KR'TNT !
KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME
LIVRAISON 563
A ROCKLIT PRODUCTION
SINCE 2009
FB : KR’TNT KR’TNT
25 / 08 / 2022
BOSTON : PIXIES / WILLIE LOCO ALEXANDER
GA – 20 / UPPER CRUST
THE TWANGY & TOM TRIO / ELVIS PRESLEY
ARCHIE FIRE LAME DEER / DIDIER LAUTERBORN
Sur ce site : livraisons 318 – 563
Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :
Spécial Boston
Part Two
Pour faire suite au Spécial Boston Part One, voilà le Part Two. Peut-on imaginer meilleure introduction au Boston rock que ce Live At The Rat paru en 1976 ? Non, bien sûr que non. C’est le désormais vieux Willie Loco Alexander et son Boom Boom Band qui ouvre le balda avec «At The Rat». Cut historique qui fit alors la réputation de ce double album. C’est monté sur un riff de basse et ça y va au let’s go to the Rat ! L’autre gros coup, c’est le «Who Needs You» des Real Kids. Joliment stompé, ils sont là au sommet de leur apogée avec un petit claqué d’accords insidieux et Ferguson nous tape ça dur. L’autre grosse attraction de l’A, c’est bien sûr DMZ avec tout le gratin dauphinois de Boston : Mono Man, Jay Jay Rassler et Peter Greenberg. Mais leur «Boy From Nowhere» n’est pas très bon. On croise le chemin d’autres groupes, Third Rail, Thundertrain, Susan, mais ce n’est pas non plus très bon. Ils ont l’air complètement dépassés pour l’époque. Susan se prend pour Led Zep, alors qu’à New York, les Ramones et Television sont déjà entrés en lice. C’est un groupe nommé Sass qui sauve la B avec un punchy «Rockin’ The USA». Ils n’inventent ni la poudre, ni le fil à couper le beurre, mais ils jouent avec une énergie spectaculaire. En C, Willie Loco fait le show avec son vieux «Kerouac» et la surprise vient des Infliktors et des superbes guitares qu’on entend dans «Da Da Dali». Ce sont de véritables incisives d’incentive intrusives, elles entrent dans la couenne du son. Les DMZ ouvrent le bal de D avec «Ball Me Out». Ils s’imaginent que c’est bon alors que ça ne l’est pas. Et le «Better Be Good» des Real Kids semble un peu forcé. On assiste aussi au retour des Infliktors qui se prennent pour Led Zep avec «Norkis Of The North» et de Thundertrain avec «I’ve Got To Rock». Ce sont eux les plus énervés, le chanteur est excédé, ça riffe dans tous les coins et ça coule entre les doigts.
Passons maintenant aux choses sérieuses.
Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?
- Part Three
C’est donc en 2008 que parut Fool The World - The Oral History Of A Band Called Pixies, un petit book très sympathique signé Josh Frank & Caryn Ganz. Une chose est sûre : on ne perd pas son temps à le lire. On se félicite même d’être moins con à la fin de la journée, car on apprend de choses. On pourrait prétendre que les albums des Pixies - comme ceux de Bob Dylan - se suffisent à eux-mêmes, et qu’on peut très bien se passer des commentaires des commentateurs. Mais ce sont les Pixies et les gens de leur entourage qui parlent. Tout ce que peut dire Frank Black est intéressant. Même chose pour Dylan. Dès que ces deux mecs-là ouvrent le bec, c’est pour dire des choses intelligentes. Ça nous repose la cervelle. Tant qu’on y est, on peut regretter que Frank Black n’ait pas encore écrit son autobio, comme a commencé de le faire son idole Dylan. Si on en juge par la qualité de ses chansons, le gros devrait être un écrivain prodigieux.
L’oral history ? On en connaît deux et pas des moindres : le fameux Please Kill Me de Legs McNeil et les Confessions Of A Garage Cat de Gildas Cospérec. McNeil a saucissonné les punks new-yorkais dans son gros sandwich, et Gildas mène le bal dans le sien, en donnant la parole à une tripotée de gens intéressants. Le principe de l’oral history est extrêmement bien adapté à l’histoire d’un groupe ou d’une scène. Curieusement, les Pixies ne s’étendent pas trop sur la scène de Boston, tu as quelques noms qui se baladent ici et là : Kristin Hersh et Throwing Muses, Buffalo Tom et J. Mascis. Rien sur Robert. Pas d’apologie de la Mecque du rock (Hello Jacques), juste quelques souvenirs d’une tournée européenne avec Throwing Muses. D’ailleurs, à ce moment-là, les Pixies jouent en première partie des Muses, mais rapidement la situation évolue, les Muses ne peuvent pas jouer après les Pixies. Tanya Donelly : «We switched billing in Holland. I was relieved because who wants to play after the Pixies ?». Elle ajoute que la salle se vidait après le set des Pixies et les Muses flippaient à l’idée de monter sur scène devant une salle à moitié vide.
En fait, l’histoire des Pixies est assez simple : elle se résume en sept étapes : Pilgrim, Rosa, Doolittle, Bossanova, Trompe le Monde, la shoote avec Kim et le split. Pour faire bonne mesure, on peut en ajouter une huitième : la reformation. Aux yeux de beaucoup de gens, notamment les Anglais, les Pixies furent the best band on the planet (Ian Gittins, Melody Maker), et pire encore, the masters of the calculated incongruity (Mat Snow, Q Magazine). Quand au tout début le gros passe une annonce dans le Boston Phoenix pour former un groupe, il cadre : «Hüsker Dü et Peter Paul & Mary.» Kim Deal voit ça et répond à l’annonce. Le pote du gros, Joey Santiago, trouve le nom du groupe : Pixies in Panoply. Stupid name, dit Kristin Hersh. Le gros gratte déjà une Tele et Joey une Les Paul. Ça démarre comme ça, avec quelques idées de chansons - They had songs, which is very rare, dit encore Kristin Hersh qui les voit démarrer sur scène - Les gens les trouvent poppy, pas d’influences apparentes. Quand le producteur Gil Norton les voit sur scène pour la première fois, il est scié : «I was litteraly blown away the first time I saw them». Blown away, on l’était chaque fois qu’on les voyait sur scène. Un set des Pixies est systématiquement cathartique, une combinaison unique au monde de violence et de modernité, et les albums ne sont rien comparativement à ce qui se passe sur scène : le gros est l’une des plus magnifiques incarnations de l’essence du rock. Artistiquement, il rivalise de grandeur tutélaire avec Elvis, Jerry Lee et Iggy, mais en amenant en plus son génie Dada. Si Dylan, c’est Rimbaud avec une guitare électrique, alors le gros est Picabia avec une Telecaster. Comme Picabia, il est la figure de proue de son temps, la tête de gondole des éphémérides, le Jesus-Christ Rastaquouère de la divine comédie, l’enfonceur définitif de toutes les portes ouvertes. Dans un petit paragraphe d’introduction de chapitre, les auteurs tentent de qualifier l’art sonique des Pixies : «The screamed vocals, abstract lyrics, the quiet/loud punch, the surf guitar lines, the delicately plunking basslines, the crushing snare drums.» Et soudain, ils s’enflamment : «It’s easy to call Pixies quintessential artist of our time.» Burn baby burn. C’est vrai que les Pixies ont bien dépassé les bornes. Un autre témoin affirme que Nirvana n’aurait jamais existé sans les Pixies et Perry Farrell leur rend le plus beau des hommages : «The Pixies were very underground, sophisticated to the funkiest, punk rock way, if you know what I mean.» On les traite aussi de volcano, de natural phenomenon, leur tour manager Chas Banks les compare aux Who : «On ne peut pas tenir éternellement avec ce niveau d’intensité. That’s what the Who were like.» Le journaliste Johnny Angel ajoute que leurs chansons sont des good songs - They’re timeless. Little Richard’s songs are timeless 50 years after the fact. Mozart is timeless.
Ces good songs sortent du cerveau de Frank Black. Dans le book, il porte son vrai nom, Charles Thompson. Il évoque ses balbutiements : «Je me souviens comment j’ai appris à hurler. Celui qui m’a appris était un voisin. Il était thaïlandais et tenait une boutique de fleurs et de T-shirts. Je faisais des livraisons pour lui. Je lui jouais l‘Oh Darling’ des Beatles et il disait : ‘No no scream it like you hate the bitch.’» Même ses histoires de teenager bostonien sonnent comme des chansons. Ado, le gros aimait les Cars - I used so sing Cars songs - Il ajoute plus loin : «You can hear that on early Pixies stuff, especially ‘Is She Weird’. That’s totally Cars.» Il adorait aussi les deux premiers albums solo d’Iggy - Those records were like gospel religion to me. I wasn’t a drinker, I didn’t take drugs, there was a lot of clarity there - Il cite aussi le Zen Arcade d’Hüsker Dü, le Spotlight Kid de Captain Beefheart et l’I’m Sick Of You d’Iggy, kind of demos that had been widely bootlegged - Those were the main records that I listened to right before I started a band - C’est ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale. Tanya Donelly se souvient d’une soirée à Berlin, lors de la fameuse tournée Pixies/Muses. En sortant de scène, le gros a proposé de rouler toute la nuit dans le van en écoutant Lust For Life - Let’s just drive around all night - And so we played «The Passenger» over and over, 30 times or something, and drove around Berlin all night.
Quand elle commence à le fréquenter, Kim Deal trouve le gros gentil et amusant - He was always really fun and nice. Funny guy - Gary Smith, le boss du studio Apache, est surpris de voir le fresh-faced kid screamer at the top of his lungs. Il dit qu’à l’époque personne ne hurlait comme ça - Kristin Hersh screamed. Who screamed ? Hüsker Dü ? No they didn’t. They made a racket but they didn’t actually go «Balahahaha». People just didn’t do that - Smith dit aussi que le gros semblait sortir d’une scène de l’Exorciste. Il n’est pas loin du compte, puisque le gros se réclame de David Lynch - If anything is a big influence on me, it’s David Lynch. he’s really into presenting something but not explainig it - Et d’une certaine façon, il met le principe en application : «J’écrivais les chansons dans le studio. Tout ce qu’on faisait marchait bien, aussi personne ne posait de questions. J’écrivais sur des sets de table cinq minutes avant de chanter. Sometimes it’s good, sometimes not. That’s just the nature of that songwrting». Le gros bosse à l’emporte-pièce, au ça-passe-ou-ça-casse. Au zyva-Mouloud. On appelle aussi ça de l’automatisme psychique de la pensée. Du rock surréaliste. Si Buñuel avait eu une guitare électrique, il aurait joué «Debaser». D’ailleurs, si le gros rend hommage au White Album, c’est pas un hasard, Balthazar : «Ce n’est pas la peine de vouloir faire que des chansons géniales. La musique doit rester éclectique. Les albums sont éclectiques. C’est pourquoi ‘Wild Honey Pie’ est sur le White Album. Ce n’est pas ‘Hey Jude’, ce n’est pas ‘Revolution’, c’est just some weird thing they did one day with a tape recorder. So there’s a lot of room for that kind of expression».» Avec les Beatles, le gros est l’un des seuls à pouvoir se permettre ce luxe inouï, ramener some weird things dans ses albums. Pour bien ancrer son concept de fraîcheur artistique, le gros déteste faire des vidéos. Pas question de mimer les paroles d’une chanson.
Alors justement, les albums, parlons-en. Ils commencent par enregistrer Come On Pilgrim (qui s’appelle alors The Purple Tape) en trois jours à Fort Apache South. Le gros dit avoir emprunté a thousand bucks à son père. Paul Kolderic dit que les gens dormaient dans le studio. Le photographe Simon Larbalestier indique que l’homme poilu sur la pochette fait partie d’une série de portraits qui lui furent inspirés par la lecture de La Tentation de Saint-Antoine (Gustave Flaubert). Dans Spin, Jon Dolan qualifie l’album de ruined teen dementia - Francis’ vocal on «Caribou» are the best punk rock physical comedy since Johnny Rotten.
Six mois plus tard, ils enregistrent Surfer Rosa avec Steve Albini. C’est le boss de 4AD Ivo Watts-Russell qui l’a choisi - Albini ne voulait pas être crédité comme producteur. Il se voit comme un ingé-son, et en tant qu’ingé-son, c’est un génie - Mais en même temps, Albini n’est pas un mec facile. C’est un petit teigneux, nous dit Kolderic, un mec tout petit, maigre comme un clou, il porte des boots, des tatouages, se rase la tête et n’est jamais content. Il aime bien le gros, mais sa musique ne lui parle pas - I liked my favorite bands’ music, like the Jesus Lizard, Television, Public Image, the Sex Pistols, the Ramones, Suicide, Kraftwerk, unique and brillant bands that I loved - Il trouve que Kim Deal is the best singer ever et que «Charlie is a talented and unique guy. But the things that I like about that band, it’s not really the music.» En fait, Albini haïssait les Pixies, il les prenait pour de branleurs (pussies) et il a fini par produire leur meilleur album. Larbalestier indique que la photo de le femme nue sur la pochette n’est pas là par hasard. Le père du gros tenait a topless Spanish bar. Quand Watts-Russell entend l’album fraîchement enregistré, il est frappé par le raw - I didn’t know the Pixies could sound like the Fall. That was my immediate reaction, in other words, incredibly raw - Dans un fanzine, Albini dit à l’époque tout le mal qu’il pense des Pixies, mais dans le book, il avoue le regretter. C’est avec les Pixies qu’il a appris à bosser - I behaved like an ass - Le gros avoue lui qu’Albini a fait un gros boulot sur Surfer Rosa - It’s obvious we weren’t there to make some kind of a slicko, lame-ass record.
Gil Norton commence à produire les Pixies avec Doolittle. Curieusement, il indique que le gros ne voulait pas inclure «Debaser» sur l’album - I’m not sure about this song - Mais Norton l’adore et il insiste pour l’inclure. Frank Black : «‘Gouge Away’ is about Samson and Delilah. ‘Dead’ is about David and Bathesheba. There were some Biblical things I had gotten into. You can’t go wrong with the Old Testament.» Norton parle de l’album comme d’un rock’n’roll classic, a great rock’n’roll clasic album - It was so good - Partout des dithyrambes, fucking guitars screaming, slicing up eyeballs ha ha ha ha et St Thomas se souvient des gens qui chantaient en chœur «Devil is six and God is seven», au cœur de «Monkey’s Gone To Heaven». Dans le NME, Edwin Pouncey parle d’evil genius et dans Q, Peter Kane parle d’un «15-track affirmation of mushrooming Pixie power».
C’est au moment de Doolittle que le groupe s’essouffle. En interne, les rapports deviennent glaciaux. On ne se parle plus. Chacun voyage de son côté. Le gros constate : «Tu joues un show où les gens deviennent fous, c’est sold out, trois rappels, everything’s going great... Retour aux loges and it’s cold as ice.» Fini le temps des copains. On se fait la gueule.
Pour enregistrer Bossanova, les Pixies partent s’installer à Los Angeles, sans Kim Deal. Elle pense qu’elle est virée, mais elle n’en sait rien. Elle les rejoint quand même sur la Côte Ouest. Le gros écrit l’album dans le studio, à l’arrache surréaliste. C’est l’époque où Kim Deal s’entend bien avec Tanya Donelly et elles montent Breeder. Lors d’un concert dans un club de Stuttgart, Kim Deal arrive en retard, ce qui met le gros en pétard, lui qui n’est jamais en retard et qui n’a jamais raté un seul concert. En pleine apocalypse sonique, le gros jette sa guitare. Bing, elle heurte Kim ! Il quitte la scène furibard et Kim lui court après lui demandant : «Comment oses-tu kicker your guitar at me ?». Au moment du book, le gros regrette d’avoir piqué sa crise. Il n’empêche qu’en interne, les relations en avaient pris un sacré coup.
Dernier album de l’âge d’or, Trompe Le Monde. Ils ne sont jamais ensemble en studio. Chacun vient de son côté. Le gros a fini par virer Kim Deal, mais elle vient quand même faire ses lignes de basse et ses backing vocals. Le gros intègre Eric Drew Feldman qui a bossé avec Captain Beefheart et Pere Ubu. D’ailleurs David Thomas pense que l’arrivée de Feldman a envenimé les choses au sein des Pixies. Jon Dolan de Spin salue la cover d’«Head On» - so much more streamlined and hooky than the Jesus and Mary Chain original - Il salue aussi «Letter To Memphis» - it is Black mixing heavy noise with a pomo take on Chuck Berry’s «Memphis Tennessee» - James Brown dans le NME dit que l’album is dark and dirty, et some of it’s downright unbearable, but it will grow on you - On a rarement égalé des splendeurs soniques de Trompe Le Monde. C’est l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps, avec le Dust des Sceaming Trees, le Parachute des Pretties, le Never Mind The Bollocks des Pistols, les trois albums de Jimi Hendrix, la trilogie du Velvet et celle des Stooges. Trompe Le Monde sonne comme un accomplissement. À l’époque, on l’écoutait jusqu’à plus soif.
Puis vient le temps du split. Joey Santiago : «Breaking up ? Well Charles just did it. Just broke it off without anyone knowing, actually. De toute façon, on ne s’amusait plus. Ça devenait bizarre dans les loges. On ne se parlait plus. Et pourtant le groupe marchait bien, on progressait. I don’t know, it was just weird.» Le gros confirme qu’il ne voulait pas de confrontation avec les autres membres du groupe. Il ne voulait pas d’une réunion pour en parler. «I wasn’t happy, and I left.» Kim Deal : «Charles m’a traitée de conne une fois. Je venais juste de le traiter d’asshole. Je trouvais que conne était un peu exagéré.» Les tensions venaient du fait que les Pixies étaient le groupe du gros et Kim Deal aspirait à plus de présence. Elle était extrêmement populaire en Europe. Pour un groupe comme les Pixies, le split fut un bonne chose, comme le dit si bien J. Mascis : «I guess you can stay together forever like the Ramones and then all die of cancer.» Alors autant splitter plutôt que de finir comme les Ramones.
Le gros est clair sur le compte des Pixies : «C’est un groupe, mais ce n’est pas exactement comme une démocratie. Au moins en termes de créativité, vous savez, ils ont un frontman qui s’appelle Black Francis qui écrit basically tous les cuts et qui a démarré le groupe. Ils ont répondu à mon annonce dans le journal, vous voyez ce que je veux dire ? Et je ne veux pas non plus dire qu’ils ne font pas intégralement partie du groupe. Hey je ne vais pas sortir dans la rue, embaucher trois personnes et les appeler les Pixies.» Il en arrive fatalement à l’idée de la reformation : «Je suis moins intransigeant qu’avant. Les choses sur lesquelles j’étais strict me semblent devenues infantiles et ridicules. I’m kind of more like, what the fuck ? Chaque année, ces mecs nous proposent des tonnes de blé pour jouer quelques shows. Let’s go do it. I’m fine with it now.»
Il était temps, car les autres Pixies ramaient. Le batteur Dave Lovering vivait de tours de magie et il dormait dans des hôtels pour putes. Joey Santiago vivait dans un minuscule appartement et attendait son deuxième baby. Quant au gros, il ramait aussi avec les Catholics. La seule qui s’en sortit bien, c’était Kim Deal qui a ramassé plus de blé avec «Cannonball» qu’elle n’en a ramassé pendant tout son temps dans les Pixies. Joey et Dave ont dû insister auprès d’elle pour qu’elle accepte de participer à la reformation - Please do it for us, it would really change our lives - Alors elle l’a fait pour eux, nous dit Steven Cantor.
Signé : Cazengler, Picsou
Josh Frank & Caryn Ganz. Fool The World. The Oral History Of A Band Called Pixies. Virgin Books 2008
Loco Motion - Part Two
Jacques fut l’un des principaux contributeurs de Dig It!. Il traduisait pour nous les souvenirs de JJ Rassler, figure historique de la Boston scene et membre fondateur de DMZ, l’un des groupes phares de cette scène. Grâce à son activité de chercheur, Jacques passait plusieurs mois de l’année à Boston, ce qui lui a permis de nouer des liens avec les ténors du barreau local, à commencer par Willie Loco Alexander, devenu au fil du temps un ami de longue date. Lui ayant fait part de difficultés à dénicher certains albums récents de Willie, Jacques a fini par me transmettre un beau jour un ensemble de fichiers téléchargés sur le Bandcamp de son vieil ami. Bon, nous sommes bien d’accord : ce n’est pas l’idéal que d’écouter des fichiers MP3 sur la carte son d’un ordi, mais vu les circonstances exceptionnelles, nous décidâmes, sous la haute voûte de l’observatoire de la veille technologique avancée, de faire une exception, et d’écouter aussi religieusement que possible ces trois albums qui n’existent hélas qu’en téléchargement, mais qui permettent de suivre l’évolution/révolution d’un très grand artiste contemporain.
EP cinq titres paru en 2012, I’ll Be Goode est assez porté sur l’ambiancier dérangeant. Notre vieux Loco adore gratter les plaies du rock dans le pus du Velvet. Les accords d’«All Things Go» semblent sortir du «Black Angel Death Song», il reste aux frontières du sacré et du profane, c’est-à-dire du Velvet et de l’expérimental bostonien, si tant est que. Il va même jusqu’à souffler du free dans son sax. Autant le dire franchement : c’est excellent, surtout pour un mec qui prétend ne pas savoir jouer, son solo coule comme du miel dans la vallée des plaisirs. Notre vieux Loco a su développer un sens aigu du catchy weird. Avec «Song For Mike», il jette l’ancre dans l’ambiancier caractérisé, I walk the streets/ I don’t know shit, il renoue avec sa jeunesse de heavy punkster, les heavy tempos urbains ne lui font pas peur. Il fait encore des merveilles dans le morceau titre, heavy groove de Loco motion, avec des coups de sax qui fondent comme beurre en broche dans un groove de piano jazz, il cultive une sorte de délectation. Le vieux Loco navigue dans des eaux magiques, pas loin de Babaluma et de Steely Dan, avec le riff d’orgue de «96 Tears» dans «No More Tony» - No more Tony and his cigar/ No more Tony under his car - Mine de rien en passant, ce petit EP sans prétention ressemble à un passage obligé pour tout fan du vieux Loco.
Fantastique album que cet Aqua Vega rebalancé dans le commerce en 2022. Classic Loco, avec toutes les fantaisies vocales dont il se fait une spécialité depuis cinquante ans. Il fait son cirque avec «All Alone», flirte avec le groove de satin jaune, il adore chanter la solitude au deepy deep d’un confort cabaretier. Puis il s’en va chercher des noises à la petite bête avec le morceau titre, c’est plus fort que lui, le vent du large expérimental l’appelle alors il hisse sa voile. Il énumère les genres, comme on effeuille la rose éclose, hip hop, mod jazz, rockabilly, il s’émeut en douceur et en profondeur. On savait que le vieux Loco était un grand artiste, mais Aqua Vega l’entraîne vers la voie lactée. Nouvel exercice de free libre avec «Bud’s Twilight Lounge», il chante même en français, histoire d’exacerber l’exotisme de la catharsis. Si on aime bien se régaler, alors il faut l’écouter faire le con au chant sur «DNR Blues», il casse sa voix pour geindre et miauler, ça donne des effets de blues à la Beefheart, mais sans le grain beefheartien, juste le côté délirant de type «White Jam», ou le grand art de tortiller sa voix pour gagner l’autre rive. Et comme si cela ne suffisait pas, il ramène des doo-watchoolike doo-watchoolike du doo wop des Flamingos dans «Dear God Embracing Humankind». Dans «Joy To The World», il monte un gospel choir pour évoquer la mémoire de Dave Coller, un mec qui enregistrait tous les concerts et qui faisait des fanzines - Without him, people like me don’t exist - Et il cite tous les noms magiques que l’on sait - Joy to the world for rock/ And/ Roll - Comme son nom l’indique, «When I Remember» revisite le passé, le vieux Loco nous swingue les souvenirs de sa jeunesse enfuie. A long time ago, sounds like 1968, il évoque Bagatelle. Et toujours cet art du groove catchy, monté sur un groove caoutchouteux d’une efficacité sidérante. Il se rappelle de toute sa famille, de ses chiens et de ses chats. Il finit cet album étonnant en mode rap. Eh oui, il en a les moyens.
The World Famous Non Stop Seagull Opera Meets The Fishtones At The Strand date de 2010. On y retrouve dès «Just Around The Corner» les exercices ambianciers de l’underground d’Alexandrie Alexandra. Il adore hurler à la lune sur fond de guitares du désert. Et si on aime bien les exercices ambianciers, alors on se retrouve en quelque sorte au paradis avec des gens de bonne compagnie. Sa passion pour le jazz expérimental le rattrape avec «2 Swans» et ses réflexes boogie remontent à la surface avec «Man On A Mission». Rien de nouveau sous le Soleil de Satan-Loco. Notre cher vieux Loco s’accommode de son prosélytisme, il lui donne même des touches de modernité, feignant par moments la folie Méricourt, ça gorge son charme d’un certain jus toxique. Son groove bat comme un gros cœur d’animal. Il sait aussi lancer un Cubist Blues avec son «Seagull II» - I wish I was a seagull - C’est d’un charme fatal, real deal de Loco-motion, visité par la grâce. Ce vieux Loco reste à la fois polymorphe et polyvalent, il touche à tout avec le tact d’un franc-tireur, il est l’enfant caché du Capitaine Conan et de Jean des Esseintes, l’hermaphrodite définitif du rock américain, son «4 Legged Chiken» intrigue, avec ses décalcomanies felliniennes en filigrane et ses odeurs de basse-cour du Massachusetts. Comme le montre «The Sky», Dada l’intéresse au plus haut point. «Ectoplasm» sombre dans la délinquance sonique et tourne mal, ses parents ne peuvent rien pour lui, il finira damné pour l’éternité, ce qui finalement est moins pire que de finir rien du tout. Le principal avantage qu’offre la fréquentation du vieux Loco, c’est qu’on ne s’ennuie pas un seul instant. Il réussit chaque fois à capter l’attention, en veillant à ne jamais radoter, ce qui est un exploit pour un vieux Loco de 80 piges. Après les étapes classiques du Boom Boom Band, les délires expérimentaux du vieux Loco sont la meilleure des bonnes nouvelles. Il faut l’entendre souffler son free dans «Moustard», il fait l’Albert Ayler picabien, sur fond d’alchimie bulbique du cerveau, ça percole dans la synove. T’en connais beaucoup des vieux pépères qui s’amusent à réinventer le rock américain ?
Signé : Cazengler, Willie Locus Solus
Willie Loco Alexander And The Fishtones. I’ll Be Goode. Fisheye Records 2012
Willie Alexander And The Fishtones. Aqua Vega. Somor Music 2022
Willie Loco Alexander. The World Famous Non Stop Seagull Opera Meets The Fishtones At The Strand. Fisheye Records 2010
L’avenir du rock - Gaga des GA-20
L’avenir du rock va rarement traîner dans les bars. Il ne supporte plus les familiarités de tous ces pseudo-rockers qui prétendent le connaître assez pour se faire payer un verre. Dès qu’il est installé au bar, ils arrivent comme des mouches. Toujours le même scénario, le côté friendly de l’internationale situa-sioniste de l’underground du pauvre, la petite vanne initiatique censée sceller des ententes tacites, l’intolérable informulabilité des choses de la vie, l’implicite du corporatisme à deux sous, l’on-fait-partie-du-même-monde alors que tout indique le contraire, nous grands sachems et eux pauvres cons, hein ?, l’insalubrité totémique des rapprochements non voulus qu’imposent les rites sociaux, surtout ceux qui ont cours dans les bars, l’horrible sensation du piège qui se referme après un premier échange de regards qui conduit irrémédiablement à un échange de propos non désiré, cette sensation d’un sale moment à traverser envenimé par l’accès direct à l’alcool, ce chancre de temporalité que vient crever sans anesthésie le fameux «tu payes ta mousse ?», le sentiment suraigu que tout empire dans les pseudo-bars rock, que rien ne va s’arranger, et le pire, c’est encore d’avoir à parler de musique, car évidemment, si l’avenir du rock boit un verre dans un bar rock, c’est pour répondre aux questions qu’on lui pose sur des groupes dont il n’a aucune envie de parler, des groupes qui à ses yeux n’auraient jamais dû exister et que ces imbéciles prennent assez au sérieux pour demander un avis à l’avenir du rock qui sent monter en lui le mal de mer, même si rien ne tangue, simplement la profonde bêtise des gens finit par lui donner la nausée. Joli concept philosophique pour un concept ! L’avenir du rock s’en sort toujours très bien avec l’idée de la nausée, car il se dit que s’il ne la vivait pas de temps en temps, il ne saurait pas ce que c’est. Le sentiment d’apprendre des choses a bon dos, c’est pour ça qu’on l’aime bien. On lui donne même un nom : Opportunité. Opportunité chérie... L’avenir du rock aimerait bien dégueuler au pied du bar, mais ça ne se fait pas. Il lui reste encore des restes de civisme. Ça durera le temps que ça durera. Surtout qu’on vient encore une fois de lui taper sur l’épaule, ce qu’il déteste par-dessus tout.
— Alors mon gars, ça gaze ?
— Non, ça GA-20 !
Ah il a raison l’avenir du rock, de rétorquer GA-20 ! Cette répartie l’honore, mais en même temps, elle nécessite une explication. On ne dit pas GA-20 comme ça. Si l’avenir du rock sort GA-20 c’est qu’il a une bonne raison : deux albums parus sur Karma Chief Records, un sous-label de Colemine qui accueille les groupes de rock. Pour découvrir l’existence de GA-20, il faut se taper les compiles Colemine qui sont des petits chefs-d’œuvre d’incitation à la dépense. Elles sont un peu les Nuggets des temps modernes. GA-20 est un duo de Boston monté par Matthew Stubbs, qui fait partie du Charlie Musselwhite band, et Pat Faherty, le barbu qui ressemble à l’Idiot de Dostoïevski. C’est donc un groupe à deux guitares, plus un batteur, dans la tradition établie jadis par Hound Dog Taylor et reprise par les Gories, les Cheater Slicks et les Oblivians. Étrange coïncidence, leur deuxième album paru l’an passé est un hommage à Hound Dog Taylor, l’un des géants du siècle précédent.
L’album s’appelle GA-20 Does Hound Dog Taylor. Aucune ambiguïté possible, d’autant qu’ils illustrent la pochette avec la main à six doigts d’Hound Dog. Stubbs et Faherty font bien l’Hound Dog Taylor, avec tout le gras double dans le mood. Ouf, pas d’Auerbach dans les parages ! Stubbs et Faherty jouent à la folie Méricourt. Ils tapent «Let’s Get Funky» à la véracité véracitaire - Did you hear me - Back to the straight boogie d’Hound Dog, leur approche relève du génie pur, il tapent le real deal du boogie, on salue la pureté de leurs intentions. Avec «Sitting At Home Alone», ils passent au heavy blues round de corner. Retour en force au boogie avec «It’s Alright». C’est le boogie du ventre, le plus beau des hommages, ils sont en plein dedans, au sec et net, au pur et dur. Pour des blancs, c’est étonnant. On pense bien sûr aux premiers albums de Charlie Musselwhite qui tapait lui aussi dans le sec et net. Ils reviennent au heavy blues avec «It Hurts Me Too», bien fondu dans le moule. L’amateur se régale et ils repartent en mode pète-sec avec «See Me In The Evening» qu’ils ramonent à qui mieux-mieux, il maîtrisent parfaitement l’art du heavy boogie, oh yeah that’s all. Avec «Sadie» ils tapent dans l’Hound Dog primitif, ils se rapprochent bien de l’esprit du vieux géant, ils flirtent avec son mojo, ils jouent vraiment dans les règles du lard fumant d’antan, bel hommage au vieux Hound Dog qui avait réussi à fuir les psychopathes du Deep South pour aller se réfugier à Chicago.
Paru en 2019, leur premier album s’appelle Lonely Soul et il vaut largement le rapatriement. Rien que pour le «Naggin’ On My Mind» d’ouverture de bal. Pas de son plus pète-sec. Charlie Musselwhite is on harp et Luther Dickinson on slide, on a donc la crème de la crème du gratin dauphinois de Memphis. Ce Naggin’ sonne comme le rendez-vous des géants. Stubbs et Faherty désossent ensuite le heavy blues de «You Know I’m Right» et passent en mode hypno avec «One Night Man». Ils optent pour le beat du North Mississippi Hill Country Blues sur un accord fantôme. Le beat presse le pas alors que la nuit tombe et que s’allongent les ombres, ambiance tendue et fabuleuse texture, t’es ravi d’avoir cet album dans les pattes, car Stubbs et Faherty touchent à l’excellence du blues primitif. Ils tapent ensuite «Got Love If You Want It», un vieux classique éculé par tant d’abus. Ils sont là dans le deepy deep du petit bikini, merci Bo Diddley ! Ça tombe bien qu’on salue Bo, car ils reprennent un peu plus loin le magnifique «Crackin’ Up» de Calypso Bo. C’est assez miraculeux. On reste dans le miraculeux avec leur cover d’«I Feel So Good» de J.B. Lenoir, encore un personnage légendaire, le quatrième après Bo, Hound Dog et Charlie Musselwhite. Ils filent doit sur le génie jubilatoire de J.B., ils ont bien pigé le swing déhanché du grand J.B., et ça devient mythique tellement c’est bien foutu et bien dans l’esprit de la version originale. Avec «My Soul», ils jerkent un classic blues de Soul, yeah it’s my Soul, ils explorent tous les confins du genre avec une certaine forme de réussite.
Signé : Cazengler, GA-teux
GA-20. Lonely Soul. Karma Chief Records 2019
GA-20. GA-20 Does Hound Dog Taylor. Karma Chief Records 2021
Inside the goldmine - Les apôtres du Crust
S’il n’avait pas vécu à notre époque, Ricci se serait parfaitement accommodé du XVIIIe siècle. La pâleur de son teint renvoyait aux visages des aristocrates filmés par Stanley Kubrick dans Barry Lydon, où, comme chacun sait, la lumière des chandelles aggravait considérablement la blafardise de visages naturellement pâles, une blafardise qu’accentuaient encore jusqu’au délire les poudres et les fards. Mais Ricci ne se souciait guère d’esthétique. Par quelque phénomène naturel, son visage s’était vidé de son sang, et s’il lui arrivait de se faire peur en croisant son reflet dans un miroir, il dopait son psychisme en observant une hygiène de vie inflexible : pas de tabac, pas d’alcool, pas de dope. Et du sport. Chaque dimanche. Plus un peu de musique pour répondre aux exigences d’un karma garagiste. Ceux qui le voyaient sourire ne se comptaient pas sur les doigts d’une main, mais sur le crochet d’un pirate. Ricci toisait la vie et les gens d’un regard perçant. Il ne parlait pas beaucoup. S’il prenait la parole, c’était surtout pour lancer une idée. On appréciait sa compagnie pour ça, pour cette fabuleuse modération et pour la confiance qu’il nous témoignait en partageant ce qu’il avait de plus précieux. On prenait sa discrétion non pas comme l’expression d’une gêne, mais au contraire comme l’expression d’une forme de bien-être. Nous pouvions passer des soirées en sa compagnie sans vraiment parler, et se sentir bien. C’est un peu comme s’il nous avait appris les vertus du silence, et de cela, nous lui en serons éternellement reconnaissants. Il était présent dans sa façon d’être absent. Il semblait réfléchir en permanence. Une lueur d’intelligence dansait dans son regard. Il faisait partie de cette rare catégorie de gens avec lesquels on ne pouvait se fâcher. Il fallait seulement apprendre à le connaître. Nous remodelâmes tout notre business sur ses idées. La question n’était plus de savoir si ses idées étaient bonnes ou pas. Ses idées nous bottaient parce qu’elles étaient les siennes. Ça arrive rarement dans la vie qu’on suive quelqu’un d’instinct. Ricci avait-il des pouvoirs ? Bien des années après, on se pose encore la question. Toujours est-il qu’un jour il décida de mourir et fut emporté par une maladie foudroyante. Aussi foudroyante que l’était son intelligence. Le plus difficile est sans doute de continuer à vivre dans un monde privé de Ricci.
Ricci aurait très bien pu battre le beurre dans Upper Crust, un quarteron de perruqués sadiens basés à Boston. On les croyait anglais, mais non, ils sont l’un des fleurons de l’undergound américain. Si on osait, le seul reproche qu’on pourrait leur adresser serait de vouloir parfois sonner comme AC/DC. Mais pour le reste, on peut parler de buried treasure, c’est-à-dire de trésor caché du rock contemporain des Amériques. Il n’existe quasiment pas de littérature sur Upper Crust, et dans ces cas-là, on se rabat naturellement sur les disques, qui sont plutôt locaces, à l’inverse de Ricci.
Ils commencent à sonner le tocsin en 1995 avec Let Them Eat Rock, et dès le morceau titre, ça valdingue dans les clochers. Leur extraordinaire blend de rock US est surchargé de guitares pulvérulentes. Ils tiennent bien les rênes de ce rock puissant et agressif et sortent un son plein comme un œuf de tortue. Ils enchaînent avec un «Little Lord Fauntleroy» bien powerful, chanté au gras d’hey hey hey, freakouté à outrance. On y évoque les bandaisons du little Lord. Les apôtres du Crust sont des gens versés dans l’art des brutalités soniques. Fabuleux «Rock’n’Roll Butler» - This is the story of my rnr chauffeur - On assiste à un emballement - She says I’m much nicer than the marquis de Sade - Retour de l’effarant riffing des enfers dans «Who’s Who of Love». Ils riffent à l’aune des supplices du château de Lacoste. Rien ne vaut un vieux riff admirablement balancé, rien ne vaut ce départ en solo de décrépitude excessive. Ces mecs basculent dans l’indécence de la grandeur jadis prônée par Sade, ce vieux maître à penser. Les apôtres du Crust comptent parmi les géants de la débauche riffique. Ça parle encore de bite dans «I’ve Got My Ascot», sur un beat assez explosif, et dans «Old Manners», on voit killer solo nettoyer un village : tout est rasé par les dragons du Roy. Encore de l’épais avec «Friend Of A Friend Of The Working Class». Voilà un cut qui coule comme de la glu dans le col de la courtisane évaporée. Ces mecs déploient des trésors de vitalité priapique. Ce sont de véritables insatiables. On reste dans la puissance pure avec «RSVP» - Love but I can’t tonite - Il faut voir comme il fait claquer son fouet de tonite. C’est brillant, sans dieu ni maître. Ils jouent à la régalade, bien au-dessus de la mêlée. Ils terminent avec le dévastateur «Opera Glass». Ils maîtrisent l’art d’éblouir les alcôves à coups de solos d’exception.
Dans un petit article que leur consacre Vive Le Rock , on les salue ainsi : The Upper Crust merge a classic rock sound with weirdo lyrics and top it off with some crazy George Washington era fashion.
Leur deuxième album s’appelle The Decline & Fall Of The Upper Crust. Il paraît deux ans plus tard. Dès «Cream Of The Crust», on est fixé : pure démence ! Ces mentons bleus sonnent comme des géants du power-rock. Avec «Beauty Spot», ils s’efforcent en vain de sonner comme les Ramones. Mais leurs relances de distorse apoplectique les emmènent ailleurs. Leur claqué d’accords intermédiaires vaut tout l’or de d’Eldorado. Ils sont stupéfiants à tous les niveaux : son et chœurs. Ils développent une invraisemblable vitalité intrinsèque. Nouvelle énormité avec «Boudoir». Wow, quel abreuvoir de vibes sadiennes ! Ils saturent leur Boudoir d’arpèges atmosphériques. On est convaincu d’avance. C’est du jus d’alcôve, du war avec du ouch de reins. Oui, il font rimer war avec boudoir. Ils se montrent à la fois sur-puissants et expressionnistes. «Boudoir» est gorgé de son à outrance et transpercé par un solo en forme de botte de Nevers. Et ça continue avec «Rattle Rouser», tapé au heavy cocotage et chanté au loud débauché. Ça sonnerait presque comme un hymne. Toute la jute de Sweet est là, mais avec les clameurs d’Elseneur en plus. Dans «Versailles», ils font rimer Versailles avec get high. Et ils ajoutent : «Come on to Versailles/ Come on canaille !» C’est quasi glam. S’ensuit un terrific «Vulgar Tongue», empreint d’une solide nonchalance - She’s the only one - et il y pleut du solo d’exception. Tout est absolument noyé de son sur ce superbe album de rock - She speaks the vulgar tongue - On a encore du très grand glam américain avec «Neer-Do-Well» et puis on retombe sur un hit, «Gold-Plated Radio», et quel hit ! Ils jouent ça en relentless - Ouh ouh/ Litttle transistor/ Turn me on - C’est l’un des meilleurs sonic trash on earth - Ouh ouh/ Litttle transistor/ Turn me on - C’est digne des meilleures envolées de Cheap Trick, mais avec de la démesure sadienne en plus. C’est à la fois affolant et apostolique.
Paru en l’an 2000, Entitled pourrait bien être l’un des plus grands albums live de tous les temps. On retrouve les «Let Them Eat Rock» et «Little Lord Fauntleroy» du premier album, mais avec une fantastique décharge d’adrénaline en prime. Lord Bendover chante si merveilleusement bien, tranchant et narcisse à la fois. Il repose sa voix sur un matelas de guitares virulentes. La version de Fauntleroy épate, car c’est joué au riff ardu et ardent, ravagé par les gimmicks étrilleurs.Il faut aussi entendre Lord Bendover rouler ses r dans «Rable Rouser». On reste dans le mélange toxique de puissance et de décadence sadienne. Ces démons du Crust bouffent la motte du rock et en sucent les lèvres goulûment. Tout est embarqué au final révolutionnaire. Ils tapent «High Falutin’» à la dementia de heavy rock. Ils jouent leur va-tout avec une sorte d’indécence cathartique, leur gros boogie semble sortir d’un caveau glacé. Dans le son, tout se télescope. «Persona Non Grata» semble traversé par les pires fléaux de l’humanité sonique. Ils enchaînent les vertiges soniques comme des perles et ça continue avec «Boudoir» - Welcome to my bou/ Doir/ Oh oh/ I need you so - Avec ces mecs-là, il faut se méfier, car un cut d’apparence normale peut vite basculer dans l’horreur subliminale. Le solo colle à la peau - Boudoir ! - Ça sonnerait presque comme le «War» d’Edwin Starr, mais avec d’exceptionnelles relances pathologiques. Enchaînement parfait avec «Paradise Lost». Si on aime les albums live, il faut écouter ce chef-d’œuvre de pur jus. Ils partent en jive de solo destroy oh boy. On note la présence de chœurs de Dolls dans la fournaise - The next one is also simple and also pleasant. It’s called Old Money - Voilà comment Lord Bendover amène «Old Money» Et ça explose. Ces démons ne lésinent pas. Ils vont vite en besogne, ils n’épargnent aucun canard boiteux. On ne peut que les comparer à Motörhead pour leur magnifique brutalité. Lord Bendover jette ses dés avec «Tell Mother I’m Home». Il drive son gang et ça reste bien dans l’explosivité des choses du Crust. Du son, rien que du son. Une leçon de son. On reste dans la fournaise avec «We’ve Finished With The Finishing School». Tout est là : le solo dévastateur, l’incendie du Reischtag, et l’explosion d’Hiroshima. Ils terminent ce premier disk avec un «Cream Of The Crust» joué à la pire cisaille de l’univers. Et oui, le pire c’est qu’il y a deuxième disk dans la boîte. Aussi hot que le premier, sinon plus. Tiens, voilà un coup de génie «Who’s Who Of Love», monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’». Les Crust en font leur truc, bien relentless, ils dépravent le rock jusqu’à l’oignon, ils riffent jusqu’à plus-soif, ils valent tout l’or du Rhin et le solo incendie la forteresse de la Bastille. Encore plus énorme, ce balladif perverti qu’est «Matron» - When she was young - On sait comment ça va se terminer. Princes & kings ont des mains baladeuses. Heavy as hell. Ils savent créer la sensation forte. Ça s’embrase littéralement sous nos yeux globuleux. Fabuleux shoot de Malmaison, on adore les Crust car ils font bander le rock - It’s called Bleed me ! - Et ça repart de plus belle en heavy rffing. The Crust are on the rocks. Ils deviennent faramineux, les solo coulent comme de l’or fondu dans la gorge du Consul de Rome capturé par les Parthes. Il faut aussi rappeler que ce disk deux démarre en trombe avec «Once More Into The Breeches», véritable blast de heavy rock mauvais comme une teigne, ce rock lourd, sourd et perverti qui ne fait pas dans la dentelle. Le solo coule comme une rivière de lave entre les seins d’une courtisane. Ils enchaînent ça avec «She Speaks The Vulgar Tongue», pas de répit, c’est complètement transfiguré à coups de vitriol, solos déments, énergie considérable. On tombe plus loin sur le spectaculaire «20 Faces» chauffé à blanc, et même à l’ultra-blanc. Il n’existe pas sur cette terre de gang plus dépravé que les Mighty Crust. Ils jouent avec la même énergie que le MC5. Les solos valent bien ceux de Wayne Kramer. Quel bon blast ! Lord Bendover annonce bien ses cuts : j’ai trouvé l’amour ! «Eureka I Found Love». On imagine que c’est dans l’anus d’une courtisane dévouée. Lord Bendover sait ménager ses effets. On rôtit en enfer grâce à «Luncheon». Tiens, encore une dégelée avec «Little Rickshaw Boy» emmené ventre à terre et ils montrent comment exploser un balladif avec «Everybody’s Equal». Quelle science de la subversion ! Ils envoient de gros paquets de mer, c’est d’une rare puissance. Tout ce qu’on aime dans le rock.
Leur nouvel album Delusions Of Grandeur vient de paraître. On les voit tous les quatre au dos de la pochette perruqués de frais et l’air peu avenant. Le coup de Trafalgar s’appelle «Frippery & Froppery». Il s’agit là d’un gros clin d’œil au divin Marquis. Ils y explosent leur voûte, ça chante à l’extrême raout sadien, un peu à la manière de Chris Farlowe. Ces gens-là disposent de pouvoirs surnaturels. S’ensuit un big heavy romp intitulé «Set For Life/ I Beg To Differ». Ça stompe dans la gueule du rock - I’m set for life - C’est explosif et saturé de violence. On croit entendre un hit monté sur des vieux retakes de juke, mais les Crust explosent tous les jukes du monde au money to burn - I beg to differ - Lord Bendover est un démon. Sur cet album, tout est joué à outrance, avec des guitares partout. N’oublions pas qu’ils posent dans la rue avec des Flying V et des Dan Electro. Attention, cet album est d’une rare violence. Ils font couiner Little Castrato de plaisir en le grattant sévèrement. Et puis voilà «Out Of The Mouths Of Babes» - She look so good/ She looks so fine - Les voilà devenus les maîtres du heavy rock de Boston, ils allument tout aux renvois de hits - She plays a game/ She plays a part - Ça plombe et ça burne à tout va, ils rivalisent d’ampleur avec le MC5, ça ciboulote la ciboulette, les mots se consument dans l’exaction protubérante. Nous voici rendus en Place de Grève avec un «Heads Will Roll» d’une violence digne de Motörhead. Ils pétaradent comme mille diables et ça cavale à la Fast Eddie. Quelle bande de destructeurs ! Rien ne saurait leur résister. L’album dépasse l’entendement, les perruqués de Boston défoncent la mémoire des annales et sur le tard, l’un de ces mauvais nobliaux arrose tout d’un solo de lave infectueuse. Ils tapent «Flagrante Delicto» à la cloche de bois et riffent leur petite affaire avec une rare violence. C’est un uppercut sonique fait de dentelles, de violence, de beat, de bois et d’ébats. Il a été surpris en flagrant delicto, avec un killer solo flash à la clé. Nouvelle dégelée éruptive avec «The Pleasure’s All Mine» - Place my card on the servant’s tray - Voilà un dude entreprenant - Now we’re gonna be face to face - On entend ronfler les accords de dingue comme un incendie - You’re too kind/ The Pleasure’s all mine - On trouve des vieux relents d’early Kinks dans le riffing.
Le mot de la fin revient à Lord Bendover : we are travelling in individual private steam-powered airplanes, eating foie gras and being waited on hand and foot by handmaidens and footmen (nous voyageons à bord d’avions à vapeur privés, où l’on déguste du fois gras que nous présentent des servantes et des valets de pied).
Signé : Cazengler, l’in-Crust
Upper Crust. Let Them Eat Rock. Upstart Records 1995
Upper Crust. The Decline & Fall Of The Upper Crust. Emperor Norton Records 1997
Upper Crust. Entitled. Reptilian Records 2000
Upper Crust. Delusions Of Grandeur. UCL 2017
Upper Crust. Vive le Rock # 48 – 2017
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L’on avait aimé. Rappelez-vous, c’était le 21 février 2020, à Troyes, au 3 B dans l’antre rockabyllien de Béatrice Berlot. Pour ceux qui sont atteints d’Alzheimer, voir notre livraison 453 du 27 / 02 / 2020, le Twangy & Tom Trio avait donné un concert éblouissant, trois sets incandescents, nous avaient en prime même refilé une info en douce, la possibilité de nous refaire le coup des trois mousquetaires, rajouter un quatrième homme à leur trio torride. Vous êtes désormais prêt à comprendre le titre de leur album.
Une superbe pochette, cartonnée, l’artwork est de Sam ‘’Milouf’’ Roux, très belle mise en scène outside looking in du photographe Olivier Prévost, vous ouvrez la première portière pour entrer dans la caisse, vous sautent à la gueule les clichés de scène des deux premiers passagers, Phil Twanguy penché sur sa guitare comme s’il couchait une fille dans l’herbe bleue du Kentucky. Long John bouffe d’angoisse bleue ses doigts et son harmo, vous ouvrez la deuxième, Gégène vous attend, tient le manche de sa contrebasse comme un gourdin, un peu à la manière, pour ceux qui ont vu le film, de Justice sauvage ( 1973 ), un western moderne à regarder avant tout pour ses paysages typiquement américains, sur le deuxième volet Little officie sur sa batterie, l’affiche le regard énigmatique du reptile qui s’apprête à frapper. L’on remercie Claudine Clodelle pour ses quatre photographies saisissantes.
FINALLY FOUR !
THE TWANGY & TOM TRIO
( Twang 03 / Juin 2022 )
Phil Twangy : guitars & vocals / Long Tom : harmonica & backing vocals / Gégène : Upright & electric bass / Little : drums
Special guest : Yvec ‘’Captain’’ Louët : backing vocals, maracas, tambourin.
Huit titres, et non douze, ce choix délibéré est hautement symbolique, le groupe serait capable de remplir un coffret de cent titres, rockabilly oblige, l’on opte pour le 25 cm et non pour le 33 tours. De même l’on mêlera reprises ( racines ) et compositions ( perpétuation ).
18 miles from Memphis : choix pertinent, la désignation du lieu originel et la renaissance opérée par les Stray Cats. D’entrée la guitare klaxonne, et la voix rauque de Phil secoue le cocotier, l’harmo de Long Time déchire la métrique rythmique de violents éclairs – le Trio a laissé tomber ce son de pedal steel guitar qui larmoie quelque peu sur le Rant N’ Rave des Chats Errants ce qui donne à leur morceau des allures d’orchestration des titres d’Eddy Mitchell enregistrés à Memphis ( j’va me faire des ennemis ) - sur le solo de Tom, Gégène vous festonne en sourdine des entrechats de contrebasse, patte de velours sur verres brisés crissant. Le petit Little vous mène le beat infatigable jusqu’au bout de la nuit. Full moon : pleine lune, ce coup-ci prennent la course en tête, ne suivent plus personne, sont eux et ça ronronne méchant, suivent leur route et ne lèvent pas le pied de l’accélérateur, une voix qui fonce et bouscule les obstacles, tout le reste au même niveau, jettent de l’essence dans la fournaise, zébrures de Tom, cloche-pieds de Gégène, giclées de guitare, et pousse-au-crime de Little. L’on n’est jamais davantage soi que quand l’on est soi-même. Phénoménalement juste. I can’t sleep at night : deuxième compo, très différente de la première, course poursuite entre guitare et harmo, autant dire entre le rockab et le blues, se tiennent tous les deux au pantalon et aucun des deux n’entend lâcher prise, autant se fracasser dans le fossé que de laisser le champ-libre à l’autre, derrière la galopade tambourine pour leur envoyer des billes sous les souliers, perdent souffle mais ne se rendent pas, nous ne saurons jamais si l’âme du blues et du rockab ont vraiment trouvé le repos à la fin du morceau. Pour être honnête nous pensons que non. C’est mieux ainsi, pour nos futures nuits blanches. Jungle rock : un vieux titre de Hank Mizell, le genre de scie musicale qui vous coupe en deux à la première écoute, le morceau de gloire pour Little et les maracas, disons-le Mizell n’arrive pas à la cheville de Bo Diddley, pas de panique Long Tom et son harmonica vous insuffle les litres de sang noir qui manquent à l’original, sous les pavés la plage disait-on, ici ce serait plutôt sous le délassement la vraie vie rimbaldienne qui palpite. I ain’t had no lovin’ : retour aux compos et aux racines, ce que l’on appelle en littérature le retour au classicisme, quoique l’harmonica de Long Tom joue le rôle du grain de sable qui tombe sur un nid de frelons et déclenche l’inquiétude des promeneurs innocents. Ce titre fonctionne comme une piqûre de rappel, le Twangy & Tom Trio use d’un rockab subtil dont le pendule oscille entre fidélité et modernité. The Jinx : la belle arnaque. Nous en tomberait une comme celle-ci chaque matin au petit déjeuner que nous serions heureux. Juste un instrumental. Pour le plaisir de jouer. De montrer ce qu’ils savent faire. Sans se prendre la tête. Tout doux. Carquois narquois. Un western sans coups de feu. De la finesse, de petites flammes qui vous rôtissent un dinosaure de trente mètres de long (n’est-ce pas Tom ) en deux heures. La porte qui grince, et le tueur que vous redoutiez s’approche de vous… pour une petite sieste revigorante. Discrètement délicieux. These boots are made for walkin’ : l’on en profite pour faire la bise à Nancy et à la moustache de Lee, Phil vous la chante à la sardonique, sa guitare sonne à la Buddy Holly et Long Tom grimace sur son harmo, quant aux deux autres ils poussent l’air de rien le feu sous la marmite de la colère rentrée. Sainte Vierge je crains que cette interprétation insidieuse n’obtienne l’approbation des ligues féministes ! Right behind you baby : l’on a débuté par le revival, l’on termine par l’original, rien de mieux qu’une pette tornade rockab de derrière les fagots enflammés pour délester notre triste humanité de ses miasmes malfaisants. Personne n’a jamais mieux fait que Billy Lee Riley mais à ce niveau-là ça n’a pas d’importance, le quatuor fonce droit derrière et s’en donne à cœur joie, Phil se défonce la voix, Tom entortille ses entrailles sur son instrus, Little s’entraîne à imiter le bruit de l’armoire de sa grand-mère qui s’écroule sur le plancher et Gégène ne se gêne pas pour faire bourdonner sa basse comme la reine des abeilles. L’en coule un miel empoisonné qui vous terrasse un grizzli en moins de deux secondes. Un régal.
Au total, une pépite rockab a rajouter au trésor amassé depuis soixante-dix ans. Authentique et actuel.
Damie Chad.
ELVIS, HEARTBREAK DESTINY
Il y a quarante-cinq ans, le monde apprenait la disparition de celui qu’on nommait le King. Pour souligner cet anniversaire de la mort d’Elvis Presley, que dire encore de celui qui bouleversa la musique, la société, son époque ? Le défunt lucratif, c’est clair, ne cesse d’être exploité.
Cependant – et enfin – une chose est certaine : Elvis, le film de Baz Luhrmann, sorti en salle en phase avec cette date, est éminemment positif et juste. Elvis est enfin réhabilité selon son essence même. C’était un artiste. Un immense artiste tenu en laisse.
Elvis chantait Heartbreak Hotel.
Il aurait pu chanter Heartbreak Destiny.
Ce souffle angélique, ce visage qui l’était tout autant, ce talent si pur – un énigmatique enchantement…
Car que sait-on des êtres que tous connaissent et que personne, pourtant, ne parvient à véritablement cerner ? Que des perceptions, des chatoiements du joyau qui brille sans jamais s’éteindre.
Des angles pour raconter Elvis, il y en a de nombreux. Les femmes, l’argent, les parasites, le colonel Parker, Priscilla, les accointances avec la mafia, les drogues, le talent, le gigantesque succès, sa fille…
Peut-on vraiment le découvrir, même avec ces loupes?
Repartir à zéro, sous le seul éclairage de la famille, est sans doute la voie la plus sûre pour appréhender un parcours, quel qu’il soit.
Comme on sait, trente-cinq minutes avant son arrivée en ce monde, en cette vie, Elvis perdit son frère jumeau, Jesse Garon, mort à la naissance. On imagine aisément les premières heures du petit Presley ; il est celui qui reste, l’autre, celui qui a survécu. Gladys pleure amèrement l’enfant mort tandis qu’elle berce le vivant. Bien sûr, ce n’est pas la faute d’Elvis si son frère n’a pas vécu, mais devant l’accablant chagrin de sa mère, comment pourra-t-il, en grandissant, ne pas s’interroger à cet égard ? L’enfance, la jeunesse, la vie entière d’Elvis seront imprégnées de ce deuil. Jesse envahit tout, le cœur de sa mère, celui de son jumeau, la maison de Tupelo, une bicoque qui, un jour, sera visitée par des millions de gens fouinant dans tous les coins à la recherche de l’introuvable. Elvis vit avec un spectre à qui on voue un culte, qu’on arrache en vain au ciel, le plus souvent possible à genoux devant sa petite pierre tombale. Gladys enseigne à Elvis à aimer son frère, à prier pour lui, à l’invoquer et surtout à ne pas l’oublier.
Étant donné que Vernon, son père, est souvent absent (au point de passer un long moment en taule), voilà qu’Elvis assume une nouvelle responsabilité : soutenir Gladys dans cette autre peine. La mère et le fils s’aiment éperdument, vivent en fusion, Gladys comptant sur son seul fils alors qu’elle racle les fonds de tiroir pour assurer leur subsistance. Elle ne sera pas déçue : promis à un avenir grandiose, Elvis compensera au centuple la souffrance causée par l’absence du jumeau et les défaillances du père.
Certes. Mais tout cela lui coûtera cher, et Gladys sera la première à le déplorer.
Au moment où il enregistre son premier disque (l’intention est de faire une surprise à sa mère), la chance souffle. Les choses s’enclenchent. Dans son coin de pays, le sud de ses frères noirs, transes et gospels, Elvis devient rapidement connu, et encensé. Tout en lui est original, avant-gardiste, audacieux, autant que spontané ; ses gestes frénétiques, ses hanches insolentes, sa bouche enjôleuse. Il institue une nouvelle façon d’être alors qu’il ensorcelle la jeunesse de tout un pays et bien au-delà avec sa voix douce et chaude comme des larmes, puissante et fluide, virilement suave – une voix d’esclave blanc. Elvis est le héraut de la liberté. Le messie du rock. Cependant, alors qu’il vit hanté par Jesse, et bientôt par sa mère qui meurt au début de son ascension, il n’a pas droit, lui, à la liberté qu’il défend si totalement. Son destin est christique.
Elvis est une machine à rentabilité, à succès. Le colonel Parker, son agent, lui fera grimper les échelons de la gloire sans jamais – ou presque – respecter les désirs de l’artiste qui l’enrichit. Or Elvis en est un, authentique, profondément lui-même, peu à peu massacré par ces exigences. Les fans savent les films que l’idole ne souhaitait pas tourner (pour la plupart), les chansons qu’il ne voulait pas chanter même si elles dépassaient les frontières et rapportaient des fortunes (It’s now or never…), l’interdiction de tournées en Europe. Très rapidement, Elvis est claquemuré dans des hôtels de Las Vegas, affublé de costumes clinquants, cuirassier du show-biz. Désormais, alors que dehors on vit, il chante devant des parterres remplis de « mémères endiamantées », comme le précise parfaitement le journaliste Daniel Lesueur. La bête de scène s’est transformée en bête de cirque.
Pendant ce temps, la nouvelle génération (bien près de lui) poursuit, elle, et pour l’ancrer, la véritable révolution. Ces artistes surgis du Royaume-Uni, des States et bientôt d’Australie – autant dire nés de sa colossale impulsion – envahissent des stades, envoûtent les foules, centuplant les décibels, imposant un son nouveau, lançant le hard, le glam, le métal, le trash et tous ses dérivés, établissant un nouveau règne anarchique d’une force nucléaire. La Terre a bougé.
Elvis, qui a tant compté dans ce séisme décisif, en est réduit à se donner de tout son être dans des amphithéâtres aseptisés et moquettés du Nevada – aliéné du public à ciel ouvert. Le rock qu’il a si bien servi lui a échappé. Le pauvre King, l’inspirateur de ceux qui sont venus à sa suite et qui maintenant le dépassent dans leur démesure, ne sort plus de cet antre dans lequel le colonel Parker l’a crucifié. Sait-il au moins que la plupart de ces rock stars se réclament de lui ? En effet, la liste pourrait se dérouler sur des kilomètres ; il est touchant d’entendre Keith Richards lui rendre hommage, Johnny Hallyday en parler avec un respect qui donne la chair de poule, et de songer à Robert Plant qui l’admirait tant qu’un des plus grands moments de son existence fut de se retrouver avec lui, un soir, dans sa loge, dans une ville américaine. À cette occasion, le secrétaire précisa aux membres du band britannique de ne surtout pas parler au King de ses chansons, expliquant qu’Elvis, cette immense idole au demeurant simple et avenante, détestait traiter de ce sujet…
Mais Plant ne résista pas. Avant de prendre congé d’Elvis, il se jeta presque sur lui pour lui dire merci, je t’aime, tes chansons sont extraordinaires, je les connaissais toutes par cœur, tu m’as ébloui ; devenant, l’espace d’un instant, un groupie surexcité.
La rencontre se prolongea. Elvis était heureux de discuter de ce qui avait bercé la jeunesse de ces stars aux cheveux longs, à moitié nues, ornées de chaînes et de tatouages, libres ! Quelle ironie.
Peu de temps après, il mourut.
Elvis délivré de son poids dans tous les sens du terme. Depuis le jour où la planète vibra à l’annonce de sa disparition, quarante-cinq années sont passées. Et pourtant, ne serait-ce qu’à Graceland, où les foules défilent, toujours nombreuses, voire plus que jamais, son esprit résiste. Que n’a-t-il donc pas dit, condamné au mutisme comme son frère mort ?
J’aurais tant voulu vivre…
J’aurais tant voulu être.
Marie Desjardins
Publié le 19 Août 2022 dans Presse PROFESSION SPECTACLE ( Revue Web ).
BEST N° 2
MUSIQUE – STYLE – POPCULTURE
(Mai 2022 - 162 pp – 15 E )
Se mookerait-on des vieux rockers, Best, la mythique rivale de Rock & Folk, la cadette délurée qui avait misé sur l’éclosion punk alors que la vénérable aînée s’amusait à repeindre les dinosaures moussus, squatte à nouveau de manière fort impromptue les kiosques. Après vingt ans d’absence ? Pas croyable ! D’ailleurs quand j’ai eu le numéro 1 entre les mains je l’ai vite remis sur son rayonnage, pire que la baleine blanche, l’épaisseur du cachalot mais pas grand-chose dans le ventre, si un poster comme dans l’ancien temps, mais que de vide, des articles de trente lignes perdues dans l’écume des blancheurs stériles, des photos couleurs certes, par côté texte portion congrue. A première vue rien de bien folichon, ah, si une belle photo et un article pas très long sur Alicia F ! Déjà on leur pardonne d’exister et on se promet de passer au scalpel le numéro 2.
Le voici ! La couverture ne vous procurera pas un orgasme pictural, dans l’édito le rédac-chef Patrick Eudeline – tiens il a aussi une chronique dans le R & F d’août, la rivalité Best R & F serait-elle une ficelle du même calibre que Beatles versus Stones – annonce une mauvaise nouvelle, conséquence de l’augmentation du prix du papier s’est imposée la suppression du poster… Par contre tout de suite après c’est la grosse amélioration, l’œuf de l’autruche est rempli à ras-bord, pas tout à fait comme La recherche du temps perdu mais si l’ensemble ne fait pas Proust, l’est loin de faire prout !
Prenons le temps de regarder la partie immergée de l’iceberg. Les dessous cachés : pas tant que cela. Cette nouvelle mouture n’est pas un geste gratuit. David S. Kane promoteur de l’aventure n’est pas là pour perdre son argent, encore moins sa dernière chemise. Se lance dans une drôle d’entreprise, doit susciter son lectorat, le public de niche-rock, caution essentielle, a pris de l’âge, squatte déjà les maisons de retraite et bientôt ne tardera pas à encombrer les cimetières, lui faut donc enrôler de nouvelles phalanges de lecteurs, attirer à lui une jeunesse qui ne lit plus sur support papier et qui n’écoute plus comme tout être humain normalement constitué du matin au soir et du soir au matin exclusivement du rock’n’roll, signe évident de la proximale déchéance de l’humanité bien plus inquiétant que le dérèglement climatique dont on nous rebat et rabat sempiternellement les oreilles.
Z’en gros faut s’adapter au public et aux contingences économiques de survie en zone capitalistique. Ne faut pas être grand stratège pour remarquer que si l’une des premières pub pleine page est de Cifonelli, la page 146, section mode, nous présente la maison Cifonelli, spécialisée en costumes classieux, même David Bowie en portait, c’est dire si c’est rock ! En tout cas ce n’est pas un hasard si les gens comme moi ne fréquentent pas ce genre d’endroit… Autre renvoi d’ascenseur, Radio Perfecto une webmusic qui lance PerfectoMusic.Fr ( un spotify rock ) qui a droit à un article et qui dans sa double page de pub offre avec le code Promo Best cinquante pour cent sur l’abonnement Premium de douze mois. Faire feu de tout bois pour survivre est de bonne guerre, toutefois que le client roi courtisé se souvienne aussi qu’il est un être libre.
Plus le chalut est large plus vous ramassez de poissons. Le spectre choisi par le nouveau Best n’échappe à cette loi mathématique du rendement tout azimut, De Serge Reggiani à Orelsan, y’en a pour tous les goûts et toutes les couleurs se marient entre elles, ne pas fâcher les amateurs de la bonne vieille chanson française de qualité, leur prouver que l’on pense à eux, ne pas rejeter les adeptes du rap, l’est sûr qu’il se variétise tellement depuis ces cinq dernières années qu’il ne saurait échauder les oreilles de vastes portions de notre saine jeunesse.
Un dernier truc pour amener les mouches à se poser sur la tartine de miel, présenter le mec que tout le monde connaît sans avoir lu ou même retenu le nom. Ainsi vingt pages sont dévolues au portfolio de Sébastien Micke, photographe attiré de Paris-Match, notre snipper a shooté tout le monde, de Cœur de Pirate à Iggy Pop.
Ne pas sous-estimer le bestiau pour autant. Oui, il y a du rock, l’on peut même s’amuser comme les archéologues à remettre en ordre les couches stratigraphiques. Années cinquante : cocorico l’on ne part pas à Memphis visiter les studios ensoleillés, l’on reste chez nous, en douce France avec ce très méchant macaque de Mac Kac – méfiez-vous de la variole du singe – le batteur qui n’avait pas perdu ses baguettes dans un tonneau de goudron, un bel article de Jean-William Thoury qui remet la pendule du rock français à l’heure, juste un peu avant le trio Henri Salvador – Boris Vian – Michel Legrand. N’oublions jamais les ignominies que le second a écrites sur Elvis Presley.
Années soixante, années fastes, un topo de Jean-Albert Baudenon sur les managers véreux ( ce qualificatif n’est-il pas inutilement redondant ) et les frères Kray, de véritables kraypules, comme l’on en fait encore aujourd’hui, qui eurent maille à partie avec le sorcier des manettes Joe Meeks, espérons que les anges aient pris soin de son âme… l’article le plus palpitant du numéro, de la plume d’aigle de Pierre Hecher.
Années soixante-dix : Julien Deléglise nous narre les premières années du hard rock français, Océan, Trust, Warning, Variations, ne râlez pas, l’en cite d’autres, mais l’on sent que c’est juste le bas de la première vertèbre de l’épine dorsale de ce qui un jour ou l’autre deviendra un bouquin… Par contre plus loin, l’on vous raconte que loin du punk il y avait Patrick Juvet et la disco…
Années quatre-vingt, je triche, à eux seuls ils cochent toutes les décennies du rock, les Stones, pas tout à fait eux, les acolytes plus ou moins anonymes qui sont sur scène et qui assument une bonne part du boulot. Qui trop étreint mal embrasse, dans le six-cent soixantième de R & F, l’interview de Chuck Lewel nous en apprend plus que les diverses fiches récapitulatives de Best.
Tapent aussi dans l’actualité, ne sont pas fous, les belles histoires c’est pour endormir les grands enfants, les benjamins réclament des légendes qu’ils peuvent vivre à leur tour. Peut-être la partie la plus risquée. Je vous laisse découvrir par vous-mêmes. L’on peut tout de même tirer quelques éléments de structuration du magazine, sont ouverts et la part de la France n’est pas la portion congrue. Un choix qui se révèlera payant. J’aime à prophétiser. Dans le désert. Surtout si personne ne m’écoute.
Deuxième révélation mais tout le monde s’en doute : n’oublient ni le cinéma ( un très beau Qui a peur de Lucy Gordon de Caroline Calloch, elle a su vivre et mourir vite ) ni la BD, ni les mangas, ni les livres ( et encore moins les écrivains ), même pas les tatoueurs, n’hésitent pas non plus à présenter ce prince du rockabilly français qu’est Victor Huganet.
De fait ils cherchent à capter l’esprit de l’époque, morcelé, biseauté, fragmenté, et la tâche n’est pas facile. Faut leur reconnaître qu’ils ont du courage. Parviendront-ils à faire jaillir une cohérence de tout ce patchwork, est-ce seulement souhaitable, si notre réalité est kaléidoscopique pourquoi tenter d’y mettre ordre et unilatéralité ? En quoi l’incohérence des choses du monde serait-elle d’une nature inférieure à son contraire ? Nous ne savons si nous marchons sur des cendres ou sur des semences s’exclamait voici deux siècles Alfred de Musset. Aujourd’hui j’ai l’impression que nous n’en savons pas plus que l’auteur de Lorenzaccio. Apparemment le Best historique était pour reprendre une expression de Jean Giono un lanceur de graines. Souhaitons à cette nouvelle mouture le même futur. Comme le dit le proverbe austro-hongrois, ceux qui mourront ne le sauront pas.
J’ai laissé de côté bien des aspects et bien des pages qui méritent tout autant attention et lecture. N’espérez point que l’on va tout vous dire. Read it yourself !
Damie Chad.
LE CERCLE SACRE
MEMOIRES D’UN HOMME-MEDECINE SIOUX
ARCHIE FIRE LAME DEER
( Terre Indienne / Albin Michel 1995 )
Les indiens foulaient la terre sacrée d’Amérique bien avant la naissance du rock ‘n’roll ce qui n’a pas empêché Archie Fire Lame Deer de travailler avec Elvis Presley. Sont tous deux nés en 1935, enfants ils ont tous deux connu la misère, mais malgré les gouttes de sang indien légué par son arrière-arrière-arrière-grand-mère cherokee leur communauté de destin s’arrête là.
Archie Fire Lame Deer a disparu en 2004. Sa vie ne fut pas un long fleuve tranquille, elle se résume en quelques mots : né indien, il est devenu indien. Orphelin il est recueilli par son grand-père. Ours Rapide ne possède rien, une pauvre cabane de rondins. Mais c’est un résistant. Il vit de peu et ne manque de rien. A chaque instant il transmet à l’enfant, coutume, savoir, esprit, sagesse, histoire, esprit de révolte, la mémoire de cette vie indienne originelle, celle d’avant les blancs.
Archie n’en échappera pas pour autant à la réalité indienne, celle des vaincus, condamnés à subir la honte, à supporter les outrages, le racisme des blancs, l’inaction forcée, les salaires misérables… A la mort de son grand-père, son oncle ne s’oppose pas à son instruction, il partagera le sort de ses enfants enfermés dans les pensionnats des missionnaires qui vous inculquent l’amour de Jésus à coups de fouets… Il s’échappera…
A dix-sept ans il trichera ( tout comme Gene Vincent ) pour s’engager en Corée, ce n’est pas qu’il ait envie de faire la guerre, c’est que l’avenir ne lui offre rien d’autre, si ce n’est traîner dans la réserve, boire, se mêler à des bagarres, une espèce de sauvageon pour reprendre une expression ministérielle…
Des horreurs de la guerre de Corée il refuse de parler… à sa sortie il entame une longue période de soulographie, qui durera vingt ans, l’adopte une vie de conduite très simple, accepte n’importe quel boulot pourvu qu’il paye bien, finira par devenir cascadeur à Hollywood. Très vite il devient le spécialiste des cascades à cheval, c’est ainsi qu’il doublera Elvis Presley. D’Elvis il ne dit rien, sinon qu’il n’était pas le dernier à boire…
Archie n’est pas tendre avec les réalisateurs et leurs conseillers (ethnologues et universitaires blancs) quant à leur représentation des indiens. Si en Europe Un homme nommé cheval a été reçu comme un western réhabilitant au plus près les modes de vie indienne, les critiques d’Archie frappées d’un simple bon sens historial ne sont point laudatives… Il parviendra toutefois à faire corriger certaines (comprenez pas toutes) grossières erreurs pour le second volet La revanche d’un homme nommé Cheval.
Quittera ce boulot lucratif, ne trouvera pas mieux, sera chasseurs de serpents, l’on sent poindre une lassitude, boit de plus en plus, se bagarre de plus en plus, tape sur les policiers qui viennent l’arrêter, passe ( plus de deux cent fois ) devant le juge, finit au poste pour quelques jours, à peine libéré repart en courant vers le bar le plus proche dans lequel il ne manque pas de s’embrouiller avec le premier assoiffé qui passe à sa portée… jusqu’au jour où lassé de vingt années de beuveries il décide à la minute même d’arrêter…
Sera chargé de prendre en main les jeunes indiens qui n’arrêtent pas de boire, d’entrer et de sortir de prison, l’est un expert, parvient à infléchir la sévérité des juges, devient visiteur de prison, c’est là qu’il rencontre Leonard Peltier qui vient de s’évader mais qui s’est fait reprendre – cette tentative d’évasion ressemble d’ailleurs à une manipulation policière – la rencontre avec le leader charismatique de la cause indienne emprisonné à vie pour l’exemple et un crime qu’il n’a pas commis l’aidera à comprendre la signification d’une rencontre décisive antérieure de vingt années, alors qu’il se trouve pour la première fois de sa vie en face de son père.
Il a vingt ans, et la femme s’avance vers lui, elle vient d’être violemment ovationnée par le public, elle est connue sur le circuit des rodéos, c’est elle qui fait des pitreries pour attirer l’attention du taureau sauvage qui vient de désarçonner son cavalier et qui s’apprête à s’acharner sur son corps, cette femme qui vient de descendre de son cheval, célèbre pour son courage, son audace et sa sveltesse, dans sa longue robe et ses tresses blondes, c’est son père !
Sur le moment il tirera de cette première rencontre amertume et colère, c’est donc cela la fierté indienne, en être réduit à se déguiser en femme, pour faire le clown afin d’amuser un public majoritairement composé de blancs ! Mais maintenant il commence à comprendre, son père est un Contraire, un de ces hommes qui font le contraire de tout ce que la logique exige. Ne pas prendre celui qui s’essuie d’abord et qui ensuite se lave pour un farfelu, un fou, un caractériel, un idiot, rien n’est plus sérieux que cette attitude, elle est là pour rappeler que la majesté de l’Esprit qui commande aux choses et aux êtres vivants, n’est pas absolue mais relative, que le Tout est aussi constitué de son contraire, et qu’ainsi est affirmé la liberté de penser et d’agir des individus.
C’est ce même père homme-médecine qui lui transmettra sur son lit de mort les pouvoirs spirituels afférents à sa charge. Dans la deuxième partie du livre Archie expose les mystères de sa religion, il explique longuement le sens des cérémonies sioux, des plus simples ou plus complexes, de la loge de sudation à la danse du soleil. Il décrit minutieusement les circonstances qui président à la tenue des rituels. Rapporte des anecdotes qui ont trait à la manifestation de l’Esprit.
L’on ne dévoile pas des savoirs sacrés sans danger. Archie en est conscient. Il met en garde contre les faiseurs et les arnaqueurs. Les stages de sagesse indienne à 3000 dollars la semaine… L’on comprend qu’Archie qui a passé sa vie à revivifier les traditions indiennes sent très bien que son enseignement est voué à être phagocyté par le système d’appropriation mercantile importé par les blancs. Que l’identité indienne est menacée, qu’elle a peu de chance de survivre dans le monde qui vient…
Dans une troisième partie Archie raconte sa vie quotidienne, il est marié, il donne des conférences un peu partout, aux Etats-Unis et en Europe. Il entre en relation avec les traditions païennes, trouve des points de convergences ou de troublantes similitudes entre d’antiques cérémonies européennes et indiennes, cherche à rencontrer les représentants de diverses religions du Pape ( très décevant ) au Dalaï Lama, des grottes préhistoriques au Renouveau druidique breton… donne l’impression de vouloir créer un front spirituel commun grâce auquel les traditions indiennes seraient préservées… Ressemble un peu à ces Chefs Indiens du dix-neuvième siècle qui avant d’être vaincus avaient compris qu’ils avaient déjà perdu la guerre. Triste, très triste.
Damie Chad.
LE VIBRATO MUNDI
DIDIER LAUTERBORN
( St Honoré Editions / Février 2022 )
Apparemment il existe deux Didier Lauterborn. Le premier est tout ce qu’il y a de plus dans la norme du moment. Ecrit des livres sur les plantes, ce n’est pas de sa faute, son grand-père tenait l’herboristerie de Manosque, un bon plan quand on est écrivain d’être originaire de la ville de Jean Giono, l’est dans l’air du temps, retour à la nature, les bonnes recettes de l’ancien temps, en plein dans la vulgate écologique, bref tout ce qu’il faut pour que l’on ne parle pas de lui dans un blogue rock ‘n’ roll. Oui mais il y a l’autre celui qui écrit des romans. Qui ne parlent pas de rock ‘n’ roll, ainsi dans celui-ci, son troisième, hormis quatre lignes sur un disque des Who, vous ne trouverez rien d’autre. Normal puisque ce n’est pas un livre sur le rock’n’roll.
Donc il y a l’autre, le Didier Lauterborn qui n’est pas dans l’air (pollué) du temps, puisque ce n’est pas l’actuel, nous le désignerons par le vocable contraire et si nietzschéen d’inactuel, ce qui tombe bien puisque avant d’entrer plus avant dans ce roman nous nous devons de faire un petit détour par Nietzsche. Par l’aspect le plus controversé du philosophe, celui qui a commencé à inquiéter ses amis les plus proches, l’on est souvent trahi par les siens, ils n’ont pas manqué de faire remarquer que le premier signe tangent de la maladive folie de Nietzsche est apparu lorsque le solitaire d’Engadine a dévoilé son concept d’éternel retour. Comment donc ce génie supérieur qui était en train de mettre à bas vingt-cinq siècles de tradition philosophique s’en revenait aux vieilles lunes des fumeuses doctrines stoïciennes, quelle chute, la montagne himalayenne accouchait d’une souris liliputienne…
Si le concept d’éternel retour a fait un flop, Nietzsche le présentait comme la pensée la plus lourde, celle qui vous retombait à coup sûr sur les pieds dès que vous tentiez de l’aborder. La preuve en est qu’aujourd’hui l’on ne s’attarde guère sur ce concept d’éternel retour, on lui substitue le concept d’éternel retour du même, ce qui logiquement est absurde, car le retour du même est impossible car si le même revient, il n’est plus le même mais justement le retour du même ce qui est très différent du même. Donc ce qui revient ce n’est pas le même, mais le retour. Mais le retour de quoi ? Elémentaire mes chers lecteurs watsoniens : le temps.
C’est ici qu’il est nécessaire de faire preuve de finesse. Sans laquelle vous ne comprendriez rien au livre de Didier Lauterborn. Il est facile de se représenter le temps comme un cercle serpentaire qui se mord la queue, lorsque le cercle est terminé il recommence illico à l’instant même où il s’achève, certes il peut commencer éternellement, mais s’il recommence ainsi il ne peut s’arrêter éternellement, puisqu’il recommence… Ne regardez pas le pourtour du cercle mais la surface qu’il encercle, c’est ainsi que Parménide représentait l’Être éternel, à tout instant le cercle s’achève et recommence, en d’autres termes si vous suivez le pourtour vous restez dans la présence de l’instant qui passe, mais si vous considérez l’espace éternel décrit par la courbe qui l’entoure, vous comprenez que vous pouvez aussi bien marcher dans votre présence, que dans votre futur, que dans votre passé.
Ce genre de raisonnement donne le vertige. Les esprits qui s’accrochent aux petites herbes de la paroi de l’abîme vous demanderont de révéler la preuve de vos dires. Le roman de Didier Lauterborn s’emploie à vous l’apporter. Il ne s’agit pas de dire mais de démontrer. L’a sa théorie. Ceci est du ressort de la mathématique et de la physique. Nul besoin d’être fort en math. Vous pouvez suivre. Sans trop de mal. Mais sans trop de bien non plus. Disons qu’aux déductions intuitivement logiques du Tractacus Logicus de Wittgenstein, Didier Lauterborn use plutôt des démonstrations axiomatiques de l’Ethique de Spinoza. Le roman démarre sur du solide, difficile de trouver plus terre à terre et plus local, dans une propriété viticole, aux mains d’une grande famille, l’on se croirait dans une série télévisée, tout ce qu’il y a du plus classique, et d’autant plus rassurant que ça se passe à notre époque, le lecteur n’est en rien dépaysé… Pour la petite histoire Didier Lauterborn s’était lancé dans l’écriture d’un roman policier lorsque le confinement l’a emmené à revoir son projet. Brutalement enfermé chez lui il prit le temps de réfléchir, l’a eu l’opportunité comme tout le monde de se poser des questions, et pourquoi ceci et comment cela… Notamment du genre et pourquoi l’on est confiné et comment cela se fait-il… Heidegger l’affirme : si vous voulez savoir ce qu’est la philosophie, il suffit de se poser la question pour commencer à philosopher. Tout est question de synchronicité.
N’empêche que les ouvrages d’Heidegger sont un peu astringents, alors Didier Lauberton vous a simplifié la tâche, vous raconte une histoire bizarre et étrange, qui se lit facilement, qui vous happe, et qui vous emporte, vous pouvez ne pas y croire, et le traiter de tous les noms d’alligators qui vous passeront par la tête, vous pouvez y croire et le considérer comme le nouveau prophète ou analyste politique des temps modernes, vous pouvez surtout vous mettre à réfléchir à votre tour et à vous demander ce qu’il veut dire en racontant son histoire. Le roman offre plusieurs niveaux de lecture. Notre présentation en a choisi une, il en est d’autres, beaucoup plus contemporaines et actuelles, chacun y trouvera ce qu’il y apportera. Essayez d’être subtil afin d’être utile à vous-mêmes.
Un livre très rock’n’roll en somme.
Damie Chad.