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  • CHRONIQUES DE POURPRE 706 : KR'TNT ! 706 : MORLOCKS / JERRY REED / SWELL MAPS / BOB STANLEY / ROBERT KNIGHT / ROCKABILLY GENERATION NEWS TELESTERION / DOORS / GENE VINCENT +CHRIS DARROW

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 706

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 10 / 2025

     

     

    MORLOCKS / JERRY REED / SWELL MAPS

    BOB STANLEY / ROBERT KNIGHT

     ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TELESTERION /  DOORS

        GENE VINCENT +  CHRIS DARROW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 706

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

    - À la vie à la Morlocks

    (Part Three)

             Après quelques années d’errance dans le désert, on finit généralement par perdre pas mal de choses : du poids, c’est évident, mais aussi sa fierté et ses complexes. L’avenir du rock n’échappe pas à la règle. Il se sent même tellement décomplexé qu’il se prête naturellement à quelques fantaisies : il donne libre cours à des fantasmes.

             — Et si la mort n’existait pas ?, énonce-t-il d’un ton jovial. 

             Délicieusement surpris par la clarté préraphaélite de sa logique, il ajoute :

             — Puisque je suis en vie, ça veut donc dire que la mort n’existe pas !

             Quelle fabuleuse évidence ! Il adore cette idée. Il l’alimente. Il la dorlote, il l’emmène partout avec lui, il en fait des slogans :

             — L’oisiveté est la mort de tous les vases !

             Il regorge tellement d’ingéniosité événementielle qu’il se met à chanter:

             — La mort qu’on voit danser le long des golfes clairs !

             Et puis un jour, alors qu’il traverse une immense étendue caillouteuse, il voit un nuage de poussière s’élever à l’horizon. C’est un chameau ! Il approche rapidement. Oh mais c’est Lawrence d’Arabie ! Encore lui ! Quelle erreur celui-là ! Il est encore pire que moi, se dit l’avenir du rock !

             — Alors Lawrence, pas encore mort ?

             — Pfff... La mort ne m’intéresse pas, puisqu’elle ne peut être vécue.

             — Suis d’accord avec vous Lawrence, la mort c’est de la merde !

             — Pire que ça, avenir du rock, c’est de la merde turque !

             — Arrrrgggghhhh, vous êtes vraiment un gros dégueulasse Lawrence ! Vous allez me faire gerber !

             — Bon c’est pas tout ça, avenir du rock, j’ai encore des trucs à faire. Salut, mec, à la prochaine !

             — À la vie à la Morlocks, Lawrence !

     

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             L’avenir du rock est assez fier d’avoir réussi à caler son petit slogan. Il n’a donc pas perdu toute sa fierté, comme on le supposait. Et de son côté, Leighton Koizumi n’a rien perdu de sa fantastique animalité. Il se dresse dans le paysage garage-punk comme un bloc de granit, il paraît indestructible, merveilleusement wild as fuck. Il

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    avoue sur scène atteindre la soixantaine, mais tout en lui dit le contraire, il reste notre screamer américain préféré, le dernier survivant d’une lignée qui remonte à Gerry Roslie et qui passe par John Schooley, Frank Black et Jimbo. Leighton Koizumi est le dernier roi du scream américain, de la même façon que Wild Billy

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    Childish est le dernier roi du scream anglais. Ce n’est pas le même genre de scream. L’anglais est assez pouilleux, assez délinquant, assez peau-sur-les-os, c’est le scream des kids qui fuck you, le scream des kids qui s’en battent les bollocks, le scream des kids qui ne craignent ni la mort ni le diable. Le scream américain est plus reptilien, plus démesuré, il fait appel à une notion inconnue en Europe qui est celle de la

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    frontière, le scream d’une vie qui ne tient plus qu’à un fil, mais d’une vie quand même, le scream des plaines qui s’étendent à l’infini, le scream des scalps et des chariots brûlés, le scream d’une vie culturelle qui n’existe pas, le scream d’une «nation» de colons bâtie sur la destruction des autochtones et l’esclavage, c’est aussi le scream du Vietnam, le scream d’une société maudite. C’est un scream hanté, le scream d’une violence endémique, et ce géant en perpétue la tradition avec une élégance stupéfiante. Si tu veux voir un showman à l’œuvre, c’est lui. Il est l’une des

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     plus pures incarnations d’un genre éculé par tant d’abus qu’on appelle le garage-punk. Sa presta est d’une pureté absolue. Le set des Morlocks est conforme aux canons. Il pleut des hommages : hommage à Robert Johnson avec un «Killing Foor» tapé au pilon des forges, un autre gros clin d’œil au 13th Floor avec «You Don’t Know» et surtout cette cover ultra-puissante du «Teenage Head» des Groovies, et là, oui, tu montes jusqu’à ton cher septième ciel. 

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             On voit régulièrement les Morlocks en France. La dernière fois, c’était à Toulouse, en 2020, et petit détail macabre, c’était le dernier concert de Gildas (Hello Gildas). Retourner voir les Morlocks sur scène, c’est donc une espèce de pèlerinage - Hello darkness my old friend - Bernadette est toujours là, Gildas le connaissait bien. Bernadette qui est un guitariste qui jouait dans un groupe de garage allemand, les Gee-Strings. Cox est là, elle aussi, au premier rang. Première rencontre à Binic en 2019, où elle faisait une petite interview de Gildas à la terrasse du Nerval pour son fanzine. Alors on renoue, et Gildas n’a jamais été aussi présent. C’est ce qu’on appelle communément une communion. Spirit in the sky.

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    Signé : Cazengler, la (mort) loque

    Morlocks. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 30 septembre 2025

     

     

    Rockabilly boogie

    - Jerry Reed n’a pas pris une ride

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             Dans ses liners pour The Rocking US Male, Roland Heintich Rumtreiber rappelle que la Georgie est le pays des grands guitar pickers, à commencer par Blind Willie McTell. Puis il va droit sur l’outstanding Jerry Reed. Né pauvre, Jerry chope sa première gratte à l’âge de 7 ans - I picked up the guitar at age seven and never put it down again - On appelle ça une vocation. Il devient vite the hottest picker in town, et Bill Lowery lance sa carrière à Atlanta. Puis il lui décroche un contrat chez Capitol. Lowery voit du potentiel dans le jeune Jerry et le pousse à composer.

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             Alors attention, on entre dans le cœur du mythe : Capitol et Ken Nelson. Ce nom ne te rappelle rien ? Ken Nelson ? Mais oui, le producteur de Gene Vincent. En 1956, à la fin d’une session chez Capitol, Ken Nelson demande à Jerry de composer un catchy tune pour son «rockabilly hopêful Gene Vincent». Jerry rentre au bercail et compose aussi sec  «Crazy Legs» que Gene et les Blue Caps enregistrent quatre jours plus tard.  Puis Jerry rejoint le backing band de Ric Cartey, the Jiv-A-Tones.

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             Jerry va ensuite s’installer à Nashville. Parmi ses admirateurs se trouve Chet Atkins. Ils vont devenir amis. Chet signe Jerry sur RCA en 1965 et veille sur la qualité des enregistrements. Jusqu’alors, personne n’a selon Chet su capter le vrai son de Jerry. C’est exactement ce qu’il entend faire en 1967 avec The Unbelievable Guitar And Voice Of Jerry Reed. C’est là que se trouve la pépite du diable, «Guitar Man» et son wild rockab drive. C’est d’une véracité à toute épreuve. Jamais un cut n’a aussi bien taillé la route. Sur le même album, on trouve «US Male» qu’Elvis va aussi reprendre. Heavy Jerry ! Superbe ! Il développe du génie pur. «Woman Shy» est aussi puissant. Jerry Reed est un wild cat in the deep. Il met encore du chant dans ton oreille avec «I Feel For You». C’est toujours ça de gagné. Ce mec Jerry te met dans sa poche, cut après cut. L’heavy groove infectueux ? Il a ça dans la peau, comme le montre «Take A Walk». Il reste l’un de ces fabuleux cats d’undergut dont le Deep South a le secret. Tu te régales encore de «Love Man» et de son claqué d’acou en travers. Il gratte «If I Promise» à l’espagnolade. Tu sors de ta torpeur et tu danses au bar de la plage avec les plantureuses de service. Jerry Reed est l’artiste complet par excellence : voix, poux, compos, tout est bon. 

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             Elvis est au volant quand il entend «Guitar Man» sur son auto-radio. Pouf, il veut l’enregistrer. Ce qu’il fait à Nashville en septembre 1967. Mais aucun de ses guitaristes ne réussit à choper le funky feel de la version originale. Même pas Scotty Moore. Alors un mec conseille à Elvis de faire venir Jerry Reed. Jerry débarque au Studio B de RCA. Quand on l’a prévenu, il était à la pêche depuis plusieurs jours et il n’a pas eu le temps de se changer. Il arrive en bottes crottées et en vrac. Elvis adore ça. Ils s’entendent tout de suite très bien et ils ne font que deux takes de «Guitar man». Quand les sbires du Colonel coincent Jerry pour lui demander de céder ses droits, Jerry les envoie sur les roses. Fuck you ! Comme l’a fait Chips.   

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             L’année suivante, il enregistre deux albums, Alabama Wild Man et Nashville Underground.  Le morceau titre d’Alabama t’envoie direct au tapis : forte présence vocale à la Jerry Lee. Son «Alabama Man» est monté sur la carcasse de «Guitar Man». C’est de bonne guerre. Il reste encore coincé dans son Guitar Man pour «Broken Heart Attack», petit tatapoum vite fait bien fait, et puis on tombe sur le coup de génie de l’album : «Free Born Man». Prestance à la Tony Joe White, mélange de Steve McQueen, de Chips Moman et de guitar genius. Il adresse ensuite un gros clin d’œil à Boyce & hart avec une cover de «Last Train To Clarksville», oh no no no. On trouve aussi une Beautiful Song sur cet album : «Losing Your Love», montée sur des arpèges atonaux. Une vraie merveille à la coule. Il combine encore tous ses talents sur «Maybe In Time» : big power et easy going.

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             Nashville Underground peut se targuer d’avoir l’une des plus belles pochettes de l’histoire du rock américain. Toujours cette sacrée présence vocale, mais Jerry Reed devient plus commercial. Petite pop, c’est vrai, mais belle voix. Plus aucune trace du wild cat. Nashville a fini par lui limer les dents. Bon la voix, bon le truc, bon le machin, mais zéro slap. Il revient s’inscrire à merveille dans le Guitar Man avec «Save Your Dreams», qu’il chante d’ailleurs avec une voix de rêve, sans doute par souci de cohérence. Il revient aussi à son cher heavy groove avec «Almost Crazy» et «You’ve Been Cryin’ Again». Il profite de «Tupelo Mississippi Flash» pour faire du gros rumble de Tupelo.

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             Sentant qu’il va virer country, on teste un dernier RCA : Better Things In Life. On espère y retrouve l’éclat de ses deux premiers albums sur RCA. Il est tout de suite là avec son mix de Tony Joe White, de vieux gratté et de lay my burden down. Il gratte ses petites conneries dans «Roving Gambler». Il passe un solo aux petits oignons dans «The Likes Of Me» et te gratte sa vision du blues dans «Blues Land» : superbe heavy blues jump ! Tu te prosternes. Il fait du story telling à la Tony Joe White dans le front porch de «Johnny Wants To Be A Star». Il joue bien sa carte vermoulue. Puis il refait son Elvis dans «Oh What A Woman» et tape un véritable numéro de surdoué avec «Swingin’ 69». C’est pour ça qu’on est là.

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    Glen + Jerry

             Puis dans les années 1970, Jerry va devenir un habitué du ‘Glen Campbell Goodtime Hour’ à la télé. Rumtreiber n’en finit plus de rappeler que Jerry est resté Jerry toute sa vie - What’s wrong with being happy? - Il jouait pour le fun, spontaneous and efforless, alors que les autres semblaient sérieux et concentrés. Jerry est toujours resté funky and soulful - He was a mean son of a gun, a rocker, and a damn hot picker - when you’re hot...

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             En 2022, Bear sort un 25 cm, The Rocking US Male. Tu t’attends à monts et merveilles. T’as effectivement le fameux «Guitar Man» qui avait bien tapé dans l’œil d’Elvis. Très intriguant, voilà «You Make It They Take It», un petit comedy rock à la Coasters, mais ça joue au pulsatif rockab. En B t’as encore cet «US Male» taillé sur mesure pour Elvis, mais le coup de Jarnac s’appelle «I’ve Had Enough» : pur rockab, slappé dans les règles, fabuleux shake de shook, Jerry boppe son blues. Diable comme ça swingue ! Chapeau bas aussi pour «Have Blues Will Travel» : Jerry gratte son riff raff comme un punk. Et puis, glissé dans la pochette avec le fat booklet, t’as un CD 25 titres qui reprend les cuts du 25 cm, bien sûr, mais t’as plein d’autres choses, notamment «The Great Big Empty Room», un heavy groove de rockab, il te tape ça sous le boisseau, avec le poids du slap et l’éclat du chant. Il chante encore comme un cake sur «Teardrop Street» et revient au heavy romp avec «Your Money Makes You Purly». C’est une merveille jouissive, avec ces chœurs de filles. T’es vraiment frappé par l’incroyable qualité des cuts, et ça continue avec «I Can’t Find The Worrds», un swing de balladif : il y claque le solo que passe Burlinson sur Train Kept A Rollin’. Et pour finir, Jerry le crack accompagne Ric Cartey sur deux cuts déments, «Heart Throb» (on se croirait chez les Cramps, Jerry gratte comme un punk et Ric sonne comme Lux, exactement le même son !) et «I Wancha To Know», un fast rockab d’excelsior, fouetté à la peau des fesses par un swinger fou. Et Jerry te claque l’un des solos de son siècle.  

    Signé : Cazengler, ridé

    Jerry Reed. The Unbelievable Guitar And Voice Of Jerry Reed. RCA Victor 1967

    Jerry Reed. Alabama Wild Man. RCA Victor 1968

    Jerry Reed. Nashville Underground. RCA Victor 1968

    Jerry Reed. Better Things In Life. RCA Victor 1969

    Jerry Reed. The Rocking US Male. Bear Family Records 2022

     

     

    Wizards & True Stars

     - Swell Maps on the map

     (Part Two)

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             Les Anglais saluent royalement la résurrection des Swell Maps : quatre pages dans Uncut, et deux dans Mojo. Tu crois rêver. Que nous vaut cette avalanche de pages merveilleuses ? La parution des John Peel Sessions !

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             Jim Wirth qualifie les Swell Maps de punky outsider artists. C’est beaucoup plus que ça. Les Swell Maps sont les chantres de la modernité du rock anglais, au même titre que Syd Barrett, Paul Vickers et Lawrence. Apparemment, Nikki Sudden avait une facilité à composer - I write songs like I drink a cup of coffee or read a book - I just do it - Et il ajoute ça qui en dit long sur ses mensurations : «I can’t see ourselves becoming too polished, note-perfect and all that.» Nikki est punk dans l’âme, c’est-à-dire just do it et no note-perfect. Wirth parle encore d’un chaotic mix of Can and T. Rex. Il rappelle ensuite qu’entre 1978 et 1980, les Swell Maps ont sorti deux albums et quatre non-album singles. Puis il passe aux influencés, parmi eux Sonic Youth (attirés par le filthy guitar sound), les Pastels (attirés par le rudimentary, free-form style, c’est-à-dire le dégingandé) et surtout Luke Haines au temps des Auteurs qui qualifiait des Swell Maps de «British Velvet Underground». Wirth qui est outrageusement bien documenté rappelle encore qu’au commencement, les Swell Maps ne juraient que par les Faust Tapes (their blueprint) et qu’ils ont expérimenté chez eux à Birmingham jusqu’à l’éclosion du post-punk DIY frenzy. John Peel va flasher sur le premier single, «Read About Seymour» (qu’on retrouve bien sûr dans la première Peel Session de 1978). Quand ils sont arrivés au studio de la BBC à Maida Vale en octobre 1978, les Swell Maps ont flippé quand ils ont vu que l’ingé-son portait un T-shirt ELO, mais ça s’est bien arrangé. Ouf !

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             John Dale attaque son hommage en citant les précurseurs des Swell Maps : Buzzcocks, Desperate Bicycles et Raincoats. Les Swell Maps se présentaient comme «a multi-headed hydra inhalating a galaxy dont les constellations comprennent les grooves hypnotiques de Can et de Faust et the minimalist pop poetry of Marc Bolan.» Dale dit évoque aussi the furious creativity of the Godfrey brothers, c’est-à-dire Nikki et Epic. Et Bolan remonte toujours à la surface. Nikki : «As Soon as I heard T.Rex, that was it.» Dale parle encore d’«out of control rock’n’roll action» et d’«hypnotic mesmerism». Il parle encore d’un groupe «barely in control of themselves». Puis il rend hommage à ce fantastique batteur qu’est l’Epic, «able to drive songs to their relented climax with fire, throwing in accents that lift the songs to their next level, pushing things ever forward.»

             Mais le groupe va exploser lors d’une tournée en Italie et donc à la veille d’une tournée américaine. Chacun va partir de son côté, «Nikki as a post Stones troubadour, Epic as a Wilson and Nyro devotee, Jowe as a peripatetic avant-popster.»

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             Dans l’interview qui suit, Jowe Head explique que les Swell Maps existent encore et qu’il a enregistré en 2021 un album, Polar Region, avec des cuts qui datent du first incarnation of the band. Alors, il les a développées. Howe indique en outre que le groupe était beaucoup trop créatif à l’époque. 

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             À l’époque du Trip To Marineville, t’étais déjà complètement effaré par la modernité des Swell Maps. Avec les John Peel Sessions qui viennent de paraître, c’est mille fois pire. Cette modernité te saute à la gorge, et franchement, tu adores ça. Tu ressens exactement ce que tu ressentais à l’époque où tu découvrais The Spotlight Kid, à l’époque où tu découvrais d’Angelo, à l’époque où tu découvrais  le Who Else de Jeff Beck, le Songs And Other Things de Tom Verlaine, et t’avais encore autant de modernité chez Junie, chez Huey Piano Smith, chez Mozart Estate, chez Big Joanie, dans le Five Legged Dog des Melvins, dans le Buy de James White, chez les Dawn Of The Replicants. Autant de modernité qu’il n’y en avait chez Tzara et Guillaume Apollinaire.

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             Ces John Peel Sessions dégoulinent littéralement de modernité. L’«International Rescue» enregistré en octobre 1978 grouille de vie. C’est du rock exubérant. «Harmony In Your Bathroom» sonne comme du punk rock aventureux. C’est Fantômas en Angleterre, de la même façon que Tav Falco est aujourd’hui Fantômas à Bangkok. Les Sweel Maps dégagent une énergie primitive. L’«Another Song» sonne comme le «Time’s Up» des Buzzcocks. Même son et mêmes chœurs ! Ils flirtent avec le Magic Band dans «Full Moon In My Pocket». C’est à la fois osé et balèze, c’est même indécent de modernité. Absolument essentiel !

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             En mai 1979, ils attaquent une deuxième Peel Session avec «Armadillo» et un son plus offensif. C’est nettement plus militaire. S’ensuit un «Vertical Slum» gratté sévère et sérieusement emporté de la bouche, c’est taillé à la serpe avec un sax free qui entre dans la danse. Tu vas continuer à rôtir dans l’enfer de la modernité avec «Midget Submarines». Nikki gratte ça au gras double de Kraut de bic et l’Epic te bat ça si sec. Quelle overdose d’overload ! Ils ont cette assurance dodelinante du beat Kraut, confiant et lourd comme un bœuf, et Nikki te groove ça avec tellement d’avance sur son époque.

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             La troisième Peel Session date de mars 1980. Elle est un peu moins dense. On retrouve un énorme beat anglais sur «Helicopter Spies». Leur son est plus libre. Ils règnent sans partage sur l’indie rock britannique.

    Signé : Cazengler, Swell Naze

    Swell Maps. The John Peel Sessions. The Grey Area 2025

    Jim Wirth : The lost boys. Mojo # 383 - October 2025

    John Dale : Swell Maps. Uncut # 343 - October 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Stanley your burden down

    (Part Four)

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             Motown ! On est au cœur de Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. PolyBob plonge dans Motown comme s’il plongeait dans le lagon d’argent. Plouf ! Il commence par dire que Motown a pris la suite du Brill et en a amplifié l’éclat. Puis il rappelle que les Beatles étaient dingues de Motown et qu’ils tapaient des covers des Miracles et des Marvelettes sur leur deuxième album. Motown, nous dit l’hyper-exubérant PolyBob, avait des mélodies qui passaient bien à la radio, aussi bien que celles des Beatles et des Beach Boys - The sound of young America. Its roster was obscenely rich in talent, and lurking unseen in the backroom was a rhythm section that was just about the best pop has ever seen, even now - Et quand tu ne t’y attends pas, PolyBob te fait un croche-patte au bas d’une page : «Yet Gordy built Motown one piece at a time, and it barely cost him a dime.» L’autre arme secrète de Motown, c’est bien sûr Holland/Dozier/Holland : 11 number ones pour les Supremes, pendant les sixties, «more than anyone except the Beatles». Gordy ne voulait pas créditer les musiciens sur les pochettes, parce qu’il voyait Motown comme une marque de qualité, comme General Motors - Si vous achetez une nouvelle voiture, disait-il, vous n’avez pas besoin de savoir qui a monté le carburateur - Le seul qui n’aime pas Motown, c’est Eric Burdon : il trouve que c’est de la Negro music blanchie - Motown is just too pretty for me - PolyBob se demande alors si Burdon a écouté l’«Heatwave» de Martha & The Vandellas. Il conclut en affirmant que Motown était là pour faire danser la young America - In this respect, nobody did it better.

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             Dans le chapitre ‘1966: the London look’, PolyBob épingle l’absence de Totor, qui s’est retiré du business après le flop inexplicable de «River Deep Mountain High». Il parle ici d’un homme qui avait fait «more than anyone to progress the sonic impact of pop.» En 1966, Londres est devenu le centre du monde, «and the Rolling Stones were its embodiment, the ultimate dandy pop stars for louche aristocrats to be seen with.» Cette année là, «Reach Out I’ll Be There» et «Good Vibrations» sont des number ones - In a way they were the ultimate number ones - Eh oui, il n’a pas tort, PolyBob, tu n’en as plus des masses, des number ones de ce niveau. Il fallait en profiter, à l’époque. Dans le même chapitre, il rend hommage à Frankie Valli et à son unearthly falsetto, et pour lui, le «Walk Like A Man» des Four Seasons est la plus parfaite incarnation de New York. Dans la foulée, il rend hommage à Bob Crewe qui a lancé les Four Seasons, et ensemble, ils ont créé ce que Crewe appelle «a fist of sound», «a harder counterpart to Brian Wilson and Phil Spector West Coast teen symphonies.» C’est du même niveau. Avec ces pages intenses, PolyBob ne fait que rappeler un truc de base : ne commets pas l’erreur de faire l’impasse sur les Four Seasons. Il profite d’ailleurs de ce crochet par Valli pour saluer Lou Christie qui vient tout juste de casser sa pipe en bois - He’s probably worth a book of his own - Et pour finir, PolyBob recommande l’écoute de Paint America Love. C’est grâce à l’une de ses compiles, State Of The Union (The American Dream In Crisis 1967-1973) qu’on a découvert cet album.

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             On reste à Londres en 1966 avec les Troggs et les Hollies. PolyBob se mare bien avec les Troggs, insinuant que Larry Page les trouvait tellement rudimentaires (so lacking in charisma and grace) qu’il rebaptisa le chanteur et le batteur avec les noms des two most stylish people he could think of - Elvis Presley and James Bond. Et toujours selon PolyBob, les Troggs n’auraient dû être qu’un one-shot band avec «Wild Thing» - But it turned out that Reg Presley was a decent songwriter who could capitalize on their limitations - Ils sont donc devenus les premiers poster boys, et les premiers alternative heroes dans une liste qui comprend Big Star, the Go-Betweens and Nick Drake. Et quand il rend hommage aux Hollies, PolyBob rend surtout hommage à Tony Hicks, «maybe British pop’s most underrated guitarist». Et pour situer les Who, PolyBob te sort ça : «Si les Hollies were the straightest, then the Who were the wildest.» Et puis bien sûr les Kinks, et cet hommage vibrant à Ray Davies : «His incisive satire made him the Wyndham Lewis of his day.»  

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             Il tape à nouveau dans le dur avec les Beach Boys. Hommage spectaculaire à l’autre géant de la pop américaine, avec Totor, Brian Wilson, qui «grew up with younger brothers Dennis and baby Carl in Hawthorne, California. Along with cousin Mike Love, they sang harmonies around the kitchen table.» Voilà le génie de PolyBob, il nous restitue les racines d’un mythe dans le quotidien d’une famille californienne. Plus loin, il explique que les Beach Boys ont recyclé le sonic thunder de «Wipe Out» et de «Pipeline», et ajouté dans le mix the Four Freshmen-styled harmonies they had sung since childhood, et nous dit PolyBob, «ça aurait pu sonner creux (a bit daft), a one-off novelty at best, but instead this combination came over as the promise of a never-ending summer.» Quand tu lis ça, tu l’as dans le baba. Ses petites formules tapent chaque fois en plein dans l’œil du cyclope. PolyBob formule merveilleusement bien les choses du rock. On sent le fan en lui. Le fan qui sait dire les choses comme il faut les dire. On en croise pas des masses dans la vie, des fans comme PolyBob. Il revient inlassablement à son cher Brian Wilson, un homme qui reste mélancolique, bien qu’étant le leader du biggest pop group in America et qui n’a alors que 23 ans - Sometimes I feel very sad - et quand il se met à expérimenter avec Pet Sounds, le cousin Mike Love l’avertit sèchement : «Don’t fuck with the formula.» Brian, nous dit encore PolyBob, aurait bien aimé continuer à chanter les Four Freshmen sur sa little Honda, mais la pression de la famille et de la record company, combinée aux fioles de LSD, l’ont vite envoyé valdinguer par-dessus bord (eventually tipped him over the edge). Puis Brian annule la participation des Beach Boys à Monterey, il arrête Smile et fait comme Totor, il se retire. Alors les Beach Boys font paraître ce que PolyBob qualifie d’«emasculated Smiley Smile». À l’époque, on avait tout de même l’impression que Smiley Smile n’était pas si emasculted. Enfin, puisque PolyBob le dit...  Puis vient le temps des règlements de comptes : «Dennis and Carl were dead and Mike Love - for his part in the collapse of the Beach Boys - was possibly the most reviled person in all of pop.» Brian refait surface avec l’aide des Wondermints et joue Smile sur scène. Et PolyBob refait son messianique : «Crawdaddy’s Paul Williams encapsulated the feel of the Beach Boys music in three words: warmness, serenity, friendship. For this reason, there is more love directed at Brian Wilson than anyone else in this book.» C’est une phrase qu’on relit plusieurs fois car sa résonance est réelle. PolyBob dit ce qu’on aurait aimé dire avant lui. Grâce à lui, on sait maintenant dire pourquoi on aime Brian Wilson à la folie.

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             Puis notre inépuisable PolyBob file droit sur San Francisco et Los Angeles, et on croise dans ces pages touffues le mixed-race hardnut Arthur Lee, qui, au temps de l’early Love, vivait en communauté dans l’ancienne maison de Bela Lugosi qu’on appelait the Castle. Un Arthur Lee who modelled his vocals on crooner Johnny Mathis. Et puis on finit par tomber sur un premier point de désaccord. PolyBob prétend en effet qu’après la désintégration de Love en 1968, «Lee’s subsequent career was rarely more than disappointing», ce qui est complètement faux, puisque Four Sail reste pour nous le meilleur album de Love. C’est la première fois qu’on surprend PolyBob en flagrant délit de faute de goût. Alors, on décide de le surveiller de plus près. Même un messie mérite une tarte dans la gueule.

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             Bizarrement, à la page suivante, PolyBob refait un faux pas en évoquant Syd Barrett : il affirme que Syd voulait être une pop star, alors que dans A Very Irregular Head, Syd affirme exactement le contraire. Il ne voulait surtout pas devenir une pop star. Syd n’était pas un mec vulgaire. On passe aussi sec à Jimi Hendrix et à la formation miraculeuse de l’Experience  - They gelled like no trio before or since - Et Jimi devient le A-grade showman que l’on sait, «he claimed to be from Mars, dressed outrageously, was both boyishly and sexual as hell.»

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             Dans son chapitre ‘Soft rock’, PolyBob évoque les Mamas & The Papas et leur cover du «Dedicated To The One I Love» des Five Royales - the sexiest lullaby you ever heard - Puis il rend hommage à Nilsson : quand on demandait aux Beatles quel était leur artiste américain favori, ils répondaient Nilsson. Et PolyBob se fend d’une délicieuse anecdote : «Un lundi matin, à 7 h, Nilsson reçoit un coup de fil. ‘Is that Harry?’ This is John.’ ‘John who?» ‘John Lennon.’» Lennon l’appelle pour le féliciter et lui dire que son album est fantastique. Le lundi suivant, à 7 h du matin, il reçoit un autre appel : McCartney, qui lui dit la même chose. Alors le lundi suivant, Nilsson se lève de bonne heure et attend le coup de fil de Ringo, mais Ringo n’a jamais appelé.

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             On reste chez les géants avec Burt et Dionne Warwick que PolyBob décrit comme une «improbable-looking woman with a jutting jaw, Martian hair, and wide, oval eyes that conveyed no emotion whatsoever.» En parlant d’elle comme ça, il frôle le blasphème. Elle était donc, nous dit PolyBob, «the perfect foil for Bacharach’s ever more odly constructed songs, with their staccato thrills and cool, clipped, offbeat rhythms.» Et il conclut sur ça qui vaut encore le détour : «Bacharach-produced Dionne Warwick albums were an essential component of any sixties apartment.» Quand il saura composer des cuts comme ceux Burt, on l’autorisera à ricaner sur le dos de Burt. En attendant, c’est loin, très loin d’être le cas.

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             PolyBob glisse logiquement sur Scott Walker et sa «combination of florid woe and art-house angst.» Il rappelle au passage que Gary Leeds avait été le drummer des Standells. Il rappelle aussi que les covers que fit Scott Walker de Jacques Brel sont emotionally bettered by no one - Walker abandonned himself in hymnal orchestral pop - tout au long de ses «five starling solo albums between 1967 and 1970.» PolyBob passe ensuite tout naturellement à Jimmy Webb qui avec «By The Time I Get To Phoenix», devient soudainement «the biggest thing since Lennon & McCartney». Mais le pire est à venir avec «MacArthur Park», en 1968, «the longest single that had ever reached the American Top 10 - It was an elaborate mansion of a song, with doors opening onto a new room full of inexpected treasures every thrity seconds or so.» Mais les hippies, croasse encore PolyBob, ne pigent rien au «someone left the cake in the rain».

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             Dans la foulée, il nous rappelle que Dave Godin a inventé la Deep Soul. Northen Soul, c’est encore lui - He was gentle and private, and found he got the most pleasure from music when it was slow and fervent - PolyBob cite quelques cuts de Deep Soul (George Perkins’s «Cryin’ In The Streets», Timmy Willis’s «Easy As Saying 1-2-3», Doris Allen’s «A Shell Of A Woman», et une dizaine d’autres) avant de conclure ainsi : «Hear Betty Harris’s ‘What Did I Do Wrong’ or Irma Thomas’s ‘Wish Someone Would Care’ and you can understand why people like Dave Godin devoted their lives to it.»   

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             Creedence ! PolyBob est fasciné par le «run of tight, loud, instant classic hit singles, something almost no one else managed in those years.» En 1969, ils étaient «America’s hottest act» et en tête d’affiche de Woodstock, manque de pot, ils passèrent après le Grateful Dead qui terminèrent leur set à 3 h du matin, et les gens dormaient. Puis les deux frères Fogerty vont se fâcher et ne s’adresseront plus jamais la parole. Dans le chapitre suivant, PolyBob attaque les Monkees - The Monkees are one of pop’s greatest conundrums - c’est-à-dire l’une des plus grosses énigmes. PolyBob prétend qu’ils ont détrôné les Mamas & The Papas et déstabilisé Brian Wilson : il exagère un peu. Les Monkees n’étaient pas aussi bons qu’il veut nous le faire croire. Écoute les albums et tu verras. Il y a à boire et à manger. PolyBob prétend aussi qu’il y a du Dada dans la série TV qu’ils tournent avec Bob  Rafelson : encore de l’exagération. La série n’est pas si bonne, même si John Lennon prétend que ce sont le nouveaux Marx Brothers. En fait, les Monkees sont bons tant que Don Kirshner, Boyce & Hart sont dans les parages. Kirshner veut battre les Beatles à la course et il rameute toutes les stars : Goffin & King, Mann & Weil, Carole Bayer, David Gates, Russ Titelman, puis t’as les cracks locaux en studio : James Burton & Glen Campbell, Al Casey en bass, Larry Knetchel on piano, Hal Blaine au beurre. Ça ne peut que marcher - It was the whole Spector wrecking crew - Et boom, «Last Train To Clarksville» déloge «96 Tears» de la tête des charts. Les Monkees sont mignons et remplacent dans le cœur des kids américains les Beatles qui portent alors la barbe. Ils deviennent le new pop phenomenon. Quand ça commence à grogner chez les Monkees, Don Kirshner débarque de New York avec un chèque d’«a quarter-million dollar for each Monkee». Ça va les calmer, pense-t-il. Au contraire. Ils veulent enregistrer leurs propres chansons, et quand l’avocat de Kirshner leur dit qu’ils ont signé un contrat, Mike Neshmith défonce un mur en placo d’un seul coup de poing et dit à l’avocat «in his best Clint Eastwood voice» : «That could’ve been your face.» C’est là que les choses vont se gâter pour les Monkees : ils perdent les compos. Seul Nesmith s’en sortira plus tard avec sa carrière solo et des albums magiques.

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             Nous voilà en 1970. Rod the Mod est arrivé en Californie. Greil Marcus l’épingle : «Rarely has a singer had a full and unique talent as Rod Stewart. Rarely has anyone betrayed his talent so completely». Eh oui, on n’a jamais pardonné à Rod The Mode d’avoir enregistré ses albums pourris. PolyBob est assez cruel sur ce coup-là : «Que peut-on attendre d’un working-class kid qui a grandi à Archway Road et qui s’est installé en Californie, qui dîne au champagne et qui savoure les grappes de raisin que lui proposent des blondes nubiles. C’est vrai qu’il a trahi son talent, mais il n’a pas trahi ses racines.»

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             Dans son chapitre ‘Electric Soul’, Polybob rend hommage à Sly et à George Clinton - Sly & the Family Stone were the most goodtime groupe since the Lovin’ Spoonful. Their spirit was irresistible - En un an, ils ont transformé la Soul music. «How ? it’s all there in their first hit ‘Dance To The Music’ : thumping fuzz bass, doo-wop harmonies, propellant drums, topped off with a Minnie The Minx yell of ‘all squares go home!’. En trois minutes, chaque chanteur et chaque instrument get their moment in the spotlight, it had the feel of a Sunday-school riot, the same giddy spontaneity as ‘Be-Bop-A-Lula’, with the random, exultant shouts.» PolyBob a l’air de jerker quand il écrit ça. Et ils se marre, se demandant si Sly s’est posé la question : pourquoi personne n’avait pensé à cette formule avant lui : «He took the live excitment of the Stax soul revue, grafted on James Brown’s functional, rhythm-as-a-pure-state funk and mixed in the heightened airs of psychedelia (The Family Stone were from San Francisco, after all).» On sent nettement l’exubérance jouissive dans les propos de PolyBob. Et il enchaîne aussi sec : «Sly Stone, brother Freddie, sister Rose, teenage Italian American drummer Greg Errico, slap-pop bass pionneer Larry Graham, Motown-loving saxophonist Jerry Martini, and a Californian forest fire of a trumpet player called Cynthia Robinson went from mere stars to superstars at Woodstock in ‘69.» PolyBob compare aussi There’s A Riot Goin’ On aux singles que Norman Whitfield a produits pour les Temptations. Dans la foulée de Sly, voilà Funkadelic et leur message messianique : «Free your mind and your ass will follow.» Des Funka qui font des «loud progressive and polyrhythmic jams that owed as much to Jimi Hendrix as they did to James Brown.» PolyBob arrache Ruth Copeland à l’oubli, en rappelant que les Funka accompagnaient cette belle blanche sur scène en 1971 et qu’elle a enregistré deux astonishing albums, Self Portrait et I Am What I Am. Tout cela nous conduit naturellement aux Isley Brothers qui font entrer Brother Ernie dans le groupe en 1973 pour virer psyché - The atmosphere on their ‘73 album 3 +3 was not unlike Jimi Hendrix guesting on What’s Going On.

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             Le glam ? It came from the suburbs, rappelle PolyBob. C’est Chelita, la femme de Tony Secunda, qui emmène le jeune Marc Bolan s’acheter des boas et des fringues sexy. Puis devenu superstar, Bolan va se détériorer. Dans Born To Boogie, il se prend, nous dit PolyBob, pour Jimi Hendrix sur scène alors qu’il n’en a pas les moyens - he ended up looking rather brattish - Puis il se mit à se nourrir de coke et de champagne - Bolan ballooned. By the time 1973’s Tanx came out, he looked more Elvis than elfin.

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             Plus anecdotique : en 1970, de passage à New York, Bowie rend visite à Andy Warhol. Pour se présenter, Bowie fait un numéro de mime. Warhol qui n’est pas impressionné se tourne vers son assistant et demande : «Should we laugh?». Ce qui n’empêchera Bowie de rendre hommage à Warhol sur Hunky Dory, un album, nous dit PolyBob, bourré de chansons extraordinaires - «The Bewlay Brothers» was terrifying - Puis il décide de bâtir sa musique autour d’une image et non d’un son et d’influences : il crée an alter ego, the sci-fi rocker Ziggy Stardust - which enabled him to become a star before he had more than a handful for fans - Ce genre de phrase se savoure, tant elle est paraît délicieuse. PolyBob fait ici du mimétisme artistique. Il écrit comme écrirait Ziggy. Ziggy ouvre donc la porte, et Roxy s’engouffre - They were very much British art-school - Roxy apprend tout de Richard Hamilton, avec un Bryan Ferry qui ressemble à un «coke fiend from an F. Scott Fitzgerald novella, which was entirely the idea.» Eno quitte Roxy en 1973, «as it became clear that Ferry was running the show». C’est ce qu’on n’aime pas chez le Ferry, cette main-mise sur Roxy. Puis PolyBob va faire un nouveau faux pas, affirmant qu’après le départ d’Eno, «Roxy just got better: their two first albums revealed a little too much of their art training and Eno’s departure led to a finer, more unified sound». C’est exactement le contraire qui s’est produit : après les deux premiers albums, Roxy est devenu plus commercial et s’est mis à puer. Une horreur. Bizarre que PolyBob qui a pourtant le nez fin n’ait pas été incommodé par cette horrible puanteur. Avalon ! 

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             Il boucle son chapitre glam avec Slade et Mott. Pour lui, c’est du gâtö - Dickensian singer Noddy Holder had a voice like John Lennon screaming down the chimney of an ocean liner - il les décrit un par un, «Dave Hill on guitar had the most rabbity face in the world» (il fait référence aux dents de lapin) et Don Powel mâchait son chewing gum et fixait l’espace en battant le beurre, et même après un terrible accident de voiture où il avait perdu la mémoire, he looked exactly the same, et puis Jim Lea qui avait l’air de vivre chez sa mère et d’élever des pigeons. Eh oui, Slade c’est pas de la tarte, t’as les looks et t’as les cuts, et, encore une cerise, Chas Chandler comme manager. Mais comme T. Rex, ils ne parviennent pas à percer aux États-Unis. Alors en 1976, ils sortent un album appelé Whatever Happened To Slade? - It seemed that nobody knew - Et puis Mott, «a pleasant enough band without suggesting they’d ever catch fire.» Bowie les supplie de ne pas splitter. Alors Ian Hunter, nous dit PolyBob, se marre : «Give us a hit  and we’ll think about it, Dave.» Bowie leur file «All The Young Dudes» - It was the equivalent of Brian Wilson giving Jan & Dean «Surf City» - Et PolyBob se moque de Mott : «They self-mythologized to a ridiculous degree. Giving themselves nicknames like rock’n’roll action heroes - Overend Watts, Ariel bender - They aimed for the sky and they hit the pub ceiling - C’est d’une rare cruauté. PolyBob n’aime pas Mott et les traîne dans la boue. Troisième faux pas. Alors qu’ils enregistrent des classiques impérissables - And just when it was about to get boring, just as glam had run its course, they split en 1975 - C’est faux, PolyBob ! Hunter est allé faire carrière aux États-Unis, abandonnant ses copains comme des vieilles chaussettes. Même histoire que Steve Marriott avec les Small Faces. Comme Bowie l’avait prédit, le glam a duré 5 ans - Glam was constantly aware of its mortality and that is what made it enjoyable.

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             On passe directement à la Philly Soul, à Thom Bell et son «Beat concerto» sound. Delfonics («America N°1 sophisticated soul group»), Stylistics (whose singer Russell Thompkins Jr. had an extraordinary falsetto and a look of guenine surprise whenever he hit the high notes), les chansons «sounded impossibly lush and heartbreakingly pure, richer than anything that had gone before.» Voilà Gamble & Huff qui comme Thom Bell viennent d’un Cameo Parkway house band called the Romeos. Ils vont tous les trois apprendre à produire the definitive Philadelphia sound. Les superstars du Philly Sound sont les O’Jays, et la réponse de Gamble & Huff à Motown furent les Three Degrees. Sur la West Coast, Barry White va ramasser trois girls et les baptiser Love Unlimited. «Walking In The Rain With The One I Love» was a masterpiece.

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             PolyBob passe sans ciller au «ridiculously talented» Todd Rundgren. Hommage à l’un des albums phares de la grande époque, A Wizard A True Star. Il tape plus loin un chapitre entier sur Abba et salue ces deux mecs, Ulvaneus et Anderson, qui dans leur cabane de rondins suédoise, composent en six ans une série de chansons «which were the best planned, best edited, most hook-filled, polished, economically tight hits of their era - maybe of any era.»

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             On évoquait les ceusses qui laissaient tomber leurs meilleurs potes comme de vieilles chaussettes : en voilà un autre, Graham Nash, qui vaut pas plus cher et qui non seulement abandonna ses potes, mais aussi sa femme et ses kids à Manchester pour aller vivre la belle vie en Californie et baiser la copine de Croz, Joni Mitchell. Puis PolyBob s’occupe du cas de Neil Young. Il épingle deux cuts qu’il aime bien, «Like A Hurricane» et «Albuquerque». Dans la série des hommages qui tapent à l’œil, voici celui qu’il rend à Alex Chiton qui, avec Big Star, inventa la power pop, «using sharp Who edges and bright Beatles harmonies on 1974’s Radio City.»

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             Il se montre une fois de plus ambigu sur le cas du MC5, on peut même dire qu’il se grille quand il écrit sur «Kick Out The Jams», «one of pop’s great titles, proved to be a noise in search of a tune. People wanted them to be great, but they spluttered and died.» C’est pas très gentil d’écrire un truc pareil sur un groupe aussi vital que le MC5. C’est vrai que Saint Etienne n’a jamais kické les jams. C’est tout de même assez drôle : on autorise les auteurs à dorloter certains de nos chouchous mais on ne supporte pas qu’ils esquintent la réputation des chouchous les plus importants. Qui est-il ce PolyBob pour oser juger des groupes comme Love, Roxy ou le MC5 ?

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             Par contre il se rattrape avec les Stooges, qualifiant leurs deux premiers albums de «refreshing and influential, first to David Bowie («Rebel Rebel» is essentially a Stooges knock-off) then in punk (the Sex Pistols covered «No Fun»), and then dozens of acolytes in the eighties.» Il passe de là tout naturellement au Velvet - Reed and Cale had somehow created a noise so brand new that it tore a hole in pop’s natural state of progression, so sharp and freakish and heart-piercing that it makes me burst out laughing every time I hear it - PolyBob rappelle qu’au temps du Velvet, en 1967, «A Whiter Shade Of Pale» et «All You Need Is Love» étaient en tête des charts. Puis petit coup de projecteur sur les Ramones qui cherchaient à condenser «les hits des Beach Boys, de Phil Spector, et des Shangri-Las into recidivist ninety-second bursts with antagonistic titles.»

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             Puis c’est l’épisode punk, avec «Anarchy In The UK» qui «had some of the best lyrics in pop.» Et bien sûr PolyBob ne rate pas l’occasion qui s’offre à lui de traiter Sid Vicious de caricature. Puis c’est la débâcle de la tournée américaine - At a gig in Dallas, Sid was headbutted but carried on playing, blood pouring down his face like a badge of honor. «Look at that», sighed Rotten, «a living circus.» - Quand Rotten quitte le groupe, à la fin de la tournée américaine, «all of pop waited his next move, as it had done with the post-army Elvis and the post-crash Dylan. Listen to Johnny. Johnny Rotten will know what to do.» Et bien sûr, «Public Image» sounded like the future. PolyBob lui rend fantastiquement hommage, indiquant qu’il a fallu dix ans aux groupes anglais «to make guitar sound as intangibly and emotionally unsettling.» Ouais il cite ce «beautiful manifesto» de John Lydon : «I’m not the same as when I began. I will not be treated as property.» Et PolyBob d’ajouter : «Some days, I think «Public Image» is the most powerful record ever made.»

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             Dans son chapitre New Wave, il se fout bien de la gueule de Costello qui «wrote pun-packed songs while singing as if he was standing in a fridge.» Puis il cite brièvement Joe Jackson, «a caricature of a caricature» qui «barked like a pissed-up accountant». Comme Léon Bloy, PolyBob peut sortir la hache et frapper dans le tas. S’ensuivent les chapitres Disco et Bee Gees, et bien sûr il n’en finit plus de chanter les louanges de Robin Gibb qui n’a que 19 ans quand il dirige un orchestre de 97 musiciens et un chœur de 60 personnes pour enregistrer «In Heaven And Back». Il conclut son chapitre Bee Gees ainsi : «They wrote a dozen of the finest songs of the twentielth century. The Bee Gees were children of the world.»

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             Il sort hagard de son chapitre et enquille avec le Post-punk, c’est-à-dire la Post, comme le disait Gildas (Hello Gildas). PolyBob profite de la Post pour rendre hommage à Peely qui sur Radio 1 devint «a teenage hero». Et bien sûr, le chouchou de Peely, c’est Mark E. Smith & The Fall - Their truculent leader Mark E. Smith combined love of M. R. James ghost stories, Wyndham Lewis Vorticist manifesto and an anti-fashion stance - flares, tank tops, cheap beer and fags. Smith was witty, bloody-minded, and had little time for any music beyond Can, Lou Reed and sixties garage punk - Ce n’est pas un hommage aussi percutant que celui rendu à John Lydon, mais c’est bien qu’il ait associé ces deux héros dans la même page, Peely et Mark E. Smith. Pour saluer l’after-punk américain, il choisit ESG qui furent «the quintessence of New York in 1980», avec leur «tight, super-minimal, super rhythmic pop (two-note basslines, one-note guitar solo, cowbells all over the shop).» Il consacre à la suite des chapitres à Kraftwerk et à l’early rap, ainsi chacun peut y retrouver son compte. PolyBob a tout écouté, donc il peut parler de tout ça dans le détail, et éventuellement t’inciter à écouter des trucs que tu ne connais pas. Dans son chapitre New Pop, il s’attarde sur des machins comme Human League et Boy George, puis retourne aux États-Unis pour Springsteen et Meat Loaf, eh oui, ce sont des passages obligés pour un mec qui prétend raconter toute l’histoire de la pop. Et crack, tu tournes la page et sur qui tu tombes ? Michael Jackson. C’est une époque pourrie. Et ça continue avec Prince et Madonna. T’es pas obligé de lire toute cette daube. PolyBob fait son boulot consciencieusement, il rame dans les Sargasses de la pop, et d’une certaine façon, il atteint ses limites, car jamais il ne réussira à te convaincre d’écouter Michael Jackson ou Madonna. Plutôt crever. Mais à ce stade des opérations, tu lui donnes encore une chance, car il reste quelques chapitres, notamment un chapitre Metal et comme il n’a rien compris au metal, il met là-dedans, tiens-toi bien, Sabbath, Thin Lizzy (!), Deep Purple et Led Zep, puis ça glisse sur Metallica et AC/DC. Puis ça glisse encore dans la ‘Birth of Indie’ avec les Smiths et REM. Il qualifie Morissey de «best lyricist British pop had ever profuced», mais bon, après, il faut aimer les Smiths et c’est pas demain la vieille qu’on ira écouter ça, quoi qu’en dise monsieur PolyBob. Et ça déraille encore sur Phil Collins, toutes les malédictions de la pop culture sont au rendez-vous, semble-t-il. On tombe fatalement sur le chapitre Pet Shop Boys & New Order. Il n’y a que les Anglais pour s’intéresser à ça. PolyBob attaque son Part Five avec un chapitre ‘House & Techno’. Puis c’est l’Acid House & Manchester. PolyBob s’épuise à ramer dans ses Sargasses. 

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             Il tente un dernier coup de bluff avec un truc très anglais, beaucoup trop anglais, et voici comment il s’y prend : en fin renard - Quel est votre favorite pop group ? Pas facile, n’est-ce pas ? Je pourrais opter pour les Beach Boys, mais il y a toujours cette difficulté à aimer Mike Love (of loving Mike Love). The Who? Far too patchy. The Pet Shop Boys? They didn’t know when to quit. The Bee Gees? Oh, too much to explain. Si on vous forçait à citer your favorite group of all time, then the Beatles would be a hard one to argue with, but so would the KLF - Et voilà comment il réanime un vieux scoop de la presse anglaise - The KLF - Bill Drummond and Jimmy Cauty - epitomized everything that had changed in pop since acid house. They weren’t young, or pretty, but they had ideas, a lot of good ones, a lot of stupid ones, and they were smart enough to put them into practice - Drummond avait joué avec Big In Japan à Liverpool, et dit à Seymour Stein qu’il avait sorti deux des greatest records of the decade, «Shake Some Action» des Flamin’ Groovies et «Love Goes To Building On Fire» des Talking Heads. Bon alors, est-ce une raison suffisante pour aller écouter KLF ?

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             On se remonte le moral un peu loin avec deux pages stupéfiantes sur les Mary Chain - You can imagine Beach Boys harmonies on «Never Understand» and Mary Weiss would have been the perfect singer for «Just Like Honey». La raison pour laquelle ils ne sonnaient pas comme des sixties revivalists, c’est parce qu’il recouvraient leurs songs with defeaning layers of squalling feedback (...) ce qui n’avait jamais été fait dans la pop - Et une fois encore, PolyBob se vautre quand il évoque le passage de Psychocandy à Darklands : «They ditched the feedback on their second album, Darklands. Now you could hear the tunes and the lyrics, clear as a bell, on «Some Candy Talking» and «April Skies», and they weren’t bad. But the point of the group was entirely lost.» T’inquiète pas PolyBob, si un jour t’écoutes «I Hate Rock’n’Roll», tu verras que le point of the band n’est pas lost du tout. Mais alors pas du tout ! Dès qu’un groupe est un peu trop sauvage ou trop moderne, PolyBob est paumé. On le voit attaquer Spacemen 3 et on craint le pire - It was hard to imagine Rugby group Spacemen 3 getting it together to go to the post office, let alone getting played on the radio - Oui, c’est sûr PolyBob, sauf que Sonic Boom et Jason Pierce comptent encore aujourd’hui parmi les plus belles rock stars anglaises. PolyBob ramène une anecdote : «Lorsqu’ils enregistrèrent leur album en 1987, la fumée de leurs pétards était tellement dense que l’ingé-son devait débrancher l’alarme incendie à chaque session.» Et il termine avec un pauvre petit jeu de mots : «If you wanted a soundtrack to narcotic oblivion, they were the perfect prescription.» Sauf que les albums des Spacemen 3 sont de vaillants classiques, et ça, PolyBob oublie de le mentionner. Faut-il faire confiance à un mec qui se prosterne devant les Bee Gees ?

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             Il va se reprendre en saluant Dinosaur Jr et J Mascis, qui «looked like a long-haired kid who’d sit on the toilet for forty minutes at a time reading Marvel comics.» Puis ça glisse tout naturellement sur Kurt Cobain - The Mascis whine, the Mould holler, neither could stand up to the sheer volume of Kurt Cobain and Nirvana - Et il surenchérit avec ça : «Summoning up the hard-rock noise of Led Zeppelin, Black Sabbath and Motörhead as a backdrop, for their underclass concerns, Nirvana became the biggest alternative group in the world.» Et Kurt, nous dit PolyBob, vénérait les Vaselines, Hüsker Dü et les Pixies. Et là PolyBob retombe miraculeusement sur ses pattes. On craignait qu’il n’ose esquinter la réputation de Kurt Cobain.

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             Il fait un dernier crochet par la Britpop, histoire de saluer Suede et leurs premiers singles, «The Drowners» et «Animal Nitrate», qu’il qualifie de «louche and lithe, clean and classy» - Suede’s artwork and asethetic was simple, and that suddenly seemed sexy - Il aurait pu qualifier ces singles de géniaux. Même Mark E. Smith qualifiait Suede de «best new band in Britain». Et ça se termine forcément avec Oasis - There was no Bowie, Smiths or Syd Barrett in the sound of Oasis, the group they were most reminiscent of was Slade - loud raucous, goodtime music. Liam Gallagher had far and away the strongest voice in Britpop, as rough and ragged as John Lennon on «Twist And Shout» (...) Noel Gallagher, like Marc Bolan before him, had the knack of rewriting his favorite riffs and creating something new and irresistible: «Don’t Look Back In Anger», «Wonderwall», «Cigarettes And Alcohol». And like Bolan, his ego quickly got the better of him - Puis Polybob évoque la «stratospheric fame» d’Oasis, avec ses 8 number ones, «and they blew it - It was a classic working-class tale, rag to riches and back again.» Il compare cette «tragédie» à celle des Bay City Rollers.    

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             Malgré ses petits défauts, cette bible est l’une de celles qu’il faut lire, car elle raconte l’histoire de la pop, c’est-à-dire l’histoire de ta vie. PolyBob t’aura au moins orienté sur deux groupes que tu ne connaissais pas : les Wondermints et KLF, et poussé à réécouter toutes affaires cessantes le 3 + 3 des Isley Brothers. C’est déjà pas si mal.

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    Signé : Cazengler, Stan laid

    Bob Stanley. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. Norton 2015

     

     

    Inside the goldmine

     - Knight of white satin

             Personne ne connaissait son nom. On l’appelait Nate. Un Savoyard. Un homme descendu des montagnes. L’œil clair. Un certain âge. Le cheveu gris. Solidement charpenté. Assez haut. Voix profonde. Toujours en pull marin l’été. En caban l’hiver. Il semblait indestructible. Un roc. Un homme austère. Jamais un sourire. Il passait voir les gens pour leur apporter un soutien moral. Quelques paroles de sagesse. Il aidait aussi à résoudre certains problèmes administratifs. Il savait où s’adresser pour obtenir des aides municipales. Il ne demandait rien en retour. C’était un bénévole. Il se mettait au service des gens. Pour le voir, il suffisait de lui laisser un message au tabac-épicerie du coin de la rue. Il fallait lui indiquer l’adresse exacte, le jour et l’heure. Il était toujours ponctuel. Il entrait et s’installait en position de lotus sur le canapé, sans enlever ses chaussures. Il attendait. Il n’ouvrait jamais le débat. Il fallait lui soumettre le problème. Il réfléchissait avant de donner une réponse. On sentait en lui un caractère forgé. Il cultivait probablement un mélange de casuistique et de foi en l’homme. Il ne supportait pas les pleurnicheries. Il appelait ça «les larmes de crocodile». Il affirmait sèchement qu’il existait une solution pour tout problème. Et qu’il fallait fournir un petit effort pour trouver la solution. Il prenait des risques en parlant ainsi à des gens affaiblis par les rigueurs de la vie, mais il le faisait intentionnellement. Passer à l’action était pour lui le seul remède contre la misère du monde, le seul vaccin moral capable de vaincre la gangrène. Il utilisait toute sa force de caractère pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire sauver les gens d’eux-mêmes. Combien de vies a-t-il sauvées, personne ne le saura jamais. Mais ceux qui l’ont connu se souviennent de lui comme d’un saint homme. Un saint homme dur.

     

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             Pendant que Nate sauve des vies, Knight met au monde la Soul des jours heureux. Dans leurs domaines respectifs, ils ont joué des rôles fondamentaux. Et plus ces rôles sont insignifiants aux yeux de la postérité, plus ils sont fondamentaux aux yeux de l’infra-monde. 

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             Merci Philippe Garnier de nous avoir signalé, au temps des Coins Coupés, l’existence d’Eddie Holman et de Robert Knight, un Robert Knight dont on retrouve d’ailleurs la trace chez Steve Ellis et Love Affair, puisqu’ils vont faire leurs choux gras d’«Everlasting Love».

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             Dave Godin nous rappelle les infos de base : Robert Knight est un petit black du Tennessee, qui grâce à Love Affair, va devenir une star de la Northern Soul en Angleterre. On est donc en territoire sacré.

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             Alors tu remontes à la racine de l’hit avec l’album du même nom, paru en 1967. Robert Knight chante ça d’une voix blanche et fait de la fantastique dancing Soul. Steve Ellis en fera autre chose. Ça continue sur le même registre avec «Somewhere My Love», un cut assez capiteux, monté sur un petit beat serré et Robert Knight chante pépère à la surface. On s’attache à lui. Ça explose plus loin avec «My Rainbow Valley» que reprendra aussi Steve Ellis; Quelle qualité de dancing Soul ! Il chante comme un vainqueur. Les Anglais ne pouvaient que flasher sur lui. Un vainqueur avec l’accent black, ça devient vite génial. Robert Knight est l’anti-Wilson Pickett, il arrive au même résultat sans screamer. Il tape à la suite une cover de «The Letter», c’est fin et bien enquillé. Il entraîne son monde avec une étonnante facilité. Il n’existe rien de plus propice au bonheur que cette Soul des jours heureux.

             Tant qu’on y est, on peut aussi écouter deux ou trois bricoles, comme «Love On A Mountain Top» (pur jus de diskö-Soul, il finit en apothéose de Soul Brother), ou encore «I Can’t Get Over How You Get Over Me», nouveau shoot de Soul des jours heureux. Te voilà plongé dans l’extrême beauté de la Soul dansante.

    Signé : Cazengler, Robert Nike

    Robert Knight. Everlasting Love. Rising Sons 1967

     

    *

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 35

    OCTOBRE – NOVEMBRE - DECEMBRE

     

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    Graham Fenton sur la couverture. Avant de sauter sur l’article hommagial, il a disparu au cœur de cet été, restons quelques instants sur cette belle photo, remercions Sergio pour ce portrait parlant, ce n’est plus le jeune fan qui accompagnait Gene Vincent sur une de ses tournées françaises, l’est dans son perfecto comme d’autres s’installent dans leurs raisons de vivre, l’homme a vécu, il a partagé bien des combats, et le voici tel qu’en lui-même le rock’n’roll l’a statufié. Baudelaire dirait qu’il a plus de souvenirs que s’il avait mille ans, l’est un peu voûté comme Atlas obligé de supporter le poids de la voûte stellaire sur ses épaules, mais l’on comprend qu’il est un combattant de notre musique, qu’il ne regrette rien, qu’il assume tout, les mille orages, les mille printemps, son regard clair est une invitation impérative adressée à tout un chacun de vivre sans faillir à son propre destin. C’est un Homme qui vous regarde.

    L’on pourrait résumer la vie de Graham en inversant une formule célèbre, on ne devient pas un rocker, on naît rocker. Un privilège, une malédiction comme celle des chacals de Béthune, ou alors ce sont les circonstances qui se plient à notre désir, peut-être inconscient sûrement chevillé à notre volonté, à notre corps et à nos propres représentations mentales, car si le monde exerce une certaine influence sur nous, ayons l’outrecuidance de penser que nous en avons une sur lui. L’a un ange noir, normal c’est un biker, protecteur auprès de lui, son frère aîné qui lui montre les deux chemins à suivre : la moto et les pionniers, du rock’n’roll  évidemment.

    Avec les Houseshakers il se retouvera à accompagner Bo Diddley et Chuck Berry, il participera au festival de Wembley, le coup de tonnerre qui annonce le retour du old good rock’n’roll parmi les peuples qui n’attendaient que la levée des orages désirés. La suite de sa carrière, les Hellraisers et Matchbox. Profitons de cette boîte d’allumettes pour honorer Carl Perkins qui l’avait repris à Blind Lemon Jefferson, car vous savez toute la musique que l’on aime vient du blues. Je vous laisse lire et vous mirer dans les photos. Tout ce que vous avez rêvez d’être. Que vous serez peut-être dans une autre vie.

    Méfiez-vous pour le premier article qui ouvre la revue. Jean-Louis Rancurel vous ouvre sa boîte à images. Nous fait le coup du crocodile qui mord. Nous refile un ange noir. N’est pas noir du tout, mais la première fois que j’ai entendu Vigon sur Salut les Copains, j’avais débarqué en plein milieu de morceau, il ne chantait même pas, il parlait, j’étais sûr que c’était un blackos venu tout droit de l’Amérique, je n’avais même pas remarqué qu’il causait en français, c’était la période rhythm and blues, Sam and Dave, Arthur Conley, Otis Redding, James Brown, Wilson Pickett, et toute la troupe avec leurs fanfares cuivrées, par la suite l’on a appris qu’il n’était pas français mais marocain, un véritable melting pot à lui tout seul. Un véritable météore, un alien dans notre douce France, l’a fait toutes les premières parties des vedettes d’Amérique. Et puis du jour au lendemain plus rien. Que lui était-il arrivé ? Etait-il mort ? Silence radio. Quelques années plus tard un entrefilet dans Rock’n’Folk nous apprenait qu’il était propriétaire d’une boîte de nuit au Maroc… Un goût amer dans notre bouche. L’a fallu trente ans et un mauvais coup du destin, la mort de sa fille, pour qu’il revienne, lisez la suite de cette histoire triste et en même temps merveilleuse pour les fans de Vigon… Notre Cat Zengler nous a chroniqué un de ses concerts à Paris…

    Vérifiez vos chaussures, un serpent s’est glissé dedans, non ce n’est pas un anaconda mais Thibaud Lefaix de Snakes In The Boots, nous l’avons vu, voici trois semaines au 3B à Troyes, l’est tout seul sans ses deux comparses, il se raconte, sans prétention, étonné de son parcours, de ce qu’il sait faire, il prend soin de n’en tirer aucune gloire, rafraîchissant ! N’empêche que l’avenir s’ouvre devant lui.

    Cette fois Julien Bollinger a pris trois pages. C’est que certaines racines s’enfoncent plus profondément dans le sol que d’autres. Ce n’est pas du rock, ne prenez cette mine mitigée, ce n’est pas du country, quittez cet air contrit, ce n’est même pas du blues, n’en ayez pas le blues pour autant. C’est du folk ! Inutile de cracher par terre ou de vomir votre quatre-heure, rien à avoir avec des chansons scoutes. Tout le contraire. Un misérable ! Un guerrier, un battant. Le genre de trouble-fête que l’Amérique de Trump lyncherait avec plaisir, c’est un blanc, un hobo aux idées claires, l’avait une guitare qui tuait les fascistes. Woody Guthrie s’est toujours battu pour les pauvres contre les riches et les capitalistes. Remercions Julien Bollinger d’exhumer cette figure qui représente l’Amérique que nous aimons… Un peu de politique ne peut pas faire de mal.

    Pages suivantes : l’histoire de Christophe et Jessica. Une histoire d’amour certes, mais surtout de voitures et de rockabilly. Une passion pour les voitures et les choppers. Un garagiste, seul au début, oui mais pas tout à fait, la famille (nombreuse) se joint à lui, puis des passionnés qui se greffent dessus, entraide et soutien, et la création de l’Open Garage Mc Coy’s, manifestation publique, pour la neuvième cuvée : customs, hot rods, expos, etc, etc, mais attention la musique adoucit-elle le bruit des moteurs ou le renforce-telle, en tout en ce mois de mai 2025, vingt groupes, en trois jours, une anthologie historiale de la scène française, un truc qui dans quelques années sera devenu une légende…

    Nous clôturons avec la quatrième de couverture et la promesse d’un nouveau Hors-série de Rockabilly Generation News pour le premier janvier 2026. Une année qui s’annonce bien.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 6 Euros + 4,72 de frais de port soit 10,72 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 39 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    S’il est un groupe mystérieux c’est bien Telesterion, non pas parce que l’on ne connaît rien de ce groupe mais parce ce que toute sa démarche s’inscrit dans le Mystère ou plutôt dans les Mystères les plus sacrés, ceux de l’antiquité grecque. Fin août 2025 Telesterion a sorti un album de deux 33 Tours, intitulé Aporrheta. Le titre vous semble-t-il mystérieux : il signifie Choses Tues. Autrement dit ce que vous ne devriez pas savoir. Ne vous plaignez pas de votre ignorance, les fidèles lecteurs de Kr’tnt en savent beaucoup plus qu’ils le croient puisque ce disque reprend les quatre premiers EP du groupe que nous avons déjà chroniqués : An ear of grain in silence reaped sorti le 16 / 06 / 2022, House of lilies sorti le 15 / 09 / 2022, Echoing palaces sorti le 02 / 12 / 2022, Myesis sorti le 18 / 03 / 2013. Le concept d’Aporrheta est intimement lié aux Mystères d’Eleusis.

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    Si nous n’avons pas donné le numéro des successives livraisons dans lesquelles nous les avons chroniquées c’est pour que vous ayez le plaisir de les rechercher par vous-mêmes. Si les choses sont tues c’est uniquement pour vous encourager à les retrouver par un long et méthodique effort. C’est le principe même de l’Initiation. Sur son bandcamp Telesterion se présente en quelques mots : Je commence à chanter Demeter, déesse intimement liée aux mystères d’Eleusis.

    SONGS OF ORPHEUS

    TELESTERION

    (Ixiol Productions / Snow Wolf Records / Septembre 2025)

    Pour ce qui veulent tout savoir Ixiol est un label basé en Amérique du Nord . Snow Wolf est aussi le label de Thumos, groupe américain, que grossièrement nous qualifierons de platonicien, dont nous suivons systématiquement toutes les sorties.

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             Les poèmes d’un poëte ne parlent pas obligatoirement du poëte qui les a écrits. Cette première phrase est sujette à caution et pourrait nous entraîner en des gloses interminables. D’autant plus inutiles qu’il ne nous reste aucun écrit d’Orphée, que notre héros grec est au pire un personnage symbolique, au mieux une conceptualisation forgée par les Grecs durant des siècles. Les Dieux et les héros grecs sont des espèces de work in progress (et de régression) pour reprendre une expression chère à Joyce. L’avantage de ces concrétions mentales successives réside en le fait que chacun peut se façonner une image d’un dieu conforme à son désir… Un peu comme des statuettes de terre glaise que l’on se passe de génération en génération, d’individu à individu, chaque époque, chacun de nous, peut ainsi imprimer ses propres désirs sur cette argile mouvante…

             Nous aborderons la problématique avec les gros sabots de l’ignorant qui pose la question qu’il ne faudrait pas poser, la voici : quelle relation existe-t-il entre Orphée et Demeter, que nous conte la mythologie grecque à leurs sujets ; se sont-ils rencontrés, se sont-ils combattus, se sont-ils aimés, trahis, haïs. Rien de rien, aucune anecdote, ne serait-ce que croustillante, ne les relie. Ne vous désolez pas, souvenez-vous que les Grecs ont un esprit subtil. Alors procédons subtilement.

             Commençons par  l’ histoire officielle : Orphée n’est pas n’importe qui : il est le fils de Calliope la première des Muses, celle de la poésie épique, celle qui préside aux chants qui content les combats des Dieux et des Héros. C’est avec Zeus qu’elle engendrera Orphée. Bon sang ne saura mentir, Orphée participera avec Jason à l’épopée de la Toison d’Or, tout au long du périple son chant  sera d’un grand secours pour vaincre aux instants cruciaux les difficultés que Jason et les Argonautes auront à affronter. Le chant et la lyre d’Orphée sont insurpassables, lorsqu’il se saisit de sa lyre les arbres inclinent leur houppe en cadence et les animaux sauvages sortent des forêts et viennent l’écouter couchés à ses pieds comme les chiens auprès de leur maître… Pour vous en convaincre, lisez le Bestiaire de Guillaume Apollinaire. Comme par hasard remémorez-vous que Calliope eut quelques intimités avec Apollon.

             L’Histoire commence comme un conte de fée et se termine comme Massacre à la Tronçonneuse. Orphée tombe amoureux d’Eurydice, piquée par un serpent le jour de ses noces, elle meurt. Inconsolable Orphée descend aux Enfers chercher sa bien-aimée, son chant séduit Cerbère le gardien des portes inviolables mais aussi les souverains du monde souterrain Hadès et Perséphone  qui permettent à Eurydice de suivre son chéri en marchant derrière lui, une seule condition : Orphée ne doit pas se retourner pour la regarder avant qu’ils ne soient revenus à la surface de la terre. Orphée se retourne, Eurydice retourne au royaume des morts. Cerbère ne se laissera pas attendrir une deuxième fois… N’oubliez pas de relire Les Chimères de Gérard de Nerval…

             Inconsolable Orphée passe ses journées à pleurnicher… Les prêtresses de Dionysos, les Ménades se mettent en quête de consoler ce beau garçon de son chagrin, Orphée reste insensible à leurs charmes, dépitées elles se ruent sur lui et le découpent en morceaux qu’elles jettent dans les flots du fleuve… la tête posée sur la lyre rejoindra l’île de Lesbos. La lyre fut placée dans le ciel dans lequel elle devint la constellation de la Lyre, la tête fut installée avec moult égards dans le temple d’Apollon. Elle ne sut pas retenir sa langue : elle contracta  la fâcheuse habitude de répondre avant la célèbre Pythie la prêtresse d’Apollon, aux questions que lui posaient par l’entremise des prêtres les hommes qui venaient interroger Apollon quant à leur destinée… Excédé Apollon se mit en colère et vint en personne intimer le silence au chef d’Orphée qui dès lors garda le silence…

    Méditons sur cette histoire. Quels en sont les éléments essentiels : la présence de la  mort, Perséphone, Dionysos, et le silence des choses tues qui ne doivent pas être divulguées. Ce choix n’implique pas des préférences aléatoires, il repose sur ce que nous appellerons l’histoire officieuse. Toutefois pour ceux qui penseraient que nous nous éloignons du rock’n’roll nous vous enjoignons à lire La descente d’Orphée de Tennessee Williams, pièce datant de 1940, dans laquelle apparaît un mystérieux personnage porteur d’une guitare et d’une veste en peau de serpent… Très belle prémonition du surgissement du rock’n’roll dans la société américaine…

    L’Histoire officieuse : commençons par nous interroger sur la signification du titre : The songs of Orpheus : l’opus en question évoque-t-il les chants que composaient Orphée, ce serait donc une espèce de reconstitution imaginative, ou les chants relatifs à l’histoire d’Orphée, un peu comme ce que nous venons de faire dans notre rapide exposé. Nous aurions envie de répondre : un peu des deux mon général. Toutefois méfions-nous des choses tues.

    Selon les Grecs, Orphée aurait connu le lamentable destin que nous avons rapporté pour avoir dans ses chants révélé des secrets sacrés… dans ses vers il aurait livré des explications interdites quant à la signification des rites que les prêtres mettaient en œuvre lors des cérémonies religieuses. Aux fidèles de percer  le sens des gestes accomplis et des paroles proférées. Si vous ne les comprenez pas contentez-vous d’adorer et de vous taire. Le silence est préférable aux âneries.

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    Notre modernité tient Dionysos en haute estime, il doit une fière chandelle à Nietzsche, dieu du vin de l’ivresses et de l’extase il a tout pour plaire, qu’il soit à l’origine de la comédie et du drame ne lui attire point un gramme de sympathie supplémentaire.  Bref nos contemporains ne retiennent que ce qui les arrange. Certes l’on se souvient que son père a arraché le foetus du bébé Dionysos du ventre enflammé de Sémélé sa mère, que l’enfant a été déchiré par les géants envoyés par Héra jalouse de Zeus… Zeus recollera les morceaux et   donnera à son fils l’immortalité. L’on se plaît à voir en Dionysos le dieu mortel une préfiguration du Christ bla-bla-bla… par contre il se murmure d’autres histoires, que Dionysos serait descendu aux Enfers pour demander à Perséphone la permission de rencontrer sa mère, mais il y a encore davantage troublant : Dionysos serait le rejeton de Zeus et de Perséphone, il serait donc aller rendre une visite de courtoisie à sa mère… Or Perséphone n’est autre que le nom qu’elle porte durant les mois où elle vit auprès de son époux Hadès, son nom de jeune fille est Koré. Or Koré est la fille de… Demeter. Or les Mystères d’Eleusis qui traitent des arcanes de la mort et de la renaissance, sont des décryptations du mythe de Koré obligée de passer trois mois dans les Enfers, royaume de la mort, elle vit sur la terre durant les neuf autres mois. Encore plus significatif les Mystères d’Eleusis ont été fondés par Dionysos et… Orphée. Je vous laisse réfléchir quant aux faisceaux de perméabilité  entre toutes ces personnages…

    Nous en savons maintenant assez pour établir le lien entre Orphée et Demeter. Apprêtons-nous maintenant à écouter Telesterion, qui hormis les titres des sept morceaux de son opus ne nous donne pas d’autres indications quant au sens de ce par quoi notre attention est monopolisée. Toujours la même loi des choses tues… notre interprétation est donc sujette à caution…

    La couve est une reproduction d’un tableau du peintre allemand Von Stuck (1863-1928), peintre symboliste qui eut pour élève Vassili Kandinsky  et Paul Klee, on peut le considérer comme un point de passage entre la vieille peinture et l’aventure picturale de la modernité, sans doute ne faut-il pas oublier tout ce qui le relie à des peintres comme Arnold Böcklin et Gustav Klimt… Le titre de l’œuvre ne saurait être plus explicatif : Orphée charmant les bêtes sauvages avec sa lyre. Quelle signification donner aux animaux ? Le Lion est vraisemblablement un hommage à Alexandre Le Grand dont le rêve (réalisé) fut de tuer un des derniers représentants du roi des animaux, n’oublions pas qu’il descendait des Héraclides, et dont l’entreprise guerrière  le mena jusqu’en Inde, déjà de son vivant son entreprise de conquête apparaissait comme une manière d’égaler l’exploit de Dionysos qui avait mené son cortège jusqu’aux Indes… La présence de l’ibis est-elle un discret hommage au poëte latin Ovide qui dans un des passages les plus poignants des Métamorphoses conte la descente aux Enfers d’Orphée. Pour le crocodile je vous renvoie à Virgile et au blason de la ville de Nîmes. Je n’en dirais pas plus, certaines choses doivent être tues.

    Rites performed by the Priests of Demeter: Celeus / Dioclese / Eumolpos / Triptolemus / Polyxeinus

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    Ye, I inwoke Dread Pow’rs : (Oui, j’ai réveillé les pouvoirs redoutables) : ne vous fiez pas à l’entrée apaisante, ou alors changez de disque, une déferlante d’une violence infinie, sombre, voix, chœurs et orchestrations emmêlés en un magma océanique, lorsque l’intensité sonore baisse, restent un profilage ténébreux qui ne recule pas mais au contraire avance avec une brutalité marcescente, même pas le temps de vous demander l’identité de celui qui prononce l’invocation, en est-ce d’ailleurs une, ou une revendication d’un geste innommable et défendu qui a été accompli par le seul fait de se taire serait est à lui tout seul un sacrilège.  Ce premier morceau est bien l’ouverture d’un Drame, ce qui doit arriver surviendra. Alea Jacta Est aurait dit César, c’est vrai qu’il ne traversait pas l’Achéron mais le modeste Rubicon. Toutefois, de l’autre côté de ce modeste cours d’eau l’attendaient les poignards des conjurés. En descendant dans les Enfers Orphée n’a-t-il pas mis en branle des forces extrêmes. Come, Snaky-Hair'd, Fates Many-Form'd : (Viens, cheveux de serpents, destin aux multiples formes) : comment ne pas voir en ses cheveux serpentueux la chevelure de serpents de Méduse. Indice fragmental : Franz Van Stuck n’a-t-il pas

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    peint dans Medusa le visage pâle du soleil noir de la tête de la Gorgone ? Une orchestration encore plus violente, encore plus démesurée, une batterie qui joue la marche lourde et pesante du Destin. Qui vient à votre rencontre. Un ami me disait que quand vous fonciez en voiture sur un mur, le mur venait aussi vers vous à la même vitesse et que vous subissiez un choc de deux cents kilomètres heures. Cinétiquement c’est faux, et pourtant quand vous écoutez ce morceau vous avez l’impression que non seulement il vous écoute mais qu’il ouvre une bouche démesurée pour vous avaler. Sur la fin une ruée sonore cataclysmique. Terrestrial Born : (Né(e) terrestre) : Nous sommes tous nés sur cette terre, tous les protagonistes

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    Le Printemps / Franz Von Stuck

    du mythe aussi : Koré la pure jeune fille, Dionysos le Dieu démembré, Orphée le poëte maudit. Identifiez-vous au masque de votre choix, Telesterion ne nous fait pas de cadeau. Sur cette terre nous marchons tous vers notre terre. Personne ne sortira vivant d’ici disait Jim Morrison. Est-ce pour cela que l’orchestration rampe lourdement comme un crocodile, vous pensez que vous lui échapperez mais elle court sur vous à une rapidité incroyable, ses mâchoires puissantes vous saisissent vous prennent en tenailles et vous, la bête féroce du destin, vous mâche tranquillement sans se soucier de vos supplications. Le niveau sonore implacable ne cesse d’augmenter. These Rites Rejoice, For Ye, I Call (Ces rites vous réjouissent, car oui, je vous appelle) : cordes vibrionnantes, et si l’on repassait le film à l’envers, si ce n’était qu’un faux semblant, tout aussi fort mais encore plus impressionnant, et si ce n’était pas le Destin qui vous appelle, mais un Dieu par l’entremise d’un hiérophante qui ouvre les portes jusqu’à lors fermées, le portail de L’Enfer n’a-t-il pas tourné sur ses gonds, avec quelle force, quelle violence Orphée n’a-t-il pas dû jouer pour forcer l’interdit, la barrière infranchissable qui sépare les morts des vivants, mais aussi les morts des vivants. Sachez où vous mettez les pieds lorsque le Destin cède à vos demandes.  Excite The Mental Eye, Waken : (Ouvre l’œil mental, Eveille-toi) : nous sommes au cœur du rite, tout se passe désormais dans ta tête, tout dépend de toi, la musique s’extrémise mais le chœur s’amenuise, ne serait-il pas louangeur, profèrerait-il des mensonges, à toi d’y voir clair, de te hisser hors des bords chaotiques et presque cacophoniques de cette musique catacombique qui entrechoque ta cervelle comme les icebergs sur la coque du Titannic, pas de trêve, pense par toi-même, ne te fie à personne, toi seul détiens les clefs de l’énigme et de ton âme, et de la vie et de la mort. Que de vacarme dans l’âme sans arme, ne joue pas ton avenir aux dés, ils roulent et t’écraseront, bâtis ton propre destin, opère le choix que tu es. Une symphonie à la Malher, n’est-ce pas la prémonition du malheur. Great Ocean's Empress, Wand'ring Thro' The Deep : (Impératrice du grand Océan, errant dans les profondeurs) : l’entrée nage entre deux os, es-tu le squale ou celui à desquamer, le rythme balance, le chant suit le mouvement tempétueux de la mer, serais-tu dans la longue  jonque noire de Charon, dans quel sens l’étrave trace-t-elle son sillage, es-tu sur le chemin de l’aller ou sur celui du retour, la cadence ne suit-elle pas simplement tes atermoiements, est-ce l’ignorance, est-ce la peur, est-ce le rêve, tu ne sais pas, silence, juste quelques effluves cordiques, mais non la rythmique infernale recommence, comme un chant de sirène plane sur les eaux du désastre, vite assourdi par des milliers de pas qui battent la semelle sur un rivage désolé, tu vas savoir, les profondeurs de la terre sont-elles aussi vastes que l’Océan infini qui entoure la terre. Hear Me, O Death : (Ecoute-moi, Ô Mort) : un peu de douceur dans ce monde de brutes, prélude et mort d’Yseult, qui parle est-ce toi qui supplies, est-ce toi qui comprends enfin que tu as compris, vainqueur et vaincu, tu l’as été et tu le seras encore, la mort est un passage, n’est-il pas réversible, la graine ne refleurit-elle pas sur la terre, tout n’est que transbahutement, transhumance, transformation, métamorphose infinie, la mort n’est-elle pas la chrysalide du vivant, le linceul de l’homme et l’enveloppe des Dieux que tu es et que tu n’es pas. Quelques notes de piano. Un dernier message d’encouragement comme une poignée de main. Quand tu sortiras au grand jour seras-tu à la table des Dieux sur l’Olympe ou attelé aux travaux et aux jours de tes semblables. Toi le dissemblable.

             Splendide. Je ne sais pourquoi, car les deux œuvres sont musicalement extrêmement différentes, l’une qui se déroule dans les espaces grandioses du Mythe, et l’autre dans les soubassements cacafouillesques de la conscience des vidanges psychanalytiques victimaires, en écoutant l’avant-dernier morceau s’est établi dans mon esprit vraisemblablement malade le rapport avec Tommy l’opéra rock des Who. Peut-être faut-il se méfier des références culturelles. Dans tous les cas un chef d’œuvre. Il ne faut pas se contenter de l’écouter, il faut entreprendre de l’assimiler.

    Damie Chad.

     

    *

    Je connais le gars, il revient systématiquement chaque année à la brocante de Provins, l’a des tas de cartons accessibles, j’y dégotte toujours quelques raretés, il y a quelques années un texte rare du divin Marquis, non je ne parle point du groupe de Rennes mais de l’authentique, mince correspondance dont je n’avais jamais entendu parler, je ne suis pas de ces nombreux amateurs de Sade qui se vantent de tout connaître, non je ne le chroniquerais pas ici de peur que ne s’opérassent de graves perturbations intimales et sexuelles parmi nos lecteurs, mais ce coup-ci j’avais dégoté un roman plutôt jazz, je vous en reparlerai si vous êtes sages.

    • Je n’ai rien sur le rock cette fois ci, ah ! si tenez, un seul bouquin sur les Doors !
    • Sur les Doors, je prends !

    OPEN THE DOORS

    LE GROUPE, LES CHANSONS, LA MUSIQUE

    PHILIPPE MARGOTIN

    (GLENAT / Octobre 1921)

             J’avoue qu’en rentrant chez moi je n’étais pas trop chaud, l’est vrai que ce n’est pas facile de feuilleter en marchant un livre qui avoisine les deux kilos, tracté par deux chiens tenus en laisse. A première vue, un ouvrage en vue des cadeaux de Noël, l’en sort systématiquement toutes les fins d’années, sur tous les grands noms du rock, d’ailleurs le Margotin malin ne mégote pas, l’est un spécialiste du genre, l’est souvent au rendez-vous lorsque surviennent les premiers frimas annonciateurs des turbulentes saturnales. Peu de texte, un max de photo, une maquette aérée, des couleurs vives à transpercer les yeux des aveugles, bon je le mettrai sur une étagère, on verra plus tard. Oui mais trois jours plus tard, parce que les Doors quand même, je détachais le paquebot de son mouillage présomptif…

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             Le porte-avions entre les mains se révèle encombrant mais on oublie vite son look d’armoire normande, première impression, l’on s’attend à une police géante, il n’en est rien, deux microns d’épaisseur et de hauteur de surcroît n’auraient en rien été superfétatoires. A vrai dire le texte manque un peu de profondeur mais par contre sa surface est si intéressante qu’elle pousse à la réflexion. Elle fourmille d’informations, pas de révélations fracassantes mais l’exposé chronologique des faits aide à mieux entrouvrir les portes. Ainsi dès les premières pages qui exposent les racines culturelles – cinéma, littérature - de la contre-culture américaine m’est venue à l’esprit cette idée que le phénomène agrégatif qui s’est produit dans les années cinquante et soixante sur la côte ouest pacificale a eu une influence intellectuelle et artistique aussi importante que Dada après 1918. Certes le dadaïsme, fils de la tuerie organisée de 14, reste marqué par le nihilisme, à l’inverse ce qui naît après 1945 est teinté d’optimisme, la destruction procure entre autres conséquences une joie libératrice, la contre-culture américaine revendiquera l’influence du Surréalisme, toutefois lorsque je zieute les photos du groupe surréaliste je ne puis m’empêcher de penser que, face aux beautifull people californiens, nos chantres de la révolte européenne étroitement embourgeoisés dans leurs costumes du dimanche ont l’air un peu coincés du cul. Vous n’êtes point obligés de partager mon jugement : je reconnais éprouver quelques aversions théoriques et esthétiques divergentes envers le mouvement de la bande à Breton, bien pâlichonne comparée à celle de Bonnot…

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             Procédons avec ordre et méthode : le livre suit l’ordre naturel de la discographie – de la formation du groupe à la mort de Morrison – soit six albums studio et un Absolutely Live composé de deux  trente-trois tours. Chaque titre est disséqué à tour de rôle. L’on n’apprend pas grand-chose – par contre une bonne entrée en matière pour un néophyte – certes ne sont oubliés ni le producteur ni les ingénieurs du son, de petits encarts colorés vous apportent des renseignements sur des noms qui aujourd’hui risquent de ne réveiller aucun souvenir à la majorité des lecteurs.  Margotin nous baratine les faits, il résume le sens des textes, indique la (ou les) date(s) de composition, esquisse rapidement quelques interprétations, mais ne pénètre pas plus avant dans la compréhension des textes alors qu’il décerne à Morrison le titre de grand poëte américain. A sa décharge notons que Robby Krieger a été souvent sollicité par le reste du groupe, Jim compris, pour l’écriture de nouveaux morceaux, le groupe ayant peur de ne pas se renouveler, mais aussi  pour  rester fidèle aux principes démocratiques qui avaient présidé à sa formation. Certes les Doors c’était : un leader charismatique + trois musiciens doués mais pas un chef avec trois sous-fifres le doigt sur la couture du pantalon. Margotin n’oublie jamais, à juste titre, de préciser l’apport décisionnel des trois musiciens dans la mise en musique des morceaux.

             Deux remarques adjacentes qui ont de l’importance, et pour mieux appréhender le livre, et pour mieux cerner la carrière somme toute météorique du groupe. Statistiquement parlant les Doors ont produit un disque tous les six mois. D’autre part ils n’ont cessé de donner des concerts. Pressés par le temps, ils n’ont pas eu le temps de rester trois mois en studio pour peaufiner un album. Dès qu’ils avaient quelques trous dans leur emploi du temps, ils filaient en studio et mettaient au point deux ou trois morceaux pour le prochain opus. D’où parfois la fausse sensation de répétition, lorsqu’il examine un album Margotin n’a plus de détails inédits à nous mettre sous les yeux. Nous ne pouvons lui reprocher sa minutie chronologique. Ne pas confondre gestation et séance finale d’accouchement.

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             Lorsque Manzarek rencontre Morrison, Jim a déjà noirci nombre de pages.  Il est étonnant de se rendre compte combien Morrison puise incessamment dans ses premiers poèmes et textes, l’essenciel, je mets un ‘c’ et non un ‘t’ pour attirer l’attention sur le mot essence, non pas pour comprendre ce mot en tant que finitude ou résultat, mais en tant qu’indication de l’origénéité séminale de la poésie de Morrison. Toute grande poésie se doit d’être originelle et non circonstancielle. Il est dommageable que Margotin ne s’engage point dans cette sente obscure. Il ne l’aborde que pas le petit côté de la lorgnette, se contentant de remarquer que contemporains de l’éclosion du mouvement hippie les Doors n’en partagent ni l’idéologie ni l’aspect fleur bleue. L’univers des Doors es beaucoup plus dur et pessimiste. Sans trop insister. Nietzsche, que Morrison a lu, est de tous les philosophes le plus pessimiste en le sens où il n’appuie pas cette vision du monde sur le simple constat de la présence du nihilisme car il entrevoit le nihilisme non pas comme ce qui serait, de par sa nature même, un fait insurmontable ou une donnée fondamentale mais au contraire ce qui nécessite les plus grands efforts pour s’en abstraire… Le pessimisme exige une tension libératoire que Rimbaud, et Jim Morrison à sa suite, nomment sauvagerie. C’est cette sauvagerie qui permet de break(er) on through to the other side, sur l’autre versant. Ensoleillé. Attention le passage est dangereux, leopard on my rigth, cobra on my left, autrement dit les animaux symboliques : de Dionysos  toujours accompagné de son cortège de strange people et de panthères, et d’ Apollon avec le serpent sacré qui logeait à Delphes dans son temple nombril du monde, attention Dionysos et Apollon sont réversibles, la parade est molle car elle ne se dirige ni vers la droite, ni vers la gauche, mais dans l’hésitation, d’où dans le poème l’appel à d’autres animaux lions et chiens, il ne s’agit pas d’un choix mais du retour éternel de chaque chose à revenir, non pas sur elle-même mais l’une après l’autre ou   l’une avant l’autre car sur le cercle mobile les deux positions s’équivalent, reviennent au même… Dans Ainsi parlait Zarathoustra Nietzsche se demande où il a déjà entendu ce chien aboyer.

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             Il est à noter l’allusion au carrefour de Robert Johnson dans The Soft Parade, ce n’est pas le diable (trop chrétien, pas assez païen) qui survient mais le blues, le rock’n’roll, que Morrison a utilisé comme vecteur pour forcer les portes, sans doute entrevoyait-il non pas une plongée individuelle par le LSD et autre produits, mais un passage en force sinon collectif du moins générationnel, chacun avait son rôle, il était le chasseur au gilet vert ou le Roi Lézard ou tout autre avatar, et les autres les strange people formaient le cortège.

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             J’ai longtemps eu un problème avec Strange Days, le deuxième album des Doors, pas précisément avec la musique, mais la pochette m’a longuement interrogé. Ce n’est pas moi qui ai posé des questions, c’est bien elle qui me les adressait. Pour le dos de la pochette je savais répondre : un clin d’œil à The House of the Rising Sun, à l’origine un bordel de la Nouvelle-Orléans. D’ailleurs le disque suivant n’était-il pas titré Waiting for the Sun. Mais le recto, c’est quoi ce ramassis de simili saltimbanques, des artistes de rue, semblaient un peu trop se moquer du public, qui sans parenthèse n’était pas présents sur la couve. J’avais une réponse – faut toujours en avoir une juste à côté d’un colt, car dans la vie il ne faut pas être prêt à se défendre mais toujours anticiper à tous moments l’approche (et donc la mort) de l’ennemi. Ne cherchez pas qui c’est, il est près de vous. Juste derrière. Evidemment vous pensez à  Freaks le film de Tod Browning. Une vieille pellicule en noir et blanc. Pas mal comme parade, hélas pas assez dure, j’avais l’impression que mon colt s’était changé en Browning, malheureusement chargé à blanc. J’avais une autre solution, une voie de secours, sans issue devrais-je dire. Pensez donc, je pensais au Club des Cinq en Roulotte d’Enid Blyton, à cause de l’invraisemblable  groupe de forains hétéroclites qui en  peuplent les pages, oui mais c’était le début de la piste… étranges gitans, strange people, c’est bizarre tout de même… Puis est venue l’illumination, je me vante, m’a fallu trois ans pour établir la connexion : Egar Poe ! Non pas parce que les contes d’Edgar sont remplies d’histoires extraordinaires, mais parce que lui-même les qualifiait de grotesques et d’arabesques. A bien y réfléchir suffit de changer l’angle de vision : nos Beautifful People avaient bien un petit côté grotesque, une idéologie transcendantaliste un peu trop fumeuse pour prendre le Thoreau William par les cornes. Des babas sans rhum. Restaient les arabesques. Drôle de quadrillages ! Structures mouvantes. En d’autres mots : la poésie. Edgar Poe a écrit des contes et de la poésie. Jim Morrison a fait du rock’n’roll et écrit de la poésie. Deux démarches parallèles. Des arabesques qui ne se  rencontrent jamais c’est ce qu’en géométrie des espaces l’on nomme des cas particuliers ! Je termine en quelques mots : ce n’est pas parce que les textes de Poe regorgent de situations étranges que nous affirmons qu’il existe des similarités entre nos deux poëtes, mais dans leurs tentatives de transformer leur appétence de vivre en maîtrise poétique. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. I’m The Lezard King, I can do anything ! Dans la préface de ces poésies Edgar Poe note la présence circonstantielle d’ évènements obstaculaires survenus en dehors de toute maîtrise…

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             A plusieurs reprises Margotin souligne la tristesse et la solitude de Morrison. Peut-être s’est-il aperçu que personne ne le suivait, car personne ne le comprenait, ou pire encore que son rêve à lui n’était qu’une des formes, plus colorée, plus bigarrée, plus anarchisante que le sempiternel american dream. Que Warhol avait défini comme le petit quart d’heure de célébrité auquel chacun a droit, que la société vous accorde si vous le voulez bien, mais qui n’est qu’un indigne lot de consolation. Un peu comme ces portraits du ‘’Maître’’, démuni pour ne pas dire andycapé, qu’un sous-fifre peinturlurait d’une couleur vive dans la Factory. Le rock et son cortège de masques n’était-il qu’une des formes électrifiées du charlatanisme sociétal. Morrison a quitté le rock pour la tentation suprême : la poésie. Nietzsche a expliqué que toute valeur court à sa perte. Morrison a abandonné la poésie pour la mort. A-t-il gagné au change ?

             Cet ouvrage enfonce peut-être des portes ouvertes, mais ouvre le lecteur à la réflexion, que Mallarmé nommait divagation. Ce n’est pas mal du tout pour un bouquin qui ne se revendique pas scriptuairement assoiffé d’absolu. Margotin vous refile un jeu de clefs. Ce ne sont pas les clefs qui doivent susciter votre intérêt. Mais le jeu. Grand concept de Jim Mor(t)isson.

             Les morts y sont. Mais nous ?

    Damie Chad.

     

     

    *

    Chris Darrow (1944 - 2020) multi-instrumentiste s’est intéressé au blues et au Bluegrass.  Il fait partie de ces musiciens qui comme Chris Hillman fondateur des Byrds ont aidé à la création du  Country Rock. Darrow a participé à de nombreuses sessions de studio, il a produit des albums sous son propre nom, fondé, et participé à de nombreux groupes, il a été aussi membre du Nitty Gritty Dirt Band.

    Pour une fois l’entretien se déroule à l’extérieur, Chris Darrow assis sur une chaise de jardin devant la luxuriance sinoplique d’un massif de bambous.

     

    The Gene Vincent Files #11: Chris Darrow about playing on Gene’s last official studio album.

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    Voici la copie du disque sur lequel j’étais, il possède encore la petite bande blanche sur le devant, c’est le dernier disque  de Gene Vincent, sur lequel j’ai participé et joué du violon sur la chanson Danse Colinda. Je me suis présenté très tôt au studio pour cet album dans l’espoir de le rencontrer, c’était le studio de Dave Hassinger sur Selma Avenue. J’étais excité de travailler avec l’ingénieur Dave Hassinger car il a réalisé un certain nombre de choses comme Satisfaction pour les Stones, d’autres disques importants, il était un grand producteur de rock’n’roll… Oui je suis arrivé tôt au studio, il n’y avait personne à qui au moins serrer la main ou à dire bonjour, donc quand je suis entré il n’y avait personne ni dans le studio ni aux environs, Dave était dans la cabine en train de surveiller des cadrans, je suis entré dans la zone où l’on enregistre, dans un coin se trouvait un gars qui ressemblait à un concierge, il portait un pantalon sombre et une chemise sombre, le genre de frusques que l’on trouve chez Sears, que les gens portent comme ça, le gars avait aussi une ceinture noire et des chaussures noires. Je me demandais où était Gene Vincent, et je continuais à le chercher des yeux, quant à coup le type s’est retourné vers moi : c’était Gene Vincent, il semblait avoir vieilli de plusieurs années et être plus près de la cinquantaine que de la trentaine, j’avais été assez choqué par son apparence, lorsque j’ai réalisé  qui il était, je me suis déplacé pour lui serrer la main, lui dire bonjour et me présenter. Je me suis présenté et lui ait appris que j’allais jouer sur son disque. Oui c’était la première fois que je le rencontrais, je le connaissais  depuis très longtemps car je l’avais en quelque sorte déjà rencontré grâce au  film The Girt Can’t Help It, j’avais douze ans, il m’avait vivement impressionné,  c’était comme si

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    je l’avais vraiment vu en chair et en os, je possédais ses disques et j’espère que vous aviez vu ses anciennes photos, il m’a totalement captivé et il est devenu une de mes idoles favorites, sans parler de  Cliff Gallup son guitariste, ils ont fait partie de ces gars qui pour un jeune homme et un jeune musicien comme moi essayant d’apprendre à jouer étaient des modèles, Gene Vincent faisait partie des grands… C’était une drôle de gageure de le rencontrer réellement, je me sentais extrêmement chanceux et béni (par les Dieux) de pouvoir jouer sur cet album. La session s’est très bien passée, ils ont été très contents de ce que j’avais fait, le groupe était

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    principalement constitué des membres du Sir Douglas Quintet sans Doug qui avait joué dans les sessions précédentes. J’ai eu la chance de rester et d’assister au déroulement des sessions suivantes. Gene était impeccable, je veux dire qu’il assurait grave au micro, il chantait très bien et il semblait s’être vraiment euh ! quel serait le mot juste, il semblait vraiment régenter la situation, il n’était pas du tout sous la direction de quelqu’un d’autre, c’était sa session et il avait une très grande maîtrise de ce qui se passait. (Question inaudible) Son humeur était plutôt bonne, il semblait être très optimiste et très heureux d’être là et je pense qu’à ce stade très particulier il semblait être très euh, il semblait vouloir s’éloigner de ce que tout le monde pensait qu’il était uniquement : un artiste de rockabilly, ce qu’il n’était pas, en fait il aimait la   musique country, une des chansons que nous avons enregistrée, celle sur laquelle j’ai jouée était de fait un air cajun, Gene a été vraiment bon je pense. J’ai eu l’occasion de le rencontrer plus tard lors d’une fête après avoir fini l’album, nous sommes restés assis un long moment dans la cuisine de Tom Mars à parler longuement, j’ai senti que c’était un gars un peu… son comportement trahissait quelque chose de très mélancolique, il était visiblement très amoureux de sa femme. Je veux dire qu’il était davantage motivé par sur cette relation que peut-être sur sa

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    propre carrière en ces moments-là. C’est difficile pour moi d’affirmer, je ne le connaissais pas assez pour avancer cela, il y avait une sorte d’atmosphère très, très, très sombre qui l’entourait. A l’époque je pensais que c’était dû aux séquelles de l’accident dans lequel Eddie Cochran a perdu la vie. En fait on se rendait compte qu’il souffrait de sa blessure au pied qui paraissait ne pouvoir jamais se résorber, il boîtait, il montrait une certaine détermination malgré sa sclérose latérale. Cette sorte de malaise qu’il dégageait était, je ne dirais pas effrayant mais très mélancolique ( il s’interrompt pour mettre de la musique dont on entendra que quelques notes, quand il reprend la parole il se frotte l’œil) Je pense que l’aspect majeur des années 60, je faisais alors partie d’un groupe appelée The Kalidoscope, un groupe psychédélique, on jouait du blues, de la musique orientale, bref ce genre de musique, on était connu pour être un groupe de World Beat, je pense que s’il était étiqueté comme un artiste de rockabilly, même s’il était beaucoup moins stéréotypé que cela pouvait le paraître, je pense qu’il aurait été capable d’accepter la musique de cette époque, toutefois en ce qui concerne sa tentative d’adapter sa musique aux années soixante, les gens auraient pu le comprendre, mais cela a paru une faute de goût. Je ne pense pas que

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    cette mixture était d’un bon niveau pour les gens qui aimaient ce courant même si la musique à cette époque était très ouverte. Elvis, les Everly Brothers  et tous ces gars du même acabit, la période n’était pas très bonne pour eux comme vous le savez. Je pense que la musique a évolué, certains artistes qui étaient au top, et ce fut identique pour tout le monde, lorsque les Beatles ont frappé, tous ces gars qui avaient auparavant connu le succès ont tout simplement disparu. Je ne pense pas que sa musique était nécessairement inadaptée  aux années 60, quant à sa capacité à intégrer la mentalité des années 60 je n’y crois guère, je pense que cela lui aurait été très difficile, probablement parce qu’il était beaucoup plus connu en dehors des Etats-Unis qu’il ne l’était aux Etats-Unis. Je suis prêt à parier qu’il a eu davantage de fans en Europe et dans d’autres parties du monde qu’aux Etats-Unis, aujourd’hui

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    encore. J’ignore pour quelles raisons. Je pense que Gene avait une personnalité plutôt effacée. Il n’était pas le genre de gars qui me donnait l’impression qu’il était là pour vous conquérir. Son talent lui a été davantage bénéfique que son attitude et son énergie. Il était excitant et tout ce genre de trucs, mais il avait en lui une douceur, et une gentillesse, je ne pense pas qu’il avait une personnalité conflictuelle. Elvis était un véritable showman et il s’excitait bien plus quand il montait sur scène. Je ne pense pas que l’humeur maussade et cette mélancolie que j’évoquais tout à l’heure ont été des facteurs qui l’ont peut-être empêché d’être un plus grand artiste qu’il aurait pu être, ce n’était certainement pas une question de talent, son talent est hors de cause, hélas certains artistes n’y parviennent jamais comme on le souhaiterait. Il est un de ces gars dont aujourd’hui lorsque l’on écoute ses disques l’on se doit de reconnaître qu’ils sont intemporels. Ce n’est pas qu’ils ne retiennent pas l’attention ou qu’ils ou n’accrochent pas, je pense qu’ils fonctionnent encore, le fait que je possède une copie de The Girl Can’t Help It, et que je l’écoute régulièrement juste pour le plaisir de le voir reste la preuve que ça vaut le coup de l’acheter, en cassette ou en vidéo si par hasard vous ne connaissez rien d’autre de Gene Vincent. Je n’ai

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    pas été le moins du monde surpris d’apprendre sa mort, à cause de l’impression qui me le laissait présager, je ne pensais pas que je lui survivrai si longtemps. Il a eu une vie très difficile, il semblait avoir vieilli très vite. Je n’avais seulement que quelques années de moins que lui alors qu’il paraissait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi. Il m’a donné l’impression, si je puis dire, de se battre comme la montre. Comme je l’ai dit je n’ai pas été particulièrement surpris d’apprendre son décès. En quelque sorte cela s’inscrivait dans la logique des choses… J’ai dit à quelques personnes qu’il était peut-être mort le cœur brisé. Il y avait quelque chose en lui qui donnait l’impression qu’il n’avait jamais réalisé le potentiel qu’il avait en lui. Ceux d’entre nous qui se souciaient sincèrement de lui l’ont ressenti, je sais que des gars comme Jeff Beck et beaucoup de grands musiciens ont été très affectés comme je l’ai été et il fera toujours partie de moi, je me sens chanceux, extrêmement chanceux d’avoir pu jouer avec lui, d’autant plus qu’il s’est avéré que c’est sur son ultime disque que j’ai joué.

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    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

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    Danse Colinda  est paru sur l’album Gene Vincent qui a été enregistré en mars 1970  il est paru aux USA en juillet 1970. Il est paru en Angleterre titré : If You Only Could See Me en mai 1971.  

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    L’album The Day The World Turned Blue enregistré en octobre 1970 est paru aux USA en décembre 1970 et en août 1971 en Angleterre.

    La proximité des dates de parution explique certainement pourquoi Chris Darrow pense avoir participé à l’enregistrement du dernier album officiel de Gene Vincent.

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    Dave Hassinger : il fit des miracles chez RCA, les Rolling Stones ne sont pas les seuls à inscrire sur son tableau de Chasse : Elvis, Mama’s and Papa’s, Love, Seeds, Electric Prunes, Crosby, Still, Nash and Young et bien d’autres…

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    Sears créé est une chaîne de distribution de commerce de détails, un peu l’équivalent de nos Leclerc, la firme crée à la fin du dix-neuvième siècle a atteint son apogée dans les années cinquante et connu un grave déclin dès le début des seventies. Les magasins ont vieilli et les locaux sont délabrés… Sears se débarrasse de centaines de magasins… Sears s’est refait une santé au Canada et au Mexique…

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    Marcia Avron la dernière compagne de Gene, lorsqu’il  rentrera de Londres début octobre 1971 Gene trouvera sa maison totalement vide. Terrible coup porté au moral du chanteur. Il décèdera le 12 octobre.

    SLA : c’est ce terme qu’emprunte Chris Darrow pour désigner la maladie de Gene, en toutes lettres Sclérose Latérale Amyotrophique, communément appelée : Maladie de Charcot. Sans être médecin nous mettons fortement en doute ce diagnostic… L’alcool aura causé bien des ravages dans le corps de Gene…

     

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne

    YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 687 : KR'TNT ! 687 : DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM / TERRY MANNING / ISAAC HAYES / DARRELL BANKS / LITTLE RICHARD / TELESTERION / CONIFER BEARD

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 687

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 04 / 2025

     

    DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM

    TERRY MANNNING / ISAAC HAYES

    DARREL BANKS / LITTLE RICHARD  

     TELESTERION / CONIFER BEARD

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 687

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Doum Doum Doum Doum

    (Part Two)

             L’avenir du rock boit un coup au bar. Boule et Bill déboulent.

             — Ça va, avenir du frock ? T’as la trique ?

             — Da da !

             — Tu parles allemand, maintenant ? Tu sais bien qu’on peut pas schmoquer les boches... C’est pour nous provoquer, dis ?

             — Di di !

             — Dis-voir Boule... Franchement, t’as déjà vu un mec aussi con que l’avenir du toc ?

             Boule ricane un coup et lance :

             — Ah tu peux dire qu’y bat tous les r’cords, c’t’av’nir de mes deux... Sur la tête de ma mère, y a pas pire locdu ! C’est-y pas vrai, av’nir de mes couilles, qu’t’es un locdu ?

             Bill ajoute aussi sec :

             — Tiens j’te parie qu’y va t’répondre ‘du du’ !

             En plein dans le mille...

             — Du du !

             — Y nous prend vraiment pour des bidons !

             — Don don !

             — À part sortir ses petites conneries à la mormoille, y sait rien faire d’aut’ !

             — J’te parie qu’y va nous brancher sur les Dum Dum Boys et des Doum Doum Lovers... Tu vois pas qu’y prépare le terrain ?

             — Alors av’nir du kraut, t’en connais d’autres des Lovers machin ?

             — Everly Lovers !

     

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             Un an après un premier concert dans l’Eure, tu retrouves les Doum Doum Lovers sur scène dans la salle des fêtes du trou du cul du monde, quelque part dans l’Eure. T’en reviens pas de voir un groupe aussi bon se produire si loin de la civilisation. Et du coup, t’en conclus que c’est tant mieux. L’underground est sain et sauf, il respire le bon air de la campagne. T’es tout de suite frappé par l’énergie des Doum Doum. Non seulement elle est restée intacte, mais elle a prospéré. Kinou bat de plus en plus sec et net, et Jean-Jean rocke le boat comme Popeye the sailor. À deux, ils restituent l’extraordinaire exubérance du rock sixties - le temps de l’innocence - ils remettent du rose aux joues de cette vieille mythologie éculée par tant d’abus, ils redonnent du sens à la nostalgie, mais avec un punch qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. S’il fallait les résumer en deux mots, ce serait fraîcheur de ton et brio. Leur set passe comme une lettre à la poste : pas de temps morts, rien que du bon flux. Cette incroyable fluidité est un modèle du genre.

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             Alors attention, il y a une petite nouveauté : ils viennent d’enregistrer Doum Doum Covers/ Subtle Songs For Lovers qui, comme son nom l’indique, est un album de covers, et pas des moindres. Ils commencent par taper le «Primitive» des Groupies dans leur premier tiers de set, et ça prend aussitôt des proportions considérables, car Jean-Jean le travaille bien au corps, il en fait jaillir la moelle, il en écrase bien les syllabes, et pendant qu’il gratte ses poux, tu grattes tes puces, car ça sent bon le fond de la caverne et les Cramps. Te voilà sur orbite. Tu vas encore valdinguer avec une superbe cover du «Five Years Ahead Of My Time» des Third Bardo, un autre sommet du genre, repris entre autres par Monster Magnet, les

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    Nomads et bien sûr les early Cramps. La version des Doum Doum est assez monstrueuse, Jean-Jean ramène les basses du diable sur sa gratte, il donne au Five Years une profondeur de champ jusque-là inégalée et prend son pied à jouer le thème dans l’épaisseur du son. Sa version vaut largement les trois pré-citées. Il enchaîne avec un autre killer-track, le «Trip» de Kim Fowley, et là, pareil, il te laisse comme deux ronds de flan, car il rappe comme Kim, sur le plus monstrueux des beats sixties, il te stompe ça vite fait bien fait. Non seulement le choix de covers est imbattable, mais le rendu vaut tout l’Or du Rhin, il passe chaque fois en force sans forcer, c’est quasiment un tour de passe-passe. Du pur Houdinisme ! Rien n’est plus

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    génial qu’une reprise bien sentie. T’as le cut et l’argent du cut. À deux, parviennent à défoncer la rondelle des annales, avec cette incroyable fraîcheur de ton qui les caractérise. Ils tapent encore le «Do You Love Me» des Contours, produit à l’aube des temps par Berry Gordy, une petite furibarderie qu’on aurait tendance à confondre avec celles des Isley Brothers. Ce démon de Jean-Jean passe en mode heavy blues pour taper l’«How Long Blues» de Leroy Carr et sort pour l’occasion un son de basse sur la gratte qui rappelle le son qu’avait Dave Edmunds au temps d’«I Hear You Knocking», ce son bien sourd qui t’entre aussitôt sous la peau. Ils

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    continuent de taper dans l’haut de gamme avec la version française de «Bird Doggin’», celle de Noel Deschamps, «Pour Le Pied», rebaptisée ici «Pour Le Fun». Kinou l’attaque de front, sur un ton mal intentionné et redonne vie à ce vieux hit entré en fanfare dans la légende. 

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             Petit conseil d’ami : saute sur les Doum Doum Covers, Subtle Songs For Lovers. Cet album entre dans la caste des très grands albums de covers. Tu veux des noms ? Cliff Bennett & The Rebel Rousers et Got To Get You Into My Life, Master’s Apprentices et Apprenticeship In The Garage 1966, Milkshakes et 20 Rock’n’Roll Hits Of The 50’s & The 60’s, Lazy Cowgirls et Radio Cowgirls, Mono Men et 10 Cool Ones, Melvins et Everybody Loves Sausages, Liverbirds et From Merseyside To Hamburg, The Memphis Blues Cream et 706 Union Avenue, Raveonettes et Sing, Robyn Hitchcock et 1967 Vacation In The Past, Junior Parker et Love Ain’t Nothin But A Business Goin’ On, Headcoats et Brother Is Dead But Fly Is Gone, Dirty Deep et A Wheel In The Grave EP, pour n’en citer que quelque-uns. On ne parle même pas des grands adorateurs du Velvet (Galaxie 500, Feelies, Subsonics), de Dylan (William Loveday Intention, aka Wild Billy Childish) ou des Stooges (Union Carbide Production ou encore Sour Jazz). Voilà dans quoi sont entrés les Doum Doum Lovers avec Doum Doum Covers. Ils t’en donnent un avant-goût sur scène, mais sur disque c’est encore pire. T’es tanké dès l’«Her Big Man» des Brigands. Fabuleuse rockalama, ampleur immédiate. Le drive est un modèle du genre. Et ça continue comme ça sur 13 autres cuts triés sur le volet. Ils tapent tous les deux dans l’un des fleurons de la crème de la crème, «A Question Of Temperature» des Balloon Farm, Kinou attaque ça au jungle beat et le Balloon prend tout de suite une fière allure. Le son est plein comme un œuf. Il faut les voir se jeter dans la bataille de la Temperature ! T’es vite frappé par la profondeur insolite des basses. Jean-Jean chante son «Nobody Knows You» à la Kim Fowley, un Kim qu’on retrouve à la fin avec «The Trip», Jean-Jean taille bien sa route sur un heavy beat surchargé de testo, il pousse bien le Kim dans ses retranchements, t’assistes à une fantastique foire d’empoigne. L’album va plus loin que le set : qualité ahurissante de l’écho et des basses, et ça cuivre à outrance. On se croirait revenu au temps où Chris Bailey ramenait des cuivres dans les Saints, ça prend un relief hallucinant. Ce Doum Doum Covers est un vrai coffre de pirate chargé de trésors : Jean-Jean rocke le beat du vieux «How Long Blues» de Leroy Carr et Kinou attaque sa cover de «Bird Doggin’» avec une belle violence salutaire : elle passe par Noel Deschamps et c’est cuivré de frais. Ils jouent l’«I’m Going All The Way» des Squires à bout de souffle, c’est gratté et battu à la hussarde, avec une énergie considérable et un brouet d’acou, et soudain, Jean-Jean siffle. Il re-siffle sur l’«1-25» des Haunted et ça prend un volume extravagant. T’as un solo de sax dans le «Do You Love Me» des Contours et il tape le «Primitive» des Groupies au heavy groove de basse. Kinou ramène tout le ramdam des sixties dans «La Machine», un vieux hit de Dani, et ça repart en mode stoogy pour le «Why» des Dirty Wurds. Jean-Jean nous dira après le concert qu’il tire ses covers des Peebles. Et puis bien sûr, tu retrouves le puissant «Five Years Ahead Of My Time» qui reste le cut chouchou de tous les becs fins. Cui cui !

    Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

    Doum Doum Lovers. Saint-Léger-de-Rôtes (27). 6 avril 2025

    Doum Doum Covers. Subtle Songs For Lovers.

    L’avenir du rock - Doum Doum Doum Doum (Part Two)

     

    Wizards & True Stars

     - Wareham câline

     (Part One)

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             Non, Dean Wareham ne sort pas d’une (divine) chanson de Michel Polnareff, mais c’est tout comme. Dean Wareham fait partie des êtres visités par la grâce - Pour la vi-iie/ Ou peut-être plus/ Pour la vi-iie/ Ou peut-être moins - L’association Polna/Real Dean est assez automatique. Encore un titre de rubrique qu’il n’est au fond pas besoin de justifier.

             Dean Wareham est le real Dean. Et ce dès Galaxie 500, dès Luna et dès Dean & Britta. Galaxie 500, c’est une galaxie de 5 albums qui te font tourner la tête, car leur manège à toi c’est eux, et l’ouverture de ce Bal des Laze se fait avec l’aujourd’hui de toujours, Today.

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             Today éclot aussitôt avec «Flowers» et son attaque saignante de clairette transfigurée. Et t’as cette basse azimutée qui entre dans le son, c’est quelque chose ! De toute évidence, ils cultivent l’excellence, le Velvet Spirit, t’as aussitôt les dynamiques, c’est complètement extravagant de classe et de puissance. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Tugboat», un Tugboat fabuleusement monté en neige, ça ne pardonne pas. Le real Dean développe son petit biz, c’est un spécialiste de la montée en neige, et avec lui ça va vite, il te gratte tout ça en note à note inflammatoire et te fout l’Ararat en rut. Il développe encore son biz dans «King Of Spain», avec des syllabes élastiques et sa clairette doucereuse. Dans «Crazy», tu le vois cavaler ventre à terre à travers la plaine, en toute allégresse. Il peut se montrer très échevelé, et bien sûr, il joue la carte de la surenchère. Il gratte encore des poux divins dans «Pictures» et dans «Parking Lot», il y coule même une rivière de diamants. Il navigue au même niveau que Tom Verlaine, voilà, c’est pas compliqué. Le temps d’un cut comme «Don’t Let Your Youth Go To Waste», il devient le roi de la pop de velours et il entre au chant comme le ferait Nico. Il déverse encore des flots de clairette pure dans l’effarant «Temperature’s Rising», et ça monte comme la marée. Alors le real Dean s’en va jouer sa belle explosion finale. Il nous fait le coup quasiment à chaque fois.

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             L’idéal est de croiser les écoutes et les ré-écoutes avec la lecture d’une bien belle autobio, Black Postcards: A Memoir. Le real Dean s’y confesse avec un réel talent d’écrivain. L’homme est complet. On est en sécurité. T’as dans les pattes un Penguin book de 300 pages, composé en corps 10 mais bien interligné, ça va, tu ne t’esquintes pas trop les yeux. Le real Dean raconte essentiellement sa vie en tournée, et c’est passionnant, car il promène sur le monde un regard curieux et bien rock, il ne nous épargne rien des vans et des hôtels, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Et bien sûr, il rencontre tous les gens intéressants, depuis Kramer jusqu’à Sonic Boom, en passant par Dave Berman, le mec des Silver Jews.

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             Il a quatre ans quand il subit son premier choc esthétique avec le «Georgy Girls» des Seekers, qui en Nouvelle Zélande étaient aussi énormes que le Beatles. Il les compare à Chad & Jeremy et aux Mamas & The Papas - Si nous passons toute notre vie à essayer de retrouver la magie de l’enfance, alors j’ai passé la mienne à essayer de recréer ce que j’ai éprouvé à l’écoute de «Georgy Girl», un mélange de beauté, de tristesse et d’extase - Et là tu sens l’écrivain, car en trois mots, il définit l’art des Galax. Il se souvient aussi que son père avait ramené à la maison l’Here Comes The Sun de Nina Simone, où se trouve ce qui reste selon lui la meilleure version de «My Way». Petit, il avait aussi flashé sur le Cocker’s Happy de Joe Cocker, où se trouve la fameuse cover de «With A Little Help From My Friends» - which he did far better than the Beatles - Il salue aussi les «Elvis’s live performances from the 1970s as some of the greatest recordings of the era. Les critiques se moquaient du King bouffi, mais qui avait un meilleur groupe en 1973 ? David Bowie ? I don’t think so. Les Rolling Stones ? Ils étaient bons, mais Get Yer Ya-Ya’s Out ne vaut pas That’s The Way It Is, un album live d’Elvis enregistré à Vegas et Nashville.» La famille Wareham quitte la Nouvelle Zélande pour l’Australie, puis en 1977, part s’installer à New York. Le real Dean a 14 ans. Il va acheter ses disques chez King Karol Records, 85e rue et 3e avenue, où bosse Bryan Gregory from the Cramps. Puis il découvre via son frère Anthony les Modern Lovers, Magazine, puis les Feelies, dont il qualifie le Crazy Rhythms de perfect record. Au lycée, il se passionne pour la philo, et cite Platon, David Hume et Bertrand Russell. Puis en cours d’Allemand, il flashe sur Bertol Bretch et Erwin Piscator. Il prend quatre cours de guitare, assez, dit-il pour apprendre quelques gammes pentatoniques lui permettant le soloing. Il flashe aussi sur le Paisly Underground, et notamment le Sixteen Tambourines de The Salvation Army, The Days Of Wine & Roses du Dream Syndicate et le Third Rail Power Trip de Rain Parade, le groupe de David Roback. Le real Dean a de bonnes bases. 

             Un jour, il flashe sur a «beautiful old car - a Galaxie 500.» Et hop c’est parti.

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             Dans Mojo, Roy Wilkinson claque six pages galactiques. Il chapôte en qualifiant les Galax de «neo-psychedelic jewel of late ‘80s American indie rock», grands amateurs des «two-chord beatitudes of the Velvet Underground». Le real Dean se dit bien sûr fan du Velvet. Avec Luna, il a joué en première partie du Velvet lors de la tournée de reformation. Et selon Wilkinson, les Galax sont devenus l’«archetypal cult band».

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             Les Galax se sont rencontrés à l’école, on Manhattan’s Upper East Side. Damon Kurkowski & Naomi Yang sont des «grad students at Harvard.» Comme Damon, le real Dean voulait jouer dans les Clash. Naomi en pinçait elle aussi pour le British punk. Damon & Naomi étaient en couple et le sont encore. Naomi apprend à jouer de la basse en écoutant les basslines de Joy Division qu’elle trouve «beautiful, perfect». Première répète en mai 1987. Ils commencent par taper des covers, «Where Have All The Flowers Gone» de Peter Paul & Mary, «I Can See Clearly Now» de Johnny Nash, «Just My Imagination» des Temptations et «Knocking On Heaven’s Door» de Bob Dylan. Ils jouent leur premier gig chez Dean - It was the best gig of my life - Un gig de 20 minutes, «and it was just perfect.» Le real Dean adore la perfection. Il ne vit que pour ça.

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             Damon flashe sur un album d’Half Japanese, découvre que c’est produit par un certain Kramer. Il lui téléphone. Kramer a déjà bossé avec les Butthole Surfers et les Fugs, puis il va sortir Ween et Daniel Johnston sur son label Shimmy Discs. En plus, son Noise New York Studio est abordable. Il enregistre le premier single des Galax, «Tugboat/King Of Spain», Tugboat étant un hommage à Sterling Morrison devenu a «real life tugboat captain», c’est-à-dire capitaine d’un remorqueur. Kramer se dit encore plus fier de Today, le premier album des Galax : «A living dream, like reading William Blake for the first time.»   

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             C’est la collaboration avec Kramer qui va faire basculer les Galax dans la légende. Kramer est une figure de légende dans l’underground : il a joué dans Schockabilly, dans Bongwater et dans B.A.L.L. Kramer a installé son studio au quatrième étage du 247 West Broadway, «just a wooden floor and brick walls.» Il a un 16 pistes. Kramer est un mec très maigre, «the skinniest  man I ever met», nous dit le real Dean, «and he smoked weed vigourously.» Le real Dean ajoute qu’il est fier de sonner comme Galaxie 500, et non comme les groupes qu’ils admirent tous les trois à l’époque, «Modern Lovers, Big Star, The 13th Floor Elevators, Love, Joy Division, or the Feelies.» Ailleurs, il cite encore les Moderne Lovers et Young Marble Giants comme des héros.

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             Leur premier album leur coûte 750 $ - it is still my favorite Galaxie 500 album - Ils se chamaillent un peu sur les crédits, le real Dean estimant qu’il a composé pas mal de trucs - chords, melodies, lyrics - alors pourquoi tout partager en trois ? Mais Damon et Naomi veulent tout partager en trois. Ils menacent de quitter le groupe si le real Dean n’accepte pas le partage à trois, «and that I should find another backing band.» Premier petit bras de fer. Page suivante, le real Dean se dit fier de faire partie d’un groupe avec Damon & Naomi, mais cet épisode lui laisse un drôle de goût dans la bouche «a new taste in my mouth». Il ajoute qu’avec ce type d’incident, le friendship is dead - Your friendship had been poisoned. Kaput !

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    Kramer

             Kramer est un mec bizarre. Il profite que le real Dean ait le dos tourné pour essayer de se taper sa poule, Claudia - That was Kramer - Kramer trouve Claudia hot, alors il tente le coup, mais le real Dean se marre : «I should have punched Kramer in the nose, but I knew he didn’t stand a chance of stealing my girlfriend away from me.» Le real Dean a de la chance, il peut dormir sur ses deux oreilles.

             Quand le real Dean et Kramer acceptent de participer à un benefit acou pour un fanzine, Damon & Naomi protestent : le real Dean n’a pas le droit de jouer sans les Galax. Damon dit que les décisions doivent être prises à trois. Mais le real Dean va faire quand même le benefit. Quand les Galax sont en tournée, Kramer monte sur scène avec eux, et au bout d’un moment, Damon & Naomi ne veulent plus de lui sur scène. Il monte quand même sur scène à Glastonbury. C’est Kramer. Il n’en fait qu’à sa tête. Damon & Naomi sont livides. Ils ne lui adressent plus la parole. Ça amuse beaucoup le real Dean. Un real Dean qui n’aime pas trop les grands festivals - On a joué sur la même scène que Melissa Ethridge, but missed her show. On a aussi raté les shows de Lenny Kravitz, Midnight Oil and all kinds of other stupid shit - Puis arrive the meatball incident. Les Galax dînent au restau avec Kramer, et Naomi commande  des boulettes d’agneau. Kramer s’en offense. Il est végétarien. Il dit à Naomi : «Have you ever looked into the eyes of a little lamb?» - Naomi told him to go fuck himself - Mais bon, c’est Kramer qui fait le son des Galax.

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             Puis les Galax simili-prennent feu avec On Fire, et au chant t’as un real Dean qui sonne vraiment comme Nico, et c’est pas peu dire. Il cultive bien cette ambiguïté, il s’ancre résolument dans la banane du Velvet, et fait monter le relentless comme la marée. Il peut aussi chanter comme une folle préraphaélite («Tell Me»), mais il ne manque jamais de ramener la purée de gras double au sortir d’un cut. Il base la véracité de ses couplets sur le son des clairettes et la pureté des intentions, il rivalise d’ailleurs de pureté intentionnelle avec les Feelies. Et le voilà qui entre à la vipérine dans «When Will You Come Home», et se met à gratter comme un sale crack, un Lou Reed amphétaminé et il développe sa petite affaire avec un gras de clairette toxique qui fait de lui un véritable Wizard. Tout est juteux et organique, sur cet album. Naomi Yang prend l’«Another Day» au chant. Ça a l’air mou du genou, mais en vérité, c’est très puissant. Le real Dean la rejoint sur le tard et fout le feu à la plaine. Il s’implique toujours de façon extraordinaire. Il refait sa Nico dans «Leave The Planet». Tous ses cuts sont infestés, sa psyché est une merveille de mimétisme velvétien. Le real Deal devient de plus en plus blonde germanique avec «Plastic Bird» et toujours ce final apocalytique. Toute la fin d’album est remontée des bretelles. Les échappées sont géniales, avec derrière ce son de basse toujours indépendant, dans son rôle de contrefort mélodique. Voilà un album qu’il faut bien qualifier de princier. On a pu détester ce côté mou du genou à l’époque, mais à la revoyure, il apparaît que c’est du très grand art. Le real Dean est le roi des échappées somptueuses, le final d’«Isn’t It A Pity» est un modèle du genre, une vraie fin en soi, élégiaque et magistrale. 

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             Pour beaucoup, On Fire est le keystone des Galax. Dans la presse rock, on comparait le real Dean à Neil Young, ce qu’il réfute. Il préfère citer les influences de Jonathan Richman et des Feelies. C’est Kramer qui le pousse à forcer sa voix : «Kramer pushed me to double things in falsetto.» C’est après On Fire que les tensions sont apparues. Damon & Naomi vivent à Cambridge, Massachusetts et le real Dean à New York, et le «200-mile drive» l’exaspère. Damon sent que le son des Galax bascule, «from self-consciousness to decadence.»

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             L’année suivante, ils rééditent l’exploit d’On Fire avec This Is Our Music. On y retrouve les mêmes composantes : le mimétisme velvétien et les échappées belles. «Fourth Of July» sonne comme un cut du Velvet. Le real Dean reste dans cette ambiance, avec un bassmatic joliment libre, et puis il part en vrille de velvétude. Il refait sa Nico sur «Spook», à coups de nearly lost my mind sur les accords d’«All Tomorrow’s Parties». Il tape ensuite «Summertime» sur les accords d’«Heroin». Même son d’intro, c’est comme suspendu entre rêve et réalité, et t’as toujours l’explosion finale. C’est vraiment la marque de fabrique des Galax. Coup de génie encore avec «Listen The Snow Is Falling». Noami prend le chant et c’est beau car elle ramène de la chaleur féminine. «Listen The Snow Is Falling» est aussi pur que «Pale Blue Eyes», et bien sûr, t’as la fin de cut apocalyptique, c’est complètement dévastateur avec un real Dean qui explose comme une bombe atomique. Ils enchaînent ensuite deux autres bombes atomiques, «Sorry» et «Melt Away». C’est la bassline qui t’emporte la bouche sur Sorry, Naomi gratte une incroyable mélodie souterraine. Le son des Galax, c’est l’éther d’une voix, une jolie dentelle de clairette et un bassmatic mélodique. Ce bassmatic omniscient qu’on retrouve dans Melt, elle devient la jouvence de la Galaxie, un Melt où le real Dean file vers son final en forme de firmament psyché subliminal, il atteint l’osmose de la psychose, c’est absolument stupéfiant d’universalisme. Ils sont tout simplement faramineux, écœurants d’élégance, surtout Noami et son bassmatic ouaté et mélodique qui donne une profonde identité au son des Galax. Serait-elle la maîtresse d’œuvre ? Elle va chercher des notes de bas de manche qui donnent des couleurs aux joues du cut, elle lui donne vie, et comme si tout cela ne suffisait pas, t’as des trompettes de Jéricho.

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    Damon & Noami

             Le real Dean appelle Damon & Noami pour leur dire qu’il veut quitter le groupe. Mais il reste encore un peu, pour quelques concerts. Et ça va tourner à l’obsession. Il ne peut plus les supporter - I want to live my life without you in it - Il répète encore qu’il aimait «Damon’s fluid, jazzy style on the drums, and Naomi’s simple and melodic bass parts. I liked Damon’s poetry and Naomi’s miniature paintings. But they were driving me crazy.»  

             Des dates sont bookées au Japon et Damon appelle le real Dean pour le lui annoncer, mais il reçoit une fin de non-recevoir : le real Dean quitte les Galax. Damon & Naomi sont choqués.

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             Le quatrième et ultime album des Galax s’appelle Copenhagen. C’est une sorte de best live et fatalement on retrouve ces merveilles que sont «Fourth Of July» qu’ils jouent à cœur ouvert, sans cacher leurs sentiments, «Summertime» où on croit entendre Nico chanter, «Sorry», monté sur un bush de beurre et un bassmatic minimaliste, «When Will You Come Home» où le bassmatic crée encore de l’enchantement et bien sûr le real Dean part en vrille d’excelsior. Tu retrouves aussi le sublime «Listen The Snow Is Falling», très Pale Blue Eyes, pur ô so pur ! Et bien sûr ils tapent une cover du Velvet : «Here She Comes Now». Ils y vont doucement mais sûrement, ils en font un traitement d’une pureté sidérale, et le real Dean revient en plein Nico avec «Don’t Let Your Youth Go To Waste», tiré de Today, cut signé Jonathan Richman, c’est du pur gothic Velvet, ils récréent exactement les conditions du gothique new-yorkais, tas le Grand Jeu warholien et t’as la basse de Naomi Yang qui descend en travers dans le mood, alors la température monte et le real Dean déclenche une fois de plus son champignon atomique.

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             Les Galax sont eux aussi passés par les Peel Sessions. On y retrouve toutes ces merveilles velvétiennes que sont «When Will You Come Home», «Flowers» et «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean refait sa Nico et passe des grands solos de wah, avec une fébrilité délibérée, quel pâté de foi ! Ça flirte en permanence avec le voile de la Factory, et l’acid freakout de Lou Reed. Ils poussent même le bouchon jusqu’à sonner comme un power trio, et après le dernier couplet de «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean part en vrille délétère, en Velvétien accompli. On trouve aussi sur ces Peel Sessions une cover du «Submission» des Pistols, d’où l’intérêt des Peel Sessions. Cover dévastatrice, mais sans la voix, bien sûr. Ils tentent l’ampleur. L’autre coup de génie est ce «Blue Thunder» sorti de nulle part et d’une beauté purpurine, bien monté aux harmonies vocales et que ne manque pas d’exploser l’atomique real Dean.

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             Si tu veux aller au fond de la Galaxie, c’est avec Uncollected (Rareties) paru en 1996. C’est vraiment le fond de la Galaxie. Tu y retrouves toute cette mélasse compassionnelle et ces harmoniques de basse qui te plaisaient tant dans les albums. Tu y croises «Blue Thunder» et son fantastique relent velvétique, tu le sens dès les premières mesures, et la belle bassline de Naomi Yang vient te caresser l’intellect, ils chantent à deux et font éclater leur Sénégal avec un sax in tow, et puis bien sûr le real Dean claque un solo final en forme de débinade apoplectique. Le real Dean a toujours cette voix de nez, cette voix de Nico masculin, il est encore pointu sur «Song In 3», il fait son Perlimpinpin et te tire-bouchonne un final explosif. Il challenge encore le Velvet avec «I Can’t Believe It’s Me», il sort des entourloupes à la Lou, il devient tellement Velvetien que ça finit par te troubler. C’est Naomi qui chante «The Other Side». Elle est magnifique, dommage qu’elle ne chante pas plus souvent. Et bien sûr, ça se barre en crouille-marteau de Dean machine. Il collectionne toutes les variations extraordinaires, et la rose n’en finit plus d’éclore au matin. Et voilà le pot aux roses de Ronsard : une version live de «Rain/Don’t Let Your Youth Go To Waste». D’où l’intérêt d’aller chercher ces petites compiles de fonds de tiroirs, car c’est là que se trouvent les vraies pépites. Comme par exemple la version d’«Anarchy In The UK» sur l’album live de Wild Billy Childish & the Blackhands, ou encore la version live at the Roundhouse d’«On Parole» par Motörhead, sur The Boys From Ladbroke Grove. Le «Rain» du real Dean est un sommet du genre - The first time in New York, dit-il avant d’attaquer directement en mad psyché, I don’t mind, et il part en killer killah killoh de mad freakout surnaturel. Il révolutionne le genre, il surjoue l’excelsior, le real Dean est un géant des catacombes, le Golem de la Mad, puis il bascule dans son Youth et ça prend des tournures pourfendues, des allures pantelantes, ça moud les épithètes, c’est exponentiel de panache, t’en suffoques d’extase, et ils font ça à trois ! Et le real Dean se livre une fois encore à une lutte finale explosive. Il est véritablement l’un des génies soniques du XXe siècle, qu’on se le dise !

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             Et pour surenchérir sur le thème «fond de la Galaxie», vient de paraître le mighty Uncollected Noise New York ‘88-’90, qu’on pourrait presque qualifier de tribute au Velvet. On n’y trouve qu’une seule cover du Velvet, «Here She Comes Now», sur le disk 2, bien amenée à l’élan lysergique. Le real Dean est un inconditionnel, il soigne sa Velvetude, il épouse le Lou au chant, il recrée les dynamiques infernales et ça menace d’exploser sous la cendre. Le real Dean fait d’«Here She Comes Now» un monstre d’élégance gothique, un chef-d’œuvre d’intégrisme Velvetique, et Damon Kurkowski bim-bam-boome au beurre, il bat bien la coulpe du Velvet, et t’as en plus ce bassmatic éhonté de Naomi Yang derrière, et petite cerise sur le gâtö, le real Dean qui te gratte les poux du diable, il ressuscite les basses œuvres du Velvet, il tisonne le cœur du pâté de foi et ça prend feu sous tes yeux, c’est de la dévotion extrême qui bascule dans le surnaturel, dans une clameur de la chandeleur. Il n’y a que le real Dean (et Glenn Mercer) pour rendre ainsi hommage au Velvet. Sur le même disk, tu retrouves «Blue Thunder» qui pourrait très bien être un cut du Velvet. Les accords d’intro et la mélodie chant sont typiques du Lou, en plus c’est saxé dans l’âme. Le real Dean réussit son coup avec cette mélopée sublime et il passe un solo de dingoïde en fin de cut. T’entends encore le bassmatic génial de Naomi Yang dans «Fourth Of July». Toujours du très haut niveau, avec le final inflammatoire. Le real Dean se met en branle dans la stratosphère. Il refait encore sa Nico dans «Moonshot». Il retrouve tout l’éclat gothique de l’égérie warholienne. Ne manque plus que l’harmonium. Il te gave comme une oie. C’est d’une densité extraordinaire. Sur le disk 1, tu trouves pas mal d’inédits, tiens, par exemple de «See Through Glasses» qui tape en plein Velvet, gratté dans l’absolu, avec le feu sacré du final explosif. Pareil avec «On the Floor» : inédit et wild as fuck, avec son final apocalyptique. Tu crois entendre le Lou dans «Can’t Believe It’s Me». Lou y es-tu ? Le real Dean est en plein dedans. On retrouve aussi le «King Of Spain» du premier album, Today. Le real Dean refait son Lou d’accent pincé. Et plus loin, sur «Song In 3», il refait le coup double, c’est-à-dire sa Nico et le final de poux demented. Tu retrouves encore cette voix de Nico devenue folle dans «I Will Walk», un autre inédit. Il retombe en plein dans le Lou avec «Cold Night» et la Méricourt entre en lice comme d’habitude à la fin du cut. Et pour finir ce faramineux disk 1, le real Dean sort «Ceremony» de sa manche, la cover de Joy Division, mais ça se met en route exactement comme un hit du Lou, et le real Dean rajoute sa mélodie chant au sommet du mimétisme. Si ce n’est pas de l’art, alors qu’est-ce que c’est ?

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             Dans son book, le real Dean évoque des tas de gens intéressants, à commencer par Calvin Johnson, le mec des Beat Happening, «qu’on appelait the Andy Warhol of Olympia, Washington, an unrepentant punk rocker and leader of the International Pop Underground. Calvin’s punk did not mean wearing a leather jacket and playing loud and fast.» Il ajoute que Calvin avait «a magnetic stage presence and a unique rock voice and wrote great songs that were both innocent and rebellious, but not twee.» Le real Dean voit aussi à l’époque Pussy Galore, «with four guitarists and no bass player», et Bob Bert qui bat le beurre sur un réservoir d’essence. Mais ce qui frappe le plus notre cher real Dean, c’est la tension qui règne dans le groupe - comme s’ils ne supportaient pas d’être ensemble dans la même pièce. Depuis j’ai appris qu’il y avait de la tension dans tous les groupes - Il voit aussi GG Allin dans la rue - Certaines personnes le voyaient comme the essence of rock and roll, a true bad boy, the second coming of Hank Williams. But Hank Williams n’a jamais pris de laxatifs avant de monter sur scène, so he could strip naked and poop on the stage - Il rencontre aussi un journaliste du Melody Maker, Bob Stanley - He was in a band too. They were called St. Etienne - Quand le real Dean lui demande quel instrument il joue, PolyBob lui répond : «It’s hard to explain.»

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             Le real Dean qui a du goût rappelle que les Screaming Trees était son «favorite Seattle band» - They were far more melodic than their peers - Et pouf il embraye sur l’apologie de Lanegan qu’il compare à Jimbo - Like Morrison, Lanegan  was a handsome and charismatic drunk, with long brown hair - Il ajoute que Lanegan était déjà ivre au sound-check de 16 h, et il adorait la cover que faisait Luna du «Don’t Let Your Youth Go To Waste» de Jonathan Richman.

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             On croise dans le book un petit paragraphe sur le mythe du premier perfect album. Le real Dean cite deux exemples : l’Is This It? des Strokes et le Marquee Moon de Television. Et crack, il embraye aussi sec sur le Velvet qui, après le premier perfect album, en ont fait «three more perfect, yet different.»  Oh et puis Lee Hazlewood ! - J’ai rencontré Lee Hazlewood quelques années plus tard et lui ai demandé comment il obtenait his great vocal sound. He said you put echo on the reverb (or was it reverb on the echo?), instead of on the voice itself, so that the voice retains its presence while still having a huge echo sound... like the voice of God - Par contre, le real Dean n’aime pas 16 Horsepower, avec lesquels il joue en Suisse - I’d never heard of them, and I confess I didn’t like them. I mean, I didn’t know them personallly, and I didn’t like their music or their instruments or their porkpie hats - Avec lui, c’est vite réglé. Par contre, il adore Stereolab, avec lesquels il joue à Barcelone - Sterolab was one of the best live bands in the world, one of those bands that comes along once in a while and changes the whole music scene (...) They were derivative on the one hand, but also startingly original - Il rend hommage à Carol Kaye qu’on entend jouer de la basse sur tous les gros hits californiens d’antan, et plus loin à Sonic Boom qu’il rencontre à Cleveland - Sonic was one of the two brillant minds behind Spacemen 3 - et il ajoute ça qui vaut son pesant de pesos : «Sonic is definetively a hedgehog», c’est-à-dire un hérisson. Ils vont d’ailleurs enregistrer ensemble tous les trois avec Britta un EP de remixes de L’Avventura - Sonic said thaht L’Avventura was one of the all time great albums - On voit tout ça dans le Part Two.

             Le real Dean est aussi pote avec David Berman qui sort tout juste de rehab «for addiction to crack» - Berman told of his descent into crack hell, qui en fait s’est terminée au Vanderbilt Hotel, où il prit une suite, ingested large quantities of crack and Dilaudid and Xanax, and contemplated suicide.

             Et puis cette façon qu’il a de régler leur compte aux cons : «Assis dans mon lit, je regardais le documentaire sur Metallica, Some Kind Of Monster. It was painful to watch. Le film montre ce qu’il y a de pire dans un groupe : l’impossibilité de prendre des décisions, le vote permanent, les discussions, les réunions. Metallica écrit des lyrics en comité. C’est dur à regarder. James Hatfield et ses bandmates ne sont pas des gens très sympathiques.» Et plus loin, il ajoute que «Metallica and U2 and REM are far more than rock and roll bands. They are institutions, corporations. And corporations have lives of their own.»  

             On n’en finit plus de croiser l’écrivain Wareham dans Black Postcards: A Memoir. On reconnaît souvent les grands écrivains à cette façon qu’ils ont de nous faire revenir deux pages en arrière pour relire un passage intriguant. Si tu veux remettre le souvenir du passage au carré, il faut revenir sur l’exacte formulation. L’exacte formulation est l’apanage des grands écrivains. Et derrière sa modestie, se cache le grand écrivain Wareham. Ceci par exemple : «But I don’t know culture from counterculture. Questions like that confuse me, and they don’t help when writing songs. Let the rock ctitics read Adorno and Anthusser. I will study Pops Staples and the Chocolate Watchband.» T’es plus dans Rock&Folk, amigo, t’es dans les pages du book d’un real deal nommé real Dean. Ça change tout. Pour «parler» du rock, il faut une certaine distance, disons une certaine hauteur. Tu l’as non seulement dans les pages du real Dean, mais tu l’as en plus dans ses albums. Fascinant personnage.

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    Terry Tolkin

             Il évoque sa rencontre avec Terry Tolkin, l’A&R de Rough Trade aux États-Unis - I liked Terry instantly. We liked a lot of the same music - Wire, Joy Division, the Comsat Angels, New Order, Lydia Lunch and Sonic Youth - Monsieur le bec fin continue de faire feu de tout bois. Il a aussi la chance d’être invité à faire la première partie du Velvet reformé, et la façon dont il évoque cet épisode te fait autant rêver que ça l’a fait rêver : «Recevoir le coup de fil pour faire la première partie du Velvet Underground fut un moment étrange. Je croyais avoir rêvé. Mais quelques semaines plus tard, je me suis retrouvé dans un dressing room à l’Edimburg Playhouse, avec Lou Reed, John Cale, Moe Tucker et Sterling Morrison qui répétaient ‘Venus In Furs’.» C’est pour lui une façon d’exprimer un accomplissement. Il le couronne un peu plus loin d’un autre souvenir, cette fois à Berlin, où il passe la soirée avec Sterling Morrison : «Notre soundman Gordon nous avait trouvé de l’ecstasy, which made the night even more special. Je me souviendrai toujours de ce retour à l’hôtel en Mercedes taxicab, on écoutait un live Velvets bootleg on German radio, enjoying the strange confluence of events, et je savourais la chance que j’avais d’être sur cette tournée.» Voilà ce qu’est le véritable écrivain rock, il te fait monter avec lui dans le Mercedes taxicab pour écouter le Velvet dans la nuit berlinoise. Ce book n’est fait que de ça : de souvenirs triés sur le volet et écrits dans un anglais parfait. 

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             Pour les besoins d’une meilleure compréhension, le real Dean cite Isaiah Berlin et sa théorie sur la différence qui existe entre le renard et le hérisson : «Le renard sait beaucoup de choses, dit Berlin, mais le hérisson ne sait qu’une seule chose, one big thing.» Alors notre real Dean développe : «Certains artistes sont des renards, Aristote, Pouchkine, Goethe, Picasso, Paul McCartney, Beck, they can do all kinds of dazzling things. Mais d’autres artistes sont des hérissions : Hegel, Nietzsche, Dostoïevski, Jackson Pollock, and Keith Richards. They stick with one idea.»

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             Quand avec Luna, il enregistre son cinquième album, il sait que c’est pas très bon. Il sort alors la théorie du cinquième album : tous les groupes se vautrent, sauf les Beatles - We were not the Beatles. No we were not - Il ajoute que la plupart des groupes ont de la chance quand ils passent le cap des deux premiers albums, et il développe : «Vos albums ne peuvent pas tous être great. Si vous avez de la chance et du talent, vous pouvez sortir une série d’albums remarquables, comme l’ont fait Bob Dylan, les Rolling Stones ou Stereolab. But it can’t continue forever.» Il propose ici une expertise, et s’appuie sur les bons exemples. 

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    Peter Hook concert hommage à Joy Division

             Mais ce qui te rassure le plus, en fait, c’est son humour. Un humour très très très sharp. Il se souvient par exemple d’un des premiers concerts des Galax au 9:30 Club à D.C., et là, pas de pot, il casse une corde dès le premier cut. Il doit alors emprunter la Les Paul Junior de Dave Rick which sounded all wrong. «I had a revelation at that moment. I would buy a second guitar, to be used in the event that I broke a string. That’s what the pros do.» Et ça qui est encore plus hilarant : les Galax font une cover du «Ceremony» de Joy Division, et Peter Hook montre à Naomi «the correct way to play ‘Ceremony’. Then, he gave Kramer a ride back to the hotel in his Jaguar XII2. Apparemment, il avait reconduit Ian Curtis chez lui le soir de son suicide. I wondered if it was the same Jag.»

             Plus loin, il se fend bien la gueule avec le fameux Josuah Tree. U2 a dit-il a passé un an en studio à expérimenter des trucs avec Daniel Lanois, Eno et Steve Lillywhite. Pas de problème pour des millionnaires. Et puis il te balance ça, alors que tu ne t’y attends pas : «I have a theory : if you put four monkeys in the studio for a year with Lanois and Eno and Lillywhite, they would make a pretty good record, too.»

             Il évoque aussi le bordel des backstage passes et l’after-show, et des «stupid questions about what kind of distorsion pedals we use», et crack, il lâche le morceau : «Certains groupes confient à un crew member la mission d’aller distribuer des backstage passes aux filles les plus jolies, mais pour nous, se livrer à ce type de pratique était une façon de mordre le trait. We may have been dogs, but we were not pigs.» Il se souvient aussi des insultes dont sont capables les Anglais, en concert - There are always a couple of English blokes who want to lob funny insults at you : «Don’t let your midle age go to waste!».

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             L’encore plus idéal est de voir le real Dean sur scène. Coup de chance, il débarque à Paris ! Alors t’y cours. Sur scène, avec ses vêtements clairs, il a une petite allure de manager, mais un manager décontracté qui bosserait dans une agence de com, une sorte de Directeur Artistique. Looké mais sans en avoir l’air. Il porte des lunettes de vue et ses cheveux grisonnent. Une petite soixantaine. Mais il a toujours fière allure. Sa copine Britta ressemble toujours à une ado, avec son petit nez

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    minuscule et son corps parfait. Elle va passer l’heure à tenter d’imiter Noami Yang dont les basslines enchantèrent jadis nos oreilles, mais ce n’est pas exactement le même jeu. Noami Yang voyageait beaucoup plus sur son manche. Britta tape majoritairement ses lignes au bas du manche et joue avec une infinie délicatesse. Pour le real Dean, c’est extrêmement confortable. Il est comme Lou Reed et le gros Black : il a ses manies. Le Lou voulait Moe et le gros voulait Kim. Comme tout est joué en mélodie, les lignes se croisent. Le bel encorbellement des lignes mélodiques est leur fonds de commerce.

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    Alors, autant l’avouer maintenant : t’es là pour ton shoot de Velvet Sound. Et tu vas l’avoir avec «Friendly Advice», montré sur un riff de basse monolithique, et là tu renoues avec la magie du Velvet. T’as ta dose. Ta big dose ! And I guess that I just don’ know. C’est en plein dans le mille du gonna try for the kingdom. C’est même au-delà de la magie. Tu vis l’instant à mille pour cent. Les notes te roulent sur l’épiderme, tu remercies les dieux du rock de t’offrir un tel festin de frissons, le real Dean est de dernier mec au monde capable te d’offrir ce cadeau insensé : la recréation du Velvet Underground. And I feel like Jesus’ son. Et ça va loin, car au fond là-bas, t’as Matt Popieluch qui fait son Sterling Morrison. «Friendly Advice» tape en plein dans l’œil du cyclope. Comme par hasard, Sterling Morrison jouait sur

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     ce «Friendly Advice» tiré du Bewitched de Luna. On le sait maintenant, le real Dean ne fait jamais rien au hasard. Ce «Friendly Advice» niché au cœur du set restera gravé dans ta mémoire jusqu’à la fin des temps. Le real Dean tire aussi deux cuts du premier Galax, «Flowers», toujours aussi sidérant de classe, et en rappel, «Tugboat», toujours aussi imparable, avec ces montées en température dont le real Dean s’est fait une spécialité. Sur scène, ce sont des cuts qui ne pardonnent pas et qui foutent le feu à ton imaginaire. Ils tirent aussi trois cut d’On Fire, le mighty «Snowstorm», «When Will You Come» et en rappel «Strange». Le real Dean te charge si bien la barcasse que tu coules sans crier gare et t’es bien content. Tu glou-gloutes au paradis. Tu te retrouves un peu plus tard dans les rues du XIIIe ivre de Velvetude. T’en fais des bulles, tellement t’exultes.

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    Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean Wareham. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Galaxie 500. Today. Aurora Records 1988

    Galaxie 500. On Fire. Rough Trade 1989    

    Galaxie 500. This Is Our Music. Rough Trade 1990 

    Galaxie 500. Copenhagen. Rykodisc 1997

    Galaxie 500. Peel Sessions. BBC 1996

    Galaxie 500. Uncollected (Rareties). Rykodisc 1996

    Galaxie 500. Uncollected Noise New York ‘88-’90. Silver Current Records 2024

    Roy Wilkinson : Made of... Mojo # 371 - October 2024

    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

     

    Manning depression

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             Qui dit Ardent dit Terry Manning. Et comme Terry Manning vient de casser sa pipe en bois, allons faire un petit tour à Memphis pour lui rendre hommage.

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             Terry Manning arrivait d’El Paso où il avait joué dans le Bobby Fuller Four. Robert Gordon : «Son père était un pasteur qui déménageait souvent et Terry harcela ses parents pour qu’ils s’installassent à Memphis, ce qu’ils finirent par faire. Une semaine après leur installation, Terry se rendit chez Stax, frappa à la porte et dit : ‘Here I am’.»

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             Il va rester 20 ans chez Ardent, où bossa aussi Jim Dickinson. Terry travaille avec la crème de la crème de Stax, les Staple Singers, Booker T. & the MGs, Isaac Hayes. Il est le bras droit de John Fry qui sous-traite alors énormément pour le compte de Stax. John Fry indique que Dickinson cultivait un beau scepticisme envers le music business - which probably provided some guidance for a lot of people - Dans les pages d’It Came From Memphis, on trouve un bel hommage à Reggie Young, dont la façon de tirer les cordes de guitare aurait influencé George Harrison. À 20 ans, le jeune Young était déjà un vétéran. C’est lui qui jouait sur «Rocking Daddy» d’Eddie Bond, avant de jouer dans le Bill Black Combo et de mettre en place de son d’Hi Records. Justement, le Bill Black Combo tourna avec les Beatles et c’est là que le jeune George loucha sur la technique de Reggie.

             Robert Gordon rappelle que Terry Manning introduisit Chris Bell dans le microcosme Ardent de musiciens et de producteurs, tous jeunes, précise l’auteur, tous affamés d’avenir et de son.

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             Quand en 1968 Dickinson quitte Ardent, il prend le prétexte d’une mauvaise ambiance - a prevailing negativity - mais il ajoute que c’était entièrement de sa faute. Dickinson reviendra chez Ardent en 1972 pour finir son album Dixie Fried que John Fry va lui mixer à l’œil. Pour conclure sur sa période ingé-son chez Ardent, Dickinson affirme que John Fry est le meilleur ingé-son qu’il ait connu - He is a brillant tracking engineer and he’s the best mixer - Bon alors évidemment, après on a l’épisode Alex Chilton. Dickinson dit qu’à l’époque il n’a pas flashé sur les deux premiers albums de Big Star, mais il a fait Third en tête à tête - Head to head - avec Alex.

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             Dickinson ajoute qu’il connaît Chris Bell depuis qu’il est gosse. Un Bell qui comme Andy Hummel viendra commencer à traîner chez Ardent, mais après le départ de Dickinson. C’est la genèse de Big Star. Sur la compile Thank You Friends -The Ardent Records Story figure «Psychedelic Stuff» : Bell lui sonne les cloches, et comme tous les Ardent believers, il cherche des noises à la noise. On retrouve aussi Alex Chilton avec un «Free Again» noyé de bénédiction country, joué aux accords d’arc-en-ciel et claqué à la pedal steel aérienne. Terry Manning ramène là-dedans une dimension du son jusque-là inconnue : the Ardent thang. Justement on l’entend le Manning faire le méchant dans «Rocks». Il se met en colère avec sa petite voix anglaise, mais c’est avec «Guess Things Happen This Way» qu’il rafle la mise, car c’est complètement cisaillé du bulbique, Terry saute à l’assaut du rock, c’est shaké à coups d’accords anglais, il barde son cut de big barda, de huge bassmatic et de wild Memphis drive. Du coup, il devient l’un des géants du Memphis Beat.   

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             Terry Manning intervient assez longuement dans le booklet de Thank You Friends -The Ardent Records Story. Il rappelle qu’il est, comme Dickinson, un amateur de British Beat et raconte dans le détail la genèse d’Ardent, sur National Road. Il est d’ailleurs le premier salarié d’Ardent et il doit tout faire : ouvrir le matin, préparer les bandes, passer un coup de balai. La réceptionniste n’est autre que Mary Lindsay, la femme d’un Dickinson que Terry qualifie de director of entertainment. Il devait vraiment régner une belle ambiance là-dedans ! Tout le temps libre est utilisé pour expérimenter - That period was a lot fof fun. We had no rules, and did whatever we wanted, for better of for worse - John Fry laisse volontiers les clés. Il fait confiance à ses amis. Terry Manning apporte aussi un éclairage sur la transition Box Tops/Big Star : au temps des Box Tops, Alex souffrait de l’autorité de Chips Moman et de Dan Penn qui rejetaient systématiquement ses compos, alors Alex voulait un peu d’air, et cet air, il l’a trouvé chez Ardent, avec le copain Terry. Pour finir avec National 1960s, saluons l’immense Sid Selvige et son «Miss Eleana», car voilà un enjôleur de première catégorie. Comme le Penn, il sait tartiner un slowah.

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             En 1970, Terry Manning, enregistre Home Sweet Home sur son petit label Enterprise, qui dépend de Stax. Il démarre sur une grosse version du «Savoy Truffle» des Beatles, comme par hasard. Terry joue ses grosses lignes de basse comme un beau diable. Il joue tous les instruments, comme Todd Rundgren. Et puisqu’il bosse chez Ardent, il croise les pistes ardemment. Il rentre dans le chou des Beatles, mais il rallonge sa soupe à la truffe pendant de longues minutes, c’est dommage, car il ruine tous ses efforts. Chris Bell ramène son grain de sel dans «Guess Things Happen That Way» : technique somptueuse et originale. Chris Bell reste l’un des plus fervents interventionnistes de Memphis. Fabuleuse version du «Trashy Dog» qui sera repris par Alluring Strange, le groupe de Misty White. Big bassmatic. Ah comme c’est bon, joué ainsi à la rude énergie du beat. Terry attaque sa B avec une solide version de «Choo Choo Train». Il la prend plus punk, il la cisaille et la chante à l’énervée de comptoir. Il en fait une version têtue comme une bourrique. On tombe plus loin sur un «Sour Mash» instro assez puissant, et il boucle son bouclard avec un «Wanna Be Your Man» chanté à la force du poignet. Terry tente de créer l’événement. Pas facile. Il y a déjà beaucoup d’événements down there in Memphis.

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             Norton fit paraître en 2012 un truc plus ancien du Memphis boy : Terry Manning & The Wild Ones, Border Town Rock N’ Roll 1963. Bon, c’est du document d’archives et la plupart des cuts rassemblés par Norton ne ressemblent à rien. Le jeune Terry fait du garage en parpaing. Avec ce genre de disk, Norton se tire une belle balle dans le pied. Quand on écoute «You’re In Love», on se dit en rigolant que c’est l’une des pires mormoilles qui soit ici-bas. On se demande comme Billy Miller a pu sortir un disk aussi désastreux et le vendre quinze euros. Ça dépasse l’entendement, voyez-vous. Mais il faut cependant écouter ça jusqu’au bout, ne serait-ce que pour voir à quelle sauce ils nous servent «Sweet Little Sixteen». Arnaque parfaite. Si Billy a voulu prendre les gens pour des cons, c’est réussi. On reste dans l’agonie avec «Boney Maronie». Ça fait du bien de temps en temps d’écouter un disk bien pourri. On a là l’une des pires arnaques de tous les temps. Fuck it. On adore la mention : «All titles previoulsy unissued». Et pour cause.

    Signé : Cazengler, Terryne de campagne

    Terry Manning. Disparu le 25 mars 2025

    Terry Manning. Home Sweet Home. Enterprise 1970

    Terry Manning & The Wild Ones. Border Town Rock N’ Roll 1963. Norton Records 2012

    Thank You Friends. The Ardent Records Story. Big Beat Records 2008

    Robert Gordon. It Came From Memphis. Pocket Books 1995

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gousse d’Hayes

     (Part Three)

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             Après un Part One consacré à la mighty box The Spirit Of Memphis, puis un Part Two consacré à Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une compile Ace parue en 2022, Isaac le Prophète est de retour avec un Part Three de nouveau consacré à une compile Ace, Hot Buttered Singles 1969-1972.

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             Tony Rounce se charge des 16 pages du mini-booklet. Il n’a pas grand chose à raconter, hormis le fait que Jim Stewart ne voulait pas laisser Isaac le Prophète chanter, lui disant : «your voice is too pretty». Méchant connard ! Par contre, lorsque le DJ Alvertis Isbell, c’est-à-dire Al Bell, arrive au pouvoir chez Stax en 1968, ce sera un autre son de cloche. Al adore la voix d’Isaac le Prophète. Il voit même un market en lui. Lors d’une party bien arrosée et donc avec un gros coup dans la gueule, Isaac le Prophète, le père Crop, Duck Dunn et Al Jackson entrent en studio et enregistrent Presenting Isaac Hayes, qui n’est pas un album très commercial, loin s’en faut.

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             Après la rupture avec Atlantic et la perte de leur catalogue, Al Bell et Stax décident de repartir à zéro en 1969 avec 27 albums. Oui, 27 albums d’un coup. Allez hop tout le monde au boulot ! Al Bell demande bien sûr à Isaac le Prophète de participer à cette orgie de renaissance et Rounce se marre : «There was little expectation that his second album would change the face of black American music forever.» Eh oui, il évoque bien sûr Hot Buttered Soul, l’un des albums les plus révolutionnaires de l’histoire de la rock culture, avec Highway 61 Revisited, Electric Ladyland, The Velvet Underground & Nico et The White Album. Isaac le Prophète a carte blanche. Comme le studio Stax est over-booké, Isaac le Prophète va chez Ardent avec les Bar-Keys et le fils de Rufus Thomas, Marvell Thomas qui est pianiste. En quelques heures, ils mettent à plat Hot Buttered Soul. C’est là-dessus que tu croises la version longue du «By The Time I Get To Phoenix» de Jimmy Webb, dont une version courte figure que la compile Ace - I’m talking about the power of love, man - C’est un cut historique, c’mon c’mon c’mon, tu rentres dans la profondeur du Black Power, et t’es bien raccord avec la photo d’Isaac le Prophète enchaîné qui orne la pochette. Car c’est monté sur un lourd battement de cœur et un claquement hypnotique de cymbale, tu attends un peu et Isaac t’allume ça au chant, il injecte le power du Black Power dans le petit cul blanc de Jimmy Webb et ça devient mythique. Oui, tu plonges dans les tréfonds d’un paradis, et le Prophète te magnifie cette chanson parfaite à coups de call my name. Comme Phoenix fait un carton, Bell est obligé d’en sortir une version single de 7 minutes. Même chose pour «Walk On By» qui en fait 12 et qui redescend à 4 minutes pour le single. C’est d’ailleurs «Walk On By» qui ouvre le bal de cette compile prophétique. T’as l’immédiateté du Prophète - If you see me walking down the street - Il gronde son walk on by avec le pouvoir terrible d’un dieu de l’Antiquité.

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             Isaac le Prophète tape encore dans Burt avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself» et «The Look Of Love». Il emmène les cuts de Burt en mode Stax avec des chœurs de filles. Tout ici est extrêmement arrangé, très aventureux, Isaac attaque Burt à la sourde, histoire de challenger la mélodie. Il rivalise de génie vocal avec Dusty chérie, tu le vois remonter le courant de la mélodie à la force du poignet. Ses compos ne sont pas en reste, comme le montre «Winter Snow», qu’il module à merveille d’une voix profonde. Il vise la pop par dessus les toits. Il fait aussi un chef-d’œuvre de l’«I Stand Accused» des frères Butler de Chicago. Il prend bien «Never Can Say Goodbye» par en dessous, puis tu tombes nez à nez avec «Theme From Shaft».

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             Isaac le Prophète comptait bien décrocher un rôle dans le film de Gordon Parks, mais comme Parks a déjà confié le rôle à Richard Roundtree, il demande à Isaac de composer la B.O. Boom ! «Theme From Shaft», amené à la cymbale, comme Phoenix, et repris à la wah black. C’est du grand art. On connaît Shaft par cœur, mais le fouetté de cymbale fascine toujours plus, t’y peux rien. Damn right ! Il y va le Prophète, il te groove ça entre les reins et ça te bat la coulpe au right on ! Rounce parle d’une «truly iconic piece of music.» Il a raison, l’asticot. Le double album Shaft reste nous dit encore Rounce LE «Stax’s best-seller and one of the best-selling soundtrack albums ever.» Isaac le Prophète a sauvé Stax. Provisoirement. Les fucking banquiers blancs allaient finir par avoir la peau de ce vaillant label black.

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             Le «Do Your Thing» de la compile est encore une version tronquée, qui passe de 20 minutes à 3, Isaac le Prophète chante ça d’une voix de catacombe. On croise ensuite une cover instro du «Let’s Stay Together» d’Al Green. Isaac y joue du sax et mine de rien, il vise la grandeur totémique urbaine. Il prend ensuite «Soulsville» à la voix mâle. Rounce annonce bien sûr une suite. On piaffe d’impatience. Cui cui cui ! Ou coin coin coin, c’est comme tu veux.

    Signé : Cazengler, Isac à main

    Isaac Hayes. Hot Buttered Singles 1969-1972. Ace Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Compte en Banks

             Durrell n’avait rien à voir avec l’écrivain anglais du même nom, Lawrence Durrell. On lui posait chaque fois la question et il répondait d’un air mauvais, que non, il n’était pas l’écrivain machin, mais par contre, il se forçait à sourire pour ajouter qu’il a-do-rait Francis Carco, qu’il avait chez lui une pièce en-tièèèèèère consacrée à Francis Carco, entière, t’as bien entendu ?, en-tièèèèère !, et il poursuivait en racontant qu’il possédait des traductions de Carco dans toutes les langues, même en japonais, en arabe et en serbo-croate, ben oui, pomme de terre, me regarde pas comme ça, en serbo-croate !, ça t’épate, hein ?, et il donnait tous les détails de ses in-quarto décorés d’eaux fortes, il citait les noms d’obscurs illustrateurs de presse, il se vantait aussi de posséder des tirages de tête dédicacés par l’auteur, il gesticulait, levait les bras au ciel, baragouinait que Carco ceci et cela, et que si t’étais pas content c’était pareil, il se rapprochait de toi et t’attrapait par le col pour te grogner sous le nez d’une voix sourde : ah tu connais pas Carco ?, ben dis donc, on est pas sortis de l’auberge avec une patate comme toi, et il repartait de plus belle, te branchait sur le Lapin Agile, sur Dorgelès et Mac Orlan et paf, il t’expliquait la bohème dans le moindre détail, toute la bohème de Montmartre, et avec un mec comme Durrell, ça durait la nuit entière, on vidait les cubis et on clopait tous les paquets de clopes, plus Durrell buvait et plus il s’agitait, il ressemblait à un volcan équipé d’ailes de moulin, mais un volcan qui menaçait à chaque instant d’entrer en éruption, et soudain, il éruptait, les baies vitrées tremblaient, des flots jaillissaient de sa gueule grande ouverte, et pis t’as Guillaume Apollinaire qui chante son Pont Mirabeau au bout de la table et pis t’as Max Jacob qui réajuste son monocle entre deux crises de rire, et pis t’as Utrillo qui boit comme un trou, oui, comme un trou !, et pis t’as Pascin qui songe déjà à se pendre, mais qui donne la change, le change, oui mon gars, le change ! Et toi espèce de cloporte, sers-moi donc à boire ! ventrebleu, qu’est-ce que c’est qu’cette baraque où ya plus rien à boire !, et soudain, ivre de colère et de délire volcanique, il donna un coup de poing sur la table tellement violent que les verres et les bouteilles tombèrent, il se leva d’un bond, pareil à Poséidon, renversa la table, et décida d’aller boire un dernier verre en ville avant d’aller se coucher.

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             Vaut mieux avoir Darrell à sa table que Durrell.

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             Darrell Banks est l’un des princes de la Northen Soul, il est donc logique qu’il s’en vienne briller inside the goldmine. Dans ses liners pour Kent, Tony Rounce parle d’une «short but brillant career» : quatre ans, deux albums et une poignée de singles - Elle commença avec le succès de son premier single, «Open The Door To Your Heart», en juillet 1966, et s’acheva avec la balle d’un flic en civil en février 1970 - En fait Darrell se tapait une certaine Marjorie Bozeman que se tapait aussi le flicard. Un jour, Darrell se pointe chez Marjorie, le flicard est là, une petite shoote éclate, le flicard sort son calibre et bam bam, une balle dans le cou et une autre dans la poitrine. Rounce oublie de nous dire si le flicard est blanc. Par contre, il précise que le flicard n’ira pas au trou, ce qui laisse supposer qu’il est effectivement blanc.

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             Rounce ne tarit pas d’éloges sur le pauvre Darrell, il parle de «best Southern and Northern Soul ever found on tape», et qualifie Darrell d’«one of the hardest acts to follow in the entire history of popular music». Rounce ne mâche pas ses mots et comme c’est l’un des plus grands spécialistes de la Soul, on prend ses paroles pour argent comptant. Parmi les supposées influences de Darrell, Rounce cite les noms qui brûlent les lèvres, ceux d’Archie Brownlee et de Clarence Fountain, les lead singers respectifs des Five Blind Boys Of Mississippi et des Blind Boys Of Alabama.

             Basé sur la côte Est, Darrell commence par écumer la scène de Buffalo, dans l’état de New York, puis il ira enregistrer à Detroit pour le compte d’Atlantic/ATCO. Rounce revient sur «Open The Door To Your Heart» qui pour lui est le hit Soul parfait, un hit qui sera repris par Jackie Wilson, Freddie Scott et Tyrone Davis.

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             C’est d’ailleurs «Open The Door To Your Heart» qui ouvre le bal de B de Darrell Banks Is Here. Ce bel ATCO de 1967 se doit de figurer dans toute discothèque digne de ce nom. Sur les dix cuts de l’albums, tu as huit coups de génie, voilà, c’est aussi simple que ça. Boom dès «I’ve Got That Feeling», un heavy r’n’b, avec Darrell, ça ne traîne pas. FSB ! Fast Soul Brother ! Et ça repart de plus belle avec «Look Into The Eyes Of A Fool», il te claque là un groove d’entre-deux, et il se coule dans la pocket d’«Our Love Is In The Pocket», un wild r’n’b franc du collier. En B, boom dès l’«Open The Door To Your Heart», Tony Rounce a raison de s’exciter sur ce big heavy r’n’b tapé au Darrell Feel de much time for my baby. Véritable crash test, pur r’n’b genius, le Darrell y va au sweet to me. Toute la B rôtit en enfer, le vieux Darrell embarque son «Angel Baby (Don’t You Ever Leave Me)» au yeah yeah yeah. Darrell Banks est un démon. Son «Somebody (Somewhere Needs You)» est plus classique mais wham bam quand même, car quel fast r’n’b, Darrell fonce au triple galop. L’heavy Darrell est de retour avec «Baby Watcha Got (For Me)», il ronfle comme un gros moteur Stax, il développe la même énergie que Sam & Dave, avec le côté aristocratique en plus. Power absolu ! Ça se termine avec «You Better Go». Darrell est une fine lame. Il est même la prunelle des yeux du r’n’b. Il chante comme s’il était un empereur sur son char.

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             Pas la peine d’aller cavaler après Here To Stay, l’album de Banks qui vaut la peau des fesses, il se trouve sur une belle compile Kent, I’m The One Who Loves You - The Volt Recordings. Avec le nom qu’il porte, Darrell Banks est un artiste tout de suite crédible. Il travaille ses grooves au raw, comme le veut la tradition Stax de l’époque. Mais curieusement, il n’a pas de hits. Il s’aventure sur les traces du grand Percy en reprenant «When A Man Loves a Woman». Bon, il n’a pas le même genre de guts, pas du tout. Il reste dans les limites de la bonne interprétation, comme si le génie ne l’intéressait pas. Ça nous fait des vacances. On se repose. Ras le bol des immenses artistes et des creveurs d’écrans. Avec Banks, on est tranquille, comme avec le Crédit Agricole. Il est le bon sens de la Soul près de chez toi. Il faut attendre «Beautiful Feeling» pour le voir enfin monter là-haut, pas à Rio, mais sur l’Ararat. Sa heavy Soul peut devenir stupéfiante. Il y fait un Big Atmospherix violonné à outrance. Tout s’écroule sous le poids de la Soul. On finit par comprendre que Banks navigue à un très haut niveau. Les petits hits de juke ne l’intéressent pas. Dans «Never Alone», il est même dépassé par les Sisters. Les bonus valent le détour, notamment «I’m The One Who Love You», un heavy r’n’b viollonné dans l’axe de l’angle, et comme il ramène toute sa niaque de Soul Brother, ça devient excellent. Il fait un peu de funk avec «Mama Give Me Some Water», mais c’est un funk à la mode Jean Knight et King Floyd, le funk Malaco. Il tape à la porte de derrière avec «My Life Is Incomplete Without You», et il casse la baraque pour de vrai avec «Beautiful Feeling», orchestré dans l’âme de la Soul. 

    Signé : Cazengler, Banks postale

    Darrell Banks. Darrell Banks Is Here. Atco Records 1967  

    Darrell Banks. I’m The One Who Loves You. The Volt Recordings. Kent Soul 2013

     

    *

            En règle générale l’oiseau bâtit son nid là où il se pose. Certains affirmeront que ce lieu mythique se trouve près des eaux puissantes et boueuses puissantes du Mississippi et qu’il se nomme la terre du blues. Ils n’ont pas tort. C’est une belle contrée originaire. D’autres diront que la zone d’élection est plus vaste, qu’elle est partout et nulle part sur pratiquement la moitié d’un continent, ils parlent de country et de folk. Eux non plus n’ont pas tort. Ils désignent un pays mythique par excellence. Mais pour moi, je fais partie de cette génération de jeunes européens pour qui le domaine d’Arhneim d’Edgar Poe qui confine à l’absolu touche à cette terre impalpable et génitrice, surnommée les pionniers du rock.

             Ses frontières sont floues, l’on peut les traverser sans s’en rendre compte où l’on met les pieds. Peu à peu il disparaît des cartes géographiques musicales, les rois du rock ont vite perdu leurs royaumes, en moins de dix ans ils sont devenus des princes en exil. Mais souvent l’on ne sait jamais si l’on marche sur des cendres ou des semences. Toutefois si l’on explore les sables des mémoires ensevelies l’on ne tarde pas à retrouver des traces, des artefacts, et des témoignages des principaux saigneurs de cette époque de gloire tapageuse et fulgurante. Cette semaine ce sera :

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE SEA !

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE  SKY !

    LITTLE RICHARD !

             C’est une vidéo qui m’est tombée inopinément sous l’œil. Je ne l’avais jamais regardée. Je n’aime pas les blablas officiels, les récupérations posthumes, les votes pour élire le plus grand ceci, le plus grand cela… Soyons franc, une petite dent (de cachalot colérique) contre le Rock’n’roll Hall of Fame. Depuis les premières nominations de l’année 1986. Du beau monde : Elvis Presley, Chuck Berry, James Brown, Ray Charles, Sam Cooke, Fats Domino, The Everly Brothers, Buddy Holly, Jerry Lee Lewis, Little Richard. Je sais bien que Gene Vincent n’a pas bénéficié de la même aura auprès du public américain que du public européen… En plus il n’y a pas non plus Eddie Cochran… Erreur monumentale qui sera réparée l’année suivante, 1987, avec toute une floppée de pionniers, Eddie Cochran bien sûr, mais aussi Bill Haley, Bo Diddley, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison… Pour Gene Vincent faudra attendre… 1998 !

             Otis Redding sera intronisé en 1989, son introducteur sera Little Richard. J’aime beaucoup Otis Redding mais j’avoue que j’ai regardé pour Little Richard. Otis est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Des anglais. Certes l’on adorait les Rolling Stones, les Yardbirds, les Animals et tous les autres Britishs, mais ces englishes malgré leurs éminentes qualités possédaient une tare secrète. Ce n’était pas de leur faute, mais enfin le pays du rock’n’roll c’était quand même l’Amérique, aussi quand a déboulé Otis, ah, cette version de Satisfaction qui remettait la pendule des Stones à l’heure, mais aussi Wilson Pickett, Sam and Dave, Eddie Floyd, Arthur Conley et tous les autres, avec en prime champion toutes catégories James Brown, c’était bien le retour du rock’n’roll ! On l’appelait Rhythm’n’Blues mais ce n’était pas gênant, juste une question d’orchestration, priorité aux cuivres, rien  d’incompatible, ça groovait un max à faire s’effondrer la Tour de Babel sur ses bases… C’était bien parti pour un nouveau tour de piste, hélas tout a recommencé comme avant, un malheureux avion qui s’écrase, exit le rhythm’n’blues, la veine noire et palpitante du rock s’évanouit, ce sont les britains d’outre-manche qui colonisent les terres d’outre-atlantique…

             Que Little Richard soit l’introducteur d’Otis Redding au Hall of Fame tombe sous le sens. Tous deux sont originaires de Macon in Georgia. Le premier 45 tours d’Otis Fat Girl / Shout Bamalama sorti en 1961 est la preuve d’une filiation musicale indéniable…

             Juste quelques dates  qui ont de l’importance pour ce qui suit : Otis est né en 1941, il est mort en 1967. Little Richard est né en 1932. Otis Redding est intronisé en 1989, Little Richard a donc cinquante-six ans.

    LITTLE RICHARD INDUCTS OTIS REDDING

    INTO ROCK’N’ROLL HALL OF FAME

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             L’a de la gueule, de profil sur l’image arrêtée, chevelure bouclée, fine moustache, lunettes teintées, col de chemise noire, l’arrive sur scène sanglé dans une vaste veste de teinte sombre, verreries éparses clignotantes sous les projecteurs, tend la main à Jerry Wexler tous bras ouverts, accolade, le voici devant le pupitre sur lequel repose quelques feuilles de papier, il se penche vers les micros, c’est là que l’on s’aperçoit que les musicos entrevus en deux quarts de seconde ne sont pas là pour sonner de pharamineuses trompettes d’accueil, sans préavis Little Richard entonne I can’t turn you loose, quelle attaque, quelle voix, quel mordant, il n’a pas l’arrière-volupté du timbre d’Otis mais il vous transforme le titre  en un hymne de haute piraterie, s’appuie des deux mains sur le pupitre, et chante avec cette facilité déconcertante avec laquelle vous tournez votre petite cuillère chaque matin dans votre bol, les cuivres freinent à mort derrière comme quand vous faites une queue de poisson sur l’autoroute pour que le poids-lourd verse son chargement sur la voiture qui le suit, l’on sent que l’on va entrer dans le dur, déception, nous n’avons droit qu’au premier couplet ! Pas de panique nous n’allons pas perdre au change avec ce qui suit.

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             L’a terminé sur quatre ou cinq de ces pioulets – c’est ainsi qu’en Ariège que l’on surnomme le cri du poulet qu’un renard attrape par le col – qui firent sa célébrité, s’incline, l’a un de ces sourires de carnassier, oui mais attention c’est un nègre qui tient sa revanche – celle de tout un peuple longtemps soumis en esclavage – longtemps, trente ans qu’il n’avait chanté ainsi, et maintenant vous allez l’entendre pousser ces cris de femme blanche - le peu de public que l’on entrevoit est constitué de blancs – il rigole et la foule s’esclaffe, fermez-là, elles font oh ! et  les noires WHOU ! (comme les louves affamées a-t-on envie d’ajouter), il se sent bien, real dit-il, lui et Otis viennent du même endroit, et hop il enchaîne sur Sittin’ at the dock of the bay (la dernière chanson d’Otis sortie tout de suite après sa mort) je fais remarquer que tout en rigolant de la blancheur de ses dents colgate il a suggéré trois notions importantes, la sujétion, le sexe et la mort,  chante le hit avec le même désenchantement détaché qu’Otis, les lyrics ne sont pas joyeux, fait une drôle de gueule quand il l’interrompt, certains mo(r)ts portent plus que d’autres, alors il éclate de rire, rappelle qu’il n’a pas chanté depuis tant de temps, cite Tina Turner, fermez-la, et moi aussi je devrais chanter comme elle le fait si bien, vous devriez m’enregistrer, et je vis encore, je suis encore présentable, fermez-la, prenez-moi en photo, laissez l’homme noir, appuie sur le bouton que tu me voies tel que je suis, vous savez Otis et moi provenons de la même cité, il farfouille dans ses deux feuilles, non il ne lira rien, car il vient de là lui aussi, pourquoi riez-vous, j’ai été le premier gars de Georgie à devenir célèbre, parce que je suis le plus ancien, l’ancêtre et très jeune, James Brown je l’ai sorti de prison, maintenant il retourne dans le Sud, je pense que je devrais y aller avec lui – James Brown est alors en prison, condamné à six ans, il ressortira au bout de trois ans pour conduite en état d’ivresse et détention d’armes en feu – Vraiment je hais ce qu’ils ont fait à James, il est fantastique, il est le Godfather, si l’on me laissait pourrir autant de temps, il n’y aurait pas d’autre alternative, James doit se ressaisir, nous devons tous nous ressaisir. Vous savez Otis a commencé par Shout Lamabama, vous connaissez cette chanson, le rock’n’roll est all around the world, vous connaissez ma voix un peu haute, vous souvenez-vous, et il entonne I’ve been lovin’ you too long, mais il arrête trop vite, j’aime ses chansons, j’étais son idole, il aimait ces petits roulements dans ma voix, il en donne un exemple mais il ne peut s’empêcher de débloquer le turbo et se lance dans un whooooo ! à réveiller les derniers loups des Appalaches. Je me sens bien mais je n’ai que de l’eau sur ma table ! Rajoute quelques Wloo, celui-ci dédicacé à Phil Spector. Il enchaîne sur Fa-Fa-Fa-Fa…( Sad Song), l’on aimerait qu’il aille jusqu’au bout, mais il revient à Otis, son père était un preacher et lui aussi était un preacher, c’était un grand chanteur, je l’ai rencontré à New York, je ne l’ai pas rencontré à Macon, je lui ai donné cinquante dollars au Statler Hilton Hotel, je lui ai donné un autographe, et je lui ai filé une marque pour venir me voir dans ma chambre, je lui ai dit que j’avais besoin de parler, il m’a dit oui, mais il n’a pas voulu que je ferme la porte, Little Richard

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    explose de rire, je ne voulais rien faire juste l’entendre chanter, il a composé de grands morceaux, j’ai souhaité qu’il soit au Hall od Fame, mais il est parti, il a contribué à la musique du monde, et il est un pilier du rock’n’roll, quand je l’ai entendu interpréter Lucille ( 1964) j’ai cru que c’était moi, il se tourne vers l’orchestre, tiens un petit peu de Lucille, l’en fredonne un demi-couplet, il sonnait comme moi, j’ai cru que c’était moi, et quand j’ai su que c’était lui j’ai su que c’était un des plus grands chanteurs et un des plus grands compositeurs, dans lesquels je m’inclus, et aussi Jimi Hendricks, tous sont avec moi, James Brown, les Beatles, et Mick Jagger que je n’ai jamais rencontré, mais il était avec moi, te souviens-tu Mick que tu étais venu et que tu dormais sur le plancher car il n’y avait pas de lit pour lui, il ne peut pas oublier car c’était dur, il était dans la chambre de Bob Dill car la mienne était pleine comme un œuf, il s’esclaffe, l’était juste en train de faire son intéressant, il n’était pas si mort que ça, parfois il faut savoir s’arrêter, je ne suis pas en train de dire que le gagnant est méchant, ce soir le gagnant c’est Otis, nous tenons à remettre à Otis et à sa famille, elle doit être là, cette grande, grande récompense, et

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    je suis heureux d’être là et que c’est la première fois que j’ai chanté Lucille il y a trente ans et j’ai chanté le rock’n’roll depuis trente ans. Bonne nuit. Bon Dieu, une femme toute menue se glisse dans ses bras. Prenez-moi en photo avec cette lady, elle prend la parole dans quelques instants, tendez la main à ce monsieur, elle prend des mains la statue que Wexler lui remet, encore une photo avec la statuette, Zelma l’épouse d’Otis s’approche du micro, elle parle, pas très longtemps, mais l’on ressent son émotion et son chagrin encore présent si longtemps après la disparition d’Otis. Elle ne peut continuer, Little Richard l’accompagne doucement…

             Sans commentaire.

    Damie Chad.

     

    *

             590, 594, 617, voici un moment que nous suivons Telesterion. Vraisemblablement pas avec une attention soutenue puisque qu’au mois de septembre dernier nous avons laissé passer sa dernière production. Apparemment Demeter ne nous en a pas voulu. En effet Telesterion se donne pour but unique de chanter pour la déesse. Nous avons cru au début que Telesterion était un groupe grec, il s’agirait d’un seul individu qui serait américain. Voici donc, avec Thumos, deux groupes de la grande Amérique qui se consacreraient au legs de la Grèce Antique. Comme par hasard tous deux possèdent la même maison de disques…

    THEMESPHORIA

    TELESTERION

    (Snow Wolf Records / Septembre 2024)

             Les Themesphoria remonteraient-elles à près de mille ans avant notre ère sous forme de pratiques rituelles liées à l’agriculture dans le bassin méditerranéen… Ce qui est certain c’est que les Themestoria étaient des fêtes liées aux cérémonies des Mystères d’Eleusis. Il en reste encore des traces aujourd’hui dans nos sociétés modernes lorsque l’on explique à nos chérubins qui veulent tout savoir, on leur raconte que leur papa a planté une petite graine dans leur maman… Civilisation avancée nous entrevoyons le problème de la génération selon les progrès de nos médicales connaissances gynécologiques… les premiers peuples sédentaires s’inquiétaient davantage de leur survie alimentaire qui dépendait avant tout de la fertilité du blé… pour la problématique enfantine on aviserait plus tard…

             L’on a un peu tendance à rire jaune lorsque l’on prend connaissance des fameux mystères du sanctuaire sacré proche d’Athènes. Tant de bruit et de silence pour des évidences à la portée de nos élèves de CM1 ! Que la graine doive périr pour donner naissance à un épi de blé nous l’admettons, que cette force naturelle qui conduit la graine à périr pour renaître sous forme d’épi porteur de grains qui retombés en terre accepteront leur rôle de graines, la description de ce phénomène nous l’assimilons sans trop de peine, que le processus germinatif de la graine soit assimilé et associé à l’idée de force vitale propulsée par le phallus, nos lointains ancêtres, pas plus bêtes que nous, y ont souscrit sans difficulté. N’étaient point du genre à cacher ce témoin du désir turgescent.

             Tous ces processus nous ne les entrevoyons que sous leurs aspects platement réalistes.  La science nous a fait perdre le mystère des choses. Les grecs recouvraient de métaphysique la physique des choses. Humaines, trop humaines, les choses ne possédent que maigre valeur. La graine, symbolisée par Perséphone obligée de passer les mois d’automne et d’hiver sous la terre dans le royaume souterrain d’Hadès son mari, retrouvait le soleil durant  la majeure partie de l’année près de  sa mère, la déesse Déméter. Que trois Dieux soient mêlés au processus germinatif, voilà de quoi lui concéder une certaine majesté…

             Si vous avez du mal à sentir la présence des Dieux rôder autour des choses, consolez-vous, la plupart de vos concitoyens ne discernent point les idées platoniciennes au-dessus du moindre phénomène. Ne soyez pas désespérés, Aristote lui-même n’a jamais manifesté une grande créance aux théories de Platon.

             Si les Mystères d’Eleusis étaient ouverts aux femmes comme aux hommes, les femmes mariées (et peut-être de bonne famille) avaient seules le droit de participer aux Themesphoria. Est-ce à cause de cette suppression de la moitié des témoins que le secret de ces rites nous est mal connu, malgré leur réputation de cancanière à la langue affûtée, peut-être les femmes ont-elles su rester discrètes…

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             En règle générale les Themesphoria se déroulaient fin octobre et duraient trois jours. Certaines cités grecques optaient pour une période pouvant atteindre dix jours… Telesterion a opté pour quatre stases. Toutefois il rajoute cinq rites choisis parmi ceux que pratiquaient les prêtres chargés du culte. Nous y reviendrons.     

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             Différentes lectures de la signification des Themesphoria peuvent être proposées. Il en est une très rassurante :  ce seraient des cérémonies qui siéraient à la majesté des femmes mariées et à leur statut de génitrices. Dans la série ayons de beaux enfants forts et virils ils sont les garants de la survie future de la  Cité, les Grecs étaient très fortiches… Maintenant quand on touche au sexe des femmes une autre version transparaît. Lors de cérémonies liées aux cultes de la fécondité, par exemple durant les Lupercales  romaines, menées par les prêtres du dieu Faunus, les jeunes hommes s’armaient de lanières et se dispersaient dans la ville pour fouetter au hasard les femmes désireuses de tomber enceintes, nous ne sommes pas loin de jeux érotiques sado-érotiques… Pensons au scandale suscité par Jules César pour s’être introduit dans les cérémonies secrètes en l’ honneur de la Bonne Déesse ( = Fauna = Céres = Demeter) interdites aux hommes, durant lesquelles nos Dames de haute vertu s’adonnaient à de fortes libations alcoolisées et à certains jeux érotiques étrangement semblables à des orgies. Pour les curieux nous recommandons la lecture attentive du Dialogue des Courtisanes par Pierre Louÿs, nous ne donnerons pas ici la traduction de ce terme grec de ‘’Bobôn’’ désignant cet ustensile que ces péripapéticiennes utilisaient pour prendre un peu de plaisir dans cette vallée de larmes que serait notre séjour terrestre.

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             Nous pensons que nos lecteurs ont plus ou moins entendu parler de Perséphone fille de Déméter kidnappée par Hadès le Dieu des Enfers. Sa mère en larmes et désespérée s’en vint se plaindre à Zeus. Rappelons-nous que Perséphone est aussi la fille de son père : Zeus. Cette histoire est peu metooesque. Puisque sur les conseils de Zeus, malgré les ignobles épreuves à laquelle le dieu des Enders  soumit son cops innocent, Perséphone consentit à régner en compagnie de son mari sur le monde des morts. Phénomène d’emprise !  Comme quoi Eros et Thanatos…

             Il est toutefois un autre personnage lié de très près à cette histoire. Il s’agit d’une des plus vieilles déesses, Hécate, les rockers la connaissent car elle préside aux carrefours, endroit où toutes le mauvaises, mais aussi les bonnes rencontres peuvent se produire. C’est dans un carrefour que le diable in person apprit à Robert Johnson les adéquates positions des doigts sur les cordes d’une guitare. Dans notre modernité Hécate ne jouit pas d’une bonne réputation… c’est pourtant elle qui a  permis à bébé Zeus de ne pas être englouti dans le ventre de son père Kronos… C’est aussi elle qui servante de Déméter s’occupa du bébé Koré, signifiant jeune fille, premier nom que sa mère lui donna et qu’elle abandonna lorsqu’elle devint Perséphone, l’épouse d’Hadès.

             Lorsque Déméter désemparée ne savait plus quoi faire devant la mystérieuse disparition de sa fille, Hécate prit les choses en main, elle l’emmena chez Hélios le kronide  qui la dirigea vers Zeus… Mais avant que Zeus n’eût donné à Hadès l’ordre de libérer Perséphone, Déméter avait reçu accueil et assistance auprès de la reine Métaneiré à qui elle ordonna de faire bâtir dans la ville d’Eleusis un temple en son honneur. C’est de retour de son entrevue avec Zeus qu’elle initia le roi Kéléos et ses fils Triptolémos, Polyseinos, Eumolpos, Dioclès, aux rites secrets qui seront enseignés dans son temple à EleusisLeconte de Lisle dans ses traductions des Hymnes Homériques emploie le terme orgie pour désigner le contenu de ses rituels secrets…  Ce sont ces cinq rites dont Themesphoria nous indique qu’ils sont accomplis par les prêtresses de Déméter.        

             La couve de l’Ep dont nous n’avons pas réussi à découvrir la provenance nous semble moderne, empruntant autant à l’Art Moderne d’un Aubrey Beardsley  qu’à la bande dessinée, elle tranche avec celles des précédents artefacts de Telesterion.

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    Skira : qui en grec signifie ombre : cela pourrait s’intituler l’angoisse, la descente dans le noir des Enfers de Koré emportée par Hadès, des pas dans une galerie, quelqu’un qui porte un corps pesant, vision auditive toute hominienne, des chœurs incessants pour donner à cette interprétation la grandeur fastueuse de l’évènement en train de se dérouler, une espèce de contre-initiation charnelle, l’ouverture des grenades sanglantes du sexe percé de Perséphone, l’intuition qui lui est prodiguée de la signification de l’acte accompli, en dehors de toute limitation individuelle, la portée symbolique, de ce grain de grenade qu’elle a avalé qui l’a rendue immortelle puisqu’elle ne peut plus mourir, car même les Dieux immortels peuvent mourir s’ils ne peuvent plus se nourrir d’ambroisie et de nectar, nourriture sacrée des Dieux suscitée par les bienfaits de Déméter… Plus que l’épisode mythologique du rapt de Koré, l’ombre ici n’est qu’une des figures de la mort inéluctable. Anodos : joyeuses pincées de cordes et trot percussif, si skira désignait la descente de Perséphone dans la mort, anodos signifie montée, vers le soleil, le retour de Perséphone vers Déméter, le cycle de la vie qui se libère des liens du cycle de la mort, la fleur qui s’offre au soleil, la végétation qui renaît, l’éblouissance des forces de la nature, l’assurance du triomphe de la vie. Ce premier jour des Themesphoria donnait lieu à un défilé triomphal, sans doute y promenait-on les futures victimes animales  offertes à la déesse : chiens (pensez à Hécate et à Cerbère) et porcs (particulièrement utilisés dans des rites de fertilité dont Déméter et Koré  étaient de droit les principales bénéficiaires. Des morceaux de porcelets étaient enfouis dans des fossés creusés dans les champs, pour être récupérés plus tard et servaient alors d’offrandes sur les autels de la déesse afin qu’elle favorise les futures moissons. Tout parallèle avec le grain de blé transformé en épi s’impose naturellement.). Nesteia : rythme sans force. Musique grave et retenue. Ce deuxième épisode des Themesphoria surprend, il s’agit d’un jeûne propice au recueillement et à la réflexion. Toutefois il était conseillé de participer à cette cérémonie en ayant auparavant suivi durant trois journées une abstinence que l’on ne peut qualifier que d’ordre sexuel. Etait-ce pour ne pas se présenter à la cérémonie suivante le corps fatigué, les membres las, les chairs comblées… toujours est-il que l’on ne peut ne pas remarquer que le flux musical se charge d’une certaine tension, d’un tambourin insistant, d’une accumulation organique d’impatience comprimée. Kalligeneia : la troisième journée était vouée à fêter cette déesse censée vous aider à engendrer de beaux enfants, robustes et en pleine santé. S’agissait-il simplement d’offrandes de fleurs, de bijoux, de chevelures, dans l’espoir d’être exaucée ou d’une initiation sexuelle sous forme de mimes, ou de pratiques plus exhaustives. Nous n’en savons rien. Nous notons toutefois que ce morceau accumule séquences d’attente et moments de libération, certes l’ambiance n’est guère priapique et reste cantonnée dans un registre grave et contenu, il s’agit bien d’entrevoir cette initiation comme des instants sacrés et solennels qui confère à des gestes somme toute jouissifs une dimension énigmatique et mystérieuse que les non-initiées étaient censées ne pas connaître…

             Cet EP de Telesterion est d’un abord moins évident que les enregistrements précédents. Il demande quelques connaissances de base sans lesquelles il est difficile de pénétrer le sens ultime de cette musique qui reste celle de l’évocation de pratiques cultuelles de l’ancienne Grèce. Aujourd’hui le regard que nous portons sur ces cérémonies bâties à leur époque sur des observations archaïques les plus triviales, plongeant leurs racines dans la période néotlithique, nous les recevons après des siècles d’édification mythologiques d’une grande complexité car constituées de couches historiales diverses, elles-mêmes modulées par toutes ces réflexions raisonnantes léguées par la philosophie et la pensée sophistique du legs de la Grèce Antique.

    Damie Chad.

     

     *

             Sans être un linguiste réputé il y a des noms de groupe qui se traduisent facilement exemple : conifer beard = barbe de conifère.  Ce qui ne vous empêche pas de barjoter : les sapins étant des conifères voici votre barbe de conifère qui se transforme en barbe de sapin, par un subtil glissement vous obtenez barbe de sapeur. Du coup en gambergeant dans votre tête vous imaginez les sapeurs de la Grande Armée entrant dans l’eau froide de la Bérézina pour construire les ponts salvateurs, vous voici transporté en Russie, bingo ! justement le groupe qui porte le nom de Conifer Beard est de nationalité russe. Soyons précis : de Yelabouga (80 000 habitants) située sur un  affluent de la Volga à plus de neuf cents kilomètres de Moscou. Tout concorde, trois grands types costauds nantis d’une barbe, toutefois avouons-le  fièrement, plus modeste que celle des sapeurs de Napoléon, des adeptes de stoner rock. Des brutes épaisses sympathiques. Enfin presque. Sur leur Instagram vous avez une photo tous les trois debout devant une isba recouverte de neige accompagnée d’un texte écrit en Russe. Quand on pense que Tolstoï enfant parlait mieux le français que le russe, l’on se dit que l’on n’aurait pas besoin d’un traducteur pour comprendre. Or justement le texte traduit reste passablement compréhensible. Ce n’est pas que le traducteur soit mauvais, ce n’est pas que nos conifer men soient des analphabètes, c’est que nous sommes en présence d’un texte poétique. Bref des types qui méritent le détour, alors sans plus attendre l’on se penche sur :

    Странствий Сказ

    CONIFER BEARD

    (Février 2025)

             Oui nous les avons déjà rencontrés dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, et vous avez raison ce Странствий Сказ signifie bien RECIT DE VOYAGE. Nous sommes donc dans la grande tradition du récit de voyage russe dont le chef-d’œuvre reste  La Steppe (Histoire d’un voyage) d’Anton Tchekhov. Nous voici partis pour un étrange voyage.

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             Je ne suis pas un spécialiste de l’art graphique du vingt-et-unième siècle mais je ne crois pas m’avancer beaucoup en assurant que le 31 décembre 2299 la couve de ce disque ne sera pas élue comme une des dix images totémiques des cent dernières années qui se seront écoulées. Toutefois que signifie cette utilisation du blanc et noir alors que les productions précédentes de Conifer Beard ont toutes bénéficié d’une impression quadrichromique. Il ne faut point d’après moi expliciter que cette absence de couleur soit due à un manque de moyens pécuniers. Le groupe a voulu qu’il y ait une coalescence d’intention entre la pochette et le thème de l’album. Certes des centaines de verstes parcourues dans une sombre forêt recouverte de neige peut être facilement représentées en noir et blanc, mais il est deux sortes de voyages, ceux qui se déroulent en pleine nature et ceux intérieurs que l’âme effectue après le trépas. Le blanc du linceul et le noir funèbre s’imposent alors d’eux-mêmes.

    Artem Kornilov : guitar / Arsenil Kornilov : bass / Robert Nurunov : drums. Se partagent tous les trois le vocal.

    Зачин : Départ : apparemment nous sommes dans un avion, un vieux coucou, les vitres ouvertes, ou dans une voiture puisque l’on entend des cris d’oiseaux, un chœur lointain de femmes éplorées retentit, hurlements de loups, à moins que ce ne soit des chiens qui hurlent à la mort, des talonades de pas pressés, une cloche qui tinte rapidement, et bruits rassurants un combo de rock qui s’en vient tailler la route. Ясный Сокол : Faucon clair : vous avez une belle turbine rock de bon aloi, ça défile à mort, pas le temps de s’ennuyer, la batterie qui scande le rythme et les guitares qui brodent et surfilent à mort, vous êtes heureux, pourvu que ça dure jusqu’à la fin pensez-vous. Justement la voix, pas du tout ennuyeuse, elle se maintient sur la cime de la rythmique sans problème, mais si vous prêtez un tantinet attention à ce que cette voix un peu voilée vous suggère elle vous oblige à vous poser   une question, nous trouvons-nous au début ou à la fin, je sais c’est un peu le mystère de l’âme russe, et ce faucon qui vole vers le ciel et dont les ailes claires cachent la rougeur du soleil naissant, quel est ce dialogue qui s’instaure entre ce qui paraît être un chevalier médiéval et ce faucon de grande sagesse qui instruit l’âme – soyons réaliste avez-vous déjà vu des chevaliers à la pesante armure voler dans le ciel – qui s’envole dans le ciel après un dernier regard jeté vers le souvenir des siens aimés et chéris. Les guitares s’étirent  vers l’infini et le moteur de la vie s’emballe comme s’il savait que le voyage sera encore long. Pour ceux qui ont peur de se morfondre vous avez sur la vidéo un paysage de forêt enneigée qui se déroule sans fin. L’immensité de la taïga russe. С зарёй : L’aube heureuse : l’impression que la guitare joue au billard à trois boules avec la batterie, ne vous inquiétez pas pour savoir qui est la boule rouge, pour poser la question d’une autre manière si celui qui parle est un chevalier blessé qui chevauche à travers la forêt poursuivant un rêve perdu de fidélité, ou alors est-ce son âme en partance vers on ne sait trop quoi  qui se pense représentée en chevalier  cheminant vers le vide de la mort. Doit discuter ferme avec lui-même pour savoir s’il est encore vivant ou déjà mort, c’est que l’on ne peut représenter la mort qu’avec les mots et les images des vivants, ce qui, vous en conviendrez, aide à produire une certaine équivoque. ДухМакабра : L’esprit de mort : La chevauchée continue-t-elle de plus belle, si l’on en croit le rythme imperturbablement appuyé la galopade se poursuit mais le vocal comme légèrement reculé dans la musique, comme un intervenant, qui prend la parole sans se soucier de ceux qui sont en train de parler, tient un discours totalement identique mais pas tout à fait pareil, tiens cette cowbell qui résonne ne nous ordonne-t-elle pas de faire attention au temps qui passe, ne sommes-nous pas dans l’éternel présent d’un éternel retour qui revient incessamment sur lui-même. Mon cercueil n’est-il pas encore un jeune sapin  qui pousse dans la forêt enneigée, combien de fois n’ai-je pas serré la main de Dieu, je suis mort et la mort me suit, elle m’accompagne comme un serviteur fidèle, mais encore une fois voici l’heure fatidique, celle du retour. Пепел Станет Огнем : Feu de cendres : la guitare sonne comme les trompettes qui annoncent le retour du héros, l’est comme le phénix qui renaît de ses cendres, mais le rythme s’avère moins triomphal, comme si le retour n’était pas aussi certain, le retour n’est-il pas aussi le retour de la séparation, ce qui a été perdu une fois, est-il perdu pour toujours, est-ce pour cela que nous ne parvenons jamais à recoller les deux morceaux de la porcelaine la plus précieuse, le feu qui brûle le phénix n’a-t-il pas raison du phénix par le simple fait qu’il soit matière inflammable. Le morceau s’arrête brutalement, serait-ce pour ne pas répondre à la question. L’espoir fait-il vivre ou mourir.  Исход : Résultat : le vent se lève et souffle, quelqu’un aiguise une lame, chœur féminin, est-ce le chevalier qui se prépare au combat, sont-ce les derniers grésillements d’un feu qui finit de se consumer…

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             Nous n’en saurons pas plus. Le mystère du voyage reste ouvert ou fermé. Ce qui revient au même. Une culture russe nous aiderait peut-être à mieux comprendre, par exemple cette cabane sur pilotis est-elle une allusion à l’isba de Baba Yaha sur ses pattes de poulets… Existe-t-il une légende d’un chevalier russe entreprenant un tel périple…

             Ce qui est sûr c’est qu’avec cet EP Conifer Beard nous tient par la barbichette et nous file une tapette à démantibuler un ours.

    Damie Chad.

     

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 617 : KR'TNT 617 : LAWRENCE / BLOOD RED SHOES / LEON RUSSELL / GREG DULLI / GARLAND GREEN / C' KOI Z' BORDEL / BURNING SISTER / RED CLOUD / TELESTERION

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 617

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 10 / 2023

      

    LAWRENCE / BLOOD RED SHOES

    LEON RUSSELL / GREG DULLI / GARLAND GREEN

    C’KOI Z’ BORDEL / BURNING SISTER

    RED CLOUD / TELESTERION

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 617

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Lawrence d’Arabie

     - Part Two

     

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             Jon Dale nous dit de Felt : «One of the most mysterious and idiosyncratic indie groups of the 1980s.» Et il ajoute que ce phénomène est dû à Lawrence, lead singer et arch-conceptualist. Son truc est de donner aux fans ce qu’ils attendent et ce qu’ils n’attendraient jamais. Dale brosse ensuite le portait d’un Lawrence obsédé par la propreté, dans son appartement de Birmingham, et sa façon de gérer le quotidien grâce à a micro-industry of books. Point de départ de tout ça ? Lawrence vit T. Rex à la télé et trouva sa vocation. Et comme beaucoup de groupes de cette génération, Felt naquit de deux choses : l’éthique DIY du punk-rock et ce que Dale appelle the tedium of living in a backwater, c’est-à-dire l’ennui provincial. Et troisième élément : Maurice Deebank.

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             Si on écoute les premiers albums de Felt, ce n’est pas pour Lawrence d’Arabie, oh no no no, c’est pour Maurice Deebank. Paru en 1982, Crumbling The Antiseptic Beauty est un album de Momo Deebank, et ça saute aux yeux dès «Evergreen Dazed». Ce guitariste joue avec une fluidité exceptionnelle - Those guitar lines just kept on keeping on - Son son frappe l’imagination. En engageant un tel prodige de l’échappée belle, Lawrence d’Arabie avait tout bon. Momo crée un monde à lui tout seul, c’est autre chose que de fédérer les tribus de bédouins. Momo joue du pur crystal clear et il se montre en plus inventif. On reste dans les climats très clairs avec «Fortune». Deux guitares voyagent dans l’azur, plus aucune attache, rien qu’un son libre, Momo n’en finit plus de se fondre dans l’essence de l’éther. Mais au bout du troisième cut, forcément, la formule s’essouffle. On les sent moins déterminés à vaincre. Ils s’engluent dans l’essence de leur éther. Momo tente de redresser la barre en B avec «Cathedral», il sort un gros paquet d’arpèges d’acid-rock et encorbelle des contreforts des citadelles, il embobine ses bonnes gammes et les drape de plaids d’organdi et de somptueuses dégringolades de gammes. Ce groupe capte bien l’attention, grâce à un son intrigant et pur comme de l’eau de roche. Avec ce premier album, Lawrence ambitionnait de pondre the best English album ever. Et il ajoute : «I wanted my band to be something really special.»

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             Paru en 1984, The Splendour Of Fear est selon Dale a massive stride forward. C’est là qu’on trouve «The World Is As Soft As Lace», l’une des most beautiful songs de Felt. Lawrence et Momo y visent la paix étale, celle du lac. C’est d’une paisibilité sans fin. Momo est là et ça s’entend dès «Red Indians». Quelle présence ! On note aussi que Gary Ainge bat bien. Ce démon de Momo inscrit les arpèges de «The Optimist And The Poet» dans la durée. Son art relève d’une certaine forme d’éternité, celle du bonheur ineffable. En B, Lawrence d’Arabie se veut plus formel avec «The Stagnant Fool». Il cherche une petite veine à l’éplorée et frise le Bowie. Mais ça reste indéniablement indie dans l’esprit. Lawrence était tellement persuadé de la modernité de son son qu’il disait à Momo et aux autres : «The fans of this band haven’t been born yet.»

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             Avec The Strange Idols Pattern And Other Short Stories paru la même année, ils font encore un sacré bond en avant, car John Leckie produit l’album. Il nous pourlèche une belle pop anglaise des années quatre-vingt et on entend Momo broder sa dentelle translucide derrière le chant déterminé de Lawrence d’Arabie. Ah quelle équipe ! Momo ressort ses arpèges de cristal pour «Sempiternel Darkness» et ils embarquent tous les quatre «Spanish House» au beat déterministe. Lawrence d’Arabie va chercher la clarté de ton, soutenu par les intrépides arpeggios de Momo. Il y fait même ruisseler une véritable rivière de diamants. On sent qu’à l’époque, ces petits mecs savaient très bien ce qu’ils voulaient. On a là un cut spacieux, et aérien, totalement irréprochable. Et les petits interludes instro de Momo sont des havres de paix préraphaélite. On s’effare aussi de la belle santé d’un «Sunlight Balked The Golden Glow». Belle pop racée, solidement étayée par le plus efficace des bassmatics. Avec «Crucifix Heaven» qui se dresse en B, Momo charge la barque d’espagnolades et d’échos des temps anciens. Ce diable de Momo lagoyate comme un beau diable. Lawrence d’Arabie attaque son «Dismantled King Is Off The Throne» avec un gut extraordinaire. On le sent féru d’histoire. «Crystal Ball» est probablement le hit du disk. Lawrence d’Arabie y sonne un peu comme Tom Verlaine, il chevrote délicieusement et ce bel album s’achève avec «Whirlpool Vision Of Shame». La formule Felt tient bien la route : chant déterminé et background scintillant, dentelle de crystal clear et charpente à l’ancienne. Momo vieille bien au grain de la délicatesse et la bassmatic amène pas mal de viande.

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             Lawrence voulait Tom Verlaine pour produire Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun. Il obtint Robin Guthrie, des Cocteau Twins. Très bel album que cet Ignite. Et ce pour trois raisons, la première étant bien sûr «Primitive Painters», qui reste le grand hit de Felt devant l’éternel. C’est littéralement bardé de son. Lawrence d’Arabie chante ça avec une mâle assurance et une petite gonzesse vient mêler sa bave à la sienne. Ils se taillent une belle route dans l’apothéose et Momo cisèle des tournures pour le moins vertigineuses. Oui, c’est franchement de l’ordre du vertige, avec des relances démentes du grand Momo. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit séculaire. Andrew Male décrit ça comme un mariage entre Deebank’s glistening guitar, Duffy’s tranquil keyboards on some of Lawrence most melodically upbeat, cryptically-autobographical pop-songs, get lost in a chruchy echo and murk. L’autre phare dans la nuit s’appelle «Black Ship In The Harbor». Lawrence d’Arabie chante comme un décadent du XIXe siècle. On a là un cut joliment harmonique, accrocheur au possible, avec l’excellent Momo dans le paysage. Et on passe au coup de génie avec «Elegance Of An Only Dream», instro d’une élégance suprême. Ils sont mille fois plus élégants que le Monochrome Set. On note la fabuleuse finesse de l’intelligence mélodique. Rien qu’avec cet instro délié et détaché des contingences, ils créent la sensation. Et Momo n’en finit plus d’ajouter des couches. Oh bien sûr, les autres cuts valent aussi le détour, comme par exemple «My Darkest Light Will Shine», qui sonne comme de l’indie pop pas sûre d’elle, jouée au petit écho du temps, avec un Momo qui éclaire les lanternes. On l’entend aussi faire la fête foraine à lui tout seul dans «The Day The Rain Came Down». Il faut bien redire que on si écoute Felt, c’est d’abord pour Momo. Il lâche dans «Scarlet Servents» des cascades effarantes de notes libres et claires. Il tricote sa dentelle dans «Textile Ranch», sur un beau beat rebondi. Et voilà qu’ils se mettent à sonner comme le Monochrome Set avec «Caspian See». Même attaque de voix. Lawrence d’Arabie fait son Bid, même accent, même désinvolture, même beat serré. Pur Set. Quel étonnant mélange. Ils finissent cet album extrêmement riche avec «Southern State Tapestry», un nouvel instro de bistrot emmené au trot. Felt se distinguait des autres groupes de la Brit-pop par l’originalité de sa démarche.

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             Oui, c’est bien Martin Duffy qu’on voit sur la pochette de Forever Breathes The Lonely Word, paru sur Creation en 1986. On peut considérer cet album comme un classique de la pop anglaise et ce dès «Rain Of Crystal Spheres». Lawrence et Duffy sont tout simplement des experts en matière de beauté boréale - Seven brothers on their way to Avalon - Musicalité extrême ! C’est avec son côté dylanesque que Lawence va emporter la partie : «September Lady» et «Hours Of Darkness» basculent dans une ambiance sélective d’une grande ampleur. Lawrence vise le stellaire des choses de la vie et sa pop chargée d’orgue dylanesque éclate dans l’azur prométhéen. Il ramène toute l’insistance qui faisait la force du Dylan de l’âge d’or. Même chose pour «Hours Of Darkness», cette puissante pop d’Arabie - Got into something/ Dangerous & strange - Pop toxique et capiteuse - It’s your second nature/ Oh don’t fool around/ Till that’s gone/ A man is a boy is a child/ A woman’s son - Avec des retours dignes du Dylan d’antan. Tout est bien sur cet album, tiens, par exemple ce «Grey Streets», éclaté aux arpèges florentins de Marco Thomas. Cette pop fond comme beurre en broche avec tout le panache de la fusion moderniste. Exemplaire ! - Grey streets and streets of grey - Lawrence prend toujours le taureau pop par les cornes - Aw c’mon/ You say I looked kind - Et puis on voit qu’avec «All The People I Like Are Those That Are Dead», il aime bien ceux qui sont morts. Lawrence tartine sa pop avec un tour de poignet unique au monde, un petit côté gouape à casquette - The people I like are in the ground - Ce mec fait ce qu’il veut de l’Angleterre. S’il se proclamait empereur, personne ne s’y opposerait. Il chante avec une mâle assurance - It’s better to be lost than to be found - et il nous rassure en déclarant : «It’s better to be a man than to be a mouse.» On sent revenir le dylanex dans «Gather Up Your Wings And Fly». Tout est énormément écrit, sur cet album, tout sonne - Dowtnown London/ That’s not your scene - et même lors des constats d’échecs («A Wave Crashed On Rocks»), Duffy l’épaule superbement.

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             Paru aussi en 1986, Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death, ressort sous un autre titre : The Seventeenth Century. Lawrence D’Arabie dit s’être mordu les doigts d’avoir voulu faire le malin à l’époque avec un titre aussi hermétique que Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death. Personne n’en comprenait le sens. Deux choses concernant cet album : Momo brille par son absence et tous les cuts sont des instros. L’album n’avait donc aucune chance. Si on l’écoute aujourd’hui, c’est plus par commisération que par fanatisme. Bon d’accord, les instros se veulent frais et pimpants, mais ça reste des instros. Martin Duffy fait son apparition dans le groupe et il joue de l’orgue. Par charité, on dira que tout est délicieusement raffiné et paisible sur cet album. Ce diable de Lawrence d’Arabie y joue de la guitare diaphane. Il s’en sort avec tous les honneurs et va chercher l’océanique à sa façon.

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             L’année suivante paraît Poem Of The River, sous une pochette abstraite. De vagues silhouettes... Lawrence d’Arabie revient à ses chères obsessions dès «Silver Plane», et une diction à l’insistance dylanesque - And you’re/ Still/ Hanging/ Around - d’autant plus prépondérante que Duffy bombarde ça d’orgue Hammond - I didn’t know that you cared - Fantastique ! On reste dans le dylanex avec «Riding On The Equator». Tout y est : l’envolée, les montées de fièvre et l’insistance mélodique et littéraire à la fois. C’est là où Lawrence d’Arabie se rapproche de Dylan - And you always spent your life/ In some kind of prism/ I said those two stones/ Are the hardest to sell - Pur genius et Duffy pulse, Marco Thomas aussi, ils sonnent tous comme de beaux démons d’apparat. Ils n’en finissent plus de couler leur bronze de rêve. Avec Felt, on file au firmament de la belle pop anglaise, la plus parfaite du monde, même si la paternité de la chose revient à Dylan. Deux autres merveilles guettent l’imprudent voyageur, à commencer par «She Lives By The Castle». Lawrence d’Arabie pose bien ses arguments et la chaleur de son ton. Mais c’est Duffy qui crée la magie du son. Il joue tout simplement comme un virtuose, un enchanteur, et nous nappe ça d’orgue. Tiens et puis cet admirable rumble de pop felty qu’est «Stained Glass Windows In The Sky», monté sur un bassdrive extraordinairement sourd et profond signé Marco Thomas. Tous ces gens sont des surdoués, il ne faut donc pas s’étonner du résultat. On peut allez chez Felt les yeux fermés.

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             The Pictorial Jackson Review sort sur Creation en 1988. Pochette dépouille, aucune fantaisie. Martin Duffy et Gary Aing s’y livrent à des parties de piano jazz chabadabada. Lawrence d’Arabie ne fournit que les titres. Il laisse ses amis s’amuser. Un cut comme «On Weegee’s Sidewalk» constitue une belle base d’étude pour the Bongolian. Si on aime le piano jazz, c’est un régal. Martin Duffy joue comme un cake. Il ne se connaît pas de limites. Les gens qui croient avoir trouvé un album de pop se retrouvent le bec dans l’eau du lac. Martin Duffy revient à sa fascination pour Erik Satie dans «Seahorses On Broadway». Il joue des notes suspendues dans l’air, ce qui constitue pour l’oreille du lapin blanc une véritable bénédiction.

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             Étrange album que ce Train Above The City paru sur Creation la même année. Parti-pris de sobriété pour la pochette et Lawrence d’Arabie a l’idée de faire ce que personne n’a encore jamais fait en Angleterre : ne pas apparaître sur l’album de son groupe. Avec «Ivory Past», on sent poindre le grand songcraft. C’est du pur jus de Creation Sound des années 80, une bavette de belle petite pop lumineuse et vaguement décatie. «Until The Fools Get Wise» nous donne une idée du jour où les poules auront des dents. Tout sur cette A reste d’un niveau irréprochable. Un certain Marco Thomas joue en lead. Et puis Lawrence va faire son Dylan 65 avec «How Spook Got Her Man». Il chante au hoquet juvénile et Duffy nous nappe ça d’orgue. On retrouve des tendances dylanesques dans «Don’t Die On My Doorstep». On y sent aussi le grand méchant Lou - Don’t you cry-yh-yh-yh - et Duffy se fend d’un beau shuffle d’orgue anglais. Alors Duffy, justement : c’est lui qui se tape la B, mais d’une manière assez spectaculaire. Il attaque «Sending Lady Lord» au pianotis de round midnight. C’est même très Satie dans l’esprit. Lawrence d’Arabie nous fait là un joli cadeau : il nous laisse en compagnie du pianiste Duffy pour douze minutes d’une dérive boréale digne de Satie, et même de Debussy dans les moments d’exaltation, il crée de l’enchantement et de l’espace. Ça ne plaira pas aux amateurs de rock, mais les amateurs de grand air y trouveront leur compte. C’est de l’oxygène à l’état pur, une revanche du beau sur le laid, une aventure monumentale, un bel hommage à ce créateur d’espace que fut Erik Satie.

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             Paru en 1989, Me And A Monkey On The Moon est un album un peu plus difficile d’accès. Il faut se taper quelques cuts de pop gentillette des années quatre-vingt avant de tomber sur la viande, et quelle viande ! «New Day Dawning» est un fantastique exercice de style gratté à la cocotte de glam sourde. Et ça s’emballe au quatrième couplet - Don’t turn your back/ Today’s a moment that won’t last - et ça se termine sur un solo pour le moins pugnace. Puis Lawrence d’Arabie se met à sonner comme Nikki Sudden dans «Down An August Path». On a là un vrai balladif underground. C’est drôle, ils racontent tous leurs petites histoires, les chansons ne servent que de prétextes. Mais c’est littéralement bardé de feeling vocal. Ce mec vit ses songs, c’est un intrinsèque de la beautiful song. Il lègue à la postérité un balladif admirable et sensible. Lawrence d’Arabie va chercher la belle pop en permanence, on le constate une fois encore à l’écoute de «Never Let You Go». Si on veut comprendre le génie de Go-Kart Mozart, il faut entrer par le jardin magique de Felt. Pop inoffensive au premier abord, mais on y revient, comme attiré. Il nous surprend encore avec «She Deals In Crosses» et cette façon d’envoyer son hey sister/ What are you doing with yourself : pure magie pop. Ce hey sister crée de l’enchantement. Il termine cet album attachant avec «Get Out Of My Mirror», joué aux steel guitars de l’Americana britannique. Eh oui, Lawrence d’Arabie est capable de ce genre de prodige ! Une Americana qu’on retrouve aussi dans «Budgie Jacket». Impressionnant !

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             Dans le très bel interview qu’il accorde à Ian Shirley pour Record Collector, Lawrence d’Arabie rappelle que son premier disque fut le «Starman» de David Bowie et son premier concert, T. Rex au Birmingham Odeon. Il avait 13 ans. Quand il revient sur Felt - 10 albums in 10 years - il concède que oui, il était un peu directif - Every single thing on these 10 records was my idea. Everything down to the plectrums we used - Il voulait des médiators blancs, qui étaient à ses yeux plus modernes que les autres. L’obsession du détail est selon Shirley ce qui caractérise le mieux Lawrence d’Arabie. Mettre un terme à Felt fut relativement facile, Lawrence d’Arabie en avait marre - I was sick of it.

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Felt. Crumbling The Antiseptic Beauty. Cherry Red 1982

    Felt. The Strange Idols Pattern And Other Short Stories. Cherry Red 1984

    Felt. The Splendour Of Fear. Cherry Red 1984 

    Felt. Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun. Cherry Red 1985

    Felt. Forever Breathes The Lonely Word. Creation Records 1986

    Felt. Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death. Creation Records 1986

    Felt. Poem Of The River. Creation Records 1987

    Felt. Train Above The City. Creation Records 1988

    Felt. The Pictorial Jackson Review. Creation Records 1988

    Felt. Me And A Monkey On The Moon. ÉI 1989

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    Felt Reissues. Uncut #250 - March 2018

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    Felt Reissues. Mojo #292 - March 2018

    Ian Shirley : The RC Inrerview. Record Collector # 488 - January 2019

     

     

    Don’t step on my Blood Red Shoes

     

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             Ils sont deux, Laura-Mary Carter et Stephen Ansell. On les attendait de pied ferme. Concert maintes fois reporté, grâce à Pandemic.

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    La petite Carter est habillée en fille au pair, c’est-à-dire en petite robe en velours noir, avec un ruban de dentelle blanche dans sa coiffure de nunuche attardée. Pour accroître le malaise vestimentaire, elle porte des santiags noires. Elle va gratter majoritairement une Tele noire. Ansell est déguisé en Ansell, et va battre tout le beurre qu’il peut. Ah on peut dire qu’il en bat du beurre, en un heure. Il finira dans le Guinness book. Il va en plus assurer le trafic des interactions avec le public français bien dégourdi. La réputation des Shoes repose sur six albums, ils disposent donc d’un vaste choix de cuts. Normalement, c’est une bonne aubaine, pour un groupe, à condition que tous les albums soient bons, ce qui, ici, n’est pas vraiment le cas : les deux premiers sont excellents, fougueux comme des poneys apaches, et les deux derniers flirtent avec les synthés et frisent dangereusement la bonne vieille mormoille. Toujours pareil : on fait comme on peut, avec ses petits bras et ses petites jambes.

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             Bien évidemment, ils démarrent sur un «Elijah» tiré de Get Tragic, l’un des deux derniers albums. Ils font ce que font les groupes depuis l’aube des temps : la promo de leurs derniers disques. Ils tirent «Bangsar», et plus loin «Murder Me», de Ghosts On Tape, le petit dernier qui n’est pas fameux. Tous ces cuts ne laisseront aucun souvenir : ni riff, ni mélodie. On gardera le souvenir d’une certaine présence scénique. La petite Carter doit bien sentir qu’elle n’est pas les Pixies, même si elle s’efforce de sonner comme Kim Deal. C’est en puisant dans leur premier album, Box Of Secrets, qu’ils stabilisent un set titubant de faiblesse : très tôt dans le set arrive le wild stomp d’«It’s Getting Boring By The Sea», une sorte de cut Saint-Bernard sauveur d’espoirs, puis «This Is Not For You» et ses fabuleuses descentes au barbu.

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    Un peu plus loin, ils tapent un solide «Doesn’t Matter Much», et puis juste avant la fin, ça percute dans l’uppercut avec «I Wish I Was Someone Better» drivé au driving fast fuzz. Le meilleur cut du set est l’effarant «Red River» qu’on trouve uniquement sur le Water EP. Elle le joue sur une SG et fait du Sabbath pur, avec toute la rémona dont elle est capable. Et là, oui, tu dis oui. Tu imagines même tout un set monté sur le modèle de «Red River», avec la petite Carter sur sa SG. Fantastique ! Dommage que le reste ne soit pas du même niveau. Elle t’aura fait rêver le temps d’un cut. Mais quel cut ! Bon, ils bouclent leur set avec un «Morbid Fascination» tiré de Ghost et reviennent en rappel avec Ciel pour taper un cut qu’on ne connaît pas et c’est tant mieux. Dommage que la belle Michelle soit reléguée au rang d’arpète.

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             Si tu commences par écouter Get Tragic paru en 2019, tu vas au devant de gros ennuis, car tu vas perdre la pulpe des Blood Red Shoes. Get Tragic n’est pas un bon album. Trop pop de pute.

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    On perd ce qui faisait le charme des Shoes dix ans auparavant. Le fait qu’ils soient passés à la pop de pute est significatif : il s’agit de toute évidence d’une pression commerciale. Pour vendre des places de concert, il faut faire la pop de pute à la mode. On sent pourtant de bonnes intentions dans «Mexican Dress», le beat est bien binaire, mais l’habillage sonore est putassier. Ils ont perdu leur fil. Les machines ont remplacé les grattes. Ils se répandent dans l’horreur des drones. Les deux voix copulent dans l’ignominie. Les Shoes végètent dans le vieil underground des duos à synthés. Ils sont trop dans les machines. Ansell a pourtant l’air sincère. Mais les machines auront sa peau. Il ne fait pas le poids. Les cuts atroces se succèdent. Ils perdent leur dignité. Il faut attendre «Vertigo» pour retrouver espoir. Il déclenche enfin l’enfer sur la terre. Il drive son Vertigo au ramshakle des machines. Et il enchaîne avec «Elijah», un incroyable retour de manivelle. Il mélange le havoc flush avec des nappes de synthés, et la petite Carter ramène son sucre, c’est très particulier. Aw Elijah, elle amène sa petite poussée intestinale et ça explose comme un nuage atomique. Ansell profite de la déflagration pour injecter de la congestion cérébrale dans le son, et ils couronnent ça d’un refrain marmoréen.  

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             Dommage, vraiment dommage, car Box Of Secrets, le premier album des Shoes, était prometteur. Infiniment prometteur. Ils attaquent avec un «Doesn’t Matter Much» assez wild, gratté au big gaga de duo d’enfer. Tous les ingrédients sont alignés au garde à vous. Elle y va la coquine, elle se fourvoie encore dans la braguette de la pop avec «You Bring Me Down», elle est parfaitement à l’aise, très criarde, même un peu agressive. Ils passent au «Try Harder» avec du big stomp er reviennent au bon vieux wild as fuck avec «Say Something Say Anything». Mais c’est avec «I Wish I Was Someone Better» qu’ils gagnent véritablement les hauteurs, sur un beau beat bien fast des Everglades forgé au drive de fuzz. Clameur et montée en neige sont les deux mamelles de la réussite, dans ce domaine particulier. Ils tapent «Take The Weight» à deux voix. Ansell a presque une voix de femme, sa copine amène le sucre. Il chante à la décadence et elle fait des chœurs d’écho déments. Ils se renvoient bien la baballe. C’est elle qui chante «This Is Not For You» à la girl-group flavor, avec des descentes de son terribles. Et ça continue avec le wild stomp d’«It’s Getting Boring By The Sea». Ils ont décidément plus d’un tour dans leur sac. Quand ils montent leur neige à deux voix, ils sont infiniment crédibles. Ils terminent avec un «Hope You’re Holding Up» intense au possible, ils tapent dans le big buzz, ils n’ont peur de rien, à la façon dont les Raveonettes n’avaient peur de rien. Ils tapent fièrement dans l’expressif.

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             Ce qui frappe le plus sur Fire Like This, c’est la capacité des deux Shoes à monter un Wall of Sound, comme le révèlent «When We Wake» et «Keeping It Close». C’est elle qui entre au sucre sur Wake et monte vite en température, dans une ambiance très Joy Division. Ils jettent tout leur dévolu dans le son. Pareil avec «Keeping It Close», ils le plombent d’entrée de jeu. Ansell ne pense qu’à ratiboiser la planète, alors il répand ses légions de démons. Pire encore : sur deux cuts, ils sonnent comme les Pixies. C’est elle qui attaque «Count Me Out» au counting on the words that just repeat, et elle reprend pied après la tempête au count me out I’m not here. Même chose avec «Colours Fade», tapé au heavy stomp des Shoes, mais avec la Méricourt des Pixies, ils y vont cette fois au walking forwards with the light, Ansell n’a pas la voix du gros, mais il en a l’esprit, le super climaxing n’a aucun secret pour lui. Leur «Light It Pup» n’est pas non plus très loin des Pixies : même volonté de paraître à la cour. «Heartsink» est frappé du crâne d’intro, mené à deux voix dans la clameur et «Follow The Lines» repart comme si de rien n’était, au where are you now/ Dancing with the lights on. C’est assez succulent, bien inscrit dans la veine Velvet/Pixies.

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             On peut dire sans trop de risque d’erreur d’appréciation qu’In Time To Voices est un bon album. Au moins pour trois raisons, la première étant le morceau titre d’ouverture de bal. C’est elle qui attaque, un peu sucrée, un peu Kim Deal. Bel univers, féminin et coloré, bien monté en épingle. Elle s’accroche à son cut comme la moule à son rocher. Puis, le temps de quelques cuts, ça vire drôle de pop, c’est-à-dire une pop collée au plafond, une pop aux dents longues et étincelantes, une pop qui rêve de cimes. C’est vrai qu’ils créent de beaux climax («Two Dead Minutes»), ce que les Anglais appellent des musical landscapes, et nous des paysages sonores, mais des paysages sonores intéressants. Elle revient avec son sucre pour «The Silence & The Drones». Elle gratte sec et son gratté s’envenime, ça prend des allures de montagne qui sort de terre, c’est du pur sonic power, ah on peut dire qu’ils savent couler un bronze de Big Atmospherix. Ça s’auto-sature, ça s’étrangle. Plus loin, Ansell te bat «Je Me Perds» au Punk’s Not Dead, et avec «Stop Kicking», ils offrent une vision musicale du power de Zeus. On les respecte pour l’énormité de leur son. Ils referment la marche avec une belle tentative pop : «7 Years». Belle énergie du duo, pas de miracle, mais une présence des Shoes à la recherche du temps perdu.

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             Blood Red Shoes fait partie des bons albums de Blood Red Shoes. L’album s’accompagne d’un CD live, qui donne une idée on ne peut plus exacte de ce que valent les Shoes sur scène. Ce qui les rend éminemment sympathiques, c’est leur tendance à vouloir sonner comme les Pixies. «Tight Wire» est en le parfait exemple. En fait, c’est plus Breeders que Pixies, bien gorgé de son et de sucre à la Kim Deal. Même sens du soupir pop dans l’enfer de Dante. Deux cuts live confortent cette belle théorie : «In Time To Voices» et «Colourless Fade». Il faut attendre que ça décolle, Laura-Mary Carter sonne exactement comme Kim Deal. Elle a les mêmes clameurs de la torpeur d’Elseneur. Le Fade tiré de Fire Like This est aussi very heavy, elle sort le grand jeu : élévation, déplacement des plaques, le power lève le cœur et Ansell bat ça sec. Les ah-ah-ah sont ceux des Pixies, c’est en plein dans le Pix Me Up des enfers. L’enfer toujours. Ah comme on s’ennuierait si l’enfer n’existait pas. Connais-tu quelque chose de plus barbant que le paradis ? Bien sûr que non. Le pire, c’est que tout le monde veut aller au paradis ! Quelle rigolade ! Bon enfin bref, revenons à notre mouton, l’album studio, qui s’ouvre sur une belle énormité, «Welcome Home». Ça craque de partout, la petite Carter gratte ça sec, bien soutenue par le pounding Ansellien. L’album prend vite des allures de big album grâce à l’«An Animal» noyé de gratte incendiaire; suivi de «Grey Smoke», une fantastique clameur de l’ampleur, à moins que ça ne soit le contraire, en tous les cas, ils dégagent pas mal de fumée, c’est la petite Carter qui chante, toujours avec ses accents Breeders. Puis voilà venu le temps des coups de génie avec «Far Away», en plein dans les Breeders, suivi de «The Perfect Mess» drivé aux power chords, et monté sur une sorte de pounding définitif. Le son rebondit dans la clameur. On salue la qualité extrême du stomp, c’est une orgie de son, couronnée par un gratté de poux triomphal. Elle chante encore son «Beyond A Wall» avec ostentation, elle fait sa Blondie profonde, c’est écœurant de power. Avec «Speech Coma», elle se tortille encore dans la mélasse d’un caramel sonique, elle avance en rampant et dans «Don’t Get Caught», la gratte vole dans le ciel noir comme en vampire en flammes. Comme déjà dit, le live donne une idée assez juste de ce que vaut le duo sur scène. Ils ont une fâcheuse tendance à tremper dans la new wave. Elle éclate bien le Sénégal de «Say Something Say Anything» tiré du premier album. Ils font une version plutôt incendiaire de «Light It Up». On ne se lasse pas de leurs conneries. Ils remplissent tous leurs cuts de son à ras-bord. Ils terminent leur set avec un spectaculaire «Je Me Perds», tiré d’In Time To Voices. Ils piquent tous les deux leur crise et deviennent complètement psycho. 

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             Album étrange que ce Ghosts On Tape : il démarre sur une bonne note et finit en beauté, mais entre deux, c’est un peu morne plaine, mon petit Waterloo. «Comply» est en effet monté sur un beau thème de piano et Ansell se prend pour Bono le bonobo, ça chauffe pendant un temps et ça retombe sur le thème de piano, après une belle flambée des prix. Vers la fin, tu tombes sur «Dig A Hole» et tu les vois enfiler leur tunnel, Ansell chante à la voix de fille, il développe une belle énergie urbaine, avec des machines, et ça donne un étonnant mélange de mauvaise new wave avec des éclairs de glam. Justement, le voilà le glam, avec «I Lose Wathever I Own», ce mec adore le glam, il sait y faire. Il tape de heavy glam de la dernière chance. Le reste de l’album ne vaut pas tripette, c’est une new wave à la mormoille. On sauve aussi «I Am Not You» et la gratte qui craque. Dommage qu’il vire new wave à la fin. 

    Signé : Cazengler, pompe usée

    Blood Red Shoes. Le 106. Rouen (76). 5 octobre 2023

    Blood Red Shoes. Box Of Secrets. V2 2007  

    Blood Red Shoes. Fire Like This. V2 2010 

    Blood Red Shoes. In Time To Voices. V2 2012

    Blood Red Shoes. Blood Red Shoes. Jazz Life 2014

    Blood Red Shoes. Get Tragic. Jazz Life 2019  

    Blood Red Shoes. Ghosts On Tape. Jazz Life 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russell & Poivre

    (Part Five)

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             Si on y revient pour la cinquième fois, c’est qu’il y a des raisons. La principale étant la parution récente d’une somme de Bill Janovitz, remarquable rock writer spécialisé dans les Stones (The Rolling Stones’ Exile On Main Street et Rocks Off). Janovitz consacre cette fois son énergie et son talent à Tonton Leon, avec l’imposant Leon Russell - The Master Of Space And Time’s Journey Through Rock & Roll History, un fat book qui frise les 600 pages. Quand tu attaques la somme, c’est un peu comme si tu faisais une fois de plus le tour du propriétaire. Tu as vraiment l’impression de tout reprendre à zéro. Toujours le même refrain : tu prétends tout savoir, et au fond, tu dois bien admettre que tu ne sais pas grand-chose. Ce genre d’exercice te permet de relativiser et de regagner ta place, une place de presque rien, et comme tu vas bientôt mourir, tu redeviendras ENFIN rien du tout, ce que tu n’as au fond jamais cessé d’être. Le drame, c’est qu’on passe sa vie à l’ignorer, consciemment ou inconsciemment.

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             Pourquoi 600 pages ? Parce que la vie de Tonton Leon est ce qu’on appelle communément une vie extraordinaire. Il faut entendre ‘vie extraordinaire’ au sens littéraire. Osons un parallèle avec Blaise Cendrars : il part très tôt à la découverte du monde, il commence par la Sibérie, puis il s’illustre dans la boucherie de la Grand Guerre, il ne craint pas la mort et perd un bras lors de la grande offensive de Champagne, puis il repart en voyage pour nourrir une œuvre et devenir, avec Guillaume Apollinaire, l’écrivain le plus moderne de son temps, c’est-à-dire un pur équivalent littéraire de Modigliani et de Picasso.

             Tonton Leon est lui aussi un chantre de la modernité, le monde qu’il découvre tout au long de sa vie est celui du rock‘n’roll. Il faut bien 600 pages pour raconter une vie aussi extraordinaire que celle d’un homme qu’on surnommait au temps où il était devenu superstar The Master Of Space And Time.

             Avant d’entrer dans le détail du Space and Time, il est sans doute nécessaire de rappeler que le monde du rock’n’roll grouille de superstars, mais beaucoup d’entre-elles le sont pour de mauvaises raisons : on ne va pas citer de noms. La putasserie est vieille comme le monde, ça ne changera jamais. Beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Et ce sont les élus qui nous intéressent : leur œuvre nourrit des œuvres. La semaine dernière, Chucky Chuckah nourrissait l’œuvre d’un brillant biographe, et cette semaine Tonton Leon nourrit celle de Bill Janovitz. Entrer dans son fat book, c’est une façon d’entrer dans le Jardin d’Eden, ou mieux encore, dans le Lotissement Du Ciel du Rock.   

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             En suivant les aventures de Tonton Leon, tu vas croiser des tas de géants du rock américain : Jerry Lee, Jackie DeShannon, Totor, Jack Nitzsche, Terry Melcher, Gary Lewis, Brian Wilson, Don Nix, Van Dyke Parks, Delaney & Bonnie, Dwight Twilley, Kim Fowley et bien sûr Bob Dylan, autant dire la crème de la crème. Si Tonton Leon les fréquente tous, les uns après les autres, c’est parce qu’il est d’une certaine façon un être exceptionnel, tel que le décrit Janovitz.

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             Tonton Leon grandit à Tulsa, Oklahoma. Jeune, il n’est pas joli, il porte des lunettes à grosses montures noires, comme Buddy, et il joue du piano. Il en joue si bien qu’il commence sa carrière de superstar en accompagnant son idole Jerry Lee. Tonton Leon joue tellement bien que certains soirs, Jerry Lee lui laisse le piano. Tonton Leon flashe aussi sur Lloyd Price, Ruth Brown, Chucky Chuckah, Fatsy, Bobby Blue Bland, Jackie Wilson, et surtout Ray Charles qu’il qualifie d’«one of the great innovators». Tonton Leon se dit fasciné par Ray Charles. Il s’émerveille aussi d’Esquerita - He made Little Richard look like a choirboy - et il balance un sacré souvenir : «Il est venu me trouver un soir et m’a dit : ‘Honey, monte dans ma chambre au Small Hotel, et si je ne parviens pas à te faire crier de plaisir en 30 secondes, je te donne ma télé.’» Puis le jeune Tonton Leon qui s’appelle encore Russell Bridges emprunte 40 dollars et prend le bus pour Los Angeles. Il va devenir session man et, grâce à son talent de pianiste, entrer dans le fameux Wrecking Crew.

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             Il commence par devenir pote avec James Burton qui lui apprend à gratter des licky licks. Tonton Leon s’entraîne toute la journée sur un album de Freddie King. Ils jouent un peu ensemble dans des clubs. Burton l’emmène en session pour Ricky Nelson. Et de fil en aiguille, il entre dans le circuit des sessions, se retrouve en studio avec Glen Campbell, Del Shannon, son copain de Tulsa David Gates, la belle Jackie DeShannon, et puis les Blossoms de Fanita Jones que Totor va rebaptiser Darlene Love. Janovitz indique que Tonton Leon flirte pendant quelques mois avec la belle Jackie. Il joue aussi sur les démos de Sharon Sheeley, la fiancée d’Eddie Cochran. Big set de démos : en plus de Tonton Leon, tu as David Gates on bass, Hal Blaine au beurre, et Glen Campbell gratte ses poux. Herb Alpert, P.J. Proby, Glen Campbell et Delaney Bramlett font les chœurs. Tout cela sous l’égide de Tommy LiPuma et de Snuff Garrett. Un vrai carnet mondain ! Tonton Leon sort à peine de l’adolescence, et le voilà entré dans la cour des grands.   

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             On retrouve ces démos sur Sharon Sheeley - Songwriter, un RPM de l’an 2000. Cette pop datant du tout début des années soixante vieillit affreusement mal. Avec «Guitar Child», Glen Campbell s’en sort bien, car ça sonne comme un hit de juke tapé aux tambourins. Glen prend le chant du menton et balance un solo à l’écho sale. Stupéfiant ! Mais le «Blue Ribbons» qu’il chante à la suite est à pleurer, tellement c’est mauvais. La pauvre Sharon excellait dans la mièvrerie et un chanteur aussi fantastique que P.J. Proby s’est fait piéger à chanter des conneries comme «Trouble», une incroyable soupe aux choux orchestrée aux trompettes mariachi. Ah, il faut avoir écouté «Trouble» pour savoir que ça existe ! Dans «Blue Dreams», Glen Campbell dit : «Your lips I’d like to taste !» - Vas-y mon gars, taste donc ! - On reste dans la pire daube qui se puisse concevoir avec «Thank Heaven For Tears» que psalmodie le pauvre P.J. Glen et P.J. rivalisent d’interprétations ineptes. Encore pire : «It’s Just Terrible». On se demande ce que P.J. fout là. On entend aussi Larry Collins des Collins Kids. Il a grandi, il porte la moustache et il chante «See The Hills» d’une voix de lieutenant du Huitième de Cavalerie. Delaney Bramlett se couvre lui aussi de ridicule avec «Love Is A Stranger», apocalyptique de mièvrerie. Bref, cette compile est surtout difficile à revendre. Même un fan d’Eddie Cochran n’en voudrait pas. 

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             Tonton Leon va faire pas mal de middle of the road : Pat Boone, Connie Francis, Duane Eddy, Johnny Rivers, c’est la musique qui se vend en 1964, aux États-Unis. Il va aussi accompagne Irma Thomas et bosser pour Gary Usher. On l’entend aussi pianoter sur le «Surf City» de Jan & Dean. Gary S. Paxton le recrute pour quelques sessions. Tonton Leon est fier de bosser pour ce géant de Paxton : «He was known for hiring the down-and-out and was a big supporter of musicians in general.» Tonton Leon pianote sur le «Monster Mash» de Bobby Boris Pickett. Paxton permet même à Tonton Leon d’enregistrer en 1962 son premier single avec David Gates : «Sad September», by David & Lee, Lee étant Tonton Leon. C’est James Burton qui gratte ses poux sur la B-side, «Tryin’ To Be Someone». Janovitz dit que Gates et Tonton Leon sonnent comme «the Everly Brothers fronting Buck Owen’s Buckaroos».

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             Alors bien sûr, qui dit Wrecking Crew dit Totor. Janovitz nous emmène au Gold Star. En 1963, Tonton Leon pianote sur le «Be My Baby» des Ronettes. La session dure 36 heures. Quatre pianistes. L’un d’eux s’appelle Michael Spencer : «À ma gauche se trouvait ce mec en costard trois pièces coiffé d’un ducktail. That was Leon Russell before he took acid.» C’est Jack Nitzsche qui ramène Tonton Leon chez Totor : «Leon was an innovative piano player.» Il ramène d’autres surdoués au Gold Star - Harold Battiste, Earl Palmer, Don Randi, Hal Blaine, Glen Campbell: a lot of the players came out of my phone book - En 1963, Nitzsche enregistre son album solo The Lonely Surfer, avec Tonton Leon, David Gates, Hal Blaine et Tommy Tedesco.

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             Lors de l’enregistrement de «Zip-a-Dee-Doo-Dah», Totor s’approche de Tonton Leon, «fait un geste, comme s’il voulait conjurer un vampire et dit : ‘Dumb. Play dumb’.» Tonton Leon rappelle aussi que le studio A du Gold Star pouvait contenir 6 musiciens, mais Totor en faisait entrer 25. Janovitz revient longuement sur ses techniques d’enregistrement : construction de la partie instrumentale, avant d’ajouter les voix. Des dizaines de takes, parfois une centaine, avant qu’il ne soit satisfait. Totor épuisait les musiciens, tant et si bien qu’ils finissaient par oublier toute forme d’individualisme et sonner vraiment comme un ensemble - More of a team, a system, the Wall - Selon Ahmet Ertengun, Totor est le seul producteur capable de sortir «a hit record without a hit artist».

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             Tonton Leon pianote aussi sur A Christmas Gift For You From Phil Spector. Brian Wilson affirme que c’est son album préféré. C’est Darlene Love qui chante «Chritmas (Baby Please Come Home)», co-écrit par Ellie Greenwich, Jeff Barry et Totor. Darlene se souvient qu’au piano, Tonton Leon est devenu fou : «We called it Leon’s little concerto. He just went wild on the piano and when it was finished, he just fell right off the stool.» Janovitz ajoute que Totor fut tellement excité par le piano climax qu’il signa un chèque de bonus pour Tonton Leon. Les musiciens s’accordent à dire que Totor est un peu rude en session, mais tout le monde s’écrase, «because we realized what a great talent he was». Don Randi : «Phil Spector was always excentric, let’s put up this way.» Et puis un jour, Tonton Leon fait une grosse connerie. Pour supporter la tension de la session, il va siffler un litre de vodka pendant une pause. Trois heures et 80 takes plus tard, Tonton Leon grimpe sur le piano et fait un numéro de prêcheur. Alors, Totor, via le micro de la cabine de contrôle, demande : «Leon, don’t you know what teamwork means?», et Leon lui envoie ça dans la barbe : «Phil, do you know what ‘fuck you’ means?». Boom, viré. Ils rebosseront ensemble plus tard, en 1973, sur le brillant Rock’n’Roll de John Lennon.

             Finalement, Tonton Leon n’est pas resté longtemps dans le Wrecking Crew, moins que Carol Kaye, Hal Blaine, Don Randi et Tommy Tedesco - I wasn’t one of the main guys - Ça lui a permis d’acquérir une bonne expérience du studio - That was quite something - Et il conclut à sa façon, pince-sans-rire : «90 percent of the records that I did were bullshit. I mean I didn’t play on any Ray Charles records. Didn’t play on any Mancini records.»

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             Grâce à Jack Nitzsche, Tonton Leon rencontre Terry Melcher, qui n’a que 21 ans et qui est staff producer pour Columbia. Tonton Leon joue sur l’«Hey Little Cobra» que produit Melcher pour les Rip Chords, et en 1965, il joue sur le «Mr. Tambourine Man» des Byrds. Le seul Byrd autorisé à jouer en studio est Roger McGuinn. Melcher fait jouer Hal Blaine et Jerry Cole. Croz et Michael Clarke sont livides de rage. Croz déclare : «So those cats were good, et il y avait de prodigieux musiciens dans le tas. And Leon I guess would be the most highly developped of all of them. He’s some fucking genius.» Melcher demande à Tonton Leon d’accompagner sa mère Doris Day. Leon raconte qu’il flashe sur elle. Par contre, elle ne flashe pas sur son pianotage, mais sur sa «beige Cadillac convertible». Ah les Américaines ! Elles sont d’une vulgarité !

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             Tonton Leon a aussi le privilège de jouer pour Brian Wilson. On l’entend pianoter sur «California Girls» et «Help Me Rhonda». Il est fasciné par le gros Brian : «Au Studio Western, il y avait entre 15 et 20 musiciens. Il commençait avec le premier et lui chantait la ligne qu’il devait jouer. Puis il passait au deuxième, puis au troisième, jusqu’au dernier. Alors il revenait au premier qui avait oublié sa ligne et Brian la lui rechantait. Pareil pour le deuxième. Il leur apprenait le morceau. Et soudain, l’orchestre jouait that shit. I mean, Brian is, when you want to talk about genius, there’s not any like him that I know of. He’s unbelievable.»

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             En 1965-1966, Tonton Leon bosse aussi avec Gary Lewis & The Playboys. Quand les Playboys sont appelés sous les drapeaux, the Tulsa Mafia prend le relais : Tonton Leon, Carl Radle et Jim Keltner. Puis Don Nix fait son apparition dans le circuit. Il ramène ses potes de Memphis, Duck Dunn et Steve Cropper. Nix est fasciné par Tonton Leon : «He was a rock star before he was a rock star.» Comme Dylan, Tonton Leon entre dans une pièce et capte toute l’attention. Leon rencontre aussi Van Dyke Parks avec lequel il s’entend bien. Un Tonton reste un tonton. L’exploit le plus remarquable de cette époque est son rôle actif dans l’enregistrement de Gene Clark With The Gosdin Brothers. Geno déclare : «It was all very intense. Je me souviens d’avoir dit à des gens que je faisais un album avec Leon, Clarence White, Glen Campbell, Chris Hillman, Chip Douglas, and Vern and Rex Gosdin et ils pensaient que j’étais fou.» Les gens disaient : «What a weird combination of people.» Oui, sauf que c’est le meilleur album des Byrds. Et Tonton Leon y a pondu tous les arrangements. Il bosse aussi pour Lenny Waronker, notamment comme arrangeur pour Harpers Bizarre. Selon Waronker, les deux principales sources d’inspiration pour ces sessions étaient les Beach Boys et les Swingle Singers de Paris.

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             Avec Delaney & Bonnie, Tonton Leon entre dans son âge d’or artistique. En évoquant le couple, Janovitz parle d’un «explosive, abusive and toxic mariage.» On les surnomme the Beverly Hillbillies. Delaney & Bonnie allaient attirer pas mal de grands musiciens, dont Tonton Leon. Le couple développe un special power - They sounded like a male-female Sam & Dave - En 1967, Tonton Leon bosse sur un concept, the New Electric Horn Band, avec des musiciens qu’on va retrouver dans le Taj Mahal’s band, dans Delaney & Bonnie & Friends, Mad Dogs & English Men, et Leon Russell & the Shelter People. Il donne des détails : «It was Delaney & Bonnie Bramlett, Don Preston, Don Nix, Chuck Blackwell, Carl Radle, John Gallie, Jim Horn et un mec qui joue maintenant avec Ike & Tina Turner.» Tonton Leon organise de grandes jam-sessions le dimanche. Puis Delaney & Bonnie enregistrent Home, leur premier album chez Stax, produit par Duck Dunn et Don Nix. On y entend les Stax all-stars, Isaac Hayes, The Memphis Horns, William Bell et bien sûr le piano de Tonton Leon. Mais la compagnie de Delaney & Bonnie n’est pas appréciée. Au mieux, on les considère comme des manipulateurs, au pire comme des tyrans. Rita Coolidge les admire : «That band was one of the best bands ever. Je pense qu’ils ont élevé la barre pour tout le monde, partout dans le monde. Bonnie was the powerhouse singer, mais Delaney voulait être the boss and the king. At that time, he hadn’t really turned into such an asshole yet, ou alors ça n’apparaissait pas encore, mais ça n’allait pas tarder.»

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             Mad Dogs sort donc de cette mouvance, du New Electronic Horn Band. Les musiciens constituent une sorte de pot commun. Plus tard, Delaney & Bonnie accuseront Tonton Leon d’avoir volé leur groupe. Pour Mad Dogs, Tonton Leon recrute Bobby Keys, Jim Price, Jim Keltner, Rita Coolidge, Jim Gordon, Carl Radle. Seul Bobby Whitlock reste avec Delaney & Bonnie. Bonnie en chiale encore : «On a été les derniers à le savoir et ça nous a brisé le cœur.» Mais bon, faut avancer. Mad Dogs devient un phénomène, format libre, tribu en tournée, vingt personnes sur scène, du jamais vu, Dylan louche sur le projet. Il le reproduira plus tard sous la forme de la Rolling Thunder Revue. Jim Karstein : «Mad Dogs were a little over the top. They started smoking angel dust and doing a lot of acid and I think cocaine started filtering in.» Tonton Leon voit ça comme un projet purement communautaire : tout le monde mange ensemble et tout le monde baise ensemble. Il voit de grands saladiers de salade - huge trash cans of potato salad, macaroni salad, egg salad - Chris Stainton ajoute : «It was an anything-goes sort of scene, with girls around, and Leon was pretty permissive: let’s put it that way.» Tonton Leon voulait surtout que chacun se sente bienvenu et en sécurité (welcome and safe). Il sait ce qu’il fait, car lors des répètes, il obtient de la tribu un son «tight and so exciting, and Leon was like Duke Ellington.» Tommy Vicari : «It was like a train.» Et il ajoute, émerveillé : «Joe was the star, but Leon was in control of the whole thing.» Vicari est effaré par cette concentration d’énergies et de talents. Pendant toute la tournée Mad Dogs & Englishmen, Joe Cocker est soul. Jim Keltner affirme que tout le monde était sous MDA, l’ancêtre de l’ecstasy - You really get high on that. There were some that had smoked angel dust. We were all drunk. It was a mess - Claudia Lennear confirme que the Mad Dogs & Englishmen thing was cultural - Elle évoque le free love and sex - That’s what that period was all about in the seventies - Toutes les nuits, des gonzesses font la queue dans les couloirs d’hôtels, aux portes de Tonton Leon et de Joe Cocker. Et ce n’était pas que des groupies. Carla Brown : «At the Fillmore East, Janis Joplin said she wanted to suck Leon’s dick until his head fell off.» Ah les Américaines ! Des gens filent de tout à Joe Cocker. Il ne demande même ce que c’est, straight into his mouth. Cocker : «The only difference between one tab and ten tabs of acid is the pain in the back of me neck (sic) Le film qui documente la tournée est resté un classique du ciné rock. Il montre aussi la fin d’un temps, le côté communautaire du rock va disparaître pour laisser place à un rock centré sur le profit, the cashing-in of the sesventies. Mad Dogs va notoirement influencer The Tedeschi Trucks Band. Des promoteurs tenteront même de monter une tournée de reformation, mais Joe Cocker ne voudra pas en entendre parler. Il pense que Tonton Leon s’est servi de lui pour sa propre promo.

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             Pourtant, au début, Joe admirait Tonton Leon, surtout le jour où il lui a joué pour la première fois «Delta Lady» au piano. Tonton Leon l’avait composé en hommage à Rita Coolidge, laquelle protesta car elle affirmait n’avoir jamais été «wet and naked in the garden». «Delta Lady» figure sur le fantastique premier album de Joe Cocker, qui en plus des deux cuts signés Tonton Leon, tape dans Dylan, Leonard Cohen, Lloyd Price, John Sebastian, Lennon/McCartney et George Harrison. Tonton Leon produit l’album et fait les arrangements. Il fait chanter Merry Clayton et Bonnie Bramlett dans les chœurs. Joe vit un temps chez Tonton Leon at 7709 Skyhill Drive - People were very naked. I got the clap there - Il parle de la chtouille, bien sûr. Comme Kim Fowley, il baise les dirty hippie whores. Joe traverse une mauvaise passe, car son manager Dee Anthony lui met la pression pour qu’il tourne aux États-Unis et Joe se dit épuisé. Mais Anthony est une brute. Denny Cordell n’aime pas Dee Anthony - I hated him.

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             Denny Cordell est un producteur anglais à succès : il est connu pour avoir lancé les Moody Blues et Procol Harum. C’est lui qui conseille aux Moody Blues de reprendre le «Go Now» de Bessie Banks - Cordell’s taste was impeccable - Puis «A Whiter Shade Of Pale» fait de lui un homme très riche. Il se réinstalle en Californie en 1970 et rachète le contrat de Tonton Leon chez Mercury pour fonder Shelter Records avec lui. Dans la foulée, Cordell ramène son poulain Joe Cocker en Californie. Ils vont aussi relancer la carrière de Freddie King qui est déjà une légende. Tonton Leon décide d’enregistrer Getting Ready chez Chess à Chicago. Il le co-produit avec Don Nix qui déclare : «That’s where the big blues hits were cut.» Duck Dunn débarque à Chicago pour jouer sur l’album. Don Nix est émerveillé par la classe de Freddie, «with this biggest-ass grin on his face» - He was just one of the best artists I’ve ever had anything to do with - Don Nix ramène son «Going Down» qu’il avait composé pour Moloch à Memphis. Mais Tonton Leon n’aime pas le cut. Là, il se fout le doigt dans l’œil. Freddie adore «Going Down» - So Leon had no choice - Tonton Leon flashe aussi sur Willis Alan Ramsey - He was a very strange guy, a beautiful singer and guitar player and writer - Ramsey lui gratouille quelques cuts et Tonton Leon le signe right on the spot. On voit Ramsey dans A Poem Is A Naked Person, le film qui documente la vie de  Tonton Leon de 1972 à 1973. Tonton Leon tire le titre du film des liners de Bringing It All Back Home. L’album Willis Alan Ramsey est devenu culte. On y reviendra. Quant à Les Blank, le réalisateur du film, c’est encore toute une histoire. Janovitz en fait des pages et des pages. Passionnant ! Pour résumer, Cordell et Tonton Leon ont repéré Blank via son docu The Blues Accordin’ To Lightnin’ Hopkins. Ils lui demandent de tourner un «verité-style (sic) profile of Leon for television». Les Blank finissait juste de tourner Dry Wood et Hop Pepper, un docu sur Clifton Chenier, c’est dire si ce mec est intéressant. Tonton Leon est friand de cinéma underground, notamment les films d’Andy Warhol et de Dennis Hopper. Son film préféré est Mondo Cane. Mais il va bloquer la parution d’A Poem Is A Naked Person. Pas question de le commercialiser. Les Blank mourra avant que Tonton Leon ne donne enfin son autorisation. C’est Harrod, le fils de Les Blank, qui va l’obtenir. 

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             Alors on revoit le film. Blank le tourne à Grand Lake, pas très loin de Tulsa, Oklahoma. Tonton Leon est un beau mec. On le voit pianoter «Jimabalaya» sur scène - Son of a gun - Plan rock parfait. Puis Blank filme George Jones en studio. Il chante sa country song avec une classe terrifiante - The first time I heard your voice - On tombe immédiatement sous le charme. Blank essaye de faire un film surréaliste : il filme ensuite le peintre Jim Franklin dans la piscine que Tonton Leon vient de faire construire. Franklin ramasse les scorpions dans un bocal, puis voilà Willie Nelson encore jeune. Ce n’est pas un hasard si Tonton Leon s’intéresse à des artistes aussi magnifiques que George Jones et Willie Nelson. Lorsqu’on voit danser les Navajos, on comprend que Blank tourne un film surréaliste sur l’Americana - Le Bliss Hotel explose, un boa avale un chicken, un mec mange du verre, alors forcément ce docu sur Leon n’est pas un docu, mais un Blank movie. Apparaît un mec étrange, Eric Anderson, une sorte de hippie punk qui chante un peu comme Nicck Drake. Le percussionniste Ambrose Campbell s’exprime et puis on voit les Shelter People sur scène, Chuck Blackwell et Don Preston qui sont un peu des clones de Tonton Leon. Résultat final : Tonton Leon n’aime pas le film. 

             Aux yeux de Janovitz, Cordell est plus un music fan qu’un record executive comme Clive Davis ou Ahmet Ertegun. Tonton Leon et lui finiront pourtant par se fâcher. Un jour, Jimmy Karstein demande la raison de cette fâcherie à Tonton Leon qui lui répond : «Well, I asked him a question, and he failed.» Quelle question ?, demande Karstein. Leon : «Where’s the money?»

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             Celui que Tonton Leon admire le plus, c’est Dylan, un Dylan qui l’emmène faire un tour dans Greenwich Village et qui lui montre les endroits qui lui ont inspiré des chansons. Dylan vient participer au Bengladesh concert. Il chante deux cuts tout seul puis demande au roi George et à Tonton Leon de l’accompagner : le roi Geoge à la gratte et Tonton Leon on bass - We tried a song or two, then I suggested that Ringo join us on tambourine - C’est avec le concert du Bengladesh que Tonton Leon devient an absolute superstar. Peter Nicholls : «The crowd went absolutely fucking nuts.» Et il ajoute, en proie à l’émerveillement congénital : «The sound of his voice!». Leon fait des banshee yowls avec les chœurs sur «Jumping Jack Flash». En coulisse, il assiste aussi à la métamorphose de son idole : «Quand Bob Dylan était en coulisse, il avait l’air d’un mec ordinaire, mais en arrivant sur scène, il changeait du tout au tout... His presence became all-powerful.»

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             Tonton Leon tombe amoureux d’une black nommée Mary McCreaty et l’épouse. Mary n’est pas née de la dernière pluie : elle a fréquenté Vaetta Vet Stewart, la sœur de Sly Stone, et monté avec elle un gospel group, the Heavenly Tones. Elle est pote avec Patrick Henderson, the Gap Band et surtout la fabuleuse Maxyan Lewis, qu’on a croisée ici, inside the goldmine. Mary a aussi enregistré l’un des premiers albums parus sur Shelter, Butterflies In Heaven. Tonton Leon et Mary vont enregistrer deux fantastiques albums ensemble, Wedding Album et Make Love To The Music, faire deux gosses ensemble, Tina Rose et Teddy Jack. Puis Mary va devenir la pire ennemie de Tonton Leon. Elle va même le traîner en justice pour lui pomper du blé et lui interdire de voir ses gosses pendant dix ans, jusqu’à leur majorité. Majeurs, Tina Rose et Teddy Jack viendront s’installer chez leur père. Le Gap Band enregistre son premier album Magician’s Holiday sur Shelter. Tonton Leon prendra ensuite le Gap Band comme backing band en tournée, et pour l’enregistrement de Stop All That Jazz. Avec le Gap Band, Tonton Leon renoue avec le son qu’il aime, Billy Preston, Allen Toussaint, les Meters, Stevie Wonder et Sly & The Family Stone.

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             Shelter, c’est aussi le Dwight Twilley Band, eux aussi originaires de Tulsa, comme Tonton Leon. Dwight Twilley quitte Tulsa pour échapper à l’ombre de Tonton Leon qui est partout et pouf, il arrive à Los Angeles et sur qui qu’il tombe ? Sur Tonton Leon. Ça s’appelle un destin. Twilley ajoute même qu’il avait peur de Tonton Leon à Tulsa : «He kind of scared me.» Puis il finit par faire sa connaissance à Los Angeles et l’apprécie. Il est même invité chez lui, à Skyhill. On apprend à l’instant que Dwight Twilley vient de casser sa pipe en bois. On y revient. 

             Et voilà Kim Fowley qui refait surface 18 ans après l’épisode Gary S. Paxton. Paxton et Kim avaient filé à Tonton Leon l’un de ses premiers jobs de session man. En 1978, Tonton Leon et Kim co-écrivent les cuts d’Americana. Kim raconte dans ses souvenirs que Tonton Leon l’a fait chialer lors de l’enregistrement de l’album : «Il s’est tourné vers moi et m’a dit : ‘Do you know how good you are?»’. Je me suis mis à chialer devant lui et devant tout l’orchestre, parce qu’il était le premier à me dire que j’étais bon.»  

             Tedeschi et Trucks seront donc les seuls héritiers du phénomène Mad Dogs & Englishmen. Ils voient le film la tournée Mad Dogs en 2005 et flashent dessus - Our band was loosely based on that concert footage - L’oncle de Trucks, Butch Trucks, jouait dans les Allman Brothers, «another family/communal band», donc il y avait de sérieuses prédispositions. Trucks flashe aussi sur le look Father Time de Tonton Leon. Il tente de relancer la machine avec une sacrée affiche : Tedeschi Trucks Band presents Mad Dogs & Englishmen with Leon Russell, Rita Coolidge, Claudia Lennaer, Chris Stainton. Ils embauchent aussi Chris Robinson des Black Crowes qui avoue que l’album Mads Dogs & Englishmen constitue son ADN. Même chose pour Steve Earle. Trucks & Tedeschi rêvaient aussi accompagner Joe Cocker, mais le vieux Joe venait tout juste de casser sa pipe en bois - He died from cancer before the concert.

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             En 1965, Tonton Leon transforme sa baraque de Skyhill, au Nord de Mulloland Drive, en studio - The whole house is a studio - Il devient un vampire, vit la nuit et dort le jour. Les voisins croient que des Hells Angels vivent à Skyhill, car ils voient des tas de bagnoles et de motos, «and loud music at all hours of the day and night». Karstein : «It was a twenty-four-hours-a-day deal there», et un autre témoins ajoute : «There were plenty of girls around». Il apparaît bien vite que Tonton Leon aime partouzer. Influencé par ce qu’il a vu à Muscle Shoals et chez Stax à Memphis, il monte un house-band. C’est l’époque où il essaye de chanter comme Bonnie Bramlett - At that time, we was all trying to sing like Bonnie Bramlett - On le compare plus volontiers à Doctor John qui, à l’inverse de Tonton Leon, en bave pour survivre. Tonton Leon impressionne Bobby Keys : «Tout le monde savait que Leon was superior. He was a phenomenal pianist and stylist. Il était ce que tous les autres Okies et Texans voulaient devenir : he had a black Cadillac, he had his own house in the hills, he had a studio in his house and he had chicks up there day and night.» C’est la Dolce Vita hollywoodienne. Skyhill devient un lieu célèbre. Don Nix y vivra un certain temps.

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             C’est là que Tonton Leon enregistre les deux fabuleux albums d’Asylum Choir avec Marc Benno. Pour «Soul Food», il invente a new funky rock’n’roll blend of gospel, Soul, country and blues. «Soul Food» se trouve sur le balda de Look Inside The Asylum Choir. L’album est un vrai shoot de Beatlemania, dès «Welcome To Hollywood», on entend les trompettes de Sergent Pepper. «Icicle Star Tree» sonne très anglais. On sent bien la graine de superstars. On croit entendre les Beatles dans «Death Of The Flowers», mais la tendance se confirme en B avec «Thieves In The Choir» qu’il chante exactement comme le ferait John Lennon, puis «Black Sheep Boogaloo», qui charrie des échos de «Drive My Car». Tonton Leon pousse bien le bouchon du bye/ Bye bye. Il sait déjà rocker la masse volumique d’un gros cut.

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             L’Asylum Choir II tape moins dans la Beatlemania. C’est le pur Skyhill sound. Tonton Leon et Marc Benno tapent une belle cover de «Sweet Home Chicago». Ça sent bon le studio cosy. On tombe au bout du balda sur l’énorme «Tryin’ To Stay ‘Live», nettement plus honky tonk, pianoté à la Tontonnerie affirmée. Il affecte bien sa voix. En B, il se fâche encore avec «Straight Brother». Il y va au heavy pounding. Il sait driver un Asylum. Comme son nom l’ind-ique, «Learn How To Boogie» est un solide boogie bardé de maniérismes à la Lennon. Il propose globalement un rock extrêmement pianoté, bien produit, souvent ambitieux et toujours chanté avec caractère, comme le fait Dr John sur ses albums. Leon sonne comme un chevalier Tontonique, «When You Wish Upon A Fag» swirle bien au gratté de poux.

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             Avant d’être une superstar, Tonton Leon est un amateur de femmes. C’est en tous les cas ce qui ressort de ce fat book. Quand il voit Rita Coolidge pour la première fois, il tombe amoureux d’elle. Mais elle vit avec Don Nix. Il dit à Don Nix de le prévenir si leur histoire s’arrête - If you ever break up with Rita, let me know - Six mois plus tard, Don Nix l’appelle pour lui dire qu’il peut venir récupérer Rita, redevenue célibataire. Tonton Leon débarque le lendemain, après avoir largué sa poule Donna. Don Nix va récupérer Tonton Leon à l’aéroport et l’amène au Sam Phillips Recording studio où Rita et sa sœur Priscilla font des backing vocals. Pouf, c’est vite réglé. Tonton Leon achète une ‘60 Ford Thunderbird et ramène Rita en Californie, en novembre 1968. Tout se passe bien pendant un temps, mais Tonton Leon veut partouzer avec Rita, et elle n’aime pas trop ça. Il commence par proposer un threesome avec Carl Radle - Maybe if we had Carl Radle come over, cause I know you like Carl - Tout le monde à poil ! Ça fout la relation par terre, en tous les cas, c’est ce qu’elle raconte dans son autobio. Tonton Leon la vire. Puis il tombe amoureux de Chris O’Dell, une expat américaine qui a vécu à Londres et bossé pour les Beatles. Tonton Leon réussit à la faire revenir en Californie - There was some weird, interesting sexual experimentation - et rebelote, il propose à Chris de partouzer. Chris O’Dell trouve ça uncomfortable. Claudia Lennear n’est pas très partante non plus pour les orgies. Elle est aussi l’une des muses de Tonton Leon. Comme Jesse Ed Davis ramène de l’angel dust à Skyhill, ça n’arrange pas les choses. Tonton Leon en fait une grosse conso. Eh oui, c’est non pas le temps des cerises, mais le temps du sex & drugs & rock’n’roll, c’est-à-dire le sel de la terre. 

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             Avec le Bengladesh concert, Tonton Leon atteint son pic de célébrité. Selon Al Aaronowitz, les freaks vont trouver Leon pour lui dire qu’il est le nouveau Jésus - Ça faisait dix ans que Dylan et les Beatles se tapaient cette adulatory crap et Leon affirmait que ça n’allait certainement pas lui tourner la tête - T Bone Burnett dit même qu’il aurait pu devenir «a huge star if he had wanted to be. But I guess he didn’t want to be.» Lorsqu’il se retrouve on top of the world, il décide de se mettre au vert, à Tulsa. Il n’aime pas tout ce qui accompagne la célébrité, «having to schmooze, the interviews, record executives, radio promotion. He moved back to Tulsa to get away from the hype.» Il s’installe dans ce qu’il appelle «a small fishing cabin on Grand lake O’ the Cherokees», à 100 bornes au nord de Tulsa. Il y recrée l’ambiance de Skyhill - a creative gathering spot on the lake - En 1972, il envoie Patrick Henderson recruter des backing singers à Dallas. Il en ramène quatre. Blue, qui est la fille aînée de Tonton Leon se marre : «From late ‘72 to ‘73, my dad had many many many girfriends.» Il en pince pour la musique noire, mais aussi pour la country. Willie Nelson indique qu’ils ont tous les deux le mêmes «musical roots : Hank Williams, Bob Wills, country black blues.» À Grand Lake, Tonton Leon bosse avec the Shelter People, le groupe qui l’accompagne en tournée. Il se fait faire dix costards de cosmic cowboy et fait coudre des pierreries dessus (rhinestones). Il devient une sorte de rhinestone cowboy, comme David Allen Coe. On parle aussi de lui en termes de «dark magnetism» et même de «rock evangelism». En 1974, il fait une petite crise de parano et se sépare de Peter Nicholls, de son groupe et prend ses distances avec Shelter et Denny Cordell. Il passe du stade de Master of Space and Time à celui d’«Oklahoma patriarch». Il n’a que 35 ans et Mary, sa femme, 25. Mais comme les blancs du coin sont racistes et que Mary est black, Tonton Leon est obligé de quitter la région.

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    ( Dernière demeure de Leon Russell)

             Il reste cependant un homme complexe. Bill Maxwell le compare à Dylan, «extremely friendly, intelligent, extremely kind, until they don’t want to talk to you anymore, and a wall goes up.» Il faut faire avec, et pour les potes de Tonton Leon, c’est pas simple. Côté addictions, il s’est un peu calmé depuis le temps de l’angel dust à Skyhill. Blue dit que ses addictions étaient «straight-up food and sex». Il voit pas mal de porno à la télé, même dans le bus de tournée. Il prend aussi du poids et dit que de porter ses lourds costards de rhinestone cowboy lui en fait perdre. À 33 ans, il a déjà un look de vieux pépère. Il a les cheveux blancs et marche en boitant.  Quand mary le quitte et lui déclare la guerre, il tombe en ruine. Elle lui fait des procès, «just basically nuisance suits». Cette vache lui réclame 500 000 $ qu’elle obtient, car il veut passer à autre chose, mais elle continuera de lui pomper du blé jusqu’à la fin - She was evil, dira-t-il à Jan, sa nouvelle poule - Tonton Leon est au plus bas et Willie Nelson vole à son secours. Puis en 1981, il s’installe à Hendersonville, dans le Tennessee, avec Jan qui va lui faire trois gosses, Shugaree, Coco et Honey, ce qui avec Blue, Teddy Jack et Tina Rose lui en fait six en tout. La maison du Tennessee avait appartenu à Felice et Boudheaux Bryant, les fameux auteurs de hits pour les Everly Brothers. Dans le milieu des années 80, Tonton Leon a perdu le cap. Il est passé du superstardom au rien-du-tout-dom. Sa seule consolation est de voir arriver chez lui Teddy Jack et Tina Rose, devenus majeurs. Ils s’entendent bien avec Jan, qu’ils appellent Mommy. Ils vont vivre avec leur père durant les années 90. Puis le couple s’installe avec toute la tribu à Sideview, c’est-à-dire à Gallatin, dans le Tennessee. Blues qui a aussi fondé une famille vient s’installer à Sideview. Bien qu’affaibli par un vieillissement précoce, Tonton Leon continue de tourner. Hank Williams Jr. lui propose 14 dates en première partie, mais Tonton Leon le prévient que si ça déraille à cause de ses percussionnistes nigérians, il quittera la tournée. Tom Britt : «En plein milieu de la première chanson, un mec lance une bouteille de whisky sur les Nigérians. We all walk off. End of tour.» Tonton Leon traverse une période misérable, conduisant des bus pas très fiables à travers les états, ce qui lui vaut le surnom the Miser of Space and Time. Eh oui, les temps sont durs. Tonton Leon survit à la fois artistiquement et financièrement. Le couple finit par s’installer à Harmitage, à proximité de Nashville. Cette belle demeure avait été construite pour Dennis Linde, l’auteur de «Burnin’ Love».

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             Il revient dans le rond du projecteur avec le projet d’Elton John et l’album The Union. Mais on l’a dit dans un Part Two, Elton John squatte quasiment tout l’album et fout la pression sur Tonton Leon qui n’aime pas ça : «Elton sort of insisted that I have a producer. Well I’m not a guy that has producers.» Pour Life Journey, l’avant-dernier album qu’il enregistre, son manager Barbis veut mettre Don Was sur le coup pour faire un rock’n’roll album, mais Tonton Leon préfère Tommy LiPuma «from the Blue Thumb days». LiPuma avait produit des gens comme Al Jarreau, Dr John et Diana Krall, mais aussi le Tutu de Miles Davis. Janovitz ajoute que pendant les deux dernières années de sa vie, Tonton Leon se bat pour boucler les fins de mois. Et tout ça se termine à l’hosto avec des problèmes de santé classiques, comme dans tous les romans dignes de ce nom. Tonton Leon est un peu le Johann August Suter que décrit Cendrars dans l’Or. Cette bio a le souffle d’un destin qui n’a de tragique que sa banalité. Chacun de nous finit par mourir, au terme d’une vie bien remplie ou pas.

             Selon Janovitz, Tonton Leon restera «an elite songwriter and one of the greatst arrangers and bandleaders of his generation.»

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             Alors qu’on allait refermer provisoirement ce chapitre, un beau Tribute est tombé du ciel : A Song For Leon - A Tribute To Leon Russell. Une petite équipe d’artistes s’est amusée à taper dans tous les vieux hits du Père Noël, à commencer par l’excellent chanteur masqué Orville Peck. Il tape directement dans «This Masquerade». Belle présence vocale. Le mec est bon, la compo est bonne, alors que peut-on espérer de plus ? Rien. Autre surprise de taille avec U.S. Girls & Bootsy Collins qui tapent «Superstar». C’est fabuleusement travaillé à la black, bien nappé de sucre candydo black, ils traînent le groove dans une étonnante poussière d’étoiles. On passe aux choses très sérieuses avec les Pixies et «Crystal Closet Queen». Okay ! Le gros tape dans le tas. Sans fioritures. Dans le vrai tout de suite. C’est Pixelisé à outrance. Le gros te déglingue vite fait la carlingue. Il abuse de son génie purulent pour exploser Tonton Leon. Et puis voilà Monica Martin et «A Song For You», the Beautiful Song par excellence. Océanique, chanté au fil de la respiration, avec des accents connus de type «Imagine». Quand on réécoute la version originale sur l’album bleu sans titre de Leon Russell, on trouve la voix trop maniérée, effet bizarre. C’était très stéréotypé. La bonne surprise du Tribute vient aussi de Bret McKenzie & Preservation Hall Jazz Band avec «Back To The Island», mid-tempo tapé au big power de big bassmatic et de slide volage, pur jus d’Americana, très fidèle à l’esprit leonien. Signalons aussi le très beau développement durable de Margo Price avec «Stranger In A Strange Land», et cette belle Soul qui aurait tant plu à Tonton Leon, celle de Durand Jones & The Indications avec une cover d’«Out In The Woods». Durand ne fait pas semblant. En plus ça rime.

    Signé : Cazengler, Léon recèle

    Bill Janovitz. Leon Russell. The Master Of Space And Time’s Journey Through Rock & Roll History. Hachett Book Group 2023

    Asylum Choir. Look Inside The Asylum Choir. Smash Records 1968

    Leon Russell & Mark Benno. Asylum Choir II. Shelter Records 1969

    A Song For Leon. A Tribute To Leon Russell

    Les Blank. A Poem Is A Naked Person. 1974. Réédité en DVD

     

     

    L’avenir du rock

     - Hello Dulli, mon joli Dulli

     (Part Three)

     

             La scène se déroule au club. Confortablement calé dans un Chesterfield, l’avenir du rock passe une agréable soirée en compagnie de ses amis, tous des professionnels versés dans les nouvelles technologies.

             — Alors tu résistes toujours à l’appel des sirènes, avenir du rock ? Toujours pas de smartphone ?

             — Nulle envie d’entendre bip-bipper ces machines à tout instant, écoute la tienne, c’est infernal ! Cling... Cling... Aucun smartphone, si smart soit-il, ne me sortira Dulli.

             — Tu as tort de te priver du confort de cet outil. Il te permet de checker tes mails lorsque tu es en déplacement, de surveiller tes comptes au Luxembourg et de visio-conférer avec tes prospects. Tu peux tourner des vidéos en MP4 pour e-coacher tes modules d’e-learning et même stocker des gigas de data. Tu peux aussi visionner des clips de rock sur YouTube...

             — Pas de chance, Marco, je ne vais jamais sur YouTube. Trop de pub. Je vais plutôt sur Dulli Motion.

             — Tu es tout de même très atypique, comme profil. Désolé d’avoir à te dire ça. Tu ne fais rien comme les autres. Il y a quelque chose d’élitiste chez toi, non ?

             — Tu te plantes, Marco. Il m’arrive comme tout le monde de prendre un Dulliprane 1000 effervescent quand j’ai mal au crâne.

             — Ce qui m’épate le plus, c’est que contrairement à nous, tu passes très peu de temps sur le net. Tu pourrais te créer un fil à la patte du caméléon, ha ha ha ha !

             — Non, ces outils-là ne m’intéressent pas. J’ai pas mal de chats à fouetter. Même trop ! Never a Dulli moment !

             — Tu devrais au moins prendre l’avion de temps en temps et voyager. Appelle l’agence Nouvelles Frontières à Montparnasse et demande Erwin de ma part, il te fera des prix. Et comme ça, tu pourras passer au duty free et nous ramener une bonne bouteille de scotch irlandais !

             — Quand je voyage, figure-toi que je ne passe jamais au duty free. Je préfère le Dulli free.

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             Une fois de plus, il s’en sort bien, l’avenir du rock. Il préfère parler de Greg Dulli plutôt que des gadgets de la modernité. Greg Dulli est un artiste tellement génial qu’il échappe au radar du mainstream. C’est à ça, aujourd’hui, qu’on reconnaît les vrais artistes. Ils passent à travers les mailles du filet corporatiste et parviennent ainsi à préserver leur intégrité, comme le firent jadis résistants traqués par la Gestapo. 

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             Greg Dulli a remonté les Afghan Whigs et le nouvel album s’appelle How Do You Burn? Rien qu’à voir la pochette, on sait que c’est un magnifique album : voyons-le comme le Miami du Gun Club qui serait revu et corrigé par le plus tragiquement neurasthénique des visionnaires, Dulli de la terre.  Crack boom dès «I’ll Make You See God». Explosif ! Noyé de son, le pauvre Dulli chante la gueule dans l’eau, ahhhhhbllbllbblll, avec des accords électrocutés, schherrkkrkkrk, c’est d’une violence de la mort qui tue, ça coule dans le dos comme une eau glacée, ça pulse au froid qui extermine toute idée de chaud, ça te fatalise une falaise de marbre. Les Whigs compressent tout le power du rock américain dans un seul cut, un cut qui respire à peine, congestionné à l’extrême, c’est d’une violence qui force la courbe des tropiques, yeah yeah yeah, il n’existe plus rien après un tel ramdam, c’est un beffroi qui s’écroule sur toi, là, tu sais que tu as besoin de prendre du temps pour comprendre ce qui se passe, pour appréhender cette dégelée ultra-dullique, ça grimpe encore dans les degrés du fucking hell et ça brûle à l’intérieur, comme un alcool beaucoup trop fort. Puis Dulli nous fait du heavy Dulli de Getaway avec «The Getaway». Pire encore : l’«I’ll Make You See God» te sonne tellement les cloches que tu as du mal à prendre les cuts suivants au sérieux. Voilà qu’arrive dans tes oreilles «Catch A Colt», un cut inqualifiable, presque putassier. Mais c’est du Dulli, alors tu fermes ta gueule. Le problème est qu’on attend des miracles de cet homme et les miracles se raréfient. «Jyja» peine à jouir, Dulli plonge au plus profond du deepy deep, c’est assez heavy, mais toujours pas de hit dans la hutte. Il remonte à la surface pour «A Line Of Shots». Pas facile de faire des big albums, n’est-ce pas, Dulli ? Il finit par sonner comme U2 ce qui n’est pas un compliment. Il ramène encore tout le son qu’il peut dans «Domino & Jimmy», c’est une belle apocalypse, mais rien de plus. Il pourrait bien être profondément affecté par la disparition de son ami Lanegan. Il semble avoir perdu sa voie. Maintenant il est tout seul, il semble paumé. Ses cuts ne mènent nulle part. On assiste en direct à la Bérézina de Napoléon Dulli. Ça s’agite encore un peu avec «Take Me There». C’est tragique, car le power brille par son absence. Dulli finit par aller se crasher dans les flammes d’«In Flames», criblé par les notes d’un solo problématique, il rend l’âme dans des convulsions extravagantes et nous laisse en héritage un monstrueux shoot d’Atmopshérix vénéneux. 

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             Pour se remonter le moral, le mieux est de plonger dans la rubrique ‘Album by Album’ que propose Uncut, et qui est ce mois-ci consacrée à Greg Dulli, qualifié par la chapôteuse Sharon O’Connor de «torrid grunge Soul man». Dulli passe en revue tous ses classiques et donne de sacrés éclairages. Il dit s’inspirer du classic rock et du classic metal. Quand on lui dit qu’«I’ll Make You See God» qui ouvre le bal d’How You Burn sonne comme du Queens Of The Stone Age, il répond que l’«Highway Star» de Deep Purple était sa North Star. Il indique ensuite que «Line Of Shots» «is built on a mash of Buzzcocks and The Smiths.» Puis il révèle que Van Hunt chante «Jyia» et «Take Me There» - He’s kind of the secret weapon of the record - Il revient aussi sur Lanegan et les Gutter Twins. Il leur a fallu 5 ans pour enregistrer Saturnalia - I named the record, he named the band - Dulli dit qu’il est très fier de cet album - I know we were making something cool, and we did - Il célèbre aussi la trilogie Congregation/Gentlemen/Black Love. Il dit que «Blame Etc» «is really my attempt at writing a Norman Whitfield-style Temptations song. That’s where I was coming from with that, with the wah-wah and the strings. I remember trying to get inside the David Ruffin head, a little bit.» Il rend un fantastique hommage à David Ruffin, «he seemed like a guy who had it all and just destroyed it.» Il revient aussi sur les Twilight Singers et Blackberry Belle - It might be my favorite record - Dulli a raison : Blackberry Belle est une bombe.

    Signé : Cazengler, Salvatorve Duli

    Afghan Whigs. How Do You Burn? Royal Cream Records 2022

    Greg Dulli. Album by Album. Uncut # 305 - October 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Le vert Garland

     

             Au premier abord, Michel Garant semblait extrêmement sympathique. Il passait son temps à sourire et à bavacher. Rien ne pouvait le contenir. Son débit oral était celui d’un fleuve en crue. Il charriait de tout, surtout du rock et du moi-je. Il passait d’un sujet à l’autre sans crier gare et soudain, il trébuchait, tournait trois fois autour d’un mot pour repartir dans une direction opposée, ce qu’on fait tous lorsqu’on perd le fil face à un auditoire. Si par hasard tu lui coupais la parole, il sautait sur la première occasion de reprendre le leadership. Pas par souci de domination. Michel Garant était naturellement extraverti. Il ne se rendait même pas compte qu’il devenait pénible, et, à force de vouloir se faire passer pour un être charitable, bienveillant, intelligent, «de gauche», comme il disait, et soit disant ouvert sur le monde, il finissait par provoquer l’effet inverse. Il transgressait tellement son pseudo-angélisme qu’il générait chez certains de ses interlocuteurs un agacement tel qu’ils peinaient à le dissimuler. Le problème, c’est que Michel Garant était très con, mais il ne s’en rendait même pas compte. À ses yeux, «tout le monde il était beau et tout le monde il était gentil», à commencer par lui. Lui, rien que lui. Lui, encore lui. Si son nombril avait eu des dents et une langue, il aurait parlé du nombril. Il gravitait en orbite autour de lui-même, il ne captait le monde extérieur qu’à travers son prisme, ce qu’on fait tous, mais il l’assujettissait à son modèle mental pour le transformer en ce discours insupportable qu’il déroulait à l’infini et qui donnait la nausée à tous, sauf à lui. On le plaignait secrètement, mais bien sûr, il n’était pas question de lui causer la moindre peine. Son ultra-suffisance, cette adoration immodérée de lui-même cachait de toute évidence une fragilité extrême. Le prier de fermer sa gueule l’aurait sans doute anéanti. Comment peut-on vouloir du mal au roi des cons ?

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             Michel Garant et Garland Green, n’ont rien de commun, si ce n’est une vague forme de consonance. Garant vit dans son monde, et Garland dans le sien. D’un côté le blanc et de l’autre le noir. D’un côté le néant absolu, et de l’autre l’avenir du monde, c’est-à-dire la Soul. Garland Green est un Soul Brother de Chicago. On le croise sur ses albums, mais aussi dans toutes les bonnes compiles de Soul.

             Éminent spécialiste de la Chicago Soul, Robert Pruter transforme la vie de Garland Green en conte de fées. Le roi du barbecue Argia B. Collins trouva la voix du jeune Garland intéressante, alors il l’envoya au Conservatoire de Chicago étudier le piano et le chant, puis il transforma son prénom Garfield en Garland. Dans la foulée, un certain Mel Collins tomba sous le charme de Garland. La femme de Collins n’était autre que l’ex-Ikette Joshie Jo Armstead, devenue une compositrice de talent. Elle allait co-signer «Jealous Kind Of Fella».

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              Quand tu vois Garland Green sur la pochette de Jealous Kind Of Fella, tu as l’impression de voir un gentil géant. Il est accueilli dans son morceau titre par des chœurs de Sisters. Ce gentil géant est un crack. Il crack-boom-hue la Soul avec le power du vert Garland. Son «Jealous Kind Of Fella» est le froti le plus gluant de l’histoire des frotas. Ce hit date de 1969. Avec «Mr Misery», il passe aussi sec au coup de génie. Il éclate son cut dans l’écho du temps et on comprend qu’il soit devenu culte. Pur genius - Won’t you leave me alone - Stupéfiante qualité. On reste dans le très haut niveau avec «All She Did (Was Wave Goodbye To Me)». Ce mec est bon, il règne sur son empire. Ce magnifique artiste fait de la Soul des jours heureux avec «Ain’t That Good Enough», puis il épouse les courbes du groove avec «You Played On A Player», mais il le fait avec la poigne d’un black aux mâchoires d’acier. Il enchaîne avec une fabuleuse pop-Soul d’anticipation, «Angel Baby». Il profile son hit sous l’horizon. Il sait driver un suspense. Il grimpe à l’Ararat avec ses nerfs d’acier. Des mecs comme lui, tu n’en verras pas beaucoup. Encore de la fabuleuse Soul d’Uni Records avec «He Didn’t Know (He Kept On Talking)», c’est travaillé au doux du doux, ambiance magique à la Fred Neil avec des nappes de cuivres. Et cette belle aventure s’achève avec un «Let The Good Times Roll» amené au groove élastique. Baby !, tu le reçois en plein, le vert Garland y va, sa voix fait le poids et c’est vaillamment coiffé aux nappes de cuivres.

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             On retrouve notre gentil géant sur la pochette de Love Is What We Came Here For. Au dos, tu le vois faire du jogging sur la plage. Le vert Garland est un géant éminemment sympathique. Son «Let’s Celebrate» est un coup de génie diskö. Il est le roi du dancefloor. Mais cet album est essentiellement un album de groove, comme le montre «Shake Your Shaker», il te shake ça avec une classe inébranlable. Il est dans le lose control, dans l’all over, il tape ça au mieux des possibilités. Le vert Garland est un diable Vauvert, on est content d’avoir fait sa connaissance. Il groove de plus belle avec «Let Me Be Your Preacher». On aime bien l’idée que ce black soit heureux et qu’il puisse courir sur la plage pour entretenir sa santé. Allez Garland, au boulot ! Il revient avec «I’ve Quit Running The Streets», pas de problème, Garland does it right - I’m going ho-ho ! - Il fait aussi des balladifs fantastiques, comme le morceau titre. Il a de l’appétit pour l’horizon. Il groove encore le r’n’b d’une voix grave dans «I Found Myself When I Lost You», c’est excellent, coloré, juteux, fruité, groovy. Garland vise toujours le côté coloré du son. Il manie l’insistance avec dextérité. Tu as deux bonus à la suite, dont un «Shale Your Shaker» plus diskö et plus sexe. Big bassmatic to the diskö sound !  - The way you shake around - Il y a en Garland Green une pâte d’amande, une Green touch, il groove au shake it on up, ça veut dire ce que ça veut dire. Et puis avec «Don’t Let Love Walk Out On Us», il fait son Barry White. Il t’enrobe les trompes d’Eustache vite fait. Il te ramollit les fourches caudines. Le vert Garland est un prince de la Soul. 

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             En 1983, alors qu’il est installé en Californie, il enregistre un album sans titre, Garland Green. Le plus stupéfiant est qu’il n’y aucun liner dans la boîte : le 4 pages n’est même pas imprimé, à part la une. Mais on sait que c’est produit par Lamont Dozier. Alors, on se console avec «Nobody Ever Came Close», une heavy Soul de dude en forme de Beautiful Song. Il attaque sur le ton de la confession, c’est excellent, une vraie chape. C’est un slow groove de rêve éveillé. Il te l’emballe vite fait. Il attaque d’ailleurs avec un hit de Lamont, «Tryin’ To Hold On». Il est sincère - I’m just tryin’ to hold on/ To my woman/ To my life - Ça va, Garland, on te croit. Mais il insiste. Alors on l’écoute. Lamont fait les backing vocals. Il fait aussi les arrangements de «You Make Me Feel (So Good)». Il chante son «System» la main sur le cœur et son «Love’s Calling» d’une voix solide. C’est un Soul Brother effarant d’assise. Garland est du genre à ne jamais lâcher la rampe. Il faut le signaler, car ça ne court pas les rues. «Love’s Calling» reste de la big Soul de calling you/Calling me. Il boucle l’album avec «These Arms», une heavy dance Soul de Lamont Dozier. C’est forcément énorme. On est une fois de plus effaré par l’incroyable power du vert Garland. Il est superbe et invincible. Black power all over. Grâce à Lamont, ça bascule dans la magie noire. 

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             En matière de compiles, la reine de Nubie s’appelle The Very Best Of Garlan Green. Comme c’est sur Kent Soul, Ady Croasdell partage le booklet avec Robert Pruter, spécialiste de la Chicago Soul et auteur d’une somme du même nom. Est-il bien utile d’ajouter que cette compile grouille de puces ? Tu te grattes dès le «Jealous Kind Of Fella» évoqué plus haut. Heavy groove de Chicago. La Soul de tes rêves, Garland te berce dans ses bras. C’est à la fois épais et imparable. On retrouve aussi «These Arms», ce vieux shoot de Green diskö, et l’excellent «Don’t Think That I’m A Violent Guy» tapé au toc toc toc de wild beurre. Oh la présence de l’immanence ! Retrouvailles encore avec «I’ve Quit Running The Streets» qu’il chante à l’accent gras. Il ne traîne plus en ville, ça rassure sa poule. Il met encore une pression artistique terrible avec «Angel Baby», sa classe flirte en permanence avec le génie. Tu vas aussi retrouver son vieux «Let The Good Times Roll» qui ne doit rien à celui de Shirley & Lee. Il navigue toujours entre la joie de vivre et les nerfs d’acier. Retrouvailles encore avec «He Didn’t Know (He Kept On Talkin’)», il te groove la Soul dans l’âme, il est aussi océanique du Fred Neil. Il tartine sa Soul comme du miel. On retrouve encore «You Played On A Player», heavy groove teinté de gospel, «Ask Me What You Want», sans doute l’un des meilleurs shoots de Soul d’Amérique, il peut aussi ruer dans les brancards comme le montre le wild «It Rained Forty Days & Nights», et avec «Sending My Best Wishes», tu touches au cœur du mythe Garland. Il fait son Barry White dans «Don’t Let Love Walk Out On Us», et de la heavy Soul de Deep South avec «Nothing Can Take You From Me», cette Soul qui colle dans le pantalon. 

    Signé : Cazengler, Garland Gris

    Garland Green. Jealous Kind Of Fella. Uni Records 1969

    Garland Green. Love Is What We Came Here For. RCA 1977

    Garland Green. Garland Green. Ocean Front Records 1983

    Garland Green. The Very Best Of Garlan Green. Kent Soul 2008

     

    *

    _ C’est quoi encore ce bordel ?

    _ Monsieur le Préfet, votre flair nous étonnera toujours, vous avez raison, c’est un regroupement séditieux d’individus mal intentionnés que nous suivons étroitement depuis plusieurs mois. Nous les suspectons de faire tourner la tête à toute une innocente partie de notre belle et saine jeunesse hélas trop naïve…

    _ Ne perdons pas notre temps, que proposez-vous pour nous en défaire ?

    _ Nous pourrions sous n’importe quel prétexte futile les enfermer en prison…

    _ Vous plaisantez, les nourrir grassement à ne rien faire et à regarder la télé aux frais du contribuables, faites comme pour Socrate !

    _ Excusez-moi Monsieur le Préfet, je ne connais pas cet individu, quel châtiment lui avions-nous infligé ?

    _ Le seul qui vaille la peine, la peine de mort !

    _ Ce n’est que justice Monsieur le Préfet, je n’ose même pas imaginer les méfaits qu’ils avaient commis.

    _ Le même que vos trois futurs condamnés, quod corrumpet juventum !

    _ Excusez-moi Monsieur le préfet, je n’ai pas compris, mais ce doit être terrible !

    _ Plus que vous ne le croyez mon brave sous-fifre ! Exécution immédiate !

    BASTA

    C’ KOI Z’ BORDEL

    Ne vous trompez pas d’objets sonore, Basta tiens n’y a-t-il pas un disque de Léo Ferré qui porte le même titre ? Pas tout à fait, un album de 1973 qui se nomme Et… Basta ! Ah bon ! Pourtant Ni Dieu ni maître, c’est de Ferré je pourrais même le chanter, ‘’il n’y en a pas un sur cent et pourtant ils existent’’, exactement même si Ferré chantait mieux que vous, sa version la plus aboutie est celle de l’enregistrement public à la Mutualité en 1970. Question Chimpanzé Léo n’entretenait-il pas une relation amoureuse avec une guenon… Ce sont donc des reprises de Ferré ? Non, des créations originales ! Alors pourquoi toutes ces connotations ?

    Peut-être pour nous faire réfléchir que depuis les révoltes de mai 68, rien n’a vraiment été bouleversé mais que tout a changé. Expliquez-moi, je ne comprends pas. L’après 68 fut le temps de l’illusion lyrique, la Révolution semblait toute proche, l’on en parlait avec emphase, l’on prenait modèle sur les chuchotements insidieux de Verlaine et la barbare violence de Rimbaud, un demi-siècle plus tard le constat est amer : le grand soir n’a jamais eu lieu… Donc c’est un disque passéiste empli de nostalgie ! Pas du tout, C’ Koi’ Z’ Bordel ne regarde pas en arrière, vous plonge le nez dans le caca du présent qui nous dit que le pire est à venir si l’on ne se bouge pas le cul.

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    Une pochette noire comme la misère mentale qui nous accable. Trois têtes, trois bustes estompés par la noirceur du monde. Ce ne sont pas les individus qu’il faut admirer, c’est le message qui prime.

    Cyril : guitariste, chanteur / Olivier : batteur / Stéphane : bassiste.

    Ni dieu ni maître : une batterie qui ricoche comme des balles sur le bitume, tout de suite c’est l’emballement, une guitare qui part en vrille, une batterie fracassante et un vocal qui vous saute à la gorge, des lyrics qui n’ont pas peur de s’encombrer de gros étrons, religions, capitalisme, théocratie, despotisme, gerber, cracher… Méfiez-vous, les étoiles ninja que lance la guitare de Cyril sont tranchantes…  Ne courez pas aux abris, criez plutôt Kick out the Jam, comme le chantait un groupe de Destroy City. Sous-race de Chimpanzés : un peu de classification zoologique n’a jamais fait de mal à personne, c’est un peu dur pour nous les hominiens, soyons justes, nous nous ne sommes pas une espèce très écologique, comment Olivier peut-il tenir ce beat incandescent tout en produisant ces flots de roulements tourbillonnants battériaux incessants, l’on dirait qu’il répand du round up à profusion sur des champs pollués. Basta : Vous avez eu le constat édifiant dressé en moins de six minutes, c’est très bien, en fait c’est très mal, maintenant faut conclure. Que faire se demandait Lénine. Nos bordellistes lui répondent : c’est assez. Cyril vous envoie à plein gosier des rafales de bastos de ‘’basta’’ la meilleure des mécadicamentations pour combattre l’épidémie des lâchetés individuelles. Assez : au cas où vous n’auriez pas compris, vous ont traduit Basta en français, en plus rapide, en plus violent, un vocal dégueulis, une basse tarabustante, une guitare vitriolée, une batterie gourdinée, 78 secondes dont vous ne vous relèverez pas. Dix de plus que 68, faut augmenter la dose !

             C’ Koi Z’ Bordel hisse l’étamine noire. Un cri de rage et de haine, pour réveiller les morts-vivants qui passent leur temps à se plaindre. Un chef-d’œuvre nécessaire.

    Damie Chad.

     

    *

    Du nouveau pour Burning Sister, la presse underground américaine, The Obelisk, Doomed Nation, The Sleeping Shaman, commence à s’intéresser à eux, nous avons été probablement les premiers à parler d’eux, voir KR’TNT 560 du 20 / 06 / 2022 et KR’TNT du 24 / 11 / 2022… Dave Brownfield a laissé sa place à Nathan Rorabaugh d’Alamo Black autre groupe de Denver ( Colorado )… Ils viennent de sortir un nouvel EP.

    GET YOUR HEAD RIGHT

    BURNING SISTER

    (Sleeping Sentinel Records / Octobre 2023 )

    Steve Miller : bass, synth, vocals / Nathan Rorabaugh : guitar / Alison Salutz : drums

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    Une ligne de chemin de fer enfoncée dans une tranchée forestière, elle ne court pas vers un horizon infini mais s’engouffre dans un tunnel d’où pour ceux qui prennent tout au pied de la lettre le conseil de tenir sa tête droite, et pour ceux qui décryptent la portée symbolique des paroles un mot d’ordre à rester droit et debout devant les difficultés…

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    Fade out : ( paru en août 2023 sous forme d’une Official Video )  : tout ce qu’il y a de plus classique : le groupe en train de jouer, de temps en temps l’image défile comme en surimpression en couleur rouge, bleu, vert, sans doute  pour éviter la monotonie d’une vidéo peut-être pour que l’auditeur  comprenne que Burning Sister flirte avec le psychédélisme, le plus intuitif serait à mettre le flou de ces images avec l’intitulé des titres du morceau et de l’album, chacun tranchera dialectiquement la contradiction exposée à sa guise, parfois la meilleure stratégie ne serait-elle pas, au lieu d’affronter un système qui finira par vous broyer, de se fondre dans le monstre, de devenir un monstre invisible, bientôt n’apparaît-il pas en sur-sur-impression évanescente un individu, un enfant de la taille d’un adulte, qui s’amuse à courir, à bondir, à faire de la balançoire, déguisé en Captain America, jusqu’au moment où à la fin du morceau l’image d’une clarté absolue nous découvre que ce n’est autre que Steve Miller, le bassiste. Dès le début l’on entend gronder la basse de Steve, mais ce n’est rien comparé à sa voix qui vous ligote et vous retient prisonnier dans ses cordes vocales, c’est un régal de voir le groupe se saisir du riff initial plus noir que noir pour le mener au bout des cinquante nuances de gris du rock’n’roll. Une superbe démonstration que les combos débutants auraient intérêt à étudier. Barbiturate Lizard : coups de basse comme autant de coups de butoir, bientôt amplifiés par une guitare qui pousse à la roue, un fond de synthé perforant et Sister Alison qui vous martèle un tempo implacable tandis que la voix de Steve qui semble résonner sous la voûte d’un souterrain enfoui au creux de la terre vous envoûte pour l’éternité, ensuite comme à tous ses morceaux le groupe vous ensorcèle, bien sûr il riffe comme des milliers de combos de par le monde à cette différence près que quand ils ont bien le riff en main il commence à ronronner comme un chat puis à rugir comme un lion et enfin à se débattre comme un dinosaure qui endormi depuis des millions d’années se réveillerait, juste, ce n’est pas de chance, sous votre maison qui s’écroule sur vous comme un château de cartes en plomb fondu. Get your head right : trois petits coups de baguettes ( magiques) et un monstre riffique déboule sur vous, ça tonne comme l’orage, ça arrache les toitures, ça écroule les gratte-ciel, je me demande qui pourra garder la tête haute sous une telle tempête, z’avez envie de rentrer tel un escargot dans une coquille de béton armé, mais la batterie tape sur votre abri anti-atomique et déjà se forment des lézardes pas du tout sous barbituriques, il y a une guitare qui ricane sinistrement, un vocal qui vous maudit jusqu’à la soixante dix-septième génération, mes chiens qui quittent leur panier ( j’écoute au casque ) heureusement c’est fini, ouf, non ça recommence en plus lent mais en plus lourd, vous en veulent à mort, vous ignorez pourquoi, mais eux ils le savent là, maintenant vous touchez du doigt, qu’ils sont en guerre contre votre lâcheté congénitale. Tant pis pour nous ! Looking through me : au cas où vous n’auriez pas compris le morceau précédent, vous refont le coup des trois petites baguettes maléfiques, ensuite ils vous prennent un riff et vous le malaxent comme quand vous jouez avec un chewing gum sonore, c’est alors que vous vous apercevez que vous avez beau le mastiquer de toutes vos forces, ils s’amusent de vous, ils vous brisent les plombages et vous scellent le dentier si fort qu’ils vous empêchent d’ouvrir la bouche et de respirer, en plus ils vous calfeutrent les fosses nasales, dix mille orchestres déchaînés se mettent à vous jouer le Te deum du Requiem de Mozart, une masse phonique en fusion vous engloutit à jamais pour l’éternité ( plus un jour, on ne sait jamais ). Le pire c’est que vous ne vous plaignez pas, c’est grandiose.

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     When tomorrow hits : une reprise de Mudhoney, manière d’affirmer haut et fort son pédigré, le morceau est sorti en avant-première assorti d’une magnifique pochette ouverte à tous les rêves, à tous les cauchemars : L’est sûr que lorsque le destin frappe il est trop tard, une basse qui sonne comme une cloche funèbre, une batterie qui enfonce les clous du cercueil une voix d’outre-tombe ( sortie tout droit des grandes orgues de la sombre magnificence de la prose des  Mémoires de Chateaubriand ), une guitare qui n’en finit pas de pleurer à chaudes larmes, à moins qu’elle ne ricane tout haut, si vous pensez qu’ils en font trop qu’ils vont mettre la pédale douce, vous n’avez rien compris au film, c’est dommage parce qu’il est déjà fini. Perso je pense qu’ils écrasent la version de Mudhoney avec beaucoup plus de boue que de miel.

             EP étourdissant. Sister Burning brûle les étapes. Il se murmure qu’ils préparent un album. Pauvre de nous tant de temps à attendre !

    Damie Chad.      

     

    *

    Des groupes qui se prénomment Red Cloud il en existe aux quatre coins du monde toute une tribu, mais celui-ci est français, z’ont leur camp sur Paris, j’avoue que tout ce qui évoque de près ou de loin la lutte désespérée menée par les grands chefs sioux pour préserver leur liberté me fascine.

    BAD REPUTATION

    RED CLOUD

    (Single : Février 2023 / BC / YT)

    Roxane Sigre : vocals / Rémi Bottriaux : guitar / Maxime Mestre : bass / Laura Luis : organ / Mano Comet : drums.

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    Roxane toute seule sur la couve rouge, une bouche grande ouverte à avaler le monde, de rondes lunettes à la Janis Joplin, elle le mérite, un trottinement de souris sur le tambour, deux éclats de guitare, dès que vous entendez le feulement de sa voix vous oubliez tout ce qui précède, une espèce de glapissement modulé de chacal ou de chien de prairie, pas besoin de sortir de polytechnique pour décréter qu’il y a une véritable chanteuse dans le groupe. Ses congénères le savent, lui clouent aussitôt le bec pour que vous vous rendiez compte qu’ils lui préparent un tapis rouge de flammes, des pyromanes qui vous dressent une barrière de feu infranchissable, elle s’en fout, elle en joue, elle maîtrise la situation, la voix pointue comme une flèche qui se fiche dans votre cœur et c’est parti pour la longue traversée, Laura vous englobe la scène d’une cavalcade de poneys affolés, Rémi érige un vol de frelons, Maxime rampe comme un serpent et Mano porte un coup à tous les ennemis qu’il écrase, Roxane medecine-squaw vous guérira de tous vos maux de son vocal tranchant comme un couteau de scalp.

    Vous avez aimé Bad Reputation : voici une vidéo promotionnelle d’Arno Vincendo, vous les voyez jouer en playback, c’est bien fait, cela permet de les admirer, soulagement Roxane ne singe pas Janis, elle se contente d’être elle-même et c’est bien. Enfants gâtés vous aimeriez voir Bad Reputation : Live à L’International : vous ne savez pas tout ce Kr’tnt ! peut faire pour vous : les voilà dans un halo de nuage rouge, le son est davantage terre à terre, moins incisif que sur disque, mais l’ensemble tient bien la route et l’on entend le public apprécier. Comme un bonheur ne vient jamais seule vous avez encore Velvet Trap et Swallow deux titres issus du même concert et n’en jetez plus  dix autres vidéos sur la chaine de Matt Diskeyes, la plupart des titres parus sur leur album éponyme paru en mars 2023 que nous chroniquerons prochainement.

             ( Sur la même chaîne vous avez le concert de Bordeaux de Gyasi auquel le Cat Zengler a consacré ( voir livraison 608 du 31 / 08 / 2023 ) une magnifique chro sur son concert au Binic Folk Blues festival 2023 + dernier album.)

    Damie Chad.

     

    *

    Laissons la parole à plus doué que nous :

    ‘’ Car parmi les nombreuses institutions excellentes et même divines que votre Athènes a créées contribuant ainsi à la vie humaine, aucune, à mon avis, n’est meilleure que ces mystères. Car grâce à eux, nous avons été sortis de notre mode de vie barbare et sauvage, et éduqués et raffinés jusqu’à un état de civilisation ; ainsi comme ces rites sont appelés ‘’ initiations’’, ainsi en vérité nous avons appris d’eux les commencements de la vie et avons acquis le pouvoir non seulement de vivre heureux, mais aussi de mourir avec une meilleure assurance.’’

    Cicéron.  Les Lois II, XIV, 36.

             L’on ne se rend pas compte de l’apport de Cicéron quant à l’élaboration de la pensée occidentale, c’est lui qui a choisi et défini les mots latins afin de traduire l’ensemble des concepts philosophiques initiés par les Grecs. Vocables grecs et latins enracinés dans les langues européennes forment les deux branches séminales et constitutives de l’ADN de toute démarche de pensée. Ce n’est sûrement pas un hasard si Telesterion a posé ce passage en épigraphe à son nouvel opus.

    EPOPTEIA

    TELESTERION

    (Snow  Wolf Records / CD - K7 / Octobre 2023)

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    Rites performés par les prêtres de Demeter : Celeus / Dioclese / Eumolpos / Triptolemus / Plolysceinus.

    J’entends déjà certains lecteurs : écoute Damie, tu nous les brises, tes rituels d’Eleusis, la petite graine d’où sort la plante, sur laquelle se développe une fleur qui engendre un fruit porteur d’une ou plusieurs nouvelles graines, n’y a pas de quoi en faire un fromage, l’on apprend ça en CM1, alors lâche-nous la grappe.

    Z’oui, mais. C’est le moment de relire attentivement l’extrait de Cicéron. La graine qui meurt mais qui se faisant engendre une nouvelle plante, pour résumer : la mort qui donne naissance à la vie, évidemment c’est un peu simpliste encore faudrait-il se demander ce que ce cycle végétatif signifie et signifiait au regard des Grecs.

    Cicéron ne parle pas de graine mais de civilisation, non pas en tant que déploiement culturel mais en tant que nouveau stade d’une maturation de l’humanité animale de l’Homme. Il faut bien comprendre qu’un mythe ou un rite n’est pas une belle histoire qui a su séduire les imaginations de dizaines de générations, qu’il suffit de répéter pour être satisfait de soi-même. Celui qui regarde une table en décrétant tout content de lui ‘’ ceci est une table’’ occulte par cette constatation péremptoire tout ce qui a précédé : par exemple : ne serait-ce que le mode de production, de distribution, d’usage de cette table… N’envisageons même pas les opérations intellectuelles nécessaires à la construction de cette table, Platon a déjà analysé ce processus intellectuel dans son dialogue Le Sophiste.

             Tout ce préambule pour affirmer qu’avec Epopteia, Telesterion a choisi de se rapprocher de la réalité de ce furent les mystères d’Eleusis. Un drôle de challenge puisque la documentation sur ses fameux mystères ne couvre pas tous les aspects de ce phénomène cultuel. Rappelons qu’il était interdit sous peine de condamnation à mort de dévoiler La partie secrète des rites éleusiniens. Nous ne possédons que des renseignements dus à des recoupements conjecturaux de textes divers qui ne se corroborent pas nécessairement… Un puzzle aux nombreuses pièces manquantes dont les éléments qui nous restent ont bien du mal à jointer entre eux. A titre d’exemple commençons par le commencement : la couve du CD.

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             Reproduction de La Danse des Bacchantes tableau du peintre Charles Gleyre. Né en 1806, mort en 1873. Le format carré du CD ne rend pas justice à cette toile, pour la voir en son entier il est préférable de regarder la vue intégrale qu’en offre l’illustration de la K7. Natif de Suisse Charles Gleyre recevra dans son atelier parisien de nombreux jeunes peintres qui rompant avec lui formeront la première phalange des impressionnistes, notamment Sisley et Monet. Autant dire qu’on le classe facilement parmi les Pompiers. Le musée d’Orsay lui a consacré une exposition en 2016. Il est une autre façon de le considérer en le définissant comme un précurseur des Symbolistes.

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             A l’intérieur du CD ce tableau de Charles Gleyre côtoie Le Retour de Perséphone de Frédéric Leighton. Né en 1830, mort en 1896. Bien oublié aujourd’hui si on compare le succès et la reconnaissance officielle de l’Etat Britannique dont il jouit de son vivant. Peintre académique qui par certains aspects n’est pas sans lien avec le préraphaélisme.

              Une question se pose : pourquoi Le Retour de Perséphone de Frédéric Leighton dont le sujet est en lien direct avec les mystères d’Eleusis consacrés à Demeter la mère de Perséphone est-il posé à côté de La guerre des Bacchantes que l’on relie généralement à Dionysos. Apportons une réponse qui demandera à être explicitée. Selon la – il vaudrait mieux employer l’adjectif indéfini ‘’une’’ - tradition, c’est Orphée - qui mourut démembré par les bacchantes du cortège de Dionysos - qui aurait institué les mystères d’Eleusis.

    La sortie des neuf titres d’Epopteia a bénéficié d’un mode de lancement   quelque peu bizarre, un titre par jour du 30 septembre au 8 Octobre. Rien à voir avec un coup publicitaire, aucune envie de faire le buzz sur les réseaux sociaux, simplement faire coïncider la parution des neuf titres avec la date anniversaire de leur déroulement lors de l’Antiquité. Le disque est donc une sorte de reprise du rituel antique. Certains l’entendront comme une fable musicale, d’autres reconnaîtront dans les quelques mots anglais   par lesquels Telesterion se définit en anglais sur son bandcamp à savoir : ‘’I begin to sing of Demeter’’ – le début de l’Hymne à Demeter dont voici la traduction du texte original grec par Leconte de Lisle : ‘’ Je commence à chanter Demeter…’’.

    Entonner l’Hymne à Demeter peut-il être efficient ? Cette question est des plus épineuses, elle soulève la problématique fondamentale en laquelle réside l’attribution que l’on donne ou que l’on s’interdit de prêter à l’essence de la poésie. Serait-elle orphique et par cela aurait-elle une action sur la nature du monde. Si non, en quoi réside le distinguo opéré entre prose et poésie. La question peut paraître oiseuse, mais elle permet de percer le sens du concept de surhomme nietzschéen, en tant qu’homme capable d’œuvrer à l’Eternel Retour des choses. Une manière de s’approprier le rôle des Dieux. La fascinante compréhension des mystères d’Eleusis touche à cette ontologie fondamentale du rapport de l’être avec l’energeia originelle si tant est qu’elle soit originelle.

             Cet Hymne à Demeter raconte comment Demeter désespérée d’avoir perdu sa fille, parvient à Eleusis, elle est reçue dans la maison du roi Keleos, pour le remercier de son accueil et de son hospitalité elle fonde le temple d’Eleusis, dans lequel elle et sa fille  Perséphone seront célébrées.

             Nous allons écouter Epoteia en essayant d’analyser l’interprétation qu’en propose Telesterion. Il n’existe, même pas de nos jours, de doxa fixe. Le déroulé sera interprété au cours des siècles différemment par les anciens grecs eux-mêmes.  Plusieurs niveaux d’interprétations coexistent : niveau strictement historial, rituellique, religieux, mythologique, mythique, politique, poétique, philosophique, métaphysique. Souvent, selon l’élément déterminé expliqué l’on passe d’un niveau à un autre sans crier gare. De plus   plusieurs grades d’initiation sont proposés, même si celle-ci est ouverte à tous : hommes, femmes, esclaves. L’epoteia est le plus élevé, réservé à ceux qui possèdent de par leur savoir ou leurs fonctions politiques des connaissances culturelles étendues et qui sont capables d’atteindre à une abstraction intellectuelle élevée.

    Gathering : ( jour 1 ) : un peu comme l’ouverture d’un opéra, l’on pense à Lohengrin, chœurs célestes et tambourinades appuyées, des milliers de pieds foulent le sol, Demeter la terre et Zeus la divinité en tant que principe de connaissance. Cette intro est magnifique, somptueuse et grandiose malgré sa brièveté. Le premier jour des mystères est une procession publique. Elle part d’Eleusis et se rend à Athènes. Les mystagogues, ceux qui enseignent les mystes, candidats à l’initiation, portent précieusement des sacs ans lesquels sont cachés les objets sacrés qui seront utilisés lors des futurs rituels. To the sea : normalement les mystes passent le deuxième jour à l’abri invités par certains athéniens dans des demeures particulières, ils ne doivent pas sortir et prendre du repos car l’initiation exige une grande dépense d’énergie physique et psychique. Cette marche vers la mer est censée se passer le troisième jour, il semble que Telesterion tout en respectant le déroulement des initiations privilégie davantage certaines phases que le calendrier stricto sensu. Mais tout cela se discute, tout dépend des chercheurs dont on suit les résultats et les propositions. Un départ plein d’allant, une course précipitée pleine d’enthousiasme, pas une procession emplie de ferveur, les chœurs chantent et accompagnent le tempo rapide de la batterie, dès qu’il nous semble percevoir un léger essoufflement, un semblant de ralentissement, le déluge sonore reprend de l’ampleur, trois coups de batterie théâtrale, de grandes vagues sonores nous assaillent nous baignons dans une allégresse purificatrice. Les mystes vont se purifier dans la mer, pourquoi la mer et pas dans une eau non salée, à proprement parler ce n’est pas une lustration dans la mer mais dans la mer posidonienne. Dans son passé tumultueux Demeter a eu une liaison avec Poseidon. Demeter, Zeus, Poseidon, la terre, le feu, l’eau, cette union élémentale n’est point hasardeuse, nous y reviendrons. Hither the victims : musique lourde et pesante, les chœurs ne s’envolent pas vers les aigus, ils semblent épouser le lent rythme percussif, les guitares laissent échapper leur riff telle une flaque de sang qui s’étendrait lentement à même le sol. Après la purification par l’eau le sacrifice par le sang. La bête immolée par le myste est un pacte de reconnaissance de l’ordre divin et sacré. Les morts aiment à boire le sang des sacrifices, n’oublions pas que les mystères d’Eleusis touchent à la mort. L’animal propitiatoire est le cochon. On en trouve peu de représentations dans les diverses images qui nous sont parvenues de l’antiquité grecque. Songeons toutefois que de retour à Ithaque Ulysse est accueilli par Eumée le porcher, un des seuls qui lui soit resté fidèle. Demeter est une vieille déesse, ses toutes premières représentations la montrent sous forme d’un porc. Le lien entre Demeter déesse du blé et le cochon est évident : la nourriture. Festival : un moment essentiel, la batterie talonne le sol, les chœurs respirent une joyeuse espérance, c’est une procession imposante, une certaine solennité accompagne ce défilé : les mystes précédés par les mystagogues sous la direction de l’hiérophante qui dirigera l’accomplissement des rituels. Ils ne sont pas seuls, les prêtres et les prêtresses de nombreux temples athéniens, les autorités politiques de la cité, les cinq cents membres de la Boulé, et le peuple qui suit… lors du passage du pont qui relie la cité d’Athènes à Eleusis les mystes sont l’objet de moqueries et de brocarts divers. C’est le retour à Eleusis des objets sacrés qui ont été au premier jour des mystères emmenés à Athènes. Pilgrimage : bruits, confusion sonore, la batterie essaie de trouver sa place, nous sommes entrés dans le Telesterion, la grande salle aux quarante – deux colonnes dans laquelle évolue lentement la procession, seuls mystes et mystagogues sont entrés, les chants s’élèvent, est-ce l’Hymne à Demeter, la tonalité baisse d’un ton, sans doute a-t-on éteint les torches, l’hiérophante est devant, dans le noir la foule le suit, l’on passe brutalement de la nuit au jour, longs tâtonnements labyrinthiques, les statues des Dieux s’illuminent d’un coup, premier enseignement symbolique, la nuit de la mort épargne les Dieux, si vous ne voulez pas mourir rejoignez les Dieux. Reverly : musicalement ce morceau est dans la continuité du précédent mais le son s’alourdit, l’on arrive au moment crucial de la révélation, une prêtresse dévoile l’objet sacré par excellence, l’épi de blé, sans doute est-il en or, et d’une taille démesurée, mais l’on n’en reste pas là, l’épi est de nouveau voilé, sans doute les torches sont-elles masquées quelques secondes, lorsqu’elles réétincellent l’épi est  une nouvelle fois encore dévoilé, mais ce n’est pas l’épi qui apparaît mais un phallus qui se dresse. L’hiérophante et la prêtresse, sont-ils retirés dans une entrée de souterrain, miment ou exécutent le mariage hiérogamique de la déesse Demeter avec Poseidon et peut-être même avec Zeus dont elle a été l’amante… Il se peut qu’au tout début des mystères l’hiérophante ait été castré ou rendu impuissant par une dose de cigüe, comment un mortel aurait-il la prétention de pénétrer ne serait-ce qu’un substitut de déesse représentée par une prêtresse…  Nous sommes loin de l’histoire de la petite graine, l’enseignement ne se contente pas de ce qui est divulgué dans les Petits Mystères. Ici l’on aborde un sujet bien plus délicat, celui de l’union de l’être humain avec le divin. Certains lecteurs seront déçus, quoi les mystères, une simple partie de jambes en l’air au fond de la terre. L’origine des mystères d’Eleusis remontent à mille cinq cents ans avant notre heure. Sans doute l’histoire de la petite graine… fait-elle allusion au lointain moment de la préhistoire néolithique ou les tribus de chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisées en agriculteurs-éleveurs à partir desquels ont été édifiées les premières cités. Cicéron ne dit pas autre chose…The descent : une guitare égrène des notes comme si elle frappait sur un gong, cette nudité sonore correspond à la déception ressentie par le myste durant l’initiation, tout a été dit, tout a été montré, et tout compte fait l’initié est-il vraiment différent, ne va-t-il pas mourir comme tous les hommes lorsque son tour viendra, n’a-t-il pas participé à un jeu de dupe, les chœurs consolateurs s’élèvent, oui tu mourras comme tous les autres, mais puisque tu as reçu l’initiation, tu es certain que lorsque tu mourras tu ne seras pas forcé de revenir sur terre pour essayer de trouver la lumière qui t’a été donnée par l’initiation. Le lecteur tant soit peu fûté estimera que le chrétien qui a reçu le baptême et l’absolution est censé monté directement au paradis. Ce n’est pas un hasard si les pères de l’Eglise ont abondamment commenté les mystères d’Eleusis. Il suffit d’y croire. Or les Grecs ne croyaient en rien. Ils préféraient penser. The search : la musique s’alourdit encore, mais commence à s’élever une crête lumineuse de notes plus claires tandis que les chœurs deviennent célébration, la batterie conquérante va de l’avant. Dans le commentaire du morceau précédent, le lecteur aura remarqué que l’on est passé de la simple description explicative des mystères à une allusion à la pensée de Platon quant à la survie de l’âme immortelle obligée de se réincarner dans un autre corps en espérant que cette nouvelle enveloppe charnelle lui permettra de vivre une vie de haute sagesse, non engluée en les passions humaines, trop humaines c’est-à-dire mortelles, et que cette âme pourra alors entrer en contact avec le monde divin… Le myste ne peut entrevoir cela qu’en comptant sur lui-même. L’initiation est une ouverture, un dévoilement, qu’il s’agit de concrétiser par soi-même en soi-même. The ascent : le titre précédent évoque cette ascension de l’âme tels que l’ont décrite dans la suite de Platon les derniers philosophes païens, Julien, Plotin, Proclus. Il ne s’agit pas d’atteindre le divin en se projetant hors de soi mais en réalisant la graine de volonté de divin qui est en nous. Qui a toutes les chances de se désagréger si nous ne réalisons pas cet accès au divin. Les gnostiques l’ont tenté, Nietzsche à la suite de Goethe parlera de surhumanité qui ne peut être accomplie que par l’éternel retour de la volonté de son propre désir. La fin d’Epoteia est magnifique. Elle ne culmine pas en une apothéose grandiloquente. Elle s’arrête pour que chacun puisse en écrire la suite.         

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               Notre commentaire n’est qu’une lecture possible parmi tant d’autres. Sans doute ne correspond-elle pas à celle souhaitée par Telesterion. Elle n’est qu’une approche. Nous avons par exemple omis la relation Perséphone-Demeter que nous avons déjà développée en d’autres chroniques. Nous avons aussi passé sous silence la probable influence des mythes et des religions égyptiennes sur Eleusis. Le couple Isis-Osiris n’est-il pas à mettre en relation avec le couple pour ainsi dire en filigrane Demeter-Dionysos. De même malgré la présence du tableau de Charles Gleyre nous ne nous sommes pas aventurés sur les relations Demeter-Orphée-Dionysos. Nous explorerons cette triade en une autre occasion. Le lecteur qui désirerait en savoir plus peut déjà lire les deux tomes de Les mythes grecs de Robert Graves qui conte l’occultation dorienne des lieux sacrés de la Grande Déesse…

                Avec Epoteia et les quatre opus qui l’ont précédé, Telesterion a acquis parmi les groupes de metal une place à part qui attire de plus en plus de curieux…

    Damie Chad.