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ginger baker

  • CHRONIQUES DE POURPRE 433 : KR'TNT ! 433 : GINGER BAKER / WAYNE KRAMER / WEIRD BRAINZ / TIGERLEECH / MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS / VOLK / LONG CHRIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 433

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    10 / 10 / 2019

     

    GINGER BAKER / WAYNE KRAMER

    WEIRD BRAINZ / TIGERLEECH

    MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS

    VOLK / LONG CHRIS

     

    Stup Baker - Part Two

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    Adieu Ginger Baker. Content d’avoir fait tout ce bout de chemin avec toi. Merci pour Cream et tous les autres grands disques. Merci pour la démesure et les drogues, pour le panache et les ruades. Qui est mieux placée que Nettie Baker pour lui rendre hommage ? Personne. Elle vient justement de consacrer un recueil de souvenirs à son père : Tales Of A Rock Star’s Daughter. Avec ce titre, on sait où on met les pied. L’ouvrage tombe à pic.

    Pour Nettie, c’est facile d’écrire un livre. Son père a défrayé la chronique pendant cinquante ans. Dans un Part One, on chantait les louanges de Ginger Baker, ce crazy cat auréolé de cheveux rouges. C’est à présent le tour de sa fille d’ajouter un chapitre à la geste du preux prince des batteurs junkoïdes britanniques, une lignée qui remonte à Phil Seaman, jazzman amateur de rythmes africains.

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    Mais cette chipie de Nettie aurait tendance à profiter du renom de son père pour parler d’elle et de ses aventures adolescentes. Si on attend de ce livre qu’il fourmille de détails sur la vie quotidienne de Ginger Baker, il faut le remettre tout de suite à sa place dans l’étagère du libraire. Nettie n’évoque son père que de temps en temps, juste pour nous rappeler qu’il est réellement le crazy hellraiser que l’on sait.

    Elle écrit dans un style très enroulé, très commère du quartier, assez franc du collier, une sorte de faconde teintée de ce brillant humour trash qui ne peut être que génétique. Comme tous les ados qui grandissent dans des milieux musicaux, elle se forge sa propre identité musicale. Elle va plus sur Elton John que sur Cream, qui pour elle est le son de ses parents. Elle ramène par exemple chez elle des albums de Neil Young. Son père qui entend ça dit que poor Neil Young sound pathetic and weedy, une formulation qu’on pourrait traduire par ‘branleur pathétique’. C’est vrai que c’est l’époque chèvre de Neil Young et Ginger avait d’autres chats à fouetter. Quand Nettie a des problèmes à l’école, Dad vient trouver la Headmistress pour la traiter de frustrated old lesbian. Nettie livre tout de même quelques anecdotes assez croustillantes, comme ce retour au bercail après une party un peu trop alcoolisée : en arrivant, Dad encastre sa Jensen dans la Range Rover garée devant la maison. Il ne fait jamais les choses à moitié. Il bousille deux bagnoles d’un coup. En réalité, Ginger Baker possède deux Jensen, il adore bombarder sur la route, flashing along at high speed. Il passe son temps à doubler ce qu’il appelle the ‘worms’, c’est-à-dire les files de bagnoles qui n’avancent pas. Nettie adore tout ce qu’adore son père : la vitesse, la boisson et le chaos.

    Pendant des vacances au Maroc en 1970, un riche marchand de Marrakech caresse les cheveux de Nettie et propose 600 chameaux à Ginger pour l’épouser, mais le batteur de Cream répond que ce n’est pas possible, car son jardin n’est pas assez grand pour contenir 600 chameaux. Par contre, il aurait certainement accepté 600 chevaux, car c’est avec sa passion pour le polo qu’il va ruiner la famille Baker. Et quand plus tard, Nettie vit avec un mec qu’elle appelle the Bell (la cloche), et qu’elle hésite à s’inscrire à l’aide publique (the dole), son père se met en pétard : «J’ai payé plus d’impôts que la plupart des gens en payent dans toute une vie, alors inscris-toi et récupère une partie de ce blé !»

    Ado, Nettie traîne dans un pub appelé The Towers of Flanagans. Elle s’amourache d’un nommé Johnny Gale qui porte du kohl autour des yeux, ce qui, à l’époque est encore extrêmement osé. C’est la finesse de certaines observations qui peut rendre ce récit passionnant. Nettie explique qu’on commence à voir des gens maquillés à Top of the Pops, the Sweet, en l’occurrence, mais c’est la télé. Dans la rue, c’est très perturbant. Elle parle d’un disturbingly androgynous effect. Elle cite aussi Roy Wood, Bowie et Marc Bolan, bien sûr, mais elle explique que ces maquillages les faisaient rire, elle ses copines, ‘nerveusement’. Elle cite aussi Rob Davis de Mud qui portait des boules de sapin de Noël accrochées aux oreilles. Pourquoi elle ses copines riaient-elles nerveusement ? Tout bêtement parce qu’elle ne comprenaient ce que cet androgynous effect pouvait signifier.

    Elle évoque aussi certaines de ces grandes fêtes auxquelles sa famille était conviée, notamment chez Clapton qui vivait alors avec l’ex de George Harrison, Pattie Boyd. Parmi les invités se trouvaient aussi Harrison et sa girlfriend, mais encore d’autres gens comme Elton John, Paul McCartney, Jeff Beck, Ringo Starr. Elle voit Jagger et le trouve sexy. Elle boit du Bacardi and coke. Ses parents la laissent tranquille. Elle a le droit de picoler tout ce qu’elle veut. Elle voit aussi la dope circuler, mais elle précise que c’est toujours in a clean and moneyed environment, quasiment au grand jour. Privilège aristocratique.

    Elle en déduit toutefois que la sainte trinité dope/infidélité/problèmes financiers a fini par avoir la peau du mariage de ses parents. Elle sait que son père prend de l’héro depuis qu’elle est née, mais c’est à l’adolescence qu’elle peut mesurer les dégâts que la dope opèrent sur Dad. Il l’emmène souvent manger au restau et il lui arrive de s’écrouler la gueule dans son assiette - He had nodded off into his soup and this was the very least embarrassing if nothing else - Elle trouve la situation ‘pour le moins’ embarrassante. Nettie raconte aussi que son père a toujours eu des poules à droite et à gauche, mais elle n’y voyait rien de mal. Ce qui n’était pas le cas de sa mère. Nettie a toujours vu ses parents se battre, s’envoyer des coups dans la gueule, avec une violence terrible. Un jour, elle voit son père sortir du sac sa tenue de polo et sur toute la hauteur du pantalon blanc est écrit le mot ‘CUNT’, c’est-à-dire gros con. Un jour, alors qu’ils sont tous les trois - le père, la mère et la fille - à bord de la silver Jensen en route pour une party, ils tombent en panne. Sa mère commence à gueuler : «Cette bagnole, c’est n’importe quoi ! Tu savais bien qu’elle déconnait !» et Ginger lui répond : «Shut the fuck up - Ferme ta gueule, you silly old bag or I’m going to kill you !»

    Les parents finissent par divorcer. Ginger Baker quitte sa femme et ses enfants pour vivre avec une gonzesse âgée de vingt ans que Nettie appelle ‘Number Two’. Nettie a un petit frère et une petite sœur et bien sûr leur mère interdit formellement à Ginger et à Number Two de les approcher. Mais Nettie les amène en cachette à son père, jusqu’au moment où sa mère l’apprend. Alors elle devient folle, débarque chez Ginger et saute sur Number Two pour l’étrangler. Ginger la décroche du cou de Number Two et la frappe. Résultat : deux côtes cassées. Quand Nettie appelle la police pour demander du secours, le flicard lui répond : «We don’t deal with domestics.»

    Comme une grande majorité d’ados britanniques, Nettie flirte avec les drogues. Elle en parle plutôt bien, avec une sorte de petite gouaille charmante. Dans une party, on lui tend une bouteille d’Amyl Nitrate. «Snif it hard», lui dit-on. Elle sniffe hard and my head flew off into outer space and I nearly had a heart attack (sa tête s’envole dans l’espace et elle frise la crise cardiaque). Plan classique. Ça amuse beaucoup ses copains. Un jour, Ginger récupère some extremely strong Nigerian grass, une herbe nigérienne particulièrement forte et Number Two en fait des cookies. Au bout de dix minutes, toute la famille devient complètement cinglée - We all became gigling maniacs after about ten minutes - Ginger sent qu’il faut calmer le jeu et il s’installe avec Number Two à Denham. L’idée est de s’éloigner un peu du circuit londonien des drogues. Ils font le choix d’un mode de vie au calme. Ginger débarque un jour dans la ferme voisine pour acheter des œufs et il tombe sur un hippie, qui est le fils du fermier : «Hello Ginger, fancy a toot ?» Il faut savoir qu’un toot est un snort d’héro. En fait, Ginger est tombé par inadvertance sur le plus gros trafiquant local d’héro - a veritable hive of smack heads.

    Dad finit par quitter l’Angleterre pour s’installer en Italie avec Number Two. Trop de problèmes, notamment avec le service des impôts britannique. Ginger Baker est ruiné. Il se fâche avec tout le monde, y compris Nettie qui reçoit une lettre contenant une pièce de cinq Lires, lettre dans laquelle il lui annonce qu’il la déshérite et qu’elle ferait mieux de retourner sous la pierre d’où elle est sortie. Ginger va ignorer sa fille pendant une éternité, ce qui, nous dit Nettie, lui permet de souffler un peu.

    Signé : Cazengler, Ginger Barquette

    Ginger Baker. Disparu le 6 octobre 2019

    Nettie Baker. Tales Of A Rock Star’s Daughter. Wymer Publishing 2018

     

    Kramer tune - Part Two

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    N’allez pas croire qu’après nous avoir servi la fulgurante triplette d’albums du MC5, Brother Wayne allait baisser les bras. Oh que non ! Très exactement vingt ans après High Time, il allait revenir aux affaires, soutenu par Mick Farren et Don Was, avec un album étonnant intitulé Death Tongue.

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    Il y tape une cover de «McArthur Park» digne de Syd Barrett et riffée à la Steve Jones. Il va chercher le recipe alors que le Park is melting in the dark et quand il explose ses again, ça devient très spectaculaire. Il en fait une version littéralement punkoïde et son génie se déploie lorsqu’il part en solo et que s’ouvrent les portes de l’enfer. Cette barbarie suprême en rappelle une autre, celle des Saints qui envoyèrent «River Deep Mountain High» rouler par mots et par vaux. Pendant ces quelques minutes, Brother Wayne redevient le roi du monde. Dans le morceau titre, Mick Farren ramone l’ambiance à coups de strange sensations in the danger zone et avec «Leather Skull» Brother Wayne donne sa version metallic KO du funk-rock. Il cherche des voies impénétrables pendant qu’une fille duette avec lui. Par contre, «Take Your Clothes Off» sonne comme de la pop de juke, mais avec beaucoup de swagger et des excavations de son qui évoquent le Spector Sound. S’il joue «Spike Heels», c’est à l’alerte rouge. Brother Wayne fouette sa crème au beurre dans le cake de Don Was.

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    Avec The Hard Stuff, Brother Wayne entre dans sa grosse période Epitaph, qu’on peut qualifier de Renaissance et même de temps des Lumières. Au moins quatre énormités là-dedans, à commencer par «Crack In The Universe». Le génie électrique de Brother Wayne s’y exprime dès les premières mesures. Non seulement il riffe comme un bâtisseur d’empire, mais il glisse en plus des tortillettes dignes de Michel-Ange. Il allie le muscle à l’ingéniosité. Aplomb d’acier. Voilà le véritable hit de the universe. Les coups d’harmo pleuvent sur le refrain. On le voit même prendre un solo de crabe à reculons. Il devient spécifique, il ne semble vivre que pour l’exaction. Suite du festin avec «Bad Seed», joué au pur maximalisme. Brother Wayne ne mégote pas sur la marchandise. Tu en as pour ton argent. Il devient même le riffeur le plus rapide de l’Ouest, il file comme l’éclair, descend des pentes vertigineuses et glisse un solo en douce sous le tapis, histoire de foutre le feu à la baraque. Le diable qui joue de la basse s’appelle Bradbury. Troisième coup de Jarnac avec «Realm Of Pirate Kings», pas loin d’All Along The Watchtower. Brother Wayne gratte ça aux mêmes accords et part en solax furax. Il chante sa soif de liberté et charge la barque à outrance. La quatrième raison de se réjouir s’appelle «Edge Of The Switchblade», un cut enflammé amené au riff de Motor City. C’est encore du grand Kramer, ses riffs rebondissent, c’est battu hard stuff. Son solo dégouline de mauvais jus. Il glougloute, il fait la pluie et le beau temps. Ce mec offre une sorte de spectacle, rien qu’en jouant. Il faut aussi l’entendre partir en solo dans «Pillar And Fire». Il est né pour ça. Il noie tout dans le son et s’y fore des passages. Encore de l’ultra-joué avec «Sharkskin Suit», descendu au riff malsain et battu sans remords. On a parfois l’impression qu’il joue tous les riffs du monde. Il tape «Poison» au heavy blues rock de Motor City. C’est tellement solide que ça rend les mots inutiles. Et cet enfoiré part en vrille à la première occasion. Si on aime la guitare électrique, c’est là que ça se passe.

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    Nouveau shoot de Detroit rock dans Dangerous Madness, et ce, dès le morceau titre. Brock Avery bat ça sec. Dès qu’il peut, Brother Wayne repart en vrille opiniâtre et lance des ponts somptueux. Tout aussi explosif, voilà un «Take Exit 97» qui gicle littéralement, c’est dégueulasse, tellement sexuel et pulsif as hell. Il passe d’un style à l’autre avec une aisance déconcertante, car après le heavy wah-wah riffing d’«It’s Never Enough», il part à l’aventure avec «Threats Of Illusion», mais au maximalus cubitus, rapide comme un requin blanc. Le hit de l’album s’appelle «Something Broken In The Promised Land», un balladif politique dans lequel Brother Wayne règle ses comptes avec le rêve américain - And Chuck Berry lied about the promised land - Il ramène pour l’occasion des chœurs explosifs.

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    Si on apprécie les coups de génie kramériens, alors il faut écouter Citizen Wayne. On en trouve trois, à commencer par «Stranger In The House». Brother Wayne attaque ça au pilon des forges. C’est révélateur d’un certain état d’esprit. Il profite de l’occasion pour nous rappeler qu’il est l’un des rois de la wah. Le deuxième s’appelle «Down On The Ground». Pur jus de MC5. Brother Wayne peut encore exploser le fion du rock quand il veut, il sort des tortillettes qui ravalent la façade des annales - I play my guitar/ And the beat comes down/ On a beautiful cosmic siren sound/ No one’s laughing there is no joy/ Down here on the ground - Il fait aussi du rap blanc dans «Back When Dogs Could Talk» et du funk avec «Dope For Democracy». Il tente de conjurer les sorts et joue à la circonvolution. En l’écoutant, on a l’impression de vivre un moment historique. Autre hit pharaonique : «Snatched Defeat». Brother Wayne raconte l’épouvantable débâcle de Gang War - While I was looking for life/ Trouble was looking for me - Il fait équipe avec Captain Jolly, Milky and Junkie the laughing clown. Et soudain, éclate l’un des plus beaux refrains de l’histoire du rock - We snatched defreat from the jaws of victory/ With holes in our arms for the whole wide world to see/ And the scandals would never end/ As the candle was burning at both ends - Huitième merveille du monde, car vécu jusqu’à la dernière goutte de son. Il raconte l’épisode du vol de la caisse du club où Gang War devait jouer et comme il était en liberté surveillée, il ne pouvait pas se permettre de repasser devant un juge pour vol - The last thing I needed/ Was a petty thieving case/ My whole life flashed before my eyes/ As I tried to flee that place. Sans doute est-ce là le cut qu’il faut retenir de la période solo du grand Wayne Kramer. Au moins aussi mythique que «Motor City’s Burning».

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    L’album live LLMF paraît en 1998 et rassemble tous les gros hits des trois premiers albums, avec bien sûr, «Kick Out The Jams» en guise de cerise sur le gâteau. Live, des cuts comme «Bad Seed» ou «Crack Of The Universe» arrachent les chambranles. Brother Wayne multiplie les prouesses et part volontiers en solo. Dans cette orgie de riffs, on trinque à la santé de Sénèque. Très belle version de «Something Broken In The Promised Land». Brother Wyane gratte son pathos miraculeux aux accords rougeoyants. Il joue avec aménité, en vrai petit soldat du rock. Il cocote et il chatoie. Mais comment fait-il pour chatoyer autant ? On se posera encore la question dans deux mille ans. Il part en solo smooth et la transition se fait en douceur - And the shit is real here/ In the promised land/ And Chuck Berry lied ‘bout the promised land - Il chatoie jusqu’au bout des ongles. Il multiplie les retours de manivelle dans «Down On The Ground» et se montre encore plus démonstratif dans «Poison». Il descend les escaliers en roulant. Il se prend pour une boule de feu. Mais c’est bien sûr avec Kick Out qu’il bat tous les records d’explosivité. Il sort une version encore plus explosive qu’au temps béni du Grande Ballroom, comme si c’était possible. Cette façon qu’il a d’attraper le train au vol !

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    Invité à venir jouer à Londres en 1979 par Mick Farren, Brother Wayne donne un concert devenu légendaire au Dingwalls. Les Pink Fairies l’accompagnent, et on peut entendre tout ça sur l’A de Cocaine Blues, paru en l’an 2000. Deux versions sautent à la gueule, le «Heavy Music» de Bob Seger et bien sûr l’inévitable «Kick Out The Jams». Brother Wayne fout littéralement le feu à Bob. Entre Detroiters, c’est de bonne guerre, pas vrai ? Cette façon qu’il a d’enflammer le son est unique au monde - Down there/ We don’t talk/ We do the camel walk - Et son Kick Out est au moins aussi inflammatoire que l’original enregistré au Grande Ballroom. Brother Wayne le passe à la moulinette imputrescible, le riff sonne comme le souffle d’un gigantesque incendie et le départ en solo bat tous les records olympiques. En B se trouvent des démos de type «The Harder They Come» ou «Do You Love Me». Ça se termine avec le fameux «Ramblin’ Rose» qu’il prend à la hurlette exacerbée - Diamond rings & a Cadillac car - Puis Brother Wayne s’en va glou-glouter goulûment - I wanna fuck you darling - On trouve quelques cuts en plus sur le Live At Dingwalls 1979 paru la même année, comme cette belle reprise de «Some Kind Of Wonderful» de Goffin & King : accouplement parfait entre the London Underground & the Detroit Scene. Très bel hommage à Chickah Chuck avec «Back In The USA» et pour finir, Brother Wayne déclare : «I used to play in a band called the MC5.» Looking at you babe ! Pure démence ! On est au sommet du rock blanc. Il joue son solo légendaire - Doin’ alrite/ Doin’ alrite - et il part à la chasse. Il n’existe rien de plus mythique que cette version jouée à la vie à la mort- And remember, my name is Peter Frampton, and I will be back !

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    Fin de l’épisode Epitaph. Brother Wayne enregistre désormais sur son label MuscleTone et Adult World parait en 2002. Il maintient sa tradition de cuts très écrits avec l’excellent «Great Big Amp» qui en fait est une bombe atomique - I got a great big amp/ It’s got a great big sound - Avec son gros ampli, il rêve de ruler the world et de winner the girls - With my great big amp/ I will liquify/ And I will melt away/ And I will touch the sky/ I’ll be free at last/ I will rise above/ I will know the peace/ And find eternal love/ With my great big amp - Il atteint le cœur du mythe rock, l’ange déchu renaît dans la lumière, il a tout le son du monde, I’ll be alone, ça sonne comme la voix de Dieu. C’est un hit incommensurable, l’un des plus spectaculaires de l’histoire du rock, tous mots bien pesés. Avec «The Red Arrow», Brother Wayne devient fou. Il rend hommage à Red Rodney, un trompettiste de jazz qu’il a rencontré pendant qu’il était au trou à Lexington. C’est explosé d’intro. Il nous fait le coup du couplet calme, the red arrow could play anything, avant de basculer dans la folie kramerienne. L’explosion échappe à l’entendement. Brother Wayne est l’un des seuls à pouvoir générer un tel chaos - The Red Arrow’s blowing be-bop from New York to LA - et ça explose, mais il ne s’agit pas de n’importe quelle explosion, c’est un phénomène sous-cutané d’excellence mortifico-hendrixienne. Il va loin au-delà des frontières du réel. Wayne Kramer a du génie et le déluge de son continue jusqu’à la fin, et là, tu n’as plus que tes yeux pour pleurer - And to me he was a father/ A giant of a man - Quel hommage ! On a aussi du pur jus d’Hellacopters avec «Talkin’ Outta School» et du talking jive avec «Nelson Algreen Stepped By». Brother Wayne en profite pour passer au groove de jazz, solide mélange d’accords secrets et de rap de Detroit. Il renoue avec les énergies ancestrales, Dizzy Gillespie, Down here on the ground et il rend hommage au Castor - She’s a whore/ She’s not Simone de Beauvoir - Tout est extrêmement inspiré sur cet album inespéré. L’un des sommets du rock américain.

    On voyait assez régulièrement Wayne Kramer à une époque à Paris. En 2004, il proposait une espèce de reformation du MC5, le DTK MC5, à l’Élysée Montmartre : les survivors Michael Davis et Dennis Thompson l’accompagnaient, avec en plus Mark Arm au chant et Lisa Kekaula en renfort.

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    En novembre dernier, il revenait avec une autre équipe pour fêter les 50 ans de cet album qui a marqué tellement de gens, Kick Out The Jams, enregistré live en 1968 au Grande Ballroom de Detroit. On pourrait reprocher à Brother Wayne de vouloir encore monter sur scène après avoir passé l’âge. Soixante-dix balais, c’est un peu limite, non ? Seulement, Wayne Kramer sort vraiment de l’ordinaire. Il ne fait pas ses soixante-dix balais. Dans son cas, on peut dire que le rock et la dope conservent bien. C’est même un bonheur que de le voir sautiller sur scène. En claquant simplement un accord, il balaye toutes les critiques. Rien qu’en apparaissant, il affirme sa légitimité. Il est tout bêtement entré dans la légende et on est vraiment content qu’il soit encore en vie et qu’il vienne pousser sa vieille hurlette de «Ramblin’ Rose», même si sa voix a muté. Alors bien sûr, le son du groupe qui l’accompagne peut poser un problème. La section rythmique sonne un peu hardcore, ces deux mecs viennent d’une autre scène (Fugazi et Faith No More) et le mec qui remplace Fred Sonic Smith sort de Soundgarden. Ce n’est pas la même chose. L’ancrage dans le son du MC5 va se faire via l’afro de Marcus Durant qui fut on s’en souvient l’excellent frontman de Zen Guerilla, l’un des fleurons du revival garage des années quatre-vingt dix. Pour fêter dignement cet anniversaire,

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    Brother Wayne entreprend de jouer sur scène l’intégralité de l’album paru en 1969, et comme c’est un peu court, il complète avec des petits blasters tirés des deux albums suivants, du style «Call Me Animal» et «Looking At You». Inutile de dire qu’on en a pour son argent. Même si on connaît tout ça par cœur, l’émotion se fond dans l’osmose de la comatose. On a pu remarquer au fil des ans que le petit jeu des reformations ressemble à une loterie. Celle des Pistols nous fit bien rigoler, celle des Stooges en fit bander plus d’un et celle du MC5 méritait bien son coup de chapeau, encore fallait-il en porter un.

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    Grâce au recul que donne le privilège d’avoir découvert le MC5 en 1969, l’apparition de Wayne Kramer sur scène provoque un sentiment étrange. Disons qu’on voit se tourner une page d’histoire. Pas n’importe quelle histoire, celle d’un certain rock. En 1969, Wayne Kramer annonçait l’avènement d’un son apocalyptique qu’on allait surnommer le Detroit Sound. Il en fête à présent les 50 ans et l’intronise, en quelque sorte, dans une espèce de Hall of Flammes illusoire. Tout se déroule dans sa tête et dans la nôtre. On espère seulement qu’il réussira à mourir sur scène comme le fit son meilleur ami, Mick Farren. Tout ça sent bon la fin des haricots et ce sont des haricots qui sentent bon.

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    Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

    MC50. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 14 novembre 2018

    Wayne Kramer. Death Tongue. Progressive International 1991

    Wayne Kramer. The Hard Stuff. Epitaph 1995

    Wayne Kramer. Dangerous Madness. Epitaph 1996

    Wayne Kramer. Citizen Wayne. Epitaph 1997

    Wayne Kramer. LLMF. Epitaph 1998

    Wayne Kramer & The Pink Fairies. Cocaine Blues. Captain Trip Records 2000

    Wayne Kramer. Live At Dingwalls 1979. Captain Trip Records 2000

    Wayne Kramer. Adult World. MuscleTone Records 2002

    O4 / 10 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    WEIRD BRAINZ / TIGERLLECH

     

    L'on raconte que les filles ont parfois, vers deux heures du matin, des envies subites de fraises. On les excuse, parce qu'elles sont alors en des états que l'on dits intéressants. Moi ça m'a pris à 17 heures trente, dans une situation aussi innocente, je le jure, que la Sainte Vierge avant que le Saint-Esprit ne s'introduisît en elle. Non je n'ai eu envie ni de tagadas, ni de naturels tubercules roses estampillés bio, normal je suis un mec, me faut des émotions plus fortes, la dégustation des fragaria je laisse cela aux gamines, non simplement le subit et subtil besoin viril de caresser un tigre. Au zoo de Vincennes, ils ont décrété que j'étais toqué, c'est alors que je me suis souvenu que justement à la Comedia passait Tigerleech, je n'ignore pas que cela signifie la sangsue du tigre, mais j'ai pensé que la sangsue du tigre devait se trouver normalement sur le tigre.

    Arrivé à la Comedia, j'ai eu comme un doute, certes le tigre et sa sangsue étaient en train de faire leur balance, mais ce que j'entendais n'avait rien à voir avec la marche souple et féline du tigre royal du Bengale, capable de se couler au travers d'une forêt de bambous aussi serrés qu'un plant de persil, sans faire bouger une seule feuille. J'avais imaginé une musique svelte et légère, un peu folâtre comme le générique de la pink panther, mais non là, j'avais l'impression d'un lourd troupeau d'éléphants piétinants les récoltes du village d'indigènes promis à une future famine. Caresser le tigre serait-il une tâche moins facile que je ne le supposasse ? Je me suis promis d'attendre sagement leur set avant de réaliser mon projet et en attendant me suis préparé à écouter Weird Brainz.

    WEIRD BRAINZ

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    Sont jeunes et pleins d'avenir. Sofiane Omari, un garçon qui porte, sous ses cheveux en coupe afro-dreads, un T-shirt sur lequel Johnny Cash tend à nos figures de trous du cul son énorme doigt d'honneur, ne peut pas être entièrement mauvais, il nous en administre tout de suite la preuve en caressant sauvagement sa guitare sur l'ampli pour trois minutes de tonitruances bienvenues, il est évident que Weird Brainz entend livrer nos tristes méninges à un traitement de faveur, rien de tel qu'un bon électrochoc pour vous remettre les idées à l'envers, sans doute le meilleur moyen de porter un regard osmosique en accord avec notre monde avarié. Nous pouvons immédiatement apporter la preuve de ce dérèglement, ce soir Weird Brainz devait nous offrir tout chaud, tout brûlant, son premier EP, hélas les délais de livraison ne l'ont pas permis. Dommage, ce n'est que realease party remise, et en lot de consolation nous avons le groupe en chair bruiteuse et en os grondants devant nous. Léo, un air furieusement appliqué, penché sur sa batterie tel un élève sur sa version latine – n'a rejoint ce poste que depuis quatre jours - jette toute sa hargne sur la batterie qu'il maltraite fort joliment.

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    A la basse officie Martin Musy, un grand gars, un faux-calme, genre de guy à la mine innocente qui vous jette un bidon d'essence sur le camion des pompiers en train de tenter d'éteindre un incendie de forêt dévastateur qu'il a précédemment allumé. Pour compléter le tableau, nous rajouterons que Sofiane possède une belle voix, avec ce grain granuleux qui fait toute la différence, et qui vous gratouille agréablement le cortex. L'en profite pour nous interpeller Hey You, et nous intimer l'ordre de nous remuer, Jerk Yourself.

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    Rien de tel que la jeunesse pour vous filer un coup de pied sur votre auguste le postérieur. Sofiane ne ménage ni sa peine ni sa guitare. La pauvre enfant en a les plats-bords tout écorchés, pas besoin de vous faire un dessin, la jette violemment sur l'ampli, l'envoie par terre, où il la laisse vagir désespérément tel une baleine bistre échouée sur une plage inhospitalière, tourne les boutons de ses delays avec une minutie sadique la reprend pour vous écorcher de quelques riffs ninjas qu'à l'instant Martin soutient sans faille et le long manche de sa basse dépasse de la scène comme l'encolure de ces chevaux qui tentent de s'enfuir du camion qui les conduit à l'abattoir. Sur ce Léo se voûte sur les drums pour les taper encore plus fort, manière d'emmener sa quote-part au tumulte ambiant. Vous pouvez respirer entre les morceaux, car Sofiane se doit de réaccorder son instrument à chaque fois, avec cette sollicitude d'un père de famille qui offre un carambar à son enfant qu'il vient de défenestrer du troisième étage pour lui apprendre que la vie n'est pas facile et qu'il faut s'endurcir. Puis il nous fait le coup, qui marche toujours, de l'annonce du slow, immédiatement suivi d'une avalanche sonore sans précédent. Guilty, Diprozone, Energizer, Bloody Molly déboulent et se ressemblent à la manière de ces taureaux furieux qui lâchés dans l'arène vous encornent fort salement les toreros sur les planches et vous les laissent palpitants dans leur habit de lumière éteinte à la manière de ces papillons épinglés sur leur planchette qui agitent spasmodiquement une dernière fois leurs ailes diaprées de souffrance et de mort. Le pire c'est que le public de la Comedia apprécie hautement ces outrances sonores.

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    Des connaisseurs enthousiastes qui jerkent sans rémission et se tamponnent allègrement, se livrant à un brainztorming des plus jubilatoires. Finissent par deux coups d'éclats un Ghost Town à vous faire frémir d'horreur et un kicked out apocalyptique où la guitare de Sofiane abandonnée à son triste sort agonise sans fin sur les lattes de la scène, l'est sûr que ces jeunes gens ont toutes les qualités requises pour dans les années qui viennent alimenter notre provision de cauchemar tentaculaires.

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    TIGERLEECH

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    Le tigre nous a sautés dessus dès la première seconde, personne n'a eu le temps de tenter de le caresser, l'a commencé par nous balafrer d'une méchante escarre à l'image de l'écriture escarpée de son nom, puis il a déchiré notre cervelle en petits morceaux et les a jetés dans la poubelle comme de vulgaires confettis. Des sauvages. Sont comme les quatre pattes du tigre, il n'y en pas une qui puisse sortir ses griffes, toute seule dans son coin. Sont salement coordonnées. Toutes ensemble. Tâchons toutefois d'y voir un peu plus clair. Vous entrent sans férir dans le lard et c'est difficile de distinguer qui fait quoi. Commençons par Sheby, il est au chant, enfin plutôt aux chiens, la meute entière, avez-vous déjà entendu une cinquantaine de hound dogs sur les jarrets d'un pauvre cerf, certes c'est cruel, mais quelle musique délicieuse, vous êtes dans une quadriphonie de jappements infinie, aucun sorcier du son n'est parvenu à traduire cette onctuosité de cruauté ensauvagée dans aucun de leurs enregistrements, et ça n'en finit pas jusqu'à la fin, Sheby l'est comme cela, une voix féroce, le gars vous attrape le vocal et y plante ses crocs dedans, n'en démordra plus, on ne l'arrête plus. L'a toujours un grondement de fin du monde à ajouter, tire sur ses cordes vocales comme sur les chaînes d'un puits sans fond, ramenant à chaque traction un seau d'or liquide en fusion qu'il vous crache à la gueule sans plus de façon.

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    L'a une excuse. Derrière lui Olivier est partie pour une chevauchée fantastique sur sa batterie. Le même fonctionnement de base, 1 : je tape sans arrêt, 2 : je n'arrête jamais, de la folie brute, les bras qui tournent en ailes de moulins affrontés à une tornade. Don Quichotte peut aller se rhabiller, ici les géants sont les branches d'Olivier.

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    Cabor est à la basse. La confond certainement avec un baril de pétrole, l'en extrait une espèce de matière noire, une gluance noirâtre sans nom qui s'infiltre partout, à la vitesse de la marée du Mont Saint Michel, inutile de courir, elle vous submerge et vous oléagine en moins de deux, flexible comme un mamba noir, et tordue comme des pattes de mygales empoisonnées. Faite attention ça rampe par terre et puis ça vous ligote sans que vous ayez eu le temps de crier.

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    Vous étiez trop occupés à vous régaler des riffs nitroglycérites de Fabien. Fabien fait mal. L'a la guitare qui grogne et fuzze, vous creuse des galeries dans le magma granitique vomi par ses camarades, l'est la taupe dinosaure qui remonte à la surface de la terre pour procéder à l'extinction finale de sa propre espèce.

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    Ce qu'il y a de terrible avec Tigerleech, c'est qu'ils font pour ainsi dire leurs coups en douce. Pas un pour jouer plus fort que l'autre, mais vous êtes emportés dans un torrent sonologique dragonesque. Une machine à tuer. Un moteur d'une puissance prodigieuse, pas une ratée, pas un temps mort, pas une reprise asthmatique, pas un seul cafouillement malencontreux, un bulldozer lancé à toute vitesse qui vous aplanit les pus gros rochers avec la même facilité que l'éponge que vous passez sur la nappe cirée pour retirer les miettes. Vous alignent les titres comme des ogives nucléaires, et vous les font exploser à l'intérieur In my vein, Sexe dur, Burn Inside, ou au dehors Sandstorm, Acid Gang, Decline, vous font vivre une Experience que vous n'oublierez pas. Stoner hardcore, qu'ils disent, s'ils veulent pourquoi pas, ce qui est important c'est cet étrange délire collectif qu'ils sécrètent et qui s'empare de vous, vous enferme dans une bulle qui possède une dimension quasi-mystique par laquelle ils vous hypnotisent pour que vous puissiez libérer vos refoulement culturels et venir avec eux dans une Jungle Punk en folie jodorowskienne. Je préfère ne pas vous décrire l'état de l'assistance, en transe décalquée d'elle-même. Lorsqu'ils ont fini, l'on redemande une petite faveur. Nous font deux minutes un truc rapide, une queue de comète et puis arrêtent tout. Ils ont raison, ils ont déjà tout donné et l'on a déjà tout pris. Ils sont le tigre et nous la sangsue.

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    Damie Chad.

    ( Photos : Mélisa Benarda  : on FB  : Shoots and Drafts  + FB des artistes )

    O4 / 10 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS

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    C'est bête mais l'on retourne toujours à la Comedia dès que l''envie vous prend d'écouter de la musique un peu sauvage. Et puis nous qui avons tant aimé The December's Children des Rolling Stones pourquoi ne pas essayer, puisque moi j'aime l'émoi des mois, les Missiles of October, un nom qui équivaut à une douce promesse de menace, et de toutes les manière après il y a les Critters, donc fouette Teuf Teuf et c'est reparti, car contrairement à ce que conseille les Evangiles, à la bonne herbe les rockers préfèrent l'ivresse de l'ivraie givrée.

    WHO'll STOP THE RAIN

    Je ne sais pas si vous l'avez remarqué mais depuis quelques temps il pleut de plus en plus de missiles sur notre terre. Je ne parle pas ici des scuds que sont les disques de Missiles of October, mais des vrais qui s'abattent en rafales sur des pays pas très éloignés du nôtre, de l'autre côté de la Méditerranée en Syrie, par exemple. Les mauvais esprits n'en finissent pas de maugréer, Premièrement affirment-ils ces bestioles ont la mauvaise habitude de viser principalement les civils, les enfants, les hôpitaux. Quelle terrible malchance ! Deuxièmement, vu le prix exorbitant de ces engins l'on pourrait à leur place construire des dispensaires, des écoles, des universités et des Comedia un peu partout pour que les gens vivent mieux. Dans les années soixante, nos glorieuses sixties, le rock s'élevait bruyamment contre la guerre au Vietnam, aujourd'hui c'est moins évident, l'état du monde a empiré, mais le rock parle moins fort aux oreilles de nos concitoyens. Peut-être parce qu'il ne crie pas assez fort. Heureusement ce soir nous avons les Missiles Of October.

    MISSILES OF OCTOBER

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    Avalanche bruitiste. Comment trois gars à eux seuls peuvent-ils déclencher un tel armagueddon sonore. Et surtout avec cette précision instrumentale. Pouvez suivre à l'oreille le moindre déplacement d'un doigt sur une corde, avec cette netteté du chant de l'alouette dans le radieux silence d'une aube nouvelle. Ils possèdent le sens de l'humour noir, commencent par Do you hear that noise ? Évidemment vous êtes submergé par le déluge sonore, mais il n'est de pires sourds que ceux qui ne veulent pas voir que cette musique n'est que le reflet de notre monde. Bob Seytor est au rotor. Terrible force de frappe. Les bras tourmentent la vitesse de Sleipnir la monture à huit pattes folles d'Odin qui vous emporte sur les terres brumeuses de Hel, la patrie des morts. Avec cette légère différence, que de nos jours l'enfer a pris résidence sur la terre. Bob nous distribue un fameux be-bob, nous martèle les drums dans le crâne, nous entatoue la peau à l'encre indélébile. Rouge sang giclant et noir de mort. De part et d'autre Lionel Beyet à la basse, et Mathias Salas à la lead. De véritables statues hurlantes. Pas de chant. Ils crient, ils screament, ils criment et châtiments, ouvrent le gosier comme des fournaises ardentes, s'en échappent des flammes, évoquez le Dieu Baal, sa gueule quémandeuse, grand-ouverte, béante fournaise, dans laquelle les carthaginois jetaient les nouveaux-nés en offrandes votives.

    Evidemment une telle masse sonique se suffit à elle-même, les musicos ne sont pas ici pour se faire voir et quêter votre approbation en se livrant leurs plus jolis soli. Pas de démonstration artistique et solitaire. Les morceaux sont constitués de courtes séquences rapidement enchaînées. Se suivent et ne se ressemblent pas. Des peintres qui déposent de larges aplats au couteau, et s'en vont tout de suite chercher sur leurs palettes un brou de noir encore plus sombre, un bleu métal d'un acier encore plus tranchant, un rubis encore plus sanguinolent. Faut voir Lionel et Mathias arquer leurs corps, leurs phalanges répétitives crispées sur un accord juste pour marquer leur désaccord avec le monde. Mais l'ennemi est plus fort qu'eux, il enfonce la porte contre laquelle ils se pressaient dans le but d'en empêcher la brisure, et celle-ci réalisée, nos guerriers de l'impossible et du rêve se replient aussitôt derrière un autre portail, mais l'on pressent que les chaînes de fer qu'ils entrecroisent seront à leur tour emportées comme des fétus de paille.

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    Tout de suite alors, Bob le stentor opère un break drumique, une espèce de chute, de salto-arrière avec rétablissement immédiat, You know, there is something strange, something dirt, et contre cela l'établissement d'une nouvelle ligne de défense, une muraille d'acier, Not a good idea, I'm nauseous, Dead bodies, une cause perdue d'avance, un rempart mouvant qu'il faudra sans cesse rebâtir et ériger, car le roseau pensant qu'est l'être humain plie mais n'abandonne jamais la lutte, surtout lorsqu'elle est désespérée et paraît inutile. Ne s'agit pas de jouer à la colibri-rock, mais de crier sans fin son dégoût du monde actuel, d'organiser le tumulte afin de l'anéantir sous le tumulus de sa stupide inanité.

    Colossal ! Missiles of October quittent la scène sans mot dire. Pas de rappel, inutile, après une telle démonstration le public a compris d'instinct n'y a rien à demander, rien à ajouter.

    CRITTERS

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    Tels qu'en eux-mêmes. Tranquilles comme Baptiste. Passer après Missiles of October ne doit pas être facile augurez-vous. Même pas peur. Sont des adeptes du trash punk, ils en ont vu d'autres. Se regardent tous les matins dans la glace, et ils ont beau insister ils n'arrivent pas à rougir d'eux-mêmes. Possèdent eux-aussi une philosophie de la vie. Jugeront la formule trop prétentieuse mais leurs lyrics, ils chantent en français, ne trompent pas. Portent un regard sans illusion - La mort en marche, Hybride TV-Net - sur la réalité sociale de notre vécu. Celui des human beings mais aussi des animals tout aussi beings que nous. Notre organisation sociale n'est point tendre, ni avec les uns, ni avec les autres.

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    Ne sont pas bêtes, mettent le plus fort devant. Un corps de rêve. Les filles, calmez-vous. Une musculature impressionnante. L'arrive même à arborer un modèle d'iroquoise qui n'appartient qu'à lui. Certes il est tout calme mais s'il vous allonge sa basse sur la tête vous êtes mort. En retrait, ils ont disposé les deux guitaristes, le brun sur notre gauche, le blond à droite. Ne pensez pas à des plantes grasses devant les portes de réception des hôtels, une fois que vous les aurez entendus étendre leurs doigts sur leur cordage, vous comprendrez qu'ils en usent des riffs comme ces cacte qui lancent leurs dards empoisonnés sur toute personne qui passe un peu trop près de leur zone de protection. En plus ils doivent être davantage trash que punk puisqu'ils arborent de conséquentes chevelures. Ne doivent pas aimer leur batteur parce qu'ils font bien attention à le cacher à nos regards en se mettant systématiquement devant lui. Doivent juger qu'il fait trop de bruit. Ce qui est vrai mais c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité.

    Car quand ils commencent que vous apercevez que vous avez intérêt à être Sans Illusion. Sont des gars qui ne ménagent pas vos tympans. Oh ! C'est bien fait, n'économisent pas leurs peines pour vous faire tomber dans leur piège. Vous transforment en ces fines guêpes qui foncent droit dedans vers ces récipients remplis de liquide confituré, une fois dedans impossible d'en ressortir. Z'ont aménagé leur musique en bel appartement, meublé avec goût et avec soin. Vous vous sentez chez vous, mais très vite vous comprenez que vous vous êtes fait avoir. Ce n'est pas qu'ils vous empêchent de quitter les lieux, laissent la porte grande-ouverte, mais vous vous apercevez que vous avez élu domicile dans un T 5 de luxe hélas totalement kaotique. La structure des pièces ne cessent de changer. Vous vous installez dans un fauteuil, plank ! une cloison s'abat sur vous, vous vous allongez sur le lit, blink ! le plafond s'abaisse brutalement avec la manifeste intention de vous écraser, vous êtes dans de beaux draps, vous vous mettez à l'abri dans la salle de bain, plunk ! plunk ! le pommeau de la douche vous prend pour un punching ball, en désespoir de cause vous vous réfugiez dans le frigidaire, krinchk ! il se transforme en grille-pain. Tout ce qui se précède pour vous faire entendre comment fonctionne la musique des Critters. Au début tout semble carré, un monde ordonné et efficace, mais c'est un faux-semblant, sont les adeptes des glissements de terrains sans préavis, des bombes explosent sous vos pas, des jungles luxuriantes envahissent les jardins, les soirs de Pleine lune vous vous métamorphosez en loup-garou, le lotissement se mue en labyrinthe, vous êtes perdu, vous craignez pour votre vie. Mais le pire c'est que vous y prenez goût, que cela vous change de votre train-train mortuaire, les Critters vous permettent enfin de vivre intensément.

    Les Critters réalisent ce miracle de vous engluer en un long générique de film anamorphosant, à partir d'une musique des plus primaires – rock'n'roll punk – ils vous jettent dans un monde d'effrayante complexité. De quoi nous laisser perplexe. Une musique aussi compacte qu'un iceberg mais qui dessine sur vos verreries intérieures des friselis aussi subtils que les cristaux de givre sur les carreaux des fenêtres en hiver. Oui mais comme ces gars-là sont aussi des responsables par leurs sets surchauffés du réchauffement climatique, notre automne s'avère de braises brûlantes. Pas étonnant qu'après leur prestation l'assistance était trempée de sueur.

    Damie Chad.

     

    BETTER DAYS

    MISSILES OF OCTOBER

    ( Pogo Records 075 / 2016 )

     

    Lionel Beyet : bass & scream / Bob Seytor : drums / Mathias Salas : guitar & scream.

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    Artwork : Sisca Locca. C'est elle qui se charge d'illustrer les couvertures des disques de Missiles of October. Si pour le premier album Don't Panic elle a opté pour une image choc, un fusil mitrailleur qui vous tire carrément dans les yeux, ici si vous apercevez ce Better Days dans un présentoir quelconque, vous risquez de le confondre avec un album de chansons pour enfants. Ces trois têtes de chats qui semblent jouer du pipeau – regardez de plus près, il s'agit de bombe – n'est pas sans évoquer le matou-vu Hercule, plus bête que méchant mais somme toute sympathique, qui sert de faire valoir à Pif Le Chien dans la célèbre bande dessinée de José Cabrero Arnal. Le fond jaune pâle du motif ne dément en rien l'impression première. C'est un peu une constante chez de nombreux dessinateurs issus de la mouvance punk de privilégier le rire grinçant et le comique sardonique pour mettre en images notre réalité. En tout cas la pochette cartonnée à trois volets est une belle réussite acidulée. Vous retrouvez Sisca Locca sur son FB, ensuite laissez-vous guider.

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    State of crisis : le sound quelque peu domestiqué si l'on pense au concert. Play loud, dirty and angry, svp. Par contre le vocal est mis en avant comme si le message primait sur son enveloppe ce qui change la perspective d'écoute. Mais pas d'inquiétude le turbo-sound est là, vous ratiboise vos illusions sans encombre pour les décombres. Compressé et arasif. Gigantesque hachoir mécanique. No brain, no headache : le début explose, les fusées de guitare giclent de tous côtés, un délire metallique qui réussit le défi de ressembler à un début d'émission de TV américaine qui vous vante les bienfaits du dernier médicament à la mode. Bientôt vous sombrez dans un informe cliquetis avant d'être écrasé par le rouleau-compresseur sonique. Abattage de bûcheron final. Satisfaction in nothing : rythme pimpant pour voix mortuaire, des clous de guitare, des trombes de batterie, they can't get no satisfaction eux aussi, mais ce coup-ci la révolte est totale et métaphysique, l'on n'est pas dans un petit malaise existentiel de bobo dépressif, le morceau finit par agoniser comme un python privé de son maître qui préfère se laisser crever que ramper dans les tuyaux du cloaque humain. Better days : il y a des jours où l'on hait le monde entier, sans doute sont-ce les meilleurs car l'on peut hurler à foison, foncer à 180 /km sur ses guitares et frapper de toutes vos forces sur le couvercle du pot de confiture où vous renfermez les cervelles de vos voisins. Ce violent morceau s'arrête trop tôt, c'est normal les horreurs les plus courtes en paraissent encore plus horribles. Everyday : lourdeur désespérée de votre quotidien, le morceau se traîne comme le serpent du blues, ces écailles cliquettent comme des cymbales, hurlement de ceux qui l'aperçoivent, mais comme dans les tragédies grecques, vous n'échapperez pas à votre destin et il ne vous reste plus qu'à implorer la mort de se porter à votre secours. Vous n'auriez pas dû, vous ressemblez à ces cochons que l'on égorgeait dans les cours de ferme. Couinements infernaux. Final pompéïen, le volcan explose, la lave brûlante vous engloutit. Sale bête, vous mettez du temps à crever, faut vous achever à la barre à mine. Loser : ( + guitar : Ralf Jock ) : les guitares relancent le moteur cacochyme les premières secondes, mais après ça tourne comme un moteur d'hydravion qui ne trouve ni fleuve, ni mer, ni lac, pour se poser. Ce n'est pas de votre faute, ni de votre gloire, vous êtes un perdant pas du tout magnifique. C'est clair le monde entier et cette guitare maintenant guillerette se moquent de vous. Chainsaw : dans la série je vous découpe à la tronçonneuse parce j'en ai assez, tout ce qui bouge subira le même sort. Zut je me suis tranché la tête, le morceau s'arrête plus vite que prévu, j'étais un peu trop énervé. Problems : les problèmes vous prennent la tête. Inutile de courir, c'est dans votre cerveau qu'ils klaxonnent, même docteur Freud ne s'y retrouvera pas dans ce nœud de serpents complexés, alors galopez comme si le diable était à vos trousses. Pas de panique il y a déjà longtemps qu'il squatte votre cervelle. Blah Blah Blah : le rythme s'accélère encore, font vraiment beaucoup de bruit pour ce rien qui tourne en boucle dans votre esprit volatile. A la batterie Bob casse du baobab alors Lionel et Mathias vrombissent comme s'ils avaient des ailes de fer aux talons. Effort inutile, ils ne tarderont pas à s'écraser. Two feet in sludge : rythmique pesante et collante, vous pataugez dans la boue de votre existence, la musique comme une ventouse de marécage qui vous attire inexorablement vers le fond vaseux. Ailleurs l'herbe des cercueils n'est pas plus verte. Enfoncez-vous les clous de la boite funèbre dans votre tête. Musique et voix s'affolent. Et puis s'arrêtent. Vérifiez si vous êtes encore vivant.

    Félicitations à Ralf Jock et Guido Lucas qui ont présidé à l'enregistrement et au mixage. ( Sthor Sound Studio / Germany ). Rares sont les enregistrements de groupes de metal qui parviennent à une telle netteté, à un tel profil sonore.

    Damie Chad.

    VOLK

    AVERAGE AMERICAN BAND

    ( Romanus Recods / Novembre 2017 )

     

    Christopher Lowe : vocals, guitar / Eleot Reich : : vocals drums.

    Plus que temps de chroniquer ce sophomore – mot typiquement américain qui désigne les étudiants de deuxième année - EP de Volk qui avait estomaqué la Comedia, lors de leur concert du 23 septembre dernier ( voir KR'TNT ! 431 du 26 / 09 / 2019 ). Ah cette version de Summetime Blues qui tinte encore dans nos oreilles ! Depuis ils sont retourné aux Etats-Unis où ils enchaînent les dates..

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    Lorsque vous retirez le disque de son plastique, vous vous apercevez que la pochette papier rigide n'est fermée que sur un seul côté. L'or de l'initiale V – qui tranche joliment sur le fond noir – jure quelque peu avec la galette rose bonbon et son étiquette centrale blanche. C'est un peu la spécialité de Romanus Records les tirages qui vous arrachent l'œil ! Allez faire un tour sur leur FB. Vous remarquerez l'anamorphose du V de Volk qui se change en tête de vache ! Mais comme un disque se regarde aussi avec les oreilles, posons soigneusement le pink object sur la platine.

    Hat & boots : ça déchire aux premières notes, la guitare qui klaxonne – ce n'est pas une métaphore – la batterie qui fout un potin de tous les diables et la voix d'Eleot qui vous présente la garde-robe. J'ai bien peur qu'on ne l'embauche pas dans une boutique Chanel mais dans un groupe de rock c'est parfait, elle vous crie dans les oreilles comme une mégère désapprivoisée et vous a de ces trémolos terminatifs bouleversants. Rajoutez que par-dessous Christopher vous glisse sans avertissements quelques éclats de guitare aussi sympathiquement que s'il vous balafrait le visage avec un tesson de bouteille. La réserve personnelle du patron en plus. Land of toys : ah ces ricains, sortent d'une bagarre dans un bar pour entrer dans une église. Reprenez vos esprits en écoutant les doux sons de l'harmonium. Le Seigneur en personne doit avoir quelque chose contre nous, Eleot caquette comme trois cents poules qui viennent de s'apercevoir que le renard est entré dans le poulailler. Brave gars, Christopher se précipite pour rétablir la situation, se sert de ses riffs comme d'un balai géant pour écraser les malheureuses gallinacées qui du coup piaillent encore plus fort. Ça se termine bien, les jouets montent dans une fusée transplanétaire qui démarre aussi sec et une somptueuse musique de générique les emporte vers une nouvelle guerre des étoiles. Respirez le cauchemar est fini. January : Eleot minaude de sa voix pointue, elle n'en n'oublie pas pour autant de poinçonner des parpaings en béton précontraint sur sa batterie, le genre de passe-temps qui n'a pas l'air de plonger Christopher en dépression. Vous donne l'impression qu'il prend un plaisir fou à lui tirer des rafales de guitares à balles réelles. D'ailleurs le morceau est assez court. L'année commence mal, il a dû la tuer. Honey bee : ( + Chris Banta : vocals ) : à voir la manière dont ses cordes dansent une monstrueuse gigue de joie, Christopher doit être satisfait de ce ce qu'il a fait, mais non the gal is en pleine forme, il se prend le délire verbal en plein dans les esgourdes, en plus elle s'énerve salement sur sa caisse claire qu'elle pilonne avec des envies de meurtre, Christopher essaye de baisser le son, mais non ça ne sert à rien, elle en profite pour prendre toute la place, alors il remet les gaz et c'est reparti pour l'enfer. Elle vous hache à l'ultra-rapide la batterie à coups de batte de baseball, et lui s'envole avec sa guitare en imitant le bruit d'une fusée qui démarre sur Cap Canaveral. Ouf, le calme revient dans votre appartement. Vous avez survécu. Mais expliquez-moi pourquoi vous vous précipitez pour la dix-septième fois de suite pour le réécouter.

    Chez Romanus Records ils ne lésinent pas sur la qualité du vinyle, presque aussi épais qu'un porte-avions. C'est cela les américains question rock, ils savent faire.

    Damie Chad.

     

    LONG CHRIS PARLE

    DE JOHNNY HALLYDAY

    ( sur You tube / Radio-Web-Passion )

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    Un enregistrement émouvant. L'on pourrait s'attendre au pire. L'on connaît la brouille entre les deux hommes suite au mariage de Johnny avec la fille de Chris. Ne se sont plus jamais parlé. Chris opposant un digne silence aux questions oiseuses. Mais là il se livre. L'interview a été réalisée après la disparition du chanteur. Non Chris n'écoutera pas le disque posthume, il n'en a pas envie. Mais il avoue qu'il aurait aimé être de ceux qui portaient le cercueil sur leurs épaules à la Madeleine. On n'enterre pas une amitié quelles que furent les fâcheries qui lui ont mis fin.

    Et le vieux rocker replonge dans sa jeunesse. Les plus belles années de sa vie. La rencontre avec Johnny, le pacte de sang passé entre les deux adolescents, et nous voici au cœur de la légende, racontée non pas par un témoin mais par un de ses activistes. L'écorne quelque peu. Non la bande de la Trinité n'était pas formée de blousons noirs, une dizaine de jeunes gens en cravate qui buvaient du Coca et Johnny, accompagné de Chris et d'un ou deux copains sur un banc, qui proposait aux filles qui passaient de leur chanter une chanson...

    Johnny ne s'est pas fait tout seul. L'a absorbé ce que lui proposait son époque : les poses quasi-métaphysiques de James Dean, le charisme étincelant de Marlon Brando, et le rock'n'roll, les premiers disques de Presley, de Bill Haley, de Gene Vincent. N'étaient pas très nombreux sur Paris à s'intéresser à cette musique. Les bandes de blousons noirs de Bastille et de République certes, mais aussi une autre composante, une jeunesse plus proprette qui se réunissait pour danser en les rares endroits qui passaient ces rythmes nouveaux... Milieux populaires et petits-bourgeois...

    Mais il n'est pas que Johnny au monde. L'itinéraire de Long Chris est aussi des plus intéressants. S'est d'abord intéressé à la musique noire américaine, puis aux chansons de cowboys, pour finir par subir le choc d'Elvis... Long Chris et les Daltons fut le premier groupe '' country-rock'' français. Chris n'en garde guère un bon souvenir. On lui imposait des morceaux qu'il n'aimait pas. L'adversité n'est pas une mauvaise chose en soi, elle n'est que la face visible de la stimulation. Chris décide d'écrire ses propres paroles. L'est un intello, un autodidacte, mais il a lu – Balzac, Zola, Prévert - et lorsque Johnny le presse de composer ce qui deviendra La Génération Perdue, il ne sait pas qu'il est en train de jeter les bases culturelles du rock'n'roll français et par ricochet d'aider Johnny à incarner son propre personnage. Chris s'attarde sur la composition de Voyage au Pays des Vivants, qu'il qualifie d'écriture surréaliste. D'après moi, ce morceau relèverait plutôt d'une esthétique rimbaldienne, mais là n'est pas le sujet... L'on regrettera que le projet du disque sur l'adaptation des Chants de Maldoror ait été abandonné...

    Long Chris ne se contente pas d'écrire pour les amis, il enregistre en 1966 l'album culte Chansons Bizarres Pour Gens Etranges, une espèce d'ovni poético-beatnick égaré sur la planète France, réédité en 2016 chez Rock Paradise Records de Patrick Renassia ( in Kr'tnt ! 344 du 19 / 10 / 2017 ). Le temps passe Chris décroche du métier et devient antiquaire, féru de Napoléon et spécialiste des petits soldats de plomb... Mais les assassins retournent toujours à leur crime initial et Long Chris sort un tome 2 et puis un tome 3 de ces gens étranges. Tout fier d'atteindre les cinq cents exemplaires vendus.

    L'évocation de son livre – un des deux meilleurs sur le sujet - Johnny à la Cour du Roi – chroniqué dans KR'TNT ! 283 du 26 / 05 / 2016 – sera l'occasion de replonger dans les années les plus tumultueuses de la vie de Johnny... Ce Johnny qui n'est plus le rocker des débuts mais qui est devenu un très grand chanteur. Chris est fier d'avoir avec quelques autres contribué aux fondations de cette tour de guerre que fut Johnny. Johnny menteur, Johnny solitaire, Johnny fabuleux, Johnny tel qu'en lui-même il s'est édifié.

    L'ensemble avoisine une heure et demie, mais il aurait pu durer trois fois plus, souvent Chris effleure à peine des domaines sur lesquels on aurait aimé qu'il apporte des précisions, mais en fin de compte ce n'est pas le plus important. A la fin de l'interview l'on ressort bouleversé, par cette fidélité exprimée si simplement, il nous semble que Chris s'est réconcilié avec Johnny mais surtout avec lui-même. Les derniers mots, plus forts que la mort, sont d'une beauté incandescente.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 382 : KR'TNT ! 402 : STEVE WYNN / GINGER BAKER / BROKEN GLASS / BLACK PRINTS / AU DREY /RAW DOG / DOUCHE FROIDE / ROCK CRITIC

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 402

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    17 / 01 / 2019

     

    STEVE WYNN / GINGER BAKER

    BROKEN GLASS / RAWDOG / BLACK PRINTS + AU DREY

    DOUCHE FROIDE / ROCK CRITIC

     

    Syndicate d’initiatives -
Part Three

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    Après la fin du Syndicat, Steve Wynn entreprend une carrière solo au moins aussi fructueuse que celle de Frank Black après la fin des Pixies. Visiblement, ces gens-là ne savent faire qu’une seule chose dans la vie : écrire des chansons. Et des bonnes.

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    Wynn gagne à tous les coups. La preuve ? Kerosene Man, premier album solo paru en 1990. Deux belles énormités guettent leur proie, c’est-à-dire l’oreille imprudente : «Younger» et «Killing Time». Steve Wynn renoue avec la violence du riffing et la belle niaque pantelante. Il connaît son affaire. Dans «Younger», on retrouve le même son de basse que dans le fatidique «Death Party» du Gun Club. Tout aussi joliment claqué, voici «Killing Time». C’est même claqué en dégringolé d’accords. Ce sacré Steve adore la classe. Il sait enchaîner les effets de Ricken et créer des horizons. Ça marche à tous les coups. Sa power-pop est celle dont on rêve quand on est jeune et encore vert. Steve Wynn tortille ça en vieux briscard. C’est même trop beau pour être vrai. Son «Under The Weather» sonne comme de la petite pop de boulevard populaire, café de Belleville au clair de lune. Il claque aussi de l’accord clairvoyant dans «Something To Remember Me By». Voilà sa marque de fabrique artisanale, un peu limite du rock FM, mais ça passe. Et avec «Anthem», il prend l’habitude des finir ses albums avec un cut explosif - Play the anthem one more time - C’est tout simplement effarant de son. Le fan est gâté.

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    Deux ans plus tard paraît Dazzling Display. Steve Wynn y tape une cover de «Bonnie & Clyde». Coup de génie puisqu’il en fait une horreur garage. Cover de rêve. Steve Wynn a bien compris qui était Gainsbarre. Josette Napolitano vient faire la conne. Steve Wynn lâche ses ouragans d’accords, c’est à la fois intense et respectueux de l’environnement. Tout aussi énorme, voilà «405» joué au heavy rock - I rest my mind on the place and time - C’est explosé au solo congestionné. Quelle débauche d’énergie sonique ! Ce mec ne s’arrête jamais. Avec «Tuesday», il propose un extraordinaire shoot de power-pop émancipée. Wynn n’en finit plus de gagner à tous les coups. Il va sur la pop-rock avec une sorte de plaisir gourmand. Le morceau titre semble violenté dans l’azur pyrénéen. À moins qu’il ne s’agisse de la zone de Pythagore. Steve Wynn revient à sa légendaire férocité sonique et aux déliquescences d’interactions psychédéliques - Fell down to attention/ Not a very honorable mention/ What a perfect way/ To watch a dazzling display - En plus, c’est extrêmement bien écrit et digne des meilleures drug songs. Il passe à la vitesse supérieure avec «Dandy In Disguise». Drumbeat on the beat ! Il nous rocke ça dès l’intro, en vétéran de toutes les guerres. Ça sploushe et ça splashe dans le lagon vert. Admirable ! Il termine avec l’excellent «Close Your Eyes», vieille pop alimentée au bon vent d’Ouest. Steve Wynn se veut résolument allègre et optimiste.

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    On ne trouve pas vraiment de hit sur Fluorescent paru l’année suivante. On a du balladif de bonne guerre avec «Follow Me». On sent toujours la présence d’une vraie voix. On le sait, la voix fait toute la différence. Prenez Lou Reed. Eh bien, Steve Wynn, c’est la même chose. Profondeur et présence, voilà ses deux mamelles. Il excelle dans l’exercice de la présence vocale de bon ton. Par contre, son «Collision Course» sonne comme du Lloyd Cole. Mais Steve Wynn sauve son cut grâce à des fuites de guitares éperdues. Encore un fantastique balladif d’espérance du Cap de Bonne Espérance avec «Carry A Torch». Quand on a la voix qu’il a, une bonne guitare et des idées, ça paraît logique d’enregistrer des albums solo. Ce «Carry A Torch» sonnerait presque comme un hit. Avec un mec comme lui, il faut savoir donner du temps au temps et voir les choses se développer. C’est toujours intéressant. Il a toujours un gros son. «Open The Door» ne déroge pas à cette règle. On sent l’homme d’âge mur, sûr de son art. Même si «Wedding Bells» sonne trop romantico, on sent bien l’énergie. «The Sun Rises In The West» sonne comme un heavy balladif d’envergure. On adore ce mec pour ses capacités à créer de la bonne pop électrique, l’une des meilleures d’Amérique. Par contre, son «Look Both Ways» se danse d’un pied sur l’autre dans les Appalaches.

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    Pas de hits non plus sur Take Your Flunky And Dangle, mais pas mal de bonnes chansons, à commencer par «How’s My Little Girl», joli coup d’electric pop. C’est là où Wynn brille. C’est son univers, sa distance, son pré carré. Il est parfait dans son rôle de power-popper qui chante à la mâle assurance pendant que les guitares dessinent le décor de rêve. Avec «Closer», il reprend son bâton de pèlerin charmeur et se montre très communicatif avec «The Woodshed Blue». Il y sonne comme Dylan. Avec «AA», il sonne comme les Supremes, mais country. C’est assez tordu comme vision. Il termine en tapant «Only Comes Out At Night» au dylanex, mais parfois, on se dit qu’il vaut mieux écouter Dylan.

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    Sur Melting In The Dark, Thalia Zadek chante et joue avec Steve Wynn. Que de son ! C’est en tous les cas ce qu’on s’exclame dès le «Why» d’ouverture. Steve Wynn pousse de vrais oh yeah ! Quelle dégelée ! Il semble enfin de réveiller - There’s no answer, yeah ! - Et avec «What We Call Love», il revient à son vieux son de mid-tempo aventureux de bonne aventure. C’est littéralement bardé de guitares. Il redéclenche la furia del sol avec «The Angels». Il s’y fait violent prévaricateur - And the angels won’t talk to me anymore - C’est même visité par l’esprit des guitares, un véritable essaim. Encore un fantastique slab de heavy pop avec «State It Down». C’est cisaillé aux meilleures guitares de stomp. Steve Wynn chante ça sale et descend à la cave. Quel retournement de situation ! Avec «Smooth», il file sous le vent du boisseau. Effrayant ! Il se montre indispensable au rock. Son Smooth est de très haut niveau. Ils nous smoothent ça comme des diables. Quelle débandade de chœurs et de guitares ! Avec un titre comme «The Way You Punish Me», on tombe forcément dans la heavyness. Et tout ça se termine avec le morceau titre claqué au rendez-vous des malfrats - MacArthur Park is melting in the dark - Steve Wynn visite ça au sonic hell et bascule dans la mad psyché. C’est soloté à outrance et totalement inespéré.

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    Le génie électrique de Steve Wynn éclate de plus belle avec Sweetness And Light paru en 1997. Toutes les pochettes sont des tue-l’amour, mais le son est là. Cet album est passionnant, à commencer par «Silver Lining» monté sur un tatapoum de tous les diables signé Linda Pitmon. Elle tape comme une sourde. Notre Wynner favori ne ménage ni la chèvre ni le chou. Il veille a conserver ce fin tissu de guitares acidulées. On note l’extraordinaire santé de son songwriting. On s’en épate même à fond la caisse. Tiens, encore une solide attaque en règle avec «Black Magic» - Underneath the highway/ That’s where you’ll find me - Ah quel admirable rocker ! Son rock se pose comme un vaisseau sur la planète Uranus, c’est-à-dire avec une grande prestance technologique. Il tape une cover de Ray Davies, «This Strange Effect» et l’explose aux guitares. Il passe au big atmosphérix avec «This Deadly Game». On se croirait chez les Only Ones, dans une belle ambiance crépusculaire. Encore un extraordinaire slab de power-pop avec «How’s My Little Girl». Sa véritable force, c’est l’éclat du timbre. Il s’en va chatouiller les cuisses de sa muse. Elle jouira toujours, avec un mec comme lui. Ce cut un modèle du genre, Steve Wynn semble gratter des milliers de guitares acidulées, c’est à la fois un bonheur impénitent et d’une rare puissance fruitée, ça dégouline de jus étincelant. Ce mec est capable de fulgurances. On reste dans le big atmosphérix avec «Ghosts». Il semble traverser les strates à coups de solos voyageurs. Ça dure six minutes mais c’est une aubaine pour l’oreille du lapin blanc. Steve Wynn allumera ses lampions jusqu’au bout de la nuit. Encore un fantastique jerk de balance informelle avec «Blood From A Stone». Il joue toujours son rôle de franc-tireur à la perfection. Il est l’un des mecs les plus intéressants du rock américain. Il sait pousser des aw de fins de couplets. Pur génie que ce Wynner de tous les diables. Il est aussi capable de sortir du vieux rock violent, comme on le voit avec «In Love With Everyone». C’est ultra-joué au open your eyes et bardé de son. C’est bien plus effarant que l’arrivée des Vikings sur la plage. S’ensuit une dérive apostolique intitulée «The Great Divide». Steve Wynn s’en va se noyer dans un océan de notes de xylo extensif. Il tape ensuite dans Barrett/Strong avec une cover de «That’s The Way Love Is». Il ne se contente pas de jouer son r’n’b, il le vrille en queue de cochon d’apothéose et nous le ramone au solo savoyard.

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    Si on écoute My Midnight, on trouvera un joli duo d’enfer intitulé «We’ve Been Hanging Out». Il rappelle «The Murder Mystery» du Velvet. Steve Wynn y duette avec Linda Pitmon. C’est fabuleusement nappé d’orgue. Attention, c’est un double album et on risque l’indigestion si on écoute tout. Il chante «Nothing But The Shell» à la voix de son maître. On sent que cet homme ne vit que pour les chansons. Il prend sa meilleure voix de timbre fêlé pour honorer «My Favorite Game». «Cats & Dogs» sonne comme de la power-pop jouée sous le boisseau. Elle est bonne et chaude comme le pain du matin, à la boulangerie de la rue Saint-Jean. On se régalera aussi d’«In Your Prime», visité par des guitares supersoniques. Le monde de Steve Wynn reste incroyablement suburbain. Il chante tout au timbre présent. Il chante même des fois trop sérieusement et pourrait faire un peu peur. Que de son et quel bouquet de guitares ! Ah il faut entendre ce «Out Of This World» claqué aux pires accords intraveineux. Il joue sur tous les tableaux. Il semble sauter dans la pop comme un gosse dans le bac à sable. C’est l’un des cuts les plus percutants de l’album, avec ses retours de you do something to me. Il boucle le disk 1 avec «500 Girls Mornings», un blast de heavy rock écœurant de nonchalance. Le disk 2 est un live saturé de son, et donc chaudement recommandé aux amateurs d’électricité. Il démarre avec sa fabuleuse reprise des Kinks, «This Strange Effect» et enchaîne avec un «What We Call Love» chanté à la petite menace. Linda Pitman bat ça si sec ! Il faut dire que live, le son de Steve Wynn éclate encore plus. Rien d’aussi dément que la version live de «That’s What You Always Say». On y entend un pur solo de sonic trash, c’est noyé d’effervescence ultra-sonique. Steve Wynn joue tout ça à l’abattage. Le «Why» qui suit est aussi incroyablement musclé. Avec «Tears Won’t Help», il passe au freakout de la démesure. Il ressort «Bonnie & Clyde» et «Halloween» des archives pour les barder de son. Ce sont des versions dingoïdes qui basculent vite fait dans la mad psyché. Les descentes sont proprement spectaculaires. Tout l’album est en feu. Il termine avec l’enchaînement fatal : «Melting In The Dark» et «The Days Of Wine And Roses». Ils jouent tout cela à la note fumante, Steve Wynn gère ça au violent claqué d’accords, ça éclaire la nuit du rock et laisse dans la bouche le goût d’un panache indescriptible.

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    Pas mal de très belles choses sur le Pick of The Litter paru en 1999, notamment ce «James River Incident» qu’on prend tout d’abord pour une protest-song ethno-sociologique à la Dylan, mais qui est en réalité un prétexte à ramener du son, et quel son, les amis ! Du très grand son. Steve Wynn est homme à savoir faire claquer un accord de guitare. On a là du très gros Wynner. Il nous gratte son riff dans l’épaisseur du doom. Ce mec sait vraiment créer les conditions. Textuellement parlant, il reste dans l’ellipse, yeah, et il part en vrille syndicale, comme au temps béni du Dream - All that’s left is legend and stories to be told - et il ajoute en exergue qu’il y a des secrets entre the river and me. C’est tellement bardé de guitares que ça frise la stoogerie. Tony Maimone de Pere Ubu joue sur «Ladies & Gentlemen», un joli cut mélodique monté sur des arpèges. Superbe. On l’a sans doute déjà dit, Steve Wynn est aussi prolifiquement bon que Robert Pollard et Frank Black. Il nous claque ensuite «Smoke From A Distant Flame» au banjo des familles. Ça n’a l’air de rien, comme ça, mais il faut savoir le faire. Ce mec a du génie, n’ayons pas peur des grands mots. Sa compo tient fabuleusement la route. Il chante par dessus le banjo avec un sacré aplomb. On reste dans l’énormité présentielle avec «Halfway To The After Life». Steve Wynn wynne à tous les coups. Il joue la carte du son bienvenu. C’est bardé, absolument bardé de guitares. Le rôle de démon lui va à merveille. Il explose toutes les conceptions envisageables. Dans une vie antérieure, il devait être forcément pharaon. Il fait encore un numéro de cirque avec «The Air That I Breathe». Il chante au plus profond et tente de faire du Lanegan, mais c’est impossible. Alors il explose tout avec des coups de guitare. Voilà le Wynn qu’on admire, le sorcier du son. Il tape «The Impossible» au pire beat wynnique de l’univers. Il faut se méfier de ce mec, il est capable du pire. Il termine avec un «Why Does Love Got To Be So Sad» bardé de son. Ça entre par les deux oreilles comme dans un moulin. Et qui retrouve-t-on à la guitare ? Rich Gilbert, le diable des Catholics, ce groupe de surdoués qui jadis accompagnait Frank Black sur scène. Du coup ça prend des proportions extraordinaires. Rich Gilbert joue à la vie à la mort.

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    Crossing Dragon Bridge est un album qui vaut aussi le détour, ne serait-ce que pour «Believe In Yourself», pur jus de Dylan strut. Steve Wynn fait du dylanex en plein - It’s okay/ If you talk/ You stumble/ You get up/ That’s all - Comme Dylan, Steve Wynn a un don. «Manhattan Fault Line» sonne comme du typical Wynn. On a là un mélopif solide et plein de son, avec une réelle profondeur de ton et de champ. On ne peut parler que de prestance ou d’étonnant dérivatif d’enchantement presbytérien. Ses balladifs restent imparables. Comme beaucoup d’autre hits, il claque «Love Me Anyway» à la bonne entente cordiale. Ça reste du mid-tempo hautement élémentaire. Ce mec n’en finit plus d’écrire des chansons. Il berce «She Came» de langueurs monotones. On tombe aussi sur un «When We Talk About Forever» sacrément versé dans l’esprit de seltz. Tout aussi admirable de vitalité, voici «Annie & Me» - We just never slow down - Ça joue au beat serré dans les virages, pur jus de grand Wynner. Voilà une sacrée virée country. Mais il a aussi pas mal de cuts plus conventionnels qui ne marchent pas, comme ce «God Doesn’t Like It». Il faut dire que le coup d’harmo est somptueux : il évoque Charles Bronson.

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    Et puis voilà qu’en 2001, il monte les Miracle 3 et commence à enregistrer une série d’albums éblouissants, à commencer par Here Come The Miracles. Steve Wynn wins dès le morceau titre d’ouverture du bal, un heavy romp démoniaque, singulier mélange de pop et de heavyness définitive - What can I believe in the face of such a disease/ When the forces of evil are free to do as they please - Et c’est parti pour ne nouvelle ribambelle de gros cuts, comme cet effarant «Sustain». Steve Wynn travaille comme un ébéniste, il produit chaque jour des crafts sur son établi, alors ça finit par compter. Au rythme d’un craft par jour, ça fait 365 crafts par an, alors forcément, les disques finissent par pulluler. En tous les cas, son «Sustain» est ultra joué. Tout est incroyablement bon sur cet album. On a du renvoi d’estomac sonique dans «Butterscotch» et Linda Pitmon nous bat «Southern California Line» à la dure - Hey hey are you ready to be saved - Voilà encore de la belle heavyness visitée par des guitares souterraines, c’est du grand art battu sévère et explosé aux arpèges allégoriques. Même ce balladif intitulé «Morningside Heighs» est ridiculement bon. Il revient au boogie d’accent tranchant avec «Let’s Leave It Like That» et son «Crawling Misanthropic Blues» est une véritable horreur, complètement explosée d’entrée de jeu. Steve Wynn se prend ici pour Jeffrey Lee Pierce. Même jus - Oh wow wow nobody’s perfect/ I know that it’s true - Voilà du punk de Wynner serti d’un killer solo. Steve Wynn n’en finit plus de multiplier les exercices de style. Il finit le disk 1 avec «Death Valley Pain», un fabuleux groove psychédélique - The moon it shines - Il ramène tout le gros fretin. Puis il attaque le disk 2 avec «Strange New World», tapé au heavy garage - Once I was down in New Orleans/ Mixing scotch with gasoline - Ce sont les accords de «No Fun» - The King of Swing/ The Duke of Earl - Quelle étonnante tripotée d’accords ! Chez lui, les guitares sont toujours assez révolutionnaires. Encore du vieux groove Wynny avec «Topanga Canyon Freaks». Il vise clairement le boogaloo, il frise un peu le Tom Waits en lâchant des vieux ah ah ah de graveyard, mais on note la présence de jolies guitares dans le paysage. Nouvelle merveille avec un «Watch Your Step» violemment cisaillé au riff émancipé. Voilà certainement le meilleur garage californien - I’m not the one who’s gonna take it to the other side - Il nous prévient. Que de son ! Comme dans le cochon, tout est bon dans le Wynn. Il crée des merveilles en tous genres et peut même s’amuser à chanter comme un crocodile. Encore plus bardé de guitares, voilà «Smash Myself To Bits», un truc exceptionnel visité par l’esprit du harp, c’est-à-dire le dieu du vent. Démence pure. Steve Wynn entre au chant sur le tard et s’amuse à faire le roi des tempêtes. C’est saturé d’énergie de son. Il faut bien avouer que ce mec a du génie. Ce cut est une véritable horreur saturée d’aventures. On a même l’impression de voir se lever une tempête de sable. C’est d’une rare violence psychédélique et ça monte à saturation avec un harmo démentoïde. C’est là très précisément que s’exprime le génie sonique de Steve Wynn. Il termine avec «There Will Come A Day», pur jus dylanesque joué à l’orgue. On voit qu’il adore son maître Bob - And in a fit of desperation/ I found myself on my kness - C’est à la fois beau et puissant. Il est dessus - There will come a day Lord/ Thre will come a day - Somptueux ! Une vraie révélation, et ça se termine dans un éblouissant final de gospel batch. On a là l’un des très grands disques de rock américain.

    Steve Wynn continue d’enregistrer des albums sporadiques ici et là. Le conseil qu’on pourrait donner serait de les écouter, car forcément, ça reste du très grand art.

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    Tiens par exemple, cette compile intitulée Up There Home Recordings 2000 To 2008. Eh bien on y trouve un cut génial, «Bruises», taillé dans l’épaisseur d’un bazar sonique. À lui seul, ce cut balaie toute la Brit-pop. Steve Wynn démolit tout, il fracasse les années lumières, il ramène du son, rien que du son. Il joue son truc aux notes d’alerte rouge. Il propose pas mal de tributes dans cette compile : à Gene Clark, avec «Tomorrow Is A Long Ways Away», ou encore à Nick Lowe avec «The Truth Drug», cut hyper ventilé et stompé par Linda Pitman qui bat ça si sec. Elle fait d’ailleurs partie des meilleures batteuses du monde. Il indique plus loin que «Still Messed Up» est l’une de ses chansons préférées. Il nous joue ça au meilleur groove de la stratosphère. Steve Wynn est d’une fiabilité à toute épreuve, un mec parfaitement incapable se sortir un mauvais disque. Il rend aussi hommage à la Nouvelle Orleans avec «The Good Old Days» et tape «Hold Your Mud» aux guitares ultra-insidieuses. Les deux cuts d’ouverture sont aussi des passages obligés : «Second Best» (balladif dylanesque truffé de coups d’harmo) et «Incantation (Raise The Roof)», dont il dit que c’est about the power of sound. Ah pour ça, on peut lui faire confiance. On se croirait au temps du Dream. Back to the big Sound avec «Lungs». Oui, il ramène tout le son possible. Il y gratte des trucs à l’infini. Et il rend hommage à Neil Young avec «SleepsWith Angels». Il se joue des règles et les lois, il larde son son encore et encore.

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    Et la roue continue de tourner avec cet énorme album solo qu’est Sketches In Spain. On comprend dès l’«I’m Not Ready» d’ouverture que Steve Wynn va rester imbattable jusqu’à la fin des temps. Il est tout simplement parfait, on l’a sûrement déjà dit, mais dans un cas comme celui-là, c’est plutôt bien de radoter. Il réussit à monter l’incroyable allure d’un cut sur un simple jeu de bassmatic, rien d’autre. On tombe très vite sur un hit : «Super 8», une power pop d’horizon que chante Linda Pitmon. Admirable ! Et voilà l’immense «My Cross To Bear», claqué aux immenses accords. Steve Wynn sait ouvrir la Mer Rouge, il peut s’asseoir sur le buisson ardent sans se brûler le cul. Cet homme règne sans partage sur le heavy rock, qu’on se le dise. Avec «My Cross To Bear», il propose un cut assez spectaculaire, une vraie avancée. Il fait claquer sa guitare comme une cornemuse au nadir du combat. Impossible de faire l’impasse sur un tel Wynner - I don’t care - C’est énorme, de bout en bout. Il tape ensuite «Kickstart My Jacknife» au chant voilé, mais avec une belle persévérance. Il s’appuie sur la plus belle des sauces. Même si on n’écoute ça qu’une seule fois dans sa vie, ça vaut le détour. Steve Wynn n’en finit plus de pulser du son et ça gicle dans la console. Chaque cut sonne comme une aventure extraordinaire. Il n’en finit plus de réinventer la poudre. Il joue la carte du boogie wynnie avec «Snack Dab» et repart plus loin en mode power pop avec «Suddenly». Il ne baissera jamais sa garde. Il chante de l’intérieur du menton et son génie éclaire la nuit. Encore un fantastique coup de power-pop avec «The King Of Riverside Dark». Il y frise une nouvelle fois le génie avec un solo d’accordéon. C’est tout simplement affolant de son, de présence, de classe et de chant. Diable, comme ce mec peut être bon - And nothing can break me down/ I’m the king of Riverside Dark - Il enchaîne avec ce balladif extraordinaire de qualité intrinsèque qu’est «The Last One Standing». Il peut chanter en profondeur with nothing at all et faire mousser sa glotte dans un abîme de grandiloquence mélodique. Steve Wynn a le son de l’espace et le goût de l’universalité des choses. Encore une belle pièce d’anticipation rockalama avec «Underneath The Radar». Il y claque un claquos coulant dans l’écho du temps. «Oth» sonne comme un exercice de style, ça sort en effet de nulle part, ce cut joué au banjo et chanté au speed des enchères à l’Américaine désarmerait un régiment. On pourrait qualifier ça de cut out de cuttard invétéré. Il nous emmène à la Nouvelle Orléans pour «Black Is Black». Nous voilà en effet dans un enterrement avec du pouet pouet de rue joyeuse. La mort est une délivrance, si on y réfléchit bien. Steve Wynn est capable d’orchestrer un balladif au tuba. Il nous emmène à la fête foraine avec «Claro Que Si». Il y gratte des accords de pur Tex Mex qui feraient baver Doug Sahm en personne. C’est absolument indécent de grandeur. Et il boucle ce brillant album avec «Sometime Before I Die». Ouf, il est temps que ça s’arrête. Ce genre de disk épuise la cervelle. On finit en ahanant. Ce diable de Steve Wynn nous propose là un salad bowl de power pop et de celtic sludge. Il touille ça avec sa grosse cuillère en bois et chante d’une voix exagérément graissée. C’est un diable. On soupçonnait Jason d’être un démon, mais non, quelle méprise, le démon c’est lui, Steve Wynn. Quel mystificateur ! Il ramène tout le celtic de l’hémisphère Nord dans son délire outrancier et purificateur. Son solo coule comme le miel dans la vallée des plaisirs. Il finit en beauté, à la manière d’un Victor Hugo contemplant l’océan du temps qui se fond dans l’horizon.

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    Il existe trois raison d’écouter Solo Electric (vol 1) paru en 2015 sur un label d’éditions numérotées : 1, «Transparency», 2, Hesitation» et 3, «Thanksgiving Day». Il fallait bien se douter que le 1 allait être bardé de son, c’est même ultra-gorgé de gorjo et chanté à la petite menace wynnique. Extraordinaire présence ! Quel débineur ! Il gratte le 2 au groove wynny. Il monte tout seul, pas besoin d’une montgolfière. Il a des ressources extraordinaires. Ses montées se veulent pures et racées. Il peut jouer le Velvet à lui tout sel. Son 3 sonne comme «Like A Rolling Stone». Il tombe dans les bras de son idole Bob. Il est en plein dedans - Thank you for the good times/ Can I stay here/ On that/ Thanks/ Giving/ Day - Pur jus de Dylanex. D’autres merveilles guettent l’amateur, comme cette reprise du «James River Incident» (tiré de Pick Of The Litter). Steve Wynn y croasse délicieusement et son heavy rock de solo-man impressionne au plus haut point. Il claque tout à l’excès guitaristique. Il garde sa spécificité d’allumeur de lampions. Il peut créer son monde tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il joue «Something To Remember Me By» à la sourde oreille et ça devient fascinant. Il a tellement de talent qu’il fascine sans forcer. Il faut voir cet incroyable claqué d’accords. Et quand il tape «You Can’t Forget», on voit qu’il a de l’attaque à revendre. Il tient bien son chant par la barbichette.

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    Pour bien faire, il faudrait encore écouter deux albums, Wynn Plays Dylan, paru en 2011 et Benedikt’s Blues, paru quatre plus tard. Car ce sont eux aussi des albums magnifiques et indispensable à tout fan de Steve Wynn. C’est malheureux à dire, mais avec Wynn Plays Dylan, Steve Wynn se fait plus royaliste que le roi. On trouve sur cet album deux versions stupéfiantes : «Just Like A Woman» et «Outlaw Blues». Il réussit à shooter du Like A Rolling Stone dans «Just Like A Woman», et il en fait la plus belle version de tous les temps. Même chose avec «Outlaw Blues» qu’il nasille et qu’il électrise à outrance, tout le rock&roll est déjà là chez Dylan et ce diable de Wynner nous restitue ça au mieux des possibilités. De toute façon, tout est énorme sur ce disk, comme cette fabuleuse version de «Rainy Day Woman 12&35», on est en plein phénomène de mimétisme car Steve Wynn chante exactement comme son idole Bob. Beaucoup de son, et Linda bat ça si sec, comme d’usage. Steve Wynn ramène encore du sonic trash dans «Gotta Serve Somebody», il réussit l’exploit de trasher le summum, c’est chanté à pleine voix et bourré de son. Encore plus troublante, la version de «The Groom’s Still Waiting At The Altar» qui ouvre le bal de la B : oui, on croit entendre Bob Dylan en personne. C’est-y Dieu possible ? Il nous barde ça du meilleur son qui se puisse imaginer, ultra-électrique, balancé à la diable, frelaté de frais et foisonnant comme une rivière à saumons au printemps. Avec «All Along The Watchtower», il s’élance sur les traces de Jimi Hendrix, and there’s so much confusion, mais il revient à la raison et opte pour le violon et va bon train.

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    Bel album que ce Benedikt’s Blues, notamment le morceau titre qui sonne comme le «Pale Blue Eyes» du Velvet. Même attaque sensible et nouveau coup de mimétisme. Avec «On The Mend», il revient à Dylan. Il tape ses couplets avec la niaque du Dylan de 66. Incroyable coup d’élégance wynnique ! Avant d’aller faire un tour en B, n’oubliez pas de savourer les délices hendrixiens de «Cinnamon Tweed», un cut expérimental joué à l’unisson du saucisson, intéressant mais pas intéressé. En B, on trouve un «Dead Roses» un peu triste, légèrement saumoné et pas vraiment éveillé et soudain, Steve Wynn remet les pendules à l’heure avec «All The Squares Go Home», c’est le jerk du Palladium, admirablement fouetté au beat nappé d’orgue à la Sam The Sham et chanté à la petite canaillerie. Ce mec a du talent, on le savait, mais on n’en finit plus d’évider les évidences avides et le contrecarrer les carences caractérielles. Il passe avec «Simpler Than The Rain» au balladif magique, dont il s’est fait une spécialité au fil du temps. Il n’en finit plus de tartiner sa ravissante pop au long d’une belle tranche de miche au blé noir.

    Signé : Cazengler, Steve wine (cubi)

    Steve Wynn. Kerosene Man. Dureco 1990

    Steve Wynn. Dazzling Display. R.N.A. Rhino New Artist 1992

    Steve Wynn. Fluorescent. Brake Out Records 1993

    Steve Wynn. Take Your Flunky And Dangle. Return To Sender 1994

    Steve Wynn. Melting In The Dark. Offworld 1995

    Steve Wynn. Sweetness And Light. Blue Rose Records 1997

    Steve Wynn. My Midnight. Blue Rose Records 1999

    Steve Wynn. Pick Of The Litter. Glitterhouse Records 1999

    Steve Wynn. Here Come The Miracles. Blue Rose Records 2001

    Steve Wynn. Crossing Dragon Bridge. Blue Rose Records 2008

    Steve Wynn. Wynn Plays Dylan. Inerbang Records 2011

    Steve Wynn. Up There Home Recordings 2000 To 2008. Shirt Run 2013

    Steve Wynn. Sketches In Spain. Omnivore Recordings 2014

    Steve Wynn. Solo Electric (vol 1). Blue Rose Records 2015

    Steve Wynn. Benedikt’s Blues. Kinkverk 2015

     

    Stup Baker

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    Les Stones ont inventé au temps du swinging London un concept entièrement nouveau : the rock aristocracy. Avec leurs gueules de stars, leur dandysme inné, leurs fringues flashy, leurs comptes en banque, leurs bagnoles de sport et leurs belles gonzesses, la fréquentation de quelques princes, leur goût prononcé pour les stupéfiants et la pincée d’inclinations sexuelles qui font le charme de cette condition, ils fascinaient le petit peuple. Grosse cerise sur le gâteau : il enregistraient des tubes magiques du style «Jumping Jack Flash». Les gens du petit peuple n’essayaient même pas de devenir des Stones, de la même façon qu’en l’An Mil, personne ne songeait à devenir roi, sachant que ce n’était pas possible, puisque le trône était de droit divin. Les gens des villes et des campagnes s’inclinaient sur le passage des rois. Les mêmes gens des villes et des campagnes s’inclineront plus tard sur le passage des Stones.

    Puisqu’ils ne pouvaient pas devenir des Stones, les gens du petit peuple voulurent tous devenir des Velvet. Pourquoi ? Tout simplement parce que le Velvet appartenaient à une autre forme d’aristocratie, celle de l’underground, c’est-à-dire celle qui compte pour du beurre.

    Brian Jones, Keith Richards, John Lennon, Ray Davies, Ronnie Lane, Mick Farren, Phil May ou encore Syd Barrett sont restés jusqu’à ce jour inégalables à tous égards. Look, talent, impact, modernité, intelligence, ils sont restés intouchables. Oh on a vu fleurir ici et là quelques pâles imitations (tous ces garagistes américains qui se coiffaient comme Brian Jones mais qui n’avaient pas inventé les Stones, des luminaries comme Patti Smith, Joan Jett ou Dave Kusworth qui se voulaient plus royalistes que le roi, quant à Lennon, Barrett ou Ray Davies, personne n’a jamais essayé de les imiter, car ce n’était tout simplement pas imaginable).

    Et puis bien sûr Ginger Baker, the wild one, the real deal. Avec ses cheveux rouges, ses yeux clairs et son insatiable soif d’excès, il honore le blason de cette fameuse rock aristocracy britannique. Mais il semble encore plus vivant que ses congénères, comme si les instincts barbares des seigneurs de l’An Mil bouillonnaient en lui. Comme si les notions de loi et de limite lui étaient intolérables. Ginger Baker joue de la batterie comme on prenait un château d’assaut, autrefois, pour se livrer à l’ivresse du pillage. Ginger Baker règle ses problèmes à coups de poings, comme on les réglait autrefois à coups de sabre. Il monte un groupe comme on montait une armée de conquête, il suit chaque fois une vision, comme le faisaient autrefois les conquérants. Il a réussi ce prodige dans l’univers étriqué de la société civile britannique : exister sans foi ni loi. Cette volonté d’exister comme on l’entend, c’est ce qu’on appelait autrefois les privilèges : les aristocrates avaient tous les droits, de vie, de mort et de cuissage, et la foi avait bon dos puisqu’elle leur servait de passe-droit. Comme il ne pouvait pas aller piller des châteaux, Ginger Baker s’est contenté de battre le beurre en Angleterre ou au Nigeria. Il a su canaliser ses instincts barbares dans le jazz qui est en réalité sa religion. Quand il cite ses dieux, il sort les noms d’Elvin Jones, de Max Roach, d’Art Blakey et de Phil Seaman, le batteur londonien qui l’initia à l’héro et à la musique africaine.

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    Comme Doctor John, Ginger Baker a passé sa vie sous héro. Il en parle extrêmement bien dans son autobio, l’excellent Hellraiser, paru voici quelques années. Il y décrit dans le détail la première soirée qu’il passe chez Phil Seaman. Seaman lui fait écouter les Watusi drummers et se prépare un vieux shoot devant lui - When I tell yer pull this - Seaman lui demande de défaire le garrot aussitôt après le shoot. Mais il recommande toutefois à Ginger qu’il appelle Pete de ne pas approcher cette came - Nah Pete I gotta tell you this, this fucking stuff is bad fucking news. Don’t you ever, ever try it - Trop tard ! Ginger sniffe déjà du smack et il trouve ça fantastique pour jouer - All the barriers went down and I was just playing - Quand Seaman l’apprend, il se résigne et le met en contact avec Doctor Feelgood. Ginger commence à prendre ce que beaucoup de gens prennent alors en Angleterre, les fameuses prescription drugs : on va voir un médecin qui signe une ordonnance - The consulting fee was £5 - et le pharmacien donne les doses d’héro prescrites. C’est aussi simple que ça, légal, safe et donc pas d’ennuis avec les stups. Hellraiser est littéralement truffé de souvenirs de shoots tous plus spectaculaires les uns que les autres. Ginger Baker prend un malin plaisir à expliquer qu’il frise régulièrement l’overdose et qu’il se rétablit avec des doses de morphine, là où n’importe quel autre candidat au casse-pipe aurait cassé sa pipe en bois. Alors bien sûr, il règne sur ces pages un délicieux parfum d’immoralité, mais Ginger Baker ne fait rien de plus que de raconter la vraie vie. Il vit ce que vit la grande majorité des musiciens de jazz. Et la crudité de certaines pages rend cette notion d’aristocratie encore plus plausible. La grandeur d’un musicien comme Ginger Baker pourrait tout simplement se mesurer par la grandeur de ses excès, plus que par la grandeur de ses solos de batterie qui nous ont toujours fait bâiller d’ennui. Et son plus bel exploit est certainement d’avoir su rester vivant, comme l’ont fait Keith Richards et Doctor John. Fantastique pied de nez à la morale. C’est d’ailleurs la raison d’être de la rock culture : défier l’ordre moral. Ou à défaut, se positionner au-delà de toute forme de jugement.

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    À ce titre, Ginger Baker est l’homme idéal. Il fait en son temps plus de ravages que n’en firent en leur temps les théoriciens de l’anarchie. Il érige son goût pour le chaos en style de vie, et pour parvenir à ce résultat, il faut une sacrée carrure. Et une certaine forme d’intelligence. Mais au fond, tout cela est tellement britannique. On n’imagine pas un seul instant un Ginger Baker français. Et encore moins un Ginger Baker américain. C’est probablement la raison pour laquelle le film de Jay Bulger, Beware Of Mr Baker, est tellement maladroit. Tout le monde sait que Ginger Baker lui a mis un coup de canne en pleine gueule, et c’est justement ça qui pose problème, car non seulement le film débute sur cette scène, mais on la revoit encore une fois à la fin. Et pourquoi Ginger Baker fout-il sa canne dans la gueule du réalisateur américain ? Parce qu’il apprend que des gens qu’il a virés vont apparaître dans son film, et il ne l’accepte pas. Bing ! Prends ça dans ta gueule ! C’est un procédé très américain : récupérer un incident. Ça fait vendre. Le danger, c’est que les gens qui verront le film ne retiendront que ça, le coup de canne. Alors que le film est censé raconter l’histoire d’un personnage hors normes.

    Dommage, car l’équipe de Bulger débarque chez Ginger Baker, en Afrique du Sud. On entre de plain pied dans l’univers de cet homme qui vieillit bien et qui possède encore des chevaux, sa passion numéro deux après le jazz et les batteurs africains. Installé dans un transat en cuir noir, il raconte sa vie, son enfance pendant la guerre, les bombardements - Great ! J’adore les catastrophes ! - et les bancs vides à l’école le lendemain. Puis il raconte sa rencontre au Flamingo avec God, c’est-à-dire Phil Seaman et passe naturellement à l’évocation de sa muse, l’héro - It was just wonderful - Puis il attaque les gros chapitres, Blues Incorporated, avec Alexis Korner et bien sûr, le Graham Bond ORGANization - et là, Bulger nous sort un fabuleux clip de Graham Bond : on voit des punks en lunettes noires, et je vous prie de croire que ces quatre mecs jouent avec une énergie de tous les diables («Harmonica», en ligne sur Daily Motion) - Bond looked like a white version of Cannonball Adderley. Most of the jazzers didn’t like this as he ignored all the intricate changes on a 12-bar blues by just playing over the three basic chords, but he swung like a demon - On a là un merveilleux portrait d’un autre héros de la scène anglaise que Ginger eut le privilège d’accompagner. C’est Graham qui débauche Ginger et Jack Bruce des Blues Incorporated pour monter sa propre formation - Graham was stoned out of his mind and was raving insanely as he drove back down the M1 - Mais Graham est encore plus dingue que Ginger. Un jour, il va chez EMI et en ressort avec un contrat. Puis il va aussitôt chez Decca. Pareil. Puis chez Phonogram. Même chose. Trois contrats, ce qui est parfaitement illégal - Running the band however turned out to be an increasingly difficult task because Graham was crazy - Sur scène, Graham joue de l’orgue avec une main, de l’alto avec l’autre et la basse au pied - He had begun to look like a pop star and was talking acid with his grass, but nevertheless continued to play his arse off - Il passe naturellement à l’héro, et comme il a du mal à trouver ses veines, il demande à Ginger de lui faire les shoots.

    Bizarrement, dans le film, Ginger ne s’étend pas trop sur son vieux compagnon Jack Bruce. Leurs altercations sont entrées dans la légende. Ginger a viré Jack du Graham Bond ORGANization, mais Clapton l’a fait revenir dans Cream. En gros, Ginger reprochait à Jack de se croire supérieur et ça lui était insupportable. Dans son livre, Ginger raconte le dernier concert de la reformation de Cream, au Madison Square Garden de New York : «Il jouait encore plus fort qu’avant et gueulait dans le micro. On jouait ‘We’re Going Wrong’, un cut basé sur mon jeu de batterie et soudain, Jack se tourna vers moi et gueula devant tout le monde : ‘Non, mec, tu joues trop fort !’ C’était comme au bon vieux temps, il me faisait déjà le coup quand on jouait avec Graham Bond, il le faisait au temps de Cream et si le concert du Royal Albert Hall nous avait ramené aux glory days de 1966, celui de New York nous ramenait aux mauvais jours de 1968. Je fus humilié devant 20 000 personnes et ce ne fut pas une expérience très agréable. Jack jouait de plus en plus fort à mesure qu’on avançait dans le concert et ça devenait insupportable. Alors qu’on sortait de scène, il me dit : ‘J’aurais bien aimé que tu tapes moins fort quand j’essaye de jouer.’»

    Et puis le film aborde l’épisode Cream, un groupe né dans l’imagination de Ginger. Mais comme il le dit si justement dans la séquence, ce n’est pas lui qui va en tirer les marrons du feu, mais Jack et Pete Brown, qui composent les chansons. Ginger n’a pas un rond, alors que les deux autres sont devenus rentiers grâce aux droits. Cream c’est l’époque où Ginger se montre le plus fulgurant, cheveux rouges, voitures de sports, trois groupies à la fois - We were the cream of the cream - Il redit son attachement à Clapton, mais interviewé, Clapton tient une sorte de discours à pincettes pas très clair, disant en gros qu’il faut avoir les reins solides pour fréquenter un mec aussi incontrôlable que Ginger Baker. C’est tout Clapton. Ginger est infiniment plus charitable - Eric and I became close friends - Ils vont ensemble s’acheter des tuniques d’officiers chez I Was Lord Kitchener’s Valet et dans une autre boutique, Ginger trouve cette toque en fourrure d’officier SS du front russe - complete with skull and crossbones - qu’il porte sur la pochette du premier album, Fresh Cream. Et puis Cream s’arrête en pleine tournée parce que Jack joue trop fort. Après un concert, Clapton vient trouver Ginger pour lui dire qu’il en a marre. Ça tombe bien, Ginger en a marre lui aussi. Il vont trouver Robert Stigwood pour lui dire qu’ils arrêtent le groupe. Stigwood ne les croit pas. Et Jack n’est pas au courant ! Fin de la poule aux œufs d’or.

    Ginger vénère les batteurs de jazz, mais il n’a aucune pitié pour les batteurs de rock : «Bonham swinguait comme un bag of shit !». Dans son livre, il revient d’ailleurs sur la mort de Bonham : «En septembre tomba la mauvaise nouvelle de la mort de John Bonham. On a dit qu’il avait trop bu lors d’une party, mais j’ai une autre théorie. On traînait avec la bande de Chelsea et en matière d’héro, John n’était qu’un amateur. Byron venait de trouver une héro extra-strong et quand j’en ai pris, j’étais si stoned que j’ai laissé ma bagnole à Chelsea : je suis parti à pieds jusqu’à Acton, je suis revenu à Chelsea, et comme là je me sentais capable de conduire, je repris ma bagnole. C’est cette nuit-là qu’eut lieu la party où John cassa sa pipe. J’étais assez accro pour pouvoir encaisser l’extra-strong, mais John ne l’était pas du tout.»

    Dans le film, on voit Charlie Watts se moquer gentiment de Ginger : tous les groupes qu’il monte ne durent pas longtemps : Cream, Blind Faith, Airforce. Remarque d’autant plus ironique que les Stones existent encore et que Ginger remplaça Charlie dans the Blues Incorporated. Ginger indique aussi que sur scène, Brian Jones se roulait par terre avec sa guitare. Après un concert des pré-Stones, Brian vient trouver Ginger :

    — What you fink ?

    —Yeah Brian it’s okay, but the drummer is fucking awful. Why don’t you get Charlie Watts ?

    À la suite de l’épisode Cream (et donc de l’accès à la gloire), la vie de Ginger Baker va devenir une suite de faillites et de tentatives de redémarrage, aussi bien au plan musical que sentimental. Épisode africain avec Fela - On partageait tout, les drogues, la musique, les femmes, tout ! - Il monte un studio à Lagos, the place to be à cette époque, on y fait la fête en permanence et c’est là qu’il découvre le polo qui va devenir une obsession. Tout va bien jusqu’au moment où Fela défie le pouvoir. Un beau matin, 1000 soldats attaquent la république de Fela. Et suite à la visite de trois militaires un peu trop louches, Ginger doit fuir le Nigéria sous les balles, au volant de son Land Rover. Il y laisse tout ce qu’il possède. Mais ça ne sera pas la dernière fois. Il rentre à Londres pour se refaire une santé économique avec les frères Gurvitz et pouf il s’achète 30 poneys argentins. Il tombe amoureux d’une gamine de 18 ans, Sarah. Elle pourrait être sa fille. Il quitte sa femme et ses trois gosses. Comme il a des ennuis avec le fisc britannique, il va se planquer en Toscane, dans une ferme coupée du monde, jusqu’au jour où Sarah rencontre un mec de son âge et se fait la cerise. Ginger part alors faire du cinéma à la mormoille en Californie et il rencontre sa troisième femme, Karen. On la voit dans le film. Mais Ginger ne veut pas qu’on parle d’elle. Il essaye de redémarrer sa carrière de rocker, mais personne ne veut jouer de musique avec lui - Too much trouble - Quelqu’un va même jusqu’à insinuer qu’avec Ginger, les choses finissent toujours par mal tourner. Ce n’est paraît-il qu’une question de temps. Ginger leur fait un bras d’honneur et il déclare à la radio que les USA peuvent venir le sucer. Alors bien sûr, il est expulsé et il reperd ses biens. Il envoie paître son fils et Karen le quitte. On voit Ginger tout seul à l’aéroport avec sa valise à roulettes. C’est là qu’il opte pour l’Afrique du Sud - it is very rich musicly - Il dévoile son nouveau concept : polo & jazz. Pour cela, il faut remonter une écurie. Quand il accepte les 5 millions de dollars pour la reformation de Cream, il rachète 24 chevaux anglais, ceux qu’on voit dans le film. Il dépense tout. On le voit avec sa quatrième femme, une petite black. Il se dit ruiné et annonce qu’il va vendre sa propriété. On le voit aussi inhaler de la morphine. Il dit souffrir d’arthrose. Jay Bulger se croit malin en lui demandant :

    — Tu te prends pour un héros tragique ?

    — Go on with your interview. Stop to be an intellectual dickhead.

    Signé : Cazengler, Ginger barquette

    Ginger Baker. Hellraiser. John Blake 2010

    Jay Bulger. Beware Of Mr Baker. DVD 2012

    11 /01 / 2018 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BROKEN GLASS / RAW DOG

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    La Comedia se remplit, slowly but surely, le temps de contempler la fresque, a work in progress, qui étend ses ramifications – l'est pour le moment en train de grignoter l'étroit espace entre deux protubérances murales - Martin Peronard manie son feutre avec une habileté diabolique, j'en profite pour regarder les affiches des prochaines annonces de concert, vous en parlerai plus longuement un de ces jours, en attendant zieutez celle ci-dessus. Tiens Natasha qui tient le bar a changé de look, différente et totalement elle, l'est des filles qui ont du chien, qui ne perdent jamais leur personnalité, par-delà toutes les métamorphoses. Project Reject n'a pas pu venir ce soir, la soirée sera un peu spéciale, seulement deux groupes, deux binômes, deux formules identiques, guitare-batterie dans les deux cas, nous ne demandons qu'à écouter.

    BROKEN GLASS

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    Premier concert. Brisent la glace dès les premières notes. Indubitable, sont salement rock. Cela transperce de tous côtés. D'abord Thomas Raineaud. Tourné vers sa batterie. Cela peut sembler évident, mais non, quelque chose d'indéfinissable dans la posture qui trahit un comportement particulier. Comme s'il avait un compte à régler avec elle, du genre je te dois une raclée et prépare-toi à la recevoir, maintenant, tout de suite, sans traîner, et d'urgence. Ne va plus la lâcher d'une seconde. Une grêle de coups s'abattent sur les malheureuses peaux, joue sec, serré, sans emphase, au plus pressé, l'on ne peut pas dire qu'il fait monter la pression, la maintiendra au plus haut niveau durant tout le set. A toute vitesse. Ne la laisse pas respirer, sans répit, sans temps mort, heureusement que de l'autre côté José César est en train de jouer, montre ainsi qu'il résout en toute simplicité le problème théorique qu'un tel drummin' suscite, mais quel espace reste-t-il à la guitare dans cette charge sans fin ! Fausse question. Tout est question d'énergie.

    Et de feeling. José ne donne pas dans le piège de la surenchère sonique. Rien ne sert de pousser le volume à fond ou de s'enquérir des Delays les plus tonitruants du marché. L'on n'est pas dans un concours. L'on sent une complicité entre ces deux zigotos, même s'ils n'échangent que de rares regards. Ne s'agit pas de produire du bruit, mais du rock'n'roll, ce qui est différent. De fait la batterie pousse le temps, le décale en avant et c'est dans cette avancée que s'insinue la guitare. Ne vise pas à la submersion phonique, mais une fois investie dans cet étroit couloir, elle ne lâche plus le morceau. Naviguent tous deux de conserve. Sont deux à faire la course en tête, l'on ne sait où ils vont mais on s'accroche et l'on suit. Les titres le proclament bien fort : Come Away With Me et Don't Wait Too Much.

    Mais un verre - quoique brisé – se doit d'être plein de cette écume qui selon Stéphane Mallarmé incite par-delà l'ivresse du tangage au grand désastre – alors José se hâte de verser cette pincée de sel vocal sans laquelle la mer la plus mouvementée tourne en flaque pisseuse. L'aligne les lyrics, les crache - Kill Your Love et Take It Away – juste ce qu'il faut, anneaux de feu et morsures de serpent.

    Huit titres et ils s'arrêtent. Paraissent décontenancés par les applaudissements. Et embarrassés par le rappel. C'est tout ce que l'on a, s'excusent-ils, mais vous savez les enfants gâtés pourris au rock'n'roll, vous leur offrez un gâteau et ils exigent toute la boîte. Alors ils s'excusent et nous promettent d'essayer un truc de répète. Un must. J'aurais jamais cru que ça puisse sonner de cette manière. Vous connaissez le Sweet Dream, des Eurythmics, nous le servent en version ultra-pressé, une batterie affolée, une guitare paniquée, et un vocal crotale, un incendie, trois minutes de bonheur extrême.

    Et puis ils quittent la scène. Une grosse impression. Un groupe à ne pas perdre de vue.

    Damie Chad.

    P. S. :Toutefois il n'y a pas de hasard dans la vie. Au zinc, à Nickopol Coco – qui oeuvre à la programmation de la Comedia et qui vante les mérites du son des vinyles, José évoque ses longues écoutes des album de Jerry Lee Lewis...

    RAW DOG

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    Deuxième bige. La formule ne se révèlera pas du tout répétitive. Les deux groupes ont joué sur les mêmes fûts et utilisé le même ampli, et nous avons eu droit à deux univers différents. Deux planètes issues de deux systèmes solaires situés aux antipodes de la galaxie.

    Fille / Garçon. Le gars à la guitare et la fillette à la batterie. Manière de parler, pleinement femme, Yädre Drum dégage une impression de puissance sereine qui ne va pas tarder à se manifester. Mike Rawdog se place en face d'elle, la symphonie peut commencer. Le son de la guitare déferle sur vous, Yädre tient ses deux bras suspendus en l'air, à la manière des pétrels qui s'apprêtent à prendre leur envol dans la tempête. Attitude shakespearienne. My kingdom for a raw dog ! Un sacré molosse. Un aboyeur de l'enfer. Des muscles et une mâchoire de mastodonte. Un teigneux. Qui ne lâche jamais la barbaque. Et qui revient toujours vous redonner un petit coup de canine sanguinolente pour s'assurer que le travail a été bien fait. Mike the dog, vous jappe les morceaux de toute sa rage. La moitié d'entre eux sont éjaculés en français – L'Occasion Manquée, Les Brutes, File-moi ton Flingue - afin que le message soit plus clair. Critique sociétale et dénonciation de tous les comportements qui ne respectent pas les autres et qui traduisent des égos stupidement démesurés. Parfois en prime Mike les agrémente d'un très bref commentaire des plus explicites.

    Yädre drume dur et fort. Y a de la musicienne en elle, et de l'actrice militante, z'avez l'impression que chaque fois qu'elle assène un coup elle vous signifie quelque chose, qu'elle vous transmet une espèce de message subliminal, une exigence de générosité. Une frappe beethovinienne qui ne recule pas devant l'éloquence et qui brusquement se transforme en une sauvage aversz de grésil, et puis le rythme s'accélère et vous entendez le long halètement spasmodique du chien cru qui court sous la pluie diluvienne afin de parfaire une vengeance qui lui brûle les entrailles, et au piétinement répété de ses pattes sur l'asphalte, vous comprenez qu'il se rapproche de vous, et qu'il est porteur d'une immense colère à l'encontre du monde entier.

    Mike a la guitare vacarmeuse et speedée. N'a pas le temps de contempler les petits oiseaux, un convaincu qui a besoin de dénoncer, d'expliciter, et de montrer la voie de la non-compromission active – Fake Genius, Mental Distress, Nord-Sud – pousse le son, et propulse l'onde de choc. Mike est à l'attaque et Yädre le soutient et le pousse de sa puissance. Se tourne souvent vers elle comme pour se raturer, Antée ne reprenait-il pas des forces lorsqu'il était projeté à terre ? Raw Dog se veut phare et tempête. Cherche à exprimer la chose et sa négativité. Il y réussit parfaitement.

    Un véritable duo. Une prestation sans faille. Nous ont convaincus que le chien cru est le meilleur ami de l'homme.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes, ne correspondent pas au concert )

    12 / 01 2018 / LAGNY-SUR-MARNE

    LOCAL DES LONERS

    BLACK PRINTS

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    L'ampleur de la tâche, Blake et Mortimer étaient deux pour traquer La Marque Jaune, et moi, ce soir, tout seul pour marcher sur les traces de l'Empreinte Noire. Sous la lumière glauque du lampadaire la teuf-teuf m'attend. Route glissante et pare-brise noyé de crachin, mon instinct infaillible de rocker me guide plein nord au travers du labyrinthe improbable de la zone industrielle de Lagny-sur-Marne vers l'antre maudit des Loners. Ce soir la mort sera ma seule compagne.

    J'arrête mon cinéma. Les Loners portent mal leur nom, ce n'est ni le lieu de la désespérance baudelairienne ni l'endroit des solitudes meurtrières. Un club de bikers qui respire l'amitié et la fraternité, et la terrible Empreinte Noire n'est qu'un des meilleurs groupes de rockabilly français actuels, The Black Prints. Je ne dois pas être le seul à le penser, car la salle est pleine pour ce premier concert de l'année, bikers de tous les environs, teds et rockers se croisent, tout heureux de se retrouver dans le local agrandi et refait à neuf.

    INTRO

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    Un groupe improbable. Sur le papier, les Black Prints, un assemblage hétéroclite qui ne devrait jamais marcher. A peine ont-ils touché leurs instruments que vous êtes convaincu que vous êtes en face de la plus redoutable des machines de guerre. Une tuerie. Jean-François est à la basse, Olivier au chant et à la guitare. Jusque-là tout va bien. Thierry avec son wash-board en main, vous paraît être la caution d'authenticité incontestable. Vous vous dites que dès qu'il va commencer à tapoter son engin les alligators sortiront de leur mangrove. Patatras, vous n'auriez jamais dû regarder derrière. Yann est à la batterie. Le pire est à prévoir. Certes ces épaisses mèches bouclées qui retombent en grappe sur son visage ne sont pas sans évoquer certaines photographies de Jerry Lee Lewis jeune. Mais ce collier de barbe foisonnante et cette lèpre de poils qui enserrent sa gorge ressemble à s'y méprendre à cette mousse insidieuse qui envahissait le banc de bois sur lequel le héros de L'Amoureuse Initiation d'Oscar Vladimir de Lubicsz- Milosz rencontra le Diable... Mauvais présage. A la seconde concrétisé. Une cataracte déchire le ciel. Une frappe lourde, d'une violence monstrueuse, une avalanche à vous détruire ad vitam aeternam les saintes lois de la rythmique rockabilly. Tout est perdu. Le monde est foutu.

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    Et le miracle d'équilibre se produit. En six secondes vous êtes sur le petit nuage du parfait bonheur, accrochez-vous tout de même, car le vent le pousse méchamment. D'abord Jean-François. Jamais vous n'avez entendu une basse Fender si moelleuse, un tel swing d'une onctuosité sourde et profonde. Peut abattre tous les chênes qu'il veut pour le bûcher d'Hercule sur sa batterie Yann, Jean-Francois vous amortit ces coups fatidiques dans l'ouate de son toucher, vous crée une épaisseur phonique ondulatoire qui englobe la puissance de la frappe yannique sans l'amoindrir, l'un produit la pierre de foudre et l'autre la propulse en la faisant tournoyer, comme avec une fronde.

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    Olivier, longue silhouette de noir vêtue, Gretsch orange et pierre turquoise talismanique au ras du cou. Le grand ordonnateur. Si Jean-François et Yann sont la machinerie de l'horloge du rock'n'roll, Olivier indique l'heure. Manie les deux aiguilles du cadran, celle du chant et celle du son. Un orfèvre, d'une précision absolue. Un phrasé d'une justesse étonnante, d'une flexibilité déroutante, l'on peut dire de lui qu'il ne chante pas pour passer le temps mais pour égrener la signifiance du rockabilly. Les syllabes sont agencées selon une économie vertigineuse. Déploie la richesse intonative du rockab, à tout instant rien de trop, rien de moins que la morsure du mamba, une diction parfaite digne des agencements les plus subtils des prosodies poétiques. Idem pour le jeu de guitare, fait retentir la vibration particulière de chaque corde, donne tout son sens à l'adage de Paul Valéry selon lequel ce qui est précis est précieux, avant d'enfanter le son qui tue, l'archer bande l'arc, et la flèche vole vers votre cœur.

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    Il semblerait qu'avec son tambourin, sa washboard et ses maracas Thierry en soit réduit à jouer les utilités. Broderies country, chapeau de cowboy et grand sourire, s'insinue dans votre oreille et ne la quitte plus. L'est la trotteuse de la montre, celle que l'on regarde en premier, la fascinante qui attire votre regard, qui tourne sans fin, et qui grignote une par une le décompte de votre vie qui vous est impartie depuis votre naissance. Le tapotement du temps qui passe, la fosse qui se creuse, et le tourbillon de la vie, le rock'n'roll qui emporte tout.

    PREMIER SET

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    Avant d'ouvrir le coffre aux merveilles, de plonger dans le répertoire rockab les Black Prints nous avertissent d'une sage décision, d'abord une bonne dizaine de leurs propres compositions qui n'ont pas à rougir de celles de leur aînés. De véritables classiques, There's Rock'n'roll on the Radio, Two Tones Shoes, percutants à souhait, qui tout de suite mettent le public en joie et engendre sur scène une complicité stimulante. Quatuor avec cordes et percussions.

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    Jean-François danse une étrange danse du scalp comme s'il était lui-même attaché au poteau de torture. Ce sont les contorsions de son corps qui bougent ses doigts, de l'autre côté de la scène Thierry pratiquement immobile donne la réplique aux tambours de guerre de Yann. Tient le rythme à l'identique, comme en sourdine insistante, chasse une mouche tandis que Yann écrase un éléphant. Basse et guitare se liguent contre cette tonitruance explosive, s'amusent comme des fous, les rochers de Yann déboulent comme une charge de cavalerie lourde et hop, guitare et basse, prennent la tête de cette charge héroïque et en prolongent les effets dévastateurs, la mènent encore plus loin qu'elle ne serait allée toute seule. Impassible, Thierry régule le tout de son trot régulier mais inextinguible. Ce soir le rock'n'roll est de sortie et rien ne l'arrêtera.

    PHILOU

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    L'est sûr que cette soirée roule trop bien et que l'on va s'amuser. Olivier demande à Philou de monter sur scène. Tout de suite plébiscité par le public. Et Phil, l'ancien – toujours actuel dans nos cœurs - batteur de Ghost Highway, hisse sa haute carcasse sur le podium, l'a cette allure du gars embarrassé qui n'ose pas opposer un refus à cette douce violence collective. S'assoit d'un air ennuyé sur le tabouret de Yann qui lui a laissé la place. Tant pis pour lui, tout juste le temps de se saisir des baguettes qu'Olivier lance sans préavis une intro fracassante, métamorphose subite, le géant débonnaire prend le relai comme si de rien n'était, une machine à rythme, instantanément adaptable, à croire qu'ils ont répété toute la semaine, mais non c'est de l'impro impromptue telle que peuvent se le permettre des musiciens qui ont le rockab chevillé à l'âme depuis la prime adolescence. L'a le break rythmique Phil, là où Yann explose, lui il glisse et fuit, une course en avant qui évite tous les obstacles, le voleur futé qui se faufile entre les gendarmes dans les cours de récréation. Et les Black Prints s'agglutinent comme le moule autour de la statue à cette frappe si différente, une escadrille d'avions de combats qui au cours de l'attaque adaptent instinctivement leur formation à toutes les situations. Trois titres défilent à une vitesse prodigieuse, c'est déjà fini, Phil se lève, tout content, mais avec cette mine du type modeste qui a peur de vous avoir ennuyé, et rejoint le public sous les acclamations.

    FIN DU SET

    N'ayez crainte, c'est loin d'être fini, les Black Prints tapent maintenant dans le répertoire illimité du rockab. C'est loin d'être le plus facile, le public connaît, et l'on vous attend au tournant. A part que les avis divergent sur la dangerosité du virage maléfique, personne ne le situe au même endroit, et pire que cela chacun, possède sa propre référence interprétative qu'il juge historiale et indépassable. Chasse-trappe généralisée et terrain miné. Autant dire que le combo a intérêt à enlever d'assaut le morceau à la baïonnette, sans coup férir. Par contre si vous avez le brio et le style l'on vous pardonnera tous vos choix esthétiques, vous emmènerez tout le monde avec vous, tel Bonaparte sous la mitraille du Pont d'Arcole.

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    A ce jeu-là les Black Prints sont d'une maestria impériale et impérieuse, vous emportent jusqu'au bout de la Voie Lactée, avec aisance et élégance, la répartie facile vis-à-vis du public égayé de se retrouver en pays de cocagne rockab conquis, et cette générosité animalement humaine sans laquelle le plus grand des virtuoses ne produit que bâillements et ennui. Les Black Prints, c'est d'abord cette rythmique infernale du beat ted, intraitable et insatiable, le dragon de feu qui avance imperturbablement, une espèce d'ossature mouvante qui se colle à vous, tel le lierre qui s'enroule autour de l'arbre. Et Yann réussit de sa frappe baroque, de sa frappe barocke, le prodige de produire cette étincelle de vie primordiale, le pouls irréversible du rock qui s'en vient cogner aux portes des corps en transe. Se permet en sus des fantaisies irrémédiables, comme de temps en temps au milieu de la tourmente ce coup solitaire et incongru sur sa cloche de vache, et aussitôt se déploie dans votre imaginaire l'image mentale de la Noiraude ramenant son troupeau à l'étable à l'heure de la traite, racine country du rock'n'roll qui pousse sa corne agreste dans la démence rock. De la quinzaine de titres qui se succèderont à vitesse grand V, j'élirai ce Baby Let's Play House, une incandescence absolue, un trait de feu qui vous marque l'âme au fer rouge, et le morceau final, le Sweetie Pie d'Eddie Cochran, Olivier au vocal transcendantal, tous les sous-entendus de la coquinerie du rockak, vous avez la mousse du gâteau érotique, l'ambroisie charnelle qui se colle à votre palais...

    SECOND SET

    Non ce ne sont plus les Black Prints. Sont toujours là, je vous rassure, mais au second plan. Totalement éclipsés par Audrey.

    AU DREY 

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    Au micro. Toute simple. Toute seule dans sa marinière. Venue d'une autre planète. Même pas le temps de l'admirer que les Black Prints déploient les premières notes de ce chant de guerre qu'est Great Balls of Fire. Et c'est-là qu'Au Drey subjugue. Elle frappe en plein cœur. Et pourtant l'on est si loin d'une interprétation dynamite. Se contente de poser les mots, tout doux, tout simplement, mais à l'endroit adéquat, les enchâsse comme les pierres précieuses dans une parure de diamant. Le coup de foudre tranquille. La foule calcinée en un instant. Et celui-ci, qui n'y tient plus, qui par trois fois dans le silence approbatif et bourdonnant qui s'est installé par magie, s'écrie, traduisant l'impression générale, '' Je suis amoureux'', l'est sûr qu'elle est superbement mignonne avec ses yeux clairs, ses pieds de princesse, et sa coupe de cheveux moderne, mais irrésistible et révolutionnaire par ce vocal péremptoirement doucereux qui vous transperce à chaque mot d'un trait mortel. Suit un Fever renversant. A vous faire exploser le thermomètre. L'a une manière tellement à elle de murmurer le mot Fever à votre oreille que vous frissonnez, ne vous promet pas l'extase, elle vous la donne, vous l'offre de toute sa gracilité envoûtante. Un dernier morceau, un Bang Bang mirifiquement interprété à la sauce rockabilly par les Black Prints, et toujours cet art de ciseler les syllabes, de les faire resplendir comme jamais, Bang Bang, Au Drey vous susurre, du bout de ses lèvres roses, des coups de revolver à bout portant, et vous aimez cela. Elle s'enfuit pratiquement de scène, émotionnée par l'ovation du public. Un instant de grâce. Et de rêve.

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    SUITE ET FIN

    Reprenons nos esprits. Nous avons eu la vision du paradis, il est temps pour les pécheurs endurcis que nous sommes de retourner dans l'enfer du rock'n'roll. Les Black Prints sortent le grand jeu. Débutent par un Restless de toute beauté. Je ne l'ai jamais entendu si magnifiquement et si finement interprété. La guitare d'Olivier réussit le prodige de donner l'illusion qu'elle pleure tout en se livrant à une cavalcade infinie. Continuent sur cette lancée. Z'ont le feu sacré, déferlent coup sur coup Runaway Boys – lyrique et exacerbé en diable, immédiatement suivi de Dance To The Bop – la voix d'Olivier se fait caresse et ressuscite le fantôme de Gene Vincent, les doigts de Jean-François ne touchent pas les cordes, s'enfoncent dans une motte de beurre, Thierry balbutie la douceur du monde et, à l'instant idoine que toute la salle guette, Yann vous lance l'exocet du bop sous la ligne de flottaison, et c'est parti pour le grand tangage... Shakin'All Over, la guitare d'Olivier flambe, la flamme du désir embrase la salle, les Prints nous envoûtent. Un My Babe, torturé et kaotique, ponctue cette séquence fabuleuse.

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    Ne vais pas tout vous raconter. Vous en crèveriez de dépit. La liste est longue. Tout de même ce Ready Teddy et ce Brand New Cadillac, sortis tout droit de la grande fabuloserie. Uns séquence special Ted, plébiscitée par le public de fans, un Old Black Joe chanté en chœur, un Dixie hymnique suivie d'une dernière séquence blues, l'autre face, l'empreinte noire, du vieux Sud, Jean-François à l'harmonica vous déchire les tympans et Audrey s'en vient poser la rosée apaisante de quelques mots bleus, et c'est fini. Enfin presque, trois rappels supplémentaires pour avoir le droit de terminer le concert.

    Un concert comme on en voit peu. Comme on n'en voit plus.

    Damie Chad.

    P.S. : L'on se bouscule dans les coulisses, pour s'arracher les rares exemplaires restants de leur dernier album. Le prochain est prévu pour bientôt. Avec Emilie Crédaro à la guitare. Absente ce soir. Une bonne excuse pour les revoir au plus vite. Et Au Drey aussi.

    ( Photos : FB / Rockin' Lolo )

    DOUCHE FROIDE

    FRED CALONE

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    L'envie d'en voir plus. Vous avez vu ces photos dans la livraison de KR'TNT ! 400, m'en étais servi pour rehausser la kronic sur le concert de System-syS et de Punish Yourself, au Chaudron le 21 / 12 / 2018 au Mée-sur-Seine. Suis allé sur son Flick ( tapez Douche Froide ), me balader un peu. J'ai tout zieuté. Plus de 300 photos. N'ai pas perdu mon temps. Des photographes dans les concerts de rock, il y a en plein. Quelques uns ont un truc : un regard qui n'appartient qu'à eux. Fred Calone est de ceux-là.

    Un premier étonnement : la série consacrée à Punish Yourself est la seule qui soit en couleurs. Sinon Fred Calone ne nous présente que du noir et blanc, ce qui correspond à merveille à son blaze Douche Froide. Je précise, Fred Calone photographie surtout en noir. Comme d'autres écrivent des romans noirs. Pas parce qu'ils aiment les flics, mais parce l'être humain possède l'âme la plus noire de tout le règne animal. Fred Calone, c'est toutefois un peu différent, il cherche le détail, qui fasse miroiter la beauté insoupçonnée et perdue du monde dans les endroits de grande noirceur.

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    Commence souvent par les pieds. Même pas nus. Gainés de cuir. Des chaussures. Rodin présentait des statues sans tête, Calone montre des pieds sans corps. Ça n'a l'air de rien un pied posé sur la scène d'un concert. C'est pourtant l'assise de l'être humain. C'est ici qu'il repose. En attendant le cimetière. Gros-plan sur le lieu exact de son implantation. Même pas l'espace volumique. Juste l'endroit du décor où quelque chose se passe. C'est trivial un pied, c'est bête, mais peut-être veut-il nous signifier qu'il y a des coups de pied dans les yeux qui se perdent.

    Photos de concerts. Si vous voulez des renseignements sur le spectacle, cherchez ailleurs. Fred Calone n'édite pas des dépliants touristiques. Ne donne pas dans le reportage universel. Il capte l'universel. N'ayez pas peur des grands mots. L'universel n'a rien à voir avec des photos de groupes. Fussent-ils de rock ! L'universel c'est aussi bien un pied de micro qu'un câble électrique enroulé sur le plancher. Le détail. Qui ne signifie rien que lui-même. Ces objets qui traînent autour de nous, dont nous ne faisons pas cas. Fred Calone nous rassure, il est inutile de regretter notre manque d'attention, ces pauvres artefacts ne s'intéressent pas à nous. Se contentent d'être seuls dans leur solitude. Nous aussi. Mais nous, nous essayons de le cacher.

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    Alors Fred Calone nous montre ce que nous ne voudrions pas voir. C'est fort le rock, ça bouge dans tous les sens, ça tohu-bohute; ça tumulte à fond. C'est la vie, la joie et la rage de vivre. Pas tout à fait. C'est maintenant que Calone tire la chasse de sa douche froide. Bye-bye les artistes. Bonjour les monuments funéraires. Des statues grises. Des vivants morts. Des fantômes détachés de leur existence. Son objectif saisit des corps. Comme au temps des grandes glaciations ces mammouths figés en un seul instant, la gueule encore emplie de fourrage. Transforme les humains en statue de sel. Des gangues de cadavres qui ressemblent à ces gisants de Pompéi surpris en leut quotidienneté.

    Mais Fred Calone ne mitraille pas à tout-vat et à bout portant. Son œil n'est pas le rayon de la mort qui balaie la scène du monde au hasard. Il ne ratisse pas large. Tout au contraire. Il cherche le geste significatif, l'acte symbolique. C'est sa manière à lui d'abolir le hasard. Il ne met pas en scène. Il cherche le hors-scène, cette seconde fatidique où le guitariste n'est plus guitariste, où le chanteur n'est plus chanteur. L'impression qu'il pousse ses sujets hors d'eux-mêmes et de la scène. Il les entoure d'une camisole de solitude excédentaire qui fait froid dans le dos. Il les détache de leur statut de star, les plante au milieu de monde, à eux de se débrouiller comme ils peuvent. Et ils ne peuvent rien. Sont tétanisés, titanisés de pierre grise et d'immobilité – incapables d'esquisser le moindre geste qui serait preuve de leur liberté. Fred Calone nous le crie violemment à l'oreille, nous sommes prisonniers de nous-mêmes, murés dans la banquise de l'être pour toujours. Le monde est une glu dont on ne s'échappe point.

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    Beaucoup de photos de scènes. Mais elles cherchent l'obscène. Ces moments où ne sommes pas nous, où ne sommes que notre nudité dévoilée. Pas celle du corps, celle intérieure, quand nous ne sommes que poses et fanfaronnades, quand nous ne sommes que la trahison de nos travers, de nos fuites, quand nous exprimons cette sensation du néant qui nous traverse et nous sert d'ossature. Nous sommes des châteaux de cartes, en équilibre précaire, un souffle nous détruirait, un clic d'appareil photographique y parvient facilement. Encore est-il nécessaire que l'œil du photographe agisse tel un scalpel. Qu'il déchire la belle image de surface derrière laquelle nous nous réfugions, qu'il la traverse tel un rayon X, afin de révéler cette pourriture néantifère dont nous sommes constitués.

    Fred Calonne n'affiche pas que les mannequins que nous sommes. Il descend dans les Catacombes. Aux anciens morts du cimetière des Innocents, les mains vides. Os et têtes de morts. Mais aucune piraterie romantique. Des entassements d'ossements. L'anonymat parfait. Ses grandes orbites creuses et vides qui nous regardent sans nous voir. Un constat glacial de l'inanité du rien. Alors Fred Calone s'amuse. Il change la donne. Au blanc du néant et au noir de la nuit, il substitue la douce couleur mordorée des rayons de couleurs automnaux. Ici vous auriez envie de psalmodier à l'instar des poëtes qu'en ce lieu tout est calme, luxe et volupté, mais non ce ne sont que bout d'os et occiputs troués, ni plus ni moins. La couleur n'ouvre pas l'horizon, elle le ferme tout autant que le blanc et le noir.

    Trop de noir, alors regardez la série Expo Jérôme Zonder. C'est la page blanche de Fred Calone. Ni plus ni moins qu'un livre. Un Lieu à Soi de Virginia Woolf, mais étalé en grand sur les murs d'une galerie, un texte que Zonder a agrémenté de dessins de femmes. Des nudités sauvages et militantes. Des désespérées, prêtes à se déchirer sur les barbelés du vaste camp de concentration d'une société machiste et objectale. Encore faut-il savoir lire, débusquer la cruauté du vide pour y ajouter la carcéralité du vivant phantasmatique. Calone ne feuillette pas le bouquin, il en arrache les pages, nous montre combien le papier est glacé, et que ce froid absolu n'est que la pointe de l'iceberg qui émerge et affleure nos représentations. Nos volontés impuissantes, aussi.

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    Regardez aussi les deux séries sur Les Tétines Noires. Ni tétons ni tétins. Hormis le groupe en pleine action, seul un homme nu. Sexe au repos de toute présence humaine. Déchaînement autour. L'homme transformé en poupée gonflable des désirs morts. La dernière photo est machiavélique, Fred Calone vous donne envie de tirer sur la sonnette d'alarme d'un train immobile qui ne s'arrêtera jamais.

    J'arrêterai sur la série Machinalis Tarantulae, setlist posée à terre sur fond noir, et à côté, sur la gauche, cette croix rouge de sparadrap pour désigner le lieu, le point exact, où il ne se passe rien. Et votre regard qui reste aussi immobile que le Corbeau d'Edgar Poe, à fixer le rien. Nul essor.

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    Certes Fred Calone offre une vision du rock peu chatoyante. Un étiqueteur parlerait d'indus et de post-noise apocalyptique. Mais Fred Calone n'aime pas les mots ronflants et définitifs. Il dépasse les oripeaux. Son rock, et surtout ses photos, atteignent à une tragédie métaphysique inégalée jusqu'à ce jour.

    Damie Chad.

    P.S. : les photos sont prises sur son FB : Douche Froide Photographie ce qui explique le l'american prude logo censured sur certaines parties anatomiques, voyez plutôt sur Flick.

    ROCK CRITIC N° 11

    Décembre / Janvier / Février 2018

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    Tout beau mais pas tout neuf. C'est un peu la danseuse de Ben Hito et de Géant Vert. Le fanzine de la zone libre. Sur papier glacé, en couleur et distribué gratuitement dans une vingtaine de villes en France. Si vous n'aimez pas lire, ce n'est pas grave. Rock Critic, d'abord ça se regarde. Question graphisme vos yeux oscilleront entre hyper-réalisme et soviétik propaganda. Esthétique de l'impact visuel. Un peu daté, mais très beau. C'est comme la profession de rock-critique, fut un temps où ils étaient aussi célèbres que les rock-stars, z'apportaient la bonne parole à un peuple d'affamés, mais c'est fini. Aujourd'hui sur internet tout le monde y va de sa petite bafouille. Certains le regrettent. D'autres citent Platon qui fustigeait la démocratie qui permet à n'importe qui de prétendre à des postes de responsabilité, politique, économique et morale. Un discours un peu rétrograde.

    Rock Critic, eux se réclamerait plutôt du Do It Yourself. Sont connotés punk. D'ailleurs le numéro débute par une interview de Glen Matlock. Ne dit pas que des stupidités. A part quelques méchancetés ( méritées ? ) sur Johnny Rotten, ne tient que des propos estampillés au marbre de la sagesse. Les chiens fous ne devraient jamais vieillir. James Dean avait raison, mieux vaut vivre vite et faire un beau cadavre. Remarquez que je suis le premier à ne pas avoir suivi le deuxième commandement... A la page suivante ce n'est guère mieux, Dead Can Dance a eu du mal a finir son disque, l'est des moments où la santé vacille, la vieillesse est un naufrage... L'Ombre Verte raconte son voyage au Vietnam. Pas la joie. Apparemment ailleurs l'herbe asiatique n'est pas plus verte que par chez nous. Un truc à démoraliser les trotskystes engrangés dans les Comités Vietnam en 1968... Z'ensuite les chroniques disques ( une consacrée à Odetta, chose rare ) et Bande Dessinée...

    J'ai récupéré ce numéro à la Comédia. Croyais que c'était le tout nouveau. Mais non il date de l'année précédente. Le dernier en date. Peut-être pas l'ultime. Z'ont tenté une cagnotte en 2017, pour augmenter le tirage, voulaient frôler les 20 000, et équilibrer le budget avec des placards ( filtrés ) publicitaires. Une stratégie qui se défend. Perso, je ne condamne pas, je préfère la gratuité sans appel à la participation financière du peuple ami. C'est pour cela que KR'TNT qui était sur papier en ses débuts historiques est très vite passé sur le net. Suffira un jour que des esprits mal-intentionnés appuient sur un clic pour que subissions l'extinction des dinosaures. Nous bâtissons des châteaux de sable.

    Damie Chad.