Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

morlocks

  • CHRONIQUES DE POURPRE 706 : KR'TNT ! 706 : MORLOCKS / JERRY REED / SWELL MAPS / BOB STANLEY / ROBERT KNIGHT / ROCKABILLY GENERATION NEWS TELESTERION / DOORS / GENE VINCENT +CHRIS DARROW

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 706

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 10 / 2025

     

     

    MORLOCKS / JERRY REED / SWELL MAPS

    BOB STANLEY / ROBERT KNIGHT

     ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TELESTERION /  DOORS

        GENE VINCENT +  CHRIS DARROW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 706

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

    - À la vie à la Morlocks

    (Part Three)

             Après quelques années d’errance dans le désert, on finit généralement par perdre pas mal de choses : du poids, c’est évident, mais aussi sa fierté et ses complexes. L’avenir du rock n’échappe pas à la règle. Il se sent même tellement décomplexé qu’il se prête naturellement à quelques fantaisies : il donne libre cours à des fantasmes.

             — Et si la mort n’existait pas ?, énonce-t-il d’un ton jovial. 

             Délicieusement surpris par la clarté préraphaélite de sa logique, il ajoute :

             — Puisque je suis en vie, ça veut donc dire que la mort n’existe pas !

             Quelle fabuleuse évidence ! Il adore cette idée. Il l’alimente. Il la dorlote, il l’emmène partout avec lui, il en fait des slogans :

             — L’oisiveté est la mort de tous les vases !

             Il regorge tellement d’ingéniosité événementielle qu’il se met à chanter:

             — La mort qu’on voit danser le long des golfes clairs !

             Et puis un jour, alors qu’il traverse une immense étendue caillouteuse, il voit un nuage de poussière s’élever à l’horizon. C’est un chameau ! Il approche rapidement. Oh mais c’est Lawrence d’Arabie ! Encore lui ! Quelle erreur celui-là ! Il est encore pire que moi, se dit l’avenir du rock !

             — Alors Lawrence, pas encore mort ?

             — Pfff... La mort ne m’intéresse pas, puisqu’elle ne peut être vécue.

             — Suis d’accord avec vous Lawrence, la mort c’est de la merde !

             — Pire que ça, avenir du rock, c’est de la merde turque !

             — Arrrrgggghhhh, vous êtes vraiment un gros dégueulasse Lawrence ! Vous allez me faire gerber !

             — Bon c’est pas tout ça, avenir du rock, j’ai encore des trucs à faire. Salut, mec, à la prochaine !

             — À la vie à la Morlocks, Lawrence !

     

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             L’avenir du rock est assez fier d’avoir réussi à caler son petit slogan. Il n’a donc pas perdu toute sa fierté, comme on le supposait. Et de son côté, Leighton Koizumi n’a rien perdu de sa fantastique animalité. Il se dresse dans le paysage garage-punk comme un bloc de granit, il paraît indestructible, merveilleusement wild as fuck. Il

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

    avoue sur scène atteindre la soixantaine, mais tout en lui dit le contraire, il reste notre screamer américain préféré, le dernier survivant d’une lignée qui remonte à Gerry Roslie et qui passe par John Schooley, Frank Black et Jimbo. Leighton Koizumi est le dernier roi du scream américain, de la même façon que Wild Billy

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

    Childish est le dernier roi du scream anglais. Ce n’est pas le même genre de scream. L’anglais est assez pouilleux, assez délinquant, assez peau-sur-les-os, c’est le scream des kids qui fuck you, le scream des kids qui s’en battent les bollocks, le scream des kids qui ne craignent ni la mort ni le diable. Le scream américain est plus reptilien, plus démesuré, il fait appel à une notion inconnue en Europe qui est celle de la

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

    frontière, le scream d’une vie qui ne tient plus qu’à un fil, mais d’une vie quand même, le scream des plaines qui s’étendent à l’infini, le scream des scalps et des chariots brûlés, le scream d’une vie culturelle qui n’existe pas, le scream d’une «nation» de colons bâtie sur la destruction des autochtones et l’esclavage, c’est aussi le scream du Vietnam, le scream d’une société maudite. C’est un scream hanté, le scream d’une violence endémique, et ce géant en perpétue la tradition avec une élégance stupéfiante. Si tu veux voir un showman à l’œuvre, c’est lui. Il est l’une des

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

     plus pures incarnations d’un genre éculé par tant d’abus qu’on appelle le garage-punk. Sa presta est d’une pureté absolue. Le set des Morlocks est conforme aux canons. Il pleut des hommages : hommage à Robert Johnson avec un «Killing Foor» tapé au pilon des forges, un autre gros clin d’œil au 13th Floor avec «You Don’t Know» et surtout cette cover ultra-puissante du «Teenage Head» des Groovies, et là, oui, tu montes jusqu’à ton cher septième ciel. 

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             On voit régulièrement les Morlocks en France. La dernière fois, c’était à Toulouse, en 2020, et petit détail macabre, c’était le dernier concert de Gildas (Hello Gildas). Retourner voir les Morlocks sur scène, c’est donc une espèce de pèlerinage - Hello darkness my old friend - Bernadette est toujours là, Gildas le connaissait bien. Bernadette qui est un guitariste qui jouait dans un groupe de garage allemand, les Gee-Strings. Cox est là, elle aussi, au premier rang. Première rencontre à Binic en 2019, où elle faisait une petite interview de Gildas à la terrasse du Nerval pour son fanzine. Alors on renoue, et Gildas n’a jamais été aussi présent. C’est ce qu’on appelle communément une communion. Spirit in the sky.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

    Signé : Cazengler, la (mort) loque

    Morlocks. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 30 septembre 2025

     

     

    Rockabilly boogie

    - Jerry Reed n’a pas pris une ride

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Dans ses liners pour The Rocking US Male, Roland Heintich Rumtreiber rappelle que la Georgie est le pays des grands guitar pickers, à commencer par Blind Willie McTell. Puis il va droit sur l’outstanding Jerry Reed. Né pauvre, Jerry chope sa première gratte à l’âge de 7 ans - I picked up the guitar at age seven and never put it down again - On appelle ça une vocation. Il devient vite the hottest picker in town, et Bill Lowery lance sa carrière à Atlanta. Puis il lui décroche un contrat chez Capitol. Lowery voit du potentiel dans le jeune Jerry et le pousse à composer.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Alors attention, on entre dans le cœur du mythe : Capitol et Ken Nelson. Ce nom ne te rappelle rien ? Ken Nelson ? Mais oui, le producteur de Gene Vincent. En 1956, à la fin d’une session chez Capitol, Ken Nelson demande à Jerry de composer un catchy tune pour son «rockabilly hopêful Gene Vincent». Jerry rentre au bercail et compose aussi sec  «Crazy Legs» que Gene et les Blue Caps enregistrent quatre jours plus tard.  Puis Jerry rejoint le backing band de Ric Cartey, the Jiv-A-Tones.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Jerry va ensuite s’installer à Nashville. Parmi ses admirateurs se trouve Chet Atkins. Ils vont devenir amis. Chet signe Jerry sur RCA en 1965 et veille sur la qualité des enregistrements. Jusqu’alors, personne n’a selon Chet su capter le vrai son de Jerry. C’est exactement ce qu’il entend faire en 1967 avec The Unbelievable Guitar And Voice Of Jerry Reed. C’est là que se trouve la pépite du diable, «Guitar Man» et son wild rockab drive. C’est d’une véracité à toute épreuve. Jamais un cut n’a aussi bien taillé la route. Sur le même album, on trouve «US Male» qu’Elvis va aussi reprendre. Heavy Jerry ! Superbe ! Il développe du génie pur. «Woman Shy» est aussi puissant. Jerry Reed est un wild cat in the deep. Il met encore du chant dans ton oreille avec «I Feel For You». C’est toujours ça de gagné. Ce mec Jerry te met dans sa poche, cut après cut. L’heavy groove infectueux ? Il a ça dans la peau, comme le montre «Take A Walk». Il reste l’un de ces fabuleux cats d’undergut dont le Deep South a le secret. Tu te régales encore de «Love Man» et de son claqué d’acou en travers. Il gratte «If I Promise» à l’espagnolade. Tu sors de ta torpeur et tu danses au bar de la plage avec les plantureuses de service. Jerry Reed est l’artiste complet par excellence : voix, poux, compos, tout est bon. 

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Elvis est au volant quand il entend «Guitar Man» sur son auto-radio. Pouf, il veut l’enregistrer. Ce qu’il fait à Nashville en septembre 1967. Mais aucun de ses guitaristes ne réussit à choper le funky feel de la version originale. Même pas Scotty Moore. Alors un mec conseille à Elvis de faire venir Jerry Reed. Jerry débarque au Studio B de RCA. Quand on l’a prévenu, il était à la pêche depuis plusieurs jours et il n’a pas eu le temps de se changer. Il arrive en bottes crottées et en vrac. Elvis adore ça. Ils s’entendent tout de suite très bien et ils ne font que deux takes de «Guitar man». Quand les sbires du Colonel coincent Jerry pour lui demander de céder ses droits, Jerry les envoie sur les roses. Fuck you ! Comme l’a fait Chips.   

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             L’année suivante, il enregistre deux albums, Alabama Wild Man et Nashville Underground.  Le morceau titre d’Alabama t’envoie direct au tapis : forte présence vocale à la Jerry Lee. Son «Alabama Man» est monté sur la carcasse de «Guitar Man». C’est de bonne guerre. Il reste encore coincé dans son Guitar Man pour «Broken Heart Attack», petit tatapoum vite fait bien fait, et puis on tombe sur le coup de génie de l’album : «Free Born Man». Prestance à la Tony Joe White, mélange de Steve McQueen, de Chips Moman et de guitar genius. Il adresse ensuite un gros clin d’œil à Boyce & hart avec une cover de «Last Train To Clarksville», oh no no no. On trouve aussi une Beautiful Song sur cet album : «Losing Your Love», montée sur des arpèges atonaux. Une vraie merveille à la coule. Il combine encore tous ses talents sur «Maybe In Time» : big power et easy going.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Nashville Underground peut se targuer d’avoir l’une des plus belles pochettes de l’histoire du rock américain. Toujours cette sacrée présence vocale, mais Jerry Reed devient plus commercial. Petite pop, c’est vrai, mais belle voix. Plus aucune trace du wild cat. Nashville a fini par lui limer les dents. Bon la voix, bon le truc, bon le machin, mais zéro slap. Il revient s’inscrire à merveille dans le Guitar Man avec «Save Your Dreams», qu’il chante d’ailleurs avec une voix de rêve, sans doute par souci de cohérence. Il revient aussi à son cher heavy groove avec «Almost Crazy» et «You’ve Been Cryin’ Again». Il profite de «Tupelo Mississippi Flash» pour faire du gros rumble de Tupelo.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Sentant qu’il va virer country, on teste un dernier RCA : Better Things In Life. On espère y retrouve l’éclat de ses deux premiers albums sur RCA. Il est tout de suite là avec son mix de Tony Joe White, de vieux gratté et de lay my burden down. Il gratte ses petites conneries dans «Roving Gambler». Il passe un solo aux petits oignons dans «The Likes Of Me» et te gratte sa vision du blues dans «Blues Land» : superbe heavy blues jump ! Tu te prosternes. Il fait du story telling à la Tony Joe White dans le front porch de «Johnny Wants To Be A Star». Il joue bien sa carte vermoulue. Puis il refait son Elvis dans «Oh What A Woman» et tape un véritable numéro de surdoué avec «Swingin’ 69». C’est pour ça qu’on est là.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

    Glen + Jerry

             Puis dans les années 1970, Jerry va devenir un habitué du ‘Glen Campbell Goodtime Hour’ à la télé. Rumtreiber n’en finit plus de rappeler que Jerry est resté Jerry toute sa vie - What’s wrong with being happy? - Il jouait pour le fun, spontaneous and efforless, alors que les autres semblaient sérieux et concentrés. Jerry est toujours resté funky and soulful - He was a mean son of a gun, a rocker, and a damn hot picker - when you’re hot...

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             En 2022, Bear sort un 25 cm, The Rocking US Male. Tu t’attends à monts et merveilles. T’as effectivement le fameux «Guitar Man» qui avait bien tapé dans l’œil d’Elvis. Très intriguant, voilà «You Make It They Take It», un petit comedy rock à la Coasters, mais ça joue au pulsatif rockab. En B t’as encore cet «US Male» taillé sur mesure pour Elvis, mais le coup de Jarnac s’appelle «I’ve Had Enough» : pur rockab, slappé dans les règles, fabuleux shake de shook, Jerry boppe son blues. Diable comme ça swingue ! Chapeau bas aussi pour «Have Blues Will Travel» : Jerry gratte son riff raff comme un punk. Et puis, glissé dans la pochette avec le fat booklet, t’as un CD 25 titres qui reprend les cuts du 25 cm, bien sûr, mais t’as plein d’autres choses, notamment «The Great Big Empty Room», un heavy groove de rockab, il te tape ça sous le boisseau, avec le poids du slap et l’éclat du chant. Il chante encore comme un cake sur «Teardrop Street» et revient au heavy romp avec «Your Money Makes You Purly». C’est une merveille jouissive, avec ces chœurs de filles. T’es vraiment frappé par l’incroyable qualité des cuts, et ça continue avec «I Can’t Find The Worrds», un swing de balladif : il y claque le solo que passe Burlinson sur Train Kept A Rollin’. Et pour finir, Jerry le crack accompagne Ric Cartey sur deux cuts déments, «Heart Throb» (on se croirait chez les Cramps, Jerry gratte comme un punk et Ric sonne comme Lux, exactement le même son !) et «I Wancha To Know», un fast rockab d’excelsior, fouetté à la peau des fesses par un swinger fou. Et Jerry te claque l’un des solos de son siècle.  

    Signé : Cazengler, ridé

    Jerry Reed. The Unbelievable Guitar And Voice Of Jerry Reed. RCA Victor 1967

    Jerry Reed. Alabama Wild Man. RCA Victor 1968

    Jerry Reed. Nashville Underground. RCA Victor 1968

    Jerry Reed. Better Things In Life. RCA Victor 1969

    Jerry Reed. The Rocking US Male. Bear Family Records 2022

     

     

    Wizards & True Stars

     - Swell Maps on the map

     (Part Two)

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Les Anglais saluent royalement la résurrection des Swell Maps : quatre pages dans Uncut, et deux dans Mojo. Tu crois rêver. Que nous vaut cette avalanche de pages merveilleuses ? La parution des John Peel Sessions !

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Jim Wirth qualifie les Swell Maps de punky outsider artists. C’est beaucoup plus que ça. Les Swell Maps sont les chantres de la modernité du rock anglais, au même titre que Syd Barrett, Paul Vickers et Lawrence. Apparemment, Nikki Sudden avait une facilité à composer - I write songs like I drink a cup of coffee or read a book - I just do it - Et il ajoute ça qui en dit long sur ses mensurations : «I can’t see ourselves becoming too polished, note-perfect and all that.» Nikki est punk dans l’âme, c’est-à-dire just do it et no note-perfect. Wirth parle encore d’un chaotic mix of Can and T. Rex. Il rappelle ensuite qu’entre 1978 et 1980, les Swell Maps ont sorti deux albums et quatre non-album singles. Puis il passe aux influencés, parmi eux Sonic Youth (attirés par le filthy guitar sound), les Pastels (attirés par le rudimentary, free-form style, c’est-à-dire le dégingandé) et surtout Luke Haines au temps des Auteurs qui qualifiait des Swell Maps de «British Velvet Underground». Wirth qui est outrageusement bien documenté rappelle encore qu’au commencement, les Swell Maps ne juraient que par les Faust Tapes (their blueprint) et qu’ils ont expérimenté chez eux à Birmingham jusqu’à l’éclosion du post-punk DIY frenzy. John Peel va flasher sur le premier single, «Read About Seymour» (qu’on retrouve bien sûr dans la première Peel Session de 1978). Quand ils sont arrivés au studio de la BBC à Maida Vale en octobre 1978, les Swell Maps ont flippé quand ils ont vu que l’ingé-son portait un T-shirt ELO, mais ça s’est bien arrangé. Ouf !

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             John Dale attaque son hommage en citant les précurseurs des Swell Maps : Buzzcocks, Desperate Bicycles et Raincoats. Les Swell Maps se présentaient comme «a multi-headed hydra inhalating a galaxy dont les constellations comprennent les grooves hypnotiques de Can et de Faust et the minimalist pop poetry of Marc Bolan.» Dale dit évoque aussi the furious creativity of the Godfrey brothers, c’est-à-dire Nikki et Epic. Et Bolan remonte toujours à la surface. Nikki : «As Soon as I heard T.Rex, that was it.» Dale parle encore d’«out of control rock’n’roll action» et d’«hypnotic mesmerism». Il parle encore d’un groupe «barely in control of themselves». Puis il rend hommage à ce fantastique batteur qu’est l’Epic, «able to drive songs to their relented climax with fire, throwing in accents that lift the songs to their next level, pushing things ever forward.»

             Mais le groupe va exploser lors d’une tournée en Italie et donc à la veille d’une tournée américaine. Chacun va partir de son côté, «Nikki as a post Stones troubadour, Epic as a Wilson and Nyro devotee, Jowe as a peripatetic avant-popster.»

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Dans l’interview qui suit, Jowe Head explique que les Swell Maps existent encore et qu’il a enregistré en 2021 un album, Polar Region, avec des cuts qui datent du first incarnation of the band. Alors, il les a développées. Howe indique en outre que le groupe était beaucoup trop créatif à l’époque. 

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             À l’époque du Trip To Marineville, t’étais déjà complètement effaré par la modernité des Swell Maps. Avec les John Peel Sessions qui viennent de paraître, c’est mille fois pire. Cette modernité te saute à la gorge, et franchement, tu adores ça. Tu ressens exactement ce que tu ressentais à l’époque où tu découvrais The Spotlight Kid, à l’époque où tu découvrais d’Angelo, à l’époque où tu découvrais  le Who Else de Jeff Beck, le Songs And Other Things de Tom Verlaine, et t’avais encore autant de modernité chez Junie, chez Huey Piano Smith, chez Mozart Estate, chez Big Joanie, dans le Five Legged Dog des Melvins, dans le Buy de James White, chez les Dawn Of The Replicants. Autant de modernité qu’il n’y en avait chez Tzara et Guillaume Apollinaire.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Ces John Peel Sessions dégoulinent littéralement de modernité. L’«International Rescue» enregistré en octobre 1978 grouille de vie. C’est du rock exubérant. «Harmony In Your Bathroom» sonne comme du punk rock aventureux. C’est Fantômas en Angleterre, de la même façon que Tav Falco est aujourd’hui Fantômas à Bangkok. Les Sweel Maps dégagent une énergie primitive. L’«Another Song» sonne comme le «Time’s Up» des Buzzcocks. Même son et mêmes chœurs ! Ils flirtent avec le Magic Band dans «Full Moon In My Pocket». C’est à la fois osé et balèze, c’est même indécent de modernité. Absolument essentiel !

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             En mai 1979, ils attaquent une deuxième Peel Session avec «Armadillo» et un son plus offensif. C’est nettement plus militaire. S’ensuit un «Vertical Slum» gratté sévère et sérieusement emporté de la bouche, c’est taillé à la serpe avec un sax free qui entre dans la danse. Tu vas continuer à rôtir dans l’enfer de la modernité avec «Midget Submarines». Nikki gratte ça au gras double de Kraut de bic et l’Epic te bat ça si sec. Quelle overdose d’overload ! Ils ont cette assurance dodelinante du beat Kraut, confiant et lourd comme un bœuf, et Nikki te groove ça avec tellement d’avance sur son époque.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             La troisième Peel Session date de mars 1980. Elle est un peu moins dense. On retrouve un énorme beat anglais sur «Helicopter Spies». Leur son est plus libre. Ils règnent sans partage sur l’indie rock britannique.

    Signé : Cazengler, Swell Naze

    Swell Maps. The John Peel Sessions. The Grey Area 2025

    Jim Wirth : The lost boys. Mojo # 383 - October 2025

    John Dale : Swell Maps. Uncut # 343 - October 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Stanley your burden down

    (Part Four)

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Motown ! On est au cœur de Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. PolyBob plonge dans Motown comme s’il plongeait dans le lagon d’argent. Plouf ! Il commence par dire que Motown a pris la suite du Brill et en a amplifié l’éclat. Puis il rappelle que les Beatles étaient dingues de Motown et qu’ils tapaient des covers des Miracles et des Marvelettes sur leur deuxième album. Motown, nous dit l’hyper-exubérant PolyBob, avait des mélodies qui passaient bien à la radio, aussi bien que celles des Beatles et des Beach Boys - The sound of young America. Its roster was obscenely rich in talent, and lurking unseen in the backroom was a rhythm section that was just about the best pop has ever seen, even now - Et quand tu ne t’y attends pas, PolyBob te fait un croche-patte au bas d’une page : «Yet Gordy built Motown one piece at a time, and it barely cost him a dime.» L’autre arme secrète de Motown, c’est bien sûr Holland/Dozier/Holland : 11 number ones pour les Supremes, pendant les sixties, «more than anyone except the Beatles». Gordy ne voulait pas créditer les musiciens sur les pochettes, parce qu’il voyait Motown comme une marque de qualité, comme General Motors - Si vous achetez une nouvelle voiture, disait-il, vous n’avez pas besoin de savoir qui a monté le carburateur - Le seul qui n’aime pas Motown, c’est Eric Burdon : il trouve que c’est de la Negro music blanchie - Motown is just too pretty for me - PolyBob se demande alors si Burdon a écouté l’«Heatwave» de Martha & The Vandellas. Il conclut en affirmant que Motown était là pour faire danser la young America - In this respect, nobody did it better.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Dans le chapitre ‘1966: the London look’, PolyBob épingle l’absence de Totor, qui s’est retiré du business après le flop inexplicable de «River Deep Mountain High». Il parle ici d’un homme qui avait fait «more than anyone to progress the sonic impact of pop.» En 1966, Londres est devenu le centre du monde, «and the Rolling Stones were its embodiment, the ultimate dandy pop stars for louche aristocrats to be seen with.» Cette année là, «Reach Out I’ll Be There» et «Good Vibrations» sont des number ones - In a way they were the ultimate number ones - Eh oui, il n’a pas tort, PolyBob, tu n’en as plus des masses, des number ones de ce niveau. Il fallait en profiter, à l’époque. Dans le même chapitre, il rend hommage à Frankie Valli et à son unearthly falsetto, et pour lui, le «Walk Like A Man» des Four Seasons est la plus parfaite incarnation de New York. Dans la foulée, il rend hommage à Bob Crewe qui a lancé les Four Seasons, et ensemble, ils ont créé ce que Crewe appelle «a fist of sound», «a harder counterpart to Brian Wilson and Phil Spector West Coast teen symphonies.» C’est du même niveau. Avec ces pages intenses, PolyBob ne fait que rappeler un truc de base : ne commets pas l’erreur de faire l’impasse sur les Four Seasons. Il profite d’ailleurs de ce crochet par Valli pour saluer Lou Christie qui vient tout juste de casser sa pipe en bois - He’s probably worth a book of his own - Et pour finir, PolyBob recommande l’écoute de Paint America Love. C’est grâce à l’une de ses compiles, State Of The Union (The American Dream In Crisis 1967-1973) qu’on a découvert cet album.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             On reste à Londres en 1966 avec les Troggs et les Hollies. PolyBob se mare bien avec les Troggs, insinuant que Larry Page les trouvait tellement rudimentaires (so lacking in charisma and grace) qu’il rebaptisa le chanteur et le batteur avec les noms des two most stylish people he could think of - Elvis Presley and James Bond. Et toujours selon PolyBob, les Troggs n’auraient dû être qu’un one-shot band avec «Wild Thing» - But it turned out that Reg Presley was a decent songwriter who could capitalize on their limitations - Ils sont donc devenus les premiers poster boys, et les premiers alternative heroes dans une liste qui comprend Big Star, the Go-Betweens and Nick Drake. Et quand il rend hommage aux Hollies, PolyBob rend surtout hommage à Tony Hicks, «maybe British pop’s most underrated guitarist». Et pour situer les Who, PolyBob te sort ça : «Si les Hollies were the straightest, then the Who were the wildest.» Et puis bien sûr les Kinks, et cet hommage vibrant à Ray Davies : «His incisive satire made him the Wyndham Lewis of his day.»  

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Il tape à nouveau dans le dur avec les Beach Boys. Hommage spectaculaire à l’autre géant de la pop américaine, avec Totor, Brian Wilson, qui «grew up with younger brothers Dennis and baby Carl in Hawthorne, California. Along with cousin Mike Love, they sang harmonies around the kitchen table.» Voilà le génie de PolyBob, il nous restitue les racines d’un mythe dans le quotidien d’une famille californienne. Plus loin, il explique que les Beach Boys ont recyclé le sonic thunder de «Wipe Out» et de «Pipeline», et ajouté dans le mix the Four Freshmen-styled harmonies they had sung since childhood, et nous dit PolyBob, «ça aurait pu sonner creux (a bit daft), a one-off novelty at best, but instead this combination came over as the promise of a never-ending summer.» Quand tu lis ça, tu l’as dans le baba. Ses petites formules tapent chaque fois en plein dans l’œil du cyclope. PolyBob formule merveilleusement bien les choses du rock. On sent le fan en lui. Le fan qui sait dire les choses comme il faut les dire. On en croise pas des masses dans la vie, des fans comme PolyBob. Il revient inlassablement à son cher Brian Wilson, un homme qui reste mélancolique, bien qu’étant le leader du biggest pop group in America et qui n’a alors que 23 ans - Sometimes I feel very sad - et quand il se met à expérimenter avec Pet Sounds, le cousin Mike Love l’avertit sèchement : «Don’t fuck with the formula.» Brian, nous dit encore PolyBob, aurait bien aimé continuer à chanter les Four Freshmen sur sa little Honda, mais la pression de la famille et de la record company, combinée aux fioles de LSD, l’ont vite envoyé valdinguer par-dessus bord (eventually tipped him over the edge). Puis Brian annule la participation des Beach Boys à Monterey, il arrête Smile et fait comme Totor, il se retire. Alors les Beach Boys font paraître ce que PolyBob qualifie d’«emasculated Smiley Smile». À l’époque, on avait tout de même l’impression que Smiley Smile n’était pas si emasculted. Enfin, puisque PolyBob le dit...  Puis vient le temps des règlements de comptes : «Dennis and Carl were dead and Mike Love - for his part in the collapse of the Beach Boys - was possibly the most reviled person in all of pop.» Brian refait surface avec l’aide des Wondermints et joue Smile sur scène. Et PolyBob refait son messianique : «Crawdaddy’s Paul Williams encapsulated the feel of the Beach Boys music in three words: warmness, serenity, friendship. For this reason, there is more love directed at Brian Wilson than anyone else in this book.» C’est une phrase qu’on relit plusieurs fois car sa résonance est réelle. PolyBob dit ce qu’on aurait aimé dire avant lui. Grâce à lui, on sait maintenant dire pourquoi on aime Brian Wilson à la folie.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Puis notre inépuisable PolyBob file droit sur San Francisco et Los Angeles, et on croise dans ces pages touffues le mixed-race hardnut Arthur Lee, qui, au temps de l’early Love, vivait en communauté dans l’ancienne maison de Bela Lugosi qu’on appelait the Castle. Un Arthur Lee who modelled his vocals on crooner Johnny Mathis. Et puis on finit par tomber sur un premier point de désaccord. PolyBob prétend en effet qu’après la désintégration de Love en 1968, «Lee’s subsequent career was rarely more than disappointing», ce qui est complètement faux, puisque Four Sail reste pour nous le meilleur album de Love. C’est la première fois qu’on surprend PolyBob en flagrant délit de faute de goût. Alors, on décide de le surveiller de plus près. Même un messie mérite une tarte dans la gueule.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Bizarrement, à la page suivante, PolyBob refait un faux pas en évoquant Syd Barrett : il affirme que Syd voulait être une pop star, alors que dans A Very Irregular Head, Syd affirme exactement le contraire. Il ne voulait surtout pas devenir une pop star. Syd n’était pas un mec vulgaire. On passe aussi sec à Jimi Hendrix et à la formation miraculeuse de l’Experience  - They gelled like no trio before or since - Et Jimi devient le A-grade showman que l’on sait, «he claimed to be from Mars, dressed outrageously, was both boyishly and sexual as hell.»

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Dans son chapitre ‘Soft rock’, PolyBob évoque les Mamas & The Papas et leur cover du «Dedicated To The One I Love» des Five Royales - the sexiest lullaby you ever heard - Puis il rend hommage à Nilsson : quand on demandait aux Beatles quel était leur artiste américain favori, ils répondaient Nilsson. Et PolyBob se fend d’une délicieuse anecdote : «Un lundi matin, à 7 h, Nilsson reçoit un coup de fil. ‘Is that Harry?’ This is John.’ ‘John who?» ‘John Lennon.’» Lennon l’appelle pour le féliciter et lui dire que son album est fantastique. Le lundi suivant, à 7 h du matin, il reçoit un autre appel : McCartney, qui lui dit la même chose. Alors le lundi suivant, Nilsson se lève de bonne heure et attend le coup de fil de Ringo, mais Ringo n’a jamais appelé.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             On reste chez les géants avec Burt et Dionne Warwick que PolyBob décrit comme une «improbable-looking woman with a jutting jaw, Martian hair, and wide, oval eyes that conveyed no emotion whatsoever.» En parlant d’elle comme ça, il frôle le blasphème. Elle était donc, nous dit PolyBob, «the perfect foil for Bacharach’s ever more odly constructed songs, with their staccato thrills and cool, clipped, offbeat rhythms.» Et il conclut sur ça qui vaut encore le détour : «Bacharach-produced Dionne Warwick albums were an essential component of any sixties apartment.» Quand il saura composer des cuts comme ceux Burt, on l’autorisera à ricaner sur le dos de Burt. En attendant, c’est loin, très loin d’être le cas.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             PolyBob glisse logiquement sur Scott Walker et sa «combination of florid woe and art-house angst.» Il rappelle au passage que Gary Leeds avait été le drummer des Standells. Il rappelle aussi que les covers que fit Scott Walker de Jacques Brel sont emotionally bettered by no one - Walker abandonned himself in hymnal orchestral pop - tout au long de ses «five starling solo albums between 1967 and 1970.» PolyBob passe ensuite tout naturellement à Jimmy Webb qui avec «By The Time I Get To Phoenix», devient soudainement «the biggest thing since Lennon & McCartney». Mais le pire est à venir avec «MacArthur Park», en 1968, «the longest single that had ever reached the American Top 10 - It was an elaborate mansion of a song, with doors opening onto a new room full of inexpected treasures every thrity seconds or so.» Mais les hippies, croasse encore PolyBob, ne pigent rien au «someone left the cake in the rain».

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Dans la foulée, il nous rappelle que Dave Godin a inventé la Deep Soul. Northen Soul, c’est encore lui - He was gentle and private, and found he got the most pleasure from music when it was slow and fervent - PolyBob cite quelques cuts de Deep Soul (George Perkins’s «Cryin’ In The Streets», Timmy Willis’s «Easy As Saying 1-2-3», Doris Allen’s «A Shell Of A Woman», et une dizaine d’autres) avant de conclure ainsi : «Hear Betty Harris’s ‘What Did I Do Wrong’ or Irma Thomas’s ‘Wish Someone Would Care’ and you can understand why people like Dave Godin devoted their lives to it.»   

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Creedence ! PolyBob est fasciné par le «run of tight, loud, instant classic hit singles, something almost no one else managed in those years.» En 1969, ils étaient «America’s hottest act» et en tête d’affiche de Woodstock, manque de pot, ils passèrent après le Grateful Dead qui terminèrent leur set à 3 h du matin, et les gens dormaient. Puis les deux frères Fogerty vont se fâcher et ne s’adresseront plus jamais la parole. Dans le chapitre suivant, PolyBob attaque les Monkees - The Monkees are one of pop’s greatest conundrums - c’est-à-dire l’une des plus grosses énigmes. PolyBob prétend qu’ils ont détrôné les Mamas & The Papas et déstabilisé Brian Wilson : il exagère un peu. Les Monkees n’étaient pas aussi bons qu’il veut nous le faire croire. Écoute les albums et tu verras. Il y a à boire et à manger. PolyBob prétend aussi qu’il y a du Dada dans la série TV qu’ils tournent avec Bob  Rafelson : encore de l’exagération. La série n’est pas si bonne, même si John Lennon prétend que ce sont le nouveaux Marx Brothers. En fait, les Monkees sont bons tant que Don Kirshner, Boyce & Hart sont dans les parages. Kirshner veut battre les Beatles à la course et il rameute toutes les stars : Goffin & King, Mann & Weil, Carole Bayer, David Gates, Russ Titelman, puis t’as les cracks locaux en studio : James Burton & Glen Campbell, Al Casey en bass, Larry Knetchel on piano, Hal Blaine au beurre. Ça ne peut que marcher - It was the whole Spector wrecking crew - Et boom, «Last Train To Clarksville» déloge «96 Tears» de la tête des charts. Les Monkees sont mignons et remplacent dans le cœur des kids américains les Beatles qui portent alors la barbe. Ils deviennent le new pop phenomenon. Quand ça commence à grogner chez les Monkees, Don Kirshner débarque de New York avec un chèque d’«a quarter-million dollar for each Monkee». Ça va les calmer, pense-t-il. Au contraire. Ils veulent enregistrer leurs propres chansons, et quand l’avocat de Kirshner leur dit qu’ils ont signé un contrat, Mike Neshmith défonce un mur en placo d’un seul coup de poing et dit à l’avocat «in his best Clint Eastwood voice» : «That could’ve been your face.» C’est là que les choses vont se gâter pour les Monkees : ils perdent les compos. Seul Nesmith s’en sortira plus tard avec sa carrière solo et des albums magiques.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Nous voilà en 1970. Rod the Mod est arrivé en Californie. Greil Marcus l’épingle : «Rarely has a singer had a full and unique talent as Rod Stewart. Rarely has anyone betrayed his talent so completely». Eh oui, on n’a jamais pardonné à Rod The Mode d’avoir enregistré ses albums pourris. PolyBob est assez cruel sur ce coup-là : «Que peut-on attendre d’un working-class kid qui a grandi à Archway Road et qui s’est installé en Californie, qui dîne au champagne et qui savoure les grappes de raisin que lui proposent des blondes nubiles. C’est vrai qu’il a trahi son talent, mais il n’a pas trahi ses racines.»

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Dans son chapitre ‘Electric Soul’, Polybob rend hommage à Sly et à George Clinton - Sly & the Family Stone were the most goodtime groupe since the Lovin’ Spoonful. Their spirit was irresistible - En un an, ils ont transformé la Soul music. «How ? it’s all there in their first hit ‘Dance To The Music’ : thumping fuzz bass, doo-wop harmonies, propellant drums, topped off with a Minnie The Minx yell of ‘all squares go home!’. En trois minutes, chaque chanteur et chaque instrument get their moment in the spotlight, it had the feel of a Sunday-school riot, the same giddy spontaneity as ‘Be-Bop-A-Lula’, with the random, exultant shouts.» PolyBob a l’air de jerker quand il écrit ça. Et ils se marre, se demandant si Sly s’est posé la question : pourquoi personne n’avait pensé à cette formule avant lui : «He took the live excitment of the Stax soul revue, grafted on James Brown’s functional, rhythm-as-a-pure-state funk and mixed in the heightened airs of psychedelia (The Family Stone were from San Francisco, after all).» On sent nettement l’exubérance jouissive dans les propos de PolyBob. Et il enchaîne aussi sec : «Sly Stone, brother Freddie, sister Rose, teenage Italian American drummer Greg Errico, slap-pop bass pionneer Larry Graham, Motown-loving saxophonist Jerry Martini, and a Californian forest fire of a trumpet player called Cynthia Robinson went from mere stars to superstars at Woodstock in ‘69.» PolyBob compare aussi There’s A Riot Goin’ On aux singles que Norman Whitfield a produits pour les Temptations. Dans la foulée de Sly, voilà Funkadelic et leur message messianique : «Free your mind and your ass will follow.» Des Funka qui font des «loud progressive and polyrhythmic jams that owed as much to Jimi Hendrix as they did to James Brown.» PolyBob arrache Ruth Copeland à l’oubli, en rappelant que les Funka accompagnaient cette belle blanche sur scène en 1971 et qu’elle a enregistré deux astonishing albums, Self Portrait et I Am What I Am. Tout cela nous conduit naturellement aux Isley Brothers qui font entrer Brother Ernie dans le groupe en 1973 pour virer psyché - The atmosphere on their ‘73 album 3 +3 was not unlike Jimi Hendrix guesting on What’s Going On.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Le glam ? It came from the suburbs, rappelle PolyBob. C’est Chelita, la femme de Tony Secunda, qui emmène le jeune Marc Bolan s’acheter des boas et des fringues sexy. Puis devenu superstar, Bolan va se détériorer. Dans Born To Boogie, il se prend, nous dit PolyBob, pour Jimi Hendrix sur scène alors qu’il n’en a pas les moyens - he ended up looking rather brattish - Puis il se mit à se nourrir de coke et de champagne - Bolan ballooned. By the time 1973’s Tanx came out, he looked more Elvis than elfin.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Plus anecdotique : en 1970, de passage à New York, Bowie rend visite à Andy Warhol. Pour se présenter, Bowie fait un numéro de mime. Warhol qui n’est pas impressionné se tourne vers son assistant et demande : «Should we laugh?». Ce qui n’empêchera Bowie de rendre hommage à Warhol sur Hunky Dory, un album, nous dit PolyBob, bourré de chansons extraordinaires - «The Bewlay Brothers» was terrifying - Puis il décide de bâtir sa musique autour d’une image et non d’un son et d’influences : il crée an alter ego, the sci-fi rocker Ziggy Stardust - which enabled him to become a star before he had more than a handful for fans - Ce genre de phrase se savoure, tant elle est paraît délicieuse. PolyBob fait ici du mimétisme artistique. Il écrit comme écrirait Ziggy. Ziggy ouvre donc la porte, et Roxy s’engouffre - They were very much British art-school - Roxy apprend tout de Richard Hamilton, avec un Bryan Ferry qui ressemble à un «coke fiend from an F. Scott Fitzgerald novella, which was entirely the idea.» Eno quitte Roxy en 1973, «as it became clear that Ferry was running the show». C’est ce qu’on n’aime pas chez le Ferry, cette main-mise sur Roxy. Puis PolyBob va faire un nouveau faux pas, affirmant qu’après le départ d’Eno, «Roxy just got better: their two first albums revealed a little too much of their art training and Eno’s departure led to a finer, more unified sound». C’est exactement le contraire qui s’est produit : après les deux premiers albums, Roxy est devenu plus commercial et s’est mis à puer. Une horreur. Bizarre que PolyBob qui a pourtant le nez fin n’ait pas été incommodé par cette horrible puanteur. Avalon ! 

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Il boucle son chapitre glam avec Slade et Mott. Pour lui, c’est du gâtö - Dickensian singer Noddy Holder had a voice like John Lennon screaming down the chimney of an ocean liner - il les décrit un par un, «Dave Hill on guitar had the most rabbity face in the world» (il fait référence aux dents de lapin) et Don Powel mâchait son chewing gum et fixait l’espace en battant le beurre, et même après un terrible accident de voiture où il avait perdu la mémoire, he looked exactly the same, et puis Jim Lea qui avait l’air de vivre chez sa mère et d’élever des pigeons. Eh oui, Slade c’est pas de la tarte, t’as les looks et t’as les cuts, et, encore une cerise, Chas Chandler comme manager. Mais comme T. Rex, ils ne parviennent pas à percer aux États-Unis. Alors en 1976, ils sortent un album appelé Whatever Happened To Slade? - It seemed that nobody knew - Et puis Mott, «a pleasant enough band without suggesting they’d ever catch fire.» Bowie les supplie de ne pas splitter. Alors Ian Hunter, nous dit PolyBob, se marre : «Give us a hit  and we’ll think about it, Dave.» Bowie leur file «All The Young Dudes» - It was the equivalent of Brian Wilson giving Jan & Dean «Surf City» - Et PolyBob se moque de Mott : «They self-mythologized to a ridiculous degree. Giving themselves nicknames like rock’n’roll action heroes - Overend Watts, Ariel bender - They aimed for the sky and they hit the pub ceiling - C’est d’une rare cruauté. PolyBob n’aime pas Mott et les traîne dans la boue. Troisième faux pas. Alors qu’ils enregistrent des classiques impérissables - And just when it was about to get boring, just as glam had run its course, they split en 1975 - C’est faux, PolyBob ! Hunter est allé faire carrière aux États-Unis, abandonnant ses copains comme des vieilles chaussettes. Même histoire que Steve Marriott avec les Small Faces. Comme Bowie l’avait prédit, le glam a duré 5 ans - Glam was constantly aware of its mortality and that is what made it enjoyable.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             On passe directement à la Philly Soul, à Thom Bell et son «Beat concerto» sound. Delfonics («America N°1 sophisticated soul group»), Stylistics (whose singer Russell Thompkins Jr. had an extraordinary falsetto and a look of guenine surprise whenever he hit the high notes), les chansons «sounded impossibly lush and heartbreakingly pure, richer than anything that had gone before.» Voilà Gamble & Huff qui comme Thom Bell viennent d’un Cameo Parkway house band called the Romeos. Ils vont tous les trois apprendre à produire the definitive Philadelphia sound. Les superstars du Philly Sound sont les O’Jays, et la réponse de Gamble & Huff à Motown furent les Three Degrees. Sur la West Coast, Barry White va ramasser trois girls et les baptiser Love Unlimited. «Walking In The Rain With The One I Love» was a masterpiece.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             PolyBob passe sans ciller au «ridiculously talented» Todd Rundgren. Hommage à l’un des albums phares de la grande époque, A Wizard A True Star. Il tape plus loin un chapitre entier sur Abba et salue ces deux mecs, Ulvaneus et Anderson, qui dans leur cabane de rondins suédoise, composent en six ans une série de chansons «which were the best planned, best edited, most hook-filled, polished, economically tight hits of their era - maybe of any era.»

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             On évoquait les ceusses qui laissaient tomber leurs meilleurs potes comme de vieilles chaussettes : en voilà un autre, Graham Nash, qui vaut pas plus cher et qui non seulement abandonna ses potes, mais aussi sa femme et ses kids à Manchester pour aller vivre la belle vie en Californie et baiser la copine de Croz, Joni Mitchell. Puis PolyBob s’occupe du cas de Neil Young. Il épingle deux cuts qu’il aime bien, «Like A Hurricane» et «Albuquerque». Dans la série des hommages qui tapent à l’œil, voici celui qu’il rend à Alex Chiton qui, avec Big Star, inventa la power pop, «using sharp Who edges and bright Beatles harmonies on 1974’s Radio City.»

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Il se montre une fois de plus ambigu sur le cas du MC5, on peut même dire qu’il se grille quand il écrit sur «Kick Out The Jams», «one of pop’s great titles, proved to be a noise in search of a tune. People wanted them to be great, but they spluttered and died.» C’est pas très gentil d’écrire un truc pareil sur un groupe aussi vital que le MC5. C’est vrai que Saint Etienne n’a jamais kické les jams. C’est tout de même assez drôle : on autorise les auteurs à dorloter certains de nos chouchous mais on ne supporte pas qu’ils esquintent la réputation des chouchous les plus importants. Qui est-il ce PolyBob pour oser juger des groupes comme Love, Roxy ou le MC5 ?

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Par contre il se rattrape avec les Stooges, qualifiant leurs deux premiers albums de «refreshing and influential, first to David Bowie («Rebel Rebel» is essentially a Stooges knock-off) then in punk (the Sex Pistols covered «No Fun»), and then dozens of acolytes in the eighties.» Il passe de là tout naturellement au Velvet - Reed and Cale had somehow created a noise so brand new that it tore a hole in pop’s natural state of progression, so sharp and freakish and heart-piercing that it makes me burst out laughing every time I hear it - PolyBob rappelle qu’au temps du Velvet, en 1967, «A Whiter Shade Of Pale» et «All You Need Is Love» étaient en tête des charts. Puis petit coup de projecteur sur les Ramones qui cherchaient à condenser «les hits des Beach Boys, de Phil Spector, et des Shangri-Las into recidivist ninety-second bursts with antagonistic titles.»

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Puis c’est l’épisode punk, avec «Anarchy In The UK» qui «had some of the best lyrics in pop.» Et bien sûr PolyBob ne rate pas l’occasion qui s’offre à lui de traiter Sid Vicious de caricature. Puis c’est la débâcle de la tournée américaine - At a gig in Dallas, Sid was headbutted but carried on playing, blood pouring down his face like a badge of honor. «Look at that», sighed Rotten, «a living circus.» - Quand Rotten quitte le groupe, à la fin de la tournée américaine, «all of pop waited his next move, as it had done with the post-army Elvis and the post-crash Dylan. Listen to Johnny. Johnny Rotten will know what to do.» Et bien sûr, «Public Image» sounded like the future. PolyBob lui rend fantastiquement hommage, indiquant qu’il a fallu dix ans aux groupes anglais «to make guitar sound as intangibly and emotionally unsettling.» Ouais il cite ce «beautiful manifesto» de John Lydon : «I’m not the same as when I began. I will not be treated as property.» Et PolyBob d’ajouter : «Some days, I think «Public Image» is the most powerful record ever made.»

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Dans son chapitre New Wave, il se fout bien de la gueule de Costello qui «wrote pun-packed songs while singing as if he was standing in a fridge.» Puis il cite brièvement Joe Jackson, «a caricature of a caricature» qui «barked like a pissed-up accountant». Comme Léon Bloy, PolyBob peut sortir la hache et frapper dans le tas. S’ensuivent les chapitres Disco et Bee Gees, et bien sûr il n’en finit plus de chanter les louanges de Robin Gibb qui n’a que 19 ans quand il dirige un orchestre de 97 musiciens et un chœur de 60 personnes pour enregistrer «In Heaven And Back». Il conclut son chapitre Bee Gees ainsi : «They wrote a dozen of the finest songs of the twentielth century. The Bee Gees were children of the world.»

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Il sort hagard de son chapitre et enquille avec le Post-punk, c’est-à-dire la Post, comme le disait Gildas (Hello Gildas). PolyBob profite de la Post pour rendre hommage à Peely qui sur Radio 1 devint «a teenage hero». Et bien sûr, le chouchou de Peely, c’est Mark E. Smith & The Fall - Their truculent leader Mark E. Smith combined love of M. R. James ghost stories, Wyndham Lewis Vorticist manifesto and an anti-fashion stance - flares, tank tops, cheap beer and fags. Smith was witty, bloody-minded, and had little time for any music beyond Can, Lou Reed and sixties garage punk - Ce n’est pas un hommage aussi percutant que celui rendu à John Lydon, mais c’est bien qu’il ait associé ces deux héros dans la même page, Peely et Mark E. Smith. Pour saluer l’after-punk américain, il choisit ESG qui furent «the quintessence of New York in 1980», avec leur «tight, super-minimal, super rhythmic pop (two-note basslines, one-note guitar solo, cowbells all over the shop).» Il consacre à la suite des chapitres à Kraftwerk et à l’early rap, ainsi chacun peut y retrouver son compte. PolyBob a tout écouté, donc il peut parler de tout ça dans le détail, et éventuellement t’inciter à écouter des trucs que tu ne connais pas. Dans son chapitre New Pop, il s’attarde sur des machins comme Human League et Boy George, puis retourne aux États-Unis pour Springsteen et Meat Loaf, eh oui, ce sont des passages obligés pour un mec qui prétend raconter toute l’histoire de la pop. Et crack, tu tournes la page et sur qui tu tombes ? Michael Jackson. C’est une époque pourrie. Et ça continue avec Prince et Madonna. T’es pas obligé de lire toute cette daube. PolyBob fait son boulot consciencieusement, il rame dans les Sargasses de la pop, et d’une certaine façon, il atteint ses limites, car jamais il ne réussira à te convaincre d’écouter Michael Jackson ou Madonna. Plutôt crever. Mais à ce stade des opérations, tu lui donnes encore une chance, car il reste quelques chapitres, notamment un chapitre Metal et comme il n’a rien compris au metal, il met là-dedans, tiens-toi bien, Sabbath, Thin Lizzy (!), Deep Purple et Led Zep, puis ça glisse sur Metallica et AC/DC. Puis ça glisse encore dans la ‘Birth of Indie’ avec les Smiths et REM. Il qualifie Morissey de «best lyricist British pop had ever profuced», mais bon, après, il faut aimer les Smiths et c’est pas demain la vieille qu’on ira écouter ça, quoi qu’en dise monsieur PolyBob. Et ça déraille encore sur Phil Collins, toutes les malédictions de la pop culture sont au rendez-vous, semble-t-il. On tombe fatalement sur le chapitre Pet Shop Boys & New Order. Il n’y a que les Anglais pour s’intéresser à ça. PolyBob attaque son Part Five avec un chapitre ‘House & Techno’. Puis c’est l’Acid House & Manchester. PolyBob s’épuise à ramer dans ses Sargasses. 

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Il tente un dernier coup de bluff avec un truc très anglais, beaucoup trop anglais, et voici comment il s’y prend : en fin renard - Quel est votre favorite pop group ? Pas facile, n’est-ce pas ? Je pourrais opter pour les Beach Boys, mais il y a toujours cette difficulté à aimer Mike Love (of loving Mike Love). The Who? Far too patchy. The Pet Shop Boys? They didn’t know when to quit. The Bee Gees? Oh, too much to explain. Si on vous forçait à citer your favorite group of all time, then the Beatles would be a hard one to argue with, but so would the KLF - Et voilà comment il réanime un vieux scoop de la presse anglaise - The KLF - Bill Drummond and Jimmy Cauty - epitomized everything that had changed in pop since acid house. They weren’t young, or pretty, but they had ideas, a lot of good ones, a lot of stupid ones, and they were smart enough to put them into practice - Drummond avait joué avec Big In Japan à Liverpool, et dit à Seymour Stein qu’il avait sorti deux des greatest records of the decade, «Shake Some Action» des Flamin’ Groovies et «Love Goes To Building On Fire» des Talking Heads. Bon alors, est-ce une raison suffisante pour aller écouter KLF ?

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             On se remonte le moral un peu loin avec deux pages stupéfiantes sur les Mary Chain - You can imagine Beach Boys harmonies on «Never Understand» and Mary Weiss would have been the perfect singer for «Just Like Honey». La raison pour laquelle ils ne sonnaient pas comme des sixties revivalists, c’est parce qu’il recouvraient leurs songs with defeaning layers of squalling feedback (...) ce qui n’avait jamais été fait dans la pop - Et une fois encore, PolyBob se vautre quand il évoque le passage de Psychocandy à Darklands : «They ditched the feedback on their second album, Darklands. Now you could hear the tunes and the lyrics, clear as a bell, on «Some Candy Talking» and «April Skies», and they weren’t bad. But the point of the group was entirely lost.» T’inquiète pas PolyBob, si un jour t’écoutes «I Hate Rock’n’Roll», tu verras que le point of the band n’est pas lost du tout. Mais alors pas du tout ! Dès qu’un groupe est un peu trop sauvage ou trop moderne, PolyBob est paumé. On le voit attaquer Spacemen 3 et on craint le pire - It was hard to imagine Rugby group Spacemen 3 getting it together to go to the post office, let alone getting played on the radio - Oui, c’est sûr PolyBob, sauf que Sonic Boom et Jason Pierce comptent encore aujourd’hui parmi les plus belles rock stars anglaises. PolyBob ramène une anecdote : «Lorsqu’ils enregistrèrent leur album en 1987, la fumée de leurs pétards était tellement dense que l’ingé-son devait débrancher l’alarme incendie à chaque session.» Et il termine avec un pauvre petit jeu de mots : «If you wanted a soundtrack to narcotic oblivion, they were the perfect prescription.» Sauf que les albums des Spacemen 3 sont de vaillants classiques, et ça, PolyBob oublie de le mentionner. Faut-il faire confiance à un mec qui se prosterne devant les Bee Gees ?

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Il va se reprendre en saluant Dinosaur Jr et J Mascis, qui «looked like a long-haired kid who’d sit on the toilet for forty minutes at a time reading Marvel comics.» Puis ça glisse tout naturellement sur Kurt Cobain - The Mascis whine, the Mould holler, neither could stand up to the sheer volume of Kurt Cobain and Nirvana - Et il surenchérit avec ça : «Summoning up the hard-rock noise of Led Zeppelin, Black Sabbath and Motörhead as a backdrop, for their underclass concerns, Nirvana became the biggest alternative group in the world.» Et Kurt, nous dit PolyBob, vénérait les Vaselines, Hüsker Dü et les Pixies. Et là PolyBob retombe miraculeusement sur ses pattes. On craignait qu’il n’ose esquinter la réputation de Kurt Cobain.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Il fait un dernier crochet par la Britpop, histoire de saluer Suede et leurs premiers singles, «The Drowners» et «Animal Nitrate», qu’il qualifie de «louche and lithe, clean and classy» - Suede’s artwork and asethetic was simple, and that suddenly seemed sexy - Il aurait pu qualifier ces singles de géniaux. Même Mark E. Smith qualifiait Suede de «best new band in Britain». Et ça se termine forcément avec Oasis - There was no Bowie, Smiths or Syd Barrett in the sound of Oasis, the group they were most reminiscent of was Slade - loud raucous, goodtime music. Liam Gallagher had far and away the strongest voice in Britpop, as rough and ragged as John Lennon on «Twist And Shout» (...) Noel Gallagher, like Marc Bolan before him, had the knack of rewriting his favorite riffs and creating something new and irresistible: «Don’t Look Back In Anger», «Wonderwall», «Cigarettes And Alcohol». And like Bolan, his ego quickly got the better of him - Puis Polybob évoque la «stratospheric fame» d’Oasis, avec ses 8 number ones, «and they blew it - It was a classic working-class tale, rag to riches and back again.» Il compare cette «tragédie» à celle des Bay City Rollers.    

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Malgré ses petits défauts, cette bible est l’une de celles qu’il faut lire, car elle raconte l’histoire de la pop, c’est-à-dire l’histoire de ta vie. PolyBob t’aura au moins orienté sur deux groupes que tu ne connaissais pas : les Wondermints et KLF, et poussé à réécouter toutes affaires cessantes le 3 + 3 des Isley Brothers. C’est déjà pas si mal.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

    Signé : Cazengler, Stan laid

    Bob Stanley. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. Norton 2015

     

     

    Inside the goldmine

     - Knight of white satin

             Personne ne connaissait son nom. On l’appelait Nate. Un Savoyard. Un homme descendu des montagnes. L’œil clair. Un certain âge. Le cheveu gris. Solidement charpenté. Assez haut. Voix profonde. Toujours en pull marin l’été. En caban l’hiver. Il semblait indestructible. Un roc. Un homme austère. Jamais un sourire. Il passait voir les gens pour leur apporter un soutien moral. Quelques paroles de sagesse. Il aidait aussi à résoudre certains problèmes administratifs. Il savait où s’adresser pour obtenir des aides municipales. Il ne demandait rien en retour. C’était un bénévole. Il se mettait au service des gens. Pour le voir, il suffisait de lui laisser un message au tabac-épicerie du coin de la rue. Il fallait lui indiquer l’adresse exacte, le jour et l’heure. Il était toujours ponctuel. Il entrait et s’installait en position de lotus sur le canapé, sans enlever ses chaussures. Il attendait. Il n’ouvrait jamais le débat. Il fallait lui soumettre le problème. Il réfléchissait avant de donner une réponse. On sentait en lui un caractère forgé. Il cultivait probablement un mélange de casuistique et de foi en l’homme. Il ne supportait pas les pleurnicheries. Il appelait ça «les larmes de crocodile». Il affirmait sèchement qu’il existait une solution pour tout problème. Et qu’il fallait fournir un petit effort pour trouver la solution. Il prenait des risques en parlant ainsi à des gens affaiblis par les rigueurs de la vie, mais il le faisait intentionnellement. Passer à l’action était pour lui le seul remède contre la misère du monde, le seul vaccin moral capable de vaincre la gangrène. Il utilisait toute sa force de caractère pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire sauver les gens d’eux-mêmes. Combien de vies a-t-il sauvées, personne ne le saura jamais. Mais ceux qui l’ont connu se souviennent de lui comme d’un saint homme. Un saint homme dur.

     

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Pendant que Nate sauve des vies, Knight met au monde la Soul des jours heureux. Dans leurs domaines respectifs, ils ont joué des rôles fondamentaux. Et plus ces rôles sont insignifiants aux yeux de la postérité, plus ils sont fondamentaux aux yeux de l’infra-monde. 

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Merci Philippe Garnier de nous avoir signalé, au temps des Coins Coupés, l’existence d’Eddie Holman et de Robert Knight, un Robert Knight dont on retrouve d’ailleurs la trace chez Steve Ellis et Love Affair, puisqu’ils vont faire leurs choux gras d’«Everlasting Love».

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Dave Godin nous rappelle les infos de base : Robert Knight est un petit black du Tennessee, qui grâce à Love Affair, va devenir une star de la Northern Soul en Angleterre. On est donc en territoire sacré.

    morlocks,jerry reed,swell maps,bob stanley,robert knigth,rockabilly generation news 35,telesterion,doors,gene vincent + chris darrow

             Alors tu remontes à la racine de l’hit avec l’album du même nom, paru en 1967. Robert Knight chante ça d’une voix blanche et fait de la fantastique dancing Soul. Steve Ellis en fera autre chose. Ça continue sur le même registre avec «Somewhere My Love», un cut assez capiteux, monté sur un petit beat serré et Robert Knight chante pépère à la surface. On s’attache à lui. Ça explose plus loin avec «My Rainbow Valley» que reprendra aussi Steve Ellis; Quelle qualité de dancing Soul ! Il chante comme un vainqueur. Les Anglais ne pouvaient que flasher sur lui. Un vainqueur avec l’accent black, ça devient vite génial. Robert Knight est l’anti-Wilson Pickett, il arrive au même résultat sans screamer. Il tape à la suite une cover de «The Letter», c’est fin et bien enquillé. Il entraîne son monde avec une étonnante facilité. Il n’existe rien de plus propice au bonheur que cette Soul des jours heureux.

             Tant qu’on y est, on peut aussi écouter deux ou trois bricoles, comme «Love On A Mountain Top» (pur jus de diskö-Soul, il finit en apothéose de Soul Brother), ou encore «I Can’t Get Over How You Get Over Me», nouveau shoot de Soul des jours heureux. Te voilà plongé dans l’extrême beauté de la Soul dansante.

    Signé : Cazengler, Robert Nike

    Robert Knight. Everlasting Love. Rising Sons 1967

     

    *

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 35

    OCTOBRE – NOVEMBRE - DECEMBRE

     

    z29721generatoin.jpg

    Graham Fenton sur la couverture. Avant de sauter sur l’article hommagial, il a disparu au cœur de cet été, restons quelques instants sur cette belle photo, remercions Sergio pour ce portrait parlant, ce n’est plus le jeune fan qui accompagnait Gene Vincent sur une de ses tournées françaises, l’est dans son perfecto comme d’autres s’installent dans leurs raisons de vivre, l’homme a vécu, il a partagé bien des combats, et le voici tel qu’en lui-même le rock’n’roll l’a statufié. Baudelaire dirait qu’il a plus de souvenirs que s’il avait mille ans, l’est un peu voûté comme Atlas obligé de supporter le poids de la voûte stellaire sur ses épaules, mais l’on comprend qu’il est un combattant de notre musique, qu’il ne regrette rien, qu’il assume tout, les mille orages, les mille printemps, son regard clair est une invitation impérative adressée à tout un chacun de vivre sans faillir à son propre destin. C’est un Homme qui vous regarde.

    L’on pourrait résumer la vie de Graham en inversant une formule célèbre, on ne devient pas un rocker, on naît rocker. Un privilège, une malédiction comme celle des chacals de Béthune, ou alors ce sont les circonstances qui se plient à notre désir, peut-être inconscient sûrement chevillé à notre volonté, à notre corps et à nos propres représentations mentales, car si le monde exerce une certaine influence sur nous, ayons l’outrecuidance de penser que nous en avons une sur lui. L’a un ange noir, normal c’est un biker, protecteur auprès de lui, son frère aîné qui lui montre les deux chemins à suivre : la moto et les pionniers, du rock’n’roll  évidemment.

    Avec les Houseshakers il se retouvera à accompagner Bo Diddley et Chuck Berry, il participera au festival de Wembley, le coup de tonnerre qui annonce le retour du old good rock’n’roll parmi les peuples qui n’attendaient que la levée des orages désirés. La suite de sa carrière, les Hellraisers et Matchbox. Profitons de cette boîte d’allumettes pour honorer Carl Perkins qui l’avait repris à Blind Lemon Jefferson, car vous savez toute la musique que l’on aime vient du blues. Je vous laisse lire et vous mirer dans les photos. Tout ce que vous avez rêvez d’être. Que vous serez peut-être dans une autre vie.

    Méfiez-vous pour le premier article qui ouvre la revue. Jean-Louis Rancurel vous ouvre sa boîte à images. Nous fait le coup du crocodile qui mord. Nous refile un ange noir. N’est pas noir du tout, mais la première fois que j’ai entendu Vigon sur Salut les Copains, j’avais débarqué en plein milieu de morceau, il ne chantait même pas, il parlait, j’étais sûr que c’était un blackos venu tout droit de l’Amérique, je n’avais même pas remarqué qu’il causait en français, c’était la période rhythm and blues, Sam and Dave, Arthur Conley, Otis Redding, James Brown, Wilson Pickett, et toute la troupe avec leurs fanfares cuivrées, par la suite l’on a appris qu’il n’était pas français mais marocain, un véritable melting pot à lui tout seul. Un véritable météore, un alien dans notre douce France, l’a fait toutes les premières parties des vedettes d’Amérique. Et puis du jour au lendemain plus rien. Que lui était-il arrivé ? Etait-il mort ? Silence radio. Quelques années plus tard un entrefilet dans Rock’n’Folk nous apprenait qu’il était propriétaire d’une boîte de nuit au Maroc… Un goût amer dans notre bouche. L’a fallu trente ans et un mauvais coup du destin, la mort de sa fille, pour qu’il revienne, lisez la suite de cette histoire triste et en même temps merveilleuse pour les fans de Vigon… Notre Cat Zengler nous a chroniqué un de ses concerts à Paris…

    Vérifiez vos chaussures, un serpent s’est glissé dedans, non ce n’est pas un anaconda mais Thibaud Lefaix de Snakes In The Boots, nous l’avons vu, voici trois semaines au 3B à Troyes, l’est tout seul sans ses deux comparses, il se raconte, sans prétention, étonné de son parcours, de ce qu’il sait faire, il prend soin de n’en tirer aucune gloire, rafraîchissant ! N’empêche que l’avenir s’ouvre devant lui.

    Cette fois Julien Bollinger a pris trois pages. C’est que certaines racines s’enfoncent plus profondément dans le sol que d’autres. Ce n’est pas du rock, ne prenez cette mine mitigée, ce n’est pas du country, quittez cet air contrit, ce n’est même pas du blues, n’en ayez pas le blues pour autant. C’est du folk ! Inutile de cracher par terre ou de vomir votre quatre-heure, rien à avoir avec des chansons scoutes. Tout le contraire. Un misérable ! Un guerrier, un battant. Le genre de trouble-fête que l’Amérique de Trump lyncherait avec plaisir, c’est un blanc, un hobo aux idées claires, l’avait une guitare qui tuait les fascistes. Woody Guthrie s’est toujours battu pour les pauvres contre les riches et les capitalistes. Remercions Julien Bollinger d’exhumer cette figure qui représente l’Amérique que nous aimons… Un peu de politique ne peut pas faire de mal.

    Pages suivantes : l’histoire de Christophe et Jessica. Une histoire d’amour certes, mais surtout de voitures et de rockabilly. Une passion pour les voitures et les choppers. Un garagiste, seul au début, oui mais pas tout à fait, la famille (nombreuse) se joint à lui, puis des passionnés qui se greffent dessus, entraide et soutien, et la création de l’Open Garage Mc Coy’s, manifestation publique, pour la neuvième cuvée : customs, hot rods, expos, etc, etc, mais attention la musique adoucit-elle le bruit des moteurs ou le renforce-telle, en tout en ce mois de mai 2025, vingt groupes, en trois jours, une anthologie historiale de la scène française, un truc qui dans quelques années sera devenu une légende…

    Nous clôturons avec la quatrième de couverture et la promesse d’un nouveau Hors-série de Rockabilly Generation News pour le premier janvier 2026. Une année qui s’annonce bien.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 6 Euros + 4,72 de frais de port soit 10,72 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 39 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    S’il est un groupe mystérieux c’est bien Telesterion, non pas parce que l’on ne connaît rien de ce groupe mais parce ce que toute sa démarche s’inscrit dans le Mystère ou plutôt dans les Mystères les plus sacrés, ceux de l’antiquité grecque. Fin août 2025 Telesterion a sorti un album de deux 33 Tours, intitulé Aporrheta. Le titre vous semble-t-il mystérieux : il signifie Choses Tues. Autrement dit ce que vous ne devriez pas savoir. Ne vous plaignez pas de votre ignorance, les fidèles lecteurs de Kr’tnt en savent beaucoup plus qu’ils le croient puisque ce disque reprend les quatre premiers EP du groupe que nous avons déjà chroniqués : An ear of grain in silence reaped sorti le 16 / 06 / 2022, House of lilies sorti le 15 / 09 / 2022, Echoing palaces sorti le 02 / 12 / 2022, Myesis sorti le 18 / 03 / 2013. Le concept d’Aporrheta est intimement lié aux Mystères d’Eleusis.

    Z29689Ccouvealethera.jpg

    Si nous n’avons pas donné le numéro des successives livraisons dans lesquelles nous les avons chroniquées c’est pour que vous ayez le plaisir de les rechercher par vous-mêmes. Si les choses sont tues c’est uniquement pour vous encourager à les retrouver par un long et méthodique effort. C’est le principe même de l’Initiation. Sur son bandcamp Telesterion se présente en quelques mots : Je commence à chanter Demeter, déesse intimement liée aux mystères d’Eleusis.

    SONGS OF ORPHEUS

    TELESTERION

    (Ixiol Productions / Snow Wolf Records / Septembre 2025)

    Pour ce qui veulent tout savoir Ixiol est un label basé en Amérique du Nord . Snow Wolf est aussi le label de Thumos, groupe américain, que grossièrement nous qualifierons de platonicien, dont nous suivons systématiquement toutes les sorties.

    z29690insigne telesterion.jpg

             Les poèmes d’un poëte ne parlent pas obligatoirement du poëte qui les a écrits. Cette première phrase est sujette à caution et pourrait nous entraîner en des gloses interminables. D’autant plus inutiles qu’il ne nous reste aucun écrit d’Orphée, que notre héros grec est au pire un personnage symbolique, au mieux une conceptualisation forgée par les Grecs durant des siècles. Les Dieux et les héros grecs sont des espèces de work in progress (et de régression) pour reprendre une expression chère à Joyce. L’avantage de ces concrétions mentales successives réside en le fait que chacun peut se façonner une image d’un dieu conforme à son désir… Un peu comme des statuettes de terre glaise que l’on se passe de génération en génération, d’individu à individu, chaque époque, chacun de nous, peut ainsi imprimer ses propres désirs sur cette argile mouvante…

             Nous aborderons la problématique avec les gros sabots de l’ignorant qui pose la question qu’il ne faudrait pas poser, la voici : quelle relation existe-t-il entre Orphée et Demeter, que nous conte la mythologie grecque à leurs sujets ; se sont-ils rencontrés, se sont-ils combattus, se sont-ils aimés, trahis, haïs. Rien de rien, aucune anecdote, ne serait-ce que croustillante, ne les relie. Ne vous désolez pas, souvenez-vous que les Grecs ont un esprit subtil. Alors procédons subtilement.

             Commençons par  l’ histoire officielle : Orphée n’est pas n’importe qui : il est le fils de Calliope la première des Muses, celle de la poésie épique, celle qui préside aux chants qui content les combats des Dieux et des Héros. C’est avec Zeus qu’elle engendrera Orphée. Bon sang ne saura mentir, Orphée participera avec Jason à l’épopée de la Toison d’Or, tout au long du périple son chant  sera d’un grand secours pour vaincre aux instants cruciaux les difficultés que Jason et les Argonautes auront à affronter. Le chant et la lyre d’Orphée sont insurpassables, lorsqu’il se saisit de sa lyre les arbres inclinent leur houppe en cadence et les animaux sauvages sortent des forêts et viennent l’écouter couchés à ses pieds comme les chiens auprès de leur maître… Pour vous en convaincre, lisez le Bestiaire de Guillaume Apollinaire. Comme par hasard remémorez-vous que Calliope eut quelques intimités avec Apollon.

             L’Histoire commence comme un conte de fée et se termine comme Massacre à la Tronçonneuse. Orphée tombe amoureux d’Eurydice, piquée par un serpent le jour de ses noces, elle meurt. Inconsolable Orphée descend aux Enfers chercher sa bien-aimée, son chant séduit Cerbère le gardien des portes inviolables mais aussi les souverains du monde souterrain Hadès et Perséphone  qui permettent à Eurydice de suivre son chéri en marchant derrière lui, une seule condition : Orphée ne doit pas se retourner pour la regarder avant qu’ils ne soient revenus à la surface de la terre. Orphée se retourne, Eurydice retourne au royaume des morts. Cerbère ne se laissera pas attendrir une deuxième fois… N’oubliez pas de relire Les Chimères de Gérard de Nerval…

             Inconsolable Orphée passe ses journées à pleurnicher… Les prêtresses de Dionysos, les Ménades se mettent en quête de consoler ce beau garçon de son chagrin, Orphée reste insensible à leurs charmes, dépitées elles se ruent sur lui et le découpent en morceaux qu’elles jettent dans les flots du fleuve… la tête posée sur la lyre rejoindra l’île de Lesbos. La lyre fut placée dans le ciel dans lequel elle devint la constellation de la Lyre, la tête fut installée avec moult égards dans le temple d’Apollon. Elle ne sut pas retenir sa langue : elle contracta  la fâcheuse habitude de répondre avant la célèbre Pythie la prêtresse d’Apollon, aux questions que lui posaient par l’entremise des prêtres les hommes qui venaient interroger Apollon quant à leur destinée… Excédé Apollon se mit en colère et vint en personne intimer le silence au chef d’Orphée qui dès lors garda le silence…

    Méditons sur cette histoire. Quels en sont les éléments essentiels : la présence de la  mort, Perséphone, Dionysos, et le silence des choses tues qui ne doivent pas être divulguées. Ce choix n’implique pas des préférences aléatoires, il repose sur ce que nous appellerons l’histoire officieuse. Toutefois pour ceux qui penseraient que nous nous éloignons du rock’n’roll nous vous enjoignons à lire La descente d’Orphée de Tennessee Williams, pièce datant de 1940, dans laquelle apparaît un mystérieux personnage porteur d’une guitare et d’une veste en peau de serpent… Très belle prémonition du surgissement du rock’n’roll dans la société américaine…

    L’Histoire officieuse : commençons par nous interroger sur la signification du titre : The songs of Orpheus : l’opus en question évoque-t-il les chants que composaient Orphée, ce serait donc une espèce de reconstitution imaginative, ou les chants relatifs à l’histoire d’Orphée, un peu comme ce que nous venons de faire dans notre rapide exposé. Nous aurions envie de répondre : un peu des deux mon général. Toutefois méfions-nous des choses tues.

    Selon les Grecs, Orphée aurait connu le lamentable destin que nous avons rapporté pour avoir dans ses chants révélé des secrets sacrés… dans ses vers il aurait livré des explications interdites quant à la signification des rites que les prêtres mettaient en œuvre lors des cérémonies religieuses. Aux fidèles de percer  le sens des gestes accomplis et des paroles proférées. Si vous ne les comprenez pas contentez-vous d’adorer et de vous taire. Le silence est préférable aux âneries.

    Z29692NIETZSCHE.jpg

    Notre modernité tient Dionysos en haute estime, il doit une fière chandelle à Nietzsche, dieu du vin de l’ivresses et de l’extase il a tout pour plaire, qu’il soit à l’origine de la comédie et du drame ne lui attire point un gramme de sympathie supplémentaire.  Bref nos contemporains ne retiennent que ce qui les arrange. Certes l’on se souvient que son père a arraché le foetus du bébé Dionysos du ventre enflammé de Sémélé sa mère, que l’enfant a été déchiré par les géants envoyés par Héra jalouse de Zeus… Zeus recollera les morceaux et   donnera à son fils l’immortalité. L’on se plaît à voir en Dionysos le dieu mortel une préfiguration du Christ bla-bla-bla… par contre il se murmure d’autres histoires, que Dionysos serait descendu aux Enfers pour demander à Perséphone la permission de rencontrer sa mère, mais il y a encore davantage troublant : Dionysos serait le rejeton de Zeus et de Perséphone, il serait donc aller rendre une visite de courtoisie à sa mère… Or Perséphone n’est autre que le nom qu’elle porte durant les mois où elle vit auprès de son époux Hadès, son nom de jeune fille est Koré. Or Koré est la fille de… Demeter. Or les Mystères d’Eleusis qui traitent des arcanes de la mort et de la renaissance, sont des décryptations du mythe de Koré obligée de passer trois mois dans les Enfers, royaume de la mort, elle vit sur la terre durant les neuf autres mois. Encore plus significatif les Mystères d’Eleusis ont été fondés par Dionysos et… Orphée. Je vous laisse réfléchir quant aux faisceaux de perméabilité  entre toutes ces personnages…

    Nous en savons maintenant assez pour établir le lien entre Orphée et Demeter. Apprêtons-nous maintenant à écouter Telesterion, qui hormis les titres des sept morceaux de son opus ne nous donne pas d’autres indications quant au sens de ce par quoi notre attention est monopolisée. Toujours la même loi des choses tues… notre interprétation est donc sujette à caution…

    La couve est une reproduction d’un tableau du peintre allemand Von Stuck (1863-1928), peintre symboliste qui eut pour élève Vassili Kandinsky  et Paul Klee, on peut le considérer comme un point de passage entre la vieille peinture et l’aventure picturale de la modernité, sans doute ne faut-il pas oublier tout ce qui le relie à des peintres comme Arnold Böcklin et Gustav Klimt… Le titre de l’œuvre ne saurait être plus explicatif : Orphée charmant les bêtes sauvages avec sa lyre. Quelle signification donner aux animaux ? Le Lion est vraisemblablement un hommage à Alexandre Le Grand dont le rêve (réalisé) fut de tuer un des derniers représentants du roi des animaux, n’oublions pas qu’il descendait des Héraclides, et dont l’entreprise guerrière  le mena jusqu’en Inde, déjà de son vivant son entreprise de conquête apparaissait comme une manière d’égaler l’exploit de Dionysos qui avait mené son cortège jusqu’aux Indes… La présence de l’ibis est-elle un discret hommage au poëte latin Ovide qui dans un des passages les plus poignants des Métamorphoses conte la descente aux Enfers d’Orphée. Pour le crocodile je vous renvoie à Virgile et au blason de la ville de Nîmes. Je n’en dirais pas plus, certaines choses doivent être tues.

    Rites performed by the Priests of Demeter: Celeus / Dioclese / Eumolpos / Triptolemus / Polyxeinus

    z29687couveorpheus.jpg

    Ye, I inwoke Dread Pow’rs : (Oui, j’ai réveillé les pouvoirs redoutables) : ne vous fiez pas à l’entrée apaisante, ou alors changez de disque, une déferlante d’une violence infinie, sombre, voix, chœurs et orchestrations emmêlés en un magma océanique, lorsque l’intensité sonore baisse, restent un profilage ténébreux qui ne recule pas mais au contraire avance avec une brutalité marcescente, même pas le temps de vous demander l’identité de celui qui prononce l’invocation, en est-ce d’ailleurs une, ou une revendication d’un geste innommable et défendu qui a été accompli par le seul fait de se taire serait est à lui tout seul un sacrilège.  Ce premier morceau est bien l’ouverture d’un Drame, ce qui doit arriver surviendra. Alea Jacta Est aurait dit César, c’est vrai qu’il ne traversait pas l’Achéron mais le modeste Rubicon. Toutefois, de l’autre côté de ce modeste cours d’eau l’attendaient les poignards des conjurés. En descendant dans les Enfers Orphée n’a-t-il pas mis en branle des forces extrêmes. Come, Snaky-Hair'd, Fates Many-Form'd : (Viens, cheveux de serpents, destin aux multiples formes) : comment ne pas voir en ses cheveux serpentueux la chevelure de serpents de Méduse. Indice fragmental : Franz Van Stuck n’a-t-il pas

    Z29693MEDUSA.jpg

    peint dans Medusa le visage pâle du soleil noir de la tête de la Gorgone ? Une orchestration encore plus violente, encore plus démesurée, une batterie qui joue la marche lourde et pesante du Destin. Qui vient à votre rencontre. Un ami me disait que quand vous fonciez en voiture sur un mur, le mur venait aussi vers vous à la même vitesse et que vous subissiez un choc de deux cents kilomètres heures. Cinétiquement c’est faux, et pourtant quand vous écoutez ce morceau vous avez l’impression que non seulement il vous écoute mais qu’il ouvre une bouche démesurée pour vous avaler. Sur la fin une ruée sonore cataclysmique. Terrestrial Born : (Né(e) terrestre) : Nous sommes tous nés sur cette terre, tous les protagonistes

    Z29694KORE.jpg

    Le Printemps / Franz Von Stuck

    du mythe aussi : Koré la pure jeune fille, Dionysos le Dieu démembré, Orphée le poëte maudit. Identifiez-vous au masque de votre choix, Telesterion ne nous fait pas de cadeau. Sur cette terre nous marchons tous vers notre terre. Personne ne sortira vivant d’ici disait Jim Morrison. Est-ce pour cela que l’orchestration rampe lourdement comme un crocodile, vous pensez que vous lui échapperez mais elle court sur vous à une rapidité incroyable, ses mâchoires puissantes vous saisissent vous prennent en tenailles et vous, la bête féroce du destin, vous mâche tranquillement sans se soucier de vos supplications. Le niveau sonore implacable ne cesse d’augmenter. These Rites Rejoice, For Ye, I Call (Ces rites vous réjouissent, car oui, je vous appelle) : cordes vibrionnantes, et si l’on repassait le film à l’envers, si ce n’était qu’un faux semblant, tout aussi fort mais encore plus impressionnant, et si ce n’était pas le Destin qui vous appelle, mais un Dieu par l’entremise d’un hiérophante qui ouvre les portes jusqu’à lors fermées, le portail de L’Enfer n’a-t-il pas tourné sur ses gonds, avec quelle force, quelle violence Orphée n’a-t-il pas dû jouer pour forcer l’interdit, la barrière infranchissable qui sépare les morts des vivants, mais aussi les morts des vivants. Sachez où vous mettez les pieds lorsque le Destin cède à vos demandes.  Excite The Mental Eye, Waken : (Ouvre l’œil mental, Eveille-toi) : nous sommes au cœur du rite, tout se passe désormais dans ta tête, tout dépend de toi, la musique s’extrémise mais le chœur s’amenuise, ne serait-il pas louangeur, profèrerait-il des mensonges, à toi d’y voir clair, de te hisser hors des bords chaotiques et presque cacophoniques de cette musique catacombique qui entrechoque ta cervelle comme les icebergs sur la coque du Titannic, pas de trêve, pense par toi-même, ne te fie à personne, toi seul détiens les clefs de l’énigme et de ton âme, et de la vie et de la mort. Que de vacarme dans l’âme sans arme, ne joue pas ton avenir aux dés, ils roulent et t’écraseront, bâtis ton propre destin, opère le choix que tu es. Une symphonie à la Malher, n’est-ce pas la prémonition du malheur. Great Ocean's Empress, Wand'ring Thro' The Deep : (Impératrice du grand Océan, errant dans les profondeurs) : l’entrée nage entre deux os, es-tu le squale ou celui à desquamer, le rythme balance, le chant suit le mouvement tempétueux de la mer, serais-tu dans la longue  jonque noire de Charon, dans quel sens l’étrave trace-t-elle son sillage, es-tu sur le chemin de l’aller ou sur celui du retour, la cadence ne suit-elle pas simplement tes atermoiements, est-ce l’ignorance, est-ce la peur, est-ce le rêve, tu ne sais pas, silence, juste quelques effluves cordiques, mais non la rythmique infernale recommence, comme un chant de sirène plane sur les eaux du désastre, vite assourdi par des milliers de pas qui battent la semelle sur un rivage désolé, tu vas savoir, les profondeurs de la terre sont-elles aussi vastes que l’Océan infini qui entoure la terre. Hear Me, O Death : (Ecoute-moi, Ô Mort) : un peu de douceur dans ce monde de brutes, prélude et mort d’Yseult, qui parle est-ce toi qui supplies, est-ce toi qui comprends enfin que tu as compris, vainqueur et vaincu, tu l’as été et tu le seras encore, la mort est un passage, n’est-il pas réversible, la graine ne refleurit-elle pas sur la terre, tout n’est que transbahutement, transhumance, transformation, métamorphose infinie, la mort n’est-elle pas la chrysalide du vivant, le linceul de l’homme et l’enveloppe des Dieux que tu es et que tu n’es pas. Quelques notes de piano. Un dernier message d’encouragement comme une poignée de main. Quand tu sortiras au grand jour seras-tu à la table des Dieux sur l’Olympe ou attelé aux travaux et aux jours de tes semblables. Toi le dissemblable.

             Splendide. Je ne sais pourquoi, car les deux œuvres sont musicalement extrêmement différentes, l’une qui se déroule dans les espaces grandioses du Mythe, et l’autre dans les soubassements cacafouillesques de la conscience des vidanges psychanalytiques victimaires, en écoutant l’avant-dernier morceau s’est établi dans mon esprit vraisemblablement malade le rapport avec Tommy l’opéra rock des Who. Peut-être faut-il se méfier des références culturelles. Dans tous les cas un chef d’œuvre. Il ne faut pas se contenter de l’écouter, il faut entreprendre de l’assimiler.

    Damie Chad.

     

    *

    Je connais le gars, il revient systématiquement chaque année à la brocante de Provins, l’a des tas de cartons accessibles, j’y dégotte toujours quelques raretés, il y a quelques années un texte rare du divin Marquis, non je ne parle point du groupe de Rennes mais de l’authentique, mince correspondance dont je n’avais jamais entendu parler, je ne suis pas de ces nombreux amateurs de Sade qui se vantent de tout connaître, non je ne le chroniquerais pas ici de peur que ne s’opérassent de graves perturbations intimales et sexuelles parmi nos lecteurs, mais ce coup-ci j’avais dégoté un roman plutôt jazz, je vous en reparlerai si vous êtes sages.

    • Je n’ai rien sur le rock cette fois ci, ah ! si tenez, un seul bouquin sur les Doors !
    • Sur les Doors, je prends !

    OPEN THE DOORS

    LE GROUPE, LES CHANSONS, LA MUSIQUE

    PHILIPPE MARGOTIN

    (GLENAT / Octobre 1921)

             J’avoue qu’en rentrant chez moi je n’étais pas trop chaud, l’est vrai que ce n’est pas facile de feuilleter en marchant un livre qui avoisine les deux kilos, tracté par deux chiens tenus en laisse. A première vue, un ouvrage en vue des cadeaux de Noël, l’en sort systématiquement toutes les fins d’années, sur tous les grands noms du rock, d’ailleurs le Margotin malin ne mégote pas, l’est un spécialiste du genre, l’est souvent au rendez-vous lorsque surviennent les premiers frimas annonciateurs des turbulentes saturnales. Peu de texte, un max de photo, une maquette aérée, des couleurs vives à transpercer les yeux des aveugles, bon je le mettrai sur une étagère, on verra plus tard. Oui mais trois jours plus tard, parce que les Doors quand même, je détachais le paquebot de son mouillage présomptif…

    z29695doors.jpg

             Le porte-avions entre les mains se révèle encombrant mais on oublie vite son look d’armoire normande, première impression, l’on s’attend à une police géante, il n’en est rien, deux microns d’épaisseur et de hauteur de surcroît n’auraient en rien été superfétatoires. A vrai dire le texte manque un peu de profondeur mais par contre sa surface est si intéressante qu’elle pousse à la réflexion. Elle fourmille d’informations, pas de révélations fracassantes mais l’exposé chronologique des faits aide à mieux entrouvrir les portes. Ainsi dès les premières pages qui exposent les racines culturelles – cinéma, littérature - de la contre-culture américaine m’est venue à l’esprit cette idée que le phénomène agrégatif qui s’est produit dans les années cinquante et soixante sur la côte ouest pacificale a eu une influence intellectuelle et artistique aussi importante que Dada après 1918. Certes le dadaïsme, fils de la tuerie organisée de 14, reste marqué par le nihilisme, à l’inverse ce qui naît après 1945 est teinté d’optimisme, la destruction procure entre autres conséquences une joie libératrice, la contre-culture américaine revendiquera l’influence du Surréalisme, toutefois lorsque je zieute les photos du groupe surréaliste je ne puis m’empêcher de penser que, face aux beautifull people californiens, nos chantres de la révolte européenne étroitement embourgeoisés dans leurs costumes du dimanche ont l’air un peu coincés du cul. Vous n’êtes point obligés de partager mon jugement : je reconnais éprouver quelques aversions théoriques et esthétiques divergentes envers le mouvement de la bande à Breton, bien pâlichonne comparée à celle de Bonnot…

    z29697doorslive.jpg

             Procédons avec ordre et méthode : le livre suit l’ordre naturel de la discographie – de la formation du groupe à la mort de Morrison – soit six albums studio et un Absolutely Live composé de deux  trente-trois tours. Chaque titre est disséqué à tour de rôle. L’on n’apprend pas grand-chose – par contre une bonne entrée en matière pour un néophyte – certes ne sont oubliés ni le producteur ni les ingénieurs du son, de petits encarts colorés vous apportent des renseignements sur des noms qui aujourd’hui risquent de ne réveiller aucun souvenir à la majorité des lecteurs.  Margotin nous baratine les faits, il résume le sens des textes, indique la (ou les) date(s) de composition, esquisse rapidement quelques interprétations, mais ne pénètre pas plus avant dans la compréhension des textes alors qu’il décerne à Morrison le titre de grand poëte américain. A sa décharge notons que Robby Krieger a été souvent sollicité par le reste du groupe, Jim compris, pour l’écriture de nouveaux morceaux, le groupe ayant peur de ne pas se renouveler, mais aussi  pour  rester fidèle aux principes démocratiques qui avaient présidé à sa formation. Certes les Doors c’était : un leader charismatique + trois musiciens doués mais pas un chef avec trois sous-fifres le doigt sur la couture du pantalon. Margotin n’oublie jamais, à juste titre, de préciser l’apport décisionnel des trois musiciens dans la mise en musique des morceaux.

             Deux remarques adjacentes qui ont de l’importance, et pour mieux appréhender le livre, et pour mieux cerner la carrière somme toute météorique du groupe. Statistiquement parlant les Doors ont produit un disque tous les six mois. D’autre part ils n’ont cessé de donner des concerts. Pressés par le temps, ils n’ont pas eu le temps de rester trois mois en studio pour peaufiner un album. Dès qu’ils avaient quelques trous dans leur emploi du temps, ils filaient en studio et mettaient au point deux ou trois morceaux pour le prochain opus. D’où parfois la fausse sensation de répétition, lorsqu’il examine un album Margotin n’a plus de détails inédits à nous mettre sous les yeux. Nous ne pouvons lui reprocher sa minutie chronologique. Ne pas confondre gestation et séance finale d’accouchement.

    z29702nouvellescréatures.jpg

             Lorsque Manzarek rencontre Morrison, Jim a déjà noirci nombre de pages.  Il est étonnant de se rendre compte combien Morrison puise incessamment dans ses premiers poèmes et textes, l’essenciel, je mets un ‘c’ et non un ‘t’ pour attirer l’attention sur le mot essence, non pas pour comprendre ce mot en tant que finitude ou résultat, mais en tant qu’indication de l’origénéité séminale de la poésie de Morrison. Toute grande poésie se doit d’être originelle et non circonstancielle. Il est dommageable que Margotin ne s’engage point dans cette sente obscure. Il ne l’aborde que pas le petit côté de la lorgnette, se contentant de remarquer que contemporains de l’éclosion du mouvement hippie les Doors n’en partagent ni l’idéologie ni l’aspect fleur bleue. L’univers des Doors es beaucoup plus dur et pessimiste. Sans trop insister. Nietzsche, que Morrison a lu, est de tous les philosophes le plus pessimiste en le sens où il n’appuie pas cette vision du monde sur le simple constat de la présence du nihilisme car il entrevoit le nihilisme non pas comme ce qui serait, de par sa nature même, un fait insurmontable ou une donnée fondamentale mais au contraire ce qui nécessite les plus grands efforts pour s’en abstraire… Le pessimisme exige une tension libératoire que Rimbaud, et Jim Morrison à sa suite, nomment sauvagerie. C’est cette sauvagerie qui permet de break(er) on through to the other side, sur l’autre versant. Ensoleillé. Attention le passage est dangereux, leopard on my rigth, cobra on my left, autrement dit les animaux symboliques : de Dionysos  toujours accompagné de son cortège de strange people et de panthères, et d’ Apollon avec le serpent sacré qui logeait à Delphes dans son temple nombril du monde, attention Dionysos et Apollon sont réversibles, la parade est molle car elle ne se dirige ni vers la droite, ni vers la gauche, mais dans l’hésitation, d’où dans le poème l’appel à d’autres animaux lions et chiens, il ne s’agit pas d’un choix mais du retour éternel de chaque chose à revenir, non pas sur elle-même mais l’une après l’autre ou   l’une avant l’autre car sur le cercle mobile les deux positions s’équivalent, reviennent au même… Dans Ainsi parlait Zarathoustra Nietzsche se demande où il a déjà entendu ce chien aboyer.

    z29698softparade.jpg

             Il est à noter l’allusion au carrefour de Robert Johnson dans The Soft Parade, ce n’est pas le diable (trop chrétien, pas assez païen) qui survient mais le blues, le rock’n’roll, que Morrison a utilisé comme vecteur pour forcer les portes, sans doute entrevoyait-il non pas une plongée individuelle par le LSD et autre produits, mais un passage en force sinon collectif du moins générationnel, chacun avait son rôle, il était le chasseur au gilet vert ou le Roi Lézard ou tout autre avatar, et les autres les strange people formaient le cortège.

    z29700face2.jpg

             J’ai longtemps eu un problème avec Strange Days, le deuxième album des Doors, pas précisément avec la musique, mais la pochette m’a longuement interrogé. Ce n’est pas moi qui ai posé des questions, c’est bien elle qui me les adressait. Pour le dos de la pochette je savais répondre : un clin d’œil à The House of the Rising Sun, à l’origine un bordel de la Nouvelle-Orléans. D’ailleurs le disque suivant n’était-il pas titré Waiting for the Sun. Mais le recto, c’est quoi ce ramassis de simili saltimbanques, des artistes de rue, semblaient un peu trop se moquer du public, qui sans parenthèse n’était pas présents sur la couve. J’avais une réponse – faut toujours en avoir une juste à côté d’un colt, car dans la vie il ne faut pas être prêt à se défendre mais toujours anticiper à tous moments l’approche (et donc la mort) de l’ennemi. Ne cherchez pas qui c’est, il est près de vous. Juste derrière. Evidemment vous pensez à  Freaks le film de Tod Browning. Une vieille pellicule en noir et blanc. Pas mal comme parade, hélas pas assez dure, j’avais l’impression que mon colt s’était changé en Browning, malheureusement chargé à blanc. J’avais une autre solution, une voie de secours, sans issue devrais-je dire. Pensez donc, je pensais au Club des Cinq en Roulotte d’Enid Blyton, à cause de l’invraisemblable  groupe de forains hétéroclites qui en  peuplent les pages, oui mais c’était le début de la piste… étranges gitans, strange people, c’est bizarre tout de même… Puis est venue l’illumination, je me vante, m’a fallu trois ans pour établir la connexion : Egar Poe ! Non pas parce que les contes d’Edgar sont remplies d’histoires extraordinaires, mais parce que lui-même les qualifiait de grotesques et d’arabesques. A bien y réfléchir suffit de changer l’angle de vision : nos Beautifful People avaient bien un petit côté grotesque, une idéologie transcendantaliste un peu trop fumeuse pour prendre le Thoreau William par les cornes. Des babas sans rhum. Restaient les arabesques. Drôle de quadrillages ! Structures mouvantes. En d’autres mots : la poésie. Edgar Poe a écrit des contes et de la poésie. Jim Morrison a fait du rock’n’roll et écrit de la poésie. Deux démarches parallèles. Des arabesques qui ne se  rencontrent jamais c’est ce qu’en géométrie des espaces l’on nomme des cas particuliers ! Je termine en quelques mots : ce n’est pas parce que les textes de Poe regorgent de situations étranges que nous affirmons qu’il existe des similarités entre nos deux poëtes, mais dans leurs tentatives de transformer leur appétence de vivre en maîtrise poétique. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. I’m The Lezard King, I can do anything ! Dans la préface de ces poésies Edgar Poe note la présence circonstantielle d’ évènements obstaculaires survenus en dehors de toute maîtrise…

    z29699face1.jpg

             A plusieurs reprises Margotin souligne la tristesse et la solitude de Morrison. Peut-être s’est-il aperçu que personne ne le suivait, car personne ne le comprenait, ou pire encore que son rêve à lui n’était qu’une des formes, plus colorée, plus bigarrée, plus anarchisante que le sempiternel american dream. Que Warhol avait défini comme le petit quart d’heure de célébrité auquel chacun a droit, que la société vous accorde si vous le voulez bien, mais qui n’est qu’un indigne lot de consolation. Un peu comme ces portraits du ‘’Maître’’, démuni pour ne pas dire andycapé, qu’un sous-fifre peinturlurait d’une couleur vive dans la Factory. Le rock et son cortège de masques n’était-il qu’une des formes électrifiées du charlatanisme sociétal. Morrison a quitté le rock pour la tentation suprême : la poésie. Nietzsche a expliqué que toute valeur court à sa perte. Morrison a abandonné la poésie pour la mort. A-t-il gagné au change ?

             Cet ouvrage enfonce peut-être des portes ouvertes, mais ouvre le lecteur à la réflexion, que Mallarmé nommait divagation. Ce n’est pas mal du tout pour un bouquin qui ne se revendique pas scriptuairement assoiffé d’absolu. Margotin vous refile un jeu de clefs. Ce ne sont pas les clefs qui doivent susciter votre intérêt. Mais le jeu. Grand concept de Jim Mor(t)isson.

             Les morts y sont. Mais nous ?

    Damie Chad.

     

     

    *

    Chris Darrow (1944 - 2020) multi-instrumentiste s’est intéressé au blues et au Bluegrass.  Il fait partie de ces musiciens qui comme Chris Hillman fondateur des Byrds ont aidé à la création du  Country Rock. Darrow a participé à de nombreuses sessions de studio, il a produit des albums sous son propre nom, fondé, et participé à de nombreux groupes, il a été aussi membre du Nitty Gritty Dirt Band.

    Pour une fois l’entretien se déroule à l’extérieur, Chris Darrow assis sur une chaise de jardin devant la luxuriance sinoplique d’un massif de bambous.

     

    The Gene Vincent Files #11: Chris Darrow about playing on Gene’s last official studio album.

    z29708chris1.jpg

    Voici la copie du disque sur lequel j’étais, il possède encore la petite bande blanche sur le devant, c’est le dernier disque  de Gene Vincent, sur lequel j’ai participé et joué du violon sur la chanson Danse Colinda. Je me suis présenté très tôt au studio pour cet album dans l’espoir de le rencontrer, c’était le studio de Dave Hassinger sur Selma Avenue. J’étais excité de travailler avec l’ingénieur Dave Hassinger car il a réalisé un certain nombre de choses comme Satisfaction pour les Stones, d’autres disques importants, il était un grand producteur de rock’n’roll… Oui je suis arrivé tôt au studio, il n’y avait personne à qui au moins serrer la main ou à dire bonjour, donc quand je suis entré il n’y avait personne ni dans le studio ni aux environs, Dave était dans la cabine en train de surveiller des cadrans, je suis entré dans la zone où l’on enregistre, dans un coin se trouvait un gars qui ressemblait à un concierge, il portait un pantalon sombre et une chemise sombre, le genre de frusques que l’on trouve chez Sears, que les gens portent comme ça, le gars avait aussi une ceinture noire et des chaussures noires. Je me demandais où était Gene Vincent, et je continuais à le chercher des yeux, quant à coup le type s’est retourné vers moi : c’était Gene Vincent, il semblait avoir vieilli de plusieurs années et être plus près de la cinquantaine que de la trentaine, j’avais été assez choqué par son apparence, lorsque j’ai réalisé  qui il était, je me suis déplacé pour lui serrer la main, lui dire bonjour et me présenter. Je me suis présenté et lui ait appris que j’allais jouer sur son disque. Oui c’était la première fois que je le rencontrais, je le connaissais  depuis très longtemps car je l’avais en quelque sorte déjà rencontré grâce au  film The Girt Can’t Help It, j’avais douze ans, il m’avait vivement impressionné,  c’était comme si

    z29709gene.jpg

    je l’avais vraiment vu en chair et en os, je possédais ses disques et j’espère que vous aviez vu ses anciennes photos, il m’a totalement captivé et il est devenu une de mes idoles favorites, sans parler de  Cliff Gallup son guitariste, ils ont fait partie de ces gars qui pour un jeune homme et un jeune musicien comme moi essayant d’apprendre à jouer étaient des modèles, Gene Vincent faisait partie des grands… C’était une drôle de gageure de le rencontrer réellement, je me sentais extrêmement chanceux et béni (par les Dieux) de pouvoir jouer sur cet album. La session s’est très bien passée, ils ont été très contents de ce que j’avais fait, le groupe était

    z29710souglas.jpg

    principalement constitué des membres du Sir Douglas Quintet sans Doug qui avait joué dans les sessions précédentes. J’ai eu la chance de rester et d’assister au déroulement des sessions suivantes. Gene était impeccable, je veux dire qu’il assurait grave au micro, il chantait très bien et il semblait s’être vraiment euh ! quel serait le mot juste, il semblait vraiment régenter la situation, il n’était pas du tout sous la direction de quelqu’un d’autre, c’était sa session et il avait une très grande maîtrise de ce qui se passait. (Question inaudible) Son humeur était plutôt bonne, il semblait être très optimiste et très heureux d’être là et je pense qu’à ce stade très particulier il semblait être très euh, il semblait vouloir s’éloigner de ce que tout le monde pensait qu’il était uniquement : un artiste de rockabilly, ce qu’il n’était pas, en fait il aimait la   musique country, une des chansons que nous avons enregistrée, celle sur laquelle j’ai jouée était de fait un air cajun, Gene a été vraiment bon je pense. J’ai eu l’occasion de le rencontrer plus tard lors d’une fête après avoir fini l’album, nous sommes restés assis un long moment dans la cuisine de Tom Mars à parler longuement, j’ai senti que c’était un gars un peu… son comportement trahissait quelque chose de très mélancolique, il était visiblement très amoureux de sa femme. Je veux dire qu’il était davantage motivé par sur cette relation que peut-être sur sa

    z29712chris2.jpg

    propre carrière en ces moments-là. C’est difficile pour moi d’affirmer, je ne le connaissais pas assez pour avancer cela, il y avait une sorte d’atmosphère très, très, très sombre qui l’entourait. A l’époque je pensais que c’était dû aux séquelles de l’accident dans lequel Eddie Cochran a perdu la vie. En fait on se rendait compte qu’il souffrait de sa blessure au pied qui paraissait ne pouvoir jamais se résorber, il boîtait, il montrait une certaine détermination malgré sa sclérose latérale. Cette sorte de malaise qu’il dégageait était, je ne dirais pas effrayant mais très mélancolique ( il s’interrompt pour mettre de la musique dont on entendra que quelques notes, quand il reprend la parole il se frotte l’œil) Je pense que l’aspect majeur des années 60, je faisais alors partie d’un groupe appelée The Kalidoscope, un groupe psychédélique, on jouait du blues, de la musique orientale, bref ce genre de musique, on était connu pour être un groupe de World Beat, je pense que s’il était étiqueté comme un artiste de rockabilly, même s’il était beaucoup moins stéréotypé que cela pouvait le paraître, je pense qu’il aurait été capable d’accepter la musique de cette époque, toutefois en ce qui concerne sa tentative d’adapter sa musique aux années soixante, les gens auraient pu le comprendre, mais cela a paru une faute de goût. Je ne pense pas que

    z29711chris3.jpg

    cette mixture était d’un bon niveau pour les gens qui aimaient ce courant même si la musique à cette époque était très ouverte. Elvis, les Everly Brothers  et tous ces gars du même acabit, la période n’était pas très bonne pour eux comme vous le savez. Je pense que la musique a évolué, certains artistes qui étaient au top, et ce fut identique pour tout le monde, lorsque les Beatles ont frappé, tous ces gars qui avaient auparavant connu le succès ont tout simplement disparu. Je ne pense pas que sa musique était nécessairement inadaptée  aux années 60, quant à sa capacité à intégrer la mentalité des années 60 je n’y crois guère, je pense que cela lui aurait été très difficile, probablement parce qu’il était beaucoup plus connu en dehors des Etats-Unis qu’il ne l’était aux Etats-Unis. Je suis prêt à parier qu’il a eu davantage de fans en Europe et dans d’autres parties du monde qu’aux Etats-Unis, aujourd’hui

    z29713chris4.jpg

    encore. J’ignore pour quelles raisons. Je pense que Gene avait une personnalité plutôt effacée. Il n’était pas le genre de gars qui me donnait l’impression qu’il était là pour vous conquérir. Son talent lui a été davantage bénéfique que son attitude et son énergie. Il était excitant et tout ce genre de trucs, mais il avait en lui une douceur, et une gentillesse, je ne pense pas qu’il avait une personnalité conflictuelle. Elvis était un véritable showman et il s’excitait bien plus quand il montait sur scène. Je ne pense pas que l’humeur maussade et cette mélancolie que j’évoquais tout à l’heure ont été des facteurs qui l’ont peut-être empêché d’être un plus grand artiste qu’il aurait pu être, ce n’était certainement pas une question de talent, son talent est hors de cause, hélas certains artistes n’y parviennent jamais comme on le souhaiterait. Il est un de ces gars dont aujourd’hui lorsque l’on écoute ses disques l’on se doit de reconnaître qu’ils sont intemporels. Ce n’est pas qu’ils ne retiennent pas l’attention ou qu’ils ou n’accrochent pas, je pense qu’ils fonctionnent encore, le fait que je possède une copie de The Girl Can’t Help It, et que je l’écoute régulièrement juste pour le plaisir de le voir reste la preuve que ça vaut le coup de l’acheter, en cassette ou en vidéo si par hasard vous ne connaissez rien d’autre de Gene Vincent. Je n’ai

    z29714chris5.jpg

    pas été le moins du monde surpris d’apprendre sa mort, à cause de l’impression qui me le laissait présager, je ne pensais pas que je lui survivrai si longtemps. Il a eu une vie très difficile, il semblait avoir vieilli très vite. Je n’avais seulement que quelques années de moins que lui alors qu’il paraissait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi. Il m’a donné l’impression, si je puis dire, de se battre comme la montre. Comme je l’ai dit je n’ai pas été particulièrement surpris d’apprendre son décès. En quelque sorte cela s’inscrivait dans la logique des choses… J’ai dit à quelques personnes qu’il était peut-être mort le cœur brisé. Il y avait quelque chose en lui qui donnait l’impression qu’il n’avait jamais réalisé le potentiel qu’il avait en lui. Ceux d’entre nous qui se souciaient sincèrement de lui l’ont ressenti, je sais que des gars comme Jeff Beck et beaucoup de grands musiciens ont été très affectés comme je l’ai été et il fera toujours partie de moi, je me sens chanceux, extrêmement chanceux d’avoir pu jouer avec lui, d’autant plus qu’il s’est avéré que c’est sur son ultime disque que j’ai joué.

    z29715chis5.jpg

    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

    z29703ifuouonly.jpg

    Danse Colinda  est paru sur l’album Gene Vincent qui a été enregistré en mars 1970  il est paru aux USA en juillet 1970. Il est paru en Angleterre titré : If You Only Could See Me en mai 1971.  

    z29704turnedblue.jpg

    L’album The Day The World Turned Blue enregistré en octobre 1970 est paru aux USA en décembre 1970 et en août 1971 en Angleterre.

    La proximité des dates de parution explique certainement pourquoi Chris Darrow pense avoir participé à l’enregistrement du dernier album officiel de Gene Vincent.

    z29705stones.JPG

    Dave Hassinger : il fit des miracles chez RCA, les Rolling Stones ne sont pas les seuls à inscrire sur son tableau de Chasse : Elvis, Mama’s and Papa’s, Love, Seeds, Electric Prunes, Crosby, Still, Nash and Young et bien d’autres…

    z29706sears.jpg

    Sears créé est une chaîne de distribution de commerce de détails, un peu l’équivalent de nos Leclerc, la firme crée à la fin du dix-neuvième siècle a atteint son apogée dans les années cinquante et connu un grave déclin dès le début des seventies. Les magasins ont vieilli et les locaux sont délabrés… Sears se débarrasse de centaines de magasins… Sears s’est refait une santé au Canada et au Mexique…

    z29707marcia.jpg

    Marcia Avron la dernière compagne de Gene, lorsqu’il  rentrera de Londres début octobre 1971 Gene trouvera sa maison totalement vide. Terrible coup porté au moral du chanteur. Il décèdera le 12 octobre.

    SLA : c’est ce terme qu’emprunte Chris Darrow pour désigner la maladie de Gene, en toutes lettres Sclérose Latérale Amyotrophique, communément appelée : Maladie de Charcot. Sans être médecin nous mettons fortement en doute ce diagnostic… L’alcool aura causé bien des ravages dans le corps de Gene…

     

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne

    YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 447 : KR'TNT ! 447 : JACK SCOTT / JERRY WEXLER / MORLOCKS / MARIE DESJARDINS / AVALANCHE /LOUIS LING & THE BOMBS / EFFELLO ET LES EXTRATERRESTRES /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 447

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    16 / 01 / 2020

     

    JACK SCOTT / JERRY WEXLER / MORLOCKS

    MARIE DESJARDINS / AVALANCHE

    LOUIS LINGG & THE BOMBS

    EFFELLO & LES EXTRATERRESTRES

    ROCK ET MAI 68

    Scott a la cote

    z8257dessinscot.gif

    Jack Scott devait beaucoup aux Cramps qui, avec leur magistrale cover du «Way I Walk», le ramenèrent dans le rond du projecteur. Il devait aussi beaucoup au fameux rockabilly revival des années quatre-vingt, et notamment à Robert Gordon qui fit lui aussi une superbe cover du «Way I Walk». Et comme le dit si justement Craig Morrison, il le méritait (He deserved it). Le problème de Jack Scott est qu’il n’appartenait à aucune scène rockab, ni la scène de Memphis ni celle du Texas, et que sa vie ne présentait pas le moindre relief : rien, ni faits marquants, ni scandales. Et pourtant ce Canadien basé à Detroit aligna nous dit Morrison une vingtaine de hits entre 1958 et 1961, dont quatre grimpèrent dans le top ten des national charts.

    z8276craig.jpg

    Le vieux Jack se distinguait par une pente pour slow beat et une voix qui lui permettait de sonner comme Elvis. Il raffolait du son tamisé, assez dark, et se prêtait parfois au petit jeu du répétitif, comme le montre «Geraldine», qu’il répète une bonne quinzaine de fois dans l’intro. Il sera l’un des derniers à beefer son son avec une stand-up, passée de mode en 1960, et comme Elvis, il va préférer la virilité à la sensualité dans les harmonies vocales : le quatuor masculin qui l’accompagne s’appelle the Fabulous Chantones.

    Et comme le vieux Jack vient de casser discrètement sa pipe en bois, l’occasion de lui rendre hommage fait partie de celles qu’on ne saurait laisser filer. Pour une fois, nous allons donner la parole aux albums.

    z8266carlton.jpg

    L’aîné s’appelle Jack Scott, born in 1958 :

    — Malgré ma belle pochette dynamique, je ne suis pas l’album du siècle...

    — Pourquoi dites-vous ça, Jack Scott ?

    — Je n’ai que deux hits intersidéraux, «Geraldine» et «Goodbye Baby»...

    — C’est mieux que rien !

    Jack Scott a tort de se plaindre, car «Geraldine» rebondit sur le beat, bien bourrelé de jus rockab et transpercé au cœur par un solo de sax. Fabuleux parti-pris, ils sont dedans jusqu’au cou. C’est le côté insistant du beat rockab qui rafle la mise. Même chose pour «Goodbye Baby», c’est du big Jack, même s’il couaque comme un volatile.

    — Mais vous oubliez «Leroy» et «The Way I Walk» !

    — Oui, c’est vrai, mais j’ai un petit faible pour «Save My Soul», car je le prends sous le boisseau duveteux des Chantones, il s’y passe des trucs, vous savez. Là, je suis sûr de mon coup.

    — C’est vrai que «Save My Soul» est bien enlevé, c’est indiscutable. Mais vous avez aussi pas mal de cuts atroces et gluants, de type «With Your Soul», «I Can’t Help It» ou pire encore, «My True Love», le bonbon le plus sucré du magasin. Et cette romance à l’eau de rose qui s’appelle «Indian Walk» qui pue des pieds. Franchement vous exagérez. On sent votre côté rital qui remonte à la surface. Dommage que vous ruiniez tant d’efforts avec des rengaines aussi abjectes.

    — L’époque voulait ça. Vous avez sûrement entendu parler d’un truc qui s’appelle la pression commerciale, non ? Ne saviez-vous pas que l’Amérique était un pays de beaufs ? Vous n’allez pas me dire que vous ne saviez pas que la beaufitude est le plus grand fléau du XXe siècle !

    z8267hank.jpg

    Le petit deuxième s’appelle I Remember Hank Williams, né deux ans plus tard, en 1960. Il fait d’ailleurs partie d’une portée de quatre.

    — Oh je vois à votre tête que je ne vous plais pas...

    — Mon cher I Remember Hank Williams, vous auriez dû vous faire avorter pour laisser la place à Jerry Lee, car vous êtes l’un des pires albums jamais enregistrés. Tous les violons du monde semblent s’être donné rendez-vous pour massacrer l’Hank. Vous n’êtes qu’une sainte horreur.

    — Même ma version de «Cheatin’ Heart» ?

    — C’est l’une des pires ! Il n’existe rien de plus foireux sur le marché ! Les rednecks devaient être pliés de rire en entendant ça. Wouah le Canadien ! Wouah la pauvre crêpe ! On a parfois l’impression que vous allez demander une pièce aux gens de la rame pour rester propre. À côté de vous, Roy Orbison est un enfant de chœur. Dans le Deep South, ils n’auraient jamais osé massacrer les chansons d’Hank Williams. Jamais ! Vous entendez ? JAMAIS ! Seuls les yankees sont capables de telles abjections.

    — Oh, je voulais juste illustrer le ventre mou de l’Amérique. Vous savez, Perry Como et l’autre imbécile de Pat Buitoni ont vendu des millions de disques...

    — Oui, mais là n’est pas le problème. Vos fans ne vous pardonneront jamais de vous être prêté à cette infâme mascarade.

    — M’en fous. Je vaux entre 50 et 100 $ sur la marché, alors vos petites remarques perfides roulent sur les rails de mon indifférence et s’arrêtent à la gare de mon mépris.

    z8269numéro3.jpg

    Le deuxième de la portée 1960 s’appelle What In The Word’s Come Over You.

    — Vous grattez une belle guitare sur la pochette !

    — Oui, c’était la grande forme. On drivait «Baby Baby» au dixie stomp ! Et sur «I’m Satisfied With You», on avait aussi pas mal de son.

    — Oui, c’est vrai, mais là où ça bigne, c’est dans «My King» ! Quel fantastique shoot de rockab ! You rock it hard ! Par contre, ça redevient pathétique avec «Cruel World», cette mauvaise resucée de «Blue Suede Shoes».

    — Ce que vous pouvez être dur ! Parlez-moi plutôt de «Good Deal Lucille», on y tente le tout pour le tout, on mise tout ce qu’on a, le sax, les Chantones, le beat, tout y est ! Ça c’est du jump, mon gars ! Tu ne trouveras pas mieux ailleurs !

    z8268whatinthe.jpg

    Le troisième de la portée 1960 s’appelle The Spirit Moves Me.

    — Vous vous prenez pour les Staple Singers ?

    — C’est quoi cette insinuation ?

    — Oh ce n’est pas une insinuation, vous reprenez les mêmes classiques de gospel batch, tiens comme ce «Swing Low Sweet Charriot» qui coule comme un vieux claquos oublié au fond du placard au mois d’août. On dirait que vous tombez dans tous les travers de la Bible. Le rockab a complètement disparu.

    — On voulait faire plaisir à ma mère et au curé du village.

    — Oui, ça se conçoit très bien, sauf qu’on croirait entendre Gilbert Bécaud dans «Josuah Fit The Battle Of Jericho». Si on voulait faire acte de civilité, il faudrait dire à tous les fans de rockab de vous fuir comme la peste, Spirit Moves Me. Avec «Roll Jordan Roll», vous vous grillez définitivement. Et les pauvres gens qui vont oser écouter «Down By The Riverside» vont s’écrouler de rire. On ne vous a jamais expliqué que le gospel batch était un truc de noirs, pas un truc de petits culs blancs ? C’est rare de trouver un album aussi atrocement con que vous, Spirit Moves Me. C’est d’autant plus incompréhensible qu’il circule dans la nature des singles impeccables comme «Patsy» ou encore «Strange Desire».

    — M’en fous ! J’irai au paradis.

    z8270livingfor.jpg

    Le quatrième de la portée 1960 s’appelle What I Am Living For.

    — Au moins, vous n’êtes pas comme vos trois frères, vous ne prenez pas les gens pour des cons !

    — Faut-il prendre ça pour un compliment ? J’ai pas l’impression d’appartenir à une famille de tarés.

    — Ne vous méprenez pas, c’est juste l’expression du simple bonheur de vous voir renouer avec le heavy rockab. Notamment dans «Go Wild Little Sadie», là c’est du sérieux, vous inventez même le Detroit sound, sans doute à la même époque que Johnny Powers.

    — Oui j’adore bopper Sadie, Detroit boob baby, tête-moi le sein ! C’mon stop this fight !

    — «Baby She’s Gone» est encore plus inespéré ! Quelle perle de rockab sauvage ! C’est chanté au foulard noué et au fute de cuir, avec une science infuse du what to do ! Vous frisez le Vince Taylor, avec ce what to do subliminal !

    — Mon chouchou est «Two Timin’ Woman». Là on explose la scène de Detroit pour de vrai, we rock it out !

    — Mais il faut aussi avaler pas mal de couleuvres, comme par exemple «Bella» ou encore «There Comes A Time». C’est d’autant plus regrettable que des singles fantastiques circulent sous le manteau, tiens, par exemple ce «One Of These Days» qui sonne comme un hit mystérieux, scalpé dans le son, ou encore ce «Grizzly Bear» qui fait le bonheur des esprits éclairés.

    — Bon, on ne va pas refaire l’histoire ! Tournez-vous donc vers l’avenir !

    z8271bridges.jpg

    L’avenir s’appelle Burning Bridges qui vient au monde quatre ans plus tard.

    — Vous vous prenez pour l’album du grand retour ?

    — Je n’aurai pas cette prétention, je ne suis qu’une modeste compile et à Wall Street je ne vaux pas un clou, alors c’est pas la peine de m’asticoter avec des remarques déplacées.

    — Oh si vous le prenez aussi mal, on va couper court. C’est dommage, car j’allais vous complimenter.

    — Me prenez pas pour un con, je sais bien que mes rengaines sont pompeuses, surtout «Burning Bridges».

    — C’est vrai que vous battez tous les records de daube avec «A Little Feeling» et «All I See I Blue», mais vous reprenez du poil de la bête avec cet étrange «Laugh & The World Laughs With You».

    — Pourquoi étrange ?

    — Parce que la walking stand-up se balade à la surface du mix et on entend même un solo de fuzz rococo. C’est un véritable écart de conduite, dans cet océan de daube pestilentielle. Avec «It Only Happened Yesterday» vous réveillez les pires souvenirs d’Elvis chez RCA. Ah ces roucoulades qui nous faisaient désespérer de tout !

    — Si c’est ça que vous appelez un compliment, je vous souhaite le bonsoir !

    — Attendez, j’y arrive. Il n’en sera que plus appréciable, au terme de tous ces préliminaires peu aimables, je l’avoue. D’ailleurs vous savez très bien où je veux en venir...

    — «Patsy» ?

    — Ben oui ! Évidemment , «Patsy», le hit parfait, aw Patsy, swingué à la big orchestration, we gonna rock, we gonna roll, we gonna hooo Patsy... c’est d’une sexualité spectaculaire, ça sent bon la bite qui frétille, ça frise le coït dans un univers grandiose à la Cecil B DeMille. Patsy vous sauve, mon vieux Bridges. Espèce de veinard.

    z8272legendary.jpg

    Big Beat adore le vieux Jack comme on adorait un teddy bear autrefois. Deux albums Big Beat font bien le tour du propriétaire : The Legendary Jack Scott, paru en 1982 et un Live In Paris paru trois ans plus tard. Legendary s’ouvre sur «The Way I Walk».

    — Bizarrement, on ne se lasse pas de ce gratté d’acou et de ces suaves chœurs de mâles. Ça groovait salement à Detroit en 1959 !

    — Oui, les Chantones doo-bee-doo-bee-doo-whaatent comme des cakes.

    — On comprend que Lux Interior ait pu baver là-dessus. On trouve aussi l’autre big hit en B : «Go Wild Little Sadie». C’est hanté et chanté au nez sale. Le slap plombe joliment l’ambiance - C’mon now and stop this fight ! -

    — On swingue aussi «Leroy» à coups de sax fifty-fifty et on bat tous les records de désinvolture avec «Goodbye Baby». On va même flirter avec le gospel batch dans «Save My Soul» !

    — Ah oui ! Et les Fabulous Chantones s’en vont l’allumer au coin du bois comme des bandits de grand chemin.

    — Et puis vous retrouvez «Geraldine» et «Baby She’s Gone» en B. Solide rockab, joué dans la carcasse du groove. Vous retrouvez tous ces hits sur l’excellent Live In Paris, à commencer par «Geraldine», avalé au big bop.

    z8274paris.jpg

    — Oui, le son est fantastique ! Jacky Chalard joue de la basse et Vernon Pilder passe un solo frais comme un gardon. Les baby que glousse Jack dans «Baby She’s Gone» sonnent comme ceux d’Elvis. Jack met tout son poids dans la balance et Chalard dépote derrière un drive de rêve bien rond. Quelle classe de what to do ! Jack n’a rien à envier à personne.

    — On tape en B «My True Love». Cette ritournelle s’aligne sur les prérogatives d’Elvis. On rocke «Leroy» à la Cochran motion : carcasse classique saxée vite fait.

    — «Goodbye Baby» s’avance et porte sur le front une mâle assurance. Un vrai coup d’Cid, ce Jack !

    z8273edge.jpg

    Par contre, un autre live enregistré en 1983 à Toronto retombe comme un soufflé. Sur la pochette de Live At The Edge, Jack porte la barbe. Il a un petit côté Kris Kristofferson. Jack fait du Jack of all trades, du sans surprise. Pas de son, cette fois. Il tape dans un tas de classiques du style «Ubangi Stomp», «Tutti Frutti» ou encore «Love Me Tender», mais on s’ennuie comme des rats morts. Il fait aussi un «Love Me» qui n’est hélas pas celui du Phantom. Et son «Be Bop A Lula» laisse grandement à désirer. Pour toutes ces raisons, KRTNT ne va pas interviewer Live At The Edge.

    z8275survive.jpg

    Jack enregistre son dernier album en Finlande en 2013. La raison pour laquelle il faut écouter Way To Survive s’appelle «Tennessee Saturday Night». Hallucinante qualité de la proximité ! Les Finlandais ramènent un son énorme dans le giron de Jack. On reste au paradis du big revival avec «Wiggle On Out», heavy shoot de boom boom, hey hey wiggle on out. Ce démon de Jack sait encore créer la boom boom sensation. Effet garanti, avec ces chœurs scandinaves. Les Finlandais ramènent une sauce infernale. The big rockab is back. Dans «Hillbilly Fever», le gratin du rockab finlandais vole au secours du vieux Jack, il faut les voir cavaler dans la toundra, cet effroyable guitar slinger bat tous les records de glisse, aw ces mecs savent créer du mythe cavalé. Pour un peu, on pourrait dire qu’ils inventent un genre nouveau : le virtuobilly. Attention aux albums tardifs des vieux de la vieille, ce sont souvent les plus fascinants, ceux de Mac Curtis et de Charlie Feathers en particulier. Avec «Ribbon Of Darkness», Jack propose un shout de country-rock cavalé à perdre haleine. Il fait aussi une mouture de «Trouble» assez something about me, Jack sait de quoi il parle quand il grommelle «I never look for trouble/ It seem to find me.» C’est bien gluant, bien senti, ça vient du cœur, comme on dit à Clochemerle. Jack revient sur Hank Williams avec «Honky Tonk Blues» et se montre aussi bon que Jerr, il réussit enfin à pervertir son accent, alors la version devient judicieuse et bardée de power finlandais. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà qu’arrive en trombe «Live Love And Like It», bien exacerbé de picking finlandais. Ces mecs vont vite en besogne, à cent à l’heure dans l’Alley Oop du big hillbilly drive. Follow that ! Jack se fend plus loin d’un admirable coup de fast pop avec «I’ll Be Coming Back For More». Il annonce à cette gonzesse qu’il reviendra la voir tellement il a adoré le kiss on the lips. Ah ces ritals, ils finissent toujours par nous fendre le cœur, comme on dit aussi à Clochemerle. Et puis voilà le moment fatidique : le dernier cut de Jack avant le grand départ. Il faut en profiter, car après c’est fini. C’est le morceau titre de l’album, un vieux shoot de country-music de fin de soirée. Jack tient à finir en beauté. Il a revêtu son meilleur costume et ciré ses pompes. Après c’est terminé, il ne te restera plus que tes yeux pour pleurer et l’os du genou à ronger en attendant Godot.

    Signé : Cazengler, Scot Scot Kodec (la poule qu’a trouvé un couteau)

    Jack Scott. Disparu le 12 décembre 2019

    Jack Scott. Jack Scott. Carlton 1958

    Jack Scott. I Remember Hank Williams. Top Rank International 1960

    Jack Scott. What In The Word’s Come Over You. Top Rank International 1960

    Jack Scott. The Spirit Moves Me. Top Rank International 1960

    Jack Scott. What I Am Living For. Carlton 1960

    Jack Scott. Burning Bridges. Capitol Records 1964

    Jack Scott. The Legendary Jack Scott. Big Beat Records 1982

    Jack Scott. Live At The Edge. Underground Records 1983

    Jack Scott. Live In Paris. Big Beat Records 1985

    Jack Scott. Way To Survive. Bluelight Records 2015

    Craig Morrison. Go Cat Go ! Illinois 1998

     

    Wexler de rien

    z8258dessinwexler.gif

    Quand on voit Papy Wexler, avec sa barbe blanche, sa casquette et ses grandes oreilles apparaître dans le docu de Robert Gordon sur Stax, on rigole. Par contre, on rigole moins quand on connaît son parcours d’Atlantic man, c’est-à-dire de découvreur/producteur spécialisé dans la Soul et le rhythm & Blues. Sans Wex, pas de Solomon, pas de Ray Charles, pas d’Aretha ni de Sam & Dave. Cet homme peut se vanter d’avoir accompli une sorte de sans faute et d’avoir su écrémer la crème de la crème du gratin dauphinois. Même si on croit bien connaître l’histoire de la Soul américaine et celle d’Atlantic, il est nécessaire de se plonger dans Rhythm & The Blues, l’autobiographie qu’il écrivit au soir de sa vie avec l’aide de David Ritz.

    z8278zmericanbook.jpg

    Au même titre que Jim Dickinson, Sam Phillips, Cosimo Matassa, Phil Spector, Burt Baccharach, Jerry Ragovoy, Bert Berns ou encore Jack Nitzsche, Wex a côtoyé les géants et contribué pour une bonne part à rendre une certaine musique américaine légendaire. Son livre donne un peu le vertige, car il n’évoque que des figures de proue. L’intérêt d’Atlantic est que son histoire s’enracine dans les années cinquante, au travers d’artistes exceptionnels du calibre de LaVern Baker, Professor Longhair, Clyde McPhatters ou encore Guitar Slim et remonte jusqu’aux seventies où chacun se goinfrait de Rascals et d’Aretha.

    z8292atlanticlogo.jpg

    L’histoire de Wex est celle d’un juif new-yorkais né dans un milieu pauvre : son père lave les vitrines. Né pauvre, Wex va rester toute sa vie obsédé par les fins de mois. Travailler pour un label indépendant n’arrange pas les choses, car les concurrents sont féroces et la durée de vie d’un petit label plus que limitée : «Survivre relevait de la prouesse. Il fallait compter avec les goûts capricieux des consommateurs et parvenir à faire passer les disques à la radio, phase de marketing cruciale. Il fallait rencontrer le distributeur, le DJ, et le directeurs des programmes en personnes. Il fallait surtout aller à la station de radio et payer pour que le disque passe à l’antenne.» Wex découvre vite l’âpreté du combat de survie dans l’industrie musicale, mais il est assez fier d’avoir réussi, avec Ahmet Ertegun, à imposer une éthique : «Dans l’industrie, la réputation d’Atlantic se situait - et se situe encore - nettement au-dessus de la norme. Alors que certains de nos concurrents baisaient leurs artistes de manière honteuse, en ne leur versant pas leurs royalties, nous avions la réputation d’un label correct et fair-play. Nous n’étions ni des gangsters ni des escrocs. Mais nous n’étions pas non plus des oies blanches. Quand venait l’heure de la compétition, on jouait pour gagner.» Et pourtant, Wex et Ahmet ont bien cru qu’ils allaient couler lorsque Ray Charles et Bobby Darin ont quitté Atlantic pour aller se goinfrer chez ABC et Capitol. On leur offrait tout simplement de bien meilleures conditions financières. Et puis à un moment, Atlantic se mit à grossir terriblement, et les chemins de Wex et d’Ahmet se séparèrent : Ahmet s’intéressait plus à la scène californienne et Wex se spécialisait dans cette musique noire qui l’avait toujours passionné. Ahmet passait son temps à Los Angeles ou à Londres, et Wex descendait à Memphis, à Muscle Shoals ou à Miami. C’est Wex qui à un moment poussa à la vente d’Atlantic. Quand en 1967, Warner racheta Atlantic, Wex se sentit enfin à l’abri du besoin. Il devint rentier. Laver des vitrines avec son père l’avait traumatisé - I started washing windows with Harry and I loathed every living minute of it - et il ajoute : «Le pire, c’était l’hiver. Pop me sortait du lit à 3 heures du matin. J’étais hébété de fatigue et d’horreur.»

    z8291chess.jpg

    Comme dans tous les livres de souvenirs extrêmement denses, des pages réussissent à sortir du lot. Notamment celle où Wex explique ce qu’est un producteur. Écoutez bien : «Il y a trois sortes de producteurs. La première est celle des documentalistes, comme Leonard Chess, qui enregistra le Delta blues de Muddy Waters tel que le jouait Muddy, c’est-à-dire raw, sans fioritures, real. Leonard reproduisait dans le studio ce qu’il avait entendu dans le bar. J’entre dans la deuxième catégorie, celle du producteur qui se met au service du projet. C’est typiquement le producteur qui commence en tant qu’amateur et qui organise les sessions. Son job consiste à trouver la bonne chanson, le bon arrangeur, les bons musiciens, le bon studio, en gros, faire en sorte de pouvoir tirer le meilleur parti de l’artiste. Phil Spector est l’exemple parfait de la troisième catégorie, le producteur star, l’artiste, la force motrice. Pour Phil, chaque chose - la rythmique, les cordes, les chœurs, le chant, les solos - est une pièce du puzzle. Le résultat est le sien et non celui du chanteur ou du compositeur. Son truc, c’est le wall of sound. Certains considèrent le wall of sound comme la plus belle invention depuis celle de la roue, d’autres trouvent ça artificiel. Plutôt que de pousser les carrières de chanteurs, Phil poussait la sienne. Les artistes étaient à son service.»

    z8281bis.jpg

    Avec Ray Charles, Wex aborde le chapitre des genius : «De tous les artistes avec lesquels j’ai travaillé, seulement trois sont à mes yeux des genius, et Ray Charles était le premier.» Wex est frappé par l’intelligence de cet homme qui avait une sacrée théorie : «J’ai une petite idée sur le fait qu’on m’ait laissé jouer comme je le voulais dans le Sud : une grosse partie du racisme vient du fait que les blancs ont la trouille que des noirs viennent baiser leurs femmes. Comme ils voyaient que j’étais aveugle, et donc que je ne pouvais pas reluquer leurs bonnes femmes, je n’étais plus une menace.»

    z8290tina.jpg

    Le deuxième genius, c’est Phil Spector - the most enigmatic hustler/genius of them all - Et il ajoute : «Without being either civil or subtle, Spector was terribly talented.» (Ni civilité ni subtilité chez Spector, il était tout simplement extraordinairement talentueux). Spector débarque à New York et commence à travailler pour Wex sur des arrangements de violons. Wex lui demande son avis et Phil lâche : «Fuck that man, I came from California to make hits.» (Laisse tomber ! Je viens de Californie pour sortir des tubes). Dans un chapitre enfiévré, Wex se dit admirateur de tous les hits produits par Phil, depuis les Ronettes jusqu’aux Righteous Brothers, en passant bien sûr par «River Deep Mountain High» - which wasn’t hailed as the Great American Hit (Qui aurait dû devenir le grand hit américain) - un flop qui traumatisa tellement Spector qu’il se retira.

    z8280jerry+aretha.jpg

    Le troisième genius de Wex, c’est Aretha. Wex se montre intarissable sur ‘Ree’ - Genius, c’est le mot. Clairement, Aretha continuait ce qu’avait commencé à faire Ray Charles, séculariser le gospel, recycler des thèmes de gospel et des sentiments religieux pour en faire des love songs personnalisées. Comme Ray, Aretha était une interprète exceptionnelle, elle jouait du piano des deux mains, détentrice du Holy Ghost power - Il refait l’apologie de cet album de gospel extraordinaire qu’est Amazing Grace - Aretha was on fire - et se calme un peu plus loin pour donner sa conception du grand chanteur : «Trois choses font un grand chanteur : la tête, le cœur et la gorge - head, heart and throat - La tête, c’est l’intelligence, le phrasé. Le cœur, c’est l’émotion qui donne le feu sacré. La gorge, c’est la voix. Ray Charles avait les deux premiers. Sa voix est merveilleuse, mais il ne fait pas de bel canto. Par contre, Aretha, comme Sam Cooke, a les trois.»

    z8282docpomus.jpg

    Wex vouait aussi une admiration sans bornes à Doc Pomus - If the music industry had a heart, it would have been Doc Pomus - et il ajoute un peu plus loin : «One of the the great writers, hipsters, sweethearts of all time.» C’est l’époque des Drifters et des Coasters, deux groupes qui maintenaient Atlantic à flot. Par contre, Wex n’épargne pas ce rat de Leonard Chess. Wex rappelle que les frères Chess sont à la fois des concurrents et des amis. Un soir, lors d’une session d’enregistrement organisée pour Big Joe Turner, Leonard et Ahmet ont une étrange conversation :

    — J’ai passé un accord avec Muddy Waters, lance Leonard. Muddy, je lui dis, quand tes trucs comme ‘Hootchie Coochie Man’ et ‘Mojo’ ne se vendront plus, tu pourras venir à la maison faire le jardin.

    — Très drôle, lui répond Ahmet. J’ai passé un autre genre d’accord avec Turner. Si ses disques ne se vendent plus, je serai son chauffeur.

    z8282walker.jpg

    Wex adore enfoncer les clous. Ce livre est un véritable tourbillon de personnages légendaires - What Charlie Christian gave jazz guitar, T-Bone Walker gave blues guitar - Eh oui, T-Bone - Je le revois dans ses superbes fringues, avec sa dent sertie d’un diamant et des pierres précieuses sur la Gibson - Apologie de Percy Mayfield à la suite - Mayfield, comme T-Bone, avait une voix de miel et une nature de poète, toujours sur le point de divulguer quelque fantastique révélation, comme par exemple le nom de ce dieu hébreu qui ne pouvait être prononcé (...) On ne peut savoir la profondeur du puits, chantait Percy, car le puits, c’est l’âme de l’homme.- Et quand il voit jouer Fess pour la première fois - using the piano as both keyboard and bass drum, pounding a kick plate to keep time and singing in the open-throated style of the blues shout - Wex s’exlame : «My God, we’ve discovered a primitive genius !» Et il enchaîne avec le Gospel according to Fess, c’est-à-dire la brochette de gens que Fess a directement influencés : James Booker, Fats Domino, Huey Piano Smith, Allen Toussaint, Art Neville et Mac Rebennack - Longhair is the Picasso of keyboard funk - Toutes les saveurs de la Nouvelle Orleans remontent à la surface du temps grâce au chapitre endiablé que Wex consacre à Fess. Il cite d’ailleurs Norman Mailer : «The source of Hip is the Negro, for he has been living on the margins between totalitarism and democracy for two centuries.» (Le vrai Hip est le nègre, car il vit depuis deux siècles en marge de la société, le cul entre ces deux chaises que sont le totalitarisme et la démocratie). Rien de plus juste, Hip étant dans l’esprit de Mailer le fin du fin du branché, le marginal définitif. Wex rend ensuite hommage aux white niggers, Milton Mezz Mezzrow et bien sûr Johnny Otis qui fut le découvreur d’Esther Phillips, de Sugar Pie De Santo et d’Etta James. Wex eut la chance de voir Big Joe Turner manger des R&B spaghettis au petit déjeuner avec Smiley Lewis et Lloyd Price. Down in New Orleans, Wex se sentait en sécurité, I knew I was in the sure-enough House of the Blues. Et puis voilà Guitar Slim, que Wex vient de signer sur Atlantic. Guitar Slim arrive en retard au studio de Cosimo, trois Cadillacs rouges, des filles en robes rouges et tout l’entourage - La session est une véritable boucherie. Au moment de partir en solo, Slim fout ses aigus à fond et fait sauter la console. On le supplie de baisser le son, mais Slim adore ce qu’il entend et met encore plus de volume. Chaque fois, la console saute. Chaque fois, Cosimo doit envoyer un gamin chercher des ampoules de rechange sur Canal Street. Ça dure chaque fois une éternité.

    z8283laver,.jpg

    Puis Wex passe sans ciller à LaVern Baker - I loved her because she stood smack dab in the middle of the great tradition of Ma Rainey and Bessie Smith (Je l’adorais car elle s’inscrivait dans la droite ligne de Ma Rainey et de Bessie Smith) - Wex évoque aussi l’un des plus grands chanteurs de tous les temps, Clyde McPhatters. Quand Ahmet demande à Clyde de venir enregistrer chez Atlantic, le Drifter lui répond : «Juste une chose, Mr. Ertegun : j’espère que vous n’allez pas jouer de la batterie dans ma session.» Clyde fait bien sûr référence à Syd Nathan, czar of the King Label, qui se permettait ce genre d’intrusion. Wex a raison, il n’en finit plus d’épingler tous ces gens qui se croyaient tout permis, les Chess et les Nathan.

    z8284burke.jpg

    Les grands coups de cœur de Wex sont aussi Solomon et le duo Leiber Stoller - Physiquement énorme, le King of Rock ’n’ Soul veillait sur un immense empire. C’était une force de la nature, un homme vif, extrêmement intelligent, un vendeur capable de vendre n’importe quoi, un homme qui avait le pas ferme et qui ne reculait devant aucun obstacle - Wex n’avait à l’époque que Solomon Burke pour résister au choc commercial de la British Invasion, Beatles, Herman’s Hermits et Dave Clark Five en tête. Il situe Solomon entre Sam Cooke et Donny Hathaway, c’est-à-dire l’incarnation de la sweetness qu’il considère comme la qualité principale de la Soul. À 24 ans, Solomon avait déjà un femme et huit enfants à nourrir. Il multipliait les petits boulots, en dehors de la Soul - Part artist, part hustler, he was a wit and a wonder, always hitting on me for more money, bigger advances and anticipated royalties (Mi artiste, mi arnaqueur, il était à la fois un esprit et une merveille. Il passait son temps à demander du blé, des avances de plus en plus grosses et des avances sur les royalties) - Ce qui nous amène tout droit à Bert Berns, «An outstanding songwriter and groove doctor. Il était aussi mercurial et aussi égocentrique que je l’étais. Il fut mon premier protégé.» Et Wex ajoute que son travail avec Garnet Mimms prouve qu’il était l’un des plus importants parmi les premier producteurs de Soul music. La première fois que Solomon vit Bert, nous dit Wex, ça faillit mal se passer. Bert avait un look un peu freaky, avec des cheveux qui descendaient dans le dos et Solomon n’était pas chaud pour travailler avec ce maverick : «Come on Jerry, you gotta be kidding me with this paddy motherfucker.» (Allez, Jerry, tu plaisantes, je ne vais pas travailler avec ce clampin). Lors de cette session, le paddy motherfucker enregistra l’énorme «Cry To Me».

    z8285stoller.jpg

    Portraits stupéfiants de Leiber & Stoller : «Leiber, Mr Discordely Conduct, was a charming mess.» (Il y avait à la fois quelque chose de charmant et de désastreux chez Leiber). Et plus loin : «Stoller was the taciturn virtuoso, an enigmatic keyboard wizard who looked as though he’d just arrived from Venus or Jupiter.» (Leiber était le virtuose taciturne, on aurait dit que ce sorcier du clavier débarquait de Venus ou de Jupiter). Leiber qui écrivait les paroles rappelle que s’il parvenait à faire rire Stoller avec l’un de ses textes, la partie était gagnée. Mais s’il y parvenait, c’était un miracle - To get him to crack a smile was a minor miracle - On voit d’ici le tableau. Et Leiber poursuit : We used humour to take off the edge - Ils rendaient fous les Coasters, avec leurs textes - Billy Guy lisait les paroles et gueulait : «Mec, ils vont nous pendre dans le Mississippi, si on chante ce truc-là !»

    z8286dewey.jpg

    Après la Nouvelle Orleans, Wex tombe dans les bras de Memphis. Encore peu connu, il est invité avec Ahmet à l’émission de Dewey Phillips, le DJ qui fit décoller Elvis. Le disque s’arrête et Dewey reprend le micro pour présenter ses invités : «Ce soir, les gars, j’ai une paire de sales voleurs Yankees dans le studio. Ils sont là pour nous piquer tout ce qu’on a, mais je crois qu’ils arrivent trop tard. Leonard Chess est passé avant et il a tout barboté.» Explosion de rire dans le studio. Wex clôt le chapitre Dewey en rappelant que Sam Phillips a veillé sur lui jusqu’au jour de sa mort. Wex adorait Jim Stewart qu’il recevait chez lui, par contre il se méfiait d’Estelle - She was something of a Medusa, a mover and a shaker (Il y avait de la méduse en elle) - Il adorait aussi Rufus Thomas, pour son sens aigu de l’ironie, un Rufus qui savait se montrer sardonique sans être méchant, gonflé sans être amer - He was hip - C’est l’un des plus beaux hommages rendus à cet immense artiste qu’est Rufus Thomas. Wex ne tarit plus d’éloges sur les MGs - They were magic in the studio, Booker had this great low-down Ray Charles feel, Cropper was a marvel, un guitariste qui combinait la rythmique et les départs en solo, compositeur intuitif incroyablement doué, Jackson, perhaps the premier funk drummer of the decade, Duck, dead-on with hypnotic natural-feel bass lines - Wex commence par ramener Wilson Pickett chez Stax - I called him the black panther even before the phrase was political (Je l’appelais the Black Panther avant que l’expression ne devienne politique) - Il enferme Steve Cropper et Wilson Pickett dans une chambre d’hôtel, leur colle une bouteille de Jack dans les pattes et leur dit «Write !» Ils ressortent un peu plus tard avec «Midnight Hour». Wex affirme aussi que Porter & Hayes étaient aux sixties ce que Leiber & Stoller furent aux fifties : des poètes doués du bon punch. Et pouf, on embraye directement sur l’épisode Sam & Dave - Aux yeux de Wex, Sam tenait de Sam Cooke et de Solomon Burke, alors que Dave tenait plus des Four Tops et donc de Levi Stubbs, c’est-à-dire le pasteur promettant l’enfer sur la terre. Quand Jim Stewart refuse de recevoir Aretha que vient de signer Atlantic, Wex se tourne alors vers Rick Hall qui a commencé à se tailler une belle réputation grâce à Arthur Alexander et Percy Sledge, qu’il n’a pas enregistré, mais qu’il a recommandé à Wex. C’est le début d’une nouvelle idylle. Wex compare Rick Hall à Berry Gordy, a po’ boy from the bottom of the agrarian ladder - Et lui amène Aretha. L’histoire de cette journée d’enregistrement compte parmi les plus passionnantes de l’histoire de la Soul. Elle se termine par une brouille et des règlements de compte. Wex va ensuite s’établir à Miami. Il y fera travailler Dickinson et ses Dixie Flyers pendant six mois - Pendant un temps, les Dixie Flyers volaient haut. Je ne savais pas qu’ils prenaient toutes ces drogues, mais je savais qu’ils étaient des wild motherfuckers. It was wild times, and into this wild mix came the wildest man of them all - Il évoque bien sûr Dr. John, the blackest white man in the world. Et il ajoute : «His talk is black, his soul is black and God knows his music is black.» Si on veut lire une parfaite apologie de Dr John, c’est là dans ce livre : «Son histoire passe par Shirley And Lee, Roy Brown, Archibald, Lloyd Price, Shooks Eaglin, Guitar Slim, Smiley Lewis, Earl King et le grand promoteur/producteur Huey Meaux. Il a été directeur artistique pour Johnny Vincent à Ace Records et il enregistra son premier hit, «Morgus the Magnificient» sous le nom de Morgus & the Ghouls en 1959.»

    z8287dusty.jpg

    Encore une rencontre de choc avec Dusty Springfield, au moment de l’épisode Dusty In Memphis - Dusty has to be the most insecure singer in the world (Dusty bat tous les records d’insécurité) - Pour Wex, Dusty chérie est une immense artiste : «Comme dans le cas d’Aretha, je ne l’ai jamais entendue chanter une seule fausse note.» Wex commence par lui proposer des chansons. Plus d’une centaine. Ça dure des jours et des jours. She approved exactly zero. Elle refuse tout. Il entre alors dans le détail - Après des mois passés à tourner en rond, on s’est mis d’accord sur onze chansons : quatre composées par Gerry Goffin et Carole King, deux par Randy Newman, le «Just A Little Lovin’» de Barry Mann & Cynthia Weil, une chanson de Bacharach & David et «Breakfast In Bed», signé par deux des meilleurs compositeurs d’Alabama, Eddie Hinton et Donnie Fritts - Wex choisit le studio American de Chips Moman à Memphis. Mais Dusty ne voulut pas chanter. Rien à faire. Bloquée. Elle enregistra son Dusty In Memphis à New York et Wex nous dit que ce fut l’enfer. Il la poussa tellement à se surpasser qu’elle lui balança un cendrier dans la gueule. Et puisqu’on est avec les grandes chanteuses, voici Bonnie Bramlett : «Bonnie was blazing hot.» Et Wex termine très fort avec l’impressionnant Donny Hathaway qui étudia le Groupe des Six (Honneger, Milhaud, Taillefer, Auric, Durey et Poulenc) et qui pouvait jouer du Satie. Wew rend aussi hommage à Roberta Flack et puis à Eddie Hinton qui reste à ses yeux l’une des grandes énigmes de la Southern music. But dear God, the boy could play some funk.

    z8288erthegun.jpg

    Ne manque-t-il pas un personnage important dans ce tourbillon ? Ahmet, bien sûr - Ahmet Ertegun is the stuff of myth - et il ajoute qu’au cours de six décennies d’âpre lutte commerciale, c’est-à-dire depuis les années quarante jusqu’aux années quatre-vingt dix, il a été l’homme le plus futé et le plus fair-play de l’industrie musicale américaine. Quand à l’âge de dix ans, Ahmet vit jouer Duke Ellington au London Palladium, il tomba aussi sec sous le charme de la black music - A new world opened up to me - Ahmet devint littéralement obsédé par la black music. Il disait entendre son langage secret. Il se mit à vivre la nuit pour vivre la musique. Wex : «Alors que j’étais un bûcheur, Ahmet était un artiste. Il faisait tout à l’inspiration.» Wex raconte qu’un jour ils se trouvaient tous les deux dans un avion secoué par des trous d’air. : «J’avais l’estomac dans les godasses et Ahmet ne bronchait pas, plongé dans la lecture d’un essai de Kant, Critique de la Raison Pure. Arrivé en ville, j’allais directement au lit alors que lui se préparait à sortir, debout devant l’armoire à glace à choisir une cravate. Le lendemain matin, je vis Ahmet rentrer. Il racontant des histoires de rencontres extraordinaires.»

    z8277bookanglais.jpg

    Oh et puis il y a ces deux pages hallucinantes que Wex consacre au Swamp, vers la fin du livre : pure magie musico-littéraire que je recommande à tout collectionneur de bonnes feuilles.

    Signé : Cazengler, wexler d’un con

    Jerry Wexler & David Ritz. Rhythm And The Blues. Alfred A. Knopf 1993

     

     

    À la vie à la Morlocks - Part Two

    z8259dessinmorlock.gif

    Très mauvaise période. Les planètes ne sont pas favorables, nous dit Miss T. Le pire est à craindre. Tellement à craindre qu’il en devient palpable. Alors que le chaos s’installe dans l’univers, les Morlocks montent sur scène dans un Taquin bourré à craquer. Avant même qu’ils n’aient commencé à jouer, l’air devient irrespirable. Le chaos tue la frivolité dans l’œuf, c’est bien connu. Plane à la surface de la conscience un sentiment de latence extrêmement pesant. Est-ce un hasard s’ils attaquent avec «Killing Floor» ? Il arrive que l’esprit se prête au petit jeu des mauvaises associations de pensées, raison pour laquelle il faut savoir rester vigilant. Mais tout de même, «Killing Floor» n’a rien d’un conte de fées. Les Morlocks s’était amusés à reprendre ce vieux hit de Wolf sur leur album hommage à Chess, Play Chess. Ce choix sonnait à l’époque comme un plaisant gadget, mais il prend une autre résonance sous des auspices mortifères. Diable, il faut pourtant s’efforcer de goûter le bonheur de voir une fois encore se dresser sur scène ce géant nommé Leighton Koizumi.

    z8264chant+guit.jpg

    Pourquoi géant ? Parce qu’il entre dans la caste des fascinants screamers. Il n’a rien à envier ni à Gerry Roslie, ni à Wilson Pickett, ni à Bunker Hill, il sait tirer un scream long comme la galerie principale des catacombes de Denfert-Rochereau. Bonheur aussi que de revoir Bernadette jouer les locomotives sur sa belle guitare blanche. Ces deux-là font la paire, ils drivent l’un des meilleurs garage-blasting outfits d’Europe. Ils rendent ensuite hommage à Roy Loney avec une fringante cover de «Teenage Head». Ils jouaient déjà ce vieux Flamin’ hit depuis longtemps (Easy Listening For The Underachiever), mais en cette sombre soirée de janvier, il s’impose comme une évidence.

    z8293bring.jpg

    Ils vont ensuite taper dans l’excellent Bring On The Mesmeric Condition paru l’an dernier avec le «Bothering Me» d’ouverture de bal d’A. Well done, Mor ! Thank you Lock ! Plus loin dans le set, ils vont taper dans le tas avec «We Can Get Together», une très belle dégueulade de vieux accords déambulatoires. Leighton K screame comme une âme en pleine Sylvanie, il transperce les Perses à thèmes qui comme on sait finissent toujours par s’atteindre au pire. Tout ce rock prodigieux nous tombe sur le râble comme jadis le ciel tombait sur la tête des Gaulois, il n’y a rien que tu puisses faire pour empêcher ça. Lorsque les éléments se déchaînent, il ne te reste plus qu’à prier Dieu pour que tous nous veuille absoudre. Cette prière vient de loin, du temps où on pendait les poètes qui arsouillaient le bourgeois et les voleurs qui rimaient si richement. Le corps de François Villon flotte toujours dans l’air, suspendu à la potence de Montfaucon. Les corbeaux lui ont dévoré les yeux depuis longtemps et les Morlocks illustrent cette image d’Épinal avec «No One Rides For Free». Ils y jouent leur va-tout et optent pour un garage sauvage qui ne traîne pas en chemin. Le garage presse le pas, comme s’il devait traverser un bois la nuit et qu’il entendait hurler des loups. Mais comme Leighton K est un vrai héros des temps modernes, il rugit comme le lion de Delacroix et les loups s’éloignent. Fantastique shouter ! Tu n’en croiseras pas beaucoup de cet acabit, Akaba.

    z8260gii+chant.jpg

    Les Morlocks montrent aussi des moment de faiblesse, comme tous les grands groupes, avec des titres moins consistants, tiens par exemple ce «Down Underground» qu’ils rapatrient en fin de set et qui clôt le bal d’A de Mesmeric Condition. Du son, du son, oui mais des Panzanis. Ce n’est pas si grave au fond, comparé au chaos de l’univers qu’on entend rouler par dessus l’orage sonique des Morlocks. Le tatouage que vous voyez au coin de l’œil gauche de Leighton K est une larme. Une belle larme bleue. Ce tatouage si difficile à porter signifie l’inconsolabilité des choses. Leighton K l’illustre avec «I Don’t Do Funerals Anymore». Inutile d’insister, il refuse de continuer à verser de vraies larmes. Il préfère rugir dans la nuit pour chasser les loups et accessoirement mettre le public du Taquin en transe. Fantastique ambiance ! Les gens sont là pour en croquer, ça se sent. Avec «Time To Move», Bernadette se livre à son jeu favori : faire croire qu’il va taper un shoot de Heartbreakers, comme il le fait souvent sur scène avec les Gee Strings. Il amène son «Time To Move» aux big dégoulining chords. Ça stroumphe dans le born Too Loose, c’mon time to move. Bernadette il est très chouette, il crache sa foudre à la Thunders en mâchant son chewing-gum comme un crack de cour d’école. Aboule tes billes ! Fais moi pas chier ! Bernadette règne au royaume du guitar-power, mais gentiment, car il n’est pas de mec plus soft que lui sur cette terre. Cet incroyable mélange de power et de gentillesse devrait servir de modèle à tout le monde. C’est pourtant pas difficile à comprendre, sauf bien sûr quand on est amputé du cerveau. En prime, Bernadette ne frime pas. Le spectacle de ce mec nous repose et nous console de bien d’autres spectacles. Ah la liste est longue.

    z8262lestrois.jpg

    Tiens puisqu’on parlait de tatouages : tu as vu ce qui est écrit sur les bras de Leighton K ? Sur l’avant-bras droit figure en gros caractères bien baveux et alignés sur la hauteur le mot GIMME et sur l’avant-bras gauche le mot DANGER. Ça fait quoi ? Les Stooges ! Nous y voilà. Boom ! «One Foot In The Grave», comme par hasard. Encore un cut tiré du lit de Mesmeric Condition en pleine nuit par la Gestapo. Humm, pas bon signe. Ça va mal finir, mais Leighton K s’en bat l’œil du typhon, il a été dirt but il don’t care, il lance une attaque en règle à l’Iggy-motion, il vise la pertinence de l’excellence du woooahh et les flashs in the flesh de Bernadette couronnent ce festin funéraire. Pas de cut plus macabrement terreux que ce Foot In The Grave, les Morlocks l’asticotent jusqu’à ce qu’on sente battre le pouls du cimetière, cette espèce de battement sourd qui remonte des tombes lorsque la lune est pleine et que les feux follets filent dans les allées. Ces mecs sont tout de même extraordinaires, car ils parviennent à créer de l’événement à partir d’un matériau éculé par tant d’abus. Il faut attribuer ce petit prodige à cette foi de pâté de foie qu’on retrouve chez tous les obsédés de l’obsession, celle qui par exemple conduit l’amateur de mécanique à monter un groupe de rock, ou l’amateur de rock à monter un garage Renault, oh nault nault nault ! La foi de pâté de foie est celle qui se tartine le mieux. Rien que de l’évoquer, elle donne faim.

    z8263idem++.jpg

    Parmi les grands moments du set, il faut aussi citer «My Friend The Bird», un balladif poignant qui remonte aux origines des Morlocks, puisqu’on le trouve sur le fameux Easy Listening For The Underachiever enregistré en 1986. Aujourd’hui, «My Friend The Bird» intrigue autant qu’à l’époque et restera probablement le cut le plus attachant des Morlocks, comme peuvent l’être «Ruby Tuesday» pour les Stones et «Can’t Seem To Make You Mine» pour les Seeds.

    z8265lestrois.jpg

    Les Morlocks rendent un autre hommage de taille, cette fois à Roky Erickson, avec la reprise d’un cut tiré du premier album des 13th Floor, «You Don’t Know (How Young You Are)». Ce vieux coucou que Leighton K prend le temps de présenter n’est pas le plus connu des hits du 13th Floor et pas non plus le plus énervé. Pour finir, ils vont tirer «Easy Action» du lit de Mesmeric Condition et lui faire subir tous les outrages, mais qu’on se rassure, c’est fait pour. «Easy Action» n’ira pas porter plainte au commissariat. D’autant que l’excellent Rob Louwers le tatapoume à l’excès morlocké. C’est tellement morlocké que le Taquin chavire comme un vaisseau démâté par la tourmente. Et comme si ça ne suffisait pas, ce démon de Leighton K screame comme l’Iguane de la grande époque et c’est tant mieux. Son scream s’en va se perdre dans le chaos de l’univers, dans ce tumulte anarchique des âmes errantes qu’on ira grossir un jour. As would say my friend Jack, «le pire est toujours certain».

    Signé : Cazengler, la loque

    Morlocks. Le Taquin. Toulouse (31). 7 janvier 2020

    Morlocks. Bring On The Mesmeric Condition. Hound Gawd Records 2018

     

    ELLESMERE

    MARIE DESJARDINS

    ( Editions du Cram / 2014 )

    z8251ellesmere.jpg

    INTRODUCTION GENERIQUE

    Du Canada. Quelques arpents de neige. Ne soyons pas si dédaigneux. Ronnie ’’ Oh ! Suzie Q, I love you !’’ Hawkins, pionnier émérite du rock ’ n’ roll a terminé sa vie en cette contrée. Marie Desjardins y est née. L’on a vivement apprécié deux de ses livres dans Kr’tnt, Ambassador Hotel, La mort d’un Kennedy, la naissance d’un rocker, une biographie imaginaire, une réflexion sur la malédiction du rock quand on y réfléchit un peu, reportez-vous à notre livraison 440 du 28 / 11 / 2019 pour en savoir plus.

    Et illico ( livraison 442 du 12 / 12 / 2019 ) un deuxième - parce que chez Kr’tnt quand on aime on essaie de creuser le filon - les amours d’ Hallyday et Vartan. Dit comme cela, cela fait un peu fleur bleue, un peu people. Mais une fois que vous y aviez mis le nez dedans, vous êtes obligé de vous dire, diable c’est une véritable écrivaine qui se dévoile en ces pages, du rock bien sûr, mais aussi une analyse psychologique de toute beauté, de toute finesse.

    Cette fois le titre m’était totalement énigmatique. Ne connaissais aucun rocker de ce nom-là. L’ignorance est mauvaise conseillère. Puisque le deuxième roman s’écrivait sur la couverture SYLVIEJOHNNY - notez les lettres majuscules et la suppression de l’espace entre les deux prénoms - j’en déduisis qu’ELLESMERE devait s’écrire ’’ elles mère ‘’ et qu’il s’agissait d’une étude théorique sur les relations ( freudiennes et compliquées ) entre le personnage matriarcal et sa progéniture féminine. Sympathique mais pas vraiment ma tasse de thé.

    Erreur sur toutes les lignes. Ellesmere est le nom d’une île canadienne située tout au nord. Jamais je n’avais entendu parler d’elle. J’aurais dû. C’est sur cet ilot de glace et de neige qu’en 1953, le gouvernement canadien, exila quelques dizaines de familles inuits en leur promettant un merveilleux territoire de chasse. Les malheureux n’y trouvèrent... que de la glace et de la neige. Certains eurent la mauvaise idée de ne pas survivre à ce dépaysement de choc. A tel point qu’en 1956 une deuxième fournée d’inuits fut nécessaire… Ne croyez pas que nos gouvernants soient volontairement méchants, bien sûr ils avaient une bonne raison, le sous-sol de l’arctique attire de multiples convoitises. En implantant un misérable village en ce lieu désolé, aucun état étranger ne pouvait revendiquer cette île, elle appartenait de fait au Canada, puisqu’elle était peuplée de canadiens…

    Voilà, c’est tout. C’est terminé. Non pas le livre. Juste l’introduction. Parce que le book, il cause d’autre chose. Je pense que vous n’avez pas compris. Alors je vous redonne une introduction, un peu plus rock, ce coup-ci.

    INTRODUCTION ROCK

    Attention le rock n’est pas le sujet de ce roman. D’ailleurs est-ce un roman, le titre n’ est-il pas suivi de la mention Conte Noir ? Mais le lecteur ne manquera pas de relever que le Narrateur s’empresse de déclarer que Jim Morrison a donné un concert dans un des bars qu‘il préfère.

    Par contre, question conte noir, un morceau comme The end, il est difficile de trouver pire. Déjà ça commence très mal : The killer awoke before dawn, le tueur s’éveilla avant l’aube, vous connaissez la suite : father ? / Yes, son ? / I want to kill you. / Mofher ? I want to... fuck you en un hurlement à vous glacer le sang le temps que le garnement liquide son complexe d’Œdipe.

    Il y a une ligne qui m’a toujours fasciné dans ce poème, et dans tous les livres que j’ai lus sur Jim ou sur les Doors aucun auteur ne s’arrête sur ce détail qu’ils tiennent apparemment pour insignifiant, c’est au moment crucial, après que le tueur a pris un masque dans l’ancient gallery, ce vers énigmatique : ''He went to the room where his sister lived'' un garçon poli et bien élevé, il dit coucou à sa sœurette juste avant d’aller trucider leur parentèle. On n’en saura pas plus, l’on peut comprendre qu’il était pressé, qu’il avait mieux à faire qu’à taper la causette avec la frangine, n’empêche que je me suis toujours demandé ce qui s‘était exactement passé. Pour la petite histoire le suivant est tout autant mystérieux : '' And then he paid a visit to his brother'' : à propos de celui-ci, je me contenterai d'une explication de mathématique élémentaire : killer + sister + brother = 3. Voilà, c’est tout. C’est terminé. Non pas le livre, juste la deuxième introduction.

    SI…

    Si vous étiez Marie Desjardins je vous imagine sauter sur votre ordinateur, style je ne reconnais plus personne sur ma Remington, vlan ! d’un seul jet trois cents pages sur ces pauvres inuits abandonnés sur l’inhospitalière glace ellesmérienne, dans le genre aux esquimaux tous les maux, vous nous feriez verser des larmes de compassion à faire fondre la calotte glaciaire. Avec quelle dextérité vous tendrez à vos lecteurs le bâton à snif-snif afin qu’ils battent à satiété leur coulpe pour un crime qu’ils n’ont pas commis ! Heureusement Marie Desjardins s’y connaît davantage que vous sur la menée d’un récit et la cruauté humaine. Pas une once de repentance mortifère christianologique chez Marie Desjardins, Je vous sens prêts à suivre ‘’ l’honorable John Duncan ministre des Affaires Indiennes et du Nord canadien ( … ) afin de présenter des excuses au nom du gouvernement canadien à la communauté inuit.’’ Ce qui vous épargnerait la lecture de ce livre, cette phrase étant une des toutes dernières qui terminent l’Epilogue. Les grecs nous l’apprennent, l’épilogue n’est en rien le corps du récit, aussi est-il nécessaire de se pencher sur la chair pantelante de celui-ci.

    UN TRIPTYQUE FAMILIAL

    Trois beaux enfants, la mère est aimante et le père vétérinaire. L’histoire commence comme un conte de fée. C’est peut-être pour cela qu’il y a un ogre qui arrive très vite. Pas un méchant qui surgit de nulle part. L’est tapi - lui et sa progéniture dans la douceur du foyer - c’est le père. Il aime sa femme, pose un regard distrait sur les deux petits, mais il a décidé de faire un homme de Jess son fils aîné. Qui ne se plaint pas. Qui serre les dents, qui à treize ans se lève à quatre heures du matin pour partir au loin aider une vache à vêler.

    Ne criez pas au scandale, n’appelez pas la police pour maltraitance, la vie est dure, est-ce vraiment rendre un service aux gamins de les surprotéger, de les élever comme des lavettes, dans du coton à l’eau de rose ? Jess ne sera-t-il pas présent pour prendre dans ses bras le bébé, sa petite sœur, que lui tend le docteur puisque le père est au loin auprès d’un animal malade. Pas une mauviette le Jess, s’affranchira vite de la famille, un gars qui n’en fait qu’à sa forte tête, une personnalité extrême, une espèce de chef de bande, qui organisera un trafic de drogue, qui tuera celui qui l’aura trahi, et qui s’en ira vivre à Ellesmere, devenant un des leaders de la communauté.

    Louise est plus calme, une jolie petite fille sage, qui passe son temps à dessiner et à peindre. Qui obéit à sa maman chérie et qui adore que le soir avant de dormir son grand-frère Jess se glisse dans son lit pour lui raconter des histoires. Quand elle sera plus grande il arrêtera les contes pour les remplacer par Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre.  Un conte noir et virginal en quelque sorte.

    Nestor, on l’appelle Nes - sonorité si proche de Jess quand on y pense - c’est lui qui raconte l’histoire, pas celle de Paul et Virginie, celle de Jess et Louise. Un peu comme un palimpseste. Beaucoup comme un inceste. Sa mère dit que c’est le génie de la famille. Elle a raison. Un gros fainéant aussi. Mais il suffit qu’il saisisse un crayon pour qu’il vous abandonne un chef d’œuvre griffonné à la va-vite sur un morceau de papier. Rien à voir avec Louise qui passe ses journées courbée sur ses dessins, sympathiques sans plus. C’est tout de même Louise qui par sa critique impitoyablement persévérante l’aidera à accoucher d’un chef d’œuvre : le fameux triptyque Ellesmere ( huit mètres de haut ) qui le classe d’emblée parmi les grands peintres du siècle. C’est Jess qui avait révélé à son frère l’existence et l’histoire de l’île. Du jour au lendemain le voici célèbre, les filles sont folles de lui, vie facile, l’est devenu une célébrité, une espèce de rock-star, l’argent, la gloire, le sexe et l’alcool, le charisme, que voulez-vous de plus. Plus besoin de travailler !

    CONTE NOIR

    Et brebis sanglante. Chacun des deux garçons a réussi en son genre. Louise est à la peine. Survit en plaçant quelques dessins par-ci, par-là, s’enferme dans une écurie pour travailler à son œuvre… Elle ne sait pas se vendre. Son problème n’est pas là. Elle aime Jess et Jess est ailleurs. Il vient - rarement - la prendre et la pénétrer pour mieux l’abandonner par la suite. Le désir de la chair de l’autre ne correspond pas obligatoirement au désir d’absolu de l’une. De fait l’on ne désire que son propre désir. Louise attend celui qui ne viendra pas. Certes de temps en temps elle prend un amant, et Marie Desjardins sait peindre cette jouissive donation de la chair femelle en même temps que cette froide abstinence de l’âme captive en elle-même.

    L’histoire a une fin que je ne vous révèle pas. Car il en est encore une autre plus ténue. Imperceptible. Racontée à mots couverts, à mots tus. Le traitement inhumain de la population d’Ellesmere n’est que le haut de l’entonnoir. L’écume bouillonnante secrétée bien en-dessous par quelque chose qui n’a rien à voir avec l’accidentalité de la surface. Le goulot d’étranglement terminal qui s’ouvre sur le siphon captateur qui permet le passage en une dimension souterraine et plus intime. Jess et Nes comme deux miroirs identiques se faisant face reflétant la trouble image de Louise. Victime consentante et agissante. Le papier et le calque. La prêtresse qui se sacrifie pour des Dieux qui n’existent pas. Peut-être pour qu’ils reconnaissent qu’elle était la divinité. Mais ils n’y croient pas. Notre monde intérieur est bien plus dur que les glaces d’Ellesmere. Il a toutefois besoin d’images – on s'amuse avec elles comme on joue au docteur quand on est petits - pour en signifier la cruauté. La transparence des vols qui n’ont pas fui. Selon Mallarmé.

    THE HAWK

    Le symbole de l’épervier plane au-dessus du roman, à chaque fois abattu d’un coup de carabine… est-ce l’œil implacable du faucon d’Horus, ou celui de l’Artiste schopenhauerien, regard limpide de l’univers, ou celui unique que se partagent les trois mères goethéennes du triptyque des Grées, au fond de l’Erèbe, cette pupille de diamant noir impavide que Marie Desjardins leur a subtilisée afin d’écrire ce livre de glaces sous lesquelles brûle et flamboie le feu charnel originel. Hiérogamique. Que personne ne veut voir. Ne veut saisir. Car contraire au simple devenir humain. S'aventurer si loin... Marie Desjardins a osé. Qu'elle en soit remerciée.

    z8252desjardins.jpg

    Damie Chad.

     

    PARIS / 07 – 01 – 2020

    SUPERSONIC

    AVALANCHE / LOUIS LINGG & THE BOMBS

    EFFELLO & LES EXTRATERRESTRES

     

    Il y a remède à tout. Même à vingt-quatre jours sans concerts de rock. Une calamité sans égale, quand je pense que certains pleurent sur le changement climatique, l'Australie qui brûle, la disparition des insectes et je ne sais quels autres détails insignifiants comparés à ma terrible disette de rock'n'roll, nos contemporains ne savent pas classer les priorités dans le bon ordre ! Bref ce mardi soir je décide de passer à l'action. Pas facile avec cette valetaille de gouvernement aux ordres du CAC 40 qui empêche les métros de rouler ! Pas grand-chose à se mettre sous la dent, en dernière extrémité je me décide pour le Supersonic, un peu trop bobo à mon goût. Qu'importe, le flocon pourvu qu'on ait l'ivresse !

    AVALANCHE

    z8256logoavalanche.jpg

    Pour une avalanche ne sont pas trop nombreux. Trois grands garçons bien propres sur eux sur scène. Un batteur qui bourrine à mort, ne laisse pas un espace de libre, avec un tel engrenage derrière vous, vous êtes tranquille, pas de blancs troublants, pas d'erreur possible, l'avalanche de coups durs et bas, c'est lui. Le gars vous le repérez d'office à l'oreille, vous enfonce les tympans à la manière de ces béliers médiévaux qui s'acharnaient des heures durant sur les les vantaux de chêne centenaire de la cité ennemie. Bien sûr par dessous la piétaille recevait pour tout remerciement coulées d'huiles brûlantes et moellons de cinquante kilos sur la tête. S'entêtaient toutefois car ils savaient que l'ouverture forcée leur revenaient de plein droit la rapine, le viol, le meurtre, l'or et l'argent. Avec un tel batteur l'on pouvait espérer de telles horreurs, d'autant plus qu'à l'autre bout de l'estrade Jean-Denis vous maniait sa basse tel un reître vous coupant en deux de sa hallebarde sanglante. Vous aviez de ces lignes de basse capables de vous enserrer le plus large des donjons dans un rets de lianes carnivores insinuantes capables de vous desceller les pierres les plus grosses en moins de temps qu'il n'en faut pour les entendre.

    z8255avalanchephoto.jpg

    L'on se disait, nous voici partis pour une nuit d'horreurs, une série Z métallique comme on les aime. Hélas, il y avait un guitariste. S'appelle Thierry. Ce n'est pas qu'il était mauvais. C'est qu'il était trop gentil. Caressait bien son instrument. Mais pas à rebrousse-poil. L'aurait pu le saigner bonnement, lui faire pousser de cris de goret asthmatique que l'on égorge sans plus tarder. Mais non, c'est un ami des bêtes. Pas question de les faire souffrir. Faut que la guitare ronronne en chat de salon rondouillet qui ne quitte pas le canapé. Ronron à volonté pour fine gourmette. Idem pour la voix, mélodique. S'écoute un peu jouer et chanter. Nous le fait au flegme britannique détaché qui n'y croit pas. Y aura bien de beaux passages sur No longer, I will, et Coffin, qui raviront le public, ce qui ne m'empêche pas de m'ennuyer, un peu, beaucoup mais pas du tout à la folie. Que voulez-vous le rock élimé ne convient pas aux rockers, nos gaillards sont bien dans leur style mais je suis de ceux qui crient dans la rue que tout le monde déteste la pop lisse. Sans doute ai-je tort puisque l'assistance les remercie par une avalanche d'applaudissements.

    ( Photo : FB des artistes )

    LOUIS LINGG & THE BOMBS

    z8238idem++.jpg

    Ce coup-ci, pléthore sur le ring. Ce n'est plus un groupe, c'est une manifestation, ne sont que six mais ils sont si serrés qu'ils ressemblent à une botte de radis. Noirs. Personne parmi les lecteurs de Kr'tnt ! - du moins nous l'espérons - n'est sans ignorer que Louis Lingg fut un anarchiste américain qui à l'instar des compagnons de par chez nous – en notre douce France des années 1880 – pratiquait la propagande par le fait. Pour son maniement de la dynamite l'on aurait dû décerner le prix Nobel à Louis Lingg, mais non on préféra le condamner à mort. Comme quoi parfois les efforts sont mal récompensés. Un groupe mixte, deux filles, quatre garçons. Nous commencerons par distribuer une image à Clémence, ses parents ont bien choisi son prénom, alors qu'autour d'elle ça s'agite un max pour s'installer, elle vous sort précautionneusement d'un sac pas plus gros qu'un cartable d'écolière un petit keyboard pas plus long qu'un triple décimètre, et le pose soigneusement sur son pliant avec l'application du Petit Chaperon Rouge déposant sa galette son pot de beurre sur la table de nuit de sa mère-grand. Ne soyez pas émue par cette vision idyllique, car elle sera la première à vous catapulter sur le museau une ondée sonore de pluviosité tempétueuse. Elle mérite amplement le titre de déclencheuse de tornade numéro un.

    z8239troisling.jpg

    Car aussitôt ça zébulone à en péter les boulons. Sont tous pris d'une vague de tressautements parkinsoniens de très mauvais aloi, s'égosillent tous en chœur Oi ! Oi ! Oi ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! c'est parti pour trois quarts d'heure de folie douce. Z'ont le punk festif et alternatif. D'abord Josh – le plus âgé et le moins sérieux – vous balance une giclée de guitare – tout de suite échoïfiée par celle d'Arno – et la suite n'est plus qu'une sarabande échevelée. Quand à force de gigoter ils perdent un peu de peps, dans son coin Zgaygoire vous revigore les les ardeurs de trois ra-ta-plan grandignolesques sur sa batterie. Josh est le GO du groupe, il invective de son accent inimitable le public, descend de scène pour faire la bise à une fille, se lance dans un discours pour nous préciser qu'ils sont tous contents de jouer à Paris en cette période révolutionnaire – du coup ils nous interprèteront Freedom Fighter – et assure les vocals. N'est pas seul pour cette auguste tâche. L'est secondé par Julie qui micro en main répète en plus aigu les dires du boute-en-train de la maison où tout se déglinggue magnifiquement. Foutraque et charivarique.

    z8241fourlinf++.jpg

    Ne foutent pas le feu, mais sèment la joie. Joyeux remue-méninge anarchisant, pétards d'artifice mais ambiance chaleureuse. L'assistance remue, crie, applaudit, rit. Certes l'on sourit de ce chahut de grands enfants très sympathiques, mais c'est un peu le punk à la peinture à l'eau. Perso je le préfère à la nitroglycérine.

    ( Photos : FB : DAVE WINTER )

    EFFELLO ET LES EXTRATERRESTRES

    z8253effello.jpg

    Pas de panique. Les extraterrestres ne sont pas aussi nombreux qu'on pouvait le subodorer. Ne sont que trois. Et peut-être seulement deux, car question métaphysique Effello est-il lui aussi un extraterrestre ? Peut-être oui, peut-être non. Nous nous contenterons de dire qu'il est sûrement un terrestre extra. En tout cas, sont tout beaux, tout jeunes. Z'ont tout pour plaire. Portent des lunettes à montures de plastique fortement colorées. De même chacun arbore sur sa chemise noire une mince cravate, jaune beurré, verte bibliothèque, rose épineuse, ce n'est rien qu'un morceau de tissu à peine plus large que le ruban des anciennes machines à écrire, mais cela leur donne un style inimitable. Souvenez-vous de combien était content votre instituteur quand vous aviez souligné les titres de votre leçon.

    Laissez-moi ne pas être d'accord avec le refrain de leur premier morceau. Pas mieux qu'avant. Sûr de sûr que le rock était mieux avant que maintenant. Mais ils vous assènent cette contre-vérité avec l'arrogance de la jeunesse qui excuse tout. Ne sont pas là pour énoncer des vérités définitives. Sont ici pour prendre du bon temps. To have some fun. S'amuser sans se pendre la tête, pas même la notre. Ils ont le rock léger. Ne pas comprendre guitare claire. Rapide, bien emballé, à peine pesé, déjà consommé. Mais vous le servent avec un tel aplomb et un tel sourire que vous demandez une autre tranche de jambon sans gras, ou un autre vin sans alcool, ou une cigarette sans tabac, sans même réfléchir que nos prestidigitateurs ne vous vendent que du vent. Mais peut-être est-ce dû à l'absence d'un deuxième guitariste qui devrait normalement épaissir la mayonnaise à la grenadine.

    z8254disquevache.jpg

    Rien ne les arrête. L'on n'entend plus que la basse d'Arnold et la tambourinade de Grégoire, Effello est tout fier, vient de casser son ampli, rien de plus rock'n'roll, après quelques essais infructueux il s'avère que c'est la guitare qui refuse de faire son boulot, Josh ( de Louis Lingg & the Bombs ) se précipite pour lui passer son instru. Tout de suite Elleffo se lance dans un solo dont il assure illico la promo.

    Le punk, Etudiant, Jeune et beau, défilent au galop. Quelque part entre Ramones et Wampas. Le rock est-il un infusoire aussi dérisoire qu'une passoire, ou une histoire d'urinoir bouché, néanmoins libératoire. Le public bouge de plus en plus. On s'amuse, sans se poser de question. Mais ne danse-t-on pas au-dessus d'un volcan éteint !

    *

    Suis reparti à la maison, songeur et scron-gneu-gneu. Le rock deviendrait-il ersatz de consommation légère ? Peu d'ivresse et gueule de bois.

    Damie Chad.

    LA CHIENLIT

    LE ROCK FRANCAIS ET MAI 68

    HISTOIRE D'UN RENDEZ6VOUS MANQUE

    MARC ALVARADO

    ( Editions du Layeur )

    z8243chienlitbook.jpg

    Un max de blancs et une myriade d'images, certes un grand format mais vu la minceur des colonnes des textes, j'en déduisis en le feuilletant que ce serait vite avalé. Ben non, un mince lettrage qui fourmille de mille mots, en prime le sieur Alvarado ne prend pas les lecteurs pour des cerveaux sous-neuronés. L'a médité et planché sur le sujet, pas le gars à se contenter d'à peu près, l'a rendu visite aux protagonistes les a interrogés et surtout il a réfléchi un max. Vous rencarde sur leur pratique mais il zieute aussi du côté de la théorie. Bref c'est passionnant. Des bouquins sur le rock des seventies on en a déjà présenté sur le blogue, en fait il n'y en a qu'un avec lequel on pourrait le comparer, il s'agit de Pop Music Rock de Phillipe Daufouy et Jean-Pierre Sarton ( voir KR'TNT 305 du 01 / 12 / 2016 ), publié à chaud en 1972, écrit par des intellos, des gauchistes qui ont lu Marx, qui ont été fortement boostés par Mai 68, mais qui parlent beaucoup des ricains, alors que La Chienlit est sacrément axée sur la France.

    Ce qui ne l'empêche pas de partir de l'Amérique, puisque c'est là que tout a commencé. Le livre couvre la période 1968 - 1976, mais dans l'introduction qui est la partie la plus passionnante du bouquin Alvarado s'attarde sur le segment 1955-1965, période qu'il assimile à l'éclosion du rock'n'roll aux USA mais aussi aux mouvements des Teddy Boys en Angleterre et aux Blousons Noirs en France. L'on ne peut toutefois employer les termes de culture underground pour qualifier cette première période. Il préfère de beaucoup la notion de sous-culture. Le rock naît dans les milieux prolétariens. Il ne propose rien de neuf, il s'oppose. Le rock est le refus d'une vie normalisée. Travaille et tais-toi. Une attitude intransigeante qui se traduit par le recours à la violence. Du cassage, du saccage, sans ambition. Formations de bandes, naissance des groupements de rebelles tous azimuts tels les groupes de bikers. Mais le rock ne déborde pas, son idéologie ne se propage pas, il essaime en multiples points de fixation, il est en guerre larvée contre le monde entier, et se referme sur lui-même.

    C'est entre 1966 et 1968 que la situation va se métamorphoser. Une nouvelle génération arrive sur le marché. La société américaine bouge de partout. Les intellectuels comme Marcuse produisent une virulente critique de la société de consommation qui se met en place. Les consciences flamboient : toute une partie de la petite-bourgeoisie estudiantine rejoint le combat des Droits Civiques entrepris depuis longtemps par les populations noires, la guerre du Vietnam et la conscription qui s'ensuit radicalise les positions des jeunes appelés, pourquoi aller mourir dans une rizière alors que l'on s'attendait à profiter de la consommation à outrance promise, la société capitaliste du profit se prend les pieds dans ses propres contradictions, elle vous claque sur le nez la porte d'abondance du paradis alors même qu'elle les a tenues grand-ouvertes pour vous faire miroiter une vie délicieuse... Mais l'esprit qui s'éveille a besoin d'un corps pour véhiculer ses désirs. Hélas, une fois que vous avez goûté aux fruits du péché, vous êtes perdu pour toujours, voici que la modération puritaniste vole en éclats, et que les drogues vous permettent d'aborder à de nouveaux rivages... Il ne s'agit plus de s'enfermer dans un dégoût ulcératif de l'ancien monde, mais d'offrir un programme de vie particulièrement alléchant : paix, amour libre, accession à de nouvelles réalités spirituelles, la jeunesse s'enflamme pour ce nouvel idéal. Le rejet prolétarien dû à des frustrations classistes est remplacé par l'acquisition jouissive d'un futur proche à portée de main. Are you experienced interroge le premier disque de Jimi Hendrix. Ce n'est pas une demande, plutôt un mot d'ordre, une invitation baudelairienne qui ne se refuse pas...

    Mais retournons en France. Mai 68 fut une commotion. Rien ne pouvait plus être comme avant. Tout devait changer. Surtout en musique. N'était-elle pas le fer de lance des changements survenus en Amérique et en Angleterre ? Nombreuses furent les tentatives de réponse apportés par des groupes engagés en des cheminements différents.

    LA TENTATION POLITIQUE

    z8246rednoise.jpg

    Avant tout Mai 68 relève de la grande politique. Son principal moteur ne fut-il pas une grève générale dont l'ampleur ne fut jamais égalée par la suite. Mais si toute une jeunesse rêvait à fonder un nouveau monde, dans les têtes circulait plus ou moins en catimini que cette éclosion espérée se devait d'être précédé de la destruction de l'ancien monde. Il est à craindre que ces pensées aient été suscitées par la Révolution Culturelle qui se déroulait en Chine depuis déjà deux années. Un superbe nœud de contradictions. Si vous voulez une programmatique révolutionnaire vos paroles risquent de se réduire à des slogans. Répétitions de vieilles ritournelles connues de tous. Si vous désirez casser la vieille musique, il suffit de prendre son instrument, en oubliant tout ce que l'on a appris, ou encore mieux tout ce que l'on ne sait pas, et de se lancer dans une espèce de galimatias phonique. Dix années plus tard les punks reprendront cette idée que n'importe qui peut être musicien s'il le veut. Mais cette destruction des formes de l'ancienne musique n'avait-elle pas déjà été opérée par la New Thing au début des années soixante. Mais bizarrement ces musiciens de jazz américains qui se lancèrent dans cette entreprise étaient les héritiers d'une longue tradition musicale qu'ils essayèrent de dynamiter de l'intérieur à leur manière.

    z8245komintern.jpg

    Red Noise, le bruit rouge, et Komintern issu d'une scission du précédent, rappelons que le nom est une référence directe à l'Internationale Communiste russe chargée de répandre la révolution au monde entier, furent des groupes activistes, dignes représentants de cette ultra-politisation des consciences musicales françaises, Red Noise participa de près aux événements de Mai 68, et Komintern fut très engagé pour détourner les premiers festivals pop de leur mission première : donner simplement à voir et à entendre contre contribution financière de la ''bonne musique'' aux amateurs, la philosophie de cette avant-garde rock était toute autre, que le spectacle se transforme en libératoire fête sauvage avec en première revendication l'entrée libre, comprendre en force et non-payante.

    MAINTENANCE DE LA TRADITION

    z8247cilization.jpg

    N'entendez pas ce titre comme un retour à une vision politicienne des plus droitières. Nous évoquons la continuité musicale, celles du blues et du rock. Alan Jack Civilization, pour illustrer le premier courant. Le blues entrevu en tant que longue dérive instrumentale, le groupe vit en collectivité dans une ferme, l'on fume et l'on joue des heures durant... Peu d'enregistrements subsistent, l'expérience ne déboucha sur rien de bien valide même s'il reste l'une des plus authentiques incarnations du mythique esprit de Mai...

    Les Variations illustrèrent magnifiquement le versant rock'n'roll de l'époque. Sans chichis et sans fioriture. Des pionniers en leur genre. Le premier groupe français à pouvoir rivaliser avec les anglais. Ils trouvèrent leur public en province car l'intelligentsia parisienne les ignora. Entre 1964 et 1968, il y eut une coupure en France dans la transmission rock. Ce n'est qu'en 1969 que le rock revint en force, mais les ''élites'' journalistiques et le public firent en grande partie l'impasse totale sur tout ce qui s'était passé avant leur advenue dans le monde nouveau du rock dans lequel ils s'engageaient. L'on ne se défait pas de ses atavismes petits-bourgeois facilement, les Variations furent jugés trop primaires, trop efficaces, pas assez subtils... Faudra que les Stooges remettent les pendules des consciences à l'heure mais cela est une autre histoire.

    MAGMA

    z8248magma.jpg

    Le groupe à part. Qui met aujourd'hui tout le monde d'accord. Mais à l'époque seule une infime partie du public les reconnut. La majorité s'accorda pour juger leur musique trop complexe ou trop brutale. C'est que Magma fut selon moi le seul groupe fusionnel qui existe dans le rock. Qui réussit à réunir en un même creuset la virtuosité jazzistique, le savant héritage de la musique classique européenne et la violence innée du rock'n'roll. Haut niveau d'incandescence. L'instinct primal et l'intellectualité exacerbée. Si vous prenez Magma comme mètre étalon pour juger de la pop française des années 68-76, tout le reste risque de vous apparaître fade...

    LES VOIES DE GARAGE

    z8249triangle.jpg

    Le mal français dans toute sa splendeur. Qui vient de loin. De la tradition de la chanson rive gauche qui privilégie le texte au détriment de la musique. Attention l'intelligence des lyrics est nécessaire, combien monotones sont les babies qui ouvrent leurs jambes sur les banquettes arrières des Cadillac dans le rockabilly par exemple, mais porter aux nues de la haute poésie insurpassable des textes de simple bonne tenue brouille quelque peu la vision des choses. Autre problème : celui des maisons de disques, qui eurent tendance à se rattacher aux vieilles branches des continuités incapacitantes mais surtout celles des producteurs qui dans leur grande majorité ne possédaient aucune culture rock dans leurs gênes. Troisième facteur, peut-être le plus déterminant, en mai 68 il n'y avait que très peu de musiciens de rock en France, ce sont des musiciens de jazz qui se sont collés à la tâche. Avec toujours ce petit côté condescendant vis-à-vis du rock. Le problème c'est que quand l'on touche au rock'n'roll avec des pincettes, soit l'on part au mieux dans une dérive progressiste, soit l'on retombe dans les patterns de la variétoche légèrement améliorée. Triangle et Martin Circus sont les groupes phares de cette perte de dynamisme entraîné par ces facteurs conjugués.

    FOLK'N'PROG

    Marc Alvarado ne tarit pas d'éloges sur Allan Stivell qu'il met à égalité avec Magma. Ce qui est fortement exagéré. Certes Stivell sut creuser son sillon et son originalité. Mais même électrifiée sa harpe celtique s'inscrit davantage dans le mouvement folk que dans le rock. Ce qui n'est pas un mal en soi, mais alors pourquoi des groupes comme Malicorne pour n'en citer qu'un sont quasiment absents du book...

    z8257pinkfloyd.jpg

    Pink Floyd vendit en ses débuts plus d'albums en France qu'en Angleterre... en 1973 le public français se pâmait en écoutant Tales from topographic oceans de Yes... Gong, Alice, Ame son, Atoll et Ange furent les dignes représentants de cette tendance en nos contrées...

    z8250higelin.jpg

    Le serpent finit toujours par se mordre la queue. Ce sont les chanteurs de variété qui raflèrent la mise. Michel Polnareff, Bernard Lavilliers, Nino Ferrer, Jacques Higelin, et jusqu'à Léo Ferré, qui surent profiter chacun à leur manière de la vague pop-rock, difficile de jauger au plus près la hauteur d'opportunisme et d'authenticité de leurs engagement...

    BILAN

    Le livre est beaucoup plus fouillé que ma rapide et partiale analyse. Outre l'intérêt musical – non il n'offre pas l'espéré CD qui aurait été bienvenu pour les groupes les moins connus – le lecteur se penchera avec une curieuse volupté pour ceux qui n'ont pas connu cette période et avec nostalgie pour les vieux baroudeurs, sur tous les chapitres sur les aspects sociologiques de la période. Notamment l'évocation de cette presse rock qui éclate en feu d'artifice – Pop Music ( hebdomadaire ), Best, Extra, Pop 2000 – mais surtout celle qui se réclama d'une vision existentielle comme Tout, Actuel, Parapluie, Atem qui agitèrent le rêve prométhéen alternatif d'une culture underground... Les grandes retombées de Mai 68 ne furent pas vraiment musicales. Par contre les mœurs en furent bouleversées et le rapport à la hiérarchie fut fortement désacralisé. Nous vivons encore sur ces deux acquis...

    Le livre s'arrête en 1976. En 1977, tombe tel le couperet de la guillotine le No Future punk. Le rêve est terminé. Les temps se tendent...

    Damie Chad.