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  • CHRONIQUES DE POURPRE 589: KR'TNT 589 : LUSH / THE CULT / LEE FIELDS / ELIZABETH KING / MUD / THUMOS / DOORS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 589

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 02 / 2023

    LUSH / THE CULT / LEE FIELDS

    ELIZABETH KING / MUD

    THUMOS   / DOORS

    Sur ce site : livraisons 318 – 589

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    The Miki way

     

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             Quand on croisait Miki Berenyi dans les pages du NME ou du Melody Maker, on la prenait volontiers pour une Pakistanaise, une Paki comme on dit à Londres. Avec ses cheveux rouges et son heavy make-up, elle dégageait quelque chose d’extrêmement exotique. On ne faisait même pas l’effort de mémoriser son nom. De toute façon, le son de Lush - dont elle était la chanteuse - ne nous plaisait pas plus que ça. Lush et quelques autres groupes, comme Slowdive, My Bloody Valentine, Moose, Ride ou Chapterhouse, incarnèrent un courant musical, baptisé Shoegazing par la toute puissante presse anglaise de l’époque, un courant qu’on considère, à tort ou à raison, comme l’un des points bas de l’histoire du rock anglais. Un journaliste du Melody Maker qualifiait les shoegazers de STCI (The Scene That Celebrates Itself). Ces groupes proposaient en effet une pop ambiante extrêmement statique qui finissait par générer un bel ennui. Dans les concerts, on bâillait aux corneilles, surtout ceux qui plus jeunes, avaient tété les mamelles du real deal, c’est-à-dire Jerry Lee et les Stooges. On se retrouvait dans ces concerts à cause des buzz que lançaient les journalistes anglais. La crainte de rater le passage d’un bon groupe nous incitait parfois à faire n’importe quoi.

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             Il s’est produit exactement la même chose qu’avec l’autobio de Stuart Braithwaite, le guitariste de Mogwai : dans la presse anglaise, un journaliste pond une chronique élogieuse de l’autobio de Miki Berenyi, et pouf, rapatriement. Cette fois, c’est la crainte de rater un bon book qui déclenche le passage à l’acte. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success arrive 48 h plus tard sous la forme d’un bel objet, bien dodu, sous une jaquette dans les tons pourpres qui s’harmonisent divinement bien avec l’écarlate des cheveux de Miki, un peu plus de 350 pages imprimées sur un bouffant plaisant, avec des choix typo de fonte et d’interligne qui rendent la lecture délicieusement agréable, et plouf, on y plonge. Plonger dans la lecture d’un book, c’est exactement la même chose que plonger dans l’eau du lagon d’argent : tu en éprouves un pur plaisir, tu goûtes à ce que Gide appelait autrefois Les Nourritures Terrestres - ce fantastique texte en prose en forme de chant d’amour, dans lequel il s’adresse à Nathanaël pour le former à la beauté du monde : «Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée.» - Plonger dans un livre inconnu, c’est une façon de partir à la découverte d’un personnage, d’entendre une voix nouvelle, une façon de voir comment les autres vivent leur vie, voir aussi de quelle façon ils s’accomplissent ou se détruisent. Chaque vie se résume à un destin, parfois tout entier contenu dans un livre. C’est à la fois l’aspect dérisoire d’une vie, mais aussi sa grandeur, dès lors que l’auteur abandonne toute pudeur pour s’offrir aux regards extérieurs. Les grands livres sont parfois comparables à des courtisanes impudiques, celles qui te font bander.

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             L’autobio de Miki présente les deux aspects : dérision et grandeur. L’absence totale de pudeur et un langage de punkette rebelle en font la grandeur. La deuxième partie qui est consacrée à l’histoire de Lush paraît par contre totalement dérisoire, car cette tranche de vie (cinq ans)  se résume à quelques souvenirs de concerts, de tournées et de sessions d’enregistrement. Miki se débat avec les anecdotes, essaye d’éviter les pièges du name dropping et tenter d’éclairer le mieux possible les lecteurs de son book qui sont de toute évidence les anciens fans de Lush.

             L’éclairage le plus important est celui qu’elle donne sur elle-même. Paki ? Pas du tout ! Père hongrois (Ivan) et mère japonaise (Yasuko). Comme Ivan est un womaniser, ce qu’on appelle ici un coureur de jupons, Yasuko se fait la cerise vite fait, et c’est là que Miki entre dans la période trash de sa vie de gamine. Ivan lui apprend très jeune à se débrouiller seule et à se défendre. Elle vit à Londres dans une baraque toute pourrie avec Ivan et la grand-mère hongroise Nora, qui est une malédiction. Miki explique sans détour qu’elle doit dormir avec Nora qui abuse d’elle. Elle apprendra un peu plus tard que Nora a aussi abusé d’Ivan - Coincées  dans notre lit, elle me lit des contes hongrois, mais elle s’endort au milieu des phrases et le livre de contes s’écroule sur la bouse de ses nibards étalés (on the cowpat spread of her breasts). Parfois, quand elle ronfle, j’observe sa bouche ouverte, qui est complètement édentée, et je crève d’envie d’y enfoncer mon poing jusqu’à ce qu’elle en crève - Miki hait Nora qui lui fait chaque soir sa toilette et qui passe un temps infini à lui tripoter l’entre-jambe. Nora hérite même du surnom de Noracula, «qui fait référence à ses origines transylvaniennes mais qui hélas ne couvre pas toute l’étendue de sa nature monstrueuse.» C’est vrai qu’en voyant la photo de Nora dans les pages du cahier central, on comprend tout : une vraie gueule d’empeigne. Et puis il n’y a pas que Nora. Il y a aussi Uncle Sam, un copain d’Ivan, qui dès qu’Ivan ou Nora ont le dos tourné, met la main au panier de Miki. La gamine ne dit rien. Elle croit que c’est normal. Jusqu’au jour où elle en a un peu marre des saloperies d’Uncle Sam et lui dit qu’elle va en toucher un mot à Dad. Alors Uncle Sam disparaît de la circulation.

             Miki finit par comprendre pourquoi Ivan éprouve tellement de difficultés à entretenir des relations suivies avec les femmes : «Fils unique abandonné par son père et abusé par sa mère, il n’avait aucune idée de ce que pouvait être une relation normale. Comme il savait qu’une relation sentimentale pouvait tourner court à chaque instant, il préférait la contrôler plutôt que d’en être la victime. Plutôt quitter que d’être quitté.» Quand il approche de la fin et que Miki lui demande ce qu’il préfère entre le crématoire et le trou au cimetière, Ivan est pris d’un fou rire. Il dit de mettre ses cendres dans un seau «and flush me down the toilet», c’est-à-dire tire la chasse. «What the fuck will I care ?» Il a raison Ivan, ça change quoi, quand on a cassé sa pipe en bois ? Miki ajoute qu’Ivan aimait trop la vie pour se soucier de la mort - It was only ever life - not its aftermath - that engaged him. Miki écrit remarquablement bien. Elle sait restituer l’épaisseur humaine de ses personnages.

             Elle écrit dans un style très direct, qu’on pourrait, pour simplifier les choses, qualifier de punk. Elle n’est pas genre à traîner en chemin. Chez elle, les bollocks et le fuck sont monnaie courante. Nevermind ! Elle perd vite patience avec les cons, ce qui la rend éminemment sympathique.

             Quand dans l’intro, elle évoque la notion de groupe, elle évoque aussi sa naïveté d’antan,  quand elle croyait qu’un groupe pouvait être une famille - I know that’s all bollocks - I know that now - mais à l’époque ça ressemblait à un rêve qui pouvait devenir réalité - Elle parle très bien de l’espoir que génère le fait de monter un groupe : «Le miracle de la musique, c’est de pouvoir fabriquer quelque chose à partir de rien. Assembler des notes, ajouter de la profondeur avec des paroles, insuffler la vie dans une chanson en la jouant avec un groupe, l’enregistrer, puis la partager avec un public, répandre toutes ces émotions et toute cette joie - tout cela étant issu d’une chambre, d’une guitare et d’une voix. Transformer la tristesse en bonheur, sortir de la solitude et du loserdom, s’évader d’une bad place et rejoindre un monde meilleur.» C’est sa façon de dire qu’elle y croyait dur comme fer, et comme cette confession apparaît dans le chapitre d’intro, alors on décide de la suivre et même plus, si affinités. On peut par exemple envisager de réécouter les quatre albums de Lush.

             Comme elle est ado à Londres, elle peut se goinfrer de concerts : 90 en 1983, 150 en 1984. Elle tient sa comptabilité dans un journal intime. Elle baise tant qu’elle peut, elle privilégie ce qu’elle appelle the sex without love - Can be enormous fun when liberated from the hope that it’s the beginning of something bigger. In other words, if you approach it like a man - Miki comprend vite que le sentimalisme n’est pas vraiment l’apanage des mecs, alors elle opte pour la liberté à tout va. Elle opte pour les plans cul, comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire les relations non suivies. Elle dit qu’elle possède «un radar pour repérer les mecs libres et elle ne peut pas l’éteindre». Elle cherche un mec «who’s only after a bit of fun. That way no one gets hurt.» Elle applique la philosophie d’Ivan.

             Sur son tableau de chasse figure Billy Childish, à l’époque des Milkshakes. Il a sept ans de plus qu’elle, mais elle s’accroche à lui, parce qu’il a un groupe, qu’il peint et qu’il écrit des poèmes - I fuck him in the staiwell of Clanricarde Gardens, waiting until my flatmates have gone to bed before sneaking him into my bedrom overnight - Ses phrases sonnent souvent comme des paroles de chanson. Miki est une écrivaine extrêmement rock’n’roll. Elle rend un ultime hommage à Billy avant de le perdre : «Still Billy is an artist, uncompromising in his determination to write the truth. His truth, at least, which I suppose is what’s expected of an artist.»

             Elle avoue aussi perdre patience rapidement - I am belligerent with people I can’t stomach - Elle a raison, c’est une façon de gagner du temps. 

             L’idée d’un groupe commence à germer dans la tête de Miki et dans celle de sa copine Emma. Elles branchent leurs deux guitares dans la stéréo d’Emma et elles se mettent à gratouiller leurs poux. Elles montent Lush avec Chris au beurre et Meriel au chant. C’est Emma qui trouve le nom du groupe. Lush veut dire luxuriant. Puis elles recrutent Steve Rippon pour jouer de la basse. Premier gig au Falcon, à Camden, en mars 1988. Puis Emma veut virer Meriel, trop statique sur scène, alors Miki se charge de la besogne. Lush n’a plus de chanteuse, alors Emma passe une annonce dans le Melody Maker, citant Blondie et de Hüsker Dü comme influences. Chou blanc. En désespoir de cause, Miki est promue chanteuse de Lush. Comme elle n’est pas à l’aise, elle s’envoie des verres de cidre avant de monter sur scène. À la fin du set, Emma la coince pour lui dire : «Don’t you EVER get pissed again before a gig!». Tout au long de son récit, Miki évoque cette relation extrêmement tendue avec Emma. Elles jouent dans le même groupe, mais ne sont pas copines. Emma ne veut pas de l’amitié que lui offre Miki.

             Lush fait un grand bond en avant en signant avec 4AD, contre l’avis d’Howard Cough, l’un des responsables du label qui traite Lush de «worst band I’ve ever seen». Mais Ivo le boss veut Lush et pouf c’est parti. À l’époque, 4AD est un label indé prestigieux. Dans son roster, on trouve les Pixies, Cocteau Twins, Throwing Muses et Bauhaus. John Peel invite Lush une fois, car leur cover d’Abba («Hey Hey Helen») l’amuse bien, mais ce sera la première et la dernière fois. Lush n’est pas la tasse de thé de Peely. Ça n’empêche pas Lush d’aller dérouler son petit parcours de groupe indé, juste avant l’éclosion de la fameuse vague Britpop. Quand Steve Rippon quitte le groupe, c’est Phil King qui le remplace temporairement. Un Phil King qui est déjà un vétéran de toutes les guerres puisqu’il a joué dans Felt, les Servants, Biff Bang Pow, et on le verra beaucoup plus tard à Paris jouer au Trianon avec les Mary Chain.

             Le principal épisode de la vie de Lush, c’est le Lollapalooza de 1991. Lush joue en première partie de Jane’s Addiction qui sont en tournée de promo - A year-long enormodrome tour - pour le double-platinum Ritual De Lo Habitual. Il y a en tout sept groupes à l’affiche de la tournée : Red Hot Chilli Pepers, Ministry, Ice Cube, Soundgarden, les Mary Chain et Pearl Jam. Les seules gonzesses dans le tas, c’est Lush. Elles se retrouvent dans un monde «that agreesively radiated muscle and testosterone», les Peppers et Ice Cube étant les pires. Miki en profite pour se régaler tous les soirs du set des mighty Mary Chain. Elle rend aussi un hommage virulent à Ministry - La seule réponse possible au set de Ministry, c’est l’awe-struck submission. The cacophony of industrial pounding, pile-driving guitars and Al Jourgensen scream-growling like Beelzebuth over nerve-shredding samples is like being crushed by the Apolcalypse - Sa description est criante de véracité. En plein milieu de la tournée, Miki voit débarquer Gibby Haynes, le chanteur des Butthole Surfers. Il vient duetter avec Ministry sur «Jesus Built My Hot Rod». Miki est fan des Botthole et de leur visceral chaos, mais elle n’arrive pas à engager la conversation avec Gibby - All I get for my effort is a yeah-whatever eye-roll and the cut-to-the-chase line: ‘How about we just go up to your hotel room - you can suck my cock while I lick your pussy - Fin de la conversation. Pour l’anecdote, Miki relate tous les excès d’Al Jourgensen dans les hôtels, il y en a deux pages pleines, c’est du mayhem à l’américaine avec des amplis qui passent pas la fenêtre et tout ce qu’on sait déjà. Elle raconte tout ça très bien. Miki est tellement défoncée qu’un soir, elle veut jouer au moshpit et se lance dans le public d’une scène beaucoup trop haute. Les gens s’écartent et elle se retrouve à l’hosto, miraculeusement vivante.

             Mais à Londres, des gens n’aiment pas Lush. Miki rapporte pas mal d’incidents. Un bloke s’adresse à elle : «Are you that bird out of Lush ?», elle opine du chef et le bloke lui dit : «Your band’s fucking shit.» Un autre lui demande un autographe, elle le signe, alors le mec fout le papier dans sa bouche, le mâche et le crache sur les godasses de Miki avec un air de dégoût.

             Une tournée américaine a lieu en 1996 avec Gin Blossoms et les Goo Goo Dolls.  C’est un plan monté par leur manager. Miki et Emma savent qu’elles vont au casse-pipe, car Lush n’est pas fait pour ce type d’affiche. Miki parle d’un complete mismatch. Le seul bon souvenir qu’elle conserve, c’est Imperial Teen - great band and old-school friendly - Elle raconte aussi que Ian Astbury monte sur scène chanter «Ciao!» avec Lush - Mais il y a un léger malentendu, pendant la répète, l’Astbu leur dit qu’«it’s a bit skiffle, isn’t it?», il croit que c’est une cover de l’«Eddie (Ciao Baby)» du Cult. Chris is laughing so hard he can barely play the drum - Elle traîne aussi à cette époque dans les parages de Primal Scream - Bobby Gillespie, high as a kit at some do, me fait taire en me mettant directement la main au panier et me fixe dans le blanc des yeux tout en se pourléchant les babines - Alors elle accepte ce type de comportement, puisque c’est un moyen d’être admise dans le sérail. Mais elle s’aperçoit très vite qu’elle n’est pas faite pour jouer la carefree 24-hour party person. Elle n’est pas de taille pour ce type d’exploit sportif. C’est l’époque de l’ecstasy et ses amis en font une consommation gargantuesque. Elle finit souvent la soirée assise dans un coin, «too far gone to move», incapable de bouger.

             Parmi les groupes qu’elle croise dans les tournées, elle flashe sur Babes In Toyland, «cathartic and compelling on stage, earthy and friendly off.» Miki ajoute qu’après leur set, les Babes picolent sec et tiennent mieux l’alcool que les mecs - they drink enveryone under the table - Et puis bien sûr, nous avons droit à un petit panorama de la scène indé, Miki nous sort les noms des Cranberries, de Belly et de Moose, un Moose qui d’ailleurs va devenir son compagnon et le père de ses deux gosses. Puis arrive la Britpop avec Suede, Blur, the Madchester bands - comme elle les appelle - Elastica, S*M*A*S*H, These Animal Men et Pulp. Au début, cette vague lui plaisait bien - a familiar and friendly environment where I feel comfortably at home - Puis le succès de Blur et d’Oasis change la donne, ces deux groupes cultivent «a new mood of swagger, flag-wavingly British in defiance to American ‘grunge’», le fameux Cool Britania. Miki va voir tous ces groupes sur scène et va même traîner dans tous ces backstages avec, énumère-t-elle, «Suede, Pulp, Oasis, Blur, Elastica, Echobelly, Boo Radleys, Salad, Powder, Menwear and all the rest of it. I can’t get away from these fucking bands. Britpop is happening.» D’autres anecdote encore : «Liam Gallagher circles me, wondering aloud when I’ll be ready to fuck him in the toilets.» Bien sûr, Miki s’offusque - Look, je sais que je ne suis pas Mary Poppins, mais ce n’est pas du flirt, c’est du harcèlement. Et derrière ça, il y a un truc dégueu : ça implique que suis demandeuse, pas lui - Comme elle porte des robes très courtes, elle est constamment sollicitée. Pour elle, c’est la façon qu’ont les mecs de vouloir dire : «Si tu veux avoir la paix, fringue-toi comme une bonne sœur.» Miki n’a qu’une réponse à ça : fuck it !

             Mais la Britpop dégénère assez vite. Miki voit cette scène hijacked by elitist dickheads. Elle finit par ne plus pouvoir supporter cette daube, ni les gens ni les groupes - So sorry for being a party pooper, c’est-à-dire une casseuse d’ambiance, je sais que bon nombre d’entre vous had a blast, but I fucking hate Britpop and I’m glad the whole sorry shit-list ended up imploding. I just wish it hadn’t done so munch damage white it lasted.  

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             Lush on les a vu une fois, peut-être deux, avec les Pale Saints. Grands souvenirs des Pale Saints. Lush ? Pas grand-chose. Miki et ses cheveux rouges. Trop punk anglaise pour un Français. Leur premier album s’appelle Scar et paraît sur le tard en 1989. En fait, c’est un mini-album. Il vaut mieux éviter de le réécouter trente ans plus tard, car c’est un son qui vieillit atrocement mal. Miki amène son «Baby Talk» au fast heavy pop-punk mal chanté, ça se noie dans une sauce de sortilèges, toutes les histoires de Nora et d’Ivan rejaillissant dans ce mix de puberté poubelleuse. Avec «Though Forms», les filles de Lush prennent vraiment les gens pour des cons. Ce n’est pas du rock, c’est de la vapeur. Les voix se perdent dans la buée. Miki taille sa route avec «Bitter», elle gratte à la va-vite, mais c’est Chris qui sauve la mise, au beurre. La pauvre Miki ne chante pas très bien, ça se barre en solo d’infraction prostatique, elle parie sur l’énergie punk. On sent bien l’odeur du trash. Ça se termine avec «Etheriel», une petite pop d’ouate. Rien que du son pour du son. Des cuts qui n’en sont pas. Comme chez Mogwai. Même genre de néant paradoxal.

             À cause de sa dégaine provocante, Miki se fait pas mal choper aux douanes, lorsqu’elle descend d’avion. Elle dit avoir rencontré pas mal de douaniers «fermes mais polis, qui font simplement leur job. Mais j’ai aussi rencontré une sacrée ribambelle de power-abusing cunts et je leur réserve a front row of panoramic-view seats on the kamikaze flight into the mountainside of my vengeful imagination.» C’est bien dit, Miki. Mort aux vaches !

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             Deux ans plus tard paraît Spooky. Ambiance très spooky, très pop anglaise d’époque, hétéro-éthérette, un «Nothing Natural» chanté à la féminine accrochée au plafond, mais pas de truc en plume, juste de l’ouate, un ruisseau d’ouate. Petit son indé ridicule, pubère et drainé, parfois plombé, pas beau, presque féministe. Elles amènent d’ailleurs «Ocean» au petit océan féministe, c’est gorgé de féminité au point que ça ne passe pas, chant trop Lushy, pénible, humide, ridiculous. So ridiculous ! Spooky peine à jouir. L’hyper-féminisme tue la pop dans l’œuf, même si «For Love» remonte le courant, wild as fuck. Joli titre que ce «Superblast». Les filles l’honorent, elles sortent le fast blow avec des voix d’écho et ça devient une pure merveille. Elles peuvent se montrer terrifiques, avec ces voix d’entre deux eaux, c’est l’apanage du Lush-moi-là, énorme tension, ça redevient presque sexuel tellement c’est humide et chaud. Et puis d’autres cuts naviguent dans les méduses, Miki et sa copine Emma traînent dans les eaux troubles de la mauvaise pop d’époque, de la fast pop gorgée d’indie scum, cocktail périlleux de grosses attaques et de voix de femmes. Ça finit par insupporter. Album produit par Robin Guthrie, ceci expliquant cela.

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             Quand Split paraît en 1994, Miki sent bien que Lush est en décalage avec la scène grunge et Oasis - Split est trop fragile et introverti pour rivaliser avec les nouvelles tendances (out of step with the times) - Pourtant l’album est excellent, Miki t’embarque dès «Kiss Chase» avec du big heavy sound. On peut même parler de wall of sound, avec de somptueuses palanquées d’accords, il y a des grattes partout, all over the rainbow, le son vibre de toutes ses fibres. L’autre gros shoot de wall of sound s’appelle «Undertow», amené au bassmatic demented de Phil King, il télescope la gratte de Miki, ça taille à la serpe, le cut sonne comme la marée du siècle, Miki et Emma te plombent ça aux grattes des enfers, elles font un placard total de wall of sound. Et puis tu as une petite triplette de coups de génie, à commencer par le bien nommé «Blackout». Ah comme elles sont bonnes ! C’est explosif et allumé aux voix éthérées, et ce batteur dément qu’est Chris bat tout à la vie à la mort. Elles sont encore dans une énergie considérable pour «Hypocrite», Miki te court sur l’haricot, elle te pèle le jonc, elle te trashe tout l’UK, oh Miki, the wild chick ever ! Elle t’enflamme le British Beat, là tu halètes car elle te le fait avec la langue de feu, c’est du wild punk so far out, cet «Hypocrite» est tellement bon qu’on finit par dire n’importe quoi. Split un album fantastique dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’a pas écouté. «Lovelife» est encore du big biz. La Miki, tu lui colles au cul, tu ne la lâches plus. Avec elle, l’incroyable se produit, c’est-à-dire la renaissance des grattes, les pluies de poux, les proliférations de tombées somptueuses, on la suit, la Miki, elle étale ses draps au grand jour. Encore un cut accueilli à bras ouverts : «The Invisible Man». Elle file sous le vent, elle taille sa route à la serpe. C’est un album qu’on écoute jusqu’à plus soif. Et puis tiens, voilà encore un sacré coup de génie : «Lit Up». Allumé direct. Trente-six chandelles. Encore un festival de big fat wild as fuck. Elle parvient à se hisser au sommet du lard fumant, elle te claque les meilleurs accords d’Angleterre, elle injecte un gros shoot d’overdrive, elle maîtrise le placage et finit par te hanter. Te voilà transformé en château d’Écosse. Merci Miki !

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             Le quatrième et dernier album de Lush s’appelle Lovelife et c’est encore un very big album. Miki devient ta reine d’un soir. Gros son dès «Ladykillers» - My attempt at writing a hit - elle chante à la petite retorse, c’est très anglais, très inspiré, bien solidifié au ciment de voix de femmes. Elles injectent des couches de power en dessous du chant. Dans son book, Miki dit que «Ladykillers» «was my one concious effort to give the rabble what they seemed to be asking for.» Ça devient extrêmement impubère avec «500», presque Brill, tellement c’est sucré. Encore de la belle pop candy avec «I’ve Been Here Before». Cette pop est d’une qualité insolente. Miki chante à l’ingénue libertine. Tout est sexué à l’extrême sur cet album. Avec «Single Girl», elles sonnent comme les Pixies, même genre de ferveur, c’est très riche, gorgé de Gorgones. Attention, ce genre d’album devient vite tentaculaire : il te prend tout ton temps. Back to the wild side avec «Runaway». Elles savent lever des vagues de heavy pop, c’est une pure énormité, grattée serrée. Dans leur élan, elles tapent «The Childcatcher» en mode fast London pop, elles jouent au rebondi avec une belle féminité et une incroyable énergie. Le son est là, juste derrière et toujours ce chant impubère d’ingénue libertine. Elles referment la marche avec «Olympia» et une flûte de Pan. Ah quelle belle pop de Brill ! Elles savent guider le candy dans la vulve du Brill, c’est une vocation. Elles distillent des harmonies vocales d’une pureté extrême.

             Miki sent venir le déclin de Lush. La scène a changé depuis les grandes heures de Lollapalooza et de Jane’s Addiction. Pour le public américain, Lush était à l’époque un groupe exotique - an unfamiliar new band - Mais cinq ans ont passé. Pour elle, un macho element s’est installé, les Américains ne réagissent plus qu’aux groupes qui leur parlent et ils ne tolèrent plus de voir deux «sappy English girls qui ne font même pas l’effort d’être sexy». Cette dernière tournée américaine avec Mojave 3 est une catastrophe. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et Emma annonce qu’elle jette l’éponge. Elle a très bien compris que le temps de Lush est révolu et que le groupe n’aura jamais de succès aux États-Unis. L’obsession des deux managers successifs à vouloir forcer le marché américain a fini par avoir la peau du groupe. Pour calmer le jeu, Emma indique que Lush peut continuer sans elle. Elle cite l’exemple de Suede qui a redémarré sans Bernard Butler. Mais Miki n’est pas d’accord : «No Emma, no Lush.»

             C’est la mort de Chris qui aura la peau du groupe. Chris déprime depuis que sa poule l’a quitté et il tente de retrouver le moral en allant se ressourcer chez ses parents à la campagne. C’est là, dans une grange, qu’on le retrouve pendu - Out of sight and hard to find - Son père, inquiet de ne pas le voir revenir de sa promenade, a fini par découvrir le corps de Chris pendu.

             La chute du book est vertigineuse. Miki n’en finit plus de dire que Chris était son préféré. Au commencement de Lush, ils ont vécu un moment ensemble et sont restés très proches après leur séparation - La famille de Chris espère que nous continuerons avec Lush, ils nous donnent leur bénédiction. Mais j’ai su à la seconde où j’ai appris la nouvelle de sa mort qu’il n’y avait aucun avenir. No future. Tout ce temps passé à supporter les crises d’Emma, tout simplement parce que j’avais besoin d’elle. Mais j’avais encore plus besoin de Chris. He was the happy soul of Lush et sans lui, ça n’a plus aucun sens.

             Miki n’est pas si vieille. Elle n’a que 56 ans. Et deux enfants. Elle termine là-dessus. Après la mort de Chris, la vie a repris ses droits. Merci Miki, enchanté d’avoir fait ta connaissance.

    Signé : Cazengler, Louche

    Lush. Scar. 4AD 1989

    Lush. Spooky. 4AD 1991

    Lush. Split. 4AD 1994

    Lush. Lovelife. 4AD 1996

    Miki Berenyi. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success. Nine Eight Books 2022

     

     

    Le feu au Cult - Part Two

     

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             Quand Ian Astbury s’exprime dans la presse, on aurait tendance à ne pas trop le prendre au sérieux. Il vaut mieux le lire après l’avoir écouté, car c’est là qu’on commence à le prendre au sérieux. Ainsi, quand il déclare : «Individually we’ve been through a hell of a lot. It shines in our music», on comprend ce qu’il veut dire. The Cult est un groupe capable d’aligner une série d’albums extrêmement impressionnants, tous chargés de climats délétères et de démesure, quelque part entre Killing Joke et les Afghan Wigs. Deux autres points de repères : Rick Rubin les produit et l’Astbu est obsédé par le shamanisme des Indiens d’Amérique. Le décor est vite planté. On dit d’eux qu’ils transcendent les genres. Pour transcender les genres, il faut une voix et un son. Pas de problème. L’Astbu fournit la voix, Billy Duffy/Rick Rubin le son. «Towering guitar riffs» et «songs to match their bravado», nous dit Vive Le Rock. L’Astbu et Billy Duffy ont des racines : Southern Death Cult pour le premier et Theatre Of Hate pour le second.

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             Ce sont les mecs de Crass qui orientent le jeune Astbu fraîchement débarqué en Angleterre sur les pratiques religieuses des Indiens d’Amérique. Il se souvient même du livre qu’on lui a prêté dans le squat de Crass : Black Elk Speaks, de John Neihardt, un ouvrage sur les rites sacrés des Sioux Ogala. Quant à Billy Duffy, il en pince pour les Gretsch White Falcon.  

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             Paru en 1984, Dreamtime est un album qui ne marche pas. Déjà, la pochette fout la trouille. Le prêtre aux joues scarifiées te fixe d’un regard mauvais. Il manque sur cet album le souffle qu’on va trouver sur les albums suivants. C’est, disons-le, petitement produit. Rien n’explose dans Dreamtime. L’Astbu cherche le spirit des shamans dans «SpiritWalker», il a raison, il invoque le mythe du body spiritwalker, il chante tout ce qu’il peut, mais la prod n’est pas au rendez-vous, et le Cult sans prod, ça ne marche pas. Encore un cut de heavy singer avec «Butterflies» et il chante «Go West» comme s’il s’en foutait. Il attend des vagues de son qui ne viennent pas. Go West young man ! L’Astbu reste pourtant le seul maître à bord. Il pèse de tout son poids sur toutes les décisions - Everything - Tu te régales de l’écouter chanter, l’Astbu de tous les abus. Mon royaume pour un cheval de son ! Ils attaquent «Gimmick» à l’attaque, l’Astbu ne sait faire que ça dans la vie, attaquer. Alors il attaque. Pas de halte. Droit devant. Tagada tagada voilà l’Astbu. La force de l’album, c’est la pochette.

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             The Cult, c’est avant toute chose l’histoire d’une voix, celle d’Astbury. Sur Love qui date de 1985, «Nirvana» et le morceau titre sont là pour la révéler. One two three four ! Power-chordage all over et un Astbury qui remonte péniblement à la surface de cette mer de son. Sa voix fait partie de celles qu’on n’oublie pas. Il est élancé, fougueux, fumant. Un étalon ! Il va chercher ses effets là-haut sur la montagne. L’Astbu sait chanter. Le gros Cult amène «Love» au stomp de riff raff. De toute évidence, ces mecs en pincent pour la heavyness. Ils jouent dans les règles du gros lard et l’Astbu se bat avec le stomp. Reconnaissons qu’il existe un esprit Cult. S’ensuit un sombre «Brother Wolf». Il est vite dans le décor, l’Astbu. C’est un rôdeur né. Il se fond dans l’ombre, il rôde comme un dieu de l’antiquité. Voilà qu’il pleut des accords dans «Rain». Ça ne surprendra personne. L’Astbu arrive sous un parapluie pour chanter - I’ve been waiting for her - Il s’engage à fond, c’est une ultraïque de la posologie, un concerné de la 25e heure. Les coups de wah qu’on entend dans «Phoenix» sont ceux des Stooges. Ah oui, aussi incroyable que ça puisse paraître ! Tu as là toute la wah de Ron, ça rougeoie, ça joue dans la nuit ! Fire ! Fire ! C’est à partir de ce genre d’épisode que tu décides de suivre un groupe. Il ne faut pas croire ce que les canards de rock français ont pu raconter sur The Cult, qui n’a jamais été un groupe de hard rock. Non seulement les gens étiquettent, mais ils étiquettent mal. L’Astbu est un titan, il jette tout son poids dans la balance, il a le power et l’élégance. La basse est au-devant du mix dans «She Sells Sanctuary». L’Astbu chante de manière extrêmement agressive et pop en même temps. He can sing anything.

             Ils deviennent alors énormes et s’envolent pour une tournée mondiale de neuf mois. C’est à cette époque qu’ils entrent en contact avec Rick Rubin.    

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             Sur Electric, tu trouveras l’imparable cover de «Born To Be Wild» qu’Astbu chante aux charbons ardents. Pur génie. L’Astbu se l’approprie, alors évidemment, Billy Duffy en rajoute, mais ce n’est pas du meilleur effet. La seule valeur ajoutée est le chant de motor running d’Astbu, il enfonce son clou in the highway à coups de marteau sacré, comme le ferait Thor. Alors Electric devient un très grand album. Encore un coup de Jarnac avec «Love Removal Machine» monté sur les accords de «Start Me Up». Ça donne un combat de titans, Jag versus l’Astbu, alors l’Astbu jette tout son corps dans le combat. C’est quand même gonflé de la part du gros Cult que d’aller pomper aussi ouvertement. Mais ça passe, vu qu’Astbu ramène du gusto à la tonne. Même chose dans le «Wildflower» d’ouverture de bal, il force la mesure aussitôt entré en lice, il chante d’une voix d’ouïe de poisse-caille agonisante et il devient tétanique. On reste dans l’énormité avec «Peace Dog», il sculpte son chant dans la glaise du sonic boom, il bosse avec ses pognes, il s’accroche à la matière avec une niaque extravagante, ya yah ! il est le power-shaker ultime, il ne sait faire qu’une seule chose : entrer dans le chou du lard avec tout le gusto de l’undergut. Et dès qu’il peut, il allume, comme le montre encore «Aphrodisiac Jacket», aocch ! C’est vite noyé de son, il chante sous un déluge d’accords terrifiques, cette fois Duffy vole le show, ses descentes d’arpèges sont un chef-d’œuvre, il faut suivre un groupe comme le gros Cult, car ils n’en finissent pas de réserver de bonnes surprises. Sur «Electric Ocean», l’Oh yeah d’Astbu est si pur qu’on l’accueille à bras ouverts, il cultive les clichés, mais il le fait vraiment bien. Leur «King Contrary Men» est un gros boogie-rock digne de Mountain qu’Astbu chante à fond de train, avec un Duffy en embuscade qui s’arrange toujours pour qu’on ne l’oublie pas. Duffy est un vrai renard dont le défaut serait d’être trop bavard. Ils terminent cet album superbe avec «Memphis Hip Shake» qu’Astbu ultra-chante. Il appuie sur la moindre syllabe, yeah-eh et donne des consignes : shake the world.

             Mais le groupe tire trop sur la ficelle. Billy Duffy décide de quitter Londres pour s’installer à Los Angeles et l’Astbu s’installe à Toronto. C’est là qu’ils vont enregistrer Sonic Temple avec Bob Rock, un producteur inexpérimenté.

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             Avec cet album, le gros Cult continue son inexorable progression. Pas de coups de génie sur Sonic Temple, mais des belles énormités, à commencer par le «Sun King» d’ouverture de bal, avec un Astbu qui secoue le cocotier du rock dès son entrée en lice - I’m a sun king baby - Il sait de quoi il parle. L’Astbu ne recule devant aucun excès. Ils font du simili Led Zep avec le «Medecine Train» final. Duffy repart dans le vieux boxing day de big bad strut de Medecine Train et les chœurs font le train. La SNCF devrait prendre le «Medecine Train» comme gimmick pour les annonces dans les gares. Autre coup de semonce : le «Soldier Blue» de Buffy Sainte-Marie qu’ils stompent en mode Gary Glitter. Voilà Buffy au palace glam. Curieux mélange. Quoi que fasse le gros Cult, c’est toujours sur les rails, même si, comme c’est le cas avec «American Horse», on se demande si c’est du lard ou du cochon. Ils ont une notion du son qui nous dépasse complètement. L’Astbu monte bien «Sweet Soul Sister» en neige, mais c’est avec «Soul Asylum» qu’il rafle la mise. La heavyness est son pré carré, il amène ça au so many times et plonge dans un chaudron de sweet soul asylum. Ils tapent ensuite «New York City» avec Iggy en backing vocals, et «Automatic Blues» sonne exactement comme le «Rock’n’Roll» de Led Zep. Même jeu de dupes, avec toute la grandeur élégiaque qu’on peut imaginer.

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             Malgré sa pochette un peu putassière à la U2, Ceremony est un bon album. On vendrait son père et sa mère pour «Heart Of Soul», c’est joué à la surface d’un gratté d’acou et la voix d’Astbu crawle comme le Crawling King Snake, ses écailles luisent dans l’ombre, il se développe dans l’ovaire du rock et devient tentaculaire. Cet homme est une bête fantastique, il chante sous un déluge d’accords, il t’accompagne dans la démesure jusqu’à la fin, il vise le non-retour de big city, tu as peu de choses dans l’histoire du rock qui vont aussi loin. «Full Tilt» vaut aussi le déplacement, ne serait-ce que pour son fabuleux claqué d’accords anglais, c’est même l’une des intros du siècle dernier, avec celles de la Stonesy. Le gros Cult vise en permanence l’éclat mythologique, avec l’Astbu qui tient fabuleusement bien la baraque. Encore une grosse dégelée de heavyness avec «Bangkok Rain». On voit rarement d’aussi belles heavynasseries, surtout lorsqu’elles sont serties d’un Astbu à l’éclate. Il monte toujours par-dessus, même quand c’est noyé de wah. On reste dans la heavyness avec le morceau titre d’ouverture de bal. L’Astbu avance dans le son avec des pieds d’éléphant. On pourrait qualifier ce qu’on entend ici de heavy boogie blues d’ultra rock, mais un heavy boogie blues d’ultra rock ravagé par des vinaigres de disto. Ça te sonne bien les cloches, en attendant. L’Astbu démarre son «Wild Hearted Son» aux chants de guerre indiens. Bel hommage, mais ça ne sert que de prétexte. Les blancs reprennent vite le pouvoir sur les rouges. Tu n’es pas chez Buffy, cette fois, tu es chez le gros Cult. L’Astbu qui est au-devant du mix hurle comme dix. On admire au passage les vents de folie. Dans «Earth Mojo», l’Astbu pousse des petits cris de bête, on le voit monter tout seul en température et pour corser l’affaire, Duffy passe un wild killer solo, alors l’Astbu peut encore pousser des petits cris de bête. Ah on peut dire que les deux font la paire ! Non seulement ils cultivent la démesure, mais ils sont incompressibles. Le destin des cuts se dénoue chaque fois dans un Big Atmospherix avec un Duffy qui pique des crises. Et bien sûr, l’Astbu veille à rester un chanteur hors normes. Il semble conduite l’«If» comme un attelage de char, yeahhh ! On le voit aussi écraser son champignon dans «Sweet Salvation». Comme il est ce qu’on appelle une force de la nature, il peut chanter torse nu au sommet de la montagne. C’est bien pire que de chanter par-dessus les toits. Il vise les vrais sommets, il court les aventures, il tartine tout ce qu’il peut, il est le grand tartineur devant l’éternel. Heavy as hell.

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             La pochette de The Cult paru en 1994 préfigure celle de Choice Of Weapon : figure barbare sur fond blanc. Cette fois, c’est un bouc à quatre cornes. L’album propose en outre un coup de génie et une stoogerie. Par quoi on commence ? La stoogerie ? Elle s’appelle «Be Free». C’est en plein dans l’œuf de Pâques, ce sont les accords de «TV Eye», l’Astbu arrive, sec comme un feu, il se jette à l’assaut comme un guerrier indien, et là tu as tout, la violence du chant et la violence du son, mais l’Astbu ramène en plus ses c’mon c’mon et tout son power barbare. Le coup de génie se trouve vers la fin : «Universal You». L’Astbu monte à l’extrême assaut, on ne peut pas imaginer pire assaut. Sonic genius ! Une vraie marée. Encore une vraie dégelée avec «Emperor’s New Horse», même choc esthétique avec le fabuleux confessionnal qu’est «Saints Are Down». Il redevient le chanteur énorme que l’on sait avec «Sacred Life» - Hey sister/ What is sacred in your life - Il est l’un de ces grands chanteurs qui se savent se confronter aux réalités. «Gone» sonne comme une pluie d’acier, c’est un son qui relève de l’extrême et l’Astbu rôde dans le chaos. C’est sa spécialité. Il tombe sur le râble de sa dégelée. Personne ne peut le battre à ce petit jeu. On le voit encore remonter à la surface de «Coming Down (Drug Tongue)», il surplombe sa propre profondeur, sa voix ouvre des gouffres et cette façon qu’il a de monter au sommet de l’Ararat n’est pas si banale. Il charge bien la barque de son «Black Sun», c’est d’une grande portée, mais pas un coup de génie. Le gros Cult tape parfois dans la prévisibilité sans nom des abysses lovecraftiennes et finit par sacrifier l’émotivité sur l’autel de la Trinité. Duffy pompe les accords de «Cold Turkey» pour «Joy» et retour aux choses sérieuses avec «Star». Quelque chose de monstrueux y prend forme et l’Astbu entre là-dedans au believe in freedom. Il est violemment bon et ça tourne vite à l’insurrection. Il shoote tellement que ça s’auto-télescope dans des chaos de guitares. 

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             L’Astbu et Billy Duffy finissent par se fâcher en 1995. Alors l’Astbu monte les Holy Barbarians et enregistre un seul album Cream. Rrrroooarrr, l’Astbu rugit de plus belle dès «Brother Fights». Si tu as besoin de son, il est là, à profusion. L’Astbu sera un rock’n’roll animal ou ne sera pas. C’est encore une fois du big rockalama extrêmement chanté, percuté d’accords dans l’enfer de l’excelsior. Le guitariste s’appelle Patrick Suggs. L’Astbu ramène tout le power de son autorité, il navigue au niveau des géants comme les Doors ou Led Zep. Et comme tous les géants, il s’accorde un havre de paix, le morceau titre, que Scuggs survole comme un vampire. Retour au power avec «Blind», dans un whirlwind de guitares, l’Astbu chante à l’héroïque homérique, il redevient considérable. Avec «Opium» il tape dans l’opium du peuple et son «Space Junkie» te tombe sur le râble, l’Astbu se montre lourd de conséquences, aw my Gawd comme c’est bon, il t’encadre l’énormité comme seul peut le faire un grand shouter, il est l’égal de Jimbo. Encore plus stupéfiant, voilà «You Are There» qu’il attaque à la force tranquille de François Mitterrand, il module sa mélodie sur le toit du monde, c’est un grimpeur, le cut devient magique tellement il est bien balancé, joué aux accords de rêve, cette fois l’Astbu rejoint les Screamin’ Trees de Dust, même vibe ! Avec un mec comme lui, il ne faut plus s’étonner de rien. Il termine avec une entreprise de démolition, «Bodhisattva», il monte à l’assaut car c’est un vainqueur et comme il n’a rien perdu de ses réflexes, il passe à travers les murailles.

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             Puis il enregistre un album solo, Spirit/Light/Speed. On se doutait bien qu’il s’agissait d’un big album. L’Astbu ne sait faire que ça dans la vie. Des big albums. Il ramène tout de suite du son, dès «Back On Earth», il lance l’assaut très vite, c’est sa raison d’être. Il tape toujours dans le même registre : King Kong, c’est moi le plus fort ! Il est déjà all over tous les autres, rien qu’au chant. On entend des machines dans «High Time Amplifier», mais ça ne l’empêche pas de chanter au tranchant, il chante au génie pur, il passe en force, il en rajoute, il est là pour toi, et ça continue avec «Devil’ Mouth» et «Tonight (Illuminated)», c’est défoncé, alors tu es défoncé, ça devient logique, ça explose sans prévenir, il rôde dans le présent du rock, son ombre plane sur nous et puis voilà «The Witch (Sit Return)» attaqué au riff de fuzz, c’est un push, il peut te balancer le pire heavy fuzz box in the face, oh yeah yeah, voilà même le pire gaga Cult de l’univers. Le pire du pire. On se croirait à l’âge d’or du Cult. Il est chaque fois en plein dans le mille. Encore du fantastique power d’évocation avec «El Ché/Wild Like A Horse». Il monte là-haut sur la montagne, yeah you/ You’re wild as a horse, le chant s’enlace au guitaring, c’est exultant d’and you ! Te voilà encore avec un big album sur les bras.

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             L’Astbu et Billy Duffy se rabibochent en 1999 pour enregistrer un nouvel album : Beyond Good And Evil. Force est de constater qu’il s’agit une fois encore d’un very big album. Au moins deux coups de génie : «Take The Power» et «My Bridge Burn». Avec Power, ils se noient dans le son, tout est submergé de son, l’Astbu a encore des réflexes de niaque, il parvient à survivre à cet enfer, c’est allumé sous le feu, ce cut est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, avec un Astbu qui parvient à chanter au-dessus de cette immense fournaise. Il attaque «My Bridge Burn» de front. Voilà encore une fabuleuse dégelée, le son est comme gorgé de retours de manivelle et de coups de wah, les coups de manivelle sont ceux de Ron Asheton et Duffy part en maraude comme un requin, celui des Dents De La Mer. Tout est beau comme un incendie urbain sur cet album, tiens comme cet «Ashes & Ghosts», un vrai blast, cette façon qu’il a de hurler dans la tempête fait de l’Astbu un génie, il blaste de plein fouet le Wall of Sound. Puisqu’on en parle, on le retrouve dans «War (The Process)», le Wall of Sound t’écrabouille d’entrée de jeu et tu as là la pire bass fuzz de l’histoire du rock, avec en plus un Astbu qui screame dans la soupe, woh-oh-oh, les vagues de son te submergent, tout explose. The Cult ! Wall of Sound encore dans «Speed Of Light», bien tartiné à la main lourde, woof, ça s’abat sur toi comme un énorme cataplasme de son, ces mecs sont d’épouvantables diables cornus, ils truffent le chou du lard de tous raffinements de l’enfer et Duffy asticote le brasier à la wah. C’est d’une rare violence sonique. Et comme d’habitude, l’Astbu chante au-dessus de tout ce bordel. On a aussi un «Shape The Sky» surchargé de son, d’accords et de drumbeat, de chant et de ressac de chant, et balayé par les vents de Duffy. Avec «The Saint», l’Astbu tape dans l’heavy brutalité du son, ces mecs naviguent hors des normes, bien au-delà du bien et du mal, comme l’indique le titre de l’album. L’Astbu s’en va chanter à la pointe du Raz, tout est monté en mayo pourrie, tout ici tue les mouches. Leur «Rise» se raye des cadres à coups d’accords, ils continuent de flirter avec le pouvoir absolu. L’écoute en soi est une expérience, tout est démesuré, tout tangue dans la cambuse. Sur «Nico», l’Astbu chante un peu comme Bono, c’est pas terrible, mais soudain, le cut prend feu, oui, le feu au Cult - Hey Nico stay strong in this world/ My girl - Rien d’aussi grandiose - I watched your spirit fly/ Across the velvet sky - et ça plonge dans le straight to hell. Seul l’Astbu peut monter un coup pareil

             Comme leur relation avec Atlantic se détériore, l’Astbu reprend son vol, c’est-à-dire son indépendance et rejoint Kreiger et Manzarek dans Riders On The Storm. Mais le projet est vite ratatiné par la famille de Jimbo d’un côté, et John Densmore de l’autre.

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             C’est Youth de Killing Joke qui va produire Born Into This. Avec cet album, l’Astbu n’en finit plus d’évoluer. Il envoie des déluges dès le morceau titre, il chante au sommet des désastres, c’mon, il ne tient plus la rampe qui s’est écroulée avec l’immeuble, mais le son tient bien la rampe. L’Astbu ramène même des chœurs de Dolls pour faire bonne mesure. On reste dans la destruction avec l’un des trois coups de génie de l’album, «Sound Of Destruction». Il entre en lice avec une niaque unique au monde, il est wild as fuck, le wild king of the Cult, cette façon qu’il a d’awiter est vraiment unique. «Diamonds» ? Okay, c’est du big heavy rock inspiré - She got diamond here - Tout chez le gros Cult relève d’une puissance inexorable. L’Astbu rebondit dans la vie et se passe volontiers des commentaires. Encore un coup de génie avec «Citizens», pas de problème, puisque l’Astbu bénéficie de l’un des meilleurs sons de la galaxie. Il se goinfre de cette masse en fusion et chante comme un dieu. Prod exemplaire. L’Astbu ramène du power jusqu’au bout du Citizen. Et voilà «Dirty Little Rockstar» attaqué à la basse de Néandertal, t’es foutu d’avance. Puis il éclate un pauvre balladif, «Holy Mountain». Il l’éclate à la classe pure. Il chante son gut out. Comme l’indique son nom, «Illuminated» est joué aux accords lumineux. L’Astbu passe en overdrive et lance son shine on. Power absolu ! Avec «Savages», il transplante son art dans l’épaisseur du son. Born Into This s’adjoint un mini-LP quatre titres. Tu dois te débrouiller, car tu as zéro info, pas de track-list, pas de rien. L’Astbu refait des siennes avec «Stand Alone». Il se projette aussitôt au sommet des possibilités. Il balaye tout son spectre. On l’admire. Impossible de faire autrement. «War Pony Destroyer» est le son des heavy exécuteurs. On entend glisser les lames. Mais ce qui frappe le plus, c’est le gusto de l’Astbu. Il entraîne son cut à travers une mer de flammes. On trouve une nouvelle mouture d’«I Assasin» - Me & my darkness/ Alone oh-ohh - Il remonte à contre-courant du son malade, comme un baron de l’An Mil, il festoie seul à sa table, avec des clameurs qui font peur. Nouvelle version de «Sound Of Destruction» où il sonne comme Iggy, mais avec son propre style. Il monte vite dans l’excès - I don’t feel anymore - Il s’éclate bien dans les vagues et ce n’est qu’une démo ! On tombe ensuite sur la full version de «Savages», l’Astbu reste un shouter exceptionnel, un pusher de push, n’allez pas prendre le gros Cult pour un groupe de série B.

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             Croisée du regard dans un bac de Gibert, la pochette de Choice Of Weapon ne laissait pas indifférent. Ce fut même le coup de foudre. Avec une pochette pareille, l’album ne pouvait être que bon. C’est un raisonnement qu’on a souvent tenu au fil du temps. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Dans ce cas, on peut dire que ça a marché. L’Astbu s’est déguisé en sachem indien, de ceux qui font vraiment peur et qu’on n’aurait pas aimé rencontrer au coin du bois à une certaine époque. Mais ce qui fait vraiment peur, c’est la suite de l’image à l’intérieur du gatefold : l’Astbu bandit un couteau de chasse indien. Ce n’est pas un opinel. D’ailleurs le cut d’ouverture de balda s’appelle «Honey For A Knife» et on sent tout de suite la présence de ce chanteur impressionnant. Il dispose d’une fantastique énergie du chant. Avec ce Knife, le Cult vise l’absolu cultissime, le power des tribus primitives d’Amérique. L’Astbu finit par avoir des faux accents de Screaming Trees. Il est le seul à pouvoir approcher cet art suprême. Il se bat pied à pied avec les vertiges, il vise l’immensément épique tout ici est porté par le chant. Avec «Life Death», il s’en va chanter là-haut sur la montagne, il en devient élégiaque. On entend encore les accords des Screaming Trees dans «For Animals». Incroyable consanguinité. Astbu chante le wild des prairies et des montagnes sauvages, il est le dernier mountain man de notre époque, comme le montre la pochette. Tout sur cet album est aussi épais qu’ambiancier, comme sculpté dans l’argile. C’est une masse. Avec «Lucifer» en B, l’Astbu durcit encore le tom, il va chercher des accents de plus en plus profonds, you are my Lucifer, il ne rigole plus, il nous entraîne dans des abîmes de perdition, on savait qu’il ne fallait pas lui faire confiance. «A Pale Horse» est une histoire de combat, you don’t stand a chance et il redevient l’un des plus grands hurleurs devant l’éternel avec «The Night In The City Forever». On trouve un deuxième disk dans le gatefold, c’est un EP quatre titres et le côté Screaming Trees revient avec «Every Man And A Woman Is A Star». S’ensuit le magnifique «Embers» et ses clameurs souveraines, c’est incroyablement drivé sous le heavy boisseau des légendes anciennes. Si on en pince pour la grandiloquence, alors le Cult est le groupe idéal. Il devient impressionnant à force de grandiloquence. Le côté élégiaque reprend le dessus avec «Siberia», ce qui paraît logique, vue l’étendue du territoire. 

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             Attention à Hidden City. C’est l’un des plus brillants albums de ce début de XXIe siècle.  Tu prends n’importe quel cut au hasard et tu es content du voyage. Tiens, on va prendre par exemple «Deepley Ordered Chaos». Ces mecs te tombent tout de suite dessus et tu ne peux rien faire. Tu entres en saturation comme d’autres entrent en religion, le gros Cult ne fait plus du rock mais du concassage extraordinaire avec un Astbu coulé dans la craie, il pèse de tout son poids sur cette fantastique débauche de plâtras, les accords sont beaux comme des haches qui s’abattent, tu ne peux pas échapper à ce carrousel d’extrême violence, l’Astbu est partout dans le ciel, il sonne comme un fléau biblique et Duffy abat ses haches d’accords avec une régularité qui fout la trouille, cette façon qu’il a de filocher à travers le son est unique au monde, tu passes sous les fourches Caudines du gros Cult, alors tiens-toi bien ! Un autre exemple avec «Hinterland». Hey ! Il rentre dans le chou du lard comme une épée. C’est à la fois une épée et une explosion. Te voilà suspendu dans les arcanes du son, et l’Astbu chante comme un beau diable, il amène des dimensions qu’on croit connaître, mais non, il crée un monde, il prend son temps, il chante par en dessous et soudain il tape dans l’Hinterland et ça dégringole de partout, tu as là l’un des plus beaux shakages de l’univers, with you/ Forever with you, il s’exacerbe, c’est un cut plein d’épisodes, il remonte à la surface des nuées avec des remugles plein la bouche, ça explose dans une soupe infâme de solos morts-nés, dans un océan d’avanie larvaire, Duffy fait tout ce qu’il peut pour survivre, c’est overwhelming et terrific, l’Astbu continue de monter son with you dans l’Hinterland, son poignant with you my love, c’est du génie pur, vibré comme du béton dans la gueule de Moloch. Et puis tu as «Birds Of Paradise» et sa belle profondeur de champ, beaucoup d’espace, idéal pour un déclameur hugolien comme l’Astbu. Il répand son souffle, il pose son chant comme s’il posait ses conditions et ça devient l’enfer sur la terre. C’est parce qu’il chante le Paradise que ça devient génial. Des chœurs des Dolls accompagnent cette descente aux enfers du Paradise. On descend littéralement dans la cave du Cult, mais l’Astbu veut la lumière du Paradise, alors il explose comme Lucifer, c’est d’une beauté tétanique. Il incarne l’ange déchu et fait glisser les accords dans la lumière, et là-bas, au loin, les chœurs qu’on entend ne sont pas ceux des anges, mais ceux des Dolls. L’Astbu pose sa voix sur l’acier en fusion. Des arpèges le transpercent, on sent le souffle de sa voix au dessus du brasier et là tu as certainement l’un des plus beaux cuts de l’histoire du rock. L’Astbu crée l’émotion des précipices. Et le redémarrage est une merveille unique au monde. Rien qu’avec ces trois cuts («Hinterland», «Birds Of Paradise» et «Deepley Ordered Chaos»), on est gavé. Pourtant, on trouve d’autre briseurs de noix sur cet album, comme par exemple «No Love Lost». L’Astbu y est le Chanteur Contre Le Pacifique. C’est le seul mec à savoir le faire. Son power dépasse celui des mots, comme chez Duras. Il pleut du feu. Alors tu te prosternes. Le «Dark Energy» d’ouverture de bal est aussi un passage obligé, car wild as fuck, avec un Astbu debout sous une pluie d’accords. Comme il est avant toute chose un seigneur, il se relève dans les décombres, c’est son numéro préféré, il sait faire le phénix du rock, le voilà dressé au beau milieu des décombres pour chanter. Et puis tu as encore «Dance The Night», visité par la grâce barbare, ce démon d’Astbu bénéficie de toutes les largesses de l’apocalypse. C’est encore une fois noyé de son. Il monte toujours à la rencontre d’un cut comme un sous-marin, et le plus souvent, il le torpille, mais c’est pour son bien. Tu vas tomber de ta chaise en écoutant le heavy sludge de «GOAT» et avec «Lilies», tu verras l’Astbu monter son chant par dessus la muraille de Chine d’un Wall of Sound, c’est gorgé de climats, terriblement texturé, taillé dans l’albâtre sonique. Encore de l’inexorable avec «Heathens». Ça te frise les moustaches. Sa voix vibre, jusque dans le cœur de l’atome. On note que Bob Rock produit tous ces albums géniaux.  

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             Sur Pure Cult. The Singles 1984-1995, on croise pas mal de vieilles connaissances, comme par exemple «Star», tiré de Choice Of Weapon et saturé de son, ou «Love Removal Machine», tiré d’Electric et saturé de Stonesy, ou encore «Heart Of Soul», tiré de Ceremony, ou encore «Wild Hearted Son», tiré lui aussi de Ceremony, et puis aussi «Sun King» dont on a déjà dit tout le bien qu’il faut en penser, au moment de Sonic Temple. L’Astbu propose en permanence un mélange de pleasant et d’unpleasant, il a des réflexes de wild rocker, comme Iggy Pop ou Roy Loney. Ce sont des gens qui savent chevaucher un wild beat. Le gros Cult sort du lot comme les Doors sortaient du lot, par la seule aura du chanteur. Ian Astbury est le prince des clameurs. Cette compile de Singles est très bien faite, elle permet de faire le tour du propriétaire et d’écrémer la crème de la crème. Le gros Cult mise tout sur le heavy sound. C’est un autre monde. Ils amènent «The Witch» à la basse fuzz. Une bénédiction !  L’Astbu explose «In The Clouds» au pur power d’hardcore king. Il se fond ensuite dans le bad ass groove de «Coming Down», c’est du sérieux et ça bascule une fois encore dans le limon de tes rêves inavouables. Il emmène «Wild Flower» au sommet du lard fumant, il monte vite sur ses grands chevaux et ça atteint une fois encore le sommet du lard fumant.

    Signé : Cazengler, peigne-Cult

    The Cult. Dreamtime. Beggars Banquet 1984

    The Cult. Love. Beggars Banquet 1985    

    The Cult. Electric. Beggars Banquet 1987   

    The Cult. Sonic Temple. Beggars Banquet 1989

    The Cult. Ceremony. Beggars Banquet 1991

    The Cult. The Cult. Beggars Banquet 1994  

    The Cult. Beyond Good And Evil. Atlantic 2001

    The Cult. Born Into This. Roadrunner Records 2007

    The Cult. Choice Of Weapon. Mystic Production 2012

    The Cult. Hidden City. Cooking Vinyl 2016  

    The Cult. Pure Cult. The Singles 1984-1995. Beggars Banquet 2000

    Holy Barbarians. Cream. Beggars Banquet 1996

    Ian Astbury. Spirit/Light/Speed. Beggars Banquet 1999

    Lee Powell & Duncan Seaman : All glory/ Electric. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Battle Fields (Part Four)

     

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             Il se pourrait fort bien que Lee Fields soit la dernière superstar de la Soul américaine, ce qu’Ahmet Ertegun appelait autrefois the original black American music. Dès que Lee Fields arrive sur scène, tu réalises qu’il est l’héritier direct de James Brown. Bootsy booty. Une vraie bête de Gévaudan. Chaque fois qu’il revient en France, il donne l’impression d’être encore plus vorace. Son secret ? Le wild as fuck, c’est-à-dire le raw de la Soul. Comme Sharon Jones, il concentre tous les pouvoirs, à commencer par le Black Power. Il vient en direct de l’I’m Black and I’m Proud, des poings levés de Tommie Smith et John Carlos à Mexico, du Doctor King et de Malcolm X, de Solomon et de Wicked Pickett, de Sly Stone et de Sam & Dave, du prophète Isaac et d’Aretha, il hérite de la spacio-génétique de Funkadelic, il dit et redit, pour les ceusses qui ne l’auraient pas encore compris, la grandeur du peuple noir, une grandeur qui passe par le pont des arts. La Soul est l’art nègre par excellence.

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             Lee ramène tout le saint-frusquin : la revue, les pas de danse, l’hot sax, les boots, les screams, la sueur, le juju, le mojo, les Flames, le funk, le feel, le fool, le fame, le feu, l’Afro, Lee t’enlise, Lee te lie à lui, Lee te lilipute, Lee luit dans les spots, Lee boit le calice jusqu’à la lie, Lee creuse le lit de la Soul, Lee voit loin, Lee ne pâlit pas, Lee verse des larmes, Lee te donne la lune, Lee Lady Lay, Lee lime, Lee t’élit, Lee t’allume, Lee t’allonge, Lee t’ilote, et soudain, Lee te ramène aux réalités avec un numéro de funk digne des grandes heures de son mentor, Jaaaaaaaames Brown :

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    il bloque le funk dans ses starting-blocks, le doigt sur la couture du pantalon, alors la gratte tinguelite et déclenche l’enfer du funk sur la terre avec «Money I$ King», Brother ! Il te harangue et te harponne - sad sad world where money is king - alors la nef des fous bascule dans l’enfer du paradis. What the hell ! Hey, t’auras jamais ça ailleurs. Il sort aussi le vieux «Standing By Your Side» d’Emma Jean pour rocker sa Soul, cette Soul progressiste qui te marche dessus comme une armée de l’antiquité lancée à la conquête des continents, c’est à ça et à vraiment ça qu’on mesure l’immense power de Lee Fields, c’est son côté mitterrandien, cette merveilleuse force tranquille black qui n’en finit plus de résonner sous ton crâne de mort, ça bat comme un pouls, ça bat comme un cœur.

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    Le fameux heartbeat d’Eric Burdon, tu l’entendras chez Lee de la terre. Et tu ne t’en lasseras jamais. Encore un numéro de cirque avec «Two Jobs», tiré du nouvel album, il raconte son histoire et la revue se met en ordre de marche, c’mon babe, diable comme ces mecs sont bons, rien que des petits culs blancs, mais des bons, bassman hocheur de tête, gratteux sobre mais claquemureur, sax man wild and frantic, beurreman milord-l’arsouille, shuffleman à la Georgie Fame, et Lee ergote comme un funkster, han ! sa femme lui dit Lee ramène du blé et Lee tape two jobs, joli prétexte à groover cette nef qui valse dans les grasses Sargasses de la Soul, Lee égrène les heures d’o’clock, c’mon baby, si tu veux danser sur le beat, c’est là que ça se passe.

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    Et puis, la cerise sur le gâtö, c’est bien sûr le coup du lapin : «Honey Dove» en rappel et là Lee te tue, mais tu meurs de bonheur, il revient en gilet jaune et tape dans le dur de sa Dove, l’un des plus grands hits des temps modernes - My baby love/ My honey dove - Lee la tire à l’infini, sa Dove - You’re hurting me honey/ Right down to the bone - il en rajoute des minutes et des minutes qui sonnent comme des minutes de Sable Mémoriel, il multiplie les faux adieux et n’en finit de demander à la foule si elle est heureuse, alors la foule rugit bien, Lee veut l’entendre encore rugir, alors la foule fait yeah yeah, Ooh, baby My baby love, tu en veux encore ?, tiens en voilà encore, il part mais ne part pas, il fait son cirque jusqu’au bout de ses forces, profite bien du bout de ses forces, car t’es pas près d’en voir d’autres des bouts de ses forces pareils, Lee t’en vas pas, mais il faut bien qu’elle aille au lit, notre True Star. Eh oui, mon gars, Lee a 72 balais. Vénérable. C’est pour ça qu’on le vénère. 

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             Alors qu’on le croyait un peu usé par le temps, il refait la une de l’actu avec un album superbe, Sentimental Fool. D’où cette tournée de promo.

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    Sur la pochette, il pose au milieu des cocotiers et il casse aussitôt la baraque avec «Save Your Tears For Someone New». Comme il vient de confier son destin à Daptone, il ne pouvait espérer de meilleur catchin’ up. Les Dap-Kings soignent Lee jusqu’au délire, le Save Your Tears sonne comme une merveille apocalyptique, c’est l’accumulation des forces qui rend le cut surnaturel : genius de Lee + genius de Daptone, ça donne de l’extraballe gorgée de power sous-jacent. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Without A Heart», un vrai shoot de Daptone shuffle. Lee grimpe à cheval et part à la conquête de l’Ouest. Il est rompu à tous les arts, surtout celui du wild as fuck. Les Dap-Kings drivent ça bien, tu as encore le génie de Lee Fields qui court sur la crête - Summer rain in my heart - Rien de plus expressif, de plus pressant, ça roule avec des percus de caboche et un extraordinaire relentless de shuffle d’orgue. Absolument demented ! Avec «Forever», il est tout de suite en selle, il va droit sur la Soul intense et moite. On est là pour ça et Lee Fields ne te déçoit jamais. Il faut aussi comprendre que cette heavy Soul ne parle pas à tout le monde. Son concert en Normandie n’affiche pas complet. Lee Fields fait de la heavy Soul, écrasée comme une prune sous le soleil exactement. Ça commence à groover sérieusement avec «Two Jobs», sur fond de shuffle d’orgue, et Lee ramène sa voix de James Brown, alors il t’éclate le Sénégal et tape un fantastique shoot de jive. Puis il te plonge dans le chaudron de la pire Soul de froti avec «Just Give Me Your Time». On n’avait pas vu un tel chaudron depuis le temps de «Please Please Please». Derrière, ça joue fabuleusement, aux notes déliées, don’t worry baby. Prod magique, comme d’habitude chez Daptone. Encore une merveille avec «The Door», les violons te happent, don’t leave me, c’est du big biz claqué derrière dans le mix. Ça se joue à un autre niveau, avec des couches supérieures et des effets de claquettes. Il fait encore merveille dans «Ordinary Lives», il fait du heavy Lee, il plante ses crocs dans la Soul, c’est un vrai scorcher, une fantastique présence, il incendie son crépuscule. Il passe au plus dansant avec «Your Face Before My Eyes», Lee est un vétéran, il sait mener un bal, il sait allumer la belle Soul de Daptone au plus haut point. Et puis cette fantastique aventure s’achève avec «Extraordinary Man», il fait sa prière, il n’est pas celui qu’elle croit, c’est bien plombé. Cet homme admirable se plie aux aléas du destin et c’est orchestré rubis sur l’ongle.

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             Oh et puis le voilà en couve de Soul Bag. Et six pages à l’intérieur. Dans l’interview, il parle bien sûr de son retour chez Daptone, après la fin de son contrat chez Big Crown. Gabe Roth  ? Il le connaît depuis belle lurette et s’entend bien avec lui. Pas de problème. Lee explique que Gabe lui présente des chansons, et il choisit. Lee confirme que Sentimental Fool a été enregistré au nouveau studio Daptone de Riverside, en Californie. Il évoque bien sûr ses vieux souvenirs de l’early Daptone en 1996, il évoque aussi ses vieux amis Sharon Jones et Charles Bradley. Mais au fond Lee n’a pas grand-chose à dire. Ce n’est pas un baratineur.

    Signé : Cazengler, Lee figue, Lee raisin

    Lee Fields. Le 106. Rouen (76). Le 11 février 2023

    Lee Fields. Sentimental Fool. Daptone Records 2022

     

    L’avenir du rock - La reine Elizabeth

     

             Pour se changer les idées, l’avenir du rock décide d’aller faire un tour à dos de chameau dans la Vallée des Rois. Avec sa chéchia, son nez courbe, sa barbe miteuse et son accent arabe, le guide est tellement caricatural qu’il semble avoir été dessiné par Hergé. Il précède l’avenir du rock de quelques mètres, juché sur un petit âne dont il bourre les flancs de coups de talons pour le faire avancer.

             — Li glande pylamide qué tu chouffle, sahib, ci celle du BiBi Kingue !

             — Diable, elle est deux fois plus grosse que les autres !

             — Les plêtles d’Anoubis pas ligoler avé Bibi Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Osilis.

             — J’aurais jamais cru que les dieux avaient aussi bon goût. Et la plus petite, à côté ?

             — Ci la pylamide dé Fleddie Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Holus.

             — Franchement, Mohammed, cette Vallée des Rois est du meilleur goût ! J’imagine que la pyramide suivante qui ressemble à une grosse glace fondue est celle d’Albert King...

             — Blavo Sahib ! Ci bien la pylamide d’Albelle Kingue, lé loi de la blouse-loque ! Lété fondu passe qui lé le pléfélé du gland Lâ. Tlop chauffé la caboche, hi hi hi !

             — Et toutes ces petites pyramides qu’on voit alignées par derrière ?

             — Cille là, Sahib, ci la pylamide du gland Eal Kingue di la Nivelle Ourlian, et a coti, ti as la pylamide du gland Ben I-Kingue, les pléfélés d’Anoubis.

             — Et celle qui est en construction, là bas ?

             — Ci celle d’Ilizibite Kingue, mais les ouvliers sont lentlés au village.

             — Pourquoi donc ?

             — Y faut attendle qu’Ilizibite casse la pipe, Sahib ! Ilizibite elle chante encole dans son village. Si tou veux Sahib, yé peu te vendle son delnié alboumme. Ci pas cher !

     

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             L’avenir du rock n’en revient toujours pas d’avoir trouvé le nouvel album d’Elizabeth King dans le désert. Il l’a eu en plus pour pas cher.

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    Il s’appelle I Got A Love, et sort sur Bible & Tire Recording Co., un label qu’on a salué ici-même voici quelques mois. Cette fois, la Reine Elizabeth opte pour une pochette psychédélique. On croit tenir dans les pattes un bootleg californien de Captain Beefheart, mais rassurons-nous, c’est bien elle, et elle attaque au fast heavy groove de Bible & Tire avec «What You Gotta Do». Si on aime le heavy gospel, on est servi. Elle enchaîne avec un pur r’n’b, «Stand By Me», elle te drive ça droit dans le mille, elle chante à la clameur du oh no de stand by me, le beat est d’une rare violence et ça bascule dans la folie cavalante. Il secoue les colonnes du temple. S’ensuit «I Got A Love», le truc de Jimbo Mathus, d’une rare intensité, ça sent bon la mainmise - Like a haunting stroll through the dark Memphis streets/ With a desperate cry of love and affection - Elle passe sans crier gare au gospel rock avec «I Need The Lord». Elle t’allume ça dans la lucarne au heavy gospel batching ball et Will Sexton gratte ses poux. On retrouve sur cet album la même équipe que sur l’album précédent, avec Sexton, tu as Mark Edgar Stuart (bass), George Stuppick (beurre) et Matt Ross-Spang, (second guitar). Le Master of Ceremony reste bien sûr Pastor Juan D. Shipp, personnage de légende dans le monde du gospel local. «My Robe» dégage bien les bronches, oh my robe ! , elle te monte ça vite fait en neige, oh my robe !, elle le danse dans l’entre-deux, aw, la classe de la Reine Elizabeth, elle le perpétue jusqu’à la fin des temps, oh my robe !, te voilà arrivé dans l’art sacré. Avec «I Know I’ve Been Changed» elle remercie Jésus de l’avoir changée. Et ça se termine en heavy loco de gospel des seventies avec «My Time Ain’t Long», une divine apocalypse. 

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             Lors de leur passage en Normandie, les Como Mamas avaient tellement marqué les cervelles au fer rouge qu’on est resté sur le qui-vive. Dès que paraît un Bible & Tire Recording, on lui saute dessus. Tiens justement, en voilà un de taille : The D-Vine Spiritual Recordings. Les liners nous indiquent qu’Elizabeth King est restée 33 ans avec ses Gospel Souls et qu’elle a élevé 15 gosses. The D-Vine Spiritual Recordings est une compile de Memphis Gospel batch, mais à l’ancienne. Ça démarre avec un «I Heard The Voice» enregistré en 1972, fantastique alliage de sensibilité et de power qui fut, nous dit le producteur Juan D. Shipp, un gros succès. Il avait demandé à Elizabeth King de chanter comme si elle faisait l’amour à Dieu - Nobody could sing like the original - Puis comme sait si bien le faire le gospel, ça explose avec «Wait On The Lord». Le coup de génie de l’album s’appelle «Here Waiting». Elle allume la gueule du gospel et ça tourne à la magie pure, elle détient le power d’Aretha - I find in Him sweet rest - Elle explose le batch, le gang joue heavy et les Gospel Souls chantent à la criée avec tout le jus du doo wop. Elle profite de «Jesus Is My Captain» pour amener Jésus en feulant dans la nef des fous de l’église en bois. Elle chante ça sous le boisseau de l’autel, elle rampe un temps pour mieux rejaillir et éclater dans la rosace d’une cathédrale imaginaire. Quel boulot ! On est encore plus effaré par «I Found Him» : c’est la classe du gospel croon de Broadway in Memphis, elle se barre en heavy groove de gospel jazz - I found him to be my hellbound chaser/ I found him to be my midnight rider - Incroyable tension du batch. Tout est beau sur cet album miraculé. La reine Elizabeth fait de la Soul de gospel, elle chante à la vie à la mort, comme une lionne, elle est l’Aretha des pauvres, la Soul Queen de Memphis, même si on sait qu’Aretha est elle aussi originaire de Memphis. Elle fait du r’n’b primitivo-spirituel. 

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             En 2021, la reine Elizabeth est devenue une vieille dame quand elle enregistre Living In The Last Days. Elle n’a plus la même voix. L’album décolle avec «He Touched Me». Les Vaughn Sisters font les chœurs, c’est très fin, quasi-chirurgical, tellement précis, à l’ozone près. Elle enfile une série de gospels classiques (gospel d’orgue avec «Living In The Last Days», Memphis beat avec «Mighty Good God» et heavy shuffle avec «A Long Journey»). Puis ça se met à rocker avec «Reach Out And Touch», monté sur un beau bassmatic ballochard. Avec «Walk With Me», elle demande beaucoup à Lawd - Lawd be my friend/ Don’t leave me alone - Elle attaque «Cal On Him» à la Sam Cooke. La reine Elizabeth termine cet album attachant avec l’a capella de «Blessed Be The Name Of The Lord», la voilà pure et dure, et elle enchaîne sur le plus beau des hommages : «You’ve Got To Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Mister Jag et tous les repreneurs, prenez des notes.  

    Signé : Cazengler, Elizabête comme ses pieds

    Elizabeth King. Living In The Last Days. Bible & Tire Recording Co. 2021

    Elizabeth King & The Gospel Souls. The D-Vine Spiritual Recordings. Bible & Tire Recording Co. 2019

    Elizabeth King. I Got A Love. Bible & Tire Recording Co. 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - In the Mud for love

     

             Personne n’aurait pu dire ce que Mad avait au fond du crâne. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de comprendre. Pendant des années, nous avons chevauché ensemble, mais il demeurait impénétrable, même lorsqu’il affichait son prodigieux sourire de gamin. Il ne parlait jamais de lui, sauf pour indiquer qu’il avait toujours eu les cheveux blancs, depuis sa plus tendre enfance. Lors des bivouacs, il grattait sa guitare à la folie, il torturait à n’en plus finir des thèmes de flamenco et nous avions beau lui répéter qu’il fallait garder le silence pour des raisons de sécurité, rien n’y faisait. Il grattait deux fois plus fort. On devait nous entendre à des kilomètres à la ronde et c’est un miracle que les chasseurs de primes ne nous soient pas tombés dessus. Mad ne craignait pas la mort, il avait déjà traversé le miroir. Il semblait observer les vivants comme on observe des curiosités. On se méfait un peu de lui, car il pouvait avoir un côté très dangereux. On l’avait vu à l’œuvre dans des saloons, il provoquait des rixes pour un rien. Il ne sortait son six coups que pour tuer à coup sûr, et souvent pour des prétextes bénins, du genre un malencontreux échange de regard ou simplement une tête qui ne lui revenait pas. Un vrai crotale. Il valait mieux être son ami que son ennemi. Mais personne dans le gang n’était vraiment sûr de lui à cent pour cent. Il chevauchait avec nous, c’est tout. Nous avions besoin d’hommes de sa trempe pour monter des coups sur les villes de la frontière, et peu de gens osaient encore risquer leur peau pour un sac d’or. L’or n’intéressait même pas Mad. Il nous laissait sa part et retournait gratter sa gratte. Quand il ne grattait pas, il fabriquait de l’alcool de cactus. Il en trimballait toujours des bidons accrochés en travers de sa selle et nous en offrait de grandes lampées lorsqu’on fêtait la réussite d’un casse. Son alcool de cactus montait droit au cerveau et pouvait assommer un bœuf. Mad pouvait en boire de grandes lampées au goulot de son bidon et rester de marbre. Un matin, on s’est réveillés et Mad avait disparu. Avait-il seulement existé ?

     

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             De la même façon que Mad, Mud fait partie des compagnons de route qui sont aussi des anomalies, et c’est justement parce qu’ils sont des anomalies qu’on se souvient d’eux avec autant de précision. Dans le courant des early seventies, les champions du glam savaient défrayer la chronique, mais d’une certaine façon, Mud raflait la mise. Ils intriguaient. Leurs pochettes ne laissaient pas indifférent. Ils flirtaient avec le pastiche, comme d’ailleurs les Rubettes, mais ils excellaient dans un genre purement britannique : le hit glam. Dans Vive Le Rock, le bassman Ray Stiles raconte l’histoire de Mud. Oh, cette histoire n’apporte rien de plus que les autres histoires, elle est celle de tous les groupes anglais qui rament pendant des années, qui jouent dans le circuit des cabarets et qui décident un jour de passer pros. En 1968, ils vont tourner en Suède, ils enregistrent deux ou trois singles qui ne marchent pas et se retrouvent au point de départ. Mickie Most les repère, leur conseille de changer de nom, leur propose Hot Chocolate, une idée soufflée par John Lennon, et leur dit de revenir le voir quand ils auront cassé le contrat qui les lie à leur agence. Retour au point de départ. Tournées en Angleterre. Mais comme tout le monde parle de Mud, Mickie Most dresse l’oreille. Il les signe en 1973 et les met dans les pattes de Chinnichap, le duo de compositeurs maison qui bosse pour RAK et qui fournit des hits à Sweet et à Suzi Quatro. Et pouf c’est parti !

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             En 1974, Mud fait sensation avec Mud Rock, paru sur RAK. Les Mud boys démarrent avec un hit signé Chinnichap, «Rocket», bien glissé sous le boisseau. C’mon now ! Son de rêve. Ils tapent ensuite une double cover «Do You Love Me/Sha La La La Lee» dans une fantastique ambiance. Big glam sound encore avec «Running Bear», le plus beau son de glam de l’an de grâce 1974. On retrouve cette grâce glammy en B avec «Dyna-Mite/The Cat Crept In/Tiger Feet», un véritable chef-d’œuvre. Ray Stiles indique que Sweet n’a pas voulu de «Dyna-Mite». Le reste de l’album tourne bizarrement en eau de boudin. Mais bon, à l’époque, l’amateur de glam savait se satisfaire de trois hits. C’est au moment de l’enregistrement de ce premier album que les Mud boys se posent la question du look. Comme son oncle est un Ted, Ray Stiles propose le look Ted, mais Rob Davis l’arrange à son goût. Le résultat de leurs cogitations se trouve sur la pochette de Mud Rock.

             Ray Stiles précise en outre que dans le duo Chinnichap, Mike Chapman était le real deal. Il était en studio avec les groupes. Nicky Chinn était plus un hustler, il négociait des coups, notamment les passages à Top Of The Pops. «Nicky pour le business, Mike pour la musique, ils s’entendaient bien», nous dit Stiles.

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             Il faudrait accrocher quelque part un écriteau disant : «Merci de ne pas prendre Mud pour des clowns». C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute du Mud Rock Vol. 2 paru en 1975. «Living Doll» est du pur glam rock de Chinnichap. Ils tentent l’Elvisserie avec «One Night» et c’est du solide. Tout est solide chez Mud, le chant, le solo de Rob Davis. Ils font aussi une belle cover de «Tallahassee Lassie». Power pur ! C’est la prod RAK, bien rik et rak, c’mon baby ! Mais le chef-d’œuvre de l’album est la cover d’«Oh Boy» en B, une gospel cover de Buddy Holly, un suprême hommage, tapé à la perfection harmonique, when you’re with me Oh boy ! Ces gens-là sont des démons. Tous ceux qui ont entendu cette version d’«Oh Boy» à l’époque en sont restés marqués. Ils terminent avec une version kitschy kitschy de «Diana» et Rob Davis ulule dans le son avec des notes grasses et sirupeuses.

             Puis ils font une grosse connerie : il quittent RAK et Chinnichap, car Private Stock leur propose un gros paquet de blé. Quatre fois plus que Chinnichap, nous dit Ray Stiles.

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             Leur premier album pour Private Stock s’appelle Use Your Imagination. En ce temps-là, on savait faire des pochettes. Ah il faut voir leurs dégaines dans leurs costards bleus, ce sont de vrais glamsters. Ils démarrent l’album sur le pur glam d’«R.U. Man Enough», c’est-à-dire «Are You Man Enough», mais il faut attendre «Hair Of The Dog» pour renouer avec le vrai glam anglais : énergie, chaleur des chœurs, tout est là. Et la pulsion du beurre ! Ils tentent aussi le diable avec «Don’t Knock It», ça reste altier, pas trop maniéré et joué avec maestria. Ils font aussi des pastiches de rock’n’roll, comme ce «43792» monté sur le riff de «Something Else». Avec l’«L’L’Lucy» qui ouvre le bal de la B, ils sonnent comme Ziggy. C’est encore une fois excellent, plein de jus, battu sec et net. C’est avec le morceau titre qu’ils créent la surprise : ils tapent dans un groove de pop de très haut niveau, ce groove de good time music semble tomber du ciel. Beau comme un cœur. Ils virent plus poppy avec «Under The Moon Of Love». Rien de surprenant car c’est signé Tommy Boyce. Si tu es assez fan de Mud pour aller rapatrier la Mud Box sortie chez Cherry Red, tu vas tomber sur des bonus extraordinaires : «My Love Is Your Love» (une étonnante smooth pop, et là Mud devient un groupe passionnant qui sait se fondre dans le fondu) et «Don’t You Know» (Pop de charme, pure magie).

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             Depuis qu’ils ont quitté RAK, ils perdent de l’altitude. Ils rencontrent le même problème que les Monkees : en voulant leur indépendance, les Monkees se sont coupés de Don Kirshner et de Boyce & Hart, donc d’une source inépuisable de hits. It’s Better Than Working est un album nettement moins dense, et la pochette n’est pas du meilleur goût. Une sortie d’usine n’est pas un objet de plaisanterie. Tu trouveras un peu de glam en B avec «Note Of The Tiles», mais ils le jouent un peu trop vite et finalement, le compte n’y est pas. Puis ils basculent dans la putasserie avec «How Many Times» et «Don’t Talk To Me». Leurs atroces kitscheries n’ont aucun avenir. Dommage, car l’«It Don’t Mean A Thing» s’annonçait bien, aux frontières de la pop et du glam. C’est encore le son de l’Angleterre heureuse, juste avant Thatcher. Mais on remarque très vite une grave carence compositale. Ray Stiles & Rob Davis, ce n’est pas la même chose que Chinnichap. Ray Stiles & Rob Davis se lancent à l’assaut des charts et ça ne marche pas. Ils tentent de revenir au glam pur avec «Blagging Boogie Blues», mais ça bascule vite fait dans le fast n’importe quoi. Même remarque que précédemment : tu vas trouver dans les bonus de le Mud Box un «Time & Again» digne des Beatles de «Rocky Racoon». Et comme le dit si bien Phil Hendricks, Mud perd avec cet album ce sense of fun and bonhomie qui les caractérisait si bien, à quoi Les Gray ajoute : «I think we got too big for our boots. We were thinking we were Steely Dan.»

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             Retour au glam sur Rock On avec deux cuts : «Who You Gonna Love» et en ouverture de bal de B, «Careless Love». C’est le heavy boogie down d’Angleterre, bien porté par un bassmatic chevrotant. Les Gray chante «Careless Love» au tremblé émotif, porté par l’excellent stomping ground de Mud, et Rob Davis tire son solo à quatre épingles, oh c’mon, le son est tellement parfait ! On retrouve le Mud qui pondait jadis des hits glam intemporels. Cet album pourrait bien être le grand retour de Rob Davis qui éclaire «Burn On Marlon» d’un solo luminescent et «Let Me Get (Close To You)» d’un solo d’urgence claquante. Le reste des cuts n’est pas très convaincant. Dommage qu’ils n’aient pas capitalisé sur leur stock de glam attitude. Ils terminent l’album avec un gros clin d’œil à Eddie Cochran : ils reviennent au rock’n’roll avec une belle version de «Cut Across Shorty». Ils devraient le faire plus souvent, ils amènent leurs couplets aux clap-hands, dans leur environnement glam et ça redevient étonnant. Côté Mud Box et bonus, on se doit de saluer «Let Me Out», un puissant instro. Avec Rob Davis, c’est forcément du tout cuit. Ils font aussi une cover du «Just Try (A Little Tenderness)» d’Otis, mais en mode glam, it’s over/ tonite, c’est très bon esprit.          

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            Et puis voilà la chant du cygne : As You Like It, qui sort en 1979 avec une pochette voluptueusement illustrée. Ça part en mode diskö-pop avec «Dream Lover» et on est un peu triste, car Mud restait un groupe à fort potentiel. Ils se sont épuisés. On sauve «1-2 Love» sur cet album, qui bascule dans le glam après un mauvais départ. Ils font même du funk avec «As You Like It», puis du reggae avec «You’ll Like It», puis du gospel avec «So Fine». C’est toujours très solide au niveau son, et même assez beau. Ils font aussi de la pop incertaine avec «Right Between The Eyes». Ils sont parfaitement à l’aise dans tous les styles, puisqu’ils finissent l’album avec du doo-wah-doo-wah des fifties, une belle reprise du «Why Do Fools Fall In Love / Book Of Love» de Frankie Lymon. On salue une dernière fois Rob Davis et son «Roly Pin», planqué dans les bonus, car il crée autant de magie que Peter Green.

             Mud splitte en 1979. Les Gray monte Les Gray’s Mud, Rob Davis joue dans les Darts et Ray Stiles rejoint les Hollies en 1985.

    Signé : Cazengler, Mud alors !

    Mud. Mud Rock. RAK 1974

    Mud. Use Your Imagination. Private Stock 1975

    Mud .Mud Rock Vol. 2. RAK 1975  

    Mud. It’s Better Than Working. Private Stock 1976

    Mud. Rock On. RCA Victor 1978                    

    Mud. As You Like It. RCA Victor 1979 

    Mark McStea : Tiger feet. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

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    Lorsque Thumos a annoncé vers la mi-juillet que son prochain opus serait Symposium, j’étais encore sous le choc esthétique de Course of the Empire, voir la chronique in Kr’tnt ! 562 du 07 / 07 2022, je n’ai pas eu le réflexe de ramener ce nouveau titre aux antérieures réalisations du groupe. A Course of Empire est une série de toiles du peintre américain Thomas Cole sur le sujet du destin de tout empire, il n’est pas interdit d’y voir une préfiguration pessimiste de la destinée des Etats-Unis… La version metallo-symphonique de l’œuvre de Thomas Cole opérée par Thumos peut ouvrir le champ à de similaires inquiétudes… J’ai passé tout l’été en me demandant à quel évènement, nommé Symposium, de l’histoire des States ce nouveau projet était consacré. Evidemment je m’étais enlisé dans une fausse piste. Je plaide coupable, je n’ai pour toute excuse que celui d’être français, car par chez nous il est très rare de nommer le Symposium selon son vocable original, il répond à un titre nettement plus évocateur : Le Banquet. Non pas le Beggars Banquet des Rolling Stones, mais de celui dont les abeilles de l’Hymette venaient butiner le miel de ses lèvres, j’ai nommé Le Banquet de Platon. En France tout le monde connaît ce titre sans même l’avoir lu, personne n’ignore, notre vieux fond gaulois attaché à la gaudriole aidant, que Le Banquet de Platon parle de l’amour. Evidemment c’est un agréable raccourci, peut-être convient-il avant d’écouter le Symposium de Thumos de nous attarder quelque peu sur le Symposium de Platon.

    LE BANQUET DE PLATON

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    Rappelons que Thumos a attiré l’attention de moult amateurs de musique rock par son adaptation – nous reviendrons sur ce terme peu précis – de La République de Platon (voir notre chronique 541 du 10 / 02 / 2022 ). Ces deux dialogues sont dissemblables : comparé au Banquet, La République est beaucoup plus austère, elle évoque un sujet que l’on qualifiera de théorique et que l’on définira grossièrement par la question suivante : quelle sorte de gouvernement pour une Cité idéale ? Selon les catégories platoniciennes du juste et du bon Le Banquet s’intéresse au Beau, qui dit beau pense à beauté et qui dit beauté pense au désir et à l’amour. Tout lecteur se sent directement interpellé…alors que les ratiocinations sur le meilleur des régimes politiques suscite davantage de méfiance et de scepticisme, surtout par nos temps troublés…

    Un banquet était composé de deux parties, l’on mangeait dans la première, l’on buvait dans la seconde nommée Symposium. Le banquet dont il est question dans le dialogue de Platon est terminé depuis plusieurs années lorsque débute l’œuvre. Nous n’y assistons pas en direct si l’on nous passe l’expression. Mais il est resté célèbre non parce que la boisson et les libations aux Dieux se succédant il aurait dégénéré, disons en orgie romaine, mais pour les discours qui y avaient été prononcés. Rappelons que si nous vénérons les textes de la Grèce Antique, l’enseignement était avant tout oral. Le savoir était transmis directement du maître aux disciples. Par exemple beaucoup de textes d’Aristote qui nous sont parvenus sont à l’origine des cours dispensés en salle de classe ou en marchant, une fois la leçon terminée les élèves se retiraient et notaient les paroles du professeur. Ecouter et mémoriser était primordial. L’on ne s’étonnera donc pas qu’Apollodore le narrateur puisse de tête reproduire les longs discours, ou du moins l’essentiel, qui avaient été tenus par les principaux convives tels que les lui avaient révélés Aristodème qui lui avait assisté à ces agapes intellectuelles et duquel la justesse des propos furent plus tard confirmés à Apollodore par Socrate lui-même…

             Pour la petite histoire Apollodore fut un élève de Socrate, il tentera de convaincre Socrate de plaider coupable et de payer une amende dont il se portait caution. Xénophon raconte qu’Apollodore assista à la fameuse scène de Socrate buvant la cigüe mais qu’il fut incapable de retenir ses pleurs… preuve ô combien évidente qu’il n’avait pas encore intégré l’enseignement de son maître…

             Le banquet est donné par Agathon pour fêter sa victoire au concours dramatique en l’honneur des fêtes Lénéennes (fin janvier-début février) dédiés à Dionysos, à Athènes. Après le repas proprement dit vint le moment de boire. Les convives sont fatigués, la veille Agathon a déjà offert à ses amis et invités une grande fête très arrosée… la proposition d’Eryximaque de boire modérément mais d’égayer la soirée en demandant aux participants de prononcer chacun à leur tour un éloge au Dieu Eros est acceptée par tous. 

    Sept discours se succèderont durant cette soirée mémorable. Ce n’est pas un hasard si le Symposium de Thumos comporte huit morceaux.  Pour les personnages évoqués par Thumos nous utiliserons la transcription française de leur nom.

              Un dernier avertissement à l’auditeur qui ne lève pas la nuit pour relire quelques pages de Platon :  malgré le sujet nous ne sommes pas en présence d’un ouvrage joyeux, laissons de côté les représentations romaines du Dieu Eros sous les traits d’un enfant facétieux qui s’amuse à vous percer le cœur de ses flèches redoutables qui peuvent vous rendre heureux ou malheureux si votre amour est, ou n’est pas, exaucé par la personne vers qui se porte vos désirs… Que le lecteur ne soit donc pas surpris par la tonalité grave ou dramatique de cette œuvre.

    SYMPOSIUM

    THUMOS

    ( Snowwolf records / 14 – 02 – 23 )

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    Thumos a découpé en huit parties le dialogue de Platon en suivant l’ordre de son déroulement chronologique, il faut avoir écouté l’œuvre en son entier pour en saisir l’unité organique, elle n’est pas composée de huit morceaux indépendants les uns des autres, elle est parcourue de la même tension qui ordonne l’enchaînement des discours successifs, l’on suit une gradation  qui par paliers emmène l’auditeur du plus simple au plus complexe, de l’évidence à l’idée, nous empruntons une courbe élémentale qui nous permet de gravir les échelons qui de la zone terrestre nous conduisent à l’espace éthéré. L’éther est le cinquième élément réservé aux Dieux, c’est son inconnaissance qui influe sur le destin des hommes et le transforme en déclin.  Le Banquet n'est compréhensible que si on le lit selon l’enseignement parménidien du double chemin, celui de la vérité et celui de l’erreur, pour employer des termes plus subtils celui de celui de l’être et celui du non-être. Sans doute Le Banquet doit-il être considéré comme la réponse de Platon à ce que l’on surnomme de nos jours le Traité du Non-être de Gorgias.

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    Phaedrus :  ce n’est pas un hasard si Eryximaque a proposé de parler d’Eros, il ne cache pas que ce sujet intéresse au plus haut point Phèdre, celui-ci est un féru de mythologie, les Dieux l’interrogent, il fut toutefois accusé d’avoir participé aux mutilations des statues d’Hermès et à une parodie des Mystères d’Eleusis, toute l’ambiguïté grecque envers les Dieux dans cette dichotomie intellectuelle et comportementale, les Dieux fascinent et révulsent… Plus prosaïquement le procès qui fut intenté aux coupables de ces deux crimes religieux (relevant de la peine de mort) est aussi la résultante d’un féroce combat politique entre les clans politiques qui se disputent le pouvoir, mais ceci est une autre histoire entre démagogie et tyrannie… Mais que déclare Phèdre dans son discours :   il est important de faire l’éloge du dieu Eros proclame-t-il car il est un des premiers Dieux qui soient apparus, ce qui prouve qu’il est un dieu fondamental… Mais pour en revenir aux hommes Eros oblige l’amant et l’aimé à se bien conduire, comment commettre une action honteuse dont on aurait à rougir devant son aimé ou son amant. Eros oblige à se surpasser et même à mourir non pas spécialement pour sauver celui qui survivra mais pour démontrer aux yeux de tous que l’Eros vous a donné le courage de de vous sacrifier pour être exemplaire aux yeux du survivant. Ce raisonnement se comprend parfaitement si l’on se souvient que la société grecque antique provenait de tribus guerrières doriennes dont la guerre était la modalité sine qua non de leur existence. Choisissons deux exemples parmi ceux proposés par Phèdre : après sa mort les Dieux accueillent Achille dans l’île des Bienheureux, il ne s’est pas écroulé après la mort de Patrocle son aimé, non seulement il l’ a vengé en tuant Hector mais par la suite il  a continué à se battre contre les troyens, rien à voir avec Orphée le pleurnicheur qui descend aux Enfers pour qu’on lui rende son Eurydice chérie, les Dieux ne lui permettent pas de la ramener, honte suprême il sera plus tard tuer par des femelles en rut…   Ecoutons maintenant comment Thumos évoque ce discours : l’auditeur à l’âme naïve et fleur bleue sera surpris par la gravité de ce début, l’amour n’est pas un tendre sentiment, la violence de la batterie digne des coups d’épée sur les boucliers de bronze démontrent à l’excès que l’éros est une affaire d’hommes et des plus graves, le morceau dépasse à peine cinq minutes mais la charge lyrique s’amplifie à chaque seconde, pour rester sur une image antique nous avons l’impression d’être au premier rang d’une phalange qui cède et plie sous la poussée ennemie, l’instant crucial où tout, défaite out victoire, est encore possible mais demande un surcroît de courage et d’engagement total de son être. Ne pas confondre éros et amourette. Pausanius : nous savons peu de choses de Pausanias sinon qu’il connaissait Prodicos, sophiste réputé pour sa réflexion sur le langage dont Socrate aurait suivi les enseignements et qu’il fut l’amant d’Agathon celui qui offre le banquet : Ecoutons Pausanias : son discours pourrait être qualifié de plus réaliste, il ne prend pas à témoin les héros de la haute antiquité, il s’intéresse aux hommes de son temps. Il y a Eros et Eros tout comme il existe deux Aphrodites. L’une céleste et l’autre vulgaire. Ceux qui aiment les femmes relèvent de la seconde, ceux qui aiment les hommes pour la simple jouissance de leurs corps aussi. Ceux qui suivent l’Aphrodite céleste sont les amants et les aimés qui entretiennent des rapports non pour une simple jouissance physique mais pour se comporter vertueusement chacun selon son rôle défini par la société. Il entre dans les détails, l’aimé doit être jeune ( et passif ) l’amant plus âgé ( et actif ) , le premier ne cède que pour progresser dans sa manière d’être un bon citoyen, le deuxième pour que son désir ait une action pour ainsi dire pédagogique et sur l’ami et sur lui-même… le rapport aimé-amant ne doit pas ressembler à la domination qui soumet l’esclave à son propriétaire, car ces soumissions sont celles des sociétés barbares et des cités commandées par un tyran. L’arrière-plan politique des représentations amoureuses apparaît nettement dans ce discours. Ecoutons Thumos : le rythme se ralentit mais très vite l’ampleur sonore reprend son incessante intumescence, nous ne sommes plus dans une société guerrière mais dans une cité policée, les jeux de la guerre cèdent la place aux préceptes sociétaux, aux lois, aux règlements, aux usages, à la manière dont sont perçus les bonnes actions et les mauvais comportements, tout se complique, le déploiement de l’influx instrumental devient luxuriant, ce n’est plus les épées et la force qui prédominent mais les regards de tous qui sont peut-être encore plus pesants et inquisiteurs que le choc du bronze et de l’airain, subitement la pression disparaît comme si au total en y réfléchissant tout  ne dépendait que de notre seule bonne conduite individuelle, un simple leurre, une illusion chassée par le doute, ce serait trop facile, la musique devient plus forte, l’on ne plie plus sous la poussée de ses ennemis mais sous le poids de sa propre responsabilité écrasante. Eryximachus : médecin de son état, ami de Phèdre : Lisons l’ordonnance du docteur Eryximaque : commence par critiquer le discours de Pausanias par trop schématique et incomplet. Il n’y a pas d’un côté la bonne Aphrodite et de l’autre la mauvaise, en toutes choses, en toutes sciences, l’on retrouve un mélange des deux Aphrodites, l’art du médecin est de rétablir l’équilibre des contraires entre ce qui dans le corps est en bonne santé et ce qui est malade. L’art du musicien sera de rétablir l’équilibre entre ce qui est trop aigu et ce qui est trop grave. C’est cet équilibre réalisé qui est la marque de l’Eros. L’Eros est comme le remède universel capable de réguler toutes choses, les humaines comme les divines. Eryximaque parle en praticien mais il offre à l’éros la première place, celle de premier régulateur du monde. Comment les praticiens musicaux de Thumos vont-ils ils mettre en pratique l’ordonnance d’Eryximaque ? : en offrant à Eryximaque un background musical d’une plénitude extraordinaire, font comme si Aristote avait décrété que le moteur immobile qui met en mouvement le monde était la musique, Thumos touche en ce morceau au grandiose en le sens où tout est là et rient n’est en trop ni en moins, si ce n’était l’amplitude enthousiasmante de ce court morceau spécifiquement humaine l’on pourrait dire que l’on atteint au domaine souverain des Idées. Aristophanes : l’on ne présente pas ce bouffon prodigieux que fut Aristophane, il n’a jamais rien respecté dans ses comédies, pour ce qui nous concerne, ni Agathon qu’il ne se gênera pas dans ce même dialogue de traiter d’inverti, comprenons de mâle passif, ni Socrate dont dans Les Nuées il trace un portrait à charge corrosif… Pour une fois Aristophane ne nous fera pas rire, ses propos ont fait rêver bien des générations : Aristophane raconte ce que nous nommons le mythe de l’Androgyne. Ces êtres humains primitifs qui possédaient soit un sexe soit les deux sexes, mâle et femelle, que Zeus coupa en deux, si bien qu’au travers de nos amours nous recherchons la moitié perdue… Comment Thumos a-t-il transcrit ce mythe ? : remarquons d’abord que les propos d’Aristophane sont en totale contradiction avec ceux d’Eryximaque qui affirmait que l’on retrouvait en toutes choses la présence de l’Eros alors qu’Aristophane déplore son absence en le lieu que nous privilégions par excellence : nous-mêmes. L’on pourrait accroire que le morceau souffrirait d’une quelconque disparité, qu’il serait comme boiteux, c’est bien ce qui arrive en ses débuts, mais ce vide va prendre une ampleur si démesurée qu’il devient aussi important que la plénitude précédente, mais là où ça sonnait plein, ici ça résonne creux, la musique semble cheminer sur une jambe, tantôt elle court et se hâte comme si elle avait aperçu sa chère moitié pas très loin mais elle a beau presser le pas, gagner en assurance, la voici encore une fois qui claudique, cahin-caha, le son se tortille telle une torpille qui ne sait plus où aller, elle marche comme un clown désespéré, toutefois le désespoir n’est pas sans atteindre à  une certaine grandeur humaine.  

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    ( Agathon )

    Agathon : aimé de Pausanias, élève de Prodicos et de Gorgias, sophiste envers lequel Socrate marque quelque déférence, chose rare chez lui, rappelons que c’est Agathon qui offre le banquet. Il passera les dernières années de sa vie à la cour du roi de Macédoine Archélaos, ce qui est le signe d’un engagement peu démocratique… Agathon parle moins des hommes que d’Eros : exactement de sa nature, c’est le Dieu le plus jeune, qui est venu après le règne de la Nécessité qui pendant longtemps soumit les Dieux à ses terribles lois qui engendrèrent conflits et violences entre les Dieux qui se disputèrent le pouvoir. Eros est le plus beau de tous, il fréquente les jeunes hommes qui sont à son image, il est le plus fort sans avoir besoin d’user de sa force,   il triomphe des hommes et des Dieux, il se glisse dans le cœur et l’esprit des hommes et des Dieux et aucun ne le chasse, tous l’accueillent avec plaisir. Il est le véritable guide des hommes. Autour de Thumos de transcrire le panégyrique d’Eros prononcé par Agathon : notes scintillantes de vives couleurs en introduction pour évoquer l’Eros d’Agathon, après les quatre premiers morceaux tempétueux pour la première fois Thumos nous livre un espace de grâce quasi virgilienne, mais cet instant de calme ne dure pas, la musique s’alourdit, certes elle reste éclatante mais elle se doit de montrer la puissance de ce Dieu hyper persuasif à qui personne ne songerait à s’opposer, un Dieu qui n’apporte que plaisir et volupté, ne le regrettons-nous pas lorsqu’il nous quitte, la musique se déploie telle une teinture de pourpre qui nous donne l’illusion d’être investi de la tranquillité et du rire des olympiens, en se glissant en nous, ne nous apporte-t-il pas l’intime conviction que nous vivons dans un monde de beauté et que nous tutoyons les Dieux, l’Eros est un songe que nous refusons de quitter. Thumos nous offre la plénitude du bonheur. Socrates : encre un que l’on ne présente pas. Le super héros qui a toujours raison, quoique vous ayez dit puisqu’il arrive à vous mettre en contradiction avec vous-même. Méfiez-vous s’il commence par vous couvrir de compliments. Ainsi commence Socrate : avouant qu’il est subjugué par la beauté du discours d’Agathon, lui trousse même un fameux compliment puisqu’il le compare aux paroles que prononce ou écrit habituellement Gorgias ( dont il admire l’aisance mais déteste la suffisance, ajoutons-nous).  Socrate ne se livre pas à proprement parler à un discours, il met en marche sa machine à concassage tous azimuts qu’il dirige contre Agathon. Par un jeu de questions-réponses habilement mené il le met en contradiction avec lui-même : Eros ne peut pas être amoureux de lui-même, donc Eros souffre de l’absence de ce qu’il est, de sa beauté et de sa bonté, donc Eros n’est ni bon ni beau. CQFD ! Gros challenge à relever pour Thumos : comme une dissonance en introduction et quelques chuintements de mauvais augure, coups de boutoirs de pelles mécaniques qui s’abattent sur des murs, écrasement total, avance incoercible de rouleaux compresseurs qui réduisent les débris en miettes, immédiatement suivis de tractopelles qui déblaient le terrain comme s’ils repoussaient des jouets d’enfants, mise en œuvre d’une puissance incoercible à laquelle rien ne saurait s’opposer, la musique baisse d’un cran le temps que les auditeurs prennent conscience de la victoire de Socrates sur la branlante faiblesse de tous ceux qui l’ont précédé. Les dernières notes comme le signe de désolation qui s’est emparé des adversaires convaincus de la supériorité éminente de leur adversaire.

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    ( Socrate recevant l'enseignement de Diotime )

    Diotima : Socrate ne se vante guère de sa victoire, il ne sait pas (l’hypocrite) s’il sera capable de faire mieux que ceux qui l’ont précédé, il prononce tout de même son discours, mais ce n’est pas le sien, il avertit qu’il ne fera que rapporter un discours qu’il a entendu de la bouche d’une prêtresse de Mantinée qui se nomme Diotima. Evidemment   c’est la Diotima du Banquet qui donnera son nom à l’héroïne du roman Hyperion d’Hölderlin. (Voir notre chronique suivante sur Les Doors.). L’enseignement de Diotima : Diotima tire les conclusions de la démonstration de Socrate qu’elle partage, si Eros n’est ni beau, ni bon il n’est pas un Dieu car les Dieux sont naturellement beaux et bons, il n’est pas un homme, il n’est pas un Dieu, il est mortel et immortel, il est un Démon, ces êtres qui servent d’intercesseur entre les Dieux et les hommes. Eros est pauvre, laid, et peu savant, tel est-il, sans quoi il serait un Dieu, mais de par sa nature il recherche le beau qu’il ne possède pas et nous devons l’imiter. Si nous trouvons l’être aimé nous atteignons un faux bonheur puisque tout être est mortel. Si l’être que nous aimons est beau, il faut s’apercevoir que d’autres jeunes gens aussi sont beaux et comprendre que puisque ces jeunes mortels sont beaux nous nous devons de rechercher  la beauté en tant que telle, dont nos jeunes gens ne présentent que des reflets, nous devons chercher à tomber en contemplation amoureuse à l’intérieur de nous de l’idée de la Beauté… Il est un aspect du discours de Diotime que nous avons occulté, ce qui unit la création poétique à l’immortalité, nous laissons à Thumos le soin de se charger de cette tâche : ce n’est pas la musique des sphères qu’ils nous offrent, se placent  à la fin du discours de Diotime, ce moment absolu où toute tension est abolie, puisque l’Idée apparaît, nous ne voyons pas l’Idée mais ils décrivent la sensation de calme, de quiétude et d’extase libératoire qui vous saisit, ils ne dévoilent pas l’Idée mais la musique claironne brusquement, un éclat de feu inonde nos oreilles, nous n’avons jamais été aussi proches des Dieux.

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    ( Entrée d'Alcibiade )

    ( Tableau d'Anselm Feuerbach : Le Banquet de Platon - 1873 )

    Alcibiades : si l’on omet les penseurs et les poëtes de la Grèce antique, les deux personnages historiaux les plus fascinants que les Grecs nous aient laissés sont Alexandre et Alcibiade. Ce dernier est moins connu du grand public, si les Dieux ont poussé Alexandre pour reprendre une citation célèbre sur la pente fatale de la victoire, ils ont jeté Alcibiade sur le toboggan du scandale. Il était beau, jeune et riche, tout lui souriait, il fut un stratège redoutable et sur terre et sur mer, mais il se joua des hommes, de sa patrie et des Dieux sans vergogne. Ne fut-il pas, entre autres, lui aussi impliqué dans le scandale de la mutilation des Hermès… Le voici qui débarque totalement ivre chez Agathon, heureux et horrifié de rencontrer Socrate, il n’hésite pas une seconde à se risquer dans un discours : il ne se lance pas dans un éloge à Eros mais à Socrate : Athènes compte de grands orateurs mais le seul qui retienne son attention c’est Socrate, il aime à l’entendre discuter, Socrate parle vrai et juste, Alcibiade reconnaît qu’au lieu d’avoir de grandes visées politiques il ferait mieux de rester assis à ses côtés pour suivre son enseignement. Alcibiade avoue qu’il est amoureux de Socrate et qu’il aurait volontiers été son aimé, à plusieurs reprises il aura tenté de faire en sorte que Socrate cède à ses avances (très) rapprochées, mais rien ne se passa comme il le voulut. Ces déconvenues érotiques ne l’empêchent pas de décrire l’imperturbable courage, la vaillance et la modestie de Socrate lors des campagnes militaires, et de souligner qu’il n’est pas différent sous les armes que dans les rues d’Athènes… L’on peut se demander si dans ce dernier titre Thumos se laissera séduire par la brillante franchise de d’Alcibiade ou par le panégyrique de Socrate : l’on est surpris par l’intensité sonore et la tension dramatique du morceau, les dernières pages du Banquet ne déparerait  pas dans une scène de comédie ( si Platon est un grand philosophe, il est aussi un littérateur émérite ), par ce final grandiose d’une force extraordinaire Thumos entend sans doute nous avertir de ne pas prendre Le Banquet pour une œuvre légère, mais une œuvre écrite au plus près de tout individu qui se sent envahir par une énergie et un désir si absolus que les Grecs ne pouvaient se résoudre à expliciter son surgissement en notre corps et notre esprit seulement par notre animalité primordiale, dont ils préféraient dire que seuls les Dieux en étaient les dispensateurs originels.

             L’on peut évidemment écouter Symposium en tant que simple œuvre musicale. Les amateurs de Metal n’en sortiront pas déçus. Loin de là ! Toutefois ce serait passé à côté du projet si particulier de Thumos. Stéphane Mallarmé, évoquant Richard Wagner, affirmait que la musique avait volé son bien à la poésie, commencerait-elle grâce à Thumos à voler son bien à la philosophie…

    Damie Chad.

     

     

    THE DOORS

    PHILIPPE MARGOTIN

    (H.S. Collection Rock & Folk N° 24 / Février 2023)

     

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    Philippe Margotin s’est chargé à lui tout seul du Hors-Série Rock & Folk sur les Doors. L’a l’habitude, l’a déjà signé un gros tas de monographies aux grands noms, disons gros vendeurs du rock, en vrac : U2, Amy Winehouse, Rolling Stones, Muse, Radio Head, Police, AC/DC, Pink Floyd, Lennon, Elvis Presley, Clapton, et j’en passe… L’est aussi directeur de collections, notamment de ces gros pavés, La Totale, en compagnie de Jean-Michel Guesdon, qui propose l’intégrale des morceaux de Dylan, de Led Zeppelin, des Beatles, et autres monstres du même acabit… bref pas tout à fait un public de niche, plutôt de chenil… les chiens perdus sans collier du rock ‘n’roll, ce n’est pas son truc.

    Que penser de ce dernier opus, les admirateurs des Doors qui ne sont pas nés du dernier orage sur Los Angeles n’apprendront pas grand-chose, les néophytes y trouveront pitance roborative. Margotin fait preuve d’honnêteté intellectuelle, il produit un magazine, comme son titre l’indique, sur les Doors et non pas sur JIM MORRISON et les Doors. Bien sûr il ne néglige ni ne cache la personnalité hors-norme de Jim, mais il ne réduit pas ses partenaires à la portion congrue. Ils sont quatre en tout et il partage le gâteau en quatre. Il analyse les six albums studio du groupe, titre par titre, n’oublie personne, chacun est crédité et loué pour son apport. Donne même envie de réécouter tel ou tel titre pour se focaliser sur telle ou telle partie de l’instrumentation à laquelle l’on n’aura prêté qu’une maigre attention. Ne rate ainsi jamais pour relever dans le blues-rock fondamental qui forme le terreau des Doors les relents de jazz et de musique classique. L’on ne crée pas à partir de rien. Mais de tout ce qui a précédé. Imitation et rupture sont les deux mamelles de toute action créatrice.

    Son principal mérite est d’analyser l’œuvre du groupe, et principalement cet aspect : l’on a dû couper la moitié, j’exagère seulement le quart, de la forêt amazonienne pour produire le papier consacré au procès qui sera mené contre Jim pour exhibition de ses parties sexuelles lors du  concert du 1er mars 1969 à Miami… Margotin mégote un max, pas plus de trente lignes, car ce qui l’intéresse c’est juste la musique, car music is your only friend til the end… Idem, il donne en moins de cinquante lignes les deux versions de la mort de Jim sans embaucher un cabinet de détectives privés pour reconstituer la scène finale.

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    Bien sûr Margotin replace la formation du groupe dans son contexte, les années soixante sont celles d’une explosion culturelle, les vieux codes issus du puritanisme chrétien qui régissaient les corps et les esprits volent en éclats, augmentation des consciences et libération sexuelle marchent de pair avec un désir anarchisant de liberté et le refus des violences institutionnelles et étatiques… Le rock‘n’roll est le principal véhicule de cette nouvelle sensibilité. Car davantage que d’autres pratiques artistiques c’est en lui et par lui que la jeunesse reconnaît l’expression signifiante de son mal-être intime et sociétal. N’en ratons pas pour autant l’occasion de parler de Jim Morrison.

    C’est dans ce chaudron en ébullition que va se jouer le destin de Jim Morrison. Il en est, de par sa place de meneur charismatique d’un des plus importants groupes de rock du moment, l’un des leaders reconnus. Il fait partie intégrante de cette réalité donnée, mais à l’intérieur de celle-ci il se sent totalement étranger. Il a tout compris, mais il se sait incapable d’y apporter la moindre remédiation. L’est comme un extra-terrestre qui du haut de sa soucoupe volante comprendrait les errements de l’espèce humaine, qui saurait comment les contradictions qui agitent ces animalcules pourraient être unifiées, mais qui doit d’abord se préoccuper de résoudre les siennes.

    Le problème de Jim Morrison c’est d’être une pièce essentielle de l’échiquier mais placée sur une mauvaise case. Il possède toutes les caractéristiques d’un musicien, et pas n’importe lequel, lui il joue de l’instrument le plus proche de l’être humain, tous les autres (violons, guitares, tubas, pianos…) ne sont que des béquilles, le sien est directement hanté sur sa chair : la voix.

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    La voix détient cet étrange privilège d’être le vecteur du son et du sens du chant et dire, de la musique et de la poésie. Or Morrison le sait. Il ne provient pas de la musique mais de la poésie. C’est ainsi. C’est son histoire personnelle. Il n’y peut rien, puisqu’il s’est sciemment construit ainsi. Par les coïncidences du hasard affirmeront les uns, par sa propre nécessité intérieure. 

    Reste à savoir comment l’on considère Jim Morrison. Au pire un parolier particulièrement (très) doué au-dessus de la moyenne des producteurs de lyrics rock, mais pas davantage. D’ailleurs son œuvre ne donne-t-elle pas l’impression d’un vaste chantier inachevé ? Il suffit de lire l’Anthologie Jim Morrison parue en octobre 2021 pour en être persuadé.

    Philippe Margotin ne partage pas cet avis, il classe Morrison parmi l’un des poètes les plus importants de l’Amérique. Mais il ne dit pas pourquoi et en quoi.  La réponse à ses questions n’est pas des plus faciles et ne rentre pas dans le champ désigné par le titre du numéro. Essayons d’y voir plus clair.

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    Un poëte américain ? La réponse est évidente. Oui Morrison évoque la réalité de l’Amérique de son époque, oui il s’inscrit dans la continuité de la Beat Generayion, mouvement poétique aux thèmes profondément américains, la route et la frontière, le premier n’étant que la résultante du second, la frontière ne peut aller plus loin que le Pacifique, désormais la route tourne en rond et se mord la queue, l’Amérique est devenue le lieu fermé de la contemplation de sa finitude. En quelque sorte le neuvième cercle de l’enfer de Dante.

    Nous n’avons pas choisi le terme platonicien de contemplation au hasard. Qui regarde au juste ? : celui qui regarde ou ce qui est regardé ? L’Idée, la forme regardée du spectacle du monde physique ou idéel, ne construit-elle pas la vision de celui qui regarde qui ne peut regarder que son propre miroir. Dont il est le reflet.

    Le monde de Morrison est strictement délimité, à un bout le sexe à l’autre bout la mort. Ces deux limites sont intangibles, aucune n’illimite l’autre. Ce ne sont que les deux points cardinaux des catégories qui cernent l’essence de tout ce qui est selon Aristote : production et destruction ou génération et corruption.

    Il existe des moments historiaux lors desquels ces abysses qui bordent toute présence au monde apparaissent plus prégnants… Les années soixante furent de ceux-ci. Certains individus le ressentent plus fortement que d’autres. En d’autres termes le monde n’est plus qu’un champ de ruines entre ce qui s’écroule et ce qui ne parvient pas à être. Vision des plus pessimistes que l’on retrouve par exemple en Europe chez Hölderlin qui nous laisse une œuvre en lambeaux et sa revendication désespérée à fonder ce qui demeure. Margotin insiste notamment sur l’aspect décalé de Morrison par rapport à son époque, à son public, à tous ceux qui se revendiquaient de lui sans rien comprendre à sa démarche.

    Or ce qui fonde ce qui demeure ne peut-être pour Hölderlin que le chant du poëte. Etudiant Hölderlin, Heidegger a longuement réfléchi sur ce qui empêche, hors de toute anecdote historiale, la poésie de remplir cette mission, que lui le philosophe attribuait à la pensée. Dont il reconnaît le même échec de toute tentative d’accomplissement fondamental. Il en vient à souhaiter la mise en place d’une pensée qui ne soit plus pensée mais qui emprunte les modalités de son Dire au Chant de la poésie. Cette position est réversible : le Chant de la poésie se doit d’emprunter les armes du Dire de la pensée. Notons que Morrison fut un grand lecteur de Nietzsche, dont le destin se joua selon la trilogie de la musique, de la poésie et de la pensée. Certes Morrison n’a jamais possédé l’armature intellectuelle de ces trois européens héritiers d’une longue réflexion vieille de plusieurs siècles dont ils ont su devenir les dépositaires. Mais il eut le pressentiment des falaises abîmales au-haut desquelles il se tenait. Il tenta de substituer au Chant et au Dire le Mythe et ainsi de dépasser ses propres contradictions. Penser selon les Dieux – Apollon ou Dionysos - est dangereux. Ce sont des concepts certes opératoires mais qui vous enferment en vos propres limitations. Au lieu de pérorer sur le groupe des 27, il conviendrait plutôt de regretter le temps qui a manqué à Jim Morrison.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 502 : KR'TNT ! 502: RAY CAMPI / DOORS / HOWARDS / ERIC BURDON AND THE ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXV

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 502

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    18 / 03 / 2021

     

    RAY CAMPI / DOORS

    HOWARD / ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    ROCKAMBOLESQUES 25

     

    Choisis ton Campi, camarade

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    Un bon copain passait l’autre jour. On a ouvert des bières pour discuter cinq minutes. Quand il a vu les albums de Ray Campi empilés sur la table basse, il s’est mis à sourire avec une certaine forme de condescendance.

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    Effectivement, qui va aller écouter Ray Campi aujourd’hui ? Pas grand monde, c’est sûr. Pourquoi ? Parce que nous vivons désormais dans une autre époque, qu’on qualifiera comme on voudra, celle des téléphones et des réseaux m’as-tu-vu, où la modernité de ton et d’esprit brille par son absence. Ray Campi n’intéresse plus grand monde, on s’en doute. Le problème n’est pas que Ray Campi soit dépassé, car ses premiers albums sur Rollin’ Rock sont d’une incroyable modernité. Mais aux yeux des jeunes gens modernes, il pourrait bien de passer pour le clown rockab de service. En tous les cas, il a fait tout ce qu’il fallait pour en arriver là. Bon ça ne nous empêche pas de lui rendre hommage sur KRTNT, car le pauvre Ray vient de casser sa pipe en bois.

    Sans doute a-t-il aussi enregistré beaucoup trop d’albums dans les années quatre-vingt et donc suscité des critiques. Mais ce n’est pas si grave, car ces critiques émanent généralement d’où on sait. Et puis, cette manie qu’il avait de grimper sur sa stand-up blanche et de faire des grimaces en tirant la langue pour ses photos de pochettes d’albums n’a sans doute pas arrangé les choses.

    Un jour, sur le stand de Rockin’ Bamaloo aux Puces de Gand, Francis le Corse sortit un Ray Campi du bac. Il le montra à son collègue Jojo le Glaçon et lâcha, avec un fort accent : «Ava, mais c’est qui ce pitre ?» Jojo le Glaçon fit la moue et ne répondit même pas.

    Justement, c’est pour ça qu’on aime bien Ray Campi. En examinant la pochette, on comprend très vite qu’il s’amuse comme un gosse. Il se déguise, il tire la langue, il fait des calipettes, il invite ses copains et ses copines et il adore souffler dans des guimbardes. Bon d’accord, ses disques ne sont pas tous exceptionnels, mais chacun d’eux présente la même particularité : une vitalité peu commune. Ray Campi est un personnage extrêmement doué, très modeste et profondément enthousiaste. Il a consacré sa vie au rockabilly, ce qui nous arrange bien. Des types comme lui, on n’en voit pas des masses. Surtout qu’il fait ça depuis 1957. Ça fera bientôt un siècle.

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    ( Hervé Loison + Ronnie Weiser )

    Le destin de Ray Campi reste indissociable de celui de Ronnie Weiser, le boss du label Rollin’ Rock. Comme Greg Shaw, Ronnie Weiser a commencé par publier un fanzine puis il est passé à la suite logique, c’est-à-dire la création d’un label. Comme Greg Shaw, il a su rester dans l’optique du fan qui fait des choses pour les fans. Weiser se vantait d’avoir créé la plus petite maison de disques du monde à seule fin de publier l’obscure, sexy, juicy, greasy, savage, Real American Rock. Il a su créer une esthétique unique au monde et les albums parus sur Rollin’ Rock sont de véritables trésors. Il fabriquait ses visuels de pochettes en découpant des photos et en écrivant les textes à la main. Et comme il ne disposait d’aucun budget, il enregistrait les artistes dans son salon.

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    On reproche généralement à Ronnie Weiser d’être arrivé après la bataille, puisqu’il a monté son label en 1970. Mais justement, le revival rockab avait un charme fou. Weiser, Ray Campi, Johnny Legend, les Blasters, Mack Stevens et Mac Curtis étaient dingues de rockabilly et ils ravivaient le brasier, avec une énergie nouvelle et de vraies chansons. Pour eux, pas question d’aller grenouiller dans la country nashvillaise. Carl & the Rhythm All Stars et les Sure-Can Rock font aujourd’hui la même chose. Ils se jettent à corps perdus dans l’aventure. Pour eux, il n’existe pas d’autre possibilité que de rallumer la mèche des frères Burnette et de bopper le blues.

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    Rockabilly de Ray Campi fut le premier LP édité par Rollin’ Rock en 1973. Accompagné de son vieil orchestre, Ray rejoue des morceaux enregistrés au Texas entre 1956 et 1958, dont le fameux «Caterpillar» qui le fit connaître des collectionneurs. On trouve sur ce disque tous les signes extérieurs de richesse du swing texan («It Ain’t Me») et du rockab rudimentaire («Give That Love To Me»). Ray adore faire le pitre et chanter comme Donald Duck («Let Go Of Louie»). Il sait aussi rendre hommage à Chuck («You Can’t Catch Me»), mais quand il se décide à casser la baraque, il devient l’un des Golems du rockab texan. «I Didn’t Mean To Be Mean» est l’un de ces fabuleux mid-tempos inspirés, têtus, bien sanglés, swingués avec une élégance despéradique, comme seuls savent en pondre ces mecs-là. Ray nous plonge dans un primitivisme digne de Meteor avec «The Crossing» et nous donne à goûter l’un des brouets rythmiques les plus singuliers du Deep South. Rien que pour ces deux morceaux, on était vraiment content d’avoir croisé le chemin de Ray Campi.

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    Avec Rockabilly Rebel (LP 006), on entre directement dans la légende, puisque Ray Campi joue de tous les instruments et Ronnie Weiser l’enregistre dans son salon. On se retrouve avec un disque fabuleux entre les pattes. Le son y est tellement dépouillé qu’on pense à Sam Phillips, mais un Sam Phillips du pauvre, avec des moyens complètement ridicules. Ray et Ron transforment le plomb en or. Ray boppe «A 50 Dollar Upright» à gogo. Il chante comme un dieu et fait sa gorge chaude avec une ferveur touchante. Il sait chevroter comme Charlie Feathers. «I Let The Freight Train Carry Me On» est l’un de ses classiques. Si vous souhaitez entendre le vrai son du slap, c’est là, dans ce morceau. Grâce à ce son primitif et pur, l’amateur de rockab monte directement au septième ciel. Cette parfaite définition du grain donne un son extraordinairement présent et juste, on goûte au vrai truc. Ray remet le couvert avec «The Rip Off». Il met de la réverb sur son ampli et nous emmène faire un tour à la fête foraine. Encore une fois, on sent la justesse du ton rockab, avec cette guitare qui ouvre un espace incroyable. L’effet est spectaculaire. On a là un cut d’une insondable profondeur, souligné par une rythmique en sourdine. Ceux qui tapent comme des sourds sur leurs fûts devraient écouter ça. Dans «Cincinatti Cindy», Ray pompe un riff de Carl Perkins, mais personne ne lui en fera le reproche, d’autant qu’il slappe le morceau au sang. Et on retrouve ce son dépouillé qui fait la force majestueuse de l’album. Puis on arrive au coup de Trafalgar, l’un des épisodes clés de l’histoire du rockabilly : la reprise du titanesque «Jungle Fever» de Charlie Feathers. Ray en fait une mouture étrange et inspirée, gothique et comme éloignée dans le temps, enfiévrée de petite guitare thématique, hantée comme la cabane d’un sorcier du bayou et soudain, Ray boppe le beat avec une classe qui ahurit. C’est magique, au sens de Méliès. Mystérieux, au sens de Mandrake. Insolite, au sens de Clovis Trouille. Torride, au sens de Hugues Rebell. Avec cette reprise de «Jungle Fever», Ray devint tout simplement un héros.

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    Eager BB Beaver Boy (LP 008) est le quatrième album de Ray Campi sorti sur Rolling Rock. «Pretty Mama» fait partie de ces classiques bien slappés auxquels on ne peut rien reprocher. Pur Texas beat. Slap en avant toutes sur «One Part Stops Where The Other Begins». Pour l’amateur, c’est une véritable aubaine. On entend tout le détail du slap, le claquement de la peau sur la corde, les doublettes et les triplettes. Un morceau comme «Pinball Millionaire» donne une petite idée de l’ahurissante virtuosité de Ray Campi. Il y joue un solo qu’il faut bien qualifier d’hallucinant. L’animal pousse le bouchon jusqu’au vertige. Il n’y pas que James Burton sur terre. Ray Campi écrase la concurrence sans le vouloir. On trouve aussi sur cet album une nouvelle mouture d’«It Ain’t Me», accompagnée au piano. Pièce de swing texan exceptionnelle, dotée d’un solo de guitare classique. Une perle d’extase extrêmement lourde de conséquences.

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    On reste dans la veine des très grands disques avec Rockabilly Rocket. Du pur jus de slap coule de «Second Story Man», un cut qui sonne comme un vrai classique du genre, subtil et adroit. «Don’t Get Pushy» fait penser aux Pink Pedal Pushers du grand Carl Perkins, même élégance du son, bien épaulé par une rythmique en souplesse et judicieusement épicé d’une pincée de yodelling au chant. Que demande le peuple ? Sur «Separate Ways», Ray nous gratifie d’une partie de guitare baignée de lumière préraphaélite. Ray règne. Puis Ray rit, il adore la fantaisie de son enfance, comme on peut le constater en écoutant le savoureux «Chew Tobacco Rag». On sent le cow-boy assis près du feu, sous l’immensité de la voûte étoilée et là-bas, au sommet de la colline, un coyote hurle à la lune. Si on veut entendre un joli son de batterie, alors il faut écouter «You Don’t Rock’n’Roll At All». Le morceau en lui-même n’a aucune originalité, mais le son épate. Bien sûr, Ray frôle le potache avec cette atmosphère conviviale et truculente. Il en profite pour jouer un solo d’instrument de la frontière. Ses racines parlent. Un peu plus loin sur le même disque, deux perles guettent le voyageur imprudent du haut de leurs cactus : «Ruby Ann» et «I Don’t Know Why You Still Come Around». Voilà du très haut de gamme, admirable de pureté, judicieusement slappé pour le premier et astucieusement pianoté pour le second. Tous les morceaux de ce disque restent à un très haut niveau. Les moqueurs feraient bien d’écouter cet album attentivement, car c’est l’un des grands classiques du genre. Chacun sait que le rockab est avant tout une affaire de singles et que les bons albums sont assez rares. Les premiers albums de Ray Campi sur Rollin’ Rock en font partie.

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    En 1979, Ronnie Weiser se payait déjà le luxe de sortir une compilation Ray Campi. L’album s’appelait Rockabilly Rebellion et on y retrouvait des perles comme «Jungle Fever», «Don’t Get Pushy» et «Eager B-B-Beaver Boy». Le roi Ray n’en finit plus d’épater la galerie avec ses prodiges, comme par exemple «California Motorcycle Rockabilly Stomp», une pièce classique et si fraîche, colorée par un jeu de guitare héroïque, dotée d’un solo soigneux et fugace. Ray retrouve les accents cochraniens et brutalise son jeu de sortie. «Rockin’ And Rollin’ Towards Tennessee» en allumera aussi plus d’un, avec son chant syncopé et relancé par des petits coups de guitare. On a là l’une des sauteries le plus endiablées de l’époque. Ron profite de l’occasion (et du dos de pochette) pour indiquer aux fans que Ray est, dans la journée, prof d’Anglais dans un collège des environs, et le soir, bopping cat sur scène. Mister Jekyll and Doctor Ray. Le rockabilly, c’est bien gentil, mais ça ne fait pas bouillir la marmite. Johnny et Dorsey Burnette en savaient quelque chose. Il leur a fallu composer pour des chanteurs à la mode comme Ricky Nelson, sinon, ils risquaient de retourner à l’usine.

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    Et hop, Ron and Ray vont commencer à enfiler les disques comme des perles. Gone Gone Gone sort en 1979. Ray slappe le title-track «Gone Gone Gone» à la clé de gamme et chevauche son swing sauvage à travers la plaine. Youpee ! Il enchaîne ensuite des rockabs authentiques mais pas décisifs comme «Wildcat Shakeout» ou «3-D Daddy». On sent un retour de manivelle. Ray rame. Il chantouille un peu du nez. Il sort quand même de sa manche un jumping jive superbe, «Mind Your Own Business» qu’il agrémente de vrais chœurs. Puis il attaque sur sa guitare une reprise du vénérable «I’m Coming Home» de Johnny Horton, mais ça manque un peu de plomb dans l’aile. On sort de cet album en se disant que le prochain sera meilleur. Il faut toujours regarder l’avenir droit dans les yeux et lui faire confiance.

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    Rockabilly Music sort en 1980 et Ray renoue avec le bon niveau. Il joue de la guitare comique sur «Lucky To Be In Love» et reprend le «Rockabilly Music» de Jackie Lee Cochran, un vieux compagnon d’écurie. Il en livre une version effarante de vitalité, bien slappée et gonflée de chœurs de gospel. S’ensuit un solo country fleuve qui indique assez la hauteur de voltige à laquelle ces gens-là évoluent. On trouve aussi sur ce disque une reprise de Little Richard bien kitsch («Boo Hoo») et une grosse tranche de «Cruisin’» extrêmement classique, dépotée au slop, sans ambages, idéale pour rouler en décapotable sur Sunset Boulevard, histoire de rester dans les clichés. Sur «One Is Enough», il se remet à chanter comme Donald Duck. Du coup, ça semble ridicule, malgré le beau slup élancé, tiré sur toute la hauteur du manche et harmonique au sens du swing. Mais Ray est un fantaisiste dans l’âme et les gens l’adorent pour ça. Il est ce qu’on appelle aux États-Unis un first class entertainer, un boute-en-train de première classe. S’il tire la langue, c’est pas pour exciter les filles, comme pourrait le faire l’autre clown de Kiss. Ray adore déconner, monter en équilibre sur sa stand-up blanche et montrer son agilité au ball-slop. Un morceau comme «Sweet Mama Baby» est bien plus classique qu’il n’y paraît, ce qui n’étonnera personne. Il en va des genres comme des gens, ils fluctuent au gré des vents. Ne compte au fond que l’extrait. Au-delà l’extrait, on se perd en conjectures.

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    Retour en force avec Hollywood Cats sorti en 1983. Son «Rockabilly Man» est aussi accrocheur qu’un standard de Warren Smith. Sur «Don’t Come Knocking», Ray chante comme Elvis et s’en va siffler dans le cours du fleuve. Encore une fois, c’est d’une incroyable vélocité. Sur «Give Me A Taste», il se sert de sa langue comme d’une percu et nous balance un fabuleux rockab hiccuppé à l’ancienne mode. Seul un fantaisiste de génie peut réussir ce tour de passe-passe. Dans «Hold That Train», Ray retrouve son timbre elvissien et nous balance un solo d’un hallucinante virtuosité. La perle noire du disque se trouve sur la B. «Hollywood Cats» est l’un de ses plus beaux numéros de charme. Voilà un morceau magnifique d’aisance à l’américaine, un modèle absolu de classe rockabilly chanté avec tous les accents souhaités. Really boppin’ the blues. Un rêve pour les amateurs. Le genre de truc qu’on réécoute en boucle, tellement c’est bon. «One Is Enough» est l’autre hit de Ray, chanté à plusieurs voix et décisif.

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    Rockin’ At The Ritz fourmille de merveilles, comme par exemple «Eager Boy» du Lonesome Drifter, sévèrement sloppé et strummé, incroyablement bon et sec. Ou encore «Wrong Wrong Wrong», farci d’incursions de guitare virtuoses. Une fois de plus, Ray joue de tous les instruments et sa version de «Tore Up» laisse coi. Dans «Rockin’ At The Ritz», il devient le roi du banjo et il strumme en continu, comme le faisaient jadis les hillbillies dans les sous-bois de l’Arkansas. Ray est tout bonnement effarant, tous mots bien pesés. On retrouve le fantastique «I Let The Freight Train Carry Me On» et on tombe sur une reprise démente de «My Baby Left Me» que Ray incendie à la manière d’Elvis. Même fièvre de l’or. Ray rue pour de bon. Attention aux coups de sabots.

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    En 1988, il rassemble sur un album des morceaux enregistrés avec des copains et des copines comme Merle Travis, Lou Ann Barton, Del Shannon ou encore Mae West. Franchement, l’album vaut le détour. Il s’appelle With Friends In Texas. Lou Ann Barton vient épauler Ray sur cette pièce de swing dément qu’est «Quit Your Triflin’». Ils nous swinguent ça à la dérobade et on les sent seigneurs du secteur des chaussettes de l’archiduchesse. Place au maestro Merle Travis dans «Merle’s Boogie Woogie». On entend un fou de la vitesse éclair, un vrai maelstrom qui va vous siphonner la cervelle, comme d’autres siphonnent de l’essence la nuit sur des parkings d’immeubles. On tombe en pâmoison devant ce fabuleux mid-tempo violonné qu’est «Drifting Texas Sound» et Mae West vient chanter «Caterpillar» en duo avec Ray. Hot ! Quelle ambiance ! Rien que pour ce duo, il faut se jeter sur ce disque. Il fait partie de ces disques fascinants auxquels on revient inlassablement. L’une des forces de Ray, c’est justement la variété des tons et des styles. Même lorsqu’il tape dans la country texane ou les bluettes de frontière, il est excellent.

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    Domino (un label d’Austin) sortait en 1981 une compilation contenant des morceaux anciens : Give That Love To Ray Campi. Il retrouve la veine Elvis sur «Play It Cool» mais il repompe «Jailhouse Rock». Évidemment, on lui pardonne. Sur cet album sympathique, on trouve aussi deux brillants hommages. L’un au Big Bopper («The Man That I Met») et l’autre à Ritchie Valens et Buddy Holly («The Ballad Of Donna & Peggy Sue»). Avec «The Waddle», on revient au rock texan bien strummé et donc aux sources, ce qui nous permet de comprendre une bonne fois pour toutes que ces mecs jouaient pour de vrai, pas pour de faux. Il fait son canard sur «No Time». Apparemment, les Texans adorent Donald Duck.

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    Ray Campi continue à jouer et à enregistrer des disques. On parvient à choper des trucs ici et là, chez les disquaires du Béthune Rétro. Comme par exemple ce Ray Campi And The Hicksville Bombers. Ray fait un malheur avec son «Rockabilly Man» mélodieux en diable. Il ressort aussi son fabuleux «Hollywood Cats», du bon Ray au beurre noir dont on se régale. Il fait des reprises salées de Glen Glenn («Everybody’s Movin’»), de Johnny Horton («I’m Coming Home» et «Honky Tonk Man»), de Jackie Lee Cochran («Hungry Hill» et «Rockabilly Music»). Ray trie sur le volet. Puis il boucle son affaire avec ses autres hits, «Rockin’ At The Ritz», «Caterpillar» et «Lucky To Be In Love».

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    On trouve aussi un disque enregistré avec les Bellhops, One More Hop. Ray grimpe encore une fois sur sa contrebasse. Pas de surprise, l’album tient ses promesses. Ray et ses copains nous pondent du solid romp, comme on dit là-bas. Ils envoient une belle pièce de country fumante se fondre dans l’incendie du crépuscule («Don’t Forget The Trains») alors que Red allume son cigarillo au coin du feu. «One More Hop» est monté sur une somptueuse walking bass. Encore un coup à faire rêver tous les apprentis sorciers. Après un «I Just Drove By» sloppy, Ray envoie un «Rock Me Up» slappy. Rip it up Ray ! Just perfect. Tout y est, blue take on the bop, bip bop, le dos rond du bop avec à la clé une pompe manouche. «Blue To The Bone» est pilé au mortier des guitares tex-mex du désert et Ray nous emmène faire un tour dans le marais avec «Swamp Fox». Bienvenue dans la brume électrique. Il boucle l’affaire avec une solide version de «The Crossing», son vieux hit antédiluvien. Ray Campi a bien raison de camper sur ses positions.

    Signé : Cazengler le campiteux

    Ray Campi. Rockabilly. Rollin’ Rock 1973

    Ray Campi. Eager BB Beaver Boy. Rolling Rock 1976

    Ray Campi. Rockabilly Rebel. Rollin’ Rock 1977

    Ray Campi. Rockabilly Rebellion. Rollin’ Rock 1979

    Ray Campi & His Rockabilly Rebels. Gone Gone Gone. Rollin’ Rock 1979

    Ray Campi. Rockabilly Music. Rollin’ Rock 1980

    Ray Campi. Rockin’ At The Ritz. Rounder Records 1980

    Ray Campi & His Rockabilly Rebels. Hollywood Cats. Rollin’ Rock 1983

    Ray Campi. Rockabilly Rocket. Magnum Force/Rollin’ Rock 1987

    Ray Campi. Give That Love To Ray Campi. Domino Records 1987

    Ray Campi. With Friends In Texas. Bear Family 1988

    Ray Campi & the Hicksville Bombers. At the Thunderbird Rn’R Venue. Rockstar Records 2001

    Ray Campi & the Bellhops. One More Hop. Raucous Records 2006

     

    Ka-Doors - Part One

     

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    Lorsqu’on découvrait la pochette de Waiting For The Sun dans la vitrine d’un disquaire en 1968, on comprenait que les Doors allaient conquérir le monde. Certaines pochettes sont capables de lancer ce type de message. Autres exemples : le premier album des Dolls ou encore la pochette jaune et rose des Pistols. Ces pochettes buzzent toutes seules, elles n’ont besoin de personne en Harley Davidson.

    Donc on entre chez le disquaire pour écouter, car à cette époque on peut écouter ce qu’on veut acheter, et le petit mec qui connaît bien son métier passe directement le dernier cut de la B, «Five To One». Forcément c’est vendu. Et c’est là que démarre une longue idylle avec Jimbo. Il va occuper dans notre petite mythologie kiddy le même rang que Jimi Hendrix, Jerry Lee, les Pretties, Dylan ou encore Brian Jones, le rang de gros culte.

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    Comme Hendrix, les Stones ou Dylan, les Doors bénéficient d’une abondante littérature. La bio des Doors la plus convaincante est sans nul doute celle de Mick Wall, Love Becomes A Funeral Pyre - A Biography Of The Doors. Mick Wall est l’un des grands rocking biographes anglais et ses ouvrages sur Lou Reed, Lemmy, Led Zep, Sab et Hendrix font référence. Il tape aussi dans les têtes de gondole du metal, mais on laisse ça aux amateurs. Pour la petite histoire, Wall fut redac chef de Kerrang! à la grande époque et forcément ça laisse des traces. On feuilletait parfois Kerrang! chez Smith, à la recherche d’articles sur les Wildhearts, un groupe que boudaient les autres hebdos britanniques. Wall écrit comme un fan. Il sait rythmer une monographie pour la rendre passionnante de bout en bout. En général, on ne lâche pas un Wall book avant de l’avoir terminé, même s’il fait 400 pages, comme le Doors book. Wall sait allumer un réacteur biographique au bon moment. Comme les grands romanciers, il maîtrise parfaitement l’usage des ressorts narratifs. Il déclenche toujours ses phases dramatiques au bon moment. Si vous êtes ado et que vous en pincez pour Flaubert, vous lisez forcément Madame Bovary. Lire Madame Bovary, c’est un peu flâner dans l’herbe, vous marchez sur le râteau que vous n’avez pas vu et bam !, vous prenez le manche en pleine gueule. Le manche, c’est le ressort dramatique que déclenche Flaubert à la fin du récit. Wall utilise les mêmes ressorts. On entre avec Wall dans l’épaisseur humaine de Jimbo comme on entre dans celle d’Emma Bovary avec Flaubert. C’est à ce prix que ça prend.

    C’est aussi aux chutes de chapitres qu’on mesure la hauteur des grands écrivains. Un premier exemple : «Waiting For The Sun était sorti et en dépit des critiques mitigées, l’album grimpait vers la tête des charts. Number fucking one, baby! Walk that parapet naked, crazy man!». Wall est électrisé par son personnage et il s’adresse parfois à lui en direct. Dans un autre passage, Wall relate l’arrivée de deux impresarios véreux, Sal and Asher, qui tentent de pousser Jimbo à quitter les Doors et Elektra pour entamer une carrière solo chez Columbia qui le rendrait dix fois plus riche - C’mon Jim, what d’ya say? Have another drink and think about it, huh? C’mon baby, let the good times roll - Et bien sûr Wall indique dans la foulée que Jim n’aimait pas du tout cette idée - But Jim didn’t dig that idea at all - Wall rocke ses fins de chapitres avec une belle aisance. Mais c’est vrai qu’avec un personnage central comme Jimbo, c’est assez facile. Autre exemple : «Avec l’arrivée de l’hero et de la coke comme drogues du jour à la place de l’acide et de l’herbe, les heavy manners avec lesquelles on se conduisait en Amérique et à L.A. en particulier semblaient soudain se caler sur celles que pratiquait déjà Jimbo à Miami. Blood on the streets of fantastic L.A., baby.» Et vers la fin du book, Wall tente de secouer son héros qui n’est plus que l’ombre de lui-même : «Never mind all that shit, man. Monte sur scène une dernière fois avec le groupe, one more fucking time. For the road! Lève-toi demain matin, ouvre une bière and let’s roll, baby, roll. Fuck yeah! Go Jimbo go!». Wall va développer cette pratique et se glisser dans la peau de Jimi Hendrix pour les besoins de son dernier book récemment paru, Two Riders Were Approaching - The Life & Death of Jimi Hendrix, mais ceci bien sûr est une autre histoire. Comme l’actu Cramps, l’actu Hendrix est extrêmement riche, nous y reviendrons incessamment sous peu, comme on dit.

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    Jimbo nous dit Wall est un mec extrêmement cultivé qui attire les jolies femmes cultivées comme Eve Babitz. Il dévore tout, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Hemingway, Faulkner, Mailer et puis les géants du XXe siècle, Joyce, Camus, Sartre et même Céline, et sa boulimie l’entraîne chez Burroughs, Kerouac, Ginsberg, Ferlinghetti, Corso. Jimbo a tout lu, tout au moins tout ce qu’il faut lire si on ne veut pas mourir trop con. Il se passionne pour les idées de Nietzsche sur le surhomme, mais il touille ça avec des idées apolloniennes sur l’harmonie et un goût dionysien pour le chaos, la jouissance et l’intoxication. Ce qui le fascine le plus chez Nietzsche, c’est cette idée que dans un monde idéal, il n’existe pas de notion de bien, de mal, de passé et de futur, puisque tout doit être vécu dans l’instant, c’est cette idée de transcendance par tous les moyens, cette idée que l’individu volontariste est bien plus puissant que le troupeau bêlant d’une populace maintenue dans l’ignorance et les ténèbres par les médias et des pouvoirs soit-disant démocratiques. Jimbo fascine son copain Ray du cul qui voit en lui une sorte de satyre dionysien, like Rimbaud, Modigliani, Neal Cassidy. Jimbo a aussi des copains qui ne sont pas dans les Doors, comme Felix Venable, un mec qui s’adonne à tous les excès, speed, acid, herbe et qui enseigne à Jimbo l’art de siffler une bouteille de bourbon d’un trait, histoire d’expérimenter le Grand Jeu.

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    L’autre grande influence est celle d’Artaud et du Living Theater de Julian Beck, qui avec sa représentation du Théâtre de la Cruauté démantèle le «quatrième mur», celui qui sépare la scène du public, et vise l’événement total. Jimbo ira plusieurs soirs de suite voir le Living Theater sur scène, cherchant un moyen de ramener cette modernité dans les Doors - Try it out on stage - Oui, Jac Holzman a raison, les Doors n’étaient-ils pas supposés to be so far out ?

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    Au commencement, Jimbo veut être poète. Il veut monter un duo avec son poto Dennis Jakob. Il a même un nom pour le duo : The Doors. Jakob précise que ce choix est inspiré par Look Homeward Angel de Thomas Wolfe. Wall nous sort l’autre version, la version officielle. Jimbo voulait rendre hommage à William Blake qui dans The Marriage Of Heaven And Hell écrit : «Si les portes de la perception étaient propres, toute chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est, infinie.» Et de là, Jimbo cite Aldous Huxley qui a sorti les Portes de la Perception du poème de Blake pour titrer son essai sur l’expérimentation de la mescaline. Tous ces mecs sont de fabuleux expérimentateurs, d’immenses découvreurs : Huxley, Artaud, Burroughs, Gilbert-Lecomte et bien sûr Henri Michaux avec ce livre de chevet qu’est Connaissance Par Les Gouffres. Jimbo appartient à cette caste. Il met en place sa théorie : les meilleurs trips sont ceux qui ouvrent les portes de ton esprit et qui te permettent le break on through, dig ? Tout au long de la courte histoire des Doors, Jimbo réussira à maintenir le cap sur la poésie. Il va ancrer le rock des Doors dans le feu sacré, c’est-à-dire la littérature. Au même titre que Dylan, Jimbo est l’homme du contenu. Pas de rock sans contenu. Il édicte un autre principe : dans le groupe, on partage tout à quatre parts égales. Une fois que les Doors sont formés et que Jac Holzman les signe, Jimbo demande que les crédits soient répartis sur les quatre noms. Jimbo partage tout et ne veut rien posséder, sauf une Mustang bleue. Il adore conduire défoncé dans le crépuscule californien.

    Les deux personnages clés dans l’histoire des Doors sont Jac Holzman et Paul Rothchild.

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    Holzman découvre les Doors au Whisky A Go Go, le soir où ils se font virer parce que Jimbo a improvisé sur scène l’histoire du Father I want to kill you et du Mother I want to fuck you. Holzman qui est un businesss man new-yorkais amateur de rock edgy leur propose un contrat sur Elektra, avec une avance de 2 500 $ et 5 % de royalties sur les ventes. Holzman va se passionner pour les choix de Jimbo, notamment «Whiskey Bar (The Alabama Song)» - Monochromatic mock-Weimar cabaret sound,. This was rock but with a major difference - Alors que les groupes en 1966 cultivaient the psychedelic prism of love-love-love, les Doors en proposaient l’antithèse, avec un ange qui voulait buter son père et baiser sa mère. Holzman voyait Elektra comme l’antithèse des gros labels. Pour lui, small is beautiful, il ne voulait pas viser le mass market, même si les Doors allaient devenir célèbres. Holzman préférait soigner ses objets, avec des livrets et des belles pochettes. Wall : «If Atlantic was for hip swingers, Elektra was for the knowledgeable elite.» (Si Atlantic s’adressait aux branchés, Elektra s’adressait aux érudits). Holzman s’intéresse aux folkies californiens, comme Phil Ochs, Judy Collins ou Tim Buckley et il rate de peu les Byrds et les Lovin’ Spoonful. Quand les Doors qui sentent le besoin d’un manager signent avec Bonafede et Dann, la première chose que font Bonafede et Dann est d’essayer de décrocher les Doors d’Elektra pour aller signer chez Columbia et récupérer un gros billet. Mais bizarrement le contrat Elektra va tenir bon. Holzman aura sur les Doors une influence bénéfique jusqu’au bout. Wall va même jusqu’à dire que Jimbo aura changé la vie de Jac Holzman, faisant de lui un multimillionnaire et donnant à Elektra une nouvelle identité.

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    C’est Holzman qui engage Paul Rothchild pour produire les Doors. Rothchild n’est pas le dernier à se schtroumpher. Il arrive en studio avec une valise à la main. Elle contient évidemment toutes sortes de cames. Rothchild est non seulement un gros consommateur de coke, mais il est aussi un gros dealer de marijuana. Quand les flics le poirent chez lui avec plusieurs valises de marijuana, il leur explique qu’elles ne sont pas à lui, mais les flics ne le croient pas et l’envoient droit au trou d’où va le sortir Jac Holzman au bout de quelques mois, se portant garant pour lui. Rothchild doit donc une fière chandelle à son boss, qui en plus de lui redonner son job à la sortie du trou, a aidé sa femme à survivre pendant son incarcération. Au début, Rothchild n’aime pas trop les Doors qu’il trouve limités mais Jac Holzman lui demande de l’aider à en faire les Doors tels qu’on les connaît, ce qu’il ne peut évidemment pas refuser. Rothchild façonne donc le son des Doors et en fait les hit-makers que l’on sait. C’est après être entré dedans que Rothchild réalisa à quel point l’univers musical des Doors était fascinant.

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    Puisqu’on est dans les personnages clé, il ne faudrait pas oublier Bill Siddons qui n’a que 19 ans quand les Doors l’engagent après avoir viré Bonafede et Dann. Siddons est un peu jeune pour le job, mais il va se contenter de jouer un rôle de facilitateur. Il sait discuter avec les patrons des salles et il peut gérer Jimbo qui est défoncé en permanence. Jac Holzman donne sa bénédiction : «C’est un gamin, mais il est très intelligent. C’est un plaisir que de travailler avec lui.» On voit un peu Siddons dans l’excellent film d’Oliver Stone.

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    L’histoire des Doors nous dit Wall est une histoire beaucoup plus compliquée qu’on ne croit, celle d’un homme, Jimbo, qui n’a pas d’amis - Jim n’avait pas d’amis. Certainement pas Pamela avec ses cheveux rouges, son smack et son nouveau copain le Comte. Ou Ray avec sa manie d’envoyer du please-Jim-just-for-me shit en pleine gueule. Ou John cet asshole avec ces mines de travers et ce regard d’accusateur public. Ou encore Robby, la cerveau grillé par l’acide, à déblatérer son passive-agressive bullshit, Robby, the secret businessman - Jimbo se sent mal entouré. Wall calme le jeu en redistribuant les rôles : il voit quatre éléments dans les Doors. La terre, c’est John, celui qui a les pieds sur terre, trop peut-être, l’Américain moyen qui ne connaît pas Dionysos et qui ne supporte pas de voir Jimbo s’auto-détruire. L’air, c’est Robby, avec ce sens de l’expansion et de la vibration. Ray c’est l’eau, à cause de la fluidité et des interconnexion et bien sûr, le feu c’est Jimbo - Baby you can light my fire.

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    Un Jimbo qui dès le début se pose toutes les bonnes questions : comment ramener dans le rock la profondeur du drame et de l’émotion, la joie et le pathos, le chagrin et la terreur ? Car pour lui, c’est le cinéma qui combine tout ça, et il veut que le rock de Doors soit aussi complet qu’un classique du cinéma, ce cinéma d’où il vient, ce cinéma ancré dans la littérature, et Jimbo est persuadé que le rock des Doors peut charrier les mêmes extrêmes. Le rock des Doors peut charrier du Eisenstein et du Murnau, du Abel Gance et du Pabst, du Rimbaud et du Joyce. Si le cinéma permet de jouer le rôle de God, alors le rock doit aussi le permettre. Selon Jimbo, le grand art cinématographique relève d’une tradition ancienne, celle des magiciens, l’art de maîtriser les ombres et la lumière (Murnau), un art inséparable d’une croyance dans la magie (Artaud). Voilà comment Jimbo le visionnaire voit le rock des Doors. Alors il va injecter dans le cul du rock des Doors des doses massives de poésie, de théâtre, de shamanisme, de chaos dionysien, il veut emmener le public - body and mind - dans le tourbillon des origines, il a cette vision d’un grand art pour les masses populaires d’Amérique, cette nation si tragiquement inculte.

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    L’incroyable de la chose c’est qu’Oliver Stone a réussi à reconstituer la bacchanale de Jimbo dans son film, The Doors, au moins à deux reprises, lors d’une scène de concert à San Francisco, où brûle un bûcher devant la scène, alors que Jimbo chante «Not To Touch The Earth» - Run run run - une antique version de «Celebration of The Lizard», et on voit de délicieux corps de femmes nues danser à la lueur des flammes, c’est gigantesque, fabuleusement orgiaque, Stone a compris ce que Jimbo voulait dire par art total. Et dans une deuxième scène, le concert de Miami, la bacchanale est encore plus spectaculaire, plus incontrôlable car Jimbo danse sur scène avec des sorciers apaches et toute la foule est embarquée dans le tourbillon des origines du monde. Chaque fois qu’on revoit cette scène, elle fonctionne comme un sésame, même sur un écran de télé. Oh bien sûr, ce fut mille fois plus spectaculaire la première fois en salle car cette salle des Champs semblait tournoyer en même temps que la foule de Stone, moment grandiose, trip extrême, que la volonté de Jimbo soit faite, c’est la plus belle bacchanale de l’histoire du rock. Jimbo sur scène se jette sur son pied de micro et il entraîne cette foule dans un «Break On Throught (To The Other Side)» qui prend là toute sa résonance - The Doors got so completely out of control - Ce film fut critiqué à l’époque, mais Stone avait réussi à boucler la boucle voulue par Jimbo, le rock des Doors revenait au cinéma par la grande porte, celle de la magie du cinéma. Rien que pour ce coup de génie, Oliver Stone mérite sa place au firmament. Il fait partie de ceux qui ont su interpréter le cheminement intellectuel de Jimbo. Stone a compris l’essentiel : les Doors ne sont peut-être pas les premiers à transformer le rock en art, mais ils sont les plus authentiques. Jimbo a su plus que tous les autres incarner cette idée. Au prix de sa vie.

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    À l’origine des temps, Jimbo et Ray du cul posent les bases du rock des Doors : Kerouac meets John Coltrane. Le problème c’est qu’on aura Kerouac, mais pas Coltrane, car les trois Doors sont très limités. Pas grave se dit Jimbo, on va compenser. Les trois autres comprennent vite que sans Jimbo et le chaos qu’il génère sur scène, ils ne sont rien de plus qu’un groupe ordinaire. Il y a une telle différence de charisme entre les trois musiciens et le chanteur que le public fait son choix. Il veut Jimbo. Quand les photographes organisent des sessions, ils ou elles veulent Jimbo, le rock God, pas les autres. Pas question d’avoir big-bird Ray, frizzly-haired Robby et pinch-faced John. C’est Joel Brodsky (et non une femme comme le montre Stone dans son film) qui shoote the iconic Christ-like American Poet qu’on a vu sur les posters à l’époque. Elvis, Jimbo et le Che furent les trois plus beaux mecs de cette époque. Ils avaient en plus pour particularité d’avoir tous les trois du génie.

    Bizarrement, des gens détestent Jimbo. Wall en épingle quelques-un, comme Lou Adler qui refuse de mettre les Doors à l’affiche du Monterey Pop Festival, ou encore Lou Reed qui hait profondément les Doors.

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    Musicalement, les Doors, c’est simple : sept albums en quatre ans et la messe est dite. Ou pour être plus précis, cinq albums moyens pris en sandwich entre deux grands albums classiques, The Doors (paru en 1967) et L.A. Woman paru en 1971.

    Oui, ce premier album des Doors reste l’un des grands classiques du rock américain des sixties. The Doors ouvre son bal d’A avec «Break On Through» et la fantastique profondeur de the other side. Jimbo est déjà là et il ne nous quittera plus. Il nous embarque pour Cythère, avec power & warmth. Il étend encore son empire avec «Soul Kitchen». On fut frappé à l’époque par l’immédiateté de ce son. En fait, c’est Jimbo qui fait tout le boulot, learn to forgive. On repère très vite des gros défauts dans le Doors Sound System, notamment cette rythmique un peu plan-plan. Les Doors ne groovent pas. C’est ce qui frappe à l’écoute de «Light My Fire» : la rythmique tournoie, mais de façon balloche. Alors oui, bien sûr, c’est idéal pour un acid trip. Mais enlève la voix de Jimbo et c’est une catastrophe. On revient aux choses sérieuses en B avec un «Back Door Man» heavy on the beat, fute de cuir noir, Jimbo s’appuie de tout son poids sur l’understand. Comme chacun sait, «Back Door Man» est un hommage à l’annal sex, qui est alors l’obsession de Jimbo. Mais derrière, la rythmique ne groove pas. C’est beaucoup trop rigide pour un hommage à Wolf. Jimbo sauve le cut à la seule force du chant. Le solo frigide de Krieger bat tous les records de platitude. Au fond, on s’en fout que les trois autres ne soient pas à la hauteur, car Jimbo va imposer un style et marquer le rock à jamais. Ils terminent cet album suprêmement morrisonien avec la première d’une série de longues compos atmosphériques dont les Doors vont faire une spécialité : «The End». L’intro nous replonge immédiatement dans Apocalypse Now, avec la petite descente aux enfers. Bien vu, Coppola ! S’il voulait illustrer son époque, c’est réussi. Jimbo nous entraîne dans les fameuses weird scenes in the goldmine, où rampe un snake of several miles, c’est de la poésie à l’état le plus pur, diction parfaite, pas besoin d’un dico. C’est sûr qu’avec son Mother I want to fuck you, il a dû choquer le KKK, ce qui était le but. Jimbo nous rappelle que la poésie peut aussi être subversive. Selon, Paul Rothchild, les sessions de ce premier album furent incontrôlables, car Jimbo se goinfrait d’acides. Pendant l’enregistrement de «The End», Jimbo dansait dans le studio comme un derviche tourneur.

    «Light My Fire» nous dit Wall va devenir le plus gros hit du summer of love et Jimbo va devenir un rock god/poète hédoniste à visage d’ange, certainement le dernier et le plus grand, le gardien de la pierre philosophale du rock. Wall a raison de délirer avec les formules, les grandes heures de Jimbo sont le Grand Œuvre du rock.

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    L’album suivant s’appelle Strange Days. On le revoit encore dans la vitrine. Aw comme il nous faisait baver. C’est l’une des grands pochettes mystérieuses des sixties et c’est là-dessus qu’on trouve le deuxième chef-d’œuvre de la série des longs cuts atmosphériques : «When The Music’s Over». Ça s’annonce mal, avec l’intro rigide de Ray raide comme un piquet, mais la voix de Jimbo arrive comme une délivrance. Le voilà lancé dans sa plus belle échappée belle, il croone à l’intensité pure, au raw et au hot de glotte. De toute évidence, John Doe s’est inspiré de cette façon de chanter - What have they done to the earth/ What have they done to our fair sister - Ce cut fascinant fait partie de ceux qu’on réécoute plusieurs fois de suite, intrigué par les mystères et les merveilles indicibles qu’il recèle. Dans l’histoire du rock, Jimbo est un phénomène unique et chaque fois qu’on le réécoute, on vibre, même si on connaît la moindre parcelle de son univers. On trouve d’autres jolies choses sur cet album, comme «Moonlight Drive» que Jimbo arrache du sol au chant. Ils font aussi une petite tentative de putsch psychédélique avec «My Eyes Have Seen You». Dommage qu’ils n’aient pas foncé dans ce tas-là. Ce qui frappe le plus à l’écoute du morceau titre d’ouverture du bal d’A, c’est l’incapacité des Doors à groover. La rythmique n’a rien dans la culotte. Encore une fois, Jimbo fait tout le boulot. Cette basse d’orgue raidit tout le son. L’intro de «Love Me Two Times» est catastrophique de sécheresse contextuelle et un solo de clavecin réduit tout à néant. C’est peut-être ça au fond qui fait la grandeur des Doors : le mélange d’un orchestre plan-plan et d’un shouter de génie. «People Are Strange» passe beaucoup mieux car on n’entend plus l’orgue. Jimbo et un peu d’acou passent mieux que tout le bataclan des Doors. On apprendra après coup que «When The Music’s Over» fut enregistré live dans le studio, comme le voulait Jimbo - Jim wanted to keep it raw and alive - Mais l’album ne va pas marcher, il va disparaître des charts rapidement, in a flash. L’album n’allait laisser aucun souvenir, hormis l’étrange pochette. Le public ne comprenait pas qu’un groupe aussi brillant pût se vautrer avec ce deuxième album.

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    Dans nos têtes de lycéens affamés de mythes, on associait la pochette de Waiting For The Sun à l’idée du wild rock américain. Quelles dégaines pour l’époque ! Et puis ce single magique que fut «Hello I Love You (Won’t You Tell Me Your Name)» fait l’ouverture du bal des vampires. Malgré le handicap d’une rythmique rigide, Jimbo bouffe sa pop toute crue. Excité par une giclée de fuzz, il finit en apothéose dionysiaque. C’est l’un des hits américains qu’on vénérait en 1968. L’autre coup de génie de l’album, c’est bien sûr «Five To One» avec son terrible effet de stomp - Gon/ na make it ba/ by if we/ try - C’est fabuleusement bien dit. Jimbo chante au heavy guttural, son c’mon est l’un des plus beaux du c’mon world - Get together one more time - Le redémarrage est superbe, même s’il est un peu raide. Jimbo écrase son Five à coups de talon, get/ to/ ge/ ther one/ more/ time - Ah comme il est bon ! Par contre le reste de l’album peine à jouir, d’où la déception. On retrouve avec «Not To Touch The Earth» le run run run qui a tant fasciné Oliver Stone et qu’on entend dans la scène du concert de San Francisco - Run with me ! - Une fois encore, Jimbo sauve les meubles des Doors à la seule force du chant. Mais c’est un nouvel échec. Jimbo sent que les Doors ne sont pas à la hauteur de sa vision. Il voulait consacrer une face entière à «Celebration Of The Lizard», mais Paul Rothchild s’y opposa, arguant que ça n’était pas assez commercial. Il avait pour instruction de renouer avec le succès de «Light My Fire». Jac Holzman donnait carte blanche aux Doors, mais en même temps, il avait besoin d’un hit pour relancer la machine - No more fucking around - Mais les sessions furent de plus en plus incontrôlables, Jimbo arrivait défoncé ou n’arrivait pas du tout, ce qui avait le don d’excéder les autres, plus particulièrement John Densmore, qui voyait les Doors comme une belle machine à fric et cet asshole de Jimbo faisait tout pour saboter leur carrière. Pendant Waiting, Jimbo battait tous les records d’out of control, avec une consommation massive de psychedelics.

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    Tu n’avais plus que tes yeux pour pleurer, après avoir acheté puis écouté The Soft Parade. En 1969, il était impossible d’imaginer que les Doors pussent nous décevoir à ce point. La désillusion était d’autant plus cruelle que le pouvoir d’achat d’un lycéen issu de la classe très moyenne était dramatiquement limité. Cet album est bourré de cuts dont on ne sait quoi penser, des trucs comme «Shaman’s Blues», «Runnin’ Blue» ou encore «Wishful Sinful» au travers desquels on passe, tellement ils sont transparents. On en sauvera deux : «Touch Me», monté sur le riff de basse d’Harvey Brooks. On croit entendre les Chambers Brothers. Puis «Wild Child» qui ouvre le bal de la B, car Jimbo y fait un grand numéro en tant que wild shouter d’accent royal, en tant qu’ultime rocker des Amériques, titre qu’il partage bien sûr avec Iggy. Quant au reste, ça ne va pas du tout. Ils font une tentative de putsch psychédélique avec «Do It», mais ça foire lamentablement. Quant à l’«Easy Ride», c’est poppy et sans objet, presque parodique. Excédé, Jimbo l’extermine au wild shout. On se demande comment un artiste de ce calibre a pu s’abaisser à chanter des trucs aussi mauvais. Le team Robby/Ray ? Laissez-nous rire ! Leur seule chance d’exister artistiquement, c’est Jimbo et ses longues dérives shamaniques. On ne sauve pas non plus le morceau titre, pourtant groové par Brooks - This is the best part of the trip ! - Ils reprennent le riff de Back Door Man, avec des échos de chant de gentle street et Jimbo tente encore une fois l’impossible : sauver le cut à la force du shout. Il est héroïque.

    Si cet album est tellement ambitieux - et même Brechtien - c’est parce qu’au même moment arrivent des albums révolutionnaires, comme The White Album ou Electric Ladyland, qui redéfinissaient les possibilités du rock context. Mais Jimbo est trop défoncé pour entrer en lice. Alors Rothchild ramène des orchestrations pour compenser la misère compositale. À sa façon, il visait la perfection, mais tout le monde ne s’appelle pas Phil Spector. Les Doors sont le groupe numéro un des États-Unis et ils ont besoin d’un big album. Rothchild veut devenir un grand producteur. C’est un fantastique échec. Quand Jac Holzman entend le test pressing, il est furieux. Il demande à Rothchild de virer toutes ces orchestrations et de ramener les Doors aux racines des Doors, mais Rothchild refuse. Il tient bon.

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    C’est donc avec une certaine méfiance qu’on approchait Morrison Hotel paru l’année suivante. Les groupes dont on a décroché à cause d’albums ratés sont légion, mais dans le cas des Doors, c’était plus compliqué, à cause de Jimbo. On imagine le carnage qu’il aurait fait avec un groupe comme l’Electric Flag derrière lui. Ce qui va faire la différence entre Morrison Hotel et les albums précédents, c’est l’enrôlement d’un bassman, et pas n’importe qui : Lonnie Mack sur deux cuts, «Roadhouse Blues» et «Maggie MGill». Alors ça change tout. Ça groove. On entend bien le vieux Lonnie dans les refrains de «Roadhouse Blues». Un bon drive de basse, ça change la vie. Le bassmatic semble même doper Jimbo dans «Maggie MGill», car il chante au mieux de ses possibilités. Les Doors redeviennent alors les rois du heavy stuff de Los Angeles. Il faut entendre le vieux Mack groover dans le son. Sur les autres cuts, c’est Ray Napolitan qui joue de la basse. On se régale d’un «Peace Frog» bien envoyé. Cette façon de revenir au chant après un break n’appartient qu’à Jimbo et il faut le voir enfoncer ses clous. Voilà typiquement l’artiste dont il est impossible de se lasser. Avec «Land Ho», ils renouent avec leur dimension épique. Leur son va mieux dès qu’une basse entre dans la danse. Ça s’articule. Jimbo revient au blues hedonistic avec «The Spy», qu’il chante magnifiquement, avec toute la profondeur dramatique de la goldmine. Wall dit que Morrison Hotel est le plus up-sounding Doors album of them all.

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    Paru en 1970, Absolutely Live confirme l’idée qu’on se fait des Doors : l’erreur serait de les voir comme un groupe pop. Ce Live tombé du ciel n’en finit plus de sacraliser le génie de Jim Morrison et ramener les trois autres au rang de vulgaire backing band. Jimbo chauffe son Bo dès l’intro à la folie messianique. Dans ses pattes, «Who Do You Love» devient une œuvre d’art organique, un truc qui bouge. Jimbo porte tout le poids du rock sur ses épaules, et avec du recul, on le comprend encore mieux. Plus que tous les autres grands shouters, il incarne à la perfection le rock power, une dimension qu’on pourrait imaginer remonter à la nuit des temps. Les quatre faces de ce Live tombé du ciel sont un gisement éternel. Il faut entendre le scream de Jimbo à l’orée de «Backdoor Man», il enfonce son oh yeah à coups de talon dans la rondelle des annales. Mais diable, comme le backing est pauvre. C’est encore plus frappant sur «Five To One», le beat devient presque sloppy. Ce qui effare le plus, c’est la pauvreté du jeu de Densmore. Il ne joue que les dominantes, aucune volonté d’en découdre. Quant au jeu d’orgue, c’est une catastrophe. Ces mecs sont d’une extrême platitude. Retour au monde magique et incantatoire de Jimbo avec «When The Music’s Over», il gueule après les gens, shut up, il veut entendre le vol des papillons. C’est Ray du cul qui ouvre le bal de la C en chantant «Close To You» et là on comprend mieux que les Doors sans Jimbo n’ont aucun sens. Ils ne se rendent même pas compte de la chance qu’ils ont d’avoir Jimbo. Le voilà qui éclate au grand jour dans «Universal Mind», merveilleux mélange de poésie et d’aura. Jimbo restera pour nous le plus beau seigneur des annales, surtout avec ce beautiful balladif crépusculaire. Derrière, Ray du cul et Densmore la mormoille essayent de swinguer, mais ils ne savent pas. Ils en sont incapables. On leur en veut, c’est vrai, d’avoir tourné le dos à Jimbo quand il avait besoin d’aide - Petition the Lord with the payer ! - Et vlan, voilà «Break On Through». Jimbo pose la question à la foule : «Petition the Lord with the payer !» - The cat, the rats awite, you know the day destroys the night, night divides the day, yeah ! - Cette façon de lancer l’assaut du rock est unique au monde. La D est la face la plus palpitante des quatre, parce qu’on y trouve «The Celebration Of The Lizard» qui devait figurer sur The Soft Parade. Il n’en faut point perdre une miette. Is everybody in ? The ceremony is about to begin. C’est le roi des poèmes fleuves, once I had a little game, il dicte ses conditions - Forget the world, forget the people and we’ll erect a different staple - et il injecte dans sa Celebration l’excellent Let’s Run de «Not To Touch The Earth» et ça devient énorme, jusqu’au moment où il salue son public - Retire now to your tents & to your dreams/ Tomorrow we hit the town of my birth & I want to be ready - Spectaculaire ! Il termine avec «Soul Kitchen», et en puissant shouter, il monte par dessus son chant, là haut sur la montagne. Faramineux Jimbolaya.

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    Mais il va payer son hédonisme au prix fort et se retrouver isolé au milieu du groupe. Les trois autres ne supportent plus de le voir défoncé. Plus il se sent jugé et plus il en rajoute. Quand il se fait tabasser pas les flicards en décembre 1967 à New Haven, Connecticut, il devient un martyr, car des gens voient les cops rouer Jimbo de coups et lui savater la gueule, un rôle de rock star martyr nous dit Wall qu’il va continuer à jouer après sa mort - The role in fact he stills enjoys today - Jimbo n’a pas de maison, il vit dans des chambres d’hôtel, il ne se lave plus et pue le vomi. Côté sexe, il ne désarme pas. Toutes les groupies de Los Angeles se plaignent de ce bouc qui les encule toutes une par une. Dès qu’une garce arrive dans son lit, pouf !, Jimbo l’encule. Il n’a de goût que pour les fast women, la bonne bouffe, le badass whisky et les drogues assez puissantes pour t’envoyer là d’où tu ne reviens plus - 17 capsules de cristaux de mescaline dans un verre de jus d’orange et hop ! En voiture Simone ! Trois jours plus tard, se souvient January Jansen, ils sont encore en plein trip. Quand Jansen commence à vomir du sang, Jimbo lui dit que c’est normal car il a trop de sang dans le corps.

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    Lorsque se produit l’incident de Miami, Jimbo en a marre du carnaval. Il veut se débarrasser de cette image de Lizard King, il grossit, se laisse pousser la barbe et porte des fringues ordinaires. Il boit de plus en plus - Getting drunk, tu gardes le contrôle jusqu’à un certain point, c’est toi qui décides chaque fois que tu avales un verre. Chaque fois, c’est un choix que tu fais. C’est la différence entre le suicide et la lente capitulation - Ce Miami show si bien reconstitué par Oliver Stone sonne le glas des Doors. Et pourtant, du point de vue de Jimbo, c’est une réussite, un sommet de l’art dionysien, le chaos total, la célébration du dieu de la passion, de la folie et de l’ivresse, avec des gens qui se battent, les flics qui tapent dans le tas et la scène qui s’écroule. On ne saurait imaginer meilleur dénouement. L’insane sexuality de Jimbo est une offense que l’establishment va lui faire payer très cher. Jimbo va se retrouver devant des juges accusé de masturbation en public, alors qu’il n’y a aucune preuve. Le pire c’est que trois Doors se désolidarisent de Jimbo. Ils envisagent même de redémarrer les Doors à trois. Finalement, ils franchiront le Rubicon de la honte en continuant d’enregistrer après la mort de Jimbo. Mais comme dit Wall, comment leur en vouloir ? Les pauvres, Jimbo leur en a fait voir des vertes et des pas mures, il a presque réussi à détruire leurs petites carrières de rock stars californienne avec leurs maisons qui ont vue sur l’océan, leurs fucking voitures de sport et leurs petites familles aseptisées. Le pire c’est que la mort mystérieuse de Jimbo va leur permettre de jouir d’une très belle fin de carrière. La mort de Jimbo, comme celle d’Evis, fut un véritable jackpot. Comme Dead Hendrix et Dead Elvis, Dead Jimbo va vendre plus de disques que Jimbo n’en vendit de son vivant.

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    L’un des épisodes les plus dramatiques de l’histoire des Doors et celui de la vente des droits de «Light My Fire» à un constructeur automobile, Buick. Profitant de l’absence de Jimbo qui est en voyage à Londres, Ray du cul, Densmore et Krieger vendent les droits pour se faire un gros billet. À son retour à L.A., Jimbo chope l’info et il pique une crise d’apoplexie. Non seulement il ne supporte pas la trahison, mais cet acte porte atteinte à ce qu’il a de plus précieux : sa probité artistique. C’est un affront. Les trois autres ne l’ont même pas consulté. Mais comment des gens peuvent-ils se conduire ainsi ?

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    Le dernier concert des Doors a lieu à la Nouvelle Orleans. Jimbo est tellement défoncé qu’il s’accroche au micro. Il ne chante même pas. Le groupe panique et attaque «Light My Fire». Jimbo s’assoit sur l’estrade de batterie et Densmore lui file un méchant coup de pied dans le dos. Alors Jimbo se lève, retourne au micro mais ne se souvient plus des paroles. Une émeute éclate. Jimbo sort de scène pour la dernière fois. Dans la loge, Densmore explose de rage : «Plus jamais avec cet asshole, plus jamais !». C’est là que l’histoire des Doors s’achève, dans une sorte d’ignominie, avec trois pauvres mecs incapables de mesurer la chance qu’ils avaient d’accompagner l’une des plus grandes stars de tous les temps.

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    Le dernier album des Doors est l’extravagant L.A. Woman. Tous les cuts sont bons, sans exception. Les amateurs de stomp y overdoseront avec «Been Done So Long» et «The WASP (Texas Radio And The Big Beat)». Même chose : si ça marche c’est parce qu’il y a un bassman dans le studio, et cette fois, c’est Jerry Scheff, un session man célèbre pour avoir accompagné Elvis à Vegas. Jimbo finit son «Been Down So Long» à la bonne arrache. Les amateurs de heavy blues vont eux aussi overdoser avec «Car Hiss By My Window» - Like the waves down on the beach - et «Crawling King Snake», bel hommage à Hooky - Till the day I die - Les amateurs des merveilles ne seront pas épargnés. Overdose garantie avec «L’America» et «Hyacinth House», deux cuts chargés comme des mulets de mystère et d’insidious. Et les amateurs de grande pop californienne ? Oh, ils sont gâtés eux aussi avec «The Changeling» et «Love Her Madly». Jerry Scheff va se promener au bas de son manche et comme Jimbo chante comme un dieu, alors nous voilà tous au paradis. Avec cet album magique, les Doors grimpent au somment de leur art. La plat de résistance ici est le morceau titre. C’est encore une fois Jimbo qui crée les conditions de la grandeur tutélaire. Fantastique allure ! C’est un cut assez long, bardé de climats et de paysages changeants. Il tente de récidiver en fin de B avec «Riders On The Storm», mais c’est «L.A. Woman» qui va t’envoûter définitivement. On note l’absence de Paul Rothchild qui a rendu son tablier. C’est Botnick qui produit. Jerry Sheff explique que Jimbo commençait sérieusement à se laisser aller, avec sa barbe et ses fringues - Il ne voulait pas être là, il voulait sortir du spotlight. Il était le mec le plus simple et le plus facile à fréquenter que j’ai connu - Pour Jac Holzman, L.A. Woman est un aboutissement - Leur premier album est l’un des meilleurs premiers albums de tous les temps, mais le dernier est tout simplement poignant. «Riders On The Storm» est parfait, c’est le totem de l’album. Just terrific. Cet album m’excitait. Je leur disais de ne plus rien changer. J’étais tellement soulagé d’entendre ça que j’en pleurais - Wall nous dit que le dernier cut qu’enregistra Jimbo fut «Riders On The Storm».

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    À part Pam, quatre femmes jouent un rôle capital dans la vie de Jimbo : Eve Babitz dont on peut lire les mémoires, Agnès Varda, Nico et Patricia Keannelly dont on peut aussi lire les mémoires. Eve Babitz fut photographiée à poil en train de jouer aux échecs par Marcel Duchamp. C’est elle qui organise la rencontre entre Zappa et Salvatore Dali et qui découvre Brett Easton Ellis. Jimbo reviendra toujours vers elle. Nico ? Elle s’est tapé tous les plus beaux mecs de son époque : Alain Delon dont elle a un fils (Ari), Brian Jones qui débarque avec elle chez Andy Warhol à New York, Lou Reed, Iggy, Jackson Browne, Tim Hardin, Bob Dylan et Jimbo. Surtout Jimbo, c’est une relation intense. Elle adore s’asseoir et se frotter le cul sur la bouche de Jimbo et bien sûr Jimbo adore l’enculer.

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    Mais il est surtout fasciné par la force mentale de cette femme née dans l’Allemagne nazie et découverte par Fellini. Jimbo trouve qu’elle est, de toutes celles qu’il a connues, la plus intelligente, la plus intéressante et la plus sophistiquée. Et Nico est folle de lui, au point de se teindre les cheveux en rouge, car Jimbo adore les shanties with red hair, comme Pam. Nico est tellement folle de lui qu’elle veut l’épouser, ce qui fait marrer Jimbo. Il se marre tellement qu’il en tombe du lit. Humiliée, Nico lui met son poing dans la gueule et paf, Jimbo lui rend la politesse. Ils prennent l’habitude de s’envoyer des tas dans la gueule, surtout quand ils sont défoncés. Et même en baisant. Nico a l’habitude, elle se battait déjà avec Brian Jones, d’où son œil au beurre noir. Nico disait qu’ils étaient «punch buddies» et qu’ils «enjoyed the sensation». Wall décrit l’une des ces soirées au Castle, l’hôtel où séjournent Nico et Jimbo. Ils baisent sur le balcon à la vue de tous, surtout ceux qui sont assis autour de la piscine, Dennis Hopper, Peter Fonda et Terry Southern, occupés à sniffer une montagne de dentist-quality coke tout en travaillant sur le scénario d’Easy Rider. En fait, ces trois-là prennent Jimbo pour un punk, car il porte un futal en cuir noir et il baise cette grosse salope d’Allemande qu’ils n’osent même pas approcher.

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    Quand Jimbo et Leon Barnard séjournent la première fois à Paris, ils s’installent à l’hôtel George V. Ils fréquentent Agnès Varda et son mari Jacques Demy, qui comme Jimbo se passionnent pour les arts, le cinéma et la vie. Demy est en train de tourner Peau d’Âne et Jimbo traîne sur le tournage, en bord de Loire, soulagé d’échapper au carnaval du rock - Strictly non-rock’n’roll company - Il fait aussi la connaissance de François Truffaut et comme il s’amuse bien et qu’il apprécie cette compagnie, il vide trois bouteilles de pinard à table. Quand il revient plus tard à Paris, il retourne voir Agnès Varda, rue Daguerre. Il s’entend bien avec elle car elle ne lui met pas la pression. Ils s’installent dans la cuisine pour grignoter un truc et Jimbo apprécie ces moments de répit. La nuit où on retrouve Jimbo dans la baignoire fatale, c’est Alain Ronay et Agnès Varda que Pam appelle. Agnès Varda arrive aussitôt et fait intervenir son médecin. Trop tard. Enfin bref.

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    L’autre dame de cœur de Jimbo est une new-yorkaise, Patricia Kennealy, une go-go dancer devenue redac chef de Jazz & Pop Magazine et qui dans Strange Days - My Life With And Without Jim Morrison raconte son mariage avec Jimbo, mais pas un mariage à l’église, attention, un mariage païen, ce qu’elle appelle a Celtic Pagan Ceremony, avec des invocations, des robes noires, des épées, du sang qu’on boit dans un calice, des fumées et de la dope. Wall prend la défense de Patricia qu’on a traité de tarée, alors que cette cérémonie païenne est en pleine cohérence avec le personnage de Jimbo qui concevait justement son show comme une cérémonie païenne - let the ceremony begin - Un Jimbo shaman qui voulait lancer une nouvelle religion, qui était plus cultivé que des gens deux fois plus âgés que lui, alors bien sûr il ne pouvait qu’apprécier un Celtic Pagan Wedding with a High Priestess. Ça faisait sens. Après la mort de Jimbo, Patricia va s’appeler Kennealy-Morrison. Elle est donc l’épouse officielle de Jimbo, roi lézard. Ce Celtic Pagan Wedding est même peut-être l’épisode le plus important de la vie de Jimbo, en tous les cas, Wall le met bien en valeur. Mais nous y reviendrons dans un Part Two.

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    Puis arrive l’épisode parisien. Jimbo adore Paris en été. La bohème, les bistros, Verlaine et Rimbaud, le vin et la poésie, les mangeurs d’opium et les buveurs d’absinthe, les putains et les intellos, tout ce bric-à-brac romantique le fascine. Il y retrouve aussi Pam et l’hero. Wall se marre bien avec la version officielle qu’on nous a servi pendant quarante ans : «Poor old Jim, retrouvé dans une baignoire par son épouse aimante, mort d’une crise cardiaque à l’âge de 27 ans - Pas un seul mot n’est vrai.» En fait Jimbo fut retrouvé mort sur le trône, comme son idole Elvis. Overdose. L’épisode s’est déroulé dans les gogues d’un club qui portait bien son nom, le Rock’n’Roll Circus, qui jouxtait l’Alcazar, et le corps de Jimbo fut transporté nuitamment jusqu’à l’appartement qu’il occupait avec Pamela rue Beautreillis, dans le Marais. Les deux transporteurs mirent Jimbo dans la baignoire et expliquèrent à Pamela ce qu’elle devait dire aux flics. Et c’est passé comme une lettre à la poste. Il est mort dans la baignoire. Une autre version beaucoup plus rigolote a circulé pendant un temps : des agents de la CIA auraient liquidé Jimbo qui représentait un danger pour le pouvoir américain. Merci en tous les cas à Mick Wall et Oliver Stone d’avoir su rendre hommage à Jim Morrison, l’un des plus grands artistes du XXe siècle.

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    Signé : Cazengler, the doortoir

    Doors. The Doors. Elektra 1967

    Doors. Strange Days. Elektra 1967

    Doors. Waiting For The Sun. Elektra 1968

    Doors. The Soft Parade. Elektra 1969

    Doors. Morrison Hotel. Elektra 1970

    Doors. Absolutely Live. Elektra 1970

    Doors. L.A. Woman. Elektra 1971

    Mick Wall. Love Becomes A Funeral Pyre. A Biography Of The Doors. Orion Books Ltd 2014

    Oliver Stone. The Doors. DVD 2011

    HOWARD

     

    I HEAR A SOUND

    ( Clip / Févier 2021 / YT )

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    Un clip de circonstance en le sens où Mallarmé entendait qu'à un niveau métaphysique tout acte poétique de création était de circonstance appelé à se dissoudre dans le néant de sa propre insignifiance, excepté peut-être à l'altitude, tout tient en ce ''peut-être'' qui sous-entend que l'on n'a rien sans rien. La première image affichée du clip avant même qu'il ne soit mis en branle est le reflet de cette vacuité. Elle est connue. Elle court sur les réseaux et les blogues d'artistes, un rideau de théâtre baissé devant un manipule de fauteuil rouges. Symbole du refus de cette culture, musicale, théâtrale, cinématographique que le gouvernement bâillonne depuis des mois. Rien de plus terrible que l'asphyxie économique. Méthode très efficace pour avancer les pions d'un tyrannie qui n'ose pas dire son nom, et qui se pavane sous les cache-sexes des mots santé et démocratie Il n'est pas bon que le mauvais peuple se divertisse, imaginez qu'il profite de cette liberté pour réfléchir, nul n'ignore que le développement de l'intelligence conduit à la révolte.

    Vous aimez les films d'action emplis de meurtres, de bagarres, de scènes de guerre, d'aventuriers sans scrupule, et d'héroïnes nues et galbées, il est inutile de visionner ce clip, d'abord on ne voit rien, ensuite il ne se passe rien, enfin il n'y a rien de rien. Attention par d'erreur, Howard et Delta Fuzz Electronic, ne sont pas des adeptes de Kasimir Malevitch, ils ne nous font pas le coup de l'enregistrement de la caméra qui filme un mur blanc, tout cela pour que vous preniez conscience que le média est plus important que la réalité du monde qu'il montre ou ne montre pas. Non, ils ne font pas dans l'avant-gardisme, rassurez-vous le clip foisonne de tas de trucs, vous avez même envie de dire trop c'est trop. Au début, c'est très beau ces fûts d'arbres élancés, très écologique, très développement durable, point de malotrus qui scient les troncs pour les revendre au prix fort, une bonne idée pour votre prochain weekend, une balade en pleine nature, quoi de plus hygiénique. Ça se gâte par la suite, du béton partout, des halls de gare, des centres commerciaux, des aéroports, des intérieurs de cafés, de salles de spectacles, de musées, de magasins, d'hôtels, des rues, des parkings, bref les décors quotidiens de notre modernité... Pas de quoi en faire un fromage râpé, et qui plus est un clip bougonnerez-vous ! Non je n'ai rien oublié, justement parce qu'il n' y a rien. Ni personne. Tout est vide. Tilt, un clip sur le confinement ! Les Howard veulent-ils nous pousser au suicide en nous montrant le monde vide qui nous entoure. Non, ils ne sont pas si méchants, vous ont mis le nez sur l'horrible révélation que tout un chacun a pu expérimenter par soi-même ces derniers mois. Ils ne sont pas cruels, nous ont gratifiés d'une bande-son. Ceux qui n'aiment pas le rock ne seront pas contents. Ultra-speed. C'est Morrison qui disait dans When the music is over, I hear a gentle sound, là c'est pareil, mais le son n'est pas gentil, vous arrive dessus à la vitesse d'une balle-traçante, et la voix du chanteur, c'est simple, elle pue le cimetière, elle vous provoque sur le champ une crise d'angoisse suicidaire, le mec perdu au milieu de nulle part qui se sent seul, imaginez-vous sur une île déserte sans un livre, sans un disque, sans rien, avec vous tout seul comme animal de compagnie, croyiez-vous que vous le supporteriez... Horace a bien dit que l'homme était un loup pour l'homme, mais dans certaines occasions vous aimeriez avoir au minimum un lupus mechantus carnivorus à vos côtés. Tout dépend des circonstances.

    Ce clip, très réussi tant au niveau du montage que musical, est un acte de résistance, à l'instar de tous ces comédiens et intermittents qui occupent les théâtres, et il nous agrée fort qu'un groupe de rock en soit le fer de lance !

    ( JM Canoville : guitars, vocals / Tom Karren : drums / Raphael Jandenand : organ, bass, synths )

     

    Du coup on est allé voir les réalisations antérieures d'Howard. On s'y attendait, on n'a pas été désappointés ! Trois de Paris, amateurs de fuzz et de stoner rock, un groupe qui bouscule...

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    HOWARD !

    ( Juin 2018 )

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    Une couve de Jo Riou Graphic Designer, spécialisé dans les pochettes stoner and doom, qui détonne dans le genre, on s'attendrait à des couleurs explosives, des images choc, que nenni un modeste paysage aux teintes qui réussissent l'exploit d'être en même temps crues et pâles, l'endroit idéal pour ne pas passer ses vacances, s'en dégage un fort sentiment d'inquiétude.

    JM Canoville : guitars, vocals / Tom Karren : drums, samples / Raphael Jandenand : organ, moog, bass

    Moan : pas besoin de tendre l'oreille pour entendre le gémissement, pas mal du tout pour un premier morceau, un bras de poulpe géant qui s'accroche à vous et vous emporte au fond de son antre pour vous dévorer à plaisir. Une guitare qui grésille, une batterie qui s'emballe et une allée de cyprès dessinée par un clavier, une voix qui a l'air de s'implorer elle-même et tout bascule dans une espèce de folie maîtrisée, Karren imperturbable sur ses caisses, et plus on avance plus on est séduit par ce qui va suivre, aucune idée d'où l'on va mais on se laisse happer par le courant. Evil : contredanse de guitare et ces maudits claviers qui glissent à la manière de patins à roulettes sur le bitume abîmé. Vous n'auriez jamais cru que le mal était aussi entraînant, le sourire du diable, toujours cette sensation de suivre sans se poser de question, la voix de Canoville qui virevolte, retour de guitares, tintement de cymbales et le grand méchant orgue ne fait qu'une bouchée de vous. Final surprenant. Vous a tranché la tête. Animism : c'est beau comme le jour de votre premièrement communion, goûtez la voix sereine du chantre JM Canoville, l'ensemble s'énerve par la suite mais l'on est dans une balade et sans s'apercevoir l'on s'élève dans les airs, de plus en plus haut propulsé par les coups de boutoir de la batterie, plus dure est la chute. Architect : une voix comme en dehors, ouatée de guitares, batterie amphionesque, le sorcier Jandenand mène le jeu, étire ses claviers à l'infini tandis que la voix semble s'échapper du gosier de Canoville, Karren ramène l'envolée au sol et la cloue à coups de merlin. Râle final.

    Que voulez-vous de plus, ils ont un son bien à eux, des compos aux structures personnelles et l'on ne s'ennuie jamais.

    OBSTACLE

    ( Mars 2020 )

    JM Canoville : guitars, vocals, lap steel / Tom Karren : drums / Raphael Jandenand : organ, moog, theremin

    Etait-ce un bon timing que de sortir un album le premier mois du premier confinement. Peut-être pas, mais la fortune sourit aux audacieux et rien ne sert de remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même.

    Pochette de Jean LeBreton et de JM Canoville, que représente-t-elle ? une éclipse solaire, un globe oculaire, la tache noire de Gérard de Nerval, ce qui irait bien avec l'origine lovecraftienne du nom du groupe, voire le simple O d'Obstacle.

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    Quicklime : un son nettement plus rock que sur le Extended Play, davantage dans les canons de l'ancien temps, une intro très Very Heavy, Very Humble, des poussées de fièvre comme un urticaire violent, un vocal dans sa première apparition qui flirte avec Zeppelin, sans être ridicule, et puis s'en éloigne, délaisse les aigus pour la gorge déployée, un beau solo de guitare mais sans surprise, un petit côté regardez ce que l'on sait faire mais pas du tout désagréable, si vous ne vous mesurez pas aux serpents, vous ne saurez jamais quand vous les dépasserez. Quelques sonnettes électroniques pour rappeler que l'on entamé le troisième millénaire et c'est fini. God is dead : fini l'animisme, ce coup-ci Dieu est mort, grand bien lui fasse, en voiture pour le titre nietzschéen, ça rebondit un peu comme le Rock'n'roll du Dirigeable, mais il est évident que les années cinquante ne les ont pas marqués au fer rouge dans leur chair, sont les fils des mid-sixties, avec une préférence pour les groupes avec orgue In Rock, les Doors mais pas les premiers Animals, un plaisir de les écouter, vous tuent le bon dieu à gros coups de marteaux et Raphaël fait du patin à glace sur sa longue barbe blanche. Void : normal, une fois que Dieu n'est plus, c'est le vide. Se dépêchent de le combler à grands coup de pelletées hammondiennes, JM bouche les trous avec sa voix, Tom tasse la terre sur le cadavre, une large rincée d'orgue pour que l'on ne puisse pas plus tard l'accuser de l'avoir laissé pourrir comme un chien à l'air libre. Pour un peu moins vous danseriez sur sa tombe en criant de joie. Des trois premiers morceaux c'est le plus abouti. Le plus fou. The path : ce n'est pas tout reste encore du chemin à faire, tapent un peu dans la démesure, se prennent pour le buisson ardent, avec des épines qui s'enfoncent profond dans votre corps, réussissent à ce que la fièvre monte plus haut à El Paso que sur le morceau précédent, sur un tempo plus bluezy. Gone : un peu l'air de Land of thousand dances sur l'entrée en matière, quand on tient un bon riff on ne le lâche jamais, loi numéro 2489 du rock'n'roll, nous ne sommes qu'à la moitié du morceau et voici qu'ils débutent une séquence encore plus échevelée avec cette guitare qui frémit et glapit comme le coyote solitaire dans la grande prairie, l'orgue prend le relais, on l'entend venir de loin, prépare l'explosion finale, mais non c'est Canoville au chant qui allume la mèche de la dynamite. Je ne vous décris pas le massacre final. Make up your mind : un peu plus de sophistication sur l'avant dernier, le vocal de Canoville ouvre ses ailes d'aigle pour forcer l'altitude et il s'engouffre dans le tourbillon instrumental qui l'entraîne dans les nuées porteuses de foudre, il n'en peut plus, l'air lui manque mais en un suprême effort il se se hisse sur le toit du monde et se laisse retomber sur la terre tout en bas, une pierre brûlante qui sera responsable de l'extinction des dinosaures. Features : this is the end, beautifull kr'tntreaders alors ils donnent toute l'énergie qu'il leur reste dans le ventre, respirent un peu pendant que l'orgue essuie leurs visages et se met à ruisseler comme une pluie de printemps sur la terre inculte, se retirent à reculons, peuvent être fiers d'eux. De la belle ouvrage. Colossal.

    Damie Chad.

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS / 1967

     

    Mutation, explosion, quel terme employer ? On nous a changé les Animals. Pas grave, les changements de personnel sont monnaie courante dans les entreprises, on nous a métamorphosé Eric Burdon, pas la personne, le bonhomme. Méconnaissable. N'est plus le même. En y réfléchissant le terme plus adéquat pour expliquer cette mue invraisemblable serait extension du domaine de la conscience. Ne pas confondre avec une cure psychanalytique où l'on ressort des placards les vieux cadavres oubliés qui sentent mauvais, non tout le contraire, s'agit de s'ouvrir au monde de se laisser envahir par ses multiples chatoyances, et partir en voyage, l'on ne sait trop où, en suivant quelques unes de ses franges versicolores. A la même époque Jim Morrison a décidé de laisser grandes-ouvertes les portes de la perception. C'est que les temps ont changé, Dylan l'avait prédit, mais les choses ne se réalisent jamais comme on l'entrevoyait.

    Il souffle un vent nouveau, le mouvement hippie a pris une envergure inégalée, la jeunesse est en demande d'une autre forme de vie, des horizons apparaissent, retour à la nature, consommation de psychotropes plus ou moins acidulés, envie de briser les cadres étriqués des représentations mentales, intérêt pour des spiritualités orientalisantes, et la musique est l'un des vecteurs déterminants qui accompagnent ces essais de dynamitage des sempiternelles structures dépassées, une chance lorsque l'on est soi-même un chanteur de blues et de rock, une occasion à ne pas laisser passer, Burdon a le privilège d'être l'ami de Jimi Hendrix, le musicien qui ne dit pas qu'il cherche du nouveau mais qu'il a déjà voyagé avec sa guitare en cette autre terre, en cet autre pays, et que tout le monde peut tenter l'expérience, le voyage est intérieur même s'il vous propulse loin...

    WINDS OF CHANGE

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    ( Octobre 1967 )

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    Ce n'est pas seulement un disque, une sorte de manifeste, et même d'auto-manifeste en le sens où Burdon, s'est beaucoup impliqué, c'est lui a réalisé la pochette, pas une photo qui cèderait au culte du moi, carrément un texte qu'il a composé et qui occupe toute la place : '' Le nouveau monde sera différent de l'ancien grâce de nouveaux trésors à dilapider, de nouvelles frontières à abolir, et beaucoup plus encore d'amour à donner. Doit-on accepter cette existence de peine et d'extase, il est facile de savoir que toutes deux gisent-là au creux de mon estomac et peuvent être allumées ou éteintes aussi facilement qu'un poste stéréo de télévision couleur. Je vous aime tous, et désire que vous tiriez quelque avantage de ces nouvelles sonorités autant que j'en obtins en écoutant mes idoles dans le passé. Vous-même si vous vous sentez seul, et perdu, malheureux et mécontent, sachez juste que je ( et ils sont nombreux comme moi ) vous aime, et peut-être vous saurez pourquoi je suis heureux, content et bien en mes baskets. Les jeux auxquels je joue sont pour la plupart des sentes d'amour, de mystère, d'émerveillement, s'il vous plait excusez mes sentiers de peur et de jalousie. Je ne suis seulement qu'un être humain après tout, et je reste un apprenti de la vie. Peut-être que la production suivante sera toute constituée de conduites d'amour, mais alors je serais dans un autre monde... '' excusez cette traduction hâtive et infidèlement interprétative qui ne respecte pas la simplicité des mots de Burdon. Pensez-en ce que vous voulez, ils sont révélateurs de toute une époque et pour ma part j'y ressens trop fortement une imprégnation de la mentalité américaine à mon goût trop entachée d'idéologie chrétienne.

    Donc Burdon a changé, mais avec cette nouvelle orientation, il joue collectif. Les morceaux portent la signature de chacun des membres de l'équipage. Ne se contente pas de donner le nom des nouveaux affiliés, sur la pochette intérieure les soumet tous, un par un, à une sorte de questionnaire proustien. Genre de jeu dont l'intérêt est me semble-t-il limité.

    Vic Briggs le guitariste n'est pas un novice. Big Jim Sullivan – alter ego de Jimmy Page dans les studios - lui apprend les secrets de la guitare, il a traversé de nombreux groupes et joué avec beaucoup de monde, derrière Jerry Lee Lewis avec les Echoes, a accompagné Dusty Springfield, a sessionné pour Johnny Hallyday, a été une pièce essentielle de Steampacket et de Brian Auger Trinity, a connu et côtoyé tous les grands noms de l'éclosion britannique, de Noël Redding à Rod Stewart, de Julie Driscoll à Eric Clapton, Hendrix a donné ses premiers concerts sur son propre matériel. Il ne restera que le temps de trois albums avec Eric Burdon, mais le mysticisme hippie dans lequel baigne cette deuxième mouture des Animals, n'a pas dû l'effrayer, plus tard il se convertira au sikhisme et par l'entremise de Ravi Shankar il s'adonnera aux harmonies de la musique religieuse hindoue... John Weird, ami de Vic Briggs, n'est pas spécialement manchot non plus, guitariste, bassiste et violoniste électrique, il restera dans la formation animale jusqu'à sa dissolution en 1968, après quoi il rejoindra Family qu'il quittera après ses deux premiers albums... Danny McCulloch tiendra la basse, il a joué avec Screamin' Lord Sutch, plus tard il déclarera qu'avoir rejoint les Animals aura été la plus grosse ânerie de sa vie ce qui ne l'aura pas empêché de participer à plusieurs formations parallèles des Animals...

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    Winds of change : timbre lugubre de Burdon, très bas, très lent, évocation des morts, passage de témoins, Burdon cite les grands noms du blues, du jazz du rock'n'roll – il en manque plein, ce n'est pas le plus important, ce qui importe au début c'est ce grincement de souris dont a piégé la sortie de son trou en y glissant des éclats de verre sur lesquels elle est incapable de se déplacer, le violon de Briggs, auquel se mêle le souffle du vent, tous ces génies disparus ne sont que feuilles mortes que le vent d'automne a emportées – l'influence de Shelley sur le texte est évidente – ne pleurons pas les nouvelles pousses sont là, des Papa's and Mama's à Ravi Shankar, termine sur la présente culmination hendrixienne. Tout est corruptible dirait Aristote, loi du renouveau, tout renaît et se transforme, le bruit du vent se métamorphose en le fracas des vagues de la mer et voici Poem by the sea : l'accompagnement musical devient plus sombre, Burdon chante il n'est qu'un animalcule minuscule face à l'immensité des forces tumultueuses de la nature, le violon de Briggs brûle et pousse des cris de souffrance dans ce tumulte – Tony Wilson a dû s'en inspirer lorsqu'il a enregistré le violon de John Cage sur Sister Ray de White heat, white light - une flamme qui s'épure sous sa propre torture, et se termine en un long solo de guitare que l'on croirait échappé d'une symphonie romantique... Paint it black : une montée chromatique en puissance, Jenkins et sa batterie inexorable, le violon qui se démembre, Burdon se démène et bientôt c'est parti pour un torrent de sonorités entrecoupées de passages à vides jenkinsiens, la plainte de la voix pratiquement seule, des vagues de basse, Budon chante comme s'il était devenu idiot, tout explose, le désespoir et la traversée des apparences, un jet de lave noire envahit le monde, ( je m'en souviens encore, il devrait être interdit de faire subir de telles émotions à un être humain, j'étais jeune, je rentrais du collège, j'avais encore des certitudes, exemple que personne au monde ne pourrait jamais égaler une splendeur telle que le Paint It Black des Rolling Stones, habituel premier geste de survie en arrivant à la maison j'avais poussé le bouton du transistor, deux ou trois chansonnettes, une série de pubs, et tout de suite après sans annonce, cet aérolithe noir descendu de l'espace interstellaire directement dans la cuisine, Odyssée De L'Espace 1967, directly live, un truc qui cassait les Kubricks en confettis... une folie ce Burdon qui osait s'attaquer à une montagne sacrée et qui vous la pulvérisait en grains de sable... c'est à ce moment que je réalisais modestement que je devais être un surhomme puisque j'avais survécu au feu atomique... mieux que les Stones, plus fort que les Stones, plus original que les Stones, le truc qui éStones et qui déStones... ) l'influence de River Deep, Mountain High, produit par Phil Spector est manifeste, Burdon l'enregistrera bientôt. The black plague : mauvais vent, celui de la peste noire qui ravagea l'Europe, orgue macabre, cloche funèbre et chants grégoriens, récité à la manière d'un poème, tintements insistants, grattements de cordes, cortèges funéraires, plus de musique, rien que la voix, chœurs grégoriens qui s'estompent, reste-t-il seulement des survivants, une ambiance à la Swinburne, question paroles l'on est entre l'apologue et le conte romantico-médiéval, entre Le Masque de la Mort Rouge d'Edgar Poe et Le Hussard sur le Toit ( première partie ) de Giono, l'on eût aimé un vocal plus appuyé, incidemment un des textes les plus politiques des Animals. Yes I am experienced : Are you experienced ? demandait Jimi Hendrix, Yes I am, répond Burdon, l'occasion de rendre hommage à son ami – généralement on attend que l'artiste soit mort, mais dans la vie il faut affirmer ses choix – une belle opportunité de montrer que les nouveaux Animals ne sont pas des gueilles, on ne peut pas vanter Hendrix sur un passo-doble miteux, le morceau est un festin pour les musicos, qui ne font pas l'erreur de fuzzer à mort, mieux vaut être soi qu'imiter un maître, Briggs s'en tire bien, davantage rock'n'roll que la profondeur bluezy de Jimi, la voix de Burdon survole le morceau, la face A se termine en apothéose.

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    San Francisco nights : au micro monsieur loyal vante les mérites de San Francisco, la ville des hippies, des beautiful peoples et de l'amour libre, l'ensemble démarre comme une ballade, un slow tout doux idéal pour flirter le samedi soir sur le bel organe d'Eric Burdon, une fleur empoisonnée, une cuillère de miel qui recouvre une atroce potion porteuse de mort, une atroce réalité celle de la présence de la guerre du Vietnam dans les têtes et les corps... à mettre en parallèle avec la fable à grand spectacle de la Black Plague, chanter à mots couverts est parfois plus angoissant que les grosses orchestrations mélodramatiques. Man – Woman : un morceau pour Jenkins, à part quelques miaulements cordiques des plus discrets il est le seul à battre la charge. Le mot love s'épanouissait dans chaque phrase que prononçaient les hippies. L'amour c'est sympathique, mais qu'est-ce qu'au juste ? Restez cool, Burdon ne va pas vous pondre un long laïus incompréhensible, vous fait le tour de la question, enfin c'est parler pour dire qu'il y va franco de port sans mettre de gants : une véritable scène de théâtre, plutôt du Labiche que du Racine, en plus il surjoue, il hurle, endosse la voix de tous les personnages, et nous plonge en plein boulevard, l'amour éternel, le couple qui se fissure, l'appel au secours aux copains, et le raccommodement sur l'oreiller, humain, très humain. Grattez les belles couleurs psychédéliques, la race des bipèdes est d'une couleur bien terne, mais il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Hotel hell : Briggs caresse sa guitare à l'espagnole, attention le taureau est blessé, il a le blues, toute la tristesse du monde et d'une vie ratée tombe sur vous, une trompette souligne la souffrance du héros, parfois la vie est un enfer... Good times : un peu la suite de la précédente, arabesques orchestratives, la voix de Burdon irradie le morceau surtout lorsqu'il reprend les intonations des premiers titres des first Animals, une belle mise en scène vocale, suffit qu'il appuie sur une syllabe pour que vous sentiez le scalpel du chirurgien qui tranche dans le vif de vos plaies intimes qui suppurent. Anything : une ballade qui semble sortie des poèmes de Kipling, genre de mélodie sur laquelle Burdon pose le serpent noir de sa voix, envolées instrumentales lyriques et violoniques comme un papillon qui défroisse ses ailes. It' all meat : le serpent se mord la queue, retour aux bluesmen, à toute cette viande saignante accrochée à l'os de la vie qui ne veut pas mourir, carrément rock'n'roll.

    Un album qui dégage un charme étrange, un peu versatile qui parvient à ce miracle de manger un peu à tous les râteliers tout en gardant une forte unité. On l'affuble souvent de l'adjectif psychédélique, peut-être l'expression ''dérangements climatiques'' lui conviendrait-il mieux, Burdon se cherche toujours mais parfois il se trouve, l'on ne sait lequel de ses deux états lui convient le mieux.

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    La profuse collection des singles des Animals a dû être confié à un épileptique compulsif, les titres sont accouplés de différentes manières, d'abord il faut savoir que les versions de Good times et de San Francisco nights sont légèrement différentes, rallongées de quelques secondes ce qui ne veut pas dire qu'elles soient meilleures, en fait tout dépend du support sur lequel on les écoute, le mieux à mon humble avis est de privilégier le vinyle... par contre il reste quatre morceaux qui n'ont pas trouvé de place sur le trente-trois tours et pas des moindres :

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    When I was young : un des morceaux les plus connus des Animals, une parfaite réussite, la profondeur sombre - comme la tombe où repose mon ami aurait dit Malcolm Lowry – de la voix de Burdon et le puzzle des très courtes séquences musicales aux colorations les plus diverses et les plus étranges, dont chaque fragment est aussi essentiel qu'une symphonie, forme un tout d'une cohérence infinie dédoublée par le fait que les paroles ne nomment jamais la désillusion de l'homme devenu adulte qui ne présente pas la jeunesse comme un âge édénique, mais comme le leurre fondateur de l'existence. A girl named Sandoz : il faudrait s'interroger sur la brièveté de la plupart des titres des Animals qui dépassent difficilement les trois minutes pour mieux la mettre en parallèle avec la richesse musicale des morceaux, de celui-ci par exemple, vous auriez besoin d'un ordinateur additif à votre cerveau pour mémoriser et séquencer la multitude de ces situations musicales éphémères que je comparerais à ces milliers de facettes hexagonales des yeux des abeilles qui lui permettent de pixeliser la réalité des choses, cette fille nommée Sandoz court du début à la fin du morceau si vous ne lui prêtez qu'une oreille grossière, mais si vous vous adonnez à une audition plus fine, vous avez l'impression que vous assistez à une suite sans fin d'engendrements sonores et d'éclosions sans cause comme autant de mystérieuses bulles d'eau qui s'en viennent crever à la surface des eaux semencielles... C'est en fait ce que Tony Wilson avait tenté de mettre en place sur l'album précédent Eric is here, lui a manqué sans doute la volonté cohésive d'un groupe. Quant à cette mystérieuse Sandoz qui est-elle au juste, une fille, un psychotrope, une vision de la vie considérée en tant qu'approche au travers de sa merveilleuse diversité de la mort... Gratefully dead : quand on parle du loup... l'on peut s'en tirer facilement en disant tiens un hommage au Gratefull Dead, un bon rock bien envoyé avec un Burdon survolté qui s'adjuge non pas la meilleure part mais la proie entière, ayons une parole de consolation pour les musicos qui assurent comme des bêtes, ne manquent pas d'à-propos et d'invention dans leurs interventions, vous mènent le train comme Alexandre la cavalerie à Arbelès, mais les lyrics sont comme les manoirs comportent plusieurs tours, certains souterrains descendent en des abysses ignorés, le texte présente d'étranges considérations philosophiques, un paradoxal panthéisme qui abolirait les frontières entre le monde des morts et des vivants, relisez Gérard de Nerval. Ain't that so : de la même veine que le précédent pour l'allant et l'énergie, le chant devant, Burdon au charbon, les musiciens au contact, ça déboise sec, une défense et illustration de l'identité freakienne, la revendication affirmée de vouloir être soi. Chœurs féminins, piano qui semble courir après son clavier, very speed.

    P. S. : pour ceux qui comme moi achètent parfois les yeux fermés, le coffret 2 CD's The Animals Singles+ BRMUSIC 85 81 1 262 ne contient pas les deux derniers titres, ci-dessus.

    THE LAST BUT NOT THE LEAST

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    You wanna be my dogs, la mauvaise habitude ces dernières semaines que j'ai eue de vous refiler un susucre à chaque fin de chronique animalière, alors en voici un, pas un truc tordu comme la dernière fois, non cinq titres des Animals au festival de Monterey Pop, le 16 juin 1967, vous le trouverez sur You Tube, sans les images : une très courte intro, et San Francisco Nights, Gin House Blues, Hey gyp et Paint it black, avant tout une superbe prestation de Burdon, l'en arrive à éclipser l'accompagnement et cette performance sur Gin House Blues où il parvient sans se départir de sa propre voix virile à retrouver les intonations de Bessie Smith, un travail d'orfèvre, Hey Gyp électrifié au violon électrique perd un peu de sa fougue originelle, mais si vous aimez les dérives psychédéliques prenez un aller sans retour, vous ne serez pas déçus, surtout que vous risquez de griller vos ultimes neurones en état de marche sur Paint it black qui vous en fera voir de toutes les couleurs.

    Damie Chad.

    XXV

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Un coup d'épaule suffit à jeter le portail vermoulu à terre. La lumière du jour dévoila un amoncellement hétéroclite de vieilleries, caisses, planches, ferrailles, pneus, objets indéterminés, vieilles revues, tissus disparates, nous restâmes quelques secondes interdits devant l'ampleur du bazar, Molossito fut le premier à s'enfoncer dans le capharnaüm, durant deux heures nous l'entendîmes farfouiller de tous côtés, de temps en temps il revenait triomphant, une ratignole morte au bout de la gueule qu'il déposait fièrement devant Molossa avant de repartir au triple galop se perdre dans ce magnifique terrain de jeu. Nous étions moins enthousiastes que lui, le Chef avait pris les opérations en mains :

      • On avance tous en lignes, nous sommes six et le hangar ne dépasse pas les quinze mètres de largeur, dès que quelqu'un prend un ou deux mètres de retard, on l'attend, il convient de ne pas disloquer le rang, les filles n'ayez pas peur, peu de chance pour que nous tombions nez à nez avec un réplicant, tout ce fatras sert à cacher une entrée secrète, elle peut être n'importe où. Inutile de crier à la moindre araignée !

    Molossa ne daigna pas nous aider, elle secoua dédaigneusement par deux fois la tête lorsqu'elle comprit ce que nous entreprenions, elle préféra se coucher sur le sol de terre battue, pas très loin de l'entrée, pour profiter des rayons du soleil !

      • Excellente initiative déclara le Chef, si par hasard des réplicants survenaient, elle sera aux premières loges pour donner l'alerte.

    Nos fouilles se révélèrent vaines, nous ne trouvâmes aucun indice susceptible de nous mettre sur la piste des Réplicants. Nous fîmes trois fois l'aller retour de cette remise nauséabonde qui empestait le moisi et l'urine de rat syphilitique. Mais rien, de rien. Vince arborait un visage sombre :

      • Ce n'est pas possible maugréait-il, si Eddie a disparu ici, c'est que les Réplicants n'étaient pas loin !

      • Peut-être l'entrée est-elle dans la grosse bâtisse, suggéra la Brunette

      • Non, je l'ai explorée vingt fois avec compteur Geiger et détecteur de métaux de la cave au grenier, je suis certain qu'il n'y rien !

      • Cherchons ailleurs dans la végétation du parc, proposa Charlotte

      • Essayons, admit Vince, mais je n'y crois pas !

    Dépités, et faute de mieux nous tirâmes les deux vantaux du portail, c'est-à ce moment-là que Molossa grogna pour manifester son mécontentement, elle n'était pas satisfaite de quitter son bain de soleil supposions-nous, mais lorsque je l'appelai elle fit la sourde oreille ! Je me fâchai :

      • Enfin Molossa, arrête de faire ta mauvaise tête, tu me fais honte !

      • Agent Chad, c'est tout le contraire, c'est elle qui s'en veut de posséder un maître si stupide ! Cela fait deux heures qu'elle nous indique l'endroit que nous cherchons et aucun de nous n'y a prêté attention ! Ces Réplicants sont très forts, ils ont manifestement lu La lettre volée d'Edgar Poe, si vous désirez cacher un objet quelconque, exposez-le en plein sous le nez de ceux qui le recherchent, nous sommes entrés et n'avons porté aucune attention à ces deux mètres carrés de terre nue, obnubilés que nous étions par l'immensité de ce magasin d'antiquités croupissantes sous la poussière amoncelée depuis des années, parmi lesquelles nous n'avons trouvé aucune trace de pas, ou de main, prenez des ferrailles et creusez-mois ce sol, au plus vite pendant ce temps je fumerai un Coronado, nous approchons du danger, cela demande concentration et réflexion !

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    A plus de quarante centimètres de profondeur apparut un large panneau de bois, quatre anneaux à ses quatre coins nous permirent de le déplacer, nous ne pûmes retenir notre surprise, un large escalier de pierres s'enfonçait dans les entrailles du sol.

      • Silence absolu, ordonna le Chef, Vince et l'agent Chad devant, les filles au milieu, je ferme la marche, Molossa et son fils en reconnaissance ! Nous avons quelques lampes dans notre matériel, mais les utiliser s'avèrerait dangereux, marchez la main sur l'épaule de celui qui vous précède ! En route ! N'oubliez jamais qu'il n'est pas de meilleure cause que de mourir pour le rock 'n' roll !

    Nous n'y voyions goutte mais notre progression dans l'obscurité totale, fut relativement aisée. A tour de rôle, Molossa et Molossito revenaient vers nous, la légère poussée d'une truffe au bas du pantalon avertissait Vince que nous pouvions avancer sans danger. Le sol était régulier, cimenté avec soin. Nous n'étions pas dans une cavité naturelle mais dans une galerie artificielle, aménagée par les Réplicants. Nous avançâmes ainsi sur plus d'un kilomètre, un frottement insistant de Molossa contre la jambe de Vince nous demanda de stopper. Nous nous immobilisâmes, Molossa grognait sourdement pour nous interdire d'avancer. Situation peu enviable dans cette pénombre et ce silence pensais-je. Sur mon épaule la main de Charlise s'appesantit. Elle se colla contre moi, je sentais ses cheveux contre ma chair érectile, ses lèvres se posèrent pour ma joue et recherchèrent mon oreille

      • Damie me souffla-telle, j'ai toujours eu une ouïe développée, il y a un bruit devant nous, je ne sais pas ce que c'est, il vient de loin, mais il grossit petit à petit, écoute bien.

    Elle avait raison, d'abord ce fut qu'une minuscule rumeur, mais elle ne cessa de s'amplifier, maintenant nous l'entendions tous, nous pouvions même parler à voix basse entre nous sans avoir peur d'être entendus.

      • Avançons, souffla le Chef.

    Nous n'avions pas fait dix mètres que Vince s'arrêta brutalement :

      • Une lueur devant nous !

    C'était vrai, une vague lumière rampante était maintenant perceptible sur le sol ! Mais la nouvelle annonce de Vince fut encore plus surprenante :

      • Notre galerie n'a plus de mur sur notre gauche – et pas sur notre droite non plus !

      • Droit devant ordonna le Chef !

    Nous progressâmes d'une vingtaine de mètres, le bruit devenait assourdissant, mais la lumière restait figée au ras du sol et demeurait toujours incertaine.

      • Aïe ! Ouille ! Je me suis cogné à je ne sais pas quoi ! s'exclama tout fort Vince

      • Revenez vers moi dit le Chef, j'ai compris, je vous explique, notre galerie débouche sur une fosse, c'est de celle-ci que provient le bruit et la lumière, elle doit être profonde puisque Vince s'est cogné à une rambarde de protection. Approchons-nous, regardons et avisons !

    Le spectacle était dantesque. Nous étions au-dessus d'une usine, un gigantesque atelier gisait dans une vaste arène à trente mètres de fond. D'énormes machines – je n'en avais jamais vu de semblables - émettaient un bruit continu. Autour d'elles s'agitait une foule de Réplicants, au bas mot, un demi-millier. Trop occupés par leur besogne, ils tournaient autour des machines et aucun n'avait l'idée de regarder vers le haut. De si bas pouvaient-ils seulement nous apercevoir sur ce qui maintenant nous apparaissait comme un chemin de ronde... Les filles tremblaient, ils sont au moins cent fois plus nombreux que nous pensaient-elles. Elles n'avaient pas tort, les nouvelles paroles de Vince ne les réconfortèrent pas !

      • J'ai pigé, c'est ici que les Réplicants se dupliquent, ces machines servent à produire des Réplicants, il faut les arrêter avant qu'ils ne deviennent trop nombreux !

      • Vince vous avez raison, nous sommes dans l'œuf du serpent, nous devons l'anéantir au plus vite !

      • Fuyons crièrent les filles, et prévenons la police !

      • Il y a beaucoup mieux à faire, dit le Chef, d'ailleurs je vais commencer par allumer un Coronado !

    ( A suivre... )