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  • CHRONIQUES DE POURPRE 706 : KR'TNT ! 706 : MORLOCKS / JERRY REED / SWELL MAPS / BOB STANLEY / ROBERT KNIGHT / ROCKABILLY GENERATION NEWS TELESTERION / DOORS / GENE VINCENT +CHRIS DARROW

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 706

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 10 / 2025

     

     

    MORLOCKS / JERRY REED / SWELL MAPS

    BOB STANLEY / ROBERT KNIGHT

     ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TELESTERION /  DOORS

        GENE VINCENT +  CHRIS DARROW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 706

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

    - À la vie à la Morlocks

    (Part Three)

             Après quelques années d’errance dans le désert, on finit généralement par perdre pas mal de choses : du poids, c’est évident, mais aussi sa fierté et ses complexes. L’avenir du rock n’échappe pas à la règle. Il se sent même tellement décomplexé qu’il se prête naturellement à quelques fantaisies : il donne libre cours à des fantasmes.

             — Et si la mort n’existait pas ?, énonce-t-il d’un ton jovial. 

             Délicieusement surpris par la clarté préraphaélite de sa logique, il ajoute :

             — Puisque je suis en vie, ça veut donc dire que la mort n’existe pas !

             Quelle fabuleuse évidence ! Il adore cette idée. Il l’alimente. Il la dorlote, il l’emmène partout avec lui, il en fait des slogans :

             — L’oisiveté est la mort de tous les vases !

             Il regorge tellement d’ingéniosité événementielle qu’il se met à chanter:

             — La mort qu’on voit danser le long des golfes clairs !

             Et puis un jour, alors qu’il traverse une immense étendue caillouteuse, il voit un nuage de poussière s’élever à l’horizon. C’est un chameau ! Il approche rapidement. Oh mais c’est Lawrence d’Arabie ! Encore lui ! Quelle erreur celui-là ! Il est encore pire que moi, se dit l’avenir du rock !

             — Alors Lawrence, pas encore mort ?

             — Pfff... La mort ne m’intéresse pas, puisqu’elle ne peut être vécue.

             — Suis d’accord avec vous Lawrence, la mort c’est de la merde !

             — Pire que ça, avenir du rock, c’est de la merde turque !

             — Arrrrgggghhhh, vous êtes vraiment un gros dégueulasse Lawrence ! Vous allez me faire gerber !

             — Bon c’est pas tout ça, avenir du rock, j’ai encore des trucs à faire. Salut, mec, à la prochaine !

             — À la vie à la Morlocks, Lawrence !

     

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             L’avenir du rock est assez fier d’avoir réussi à caler son petit slogan. Il n’a donc pas perdu toute sa fierté, comme on le supposait. Et de son côté, Leighton Koizumi n’a rien perdu de sa fantastique animalité. Il se dresse dans le paysage garage-punk comme un bloc de granit, il paraît indestructible, merveilleusement wild as fuck. Il

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    avoue sur scène atteindre la soixantaine, mais tout en lui dit le contraire, il reste notre screamer américain préféré, le dernier survivant d’une lignée qui remonte à Gerry Roslie et qui passe par John Schooley, Frank Black et Jimbo. Leighton Koizumi est le dernier roi du scream américain, de la même façon que Wild Billy

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    Childish est le dernier roi du scream anglais. Ce n’est pas le même genre de scream. L’anglais est assez pouilleux, assez délinquant, assez peau-sur-les-os, c’est le scream des kids qui fuck you, le scream des kids qui s’en battent les bollocks, le scream des kids qui ne craignent ni la mort ni le diable. Le scream américain est plus reptilien, plus démesuré, il fait appel à une notion inconnue en Europe qui est celle de la

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    frontière, le scream d’une vie qui ne tient plus qu’à un fil, mais d’une vie quand même, le scream des plaines qui s’étendent à l’infini, le scream des scalps et des chariots brûlés, le scream d’une vie culturelle qui n’existe pas, le scream d’une «nation» de colons bâtie sur la destruction des autochtones et l’esclavage, c’est aussi le scream du Vietnam, le scream d’une société maudite. C’est un scream hanté, le scream d’une violence endémique, et ce géant en perpétue la tradition avec une élégance stupéfiante. Si tu veux voir un showman à l’œuvre, c’est lui. Il est l’une des

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     plus pures incarnations d’un genre éculé par tant d’abus qu’on appelle le garage-punk. Sa presta est d’une pureté absolue. Le set des Morlocks est conforme aux canons. Il pleut des hommages : hommage à Robert Johnson avec un «Killing Foor» tapé au pilon des forges, un autre gros clin d’œil au 13th Floor avec «You Don’t Know» et surtout cette cover ultra-puissante du «Teenage Head» des Groovies, et là, oui, tu montes jusqu’à ton cher septième ciel. 

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             On voit régulièrement les Morlocks en France. La dernière fois, c’était à Toulouse, en 2020, et petit détail macabre, c’était le dernier concert de Gildas (Hello Gildas). Retourner voir les Morlocks sur scène, c’est donc une espèce de pèlerinage - Hello darkness my old friend - Bernadette est toujours là, Gildas le connaissait bien. Bernadette qui est un guitariste qui jouait dans un groupe de garage allemand, les Gee-Strings. Cox est là, elle aussi, au premier rang. Première rencontre à Binic en 2019, où elle faisait une petite interview de Gildas à la terrasse du Nerval pour son fanzine. Alors on renoue, et Gildas n’a jamais été aussi présent. C’est ce qu’on appelle communément une communion. Spirit in the sky.

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    Signé : Cazengler, la (mort) loque

    Morlocks. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 30 septembre 2025

     

     

    Rockabilly boogie

    - Jerry Reed n’a pas pris une ride

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             Dans ses liners pour The Rocking US Male, Roland Heintich Rumtreiber rappelle que la Georgie est le pays des grands guitar pickers, à commencer par Blind Willie McTell. Puis il va droit sur l’outstanding Jerry Reed. Né pauvre, Jerry chope sa première gratte à l’âge de 7 ans - I picked up the guitar at age seven and never put it down again - On appelle ça une vocation. Il devient vite the hottest picker in town, et Bill Lowery lance sa carrière à Atlanta. Puis il lui décroche un contrat chez Capitol. Lowery voit du potentiel dans le jeune Jerry et le pousse à composer.

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             Alors attention, on entre dans le cœur du mythe : Capitol et Ken Nelson. Ce nom ne te rappelle rien ? Ken Nelson ? Mais oui, le producteur de Gene Vincent. En 1956, à la fin d’une session chez Capitol, Ken Nelson demande à Jerry de composer un catchy tune pour son «rockabilly hopêful Gene Vincent». Jerry rentre au bercail et compose aussi sec  «Crazy Legs» que Gene et les Blue Caps enregistrent quatre jours plus tard.  Puis Jerry rejoint le backing band de Ric Cartey, the Jiv-A-Tones.

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             Jerry va ensuite s’installer à Nashville. Parmi ses admirateurs se trouve Chet Atkins. Ils vont devenir amis. Chet signe Jerry sur RCA en 1965 et veille sur la qualité des enregistrements. Jusqu’alors, personne n’a selon Chet su capter le vrai son de Jerry. C’est exactement ce qu’il entend faire en 1967 avec The Unbelievable Guitar And Voice Of Jerry Reed. C’est là que se trouve la pépite du diable, «Guitar Man» et son wild rockab drive. C’est d’une véracité à toute épreuve. Jamais un cut n’a aussi bien taillé la route. Sur le même album, on trouve «US Male» qu’Elvis va aussi reprendre. Heavy Jerry ! Superbe ! Il développe du génie pur. «Woman Shy» est aussi puissant. Jerry Reed est un wild cat in the deep. Il met encore du chant dans ton oreille avec «I Feel For You». C’est toujours ça de gagné. Ce mec Jerry te met dans sa poche, cut après cut. L’heavy groove infectueux ? Il a ça dans la peau, comme le montre «Take A Walk». Il reste l’un de ces fabuleux cats d’undergut dont le Deep South a le secret. Tu te régales encore de «Love Man» et de son claqué d’acou en travers. Il gratte «If I Promise» à l’espagnolade. Tu sors de ta torpeur et tu danses au bar de la plage avec les plantureuses de service. Jerry Reed est l’artiste complet par excellence : voix, poux, compos, tout est bon. 

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             Elvis est au volant quand il entend «Guitar Man» sur son auto-radio. Pouf, il veut l’enregistrer. Ce qu’il fait à Nashville en septembre 1967. Mais aucun de ses guitaristes ne réussit à choper le funky feel de la version originale. Même pas Scotty Moore. Alors un mec conseille à Elvis de faire venir Jerry Reed. Jerry débarque au Studio B de RCA. Quand on l’a prévenu, il était à la pêche depuis plusieurs jours et il n’a pas eu le temps de se changer. Il arrive en bottes crottées et en vrac. Elvis adore ça. Ils s’entendent tout de suite très bien et ils ne font que deux takes de «Guitar man». Quand les sbires du Colonel coincent Jerry pour lui demander de céder ses droits, Jerry les envoie sur les roses. Fuck you ! Comme l’a fait Chips.   

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             L’année suivante, il enregistre deux albums, Alabama Wild Man et Nashville Underground.  Le morceau titre d’Alabama t’envoie direct au tapis : forte présence vocale à la Jerry Lee. Son «Alabama Man» est monté sur la carcasse de «Guitar Man». C’est de bonne guerre. Il reste encore coincé dans son Guitar Man pour «Broken Heart Attack», petit tatapoum vite fait bien fait, et puis on tombe sur le coup de génie de l’album : «Free Born Man». Prestance à la Tony Joe White, mélange de Steve McQueen, de Chips Moman et de guitar genius. Il adresse ensuite un gros clin d’œil à Boyce & hart avec une cover de «Last Train To Clarksville», oh no no no. On trouve aussi une Beautiful Song sur cet album : «Losing Your Love», montée sur des arpèges atonaux. Une vraie merveille à la coule. Il combine encore tous ses talents sur «Maybe In Time» : big power et easy going.

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             Nashville Underground peut se targuer d’avoir l’une des plus belles pochettes de l’histoire du rock américain. Toujours cette sacrée présence vocale, mais Jerry Reed devient plus commercial. Petite pop, c’est vrai, mais belle voix. Plus aucune trace du wild cat. Nashville a fini par lui limer les dents. Bon la voix, bon le truc, bon le machin, mais zéro slap. Il revient s’inscrire à merveille dans le Guitar Man avec «Save Your Dreams», qu’il chante d’ailleurs avec une voix de rêve, sans doute par souci de cohérence. Il revient aussi à son cher heavy groove avec «Almost Crazy» et «You’ve Been Cryin’ Again». Il profite de «Tupelo Mississippi Flash» pour faire du gros rumble de Tupelo.

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             Sentant qu’il va virer country, on teste un dernier RCA : Better Things In Life. On espère y retrouve l’éclat de ses deux premiers albums sur RCA. Il est tout de suite là avec son mix de Tony Joe White, de vieux gratté et de lay my burden down. Il gratte ses petites conneries dans «Roving Gambler». Il passe un solo aux petits oignons dans «The Likes Of Me» et te gratte sa vision du blues dans «Blues Land» : superbe heavy blues jump ! Tu te prosternes. Il fait du story telling à la Tony Joe White dans le front porch de «Johnny Wants To Be A Star». Il joue bien sa carte vermoulue. Puis il refait son Elvis dans «Oh What A Woman» et tape un véritable numéro de surdoué avec «Swingin’ 69». C’est pour ça qu’on est là.

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    Glen + Jerry

             Puis dans les années 1970, Jerry va devenir un habitué du ‘Glen Campbell Goodtime Hour’ à la télé. Rumtreiber n’en finit plus de rappeler que Jerry est resté Jerry toute sa vie - What’s wrong with being happy? - Il jouait pour le fun, spontaneous and efforless, alors que les autres semblaient sérieux et concentrés. Jerry est toujours resté funky and soulful - He was a mean son of a gun, a rocker, and a damn hot picker - when you’re hot...

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             En 2022, Bear sort un 25 cm, The Rocking US Male. Tu t’attends à monts et merveilles. T’as effectivement le fameux «Guitar Man» qui avait bien tapé dans l’œil d’Elvis. Très intriguant, voilà «You Make It They Take It», un petit comedy rock à la Coasters, mais ça joue au pulsatif rockab. En B t’as encore cet «US Male» taillé sur mesure pour Elvis, mais le coup de Jarnac s’appelle «I’ve Had Enough» : pur rockab, slappé dans les règles, fabuleux shake de shook, Jerry boppe son blues. Diable comme ça swingue ! Chapeau bas aussi pour «Have Blues Will Travel» : Jerry gratte son riff raff comme un punk. Et puis, glissé dans la pochette avec le fat booklet, t’as un CD 25 titres qui reprend les cuts du 25 cm, bien sûr, mais t’as plein d’autres choses, notamment «The Great Big Empty Room», un heavy groove de rockab, il te tape ça sous le boisseau, avec le poids du slap et l’éclat du chant. Il chante encore comme un cake sur «Teardrop Street» et revient au heavy romp avec «Your Money Makes You Purly». C’est une merveille jouissive, avec ces chœurs de filles. T’es vraiment frappé par l’incroyable qualité des cuts, et ça continue avec «I Can’t Find The Worrds», un swing de balladif : il y claque le solo que passe Burlinson sur Train Kept A Rollin’. Et pour finir, Jerry le crack accompagne Ric Cartey sur deux cuts déments, «Heart Throb» (on se croirait chez les Cramps, Jerry gratte comme un punk et Ric sonne comme Lux, exactement le même son !) et «I Wancha To Know», un fast rockab d’excelsior, fouetté à la peau des fesses par un swinger fou. Et Jerry te claque l’un des solos de son siècle.  

    Signé : Cazengler, ridé

    Jerry Reed. The Unbelievable Guitar And Voice Of Jerry Reed. RCA Victor 1967

    Jerry Reed. Alabama Wild Man. RCA Victor 1968

    Jerry Reed. Nashville Underground. RCA Victor 1968

    Jerry Reed. Better Things In Life. RCA Victor 1969

    Jerry Reed. The Rocking US Male. Bear Family Records 2022

     

     

    Wizards & True Stars

     - Swell Maps on the map

     (Part Two)

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             Les Anglais saluent royalement la résurrection des Swell Maps : quatre pages dans Uncut, et deux dans Mojo. Tu crois rêver. Que nous vaut cette avalanche de pages merveilleuses ? La parution des John Peel Sessions !

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             Jim Wirth qualifie les Swell Maps de punky outsider artists. C’est beaucoup plus que ça. Les Swell Maps sont les chantres de la modernité du rock anglais, au même titre que Syd Barrett, Paul Vickers et Lawrence. Apparemment, Nikki Sudden avait une facilité à composer - I write songs like I drink a cup of coffee or read a book - I just do it - Et il ajoute ça qui en dit long sur ses mensurations : «I can’t see ourselves becoming too polished, note-perfect and all that.» Nikki est punk dans l’âme, c’est-à-dire just do it et no note-perfect. Wirth parle encore d’un chaotic mix of Can and T. Rex. Il rappelle ensuite qu’entre 1978 et 1980, les Swell Maps ont sorti deux albums et quatre non-album singles. Puis il passe aux influencés, parmi eux Sonic Youth (attirés par le filthy guitar sound), les Pastels (attirés par le rudimentary, free-form style, c’est-à-dire le dégingandé) et surtout Luke Haines au temps des Auteurs qui qualifiait des Swell Maps de «British Velvet Underground». Wirth qui est outrageusement bien documenté rappelle encore qu’au commencement, les Swell Maps ne juraient que par les Faust Tapes (their blueprint) et qu’ils ont expérimenté chez eux à Birmingham jusqu’à l’éclosion du post-punk DIY frenzy. John Peel va flasher sur le premier single, «Read About Seymour» (qu’on retrouve bien sûr dans la première Peel Session de 1978). Quand ils sont arrivés au studio de la BBC à Maida Vale en octobre 1978, les Swell Maps ont flippé quand ils ont vu que l’ingé-son portait un T-shirt ELO, mais ça s’est bien arrangé. Ouf !

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             John Dale attaque son hommage en citant les précurseurs des Swell Maps : Buzzcocks, Desperate Bicycles et Raincoats. Les Swell Maps se présentaient comme «a multi-headed hydra inhalating a galaxy dont les constellations comprennent les grooves hypnotiques de Can et de Faust et the minimalist pop poetry of Marc Bolan.» Dale dit évoque aussi the furious creativity of the Godfrey brothers, c’est-à-dire Nikki et Epic. Et Bolan remonte toujours à la surface. Nikki : «As Soon as I heard T.Rex, that was it.» Dale parle encore d’«out of control rock’n’roll action» et d’«hypnotic mesmerism». Il parle encore d’un groupe «barely in control of themselves». Puis il rend hommage à ce fantastique batteur qu’est l’Epic, «able to drive songs to their relented climax with fire, throwing in accents that lift the songs to their next level, pushing things ever forward.»

             Mais le groupe va exploser lors d’une tournée en Italie et donc à la veille d’une tournée américaine. Chacun va partir de son côté, «Nikki as a post Stones troubadour, Epic as a Wilson and Nyro devotee, Jowe as a peripatetic avant-popster.»

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             Dans l’interview qui suit, Jowe Head explique que les Swell Maps existent encore et qu’il a enregistré en 2021 un album, Polar Region, avec des cuts qui datent du first incarnation of the band. Alors, il les a développées. Howe indique en outre que le groupe était beaucoup trop créatif à l’époque. 

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             À l’époque du Trip To Marineville, t’étais déjà complètement effaré par la modernité des Swell Maps. Avec les John Peel Sessions qui viennent de paraître, c’est mille fois pire. Cette modernité te saute à la gorge, et franchement, tu adores ça. Tu ressens exactement ce que tu ressentais à l’époque où tu découvrais The Spotlight Kid, à l’époque où tu découvrais d’Angelo, à l’époque où tu découvrais  le Who Else de Jeff Beck, le Songs And Other Things de Tom Verlaine, et t’avais encore autant de modernité chez Junie, chez Huey Piano Smith, chez Mozart Estate, chez Big Joanie, dans le Five Legged Dog des Melvins, dans le Buy de James White, chez les Dawn Of The Replicants. Autant de modernité qu’il n’y en avait chez Tzara et Guillaume Apollinaire.

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             Ces John Peel Sessions dégoulinent littéralement de modernité. L’«International Rescue» enregistré en octobre 1978 grouille de vie. C’est du rock exubérant. «Harmony In Your Bathroom» sonne comme du punk rock aventureux. C’est Fantômas en Angleterre, de la même façon que Tav Falco est aujourd’hui Fantômas à Bangkok. Les Sweel Maps dégagent une énergie primitive. L’«Another Song» sonne comme le «Time’s Up» des Buzzcocks. Même son et mêmes chœurs ! Ils flirtent avec le Magic Band dans «Full Moon In My Pocket». C’est à la fois osé et balèze, c’est même indécent de modernité. Absolument essentiel !

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             En mai 1979, ils attaquent une deuxième Peel Session avec «Armadillo» et un son plus offensif. C’est nettement plus militaire. S’ensuit un «Vertical Slum» gratté sévère et sérieusement emporté de la bouche, c’est taillé à la serpe avec un sax free qui entre dans la danse. Tu vas continuer à rôtir dans l’enfer de la modernité avec «Midget Submarines». Nikki gratte ça au gras double de Kraut de bic et l’Epic te bat ça si sec. Quelle overdose d’overload ! Ils ont cette assurance dodelinante du beat Kraut, confiant et lourd comme un bœuf, et Nikki te groove ça avec tellement d’avance sur son époque.

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             La troisième Peel Session date de mars 1980. Elle est un peu moins dense. On retrouve un énorme beat anglais sur «Helicopter Spies». Leur son est plus libre. Ils règnent sans partage sur l’indie rock britannique.

    Signé : Cazengler, Swell Naze

    Swell Maps. The John Peel Sessions. The Grey Area 2025

    Jim Wirth : The lost boys. Mojo # 383 - October 2025

    John Dale : Swell Maps. Uncut # 343 - October 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Stanley your burden down

    (Part Four)

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             Motown ! On est au cœur de Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. PolyBob plonge dans Motown comme s’il plongeait dans le lagon d’argent. Plouf ! Il commence par dire que Motown a pris la suite du Brill et en a amplifié l’éclat. Puis il rappelle que les Beatles étaient dingues de Motown et qu’ils tapaient des covers des Miracles et des Marvelettes sur leur deuxième album. Motown, nous dit l’hyper-exubérant PolyBob, avait des mélodies qui passaient bien à la radio, aussi bien que celles des Beatles et des Beach Boys - The sound of young America. Its roster was obscenely rich in talent, and lurking unseen in the backroom was a rhythm section that was just about the best pop has ever seen, even now - Et quand tu ne t’y attends pas, PolyBob te fait un croche-patte au bas d’une page : «Yet Gordy built Motown one piece at a time, and it barely cost him a dime.» L’autre arme secrète de Motown, c’est bien sûr Holland/Dozier/Holland : 11 number ones pour les Supremes, pendant les sixties, «more than anyone except the Beatles». Gordy ne voulait pas créditer les musiciens sur les pochettes, parce qu’il voyait Motown comme une marque de qualité, comme General Motors - Si vous achetez une nouvelle voiture, disait-il, vous n’avez pas besoin de savoir qui a monté le carburateur - Le seul qui n’aime pas Motown, c’est Eric Burdon : il trouve que c’est de la Negro music blanchie - Motown is just too pretty for me - PolyBob se demande alors si Burdon a écouté l’«Heatwave» de Martha & The Vandellas. Il conclut en affirmant que Motown était là pour faire danser la young America - In this respect, nobody did it better.

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             Dans le chapitre ‘1966: the London look’, PolyBob épingle l’absence de Totor, qui s’est retiré du business après le flop inexplicable de «River Deep Mountain High». Il parle ici d’un homme qui avait fait «more than anyone to progress the sonic impact of pop.» En 1966, Londres est devenu le centre du monde, «and the Rolling Stones were its embodiment, the ultimate dandy pop stars for louche aristocrats to be seen with.» Cette année là, «Reach Out I’ll Be There» et «Good Vibrations» sont des number ones - In a way they were the ultimate number ones - Eh oui, il n’a pas tort, PolyBob, tu n’en as plus des masses, des number ones de ce niveau. Il fallait en profiter, à l’époque. Dans le même chapitre, il rend hommage à Frankie Valli et à son unearthly falsetto, et pour lui, le «Walk Like A Man» des Four Seasons est la plus parfaite incarnation de New York. Dans la foulée, il rend hommage à Bob Crewe qui a lancé les Four Seasons, et ensemble, ils ont créé ce que Crewe appelle «a fist of sound», «a harder counterpart to Brian Wilson and Phil Spector West Coast teen symphonies.» C’est du même niveau. Avec ces pages intenses, PolyBob ne fait que rappeler un truc de base : ne commets pas l’erreur de faire l’impasse sur les Four Seasons. Il profite d’ailleurs de ce crochet par Valli pour saluer Lou Christie qui vient tout juste de casser sa pipe en bois - He’s probably worth a book of his own - Et pour finir, PolyBob recommande l’écoute de Paint America Love. C’est grâce à l’une de ses compiles, State Of The Union (The American Dream In Crisis 1967-1973) qu’on a découvert cet album.

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             On reste à Londres en 1966 avec les Troggs et les Hollies. PolyBob se mare bien avec les Troggs, insinuant que Larry Page les trouvait tellement rudimentaires (so lacking in charisma and grace) qu’il rebaptisa le chanteur et le batteur avec les noms des two most stylish people he could think of - Elvis Presley and James Bond. Et toujours selon PolyBob, les Troggs n’auraient dû être qu’un one-shot band avec «Wild Thing» - But it turned out that Reg Presley was a decent songwriter who could capitalize on their limitations - Ils sont donc devenus les premiers poster boys, et les premiers alternative heroes dans une liste qui comprend Big Star, the Go-Betweens and Nick Drake. Et quand il rend hommage aux Hollies, PolyBob rend surtout hommage à Tony Hicks, «maybe British pop’s most underrated guitarist». Et pour situer les Who, PolyBob te sort ça : «Si les Hollies were the straightest, then the Who were the wildest.» Et puis bien sûr les Kinks, et cet hommage vibrant à Ray Davies : «His incisive satire made him the Wyndham Lewis of his day.»  

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             Il tape à nouveau dans le dur avec les Beach Boys. Hommage spectaculaire à l’autre géant de la pop américaine, avec Totor, Brian Wilson, qui «grew up with younger brothers Dennis and baby Carl in Hawthorne, California. Along with cousin Mike Love, they sang harmonies around the kitchen table.» Voilà le génie de PolyBob, il nous restitue les racines d’un mythe dans le quotidien d’une famille californienne. Plus loin, il explique que les Beach Boys ont recyclé le sonic thunder de «Wipe Out» et de «Pipeline», et ajouté dans le mix the Four Freshmen-styled harmonies they had sung since childhood, et nous dit PolyBob, «ça aurait pu sonner creux (a bit daft), a one-off novelty at best, but instead this combination came over as the promise of a never-ending summer.» Quand tu lis ça, tu l’as dans le baba. Ses petites formules tapent chaque fois en plein dans l’œil du cyclope. PolyBob formule merveilleusement bien les choses du rock. On sent le fan en lui. Le fan qui sait dire les choses comme il faut les dire. On en croise pas des masses dans la vie, des fans comme PolyBob. Il revient inlassablement à son cher Brian Wilson, un homme qui reste mélancolique, bien qu’étant le leader du biggest pop group in America et qui n’a alors que 23 ans - Sometimes I feel very sad - et quand il se met à expérimenter avec Pet Sounds, le cousin Mike Love l’avertit sèchement : «Don’t fuck with the formula.» Brian, nous dit encore PolyBob, aurait bien aimé continuer à chanter les Four Freshmen sur sa little Honda, mais la pression de la famille et de la record company, combinée aux fioles de LSD, l’ont vite envoyé valdinguer par-dessus bord (eventually tipped him over the edge). Puis Brian annule la participation des Beach Boys à Monterey, il arrête Smile et fait comme Totor, il se retire. Alors les Beach Boys font paraître ce que PolyBob qualifie d’«emasculated Smiley Smile». À l’époque, on avait tout de même l’impression que Smiley Smile n’était pas si emasculted. Enfin, puisque PolyBob le dit...  Puis vient le temps des règlements de comptes : «Dennis and Carl were dead and Mike Love - for his part in the collapse of the Beach Boys - was possibly the most reviled person in all of pop.» Brian refait surface avec l’aide des Wondermints et joue Smile sur scène. Et PolyBob refait son messianique : «Crawdaddy’s Paul Williams encapsulated the feel of the Beach Boys music in three words: warmness, serenity, friendship. For this reason, there is more love directed at Brian Wilson than anyone else in this book.» C’est une phrase qu’on relit plusieurs fois car sa résonance est réelle. PolyBob dit ce qu’on aurait aimé dire avant lui. Grâce à lui, on sait maintenant dire pourquoi on aime Brian Wilson à la folie.

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             Puis notre inépuisable PolyBob file droit sur San Francisco et Los Angeles, et on croise dans ces pages touffues le mixed-race hardnut Arthur Lee, qui, au temps de l’early Love, vivait en communauté dans l’ancienne maison de Bela Lugosi qu’on appelait the Castle. Un Arthur Lee who modelled his vocals on crooner Johnny Mathis. Et puis on finit par tomber sur un premier point de désaccord. PolyBob prétend en effet qu’après la désintégration de Love en 1968, «Lee’s subsequent career was rarely more than disappointing», ce qui est complètement faux, puisque Four Sail reste pour nous le meilleur album de Love. C’est la première fois qu’on surprend PolyBob en flagrant délit de faute de goût. Alors, on décide de le surveiller de plus près. Même un messie mérite une tarte dans la gueule.

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             Bizarrement, à la page suivante, PolyBob refait un faux pas en évoquant Syd Barrett : il affirme que Syd voulait être une pop star, alors que dans A Very Irregular Head, Syd affirme exactement le contraire. Il ne voulait surtout pas devenir une pop star. Syd n’était pas un mec vulgaire. On passe aussi sec à Jimi Hendrix et à la formation miraculeuse de l’Experience  - They gelled like no trio before or since - Et Jimi devient le A-grade showman que l’on sait, «he claimed to be from Mars, dressed outrageously, was both boyishly and sexual as hell.»

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             Dans son chapitre ‘Soft rock’, PolyBob évoque les Mamas & The Papas et leur cover du «Dedicated To The One I Love» des Five Royales - the sexiest lullaby you ever heard - Puis il rend hommage à Nilsson : quand on demandait aux Beatles quel était leur artiste américain favori, ils répondaient Nilsson. Et PolyBob se fend d’une délicieuse anecdote : «Un lundi matin, à 7 h, Nilsson reçoit un coup de fil. ‘Is that Harry?’ This is John.’ ‘John who?» ‘John Lennon.’» Lennon l’appelle pour le féliciter et lui dire que son album est fantastique. Le lundi suivant, à 7 h du matin, il reçoit un autre appel : McCartney, qui lui dit la même chose. Alors le lundi suivant, Nilsson se lève de bonne heure et attend le coup de fil de Ringo, mais Ringo n’a jamais appelé.

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             On reste chez les géants avec Burt et Dionne Warwick que PolyBob décrit comme une «improbable-looking woman with a jutting jaw, Martian hair, and wide, oval eyes that conveyed no emotion whatsoever.» En parlant d’elle comme ça, il frôle le blasphème. Elle était donc, nous dit PolyBob, «the perfect foil for Bacharach’s ever more odly constructed songs, with their staccato thrills and cool, clipped, offbeat rhythms.» Et il conclut sur ça qui vaut encore le détour : «Bacharach-produced Dionne Warwick albums were an essential component of any sixties apartment.» Quand il saura composer des cuts comme ceux Burt, on l’autorisera à ricaner sur le dos de Burt. En attendant, c’est loin, très loin d’être le cas.

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             PolyBob glisse logiquement sur Scott Walker et sa «combination of florid woe and art-house angst.» Il rappelle au passage que Gary Leeds avait été le drummer des Standells. Il rappelle aussi que les covers que fit Scott Walker de Jacques Brel sont emotionally bettered by no one - Walker abandonned himself in hymnal orchestral pop - tout au long de ses «five starling solo albums between 1967 and 1970.» PolyBob passe ensuite tout naturellement à Jimmy Webb qui avec «By The Time I Get To Phoenix», devient soudainement «the biggest thing since Lennon & McCartney». Mais le pire est à venir avec «MacArthur Park», en 1968, «the longest single that had ever reached the American Top 10 - It was an elaborate mansion of a song, with doors opening onto a new room full of inexpected treasures every thrity seconds or so.» Mais les hippies, croasse encore PolyBob, ne pigent rien au «someone left the cake in the rain».

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             Dans la foulée, il nous rappelle que Dave Godin a inventé la Deep Soul. Northen Soul, c’est encore lui - He was gentle and private, and found he got the most pleasure from music when it was slow and fervent - PolyBob cite quelques cuts de Deep Soul (George Perkins’s «Cryin’ In The Streets», Timmy Willis’s «Easy As Saying 1-2-3», Doris Allen’s «A Shell Of A Woman», et une dizaine d’autres) avant de conclure ainsi : «Hear Betty Harris’s ‘What Did I Do Wrong’ or Irma Thomas’s ‘Wish Someone Would Care’ and you can understand why people like Dave Godin devoted their lives to it.»   

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             Creedence ! PolyBob est fasciné par le «run of tight, loud, instant classic hit singles, something almost no one else managed in those years.» En 1969, ils étaient «America’s hottest act» et en tête d’affiche de Woodstock, manque de pot, ils passèrent après le Grateful Dead qui terminèrent leur set à 3 h du matin, et les gens dormaient. Puis les deux frères Fogerty vont se fâcher et ne s’adresseront plus jamais la parole. Dans le chapitre suivant, PolyBob attaque les Monkees - The Monkees are one of pop’s greatest conundrums - c’est-à-dire l’une des plus grosses énigmes. PolyBob prétend qu’ils ont détrôné les Mamas & The Papas et déstabilisé Brian Wilson : il exagère un peu. Les Monkees n’étaient pas aussi bons qu’il veut nous le faire croire. Écoute les albums et tu verras. Il y a à boire et à manger. PolyBob prétend aussi qu’il y a du Dada dans la série TV qu’ils tournent avec Bob  Rafelson : encore de l’exagération. La série n’est pas si bonne, même si John Lennon prétend que ce sont le nouveaux Marx Brothers. En fait, les Monkees sont bons tant que Don Kirshner, Boyce & Hart sont dans les parages. Kirshner veut battre les Beatles à la course et il rameute toutes les stars : Goffin & King, Mann & Weil, Carole Bayer, David Gates, Russ Titelman, puis t’as les cracks locaux en studio : James Burton & Glen Campbell, Al Casey en bass, Larry Knetchel on piano, Hal Blaine au beurre. Ça ne peut que marcher - It was the whole Spector wrecking crew - Et boom, «Last Train To Clarksville» déloge «96 Tears» de la tête des charts. Les Monkees sont mignons et remplacent dans le cœur des kids américains les Beatles qui portent alors la barbe. Ils deviennent le new pop phenomenon. Quand ça commence à grogner chez les Monkees, Don Kirshner débarque de New York avec un chèque d’«a quarter-million dollar for each Monkee». Ça va les calmer, pense-t-il. Au contraire. Ils veulent enregistrer leurs propres chansons, et quand l’avocat de Kirshner leur dit qu’ils ont signé un contrat, Mike Neshmith défonce un mur en placo d’un seul coup de poing et dit à l’avocat «in his best Clint Eastwood voice» : «That could’ve been your face.» C’est là que les choses vont se gâter pour les Monkees : ils perdent les compos. Seul Nesmith s’en sortira plus tard avec sa carrière solo et des albums magiques.

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             Nous voilà en 1970. Rod the Mod est arrivé en Californie. Greil Marcus l’épingle : «Rarely has a singer had a full and unique talent as Rod Stewart. Rarely has anyone betrayed his talent so completely». Eh oui, on n’a jamais pardonné à Rod The Mode d’avoir enregistré ses albums pourris. PolyBob est assez cruel sur ce coup-là : «Que peut-on attendre d’un working-class kid qui a grandi à Archway Road et qui s’est installé en Californie, qui dîne au champagne et qui savoure les grappes de raisin que lui proposent des blondes nubiles. C’est vrai qu’il a trahi son talent, mais il n’a pas trahi ses racines.»

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             Dans son chapitre ‘Electric Soul’, Polybob rend hommage à Sly et à George Clinton - Sly & the Family Stone were the most goodtime groupe since the Lovin’ Spoonful. Their spirit was irresistible - En un an, ils ont transformé la Soul music. «How ? it’s all there in their first hit ‘Dance To The Music’ : thumping fuzz bass, doo-wop harmonies, propellant drums, topped off with a Minnie The Minx yell of ‘all squares go home!’. En trois minutes, chaque chanteur et chaque instrument get their moment in the spotlight, it had the feel of a Sunday-school riot, the same giddy spontaneity as ‘Be-Bop-A-Lula’, with the random, exultant shouts.» PolyBob a l’air de jerker quand il écrit ça. Et ils se marre, se demandant si Sly s’est posé la question : pourquoi personne n’avait pensé à cette formule avant lui : «He took the live excitment of the Stax soul revue, grafted on James Brown’s functional, rhythm-as-a-pure-state funk and mixed in the heightened airs of psychedelia (The Family Stone were from San Francisco, after all).» On sent nettement l’exubérance jouissive dans les propos de PolyBob. Et il enchaîne aussi sec : «Sly Stone, brother Freddie, sister Rose, teenage Italian American drummer Greg Errico, slap-pop bass pionneer Larry Graham, Motown-loving saxophonist Jerry Martini, and a Californian forest fire of a trumpet player called Cynthia Robinson went from mere stars to superstars at Woodstock in ‘69.» PolyBob compare aussi There’s A Riot Goin’ On aux singles que Norman Whitfield a produits pour les Temptations. Dans la foulée de Sly, voilà Funkadelic et leur message messianique : «Free your mind and your ass will follow.» Des Funka qui font des «loud progressive and polyrhythmic jams that owed as much to Jimi Hendrix as they did to James Brown.» PolyBob arrache Ruth Copeland à l’oubli, en rappelant que les Funka accompagnaient cette belle blanche sur scène en 1971 et qu’elle a enregistré deux astonishing albums, Self Portrait et I Am What I Am. Tout cela nous conduit naturellement aux Isley Brothers qui font entrer Brother Ernie dans le groupe en 1973 pour virer psyché - The atmosphere on their ‘73 album 3 +3 was not unlike Jimi Hendrix guesting on What’s Going On.

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             Le glam ? It came from the suburbs, rappelle PolyBob. C’est Chelita, la femme de Tony Secunda, qui emmène le jeune Marc Bolan s’acheter des boas et des fringues sexy. Puis devenu superstar, Bolan va se détériorer. Dans Born To Boogie, il se prend, nous dit PolyBob, pour Jimi Hendrix sur scène alors qu’il n’en a pas les moyens - he ended up looking rather brattish - Puis il se mit à se nourrir de coke et de champagne - Bolan ballooned. By the time 1973’s Tanx came out, he looked more Elvis than elfin.

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             Plus anecdotique : en 1970, de passage à New York, Bowie rend visite à Andy Warhol. Pour se présenter, Bowie fait un numéro de mime. Warhol qui n’est pas impressionné se tourne vers son assistant et demande : «Should we laugh?». Ce qui n’empêchera Bowie de rendre hommage à Warhol sur Hunky Dory, un album, nous dit PolyBob, bourré de chansons extraordinaires - «The Bewlay Brothers» was terrifying - Puis il décide de bâtir sa musique autour d’une image et non d’un son et d’influences : il crée an alter ego, the sci-fi rocker Ziggy Stardust - which enabled him to become a star before he had more than a handful for fans - Ce genre de phrase se savoure, tant elle est paraît délicieuse. PolyBob fait ici du mimétisme artistique. Il écrit comme écrirait Ziggy. Ziggy ouvre donc la porte, et Roxy s’engouffre - They were very much British art-school - Roxy apprend tout de Richard Hamilton, avec un Bryan Ferry qui ressemble à un «coke fiend from an F. Scott Fitzgerald novella, which was entirely the idea.» Eno quitte Roxy en 1973, «as it became clear that Ferry was running the show». C’est ce qu’on n’aime pas chez le Ferry, cette main-mise sur Roxy. Puis PolyBob va faire un nouveau faux pas, affirmant qu’après le départ d’Eno, «Roxy just got better: their two first albums revealed a little too much of their art training and Eno’s departure led to a finer, more unified sound». C’est exactement le contraire qui s’est produit : après les deux premiers albums, Roxy est devenu plus commercial et s’est mis à puer. Une horreur. Bizarre que PolyBob qui a pourtant le nez fin n’ait pas été incommodé par cette horrible puanteur. Avalon ! 

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             Il boucle son chapitre glam avec Slade et Mott. Pour lui, c’est du gâtö - Dickensian singer Noddy Holder had a voice like John Lennon screaming down the chimney of an ocean liner - il les décrit un par un, «Dave Hill on guitar had the most rabbity face in the world» (il fait référence aux dents de lapin) et Don Powel mâchait son chewing gum et fixait l’espace en battant le beurre, et même après un terrible accident de voiture où il avait perdu la mémoire, he looked exactly the same, et puis Jim Lea qui avait l’air de vivre chez sa mère et d’élever des pigeons. Eh oui, Slade c’est pas de la tarte, t’as les looks et t’as les cuts, et, encore une cerise, Chas Chandler comme manager. Mais comme T. Rex, ils ne parviennent pas à percer aux États-Unis. Alors en 1976, ils sortent un album appelé Whatever Happened To Slade? - It seemed that nobody knew - Et puis Mott, «a pleasant enough band without suggesting they’d ever catch fire.» Bowie les supplie de ne pas splitter. Alors Ian Hunter, nous dit PolyBob, se marre : «Give us a hit  and we’ll think about it, Dave.» Bowie leur file «All The Young Dudes» - It was the equivalent of Brian Wilson giving Jan & Dean «Surf City» - Et PolyBob se moque de Mott : «They self-mythologized to a ridiculous degree. Giving themselves nicknames like rock’n’roll action heroes - Overend Watts, Ariel bender - They aimed for the sky and they hit the pub ceiling - C’est d’une rare cruauté. PolyBob n’aime pas Mott et les traîne dans la boue. Troisième faux pas. Alors qu’ils enregistrent des classiques impérissables - And just when it was about to get boring, just as glam had run its course, they split en 1975 - C’est faux, PolyBob ! Hunter est allé faire carrière aux États-Unis, abandonnant ses copains comme des vieilles chaussettes. Même histoire que Steve Marriott avec les Small Faces. Comme Bowie l’avait prédit, le glam a duré 5 ans - Glam was constantly aware of its mortality and that is what made it enjoyable.

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             On passe directement à la Philly Soul, à Thom Bell et son «Beat concerto» sound. Delfonics («America N°1 sophisticated soul group»), Stylistics (whose singer Russell Thompkins Jr. had an extraordinary falsetto and a look of guenine surprise whenever he hit the high notes), les chansons «sounded impossibly lush and heartbreakingly pure, richer than anything that had gone before.» Voilà Gamble & Huff qui comme Thom Bell viennent d’un Cameo Parkway house band called the Romeos. Ils vont tous les trois apprendre à produire the definitive Philadelphia sound. Les superstars du Philly Sound sont les O’Jays, et la réponse de Gamble & Huff à Motown furent les Three Degrees. Sur la West Coast, Barry White va ramasser trois girls et les baptiser Love Unlimited. «Walking In The Rain With The One I Love» was a masterpiece.

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             PolyBob passe sans ciller au «ridiculously talented» Todd Rundgren. Hommage à l’un des albums phares de la grande époque, A Wizard A True Star. Il tape plus loin un chapitre entier sur Abba et salue ces deux mecs, Ulvaneus et Anderson, qui dans leur cabane de rondins suédoise, composent en six ans une série de chansons «which were the best planned, best edited, most hook-filled, polished, economically tight hits of their era - maybe of any era.»

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             On évoquait les ceusses qui laissaient tomber leurs meilleurs potes comme de vieilles chaussettes : en voilà un autre, Graham Nash, qui vaut pas plus cher et qui non seulement abandonna ses potes, mais aussi sa femme et ses kids à Manchester pour aller vivre la belle vie en Californie et baiser la copine de Croz, Joni Mitchell. Puis PolyBob s’occupe du cas de Neil Young. Il épingle deux cuts qu’il aime bien, «Like A Hurricane» et «Albuquerque». Dans la série des hommages qui tapent à l’œil, voici celui qu’il rend à Alex Chiton qui, avec Big Star, inventa la power pop, «using sharp Who edges and bright Beatles harmonies on 1974’s Radio City.»

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             Il se montre une fois de plus ambigu sur le cas du MC5, on peut même dire qu’il se grille quand il écrit sur «Kick Out The Jams», «one of pop’s great titles, proved to be a noise in search of a tune. People wanted them to be great, but they spluttered and died.» C’est pas très gentil d’écrire un truc pareil sur un groupe aussi vital que le MC5. C’est vrai que Saint Etienne n’a jamais kické les jams. C’est tout de même assez drôle : on autorise les auteurs à dorloter certains de nos chouchous mais on ne supporte pas qu’ils esquintent la réputation des chouchous les plus importants. Qui est-il ce PolyBob pour oser juger des groupes comme Love, Roxy ou le MC5 ?

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             Par contre il se rattrape avec les Stooges, qualifiant leurs deux premiers albums de «refreshing and influential, first to David Bowie («Rebel Rebel» is essentially a Stooges knock-off) then in punk (the Sex Pistols covered «No Fun»), and then dozens of acolytes in the eighties.» Il passe de là tout naturellement au Velvet - Reed and Cale had somehow created a noise so brand new that it tore a hole in pop’s natural state of progression, so sharp and freakish and heart-piercing that it makes me burst out laughing every time I hear it - PolyBob rappelle qu’au temps du Velvet, en 1967, «A Whiter Shade Of Pale» et «All You Need Is Love» étaient en tête des charts. Puis petit coup de projecteur sur les Ramones qui cherchaient à condenser «les hits des Beach Boys, de Phil Spector, et des Shangri-Las into recidivist ninety-second bursts with antagonistic titles.»

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             Puis c’est l’épisode punk, avec «Anarchy In The UK» qui «had some of the best lyrics in pop.» Et bien sûr PolyBob ne rate pas l’occasion qui s’offre à lui de traiter Sid Vicious de caricature. Puis c’est la débâcle de la tournée américaine - At a gig in Dallas, Sid was headbutted but carried on playing, blood pouring down his face like a badge of honor. «Look at that», sighed Rotten, «a living circus.» - Quand Rotten quitte le groupe, à la fin de la tournée américaine, «all of pop waited his next move, as it had done with the post-army Elvis and the post-crash Dylan. Listen to Johnny. Johnny Rotten will know what to do.» Et bien sûr, «Public Image» sounded like the future. PolyBob lui rend fantastiquement hommage, indiquant qu’il a fallu dix ans aux groupes anglais «to make guitar sound as intangibly and emotionally unsettling.» Ouais il cite ce «beautiful manifesto» de John Lydon : «I’m not the same as when I began. I will not be treated as property.» Et PolyBob d’ajouter : «Some days, I think «Public Image» is the most powerful record ever made.»

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             Dans son chapitre New Wave, il se fout bien de la gueule de Costello qui «wrote pun-packed songs while singing as if he was standing in a fridge.» Puis il cite brièvement Joe Jackson, «a caricature of a caricature» qui «barked like a pissed-up accountant». Comme Léon Bloy, PolyBob peut sortir la hache et frapper dans le tas. S’ensuivent les chapitres Disco et Bee Gees, et bien sûr il n’en finit plus de chanter les louanges de Robin Gibb qui n’a que 19 ans quand il dirige un orchestre de 97 musiciens et un chœur de 60 personnes pour enregistrer «In Heaven And Back». Il conclut son chapitre Bee Gees ainsi : «They wrote a dozen of the finest songs of the twentielth century. The Bee Gees were children of the world.»

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             Il sort hagard de son chapitre et enquille avec le Post-punk, c’est-à-dire la Post, comme le disait Gildas (Hello Gildas). PolyBob profite de la Post pour rendre hommage à Peely qui sur Radio 1 devint «a teenage hero». Et bien sûr, le chouchou de Peely, c’est Mark E. Smith & The Fall - Their truculent leader Mark E. Smith combined love of M. R. James ghost stories, Wyndham Lewis Vorticist manifesto and an anti-fashion stance - flares, tank tops, cheap beer and fags. Smith was witty, bloody-minded, and had little time for any music beyond Can, Lou Reed and sixties garage punk - Ce n’est pas un hommage aussi percutant que celui rendu à John Lydon, mais c’est bien qu’il ait associé ces deux héros dans la même page, Peely et Mark E. Smith. Pour saluer l’after-punk américain, il choisit ESG qui furent «the quintessence of New York in 1980», avec leur «tight, super-minimal, super rhythmic pop (two-note basslines, one-note guitar solo, cowbells all over the shop).» Il consacre à la suite des chapitres à Kraftwerk et à l’early rap, ainsi chacun peut y retrouver son compte. PolyBob a tout écouté, donc il peut parler de tout ça dans le détail, et éventuellement t’inciter à écouter des trucs que tu ne connais pas. Dans son chapitre New Pop, il s’attarde sur des machins comme Human League et Boy George, puis retourne aux États-Unis pour Springsteen et Meat Loaf, eh oui, ce sont des passages obligés pour un mec qui prétend raconter toute l’histoire de la pop. Et crack, tu tournes la page et sur qui tu tombes ? Michael Jackson. C’est une époque pourrie. Et ça continue avec Prince et Madonna. T’es pas obligé de lire toute cette daube. PolyBob fait son boulot consciencieusement, il rame dans les Sargasses de la pop, et d’une certaine façon, il atteint ses limites, car jamais il ne réussira à te convaincre d’écouter Michael Jackson ou Madonna. Plutôt crever. Mais à ce stade des opérations, tu lui donnes encore une chance, car il reste quelques chapitres, notamment un chapitre Metal et comme il n’a rien compris au metal, il met là-dedans, tiens-toi bien, Sabbath, Thin Lizzy (!), Deep Purple et Led Zep, puis ça glisse sur Metallica et AC/DC. Puis ça glisse encore dans la ‘Birth of Indie’ avec les Smiths et REM. Il qualifie Morissey de «best lyricist British pop had ever profuced», mais bon, après, il faut aimer les Smiths et c’est pas demain la vieille qu’on ira écouter ça, quoi qu’en dise monsieur PolyBob. Et ça déraille encore sur Phil Collins, toutes les malédictions de la pop culture sont au rendez-vous, semble-t-il. On tombe fatalement sur le chapitre Pet Shop Boys & New Order. Il n’y a que les Anglais pour s’intéresser à ça. PolyBob attaque son Part Five avec un chapitre ‘House & Techno’. Puis c’est l’Acid House & Manchester. PolyBob s’épuise à ramer dans ses Sargasses. 

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             Il tente un dernier coup de bluff avec un truc très anglais, beaucoup trop anglais, et voici comment il s’y prend : en fin renard - Quel est votre favorite pop group ? Pas facile, n’est-ce pas ? Je pourrais opter pour les Beach Boys, mais il y a toujours cette difficulté à aimer Mike Love (of loving Mike Love). The Who? Far too patchy. The Pet Shop Boys? They didn’t know when to quit. The Bee Gees? Oh, too much to explain. Si on vous forçait à citer your favorite group of all time, then the Beatles would be a hard one to argue with, but so would the KLF - Et voilà comment il réanime un vieux scoop de la presse anglaise - The KLF - Bill Drummond and Jimmy Cauty - epitomized everything that had changed in pop since acid house. They weren’t young, or pretty, but they had ideas, a lot of good ones, a lot of stupid ones, and they were smart enough to put them into practice - Drummond avait joué avec Big In Japan à Liverpool, et dit à Seymour Stein qu’il avait sorti deux des greatest records of the decade, «Shake Some Action» des Flamin’ Groovies et «Love Goes To Building On Fire» des Talking Heads. Bon alors, est-ce une raison suffisante pour aller écouter KLF ?

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             On se remonte le moral un peu loin avec deux pages stupéfiantes sur les Mary Chain - You can imagine Beach Boys harmonies on «Never Understand» and Mary Weiss would have been the perfect singer for «Just Like Honey». La raison pour laquelle ils ne sonnaient pas comme des sixties revivalists, c’est parce qu’il recouvraient leurs songs with defeaning layers of squalling feedback (...) ce qui n’avait jamais été fait dans la pop - Et une fois encore, PolyBob se vautre quand il évoque le passage de Psychocandy à Darklands : «They ditched the feedback on their second album, Darklands. Now you could hear the tunes and the lyrics, clear as a bell, on «Some Candy Talking» and «April Skies», and they weren’t bad. But the point of the group was entirely lost.» T’inquiète pas PolyBob, si un jour t’écoutes «I Hate Rock’n’Roll», tu verras que le point of the band n’est pas lost du tout. Mais alors pas du tout ! Dès qu’un groupe est un peu trop sauvage ou trop moderne, PolyBob est paumé. On le voit attaquer Spacemen 3 et on craint le pire - It was hard to imagine Rugby group Spacemen 3 getting it together to go to the post office, let alone getting played on the radio - Oui, c’est sûr PolyBob, sauf que Sonic Boom et Jason Pierce comptent encore aujourd’hui parmi les plus belles rock stars anglaises. PolyBob ramène une anecdote : «Lorsqu’ils enregistrèrent leur album en 1987, la fumée de leurs pétards était tellement dense que l’ingé-son devait débrancher l’alarme incendie à chaque session.» Et il termine avec un pauvre petit jeu de mots : «If you wanted a soundtrack to narcotic oblivion, they were the perfect prescription.» Sauf que les albums des Spacemen 3 sont de vaillants classiques, et ça, PolyBob oublie de le mentionner. Faut-il faire confiance à un mec qui se prosterne devant les Bee Gees ?

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             Il va se reprendre en saluant Dinosaur Jr et J Mascis, qui «looked like a long-haired kid who’d sit on the toilet for forty minutes at a time reading Marvel comics.» Puis ça glisse tout naturellement sur Kurt Cobain - The Mascis whine, the Mould holler, neither could stand up to the sheer volume of Kurt Cobain and Nirvana - Et il surenchérit avec ça : «Summoning up the hard-rock noise of Led Zeppelin, Black Sabbath and Motörhead as a backdrop, for their underclass concerns, Nirvana became the biggest alternative group in the world.» Et Kurt, nous dit PolyBob, vénérait les Vaselines, Hüsker Dü et les Pixies. Et là PolyBob retombe miraculeusement sur ses pattes. On craignait qu’il n’ose esquinter la réputation de Kurt Cobain.

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             Il fait un dernier crochet par la Britpop, histoire de saluer Suede et leurs premiers singles, «The Drowners» et «Animal Nitrate», qu’il qualifie de «louche and lithe, clean and classy» - Suede’s artwork and asethetic was simple, and that suddenly seemed sexy - Il aurait pu qualifier ces singles de géniaux. Même Mark E. Smith qualifiait Suede de «best new band in Britain». Et ça se termine forcément avec Oasis - There was no Bowie, Smiths or Syd Barrett in the sound of Oasis, the group they were most reminiscent of was Slade - loud raucous, goodtime music. Liam Gallagher had far and away the strongest voice in Britpop, as rough and ragged as John Lennon on «Twist And Shout» (...) Noel Gallagher, like Marc Bolan before him, had the knack of rewriting his favorite riffs and creating something new and irresistible: «Don’t Look Back In Anger», «Wonderwall», «Cigarettes And Alcohol». And like Bolan, his ego quickly got the better of him - Puis Polybob évoque la «stratospheric fame» d’Oasis, avec ses 8 number ones, «and they blew it - It was a classic working-class tale, rag to riches and back again.» Il compare cette «tragédie» à celle des Bay City Rollers.    

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             Malgré ses petits défauts, cette bible est l’une de celles qu’il faut lire, car elle raconte l’histoire de la pop, c’est-à-dire l’histoire de ta vie. PolyBob t’aura au moins orienté sur deux groupes que tu ne connaissais pas : les Wondermints et KLF, et poussé à réécouter toutes affaires cessantes le 3 + 3 des Isley Brothers. C’est déjà pas si mal.

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    Signé : Cazengler, Stan laid

    Bob Stanley. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. Norton 2015

     

     

    Inside the goldmine

     - Knight of white satin

             Personne ne connaissait son nom. On l’appelait Nate. Un Savoyard. Un homme descendu des montagnes. L’œil clair. Un certain âge. Le cheveu gris. Solidement charpenté. Assez haut. Voix profonde. Toujours en pull marin l’été. En caban l’hiver. Il semblait indestructible. Un roc. Un homme austère. Jamais un sourire. Il passait voir les gens pour leur apporter un soutien moral. Quelques paroles de sagesse. Il aidait aussi à résoudre certains problèmes administratifs. Il savait où s’adresser pour obtenir des aides municipales. Il ne demandait rien en retour. C’était un bénévole. Il se mettait au service des gens. Pour le voir, il suffisait de lui laisser un message au tabac-épicerie du coin de la rue. Il fallait lui indiquer l’adresse exacte, le jour et l’heure. Il était toujours ponctuel. Il entrait et s’installait en position de lotus sur le canapé, sans enlever ses chaussures. Il attendait. Il n’ouvrait jamais le débat. Il fallait lui soumettre le problème. Il réfléchissait avant de donner une réponse. On sentait en lui un caractère forgé. Il cultivait probablement un mélange de casuistique et de foi en l’homme. Il ne supportait pas les pleurnicheries. Il appelait ça «les larmes de crocodile». Il affirmait sèchement qu’il existait une solution pour tout problème. Et qu’il fallait fournir un petit effort pour trouver la solution. Il prenait des risques en parlant ainsi à des gens affaiblis par les rigueurs de la vie, mais il le faisait intentionnellement. Passer à l’action était pour lui le seul remède contre la misère du monde, le seul vaccin moral capable de vaincre la gangrène. Il utilisait toute sa force de caractère pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire sauver les gens d’eux-mêmes. Combien de vies a-t-il sauvées, personne ne le saura jamais. Mais ceux qui l’ont connu se souviennent de lui comme d’un saint homme. Un saint homme dur.

     

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             Pendant que Nate sauve des vies, Knight met au monde la Soul des jours heureux. Dans leurs domaines respectifs, ils ont joué des rôles fondamentaux. Et plus ces rôles sont insignifiants aux yeux de la postérité, plus ils sont fondamentaux aux yeux de l’infra-monde. 

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             Merci Philippe Garnier de nous avoir signalé, au temps des Coins Coupés, l’existence d’Eddie Holman et de Robert Knight, un Robert Knight dont on retrouve d’ailleurs la trace chez Steve Ellis et Love Affair, puisqu’ils vont faire leurs choux gras d’«Everlasting Love».

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             Dave Godin nous rappelle les infos de base : Robert Knight est un petit black du Tennessee, qui grâce à Love Affair, va devenir une star de la Northern Soul en Angleterre. On est donc en territoire sacré.

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             Alors tu remontes à la racine de l’hit avec l’album du même nom, paru en 1967. Robert Knight chante ça d’une voix blanche et fait de la fantastique dancing Soul. Steve Ellis en fera autre chose. Ça continue sur le même registre avec «Somewhere My Love», un cut assez capiteux, monté sur un petit beat serré et Robert Knight chante pépère à la surface. On s’attache à lui. Ça explose plus loin avec «My Rainbow Valley» que reprendra aussi Steve Ellis; Quelle qualité de dancing Soul ! Il chante comme un vainqueur. Les Anglais ne pouvaient que flasher sur lui. Un vainqueur avec l’accent black, ça devient vite génial. Robert Knight est l’anti-Wilson Pickett, il arrive au même résultat sans screamer. Il tape à la suite une cover de «The Letter», c’est fin et bien enquillé. Il entraîne son monde avec une étonnante facilité. Il n’existe rien de plus propice au bonheur que cette Soul des jours heureux.

             Tant qu’on y est, on peut aussi écouter deux ou trois bricoles, comme «Love On A Mountain Top» (pur jus de diskö-Soul, il finit en apothéose de Soul Brother), ou encore «I Can’t Get Over How You Get Over Me», nouveau shoot de Soul des jours heureux. Te voilà plongé dans l’extrême beauté de la Soul dansante.

    Signé : Cazengler, Robert Nike

    Robert Knight. Everlasting Love. Rising Sons 1967

     

    *

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 35

    OCTOBRE – NOVEMBRE - DECEMBRE

     

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    Graham Fenton sur la couverture. Avant de sauter sur l’article hommagial, il a disparu au cœur de cet été, restons quelques instants sur cette belle photo, remercions Sergio pour ce portrait parlant, ce n’est plus le jeune fan qui accompagnait Gene Vincent sur une de ses tournées françaises, l’est dans son perfecto comme d’autres s’installent dans leurs raisons de vivre, l’homme a vécu, il a partagé bien des combats, et le voici tel qu’en lui-même le rock’n’roll l’a statufié. Baudelaire dirait qu’il a plus de souvenirs que s’il avait mille ans, l’est un peu voûté comme Atlas obligé de supporter le poids de la voûte stellaire sur ses épaules, mais l’on comprend qu’il est un combattant de notre musique, qu’il ne regrette rien, qu’il assume tout, les mille orages, les mille printemps, son regard clair est une invitation impérative adressée à tout un chacun de vivre sans faillir à son propre destin. C’est un Homme qui vous regarde.

    L’on pourrait résumer la vie de Graham en inversant une formule célèbre, on ne devient pas un rocker, on naît rocker. Un privilège, une malédiction comme celle des chacals de Béthune, ou alors ce sont les circonstances qui se plient à notre désir, peut-être inconscient sûrement chevillé à notre volonté, à notre corps et à nos propres représentations mentales, car si le monde exerce une certaine influence sur nous, ayons l’outrecuidance de penser que nous en avons une sur lui. L’a un ange noir, normal c’est un biker, protecteur auprès de lui, son frère aîné qui lui montre les deux chemins à suivre : la moto et les pionniers, du rock’n’roll  évidemment.

    Avec les Houseshakers il se retouvera à accompagner Bo Diddley et Chuck Berry, il participera au festival de Wembley, le coup de tonnerre qui annonce le retour du old good rock’n’roll parmi les peuples qui n’attendaient que la levée des orages désirés. La suite de sa carrière, les Hellraisers et Matchbox. Profitons de cette boîte d’allumettes pour honorer Carl Perkins qui l’avait repris à Blind Lemon Jefferson, car vous savez toute la musique que l’on aime vient du blues. Je vous laisse lire et vous mirer dans les photos. Tout ce que vous avez rêvez d’être. Que vous serez peut-être dans une autre vie.

    Méfiez-vous pour le premier article qui ouvre la revue. Jean-Louis Rancurel vous ouvre sa boîte à images. Nous fait le coup du crocodile qui mord. Nous refile un ange noir. N’est pas noir du tout, mais la première fois que j’ai entendu Vigon sur Salut les Copains, j’avais débarqué en plein milieu de morceau, il ne chantait même pas, il parlait, j’étais sûr que c’était un blackos venu tout droit de l’Amérique, je n’avais même pas remarqué qu’il causait en français, c’était la période rhythm and blues, Sam and Dave, Arthur Conley, Otis Redding, James Brown, Wilson Pickett, et toute la troupe avec leurs fanfares cuivrées, par la suite l’on a appris qu’il n’était pas français mais marocain, un véritable melting pot à lui tout seul. Un véritable météore, un alien dans notre douce France, l’a fait toutes les premières parties des vedettes d’Amérique. Et puis du jour au lendemain plus rien. Que lui était-il arrivé ? Etait-il mort ? Silence radio. Quelques années plus tard un entrefilet dans Rock’n’Folk nous apprenait qu’il était propriétaire d’une boîte de nuit au Maroc… Un goût amer dans notre bouche. L’a fallu trente ans et un mauvais coup du destin, la mort de sa fille, pour qu’il revienne, lisez la suite de cette histoire triste et en même temps merveilleuse pour les fans de Vigon… Notre Cat Zengler nous a chroniqué un de ses concerts à Paris…

    Vérifiez vos chaussures, un serpent s’est glissé dedans, non ce n’est pas un anaconda mais Thibaud Lefaix de Snakes In The Boots, nous l’avons vu, voici trois semaines au 3B à Troyes, l’est tout seul sans ses deux comparses, il se raconte, sans prétention, étonné de son parcours, de ce qu’il sait faire, il prend soin de n’en tirer aucune gloire, rafraîchissant ! N’empêche que l’avenir s’ouvre devant lui.

    Cette fois Julien Bollinger a pris trois pages. C’est que certaines racines s’enfoncent plus profondément dans le sol que d’autres. Ce n’est pas du rock, ne prenez cette mine mitigée, ce n’est pas du country, quittez cet air contrit, ce n’est même pas du blues, n’en ayez pas le blues pour autant. C’est du folk ! Inutile de cracher par terre ou de vomir votre quatre-heure, rien à avoir avec des chansons scoutes. Tout le contraire. Un misérable ! Un guerrier, un battant. Le genre de trouble-fête que l’Amérique de Trump lyncherait avec plaisir, c’est un blanc, un hobo aux idées claires, l’avait une guitare qui tuait les fascistes. Woody Guthrie s’est toujours battu pour les pauvres contre les riches et les capitalistes. Remercions Julien Bollinger d’exhumer cette figure qui représente l’Amérique que nous aimons… Un peu de politique ne peut pas faire de mal.

    Pages suivantes : l’histoire de Christophe et Jessica. Une histoire d’amour certes, mais surtout de voitures et de rockabilly. Une passion pour les voitures et les choppers. Un garagiste, seul au début, oui mais pas tout à fait, la famille (nombreuse) se joint à lui, puis des passionnés qui se greffent dessus, entraide et soutien, et la création de l’Open Garage Mc Coy’s, manifestation publique, pour la neuvième cuvée : customs, hot rods, expos, etc, etc, mais attention la musique adoucit-elle le bruit des moteurs ou le renforce-telle, en tout en ce mois de mai 2025, vingt groupes, en trois jours, une anthologie historiale de la scène française, un truc qui dans quelques années sera devenu une légende…

    Nous clôturons avec la quatrième de couverture et la promesse d’un nouveau Hors-série de Rockabilly Generation News pour le premier janvier 2026. Une année qui s’annonce bien.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 6 Euros + 4,72 de frais de port soit 10,72 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 39 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    S’il est un groupe mystérieux c’est bien Telesterion, non pas parce que l’on ne connaît rien de ce groupe mais parce ce que toute sa démarche s’inscrit dans le Mystère ou plutôt dans les Mystères les plus sacrés, ceux de l’antiquité grecque. Fin août 2025 Telesterion a sorti un album de deux 33 Tours, intitulé Aporrheta. Le titre vous semble-t-il mystérieux : il signifie Choses Tues. Autrement dit ce que vous ne devriez pas savoir. Ne vous plaignez pas de votre ignorance, les fidèles lecteurs de Kr’tnt en savent beaucoup plus qu’ils le croient puisque ce disque reprend les quatre premiers EP du groupe que nous avons déjà chroniqués : An ear of grain in silence reaped sorti le 16 / 06 / 2022, House of lilies sorti le 15 / 09 / 2022, Echoing palaces sorti le 02 / 12 / 2022, Myesis sorti le 18 / 03 / 2013. Le concept d’Aporrheta est intimement lié aux Mystères d’Eleusis.

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    Si nous n’avons pas donné le numéro des successives livraisons dans lesquelles nous les avons chroniquées c’est pour que vous ayez le plaisir de les rechercher par vous-mêmes. Si les choses sont tues c’est uniquement pour vous encourager à les retrouver par un long et méthodique effort. C’est le principe même de l’Initiation. Sur son bandcamp Telesterion se présente en quelques mots : Je commence à chanter Demeter, déesse intimement liée aux mystères d’Eleusis.

    SONGS OF ORPHEUS

    TELESTERION

    (Ixiol Productions / Snow Wolf Records / Septembre 2025)

    Pour ce qui veulent tout savoir Ixiol est un label basé en Amérique du Nord . Snow Wolf est aussi le label de Thumos, groupe américain, que grossièrement nous qualifierons de platonicien, dont nous suivons systématiquement toutes les sorties.

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             Les poèmes d’un poëte ne parlent pas obligatoirement du poëte qui les a écrits. Cette première phrase est sujette à caution et pourrait nous entraîner en des gloses interminables. D’autant plus inutiles qu’il ne nous reste aucun écrit d’Orphée, que notre héros grec est au pire un personnage symbolique, au mieux une conceptualisation forgée par les Grecs durant des siècles. Les Dieux et les héros grecs sont des espèces de work in progress (et de régression) pour reprendre une expression chère à Joyce. L’avantage de ces concrétions mentales successives réside en le fait que chacun peut se façonner une image d’un dieu conforme à son désir… Un peu comme des statuettes de terre glaise que l’on se passe de génération en génération, d’individu à individu, chaque époque, chacun de nous, peut ainsi imprimer ses propres désirs sur cette argile mouvante…

             Nous aborderons la problématique avec les gros sabots de l’ignorant qui pose la question qu’il ne faudrait pas poser, la voici : quelle relation existe-t-il entre Orphée et Demeter, que nous conte la mythologie grecque à leurs sujets ; se sont-ils rencontrés, se sont-ils combattus, se sont-ils aimés, trahis, haïs. Rien de rien, aucune anecdote, ne serait-ce que croustillante, ne les relie. Ne vous désolez pas, souvenez-vous que les Grecs ont un esprit subtil. Alors procédons subtilement.

             Commençons par  l’ histoire officielle : Orphée n’est pas n’importe qui : il est le fils de Calliope la première des Muses, celle de la poésie épique, celle qui préside aux chants qui content les combats des Dieux et des Héros. C’est avec Zeus qu’elle engendrera Orphée. Bon sang ne saura mentir, Orphée participera avec Jason à l’épopée de la Toison d’Or, tout au long du périple son chant  sera d’un grand secours pour vaincre aux instants cruciaux les difficultés que Jason et les Argonautes auront à affronter. Le chant et la lyre d’Orphée sont insurpassables, lorsqu’il se saisit de sa lyre les arbres inclinent leur houppe en cadence et les animaux sauvages sortent des forêts et viennent l’écouter couchés à ses pieds comme les chiens auprès de leur maître… Pour vous en convaincre, lisez le Bestiaire de Guillaume Apollinaire. Comme par hasard remémorez-vous que Calliope eut quelques intimités avec Apollon.

             L’Histoire commence comme un conte de fée et se termine comme Massacre à la Tronçonneuse. Orphée tombe amoureux d’Eurydice, piquée par un serpent le jour de ses noces, elle meurt. Inconsolable Orphée descend aux Enfers chercher sa bien-aimée, son chant séduit Cerbère le gardien des portes inviolables mais aussi les souverains du monde souterrain Hadès et Perséphone  qui permettent à Eurydice de suivre son chéri en marchant derrière lui, une seule condition : Orphée ne doit pas se retourner pour la regarder avant qu’ils ne soient revenus à la surface de la terre. Orphée se retourne, Eurydice retourne au royaume des morts. Cerbère ne se laissera pas attendrir une deuxième fois… N’oubliez pas de relire Les Chimères de Gérard de Nerval…

             Inconsolable Orphée passe ses journées à pleurnicher… Les prêtresses de Dionysos, les Ménades se mettent en quête de consoler ce beau garçon de son chagrin, Orphée reste insensible à leurs charmes, dépitées elles se ruent sur lui et le découpent en morceaux qu’elles jettent dans les flots du fleuve… la tête posée sur la lyre rejoindra l’île de Lesbos. La lyre fut placée dans le ciel dans lequel elle devint la constellation de la Lyre, la tête fut installée avec moult égards dans le temple d’Apollon. Elle ne sut pas retenir sa langue : elle contracta  la fâcheuse habitude de répondre avant la célèbre Pythie la prêtresse d’Apollon, aux questions que lui posaient par l’entremise des prêtres les hommes qui venaient interroger Apollon quant à leur destinée… Excédé Apollon se mit en colère et vint en personne intimer le silence au chef d’Orphée qui dès lors garda le silence…

    Méditons sur cette histoire. Quels en sont les éléments essentiels : la présence de la  mort, Perséphone, Dionysos, et le silence des choses tues qui ne doivent pas être divulguées. Ce choix n’implique pas des préférences aléatoires, il repose sur ce que nous appellerons l’histoire officieuse. Toutefois pour ceux qui penseraient que nous nous éloignons du rock’n’roll nous vous enjoignons à lire La descente d’Orphée de Tennessee Williams, pièce datant de 1940, dans laquelle apparaît un mystérieux personnage porteur d’une guitare et d’une veste en peau de serpent… Très belle prémonition du surgissement du rock’n’roll dans la société américaine…

    L’Histoire officieuse : commençons par nous interroger sur la signification du titre : The songs of Orpheus : l’opus en question évoque-t-il les chants que composaient Orphée, ce serait donc une espèce de reconstitution imaginative, ou les chants relatifs à l’histoire d’Orphée, un peu comme ce que nous venons de faire dans notre rapide exposé. Nous aurions envie de répondre : un peu des deux mon général. Toutefois méfions-nous des choses tues.

    Selon les Grecs, Orphée aurait connu le lamentable destin que nous avons rapporté pour avoir dans ses chants révélé des secrets sacrés… dans ses vers il aurait livré des explications interdites quant à la signification des rites que les prêtres mettaient en œuvre lors des cérémonies religieuses. Aux fidèles de percer  le sens des gestes accomplis et des paroles proférées. Si vous ne les comprenez pas contentez-vous d’adorer et de vous taire. Le silence est préférable aux âneries.

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    Notre modernité tient Dionysos en haute estime, il doit une fière chandelle à Nietzsche, dieu du vin de l’ivresses et de l’extase il a tout pour plaire, qu’il soit à l’origine de la comédie et du drame ne lui attire point un gramme de sympathie supplémentaire.  Bref nos contemporains ne retiennent que ce qui les arrange. Certes l’on se souvient que son père a arraché le foetus du bébé Dionysos du ventre enflammé de Sémélé sa mère, que l’enfant a été déchiré par les géants envoyés par Héra jalouse de Zeus… Zeus recollera les morceaux et   donnera à son fils l’immortalité. L’on se plaît à voir en Dionysos le dieu mortel une préfiguration du Christ bla-bla-bla… par contre il se murmure d’autres histoires, que Dionysos serait descendu aux Enfers pour demander à Perséphone la permission de rencontrer sa mère, mais il y a encore davantage troublant : Dionysos serait le rejeton de Zeus et de Perséphone, il serait donc aller rendre une visite de courtoisie à sa mère… Or Perséphone n’est autre que le nom qu’elle porte durant les mois où elle vit auprès de son époux Hadès, son nom de jeune fille est Koré. Or Koré est la fille de… Demeter. Or les Mystères d’Eleusis qui traitent des arcanes de la mort et de la renaissance, sont des décryptations du mythe de Koré obligée de passer trois mois dans les Enfers, royaume de la mort, elle vit sur la terre durant les neuf autres mois. Encore plus significatif les Mystères d’Eleusis ont été fondés par Dionysos et… Orphée. Je vous laisse réfléchir quant aux faisceaux de perméabilité  entre toutes ces personnages…

    Nous en savons maintenant assez pour établir le lien entre Orphée et Demeter. Apprêtons-nous maintenant à écouter Telesterion, qui hormis les titres des sept morceaux de son opus ne nous donne pas d’autres indications quant au sens de ce par quoi notre attention est monopolisée. Toujours la même loi des choses tues… notre interprétation est donc sujette à caution…

    La couve est une reproduction d’un tableau du peintre allemand Von Stuck (1863-1928), peintre symboliste qui eut pour élève Vassili Kandinsky  et Paul Klee, on peut le considérer comme un point de passage entre la vieille peinture et l’aventure picturale de la modernité, sans doute ne faut-il pas oublier tout ce qui le relie à des peintres comme Arnold Böcklin et Gustav Klimt… Le titre de l’œuvre ne saurait être plus explicatif : Orphée charmant les bêtes sauvages avec sa lyre. Quelle signification donner aux animaux ? Le Lion est vraisemblablement un hommage à Alexandre Le Grand dont le rêve (réalisé) fut de tuer un des derniers représentants du roi des animaux, n’oublions pas qu’il descendait des Héraclides, et dont l’entreprise guerrière  le mena jusqu’en Inde, déjà de son vivant son entreprise de conquête apparaissait comme une manière d’égaler l’exploit de Dionysos qui avait mené son cortège jusqu’aux Indes… La présence de l’ibis est-elle un discret hommage au poëte latin Ovide qui dans un des passages les plus poignants des Métamorphoses conte la descente aux Enfers d’Orphée. Pour le crocodile je vous renvoie à Virgile et au blason de la ville de Nîmes. Je n’en dirais pas plus, certaines choses doivent être tues.

    Rites performed by the Priests of Demeter: Celeus / Dioclese / Eumolpos / Triptolemus / Polyxeinus

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    Ye, I inwoke Dread Pow’rs : (Oui, j’ai réveillé les pouvoirs redoutables) : ne vous fiez pas à l’entrée apaisante, ou alors changez de disque, une déferlante d’une violence infinie, sombre, voix, chœurs et orchestrations emmêlés en un magma océanique, lorsque l’intensité sonore baisse, restent un profilage ténébreux qui ne recule pas mais au contraire avance avec une brutalité marcescente, même pas le temps de vous demander l’identité de celui qui prononce l’invocation, en est-ce d’ailleurs une, ou une revendication d’un geste innommable et défendu qui a été accompli par le seul fait de se taire serait est à lui tout seul un sacrilège.  Ce premier morceau est bien l’ouverture d’un Drame, ce qui doit arriver surviendra. Alea Jacta Est aurait dit César, c’est vrai qu’il ne traversait pas l’Achéron mais le modeste Rubicon. Toutefois, de l’autre côté de ce modeste cours d’eau l’attendaient les poignards des conjurés. En descendant dans les Enfers Orphée n’a-t-il pas mis en branle des forces extrêmes. Come, Snaky-Hair'd, Fates Many-Form'd : (Viens, cheveux de serpents, destin aux multiples formes) : comment ne pas voir en ses cheveux serpentueux la chevelure de serpents de Méduse. Indice fragmental : Franz Van Stuck n’a-t-il pas

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    peint dans Medusa le visage pâle du soleil noir de la tête de la Gorgone ? Une orchestration encore plus violente, encore plus démesurée, une batterie qui joue la marche lourde et pesante du Destin. Qui vient à votre rencontre. Un ami me disait que quand vous fonciez en voiture sur un mur, le mur venait aussi vers vous à la même vitesse et que vous subissiez un choc de deux cents kilomètres heures. Cinétiquement c’est faux, et pourtant quand vous écoutez ce morceau vous avez l’impression que non seulement il vous écoute mais qu’il ouvre une bouche démesurée pour vous avaler. Sur la fin une ruée sonore cataclysmique. Terrestrial Born : (Né(e) terrestre) : Nous sommes tous nés sur cette terre, tous les protagonistes

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    Le Printemps / Franz Von Stuck

    du mythe aussi : Koré la pure jeune fille, Dionysos le Dieu démembré, Orphée le poëte maudit. Identifiez-vous au masque de votre choix, Telesterion ne nous fait pas de cadeau. Sur cette terre nous marchons tous vers notre terre. Personne ne sortira vivant d’ici disait Jim Morrison. Est-ce pour cela que l’orchestration rampe lourdement comme un crocodile, vous pensez que vous lui échapperez mais elle court sur vous à une rapidité incroyable, ses mâchoires puissantes vous saisissent vous prennent en tenailles et vous, la bête féroce du destin, vous mâche tranquillement sans se soucier de vos supplications. Le niveau sonore implacable ne cesse d’augmenter. These Rites Rejoice, For Ye, I Call (Ces rites vous réjouissent, car oui, je vous appelle) : cordes vibrionnantes, et si l’on repassait le film à l’envers, si ce n’était qu’un faux semblant, tout aussi fort mais encore plus impressionnant, et si ce n’était pas le Destin qui vous appelle, mais un Dieu par l’entremise d’un hiérophante qui ouvre les portes jusqu’à lors fermées, le portail de L’Enfer n’a-t-il pas tourné sur ses gonds, avec quelle force, quelle violence Orphée n’a-t-il pas dû jouer pour forcer l’interdit, la barrière infranchissable qui sépare les morts des vivants, mais aussi les morts des vivants. Sachez où vous mettez les pieds lorsque le Destin cède à vos demandes.  Excite The Mental Eye, Waken : (Ouvre l’œil mental, Eveille-toi) : nous sommes au cœur du rite, tout se passe désormais dans ta tête, tout dépend de toi, la musique s’extrémise mais le chœur s’amenuise, ne serait-il pas louangeur, profèrerait-il des mensonges, à toi d’y voir clair, de te hisser hors des bords chaotiques et presque cacophoniques de cette musique catacombique qui entrechoque ta cervelle comme les icebergs sur la coque du Titannic, pas de trêve, pense par toi-même, ne te fie à personne, toi seul détiens les clefs de l’énigme et de ton âme, et de la vie et de la mort. Que de vacarme dans l’âme sans arme, ne joue pas ton avenir aux dés, ils roulent et t’écraseront, bâtis ton propre destin, opère le choix que tu es. Une symphonie à la Malher, n’est-ce pas la prémonition du malheur. Great Ocean's Empress, Wand'ring Thro' The Deep : (Impératrice du grand Océan, errant dans les profondeurs) : l’entrée nage entre deux os, es-tu le squale ou celui à desquamer, le rythme balance, le chant suit le mouvement tempétueux de la mer, serais-tu dans la longue  jonque noire de Charon, dans quel sens l’étrave trace-t-elle son sillage, es-tu sur le chemin de l’aller ou sur celui du retour, la cadence ne suit-elle pas simplement tes atermoiements, est-ce l’ignorance, est-ce la peur, est-ce le rêve, tu ne sais pas, silence, juste quelques effluves cordiques, mais non la rythmique infernale recommence, comme un chant de sirène plane sur les eaux du désastre, vite assourdi par des milliers de pas qui battent la semelle sur un rivage désolé, tu vas savoir, les profondeurs de la terre sont-elles aussi vastes que l’Océan infini qui entoure la terre. Hear Me, O Death : (Ecoute-moi, Ô Mort) : un peu de douceur dans ce monde de brutes, prélude et mort d’Yseult, qui parle est-ce toi qui supplies, est-ce toi qui comprends enfin que tu as compris, vainqueur et vaincu, tu l’as été et tu le seras encore, la mort est un passage, n’est-il pas réversible, la graine ne refleurit-elle pas sur la terre, tout n’est que transbahutement, transhumance, transformation, métamorphose infinie, la mort n’est-elle pas la chrysalide du vivant, le linceul de l’homme et l’enveloppe des Dieux que tu es et que tu n’es pas. Quelques notes de piano. Un dernier message d’encouragement comme une poignée de main. Quand tu sortiras au grand jour seras-tu à la table des Dieux sur l’Olympe ou attelé aux travaux et aux jours de tes semblables. Toi le dissemblable.

             Splendide. Je ne sais pourquoi, car les deux œuvres sont musicalement extrêmement différentes, l’une qui se déroule dans les espaces grandioses du Mythe, et l’autre dans les soubassements cacafouillesques de la conscience des vidanges psychanalytiques victimaires, en écoutant l’avant-dernier morceau s’est établi dans mon esprit vraisemblablement malade le rapport avec Tommy l’opéra rock des Who. Peut-être faut-il se méfier des références culturelles. Dans tous les cas un chef d’œuvre. Il ne faut pas se contenter de l’écouter, il faut entreprendre de l’assimiler.

    Damie Chad.

     

    *

    Je connais le gars, il revient systématiquement chaque année à la brocante de Provins, l’a des tas de cartons accessibles, j’y dégotte toujours quelques raretés, il y a quelques années un texte rare du divin Marquis, non je ne parle point du groupe de Rennes mais de l’authentique, mince correspondance dont je n’avais jamais entendu parler, je ne suis pas de ces nombreux amateurs de Sade qui se vantent de tout connaître, non je ne le chroniquerais pas ici de peur que ne s’opérassent de graves perturbations intimales et sexuelles parmi nos lecteurs, mais ce coup-ci j’avais dégoté un roman plutôt jazz, je vous en reparlerai si vous êtes sages.

    • Je n’ai rien sur le rock cette fois ci, ah ! si tenez, un seul bouquin sur les Doors !
    • Sur les Doors, je prends !

    OPEN THE DOORS

    LE GROUPE, LES CHANSONS, LA MUSIQUE

    PHILIPPE MARGOTIN

    (GLENAT / Octobre 1921)

             J’avoue qu’en rentrant chez moi je n’étais pas trop chaud, l’est vrai que ce n’est pas facile de feuilleter en marchant un livre qui avoisine les deux kilos, tracté par deux chiens tenus en laisse. A première vue, un ouvrage en vue des cadeaux de Noël, l’en sort systématiquement toutes les fins d’années, sur tous les grands noms du rock, d’ailleurs le Margotin malin ne mégote pas, l’est un spécialiste du genre, l’est souvent au rendez-vous lorsque surviennent les premiers frimas annonciateurs des turbulentes saturnales. Peu de texte, un max de photo, une maquette aérée, des couleurs vives à transpercer les yeux des aveugles, bon je le mettrai sur une étagère, on verra plus tard. Oui mais trois jours plus tard, parce que les Doors quand même, je détachais le paquebot de son mouillage présomptif…

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             Le porte-avions entre les mains se révèle encombrant mais on oublie vite son look d’armoire normande, première impression, l’on s’attend à une police géante, il n’en est rien, deux microns d’épaisseur et de hauteur de surcroît n’auraient en rien été superfétatoires. A vrai dire le texte manque un peu de profondeur mais par contre sa surface est si intéressante qu’elle pousse à la réflexion. Elle fourmille d’informations, pas de révélations fracassantes mais l’exposé chronologique des faits aide à mieux entrouvrir les portes. Ainsi dès les premières pages qui exposent les racines culturelles – cinéma, littérature - de la contre-culture américaine m’est venue à l’esprit cette idée que le phénomène agrégatif qui s’est produit dans les années cinquante et soixante sur la côte ouest pacificale a eu une influence intellectuelle et artistique aussi importante que Dada après 1918. Certes le dadaïsme, fils de la tuerie organisée de 14, reste marqué par le nihilisme, à l’inverse ce qui naît après 1945 est teinté d’optimisme, la destruction procure entre autres conséquences une joie libératrice, la contre-culture américaine revendiquera l’influence du Surréalisme, toutefois lorsque je zieute les photos du groupe surréaliste je ne puis m’empêcher de penser que, face aux beautifull people californiens, nos chantres de la révolte européenne étroitement embourgeoisés dans leurs costumes du dimanche ont l’air un peu coincés du cul. Vous n’êtes point obligés de partager mon jugement : je reconnais éprouver quelques aversions théoriques et esthétiques divergentes envers le mouvement de la bande à Breton, bien pâlichonne comparée à celle de Bonnot…

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             Procédons avec ordre et méthode : le livre suit l’ordre naturel de la discographie – de la formation du groupe à la mort de Morrison – soit six albums studio et un Absolutely Live composé de deux  trente-trois tours. Chaque titre est disséqué à tour de rôle. L’on n’apprend pas grand-chose – par contre une bonne entrée en matière pour un néophyte – certes ne sont oubliés ni le producteur ni les ingénieurs du son, de petits encarts colorés vous apportent des renseignements sur des noms qui aujourd’hui risquent de ne réveiller aucun souvenir à la majorité des lecteurs.  Margotin nous baratine les faits, il résume le sens des textes, indique la (ou les) date(s) de composition, esquisse rapidement quelques interprétations, mais ne pénètre pas plus avant dans la compréhension des textes alors qu’il décerne à Morrison le titre de grand poëte américain. A sa décharge notons que Robby Krieger a été souvent sollicité par le reste du groupe, Jim compris, pour l’écriture de nouveaux morceaux, le groupe ayant peur de ne pas se renouveler, mais aussi  pour  rester fidèle aux principes démocratiques qui avaient présidé à sa formation. Certes les Doors c’était : un leader charismatique + trois musiciens doués mais pas un chef avec trois sous-fifres le doigt sur la couture du pantalon. Margotin n’oublie jamais, à juste titre, de préciser l’apport décisionnel des trois musiciens dans la mise en musique des morceaux.

             Deux remarques adjacentes qui ont de l’importance, et pour mieux appréhender le livre, et pour mieux cerner la carrière somme toute météorique du groupe. Statistiquement parlant les Doors ont produit un disque tous les six mois. D’autre part ils n’ont cessé de donner des concerts. Pressés par le temps, ils n’ont pas eu le temps de rester trois mois en studio pour peaufiner un album. Dès qu’ils avaient quelques trous dans leur emploi du temps, ils filaient en studio et mettaient au point deux ou trois morceaux pour le prochain opus. D’où parfois la fausse sensation de répétition, lorsqu’il examine un album Margotin n’a plus de détails inédits à nous mettre sous les yeux. Nous ne pouvons lui reprocher sa minutie chronologique. Ne pas confondre gestation et séance finale d’accouchement.

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             Lorsque Manzarek rencontre Morrison, Jim a déjà noirci nombre de pages.  Il est étonnant de se rendre compte combien Morrison puise incessamment dans ses premiers poèmes et textes, l’essenciel, je mets un ‘c’ et non un ‘t’ pour attirer l’attention sur le mot essence, non pas pour comprendre ce mot en tant que finitude ou résultat, mais en tant qu’indication de l’origénéité séminale de la poésie de Morrison. Toute grande poésie se doit d’être originelle et non circonstancielle. Il est dommageable que Margotin ne s’engage point dans cette sente obscure. Il ne l’aborde que pas le petit côté de la lorgnette, se contentant de remarquer que contemporains de l’éclosion du mouvement hippie les Doors n’en partagent ni l’idéologie ni l’aspect fleur bleue. L’univers des Doors es beaucoup plus dur et pessimiste. Sans trop insister. Nietzsche, que Morrison a lu, est de tous les philosophes le plus pessimiste en le sens où il n’appuie pas cette vision du monde sur le simple constat de la présence du nihilisme car il entrevoit le nihilisme non pas comme ce qui serait, de par sa nature même, un fait insurmontable ou une donnée fondamentale mais au contraire ce qui nécessite les plus grands efforts pour s’en abstraire… Le pessimisme exige une tension libératoire que Rimbaud, et Jim Morrison à sa suite, nomment sauvagerie. C’est cette sauvagerie qui permet de break(er) on through to the other side, sur l’autre versant. Ensoleillé. Attention le passage est dangereux, leopard on my rigth, cobra on my left, autrement dit les animaux symboliques : de Dionysos  toujours accompagné de son cortège de strange people et de panthères, et d’ Apollon avec le serpent sacré qui logeait à Delphes dans son temple nombril du monde, attention Dionysos et Apollon sont réversibles, la parade est molle car elle ne se dirige ni vers la droite, ni vers la gauche, mais dans l’hésitation, d’où dans le poème l’appel à d’autres animaux lions et chiens, il ne s’agit pas d’un choix mais du retour éternel de chaque chose à revenir, non pas sur elle-même mais l’une après l’autre ou   l’une avant l’autre car sur le cercle mobile les deux positions s’équivalent, reviennent au même… Dans Ainsi parlait Zarathoustra Nietzsche se demande où il a déjà entendu ce chien aboyer.

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             Il est à noter l’allusion au carrefour de Robert Johnson dans The Soft Parade, ce n’est pas le diable (trop chrétien, pas assez païen) qui survient mais le blues, le rock’n’roll, que Morrison a utilisé comme vecteur pour forcer les portes, sans doute entrevoyait-il non pas une plongée individuelle par le LSD et autre produits, mais un passage en force sinon collectif du moins générationnel, chacun avait son rôle, il était le chasseur au gilet vert ou le Roi Lézard ou tout autre avatar, et les autres les strange people formaient le cortège.

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             J’ai longtemps eu un problème avec Strange Days, le deuxième album des Doors, pas précisément avec la musique, mais la pochette m’a longuement interrogé. Ce n’est pas moi qui ai posé des questions, c’est bien elle qui me les adressait. Pour le dos de la pochette je savais répondre : un clin d’œil à The House of the Rising Sun, à l’origine un bordel de la Nouvelle-Orléans. D’ailleurs le disque suivant n’était-il pas titré Waiting for the Sun. Mais le recto, c’est quoi ce ramassis de simili saltimbanques, des artistes de rue, semblaient un peu trop se moquer du public, qui sans parenthèse n’était pas présents sur la couve. J’avais une réponse – faut toujours en avoir une juste à côté d’un colt, car dans la vie il ne faut pas être prêt à se défendre mais toujours anticiper à tous moments l’approche (et donc la mort) de l’ennemi. Ne cherchez pas qui c’est, il est près de vous. Juste derrière. Evidemment vous pensez à  Freaks le film de Tod Browning. Une vieille pellicule en noir et blanc. Pas mal comme parade, hélas pas assez dure, j’avais l’impression que mon colt s’était changé en Browning, malheureusement chargé à blanc. J’avais une autre solution, une voie de secours, sans issue devrais-je dire. Pensez donc, je pensais au Club des Cinq en Roulotte d’Enid Blyton, à cause de l’invraisemblable  groupe de forains hétéroclites qui en  peuplent les pages, oui mais c’était le début de la piste… étranges gitans, strange people, c’est bizarre tout de même… Puis est venue l’illumination, je me vante, m’a fallu trois ans pour établir la connexion : Egar Poe ! Non pas parce que les contes d’Edgar sont remplies d’histoires extraordinaires, mais parce que lui-même les qualifiait de grotesques et d’arabesques. A bien y réfléchir suffit de changer l’angle de vision : nos Beautifful People avaient bien un petit côté grotesque, une idéologie transcendantaliste un peu trop fumeuse pour prendre le Thoreau William par les cornes. Des babas sans rhum. Restaient les arabesques. Drôle de quadrillages ! Structures mouvantes. En d’autres mots : la poésie. Edgar Poe a écrit des contes et de la poésie. Jim Morrison a fait du rock’n’roll et écrit de la poésie. Deux démarches parallèles. Des arabesques qui ne se  rencontrent jamais c’est ce qu’en géométrie des espaces l’on nomme des cas particuliers ! Je termine en quelques mots : ce n’est pas parce que les textes de Poe regorgent de situations étranges que nous affirmons qu’il existe des similarités entre nos deux poëtes, mais dans leurs tentatives de transformer leur appétence de vivre en maîtrise poétique. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. I’m The Lezard King, I can do anything ! Dans la préface de ces poésies Edgar Poe note la présence circonstantielle d’ évènements obstaculaires survenus en dehors de toute maîtrise…

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             A plusieurs reprises Margotin souligne la tristesse et la solitude de Morrison. Peut-être s’est-il aperçu que personne ne le suivait, car personne ne le comprenait, ou pire encore que son rêve à lui n’était qu’une des formes, plus colorée, plus bigarrée, plus anarchisante que le sempiternel american dream. Que Warhol avait défini comme le petit quart d’heure de célébrité auquel chacun a droit, que la société vous accorde si vous le voulez bien, mais qui n’est qu’un indigne lot de consolation. Un peu comme ces portraits du ‘’Maître’’, démuni pour ne pas dire andycapé, qu’un sous-fifre peinturlurait d’une couleur vive dans la Factory. Le rock et son cortège de masques n’était-il qu’une des formes électrifiées du charlatanisme sociétal. Morrison a quitté le rock pour la tentation suprême : la poésie. Nietzsche a expliqué que toute valeur court à sa perte. Morrison a abandonné la poésie pour la mort. A-t-il gagné au change ?

             Cet ouvrage enfonce peut-être des portes ouvertes, mais ouvre le lecteur à la réflexion, que Mallarmé nommait divagation. Ce n’est pas mal du tout pour un bouquin qui ne se revendique pas scriptuairement assoiffé d’absolu. Margotin vous refile un jeu de clefs. Ce ne sont pas les clefs qui doivent susciter votre intérêt. Mais le jeu. Grand concept de Jim Mor(t)isson.

             Les morts y sont. Mais nous ?

    Damie Chad.

     

     

    *

    Chris Darrow (1944 - 2020) multi-instrumentiste s’est intéressé au blues et au Bluegrass.  Il fait partie de ces musiciens qui comme Chris Hillman fondateur des Byrds ont aidé à la création du  Country Rock. Darrow a participé à de nombreuses sessions de studio, il a produit des albums sous son propre nom, fondé, et participé à de nombreux groupes, il a été aussi membre du Nitty Gritty Dirt Band.

    Pour une fois l’entretien se déroule à l’extérieur, Chris Darrow assis sur une chaise de jardin devant la luxuriance sinoplique d’un massif de bambous.

     

    The Gene Vincent Files #11: Chris Darrow about playing on Gene’s last official studio album.

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    Voici la copie du disque sur lequel j’étais, il possède encore la petite bande blanche sur le devant, c’est le dernier disque  de Gene Vincent, sur lequel j’ai participé et joué du violon sur la chanson Danse Colinda. Je me suis présenté très tôt au studio pour cet album dans l’espoir de le rencontrer, c’était le studio de Dave Hassinger sur Selma Avenue. J’étais excité de travailler avec l’ingénieur Dave Hassinger car il a réalisé un certain nombre de choses comme Satisfaction pour les Stones, d’autres disques importants, il était un grand producteur de rock’n’roll… Oui je suis arrivé tôt au studio, il n’y avait personne à qui au moins serrer la main ou à dire bonjour, donc quand je suis entré il n’y avait personne ni dans le studio ni aux environs, Dave était dans la cabine en train de surveiller des cadrans, je suis entré dans la zone où l’on enregistre, dans un coin se trouvait un gars qui ressemblait à un concierge, il portait un pantalon sombre et une chemise sombre, le genre de frusques que l’on trouve chez Sears, que les gens portent comme ça, le gars avait aussi une ceinture noire et des chaussures noires. Je me demandais où était Gene Vincent, et je continuais à le chercher des yeux, quant à coup le type s’est retourné vers moi : c’était Gene Vincent, il semblait avoir vieilli de plusieurs années et être plus près de la cinquantaine que de la trentaine, j’avais été assez choqué par son apparence, lorsque j’ai réalisé  qui il était, je me suis déplacé pour lui serrer la main, lui dire bonjour et me présenter. Je me suis présenté et lui ait appris que j’allais jouer sur son disque. Oui c’était la première fois que je le rencontrais, je le connaissais  depuis très longtemps car je l’avais en quelque sorte déjà rencontré grâce au  film The Girt Can’t Help It, j’avais douze ans, il m’avait vivement impressionné,  c’était comme si

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    je l’avais vraiment vu en chair et en os, je possédais ses disques et j’espère que vous aviez vu ses anciennes photos, il m’a totalement captivé et il est devenu une de mes idoles favorites, sans parler de  Cliff Gallup son guitariste, ils ont fait partie de ces gars qui pour un jeune homme et un jeune musicien comme moi essayant d’apprendre à jouer étaient des modèles, Gene Vincent faisait partie des grands… C’était une drôle de gageure de le rencontrer réellement, je me sentais extrêmement chanceux et béni (par les Dieux) de pouvoir jouer sur cet album. La session s’est très bien passée, ils ont été très contents de ce que j’avais fait, le groupe était

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    principalement constitué des membres du Sir Douglas Quintet sans Doug qui avait joué dans les sessions précédentes. J’ai eu la chance de rester et d’assister au déroulement des sessions suivantes. Gene était impeccable, je veux dire qu’il assurait grave au micro, il chantait très bien et il semblait s’être vraiment euh ! quel serait le mot juste, il semblait vraiment régenter la situation, il n’était pas du tout sous la direction de quelqu’un d’autre, c’était sa session et il avait une très grande maîtrise de ce qui se passait. (Question inaudible) Son humeur était plutôt bonne, il semblait être très optimiste et très heureux d’être là et je pense qu’à ce stade très particulier il semblait être très euh, il semblait vouloir s’éloigner de ce que tout le monde pensait qu’il était uniquement : un artiste de rockabilly, ce qu’il n’était pas, en fait il aimait la   musique country, une des chansons que nous avons enregistrée, celle sur laquelle j’ai jouée était de fait un air cajun, Gene a été vraiment bon je pense. J’ai eu l’occasion de le rencontrer plus tard lors d’une fête après avoir fini l’album, nous sommes restés assis un long moment dans la cuisine de Tom Mars à parler longuement, j’ai senti que c’était un gars un peu… son comportement trahissait quelque chose de très mélancolique, il était visiblement très amoureux de sa femme. Je veux dire qu’il était davantage motivé par sur cette relation que peut-être sur sa

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    propre carrière en ces moments-là. C’est difficile pour moi d’affirmer, je ne le connaissais pas assez pour avancer cela, il y avait une sorte d’atmosphère très, très, très sombre qui l’entourait. A l’époque je pensais que c’était dû aux séquelles de l’accident dans lequel Eddie Cochran a perdu la vie. En fait on se rendait compte qu’il souffrait de sa blessure au pied qui paraissait ne pouvoir jamais se résorber, il boîtait, il montrait une certaine détermination malgré sa sclérose latérale. Cette sorte de malaise qu’il dégageait était, je ne dirais pas effrayant mais très mélancolique ( il s’interrompt pour mettre de la musique dont on entendra que quelques notes, quand il reprend la parole il se frotte l’œil) Je pense que l’aspect majeur des années 60, je faisais alors partie d’un groupe appelée The Kalidoscope, un groupe psychédélique, on jouait du blues, de la musique orientale, bref ce genre de musique, on était connu pour être un groupe de World Beat, je pense que s’il était étiqueté comme un artiste de rockabilly, même s’il était beaucoup moins stéréotypé que cela pouvait le paraître, je pense qu’il aurait été capable d’accepter la musique de cette époque, toutefois en ce qui concerne sa tentative d’adapter sa musique aux années soixante, les gens auraient pu le comprendre, mais cela a paru une faute de goût. Je ne pense pas que

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    cette mixture était d’un bon niveau pour les gens qui aimaient ce courant même si la musique à cette époque était très ouverte. Elvis, les Everly Brothers  et tous ces gars du même acabit, la période n’était pas très bonne pour eux comme vous le savez. Je pense que la musique a évolué, certains artistes qui étaient au top, et ce fut identique pour tout le monde, lorsque les Beatles ont frappé, tous ces gars qui avaient auparavant connu le succès ont tout simplement disparu. Je ne pense pas que sa musique était nécessairement inadaptée  aux années 60, quant à sa capacité à intégrer la mentalité des années 60 je n’y crois guère, je pense que cela lui aurait été très difficile, probablement parce qu’il était beaucoup plus connu en dehors des Etats-Unis qu’il ne l’était aux Etats-Unis. Je suis prêt à parier qu’il a eu davantage de fans en Europe et dans d’autres parties du monde qu’aux Etats-Unis, aujourd’hui

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    encore. J’ignore pour quelles raisons. Je pense que Gene avait une personnalité plutôt effacée. Il n’était pas le genre de gars qui me donnait l’impression qu’il était là pour vous conquérir. Son talent lui a été davantage bénéfique que son attitude et son énergie. Il était excitant et tout ce genre de trucs, mais il avait en lui une douceur, et une gentillesse, je ne pense pas qu’il avait une personnalité conflictuelle. Elvis était un véritable showman et il s’excitait bien plus quand il montait sur scène. Je ne pense pas que l’humeur maussade et cette mélancolie que j’évoquais tout à l’heure ont été des facteurs qui l’ont peut-être empêché d’être un plus grand artiste qu’il aurait pu être, ce n’était certainement pas une question de talent, son talent est hors de cause, hélas certains artistes n’y parviennent jamais comme on le souhaiterait. Il est un de ces gars dont aujourd’hui lorsque l’on écoute ses disques l’on se doit de reconnaître qu’ils sont intemporels. Ce n’est pas qu’ils ne retiennent pas l’attention ou qu’ils ou n’accrochent pas, je pense qu’ils fonctionnent encore, le fait que je possède une copie de The Girl Can’t Help It, et que je l’écoute régulièrement juste pour le plaisir de le voir reste la preuve que ça vaut le coup de l’acheter, en cassette ou en vidéo si par hasard vous ne connaissez rien d’autre de Gene Vincent. Je n’ai

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    pas été le moins du monde surpris d’apprendre sa mort, à cause de l’impression qui me le laissait présager, je ne pensais pas que je lui survivrai si longtemps. Il a eu une vie très difficile, il semblait avoir vieilli très vite. Je n’avais seulement que quelques années de moins que lui alors qu’il paraissait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi. Il m’a donné l’impression, si je puis dire, de se battre comme la montre. Comme je l’ai dit je n’ai pas été particulièrement surpris d’apprendre son décès. En quelque sorte cela s’inscrivait dans la logique des choses… J’ai dit à quelques personnes qu’il était peut-être mort le cœur brisé. Il y avait quelque chose en lui qui donnait l’impression qu’il n’avait jamais réalisé le potentiel qu’il avait en lui. Ceux d’entre nous qui se souciaient sincèrement de lui l’ont ressenti, je sais que des gars comme Jeff Beck et beaucoup de grands musiciens ont été très affectés comme je l’ai été et il fera toujours partie de moi, je me sens chanceux, extrêmement chanceux d’avoir pu jouer avec lui, d’autant plus qu’il s’est avéré que c’est sur son ultime disque que j’ai joué.

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    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

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    Danse Colinda  est paru sur l’album Gene Vincent qui a été enregistré en mars 1970  il est paru aux USA en juillet 1970. Il est paru en Angleterre titré : If You Only Could See Me en mai 1971.  

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    L’album The Day The World Turned Blue enregistré en octobre 1970 est paru aux USA en décembre 1970 et en août 1971 en Angleterre.

    La proximité des dates de parution explique certainement pourquoi Chris Darrow pense avoir participé à l’enregistrement du dernier album officiel de Gene Vincent.

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    Dave Hassinger : il fit des miracles chez RCA, les Rolling Stones ne sont pas les seuls à inscrire sur son tableau de Chasse : Elvis, Mama’s and Papa’s, Love, Seeds, Electric Prunes, Crosby, Still, Nash and Young et bien d’autres…

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    Sears créé est une chaîne de distribution de commerce de détails, un peu l’équivalent de nos Leclerc, la firme crée à la fin du dix-neuvième siècle a atteint son apogée dans les années cinquante et connu un grave déclin dès le début des seventies. Les magasins ont vieilli et les locaux sont délabrés… Sears se débarrasse de centaines de magasins… Sears s’est refait une santé au Canada et au Mexique…

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    Marcia Avron la dernière compagne de Gene, lorsqu’il  rentrera de Londres début octobre 1971 Gene trouvera sa maison totalement vide. Terrible coup porté au moral du chanteur. Il décèdera le 12 octobre.

    SLA : c’est ce terme qu’emprunte Chris Darrow pour désigner la maladie de Gene, en toutes lettres Sclérose Latérale Amyotrophique, communément appelée : Maladie de Charcot. Sans être médecin nous mettons fortement en doute ce diagnostic… L’alcool aura causé bien des ravages dans le corps de Gene…

     

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne

    YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 584 : KR'TNT 584 : P. P. ARNOLD / JON SPENCER / GARY USHER / TAJ MAHAL & RY COODER / SWELL MAPS / GOZD / GENE VINCENT / JULIANE GARSTKA / JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 584

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 01 / 2023

     P.P. ARNOLD / JON SPENCER

     GARY USHER / TAJ MAHAL & RY COODER

    SWELL MAPS / GOZD

    GENE VINCENT / JULIANE GARSTKA  

    JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 584

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Arnold Layne

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             Indépendamment de ses qualités de Soul Sister, l’élément le plus intéressant chez P.P. Arnold est sa double nationalité artistique : elle est à la fois une Soul Sister à Los Angeles et une star du Swingin’ London. Ikette d’un côté et First Lady of Immediate de l’autre. Amie de Gloria Scott, de Maxayn et de Johnny Guitar Watson d’un côté, amie de Jagger, de Steve Marriott, de Barry Gibb, de Brian Jones, de Madeline Bell et de Doris Troy de l’autre. Elle est avec Jimi Hendrix l’une des rares à avoir réussi sa relocalisation. Mais à la différence du pauvre Jimi, elle a survécu. D’où le titre de son autobio, Soul Survivor - The Autobiography.

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             Sacré book, en vérité. Pas forcément bien écrit, mais on n’est pas là pour ça. On est là pour les Ikettes. Avant d’entrer dans le backstage, mettons les choses au point : P.P. Arnold n’est pas son vrai nom, c’est un choix (bizarre) d’Andrew Loog Oldham. P.P. se prononce Pipi. En français, ça ne passerait pas. K.K. non plus. On voit d’ici l’étendue du désastre. Inutile d’espérer que le Gaulois va se civiliser, il est trop tard. En réalité, elle s’appelle Pat Cole, Arnold étant le nom du mari qui lui tapait dessus. Bizarrement, elle réussit à divorcer mais elle garde le nom, comme le fait d’ailleurs son ancienne patronne, Tina Turner. Et comme le fera aussi Brix Smith. Elles se plaignent toutes de leurs maris, mais elles gardent le nom, c’est assez incompréhensible. Alors pour avancer, on va l’appeler Pat.

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    ( Tina à droite / PP Arnold à gauche )

             Si on veut tout savoir sur les Ikettes, c’est là, dans le Pat Book. Pat commence par passer une audition chez Ike & Tina. Elle nous explique qu’il existe alors deux moutures d’Ikettes, les backing singers d’Ike & Tina : Robbie Montgomery, Venetta Fields et Jessie Smith constituent la mouture A qui part en tournée avec Ike & Tina, et la mouture B qui tourne avec The Dick Clark Show. Pat postule pour la mouture B en compagnie de Gloria Scott et de Maxine Smith. C’est Ike le renard qui a l’idée des deux moutures. On appelle ça avoir plusieurs fers au feu. Ike fait déjà du big biz. À l’époque, Gloria Scott est assez expérimentée, nous dit Pat, pour s’être retrouvée à la même affiche que les Supremes et d’autres Motown acts. Quand la mouture A se mutine et démissionne, la mouture B monte en grade et part en tournée avec l’Ike & Tina Turner Revue. Et c’est là que Pat démarre.

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             Elle ne brosse pas un portrait très flatteur d’Ike Turner : «Il avait la peau très noire et n’était pas très grand, un peu dégingandé, avec une tête allongée qui semblait trop grande pour son corps, un visage taillé à la serpe et des yeux très grands. Il avait les jambes arquées, ce qui le rendait sexy au yeux de certaines femmes. Il avait un sens de l’humour Southern, mais je ne savais pas quoi penser de lui. Il n’était pas laid, mais il n’était pas non plus très beau. Il racontait des blagues salaces qui me mettaient mal à l’aise. Il m’a demandé mon nom avec un petit rire bizarre et semblait fasciné par la taille de mon cul.» Pat passe l’audition avec succès, mais à l’époque, elle est mariée et mère de deux enfants. Ike réussit à convaincre le mari psychopathe de laisser Pat partir en tournée pour plusieurs mois. C’est tellement bien raconté qu’on s’y croirait. Pat narre cette première tournée à travers les États-Unis, la Revue sur scène, et l’arrivée de Tina qui chaque soir provoque l’explosion du public - She broke into «Shake» and boy could she shake her money-maker - Chacun sait que Totor a craqué en la voyant sur scène. L’early Tina était fantastique, she was beautiful and wild - She was the female James Brown - Pat compare aussi les nouvelles Ikettes aux anciennes : «We were pretty green, but we were in tune with the latest trends. We were like a baby Supremes, only raunchier. Our youthful zest is what Ike and Tina liked. We could inject their show with that high-energy teen Go-Go vibe.» Ike ne veut ni drogues ni alcool dans les Ikettes. Il fout des prunes quand un truc ne va pas, par exemple une perruque de travers. Elles reçoivent 250 $ par semaine, mais doivent payer leur bouffe et l’hôtel. Elles portent toutes les trois des perruques. Pat donne tous les détails. Il faut savoir qu’à l’époque, toutes les Soul Sisters portent des perruques. Il faudra attendre la mode des afros pour voir les perruques disparaître. La seule des trois qui tient tête à Ike, c’est Gloria Scott, parce qu’elle le connaît depuis longtemps et qu’elle a du caractère.

             Et puis un jour, Maxine, Gloria et Pat ratent le bus pour Houston, où est prévu un concert. Elles doivent prendre l’avion à leurs frais et en arrivant, Ike leur colle en plus une prune. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Alors Maxine et Gloria décident de quitter la Revue. Mais Pat qui a deux gosses à charge se désolidarise et décide de rester, trahissant ses amies. Elle ajoute que Maxine ne lui a jamais pardonné cette trahison. Par contre, Gloria lui dira plus tard qu’elle avait compris les raisons de sa décision. Eh oui, le résultat est que Maxine et Gloria ont sombré dans l’anonymat, alors que Pat a choisi la survie. Soul Survivor. La vie ne tient qu’à un fil. Surtout la vie artistique.

             Alors tout le monde attend de savoir : Pat s’est-elle fait sauter par Ike ou pas ? Oui, ça paraît évident. Toutes les Ikettes passaient à la casserole et Tina ne disait rien. Ike avait pour habitude de se pointer dans les loges avec la bite à l’air. L’idée étant que tailler une pipe permettait de s’agrandir la gorge et de mieux chanter. Ike finit par baiser Pat qui nous donne tous les détails, «the big black ugly dick inside me». Mais à côté de ça, elle apporte des éclairages sur ce personnage tellement contradictoire, dont le père avait été lynché par des blancs. Comme il n’avait pas été soigné, le père s’était chopé la gangrène. Installé sous une tente plantée devant la maison, il a cassé sa pipe en bois sous les yeux horrifiés du petit Ike. Un drame pareil, ça te transforme un gamin. Ike est alors devenu un wild child, Il trafiquait du moonshine pour survivre et au tout début des années 50, il a formé les Kings of Rhythm, l’un des meilleurs combos ayant jamais existé aux États-Unis. Puis il a monté la Revue et s’est inspiré des Raylettes de Ray Charles pour rassembler ses Ikettes. Et comme Ray Charles baisait ses Raylettes, Ike baisait ses Ikettes. Ça fait partie du jeu.

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             C’est en août 1966 que Pat débarque en Angleterre avec les Ikettes, pour la tournée anglaise des Rolling Stones. The Ike & Tina Turner Revue joue en première partie, avec les Yardbirds, Long John Baldry et Peter Jay & The Jaywalkers. Les Ikettes sont trois : Pat, Rose Smith et Ann Thomas, qui ne chante pas et qui mime pendant que Jimmy Thomas fait sa voix en coulisse. Ike dit «pas touche !» aux petits culs blancs qui louchent sur le petit cul noir de Pat Arnold. Mais Jag a commencé à loucher sur le petit cul noir de Pat, et Bill sur celui de Rose. Pat se dit fascinée par les Stones - This was some serious hardcore elecrifying rock’n’roll - Quand elle voit Jag danser, elle se marre - He was hilarious, with gangly white-boy sex appeal, trying real hard to look black - Quand il secoue les bras, elle le compare à un poulet dans la basse-cour. Et hop, au lit ! Elle devient la girlfriend de Jag, en concurrence directe avec Marianne. C’est Glyn Johns qui alerte Ian Stewart, le sixième Rolling Stone - You got to come and hear the girl sing - Stewart alerte à son tour Andrew Loog Oldham qui la signe sur Immediate et qui la baptise comme on l’a dit Pipi Arnold. C’est ce contrat et sa liaison avec Jag qui vont la convaincre de rester en Angleterre. Stewart commence par sortir Pat des griffes d’Ike qui lui ordonne de rentrer à Los Angeles. No way. Stewart la met à l’abri dans sa maison de campagne. Puis Pat doit téléphoner à son père pour lui demander l’autorisation de tenter sa chance à Londres. Le père lui donne six mois et lui fait confiance : «On ne sait rien à propos de l’industrie du disque, mais on sait que tu as du talent et on ne voudrait se mettre en travers de ton chemin.» Pat chiale toutes les larmes de son corps en entendant ça. Mom & Dad vont s’occuper des gosses, donc Pat peut foncer.

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             Elle commence par tourner en Angleterre, avec les Blue Jays, puis T.N.T. dont le bassiste n’est autre qu’Eddie Phillips, le flash guitar slinger de Creation. Comme c’est une tournée Immediate, elle se retrouve à l’affiche avec les Small Faces. Elle a une petite aventure avec Steve Marriott - a little extra-curricular sexual activity - Elle baise aussi avec Rod The Mod - We had a lot of laughs and sex was cool - Elle fréquente Marianne Faithful avec laquelle elle se trouve pas mal de points communs, même si elles sont d’origines sociales radicalement opposées : «On était toutes les deux des teenage mothers and teenage brides, on avait été découvertes toutes les deux par Andrew Loog Oldham and we were both Mick Jagger’s lovers.» Pat va chez Jag quand Marianne n’y est pas, mais Marianne déboule une nuit avec une copine américaine et elles se mettent au lit avec Pat et Jag - Je me suis retrouvée au milieu d’une orgie with these two soft white blonde girls all over me - Démarre ensuite une petite période de ménage à trois, mais Jag s’écarte un peu de Pat, lui préférant Marianne. Un peu plus tard, Marianne va passer à l’héro, et au moment de l’hommage à Brian Jones à Hyde Park, elle verra Jag se pavaner avec Marsha Hunt qu’il vient d’engrosser. Marianne va tenter de se suicider aux barbituriques en Australie, pendant le tournage de Ned Kelly. Elle va rester six jours dans le coma. À son retour à Londres, elle ramasse ses affaires et quitte la maison de Chelsea et, nous dit Pat, Marsha s’installe à sa place. Elle est pas belle la vie ?

             Comme Pat a besoin d’un chauffeur, Andrew lui file Kenny Pickett, l’ex-chanteur de Creation. À cette époque, elle baise aussi avec Jimi Hendrix qui vit tout près, in Montague Square, right around the corner from my flat in Bryanston Mews East.

             Pour son premier album Immediate, Pat a tout le gratin dauphinois derrière elle, notamment les futurs membres de Nice. Andrew voit en Pat une sorte de superstar et veut qu’elle ait les meilleurs auteurs, les meilleurs arrangeurs et les meilleurs producteurs. Il agit comme son mentor Totor. Pat : « Andrew was into the West Coast Phil Spector girl group thing. » 

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             Paru en 1968 sous une pochette iconique signée Gered Mankowitz, The First Lady Of Immediate pourrait bien se retrouver sur l’île déserte, car cet album grouille littéralement d’énormités. Elle démarre bien sûr avec le fameux « (If You Think You’re) Groovy » des Small Faces, qu’elle embarque à la grimpette foldingue, c’est tapé à la puissance Marriott/Lane et aux descentes de toms de Kenney Jones. Marriott et Lane pensaient d’abord lui filer « Afterglow », mais ils changèrent d’avis et lui proposèrent Groovy. Avec « Something Beautiful Happened », Pat tape dans le Brill, soutenue par un grand ensemble dévastateur. Sacrée Pat, elle peut monter tellement haut qu’elle devient une sorte de visiteuse des cieux. Avec « Born To Be Together », elle fait sauter le couvercle de la voûte, elle chante avec toute la puissance de sa blackitude céleste. Wow ! Quelle shouteuse ! Elle hurle littéralement au sommet du beat. On a là le nec plus ultra du bénéfice des longs termes. Toujours aussi magnifique, voici « Am I Still Dreaming » monté sur un beat solide et embarqueur de première. C’est une énormité sans nom, comme on dit quand on ne sait plus quoi dire, une énormité montée à l’adrénaline de mini-jupe, un jerk des enfers. Tu viens danser, baby ? Elle finit l’A avec le fameux « The First Cut Is The Deepest », ce vieux balladif d’intensité maladive. Elle y fait un final éblouissant à coups de gotta gotta. « Everything is Gonna Be Alright » s’ouvre sur une grosse pelletée d’orchestration. C’est signé Oldham. Pur jus de Swingin’ London. Stomp de rêve - hey hey hey - C’est plombé au beat direct, Pat le chante à bout de voix et l’explose à la fin. S’ensuit la pop nerveuse de « Treat Me Like A Lady ». Ça part en pur jive de jerk. Très franchement, cet album compte parmi les fleurons des sixties. Encore une fois, Pat explose tout. C’est son seul vice. Elle se montre chaque fois terrifiante de force et dégoulinante de jus de présence. Elle peut driver un cut comme Aretha. Elle revient au jerk d’Andrew Loog Oldham avec « Speak To Me », un hit fait pour danser, et secouée par des tourbillons de violons, Pat chante à outrance.

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             Comme les albums Immediate sont devenus inabordables, on peut se rabattre sur une fantastique compile parue en 2001, The First Cut, qui est du triple concentré de dynamite à la tomate. On y retrouve tous les hits de The First Lady Of Immediate, notamment « Everything’s Gonna Be Alright », ce stomp composé par Dave Skinner, de Twice As Much, duo qu’Oldham avait signé sur Immediate et qu’il payait pour composer. En 1967, on savait stomper. On y retrouve aussi le gros hit de Pat, « The First Cut Is The Deepest », signé Cat Stevens et orchestré à la Totor par Mick Hurst, un type qui fit partie des Springfields, avec Dusty chérie. C’est joué aux trompettes de la renommée et très cousu de fil blanc, mais à l’époque, ça plaisait beaucoup. Pat revient au pur jus de juke avec « The Time Has Come » et dans la foulée voilà que déboulent tous ses hits Immediate, « Angel In The Morning » (du Chip Taylor bien produit), « Speak To Me » (stomper des enfers, Pat éclate comme Aretha, elle grimpe là-haut sur la montagne), « Born To Be Together » (production à la Totor - Normal, c’est une compo signée Spector/Mann/Weil que reprendra aussi Dion - Alors bien sûr elle l’explose - on dirait qu’elle ne sait faire que ça). C’est le même problème avec toutes les grandes interprètes, il faut leur donner de bonnes chansons, sinon elles tournent en rond. Avec une belle compo de Totor, Pat devient un shouteuse fascinante, comme l’est Dusty chérie avec une belle compo de Burt. D’ailleurs Pat sait comment s’y prendre avec Totor, puisqu’elle a participé aux mythiques sessions d’enregistrement de « River Deep Mountain High ». On trouve encore une belle perle de juke avec « Am I Still Dreaming ». Là, elle fait sa Martha Reeves, elle se fait vacharde et bousculeuse, puissante et insidieuse, elle envoie sa voix claquer au firmament. Et la fête se poursuit avec « Treat Me Like A Lady », un autre r’n’b brûlant, musclé, rapide et raunchy, doublé de chœurs déments, visité par un solo de guitare cabossé. Tout cela file à une vitesse supersonique. Pat a le diable au corps. Elle crache le feu sacré du r’n’b. Par contre, son « Would You Believe » est plus cérémonieux et même massacré par des violons. On trouvera un peu plus loin un sacré coup de chapeau à Brian Wilson, puisqu’elle reprend « God Only Knows », tiré de son deuxième album, Kafunka. Elle tape dans le dur du mille. Elle y va au bluff. Comment peut-on oser taper dans un tel classique ? Elle s’y colle vaillamment et serre ses petits poings noirs. Elle force tellement qu’elle fait mal aux oreilles. Puis elle tape dans les Beatles avec « Eleanor Rigby » et surtout « Yesterday » qu’elle transforme en powerhouse. Elle se bat jusqu’au bout et en cela, elle est admirable. En fin de parcours, on va trouver deux autres merveilles : « To Love Somebody » des Bee Gees qu’elle transforme en r’n’b magique, et « Welcome Home » dont elle fait une monstruosité mélodique.

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             On trouve assez facilement un Best Of de Pat édité en Hollande sur Immediate. Tous les gros hits pré-cités s’y trouvent, bien sûr. Nous sommes là au cœur de l’âge d’or d’Immediate. Cette époque sentait bon la veste en velours et la mini-jupe, le jabot et la mèche folle. On pataugeait dans l’insouciance des jours heureux. Des artistes comme Pat Arnold et les Small Faces parvenaient à cristalliser toute cette fantastique énergie. 

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             Dans une interview qu’elle accorde à Lois Wilson, Pat cite les Staple Singers, Aretha et Dionne Warwick comme ses premières influences. Quand Ike & Tina reviennent en Angleterre, ils ramènent une nouvelle brochette d’Ikettes : Ann Thomas, Paulette Parker et Claudia Lennear, une Claudia, nous dit Pat, qui louche sur Jag. Alors Pat en profite pour faire le point sur «Brown Sugar» : «La rumeur dit que Mick s’est inspiré de Claudia pour ‘Brown Sugar’. Mais c’est plus compliqué. Un jour, à la fin des années 70, nous dînions à Los Angeles avec Marsha Hunt et notre amie mutuelle Linda Livingston, et selon Linda, Mick se serait inspiré de moi pour ‘Brown Sugar’. Ça m’a bien fait rire, mais ça n’a pas fait rire Marsha qui est convaincue d’être la vraie Brown Sugar.» On ne saura jamais la vérité et on s’en fout. Fataliste, Pat dit que Jag a baisé Marsha et Claudia, mais elle ajoute qu’elle était là avant - Mick was my first white lover, back when interracial relations were taboo.

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             Elle enregistre son deuxième album Kafunka en 1968. Album étrange. Pat y porte une sorte de coiffure indienne du Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Dans son autobio, elle rappelle qu’elle a du sang Choctaw dans les veines. Elle ajoute que les Choctaw étaient l’une des ‘Five Civilized Tribes’ qui ont adopté le mode de vie des blancs, allant jusqu’à faire travailler des esclaves sur leurs plantations. Sur Kafunka, Pat tape dans l’intapable, c’est-à-dire le « God Only Knows » de Brian Wilson, l’une des pierres angulaires de Pet Sounds. C’est à sa main, car elle force bien. Elle ne se résigne pas et repousse ses limites en quête de l’octave impérieuse. Andrew était quand même gonflé de lui demander de chanter ça. Elle chevrote admirablement. Deux autres merveilles se nichent en B : « To Love Somebody » et « Dreamin’ ». Les Small Faces l’accompagnent sur « To Love Somebody » et Mac nous nappe ça d’orgue. Il faut voir comme ça swingue. « Dreamin’ » est une reprise des Bee Gees qu’elle va chercher au beau chat perché. Si on apprécie les beaux balladifs, on se régalera aussi de « Welcome Home ».

             Puisqu’on parlait des Bee Gees, voilà Barry Gibb qui devient pote avec Pat et qui lui compose des cuts. Pat connaît Barry Gibb grâce à Jim Morris, son mari, qui fut à l’époque le chauffeur de Robert Stigwood. Par contre, Pat ne s’entend pas du tout avec Lulu, la poule de Maurice Gibb. Lulu lui montre un peu de mépris, ce qui n’est pas le cas de Dusty chérie - always warm and friendly with me - Barry lui compose des super-cuts, et dans les backing vocals, on retrouve Madeline Bell et Doris Troy.

             Après la fin d’Immediate, Robert Stigwood demande à Barry Gibb de produire le premier album de Pat sur RSO, mais comme les Bee Gees viennent de splitter, le projet est abandonné. Clapton prend la suite, en tant que producteur sur trois cuts, mais Stigwood n’aime pas les enregistrements. Il ne les trouve pas assez commerciaux. Alors il enterre le projet. Pat est virée - Dropped and lost - Et pourtant, elle repartait du bon pied, puisqu’elle avait comme backing band Ashton Gardner & Dyke, Steve Howe on guitar, et Lesley Duncan aux backing vocals. Autant dire la crème de la crème. Mais ça n’a servi à rien. Comme Pat portait une afro, I got revolutionary, I got attitude, elle pense que ça ne plaisait pas à Stigwood. Les bandes vont prendre la poussière sur une étagère pendant 50 ans. Hein ? Oui, tu as bien entendu : 50 ans !

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    Dans Classic Rock, Henry Yates indique que Pat a passé sa vie à courir après son passé. En effet, pour récupérer ces fameux enregistrements de 1969, elle a dû frapper à des tas de portes et se montrer insistante - I’ll be an old lady soon. I want my music ! - Et c’est justement le jour de ses 70 ans, en 2017, qu’elle reçoit enfin une réponse d’Universal par mail : elle peut tout récupérer, les enregistrements, les licences et les droits !

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             L’album s’appelle The Turning Tide et sort donc sur Kundalini Music, le label de Steve Cradock d’Ocean Colour Scene, un Cradock génial qui a soutenu Pat pendant toutes ses démarches. Ça valait le coup d’attendre 50 ans, car forcément l’album est génial. Rien que pour cette cover du « Medicated Goo » de Traffic. Pat mène le bal des Anglais et cet enfoiré de Carl Radle navigue à vue sur le manche de sa basse. C’est du groove de black anglomaniaque mené par une Pat qui pulse son jus d’Angelinote. Encore un coup de génie avec « Spinning Wheel », le vieux hit de Blood Sweat & Tears. Elle n’en fait qu’une bouchée. Elle explose le Wheel du Spinning en plein vol. Tout aussi génial, voilà « You’ve Made Me So Very Happy », groove de bar de nuit rendu célèbre par Brenda Holloway. Pat gère bien son affaire. Elle sait. Pas besoin de lui expliquer. Sa façon de groover relève du génie pur, aucun doute là-dessus. Elle enchaîne deux slowahs monumentaux : « If This Were My World » et « High & Windy Mountain ». Pat peut grimper dans les étages, elle n’a aucun problème de ce côté-là. Elle grimpe tellement haut qu’elle finit par donner le vertige. Elle force son passage vers les étoiles, à la manière de Cilla Black. Elle se bat comme une reine avec les octaves. Madeline Bell vient chanter avec elle « Burry Me Down By The River » qui est un cut de gospel batch, alors ça explose. On entend Madeline hurler dans le fond ! Tiens, encore du gospel avec « Children Of The Last War ». Tout est démesuré sur ce disque sauvé des eaux, comme Boudu. Même le gospel relève d’une incroyable véracité. Elle explose aussi « The Turning Tide », une compo somptueuse, on se croirait à Broadway. Alors oui, Pat peut éclater au firmament, en voilà la preuve. Elle est tout simplement extravagante de démesure octavienne. Ian Stewart avait raison : « You got to come and hear the girl sing ! » Tout est bon sur cet album, elle chante tout à plein temps, elle remplit l’espace de chaque cut et comme Sharon Tandy, elle vise chaque fois l’explosion finale. Elle termine avec une version démente du « Can’t Always Get What You Want » des Stones. Elle tape dans l’intapable, comme Merry Clayton avant elle, et s’en sort avec les honneurs, d’autant qu’elle le trashe d’entrée de jeu. C’est tout de même incroyable que Stigwood ait pu enterrer des enregistrements de cette qualité.  

             À l’époque, Pat est bien pote avec Brian Jones - He was very cute and sexy and looked aristocratic, eccentric and yet elegant in his flamboyant attire, his dandy scarves and beautiful smoking jacket - Elle n’est pas attirée sexuellement par lui, mais Brian se conduit en gentleman avec elle. Pat dort avec lui, mais note-t-elle, il n’est plus en état de fricoter. La mort rôde déjà dans le Swingin’ London. Pat va voir ses bons amis disparaître : Brian Jones et Jimi Hendrix. Elle se lie avec Madeline Bell - She had the clearest cristaline vibrato I’ve ever heard - et avec Doris Troy, via Madeline. Doris et Madeline se sont rencontrées à New York. Doris est une battante, elle passe sa vie à courir après ses royalties. Un jour en Californie, elle emmène Pat chez Nina Simone. Pat se dit fascinée par le spectacle de ces deux stars qui se racontent leurs mésaventures avec le music biz et comment elles se sont fait plumer. 

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             Comme elle est bloquée par Stigwood, pour vivre, elle doit faire des backing vocals. Elle se retrouve avec Doris derrière Nick Drake pour les sessions de Bryter Layter, derrière les Move pour celles de Looking Back et, avec Claudia, derrière Humble Pie pour les sessions de Rock On. Elle cite des tas d’autres choses moins intéressantes. Elle se réinstalle à Los Angeles avec le batteur de CSN&Y et de Manassas, Calvin Fuzz Samuels, et lui donne un fils, Kodzo. Elle devient pote avec Paulette Parker qui fut comme on l’a déjà dit une Ikette, avant de devenir Maxayn Lewis. Pat rappelle que Marlo Henderson, le guitariste de Maxayn, fit partie du Buddy Miles Express et de Wonderlove (Stevie Wonder). Elle rend aussi hommage à Andre Lewis, le mari de Paulette, la reine des paupiettes, qui lui aussi a joué avec Buddy Miles, et Frank Zappa. Le groupe que Pat tente de monter avec son mari Fuzz s’inspire de Maxayn : il s’appelle Axis, en hommage à Jimi Hendrix. Ils reçoivent même une avance d’EMI. Mais rien ne sort.  

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             En 2007, elle enregistre un album avec Dr Robert : Five In The Afternoon. Dr Robert avait été le chanteur des Blow Monkeys. Et donc forcément, cet album prend une coloration groovy, puisque les Blow Monkeys s’étaient spécialisés dans la pop sophistiquée. On entre dans ce disque comme dans le lagon du groove bluesy. Ils bricolent tous les deux des balades enchanteresses et frileuses. On sent bien la reptilienne conjugaison des feelings. Avec « Careless Blues », ils passent à l’exotica de haut rang. Il règne une certaine élégance dans leurs parages dégingandés, une sorte d’excellence caraïbe. Un alizé gonfle doucement les voiles de tulle suspendus au toit de palmes, et au loin, l’océan se charge d’un mystère ancien. Ils maintiennent ce sentiment d’aisance nonchalante pour le morceau titre de l’album et avec « I Saw Something », on passe au grand groove, celui de Marvin Gaye. C’est superbement balancé et gorgé de langueur. Pat fait vibrer sa glotte au grand air et une fois encore, elle atteint les cimes. En général, la majesté du groove ne pardonne pas. Le groove ne fait pas de prisonniers. Il asservit les sens et enchaîne les membres. Il n’existe pas d’échappatoire. Tout doit se plier aux exigences du frisson. Avec « Stay Now », Pat revient faire un petit tour chez Stax. Mais ce n’est pas évident. Retour au groove avec « Ghost Of Winter ». C’est un genre qui leur va comme un gant. Celui-ci est d’autant plus impressionnant qu’il est sensible, intelligent et distingué, comme disait Alain Souchon à propos de Michel Berger. Ils font monter la chose en chantilly et nous dilatent le bulbe. Voilà une pièce d’antho à Toto. Puis Dr Robert se transforme en requin et entre dans le lagon d’un cut nommé « Shape It For Me ». On voit son aileron disparaître au loin, sous le ciel en feu du crépuscule tropical.       

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             En 2017, la presse anglaise se déchaînait. Elle annonçait le grand retour de Pat avec le lancement d’une tournée, la parution d’une autobiographie et l’enregistrement d’un nouvel album avec Steve Cradock. Justement, le voilà ! Paru en 2019, il s’appelle The New Adventures of P.P. Arnold et c’est un é-nor-me album. Sur la pochette, Pat est superbe de kitschity et elle démarre avec un coup de génie intitulé « Baby Blue ». Elle revient immédiatement à son cher pinacle, c’est extrêmement bien chanté, poussé dans ses retranchements, avec un bel esprit de conquête et une inflexible volonté d’en découdre. Spectaculaire ! Pat retrouve sa niaque d’Ikette - In peacock colours/ Like you used to do/ Before you were baby blue - Stu-pé-fiant. Elle va continuer de s’imposer cut après cut, comme avec « Though It Hurts Me Badly », oui, elle tape dans le haut de vieille glotte et c’est aussitôt relayé par des vagues de son énormes, elle ultra-chante au collet monté d’Ikette et swingue admirablement ses pointes, elle chante à la niaque supérieure. Avec « The Magic Hour », elle crée tout simplement de la magie, the spirit of the Swingin’ London is alive and well - Just look at the sunlight magic/ It’s everywhere/ If only paradise/ It could take us there - Fabuleux ! Nouveau coup de génie avec « Different Drum », elle fait exploser le groove dans une apothéose d’excellence - I’m not ready for any prison - C’est de la pop magique, elle pulse autant que Ronnie Spector, elle va au-delà de toute expectative, elle ramène aussi toute la dramaturgie orchestrale de Totor - Pull the reins in on me/ If you live without me - Demented ! Pat a tous les droits, même celui de proposer des mauvais cuts, puisqu’elle est bardée de crédit. Elle revient aux choses sérieuses avec « When I Was Part Of Your Picture » qui sonne comme un hit obscur de l’âge d’or Motown. Elle ramone sa Soul orchestrale in the dark - Remember when we could fly - Elle amène « I Finally Found My Way Back Home » au grand mystère extraordinaire. Sa force est de transformer la découverte d’une île en bonheur de vivre, let it shine. Elle relance à n’en plus finir, elle secrète des hormones de magie pure, elle puise son power dans le gospel des origines, yeah-eh eh - People living in fields/ Living in dirt - C’est d’une rare puissance et elle revient avec son refrain totémique, I found my way back home. Elle passe à l’état d’extase. Le temps d’un « You Got Me », elle domine le monde, elle devient astounding, comme dirait un Anglais, elle claque ses cuts au sommet du lard fumé, oooh baby baby baby, cette petite diablesse descend son baby baby baby avec toute l’ampleur du Soul System. On la voit aussi chanter par dessus les toits dans « Still Trying » et elle boucle cet album pour le moins effarant avec un « I’ll Always Remember You » qu’elle chante a capella. Pat Arnold est une princesse de l’aristocratie britannique. Elle tient la dragée haute à son rang. Cet album est avec celui du grand retour de Merry Clayton (Beautiful Scars) l’un des albums phares de ce début de siècle.  

    Signé : Cazengler, Pipi au lit

    PP Arnold. The First Lady Of Immediate. Immediate 1968

    PP Arnold. Kafunka. Immediate 1968

    Dr Robert & PP Arnorld. Five In The Afternoon. Curb Records 2007

    PP Arnold. The Best Of PP Arnold. Immediate

    PP Arnold. The First Cut. Sanctuary Records 2001

    PP Arnold. The Turning Tide. Kundalini Music 2017

    PP Arnold. The New Adventures Of. Ear Music 2019

    Pat Gilbert. First Cuts Are The Deepest. Mojo#287 - October 2017

    Henry Yates. PP Arnold. Classic Rock #240 - September 2017

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    Paul Ritchie/ A Cut Above The Rest. Shindig #68 - June 2017

    Lois Wilson. The tide comes in at last. Record Collector #473 - December 2017

    P.P. Arnold. Soul Survivor - The Autobiography. Nine Eight Books 2022

     

     

    Spencer moi un verre, Jon - Part Two

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             S’enfoncer dans l’œuvre épaisse de Jon Spencer, c’est comme s’enfoncer dans l’œuvre d’un auteur qu’on aime bien, parce qu’il ne déçoit jamais. Exemple : Alexandre Dumas, ou encore Balzac. Les tomes qui s’amoncellent produisent une sensation de confort, on peut s’y pelotonner indéfiniment. Jon Spencer est l’un des rockers américains les plus prolifiques et dès le commencement de sa carrière, il met un point d’honneur à se distinguer du troupeau bêlant. Pussy Galore ne ressemble à aucun autre groupe des années quatre-vingt. Jon Spencer révèle très vite un goût prononcé pour l’avant-gardisme, il développe avec le concassage sonique de la Galore une modernité de ton qui va faire école, non seulement dans son réseau personnel, mais dans la scène new-yorkaise. Il n’est pas étonnant de le voir croiser les chemins de Jerry Teel, de Ron Ward, d’Andre Williams ou encore de Monsieur Jeffrey Evans.

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             Il s’entoure bien pour lancer le train fou de Pussy Galore : Bob Bert aux metallic drums (qu’on retrouvera plus tard dans les Chrome Cranks et dans les Hitmakers) et Neil Hagerty qui ira former Royal Trux. En 1986, ils démarrent par un sacré coup d’éclat : une adaptation libre d’Exile On Main Street.  Album de rêve, pourrait-on dire. Alors bien sûr, Jon Spencer et sa fine équipe tapent dans la Stonesy dès «Rocks Off», mais ils font ça au trash suprême. Les Stones n’auraient jamais osé aller jusque-là. Les Pussy claquent tout à la volée. Welcome in hell. L’autre fabuleux shoot de Stonesy est bien sûr l’«Happy». Ils traînent Keef dans la boue du trash de Galore. C’est une admirable déflagration, rien d’aussi réjouissant sur cette terre, voilà un son bardé de stridences et concassé à coups de bassmatic. Ils font un «Shake Your Hips» bien raw to the bone, assez demented, imbattable de primitivisme. Voilà la grande force des Galore : la surenchère primitiviste. Ils se montrent inconoclastes avec «Tumbling Dice». Ils trashent la structure des atomes du rock, ils jettent de l’huile sur le feu du Dice. Difficile d’aller aussi loin dans ce genre d’entreprise de démolition. On peut dire la même chose de «Sweet Virginia». Quelle allure ! Ils démolissent aussi le vieux «Casino Boogie» et saturent «Torn And Frayed» de guitares désordonnées. «Loving Cup» est certainement le meilleur hommage aux Stones jamais enregistré. C’est à la fois admirable et sans retour possible. Une fille essaye de parler dans «Turd On The Run» mais Jon Spencer lui dit de la fermer. Shut up ! Abominable homme des neiges. Ils jouent tout dans une purée de basse fosse. Ils jouent des squelettes d’accords. «Let It Loose» sonne comme un souvenir précis dans un moment de défonce. Extraordinaire de véracité, car oui, c’est comme ça que se passe. Tu vois ton souvenir vibrer dans le cosmos. Ils jouent aussi «Stop Breaking Down» à ras des pâquerettes. Ils ne prennent pas de risques. Ça joue tout seul.

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             L’année suivante paraît l’explosif Right Now. On pourrait même dire qu’avec cet album, Pussy Galore invente le trash-rock. Ça démarra avec un «Pig Sweat» martelé et sans espoir, une merveille de désespérance jusqu’au-boutiste. On ne saurait imaginer son plus trashy. Ils jouent aussi «Upright» au boogie new-yorkais des bas fonds. Jon Spencer commence à se spécialiser dans les onomatopées, comme on le voit dans «Biker Rock Loser» - Fuck ya ! Watch out ! - Avec un solo d’arrache cœur. Comme son nom l’indique, «Fuck You Man» te fucke et ils couronnent ce balda avec un «New Breed» d’antho à Toto, admirablement shaké par Bob au beat metallic KO et un «Alright» quasi-garage. En B, «Punch Out» se distingue du lot par son beau trash galorique. Jon Spencer joue déjà les enfonceurs de portes ouvertes. Il déploie d’immenses quantités d’énergie pour démolir son rock. On le voit hurler dans la tourmente de «Trash Can Oil Drum» et il monte avec «Really Suck» un coup fumant en multipliant tout simplement les exactions. Il démolit son château de cartes à coups de tronçonneuse. Ce mec est très intéressant.

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             Attention au Sugarshit Sharp paru l’année suivante. On trouve en B un excellent coup de Stonesy intitulé «Handshake» et deux énormités, «Sweet Little Hifi» et «Renegade». C’est du straight ahead rock, véritable shoot de Galore garage pouilleux. Bob bat ça sec, si sec. C’est d’une solidité à toute épreuve. «Brick» impressionne aussi par sa carrure. On voit bien que Pussy Galore était en avance sur son temps. Avec ce genre de punch, ils préfiguraient le JSBX.   

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             À une époque, on jouait dans un groupe avec un guitariste qui possédait Dial M For Motherfucker. Le problème est qu’il n’aimait pas l’album. Au fond, le vrai problème était de savoir ce qu’on foutait tous les deux dans le même groupe. Eh oui, Dial M For Motherfucker est un superbe album de trash-rock, un disque bien vivant, qui reste assez inégalable, trente ans après. Boom badaboom dès «Understand Me». Schtroumphé d’entrée de jeu. Magnifico ! C’est dégoulinant de classe - Don’t ! Don’t ! - Ça marche dans la gadouille du trash, ça riffe dans le bone, c’est allumé comme une chaudière à l’ancienne. Encore pire, voici «SM 57», gratté à l’os du bone. Ces mecs ont le génie du son, inutile d’aller chercher midi à quatorze heures. «Kicked Out», c’est le rock du Revenant, un DiCaprio coincé dans la glace, avec des flèches dans les cuisses, véritable apologie du no way out. Avec «Solo Sex», Jon Spencer avance à la titube, on entend des filles crier au loin et puis il va ensuite au bois avec «Undertaker». Il abat les chords à la hache, il n’a pas le choix. Il faut alimenter le Pussy Galore, il shoote le shake dans le ventre béant du son. Il tape à la suite son «DWDA» à la petite revoyure de revienzy. Pur riffing de king of trash. On est dans le vrai truc. Il s’installe définitivement dans le trash avec «Dick Johnson» et «1 Hour Later». C’est dans les deux cas un chef-d’œuvre de trash-rock global avec un Jon Spencer qui joue ses trucs en fourbe, par derrière. Il peut aussi gratter le pire boogie de l’univers. C’est effarant de puss & boots. Encore une horreur avec «Eat Me», qui sonne comme une exaction fatidique. Il réinvente la frénésie avec «Waxhead». Il gratte ça à l’os du Pussy, c’est buté du bulbique, le cut avance tout seul contre vents et marées, ça arrose les murs. L’album est tellement organique qu’il semble vivant. C’est à ça qu’on reconnaît le génie d’un mec comme Jon Spencer. En plus, il ne demande rien à personne. Avec «Wait A Minute», il taille une fabuleuse tombe de pierre philosophale cinéphale. Il chante avec des boules de billard dans la bouche. Il fait du battage patibulaire. On passe au heavy sludge avec «Hang On». Pussy galère dans la Galore, ils ont tout bon, jusqu’au bout des ongles sales. Ils déglutissent le meilleur son d’Amérique, cut après cut. Ils travaillent tous leurs cuts au corps, ils jouent des coups de dé qui jamais n’aplatiront le bazar. Jon Spencer chante à l’arrache invertébrée et lève des lièvres dans le buisson ardent. Il adore aussi cavaler ventre à terre, comme on le voit avec «Handshake». C’est joué aux trublions de vrille, à la Wilko, avec de l’incendie en fond de scène. Quel festin orgiaque ! On entend des voix éclater dans tous les coins sur «Adolescent Wet Dream» et ils nous explosent «Sweet Little Hi Fi» d’entrée de jeu. Ils rockent leur shit comme personne et multiplient les départs fulgurants. C’est battu dans la chair de la brèche par ce dingue de Bob Bert et explosé par des retours de cavalcade. Rien d’aussi précieux que ce rock insurrectionnel. Tout est souligné de fuzz. Ils ramènent des gimmicks à la Wilko dans «Brick» et cet album faramineux s’achève avec «Renegade», infernale déclaration d’intention dotée d’un son de batterie révolutionnaire, très métallique, comme si Bob Bert jouait sur un sommier rouillé. On a même un solo de gras double et un Jon Spencer qui n’en finit plus d’allumer la gueule du pauvre cut. C’est définitif autant que déterminant. Rien que pour le son du drumbeat, cet album est un passage obligé. Les guitares croisent dans le dépotoir comme des requins en maraude. Ils finissent aux clap-hands, hey clap your hands, alors vas-y.     

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              Bob Bert volerait presque le show sur Historia De La Musica Rock paru en 1990. Il crée une sacre ambiance sur «Song At The End Of The Side» qui clôt l’A et sur «Ship Comin’ On» qui ouvre la B. Il joue un beat clair de bord de caisse sur le premier et bas bien sec le deuxième. Ils adorent ces ambiances à la dépenaille avec les guitares au fond et des chœurs légèrement foireux. Le hit de l’album se trouve aussi en B : «Mono Man» - I got the power ! - C’est du garage de saw buzz à la Galore. Un peu de provoc avec «Eric Clapton Must Die». C’est une interprétation libre de «Little Red Rooster» et cette fois, on entend Neil Hagerty chanter. Belle giclée de trash dans «Don’t Jones Me». Voilà encore un cut privé d’avenir, mal ficelé, mal chanté, un pur joyau trash. On voit aussi Bob Bert battre «Revolution Summer» comme plâtre et le départ en solo de Neil Hagerty vaut tout l’or du monde.

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             Le meilleur album de Pussy Galore est certainement le fameux Live In The Red paru tardivement, en 1998. C’est là qu’on trouve le plus beau killer solo flash de l’histoire du rock américain, celui de «Pig Sweat». C’est joué au pire binaire de l’univers et soudain, Neil Hagerty troue le cul du cut. On voit une falaise de son s’écrouler et Neil jouer dans les décombres. Ils ne parviendront jamais à surpasser ce coup de génie. Tous les cuts sont tartinés à la disto, joués au pulsatif d’agonisant et troués à coups de killer solos flash. Ils battent tous les records d’invraisemblance avec «Sweet Little Hifi». Jon Spencer y cherche des noises définitives à la noise, il repousse les frontières de son empire trash et vise l’absolu de l’ultimate dévastateur. Derrière, Bob Bert martèle, awite ! Ce diable de Jon Spencer chante comme un requin affamé, l’œil fou. Avec «Understand Me», ils donnent une vision claire du sludge et Bob Bert bat «1 Hour Later» si sec qu’il semble lui briser les reins. C’est un beat sec spécifique, du big bad Bert quasi rockab. Hallucinant. Il faut entendre jouer ces quatre mecs. On trouve à la suite un «Dead Meat» infesté de guitares, ça joue dans les eaux troubles du rock le plus enragé qui soit. Ils bouclent l’A avec un summum du punch-rock qui s’appelle «Kicked Out». On peut les féliciter pour ce souci de cohérence. La B reste au même niveau d’explosivité permanente, avec des trucs comme «Undertaker» monté sur le kick ass metallic KO du grand Bob, et plus loin l’effarant «Kill Yourself», pur jus de désespérance, cut idéal pour se tirer une balle dans la tête.

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             Paru en 1986, Groovy Hate Fuck (Feel Good About Your Body) est présenté comme une compile, mais en réalité, c’est l’un des meilleurs albums de ce groupe d’avant-garde que fut Pussy Galore. Là-dessus, tout est poussé dans ses extrémités. Ils sont tellement enragés qu’ils élèvent le trash au rang d’art majeur. Ils ne basculent jamais dans le hardcore. Jon Spencer veille à ne jamais mordre le trait. C’est toute sa force. On entend Juila Cafritz gueuler dans «Cunt Tease». Elle est archi fausse. Les gros coups du balda sont «Constant Pain» et «No Count». Ils font de l’hypno avec «Constant Pain» et s’y soûlent de beat metallic KO. «No Count» va plus sur le garage de type «She’s My Witch». Par contre, avec le «HC Rebellion» d’ouverture de bal de B, ils vont plus sur le Velvet, car ils chantent à deux voix dans l’écho du temps de «Murder Mystery». On voit jusqu’où s’étend leur empire. Ils développent des énergies fondamentales dans «Get Out» et battent tous les records de punch avec «Die Bitch». Jon Spencer est fou à lier. On retrouve l’excellent «Kill Yourself» et ça se termine avec l’apocalyptique «Asshole» et son solo glouglou. I’m restless !

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             Après avoir fait tourner R.L. Burnside en première partie du JSBX, Jon Spencer lui propose d’enregistrer en 1996 un album devenu mythique : An Ass Pocket Of Whiskey. Toute l’équipe du JSBX descend dans le Mississippi. Russell Simins, Judah Bauer et Jon Spencer se retrouvent dans une cabane de chasseurs en compagnie de RL et de Kenny Brown. Ensemble, ils foutent le souk dans la médina. Ce disque est l’une des pires pétaudières de l’histoire de l’humanité. La tension monte dès le premier morceau, «Goin’ Down South», monté sur un beat sourd et mauvais comme une teigne. Russell Simins bat ça bad. On entend bien les quatre guitares jouer ce groove mortel du Mississippi qu’on appelle la purée du diable. S’ensuit un hommage à John Lee Hooker, «Boogie Chillen». Jon Spencer donne la réplique au maître RL - Yeah ! Ça repart de plus belle avec «Snake Drive», belle fournaise de boogie downhome. Jon Spencer pousse des cris - Snake driiiiiiiiiiiiiive ! et RL fait Yeah ! Ils s’amusent comme des fous. RL mène le bal. C’est un vrai boute-en-train. La cerise sur le gâteau se trouve en B : «The Criminel Inside Me» - Mama I wan’ some meal ! - et le voilà le meal : le gros groove spencerien. Ils refont un gros duo d’enfer tous les deux :

             — Hey RL !

             — Yeah !

             — You get goin’ you son of a bitch aw !

             Et RL prévient Jon Spencer que s’il ne dégage pas rapidement, il va lui botter le cul :

             — If you don’t get out fast I’m gonna get my feet right in your ass !

             — Aw !

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             Si Memphis Sol Today est arrivé jusqu’à nous, c’est grâce à Jon Spencer. En 1993, il fut enrôlé par Monsieur Jeffrey Evans pour jouer dans le ‘68 Comeback. Attention, cet album est d’une nature violente. On peut y voir Monsieur Jeffrey Evans, Don Howland, Rick Lillah et Jon Spencer démantibuler le trash dans «Memphis Chicken», puis démantibuler le stomp dans un «Barbara» claqué à coups d’accords fatals - Do the boogaloooo ! - Puis démantibuler Charlie Feathers dans «Lil’ Hand Big Gun», en guise d’hommage. Puis démantibuler Junior Kimbrough avec «I Feel Good Little Girl», puis démantibuler Nathaniel Mayer avec «I Had A Dream». En fait, ils ne le démantibulent pas vraiment, ils le passent à la moulinette, ce qui est un concept différent, le but restant bien sûr d’atteindre le stade du trash ultime. On les voit aussi démantibuler le venin dans «Coming Up». Attendez ne partez pas, ce n’est pas fini ! Cette entreprise de démantibulation se poursuit avec «Let’s Work Together». Ils ne laissent aucune chance à ce vieux coucou rendu célèbre par Canned Heat - C’mon c’mon - Jon Spencer le tarpouine à l’arrache de la rascasse, le mâchouille et le crache ensuite à la face de Dieu. Puis une grosse dérobade de solo complètement foireux tombe du ciel. On entend hurler un fou. Nous voilà rendus au cœur du trash. Ils vont même s’amuser à démantibuler les enfers avec «Down In The Alley» et démantibuler le blues avec «I’ll Follow Her Blues» qui empeste la vieille cabane branlante. Don Howland chante et c’est gratté sec. Ils tripotent la puissance du son et vomissent dans le réservoir. Ah il faut les voir claquer leur son.

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             Fulgurant album que cet Hung Far Low enregistré en 1991. Jon Spencer et Russell Simins viennent renforcer les rangs des Honeymoon Killers et ça change tout. Dès «Mad Dog», ils se montrent malveillants en jouant sous le manteau. Mais c’est avec «Wanna White» que ça explose. On y assiste au fantastique développement du heavy groove new-yorkais. Jon Spencer l’embarque en enfer et Jerry Teel l’embobine au riff tournoyant. C’est so good que Jon Spencer grommelle so good ! On reste dans l’énormité avec «You Can’t Do That». Avec Jon Spencer, il y a toujours un aboutissant. Ce «You Can’t Do That» renvoie au «Dropout Boogie» de Captain Beefheart. Aw ! Il pousse même les Aw que John Lennon pousse dans «Cold Turkey». Pendant que Russell Simins bat bien son beurre et que Jerry Teel gratte sa gratte, la petite Lisa bosse bien sa basse. Avec «Kansas City Milkman», Jon Spencer abandonne toute dignité et se vautre dans le stupre new-yorkais. Mais c’est en B que les choses se corsent, avec notamment «Thanks A Lot» attaqué à la petite vérole stoogienne, aux pires riffs de Jerry Teel. Ils sont capables d’être encore plus primitifs que les Stooges. Au chant, Jon Spencer bat tous les records de violence psychotique. Encore un cut drivé au riff malade avec «Fannie Mae». Jon Spencer y joue la carte du riff excédé, il trépigne de rage. Ils continuent de battre bien des records avec «Scootch Says». Violente montée de la basse dans le mix, et derrière ça cisaille à la parade. Oh comme ça monte ! Lisa chante «Madwoman Blues», elle chante ça à la paumée de la pommerolle paupérisée, c’est incroyablement trash, d’autant plus trash qu’elle n’a pas de voix, et derrière, ils font Massacre à la Tronçonneuse. Bon, il est temps que cet album se termine. «Whole Lotta Crap» se veut plus cérémoniel. Ils sont imbattables au petit jeu du pété de casseroles. Il souffle un beau vent de folie dans les quilles du bâti stoogy. Ils dévorent leur place au soleil.

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             En 2001, Jon Spencer enregistre un album avec les fils Dickinson au Zebra Ranch de Jim Dickinson. Il faut savoir que pour tous les aficionados du Memphis Beat, le Zebra Ranch est une sorte de Mecque. Au moins autant que Graceland. On en voit quelques images dans le booklet. Cody et Luther Dickinson accompagnent le Yankee Spencer et Dad joue un peu de piano sur deux cuts. On entend aussi l’harmo de Jerry Teel sur «Cryin’», un groove à la Screamin’ Jay Hawkins qui sonne comme une progression dans la douleur. Fabuleuse dégueulade de big heavy sugarshit. Luther y va de bon cœur sur sa guitare et Cody nous bat ça si sec. Le jackpot de l’album s’appelle «Primitive». C’est du Primitive de Zebra Ranch, chanté dans le rond de lunette de Méliès sur un beat originaire du Rif marocain, mais avec des tortillettes marioles des Batignoles. On y est, on est au cœur du mythe, chez Dickinson. Aw c’mon car voilà «Sat Morn Cartoons» chargé comme une mule et fouillé par un killer solo flash, aw c’mon ! Luther joue comme un dingue, il nous fait les Stooges, il bascule dans la folie - Do you remember/ Nothing at all - Ils sont encore plus royalistes que les Stooges, comme si c’était possible. Ils rendent un bel hommage à Zigaboo Modeliste avec «Zigaboo» et tirent une belle décharge de chevrotines avec «That’s A Day». C’est tellement chargé de son que ça chevrote dans la cuvette - That’s a draaaag - Ils n’en finissent plus de colmater le collimateur et ça continue avec un «I’m Not Ready» beaucoup trop puissant. Ils jouent comme des cons. Jon Spencer profite de «(Chug Chug) It’s Not Ok» pour s’adonner au screamin’ - I don’t believe you - Screamin’ Jon domine bien la situation. Ils terminent cet album haut en couleurs avec «Book Of Sorrow» - I’m gonna write/ A book of sorrow - Ce démon de Jon Spencer allumer sa mèche quand ça lui chante, chapter one, chapter two, il gueule du book tant qu’il peut, il s’appuie sur le pire heavy beat de la région, I’m gonna write, ça sonne comme du gospel batch de possédé et comme si ça ne suffisait pas, il en fait une sorte d’abomination substantifique.

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             Dans les années 2000, Jon Spencer fricote avec Ron Ward et Bob Bert dans Five Dollar Priest, un super-groupe de l’underground new-yorkais. Sobrement titré Five Dollar Priest, leur premier album paraît sur le mighty label basque Bang Records en 2008. Dès «Fingered», on sent le souffle d’une sacrée démesure battue en brèche par Bob Bert. On est dans le heavy New-York City urban beat, spécifique et dur, chargé d’un son d’obédience pirandellienne. Ron Ward amène «Bobby Chan» à la harangue de Bobby Chan, c’est secoué d’explosions. Sur l’album, Jon Spencer est crédité au térémine qu’on n’entend que sur «Cunty Lou». Fantastique atmosphère, tension énorme. Jon Spencer fait le con au fond avec sa machine. Le reste de l’album se tient magnifiquement. Ron Ward est le roi de la harangue vénéneuse. Il nous emmène dans les bas-fonds de Babylone. Il fait aussi du funk blanc avec «Ghost Of Bob Rose», c’est extrêmement digne du no-wavisme dévorant, d’autant plus digne que James White joue aussi sur l’album. Ron Ward et ses amis dotent chaque cut d’une longue dérive abdominale et de poussées de fièvre spectaculaires. «Decatur Street Blues» sonne comme un boogie industriel abominablement bien balancé. Ron Ward jive sur l’orgue et sur le monster beat que bat Bob à la syncope de charley. Il faut les voir jiver Conway Twitty sur «Conway Twitty’s Bag», solide shoot de r’n’b blanc explosé au free. Ils montent aussi «Mao Tse Tongue» sur une rythmique pressée bien nappée d’orgue et violemment perforée au sax. Ron Ward y pulse sa chère surenchère.

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             Dans les années quatre-vingt-dix, Jon Spencer monte Boss Hog avec sa femme Cristina Martinez. Elle fit en temps partie de Pussy Galore et c’est elle qui prend le lead dans Boss Hog. Mais on se doute bien que Jon Spencer fait tout le boulot. Avec un premier album paru en 1990, Boss Hog faillit rester bloqué au fond de l’underground. Cold Hands n’est pas l’album du siècle, loin s’en faut. On y trouve cependant deux belles réminiscences de Pussy Galore, «Gerard» et «Duchess». Jerry Teel qui fait alors partie du groupe ramone son manche de basse sur «Gerard» et ça sonne comme une sorte de trash-core d’underground de désaille new-yorkaise. Tout le jus est là. Jon Spencer pousse des soupirs de géant dans «Duchess», véritable modèle de heavy groove menaçant à la Gilles de Rais. Il s’en va chercher son groove très loin au fond d’une animalité répugnante. On sauvera encore deux cuts sur cet album : «Eddy», heavy comme pas deux, sonnant et trébuchant comme le ducat d’or du duc de Dôle, et «Go Wrong», way back to the basics instincts de Pussy warmer de Galore. Oh et puis tiens, le «Pete Shore» qui ouvre le bal de la B vaut bien le détour, à cause de cet épouvantable riff que triture Jon Spencer à l’ongle sale.

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             Leur second album s’appelle Boss Hog et paraît en 1995. C’est un album classique, 100% pur jus. Tout est là : le raunch, le goût de l’aventure et les exactions foudroyantes. On compte au moins deux coups de génie sur Boss Hog, à commencer par «Beehive». Le mari Jon prend le lead avec des ahhhh graves et bascule dans le JSBX apocalyptique. Jon sait mastiquer des grooves de génie. Il chante ça de l’intérieur du menton, personne ne l’entend, il foutrait presque la trouille, cet imbécile. Il nous claque ça à l’atmosphère inventive. Seul Jon Spencer peut se lancer dans ce type d’aventure sauvage. On le sait, il cultive depuis le début la pure démence de la partance ! Jon Spencer appuie là où ça fait du bien et ça jingle dans le jangle. L’autre coup de Jarnac s’appelle «Green Shirt», joué à la syncope fatale, avec de vraies coulées de lave. Nouvelle explosion de son, et à un moment, on voit du trash liquide couler au milieu, pareil à une rivière de flammes. Le cut d’ouverture s’appelle «Winn Coma» et sonne comme du garage dévastateur, explosif, jouissif, gorgé de son, nothing to lose ! Puis Cristina fait sa rampante dans «Sick», mais elle ne convaincra personne, en dépit du renfort inopiné du Sixième de Cavalerie, c’est-à-dire son mari. Disons que c’est rampant au sens du fumant, c’est du parfaitement inconvenant, du gras qui se fout du monde. Ils veillent tous les deux à la parfaite intensification du conflit. Ce qui frappe le plus dans le «Ski Bunny» qui arrive un peu après, c’est l’énormité du son. Jon Spencer et Cristina chantent ensemble, mais sous le boisseau. Les voilà extrêmement exacerbés - Ski Bunny ! Suicide ! - Ils sont enragés et ça joue sourdement. Arrivé à ce stade de l’album, on ne souhaite plus qu’une seule chose : que ça se calme. «What The Fuck» ! Cristina prend la main pour ce cut visité par des vagues de son gigantesques - Get the fuck ! - Jon en ramène des caisses. La fête se poursuit en B avec «White Sand», chanté à la mystérieuse. Ils ramènent un peu de son, surtout le mari. Oh il adore ça. Une fois encore, ça chante sous le boisseau et le mari arrive au triple galop pour lui porter secours - Break dance ! - C’est claqué aux pires gimmicks new-yorkais. Puis Jon attaque «Strawberry» d’une voix de vieil alligator. Affreux et génial ! Il groove son baryton et fait du JSBX au grand jour. Le «Walk In» qui suit rappelle «Memphis Soul Typecast», et ils finissent par faire exploser leur jouet. Ils bouclent avec «Sam» qu’ils pulvérisent à coups de killer solos et de nappes d’orgue.

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             Quatre ans plus tard paraît Whiteout. Cristina pose en petite tenue sur la pochette. Elle porte du blanc immaculé et c’est forcément en hommage à Elvis qui préférait voir ses poules porter de l’underwear blanc. L’image attire l’œil et la musique fait dresser l’oreille du lapin blanc, seulement l’oreille. Surtout «Get It While You Wait», une pop atmosphérique absolument envoûtante. C’est bardé de dynamiques infernalement sucrées. Appelons ça une pure merveille d’élévation spirituelle. Ils s’ébrouent dans le lagon de la pop magique, yeah yeah yeah, elle se jette dans la vague et s’abandonne aux langues de la clameur. L’autre gros cut s’appelle «Defender», gratté au gros riff sixties et Cristina part à l’aventure. Elle gueule, mais elle n’est pas fiable à 100%. On voit bien qu’ils tentent de faire un vrai truc, mais ce n’est pas toujours facile. On fait avec ce qu’on a, comme dirait le patron du PMU de la rue Saint-Hilaire. Jon Spencer multiplie les effroyables départs en solo et les arrêts brusques sur la voie. Il électrise à outrance et envoie de sacrées giclées de gras double. Dans «Trouble», Cristina explose son I can’t stand it. Non elle ne peut plus supporter ça, c’mon, et voilà les clap-hands. Elle se révèle excellente dans les redémarrages en côte. On trouve aussi sur cet album un «Chocolate» dur à croquer. Jon Spencer fait le show avec sa baby all down the machine. Dans «Nursery Rhyme», Cristina se met à sonner comme Hope Sandoval. Il reste deux animaux : «Jaguar» et «Monkey». Jon Spencer leur shake le shook à sa façon, c’mon let’s do it ! Ce mec est incapable de se calmer.

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             Oh et puis tiens, puisque le dernier album de Boss Hog paraît sur In The Red, on va l’écouter. Il s’appelle Brood X et dès «Billy», on retrouve le son bien fuselé, lisse comme un suppositoire et joué à la menace sourde, très spencerish. C’est tellement parfait qu’on a l’impression que Jon Spencer n’y croit plus. Il a déjà accompli trop de miracles, que peut-il apporter de plus aujourd’hui ? Il reprend à son compte le coup des montées en puissance dans le mix qu’avait inventé Jim Dickinson. On note la constance d’une belle efficacité directorielle. Il joue ensuite «Black Eyes» au petit profilé malsain et maintient la pression d’une menace sourde. Joli travail de duo sur «Ground Control» dans une ambiance de guitare baryton, de beau plâtras bassmatique et de relances d’époux exacerbés - Turn the radio on ! - Ils bouclent l’A avec «Signal», joué à l’exaction d’exaltation. Jon Spencer joue sa meilleure carte, celle du sharp. Le groupe sort un son technique et très froid, comme s’ils manquaient d’idées et de chaleur humaine. Ils jouent tout au gimmick de bakélite, noir et glacé. Ça se réchauffe heureusement en B avec l’imparable «Rodeo Chica» pris au dig it up chica de Jon Spencer. Il duette avec Cristina à la décontracte maximaliste. C’est excellent, vraiment digne de «Memphis Soul Typecast» - What’s wrong baby ? - On retrouve là tout ce qui fit l’écrasante modernité du JSBX. Back to the big allure sportive pour «Elevator». On sent chez eux une vraie disposition à l’élan harmonieux, le souci d’une vraie cadence d’élancement bassmatique. Dans «Fomula X», Cristina se prend pour une formula X. Elle cherche la petite bête et Jon Spencer joue des riffs de harangue fumée apollinarienne. 

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             L’autre grand épisode de la saga Jon Spencer est bien sûr Heavy Trash qu’il monte dans les années 2000 avec Matt Verta-Ray. Leur concept consiste à taper dans un agglomérat de country sauvage, de gospel de bastringue et de ramshakle monochrome. Leur premier album sobrement titré Heavy Trash paraît en 2005. Ils optent pour une pochette dessinée qui ne les restitue pas très bien. Mais musicalement, on risque l’overdose. Dès «Lover Street», Jon Spencer blaste son r’n’b et lâche des ouh ! parfaitement justifiés. Il flirte avec le boogaloo pendant que le mate Matt tisse sa toile - Ouh ! - Jon Spencer fonce, comme il l’a toujours fait. Il jerke à la croisée des chemins et mélange Johnny Burnette avec Eddie Floyd. En bonne éponge qui se respecte, il récupère tout et recrache du shuffle de glotte - Sock it to me baby ! - Il enjambe tous les genres. Ce mec n’en finit plus de jouer avec le génie comme le chat avec la souris. Il reprend à son compte tous les effets vocaux d’Elvis dans «The Loveless». Sans problème. Tous ceux qui l’ont vu sur scène ont forcément été frappés par sa classe et une perfection morphologique digne de celle d’Elvis. Avec «Walking Bum», Matt the mate et Jon Spencer roulent sur les plate-bandes du Creedence Clearwater Revival - époque du premier album - le mate Matt nous gave de twang guitar. «Justine Alright» bénéficie d’une petite intro speedée à la Eddie Cochran. Jon Spencer rigole - ah ah ah - et il embraye brutalement sur un killer cut aux paroles mâchées, une espèce de rap country, pendant que Matt the mate place des chorus écœurants de perfection. Jon Spencer attaque tous ses couplets avec cette opiniâtreté bravache qui depuis est entrée dans la légende. Le son de «The Hump» se veut aussi épais que de la purée froide. Jon Spencer y enfonce son dard vocal et avance avec un foudroyant mépris de la résistance des matériaux. «Mr KIA» sonne comme le «What’d I Say» de Ray Charles. Jon Spencer chante ça d’une voix atrocement profonde, en fait un prêche à la Jerry Lee et plane au-dessus de nos têtes comme un vautour. Pendant ce temps, Matt the mate joue comme un dieu. On le voit tirer les cordes de sa Gretsch et en se contorsionnant. S’ensuit «Gaterade», un classique automatique monté sur une petite gamme diabolique. Jon Spencer espace ses phrasés pour laisser Matt the mate descendre sa petite gamme et balancer un solo de fête foraine d’une perfection intangible. Et puis voilà «This Way Is Mine» que Jon Spencer balance avec la ferveur d’un vendeur aux enchères texan sorti d’un film de Robert Altman. À sa parution, ce premier album de Heavy Trash créa l’événement. On savait Jon Spencer parfaitement incapable de sortir un mauvais disque.

             Il est probablement l’un des derniers grands rockers à maîtriser parfaitement le heavy-duty-talking-blues. Matt the mate et lui sont devenus les killers suprêmes. Ils échappent à toutes les catégories. On risque de s’embourber à vouloir décrire l’exceptionnel talent de Jon Spencer. Le problème est qu’il en a trop. 

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             Un second album d’Heavy Trash paraît en 2007 : Going Way Out With Heavy Trash. Encore une pochette dessinée. On les voit courir vers un train à vapeur comme deux hobos à l’ancienne mode, avec leurs guitares et leurs balluchons. Bel album, plein de bonnes surprises. On retrouve la dynamique du groupe sur scène dès le premier cut, «That Ain’t Right», gros solo de Matt the mate, beau son de stand-up et sacrées montées en température. Et en prime, les Sadies les accompagnent. «Double Line» est du typical Jon Spencer. Une vraie insurrection - Ouh ! - et c’est joué garage au prêche abricot. Avec «I Want Oblivion», Jon Spencer fait sa baraque de foire. Ça bat du tambour et il fait la retape, pendant que le mate Matt joue la fuite éperdue. Puis Jon Spencer s’en va croasser comme un vieil alligator dans «I Want Refuge» - I got a love - Et il gospellise. Il s’en va ensuite claquer ses syllabes au micro pour «You Can’t Win» - Another shot transmission/ You can’t win - c’est un heavy groove de boogaloo. Et en B, il revient à son admiration pour Eddie Cochran avec un «Crazy Pritty Baby» monté sur le riff de «Somethin’ Else». Bel hommage. Jon Spencer n’oublie pas la répartie au baryton et Matt the mate veille au sévère cocotage de Gretsch. Ils reviennent (enfin) au rockab avec «Kissy Baby», joliment slappé par un nommé Kim Kix. Wow, quel bop, Bob ! Ils restent dans la pure pulsion rockab avec «She Baby» et nous servent ça sur une rythmique de rêve. Et la fête continue avec «You Got What I Need», un fantastique brouet de slap bass et de bouquets d’accords garnis.

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             Leur troisième album Midnight Soul Serenade sort trois ans plus tard, avec une pochette illustrée, mais cette fois l’ambiance beaucoup plus lugubre annonce le ton de cet album qui bascule dans la sérénade heavily déviante. Dès le premier cut, «Gee I Really Love You», l’air glacial nous saisit. Jon Spencer et Matt the mate créent une ambiance délétère. On assiste ensuite en plein milieu de «Good Man» à un beau démarrage rockab. Jon Spencer et Matt the mate ne semblent s’intéresser qu’aux dynamiques des morceaux. «The Pill» est une mélodie malsaine et Jon Spencer se lance dans le film noir. Avec «Pimento», on passe à la samba du diable. Jon Spencer fait son Tav Falco. L’un des cuts les plus intéressants de cet album restera sans doute «(Sometimes You Got To Be) Gentle». Voilà une belle pièce d’exaction intrinsèque à la fois collante et abrasive, jolie et grandiose et pleine de rebondissements. On y sent de l’ambition. Ah look out ! Jon Spencer lance «Bedevilment» comme s’il jouait avec le JSBX et revient à ses vieilles concassures de rythme. Et le reste de l’album s’écoule paisiblement, sans que rien ne vienne chasser les mouches. 

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             Tiens ! Un nouvel album de Heavy Trash ? Matt the mate qui est le plus gentil des Canadiens nous avertit :

             — Ce ne sont pas des chansons... Ce sont des expérimentations.

             — What do you mean ? Oh pardon, qu’est-ce tu veux dire ?

             — On a expérimenté des sons en studio....

             — Mais quoi comme son, du rockabilly ?

             — Ouais, mais il y a aussi Stockhausen...

             — Oh la la !

             L’album s’appelle Noir, noir comme le café, dit Jon Spencer. Il traite de la question des cheveux dans «Good Hair», le cut d’intro, sous un faux air lagoyesque - beautiful hair, black like coffee - Franchement, ce premier cut est de nature à faire tomber de cheval n’importe quel desperado, mais il faut s’armer de patience, car ce disque réserve de belles surprises. Les cuts qu’il propose sont en effet des expérimentations enregistrées sur une période de dix ans et par moments, on a clairement l’impression de se trouver dans le studio avec Matt the mate et Jon Spencer, car l’esprit de ce disque se veut intimiste. On assiste au grand retour du format chanson avec «Wet Book» doté de la meilleure dynamique qui soit ici-bas. Ils claquent ça dans l’épaisseur de l’ombre et un sax vole au secours de la montée de fièvre. Jon Spencer sue la soul par tous les pores de sa pop. On revient à l’étrangeté avec un «Out Demon Out» qui ne doit rien à Edgar Broughton. Car ça slappe sec derrière ce mélange de talking jive et de clap-hands de Joujouka. Jon Spencer vise le cœur de la scansion. Le cut tourne au cauchemar, tellement le son de slap le bigarre. Au loin, des voix d’écho perdurent à n’en plus finir. Ce côté expérimental est d’autant plus troublant que Jon Spencer s’est montré tout au long de son parcours le plus carré des hommes. Tous les morceaux de cet album sont captivants, même «Viva Dolor» cette jolie pièce de pianotis de fin de nuit si douce à l’intellect. Matt the mate et Jon Spencer renouent avec le petit rockab ouaté en cuisant «Blade Off» à l’étouffée. Jon Spencer tape du pied et fait son strumming. Il ouh-ouhte de temps en temps, histoire de signaler son choo-choo aux passages à niveaux. Ils ouvrent le Bal des Laze de la B avec un «Pastoral Mecanique» d’orgue de barbares égarés et hagards, tels qu’on peut en voir au soir du sac d’une ville. Les sons s’échangent et relayent l’extase de l’ombilic des limbes. Comme deux compagnons d’aventures, Matt the mate et Jon Spencer brillent ardemment au soleil noir de l’expérimentation - This is pure heavy trash - Et puis voilà «Discobilly», un rockab déviant et gondolé. Ils brassent leur beat et ça frôle le mambo d’Alcatraz. Ça tombe en décadence d’Empire romain et ça glisse doucement vers le couchant. Avec «Jibber Jabber», Jon Spencer joue avec la musique des mots. Il raconte à sa façon l’histoire du rock, en partant de Big Bopper pour remonter jusqu’à Jimi Hendrix, Mama Cass et Jim Morrison - What happens to the real rock’n’roll heroes ? - Jon Spencer joue à merveille de cette diction blackoïde de nez pincé - Rock on my brother/ Rock’n’roll my sister/ And get down - Ils font ensuite une belle reprise de Johnny Cash, «Leave That Junk Alone», puis ils passent au relativisme écarlate avec «Notlob» et bouclent leur petite affaire avec un «Last Saturday Night» gratté au bord du fleuve et humé au glou-glou. Quelle bonne compagnie ! Jon Spencer miaule et substitue l’intention au chant, tout simplement. Il n’a pas besoin de paroles. Mais oui, il a raison. Pourquoi s’épuise-t-on à vouloir écrire des paroles ? 

    Signé : Cazengler, Spencer les fesses

    Pussy Galore. Exile On Main Street. Shove Records 1986  

    Pussy Galore. Right Now. Caroline Records 1987

    Pussy Galore. Sugarshit Sharp. Caroline Records 1988

    Pussy Galore. Dial M For Motherfucker. Caroline Records 1989   

    Pussy Galore. Historia De La Musica Rock. Rough Trade 1990

    Pussy Galore. Live In The Red. In The Red Recordings 1998

    Pussy Galore. Groovy Hate Fuck (Feel Good About Your Body). Shove Records 1986

    R.L. Burnside. A Ass Pocket Of Whiskey. Matador 1996

    Gibson Bros. Memphis Sol Today. Sympathy For The Record Industry 1993

    Honeymoon Killers. Hung Far Low. Fist Puppet 1991

    Spencer Dickinson. Toy’s Factory 2001

    Five Dollar Priest. Five Dollar Priest. Bang Records 2008

    Boss Hog. Cold Hands. Amphetamine Reptile Records 1990

    Boss Hog. ST. DGC 1995

    Boss Hog. Whiteout. City Slang 1999

    Boss Hog. Brood Star. Bronze Rat Records 2016

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    Boss Hog. Brood X. In The Red Records 2017

    Heavy Trash. Heavy Trash. Yep Rock 2005

    Heavy Trash. Going Way Out With. Crunchy Frog Recordings 2007

    Heavy Trash. Midnight Soul Serenade. Crunchy Frog Recordings 2009

    Heavy Trash. Noir ! Bronzerat Rat Records 2015

     

     

    Wizards & True Stars - Cher Usher

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             Le voisinage a-t-il joué un rôle important dans l’histoire du rock ? Dans le cas de Gary Usher, oui. Il vit à Hawthorne, une banlieue de Los Angeles, et un jour, il entend de la musique dans la rue. Oh, mais ça vient de chez les Wilson ! Alors il va voir. Et pouf, il devient pote avec les trois frères Wilson, et plus particulièrement avec l’aîné, Brian. Les voilà copains comme cochons, et plutôt que de feuilleter des revues porno comme le font tous les autres copains comme cochons, ils composent une chanson ensemble, le fameux «409» qui en 1962 va se retrouver sur le deuxième single des Beach Boys. Mais Marty, le père Wilson, ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée d’un étranger dans un biz qu’il voit plus familial. Alors il vire Usher.

             Ce qui ne l’empêchera pas de devenir l’un des personnage clé de la scène californienne et devenir aussi légendaire que vont l’être Nick Venet, Kim Fowley ou Terry Melcher. Comme Brian Wilson, Gary Usher est l’un des pionniers de la surf culture. Cet auteur compositeur/producteur/chanteur/guitariste sera l’un des premiers collaborateurs de Brian Wilson. À cause de Marty, ils se voient en cachette. En 1963, ils composent ensemble «In My Room». Usher a aussi pas mal d’accointances avec Dennis, le petit frère de Brian, qui bat le beurre avec lequel il part en virée à Tijuana, en quête de «local action». On retrouve encore ce cher Usher aux côtés de Dick Dale, Jan & Dean, the Peanut Butter Conspiracy, Chad & Jeremy et bien sûr Curt Boettcher, avec lequel il monte Sagittarius. En 1963, il est engagé comme producteur par Challenge Records, mais à l’époque, le rôle de producteur n’est pas clairement défini. Il s’agit surtout pour le producteur de veiller à deux choses : tenir le budget et veiller à ce que tout le monde soit à l’heure dans le studio, interprètes comme musiciens. Le jeune Usher qui apprend vite. En parallèle, il enregistre. C’est sa période surf craze, drag & hot-rods.

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             Sur la compile que lui consacre Ace, Happy In Hollywood - The Productions Of Gary Usher, on trouve l’un de ses groupes de surf craze, The Hondells, avec un «Show Me Girl» signé Goffin & King, pur jus d’On The Beach, ils sont dedans jusqu’au cou. Pour enregistrer «Just One More Chance», ce cher Usher s’entoure des meilleurs : Glen Campbell, Dick Burns et Curt Boettcher. Tant qu’on y est, on peut aller voir ce qui se passe sous les jupes des deux albums des Hondells, Go Little Honda (1964) et The Hondells (1965).

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    Ce sont deux fantastiques albums de surf craze, dans le même esprit que les premiers albums des Beach Boys. D’ailleurs, c’est Brian Wilson qui signe «Little Honda». Vroom vroom, toute l’énergie est déjà là. Ils font du classic surf avec «A Guy Without Wheels», bien sabré du champ et ce cher Usher signe cette merveille nommée «The Wild One», qui a du Beach Boys sound plein l’élan.

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    Le «Black Denim» qui ouvre le balda du second album est encore un fantastique pulsatif. Le hit de The Hondells s’appelle «My Buddy Seat», pur jus de Beach Boys craze, c’est même assez wild. Ces deux albums sont un vrai festival de joie de vivre et de grande précision guitaristique. Bien sûr, les Hondells roulent en Honda.

             Comme son ami Brian Wilson et d’autres visionnaires, ce cher Usher va évoluer rapidement et devenir l’un des producteurs les plus recherchés de son temps. On le connaît surtout comme producteur des Byrds. Il va produire trois de leurs albums, Younger Than Yesterday, Sweetheart Of The Rodeo et The Notorious Byrd Brothers. Le babal de cette compile s’ouvre sur «Lady Friend». Apoplexie garantie. C’est explosé de son, wow my Gawd, ce sont les Byrds, ils te chatouillent bien la rate, c’est joué au max de l’Usher Sound System, au plein son du plainsong, même niveau que Spector, mais c’est encore autre chose. En tous les cas, les Byrds volent très haut. Sans prod, pas de Byrds. Sans Totor, pas de Righteous brothers ni de River Deep. Les Byrds enregistrent «Lady Friend» en 1966. Gene Clark a déjà quitté le groupe. Croz et McGuinn ont engagé leur petit bras de fer. Kingsley Abbott qualifie «Lady Friend» de one of the Byrds’ crowning glories. Il parle aussi d’une prod scintillante, forcément, avec les Byrds, ça ne peut que scintiller, c’est leur fonds de commerce. Mais Croz refait les vocaux en douce, ce qui lui vaudra, en plus de son comportement au Monterey Festival, d’être viré du groupe. On trouve plus loin un autre cut des Byrds, «You Ain’t Going Nowhere», une cover de Dylan, jouée country upfront et chantée à la pure perfe, ça flotte dans l’ouate californienne, tout là-haut. C’est l’époque Sweetheart Of The Rodeo, Croz, Michael Clarke et Gene Clark sont partis et, nous dit Abbott, les Byrds sont devenus méconnaissables. Hillman et McGuinn recrutent Gram Parsons. Ce cher Usher descend à Nashville avec eux et reconnaît que l’ami Gram a du charisme. Trop. McGuinn veille à ce que Gram ne prenne pas le pouvoir. Le jeu consiste pour Usher à établir un équilibre entre McGuinn, Hillman, Gram et lui. Mais quand Sweetheart Of The Rodeo paraît, Gram a déjà quitté le groupe. Il aime trop sa liberté.

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             On reste dans la magie des Byrds avec Gene Clark et «So You Say You Lost Your Baby». Ça reste du très haut niveau. Fabuleuse présence que celle de Gene Clark, il est le psychedelic king of California. Usher va produire l’excellent Gene Clark With The Gosdin Brothers, l’un des albums phares de cette époque. Petite cerise sur le gâtö : Tonton Leon signe les arrangements de «So You Say You Lost Your Baby». Les Gosdin, ça ne te rappelle rien ? Mais oui, un autre Gary, le Paxton. On est ici dans la galaxie des producteurs surdoués : Gary Usher, Gary S. Paxton, Brian Wilson. On reste dans le cercle magique avec Saggitarius et «My World Fell Down», une pop qui rivalise avec celles des Beatles et de Brian Wilson. Le power californien te jette dans le mur. Cut mouvementé : on assiste à quelques épisodes et ça repart à l’explosion. Notre cher Usher voyait Saggitarius comme un projet solo, mais il va le développer avec Curt Boettcher, l’autre surdoué de service. Sur «My World Fell Down», Glen Campbell chante lead, Bruce Johnston et Terry Melcher font les harmonies vocales.

             Tiens, une autre vieille connaissance : Keith Allison, avec l’énorme «Louise». Il est fabuleux, on peut même le couronner King of the Californian Hell, il claque sa Louise au heavy gaga. Notre cher Usher rappelle que Keith Allison et Terry Melcher sont de très bons amis à lui. Comme chacun sait, l’Allison ira rejoindre les Raiders et il montera un backing-band pour ses vieux amis Boyce & Hart. Sur cette compile détonante, on trouve pas mal de fast pop ultra-produite (The Wheel Men avec «School Is A Gas» et The Spiral Starecase avec «Baby What I Mean»). Usher produit aussi Chad & Jeremy qu’on trouve ici sous la forme de Chad Stuart & Jeremy Clyde avec un «Sunstroke» envahi par les sitars. Chad & Jeremy sont des florentins florissants intéressants, il paraît logique qu’ils traînent dans les parages d’un maître florentin comme Gary Usher, le Michel-Ange de la pop californienne. Par contre, Chuck & Joe sont deux mecs des Castells qui se prennent pour les Righteous Brothers. Ils montent tellement en neige l’«I Wish You Don’t Treat Me So Well» qu’il devient vertigineux. On retrouve les Castells un peu plus loin avec «An Angel Cried», et là, on entre dans le territoire des Four Seasons, avec de fantastiques harmonies vocales, notre cher Usher monte ça en ultra-neige, on serre bien fort la pince d’Ace pour dire merci, car «I Wish You Don’t Treat Me So Well» et «An Angel Cried» sont des hits immémoriaux. Sans Ace, ils seraient passés à l’as. On peut faire entrer le «Shame Girl» des Neptunes dans la même catégorie. Pour monter ce coup, notre cher Usher rassemble le Wrecking Crew. Tonton Leon fait partie de l’aventure. Encore un hit mystérieux, celui des Forte Four avec un «I Don’t Wanna Say Goodnight» signé P.F. Sloan. Tout n’est que mystère dans les ténèbres de la Maison Usher. Pourquoi tous ces hits n’ont-ils pas explosé au grand jour ?

              Jusqu’au bout, notre cher Usher défend l’esthétique des Beach Boys : avec le «Catch A Little Ride» des Surfaris, il continue de produire cette pop ultra-énergique drivée par les bagnoles au c’mon c’mon. Phénomène typiquement californien. Gary Usher découvre aussi les Sons Of Adam et s’intéresse assez à eux pour les emmener en studio, mais ça ne se passe pas très bien, nous dit Abbott, car ce cher Usher est un florentin qui cherche sa voie, alors que Randy Holden et son gang ne rêvent que d’une chose : retrouver le raw scénique, alors ça ne colle pas. Ils parviennent toutefois à enregistrer «Take My Hand», un beau slab de wild gaga. Notre cher Usher en profite pour envoyer les guitares rôder au fond du son. Abbott pense qu’Usher aurait pu être en avance son temps, «ahead of the psych game, mais il n’avait pas trouvé le bon groupe».

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             Vient de sortir dans le commerce une compile des Sons Of Adam. Saturday’s Sons. The Complete Recordings 1961966. Chacun sait que le groupe fut baptisé par Kim Fowley, comme l’indique Michael Stuart-Ware, le futur batteur de Love, dans On The Pegasus Carousel With The Legendary Rock Group Love. On retrouve bien sûr l’excellent «Take My Hand» sur cette compile. Et d’autres merveilles, comme cette cover des Yardbirds, «You’re A Better Man Than I», qu’ils répliquent à la perfection, comme le fit en son temps Todd Rundgren avec «Happening Ten Years Time Ago» sur Faithfull. Les coups de génie se planquent à la fin, «Everybody Up» et «Highway Surfer». Deux bombes atomiques ! Moloch bouffe le surf craze tout cru. Moloch, c’est Randy Holden. Il tape sa craze à l’extrême. Il est le wild guitar slinger de la West Coast, il joue au big day out, comme Dick Dale. L’avantage de cette compile est qu’on voit Randy Holden revenir à ses racines, le surf. Il fait encore des ravages avec «Lonely Surf Guitar», c’est comme s’il s’enfonçait dans la craze, ça va vite l’enfoncement, d’autant qu’il noie ça de relents d’écho. Il fait aussi pas mal de Californian Hell avec «It Won’t Be Long» et «Saturday’s Son», enregistrés live à l’Avalon en 1966. Le groupe avait un potentiel énorme, ils généraient une fantastique élongation du domaine de la lutte, ils sonnaient même comme les Byrds avec «Saturday’s Son». Encore une cover des Yardbirds : «Evil Hearted You». Ils développent une énergie considérable et bouclent le show de l’Avalon avec une cover de «Gloria» qui tape en plein dans le mille, ils n’ont pas la voix, mais le wild passe dans le jeu. La deuxième partie de la compile est une série de singles et d’outtakes : les cuts de surf craze évoqués plus haut, et l’excellent «Tomorrow’s Gonna Be Another Day», un wild gaga d’antho à Toto. Tu y vas les yeux fermés. Ils expédient aussi leur «Feathered Fish» en enfer et le carbonisent à coups d’I don’t know. Nouvelle rasade de punch suprême avec «Baby Show The World» et avec «Mar Gaya», Randy Holden attaque sa capiteuse croisade de surf craze.

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             Encore un épais mystère : The Guild avec «What Am I Gonna Do», un heavy slowah traîné dans la boue argentée. Les Guild arrivent à appâter ce cher Usher en lui envoyant une cassette bourrée de covers des Beach Boys, alors évidemment, il mord à l’hameçon et vient les voir jouer dans l’Illinois. Ils est knocked outed : «The Guild sang Beach Boys songs far better !». Le chanteur Tom Kelly va même se porter candidat et auditionner pour le remplacement de Brian Wilson. Il est si bon que Carl Wilson veut l’embaucher on the spot. Et bien sûr, ce surdoué de Tom Kelly va disparaître, Abbott donne quelques infos, mais rien de très mémorable. On parlait du loup, alors le voilà : Brian Wilson avec «Let’s Go To Heaven In My Car». Les sessions pour l’album Sire de Brian Wilson vont durer trois ans, nous dit Abbott, mettant la patience de tout le monde à rude épreuve, notamment celles d’Andy Paley, de Russ Titelmann et de Lenny Waronker. Co-écrit par Usher et Brian, «Let’s Go To Heaven In My Car» est tout de suite au carré d’un certain carré, the Californian Wizard Of Oz s’agite dans son espace vital, quel power ! On pourrait même dire : trop de power ! Après le passage pénible des Peanut Butter Conspracy (ce cher Usher ne s’entend pas avec les hippies de San Francisco et c’est réciproque), Abbott finit sa compile en beauté avec California, le projet monté par Gary Usher avec Curt Boettcher. C’est le cut qui donne son titre à la compile, «Happy In Hollywood». Belle façon d’entrer dans le mythe de la pop californienne, ils sont tous là, Curt Boettcher, Chad & Jeremy, Bruce Johnston, c’est la pop de biais du génie pur. Rien d’aussi biaisé là-haut dans le firmament. 

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             En 1970, Gary Usher rend un bel hommage à son ami Brian Wilson avec un album d’instros intitulé A 1970 Symphonic Salute To The Great American Songwriter Brian Wilson, que Poptones a eu la décence de rééditer en 2001. Merci Joe Foster. C’est un album très spécial, ultra symphonique. Comme le dit si bien l’ami Foster dans les liners, better late than never, surtout quand on peut se régaler de la bossa nova de «Busy Doin’ Nothin’». Usher se fait aider par Curt Boettcher et Keith Olsen. Back to the cœur du mythe avec «Pet Sounds». L’excellence symphonique à l’état le plus pur. L’un des chefs-d’œuvre du XXe siècle. Il propose ensuite un medley «Fall Breaks & Back To Winner/Good Vibrations/Heroes & Villains» gorgé d’atonalités. Quand Brian compose «God Only Knows», il sait de quoi il parle. Power dément, on est au paradis. On reste dans les nuages avec «Please Let Me Wonder». Ce sont les grandes pompes, alors forcément on biche. Toute cette belle aventure se termine avec «In My Rom», l’un des fils mélodiques les plus purs de l’histoire du rock, et les vagues de violons aggravent encore les choses, ça bascule dans un gros shakeout astronomique digne, comme le rappelle Joe Foster, de Gershwin.

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             Les fans d’Usher se sont jetés sur Beyond A Shadow Of Doubt comme des requins sur des naufragés d’une bataille navale. Il faut savoir que sur cet album béni des dieux, Usher chante et Dick Campbell compose. On en profite pour saluer au passage Gene Sculatti sans qui Dick Campbell serait resté un parfait inconnu. Si on aime la pop paradisiaque, alors on est gâté avec «Grey Soft Black & Blue». Belle pureté d’intention, et assez mirifiquement orienté vers la lumière dans ce qu’elle peut avoir de plus aveuglant. On reste dans l’expression du génie mélodique avec «Sleepy Land», Dick Campbell et Curt Boettcher font des backing vocals. On a là une merveille de pop transie à la Brian Wilson, une pop qui grelotte de beauté sous le soleil exactement. Au fil des cuts, Usher développe une énergie de la beauté pure, comme le montre encore «Ships», ce fabuleux envol de heavy pop. Pas besoin de littérature, la musique parle toute seule. Elle est même assez toxique, au bon sens du terme. Comme Brian Wilson, Usher embarque ses amis les auditeurs dans une dimension du rêve mélodique. Avec «Everything Turns Out Right», Usher vire pychedelic et c’est une merveille insupportable. Les cuts de pop lourde et lente se succèdent jusqu’à plus soif, «So Long» est une chanson tellement parfaite qu’elle explose tout doucement et atteint tous les sommets qu’on voudra bien imaginer. Attention, il y a des bonus et ils nous réembarquent aussi sec pour Cythère. Avec «Slippin’», pas besoin de Brian Wilson, on a notre cher Usher. Il est en plein dedans. Magie du jour naissant. S’ensuit un «We May Like It Yet» joué au gratté d’arpèges californiens, avec une voix burinée par le soleil couchant, ça sent bon les drogues du paradis, il suffit d’écouter notre cher Usher pour le comprendre. Avec «Walk A Mile», il fait une pop d’early morning avec my love for you. Il y va de bon cœur. C’est vraiment très pur. Belle pop de walk in the grass. On en trouve d’ailleurs deux versions. Toute cette belle virée paradisiaque se termine avec «Go Rachel Go», gratté au heavy power d’acou dylanex, et Usher l’explose. Thank God pour cette pop d’Usher. 

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             En 2008, Sundazed arrachait Gary Usher à l’oubli en sortant un double album intitulé Barefoot Adventure. The 4 Star Sessions 1962-1966. Il s’agit bien sûr de surf-music des early sixties, bien secouée du cocotier. Là-dedans, tout est pulsé au meilleur son d’époque et notamment «Cheater Slicks» un hit primitif ravagé par un solo d’orgue et des clap-hands. Ces mecs avaient comme les Beach Boys un sens aigu du juke, turn on ! Ah ah ah, il rit comme un pirate. Ce qui frappe le plus dans tout ce délire, c’est l’énergie. C’mon cher Usher, son «CC Cinder» file ventre à terre. On assiste à une extraordinaire résurgence de heavy beat dans «The Chug-A-Lug». On s’effare de tant d’énergie et de la virulence du solo de sax et on se prosterne jusqu’à terre devant toute cette débinade de surf craze. Ils jouent «Soul Stompin’» au dératé et piquent une belle crise de fever dans «Power Shift». Le disk 2 s’ouvre sur un «Wax Board And Woody» digne des early Beach Boys, ils se gargarisent de ce tagada early sixties. Le hit s’appelle «RPM». Avec Hal Blaine on drums et ce solo d’orgue, c’est imbattable. S’ensuit un «Barefoot Adventure» pulsé par une énergie démente, let’s go surfin’ ! On tombe plus loin sur un «Coney Island Wild Child» qui ne doit rien à Lou Reed, mais qui est explosé de petits cris délinquants. C’est embarqué vite fait, les Californiens savent envelopper un bonbon. Et petit à petit, ça vire pop, une pop un peu barrée. The teenage blonde Ginger Blake chante «You Made A Believer Out Of Me» et c’est tapé au fin du fin de l’Usher sound. On le retrouve ensuite dans «Waiting For The Day» où elle gueule tout ce qu’elle peut, et elle est dessus. Il faut savoir que Ginger Blake fait partie d’un trio vocal, the Honeys avec ses cousines Marilyn et Diane Rovell. Ginger est la girlfriend d’Usher et grâce à eux, Marilyn va rencontrer Brian Wilson et l’épouser.

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             Si on s’intéresse à Gary Usher, on ne perdra pas son temps à écouter l’album des Kickstands, Black Boots And Bikes, enregistré en 1964 et réédité par Sundazed. On est en plein dans le son des early Beach Boys, avec le session wiz Jerry Cole. Et comme Earl Palmer fait partie de l’aventure, c’est battu à la diable. On le voit battre tout ce qu’il peut battre dans «Hill Climb». «Mean Streak» sonne comme un hit des Beach Boys et Jerry Cole joue son gut out sur «Side Car». Mais attention, c’est avec «Two Wheel Show» que tout explose. Jerry Cole défonce la plage, ça outrepasse l’espace, ça dégomme le chamboule-tout du Beach craze. Il y a là-dedans plus de punk attitude que dans toute la vague punk anglaise, la violence est sous-cutanée, amenée aux clap-hands et au venin de Jerry Cole. On assiste à un fantastique démontage de la gueule du rock, Beach Boys to no avail. «Haulin’ Honda» pourrait bien être l’instro préféré du diable. Jerry Cole entre dans le son avec un gusto qui devrait servir de modèle à tous les guitaristes. Ah tu voulais en croquer, alors vas-y croque.

    Signé : Cazengler, qui vaut pas (U)sher    

    Happy In Hollywood. The Productions Of Gary Usher. Ace Records 2022

    Gary Usher. A Symphonic Salute To The Great American Songwriter BW. Dreamsville Records 2001

    Gary Usher. Beyond A Shadow Of Doubt. Dreamsville Records 2001

    Gary Usher. Barefoot Adventure. The 4 Star Sessions 1962-1966. Sundazed Mucic 2008

    Kickstands. Black Boots And Bikes. Capitol Records 1964

    The Hondells. Go Little Honda. Mercury 1964 

    The Hondells. The Hondells. Mercury 1965

    Sons Of Adam. Saturday’s Sons. The Complete Recordings 1961-1966. High Moon Records 2022

     

     

    L’avenir du rock - Taj in & Ry complet

     

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             Longtemps l’avenir du rock ne s’est pas couché de bonne heure mais plutôt levé de bonne heure dans les montagnes du Haut Atlas. Il adorait se rendre au Maroc pour y savourer la musique berbère, comme le fit en son temps Brian Jones, qui soit dit en passant, reste le chouchou numéro un au hit parade local. Alors attention, la musique berbère n’est pas celle qu’on croit, en tous les cas, pas celle qu’on entend dans les restaurants de Marrakech ou qu’on achète à la FNAC sur des petits labels branchés de musique world. Comme le fit en son temps Brian Jones, l’avenir du rock s’est rendu à dos de mule dans des villages isolés de la montagne, car c’est là, loin des villes, des magasins et des touristes, qu’on la joue. Et on ne la joue pas sur des guitares électriques, mais sur des instruments à cordes qui remontent à l’antiquité, et sur les fameux tambours berbères qu’on tient à la verticale par le pouce de la main gauche et qu’on frappe en rythme du plat de la main droite. Et puis bien sûr les chants, dans la meilleure des traditions orales. Puisque chez les Berbères jouer est une fête, le maître de cérémonie invite chaque convive à apprendre les paroles des chants traditionnels, souvent très simples et bien sûr allégoriques, les traduisant au passage pour que le convive sache de quoi il s’agit, à la suite de quoi il peut se joindre aux chœurs du village et vibrer avec tous ces gens magnifiques à l’unisson d’un saucisson qui remonte à la nuit des temps. Ces chants n’existent que dans les villages et l’avenir du rock en savourait chaque fois l’extraordinaire valeur sacrée. Si d’aventure la petite caravane qui emmenait l’avenir du rock vers son destin ne traversait pas un village, on installait un bivouac dans la montagne. Le cuisinier qui était la réincarnation pasolinienne de Charlie Chaplin préparait alors le thé à la menthe, puis épluchait quelques légumes pour préparer le meilleur plat du monde, le tajine berbère, après quoi l’avenir du rock et ses compagnons d’aventures Taj in et Ry complet se réunissaient autour du feu pour entonner les chants berbères dont ils connaissaient désormais les paroles par cœur.     

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             Le nouvel album de Taj & Ry n’est pas à proprement parler un album de chants berbères, mais, d’un point de vue mythique, c’est tout comme. Taj in & Ry complet repartent du vieux Get On Board de Sonny Terry & Brownie McGhee & Coyal McMahan paru en 1952, sur Folkways, un album célèbre qui captait bien l’esprit du folk et du blues d’une époque qui est celle des «pionniers noirs» de l’après-guerre. Taj in & Ry complet s’arrangent pour faire sonner leur album comme s’il était enregistré dans une cabane branlante et non dans un studio moderne. C’est presque réussi, mais on se sent pas les dents branlantes et la bloblotte occasionnées par la sous-alimentation. Ils cassent aussitôt la baraque avec «Packing Up Ready To Go», un fantastique rumble tiré des profondeurs de profundis, arraché aux ténèbres de la conscience asservie, ça sent le tribal du travail forcé. Des forces profondes remontent à la surface. Que peux-tu espérer d’autre qu’un coup de génie de la part de ces deux vieux crabes ? Pareil avec le cut d’ouverture de bal, «My Baby Done Changed The Lock On The Door», ils chargent la barcasse dès la première mesure, Taj in est en colère, cette salope a changé la serrure de la porte, alors il enrage, et derrière Ry complet fait le fantôme d’Elseneur, c’est l’un des géants de cette terre, il te vole dans les plumes avec un son des enfers. Tu te doutais bien qu’ils allaient te casser la baraque, mais pas à ce point. Ils tapent «The Midnight Special» à la concorde du coin du feu, Ry complet chante d’une voix blanche et Taj in passe des coups d’harmo du Mississippi, c’est plein de vieux jus, on a là un album de fieffés musicologues. Tu vis un moment exceptionnel. Ils n’en finissent plus de rootser les roots. Ils passent au heavy blues avec «Deep Sea River», mais un heavy blues de rootsy roots. Dans les liners, Taj in exulte : «C’est incroyable, après tout ce qui a été dit et fait, après qu’on ait joué long and hard enough, on s’est mis d’accords tous les deux, you Ry, me Taj, pour devenir the modern day exponents de ces très vieux musiciens et styles de musiques dont nous sommes tombés deeply in love quand on était des jeunes Turcs enthousiastes, voici sept décennies.» Et il ajoute : «Brownie McGhee & Sonny Terry, Rev Gary davis ! Un trio de Blues Rascals (si une telle chose existe) are shoulders on which we now stand and build upon.» Taj in a raison d’exulter ! Il faut entendre leur version chantée à deux voix de «Pick A Bale Of Cotton», fabuleux stomp de cotton patch blues - Big! Big! Big fun/ Loose n’tight/ Crazy ‘bout the/that rhythm/ Cause it’s ragged but right ! - Ils font le «Drinkin’ Wine Spo Dee O Dee» à la Tom Waits, Taj in chante à la glotte de mineur silicosé. Diable, on s’inquiète : qui va aller écouter ça aujourd’hui ? Ces vieux crabes s’enferment dans le deepy deep. Ils allument «Cornbread Peas Black Molasses» à coups d’harmo. Ils y vont de si bon cœur. Ils terminent cet album impressionnant avec «I Shall Not Be Moved» qu’ils chantent à deux voix dans l’enfer du paradis d’une très vieille Americana toute noire. C’est Ry complet qui a le mot de la fin : «Quand tu es jeune, tu peux tomber sur quelque chose qui va ouvrir ton esprit aux mystères et aux possibilités. Ça peut être un chesseburger sur la plage, une balade dans une décapotable la nuit, un livre ou alors un disque, oui, j’ai dit un disque. Dans mon cas, il s’agissait d’un 10’’ Folkways, Get On Board, by the Folk Masters, avec Brownie McGhee, Sonny Terry and the elusive Coyal McMahan. J’aimais bien les 10’’ Folkways, ils étaient différents, mystérieux, ils semblaient dire : ‘Ici, vous trouverez ce que vous cherchez.’ Folk-blues voulait dire une musique destinée aux gens normaux, avec des instruments acoustiques, des rythmes faciles, les paroles sensées. Blind Lemon Jefferson était trop triste, Howlin’ Wolf was out of contreol, Wynonie Harris avait l’esprit trop tordu. Le Folk Blues n’avait pas de double sens, pas de secret race subtext to worry about.» Ry complet explique ensuite qu’il a acheté ce 10’’ à l’âge de 12 ans, au Children’s Music Center in downtown Los Angeles, et qu’il l’écoutait chez lui, au grand ravissement de ses parents. «J’ai lu les notes de pochette, les paroles des chansons, j’ai mémorisé chaque note de musique, je pouvais jouer les chansons sur ma guitare en les écoutant. J’ai découvert le jeu de Brownie, j’ai appris ses bass runs et sa façon de jouer du pouce et des doigts. Maintenant que j’ai 76 ans, je les joue encore mieux. J’ai aussi compris que Sonny Terry fonctionnait comme un arrangeur, quelle invention, quelle puissance ! Il est le George Frederick Handel de l’harmonica, ça ne fait pas de doute. Get On Borad a été enregistré à l’apogée de l’ère McCarthy : bad times + good music = always a winning combination. Taj and I have lived and worked in this music, from those times forward. On espère vous apporter the best. We’re the old timers now.» Fantastique profession de foi. Dans sa critique très élogieuse, Terry Staunton parle d’un «loose, laconic labour of love». C’est la raison pour laquelle il faut écouter Get On Board.

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             Le fin du fin serait d’écouter à la suite le fameux 10’’ qui a révolutionné la cervelle du jeune Ry complet. On peut choper ce Folkways 1952 en bon état pour un prix convenable. Sur la pochette, Sonny Terry fout un peu la trouille avec son œil crevé. Le son du Get On Board original est d’une pureté absolue, Sonny Terry & Brownie McGhee & Coyal McMahan te claquent un Midnight special/ Shine a light on me assez puissant, bien calé dans ses rootsy roots. On s’effare de l’extrême qualité de l’«In His Case», le big gospel blues de Lawd, c’est de la pure black Americana. À ce petit jeu, ils sont imbattables. C’est une Americana qui n’est pas faite pour les petits culs blancs. En B, ils tapent le vieux «Pick A Ball Of Cotton» en mode hot shuffle, ils font du chain gang avec des renvois de chœurs de l’aube des temps. Pour l’époque, il s’agissait d’un album d’une grande modernité, à cheval sur le folk, le gospel et le blues. Ils sont intenses les pépères, pas étonnant que d’autres pépères leur rendent hommage.

             Dans Uncut, Terry Staunton rappelle que Taj in et Ry complet ont démarré ensemble dans les Rising Sons. C’est important de le savoir. Formés en 1964, les Rising Sons enregistrèrent un album qui n’est sorti qu’en 1992, soit quasiment trente ans plus tard. On y revient prochainement, car il faudra bien rendre hommage à ces deux mighty wizards.

    Signé : Cazengler, Tajine berk-berk

    Taj Mahal & Ry Cooder. Get On Board. Nonesuch 2022

    Sonny Terry & Brownie McGheee & Coyal McMahan. Get On Board. Folkways Records 1952

     

     

    Inside the goldmine

    - Swell Maps on the map (Part One)

             Avec sa dégaine de bureaucrate, sa veste à carreaux, son pull jacquard à losanges et à col en V, Zozo ne payait pas de mine. Il avait en plus le cheveu rare, d’une couleur improbable, une lippe pendante au-dessus d’un menton fuyant et ces lunettes horribles qu’on appelait à l’époque les «montures sécu». Il n’avait décidément rien d’un sex symbol, hormis ses deux petits yeux bleus. Mais il ne faut jamais se fier aux apparences. Sous ces faux airs de toquard se planquait le mec le plus rock’n’roll du secteur. Il avait même mille longueurs d’avance sur les tenants du titre, tous ces mecs favorisés par la nature, qui avaient une bite à la place du cerveau et qui ne juraient que par Birthday Party et Hüsker Dü. Zozo s’asseyait couramment à la grande table conviviale pour trinquer à l’apéro, un apéro qui dégénérait systématiquement en nuit blanche, à longueur de bavasseries interminables et plus soûlantes encore que ces packs de bières qu’on descendait mécaniquement, et au matin, alors que les premiers rayons du soleil filtraient à travers les rideaux des fenêtres, Zozo se levait d’un bond, réajustait son col de chemise et, d’une voix à peine esquintée par des heures de bavasserie, il lançait : «Salut les gars, c’est l’heure qu’j’aille au boulot !». S’il s’intéressait au rock, c’est uniquement parce qu’il fréquentait des gens de sa famille passionnés de rock. Lorsque pendant le week-end, on passait l’après-midi avec lui, et qu’il roulait des joints avec la beuh de son jardin, il ne passait qu’un seul et unique album, toujours le même, Never Mind The Bollocks. Il fallait élever la voix pour alimenter la conversation. Une autre fois, en plein cœur d’une nuit extrêmement arrosée, on le vit mettre les enceintes de la chaîne sur le rebord de fenêtre de la cuisine et il envoya le «400 Bucks» du Reverend Horton Heat arroser le voisinage, pendant qu’il se livrait dans le jardin à la plus impressionnante des crises de danse de Saint-Guy. Zozo disposait en outre d’une qualité qu’on croise rarement chez les oiseaux de nuit : la capacité de redémarrer en côte, au terme des trois premiers rounds que sont l’apéro, les vins servis pendant le repas, et les cerises à l’eau de vie après le repas. C’est là que ça se passait, au cœur de la nuit blanche, avec le quatrième round, lorsqu’on ramenait d’autres bouteilles bien plus redoutables sur la table et que bon nombre de participants avaient sombré dans les abysses. Zozo qui se trouvait toujours installé en bout de table remplissait de grands verres de rhum ou de whisky, et avec une énergie surnaturelle, il s’adressait aux derniers survivants pour relancer brutalement une conversation menacée d’inintelligibilité. Et ça allait loin car du même coup, il réveillait des interlocuteurs luttant contre la somnolence. La conversation reprenait comme si personne n’avait rien bu. Et Zozo n’en finissait plus de remplir les verres.

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             Nikki Sudden et son frère Epic font en 1978 exactement ce que fait Zozo au bout de la table : ils redémarrent en côte. Ces deux fans de glam eurent l’idée de redémarrer le punk en montant un groupe d’äfter-punk avec des copains du quartier. Ils mirent Swell Maps on the map. Zozo et Swell Maps puisent à la même source : la grande intelligence.

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             Hugh Gulland en fait six pages dans Vive Le Rock. Vas-y Hugh, on est avec toi ! En fait, c’est le bassman Jowe Head qui alimente le buzz autour de Swell Maps, avec un book à paraître, et une compile, Mayday Signals, dont on va parler un peu plus bas. Selon Jowe Head, on disait de Swell Maps à l’époque «qu’ils se diversifiaient tellement qu’ils semblaient se désintégrer». Mais heureusement, «leur sensibilité commune recollait les morceaux». Jowe Head est fier de rappeler qu’ils n’étaient pas comme tous ses groupes qui à l’époque se faisaient un «fast buck avec un ou deux punk singles avant de changer de style pour suivre la mode». Swell Maps restaient fidèles à leurs influences, notamment Faust. En citant Faust IV, Jowe Head parle d’un multi-facet work of genius. Beaucoup plus important, l’Head insiste sur la spécificité du groupe : «Maps were always quintessencially English to me - (...) But there’s a quality of eccentricity about it.» Et pouf, il tire l’overdrive : «Swell Maps were an odd cocktail of apparently unreconciliable influences: T Rex, Can, Buzzcocks, King Crimson, Sex Pistols - and Faust!». Il dit aussi qu’à l’instar de beaucoup de groupes allemands, Swell Maps rejetaient le monopole culturel américain, trop de groupes anglais à l’époque subissaient cette influence, «you know, all the blues, soul, funk and boogie clichés, with long guitar solo and so on. It was so boring!». Il pousse son raisonnement assez loin, affirmant que les seuls groupes progressifs anglais intéressants de l’époque étaient ceux qui cultivaient leur Britishness, et il cite Crimson, Genesis, Third Ear Band et Soft Machine. Bizarre qu’il oublie Van Der Graaf. Et puis en même temps, il dit avoir adoré the alien American sound de Captain Beefheart et de Sun Ra.

             L’autre paradoxe de Swell Maps est qu’ils portaient les cheveux longs et quand ils montaient sur scène en 1978, on les traitait de Pink Floyd, l’injure suprême. Ils étaient donc victimes de leur singularité. Ils ne voulaient pas ressembler aux autres groupes punk. Pour eux, le seul élément important du mouvement punk, c’est l’anticonformisme. On le retrouve dans leur musique.

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             Leur premier album paraît en 1979 et s’appelle A Trip To Marineville. Une baraque prend feu sur la pochette, ce qui est un bon présage. Ils jouent en effet un punk-rock de front room en feu, avec les moyens du bord. Ce qui leur permet de refaire les Buzzcocks de Spiral Scratch avec «Another Song». Fantastique phénomène de mimétisme. Ils brûlent un peu les étapes et arrivent directement au coup de génie avec «Vertical Slum» - The weather ! The leather/ The weather ! The leather - On va qualifier ça de punk primitif digne du Magic Band. Avis aux amateurs ! On l’a bien compris, les Swell Maps cultivent le primitivisme. Les Buzzcocks en avaient fait leur sinécure et les Swell Maps s’en inspirent directement. Ils replongent dans l’excelsior du Magic Band avec «Harmony In Your Bathroom», ils tapent dans l’irrévérence absolue, on entend les bubbles dont parle Luke la main froide dans sa column. C’est dans «Midget Submarines» qu’ils mettent en route l’aspirateur. Au passage, Midget est un excellent cut de rock insidieux. En B, ils vont faire un brin d’hypno avec «Full Moon In My Pocket» et devenir classiques avec «Blam», pur jus de classic Maps, bien tendu, plein de small swell, hanté par une basse intermittente et le vaillant Nikki au chant - I don’t care/ I guess I’m nealy dead.

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             Jowe Head indique que le groupe a splitté à la fin de leur tournée, en avril 1980. Ils ne pouvaient plus se supporter les uns les autres. Ils parviennent néanmoins à compléter leur deuxième album, In Jane From Occupied Europe. Dès «Let’s Buy A Bridge», on sent une sorte de tendance au post-punk dylanesque, aussi étrange et concubin qu’un concombre compromettant. En voit-on l’intérêt ? Non. Par contre «Border Country» se distingue par un solide claqué de guitares. Brillant car joué à l’idée. Et ça continue avec «Cake Stop», joué au laid-back déviant de petite ramasse d’orgue et chanté à l’avenant. On comprend subitement que Nikki et son frère expérimentent. C’est donc tout à fait par hasard qu’ils développent une sorte de post-punk velvetien avec «The Helicopter Spies». D’autant plus inattendu que c’est suivi par un son de trompette. Quand même, il fallait oser. Ils singent l’esprit des Cramps avec un instro ambiancier intitulé «Big Maz In The Desert From The Trolley», mais c’est en B qu’ils stockent la viande, à commencer par «Collision With A Frogman», un instro monté sur un beat certain, solidement ancré dans une culture de l’hypno qui va de Can à Can. Oui, ils sont dans cette excellence. «Secret Island» pourrait sortir du pot de chambre de Pere Ubu, tellement c’est bien chanté et bien ramassé. Encore plus passionnant, voici «Whatever Happens Next», cut toxico à gogo, un vrai modèle d’hypno tentaculaire. Tout aussi dévoyé, voici «Blenheim Shots», joué à l’hypno calorique de dandysme perdurant, chanté au yoyo de voix de «Time’s Up», et viscéral d’élégance marmoréenne, comme le furent en leur temps les premiers singles des Pistols et des Buzzcocks.

             Après le split, Jowe Head continue de bosser un peu avec Epic. Ils enregistrent un album jamais paru, Daga Dag Daga, que Jowe compte bien exhumer. Il continue aussi de bosser avec Phones Sportsman avec lequel il a aussi des choses en cours. 

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             On trouve aussi une compile indispensable dans le commerce, l’infernal International Rescue. Tu es fixé sur ton sort dès le morceau titre, une bien belle slabberie d’after-punk montée au bassmatic énervé et sacrément proéminent. Epic y bat le beurre du diable et Jowe ramone bien sa cheminée, c’est complètement dévoré de l’intérieur, ces petits mecs sont très puissants, on entend même les chutes de «Time’s Up». Nikki joue déjà la carte de la prescience. «Real Shocks» vaut n’importe quel early hit des Buzzcocks et «Ammunition Train» sonne comme un coup de génie, un de plus, car c’est gratté sévère et Epic tatapoume à bras raccourcis. C’est bourré à craquer de punch, ils font à la fois le train et le Velvet, ils ont exactement le même sens de la consistance que l’early Velvet. Chez eux, tout est dans l’early. Ils sont les dandies de l’early. Et c’est chanté à deux voix. Charmant et complètement dépenaillé. On voit bien qu’avec «Ripped & Torn», ils ont déjà créé leur monde, et ce n’est pas un petit monde. La fête se poursuit avec un «Spitfire Parade» qui sonne comme un cut des Heartbreakers. Les Swell Maps ont exactement le même panache, mais avec du punk anglais en plus dans le mix. Oui, car Nikki chante à la hargne de Rotten avec des chutes à la Devoto. On reste dans le fabuleusement énergétique avec «New York», pur slab de naive-pop punk, comme l’indique Paul Morley au dos de la pochette. On se noie dans un océan de destroy oh boy ! En B, on se régalera du buzzcockien «Forest Fire» - même chant, même frénésie, même classe working-class - et de «Winter Rainbow», embarqué au meilleur after-punk d’époque. C’est d’une santé exubérante. Les Swell Maps se distinguent par la constance des éclats et un perpétuel éventail des possibilités. Encore plus indécent de santé sonique, voilà «Dresden Style (City Boys)». Nikki et Epic savent secouer un cocotier. Une fois de plus, ça sonne comme les Buzzcocks car c’est cisaillé par des embrouilles de solo, ils ont exactement le même sens du misérabilisme glorieux. C’est ce qui fait leur grandeur, ils n’ont aucune prétention. On retrouve à la suite l’excellent «Vertical Slum», véritable est-ender punkoïde des enfers chanté au straight cockney-strut de street. Infernal ! Et pour finir, voici «Hey Johnny Where’s The Chewing Gum», tapé à la carcasse du wild post-punkster Sludge System d’Angleterre. On assiste éberlué à l’incroyable sauvagerie de l’assaut, awite, le Sudden descend son awite avec une délectation de psychopathe, il bouscule au passage toute la léthargie de l’étal étoilé.

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             Jowe Head vient de faire paraître une jolie compile sur Easy Action, Mayday Signals. Il propose 36 tracks qui vont des primitive home-made recordings jusqu’aux derniers enregistrements studio. Jowe Head veut montrer l’évolution du groupe, tant en termes d’idées que de capacité à jouer tout en développant ce qu’il qualifie de charismatic weirdness. On y retrouve l’excellent «Vertical Slum» et un «One Of The Crowd» qui semble sortir tout droit d’un single des early Buzzcocks. Nikki embarque ça dans le punk de Manchester, il se prend pour Boredom, c’est exactement le dévolu de Devoto, avec un chant jeté en pâture. Ils font aussi du pur Dada avec «Read About Seymour» et «Bandits 1-5», ils développent d’énormes chevaux vapeur. Ils poussent même le bouchon assez loin puisqu’ils font du Dada guttural. C’est un groupe étonnant pour l’époque, extrêmement subversif. Ils passent au fast punk d’ultra-violence avec «Off The Beach» et on retrouve l’excellent «Ripped & Torn». Nikki est dessus vite fait bien fait, c’est l’endroit exact où le génie rejoint l’underground. Nouveau coup de semonce avec «Fashion Cult (Opaque)», encore une fois vite fait bien fait, monté sur un heavy grove de r’n’b, ils ont tout ce qu’il faut en magasin, ils ramènent du son et de l’esprit. Encore du punk de Maps avec «Johnny Seven». Et quand on retombe sur «International Rescue», on comprend que les Swell Maps étaient en leur temps l’un des meilleurs groupes underground d’Angleterre.

    Signé : Cazengler, Swell Naze

    Swell Maps. A Trip To Marineville. Rough Trade 1979

    Swell Maps. In Jane From Occupied Europe. Rough Trade 1980

    Swell Maps. International Rescue. Alive Total Energy Records 2009

    Swell Maps. Mayday Signals. Easy Action 2021

    Hugh Gulland : Prince of the nautical swells. Vive Le Rock # 83 – 2021

     

    *

    Avant même la couve, le nom du groupe m’a attiré, GOZD, diable se prendraient-ils pour DIEU, et qu’est-ce que ce Z que l’on placerait d’instinct en quatrième position, que veulent-ils nous signifier ? A moins qu’ils ne soient encore plus pervers que notre imagination ne l’imaginait, suffit de lire la liste des musiciens, ce n’est pas long, ne sont que deux : GOZDEK Jakub (guitars, lyrics, vocals, bass ) et GOZDEK Marek ( drums, backing vocals ), deux frères qui n’oublient pas de dédier ce premier album à la mémoire de Robert Sobansky  avec qui il a été initialement conçu et mis en œuvre. A partir de leur patronyme ont-ils voulu induire l’idée qu’il y aurait comme une césure, une zébrure, une fente dans le nom de God. Nous refairaient-ils le coup à la polonaise d’ En attendant Godot

    Viennent de Wroclaw, surnommée la Venise Polonaise, située en Silésie au Sud-Est de la Pologne, ville universitaire et culturelle au passé prestigieux… Mais il est temps de regarder la pochette signée de Pysemyslaw Kris, la visite de son instagram @nom4dsky est surprenante. A première vue pas d’artwork personnel, avant tout des paysages et des photographies d’immeubles, mais si l’on s’attarde quelque peu sur chaque post l’on s’aperçoit qu’ Industrialism Maximus, ainsi se surnomme-t-il, ne nous offre pas des cartes postales simplement agréables ou surprenantes à regarder, possède un regard architectural, il dissèque les lieux selon leur disposition, il en exprime leur signifiance profonde qui n’est pas sans produire un effet d’étrangeté, même lorsqu’ils ont été façonnés par le travail des hommes ou édifiés de toutes pièces… il parvient à donner l’impression que ces lieux existent par eux-mêmes en dehors de toute ingérence humaine comme si notre engeance n’avait jamais existé. Nous nous sentons exclus de notre monde…

    Si nous nous rendons sur l’instagram de Godz, @godzband, nous avons droit à quatre vues différentes de l’artwork de Pysemyslaw Kris, qui n’incitent pas à l’optimisme, sombres (même la dernière baignée de jaune ) et mystérieuses, qu’est-ce au juste, un paysage d’apocalypse et de fin du monde, ces boules rondes sont-elles des engins spatiaux venues apportées la destruction ou un enchevêtrement de planètes déviées de leurs orbites pour une raison ignorée.

    Conflagration interstellaire ou en of the world… Toutefois le titre qui s’étale en grosse lettres est davantage rassurant :

    THIS IS NOT THE END

    GOZD

    ( BSDF Records - 15 / 01 / 2023 )

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    La phrase de présentation de leur album : ‘’Bienvenue dans le monde de GOZD, plongez dans le chaos et le néant avec nous.’’ témoigne d’une sympathie inquiétante. Dans la série ‘’mais que fait la police ?’’ le lecteur s’attardera sur le lettrage du nom du groupe, les quatre lettres étant elles-mêmes graphiquement scindées en deux… Dieu serait-il fêlé ? Si ce n’est pas la fin, serait-ce la mort de Dieu ?

    Lost in chaos : malgré le titre ça commence relativement calmement, hélas très vite surviennent un frottis de cordes pas franchement désagréables ( même plutôt appétissants ) si vous n’êtes pas sensibles à ces mini-ruptures incessantes de tonalités un peu comme si vous marchiez sur un plancher qui se fragmenterait sous vos pas, surgit une voix très grave, elle semble appartenir à celui que l’on nommerait le Maître du chaos si tant est que le chaos pourrait se plier aux ordres d’un maître, toujours est-il qu’elles ( car apparemment Robert Sobansky aurait posé quelques lyrics )  sont sombres et graves, beaux échos de basse, et le chant liturgique reprend, qui dit kaos dit noise, mais ici la mélodie domine, Gozd ne décrit pas le chaos mais essaie d’exprimer les sentiments de déréliction engendrés par une telle occurrence, la batterie avance le chemin noir que l’on parcourt lentement malgré certaines brisures qui ne génèrent jamais d’accélération. Si ce n’est pas la fin, lorsque la musique s’éteint l’on reste sur sa faim. Unknown answers : décidément l’on n’est pas invité à pénétrer dans le chaos du monde mais à rentrer dans notre âme pour nous poser des questions sans réponses,  bulles successives de résonnances graves qui s’évanouissent dans leur propre splendeur comme si vous électrifiez et espaciez des notes du piano de Chopin et les faites résonner dans le vide de votre esprit, déferlements de guitares, les interrogations sont porteuses d’angoisses et de lourdeurs, l’on tourne en rond dans sa propre histoire rabattus par l’ampleur du son vers les murs de nos incapacités, la voix est sans pitié, elle énonce et dénonce, des couches de guitares mélodramatiques vous tombent dessus cisaillantes et engluantes, sortirez-vous un jour de vous-même, une basse inexorable vous porte des coups, vous tombez dans un entonnoir sonore, la batterie bat la chamade par-dessous, ne restent plus que les battements de votre cœur qui s’arrête. Un morceau dont on ne sort pas indemne. This is not the end : tambourinade, frétillements cordiques, chantonnements de basse, le rythme s’accélère lentement  et la voix se penche sur vous pour vous réveiller de votre mort mentale, le son s’épanouit, l’on vous prend par la main, l’on vous guide, l’on vous pousse dans le dos, la musique plantureuse est votre seule béquille, une onde sonore se lève et vous emporte, tout semble marcher comme sur des roulettes, arrêt, silence, re-tambourinade, mais plus forte, vous avez passé un degré d’initiation, voici le deuxième, batterie pratiquement militaire, cette fois c’est du sérieux la guitare résonne comme des cors de guerre, le riff implacable et saccadé ne vous laisse pas le temps de réfléchir, cymbales et la machine se met en route, à la vitesse à laquelle elle vous entraîne vous comprenez que c’est loin d’être fini, seriez même plutôt projeté sur un tobogan infini, les guitares sonnent comme des coups de sabre, ce n’est pas la fin vous répète-t-on puisque vous entamez le combat pour votre survie. Escape from the inevitable : l’on reste sur le même tissu sonore tout le long du morceau, l’on a échappé au pire, la voix susurre des conseils tout fort à l’oreille de l’impétrant, il ne suffit pas d’être initié, il faut encore comprendre ce à quoi l’on a échappé, faire le point, pour ne pas retomber dans les vortex dérélictoires, l’on est maintenant capable de marcher sur le tapis de cendre froide du néant, il suffit de se lever et d’avancer à l’intérieur de soi. La musique processionnaire vous accompagne. In extreme to extreme : même gravité, même intensité, même si quelque chose semble s’accélérer, la voix se fait profonde, elle dit, elle résume, elle reprend l’itinéraire du début à la fin, et la vérité fuzze, si l’on croyait être tiré d’affaire il n’en est rien, ne serait-on pas exactement au même point, ce n’est pas la fin uniquement parce que la fin n’est pas encore terminée, les guitares se font incendie, tout se précipite, rien n’a changé, le chaos et le néant sont toujours là tapis au fond de nous, batterie oppressante, nous n’y échapperons pas.

    ET dieu dans tout ça ? comme dirait l’autre, nom de Gozd ! Disons qu’il bénéficie d’un sursis. N’a pas réussi à remporter une victoire éclatante sur le chaos, mais ne semble pas avoir été vaincu. Se serait-il enfermé dans la forteresse de l’âme humaine ? L’on attend la suite dans le deuxième opus, celui-ci tout d’une pièce, certes il laisse la question (et la réponse ) en suspens, bénéficie de ce que dans le théâtre classique l’on nommait l’unité de ton, de la première note à la dernière une atmosphère analogue se déploie sans jamais provoquer la moindre parcelle de monotonie, ambiance doom stonner fortement mélodique, une parfaite réussite.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 6 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    GENE VINCENT’ S FANS

    JULIANE GARSTKA / JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

    Nombreux sont les fans de Gene Vincent mais certains font tout pour perpétuer non pas le souvenir mais la présence de Gene. Je commencerai par évoquer :

    JULIANE GARSTKA

    J’ai découvert Juliane Garstka tout dernièrement, exactement depuis le 3 janvier 2023 par l’intermédiaire du groupe ( public ) FB Dance and Sing with Gene Vincent, un post provenant de sa participation à ce groupe qui défile à toute vitesse sur ma page d’accueil et que je stoppe immédiatement, touché coulé en plein cœur.

    En quelques mots elle explique que c’est une peinture qu’elle a exécutée voici longtemps alors qu’elle n’était qu’une gamine intéressée par le dessin. Mais autant la laisser s’exprimer elle-même : ‘’ Gene Vincent died on oct 12 th 1971, only 36 years old. He suffered throughout his life after smashing his leg in an accident and hurt it again in a second accident, that took the life of his friend Eddie Cochran. But also he was just pure RocknRoll. He also was my teenage hero and I painted this picture 1982, that sums up the sadness and depression of his life. He will always be in my heart and I deeply miss him although I never had the slightest chance to meet him. ’’

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    Des portraits de Gene Vincent, plus ou moins bien réussis, j’en ai vu des dizaines, mais comme celui-ci jamais. Manifestement inspiré de la pochette de The Day The World Turned Blue, ( 1971 ) l’ultime album de Gene. Mais vue de l’intérieur. La couve est assez parlante, Gene derrière une fenêtre aux vitres brisées, au vu de la façade décrépite la maison a dû être belle, comme Gene elle a connu des jours meilleurs, la sensation de solitude et de tristesse est accentuée par la cime nue d’un arbre dépouillé de ses feuilles. J’ai commandé ce disque à sa sortie, je ne sais plus si c’était en Angleterre ou aux States, la réception du précédent If  Only You Could See Me ( 1970 ) avait été un véritable coup de poignard dans le cœur, Gene allait mal, je le savais, mais là j’avais l’aveu devant les yeux, avec ce dernier disque j’eus la prémonition que les jeux étaient faits, que Gene nous quitterait bientôt, ces deux  albums sont sublimes et crépusculaires ils rayonnent de regret, de nostalgie, de colère rentrée et d’amertume désabusée, ce n’était pas Gene derrière la fenêtre, mais l’annonce de son départ pour autre part. J’ai vécu ces deux dernières années dans l’idée que la fin était proche. Au début du mois d’octobre 71 installé dans un autobus j’attendais le départ, j’entendais sans vraiment écouter le flash d’information de France Inter, rien de bien intéressant, mais sitôt le flash terminé sans aucune annonce ont retenti les premières notes de Be Bop A Lula. J’ai compris. Un tel titre à huit heures du matin ce ne pouvait être que… A la fin du morceau le speaker a confirmé…

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    Et maintenant, un demi-siècle plus tard cette œuvre de Juliane Gartska, qui ravive cette ancienne blessure jamais refermée, la mienne sans importance comparée à celle de Gene, cet homme qui a tant donné pour le rock’n’roll et ses fans, enfermé dans une immense solitude et un sentiment d’abandon et d’injustice, ‘’ I was standing by my window /  on one cold and cloudy day / When I saw that hearse come rolling…’’ le cercle impitoyable qui s’est refermé lentement sur lui, Gene a eu le temps de l’appréhender… tout cela une adolescente l’a ressenti et exprimé bien plus fortement que mes mots, cette pièce blanche, cet homme en noir à la fenêtre, dont pas même un corbeau ne s’aventure à toquer à l’un des vantaux, la représentation d’une âme enfermée dans le sépulcre de son agonie, dans le monde vide des illusions perdues, une vision intérieure…

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    Depuis Juliane Garstka a grandi, elle a gardé sa sensibilité artistique, une visite de son FB s’impose, vous y verrez de nombreuses photos de chevaux qu’elle sculpte. Elle a aussi gardé son attachement pour Gene. Les photos ne permettent pas de juger si ce sont des sculptures ( résines ? ) ou des figurines peut-être habillées ou des poupées,  voici Gene en action, lorsqu’elle se réunit avec des potes pour chanter et jouer ( devinez quoi !), autour de chez elle dans la nature, elle n’arrête pas de le mettre en scène, avec Jerry Lou, notamment avec Daniel Lanoy, producteur, chanteur, musicien canadien une autre de ses admirations,  elle qui a su traduire l’intérieur de Gene, elle l’affiche maintenant à l’extérieur dans sa vie, il est toujours là, objectif, vivant - car l’art immortalise – à ses côtés. Que voulez-vous, elle n’a pas renoncé à son rêve. Nous l’en remercions.

    *

    PRECISIONS HISTORICO-GEOGRAPHIQUES

    Topanga Canyon est situé au nord de Los Angeles entre Santa Monica et Malibu, il est peut-être moins célèbre que le Laurel Canyon beaucoup plus proche de Los Angeles, mais ces deux endroits sont constitutifs de ce qu’en France on appellerait la légende hippie, ce que plus pragmatiques les américains nomment le California Sound. Ces lieux encore un peu sauvages et désertiques attirèrent la faune des musiciens avides de ces libertés que nous qualifierons de sonores, extatiques et sexuelles. Jim Morrison, Mama Cass, Joni Mitchell pour ne citer que les plus célèbres, nous n’oublions pas la bande des quatre, Crosby, Stills, Nash and Young – le Cat Zengler pas plus tard que la semaine dernière nous entretenait de Stephen Stills – fréquentèrent le Laurel, Le Topanga accueillit la famille ( peu recommandable ) Manson mais aussi Woody Guthrie, Jack Eliott, Canned Heat, Emylou Harris, et bien sûr Neil Young… Tous ces artistes se sont produits au célèbre Topanga Corral vaste discothèque qui proposait de nombreux concerts. Le vivier n’était pas loin.

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    A l’inverse Anaheim se trouve de l’autre côté, donc au Sud-Est de Los Angeles, la ville est surtout connue pour ses deux Parcs Disney et un important salon annuel de musique de la National Association of Music Merchants Show.

    Précisions nécessaires pour bien comprendre les trois premières lignes de l’intitulé du concert qui suit :

    1971 : THE ANAHEIM SHOW

    06 - 06 - 1971 / TOPANGA CORRAL

    TOPANGA CANYON

    JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

    DERNIER CONCERT DE GENE VINCENT

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    Les personnes qui se rendent sur le FB Kr’tnt Kr’tnt pour accéder au blogue Chroniques de Pourpre connaissent JACK BODLENNER, sur le bandeau de tête c’est lui à moitié allongé sur la scène dont les doigts atteignent l’attelle de la jambe blessée de Gene Vincent. Jack Bodlenner est un fan inconditionnel de Gene Vincent, il a assisté à de nombreux concerts, notamment en France, de Gene, il possède sans compter les photos plus de six cent heures d’enregistrements (scènes, coulisses, hors concerts), il n’est pas de ceux qui gardent égoïstement leurs documents, il les livre peu à peu au public. Il intervient souvent sur le groupe public FB Dance and Sing with Gene Vincent qui offre à tous les fans un espace où déposer en libre accès documents iconographiques et vidéos, connus, rares, inédits… Une mine d’or.

    En 1971, j’étais à Toulouse, beaucoup plus malin et avisé que moi Jack Bodlenner assistait au dernier concert de Gene Vincent aux USA, au Topanga Corral, il en a ramené quelques bandes.

    Si vous les retrouvez sur FB, vous pouvez remercier DAJANA LOUAAR c’est une des administratrices du groupe qui a proposé à Jack Bodlenner de mettre en images les extraits de ce concert – le but ultime est de le donner en son intégralité – ce ne sont pas les images de ce concert mais une succession de photos diverses qui défilent sous vos yeux et rendent en quelque sorte l’écoute plus vivante, ‘’ plus palpable’’.

    Dajana Louaar  et Jack Bodlenner font bien plus que rendre hommage à Gene Vincent, ils suscitent sa présence.

    WORKING ON THE RAILROAD

             Quand ce morceau a été révélé sur You Tube les oreilles ont tilté, il dépasse dix minutes une longueur inusitée pour Gene, à part Tush Hog et Slow times comin’ ce genre de long fleuve tranquille – quoique Tush Hog soit assez mouvementé - n’était pas dans ses habitudes.  Le premier enregistrement de ce traditionnel effectué par Leadbelly date de 1942, il en existe différentes variantes on le retrouve souvent sous le titre de Take this hammer, on classe souvent Leadbelly parmi les artistes de blues, toutefois la majeure partie de son répertoire est plus proche du folksong que du blues. C’est le goût prononcé de Gene pour le country qui a sans doute emmené Gene à s’intéresser à ce morceau. L’est vrai qu’il est idéal pour la scène, ses lyrics courts et répétitifs se prêtent à toutes les insistances et à toutes les improvisations. Nous ne possédons aucun renseignement précis sur Kid Chaos le groupe qui l’accompagne, tout ce que nous pouvons dire c’est que ce n’est pas un combo de rockabilly, la qualité sonore du document ne permet pas de préjuger de sa valeur mais il nous semble dans la moyenne de la manière dont on jouait le rock au début des seventies, autre remarque : la voix de Gene est moins desservie que ses musiciens. Mais arrêtons de pérorer sur le quai de la gare et montons dans le train, ou pour être beaucoup plus fidèle à l’esprit de la chanson arrêtons de trimer pour rien et prenons à toute vitesse la voie de la liberté. Ce morceau fleure bon l’idéologie des travailleurs adhérents à l’IWW ( Industrial Workers in the World ) syndicat à tendance anarchisante et autogestionnaire.  Le train démarre sur sa vitesse de croisière menée par la voix de Gene, la batterie a dû s’accaparer le plus grande largeur de la bande, elle ne permet pas à la guitare et à la  basse de donner toute leur impulsion, la voix de Gene est un peu reléguée au fond, avec les acclamations du public, ce qui est dommage car Gene est en pleine forme, un beau solo de guitare perce la brume sonore, l’on atteint à une belle intumescence lyrique, normalement ce devrait être la fin mais ça continue pour… mieux stopper, seul le batteur maintient l’imperturbable rythme, vite rejoint par la voix revendicatrice, coléreuse et agressive de Gene,  mais tout rendre dans l’ordre pour aborder un beau pont musical, nouvel arrêt, le batteur batifole Gene parle, et l’on repart pour mieux laisser à Gene clore la fin de la ligne. Vu la qualité sonore, je conseille de l’écouter plusieurs fois, c’est ainsi que ce qui pourrait apparaître comme un tantinet monotone se révèle empli de finesse.

    BE BOP A LULA

    Pendant longtemps écouter Be Bop A Lula restait relativement simple, la version 56 inimitable, la version 62 twist et rapide, la version lente que parfois Vincent interprétait sur scène ( Eddy Mitchell sen inspira pour sa version 63 ) et la version bastringue 69 musicalement si différente et si lourde que beaucoup ne savaient quoi en penser… avec le Net l’on ne compte plus les extraits de concerts qui proposent ce morceau, à tel point qu’il est difficile de trancher entre elles. De tous les morceaux de ce dernier concert in USA, c’est celui-ci qui bénéficie de la meilleure qualité sonore, c’est un peu dommage car l’on sent que l’orchestre ne rentre en rien dans ce parangon idéel du rock ‘n’ roll, patauge à côté de l’esprit rawkabilly, peu de subtilité, beaucoup de lourdeur au sens négatif de ce terme. Malgré les acclamations qui fusent dès les premières notes Vincent l’expédie rapidement – combien de fois l’a-t-il exécuté dans sa vie en final de show – il sait que pour resplendir ce joyau doit être enserré dans un chaton musical le plus pur. Sur les applaudissements terminaux un Monsieur Loyal remercie Gene.

    SUNDAY MORNING COMING DOWN

    Un morceau de Kris Kristofferson écrit en 1969, Gene a dû l’emprunter à Johnny Cash un de ses chanteurs préférés qui l’interpréta en 1970, il en existe aussi une remarquable ‘’ démo’’ de Gene d’une tristesse et d’une pureté qui vous serre à la gorge. La voix de Gene au premier plan mais voilée par un souffle qui heureusement de temps en temps s’efface, un accompagnement tout ce qu’il y a de plus traditionnel en country, est-ce le public qui chantonne ou les musicos, vraisemblablement le public car sur les dernières notes des voix féminines se détachent preuve que Gene à quatre mois de sa disparition séduit encore et imprime sa marque sur chacune de ses interprétations.

    CORINE, CORINA

    Une chanson douce pour les effusions sentimentales, encore un traditionnel, la basse en avant, les cris du public, le slow d’enfer qui tue les dernières résistances, rien qu’à la façon dont Gene triture et tord son nom, la Corine doit mouiller sa culotte, un peu d’orgue pour mettre du liant et la batterie qui rapplique pour rajouter un peu plus la pression, faut savoir lâcher un semblant de lest pour se permettre d’être plus leste en un second temps. Dès que ce grand rock ‘n’roller que fut Gene s’empare d’une ballade, une magie saisissante opère. Vous transmet l’émotion de ces moments de la vie somme toute banale, mais qu’il fixe dans une aura de nostalgie poignante.

    WHOLE LOTTA SHAKIN’ GOIN’ ON

     Le band visiblement plus à l’aise sur ce classique de Jerry Lou que sur Be Bop A Lula, la voix de Vincent trop en arrière ce qui est regrettable car il est évident qu’il est en forme, l’on se console avec ce piano qui rit de toutes ses dents d’ivoire, après la furie du début, l’on y va relax et la basse consent à monter les escaliers en courant, mais ça repart tout de suite sur les chapeaux de roue pour se terminer illico. Consacrer moins de cinq minutes pour un morceau taillé pour la scène, c’est râlant.

             Il resterait une émotionnante version d’Over The Rainbow à venir.

             Généralement c’est ce que l’on appelle des vidéos pour les fans. Cela tombe bien, j’en suis un. Il est sûr qu’il faut les écouter à l’ombre des enregistrements ‘’ officiels’’. Mais tout ce qui provient de Gene Vincent reste précieux. Merci à Dajana Louaar pour la mise en images.

    Damie Chad.

     

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    p. p. arnold,jon spencer,gary usher,taj mahal & ry cooder,swell maps,gozd,gene vincent,juliane garstka,jack boldenner,dajana louaar,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 15 ( Ablatif ) :

    78

    Je suis un peu ( à peine plus de trois heures ) en retard ce matin au local. La journée de la veille a été très chaude et mouvementée, pas de quoi fatiguer ces hommes de fer que sont les agents du SSR, je n’y suis pour rien la faute en incombe à Calliope. J’étais tranquille chez moi en train de beurrer pour le petit déjeuner de Molossa et Molossito les biscottes - ces braves bêtes les adorent, à condition que je glisse entre deux toasts préalablement grillés à point, une entrecôte de bœuf saignante – je n’avais pas encore bu la moindre gorgée de café lorsque j’ai été submergé par l’enthousiasme poétique, c’était Calliope la muse de l’éloquence et de l’épopée qui à l’oreille m’enjoignit de rédiger dans mon autobiographie Mémoires d’un GSH ( *)  le passage relatant les évènements survenus dans la Forêt de Laigue. Je recopie ses paroles texto : ‘’ Damie, le monde de demain a le droit de savoir ce qui s’est réellement passé hier soir ! C’est ton devoir de le relater ! Au travail gros paresseux !’’

    Compréhensif le Chef a tout de suite excusé mon retard : ‘’ L’on ne fait pas attendre une déesse’’ me déclara-t-il et il ajouta : ‘’ Peut-être qu’avec l’aide de Calliope et de votre stylo Bic, les actes du SSR ainsi rapportés ensemenceront-ils les esprits des grands hommes de la future Humanité et ainsi permettront-ils à notre misérable engeance de ne pas périr lors de la septième extinction…’’

    79

    C’est avec la voix que je prends spécialement pour réciter les épodes de Pindare que je me lançai dans la lecture de mon œuvre immortelle, par modestie je n’en recopie que quelques extraits : ‘’ … les deux Compagnies Républicaines de Sécurité que rien ne menaçait tirèrent à elles seules davantage de grenades de désencerclement – stratégie peu appropriés puisqu’ils n’étaient pas encerclés - que n’en tira le divin Héraklès sur les oiseaux du Lac Stymphale qui se ruaient sur lui dans l’intention de déchirer en lambeaux sanguinolents son corps de héros. Dans leur mansuétude proverbiale les Dieux ne ripostèrent point et se contentèrent de sourire, mais lorsque le Commandant Octave Rimont ordonna à la phalange du GIGN de donner l’assault, du haut de son trône Zeus grimaça, et une ombre gigantesque se dressa dans le ciel. On aurait dit un immense oiseau, était-ce l’aigle de Zeus, ou la chouette d’ Artémis, plus tard certains émirent qu’il s’agissait de la chienne d’Hécate la déesse des carrefours métamorphosée en vautour gypaète barbu, l’on ne sait, l’oiseau noir passe et repasse ( normal c’est un rapace ) à plusieurs reprises au-dessus de la tête des deux cents CRS alignés, peu prennent garde à sa présence, mais à la septième fois que l’ombre noire survole la colonne de ces cracheurs de brouillards puants, tous, un par un s’écroulèrent à terre, sans bruits de façon peu spectaculaire, comme si cédant à une grande fatigue ils s’adonnaient à un somme réparateur, par contre les membres du GIGN qui avaient déjà atteint les hautes ramures de la futaie chutèrent lourdement, l’on entendait leurs corps glisser et se fracasser sur les branches puis s’écraser à terre comme ces fruits trop mûrs qui éclatent à peine ont-ils touché le sol, aucun des assaillants ne se releva, le grand oiseau noir sembla se désagréger en des milliers de fragments qu’un coup de vent emporta on ne sait où… Octave Rimont se précipite vers ses hommes, il hurle de rage et de dépit, tous sont morts, il fait signe au petit groupe qu’il avait écarté de la première ligne de ne pas bouger mais Molossa et Molossito foncent en avant et je les suis, deux hommes sont en train de descendre des arbres qui cachent le mur d’enceinte, le Chef et un sympathique inconnu qui répond au nom de Carlos, laissant Octave Rimont à son désespoir nous nous éclipsons discrètement…’’

    80

    • Ah, ce Carlos quel homme providentiel, s’exclame le Chef, agent Chad votre récit est un chef-d’œuvre de la littérature universelle, mais il est temps de nous livrer à un petit examen herméneutique en le comparant avec l’article pondu par Lamart et Sureau, d’ailleurs repris ou cité par le reste de la presse, écrite, parlée, télévisée, réseaux sociaux à fond la caisse, tout ce petit monde en ébullition tant au niveau national qu’international… trop occupé par la rédaction de vos mémoires vous ne vous êtes pas penché sur les nouvelles matutinales, je vous laisse lire tranquillement la une du Parisien Libéré, je ne vous en ferai pas la lecture, le devoir m’appelle, je me dois d’allumer un Coronado.

    81

    TERRIBLE RECRUDESCENCE

    DU COVID 19

    UN NOUVEAU VARIANT HYPERCONTAGIEUX

    237 MORTS EN QUELQUES MINUTES

    Olivier Lamart : ce devait être une après-midi sans histoire. C’est un peu en traînant que nous nous sommes rendus, sur invitation spéciale du Commandant Octave Mirmont, mon collègue Martin Sureau et moi-même, en forêt de Laigue, pour assister à un entraînement des forces spéciales de Gendarmerie. Rien du tout nous avait assuré Octave Mirmont, un petit exercice de ‘’ lance-patates’’ pour les Compagnies Républicaines de Sécurité dans le but d’assurer une ‘’ sécurité offensive’’ du Président de la République lors de ses déplacements et un premier ‘’stage d’escalade arborée préventive’’ dédié au GIGN afin de lutter au plus près des pyromanes qui n’hésitent plus à s’attaquer à nos forêts indispensables à notre survie écologique.

    Martin Sureau : nous avions affaire à des fonctionnaires d’état hyper-spécialisés et particulièrement motivés. Une fois les ‘’grenadiers’’ ayant effectué leurs tirs sans anicroche, ce fut autour des membres du GIGN de prouver leur promptitude à monter le long des troncs des arbres choisis pour cet exercice périlleux. La plupart d’entre eux s’étaient déjà postés et dissimulés dans l’épais feuillage des frondaisons les plus hautes de la forêt lorsque se produisit un léger incident.

    Olivier Lamart : un CRS – on les avait laissés sur place pour qu’ils puissent bénéficier du spectacle et de l’exemple offerts par leurs collègues qui font partie de l’élite sécuritaire de notre nation – s’affaissa sans préavis, ses collègues les plus proches n’eurent pas le temps de se porter à son secours, eux aussi saisi par un mal mystérieux s’effondrèrent tour à tour, tous furent terrassés, pas un ne se releva.

    Martin Sureau : le plus terrible à regarder ce fut ces policiers du GIGN qui dégringolaient de branche en branche sans ménagement sans même pousser un cri.

    Olivier Lamart : en effet chose incroyable, ils ne se sont pas tués en tombant, ils étaient déjà morts lorsqu’ils ont commencé à chuter. Les premiers secours et les médecins du Samu étaient formels.

    Martin Sureau : passons sur le balai des brancardiers qui transportèrent les corps dans leurs ambulances stationnées à deux kilomètres dans une des grandes allées carrossables de la Forêt de Laigue. Il fallait faire vite pour autopsier les cadavres de ces malheureux.

    Olivier Lamart : à peine quatre heures plus tard les premiers résultats fiables commencèrent à arriver au PC de crise établi dans la cour de l’hôpital militaire de Paris. Les analyses étaient formelles et concordantes. Tous nos valeureux policiers ont été atteints par un variant du Covid 19 hautement virulent et hyper-transmissible.

    Martin Sureau : c’est dans la nuit, quelques minutes avant de finir cet article qu’un communiqué de l’Elysée nous est parvenu. Nous en copions l’extrait le plus important :

    ‘’ La situation est grave mais nous appelons nos concitoyens à garder leur calme. Certes plus de deux cents policiers ont été victimes d’une attaque foudroyante d’un variant encore inconnu du Covid 19. Mais il ne faut point s’affoler, aucun des soignants, brancardiers, ambulanciers, infirmiers, médecins, professeurs, qui ont été de par leur fonction invités à manipuler les cadavres ne souffrent d’aucun mal. Il semble que cette souche ultra-virulente se soit développée dans un unique endroit somme toute circonscrit de la Forêt de Laigue. Celle-ci est désormais fermée et interdite aux visiteurs tant que des scientifiques internationaux n’aient rendu leur conclusion nous   assurant de l’innocuité de ces lieux. D’après les premières données de nos plus grands experts, il y a peu de chances que de telles attaques foudroyantes se renouvellent puisque ce variant est tellement nocif qu’en tuant ceux qu’il contamine, il se tue lui-même. Honneur à nos forces policières victimes de ce fléau qui sans le savoir, ont sauvé le reste de la population française en formant de leurs corps le barrage nécessaire à la survie du pays. Leur sacrifice n’aura pas été vain. La France reconnaissante.’’

    Notre propre survie à nous deux journalistes qui suivaient de très près le déroulement de ces opérations militaires ne sont-elles pas la preuve de la véracité des propos de ce communiqué officiel ?

    Faisons confiance à notre gouvernement !

    Olivier Lamart & Martin Sureau.

    A suivre…

    *Les initiales GSH signifient : Génie Supérieur de l’Humanité.