festins en maître queux anthropophage, malaxant, sculptant, tronçonnant, bariolant, balafrant, recollant, incisant, panachant, faucardant, affûtant, ciselant, amalgamant, façonnant jusqu’à obtenir la mixture voulue.»

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             Son label reste bien sûr underground. Pas de stratégie commerciale. «Au gré du vent», précise Syned. Producteur, musicien et label boss comme Beat-Man avec Voodoo Rhythm. Ou mieux encore, comme Totor avec son Wall of Sound, ses cuts magiques et Philles Records.

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             Étant donné que le golem a décidé de vivre du studio et de Nova, «la trésorerie est tendue». Syned rentre bien dans le détail des tarifs, comme il rentre dans le détail du matos et dans le détail des claviers qu’utilise le golem. Les détails sont vitaux si on veut comprendre à quel point ce type d’aventure est périlleux. Et par conséquent glorieux. Fuck les subventions, le golem bosse à l’arrache. «Vive les rebelles !» Plus on avance dans les détails et plus le golem devient sympathique. Tiens voilà ce qu’il déclare : «Si on part du principe que le rock’n’roll est une musique rebelle, c’est un peu bizarre d’être un rebelle subventionné par l’état.» Eh oui, t’as des groupes qui demandent du blé pour financer leurs conneries. Fuck it ! Le golem admet qu’il en bave. En plus, il n’est pas cher : 4 000 euros pour une semaine de studio + 1 000 CD (mixage, mastering et impression pochette compris). Syned rentre aussi dans les détails du graphisme des pochettes. Le golem bosse avec son pote José Womble, et là on se marre bien, car on retrouve nos deux compères devant un écran avec les bouteilles de pinard que le golem ramène de la cave, et les voilà qui se mettent à schtroumpher des typos et des images sur Photoshop, avec «un petit verre de rouge» à chaque tripotage de filtre, à chaque fusionnement de calque, jusqu’à ce qu’ils arrivent à ce que Syned, hilare, appelle «un compromis». Bosser une image à deux sur un écran, c’est un truc qu’on ne fait JAMAIS. Seul le golem s’y autorise, en évitant toutefois de toucher le clavier, car l’ordi reste l’ennemi satanique. Il faut donc partir du principe que les pochettes Nova Express sont le résultat de compromis avinés, ce qui les rend infiniment sympathiques. Et puis Syned aborde le chapitre de la distro et là, pareil, il donne tous les détails, et c’est passionnant de voir à quel point l’exercice est périlleux. Syned : «À la fin, Nova ne prenait que 10% sur les ventes effectuées par leurs soins. ‘Ça payait à peine le téléphone’, soupirait-il.» Et le golem ajoute que son label lui coûtait plus qu’il ne lui rapportait. Ça ne tenait debout que parce que le studio rapportait un peu de blé et qu’Emmanuelle, sa femme, bossait ailleurs. Le label, c’était «du bénévolat»

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             Qui dit Nova Express dit compiles. Syned dit sa préférence pour The Most Terrible Songs And Other Terrific Stories. On retrouve aussi Lo’Spider et son Jerry Spider Gang sur The Kaiser Fucks The New French Rock, ainsi que les Holy Curse et les Magnetix. On y revient dans un Part Two. 

             Et les Anglais dans tout ça ? Pas grand-chose. Le golem aurait bien aimé, mais à part un coup de fil de Brian James, rien. Que dalle. Il aurait bien aimé recevoir Jeffrey Lee et les Dum Dum Boys. Sob sob sob, regrets éternels.

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             Qui dit Chalon dit Jano et Nat et les Screaming Monkeys. On les croise enfin page 337 : vieil ami de Caligula Gibus, Jano fêta ses 40 ans avec un concert des Médiums à la Taverne, un endroit devenu culte, pour ses «bals costumés» et ses concerts. Vox fit de cette fête d’annive un solide compte-rendu dans Dig It!. Le golem, «avenant comme une potence», jouait de la basse ce soir-là. Plus remarquable encore : les Cowboys montèrent sur scène après les Médiums, et selon Vox, ils furent «bons mais nettement en-dessous des Médiums.» Comment est-ce possible ? Vox est aussi «conseiller» du golem : le visuel qui orne la pochette de Kaiser Southern Dark Country, c’est une idée à lui. Il s’agit de l’Écorché Et Son Cavalier d’Honoré Fragonard - Ce document avait été proposé par Vox pour une éventuelle utilisation.

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             Pour sa dernière séance d’enregistrement, le golem a reçu Tony Marlow. Tony était en trio avec K’ptain Kidd. Fabuleux album que ce More Of The Same, deuxième album tribute à Johnny Kidd. «Goin’ Back Home» t’arrive dans les dents comme un boulet de canon. T’as aussitôt la démesure de la flibuste ! Ça pilonne ! Le trio allume comme vingt bouches à feu. Le golem devait se frotter les mains. Il faut saluer son génie sonique. Encore un boulet dans les dents avec «Some Other Guy». Et puis un troisième, t’es plus à ça près : «Castin’ My Spell», claqué à la clairette de Tele. Tony fait son Barbe-Noire, il ravage tout, avec la bénédiction du golem. Ultime dream team !

             Ce book compte probablement parmi ceux qui font la fierté du Camion Blanc. Avec Lucas Trouble - L’Empereur Du Son Analogique, le métier d’éditeur underground reprend tout son sens. 

    Signé : Cazengler, le cas troublant

    Syned Tonetta. Lucas Trouble - L’Empereur Du Son Analogique. Camion Blanc 2018

     

     

    L’avenir du rock

     - Happy (Chem)trails

             Pas de pot : l’avenir du rock vient de tomber dans les pattes de la Gestapo. Direction la rue Lauriston et la baignoire dans la salle de bain du premier étage. La Gestapo soupçonne à juste titre l’avenir du rock de grenouiller dans la résistance. Klaus Barbock veut des noms. L’avenir du rock fait le malin.

             — Vous n’allez pas faire le malin très longtemps, avenir du rock !

             Deux gestapistes plongent la tête de l’avenir du rock dans la baignoire, pendant qu’un troisième lui introduit une barre à mine rouillée dans l’anus et l’enfonce d’un coup de pied.

             — Glou glou glou...

             L’avenir du rock tombe dans les pommes. Un toubib lui fait une piqûre. L’avenir du rock revient à lui et se met à chanter :

             — Shame Shame Shame/ Hey shame on you !

             Klaus Barbock se tourne vers ses sbires :

             — Ce nom vous dit quelque chose ?

             Les sbires font non de la tête. L’avenir du rock éclate de rire et lance :

             — Smiley Lewis !

             Klaus Barbock fait un signe de la main et les sbires replongent la tête de l’avenir du rock dans la baignoire.

             — Glou glou glou...

             Il retombe dans les pommes. Piqûre. Il ouvre un œil et balance :

             — Ain’t That A Shame !

             Et ajoute aussitôt, au vu des bobines gestapistes qui ne pigent rien :

             — Fats Domino !

             Connaissent pas. Baignoire. Plus chalumeau sur la plante des pieds.

             — Glou glou glou...

             Il retombe dans les pommes. Piqûre. Il ouvre un œil et balance :

             — Shame On You Crazy Diamond !

             Un des sbires glapit :

             — Herr Obersturmführer ! Arch Pink Floyd!

             L’avenir du rock explose de rire. Quelle bande de cons ! Pour les achever, il voulait balancer le nom de Chemtrails, mais il préfère en rester là et mourir de rire.

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             Bon d’accord : l’avenir du rock triche un peu : Chem ne se prononce pas «chème» mais «kème». Disons que s’il triche, c’est pour la bonne cause. Et à l’écrit, ça passe.

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             T’as deux genres de concerts : ceux des groupes que tu connais et ceux des groupes que tu ne connais pas. Et dans ceux des groupes que tu ne connais pas, t’en as encore deux genres : ceux que tu prépares et ceux que tu ne prépares pas. C’est-à-dire que tu n’écoutes rien en amont. T’anticipes pas. Tu décides d’y aller avec l’oreille fraîche. Chemtrails à la cave, t’y vas donc avec l’oreille fraîche. Tu n’as qu’une seule info : UK. Après leur set, tu apprendras qu’elles viennent de Manchester. Elles, oui, car il s’agit surtout d’elles, les deux cocotes qui grattent et qui chantent : Mia Lust et sa copine la grande Laura Orlova. Grande, il faut l’entre au

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    sens propre comme au figuré : par la taille, mais aussi par la présence scénique et cette façon qu’elle a de se barrer en vrille de garage-punk lorsqu’elle s’arc-boute pour prendre un solo. Elle a le killy-killy dans la peau. Elles sont accompagnées par une solide section rythmique, un bassmatiqueur de choc et un mec torse nu au beurre qu’on ne voit pas, car plongé dans les ténèbres. Mais lui, c’est le roi du bim bam boum. Les deux cocotes font le show. Dommage qu’il y ait un clavier à la mormoille devant. Elles tapent quasiment tout à deux grattes et mêlent leurs voix pour créer des dynamiques somptueuses. Si tu les vois un jour sur scène, tu vas te régaler, car elles tapent en plein dans l’œil du cyclope, sans la moindre frime. Elles

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    t’offrent un vrai concert de rock, excitant & sexy. Tu ne connais pas les cuts, mais tu tends bien l’oreille et tu localises les montées en puissance à base de Superhuman, elles entrent quasiment en transe et rockent le boat de la cave. Elles tapent aussi un Apocalyptic apocalyptique, avec une conscience professionnelle qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. Elles concentrent toutes les dynamiques. Leur perfection symbiotique te fait baver. Tu n’avais pas vu autant de fraîcheur énergétique depuis des lustres. Chemtrails ! Elles pourraient bien devenir énormes, au moins autant, sinon plus que MaidaVale.

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             Si tu ramasses The Joy Of Sects au merch, tu vas aller de surprise en surprise.

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    Quel bel album de Chester pop ! Dès «Detritus Andronicus», tu dis oui, car tu sens cette féminité bien collante, bien prégnante, et t’as Mia qui chante au sucre protozozo. C’est du meilleur effet. Mia est plus sucrée que sa collègue Laura, on l’entend mieux encore sur l’album. Si elles virent un peu new wave sur «Sycophant’s Paradise», c’est à cause du clavier, mais elles restent très dynamiques, bien tape-dur, avec du bon son. Elles sont aussi capables d’aller rejoindre Liz Fraser au ciel de la pop anglaise («Mushroom Cloud Nine»). La viande se planque en B, comme le révèle l’imparable «Join Our Death Cult». Chester power ! Joli beat hypno. C’est dans la poche. Elles jouent sur les deux voix. Plus loin, t’as un cut en forme de giclée d’adrénaline, «Superhuman Superhighway», c’est nettement plus Kraut, baby. Au beurre, Liam Steers sait driver un beat ! Et ça continue dans la même veine avec «Apocalypstick». Elles sont fabuleuses d’à-propos. Elles ont de la texture, de la teneur, de l’excellence, elles savent déclencher l’enfer sur la terre et revenir au petit sucre de Manchester. Elles mêlent merveilleusement leurs deux sucres. Et ça bombarde ! Elles dégagent une énergie considérable. Laura chante avec un sucre canaille. Elle adore rentrer dans le chou du lard. Tu t’attaches à ces deux voix si différentes.  

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             Attention à Call Of The Sacred Cow : si tu l’écoutes, tu risques fort de tomber de ta chaise. Voilà ce qu’on appelle communément un killer-album ! Premier coup de Jarnac avec «A Killer Or A Punchline» qui sonne comme un hit. T’en reviens pas ! Mia Lust et sa copine la grande Laura Orlova ont un truc que d’autres n’ont pas. Et quand tu lis les crédits sur la pochette intérieure, tu vois que la petite Mia compose tous les cuts. Et le festin se poursuit avec l’incroyable «A Beautiful Cog In The Monolithic Death Machine» : belle énergie cognitive. Ça veut dire qu’elles cognent. Voilà encore un cut bourré à craquer d’énergie pop. Elles bouclent ce brillant balda avec «Lizard Empire», nouvel exploit chanté à l’accent pincé de Manchester, dans une ambiance de Brill. Quelle magnifique ampleur structurelle ! Franchement, t’en perds ton latin. T’as encore trois bombes en B, à commencer par un «Watch Evil Grow» assez apoplectique. Elles naviguent à la pointe de la renaissance pop de Manchester. La qualité des cuts te sidère pour de vrai. Nouveau coup de génie avec «Dead Air» et une stupéfiante attaque. C’est Mia Lust qui chante. Elle est aussi balèze que sa copine, car elle y va au sucre acide. Elles font un petit coup de Wall of Sound pour finir, avec «Overgrown». Cet album sonne comme un délire qualitatif d’un niveau peu commun.

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             Alors, il ne faut pas en rester là : tu sautes sur The Peculiar Smell Of The Inevitable. T’es estomaqué dès «Blurred Visions» et son tempo sauvage. Elles sont les reines du wild-as-fuck. Leur fonds de commerce est la fantastique tenue de route. Aucun temps mort sur cet album, elles font le canard sur «Rats» et puis elles bouclent le balda avec un «Naked Souls Get Swallowed» qui sonne comme un hit, bien lesté de power-chords. Tu salues la présence de leur prescience. Et ça repart de plus belle en B avec «Frightful In The Sunlight», bien profilé sous le vent et soutenu par un bassmatic grondant. La grande Orlova passe un joli petit killer solo et en prime, t’as des super-développements. Tout cela te met bien l’eau à la bouche. Et voilà qu’elles sonnent comme les Pixies sur «Uncanny Valley», c’est effarant d’attaque incisive et chanté au sucre. Elles jettent encore tout leur dévolu dans la balance de «Brother Connor» et bouclent avec un «Slag Heap Deity» en deux parties, un Heap vraiment joyeux, punchy en diable et de très haut niveau. 

    Signé : Cazengler, Shame trail

    Chemtrails. Le Trois Pièces. Rouen (76). 10 mai 2025

    Concert Braincrushing

    Chemtrails. Call Of The Sacred Cow. PNKSLM 2018

    Chemtrails. The Peculiar Smell Of The Inevitable. PNKSLM 2020

    Chemtrails. The Joy Of Sects. PNKSLM 2024

     

    Inside the goldmine

    - La clé de Judy Clay

             Nous avions tous rendez-vous à Bastille, chez Bofinger, pour une réunion informelle. Oh, nous n’étions pas nombreux, cinq personnes au total, Lady Cœur-de-Lyon qui avait eu l’idée de ce meeting, un couple de jeunes entrepreneurs, Baby Class et moi. Tous quasiment du même âge et membres actifs de la grande révolution technologique qui secoua le monde des arts graphiques, à la fin du siècle dernier. Baby Class avait elle aussi monté son agence, oh pas grand-chose, deux salariés et deux ou trois clients, mais bien située, rue d’Alesia. Nous témoignâmes de nos expériences respectives et échangeâmes quelques informations, notamment sur les fournisseurs, le fameux talon d’Achille de la profession. Baby Class était une jeune femme assez haute, aux cheveux courts, peu maquillée. Pas de bijoux. Elle ne souriait pas, et semblait livrée aux affres d’une indicible mélancolie. Ses très beaux yeux gris étaient comme voilés de tristesse. Cette conversation passionnante semblait néanmoins la divertir. Au sortir du meeting, elle annonça qu’elle prenait le métro, aussi lui proposai-je de la déposer dans son quartier. Elle accepta avec un sourire mystérieux. N’attendait-elle que ça ? Nous descendîmes par le Boulevard de la Bastille et traversâmes la Seine au Pont d’Austerlitz. Elle ne disait rien. Nous roulâmes en silence à travers les rues désertes. Il régnait dans la bagnole une sorte de plénitude. Elle me tutoya pour la première fois en me demandant de la déposer sur la place d’Alesia, et disparut. Quelques années plus tard, après que la tempête eût tout emporté, maison, arbres, business, je vis qu’elle cherchait quelqu’un pour bosser avec elle. Coup de fil. J’allais me présenter, mais elle me coupa sèchement : «Inutile, j’ai reconnu ta voix.» Elle m’accueillit le lundi suivant. Elle bossait toute seule dans un vaste local très bien éclairé. Elle donnait le matin les instructions sur le dossier à traiter, puis elle s’installait pour la journée derrière sa bécane. Pas un mot de la journée. Le cirque dura trois mois. D’un commun accord, nous rompîmes le contrat de travail. Vingt ans plus tard, passant dans le quartier, je vis que l’agence existait toujours. La plaque de cuivre figurait toujours à l’entrée de l’immeuble. J’appelai à l’interphone et elle me fit monter. Elle m’accueillit en souriant dans l’entrée. Elle n’avait pas changé. Elle semblait contente de me voir. Mais je n’en étais pas complètement certain.    

     

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             Qui de Baby Class ou de Judy Clay est la plus mystérieuse ? On ne le saura jamais, et c’est aussi bien comme ça.

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             On se souvient que Judy Clay fit sensation avec Billy Vera sur un bel album Atlantic, Storybook Children. Dans le civil, Judy Clay s’appelle Judith Grace Guions et vient non pas de Memphis, mais de Caroline du Nord. Elle chante très vite du gospel à Harlem et fréquente les Drinkards Singers. La chanteuse lead du groupe Lee Warwick prend Judith, 12 ans, sous son aile et l’installe chez elle, dans le New Jersey, en compagnie de ses deux filles Dionne et Dee Dee. Les Drinkards Singers se retrouvent vite fait au Madison Square Garden avec Clara Ward, Sister Rosetta Tharpe et Mahalia Jackson. Autant dire que Judith traîne déjà dans la cour des grands. Emily Drinkard allait devenir Cissy Houston. Dionne la lionne sera la première à accepter d’entrer dans le «secular world», suivie de près par Judith devenue Judy, qui va commencer à enregistrer en 1960, bien trop tôt. Mais quand elle voit Dionne la lionne devenir une superstar, elle pique une crise de jalousie et prend contact avec Jerry Wexler qui l’aide à sortir de son contrat Scepter pour l’envoyer enregistrer chez Stax qui «appartient» alors à Atlantic. Elle descend à Memphis pour être aussitôt prise en mains par Isaac le prophète. Elle retournera un peu plus tard avec Billy Vera enregistrer un album à Muscle Shoals, mais apparemment, c’est resté dans les étagères. Judy Clay aurait dû faire partie des très grandes Soul Sisters américaines, mais le sort en a décidé autrement. Pour gagner sa vie, elle fera des backings vocals. Elle finira par prendre sa retraite à Fayetteville, en Caroline du Nord et ne chantera plus qu’à l’église.

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             On la retrouve sur deux belles compiles : Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four, avec Marie Knight, et The Stax Solo Recordings avec Veda Brown.

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             C’est évidemment Marie Knight qui vole le show sur Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four. Mais Judy Clay se défend bien, on apprécie sa fantastique présence dans «My Arms Aren’t Strong Enough», un heavy balladif dégoulinant de détresse sentimentale. C’est tout de même un bonheur que de l’écouter. Elle s’épuise un peu dans la pop de Broadway et revient flamber la Soul new-yorkaise avec «The Way You Look Tonight», une Soul hyper-orchestrée et gorgée de chœurs. Elle sait aussi driver un wild r’n’b comme le montre  «You Busted My Mind» et l’«He’s The Kind Of Guy» tapé aux cloches de la 7e avenue est d’une incroyable musicalité. Elle entre dans les années de braise du r’n’b avec «Your Kind Of Lovin’» et son «Upset My Heart (Get Me So Upset)» est d’une qualité invraisemblable. Ça frise le popotin Stax. Et puis elle jazze son «That’s All» avec une classe sidérante. On passe à Marie Knight avec «Cry Me A River». Elle te crève les tympans. Marie Knight est l’une des pires screameuses de l’univers. Elle joue avec la Soul comme le chat avec la souris. Sur «Comes The Night», elle sonne comme Esther Phillips. Pur genius, feeling de voix et power all over. C’est la reine du par-dessus-les-toits. Encore de la haute voltige de Soul pop avec «That’s No Way To Treat A Girl». Elle fait pas mal de petite pop et renoue avec le génie dans «You Lie So Well», un r’n’b à la Motown motion. Elle y va la Marie !

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             Dans les liners de The Stax Solo Recordings, Tony Rounce nous rappelle que Judy est arrivée chez Stax en 1967, c’est-à-dire en plein âge d’or. Rounce raconte qu’en fouinant dans les archives de Stax,  Roger Armstrong a exhumé «My Baby Specializes», qu’on peut donc entendre pour la première fois sur The Stax Solo Recordings.

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             Sur cette compile, Judy Clay arrive à la fin. Ça permet de découvrir l’excellente Veda Brown et son «Take It Off Her (And Put It On Me)». Niaque et Staxy raunch : tout est parfait. Dans les liners, Tony Rounce nous apprend que Veda est originaire de Kennett, Missouri, et qu’elle a commencé par chanter à l’église. Un certain Jerry Robinson la découvre et Veda se retrouve à Muscle Shoals pour enregistrer ses premiers Stax cuts. Tu tombes ensuite sur «Short Stopping», un fantastique dancing strut. Tu te lèves et tu jerkes avec Veda. Elle est vraiment bien, la petite Veda. Même sur les cuts plus lents, elle sait se montrer pleine est entière, fabuleusement impliquée. Elle tape une mouture de «Fever» au grand battage et ça prend des allures de prophète Isaac, avec les percus du diable. Pur power encore avec «Guilty Of Loving You» et son «That’s The Way Love Is» sonne comme un slowah profondément circonstancié. Avec Veda, tout est bien. Elle a une classe invraisemblable. Elle sait aussi gérer la Soul progressive comme le montre «Who Wouldn’t Love A Man Like This». Et quand Judy arrive avec «Remove These

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    Clouds», elle passe au gospel batch et t’explose le cortex. Avec «Bed Of Roses», elle fait son Aretha. Même beefsteak ! «It’s Me» est un slow super-frotteur. Elle sait se frotter au mâle. On comprend que Wex ait bandé pour elle. Elle te fracasse vite fait le gros popotin de «Since You Came Along». Avec Aretha, Judy est l’autre reine de la Soul. «It Ain’t Long Enough» sonne comme une tranche de Soul joyeuse et pantelante. Elle fait encore la reine de Stax avec «Your Love Is Good Enough». C’est tout de même incroyable que des Soul Sisters du calibre de Veda et Judy Clay soient passées à la trappe.

    Signé : Cazengler, Clay-bar

    Judy Clay/ Marie Knight. Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four. Westside 2001

    Judy Clay/Veda Brown. The Stax Solo Recordings. Kent/Ace records 2008

     

    Road to Kairos

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             Finalement, t’auras passé une bonne soirée avec Kairos Creature Club, un trio venu tout droit de Jacksonville, en Floride, jusque dans la cave. Pas d’hit interplanétaire dans leur set, mais la réalité de leur verdeur artistique te conforte dans l’idée que l’underground résiste bien à la nécrose de médiocratisation rampante qui menace le monde moderne.

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             Le trio te met tout de suite à l’aise car zéro prétention et zéro frime. T’as deux petites gonzesses (beurre et poux) et un mec au bassmatic. Celle qui bat le beurre s’appelle Lena Simon. On sent qu’elle a du métier. Elle vient de La Luz. Celle qui gratte ses poux s’appelle Glenn Michael Van Dyke. Contrairement à ce qu’indique son nom, c’est une gonzesse et elle gratte une belle SG bordeaux, elle se planque sous une casquette et porte un futal en tartan écossais. Fière allure, mais surtout fière fluidité, elle sait filer le train d’un killer solo à rallonges, elle n’a aucun problème pour développer l’extension du domaine de la loose, et le groove du trio s’y prête plutôt bien. Ils sont tellement originaux qu’on ne peut les comparer à rien de

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    particulier, sauf peut-être aux shoegazers. Sur certains cuts, les Kairos sonnent très anglais. Il remonte de leurs ébats de curieux remugles shoegazy, de vagues échos de My Bloody Valentine ou des Pales Saints, dirons-nous, surtout quand ça vient de la batteuse. Elle adore laisser sa voix flotter en suspension. Elles se partagent le chant, tantôt c’est Glenn (qui se fait aussi appeler Billy Creature), tantôt c’est Lena (qui se fait aussi appeler Kairos). Sous sa casquette, le petite Glenn Michael Van Dyke joue pas mal sur les ambiguïtés et t’as intérêt à vérifier les choses pour éviter de raconter des conneries. 

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              Bon, leur début de set est problématique, comme il l’est généralement avec les groupes qu’on découvre, parce qu’on ne sait rien d’eux. Si on arrive avec les oreilles fraîches et zéro info, il faut un petit temps d’acclimatation. Le temps de rentrer dans leur jeu. Le temps que ça clique. Et on est content quand ça clique, car il arrive que ça ne clique pas. Soit tu t’ennuies, soit c’est pas bon, et tu montes au bar siffler ta Jupi. Cette fois, ça clique. T’es vraiment content d’être là et de partager ce moment avec la petite faune habituelle. Il reste une poignée de gens vraiment intéressants en Normandie et c’est là que tu les croises. On a tous en commun cette curiosité passionnée pour l’underground. On a tous envie de voir ces groupes inconnus exploser. On a tous envie de mettre le grappin sur l’album le plus fabuleux de l’underground le plus ténébreux. C’est presque une obsession. Et chaque fois, tu vois un groupe sorti de nulle part taper le Grand Jeu pour une assistance minimale, c’est-à-dire la poignée de gens intéressants. Alors forcément ça t’en bouche un coin. Au fil des cuts, les Kairos montent bien leur Club-out en neige et ça finit par culminer. Quoi de plus sexy que de voir un groupe inconnu culminer ?   

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             Alors culminons. L’album KCC luit d’un éclat rouge au cœur du merch des ténèbres. Tu y retrouves le point culminant du set, «Deleuzean». Lena y pose bien les bases de son univers. Te voilà en plein Bloody Valentine, ça sonne comme un hit et ça prend vite de l’ampleur. Elles sont encore très anglaises avec «Good Company», pur éther poppy poppah, et «Exile». La Luz rôde dans cette pop qui se veut américaine et qui ne l’est pas, et là t’as la Glenn qui part en wild solo de wah. En A, leur «Doom Funk» part d’un bon sentiment et prend sa petite vitesse de croisière groovytale. La belle pop de «Strangers» vise le frais-comme-un-gardon, même en mode shoegaze. Elle passe en force, mais non sans grâce. Et puis t’as l’excellent cut du mec à la basse, «Self Portrait». Il sait placer sa voix et faire l’imposition. Ça tient debout. T’as là un joli shoot de pop-rock. C’est la Glenn qui boucle l’affaire avec un «UK Club» instro qu’elle tape au bassmatic. Elle y fait un fantastique numéro de bassmataz.

    Signé : Cazengler, Craignos Creature Club

    Kairos Creature Club. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 mai 2025

    Concert Braincrushing

    Kairos Creature Club. KCC. Greenaway Records 2024

     

    Wizards & True Stars

     - Massacre à la ronronneuse

     (Part Four)

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             Le génie d’Anton Newcombe se trouve dans les albums. T’as une belle palanquée d’albums, donc une belle palanquée de coups de génie. Anton passe sa vie à composer. Pour le suivre, il faut des moyens. Ses albums sont tous très beaux. Ces gros vinyles coûtent la peau des fesses. Pour ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens d’entrer de plain-pied dans l’œuvre d’Anton Newcombe, le plus simple est d’écouter cette fabuleuse rétrospective, Tepid Peppermint Wonderland, parue en 2004 et récemment rééditée. Anton y sort des cuts de tous ses albums, ce qui permet de voyager avec lui à travers les époques et de constater une chose : il reste en permanence dans le haut de gamme. Ce double album regorge d’énormités. «Who»

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    est un fantastique hommage druggy à Brian Jones, LE dandy du XXe siècle. On se régale du beat descendant de «Servo», une prophetic-song donavanesque, groove malsain de Californie, à la fois violent et enchanteur, la mort et le soleil, le doux rêve qui cajole l’horreur sanglante, pas de contraste plus dangereux. Il faut se souvenir que des tas de satanistes sont allés se faire dorer la pilule en Californie, devenant ainsi la honte du diable. Joel nous tambourine ce beau psycho-beat qu’est «If Love Is The Drug» dans une belle ambiance cauchemardesque chargée de fuzz distante et hantée par des voix de filles défoncées et des voix d’hommes émasculés. La force du collectif est de savoir monter en puissance. Salutaire et clinquant, «Straight Up And Down» claque aux accords du diable. Ça pue les drogues à dix kilomètres à la ronde. Cette psychedelia californienne se montre extravagante de puissance traversière, montée sur une mélodie hasardeuse digne des Stones, s’ils avaient osé aller jusque là. Nul doute que Brian Jones aurait osé. Alors Anton donne la main à son héros Brian Jones, la main dont il rêvait, et cette débauche psyché qu’il a incarnée avec tellement, oh tellement de flamboyance. Que tous les ennemis de Brian Jones aillent rôtir en enfer. Anton part en solo en l’honneur de son héros. «Anemone» s’installe dans le lent et le beau. On s’est grillé la cervelle, alors on a le temps de déconner et de laisser couler des accords pour jouer le groove de la ramasse. Voilà encore une pièce fabuleuse de décadence qui tombe vers l’avant - you should have picked me up - elle parle au ralenti, on est dans le break rouge d’un trip avancé, la raison échappe au regard, on ne sait plus où poser le pied, et c’est monstrueux de toxicité.

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             Le disk 2 est encore plus déterminant. Anton prend «That Girl Suicide» au chat perché puis ça part dans les impudeurs, avec des pointes de violence. C’est admirable de fourberie psychédélique. Anton a des idées fantastiques. Il redouble d’inspiration sauvage, avec un solo dégueulasse qui traverses les couches comme le ver la pomme. Heavy psyché avec «Evergreen», somptueux, emmêlé des crayons, rampé plus que rampant, signifiant le fin de l’élégance. Encore un hit fabuleux accroché à la gloire du quotidien avec «In My Life», plombé d’énormité et de riffs gluants. Rien qu’avec ça, il mérite sa couronne de superstar. Son rock est naturellement trashy. Il n’a pas besoin d’en rajouter. Avec «Mary Please», il s’amuse à sonner comme Oasis, dans le descendant et le druggy. C’est fabuleusement écroulé contre le mur, dément, lazy et pas pressé. Doucement. Quand on est défoncé, on y va doucement. Voilà ce que raconte la musique d’Anton Newcombe : le vertige sublime de la défonce. Comme Lou Reed, il en fait de l’art. Mais pas de l’art à la petite semaine. Puissance pure avec «Talk Action Shit», tambourin, sale garage, pur génie. Tout est là. Le rampage. Sourd et terrible. Il peut aussi sonner comme les Byrds si ça lui chante, et il le fait avec «This Is Why You Love Me» et on retombe sur l’un des hits du siècle, «Not If You Were The Last Dandy On Earth», la clameur - and you look good - suivie par une guitare aux abois, rien que la partie de guitare, c’est de la folie douloureuse, un rush d’héro dans le cerveau. Sur ce disk, tout est énorme, comme ce «Feel So Good», avec sa progression démente sur des violons, encore un hit psychédélique, encore une idée qui fait le moine. Anton Newcombe est un géant. Une voix ingénue sur prod sur une violonade à la «Walk On The Wild Side», et un solo suit comme un chien fidèle. Anton reprend la barre, aussi défoncé qu’elle. L’ambiance reste mortellement bonne, on s’habitue - I want to feel so good - à s’en faire péter la cervelle plutôt que la rate. Et puis arrive ce solo-chien malade de distorse. Et ça monte encore. Valencia rappelle que l’idée de Tepid Peppermint Wonderland était de capitaliser sur l’effet Dig!

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             Spacegirl & Other Favorites est le premier album du groupe sorti en 1995. Dès «Crushed», le premier morceau, on plonge dans l’heavy psychout. La caravane s’ébranle à travers les sables verts de Zabriskie, jusqu’à l’horizon où flotte le rond du soleil levant. Mystère des sables et puissance de la résonance, avec des lignes de basse errantes, magnificence crépusculée d’avance. Cette basse caoutchouteuse rôde comme une hyène, alors on l’observe avec l’air neutre qu’il faut toujours afficher, pour ne pas effrayer les hommes de la patrouille. Le souffle du Massacre est tellement puissant que le sable se ride en surface comme la peau d’une vieille pensionnaire de harem. Basse hyène de rêve dont la silhouette court sur l’horizon. On glisse assurément vers les lointaines régions de non-retour. C’est sur cet album que ce trouve «That Girl Suicide», monté comme un standard des Byrds, avec cette même insistance du son sacré. «When I Was Yesterday» est un autre groove à la Masssacre, amené doucement et versé dans des lacs tièdes, en amont des fourches caudines, là où nul humain n’est encore jamais allé, là où la perception atteint les limites de la transversalité, là où l’embellissement devient purement latéral. Mal dégrossi, Spacegirl ne fera que préparer le terrain pour Methodrone. D’ailleurs, ces deux chefs-d’œuvre de space-rock doom que sont «That Suicide Girl» et «Crushed» profiteront des deux voyages.  

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             Methodrone sort dans la foulée. Dès «Wisdom», on assiste à une belle montée en masse des accords sur le front de l’Est. Voilà encore un groove d’une rare puissance. Greg Shaw devait être ravi d’entendre ça. Valencia avoue qu’il est tombé sous le charme du BJM grâce à «She’s Gone» - Ça groove, ça secoue, ça voyage et ça s’entend à l’infini - C’est vrai, le BJM développe un fantastique sens du groove psychédélique qui n’est pas sans rappeler celui des 13th Floor. Pièce de groove éléphantesque, «She’s Gone» commence par traverser les jardins et puis devinez ce qui se passe ensuite ? «She’s Gone» entre dans le magasin de porcelaine, mais comme ce cut est raffiné, il ne casse rien. Il se glisse comme un chat entre les neurones de porcelaine. Anton baptise l’album Methodrone en l’honneur de Peter Kember, c’est-à-dire Sonic Boom, qu’il rencontre en studio à l’époque, ‘Peter, son jar de methadone and his drone band’. Sur le même album se trouve «Hyperventilation» qu’Anton voulait titrer «Iggy Pop Sonic Boom», avec un son qui dit-il est celui de «1969» à vitesse réduite. C’est du pur Spacemen 3, un groove méchant et sournois. Anton chante ça l’œil mauvais, il geint comme un voyou pasolinien qui prépare un mauvais coup, et puis ça explose. Des éclairs zèbrent le background du morceau. Notez enfin que Graham Bonnar de Swervedriver bat le beurre sur cet album. 

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             En 1996 paraissent trois albums : Their Satanic Majesties Second Request, Thank God For The Mental Illness et Take It From The Man. Anton met les bouchées doubles avec un Satanic Majesties rempli à ras bord de grooves infectueux. «All Around You» et «Cold On The Couch» groovent lentement et sûrement. On a là le vrai groove californien, bien huilé sous le soleil ardent et qui ne se nourrit que d’hallucinations. Les drogues sont bien meilleures sous le soleil exactement, comme chacun sait. Avec «Jesus», ils renouent avec le groove du Dandy, beau et dramatique, un peu hanté et légèrement ralenti. Avec un solo en note à note, Anton fabrique l’archétype de la drug-song parabolique, le politiquement druggy parfait. Doomé jusqu’à l’os et sonné au tambourin provençal, «Anemone» se niche sur cet album. Dans cette extraordinaire pièce d’à-propos, Anton veut demander quelque chose à sa copine, mais il ne se souvient plus quoi. Il essaye d’atteindre un objet de la main, mais il ne se souvient plus quel objet ni quelle main. Alors il écoute ce qu’elle dit, mais il ne sait pas de quoi elle parle. On est dans le groove de la vape. Anton raconte qu’il a fait venir un van rempli de gens drogués pour faire les chœurs d’«All Around You».

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             Quand on ouvre le gatefold de Take It From The Man, on tombe sur un petit texte d’Anton : il jure que le fantôme de Brian Jones est venu le trouver dans le studio pour lui demander de faire cet album. Brian lui a aussi demandé d’aller casser la gueule à Keef et à Mick parce qu’ils lui ont piqué son groupe, sa musique, sa fiancée et son blé. En prime, ils l’ont fait buter. Pour enregistrer cet album, Anton étudie les photos des Stones en studio. Il tente de reproduire leur technique de sonorisation des instruments. Il est obsédé par la magie des sixties. L’album est enregistré live. Quelle merveille psyché que ce «Who» rendu sauvage par des youihhh jetés en l’air, et doublé d’un riff incroyablement classieux ! Avec «Caress», on reste au centre du cercle des dolmens sacrés de la tradition écarlate du garage psyché, dans la quadrature du cercle magique Bomp. C’est d’une précieuse véracité. Le génie coule à flots dans les veines d’Anton Newcombe. Il passe au garage sévère avec le morceau titre. Il chante avec du venin plein la bouche et derrière, on entend des chœurs incroyablement défaits, des ouh-yeah incertains, posés au hasard des pulsions libidinales et ça continue pendant le solo d’harmo. Tout aussi garage mais plus ardu, «Monkey Puzzle» prend la gorge. Ils nous saupoudrent tout ça d’un son digne des Byrds. Album idéal pour les ceusses qui sont en manque de fascination. Valencia parle d’énergie atomique. Il compare même l’album au Raw Power des Stooges et aux early Beatles - That youthful hormonr-driven energy - Pour Joel, Take It From The Man est un ‘December’s Children nuts and bolts rhythm & blues sound’.

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             Et voici le troisième BJM de 1996, Thank God For The Mental Illness. C’est bien sûr Joel qu’on voit sur la pochette. L’album renferme un joli clin d’œil à Dylan avec un «13» digne de «Highway 61», bourré de gros gimmicks bloomiques à la sauce Newcombe. Voilà encore une énormité qui vaut le détour. Encore plus dylanesque, lancé à l’harmo des enfers, «Ballad Of Jim Jones» revisite par son épaisseur le mythe du folk-rock dylanesque. Avec ce son grandiose. Anton Newcombe renoue avec l’éclat des sixties compatissantes. Retour au heavy groove avec «Too Crazy To Care» : le regard embué, l’harmo dans la mélasse, le groove titube, il avance d’un pas hésitant en s’appuyant contre le mur. Pure druggy motion. Now next one, lance-t-il d’un ton sec. «Talk Action Shit» arrive. Avec cette jolie pièce de garage californien, violente et malsaine, Anton fait sa carne, alors que claque le tambourin. Anton shoote de la violence dans sa Stonesy. Que peut-on demander de plus au garage ? Rien. Juste sonner comme «Talk Action Shit». C’est pourtant pas compliqué. Thank God For The Mental Illness est d’autant plus admirable qu’on lit ceci sur la pochette : «Enregistré live le 11 juillet 1996 à la maison pour un coût total de 17,36 $. Pas de shit. Si vous n’appréciez pas, pas de pelle non plus pour ramasser le shit.» Anton Newcombe ne fournit pas la pelle à merde. C’est sa façon de vous dire d’aller vous faire cuire un œuf si vous n’aimez pas sa musique.

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             Give It Back parait l’année suivante et s’ouvre sur «Supersonic», un groove psyché de haut vol orientalisant. En s’inspirant des Byrds pour «This Is Why You Love Me», ils pondent un beau hit sixties joliment fileté à la mélodie et arpéggié en moderato cantabilisant. Ah l’excellence de la fragrance ! S’ils riffent si salement «Satellite», c’est pour en faire un coup de Jarnac malsain. Anton Newcombe s’ingénie en permanence à hanter les esprits. Il va là où ne vont pas les autres. C’est un tuteur d’aisance malodorante à la Maldoror. Pourquoi «Satellite» est un vrai hit pop sale ? Parce qu’il traîne des pieds. Et on retombe dans la magie du Last Dandy On Earth, le hit imparable amené à la hurlette de guitare, chanté à l’essoufflement, construit comme une lente montée inexorable qui finit par exploser en pah-pah-pah doublés de chœurs de Sioux - She’s like a sixties movie/ You know what I mean/ And you look so good/ And you look so wasted/ And baby I know why - S’ensuit un autre hit, «Servo», plus pop, dans l’esprit des plus grands hits californiens. On est en plein tournage de Dig! et Ondi Timor filme un Anton sûr de lui. Il sait qu’il a les hits, et il lance : «Move on over Dandy !», mais les Dandy Warhols ne parviendront jamais à ce niveau d’excellence.

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             Quand l’album Strung Out In Heaven est sorti en 1998, on faisait la fine bouche. La presse américaine en vantait les mérites, mais on trouvait l’album un peu mou du genou. Et pourtant, trois ou quatre bombes se nichent sur ce disque. «Going To Hell» est un gros hit psyché qui, bizarrement, ne figure pas sur la rétrospective. C’est un cut flamboyant remué par des explosions d’accords acides sous le soleil - I live in a dream but you’re living in hell - et ça enchaîne avec un solo en note à note, ça coule des cuisses, ça explose à l’horizon, c’est toujours du druggy rock conquérant sans concurrence. Belle intro à la note hurlante pour «Got My Eye On You», bien battu au beat, hommage aux diables dorés de Californie. Anton y va de bon cœur, son groove provoque toujours l’admiration et on entend un mec pianoter à l’envers. Vraiment dingue, comme si les flammes du brasier avaient des yeux bleus. «Love» est une bluesy love song lysergique à la Spiritualized avec un départ de fin de journée compliquée, poussif et lourd, ah non pas envie, péniblement poussé au beat et le morceau se remplit comme la baignoire de la mort. Et puis on a cette pièce de doom californien, «Wisdom», heavy en diable, l’autre hit de l’album, un rock qui descend en longueur et qu’Anton partage avec une fille. Alors ça devient sérieux, car elle amène de la sensualité psyché à cette affaire qui prend une ampleur fantasmagorique particulière. C’est claqué d’accords ralentis qui tombent tous les uns après les autres du haut de la falaise de marbre. Alors Anton reprend la main d’une voix ferme - but he said there’s no way - c’est puissant et dramatique - don’t you kill you - Effarant. Pour lui, c’est pas si compliqué d’effarer. Il pousse le bouchon, comme d’usage et il ramasse au passage toutes les brebis égarées. Sex drugs & rock’n’roll, baby. Dans le book de Valencia, Strung Out est peut-être l’album qui suscite le plus de commentaires. Comme il vient de signer sur TVT, Anton a du blé et sa conso d’héro augmente vertigineusement. La manager Dutcher transpire à grosse gouttes, car l’enregistrement de l’album financé par TVT n’avance pas. Valencia décrit le process laborieux. Les gens de TVT voient Strung Out comme un bon album, mais pas un hit album - It lacked the revved-up energy, attitude and big rock sound - Dutcher attribue cet échec à la pression qu’on mettait sur Anton à l’époque. TVT misait gros et la pression écrasa Anton.

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             Jim Jarmush apparaît sur la pochette de Bravery Repetition & Noise, paru en 2001. Comme Jarmush a choisi «Not The Last Dandy On Earth» pour figurer dans la Bande originale de Broken Flowers, Anton a voulu le remercier en choisissant cette photo pour la pochette de l’album. On y trouve le groove le plus druggy de la troisième dimension : «Open Eye Surgery». On voit rarement des grooves qui ont autant de mal à marcher droit. Celui-là titube. Son pas hésite. Il ne sait pas dans quelle direction aller. Le riff si adroitement joué semble lui aussi en décalage total. Mais le reste de l’album refuse obstinément d’avancer.

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             Pas mal de bonnes choses sur And This Is Our Music, paru en 2002, et notamment «Geezers» qui évoque les Stones de Satanic Majesties : même ambiance, mêmes bouquets de chœurs, tout nous renvoie à cet album maudit. L’ardeur groovy d’Anton Newcombe ne connaît pas de limites. «Here It Comes» est un balladif heavy et ralenti du bulbe. Anton va chercher ses frissons dans la gélatine du paradoxe. Le reste ne l’intéresse pas. C’est un égaré qui adore s’égarer. Une sorte de torpeur règne sur cet album et c’est pour cette raison qu’on le respecte et qu’on l’admire. C’est un pourvoyeur de non-lieux, un fabuleux diseur de non-aventure. «A New Low In Getting High» est digne de Buffalo Springfield. Bon beat, sévèrement embarqué, chant à la ramasse intestine. On retrouve la chaleur du californian hell. Voilà encore une petite merveille de groove dégingandé, parfaitement capable de sauver un album peu soigneux. 

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             Enregistré en Islande, My Bloody Underground commence mal. Anton demande qu’on lui apporte la tête de Paul McCartney. «Bring Me The Head Of Paul McCartney» est encore du psyché à la ramasse, bien pentu et très fumeux. Anton erre parmi les tournesols et les azurs marmoréens. Il coule une belle cascade psyché mirobolante. Retour à la mad psychedelia avec «Infinite Wisdom Tooth», allez les gars, tapez dans le pink du gras. C’est à la fois embarqué et embarquant. Jolie pièce de groove perturbé, avec une sorte de précipitation au niveau de la circulation sanguine, un vrai rush folâtre et brumâtre. On ne sait pas trop quoi penser. Tous les morceaux sont longs sur ce bloody disk, Anton est un mec qui a le temps. Pour lui, rien ne presse, il n’est pas comme les autres, ceux qui sont en prod. Notons au passage que le Mark Gardener de Ride joue sur l’album. Anton est fan du «Drive Blind» de Ride. On trouve aussi sur cet album une belle pièce de piano chopinée et étalée dans le temps : «We Are The Niagara Of The World». Anton tient ses fans par la barbichette. Pour les filles, on ne sait pas par quoi il les tient. Psyché toujours avec «Who Cares Why», vraie apologie des drogues et de la druggy motion, pas loin de l’exotisme hypnotique, bande-son du bon vieux trip, on la reconnaît dès les premières mesures. On entend son cœur battre. Le trip reste certainement l’expérience la plus insolite qu’on puisse faire dans une vie. God comme on adorait ça. La cervelle est faite pour la surchauffe et pour la chimie. Elle s’y prête bien. Anton a tout compris. Garage violent et grosse basse effervescente dans «Golden Frost», monstrueux space-rock à décrocher la lune. Et retour insolent à la Mad Psychedelia avec «Just Like Kicking Jesus», pièce extravagante et énorme, verte et mauve, à la ramasse de la mélasse, univers d’absorption, drug-song évanescente qui te coule dans le cerveau comme la speed-dance des dieux, une mer de bénédiction esquintée au LSD, probablement la plus belle drug-song de tous les temps. Plus la peine de prendre un acide, il suffit juste d’écouter ce cut pour partir au diable Vauvert en compagnie d’Anton le diable vert. Vraiment digne de Spiritualized. Et puis quoi encore ? «Monkey Powder», co-écrit avec Mark Gardener, nouvel univers, invitation au voyage en calèche à travers les Carpathes psychédéliques sous un ciel rouge de sang. Cet album signe le retour aux sources du BJM. Music first, songs later.

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             Paru en 2010, Who Killed Sgt. Pepper? est le premier album berlinois d’Anton. Il s’ouvre sur un tempo jive de zone B bien allumé qui s’appelle «Tempo 116.7 (reaching for dangerous levels of sobriety)», dans l’ambiance d’un studio abandonné des dieux. Pire encore, «Hunger Hnifur» semble chanté depuis le fond du studio. On ne sait pas trop qui joue sur cet album et on s’en fout éperdument. Le bon Samaritain Valencia nous apprend toutefois que Will Carruthers donne un petit coup de main spacemanien sur un «Let’s Go Fucking Mental» qui stagne dans les mêmes eaux que «Hunger Hnifur» : cet heavy jamming met un temps fou à gagner la surface. Anton va chercher des grooves druggy toujours plus exceptionnels. Au moins, il ne fait pas semblant. Let’s go fucking mental, la la la. Et puis on tombe sur «This Is The First Of Your Last Warnings», une espèce de druggy groove arabisant de la médina de la soute du souk à la dérive des derviches dessoudés. On assiste à l’arrivée de grosses notes de basse soutenues par des claquages d’accords acoustiques - eh oh - De la même manière que Jim Dickinson avec les Trashed Romeos, Anton Newcombe sait faire monter une grosse note de basse au moment opportun. On peut aussi qualifier «Super Fucked» de groove hypnotique à la ramasse de la rascasse. Anton chante ça de cette voix pâteuse qu’on dit idéale pour célébrer l’immanence de la décadence. 

             Même s’il est désormais installé à Berlin, le BJM continue de tourner dans le monde entier. Tous les gigs sont sold-out. Mais en 2011, il doit se faire interner suite à un violent épisode schizophrénique. Deux mois d’internement à St Joseph. Il ressort de l’hosto soigné et le crâne rasé. C’est là qu’il décide de se calmer. Il est mentalement et physiquement rincé.

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             Le deuxième album berlinois s’appelle Aufheben et paraît deux ans plus tard. Il choisit ce mot allemand signifiant à la fois détruire et préserver pour en faire un concept philosophique : la société doit détruire pour se construire, et donc se préserver, et il cite l’Allemagne en exemple. Au plan musical, il continue le travail de sape commencé depuis bientôt vingt ans : orientalisme groovitant («Panic In Babylon»), groove de machine à la noix de coco («Gaz Hilarant»), et groove Massacre pur avec «I Want To Hold Your Hand». Anton ne se casse pas la tête. Il groove, comme il sait si bien le faire. On reste en terrain de connaissance. Pas de surprise. Il nous refait le coup du vieux groove détaché du rivage qui part doucement à la dérive, monté sur le même vieux plan d’échappée et chanté à la voix mal réveillée d’une descente de trip. Il opère aussi un beau retour à la Stonesy avec «Stairway To The Party In The Universe» : on y entend poindre le thème de «Paint It Black», mais d’une manière fabuleusement subtile. Pas de gros sabots chez Anton Newcombe. C’est là où il se distingue. Il suggère. Dans «Seven Kinds Of Wonderful», on entend chanter des femmes de l’Irak antique. Quelle étonnante foison d’exotisme psyché ! Le joli groove de «Waking Up To Hand Grenades» se met en route pour le bonheur des petits et des plus grands. Il semble qu’Anton Newcombe soit entré dans un univers de rêveries hermétiques dignes de Paracelse.

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             Revelation sort en 2014, sous une pochette ornée d’un joli photo-montage psychédélique. Encore un double album. Anton ne lésine pas. Il veut que ses fans aient des beaux objets dans les pattes, alors il fait travailler des artisans sérieux. Sur ce nouvel album, on trouve pas mal de bonnes choses, et notamment «What You Isn’t», bien poundé, bien marqué en termes de territoire. Anton nous fait le coup de la pop qui prend son l’envol. Alors attention. C’est un hit. Un de plus. Oh, il n’est plus à ça près. On entend rôder une belle ligne de basse. Elle descend et elle remonte. On appelle ça une bassline de rêve. On entend les mêmes chez Baby Woodrose ou The Bevis Frond. Un hasard ? Mais non, il n’y a pas de hasard, Balthazar. Tous ces gens-là sont passés maîtres dans l’art de faire du bon psyché et des disques parfaits. Rien à voir avec les Black Angels et autres pompeurs de 13th Floor Elevators. Anton Newcombe vit le rock psyché de l’intérieur depuis plus de vingt ans, et après autant de bons disques, il n’a vraiment plus rien à prouver. La seule chose qui l’intéresse, hormis Brian Jones, c’est l’art suprême du groove. C’est ce que montre cette grosse basse lourde qui voyage dans le fond du cut. Bien sûr, il faut en plus un thème musical lancinant, comme c’est ici le cas. Ce groove est tellement bien foutu qu’on souhaiterait qu’il se déroule à l’infini et qu’il ne s’arrête jamais. «Memory Camp» est aussi une pièce de groove à la ramasse de la rascasse. Anton travaille ses beaux thèmes au doigt. Il gratte ses notes de bas en haut, contrairement à ce que font tous les autres guitaristes, qui grattent du haut vers le bas. Il est passé maître dans l’art d’inverser. Il continue d’explorer les arcanes de l’âtre suprême, celui qui ronfle en la demeure, avec des pointes de pâleur dans l’éclat des flammes. Ce Grand Œuvre psyché-philosophal n’appartient qu’à lui. Il est le maître des châteaux d’Espagne, riche comme mille Crésus et perclus de magies indolentes. Il revient au dandysme pour «Fool For Clouds». C’est de bonne guerre. Quand on dispose d’un si beau thème, autant en profiter et l’utiliser dans d’autres variations. Et puis il conclut son affaire avec un nouveau clin d’œil magistral aux Stones : «Goodbye (Buterfly)». Anton Newcombe manie une fois de plus l’excellence avec brio. Pendant que ses copains envoient les chœurs de «Sympathy For The Devil», il envisage de mourir, mais il risque de continuer à vivre pour l’éternité, comme son cousin Dracula. Son adieu aux armes est d’une classe terrifiante.  

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             En 2016, le BJM entre en studio pour des sessions qui vont donner deux albums, Third World Pyramid et Don’t Get Lost. Une véritable merveille de groove psyché se niche sur Pyramid : «Governement Beard». Back to the big sound, baby, le jingle jangle californien atrocement bien foutu, monté sur le sempiternel drive de basse. Tout l’art d’Anton est de savoir faire sonner un cut sixties aujourd’hui, et ça marche, bien au-delà des expectitudes. Et ça continue avec l’heavy grooves de «Don’t Get Lost», puis celui d’«Assigment Song Sequence». Druggy foggy motion. Encore un album de rêve ! En B, on tombe sur «Oh Brother», un instro groovy doucettement doucéreux et plutôt envoûtant. On apprécie pleinement cette compagnie. Anton Newcombe dégage tellement d’épaisseur humaine ! Une fille fait sa Hope Sandoval sur le morceau titre, petite merveille de groove d’anticipation fictionnelle. «The Sun Ship» referme la marche en sonnant comme le White Satin des Moody Blues, sans doute à cause de la flûte. Vieux relent d’ambiance familière. Comme c’est curieux...

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             On pourrait discourir à l’infinie de l’incontinence des critiques : dans l’un de ces fameux canards de rock, un critique avisé s’autorise à démolir le nouvel album d’Anton Newcome, Don’t Get Lost, sous prétexte de non-renouvellement ou d’on ne sait quoi. On a presque envie de dire à ce malheureux : «Tiens mon gars, voilà une guitare, montre-nous ce que tu sais faire.» Ce genre de mec est dangereux, car certains lecteurs n’achèteront pas l’album et passeront à côté d’un classique. Le pire dans cette histoire, c’est que ce nouvel album du BJM est fabuleux. Quand on suit Anton Newcombe à la trace depuis l’époque Bomp!, on s’épate de le voir encore capable de créer de la magie psychout. Tiens, d’ailleurs, il démarre ce double album avec «Open Minds Now Close», un groove atmosphérique impérial, monté sur le typical BJM beat. Le BJM renoue avec l’inconsolable méprise d’assise majeure. Et ça continue avec «Melody’s Actuel Echo Chamber», monté sur un beat du même acabeat. Wow the bass vibrations ! Paracelse Newcombe a percé tous les secrets de l’alchimie du son, alors bienvenue au paradis ! On connaissait le Keith Hudson Dub. Il faut désormais compter avec l’Anton Newcombe Dub, baby. Il finit cette face chargée avec «Resist Much Obey Little». Anton Newcombe crée l’événement en permanence. Il tape encore une fois dans le registre d’une belle pop hypno. L’heavy «Groove Is In The Heart» ouvre la B des anges. Une fille rejoint l’Anton qui se fend d’un solo déboîté du cartilage. Il passe au groove suspensif pour «One Slow Breath». Il navigue dans les eaux d’un «Murder Mystery» de type Velvet, mais rongé de résonances de bassmatic. Comme ce disque est fascinant ! Tiens, il termine sa B avec «Throbbing Gristle» et opère un superbe retour à l’hypno. Anton Newcombe reste le grand maître du groove. On sent des relents de Satanic Majestic planer dans ce cut, quelque chose d’implacable et d’ancien, au sens lovecraftien du terme, des rumeurs qui remontent comme des remugles d’antiques canalisations. Quelle puissance ténébreuse ! Anton serait-il un démon échappé d’un bréviaire ? Oh attendez, ce n’est pas fini ! Voilà qu’en C, il remet son bassmatic en avant du mix dans «Fact 67». Le sorcier du son se met à l’œuvre. Son cut est rempli à ras bord de good vibes. Et en D, il passe au groove urbain avec «Geldenes Heaz Menz», mais pas n’importe quel groove urbain : il se paye le luxe d’une ambiance à la Bernard Hermann, avec un taxi jaune qui glisse dans la nuit berlinoise. Fabuleux clin d’œil ! Même avec un brin de techno, ça passe comme une lettre à la poste. La preuve ? «Acid 2 Me is No Worse Than War». Anton Newcombe est un chef de meute, une rock star fondamentale, il ramène même l’Orient des portes d’Orion dans son orbite groovytale. Il passe à l’heavy rock pour «Nothing New To Trash Like You». C’est aussi sérieux qu’un hit, car monté à l’hypno et réhaussé au psychout. Anton Newcombe reste l’un des plus grands explorateurs d’univers soniques de notre époque.

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             Something Else paraît en 2018. Pour rien au monde, on ne voudrait rater un cut aussi parfait qu’«Hold That Thought». Ce qui frappe le plus, c’est la spectaculaire épaisseur du son. Anton Newcombe chante à la traînasserie de la Reine Pédauque, son cut sonne comme une évidence, c’est un hit, monté sur l’ultra-présence du bassmatic. Autre cut de bassman : «Skin & Bones». Anton joue des figures psychédéliques en surface, mais diable comme la basse gronde bien en dessous. C’est même une imprescriptible sarabande de miséricordes graves. Génie à l’état le plus pur ! On voit de nos yeux horrifiés la basse dévorer le son vivant. Il fait aussi sonner son «Animal Wisdom» comme du jingle-jangle monté sur un heavy groove délibéré. On retrouve ici cette capiteuse essence de psychedelia californienne à laquelle les premiers albums du BJM nous accoutumèrent. Anton insuffle sa vieille énergie dans «Psychic Lips» et libère un fantastique brouet de figures libres à la surface du pudding. L’Anton excelle de bout en bout, il se fond en permanence dans une fantastique résurgence. En B, on tombe sur l’excellent «Fragmentation» qu’il chante avec un détachement scandaleux, il ne fait aucun effort pour plaire, il s’éloigne toujours plus des contingences. Il termine cet album profondément jonestownien avec un «Silent Dream» qui sonne exactement comme l’«All Tomorrows’ Parties» du Velvet. Glacial, même ambiance, même mélodie, même sorcellerie. Sans doute ne l’a-t-il pas fait exprès. Exprès ou pas exprès, ça n’a strictement aucune importance.

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             2019 voit paraître un album titré The Brian Jonestown Massacre. Album magique ! Dès «Drained», on reconnaît le son à l’ancienne du BJM, cette belle basse dans le mix, juste sous la surface. C’est tout de suite de l’heavy stuff, car ça sonne comme un groove prédestiné. Le rock d’Anton Newcombe a toujours eu une dimension tragique, très littéraire, une profondeur de champ que n’ont pas forcément les autres groovers. Il joue dans l’état profond du son. Il joue dans l’épaisseur de la coalition. On reste dans l’heavy stuff psychédélique à la Newcombe avec «My Mind Is Filled With Stuff». On a là un tempo lourd visité par le vent léger d’un solo de guitare éthéré. «Cannot Be Saved» s’enfonce encore dans l’heavyness psychologique. Anton Newcombe est sans doute l’un des derniers à pouvoir sonner ainsi. Avec «A Word», le groove vole si bas qu’il flatte les fondements de la morale. Anton Newcombe est devenu un shaman berlinois. En B, il profite de ce long balladif qu’est «We Never Had A Chance» pour passer un beau solo à l’éthérée, parfaitement libre dans le ciel mauve de sa jeunesse enfuie. «Remember Me This» nous renvoie directement aux premiers albums du BJM. Même son bien tendu et bien dense, admirable cohérence de la prestance. Anton est à la fête et le psyché aussi. On a là tout le son dont on peut rêver, à la fois moderne et ancien. Il termine avec un «What Can I Say» qui se situe dans la veine des heavy grooves de l’Anton d’antan, à la fois calibré, balancé et solide, taillé pour l’éternité, chanté à l’extrême plaintive de vétéran de toutes les guerres salutaires. Wow !

    Signé : Cazengler, Newcon tout court

    Brian Jonestown Massacre. Spacegirl & Other Favorites. Candy Floss 1995

    Brian Jonestown Massacre. Methodrone. Bomp 1995    

    Brian Jonestown Massacre. Their Satanic Majesties Second Request. Tangible 1996

    Brian Jonestown Massacre. Take It From The Man. Bomp 1996

    Brian Jonestown Massacre. Thank God For Mental Illness. Bomp 1997

    Brian Jonestown Massacre. Give It Back. Bomp 1997

    Brian Jonestown Massacre. Strung Out In Heaven. TVT Records 1998

    Brian Jonestown Massacre. Bravery Repetition & Noise. Commettee To Keep Music Evil 2001

    Brian Jonestown Massacre. And This Is Our Music. Tee Pee Records 2002

    Brian Jonestown Massacre. My Bloody Underground. A Records 2007

    Brian Jonestown Massacre. Who Killed Sgt. Pepper? A Records 2010

    Brian Jonestown Massacre. Aufheben. A Records 2012

    Brian Jonestown Massacre. Revelation. A Records 2014

    Brian Jonestown Massacre. Tepid Peppermint Wonderland : A Retrospective. Tee Pee Records 2004

    Brian Jonestown Massacre. Third World Pyramyd. A Records 2016

    Brian Jonestown Massacre. Don’t Get Lost. A Records 2017

    Brian Jonestown Massacre. Something Else. A Records 2018

    Brian Jonestown Massacre. The Brian Jonestown Massacre. A Records 2019

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    Jesse Valencia. Keep Music Evil. The Brian Jonestown Massacre Story. Jawbone Press 2019

     

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             Un morceau inédit de Thumos. Qui nécessite quelques explications. Thumos défend la cause animale. Il abandonne volontiers les droits d’un morceau pour soulager la souffrance animale. Il s’agit pour cette fois d’une compilation numérique de cinquante-deux morceaux de différents artistes à tonalités metalliques, concoctée par Fiadh Production, label New-Yorkais produit en l’honneur  de la Journée dédiée aux droits des animaux. L’intégralité des fonds récoltés seront versés au Fawns Fortress Animals Sanctuary situé dans le New Jersey. Refuge qui recueille les chiens de grande taille qui ont besoin d’abri et de bien-être.

             Le morceau de Thumos intitulé Charmides se trouve donc sur la compilation From The Plough… To The Stars.

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             Le quatre juillet 2025 sortira le prochain CD de Thumos intitulé The Trial de Socrates. La date n’est pas choisie au hasard. Le quatre juillet 2022, Thumos avait fait paraîtra The Curse of Empire, réflexion musicale sur la naissance et la chute des empires tout en remarquant que le futur de Etats-Unis qui se profilait à l’horizon les inquiétait quelque peu. L’intention de cette date symbolique de la parution de The Trial de Socrates (Le procès de Socrates) nous semble s’inscrire dans une même crainte quant à la trajectoire politique adoptée par leur pays.

             The Trial de Socrates, nous le chroniquerons lors de sa parution, est composé de seize titres, qui sont autant de titres de dialogues de Platon. Charmides est une piste ‘’ unrealeased’’ issue des sessions d’enregistrement de ce Procès de Socrate. Très logiquement le lecteur aura reconnu que Charmides est aussi le titre d’un dialogue de Platon.

             Ce n’est peut-être pas un hasard si ce dialogue a été écarté de la sélection finale de l’œuvre de Thumos. Les deux CD remplis à ras-bord ne pouvaient peut-être pas accueillir une piste de plus. Si ce fut le cas la question reste entière : pourquoi est-ce spécialement ce dialogue qui a été omis et pas un autre…

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    Le Charmide est une œuvre de jeunesse de Platon, notre philosophe n’avait pas encore acquis sa merveilleuse maturité. Toutefois l’on conçoit qu’un dialogue qui tente de répondre à la question qu’est-ce que la sagesse ? ait pu être utilisé par Thumos comme élément  en faveur de Socrate pour cette espèce de contre-procès posthume par lequel le groupe tente de laver des accusations portées contre le maître de Platon.

    Toutefois le procès intenté contre Socrate n’est pas un procès philosophique ou pour employer un terme davantage moderne un procès purement idéologique. C’est avant tout un procès politique, pour être plus précis : de vengeance politique.

    Charmide et son oncle Critias sont les principaux interlocuteurs qui répondent au questionnement de Socrate. Or la mère de Platon est la sœur de Charmide et la cousine de Critias. Charmide est donc l’oncle de Platon mais aussi le neveu de Critias (2) auquel il est apparenté par son grand-père qui s’appelait aussi Critias(1)

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    Critias

    Charmide, Critias, et Platon auront à des époques diverses été élèves de Socrate. Pour leur part Charmide et Critias feront aussi partie des trente     tyrans qui durant deux ans exerceront ce que pour faire vite nous appellerons une tyrannie au cours de laquelle ils décideront de détenir les rênes du pouvoir en ne  reculant devant aucune condamnation à mort et diverses exactions… Le parti démocrate ennemi des aristocrates accuseront Socrate d’avoir corrompu la jeunesse, surtout celle de Critias et de Charmide… Tous deux finiront par être tués lors d’une rixe entre rivaux politiques…

    Que dans son dialogue Platon fasse demander  par l’entremise de Socrate à Charmide puis à Critias de définir la sagesse, est pour lui une manière de démontrer que Socrate enseignait la sagesse à ses élèves, et d’un autre côté que malgré leurs passifs politiques Critias et Charmide n’étaient pas insensibles au problème de la sagesse qui selon Socrate consiste à savoir séparer le bien et le mal…

    Le problème, c’est que dans ce dialogue Charmide et Critias ne répondent pas par des inepties à Socrate et que sur la fin Socrate gagne la partie en utilisant des thèses avancées par ses deux interlocuteurs qu’il avait en premier temps juger nulles et non advenues. Le sage Socrate se comporte comme un vulgaire sophiste !

    Peut-être touchons-nous là à la raison pour laquelle Thumos n’a pas retenu leur évocation du Charmides de Platon.

    Charmides : Difficile de commenter ce morceau sans avoir entendu le reste de l’album afin de le situer dans la ligne d’avancée circonstancielle de l’album. L’impact sonore, cette ouverture battériale suscite l’idée de quelque chose de grave. Il est sûr que de s’interroger sur la nature de la sagesse induit le désir que cette réflexion aide à définir notre comportement, en d’autres termes selon nous-mêmes certes, mais surtout vis-à-vis des autres, de l’entière collectivité humaine que constitue la Cité. En sous-main est posée une question cruciale : comment gouverner la République d’une manière sage. L’enjeu est de taille car l’Etat doit agir selon le juste. Il semble que le riff initial ne progresse pas. Il avance, mais c’est comme s’il se perdait dans la propre répétition de sa recherche. Peu d’anicroches, aucune anfractuosité dialectique, au contraire à l’orée de son troisième tiers le morceau semble s’éterniser dans l’inanité non plus d’une parturience en acte mais dans une conversation un tantinet oiseuse qui ne progresse pas. La fin est brutale, comme si Socrate clôturait au plus vite, ayant compris que le dialogue est mal parti, mal abouti, et que parfois lorsque l’on est sur une mauvaise piste il est préférable d’arrêter les frais. Inutile d’accoucher d’un enfant mort-né. Un coup pour rien.

    Damie Chad.

     

    *

    Je l’avoue, c’est plus fort que moi, j’aime les tordus. Ce n’est peut-être pas plus grave qu’on ne le pense, mais soyons francs, peut-être êtes-vous porteurs de tares beaucoup plus profondes que les miennes. Non, ce n’est pas sûr, coupons la poire en deux, ça se discute. Mais le titre de cet album avec ses ‘’ torn roots’ m’a poussé à ma pencher sur ce cas qui m’a paru tout de même assez tourmenté. Je n’ai pas été déçu.

    BROKEN BRANCHES AND TORN ROOTS

    LOATHFINDER

    ( Gods ov War Productions / 30 - 05 - 2025)

    Taisent sur Bandcamp leur pays d’origine. En farfouillant sur leur FB vous découvrez sans trop de peine qu’ils sont polonais. Je ne sais pas pourquoi – en fait je le sais mais ne donnerai aucune explication à cette attirance – je tombe souvent sur des groupes originaires de Pologne.

    Je n’ai lu le titre qu’après avoir été happé par la pochette. L’artwork de Mirella Jaworska m’a interpellé. J’ai senti une artiste. Jeune encore, vingt-quatre ans et déjà un style que j’ai situé entre les icônes russes et Balthus.  La forte troublance de ses nus relève d’une peinture que je qualifierais de métaphysique. Le nom de Balthus évoque immédiatement Rainer Maria Rilke - suivez la piste des Lettres françaises à Merline de 1919 à 2922. Dans ses portraits Mirella Jaworska vise la transcription non pas du sujet représenté mais la survenue de la personne en tant que masque d’elle-même, Une œuvre qui se livre par les interstices séparatifs invisibles qui unit la présence à une autre réalité. Je ne vous renvoie pas à son Instagram, recueillez-vous et inclinez-vous.

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    A première vue, j’ai pensé à la dernière scène de 2001 Odyssée de l’Espace, la cohabitation entre le fœtus et la mort, entre l’origine et l’accomplissement.

    Pour les noms, le groupe, se cache derrière des chiffres. Sortez votre règle à calcul et engagez-vous dans la résolution de cette étrange non-équation afin de rentrer en adéquation avec vous-même.  Selon une transcription numérologique. Cela va de soi.

    XVIII :  vocals & lyrics  / IX : guitars / XI : Bass  / XIX / Drums.

    Grey Pilmigrage : Etrange morceau. D’ailleurs est-ce vraiment un morceau Ne serait-ce pas plutôt une profération. Certes il y a de la musique, grinceuse et grinçante, mais il est nécessaire de ne pas la considérer comme de la musique mais comme un accompagnement. C’est rugueux comme des pieds-nus qui se confrontent aux cailloux tranchants du chemin. Le titre ne nous l’indique-t-il pas, n’est-ce pas un pèlerinage, en route vers la chapelle périlleuse. Mais pourquoi celui-ci serait-il gris. Les pénitents ne portent pas ce costume médiéval. Ce sont leurs âmes qui sont grises. La scène se passe à notre époque. Ils le précisent, dans le présent immédiat, la chute de tous nos idéaux, la tiède pâleur de nos imaginations, nous sommes déjà loin de la valeur que l’on donnait à toutes choses, le vocal se transforme en ultime grognement de groin de cochon qui fouille en vain la terre à la recherche de la moindre nourriture, nous sommes à la fin, inutile de presser le pas, il est temps de reconnaître que nous sommes au bout de l’impasse. Peut-être faudrait opérer cette espèce de hara-kiri dorsal comme sur la pochette. Constat glacial. Cul-de-sac de notre

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    humanité. Difference : oui c’est différent, à la marche lourde et impavide succède une tornade, normal, acculés comme nous le sommes nous devons trouver une issue. Ne s’agit de jeter des plans sur le programme d’une prochaine humanité. Le dernier recours, la seule exit qui se présente est celle de notre humanité. Une métamorphose alchimique à l’intérieur de notre corps. Trouver la tangente, aspirer à cette spirale opérative qui nous permettra de ne plus être nous, de déboucher en un autre état d’être. Ne visons pas les étoiles imaginatives, soyons charnel, de plus en plus charnel, il suffit de s’insinuer en soi, d’exercer de violentes pressions ou de subtiles exactions, trouver un chemin entre nos organes, entre nos tissus, œuvrer dans l’infiniment petit, ce n'est pas notre petite personne que nous devons quitter, nous ne devons pas muer comme les serpents, abandonner une vieille peau pour une toute neuve, mais devenir serpents, que l’espèce humaine devienne une espèce animale, tel est notre but, une fois que nous serons un animal nous nous accouplerons et nous nous reproduirons comme des bêtes. Peel it of me : changer n’empêche pas de penser, il faut d’abord gérer le mouvement, ce n’est pas facile, le chant solitaire se multiplie, vitesse maximale, il faut marcher au pas de course, tous ensemble, tous ensemble, à la réflexion changeons-nous vraiment, la chair animale n’est-elle pas voisine de celle de l’animal humain, cette proximale consanguinité, n’entraîne-t-elle pas un même comportement qui se résoudra par l’arrivée en un nouveau cul-de-sac, faut-il continuer ce processus hautement mutilatoire quand on y pense, urgence ! urgence ! le vocal s’enflamme, la musique se déchaîne, ne sommes-nous pas enfermés dans une nouvelle folie qui n’est que de la commune démence humaine. Quand nous serons tous des bêtes deviendrons-nous les prédateurs que nous avons toujours été, ou serons-nous victimes de prédateurs supérieurs… Le doute destructeur s’empare de mon esprit. Les valeurs dont tu te réclames ont-elles un jour rapporté quelque chose, ne t’ont-elles pas jeté dans l’impasse dont tu essaies de t’extirper sans savoir à quoi tu t’engages… la mort ne sera-t-elle pas au bout de chemin, pareillement à ton état antérieur. Dead dogs : musique terreuse inéluctable, hurlements, confrontation avec la mort qui n’est autre que nous-mêmes, que nous soyons humain ou animal. Et si j’étais un chien comment agirais-je, mordrais-je la main du maître comme je peux mordre mon semblable ou ma femelle. Que serait ma chair de chien. Quel serait mon désir de chien. Serait-il inhumain. Ressentirais-je seulement mon désir de chien. Ne me manquerait-il pas le souffle canin. Pire encore, que feront ceux qui ne parviendront pas à se transformer en chien, ne donneraient-ils pas la chasse à tous les chiens. Est-ce pour cela qu’il y a tant de chiens morts autour de moi, ou alors peut-être que les hommes transformés en chiens ne peuvent vivre, étouffés de l’intérieur dans ce corps de chien qu’ils habitent mais dans lequel ils ne peuvent insuffler l’âme originelle de l’animal qu’ils sont devenus mais qu’ils ne sont pas, car originellement ce sont des hommes. Above the water : quelques grincements, le tourment sonore revient-il dans ma tête, il tourne dans ma caboche de cabot comme une fronde qui ne lâche pas son caillou. Il suffit de passer la ligne. Marx ne dit-il pas que l’homme a connu le goût de la pomme en la goûtant, n’est-ce point pareil, personne, aucune bête, ne connaîtra le goût du sang humain tant qu’elle n’aura pas mordu l’homme. Mais si je mords l’homme, ne suis-je pas en train de mordre le maître que j’étais, quel charivari dans ma tête d’homme ou de chien, je ne sais plus, compressage neuronal maximal, démesure de la folie et exaltation de la morsure de ce sang chaud que je bois avec avidité, ne me suis-je pas accompli charnellement en goûtant à cette transsubstantiation canine. Avez-vous déjà entendu un vocal qui ressemble tant aux aboiements d’une meute de chiens. Flies know first : bourdonnements monstrueux, les mouches sont dépositaires de la connaissance ultime, ne sont-elles les premières à se poser, amplitude de l’essaim des guitares, sur les cadavres, elles connaissent la fin de l’histoire tellement évidente qu’il n’est nul besoin de savoir le début, puisqu’elles ont toutes la même fin. L’homme se croit le supérieur inconnu, il n’est qu’un handicapé de la chaîne animale, sa carcasse est vouée à devenir le trône des mouches. Ne sont-elles pas au plus près de sa chair. Davantage que n’importe quelle femelle, ne pondent-elles pas leurs yeux à l’intérieur de sa peau, ne sont-elles pas les pourvoyeuses des larves qui le dévoreront, qu’ils soient simples chiens ou humains supérieurs ! La roue des existences tourne mais elle revient et s’arrête au même point. Moment d’alanguissement, de découragement, il n’est pas d’autre solution, pas de troisième voie entre la mort d’un chien ou la vie d’un homme. Ou vice-versa. Vous comprenez maintenant pourquoi après le constat d’une telle ultimité le vocal devient d’une violence extrême. En toute vanité. Broken branches and torn roots : accords tordus, exprès pour vous faire comprendre que vous arrivez au bout de chemin, non vous n’êtes pas encore morts, mais cela viendra. Inutile de chercher à vous déguiser en chien ou en autre chose pour échapper à votre sort funeste. Le vocal ne hurle pas, il est grave, c’est celui de l’acceptation, au cas où vous ne comprendriez pas, il commence à vous crier dessus, est-ce pour couvrir votre angoisse ou la sienne, peu importe, la situation est pourrie, elle ressemble à un arbre aux branches brisées dont on aurait arraché les racines, contente-toi de ce que tu as, de ce corps qui s’offre à toi et qui se pâme de toi comme toi tu te t’apothéoses dans cette chair complice. Ne cherche pas ailleurs. Que trouveras-tu de plus ? Rien de plus.

             Une réflexion métaphysique originale. L’on y reconnaît tout de même tout un soubassement biblique à la différence près que Dieu n’est pas prévu au programme. Les textes sont aussi beaux que la musique est violente.

             Une réussite. Sans commune mesure.

    Damie Chad.

     

    *

             Certains achètent des disques sur listes. Parmi eux, les plus enragés flashent sur le nom des groupes. Ainsi quand ils repèrent la mention  2Sisters leur esprit fantasmatique se met en branle. Ils se voient déjà entre Emina et Zibeddé dans Le Manuscrit Trouvé à Saragosse de Jean Potocki. Ecrivain polonais né en 1762, mort en 1815. Ils arrachent le paquet des mains du facteur, déchirent l’enveloppe et poussent un terrible cri d’insatisfaction, sur la couverture du disque, il n’y a pas deux filles, mais un homme et une fille. La moitié de leur rêve se brise. Illico ils envisagent-de mettre fin à leur existence en se tirant une balle de pistolet dans la tête.

             Heureusement avant de presser la détente ils jettent un coup d’œil de mépris sur ce couple inattendu et abhorré. In extremis un sourire se dessine sur leurs lèvres. Car que fomente notre tandem d’amoureux, certes un individu de sexe féminin et l’autre de sexe, hélas, masculin, mais détail d’importance il appert qu’ils sont en train de partager une tasse de café. Du coup ils ne ressentent plus d’animosité envers la pochette de l’album. 

             Lecteurs n’en déduisez pas trop vite qu’eux aussi aiment le café. Non, ils pensent seulement qu’ils ont failli commettre un geste éminemment Potockiste. Jean Potocki a passé la dernière année de sa vie à limer soigneusement le bouchon supérieur du couvercle de sa cafetière métallique, des historiens assurent qu’il s’agissait d’une théière, qu’il a pris soin de délicatement séparer du reste de l’ustensile. Au bout d’une longue année de travail assidu, ayant jugé que la bille parfaite qu’il avait obtenue pouvait parfaitement glisser dans le canon de son pistolet. Il s’est froidement tiré un coup de pistolet dans la cervelle.

             Je vous ai raconté cette histoire pour vous prévenir qu’un semblable coup de foudre démantibulera votre propre cerveau si vous vous apprêtez à écouter :

    SHE LIKES MONSTERS

    TWO SISTERS

    (M&O Music / Cd : 01 / 2025Vinyl : 05 / 2025)

             Donc la couve. Un peu Tea for Two. Et plus si affinité. Dans le style glamour années cinquante. La photo prend tout son sens quand on écoute le disque, toute la différence entre l’image policée extérieure et la bestialité qui rugit au fond de l’être humain.

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    Marchand Sébastien : basse / Miquel Nicolas : guitar / Azzam Charbel  : drums / Chazeau André : chant.

    Go ! Go ! : go!ûtez les trois premières secondes, si vous aimez les histoires de petite princesse parce qu’après c’est parti, ils envoient la purée dans la passoire de vos oreilles, les guitares déferlent, la batterie casse la baraque, et le vocal matraque, ensuite ils vous font le coup, pas du tout doux, ils s’amusent à s’arrêter brutalement, ce qui a l’air d’énerver le Chazz au chant, du coup les autres remettent le couvert, et vous assistez à l’écroulement de la Tour de Pise du côté par où elle penchait, la fin est superbe. Ces quatre gars maîtrisent l’énergie punk. Mais ce n’est pas fini. Vous avez la suite des aventures de la petite princesse. Death : tiens un nouveau disque de Presley, moi qui croyais qu’il était death, c’est dif de le croire, d’ailleurs ça dégénère en rockabilly déjanté, un psychobilly débilitant qui vous pousse à marcher sur le plafond de la salle-à-manger, non de Zeus à quoi qu’ils jouent, ils maîtrisent aussi le bon good old rock’n’roll. Normal il n’est jamais mort. She likes monsters : je ne sais si c’est vraiment la petite princesse du début qui aime les monstres, par contre le morceau en lui-même est carrément monstrueux, c’est à cause du dégel du permafrost, le fantôme du rock’n’roll des années 70 assoiffé et dégoulinant  de sang  reprend son œuvre destructrice des valeurs nauséabondes du vieux monde. Your song : je ne voudrais pas dire mais le Charbel n’arrête pas de foutre le bordel depuis le début, carrément insupportable, manie ses baguettes sur les drums comme s’il s’amusait à esclaffer des agrumes avec des grumes  de séquoias, à toutes fins utiles je signale que la fin du morceau est totalement dévastatrice, remarquez c’est une de leurs habitudes, vous déposent toujours une bombe atomique à la place de la cerise sur le gâteau. Ce chacal de Chazeau est particulièrement dangereux, chaque fois qu’il ouvre la bouche il allume un incendie. Quant à la guitare de Micky elle part à vrille, toujours au moment où on ne l’attend pas, genre je descends les pentes de l’Annapurna en skate. Bref, cette song est pour les rockers. Ske’s on hell of a lover :

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    Dessin : Sylvain Cnudde

    on retrouve notre princesse en galante compagnie, si vous ne comprenez pas, le Chazz vous commente le film à haute voix, le Micky vous mousse une escapade guitarite gratuite, on ne lui demandait rien et il vous sert le dessert d’une fulgurance soloïque. Vous croyez que vous allez vous en tirer sans trop de mal, pas de chance, c’est Seb, celui qui depuis le début vous fait ses coups basse en douce qui vous déboule une espèce de reptation épileptique qui vous pétrifie sur place. Hélas Charbel remet une pièce dans le jukebox et Charbel éructe comme une chamelle qui baraque. Shake Shake : au début vous vous dites, ils se reposent, ils vous refilent un truc comme il y en a toujours un bien-planplan-la-balance-monotone  dans tous les bons disques de rock’n’roll. Ben non, ces gars sont des inventifs, z’ont de l’imagination à revendre, c’est pour cela qu’ils vous signent un shake, en blanc et en couleur.  Toutes les dix secondes ils vous pondent patatrac un œuf de pâque. Mais où vont-ils dénicher leurs inventions. Burn : là vous hésitez, vous compulsez les encyclopédies, chaud brûlant dans vos neurones, quels sont les pourcentages exacts des ingrédients de ce tumulte, oui c’est du rock ‘n’roll, mais c’est tout autant du rhythm’n’blues. En tout cas un mix drôlement bien foutu. Les lecteurs sont assez grands pour décider par eux-mêmes. Moi j’écoute. Ce Burn vous file les burnes. Hammer : avec un tel titre vous vous attendez à un festival batterial, certes mais aucun des quatre ne veut laisser l’autre tirer les marrons du feu, prenons de la hauteur, ils jouent bien, mais ce n’est pas ce qui fait leur originalité. Si j’étais dans un groupe, je serais jaloux, je séquencerais les morceaux puis je scruterais comment ils agencent leurs séquences, comment les plans se suivent et ne se ressemblent jamais, mais le pire c’est qu’ils s’assemblent à merveille. Frunk bop a lula : attention les gars, chez Kr’tnt ! on est des fans de Gene Vincent, ils tapent dans l’alternatif, le frunk est-il du punk de traviole, retrouvent l’esprit de Dactylo Rock des Chaussettes Noires, z’ont tout compris, ou alors c’est l’instinct qui les guide. Ils s’en tirent comme des chefs… d’œuvre. That’s the way : au début je pensais qu’ils étaient partis pour un instrumental, mais quand on a un bon chanteur autant le faire bosser, de toutes les façons ils ont l’art et la manière. Les rayonnages de la bibliothèque sont remplis de bibelots. Une véritable ménagerie de verre. Made in Tennessee. Clinquant et incassable. They feel all rigth. Nous aussi. Walker : dernier morceau. Ils se lâchent. Les précédents stagnaient au-dessus de deux minutes. Ils doublent la mise. Ne pariez pas, ils sont les maîtres de la banque. Vous allez perdre. Ecoutez plutôt les pas qui s’éloignent et se perdent dans la nuit noire du rock’n’roll. N’oubliez pas le retour.

             Exceptionnel.

     

    *

             Je n’ai pas pu résister. Je comptais continuer avec des images. Mais j’ai trop parlé dans le précédent épisode des enregistrements de Gene Vincent recherchés et retrouvés par David Dennard pour ne pas les réécouter. Attention ce qui suit est FOR FANS ONLY !

    THE LOST DALLAS SESSIONS

    GENE  VINCENT

    AND HIS BLUE CAPS

    1957 - 58

    (Legends Of Big ‘’D’’ Jamboree  Series)

    (Roller Coaster Record1998)

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    My love : (In Love again) : une véritable démo. Gene seul, sans doute est-ce lui-même qui s’accompagne à  l’acoustique. La voix est d’une pureté infinie, l’on en oublie le diddley beat qui sera nettement plus marqué sur la version enregistrée à la Capitol Tower le 16 octobre 1958 et sera publiée sur le 33 tours Sounds like Gene Vincent qui paraîtra le 6 juin 1959. Gene chantonne plus qu’il ne chante, un magnifique petit bijou, une ciselure. Le morceau est de Grady Owens. (Voir plus bas). Hey Mama : (featuring Ronnie Dawson à la guitare : démo du même jour. Sorti en single en 1958

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    et en Angleterre le 11 novembre 1958 couplé avec Be Bop boogie boy. Ecoute un peu frustrante, rien  voir avec la version enregistrée chez Capitol, le 16 octobre 1958 il manque la force percussive et peut-être le savoir-faire de Ken Nelson. Ken Cobb est à la basse et Micky Williams à la batterie. Cette maquette est pratiquement décevante car il manque les célèbres oh ! oh !  oh ! improvisé de abrupto par Gene lors  de la session. L’air de rien le S glissant et propulsif de Say Mama qui remplacera le H aspirant et retenant de Hey Mama, c’est toute la différence d’un capot de deux-chevaux et le dessin de l’avant d’une Alpine Renault, pour rester dans des marques

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    Ed McLemore

    françaises. Lonesome boy : (Company Recording Studio de Dallas Sellers – Dallas. Texas ) : enregistré en septembre 58 sous la houlette d’ Ed McLemore, le patron, avec Johnny Meeks à la lead, Clifton Simmons qui se taille la part du lion sur ce morceau, Grady Owens à la basse et Clyde Pennington à la batterie. Le morceau sera publié pour la première fois sur le 33 Tours Gene Vincent Crazy Beat, sorti en mars 1963 en Angleterre et en France. Mais pas aux USA… Cette fois nous préférons cette version. Plus roots, plus épurée et pourtant porteuse d’une indicible tristesse. En 1963, le rock américain perd du terrain, quoique enregistré aux States cet album d’une indéniable qualité arrondit on ignore par quel miracle quelque peu les angles. In my dream : (Studio Version, ou plutôt en une chambre d’hôtel le 7 mai 1957 in Dallas) :

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    le morceau est de  Bernice Bedwell. Gene est avec Johnny Meeks, Dickie Harrel , Tommy Facenda et Paul Peek. La même équipe augmentée de Bobby Lee Jones à  la basse le 20 juin 1957 le mettra en boîte à la Capitol Tower. Il paraîtra sur l’album Gene Vincent Rocks ! And the Blue Caps Roll. Les deux versions, le slow plattersien par excellence qui tue, sont similaires. Je préférons la Capitol. Lotta lovin’ : (Studio version) : un des grands succès de Gene que l’on ne présente pas. Même lieu et même équipe que le précédent, toujours de Bernice Bedwell qui le recommandera à Ken Nelson. Un truc pas facile à chanter qui demande une super mise en place, pas étonnant qu’ils s’y reprennent à deux fois. Une véritable outtake ! Sortira en single couplé avec Wear my ring en juillet 1957. Lady Bug : même topo que pour les précédents… à part que le morceau dormira longtemps dans les tiroirs. Peut-être un peu trop de cymbales, reprise chez Capitol cette Lady un peu mieux équilibrée et parachevée aurait donné un très bon morceau. The night is so lonely (Version 1) / The night is so lonely (Version 2) : le titre enregistré le 14 octobre 1958 mais ne fut proposé à la vente en single, couplé avec Right now qu’en juin 1959.  Clifton Simmons

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    (Clifton Simmons debout au piano

    qui se défend très bien sur le morceau précédent a co-signé celui-ci avec Gene Vincent. Faut aimer ce style de ballade très lente, totalement dénudée. Perso je les surnomme le blues des white trash peoples. Attention si surdose : risque de suicide ; La deuxième prise ici proposée nous semble un peu trop maniérée, et un tantinet geignarde. Blue Jean Bop : (Live 58) : ce morceau et les trois suivants sont enregistrés live  au Big ‘’ D’’ Jamboree, je pense que le set est donné en intégralité, le jeu consistant à faire passer un maximum d’artistes en un minimum de temps, le public ne doit pas avoir le temps de s’ennuyer ou de se révolter si par hasard le chanteur ne lui plaisait pas. Pour Gene pas de de problème, il est présenté comme le chanteur rockabilly N° 1, il dégosille et dégobille son rock’n’roll à toute vitesse pour

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    Gene & Jerry Lou

    enchaîner sur Whole lotta shakin’ goin’ on : (live 58) : Gene et Jerry Lee s’appréciaient, le cat des villes et le rat des champs ont passé des nuitées particulièrement arrosées, Gene a gardé dans ses lives pratiquement jusqu’à la fin ce standard de Jerry Lou, sa structure permet de relancer l’ambiance à volonté, Gene se lance à plusieurs reprises dans des accélérations triumphiques, manière de survolter la foule qui n’en a pas besoin. Sans doute est-ce  Clifton Simmons au piano, il n’essaie pas de rivaliser avec Lewis, joue à la manière de Little Richard un doigt enfoncé à plusieurs reprises sur une touche. Dance to the bop : ( live 58) : est-ce cette même prestation dont nous avons vu les images muettes dans notre chronique de la semaine précédente mais agrémentée d’une bande sonore, il y a de fortes chances toutefois dans cette version-ci la batterie nous semble bien plus lourde comme si elle voulait s’adjuger tout l’espace, ce qui ne se renouvelle pas dans Lotta lovin’ : (live 58) : le morceau est bien parti, il clôturera en d’aussi parfaites condition… malheureusement le disc-jockey blablate tout fort sur l’entre deux long comme un désert sans fin…In my dreams : (home version) : ce morceau et les trois suivants sont enregistrés au 5921 Sherry Lane dans l’appartement qu’occupait Gene. Tom Fleeger qui cherche à récupérer les droits d’édition des morceaux dirige les opérations. Cette fois Gene entonne la macadam à pleine voix, il laisse les autres loin derrière, ce n’est pas souvent que l’on entend Gene chanter comme tout le monde à plein gosier, Facenda et Peek ne claquottent pas trop fort et Dickie ne s’emballe pas, le patron sort son bel canto, doucement les mouettes ! Lotta Lovin : (home version) : c’est lotta lov-in-vain, les clappers et Dickie sont à l’œuvre, mais devront tous s’y reprendre à deux fois avant que le robinet de bain moussant remplisse la baignoire sans se tromper. Nervous : (home version) : sont tous partis ne reste que Gene et Meeks.  Ils essaient un nouveau morceau, Gene nous réserve une nouvelle surprise, la prend à la Elvis, évidemment il se plante, alors que le titre aurait été parfait pour lui. Au finish c’est Gene Summers qui en héritera. On my mind : (home version) : Gene toujours

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    avec Meeks ne sait plus quoi inventer. Il ne chante plus, il siffle. En tout bien tout honneur. Pourquoi n’insistera-t-il pas ? Peut-être parce qu’il a compris que son sifflement ne possède aucun grain, aucune tessiture qui le distinguerait de tous les autres. Who’s pushing your swing ? :  (Darrell Glenn). Gene a aussi interprété ce titre d’Artie Shaw qui l’avait composé pour son fils Darrell Glenn. La version de Darrell ici proposée n’est pas mauvaise, s’en sort très bien

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    Darrell Glenn

    malgré sa voix un peu trop country, la voix plus coupante de Vincent agrémentée du saxo ténor de Jackie Kelso  du sax  baryton de Plas Johnson donne à ce morceau un petit côté jazz non négligeable. Il paraîtra en janvier 1960 couplé avec Over the Rainbow. Né en 1935 Darrell mourra en 1990. Son nom reste lié à Crying in the Chapel composé par son père, reprise par Elvis Presley. Git it  / Somebody help me / (Bob Kelly) : ce morceau et le suivant sont parus en septembre 1959 sur l’album A gene Vincent record Date. Eddie Cochran non-crédité a participé à ces

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    enregistrements. Tous deux écrits et ici chantés par leur auteur : Bob Kelly. Disc-jokey, compositeur, interprète Bob Kelly se débrouille comme un chef. Les deux versions de Gene sont, disons très proches de Kelly, mais décisives ;  I don’t feel like

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    rockin’ tonight : Grady Owens débarque pratiquement du jour au lendemain chez les Blue Caps pour remplacer au pied levé Paul Peek. L’amalgame se fera, Grady peut occuper pratiquement tous les postes. En plus d’In love again il signera aussi Lovely Rita et I love you pour Gene. Il continuera sa carrière accompagnant par exemple Johnny Carroll. Je ne me lèverai pas la nuit pour écouter ce morceau. Vous lui préfèrerez de beaucoup son 36 From Dallas. Lotta lovin’ : il s’agirait de la démo de présentation qui aurait été présentée à Gene. En tout cas Norton Johnson ne lui a pas présenté un produit sous-vitaminé, mais Gene en a fait autre chose : sa chose à lui.

    Damie Chad.

    Avec les précieux concours de Gene Vincent Dieu du rock’n’roll de Jean-William Thoury et de Gene Vincent : The story behind his songs de Thierry Liesenfeld.

    A suivre.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 259 : KR'TNT ! 379 : KIM SALMON / BOSS GOODMAN / ROCKET BUCKET / HIGH ON WHEELS / STONED VOID / NO HIT MAKERS / 2SISTERS / BRAIN EATERS / KRONIK & KO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 379

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 06 / 2018

    KIM SALMON / BOSS GOODMAN

    ROCKET BUCKET / HIGH ON WHEELS / STONED VOID

    NO HIT MAKERS / 2SISTERS / BRAIN EATERS

    KRONIK & KO

     

    Kim est Salmon bon -
Part Three

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    Kim Salmon ressemble de plus en plus à Pierre Richard, surtout depuis qu’il s’est dessiné des saumons dans le dos et sur le devant de sa veste. Des saumons couronnés, en plus. C’est dire l’ampleur de sa fantaisie. Et comme chacun le sait, les fantaisistes font le sel de la terre. Mais Kim Salmon a l’avantage en plus d’être un fantaisiste scientifique, et fait donc en plus du sel le poivre de la terre. C’est dire si l’homme est complet. C’est dire si l’homme avance. L’inespéré de toute cette affaire est qu’il a reconstitué l’équipe scientifique des origines, avec à sa gauche Tony Thewlis et à sa droite Boris Karloff. Et croyez-moi, ces trois scientifiques dégagent quelque chose de très spécial, un son issu d’albums qu’on tient pour sacrés et qu’ont depuis trente ans enseveli les sables du désert.

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    Croyez-vous qu’il soit difficile de déterrer un culte ? Non, rien n’est plus simple. Il suffit de remonter sur scène. C’est aussi bête que ça. Mais autant le faire avec du style, en choisissant par exemple un esquif arrimé au pied d’une grande bibliothèque. Les pèlerins viendront des régions les plus reculées pour communier sur l’autel d’un vieux culte ébouriffant. Chacun y trouvera sa dose de spiritualité scientifique, comme au bon vieux temps de l’âge d’or, quand on naviguait à vue dans les mirifiques sargasses de «Swampland», quand on se plongeait avec délice dans la marmite bouillonnante de «Blood Red River» et que les harangues saumonées doublées des violences relatives de l’absolu Thewlissien venaient nous télescoper l’occiput et en pénétrer la vulve. Il n’existait pas de limite au vice scientifique, cette espèce de rimbaldisation post-moderne qui ne se contentait pas de nous bouleverser les sens critiques, puisqu’on allait jusqu’à toucher au fruit défendu, c’est-à-dire prendre goût à l’inavouable. On atteignait un point où l’on croyait réellement rôtir en enfer et adorer ça. Prodigieusement visionnaire, Kim Salmon réussit à l’époque à situer les Scientists entre les Cramps et le Gun Club, directement au même niveau, celui des intouchables. Comme Lux et Jeffrey Lee Pierce, il le fit avec ce mélange d’aisance groovy et d’autorité sonique qui aujourd’hui encore laisse rêveur. Comme Lux et Jeffrey Lee, Kim Salmon détenait le power suprême : le son et les hits. Et quel son ! Et quels hits ! Le revoir claquer «Swampland» en ce début de XXIe siècle frise le surréalisme, mais pas celui du despote Breton, le vrai, celui de l’automatisme psychique de la pensée, celui du kid hanté par une certaine vision du rock, celui du kid en quête du Graal des temps modernes, le son. Kim Salmon cultivait exactement la même obsession que Phil Spector, que Shel Talmy, que Lux et Jeffrey Lee, que Jack Nitzsche, que Shadow Morton, le son. Il fut à la fois le Lancelot du Lac et le Gauvain des temps modernes, il traversa l’Angleterre et les océans en quête du Graal sonique et comme Lancelot et Gauvain, il s’épuisa à le chercher. Il fouilla les bois et les montagnes, les lacs et les gouffres. Il questionna les sorcières et tisonna des infidèles.

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    Mais l’objet de sa quête ne daignait pas paraître. Comme il ne le trouvait pas, alors, il prit la décision que prennent tous les bons scientifiques : il résolut de le fabriquer. C’est exactement ce qu’on entend quand on écoute «Swampland» : un Graal sonique fabriqué de toutes pièces. Mais l’animal ne s’est pas arrêté là. Comme il était en train de bricoler son Graal au fond de son petit laboratoire d’apprenti sorcier, il s’est dit : «Tiens, tant que j’y suis, je vais en profiter pour fabriquer une pierre philosophale, comme celle du pote Paracelse, vous savez, le fameux or des alchimistes !» Ça donne «Solid Gold Hell». Brillant cerveau. L’or des enfers. L’absolutisme scientifique par excellence. Et c’est aussi bien sûr le cœur du grand œuvre, c’est-à-dire la reformation des Scientists sur scène. L’exacte incarnation du four ronflant qu’enveloppe la légende des siècles. Rien de plus spectaculaire que de voir Boris Karloff jouer la bassline de «Solid Gold Hell» en glissé de note et en deux accords paralysés sur le manche comme le cerf dans les phares du 38 tonnes qui arrive à fond de train. C’est l’un des hauts faits du rock : bloquer le temps du Graal alors que le son flambe littéralement entre les mains de Tony Thewlis et de Kim Salmon. Boris Karloff joue ça penché sur son manche, avec un étrange sourire en coin, les yeux comme fixés dans le vide. Fabuleuses secondes d’intensité mythique. Ce qui fait l’importance considérable de l’art des Scientists, c’est sa rareté. Sa prodigieuse singularité. Le point de tous les ralliements.

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    Et on les voit enfiler leurs vieux hits comme des perles noires, celles dont a rêvé toute sa vie Henry de Monfreid sans jamais réussir à les pêcher. Il ne savait pas que Kim Salmon les fabriquait. Cet homme est aussi peu avare de prodiges qu’Elvis l’était de grâce naturelle. Mais il les serre dans le temps d’un court set, c’est-à-dire une heure de temporalité et une pincée de vieux albums, et forcément, les hommages qu’il rend sont encore moins nombreux que les cheveux sur la tête à Mathieu : le premier hommage s’adresse à John Barry dont il reprend «You Only Live Twice», ce vieux standard sulfureux jadis utilisé pour corser le mystère de James Bond, mais tombé dans les pattes d’un scientifique audacieux, ce monument délibéré prend des allures d’épidémie de peste, d’orgie sonique et de fléau béni des dieux antiques. C’est tellement rampant qu’on sent remuer dans l’air fétide la lourde peau squameuse d’un anaconda géant. C’est d’une épaisseur qui évoque dans l’esprit de tous ceux qui l’ont vécu le souvenir de la forêt amazonienne, saturée d’air chaud et humide, où ne peut exister que ce qui est organique, et où l’homme passe au dernier rang de la hiérarchie du vivant. Il rend aussi un hommage à Jacques Dutronc, avec une version amusante de «Mini Mini Mini» qu’il chante bien sûr dans un Français approximatif. Le choix est parlant. Taper dans Dutronc est une preuve de goût. Mais de goût pimpant. Richard Salmon balance ici et là des petites vannes qui nous rassurent sur son manque de sérieux.

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    Et puis bien sûr, tout va basculer dans le chaos divin avec «We Had Love», une sorte de signal que le petit peuple attendait pour entrer en insurrection. Pas de meilleur détonateur que ce vieux «We Had Love». Le cat Kim le jouait aussi quand il tournait en solo. On a là un hit aussi prestigieux que «Human Fly» ou «Sexbeat». Le genre de hit qui monte au cerveau dès les premières mesures et dont le refrain s’ouvre comme le sol sous les pieds lors d’un tremblement de terre. «We Had Love» nous engloutit tous d’un coup, sans mâcher, et ça va loin, puisqu’on ne fait rien pour échapper à ce délicieux destin de fin du monde, car enfin, existe-t-il meilleur moyen de tirer sa révérence ? Non, évidemment. Les Scientists nous font cette faveur, et en même temps, un voile de tristesse s’abat sur le petit peuple, car que peut-on espérer après ce «We Had Love» qui s’élève comme un sommet ? Kim Salmon a déjà enfilé toutes ses perles noires, et la messe semble dite. Va-t-on calmer sa faim avec les nouveautés qu’il annonce ici et là, comme le B-side de «Mini Mini Mini» qu’il enchaîne et qui s’appelle «Perpetual Motion» ? Ça manque un peu de magie pendant la première minute et puis tout à coup, ça prend feu, par quel miracle ? On ne sait pas, mais ça prend feu. Par contre, Kim Salmon et ses amis scientifiques reviennent jouer trois cuts en rappel qui ne laisseront pas beaucoup de souvenirs aux sables du désert.

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    Au fond, ce n’est pas si grave, il faut simplement se préparer à l’idée que l’album de la reformation des Scientists produira sur les organismes ébranlés par tant d’excès moins d’effets que Blood Red River ou The Human Jukebox dont on fit tant d’éloges dans le Part Two de cette saga salmonienne. Mais on reste convaincu que l’homme poisson n’en finira plus de nous donner la berlue, car il a déjà prouvé à cent reprises qu’il savait transformer le pain en vin et le plomb en organdi. Il lui arrive parfois de se mélanger les crayons, ce qui fait sa grandeur. Sur KRTNT, on ne tolérerait pas la présence d’un scientifique rationaliste. Quoi de plus ennuyeux ? Comme ses pairs, Kim Salmon remonte les fleuves en toute liberté et veille à éviter les griffes des ours et de tous ces empêcheurs de salmoner en rond qui transforment cette énergie et cette liberté en gros paquets de 24 tranches, ceux qu’on voit entassés dans les caisses réfrigérantes des grandes surfaces, au moment des fêtes, quand on croit bêtement qu’il faut bouffer du saumon pour célébrer la naissance du Christ ou le nouvel an.

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    Signé : Cazengler, Kim salmigondis

    Scientists. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 7 juin 2018

     

    Big Boss Goodman

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    Comme par hasard, c’est dans Vive Le Rock qu’on salue la mémoire de Boss Goodman. Au fond c’est normal qu’on ait rien vu en France, car si l’on excepte les fans des Pink Fairies, personne ne sait qui est Boss Goodman. Il existe une logique en toute chose, même dans l’ignorance.

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    Et comme par hasard, c’est Rich Deakin, l’auteur de Cosmic Boogie, qui signe cette pieuse eulogie. Boss Goodman n’est pas un personnage de premier plan comme le sont Mick Farren et les Fairies, mais il fait partie de cette famille légendaire de l’underground londonien. Si on le croise dans Cosmic Boogie, c’est en tant que road manager des Fairies. Il participe notamment à cette fameuse expédition de Boleskine House qui fit le bonheur d’un auteur de contes rock.

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    Boss avait plusieurs cordes à son arc : il bookait des concerts dans des clubs mythiques de Londres (Dingwalls et Town & Country Club) et cultiva un peu plus tard une réputation de chef cuistot - He loved his food - puisque dans les années 90, il cuisinait au Portobello Gold pour des personnalités de passage à Londres, comme par exemple Bill Clinton et son entourage.

    Boss était donc un bec fin et quand il programmait des gens au Dingwalls, il tapait dans la crème de la crème du gratin dauphinois : Etta James, Muddy Waters, Carol Grimes, et quand la vague punk américaine vint lécher le pied de la Tour de Londres en 1977, il fit jouer les Ramones.

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    Boss démarra sa carrière de rôle de second plan à Ladbroke Grove, West London, qui est la capitale de l’underground mondial. Boss s’y goinfrait d’amphétamines et de LSD et fit le roadie pour les Deviants qui allaient se métamorphoser en Pink Fairies. Dans son autobio, Mick Farren rend hommage à la stature de Boss qui sut gérer le chaos du groupe : «Boss had considerable experience of dealing with the derangeed.» En fait , Boss gardait la tête sur les épaules quand les autres la perdaient - Boss was the one to keep his head when we were losing ours - Dans ses mémoires, Mick Farren ne lésine pas sur les détails. Il décrit en long et en large l’énorme consommation de stupéfiants qui constituait le pain quotidien des Deviants, puis des Fairies. Vers la fin du livre, il narre l’épisode hilarant du protoxyde d’azote - nitrous-oxide - un gaz euphorisant utilisé notamment par certains dentistes. Boss revenait d’un voyage en Californie et disait avoir été initié au nitrous-oxide dans le backstage du Grateful Dead par des Hell’s Angels. Alors, Mick et ses copains allèrent barboter une bombonne de nitrous-oxide dans un hôpital. Ils transformèrent la bombonne en narghilé en scotchant une chambre à air de pneu de vélo sur la valve - Suck on the rubber and see the elephant - Il ne restait plus qu’à pomper dans le tuyau pour voir des éléphants. Mick ne tarit plus d’éloges sur le nitrous-oxide, flull-blown candy-land hallucinations & time distorsion. Il dit se souvenir d’avoir survolé ces plaines lumineuses et ces canyons multicolores qu’on trouve dans les aventures de Dan Dare/Flash Gordon - A joyous experience of total escape. Trip parfait.

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    Un autre épisode illustre la belle amitié qui lie Mick et Boss. Quand lors d’une tournée fatale au Canada, les Deviants virent Mick Farren sans préavis, celui-ci se retrouve seul, sans un rond, camé jusqu’à la racine des dents, à l’autre bout du monde. Qui vole à son secours ? Boss, bien sûr. Le chapitre s’appelle Weird Scenes on Chemical Row. Mick a erré toute la nuit dans les rues de Vancouver, tellement défoncé qu’il ne voit même plus ses pieds. Il s’assoit sur un banc face au Pacifique, et reste là des heures, jusqu’au moment où le froid le saisit. «Le seul endroit où je me sentais en sécurité était un bar de bikers et c’est là je crois que Boss m’a retrouvé. Il m’a fait manger du chocolat au lait, m’a emmené là où se trouvait mon sac et m’a fait prendre un taxi pour l’aéroport, dans la lumière d’une aube éblouissante - in a blazing psychedelic dawn - aussi orange que l’acide que je venais de prendre. The Flying Zombie was on Air Canada to Heathrow, via Montreal. Je ne voulais pas rentrer chez moi, car je n’étais pas sûr d’avoir un chez moi, but what else a poor boy do ?» - Fantastique auteur que ce vieux Farren, l’une des plus belles plumes rock’n’roll de tous les temps.

    C’est aussi Boss qui aide Mick à organiser le mythique Phun City Festival où jouèrent le MC5, less Pretties, Edgar Broughton Band, les Pink Fairies et Hawkwind - At Phun City the gear was perfect, Boss had seen to that - Certainement l’un des événements les plus importants de l’histoire du rock anglais.

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    Et c’est bien sûr en compagnie de Boss que Mick se rend à Los Angeles en 1978. Il est alors pigiste au NME et l’idée est de remonter en train de Californie jusqu’à Detroit pour rendre visite à Wayne Kramer qui est devenu un copain, depuis Phun City - The journey to Detroit commenced in the early evening with a bottle of tequila - Et comme les trains n’avancent pas vite aux États-Unis, Mick et Boss ont largement le temps de se piquer la ruche - The two of us fell into a stupor and it didn’t matter anyway - Le lendemain matin, dès l’aube, ils font passer leur gueule de bois avec des pancakes et des Bloody Marys. Quand ils arrivent enfin a Detroit, après un changement en gare de Chicago, ils apprennent que Wayne Kramer s’est fait choper par les stups pour trafic de coke. Il va se prendre deux piges dans la barbe. À sa sortie, Boss et Mick le font venir à Londres et organisent un concert en son honneur au Dingwalls.

    À la fin des années quatre-vingt, Boss vit sa conso de dope grossir considérablement et il entra dans une période que Deakin qualifie élégamment de something of a lost decade. On a tous connu ça, ces passages à vide qui durent dix ans, et sa double passion pour la musique et la bouffe finit par le ramener à la surface : chef au Portobello Gold et DJ au 100 Club, jusqu’à une première crise cardiaque en 2005. Et comme son état ne lui permettait plus de bosser, ses copains organisèrent un concert de soutien et firent paraître un disque, le tout destiné à l’aider financièrement.

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    Le disque, c’est Portobello Shuffle, bien sûr, une vraie bombe. Le monde entier aurait dû l’acheter. Ce sont les Pink Fairies qui ouvrent le bal avec une version effarante de «Do It». Paul Rudolph chante et les Pink Fairies avancent à travers les plaines en flammes ! C’est une version complètement dévastatrice et quand Paul part en solo, on atteint le summum du sonic trash boom hue-hue. Tout le son de Steve Jones vient directement de là. Effarants Fairies. L’un des meilleurs groupes qu’on ait pu voir sur scène dans les seventies. Mick Farren tape une version spectaculaire de «Baby Pink», accompagné par son vieux complice Andy Colquhoun et Philty Animal de Motörhead au beurre : tous ceux qui ont un faible pour l’essence de la puissance seront comblés. Mick Farren remet les pendules à l’heure avec l’autorité d’un roi de l’underground. Pur Ladbroke stuff. Comme tous les grands personnages de l’histoire, Mick Farren crée son monde. Rien qu’avec ce cut et le Dot It des Fairies, on frise l’overdose. Mais on continue, car ce disque grouille de huitièmes merveilles du monde, à commencer par le «Teenage Rebel» de Brian James & Rat Scabies. On retrouve ce grand seigneur de la guerre que fut Brian James, l’un des rois du London rock’n’roll, et Rat le suit comme il peut. On assiste à un incroyable spectacle : Brian James explose le cut en plein vol. Il est bel et bien le wild flash killer des légendes anciennes. Tout aussi légendaire, voilà Captain Sensible avec une version explosive de «Say You Love Me». Cet enfoiré l’explose dès l’intro, il le riffe par le fion, sans respect pour les muscles aléatoires. Capt capte les énergies du destroy oh boy comme personne. Il pulse le Portobello Shuffle au mépris de toutes les conventions médicales. Tiens, voilà Darryl Read, figure mythique de cette scène proto-punk, puisqu’il jouait avec Jesse Hector dans Helter Skelter. Il balance ici un joli «Somewhere To Go». Diable comme il peut compter aux yeux des connaisseurs ! Comme s’il jouait son vieux proto-punk à l’abri des regards indiscrets ! Étant donné qu’il sait exploser un cut, alors il l’explose. Il ne sait faire que ça dans la vie. Parmi les invités de marque, on retrouve Clark Hutchinson qui sont restés des figures légendaires dans le petit monde des amateurs de seventies sound. Nik Turner se joint aux Fairies pour un version longue et fascinante d’«Uncle Harry’s Last Freakout», un vraie débâcle digne du Detroit Sound, avec un mystérieux Mister B on guitar. C’est une fois de plus incendiaire et complètement irrespectueux des canards boiteux. Ça pulse à l’outrance de la persistance et le grand Nik Turner visite l’incendie à coups de porcelaine de saxe. Tout le son de l’underground se déverse dans l’escarcelle du non-retour. Nik souffle dans son sax de sexe en souvenir des tempêtes de Margate. Belle jam de hot spots in spurts. Ces mecs ont su rendre l’underground vraiment digne de nos facultés imaginaires. En écoutant Nik jouer, il semble qu’un fleuve charrie l’essence du rock, les vents de sax scient la scène et dans le son des Fairies tout devient possible, surtout l’inadmissible. On trouve aussi John Sinclair parmi les invités, accompagné par George Butler qui faisait le deuxième batteur des Fairies et qui lui aussi vient tout juste de casser sa pipe en bois. Adieu George ! John Perry des Only Ones et Adrian Shaw (qui jouait dans Hawkwind avant de rejoindre The Bevis Frond) font une reprise du fameux «Half Price Drinks» de Mick Farren. On note aussi la présence sur l’album de Wilco Johnson et de Wreckless Eric qui vient faire de la petite pop. Heureusement, Larry Wallis restaure le blason de l’underground avec un ultime hommage à Boss, «He’s The Boss» - He’s the boss all day and the boss all nite - Fidèle à lui-même, Larry fait le con avec des machines, brode des trucs sur sa Strato et s’amuse à s’arracher la glotte au sang. Bizarrement, deux gangs brillent par leur absence : les Pretties et l’Edgard Broughton Band.

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    Pour conclure sa pieuse eulogie, Rich Deakin se voit contraint de faire un tri dans l’énorme tas de qualités qui recouvraient Boss. Il se résout à en choisir trois : humour, générosité et loyauté. Et à sa connaissance, très peu de gens bénéficiaient d’autant de respect que Boss in the London music scene of the 1970s.

    Signé : Cazengler, boss Goodyear (crevé)

    Boss Goodman. Disparu le 22 mars 2018

    Portobello Shuffle. A Testimonial To Boss Goodman. Easy Action 2010

    Mick Farren. Give The Anarchist A Cigarette. Pimlico 2001

    Rich Deakin : Rock In Peace. Vive Le Rock #53. 2018

    14 / 06 / 2018MONTREUIL

    LA COMEDIA

    STONED VOID / HIGH ON WHEELS

    ROCKET BUCKET

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    Peu de monde ce soir à la Comedia. Je sais bien que le vendredi au petit matin la grosse majorité des gens travaillent – et ces enfoirés de cheminots qui ne vous fournissent que deux jours d'excuses par semaine pour votre patron, pourraient bloquer le pays totalement jusqu'aux vacances, non d'un train ! - de toutes les manières je ne crois pas que la valeur travail soit unanimement partagée par la clientèle de la Comédia, par contre l'annonce du concert sur le site de la Comedia, fallait effeuiller la marguerite des flyers pour la trouver. De toutes les façons la soirée était étiquetée stoner-rock, le rock du désert a tenu ses promesses, personne à l'horizon, et nous pépères à l'oasis montreuillois en train de boire des coups. Je puis en donner la preuve par neuf : trois groupes de trois musicien. CQFD.

    STONED VOID

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    Sont jeunes, et se revendiquent du Stoner. Je veux bien. N'ai rien contre. Surtout qu'ils sont sacrément bons. Mais alors du Stoner Prog – faut que je dépose l'appellation avant que quelqu'un ne me la fauche – car ils se donnent du mal pour s(t)onner comme ils l'entendent. Yavor est aux drums, et au vocal, son anglais a de drôles d'intonations mais il pourrait chanter tout aussi bien en swahili ou en serbo-croate, que cela ne ferait aucune différence, c'est que la voix n'est utilisée que comme une salamandre qui vient s'inclure dans la trame instrumentale, un quatrième instrument, qui apparaît rarement mais qui s'amalgame aux trois autres comme le cachet que l'on adjoint à la lettre, le cadenas par lequel on referme la ceinture de chasteté de sa copine. Leur musique est à eux, et ils la gardent bien serrée. Un cloaque profus, y barbotent dedans avec une énergie non feinte. Sabin bosse à la basse, c'est lui qui profile le son de base, ne se gêne pas pour vaquer à ses répétitions. Cent fois remettez le motif, cela finit par produire son effet. Surtout que ses deux acolytes enjolivent le bébé. Barboteuse de plomb et chaussons de fil de fer barbelé. Du costaud. Yavor cogne fort, ne comptez pas sur lui pour marquer le rythme, lui, l'est le partisan et de l'empilement et de l'effondrement. Vous monte des espèces de tour de Babel sonore à grands coups de toms, puis vous les écrase plus bas que terre, à coups de cymbales, des cascades à la Carl Off, donne l'impression qu'il aplanit le sol à toute blinde pour que personne ne remarque le cadavre qu'il vient d'enfouir. Le sable du désert est le matériel idéal pour ce genre d'activité. Câlin ne câline pas sa guitare. Elle bourdonne comme le bumble bee à qui vous venez d'arracher une aile et trois pattes. Une espèce de gloutonnement de fond. Et c'est là-dessus que ses mains prennent leur envol. Le chirurgien qui remue et trousse les tripes de son patient dans l'espoir de retrouver sa paire de ciseaux qu'il avait oubliée lors de la précédente opération. Manifeste qu'ils ont un compte à régler avec leurs instruments. Ces damnés ustensiles sont en train de se rendre compte qu'ils ne sont pas les maîtres, qu'ils ont trouvé plus forts qu'eux.

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    Un premier morceau qui stupéfie le public. Doigté karaté, le plus convaincant de tous. Après l'on attend le suivant avec impatience. Avec gourmandise. L'on a pigé que l'on ne s'ennuiera pas. Vont nous en décliner une petite dizaine, tous plus irradiants les uns que les autres. Une couleur que vous n'avez jamais entendue. Et que vous reverrez avec plaisir. Celui des esthètes qui préfèrent les sons inaccoutumés, les descentes d'organes et les remontées d'acide. Estoner-moi benoît !

    Un groupe à ne pas quitter du radar.

    HIGH ON WHEELS

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    On prend les mêmes et on recommence. Surtout qu'ils avaient prêté l'essentiel de leur matos aux précédents. Rassurez-vous, sauront se démarquer. Quelques années de plus. Moins de concentration, davantage de rapidité. A la masse sonore ils privilégient l'espace. La guitare de Bruno, se charge de rejeter au loin les murs de l'horizon. Fuite en avant et pas de retour en arrière. Grégoire pose les parpaings qui bloquent toute régression. Rabat le son, pousse ses camarades, les talonne à coups de boutoir, déjà qu'ils n'en ont pas besoin, la guitare qui filoche et la basse de Gilles qui ricoche comme la boule du billard qui précipite les autres dans le néant. High On Wheels le morceau éponyme qui roule pour lui met très vite le public d'accord. Acclamations.

    Des forcenés. Sans relâche. Sans repos. Ont tué les temps morts. Desert Spirit, Pray for Your Kills, la musique de plus en plus forte, de grands espaces de lave incandescente qui s'étalent comme des mers intérieures au fond des cratères, et puis le bouchon explose et High On Wheels entre en éruption. Until you Die, Nightmare, jusqu'au bout du cauchemar. Une monstruosité des plus agréables. Progression en extension. Plus ils déroulent le set, plus Bruno saccade ses peaux, frappe spasmodique, augmente la cadence, fractionne le continuum temps, afin d'en précipiter l'incommensurable monotonie des jours qui ne connaissent pas les tempêtes du désert. Gilles martyrise sa base de basse. La presse comme les citrons acides de Lawrence Durrell. En extrait le substantifique élixir des sentences ravageuses, poinçonne les cordes à croire qu'il voudrait les sectionner, pour mieux les étirer, vers des notes plus noires et plus profondes.

    Bruno joue une drôle d'escrime avec sa guitare. L'est pour le combat rapproché. La lame à mains nues. Notes borborygmes et strangulations glottiques. Vous donne l'impression que son instrument suffoque, qu'il éructe de trop de sons, que l'air lui manque, qu'il croasse pour ne pas rester coi, l'a des descentes de manche et de ces grattonnements de caisse à pleines paumes, à ramassis exacerbés de doigts tarentulesques en pattes d'araignées folles, à devenir épileptique, à préférer s'enterrer vivant plutôt que de survivre à de telles avalanches soniques qui vous aspirent à tout jamais dans les entonnoirs d'univers parallèles angoissants.

    High on Wheels vole haut. Nuées d'applaudissements. Tellement les oreilles qui résonnent de leur musique que j'ai oublié de mentionner le chant. Le perçois ce soir comme des chœurs froissés, sous-jacents, oratorios funèbres.

    Un groupe à ne pas quitter du sonar.

     

    ROCKET BUCKET

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    Changement d'ambiance. L'on quitte le désert. On doit avoir du sable dans les cheveux, car on ne nous laisse pas entrer dans l'appartement. Confinés au garage. Ce qui n'est pas pour nous déplaire. L'est rempli de hot-rods américains. Fonctionne à la moutarde de Dijon, les Rocket Bucket viennent en effet tout droit de la patrie d'Aloysius Bertrand.

    Rocket Bucket ne délivre pas un rock aussi torturé et trituré que les deux stonered précédents. Ne donnent pas dans la ratiocination métaphysique. Leur truc à eux, c'est tout simple, le bon rock qui tache. Genre fleur carnivore qui s'enroule mollement autour de votre mollet et qui brusquement vous engloutit dans sa monstrueuse corolle empoisonnée. Quand elle vous relâche après vous avoir pompé tout le sang, vous êtes addict, vous êtes en manque de cette vulve géante qui vous sucera jusqu'à la moelle des os.

    Je vous le ré-explique en moins lyrique pour ceux qui ne sont doués que d'esprit de géométrie et totalement dépourvu de l'esprit de finesse poétique. Les Rocket Bucket ne cachent pas leur modèle : les Ramones. Vous refilent le rock en barres. De chocolat. Vous vous en mettez plein les doigts et plein le T-shirt. Préfère ne pas évoquer les traces douteuses dans le slip.

    Le rock c'est simple. Pas besoin de torturer les guitares et les méninges. Morceaux pas trop longs, Guitare speedée et batterie galopante. Avec cette formule vous irez jusqu'au bout de la nuit et même jusqu'au bout du monde. C'est cela le rock : une allumette que l'on frotte et qui s'éteint. Et le bâton de dynamite qui vous éclate sur le museau et tout le monde est content et crie de joie. Les titres défilent à toute vitesse, Ghost, Rain, Black Hole, Too Much, Grow Old, Danny Boy, None...

    Terriblement efficaces. Bien en place. Rien qui dépasse. Vous lancent la torpille mais ne se déplacent pas après pour le constat de l'assurance. Ne passent pas l'aspirateur non plus pour la poussière soulevée par la roquette, estampillée Rocket Bucket. Tellement bons qu'ils auront droit à un rappel, ce qui ne se fait pas à la Comedia because les horaires des gens qui travaillent autour... Entre nous soi dit, feraient mieux de mettre davantage de rock'n'roll dans leurs existences. N'en seraient que plus heureux !

    Un petit godet de Rocket Bucket et vous voyez la vie en rose. Enfin, seulement les éléphants. Ce qui tombe bien puisque nous aimons les animaux, sauvages.

    Un groupe à ne pas quitter du pulsar.

    Damie Chad.

    16 / 06 / 2018MONTREUIL

    LA COMEDIA

    NO HIT MAKERS / 2SISTERS

    BRAIN EATERS

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    On ne change pas de resto qui offre une bonne bouffe. Retour à la Comedia. En plus ce soir, vous avez un stand de gourmandises africaines pour pas cher. Autant l'avant-veille c''était un peu zone désertique, autant ce soir le monde afflue, on se croirait sous un portique athénien dans l'heureux temps où Gorgias égrenait ses sophismes. Vous démontrait en trois minutes que le monde n'existe pas. L'avait parfaitement raison car tout le monde sait très bien que seul le rock'n'roll accède à l'Être. Et ce soir nous sommes gâtés, trois éruptions volcaniques au programmes, trois épisodes de peste bubonique comme l'Europe n'en a plus connu depuis la fin du Moyen-Âge. Trois calamités à faire reculer la banquise de dix kilomètres d'un seul coup. L'est sûr que le rock'n'roll est le principal agent pathogène qui précipite la hausse de la température sur notre planète. Les effets catastrophiques sur la psyché humaine sont déjà visibles, nous n'en prendrons que trois exemples : les transmutations génétiques des 2Sisters en quatre garçons velus, la résurgence des anciennes pratiques du cannibalisme rituel avec l'apparition de la confrérie mangeurs de cervelles, et peut-être pire que tout, cette proclamation programmatique des No Hit Makers à ne rien tenter pour faire progresser un tant soit peu, ne serait-ce que sur le plan musical, l'Humanité. En d'autres termes tous ces tristes individus refusent l'amélioration des processus culturels d'hominisation continue depuis le néolithique inférieur. Signes inquiétants d'une régression galopante de notre espèce vers le stade larvaire. Nous vivons les temps de la fin, et tout cela par la faute du rock'n'roll dont nous sommes nous-mêmes les agents propagateurs. Bref, vive le rock'n'roll !

    NO HIT MAKERS

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    Davantage psycho que rockabilly ce soir, totalement No Hit Makers, un set époustouflant. Déjà la balance promettait. Ce cliquettement de la contrebasse de Larbi, l'on aurait dit qu'il agitait une crécelle de lépreux pour prévenir du danger, cet envol solitaire de la Gretsch sèche, orange curaçao, à ouïe triangulaire d'Eric, ces poinçons provocateurs de Jérôme à la batterie, et ces effilés cordiques de Vincent sur sa 6120, paraissaient de bon augure. Mais là, sans préavis, ce fut une grande flamme. D'un seul souffle. Un incendie à dévaster la taïga de Sibérie.

    L'a la voix magique Eric, vous soulève, vous emporte, et derrière c'est la galopade effrénée. Vous scotchent du début à la fin, monopolisent l'attention, un combo fou en partance dans les grands vents. Tous ensemble ne forment plus qu'une identité électrique et lyrique d'une force incroyable, atteignent à une espèce de fuselage de beauté propulsive dévastatrice. Des enchanteurs – pourrissants précisait Apollinaire qui s'y connaissait en ces moments où l'instant semble se désolidariser de la réalité, où l'image va plus vite que le film, où vous devenez captifs des rets incendiaires de la poésie. Larbi ne lambine pas au turbin, penché sur sa contrebasse, le visage soucieux d'un mécanicien courbé sur les rouages de la machine à explorer le temps, l'est le grand régulateur, le balancier inexorable des plus hautes perturbations, l'axe mobile du monde qui court sur son aire, marque la cadence immuable de la décadence de toute chose à rouler sans fin vers le néant sans cesse retardé de son anéantissement. C'est sur cette course inexorable du destin que Jérôme fragmente et accélère le raid sauvage. Bouscule le rythme, le traque, le poursuit, le talonne, le pousse en avant, le métamorphose en irruption instantanée, l'est partout à la fois, tombe sur les toms comme la grêle sur le blé, comme l'orage cingle la cime des arbres avant d'éclater en boules de feu. Je ne garde de Vincent que le souvenir du geste de se saisir du bigsby, de ce léger raidissement du corps et du riff qui s'exhausse en une autre dimension, qui se revêt d'une ampleur démesurée, alors que les doigts s'affairent déjà à propulser une autre fraction vibrionnante de la temporalité. Vincent en homme pressé qui ne rate jamais les virages en épingle à cheveux des armatures musicales complexes, l'a fort à faire pour soutenir la cadence rythmique impulsée par l'électro-acoustique d'Eric, une fusée luisante qui fuit et se profile dans l'espace, et ce chant qui s'amplifie et s'élargit tel un essaim d'abeilles qui prend son essor et se déploie interminablement au-dessus des herbes et au-travers des bois.

    No Hit Makers en Soldier of peace défonce The Doors of Heaven, qu'ils traversent sans s'attarder, savent ce qu'ils font, sont sur El Camino Real, la piste royale et mordorée qui amène le rock sur les plus hauts alpages, le timbre si particulier d'Eric, avec au milieu cette légère brisure qui lui permet de s'insinuer dans les anfractuosités les plus intimes de votre sensibilité, d'éveiller et d'exhumer de leur linceul les anciens fantômes de votre existence oubliée, vous révèle à lui-même.

    L'ouragan s'arrêtera aussi brusquement qu'il avait commencé. N'ont joué que treize morceaux, les voix s'élèvent pour exiger plus, mais non, sont modestes, décident de céder la place aux copains. Laissent le public médusé. Ont marqué les esprits. Sidérant.

    2SISTERS

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    Jusqu'au moment où les 2Sisters débutent leur intervention, ils ressemblent à peu près à tout le monde. Le batteur qui s'assied derrière sa batterie sans ostentation particulière avec cette patiente placidité des employés de la poste qui s'installent pour une longue journée de labeur peu palpitant à leur guichet, le chanteur qui vaque aux quatre coins de la salle, genre du gars pas trop concerné par l'affaire en cours, un bassiste qui égrène mezzo-mezzo quelques notes – mais point trop n'en faut – pour le sound-check, n'y a que le guitariste qui vous azimute de temps en temps d'un riff saignant, juste pour vous rappeler qu'ils sont tout de même un groupe de rock'n'roll.

    C'est juste, après dès qu'ils commencent, qu'il faut appeler le samu et retenir d'urgence une cellule capitonnée à Charenton. Hélas il est trop tard. Si vous avez un regard distrait, rien ne vous choquera, mais si vous observez avec l'attention du renard qui guette sa proie, vous ne tarderez pas à remarquer quelques signes inquiétants, preuves irréfutables de démence avancée. Certes le tintamarre est irrémédiable, nous l'évoquerons plus loin, pour le moment nous nous intéressons des cas cliniques. Carton plein. Quatre sur quatre ! Commençons par les deux cas de schizophrénie aigüe. Le batteur, un punch terrible, un fracasseur, un moulin à boucan, un concasseur, à lui tout seul il dépasse le maximum de décibels autorisés par l'Organisation Mondiale de la Santé, à l'oreille vous vous attendez à voir une espèce de zigue survolté, une pile atomique en train d'exploser, un speedé qui agite mille bras à l'instar d'un Shiva hindouïste, que nenni, vous fout le zbeul sans se presser, un serveur stylé qui se penche avec componction vers Tante Agathe pour lui présenter poliment la corbeille à pain, vous passe les breaks en pilotage automatique sans avoir l'air d'y penser. Le chanteur, s'est quand même souvenu qu'il était là pour chanter, l'a rejoint son micro, l'a tourné deux fois autour – il cherche ses marques avez-vous marmonné à mi-voix pour vous-même, de toutes les manières dans la tempête force 10 vous auriez pu hurler, personne ne vous aurait entendu – vous vous l'imaginez déjà en iguane ( mais en plus déchiré ), mais non, s'accoude au cromi, n'en bougera plus de tout le set, vous prend l'air inspiré de Jim Morrison, et vous entonne des chants de guerre totale et de scalps à vif avec l'air de réciter des patenôtres.

    Reste les deux autres cas, beaucoup plus problématiques. Un comportement rare, qui intrigue les scientifiques, en terminologie médicale l'on nomme ce genre de phénomène : zombiidie alternative, plus explicitement nous parlerons d'échange de personnalité. Je simplifie : le bassiste se prend pour le lead guitar. Normalement devrait placer ses lignes de basse comme le pêcheur qui s'occupe de ses cannes à pêche, pénardos sur son tabouret, ben non, n'en finit pas de triturer le moulinet. L'entremêle les fils de multiples manières, vous invente de ces nœuds de serpents dont jamais personne avant lui n'avait pensé à oser la possibilité de l'existence. Un instable, incapable de rester tranquille dix secondes, brise tout, casse tout, mélange tout, d'une incohérence redoutable, soyons honnête le résultat n'est pas détestable, l'est même des plus incroyablement inventifs, mais enfin ces poses de guitar-heros, sûr qu'il a de la prestance, est-ce bien raisonnable ? Le deuxième membre de ce couple transgressif n'est guère mieux loti. Normalement c'est le soliste. L'adopte instinctivement la cambrure du bassiste voûté sur sa basse. Baisse la tête, l'on ne voit plus que ces cheveux frisés, et c'est là que l'on peut juger du désastre. Un monomaniaque, un miauleur de riffs, un catapulteur de riffs, un répétiteur de riffs, je vous prie d'excuser ces répétitions, mais c'est un obnubilé du riff, un fanatriff, vous en invente un toutes les dix secondes, des pointus qui vrillent les oreilles, des ultra-soniques qui vous grillent la comprenette, des aigus qui vous trillent le tympan, le pire c'est qu'en catimini vous adressez une prière au bon dieu pour qu'il n'arrête jamais.

    Vous ne voyez peut-être pas le tableau mais vous l'entendez. Des possédés, des déments, des frères kramés du zof, le rock'n'roll s'est abattu sur les 2Sisters comme la misère sur les pauvres, la vieillesse sur les retraités, la maladie sur les éclopés et l'impôt sur le peuple. Z'ont les titres qui marchent avec : Wake Up, Booze & Pills, Down, Rodeo Sex, autant de cancrelats électriques qui squattent à jamais votre cerveau et commencent à grignoter la matière grise que vous n'avez pas. Dégâts irréparables. Et bien entendu, vu le charivari du public tout le monde s'en moque et en redemande. Du rock destroy comme vous en rêvez, comme vous en crevez quand vous n'avez pas eu votre dose hebdomadaire.

    Little 2Sisters don't you kiss me once or twice !

    BRAIN EATERS

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    La malédiction des Brain Eaters tombe sur nous. Inutile de prier pour notre salut. Le diable ne reconnaîtra aucun de nous, c'est ainsi que nous verrons la double perfidie du Devil. In Disguise. Heavy JC est à la guitare et sous sa casquette. Spunky le premier morceau est pour lui, pour nous montrer ce qu'il peut faire à la guitare, un petit instru en guise d'intro sixties-rock pour se dégourdir les doigts, et nous mettre dans l'ambiance festive des vacances insouciantes. Terminé, Prof Boubou prend le micro. Ne soyez pas induit en erreur par le majestueux titre de prof, n'a pas ouvert la bouche qu'il saute déjà comme un zébulon sur des ressorts en titane, ce qui ne l'empêche pas par la suite de s'époumoner dans le micro, doit posséder deux réseaux corporels totalement autonomes et indépendants l'un de l'autre, le vocal stentor et le physique gymnastor. Soyons scrupuleux, ses collègues se révèleront être de véritables pousse-au-crime, lui envoient des scuds qui vous vident l'appartement du Motel Hell à la dynamite, lui lancent aux trousses un Lobo Loco furieux, l'inscrivent d'office dans un Jaybird Safari mortel. Du coup Boubou met les bouts, se mêle à la foule ondoyante, se sent pousser des ailes, et s'en va se percher sur le comptoir, je ne le vois plus, l'a disparu, certes on l'entend encore roucouler et glousser à grand gosier, mais cette subite évaporation demande enquête, n'est pas loin, funambulise tout le long du bar, doit se prendre pour un mannequin de chez Dior qui défile sur un tapis rouge, n'en a pas la maigreur étique, mais il exsude d'un tel charisme chamanique qu'on lui pardonne. Rejoint d'un saut allègre le plancher des vaches depuis lequel le public en délire l'admirait déambuler entre les verres sales, les coupes vides, rejoint la scène, l'a une déclaration nécessaire à la survie générale à proclamer, c'est court mais efficace : les Brain Eaters vont avoir l'honneur de nous interpréter Wham Bam Bam, le wham je ne sais pas, mais le Bam Bam nous l'administrent à haute dose, Megadom aux drums tape à fissurer le macadam et Muskrat écrase les débris d'une basse excavatrice. Le combo tourne à fond, éprouve – officiellement – le désir d'atténuer la chienlit, ce sera Cool It, Baby, officieusement entre nous, une tuerie aussi énervée que la précédente, à arracher les platanes de toutes les cours de récréation de France et de Navarre. Le set se termine en un pandémonium effroyable. Ont dû gratifier les fans enthousiastes de trois rappels, sans quoi dans l'exaltation générale ils risquaient le lynchage collectif. Que voulez-vous, c'est de leur faute, ça leur apprendra à donner le mauvais exemple, pour un peu ces Brain Eaters on les bouffait tout crus.

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes )

     

    KRONIK N° 14

    ( Septembre 2017 )

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    SYL / NEMO / KEN MALLAR / JP TOM & ALEXIS HASSLER / MIMI TRAILLETTE / VIRGINIE B &BENJOSAN / JOKOKO / EL PRIMATE & PIERRE TURGY / CAMILLE PULL - KENNY OZIER – MARCO RICARDI / AURELIO / CHESTER & MO/CDM / MELI / GROMAIN / BEUH & LENTé CHRIST / MADAME GRULIK / TUSHGUN / GWEN TOMAHAWK / PAT PUJOL / AMAURY & EMILIE.

    Je tiens mes promesses, Jokoko la semaine derrière, Kronik ce coup-ci. Jokoko encore aux manettes. L'est le président de l'Association qui regroupe un ramassis éhonté d'artistes punktoëzidaux, qui depuis dix ans maintiennent en vie envers et contre tout cette revue semestrielle. N'ont pas dû manger tous les jours durant ces longues années, des affamés, pour leurs dix bougies, se sont offerts le gueulet(h)on de l'année, nos mitrons ont mitonné un spécial-bouffe !

    Juste un problème. Epicé. Rien qu'à regarder les couleurs, vous courez aux gogues rendre tripes et boyaux. Font la cuisine aux colorants. Confitures de roses pétants et yaourts bleu-pétunia. Oranges pourris, verts crus et jaunes blets. Ne sont pas amis-amis avec le pastel, préfèrent le flashy flamboyant. Pour la barbaque, la servent saignante, abattue sous vos yeux, une préférence pour la chair humaine, mais ne sont pas racistes, vous niaquent tout aussi bien le chien et le chat, quant à la pomme ils vous la croquent avec le serpent.

    Pas très ragoûtant, tous ces dessins qui ondulent de partout et qui grouillent de gruaux mal cuits, vous en prendrez bien un chouïa, et ma foi vous devez vous avouer que ce n'est pas mauvais, vous vous étranglez à chaque bouchée, ça vous arrache la gueule, tant pis, vous y revenez et réclamez du rab. Philosophiquement parlant, vous vous apercevez que comparée à l'acte sexuel, la bouffe est beaucoup plus proche de thanatos que l'éros. L'on n'avale que du cadavre. Tout le monde y passe. Qu'on le veuille ou non. De toutes les manières le rêve fou du végétalien, le désir secret du végétarien, n'est-il pas le beef barbare, le steak tartare ? Au soleil vert écologique des films de science-fiction, nos bédéïstes substituent sans remords l'astre rouge sang de la chair non plus désirée mais déchirée.

    Punk's not dead. La preuve, à l'heure du véganisme triomphant, savent encore rire d'eux-même. Une BD qui se dévore des yeux. Toute crue. Bon appétit.

    Damie Chad.

    NEVERMIND ZE CUIZINE

    ( Février 2007 )

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    Du même acabit. Du même format. Du même esprit. Les risettes du dérisoire. Le risotto de la passoire. Se sont regroupés, toute une flopée d'argousins, j'ai même reconnu dans le menu de l'ours le nom de Larbi, le contrebassiste des No Hit Makers. Vous connaissez le proverbe chinois. Ne donne pas un poisson à l'homme qui a faim, apprends-lui à pêcher. Sagesse séculaire, mais à courte-vue. Le poisson cru, à part ces sauvages de japs... S'agit pas de pécho le cabillaud, faut encore le préparer. D'où cette idée d'un livre de boustifaille. Sérieux comme des papes, de véritables recettes, des vite-faites, bien-faites, ce ne sont que des punks, donc par définitions ils ne sont pas riches, z'ont peut-être des beaux culs mais ne sont pas Bocuse, des plats tout simples, économiques, peu d'ingrédients et roboratifs. Pour les très maladroits vous avez les pâtes à l'eau, pour ceux qui visent plus haut les lentilles fumées aux saucisses.

    Mais la cuisine, c'est comme la main verte, ou vous l'avez ou vous ne l'avez pas. Tout est dans la présentation. Les dessins, les couleurs, les commentaires, la gousse d'ail qui vous transforme le gigot d'agneau en délice. Des Dieux. Tellement bien parfumé que vous le dévorerez sans avoir faim. Et puis pour les punk-rokers, le maître-queux qui a préfacé la tambouille n'est autre que Schultz !

    Et surtout n'oubliez pas, c'est écrit sur le bandeau de couverture : '' Popote's Not Dead''

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 233 : KR'TNT ! 353 : MICK ROCK / ROBERT CALVERT / BRAIN EATERS / ROBERT CALVERT / 2SISTERS / BULGARIAN YOGURT / BAPTISTE GROAZIL + POGO CAR CRASH CONTROL / KID ORY / DANIEL GIRAUD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 353

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 12 / 2017

     MICK ROCK / ROBERT CALVERT

    BRAIN EATERS / 2SISTERS

    BULGARIAN  YOGOURT / KID ORY

    BAPTISTE GROAZIL & POGO CAR CRASH CONTROL

    DANIEL GIRAUD

     

    AMIS ROCKERS,

    VOUS AVEZ DE LA CHANCE, PERIODES FESTIVES EN VUE, LA LIVRAISON 353 ARRIVE AVEC DEUX JOURS D'AVANCE, ET LA 354 LA SUIVRA DE PEU...

    N'OUBLIEZ PAS DE VIVRE SANS MODERATION §

    Vive le Rock

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    Dans Shot - The Psycho-spiritual Mantra of Rock, le film que lui consacre Barnaby Clay, Mick Rock frime un peu. Mais il en a les moyens. C’est à lui qu’on doit les pochettes de Transformer, de Raw Power et de The Madcap Laughs. Excusez du peu. Le photographe Mick Rock eut la chance de fréquenter les bonnes personnes au bon moment. Hormis Syd Barrett et Lou Reed, il eut aussi pour ami Bowie, et c’est sans doute de là que lui vient sa fascination pour le glam. Lorsqu’il évoque ses souvenirs, Mick Rock fait entendre des cassettes de ses conversations. On l’entend discuter avec David Bowie qui évoque les noms de Bolan, de Lennon et de Dylan pour dire : «We are the original false prophets, we are the gods !» Et le diable sait qu’il a raison de dire ça.

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    Mick Rock est un solide Britannique qui, par sa stature et son grawl spécial, fait penser à Ian Hunter. C’est le même genre de force de la nature. Dans ce film, Mick Rock tente de faire passer son métier de photographe pour quelque chose de mythique, mais il devient vite prétentieux et mord un peu le trait - I’m not after your soul, I’m after your fucking aura - Helmut Newton et Richard Avedon peuvent prétendre au mythe, certainement pas Mick Rock, même s’il a fait trois belles pochettes. Il n’y a pas d’art chez Mick Rock, juste de bonnes fréquentations. Il a la chance incroyable de fréquenter Bowie, Lou Reed et Iggy, mais il en parle comme quelque chose de réfléchi - I always made sure in a final analysis that it made some kind of sense - C’est facile à dire, après coup.

    Mick Rock vient de Cambridge, ce qui l’oblige à parler de culture. Alors il cite Rimbaud et Baudelaire. Puis il passe aux choses sérieuses avec les drogues psychédéliques, il adore the altered states, et pouf, voilà le summer of love et Syd qu’il photographie dans ce bel appartement - Psychedelic Syd had a band called Pink Floyd - Syd vient de repeindre son parquet en teintes alternées, telles qu’on peut le voir sur la pochette du Madcap. Mick Rock explique qu’en 1971, Syd lost interest, he couldn’t get there anymore, tout le bordel du music business ne l’intéressait plus, he never did another interview.

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    Et sans transition, il passe à Bowie, ou plutôt Ziggy. Les gens lui disent qu’il voit Ziggy the way he sees himself, c’est un beau compliment, mais pour un photographe, c’est facile quand on a un mec comme Ziggy devant l’objectif. C’est Ziggy qui fait tout le boulot.

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    La fameuse photo de Lou Reed qui orme la pochette de Transformer fut prise au Whale concert : Lou Reed était monté sur scène pour jouer avec Ziggy. Mick Rock adore cette image - the cold shiver, the make-up and all the darkness in the eyes - Et il ajoute en revoyant l’image : Bingo ! That was the cover ! Et quand il passe aux Stooges, Mick Rock se met en transe : it was a complete revolution.

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    Dans l’interview qu’il accorde à Vive Le Rock, Mick Rock se dit attiré par les vrais artistes : «I was more interested in, shall we say, performers who were also definitely artists.» Il rappelle des choses élémentaires qui méritent l’attention. À l’époque où il faisait les images qui sont devenues légendaires, personne n’avait de blé, not David and certainly not Lou or Iggy. Et donc Rock non plus. Sa mère le soupçonnait de faire des photos pour éviter de chercher un vrai job.

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    Il rappelle qu’il fut payé à coups de lance-pierres pour les pochettes de Transformer (100 £) et Raw Power (200 $) - Records labels just wanted cheap photography, that was their attitude - Dans l’interview, Mick Rock nous fout bien l’eau à la bouche en confiant qu’il dispose d’images inédites de Bowie (Over 5.000 images of Bowie as Ziggy Stardust alone, let alone the other images I took of him. And there’s the video footage and music videos I made for him) Et il ajoute : «I actually have him in 73 different outfits. I think some of them have never been printed.» Ça va loin cette histoire. Pour lui, Bowie avait a very decent look. I’ll tell you that. I don’t think Lou and Iggy were quite so up to scratch psychologically, I think they were more the wounded warriors from the American thing. (Selon Rock, Iggy et Lou n’étaient pas aussi solides que Bowie, ils avaient pas mal morflé en Amérique). Ce sont des mecs comme Lou et Iggy qui ont apporté ce que Mick Rock appelle un «edge» à Bowie, ce que Bolan n’a jamais eu. David Bowie was much more interesting. Iggy and Lou gave an edge to David in terms of media image. Il rappelle encore que Bowie avait de l’ambition, alors que Lou et Iggy étaient livrés à eux-mêmes et n’avaient aucun succès commercial. Personne n’attendait plus rien d’Iggy et encore moins de Lou Reed dont le premier album solo avait floppé. Son label allait même le virer. Il faut tout de même se souvenir que les labels n’avaient aucune pitié pour ceux qui ne rapportaient rien.

    Quand il aborde le chapitre du glam dans son film, c’est une pluie d’images qui s’abat : Thin Lizzy, Marianne Faithfull, Peter Gabriel, Patti Labelle, il a tout photographié ! Queen aussi - Mercury, he looks like he’s in bloody heaven - Mick Rock se veut simple - I just want the pictures, I don’t care about the whys - et pouf, il cite Stanislavski, le thérorien de l’actor’s studio.

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    Mick Rock commence à voyager : Bowie l’invite à Berlin et Lou Reed à New York. Il refait des photos qui vont devenir d’autres pochettes : Rock’n’Roll Heart, Coney Island Baby, Sally Can’t Dance et cette image spectaculaire où Lou porte un blouson en plastique transparent. Et Lou Reed lui dit : «There’s 50.000 junkies in New York. They deserve a song.» Et qu’entend-on ? «Heroin», bien sûr.

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    Arrive l’écriteau punk. Mick Rock fait la pochette d’End Of The Century des Ramones, mais il préfère le glam - The punks, they are ugly - Il fait aussi Joan Jett, Blondie, les Dead Boys et Motley Crue - You couldn’t take a bad picture.

    Mais sa plus grand passion, c’est la coke - I was so in love with cocaine. I was also in yoga. Just a fucking bang in the brain - Arrive ce qui arrive : trois crises cardiaques in his early forties, il doit la vie à Allen Klein et Andrew Loog Oldham qui ont financé les soins à l’hosto. Et c’est là où le film devient pénible : Rock met en scène sa mort et son passage sur le billard. Il transforme même sa grande table lumineuse, l’outil de travail par excellence, en billard.

    Signé : Cazengler, Mick Roquefort

    Barnaby Clay. Shot. The Psycho-spiritual Mantra of Rock. DVD Vice Media 2017

    Walk On The Wild Side by Ian Chaddock. Vive le Rock #47

     

    Le calvaire de Robert Calvert

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    Décidément, Luke Haines ne s’intéresse qu’aux beautiful losers de l’underground britannique. Après les Pink Fairies, Steve Peregrine Took, voici Robert Calvert, l’excentrique de service.

    Pour que les profanes s’y retrouvent, Luke Haines rattache Calvert à Hawkwind et indique que l’histoire d’Hawkwind se découpe en quatre tranches : un, le busker-stoner des débuts, deux, la période space-rock classique de United Artist - incorporating the twin towers of Lemmy as speed-freak-biker-talisman, and Stacia as topless-acid-dancing-Dolly-Dorris-petrol-pump-attendant-gone- rogue - trois la période led by Captains Dave Brock and Robert Calvert, quatre, celle qui part de l’album Levitation (1980) jusqu’à aujourd’hui : trance, dungeons and dragons, bad heavy metal. C’est un peu le même problème qu’avec l’interminable discographie de John Lee Hooker : il faut découper en tranches, si on veut s’y retrouver.

    Selon Luke Haines, c’est la période Robert Calvert qui vaut le détour.

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    À l’origine des temps, Bob Calvert et Nik Turner étaient des marginaux de Margate, une station balnéaire située dans le Kent. Nik et Bob vendaient des chapeaux sur le front de mer. Et puis un jour, ils roulèrent leurs duvets, grimpèrent dans un van et foncèrent jusqu’à Londres.

    Ce dingue de Bob ne voulait pas être rock star : il voulait piloter un avion de chasse. Mais au lieu d’intégrer la Royal Air Force, il intégra the West London’s freak scene - a naturel poet and agitator - En 1970, il allait devenir l’un des resident space poets d’Hawkwind et devenir célèbre en écrivant les paroles de «Silver Machine». Il allait travailler avec Barney Bubbles sur le concept de pochette multidimensionnelle d’In Search Of Space et faire ses débuts de Space Poet dans Space Ritual. L’encart publicitaire de l’époque indiquait : «Ninety Minutes of Brain Damage.»

    Bob Calvert grenouilla donc dans le milieu de la presse underground et se lia avec des gens qui écrivaient ou dessinaient pour International Times, OZ et Frendz. Il écrivit des poèmes et des fictions pour Frendz, se voyant comme un «guérillero anti-conformiste». À cette époque, l’écrivain Michael Moorcock - un anarchiste naturel - publiait le magazine de science-fiction New Worlds. Il balançait des textes partout, y compris à Frendz, où Bob avait trouvé son terrain d’expression. Ils faisaient tous les deux de la scène. Moorcock jouait du banjo et Bob lisait des poèmes. Bob en arriva à la conclusion suivante : le meilleur moyen de toucher les gens, c’est avec la musique. Grâce à gens-là, Bob Calvert, Barney Bubbles et Michael Moorcock, le phénomène Hawkwind prit de l’ampleur. Nik Turner invita Bob à se joindre au groupe en tant que compositeur, pensant qu’Hawkwind serait pour son copain poète et amateur de science fiction et de philosophie un bon environnement. Bob déclara au journaliste Martin Hayman de Sounds : «Je suis plus un lecteur de poèmes qu’un chanteur. J’utilise les mots non comme des concepts mais comme des objets concrets.»

    Barney et Bob conçurent donc le livret paru avec l’album X In Search Of Space. Ils y racontaient un voyage bi-dimensionnel à bord d’un vaisseau spatial, sous forme de journal de bord du capitaine. Le vaisseau visitait la terre en 1985 et découvrait une planète en ruine, couverte de béton et d’acier. L’idée était de Bob. Il écrivait les textes et Barney les illustrait. Nik Turner déclara : «Ils ont montré la voie au groupe.» Sur scène, Hawkwind avait nettement plus d’allure que le Pink Floyd : dans Hawkwind, il y avait une danseuse et un batteur nus, un saxophoniste lunatique qui portait toutes sortes de déguisements excentriques, l’incontrôlable Bob Calvert et l’écrivain à la mode Michael Moorcock. Avec Lemmy, ils avaient en plus l’incarnation parfaite du rock’n’roll et des lignes de basse ravageuses. Ils avaient en prime deux savants fous qui tripotaient des générateurs audio. «Stacia, Nik et Lemmy étaient les personnage clés de ce show, ainsi que Calvert quand il était là.» On l’a oublié, mais en son temps, Hawkwind fut certainement le groupe le plus spectaculaire d’Angleterre. Dans la naissance du mythe, Bob joua un rôle considérable.

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    Il joua son rôle d’excentrique à merveille. Dans le fantastique ouvrage de Carole Clerk, les témoignages de son excentricité pullulent. Lemmy : «Bob Calvert portait un petit bracelet et des boucles d’oreilles. Il tentait désespérément de passer pour un anarchiste, mais il n’était qu’un branleur de citadin - ‘Putain, comme c’est cooool, vraiment très cooool... ciao !’ Il était complètement bidon. Il allait bien, et tout à coup il allait mal. Il avalait des valiums, parlait à toute vitesse et il faisait de l’hyperventilation. Il a eu l’idée de monter sur scène avec une machine à écrire attachée en bandoulière autour du cou. Il tapait des textes et les lançait dans le public. Il avait du talent mais pas autant que le croyaient les gens. J’ai enregistré l’album Captain Lockheed And the Starfighters avec lui et il ne savait vraiment pas ce qu’il faisait.»

    Le Space Ritual était l’idée de Bob. En novembre 1971, il déclarait au Melody Maker : «Le point de départ, c’est une équipe de cosmonautes dans le coma, et l’opéra est la représentation des rêves qu’ils font alors qu’ils filent vers le fond du cosmos. C’est une interprétation mythologique de l’actualité. Ce n’est pas la prédiction de ce qui va se produire. C’est la mythologie de l’espace, au sens où les voyages intersidéraux et les vaisseaux spatiaux sont à l’image des voyages de l’antiquité.» Bob préférait parler de ‘fiction spéculative’ plutôt que de ‘science-fiction’. Il poursuivait : «Au démarrage, Hawkwind avait déjà un son spatial. Mais maintenant, les choses ont vraiment pris forme, même si beaucoup d’entre-elles sont encore plus suggérées qu’explicites. Peut-être que c’est dû au côté hypnotique, avec les sons électroniques et les stroboscopes.»

    Mais Lemmy n’avait aucune patience avec ce genre de lascar : «À Wembley, Bob Calvert s’est pointé déguisé. Il portait une longue cape décorée de lunes et d’étoiles, et un chapeau de sorcière. Il avait une trompette et une épée. Dans le troisième morceau, après deux couplets, il est venu me donner des coups d’épée. Je lui ai mis mon poing dans la gueule. Il fallait avoir de la patience avec ce genre de clampin. Frapper un mec quand tu joues de la basse, ce n’est pas facile. J’aurais pu le dégommer d’un coup de basse, mais j’avais peur de la péter.»

    Bob retourna se faire soigner dans un service de psychiatrie. Il faisait des crises. Michael Moorcock le remplaça sur scène. La pauvre Bob allait rester à l’écart du groupe pendant un certain temps, puis il allait revenir. Tiens, par exemple avec «Urban Guerilla», le plus grand bide de l’histoire d’Hawkwind, co-écrit avec Dave Brock. Les paroles disaient : «Je suis un guérillero urbain. Je fabrique des bombes dans ma cave.» Censuré. Lemmy était furieux : «On a fait une fois un concert de soutien pour les Stoke Newington 8. ‘Urban Guerilla’ était une sorte de livre des recettes de l’anarchie : comment fabriquer une bombe dans ta cave. Voilà ce qu’était ‘Urban Guerilla’. Voilà le délire de Calvert. Qu’il aille au diable !» L’épisode est franchement hilarant : «Robert Calvert s’habillait comme un guérillero urbain. Il portait des tenues de combattant. Il admirait des gens comme Lawrence d’Arabie. Il adorait les tenues militaires. Lors d’une dépression, il s’est habillé en soldat, il a marché 40 km puis il est entré dans un service de psychiatrie. Tout ça donne une sortie d’imagerie bizarre.» Et puis est arrivé ce qui devait arriver : «La brigade anti-terroriste a fouillé mon appartement. Il ont démoli le parquet à la recherche de bombes et d’armes.»

    Bob multipliait les extravagances : déguisé entièrement en pilote de chasse de la Première Guerre Mondiale, avec ses culottes de cheval, ses bottes de cavalier, son foulard et son casque en cuir, il ressemblait à un mélange de Biggles et de Lawrence d’Arabie, mais avec un côté sado-maso.

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    En 1974, Bob enregistre Captain Lookheed & The Starfighters avec ses amis Viv Stanshall et Jim Capaldi. Il conçoit cet album comme un opéra bouffe : après la guerre, le gouvernement allemand achète des chasseurs Lockheed aux Américains. Le problème est que ces avions s’écrasent. C’est une histoire vraie et Bob délire bien avec. 159 Starfighters s’écrasent au sol et 106 pilotes y laissent la vie, voilà ce que dit le TV News reporter à un moment donné. C’est sur cet album devenu mythique qu’on trouve «The Right Stuff», l’un des grands classiques du rock moderne, repris par Monster Magnet - I don’t feel fear or panic/ And nothing brings me down - Pur génie de l’extension du domaine de la lutte binaire, ce riff insistant te hantera la cervelle jusqu’à la fin des temps - I’m the right stuff/ Baby the right stuff/ Just watch my trail - Robert n’en finit plus de créer sa légende - I never fail/ Just catch my trail - Dave Brock et Lemmy jouent aussi sur ce fabuleux album. C’est d’ailleurs la présence de Lemmy qui le rend mythique. On entend Dave Brock partir en solo dans «The Widowmaker», surnom donné aux avions par les pilotes allemands - le faiseur de veuves. Nik Turner souffle dans le désert et on entend voler des spoutnicks sauvages à la Dikmik. On a un autre fantastique heavy rock en A, «The Aerospace Inferno». Paul Rudolph et Lemmy pourvoient aux nécessités - Not even your ashes will be found/ What a good way to go - Et en B, ils repartent de plus belle en rock action avec «Ejection», toujours bien binaire, même riff que «The Right Stuff», pilonné par Simon King et harcelé par le sax cabossé de Nik Turner. Quel son ! Paul Rudolph passe un solo d’exacerbation latérale de Ladbroke Grove. Pas étonnant que ce disque soit entré dans la légende. Nik Turner déclara par la suite : «J’ai composé ‘The Widowmaker’ avec Bob. J’ai aussi composé ‘The Right Stuff’ avec Bob, mais sur le disque c’est juste marqué Bob Calvert. Ce genre de truc ne me monte pas au cerveau. De toute façon, les preuves sont dans Came Home, un disque pirate. Tu entendras ces riffs qui datent des débuts d’Hawkwind et ces morceaux ne sont jamais parus dans le commerce.»

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    L’année suivante, Bob récidive avec Lucky Leif And The Longships. On ne retrouve que Nik et Paul Rudolph sur cet album un peu raté. Cette fois, Bob s’intéresse à l’histoire de Leif, fils d’Eirik the Red, qui découvrit le continent américain cinq siècles avant Christophe Colomb. On ne sauve que deux cuts sur Lucky Leif : «Ship Of Fools» bien riffé par Paul Rudolph et «The Lay Of The Surfers» qui sonne comme un pastiche des Beach Boys, avec du pillaging towns et du Valhalla bound plein les rimes - We’re gonna ride you to your watery graves - Quoi qu’il fasse, Bob reste un poète. Et puis après, ça dégénère. «Voyaging To Vinland» est un remake d’«Hissez Haut Santiano», et «Brave New World» tourne à la farce - It’s A mericle (sic) - Le «Magical Potion» fait illusion, car Paul Rudolph le prend au Diddley beat ralenti et Michael Moorcock joue du banjo sur «Moonshine In The Mountains». Bob va même faire l’indien dans «Storm Chant Of The Skrealings». Il entre bien dans son délire. Dommage qu’on ne soit pas tenté de le suivre.

    En 1976, Bob rejoint Hawkwind et co-écrit avec Dave Brock deux albums, Quark Strangeness And Charm et le 25 Years On des Hawklords. Il chante aussi sur Astounding Sounds, Amazing Music et P.X.R.5.

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    Bob déclara au Melody Maker qu’avec l’album Astounding Sounds, Amazing Music, ils visaient «au croisement d’une démarche intellectuelle avec la bande dessinée.» L’album vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernal «Reefer Madness» d’ouverture du bal. Comme toujours, Bob se trouve mêlé au meilleur d’Hawk, ça part en heavy rffing. On ne se lasse pas de cette solidité, on y retrouve le beat du stomp anglais et un goût certain pour l’hypno. C’est même jazzé au sax. Effarant ! Bob chante «Steppenwolf» avec de faux accents à la Bryan Ferry. C’est son côté gothique décadent qui remonte à la surface. Et puis, il faut bien dire qu’il adore tout ce qui chevauche le gros beat. Bob reste le meilleur maître de cérémonie qu’on ait pu voir dans Hawkwind. On retrouve de la belle hypno en B dans «The Aubergine That Ate Rangoon», visité au sax galactique. Ces mecs travaillaient une vision du son intéressante. Encore du so solid stuff avec «Kerb Crawler». Dave y bat bien le nave.

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    Dans le NME, Monty Smith s’enthousiasmait de «l’humour psychotique» de Bob et il résumait Quark Strangeness And Charm ainsi : «C’est plein de riffs monstrueux et de bourdonnements de synthé, et Dave Brock part en vrille sur des solos (plutôt que de rester perpétuellement en rythmique). Simon House joue des solos de violon hypnotiques. Mais c’est Robert Calvert qui se tape la part du lion. Il est parfait. Hawkwind a annoncé la couleur : ils sont de retour. Aucun doute là-dessus. C’est un album très drôle.» Eh oui, Monty a raison, Bob se comporte en franc-tireur, il surgit dans des cuts éclairs porteurs de germes comme «Spirit Of The Edge». Adrian Shaw, Simon King et Dave contribuent au festin sonique. Bob chante ça d’une voix de mec déterminé, dans une étonnante ambiance de space-rock inspiré. On se régale des belles basslines d’Adrian Shaw. Fantastique bassman que ce Shaw-là ! Il faut ajouter que Dave a fait le ménage dans le groupe : Nik Turner, Alan Powell et Paul Rudolph ont tous été virés. Avec «Damnation Alley», Bob ramène son Hawk de combat et Adrian Shaw joue comme un beau diable. Voilà encore du boogie-rock de qualité supérieure, joué à l’intrinsèque de la pastèque, à l’incidence de la diligence. Il semble bien que ce soit Shaw qui fasse le show. On tombe en B sur un morceau titre quasiment velvétique. Bob a la glotte qu’il faut pour ça. Et derrière on entend le même ramdam que dans «Waiting For The Man» - We got sick of chat chat chatter - Quelle fabuleuse santé !

    L’année où parut Quark Strangeness And Charm, le punk sonnait les cloches de Londres. Les Damned devinrent potes avec Nik Turner et Bob. Rat Scabies raconte qu’il rencontra Bob pour la première fois au Dingwalls : «Il portait des culottes de cheval et des bottes. Il est venu vers moi et a dit : ‘Salut, je suis Bob Calvert d’Hawkwind’. Je lui ai répondu : ‘Je ne veux pas te causer parce que vous avez viré Lemmy, bande de bâtards.’ Il a dit qu’il n’y était pour rien et ça avait l’air vrai. C’était un vrai gentleman.» Rat et lui devinrent amis au point qu’ils montèrent un spectacle ensemble.

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    Après la fin momentanée d’Hawkwind, Bob monte les Hawklords avec son pote Dave. Facile, ils habitent tous les deux dans le même coin du Devon. Paru en 1978, l’album s’appelle 25 Years On. Quel album ! Ne serait-ce que pour le «25 Years» qui boucle l’A, un cut qui sonne comme du Roxy frénétique. Dave y apporte une infatigable assise rythmique et ça vire hypno à la Can, dans une superbe fuite en avant. C’est là qu’on reconnaît ses pairs. Quelle excellence ! «PSI Power» sonne judicieusement pop. Bob cherche le hit, ça se sent, il donne un certain élan à sa pop dans une ambiance bon enfant. Bob et Dave ne se cassent plus la tête à vouloir voyager dans l’espace, un petit coup de pop à synthé, ça ira bien comme ça. Ils reviennent toutefois au solide romp de rock avec «Free Fall». Derrière le rideau de velours, Dave riffe salement. Ces deux-là savent condenser le rock atmosphérique. Ici, tout est joliment enveloppé de mélodie satinée. C’est à la fois délicat et pacifiant. En B, avec «Flying Doctor», on retrouve le puissant riffing de Dave mélangé à de petits effets synthétiques du meilleur effet. Dave et Bob auraient pu pulvériser les charts anglais. Ils ne proposaient alors que des hits superbes. Nous n’en finirons plus de gloser sur la puissance brokienne. S’ensuit «The Only Ones», une jolie pièce de pop synthétique visitée par la grâce, très ondoyante et chargée d’harmonies vocales, digne des Mamas & the Papas. Cet album est une splendeur. Dave et Bob n’y proposent que des régalades.

    Mais dans Hawkwind, Bob commençait à poser de sérieux problèmes. Ses collègues savaient que lorsqu’il débordait d’idées, qu’il bouillonnait d’énergie et qu’il sautait d’un projet à l’autre, il devenait incontrôlable. Hawkwind partit en tournée sur le continent et Bob devint justement incontrôlable. Ce qui nous vaut l’une des anecdotes les plus drôles de la saga d’Hawkwind.

    Ils arrivèrent sur scène à Paris, au Palais des Sports. Dave Brock : «Bob était surexcité, mais sur scène il était vraiment bon. Ce soir-là, il a attrapé les cheveux d’Adrian Shaw et lui a mis son épée sur la gorge. On croyait qu’il allait le décapiter. Il a jeté l’épée avec une telle violence qu’elle s’est fichée dans le plancher. Le public a adoré ça ! On a eu trois rappels. On a fait un carton, ce soir-là.» Mais l’embellie n’allait pas durer. Dave poursuit : «On répondait à des interviews dans la loge. Il y avait des journalistes du Monde. Le road manager Jeff Dexter dit à Bob : ‘Réponds aux questions de ce critique d’art, s’il te plaît.’ Le journaliste a posé une question et Bob a dit : ‘Ce mec parle comme un pédé !’ Et il lui a lancé son gant à la figure. ‘Je te défie en duel !’ Choqué, le journaliste a quitté la loge aussitôt. Bob a ensuite déclaré, sur un ton très viril : ‘Je ne veux pas de pédés dans ma loge !’ On est rentrés tous les trois à l’hôtel à pieds, Jeff Dexter, Bob et moi. Bob essayé d’étrangler Jeff dans la rue. Il était devenu fou. Cette-nuit-là, Bob était tellement survolté qu’il n’arrivait pas à dormir.» Et Dave continue : «Sur scène on utilisait un faux flingue pour une réplique. Le chargeur était vide. Bob s’amusait avec. Il jouait à la roulette russe et quand il appuyait sur la gâchette, ça faisait ‘click’. Je gardais ce flingue dans ma valise et Bob était au bar, entouré de ses admirateurs. Jeff s’arrangeait pour qu’il reste au bar. Il buvait toute la nuit et à un moment, un policier en civil est arrivé. Bob était certainement en train de parler de guérilla urbaine et à un moment il a dû dire à voix haute que j’avais une arme dans ma chambre. Le gang Baader Meinhof étaient en cavale à l’époque, et on supposait qu’il se planquait à Paris. Le flic a fait venir des renforts et vers six heures du matin, on a frappé à ma porte. J’ai ouvert et tous ces flics me sont tombés dessus. Je me suis retrouvé en calbut contre le mur avec les bras en l’air. Ils disaient : ‘On sait qui vous êtes. Vous êtes un terroriste.’ Ils ont fouillé mon sac et ont trouvé le calibre. On était vraiment à bout de nerfs. Jeff Dexter a dit qu’il allait ramener Bob à Londres pour le coller dans un hôpital. Il conseillait d’annuler le reste de la tournée.»

    Les concerts prévus aux Pays-Bas furent aussitôt annulés. Adrian Shaw raconte la fin de cette histoire : «Dave nous a réunis pour nous dire qu’il en avait marre de tout ce cirque. Il voulait rentrer chez lui. On était tous d’accord. On avait prévu de se retrouver à l’accueil un quart d’heure plus tard, de sauter dans la bagnole et de se tirer sans Bob. On était là à l’accueil avec nos sacs, on attendait quelqu’un, je ne sais plus qui, et soudain Bob s’est pointé. Il nous a demandé ce qui se passait. On lui a dit qu’on avait décidé de partir. Il a dit qu’il allait chercher son sac. Celui qu’on attendait est arrivé, on a sauté dans la bagnole, et on a vu Bob arriver en traînant son sac.»

    Dave : «On avait loué une Mercedes. On venait de mettre nos sacs dans le coffre quand Bob s’est pointé. Il était en culotte de cheval avec une ceinture de cowboy. Quelqu’un a dit : ‘Vas-y démarre !’ J’ai roulé quelques mètres jusqu’en bas de la rue et je me suis retrouvé coincé dans un bouchon. Bob était scié : ‘Ils se barrent sans moi !’ Simon a crié : ‘Vite, monte sur le trottoir !’ J’ai réussi à contourner le bouchon. Bob nous coursait.»

    Adrian : «On s’est barrés et on l’a laissé en plan. Je ne trouvais pas ça terrible. Aujourd’hui, je trouve que ce qu’on a fait est horrible. Tu n’abandonnes pas un copain qui a des problèmes mentaux dans un pays étranger, parce que ça t’arrange. Jeff Dexter a dit que lorsqu’il a emmené Bob à l’aéroport, il devait le frapper sur le crâne avec un bâton. Mais Bob a saisi Jeff à la gorge et ça a tourné au grabuge.» C’est vrai qu’à cette époque, Dexter était habitué à sentir les mains de Bob autour de son cou. Malgré les événements qui s’étaient déroulés à Paris, le groupe se réunit à Rockfield en janvier 1978 pour enregistrer «Death Trap», «Jack Of Shadows» et «PXR5». Bob qui semblait avoir pardonné le coup de Paris était là. Adrian Shaw : «Il a tout oublié, c’est assez miraculeux. Tout est rentré dans l’ordre. On a enregistré et on est repartis en tournée. Je crois que Robert était toujours considéré comme le chanteur et il nous a pardonné. Il s’est énormément investi dans cet album.»

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    Encore un bel album de Bob : P.X.R.5. Il s’y niche deux standards hypno : «Death Trap» et «Uncle Sam’s On Mars». Voilà Bob de nouveau embringué dans un coup de rock spectaculaire, avec du Death Trap qui préfigure Devo, et ce n’est pas peu dire. Bob a dix ans d’avance sur les Mongoloïdes. Ils ne sont plus que trois dans le groupe : Bob, Dave et Simon King. Le père Dave se fend d’un bon solo killer. Comme sur tous les albums d’Hawkwind, on trouve le cut de séduction en ouverture de bal. Puis ça a tendance à baisser. Bob redresse le niveau avec «Uncle Sam’s On Mars», c’est du live, hanté par des spoutnicks. Adrian Shaw et Simon King y tiennent bien le beat et ça vire hypno, idéal pour un performer aussi agité que Bob. Il tape aussi une belle version live de «Robot» en B. C’est terrifiant d’efficacité. Bob ramène tout son gothique débridé, ça sonne un peu comme «Death Trap» mais avec du Robot Robot en exergue aboyée à la Devo. Climat à la fois dramatique et passionnant. Ça se passe dans un festival en 1979 et comme ça dure environ quinze minutes, Bob a tout le temps de faire le con avec son épée.

    Puis Bob quitte Hawkwind. Fin de l’épisode.

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    Et voilà qu’en 1981, année de l’élection de François Miterrand, Bob recrée la sensation avec Hype, un solide album de pop-rock baroque passé complètement inaperçu. Dave rendit hommage à Bob qui écrivait alors Hype, un roman qui concernait le showbusiness et qui allait donner son titre à l’album du même nom. Dès l’«Over My Head» d’ouverture du bal, Bob sort de sa manche un glam impressionnant. Oui, ce mec sait écrire des chansons, ce touche-à-tout tient rudement bien la route. Au générique, les seuls noms connus sont ceux de Michael Moorcock et de Nik Turner. «Ambitions» sonne comme un hit pop, mais monté sur l’un de ces stomps dont Bob a le secret. Ça frise un peu la diskö, c’est vrai, mais ça passe car il s’agit de Bob, un citoyen au-dessus de tout soupçon. Très vite, il révèle un penchant pour la pop baroque et maniérée de type Cokney Rebel, avec des cuts comme «It’s The Same» et «Hanging Out In The Seafront». Et comme tout cela est très écrit, on pense bien sûr à Ray Davies. Avec «Sensitive», Bob revient à son cher stomp de pop-rock glammy. Il impose une présence indéniable. Cut solide et bien monté, subtilement glammy. Il cultive un goût pour les classiques du rock, comme on le constate à l’écoute d’«Evil Rock». L’atroce punk Nik Turner souffle dans son sax cabossé et on assiste à un joli coup de riffing sauvage sur le tard. Notre homme sait finir en apothéose. On trouve encore du so solid stuff en B avec «We Like To Be Frightened», pur jus bobbique. Il n’en finira donc plus d’épater la galerie ! Il chante sous le boisseau et mène bien sa barque. On finit par comprendre que Bob est incapable de fourbir un mauvais cut. Il termine cet excellent album avec «Lord Of The Hornets», toujours très Cockney Rebel dans l’esprit, il adore ce son arrogant et saute au paf. Tout le décorum accourt au rendez-vous. Si tu cherches un popster de rêve, c’est lui.

    Selon Luke Haines, le vrai chef-d’œuvre de Bob est l’album Freq paru en 1985, un concept-album consacré aux grèves de mineurs. Pour Lucky Luke, Bob n’est ni un fighter pilot, ni un space poet, mais un fighter poet. C’est ça, on lui dira.

    Bob casse sa pipe en 1988. Petite crise cardiaque. Il n’a que 43 ans. Mais on ne s’en plaint pas, quand on a eu une vie aussi bien remplie.

    Signé : Cazengler, Robert Calva

    Captain Lockheed And The Starfighters. United Artist Records 1974

    Robert Calvert. Lucky Leif And The Longships. United Artist Records 1975

    Hawkwind. Astounding Sounds, Amazing Music. Charisma 1976

    Hawkwind. Quark, Strangeness And Charm. Charisma 1977

    Hawkords. 25 Years On. Charisma 1978

    Hawkwind. P.X.R.5. Charisma 1979

    Robert Calvert. Hype. A-Side Records 1981

    Luke Haines :This Is Your Captain Speaking - Your captain is cred. Record Collector #466 - May 2017

    Carol Clerk. The Saga Of Hawkwind. Omnibus Press 2004

     

    16 – 12 – 2017 / MONTREUIL

    LA COMEDIA MICHELET

    BRAIN EATERS / 2SISTERS

    BULGARIAN  YOGURT

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    Vous me connaissez, un mec tranquille, calme, serein et pacifique, mais là j'ai envie de descendre de la teuf-teuf avec ma batte de base-ball. Sont des centaines autour de moi. Squattent la chaussée leur vulgaire trogne épanouie, les bras surchargés de paquets. Aucune prévenance, occupent même mon parking favori. Ce soir Montreuil me déçoit. Tous ces gens qui passent surchargés de cadeaux et personne qui ne m'en offre un. J'accepterais n'importe quoi, un presque rien, les oeuvres érotiques complètes de Pierre Louÿs par exemple, ou un coffret de 70 pirates de Led Zeppelin, mais non, ils me dédaignent, ne s'aperçoivent même pas que j'existe. J'essaie la halle du marché, transformée en salon de l'automobile, même plus un espace pour garer un vélo sans pédales. La mort dans l'âme, j'emprunte le labyrinthe des petites ruelles. Miracle ! Tous les soixante-dix mètres deux espaces inoccupés. Vous y logeriez un bus à impériale. Mais non, ils sont réservés aux handicapés. N'ai rien contre, mais des gens à mobilité réduite qui se déplacent en bagnole, je trouve cela illogique. En plus, à Montreuil c'est comme ces pays qui ont des puits mais pas de pétrole, eux ils ont des places mais il leur manque les handicapés. L'heure tourne, vient celle de prendre les grandes décisions, tiens deux épis réservés aux blessés de la vie libres à deux pas de la Comédia, un signe bienveillant des dieux de l'Olympe, m'y gare sans état d'âme. Pas question pour un rocker de rater un concert. Une catastrophe pire que le dérèglement climatique. J'écoute la voix de la sagesse. Comme disait Spinoza, quand tu ne peux pas, tu fais quand même.

    Fin de la balance. Je n'écoute pas. Je zieute. Pas le mec sur scène qui tient sa copine entre les bras. Sa nénette. Mignonne comme tout. Je veux la même. Du style et un chien fou. L'a souligné son visage d'un trait noir qui lui donne des yeux incandescents. Au bout d'un quart d'heure je m'arrache à ma contemplation et jette un regard au gars qui entoure sa grand-mère de ses bras énamourés. Non, ce n'est pas un gérontophile, je le connais, je le reconnais, c'est Bilar des No Hit Makers avec sa contrebasse new-design, mais que vient-il faire dans cette soirée rock'n'roll punk déjantée, pas le temps de répondre, faut que je fasse gaffe à mon cerveau, je n'en ai qu'un et les mangeurs de cervelles sont sur scène.

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    ( photo hors contexte permettant d'entrevoir the big ma' )

     

    BRAIN EATERS

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    C'est comme dans les films de série B. L'inspecteur Labavure se méfie des indices qui trompent. Exemple : J C, guitare Gretsch et T-shirt logo Sun. Des rockabilly men ? Evitez les conclusions hâtives. Le fin limier jette plutôt un regard suspicieux sur Megadom le batteur, T-Shirt Meteors, certes il y a l'intro, Spunky, musicale, surfin' en diable, serait-on en présence d'un quadrille de punkabilly boys ? Démentent aussitôt avec trois titres : Lobo Loco, Vicky Lou, Brainmobile, du punk du plus orthodoxe. Asséné sans états d'âme. Les tricotent sans fioriture. Serait-on partis pour s'ennuyer ? Non cachent leur jeu. La suite se révèle plus surprenante. Salmigondis déjanté. Vous trouvez tout ce dont vous avez besoin chez eux. Des rognures déjantés de hillbilly descendu des collines, des persillades de garage pétaradant, du beat implacable qui vous poursuit tout le long de la nuit. Nous jouent des morceaux de leur prochain CD comme Cool It Baby, entre parenthèses plutôt chaude brûlante la Baby, et des fantaisies monstrueuses comme Bad Lumberjack et This Thing will Kill Me. Muskrat à la basse et Megadom aux baguettes visent à l'efficacité. JC vous entoure le bébé de barbelés very Heavy et monsieur le Professeur Boudou vous martèle la leçon d'une voix de stentor. Un mauvais exemple pour notre saine jeunesse, quitte la salle de classe, s'en va se promener dans le public avec son micro, revient pour s'allonger de tout son long sur scène dans l'espoir de déchiffrer la set-list, avec tant de difficulté que l'on se demande si notre vénéré professeur sait bien lire. En tout cas, l'obtient des résultats, car le combo file sans erreur. Sur Shake It il nous demande de nous remuer un peu, les filles donnent le mauvais exemple : épandent de la bière par terre et s'amusent à faire des glissades tout le long de la scène. De toutes les façons ils adorent les Bad Girls et la petite Lil Devil Blue. Les Brain Eaters aiment manger ( vos synapses ) épicé. Montent la sauce à la moutarde extra-forte en progression continue. Recette simple : chaque morceau plus subtilement échevelé que le précédent. Nous avons encore mieux en magasin, pas plus cher, mais plus solide et effilé comme un yatagan, vendu avec les traces de sang véritable. Pas sec, vous pouvez lécher et tout le monde s'en vient goûter ce coulis de framboise exceptionnel. Finissent sur Woodoo Bayou et un petit Ramones pour vous ramoner les consciences. Z'auraient pu continuer, deux ou trois heures, mais non faut en laisser pour les autres.

    2SISTERS

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    Grosse déception. M'attendais à deux super-meufs, mais non ce sont quatre gars... Homme libre disait Baudelaire, toujours tu chériras la mer. Mais les rockers ont une nette préférence pour les guitares. Et les quatre malandrins de 2Sisters, se cachent derrière la leur. Des éclaboussures à la Stooges, mais infinies, derrière ça pulse de tous les diables, un tambourinaire qui n'en finit pas de propulser le train, un bassiste qui a dépassé le coma épileptique, tétanisé sur ses cordes, une espèce de robot surintelligent programmé jusqu'à ce que mort s'en suive, et une guitare qui rugit comme le vieil océan de Maldoror. Stridences électriques qui s'emparent de mon âme comme pieuvre vorace «  O poulpe au regard de soie ! Toi dont l'âme est inséparable de la mienne; toi, le plus beau des habitants du globe terrestre, et qui commandes à un sérail de quatre cents ventouses; toi, en qui siègent noblement, comme dans leur résidence naturelle, par un commun accord, d'un lien indestructible, la douce vertu communicative et les grâces divines, pourquoi n'es-tu pas avec moi, ton ventre de mercure contre ma poitrine d'aluminium, assis tous les deux sur quelque rocher du rivage, pour contempler ce spectacle que j'adore » j'en suis tout émotionné, tellement commotionné, que les stances des chants maudits du Comte de Lautréamont s'en viennent à mes lèvres. Z'ont aussi un chanteur. Collé à son micro. N'en bougera pas de tout le set. Seul, immobile, inquiétant. Les autres enfantent la tempête, et lui murmure des imprécations inaudibles, il susurre doucement des mantras empoisonnés. Ils sont le dard. Il est le venin. N'assure pas le chant. Distille une présence. Une espèce d'ombre menaçante, une réserve de tourmente, le moyeu immobile de la tornade rock'n'roll. Et les autres se déchaînent, même pas le temps de finir un morceau que le riff du suivant emporte déjà la houle de la guitare. Rodeo, Booze, Down, Creeping, U & Me, What Have you Done, les morceaux se suivent et se ressemblent comme l'ouragan imite l'hurricane. Une morsure à double moteur avec les dents cariées de Mötorhead et des gencives sanguinolentes soignées au détergent MC 5. Vous avez l'impression que ce sont vos oreilles qui émettent cette ambroisie sonore destructrice. La force est en vous, et vous êtes le mal qui prolifère. Un miracle vers la fin du set, le batteur stoppe ses coups de roulis, le chant se tait, la guitare ne joue plus, cinq secondes, l'instant irrémédiable du temps qui suspend son vol, mais non, le bassiste en profite, sa basse raquelle comme un chien à qui vous arrachez les tripes tout vivant, les cordes poussent un cri de souffrance, un nid de serpents sur lequel vous marchez par mégarde, et le déluge sonore se rue sur vous et retombe en pluie diluvienne sur les épaules des filles qui dansent devant la scène. Plouf ! la lumière revient. Etrange impression, comme dans les films d'épouvante, que tout le monde doute encore que les zombies soient rentrés au cimetière. C'est que le rock'n'roll comme le Père Noël ne passe pas tous les jours.

    BULGARIAN YOGURT

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    L'on aura tout eu ce soir, après la tribu des bouffeurs de cervelles tout crues, le couvent des bonnes soeurs électriques, voici la marée humaine des hordes bulgares, ces grands mangeurs de yaourts périmés devant l'Eternel, s'emparent de la scène. L'en sort de partout. S'entassent à six sur la scène. Sept si l'on compte la dame Jeanne de Larby peinturlurée comme un poney de guerre hunique, Jansh armé de son carquois à baguettes, deux guitaristes, deux leads qui passeront leur temps à se mitrailler de riffs aigus. Z'ont amené une femelle, au cas où, bardée d'un saxophone trois fois plus haut qu'elle, plus le grand chef. Parade devant ses troupes, son chef chauve ornée d'une banane de rocker triangulaire comme un foc de brick pirate, pointu comme les récifs d'Ouessant. S'agenouille en un étrange rituel devant ses troupes, l'on ne sait pas trop ce qu'il stratège, nous montre son cul, la tête enfouie dans la grosse caisse. Se retourne brusquement vers nous, s'est transformé en homme-totem, arbore une fine cravate blanche de dandy, et s'est recouvert le visage d'une cagoule de velours léopard. L'arrachera le tout très bientôt, finira torse nu, joue avec son pied de micro avec la sveltesse des filles du Crazy Horse autour de leurs rampes.

    Derrière c'est la cavalerie, qui charge. Mille sabots de feu, Riding My Horse, qui vous saccadent un punk-rock destruozidal. La pagaille complète. La gaffette Yamette ne sait plus à quel sax se vouer, les échange tour à tour, un gros, un petit et puis un petit et un gros. Une préférence pour le gros. L'en tire des bruits de sirène, celles du Titanic – The Way I Wana Die - pour avertir les passagers que l'iceberg vient de perforer la coque. Bilar est déjà dans le canot de sauvetage, souque ferme sur sa basse, ce n'est plus de l'amour, c'est de la rage, peuvent tous couler, lui il sauvera sa fusain de dulcinée. L'est suivi de près par Jansh qui s'enfuit à toute vitesse, sur le radeau de fortune de sa batterie, il rame sur la crête des vagues avec ses baguettes. Les guitaristes ne sont pas d'accord, ont chacun attrapé un bout de cordage et tirent de toutes leurs forces en sens opposés. Normalement le rafiot devrait être au fond de l'eau depuis une demi-heure, surprise générale il flotte comme un bouchon de liège, Sam nous invective du haut de son mégaphone, et tout le monde s'embarque avec lui dans cette galère. Misery, On My Grave, sûr que la situation est grave, mais en contre-partie l'on s'amuse comme des petits fous, personne n'échangerait sa place contre un hectare de terre ferme du paradis, l'on frise la Paranoïa, l'on est à 15 Miles From Hell, mais l'on a jamais été aussi bien de notre vie. Une pétaudière, une chaudière. Ça tangue, ça valse, ça cravache, ça gigote, ça pogote, dans tous les sens. Abordage et sabordage, le punk n'a pas d'âge. Un enfant se hisse tout en haut de la barre métallique qui soutient le plafond, à voir les faces qui sourient aux anges et s'égosillent aux démons doit y avoir un fond de speed et de LSD dans la recette du Bulgarian Yogurt. Les nerfs en vrille sur la nef des fous. Jusqu'où serions-nous allés si l'heure préfectorale n'en avait décidé autrement ? Les Bulgarian sont trempes de sueur, sont salués par une monstrueuse ovation, sortent de scène en emportant leur triomphe et nous abandonnant à nos regrets insatiables.

    Ce soir, à Montreuil, rue Michelet, nous avons eu droit à l'inhumaine comédie du rock'n'roll !

    Damie Chad.

    MONDE HOSTILE

    BAPTISTE GROAZIL

    FEATURING

    POGO CAR CRASH CONTROL !

     

    Monde cruel. L'avaient promis pour les saturnales de décembre. Je le voyais déjà sous le sapin en flammes avec le petit Jésus découpé en morceaux pour le barbecue. A en pourlécher les babines de ma voisine de table. La terrible nouvelle vient de tomber faudra attendre jusqu'au 23 mars 2018. Un scandale. Un cas typique de maltraitance du public rock. Et le gouvernement qui ne pipe mot devant cette catastrophe nationale. Démission ! Démission ! Démission ! Révolution !

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    Toutefois, un peu de bon dans notre malheur. Même beaucoup. Non pas un os dénudé jusqu'à la moelle absente. Un gros cuisseau tout dégoulinant de sang et de graisse de tyranosaurux rex. Un méchant pas tout à fait mort qui mord encore. Certes ce n'est qu'un gigot alors que l'on attendait le monstre entier, mais c'est du bio-sauvage engraissé au déchet atomique de centrale nucléaire non recyclé. Idéal pour mettre les rockers en appétit.

    Je vous refile l'adresse où le chien – you wana be my dog ! - l'a enterré au fond du jardin, F.B. Pogo Car Crash Control. Pour ceux qui ont des instincts de petits propriétaires, c'est pour une misère sur toutes les plate-formes de chargement – perso je préfère le tas kropotkinien du prélèvement libre, c'est pour cela que KR'TNT ! est accessible sans droit de douane – bien sûr il y a un coupable pour cette chose immonde. S'appelle Baptiste Groazil. L'avait déjà sévi sur la pochette du premier EP que voici :

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    L'a évidemment sévices sur celle du premier et prochain album, la voilà :

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    Un véritable chARTcutier, un maître-saigneur, responsable des clips officiels du groupe. Et le Groazil quand il pousse son groin de grésil dans les images, ça grésille de partout. Méthode sanglier qui vous dévaste dix-sept hectares de pelouse – celle que vous venez de tondre - en une nuit. Me fais l'avocat du diable. La torrentielle noise-music des P3C, ce n'est pas non plus le long fleuve tranquille des vies monotones. L'artiste se doit d'indexer sa représentation sur l'objet de ses délires. Sinon vous tombez dans la gratuité dadaïste des plus attendues parce que des moins contextualisées. Toute la différence entre le factice moderniste et le poïen grec.

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    Bref vous en prenez plein les mirettes. Groazil l'est plutôt un as du démontage que du montage. Pas de pitié pour les presbytes et les myopes, vous crève les yeux à coups d'éclats. Un sagouin de l'image. Pour vous donner un équivalent pictural, c'est l'état des mains du bambin qui sort de maternelle après avoir fait activité peinture. Vous ratiboise la rétine en six secondes. Vous découpe les pupilles à la machette. N'y est pour rien. C'est le monde des Pogo qui est hostile. Le nôtre aussi du même coup. Mais il y a des maso, attardez-vous ( façon de parler ) sur la mine radieuse des fans, y a aussi les atterrés, la triste gueule d'adolescents boudeurs des Pogos, le tout et son contraire, le rien et sa plénitude, c'est un jeu, Groazil mélange les cartes, les carrés d'as et les valets de ferme ( ta gueule ). Pour ceux qui ne comprennent pas dans quel wagon ils ont mis les pieds, il écrit les titres en gros. C'est un peu comme la salade composée de la cantine universelle, vous triez les feuilles et vous avalez les lombrics. C'est avec les vers que l'on fait les poèmes. Juteux à souhait. Remplis de vitamines. Energétique.

    Damie Chad.

    P. S. : En passant par le F.B. Baptiste Groazil vous tombez sur son tomblelog, les bras vous en tombent. De cimetière.

     

    KID ORY

    ( Classic Jazz Archive )

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    La pire des trahisons. Par moi-même. Toujours dans ma recherche des incertaines et mythiques origines du rock'n'roll, fouinais dans un bac à soldes de disques de jazz – je sais ce n'est pas bien – mais entre le jazz et le blues la frontière n'est pas loin... La photo de la pochette m'attire, ensemble très New Orleans de la toute première heure, je zieute le nom, Kid Ory, je reste de marbre, un clin d'oeil sur les dates, 1886 – 1923, diable ! Un mec qui a eu la chance d'enregistrer et de mourir en 1923, vous ne trouverez jamais mieux plus proche du blues, pour mémoire je vous rappelle que le premier enregistrement officiel de blues date de 1920 ( Crazy Blues par Mamie Smith ), je prends sans regarder le prix. Ne soyons pas hypocrite, 1, 50 euros pour deux CD's ! Arrivé à la maison, à la lumière je m'aperçois que mes yeux ont mal interprété, à leur décharge faut reconnaître que le chiffre litigieux bénéficie d'une graphie abstracto-moderniste, ce Kid Ory est un gars qui n'a vraiment pas eu de chance dans sa vie, l'a survécu jusqu'en 1973 ! Soyons bon prince, pardonnons-lui cette obstination vitale, et écoutons de nos deux oreilles.

    Les deux CD's ne couvrent que la toute première partie de la vie de Kid Ory. Souvent, mais pas toujours, les premiers enregistrements des musiciens sont les meilleurs. Ce phénomène est très patent pour de nombreux groupes rock. Exprimer, jeter tout ce que l'on a dans le ventre tel sa gourme entre les cuisses des premières rencontres ne signifie pas que l'on soit un véritable créateur doué de capacités de maturations ou de renouvellement. Sans parler des maisons de disques qui vous poussent à rechercher une audience grand public... Mais pour la génération des premiers jazzmen une autre problématique s'est imposée. Brutalement. La crise de 1929. Qui les a renvoyés au chômage. Au début des années trente, c'est la débandade, tous ceux qui parvenaient à vivre de leur musique sont obligés de chercher un boulot d'appoint, et bientôt à temps plein. Les exemples ne manquent pas, nous avons déjà évoqué le cas de Sidney Bechet ouvrant un garage et puis une laverie. Pour Kid Ory ce sera un élevage de poulets... Dans les années quarante s'amorcera un revival jazz New Orleans et certains sauront profiter de ce regain d'intérêt pour leur musique. Kid Ory sera de ceux-là. Se permettra même de refuser de rejoindre la formation de Louis Armstrong, gagnant par ses propres moyens beaucoup plus que le deal proposé par le grand Satchmo. Une fin de vie heureuse pour Kid Ory, reconnu de toute la profession et à qui le public manifestera sa fidélité jusqu'à la fin.

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    Mais nous n'en sommes pas là. Tout gamin, poussé à La Place, cité voisine de la Nouvelle Orleans, Kid Ory s'entiche du cornetiste Buddy Bolden. L'influence de celui-ci sur la naissance du jazz s'avèrera déterminante. Ayant abandonné le banjo pour le cornet il aidera à dégager la nouvelle musique en gestation des courses échevelées du ragtime. Ne s'agit plus de jouer vite, mais d'exploser la virtualité de son instrument. La virtuosité exige un autre espace sonore. Bolden sera celui qui transcende la section rythmique des cuivres. Plus question qu'elle se contente de soutenir, d'appuyer, de souligner la lead-section des cordes. Bolden se permet de tirer des soli de son cornet. Cornets et trompettes s'engouffrent dans la brèche qu'il a ouverte. Les cuivres s'emparent de la lead-section de l'orchestre.

    Kid Ory qui sur le conseil de Buddy Bolden s'est mis au trombone emprunte cette voie royale. A la New Orleans il ne joue pas avec des moins que rien, son chemin croise souvent ceux de Joe King – c'est Ory qui lui décerne ce titre honorifique – Oliver et de Louis Armstrong. Les jazzmen sont heureux comme des coqs en pâte dans le quartier chaud de Storyville, filles, alcools, produits, musique, difficile de rêver meilleur environnement. Mais en 1917 la municipalité est prise d'une crise de puritanisme aigu. Les musiciens émigrent alors vers Chicago. Certains s'arrêtent à Kansas City, Kid Ory fait un détour par Los Angeles.

     

    MUSKRAT RAMBLE

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    Ory's creole trombone : ( Los Angeles, Juin 1922 ) : surprenant, zig-zags de trombone, nous sommes encore bien près du ragtime et des bizduits qui vous attrapent l'oreille. Une musique qui évoque l'accompagnement des premiers dessins animés de Walt Disney mais vous avez de ces tutti orchestraux qui de temps en temps s'incrustent dans vos palourdes pour ne plus en ressortir. Prometteur. Le jazz entre dans une nouvelle ère. De nombreux spécialistes pensent que cette face enregistrée sous le nom de Ory's Creole Jazz Band est le véritable premier enregistrement de jazz proprement dit bien plus que celui d'Original Dixieland Jass Band réalisé en 1917 et qu'ils considèrent comme de la musique folklorique jouée par des blancs... Un morceau historique. Gut bucket blues : ( Chicago, 12 novembre 1925 ) : une voix reconnaissable entre toutes, attention nous ne sommes plus avec le Creole Jazz Band mais avec le Hot Five d'Armstrong, c'est bien lui qui lance la danse. Lil Armstrong est au piano, c'est elle qui a poussé Louis à se mettre en avant. L'a eu raison, cette frangipane vanillée de cuivres est merveilleux. Come back sweet papa : ( Chicago, 22 février 1926 ) : l'on prend les mêmes et on recommence, mouettes rieuses qui survolent une mer radieuse. Le génie de l'orchestration à l'état pur. Georgia grind : ( Chicago, 26 février 1926 ) : voici trois titres issus de la même session, Lil est au chant, voix un peu trop lointaine même si les cuivres se taisent et ponctuent doucement après elle. La voix de Louis sur le piano, et c'est reparti pour une douceur de clarinette, trop vite interrompue. Oriental strut : ( Chicago, 26 février 1926 ) : rythme canaille et trombone langoureux, chacun à son tour s'en vient pincer les hanches de la fille, impossible de dire celui qu'elle préfèrera. Pas de jalousie entre les gars, jouent trop bien entre eux. Muskrat ramble : ( Chicago, 26 février 1926 ) : tous ensemble et droit devant, on lève la jambe et l'on souffle comme des déhanchés. Raisins muscats, des grappes porteuses d'ivresse. Snag it : ( Chicago, 11 mars 1926 ) : plus de Hot Five, mais en plus d'Armstrong et de Kid Ory, voici King Oliver qui s'est joint à eux, faudrait encore citer les huit autres qui ne sont pas venus pour rester les mains et la bouche dans les poches. Ampleur sonique, cavalcade et trompettes de cavalerie, poussez-vous la colonie passe, tuba et batterie à la fête. Fanfare subtile. Sugar foot stomp : ( Chicago, 29 mai 1926 ) : tous ensemble l'on stompe à tout rompre, on peut vous le faire tout doucement et tout seul mais beaucoup mieux quand on s'y met tous. Wa-Wa-Wa : ( Chicago, 29 mai 1926 ) : c'est pas du scat mais les cats sont là et les souris dansent. Tutti dantesque. 29 th and dearborn : ( Chicago, 10 mars 1926 ) : autre séance sans cadors heureux d'être né certes, mais l'ensemble est un peu poussif et répétitif. Manque d'imagination dans les soli. Too bad : ( Chicago, 11 mars 1926 ) : King Oliver est revenu avec un peu de monde, cela se sent, même si l'absence d'Armstrong est évidente.

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    Dropping shucks : ( Chicago, 16 juin 1926 ) : Hot Five, de la dentelle, beau comme une élégie de Verlaine, de la musique avant toute chose. Armstrong qui boppe au chant, remplacez les cuivres par des guitares électriques et c'est presque du rockabilly. Who's it : ( Chicago, 16 juin 1926 ) : de l'aisance et de la grâce, trombone amoureux et l'escarcelle repart au sommet du chapiteau, en bas sur la piste les clowns soufflent dans leur langue de belle-mère et les ballerines dansent sur le fil. Agilité déconcertante. The king of the Zulus : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : Toujours le Hot Five, la musique s'interrompt pour une dispute vocale et l'on reprend le mouvement, sans inquiétude comme si de rien n'était. Le banjo à l'honneur pour une fois, le cornet de Louis se glisse dans des trous de souris. Big fat Ma and Skinny Pa : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : déclaration à la parade et tout le monde en pas de deux comme les petits rats de l'opéra. La voix d'Armstrong guide les évolutions. Sweet little Papa : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : cette facilité déconcertante de cinq musiciens qui s'écoutent comme larrons en foire et cette désinvolture qui n'arrive même pas à être horripilante. Gatemouth : ( Chicago, 13 juillet 1926 ) : sonne très moderne, un son beaucoup plus actuel. Nouveau combo, Louis a Disparu, Gil est là. S'en donnent tous à tue-tête. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Papa Dip : ( Chicago, 13 juillet 1926 ) : à l'identique sur un tempo plus rapide. Musique de danse et de trémoussements impromptus.

    ORY'S CREOLE TROMBONE

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    Flat foot : ( Chicago, 14 juillet 1926 ) : la clarinette de Jimmy Dodds suave comme une barbe à papa, le banjo de Johnny St Cyr qui se secoue les puces, Lil Armstrong qui charlestonne sur son clavier, Ory confettise sur son trombone. Mad dog : ( Chicago, 14 juillet 1926 ) : chien fou slalome entre les quilles, Ory aboie mais l'on sent qu'il aime les bêtes, la clarinette siffle sans méchanceté. Dead man blues : ( Chicago, 21 septembre 1926 ) : enterrement de première classe, l'on a renforcé le pupitre des clarinettes car l'on ne va pas laisser partir le macchabée dans un silence de mort. Hommagial, mais l'on évoque avant tout les moments heureux. Les cuivres ne sont pas loin du swing des décennies postérieuses. Black bottom stomp : ( Chicago, 15 septembre 1926 ) : Jelly Roll Morton est au piano et chaque instrument y va de son sprint, qui aura l'honneur de dépasser le piano fou ? S'y mettent tous ensemble mais il se maintient à leur hauteur et les plante dans le virage en tête d'épingle. Furax final. The chant : ( Chicago, 15 septembre 1926 ) : ce coup-ci la course se fait sur la largeur de la route, l'on mord dans les bas-côtés, l'on écrase les piétons, quelle rigolade ! Morton actionne les pistons et tous les autres au klaxon. Jazz Lips: ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : attention lèvres d'or et son Cinq Chaud de braise sont de retour, Jimmy Dodds frétille des trilles sans fin et Armstrong donne de la voix pour montrer qui est le patron. Doctor jazz : ( Chicago, 16 novembre 1926 ) : d'ailleurs voici le docteur trop bien, on prend les mêmes plus Johnny Saint Cyr pas radin qui se radine avec son banjo. Plein gaz. Plein jazz. Le trombone vous en met met plein la trombine. Grandpa's spells : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : honneur au banjo, l'en pince pour la musique, les cuivres tout autour lui font fête. Jelly Roll se contente de trois mesures. Mais suprématiales. Original Jelly-Roll blues : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : d'ailleurs se taille part du lion sur ce morceau suivant, et malin avec cela, vous tire la descente de lit par en-dessous, le mec qui suit de loin, qui laisse les copains faire les zigotos et les ronds de jambe, mais les filles ne voient que lui. Cannon Ball Blues : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : George Mitchell vous tamponne les pavillons de son cornet, les autres l'accompagnent, ce coup-ci c'est lui qui remporte la mise même si les copains ne chôment pas, que voulez-vous il ne baille pas au cornet. Showboat shuffle : ( Chicago, 22 avril 1927 ) : le disque original grésille, le cornet de King Oliver se défonce à mort. Quelque part au fond de la cambuse on remue la cafetière, mais le showboat passe en toute majesté. Méfiez-vous le tuba est mortel. Put 'em down blues : ( Chicago, 2 septembre 1927 ) : Du blues ? Pas vraiment mais le public achète de plus en plus de ces femelles bleues qui ont une super côte. Pas du tout fêlée. Du coup Lil Armstrong se sent obligé de pianoter tout ce qu'il y a de plus bastringue. Et les cuivres tirent une langue longue tremousseuse comme un serpent à sonnettes à ces dames. Fairplay ?

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    Ory's creole trombone : ( Chicago, 2 septembre 1927 ) : tout compte fait Ory est toujours dans nos oreilles mais on l'entend mal, l'aigu des cornets et des clarinettes ne lui laissent trop souvent que la part d'ombre. Alors ce coup-ci il ouvre le bal. Une évidence sans ses flonflons tous les autres n'existeraient qu'à moitié. The last time : ( Chicago, 6 septembre 1927 ) : un titre pré-stonien ? Que non, ici pas de bruit de fond, pas de mur de son, plutôt un feu d'artifice, rouge cornet, fraise clarinette, outremer du trombone et Louis qui pousse la chansonnette comme une brouette remplie de bâtons de dynamite. Allumés. Shuttin' with some barbecue : ( Chicago, 9 décembre 1927 ) : fête champêtre et pirate, y a de la joie dirait Charles Trenet, oui mais ici il est interdit de se traîner. Faut souffler sur les charbons ardents. Got no blues : ( Chicago, 9 décembre 1927 ) : pas le temps d'avoir le blues, on vous le répète en long et en large. On répépiège un peu tout de même. Banjo un tantinet encombrant. Heureusement que Louis est là pour pousser le cornet de la bonne sœur dans les orties du désir. Once in a while : ( Chicago, 10 décembre 1927 ) : dans la série on va vous montrer tout ce ce que l'on sait faire, tous ensemble et un par un. Vous ne trouverez pas mieux. En abuseraient presque un poil de trop. I'm not rough : ( Chicago, 10 décembre 1927 ) : on ne l'attendait plus mais voici le blues. Pas un qui rampe. Un qui brille d'azur. L'on s'arrête en fin de mesure pour mieux pousser la charrette tous ensemble, tous en cœur. Qui bat très fort. Louis hache les mots. Ne laissez pas traîner les doigts. Surtout qu'à la fin ça s'accélère. Hotter thant that : ( Chicago, 13 décembre 1927 ) : vous ne trouverez pas plus brûlant. Le Hot Five porte bien son nom. Ory est au trombone comme d'autres titrent au tromblon, et Louis scate comme s'il squattait la moquette de la chatterie de la SPA.

     

    La compil met Kid Ory en vedette. Mais pas d'illusion c'est Armstrong qui dépasse. Et toute une époque. Le jazz est né de ce melting pot de musiciens qui apprenaient à cohabiter ensemble dans un formation où aucun ne désirait ravaler son identité instrumentale. Avaient compris d'instinct que jouer à ôte-toi-de-là-que-je-m'y-mette les desservirait. Alors s'y sont collés tous ensemble car l'union fait la force mais en aménageant à chacun une fenêtre de tir dont tous les autres tenaient les battants grands ouverts. Pas longtemps, souvent encore moins qu'au rockabilly, mais l'opportunité à saisir afin de se démarquer de tous les autres. Brûlures rafraîchissantes.

    Damie Chad.

    *

    L'ART D'APPRIVOISER LE BUFFLE

    DANIEL GIRAUD

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    A la seule lecture de ce titre le lectorat de KR'TNT ! se partage en deux clans. Une première moitié qui dit : «  Ah ! Je vois ! Des chansons sur les bisons et les teepees, Damie va nous causer de la contribution des peaux-rouges aux rock'n'roll, genre Link Wray, Jimi Hendrix, Redbones et tout le reste de la tribu ! » et une seconde qui répond «  Pas du tout, c'est un trip country, sur le rodéo, long corns sauvages, vaches folles, pom-pom girls, et chevaux. Je parie une monographie sur Alan Jackson !  ».

    Illustration parfaite du vieil antagonisme séculaire qui oppose indiens et cowboys ! Inutile de sortir les Winchesters et les coutelas à scalper. Amis rockers, le buffle dont il est question ici est un véritable buffle, pas un lointain cousin dégénéré made in USA, il s'agit de l'original buffle chinois. Du made in China, tout ce qu'il y a de plus authentique. Comme vous pouvez le voir sur la couverture du livre.

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    Réponse générale : «  Un livre ! Nous croyions que c'était le dernier CD du chanteur de blues ariégeois Daniel Giraud ! Tu sais, nous la lecture... et puis franchement sans vouloir te vexer nous n'avons pas particulièrement envisagé d'acheter un buffle, du moins dans l'immédiat, alors un bouquin sur l'élevage du buffle... tu n'aurais pas plutôt un book sur les rockabillies pin-up par hasard ! »

    Amis rockers, je vous rassure, le bouquin est minuscule, 15 centimètres sur dix, et seulement huit pages. Dont deux d'illustrations. Une véritable bande dessinée en dix vignettes, rondes, de petites bulles, sans phylactère. Même pas besoin de lire les notules explicatives de Daniel Giraud pour comprendre. En plus je vous explique. Ecoutez bien, je commente les images :

     

    • 1° ) Je cherche le buffle que j'ai perdu. 2° ) Chouette, les empreintes du buffle ! 3° ) D'ailleurs le voici en muscle et en cornes ! 4° ) Il n'aime pas trop que je lui passe une corde autour du cou. 5° ) Un bon coup de fouet sur les fesses pour lui apprendre à se tenir tranquille ! 6° ) Hop, je monte sur son dos et le ramène à l'étable. 7° ) Désormais le buffle se le tient pour dit et ne songe plus à s'enfuir. 8° ) Plus de problème, je ne pense même plus au buffle. 9° ) Mon buffle m'indiffère totalement. 10° ) A tel point que quand je vais au marché pour le vendre j'oublie de l'emmener. Voilà, c'est fini !

    • Heu ! Vachement intéressant Damie, l'est sûr que les histoires les plus courtes sont les meilleures. Mais enfin Damie, l'aurait tout de même été moins fatigant de laisser le buffle là où il était au début de l'histoire !

    • Amis rockers vous me décevez, la membrane imperméable qui comprime le pois chiche de votre cerveau est aussi épaisse que le cuir de votre perfecto. Vous n'avez rien compris ! Le buffle n'est qu'une image !

    • Tu nous avais dit qu'il y en avait dix !

    • Le buffle représente le corps que votre esprit doit savoir dompter, puis oublier, pour finir en être totalement séparé, c'est ainsi que vous obtiendrez le nirvana !

    • Nirvana, ne t'inquiète pas, on a déjà tous les disques ! Par contre on veut bien oublier notre corps mais pas celui de la petite Suzie ! Tu vois Damie, ton book, il est trop intellectuel ! Comme disait Buffalo Bill, faut un minimum de chair autour de l'os ! Fût-il de buffle chinois ! Tant pis si tu riz jaune !

    • Allo, Daniel, tu sais les illustrations de Tensho Shodun le moine zen du quinzième siècle et les gravures contemporaines de Tomikichiro To Kusari n'ont pas provoqué un raz-de-marée spirituel chez les kr'tnt readers ! Tu devrais songer à écrire L'Art d'Apprivoiser le Rocker !

    Damie Chad.

    L'art d'apprivoiser le buffle : Daniel Giraud. ARQA Editions. 5 euros.