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andrew lauder

  • CHRONIQUES DE POURPRE 650 : KR'TNT ! 650 : LUKE HAINES / QUINN DEVEAUX / ANDREW LAUDER / JOHN CALE / ARTIE WHITE / OCULI MELANCHOLIARUM / THY DESPAIR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 650

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 06 / 2024

     

    LUKE HAINES / QUINN DEVEAUX

    ANDREW LAUDER / JOHN CALE

    ARTIE WHITE / OCULI MELANCHOLIARUM

    THY DESPAIR/ ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 650

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

     - Luke la main froide

    (Part Five)

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             Pas compliqué : Luke Haines, c’est Noël Godin. Son Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll, c’est l’Anthologie De La Subversion Carabinée. D’un côté les screaming girls de la Beatlemania, de l’autre les Pieds Nickelés de Forton. Même sens du droite gauche dans la bedaine de la bien-pensance, même impertinence salvatrice, même vision résolutrice, même envie d’en découdre avec les fucking lieux communs du ventre mou du lard global, on l’a dit ici et répété, Luke la main froide, c’est Léon Bloy avec une guitare électrique, c’est l’entartreur avec la férocité britannique. Jetez-vous tous sur ces deux bibles ! Plus l’environnement socio-culturel sent mauvais, et plus elles s’avèrent aussi nécessaires que l’oxygène. Respire un bon coup, avec Luke, t’es en bonne main (froide).

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             Comment dire ? C’est une occasion rêvée que de saluer une telle parution, et donc une chance que de contribuer à ce bloggy bloggah pour pouvoir l’annoncer. Freaks Out! est l’un des rock books majeurs de notre époque, mais comme on répète ça à chaque fois, disons qu’il est encore plus majeur que d’habitude. D’ailleurs, sur l’étagère, tu vas pouvoir le ranger à côté de toutes tes bibles : l’Anthologie citée plus haut, le gros volume bleu clair de Pascal Pia, Romanciers, Poètes & Essayistes Du XIXe Siècle, les deux volumes de Richie Unterberger, Unknown Legends Of Rock’n’Roll et Urban Spacemen & Wayfaring Strangers, le Dada Duchamp de Michael Gibson, L’Art Magique et l’Anthologie De l’Humour Noir d’André Breton (un mec qu’on déteste profondément, mais son Histoire de l’Art et son Antho valent tripette), le Record Makers & Brokers de John Broven, L’Histoire De L’Insolite de Romi & Philippe Soupault, La Lettre & L’Image de Massin, les trois tomes des Souvenirs Sans Fin d’André Salmon, le Quatre Siècles De Surréalisme de Marcel Brion, enfin bref, tout ça donne le vertige à chaque fois qu’on s’y plonge. Que deviendrait-on sans les étagères ?

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             Avec son mighty Freaks Out!, Luke la main froide reprend grosso-modo ses fameuses columns de Record Collector et les développe, il fait donc du nec plus ultra de trié-sur-le-volet. Il monte sa science en neige. En lisant chaque mois sa column, on avait l’impression de lire du rare. Avec son book, il cultive le rare jusqu’au délire. Il l’élève. Il l’ararate. Ça va de Gene Vincent aux Go-Betwwens (ses deux chouchous hors compétition) en passant par Steve Peregrin Took, Earl Brutus, Robert Calvert et Jesse Hector. Luke la main froide est bien le seul mec en Angleterre à consacrer des chapitres entiers à ces héros de l’underground britannique. Il le fait avec une bravado qui en dit long sur son panache. Il est inutile de rappeler qu’à notre époque des mecs comme la main froide ne courent pas les rues. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour le constater.

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             Si tu veux savoir tout le bien qu’il faut penser de Gene Vincent, tu peux lire deux auteurs : Damie Chad et Luke la main froide. L’un comme l’autre sont des inconditionnels définitifs, des prêtres du temple d’Apollo-Gene. Heureusement qu’ils sont là ! Dans Freaks Out!, t’as un chapitre entier bourré à craquer de sailor Craddock, de Triumph motorbike, de Norfolk Virginia, le texte vibre de toute l’énergie de «Be-Bop-A-Lula», t’as le Gene qui voit Elvis sur scène, alors Eugene perd son Eu, se rebaptise, «becoming Gene Vincent. Holy fucking shit», s’exclame la main froide en tombant à genoux ! Il se reprend aussitôt et, le visage tourné vers le ciel, il déclare : «Chaos magick takes over; Gene puts together a backing-band - the Blue Caps - a potent brew of the amateur and the genius.» Seul un fan hébété de transe obsessionnelle peut te sortir un tel sermon, sa phrase claque au vent, tu peux la lire et la relire, tu la verras toujours claquer au vent, a potent brew of the amateur and the genius. Mais attends, c’est pas fini, la main froide a la main lourde : plus loin, il traite «Be-Bop-A-Lula» de «full-on wolverine prowl», c’est-à-dire de pire monstre carnassier qui ait hanté l’inconscient, et, ajoute-t-il, «en dépit de tous leurs efforts, ni les Stooges, ni les Troggs, ni Suicide n’ont jamais fait mieux.» La main froide lâche ensuite une petite bombe de sa fabrication : «Mais ce n’est pas Gene Vincent qui a inventé le rock’n’roll que nous connaissons. C’est le batteur Dickie Harrell, qui n’a alors que 15 ans, et qui à la fin du deuxième couplet, pousse un feral scream», c’est-à-dire un hurlement sauvage. Mais bon, comme toujours, c’est plus joli en anglais. Feral, ça ferraille dans ton imagination, alors qu’hurlement peine à jouir.

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             Tu crois que la main froide va se calmer après sa bombe ? Tu te fous le doigt dans l’œil, amigo. La main rappelle qu’en 1959, Gene était cuit aux patates, aux États-Unis. Terminé. Kapout. Direction l’Angleterre. Alors l’anglais Jack Good tombe à pic. Il fait de Gene l’icône que l’on sait en Angleterre. Il le fait passer du stade de «skinny hillbilly farm-punk» à celui de «bad-boy black leather», avec le médaillon et les gants noirs. Et là, notre épouvantable main froide atteint l’un de ses sommets : il décrit l’arrivée de Gene sur scène, et dans la coulisse, Jack Good lui crie : «Limp, you bugger, limp !», ce qui veut dire «Boite, connard, boite !» - Amazingly, Gene didn’t shoot him - Oui, la main froide a raison, c’est miraculeux que Gene n’ait pas descendu Jack Good. Alors tu vois, tu n’en es qu’à la page 20 et tu frises déjà l’overdose. Chaque page est un chef-d’œuvre d’heavy mystique dégoulinante de vitriol ironique. La main froide revient pour la énième fois sur l’incroyable movie tourné en 1969, The Rock & Rock Singer : Gene Vincent est filmé en tournée sur l’«oldies circuit», gavé de Benzedrine, de Dexedrine, d’heavy painkillers et de booze, ça va mal, et puis ces répètes dans une cave de Croydon avec les Wild Angels qui «kick out a motherfuckin’ dynamite version of ‘Baby Blue’ and Gene’s weary eyes light up. The Teds are gonna dig this shit.» La main froide écrit le rock comme un dieu. Il décrit le réveil de Gene dans la cave de Croydon. Ils tapent ensuite une country-song, «I Heard That Lonesome Whistle», dédiée à John Peel qui a sorti, nous dit la main froide, «Gene’s country rock album I’m Back And I’m Proud» - The Teds won’t be digging this - mais bon, la répète prend fin et les Wild Angels demandent à Gene ce qu’il compte faire de sa soirée. «I’m going to the pub, to get drunk.» Alors l’un des Angels demande : «Mind if we tag along?». Autre plan : à la télé, le présentateur annonce Gene Vincent & the Wild Angels with Be-Bop-A-Lula - Utter transformative chimera. Black leather and chains. John Lydon fronting the Troggs. Limp you bugger, limp - Comme elle doit aimer Gene !, la main froide, pour écrire comme ça ! Le seul qui atteigne ce niveau d’intense perfection stylistique, c’est Nick Kent.

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             À la fin du book, tu as 30 pages de recommandations (Discography, bibliography, miscellany), et la main froide n’y va pas par quatre chemins : «Gene Vincent & The Blue Caps - Bluejean Bop. The greatest album ever recorded?». Il te pose la question. Dans le chapitre qui précède celui de Gene, la main froide salue Jerry Lee exactement de la même façon : «Jerry lee Lewis At The Star-Club. It is unarguably the greatest live album ever recorded.» Et voilà, ça t’en fait deux pour ton étagère. Une autre façon de dire les choses : si tu es fan de rock, tu ne peux pas vivre sans ces deux préalables à tout le reste. La main froide utilise la surenchère à bon escient. C’est la raison pour laquelle elle est si fiable. Tous les fans de Gene et de Jerry Lee savent qu’il a raison.

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             Dans son intro, la main froide te fait tourner en bourrique. C’est l’un de ses apanages. Il te dit d’un côté que le rock’n’roll n’est pas une question de vie et de mort, «c’est plus important que ça.» Et de l’autre : «Le rock’n’roll est aussi utterly ridiculous. Ne perdez jamais ça de vue. Alors en voiture, les groovers.»

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             Il rentre dans l’eau bénite de ses chapitres en rappelant qu’ado, il était obsédé par The Fall. Il est encore plus fasciné par les Doors, qui, dit-il, allaient vite être démodés - Off-trend. Passé. Terminally uncool, even. Sure, they were loved by French people, Euro hippies, female students and me - La main froide ajoute en croassant qu’elle n’a encore jamais rencontré un music journalist qui ait eu un mot aimable sur Jimbo. La presse s’en prenait même à l’excellent film d’Oliver Stone sur les Doors, que défend la main froide. Alors elle donne 8 raisons d’aimer Big Jim, la deuxième étant le fute de cuir - Très peu de gens savent porter un fute de cuir. Bowie n’en portait pas, Bolan non plus, ni le Velvet, parce qu’ils ne savaient en porter. Les seuls qui ont su le faire sont les Beatles à Hambourg, Gene Vincent, Lulu et Jim. Morrison was the king of leather trousers - La troisième raison est la poésie. Il en profite pour saluer Iggy Pop et Geezer Butler «as favorite say-what-you-see-and-don’t-edit-visionary lyricists.» La septième raison est que les Doors avaient the tunes, c’est-à-dire les compos. «God bless you, Big Jim.» Ces deux pages constituent sans doute le meilleur hommage jamais rendu à Jimbo. Dommage que la main froide ne fasse pas allusion aux faits que Gene et Jimbo picolaient ensemble, et que Jimbo s’inspirait de Gene : le cuir noir et la façon de s’arrimer au pied de micro, sur scène.

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             Pour rester dans l’œil du cyclone, la main froide évoque plus loin le set du Velvet à Glastonbury, en 1993. Pour lancer la machine, elle se fend d’un paragraphe bien Hainien - Il existe un clip du Velvet en 1967 qui crée bien l’ambiance : Andy, Lou, Nico, Cale qui ressemblent à Satan. Moe qui ressemble à une secrétaire de Long Island. Paul Morisseay a l’air méchant, Ondine, l’air mauvais, Brigit Polk qui se shoote du speed dans le cul. Amphetamine. Amphetamine. Amph,ph-ph,ph,ph, phetamine. Tthe Siver Factory. Whip it on me Jim, whip it on me, Jim, whip it on me, Jim, whip it on me, Jim - Joli clin d’œil à Mick Farren, mais après, c’est une autre histoire, car le Velvet à Glasto, «the greatest band of all time», c’est une catastrophe, ils transforment «Venus In Furs» en «late-80s cocaine boogie» - The VU don’t belong in a field full of cowpats - Le Velvet dans les bouses de vaches ! La main froide est sidérée !

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             Ailleurs, il salue Joe Meek via «Telstar», et Jesse Hector via l’une de ses amies, Caroline Katz, qui a tourné le fameux docu sur les Gorillas - Les groupes les plus connus de Jesse furent the excellently named Crushed Butler and Hammersmith Gorillas - et ajoute avec tout l’éclat de sa foot-note : «Jesse a maintenu (jusqu’à aujourd’hui) an orthodox bovver/glam aesthetic.» Et pour couronner le tout, la main froide indique qu’à la grande époque, Jesse arborait «three haircuts simultaneously.»

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             Au rayon super-culte, on retrouve bien sûr Steve Peregrin Took. La main froide commence par rappeler qu’on le voit à côté de Marc Bolan sur la pochette of «Ty Rex 1969 masterpiece, Unicorn». D’un côté le Freak’s Freak of Ladbroke Grove, et de l’autre, Bolan, plus carriériste. Un Took viré sans ménagement de T Rex pour être remplacé par le «plus photogénique, moins musical, and most importantly, plus conciliant Mickey Finn.» La main froide rappelle encore que Tookie, comme on le surnommait, amenait dans T Rex des «exceedingly freaky harmonies and gueninely disturbing feral animal noises.» Et ça, que la main froide te balance entre les deux yeux : «Over in Ladbroke grove, Steve Took was helping to keep Britain untidy. He had already been kicked out of the utterly deviant Pink Fairies.» Ça résume bien la situation. Tookie avait alors monté Shagrat, «with soon-to-be Pink Fairy Larry Wallis.» La main froide profite de cette exaction pour rappeler que d’autres groupes mythiques ont brièvement existé, citant l’Entire Sioux Nation de Larry Wallis (encore lui !), les Rocket From The Tombs et les Electric Eels de Cleveland, «London’s Flies and New York’s Flies, Brighton’s Dodgems.» La main froide qualifie ces groupes de blink-and-you-miss-them-cos-they-barely-existed mythical bands in rock, et le plus grand serait Shagrat. Elle cite en référence «the demonic ‘Steel Abortion’» qu’on a salué ici même lors d’un hommage à Tookie justement instrumenté par l’une de ses columns infernales. Puis elle profite de l’occasion, l’infâme main froide, pour oser une comparaison entre «the dreary sweaty Fat White Family» et Shagrat, une Family qui, en comparaison, sonne «like a Nancy Reagan tribute act.» Dont acte. Shagrat s’est cassé la gueule parce que Lazza est allé rejoindre les Pink Fairies, alors Tookie a poursuivi «sa mission consistant à priver tout Londres de drogues en les prenant lui-même.» Puis il atterrit dans le basement de l’ex-manager des Move, Tony Secunda, et l’une de ses rares fréquentations n’était autre que «the disssolute and dislocated Syd Barrett.» La main froide soigne toujours ses chutes de chapitres et celle-ci est particulièrement gratinée : Tookie vient de recevoir un chèque de royalties pour les trois albums de T Rex, et avec sa copine Valérie Billiet, ils décident de s’offrir un blowout. Ils prennent des champignons et s’injectent de la morphine. Selon la main froide, on a taxé la mort de Tookie de «drugs misadventure». Alors la main froide se met à rêver : «Aurai-je contribué à ce dernier blowout royalty cheque en achetant Unicorn/A Beard Of  Stars, lorsque j’étais ado ?»

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             Elle reprend plus loin le thème des cult bands, avec ceux des années 80 : Psychic TV, Death In June, Curent 93, mais elle s’intéresse surtout aux Rallizes Dénudés, des Japonais qu’elle qualifie de «first post truth rock’n’roll band». La main froide recommande froidement deux albums, mais attention, c’est à tes risques et périls. Elle se fend en outre de ses plus belles formulations pour chanter leurs louanges : «Think half-hour ‘songs’ of jet combustion-engine blitzkrieg, howitzer trails of phased guitar trampling to death the most moronic troglodyte three-note girl-group bass lines.» Elle bat largement Kriss Needs et Nick Kent à la course des formules sur-oxygénées. Pour en avoir testé quelques-uns, les albums des Rallizes sont parfois inaudibles. Mais uniques dans leur genre. Donc cultissimes. C’est l’apanage des alpages. Mais ce n’est pas fini, car la main froide t’attend au coin du bois : «Tout ce que je dis peut être vrai ou faux. Ça n’a pas vraiment d’importance. Si vous lisez ce book et que vous ne connaissez pas les Rallizes Dénudés, vous aurez sans doute envie d’y mettre le nez. Ne cédez pas à la tentation. Il n’en sortira rien de bon.» Toujours au chapitre des cult-bands, voici les Sun City Girls, «the three dumbest people in the Appalachian Mountains.» Louanges aussi de The Manson Family et Family Jams, «undeniably great record». Oh et puis Earl Brutus ! La main froide salue Jim Fry et son book, A Licence To Pop And Rock - An Inventory Of Attitude, dans lequel «il déclare avec clairvoyance que dans le monde of pop and rock, ‘sport is for cunts’. On ne l’a pas assez dit, aussi vais-je le répéter : sport is for cunts. One more time: sport is for fucking cunts.»

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             Ce chapitre cult-bands grouille d’infos, mais on s’étonne cependant de ne pas y trouver les noms des Starlings, des Earls Of Suave, des 1990s ou de Tery Stamp. Ou encore de Lewis Taylor. Ailleurs, la main froide attire l’attention de son lecteur sur la distinction entre cool et uncool. Elle prend un exemple : «Smog/Bill Callahan are cool; but to the real Freak, Smog/Little Bill Callahan are totally uncool. My Bloody Valentine and Spiritualized are cool but also really uncool.» Tu tournes la page et tu tombes là-dessus : «Prince. No one cool has ever liked Prince; if you like Prince, you are doomed.» Mieux vaut écouter Parliament ! Et plus loin, elle tombe sur le râble de Radiohead : «Radiohead are totally uncool/uncool.» Les Clash sont aussi à ses yeux uncool. Ces pages sont hilarantes, et la main froide dégomme au passage pas mal de lieux communs du rock, comme le fit en son temps Léon Bloy avec sa redoutable Exégèse Des Lieux Communs. Les médiocres tremblaient de peur lorsque Léon Bloy tirait son sabre du fourreau. La main froide, c’est pareil : lorsqu’elle s’abat sur la médiocrité du rock anglais, c’est avec tout le poids de la Main de Dieu d’Isaac Bashevis Singer. Plaf ! 

             Luke la main froide joue aujourd’hui le même rôle que John Lydon : celui d’empêcheur de tourner en rond. John Lydon donne encore de rares interviews, et ça reste un bonheur que de le lire. Sa verve est intacte et il n’a aucune pitié pour les cons. Luke et Lydon et Léon même combat ! La filiation est évidente, aussi évidente que la grande littérature est d’une certaine façon l’ancêtre de la rock culture. Disons pour faire simple que Léon Bloy est un pionnier, que Johnny Rotten est son héritier et que Luke la main froide reprend de flambeau avec brio. Ça te donne une belle trinité. Le père, le fils et le saint esprit, tu vois un peu le travail ? Tu peux relire Le Pal en écoutant «Bodies» et lire Freaks Out! en écoutant «Pretty Vacant» ou «Be-Bop-A-Lula», tout ça se tient merveilleusement. Luke la main froide redore le blason de l’excitation, et redonne du panache à la rock culture. Sous sa plume, celle-ci redevient vivante, grouillante, impertinente, délicieusement impubère, et enracinée dans la terre grasse de l’underground. Avec son book, Luke la main froide génère un enthousiasme considérable. S’il t’arrive de douter, de te dire par exemple, «à quoi bon tout ce rock, tous ces disks, tous ces concerts, tout ce blah blah blah», la lecture de ce book te remet en selle et tu repars, au tagada-tagada, frétillant comme jamais.

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             Et en prime, tu rigoles comme un bossu. Exemple. En mai 1974, les Sparks passent à la télé. La main froide voit son père réagir en voyant Ron Meal apparaître à l’écran. Il appelle sa femme qui est à la cuisine : «Joy, come in here. It’s bloody Adolf Hitler on Top Of The Pops!». Chez les Haines, on savait rigoler. Ailleurs, la main froide s’en prend aux panta-courts. Quand elle arrive à Glastonbury en 1993, la main froide est horrifiée de voir tous ses gens en panta-courts, les mecs des maisons de disques, du NME et même John Peel ! Oï ! Et quand son père le traîne gamin dans un match de foot, la main froide ne comprend pas qu’on puisse passer «90 interminables minutes à cavaler autour d’un sack of shit in the gloomy Portsmouth mud.»

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             C’est encore avec brio que la main froide évoque la dernière utopie du genre humain, celle de Timothy Leary qui prêchait the «global psychedelic revolution». Il voyait une «cinquième dimension dans laquelle la banalité, le temps et l’espace seraient éradiqués.» Et pouf, voilà que John Lennon, grand adepte de Leary, pond «the somnambulist proto-Mandrax anthem, ‘I’m Only Sleeping’, and ‘Tomorrow Never Knows’, un hommage à sa lecture préférée, Timothy’s Leary’s Psychedelic Experience.» Et la main froide embraye sec sur l’implacabilité des choses de la vie, c’est-à-dire les Beatles : «‘Tomorrow Never Knows’ est un rare exemple d’outward-looking, future-seeking, free-falling, fifth-dimension Brit psychedelia, going to places few had dared to venture before.» Le chapitre s’intitule ‘The psychedelic dawn of Hank B. Marvin & The Shadows’, et dans le chapitre suivant, ‘How the Beatles ruined everything’, la main froide revient aux fondements de l’histoire du rock anglais, c’est-à-dire les Beatles - The Beatles went beyond cool, uncool, too cool, uncool in a groovy way. Ils sont allés jusqu’au sommet de l’Holy Mountain, ont jeté un regard vers le bas et... ont juste haussé les épaules - Et la main froide persévère : «Vous n’avez pas besoin de moi pour vous raconter l’histoire des Beatles. La plus grande histoire de toutes. Si vous avez besoin de moi, c’est pour vous dire que les Beatles - et ce n’est pas de leur faute - ruined all rock’n’roll for everyone. Ever.» Sa façon de dire : «Quoi que tu fasses, tu ne seras jamais aussi bon que les Beatles.» Elle ajoute plus loin que «les Beatles were the first mytical group in rock’n’roll», la notion de mystique en rock n’existait pas avant eux.

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             Un peu plus loin, la main froide rend hommage au Bolan de Zinc Alloy, c’est-à-dire la période Soul de Bolan, avec Gloria Jones, un Zinc «bien meilleur, wilder and weirder than similar contemporary white English-Honky-Boys-go-soul experiments, comme Bowie’s dry hump ‘Young Americans’ ou Ian Hunter’s ‘All American Alien Boy’.» Et ça qui vaut comme hommage suprême : «Marc Bolan est mort le 16 septembre 1977, à l’âge de 29 ans, dans un car crash, comme son héros Eddie Cochran. Just like Eddie.» Alors le sarcasme reprend le dessus dans la main froide : «Vieille plaisanterie d’école des années 70. Question : What was Marc Bolan’s last hit?. Réponse : A tree.» Dans sa foot-note, la main froide précise que la vanne est de mauvais goût, mais elle lui est restée en mémoire après qu’il l’ait entendue dans la cour d’école peu après l’accident. Pour rester dans le secteur des grands disparus, la main froide consacre un chapitre à Mick Farren et déroule son curriculum : «Mick Farren: ex-Deviant, almost Pink Fairy, UFO doorman, David Frost botherer, Germaine Greer beau and botherer, partner in crime to previous chapter anti-hero Steve Peregrin Took, White Panther, poet, solo act, International Times editor. NME punk flagpole hoister. Author.» Et son plus grand accomplissement : mourir sur scène au Borderline - On-stage dead - Et boom ça repart de plus belle dans l’éclate sidérale du Sénégal de London town : «Si Steve Peregrin Took was the Freaks’ Freak, alors Mick Farren was the Freak El Presidente, running around Ladbroke Grove agitating, facilitation, ‘freaktaiting’, man.» Alors la main froide essaye de se calmer en imaginant une petite hypothèse : «Si tu devais détruire toute ta collection de disques, et n’en garder qu’un seul, alors ce serait Mona - The Carnivorus Circus.» Mais en même temps, elle ne voudrait pas qu’on attribue trop de vertus commerciales à ce «mudslide of blurgh». Et ça continue dans la même veine : «De la même façon que les cons littéraires disent que tout ce qu’on a besoin de lire se trouve dans Ulysse, on peut dire la même chose de Mona, sauf que les cons du rock n’ont même pas écouté Mona.» Et la main froide, qui s’est spécialisée dans les petits coups du lapin en fourbasse, te balance ça, alors que tu te crois tiré d’affaire : «Il y a aussi une extremely low-slung and heavy version of ‘Summertime Blues’, and yes, read it here: it is better than Eddie Cochran’s original.» Comme son ancêtre Léon, la main froide ne perd pas son temps à secouer le cocotier, il préfère l’abattre à coups de hache.

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             Il était donc logique qu’elle passe ensuite à Hawkwind et au Space Ritual, «a hard rock prolapse of the mind on a fuck tonne of drugs.» Elle adore rappeler que la pub pour l’album indiquait : «90 minutes of brain damage» - Doubtless the most honest advertising campaign ever - Space Ritual est un festin de Freaks, pour la main froide - Sure, Lemmy was a speed freak, and topless-dancing petrol pump attendant Stacia was a Freak for real - et bhammm ! - Robert Calvert was of course the real Freak genius of Hawkwind imperial period (1969-79) - et comme dans sa column infernale, la main froide revient sur Captains Lockheed & The Starfighters, album cultissime - no half-measures classic - où l’on entend aussi Vivian Stanshall, Paul Rudolph, Twink, Steve Perrgrin Took (of course), Arthur Brown - Il faut toutes affaires cessantes réécouter «The Right Thing» que reprendra plus tard Monster Magnet. Et là tu touches le cœur battant du cosmos Haineux.

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             Elle consacre bien évidemment un chapitre à l’autre chouchou de service, Mark E. Smith & The Fall - The Fall’s 1980 compilation album Early Fall 77-79 really split my adolescent mind in two - Puis les albums qu’elle pouvait se payer, Live At The Witch Trial, Hex Enduction Hour, Totale’s Turns «utterly blew my tiny mind». Et voilà la confession du siècle : «The Fall helped make a Freak of me, helped me reach my true Freak potential.» D’où le book. La main froide salue aussi le génie de Mark E. Smith consistant à recevoir les louanges de la presse anglais avec un mépris inimaginable. Et voilà la chute de The Fall : «The Fall, ou pour être plus précis, Mark E. Smith, devint célèbre. De façon admirable, les albums devenaient de plus en plus étranges et se vendaient de moins en moins. And the... death. Et l’inévitable canonisation a suivi. Tu ne peux pas être à la fois un national treasure and a Freak.»

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             Nouveau coup de chapeau aux Australiens de London town, les Go-Betweens, et elle n’y va pas de main morte, la main froide : «The Go-Betweens were the greatest rock’n’roll band of the ‘80s - juste derrière (à mes yeux) the beloved Fall.» Elle qualifie ensuite Robert Forster de «first proper Freak I’d ever met.» Alors elle repart à la foire à la saucisse, cette fois, avec «le great rock’roll qui devrait être sharp and devastatingly funny : The Modern Lovers, late-period Velvets, Iggy, Big Jim Morrison, all funny as hell. The Go-Betweens on the Whistle Test was one of these.» La main froide explique qu’elle flashé sur «Apology Accepted», «a kind of Velvets’ circa 1970 New Age drone-age confessional». Elle chante bien sûr les louanges de Liberty Belle And The Black Diamond Express, et notamment d’«Head Full Of Steam», «not only a Go-Betweens’ 24-carat classic but an all-time classic.» Et de rappeler que dans les années 80, «Robert Forster et Grant McLeman were nothing less than rock’n’roll gods.» Elle va même jusqu’à les comparer aux Beatles, «with Grant as Paul and Robert as John. John the Freak.» - Robert Forster was a star. Polite, otherwordly, palpably a rock’n’roll star and most importantly: a Freak - Elle salue aussi bien bas Tallulah, «their London album». Rusée comme un renard, la main froide profite du chapitre australien pour saluer The Evening Visits... And Stays For Years des Apartments - it stayed on my record player for years

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             Et puis voilà l’hommage funèbre «for my friend, Cathal Coughlan.» Elle rend hommage à «Cathal’s visionary and uncompromising artistic life.» Lors de leur première rencontre, la main froide lui vantait les mérites du génie de David Crosby, et Cathal l’écoutait poliment - We became firm and easy friends - et c’est là bien sûr qu’on plonge dans Microdisney et les Fatima Mansions. On en reparle.

     

    Signé : Cazengler, lancelot du Luke

    Luke Haines. Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll. Nine Eight Books 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - God save the Quinn

             En 1977, l’avenir du rock adorait promener son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais dans les rues de Chelsea, et notamment sur King’s Road. Il y croisait essentiellement des lycéens français en quête d’exotisme et de petites fringues à la mormoille. Ah comme ils avaient l’air godiches dans leurs petits blousons de cuir, leurs petits jeans et leurs petites boots à élastiques. Aussi caricaturaux que les touristes japonais qui eux préféraient traîner leurs savates du côté de Piccadilly Circus ou d’Oxford Street. Pour se distraire, l’avenir du rock en suivit deux qui semblaient un peu plus dégourdis. Ils se dirigeaient vers l’autre bout de l’avenue, là où se trouve Sex, le bouclard de McLaren. Ils passèrent une fois devant sans s’arrêter, firent demi-tour et passèrent une deuxième fois devant, en jetant un coup d’œil furtif à l’intérieur. C’est là qu’intervint l’avenir du rock :

             — Alors, les gaziers, vous n’osez pas entrer ?

             — Oh bah beuhhh...

             — C’est la grosse Jordan qui vous fout la trouille ?

             — Oh bih bahhhh...

             — Zavez vu, elle porte rien sous sa robe transparente. Belle moule, pas vrai ? Ça ne vous fait pas bander, les bibards ?

             — Oh bon bahhhh...

             — Au moins avec vous on ne s’ennuie pas, vous avez de la conversation !

             — Ah bah oui !

             L’avenir du rock s’émerveillait. Il n’avait encore jamais vu des kids aussi cons.

             — Hey les gazous, zécoutez quoi comme musique ?

             — God Save The Queen !

             — Pfff... N’importe quoi !

             — Ah bahh beuhhhh, alors c’est quoi qu’y faut écouter ?

             — God Save the Quinn !

     

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             Heureusement qu’il est là, l’avenir du rock. Tout le monde pense à la Queen des Pistols, mais jamais au Quinn DeVeaux. Alors le voilà sur scène, et dès les premières secondes, tu te frottes les mains, car voilà ce qu’on appelle un showman au sommet de son art. God save the Quinn !

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    T’es parti pour une heure de petit bonheur sidéral, celui qui te remplit bien la vie, celui qui te draine la cervelle, celui qui te remet l’équerre au carré et qui te réordonne la charité, oui, le petit bonheur sidéral de rien du tout, qui arrive de nulle part et qui te remplit comme une outre, ce petit bonheur sidéral qui t’arrache pour une heure à cette terre terne et à cette vie vile, à cette société sèche et à cette actu tue, le simple fait de voir un artiste aussi brillant et aussi inconnu, aussi black et aussi beau redonne du sens au sens, redonne vie à la vie, remet des touches de couleur dans le monochrome de la monotonie monitorée, le Quinn danse et chante comme le dieu Pan dans les vignes, alors tu le suis et en le vénérant, car au fond, tu n’es qu’un vieux païen. Grâce à Pan Quinn, tu renoues avec ton identité, avec ton anarchie inhérente, la vieille sève remonte en toi, la vie reprend vie, il suffit qu’un blackos chante et danse pour que le sens retrouve ses sens.

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             Mais attention, derrière lui se planque un gros voleur de show : le bassmatiqueur du diable, David Guy. Il bassmatique des six doigts, c’est-à-dire quatre + deux, et sonne exactement comme James Jamerson. Wow, c’est Jamerson en blanc, et quand on lui dit ça après le show, ça le fait rigoler de bon cœur. Il sait que Jamerson est le plus grand bassman d’Amérique. David Guy fait partie de gang des voleurs de shows, avec Dale Jennings qu’on vu agir derrière Say She She. Ces mecs n’ont aucune pitié. Ils volent sans vergogne. T’as un show petit black ? T’as plus de show, petit black. Baisé ! Dépouillé !

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    Mais Pan Quinn a du métier, il entend le voleur groover son show jusqu’à l’oss de l’ass, alors il danse et chante de plus belle, il se surpasse, il groove les vignes et tout le reste, la vie, le sens, l’équerre, ta cervelle et ta charité à la mormoille, Pan Quinn résiste au fabuleux harcèlement de son voleur de show et du coup, le set prend une dimension spec-ta-cu-laire. Aurait-on imaginé voir un jour un spectacle d’une telle qualité en Normandie ? 

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             Le reste du backing-band est au même niveau, c’est-à-dire exceptionnel, des blancs comme les MG’s derrière Booker T, ou les Swampers derrière les Soul Brothers et Sisters qui venaient alors enregistrer à Muscle Shoals. Gratte, beurre, keyboards, ils sont superbes, alors pour le dieu Pan Quinn c’est du gâtö. Il tape une incroyable diversité de styles, ça va de la Nouvelle Orleans («Bayou») au heavy rumble («Take You Back»), en passant par le black rock («Holy») et l’hommage suprême avec «What’d I Say» qu’on connaît par cœur, mais dans les pattes de Quinn, ça prend une autre dimension.

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             C’est avec «Been Too Long», le cut d’ouverture de Book Of Soul, qu’il attaque son set, un heavy groove de since you’ve been away. Puis il s’en va bourrer la dinde avec l’énorme «All I Need», beat énorme claqué  à la cloche de bois, qu’il tape dans la première moitié du set. Quinn chante d’une voix de gorge chaude, il plonge tous ses cuts dans une fantastique ambiance. On sent chez lui l’inconditionnel de Ray Charles et de Sam Cooke. Il a vraiment du génie, comme le montre encore «Think About You», les chœurs de blackettes intrusives tortillent le think about you, c’est une merveille d’équilibre en orbite groovytale. Quinn donne des leçons de Soul et de groove. Il te regroove «Gimme Your Love» à la cloche de bois. Tous ses cuts sont brillants, bien bourrés du mou. Il passe à la Good Time Music avec «Walk & Talk» qui sonne comme un sommet du genre. Big time groove ! Il est tellement à l’aise ! Il entame son chemin de croix avec «Take Me To Glory» et revient à la Nouvelle Orleans avec «Good Times Roll», tapé aussi en concert au débotté orléanais. Quelle énergie ! C’est battu sec et net. Quinn connaît toutes les ficelles du sec & net System. Son «Home At Last» est fabuleux de suspension académique. Il termine avec «Stay The Night» et y va au groove carnassier. C’est un véritable festival de pianotis et de poux killah derrière, final explosif, guitar kill kill et croon épais du Quinn.

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             Son meilleur album est sans doute Meklit & Quinn qu’il a enregistré en 2012 avec Meklit Hadero, une Éthiopienne. C’est globalement un album de covers extraordinaires, à commencer par l’«I Was Made To Love Her» de Little Stevie Wonder. Ils le prennent à la coule d’I was born in Newark, c’est incroyablement ralenti et ça coule tout seul au my baby needs me ! L’autre cover de choc est le «Stallite Of Love» de Lou Reed : pure et translucide. Ils font décoller le Satellite ! Ils tapent aussi l’«Electric Feel» de MGMT. Quinn le fait avec une classe indéniable. Un vrai coup de génie, salué par des trompettes et des chœurs de rêve. Sur «Slow», Meklit est tout simplement géniale. Quinn la révèle comme Chip Taylor a révélé Carrie Rodriguez. Ils passent au duo d’enfer avec «Look At What The Light Did Now». Ça groove à la trompette de Miles, ils mêlent leurs voix, ça groove dans l’air du temps, ça échappe aux genres, le Quinn chante d’une voix radieuse, à l’égal de Marvin et de Terry Callier. Imparable ! Shock full of groove ! Meklit entre dans la danse de «Saving Up» avec un tact éthiopien, et puis voilà l’hommage suprême : le «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke. Le Black Power à son apogée. Meklit fait des yeah qui te foutent des frissons, ils prennent le Sam à l’aspiration d’espolette, c’est complètement overwhelmed de délicatesse, ils a-capellatent ça vite fait et bien fait.

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             Tu vas trouver quelques petites pépites sur Late Night Drive, à commencer par ce «Try» qui sonne comme du Terry Callier. Quinn gratte tout au rootsy de coups d’acou, il navigue en mode folky black. Même goût que Terry Callier pour le groove de jazz intrinsèque. C’est un son très adulte, très affirmé. Le morceau titre entre dans la même catégorie : tentateur, intègre et chaleureux. Sur cet album, Quinn se veut résolument country Soul. Vrai poids dans la balance. Il arrive là où on ne l’attend pas. Il gratte son «Sun & Moon» à la porte du paradis. C’est très inattendu, le Quinn est un black de haut vol. Il fait même de l’Americana avec «What The Heart Want». Il puise aux sources d’I want you in my bed. Magnifique black cat ! Encore une merveille avec «Good Thang». Le Quinn est le Johnny Adams des temps modernes, il y va au I know a good thang/ When I see her. Il sonne vraiment comme une superstar. Sur «Summer», sa gratte sonne comme celle de Nick Drake. Il dispose de ressources naturelles inépuisables. Et «Find» confirme ce que tu pressentais : le Quinn est un artiste complet : il a les chansons, le son, la voix et l’épais mystère du mysticisme. 

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             Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review enregistrent en 2011 un bel album de covers :  Under Covers. Sa passion pour la Nouvelle Orleans éclate au grand jour avec trois covers : le «Packin’ Up» de Chris Kenner (fantastique shoot d’I’m packing up et les chœurs font I’m packing up/ I’ve got enough), puis l’«I’m In Love Again» de Fatsy (Oh baby don’t you let your dog bite me, superbe !), et plus loin «They All Asked For You» des Meters (le Quinn sait mouiller ses syllabes, c’est stupéfiant d’avanie meteroïque). Ils tapent aussi deux shouts de Gospel batch, «Come & Go» et «Glory Glory». Le Quinn ne manque pas de rendre hommage à ses deux idoles : Sam Cooke avec «Good News» (fabuleux mambo de Lawd ain’t that news) et Ray Charles avec «Leave My Woman Alone» (gospel funk et chœurs de rêve). Coup de génie encore avec l’«All Night Long» de Spooks Eaglin, fantastique boogie de clameur énorme avec des chœurs de folles dans l’écho du temps. Alors attention, car les cuts ne correspondent pas au track-listing, au dos du digi. T’as vraiment intérêt à écouter les paroles.

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             Toujours avec The Blue Beat Review, il enregistre Originals en 2013. L’album vaut le détour pour deux raisons. Un, «Lil 45», très New Orleans dans l’esprit. Le Quinn chante avec des accents d’Eddie Bo. Fantastique allure de beat sec et net. Oh et les chœurs ! Des chœurs paradisiaques qu’on retrouve sur «Raindrops», la deuxième raison. C’est fantastique d’I miss you more today/ Than yesterday ! Le reste de l’album est très classique. Ça se banalise, dommage. Il a des trompettes New Orleans dans «Left This Town» et il repart du bon pied pour «How Many Teardrops». Pas de problème, le Quinn y va. «Hey Right On» est très caribéen. Il adore onduler dans les alizés. Jivy encore le «Lil Papa». Tout est jivy chez Quinn, c’est bien drivé au guitar slinging avec une accointance de piano.   

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             Au merch, la petite black sort une bonne surprise : le nouvel album de Quinn qui vient à peine de paraître. Il s’appelle Leisure. Quinn s’y prélasse dans son hamac. Une merveille ! Ça grouille de puces, tiens, t’as «Holy» (Stonesy, atrocement balèze, cuivré sous l’horizon, il truffe son Southern rock de wild r’n’b, avec des breaks d’hyper haute voltige), et t’as aussi «You Got Soul» (fantastique drive de basse à la Spencer Davis Group, en pire, ça groove au raw to the bone, early in the morning baby/ You got Soul/ Late at night mama / You got Soul), t’as «Give Love A Try» (heavy slowah allumé pat le guitarring, très grosse allure de mix max), et t’as encore «Take You Back» (Quinn rock le groove au hard beat, Quinn est un fabuleux entertainer, avec des chœurs de jolis cœurs, ah elles sont craquantes !).T’as encore «Very Best Thing» (il attaque ça au big beat, avec l’incroyable ramalama du trombone fa fa fa). Il sait aussi taper la country Soul de Bayou avec «Little Bit More». Il se pourrait bien que David Guy soit derrière. Quinn devient avec cet album l’archétype du r’n’b moderne. Il revisite tous les gros classiques de la groove attitude avec un bonheur certain. Gawd save the Quinn !

    Signé : Cazengler, couenne de veau

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    Quinn DeVeaux. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2024

    Quinn DeVeaux. Meklit & Quinn. Porto Franco Records 2012 

    Quinn DeVeaux. Late Night Drive. Not On Label 2013  

    Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review. Under Covers. QDV Records 2011 

    Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review. Originals. QDV Records 2013 

    Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review. Book Of Soul. QDV Records 2020

    Quinn DeVeaux. Leisure. Sofa Burn 2024

     

     

    Lauder de sainteté

     - Part Two

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             Si l’on veut suivre à la lettre l’œuvre d’Andrew Lauder, Greasy Truckers Party fait partie des passages obligés.

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    Ce double album propose un concert enregistré à la Roundhouse en février 1972, avec à l’affiche, tous les chouchous d’Andrew Lauder : Man, Brinsley Schwarz et Hawkwind. Jamais vu Man en concert, mais quand tu écoutes les 22 minutes de «Spunk Rock», t’es content d’avoir échappé à ça. Rien de plus ennuyeux que ce type de presta. À quoi sert Man ? On les retrouve en B avec «Angel Easy». Ce sont des surdoués du free wheeling. Après la coupure de courant, on entend Brinsley Schwarz. Ils jouent avec l’air de ne pas y toucher. On sent chez eux un goût prononcé pour la good time music. Ils sont en plein dans le spirit californien, le gentil singalong. On les retrouve en C avec «Midnight Train». C’est vrai qu’ils sont top quality. Il faudrait peut-être y revenir. Virtuosic guitars ! Ils restent dans le rock relax d’obédience californienne avec «Surrender To The Rhythm». Et bien sûr, c’est Hawkwind qui rafle la mise en D avec deux énormités, «Master Of The Universe» et «Born To Go». L’early Hawk avait tellement d’allure ! C’est immédiatement riffé par Dave Brock et ça décolle. Il y a déjà tout le punk dans le son d’Hawk, ils chantent à plusieurs, ils sortent un son qui te dévore le foie, avec pas mal de spoutnicks et toujours cette rythmique infernale. Ah merci Andrew Lauder pour cette bonne aubaine. «Born To Go» sonne exactement comme un spaced out so far out embarqué sous le boisseau d’un heeeeeavy bassmatic. Comme c’est puissant ! Sidérant et voyageur à la fois, ils visent l’infini. 

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              Passage encore plus obligé, celui d’Hapshash & The Coloured Coat Featuring The Human Host And The Heavy Metal Kids, un Liberty de 1967 mythique à bien des égards, car on y entend Art, c’est-à-dire les Spooky Tooth, ET Guy Stevens, qui est non seulement un visionnaire, mais aussi l’initiateur du projet. Ça démarre en trombe avec «H-o-p-p-Why», une belle jam qui te renvoie aussi sec à Can. Effarant ! Même énergie. Mike Kellie et Greg Ridley tapent la rythmique du diable et Mike Harrison mêle sa voix dans l’Hapshash. Encore du groove d’Art dans «The New Messiah Coming 1985» et ça explose de plus belle avec le cut final, «Empire Of The Sun». Big Art sound. Très Can, Greg Ridley tape une grosse arrache de bassmatic, c’est du pur wild as fuck. Art c’est Can. Mike Kellie = Jaki Liebezeit.

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             Le deuxième album d’Hapshash & The Coloured Coat s’appelle Western Flier et sort deux ans plus tard. Plus du tout la même ambiance, car plus d’Art. L’invité cette fois n’est autre que Tony McPhee. Ils font un brin de Cajun in London town avec «Colinda» et on entend McPhee faire des miracles dans «Chicken Run». Il joue au long cours et double le chant. C’est mal chanté, mais on s’en fout, c’est Tony qu’on écoute. S’ensuit un «Big Bo Peep» encore plus mal chanté. Dommage. C’est Tony qui fait tout le boulot sur cet album mal fagoté. Rien n’accroche véritablement sur cet album prétentieux. On perd le Can du premier Hapshash. On gagne Tony McPhee même s’il n’est qu’en déco.

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             Dans Mojo, Andrew Lauder répond aux questions que lui pose Ian Harrison. Il indique surtout qu’il a eu beaucoup de chance, «tout tombait en place in a ridiculous manner.» En tant que musicien frustré, il dit qu’il aurait aimé jouer dans Brinsley Schwarz, Hawkwind et Dr. Feelgood. Quand il parle du spirit de United Artists qui lui laissait les coudées franches, le Mojoman lui demande si ce spirit existe encore. «Probably», dit Lauder, «chez Lawrence Bell from Domino, Geoff Travis (Rough Trade), Mute are still going, putting out records by Neu! and Can that I put out in the first place!» Et dans Ugly Things, il répond aux questions que lui pose Mike Stax, un Stax qui le qualifie d’«one of the most successful and impactful figures in the history of the UK record business.» Stax salue aussi le roi de la red que fut Andrew Lauder via Edsel et il cite des noms en rafales, chutant glorieusement avec «UT faves like Kaleidoscope, Moby Grape and Clear Light.» Mais c’est surtout le super fan que Stax a repéré.

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             Pour Andrew Lauder, ça démarre de bonne heure au pensionnat, avec les canards de l’époque et l’argent de poche pour acheter des singles, notamment des early Merseybeat singles (trois pour une livre, précise-t-il). L’interview démarre très fort sur la compile Merseybeat qu’a sortie Lauder en 1974, puis The Beat Merchants en 1977. Stax n’en finit plus de s’effarer sur le «My Babe» des Pirates et le «Bad Time» des Roulettes. Tu te marres à voir ces deux vieux fans s’extasier à répétition. C’est une interview d’une incroyable vivacité. Seul Stax peut provoquer de tels rushes d’hyper-fandom.

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             C’est l’occasion rêvée d’écouter The Beat Merchants - British Beat Groups 1963-1964. Alors effectivement tu croises le «My Babe» des Pirates en tête de B, c’est vrai qu’elle fascine avec le solo de Mick Green. Le «Bad Time» des Roulettes est en tête de D, joli shout d’early Beatlemania. Mais ce sont les groupes proto-punk qui te piquent au vif, à commencer par les Zephyrs avec «I Can Tell», puis les Soul Agents en B avec «Let’s Make It Pretty Baby» (chanté au raw de rauque), puis les Beats Merchants avec «Pretty Face» (Fast proto d’excelsior, sur les traces des Pretties), et puis bien sûr les Downliners Sect avec «Baby What’s Wrong» (rien de plus protozozo que les Downliners, ils groovent toute la délinquance britannique). À ce stade des opérations, il est important de signaler deux choses : un, il faut choper toutes les compiles qu’a conçues Andrew Lauder. Et deux, la pochette du The Beat Merchants est un régal pour l’œil : un certain Tony Wright y dessine l’intérieur d’une boutique de disques et de guitares en 1963, en Angleterre, et un kid gratte des accords sur une Epiphone en faisant une moue d’élève appliqué : c’est criant de vérité et de tendresse, avec les mégots sur le parquet, et la gueule du tenancier derrière son comptoir avec son œil de verre. Au dos, tu vois la boutique de l’extérieur. Wright a même dessiné les pochettes de disques de l’époque, les Beatles, Bo Diddley & compagnie, et à l’extérieur, le nez collé à la vitrine, tu as un kid encore plus jeune qui observe la scène. Du coup, te voilà avec un objet parfait dans les pattes : contenu comme contenant. Merci Andrew Lauder ! Et tu as un peu plus de 40 titres sur les 4 faces ! Cover demented de «Roadrunner» par Wayne Fontana & The Mindbenders, puis tu as le mythique «Poison Ivy» des Paramounts qui vont devenir bien sûr Procol Harum. Grosse cover encore du «Got My Mojo Working» par les Sheffields (raw to the bone, singer énorme), cover toujours avec «Roll Over Beethoven» par Pat Wayne & The Beachcombers, et au bout de la B, t’as le «Sick & Tired» des Searchers live au Star-Club - Oh baby whatcha gonne do ! - Cover encore d’«Oh Yeah» par The Others, presqu’aussi bonne que celle des Shadows Of Knight. Côté découvertes, t’es nanti avec Keith Powell & The Valets («Too Much Monkey Business», fantastique présence vocale, avec du rap dans les breaks) et Earl Preston & The T.T’s (cover de «Watch Your Step», hotte as hell). Ce sont les Pirates qui referment la marche avec «Casting My Soul» qui préfigure Dr Feelgood. Tout Wilko vient de là. Mais il y a encore des tas de choses, comme si Andrew Lauder avait réussi à rassembler tout le creap of the crap : Dave Berry & The Cruisers, The Redcaps, Mickey Finn & The Blues Men, cette compile n’en finit de plus de souligner la qualité de la scène anglaise de cette époque.  

             Et ça s’accélère lorsqu’Andrew raconte à Stax son arrivée à Londres, avec son frère. Il passe par hasard dans Denmark Street et voit toutes ces vitrines bourrées de Fenders, de Gibsons, de sheet music des Pretty Things, c’est encore plus fou que dans le book. L’émerveillement du jeune Andrew vaut bien celui d’Uncle Sam qui roule dans Beale Street à 3 h du matin pour la première fois. Et le lendemain, Andrew commence son porte-à-porte armé d’un guide London A to Z. Il fait deux adresses, chou blanc, puis entre chez Southern Music au bon moment : un comptable vient de partir aux Indes, alors Andrew tombe à pic. Il est dans le temple des Pretty Things sheet music. Son boss lui dit que la porte, là derrière, conduit au studio en sous-sol, et le premier musicien que voit Andrew, c’est Clem Cattini, le batteur qui joue sur «Telstar» et «Shaking All Over». Andrew n’est à Londres que depuis 15 heures ! - Tout tombait en place in a ridiculous manner - Et dans le studio sous des pieds, les Artwoods ont enregistré le fameux «Sweet Mary» qu’il avait demandé à sa mère de lui ramener de Newcastle - At that point, I thought, this is science fiction! - Stax parle lui de sérendipité. Andrew va rester chez Southern Music un an et demi. Il devient pote avec les Artwoods auxquels Stax consacre vingt pages dans le même numéro d’Ugly Things. Puis il évoque Jeff Beck qui vient de rejoindre les Yardbirds, puis les Who qu’il voit au Marquee - I was blown away - Mais il ne voit pas les Pretties, qui voyagent alors un peu partout, Nouvelle Zélande, Suède et surtout, nous dit Andrew, Hollande - En 1964 ils jouaient tout le temps au 100 Club, mais en 1965 ils ont littéralement disparu - Le seul soir où ils passent au 100 Club, en 1965, Andrew n’a pas un rond. Il va se rattraper un peu plus tard, lorsqu’il fera bosser Dick Taylor sur le premier album d’Hawkwind, «and a group called Cochise as well.» Stax le relance sur Dick, alors Andrew précise que c’est Doug Smith, le manager d’Hawkwind, qui a choisi Dick Taylor. Et crack, il sort toute l’histoire de Clearwater, l’agence de Doug Smith qui manageait aussi Trees, Skin Alley et The Entire Sioux Nation, le premier groupe de Larry Wallis.

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             Et c’est à ce moment qu’en tant qu’A&R de Liberty, il signe High Tide, un quatuor psycho-psyché londonien dont le premier album, Sea Shanties, défonça en 1969 la rondelle des annales. Alors attention, High Tide s’adresse aux amateurs de prog. Disons que leurs deux albums sont proggy, mais solides. Proggy, mais avec du caractère, comme le montre le «Futurist’s Lament» d’ouverture de balda. C’est bardé de barda. On croit entendre la prog des cavernes. Tony Hill est un guitariste féroce, et même carnassier. On n’entend que lui dans tout ce bazar, même si parfois Simon House vient mêler son violon à ses virées pouilleuses. Tony Hill est un bon, il a de la suite dans les idées. «Death Warned Up» est un shoot de Mad Psychedelia avec du power. Même dans les cuts plus calmes, on entend des petites flambées de violence. Retour à la Mad Psyché avec «Missing Out». Tony Hill devient même assommant. Il supervise tout. Il est puissant mais sournois. On se demande parfois à quoi sert le prog quand ça dure trop longtemps. Les High Tide sont un peu les Don Quichotte du rock. Ils font du prog en armure, montés sur des ânes. «Regardez comme je joue bien.»

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             L’année suivante parut un deuxième album sans titre d’High Tide. Ils nous re-servent le même cocktail de mic mac avec le violon de Simon House toujours en interconnexion avec les terminaisons nerveuses de la Marée Haute. C’est très expressif, très emballé et très pesé. C’est entêtant, même quand on n’aime pas trop la proggy motion. Il n’empêche que Tony Hill est un sacré virtuose, il cavale bien sur l’haricot de «The Joke». On s’attache, fatalement, même si patacam-patacam sur le lac gelé. Un méchant bassmatic plaque «The Joke» en son centre. C’est un vrai dévoreur de vésicule biliaire. Tony Hill est un fou, un évaporé, un coureur de jetons, un organisateur de voyages soniques sur fond de bassmatic. Ces mecs croisent le fer à l’ancienne. Tony Hill se livre à des exercices de haute voltige, et ça proggue dans les brancards. Simon House n’est jamais loin, avec son clavier. Le bassmatiqueur s’appelle Peter Pavli. Mais bon, ça reste du prog seventies, en dépit d’indéniables qualités. Simon House voyage bien dans le cut, son violon se fond dans l’unisson d’un certain saucisson, ça s’arrête et ça repart, c’est fait de tout petits riens, ils sont plus forts que le Roquefort et ça se termine en mode singalong. Ça dure 14 minutes, mais au bout de dix minutes, tu laisses pisser le Mérinos.

             Andrew ajoute qu’il a aussi fait trois albums avec Cochise et Dick Taylor, et les deux albums de Captain Lockheed & The Starfighters. Il rappelle qu’il ne signe que les groupes qu’il adore, comme Hawkwind et les Groundhogs. Puis il presse les cinq premiers singles Stiff pour aider Jake Riviera.  

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             Comme son mentor Guy Stevens, il a craqué en son temps pour le son de la Nouvelle Orleans, et le small label Minit en particulier. C’est à lui qu’on doit cette belle petite compile, 33 Minits Of Blues And Soul, parue en 1968. Il signe aussi les liners au dos. Deux coups de génie sur cette compile : Homer Banks avec «Hooked By Love» et les O’Jays avec «Working On Your Case». C’est lui, Homer, le crack de Minit, avec Bobby Woamack, dont le «Trust Me» accroche bien. Mais ce sont les O’Jays qui raflent la mise. C’est du très haut de gamme. Avec «I’ll Never Stop Loving You», Clydie King est déjà bien en place. On sent bien la vétérante de toutes les guerres. L’ex-Raelet duette aussi avec Jimmy Holiday sur «We Got A Good Thing Goin’», mais ça reste trop groovy. Pourtant très présents (deux cuts chacun), Jimmy Holiday et Jimmy McCracklin ne convaincront pas. Sans doute un problème de prod. Pas de son. 

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             En 1998, Andrew Lauder sortait sur son label Cello un compile de blues complètement fascinante, Expressin’ the Blues - Reconstructed History Of The Blues. Très haut niveau compilatoire, d’autant plus haut que les compilés sont quasiment tous inconnus au bataillon. L’underground du blues pullule de fontaines de jouvence. À commencer par Capt. Luke et sa cover de «Rainy Night In Georgia». Beau baryton plein de jus, idéal pour rendre hommage à Tony Joe White. Et si tu en pinces pour le primitif, alors écoute Marie Manning et «Hard Luck & Trouble», un fabuleux shake de blues, claqué des mains juste à côté de toi, elle chante à l’arrache de juke. Encore mieux, voilà Macavine Hayes et «Let’s Talk It Over». Macavine est héroïque d’heavy primitivisme. Il incarne tout le concept de l’édentée et de la cabane branlante. C’est le real deal. Encore plus fantômal que Skip james, voilà Preston Pulp et «Careless Love». Retour en force au primitivisme avec Cootie Stark et «Metal Bottom», fantastique boogie antediluvien, big bad sound claqué en bord de caisse. Énorme drive. Pur genius ! On retrouve aussi Robert Wolfman Belfour et «Black Mattie», un pur et dur du primitivisme. Il te gratte ça à l’arpège. Quant à Rufus McKenzie, c’est un fou ! «Woopin’ The Blues» ? Encore pire que Skip James, ça ne dure pas longtemps, mais quel big wail ! 

    Signé : Cazengler, Andrew Lourdaud

    Greasy Truckers Party. United Artists 1972 

    The Beat Merchants - British Beat Groups 1963-1964. United Artists 1977

    Hapshash & The Coloured Coat. Featuring The Human Host And The Heavy Metal Kids. Liberty 1967

    Hapshash & The Coloured Coat. Western Flier. Liberty 1969

    High Tide. Sea Shanties. Liberty 1969

    High Tide. High Tide. Liberty 1970

    33 Minits Of Blues And Soul. Minit 1968

    Expressin’ the Blues. Reconstructed History Of The Blues. Cello Recordings 1998 

    Mike Stax. Andrew Lauder’s Happy Trails. Ugly Things # 64 - Winter 2023

    Andrew lauder. Rock’n’Roll Confidential. Mojo # 355 - June 2023

     

     

    Cale aurifère

     - Part Two

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             Viré du Velvet, John Cale entend pourtant rester dans la légende. Il reprend donc son envol en devenant producteur. Et quel producteur ! Il va ajouter de la légende à la légende.

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             Une compile Ace documente bien cet envol : Conflict & Catalysis (Productions & Arrangements 1966-2006). Si on la fait marcher avec la deuxième partie de What’s Welsh for Zen, on re-bascule dans l’incandescence, on entre à nouveau dans une foire aux superlatifs. Ce début de carrière est un étourdissement. On risque à chaque instant la commotion cérébrale : Nico, les Stooges, les Modern Lovers, tout va de pair, tout va bene, tout va à tout-va.

             C’est Jac Holzman qui propose à John Cale de produire Nico - The first golden opportunity - John dit qu’il a produit, composé et joué sur quatre de ses albums, dont le premier, Chelsea Girl, produit par Tom Wilson. C’est là-dessus qu’on trouve l’«I’ll Keep It Mine» qu’offrit Dylan à Nico. Calimero ajoute que Chelsea Girl est l’album le plus accessible de Nico, et celui sur lequel il n’est pas le plus présent. Calimero n’a composé que «Winter Song» et «Wrap Your Troubles In Dreams», et co-écrit deux cuts avec le Lou et Sterling, «Little Sister» et «It Was A Pleasure Then». Lou et Sterling ont écrit le morceau titre.

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             «Chelsea Girls» (avec un s, contrairement au titre de l’album) est un ensorcellement, un cut très Velvet dans l’esprit, c’est-à-dire anti-conventionnel, beau mais insolent, et c’est surtout une fabuleuse drug song - Dropout, she’s in a fix/ Amphetamine has made her sick/ White powder in the air/ She’s got no bones and can’t be scared - On sent la patte du Lou et du Walk On The Wild Side. Et puis voilà l’excellent «I’ll Keep It With Mine» gratté à coups d’acou, soutenu par des violons, pur jus Dylanex. Qu’existe-t-il de plus mythique qu’un cadeau de Dylan chanté par Nico ? T’es vraiment content d’avoir cet album dans les pattes. Par contre, elle chante certains cuts à l’accent malade de Berlin («These Days»), mais c’est presque beau, on sent une volonté de beauté virginale. Elle finit par te hanter la calebasse avec le «Little Sister» signé Lou & Cale, même si elle flirte avec l’esprit harmonium qui finira par la rendre insupportable. Elle adore grincer dans les ténèbres. Elle refait du Velvet avec «It Was A Pleasure Then», elle plane comme un vampire sur l’esprit du Velvet, c’est très avant-gardiste, co-écrit par Lou & Cale, très anti-commercial, gorgé de bruits incertains et de feedback. Elle exagère ses graves germaniques. Il est évident que son grain de voix a fasciné Andy, elle est baroque dans l’âme, elle ramène toute la profondeur séculaire des Chevaliers Teutoniques dans sa verve glacée, d’où cette résonance si particulière dans l’univers frivole de la Factory. C’est dingue comme elle est glacée. Diva teutonique  ! Ses accents te glacent les sangs. Dans «Wrap Your Troubles In Dreams», elle est suivie par la flûte de Fellini, pour lequel elle a tourné. C’est un monde étrange d’art total. Elle pose son chant sur l’autel pour le sacrifier. Elle fait bien le lien entre le Velvet et le cinéma. Elle ne te laissera jamais indifférent. Jamais. 

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             Calimero dit qu’il passe son temps à se battre avec Nico en studio - We always had fights, physical at times - Et puis à la fin, Nico pleure devant tant de beauté, car certains cuts sont éblouissants - The crying-fighting business happened on every project we did together - C’est grâce à aux arrangements qu’il écrit pour The Marble Index que John Cale va devenir producteur pour le compte d’Elektra. Frazier Mohawk produit The Marble Index, Cale signe les arrangements. Bon, l’album reste du Nico, avec un son bien germanique et bien glacial. Un album de Nico, ça s’explore. Quand tu explores, tu trouves parfois des mines d’or («Evening Of Light») et d’autres fois des peaux de banane. Calimero ramène toute son énergie avant-gardiste dans ce prodigieux tas de mormoille. Avec «No One Is There», elle ne fait pas du Velvet, mais de l’anthropologie vénale. C’est violonné à l’aube des temps, elle pousse sa supplique dans un désert glacé. Elle est très teutonique. Ça ne pouvait que plaire à un Gallois. «Ari’s Song» est flûté dans l’esprit de Fellini, noyé dans un brouillage de piste intense, elle y va au sail away my little boy, elle s’égare dans un entre-deux d’infra-sons, c’est trop avant-gardiste. T’as du mal à entrer dans son weirdy weird, Calimero en rajoute une caisse et Frazier Mohawk valide tout. C’est vrai que Jac Holzman s’est lancé dans de drôles d’aventures : Nico, et puis Jobriath qu’il a regretté. Si un violon grince dans «Julius Caesar», il ne peut s’agir que de Calimero. Nico finit par établir une sorte de statu quo entre la beauté et l’étrangeté, et le violon n’en finit plus de tournicoter autour du chant. Nico s’établit quelque part entre le rêve et la réalité. Elle semble planer comme une brume matinale en Sibérie. Tout est figé dans un air glacial.

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             Tu grelottes encore sur Desertshore. Malgré le titre, aucun espoir de réchauffement climatique. «Janitor Of Lunacy» est bien chargé de glaçons. Calimero se régale. Le joli son de «My Only Child» résonne dans l’écho du temps. Et c’est Ari qui chante «Le Petit Chevalier». On entend bien sûr le violon de Calimero dans «Abschied», et il joue du piano magique dans cette merveille qu’est «Afraid». Avec «All That Is My own», Nico plonge dans des temps très reculés. 

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          Puis Calimero se lance dans une carrière solo avec Vintage Violence - Basically an exercice to see if I could write tunes - Il se masque le visage avec un bas nylon pour la pochette. Il cite une critique d’Ed Ward dans Rolling Stone, disant que Vintage Violence «sounds like a Byrds album produced by Phil Spector, marinated for six years in burgundy, anis and chili peppers.» À l’époque, on a revendu l’album, puis rechopé au hasard des bacs. Il démarre en mode heavy avec «Hello There». C’est fantastiquement bardé de barda. Il faut voir la photo de Calimero au dos de la pochette, torse nu avec des bretelles. On sent le Gallois prêt à en découdre. «Songs are simplistic», dit-il dans Zen. Il baptise son groupe Penguin. Attention, il a Harvey Brooks au bassmatic et Garland Jeffreys à la gratte. Il commence à dégager de la majesté avec «Please». Tout est très spécial, très solide et très attachant sur cet album. Avec «Amsterdam», il revient à son chant de Guernesey, face à l’océan, puis il challenge la pop à outrance avec «Ghost Story». Il y a du souffle, et pour finir, il lève une tempête de shuffle d’orgue.

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             Oh et puis voilà les Stooges. Calimero accompagne Danny Fields à Detroit pour les voir sur scène - I fell in love with the Stooges, and so I produced them. Je dirais que les Stooges et Patti Smith were the two biggest challenges I’ve ever had as a producer - Il fait un portrait extraordinaire d’Iggy - Iggy was just normal. He certainly wasn’t unhappy - À ce stade des opérations, il est nécessaire de mettre le nez dans la compile Ace/Big Beat épinglée plus  haut : Conflict & Catalysis (Productions & Arrangements 1966-2006). Neil Dell et Mick Patrick ont choisi «I Wanna Be Your Dog» pour illustrer l’épisode Stoogy. On sent la patte de Calimero dans le son, ça sort des ténèbres, avec l’arrivée du beurre - So messed up/ I want to feel - Iggy + Calimero = Boom de we’re gonna be face to face. On entend le piano de Calimero au fond du son. C’est le mix original. La compile s’ouvre sur «Venus In Furs», et le pur éclat d’une œuvre d’art. Le son + le Lou + le Shiny shiny shiny boots of leather, ça te donne l’équation fondamentale. Les liners nous rappellent que l’ingé-son était le mec de Scepter Records, John Licata, mais c’est Calimero qui produit. Troisième bombe avec l’«In Excelsis Deo/Gloria» de Patti Smith - Oh she looks so good - C’est vrai qu’elle est fabuleuse. Elle fait partie des «trucs de base» - Shaman, poet, beat, musician, singer, writer, activist, outsider - Elle fait de l’incantation et Horses reste il est vrai l’un des plus beaux debut albums - Cale was the only possible choice for producer - mais Patti se plaint de lui, elle voulait un «technical person, instead I got a total maniac artist.» Les liners s’emballent avec «Gloria» - a transcendental, transgressive, hallucinatory religious/sexual experience in just six minutes. Pop music could  never be the same - Et sur l’«Afraid» de Nico, on capte la beauté pure du piano de Calimero. Nico vient de se faire virer par Elektra et c’est Joe Boyd qui la sauve en imposant Calimero comme producteur de Desertshore. Pur, car pas d’harmonium. Puis on replonge dans les cuts mythiques avec le «Pablo Picasso» des Modern Lovers. C’est heavy, bien mythique, bardé de freakout de poux - raw, abrasive and lyrical qualities - Puis Big Beat déterre Harry Toledo & The Rockets et «Who Is That Saving Me», un heavy rock hérissé de guitares sauvages. Dans les pattes de Calimero, ça ne pouvait être que sauvage. Puis la compile dérive sur des trucs d’un intérêt plus limité (Marie & les Garçons, Squeeze). Par contre on accueille à bras ouverts le «Kuff Dam» des Happy Mondays. On sent le souffle dès l’aéroport, avec Shaun Ryder qui entre dans le chou de Madchester. On entend même du punk atroce au fond du groove. Calimero a réussi à capturer leur live energy. Plus loin, on croise Jesus Lizard et «Needles For Teeth», avec une basse qui sonne comme une dent creuse. C’est à la fois instro et intestinal. Prout prout. Calimero doit adorer ça. Puis il va aller se vautrer dans la pire des mormoilles avec Lio et «Dallas». Le voilà dans Star Academy. Pire encore avec Siouxie et «Tearing Apart», et le coup du lapin arrive avec l’insupportable «Spinnig Away» tiré de Wrong Way Up, cet horrible album electro qu’il enregistra avec Eno.

             En 1971, John Cale quitte New York pour s’installer en Californie. Il dit attaquer la pire période de son existence, basculant «in a cocaine-filled haze that quickly corrupted my life into its worst point.» Comme tout le monde à l’époque. John Cale bosse pour Warner Brothers, avec une élite constituée entre autres de Lenny Waronker, Ted Templeman, Russ Titleman et Van Dyle Parks. Mais il revient inlassablement sur LA - LA is coke central and things spiralled out of control in my life too - Il ne peut rien gérer, ni avec Cindy sa femme, ni avec Warner Brothers, ni avec lui-même - I was drinking and drugging to numb myself.

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             Et voilà qu’il enregistre l’un de ces albums parfaits dont il a le secret : Paris 1919. Il parle de paroles nasty planquées derrière des sweet melodies. Il est accompagné par Lowell George et Richie Hayward de Little Feat, qu’il a rencontrés via Ted Templeman, et le West Coast jazz sawman Wilton Felder, «for a collection of eclectic valedictory laments for a culturally vanishing Europe». Il ajoute, narquois : «Paris 1919 was about history in the way Mercy is about religion. The nicest way to say something ugly.» C’est en fait un album éminemment littéraire qui montre à quel point Calimero échappe au rock, il suffit d’écouter «Antartica Starts Here» en bout de la B des Anges pour comprendre que Paris 1919, ce sont les Impressions d’Afrique du rock, c’est-à-dire un au-delà du genre - Beneath the magic lights that reach from Barbary to her - Il chante en lousdé littéraire, accompagné par une basse et un piano. L’album recèle en son sein trois pure Beautiful Songs qui comptent parmi les joyaux de la couronne : «Hanky Panky Nohow» (une merveille insidieuse qui dérive au nothing frightens me more than/ Religion at my door et qui te hantera jusqu’à la fin des temps), «Andalucia» (gratté à coups d’acou avec les bruits de glissés, Calimero y va au needing you/ Taking you/ Keeping you/ Leaving you et éclot en chou-fleur baroque avec un I love you préraphaélite), et «Half Past France» (où on assiste au fantastique développement des harmoniques au take your time de we’re so far away/ Floating in this bay. Calimero y fait en plus son misanthrope - People always bored me anyway). Ailleurs, il chante «The Endless Plain Of Fortune» d’une voix chargée de mélancolie bien grasse, il passe au mighty boogie rock avec «Macbeth» et se livre à un fantastique déballage de you’re a ghost la la la dans le morceau titre, le plus baroque de tous, soutenu par une section de cordes et bien sûr il nous fait le coup des Champs Élysées. Il n’oublie pas sa chère calypso, comme le montre «Graham Greene», qu’il enrichit d’un refrain enchanté de welcome back to Cipping and Sodbury. Paris 1919 compte parmi les chefs-d’œuvre du XXe siècle.

             Il enregistre quelques démos avec les Modern Lovers, avant qu’un contrat ne soit signé - Mais à la minute où Jonathan a signé, he immediately went on self-destruct - Les démos vont paraître sur Beserkley. Et en 1973, John Cale entre en studio avec les Modern Lovers pour le compte de Warners, et ça tourne aussitôt en eau de boudin. Pour John Cale, il est évident que Jonathan ne veut pas du succès. On retrouvera une belle cover de «Pablo Picasso» sur Helen Of Troy.

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             Calimero bosse avec Eno sur «Gun», qu’il voit comme une espèce de «Sister Ray» avec des passages de guitares qui renvoient à «I Heard Her Call My Name». On trouve cette merveille sur Fear, premier album de la fameuse trilogie Island. À l’époque, ces trois albums causèrent dans nos rangs une légère déception. Le problème venait du fait qu’on attendait une suite au Velvet et Calimero proposait autre chose. En studio, en plus d’Eno, il a Phil Manzanera et Richard Thompson. «Fear Is The Man’s Best Friend» est très Paris 1919. C’est excellent, il enfonce son clou dans la paume du Man’s best friend. Il drive encore une mélodie très Paris 1919 dans «Buffalo Bullet» et passe à la samba avec «Barracuda». Il revient encore à son cher Paris 1919 en bout de balda avec un «Ship Of Fools» très beau et très Calé. Mais c’est «Gun» qui te cueille au menton de l’autre côté, voilà un classic sludge bien sonné, un heavy coup de génie avec Manza et Eno, plus Calimero au bassmatic. Nous voilà de retour au cœur du Velvet. «Gun» est balayé par du killer killah de Manza, et Calimero pose sa voix sur le beat de Moloch. Il est effarant de grandeur. Alors oui, «Gun» forever. On trouve encore de la belle ouvrage à la suite avec «You Know More Than I Know», pur jus de Paris 1919, et bien sûr «Sylvia Said», l’une de ces Beautiful Songs dont Calimero a le secret. Fear est un grand album.

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             Plus tard, Calimero va revenir en force sur l’aspect conceptuel avec Music For A New Society - Je cherche à ramener les éléments à leur dénominateur commun et voir quelle tension peuvent générer ces éléments distincts. C’est ce que j’ai essayé de faire avec New Society. Ça avait marché avec le Velvet Underground - Il reconnaît que c’était «un album sombre, mais il n’était pas fait pour pousser les gens à sauter par la fenêtre - Ils n’auraient pas sauté, de toute façon - Ils n’achetaient même pas l’album. Music For A New Society was my best-received record ever, mais il ne s’est pas vendu. Et je voulais vendre des disques, je me fous des éloges, elles sont tout juste bonnes pour ma pierre tombale. John Cale - Va-va-voom.» Il ré-enregistre les cuts de Music For A New Society sur M:FANS en 2016, alors autant écouter M:FANS. Deux coups de génie particulièrement féroces guettent l’imprudent voyageur : «If You Were Still Around» et «If You Were Still Around (Reprise)». Attention, Calimero nous plonge dans sa friture. Il te prend littéralement pour une frite. Il est complètement barré dans ses élégies, il est le Malher du rock, il vise l’absolu des étendues. Il faut le voir monter son Still around là-haut, puis l’écraser dans une zone de drone mortel, serait-il le Malher du bonheur ? Et cette façon qu’il a d’écraser la beauté des paysages de Caspar David Friedrich au fond d’un cendrier en acier ! Il y revient dans la Reprise, il remonte son Still around là-haut, c’est du haut niveau surélevé, il tarpouine sa pureté mélodique dans le chaos des machines, il cherche la lumière désespérément, comme un Edmond Dantès qui creuse son tunnel au château d’If, quel puissant Gallois ! Ailleurs, il végète dans les herses du rock electro, il est la seule créature vivante dans cet univers de machines incroyablement agressives qu’est «Taking Your Life In Your Hands». Avec «Thoughtless Kind», il rappelle qu’il adore le beat des forges et les fumées du Creusot. On sent le fil de mineur, le goût de la pelle et des coups de pioche, le goût de l’âpre. En fait, il adore l’electro à la mormoille, il faut voir les tartines ! Calimero est un robot ? Va-t-en savoir. Le Cale sci-fi finit par te fatiguer. On se croirait dans un mauvais roman de Philip K. Dick. À ce petit jeu, Hawkwind est bien plus balèze.

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             L’enregistrement de Songs For Drella ne se passe pas très bien. C’est le moins qu’on puisse dire. En studio, le Lou fume et envoie sa fumée au visage de John Cale, «knowing full well that I hated it». Rétrospectivement, John Cale voit cet album avec horreur. Quand il demande au Lou s’il a encore besoin de lui, le Lou lui dit de dégager. Ça ravive les mauvais souvenirs du Velvet. Calimero affirme que jamais le Lou ne s’est assis face à lui pour lui parler franchement - Lou always, always used other assassins - Il n’empêche que Songs For Drella est d’une certaine façon le cinquième album du Velvet. Dès «Style It Takes», t’es dedans - ‘Cos I get the style it takes - Ils se fondent tous les deux dans leur vieux Velvet. Avec des relents de «Walk On The Wild Side». Même chose avec cet «Images» noyé de disto, cut wild & littéraire, comme tout dans le Velvet, on entend même le violon, alors t’as qu’à voir ! Ils recréent la tension mythique des deux premiers albums du Velvet. Sur «Open House», le Lou chante comme un dieu. Il est dans son élan Transformer - Fly me to the moon - Puis c’est l’hommage fondamental à Andy avec «Trouble With Classicists» que chante Calimero - I like the druggy downtown kids who spray paint walls and trains/ I like their lack of training/ Their primitive technique - Seul Calimero pouvait taper un cut aussi warholien. Encore un cut purement warholien avec «Slip Away (A Warning)», on recommande à Andy de fermer les portes de la Factory, mais Andy dit non, où vais-je trouver l’inspiration ? - If I close the factory door/ And don’t see those people anymore/ If I give in to infamy/ I’ll slowly slip away - On voit aussi Calimero charger la barcasse d’«It Wasn’t Me». Il orchestre à outrance. Toujours pareil : c’est une question de carrure d’épaules. Dans «I Believe», le Lou raconte l’attentat de Valerie Solanas qui prend l’elevator jusqu’au 4th floor pour aller buter Andy. C’est violent. Pareil, on retrouve the bullet dans «Nobody But You» - I’m still not sure I didn’t die/ And if I’m dreaming I still have bad pains inside/ I know I’ll never be a bride/ To nobody like you - Et ça se termine sur l’effarant «Hello It’s Me» que chante le Lou. Il est tout de même gonflé le Lou, car il a viré Andy à l’époque du Velvet - Andy it’s me/ Haven’t seen you in a while/ I wished I talked to you more when you were alive - Pas de plus bel hommage - I really miss you/ I really miss your mind/ I haven’t heard ideas like that for such a long long time - Coup de génie faramineux.

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             John Cale a aussi de gros ennuis relationnels avec Eno sur Wrong Way Up - Risé, Eden et moi sommes allés deux semaines nous reposer aux Caraïbes, mais les plaies infligées par Songs For Drella et Wrong Way up suppuraient. Pas de chance. Pourtant un trouve une belle énormité velvetienne sur Wrong Way Up : «In The Backroom». Calimero réussit l’exploit de chanter comme le Lou, avec le même cérémonial new-yorkais. C’est prodigieusement orchestré, très weird, très flatteur. Mais globalement, l’album laisse un peu à désirer. «One Word» sonne comme de l’Étienne Daho. Gloups ! Ou plutôt berk. Calimero réussit à sauver «Empty Frame» du désastre en l’embarquant sur un mid-tempo accompli. On entend même des échos de Beach Boys dans les remous du fleuve pop. Puis l’album s’en va à vau-l’eau dans la new wave. Comment peut-on tolérer des cuts comme «Spinning Away» et «Footsteps» ? T’en as un qui vient du Velvet et l’autre de Roxy, alors pourquoi font-ils de la daube ? Au fil des cuts, l’album devient catastrophique. Calimero et Eno se prennent pour des jeunes rockers déguisés en gravures de mode, ils tentent encore de sauver l’album avec «Crimes In The Desert», mais bon, ça va, laisse tomber. 

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             Et puis voilà la fameuse reformation. Mal barrée, en raison du vieux contentieux entre le Lou et Sterling, qui lui en veut toujours de l’avoir forcé à aller annoncer à John Cale qu’il était viré du Velvet, SON groupe. Calimero rappelle aussi qu’un soir, en concert à Bologne, en Italie, il jouait l’intro de «Waiting For The Man» au piano et le Lou a dit au mec du son de couper le piano - At that point I was ready to knock his teeth down his throat. Il devenait de plus en plus étrange and I couldn’t deal with that - À la fin de tournée, dans l’avion, John Cale observe le Lou et comprend soudain qu’il est vide - this guy is empty - Le Lou en bout de course ? Contrairement aux apparences, cette reformation fut un gros panier de crabes. Calimero dit tout vers la fin de What’s Welsh for Zen?, cet extraordinaire book en forme de confessionnal.

             Suite des prodigieuses aventures de notre héros Calimero dans le prochain épisode.

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Conflict & Catalysis (Productions & Arrangements 1966-2006). Big Beat Records 2012

    Nico. Chelsea Girl. Verve Records 1967

    Nico. The Marble Index. Elektra 1968

    Nico. Desertshore. Reprise Records 1970

    John Cale. Vintage Violence. Columbia 1970

    John Cale. Paris 1919. Reprise Records 1973

    John Cale. Fear. Island Records1974 

    John Cale. M:FANS. Double Six 2016 (= Music For A New Society)

    Lou Reed/John Cale. Songs For Drella. Sire 1990 

    John Cale/Brian Eno. Wrong Way Up. Warner Bros. Records 1990

    John Cale. What’s Welsh for Zen?: The Autobiography Of John Cale. Bloomsbury Publishing Plc 1998

     

     

    Inside the goldmine

    - Artie chaud

             Petit, dense, noueux, Arno n’avait pas des allures de tribun. Il savait pourtant tenir en haleine une salle de conférence bourrée à craquer de chefs à plumes. Il avait ce qu’on appelle communément le feu intérieur. Il savait alimenter un discours à l’énergie pure, c’est-à-dire l’énergie intellectuelle. Il s’adressait à un public de managers, des gens qu’il était difficile d’impressionner et qui n’acceptaient pas les discours au rabais ni les pensums à la petite semaine. Il fallait un certain panache pour briser les réticences et surmonter les suffisances, car pour ceux qui ne le savent pas, le monde des managers est un monde hermétique de gens qui n’acceptent de leçons que si elles viennent d’en haut, jamais d’en bas. Arno devait grimper sur son Olympe pour diffuser ses connaissances, tâche d’autant plus difficile qu’il s’efforçait de prôner un autre mode de fonctionnement, vantant les mérites de l’écoute et du management participatif, et pour vendre ces idées qui ressemblaient à de vieilles tartes à la crème, il devait redoubler d’éloquence. La théorie du management participatif avait vingt ans d’âge et tombait en désuétude, d’autant plus facilement que ses théoriciens en furent des penseurs de gauche. Cette théorie était même devenue une caricature. Mais selon Arno, elle pouvait jouer un rôle prépondérant, associée à la révolution numérique qui bouleversait le monde du tertiaire. Selon lui, rien de ce qui existait auparavant n’allait subsister, tous les codes allaient se fondre dans de nouvelles mœurs managériales, oui, tonnait-il, les échelons allaient fondre comme fondit jadis le bronze des statues pour couler les canons des guerres républicaines, les têtes des vieux managers allaient finir fichées sur des piques, des charrettes entières de tyrans cravatés allaient traverser Paris jusqu’à la place de Grève pour y être guillotinés, et l’odeur du sang managérial donnerait la nausée à tous les habitants du quatrième arrondissement. Au lendemain de l’épuration, tous les managers reconvertis aux processus meta-cognitifs se verraient confier des postes valorisants dans les nouveaux échelons de la Concorde Participative. Et Arno, emporté par l’ivresse de sa vision concluait en criant : «Vive la Transe ! Vive la pollénisation des processus cognitifs ! Vive la régulation des niveaux de motivation !»

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             Si Arno avait eu la peau noire et une guitare électrique, il aurait très bien pu tenir en haleine un public de trois cents personnes dans un club de Chicago, comme l’a fait Artie toute sa vie. Artie ? Mais oui, Artie White, un vieux loup de mer du Chicago blues. Comme d’autres avant lui, Artie White a fini par atterrir un jour chez Malaco. C’est d’ailleurs grâce à la Malaco box qu’on l’a découvert. En réalité, il est sur Waldoxy Records, le label monté par le fils de Tommy Couch qui s’appelle Tommy Couch Jr.

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             Artie va enregistrer trois albums sur Waldoxy, Different Shades Of Blue, Home Tonight, et Can We Get Together, de 1994 à 1999. Different Shades Of Blue est un magnifique album. Artie commence par vouloir épouser sa belle-mère avec «I’m Gonna Marry My Mother-in-Law» - She got the kind of love/ That I am longing for - c’est vrai, tu as des vieilles salopes irrésistibles, tout ça en mode heavy blues. Il sort sa meilleure voix pour «There’s Nothing I Wouldn’t Do». Il est l’un des plus puissants seigneurs de son temps. Il chante vraiment comme un dieu noir. C’est pour ça qu’on est là. Il enchaîne deux coups de génie : «Willie Mae Don’t Play» et «I’ve Been Shackin’». Il tape le premier au groove insidieux, le pire qui soit, c’est un peu comme s’il ramenait les grattes de JB dans le swamp, looka here, il groove entre tes reins au Willie Mae she don’t play. Là tu as gagné ta soirée. Il revient au ouuuh pour son Shackin’, avec une diction superbe et une présence démente dans le son, nouvelle merveille inexorable. Ce démon d’Artie te plie tout l’album en quatre, il sait tout faire, le swamp, l’heavy blues, la Soul, «Did Alright By Myself» est une autre merveille. Il revient à l’heavy blues avec «Ain’t Nothing You Can Do», il reste le maître du jeu, il établit les règles, puis il te colle la cerise au sommet du groove avec «I’d Rather Be Blind Crippled & Crazy», il rentre dans le chou de l’un des meilleurs grooves de tous les temps, c’est d’une profondeur extrême en termes de blackitude, il ramène même des chœurs de gospel !

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             Home Tonight est enregistré à Muscle Shoals. Dès «Your Man Is Home Tonight», Artie domine bien la situation. On sent le Barry White en lui. Il fait de la Soul de grand seigneur. Il te réconcilie avec la vie. Artie White est un fantastique shouter de real deal. Avec sa force tranquille, il sait qu’il va remporter les élections. Présence énorme. Il sait graisser la patte d’un heavy blues («Somebody’s Fool», «Man Of The House») et taper dans la Soul des jours heureux («If You Don’t Love Me»). Artie est non seulement un puissant seigneur, mais il est aussi ton meilleur copain. Il crée l’événement à chaque cut. Tu veux de l’heavy blues de haut niveau et bien gluant ? Alors écoute «Black Cat Scratchin’», Artie est un artiste fabuleux, appliqué et subtil, il règne sans partage sur son empire de blues, il est plein de doigté, les solos sont beaux, on ne sait pas qui de Big Mike Griffin ou Andrew Thomas les prend, mais quel régal ! David Hood nous drive ça au bassmatic. Tout est bien foutu sur cet album. «The More You Lie To Me» est classique mais si bien chanté, all the time ! Sous son panama blanc, Artie est un crack. Il passe au fast boogie avec «Feet Must Be Tired», il sort tous ses chevaux vapeur pour l’occasion.

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             On trouve son premier album Blues Boy sur le fameux label Ronn Records, subsidiary avec Paula Records du Jewel Records de Stan Lewis, basé à Shreveport, en Louisiane. Trilogie précieuse pour les amateurs éclairés de Southern Soul, car c’est sur Paula, Ronn et Jewel qu’on trouve les grands albums de Bobby Patterson, Ted Taylor, Frank Frost, Lowell Fulson, Jerry McCain, Toussaint McCall et Bobby Rush. Malgré un développement commercial sans précédent, Lewis finira par se casser la gueule en 1983. Les labels indépendants n’avaient pas les reins assez solides.

             Sur Blues Boy, Artie joue le blues des années 80, mais il veille au grain, même s’il n’invente ni la poudre, ni le fil à couper le beurre. Sur la pochette, il a une bonne bouille. On sent le petit blackos heureux de vivre. Alors on y va. Pas de problème. Ça sort sur Ronn, mais c’est enregistré à Chicago. Artie fait du Chicago blues. Et même de l’heavy Chicago blues («What Pleases You Pleases Me»). Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Tout sur l’album sonne comme du standard classique, et même parfois comme du Bristish Blues avec des cuivres derrière («Leaning Tree»). Il termine avec une belle cover de «Chain Of Fools». Il jette tout son poids dans la balance, et avec Artie, ça veut dire ce que ça veut dire. Il chante son Chain entre ses dents, à la tendancieuse, c’est un excellent groover de chain chain chain

             Entre 1987 et 1992, il va enregistrer six albums sur Ichiban Records, un label de blues basé à Atlanta qui, comme Rounder et Alligator, a marqué son temps, mais pas au fer rouge.

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             Artie sourit sur la pochette de Nothing Takes The Place Of You. Il propose un heavy blues d’Ichiban joué à la frappe sèche. Artie est chaud. Son «Wondering How You Keep Your Man» est classique mais bien tartiné au miel de blues. Artie s’y  connaît en syllabes, c’est un spécialiste du roulage de pelles. Que fait-on après l’heavy blues ? Un boogie blues. De ce point de vue, il est imparable. Et puis voilà «All You Got», une fantastique Soul de blues, cuivrée de frais, Artie est fabuleusement actif, il joue tout d’un bloc. Il boucle son balda avec une cover de Willie Nelson, «Funny How Time Slips Away». Il va encore sur la Soul en B avec «Something Good Goin’ On». Artie est un bon artiste, il connaît ses bases et ses limites. Il flirte avec le gospel, bien aidé par des chœurs de femmes ouvertes. Il fait aussi pas mal de Chicago blues pointu et acéré. Il termine cet album intéressant avec «I Need Someone», un heavy blues de Soul de Solomon. C’est excellent, plein d’intention intensive, les chœurs font all the time, c’est du grand lard fumant, une vraie sinécure qui n’en a cure.   

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             Belle pochette que celle de Where It’s At : Artie pose le pied posé sur le pare-choc de sa Cadillac. Dès «Too Weak To Fight», il a un son énorme, avec un fat bassmatic au devant du mix. Chicago sound, here we go ! Et avec le fast boogie d’«One Woman’s Man», il avoisine le Bobby Blue Bland. C’est dire s’il a du caractère. Pour se taper Artie, il faut bien aimer le boogie blues, c’est la condition pour entrer dans «Nobody Wants You When You’re Old And Grey». C’est son fonds de commerce. Et quand il fait du heavy blues avec «Proud To Be Your Man», il ramène toute sa grosse arrache      

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             Encore un beau portrait d’Artie sur la pochette de Thangs Got To Change. Tout vêtu de rouge, il arbore son petit sourire de blackos heureux, comme sur la pochette de son premier album. On note aussi la présence de Little Milton on lead guitar. Artie ramène ses vieux accents de Bobby Blue Bland dans son morceau titre. C’est comme on s’en doute un album extrêmement joué. Comme le montre «Thank You Pretty Baby», Artie est un sacré charmeur - Tank you pretty baby for being so kind - On se régale aussi de cette belle escalope d’heavy blues en B, «I Wonder Why». Toujours les mêmes plans, mais avec Artie ça reste du très haut niveau. Puis il tape dans l’excellent «Reconsider Baby» de Lowell Fulsom, il tartine son I hate to see you go à la perfection.

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             Le morceau titre de Dark End Of The Street est bien sûr le classique composé par Dan Penn et Chips Moman. C’est là où l’expression Soul blues prend tout son sens. Il est bon l’Artie, sur ce coup-là. Avec «Clock Don’t Tick», il passe à l’heavy Chicago blues cuivré à outrance - Come back baby/ Let me try again - Il termine l’album avec un «I’m Mean» bien sonné des cloches. L’Artie sait allumer une bouffarde, aw listen here, il est aux commandes, pas de problème, tu peux dormir sur tes deux oreilles, le cause I’m mean est solide comme un bœuf. Sur la pochette, il se fait photographier devant une taule, avec ses bottes rouges aux pieds. C’est vraiment le dernier endroit où il faut aller frimer. Sur l’album, le guitariste s’appelle Larry Williams. Il sait graisser la patte du blues. Avec «Hit The Nail On The Head», l’Artie plonge dans le son comme Tarzan dans un fleuve.

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             Le voilà enfin avec les mains couvertes de bijoux sur la pochette de Tired Of Sneaking Around. Il bat Little Milton et Johnnie Taylor à la course. Aucun blackos n’a jamais porté des bagues aussi énormes. Il ramène tout le velouté de Bobby Blue Bland dans «Today I Started Loving You Again», puis dans «Turn About Is Fair Play», en B, Ce sont les mêmes oh nooo dans les descentes de gammes. Sinon, il fait du bon Ichiban bien huilé. Non seulement c’est bien huilé, mais c’est aussi bien cuivré. Le morceau titre est un joli slow blues, a jewel of rendez-voooo. 

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             Avec Hit And Run, on sent une petite baisse de régime. Il est sur Ichiban, et le son s’en ressent. L’Artie y va doucement. Il ne force plus le passage. Il se la coule douce, avec un art de la dépouille très évolué et un guitariste loin derrière sur «Doctor Doctor». Chez Ichiban, on ne fait pas de vagues. Tout est très classique : le blues, le boogie blues, même l’heavy boogie blues d’«I’m Glad You Gone» - Don’t write me no lettah/ Oh don’t write me no lettah baby ! - Rien ne dépasse sur Ichiban, tout est bien lisse, bien électrique, les filles dans les chœurs sont dévouées et l’Artie tient bien sa rampe, pas de problème. L’Artie enfile ses perles. L’Artie est chaud. Il termine avec «I’m A Lonely Man», il tartine son wanna live my life en mode gospel blues. Fantastique !

    Signé : Cazengler, cœur d’artichaut

    Artie White. Blues Boy. Ronn Records 1985

    Artie White. Nothing Takes The Place Of You. Ichiban Records 1987  

    Artie White. Where It’s At. Ichiban Records 1988       

    Artie White. Thangs Got To Change. Ichiban Records 1989 

    Artie White. Dark End Of The Street. Ichiban Records 1990 

    Artie White. Tired Of Sneaking Around. Ichiban Records 1990  

    Artie White. Hit And Run. Ichiban Records 1992      

    Artie White. Different Shades Of Blue. Waldoxy Records 1994 

    Artie White. Home Tonight. Waldoxy Records 1997  

     

    *

    Je n’étais pas particulièrement triste mais j’avais envie de DBSM, ne flashez pas sur les deux dernières lettres, non nous ne nous embarquons pas dans un trip porno-sado-maso, quoique en y réfléchissant Eros n’est jamais très loin de Thanatos, cet acronyme signifie Depressive Black Suicidal Metal, c’est fou de voir comment avec quatre lettres l’on peut casser une ambiance, bref quand on cherche on trouve. Suis tombé sur VCH, je vous rassure non ces initiales ne signifient pas Viol Collectif Homicidal, c’est juste un label que je ne connaissais pas. Rien que pour vous j’ai choisi un album.

    THREE CRIMSON TEARS

    OCULI MELANCHOLIARUM

    (Bandcamp / VCH / 2022)

    VCH pour Victoria Carmilla Hazemaze qui a fondé le label. Vous la retrouvez sur l’opus élu sous le nom de Victoria Nox. Le visage que vous apercevez sur la couve n’est pas le sien. L’artwork est de Suzy Hazelwood. Elle dispose d’un site sur Pexels, elle collationne des photos de toutes sortes, notamment vintage, qu’elle met librement à la disposition de tout un chacun. J’ai particulièrement apprécié cette vue d’un bouquin dont on ne voit que le nom de l’auteur : Keats. Il en faut peu pour me rendre heureux, juste l’essentiel et l’absolu.

    Dans la nuit tous les chats sont gris, parfois Victoria Nox apparait sous diverses nuances de… noir : par exemple dans AIAA7, Careus, Luna Pythonissam, Persephone’s Legacy, Cantodea Dianthus

    Victoria Nox : all instruments, vocals / Sumabrander : vocals.

    Victoria Nox est mexicaine, de Mexico exactement, l’on ne s’étonnera pas de trouver un texte en anglais et un second en espagnol. Sur Bandcamp le lien qui permet de rejoindre le bandcamp de Sumabrander, hétéronyme de Paul Moritz, de Dresde, est suivi de la mention : lyrics de Thy  Despair. Sumabrander est un artiste qui suit une démarche parallèle à celle de Victoria Nox, comme elle, il est impliqué  dans plusieurs projets : Tausenderm, Alott, Raute, Nurez, Akoasma

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    The presence : attention le texte aide à comprendre la structure de cet EP, j’en cite quelques vers : She once walk trouugh among us, she walks through the woods, le texte est magnifique il ressemble à ces poèmes que l’on savait écrire aux temps du romantisme : magnifique photo de couve, il faut écouter ce premier morceau en comprenant qu’il n’est pas une illustration de cette belle image, mais que le titre tend à reconstruire les sentiments de cette jeune fille, vu le style du cliché l’on peut se dire que cette âme fragile et accablée a disparu depuis longtemps, nous avons affaire à une illustration phonique non pas de la beauté triste de cette jeune fille mais à une transcription imaginaire des sentiments dont elle est agitée, si les yeux sont les fenêtres de l’âme il est inutile de regarder au-travers en se fiant à la sérénité résignée qu’a pris le terme de mélancolie dans notre modernité, longtemps mélancholia a été le terme qui désignait la folie, non pas celle des crises de fureur destructrice d’un Alfred de Musset, mais cette prison de rêveries de soi-même dans laquelle s’enferma Gérard de Nerval et dont on ne s’échappe que par la mort, ne vous attendez pas une musique triste, certes ce n’est pas joyeux, le cercle des tempêtes intérieures est un maelström dont nul ne réchappe, une belle mélodie profonde, l’eau sans fond d’un miroir fendu par une fine brisure indiscernable, la voix féminine de Victoria et masculine de Paul Moritz se répondent, échos lointains qui se déploient en un dialogue mille fois repris,  et bientôt la fêlure éclate, la voix du dessous celle qui dicte sa vérité, celle de Nox, qui essaie de se regarder du dehors, marchant dans le monde dont elle s’est coupée, et celle du dessus enlisée dans les tourmentes du dedans, l’intensité baisse d’un cran, le plus terrible c’est que ceux qui regardent le fantôme de la folie arpenter sa solitude sont eux aussi happés par ce tourbillon intérieur qui leur est totalement étranger, mais dont ils sont maintenant le reflet, et le monde se dissout en vous à moins que ce ne soit vous qui vous dissolvez dans la folie… Magnifique. Il est dangereux de se pencher par certaines fenêtres. Magistral. Cora : comme un prénom qui voudrait dire Cœur, fêlé serait-on tenté d’ajouter, musique sombre, douce, avec sous la guitare la voix chuhotante de la Nuit Victorieuse, c’est la fin, les derniers jours, ne vous étonnez pas de ces déchirements sonores, de  ces souffles aussi violents que ceux de Wuthering Heights, ils s’amplifient encore, elle n’est plus que l’image décolorée de soi-même, mais à l’intérieur, une plaie saignante et purulente que ses pensées lacèrent encore et encore, en cora, la musique baisse d’un ton, elle n’a pas survécu, elle est morte, croyez-vous que le drame soit terminé que la souffrance s’est tue, non de ses yeux coulent trois larmes de pourpre… She wanders in Mystery : croyez-vous que ce soit terminé, que la vie continue, que l’on puisse passer à autre chose, non ce qui a été dans la présence du monde existe pour l’éternité, dans l’éternel retour des choses en soi-même, en elles-mêmes, en le regard des témoins, un piano rejoue la mélodie, il est des choses qui ne s’oublient pas, même quand on a oublié qu’on les a oubliées, elles subsistent, malgré vous, malgré nous, malgré elles-mêmes, celle qui ère un jour ère pour toujours.

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    Cora (Demo) : sortie 8 / 11 / 2021 : d’ailleurs on remet le morceau, on le rejoue, non pas pour étoffer un Ep, mais parce que le tourbillon du souvenir et de la présence vous entraîne à tout moment, vous n’avez qu’à tendre la main d’une pensée pour être happé une nouvelle fois, des chœurs encore et en Cora, une bouffée sonique peut-être un peu moins forte, mais plus dense, une douleur dans le corps qui vous empêche de dormir la nuit et de vivre le jour. Sur la fin des doigts qui courent longtemps sur les cordes d’une guitare comme s’ils espéraient que le morceau ne se terminât jamais. She walked among us : des notes comme un oiseau incroyable qui viendrait se poser parmi les vivants, la batterie se fait lourde, c’est ici que l’on s’aperçoit que le drame s’est joué parmi nous, que l’on n’a rien fait pour l’arrêter, même si c’était impossible, ce clavier qui bat de l’aile comme un cœur qui a du mal à reprendre sa respiration, comme si la folie nous habitait aussi et que nous n’y pouvions rien. Pour nous comme pour elle. She walked through the wood : un te deum final pour clore la grande messe des adieux, la dernière minute, pour être encore dans la silhouette éblouissante de ses errances, de sa folie, l’ultime image d’elle, que nous garderons puisque c’est elle qui nous gardera. Les revenants ne sont pas des fantômes, c’est nous qui revenons.

             Sombre, mais lumineux.

    Damie Chad.

     

    *

    Paul Moritz est-il le parolier de Thy Despair, et ce Thy Despair c’est quoi au juste ? A mon grand désespoir je n’ai pas été capable d’établir une relation   entre Moritz et Thy Despair. Enfin une photo de Thy Despair, trop sombre pour bien discerner, une bande de hardos chevelus, tout ce qu’il y a de plus classique chez les hardos. Je ne voudrais pas que les héritiers de Bo Diddley m’intentent un procès but you can’t judge a band just looking a pic, alors j’ai cliqué sur une vidéo que les dieux du rock m’ont fort opportunément glissé dans mon champ de vision :

    FALLING STAR

    THY DESPAIR

    (Official Lyrics Video / YT / Rockshots Records / 2020)

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    Première image, c’est du léché, de magnifiques paysages, terre, mer, ciel et une intro grandiloquente à la dack symphonic metal, ambiance romantique, moi j’aime le romantisme, au lycée les filles m’avaient surnommé René à cause de Chateaubriand, je connais les codes, j’attends la voix sépulcrale du chanteur, l’antithèse hugolienne après la lumière, l’ombre, Après les trois premiers éléments, je pressens le pire, je me prépare à être carbonisé par le feu, surprise, me voici projeté dans l’éther réservé aux Dieux, une voix féminine d’une intense pureté me projette en un autre monde, bien sûr un hardos craignos au timbre éraillé et caverneux ne tarde pas à prendre le relais, mais elle ne se laisse pas faire, un dialogue s’installe, la laideur charbonneuse  d’Héphaïstos rend la voix d’Artémis encore plus pure…

    Qui est cette sirène, je veux la voir, je veux l’avoir, justement la voici !

    GHOST RIDER

    THY DESPAIR

    (Official Live Video / YT / Rockshots Records / 2020)

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             Superbe vidéo, tous les membres du band ont droit à leurs secondes de gloire, des plans super-étudiés, j’avais vraiment mal regardé la photo, y a pas que des craignos chevelos, une deuxième fille, une mutine au clavier, toujours au chant  cette alternance des rayons et des ombres, je ne vois qu’elle, je n’entends qu’elle, cette voix séraphique qui se pose comme l’alcyon dans la tempête et plus rien n’existe, le monde fait naufrage, mais elle survit indifférente à l’ouragan sonore, sa voix plane dans les nuées, son corps enveloppé de ses longs cheveux, les pieds enracinés dans la terre, elle bouge, elle ondule, houppe d’arbre flexible que le vent ne rompt pas, elle se meut, sur la rondeur de ses épaules d’albâtre reposent les colonnes invisibles du  ciel…

    ARMY OF DEAD / Official Music Video

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             Un véritable film de chevalerie, superbement mis en scène par Niphilim, voix d’ombre, guitariste et fondateur du groupe, en moins de cinq minutes défilent devant vous les scènes iconiques qui semblent sortir tout droit des romans de Chrétien de Troyes, en plus l’orchestre  joue comme l’on festoyait dans le château du roi Arthur, et cette voix éthérée pour laquelle vous oublierez la quête du Graal, car il vaut mieux étancher sa soif à la lymphe d’Iseult la blonde qu’au sang du Christ.   

             Descendons de notre nuage. Ils sont ukrainiens. De Kiev. Leur FB ne donne plusieurs de nouvelles depuis plusieurs mois, fin août 2023 ils donnaient encore des concerts (voir vidéo, elle dure six heures : Bokaya Metal Birthday 27 / 08 Volume Club Kyiv ), si vous descendez dans leurs posts abondent des photos de destructions dues à la guerre… De tous les animaux l’homme est le plus grand des prédateurs.

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             Six groupes se succèdent dans le Club, le public est clairsemé. Une trentaine de personnes au maximum, le set de Ty Despair débute (timing vidéo) sur les 3h 40 et se termine sur les 4 H 30. Le son n’a pas l’amplitude symphonique des vidéos, pourquoi s’arrêtent-ils une à deux minutes entre les morceaux. Le set serait beaucoup plus fort s’il n’y avait pas ses coupures silencieuses. Nonobstant ce défaut, le set est magnifique, l’accord entre les deux vocalistes parfaitement au point, mais quand Elin, aussi belle que l’Hélène de Sparte, chante, vous êtes transporté ailleurs dans un autre monde, une autre dimension, entre terre et rêve.

             Le groupe s’est formé en 2008, il n’a produit que deux singles, deux Ep’s, et un seul album :

    В​і​л​ь​н​и​й

    (2015)

    Tous les titres des sigles et des EP sont repris dans l’album, nous les écouterons au moment de le chroniquer. Le lecteur risque de s’étrangler en prononçant le titre. Pas d’affolement c’est de l’ukrainien, méfiez-vous si vous tentez de le traduire en utilisant votre translateur, la traduction proposée ne rime à rien ; Gratuit. Ce vocable ne s’inscrit pas dans l’imaginaire dark metal, au plus une consonance gidienne d’acte gratuit, question littérature l’on s’attendrait davantage à des résonnances entre autres lovecraftiennes ou une allusion aux sagas islandaises, à Edgar Poe ou à Arthur Machen. En attendant de lever cette incertitude nous nous contenterons d’admirer la couve.

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             Admirable logo, le Tau du sacrifice mêlé au Delta dzétien du Destin. Instinctivement avec cet oiseau posé sur un champ de neige l’on pense à La Pie de Claude Monet. Mais le travail de ce merveilleux coloriste, ce maître de la nuance dissociative de la couleur irriguée par une vision contemplative de la nature qu’est notre impressionniste ne cadre pas avec la thématique de l’image. Champ de neige après la bataille, ne restent que les épées, les armes et les boucliers à moitié enfouis dans les amoncellements d’ouate mortuaire qui doit recouvrir les cadavres, sur la droite un corbeau odinique gras comme un chapon nous le confirme, nous sommes dans Le cœur de Hialmar, un des plus beaux poèmes de Lecomte de Lisle, pratiquement au centre, posé dans sa propre fierté, solitaire un faucon, ne jette même pas un regard indifférent autour de lui, la vie est un carnage, il y a ceux qui meurent et ceux qui survivent. Il a choisi son camp. Depuis sa naissance. 

    THE FREE ONE

    (2018)

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             Encore une fois nous ne regarderons que la couve. Attention, il existe deux versions de cet EP, l’un tout en ukrainien qui porte le même titre que le précédent В​і​л​ь​н​и​й et ce deuxième en langue anglaise qui nous aide à comprendre le sens de cette gratuité non-commerciale, qui n’a pas de fondement nous dit le dictionnaire, à comprendre selon une acceptation stirnérienne, ‘’ J’ai basé ma cause sur rien, j’ai basé ma cause sur Moi.’’ L’image est sans appel, un rapace qui se laisse tomber du haut du ciel sur sa proie toutes serres ouvertes, la liberté n’a qu’un prix : la vie. La liberté n’a qu’un coût : la mort.  

             Trois tires : l’ensemble forme une splendide trilogie : The free one / Sabbath / War.

    THE SONG OF DESOLATION

      (Rockshots Records / Mai 2020)

    Elin : vocals / Phil ou Niphilim : guitar, vocals / Nawka : keyboards / Strike : guitar / Alex : drums / Anton : bass.

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    L’artwork de la pochette est d’Elin, une pythonisse écrasée par le message qu’elle doit délivrer, des roses motivent sa robe, mais tout dans son attitude désespérée démontre qu’elle n’est qu’épine empoisonnée, celle dont la piqûre déclencha  le cancer de Rilke,  pochette rouge de sang symbole du futur de l’Homme, et cette bouche démesurée à la Gwinplaine, l’enfant que les comprachicos ont défiguré, le monstre au cœur pur, Elle que le chant de désolation prophétique dont elle nous avertit transforme en carnassière de l’Humanité. Nul n’est innocent, nul ne sera épargné, même pas celui  ou celle qui détient dans sa bouche les affres du Dire destinal cruel et souverain.

    The free one : ne nous y trompons pas, le morceau est ancien, sa première mouture est parue en 2015, n’oublions pas que la guerre en Ukraine a débuté en 2014, même si depuis notre hexagone elle paraît avoir commencé en 2022… Le genre dark metal se complait dans les thématiques catastrophiques, voire apocalyptiques, à cette aune-là le titre de cet album Song of Desolation n’est guère dramatique, il semble s’inscrire dans les canons du genre, mais il est nécessaire de le relire en pensant à la guerre qui actuellement ravage l’Ukraine, il est rare de rencontrer des albums de Metal qui évoquent des évènements politiques d’actualité brûlante en train de se dérouler. Ne nous laissons pas emporter par la fougue symphonique de cette musique, il nous faut en quelque sorte actualiser les paroles de ce morceau, qui sont assez intelligentes pour ne nommer personne, ce qui leur permet d’atteindre une portée symbolique universelle, il y a une tension extraordinaire dans ce morceau bâti comme un dialogue, sublime aussi cette évocation du faucon, créature du rêve, qui se suffit à lui-même, qui insuffle du courage au guerrier comme à son ennemi, être ambivalent pour ceux dont il recouvre l’imaginaire de ses ailes. Sabbath : changement de décor, guitares grondantes, passage mélodramatiques, fuites éperdues de soli, grand pandémonium très agité, sorcières et sorciers vous entraînent dans un ballet chaotique, cette nuit du sabbath paraît très éloignée de l’Ukraine d’aujourd’hui, moment crucial, n’entrez pas dans cette ronde, sans quoi vous serez tué, fuyez les puissances maudites si vous le pouvez, la mort est au bout de tous les chemins. Il n’et de pire sabbath que les hommes et les nations mènent tous les jours, toutes semaines, tous les mois, toutes les années. Fear and despair : tournez les pages de ce livre de contes, le petit chaperon, rouge de sang, pour enfants imprudents. Rien de pire qu’un vampire, ivre du sang pur de la vierge qui se consume de désir, elle chante, elle appelle, il grogne, il arrive, musique hystérique, glas qui sonne et vous glace, à son tour elle doit assurer son immortalité dans le sang de ses victimes, la voix monte haut car elle est descendue très bas. Oratorio shakespearien. Burned by love : l’autre côté de l’obscurité, un autre conte que l’on lit en commençant par la fin, nul ne peut aller contre sa nature, le vampire est amoureux, tel est pris qui croyait prendre, dialogue d’outre-tombe et tentation de la beauté, l’on se laisse emporter par cette tempête phonique qui se termine par une extase infinie… elle éclate comme une bulle de savon dans l’infini de la mort. Est-ce l’éternité qui ne dure qu’un instant ou juste le contraire. Pour le savoir il faut tenter l’expérience. N’écoutez pas trop ce morceau, vous auriez toutes les chances de risquer l’aventure, tellement la pureté tentatrice  du chant d’Elin est envoûtante.  Last breath : la ballade du remord, dernier titre de la trilogie, tout se passe dans la tête, la frontière entre la vie et la mort est fragile, le désir est peut-être le point de passage qui permet de passer d’une rive à l’autre. C’est un feu qui brûle l’autre et l’autre de l’autre, car l’autre n’est que l’autre figure du même. Ces trois titres explorent les fantastiques tréfonds de l’âme humaine. Le deuxième titre de l’album nous avait prévenus tous les chemins de votre vie mènent à votre mort, même si parfois les chemins de votre mort mènent à votre vie.

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    War : ce titre était le dernier de ce que nous avons nommé la trilogie de la nuit du premier EP paru en 2018. Un chant de guerre, appel au courage, ordre de s’armer et de se porter au combat, chacune des deux voies comme le contre-chant d’arc-boutant qui s’appuie sur l’autre pour l’élever encore plus haut. Dans les morceaux de Thy Despair systématiquement au deux-tiers de sa longueur apparaît  une déperdition phonique comme une vague qui perd de sa force en s’approchant du rivage, ici les guitares remplissent de leur hargne ce moment de déperdition. La guerre n’admet aucune faiblesse. Army of dead : l’on retrouve le morceau dont nous avons présenté la vidéo. Sans doute le temps est-il venu de l’écouter en dehors des oripeaux colorées des belles images, dénudé de nos superfétatoires surinterprétations littéraires.  Que veut cette belle princesse : qu’un magicien redonne vie à son beau et preux chevalier tué dans un combat singulier. Le mage s’exécute et le chevalier revient de la mort. Hélas il n’est plus qu’une sorte de zombie à l’esprit demeuré (de l’autre côté). Certes il se souvient d’elle mais à la manière titubante dont il se dirige vers elle l’on pressent que c’est pour honorer sa chair d’une manière point trop courtoise pour ne pas dire bestiale… Il serait facile de ranger ce morceau aux côtés de la trilogie Fear-and-despair-Burned-by-love-Last-breath, dans une interview Thy Despair en propose une lecture différente : dans les situations désespérées, l’on ne peut s’empêcher de penser à l’Ukraine, il convient de réfléchir et de ne pas se livrer à des gestes inconséquents. Au va-t-en-guerre du morceau précédent Phil semble ajouter  la nécessité d’actions réfléchies. Ces deux postulations ne sont pas contradictoires. Falling star : que dire de plus. Ma première appréhension était innocente, ne connaissant rien de Thy Despair je l’ai entendu comme l’éternel combat de l’ombre et de la lumière, pour Thy Despair les paroles sont ancrées dans une réalité bien plus historiale que ‘’philosophique’’, mais encore plus que dans The Free One le fait qu’il n’y ait pas dans les lyrics une seule allusion à une situation politique quelconque lui confère une portée et microcosmique et macrocosmique qui nous plonge au plus près de l’intimité personnelle de tout un chacun comme au plus près de nos extimités intergalactiques les plus lointaines. Ghost Rider : encore un apologue de la même veine que Army of Dead. Ici, ce n’est plus la lumière et les ombres qui s’affrontent, mais le Mal et le Bien, Dieu et Satan, la voie angélique d’Elin, le timbre adversorial de Phil, bientôt l’on ne sait plus qui parle au travers du chant, la frontière entre le bien et le mal est beaucoup plus poreuse que l’on ne le voudrait, nous sommes tous, nous et nos actes, des hell’sangels métaphysiques, le mal peut engendrer le bien et le bien le mal. Pour libérer son pays ne doit-on pas tuer son ennemi. Falcon : la boucle est bouclée, musicalement aussi heurté  que War, c’est ici que nous est révélé la mystérieuse identité héraldique de ce faucon apparu sur les premières couvertures, notons que ce symbole est d’une clarté absolue pour tous les uchrainiens, les lyrics nous content le combat de la nation ukrainienne pour fonder leur indépendance, il s’agit du monogramme du blason de l’Ukraine. Ce vieux signe de mille ans d’âge de ralliement des peuplades nomades proto-bulgares, représente un gerfaut stylisé fondant sur sa proie. A l’origine ce serait une tamga emblème adopté dès l’antiquité par de nombreux peuples qui figurerait un trident… Ce dernier morceau inscrit cet album dans un acte de résistance politique délibéré.

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             Un bel album qui selon moi, n’a pas mérité l’accueil critique qu’il mérite. Il est vrai que son écoute peut se révéler étonnante, que la logique subtile qui serpente entre les pièces politico-guerrières, les morceaux à consonnance fantastique, et les titres dont il faut saisir la projective signifiance, il y a de quoi se perdre, alors qu’il participe d’un  projet réflexif d’une grande logique.

             Pour les lecteurs à l’esprit binaire qui voudraient savoir si je suis pour l’Ukraine ou pour les Russes, je dirais que premièrement tout peuple a le droit de se défendre et que tout peuple a aussi hélas le droit de s’attaquer à un autre, vision très hegélienne pour qui le droit n’est que l’expression de la force. C’est ce genre de remise en cause de l’idéologie lénifiante étatiste qui   a valu à notre philosophe un espionnage accru de la part des services de renseignement gouvernementaux... Deuxièmement : à ceux qui m’opposeront l’existence d’un droit moral international supérieur je répondrais que l’homme est un animal amoral, comme tous les animaux. Troisièmement : que l’Europe ne s’est jamais relevée de la chute désagrégative de l’Imperium Romanum. Quatrièmement : que les dirigeants n’ont que le pouvoir de vous envoyer à l’abattoir que leurs peuples leur octroient. Les guerres ne sont pas une solution mais une conséquence de nos faiblesses.…

             Lecteur sens-toi concerné par ce groupe car jamais sans toi, en français Thy Despair ne signifie-t-il pas Ton désespoir

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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             Il y eut un double ‘’Heu’’ suivi de deux minutes de silence comme réponse à la question posée par Le Chef décidément en verve :

             _ Demoiselles je m’inquiète pour votre oral de français en fin d’année, votre bac est en train de couler au milieu de la rivière. Agent Chad un petit tour sur les grands boulevards, après quoi nous nous dirigerons vers l’Elysée.

    Les boulevards se révélèrent noirs de monde, j’estimai qu’à peu près vingt pour cent de la population marchait sur les trottoirs sans un mot, dans un silence impressionnant, les enfants étaient particulièrement calmes, ils donnaient sagement leur main à un adulte, sans rechigner, sans poser une question, sans sourire. Au bout d’un moment il y eut tant de monde que la foule déborda sus trottoirs, je dus ralentir, ce qui n’est pas dans mes habitudes. Le Chef alluma un Coronado :

             _ Alors les filles, je ne vous entends pas, de quoi ont-ils peur ?

    Doriane se dévoua pour répondre :

             _ Moi, la seule chose qui me ferait fuir dans la rue, ce serait une grosse araignée noire sur le plafond de ma chambre.

              _ Oui mais tu courrais partout en poussant des hurlements, éliminons cette hypothèse, qui ne saurait concerner le quart des parisiens !

             _ Oui tu as raison Loriane, mais qu’en pensez-vous, vous les hommes ?

    Le Chef secoua la cendre de son cigare :

             _  Il est temps demoiselles, que vous appreniez le b-a BA des méthodes des agents spéciaux des Services Secrets du Rock’n’roll, quand on ne sait pas on enquête, Agent Chad arrêtez cette voiture. Doriane allez interroger les passants sur le côté droit du boulevard, vous Loriane vous vous chargerez du côté gauche. Nous vous attendons, soyez rapides et efficaces.

    Elles y mirent du leur, nous les vîmes se faufiler entre les rangs, et s’arrêter un peu au hasard, soit devant un visage qui leur semblait un tantinet amène. Elles ne reçurent aucune réponse, personne ne manifesta un geste d’agressivité à leur encontre, ce n’est que l’on ne voulait point leur répondre, les gens les évitaient, il semblait qu’ils ne les apercevaient même pas. Elles revinrent :

             _ Avec Molossito et Molossa dans les bras, l’on nous répondra, tout le monde ou presque adore les animaux, c’est gagné d’avance.

    Elles revinrent tête basse, Molossito semblait encore plus vexé qu’elles, il avait léché le bout du nez de plusieurs enfants qui avaient semblé ne pas l’apercevoir. Même pas une réaction de leurs mères. Molossa avait adopté une autre tactique, elle aboya bien fort, grogna et n’hésita pas à faire semblant de mordre une ou deux gambettes, quand elle planta ses crocs dans la jambe d’un papa qui portait sa petite-fille sur ses épaules, à peine y eut-il un geste d’agacement très légèrement esquissé pour la dissuader de continuer.

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    Nous roulions depuis un quart d’heure lorsque Loriane s’écria :

             _ Euréka, j’ai une idée, je crois avoir trouvé, je pense que je j’ai découvert la cause de cet étrange comportement, je suis sûre que j’ai compris, je suis une championne !

             _ Diable, jusques là nous avions l’agent Chad convaincu d’être un génie supérieur de l’Humanité, en plus maintenant nous possédons une championne d’on ne sait trop quoi, tout ça dans l’espace restreint d’une simple voiture, j’espère que vous pouvez chère enfant apporter la preuve irréfutable de votre idée qui si j’en crois votre sourire devrait changer le sort de l’humanité.

              _ Bien sûr, il suffit d’arrêter l’auto, de descendre et de me suivre.

    _ Parfait juste le temps d’allumer un Coronado et nous vous suivons !

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    L’idée de Loriane n’était pas bête : si les gens sortaient parce qu’ils avaient peur chez eux, le plus simple était d’aller voir ce qui leur faisait peur chez eux. Il ne fut pas difficile de visiter quelques appartements. Les portes donnant sur les rues n’étaient pas fermées  et celles des logements individuels avaient été laissées ouvertes par leurs occupants. Rien de notable, la télévision était encore allumée et parfois il était manifeste que les occupants étaient partis précipitamment en plein repas. Molossito et Molossa n’hésitèrent pas à se partager un immense gigot de mouton de douze personnes pour un repas entre amis, les verres d’apéritifs à moitié pleins abandonnés sur une table basse  témoignaient de la célérité avec laquelle la petite fête avait été interrompue. Nous visitâmes soigneusement toutes les pièces, regardant sous les lits, inspectant les meubles, farfouillant dans les tiroirs. Rien, pas même une araignée. Tous les regards se tournèrent vers Loriane :

             _ C’est que nous faisons trop de bruit, expliqua-t-elle souvenez-vous de hier soir, lorsque nous avons été attaqués et que nous avons dû abattre à coups de Rafalos, les briseurs de murailles qui n’arrêtaient pas de sortir des murs, avant qu’ils n’arrivent nous avons entendu des bruits de pas, les gens ont eu peur, nous nous avons tué ces envahisseurs, lorsqu’ils sont sortis des murs les gens ont fui, c’est tout !

    Il y eut un moment de silence, les propos de Loriane appelaient à méditer, le Chef en profita pour allumer un Coronado :

             _ Admettons, mais où sont passés nos envahisseurs ? Ils ne sont pas dans les rues et manifestement ils ne sont pas restés dans les appartements !

    Loriane ne se démonta pas :

             _ Ils sont repartis par les murs, les gens chassés de chez eux, mission accomplie, ils n’avaient plus aucune raison de rester. Par contre je suis persuadée que si nous nous taisons nous les entendrons arriver, ils reviendront, j’en suis certaine !

    Nous restâmes près de deux heures. Nous n’étions pas mal tombés, chez des bons vivants, le bar regorgeait de bonnes bouteilles et des plateaux d’amuses gueules fort appétissants nous tendaient, vous excuserez cet anthropomorphisme  culinaire, pour ainsi dire les bras. Hélas nos briseurs de murailles ne daignèrent pas, ne serait-ce que par politesse, venir nous adresser un petit bonjour amical. Après un énième et dernier Coronados le Chef donna l’ordre du départ.

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    Il était de plus en plus difficile de circuler, à croire que l’entière population de Paris  était désormais dans les rues. De temps en temps j’écrasais sans le faire exprès un piéton, aucune hargne ne se manifestait envers nous lorsque l’on entendait un malheureux pousser d’atroces cris de souffrance quand une des roues lui écrasait la poitrine. Tout au plus nous adressait-on quelques gestes genre ‘’ ce n’est pas grave’’ et s’empressait-on de nous libérer le passage, nous avions même l’impression que s’ils avaient pu parler ils se seraient excusés…

             _ Chef nous avons traversé des situations étranges, mais comme celle-ci jamais !

             _ Agent Chad, vous me permettrez de ne pas être de votre avis, certes nous avons vécu des moments difficiles et périlleux, je le concède, par exemple la fois où nous avions dû aller chercher Keith Richards perché sur son arbre au milieu d’une jungle dont personne à part nous et ce brave Keith n’est jamais sorti vivant. En tout cas je ne comprends pas ce qu’il aurait d’étrange et de mystérieux dans cette affaire.

    Sur le siège arrière les filles s’insurgèrent :

             _ Et les briseurs de murailles qui sortent des murs, vous ne trouvez pas cela mystérieux, à vous croire c’est tout-à-fait normal !

             _ Au premier abord oui, mais si vous prenez le temps de fumer quelques Coronados, vous vous apercevez que nous avons agi comme ces imbéciles qui ne regardent que le doigt qui vous montre la lune !

             _ Chef vous voulez dire que les passeurs de murailles ne sont qu’un leurre ?

    _ Je suis enchanté Agent Chad que vous commenciez à tirer le bon lacet qui permet de dénouer ce nœud cousu de de fil blanc !

    _ Donc, dans tout ce qui nous est arrivé jusqu’à maintenant nous avons été victimes de mises en scène dues à la CIA…

    _ Parfaitement, ils sont très forts, il faut le reconnaître !

    _ Oui, mais maintenant John Deere et Jim Ferguson sont très morts !

    _ C’est parce qu’ils ont trouvé plus forts qu’eux, à tous les coups l’on ne gagne pas !

    _ Et vous pourriez nous révéler qui se cache derrière la CIA ?

    _ Bien sûr, mais nous arrivons au bout de nos trois pages réglementaires, je vous le dirai la semaine prochaine !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 639: KR'TNT 639 : ANDREW LAUDER / MUDDY GURDY / D'ANGELO / GRUFF RHYS / BILL CALLAHAN / LIKE WIRES / PENITENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 639

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 04 / 2024

     

     ANDREW LAUDER / MUDDY GORDY

    D’ANGELO / GRUFF RHIS / BILL CALLAHAN

    LIKE WIRES / PENITENCE ONIRIQUE

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 639

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

     - Lauder de sainteté

     (Part One)

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             Admirable ! Chez Andrew Lauder, tout est admirable : son autobio, ses choix, son comportement en tant qu’A&R et surtout sa discrétion. Pas ou peu de photos de lui, ce sont les artistes qui priment. L’histoire d’Andrew Lauder est celle d’un âge d’or du rock anglais qui démarre dans les sixties, et donc celle d’un fan qui parce qu’il n’est pas dans un groupe opte pour le music biz. C’est la même chose. Andrew Lauder va fréquenter des gens qui comptent parmi les plus intéressants de son temps : Guy Stevens, Tony McPhee, Hawkwind, les Groovies, Feelgood. Il a pour particularité d’avoir trempé dans la scène pré-punk qu’on appelait aussi le pub rock, avec Man, Brinsley Schwarz et Dave Edmunds, mais aussi, hélas, Costello, ce mec qui ose s’appeler Elvis. Lauder l’appelle aussi Elvis tout court dans les passages qu’il lui consacre, Elvis par ci, Elvis pas là, c’est agaçant. Quand on a une tronche comme celle de Costello, la première chose qu’on fait est d’éviter de se faire appeler Elvis. Ça n’a pas de sens et, plus grave, ça frise le manque de respect. Mais Lauder est un mec gentil, il ne se rend pas compte. C’est son seul défaut. Il aurait peut-être dû conseiller à Costello de choisir un autre prénom, André ou Albert. Ça allait mieux avec les lunettes.

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             Au départ, Lauder a tout bon : il flashe sur Wolf et «Smokestack Lightning» qu’il qualifie de «greatest thing of all time». Well done, Andrew ! Dans l’intro du big book, Richard Williams cite les hits qui illustrent le parcours de Lauder : «Silver Machine» d’Hawkwind, «Vitamin C» de Can, «Surrender To The Rhythm» de Brinsley Schwarz, «She Does It Right» de Feelgood, «My Flamingo» de Nick Kent, «Is Vic There» de Depatment S, «Lipstick Sunset» de John Hiatt, «King Strut» de Peter Blegvad et «Fools Gold» des Stone Roses. Pas mal, très underground et hautement qualitatif.

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             Comme tout le monde, le jeune Andrew commence par ramasser des singles de Little Richard et de Lerry Lee, c’est le point de départ, l’origine des abscisses et des ordonnées, sans oublier Elvis, le vrai, le Sun. Il flashe aussi comme tout le monde sur Buddy Holly. Puis les Rolling Stones, qui tapent un «Not Fade Away» qu’Andrew connaît bien. Il prend modèle sur un autre Andrew, le Loog, qui en 1964 mène les Stones vers la gloire à coups d’«It’s All Over Now» et de «Little Red Rooster». Andrew se dit : «I can do that. I can follow in Andrew’s footsteps.» Mais il ne sait pas comment s’y prendre. Il flashe comme un fou sur le premier album des Stones, et comme c’est un album de covers, il fait comme tout le monde, il va piocher dans les originaux : «Willie Dixon, Muddy Waters, Slim Harpo, Jimmy Reed and Rufus Thomas», une ribambelle explosive à laquelle il rajoute les blazes de Chucky Chuckah et de Bo Diddley. Il a raison, l’Andrew, car là tu as déjà tout le rock et tout le roll. Puis il voit les groupes anglais fondre comme des aigles sur les mêmes belettes noires : les Kinks, les Animals, Manfred Mann, Them et les Pretties. Ça grouille de partout. Dans la confusion, les joues rouges, le jeune Andrew comprend une chose fondamentale : il est in the right place at the right time. Quand on est fan de rock, c’est l’époque qu’il faut vivre. Les décades suivantes ne seront qu’un long déclin de l’empire romain du rock, si l’on considère qu’Elvis (le vrai, pas l’autre), Dylan, Brian Jones, Lou Reed, Iggy, Totor, Sly Stone, John Lydon, John Lennon, James Brown, Isaac le prophète, Tonton Leon, Frank Black, Marvin Gaye et quelques autres sont les empereurs successifs de cet empire.

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             Comme le jeune Andrew met le nez dans les affaires du blues via Elmores James, Wolf, Little Walter et tous les autres, il croise fatalement la piste de Guy Stevens qui est alors la tête pensante du blues à Londres, et la tête de pont d’un label déjà mythique, Sue Records. Pantelant, l’Andrew revient sur «Smokestack Lightning» qu’il qualifie cette fois de «greatest achievement of all time», en quoi il rejoint Uncle Sam qui considérait Wolf comme le meilleur. Le plus drôle c’est qu’Andrew essaye d’imiter Wolf et il s’en arrache les cordes vocales - I was up in my room howling - Puis il flashe comme un caribou dans les phares d’un truck sur les Pretties - The roughest and the hairiest of the  lot - Alors il décide de se laisser pousser les cheveux pour ressembler à Phil May. Il est vraiment très bien, le jeune Andrew, jusque là, il a tout bon. Cette autobio est un régal, pour peu qu’on appartienne à la même famille de pensée. Andrew voit les Pretties à la télé, ils passent dans Ready Steady Go et son père qui est assis à côté dans son fauteuil s’écrie horrifié : «What in God’s name is that?». On a tous vécu ça, le paternel qui gueule devant la télé des trucs du genre «c’est quoi cette musique de singes ?», alors que la séquence est cruciale. Ces vieux abrutis ne comprenaient rien. Fuck ‘em !

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             L’Andrew nous raconte donc son Éducation Sentimentale. Il se prépare pour entrer dans «la vie active». Il décroche un premier job dans une boîte de sheet music qui s’appelle Southern Music - No. 8 Denmark Street - Il y fait le petit gratte-papier qui comptabilise les ventes de partitions et voit débarquer des gens comme Donovan et les Artwoods. Alors il papote avec eux. C’est facile, car il est fan, et ces mecs-là aussi. Donovan lui dit qu’il va bientôt sortir un single, «Catch The Wind». Et comme il bosse sur Denmark Street, l’Andrew en herbe voit passer des tas de gens qui vont enregistrer au Regent Sound - No 4 Denmark Street - Les Stones y ont enregistré leur premier album et les Kinks «You Really Got Me». Larry Page a son bureau au No. 25 Denmark Street. Les Troggs enregistrent aussi «Wild Thing» au Regent Sound. Il n’existe pas d’endroit plus mythique à Londres que Denmark Street. À côté de Southern Music se trouve le fameux Giaconda, où on mange des spaghettis bolognaise. Il y voit manger Keith, Bill & Charlie, il papote avec Mitch Mitchell (very chatty) et Noel Redding. Mitch raconte au jeune Andrew qu’il vient tout juste d’auditionner pour un job de batteur dans un trio «with an unknown guitarist called Jimi Hendrix.» The right place in the right time. On ne peut pas faire mieux. On est assis à la table voisine et on suit l’affaire de près. De très près.

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             L’Andrew en herbe découvre Buddy Guy sur scène et comprend soudain d’où vient Jimi Hendrix. 25 ans plus tard, il aura la chance de fréquenter Buddy Guy qui lui expliquera qu’il doit tout à Guitar Slim - It was all part of a tradition where each new player added their own unique brand of showmanship - Voilà, c’est exactement ce qu’il faut comprendre : une tradition et donc une lignée. Jimi Hendrix hérite de Buddy Guy qui lui-même héritait de Guitar Slim, mais il développe l’héritage et le sublime. «Hey Joe» vient d’entrer au hit-parade. L’Andrew en herbe voit Jimi Hendrix sur scène. Il pense bien sûr à Buddy Guy «but Hendrix brought something new.» Il comprend qu’Hendrix invente un style et qu’il joue «ferociously loud». L’Andrew comprend ça et s’en émerveille. Dans le même ordre d’idée, il découvre avec stupeur Larry Williams et Johnny Guitar Watson - Another outrageous showman - Ça se passe encore au Flamingo. La deuxième fois qu’il y va, il tombe sur Sugar Pie DeSanto - «Soulful Dress» was a real mods’ favourite - Il parle de «crazy dancing and even back flips». Et comme tout le monde à Londres à l’époque, il prend les Who en pleine poire - They completely blew my socks off - Boom ! «Can’t Explain» ! Il tombe en pâmoison devant «Anyway Anyhow Anywhere» - Avant de voir les Who, je pensais que les Pretty Things incarnaient the sound of disrespectful youth, but the Who upped the ante - Oui, ils montaient d’un cran, et même d’un sacré cran - «Anyway Anyhow Anywhere» ? «One of the most innovatory singles ever.» Là, l’Andrew est obligé de faire une pause. Il a le souffle court et les joues rouges : «Après trois mois de gigs-going, seeing the Who and Buddy Guy had me hooked for life.» Il comprend aussi que d’aller voir des concerts devient une «occupational necessity». Bienvenue au club, Andrew. Pas de pot, il n’arrive pas à choper les Pretties sur scène, mais il chope les Small Faces en 1966, avec un McLagan fraîchement enrôlé. Il voit aussi The Graham Bond Organisation au 100 Club et dit le plus grand bien  de The Sound Of 65. C’est incroyable comme le jeune Andrew peut avoir tout bon. Jusque-là, c’est un parcours sans faute.

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             Puis il décroche un job chez Liberty Records, un label américain qui a une antenne à Londres. L’artiste phare du label n’est autre qu’Eddie Cochran. L’Andrew rappelle que Liberty a avalé Imperial et Minit, des labels qu’il connaît bien, car il est friand de Fatsy et d’Allen Toussaint, d’Irma Thomas, et d’Aaron Neville. Si Liberty ouvre une antenne à Londres, c’est pour signer des groupes anglais. L’Andrew bosse aussi sur la promotion des artistes Liberty en Angleterre - the Ventures, Bobby Vee et Johnny Rivers - mais il préfère, et de loin, Jackie De Shannon. Hélas, pas de promo pour elle, car elle est considérée comme songwriteuse. Puis comme tout le monde, l’Andrew se met à flasher like airplane lights sur la scène de San Francisco, et plus particulièrement sur les Charlatans. Comme par hasard - They had peaked up too early, been horribly screwed on a lousy deal and split up - C’est admirablement bien résumé. Arrivés trop tôt, baisés par un mauvais contrat et pouf, le split. L’Andrew va se passionner pour cette scène et développer une petite obsession, au point de décorer son bureau comme le Red Dog Saloon de Virginia City où jouèrent les Charlatans durant l’été 1965.

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             Comme Liberty veut profiter de la manne des groupes anglais, le boss de l’antenne Ray Williams passe une annonce en 1967 dans le New Musical Express : «LIBERTY WANTS TALENT». Alors les TALENT ramènent leurs fraises : Idle Race, Family et The Bonzo Dog Doo-Dah Band. Il y a aussi le futur Elton John, mais on va le mettre dans le même sac que le faux Elvis. John Peel chouchoute aussitôt Idle Race. Nous aussi d’ailleurs. Jeff Lyne allait ensuite rejoindre les Move. Et bien sûr les Bonzos - Their live act was hysterical - L’Andrew rappelle qu’avec Gorilla, les Bonzos furent énormes en Angleterre et qu’il comptaient parmi les groupes les mieux payés sans avoir de hit-single. Il fait surtout l’éloge de l’excellent Doughnut In Granny’s Greenhouse - much more of a rock album than Gorilla - L’Andrew dit qu’on les comparait aux Mothers alors que ça n’avait rien à voir.

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             Il passe ensuite à un épisode qu’il faut bien qualifier de mythique : Hapshash & The Coloured Coat en 1967. Pourquoi mythique ? Parce que Guy Stevens. Un Stevens qui se pointe avec un projet enregistré avec les «ultra-hip underground artists Nigel Weymouth and Michael English», des mecs qui dessinent des posters pour l’UFO et qui sont à l’origine de Granny Takes A Trip on Kings Road. L’Andrew rencontre enfin Guy Stevens qu’il qualifie de «real mover and shaker in that mod in-crowd». C’est Chris Blackwell qui lui demande en 1964 de s’occuper de la distribution du catalogue Sue en Angleterre, puis qui le nomme A&R d’Island Records, avec le succès que l’on sait (Spooky Tooth, Free, Mott The Hoople and co). L’Hapshash qu’il amène chez Liberty est selon l’Andrew «a psychedelic, bongo freak-out jam» featuring the Human Hits and the heavy Metal Kids qui ne sont rien de moins qu’Art, c’est-à-dire les VIPs qui vont devenir Spooky Tooth.  

             Sur Liberty on trouve aussi Canned Heat - The most important act I picked up in those early months as a product manager - L’Andrew rappelle qu’il fait la promo des artistes signés sur Liberty aux États-Unis - Le département A&R américain avait enfin signé un groupe qui m’excitait - Il s’exclame : «Canned Heat became my cause célèbre», qu’il écrit en italique avec les accents. Il les fait tourner en Angleterre et les accueille à l’aéroport. Il voit Henry Vestine débarquer avec une boîte contenant ses 45 tours préférés qu’il emmène partout. Puis voilà Al Wilson qui, avec John Fahey, a redécouvert Son House en 1964. Pour l’anecdote, Son House avait oublié toutes ses vieilles chansons et Al Wilson, qui les connaissait bien, les lui a ré-apprises. Plus loin dans le book, l’Andrew revient sur l’excellent Hooker ‘N Heat, enregistré par Hooky et Canned Heat sur United Artists. Alors l’occasion est trop belle de le sortir de l’étagère.

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             C’est l’Hooky qui ouvre le bal d’Hooker ‘N Heat. Il t’embarque ça vite fait au hey hey look what you did/ Got my money babe. Quelle présence ! On l’entend claquer sa corde basse à l’ongle sec sur «Send Me Your Pillow». Il est tout seul. Sur «Sittin’ Here Thinkin’», il y va au lookin’ through my window pane, avec une baby gone with another man. Il tape du pied sur la planche. Superbe artiste ! En B, il tape un «Drifter» en suspension et Al Wilson passe des coups d’harp. Mais au moment où paraît l’album, Al a cassé sa pipe en bois, et on voit son portrait accroché au mur. Ça continue au deep boogie blues d’Hooky le cake avec «You Talk Too Much», puis c’est l’hypno voodoo de «Burning Hell» - When I’ll die/ Nobody knows where I’m going - Il n’y a que lui qui puisse chanter ça. En C, l’Al gratte le boogie africain avec l’Hooky sur «I Got My Eyes On You». Et la grosse machine de Canned Heat se met en route sur «Whiskey & Wimen». Fabuleux heavy boogie, avec le bassmatic dévorant de Larry Taylor. On n’en finira jamais d’adorer cet album. En D, Hooky monte «Let’s Make It» sur le riff raff de Boom Boom Boom, Aw aw aw aw ! Et tu as en prime tout le power de Canned Heat. Stupéfiant ! L’Hooky a du pot d’avoir ces mecs-là derrière lui. «Peavine» est gorgé de son, d’énergie et de passion. Canned Heat accompagne un dieu vivant. Ils terminent avec «Boogie Chillen No 2» chauffé à blanc et Henry Vestine part en vrille amphétaminée. C’est bien que cet album extraordinaire soit sur le label d’Andrew Lauder.

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             Le voilà encore chez les Wizards & True Stars avec Captain Beefheart. Comme Strictly Personnal floppe aux États-Unis, l’Andrew part en croisade pour laver l’honneur du bon Captain. Il trouve l’album «still very Delta blues based», mais avec des tendances avant-gardistes et psychédéliques. L’Andrew s’avoue profondément déçu «car il n’a pu rencontrer the great man qui n’est pas venu faire la promotion de l’album en Angleterre after all.» Il passe directement à un autre Wizard, Tony McPhee - So the Groundhogs were my first bona fide signing and quite a bargain at £52 - Il sort Scratching The Surface, «a pure British blues album». Selon l’Andrew, Tony McPhee s’inspire directement d’Hooky et de Buddy Guy «who Tony would always say was the first to really investigate feedback.» Mais le breakthrough album sera Thank Christ For The Bomb. McPhee y dit adieu aux sixties. John Peel n’aimait pas leurs deux premiers albums qu’il trouvait boring, mais il raffole de Thank Christ et, nous dit l’Andrew, de «Soldier» qu’il passait en boucle. Toujours sur sa lancée, l’Andrew rappelle un truc essentiel : les Groundhogs jouaient très fort - Pre-Motörhead, the Groundhogs were as loud as anything I’d ever heard - Il évoque un Top Of The Pops où les Groundhogs jouaient «Cherry Red», un épisode dont les gens parlent encore. Pour l’Andrew ça ne faisait aucun doute : «the Groundhogs were going to be a truly mega band.» Le meilleur publiciste du groupe fut sans doute Kurt Cobain, comme le rappelle l’Andrew un peu plus loin, les voilà élus précurseurs du grunge, comme ils furent dix ans avant élus précurseurs du punk. Ils sont aussi vénérés par The Fall, Steven Malkmus, Captain Sensible et Julian Cope. Et comme sur cerise sur le gâtö, nous avons Split, l’un des plus beaux albums de l’histoire du rock anglais. 

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             Chez Liberty, puis United Artist, il est aussi en charge de Creedence pour l’Europe. Et ce joli bouquet de gros bonnets éclot avec Hawkwind, qui est sans doute le point culminant de la carrière d’Andrew. Le soir où il découvre Group X à l’All Saints Hall, Peely est là aussi, et c’est lui qui indique que Group X va devenir énorme et qu’il faut les signer. Les deux moteurs du groupe sont Dave Brock et Nik Turner. Dick Taylor produit leur premier album. Il vient de quitter les Pretties après SF Sorrow et veut faire autre chose, alors il devient producteur. L’Andrew revient sur l’extraordinaire saga d’Hawkwind, il évoque tous ces personnages abracadabrants, Robert Calvert, Michael Moorcock, Barney Bubbles et puis bien sûr Lemmy qui avait été auparavant roadie pour The Nice et Jimi Hendrix. Il n’avait jamais joué de basse avant son premier gig avec Hawkwind, il grattait des accords comme au temps de Rockin’ Vicars. L’Andrew remet les pendules à l’heure : «On a jamais considéré Hawkwind comme des innovateurs, mais qui a réussi à sonner comme eux ? Ils ont aussi préfiguré Roxy Music.» Il en rajoute une belle louche deux pages plus loin : «Même s’ils partaient loin dans l’espace, ils avaient bien les pieds sur terre et ils ont parcouru un sacré bout de chemin depuis les concerts gratuits sous les arcades du Westway à Notting Hill.» Seul Andrew Lauder peut se permettre un tel éloge, car ce n’est pas sans raison qu’il a protégé le groupe et sorti leurs albums : «Il n’y avait rien de flashy dans le drug-fuelled space rock d’Hawkwind, pas de frime non plus, et il n’y avait avait rien de prévisible chez eux, ce qui n’était pas le cas du groupe qu’était devenu Pink Floyd.» Et aux États-Unis, nous dit Andrew, il n’existait aucun groupe qui sonnait comme Hawkwind. C’est sans doute la plus belle des louanges. Quand Lemmy fut viré du groupe, l’Andrew dit que son enthousiasme pour le groupe a baissé d’un cran. Pour lui, Hawkwind commettait une grosse erreur. Puis le groupe va quitter United Artists, puis une guerre éclate entre Dave Brock et Nik Turner, mais l’Andrew s’en lave les mains. Aux yeux d’Andrew, Hawkwind reste l’antithèse du glam et du prog. Ils font partie du proto-punk anglais. John Lydon était fan, les Pistols tenteront même de reprendre «Silver Machine». D’où la grande fierté d’Andrew Lauder.

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             Quand il met le nez dans le rock allemand, il ne fait pas semblant : Amon Düül, Can et Neu!. Pardonnez du peu. Il sort Phallus Dei en 1969 - and it totally complemented High Tide and probable signings Hawkwind - Car oui, il a déjà High Tide (on y reviendra). Pour lui, Amon Düül est le plus «psychedelic and most shambolic» des groupes kraut. Il est encore plus dithyrambique sur Can  - Je n’ai pas le souvenir de beaucoup d’albums qui m’aient autant excité à la première écoute - Il parle de Monster Movie. Malcolm Mooney, black déserteur américain, n’avait jamais chanté avant Monster Movie - Le seul équivalent de Monster Movie est le Velvet Underground, mais c’est une comparaison superficielle. La musique de Can had broader perimeters - L’Andrew titille son parallélisme en rappelant qu’Irmin Schmidt avec étudié avec Stockhausen, et John Cale avec John Cage et La Monte Young, puis il salue la section rythmique d’Holger Czukay et de Jaki Liebezeit, puissants maîtres de l’hypno cannoise. L’Andrew rappelle aussi que Can n’a jamais eu de set-list et n’a jamais fait de concerts «de promo du dernier album». Rien à cirer ! Fuck it ! Sur scène, ils improvisent. Ils recyclent les thèmes des cuts connus dans l’impro. L’Andrew aime aussi à rappeler que les Buzzcocks ont signé avec lui «because of my involment with Can». Attends, c’est pas fini : l’Andrew cite dans la foulée le fameux éloge d’Eno - Le premier album du Velvet ne s’est vendu qu’à 10 000 exemplaires, mais tous ceux qui l’ont acheté ont formé des groupes - Selon l’Andrew, cette formule s’applique encore plus à Can. Parmi les fans de Can, il cite les noms de John Lydon, Mark E. Smith, Julian Cope, Pete Shelley and Jesus & Mary Chain. Jolie brochette ! Alors on sort Monster Movie de l’étagère.

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             On est tout de suite frappé par «Father Cannot Yell», bien pulsé du beat. Unique pour l’époque, c’est âcre et solide, sans répit, loin des mots, loin du cœur, mais au cœur du mythe. L’Andrew a pris ça en pleine poire, comme tout le monde. Black Mooney au micro. Les dissonances sont directement inspirées de «Sister Ray». Ils bouclent leur fier balda avec «Outside My Door». Heavy beat cannois mais à rebrousse poil, avec Mooney en tête de gondole. Ah cette façon qu’ils ont de développer en tirant l’overdrive, en transparence et sans à-coup ! Mooney dévore vivante la fin apocalyptique. Par contre, rien à dire de la B, à part bof. 

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             L’Andrew embraye aussi sec sur Neu! - J’ai adoré le premier Neu! dès la première écoute - Il flashe particulièrement sur «Hallogallo». Il n’en finit plus de flasher. Flish flash flosh, 36 chandelles ! Son book est un book de flashman. Une flash bible ! Il donne tous les détails de l’histoire de Neu!. On savait l’Andrew passionné, mais avec le temps, ça ne va pas en s’arrangeant. Plus on vieillit et plus on s’excite, c’est logique. Bon après il se vautre lamentablement avec Tangerine Dream. Au fond, c’est une bonne chose qu’un mec comme Andrew Lauder ait des défauts. Ça rassure.

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             Côté copines, l’Andrew en a une belle : Maureen, une Américaine qui a bossé pour Morris Levy chez Roulette, pour Florence Greenberg chez Scepter, et qui est bien pote avec Juggy Murray Jones de Sue Records. Et puis il y a le fameux fiasco du concert new-yorkais de Brinsley Schwarz au Fillmore, avec 140 journalistes anglais invités, nourris et logés, l’Andrew donne tous les détails. De toute façon, Brinsley Schwarz n’a jamais marché nulle part. L’autre fiasco est celui des Groovies qu’il réussit à faire venir à Londres. L’Andrew est fan de leurs albums sortis sur Epic et Kama Sutra. En tant que fan inconditionnel des Charlatans, il est aussi en contact avec Mike Wilhelm, il connaît Loose Gravel et ça le botte bien l’Andrew que Chris Wilson soit désormais dans les Groovies. Il fait d’abord venir Cyril Jordan à Londres. Maureen et lui l’accueillent dans leur appart à Queensgate. Mais c’est compliqué d’avoir un lascar comme Cyril Jordan à la maison, il sort le soir, rentre à des heures impossibles et fout la musique à fond, réveillant Maureen et Andrew. Ah ça par exemple ! En plus, il n’écoute qu’un seul cut, le Cyril, «Tumbling Dice» qui vient de sortir. Sous leurs bonnets de nuit, Maureen et Andrew sont consternés - We felt like parents with a troublesome teenager at home - C’est drôle, Marc Z disait exactement la même chose du Cyril : gâté-pourri, insupportable, auto-centré, ma gueule, rien que ma gueule, wouah ma gueule. Puis l’Andrew fait venir le reste des Groovies à Londres. Il les installe dans une ferme à Chingford, dans l’Essex et ils commencent à tourner en Angleterre et en France. 60 dates environ en 7 mois, nous dit l’Andrew, et non 250 comme l’affirme le Cyril - Which mathematically was a complete impossibility - Ils enregistrent à Rockfield et s’y plaisent tellement qu’ils envisagent de titrer leur album Bucket Of Brains, d’après la «Welsh local beer, Brain’s beer». Pour l’Andrew, l’épisode Groovies tourne au cauchemar. Ils lui prennent trop de temps. Trop de problèmes qu’ils pourraient régler eux-mêmes. L’Andrew réussit à sortir deux singles magiques, «Slow Death», puis la cover du «Married Woman» de Frankie Lee Sims, mais il ne peut plus prendre le groupe en charge. Shake Some Action ne sortira pas sur United Artists mais sur Sire - They hadn’t made the impact I expected - L’Andrew finance leur voyage de retour à San Francisco et coupe le cordon ombilical. Il leur file les cuts enregistrés à Rockfield, car ça n’intéresse personne en Angleterre. Par contre, Greg Shaw saute dessus. L’Andrew l’autorise à sortir «You Tore Me Down» sur Bomp!. Et c’est grâce à Greg Shaw que les Groovies signent sur Sire en 1975 - Shake Some Action avait tout pour décrocher le pompon, mais les Ramones et Talking Heads sont arrivés. Alors les Groovies se sont retrouvés le bec dans l’eau, incapables d’entrer dans la danse du punk - Fabuleuse chute du Niagara. Rien n’est plus vrai que cette épouvantable tragédie. Marc Z dit aussi avoir tout fait pour les aider et qu’en retour, rien, nada. Nada aussi pour l’Andrew. On sent à travers ces pages remonter un gros relent d’amertume. Par contre, il garde de bons souvenirs de Rockfield qui dit-il était entre 1971 et 1976 «a second home». Il y enregistrait Hawkwind, Brinsley Schwarz, Help Yourself, Motörhead, les Groovies, Feelgood, Del Shannon et plus tard les Stone Roses.

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             L’autre groupe chouchou, c’est Man - this tight, free-flowing jamming band with that classic West coast dual guitar sound - Il compare Micky & Deke à John Cipollina et Gary Duncan. Des cuts de 20 minutes. C’est ça le problème. Le ventre mou du rock anglais à cette époque. On ne gardait pas les albums, ni ceux de Man et encore moins ceux de Brinsley Schwarz. L’Andrew fait l’éloge de Rhinos Winos & Lunatics. Cipollina viendra même tourner avec eux en Angleterre en 1975. L’Andrew enregistre les concerts et sort Maximum Darkness. Il soutient le groupe tant qu’il peut. Ils s’allument avec de tonnes de dope et du serious drinking. Sur scène, Micky lance : «We may not be the best band in the world but we smoke the most dope.» «That’s a pretty fiffing epitaph», ajoute l’Andrew, «et parfois, il m’arrivait de penser qu’ils étaient le meilleur groupe du monde. They could be so good, it was scary.» Ces pages sur Man sont palpitantes. On sent bien le fan qui tartine son miel. 

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             Retour du fan en fanfare avec Feelgood ! Il commence par dire que «Wilco ne faisait pas confiance aux record companies, et il avait bien raison.» Alors ils se mettent d’accord sur la méthode d’enregistrement - It was only about the edge - Vic Maile est l’ingé-son, l’Andrew l’a déjà fait bosser sur Hawkwind, Amon Düül et Greasy Truckers. C’est aussi Vic Maile qui a enregistré le Live At Leeds des Who pour Polydor. Wilko ne veut aucune interférence - We kept it simple - Down By The Jetty sort en 1975, on s’en souvient tous comme si c’était hier. Pochette en noir et blanc, son mono. Pour l’Andrew, Feelgood, c’est le retour du beat boom. Il ne se pose pas de questions, ça va se vendre ou pas ? - J’ai toujours pensé que quelqu’un aimerait ça de la même façon que moi. Et j’ai vite découvert que je n’étais pas seul à aimer ça - Et hop ça s’accélère, la période est chaude, il évoque Stiff avec Barney Bubbles aux graphics, Dave Robinson, Jake Riviera et Nick Lowe, rien que des vieilles connaissances. Boom, le BUY1 de Nick Lowe sort en août 1976, suivi des Pink Fairies, de Roogalator, du Tyla Gang et de Lew Lewis. Le BUY6, c’est «New Rose». Pourquoi Stiff ? Parce que Stiff passe par l’Andrew pour la fab. Et bien sûr, ils ont sa bénédiction. Il rencontre alors McLaren qui lui demande si ça l’intéresse de signer les Pistols - Maybe I’m the person that can handle them - Il vient d’ailleurs de signer les Stranglers. Et comme il a déjà bossé avec Hawkwind et Lemmy, les Pistols ne lui font pas peur. Mais il réfléchit et se dit que ce n’est pas pour lui. Pourquoi ? Parce qu’il a signé les Stranglers et les deux groupes se haïssent profondément. Il rappelle McLaren pour lui dire qu’il décline, et deux jours après, les Pistols sont sur Virgin. Ainsi va la vie.

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             Après United Artists, l’Andrew va monter Edsel et Demon Records. Il commence par sortir le single de Nick Kent & The Subterraneans sur Demon, l’excellent «My Flamingo». Le premier album paru sur Edsel est The Ultimate Action, produit par George Martin. Puis il débarque chez Island, mais il sent qu’il n’a pas les coudées franches. Il explique que les Groundhogs et Hawkwind seraient impossibles chez Island. Blackwell lui demande d’aller voir Vic Goddard sur scène et de lui faire un rapport, et l’Andrew n’y va pas de main morte : «He was trying to be a crooner and simply couldn’t sing.» Pas question de le signer. Blackwell s’intéresse à des choses qui n’intéressent pas l’Andrew : Robert Palmer, Grace Jones, Spandau ballet et Blue Rondo A La Turk, «so-called purveyors of cool jazz pop». Il exprime son désaccord et bien sûr se fait virer. Il y a aussi des pages sur U2 dont on se passerait bien. Il a aussi signé les Meteors sur Island, mais ils se sont fait virer aussi sec. Allez hop, à dégager ! En gros, l’Andrew dit : «On n’est pas du même monde.»

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             Pas grave, il navigue en père peinard avec Edsel et Demon. Premier LP Demon : Dr John Plays Mac Rebennack. C’est le Demon FIEND  1. Puis il sort Clarence Gatemouth Brown, Johnny Copeland, Del Shannon, le Bigger Than Life de Lamont Dozier, et crack, il sort tout l’Hot Wax, c’est-à-dire Freda Payne, Chairmen Of The Board, Laura Lee, puis il entre en contact avec Al Bennett chez Hi pour sortir Al Green, Otis Clay, O.V. Wright et Ann Peebles. Tu vois un peu le niveau d’Andrew Lauder ? Il ressort en Angleterre tout le gratin dauphinois de la meilleure Soul américaine. Puis il sort sur Edsel l’ahurissant Frenzy de Screaming Jay Hawkins, et quand il tape dans le rock anglais, c’est pas triste non plus : The Creation, puis The Merseybeats, The Big Three, The Mojos, The Paramounts, et The Artwoods qu’il avait rencontrés à ses débuts chez Southern. Et ça explose avec le Roger The Engeener des Yardbirds, puis The Larry Williams Show. La liste est longue, il faut lire ces pages, ce sont les pages d’un fan devenu fou, ça tourne au Fantasia de Walt Disney, les balais sont des disks classiques, et ça continue avec Albert King, Major Lance, Clyde McPhatter, Rufus Thomas, Sam & Dave, puis retour en Californie chérie avec Kaleidoscope, Moby Grape, The Beau Brummels, Mad River et Quicksilver Messenger Service, which was our 200th release. Avec un mec comme l’Andrew, tu es en de bonnes mains. Sur Demon, il sort Robert Cray et pour lui les deux albums du grand Robert - Bad Influence et False Accusation - «are amongst the highlights for me at Demon». Et ça continue avec les Long Ryders, The Dream Syndicate, Green On Red et bien sûr The Rain Parade. Wham bam thank you Laud ! 

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              Puis arrive le chapitre Silvertone et donc les Stone Roses - When they were good, they were very good, but at times they were awful - Il aura ensuite le privilège de rater Sonic Boom. Il avait voulu signer Spacemen 3, mais le groupe battait de l’aile à l’époque. L’Andrew réussit toutefois à sortir Spectrum. Puis nouveau label : This Way Up, avec The Tindersticks et puis Redd Kross, c’est dire si l’Andrew a le bec fin. Il sort Phaseshifter en 1993. Pour lui, Redd Kross a dix ans d’avance sur les autres. Wham bam ! Il réussit même à les faire tourner en Angleterre, alors t’as qu’à voir ! Puis il monte Cello Recordings et sort des gens comme Jerry Boogie McCain et Beverley Guitar Watkins, rien que des superstars méconnues. L’Andrew rappelle que Beverley Guitar Watkins, dont on a fait grand cas inside the goldmine, a accompagné Ray Charles et B.B. King. C’est encore l’Andrew qui sort More Oar, l’extraordinaire tribute à Skip Spence. Et sur un nouveau label de red nommé Acadia, il sort une centaine de CDs, dont les Sir Douglas Quintet, Hot Tuna, Jorma Kaukonen, Sons Of Champlin, les Charlatans et bien sûr Kaleidoscope. On en revient toujours à Kaleidoscope. Evangeline, c’est encore lui. Mais comme c’est dur à vendre, il arrête les machines en 2008, quitte le Devon et part s’installer dans le Sud de la France, à Seillans, dans le Var. Il vend du vin et des produits locaux. Il a aussi un petit rack de CDs - Je n’irai pas stocker des choses que je n’aime pas, aussi les clients ne trouveront chez moi que Del Shannon, The Artwoods, Jefferson Airplane ou Howlin’ Wolf». Il a démarré avec Wolf et il finit avec lui.

             Il continue cependant de fouiner : il dit adorer «Jason Isbell, Drive-By Truckers, and Wilco and a lot of harder to find stuff. It’s mostly country that’s rough around the edges and steeped in rock’n’roll.» Il a découvert Turnpike Troubadours et American Aquarium.

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             La chute est spectaculaire, c’est un vieil homme qui s’exprime : il cite le nom de Chris Knight qui était un ami de John Prine - Il sonne comme un vieil homme très en colère. On le décrit comme le dernier d’une lignée mourante. Je m’identifie à ça. Quand on est mordu par la musique, on ne peut plus rien faire. J’étais au départ a music fan et j’ai fini par en vivre. Mais maintenant, ça appartient au passé - Andrew Lauder ! Fascinant personnage. Fascinant book. Fascinante époque. Merci Andrew pour ce big book qui d’une certaine façon te réconcilie avec la vie, enfin ce qu’il en reste.   

    Signé : Cazengler, Andrew Lourdaud

    Andrew Lauder. Happy Trails: Andrew Lauder’s Charmed Life And High Times In The Record Business. White Rabbit 2023

    Can. Monster Movie. Liberty 1970

    Canned Heat & John Lee Hooker. Hooker ‘N Heat. United Artists 1971

     

     

    L’avenir du rock

     - Muddy Gurdy manne

    (Part Three)

             Tout compte fait, l’avenir du rock adore errer dans le désert. Il y hallucine plus que dans la vie normale, alors il ne va pas s’en plaindre. Au contraire. C’est même un luxe que beaucoup de gens lui envieraient, s’ils savaient. Notre erreur dans le désert vient de contourner une grande dune et il tombe soudain sur trois personnes alignées côte à côte, au milieu de nulle part. Pour ajouter à l’incongruité de la scène, ils sont tous les trois étrangement vêtus. Surmontant sa stupéfaction, l’avenir du rock s’approche du plus petit, un moustachu basané aux cheveux crépus, vêtu d’un costume gris anthracite et d’une cravate, et demande :

             — Que faites-vous là ? Vous attendez le déluge ?

             — Non ! Nous attendons li Tigévé Muddy Pylinées di 14 houls 15 !

             Intrigué, l’avenir du rock ne pense même pas à lui demander s’il a quelque chose à boire.

             — Je vous ai déjà vu quelque part !

             — Yé souis Muddy Ben Balka ! Citte crapoule d’Hassan y m’a jité dans li disert !

             — Et lui, à côté... Je connais cette gueule d’empeigne...

             L’homme porte un chapeau et un manteau noir, par soixante degrés à l’ombre. Il fixe l’horizon de ses gros yeux liquides, et de sa bouche ouverte coule un filet de bave. Muddy Ben Barka reprend, mais en chuchotant : 

             — Ci M li Muddy, y vous dila pas un mot. L’est mouet comme oune calpe di l’Oued !

             L’avenir du rock est soufflé de rencontrer Peter Lorre en plein désert. Quant au troisième personnage, c’est encore autre chose : il est assez jeune, coiffé d’une frange épaisse et vêtu d’un costard rouge vif très moulant. L’avenir du rock s’excite soudain :

             — Mais je vous reconnais ! Vous êtes Ronnie Bird !

             Ronnie se met alors à chanter :

             — Vous avez l’air heureux/ Après tout ça m’est bien égal/ On dit qu’entre vous c’est sérieux dans ce muddy journal !

             — Ah Ronnie comme ça fait du bien d’entendre ce Muddy Journal dans le désert ! Hey Ronnie, c’est qui ton groupe préféré ?

             — Les Muddy Blues ! Et toi, avenir du rock ?

             — Muddy Gurdy !

             — Ah c’est des babs ?

             — Non c’est des Bibs !

     

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             Ça fait du bien de voir redébarquer Muddy Gurdy. Comme on connaît tout leur set par cœur, on se contente de savourer chaque seconde de leur présence. L’attention se concentre essentiellement sur Tia. Cette fois encore, on a l’impression qu’elle a «progressé», que sa voix est plus black, plus gospel-black. Quand elle descend dans les profondeurs de «Down In Mississippi», elle réussit à atteindre le fond du désespoir black, tel que l’exprimait J.B. Lenoir. Elle est fabuleusement juste et fascinante d’intégrité, si l’on part du principe que J.B. Lenoir est l’un des artistes les plus purs du cheptel sacré, par la qualité de sa voix et par la force de son engagement : nul mieux que J.B. n’a su chanter le traumatisme causé par le racisme des blancs dégénérés.

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    Ce n’est pas non plus un hasard si Tia tape plus loin dans le «Strange Fruit» de Billie Holiday, elle semble avoir pris fait et cause pour les pauvres nègres que les blancs s’amusaient à pendre haut et court. Plus aucune trace de Jessie Mae Hemphill dans son set, dommage, car Jessie Mae est au cœur de sa mythologie. Dans le petit article que consacre Soul Bag à Jessie Mae, Tia dit avoir récupéré des objets lui ayant appartenu, dont apparemment une guitare. L’occasion ne s’est pas présentée d’en parler avec elle après le concert. Dommage. Sur scène, Tia porte une petite robe noire, qu’elle doit souvent ajuster, car le haut glisse sur sa poitrine. Entre chaque cut, elle parle un peu aux gens, et tripote le gris-gris qu’elle attache au micro. Elle fait son vieux «Black Madonnas» et l’excellent «Boogie/Bourrée» qu’elle base sur une théorie : boogie et bourrée auraient des racines communes, et ce genre de subjectivité plaît infiniment à un public visiblement acquis, puisque constitué essentiellement des fans de la première heure.

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    Tia et ses deux amis parviennent comme chaque fois à faire décoller l’énorme hydravion d’Howard North Mississippi Country Blues, et une fois décollé, la carcasse vrombit de tous ses moteurs, pulsé par les basses de la vielle électrique et allumé en pleine gueule par les plans boogie hérités d’Hooky et de Fred McDowell que Tia gratte sur son Epiphone. Dans ces moments d’extrême power, Muddy Gurdy rivalise de sauvagerie contenue avec les géants du genre, à commencer par les North Mississippi Allstars. L’autre smash n’est autre que le «Skinny Boy» de R.L. Burnide, pareil, boogie down in the face, claqué sévère par Tia et pulsé par les basses de la vielle, dans un savant mélange d’osmose et d’alternance, qui rappelle le freakout du «Snake Drive» des North Mississippi Allstars. Encore un joli coup avec le «Chain Gang» de Sam Cooke où elle sort d’une manche qu’elle n’a pas les meilleurs accents gospel.

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             On en finirait plus de chanter les louanges de Tia Gouttebel. En marge de Muddy Gurdy, elle enregistre de temps en temps des albums solo captivants. Le dernier en date s’appelle Lil’ Bird. Elle y tape quelques covers, dont deux cuts signés Don Cavalli ! Elle monte bien «Black Coal», elle va le chercher pour lui rendre hommage, elle jette toute sa niaque dans la balance et cavale sur l’haricot du Cavalli. Le deuxième s’appelle «No Friend No Love», elle l’épouse au plus près. Ces deux cuts ne sont sur aucun des albums de Don Cavalli, pour la simple et bonne raison qu’il les lui a offerts. Avec «Serial Cooker», elle distille des finesses perchées de kingdom. C’est d’une beauté tutélaire, Tia est une artiste complète, hey sugar, et elle relance ! Elle revient aussi à sa chouchoute, Jessie Mae Hemphill, avec «Lord Help The Poor & Lonely». Une flûte Peule la suit. C’est fabuleux de rising sun. Elle refait tout le boulot de Junior Kimbrough, du Mali au Mississippi. C’est très pur, vraiment chanté à la revoyure, superbement hanté par la flûte et les percus. Elle tape son «Mississippi Scream» d’ouverture de bal au Missip stomp. En plein dans l’esprit. Elle est dessus au pur jus d’esprit pur. Avec son morceau titre, elle charge fantastiquement la barcasse. Elle joue au plus près de la vérité, elle est dans l’authenticité. Le beurre, c’est Francis Arnaud, il bat dans la baratte. Avec «Sweet Lotus Blossom», elle fait son Tav Falco, au cha cha cha de la rue de la Lune. Et comme la polyvalence n’a plus de secret pour elle, elle finit avec l’«El Paso Rock» de Long John Hunter qui fut jadis arraché à l’oubli par Billy Miller, sur Norton. Rien de révolutionnaire, juste du good jiving d’El Paso, un shuffle d’orgue assez manic. Belle démonstration de force. 

    Signé : Cazengler, maudit gourbi

    Muddy Gurdy. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 3 février 2024

    Tia Gouttebel. Lil’ Bird. Not On Label 2017

     

     

    Inside the goldmine

    - D’Angelo Biafra

             Quand on entrait chez Angelou, on avait clairement l’impression d’entrer dans un autre monde, un monde chargé de mystère et de danger. Vue de l’extérieur, cette maison paraissait petite, construite de bric et de broc, mais une fois à l’intérieur, elle paraissait immense. On arrivait dans une espèce de cuisine trash. Sur la gauche se trouvaient deux portes fermées, sans doute des chambres, et sur la droite s’étendait un espace mal éclairé, très bas de plafond, qui semblait très profond. Sur de très longs canapés en simili-cuir gisaient des corps, beaucoup de corps, oh une bonne dizaine. Ces gens dormaient-ils, étaient-ils sous l’emprise de drogues ? On entendait une musique un peu diffuse - Shiny shiny shiny boots of leather - et après avoir fait le tour, le regard revenait se porter sur Angelou qui trônait derrière sa table de cuisine, en compagnie de sa compagne et de quelques adolescents. Angelou devait mesurer deux mètres et peser deux cents kilos. Un buisson de broussailles couvrait sa grosse tête ronde et des lunettes à fines montures lui donnaient l’allure d’un barbare converti au christianisme. Il parlait d’une voix bourrue à la Michel Simon. Il t’indiquait une chaise - Tiens pose ton cul ! - et te remplissait un grand verre à bière d’alcool pur - À ta tienne ! - C’était le verre de bienvenue. Sa façon de t’accepter chez lui. Mais tu devais surveiller tes propos, car tu n’appartenais pas au cercle rapproché. Angelou était le petit frère d’un très bon ami et c’est en tant qu’ami de son frère qu’il m’acceptait. Entrer chez Angelou, c’est la même chose que d’entrer dans un pays en guerre avec un passeport. Tu prends tes risques, personne ne te force à les prendre. La conversation se mit à rouler - Roule ma poule ! - Angelou brandissait sa bouteille - Vide ton verre ! - Il était extraordinairement drôle, il était même irrésistible, mais il fallait se forcer pour rire, car la tension restait palpable. Angelou hébergeait des dealers - Tout ce que tu veux ! - et prenait des commandes de contrats. Les heures passaient. Angelou monologuait. Sa compagne et les ados grignotaient des morceaux de pizza froide et ne disaient rien. La mauvaise ampoule accrochée au-dessus de la table se reflétait dans les verres de ses lunettes. Et au moment où t’y attendais le moins, il te demandait ce que tu voulais. Payable d’avance. Cash. Tu venais du néant, tu croisais Angelou et tu retournais au néant.   

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             À la différence d’Angelou, D’Angelo n’habite pas une petite maison, mais probablement un palais. Et plutôt que de groover le néant, D’Angelo groove la modernité. On le présente généralement comme la tête de pont de la néo Soul. Il se caractérise surtout par une phobie des médias et une discographie assez maigrichonne. Quand les médias voulurent faire de lui le nouveau sex symbol, il disparut pendant quinze ans, un peu à la manière de Sly Stone. Bon, on trouve comme d’habitude tous les détails dans wiki, alors passe le bonjour à wiki. Le plus simple, pour prendre la mesure du génie D’Angelo, c’est encore d’écouter ses trois albums.

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    Et surtout de commencer par le troisième, Black Messiah, car c’est une façon directe de renouer avec la modernité, comme on le faisait au temps où on écoutait Funkadelic ou Sly & The Family Stone. Black Messiah est un chef d’œuvre d’ultra-modernité, tiens commence par sauter sur «The Charade», tu verras D’Angelo partir de biais, c’est son truc, le biais, il réécrit en même temps le dictionnaire des élégances. S’il tape de biais, c’est au power pur, il fait une Soul mal famée qui est, comme chacun sait, l’apanage de la modernité. Il enchaîne avec une autre merveille biaisée, «Sugah Daddy», il va loin, bien au-delà de toute expectitude, il va chercher des noises à la noise avec une dextérité qui laisse pantois, et c’est peu dire. Le festin se poursuit avec «Really Love», gratté à la bloblote manouche, il indique la direction du futur de la Soul, il tape ça de biais, forcément, il plonge la tête de sa Soul dans la baignoire de la modernité. Ce n’est pas fini ! Voici «Back To The Future (Part 1)», just wanna go back/ Baby, il se montre encore une fois incroyablement délicat. Merci de ne pas faire l’impasse sur l’«Ain’t That Easy» d’ouverture de bal, c’est un heavy groove de complication pulmonaire, mais c’est bien, c’est même transgressif, la Soul ne va pas bien, mentalement parlant, elle part à l’envers. Fantastique coup de weird ! «1000 Deaths» entre dans la même catégorie, D’Angelo vise l’experiment du Sound System, c’est merveilleux et incongru à la fois. Tout sur cet album pue la modernité. Gawd, quel est donc ce génie moderniste ? Il invente le biseau du biais, il provoque la surprise en permanence, il faut vite se conformer à sa modernité. Encore une fantastique expression de l’immanence de sa prestance avec «Prayer», on peut même parler de prescience orbitale - Lawd keep me away/ From temptation - D’Angelo repousse les frontières. Il vire jazz avec «Betray My Heart», il jazze dans la java, il vise l’atonalité de l’antithèse et pour finir, il nous plonge dans un stupéfiant groove d’after modernity avec «Another Life», à coups de notes de piano atonales et de chant impubère. Il répand sa lumière sur l’assemblée des apôtres, c’est tordu et tellement beau, bien gluant, avec du sax. On y reviendra. 

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             Son premier album date de 1995. Il s’appelle Brown Sugar et s’est vendu à des millions d’exemplaires, ce qui n’est pas forcément un bon critère, en ce qui nous concerne. Par ici, on se méfie des grosses ventes comme de la peste. Par chance, l’album est bon car il s’y niche une première trace de cette modernité qui va éclore comme la rose dans Black Messiah. Le cut s’appelle «Jonz In My Bonz», D’Angelo l’embarque au groove organique, avec des bulles et des infra basses. C’est violemment beau. Ce mec a beaucoup d’avance sur son époque. Si on en pince pour le groove, alors il faut écouter «Alright», monté sur un heavy bassmatic, D’Andelo pointe du nez, that’s alright, il chante à la diaphane, il crée son monde, avec ce groove bien coloré. Encore du groove de rêve avec «Cruisin’», il va closer & closer oooh babeh dans le velours de l’estomac pour faire du groove renversé, cruisin’ togethah, il se coule dans son caramel. Il tape «Me & Those Dreamin’ Eyes of Mine» à la voix d’ange de miséricorde, il cueille sa Soul au menton avec une douceur surnaturelle, il groove son smooth. Justement, le voilà le «Smooth», il le travaille au son liquide, avec un vague relent de tatapoum, il semble rôder autour de son groove. Ah on peut dire qu’il se passe des choses intéressantes chez D’Angelo. Il faut aussi le voir chanter son morceau titre à l’évaporée. Il tape «When We Get By» à la glotte liquide, ce mec est un grand amateur de fluides. On garde le meilleur pour la fin, un «Higher» qui n’est ni celui d’Yves Adrien, ni celui de Sly, c’est un autre Higher, bien liquide, une fois de plus. Ça peine à s’élever, malgré les chœurs de gospel qui voudraient bien monter au ciel, mais D’Angelo semble vouloir les en empêcher avec ses harmonies tordues. On assiste à ce conflit impuissant. Il continue de titiller sa musique liquide, mais au bout d’un certain temps, ça ne réagit plus. Le groove ressemble à une nouille molle, malgré de spectaculaires relances. Alors il tape un chant d’harmonies de biais et ça donne le gospel moderne. 

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             Effectivement, wiki a raison, 14 ans séparent Voodoo (paru en l’an 2000) de Black Messiah, salué juste au-dessus. Alors Voodoo ? Oui, mille fois oui, rien que pour «Playa Playa», ce pur jus de voodoo trance, le groove d’hard fuck Angelique, un monde à la David Lynch, groove de la mort à la Nouvelle Orleans - Sailor & Lula - petite balade dans l’au-delà, tu flottes un moment dans la mort et tu reviens à la vie alors que tu n’as rien demandé, fuck, D’Angelo, burry me ! Groove liquide, presque nauséeux, l’un des pires de l’histoire du groove. D’Angelo te fond dessus comme l’aigle sur la belette, son «Devil’s Pie» n’est rien d’autre qu’un real deal, heavy as hell et avec «Left & Right», il passe directement à l’apanage du Black Power, et pour ça, il ramène les rappers Method Man et Red Man, du coup, ça vire rap de destruction massive, t’as intérêt à planquer tes abattis, c’est puissant, ça balaye les blancs dégénérés. On le voit ensuite prendre sa voix d’entertainer de miséricorde pour entonner «The Line». Il ooouuuhte sa Soul léchée par des vagues, c’est du groove expurgé, mais dans les pattes de l’Angelo, ça devient du prurit suprême, l’essence même du groove liquide, il te le chante dans la bouche, il va là où personne n’est encore allé. Retour à la modernité avec «Chicken Grease», un groove africain de la meilleure auspice, il en fait du lard moderne avec des chickens vieux comme le monde. Le festival se poursuit avec un «One Mo’ Gin» quasi hendrixien, voodoo baby, pur jus de heavyness hendrixienne, sans doute la suite météorique de «Voodoo Chile», il va chercher du sens, et comme si tout cela ne suffisait pas, il va encore titiller la modernité avec «The Root», une heavy Soul d’incongruité patente, jouée en mode colimaçon, d’où cette impression d’effroyable modernité, perlée d’éclats de voix diaphanes, D’Angelo travaille pour le compte de l’avenir, il allume des petits brasiers de voix ici et là, dans la plaine d’un Sahel de Soul aride. S’il décolle les voix du son, c’est sûrement volontaire. Avec «Feel Like Making Love», il passe à la petite heavy Soul de plainte non formulée. Il chante dans le blanc d’œuf, c’est très éclectique, il prend prétexte du touch me pour chercher la petite bête, mais il veille à rester en suspension d’un bout à l’autre. Il cherche probablement à faire de l’enrobé surnaturel. Il finit cet album extrêmement riche avec «Africa». Il va chercher l’esprit là où il se trouve. Son groove met parfois du temps à trouver ses marques.

    Signé : Cazengler, Dangelopette

    D’Angelo. Brown Sugar. EMI 1995 

    D’Angelo. Voodoo. Virgin 2000

    D’Angelo And The Vangard. Black Messiah. RCA 2014

     

     

    Dans les griffes de Gruff

     - Part Two

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             Dans Mojo, Keith Cameron qualifie les Super Furry Animals de «tank-driving, melancholic-psychedelic-powerpop rave machine». Pour le ceusses qui ne le sauraient pas, les Furry se firent photographier à une époque aux commandes d’un char d’assaut, pour faire la une du NME. Si un groupe sait passer en force, c’est bien les Furry. Avec les Boo, ils sont le plus grand groupe pop anglais de la seconde vague. Pour eux, c’était assez génial d’être signés par Creation, étant donné qu’ils avaient grandi en écoutant les groupes signés sur Creation, notamment les Boo - Creation had the right attitude, dit Gruff Rhys à Jamie Atkins - Les Furry débarquent chez Creation à l’époque où le label devient complètement crazy, à cause d’Oasis. Trop de blé, trop de drogues. À cette époque, l’un des membres du staff de Creation a pour mission d’organiser des parties - It was insane - Surtout pour les Furry qui n’avaient pas de ronds pour se payer un verre et qui tout à coup peuvent boire à volonté. Mais toutes ces insanités hédonistiques restent ancrées dans la musique, et c’est ce qui plaît à Gruff - It was all about the music - Il avoue aussi une énorme frustration : the frustration of not making full futuristic music. Il se trouve trop conventionnel, trop mélodique - I wanna make music and songs that are about progress and the future - Mais bon, ce qu’il fait nous convient très bien.

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             Dès leur premier album paru en 1996, les Super Furry Animals se jettent dans les extravagances. Fuzzy Logic est une mine d’or - A psych-pop wonderland - Impossible de résister à «God Show Me Magic» mené au push des Stooges et des Welsh, assaut frénétique, puis ils enchaînent avec la triplette de Belleville, «Something For The Weekend», «Frisbee» et Hometown Unicorn», avec ça ils recréent la magie de Brian Wilson et des Beatles, Gruff veille à l’énormité du son, ça doit égaler Brian Wilson, alors ça égale, et puis tu as «Frisbee» balayé par des vents de génie rock, il n’existe rien d’aussi explosif en Angleterre, puis la heavy pop de l’Unicorn ravage tout, la magie s’additionne à la magie et on voit s’élever une tour de Babel pareille à celle de Breughel l’Ancien. Gruff chante «If You Don’t Want Me To Destroy You» avec des accents de Ray Davies. Rassure-toi Ray, la relève et assurée. Ils amènent «Bad Behaviour» au big bad bad, c’est un heavy rock à l’Anglaise fouetté dans la tempête des Cornouailles et puis tout explose à nouveau avec «Mario Man» doté d’un killer solo flash. Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà-t-y pas qu’ils éclatent «Hanging With Howard Marks» aux pires power chords d’Angleterre, des blasters encore plus puissants que ceux de Steve Jones, et Gruff arrive là-dessus comme une rock star, ça gratte à la cocote épaisse, c’est congestionné de son. Voilà de quoi sont capables les Furry, de ce type d’extravaganza. Il pleut du son comme vache qui pisse. Gruff fait comme Teenage, mais au lieu d’envoyer les cornemuses, il envoie les guitares et ça donne le même effet dévastateur. Ils terminent avec «For Now And Ever», un heavy slow rock demented. Gruff semble réinventer le rock anglais, en tous les cas, il lui donne une nouvelle dimension, c’est du big stomp d’after glam chanté au ah ah ah ah. Ce n’est rien, vraiment rien, de dire que ces mecs ont du génie. Frappé par l’éclat de cet album, Jamie Atkins parle d’un «kind of screwbal, hopped-up take on psych power-pop with a drop or two of melancholy acid-floating on the surface».

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             Les Super Furry Animals resteront un mystère. On ne gardait pas un grand souvenir de Radiator et pourtant c’est un very very very big album, déjà rien que pour ces quatre énormités que sont «Play It Cool», «Torra Fy Ngwallt Yn Hir», «Bass Tuned To Dead» et «Mountain People» - No finer place to visit - Oui, ils sont capables de mettre le power en balancement, comme les Pixies, ils sont de véritables pourvoyeurs de pépites, d’ailleurs avec «Torra Fy Ngwallt Yn Hir», ils sonnent comme les Pixies, mais sans le faire exprès, ils jouent plein vent. Le «Bass Tuned To Dead» qui suit est passionnant, ils jonglent avec les prototypes, ils challengent les modèles et chaque fois, c’est admirable, comme chez les Pixies. Leur «Mountain People» vaut bien Big Star, mais sans prétention. Les Gallois veillent à garder les distances de la grâce. «Mountain People» sonne comme une merveille inexorable. Ils font du Big Atmopherix avec «Down A Different River». C’est amené au doux d’acou. Les Furry sont des génies du son, ils descendent dans l’effet de son, c’est pushé aux wild guitars, mais maîtrisé, il faut imaginer une descente de puissance inexorable, c’est un chef-d’œuvre bien intentionné. Ne perdons pas ces gens-là de vue. Ils sont les rois du climax. Tiens, encore une petite merveille : «The International Language Of Screaming». Quelle énergie ! C’est convaincu d’avance. Il faut les voir claquer leur chique. Ils ne font que des cuts irrépressibles, «Demons», «She’s Got Spies», encore des climats superbes, ils te coupent la chique à chaque instant, ils calment le jeu avant de gerber sur le rock anglais, et les gerbes sont spectaculaires. Ils amènent «Herman VS Pauline» à la big energy, au stomp de règlement de compte. Absolute stomp de beginner, ils jouent avec les idées, ils ont toujours du son. Ils se jettent dans le trash-punk du Pays de Galles avec «Chupacacabras» et rivent encore un clou. 

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             Toujours sur Creation, l’album suivant s’appelle Guerrilla et comme son prédécesseur, il grouille littéralement de coups de génie. Tiens on va en épingler trois : «Do Or Die», «Night Vision» et «The Teacher». Ils sont tous les trois bien claqués du beignet Welsh et tu prends tout de suite le «Do Or Die» en pleine poire, les Furry sont les rois du rock, ils taillent la route et peu de groupes sont capables de rivaliser avec cette violence épique. Tout aussi demented, voilà «Night Vision». C’est puissant et sans retour, comme la rivière du même nom. «Night Vision» est une merveille d’ultra-maximalisme, doté d’un beau retour en enfer. Avec leurs guitares et «The Teacher» ils s’en vont exploser la pop anglaise. C’est exactement ça : explosif. Avec un bouquet faramineux de la la la, mais il faut imaginer un la la la démesuré. Leurs power chords sont les meilleurs d’Angleterre. Aucun groupe n’est capable de produire une telle allégresse. Ils plongent encore dans la pop avec «The Turning Tide». Ils sonnent comme une révélation permanente et ça continue avec l’exotica de «Northern Lites», ils ont en plus cette capacité à déconner. Cette fois, on est obligé de raisonner en termes de musicalité, ils montrent une stupéfiante maîtrise des tenants et des aboutissants. Ils terminent ce bumping ride en fanfare avec «Keep The Cosmic Trigger Happy», mais Gruff le chante à l’heavy pop. Diable, comme ce mec peut être brillant !    

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             Paru en 2001, Rings Around The World est tout bêtement un album hommage à Brian Wilson. Pour au moins deux raisons : «It’s Not The End Of The World» et «Presidential Suite». Gruff amène le premier au wouahhh wouahhh. Ce mec se comporte comme un alchimiste, il transforme tout le plomb de la pop en or, fucking alchimiste, «It’s Not The End Of The World» est l’un des hits que Brian Wilson n’a pas écrit. Gruff le monte au chant d’it’s not, et il redéploie sa connaissance de Brian Wilson dans «Presidential Suite», il tape exactement dans le même univers de pureté évangélique. Dans le fond du son, des trompettes indiquent que la voie est libre, alors cap sur le firmament ! Gruff chante avec bonhomie, il offre là un exercice de mimétisme spectaculaire. Le festin se poursuit avec «Sidewalk Surfer Girl». Gruff s’y connaît en surfer girls, il a écouté tous les bons albumz de Brian et de ses frères. Sa pop coule comme du miel dans la manche. S’ensuit un hommage au Velvet : «(Drawing) Rings Around The World». C’est en plein dedans. C’est exactement la même énergie. On croit rêver. Ils passent à la pop sensitive avec «Respectable». Les Furry sont des surdoués, ils tapent dans tous les genres avec un égal bonheur. Ça ne te rappelle rien ? Oui, bien sûr, le White Album. Ils défraient encore la chronique avec «Juxtapozed With U». Gruff taquine sa muse et se prélasse dans l’effarance de l’excellence. Il groove le juxta/ pozed au mieux du groove paradisiaque qui est en fait la griffe de Gruff. Il fait danser les anges de Juxta. On ne croise pas tous les jours ce genre de merveille immaculée. Il s’abreuve encore à la fontaine de la jouvence pop pour «Run Christian Run». Il fait cette fois du pur Neil Young, un nouvel exercice de mimétisme éblouissant. Rings Around The World aurait dû bouffer la tête des charts, malheureusement sont arrivés en même temps le Strokes (Is This It) et le White Stripes (White Blood Cells). Gruff raconte à Shindig! qu’ils voulaient à l’époque enregistrer un over the top, over-ambitious album. Rings Around The World sera élu album of the year par Mojo en 2001.

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             Le problème avec le Furry c’est qu’ils ne font que des very very very big albums. Inutile de rêver, tu ne trouveras pas un seul mauvais album chez eux. Mwng fait partie de ces bombes dont seuls les Anglais sont capables, full of rustic melancholic beatitude. Tu es balayé dès «Drygioni». Ces Gallois sont bien plus puissants que ne l’ont jamais été les Manic. Leur pop-rock est violente et belle à la fois. Par contre, inutile de vouloir mémoriser les titres des cuts, tout est en Gallois. S’ensuit un «Ymaelodi Â’r Ymylon» bien ravagé par des montées de fièvre. Non seulement ce rock sonne comme un violent pied de nez à l’Angleterre, mais les Furry sont en plus de fiers dadaïstes. Leur booklet est blanc, on ne comprend rien à cette langue, mais la musique est un monde en soi, presque un appel à l’insurrection. C’est pourquoi il faut les écouter. Ils font de la heavy pop sur pieds palmés et elle avance au ouh-ouh-ouh. À la question : les Furry sont-ils solides ?, la réponse est oui. Ils enfilent les hits comme des perles, ils ont un sens de l’énormité qui nous dépasse. Comment peut-on imaginer que des paysans gallois puisent détrôner les rois du rock anglais ? En fait, Gruff ne fait que rendre hommage aux Beatles, mais avec son énergie. Ces mecs ont tellement de son, c’est hallucinant ! Plus on avance dans cet album et plus on s’en effare. On peut parler de violence du génie. Gruff chante d’ailleurs sa folk («Nythod Cacwn») au sommet de son mystérieux génie. Tout est très dense dans cet album, ils avancent dans «Pan Ddaw’r Wawr» à marche forcée, aux chœurs de fraternité. Puis ils attaquent «Ysbeidiau Heulog» à la jugulaire et là les Furry deviennent très violents. Quoi qu’ils fassent, ils restent fascinants, ils tapent dans des registres inconnus, ils naviguent aux frontières d’un Dada gallois. Qualifions ça de big Furry. Ils ont toutes les audaces et ils sonnent juste à chaque fois, c’est du grand art. Encore une violente poussée dans «Sarn Helen», un chef-d’œuvre de Big Atmospherix et ils embouchent la trompette de Miles pour lancer «Gwreiddiau Dwfn». Gruff sait les choses. Il fait de la magie. Il chante d’ailleurs dans une langue de magicien. Merlin est d’origine galloise.

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             Encore une rude épreuve avec Phantom Power, pondu en 2003. Si on cherche les œufs d’or, il faut aller directement sur le 9, «Out Of Control», bim bam boom, on n’avait encore jamais entendu une intro aussi hargneuse, même chez les Stooges. Ils font ici le big pam pam pam du Pays de Galles. Ça grouille encore d’énormités sur cet album, par exemple le power immédiat d’«Hello Sunshine», ou encore cette façon de chanter la pop avec un bonheur inégalé («Liberty Belle»), et puis voilà une vieille dégelée monumentale en forme d’heavy boogie Furry, «Golden Retriever». Plus loin «Father Father #1» décolle tout seul. Gruff a trop écouté les Beatles, sa pop retombe toujours sur ses pattes. Avec chaque cut, il ramène des tonnes de son et d’excellence, les guitares virevoltent dans la mélodie chant («Valet Parking»), les coups de guitare sont des sommets du genre avec un Gruff posé au sommet comme la cerise sur le gâtö. Dans «Slow Life», on entend de faux accents de Martin Carr qui lui même a de vrais accents de Liverpool, une ville qui a de faux accents de John Lennon. Cette lignée d’excellence n’en finira donc jamais ? Gruff déconne avec ses cuts, mais quand il ramène du son, ça redevient le Furry Power, une sorte d’iceberg immergé dans le néant de la modernité. 

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             En 2005, les Furry calment leur fureur avec Love Kraft. Ils se contentent juste de surpasser CS&N avec «Ohio Heat», ils s’américanisent juste comme ça, pour rigoler - Ohio heat/ Sweet as sugar from a beet - Mais ils n’ont rien perdu de leur Super power comme le montre «Atomik Lust». C’est le vrai power de la pop, le grand tentateur, serti d’un solo bien gaga d’effarance. En fait cet album est farci comme une dinde froide de Beatlemania, la musique des Furry reste égale à elle-même, c’est-à-dire une pop d’une richesse extrême montée sur des architectures soniques héroïques. Ils ne lésinent pas sur la grandiloquence, mais diable comme c’est beau. Avec cet album, ils vont plus sur la Beatlemania de la fin. Gruff continue d’abuser de toutes les libertés que permet la construction mélodique («Walk You Home»), il dote son «Frequency» de mélodie chant et de climats sonores exceptionnels - Take another leaflet/ From ths stand - Même les instros ont fière allure («Oi Frango»). Avec «Back On A Roll», Gruff reste dans cette perfection de la pop digne du White Album, histoire de se montrer classique jusqu’au bout des griffes.          

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             Si tu écoutes Hey Venus, mets un casque. Car tu es aussitôt bombardé. Ces mecs sont les rois du bombing. Et voilà qu’ils font du Spector avec «Run-Away». Saluons l’avènement de la heavy pop du Pays de Galles ! C’est même carrément du Brill Spectorish. Ces Gallois ont plus de rémona que n’en ont jamais eu les cadors du Brill. Ils ont le Super Power, ils ont la Furry pop, ils montent même dans des crans insolubles. Et boom, voilà que ça explose avec «Show Your Hand», ils mènent chaque cut à la victoire, chez eux c’est une manie. Ils sont dans l’expression du génie pop. Ils restent dans cette énergie extraordinaire avec «Neo Consumer». Ils ne se connaissent pas de limites. Si on en pince pour la pop, franchement, c’est eux qu’il faut écouter. Gruff part dans tous les sens et chaque fois, il est bon, car il ramène aussi du son. Avec «Into The Night», c’est le bassmatic qui passe en tête et Gruff fait une Soul de haut du panier avec la sauvagerie d’un petit branleur. Il passe même un solo de disto. Et ça continue avec «Baby Ate My Eightball», une nouvelle énormité cavalante, Gruff s’amuse, il plane all over the sound, il mélange le beat r’n’b avec le trash Welsh. Les Furry ne vivent décidément que pour la beauté du geste, comme le montre encore cette merveille, «Suckers», ils développent une fois de plus une ampleur spectaculaire, et on s’inquiète pour les concurrents, car aucun groupe ne peut rivaliser avec un tel faste, en Angleterre. Pas de doute, les Furry sont bien les héritiers des Beatles, la preuve avec «Battersea Odyssey». Ils s’inscrivent dans la lignée du power de John Lennon, c’est la même énergie. Les Furry réinventent en permanence ce vieux mythe qu’est l’excellence de la pop anglaise. Bien sûr, les lyrics sont imprimés en rouge sur un fond bleu primaire pour qu’on ne puisse pas les lire. 

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             Le dernier album des Furry date de 2009 et s’appelle Dark Days/Light Years. Pas de coups de génie là-dessus, mais trois raison d’espérer des jours meilleurs, la première étant «Inconvenience», le glam de Gruff, joué avec une telle énergie que ça dépasse le glam, ça pleut de partout, ça va ça vient entre les reins, sur un beat de rêve. La deuxième raison d’espérer s’appelle «Cardiff In The Sun». Gruff s’y positionne comme l’héritier de Brian Wilson, alors on l’écoute religieusement. T’es vite embarqué avec les guitares. Ce mec Gruff peut déclencher des agapes et transcender le génie pop. Il revient à son penchant pour les vieilles dégelées avec «White Socks/ Flip Flop». Il fait flip-flopper ses white socks et on danse le jerk. Quelle allégresse ! On le voit aussi ramener du stomp dans son Mountain («Mt»), mais pas n’importe quel stomp : le vieux stomp de Carter The Unstoppable Sex Machine. Les Furry sont fiables à 100%. Chaque cut est une aventure, du vrai Jules Verne du Pays de Galles. Ils sont moins virulents qu’au temps des grands albums mais d’une présence indéniable. Tu veux de la pop ? Tiens voilà «Inaugural Trans». Gruff n’est pas avare, il te donne toute la belle pop dont tu peux rêver. Il part toujours au quart de tour comme le montre encore «Where Do You Wanna Go». Ce Big Boss Man ne traîne pas en chemin. Il reste à l’affût. Il mène sa meute de pingouins. Sa pop file toujours droit vers un horizon de carton pâte et il fait tout pour brouiller les pistes. Alors chacun se débrouille pour démêler l’écheveau référentiel.

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Super Furry Animals. Fuzzy Logic. Creation Records 1996  

    Super Furry Animals. Radiator. Creation Records 1997

    Super Furry Animals. Guerrilla. Creation Records 1999    

    Super Furry Animals. Rings Around The World. Epic 2001

    Super Furry Animals. Mwng. Placid Casual Recording 2000

    Super Furry Animals. Phantom Power. Epic 2003 

    Super Furry Animals. Love Kraft. Epic 2005           

    Super Furry Animals. Hey Venus. Rough Trade 2007 

    Super Furry Animals. Dark Days/Light Years. Rough Trade 2009

     

     

    Smog on the water

     - Part Two

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             Bill Callahan est un gentil roi du laid-back. Il peut être capable de plus profond désespoir comme des plus belles envolées lyriques. Alors on l’écoute album par album, en marchant sur des œufs.

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             Une chaise orne la pochette de Forgotten Foundation. La chaise est un thème qui lui est cher, puisqu’on va la retrouver sur la pochette de l’album suivant, Julius Caesar. Comme on est à l’âge d’or du college rock américain, le jeune Bill se spécialise dans le Weird, comme tant d’autres, de Daniel Johnston à Sebadoh, en passant par Jad Fair. Le Weird ça veut dire quoi ? Ça veut dire le vieux gratté d’arrière-garde d’«Head Of Stone II» et de «Long Gray Hair». Il sait aussi balancer des jolis shoots de disto comme le montre aimablement «Dead River». Globalement le jeune Bill teste des idées. Ses perspectives de disto se vautrent dans l’underground, comme des cochons dans leur auge. Tout est très dévié du but, assez tuberculeux, peu fiable, couvert de tâches, des expériences insalubres, rien de probant, le Smog t’enfume. Rien que des pauvres petits délires qui mettent ta patience à rude épreuve. Ça tombe bien si t’es maso. Il joue «Kiss Your Lips» sur les accords de Dave Davies dans «Really Got Me»

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             Le portrait de Julius Caesar est donc une chaise. Dès qu’on entend grincer le cello dans «Your Wedding», on sait que ça va être douloureux. Bill nous fait du laid-back expérimental un peu barré et gratté au flamenco. Si tu aimes bâiller aux corneilles, ce balda est idéal. Réveil en fanfare en B avec «I Am Star Wars», claqué aux gros accords de Stonesy. Bill pique une crise de délinquance juvénile. Il continue de ramener du très gros son dans «When The Power Goes Out» et «Chose One» ressemble presque à une chanson. Il ramène une guitare vampire dans «What Kind Of Angel», alors forcément, ça te chatouille l’intellect.

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             Sur la pochette de Wild Love, le cadre est vide. Après le portrait de Jules César en forme de chaise, le jeune Bill s’enfonce dans l’irrévérence. De l’irrévérence à Dada, il n’y a qu’un pas, franchi d’un petit bond avec «Limited Capacity». Le jeune Bill est avec Robert Pollard le dernier grand Dadaïste d’Amérique, capable de dérives artistiques réconfortantes. Avec «It’s Rough», il tape une powerful song. Il sait forcer un passage, on l’écoute en rigolant, mais au bout du compte, on s’incline, il devient en quelque sorte le seigneur de l’insistance homérique. Puis il gratte une belle gratte électrique pour s’énerver avec «Sleepy Joe». Les petits coups de piano sont censés évoquer l’apocalypse. Le Smog a un petit côté Swellmaps. Ses albums sont de modestes ouvrages d’art moderne. On y trouve des bonheurs et des prédilections. Son «Prince Alone In The Studio» est un chef d’œuvre de déliquescence. Prince Alone In The Studio, ça veut dire ce que ça veut dire. Pas loin de Procol quant à l’ambiance et quant à l’ampleur, on croit entendre Syd Barrett et l’orgue de Matthew Fisher. Le Smog chante avec la voix d’un bateau qui coule et qui s’en fout de couler, c’est à la fois somptueux et dramatique, Smog crée les conditions extraordinaires de son naufrage artistique. Ça se passe chez Smog, nulle part ailleurs. Encore une petite pincée de Dada avec «Goldfish Bowl» et après ça, le Smog s’en va coucher au panier, jusqu’à l’album suivant.

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             Joli titre et joli voilier pour The Doctor Came At Dawn, paru au siècle dernier, en 1996. Eh oui, passent, passent les siècles, soupire le vampire. Tu veux un joli shoot de primitivisme ? Alors écoute «Whistling Teapot» - Aw who needs you lying on/ Your crummy bed - Il est assez direct. Dans «All Your Woman Things», il reproche à sa poule de s’être barrée en laissant toutes ses affaires - Where you left them/ Scatered round my room - Le roi du baryton en fait une chanson. Chez Bill, rien ne se perd. Mais il se dit détruit surtout par cette conne - Now could I ignore your left breast/ Your right breast - Il parle bien sût de ses seins. Il a aussi pas mal de cuts travaillés au vinaigre de violoncelle. Avec «Somewhere In The Night», il fait du Velvet à l’envers, gratté bien sec. Et puis avec «Lize», il se prend pour Dan Penn. Globalement, Bill ne va pas très bien. Il collectionne les cuts paumés. L’album refuse de décoller, en dépit du beau voilier. Bill vire soudainement country avec «Four Hearts In A Can» - Four hearts in a can/ Speeding through the country side - Magnifique ! - Trying to out-run four thousand problems/ And four thousand girls as fast as they can - Ses cuts sont parfois des petits movies underground à la Easy Rider. On ne perd pas son temps à les écouter.

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             Avec Red Apple Falls paru la même année, Bill Smog continuer de cultiver son groove du va-pas-bien. Il fait une espèce de Lanegan à l’envers, il se focalise sur sa désaille. Trop facile d’aller mal, encore faut-il savoir en faire un art. Les Anglais raffolent de cette daube moite. Avec «Blood Red Bird», il tente de recréer sa magie noire, mais c’est top désespéré. Va-pas-bien, le Bill Smog. C’est compliqué avec des mecs comme lui, il faut juste attendre qu’il aille un peu mieux. Tout est lourd, comme plombé, même ses accords. Il se prend pour Jacques Brel dans «Red Apples», il trimballe une corde pour se pendre. Dommage, car la pochette de l’album est belle. Il passe à la petite pop avec «I Was A Strayer», il fait son Johnny Cash, ce qui n’est pas un compliment. On l’écoute jusqu’à la lie, c’est-à-dire «To Be Of Use», il semble glisser vers la tombe, il ne tient que par un arpège de trois notes. Il passe au heavy va-pas-bien avec le morceau titre. Il développe un incroyable sens du laid-back définitif. Oh ça va mal, tout est plombé, mais beau. Il cultive son petit champ de navets. Il faut attendre les beaux jours. Il se lance dans l’exercice périlleux d’une fast pop de Brill avec «Ex Con». Dès qu’il bouge un peu dans son cercueil, il devient excellent. Ah si Bill Smog n’existait pas, il faudrait l’inventer ! Pour un cadavre purulent, il est superbe, il est même plutôt alerte, avec sa petite voix de Brill. On crève d’envie de le féliciter. Il finit avec un «Finer Days» qu’il gratte au petit taquet. Il s’amuse bien avec ses petits cuts. Un vrai gamin. Il cherche la petite bête, avec son petit gratté de lowdown. Mais à la fin, ça ne passe plus. Ça finit par indisposer, c’est un coup à se rendre malade. Il joue sur une note et se plait à décevoir.

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             Par contre, Knock Knock pourrait bien être le BIG album de Bill Smog, rien qu’avec ce coup de génie intitulé «Hit The Ground Running». Il te fait le Grand Jeu, voix d’outre-tombe, chœurs pré-pubères et heavy riffing. Son cut se met en toute. Le groove s’ébranle. Il te passe sur le corps. Cowboy running. Une aubaine pour l’humanité. Il fait son Lou Reed. Il t’allume au coin du bois - All I know is hit the ground running - Sa façon de relancer le groove est exceptionnelle. Il reste dans l’expression du génie smoggy avec «I Could Drive Forever», il reclaque un coup de magie noire à coups de should have left a long time ago, il sait qu’il aurait dû se barrer depuis longtemps, il te coule son should have left dans le moule d’I could drive forever, il traîne son désespoir all down the road et te cloue comme une chouette à la porte de l’église avec the best idea I ever had. Tiens, encore une hit inter-galactique : «Held», il tape ça au heavy Smog et hop, il monte au créneau du chant, il se rend - I surrender - il dirige sa tourelle vers l’ennemi et passe au takatak, c’est un aiguilleur du ciel, il chante tellement à bride abattue qu’il en devient génial. Il vire glam avec «No Dancing», mais glam épais de va-pas-bien, glam desperate, incroyable mais vrai. Il chante à l’épaisseur assermentée. Il profite de «Teenage Spaceship» pour t’arroser de teenage spatial, c’est du pur Lou Reed, assez merveilleux. Et logiquement, il bascule dans le Velvet avec «Cold Blooded Old Times», mais du Velvet avec en prime le Weirdy Weirdah de Bill Smog. Pas de problème, ce sont les accords du Velvet, mais avec un esprit révélateur, Bill Smog s’interroge, how could I stand, rien de plus Velvet que cette vipère.

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             Dongs Of Sevotion est certainement l’un des plus beaux albums de Bill Smog. C’est là qu’on trouve «Strayed». Il ramène des accents si chaleureux et cultive un intimisme contagieux - Oh I know I’ve strayed - C’est envoûtant, il diffuse une sorte de perfection infectueuse. Alors attention, c’est un double album. Tous les cuts sont saturés de basses, dès «Justice Aversion». Il jette tout son poids dans la balance de «Dress Sexy At My Funeral». Il chante d’une vraie voix de timbre profond, à l’accent cassant - Dress sexy at my funeral/ My good wife/ For the first time in your life - Encore de la fantastique présence en C avec «The Hard Road» - When summer comes/ It’s almost impossible not to have/ Good times/ Out on the hard road - C’est ce qu’on appelle le timbre des profondeurs, Bill Smog est moins gothique que Lanegan, mais ils chantent tous les deux merveilleusement bien. Bill Smog mène son bal aux infra-basses. Il crée avec «Bloodflow» un subtil équilibre entre l’hold on du chant et l’underbeat des infra-basses. C’est un son unique. «Distance» montre encore qu’il sait monter ses œufs en neige. Il joue la carte du big laid-back avec des infra-basses encore plus infra et il se paye le luxe d’une beau développement avec une guitare électrique. Il atteint les tréfonds du désespoir avec «Devotion» et c’est tellement désespéré que ça en devient beau, comme suspendu dans le temps, my dearest friend, immobile, I will protect you until the end.

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             Paru en 2001, Rain On Lens sonne comme l’album de la maturité. Bill Smog est un fabuleux crooner, comme le montre «Natural Decline». Sa façon de pulser le natural decline est unique au monde. Elle te hante vite fait. Bill Smog sait tendre sa toile, il sait rester actif dans les entrelacs, ça donne du vrai rock US, bien secoué des cloches. En plus, il peut te donner des petits conseils, comme le montre «Keep Some Steady Friends Around». Voilà ce qu’on appelle une présence. Avec un mec comme Bill Smog, tu peux y aller, il est assez franc du collier. Il ne te prendra pas pour un con. Il te fait cavaler sur le côté, c’est un chic type, il te met en confiance, car il chante d’une voix ferme et définitive. Il s’entoure de heavy guitars pour «Short Drive». C’est forcément bon. Au beau milieu d’un aréopage de power chords, il chante d’une voix de rêve - I put my hand on your knee - Bill Smog est là avec toi, tout près. Il reste dans la heavyness avec «Life As If Someone’s Always Watching You», il est parfait dans son rôle de Père Fouettard - You know you doooo - Il te chante ça à contre-courant de la mélodie, il se permet tous les excès, c’est spécial, intègre, profond, d’une incroyable modernité. Bill Smog taille bien sa route sous le boisseau. Il s’y connaît en boisseaux. Il chante d’une voix de mille-pattes, imbu de son humidité. Il claque un brin de dark Soul avec «Lazy Rain» et ramène son baryton de vieil alligator dans «Revanchism». Il s’amuse bien avec sa glotte.

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             Encore une anti-pochette avec Supper. Et donc des anti-chansons, bienvenue au paradis du laid-back underground. Bill ramène sa fraise de laid-back avec «Feather By Feather». On note une très grande présence vocale, raison pour laquelle on le suit à la trace. Il rocke son «Morality» avec une certaine fermeté de ton et chante «Ambition» à la voix de son maître. Il est marrant avec sa casquette base-ball. «Vessel In Vain» sonne comme du typical Callahan, romantica désespérée chantée aux accents chauds - My ideal got me on the run/ Towards my connections with everyone - On boit ses paroles. On trouve en B un petit chef-d’œuvre de laid-back mélodique, «Our Anniversary». Les basses vibrent.

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             Le dernier coup de Smog s’appelle A River Ain’t Too Much To Love et date de 2005. Big album pour trois raisons. Un, «I Feel Like The Mother Of The World». Bill joue sur le contraste de son baryton avec la joie du gratté de poux. Il sonne comme le héros du how do I feel dans les éclats florentins d’une authentique excellence sonique. Le contraste est saisissant. Il sait en jouer. C’est hallucinant d’how I feel. Il souffle ici un incroyable vent de liberté. Deux, il fait son Lanegan en tapant dans l’«In The Pines» de Leadbelly. Smog fait sa sauce de low down. C’est exactement le where the sun never shines de Lanegan - Where we shiver when the North wind blows - Trois, il veut voir les flingots dans «Let Me See The Colts». Fantastique allure de lock on the door at dawn. C’est plein d’avenir. À sa façon, il réinvente l’Americana. Il gratte son «Rock Bottom Riser» à coups d’acou et il boit au barrage avec «Drinking At The Dam». Bill ne se sépare jamais de son baryton. Il devient une sorte de cabri agile avec «Running & Loping», mais le baryton s’écroule sur le château de cartes de sa délicatesse. Bill domine néanmoins son sous-continent à coups de my body inside out. Il croasse dans son marécage comme un gentil petit crapaud.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland

    Smog. Forgotten Foundation. Drag City 1992

    Smog. Julius Caesar. Drag City 1993  

    Smog. Wild Love. Drag City 1995

    Smog. The Doctor Came At Dawn. Drag City 1996

    Smog. Red Apple Falls. Drag City 1996

    Smog. Knock Knock. Drag City 1997

    Smog. Dongs Of Sevotion. Drag City 2000

    Smog. Rain On Lens. Drag City 2001

    Smog. Supper. Drag City 2003

    Smog. A River Ain’t Too Much To Love. Drag City 2005

     

    *

    Attention, cette chronique ne présente pas deux opus d’un même groupe, mais une Saison 1 et une Saison 2. Rien d’extraordinaire en soi. Si ce n’est qu’entre se sont écoulées une dizaine d’années.

    LIKE WIRES

    ( Dingleberry Records  / 15 -09 - 2015)

    Belle couve de Brian Cougar. Adepte de la sérigraphie, principalement affiches et tissus. L’on regarde, l’on ne voit rien. Dans un deuxième temps apparaît devant nos yeux comme en image subliminale un autre tableau. Puis l’on hausse les épaules, ce peut être celui-là, quoique la composition partagée en deux, zébrée par un éclair… non ce n’est pas la Mélancolie, se superpose alors Le Chevalier, la Mort et le Diable, deux gravures de Dürer, non, le temps que le cerveau reprenne ses esprits c’est Saint Eustache, d’ Albrecht Dürer bien sûr… le bas et le haut de la gravure ont été coupés, le cerf est devenu pratiquement invisible, la partie gauche a été retouchée par notre sérigraphiste, au premier coup d’œil les changements restent invisibles. Du beau travail.

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    Comme l’on se dit qu’il y a fort peu de chance pour qu’à l’encontre du dénommé Eustache le groupe Like Wires ait été touché par la grâce divine et récompensé par une merveilleuse apparition, l’on en déduit que le choix de cette image iconique doit être en relation avec le contenu de l’enregistrement, l’on s’attend donc à un choc sonique. 

    Antoine / Julien / Martin / Matthieu

    Garrot : des intros instrumentales en début d’albums j’en ai écouté des tonnes, toutes plus ou moins semblables, celle-ci est comme toutes les autres avec cette particularité qu’elle est différente de toutes les autres, très courte mais qui prend son temps, un peu comme un bourreau sympathique qui ne précipite pas les choses vous laissant une minute de plus avant de vous occire, ne vous inquiétez pas le gars est consciencieux il fera son boulot jusqu’au bout, et vous allez en profiter à mort, pareil que Like Wires qui se permet de mettre des paroles sur son instrumental, un truc glacial qui vous coupe l’envie de vivre tout en vous conseillant de profiter de la moindre miette qui vous reste ! Blurry : il y a quelque chose de terrible chez Like  Wires, c’est que c’est méchamment beau mais c’est un peu comme ce fil chamarré qui dépasse du mur de cette accueillante chambre d’hôtel, vous le tirez avec gourmandise et curiosité, le problème c’est ce qui vient après, apparaissent très vite les excréments d’une fosse d’aisance, inutile de vous précipiter dans les toilettes, l’abysse excrémentiel se trouve dans toutes les impuissances qui nagent entre les eaux troubles de votre boîte crânienne, toutes vos colères vaines, tous vos désirs refoulés, tous vos errements, et pour finir cette explosion de haine pure, un peu comme les tentacules pustuleux du poulpe de la vengeance qui vous promet de s’en prendre au monde entier, à tel point que le chanteur en oublie de chanter pour se livrer à des imprécations vocales d’une excécrabilité ignominieusement irremplaçable. Merveilleusement beau et irréfragable comme une baïonnette qui s’enfonce dans votre corps. Hierophants : toujours cette guitare ensorcelante et cette batterie que vous suivriez jusqu’au bout du monde, puis ce chanteur qui s’enfuit de sa mélodie pour hurler, l’on comprend mieux cette espèce de dichotomie entre violence et luxuriance, entre assonance et dissonance, entre galop chaotique et ventre à terre sur les vertes et grasses prairies d’herbe tendre, Like Wires n’habite pas un monde ni tout blanc, ni tout noir, sont autant fascinés par les vives couleurs chatoyantes que par ces leurres grisâtres qui les emprisonnent et dont ils essaient de s’extraire, l’envie de tout culbuter, de tout détruire, d’envoyer tout chier, exquisité d’une punkitude pharamineuse portée au dernier degré du nihilisme de la révolte. Convict : tornade sonore, rien de plus terrible que le doute qui s’amalgame aux convictions les plus extrêmes, tout peser mais sans concession, tout casser jusqu’à soi-même, plus le temps de réfléchir, se laisser entraîner, mais mener la course en tête jusqu’au fond du gouffre, pas de répit dans ce morceau qui défile comme une horde de huns assoiffée de meurtres et de crimes, là où passent leurs instruments l’innocence ne repousse pas. Kick out the jam, ni brothers, ni sisters. Resurgence : chant de triomphe, n’en profitez pas pour exulter, crier et chanter, Like Wires est encore dans la fièvre des barricades, profitez de ces guitares qui marchent à l’amble pour relire Lorenzaccio d’Alfred de Musset, faites fissa parce que chez Like Wires la déprime se métamorphose très vite en colère, mais là c’est le moment de la dépression tourmentueuse des sentiments, quand Lorenzaccio s’aperçoit que les conjurés ne valent pas mieux que le tyran qu’ils veulent abattre, ça ne leur a pas coupé le sifflet mais maintenant le screamer  éructe et prêche comme ces prédicateurs fous des westerns qui promettent l’imminence apocalyptique du monde. Drapeau blanc : drapeau en berne oui, batterie mortuaire et guitares aux relents bluesy qui s’évaporent, Like Wires n’est pas au mieux de sa forme, colère et capitulation, heureusement il reste toujours un ennemi à abattre, cela vous donne du punch et de la hargne, facile de le désigner, la batterie appuie méchant pour vous obliger à comprendre que c’est vous-même, le cœur éclaté et la rancœur de soi-même en explosion souveraine, la guitare se traîne comme un oiseau agonisant qui bat de l’aile, quand tout est fini ne reste que le rêve et Like Wires vous repasse le début de l’intro, mais à l’envers, façon de terminer exactement comme ça a commencé, la boucle est bouclée. Que dire de plus. Que faire de moins. Si ce n’est s’enfermer dans l’hallucinatoire désillusion d’un songe angélique qui de lui-même prend la décision de découper avec un grand couteau ses ailes qui ne voleront plus. Jamais plus.

             Un jeune groupe qui s’est très vite dissout. L’on ne sait pas pourquoi. Dissensions, aléas de la vie, l’on pourrait allonger la liste hypothétique à l’infini, mais en filigrane de tout ce qui les a emmenés à splitter devait se trouver dans cette impression consciente ou non consciente, qu’ils avaient tout dit, et peut-être même qu’ils n’avaient plus rien à dire tant ils avaient tout expectoré du premier coup, un premier jet qui avait accouché d’un chef-d’œuvre.  

    Donc dix ans plus tard le groupe de Clermont-Ferrand récidive avec :

    COLD MATTER

    LIKE WIRES

    (Les Disques Bleus Enregistrement / 05 – 04 – 2024)

    Quelle est cette fleur sur la pochette, je ne suis pas un botaniste, il me plaît d’y entrevoir un chardon, la nourriture préférée des ânes que nous sommes, nous nous y ruons dessus pour la dévorer goulument malgré ses épines douloureuses. Avec au fond le cercle rutilant et infini de la vie que nous lapons jusqu’à la dernière goutte comme un nectar revigorant alors qu’il n’est que le poison qui nous tuera. Lentement. Mais sûrement.

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    L’artwork est de Bertrand Blanchard. Ils ne l’ont pas choisi au hasard. Sur son instagram il nous dévoile ses œuvres, un monde froid, figé, angoissant. Un univers qui n’est pas sans relation avec le groupe.

    Quant à cette matière froide, vous la connaissez bien. C’est celle qui nous constitue. Qui nous permet d’entrer en relation, de produire nos propres réseaux de communication avec nos semblables aussi frileux que nous, présences fantomatique errant sans but dans la calotte polaire du monde, inhospitalière et mentale, qui nous englobe.

    Antoine / Bounce / Jean / Yoann. Attention le groupe a changé

    Dark wine : (poème de Bukowski: la poésie a tué beaucoup de monde ce n’est pas une raison pour ne pas en lire. Cette étamine noire, sombre et souterrainement rouge, ainsi hissé au début de ce nouvel opus est-elle un signe au drapeau blanc qui terminait l’opus précédent, en tous les cas un avertissement aux nouveaux auditeurs, chez Like Wires les textes sont fondamentalement importants : le son a changé, plus dur, plus lourd, plus noir, la voix comme un crachat de haine désespérée, mais bientôt tout se calme, juste une guitare en fond de tympan, la batterie qui fait le gros dos mais qui ne vous déchire pas les chairs comme un tigre altéré de sang, pourquoi des poëtes en des temps désespérés demandait Hölderlin, pourquoi pas après tout, sur la bande son Bukowski lit un de ses poème Consummation of  grief, moment de calme sans volupté, maintenant les lyrics anglais du groupe rejoignent le vide vertigineux de la solitude de l’écrivain dépossédé du monde mais en plus sauvages, plus exacerbés, comme quand, enfermés dans vous-même vous vous cognez la tête contre les parois membraneuses de votre cerveau, ainsi vous comprenez d’où proviennent ces filaments de distorsion finale. Olympe : après un chant d’amour désespéré, voici un péan de haine espérée, corps à corps hardcore, un classe contre classe posthardcore les guitares qui brisent, la batterie qui casse, la voix qui prône la révolte et la vengeance, attention baisse de ton mais pas de tonus, juste pour captiver l’auditoire et hurler la revendication ultime, l’appel à la grande moissonneuse, la déglingueuse épidémiqude de têtes, l’émondeuse souveraine.  Waouf ! à vous couper le souffle. Future past : à l’emporte-pièce, est-ce que le lieu du bonheur serait celui du crime, celui du retour, une course éperdue vers la source souveraine, avec ce constat amer que ce qui nous paraissait immense est devenu tout petit, pourtant nous revenons les mains et la tête vides, nostalgie rieuse et regrets éternels, à fond de train, des cymbales qui jouent au cheval emballé, une voix qui vomit l’inaptitude au bonheur de tout être humain, une batterie qui pulvérise le tout, et ces cordes en lesquelles résonne  toute la beauté des illusions perdues.

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    Vice : les mêmes accords nostalgiques sur lesquels nous avons terminé l’écoute du précédent, c’est un peu vice-versa, celui-ci commence sur quoi celui-là se terminait, l’intensité gagne du terrain, la tempête sonore s’annonce de loin, réminiscences vocaliques, éruption laryngée, tout ce que la vie peut apporter de puissance et de tumulte. La vraie vie dirait Arthur le revenant. Tout est consommé, mais l’espoir subsiste, le désir que le chaos vital recommence une fois de plus, une fois encore, til the end. Une balade sur le côté sauvage de la vie. Une saison en enfer illuminative. Magnifique. Shards : levez-vous orages désirés, qui sème le vent des paroles récolte le vent des tempêtes prométhéennes, anti -olympiennes les chaînes que l’on se doit de briser, des glaciers étincelants des cimes les plus extravagantes aux combes glaciales les plus sombres, parmi tous ces fragments épars il s’agit d’avancer, par les hauts et les bas, jusqu’à ce sentiment final de libération suprême.

             L’on reconnaît en ces deux opus, un même esprit, je supposons celui d’Antoine puisqu’il est présent sur les deux artefacts. Une vision du monde et mieux encore une écriture du monde très particulière. L’a des affres âpres, son âme n’est pas un couteau sans lame auquel il manque le manche. Quand il la lance, il vous atteint toujours en plein cœur.

             Espérons que nous n’attendrons pas encore dix ans pour le prochain album !

    Damie Chad.

     

    *

    Il est important de remonter à l’origine des choses, même s’il faut se méfier, Heidegger nous a avertis, l’origine n’est pas nécessairement au début, elle peut être avant ou après, un peu comme l’entéléchie d’Aristote.  Quoi qu’il en soit, voici le premier opus de Pénitence Onirique.

    .........................................V. I. T. R. I. O. L.       .............................

    PENITENCE ONIRIQUE

    ( / Mai 2016)

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    La couve est de Mathieu Voisin, un compagnon de route du groupe, très belle. J’y vois une porte, quelque part et nulle part, dans les terres mouvantes du songe ou sur une autre planète. Une fente kaotique, un lieu de passage. Il ne s’agit pas de savoir où l’on va en l’empruntant mais d’où l’on vient quand on se contente de la regarder. Joue-t-elle le rôle de la lune dans le monde métaphysique aristotélicien, en deçà ou au-delà de l’astre sélénique. Dans les deux cas le mystère reste entier.

    Pas besoin d’être un initié pour comprendre que l’opus traite d’alchimie. Lecteurs avides, ne vous réjouissez pas trop vite, à la fin de l’écoute Pénitence Onirique ne vous aura pas communiqué la recette de la fabrication de l’or. D’abord parce que l’alchimie est un art de longue patience, ensuite parce qu’il ne s’agit pas avant tout d’aider à la lente métamorphose d’un vil morceau tout tordu de plomb en un cube d’or pur, mais de travailler à affiner tant soit peu la masse gélatineuse et neuronale de votre cerveau. Et croyez-moi il y a du travail à faire !

    Bellovesos : all instruments / Diviciados : chant, lyric.

    L’âme sur les pavés : l’idée musicale d’un long cheminement, étrange maintenant les guitares fusent, la batterie roule monstrueusement, le chant écorché noyé comme s’il était perdu dans un magma gélatineux, en gros malgré un ruissellement dévastateur ça se traîne, non ça ne prend pas son temps, c’est comme s’il y avait une dissociation entre le temps qui fuit et celui intérieur de l’âme humaine, ne croyez pas qu’elle soit différente de l’animale, une longue marche, les pieds nus sont peut-être enveloppés de la peau de l’âme mais ils ne marchent pas sur la terre sacrée, juste sur un résidu noirâtre, une poubelle d’athanor dont vous auriez entrevu la dérive quelque part au nord de votre ignorance, une procession solitaire d’un seul qui marche en lui-même mais face à lui-même comme si l’image de vous arpentant les contrées stériles et désolées que vous renvoie le miroir ne pourrait jamais vous rejoindre et se fondre en vous, sans cesse un décalage infinitésimal qui vous demande de durs calculs d’ajustements mathématiques entre la théorie et la praxis, entre l’échec et la réussite, entre l’éloignement de vous-même et le rapprochement de ce qui est votre absence cristalline au monde. Au bout du bout après bien des étapes opératoires l’on rencontre la mort. N’y voir aucun mal, un acte de désintégration est semblable à un acte d’agrégation, l’Alchimiste se doit de mourir plusieurs fois, lion vert et deuil de la lune noire, pour acquérir l’immortalité. Etymologiquement l’immortalité ne réside-t-elle pas dans ( = in latin ) la mortalité. Le soufre : une flamme qui rampe et s’enflamme, que de temps pour brûler l’édifice de sa propre ossature, une question de principe, le feu brûle mais ne purifie pas, il épure, il est ton meilleur ami et ton meilleur ennemi, toute consumation lente est une préservation, le danger est de se figer en soi-même, la tentation d’habiter ton propre bûcher est grande, l’ardence du feu te communique ton ardeur et tu te crois invincible, tu penses avoir atteint la plus grande subtilité, mais il faut aller encore de l’avant, écarter les tentures du deuil qui obstrue ton chemin, un grand acte de courage que de porter la main sur la matière noire du monde, après tant de noirceur il semble que la musique entonne doucement un péan apollinien, le soleil s’enflamme il disparaît pour que bientôt ne reste plus que sa rougeur, cette pourpre de cinabre dont tu te revêts. L’explosion de ta puissance est encore une désintégration. Le sel : de l’eau qui court, clinquements de vagues qui se heurtent aux falaises pour les mieux abolir, un long morceau, peut-être parce dans le processus alchimique paracelsique  de Pénitence Onirique le sel a dévoré le mercure principiel, car si l’on privilégie l’existence de l’un et l’autre, le couple royal du moi et du soi, du moi et du non-moi, le tiers est exclu,  toute descendance doit mourir, ne pas accéder à l’être, le processus alchimique n’engendre pas,  ils se perpétue dans une solitude onaniste, c’est peut-être pour cela que le vocal grogne comme un lion rouge, pas de descendants, juste des ascendants, le roi est sans royaume, le roi est le seul royaume possible. La solitude est la meilleure conseillère puisqu’elle ne peut t’apporter d’aide que tu ne connaisses déjà. V.I.T.R.I.O.L : ( acronyme latin : Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies  Occultam Lapidem / Visite l’intérieur de terre en rectifiant tu trouveras la pierre cachée ) : cette formule est à méditer comme un résumé opératoire de l’opérativité alchimique : ici elle est employée par Pénitence Onirique pour nous projeter au résultat final, ce qui explique l’introduction un peu solennelle, attention ce n’est pas l’érection musicale triomphale à laquelle l’on pourrait s’attendre, la basse est si lourde qu’elle instille un doute… bientôt se déchaîne un torrent de haine noire, toutes les étapes ont été respectées, l’on s’attarde sur le rappel de l’éclosion finale, cette pureté transparente de l’âme à laquelle on a atteint, mais lorsque l’on porte un regard sur le monde, il a perdu toutes ses couleurs comme si elles avaient été happées par le processus alchimique, qu’importe devant moi n’ai-je pas le joyau rubescent de l’œuvre accomplie, l’incomparable preuve absolue de ma grandeur, je lève les yeux, oculaires pulpeux sur le monde, ce sont les hommes auxquels  je veux m’affronter, je n’aperçois que des regards fuyants. Carapace fantôme vide : (il existe an official video de ce morceau produite par Les Acteurs de l’Ombre, amusons nous à dire que l’on n’voit pas un nombre minimal d’acteur ( comprenez zéro ) et un maximum d’ombre, qui explose sur un blanc luminescent… Non ce n’est pas une représentation de l’œuvre au noir et de l’œuvre au blanc, à la limite nous dirions de l’œuvre au rouge, mais de la couleur d’un feu noir, celui de la désespérance infinie.) : explosion musicale, vocal exacerbé, l’on ne peut haïr fortement que soi-même, l’adepte voulait gagner la partie contre lui-même. Il a gagné mais en même temps il a perdu, il n’avait pas réfléchi que son obscure tâche, sa lente patience, son travail ardu, tous ses efforts, toute sa ténacité l’avaient coupé de l’autre partie de lui-même, celle qui n’est pas nous, celle qui est constituée du décor du monde et surtout de ce qui n’est pas nous, non pas l’autre moi, mais les autres de moi, de la vulgaire humanité pour employer les mots justes. Se retrouve comme un bernard-l’hermite qui n’a pas su construire sa maison et qui en est réduit à habiter ce crâne mortuaire qu’il s’est obstiné à vider de la moitié de son âme. L’est condamné à tourner sans fin, la structure de la musique imite tant  ces spirales entrelacées et confinatoires du poisson rouge dans son bocal qu’elle en devient  oppressante, il hurle son désespoir, il a tenté de se rapprocher de ses frères et sœurs humain, l’on comprend maintenant pourquoi il n’a pas exposé à part entière le principe mercuriel, cet élément féminin, il ne peut plus maintenir auprès du sien un autre corps, il croyait trouver une puissance rayonnante, influente, mais non il s’est si bien retranché que les autres s’écartent de lui. L’est bien puni, il s’est infligé tout seul une dure pénitence onirique. Condamnés à vivre entre les phantasmes de son savoir absolu et les fantômes de l’humanité qui s’échappent de ses bras dès qu’il tente de les saisir et de les retenir.

    andrew lauder,muddy gordy,d'angelo,gruff rhis,bill callahan,like wires,pénitence onirique

    Il existe une vidéo live de ce titre enregistrée le 19 août 2023 au Motocultor, please play loud, six sur scène, habillés de noir,  masqués,  musicalement  à la hauteur du disque, toutefois malgré l’éclairage prodigué, (le spectacle n’est pas nocturne) il manque cette dimension que votre imagination produit lorsque vous écoutez un disque tout seul chez vous, une démesure scénique que l’on retrouve par exemple dans les mises en scène symboliques de la Tétralogie de Wagner à Bayreuth, une traduction évènementielle qui serait comme une projection extérieure des tourments intimes les plus intérieurs.

    Par contre le groupe joue ici la quasi intégralité de l’album, il ne manque que le premier morceau, le Live@ Les Feux de Beltane enregistré le 08 / 07 / 2018, est bien plus agréable à voir, L’obscurité de la nuit confère une certaine magie à la prestation du groupe, cerise sur le gâteau le jeu des caméras et des prises de vue change la donne du tout au tout. Privilégiez cette vidéo, suprême avantage : le son est meilleur. !

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             Inutile de rajouter que cet album est à écouter. C’est le troisième que nous chroniquons, la première chronique (Nature Morte) a été motivée par l’attrait de la nouveauté, précisons ce n‘est parce qu’un opus vient tout juste de paraître que nous le chroniquons automatiquement, la tâche serait titanesque, encore faut-il qu’il nous intéresse.  Les goûts et les couleurs y sont sans doute pour quelque chose mais ne sauraient être totalement significatifs, de fait nous jetons notre dévolu sur ce qui nous ressemble et sur ce qui est le plus éloigné de nous. C’est ainsi que nous délimitons notre angle d’attaque appropriatoire et chroniqueuse.   Pour Vestige nous avons adopté la marche arrière de l’écrevisse, une esthétique relativement proche d’ A Rebours de Huysmans, nous y avons appris pourquoi le groupe a choisi le terme de Pénitence, l’écoute de ce premier enregistrement nous permet de comprendre pourquoi ce mot a été accouplé à l’adjectif onirique. Le langage et la pensée sont les vecteurs de toute déambulation onirique. Ce qui n’est pas dit reste du domaine de l’inconnaissable pour parodier Wittgenstein.

             Un des groupes français les plus originaux et surtout des plus authentiques en le sens où le discours musical colle au plus près des intentions induites par une démarche d’une honnêteté intellectuelle sans faille.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    La grille n’était pas fermée, au haut du perron la porte d’entrée était restée elle aussi ouverte. Le chef s’arrêta :

             _ Agent Chad, rien ne presse, la demeure est vide, laissez passer les chiens d’abord, suivez-les doucement, je prends le temps d’allumer un cigare et je vous rejoins.

    La maison n’était que sommairement meublée. Les chiens entamèrent une partie de trape-trape au travers des pièces. Au bout d’un moment ils disparurent, ils s’amusaient, cela m’agréait, leur flair fureteur était infaillible, j’étais sûr qu’aucune anomalie ne leur échapperait. Quatre larges chambres à l’étage (il n’y en avait qu’un) cuisine, salon, salle-à-manger, une salle que plus tard le Chef baptisera de fumoir. Une vaste cave, aux murs blanchis à la craie, d’une propreté méticuleuse, m’étonna. Totalement vide. Aucun mystère n’émanait de cette demeure. Toutefois la plus exigüe des pièces devaient dépasser les cinquante mètres carrés. Les volets étaient fermés, à la lumière de ma lampe torche je retrouvai le Chef assis sur un divan dans le ‘’ fumoir’’. Je crus qu’il inspectait d’un œil de connaisseur un Coronado. Je me trompai, l’avait comme un collégien les yeux rivés sur son portable.

             _ Voyez-vous agent Chad vous devriez vous économiser, regardez j’ai visité cette baraque sans bouger grâce à mon appli ‘’ Je visite la maison que je veux acheter’’. Entre nous soit-dit, je me demande en quoi elle intéresse la CIA. Les parents des propriétaires sont morts depuis trois ans, les enfants l’ont mise en vente. Du banal de chez banal.

    J’allai répondre lorsque l’on entendit les chiens aboyer. Plus malins que nous ils avaient trouvé quelque chose ! Nous les rejoignîmes à l’étage. Nous les retrouvâmes assis sur leur derrière visiblement captivés par un panneau de tapisserie à fleurs. Il n’y avait rien. Si ce n’est un trou de souris au ras de la plinthe. Je voulus y introduire un doigt, mais le Chef fut plus rapide, il sortit un étui métallique de Coronado de sa poche et l’enfonça. Un déclic se produisit, toute une partie de mur s’avança vers nous d’une vingtaine de centimètre. Derrière le panneau déplacé nous découvrîmes une niche peu profonde, vide. Le Chef grogna :

             _ Hum ! le coffre-fort de la maison, devait contenir deux liasses de billets de 500 euros et le collier de diamants de Madame. Inintéressant au possible ! Allez les cabotos on décampe !

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    Durant le trajet du retour, le Chef n’arrêtait pas de tripoter son portable. Ce n’était pas dans ses habitudes. Cela m’intriguait. Nous étions presque arrivés au local lorsqu’enfin il sortit un Coronado de sa poche. A ma grande surprise il ne l’alluma pas.

             _ Chef cette voiture possède un allume cigare !

             _ Merci Agent Chad, je n’en ai pas besoin !

    Hop d’un coup, il appuya sur une touche de son portable. Une flamme jaillit, avec laquelle il alluma son Coronado.

             _ Un portable briquet ! Ils ne savent plus quoi inventer :

             _ Agent Chad, ceci n’est pas un gadget, je me le suis procuré le week-end dernier au Salon de la Panoplie du Parfait Agent Secret, je vous ai d’ailleurs apporté un petit cadeau, montez avec moi au service je vous le donnerai.

    Je n’avais pas fini mon créneau pour me garer que Molossa grogna.

             _ Chef, cette fois je ne crois pas qu’elle a flairé un trou de souris !

             _ Bien sûr Agent Chad nous avons un comité d’accueil qui nous ! Ne bougez pas je m’en occupe !

    Le Chef ouvrit la portière et se dirigea d’un pas distrait vers les trois malabars qui barraient la porte d’entrée de l’immeuble.

             _ Messieurs, je m’excuse de vous déranger, zut, mon Coronado s’est éteint je vais le rallumer !

             _ Si vous voulez, mais ce n’est pas la peine, puisque nous sommes là pour vous tuer !

             _ Pas de problème, toutefois d’abord j’allume mon Coronado.

    Les trois gros éclatèrent de rire, déjà ils sortaient leurs pétoires de leurs poches intérieures. Ils n’eurent pas le temps de les utiliser. Le Chef m’expliqua peu après que c’était la touche chalumeau. Une flamme aveuglante jaillit. Déjà elle leur mordait les yeux. Leur cornée s’embrasa et leurs globes oculaires fondirent comme cornet de glace vanille dans un four à émail. Les malheureux hurlaient de douleur. Ils tentèrent de fuir, par pure compassion le Chef les abattit d’une balle de Rafalos dans le dos.

    La scène s’était déroulée si vite que je n’avais pas eu le temps d’intervenir. Le Chef traversait la rue, visiblement content de lui. Molossito poussa un jappement. Une grosse berline fonçait droit sur le Chef. Le Chef se contenta d’appuyer sur son nouveau portable. Un énorme trait de feu rampa à toute vitesse sur la chaussée, déjà elle s’était emparée de l’habitacle, des cris fusèrent, ils n’eurent même pas le temps d’ouvrir les portières, le véhicule explosa.

    _ Voyez-vous Agent Chad, c’est la touche lance-flamme, une invention des services chinois ! Sont des as de la miniaturisation, il faut le reconnaître. En progrès constant, nos renseignements sont certains que d’ici quelques mois ils auront mis au point la touche lance-missile. Passons aux choses sérieuses, laissons ces cadavres en paix, les services de la voirie les emmèneront dans leurs véhicules. Montez quelques instants avec moi, vous récupèrerez le petit cadeau que je vous ai ramenés, exprès pour vous, non ne me remerciez pas, même pas dix euros, je suis sûr que vous en ferez bon usage, je vous connais Agent Chad, je suis certain que dans votre caboche vous méditez dans votre tête un plan X ou un plan Y. Dès qu’il sera au point, venez me trouver, je vous donne deux jours de congé pour les derniers préparatifs. Je ne veux pas me vanter mais je pense que mon nouveau portable pourra vous être utile.

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    Le Chef me connaissait bien, c’était la pure vérité, mais pas tout à fait, lui manquait un presque rien, je ne dirais pas un je ne sais quoi, car je savais exactement l’étendue de ses connaissances… et le gouffre de son ignorance. Lui manquait juste la dernière lettre. Il y avait longtemps que j’avais dépassé les plans X et Y. J’en étais au plan Z ! Le plus dangereux, après lui il n’y en avait pas d’autres.

    J’ouvris l’enveloppe. Elle contenait une seconde enveloppe. Sur celle-ci je reconnus l’écriture du Chef, ses grosses lettres majuscules rouges qu’il utilisait pour les annotations impératives. Celles dont l’exécution ne souffrait d’aucun détail. AGENT CHAD CECI EST UN DOCUMENT ULTRE-SECRET. LISEZ-LE ET DETRUISEZ-LE IMMEDIATEMENT. Il NE DOIT SOUS AUCUN PRETEXTE TOMBER ENTRE LES MAINS DE VOS ENNEMIS. JE VOUS EN CONJURE : LISEZ-LE NON PAS DE L’ALPHA A L’OMEGA MAIS  DE A à Z.

    J’avoue qu’il me fit une grosse impression. Les ennemis avaient tenté voici à peine trois heures de liquider froidement le Chef. Il leur avait échappé chaudement. Toutefois il n’avait pas écrit ‘’Nos’’ ennemis mais ‘’Vos’’ ennemis. Et puis surtout : pourquoi donc cette lettre minuscule devant le Z ! Le Chef m’avait-il deviné !

    Au toucher, c’était un dossier assez épais, une centaine de feuilles au minimum, mais plus lourd que du simple papier. Je déchirai l’enveloppe, le temps pressait. Le Chef m’avait donné deux jours. Je poussai un cri de surprise qui tira Molossa et Molossito de leu sommeil. Un document secret, mais il y a au moins trois millions de français et plusieurs centaines de milliers d’autres qui l’avaintt lu. Moi-même je l’avais aperçu à plusieurs reprises ces trois dernières journées.

    Le dernier numéro du magazine ELLE ! Le Chef n’étant pas ce que l’on pourrait appeler un féministe enragé, je me devais de l’écouter. Le lire certes, avant tout l’étudier. Le Chef avait écrit lire et non pas regarder. Dommage, rien que la fille sur la couverture était particulièrement jolie, je ne devais pas me laisser distraire. Je l’ai lu de bout en bout. Je n’ai rien trouvé, aucun détail qui m’aurait aidé dans l’élaboration du Plan Z. Je l’ai relu et encore une troisième fois, en commençant par la fin. Je suis resté sur ma faim. Il était cinq heures du matin lorsque j’ai abandonné. Avant de me coucher, j’ai suivi la consigne, je l’ai brûlé dans la cheminée et écoulé les cendres dans la cuvette WC

    La mort dans l’âme je me suis couché. L’on dit que la nuit porte conseil. Ce doit être vrai. Le matin, au réveil, tout était clair. Le plan était bouclé du début à la fin. Dans ma tête. Il ne restait plus qu’à exécuter.

    A suivre…