KR’TNT !
KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME
LIVRAISON 662
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR’TNT KR’TNT
24 / 10 / 2024
WILD BILLY CHILDISH / CAMERA OBSCURA
CISSY HOUSTON / LIMINANAS
DEON JACKSON / OUTBACK
BLACK ALEPH / AETERNAL CHAMBERS
THE COALMINER’S GRANDSON
Sur ce site : livraisons 318 – 662
Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :
Wizards & True Stars
- Le rock à Billy
(Part Two)
Ah le Rock à Billy ! Les plus fidèles d’entre-nous vivent cette passion pour le Rock à Billy depuis quarante ans. Et ça va continuer tant que Wild Billy Childish tiendra debout sur ses pattes et qu’il pourra gratter sa gratte. Donc ça va, on a encore un peu de temps.
Depuis qu’il fait du Dylanex avec The William Loveday Intention, les journalistes anglais s’amusent à le surnommer «the freewheelin’ Billy Childish». Et de préciser dans la foulée qu’il freewheele depuis quarante ans, ce qui ne le rajeunit pas. Nous non plus, d’ailleurs. Peter Watts parle aussi d’un gargantuan body of work qui mélange «R&B, blues infused punk, raucous rockabilly, art, poetry and beyond.» Maintenant Billy tape dans Dylan : «‘Knocking On Heaven’s Door’ est la chanson la plus courte que Dylan ait écrite. J’ai rajouté douze couplets.»
Il vit à Chatham, dans un ancien chantier naval qui bossait pour la Royal Navy. Fermé en 1984, le chantier est devenu un musée. C’est dans un ancien entrepôt que the freewheelin’ Billy Childish a installé son atelier de peintre. Son atelier est en fait une ancienne corderie. Le jour où Watts se pointe, Billy peint un swamp monumental, dans un style semi-figuratif, aux frontières de l’abstraction décorative. Il porte un béret et une combinaison de travail de couleur brune. Comme il n’a pas de temps à perdre, il peint pendant l’interview. Il fait partie de ceux qu’on appelle les hyperactifs. Non seulement ses toiles se vendent bien, mais il enregistre de plus en plus : 17 albums ces 18 derniers mois, dont ceux du William Loveday Intention, où il tape dans Dylan. Il s’en explique : «Ce n’est ni un hommage ni une parodie, je m’intéresse à l’esprit des chansons, de façon très sérieuse, et ça m’amuse de le faire si sérieusement. Pour moi, tout est comme si je rentrais de l’école et que je me mettais à jouer. Le jeu cette fois consiste à jouer à être Bob Dylan. Si tu joues à un jeu quand tu es un kid, tu le fais le plus sérieusement possible. C’est un truc que Dylan doit savoir. It’s all nonsense, but you take the joke seriously.» Il explique ensuite que l’idée de ce projet lui est venue via la version que fit Jimi Hendrix d’«All Along The Watchtower». Mais il trouve la cover hendrixienne surfaite, alors il a écouté la version originale (sur YouTube, précise Watts).
Pour les gens qui le connaissent bien, the freewheelin’ Billy Childish a toujours eu en lui l’élément du blues, «that Bo Diddley, Link Wray, Son House, Delta Blues thing» - He’s one of the only people who can sing that with real soul, dit Dave Tattersall, le guitariste du William Loveday Intention, qui ajoute : «Il est comme Billie Holiday, dans le sens où il joue avec les phrases et les mélodies mais en dégageant de l’émotion.» Selon Tattersall, Childish s’est approché de Dylan comme il s’était approché auparavant de Son House ou du punk rock.
L’autre grande qualité de Billy, c’est le refus définitif de tout compromis. Très jeune, il a fait le choix d’une vie d’artiste indépendant financée par the dole, c’est-à-dire l’allocation chômage. Non seulement il montait des groupes et enregistrait, mais il était aussi éditeur indépendant. Ce qu’il est toujours aujourd’hui - I was living day to day - Pas de famille, pas de biens matériels. Liberté totale - I am essentially a hippie. Tout ce que je fais tient plus du hippie que du punk, avec ces idées sur la pureté de l’art. Dylan a toujours réussi à faire ce qu’il voulait. But he’s one in a million - Et il finit par sortir sa grande phrase : «You have to do something with your life.»
C’est l’occasion ou jamais de sortir de l’étagère le petit book de V. Vale ramassé chez Smith voilà 20 ans : Real Conversations. Rollins, Biafra, Ferlinghetti, Childish. C’est là que Billy sort ses quatre vérités, à commencer par l’early punk - Well, I was a punk before I was asked to play in a group. I didn’t like seventies music. I just listened to ‘50s and ‘60s rock’n’roll. I learned how to play guitar by listening to Bo Diddley. When punk rock came along I thought, «This is for me.» - Il raconte ensuite qu’il a rencontré Bruce Brand à un gig des Damned en 1977, «at the Sundown, on Charing Cross Road.» Puis il explique que tous ces groupes avaient une ou deux bonnes chansons, ce qui suffisait. Il parle aussi du volume sonore. Pour lui, pas besoin de jouer fort pour taper dans l’œil - My feeling of punk rock is more like the blues of Robert Johnson, Leadbelly and Bo Diddley thought the rock’n’roll of early Stones and early Kinks - Il rappelle qu’il est resté un gros fan des first two Kinks albums, puis il précise que s’il est fan des Kinks, «it means I like about 5% of their output - just a few things.» Et il ajoute : «I also like Alternative TV, their first album, The Image Is Cracked is one of the greatst rock’n’roll records ever.»
Et là, ça commence à chauffer : «Plutôt que d’essayer de changer ma musique, j’essaye de la faire sonner comme si c’était notre premier album, chaque fois qu’on enregistre. Le fait que je ne sois pas très bon techniquement m’aide beaucoup. We don’t ‘develop’ too much or get involved in ‘musicianship’». Il dit aussi que plus un studio est sophistiqué, plus on s’éloigne de sa réalité - I’m not a career artist, I’m an amateur - La phrase est en bold, pour qu’on la voie bien - Je ne vais pas dans les studios sophistiqués et je ne me prends pas la tête avec ma carrière - ‘cuz I don’t want one! - Et il enfonce son clou - Pas question de devenir trop sérieux. You don’t want to be a professional in anything you do because professionals destroy anything - Et voilà, les chiens sont lâchés. Il dit que l’early footage des Stones et des Kinks permet de comprendre ça : they weren’t great. Mais quand ils ont commencé à s’améliorer, c’est là qu’ont commencé les problèmes - You got your Eric Claptons coming along, where people start thinking «I could never play that good.» - Il revient sur les groupes punk pour dire que Johnny Moped était l’un de ses préférés - Johnny Moped was totally, absolutely, naturally strange - Il dit aussi que les Clash n’ont rien fait de très intéressant après leur premier album.
( Kurt Schwitters )
Il rend aussi hommage à Dada et à Kurt Schwitters - He never took himself seriously - that’s punk rock - And he was a bloody businessman who ran his own printing shop, invented his own art, invented everything himself. He was my hero when I was about 16. That probably says a lot - C’est la clé du Billy. Il va peindre, gratter, coller, sculpter, et même ouvrir un compte en banque au nom de Schwitters pour les Milkshakes. Il rappelle qu’on a toujours le choix dans la vie, par exemple le choix de devenir peintre ou guitariste - There is always a choice. Always. The only time there isn’t is when you don’t believe there is. Imparable.
Dans Uncut, Watts évoque aussi les épisodes ridicules des congratulations, tous ces gens qui saluaient Childish, espérant de la gratitude en retour. Mais c’est mal connaître Wild Billy Childish. La meilleure illustration est le falling out avec Jack White. Mais revenons aux choses sérieuses : Billy tient à ce que les choses soient claires, il n’est pas réellement fan de Dylan : «Je sais pourquoi les gens tiennent Dylan en si haute estime, mais les choses que les gens n’aiment pas chez lui sont celles qui font sa grandeur et inversement. C’est un chanteur brillant, sa diction est parfaite. Il est extrêmement éloquent et ses interviews faites pendant les sixties sont marrantes. On ne peut que l’admirer. Mais je déteste le côté messianique ou cette façon qu’ont les gens de chercher les messages cachés. Rien ne cloche chez toutes ces rock stars, ce sont les fans qui détruisent tout. Bob est assez fin pour savoir qu’il ne sera pas redéfini par des gens qui ne savent même pas qui il est. Il a essayé de se protéger, parce qu’il n’est pas aussi stupide qu’on le croyait, et il est l’un des rares à avoir su le faire. Les gens ne l’admirent pas pour ça, mais ils le devraient.»
Alors attention, 12 albums en trois ans, uniquement sur ce projet. Sale temps pour ton porte-monnaie. En plus, si tu ne les chopes pas à la sortie, les prix flambent et après t’es baisé. Ça spécule sec sur le dos de Billy. Mais c’est pas tout. En parallèle, il mène d’autres projets, Wild Billy Childish & The Singing Loins, ou encore Wild Billy Childish & CTMF. On y reviendra, car tous ces albums sont passionnants.
Il démarre The William Loveday Intention en 2020 avec People Think They Know Me But They Don’t Know Me. Trois raisons d’écouter cette merveille : «Again & Again», le morceau titre à rallonges, et «Desert’s Flame». L’Again est du heavy Dylanex, hallucinant de power. Le vieux Billy pèse de tout son poids dans la balance. Il tape une extraordinaire confession de foi avec le morceau titre, et puis le Desert va plus sur le western. Il peut recréer la magie déclamatoire de Dylan. On le retrouve à la frontière dans «Sonora’s Death Pow». Il se prend pour le Dylan de Pat Garrett & Billy The Kid, il fait son petit western de pacotille. Il attaque «I’m Hurting» à la dramaturgie des Meteors - My daddy was a vampire - Celui de Bob dans la chanson n’est pas un vampire, mais un drunk. C’est Juju qui chante «You’re The One I Idolize». Elle est superbe de petit sucre de Rochester. Et avec «My Father Was A Railroad Man», le vieux Billy pompe goulûment le «Black Girl» de LeadBelly.
Et pouf, sort en même temps Will There Ever Be A Day That You’re Hung Like A Thief. L’un des meilleurs albums de l’an de grâce 2020. Pur genius dès «100 Yards Of Crash Barrier», et même une certaine violence, ça claironne dans le tonnerre dylanesque. Une fabuleuse attaque en règle. Plus Billy vieillit et plus il a du power. C’est l’un des plus beaux tributes à Bob Dylan qui se puisse écouter ici bas. Le gros son est encore de sortie avec «A La Mort Subite». Le vieux Billy y va à l’anthem. Ça sonne comme «Like A Rolling Stone». Il ramène tout l’éclat et toute la pompe du Dylan 65. C’est puissant, documenté, noyé d’orgue et de coups d’harp. Il nous refait même le coup du poème fleuve. Il reste au somment du lard avec «Celebrating Weakness». Cette évidence mirobolante te crève les yeux. Il fait tellement illusion qu’on croit entendre Dylan. Tout est totémique sur cet album, il relance en permanence sa Méricourt. Il repart en mode hard Dylanex avec «If They’ve Got What They Want They’ve Got You». C’est l’expression d’un die-hard fan - No matter what you do/ They got you - Encore plus explosif, voici «I’ll Tell You Who I’m Not So You’ll Know Who I Am». Il se jette tout entier dans la balance du mythe. Et ça continue de cavaler vers l’horizon jusqu’à la fin, avec cet extraordinaire «Chatham Town Welcomes Desperate Men». Billy accueille le génie dylanesque à bras ouverts.
L’année suivante, William Loveday pond deux autres Intentions, cot cot ! Une vraie poule aux œufs d’or : Blud Under The Bridge et The Bearded Lady Also Sells The Candy Floss. Alors attention, on rigole, comme ça, mais ce sont tous des albums extraordinairement denses. Sur Blud Under The Bridge, il récupère son vieux pote Jamie Taylor à l’orgue Hammond, et puis on le voit pincer son chant pour élancer ses fins de couplets dans «Exubarant Me». Il est spectaculaire de véracité dylanesque - Cause I celebrate the exuberant me - Franchement, cette qualité d’approche dylanesque te sidère. Avec «God’s Reason Why», il s’attaque à «Like A Rolling Stone». Qui dira l’incroyable qualité de ce mimétisme ? Il entre en osmose totale avec le génie déclamatoire de Bob Dylan. Jamie Taylor embarque «It Happened Before (Will It Happen Again)» à l’Hammond vainqueur. Billy reste au cœur du Dylan 65 et c’est brillant. Il va bien chercher l’apothéose, il pousse son chant jusqu’au sommet du lard. Le festival se poursuit en B avec «A Simple Twist Of Fate», plus romantique, avec des coups d’harp magiques. L’harper s’appelle John Riley, on le retrouve sur tous les albums de l’Intention. C’est aussi lui qui co-produit et qui enregistre. Avec «White Whale Of Fate», Billy entre avec ses gros sabots dans le Dylanex le plus collet monté à coups d’If you sing the blues/ You gotta be true. Cet incroyable exercice de mimétisme s’achève avec le morceau titre. En tant que Wizard & True Star, Wild Billy Childish fabrique des classiques du rock dans le moule dylanesque.
The Bearded Lady Also Sells The Candy Floss est encore pire que le précédent. Dès «To Sing The Blues You Gotta Be Blue», il renoue avec l’esprit cathartique du punk-blues d’«Highway 61 Revisited» sur l’album du même nom, il y va au fabuleux ramshakle, il tape en plein dans le mille du burnin’ spirit de «Just Like Tom Thum’s Blues», c’est le pur dylanex genius arrosé à coups d’harp. Tu débarques une fois de plus dans un very big album. Avec «When The Eagle Became A Hen», il s’enfonce dans le cœur du Dylanex à coups d’orgue Hammond, il pousse le rengainisme exactement comme Dylan, il a tous les atours du pourtour, il retrouve le secret des élans dylanesques et lance ses syllabes à l’assaut du ciel. Il cultive cette magie à outrance et ça rayonne. Nouveau coup de génie Dylanesque avec «Hanging By A Teneus Thread», il y retrouve le vieux compromise de Bob, il enfonce son clou dans la paume du teneus thread, c’est pur et saturé d’harp magique et le voilà qui screame ses fins de theneus threeeeead. Il te scie à la base ! Il tape encore un poème fleuve avec le morceau titre, et tu espères secrètement qu’il va se calmer ou se trouver épuisé en B. Pas du tout. Il repart en mode heavy Dylanex dès «What Kind Of Friend Were You», il pousse un wouaaahhh de werewolf dans son refrain, c’est puissant, bien balancé, du pur Childish, et avec «Eh Sister», il emprunte une trame mélodique à son copain Bob. C’est encore du pur jus. Il reste dans le full blown dylanesque avec «A Dull Blade», bien porté par des nappes d’orgue Hammond, elles embarquent le rock à Billy au sommet du lard séculaire, c’est encore plus brillant et plein d’esprit qu’avant, il faut le voir pousser ses syllabes. Il termine cet album effarant avec «A Rusty Stain», plus heavy, plus gaga, noyé de coups d’harp de John Riley, très haut niveau de Childish brawl - Come down to my pillow/ My darling/ And kiss this rusty stain.
L’année la plus fastueuse est 2022 : la poule devient folle, Cowboys Are SQ, cot cot, The Baptiser, cot cot, Paralyzed By The Mountains, cot cot et Blud In My Eyes For You, cot cot.
Le voilà déguisé en cowboy sur la pochette de Cowboys Are SQ. On peut voir à ses pieds se fameuse Cadillac Guitar rouge fabriquée spécialement pour lui en 1999. Et au dos, tu as Nurse Juju déguisée en Indienne. Au risque de paraître redondant, on dira que cet album grouille de coups de génie. Bon exemple avec «Girl From 62». heavy Billy ! Écœurant de génie présentiel. Il chante sa girl à l’accent traînant de Gaga King. Wild Billy Childish est le roi indétrônable du British garage. On en profite pour écouter son morceau titre qui fait l’ouverture du balda : heavy country de fake americana. Il chante comme un dieu, un violon l’emporte et il pose son yeah comme une cerise sur le gâtö. Retour au wild Dylanex avec «It Ain’t Mine», mais il reste à la lisière du gaga sauvage et ténébreux. Il boucle son balda avec «Cave (Blues)», un blues primitif. Il sait tout faire. Il excelle dans tous les domaines. Attention, en B, il tape une cover de «Like A Rolling Stone». Il y va au didn’t you et c’est impérial. Il reprend le souffle de Dylan au vol et lui redonne des ailes. Comment est-ce possible ? La réponse est dans la question. Mais aussi sur l’album. Il suffit juste de l’écouter. Encore un coup de génie avec «Too Many Things That Mean Too Much To Me (Blues)» : heavy boogie blues dylanesque typique ce deux qu’on trouve sur Bringing It All back Home. Superbe mastering de la matière, avec les coups d’harp fantômes et les coups de slide à la Bloomy. Tu crois rêver, alors tu es bien obligé de te pincer.
Pour la pochette de The Baptiser, Wild Billy Childish ressort une belle guitare demi-caisse et un beau chapeau. Normalement, avec cet album, tu devrais te rouler par terre. Ce démon de Billy n’arrête pas de battre tous les records du sonic genius cubitus. Il attaque «A Library To You & The Self» au heavy rumble de deep american framed death et aux coups d’harp fantômes, c’est tellement bon qu’on crie au loup, tu as toutes les mamelles du destin : le rebondi, l’harp et l’ace of spades up the sleeve. Avec «A Painted Pantonime», il reprend son bâton de pèlerin avec les élans déclamatoires que l’on sait, et les coups d’harp te donnent des frissons. Il étend l’art dylanesque jusqu’au délire. Il passe le col et te fait découvrir une nouvelle vallée qui serait l’art de chanter Dylan à la Childish. Extraordinaire ! Il enchaîne avec le Mr. Smith de «Mister Smith», you’re talking to me now Mr. Smith, il s’agit bien sûr du Mr. Jones de «Ballad Of A Thin Man». Et la vérité éclate encore en B avec «I’m Good Enough» - I’ve been crushed/ To the ground - Il attaque ça en mode heavy gaga, il brasse large - Waouuuh ! I’m good enough - Tu te prosternes devant ce mec-là. Il retombe dans le pur jus dylanesque avec «A Framed T-Shirt Remnant», porté par des vague d’orgue Hammond, alors c’est en plein dans le mille, suivi d’un autre coup de génie virulent, «Poems of Anxiety & Uncertainty (Blues)» qu’il prend au trash-punk blues d’«Highway 61 Revisited». Wild as fucking wild !
Joli portrait alpin pour notre baroudeur préféré sur la pochette de Paralyzed By The Mountains. Bon, l’album est un tout petit peu plus faible que les précédents, mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’écouter. Il rend deux fantastiques hommages à Bob avec le morceau titre, en ouverture de balda, et «The Day I Beat My Father Up» en B. Le Paralyzed sonne comme un heavy dylanex sabré à coups d’harp, for a hundred thousand views. Superbe et seigneurial. «The Day I Beat My Father Up» est aussi puisant. Il passe au heavy blues avec «Too Many Things That Mean Too Much To Me (Blues)» et le monte en neige dylanesque. S’ensuit une petite merveille : une cover du «You Gotta Move» de Mississippi Fred McDowell - You may be high/ You may be low/ You may be rich/ You may be poor/ Oh when the Lawd gets ready/ You gotta me - Les Stones peuvent aller se rhabiller.
Blud In My Eyes For You, un Hangman de 2022, est moins dylanesque que les autres Intentions. Il se disperse un peu, va sur le blues primitif («I’m The Devil»), l’Americana («Come Into My Kitchen»), ou encore le rétro d’Americana («God Don’t Like It»). On sent le vieux pépère aux prises avec sa moustache. Tout est monté sur la même mouture. Pour une fois, on s’ennuie un peu. Dans «The Walls Of Red Wing», il fait du Pogues avec des coups d’harp dylanesques, et il sauve sa B avec un coup de Jimmy Reed, «Baby What You Want Me To Do», yeah, yeah, yeah. Il termine en mode gospel avec «Since I Lay My Burden Down», il y va de bon cœur au glory glory hallelujah, ah il aime ça le Billy - I’m gonna shake with the angels/ Since I lay my burden down.
En en 2023, il change de crémerie pour sortir Secret Intention sur Spinout Nuggets. Et là, on perd tout le Dylanex. Le morceau titre est une resucée de «You Gotta Move». Il ne s’embête pas, le vieux Billy. C’est un album d’heavy blues qu’il chante à l’édentée, et grassement violonné par un démon nommé Richard Moore. Billy boucle son balda avec «Two Trains», un très bel heavy blues. Il y croit dur comme fer. Il fait en B son white nigger dans «Ramblin’ On My Mind», il tape en plein cœur du blues primitif, avec tout l’éclat d’un wild cat du Kent. Et avec sa cover d’«I’m Sitting On Top Of The World», il reste en plein dans le vrai. Il a fait ça toute sa vie : c’est beaucoup de boulot que de rester dans le vrai toute sa vie. Il ne sait faire que ça : taper dans le mille de l’extrême véracité véracitaire, qu’il s’agisse des early Kinks, des early Beatles, de Dylan, du blues, de Bo Diddley, des Who, de Jimi Hendrix, des Downliners Sect et du punk-rock. Tu ne prendras jamais Wild Billy Chidish en défaut. Alors tu peux y aller les yeux fermés et tout écouter.
Signé : Cazengler, William Loquedu
The William Loveday Intention. People Think They Know Me But They Don’t Know Me. Damaged Goods 2020
The William Loveday Intention. Will There Ever Be A Day That You’re Hung Like A Thief. Damaged Goods 2020
The William Loveday Intention. Blud Under The Bridge. Damaged Goods 2021
The William Loveday Intention. The Bearded Lady Also Sells The Candy Floss. Damaged Goods 2021
The William Loveday Intention. They Wanted The Devil But I Sang of God. Hangman Records 2021
The William Loveday Intention. Cowboys Are SQ. Liberation Hall 2022
The William Loveday Intention. The Baptiser. Damaged Goods 2022
The William Loveday Intention. Paralyzed By The Mountains. Damaged Goods 2022
The William Loveday Intention. Blud In My Eyes For You. Hangman Records 2022
The William Loveday Intention. Secret Intention. Spinout Nuggets 2023
Peter Watts : Medway Skyline. Uncut # 301 - June 2022
Vale. Real Conversations. Rollins, Biafra, Ferlinghetti, Childish. RE/Search Publications 2001
L’avenir du rock
- La dame aux Camera Obscura
— Pourquoi ne sortez-vous pas dans la journée, avenir du rock. Le soleil vous ferait le plus grand bien. Vous avez l’air d’un vampire ! Je prendrais mes jambes à mon cou si je ne savais quel délicieux ami vous êtes en réalité.
— Vous connaissez pourtant mon goût pour les ténèbres de l’underground, et cette sainte horreur que j’ai des feux de la rampe et de la gloriole.
— Avec vous, c’est tout l’un ou tout l’autre ! Le jour ou la nuit, le blanc ou le noir. Vous pourriez transiger de temps à autre, ça vous reposerait la cervelle d’écorner un peu vos principes. La lumière du printemps vous ouvrirait de nouveaux horizons, vous n’avez pas idée comme le ciel d’été peut être admirable, comme les aubes et les crépuscules peuvent vous transporter. L’élan lyrique ne nuit en rien à la contemplation, bien au contraire !
— Vous me faites rire. Vous parlez comme une carte postale. Bientôt vous allez me dire que le jour c’est Dieu, et la nuit le diable. Ne comprenez-vous pas que la nuit soit le seule antidot à cet horrible poison qu’est la réalité ? Ne comprenez-vous pas que le temps de la nuit est infiniment plus long que celui du jour ? Plus précieux ? Plus pur ? Il n’est pas d’espace plus fascinant que le silence de la nuit, propice à toutes les dérives imaginaires !
— Je vous reconnais bien là, avenir du rock. Le concept, rien que le concept, n’est-ce pas ? Vous n’en démordrez jamais, c’est pourquoi il est illusoire de vouloir vous ramener à la raison. Et pourtant, je sais que vous raffolez d’«A Day In The Life», de «Lucy In The Sky With Diamonds» et de toutes les manifestations de la Sunshine Pop, de Jan & Dean à Curt Boettcher, en passant par Brian Wilson et Big Star.
— Oui, mais je cultive un petit faible pour l’Obscura. Camera Obscura, bien sûr.
C’est grâce à un gros numéro d’annive de Shindig! qu’on a découvert Camera Obscura et Tracyanne Campbell. Ce groupe fait partie de la fameuse scène magic pop de Glasgow et navigue au même niveau que les Fannies, les BMX Bandits, les Pearlfishers et Belle & Sebastian.
Non seulement leur nouvel album Look To The East Look To The West vient de sortir, mais ils sont en plus en concert à la maroquiqui, mon kiki. Peut-on parler d’un événement ? Oui, pour les ceusses qui savent. Voir Tracyanne et ses amis en chair et en os, c’est un peu comme voir Alex Chilton sur scène durant les années de braise. T’as un truc qu’on appelle le spirit, un mélange parfait des éléments qui font la grandeur d’un genre qu’on appelle la pop : la voix, le goût de l’envol mélodique et des compos mirifiques. Et tout ça éclate, là, sous tes yeux globuleux, à quelques mètres, t’as l’incarnation plus que symbolique de la magic pop de Glasgow. Les Cameras sont le groupe anti-frime exemplaire.
C’est même reposant que de les voir débouler sur scène : Tracyanne anti-frime toute de noir vêtue, sa copine anti-frime au clavier juste à côté, un guitariste anti-frime de l’autre côté, d’autres gens au fond, le beurre et l’argent du beurre, et un ogre anti-frime sur une belle Ricken, juste là, à 50 cm.
Pourtant bourrée de talent, Tracyanne bat absolument tous les records de modestie. On lui donne aussitôt le bon dieu sans confession, et dès qu’elle ouvre la bouche pour attaquer «Liberty Print», tu prends ta carte au parti, car c’est tout de suite plein comme un œuf. Te voilà tanké, te voilà embarqué, welcome to Cythère, viva l’Obscura !, elle éclate au grand jour, c’est quasiment mécanique, t’as l’impression de voir jouer l’un des groupes les plus importants de cette époque, et en même temps, ça reste incroyablement statique.
Pas de jeu de scène. Tout repose sur la qualité des compos et la voix magique de Tracyanne Campbell. Elle dispose du même talent qu’Isobel Campbell, elle utilise sa voix comme un instrument, elle module et colorie, elle se déploie et s’élève, elle adoucit et embellit, elle règne sur la terre comme au ciel. Plus loin, elle tape l’éminent «Light Nights», suivi de «Pop Goes Pop», tirés tous les deux du nouvel album, et puis tu retrouves toutes ces merveilles tirées de l’album chouchou de Shindig!, My Maudlin Career : «French Navy», «The Sweetest Thing» ou encore «Swans». T’es littéralement saturé de qualité. Comme si tu traversais à la nage un océan de magie pop. Tu bois la tasse en permanence et tu danses avec les requins blancs. Quelle épopée ! En rappel, les Cameras tapent encore dans leur Maudlin Career avec l’indubitable «Forests & Sands». Même sans le wall of sound, ça passe comme une lettre à la poste. Ils tapent ensuite «Eighties Fan» (tiré de Biggest Bluest Hi-Fi), mais sans le Totor sound, alors c’est très gonflé de leur part, et pourtant ça tient, car c’est construit comme une cathédrale.
Et puis voilà qu’ils terminent avec l’apothéose du doux, «Razzle Dazzle Rose» que Tracyanne semble offrir comme un cadeau aux kikis de la maroquiqui qui n’en peuvent plus de tant de beauté.
C’était couru d’avance : Look To The East Look To The West est un album lumineux. Tracyanne ramène sa voix de rêve dès «Liberty Print» et ça gratte des poux jusqu’à l’horizon. Et ça continue avec «We’re Going To Make It In A Man’s World». Ça éclate de bonheur. Te voilà au paradis de la grande pop écossaise. Tu as l’envolée à l’orgue et les voix s’élèvent dans le ciel clair d’Écosse. Enfin clair, il faut le dire vite. Nouveau coup de tonnerre avec «The Light Nights», Tracyanne frise le yodell préraphaélite. Les Camera créent les conditions du bonheur surnaturel et tu entends les notes d’un piano divin. Cet album va t’émerveiller, si tu l’écoutes. Encore de la pop stratosphérique avec «Pop Goes Pop», come on for goodness sake ! Quel élan ! - Hearts like ours will get us in trouble - Les Camera tapent dans le mille à chaque fois. Comme ils vont le faire avec Dory Previn, ils rendent hommage à Baby Huey avec «Baby Huey (Hard Times)». Tracyanne crée la magie à la pointe de la glotte. Et puis voilà le morceau titre, elle reste très formelle, elle tient bien son ah-ah-ah, elle le laisse couler au gré d’une pop toujours magique, Be a good girl et t’as le solo qui va avec et elle reprend le balancement de sa pop de rêve - Be a good girl/ And try your best - Final éblouissant, noyé dans l’horizon des Camera. De nos jours, on ne voit plus guère de chansons aussi charnues, aussi parfaites.
Leur premier album Biggest Bluest Hi-Fi date déjà de vingt ans. Very big album ! Pas moins de deux coups de génie : «Eighties Fan» et «Houseboat». Le premier est tapé au Totor sound. Belle envergure ! Et sucre fabuleux. Tu t’habitues aussitôt à Tracyanne. Et ça se développe. T’en reviens pas ! Sucre candy garanti à 100%. Ça vire délire labyrinthique de sucre pop d’I’m gonna tell you something. C’est un mec qui chante sur «Houseboat», mais il est bon. Tracyanne arrive dans le cours du dossier et le duo fait une pop de rêve, ils remontent le courant du riff d’acou du diable, là, amigo, t’as la pop du siècle. Et Tracyanne te remet une couche de sucre candy. Ils sont tellement à l’aise. Tu te crois au paradis. Ils montent «Anti Western» en mode duo d’attachement parabolique. Ils savent duetter comme Jim Reid et Hope Sandoval sur Stoned & Dethroned. Leur pop est tellement délurée qu’elle gambade sur des petites guiboles agiles. «Double Feature» sonne comme une belle pop traînée dans la lumière. C’est à la fois éthéré et de haute voltige. Et puis tu as cet instro du diable, «Arrangements Of Shapes & Space», un instro gorgé de joie et de lumière. L’Obscura fait de la lumière. C’est axé sur l’horizon et t’en prends plein la vue. Paradisiaque !
Elles sont drôles sur la pochette d’Underachievers Please Try Harder, avec leur look fifties à l’anglaise. À l’écossaise, devrait-on dire. Tracyanne attaque toujours au petit sucre candy d’incidence juvénile comme le montre «Suspended From Class». Très haut niveau de pop capiteuse. Ça vaut tout le Brill du monde. Elle est encore plus Hope Sandoval sur «Keep it Clean», véritable merveille inaltérable. Pure pop d’excelsior. Elle peut swinguer à la pointe de la glotte. Elle fournit une matière extraordinaire au process de kro. Les Camera font du Brill écossais. C’est Jon Henderson qui chante «Before You Cry» et Tracyanne revient en cours de dossier. Elle refait le show dans «Number One Son». On est en manque quand elle ne chante pas. Son Number One file à travers les plaines d’Écosse, salué par des orchestrations de rêve. Le mec Henderson revient chanter «Let Me Go Home». Ce mec n’a rien compris : quand on a une chanteuse comme Tracyanne dans le groupe, on lui laisse le micro. Sur le Wall of Sound Totorisé de «Knee Deep At The NPL», Tracyanne ramène son sucre magique. Elle est le clou du spectacle, avec une stupéfiante profondeur de champ dans le chant.
Tracyanne démarre encore très fort sur Let’s Get Out Of This Country avec «Lloyd I’m Ready To Be Heartbroken» et «Tears For Affairs». Elle part vraiment en trombe, mais c’est la trombe d’Obscura, et elle ramène aussi sec son sucre candy. Elle prend vraiment le taureau par les cornes. Pur genius cubitus. Son Tears est tout aussi groovy en diable, fantastiquement agréable, c’est même un hit pop tentaculaire, avec l’écume d’Oh Happy Days. Elle rend hommage à Dory Previn avec «Dory Previn» et le solo te fend le cœur. Elle est dans Dory et dans Mazzy Star, dans tout ce qu’il y a de plus parfait. «The False Contender» est une valse à trois temps. Les Camera ont l’intensité des Flaming Stars, mais au féminin. Effarant ! Le morceau titre atteint à la grandeur subliminale, ils tapent ça à la bonne franquette d’heavy pop, et elle pose toujours son candy de candeur véracitaire. Tu entends chanter une superstar. Et en guise de cerise sur le gâtö, t’as une fin apocalyptique. Tracyanne crée son monde en permanence. Elle chante comme un ange du paradis. Elle retape dans le Wall of Sound de Totor avec «If Looks Could Kill». Elle se prend littéralement pour les Ronettes. Flabbergasting ! C’est exactement le même punch, la même profondeur de champ, la même intelligence de la vision pop, la Camera voit aussi loin que Totor, c’est bardé de Wall of Sound, tu te pinces car tu crois rêver. Totor est donc toujours d’actualité. Ils réinventent le rêve avec une fantastique démesure de la Wallitude céleste. Pur genius atmospherix ! Elle fait ensuite du Motown de Brill avec «I Need All The Friends I Can Get». Elle est au top du trip. C’est hallucinant de power, ça swingue dans l’écho du temps. Les Camera sont des cracks.Avec «Razzle Dazzle Rose», ils foncent au doux du doux. C’est une merveille de délicatesse, digne de Ronsard, fragile comme l’éclat de la lumière au lever du jour. Mignonne allons voir si la rose de Tracyanne est éclose.
Pour son numéro 50, Shindig! avait choisi de célébrer le génie des Camera avec cet album paru en 2009, My Maudlin Career. Tracyanne s’impose dès «French Navy», cette jolie pop de Brill fondue dans l’écho du temps. Que de son ! C’est stupéfiant de justesse et de ferveur Brillique. Camera Obscura est la réponse écossaise au Brill et à Belle & Sebastian. Tracyanne est tout simplement stupéfiante de présence stellaire : elle brille au firmament. On se régale de «The Sweetest Thing», et encore plus de «Swans». Fantastique entrain - Maybe you should travel with me - et elle ajoute, la bouche en cœur - And you’ve never touched a dear/ A deer so deer my dear - Voilà un cut qui sonne comme un passage obligé. On reste dans la fantastique approche avec «James» - James he came to my place/ He said he had to see my face - Magie pure - Oh James you broke me/ I thought I knew you well - Elle a une façon extraordinaire de chanter dans l’écho. Son «Careless Love» est beau et tendu, doté d’un final aux violons éblouissants. Il faut écouter cette petite gonzesse chanter comme on écoute Laura Nyro. Elle revient au Brill Sound pour le morceau titre. Son de rêve - I don’t want to be sad again - On se croirait chez Totor - This maudlin career must come to an end - Maudlin veut dire larmoyant. C’est du pur génie productiviste. «Forests & Sands» vient encore enchanter cet album hautement révélatoire. Ici, la prod vaut pour modèle. Tracyanne chante si divinement. Les Camera jouent au maximum des possibilités de la pop, et Tracyanne chante à la vie à la mort - But if the blood could freeze/ I’d be pleased/ I’d be pleased - Ça se termine en beauté avec «Honey In The Sun», un fan-tas-tique shoot de power pop. Over and over again et voilà que tombe du ciel un extraordinaire refrain, I wish my heart was cold, cuivré à la folie, but it’s warmer than before, le format pop explose sous nos yeux globuleux.
Et puis voilà Desire Lines. Tracyanne y est toujours aussi magique. L’album est un peu moins dense que les précédents, mais «William Heart» craque bien sous la dent. Tracyanne Campbell reste alerte et fraîche comme l’eau vive, et elle part en mode sucre magique au coin du couplet. Elle s’accroche à sa pop comme la moule à son rocher, mais quelle Beautiful moule ! Son cut est lumineux comme une aurore boréale. Encore une fois, tu crois rêver. Coup de génie encore avec «Cri Du Cœur» - I know I’m a fuck up/ I know to read tragedy - Avec «Every Weekday», elle sonne comme Fred Neil, on capte même des échos d’«Everybody’s Talking». Ils passent en mode big band pour «I Missed Your Party». Ah il faut voir Tracyanne en photo dans le digi. Elle est superbe.
Signé : Cazengler, Camerond qu’est pas carré
Camera Obscura. La Maroquinerie. Paris XXe. 30 septembre 2024
Camera Obscura. Biggest Bluest Hi-Fi. Andmoresound Records 2001
Camera Obscura. Underachievers Please Try Harder. Elefant Records 2003
Camera Obscura. Let’s Get Out Of This Country. Elefant Records 2006
Camera Obscura. My Maudlin Career. 4AD 2009
Camera Obscura. Desire Lines. 4AD 2013
Camera Obscura. Look To The East Look To The West. Merge Records 2024
Cissy Impératrice
- Part One
Cissy Houston vient de casser sa pipe en bois. Avec elle se referme un sacré chapitre. Tu en pinces pour la Soul et le gospel ? Alors écoute Cissy Houston. Bon alors, après le tour de chauffe des Sweet Inspirations sur lesquelles on reviendra dans un Part Two, Cissy impératrice décide de bâtir un nouvel empire : une carrière solo !
Allez hop, un album sans titre sur Janus en 1970, pour commencer. Elle fait comme les copines, elle tape dans Burt. C’est du tout cuit, avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Elle monte si haut qu’on en chope le torticoli, impossible de la suivre du regard, elle explose le génie black. Et comme si ça ne suffisait pas, elle tape ensuite dans Jimmy Webb avec «Didn’t We». Comme Shirley Bassey, elle a de l’ampleur, c’est-à-dire la puissance d’une chanteuse d’opéra. Ah il faut la voir gueuler. Elle gueule encore pour l’«I’ll Be There» de Bobby Darin, aw no baby ! En B, elle s’en va taper dans Totor et Ellie Greenwich, avec une cover de «Be My Baby». Elle la prend à la douce, elle monte doucement, suivie par une trompette molle dans le vent tiède, alors les dynamiques d’Ellie se mettent en route, mais pas de wall of sound. Elle chante en direct, dans le micro. Elle tape aussi «The Long And Winding Road» de McCartney, mais c’est cousu de fil blanc.
Malgré sa belle pochette graphique, l’album d’Herbie Mann Featuring Cissy Houston, Surprises, ne crée pas vraiment la surprise. Flûtiste de jazz, Herbie Mann groove sous le boisseau de la Jamaïque pour créer l’ambiance de «Draw Your Breaks». L’Herbie ne fait pas n’importe quoi, il jazze son reggae beat. Pour Cissy impératrice, c’est du gâteau, elle n’a qu’à attendre qu’on lui dise de chanter. Dans «Creepin’», David Newman joue un groove de sax et le vent emmène Cissy impératrice vers l’horizon. Globalement, c’est un bel album de groove flûtiste. Cissy s’y sent comme un poisson dans l’eau. Mais on s’ennuie un peu, il faut bien le dire. Au fond, c’est peut-être une musique qui n’intéresse qu’une seule personne : Herbie. C’est déjà ça. Il s’amuse bien avec sa flûte.
En 1977, Cissy enregistre un nouvel sans titre. La pochette un brin putassière n’inspire pas confiance et pourtant, c’est un big album qui repose sur quatre piliers : une cover, deux coups de génie et du sexe. On commence par le sexe : «Morning Much better». Comme chacun sait, le matin est idéal pour les parties de cul. Cissy tape une belle croupière à sa Soul et elle feule «I like it in the morning» d’un ton qui ne laisse aucune chance au hasard. Son «Love Is Holding On» sonne comme du Burt, elle se fond dans le moove du groove avec une sensualité houstonienne, elle le monte si bien en neige qu’elle finit là-haut sur la montagne. Quelle gueularde ! Elle pousse des pointes surnaturelles, celles des pipes, comme dirait Tav Falco lorsqu’il parle de Bobby Blue Bland. L’autre coup de génie est sa cover d’«He Ain’t Heavy He’s My Brother». Il faut détenir le pouvoir absolu pour chanter cette merveille de mélancolie océanique. Cissy l’a. Non seulement elle s’étend au-dessus de l’océan, mais elle monte sa voix. Elle claque sa Soul à un très haut niveau, épaulée par des orchestrations de luxe. Et puis elle retape dans Burt avec «Make It Easy On Yourself». Elle recoiffe l’Ararat de Burt de neiges encore plus éternelles, elle est capable de chanter très haut sans perdre son souffle.
Graphisme des années 80 pour la pochette de Think It Over. L’album est à l’image de la pochette : raté. Cissy impératrice bascule dans la diskö m’as-tu-vu. Quel gâchis ! Une si belle voix. Les producteurs de l’époque n’avaient aucune fierté. Tu ne sauveras rien sur cet album.
La pochette de Warning Danger n’inspire pas non plus confiance. Elle attaque avec le morceau titre, un Afro-beat diskoïde, très bizarre mais pas complètement dédouané. Le seul cut sauvable est l’«Umbrella Song», un bref shoot d’exotica paradisiaque qu’elle chante au mieux de la rondeur des tournures d’umbrella.
Back to the bottom avec Step Aside For A Lady et sa hideuse pochette années 80. Rien. Tu l’envoies coucher au panier.
Very big album que ce Face To Face paru en 1996. Retour en force de Cissy Impératrice avec un album de gospel batch truffé de coups de génie, à commencer par le morceau titre, orchestré par des chœurs spectaculaires, et une Cissy au top de sa glotte. Elle navigue au dessus de la clameur du gospel choir. C’est une œuvre d’art. L’autre coup de génie est l’«He Is The Music» qui referme la marche. Elle pousse encore une pointe, elle est dure en affaires, elle ne lâche rien. Elle écrase son champignon en permanence. Elle navigue au niveau d’Aretha et de Mahalia Jackson, elle dégouline d’over-power. C’est encore autre chose que l’opéra. Gospel encore avec «God When I See Thee», un bop de gospel joué au rebondi de la foi, un rebondi tight et rock’n’roll, Cissy est une vainqueuse, tout sur cet album est arraché à la victoire suprême du black power. Elle t’explose encore «How Sweet it Is» - Thank you Jesus - Elle s’enflamme, elle bat les Edwin Hawkins Singers à la course, c’est puissant, bien décollé du sol et ça continue avec «I’m Somebody», amené au heavy funk, avec des chœurs de gospel, c’est vite énorme, ils sont 40 derrière Cissy, elle établit le power absolu et définitif. Elle chante «Too Close To Heaven» à s’en exploser la rate - I’m too close/ Now I can’t turn around - elle se noie dans un groove d’orgue. Parfois, on sent qu’elle est dépassée par la clameur («Without God») et pouf, elle te refait un numéro de haute voltige avec «Something’s Bound To Happen», là tu sais que tu écoutes une impératrice - Something’s bound to happen/ When you pray - et elle te défonce encore tous les barrages avec «Just Tell Him» - Let me introduce you to my friend called Jesus - Seuls les blacks savent parler à Jésus.
Elle reste fidèle au gospel batch avec l’album suivant, He Leadeth Me. Deux coups de génie : «Shelter In The Time Of Storm» et «He Changed My Life» - Ummmm Oh Jesus ! - Elle entre dans le groove du doux et les chœurs arrivent par dessus - Oooh my Jesus - alors elle se fond dans le mood de l’excellence. Une fois de plus, elle fait le job, talk about Jesus yeah, et elle t’explose le gospel. Elle reste au sommet du lard avec «He Changed My Life», bien drivé au bassmatic et aux tambourins. Elle semble complètement tourneboulée par le rumble du choir, I’ve been changed, il faut voir comme ça groove, avec un bassmatic qui va et qui vient entre tes reins, elle fait son Aretha, elle allume au point chaud de non-retour. On pense aux malheureux qui passent à côté d’une telle merveille. «Deep River/Campground» sonne comme un fantastique pathos de gospel, par contre, «Prayer Will Change It» est plus r’n’b. Elle le gère à la bonne franquette. C’est une vétérante, elle sait claquer un beignet. Et ça ne tarde pas à exploser à la barbe de Dieu. Avec le morceau titre, elle se fond dans le choir. Elle injecte de la Soul dans le gospel de «Count Your Blessings» et invite tout le mode à monter all aboard the «Glory Train». On la retrouve profondément impliquée dans «In His Arms» et elle se répand dans le just keep me Lawd right by your side d’«Every Day Every Hour». Elle se jette toute entière dans la balance. Elle est magnifique de classe et de trémolo.
Signé : Cazengler, Cissy Rouston
Cissy Houston. Disparue le 7 octobre 2024
Cissy Houston. Cissy Houston. Janus Records 1970
Herbie Mann Featuring Cissy Houston. Surprises. Atlantic 19765
Cissy Houston. Cissy Houston. Private Stock 1977
Cissy Houston. Think It Over. Private Stock 1978
Cissy Houston. Warning Danger. Columbia 1979
Cissy Houston. Step Aside Fr A Lady. Columbia 1979
Cissy Houston. Face To Face. House Of Blues 1996
Cissy Houston. He Leadeth Me. House Of Blues 1997
L’avenir du rock
- Il n’y a pas que des nanas dans les Limiñanas
- Part Two
Chaque fois qu’il croise Boule et Bill au bar, l’avenir du rock sait qu’il va se heurter à un mur d’incompréhension. Il tente chaque fois d’ajuster son discours et de veiller à préserver les fragiles équilibres diplomatiques, mais c’est d’une complexité extrême. Boule et Bill sont des équarrisseurs de conversation. Ils travaillent à la hache.
— Alors ça t’a plu, les Liminunuches, avenir du trock ?
— Excuse-moi, Boule de pus, mais ya comme une petite crotte qui te pend au nez...
Bill vole au secours de Boule momentanément déstabilisé :
— On sait que t’aimes bien les groupes de bobos comme les Liminœud-nœuds !
— Si j’avais une gueule de raie comme la tienne, mon pauvre Bill, j’irais de ce pas traîner ma mère en justice !
Boule vole à son tour au secours de Bill qui suffoque de honte :
— Franchement, avenir du brock, on se demande comment tu fais pour supporter pendant une heure cette honte galactique de Limininis !
— Tu ferais mieux de fermer ta grande gueule, Boule de pus, on voit tes crocs pourris et ça donne envie de gerber.
Bill qui s’est repris, re-vole au secours de Boule qui est blanc comme un linge :
— Honte sur toi, avenir du rock, te voilà éclaboussé par le scandale des Liminoix-noix !
— Tais-toi donc épluchure humaine ! Fais-toi greffer un cerveau et alors on pourra causer.
L’avenir du rock vide son verre et affiche le sourire le plus magnanime dont il est capable :
— C’est normal que vous ne compreniez rien aux Limiñanas. Vous êtes tous les deux des créatures inachevées, et bien que vous soyez atrocement cons, j’éprouve à votre égard une sorte de petite compassion. C’est comme ça, on n’y peut rien.
Eh oui, on n’y peut rien : les Limiñanas s’imposent. On devrait même parler du fabuleux brouet des Limiñanas. Tu les vois et tu les revois, et ça passe de plus en plus comme une lettre à la poste. Ça s’avale d’un trait. Ça glisse tout seul. Trois grattes et pas des moindres, il faut ça de nos jours pour répandre sur cette pauvre terre abandonnée du Dieu la sainte parole du rock psychédélique. Le fameux psyché dont tout le monde parle, souvent dans le vide, et qui va de Syd Barrett à Anton Newcombe, en passant par l’Howling Rain d’Etan Miller, Bevis Frond et le Bardo Pond des frères Gibbons.
Eh oui, amigo, en cœur de set, ils t’enchaînent ces quatre merveilles tirées de Shadow People : le morceau titre, «The Gift», «One Blood Circle» et l’encore plus imparable «Istambul Is Sleepy», quatre merveilles portées par l’incarnation française de Jim Reid, l’excellent Bertrand Belin. Oh no no, Istambul n’est rien d’autre qu’une pure marychiennerie, ça te roule sur l’épiderme et ça te caresse l’intellect. L’Istambul est en plein Velvet. Belin te cale ça dans ton coin, l’underground redevient flamboyant, comme au temps du Velvet et des Mary Chain. Ils ne sont plus très nombreux, les groupes sachant jouer avec le feu sacré. Et t’as des gens qui passent à côté. Sans doute par manque de connaissances. Trouvent ça plat, alors que tu voyages en première classe.
L’Istambul réveille tes veilles passions pour l’hypno du Velvet, celui de «Sister Ray», t’as encore tout le poids du Velvet et des Spacemen 3 dans «Shadow People». C’est un rock qui s’installe dans le temps et qui finit par t’avaler, un rock qui te parle au plus haut niveau, qui joue sur les lancinances, les préliminaires de l’amour, mais aussi la connaissance par les gouffres. C’est un rock qui t’adopte plus que tu ne l’adoptes, un rock qui te berce dans son giron, et qui n’attend pas de contrepartie, un rock libre de ses mouvements et de ses idées, donc ça te convient, un rock qui n’appartient qu’à lui-même, à prendre ou à laisser, c’est le principe même de la psychedelia, tyva ou tyvapas, mais si tyva, tu fais un beau voyage.
Lionel Limiñana reste un fabuleux maître de céans, il sort du bois et bouge comme un ours sur scène, il parvient rapidement à se fondre dans le son, comme s’il voulait disparaître au profit des autres. Et le son grandit comme une entité, massif et souple à la fois, tétanique et comme suspendu, lancé et statique, coloré et monochrome, il contient à chaque instant tout et son contraire. Les Limiñanas cultivent une sorte d’art total, leur son s’établit, comme s’il asseyait son emprise. Ils fonctionnent exactement comme le Brian Jonestone Massacre : ils posent les conditions du groove. Pas besoin de chercher à comprendre, il suffit de se laisser porter. Ce truc de base est le privilège des géants. Le plus stupéfiant dans cette histoire, c’est que certains cocos ne comprennent pas ce qui relève pourtant d’une évidence. Quand ça groove sous tes yeux, tu n’as plus qu’une seule chose à faire : te féliciter d’être là.
Et puis sur scène, t’as du spectacle. Une Sister hoche la tête en permanence sur son bassmatic, et à côté d’elle, Keith Streng des Fleshtones fait le show, comme il le fait depuis 40 ans, en parfaite réincarnation de Nijinsky, il saute et virevolte, c’est à ça qu’on le reconnaît. Et à ses killer solos incendiaires. Comme il a tout l’espace du groove, il les triture à l’infini sur sa belle gratte bleue. Nijinsky mélangé aux deux magiciens sortis du bois avec leurs barbes et leurs regards noirs, ça donne sur scène un mélange parfaitement détonnant, pour ne pas dire déconnant. Et au beau milieu de tout ce ramdam, t’as la Marie qui bat comme bon lui semble. Au concert des Limiñanas, on se sent comme chez soi.
Signé : Cazengler, liminanard
Liminanas. Le 106. Rouen (76). 20 septembre 2024
Inside the goldmine
- Deon tologie
Michel Dijon était un mec marrant. Il portait un petit chapeau et des lunettes. Il n’avait rien d’un Don Juan, mais il aimait bien faire le coq. Oh ce n’est pas un gros défaut, les gens adoptent souvent ce type de comportement sans même s’en rendre compte. Il s’agirait selon les experts d’un besoin de compensation. Tout cela se déroule bien sûr dans l’abstraction liquide de la cervelle. En conséquence de quoi notre Michel Dijon pérorait dans les salons, il occupait l’espace comme on occupe un pays vaincu, il franchissait les frontières sans demander la permission, il entrait dans des conversations en cours, il déballait son boniment sans ménagement, comme le ferait un hussard au moment de violer une paysanne vendéenne, il assommait plusieurs interlocuteurs d’un seul coup, il éructait, il résumait, il développait, il tonnait, il argumentait et désargumentait ce qu’il argumentait, il transgressait les conventions, surtout les conventions, il ergotait avec de l’argot, il n’avait strictement aucune pudeur, il piochait sans fin dans une immense réserve de formules d’une rare vulgarité, il minaudait pour mieux revenir à la charge, comme le ferait un bourgeois dépeint par Molière, tout cela en même temps, les bras souvent en l’air, d’abord à l’horizontale puis, au moment du climax, à la verticale, signifiant qu’on ne pouvait aller plus loin. Personne n’osa jamais lui tenir tête. Pendant des années, il écuma les réseaux et s’incrusta dans des cercles d’érudits. Quand on lui demandait quelle était sa profession, il répondait : «Écrivain.» Un jour, il créa la sensation en annonçant qu’il allait prendre rendez-vous pour un essayage chez Stark & Sons, le tailleur des Académiciens.
— Je vais sûrement entrer à l’Académie Française, alors j’anticipe, histoire de bousculer un peu le destin.
Un vieillard vermoulu se permit d’interférer :
— Mais monsieur, vous n’entrez pas ainsi à l’Académie, il faut être désigné par ses pairs... Peut-être ne le saviez-vous pas ?
Michel Dijon devint écarlate :
— Tu sais quoi de la grandeur d’un écrivain, espèce de vieille couille molle ?
Laissons Michel Dijon à ses rêves de grandeur et penchons-nous sur le cas beaucoup plus intéressant de Deon Jackson, un autre Académicien, mais un Académicien de la Soul. Pour le situer rapidement, Deon Jackson est un black originaire d’Ann Arbor, dans le Michigan, comme les frères Asheton.
Tous les amateurs de Northern Soul adorent Deon Jackson. Il est connu comme le loup blanc. One-hit wonder ! Et pour cause ! Il suffit d’aller écouter les hits rassemblés sur la compile Golden Classics parue en 1988. Ouille aïe aïe ! Ouille dès le fameux «Love Makes The World Go Round» qui l’a rendu célèbre dans les discothèques anglaises en 1965, fantastique présence du Deon-tologue, sa voix croustille de feeling, Deon brille comme un néon dans la nuit chaude de Harlem, il est aussi facétieux que délicieux, il dégouline de classe, ouille aïe aïe, et c’est si bien orchestré ! Ah il faut le voir revenir dans le virage du swing ! Pire encore, «Ooh Baby», Deon te fond dans la main, il te swingue l’ooh du bout de la langue et il devient liquide de génie vocal. On s’effare d’une telle qualité du beat et des fontes d’oooh. Tiens, tu as encore un hit d’une classe épouvantable, «Loves Takes A Long Time Growing». Deon Jackson ? Mais c’est l’archange de la sainte Soul ! Il ramène les Caraïbes dans la Soul. Nouveau coup de génie avec «SOS». Il est parfaitement à l’aise dans l’heavy r’n’b. Avec ces chœurs de folles en chaleur, c’est renversant d’have you seen my baby. Tu trouves à la suite «That’s What You Do To Me», une Soul de r’n’b qui colle bien au palais. Encore une merveille ostentatoire ! Deon rebondit dans les cassures. Il faut le voir pour le croire. Cette belle aventure s’achève avec un nouveau shoot de Soul de rêve, «I Can’t Do Without You». Il incarne parfaitement la Soul d’ouate, il fabrique du rêve éveillé, il chante avec une forme de fermeté intentionnelle chamarrée d’écailles, c’est une Soul exotique et sulfureuse, un sulfure de capitolade, une vraie surenchère de la chair corruptible. Bref, il t’épuise.
Encore une fabuleuse compile : Love Makes The World Go Round & Many Others. Pas moins de 10 hits intemporels. Sur 23 cuts, c’est une bonne moyenne. La compile reprend l’album du même nom paru sur ATCO en 1966 et bourre la dinde de bonus demented. Elle fait bien sûr double emploi avec la compile saluée plus haut, mais bon c’est pas grave, on ne perd pas son temps à réécouter les hits du grand Deon Jackson. Il te fait tourner la tête dès le morceau titre d’ouverture de bal. Il fait feu de tout son swagger, oh oh oh, il y va au sweet sweet love. La partie est gagnée d’avance. Pas la peine de s’inquiéter pour lui. Le Deon-thologue semble être un spécialiste des coups de génie. Pour le prouver, revoilà «SOS», ce shout de wild Motown, l’accor-Deon rentre dans le chou de lard Motown à coups d’if you see my baby. Retrouvailles encore avec l’imparable «Love Takes A Long Time Growing». Encore plus déterminant : «Ooh Baby», heavy groove à caractère définitif. Et ça continue avec «All On A Sunny Day», il nage en plein rêve de sunny day, baby, sa bonne humeur n’est que la forme la plus généreuse du génie artistique. Il fait du glam de Soul avec un «Not Not Much» frappé d’effets stroboscopiques et saturé de joie. Deon Jackson est un artiste stupéfiant de fraîcheur et d’à-propos. Il groove son «King Of The Road» vite fait et revisite «I’m Telling You» avec tout l’éclat dont il est capable. Il est admirable de don’t you cry dans «Hush Little Baby». Deon Jackson est une fontaine de jouvence à deux pattes. Il t’embarque encore pour Cythère avec «That’s What You Do To Me» et «You Gotta Love» sonne comme le r’n’b des jours heureux. Deon t’enchante à chaque fois, il a tous les cuivres du monde derrière lui, quel merveilleux artiste ! Tout est fait pour t’attraper, sur cette compile, le souffle d’«Hard To Set A Thing Called Love» te plaque au mur, encore un hit vrillé aux chœurs de Sisters. Il te fait chauffer la cervelle jusqu’à la fin, Deon Jackson est un gentil diable, les chœurs d’«I Need The Love Like Yours» te vrillent la cervelle. Deon forever !
Signé : Cazengler, Deon Deon petit patapon
Deon Jackson. Love Makes The World Go Round & Many Others. Marginal Records 1997
Deon Jackson. Golden Classics. Collectables 1988
*
Un truc bizarre, vous savez, ici en l’occurrence deux mots du vocabulaire de base anglais qui étroitement associés vous posent problème, les translateurs vous répondent immédiatement, j’aurais pu y penser, quel manque de vivacité intellectuelle, quelle ignorance, surgit alors une question méta-géographique : pourquoi un groupe décide-t-il de se nommer ainsi ?
HYMN OF JUPITER
OUTBACK
(BC – YT / Novembre 2023)
Proviennent de Brighton and Hove, une cité mythique pour les rockers grâce à ces fameuses émeutes d’août 1964… La mer n’a eu le temps d’éroder les galets de la célèbre plage pourtant le temps des mods et des rockers semble aujourd’hui appartenir à l’ère néolithique du rock’n’roll… peut-être sommes-nous en train de vivre des temps crépusculaires… Hove était à l’origine une petite commune aux environs de Brighton, les deux cités forment maintenant une seule entité.
Une couve attendue si l’on s’en tient la vulgate picturale des pochettes doomesques, n’y jetez pas un coup d’œil si vous ne désirez pas être assailli par une foule de questions, à première vue un personnage encapuchonné face à ce qui semble être un monument médiéval, église et château avec sa tour aux sommitales échauguettes. Architecturalement nous ne sommes pas à l’époque jupitérienne, mais quelle est cette immense arche géante qui surplombe le paysage, est-il justement l’arrière-pays dont se prévaut le groupe… si la pochette est une orange noire les couleurs de cet arrière-pays paraissent inquiétantes…
Will Graves : vocalist, bassist / Jeff Mosery : guitarist / Archie Lea : drummer
Nightborn : vous serez vite fixés, cette musique n’est pas gaie, le principe est simple, le riff est lancé, il ne décolle pas à la vitesse d’une fusée, il monte lentement, il s’éteint avec lenteur, une batterie bizarre qui semble comme un peu à part, une basse montagneuse, une guitare obsédante, et une voix cavitale comme enregistrée au seuil d’une caverne, peut-être platonicienne pour nous avertir que les ondes que nous entendons sont trompeuses et proviennent d’une autre source. Vous parierez qu’ils ne pourraient pas faire plus lentement, vous avez perdu, le rythme s’alentit et la voix résonne d’autant plus étrangement. Attention aux coupures, elles sont là pour avertir d’une nouvelle étape de ce bizarre rituel, il semble se soucier comme d’une guigne de son retentissement sur notre monde, sans doute vise-t-il cet énigmatique arrière-pays dont il ne nous apprend rien. Silence suivi d’un son davantage moderne si cette expression possède quelque pertinence, ce qui est certain c’est qu’il se passe quelque dans cet outre-monde qui nous est interdit. The sorcerer : d’habitude c’est le contraire, d’abord nous avons l’imprécateur et ensuite le rituel, le sorcier serait-il en retard, la batterie imite-t-elle sa démarche saccadée et la guitare scande-t-elle sa marche rapide. Stop. Silence. Ne pas se précipiter. Serait-ce l’expression vocale d’une grande colère, accélération, l’on ne sait pas où l’on va, mais l’on s’y dirige tout droit. Stop. Coupure, regardez où vous marchez, l’on avance avec précaution, sans préavis c’est la grande précipitation, l’on fonce sans regarder devant soi, la machine s’arrêtera toute seule, elle a l’air de connaître le chemin. Rattlesnake : délices de basse résonnante, ne raisonnez point trop, des entrelacs de guitares glissent entre vos jambes, vous êtes dans la fosse aux serpents, le maître se moque de vous, il vous mène dans le pétrin et vous avertit que vous êtes en mauvaise posture, la guitare vous lance un riff aussi pointu qu’un enfant qui tire la langue. Suspension. Respirez. Il vous semble ouïr la musique câlineuse des anges enjôleurs, c’était un piège des dizaines de crotales détalent vers vous et vous assaillent sans rémission, vous voici transformé en Laocoon sur le rivage de Troie, la voix du Maître les excite, la batterie ponctue les piqûres, vous attendez avec impatience la fin du morceau, il prend son temps pour s’achever… Heaven hangs : d’ailleurs il enchaîne mélodiquement sur le paradis, je n’ai rien de personnel contre Archie Lea mais d’après moi il frappe d’une manière peu civilisée et presque irresponsable sur les fameuses portes si chères à Bob Dylan, quant à ses copains ils mettent le bulldozer en marche pour les défoncer, quant à Graves il prend sa voix tombale la plus grave pour mettre réclamer sa part de bonheur, ou de malheur, car on a l’impression que la nuit s’assombrit encore plus, doit lancer une malédiction sur la terre, le riff devient aussi poisseux que la lèpre qui s’étend sur votre peau, ouf ! repos mérité, respiration, le riff reprend de la vigueur, non Il ne s’élève pas jusqu’au ciel il s’étend à l’horizontale, z’ont envie de saccager tout ce qui se présente à eux, l’en devient presque joyeux, l’ivresse de la destruction bakouninienne… Silence total, plus rien n’oserait s’opposer à eux. Applaudissez vivement !
THE WYTCH
((BC – YT / Octobre 2024)
Sur ce deuxième opus, Will, Jeff et Archie ne se définissent plus par leur rôle musical respectif dans le groupe mais comme écrivain. Auraient-ils un message à nous communiquer.
Apparemment c’est un groupuscule écologiste qui a élaboré cette pochette. Préservons nos forêts. Rien de plus réconfortant que les arbres, alors ils vous confrontent à l’orée d’un bois d’un bois. Profitez-en avant que la nature n’ait disparu. Sympa mais cette interprétation me semble trop positive. Des arbres et des feuilles, impossible de le nier, mais ce trou noir au milieu ne me dit rien qui vaille, qui se cache dans cet antre obscur…
Circle Psilocybe : avez-vous pensé que l’impression que votre cerveau reçoit passe par des tunnels de réception psychique, et que ce se faisant ce phénomène peut aussi produire un bruit psychoïste que votre ouïe d’humanoïde retardé n’est pas capable d’entendre, je pense que c’est ce bruit inaudible que l’Outback cherche à retranscrire dans les quelques secondes de leur introduction, un mirage perceptif, ne vous laissez pas séduire, il est un bruit beaucoup plus fort qui survient, une chose violente, monstrueuse, elle déracine quelques feuillus centenaires sous chacun de ses pas, le cauchemar vient vers vous, vous n’y échapperez pas, vous percevez son souffle par toutes les pores de votre peau… La sorcière aux dents vertes ! Je me demande si le trou noir de la pochette n’est pas la préfiguration du vide mental de votre esprit que les ondes phoniques de ce groupe sont parvenues à scanner sous forme d’une représentation écologique. L’ennemi est toujours au-dedans de nous. Fern and Henbane : prêtez l’oreille, celui qui marche sur l’innocence des fougères ne craint pas ses effets, maintenant la musique est si forte que vous en souffrez, quant au jus de jusquiame la fleur préférée des sorcières vous ne l’ignorez pas, Will hurle, il vous avertit, ce qui est dehors n’est dangereux que lorsqu’il entre à l’intérieur de vous, la fougère est un calmant, l’absorption de la jusquiame provoque la folie, est-ce là que ce cheminement d’une lenteur de plus en plus violente vous emmène, derrière les portes d’un arrière-pays mental, vociférations déchirantes, échos impitoyables, vos délirez, vous vomissez les plus sombres mantras qui gisaient au tréfonds de votre immémoire, les guitares bouillonnent d’un flot impur en vortex turgescents. Votre esprit s’enroule sur lui-même comme la bande son d’un magnétoscope détraqué. Malachy IV / Dying sun : Malachy IV n’est pas un roi parthe, quatrième du nom, dont vous n’auriez jamais entendu parler, mais un prophète de la Bible, peut-être le même personnage qu’Ezra qui aurait ramené à Jérusalem le peuple hébreux de Babylone où il avait été retenu en captivité durant cinq siècles. Les savants modernes lui attribuent la rédaction des cinq premiers livres de la Bible. Le chiffre 4 désigne le quatrième chapitre de son livre qui débute par une sinistre prophétie, le jour de la colère de Dieu, ouf ! les justes seront épargnés et sauvés. Vous vous en doutez l’intro est monumentale, ils élèvent des murailles cyclopéennes, c’est le strict minimum pour remporter la victoire sur les méchantes sorcières qui vous refilent de la mauvaise médicamentation, Will déploie son gosier comme un aigle qui tenterait de passer dans le trou d’ozone, zone interdite, il n’y parvient pas, il se maintient à une belle hauteur, l’est sur la crête du riff qui ne s’arrête jamais, qui s’érige vers le haut et se maintient à sa hauteur, rémission battériale, il ne faut point tenter l’impossible ni le contre-ut, ils élargissent la muraille, lui donnent la largeur des jardins suspendus de Babylone. Arrêt buffet. Profitez de ce que Will gratouille sa basse aidé en sous-main par la guitare claire de Jeff et les cymbales mouillées d’Archie pour admirer le paysage. Z’haussent le ton, à croire qu’ils forment l’orchestre qui annoncent la venue du Messie… Vous ne le verrez pas, le morceau se termine sur un dernier zézaiement d’élytres angéliques.
Des deux EP’s je préfère le premier. Leur façon de traiter le riff me semble plus prometteuse.
Damie Chad.
*
Imaginez que vous tournez autour d’une fille. Pas en rond car le but est de s’en rapprocher au plus près. Nous appellerons le point de votre plus grand éloignement de son corps refusant l’apocythère, et le point par lequel vous vous situerez au plus près de son corps consentant le péricythère. Pourquoi Cythère ? Parce que dans l’antiquité l’île de Cythère était associée à Aphrodite, déesse de l’amour. Maintenant si vous croyez que cette chronique vous révèlera des secrets inédits sur les voluptueuses pratiques de l’art vénérien vous êtes dans l’erreur. Ouvrez plutôt un manuel de mathématique supérieure, vous en aurez besoin.
APSIDES
BLACK ALEHP
(BC / Art Catharsis Records)
Lachlan Dale: guitar, effects / Peter Hello : violoncelle / Timothy Johannessen : grand tambour d’origine persane, setar (sitar persan à trois cordes).
+ Jessika Kenney: vocals, pistes 1, 3, 7 / Natalya Bing : violon, piste 2.
Oh ! Damie, tes lascars avec leurs instruments ils ne sont pas un peu proches de la musique classique. Je salue votre intuition les gars, bien sûr ils s’en rapprochent pour mieux s’en éloigner, le mot ‘’black’’ est un parfait exemple de leur inscription dans le black metal mais à leur manière. Ils crèchent en Australie, le vocable ‘’aleph’’ dénote chez eux, je vous l’accorde volontiers une légère accréditation intellectuelle. Damie ce n’est pas trop clair, explique-nous, s’il te plaît !
Si vous ramassez un caillou dans votre main, combien y a-t-il d’objets dans votre main ? Facile : un seul. Non deux : le caillou et le ‘’un’’. Ne me dites que je suis fou. Pythagore affirmait qu’un chiffre appartient en même temps au monde concret et au monde mental. La preuve vous avez dans main et le caillou que vous avez ramassé et le fait que vous n’en ayez récolté qu’un.
Si vous en prenez un deuxième vous vous retrouvez avec deux cailloux, deux pierres et le chiffre deux ;
Damie tu débloques, ton Pythagore il ne tourne pas rond ! Pas du tout, soyez modestes les copains, Platon s’est emparé de cette réflexion, si vous vous asseyez sur une chaise, vous avez deux chaises, celle sur laquelle vous avez calé votre auguste postérieur et l’autre l’eidos : l’idée de la chaise. Maintenant vous savez ce que c’est qu’un aleph ? La première lettre de l’alphabet hébraïque, tu vois on n’est pas aussi ignorants qu’on en a l’air ! Pour faire simple nous dirons que c’est un nombre plus grand que l’infini. Or notre monde est fini. Donc si vous tracez un point aleph sur un diagramme orthogonal, vous tiendrez dans votre main le monde entier. Dans votre main et dans votre espace mental aussi.
Heu, oui si tu y tiens… En fait je vous dis cela ce n’est pas pour vous expliquer la nature pour ainsi dire bipolaire des alephs mais pour vous v faire comprendre la notion d’apsides. Ce sont deux points, le plus proche et le plus éloigné qu’un objet peut atteindre par rapport à un autre objet autour duquel il tourne selon une ellipse. Ouais ! un peu comme la lune autour de la terre, parfois plus proche, parfois plus loin. Parfait les gars, maintenant nous quittons l’espace physique pour l’espace mental. Ne pensez plus à la lune, pensez à une orange. Facile Damie ! C’est bien, votre orange vous la simplifiez, vous l’épurez sous la forme d’une sphère. On veut bien Damie, ce n’est pas facile mais on essaie… c’est bon, on a bien la représentation d’une sphère dans notre cerveau. Bien les gars, essayez de tourner autour, comme si vous vouliez voir la face cachée de la lune. Damie ton truc il est entièrement givré, en plus à quoi ça sert, ce sera pareil si on la voit de l’autre côté !
Les gars, je vois que vous fatiguez. Sachez toutefois que si vous n’arrivez pas dans votre espace mental à observer une forme simple sous tous ses angles vous ne parviendrez jamais à connaître comment un objet quelconque immobile peut induire, de par sa propre immobilité et sa seule position, l’espace dans lequel il se tient. Le problème se complexifie si l’espace lui-même de par sa seule étendue spatiale peut engendrer la probabilité idéelle d’autres positions de lui-même depuis cet objet voué à rester immobile.
Ce n’est pas pour te vexer Damie, mais dans ton introduction le corps consentant de la fille c’était plus clair. Là, tu nous as un peu embrouillés. Vous avez besoin d’un break, écoutons l’opus, la musique est bonne conseillère.
Descent : tambourinade, effets droniques, le rythme ne varie guère mais l’impression de vitesse s’accroît obtenu par la répétition de vagues électroniques, mais le son faiblit, le violoncelle se meurt, l’ensemble devient plus sombre, bientôt juste le tambour comme un dernier message que l’on aurait du mal à saisir, des bribes d’une semblance de guitare, silence. Serait-on perdu. De vue, d’oreille, de nez, de bouche de tout ce que vous voulez et de tout ce que vous ne désirez pas. Ou alors serait-ce le point de non-retour mental. Ambit I et Ambit II : pourquoi deux morceaux pour cette anabase, cette montée en selle, alors que la Descente n’en a eu droit qu’à un seul. Est-il plus difficile de monter que de descendre, plus facile de s’éloigner que de se rapprocher. Soyons concret dans notre réponse : nous regardons une vidéo d’un de leur live dans laquelle les deux morceaux sont interprétés à la suite l’un de l’autre. Sont tous les trois assis, guitare, tambour, violoncelle. Une première surprise et peut-être une première réponse. Le tempo est particulièrement lent. Manquerait-il d’ambition, ou alors, répétons-le, la montée serait-elle plus longue que la descente ce qui mathématiquement est absurde. La coupure entre la Part 1 et la Part 2 reste des plus symboliques puisqu’elle s’effectue durant un long solo de guitare, ce qui nous laisse supposer que la prépondérance du violoncelle, vu la discrétion du tambour, est à considérer comme le marqueur nostalgique de la première partie, d’ailleurs le violoncelle revient mais cette fois il adopte de sublimes tonalités funèbres, étrange de penser que l’on traîne des pieds comme si l’on répugnait à effectuer cette partie du voyage, peut-être parce que cette remontée initie-t-elle l’idée perverse que cette montée n’est que le début du retour. Que si l’on n’a jamais été aussi loin, au moment où l’on atteint cette acmé de l’éloignement débute l’obligatoire début de la fin, que l’on n’a jamais été symboliquement plus proche de la fin. Separation : de quoi se sépare-t-on, de l’espace ou de nous-même, de notre rêve en le réalisant, nous sommes au moment introspectif du silence où nous songeons à cet arrachement, à cette victoriale extraction de nous-même, à cette déportation de notre espace mental qui est aussi une coupure, une rupture, une négation exhorbitante de nous-même par nous-même, ne sommes-nous pas en train de mourir en nous dessaisissant de notre être pour être autre. Sommes-nous en train de vivre notre défaite, de nous anéantir…
Precession : encore une fois nous nous tournons vers la concrétude du live, At Barkerhouse, dû à Samuel Kostevic, magnifique entrée en matière que ce début avec les musiciens pris de dos, resserrés comme un quatuor de musique classique, puis la caméra qui les montre de face, un par un, comme s’ils étaient très éloignés l’un de l’autre, elle tournera ainsi sans fin, le retour de cette circularité visuelle pour coller à l’accélération mélodramatique phonique, cette précession est celle du doute, le moment où la nuit s’égalise au jour, où l’obscurité risque de l’emporter sur la lumière, où l’âme se laisse envahir par la noirceur de la fragilité humaine, la mort s’en vient à pas lents et lourds poser sa main, presque amicale, sur votre épaule, pour vous signifier que toutes vos entreprises ne survivront pas, maintenant elle s’éloigne doucement, elle ne vous veut pas de mal, la musique décroît comme le bruit de ses pas…
Return : Il existe une officiel vidéo due à Michel Gasco. Enigmatique. Un homme qui marche dans un paysage de bush australien. Imaginez une immensité rousse d’herbe que l’on dirait avoir été foulée aux pieds par des millions de kangourous, une espèce de désert vide, le retour serait donc un retour en soi-même, une espèce d’extropection intérieure, à part que parfois nous serions dans un objet spatial qui reviendrait sur sa planète originelle, peut-être sont-ce des visions fugitives d’un rêve vernien, de ces scénarios que l’on se monte dans notre tête pour se donner l’illusion de vivre intensément, d’échapper à notre propre prison mentale, à notre propre solitude, pourquoi restè-je fasciné par ces images alors que la musique est euphoniquement belle, parce qu’elle est ne varietur, qu’elle ne semble pas vouloir dépasser sa ligne d’horizon phonique, comme si elle ne voulait ne point départager l’espace mental de l’appropriation aproximante du rêve et de la réalité, peut-être pour ainsi perpétuer la seule idée du retour en l’enfermant dans la closure de sa propre éternité. Occultatum : ce qui est caché ne doit pas être révélé.
Ho, Bamie, c’est quand même assez proche de la musique classique ton truc, et assez éloigné de nous. Les gars, je le concède, toutefois ce n’est pas si simple, comment expliquez-vous que parfois ce n’est pas sans évoquer Led Zeppelin, notamment les enregistrements de Page et Plant avec l’Orchestre National du Maroc, les accointances avec les modalités orientales…
Damie Chad.
Adresse au lecteur : c’est nous les gars, nous avons laissé Damie pérorer tout seul, le mot oriental nous a donné envie de nous envoyer un kebab dans l’œsophage. On s’est un peu pris la tête pour décider si les frites étaient meilleures à l’établissement le plus proche ou au plus éloigné… Comme quoi les divagations de Damie ne sont exemptes d’une certaine perspicacité.
*
Pourquoi tant de groupes purement instrumentaux. Soyons méchant : quand on n’a rien à dire le mieux n’est-il pas de se taire. Soyons hypocritement gentil : la musique n’est-elle pas un ensemble de notes jouées par /sur des instruments. Il doit bien exister un injuste milieu entre ces deux extrémités segmentales. Le silence n’est-il pas une flèche invisible, dont on entend le sifflement, qui finit bien par se ficher dans un coin de l’univers. D’ailleurs le vide n’occupe-t-il pas davantage d’espace que la matière, et le silence davantage d’épaisseur que le bruit…
AETERNAL CHAMBERS
AETERNAL CHAMBERS
( BC - YT / Octobre 2024)
La couve est d’une tristesse infinie. Paysage, coin de campagne perdu, un chemin, un talus, surplombés par ces pylônes en forme de dérisoires Tours Eiffel, relais de passages obligés par lesquels transitent au travers d’appareils coûteux d’(in)communication des millions de messages, terriblement indispensables… Trois gamins qui se suivent parmi les hautes herbes, le premier, dans la série plus près de toi mon dieu, ne serait-il pas en train de consulter son portable…
Proviennent du Royaume-Uni, nous n’en savons pas plus.
Alex Nervo : Bass, Keys, F/X / Neil Dawson : Drums & Percussion / Raf Reutt / Guitars, Keys, F/X ( samples d’effets sonores).
L’on peut dire beaucoup en peu de mots. La simple lecture des titres est plus que parlante. Notre trio ne déborde pas d’un optimisme irrépressible quant à l’état de notre société actuelle. Nous non plus. Le titre de l’album nous laisse davantage de latitude interprétative. Lorsque j’ai entraperçu le titre j’ai pensé aux chambres d’éternité. Apparemment, ce n’est pas ce genre d’appartements métaphysiques qu’ils entreprennent d’explorer. Font allusion aux prisons carcérales mentales dans lesquelles le déploiement de la technologie nous enferme. Soyons précis, les portes sont grand-ouvertes, c’est nous-mêmes qui nous nous y établissions à demeure, optant ainsi pour la réclusion volontaire. Sans même nous rendre compte que pour fuir la réalité existentielle engendrée par la préhension technologique nous nous réfugions dans le cocon préparé spécialement pour nous par la mygale artefactique qui finira par nous tuer le jour où elle n’aura plus besoin de nous.
Husk of mortal despair : un son s’installe, doucement, sans se presser, tout doux, survient une deuxième vague, tout aussi quiète quoique plus amplifiée,
Et tombent des larmes de guitare bientôt appuyée de saccades percussives, attention, c’est comme les vagues de plus en plus grosses qui surviennent de derrière vous quand vous nagez, quelque part vous ne vous inquiétez pas, vous êtes englobés dans une matière molle parée de couleurs diaprées, dans cette piscine molletonnée vous ne courez aucun danger, vous êtes en sécurité, ça ballote un tantinet, faut bien vous rendre compte que vous êtes dans la mer des sargasses, elles glissent sur vos jambes, elles caressent votre corps, elles forment un berceau algueux qui ne vous déplaît pas, c’est la houle de la nostalgie qui s’imprègne en vos chairs, qui phagocyte votre tête, c’est parti, le rythme s’accélère les boucles forment des entrelacs de loopings de plus en plus étonnants, tout est bien, tout est beau, plus de retour en arrière possible, d’ailleurs la musique baisse de plus en plus, vous sentez si bien que vous vous endormez. Une petite mort. Drive me to ruin : vous en redemandez, l’orchestration est luxuriante, ne pensez pas à la sauvagerie des couleurs criardes, non une harmonie rubescente, du pastel ondoyant, vous ne demandez qu’à suivre le mouvement, l’accélération répond à vos désirs, pratiquement résonnent les ors d’une fanfare lymphatique, pourtant vous êtes sous influence d’une torpeur agissante, vous devenez victime de la poésie des ruines, c’est bête mais vous ne vous apercevez pas que la ruine que vous admirez n’est autre que votre esprit en état de délabrement avancé, votre volonté châtrée, des rafales de gouttelettes de rosée empoisonnées s’immiscent dans les pores de votre peau. Paved with gold : comme un bruit de moteur, d’atelier d’usine, presque lointain, votre esprit se brouille pour mieux s’illuminer d’une certitude, cet ultraléger bruissement n’est que le fruit à payer, la batterie vous rembourse au centuple, vous pesez le pour et le contre, et la différence penche en votre faveur, ne faites-vous pas partie de ces générations bénéficiant d’une sécurité exemplaire, d’un bien-être que tous vos ancêtres n’ont pas connu, moment de recueillement, attention il est inutile de s’appesantir en une tristesse empreinte de stupide culpabilité, profitez de la situation présente, votre vie est d’une richesse inouïe, vous arpentez une avenue existentielle pavée d’or, mais que sont ces notes claires noyées d’une inexplicable tristesse souterraine. Le sucre du bonheur ne recèle-t-il pas une étrange saveur amère. Glitch in the mist : changement d’ambiance, pourquoi les relents de nostalgie cachés sous le tapis se teintent-ils d’une tristesse infinie qui gagne en intensité alors que la musique se fait plus douce, coup de pédale sur l’accélérateur de la grosse caisse, comme si l’on essayait de s’opposer à la fragmentation évidente de la vitre qui nous sépare de notre propre réalité. Aïe ! Aïe ! Aïe ! La pression de l’extérieur deviendrait-elle trop forte, n’est-elle pas en train de gagner la partie, ouf ! on respire ! peut-être pas pour très longtemps… Qu’importe la musique décroît, elle ralentit, elle s’apaise… Ici tout n’est que calme, luxe et cauchemar insidieux.
Pour ceux qui aiment les recommandations autorisées, Steve Howe, le guitariste de Yes (pour moi ce groupe a toujours été No), le recommande chaudement.
Damie Chad.
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Que vient faire un artiste de country dans une playlist : Heavy-Stoner-Sludge-Doom-Metal-Psych-Desert-Drone Rock-Heavy Rock-70's Rock-Acid Rock-Psychedelic Rock-Hard Rock-Heavy Metal ? Pas de quoi déclencher une troisième guerre mondiale, j’en conviens. Mais la question me taraude depuis quelques temps… Ce n’est pas une erreur, elle se répète depuis trop longtemps, même pas une distraction, le nom de l’artiste embaume le country, l’Amérique profonde, le crottin de cheval, l’Agence Pinkerton, avec un peu de chance une révolte indienne, toute la mythologie de l’Ouest résumée en trois mots, jugez-en par vous-même :
THE COALMINER’S GRANDSON
D’où sort-il au juste ce petit-fils du mineur, j’ai toujours eu un doute, trop couleur locale pour être vrai. Alors ce soir j’ai cherché. J’ai trouvé. 666 Mr Doom, mène depuis plusieurs années sur YT un travail de promotion de groupes situés dans l’arc hard-rock/post-metal, l’a recensé et initié à ce jour quinze mille vidéos. Il ne s’en cache pas, ses parents ne l’ont pas baptisé ainsi, il répond au patronyme de George Kellamy, tiens un grec, je ne peux que m’incliner devant un représentant de ce peuple, quant à notre petit-fils de mineur de charbon, lui non plus, il ne s’en cache pas, il se dénomme : Akis Kosmidis, encore un grec, pas étonnant depuis Anaxagore et Parménide ils sont partout, dans toutes les têtes. Le mystère de cette étrange connexion doom-americana est levé.
Que cela ne nous empêche pas de nous pencher sur quelques opus de notre artiste. Vous pouvez le rencontrer sous deux appellations, The Coalminer’s Grandson et The Coalminer’s Grandson with the Folk Family.
Depuis le mois de janvier 2024, notre charbonnier en chef a posté vingt singles sur son Bandcamp et sa chaîne You Tube. Nous n’allons pas les écouter in extenso pour cette première fois. Notre choix a été guidé par notre préférence pour certaines lllusess. Avant de l’oublier : Akis Kosmidis a peut-être, juste une supposition, choisi son pseudonyme en référence au morceau Coal Miner’s Daugther de Loretta Lynn.
WHISPERWIND
Quelle couve ! tout l’Ouest sauvage comme vous l’avez toujours rêvé, même pas dans les westerns, dans les bandes dessinées, ces fascicules économiques que vous voliez dans les kioskes à journaux, certes vous n’aviez pas le panache cruel de Kit Carson, mais c’était déjà s’inscrire dans The Great Robbery, votre première lutte contre la Société, bref un gamin sur un chemin, pas un chef d’œuvre pictural, une simple vignette un peu maladroite, mais un parfait objet de rêve. Un petit trot au banjo et la voix du Petit-fils, d’habitude rocailleuse tente de se faire douce. Normal une déclaration d’amour, non pas à une femme, soyons sérieux nous sommes chez les cowboys, les vrais, les durs, les impitoyables, non à un cheval. N’interprétez pas les paroles à l’envers, ce n’est pas un garçon qui éduque sa monture, c’est un être libre comme le vent qui apprend la liberté à celui qui ne se définit jamais comme un maître. Le morceau est long, l’est vrai qu’ils sont dans une autre dimension, qu’ils galoperont sans fin comme Crin-Blanc et Folco jusqu’au rivage de la mort.
REGRETS AND REVERIES
L’on ne peut pas vivre dans ses rêves sempiternellement. Sans doute sont-ils plus grands que l’horizon que sur l’image notre cowboy essaie d’embrasser. Le ton change, l’est devenu sarcastique, il est vrai qu’il ne s’adresse pas à un être supérieur, comprenez un animal, l’ensemble vous a un petit côté scène autour d’un feu de bois, ou dans un saloon, le gars qui prend son banjo pour s’adresser à des gars qui lui ressemblent comme deux gouttes d’eau qui ont davantage de regrets dans leurs poches que de rêves. Beaucoup de temps perdu avec des gens qui n’en valaient pas la peine, pour sa propre vie il n’a pas toujours parfait, mais en fait il est assez fier d’avoir survécu comme il l’a fait. Au mieux de ses possibilités et de ses manquements. Serait-ce l’ironique consolation du pauvre…
THE BOY I WAS, THE MAN I’VE BECOME
Une imagerie un peu trop pathétique, le petit-garçon dans les bras protecteurs de son grand-père. Non ce n’est pas tout à fait cela. L’écrit bien, notre chanteur. Ses textes ressemblent à ces longs poèmes en vers réguliers auxquels nous ont habitués les poëtes romantiques. Peut-être avez-vous ressenti un souffle schelleyen dans le premier titre, Whisperwind, ici c’est plus proche de Victor Hugo. Une belle mise en scène, au début l’on se croit dans un cimetière, parfois les miroirs réfléchissent beaucoup mieux que nous, ils nous renvoient une image de notre futur. Chante bien aussi. Sait mettre le ton. Ici, il semble qu’il parle, pas à nous mais avec lui-même. Le rythme est lent, piano mélancolique et violon pleureur lui prêtent main-forte. A la fin du morceau, il ne s’est pas passé grand-chose, la mort s’est simplement rapprochée. Quoi dire de plus…
Très efficace. Très américain. Nous y reviendrons.
Damie Chad.