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rosco gordon

  • CHRONIQUES DE POURPRE 649 : KR'TNT 649 : JOHN CALE / PINK FAIRIES / MT JONES / ROSCO GORDON / MAX DéCHARNé / PETER SCARTABELLO / PRESSE ROCK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 649

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 06 / 2024

     

     

    JOHN CALE / PINK FAIRIES

    MT JONES / ROSCO GORDON

    MAX DECHARNé / PETER SCARTABELLO

    PRESSE ROCK / ROCKAMBOLESQUES

     

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 649

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

     - Cale aurifère

     (Part One)

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             Entrer dans l’univers de John Cale, c’est aussi entrer dans une foire aux superlatifs. John Cale fait partie des gros cultes, et sa réputation n’est pas usurpée, car bâtie, comme chacun sait, sur l’une des racines du rock moderne, le Velvet Underground. À le lire dans son autobio, il porterait même en grande partie la responsabilité de cette racine, mais comme ses collègues visionnaires Syd Barrett et Brian Jones, il fut débarqué à la même époque sur une île déserte (1967 pour John Cale, 1968 pour les deux zautres).

             C’est en 1999 que John Cale nous fit la grâce de publier What’s Welsh for Zen, une autobio qu’on peut bien qualifier d’incandescente. Objet superbe, puisqu’objet d’art, ce qui de la part d’un mec comme Cale ne surprit personne à l’époque. Cale art total. On le savait en écoutant «Venus In Furs». L’objet le confirme : grand format, couve en carton alvéolé massicotée à ras la tranche, quasiment 300 pages rythmées comme un album du Velvet dans une sulfureuse alternance de pages noires avec un texte en défonce, et de pages blanches avec un texte au noir intense, des photos travaillées jusqu’au délire et des jeux typo qui viennent danser la carmagnole sous tes yeux ronds de stupeur, oui, car ce périlleux exercice est parfaitement réussi. Le designer s’appelle Dave McKean. En page de garde, tu peux lire : «This book is dedicated to Sterling Morrison». What’s Welsh ! What’s Welsh ! Ça sonne comme Sister Ray. Et hop c’est parti ! McKean t’arrondit les justifs, il sort des phrases pour les mettre en scène, comme au théâtre d’avant-garde, il ramène les images d’archives dans la modernité, il noircit des pages pour intensifier le contexte littéraire et falsifie les ciels du pays de Galles pour en glorifier la mélancolie. Chaque double te réserve une surprise à la fois visuelle et contextuelle, c’est un spectacle permanent. McKean réussit même à t’ahurir : il fait le lien entre le book et l’esthétique du cinéma d’avant-garde d’Andy Warhol. Il boucle la boucle. Tu n’avais encore jamais vu ça. Et lorsque John Cale quitte l’Angleterre pour s’installer à New York, God McKean bascule dans le dadaïsme pur. Les photo-montages à base de claviers et de piano, de masques et de bottines sont des objets graphiques de Dada pur et dur. Il rejoint Picabia et Tristan Tzara au cœur battant du mythe le plus moderne de tous les temps. Tu n’en reviens pas d’avoir dans les pattes un authentique Dada book. Ta lecture passe du stade ronron à celui de super-nova. Ce book te dilate la cervelle, il t’arrache à tes manies et à tes routines. Il fait le lien entre tous tes phares dans la nuit, Dada, Warhol, le Velvet, le rock, le ric, le rac et les rutabagas. Et pour couronner le tout, page après page, John Cale revêt la stature d’un fan-tas-tique écrivain. Oui tu as bien lu le mot écrivain.    

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             Il fait partie des auteurs dont la moindre phrase revêt une certaine importance. Cioran, Debord, du pareil au même. C’est comme ça, tu n’y peux rien. Tout ce qu’il écrit te semble lourd de sens. Dans les premières pages, il évoque son enfance à Garnant, au Pays de Galles, et son éducation musicale. Quand il écrit : «I realized that playing music gave me a stronger sense of who I was. In the event, it defined who I was», tu relis la phrase une fois, deux fois et soudain, tu te l’appropries. John Cale a raison, c’est la musique qui te définit. Alors tu t’identifies à lui à travers la musique qui te définit. Te voilà encore plus défini que tu ne le fus jamais. A stronger sense of who I was. La résonance est profonde. Dans la même page, l’enfant Cale évoque sa rencontre avec les drogues qui vont jouer un rôle considérable dans sa vie d’avant-gardiste, et donc dans la vie de l’avant-garde tout court : il a du mal à respirer, et un toubib lui fait prendre un sirop à base d’opium. «The notorious Dr. Brown’s». C’est le B-A BA de tous les kids d’alors : le sirop pour la toux qui te fait tourner la tête, et que tu bois au goulot, et la bouteille d’éther dans l’armoire à pharmacie que tu sniffes et qui te fait encore plus tourner la tête. Le kid Cale établit grâce au «cough syrup» une relation «between music and drugs» et se décrit «lying in bed as I hallucinated myself to sleep.» Il voit les fleurs du papier peint de sa chambre s’ouvrir et respirer. À l’école, le kid Cale est vite repéré par des gens de BBC Wales qui lui demandent de leur jouer quelque chose au piano : le kid Cale leur pianote une version rock’n’roll du Sacre Du Printemps de Stravinsky. Allez hop c’est parti ! En voiture, Simone Cale !

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             Au départ, le kid Cale n’est pas vraiment rock. Il en pince pour Stravinsky et Anton Webern. Mais il découvre Rock Around The Clock au ciné local et voit les kids du village danser dans les allées et devant l’écran, avec le taulier du ciné. Alors le kid Cale se met de la brillantine et porte une petite cravate pour devenir teddy boy. Quand il évoque ses parents, c’est d’une manière forcément elliptique : «À une époque de leur vie, mon père devint sourd et ma mère perdit l’usage de sa voix. Ils semblaient être parvenus à une sorte d’accord, vu qu’ils n’avaient plus vraiment besoin de communiquer entre eux.» Le kid Cale a aussi une petite amie, Eileen - a warm, endearing creature - Elle avait elle aussi vécu une enfance difficile. Qui n’en a pas vécu ? Donald Duck ? Comme les miens, ses parents n’étaient pas toujours on speaking terms

              Il décroche une bourse pour aller étudier à Londres. Il y vit de 1960 à 1963 et y rencontre un prof qui lui propose d’explorer «the possibilities inherent in Dadaist ideas for blurring the boundaries of the separate art». Exploser les frontières ! C’est ce que le kid Cale devenu grand fera toute sa vie. Il rencontre aussi le «neo-Dadaist» George Maciuna et assiste à son mariage : George porte la robe de mariée et son épouse le costume du marié. John Cale indique en outre que la correspondance de George se trouve dans les archives de Fluxus. Bingo, man !

             À l’école de musique, le kid Cale en bave : «Les responsables du département m’avaient élu ‘most hateful student’. J’avais en effet négligé mon étude de Webern et l’histoire de la Messe Polyphonique, mais je me voyais devenir plus un compositeur vivant qu’un ‘cataloguer of the dead’. Les responsables du département ne savaient pas quoi faire de moi. Ils étaient effarés par mon absentéisme et par leur incapacité à y remédier.» Le kid Cale s’affirme très jeune. Il prépare le Velvet et prépare en même temps une nouvelle idée de la modernité pour des milliers de kids à travers le monde.

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             Il décroche une bourse pour aller étudier à Tanglewood, Massachusetts. Accueilli par Aaron Copeland, il est ensuite confié aux bons soins de Yannis Xenakis, qui avant de devenir le compositeur célèbre que l’on sait, fut architecte et l’assistant de Le Corbusier à Paris. Le kid Cale admire Xenakis, qui, devenu compositeur, a pondu «the most ferocious pieces of Stockhausen-style piano.» John Cale t’explique à la suite pourquoi Xenakis est tellement novateur : «Il n’y avait pas d’émotion, c’était une gymnastique, très difficile à jouer, et ça n’était pas aussi excitant qu’une partition orchestrale. Tout était basé sur les mathématiques.» Puis le kid Cale avoue que ses propres compos étaient «trop violentes» pour les gens de Tanglewood. Quand il les joue en public, des gens sortent de la salle. D’autres viennent le voir en pleurs après sa prestation - J’ai eu toutes les réactions. C’était l’élément de surprise et j’espère l’avoir gardé dans mon travail ultérieur. Pour moi, c’est très important de garder les gens sur mon chemin et soudain de tourner, BOING ! - Puis il débarque à New York, «a city that never slept», et il découvre son futur royaume : «As I was with the hidden, unseen things that were to be my milieu for years to come - The underground.»

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             On entre dans le saint des saints de la fin des fins : 1963-1965, la genèse. Et il commence par saluer Duchamp : «Another of my idols was Marcel Duchamp, parce qu’il a quitté l’art pour jouer aux échecs. He was somebody who knew when to stop. Tout ce qu’il faisait était très réfléchi, très impressionnant, et ça m’attirait bien plus que de devenir un Schoenberg ou un Webern.» Et il enchaîne aussitôt sur son autre mentor, La Monte Young, «the second major influence on me».  John Cale va rencontrer La Monte Young et sa femme Marion Zazeela dans leur loft et découvrir leur univers de tortues, de yogourts et de Middle Eastern cooking, ils se complémentent, partagent même leurs phrases. La Monte propose à John Cale d’entrer dans son Theatre Of Eternal Music : ils sont cinq : La Monte, Marion, Tony Conrad, Terry Riley and myself, avec en plus, par moments, Angus MacLise et le mathématicien Dennis Johnson - On créait une musique que personne d’autre au monde n’avait créée et que personne n’avait jamais entendue auparavant - Billy Name célèbre lui aussi la mémoire de La Monte Young, un Mormon qui portait des robes. Chez lui, tout est posé au sol, «pas de chaises, and always sex and great dope and great music.» Billy Name pense que La Monte tirait ses revenus du deal de dope - At this time he was the highest-quality dope dealer in the avant-garde movement - Il vend de la marijuana. John Cale fait connaissance avec la marijuana - Tout le monde fumait. La première partie de ma relation avec La Monte était amusante, tout le monde rigolait, les têtes tournaient, personne ne me comprenait à cause de mon accent gallois, alors pas de sexe. Mais quand j’ai commencé à fumer, ça allait mieux. Je rigolais aussi. But we were dead serious about our work.    

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             Puis il rencontre Lou Reed en 1965, en début d’année. Lou est un petit compositeur de 22 ans, et Cale un musicien d’avant-garde de 22 ans. C’est un mec de Picwick, Terry Phillips qui présente Cale au Lou, «parce qu’il pensait que j’étais un ‘pop musician’ à cause de mes cheveux longs.» L’idée de Phillips est de monter un groupe autour du Lou avec Tony Conrad, Walter de Maria & Cale, et de l’appeler The Primitives. Phillips pense qu’une compo du Lou, «The Ostrich», peut devenir un hit. Puis Cale et le Lou sympathisent. Le Lou montre à Cale d’autres compos, «Heroin» et «Waiting For My Man», que Cale déteste au premier abord, car il pense que ce sont des folk songs et Cale hait le folk. Alors le Lou lui demande de lire les paroles de ses cuts, et là, Cale pige tout. Personne n’a jamais traité de tels sujets dans des chansons. Cale trouve même ces cuts très littéraires, «which fascinated me». Comme il n’a aucune notion de rock, à l’époque, il se concentre sur les textes - Mes premières impressions de Lou étaient celles d’un kid nerveux, intelligent et fragile, en col roulé, jean délavé et mocassins - Le Lou qui voit déjà un psychiatre, tourne au Placidyl. Dans le métro, le Lou se défonce au Placidyl mélangé à de la bière. Puis ça passe très vite à l’héro, qui est au cœur du Velvet. L’héro artistique. C’est le Lou qui pique Cale la première fois, en faisant gaffe, car Cale n’aime pas trop les aiguilles - It was an intimate experience - Cale dit découvrir une sorte de paradis - You feel comfortable and friendly - Ça a ouvert un passage entre nous et forgé notre us-against-them attitude qui allait devenir le leitmotiv de notre groupe. Au début on s’appelait The Falling Spikes. On a aussi chopé une hépatite - Ils plongent dans les hard drugs, «pas vraiment par goût des drogues, mais par goût pour la mentalité que les drogues impliquent. On pensait que mal se conduire, doing evil, valait mieux que doing nothing.» John Cale se met à orchestrer les chansons du Lou. Puis après avoir commencé à partager les needles, ils partagent les gonzesses, par exemple Daryl, une nympho.

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             John Cale préfère les cuts slow and sexy. Quand ils mettent «Venus In Furs» au carré, il est persuadé qu’ils ont trouvé leur style, «unique and nasty. Very nasty.» Puis ils cherchent un guitariste et un batteur. Les Falling Spikes deviennent les Warlocks. Sterling que connaît Lou arrive en avril 1965. Angus MacLise bat un peu de beurre avec les Warlocks. À l’été 1965, le groupe devient The Velvet Underground et donne son premier concert - On est devenus l’un des trois groupes émergeants du Lower East Side, avec les Fugs et les Holy Modal Rounders - Quand Angus quitte le groupe, le Lou fait venir la sœur d’un copain, Moe Tucker. Elle possède une batterie. Elle s’adapte vite aux cuts du Velvet et ancre le son avec un african beat influencé nous dit Cale par le batteur virtuose nigérian Babatunde Olatrunji - Moe was good at being basic so she was brought in - Le Lou dira plus tard qu’elle ne savait pas jouer. Il dira la même chose de Sterling. Cale joue de la basse - Je jouais de la basse, sauf sur les cuts avec du violon alto. J’adorais jouer de la basse. It was a real driving king of thing - On comprend ce qu’il veut dire quand on l’entend partir en vrille de bassmatic à la fin de «Waiting For The Man». Et ils se mettent à provoquer les gens en jouant très fort sur scène. Les gens gueulent et se barrent. Ça plait beaucoup à Andy Warhol qui propose de les manager, moyennant 25 % des gains. Il propose en outre d’acheter du matériel, de booker des dates, de trouver un contrat d’enregistrement et d’ouvrir un compte commun, Walvel, dans lequel irait tout le blé, et après avoir récupéré ses 25 %, Andy payerait les quatre Velvets. Petite cerise sur le gâtö : il offre en outre une liberté artistique totale. Il fait jouer le Velvet à la Factory, on West 47th Street. Il leur fait en plus une belle surprise, «a diva named Nico who had just come over from London» - au bras de Brian Jones, serait-on tenté d’ajouter - Elle avait enregistré un single avec Andrew Loog Oldham, et Dylan lui a offert une chanson, «I’ll Keep It With Mine», précise Cale - Nico was a knockout, but so was Andy’s proposal. He wanted Nico in front the band! - C’était donc ça, le plan d’Andy. Il voulait un backing-band pour sa nouvelle superstar. Au début, elle devait tout chanter. Pas question, pour le Lou et Cale, donc elle ne chantera que deux cuts. Andy qui est le roi des diplomates, accepte le compromis. Sur les cuts qu’elle ne chante pas, Nico doit rester sur scène et faire la gueule (looking unenthusiastic) en jouant du tambourin - She had the same aura Andy had - On voit bien au ton de ses phrases que John Cale est prodigieusement excité par la tournure que prennent les événements. C’est un cas unique dans l’histoire du rock : trois visionnaires, John Cale, Lou Reed et Andy Warhol, qui se mettent d’accord sur un concept, qui pour l’époque, est complètement révolutionnaire. John Cale redit à quel point il est persuadé d’avoir créé avec ses trois amis un groupe unique - something very valuable, a style of our own that we had created ourselves - Il leur faut un an pour préparer le premier album, le premier Vévette, comme on disait au lycée. Ils répètent tous les jours à la Factory - Il y avait ce gigantesque portrait d’Elvis au mur, et sur un autre mur, on projetait un film. Andy traînait dans les parages. Quand la Princesse Radziwill arrivait, toute activité stoppait. Andy recevait Dennis Hopper, Peter Fonda, Donovan, Mick Jagger et d’autres gens. La Factory semblait être the hub of the universe - Andy peaufine le show : il projette deux films en noir et blanc sur un mur et demande au Velvet de jouer devant, aussi fort que possible. C’est du Dada rock. Nico chante ses trois chansons et Lou le reste. Et devant dansent Gerard Malanga et Edie Sedgwick.

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             Arrive le moment où John Cale doit questionner le concept - Lou se méfiait beaucoup d’Andy, mais en même temps, il était fasciné par lui. La musique n’intéressait pas Andy. Il s’intéressait aux gens, et Lou, venait d’un autre coin de New York qu’il ne connaissait pas, an example of a Long Island punk. Lou était complètement mystifié par un mec comme Andy qui n’avait absolument rien de méchant en lui, mais qui pouvait se conduire comme un chacal avec ses proches. Alors que le mode opératoire de Lou était de capter l’attention des gens en les blessant - Et il ajoute, ceci qui est encore plus déterminant et qui permet de mieux comprendre l’alchimie si particulière du Velvet : «Il m’a fallu un an pour comprendre ce qui motivait Andy. Je fus d’abord vraiment frappé by the outrageous side, mais j’avais des soupçons sur la nature intellectuelle de son art. Un art qui faisait pâle figure comparé à la downtown avant-garde scene. La Monte ne prenait pas les toiles d’Andy au sérieux, le dollar bill, les Elvis et les boîtes de soupe. Alors que La Monte travaillait une vision de l’art sur la durée, Andy optait pour la répétition. On avait l’impression que des gens comme Andy recyclaient et appauvrissaient des idées très fortes. Mais j’ai appris à connaître Andy et j’ai compris. C’était autre chose que ce que suggérait son image. Il utilisait les images de manière très joyeuse et élégante, avec un sens de l’humour que l’appréciais énormément. C’était scatologique et hilarant. Andy était un mec très calme, espiègle, un manipulateur, mais le plus bénin manipulateur qui ait existé. Il assemblait des éléments très disparates, ce que j’appréciais, car c’est que j’essayais de faire en composant. Je regardais faire Andy.»

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             Billy Name brosse un portrait superbe de John Cale - He had the quiet presence, very black and elegant. John was special. John had the same beauty as Nico, and he was even quieter. Nico sometimes would become outsopken. John and Nico were so beautiful together, because John had this spirit in him that was so hautingly primitive - et il ajoute plus loin : «He was a real treasure, and Andy really liked John.» Ce que Cale apprécie le plus chez Andy, c’est la complicité - Andy was the guy supporting it and telling us not to forget about it. He was definitely a co-conspirator in all of it - Andy, Lou et John Cale sont les trois punks new-yorkais originaux. John Cale se tape Edie Sedgwick. Il se dit fasciné par son rôle dans la Factory. Elle et lui prennent des tonnes de drogues - I was fooling myself - Billy Name décrit le couple merveilleusement - That’s the caveman’s thing. She has to have a mate. They have to fuck and they have to be beautiful - Mais rien de sérieux, rien de suivi, just fuck - It’s primitive and natural and you do it - De son côté, Lou tombe amoureux de Nico et vient vivre chez elle. C’est pour elle qu’il écrit «Femme Fatale», «I’ll Be Your Mirror» et «All Tomorrow’s Parties» - She was the ice-blonde dominating policewoman - Nico et Andy s’entendent bien - they were kind of european - Alors que Lou «was full of himself and faggy in those days. We called him Lulu, I was Black Jack, Nico was Nico.» John Cale explique à la suite que le Lou avait réponse à tout, et la Factory grouillait de queens qui avaient la langue bien pendue. Mais Nico «balançait des trucs à Lou qui lui clouaient le bec.» Leur histoire d’amour dura moins de deux mois, nous dit John Cale. Un matin, le groupe se réunit à la Factory pour répéter - Nico arriva en retard comme d’habitude et Lou lui dit bonjour d’un ton très froid. Elle ne répondit pas. Elle attendait le moment opportun pour le faire. Plus tard, alors qu’on ne s’y attendait pas, elle lança : ‘I cannot make love to Jews any more.’ - Fin de la romance. Lou mit un temps fou à se calmer - Il alla trouver un toubib à midi et s’enfila un flacon entier de Placidyl et une bouteille de codeine. Le soir, à 9 h, il était complètement paralysé - Et de son côté, Edie Sedgwick disparaît dans l’entourage de Dylan. Billy Name revient caler un autre portrait stupéfiant de John Cale, tout de noir vêtu, «with a rhinestone snake around his neck», et qui sur scène tourne le dos au public, et le premier morceau qu’il joue, c’est au violon électrique, «which immediately gave everyone a shock», le violon qui n’est pas «the obvious instrument for a rock and roller» - John had the perfect face for it, he looked perfect holding that thing, absolutely menacing-looking - Cale fait de l’art, pas du rock, c’est ce qu’il faut comprendre. De la même façon qu’Andy, le rock ne l’intéresse pas en tant que tel. L’idée est de concevoir une œuvre d’art. Une œuvre d’art qu’on incarne physiquement. Avec les trois albums du Velvet, nous n’avons que les miettes de cette œuvre. Le Velvet, ça se passait sur scène ou à la Factory.

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             Cale rapporte les menus détails de l’œuvre d’art. Pour jouer, le Velvet devait attendre que Nico allume une chandelle sur scène - It was a little ritual - et ça excédait le Lou. Elle avait aussi pour particularité d’attaquer on the wrong beat, et Lou lui lançait à travers la scène : «We know what we’re doing Nico.» Cale explique ensuite que Nico avait un tympan crevé - This made for very interesting times - Et là, il lâche encore le morceau de l’art : «Les gens croyaient qu’on improvisait et qu’on faisait du bruit sur scène, mais tout ce qu’on faisait était maîtrisé et intentionnel. Everything was deeper, too. On jouait en ré une chanson composée en mi. Maureen n’avait pas de cymbales. I had a viola (un alto) (NOT the higher violin), et Lou avait this big drone guitar we called an ‘ostrich’ guitar. It made an horrendous noise, and that’s the sound on ‘All Tomorrow’s Parties’, for instance. All this made our sound entirely unique.» Plus loin, il éclaire encore un peu plus cette vision de l’art qui le hante : «L’idée qui nous poussait à continuer de considérer le rock and roll comme the medium of choice était de combiner the sonic backdrop from La Monte et le subconscient vénéneux de Lou. It was an attempt to control the unconcious with the hypnotic.» Cale dit encore qu’il a trouvé la bonne personne pour travailler une approche du rock and roll liée à l’avant-garde.

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             Et le fin du fin de l’art, c’est bien sûr Andy, sans qui les miettes de l’art du Velvet ne seraient pas des miettes : «Andy était beaucoup plus fort, après l’attentat qui a failli lui coûter la vie, en 1968. His presence was everything.» Les paroles de Cale pèsent de tout leur poids. «On a beaucoup plaisanté sur l’Andy producteur de l’album, mais il l’a produit au sens où il insistait pour qu’on  garde le son qu’on avait sur scène. Et personne ne pouvait aller contre sa volonté. Il nous a protégés, ce qui nous a permis de graver le son du Velvet pour la postérité.» Cale redit sa fierté d’avoir bossé avec Andy, il cite comme exemple le concert au dom, où cette collaboration a atteint son pic, «et a changé le rock and roll for ever from being a performance on stage to being a multimedia event.»

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             Puis c’est la tournée en Californie. Ils arrivent à l’aéroport de Los Angeles et se disent agressés par le «Monday Monday» des Mamas & The Papas. Cale déteste l’ambiance pop californienne - Our attitude was one of hate and derision - Cale et le Lou haïssent les hippies, et c’est réciproque. Ils se fritent avec Bill Graham. Et tu vois ces photos de ce groupe parfait, habillés en noir, avec des lunettes noires et Nico habillée en blanc. Et sais à l’intrinsèque pur que tout est là, tout le punk du monde, dans la dégaine de Cale, du Lou et de Sterling. Même Maureen a un côté punk. Cale et le Lou se shootent ensemble. Ils partagent leurs aiguilles. Ils chopent des hépatites. I guess I just don’t know. Un certain Paul Katz indique que Cale connaissait des choses que Lou ne connaissait pas, comme le contrepoint - which contributed to the sound of the Velvet Underground - Il dit en outre que «John wasn’t only close to musical genius, he was also well versed in many forms of music.»

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             Puis le Lou vire Andy. Il le remplace par Sesnick que Cale qualifie de «real snake». Et c’est là que le Velvet commence à pourrir - Soudain, Lou nous appelait «son groupe», et Sesnick le poussait à démarrer une carrière solo - Cale croit que sa relation avec le Lou est indestructible, parce qu’ils ont vécu ensemble ce qu’il appelle l’«intellectual puberty». Et voilà que le Lou commence à se comporter comme un despote, vous faites comme je vous dis de faire. Et au passage, Cale indique qu’il existe une version live de «Sister Ray» que personne n’a jamais enregistrée («Sister Ray Part 3»). En septembre 1967, ils enregistrent leur deuxième album, White Light White Heat - We always played loud music in order to get the symphonic sound, but the loudness was supposed to bring clarity, and that wasn’t true of the second album - Il indique que l’album est très improvisé, que «Sister Ray» was one piece. C’est un album enregistré live en studio. Ils utilisent le même volume sonore que sur scène, pour garder l’animalism. Au mixage, ils découvrent que la basse a disparu. Où est-elle passée ? L’enregistrement dure cinq jours, avec a grat deal of chemicals - On «Stephanie Says» there was heroin involved - Et Cale affirme glorieusement : «White Light White Heat was the most abrasive and powerful Velvet Underground album. Il reflétait les tensions internes, alors qu’on commençait à s’entre-déchirer.» En même temps, ils confirment leur statut de losers, car comme le dit Cale, «les groupes qui ont joué pour nous en première partie, the Nazz, the Mothers, Buffalo Springfield, sont tous devenus énormes.» Le Velvet est devenu énorme d’une autre façon.

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             La relation/complicité entre Cale et le Lou connaît un dénouement douloureux - Alors qu’on bossait bien ensemble, il ne trouvait plus la qualité de ce qu’on faisait suffisante pour continuer. Mon concept est que l’art demande à être créé. J’étais là en tant que facilitateur - Quand le Lou vire Cale, il commet selon Katz une monumentale erreur - They couldn’t do without him instrumentally - Cale a cette réaction extraordinaire : «Je pensais alors (et le pense toujours) qu’on aurait pu faire des choses énormes ensemble. Je ne crache pas sur le passé. I honestly think the best is unrealized. I also think I can find it by myself.» Pour virer Cale, le Lou a convoqué Sterling et Moe dans un restaurant à Sheridan Square pour leur dire : «C’est lui ou moi.» Et bien sûr, Sterling fut chargé d’apporter la bonne nouvelle à Cale.

             Ce qu’il faut retenir de ces cinquante pages incandescentes : John Cale est autant le Velvet que le Lou, sinon plus. Ça veut dire en clair : sans John Cale (et sans Andy), pas de Velvet tel que nous le connaissons. À l’âge de 25 ans et avec seulement deux albums, John Cale est entré dans la légende. Nombreux seront ceux qui le suivront à la trace dans les décennies suivantes.

              Dans un Part Two, on verra l’après Velvet. Penchons-nous en attendant sur le dernier album de John Cale, histoire de vérifier sa prédiction : «I honestly think the best is unrealized. I also think I can find it by myself.»

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             Mercy, c’est John Cale tout craché. John Cale, c’est Calimero. Le «Mercy» de Mercy sonne comme une grosse arnaque. Calimero n’en est pas à son coup d’essai. Il est capable de faire du gros n’importe quoi, à partir de rien. Ce que les gens n’ont pas compris : Cale n’est pas un sous-Lou Reed. C’est Lou Reed qui fonde le mythe. Cale est trop gallois pour fonder un mythe, mais il y contribue à 50 %. Cale fait du son. «Marylin Monroe’s Legs» n’est que du son. Cale se croit perdu dans l’espace, et comme il perd toute notion de mélodie, il lance l’idée d’une daube de noise invertie. Sa voix chevrote dans les amplis. C’est atrocement inutile. Il a perdu son pâté de foi. Il a perdu Paris 1919. Il a tout perdu. Mais en même temps, il récupère des tas de billets de vingt, car il vend des albums à la pelle. Les gens achètent toujours du Cale. Quoi qu’il fasse. En attendant Godot. Cale fait voyager des voix de femmes dans ses machines. Il a encore du monde sur «Noise Of You», nouvel anti-cut de n’importe quoi. Il est le dernier héritier du Velvet, mais ça ne l’empêche pas de faire n’importe quoi. Cette daube d’heavy noise finit tout de même par éveiller l’attention. C’est Weyses Blood qui chante sur «Story Of Blood». Le Cale est de retour, avec un son très profond, quasi-impénétrable, construit sur des accords de piano obliques, vite écartés sur le côté, et là, ça devient génial, Weyes Blood claque un contre-chant tiré de l’Antiquité, avec des échos du temple, seul Cale peut te caler ça, il hausse le ton et la terre tremble, il vise l’osmose de la comatose, il bourre l’espace temps de purée, jusqu’à la fin, il congestionne le son à fond de cale. Fasciné par le temps, Cale enchaîne avec «Time Stands Still». Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il bâtit un temple sur les ruines du temple précédent. Une fois que tu as compris ça, tu pénètres dans le cut, et Cale t’accueille comme le font les prêtres. Il psalmodie. Il défend son idée du discours sacré. Il te refait Paris 1919. Il a toujours en lui cette vieille litote désuète, sa mélodie de Paris. Puis il s’en va rendre hommage à Nico avec «Moonstruck (Nico’s Song)». C’est puissant, ça vibre de partout, ça pue le cramé tellement c’est génial. Il reprend pied dans sa légende - Junkie lady - Ça devient monstrueux, il cale ça aux miles & miles to go, à grands renforts de souffle et de rappels, comme dans un temple mythique. S’il rend hommage, c’est forcément mythique. Comment pourrait-il en être autrement ? Là tu entres dans la démesure du grand prêtre Calimero. Il continue d’élever des temples avec autorité, il te plombe une chape vite fait avec «Everlasting Days», il est capable d’une extrême profondeur, ça tape du tambour derrière lui, il y va au night of confusion, le voilà de retour dans les grosses compos, when we turn to walk away, au début tu résistes, et tu finis par céder, car cette musique t’emporte comme la marée. Il devient encore plus fascinant avec l’heavy funk de «Night Crawling». Il rappelle qu’il a toujours haï les conventions. Cale, c’est l’avant-garde, le sang chaud du Velvet. Il t’en met plein la barbe. Il fait encore de l’avant-garde à 80 balais. Is it the end of the world, demande-t-il dans «Not The End Of The World». Ses temples prennent des allures d’univers sonores, bien rêches, qui chevrotent aux portes du Desert Shore de Marble Index. C’est la raison pour laquelle Calimero importe, il transporte en lui des univers mouvementés qui clapotent entre deux icebergs. Il reste à la fois peu avenant et fascinant. Très end of the world. Anti-commercial. Un génie pur. Il invite les Fat White Family sur «The Legal Status Of Ice», un heavy groove tribal noyé de wild Abyssinia, il s’y perd, car le mélange n’est pas bon, juste du bruit pour du bruit. Il revient à la pop avec «I Know You’re Happy», il tape dans la bouse de vache et éclabousse les murs. Il sait très bien ce qu’il fait, il draine de la mélodie dans le prurit du son, un jus s’écoule du temple, odorant, du pur Cale, une sorte de Paris 1919 atteint d’un cancer, il perd toute pudeur, il jette ses miasmes à la face du monde, les colonnes du temple vibrent dans l’air putride, il adore l’avant-garde altérée, les fèves pourries et tout ce qui va avec, cette mare devient une mer, ça flic-floque dans les coins, il te sert une bouillasse infecte et crée le plus singulier des émerveillements. Il boucle cet album quasi-posthume avec «Out Your Window», il plonge dans le drame, please don’t go, il sonne comme un poète défroqué de l’ère élisabéthaine.

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             Dans la presse anglaise, on se bouscule au portillon pour saluer le grand retour du prêtre Calimero. C’est à Tom Pincock que revient l’honneur de saluer Mercy dans Uncut. Pincock salue the veteran experimentalist. Le fantastique portait du Cale au collier de perles illumine la double d’ouverture. Pour Pincock, la parution de Mercy est un événement qui se situe au niveau de celles du Rough & Rowdy Ways de Dylan et du Darkstar de Bowie. Il cite aussi les derniers albums de Leonard Cohen, de Mavis Staples et de McCartney - When an album may be your last, there’s no reason to not go quietly into that good night - La formulation est superbe. Il dit en gros : alors autant en profiter, puisque ça risque d’être le dernier. Surtout que Mercy paraît après dix ans de silence. Puis Pincok salue le Gallois débarqué à New York qui amena much of the pioneering squall in the Velvet Underground and changed rock music. Oui, c’est aussi simple que ça. Calimero et le grand méchant Lou ont réinventé le rock. Et puis tu as les productions, Nico, les Stooges, Patti Smith et les Happy Mondays. Pour Pincock, Mercy is the most out-there work Cale has made in some time. Il parle d’hallucinogenic journey et trouve que Weyes Blood sonne comme Nico dans «Story Of Blood». Il qualifie l’hommage à Nico («Moonstruck (Nico’s Song)») d’hyperpop ballad. Oui, le Pincock est extrêmement élégiaque, il termine avec une bien belle formule : «Uncompromising thoroughly modern trip into the twilight, to places were even his collaborators and acolytes would ear to tread. Rage, rage.» Il fait bien sûr allusion au Rage before the dying of the light de Dylan Thomas.

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             Dans sa column mensuelle, Luke la main froide salue lui aussi le génie de Calimero. Il titre ‘Cale’n’arty’. Et il attaque ainsi : «It is the time for a gonzo appreciation of Wales’ finest man from Wales, John Cale.» Il dit aimer John Cale «more than Lou Reed these days». Acerbic, il ajoute : «Everyone loves Paris 1919, don’t they?». Il salue bien bas les trois albums Island - The paranoid masterpiece that is Fear. The histrionic even-more-paranoid Helen Of Troy (...) and Slow Dazzle - Il cite plus loin un autre trio d’albums - possibly the greatest trio of experimental music ever recorded - il parle bien sûr des trois albums de Nico dont il est le producteur, The End, The Marble Index et Desertshore. La main froide ajoute : «Cale fut probablement la seule personne à comprendre où Nico allait avec this new kind of ‘European Classical Music’ (Cale’s words).» Puis il se fend encore d’une louange en qualifiant Shifty Adventures In Nookie Wood de «some of the greatest music of his career.»

    Signé : Cazengler, fond de cale

    John Cale. Mercy. Double Six 2023

    John Cale. What’s Welsh for Zen?: The Autobiography Of John Cale. Bloomsbury Publishing Plc 1998

    Luke Haines : Cale’n’arty. Record Collector # 542 - March 2023

    Tom Pincock : John Cale. Mercy. Album of the month. Uncut # 309 - Februeary 2023

     

     

    Fairies tales

     - Part Two

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             En décembre 2023, Russell Hunter, membre historique des Pink Fairies, cassait sa pipe en bois, après que Duncan Sanderson et Larry Wallis, aient cassé les leurs en 2019. D’ailleurs, tous ceux qui ont vu les Pink Fairies sur scène à la grande époque doivent se demander comment Russell Hunter a pu tenir jusqu’à 77 ans. Dans son merveilleux et fondamental Keep It together!: Cosmic Boogie With The Deviants And The Pink Fairies, Rich Deakin explique que les Fairies consommaient à eux trois plus de drogues que tout les Ladbroke Grovers réunis. Ils avalaient et s’injectaient TOUT ce qu’on leur proposait.

             On croit que la page est tournée, comme celle des Ramones ou du MC5, mais non, Paul Rudloph est toujours là, même s’il va droit sur ses 80 balais. Mais comme il était passionné de cyclisme, il est sans doute plus résistant que les autres, va-t-en savoir. Toujours est-il qu’il est encore là, et tant qu’il sera là, les Pink Fairies continueront de faire l’actu.

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             Vient de paraître Screwed Up, avec un magnifique pig/King of oblivion sur la pochette : même équipe que sur Resident Reptiles, l’album précédent : Lucas Fox au beurre, Alan Davey au bassmatic et Paul Rudolph aux commandes. Alors là, ouch, quel album ! Ils reprennent le vieux proto-punker le Mick Farren, ce «Screwed Up» qui fut, t’en souvient-il, le meilleur single punk de 1977, et te le bam-balamment entre les deux yeux. C’est atrocement féroce. Les vieux Fairies jouent à la vie à la mort, et Davey fait un véritable festival de bassmatic dévorant. Oh le power de Paul Rudolph ! Comme si rien n’avait changé depuis le temps du What A Bunch Of Sweeties. Si tu veux entendre du real deal de power trio, c’est là. Rudolph gratte encore sa disto de gras double sur «Whatchagonnado», et Davey n’en finit plus de voyager à tort et à travers dans le cut, ah il faut le voir partir dans l’autre sens, c’est même une virée historique, il joue des gammes dans le fleuve en crue qui l’emporte ! Ils tapent ensuite un vieux «Hassan I Sahba» jadis écrit avec Robert Calvert. C’est saturé de légendarité, avec un Davey qui une fois de plus dévore le foie du cut encore vivant. L’«Hassan I Sahba» te tombe littéralement sur le râble ! En fait, c’est Davey qui fait le show sur cet album. Il gratte «Punky» à la basse fuzz. Il faut voir le cirque qu’il fait ! Il pousse encore derrière «We Can’t Get Any Closer». Il pousse au cul du cut. Pression demented, il balaye tout, il est dix fois pire que Lemmy, cent fois pire ! Mille fois pire ! Il explose l’apanage du power trio, on l’entend même ramer à la basse sourde dans le break. Leur «Wayward Son» est très Hawk dans l’esprit, c’est du fast jive de rock anglais serti du gros solo baveux d’un géant nommé Paul Rudolph - Run run/ Where’s that gun - Mirifique ! Davey est un bassman qui joue par paquets de notes alertes et en mouvement constant, il déverse une purée fumante et animée, il s’implique violemment dans les embrouilles tectoniques.

             C’est tout de même drôle que les Pink Fairies et Hawkwind fassent encore l’actu du rock anglais, certainement la seule qui vaille tripette. 

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             En 2018, on retrouvait ces rescapés du Pink Fairies Motorcyle Club sur Resident Reptiles. Il faut se souvenir que Paul Rudoph est au moins aussi féroce que Larry Wallis. En tous les cas, c’est lui qu’on entend sur les deux premiers albums des Fairies. Ils ont pris tous les trois un coup de vieux, comme on le voit au dos de la pochette, mais pas leur son. Quelle énergie ! Ça pulse dès le morceau titre d’ouverture de balda. Ça reste de l’hyper-rock fairy joué au maximum overdrive et dans la meilleure tradition de l’underground britannique. Paul Rudolph n’a rien perdu de sa crédibilité. Il tape dans un «Old Enuff To Know Better» signé Wallis et emmène son mid-tempo au long cours comme jadis au temps du Bunch Of Sweeties. Admirable dégoulinade ! Et voilà «Your Cover Is Blown», un heavy mid-tempo bardé de son, un vrai shoot de power-trio. Ces trois mecs constituent une sorte de trésor caché de la couronne d’Angleterre. Ça repart de plus belle en B avec «Lone Wolf». Paul rocke comme au temps des Sweeties, c’est un monster caballero, un impavide pourvoyeur de sonic punches, et en background ronfle un incendie, comme au temps de Fast Eddie. S’ensuit un «Whipping Boy» solidement rocké - I don’t wanna be your whipping boy - Le vieux Paul y va, c’est un battant, un refuseur de tourner en rond, c’est monté sur un vieux riff de Mathusalem. Rien de plus parfait que les Mathusalem Fairies.

    Signé : Cazengler, Pink Féru

    Russell Hunter. Disparu le 19 décembre 2023

    Pink Fairies. Screwed Up. Cleopatra 2024

    Pink Fairies. Resident Reptiles. Purple Pyramid Records 2018

     

     

    L’avenir du rock

     - Aimes-tu MTi ?

             Finalement, l’avenir du rock a décidé de rendre hommage à Jack Kerouac en traversant les États-Unis d’Est en Ouest. Il appelle ça une «décision honorifique». Comme il arrive au Colorado, il se dit qu’avec un peu de chance, il chopera Johnny Strike et William Burroughs à l’université de Boulder. Pèlerinage littéraire ? Pas du tout : l’avenir du rock cultive simplement ses racines. Pour bien profiter des paysages et éviter les highways de cartes postales, il voyage à cheval, à l’ancienne. Le voilà dans les montagnes du Colorado, au cœur de l’hiver. Tout est blanc. Le silence règne, à peine troublé par des cris d’oiseaux. Soudain, il entend de la musique. Oh pas grand-chose, juste un filet. Il décide d’aller y voir de plus près et s’enfonce dans un bois en dressant l’oreille. Il avance au pas et débouche au bout d’une heure sur une clairière. Tiens une cabane de rondins ! La musique vient de là. Il descend de cheval et l’attache. Sur la poutre au-dessus de la porte criblée de flèches est écrit au crayon gras de charpentier le nom de Jeremiah Johnson. Comme par hasard ! L’avenir du rock frappe à la porte. Toc toc toc.

             — C’est pour quoi ? J’ai besoin de rien !, gueule Jeremiah d’une voix bourrue.

             — Chuis pas représentant ! Chuis l’avenir du rock !

             — Rien à branler. Dégage, pauv’ con !

             — Mais vous écoutez du rock, non ?

             — Oui, je r’garde U2 à la télé, et alors ?

             — C’est pas une riche idée, Jeremiah, vous allez devenir encore plus con que vous ne l’êtes déjà.

             — T’y connais rien, avenir du rock de mes deux ! MTiVi c’est ‘achement bien !

             — Pouah ! Je préfère MTi Jones ! 

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             On fait MTi pour les besoins du scénario, mais en réalité, il s’appelle MT Jones. Comme il joue en première partie de Jalen Ngonda, MT Jones réédite l’exploit que réalisa Jalen en avril 2023, en première partie de Thee Sacred Souls : créer la surprise seul sur scène avec une guitare électrique.

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    Jalen Ngonda et MT Jones ont d’autres points communs : des chansons parfaites et des voix de superstars, mais de vraies superstars, pas celles qu’on voit dans Telerama ou à la télé, dans les émissions destinées aux grosses rombières réactionnaires. Ces deux petits mecs échappent aux griffes du mainstream grâce à l’éclat d’une authentique dimension artistique.

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    La meilleure illustration est cette reprise du «Tell Like It Is» d’Aaron Neville qu’ils tapèrent tous les deux ce soir-là derrière un micro. Jalen et MT sont potes, ça s’entend et ça nous ravit.

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             MT Jones est un petit mec de Liverpool. Apparemment, il n’est pas encore signé. Au merch, tu peux ramasser son mini-album et crois-le bien, tu vas te régaler. Oh pas grand-chose, six cuts, ceux qu’il chante sur scène avec une effarante modestie. En gros, c’est le même délire que ceux de PM Warson et James Hunter. Il battrait presque Nick Waterhouse à la course, avec «I’d Be Lying». Sur son disk, il a des chœurs et des orchestrations. Il est assez fabuleux de white-niggahrism. Il cultive encore la groovytude de Liverpool avec «In My Arms». Il se déplace dans les nuages comme Marvin et Jalen. Il a même des violons. Ses chansons sont assez miraculeuses de qualité. Sur scène, il les chante d’une voix forte qui impressionnerait le plus blasé d’entre nous. Il fusionne Liverpool avec la Southern Soul. Il a la voix qui va. Le petit MTi est une superstar en devenir, à n’en pas douter. Tout est immensément bon, en place à chanter à l’éclate du Sénégal. Il va chercher son «Feeling Lonely» assez loin, il est réellement dedicated, il est même convaincu comme pas deux. Il termine ce premier round avec un joli «Made Up Your Mind» bien bombardé au sommet de la hiérarchie de la Soul par un bassmatic éléphantesque. Quel power ! Voilà le Soul Brother qui sort du bois ! Il tape dans l’apanage de l’irréversible, il va le chercher là-bas, dans l’extrême bonheur de l’hot Soul, mais si, messie, il y va comme peu de blancs ont osé avant lui, à la pure et dure, et la basse lui bouffe la motte, c’est une révélation organique. 

    Signé : Cazengler, Mti con

    MT Jones. Le 106. Roun (76). 25 mars 2024

    MT Jones. MT Jones. Not On Label

     

     

    Inside the goldmine

     - Rosco et ses frères

              On ne choisit pas ses meilleurs amis. Ce sont les circonstances qui vous les servent généralement sur un plateau d’argent. Rascal est arrivé par le biais d’une famille d’accueil, le genre d’environnement qui se recrée autour de toi quand tu as tout perdu. Il faut avoir vécu ça au moins une fois dans sa vie, car on y apprend tout ce qu’il est important de savoir, en termes d’humanité. Rascal appartenait au premier cercle de cette famille d’accueil. Pour le situer rapidement, il était militant d’extrême gauche et photographe de métier. Un photographe prodigieusement doué, qui travaillait essentiellement au Leica. Il shootait surtout les gens. La relation «familiale» évolua avec le temps sur une relation plus professionnelle. Avec ce noyau d’anciens militants et de pigistes à l’Huma, nous montâmes une structure spécialisée en com interne et ressources humaines. Pour un journaliste d’investigation, faire de la com interne est un jeu d’enfant. Il utilise les mêmes techniques de collecte d’informations, le but étant de tirer les vers du nez des managers pour défaire les blocages, rendre les relations fluides entre le middle management et la base ouvrière, tout cela saupoudré d’une généreuse pincée de valorisation des métiers. Non seulement c’est passionnant, mais ça rapporte pas mal de blé, car évidemment, les grosses boîtes sont les seules à pouvoir débloquer des budgets conséquents de com interne. À cette époque, on rencontrait encore des DRH soucieux du bien-être du personnel dont ils avaient la charge. C’est avec ces gens-là qu’on bossait. Alors, nous commençâmes à bourlinguer sérieusement, avec Rascal, d’abord dans toute la France, puis dans toute l’Europe, car les multinationales ont des sites de production un peu partout. Et nous sommes ainsi entrés dans des usines de toutes sortes, pour enregistrer les paroles des gens et les photographier, pour y monter ensuite des expos et y créer des événements. Nous menions ces missions avec passion, car nous avions le sentiment très clair de leur importance. Un jour que nous approchions d’un site industriel situé au Pirée, près d’Athènes, nous fûmes pris sous le feu d’un commando indépendantiste. Le chauffeur qui était aussi le directeur de l’usine s’en sortit indemne, car il portait un gilet pare-balles. Il se savait menacé. Par contre, Rascal avait salement morflé. Plusieurs balles dans le buffet. Le seul moyen de le ranimer était de lui chanter «Debout les damnés de la terre !», mais rien n’y fit. Ce meilleur ami du temps d’avant repartit comme il était venu, sur son plateau d’argent.

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             Rascal et Rosco ont deux points communs, ce qui explique sans la justifier la présence de l’infortuné Rascal. D’un côté le talent, Rosco et Rascal excellaient dans leurs domaines respectifs, et d’un autre côté, le destin tragique : Rascal aurait pu devenir le Cartier-Bresson des temps modernes, et Rosco un rocking Soul brother de calibre supérieur. 

             Deux façons de retrouver Rosco Gordon : par l’histoire de l’early Memphis scene, ou par New York City Blues, le brillant book de Larry Simon préfacé par John Broven. Rosco Gordon appartient en effet aux deux scènes. Comme ça ne marchait plus pour lui à Memphis dans les early sixties, il est parti s’installer à New York et travailler dans un pressing. Il avait gagné le blé pour acheter ce pressing au poker.

     

             Dans son book New York City Blues, Larry Simon rappelle que Rosco fut aussi important à Memphis que l’étaient Johnny Ace, Bobby Bland, Junior Parker et B.B. King. Comme sa carrière a capoté, il s’est réinstallé dans le Queens en 1962. Il y a monté un label et a continué de se produire sur scène. Puis il évoque sa boutique de pressing - Yeah I was in the dry cleaning business for seventeen years. I made a good living. I was home with my family every night. That meant more to me than all the money in the world and the fame. My family - Le fleuron de l’interview, c’est Butch, le fameux chicken qu’on voit d’ailleurs dans Rock Baby Rock, un superbe rock’n’roll movie de 1957 - That’s the original Butch - Le poulet est resté un an et demi avec Rosco. Il pense que c’est le scotch qui l’a tué. Chaque soir sur scène, Rosco lui donnait un peu de scotch à boire et les gens disaient : «Here comes Rosco and his drunk chicken.» Simon le branche aussi sur Beale Street et boom, Rosco part bille en tête sur les Beale Streeters - all of us, you know, all the Memphis musicians, B.B. King, Bobby Bland, Johnny Ace, Earl Forest and myself. We were supposed to be the Beale Streeters - Mais c’est un coup monté par Don Robey, Rosco avoue n’avoir bossé qu’avec Bobby Bland - Je n’avais pas de bagnole et Bobby Bland nous conduisait au concert. Bobby chantait au volant et assis à l’arrière je me disais que j’aurais dû être son chauffeur et non l’inverse.

             L’autre épisode fondamental de l’histoire de Rosco est son retour à Memphis pour recevoir les honneurs, au soir de sa vie. Dans le Road To Memphis de Richard Pearce, on voit Rosco coiffé de sa casquette de cuir noir entrer chez un disquaire de Memphis et chercher à la lettre G : pas de Rosco Gordon ! Rien. No nothing ! Il va casser sa vieille pipe en bois six semaines après avoir reçu les honneurs sur scène, sous les caméras de Richard Pearce, aux W.C. Handy Awards de Memphis.

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             Très belle pochette que celle de Rosco Rocks Again. C’est un album live que Rosco Gordon  attaque avec «The Chicken», son vieux coucou qui date du temps de Memphis, lorsqu’il posait Butch sur son piano droit. C’est du big jump - I wanna do/ I wanna do/ The chicken walk - Barrelhouse de Beale Street : incomparable ! Pareil, il fait un carton avec «Kansas City». Le gratteur s’appelle Wayne Bennett. Il était le gratteur de Bobby Blue Bland. Le coup de génie de Rosco se planque en B : «Darling I Really Love You». Fantastique croon de crack qu’il tape à l’accent fêlé. C’est du meilleur effet. Wayne Bennett fait des merveilles au coulé de jazz.   

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             No Dark In America est un album posthume, puisque paru deux ans après son cassage de pipe en bois. Ça démarre sur le wild boogie du morceau titre, puis il passe en vitesse de croisière avec son classic jive de jump («Cheese & Crackers»). Il tape ensuite l’heavy boogie blues de just a country boy avec «Early In The Morning». Excellent, même si cousu de fil blanc. Puis il passe à l’exotica avec «A Night In Rio», c’est quasi-ska et même excellent. Rosco est comme un poisson dans l’eau. Son album sonne ensuite comme un épatant chemin de croix, avec des cuts plus ambitieux comme «I Am The One», très New Orleans, ça sonne comme du Fatsy bien balancé, il sait charger une barcasse. On l’entend pianoter sur «Love On Top Of Love», il a un jeu très affirmé, très rustique, il tente le coup du heavy blues de bastringue. Encore un sacré heavy blues avec «Takes A Lot Of Loving», il y juxtapose un monde à lui, un piano blues très franc du collier, très intense. Rosco est un fantastique shouter. Il va creuser sa tombe de voix dans «Are You Mine», puis il te prend dans ses bras avec «When My Baby Comes Home», heavily pianoté et saxé jusqu’à l’oss de l’ass, c’est très puissant, très envoûtant, très Rosco. Il t’ensorcelle encore avec «One More Time» et cet album mystérieusement mirifique s’achève avec «Now You’re Gone» - So many dreams/ I miss your kisses even more - Don’t forget Rosco.

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             Let’s Get It On n’est pas l’album du siècle. Rosco y propose un groove classique, bien contenu et très soigné. Du solid Rosco. Avec «Early In The Morning» il repropose son heavy blues de just a country boy. Il reste bien dans la ligne du parti. Pas d’excès et surtout pas de révolution. Il n’est pas surprenant qu’il soit tombé dans l’oubli, c’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute de «Tell Me I’m The One». Et pourtant, ce n’est pas si mauvais que ça. Il redémarre sa B avec un r’n’b très fin, «If That’s The Way You Feel». Joli bassmatic, son très soigné. Finesse : c’est le mot qui caractérise le mieux le vieux Rosco. Une certaine Eunice Newkirk duette avec lui sur «One Man Woman». Rosco reste un superbe chanteur. Il ne lâche pas sa vieille rampe. On met en temps fou à entrer dans son jeu, et puis on finit par adorer sa finesse de ton. Il chante d’un timbre particulier, un peu sourd, un timbre d’étain blanc qui le distingue du troupeau bêlant des moutons de Panurge.

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             Dans les années 80, Ace excellait déjà dans son domaine de re-découvreur. On put ainsi mettre le grapin sur deux volumes du mighty Rosco, The Best Of Rosco Gordon Volume One et deux ans plus tard, Volume 2. The Memphis Sessions. Alors attention, c’est du Sun Sound. N’oublions jamais qu’Uncle Sam a commencé par flasher sur le Boot de Rosco, et ça donne «Booted», un heavy jive de jump. On est là aux origines du Memphis Beat. Rosco est à la fois fin et suave. Uncle Sam l’avait bien compris. Avec «Two Kinds Of Women», il fait du heavy blues à l’accent de fer blanc. On sent dans tout ça de la joie et de la bonne humeur. La viande se trouve en B, avec notamment «Don’t Have To Worry ‘Bout You No More», un fantastique heavy groove d’about you - bah bah, babah - Il dit adieu. C’est Rosco le cake. Il enchaîne avec «Just In From Texas», un fantastique swing de jump. Ça groove sous l’hip-shake ! Et voilà la cerise sur le gâtö : «Lucille (Looking For My Baby)», un fantastique shoot de Memphis Beat, stupéfiant de facilité. Rosco est l’un des dandys de Memphis.

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             Sur la pochette du Best Of Volume 2, on peut voir Butch, le poulet de Rosco, sur le piano. Ce Best Of est une belle pétaudière. Chez Uncle Sam, ça sonne exactement comme chez Cosimo, à la Nouvelle Orleans. C’est en tous les cas ce qu’indique «That Gal Of Mine». Bouclage du balda avec un instro wild as fuck, «Kickin’ The Boogie». Pur jus de Sun Sound. Tout ça est enregistré entre 1951 et 1952 chez Uncle Sam, alors t’as qu’à voir ! Trois ans avant Elvis. Pur jus de Memphis Beat encore avec «A New Remedy For Love» et un sax savamment incisif. 

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             C’est encore à Ace qu’on doit Bootin’. The Best Of The RPM Years. John Broven signe les liners et nous livre de larges extraits d’interviews de Rosco. Fascinant ! Rosco bouffait à tous les râteliers : Uncle Sam l’enregistrait pour Chess et si les Bihari Brothers lui proposaient un billet de $600, alors il enregistrait les mêmes cuts pour Modern et RPM. En 1952, Rosco était une énorme star - I was so hot! Every time I looked around I had a new record out. At 18 or 19 I had the best of everything, big Cadillac, the sharpest clothes, $200 shoes, girls, I had so much fun. I tell you - Rosco y va au til the day I die dès «No More Doggin’», l’heavy jump de la désaille. Rosco est le punk du jump. Il écrase sa diction dans le cendrier du jump et en prime, tu as un solo de sax on fire. Oh comme ça gueule ! Son «Booted» sonne très New Orleans et «Maria» va plus sur la Jamaïque. Son fonds de commerce reste le jumpy jumpah très tressauté («New Orleans Wimmen»), Rosco y va au franco de port avec un solo de sax brûlant et explosif. Joli cut encore que ce «Two Kinds Of Woman» savamment pianoté. Il fait de l’heavy Rosco avec «Dream Baby». Il gueule dans son micro et ne laisse aucune chance au hasard. Rosco est un killer, bien avant Jerry Lee. Tout est sérieux sur cette compile. Tu as un solo de sax demented dans chaque cut. Son «Lucille (Looking For My Baby)» est quasi rockab tellement c’est bien foutu. Il fait aussi du heavy jive de big band avec «Just In From Texas». Il n’en finit plus de se jeter dans le vent du jump, tu as là le real deal du Black Power. Il est impayable ! Il passe au booze jump avec «We’re All Loaded (Whiskey Made Me Drunk)», c’est bien vu, bien enlevé, il dit qu’il aime ça, I lose my mind, avec en prime un solo de jazz liquide. Il boucle avec un fantastique «Throwin’ My Money Away». Black Power all over !

    Signé : Cazengler, Roscoco Bel-œil

    Rosco Gordon. Rosco Rocks Again. JSP Records 1983   

    Rosco Gordon. No Dark In America. Dualtone 2004   

    Rosco Gordon. Let’s Get It On. Studio One

    Rosco Gordon. The Best Of Rosco Gordon Volume One. Ace Records 1980 

    Rosco Gordon. Volume 2. The Memphis Sessions. Ace Records 1982

    Rosco Gordon. Bootin’. The Best Of The RPM Years. Ace Records 1998

     

     

    Max le ferrailleur

    - Part Four

     

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             Si tu veux entrer par la grande porte dans le palais royal des Flaming Stars, commence par  Songs From The Bar Room Floor. Impossible de dire que cet album paru en 1996 est le meilleur, car tous les albums de Flaming Stars sont exceptionnels, et les compiles qu’on va croiser à la fin de ce petit panoramique sont par conséquent explosives.

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    Ce premier album est dédié à Sterling Morrison et Charlie Rich. L’album grouille de puces et on retrouve Max par terre dès «The Face On The Bar Room Floor», et tu entends les deux sonic genius du groupe, Nick Hosking et Johnny Johnson. Comme quasiment tous les albums du groupe, celui-ci est enregistré chez Toe Rag - Well say hello from the bar room floor - C’est tout de même incroyable que les Flaming Stars n’aient pas explosé la gueule des charts anglais. L’autre surdoué de la bande, c’est Joe Whitney, il faut l’entendre battre le beurre sur «Dowhill Without Brakes», il est le roi du rool over. Les deux guitar slingers font encore un carton épouvantable dans «You Can’t Lie». Oh l’incroyable vélocité des dynamiques et ce killer solo flash incendiaire ! C’est même une stoogerie ! Ils savent aussi sonner comme le Velvet. La preuve ? «Kiss Tomorrow Goodbye». C’est vraiment pas loin d’All Tomorrow’s Parties. Bravo Max ! Les Flaming Stars sont avec les Spacemen 3 et les Mary Chain le seul groupe anglais à s’être approchés d’aussi près de l’esprit sacré du Velvet. Et maintenant, place aux coups de génie : «Bring Me The Rest Of Alfredo Garcia» pour commencer, assez demented, drivé par le killer tantalizing et des nappes d’orgue insidieuses. Oh et ce solo d’instance de la résistance ! Killer comme pas deux ! Sonic genius encore avec un «Back Of My Mind» furax et même wild as fuck, fusillé par les deux slingers de service. À couper le souffle. Tu ahanes encore quand tu arrives aux pieds d’«I Like Trash». Max te pianote ça à la Jerry Lee. Quelle flambée de Flaming ! C’est le summum de la frénésie, le vrai jive de London town, et ils bouclent cet album faramineux avec un «3am On The Bar Room Floor» fantastiquement étalé sur le plancher.

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             Tu prends les mêmes et tu recommences avec Pathway. Comme son nom l’indique, ils enregistre au studio Pathway, là où fut enregistré «New Rose», et non chez Toe Rag. Liam Watson produit deux trois cuts. L’album est dédié à Charlie Feathers et à Danny Ocean «whos’s gone with the summer wind». Hommage au Velvet avec «Maybe One Day». Ils sont exactement dans la veine de «Pale Blue Eyes». Instro de choc avec «Sing Sing» : groove de jazz. Eh oui, ils ont ces moyens-là. Ils te jazzent le Sing Sing dans la couenne du lard. Tu veux du killer solo flash ? Alors écoute «Running Out The Fire», qui est bien amené sous le boisseau et qui explose ! Killer solo demented, ah laisse tomber Clapton ! Avec les Flaming Stars, ça se bouscule au portillon du firmament. Et voilà encore cinq raisons de rapatrier cet album faramineux, à commencer par «Breaking Down». Wild très wild, c’est du Gun Club balayé par des grattes devenues folles et des nappes d’orgue crépusculaires. Sombre et glorieux à la fois. Dans la foulée arrive «Only Tonight» et sa fantastique intro. Cet album va vite te dépasser, fais gaffe, d’autant que Joe Whitney te bat ça à la vie à la mort. Plus loin, tu prends «Lit Up Like A Christmas Tree» en pleine poire, ça te percute littéralement de plein fouet, comme du Gallon Drunk d’haleine chaude, et tu as ce balancement définitif et ce fou d’Hosking qui part et qui repart ! Quel carnage ! Swing et shuffle, tu as toutes les mamelles du destin dans le Christmas Tree. «Eight Miles Down» t’attend au virage, encore un cut plein comme un œuf et traversé d’éclairs de wild guitar power. Ces deux mecs grattent comme des démons. Et pour finir ton indigestion, voilà encore un bel écrasé du champignon, ce «Just How It Feels» tellement dense qu’il t’amène au bord de l’overdose.

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             Comme t’es un gros malin, tu te dis que tu vas pouvoir souffler avec The Six John Peel Sessions. Grave erreur, amigo. C’est exactement le contraire. Ce sont les cuts des deux albums précédents, en pire. Comme si c’était possible. Joe Whitney est encore plus dingue sur «Downhill Without Brakes», il bat pas le beurre mais le jungle punk. Le killer solo sur «Back Of My Mind» est encore plus killer qu’avant, «Kiss Tomorrow Goodbye» encore plus génial qu’avant, «The Face On The Bar Room Floor» encore plus in the face qu’avant, ils te foutent vraiment la gueule sur le parquet, et le solo est encore plus illuminé qu’avant. Pure romantica punk de London town. «Like Trash» est encore plus trash qu’avant, le solo vampire plane dans la nuit londonienne, John Peel devient encore plus fou que Joe Whitney ! Et Joe bat encore plus le nave qu’avant avec «Forget My Name, et un killer solo vient se coincer en travers de ta gorge. Arghhhh ! John Peel qui a pourtant vu défiler tous les cakes à Maida Vale n’avait encore jamais vu ça ! The Flaming Stars ! Et si c’était le plus grand groupe de rock d’Angleterre ? Va-t-en savoir. En attendant, «Bury My Heart At Pier 13» est encore plus attaqué qu’avant, c’est littéralement gorgé de riffalama scintillante. On n’avait encore jamais un truc pareil. Pire encore avec «Just Too Bad» : Max chante comme un Lou punk ! Les Flaming Stars sont à la fois dans Gallon Drunk et le Gun Club. Et sur le disk 2 sur quoi tu tombes ? Tu ne devineras jamais... Une cover ahurissante du «What Do I Get» des Buzzcocks. Inespéré. Mais attends, c’est pas fini ! Ils sonnent encore plus comme le Velvet qu’avant avec «Running Out Of Time», et puis ils sortent de leur manche cette Beautiful merveille qu’est «Only Tonight». Max fait son Lou quand ça lui chante avec «The Street That Never Loses», il embarque ça au just don’t know, comme le Lou dans «Heroin». Et puis avec «Breaking Down», ils poussent la densité dans ses retranchements, avec encore une fois un killer solo trash d’une férocité à peine croyable. Quand tu sors de là, t’es rincé. Tu vas coucher au panier. Ouaf ouaf.

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             Et tu crois qu’en vieillissant les Flaming Stars vont s’assagir ? Ah ah ah comme font les imbéciles qui se croient drôles. Paru en l’an 2000, A Walk On The Wired Side montre au contraire que l’état des Flaming Stars s’aggrave. Surtout l’état de Joe Whitney. Écoute «The Villains» et tu comprendras. Il ne bat pas le beurre, il bat la wildmania. Max fait encore son Lou dans «Leaving Town». On se croirait sur Berlin. Ils tapent «You Don’t Always Want What You Get» sur les accords du «Mongoloid» de Devo et ça vire vite Flaming Stars avec des rasades de solos stoogiens. Ils font encore du wild extrêmement underground avec «Action Crime & Vision», c’est l’anticipation à la puissance 1000 et toujours ce wild killer solo flash en plein cœur du cut, l’Hosking claque des solos d’une rare violence. Il rivalise de génie sonique avec Wayne Kramer. Ils grattent l’«Over & Done» à coups d’acou dans la chaleur de la nuit londonienne et soudain, tu ne sais pas pourquoi, ça bascule dans l’apocalypse. C’est la grande spécialité de Flaming Stars, avec un riff d’orgue entêtant de tip tip tip et un solo de Nosferatu Hosking. Et voilà «Sleepless Nights» tapé au supremo d’excelsior, explosé de poux du diable et de basse pouet pouet. Que de tempêtes, my son ! Quelle violence ! Ça gargouille dans les entrailles de Saturne ! T’es encore balayé par une tempête de dégelée tentaculaire avec «More Than Enough», ils se jettent tous ensemble dans la balance, l’orgue, le Whitney, les wild killer solos flash et tout s’écroule dans le lagon d’argent avec les falaises de marbre. Tu te dis qu’ils exagèrent et que tu vas porter plainte.

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             Ils attaquent Named And Shamed avec «She’s Gone», une heavy romantica qui résonne au fond du cœur, mais avec un killer solo en intraveineuse. Et puis comme si ça ne suffisait pas, ils basculent dans les Stooges avec «Where The Beautiful People Go». Ils n’ont jamais été aussi énervés. Surtout le Whitney. Lui, il faudrait le faire enfermer et l’Hosking ne vaut pas mieux, avec ses riffs des Stooges. Tu rêvais d’une soirée tranquille, te voilà baisé, une fois de plus. Ils font du heavy stomp de London town avec un «Spilled Your Pint» digne de Carter & The Unstoppable Sex Machine. Du coup, cet album devient complètement wild, et ça s’aggrave encore avec «Another Dial» gratté au gaga demented. Là ils dépassent les bornes. T’es complètement ahuri par le contraste qui existe entre le croon tempéré de Max et les blasts de poux derrière qui valent n’importe quelle pétaudière de Detroit. Les deux slingers allument comme des possédés. Les Flaming Stars jouent sur les deux tableaux à la fois : le cool du froid et l’hot as hell. Effet garanti. Pire encore, voilà «Stranger On The Fifth Floor» et toujours ce contraste chant cool/Méricourt sonique, ces successions de flamboyants killer solos trash sont uniques dans l’histoire du rock anglais. L’Hosking te cisaille encore «If You Give’Em A Chance». Ce sont véritablement les poux les plus furax d’Angleterre depuis le temps de la chopper guitar de Terry Stamp. Tout est cisaillé dans la couenne. Ils font du Third World War sans même s’en rendre compte ! Ils attaquent «The 39 Steps» comme les Damned, à la frenzy des suburbs infestée de poux. 

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             Born Under A Bad Neon Sign est dédié à Nikki Sudden. L’album est un petit peu moins dense que ses prédécesseurs, disons qu’il est plus tenu en laisse, mais attention, ça mord ! Holly Golightly vient duetter avec Max sur le morceau titre, l’ambiance générale est très tendue, très battue, le Whitney fait encore des siennes sur «Should’ve Happened Before» et sur «It’s So Fine». Sur chaque album des Flaming Stars, il se passe des choses extraordinaires. Les grattes n’en finissent plus de plonger dans les entrailles des cuts encore vivants. Ils se tapent une wild ride avec «All This (And So Much More)». Ils adorent partir à l’aventure. Ces mecs sont musclés, beaucoup trop musclés. Retour au Velvet avec «Keine Ahnung», superbe balladif intimiste inspiré. Et tout explose avec «All The Same To Me», Joe Whitney bat le beurre du fou, toujours ce contraste entre cette énergie contenue et le fou qui bat derrière, et tu assistes à un développement spectaculaire, Whitney tape à la dent creuse et les poux prennent feu. Huck Whitney et Mark Hosking jouent vraiment dans la cour des grands. Peu de groupes sont capables de telles pertes de contrôle.

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             Et puis on finit par entrer dans l’ère de ce qu’il faut bien appeler des compiles apocalyptiques avec Bring Me The Rest Of Alfredo Garcia (Singles 1995-1996) et London After Midnight (Singles Rarities And Bar Room Floor Fillers 1995-2005). Ces deux compiles font partie des meilleurs disques jamais parus en Angleterre. Elles condensent du déjà dense, alors si tu as les nerfs fragiles, passe ton chemin. Ce sont les compiles du non-retour. Sur Bring Me The Rest Of Alfredo Garcia, tu retrouves dans le morceau titre le pire killer solo d’Angleterre. Il semble que ce soit Johnny Johnson qui le passe. Tu retrouves aussi ces gros clins d’yeux au Velvet, «Ten Feet Tall», «A Hell Of A Woman» et «Eart Your Heart Out», avec la fabuleuse clameur new-yorkaise, le swagger du diable, «A Hell Of A Woman», c’est Lou Reed avec de l’orgue, et ils ramènent même du Totor dans l’équation d’«Eat Your Heart Out». Tu retrouves aussi «Like Trash», avec le Whitney qui t’explose la combine, dans un délire de fuzz et de notes de piano. Tu as là tout ce que tu aimes dans le rock, le great fast & furious. Et bien sûr, il pleut des coups de génie comme vache qui pisse, à commencer par ce vieux «Face On The Bar Room Floor» qui date du premier album, pourri d’écho, wild et complètement ravagé, c’est Memphis in London. Et puis tu as ce «Broken Heart» cavalé sous le boisseau de Camden, assez pur,  presque rockab et éclairé par des éclairs de grattes. Que de power my Gawd encore avec «Kiss Tomorrow Goodbye», et ça grouille d’instros grandioses comme «Spaghetti Junction», «Davy Jones Locker» ou encore l’effarant «Get Carter». Oui effarant. Pas d’autre mot possible ici.

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             London After Midnight (Singles Rarities And Bar Room Floor Fillers 1995-2005) est encore pire, car c’est un double CD. T’es pas sorti de l’auberge ! Tu retrouves les coups de génie d’Alfredo Garcia, «Kiss Tomorrow Goodbye», «The Face On The Bar Room Floor», suivis de l’imparable «Money To Burn». Tu rôtis déjà en enfer. Bienvenue dans l’underground d’after midnight. Tu te noies dans cette pop éperdue et incroyablement tendue. Tu vois des cuts faramineux se noyer dans des nappes d’orgue («Ten Feet Tall»), d’autres grattés à la folie («Bury My Heart At Pier 13»), d’autres descendre au barbu de London town («New Hope For The Dead»), d’autres sabrés au killer solo flash de destruction massive («Sweet Smell Of Success»), d’autres qui atteignent la grandeur inexorable («Only Tonight»), d’autres qui singent le Mongoloid («You Don’t Alway Want What You Get»), d’autres qui sont claqués du beignet d’entrée de jeu («Stranger On The Fifth Floor», et tu y vois un killer solo devenir fou, c’est unique dans l’histoire du rock anglais),  d’autres qui prolifèrent dans le grain du son («Eight Miles Down»), d’autres qui virent samba du diable («Running Out Of Time», avec Mark Hosking qui vient de s’échapper de l’asile de fous), d’autres qui allument les lampions de l’underground («Where The Beautiful People Go»), d’autres qui battent tous les records de tout ce que tu veux («The Man Who Would Be King» et «Action Crime & Vision»), d’autres qui jouent les dandys londoniens («Right Face Right Time»), d’autres qui défoncent la rondelle des annales stoogiennes («Back Of My Mind»), d’autres qui te fendent le cœur («Days Like This»), d’autres qui te marquent à vie («Never Missed You Tonight»), d’autres qui t’envoient au tapis («Like Trash», avec ce fou d’Hosking qui se balade dans le son au tremblé de note explosif). Enfin bref.

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Flaming Stars. Songs From The Bar Room Floor. Vinyl Japan 1996

    Flaming Stars. Pathway. Vinyl Japan 1999

    Flaming Stars. The Six John Peel Sessions. Vinyl Japan 2000

    Flaming Stars. A Walk On The Wired Side. Vinyl Japan 2000

    Flaming Stars. Named And Shamed. Vinyl Japan 2004

    Flaming Stars. Born Under A Bad Neon Sign. Big Beat Records 2006

    Flaming Stars. Bring Me The Rest Of Alfredo Garcia (Singles 1995-1996). Vinyl Japan 1997

    Flaming Stars. London After Midnight (Singles Rarities And Bar Room Floor Fillers 1995-2005). Big Beat Records 2006

     

    *

    L’on ne sait jamais où l’on met les pieds, j’aurais dû m’en douter, l’on ne s’écoute pas, l’on se croit plus fort que la mort. Bien sûr ce n’est pas de ma faute, lors de ma recension (voir notre livraison 646 du23 / 05 / 2024) d’Averoigne d’Arcanist, j’avais été frappé par le nom de leur maison de disque : Yuggoth Records, s’en échappe une exhalaison lovecraftienne, normal puisque son implantation terrestre ou symbolique se situe à Rhode Island.

    Beaucoup de gens appellent leur chat Minou, esprit rationnellement tourmenté Lovecraft a décidé de baptiser la planète naine Pluton du  nom de Yuggoth, la description que l’auteur de Dagon en donne n’incite guère à l’optimisme.  Lisez Ceux qui chuchotaient dans les ténèbres pour vous en convaincre.

    Quand vous trouvez un caillou qui vous semble bizarre, ne le ramassez pas, vous ne savez pas ce qu’il cache. Facile d’identifier la pierre qui a attiré mon attention le nom est écrit juste au-dessous de Yuggoth Records : Peter Scartabello.

    Qui est-ce ? Je vais vite savoir, l’a un album sur le catalogue Yuggoth ! Puisque c’est à ses actes que l’on connaît un homme, écoutons.

    CAST

    PETER SCARTABELLO

    (Yuggoth Records / Bancamp  / 17 – 01 - 2000)

    Une belle couve. Lorsque vous la regardez pour la première fois vous ne voyez que la moitié d’elle. La moitié inférieure. Le profil d’un bel et gracile adolescent, ou d’un jeune homme, micro en main en train de chanter. Derrière lui, le squelette d’une  cage thoracique, vous vous croyez en pays conquis, vous ne voyez pas, vous entendez le déluge metallique, vous savez déjà ce qui vous attend, un opus de death metal, d’ailleurs ce fond de  couleur bois vernis de cercueil vous conforte dans votre opinion, de toutes les façons avant même de regarder  vous l’aviez deviné, un label qui se pare du nom de Yuggoth ce n’est pas pour vous proposer la bande-son de Petit Ours Brun va à la plage,  les plus blasés s’écrieront encore un truc tordu à la Damie Chad je passe à la chronique suivante, jetez tout de même un coup d’œil à la partie supérieure de la couve. Tiens le même gars, l’a l’air un peu fatigué, un peu flappi tel une pomme d’api oubliée depuis trois mois sous le tapis, vous ne savez pas pourquoi vous pensez : diable avec ce squelette thoracique derrière lui ce n’est pas La Jeune Fille et la Mort de Schubert mais le jeune homme et la mort de  Peter Scartabello. Vous êtes fier de votre trait d’humour, vous sursautez, non de Zeus ce n’est pas une cage thoracique, c’est… c’est… c’est quoi au juste… vous zieutez de plus près, un bas-relief sur une cloche géante ou le bas d’un large tronc d’arbre qui représenterait un musicien jouant sur une espèce de violoncelle à forme thoracique… Le problème c’est que plus vous essayez de comprendre la juxtaposition intricatoire de ces deux bandes, la supérieure et l’inférieure, moins vous intuitez, car si au premier abord la composition paraît simple vous vous trouvez face à une structure d’une grande complexité, elle fonctionne à la manière de ces glissements sémantiques flappi-api-tapis qui jouent sur les sonorités, mais là se pose une question cruciale : celle que vous ne parvenez pas à formuler.

    L’artwork n’est pas signé.

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    Une fausse note. Peter Scartabello n’est pas crédité parmi la liste des musiciens.  Conclusion : c’est un compositeur. L’a notamment composé des musiques de films d’horreur. Jusque-là tout baigne : horreur-Yuggoth-Lovecraft. Non pas du tout ! L’écoute de Cast m’a ôté d’un doute provoqué par la lecture de la liste de ses musiciens. Cast n’est pas un disque de Death Metal mais la première œuvre de musique classique composée par Scartabello.  Pas étonnant, le Metal est une musique multiple. Une pieuvre aux mille bras qui étend ses tentacules dans de nombreuses directions. Nous vivons une époque où les genres se rencontrent tels de monstrueux icebergs à la dérive qui s’entrechoquent… Je réprouve le terme de fusion, je préfère évoquer des formes idéennes intangibles qui s’interpénètrent en un incessant combat tellurique, un peu comme si par effraction aléatoirement logosique  vous vous retrouviez dans une dimension temporelle qui n’est pas la vôtre. 

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    Si j’ai bien compris les rares images et commentaires de son instagram – je n’ai jamais vu autant de photos de pizzas – Peter Scartabello a suivi une formation classique. Ce qui ne l’a pas empêché de s’intéresser à d’autres universs. Outre les couves de King Crimson et de quelques autres groupes, parmi ses quatre mille posts je retiendrai d’abord : une photo du dernier texte écrit par Rainer-Maria Rilke, le poëte par excellence de la notion d’Ouvert... Mais surtout aussi son admiration de Schubert.

    Je me suis un bon moment demandé comment traduire le titre de cet album. Phonétiquement j’avais envie de proposer Cash, ensuite à l’aide du traducteur qui donnait comme terme de base le verbe ‘’jeter’’ j’ai opté pour jonchée, l’idée de quelque chose de précieux que l’on jette à terre ou que l’on dépose comme une gerbe de fleurs sur une tombe, car  de quel objet plus intime que la vie pourrions-nous nous débarrasser… En fait Cast est un terme musical qui désigne un quart de ton.  Pas de quoi chercher de minuit à deux heures du matin les fantômes de la nuit…

    The Signal : musicien : Ben Moran : guitare classique / bandes :  le morceau est précédé de l’indication : pose ta paume sur mon front et murmure : « le signal devient plus fort. »… à mon oreille. (1994) : pointez l’oreille vers le son, roulement de cordes dont les harmoniques s’amplifient en une progression qui baisse d’un ton, cascade de notes esseulées, gouttes de pluie fine et grave qui surgissent et se noient dans un verre rempli d’eau, long silence, la structure se répète sous une forme différente, davantage rapide, davantage de notes qui bientôt s’espacent puis se cristallisent comme de frêles stalactites de glace qui se brisent de par leur  propre fragilité, sifflements, il semblerait que Moran el chileno ait perdu sa dextérité, tel un gitan de flamenc qui ne parviendrait plus à les  bazarder par floppées, secoue une dernière fois sa guitare pour faire tomber les dernières gouttes, un bruit de corde qui casse et un silence encore plus long que le précédent, quels sont ces tapotements, l’on se croirait transporté dans le finale d’une tragédie de Racine, une corde désespérée incapable de jouer, artiste maudit, qui se ferait brutalement harakiri, puis des larmes et du silence, des efforts elle rampe sur le plancher, le drame serait-il que notre modernité ne pourrait plus entendre un instrument sans désirer un couac, révolte la guitare se relève pour laisser éclater son chant de cygne à l’agonie, non à la dissonance, la beauté avant tout jusqu’aux portes de la mort, le son se morcèle, du bruit, du noise, de la folie, les doigts frôlent les cordes comme si Hendrix frottait son instrument sur son ampli, chaos partout, sonnerie, amplitude sonique, découpe-t-on la caisse à la scie égoïne. Silence. Serait-ce le bruit de la mort ? De la musique ? La musique serait-elle la jeune fille qui meurt… Cast I : rappelons que l’œuvre de Schubert a été écrite pour un quatuor à cordes. Or les trois mouvements de Cast forment le String Quartet N° 1 interprété par le Charleston String Quartet : Charles Sherba : violon – Lois Finkel : violon – Consuelo Sherba : alto – Daniel Harp : violoncelle : des cordes qui viennent de loin, qui s’arrêtent, qui repartent sur un ton plus grave, le violoncelle s’accapare de tout l’espace mental, il subjugue le trio, il cogne, mais une plainte pure lui succède, une tristesse s’hystérise, Peter Scartabello sous-entend-il que la musique ne pourrait jamais se déployer longuement sans qu’elle ne soit victime d’étranges crises cardiaques qui lui interdisent toute sérénité, comme si une note ne pouvait suivre la précédente sans être soumise à une tension catatonique ou à une pliure de boursoufflure, dans les deux cas qui l’empêchent d’être dans la fugace sérénité de sa présence, or ne voici pas qu’elle réussit son envol, le quartet prend de l’altitude, mais une ratée survient, l’oiseau une flèche fichée dans son aile perd de l’altitude et tombe.  Cast II : majestuoso, élégique, mais la plénitude sonore ne dure pas longtemps, coupures, résonnances, lourdeurs, affinements, entre l’anéantissement et la fureur de vivre, une plainte au ras du sol, une envolée qui rampe et se perd dans le silence, il est indéniable que le silence chez Scartabello est constitutif de la musique, l’eau qui s’évapore n’en reste-t-elle pas moins de l’eau… pointillés sonores qui parfois prennent une importance démesurée pour mieux se dégonfler ou éclater tels des ballons de baudruche qui ne fêteront jamais l’anniversaire de l’infante défunte. Pavane. Cast III : quelle énergie, en point de fuite qu’elle tient à conserver malgré tout, joignent leurs efforts du plus aigu transperçant au tabassage du plus grave, un premier silence infime pour mieux reprendre force mais ce n’est plus pareil, grandes orgues funèbre du violoncelle, les violons gémissent, entend-on le bruissement des roses que le vent de la mort balaie les nuits de longue froidure, si oui il doit ressembler à cette agonie qui maintenant psalmodie, survivront-ils jusqu’ à l’aube, à l’image de la chèvre de Monsieur Seguin qui attend l’apparition du soleil pour finir dans l’illumination de sa propre beauté, de son propre courage, de sa victoire… Electro-Magma I : Dehydration : Michiyo Suzuki : clarinette basse / bandes : avec un tel titre l’on attend un tohu-bohu tonitruant, pas du tout, une respiration rauque et profonde, sur des cliquetis de clochettes animales, Michiyo pousse sa suzuki, une 125, pas une 1000, il tente de faire rugir son moteur, l’a des montées profondes, mais ce n’est pas facile, parfois il zigjazze sur le macadam, et patatrac la mécanique casse et coule une bielle avec un bruit d’anneaux de plastique sur une tringle à rideau, mais ce n’est pas fini, la moto est en rade mais maintenant c’est le combat de la musique contre les redondances du bruit tuméfiant, la clarinette expire, c’est donc qu’elle vit encore ! Electro-Magma II : Liquefaction :la suite tout de suite et pas au prochain numéro, ça transbahute, l’on se croit plongé dans le combat des géants du poème d’Henri Michaux, la bande-son produit tous les bruits qu’elle peut, un avion qui vole juste au-dessus de votre maison, Michiyo se défend tel un beau diable, vous fait le coup de la sirène du paquebot qui entre au port, ou alors il vous pousse des barrissements d’éléphants, hélas la bande-son est plus forte que lui, ne cherchez pas la noise au noise, plus noise que lui tu meurs, tu voulais un bateau, tiens voici le bruit des vagues, ô combien de capitaines ont péri de façon certaine sur les mers lointaines, qu’importe réfugié sur une île Michiyo continue de jouer pour lui. Se rend-il compte que personne ne l’entend et que le bruit de la mer recouvre sa clari(-de-moins-en-moins)nette et de plus en plus basse…

             Magnifique !

    Damie Chad.

     

    *

                    Denis, mon bouquiniste préféré m’a tendu le livre. Que j’ai pris. Dans les deux minutes qui ont suivi j’ai décidé que je ne le lirai pas. J’avais cherché dans la table des matières, de prime abord les têtes de chapitre paraissaient assez énigmatiques, alors je me suis guidé sur les dates, où et comment le gonze avait-il parlé des fanzines ‘’ pionniers du rock ‘’ créés par les fans entre 1966 et 1968 ? Un bon point : n’en avait pas dit du mal. Un très mauvais, un truc à lui refiler dans les pattes la célèbre marque noire des pirates : n’en souffle pas un seul mot.

             Hier soir, suis arrivé à la maison un peu fatigué, pas l’envie d’écrire, le livre était sur le bureau, je l’ai ouvert à la première page. Je viens de le refermer à la dernière.

    UNE HISTOIRE DE LA

    PRESSE ROCK

    EN FRANCE

    GREGORY VIEAU

    (Le Mot et le Reste / Juillet 2023)

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    Les Editions Le Mot et le Reste ont à leur actif près de quatre cents livres consacrés à la musique, toutes les musiques certes mais beaucoup qui se rapportent au rock’n’roll. Un tour sur leur site ne vous décevra pas… A ma grande honte j’avoue que je ne connaissais pas Gregory Vieau . Enfin peut-être si. L’écrit dans New Noise et j’aime à feuilleter cette revue. Journaliste freelance il travaille beaucoup pour Arte écrit aussi dans Vice et Kiblind, vous le retrouverez sur le net  dans Brain Magazine, Le Drone, Mowno. Il ne fournit aucun détail intime mais ses implications professionnelles permettent de mieux cerner le personnage.

    L’aurait quand même pu parler de l’angoisse kierkegaardienne qui étreignait les fans de rock dans ces années-là, y avait bien Salut les Copains que je lisais chez les copines de ma sœur mais à peine si les articles effleuraient le sujet, j’ai réussi à dégotter un numéro de Rock’n’roll Actuallity, c’est là où pour la première fois j’ai rencontré le ‘’reggae’’, mais après l’a fallu attendre la sortie de Rock ‘n’ Folk, j’ai eu le numéro Un dans les mains, je l’ai épluché dans le coin-presse du bureau de tabac – mais pas acheté car complètement fauché comme le chantaient Ray Charles repris par Eddy Mitchell, les patrons étaient sympas, sinon je m’étais procuré le Dictionnaire du Jazz, faute de grives l’on se contente merles, paru chez Larousse, une seule colonne pour le rock’n’roll, mettaient B.B. King dans la liste des huit principaux pionniers du rock,  cela m’étonnait… par contre pas mal d’entrées pour le blues… Au fin-fond de l’Ariège la principale source d’information c’était la radio, Europe 1 et Salut Les Copains principalement, Grégory cite aussi Spécial Blue-Jeans sur Radio Andorre mais omet La Radio des Vallées dont l’émission spécialisée possédait l’immense avantage de débuter à seize heures…

    Le book débute par un beau portrait du pionnier de la presse-rock en France, Jean-Claude Berthon le créateur dès septembre 1961 de Disco-Revue. Il serait facile de le qualifier, avec une moue dédaigneuse, de puriste, c’est vrai qu’il aimait les pionniers, Sylvie Vartan aussi, mais la revue a su évoluer, Elvis Presley, Gene Vincent, Chuck Berry certes, mais très vite les Stones, les Beatles, les Animals, Disco-Revue avait repéré le filon d’or pur… Une revue de fortune (teller) bricolée à partir de rien qui tire jusqu’à 40 000 exemplaires, de quoi aiguiser les appétits. Disco-Revue se fera doubler sur sa droite par Daniel Filipacchi et Frank Ténot, z’ont un as de pique imparable dans la manche, leur émission de radio qui compte des centaines de milliers d’auditeurs, la revue Salut Les Copains dépassera le million d’exemplaires… Berthon serre les dents, sent venir le coup fourré, les yéyés contre le rock’n’roll, bye bye Disco Revue, il tente le tout pour le tout, en 1967 il lance Les Rockers, qui s’éteindra au bout de sept mois, qui renaîtra en un dernier baroud d’honneur en Rock’n’roll Actuality, une douzaine de pages mal ronéotypées agrafées sur le côté, un véritable samizdat rock…

    Contrairement à ce que l’on pourrait accroire Rock’n’Folk ne provient pas d’un milieu rock mais du jazz. De Jazz Hot, revue tournée vers le free jazz, en rupture avec les amateurs de ‘’vrai jazz’’, comprendre trad, swing, et à la limite le be-bop de Charlie Parker… Une rédaction aux idées larges, parfois révolutionnaire, ainsi l’on retrouvera l’un de ses membres éminents Michel Lebris  directeur du journal maoïste La Cause du Peuple, ces fans de jazz sentent bien qu’à côté du Free, il y a autre chose, le folk aussi politique et revendicatif que le free associé à cette honteuse musique électrique qui séduit les jeunes… Ils couperont la poire en deux, pas question de rendre compte de ces étranges épiphénomènes dans les colonnes de leur magazine, mais un numéro spécial, titré Rock’n’Folk, style on vous en parle parce que ça existe et que nous nous devons de vous tenir informés… ne cherchez pas, dans la série ne mélangeons pas les torchons avec les serviettes la mention Hot Jazz n’apparaît pas sur la couve. 30 000 ventes escomptées.  15 000 effectives. Parfois l’échec vous rend plus fort. L’on connaît la suite…

    Un cas parmi d’autres. Jacques Barsamian, que nous aimons bien, l’a commencé à écrire dans Disco-Revue. On le retrouve dans Rock & Folk. Nous l’on possède quelques un de ces livres sur les rayons de notre bibliothèque. Il faut vivre, quand on a mordu à l’hameçon de l’écriture ceux qui accueillent vos articles deviennent vos nouveaux compagnons de route... Berthon est d’une autre trempe. Il ne mange pas de ce pain-là. On lui a volé le gâteau qu’il portait à sa bouche, il se retire dans sa tour d’ivoire. C’est un pur. Ce n’est pas l’envie qui lui manque. Ça le démange, la preuve lorsqu’une partie de la rédaction des Rochers passe chez Best, il ne pipe mot. Mais il sera au début de l’aventure d’Extra, une espèce de sous-clone de Best, qui finira mal.

    Pas de moraline, il n’y a pas de bon Berthon, finira sa vie à Nancy dans sa ville natale, dans l’anonymat en tant que disquaire. A sa mort dans R&F Patrick Eudeline lui rendra un bel hommage… il n’y a pas non plus les mauvais méchants. Frank Ténot, Daniel Filipacchi et Philippe Koechlin premier directeur de R&F, ont investi leurs économies, pari risqué, pour le lancement de leur magazine respectif.  Tout le monde ne sait pas saisir les opportunités. La vie est profondément injuste, le hasard fait mal les choses. Elle se font avec vous ou sans vous. Mais elles se font. Tel est pris qui croyait prendre. N’attendez rien des autres. De vous non plus. L’on agit toujours à son propre insu. L’on n’est jamais trahi que par soi-même. Instant Karma  à la Plastic Ono Band, nous préférons le vouloir vivre de Schopenhauer, soyons précis, plutôt le vouloir que la vie.

    Les aventures   relatées dans les quatre-vingt premières pages du bouquin sont symboliques de tout ce qui va suivre. Jusqu’à grosso modo 2015. D’un côté les amateurs de rock, les esprits curieux et ouverts, sans eux il n’y aurait rien eu. De l’autre côté le manque d’argent. Le trou qui attire les investisseurs. Ils ont le fric. Ils vous promettent une liberté totale. Parfois ils tiennent parole. Parfois comme chez Best vous passez sous la coupe d’esprit fantasque ou dictatorial. Oui mais quand ils perdent de l’argent. Alors ils reprennent leurs œufs et s’en vont les placer dans un autre panier. Dans tous les cas vous faites des compromissions. Voyez les soi-disant Inrockuptibles, des amoureux de bonne musique et leur petit fanzine qui se vend bien, de crise financière en crise financière, ils tombent sous la coupe d’in banquier, pas tout à fait un pignouf, simplement Pigasse, finiront en magazine culturel à la solde du Parti Socialiste

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    Le pire c’est que parfois ce sont les aventuriers eux-mêmes qui vieillissent… Le rock’n’roll, musique rebelle, musique urgente, all right men, le cas de Rock & Folk est sidérant, sont comme tout le monde, le staff vieillit mal, le punk leur passe sous le nez, ces jeunes malotrus, cette resucée stupide des blousons noirs, pfff ! c’est Best qui a récupéré le ballon, en même temps que celui du reggae, que voulez-vous le rock c’est anglais ou américain… La revue ne récupèrera pas le temps perdu. Heureusement le public vieillit aussi, l’aime bien les idoles de sa jeunesse, le zine survit sur son glorieux passé…

    Les générations se renouvellent et ne se ressemblent pas, elles n’ont pas les mêmes besoins. Actuel cornaqué par Bizot, il apporte les idées neuves et l’argent, sera le chantre des années gauchistes, pas des idéologues, ceux qui veulent vivre cool, s’éclater, dope, bande dessinée américaine, sexe, communautés, refus du système, philosophies douces, musiques diverses, j’ai toujours adoré leurs mises en page multicolores, les temps changent, Actuel sent que le vent tourne et se paie le luxe d’un harakiri victorieux après avoir gagné leurs batailles genre sachet de thé qui infuse toute la bouilloire sociétale… Ils reviennent, avec une nouvelle idéologie, celle des années quatre-vingt, le fric, la gagne, la modernité libérale…  Bullshit !

    Comment expliquez cela ? C’est que l’on est passé du rock ‘n’roll à la notion de culture populaire, et de celle-ci à celle de Culture avec un C majuscule, autrement dit du prolétariat à la petite-bourgeoisie, de la radicalité a l’acceptation, le cas de Libération est à étudier, ses chroniques BD, littérature (notamment la partie poésie), musique, totalement libres et fertiles, ont disparu peu à peu au fur et à mesure qu’il a fallu augmenter le Capital ( encore un C majestueux) pour que le journal (comprendre la direction) puisse vivre au mieux. Parcours sans faute, comment passer de l’utopie au bon côté du manche de la matraque idéologique. 

    La suite du livre est effrayante, oui des mecs ont des idées nouvelles, oui ils se débrouillent tant bien que mal pour fonder une revue, oui puisque ça a l’air de marcher, dans la foulée des imitateurs se proposent de réaliser un projet similaire, très vite l’on est obligé de déposer le bilan, ou de faire alliance avec les concurrents pour ne pas mourir. L’on meurt tout de même. L’on ne s’en aperçoit pas, les années défilent, aucun mouvement musical n’échappe à cette règle, ni le punk, ni le hard, ni le metal. Bientôt encombrements. Application de la loi de la sélection naturelle par la suite. Voir la tétralogie gothique très instructive :  Elegy, Obsküre, Noise, New Noise.

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    Petit problème de base : de moins en moins de lecteurs. Grosse problématique de masse : de plus en plus de sites web consacrés à la musique. Des tentatives originales, biscornues, courageuses : Magic !, Tsugi, VoxPop, Punk Rawk, toutes condamnées à plus ou moins brève échéance, même si de temps en temps la tête coupée renaît une ou plusieurs fois.

    La conclusion n’est pas très optimiste. Voilà, c’est fini.

    Pas du tout, c’est là où le livre s’arrête à la quatre-cent cinquante-quatrième page, c’est là où il devrait commencer. Questions essentielles, qu’est-ce qu’une écriture rock’n’roll, une expression passe-partout, un mythe, une chimère… Comment cette écriture rock’n’roll s’est-elle transformée en soixante ans… La musique a évolué, l’écriture a-t-elle suivi le même chemin… Ce genre de réflexions est surtout abordé lorsque Grégory Vieau aborde le saut qualitatif d’écriture opérée par Rock & Folk, cite les noms mais n’explique pas en quoi ce changement réside. Il est vrai que nous sommes dans une simple historiographie de la presse rock en France et pas dans une analyse stylistique pratiquée en université. Pour ma part je dirais que cette maturité d’écriture est peut-être liée à la nouveauté des phénomènes décrits et la nécessité de convaincre les lecteurs… J’ajouterai qu’à mon avis le seul véritable écrivain de Rock & Folk est sans conteste Yves ‘’ Orphan’’ Adrien et sa Novö/Vision, écriture qui au fur et à mesure que le temps avance, et que notre civilisation décline, se révèle de plus en plus prophétique.

    Après avoir lu ce livre qui donne à réfléchir, je me dis que notre blogue ultra-rudimentaire dans sa conception esthétique renouant ainsi avec l’élan primitif des tout premiers fanzines rock’n’roll bénéficie apparemment d’une liberté à toute épreuve. Pas de banquier, pas de comité de rédaction, pas de compte sonnant et trébuchant à rendre. Pas de triomphalisme, nous savons bien qu’à tout moment notre hébergeur peut nous rayer de la carte d’un simple clic. Nous ne nous faisons aucune illusion, toute présence sur le net est aléatoirement politique et financière. Un hébergeur peut changer de stratégie éditoriale, revendre de plein gré ses avoirs ou se faire racheter par plus gros que lui… Dans notre société toute liberté est sursitaire.  Le rock’n’roll n’est pas une marchandise, juste une énergie kaotique qui ne doit pas s’éteindre. Sans quoi, pourquoi s’obstinerait-il à survivre…

    Damie Chad

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    86

    Le Chef soupira profondément, je me versais une bonne pinte de moonshine manière de lui tenir compagnie pendant le long silence qui suivit. Le Chef l’interrompit brutalement :

             _ Agent Chad il se fait tard, il est temps de rendre visite à nos jeunes amies, toutefois si vous m’accordez un dernier Coronado avant de nous coucher, j’avoue si cela ne vous dérange point, que je savourerais avec plaisir ce suprême moment d’extase à nul autre pareil…

    Le Chef joignit le geste à sa parole et alluma son ultime Coronado. Sirotant une deuxième rasade de moonshine je suivais sans penser à rien les ronds de fumée qui s’élevaient vers le plafond… Il est des instants où le monde semble s’arrêter, une impression de calme et de paix descend sur vous, elle vous enveloppe dans une sensation de quiétude absolue, plus rien n’a d’importance, vous aimeriez que ce moment durât une éternité…

    Il n’en fut rien, une sonnerie déchira le silence, le téléphone rouge, la ligne directe avec l’Elysée, carrément le Président en personne, je reconnus sa voix  très énervée dès que le Chef eut décroché :

             _ Vous foutez quoi encore avec vos conneries - lorsque les situations s’avèrent urgentes l’attitude des dirigeants n’est pas aussi compassée et faussement joviale que lors de leurs présentations des vœux pour la nouvelle année – une fois que vous aurez arrêté votre bordel  je vous fais fusiller, tout le service, vous et vos deux chiens !

    Nous ne pûmes même pas répondre. Le Président avait raccroché sur un dernier juron que je n’ose même pas retranscrire.

             _ Chef, qu’avons-nous encore fait, il était furax. Que…

    Je n’eus pas le temps de formuler ma question, le téléphone sonna, ouf c’était le noir ! Le Chef le décrocha avec un sourire de soulagement :

             _ Ici John Deere, l’on arrive dans deux minutes !

    Nous nous regardâmes avec surprise, que nous voulait donc la CIA ?

    _ Nous n’allons pas tarder à le savoir, question boulot, malgré nos

     préventions,  ces gars-là sont réglo !

    87

    En effet une minute cinquante huit secondes plus tard ils arrivèrent. Pas tout à fait comme nous les attendions, il y eut un bruit terrible dans la rue, crissements de freins, chocs divers et longues rafales de mitraillettes. Rafalos en main nous descendîmes nos quinze étages à toute vitesse, pas assez vite, une voiture, portières ouvertes était arrêtée au milieu de la chaussée sur laquelle gisaient deux corps que nous reconnûmes immédiatement : John Deere et Jim Ferguson, ce dernier n’était pas encore tout à fait mort, le me penchai sur son visage, il fit un terrible effort et murmura avant d’expirer : ‘’ Ils arrivent !’’.

             _ Agent Chad, volez-nous une autre voiture celle-ci est inutilisable, je reviens avec les filles, les chiens, tous les chargeurs de Rafalos, n’ayez crainte, je prends en premier ma réserve de Coronados !

    88

    Je fonçais en avant. Derrière moi les chiens aboyaient et les filles ravies que l’aventure ne cessât jamais ne cessaient de rire, je ne savais où aller, le Chef se contentait de fumer paisiblement un Coronado, il ne m’avait indiqué aucune direction, j’en profitais pour m’amuser à tourner un peu au hasard à toute vitesse autour des pâtés de maisons négociant les virages perpendiculairement  sur deux roues. Je n’y avais pas, tout occupé à mon gymkhana, fait attention, je ne m’en aperçus que lorsque le Chef remarqua :

             _ Je trouve étrange qu’à trois heures trente du matin il y ait autant de monde sur les trottoirs.

    C’était vrai. Des gens changeaient de trottoir sans prévenir, ils traversaient la route sans regarder, heureusement que mes réflexes sont bons, maintenant il y avait tant de monde que je dus ralentir malgré moi. Que se passait-il ? Loriane eut une idée de génie :

    _ Il n’y a qu’à écouter la radio !

    J’enclenchai le bouton au bon moment :

    ‘’ Flash Spécial : Le Président de la République vient d’être évacué de l’Elysée, deux hélicoptères de l’armée viennent de quitter la cour du palais pour une direction inconnue’’

    Nous n’eûmes même pas le temps de réagir à cette étonnante nouvelle, la voix de Gilbert Durant, le célèbre présentateur du journal de 19 heures se fit entendre :

    ‘’ Chers auditeurs à cette heure inaccoutumée, appelé par la rédaction de France-Radio je prends  le micro, chers auditeurs cette nuit est pleine de surprises, pour des raisons inconnues des centaines de parisiens ont commencé à quitter sans raison apparente leur domicile vers les trois heures du matin, de plus en plus nombreux, selon les témoignages recoupés de nos informateurs répartis sur l’ensemble du territoire, ils seraient maintenant plusieurs milliers, des hommes, des femmes, des enfants, certains accompagnés de leurs animaux domestiques – Molossito et Molossa aboyèrent avec conviction - le plus extraordinaire c’est que personne ne parle, tous refusent de répondre au micro que je leur tends, j’essaie encore une fois : Monsieur, Monsieur, s’il vous plaît pourriez-vous me di…’’

    Il y eut une espèce de gargouillement, puis plus rien. Nous essayâmes d’autres radios, toutes avaient fini d’émettre.

    • C’est extraordinaire s’écria Doriane !
    • La fin du monde surenchérit Loriane !

    89

    Le Chef se contenta d’allumer un Coronado !

             _ Demoiselles un agent du Service Secret du Rock ‘n’ roll se doit de garder la tête froide. La situation est peut-être plus terrible que vous ne l’imaginiez, ne prenez la parole qu’à bon escient, tout comme Molossito et Molossa tout à l’heure ont aboyé juste pour manifester leur sympathie à leurs congénères, essayons de raisonner logiquement. Quelle raison d’après vous peut pousser les gens à quitter leur appartement en pleine nuit. Ne répondez pas réfléchissez, je vous donne la parole dans trois minutes le temps d’un court entretien avec l’agent Chad.

    Toute modestie mise à part, mes neurones travaillant plus vite que la majorité de la population terrestre, je me doutais du sujet dont voulait m’entretenir le Chef, aussi me permis-je de prendre la parole :

             _ Chef j’ai peur que nous ayons mal interprété la bordée d’injures que nous a adressées ce matin le Président.

             _ Agent Chad je partage votre crainte, à notre décharge nous soulignons qu’il est souvent…

             _ Toujours, Chef !

             _ En colère, ne m’interrompez pas Agent Chad chaque fois que je me sers d’une litote, espèce de tête de linote, le Président n’aime pas le rock’n’roll, c’est un terrible manquement à son humanité, soyons démocrate, c’est son droit, rappelons aussi que dans une précédente aventure nous avons occis par mégarde son prédécesseur, il nous craint et pourtant cette nuit il décroche son téléphone, non pour nous injurier, mais un sous-fifre quelconque a dû lui confirmer au moment même où il prenait en main son combiné une très mauvaise nouvelle, l’a dû perdre la tête, une forte contrariété aura motivé cette bordée d’insultes à notre encontre.

             _  Chef , vous auriez dû exercer la noble profession de psychologue.

             _  Agent Chad, j’aurais pu exercer tous les métiers que J’exècre, le plus noble de tous étant la défense du rock’n’roll, je l’ai donc choisi.

             _ Vous avez eu raison Chef, je suppute que vous pensez que le Président nous a appelés à l’aide car il avait peur !

    Des cris de joie éclatèrent sur le siège arrière, Loriane et Doriane exultaient, leurs voix se mêlèrent :

             _ Comme nous ! ils ont trouvé comme nous. Le Président avait peur comme toutes ces personnes qui ont quitté leurs maisons, elles sont parties de chez elles parce qu’elles avaient peur de quelque chose !

    Le Chef les félicita. Il en profita pour allumer un nouvel Coronado, il exhala longuement un nuage de fumée aussi épaisse et opaque que ces brumes soudaines qui au dix-neuvième siècle causèrent tant de naufrages. Tendez l’oreille, vous entendrez le bruit de ces coques de bois, coquilles de noix, s’écrasant sur de sournois et cruels récifs…

             _ Maintenant demoiselles, j’attends une réponse immédiate : de quoi donc tous ces gens ont-ils peur !

    A suivre…