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  • CHRONIQUES DE POURPRE 617 : KR'TNT 617 : LAWRENCE / BLOOD RED SHOES / LEON RUSSELL / GREG DULLI / GARLAND GREEN / C' KOI Z' BORDEL / BURNING SISTER / RED CLOUD / TELESTERION

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 617

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 10 / 2023

      

    LAWRENCE / BLOOD RED SHOES

    LEON RUSSELL / GREG DULLI / GARLAND GREEN

    C’KOI Z’ BORDEL / BURNING SISTER

    RED CLOUD / TELESTERION

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 617

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Lawrence d’Arabie

     - Part Two

     

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             Jon Dale nous dit de Felt : «One of the most mysterious and idiosyncratic indie groups of the 1980s.» Et il ajoute que ce phénomène est dû à Lawrence, lead singer et arch-conceptualist. Son truc est de donner aux fans ce qu’ils attendent et ce qu’ils n’attendraient jamais. Dale brosse ensuite le portait d’un Lawrence obsédé par la propreté, dans son appartement de Birmingham, et sa façon de gérer le quotidien grâce à a micro-industry of books. Point de départ de tout ça ? Lawrence vit T. Rex à la télé et trouva sa vocation. Et comme beaucoup de groupes de cette génération, Felt naquit de deux choses : l’éthique DIY du punk-rock et ce que Dale appelle the tedium of living in a backwater, c’est-à-dire l’ennui provincial. Et troisième élément : Maurice Deebank.

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             Si on écoute les premiers albums de Felt, ce n’est pas pour Lawrence d’Arabie, oh no no no, c’est pour Maurice Deebank. Paru en 1982, Crumbling The Antiseptic Beauty est un album de Momo Deebank, et ça saute aux yeux dès «Evergreen Dazed». Ce guitariste joue avec une fluidité exceptionnelle - Those guitar lines just kept on keeping on - Son son frappe l’imagination. En engageant un tel prodige de l’échappée belle, Lawrence d’Arabie avait tout bon. Momo crée un monde à lui tout seul, c’est autre chose que de fédérer les tribus de bédouins. Momo joue du pur crystal clear et il se montre en plus inventif. On reste dans les climats très clairs avec «Fortune». Deux guitares voyagent dans l’azur, plus aucune attache, rien qu’un son libre, Momo n’en finit plus de se fondre dans l’essence de l’éther. Mais au bout du troisième cut, forcément, la formule s’essouffle. On les sent moins déterminés à vaincre. Ils s’engluent dans l’essence de leur éther. Momo tente de redresser la barre en B avec «Cathedral», il sort un gros paquet d’arpèges d’acid-rock et encorbelle des contreforts des citadelles, il embobine ses bonnes gammes et les drape de plaids d’organdi et de somptueuses dégringolades de gammes. Ce groupe capte bien l’attention, grâce à un son intrigant et pur comme de l’eau de roche. Avec ce premier album, Lawrence ambitionnait de pondre the best English album ever. Et il ajoute : «I wanted my band to be something really special.»

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             Paru en 1984, The Splendour Of Fear est selon Dale a massive stride forward. C’est là qu’on trouve «The World Is As Soft As Lace», l’une des most beautiful songs de Felt. Lawrence et Momo y visent la paix étale, celle du lac. C’est d’une paisibilité sans fin. Momo est là et ça s’entend dès «Red Indians». Quelle présence ! On note aussi que Gary Ainge bat bien. Ce démon de Momo inscrit les arpèges de «The Optimist And The Poet» dans la durée. Son art relève d’une certaine forme d’éternité, celle du bonheur ineffable. En B, Lawrence d’Arabie se veut plus formel avec «The Stagnant Fool». Il cherche une petite veine à l’éplorée et frise le Bowie. Mais ça reste indéniablement indie dans l’esprit. Lawrence était tellement persuadé de la modernité de son son qu’il disait à Momo et aux autres : «The fans of this band haven’t been born yet.»

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             Avec The Strange Idols Pattern And Other Short Stories paru la même année, ils font encore un sacré bond en avant, car John Leckie produit l’album. Il nous pourlèche une belle pop anglaise des années quatre-vingt et on entend Momo broder sa dentelle translucide derrière le chant déterminé de Lawrence d’Arabie. Ah quelle équipe ! Momo ressort ses arpèges de cristal pour «Sempiternel Darkness» et ils embarquent tous les quatre «Spanish House» au beat déterministe. Lawrence d’Arabie va chercher la clarté de ton, soutenu par les intrépides arpeggios de Momo. Il y fait même ruisseler une véritable rivière de diamants. On sent qu’à l’époque, ces petits mecs savaient très bien ce qu’ils voulaient. On a là un cut spacieux, et aérien, totalement irréprochable. Et les petits interludes instro de Momo sont des havres de paix préraphaélite. On s’effare aussi de la belle santé d’un «Sunlight Balked The Golden Glow». Belle pop racée, solidement étayée par le plus efficace des bassmatics. Avec «Crucifix Heaven» qui se dresse en B, Momo charge la barque d’espagnolades et d’échos des temps anciens. Ce diable de Momo lagoyate comme un beau diable. Lawrence d’Arabie attaque son «Dismantled King Is Off The Throne» avec un gut extraordinaire. On le sent féru d’histoire. «Crystal Ball» est probablement le hit du disk. Lawrence d’Arabie y sonne un peu comme Tom Verlaine, il chevrote délicieusement et ce bel album s’achève avec «Whirlpool Vision Of Shame». La formule Felt tient bien la route : chant déterminé et background scintillant, dentelle de crystal clear et charpente à l’ancienne. Momo vieille bien au grain de la délicatesse et la bassmatic amène pas mal de viande.

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             Lawrence voulait Tom Verlaine pour produire Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun. Il obtint Robin Guthrie, des Cocteau Twins. Très bel album que cet Ignite. Et ce pour trois raisons, la première étant bien sûr «Primitive Painters», qui reste le grand hit de Felt devant l’éternel. C’est littéralement bardé de son. Lawrence d’Arabie chante ça avec une mâle assurance et une petite gonzesse vient mêler sa bave à la sienne. Ils se taillent une belle route dans l’apothéose et Momo cisèle des tournures pour le moins vertigineuses. Oui, c’est franchement de l’ordre du vertige, avec des relances démentes du grand Momo. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit séculaire. Andrew Male décrit ça comme un mariage entre Deebank’s glistening guitar, Duffy’s tranquil keyboards on some of Lawrence most melodically upbeat, cryptically-autobographical pop-songs, get lost in a chruchy echo and murk. L’autre phare dans la nuit s’appelle «Black Ship In The Harbor». Lawrence d’Arabie chante comme un décadent du XIXe siècle. On a là un cut joliment harmonique, accrocheur au possible, avec l’excellent Momo dans le paysage. Et on passe au coup de génie avec «Elegance Of An Only Dream», instro d’une élégance suprême. Ils sont mille fois plus élégants que le Monochrome Set. On note la fabuleuse finesse de l’intelligence mélodique. Rien qu’avec cet instro délié et détaché des contingences, ils créent la sensation. Et Momo n’en finit plus d’ajouter des couches. Oh bien sûr, les autres cuts valent aussi le détour, comme par exemple «My Darkest Light Will Shine», qui sonne comme de l’indie pop pas sûre d’elle, jouée au petit écho du temps, avec un Momo qui éclaire les lanternes. On l’entend aussi faire la fête foraine à lui tout seul dans «The Day The Rain Came Down». Il faut bien redire que on si écoute Felt, c’est d’abord pour Momo. Il lâche dans «Scarlet Servents» des cascades effarantes de notes libres et claires. Il tricote sa dentelle dans «Textile Ranch», sur un beau beat rebondi. Et voilà qu’ils se mettent à sonner comme le Monochrome Set avec «Caspian See». Même attaque de voix. Lawrence d’Arabie fait son Bid, même accent, même désinvolture, même beat serré. Pur Set. Quel étonnant mélange. Ils finissent cet album extrêmement riche avec «Southern State Tapestry», un nouvel instro de bistrot emmené au trot. Felt se distinguait des autres groupes de la Brit-pop par l’originalité de sa démarche.

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             Oui, c’est bien Martin Duffy qu’on voit sur la pochette de Forever Breathes The Lonely Word, paru sur Creation en 1986. On peut considérer cet album comme un classique de la pop anglaise et ce dès «Rain Of Crystal Spheres». Lawrence et Duffy sont tout simplement des experts en matière de beauté boréale - Seven brothers on their way to Avalon - Musicalité extrême ! C’est avec son côté dylanesque que Lawence va emporter la partie : «September Lady» et «Hours Of Darkness» basculent dans une ambiance sélective d’une grande ampleur. Lawrence vise le stellaire des choses de la vie et sa pop chargée d’orgue dylanesque éclate dans l’azur prométhéen. Il ramène toute l’insistance qui faisait la force du Dylan de l’âge d’or. Même chose pour «Hours Of Darkness», cette puissante pop d’Arabie - Got into something/ Dangerous & strange - Pop toxique et capiteuse - It’s your second nature/ Oh don’t fool around/ Till that’s gone/ A man is a boy is a child/ A woman’s son - Avec des retours dignes du Dylan d’antan. Tout est bien sur cet album, tiens, par exemple ce «Grey Streets», éclaté aux arpèges florentins de Marco Thomas. Cette pop fond comme beurre en broche avec tout le panache de la fusion moderniste. Exemplaire ! - Grey streets and streets of grey - Lawrence prend toujours le taureau pop par les cornes - Aw c’mon/ You say I looked kind - Et puis on voit qu’avec «All The People I Like Are Those That Are Dead», il aime bien ceux qui sont morts. Lawrence tartine sa pop avec un tour de poignet unique au monde, un petit côté gouape à casquette - The people I like are in the ground - Ce mec fait ce qu’il veut de l’Angleterre. S’il se proclamait empereur, personne ne s’y opposerait. Il chante avec une mâle assurance - It’s better to be lost than to be found - et il nous rassure en déclarant : «It’s better to be a man than to be a mouse.» On sent revenir le dylanex dans «Gather Up Your Wings And Fly». Tout est énormément écrit, sur cet album, tout sonne - Dowtnown London/ That’s not your scene - et même lors des constats d’échecs («A Wave Crashed On Rocks»), Duffy l’épaule superbement.

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             Paru aussi en 1986, Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death, ressort sous un autre titre : The Seventeenth Century. Lawrence D’Arabie dit s’être mordu les doigts d’avoir voulu faire le malin à l’époque avec un titre aussi hermétique que Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death. Personne n’en comprenait le sens. Deux choses concernant cet album : Momo brille par son absence et tous les cuts sont des instros. L’album n’avait donc aucune chance. Si on l’écoute aujourd’hui, c’est plus par commisération que par fanatisme. Bon d’accord, les instros se veulent frais et pimpants, mais ça reste des instros. Martin Duffy fait son apparition dans le groupe et il joue de l’orgue. Par charité, on dira que tout est délicieusement raffiné et paisible sur cet album. Ce diable de Lawrence d’Arabie y joue de la guitare diaphane. Il s’en sort avec tous les honneurs et va chercher l’océanique à sa façon.

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             L’année suivante paraît Poem Of The River, sous une pochette abstraite. De vagues silhouettes... Lawrence d’Arabie revient à ses chères obsessions dès «Silver Plane», et une diction à l’insistance dylanesque - And you’re/ Still/ Hanging/ Around - d’autant plus prépondérante que Duffy bombarde ça d’orgue Hammond - I didn’t know that you cared - Fantastique ! On reste dans le dylanex avec «Riding On The Equator». Tout y est : l’envolée, les montées de fièvre et l’insistance mélodique et littéraire à la fois. C’est là où Lawrence d’Arabie se rapproche de Dylan - And you always spent your life/ In some kind of prism/ I said those two stones/ Are the hardest to sell - Pur genius et Duffy pulse, Marco Thomas aussi, ils sonnent tous comme de beaux démons d’apparat. Ils n’en finissent plus de couler leur bronze de rêve. Avec Felt, on file au firmament de la belle pop anglaise, la plus parfaite du monde, même si la paternité de la chose revient à Dylan. Deux autres merveilles guettent l’imprudent voyageur, à commencer par «She Lives By The Castle». Lawrence d’Arabie pose bien ses arguments et la chaleur de son ton. Mais c’est Duffy qui crée la magie du son. Il joue tout simplement comme un virtuose, un enchanteur, et nous nappe ça d’orgue. Tiens et puis cet admirable rumble de pop felty qu’est «Stained Glass Windows In The Sky», monté sur un bassdrive extraordinairement sourd et profond signé Marco Thomas. Tous ces gens sont des surdoués, il ne faut donc pas s’étonner du résultat. On peut allez chez Felt les yeux fermés.

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             The Pictorial Jackson Review sort sur Creation en 1988. Pochette dépouille, aucune fantaisie. Martin Duffy et Gary Aing s’y livrent à des parties de piano jazz chabadabada. Lawrence d’Arabie ne fournit que les titres. Il laisse ses amis s’amuser. Un cut comme «On Weegee’s Sidewalk» constitue une belle base d’étude pour the Bongolian. Si on aime le piano jazz, c’est un régal. Martin Duffy joue comme un cake. Il ne se connaît pas de limites. Les gens qui croient avoir trouvé un album de pop se retrouvent le bec dans l’eau du lac. Martin Duffy revient à sa fascination pour Erik Satie dans «Seahorses On Broadway». Il joue des notes suspendues dans l’air, ce qui constitue pour l’oreille du lapin blanc une véritable bénédiction.

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             Étrange album que ce Train Above The City paru sur Creation la même année. Parti-pris de sobriété pour la pochette et Lawrence d’Arabie a l’idée de faire ce que personne n’a encore jamais fait en Angleterre : ne pas apparaître sur l’album de son groupe. Avec «Ivory Past», on sent poindre le grand songcraft. C’est du pur jus de Creation Sound des années 80, une bavette de belle petite pop lumineuse et vaguement décatie. «Until The Fools Get Wise» nous donne une idée du jour où les poules auront des dents. Tout sur cette A reste d’un niveau irréprochable. Un certain Marco Thomas joue en lead. Et puis Lawrence va faire son Dylan 65 avec «How Spook Got Her Man». Il chante au hoquet juvénile et Duffy nous nappe ça d’orgue. On retrouve des tendances dylanesques dans «Don’t Die On My Doorstep». On y sent aussi le grand méchant Lou - Don’t you cry-yh-yh-yh - et Duffy se fend d’un beau shuffle d’orgue anglais. Alors Duffy, justement : c’est lui qui se tape la B, mais d’une manière assez spectaculaire. Il attaque «Sending Lady Lord» au pianotis de round midnight. C’est même très Satie dans l’esprit. Lawrence d’Arabie nous fait là un joli cadeau : il nous laisse en compagnie du pianiste Duffy pour douze minutes d’une dérive boréale digne de Satie, et même de Debussy dans les moments d’exaltation, il crée de l’enchantement et de l’espace. Ça ne plaira pas aux amateurs de rock, mais les amateurs de grand air y trouveront leur compte. C’est de l’oxygène à l’état pur, une revanche du beau sur le laid, une aventure monumentale, un bel hommage à ce créateur d’espace que fut Erik Satie.

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             Paru en 1989, Me And A Monkey On The Moon est un album un peu plus difficile d’accès. Il faut se taper quelques cuts de pop gentillette des années quatre-vingt avant de tomber sur la viande, et quelle viande ! «New Day Dawning» est un fantastique exercice de style gratté à la cocotte de glam sourde. Et ça s’emballe au quatrième couplet - Don’t turn your back/ Today’s a moment that won’t last - et ça se termine sur un solo pour le moins pugnace. Puis Lawrence d’Arabie se met à sonner comme Nikki Sudden dans «Down An August Path». On a là un vrai balladif underground. C’est drôle, ils racontent tous leurs petites histoires, les chansons ne servent que de prétextes. Mais c’est littéralement bardé de feeling vocal. Ce mec vit ses songs, c’est un intrinsèque de la beautiful song. Il lègue à la postérité un balladif admirable et sensible. Lawrence d’Arabie va chercher la belle pop en permanence, on le constate une fois encore à l’écoute de «Never Let You Go». Si on veut comprendre le génie de Go-Kart Mozart, il faut entrer par le jardin magique de Felt. Pop inoffensive au premier abord, mais on y revient, comme attiré. Il nous surprend encore avec «She Deals In Crosses» et cette façon d’envoyer son hey sister/ What are you doing with yourself : pure magie pop. Ce hey sister crée de l’enchantement. Il termine cet album attachant avec «Get Out Of My Mirror», joué aux steel guitars de l’Americana britannique. Eh oui, Lawrence d’Arabie est capable de ce genre de prodige ! Une Americana qu’on retrouve aussi dans «Budgie Jacket». Impressionnant !

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             Dans le très bel interview qu’il accorde à Ian Shirley pour Record Collector, Lawrence d’Arabie rappelle que son premier disque fut le «Starman» de David Bowie et son premier concert, T. Rex au Birmingham Odeon. Il avait 13 ans. Quand il revient sur Felt - 10 albums in 10 years - il concède que oui, il était un peu directif - Every single thing on these 10 records was my idea. Everything down to the plectrums we used - Il voulait des médiators blancs, qui étaient à ses yeux plus modernes que les autres. L’obsession du détail est selon Shirley ce qui caractérise le mieux Lawrence d’Arabie. Mettre un terme à Felt fut relativement facile, Lawrence d’Arabie en avait marre - I was sick of it.

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Felt. Crumbling The Antiseptic Beauty. Cherry Red 1982

    Felt. The Strange Idols Pattern And Other Short Stories. Cherry Red 1984

    Felt. The Splendour Of Fear. Cherry Red 1984 

    Felt. Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun. Cherry Red 1985

    Felt. Forever Breathes The Lonely Word. Creation Records 1986

    Felt. Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death. Creation Records 1986

    Felt. Poem Of The River. Creation Records 1987

    Felt. Train Above The City. Creation Records 1988

    Felt. The Pictorial Jackson Review. Creation Records 1988

    Felt. Me And A Monkey On The Moon. ÉI 1989

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    Felt Reissues. Uncut #250 - March 2018

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    Felt Reissues. Mojo #292 - March 2018

    Ian Shirley : The RC Inrerview. Record Collector # 488 - January 2019

     

     

    Don’t step on my Blood Red Shoes

     

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             Ils sont deux, Laura-Mary Carter et Stephen Ansell. On les attendait de pied ferme. Concert maintes fois reporté, grâce à Pandemic.

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    La petite Carter est habillée en fille au pair, c’est-à-dire en petite robe en velours noir, avec un ruban de dentelle blanche dans sa coiffure de nunuche attardée. Pour accroître le malaise vestimentaire, elle porte des santiags noires. Elle va gratter majoritairement une Tele noire. Ansell est déguisé en Ansell, et va battre tout le beurre qu’il peut. Ah on peut dire qu’il en bat du beurre, en un heure. Il finira dans le Guinness book. Il va en plus assurer le trafic des interactions avec le public français bien dégourdi. La réputation des Shoes repose sur six albums, ils disposent donc d’un vaste choix de cuts. Normalement, c’est une bonne aubaine, pour un groupe, à condition que tous les albums soient bons, ce qui, ici, n’est pas vraiment le cas : les deux premiers sont excellents, fougueux comme des poneys apaches, et les deux derniers flirtent avec les synthés et frisent dangereusement la bonne vieille mormoille. Toujours pareil : on fait comme on peut, avec ses petits bras et ses petites jambes.

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             Bien évidemment, ils démarrent sur un «Elijah» tiré de Get Tragic, l’un des deux derniers albums. Ils font ce que font les groupes depuis l’aube des temps : la promo de leurs derniers disques. Ils tirent «Bangsar», et plus loin «Murder Me», de Ghosts On Tape, le petit dernier qui n’est pas fameux. Tous ces cuts ne laisseront aucun souvenir : ni riff, ni mélodie. On gardera le souvenir d’une certaine présence scénique. La petite Carter doit bien sentir qu’elle n’est pas les Pixies, même si elle s’efforce de sonner comme Kim Deal. C’est en puisant dans leur premier album, Box Of Secrets, qu’ils stabilisent un set titubant de faiblesse : très tôt dans le set arrive le wild stomp d’«It’s Getting Boring By The Sea», une sorte de cut Saint-Bernard sauveur d’espoirs, puis «This Is Not For You» et ses fabuleuses descentes au barbu.

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    Un peu plus loin, ils tapent un solide «Doesn’t Matter Much», et puis juste avant la fin, ça percute dans l’uppercut avec «I Wish I Was Someone Better» drivé au driving fast fuzz. Le meilleur cut du set est l’effarant «Red River» qu’on trouve uniquement sur le Water EP. Elle le joue sur une SG et fait du Sabbath pur, avec toute la rémona dont elle est capable. Et là, oui, tu dis oui. Tu imagines même tout un set monté sur le modèle de «Red River», avec la petite Carter sur sa SG. Fantastique ! Dommage que le reste ne soit pas du même niveau. Elle t’aura fait rêver le temps d’un cut. Mais quel cut ! Bon, ils bouclent leur set avec un «Morbid Fascination» tiré de Ghost et reviennent en rappel avec Ciel pour taper un cut qu’on ne connaît pas et c’est tant mieux. Dommage que la belle Michelle soit reléguée au rang d’arpète.

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             Si tu commences par écouter Get Tragic paru en 2019, tu vas au devant de gros ennuis, car tu vas perdre la pulpe des Blood Red Shoes. Get Tragic n’est pas un bon album. Trop pop de pute.

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    On perd ce qui faisait le charme des Shoes dix ans auparavant. Le fait qu’ils soient passés à la pop de pute est significatif : il s’agit de toute évidence d’une pression commerciale. Pour vendre des places de concert, il faut faire la pop de pute à la mode. On sent pourtant de bonnes intentions dans «Mexican Dress», le beat est bien binaire, mais l’habillage sonore est putassier. Ils ont perdu leur fil. Les machines ont remplacé les grattes. Ils se répandent dans l’horreur des drones. Les deux voix copulent dans l’ignominie. Les Shoes végètent dans le vieil underground des duos à synthés. Ils sont trop dans les machines. Ansell a pourtant l’air sincère. Mais les machines auront sa peau. Il ne fait pas le poids. Les cuts atroces se succèdent. Ils perdent leur dignité. Il faut attendre «Vertigo» pour retrouver espoir. Il déclenche enfin l’enfer sur la terre. Il drive son Vertigo au ramshakle des machines. Et il enchaîne avec «Elijah», un incroyable retour de manivelle. Il mélange le havoc flush avec des nappes de synthés, et la petite Carter ramène son sucre, c’est très particulier. Aw Elijah, elle amène sa petite poussée intestinale et ça explose comme un nuage atomique. Ansell profite de la déflagration pour injecter de la congestion cérébrale dans le son, et ils couronnent ça d’un refrain marmoréen.  

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             Dommage, vraiment dommage, car Box Of Secrets, le premier album des Shoes, était prometteur. Infiniment prometteur. Ils attaquent avec un «Doesn’t Matter Much» assez wild, gratté au big gaga de duo d’enfer. Tous les ingrédients sont alignés au garde à vous. Elle y va la coquine, elle se fourvoie encore dans la braguette de la pop avec «You Bring Me Down», elle est parfaitement à l’aise, très criarde, même un peu agressive. Ils passent au «Try Harder» avec du big stomp er reviennent au bon vieux wild as fuck avec «Say Something Say Anything». Mais c’est avec «I Wish I Was Someone Better» qu’ils gagnent véritablement les hauteurs, sur un beau beat bien fast des Everglades forgé au drive de fuzz. Clameur et montée en neige sont les deux mamelles de la réussite, dans ce domaine particulier. Ils tapent «Take The Weight» à deux voix. Ansell a presque une voix de femme, sa copine amène le sucre. Il chante à la décadence et elle fait des chœurs d’écho déments. Ils se renvoient bien la baballe. C’est elle qui chante «This Is Not For You» à la girl-group flavor, avec des descentes de son terribles. Et ça continue avec le wild stomp d’«It’s Getting Boring By The Sea». Ils ont décidément plus d’un tour dans leur sac. Quand ils montent leur neige à deux voix, ils sont infiniment crédibles. Ils terminent avec un «Hope You’re Holding Up» intense au possible, ils tapent dans le big buzz, ils n’ont peur de rien, à la façon dont les Raveonettes n’avaient peur de rien. Ils tapent fièrement dans l’expressif.

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             Ce qui frappe le plus sur Fire Like This, c’est la capacité des deux Shoes à monter un Wall of Sound, comme le révèlent «When We Wake» et «Keeping It Close». C’est elle qui entre au sucre sur Wake et monte vite en température, dans une ambiance très Joy Division. Ils jettent tout leur dévolu dans le son. Pareil avec «Keeping It Close», ils le plombent d’entrée de jeu. Ansell ne pense qu’à ratiboiser la planète, alors il répand ses légions de démons. Pire encore : sur deux cuts, ils sonnent comme les Pixies. C’est elle qui attaque «Count Me Out» au counting on the words that just repeat, et elle reprend pied après la tempête au count me out I’m not here. Même chose avec «Colours Fade», tapé au heavy stomp des Shoes, mais avec la Méricourt des Pixies, ils y vont cette fois au walking forwards with the light, Ansell n’a pas la voix du gros, mais il en a l’esprit, le super climaxing n’a aucun secret pour lui. Leur «Light It Pup» n’est pas non plus très loin des Pixies : même volonté de paraître à la cour. «Heartsink» est frappé du crâne d’intro, mené à deux voix dans la clameur et «Follow The Lines» repart comme si de rien n’était, au where are you now/ Dancing with the lights on. C’est assez succulent, bien inscrit dans la veine Velvet/Pixies.

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             On peut dire sans trop de risque d’erreur d’appréciation qu’In Time To Voices est un bon album. Au moins pour trois raisons, la première étant le morceau titre d’ouverture de bal. C’est elle qui attaque, un peu sucrée, un peu Kim Deal. Bel univers, féminin et coloré, bien monté en épingle. Elle s’accroche à son cut comme la moule à son rocher. Puis, le temps de quelques cuts, ça vire drôle de pop, c’est-à-dire une pop collée au plafond, une pop aux dents longues et étincelantes, une pop qui rêve de cimes. C’est vrai qu’ils créent de beaux climax («Two Dead Minutes»), ce que les Anglais appellent des musical landscapes, et nous des paysages sonores, mais des paysages sonores intéressants. Elle revient avec son sucre pour «The Silence & The Drones». Elle gratte sec et son gratté s’envenime, ça prend des allures de montagne qui sort de terre, c’est du pur sonic power, ah on peut dire qu’ils savent couler un bronze de Big Atmospherix. Ça s’auto-sature, ça s’étrangle. Plus loin, Ansell te bat «Je Me Perds» au Punk’s Not Dead, et avec «Stop Kicking», ils offrent une vision musicale du power de Zeus. On les respecte pour l’énormité de leur son. Ils referment la marche avec une belle tentative pop : «7 Years». Belle énergie du duo, pas de miracle, mais une présence des Shoes à la recherche du temps perdu.

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             Blood Red Shoes fait partie des bons albums de Blood Red Shoes. L’album s’accompagne d’un CD live, qui donne une idée on ne peut plus exacte de ce que valent les Shoes sur scène. Ce qui les rend éminemment sympathiques, c’est leur tendance à vouloir sonner comme les Pixies. «Tight Wire» est en le parfait exemple. En fait, c’est plus Breeders que Pixies, bien gorgé de son et de sucre à la Kim Deal. Même sens du soupir pop dans l’enfer de Dante. Deux cuts live confortent cette belle théorie : «In Time To Voices» et «Colourless Fade». Il faut attendre que ça décolle, Laura-Mary Carter sonne exactement comme Kim Deal. Elle a les mêmes clameurs de la torpeur d’Elseneur. Le Fade tiré de Fire Like This est aussi very heavy, elle sort le grand jeu : élévation, déplacement des plaques, le power lève le cœur et Ansell bat ça sec. Les ah-ah-ah sont ceux des Pixies, c’est en plein dans le Pix Me Up des enfers. L’enfer toujours. Ah comme on s’ennuierait si l’enfer n’existait pas. Connais-tu quelque chose de plus barbant que le paradis ? Bien sûr que non. Le pire, c’est que tout le monde veut aller au paradis ! Quelle rigolade ! Bon enfin bref, revenons à notre mouton, l’album studio, qui s’ouvre sur une belle énormité, «Welcome Home». Ça craque de partout, la petite Carter gratte ça sec, bien soutenue par le pounding Ansellien. L’album prend vite des allures de big album grâce à l’«An Animal» noyé de gratte incendiaire; suivi de «Grey Smoke», une fantastique clameur de l’ampleur, à moins que ça ne soit le contraire, en tous les cas, ils dégagent pas mal de fumée, c’est la petite Carter qui chante, toujours avec ses accents Breeders. Puis voilà venu le temps des coups de génie avec «Far Away», en plein dans les Breeders, suivi de «The Perfect Mess» drivé aux power chords, et monté sur une sorte de pounding définitif. Le son rebondit dans la clameur. On salue la qualité extrême du stomp, c’est une orgie de son, couronnée par un gratté de poux triomphal. Elle chante encore son «Beyond A Wall» avec ostentation, elle fait sa Blondie profonde, c’est écœurant de power. Avec «Speech Coma», elle se tortille encore dans la mélasse d’un caramel sonique, elle avance en rampant et dans «Don’t Get Caught», la gratte vole dans le ciel noir comme en vampire en flammes. Comme déjà dit, le live donne une idée assez juste de ce que vaut le duo sur scène. Ils ont une fâcheuse tendance à tremper dans la new wave. Elle éclate bien le Sénégal de «Say Something Say Anything» tiré du premier album. Ils font une version plutôt incendiaire de «Light It Up». On ne se lasse pas de leurs conneries. Ils remplissent tous leurs cuts de son à ras-bord. Ils terminent leur set avec un spectaculaire «Je Me Perds», tiré d’In Time To Voices. Ils piquent tous les deux leur crise et deviennent complètement psycho. 

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             Album étrange que ce Ghosts On Tape : il démarre sur une bonne note et finit en beauté, mais entre deux, c’est un peu morne plaine, mon petit Waterloo. «Comply» est en effet monté sur un beau thème de piano et Ansell se prend pour Bono le bonobo, ça chauffe pendant un temps et ça retombe sur le thème de piano, après une belle flambée des prix. Vers la fin, tu tombes sur «Dig A Hole» et tu les vois enfiler leur tunnel, Ansell chante à la voix de fille, il développe une belle énergie urbaine, avec des machines, et ça donne un étonnant mélange de mauvaise new wave avec des éclairs de glam. Justement, le voilà le glam, avec «I Lose Wathever I Own», ce mec adore le glam, il sait y faire. Il tape de heavy glam de la dernière chance. Le reste de l’album ne vaut pas tripette, c’est une new wave à la mormoille. On sauve aussi «I Am Not You» et la gratte qui craque. Dommage qu’il vire new wave à la fin. 

    Signé : Cazengler, pompe usée

    Blood Red Shoes. Le 106. Rouen (76). 5 octobre 2023

    Blood Red Shoes. Box Of Secrets. V2 2007  

    Blood Red Shoes. Fire Like This. V2 2010 

    Blood Red Shoes. In Time To Voices. V2 2012

    Blood Red Shoes. Blood Red Shoes. Jazz Life 2014

    Blood Red Shoes. Get Tragic. Jazz Life 2019  

    Blood Red Shoes. Ghosts On Tape. Jazz Life 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russell & Poivre

    (Part Five)

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             Si on y revient pour la cinquième fois, c’est qu’il y a des raisons. La principale étant la parution récente d’une somme de Bill Janovitz, remarquable rock writer spécialisé dans les Stones (The Rolling Stones’ Exile On Main Street et Rocks Off). Janovitz consacre cette fois son énergie et son talent à Tonton Leon, avec l’imposant Leon Russell - The Master Of Space And Time’s Journey Through Rock & Roll History, un fat book qui frise les 600 pages. Quand tu attaques la somme, c’est un peu comme si tu faisais une fois de plus le tour du propriétaire. Tu as vraiment l’impression de tout reprendre à zéro. Toujours le même refrain : tu prétends tout savoir, et au fond, tu dois bien admettre que tu ne sais pas grand-chose. Ce genre d’exercice te permet de relativiser et de regagner ta place, une place de presque rien, et comme tu vas bientôt mourir, tu redeviendras ENFIN rien du tout, ce que tu n’as au fond jamais cessé d’être. Le drame, c’est qu’on passe sa vie à l’ignorer, consciemment ou inconsciemment.

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             Pourquoi 600 pages ? Parce que la vie de Tonton Leon est ce qu’on appelle communément une vie extraordinaire. Il faut entendre ‘vie extraordinaire’ au sens littéraire. Osons un parallèle avec Blaise Cendrars : il part très tôt à la découverte du monde, il commence par la Sibérie, puis il s’illustre dans la boucherie de la Grand Guerre, il ne craint pas la mort et perd un bras lors de la grande offensive de Champagne, puis il repart en voyage pour nourrir une œuvre et devenir, avec Guillaume Apollinaire, l’écrivain le plus moderne de son temps, c’est-à-dire un pur équivalent littéraire de Modigliani et de Picasso.

             Tonton Leon est lui aussi un chantre de la modernité, le monde qu’il découvre tout au long de sa vie est celui du rock‘n’roll. Il faut bien 600 pages pour raconter une vie aussi extraordinaire que celle d’un homme qu’on surnommait au temps où il était devenu superstar The Master Of Space And Time.

             Avant d’entrer dans le détail du Space and Time, il est sans doute nécessaire de rappeler que le monde du rock’n’roll grouille de superstars, mais beaucoup d’entre-elles le sont pour de mauvaises raisons : on ne va pas citer de noms. La putasserie est vieille comme le monde, ça ne changera jamais. Beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Et ce sont les élus qui nous intéressent : leur œuvre nourrit des œuvres. La semaine dernière, Chucky Chuckah nourrissait l’œuvre d’un brillant biographe, et cette semaine Tonton Leon nourrit celle de Bill Janovitz. Entrer dans son fat book, c’est une façon d’entrer dans le Jardin d’Eden, ou mieux encore, dans le Lotissement Du Ciel du Rock.   

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             En suivant les aventures de Tonton Leon, tu vas croiser des tas de géants du rock américain : Jerry Lee, Jackie DeShannon, Totor, Jack Nitzsche, Terry Melcher, Gary Lewis, Brian Wilson, Don Nix, Van Dyke Parks, Delaney & Bonnie, Dwight Twilley, Kim Fowley et bien sûr Bob Dylan, autant dire la crème de la crème. Si Tonton Leon les fréquente tous, les uns après les autres, c’est parce qu’il est d’une certaine façon un être exceptionnel, tel que le décrit Janovitz.

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             Tonton Leon grandit à Tulsa, Oklahoma. Jeune, il n’est pas joli, il porte des lunettes à grosses montures noires, comme Buddy, et il joue du piano. Il en joue si bien qu’il commence sa carrière de superstar en accompagnant son idole Jerry Lee. Tonton Leon joue tellement bien que certains soirs, Jerry Lee lui laisse le piano. Tonton Leon flashe aussi sur Lloyd Price, Ruth Brown, Chucky Chuckah, Fatsy, Bobby Blue Bland, Jackie Wilson, et surtout Ray Charles qu’il qualifie d’«one of the great innovators». Tonton Leon se dit fasciné par Ray Charles. Il s’émerveille aussi d’Esquerita - He made Little Richard look like a choirboy - et il balance un sacré souvenir : «Il est venu me trouver un soir et m’a dit : ‘Honey, monte dans ma chambre au Small Hotel, et si je ne parviens pas à te faire crier de plaisir en 30 secondes, je te donne ma télé.’» Puis le jeune Tonton Leon qui s’appelle encore Russell Bridges emprunte 40 dollars et prend le bus pour Los Angeles. Il va devenir session man et, grâce à son talent de pianiste, entrer dans le fameux Wrecking Crew.

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             Il commence par devenir pote avec James Burton qui lui apprend à gratter des licky licks. Tonton Leon s’entraîne toute la journée sur un album de Freddie King. Ils jouent un peu ensemble dans des clubs. Burton l’emmène en session pour Ricky Nelson. Et de fil en aiguille, il entre dans le circuit des sessions, se retrouve en studio avec Glen Campbell, Del Shannon, son copain de Tulsa David Gates, la belle Jackie DeShannon, et puis les Blossoms de Fanita Jones que Totor va rebaptiser Darlene Love. Janovitz indique que Tonton Leon flirte pendant quelques mois avec la belle Jackie. Il joue aussi sur les démos de Sharon Sheeley, la fiancée d’Eddie Cochran. Big set de démos : en plus de Tonton Leon, tu as David Gates on bass, Hal Blaine au beurre, et Glen Campbell gratte ses poux. Herb Alpert, P.J. Proby, Glen Campbell et Delaney Bramlett font les chœurs. Tout cela sous l’égide de Tommy LiPuma et de Snuff Garrett. Un vrai carnet mondain ! Tonton Leon sort à peine de l’adolescence, et le voilà entré dans la cour des grands.   

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             On retrouve ces démos sur Sharon Sheeley - Songwriter, un RPM de l’an 2000. Cette pop datant du tout début des années soixante vieillit affreusement mal. Avec «Guitar Child», Glen Campbell s’en sort bien, car ça sonne comme un hit de juke tapé aux tambourins. Glen prend le chant du menton et balance un solo à l’écho sale. Stupéfiant ! Mais le «Blue Ribbons» qu’il chante à la suite est à pleurer, tellement c’est mauvais. La pauvre Sharon excellait dans la mièvrerie et un chanteur aussi fantastique que P.J. Proby s’est fait piéger à chanter des conneries comme «Trouble», une incroyable soupe aux choux orchestrée aux trompettes mariachi. Ah, il faut avoir écouté «Trouble» pour savoir que ça existe ! Dans «Blue Dreams», Glen Campbell dit : «Your lips I’d like to taste !» - Vas-y mon gars, taste donc ! - On reste dans la pire daube qui se puisse concevoir avec «Thank Heaven For Tears» que psalmodie le pauvre P.J. Glen et P.J. rivalisent d’interprétations ineptes. Encore pire : «It’s Just Terrible». On se demande ce que P.J. fout là. On entend aussi Larry Collins des Collins Kids. Il a grandi, il porte la moustache et il chante «See The Hills» d’une voix de lieutenant du Huitième de Cavalerie. Delaney Bramlett se couvre lui aussi de ridicule avec «Love Is A Stranger», apocalyptique de mièvrerie. Bref, cette compile est surtout difficile à revendre. Même un fan d’Eddie Cochran n’en voudrait pas. 

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             Tonton Leon va faire pas mal de middle of the road : Pat Boone, Connie Francis, Duane Eddy, Johnny Rivers, c’est la musique qui se vend en 1964, aux États-Unis. Il va aussi accompagne Irma Thomas et bosser pour Gary Usher. On l’entend aussi pianoter sur le «Surf City» de Jan & Dean. Gary S. Paxton le recrute pour quelques sessions. Tonton Leon est fier de bosser pour ce géant de Paxton : «He was known for hiring the down-and-out and was a big supporter of musicians in general.» Tonton Leon pianote sur le «Monster Mash» de Bobby Boris Pickett. Paxton permet même à Tonton Leon d’enregistrer en 1962 son premier single avec David Gates : «Sad September», by David & Lee, Lee étant Tonton Leon. C’est James Burton qui gratte ses poux sur la B-side, «Tryin’ To Be Someone». Janovitz dit que Gates et Tonton Leon sonnent comme «the Everly Brothers fronting Buck Owen’s Buckaroos».

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             Alors bien sûr, qui dit Wrecking Crew dit Totor. Janovitz nous emmène au Gold Star. En 1963, Tonton Leon pianote sur le «Be My Baby» des Ronettes. La session dure 36 heures. Quatre pianistes. L’un d’eux s’appelle Michael Spencer : «À ma gauche se trouvait ce mec en costard trois pièces coiffé d’un ducktail. That was Leon Russell before he took acid.» C’est Jack Nitzsche qui ramène Tonton Leon chez Totor : «Leon was an innovative piano player.» Il ramène d’autres surdoués au Gold Star - Harold Battiste, Earl Palmer, Don Randi, Hal Blaine, Glen Campbell: a lot of the players came out of my phone book - En 1963, Nitzsche enregistre son album solo The Lonely Surfer, avec Tonton Leon, David Gates, Hal Blaine et Tommy Tedesco.

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             Lors de l’enregistrement de «Zip-a-Dee-Doo-Dah», Totor s’approche de Tonton Leon, «fait un geste, comme s’il voulait conjurer un vampire et dit : ‘Dumb. Play dumb’.» Tonton Leon rappelle aussi que le studio A du Gold Star pouvait contenir 6 musiciens, mais Totor en faisait entrer 25. Janovitz revient longuement sur ses techniques d’enregistrement : construction de la partie instrumentale, avant d’ajouter les voix. Des dizaines de takes, parfois une centaine, avant qu’il ne soit satisfait. Totor épuisait les musiciens, tant et si bien qu’ils finissaient par oublier toute forme d’individualisme et sonner vraiment comme un ensemble - More of a team, a system, the Wall - Selon Ahmet Ertengun, Totor est le seul producteur capable de sortir «a hit record without a hit artist».

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             Tonton Leon pianote aussi sur A Christmas Gift For You From Phil Spector. Brian Wilson affirme que c’est son album préféré. C’est Darlene Love qui chante «Chritmas (Baby Please Come Home)», co-écrit par Ellie Greenwich, Jeff Barry et Totor. Darlene se souvient qu’au piano, Tonton Leon est devenu fou : «We called it Leon’s little concerto. He just went wild on the piano and when it was finished, he just fell right off the stool.» Janovitz ajoute que Totor fut tellement excité par le piano climax qu’il signa un chèque de bonus pour Tonton Leon. Les musiciens s’accordent à dire que Totor est un peu rude en session, mais tout le monde s’écrase, «because we realized what a great talent he was». Don Randi : «Phil Spector was always excentric, let’s put up this way.» Et puis un jour, Tonton Leon fait une grosse connerie. Pour supporter la tension de la session, il va siffler un litre de vodka pendant une pause. Trois heures et 80 takes plus tard, Tonton Leon grimpe sur le piano et fait un numéro de prêcheur. Alors, Totor, via le micro de la cabine de contrôle, demande : «Leon, don’t you know what teamwork means?», et Leon lui envoie ça dans la barbe : «Phil, do you know what ‘fuck you’ means?». Boom, viré. Ils rebosseront ensemble plus tard, en 1973, sur le brillant Rock’n’Roll de John Lennon.

             Finalement, Tonton Leon n’est pas resté longtemps dans le Wrecking Crew, moins que Carol Kaye, Hal Blaine, Don Randi et Tommy Tedesco - I wasn’t one of the main guys - Ça lui a permis d’acquérir une bonne expérience du studio - That was quite something - Et il conclut à sa façon, pince-sans-rire : «90 percent of the records that I did were bullshit. I mean I didn’t play on any Ray Charles records. Didn’t play on any Mancini records.»

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             Grâce à Jack Nitzsche, Tonton Leon rencontre Terry Melcher, qui n’a que 21 ans et qui est staff producer pour Columbia. Tonton Leon joue sur l’«Hey Little Cobra» que produit Melcher pour les Rip Chords, et en 1965, il joue sur le «Mr. Tambourine Man» des Byrds. Le seul Byrd autorisé à jouer en studio est Roger McGuinn. Melcher fait jouer Hal Blaine et Jerry Cole. Croz et Michael Clarke sont livides de rage. Croz déclare : «So those cats were good, et il y avait de prodigieux musiciens dans le tas. And Leon I guess would be the most highly developped of all of them. He’s some fucking genius.» Melcher demande à Tonton Leon d’accompagner sa mère Doris Day. Leon raconte qu’il flashe sur elle. Par contre, elle ne flashe pas sur son pianotage, mais sur sa «beige Cadillac convertible». Ah les Américaines ! Elles sont d’une vulgarité !

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             Tonton Leon a aussi le privilège de jouer pour Brian Wilson. On l’entend pianoter sur «California Girls» et «Help Me Rhonda». Il est fasciné par le gros Brian : «Au Studio Western, il y avait entre 15 et 20 musiciens. Il commençait avec le premier et lui chantait la ligne qu’il devait jouer. Puis il passait au deuxième, puis au troisième, jusqu’au dernier. Alors il revenait au premier qui avait oublié sa ligne et Brian la lui rechantait. Pareil pour le deuxième. Il leur apprenait le morceau. Et soudain, l’orchestre jouait that shit. I mean, Brian is, when you want to talk about genius, there’s not any like him that I know of. He’s unbelievable.»

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             En 1965-1966, Tonton Leon bosse aussi avec Gary Lewis & The Playboys. Quand les Playboys sont appelés sous les drapeaux, the Tulsa Mafia prend le relais : Tonton Leon, Carl Radle et Jim Keltner. Puis Don Nix fait son apparition dans le circuit. Il ramène ses potes de Memphis, Duck Dunn et Steve Cropper. Nix est fasciné par Tonton Leon : «He was a rock star before he was a rock star.» Comme Dylan, Tonton Leon entre dans une pièce et capte toute l’attention. Leon rencontre aussi Van Dyke Parks avec lequel il s’entend bien. Un Tonton reste un tonton. L’exploit le plus remarquable de cette époque est son rôle actif dans l’enregistrement de Gene Clark With The Gosdin Brothers. Geno déclare : «It was all very intense. Je me souviens d’avoir dit à des gens que je faisais un album avec Leon, Clarence White, Glen Campbell, Chris Hillman, Chip Douglas, and Vern and Rex Gosdin et ils pensaient que j’étais fou.» Les gens disaient : «What a weird combination of people.» Oui, sauf que c’est le meilleur album des Byrds. Et Tonton Leon y a pondu tous les arrangements. Il bosse aussi pour Lenny Waronker, notamment comme arrangeur pour Harpers Bizarre. Selon Waronker, les deux principales sources d’inspiration pour ces sessions étaient les Beach Boys et les Swingle Singers de Paris.

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             Avec Delaney & Bonnie, Tonton Leon entre dans son âge d’or artistique. En évoquant le couple, Janovitz parle d’un «explosive, abusive and toxic mariage.» On les surnomme the Beverly Hillbillies. Delaney & Bonnie allaient attirer pas mal de grands musiciens, dont Tonton Leon. Le couple développe un special power - They sounded like a male-female Sam & Dave - En 1967, Tonton Leon bosse sur un concept, the New Electric Horn Band, avec des musiciens qu’on va retrouver dans le Taj Mahal’s band, dans Delaney & Bonnie & Friends, Mad Dogs & English Men, et Leon Russell & the Shelter People. Il donne des détails : «It was Delaney & Bonnie Bramlett, Don Preston, Don Nix, Chuck Blackwell, Carl Radle, John Gallie, Jim Horn et un mec qui joue maintenant avec Ike & Tina Turner.» Tonton Leon organise de grandes jam-sessions le dimanche. Puis Delaney & Bonnie enregistrent Home, leur premier album chez Stax, produit par Duck Dunn et Don Nix. On y entend les Stax all-stars, Isaac Hayes, The Memphis Horns, William Bell et bien sûr le piano de Tonton Leon. Mais la compagnie de Delaney & Bonnie n’est pas appréciée. Au mieux, on les considère comme des manipulateurs, au pire comme des tyrans. Rita Coolidge les admire : «That band was one of the best bands ever. Je pense qu’ils ont élevé la barre pour tout le monde, partout dans le monde. Bonnie was the powerhouse singer, mais Delaney voulait être the boss and the king. At that time, he hadn’t really turned into such an asshole yet, ou alors ça n’apparaissait pas encore, mais ça n’allait pas tarder.»

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             Mad Dogs sort donc de cette mouvance, du New Electronic Horn Band. Les musiciens constituent une sorte de pot commun. Plus tard, Delaney & Bonnie accuseront Tonton Leon d’avoir volé leur groupe. Pour Mad Dogs, Tonton Leon recrute Bobby Keys, Jim Price, Jim Keltner, Rita Coolidge, Jim Gordon, Carl Radle. Seul Bobby Whitlock reste avec Delaney & Bonnie. Bonnie en chiale encore : «On a été les derniers à le savoir et ça nous a brisé le cœur.» Mais bon, faut avancer. Mad Dogs devient un phénomène, format libre, tribu en tournée, vingt personnes sur scène, du jamais vu, Dylan louche sur le projet. Il le reproduira plus tard sous la forme de la Rolling Thunder Revue. Jim Karstein : «Mad Dogs were a little over the top. They started smoking angel dust and doing a lot of acid and I think cocaine started filtering in.» Tonton Leon voit ça comme un projet purement communautaire : tout le monde mange ensemble et tout le monde baise ensemble. Il voit de grands saladiers de salade - huge trash cans of potato salad, macaroni salad, egg salad - Chris Stainton ajoute : «It was an anything-goes sort of scene, with girls around, and Leon was pretty permissive: let’s put it that way.» Tonton Leon voulait surtout que chacun se sente bienvenu et en sécurité (welcome and safe). Il sait ce qu’il fait, car lors des répètes, il obtient de la tribu un son «tight and so exciting, and Leon was like Duke Ellington.» Tommy Vicari : «It was like a train.» Et il ajoute, émerveillé : «Joe was the star, but Leon was in control of the whole thing.» Vicari est effaré par cette concentration d’énergies et de talents. Pendant toute la tournée Mad Dogs & Englishmen, Joe Cocker est soul. Jim Keltner affirme que tout le monde était sous MDA, l’ancêtre de l’ecstasy - You really get high on that. There were some that had smoked angel dust. We were all drunk. It was a mess - Claudia Lennear confirme que the Mad Dogs & Englishmen thing was cultural - Elle évoque le free love and sex - That’s what that period was all about in the seventies - Toutes les nuits, des gonzesses font la queue dans les couloirs d’hôtels, aux portes de Tonton Leon et de Joe Cocker. Et ce n’était pas que des groupies. Carla Brown : «At the Fillmore East, Janis Joplin said she wanted to suck Leon’s dick until his head fell off.» Ah les Américaines ! Des gens filent de tout à Joe Cocker. Il ne demande même ce que c’est, straight into his mouth. Cocker : «The only difference between one tab and ten tabs of acid is the pain in the back of me neck (sic) Le film qui documente la tournée est resté un classique du ciné rock. Il montre aussi la fin d’un temps, le côté communautaire du rock va disparaître pour laisser place à un rock centré sur le profit, the cashing-in of the sesventies. Mad Dogs va notoirement influencer The Tedeschi Trucks Band. Des promoteurs tenteront même de monter une tournée de reformation, mais Joe Cocker ne voudra pas en entendre parler. Il pense que Tonton Leon s’est servi de lui pour sa propre promo.

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             Pourtant, au début, Joe admirait Tonton Leon, surtout le jour où il lui a joué pour la première fois «Delta Lady» au piano. Tonton Leon l’avait composé en hommage à Rita Coolidge, laquelle protesta car elle affirmait n’avoir jamais été «wet and naked in the garden». «Delta Lady» figure sur le fantastique premier album de Joe Cocker, qui en plus des deux cuts signés Tonton Leon, tape dans Dylan, Leonard Cohen, Lloyd Price, John Sebastian, Lennon/McCartney et George Harrison. Tonton Leon produit l’album et fait les arrangements. Il fait chanter Merry Clayton et Bonnie Bramlett dans les chœurs. Joe vit un temps chez Tonton Leon at 7709 Skyhill Drive - People were very naked. I got the clap there - Il parle de la chtouille, bien sûr. Comme Kim Fowley, il baise les dirty hippie whores. Joe traverse une mauvaise passe, car son manager Dee Anthony lui met la pression pour qu’il tourne aux États-Unis et Joe se dit épuisé. Mais Anthony est une brute. Denny Cordell n’aime pas Dee Anthony - I hated him.

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             Denny Cordell est un producteur anglais à succès : il est connu pour avoir lancé les Moody Blues et Procol Harum. C’est lui qui conseille aux Moody Blues de reprendre le «Go Now» de Bessie Banks - Cordell’s taste was impeccable - Puis «A Whiter Shade Of Pale» fait de lui un homme très riche. Il se réinstalle en Californie en 1970 et rachète le contrat de Tonton Leon chez Mercury pour fonder Shelter Records avec lui. Dans la foulée, Cordell ramène son poulain Joe Cocker en Californie. Ils vont aussi relancer la carrière de Freddie King qui est déjà une légende. Tonton Leon décide d’enregistrer Getting Ready chez Chess à Chicago. Il le co-produit avec Don Nix qui déclare : «That’s where the big blues hits were cut.» Duck Dunn débarque à Chicago pour jouer sur l’album. Don Nix est émerveillé par la classe de Freddie, «with this biggest-ass grin on his face» - He was just one of the best artists I’ve ever had anything to do with - Don Nix ramène son «Going Down» qu’il avait composé pour Moloch à Memphis. Mais Tonton Leon n’aime pas le cut. Là, il se fout le doigt dans l’œil. Freddie adore «Going Down» - So Leon had no choice - Tonton Leon flashe aussi sur Willis Alan Ramsey - He was a very strange guy, a beautiful singer and guitar player and writer - Ramsey lui gratouille quelques cuts et Tonton Leon le signe right on the spot. On voit Ramsey dans A Poem Is A Naked Person, le film qui documente la vie de  Tonton Leon de 1972 à 1973. Tonton Leon tire le titre du film des liners de Bringing It All Back Home. L’album Willis Alan Ramsey est devenu culte. On y reviendra. Quant à Les Blank, le réalisateur du film, c’est encore toute une histoire. Janovitz en fait des pages et des pages. Passionnant ! Pour résumer, Cordell et Tonton Leon ont repéré Blank via son docu The Blues Accordin’ To Lightnin’ Hopkins. Ils lui demandent de tourner un «verité-style (sic) profile of Leon for television». Les Blank finissait juste de tourner Dry Wood et Hop Pepper, un docu sur Clifton Chenier, c’est dire si ce mec est intéressant. Tonton Leon est friand de cinéma underground, notamment les films d’Andy Warhol et de Dennis Hopper. Son film préféré est Mondo Cane. Mais il va bloquer la parution d’A Poem Is A Naked Person. Pas question de le commercialiser. Les Blank mourra avant que Tonton Leon ne donne enfin son autorisation. C’est Harrod, le fils de Les Blank, qui va l’obtenir. 

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             Alors on revoit le film. Blank le tourne à Grand Lake, pas très loin de Tulsa, Oklahoma. Tonton Leon est un beau mec. On le voit pianoter «Jimabalaya» sur scène - Son of a gun - Plan rock parfait. Puis Blank filme George Jones en studio. Il chante sa country song avec une classe terrifiante - The first time I heard your voice - On tombe immédiatement sous le charme. Blank essaye de faire un film surréaliste : il filme ensuite le peintre Jim Franklin dans la piscine que Tonton Leon vient de faire construire. Franklin ramasse les scorpions dans un bocal, puis voilà Willie Nelson encore jeune. Ce n’est pas un hasard si Tonton Leon s’intéresse à des artistes aussi magnifiques que George Jones et Willie Nelson. Lorsqu’on voit danser les Navajos, on comprend que Blank tourne un film surréaliste sur l’Americana - Le Bliss Hotel explose, un boa avale un chicken, un mec mange du verre, alors forcément ce docu sur Leon n’est pas un docu, mais un Blank movie. Apparaît un mec étrange, Eric Anderson, une sorte de hippie punk qui chante un peu comme Nicck Drake. Le percussionniste Ambrose Campbell s’exprime et puis on voit les Shelter People sur scène, Chuck Blackwell et Don Preston qui sont un peu des clones de Tonton Leon. Résultat final : Tonton Leon n’aime pas le film. 

             Aux yeux de Janovitz, Cordell est plus un music fan qu’un record executive comme Clive Davis ou Ahmet Ertegun. Tonton Leon et lui finiront pourtant par se fâcher. Un jour, Jimmy Karstein demande la raison de cette fâcherie à Tonton Leon qui lui répond : «Well, I asked him a question, and he failed.» Quelle question ?, demande Karstein. Leon : «Where’s the money?»

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             Celui que Tonton Leon admire le plus, c’est Dylan, un Dylan qui l’emmène faire un tour dans Greenwich Village et qui lui montre les endroits qui lui ont inspiré des chansons. Dylan vient participer au Bengladesh concert. Il chante deux cuts tout seul puis demande au roi George et à Tonton Leon de l’accompagner : le roi Geoge à la gratte et Tonton Leon on bass - We tried a song or two, then I suggested that Ringo join us on tambourine - C’est avec le concert du Bengladesh que Tonton Leon devient an absolute superstar. Peter Nicholls : «The crowd went absolutely fucking nuts.» Et il ajoute, en proie à l’émerveillement congénital : «The sound of his voice!». Leon fait des banshee yowls avec les chœurs sur «Jumping Jack Flash». En coulisse, il assiste aussi à la métamorphose de son idole : «Quand Bob Dylan était en coulisse, il avait l’air d’un mec ordinaire, mais en arrivant sur scène, il changeait du tout au tout... His presence became all-powerful.»

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             Tonton Leon tombe amoureux d’une black nommée Mary McCreaty et l’épouse. Mary n’est pas née de la dernière pluie : elle a fréquenté Vaetta Vet Stewart, la sœur de Sly Stone, et monté avec elle un gospel group, the Heavenly Tones. Elle est pote avec Patrick Henderson, the Gap Band et surtout la fabuleuse Maxyan Lewis, qu’on a croisée ici, inside the goldmine. Mary a aussi enregistré l’un des premiers albums parus sur Shelter, Butterflies In Heaven. Tonton Leon et Mary vont enregistrer deux fantastiques albums ensemble, Wedding Album et Make Love To The Music, faire deux gosses ensemble, Tina Rose et Teddy Jack. Puis Mary va devenir la pire ennemie de Tonton Leon. Elle va même le traîner en justice pour lui pomper du blé et lui interdire de voir ses gosses pendant dix ans, jusqu’à leur majorité. Majeurs, Tina Rose et Teddy Jack viendront s’installer chez leur père. Le Gap Band enregistre son premier album Magician’s Holiday sur Shelter. Tonton Leon prendra ensuite le Gap Band comme backing band en tournée, et pour l’enregistrement de Stop All That Jazz. Avec le Gap Band, Tonton Leon renoue avec le son qu’il aime, Billy Preston, Allen Toussaint, les Meters, Stevie Wonder et Sly & The Family Stone.

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             Shelter, c’est aussi le Dwight Twilley Band, eux aussi originaires de Tulsa, comme Tonton Leon. Dwight Twilley quitte Tulsa pour échapper à l’ombre de Tonton Leon qui est partout et pouf, il arrive à Los Angeles et sur qui qu’il tombe ? Sur Tonton Leon. Ça s’appelle un destin. Twilley ajoute même qu’il avait peur de Tonton Leon à Tulsa : «He kind of scared me.» Puis il finit par faire sa connaissance à Los Angeles et l’apprécie. Il est même invité chez lui, à Skyhill. On apprend à l’instant que Dwight Twilley vient de casser sa pipe en bois. On y revient. 

             Et voilà Kim Fowley qui refait surface 18 ans après l’épisode Gary S. Paxton. Paxton et Kim avaient filé à Tonton Leon l’un de ses premiers jobs de session man. En 1978, Tonton Leon et Kim co-écrivent les cuts d’Americana. Kim raconte dans ses souvenirs que Tonton Leon l’a fait chialer lors de l’enregistrement de l’album : «Il s’est tourné vers moi et m’a dit : ‘Do you know how good you are?»’. Je me suis mis à chialer devant lui et devant tout l’orchestre, parce qu’il était le premier à me dire que j’étais bon.»  

             Tedeschi et Trucks seront donc les seuls héritiers du phénomène Mad Dogs & Englishmen. Ils voient le film la tournée Mad Dogs en 2005 et flashent dessus - Our band was loosely based on that concert footage - L’oncle de Trucks, Butch Trucks, jouait dans les Allman Brothers, «another family/communal band», donc il y avait de sérieuses prédispositions. Trucks flashe aussi sur le look Father Time de Tonton Leon. Il tente de relancer la machine avec une sacrée affiche : Tedeschi Trucks Band presents Mad Dogs & Englishmen with Leon Russell, Rita Coolidge, Claudia Lennaer, Chris Stainton. Ils embauchent aussi Chris Robinson des Black Crowes qui avoue que l’album Mads Dogs & Englishmen constitue son ADN. Même chose pour Steve Earle. Trucks & Tedeschi rêvaient aussi accompagner Joe Cocker, mais le vieux Joe venait tout juste de casser sa pipe en bois - He died from cancer before the concert.

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             En 1965, Tonton Leon transforme sa baraque de Skyhill, au Nord de Mulloland Drive, en studio - The whole house is a studio - Il devient un vampire, vit la nuit et dort le jour. Les voisins croient que des Hells Angels vivent à Skyhill, car ils voient des tas de bagnoles et de motos, «and loud music at all hours of the day and night». Karstein : «It was a twenty-four-hours-a-day deal there», et un autre témoins ajoute : «There were plenty of girls around». Il apparaît bien vite que Tonton Leon aime partouzer. Influencé par ce qu’il a vu à Muscle Shoals et chez Stax à Memphis, il monte un house-band. C’est l’époque où il essaye de chanter comme Bonnie Bramlett - At that time, we was all trying to sing like Bonnie Bramlett - On le compare plus volontiers à Doctor John qui, à l’inverse de Tonton Leon, en bave pour survivre. Tonton Leon impressionne Bobby Keys : «Tout le monde savait que Leon was superior. He was a phenomenal pianist and stylist. Il était ce que tous les autres Okies et Texans voulaient devenir : he had a black Cadillac, he had his own house in the hills, he had a studio in his house and he had chicks up there day and night.» C’est la Dolce Vita hollywoodienne. Skyhill devient un lieu célèbre. Don Nix y vivra un certain temps.

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             C’est là que Tonton Leon enregistre les deux fabuleux albums d’Asylum Choir avec Marc Benno. Pour «Soul Food», il invente a new funky rock’n’roll blend of gospel, Soul, country and blues. «Soul Food» se trouve sur le balda de Look Inside The Asylum Choir. L’album est un vrai shoot de Beatlemania, dès «Welcome To Hollywood», on entend les trompettes de Sergent Pepper. «Icicle Star Tree» sonne très anglais. On sent bien la graine de superstars. On croit entendre les Beatles dans «Death Of The Flowers», mais la tendance se confirme en B avec «Thieves In The Choir» qu’il chante exactement comme le ferait John Lennon, puis «Black Sheep Boogaloo», qui charrie des échos de «Drive My Car». Tonton Leon pousse bien le bouchon du bye/ Bye bye. Il sait déjà rocker la masse volumique d’un gros cut.

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             L’Asylum Choir II tape moins dans la Beatlemania. C’est le pur Skyhill sound. Tonton Leon et Marc Benno tapent une belle cover de «Sweet Home Chicago». Ça sent bon le studio cosy. On tombe au bout du balda sur l’énorme «Tryin’ To Stay ‘Live», nettement plus honky tonk, pianoté à la Tontonnerie affirmée. Il affecte bien sa voix. En B, il se fâche encore avec «Straight Brother». Il y va au heavy pounding. Il sait driver un Asylum. Comme son nom l’ind-ique, «Learn How To Boogie» est un solide boogie bardé de maniérismes à la Lennon. Il propose globalement un rock extrêmement pianoté, bien produit, souvent ambitieux et toujours chanté avec caractère, comme le fait Dr John sur ses albums. Leon sonne comme un chevalier Tontonique, «When You Wish Upon A Fag» swirle bien au gratté de poux.

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             Avant d’être une superstar, Tonton Leon est un amateur de femmes. C’est en tous les cas ce qui ressort de ce fat book. Quand il voit Rita Coolidge pour la première fois, il tombe amoureux d’elle. Mais elle vit avec Don Nix. Il dit à Don Nix de le prévenir si leur histoire s’arrête - If you ever break up with Rita, let me know - Six mois plus tard, Don Nix l’appelle pour lui dire qu’il peut venir récupérer Rita, redevenue célibataire. Tonton Leon débarque le lendemain, après avoir largué sa poule Donna. Don Nix va récupérer Tonton Leon à l’aéroport et l’amène au Sam Phillips Recording studio où Rita et sa sœur Priscilla font des backing vocals. Pouf, c’est vite réglé. Tonton Leon achète une ‘60 Ford Thunderbird et ramène Rita en Californie, en novembre 1968. Tout se passe bien pendant un temps, mais Tonton Leon veut partouzer avec Rita, et elle n’aime pas trop ça. Il commence par proposer un threesome avec Carl Radle - Maybe if we had Carl Radle come over, cause I know you like Carl - Tout le monde à poil ! Ça fout la relation par terre, en tous les cas, c’est ce qu’elle raconte dans son autobio. Tonton Leon la vire. Puis il tombe amoureux de Chris O’Dell, une expat américaine qui a vécu à Londres et bossé pour les Beatles. Tonton Leon réussit à la faire revenir en Californie - There was some weird, interesting sexual experimentation - et rebelote, il propose à Chris de partouzer. Chris O’Dell trouve ça uncomfortable. Claudia Lennear n’est pas très partante non plus pour les orgies. Elle est aussi l’une des muses de Tonton Leon. Comme Jesse Ed Davis ramène de l’angel dust à Skyhill, ça n’arrange pas les choses. Tonton Leon en fait une grosse conso. Eh oui, c’est non pas le temps des cerises, mais le temps du sex & drugs & rock’n’roll, c’est-à-dire le sel de la terre. 

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             Avec le Bengladesh concert, Tonton Leon atteint son pic de célébrité. Selon Al Aaronowitz, les freaks vont trouver Leon pour lui dire qu’il est le nouveau Jésus - Ça faisait dix ans que Dylan et les Beatles se tapaient cette adulatory crap et Leon affirmait que ça n’allait certainement pas lui tourner la tête - T Bone Burnett dit même qu’il aurait pu devenir «a huge star if he had wanted to be. But I guess he didn’t want to be.» Lorsqu’il se retrouve on top of the world, il décide de se mettre au vert, à Tulsa. Il n’aime pas tout ce qui accompagne la célébrité, «having to schmooze, the interviews, record executives, radio promotion. He moved back to Tulsa to get away from the hype.» Il s’installe dans ce qu’il appelle «a small fishing cabin on Grand lake O’ the Cherokees», à 100 bornes au nord de Tulsa. Il y recrée l’ambiance de Skyhill - a creative gathering spot on the lake - En 1972, il envoie Patrick Henderson recruter des backing singers à Dallas. Il en ramène quatre. Blue, qui est la fille aînée de Tonton Leon se marre : «From late ‘72 to ‘73, my dad had many many many girfriends.» Il en pince pour la musique noire, mais aussi pour la country. Willie Nelson indique qu’ils ont tous les deux le mêmes «musical roots : Hank Williams, Bob Wills, country black blues.» À Grand Lake, Tonton Leon bosse avec the Shelter People, le groupe qui l’accompagne en tournée. Il se fait faire dix costards de cosmic cowboy et fait coudre des pierreries dessus (rhinestones). Il devient une sorte de rhinestone cowboy, comme David Allen Coe. On parle aussi de lui en termes de «dark magnetism» et même de «rock evangelism». En 1974, il fait une petite crise de parano et se sépare de Peter Nicholls, de son groupe et prend ses distances avec Shelter et Denny Cordell. Il passe du stade de Master of Space and Time à celui d’«Oklahoma patriarch». Il n’a que 35 ans et Mary, sa femme, 25. Mais comme les blancs du coin sont racistes et que Mary est black, Tonton Leon est obligé de quitter la région.

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    ( Dernière demeure de Leon Russell)

             Il reste cependant un homme complexe. Bill Maxwell le compare à Dylan, «extremely friendly, intelligent, extremely kind, until they don’t want to talk to you anymore, and a wall goes up.» Il faut faire avec, et pour les potes de Tonton Leon, c’est pas simple. Côté addictions, il s’est un peu calmé depuis le temps de l’angel dust à Skyhill. Blue dit que ses addictions étaient «straight-up food and sex». Il voit pas mal de porno à la télé, même dans le bus de tournée. Il prend aussi du poids et dit que de porter ses lourds costards de rhinestone cowboy lui en fait perdre. À 33 ans, il a déjà un look de vieux pépère. Il a les cheveux blancs et marche en boitant.  Quand mary le quitte et lui déclare la guerre, il tombe en ruine. Elle lui fait des procès, «just basically nuisance suits». Cette vache lui réclame 500 000 $ qu’elle obtient, car il veut passer à autre chose, mais elle continuera de lui pomper du blé jusqu’à la fin - She was evil, dira-t-il à Jan, sa nouvelle poule - Tonton Leon est au plus bas et Willie Nelson vole à son secours. Puis en 1981, il s’installe à Hendersonville, dans le Tennessee, avec Jan qui va lui faire trois gosses, Shugaree, Coco et Honey, ce qui avec Blue, Teddy Jack et Tina Rose lui en fait six en tout. La maison du Tennessee avait appartenu à Felice et Boudheaux Bryant, les fameux auteurs de hits pour les Everly Brothers. Dans le milieu des années 80, Tonton Leon a perdu le cap. Il est passé du superstardom au rien-du-tout-dom. Sa seule consolation est de voir arriver chez lui Teddy Jack et Tina Rose, devenus majeurs. Ils s’entendent bien avec Jan, qu’ils appellent Mommy. Ils vont vivre avec leur père durant les années 90. Puis le couple s’installe avec toute la tribu à Sideview, c’est-à-dire à Gallatin, dans le Tennessee. Blues qui a aussi fondé une famille vient s’installer à Sideview. Bien qu’affaibli par un vieillissement précoce, Tonton Leon continue de tourner. Hank Williams Jr. lui propose 14 dates en première partie, mais Tonton Leon le prévient que si ça déraille à cause de ses percussionnistes nigérians, il quittera la tournée. Tom Britt : «En plein milieu de la première chanson, un mec lance une bouteille de whisky sur les Nigérians. We all walk off. End of tour.» Tonton Leon traverse une période misérable, conduisant des bus pas très fiables à travers les états, ce qui lui vaut le surnom the Miser of Space and Time. Eh oui, les temps sont durs. Tonton Leon survit à la fois artistiquement et financièrement. Le couple finit par s’installer à Harmitage, à proximité de Nashville. Cette belle demeure avait été construite pour Dennis Linde, l’auteur de «Burnin’ Love».

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             Il revient dans le rond du projecteur avec le projet d’Elton John et l’album The Union. Mais on l’a dit dans un Part Two, Elton John squatte quasiment tout l’album et fout la pression sur Tonton Leon qui n’aime pas ça : «Elton sort of insisted that I have a producer. Well I’m not a guy that has producers.» Pour Life Journey, l’avant-dernier album qu’il enregistre, son manager Barbis veut mettre Don Was sur le coup pour faire un rock’n’roll album, mais Tonton Leon préfère Tommy LiPuma «from the Blue Thumb days». LiPuma avait produit des gens comme Al Jarreau, Dr John et Diana Krall, mais aussi le Tutu de Miles Davis. Janovitz ajoute que pendant les deux dernières années de sa vie, Tonton Leon se bat pour boucler les fins de mois. Et tout ça se termine à l’hosto avec des problèmes de santé classiques, comme dans tous les romans dignes de ce nom. Tonton Leon est un peu le Johann August Suter que décrit Cendrars dans l’Or. Cette bio a le souffle d’un destin qui n’a de tragique que sa banalité. Chacun de nous finit par mourir, au terme d’une vie bien remplie ou pas.

             Selon Janovitz, Tonton Leon restera «an elite songwriter and one of the greatst arrangers and bandleaders of his generation.»

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             Alors qu’on allait refermer provisoirement ce chapitre, un beau Tribute est tombé du ciel : A Song For Leon - A Tribute To Leon Russell. Une petite équipe d’artistes s’est amusée à taper dans tous les vieux hits du Père Noël, à commencer par l’excellent chanteur masqué Orville Peck. Il tape directement dans «This Masquerade». Belle présence vocale. Le mec est bon, la compo est bonne, alors que peut-on espérer de plus ? Rien. Autre surprise de taille avec U.S. Girls & Bootsy Collins qui tapent «Superstar». C’est fabuleusement travaillé à la black, bien nappé de sucre candydo black, ils traînent le groove dans une étonnante poussière d’étoiles. On passe aux choses très sérieuses avec les Pixies et «Crystal Closet Queen». Okay ! Le gros tape dans le tas. Sans fioritures. Dans le vrai tout de suite. C’est Pixelisé à outrance. Le gros te déglingue vite fait la carlingue. Il abuse de son génie purulent pour exploser Tonton Leon. Et puis voilà Monica Martin et «A Song For You», the Beautiful Song par excellence. Océanique, chanté au fil de la respiration, avec des accents connus de type «Imagine». Quand on réécoute la version originale sur l’album bleu sans titre de Leon Russell, on trouve la voix trop maniérée, effet bizarre. C’était très stéréotypé. La bonne surprise du Tribute vient aussi de Bret McKenzie & Preservation Hall Jazz Band avec «Back To The Island», mid-tempo tapé au big power de big bassmatic et de slide volage, pur jus d’Americana, très fidèle à l’esprit leonien. Signalons aussi le très beau développement durable de Margo Price avec «Stranger In A Strange Land», et cette belle Soul qui aurait tant plu à Tonton Leon, celle de Durand Jones & The Indications avec une cover d’«Out In The Woods». Durand ne fait pas semblant. En plus ça rime.

    Signé : Cazengler, Léon recèle

    Bill Janovitz. Leon Russell. The Master Of Space And Time’s Journey Through Rock & Roll History. Hachett Book Group 2023

    Asylum Choir. Look Inside The Asylum Choir. Smash Records 1968

    Leon Russell & Mark Benno. Asylum Choir II. Shelter Records 1969

    A Song For Leon. A Tribute To Leon Russell

    Les Blank. A Poem Is A Naked Person. 1974. Réédité en DVD

     

     

    L’avenir du rock

     - Hello Dulli, mon joli Dulli

     (Part Three)

     

             La scène se déroule au club. Confortablement calé dans un Chesterfield, l’avenir du rock passe une agréable soirée en compagnie de ses amis, tous des professionnels versés dans les nouvelles technologies.

             — Alors tu résistes toujours à l’appel des sirènes, avenir du rock ? Toujours pas de smartphone ?

             — Nulle envie d’entendre bip-bipper ces machines à tout instant, écoute la tienne, c’est infernal ! Cling... Cling... Aucun smartphone, si smart soit-il, ne me sortira Dulli.

             — Tu as tort de te priver du confort de cet outil. Il te permet de checker tes mails lorsque tu es en déplacement, de surveiller tes comptes au Luxembourg et de visio-conférer avec tes prospects. Tu peux tourner des vidéos en MP4 pour e-coacher tes modules d’e-learning et même stocker des gigas de data. Tu peux aussi visionner des clips de rock sur YouTube...

             — Pas de chance, Marco, je ne vais jamais sur YouTube. Trop de pub. Je vais plutôt sur Dulli Motion.

             — Tu es tout de même très atypique, comme profil. Désolé d’avoir à te dire ça. Tu ne fais rien comme les autres. Il y a quelque chose d’élitiste chez toi, non ?

             — Tu te plantes, Marco. Il m’arrive comme tout le monde de prendre un Dulliprane 1000 effervescent quand j’ai mal au crâne.

             — Ce qui m’épate le plus, c’est que contrairement à nous, tu passes très peu de temps sur le net. Tu pourrais te créer un fil à la patte du caméléon, ha ha ha ha !

             — Non, ces outils-là ne m’intéressent pas. J’ai pas mal de chats à fouetter. Même trop ! Never a Dulli moment !

             — Tu devrais au moins prendre l’avion de temps en temps et voyager. Appelle l’agence Nouvelles Frontières à Montparnasse et demande Erwin de ma part, il te fera des prix. Et comme ça, tu pourras passer au duty free et nous ramener une bonne bouteille de scotch irlandais !

             — Quand je voyage, figure-toi que je ne passe jamais au duty free. Je préfère le Dulli free.

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             Une fois de plus, il s’en sort bien, l’avenir du rock. Il préfère parler de Greg Dulli plutôt que des gadgets de la modernité. Greg Dulli est un artiste tellement génial qu’il échappe au radar du mainstream. C’est à ça, aujourd’hui, qu’on reconnaît les vrais artistes. Ils passent à travers les mailles du filet corporatiste et parviennent ainsi à préserver leur intégrité, comme le firent jadis résistants traqués par la Gestapo. 

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             Greg Dulli a remonté les Afghan Whigs et le nouvel album s’appelle How Do You Burn? Rien qu’à voir la pochette, on sait que c’est un magnifique album : voyons-le comme le Miami du Gun Club qui serait revu et corrigé par le plus tragiquement neurasthénique des visionnaires, Dulli de la terre.  Crack boom dès «I’ll Make You See God». Explosif ! Noyé de son, le pauvre Dulli chante la gueule dans l’eau, ahhhhhbllbllbblll, avec des accords électrocutés, schherrkkrkkrk, c’est d’une violence de la mort qui tue, ça coule dans le dos comme une eau glacée, ça pulse au froid qui extermine toute idée de chaud, ça te fatalise une falaise de marbre. Les Whigs compressent tout le power du rock américain dans un seul cut, un cut qui respire à peine, congestionné à l’extrême, c’est d’une violence qui force la courbe des tropiques, yeah yeah yeah, il n’existe plus rien après un tel ramdam, c’est un beffroi qui s’écroule sur toi, là, tu sais que tu as besoin de prendre du temps pour comprendre ce qui se passe, pour appréhender cette dégelée ultra-dullique, ça grimpe encore dans les degrés du fucking hell et ça brûle à l’intérieur, comme un alcool beaucoup trop fort. Puis Dulli nous fait du heavy Dulli de Getaway avec «The Getaway». Pire encore : l’«I’ll Make You See God» te sonne tellement les cloches que tu as du mal à prendre les cuts suivants au sérieux. Voilà qu’arrive dans tes oreilles «Catch A Colt», un cut inqualifiable, presque putassier. Mais c’est du Dulli, alors tu fermes ta gueule. Le problème est qu’on attend des miracles de cet homme et les miracles se raréfient. «Jyja» peine à jouir, Dulli plonge au plus profond du deepy deep, c’est assez heavy, mais toujours pas de hit dans la hutte. Il remonte à la surface pour «A Line Of Shots». Pas facile de faire des big albums, n’est-ce pas, Dulli ? Il finit par sonner comme U2 ce qui n’est pas un compliment. Il ramène encore tout le son qu’il peut dans «Domino & Jimmy», c’est une belle apocalypse, mais rien de plus. Il pourrait bien être profondément affecté par la disparition de son ami Lanegan. Il semble avoir perdu sa voie. Maintenant il est tout seul, il semble paumé. Ses cuts ne mènent nulle part. On assiste en direct à la Bérézina de Napoléon Dulli. Ça s’agite encore un peu avec «Take Me There». C’est tragique, car le power brille par son absence. Dulli finit par aller se crasher dans les flammes d’«In Flames», criblé par les notes d’un solo problématique, il rend l’âme dans des convulsions extravagantes et nous laisse en héritage un monstrueux shoot d’Atmopshérix vénéneux. 

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             Pour se remonter le moral, le mieux est de plonger dans la rubrique ‘Album by Album’ que propose Uncut, et qui est ce mois-ci consacrée à Greg Dulli, qualifié par la chapôteuse Sharon O’Connor de «torrid grunge Soul man». Dulli passe en revue tous ses classiques et donne de sacrés éclairages. Il dit s’inspirer du classic rock et du classic metal. Quand on lui dit qu’«I’ll Make You See God» qui ouvre le bal d’How You Burn sonne comme du Queens Of The Stone Age, il répond que l’«Highway Star» de Deep Purple était sa North Star. Il indique ensuite que «Line Of Shots» «is built on a mash of Buzzcocks and The Smiths.» Puis il révèle que Van Hunt chante «Jyia» et «Take Me There» - He’s kind of the secret weapon of the record - Il revient aussi sur Lanegan et les Gutter Twins. Il leur a fallu 5 ans pour enregistrer Saturnalia - I named the record, he named the band - Dulli dit qu’il est très fier de cet album - I know we were making something cool, and we did - Il célèbre aussi la trilogie Congregation/Gentlemen/Black Love. Il dit que «Blame Etc» «is really my attempt at writing a Norman Whitfield-style Temptations song. That’s where I was coming from with that, with the wah-wah and the strings. I remember trying to get inside the David Ruffin head, a little bit.» Il rend un fantastique hommage à David Ruffin, «he seemed like a guy who had it all and just destroyed it.» Il revient aussi sur les Twilight Singers et Blackberry Belle - It might be my favorite record - Dulli a raison : Blackberry Belle est une bombe.

    Signé : Cazengler, Salvatorve Duli

    Afghan Whigs. How Do You Burn? Royal Cream Records 2022

    Greg Dulli. Album by Album. Uncut # 305 - October 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Le vert Garland

     

             Au premier abord, Michel Garant semblait extrêmement sympathique. Il passait son temps à sourire et à bavacher. Rien ne pouvait le contenir. Son débit oral était celui d’un fleuve en crue. Il charriait de tout, surtout du rock et du moi-je. Il passait d’un sujet à l’autre sans crier gare et soudain, il trébuchait, tournait trois fois autour d’un mot pour repartir dans une direction opposée, ce qu’on fait tous lorsqu’on perd le fil face à un auditoire. Si par hasard tu lui coupais la parole, il sautait sur la première occasion de reprendre le leadership. Pas par souci de domination. Michel Garant était naturellement extraverti. Il ne se rendait même pas compte qu’il devenait pénible, et, à force de vouloir se faire passer pour un être charitable, bienveillant, intelligent, «de gauche», comme il disait, et soit disant ouvert sur le monde, il finissait par provoquer l’effet inverse. Il transgressait tellement son pseudo-angélisme qu’il générait chez certains de ses interlocuteurs un agacement tel qu’ils peinaient à le dissimuler. Le problème, c’est que Michel Garant était très con, mais il ne s’en rendait même pas compte. À ses yeux, «tout le monde il était beau et tout le monde il était gentil», à commencer par lui. Lui, rien que lui. Lui, encore lui. Si son nombril avait eu des dents et une langue, il aurait parlé du nombril. Il gravitait en orbite autour de lui-même, il ne captait le monde extérieur qu’à travers son prisme, ce qu’on fait tous, mais il l’assujettissait à son modèle mental pour le transformer en ce discours insupportable qu’il déroulait à l’infini et qui donnait la nausée à tous, sauf à lui. On le plaignait secrètement, mais bien sûr, il n’était pas question de lui causer la moindre peine. Son ultra-suffisance, cette adoration immodérée de lui-même cachait de toute évidence une fragilité extrême. Le prier de fermer sa gueule l’aurait sans doute anéanti. Comment peut-on vouloir du mal au roi des cons ?

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             Michel Garant et Garland Green, n’ont rien de commun, si ce n’est une vague forme de consonance. Garant vit dans son monde, et Garland dans le sien. D’un côté le blanc et de l’autre le noir. D’un côté le néant absolu, et de l’autre l’avenir du monde, c’est-à-dire la Soul. Garland Green est un Soul Brother de Chicago. On le croise sur ses albums, mais aussi dans toutes les bonnes compiles de Soul.

             Éminent spécialiste de la Chicago Soul, Robert Pruter transforme la vie de Garland Green en conte de fées. Le roi du barbecue Argia B. Collins trouva la voix du jeune Garland intéressante, alors il l’envoya au Conservatoire de Chicago étudier le piano et le chant, puis il transforma son prénom Garfield en Garland. Dans la foulée, un certain Mel Collins tomba sous le charme de Garland. La femme de Collins n’était autre que l’ex-Ikette Joshie Jo Armstead, devenue une compositrice de talent. Elle allait co-signer «Jealous Kind Of Fella».

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              Quand tu vois Garland Green sur la pochette de Jealous Kind Of Fella, tu as l’impression de voir un gentil géant. Il est accueilli dans son morceau titre par des chœurs de Sisters. Ce gentil géant est un crack. Il crack-boom-hue la Soul avec le power du vert Garland. Son «Jealous Kind Of Fella» est le froti le plus gluant de l’histoire des frotas. Ce hit date de 1969. Avec «Mr Misery», il passe aussi sec au coup de génie. Il éclate son cut dans l’écho du temps et on comprend qu’il soit devenu culte. Pur genius - Won’t you leave me alone - Stupéfiante qualité. On reste dans le très haut niveau avec «All She Did (Was Wave Goodbye To Me)». Ce mec est bon, il règne sur son empire. Ce magnifique artiste fait de la Soul des jours heureux avec «Ain’t That Good Enough», puis il épouse les courbes du groove avec «You Played On A Player», mais il le fait avec la poigne d’un black aux mâchoires d’acier. Il enchaîne avec une fabuleuse pop-Soul d’anticipation, «Angel Baby». Il profile son hit sous l’horizon. Il sait driver un suspense. Il grimpe à l’Ararat avec ses nerfs d’acier. Des mecs comme lui, tu n’en verras pas beaucoup. Encore de la fabuleuse Soul d’Uni Records avec «He Didn’t Know (He Kept On Talking)», c’est travaillé au doux du doux, ambiance magique à la Fred Neil avec des nappes de cuivres. Et cette belle aventure s’achève avec un «Let The Good Times Roll» amené au groove élastique. Baby !, tu le reçois en plein, le vert Garland y va, sa voix fait le poids et c’est vaillamment coiffé aux nappes de cuivres.

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             On retrouve notre gentil géant sur la pochette de Love Is What We Came Here For. Au dos, tu le vois faire du jogging sur la plage. Le vert Garland est un géant éminemment sympathique. Son «Let’s Celebrate» est un coup de génie diskö. Il est le roi du dancefloor. Mais cet album est essentiellement un album de groove, comme le montre «Shake Your Shaker», il te shake ça avec une classe inébranlable. Il est dans le lose control, dans l’all over, il tape ça au mieux des possibilités. Le vert Garland est un diable Vauvert, on est content d’avoir fait sa connaissance. Il groove de plus belle avec «Let Me Be Your Preacher». On aime bien l’idée que ce black soit heureux et qu’il puisse courir sur la plage pour entretenir sa santé. Allez Garland, au boulot ! Il revient avec «I’ve Quit Running The Streets», pas de problème, Garland does it right - I’m going ho-ho ! - Il fait aussi des balladifs fantastiques, comme le morceau titre. Il a de l’appétit pour l’horizon. Il groove encore le r’n’b d’une voix grave dans «I Found Myself When I Lost You», c’est excellent, coloré, juteux, fruité, groovy. Garland vise toujours le côté coloré du son. Il manie l’insistance avec dextérité. Tu as deux bonus à la suite, dont un «Shale Your Shaker» plus diskö et plus sexe. Big bassmatic to the diskö sound !  - The way you shake around - Il y a en Garland Green une pâte d’amande, une Green touch, il groove au shake it on up, ça veut dire ce que ça veut dire. Et puis avec «Don’t Let Love Walk Out On Us», il fait son Barry White. Il t’enrobe les trompes d’Eustache vite fait. Il te ramollit les fourches caudines. Le vert Garland est un prince de la Soul. 

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             En 1983, alors qu’il est installé en Californie, il enregistre un album sans titre, Garland Green. Le plus stupéfiant est qu’il n’y aucun liner dans la boîte : le 4 pages n’est même pas imprimé, à part la une. Mais on sait que c’est produit par Lamont Dozier. Alors, on se console avec «Nobody Ever Came Close», une heavy Soul de dude en forme de Beautiful Song. Il attaque sur le ton de la confession, c’est excellent, une vraie chape. C’est un slow groove de rêve éveillé. Il te l’emballe vite fait. Il attaque d’ailleurs avec un hit de Lamont, «Tryin’ To Hold On». Il est sincère - I’m just tryin’ to hold on/ To my woman/ To my life - Ça va, Garland, on te croit. Mais il insiste. Alors on l’écoute. Lamont fait les backing vocals. Il fait aussi les arrangements de «You Make Me Feel (So Good)». Il chante son «System» la main sur le cœur et son «Love’s Calling» d’une voix solide. C’est un Soul Brother effarant d’assise. Garland est du genre à ne jamais lâcher la rampe. Il faut le signaler, car ça ne court pas les rues. «Love’s Calling» reste de la big Soul de calling you/Calling me. Il boucle l’album avec «These Arms», une heavy dance Soul de Lamont Dozier. C’est forcément énorme. On est une fois de plus effaré par l’incroyable power du vert Garland. Il est superbe et invincible. Black power all over. Grâce à Lamont, ça bascule dans la magie noire. 

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             En matière de compiles, la reine de Nubie s’appelle The Very Best Of Garlan Green. Comme c’est sur Kent Soul, Ady Croasdell partage le booklet avec Robert Pruter, spécialiste de la Chicago Soul et auteur d’une somme du même nom. Est-il bien utile d’ajouter que cette compile grouille de puces ? Tu te grattes dès le «Jealous Kind Of Fella» évoqué plus haut. Heavy groove de Chicago. La Soul de tes rêves, Garland te berce dans ses bras. C’est à la fois épais et imparable. On retrouve aussi «These Arms», ce vieux shoot de Green diskö, et l’excellent «Don’t Think That I’m A Violent Guy» tapé au toc toc toc de wild beurre. Oh la présence de l’immanence ! Retrouvailles encore avec «I’ve Quit Running The Streets» qu’il chante à l’accent gras. Il ne traîne plus en ville, ça rassure sa poule. Il met encore une pression artistique terrible avec «Angel Baby», sa classe flirte en permanence avec le génie. Tu vas aussi retrouver son vieux «Let The Good Times Roll» qui ne doit rien à celui de Shirley & Lee. Il navigue toujours entre la joie de vivre et les nerfs d’acier. Retrouvailles encore avec «He Didn’t Know (He Kept On Talkin’)», il te groove la Soul dans l’âme, il est aussi océanique du Fred Neil. Il tartine sa Soul comme du miel. On retrouve encore «You Played On A Player», heavy groove teinté de gospel, «Ask Me What You Want», sans doute l’un des meilleurs shoots de Soul d’Amérique, il peut aussi ruer dans les brancards comme le montre le wild «It Rained Forty Days & Nights», et avec «Sending My Best Wishes», tu touches au cœur du mythe Garland. Il fait son Barry White dans «Don’t Let Love Walk Out On Us», et de la heavy Soul de Deep South avec «Nothing Can Take You From Me», cette Soul qui colle dans le pantalon. 

    Signé : Cazengler, Garland Gris

    Garland Green. Jealous Kind Of Fella. Uni Records 1969

    Garland Green. Love Is What We Came Here For. RCA 1977

    Garland Green. Garland Green. Ocean Front Records 1983

    Garland Green. The Very Best Of Garlan Green. Kent Soul 2008

     

    *

    _ C’est quoi encore ce bordel ?

    _ Monsieur le Préfet, votre flair nous étonnera toujours, vous avez raison, c’est un regroupement séditieux d’individus mal intentionnés que nous suivons étroitement depuis plusieurs mois. Nous les suspectons de faire tourner la tête à toute une innocente partie de notre belle et saine jeunesse hélas trop naïve…

    _ Ne perdons pas notre temps, que proposez-vous pour nous en défaire ?

    _ Nous pourrions sous n’importe quel prétexte futile les enfermer en prison…

    _ Vous plaisantez, les nourrir grassement à ne rien faire et à regarder la télé aux frais du contribuables, faites comme pour Socrate !

    _ Excusez-moi Monsieur le Préfet, je ne connais pas cet individu, quel châtiment lui avions-nous infligé ?

    _ Le seul qui vaille la peine, la peine de mort !

    _ Ce n’est que justice Monsieur le Préfet, je n’ose même pas imaginer les méfaits qu’ils avaient commis.

    _ Le même que vos trois futurs condamnés, quod corrumpet juventum !

    _ Excusez-moi Monsieur le préfet, je n’ai pas compris, mais ce doit être terrible !

    _ Plus que vous ne le croyez mon brave sous-fifre ! Exécution immédiate !

    BASTA

    C’ KOI Z’ BORDEL

    Ne vous trompez pas d’objets sonore, Basta tiens n’y a-t-il pas un disque de Léo Ferré qui porte le même titre ? Pas tout à fait, un album de 1973 qui se nomme Et… Basta ! Ah bon ! Pourtant Ni Dieu ni maître, c’est de Ferré je pourrais même le chanter, ‘’il n’y en a pas un sur cent et pourtant ils existent’’, exactement même si Ferré chantait mieux que vous, sa version la plus aboutie est celle de l’enregistrement public à la Mutualité en 1970. Question Chimpanzé Léo n’entretenait-il pas une relation amoureuse avec une guenon… Ce sont donc des reprises de Ferré ? Non, des créations originales ! Alors pourquoi toutes ces connotations ?

    Peut-être pour nous faire réfléchir que depuis les révoltes de mai 68, rien n’a vraiment été bouleversé mais que tout a changé. Expliquez-moi, je ne comprends pas. L’après 68 fut le temps de l’illusion lyrique, la Révolution semblait toute proche, l’on en parlait avec emphase, l’on prenait modèle sur les chuchotements insidieux de Verlaine et la barbare violence de Rimbaud, un demi-siècle plus tard le constat est amer : le grand soir n’a jamais eu lieu… Donc c’est un disque passéiste empli de nostalgie ! Pas du tout, C’ Koi’ Z’ Bordel ne regarde pas en arrière, vous plonge le nez dans le caca du présent qui nous dit que le pire est à venir si l’on ne se bouge pas le cul.

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    Une pochette noire comme la misère mentale qui nous accable. Trois têtes, trois bustes estompés par la noirceur du monde. Ce ne sont pas les individus qu’il faut admirer, c’est le message qui prime.

    Cyril : guitariste, chanteur / Olivier : batteur / Stéphane : bassiste.

    Ni dieu ni maître : une batterie qui ricoche comme des balles sur le bitume, tout de suite c’est l’emballement, une guitare qui part en vrille, une batterie fracassante et un vocal qui vous saute à la gorge, des lyrics qui n’ont pas peur de s’encombrer de gros étrons, religions, capitalisme, théocratie, despotisme, gerber, cracher… Méfiez-vous, les étoiles ninja que lance la guitare de Cyril sont tranchantes…  Ne courez pas aux abris, criez plutôt Kick out the Jam, comme le chantait un groupe de Destroy City. Sous-race de Chimpanzés : un peu de classification zoologique n’a jamais fait de mal à personne, c’est un peu dur pour nous les hominiens, soyons justes, nous nous ne sommes pas une espèce très écologique, comment Olivier peut-il tenir ce beat incandescent tout en produisant ces flots de roulements tourbillonnants battériaux incessants, l’on dirait qu’il répand du round up à profusion sur des champs pollués. Basta : Vous avez eu le constat édifiant dressé en moins de six minutes, c’est très bien, en fait c’est très mal, maintenant faut conclure. Que faire se demandait Lénine. Nos bordellistes lui répondent : c’est assez. Cyril vous envoie à plein gosier des rafales de bastos de ‘’basta’’ la meilleure des mécadicamentations pour combattre l’épidémie des lâchetés individuelles. Assez : au cas où vous n’auriez pas compris, vous ont traduit Basta en français, en plus rapide, en plus violent, un vocal dégueulis, une basse tarabustante, une guitare vitriolée, une batterie gourdinée, 78 secondes dont vous ne vous relèverez pas. Dix de plus que 68, faut augmenter la dose !

             C’ Koi Z’ Bordel hisse l’étamine noire. Un cri de rage et de haine, pour réveiller les morts-vivants qui passent leur temps à se plaindre. Un chef-d’œuvre nécessaire.

    Damie Chad.

     

    *

    Du nouveau pour Burning Sister, la presse underground américaine, The Obelisk, Doomed Nation, The Sleeping Shaman, commence à s’intéresser à eux, nous avons été probablement les premiers à parler d’eux, voir KR’TNT 560 du 20 / 06 / 2022 et KR’TNT du 24 / 11 / 2022… Dave Brownfield a laissé sa place à Nathan Rorabaugh d’Alamo Black autre groupe de Denver ( Colorado )… Ils viennent de sortir un nouvel EP.

    GET YOUR HEAD RIGHT

    BURNING SISTER

    (Sleeping Sentinel Records / Octobre 2023 )

    Steve Miller : bass, synth, vocals / Nathan Rorabaugh : guitar / Alison Salutz : drums

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    Une ligne de chemin de fer enfoncée dans une tranchée forestière, elle ne court pas vers un horizon infini mais s’engouffre dans un tunnel d’où pour ceux qui prennent tout au pied de la lettre le conseil de tenir sa tête droite, et pour ceux qui décryptent la portée symbolique des paroles un mot d’ordre à rester droit et debout devant les difficultés…

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    Fade out : ( paru en août 2023 sous forme d’une Official Video )  : tout ce qu’il y a de plus classique : le groupe en train de jouer, de temps en temps l’image défile comme en surimpression en couleur rouge, bleu, vert, sans doute  pour éviter la monotonie d’une vidéo peut-être pour que l’auditeur  comprenne que Burning Sister flirte avec le psychédélisme, le plus intuitif serait à mettre le flou de ces images avec l’intitulé des titres du morceau et de l’album, chacun tranchera dialectiquement la contradiction exposée à sa guise, parfois la meilleure stratégie ne serait-elle pas, au lieu d’affronter un système qui finira par vous broyer, de se fondre dans le monstre, de devenir un monstre invisible, bientôt n’apparaît-il pas en sur-sur-impression évanescente un individu, un enfant de la taille d’un adulte, qui s’amuse à courir, à bondir, à faire de la balançoire, déguisé en Captain America, jusqu’au moment où à la fin du morceau l’image d’une clarté absolue nous découvre que ce n’est autre que Steve Miller, le bassiste. Dès le début l’on entend gronder la basse de Steve, mais ce n’est rien comparé à sa voix qui vous ligote et vous retient prisonnier dans ses cordes vocales, c’est un régal de voir le groupe se saisir du riff initial plus noir que noir pour le mener au bout des cinquante nuances de gris du rock’n’roll. Une superbe démonstration que les combos débutants auraient intérêt à étudier. Barbiturate Lizard : coups de basse comme autant de coups de butoir, bientôt amplifiés par une guitare qui pousse à la roue, un fond de synthé perforant et Sister Alison qui vous martèle un tempo implacable tandis que la voix de Steve qui semble résonner sous la voûte d’un souterrain enfoui au creux de la terre vous envoûte pour l’éternité, ensuite comme à tous ses morceaux le groupe vous ensorcèle, bien sûr il riffe comme des milliers de combos de par le monde à cette différence près que quand ils ont bien le riff en main il commence à ronronner comme un chat puis à rugir comme un lion et enfin à se débattre comme un dinosaure qui endormi depuis des millions d’années se réveillerait, juste, ce n’est pas de chance, sous votre maison qui s’écroule sur vous comme un château de cartes en plomb fondu. Get your head right : trois petits coups de baguettes ( magiques) et un monstre riffique déboule sur vous, ça tonne comme l’orage, ça arrache les toitures, ça écroule les gratte-ciel, je me demande qui pourra garder la tête haute sous une telle tempête, z’avez envie de rentrer tel un escargot dans une coquille de béton armé, mais la batterie tape sur votre abri anti-atomique et déjà se forment des lézardes pas du tout sous barbituriques, il y a une guitare qui ricane sinistrement, un vocal qui vous maudit jusqu’à la soixante dix-septième génération, mes chiens qui quittent leur panier ( j’écoute au casque ) heureusement c’est fini, ouf, non ça recommence en plus lent mais en plus lourd, vous en veulent à mort, vous ignorez pourquoi, mais eux ils le savent là, maintenant vous touchez du doigt, qu’ils sont en guerre contre votre lâcheté congénitale. Tant pis pour nous ! Looking through me : au cas où vous n’auriez pas compris le morceau précédent, vous refont le coup des trois petites baguettes maléfiques, ensuite ils vous prennent un riff et vous le malaxent comme quand vous jouez avec un chewing gum sonore, c’est alors que vous vous apercevez que vous avez beau le mastiquer de toutes vos forces, ils s’amusent de vous, ils vous brisent les plombages et vous scellent le dentier si fort qu’ils vous empêchent d’ouvrir la bouche et de respirer, en plus ils vous calfeutrent les fosses nasales, dix mille orchestres déchaînés se mettent à vous jouer le Te deum du Requiem de Mozart, une masse phonique en fusion vous engloutit à jamais pour l’éternité ( plus un jour, on ne sait jamais ). Le pire c’est que vous ne vous plaignez pas, c’est grandiose.

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     When tomorrow hits : une reprise de Mudhoney, manière d’affirmer haut et fort son pédigré, le morceau est sorti en avant-première assorti d’une magnifique pochette ouverte à tous les rêves, à tous les cauchemars : L’est sûr que lorsque le destin frappe il est trop tard, une basse qui sonne comme une cloche funèbre, une batterie qui enfonce les clous du cercueil une voix d’outre-tombe ( sortie tout droit des grandes orgues de la sombre magnificence de la prose des  Mémoires de Chateaubriand ), une guitare qui n’en finit pas de pleurer à chaudes larmes, à moins qu’elle ne ricane tout haut, si vous pensez qu’ils en font trop qu’ils vont mettre la pédale douce, vous n’avez rien compris au film, c’est dommage parce qu’il est déjà fini. Perso je pense qu’ils écrasent la version de Mudhoney avec beaucoup plus de boue que de miel.

             EP étourdissant. Sister Burning brûle les étapes. Il se murmure qu’ils préparent un album. Pauvre de nous tant de temps à attendre !

    Damie Chad.      

     

    *

    Des groupes qui se prénomment Red Cloud il en existe aux quatre coins du monde toute une tribu, mais celui-ci est français, z’ont leur camp sur Paris, j’avoue que tout ce qui évoque de près ou de loin la lutte désespérée menée par les grands chefs sioux pour préserver leur liberté me fascine.

    BAD REPUTATION

    RED CLOUD

    (Single : Février 2023 / BC / YT)

    Roxane Sigre : vocals / Rémi Bottriaux : guitar / Maxime Mestre : bass / Laura Luis : organ / Mano Comet : drums.

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    Roxane toute seule sur la couve rouge, une bouche grande ouverte à avaler le monde, de rondes lunettes à la Janis Joplin, elle le mérite, un trottinement de souris sur le tambour, deux éclats de guitare, dès que vous entendez le feulement de sa voix vous oubliez tout ce qui précède, une espèce de glapissement modulé de chacal ou de chien de prairie, pas besoin de sortir de polytechnique pour décréter qu’il y a une véritable chanteuse dans le groupe. Ses congénères le savent, lui clouent aussitôt le bec pour que vous vous rendiez compte qu’ils lui préparent un tapis rouge de flammes, des pyromanes qui vous dressent une barrière de feu infranchissable, elle s’en fout, elle en joue, elle maîtrise la situation, la voix pointue comme une flèche qui se fiche dans votre cœur et c’est parti pour la longue traversée, Laura vous englobe la scène d’une cavalcade de poneys affolés, Rémi érige un vol de frelons, Maxime rampe comme un serpent et Mano porte un coup à tous les ennemis qu’il écrase, Roxane medecine-squaw vous guérira de tous vos maux de son vocal tranchant comme un couteau de scalp.

    Vous avez aimé Bad Reputation : voici une vidéo promotionnelle d’Arno Vincendo, vous les voyez jouer en playback, c’est bien fait, cela permet de les admirer, soulagement Roxane ne singe pas Janis, elle se contente d’être elle-même et c’est bien. Enfants gâtés vous aimeriez voir Bad Reputation : Live à L’International : vous ne savez pas tout ce Kr’tnt ! peut faire pour vous : les voilà dans un halo de nuage rouge, le son est davantage terre à terre, moins incisif que sur disque, mais l’ensemble tient bien la route et l’on entend le public apprécier. Comme un bonheur ne vient jamais seule vous avez encore Velvet Trap et Swallow deux titres issus du même concert et n’en jetez plus  dix autres vidéos sur la chaine de Matt Diskeyes, la plupart des titres parus sur leur album éponyme paru en mars 2023 que nous chroniquerons prochainement.

             ( Sur la même chaîne vous avez le concert de Bordeaux de Gyasi auquel le Cat Zengler a consacré ( voir livraison 608 du 31 / 08 / 2023 ) une magnifique chro sur son concert au Binic Folk Blues festival 2023 + dernier album.)

    Damie Chad.

     

    *

    Laissons la parole à plus doué que nous :

    ‘’ Car parmi les nombreuses institutions excellentes et même divines que votre Athènes a créées contribuant ainsi à la vie humaine, aucune, à mon avis, n’est meilleure que ces mystères. Car grâce à eux, nous avons été sortis de notre mode de vie barbare et sauvage, et éduqués et raffinés jusqu’à un état de civilisation ; ainsi comme ces rites sont appelés ‘’ initiations’’, ainsi en vérité nous avons appris d’eux les commencements de la vie et avons acquis le pouvoir non seulement de vivre heureux, mais aussi de mourir avec une meilleure assurance.’’

    Cicéron.  Les Lois II, XIV, 36.

             L’on ne se rend pas compte de l’apport de Cicéron quant à l’élaboration de la pensée occidentale, c’est lui qui a choisi et défini les mots latins afin de traduire l’ensemble des concepts philosophiques initiés par les Grecs. Vocables grecs et latins enracinés dans les langues européennes forment les deux branches séminales et constitutives de l’ADN de toute démarche de pensée. Ce n’est sûrement pas un hasard si Telesterion a posé ce passage en épigraphe à son nouvel opus.

    EPOPTEIA

    TELESTERION

    (Snow  Wolf Records / CD - K7 / Octobre 2023)

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    Rites performés par les prêtres de Demeter : Celeus / Dioclese / Eumolpos / Triptolemus / Plolysceinus.

    J’entends déjà certains lecteurs : écoute Damie, tu nous les brises, tes rituels d’Eleusis, la petite graine d’où sort la plante, sur laquelle se développe une fleur qui engendre un fruit porteur d’une ou plusieurs nouvelles graines, n’y a pas de quoi en faire un fromage, l’on apprend ça en CM1, alors lâche-nous la grappe.

    Z’oui, mais. C’est le moment de relire attentivement l’extrait de Cicéron. La graine qui meurt mais qui se faisant engendre une nouvelle plante, pour résumer : la mort qui donne naissance à la vie, évidemment c’est un peu simpliste encore faudrait-il se demander ce que ce cycle végétatif signifie et signifiait au regard des Grecs.

    Cicéron ne parle pas de graine mais de civilisation, non pas en tant que déploiement culturel mais en tant que nouveau stade d’une maturation de l’humanité animale de l’Homme. Il faut bien comprendre qu’un mythe ou un rite n’est pas une belle histoire qui a su séduire les imaginations de dizaines de générations, qu’il suffit de répéter pour être satisfait de soi-même. Celui qui regarde une table en décrétant tout content de lui ‘’ ceci est une table’’ occulte par cette constatation péremptoire tout ce qui a précédé : par exemple : ne serait-ce que le mode de production, de distribution, d’usage de cette table… N’envisageons même pas les opérations intellectuelles nécessaires à la construction de cette table, Platon a déjà analysé ce processus intellectuel dans son dialogue Le Sophiste.

             Tout ce préambule pour affirmer qu’avec Epopteia, Telesterion a choisi de se rapprocher de la réalité de ce furent les mystères d’Eleusis. Un drôle de challenge puisque la documentation sur ses fameux mystères ne couvre pas tous les aspects de ce phénomène cultuel. Rappelons qu’il était interdit sous peine de condamnation à mort de dévoiler La partie secrète des rites éleusiniens. Nous ne possédons que des renseignements dus à des recoupements conjecturaux de textes divers qui ne se corroborent pas nécessairement… Un puzzle aux nombreuses pièces manquantes dont les éléments qui nous restent ont bien du mal à jointer entre eux. A titre d’exemple commençons par le commencement : la couve du CD.

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             Reproduction de La Danse des Bacchantes tableau du peintre Charles Gleyre. Né en 1806, mort en 1873. Le format carré du CD ne rend pas justice à cette toile, pour la voir en son entier il est préférable de regarder la vue intégrale qu’en offre l’illustration de la K7. Natif de Suisse Charles Gleyre recevra dans son atelier parisien de nombreux jeunes peintres qui rompant avec lui formeront la première phalange des impressionnistes, notamment Sisley et Monet. Autant dire qu’on le classe facilement parmi les Pompiers. Le musée d’Orsay lui a consacré une exposition en 2016. Il est une autre façon de le considérer en le définissant comme un précurseur des Symbolistes.

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             A l’intérieur du CD ce tableau de Charles Gleyre côtoie Le Retour de Perséphone de Frédéric Leighton. Né en 1830, mort en 1896. Bien oublié aujourd’hui si on compare le succès et la reconnaissance officielle de l’Etat Britannique dont il jouit de son vivant. Peintre académique qui par certains aspects n’est pas sans lien avec le préraphaélisme.

              Une question se pose : pourquoi Le Retour de Perséphone de Frédéric Leighton dont le sujet est en lien direct avec les mystères d’Eleusis consacrés à Demeter la mère de Perséphone est-il posé à côté de La guerre des Bacchantes que l’on relie généralement à Dionysos. Apportons une réponse qui demandera à être explicitée. Selon la – il vaudrait mieux employer l’adjectif indéfini ‘’une’’ - tradition, c’est Orphée - qui mourut démembré par les bacchantes du cortège de Dionysos - qui aurait institué les mystères d’Eleusis.

    La sortie des neuf titres d’Epopteia a bénéficié d’un mode de lancement   quelque peu bizarre, un titre par jour du 30 septembre au 8 Octobre. Rien à voir avec un coup publicitaire, aucune envie de faire le buzz sur les réseaux sociaux, simplement faire coïncider la parution des neuf titres avec la date anniversaire de leur déroulement lors de l’Antiquité. Le disque est donc une sorte de reprise du rituel antique. Certains l’entendront comme une fable musicale, d’autres reconnaîtront dans les quelques mots anglais   par lesquels Telesterion se définit en anglais sur son bandcamp à savoir : ‘’I begin to sing of Demeter’’ – le début de l’Hymne à Demeter dont voici la traduction du texte original grec par Leconte de Lisle : ‘’ Je commence à chanter Demeter…’’.

    Entonner l’Hymne à Demeter peut-il être efficient ? Cette question est des plus épineuses, elle soulève la problématique fondamentale en laquelle réside l’attribution que l’on donne ou que l’on s’interdit de prêter à l’essence de la poésie. Serait-elle orphique et par cela aurait-elle une action sur la nature du monde. Si non, en quoi réside le distinguo opéré entre prose et poésie. La question peut paraître oiseuse, mais elle permet de percer le sens du concept de surhomme nietzschéen, en tant qu’homme capable d’œuvrer à l’Eternel Retour des choses. Une manière de s’approprier le rôle des Dieux. La fascinante compréhension des mystères d’Eleusis touche à cette ontologie fondamentale du rapport de l’être avec l’energeia originelle si tant est qu’elle soit originelle.

             Cet Hymne à Demeter raconte comment Demeter désespérée d’avoir perdu sa fille, parvient à Eleusis, elle est reçue dans la maison du roi Keleos, pour le remercier de son accueil et de son hospitalité elle fonde le temple d’Eleusis, dans lequel elle et sa fille  Perséphone seront célébrées.

             Nous allons écouter Epoteia en essayant d’analyser l’interprétation qu’en propose Telesterion. Il n’existe, même pas de nos jours, de doxa fixe. Le déroulé sera interprété au cours des siècles différemment par les anciens grecs eux-mêmes.  Plusieurs niveaux d’interprétations coexistent : niveau strictement historial, rituellique, religieux, mythologique, mythique, politique, poétique, philosophique, métaphysique. Souvent, selon l’élément déterminé expliqué l’on passe d’un niveau à un autre sans crier gare. De plus   plusieurs grades d’initiation sont proposés, même si celle-ci est ouverte à tous : hommes, femmes, esclaves. L’epoteia est le plus élevé, réservé à ceux qui possèdent de par leur savoir ou leurs fonctions politiques des connaissances culturelles étendues et qui sont capables d’atteindre à une abstraction intellectuelle élevée.

    Gathering : ( jour 1 ) : un peu comme l’ouverture d’un opéra, l’on pense à Lohengrin, chœurs célestes et tambourinades appuyées, des milliers de pieds foulent le sol, Demeter la terre et Zeus la divinité en tant que principe de connaissance. Cette intro est magnifique, somptueuse et grandiose malgré sa brièveté. Le premier jour des mystères est une procession publique. Elle part d’Eleusis et se rend à Athènes. Les mystagogues, ceux qui enseignent les mystes, candidats à l’initiation, portent précieusement des sacs ans lesquels sont cachés les objets sacrés qui seront utilisés lors des futurs rituels. To the sea : normalement les mystes passent le deuxième jour à l’abri invités par certains athéniens dans des demeures particulières, ils ne doivent pas sortir et prendre du repos car l’initiation exige une grande dépense d’énergie physique et psychique. Cette marche vers la mer est censée se passer le troisième jour, il semble que Telesterion tout en respectant le déroulement des initiations privilégie davantage certaines phases que le calendrier stricto sensu. Mais tout cela se discute, tout dépend des chercheurs dont on suit les résultats et les propositions. Un départ plein d’allant, une course précipitée pleine d’enthousiasme, pas une procession emplie de ferveur, les chœurs chantent et accompagnent le tempo rapide de la batterie, dès qu’il nous semble percevoir un léger essoufflement, un semblant de ralentissement, le déluge sonore reprend de l’ampleur, trois coups de batterie théâtrale, de grandes vagues sonores nous assaillent nous baignons dans une allégresse purificatrice. Les mystes vont se purifier dans la mer, pourquoi la mer et pas dans une eau non salée, à proprement parler ce n’est pas une lustration dans la mer mais dans la mer posidonienne. Dans son passé tumultueux Demeter a eu une liaison avec Poseidon. Demeter, Zeus, Poseidon, la terre, le feu, l’eau, cette union élémentale n’est point hasardeuse, nous y reviendrons. Hither the victims : musique lourde et pesante, les chœurs ne s’envolent pas vers les aigus, ils semblent épouser le lent rythme percussif, les guitares laissent échapper leur riff telle une flaque de sang qui s’étendrait lentement à même le sol. Après la purification par l’eau le sacrifice par le sang. La bête immolée par le myste est un pacte de reconnaissance de l’ordre divin et sacré. Les morts aiment à boire le sang des sacrifices, n’oublions pas que les mystères d’Eleusis touchent à la mort. L’animal propitiatoire est le cochon. On en trouve peu de représentations dans les diverses images qui nous sont parvenues de l’antiquité grecque. Songeons toutefois que de retour à Ithaque Ulysse est accueilli par Eumée le porcher, un des seuls qui lui soit resté fidèle. Demeter est une vieille déesse, ses toutes premières représentations la montrent sous forme d’un porc. Le lien entre Demeter déesse du blé et le cochon est évident : la nourriture. Festival : un moment essentiel, la batterie talonne le sol, les chœurs respirent une joyeuse espérance, c’est une procession imposante, une certaine solennité accompagne ce défilé : les mystes précédés par les mystagogues sous la direction de l’hiérophante qui dirigera l’accomplissement des rituels. Ils ne sont pas seuls, les prêtres et les prêtresses de nombreux temples athéniens, les autorités politiques de la cité, les cinq cents membres de la Boulé, et le peuple qui suit… lors du passage du pont qui relie la cité d’Athènes à Eleusis les mystes sont l’objet de moqueries et de brocarts divers. C’est le retour à Eleusis des objets sacrés qui ont été au premier jour des mystères emmenés à Athènes. Pilgrimage : bruits, confusion sonore, la batterie essaie de trouver sa place, nous sommes entrés dans le Telesterion, la grande salle aux quarante – deux colonnes dans laquelle évolue lentement la procession, seuls mystes et mystagogues sont entrés, les chants s’élèvent, est-ce l’Hymne à Demeter, la tonalité baisse d’un ton, sans doute a-t-on éteint les torches, l’hiérophante est devant, dans le noir la foule le suit, l’on passe brutalement de la nuit au jour, longs tâtonnements labyrinthiques, les statues des Dieux s’illuminent d’un coup, premier enseignement symbolique, la nuit de la mort épargne les Dieux, si vous ne voulez pas mourir rejoignez les Dieux. Reverly : musicalement ce morceau est dans la continuité du précédent mais le son s’alourdit, l’on arrive au moment crucial de la révélation, une prêtresse dévoile l’objet sacré par excellence, l’épi de blé, sans doute est-il en or, et d’une taille démesurée, mais l’on n’en reste pas là, l’épi est de nouveau voilé, sans doute les torches sont-elles masquées quelques secondes, lorsqu’elles réétincellent l’épi est  une nouvelle fois encore dévoilé, mais ce n’est pas l’épi qui apparaît mais un phallus qui se dresse. L’hiérophante et la prêtresse, sont-ils retirés dans une entrée de souterrain, miment ou exécutent le mariage hiérogamique de la déesse Demeter avec Poseidon et peut-être même avec Zeus dont elle a été l’amante… Il se peut qu’au tout début des mystères l’hiérophante ait été castré ou rendu impuissant par une dose de cigüe, comment un mortel aurait-il la prétention de pénétrer ne serait-ce qu’un substitut de déesse représentée par une prêtresse…  Nous sommes loin de l’histoire de la petite graine, l’enseignement ne se contente pas de ce qui est divulgué dans les Petits Mystères. Ici l’on aborde un sujet bien plus délicat, celui de l’union de l’être humain avec le divin. Certains lecteurs seront déçus, quoi les mystères, une simple partie de jambes en l’air au fond de la terre. L’origine des mystères d’Eleusis remontent à mille cinq cents ans avant notre heure. Sans doute l’histoire de la petite graine… fait-elle allusion au lointain moment de la préhistoire néolithique ou les tribus de chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisées en agriculteurs-éleveurs à partir desquels ont été édifiées les premières cités. Cicéron ne dit pas autre chose…The descent : une guitare égrène des notes comme si elle frappait sur un gong, cette nudité sonore correspond à la déception ressentie par le myste durant l’initiation, tout a été dit, tout a été montré, et tout compte fait l’initié est-il vraiment différent, ne va-t-il pas mourir comme tous les hommes lorsque son tour viendra, n’a-t-il pas participé à un jeu de dupe, les chœurs consolateurs s’élèvent, oui tu mourras comme tous les autres, mais puisque tu as reçu l’initiation, tu es certain que lorsque tu mourras tu ne seras pas forcé de revenir sur terre pour essayer de trouver la lumière qui t’a été donnée par l’initiation. Le lecteur tant soit peu fûté estimera que le chrétien qui a reçu le baptême et l’absolution est censé monté directement au paradis. Ce n’est pas un hasard si les pères de l’Eglise ont abondamment commenté les mystères d’Eleusis. Il suffit d’y croire. Or les Grecs ne croyaient en rien. Ils préféraient penser. The search : la musique s’alourdit encore, mais commence à s’élever une crête lumineuse de notes plus claires tandis que les chœurs deviennent célébration, la batterie conquérante va de l’avant. Dans le commentaire du morceau précédent, le lecteur aura remarqué que l’on est passé de la simple description explicative des mystères à une allusion à la pensée de Platon quant à la survie de l’âme immortelle obligée de se réincarner dans un autre corps en espérant que cette nouvelle enveloppe charnelle lui permettra de vivre une vie de haute sagesse, non engluée en les passions humaines, trop humaines c’est-à-dire mortelles, et que cette âme pourra alors entrer en contact avec le monde divin… Le myste ne peut entrevoir cela qu’en comptant sur lui-même. L’initiation est une ouverture, un dévoilement, qu’il s’agit de concrétiser par soi-même en soi-même. The ascent : le titre précédent évoque cette ascension de l’âme tels que l’ont décrite dans la suite de Platon les derniers philosophes païens, Julien, Plotin, Proclus. Il ne s’agit pas d’atteindre le divin en se projetant hors de soi mais en réalisant la graine de volonté de divin qui est en nous. Qui a toutes les chances de se désagréger si nous ne réalisons pas cet accès au divin. Les gnostiques l’ont tenté, Nietzsche à la suite de Goethe parlera de surhumanité qui ne peut être accomplie que par l’éternel retour de la volonté de son propre désir. La fin d’Epoteia est magnifique. Elle ne culmine pas en une apothéose grandiloquente. Elle s’arrête pour que chacun puisse en écrire la suite.         

    c' koi t' bordel,burning sister,red cloud,telesterion

      

               Notre commentaire n’est qu’une lecture possible parmi tant d’autres. Sans doute ne correspond-elle pas à celle souhaitée par Telesterion. Elle n’est qu’une approche. Nous avons par exemple omis la relation Perséphone-Demeter que nous avons déjà développée en d’autres chroniques. Nous avons aussi passé sous silence la probable influence des mythes et des religions égyptiennes sur Eleusis. Le couple Isis-Osiris n’est-il pas à mettre en relation avec le couple pour ainsi dire en filigrane Demeter-Dionysos. De même malgré la présence du tableau de Charles Gleyre nous ne nous sommes pas aventurés sur les relations Demeter-Orphée-Dionysos. Nous explorerons cette triade en une autre occasion. Le lecteur qui désirerait en savoir plus peut déjà lire les deux tomes de Les mythes grecs de Robert Graves qui conte l’occultation dorienne des lieux sacrés de la Grande Déesse…

                Avec Epoteia et les quatre opus qui l’ont précédé, Telesterion a acquis parmi les groupes de metal une place à part qui attire de plus en plus de curieux…

    Damie Chad. 

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 466 : KR'TNT ! 466 : THE PESTICIDES / GREG DULLI / VIVIAN STANSHALL / PRETTY THINGS / SUPER GROS CON / ROCKABILLY GENERATION / JADES / MANIFESTE ELECTRIQUE / WEST BRUCE & LAING

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 466

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB KR'TNT KR'TNT

    28 / 05 / 2020

     

    THE PESTICIDES / GREG DULLI

    VIVIAN STANSHALL / PRETTY THINGS

     SUPER GROS CON

    ROCKABILLY GENERATION / JADES

    MANIFESTE ELECTRIQUE / WEST BRUCE & LAING

     

    THE PESTICIDES

    ( Soundcloud )

     

    J'avais préparé le titre ci-dessus pour écrire la chronique ce matin et avant de me mettre à l'œuvre je jette un coup d'œil distrait sur le fil de mon FB, tiens marrant une photo de Djipi Kraken alors que je vais parler de lui dans trois minutes, mais l'horreur déboule vite, Elise Bourdeau à mots touchés-coulées nous annonce qu'il est passé du côté des ombres.

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    Nous n'avions fait que l'entrevoir, dans sa vareuse blanche et ses cheveux blonds, le visage fermenté et couturé d'un spleen byronien, d'instinct nous avions pensé à un artiste tourmenté par l'étrange alchimie opératoire que sont les noces de la poésie et du rock'n'roll. A ses côtés les deux pestes, qui furent ses derniers rayons, d'un soleil noir et baudelairien. Il arpente maintenant des sylves obscures, pour quelques uns sa présence aura orienté leur intimité au monde. Rares sont les individus qui irradient ce privilège insigne d'illuminer l'existence de ceux qui ont côtoyé leur solitude êtrale. Chemins réservés.

    Toutes nos pensées à ces petites pestes...

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    Deux titres uniquement sur ce Suncloud qui ne demandait qu'à être empli. Dont l'ajointement résonne tel un ultime message, la nécessité de vivre intensément d'une part, et la sensation de cet anneau de feu qui nous encercle, nous donne tour à tour mort et naissance infinies. Car ce qui est mort ne mourra plus jamais.

    Take me : étrange de s'apprêter à écouter The Pesticides sans les voir sur scène, la signalitique gesticulatoire des deux jumelles focalise l'attention, vous êtes sensible au jeu du double miroir de leurs mouvements, et là vous n'avez que la voix. C'est faux puisque la guitare de Kraken est présente aussi, mais cette fois elle n'est pas en appui direct, un petit binaire bien pesé mais rien de prenant, c'est que le Kraken connaissait ses demoiselles, leur perversité native, juste leur donner le ton, et l'auditeur se débrouille avec ces deux voix à l'unisson qui rampent comme du lichen bubonique qui aurait décidé de se fixer sur l'aura de votre âme. Et vous restez-là, incapable de chasser de la main cette lèpre insidieuse, et fascinante. Le murmure des sirènes est encore plus déroutant que leur plein-chant. Death circle : un phrasé davantage rock, le Kraken qui fait craquer ses écailles plus fort, la flamme est-là, elle avance sans se presser, inextinguible, mais lorsque le morceau s'arrête, la boucle s'achève et vous a rejeté sur le rivage de votre insatisfaction humaine. Vous avez raté quelque chose, votre vie, mais elles chantent comme des gamines qui tirent la langue à la mort.

    Et puis dans la journée sont apparus d'autres titres qui sont parfois aussi crédités en même temps The Pesticides et Les Brigades Rouges, ou Barbelés, quand vous recherchez vous vous apercevez que vous retombez sur The Pesticides, ou Djipi Kraken, un jeu subtil entre hétéronymes et projets parallèles en déshérence.

    Jessy : j'ai six quoi ? Six fragments de quoi ? Elles font leur voix de prêtresse mystérieuses occupées à d'incompréhensibles rituels, parfois l'une chante plus haut que l'autre comme s'il fallait aider au déséquilibre du monde. Très beaux froissés de guitare. Vous ne saurez jamais si Jessy était un être de douceur ou un pantin désarticulé. Quelle importance. Sûrement une ténébrante fleur du mal. Terrific Man : ça terrifique, je pars me recoucher, il en faut plus pour me faire peur. Et ces voix aigües, doit y avoir une araignée noire et velue dans le studio, ce n'est que petit à petit que la frousse commence à vous gagner, pourtant le background est idéal, à la troisième reprise – ah ces coups de cymbales miteuses - vous ne savez plus si vous-même vous n'êtes pas l'épouvantail qu'elles se chargent de supplicier. What's wrong with me : la guitare de Kraken est un vortex d'introspection auto-mutilatoire, les filles chantent depuis l'intérieur de leurs corps, on croirait qu'elles sont devenues poissons lovecraftiens, à moins que ce soit l'exploration simultanée des deux phases de la schizophrénie. Whatever : magnifique cette voix qui provient du dessous de l'âme, d'un endroit où l'on n'a jamais posé les pieds car l'on ignorait qu'il existât, et l'on n'était jamais tombé par hasard dedans. Des voix graves et des guitares fuselées, vous ne savez pas jusqu'où vous descendrez mais vous suivez le chemin interdit. Just a doll : inquiétant. Une espèce de ballade romantique au pays des épaves, ces morceaux de vie que nous abandonnons derrière nous parce qu'ils sont trop lourds à porter, à tirer. Des confidences que l'on n'aurait jamais avoir voulu entendre. Master Piece : de Barbelés : autre groupe de Djipi Kraken. Qui se revendiquait du Punk. Puisqu'il le disait. Pas vraiment un instrumental, un morceau que nous pourrions qualifier de sonoral. Quelque chose qui s'aventure dans un rock'n'roll strictement basique mais expérimental. L'approche des gouffres. Nous avions-là un magnifique guitariste. Et nous le découvrons trop tard.

    The Pesticides se réclament du Velvet Underground mais ces morceaux m'ont plutôt évoqué, par leur compression musicale obstinée à ne laisser aucun espace vide, les premiers enregistrements de Lou Reed d'avant le Velvet. Lors du concert du 06 mars 2020 à l'Espace Dennis Hopper de Bagnolet, les filles avaient squatté nos mirettes, un peu comme les danseuses d'un ballet occultent les musiciens, sur ces bandes destinées à un premier E. P. l'on peut se rendre compte du travail effectué par les voix, se recouvrent, s'entremêlent, se détachent pour mieux se ressouder l'instant d'après, et ces mélopées sont soutenues par les finesses d'une guitare jamais à court d'invention et d'intervention, un peu à la manière des vents marins qui lissent et entraînent les vagues. Djipi Kraken et ses petites pestes étaient en train d'élaborer un son et une mise en scène originales. Mais la vie continue. Nous avons confiance.

    Damie Chad.

    Hello Dulli, mon joli Dulli

    - Part Two

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    Pour la parution de son premier album solo, Greg Dulli accorde une audience à l’émissaire d’Uncut, un nommé Sam Richards. Inespéré.

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    — Mais pourquoi un album solo ? Serait-ce donc la fin des mighty Afghan Whigs ?

    — Absolutely not. Mais Patrick Reeler fait partie des Raconteurs et John Curley est retourné à la fac. Puis John Skibic m’a dit que sa femme attendait un gosse alors je me suis dit oh fuck tout le monde est fucking busy et comme je passe mon temps à composer des chansons, il m’est apparu clairement que je devais continuer seul.

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    Et voilà le travail. Il s’appelle Random Desire. Le petit conseil qu’on peut donner à ceux qui ne l’ont pas encore écouté est de l’écouter dans de bonnes conditions, car c’est un album qui a du son et qui n’est pas fait pour être écouté sur un ordi ou un téléphone. L’album est tellement bourré de son qu’il chevrote et qu’il peut faire sauter un casque. Dès «Pantomia», il craque sa voix comme on craque un coing d’un coup de hache. Il fait le choix de pulser le son au-delà des limites du descriptible, il s’assoit sur les conventions, il explose une prod qui n’attendait que ça. Big Dull déclenche une sorte de sur-excitation de l’écoute que vient encore gonfler «Sempre». Vas-y Dulli, mon joli Dulli, gratte ta moelle, bats ta chique, gueule ta Soul. Pas de pire teigne d’American popster que ce mec-là. Quand il lance un Go!, ça bascule dans l’extrême, you got no one/ You got no one, il sait de quoi il parle, il sature le son d’énormité et bien sûr les falaises de marbre s’écroulent dans la clarté irisée d’un nuage atomique. It’s so easy ! Easy ! Pretty easy ! Le barnum remplit l’espace. Dull does it right. C’est forcément un album destiné aux esprit éclairés. Greg Dulli s’amuse à repousser les frontières, donc ça tourne vite au monumental. Il joue parfois en sous-main, mais assez magnifiquement. S’il ne fallait conserver que trois artistes dans l’actualité, ce seraient Lanegan, Swamp Dogg et lui. Pourquoi ? Parce qu’ils sont visionnaires. L’Afghan revient au beat de confrontation avec «The Tide». Il re-sature de plus belle, il chevrote son son more and more, il voit jusqu’où il peut aller trop loin, never better but forever at your worst, comme s’il explosait la pop par le cul, avec somebody in the wave/ Like you by my side, fantastique pusher de push-push et il sort ça, avec un œil qui pend : «You can steal me blind but you will never find !». Pire encore, son «Scorpio» est une intrusion dans la boutique à délices. Dull s’y fait breaker d’infamous power pop, il jacte dans son micro comme un punk dégueulasse et tout grelotte de beauté, comme si le Brill s’écroulait dans sa besace. But baby I think I got some champagne somewhere in the back, on ne se méfie pas, c’est amené au piano et la bombe explose, breathe with me, il veut tout, sing to me, feel your body come close, et le cœur du cut bat la chamade comme ça n’est jamais arrivé dans l’histoire de la pop américaine, Dull envoie les violons, lay with me, no one knows we’re awake, puis ça bascule dans le deceiving me, il sait que ça va mal tourner, I know this will end, ça pue l’écumoire, le bouilli vivant au retour de la pêche. Dull a du génie. Et ce n’est pas fini. Il repart de plus belle avec «It Falls Apart» et un better get down/ Cuz the sheets are poppin’ ogh yeah, il rase les murs à sa façon. Chaque mot sonne comme l’écho d’un oracle, Dull rôde dans son texte comme un loup affamé, il retrouve sa poule dans le groove, I found you there, c’est plombé de mortalité extrême, I feel the night/ Surround, il se fait anaconda géant pour ramper dans les ténèbres, il sort un son puissant et compressé, on respire mal, comme s’il s’asseyait sur nos poitrines, et comme dieu ou le diable, il obtient tout ce qu’il veut de nous. Absolument tout. Avec «A Ghost», il passe au mambo de malpractice, il danse sa vie dans la mort, il évolue libre de toute poursuite, avec tout le son et tous les violons qu’on peut bien imaginer, il devient Dull the bull, ce mec remplirait à lui seul le Bestiaire d’Apollinaire. Il va chercher son random desire très loin, il n’en finit plus de clamer sa foi de pâté de foie dans «Lockless», il cherche à rattraper les paroles qui fuient sa bouche, random desire knows my name et ça explose dans un chaos de trompettes et de tout ce qu’on peut bien imaginer. Big Dull ne vit que pour l’orgasme. C’est sa religion. Il s’enterre vivant dans le son. I would do annything, clame-t-il dans «Slow Pan», juste pour essayer de ne pas s’en sortir. Dull s’en branle éperdument. C’est un homme libre, un artiste pur.

    Durant l’audience, il explique qu’il a commencé très tôt à composer, dès l’âge de 14 ans.

    I come up with a riff that I like and I hum a melody over it, et je trouve les mots qui conviennent à la mélodie. J’ai fait ça pendant 40 ans.

    Il ajoute plus loin qu’il se considère comme un artisan. Il se fie uniquement à son instinct. Si sa tentative de compo foire, il l’abandonne. Si elle marche, alors il la chante sur scène.

    Une question aborde justement l’aspect sombre de certaines de ses compos. Greg Dulli travaille essentiellement sur la violence relationnelle et le pourrissement des sentiments affectifs. Mais il avoue s’en éloigner pour aller vers quelque chose de plus abstrait. Il n’a plus besoin d’avoir le cœur brisé pour composer. Il n’a plus besoin de se sentir détruit pour devenir génial. Il croyait comme beaucoup de gens qu’il fallait souffrir pour produire de l’art. Mais il n’est jamais allé jusqu’à saboter une relation pour trouver de l’inspiration. Ça lui paraît nul et de toute façon, ça sonnerait faux.

    Quand on lui demande s’il écrira un jour son autobio comme vient de le faire son ami Mark Lanegan, Greg Dulli se montre catégorique :

    — Absolutely no, no way. Je n’ai pas la patience pour ça, je vis trop dans le présent.

    Mais il en profite pour saluer ce chef-d’œuvre laneganien qu’est Sing Backwards and Weep: A Memoir. Il profite aussi de l’audience pour saluer la mémoire des disparus qui lui sont chers, son chat Clyde, ses grand-parents, Prince, David Bowie. Il estime qu’il a beaucoup de chance d’avoir vécu à la même époque qu’eux.

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    La parution en 2017 d’In Spades, dernier album des Afghan Whigs, fut un événement considérable. Oh la la, quel album ! D’abord, y a Satan, lui qu’est comme un melon, lui qu’a des grosses cornes, lui qui sait plus son nom, monsieur, tellement qu’il voit tout, tellement qu’il a tout vu. Ensuite, y a «Arabian Heights» qu’est bâti comme un empire, à la force d’une vision, monsieur, d’une vision conquérante, et le son est si dense qu’on se pâlit comme un cierge de Pâques, monsieur, et qu’on chante de concert love is a lie et qu’on beugle à pleine gueule like a hole in the sky when you die. Ensuite y a «Toy Automatic» qu’est sombre et beau, qu’a des culottes dans les cheveux, qu’a jamais vu un peigne, et qu’a l’œil qui divague et qui vire too soon too late, monsieur, et qui sème ses mots dans un fleuve orchestral si majestueux qu’on dit oui qu’on dit non. Oh, ensuite y a «Oriole» qui rêve qu’il vole forever et qui balbutie flying flying flying avec des larmes plein les yeux et qui cherche l’amour et la foudre, du soir au matin, sous sa belle gueule d’apostat, et qui fait la grandeur de ce disque qu’est raide comme une saillie. Et puis y a «The Spell», si incantatoire qu’il défie toute concurrence, monsieur, qu’est beau comme une maison avec plein de fenêtres et presque pas de murs et qui fait free the light et qu’on écoute en se tordant les mains tellement c’est beau, tellement c’est beau. Et puis y a cette chanson qu’est trop belle pour moi, cette chanson qui s’appelle «Light As A Feather» et qui ressemble à un amas sonique grimpé à califourchon sur des accords si sourds qu’on dirait des pots, monsieur, des accords si profonds qu’on dirait le gouffre de Padirac et mon Dulli, oh mon joli Dulli, il gueule dans sa tempête, monsieur, il chante les yeux tout mouillés, et pour un instant, un instant seu-le-ment, il éclipse Dieu le père et tous les saints de la Trinité, il dit qu’il n’a plus rien à perdre, et le vent du Nord l’emporte au loin, monsieur, comme une clameur. Et y a «Into The Floor», qu’est gueulé au soir de la vie, qui dit non à la mort, qu’est too late ou qu’est yet to come, et qui fascine, monsieur, qui remonte inlassablement à l’assaut du ciel et qu’est beau comme un soleil de Van Gogh !

    Signé : Cazengler, Salvatorve Duli

    Afghan Whigs. In Spades. Sub Pop Records 2017

    Greg Dulli. Random Desire. Royal Cream LLC 2020

    Sam Richards. An audience with Greg Dulli. Uncut # 275 - April 2020

     

    Stanshall be released

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    Vivian Stanshall ou the gospel according to Dada. Comme le dit si bien la chanson, we shall be released, yes, mais avec Stanshall et les derniers grands provocateurs du XXe siècle. Chacun sait qu’il vaut mieux rire plutôt que de craindre l’enfer et prier Dieu que tous nous veuille absoudre. Alors rions.

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    Avec Ginger Geezer, Lucian Randall & Chris Welch rendent un hommage vibrant à Viv 1er, roi des lunatiques britanniques. Les deux zauteurs ne sont pas des zutistes, mais ils zécrivent bien. Ils regorgent d’admiration pour ce roi des lunatiques qui fut expert en maniement des situations extrêmes. Pas pire pousseur de bouchon que ce bohème roukmoute. Il est utile de préciser que le cocktail valium/vodka joue un rôle prépondérant dans cette épopée royale. Consommer avec modération ? De quoi faire hurler de rire le roi Viv, notre roi favori, aussitôt après Ubu.

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    On entre dans ce livre comme on entrait jadis d’un pas léger au Palais de Tokyo pour visiter l’expo Picabia. Instant magique. D’ailleurs on croise très vite des connaissances dans les pages de Ginger Geezer. Tiens voilà Marcel Duchamp ! Les auteurs établissent un parallèle entre Duchamp et Stanshall sur la base d’une maigreur de l’œuvre. De plus, l’un comme l’autre chouchoutaient les calembours, les bonnes blagues, et les symboles obscurs. Pire encore, ils insinuaient énormément. Ils excellaient surtout dans l’art de l’ellipse. Stanshall : «Quand Duchamp signa l’urinoir ‘R. Mutt’, la messe était dite, en vérité. Il n’avait plus besoin d’en rajouter.»

    Il n’est donc pas étonnant que Stanshall baptise son groupe Bonzo Dog Dada Band - It was this sense of fun and rule-breaking that was alive in the Bonzos - Sens du fun et mépris des lois. Tout est là. Stanshall entend ramener l’énergie Dada dans la scène rock anglaise. Puis lassé d’avoir à expliquer ce qu’est Dada aux ignares, il transforme en 1968 le Bonzo Dog Dada Band en Bonzo Dog Doo Dah Band, le Doo Dah venant d’une expression couramment utilisée par la mère de Rodney Slater (clarinettiste du groupe), «Oh fetch me the doodah» qu’on pourrait traduire par «passe-moi donc le machin». Stanshall flashe comme un flash sur les expressions insolites. Il flashe aussi sur le homard que Gérard de Nerval promenait en laisse, au Palais Royal. Précision capitale : la laisse était un ruban bleu. Pourquoi un homard ? Très simple : le homard n’aboie pas et connaît les secrets de la mer.

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    Les animaux jouent un rôle prépondérant dans le règne de Viv 1er, roi des lunatiques, notamment les bestioles antipathiques. Notre bon roi prend plaisir à transformer son salon en vivarium. Lorsqu’il reçoit des invités, il nourrit ses piranhas avec les souris mortes qu’il stocke dans son frigidaire. De gros serpents s’évadent aussi de leurs cages en verre et Viv 1er passe beaucoup de temps à inspecter le dessous des banquettes du salon à leur recherche, ce qui insécurise comme on peut l’imaginer ses convives nullement habitués à savoir de gros reptiles en liberté dans les parages. Aimable, le roi prévient : «Just watch out, it may show up !». Un visiteur pétrifié d’horreur rapporte qu’installé au salon et lancé dans une brillante conversation sur l’art avec Stanshall, il vit un horrible serpent s’échapper lentement d’un aquarium installé dans le dos de son hôte. Viv 1er donne aussi de la viande crue à ses tortues. L’une d’elles s’appelle Stinky. On peut lire sur l’étiquette de l’aquarium : Stinky, the man-eating turtle. Stinky donne d’ailleurs des coups de bec dans le verre pour réclamer sa viande.

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    Et puis voilà Bones, le bulldog qui vit avec Viv sur le Searchlight. Robert Short décrit Bones comme un chien horrible qui n’en finit plus de péter et de chier partout - The most loathsome creature I think I’ve ever seen - Le chien le plus dégueulasse qu’il ait jamais vu. Viv décrit son toutou comme «un bulldog brun et feignant, fidèle et complètement stupide.» Il ajoute que ses pets valent largement ceux du Pétomane, qui faut-il le préciser, figure parmi les idoles de Vivian Stanshall.

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    Il adore aller se taper la cloche dans les meilleurs restaurants. Il déguste les mets les plus fins et sirote les meilleurs crus. Puis il prend soin de roter très fort pour que tout le monde entende. Il reste assis et attend la réaction. Il aime aussi lâcher des pets bien sonores. Sur scène, lorsqu’il joue du piano, il en lâche un gros et déclare au public : «That was a bum note.» Il adore aussi aller faire le con au cinéma. Tiens, Les Oiseaux d’Hitchcock, par exemple. Il se met au fond de la salle. Quand les oiseaux attaquent, Stanshall rajoute des cris horribles et fout les chocottes à tout le monde. Soit les gens se barrent, soit ils se planquent entre les rangées de fauteuils.

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    Il adore aussi faire le gros dégueulasse à la Reiser. Un jour dans la rue, Stanshall se déshabille et le voilà en slibard, un slibard infect, deux fois trop grand, plein de trous, avec des taches de thé et des brûlures de cigarettes. Une amie qui partageait sa chambre lors d’une tournée des Bonzos rapporte que Stanshall se mettait au lit dans un pyjama horriblement puant, et bien sûr, il avait pris soin de mettre des œufs dans le lit. Splouch, splish, splash. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu Stanshall.

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    Avec le Pétomane, Oscar Wilde et Audrey Beardsley sont les autres héros de Vivian Stanshall. On s’en serait douté. Ce roi des lunatiques est aussi un homme extraordinairement cultivé. Gary Lucas se souvient de l’avoir rencontré à New York : «Il portait les cheveux longs et en avait déjà perdu beaucoup, mais il avait beaucoup d’allure. Grand et maigre, il avait l’air d’un épouvantail avec une grande barbe rouge. Il portait un pantalon pattes d’éléphant, comme dans les années soixante. Il conservait une allure de rock star.» Pour Gary, c’est une soirée magique : «Il avait un charisme extraordinaire, on aurait cru rencontrer Oscar Wilde.»

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    Parmi les gens que Stanshall admire, citons aussi Sir Richard Burton, l’homme qui découvrit avec John Speke les sources du Nil, qui traduisit le Kama Sutra et les Contes Des Mille Et Une Nuits, en pleine époque victorienne. Quand le réalisateur Tim Nicholls se pointe à Muswell Hill pour rencontrer Viv, il tombe lui aussi sous son charme : il n’avait encore jamais rencontré un homme aussi créatif - He was charming and hugely intelligent. He was fascinating and definitively unconventional (il était charmant et extrêmement intelligent. Très fascinant et parfaitement non-conventionnel) - Et Pete Brown qui vivait dans les parages ajoute : «He was a self-made intellectual.»

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    C’est pendant l’âge d’or des Bonzos que Stanshall devient accro au valium. Il souffre de panic attacks et doit prendre du valium pour se calmer. Mais l’abus de valium détériore l’élocution et sur scène, ça finit par poser de sacrés problèmes. Autre chose. Pendant une tournée américaine, il est possible qu’il ait testé le LSD, volontairement ou non. Neil Innes remarque qu’il est devenu bizarre à son retour à Londres. Par contre, le roadie R Mutt est beaucoup plus catégorique : il affirme que Stanshall a pris de l’acide à New York. R Mutt ajoute un point capital : «Avec l’alcool comme avec l’acide, Stanshall aimait bien savoir jusqu’où il pouvait aller trop loin.»

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    Artistiquement parlant, Stanshall dispose d’une très belle voix. Il dispose de deux registres, un registre léger et farfelu qui lui permet de chanter comme un crooner des années vingt et d’aller chercher des sacrés chats perchés, et un registre extrêmement profond et fruité - a Dundee cake of a voice - qui lui permet de balancer des coups de gutsy trombone blasts of larynx-lazy British sottery, to use a Stanshally sort of a phrase.

    Les ‘coups’ de Viv sont des chefs-d’œuvre d’exaction inopinante. En voici un beau specimen : les Eagles sont à Londres et souhaitent rencontrer Stanshall qu’ils ont vu à Los Angeles au temps des Bonzos. Pas de problème. Le pote de Viv Andy Roberts passe les prendre à Maida Vale et les ramène au bercail. Ils passent la soirée à fumer une herbe africaine extrêmement puissante et décident d’aller casser la graine dans un restau indien. Pendant le repas, Viv leur fait le coup de la crise cardiaque : il se plie en deux, se tord de douleur et envoie Andy chercher ses pilules. Les Eagles se retrouvent coincés dans un restaurant avec leur héros gémissant et grimaçant à l’excès.

    Un jour, pour se distraire, Viv 1er répond à une annonce proposant une démonstration à domicile d’une power shower portable, c’est-à-dire une douche puissante qu’on peut installer soi-même dans sa salle de bain. Il signe le coupon du nom de Mr Penguin. Il faut savoir que lorsqu’il nettoie un aquarium, Viv ne porte pas un tablier, mais plutôt une combinaison d’homme grenouille et des palmes. Quelques jours plus tard, alors qu’il nettoie l’un de ses aquariums dans cette tenue pour le moins incongrue, on sonne à la porte. Il flippe floppe jusqu’à la porte d’entrée, l’entrebâille et fait : «Yes ?» C’est la dame du power shower. Elle est subjuguée par l’apparition de l’homme grenouille mais reprend très vite ses esprits pour demander : «Is Mr Penguin at home ?»

    Encore un coup fameux : Stanshall cherche la maison de Pete sur Ossulton Way. Il se trompe de maison. Une vieille dame de soixante ans ouvre la porte et reste pétrifiée : devant elle se tient un géant empestant le rhum, portant des lunettes à montures octogonales, une barbe rouge, et une chemise de nuit décorée de lunes et d’étoiles. Il s’appuie sur une béquille grossière taillée dans un arbre et chaussée d’une godasse de foot. L’apparition grommelle : «Where’s Pete ?» et s’écroule soudain dans les bras de la vieille dame. Il réussit miraculeusement à reprendre ses esprits et à faire demi-tour. Sur le trottoir d’en face, habite Dean Ford, le chanteur de Marmalade. Il a assisté à la scène. Il en pleure de rire.

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    Sur le tournage de son film Sir Henry at Rawlinson End and Other Spots, Viv déambule dans les bureaux de la société de production et va trouver les secrétaires. Pour les distraire un peu, il sort sa queue et la pose sur la table : «‘Morning ! Needs a bit of exercice !»

    Les coups les plus fumants de Viv sont ceux qu’il monte avec Keith Moon. Un restaurateur leur barre l’entrée de la salle de restaurant et leur indique qu’il faut porter la cravate. Viv, Moonie et les autres Bonzos reviennent un peu plus tard. Ils portent tous la cravate, mais rien d’autre.

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    Moonie et Viv deviennent experts en montage de coups fumants. Ils entrent un jour chez un marchand de fringues à la mode. Le vendeur accourt à leur rencontre :

    — Bonjour messieurs. Comment puis-je vous aider ? Cherchez-vous un article en particulier ?

    Moonie et Viv répondent en chœur :

    — Strong trousers !

    Un pantalon solide ? Pas de problème. Le vendeur ramène un très beau pantalon en mohair. Viv empoigne une jambe et Moonie l’autre. Ils s’écartent l’un de l’autre et tirent chacun de leur côté. Crrrrrrac ! Le pantalon se déchire ! Alors ils hurlent au scandale :

    — Vous appelez ça des strong trousers ?

    Le vendeur pâlit. Ce type d’épisode échappe à sa compréhension. Soudain, un complice unijambiste entre dans le magasin. Il vient droit sur les deux morceaux de pantalon :

    — Aw my God ! C’est exactement ce que je cherchais ! J’en prendrai deux paires !

    En fait, Glen Colson explique que Moonie rêvait d’être Vivian Stanshall. Et inversement, Viv rêvait d’être Keith Moon. Moonie crevait d’envie d’être un snob intellectuel et Stanshall aurait voulu être dans les Who et composer Tommy. Les rock stars l’aimaient et ça le flattait énormément.

    Viv collectionne les coupures de presse dans un classeur qu’il appelle The Book Of Madness. L’une de ses préférées : «Un homme accusé d’avoir abattu son copain comparaît au tribunal de Lagos et dit qu’il a tiré par erreur : il l’a confondu avec un gorille.»

    Fatiguée par ses frasques et par les abus liés à l’alcool, sa première épouse Monica le quitte et embarque leur fils Rupert avec elle. Stanshall se retrouve seul et bascule dans le néant. Il redouble de trashitude. Il s’installe sur le Searchlight, une péniche amarrée à Chertsey, au Sud-Ouest de Londres, et Rupert vient le voir tous les quinze jours. Pour épater son père, il s’amuse à engloutir des poignées de vers de terre et à les mâcher en faisant miam miam. Alors pour rivaliser d’horreur avec son fils, Viv fait la même chose avec des araignées.

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    Viv se remarie avec Ki Longfellow, une Américaine sensible à son charme. Elle a une fille d’un autre père, Sydney qui s’intéresse elle aussi aux animaux, notamment aux tarentules, a red bird-eating tarentula nommée Pavlova, comme la ballerine. Viv fend le cœur de Ki qui parvient à surmonter pendant un temps les coups de grisou - Even at his lowest, he was always witty and funny - Spirituel et drôle. Et elle ajoute : «Sex and gnosis and panic and laughter that was who Vivian and I were.»

    Quand son bateau coule, Viv est à l’hôpital. Le médecin vient le voir et lui dit : «Mr Stanshall, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Votre bateau a coulé.» Viv pense que le médecin utilise une métaphore pour décrire son état de santé critique et il répond : «Pas du tout, I’m as fit as a fiddle !» Mais le médecin insiste : «Non, non, vous ne comprenez pas. Votre bateau a coulé.» Évidemment, pour Viv, c’est une catastrophe : toute sa collection de masques, d’instruments de musique, d’objets baroques, de livres et de manuscrits se trouvait à bord.

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    Viv se réinstalle à Muswell Hill. Il traverse de rudes périodes de dèche. Roger Wilkes lui rend visite et Viv le supplie de l’emmener au restaurant chinois. Roger n’a pas fini de garer son van que Viv bondit sur le trottoir, vêtu d’un kimono assez court sans rien dessous, sa machette à la main. Il entre et commande des travers de porc tout en faisant mouliner sa machette. Le serveur se réfugie derrière son comptoir, terrifié.

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    Bon alors et les Bonzos ? On l’a dit : ils ont leurs racines dans le circuit des clubs, the booze et Dada. Gerry Bron, le boss de Bronze, les manage pendant deux ans sur la recommandation de Jack Bruce. Quand Bron les convoque pour une réunion, les Bonzos arrivent avec des masques de monstres. Bron leur dit qu’il ne leur parlera pas s’ils portent ces masques. Ça dégénère et Bron dit qu’il les lâche. Et Viv demande : «Est-ce qu’on peut avoir ça par écrit ?» Quand ils veulent aller tourner aux USA, ils demandent à Tony Stratton Smith de s’occuper d’eux. Stratton Smith est le boss de Charisma, un label indé sur lequel on retrouve Van Der Graaf, Lindisfarne et Genesis. Il apprécie particulièrement les groupes originaux et les gens créatifs. Il adore prendre des risques, et il n’est pas étonnant de le voir traîner dans les cercles de jeux ou aux courses de chevaux. Les Bonzos finissent par virer Stratton Smith et Viv devient le manager du groupe. Ils finissent par en avoir marre et décident d’arrêter les frais à Noël 1969. Viv qui s’est rasé le crâne annonce au public médusé de Lyceum Ballroom : «We’re giving it the pill», sans doute une référence au cyanure.

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    Le premier album des Bonzos s’appelle Gorilla. Le petit conseil qu’on pourrait donner aux petits lapins blancs serait de ne pas prendre les Bonzos à la légère. N’allez pas imaginer qu’ils ne font que du art-rock d’étudiants attardés, ce diable de Viv s’en donne à cœur joie avec «Jollity Farm», il chante comme le dieu des roukmoutes, il fait chanter les animaux dans une ambiance de comedy act londonien. Ils savent jouer le dixieland comme le montre si hardiment «Jazz Delicious Hot Disgusting Cold» et font leur Elvis comme le montre si fièrement «Death Cab For Cutie». Viv fait sonner son cab car kiss et devient drôle en s’énervant. Le coup de génie des Bonzos se trouve en ouverture de bal de B, «The Intro & The Outro». Viv introduce Legs Larry Smith on drums et tous les autres zozos, Roger Ruskin on tenor sax, c’est énorme, ces mecs jouent comme des cracks. Tout est plein d’allant bonzoïde, plein de fantastique allure, en écoutant ça on comprend qu’ils soient devenus cultes. Ils font sonner leur réveil de trompette d’anticipation dans «Big Shot» et envoient les big choirs de girls dans «Piggy Bank Love». Parfaitement inespéré, un vrai hit, digne de tous les grands melting-pot-au-feu. Merveilleux Gorilla !

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    Voici ce que dit d’eux Richie Unterberger : «Il est extrêmement difficile d’être drôle et encore plus difficile de faire de la bonne musique. Et c’est encore mille fois plus compliqué de faire de la bonne musique qui soit aussi drôle.» Unterberger cite les exemples des Mothers Of Invention et des Fugs, mais ces Américains spécialisés dans la satire ne sont que menu fretin en comparaison des Bonzos. Paul McCartney apprécie tellement les Bonzos qu’il leur demande de chanter «Death Cab For Cutie» dans la scène de cabaret de Magical Mystery Tour. Sur scène, les Bonzos multiplient les extravagances. Le Batteur Legs Larry Smith s’habille en Shirley Temple et porte des faux seins. Il s’ennuie tellement à jouer de la batterie qu’il passe son temps à adresser des baisers glamour au public - Look at me, I’m wonderful - D’où la nécessité d’avoir un bon bassiste comme Danny Cowan. Quand lors d’une tournée américaine, les Bonzos jouent dans un club de Los Angeles, Neil Innes se retrouve aux gogues en train de pisser à côté de Jimi Hendrix qui lui dit :

    — Tu sais, mec, c’est drôle, on fait exactement la même chose.

    — Quoi ? Tu veux dire pisser un coup ?

    — Non, je veux dire sur scène.

    Jimi voulait dire qu’il était aussi absurde de brûler sa guitare sur scène que de mimer les morceaux sans jouer comme le font couramment les Bonzos, ou de faire exploser un robot comme le fait Roger Spear. Un Spear qui monte un jour sur scène avec une cheminée d’un mètre sur la tête, un bras allongé et une guitare au manche allongé en conséquence. Quand la cheminée explose, Viv arrive sur scène pour chanter «Blue Suede Shoes». Que n’avons-nous pas raté là !

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    The Doughnut In Granny’s Greenhouse est une expression scatologique, une sorte d’euphémisme pour les gogues. En studio, les Bonzos démultiplient les excentricités, par exemple enregistrer avec un tuba rempli d’eau. Pourquoi adorait-on cet album à l’époque ? Sans doute à cause de la pochette, où l’on voit les Bonzos déguisés dans la forêt. Il démarrent sur un cut en forme de postulat : «We Are Normal», ça joue au sacré rock anglais clair et net, beat serré et basse dégingandée, ça fouette cocher des cymbales. C’est vrai que Viv dispose des forces vives, ça devient évident quand il interprète «Postcard». Il dispose d’une voix qui en impose, même quand il fait le con. Il peut chanter comme un dieu généreux. Big shoot de British Blues avec «Can Blue Men Sing The Whites» - A brutal deflation of the British blues boom - Ils savent tout jouer et sonnent encore mieux que les Bluesbreakers. Ils dansent sur tous les toits, ils sur-jouent le sur-jeu à coups d’harmo de mortadelle. Pour «Hello Mabel», Viv se verse un verre, on entend le blop du bouchon, le glouglou et le sipping, puis ils passent sans transition à la dentelle de wawap wap. On vous a prévenus, ils savent rocker, ce que vient confirmer aussi sec l’imparable «Humanoid Boogie». C’est bardé d’excellence et chanté à la big aisance. Ils restent dans cette fantastique allure qui leur va si bien pour «The Trouser Press» - Everybody clap their hands/ Do the trouser press/ Babahhh ahhhh - Viv fait le Soul Brother et c’est d’autant plus balèze que ces mecs ne commettent pas la grave erreur de se prendre au sérieux. Fuck not ! Notons au passage que le plus grand mag de rock alternatif américain va se baptiser Trouser Press en l’honneur des Bonzos. Ils enchaînent avec une valse à trois temps digne de Brel, «My Pink Half Of The Drainpipe» et grattent à la suite «Rockaliser Baby» aux furieux accords d’Everybody down. Ils flirtent ici avec les Beatles de l’âge d’or, oui, ils détiennent ce pouvoir extraordinaire. Retour au jazz de bonne augure avec «Rinhocratic Oaths», Viv y fait son polichinelle, il est rompu à toutes les ruptures. Ils font du cinémascope bonzo. On s’enivre de la richesse de leur présence. Neil Innes est tellement fier de cet album qu’il rebaptise les Bonzos the Mothers Of Convention.

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    Paru en mars 1969, Tadpoles est une compile, mais on s’y goinfre. «Monster Mash» vaut tous les joyaux de la couronne et «I’m The Urban Spaceman» n’importe quel hit des Beatles. Oui, ça peut effarer mais c’est ainsi. Les Bonzos peuvent côtoyer les géants. Ils ne sont pas avares de coups de Trafalgar. Encore un coup de génie avec «Laughing Blues» amené au piano blues. Ils en recréent l’illusion à l’ancienne, avec une sirène de train derrière, ils font une clairette de blues, la plus pure qui soit ici bas, ils nous font l’honneur de nous ramener aux sources du New Orleans Sound. Sans même s’en douter, ils rendent l’un des plus beaux hommages au blues, le blues des années de braise, celui qui se fend la gueule. Avec «Hunting Tigers Out In Indiah», ils paradent dans la jungle comme les Monty Python. Ça chante à l’extrême dédain du qu’en-dira-t-on. Retour fracassant au jazz trad avec «Dr. Jazz». Ils n’ont aucun problème de ce côté-là. Le jazz tue le rock, on le sait, mais c’est plein d’idées de son, de vitalité, ils explorent toutes les possibilités. Ils plongent avec «Mr. Apollo» dans le heavy rock apocalyptique et reviennent sans prévenir à la Beatlemania. Ils s’amusent avec les genres musicaux comme les Monty avec la scénarisation. Ils sortent encore une fois une pop de rêve, saluée aux chœurs de rêve. Ils savent jerker la pop. Viv fait son cirque avec «Canyons Of Your Mind» - To the ventricules of your heart/ I’m in love with you again - En pur Elvis-from-Hell, ce diable de Viv va chercher le trash dans le groove concupiscent.

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    Leur dernier album, Keynsham, paraît en novembre 1969. C’est avec le morceau titre qu’ils emportent la partie. Cette extravagante jam de jazz est aussi fascinante qu’une danse du ventre à Marakkech. Ils développent là un fantastique groove orientalisant. La clarinette chevauche un drive de basse vertigineux. Ils jouent «We Went Wrong» à l’orgue et à la marche forcée, disons qu’il s’agit d’une pop parodique mollement étendue sur un sofa, mais quel shuffle d’orgue, les amis ! Clin d’œil à Duchamp avec «The Bride Stripped Bare By Bachelors», les voilà dans la heavy pop dadaïste avec des gros sabots. C’est du pur rock seventies - Oh really ? - Quel bel hommage à Duchamp (Berna)gore. C’est probablement dans les barrellhouses de jazz-clubs qu’ils excellent le plus, tiens par exemple avec «Look At Me I’m Wonderful» : retour aux années vingt, good evening ladies & gentlemen, c’est leur pré carré, ils n’ont jamais été aussi bons, Viv présente the wonderful Legs Larry Smith et on entend la vieille chasse d’eau, avec la chaîne. Ils attaquent leur bonne B avec un «What Do You Do» bardé de son, ils font du Rundgren à l’Anglaise avec de mystérieux pouvoirs pop. Retour au jive de speed-jazz avec l’effarant «Mr. Slaters’ Parrot». Ils font les cons, mais ça sonne, le parrot est une volaille, on l’entend - Hello ! Hello ! - Et quand ils tombent dans le médiéval avec «Sport (The Odd Boy)», c’est à hurler de rire. Oh ce n’est pas fini, il reste encore à écouter ce hit pop qui s’appelle «I Want To Be With You». Ils y sucrent les fraises comme un groupe américain qui aurait du succès en Angola, my love, et en guise de killer solo flash, on devra se contenter d’un solo de pipo, mais en attendant que de son - Wiz you !

    Cinq années de tournées en continu et trois managers viennent à bout des Bonzos qui jettent l’éponge en 1970. Arthur Brown pense que ça n’a pas arrangé la santé mentale de Viv.

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    Considérons Let’s Make Up And Be Friendly comme l’album de la première reformation. Viv et Neil Innes sont aux manettes, avec l’aide de quelques cadors comme Tony Kaye ou Hughie Flint. Ils continuent de déconner en sortant un son énorme - their heaviest rock sound to date - comme le montre «The Strain». Puis dans «King Of Scurf», Viv se met à chanter comme une petite conne du Swinging London. Quel beau pastiche ! Ils font ensuite les cons dans le wardrobe du rock avec «Waiting For The Wardobe». Ce diable de Viv peut déchirer le ciel d’un cut quand il veut. On se retrouve une fois encore sur un fantastique album. Ils bourrent leur «Straight From The Heart» de shuffle d’orgue et de chœurs d’artichauts et vont droit sur les Beach Boys pour «Rusty». Tout ce qu’ils entreprennent relève de la plus haute instance de cet art qu’on appelle le rock, avec une volonté de pastiche inébranlable. Ils mettent tous leur cuts dans le même panier de crabes. Demented ! En B, Viv repart en mode froti-frotah avec «Don’t Get Me Wrong». Il chante en sur-couche de génie et les Bonzos sortent un son de réverb extraordinaire. Viv Stanshall sait se positionner au plus niveau du family tree d’Angleterre. Ils embrayent avec la fantastique heavy pop de «Fresh Wound». Ils grattent ça à l’aune de l’âge d’or du rock anglais, ils travaillent au meilleur niveau envisageable - So meet on the corner of your life/ baby baby baby ! - C’est aussi avec cet album qu’apparaît Sir Henry Rawlinson qui va devenir ensuite le thème d’une émission de radio, puis d’un album entier et enfin d’un film.

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    John Peel signe les liners d’Unpeeled, paru sur Strange Fruit en 1995. Il rappelle que les Bonzos ont enregistré 13 sessions pour Radio 1 entre 1967 et 1969 et dès «Do The Trouser Press», on les voit s’amuser avec la London Soul. Fantastique énergie de la déconnade. Puis Viv chante «Canyons Of Your Mind» à la romantica déjantée - To the ventricules of your heart/ My dear/ I am pumping you again - Atroce ! Vic parle aussi des mountains of your chest. «I’m The Urban Spaceman» est le seul hit des Bonzos, nous rappelle Peely. Poppy en diable et flûté dans les culottes de cheval. La flûte de Pan y mène le bal. Ils tapent «Hello Mabel» au groove rétro. Tout l’art de Viv est là, il sait inviter les époques à sa table, you know I love you, c’est l’énergie des roaring twenties. Ils passent au heavy rock avec «Mr Apollo» et profitent de l’occasion pour réveiller leur volcan. Ils pourraient même se faire passer pour les Beatles. Ils amènent «Tent» au heavy Roxy rock - I took a taxi to my tent - Ils se foutent de la gueule du rock, c’est pour ça qu’il faut écouter les Bonzos - I’m gonna take you to my tent - Il lui propose même de danser le tango sous sa tente. C’est d’une drôlerie irrésistible. Ils se foutent des gueules de John & Oko avec «Give Booze A Chance» - This one was created by the Bonzo Dog in an Irish pub - ça rote dans le move. Avec «Keysham», ils passent au fantastique shuffle urbain et orbi. Tu ne peux pas rivaliser avec les Bonzos, ça pète de flûte et ça grouille de groove. Neil Innes y croit dur comme fer avec la pop d’«I Want To Be With You». Les Bonzos proposent un mélange détonnant de rock anglais haut de gamme et de parodie désopilante. Ils repartent en goguette rétro avec «The Craig Torso Show» et singent les Beatles. Ils tapent aussi dans le british Blues avec «Can Blue Men Sing The Whites». Ils trucident le pauvre British Blues au pilori. Ils terminent avec le kitsch de «Quiet Talk And Summer Walks». Ils enfoncent leur clou Bonzo dans le crâne du rock anglais. Il n’existe ici bas rien de plus jouissif ni de plus poilant que les Bonzos.

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    Les albums solo de Vivian Stanshall sont un peu plus difficiles d’accès. Paru en 1974, Men Opening Umbrellas Ahead offre pourtant quelques prises. Le Viv globe terrestre couronné d’un trois mâts qu’on voit au dos de la pochette démarre avec un heavy groove déconnant intitulé «Lafoju Ti Ole Riran». Stevie Winwood et Jim Capaldi sont de la partie. Ce démon de Viv aime l’air vif. Avec «Truck Track», il rend hommage aux roadies qui selon lui bossent plus que les autres. On entend Winwood jouer le heavy groove de basse dans «Yelp Below Rasp Et Cetera». Viv boucle son bal d’A avec un autre solide groove, comme s’il passait de groove en groove avec les ailes de Liberace. Il attaque sa B avec «How The Zebra Got His Spots», un air de calypso joliment mambaté dans l’écorce du zeste. Il fait ensuite son Isaac Hayes sur l’oreiller pour «Dwarf Succulents», avec une conquête et du soupir à gogo. On entend Rebop battre la chamade de percus sur «Prog & Stoods Go Steady» et cet étrange album s’achève avec «Strange Tongues» et une chaleur de ton à la Melody Nelson du petit matin. On entend Madeline Bell et Doris Troy dans les ladies voices. Il règne une sorte de splendeur sur cet album, une œuvre intègre et contrite de contrées intrinsèques, abstraite et concrète à la fois.

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    Viv refait surface en 1981 avec Teddy Boys Don’t Knit. Contrairement à ce qu’indique le titre, ce n’est pas un album de rockabilly. C’est là qu’on trouve le «Ginger Geezer» qui va servir de titre à sa fameuse biographie. Il chante ça d’un air décidé, bien bas du front. C’est du pur Viv, il pète en rythme. Prout Prout. Il chante son «The Cracks Of Showing» au doux du beautiful kitsch, accompagné par un banjo rétro. Avec «Flung Dummy», il nous sort un shoot de punk atroce. Il ne plaisante pas, le solo de sax non plus. Sinon, il fait pas mal de comedy act. On ne pourrait pas faire de cet album son disque de chevet, mais on l’écoute avec une sorte de gourmandise. Il tape dans tous les genres, à la bonne franquette, même la Calypso. On voit qu’il a trop bu dans «Nose Hymn», le balancement rappelle le mal de mer, on voit arriver le moment de la gerbe - I suppose it blew my nose - Même si tu n’as rien bu, le cut te donne envie de gerber. Avec Viv, il vaut mieux savoir tenir l’alcool. Il en profite pour faire le con avec «Every Day I Have The Blues».

    Malgré tous ses efforts artistiques, Viv voit sa carrière s’enfoncer dans la vase de l’underground. Il est temps pour lui de se retirer et de quitter ce monde ingrat.

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    Comme le sol de la chambre de son appart de Muswell Hill est jonché de paperasses, il n’est pas surprenant que ça ait pris feu. Une lampe serait tombée pendant qu’il dormait. La porte de la chambre étant fermée, tout a cramé à l’intérieur, y compris Viv. Des piles de cassettes vidéo entassées contre le mur auraient aussi pris feu. Ki pense qu’il a provoqué l’incendie : «When he burned the bedroom down, he gave himself a viking funeral.» Rupert va dans le même sens : «Il méritait une fin héroïque. Il adorait le film Les Vikings, avec Kirk Douglas. Il pensait que cette façon de mourir était géniale. Et c’est comme ça que the old man est parti, dans une espèce de brasier funéraire avec toutes ses possessions. Il y a beaucoup de puissance dans cette image. Il est parti avec ses vêtements, son ukulele et son tabac.»

    Signé : Cazengler, Vivian Stansale (type)

    Lucian Randall & Chris Welch. Ginger Geezer. The Life Of Vivian Stanshall. Fourth Estate 2001

    Richie Unterberger. Urban Specemen And Wayfaring Strangers. Miller Freeman Books 2000

    Bonzos Dog Doo-Dah Band. Gorilla. Liberty 1967

    Bonzos Dog Doo-Dah Band. The Doughnut In Granny’s Greenhouse. Liberty 1968

    Bonzos Dog Doo-Dah Band. Tadpoles. Liberty 1969

    Bonzos Dog Doo-Dah Band. Keynsham. Liberty 1969

    Bonzos Dog Doo-Dah Band. Let’s Make Up And Be Friendly. United Artists 1972

    Bonzo Dog Doo-Dah Band. Unpeeled. Strange Fruit 1995

    Vivian Stanshall. Men Opening Umbrellas Ahead. Warner Bros. Records 1974

    Vivian Stanshall. Teddy Boys Don’t Knit. Charisma 1981

     

    Oh You Pretty Things

    - Part Six

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    L’actualité des Pretties n’est pas que macabre : Cherry Red vient de publier l’intégrale des mythiques De Wolfe Sessions, le Loch Ness du rock anglais, plus connu sous le nom de The Electric Banana. Moins gourmand que les autres fabricants de coffrets, Grapefruit/Cherry Red propose un petit ensemble de trois CD + livret, au format CD, pour un prix extrêmement modique. On échappe ainsi à ces arnaques qui courent actuellement les rues.

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    L’histoire d’Electric Banana est simple : les gens qui fabriquaient du son pour le cinéma, la télé et la pub n’avaient pas les moyens de se payer des hits pop, alors ils faisaient appel à des groupes pour enregistrer ce qu’on appelle aujourd’hui de la musique de librairie, c’est-à-dire de la musique de déco. En 1967, ils sont trois à se partager le marché en Angleterre, dont James De Wolfe. Il fait travailler des musiciens et des arrangeurs, et comme la mode va plus sur la psychedelia, il cherche des gens qui accepteraient d’enregistrer quelques cuts. Pouf, voilà que Phil May, Wally Waller, Dick Taylor et John Povey ramènent leurs strawberries. En 1967, ils enregistrent un mini-album, Electric Banana, qui propose cinq titres chantés, suivis des cinq versions instro.

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    Il y aura en tout cinq mini-albums construits sur le même modèle. Phil May précise qu’on ne pouvait pas les trouver dans le commerce car De Wolfe les envoyait uniquement à ses clients, réalisateurs ou publicistes. Les Pretties enregistraient donc ces disques pour de simples raisons alimentaires. Mais pour tous les fans des Pretties, c’est une sorte de passage obligé, car les cuts valent leur pesant de Parachute.

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    Ils ouvrent la bal d’Electric Banana avec un «Walking Down The Street» hard on the niaque de section rythmique et un Phil qui chante la bouche en chœur. Rien de plus véracitaire que ce son. Mais comment font ces mecs pour ramener autant de délinquance dans leur London beat ? Allez poser la question à leurs braguettes. Povey bat le beurre et Wally bassmatique. Ils développent leur incroyable swagger et en bouchent un coin à «Free Love». Mais c’est avec «Danger Signs» que tout explose. Phil cambre le Motown r’n’b sur le move des Pretties, il chante comme un black dandy de Detroit, oh l’incroyable élégance combinatoire ! Phil May est le seul mec d’Angleterre capable d’expédier cette Soul de pop au firmament, il chante ça à ras la motte et grimpe comme Brian Wilson au sommet d’une montagne de mayo, salué par des bouquets de cuivres et pouf !, il rattrape son cut au vol, everything was ! Son cœur bat la chamade du hit, the whole world ! Ce merveilleux wild shaker aw-awte et finit par tomber dans un nid de maracas. Voilà le génie extravagant de Phil May.

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    Six mois plus tard, ils enregistrent More Electric Banana. «Street Girl» jaillit hors du bal d’A. Si on veut faire le malin, on peut même dire que «Street Girl» saute à la gorge du rock anglais. To the throat ! Ce démon de Phil May se croit dans «Midnight Circus». Il fait de gros dégâts, c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Puis on les voit tous aller courir sur le haricot de «Grey Skies». N’importe qui se mettrait à genoux et disant : «Quelle bénédiction !». On voit ensuite Phil May dominer le big car wash d’«I Love You». Il domine son cut comme le beffroi domine la place, d’une hauteur tutélaire. Il chante aux coulées douces des coudées franches. Fantastique chanteur ! Ils bourrent encore la dinde de Wolfy avec «Love Dance & Sing». Mais ils ne la bourrent pas de farce comme on serait tenté de le croire, ils bourrent cette pauvre dinde de big furnish, oui car on a là les Pretties de l’âge d’or, les prêtres du temple de la psychedelia britannique. Puis Phil May va chercher le chant d’«A Thousand Ages From The Sun» dans du claqué de Banana. Il agit au mieux des possibilités et chaloupe dans le groove avec une élégance déconcertante.

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    Vous pensez bien que De Wolfe est ravi. Il en veut encore. Alors rebelotte avec en plus Twink Adler au beurre, ce qui permet à Povey de passer aux keys. Leur troisième mini-album s’appelle Even More Electric Banana et c’est là que crèche le divin «Alexander». Power suprême, avec un Phil May surexcité. Ce brave «Alexander» compte quand même parmi les plus gros hits des Pretties. On a là de la pure mad psychedelia avec ces guitares qui ponctuent goulûment la surenchère, ça joue au jus, c’est du hot stuff de 69 année bananique. Et ça continue avec «It’ll Never Be Me» que Wally attaque au riff de basse des cavernes. Il rentre dans le rock comme dans du beurre, à la Bertolucci. L’infernal génie sonique des Pretties n’en finit plus de boucher des coins de trous. Ils montent des harmonies vocales éperdues sur le plus cavemanien des bassmatics. Pleurésie garantie ! Voilà un mélange jusque là inconnu. Les trois autres cuts sont du même acabit d’Aqaba, en plein dans le faisceau mordoré de Parachute, les Pretties naviguent sous le vent. Encore un smash de May avec «Blow Your Mind», sharp du chant et guitar glandy, ils sont sauvages et beaux, délicieux comme ces bonbons qu’on suce au soleil et on sent cette guitare bien grasse nous courir entre les jambes. C’est là sur Even More Electric Banana qu’on trouve «What’s Good For The Goose» qui renvoie au film du même nom. Car oui, on peut entendre les Pretties dans deux trois films de série B, mais pour les voir, il faut se lever de bonne heure.

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    Changement de personnel en 1973 pour le Banana suivant qui s’appelle Hot Licks : Pete Tolson, Gordon Edwards et Stuart Brooks se joignent à Phil May, Skip Alan et John Povey. Les mutations du Banana suivent les mouvements de personnel au sein des Pretties, victimes de leur non-succès. Après une belle intro de basse signée Brooks, Phil May entre comme un vieux renard dans le poulailler de «Sweet Orphan Lady». C’est cousu main mais vendu d’avance. C’est là que les Black Crowes viendront s’abreuver. Le jeune Tolson fait des siennes. Phil May regrimpe ensuite au sommet du Wolfe art pour décocher «I Could Not Believe My Eyes». Il chante ça avec toute la générosité dont il est capable. Les Pretties font carrément de la Stonesy. Ils amènent «Good Times» au riff délinquant. Idéal pour un cat comme Phil et avec «Walk Away», il devient fou - You walk away my love/ Away from me my love - C’est vrai que c’est un coup à devenir fou, au plan psychédélique, et le petit Tolson pique sa crise. Ils montent «The Loser» sur un heavy groove de blues, ils savent très bien ce qu’ils font et tout explose avec «Easily Done». Phil May chante ça en vieux punk - I guess this is easily done - Il est le seul à pouvoir rebondir des bas fonds vers la lumière de la pop. Il passe du Midnight Circus aux alpages d’easily done. C’est encore un morceau de bravoure qu’il chante avec son petit regard en coin.

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    Les années passent. En 1977, Phil May et Wally Waller montent les fameux Fallen Angels avec Mickey Finn, Bill Lovelady, Brian Johnson et Chico Greenwood. Comme on l’a raconté la semaine dernière, ils sont allés bricoler un album à Genève et ils enregistrent en plus un ultime Banana qui s’appelle The Return Of The Electric Banana. Mais on sent un certain manque d’inspiration, comme d’ailleurs sur l’album des Fallen Angels. «Do My Stuff» sonne comme du gros soft rock et avec «Take Me Home», Phil May fait son savage eye d’animal track. Encore moins magique, voici «James Marshall», même si Phil a la patte du caméléon. Il fait comme il peut, il chante à la vieille revoyure alambiquée, il se bat pour essayer de sauver un cut qui de toute façon est condamné aux oubliettes de Gilles de Rais. Ils sont dans une sorte de heavy pop qui ne peut pas fonctionner, malgré la qualité du chant. Mais on les félicite d’avoir essayé.

    Signé : Cazengler, Pity Thing

    Phil May. Disparu le 15 mai 2020

    The Electric Banana. The Complete Wolfe Sessions. Grapefruit Records 2019

     

    *

    AVERTISSEMENT LEHOULIEN

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    Peut-être avez-vous la chance de ne pas connaître Pierre Lehoulier. C'est un ennemi de l'Humanité. En temps normal il sévit dans une association particulièrement nocive, genre Bande à Bonnot, mais en plus fourbe et plus cruelle. Comme les serpents à deux têtes elle possède deux noms, pour mieux tromper ses ennemis, un gang redoutable, connu sous le terme de Crashbirds, qui se cache aussi sous une pateline dénomination : '' les Cui-Cui ''.

    Nous ne nous attarderons pas sur les Crashbirds, nous avons dans la passé à plusieurs reprises signalé les méfaits de ces satanés oiseaux, nous rappellerons simplement que dans ce duo de vautours Pierre Lehoulier se prend pour un pic-vert, ne peut s'empêcher de taper systématiquement sur ses pantoufles électro-acoustiques pour le seul plaisir de faire du bruit pendant ses propres prestations musicales et empêcher ainsi que l'on entende les gutturales vitupérations de mésange de sa compagne Delphine Viane. Encore faut-il rappeler l'étymologie du mot ''mésange'' formé à partir du préfixe mes- qui signifie mauvais. En d'autres termes le mauvais ange. Vous commencez maintenant à entrevoir la perversité crashbirdienne.

    Le monde a connu une courte période de rémission. Pour empêcher les troubles agissements de notre couple diabolique, notre gouvernement bien-aimé a enfin pris les mesures qui s'imposaient, politique de la terre brûlée, concerts interdits et population confinée. Deux mois de calme et de repos. Enfin, depuis nos fenêtres entrouvertes l'on pouvait entendre le doux ramage de la fauvette et du loriot. Les spécialistes étaient formels, notre gypaète barbu Lehoulier et son inséparable compagne ne résisteraient pas à ce séjour prolongé en cage obligatoire.

    Il n'en fut rien. Empêché de taper du pied en public, Pierre Lehoulier aurait pu profiter de ce laps de temps imparti à la réflexion métaphysique pour faire acte de contrition, mais non puisqu'il ne pouvait plus encombrer nos oreilles de ses tapotements obstinés, il a décidé de nous griffer les yeux, le résultat est là, posé sur la table, il ne reste plus qu'à prévenir nos contemporains, de ne pas s'en approcher, de continuer les gestes préventif de distanciation qui sauvent – jamais à moins de deux mètres, port du masque et de casquette à visière opaque obligatoires - n'y touchez point, ne tentez même pas de le feuilleter, même si d'aventure vous vous reconnaîtriez dans le titre – véritable miroir aux alouettes - de cet ouvrage nauséabond.

    Comme nous ne reculons devant aucun sacrifice pour satisfaire la curiosité ( vilain défaut ) de nos lecteurs, nous prenons sur nous de lire cette nouveauté afin d'en mesurer l'inanité conceptuelle. En toute honnêteté intellectuelle, bien entendu.

    SUPER GROS CON

    SUPER GROS CON CONTRE LES AUTRES

    PIERRE LEHOULIER

    ( Edité par Crasbirds Asso / Mars 2020 )

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    Faut être juste. L'objet vaut son pesant d'or. Un papier aussi épais que les vitres blindées de la papamobile, pas une misérable pelure que vos doigts traversent lorsque vous en torchez votre auguste postérieur, c'est que le Lehoulier il en connaît un bout sur l'emploi des supports et des couleurs. Question teintes il vous les étale les couches flashantes avec cette finesse consommée des vitraux de la Sainte-Chapelle, le bougre il arrive à vous pondre des planches qui dans leur agencement rappelle les caissons de la Chapelle Sixtine, l'a des roses empoisonnés, des kakis cloaqueux qui n'appartiennent qu'à lui, des verts frangipane particulièrement subtils, des oranges éblouis, des bleus troubles et teigneux, dispose d'une telle palette que les papillons doivent s'y poser dessus avides de butiner les plus belles corolles que la nature ait jamais produites.... En plus cet esprit retors a pensé à tous, l'a rempli ses phylactères d'un alphabet d'une limpide lisibilité.

    C'est comme pour les écrivains, il y a ceux qui racontent une histoire, et ceux pour qui chacun des paragraphes est un petit poème en prose à lui tout seul. Chaque vignette lehoulière ressemble à un petit tableau à part entière. Vous avez même de grandes compositions monopagiques qui exigent de longs moments d'arrêt d'étude et d'admiration. Les amateurs de toiles aux dimensions plus modestes ne resteront pas insensibles à ce brio consommé avec lequel Maître Lehoulier les aligne sans monotonie selon les règles d'un décalage discret qui lui est propre et qui lui permet d'éviter tout moutonnement par trop régulier.

    Pierre Lehoulier a tenu par la virtuosité de son art à exalter et magnifier ce qui nous Humains, situés sur la cime de toute l'évolution animale, nous distingue souverainement de toutes les autres créatures de l'univers. Nos qualités morales justifient hautement que nous n'ayons pas été placés par hasard au-dessus de la tourbe universelle des vulgaires animaux biologiques. Oui, nous les dominons grâce à l'exercice prestigieux de cette Raison qui n'est peut-être que l'autre nom de Dieu.

    VISEES PEDAGOGIQUES

    L'idée de départ est magnifique, un oncle décidé à apprendre à ses trois neveux la connaissance et le respect du beau, du bon et du bien. Nous sommes ici à l'opposé de ces troubles menées utilitaristes d'un Oncle Picsou qui tend à introduire dans les poreuses méninges de nos fragiles têtes blondes l'amour immodéré de l'acquisition capitalistique. Nous sommes en présence d'un roman initiatique d'inspiration goethéenne destiné à forger le caractère d'une saine jeunesse, hélas ! encline de par son inexpérience innocente à s'aventurer sur les sentiers du Mal.

    Certes nous sommes aussi aux USA, mais pas n'importe où, en un territoire où résident encore les vieilles valeurs des pionniers qui ont permis de fonder la vertueuse Amérique. Vous remarquerez que le héros ne s'appelle pas Superman, ou Supermec, voire Super Johnson ou Super Dupont, se nomme en toute modestie Super Gros Con, afin que chaque lecteur puisse retrouver en ce patronyme un peu de lui-même. Vous dites Super Gros Con et un lien de sympathie universelle se noue automatiquement.

    Toutefois Super Gros Con n'est pas n'importe qui. Son expérience plaide pour lui. Partout où Oncle Sam a eu besoin de lui pour combattre les ennemis de la plus grande démocratie, formule suspecte, mieux vaut employer l'expression la nation la plus libre du monde, il a répondu présent, pour exterminer la jaunâtre vermine vietminhe ou l'écarlate menace communiste en Corée... Un vrai citoyen, d'abord il tue, ensuite il ne réfléchit pas.

    Super Gros Con ne demande qu'à vivre en paix dans son Texas toxique aux mauvaises influences. Chacun sa merde – ce dernier mot n'est pas une métaphore – tel est son crédo, maintenant ce n'est pas de sa faute si l'ennemi intérieur vient en toute occasion lui chercher noise, vous n'imaginerez jamais comment les nègres crépus qui puent et les face-de-cul-rouges se mettent toujours sur son chemin. Heureusement qu'il veille pour donner l'exemple à sa petite famille, vous les extermine sans pitié, mais ces sous-hommes sont comme le chiendent qui repousse toujours. Preuve que le danger est partout, parfois les ennemis surgissent de l'espace, n'ayez crainte, ce ne sont pas des crypto-gauchistes venus d'ailleurs qui ont le goût et l'odeur des communistes qui vont lui apprendre à vivre. En tout cas Super Gros Con leur apprend à mourir. Vite fait, bien fait. Etranger ne passe pas ton chemin, ce sol accueillera ta tombe.

    Super Gros Con n'a peur de personne ni des morts-vivants, ni des vivants pas encore morts. Super Gros Con est un mec sympa. Vous avez envie de lui taper sur le bidon, à la bonne franquette. N'exagérez pas non plus avec vos simagrées, il déteste les PD, par contre il aime les armes ( et la chasse à tout ce qui ne lui ressemble pas ) il est convaincu que le pouvoir est au bout du fusil. Un être simple, quand il se met en colère vous le voyez tout de suite, une svastika rouge ou noire se met à tournoyer au-dessus de sa tête à la vitesse de pales d'hélicoptères d'attaque...

    Voilà, ne vous reste plus qu'à vous procurer ce bréviaire du dernier des résistants et à lire. Vous pouvez le confier sans problème à vos enfants. Pierre Lehoulier a pris soin à ne point pondre un ouvrage rébarbatif qui décourage les meilleures volontés. Le sujet est sérieux, mais découpé en plusieurs petites histoires, désopilantes, nous vous conseillons d'en lire une chaque soir à votre gamin pour qu'il s'endorme heureux sachant que pendant son sommeil Super Gros Con veille sur sa sécurité...

    INTERROGATIONS

    Vous avez lu. Vous avez aimé. C'est maintenant que survient en votre esprit une question à laquelle nous n'apporterons aucune réponse. Comment se fait-il que cet être si négatif qu'est Pierre Lehoulier, ait pu créer un héros si positif ? Même que parfois l'on peut discerner entre deux images comme une impitoyable et féroce critique de notre société. N'est-ce pas un miracle ? Pierre Lehoulier serait-il un être plus complexe qu'il n'y paraîtrait ! Ne serais-je pas victime du redoutable syndrome de Stockholm, les noirs tentacules de l'hydre de l'anarchie ne sont-ils pas en train de s'emparer de mon esprit ? Super Gros Con, vite, au secours !

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION N° 13

    AVRIL – MAI – JUIN 2020

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    Faut plus de deux mois de confinement pour tuer un magazine de Rockabilly ! Le numéro 13 en plus ! Pour les superstitieux pas de problème avec le Spécial Gene Vincent sorti après le 12, c'est le quatorzième fascicule du magazine qui prend de la bouteille. Pure malt. Evidemment cela commence mal, la série Pionnier nous retrace la carrière de deux disparus : Jack Scott et Sleepy Labeef. La génération née autour de 1935 rend l'âme peu à peu. Jack Scott et Sleepy Labeef, le Cat Zengler les avait évoqués dans nos colonnes ( voir nos livraisons 447 et 450 respectivement du 16 / 01 / 20 et du 06 / 02 / 20 ). Une génération disparaît...

    Une autre apparaît. Deux longues interviews menées par Brayan Kazh. Lucky Will – nous l'avons vu deux fois au 3 B à Troyes, avec son ancien groupe Slap DooWap et avec Mike Fantom, deux belles soirées, un super guitariste – ne dites pas que vous ne le connaissez pas, vous avez tous vu vu la photo de Jerry Lee Lewis qui présente fièrement son disque – très sympathique ce Lucky, d'abord il est né en Ariège comme moi – se raconte bien, ne renie aucun de ses amours, par exemple sa pâmoisante rencontre avec le rock'n'roll via AC /DC, de quoi faire blêmir les puristes, et il entend suivre son chemin à sa guise. De la personnalité. C'est au tour de Marcel Riesco de s'y coller, l'américain qui monte dans les festivals rockabilly, une autre culture, Lucky Will parle de passion et Marcel Riesco nous semble plus attentif à sa carrière, son job. Un sociologue devrait se pencher sur ses deux entrevues, comment deux logiques différentes se ressemblent malgré tout.

    Rencontre avec Michel Petit, davantage connu dans le milieu en tant que Monsieur RockaRocky le blog qui répertorie un maximum de concerts de rockabilly en France et ailleurs. Un passionné qui organise avec son asso les légendaires Rockin Gone Party, mais qui sait garder la tête froide... Sergio nous livre les photos de la seizième session.

    Ce qui suit devrait nous enthousiasmer, voir Sandy Ford, Graham Fenton et Crazy Cavan avec leurs formations, tous les trois, en une même soirée, ce 18 janvier 2020, à la Rockers Reunion, tout le monde s'en souviendra – surtout ceux qui n'y étaient pas – n'empêche qu'elle aura laissé un goût de cendre à beaucoup, teddy boys et autres rockers, ce fut le dernier concert de Cavan Grogan... Le numéro Hors-série N° 2 de Rockabilly Generation sera consacré à cet homme qui aura consacré sa vie à perpétuer le rock'n'roll.

    L'on arrive à la fin du magazine, outre les séquences habituelles, nouveautés disques, rétrospectives épisodiques et dernières nouvelles des idoles, deux pages consacrées aux Hudson Maker, un groupe de l'ancienne génération qui n'a pas froid aux yeux et qui ne doute de rien puisqu'il vient de s'adjoindre les jeunes Brayan à la contrebasse et Kilian au piano. Ça promet !

    Presque un siècle que cela dure, le rockabilly a la vie dure !

    Et cette revue prend de l'envergure !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,60 Euros + 3,88 de frais de port soit 8,48 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 33, 92 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Une bonne nouvelle tout de même : devant la demande générale, le numéros 4 avec la dernière interview de Cavan Grogan a été retiré. Si vous ne l'avez pas, c'est une erreur.

     

    BE MY FREAK / JADES

    ( Clip )

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    De quoi papoter et grenouiller autour des bénitiers à la prochaine réouverture des lieux de culte, c'est que lorsque Dieu n'est pas là le Diable prend sa place, et les souris vertes rockent sans vergogne. La prière est sans équivoque, Be my freak, par tous les seins à quoi rêvent les jeunes filles d'aujourd'hui ! Jades sort le grand jeu. Celui qui flirte avec les images d'épi-mal. Une production soignée, tous les ingrédients des messes sataniques ont été réunis. Dévoilés, mais pas exposés. Le clip file vite. Des notations topiques, des clins d'œil indispensables. Tout y est. Rien ne manque. Le désir, le serpent, l'église profanée, le bois sombre. Ces quatre filles sont diaboliques, elles vous racontent une horrible histoire, les scènes défilent mais ne dévoilent rien, chasteté obligatoire, les flammes de l'enfer, pas de sang, pas de sexe. La violence suggérée est davantage fantasmatique que la brutalité nue.

    Ces scènes de film vous les avez déjà vues cent fois, mille fois imaginées. Dans vos rêves osés, dans vos cauchemar irisés. Vous n'êtes pas dans un film, mais dans un clip, moins de temps certes, tout juste cinq misérables minutes, avec cette difficulté d'introduire dans le scénario l'artificielle inclusion d'un groupe de rock dans le tournage. Un élément étranger et superfétatoire. C'est la règle du genre, c'en est aussi le plus redoutable des écueils. Trop souvent, les plans s'enchaînent sans qu'il y ait une véritable congruence entre les images des artistes et celles du récit mis en scène. Au mieux l'on tombe dans une gratuité surréaliste peu conséquente, au pire dans un galimatias du genre étonnez-moi-benoît-sans-émoi.

    Et là tout concorde merveilleusement. Nos quatre musiciennes et leurs instruments sont habilement mises en scène. L'on sent que le clip a été pensé et travaillé avec intelligence. Le réalisateur a salement intuité, l'est arrivé à faire converger et s'interpénétrer deux éléments de natures très différentes, le fantastique et un groupe de rock, aucun ne mange l'autre, chacun illustre sa propre différence et renforce l'autre, il n'y a pas de dichotomie entre ce qui est raconté et ce qui est montré.

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    Et puis il y a le son. Un morceau typiquement jadien bien enlevé, bien découpé en brèves séquences qui mettent en valeur les qualités punchives de ces demoiselles. Sûr qu'au paradis ce n'est pas pomme qu'elles auraient croquée mais le serpent tout cru. En quatre coups de dents. Venin compris. Une belle réussite.

    J'allais oublier la fin, car il y a une fin à tout, même à un clip de Jades. Z'oui, mais là ils l'ont particulièrement soignée. N'ont pas choisi la solution de facilité des Sex Pistols, je coupe sec sans me soucier si c'est vraiment achevé ou pas. Nous avons droit à un générique. Un vrai. Qui vous ne laisse pas sur votre faim. Esthétique, pas du tout esthétoc.

    Damie Chad.

     

    LE MANIFESTE ELECTRIQUE

    AUX PAUPIERES DE JUPES

    ( Le Soleil Noir / 1971 )

    Gyl Bert-Ram-Soutrenom F. M. / Zéno Bianu / Michel Bulteau / Jean-Pierre Cretin / Jacques Ferry / Jean-Jacques Faussot / Patrick Geoffrois/ Benoit Holliger / Thierry Lamarre / Bertrand Lorquin / Jean-Claude Machek / Matthieu Messagier / Gilles Mézière / Jean-Jacques N'Guyen That / ALAIN Prique / Nick Tréan

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    Quel plaisir de retrouver ce livre en rangeant le garage, je pensais que je l'avais prêté à un ami qui ne me l'avait jamais rendu, déjà que lors de sa sortie j'avais eu un mal fou à obtenir de ma libraire ( très militante et très débutante ) qu'elle en passe la commande, elle pensait que le titre était une pure invention de ma part pour me moquer d'elle. J'ai insisté pendant un mois...

    Toute une génération née aux alentours de 1950, ils avaient aux alentours de vingt ans en 1968, autant dire que les temps étaient à la rébellion, il importait de détruire non pas le vieux monde mais les formes selon lesquelles the ancient world s'était constitué. Tout un programme qui n'était pas neuf, déjà en 1916 Dada avait élaboré un tel projet. Si l'on y pense bien, cette manière de diriger sa révolte contre les ''formes'' démontra avant tout une satanée allégeance aux dogmes idéens de Platon... Ce qu'il y a de profondément ennuyeux en poésie, ce sont les précurseurs, et les seize chevaliers du Manifeste Electrique, en avaient reconnu de deux sortes. La poésie Beat et le Surréalisme. Le titre du bouquin en témoigne.

    Dans les années 70, le Surréalisme était la vache sacrée dont tout le monde se réclamait et que personne ne pensait à mener à l'abattoir. Il y avait bien la revue Tel Quel qui explorait une écriture hors des cadres, mais le groupe qui gravitait autour de Phillipe Sollers, Denis Roche, Marcelin Pleynet empruntait trop aux idéologies politiques et aux cadres formalistes de la '' grande littérature''. Tare rédhibitoire, ces nouveaux pontificateurs étaient nés autour de l'an 1935. En quinze ans, l'horizon culturel s'était modifié. Le rock'n'roll était apparu. Terrible constat, si Valéry avait pu décréter que la poésie c'était le son + le sens, le rock modulait un son qui attirait les oreilles si intensément que l'on pouvait sans trop d'hésitation se passer du sens. De toutes les manières, aligner au hasard des mots à la queue-leu-leu, ils finiront bien par signifier quelque chose.

    Se reposait à cette nouvelle génération la vieille problématique de Mallarmé confronté à Wagner, la poésie se devait de reprendre son bien à la musique. Relu à cette lumière, le Manifeste n'a malheureusement rien d'électrique. Le courant ne passe pas. Les textes ne frétillent pas. Point d'électrocution à l'horizon. Peuvent s'y mettre à un, à deux, à trois, à quatre, s'essayer à tous les styles, du vers libre au cut-up, des phrases sans complexe aux paragraphes d'empilements systématiques, du mot-valise joycien à toutes sortes de désarticulations formelles désaliénantes, le sens et le non-sens priment sur le son et ne parviennent même pas à engendrer un non-son. Sans doute un des échecs les plus cinglants de la poésie française du vingtième siècle. Reconnaissons à Zéno Bianu, Michel Bulteau, Patrick Geoffroy, Matthieu Messagier, de s'être attaqués à une entreprise colossale. Leur pratique d'écriture en sortira changée, chacun écrira par la suite au plus près de sa propre voix, de sa propre (a)musicalité.

    En 1971, Le manifeste électrique ne déchaîna ni les foules ni le scandale. A ma connaissance, seuls Alain Jouffroy dans Les Lettres Françaises, et la revue underground The Starcrewer y firent référence. Aujourd'hui ce livre de 90 pages est devenue une légende... Ironie de l'histoire une exposition était programmée pour ce mois de mai...

    Damie Chad.

    WEST, BRUCE & LAING

    MORE LIVE 'N' KICKING

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    L'on n'allait pas quitter West, Bruce & Laing, comme cela. Quand on aime on ne compte pas. Donc trois nouveaux concerts des soixante-trois qu'ils ont donnés aux Etats-Unis entre le 30 avril et le 17 décembre 1972. Rappelons que Why dontcha, enregistré entre mai et l'été 1972 nécessita une pause entre les concerts et sortit en novembre 1972. Pourquoi le groupe qui s'était formé dès janvier 72 en Angleterre s'est-il rendu si vite aux USA ? Pour West et Corky c'était revenir sur l'ordalique et triomphal tapis des cendres chaudes laissées par Mountain, sans doute partageaient-ils aussi la motivation première de Jack Bruce, l'urgent besoin de fric. Le flot de monnaie rapporté par Cream commençait à se tarir pour Jack... L'opportune formation du trio s'avéra être la bienvenue, par la suite le roi des bassistes assura à plusieurs reprises que W, B & L, n'était pas son meilleur souvenir...

    AQUARIUS THEATER

    BOSTON / 27 – 04 – 1972

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    Don't look around : en pleine tornade, vous faut quelques secondes pour réaliser que tout va bien que vous êtes simplement en train d'écouter un enregistrement de rock'n'roll, non ce n'était pas une attaque nucléaire même si ça y ressemble méchamment, de temps en temps vous percevez la voix de West mais la vague de lave vous submerge et vous projette à Pompéi aux temps béni de l'éruption du Vésuve. En plus ils vous la font revivre en temps réel et en grandeur nature, sûr que les romains du temps jadis réduits en cendres doivent être jaloux. Ils n'ont pas eu droit à la musique eux ! Polititian : pas le temps de se remettre, Bruce a décidé d'arpenter la chaussée des géants et ses pas font trembler les assises de la planète. West lui lance quelques flammèches dans le dos, ce qui le rend fou de rage, vous assistez au combat de Thésée-West contre Minotaure-Bruce, et vous avez Corky qui s'en vient jeter sa grêle de sel ardent sur les blessures des deux combattants. Laocoon et ses deux fils contre les serpents du rock'n'roll. The doctor : celui que l'on appelle lors des catastrophes, l'arrive ou trop tard ou trop tôt, les enceintes vomissent des murs de briques, Bruce vous déblaie cela avec le bulldozer de sa basse tandis que West sonne le glas sur les ruines du clocher écroulé, ensuite c'est la folie pure. Âmes sensibles suicidez-vous au plus vite cela vous évitera de mourir de peur sous l'épaisse pluie riffique qui tombe sans discontinuer, une seule certitude dans ce monde de brutalité exacerbée, prennent leur temps et leurs plaisir. Tout petits ils ont dû être allaités avec le lait des hordes mongoles. Le Corky se plaît au jeu, voici qu'il a trouvé une occupation amusante il passe la tondeuse à gazon sur l'herbe des steppes. Ne cherchez pas une autre explication au changement climatique. Quant aux deux autres ils sèment des œufs de crotales sur le sable du désert qui avance. Irrévocablement. Third degree : qu'est-ce qu'il leur a fait ce blues, pourquoi le déchirent-ils avec tant de hargne, Bruce lui casse les os, West lui retire la peau alors qu'il est encore vivant pour qu'il ait encore plus mal, et Corky lui écrase le bout des pattes pour que plus jamais il ne tienne debout, ne vous reste plus qu'à pleurer de plaisir. Quand vous pensez qu'ils sont si méchants uniquement pour que vous soyez contents, vous vous sentez un peu coupables. De toutes les manières le pauvre animal ne s'en remettra jamais, alors c'est aussi bien s'ils continuent. Et ces hurlements qui vous frissonnent si fort la moelle épinière, consentiriez-vous à vous en passer. Un bon blues est un blues agonique. Guitar solo + Roll over Beethoven : West est à la guitare, s'en sert comme d'une harpe celtique, celle qu'utilisait Homère pour évoquer la chute de Troie dans le festin des rois, c'est beau, c'est triste, c'est puissant, ah ! ce cri des bébés troyens dont on fracasse la tête sur les remparts d'Ilion, connaissez-vous quelque chose de plus émotionnant et maintenant l'incendie final avec les meurtres, les viols, le carnage, ah ! les grecs savaient vivre intensément à la manière de leurs Dieux, et Leslie est le héros de la guitare rock, au cas où vous en douteriez il ligote ce pauvre Beethoven dans les cordes de son piano, tandis que Bruce festonne en sous-main quelques aria rupestres et tumultueux, Corky se dépêche de clouer le battant, manière de transformer l'instrument à queue en cercueil, mais ne voilà-t-il pas qu'en plein milieu de son travail funèbre notre batteur se souvient qu'il doit rentrer les vaches, alors il frappe violemment sur sa cloche à ruminants, et sa préférée, la grosse noiraude, la Mississippi queen déboule suivie de très près par une horde de taureaux furieux en manque d'affection et d'effusions priapiques, je ne me risque pas de décrire la parade nuptiale qui suit, des têtes blondes pourraient tomber sur ce texte et apprendre tout ce qu'elles savent déjà, je fais confiance à l'imagination de nos lecteurs. Le Corky doit avoir travaillé comme tueur numéro 1 aux abattoirs de Chicago. La guitare de West vagit telle une vache désespérée qui a perdu le chemin de son étable. Powerhouse sod : Bruce se lance dans l'atonalité africaine, sa basse gronde telle la hyène du désert qui dispute un os à une meute de chacals, le Jack se laisse aller à ses mauvais instincts jazzistiques, démonstration en long et en profondeur, l'est un peu comme cet irritant moniteur de planche à voile qui virevolte sur les vagues pour épater votre copine. Il n'a pas de chance, le Jack peut mugir tout ce qu'il veut comme une sirène de cargo échoué sur la plage désertée, aux performances artistiques individuelles elle a toujours préféré les activités de groupe comme les Rolling Stones. Play with fire : ( drum solo ) : c'est ce que l'on appelle un alibi, vous prenez un vieux classique des sixties dans l'armoire aux souvenirs, vous traversez le premier couplet au triple galop, et lorsque vous êtes sorti du paddock vous vous laissez travailler par vos démons les plus chers. C'est dans les vieux chaudrons que les sorcières préparaient leur mixture les plus réussies, ici nos trois sorciers s'essaient à trouver le West, Bruce & Laing original sound, tout ce qui a précédé c'était de l'esbroufe, pour les adeptes du voyeurisme rock, ici l'on cherche un nouvel idiome, si ce groupe avait continué que n'aurait-il donné ! Pour une fois Bruce s'amuse à jouer à part égale avec Corky, West vous décoche des flèches enflammées sur le convoi qui s'aventure dans les territoires sacrés des indiens. Sunshine of your love : et l'on repart dans les sentiers battus, faire du neuf avec du vieux n'est pas donné à tout le monde. Surtout si un tiers de l'effectif était partie prenante de la première mouture, toutefois il n'y avait pas de cloche à vache dans Cream, un minuscule détail qui pourrait déboucher sur les alpages inconnus d'une montagne aux flancs abrupts. La fin du morceau est en exploration constante.

    La qualité de l'enregistrement n'est pas parfaite, mais le document est de première importance.

     

    RADIO CIRCUS MUSIC HALL

    NEW YORK / 06 – 11 – 1972

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    Don't look around : un grondement qui surgit des entrailles de la terre, vomito-éruptif, stroboscope sonore, la guitare de Leslie vous plante des écharpes dans la chair jusqu'à ce que le riff salvateur se précipite sur vous pour vous bouffer tout cru. Vous voici squashé à la manière d'une balle de ping-pong en acier qui rebondit entre les vitres intransperçables de la matière riffique. Le West vous gloutonne les entrailles tandis que Bruce vous passe dessus avec son rouleau compresseur, n'y a que Corky qui ne s'amuse pas, vous maintient le rythme coûte que coûte en frère de la côte qui file les écoutes pour maintenir l'allure. Pleasure : c'est la voix de chapon de Bruce qui fuse hors du battement intensif de Corky, l'on se demande ce que fait Westie, doit faire le beau pour qu'on lui refile un sucre, l'a sa guitare qui jappe toute seule, une meute de chiens derrière le cerf, la pauvre bête ne fera pas long feu. Ne pariez pas sur sa peau, cause perdue ! Aux imprécations de Jack, vous comprenez qu'il lui en veut personnellement. Mississippi queen + Polititian : le Corky a dû être transformé en machine à rythmes par un mauvais sorcier, ou alors l'a une mauvaise descente d'acide, en tout cas ça fait mal. L'en oublie de taper sur sa cloche à vache, Bruce vient à son secours, et Leslie lui envoie la dépanneuse. Sur la fin ça ronronne comme une machine à laver atteinte de la danse de Saint-Guy, et là-dessus Jack avance avec ses gros brodequins de politicien qui confond drague et campagne électorale. La basse ronronne des propositions malhonnêtes, décidément le monde est parfait, West en profite pour vous refiler un solo pointu comme une flèche d'indien qui se serait fiché dans votre œil droit. Celui que vous ne fermez jamais lorsque vous dormez. Corky l'enfonce un tout petit plus jusqu'à ce qu'elle touche le kyste qui vous sert de cerveau. De la belle ouvrage dont vous ne pouvez être que satisfait. Rolling Jack : le blues c'est comme la pêche, vous pouvez le pratiquer à la dynamite, alors Corky lance les bâtons et les deux autres tapis à chaque extrémité les allument. La basse de Bruce ressemble à un trente-huit tonnes dont le moteur peine pour escalader l'Anapurna, et Leslie imite les roues qui crissent dans les descentes. Ont aussi la mauvaise idée d'écraser les auto-stoppers sur les bas côtés et à chaque fois Leslie pousse des cris de porc égorgé. Third degree : le coup du blues qui déchire ça marche à tous les coups, z'avez le fourgon qui conduit lentement le macchabée au cimetière et un chien qui tire sur un morceau d'intestin qui dépassait du cercueil, tous les clébards du patelins hurlent à la mort après lui. Encore plus marrant que le Tandis que j'agonise de Faulkner. Le genre de scène que vous raconterez encore à vos arrières-arrières-petits-enfants. Le Leslie quand il tient le bout de gras il n'est pas prêt à vous le lâcher. Le delta tel que vous ne l'avez jamais entendu. Why dontcha : c'est fou comme trois mecs ensemble peuvent produire de volume tonitruant dès qu'ils ont le cœur à l'ouvrage, le Corky vous enfonce la tête dans le sable à coups de pelles, West joue aux fléchettes sur votre cadavre, Bruce compatissant vous savate une sonate de Beethoven en sourdine, il ne tient pas à vous réveiller, oui mais après ils ne se retiennent plus et vous commencez à avoir peur. Public acclamatif. Train time : tiens un western, Bruce joue à l'homme à l'harmonica, la scène du train, Corky boogise lentement dans le lointain, locomo-Bruce accélère et pique un vocal hors des rails, genre de morceau qu'il vaut mieux voir en direct qu'écouter sur bande. D'ailleurs ça s'arrête relativement vite. Guitar solo + Roll over Beethoven : West n'était pas présent sur le morceau précédent alors il met les doubles-bouchées pantagruéliques sur son solo, miroite comme de l'or, c'est beau comme La mine de l'Allemand Perdu de Blue Berry, je ne vous surprendrai pas en vous annonçant que la nostalgie Westienne possède ses limites, vous ramène en pleine action, révolte indienne assurée, mais quel artiste, quel tourbillon de radieuses sonorités nous dispense-t-il, ouvre la corne d'abondance et la déverse sur nous, sa guitare barrit, se transforme en éléphant dont un chasseur vient d'abattre la femelle, et vous sentez que le safari sanglant va se terminer en confiteor de confetti charnels, de quoi rendre Beethoven jaloux. Corky et Bruce viennent se repaître du sang innocent épandu sur la piste transformée en marécage hémoglobineux. Et l'on déboule dans Love is worth the blues sans bien s'en rendre compte, mais tout l'amour et tout le blues du monde ne pourront remplir les notes de ce trio maudit qui emporte nos rêves avec lui dans une cavalcade infinie. Corky en open-tornade marque le rythme et les deux autres sont à sa poursuite inter-galactique. Le mur du son du rock'n'roll est dépassé depuis longtemps, arpèges-atterrissage sur planète inconnue en douceur. Voici que Corky timbalise et casse du bois. Crépitements de baguettes-mitraillettes. Cydalises de cymbales sur fond de tonnerre digne des sabots de Sleipnir, Leslie joue, Hendrix n'a jamais atteint cette profondeur de champ, je sens que je vais me faire des ennemis mais parfois l'on est touché par la grâce. Un morceau dantesque, si vous connaissez mieux faites-nous-le savoir, on vous écrira. Powerhouse sod : Bruce monte sur le ring, il braille le blues à la Bo Diddley, Corky tam-tame l'hippopotame à mort, et Jack déploie ses notes comme les sorciers déplacent leur boules sur le boulier. Vous essayez de suivre, vous n'y comprenez rien mais les calculs sont étonnamment justes. Si ça continue, les esprits des morts vont apparaître. Dansent en rond autour du baobab. Maintenant vous pouvez accéder à tous les pouvoirs. Entrez dans la danse et laissez s'envoler votre esprit. Personne ne s'en apercevra. The doctor : Doctor West est annoncé, pas faux il possède la bonne médecine et ses deux assesseurs ne sont pas des gueilles non plus. Vous appliquent le cataplasme chaud brûlant sur les partie génitales et vous ressentez un bien fou. Le rock au bistouri et le blues au scalpel c'est merveilleux, mais aussi un peu dangereux. Corky est un maniaque mais pas du tout dépressif, un tambour entre les mains et vous êtes tranquille pour trois jours, évidemment s'il se prend la tête avec Jack, ça tourbe à l'émeute, et quand on vous bombarde de ses riffs, vous demandez si vous n'êtes pas un peu masochiste pour supporter de tels traitements. Sûrement, seulement qu'est-ce qui pourrait vous faire davantage de bien sur cette terre ! Rien. Sunshine of your love : mettez vos lunettes de soleil, et n'oubliez pas que certains l'aiment chaud. Je n'en dirai pas plus. Tant pis pour vous. Osez l'apothéose.

    C'était à New-York. Alors ils ont tout donné. Pratiquement deux heures de débauche orgiaque.

     

    MEMORIAL AUDITORIUM

    DALLAS / 29 – 11 – 1972

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    Keep playing that rock'n'roll : ce ne sont pas nos trois héros mais le Arthur Winter Group. Qui assure grave, entre nous soit dit.

    Don't look around : le vol du bourdon bombardier, menace sur tous les Hiroshima mentaux que nous portons à l'intérieur de nous, dommage que le son soit si bas, le groupe emballe et le riff monstrueux survient à l'instant idoine tel Godzilla le grand destructeur qui se rue vers nos rivages. Dévore déjà les derniers survivants tandis que sa queue, enfant capricieuse qui renverse son jeu de cubes, balaie les immeubles sans le faire exprès. Saccage intégral. Pleasure : un petit rock'n'roll n'a jamais fait de bien à personne, alors ils alignent celui-ci à vous démantibuler les ratiches. Ils insistent méchamment pour se faire haïr encore plus. Ils y réussissent parfaitement. Le son n'est vraiment pas fabuleux. La basse de Bruce trop compressée. D'autant plus regrettable que vous sentez qu'ils sont attelés à l'ouvrage. Why dontcha : par contre l'enregistrement permet de saisir une des caractéristiques du groupe, le fond musical qui tourne-boule et le vocal en osmose de distanciation, idem pour les soli qui planent très au-dessus de la pâte sonore tout en lui étant directement reliés, WB&L joue sur les deux tableaux, intégration et désintégration, fragmentations et réunifications, un peu comme ces toiles cubistes qui présentent sur le même plan la lune et sa face cachée. Third degree : des as pour étirer le chewing-gum du blues, une langue de fourmilier qui surgirait très lentement mais qui implacablement s'amuserait à smasher les une après les autres les fourmis carnivores, les images ralenties d'un film pour que le spectateur puisse se rendre compte de l'habileté diabolique déployée. Et puis de temps en temps l'accélération de la séquence pour que vous ayez une vision correcte de l'efficacité déployée par le zénarthra formivora. Mississippi queen : le son toujours aussi bas du plafond, ce n'est pas grave les courbes lascives de la Reine du Mississippi sont si tentantes que vous l'oubliez vite, Leslie hurle son plaisir et sa guitare spermatique gicle telle une fontaine de jouvence torrentueuse. Travaille la miss au plus près. Travaux d'approches fulgurantes pour les dissonances beethovéniennes. Un chemin de stupre et d'épines lacérantes qui mène tout droit au classique de Chucky les doigts agiles : Roll over Beethoven : nous en offre une version que l'on qualifiera de respectueuse par rapport à l'originale. Parfois la guitare dépasse un peu les contours du dessin, même qu'à la fin elle se transforme en un fameux gribouillage qui ne dépare en rien le tableau du maître. Bruce se permet même de le faire sonner à la Deep Purple ! Magnifique moyen d'entrer sans douceur dans Love is worth the blues : qui est au blues ce qu'une symphonie est à un élève de sixième s'adonnant à la flûte à bec en matière plastique. Ce morceau est un véritable champ d'expérimentations pour nos trois compères, ce coup-ci c'est Bruce qui s'adjuge la part du lion royal, ce qui n'empêche pas Leslie de faire miauler sa guitare comme une portée de tigrons impatients du retour de leur mère et Corky s'adjuge un solo, un genre de tamponnements maladifs qui tient autant de Parkinson que la tournante du mouton géant, font comme dans le poème de Victor Hugo, vous leur filez une araignée, en explorent les contours de prédatrice et en détaillent les morsures venimeuses, puis ils vous l'exaucent jusqu'au haut du ciel, et vous comprenez qu'ils l'ont transformée en soleil ardent et bienfaiteur pour réchauffer nos os de pauvres terriens démunis.

     

    MORE LIVE 'N' KICKING

    ( 24 avril 1972Canergie Hall. New York ? )

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    A ma connaissance provenance indéterminée, du matériel de préparation pour le Live 'n' Kickin' qui à l'origine devait être un double. Ce qui est sûr c'est qu'il s'agit là de bandes de premier choix, qui démontrent à l'excès quel groupe exceptionnel aurait pu être West, Bruce & Laing.

    Play with fire : la raison pour laquelle cette version n'a pas été préférée à celle sur le disque sorti restera une des grandes énigme rock du vingtième siècle, basse, guitare et batterie sont ici totalement entrecroisées, une phalange macédonienne au combat sur qui vient se briser la charge de la cavalerie adverse. Il arrive un moment où le sort de la bataille reste suspendu en un miraculeux équilibre, mais peu à peu les hoplites regagnent du terrain et la pente fatale de la victoire s'incline en leur faveur. Ce Corky quel batteur, une probité à toute épreuve vis à vis de ses deux compagnons, il les sert à merveille et leur laisse tout l'espace nécessaire. Et quand l'incendie enflamme le Walhalla, l'on assiste à une des plus belles chevauchées sans retour du rock'n'roll. Il arrive un moment, le morceau dépasse les vingt minutes, où la musique vous saisit et vous pétrifie. Merveilleux solo de Corky qui a lui tout seul fait aussi bien que le trio en son entier. L'on entend les mouches Bruce et West bourdonner autour des cymbales, et quand il tape sur sa zinguerie il leur laisse de temps de s'envoler. Sublime. Sunshine of your love : très haute qualité, mais un peu attendu, le titre des Stones leur a laissé davantage de latitude créatrice, sur ce morceau de Cream les sentiers sont balisés, mais ce soir Jack et Bruce ne se tirent pas le mou, avancent de front, un régal de les entendre, la voix qui ricoche comme des pierres détachées de la paroi rocheuse, Corky à fond les ballons les pousse à mort, ne leur laisse pas un centimètre pour reculer afin de prendre de l'élan, sont au plus près des arêtes verglacées et la cordée avance toujours, ce soir ce n'est pas l'amour qu'ils recherchent mais le soleil lui-même qu'ils veulent atteindre. Aucune version creamique n'est montée si haut.

    Shake my thing / Unknown song / Pollution woman : oubliez tout ce qui précède si vous désirez prendre quelques plaisir à ces trois titres qui suivent. Ce n'est pas qu'ils soient nuls, l'amateur de rock y trouvera un intérêt certain. Juste des pistes de travail opérées durant l'enregistrement de Why Dontcha. Bruce swingue à mort, profitez-en pour remarquer le grand funk de Corky qui railroade autour de ses lignes. Mais enfin soyons juste, ces trois backing traps font un peu pièces rapportées pour obtenir l'équivalent temporel d'un album. Just for fans.

    Nous arrêterons là pour aujourd'hui mais nous retrouverons très bientôt nos héros.

    Damie Chad.